Lettres des hommes obscurs (Miroir Des Humanistes) (French Edition) [1 ed.] 2251344748, 9782251344744

Ce pamphlet fut publie anonymement entre 1515 et 1517 pour defendre l'humaniste Jean Reuchlin, accuse par l'In

154 81 36MB

French Pages 768 [772] Year 2004

Report DMCA / Copyright

DOWNLOAD FILE

Polecaj historie

Lettres des hommes obscurs (Miroir Des Humanistes) (French Edition) [1 ed.]
 2251344748, 9782251344744

Citation preview

ULRICH VON HUTTEN

LETTRES DES

HOMMES OBSCURS

.

Le miroir des bumanistes

Les Belles Lettres

: 2

s

A

Digitized by the Internet Archive in 2024

https://archive.org/details/lettresdeshommesO000unse

p

PPM

E

boire obi

. e

|

limone

me

ce eu

29

éni '

Putus

("ups

(loc

m

A uult:

Cm

qoc

sab

l'O

a Le



M desean i eth: M

que

Qr

trien pi A

Dre De ne

"

Jes

Vv

: In

:

, 4

(qme

TUE

4

| B

$n

|

,

qui pd

tadhlten "Was

los à

n

ee

T

LE MIROIR DES HUMANISTES

Collection dirigée par

Jean-Christophe Saladin

Cette nouvelle collection offre au lecteur des textes fondateurs de l'humanisme, injustement tombés dans l'oubli, ainsi que des biographies et des essais. Son emblème (les besicles ornant l’Augenspiegel de Jean Reuchlin) rappelle que de nombreux humanistes, outre leur goût pour l'érudition et l'élégance du style, s'engagérent, non sans risques, dans les combats d'idées de leur siécle.

}

"€

ims

m—

————

ru

get ses ^ip$ tenis ———

(rtilifu5! oeuf 5s

"Haye? eg 100g ves

I

ue sine

dunes =| exkalsar 3l) 3i "+

xusidman +

ps

el ant, aspire unes ton .Nrrigagas'r Ave ab 23a al "1: Aloôte xus ab ssbbi

ERIPRES DES HOMMES

OBSCURS

DANS LA MÉME COLLECTION

À PARAÎTRE

Louis Valcke, L'itinéraire intellectuel de Pic de la Mirandole

Pierre Caron, Quand la Sorbonne persécutait les humanistes (Noël Béda, ? — 1537) Jean-Christophe Saladin, Vie et mort du chevalier Ulrich von Hutten, poéte couronné

ULRICH.

VON

HUTTEN

Eopisliu DRESS DES

HOMMES

OBSCURS

Présentées et traduites par

Jean-Christophe Saladin

OO LES"BENBEBSSELETTRES 2004

RETIRÉ DE 1A COLLECTION UNIV ERSELLE B

c h e I

e

M

T3

ra

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous les pays. O 2004, Société d'édition Les Belles Lettres 95, bd Raspail, 75006 Paris. www.lesbelleslettres.com

ISBN : 2-251-34474-8

Je tiens à remercier tout particulièrement Marie-Joséphe BeaudGambier et Richard Budelberger qui ont révisé l'ensemble de ces textes avec une érudition peu commune. Je remercie également tous ceux qui m'ont aidé de leurs conseils, parmi lesquels Patrick Arabeyre, Jacques Berlioz, Robert Demaux, François Dolbeau, Hélène Feydy, Judith Kecskeméty, Claude Lecouteux, Franck Roumy, Monique Samuel, Robert Seidel, Gerd Stumpf, Sylvie Taussig, Jean-Marie Valentin, Sylvia Vaineau et Olga Weijers.

hour wilqweot-snaM. smzdjhriruiq tuorvyiiseam àqs

sae ess ss dunes! sb inm no up vagrodishgH Saut smuimmuq oo c Allen uM sb sis tao'm "up rus. uüoI

Juss]

r:2dóH soif

adiri anpdrih fbit uk

sisti] air) eii rud elut, die pe sivo qe. basso. Pin doll dapi WO amie W eglO rs ceni out taste "d

ENELSLLLÉÓLr mE

,

Ȏdr

--

À

c

Thin

io Mm Les

La

à trop dt

EXE

Misa. mn

1%



-

PRÉSENTATION

Le premier volume des Lettres des hommes obscurs (Epistolee obscurorum virorum) parut, sans nom d'auteur, au mois de décembre 1515. Il contenait quarante et une lettres satiriques, extrémement injurieuses à l'égard des plus hautes autorités de l'université de *Cologne. Six mois plus tard, une seconde édition était augmentée de sept nouvelles lettres. Début 1517 (soit à nouveau six mois plus tard), paraissait un second volume réunissant soixante-deux lettres, tout aussi injurieuses à l'égard du pape *Léon X et de sa *Cour, augmenté à son tour de huit nouvelles lettres, quelques mois plus tard. Au total, cent dix-huit lettres!, publiées en l'espace de deux ans. Sous un déluge d'obscénités et d'anticléricalisme primaire — qui évoquent irrésistiblement Rabelais au lecteur frangais —, l'objet de ces satires apparaissait avec évidence : ridiculiser les théologiens qui persécutaient l’*humaniste Jean Reuchlin, défenseur des juifs. Pour les contemporains, les allusions à l'actualité et à l'Affaire Reuchlin étaient nombreuses et transparentes. Mais il en va tout autrement pour un lecteur du xxl° siècle, qui découvre ces textes avec cinq siécles de retard. Une courte présentation est donc indis-

pensable pour lui fournir quelques repères dans le labyrinthe des Lettres. Dès leur parution, le succès des Lettres provoqua une intense curiosité. Certains y reconnurent la main d'*Érasme, d'autres celle de Reuchlin ou de *Crotus Rubeanus, mais la plupart y virent celle du chevalier Ulrich von Hutten. Ce dernier, qui était déjà l'une des plumes les plus acérées du camp humaniste, jura qu'il n'y était pour rien. Je ne m'aventurerai pas à trancher cette question sur laquelle les plus grands érudits ont hésité, mais il faut reconnaitre que le róle d'auteur des Lettres * Tous les noms précédés d'un astérisque sont commentés dans le « Répertoire », à la fin de l'ouvrage.



1. La dernière lettre du premier volume (I, 49) n'apparait que dans l'édition de 1556.

12

PRÉSENTATION

convient parfaitement à la stature du personnage — j'y reviendrai dans le dernier chapitre de cette présentation — et je m'en tiendrai donc à cette attribution traditionnelle. Si nous feuilletons ces pages avec l’œil du lecteur naïf, qu'y trouvonsnous ? Tout d'abord, une langue trés étonnante, un latin épouvantable, truffé de barbarismes, solécismes et macaronismes en tout genre. Pour tout dire, on a souvent l'impression, en les parcourant, de lire du frangais à peine maquillé de latin, ou plus exactement du théme latin écrit par un cancre. C'est d'ailleurs une impression voisine de celle que provoque la lecture des traités scolastiques médiévaux — ce qui n'est pas un hasard, j'y reviendrai. Un éléve de nos colléges en classe de troisiéme peut les lire sans grande difficulté (à cela prés qu'il ne risque pas de trouver dans son Gaffiot des termes tels que kaufmannus ou truffator). Les auteurs — et les destinataires — des lettres sont donc, d'entrée de jeu, présentés comme de grossiers ignorants. En ce qui concerne le contenu, une lecture plus attentive montre que cet assemblage, d'allure hétéroclite, est parcouru par un jeu incessant de références croisées internes et externes. Le lecteur, étourdi par la diversité des anecdotes, comprend ainsi assez rapidement qu'on lui parle toujours des mémes choses et que les masques de la superficialité et de la plaisanterie désignent leurs objets autant qu'ils les cachent. La difficulté sera donc de cerner ces objets.

UNE SATIRE EN MIROIR

La forme de ces deux volumes est loin d'étre innocente et c'est elle qui donne sans doute leur étonnante efficacité aux Lettres. Dans leur quasi-totalité, elles sont adressées à un destinataire unique, nommé Ortwin Gratius, « professeur de *Bonnes Lettres à Cologne ». L'homme a réellement existé et il était effectivement professeur dans un important pensionnat universitaire de la grande cité rhénane. Il revendiquait luimême fièrement le titre de « professeur de Bonnes Lettres »!, s’affirmant ainsi comme un humaniste, c'est-à-dire avant tout comme un maître en

élégance latine. Rabelais lui a d'ailleurs fait l'honneur de l'inscrire au catalogue de la bibliothéque de Saint-Victor?, comme auteur d'un livre 1. Il a fait figurer ce titre en téte de ses quelques publications universitaires. 2. Pantagruel, chap. VII.

UNE

SATIRE

EN

MIROIR

13

intitulé La Technique pour péter discrétement en société CArs honeste petandi in societate)... Mais il y a tout lieu de penser que la notoriété internationale du personnage lui venait précisément des Lertres, que Rabelais avait sans doute lues. Les naifs pouvaient donc peut-étre croire que le célébre maitre Ortwin Gratius de Cologne publiait sa correspondance, comme les humanistes se plaisaient à le faire, à l'instar des grands auteurs de l'Antiquité. N'avionsnous pas déjà la correspondance de Pline ou celle de Pétrarque ? Une correspondance contenant un tel fatras de barbarismes grotesques suffisait alors, à elle seule, à couvrir de ridicule son destinataire. On n'aurait, dans ce cas, eu affaire qu'à un solide canular d'étudiants ou de collègues, à la facon des pastiches de *débats scolastiques qui fleurissaient dans les universités, sur des sujets tels que De la fidélité des putains envers leurs amants ou De la fidélité des concubines envers leurs prêtres, défendus l'un par Jakob Hartlieb et l'autre par Paul Olearius, à l'université de Heidelberg, sous la

présidence de Johannes Hilt, l'an 1500!. Mais la satire allait beaucoup plus loin, et par sa forme méme. La tradition voulait en effet que les correspondances des grands auteurs contiennent essentiellement leurs lettres personnelles, agrémentées de quelques réponses de leurs correspondants. Mais les Lettres des hommes obscurs ne contenaient (à l'exception de la lettre I, 34) que des lettres adressées à Gratius. Or, les lecteurs savaient que, l'année précédente, Jean Reuchlin — objet des anathémes des « hommes obscurs » — avait précisément publié un tel recueil de lettres reçues de ses correspondants, sous le titre de *Lettres des hommes célèbres. Par cette publication, l'humaniste avait voulu montrer à ses ennemis qu'il avait toujours été tenu en haute estime par les plus grands lettrés de son temps — que l'on retrouvera à peu prés tous dans les rangs de l’« armée des reuchlinistes ». Il avait également voulu montrer qu'il s'exprimait aussi aisément en hébreu et en grec qu'en latin, ce qui était le comble de la culture possible pour un homme de ce temps. Sous cet aspect, la pauvreté lamentable de la langue des hommes obscurs était déjà, à elle seule, une démonstration éclatante de la nullité des adversaires de Reuchlin, et par conséquent de

leur chef Ortwin Gratius. L'allusion apparaît d'ailleurs dés le titre des Lettres des hommes obscurs, qui reprend mot pour mot celui de Reuchlin. Les Lettres... expédiées à des époques diverses (varüs temporibus misse) de Reuchlin deviennent chez les textes ont 1. De fide meretricum in suos amatores et De fide concubinarum in suos sacerdotes. Ces été réédités par Friedrich Zarncke dans Die deutsche Universitáten... p. 88 sqq.

14

PRÉSENTATION

hommes obscurs : Lettres... expédiées de lieux et d'époques divers (variüs et locis et temporibus misse). De plus, la typographie de ce titre est calquée sur celle de son modèle et ses caractères ressemblent à s'y méprendre à ceux que l'imprimeur Anshelm de Tübingen avait utilisés pour composer les Lettres des hommes célèbres. Enfin, l’hypothèse (le souhait) que les Lettres des hommes obscurs soient recues comme la réplique de Gratius à celles de Reuchlin est formulée explicitement dans la première lettre du second volume (II, 1), sous la plume fictive de Jean Lelippu : — Apprenez, Messeigneurs, qu'il y a une raison importante et raisonnable comme quoi maitre Ortwin nomme ses amis les hommes obscurs : il le fait par humilité. Parce que, comme vous pouvez le savoir, bien que vous puissiez également ne pas le savoir, mais on peut supposer que vous le savez, comme quoi voici trois ans, Jean Reuchlin, quand il a fait imprimer la correspondance de ses amis, lui a donné pour titre : Lettres des hommes célèbres. Considérant cela, Maitre Ortwin s'est beaucoup creusé la cervelle et

s’est dit à lui-même : « Ce Reuchlin croit qu'il est le seul à avoir des amis. Qu'est-ce qu'il va faire si je montre que moi aussi j'ai des amis, et bien plus dignes que lui, et qui savent faire des poèmes et des textes meilleurs que ses amis ? » Et donc, pour se moquer de lui, il a fait imprimer ces lettres sous le titre de : Lettres des hommes obscurs.

Le lecteur avait donc entre les mains une parodie en miroir, puisque les Lettres des hommes obscurs ne se moquaient pas du modele pastiché (la correspondance de Reuchlin), mais des hommes obscurs (fictifs), incapables de réaliser un vrai pastiche et ridiculisant donc leur destinataire Gratius qu'ils prétendaient défendre. Les contemporains ont-ils été assez naifs pour y croire ? Ceux qui sont tombés dans le piége ne s'en sont pas vantés par la suite. En revanche, les humanistes ont souvent affirmé que le stratagéme avait fonctionné, comme en témoigne ce mot de Thomas More, relatant à Érasme les réactions des lecteurs en Angleterre : Il vaut la peine de se rendre compte combien les Lettres des hommes obscurs plaisent à tous, aussi bien par le cóté humoristique aux gens instruits, que par le cóté sérieux aux ignorants. Parce que ceux-ci s'imaginent que, quand nous rions, c'est le style seul qui est l'objet du rire, [...] dont ils disent qu'il est compensé par le poids des idées!.

le Érasme, Correspondance, lettre II, 481, 1. 77 sqq., du 31 octobre 1516.

UNE

SATIRE

EN

MIROIR

15

Pour tenter de comprendre le « poids des idées » des hommes obscurs, il est indispensable de les replacer dans le cadre général des violents conflits qui agitérent les premières décennies du XVF siècle, en s’efforçant de ne pas oublier que chacun de ces conflits était étroitement lié aux autres. On se battait en effet sur plusieurs fronts, et la guerre n’était pas seulement intellectuelle, ni seulement religieuse, ni seulement politique. Reuchlin luttait contre les théologiens de Cologne. Mais ceux-ci luttaient contre les juifs, qui avaient eux-mêmes à se défendre contre les politiques qui les rançonnaïient. Les humanistes défendaient Reuchlin, mais ils luttaient également avec acharnement contre les scolastiques qui leur barraient l'accés aux universités. Les franciscains luttaient pied à pied contre les dominicains pour contróler ces mémes universités. Les différentes factions du clergé prenaient parti pour les uns ou pour les autres, suivant leurs intéréts du moment. Les princes laics et religieux faisaient de méme. Pour éclairer ce tableau passablement compliqué, je présenterai d'abord rapidement les deux protagonistes, Ortwin Gratius et Jean Reuchlin, puis les principales péripéties de l'Affaire Reuchlin et les situations des deux camps en présence. J’aborderai ensuite les questions de la forme des Lettres, de leurs thémes, de leur langue, de leurs éditions, de leurs auteurs présumés (y compris Hutten) et de leur traduction. Enfin, le lecteur trouvera, dans le répertoire en fin de volume, des informations sur les personnages, les ouvrages et les notions précédés d'un astérisque. Je me suis efforcé de traduire tous les titres des sources citées, qu'elles soient latines ou allemandes et je n'en mentionne généralement en note que les premiers mots dans leur langue originale. On trouvera dans le répertoire (pour les sources) et dans la bibliographie (pour les ouvrages modernes) leurs références complètes. Pour la correspondance d'Erasme, je n'ai pas cité le texte latin, considérant que la traduction de l'édition académique belge (Alois Gerlo) faisait autorité. Les références de ses lettres doivent se lire ainsi : « lettre II, 481, 1. 77 sqq. », signifie qu'il s'agit de la lettre n° 481 (numérotation suivant celle de l'édition latine d'Allen), figurant dans le tome II de l'édition Gerlo, lignes 77 et suivantes. Pour les Adages d'Érasme, j'ai choisi de suivre la numérotation de l'édition des Opera omnia de *Froben, reprise par Clericus, dans laquelle ils sont comptés par milliers (chiliades), centaines (centuriæ), et unités. Ainsi, l'Adage II, VIII, 86, cité dans la lettre I, 47 est l'Adage n° 86 de la huitième centaine du deuxième millier (en numérotation « continue », il s'agirait donc de l'adage 1786).

16

L'AFFAIRE

REUCHLIN

I. L’AFFAIRE REUCHLIN

1. Les protagonistes Ortwin Gratius Quelle sorte d'homme était donc ce respectable maitre « Ortvinus Gratius Daventriensis Colonie Agrippinee bonas litteras docens » ? Il avait trente-cinq ans lors de la parution des premières Lettres, soit prés de vingtcinq de moins que son ennemi Reuchlin et treize de moins qu'Erasme. Rejeton de la famille van Graes, de vieille noblesse appauvrie, il était né en 1480, à Holtwick dans la région de Münster en Westphalie. Sa mére mourut peu de temps après sa naissance. Son père, qui avait déjà cinq filles à élever (dont trois devinrent nonnes), fut heureux de remettre le soin de son éducation à son propre frère Johannes, curé à *Deventer. Le jeune Ortwin fut donc mis en nourrice dans cette ville, où il résida vingt ans — raison pour laquelle il se nomma lui-même souvent par la suite Daventriensis. L’oncle l'envoya naturellement à la célèbre école des Frères de la *Vie commune, dirigée par Alexandre Hegius, oü il suivit une bonne scolarité. Il fut ensuite immatriculé à l'université de Cologne à la fin mai 1501, comme « étudiant pauvre », au pensionnat de *Kuijk, l'un des trois grands établissements universitaires de la ville. Le *régent, Gérard *Sotphi le promut *bachelier és arts en 1502, à l’âge de 22 ans. Le 20 mars 1505, il obtint la licence et, le 1% avril de l'année suivante, la *maitrise ès arts. Le 3 juillet 1507, il fut finalement admis comme membre de la *faculté des arts. Il enseigna jusqu'à sa mort au pensionnat de Kuijk. Pour compléter son salaire, il travaillait occasionnellement comme correcteur à l'imprimerie de *Quentel. Peu de temps avant la parution des Lettres, il prit sans doute l’habit religieux car, dans la préface de ses * Remarques..., il se nomme pour la première fois expressément « prêtre du Christ » (Christi sacerdos). Son biographe Reichling! a répertorié 46 ouvrages édités par lui, auxquels il participa à des titres divers. En tant que jeune professeur des *arts, il voulut se faire un nom en publiant, dés 1508, une lettre de louange au trés célébre juriste *Pierre de Ravenne qui séjournait à Cologne, intitulée « Le fouet contre les critiques adressées à Pierre de Ravenne » (Criticomastix ad Petrum Raven1. D. Reichling, Ortwin Gratius. Sein Leben und Wirken. Eine Ehrenrettung, Cet ouvrage, qui se veut une réhabilitation de Gratius injustement ridiculisé par les humanistes, contient de nom-

breuses indications fort utiles sur le personnage.

LES

PROTAGONISTES

IT

natem), à laquelle ce dernier répondit d'ailleurs fort aimablement. Cependant, lorsque le Grand Inquisiteur *Hochstraten déclencha les hostilités contre le méme Pierre de Ravenne, Gratius changea immédiatement de camp. La méme année (1508), il publia un recueil de Discours *quodlibétiques (Orationes quodlibeticee). Il édita en 1515 chez Quentel le De Officiis de Cicéron avec le commentaire d'*Erasme, qu'il appréciait beaucoup. On lui doit également divers poèmes religieux et textes apologétiques, ainsi que des commentaires d'auteurs « classiques », tant antiques (Cicéron, Ovide, Salluste, Juvénal, *Donat, Prudence) que modernes (*Baptiste de Mantoue, Murmellius) et quelques préfaces à des ouvrages religieux. Ce ne sont pourtant pas ses ceuvres littéraires qui lui valurent la célébrité, mais sa participation à l'Affaire Reuchlin, dont les Lettres nous rendent un écho amplifié. Il intervint d'abord en tant que traducteur d'allemand en latin du *Perit Livre des juifs de Victor von *Karben, ainsi que de cing livres de *Pfefferkorn : le* Miroir des juifs, la * Confession des juifs, le* Livre de la Páque, V* Ennemi des juifs, et enfin la * Défense... Ces traductions latines de textes publiés initialement en allemand avaient une grande importance, car elles étaient la condition de leur diffusion dans le monde lettré et religieux européen (les *Besicles de Reuchlin ne furent traduits en latin qu'en 1516, cinq ans aprés leur publication). Sans Gratius, ces textes n'auraient connu qu'une diffusion régionale, d'autant plus restreinte que l'allemand différait fortement entre le *Haut-Pays (du Sud) et les Pays-Bas (du Nord) — ainsi que les Lettres nous le rappellent souvent. Il composa en 1512 une épigramme en exergue des *Articles… d'*Arnold de Tongres. Deux ans plus tard, il publia sous son propre nom les *Remarques... contre Reuchlin. Il y fut sans doute encouragé par le fait que son collégue Arnold de Tongres, ainsi que Pfefferkorn, venait d'étre interdit de publication par ordre de l'empereur. Enfin, en 1518,

mortifié par le succès des deux volumes des Lettres des hommes obscurs, il y répondit en tentant de relever le défi et de les pasticher à son tour, avec les *Lamentations des hommes obscurs, suivies par la *Lettre apologétque [...] à la cohorte des reuchlinistes. Il mourut en 1542. Hermann *Busch le qualifiait d'ombre de Pfefferkorn, Reuchlin le comparait à un singe, Luther à un chien, à un

loup dans la bergerie et à un crocodile. L'homme était un représentant typique des nobles pauvres qui avaient réussi à se faire une place honorable (quoique peu lucrative) dans la société, gráce à leurs talents intellectuels, en devenant clercs.

18

L'AFFAIRE

REUCHLIN

Qu'est-ce qui valut à ce personnage d'envergure moyenne l'honneur d'étre ridiculisé et désigné publiquement à la vindicte du monde humaniste ? Le fait que Reuchlin le considérait comme l'instigateur, ou tout au moins l’organisateur de la persécution dont il fut sans répit l'objet pendant une dizaine d'années et qui ne cessa qu'à sa mort. Il lui reprochait aussi de rester dans l'ombre et de laisser d'autres (Pfefferkorn, Arnold de Tongres) publier des textes dont il était le véritable inspirateur. Les milieux traditionalistes ont naturellement toujours voulu minimiser la méchanceté et la vanité du personnage, en les mettant au compte de la caricature humaniste. Son biographe allemand Reichling a par exemple sous-titré son ouvrage : « Le sauvetage d'une réputation! ». Cependant, Jacques Chomarat? a montré, par une analyse serrée de ses productions littéraires, que Hutten forgait à peine le trait dans ses descriptions.

Jean Reuchlin Reuchlin était, en revanche, un homme âgé. Il avait soixante ans lors de la parution des Lettres. C'était un personnage fort différent de Gratius. Issu, comme lui, d'un milieu modeste, mais roturier, son itinéraire avait été radicalement différent. Il avait en effet réussi une ascension sociale spectaculaire gráce à ses capacités intellectuelles hors du commun. Il était né le 28 décembre 1454 (ou le 22 février 1455), à Pforzheim, dans le Bade, oü son pére était intendant du couvent dominicain. Aprés avoir fréquenté l’école latine de sa ville natale, il s'inscrivit à l’âge de quinze ans à la *faculté des arts de l'université de Fribourg et devint rapidement tuteur du fils du margrave Charles I* de Bade. À vingt ans à peine, il fut immatriculé à l'université de Bâle et promu *bachelier dés le mois de septembre 1474. Trois ans plus tard (1477), promu *maitre és arts, il se rendit à Paris pour étudier le grec auprés de Georges Hermonyme. Il poursuivit ses études à partir de 1479 à l'université d'Orléans et y obtint son *baccalauréat en droit civil, puis sa licence à celle de Poitiers (1481). Il partit pour Tübingen la méme année enseigner le grec, tout en poursuivant ses études de droit. Il obtint son doctorat en

1485. Dans l'intervalle, au printemps 1482, il avait accompagné le comte Eberhard de Wurtemberg (le Barbu) dans un voyage à Florence et à Rome. Juriste de renom, il devint à partir de cette date conseiller juri1. Voir note précédente. 2. Jacques Chomarat, « Les hommes obscurs et la poésie ».

LES PROTAGONISTES

19

dique des dominicains. Il résida à Stuttgart à partir de 1483, mais voyageait fréquemment en missions diplomatiques, notamment en Italie en 1490. Il resta au service du comte jusqu'à la mort de celui-ci (24 février 1496). Le goût de Reuchlin pour le grec était si poussé qu'il traduisit son nom (Räuchlein = petite fumée) en grec : Capnion. Son petit-neveu Philipp *Melanchthon — qui allait devenir lui aussi l'un des promoteurs du grec en Allemagne —, raconta, aprés la mort de son célébre parent!, que ce baptéme hellénique lui avait été donné, lors d'un de ses voyages à Rome (sans doute en 1490), par le savant grec Jean Argyropoulos. Reuchlin se serait en effet présenté dans la salle où celui-ci enseignait et y aurait commenté Thucydide à livre ouvert. Argyropoulos aurait alors déclaré devant son auditoire : « Notre Gréce, dans notre exil, a survolé les Alpes. » (Greecia nostra nostro exilio transvolavit Alpes). Cet intérét pour le grec n'était pas une simple marque d'érudition, mais aussi l'affirmation de l'appartenance à la société des humanistes, toute nouvelle en Allemagne, et c'est à ce signe que beaucoup d'entre eux se reconnaissaient? — comme l'attestent de nombreuses Lettres. Quelques années plus tard, Érasme allait fonder son œuvre philologique et religieuse sur la traduction du Nouveau Testament à partir du grec. Reuchlin, qui avait dû partir à l'étranger pour apprendre cette langue, joua un róle déterminant dans l'introduction du grec en Allemagne, en formant la première génération des hellénistes allemands, tels que Jean *Cæsarius ou *Pirckheimer. Mais la particularité radicale de Reuchlin fut son intérét pour l'hébreu — ]a troisiéme langue « sacrée » du christianisme. Il ne le découvrit pas par la fréquentation de compatriotes juifs, mais d'abord par la rencontre de Pic de la Mirandole (sans doute au cours de son voyage de 1490 à Florence). Celui-ci lui enseigna son syncrétisme philosophique et lui communiqua son enthousiasme pour l'hébreu et la Kabbale juive. C'est en 1492, à l'occasion d'un séjour à la cour impériale à Linz, oü Frédéric III l'honora du titre de comte palatin et l'éleva au rang de noble héréditaire, que Reuchlin fit la connaissance de Jacob ben Iehiel Lohans, le médecin juif de l'empereur. Celui-ci l'initia à l'hébreu, ce qui devait radicalement changer le cours de son existence, car il publia deux ans plus tard son traité La Parole magique (De Verbo mirifico), qui réconciliait le christianisme avec sa source juive, à travers une spécula1. Declamatio de Capnione Phorcense, 1552, reproduite dans Melanchthonis Opera Omnia, Bretschneider, 1843, vol. XI, col. 1005 sq. 2. Melanchthon allait également faire du grec un embléme personnel, à l'instar de son grand-oncle, en traduisant quelques années plus tard son nom (Schwarzerd) en grec.

20

L'AFFAIRE

REUCHLIN

tion sur la graphie hébraique du nom de Jésus. Reuchlin garda, sa vie durant, des relations d'amitié profonde avec Lohans. Il eut ensuite l'occasion de perfectionner ses connaissances en hébreu auprés du médecin kabbaliste Obadia Sforno de Céséne, qui séjourna à Rome, puis à Bologne. On se fera une idée de la difficulté des études hébraiques à son époque par une remarque figurant dans son traité des *Accents et orthographe de l'hébreu : Et dans ce domaine [la musique], jusqu'à notre époque, le peuple juif est réputé avoir suivi son Moise — selon ce que beaucoup de gens m'ont rapporté — et chanter tous les jours, dans ses synagogues, de facon merveilleuse, la totalité de l'Ecriture sainte, avec une certaine psalmodie. Ce n'est pas que j'aie assisté moi-méme jusqu'ici à leurs rites sacrés en tant que spectateur, ni auditeur attentif, car il ne m'est resté la fréquentation d'absolument aucun juif, du fait que, depuis presque tout le temps que j'ai vécu, les juifs ont été chassés et expulsés de ma patrie, et ils n'osent pas habiter dans aucune contrée du duc de Souabe, qui m'a fourni un domicile depuis bien trente-cinq ans. Pour ces raisons, je suis obligé d'apprendre tout ce que j'enseigne au sujet des choses juives, non par l'usage et la fréquentation, mais par la lecture assidue!.

Il se maria deux fois avec des filles de la haute bourgeoisie et parvint ainsi à une aisance relative, devenant notamment propriétaire d'un domaine à Ditzingen, prés de Stuttgart. Aprés la mort d'Eberhard le Barbu (1496), il vécut deux années d'exil politique à Heidelberg, où il rejoignit le cercle humaniste de Johann von Dalberg. En 1498, il séjourna de nouveau à Rome comme envoyé de Philip, électeur palatin. En 1500, la Ligue souabe créa un tribunal, dont il devint l'un des trois membres. Il y siégea jusqu'en 1512, bénéficiant d'un salaire annuel de 200 *gulden. Il mettait à profit ses nombreux voyages pour nouer des liens avec d’autres humanistes et des juifs instruits et pour acquérir des manuscrits et des imprimés pour sa bibliothéque, qui devint l'une des plus importantes de son temps. On pensera par exemple à la lettre en hébreu qu'il reçut en 1497 de Jacob Margolith, chef de la « nation juive » de Ratisbonne, en réponse à une demande de livres kabbalistiques?. 1 Qua in re ad hanc usque cetatem sequuta est gens Hebræea Moysem suum, quam sacrosanctam scripturam omnem, miro modo in synagogis quotidie suis quadam uoculatione cantillare dicunt multis

mihi referentibus, non quia ego ipse in sacris illorum adeo diligens uel spectator uel auditor fuerim, cui plane nulla Iudeorum relicta est conuersatio quippe cum fuerint prope toto vite mece tempore a mea patria exacti et extortes, nec ullo ducis Suevorum territorio habitare audeant, ubi certe mihi annos iam

triginta quinque domicilium contrahit. Ea propter non usu et cohabitatione sed frequenti lectione, de Iudaicis quicquid doceo, discere cogor. (De accentibus, introduction à la troisième partie, f? LXXI). 2 Publiée par Geiger dans Reuchlins Briefwechsel, pp. 53-54.

CHRONIQUE

DE

L'AFFAIRE

21

Reuchlin ne cessa jamais d'avoir une activité pédagogique et éditoriale intense. Il publia en 1498 pour l'imprimeur bálois *Amerbach son * Dictionnaire abrégé (Vocabularius breviloquus), fréquemment réimprimé. En 1506, ce fut une grammaire hébraique (De rudimentis hebraicis). Outre l'introducion du grec et de l'hébreu en Allemagne, on lui doit deux comédies latines scolaires à succès : Exercices scéniques ou Henno (Scænica progymnasmata, adaptation latine de la Farce de Maître Pathelin, 1498) et Serge ou la tête de la tête (Sergius vel caput capitis, 1504), ainsi qu’un manuel de prédication (Liber congestorum de arte predicandi, 1504). À partir de sa prise de position de 1510 en faveur des juifs, et surtout à partir de la publication des Besicles (1511), il fut entraîné dans la tourmente de l’« Affaire », qui ne le laissa plus en repos jusqu'à sa mort (1522). Il ne cessa pourtant pas pour autant son activité érudite (cf. la lettre II, 34, signée Jean Ronflette). Il publia encore en 1517 son grand dialogue kabbalistique La Science de la *Kabbale (De Arte cabalistica) et en 1518 son traité sur l'accentuation et la musique hébraiques (Les *Accents, cité supra). Il continua à enseigner jusqu'aux derniers jours, malgré les troubles causés par la guerre contre le duc Ulrich de Wurtemberg, qui l’obligèrent à se réfugier en 1519 à Ingolstadt, puis à Tübingen.

2. Chronique de l'Affaire Lors de la publication du premier volume des Lettres, l’Affaire Reuchlin durait déjà depuis six ans et elle allait encore durer sept années. La cause immédiate de son déclenchement fut la prise de position de Reuchlin en faveur des juifs dans son *Rapport de 1510. On ne peut apprécier le caractère insolite de cette prise de position qu'en la replaçant dans le contexte de la situation des juifs en Allemagne — et dans l'ensemble de la chrétienté. Le tournant du xv? au xvf siècle vit l'apogée de la politique antijuive des principaux États catholiques — à l'exception des principautés italiennes, y compris pontificale. Les royaumes d'Angleterre et de France avaient déjà largement expulsé leurs juifs depuis le début du x1v^ siècle. Avec la fin de la Reconquista, la purification religieuse gagna l'Espagne (1492), puis le Portugal (1496), se traduisant par des expulsions mas-

sives, suivie de vagues de confiscations et d'autodafés chez les conversos. Dans le Saint Empire, en revanche, bien que les juifs eussent été victimes de massacres répétés depuis les croisades, et particuliérement lors de la peste noire de 1348-49, des communautés prospéres avaient subsisté ou s'étaient reconstituées dans plusieurs villes. L'empereur Frédéric III

22

L'AFFAIRE

REUCHLIN

s'était signalé par une attitude officiellement favorable aux juifs et il avait intimé à ses héritiers l'ordre de poursuivre cette politique. Aprés sa mort (1496), son fils et successeur Maximilien se présenta donc, à son tour, comme protecteur des juifs, mais la faiblesse de son caractére — son attitude pendant l'Affaire Reuchlin le montre à l'envi — encouragea les ennemis des juifs à reprendre l'offensive, tant dans le domaine économique que religieux. Les campagnes religieuses antijuives étaient traditionnellement menées par les ordres mendiants, qui avaient obtenu de belles réussites dans la péninsule ibérique et désiraient les poursuivre en Allemagne. Cependant, leurs rivalités paralysaient souvent la mise en ceuvre des persécutions — on notera que *Murner, *Benignus et *Galatinus, trois des plus importants défenseurs de Reuchlin, étaient des franciscains. De plus, les stratégies des dominicains manquaient souvent de finesse, comme le montrérent l'affaire des faux miracles de *Berne ou leurs méthodes de vente des indulgences — dénoncées avec la vigueur que l'on sait par le moine augustin Martin Luther — ce qui leur faisait perdre beaucoup de crédit auprès des fidèles. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles ils s'efforcérent de ne pas se montrer à découvert contre Reuchlin, en incitant *Pfefferkorn à publier ses nombreux libelles — duplicité qui leur fut reprochée avec virulence dans les Lettres. Les campagnes économiques antijuives étaient plutót le fait des princes ou des villes qui escomptaient récupérer le montant des amendes — ou des taxations exceptionnelles dans le cas oü les expulsions annoncées étaient annulées. En cas d'expulsion définitive, l'enjeu était constitué par les « parts de marché » tenues par les juifs (artisans ou financiers), ou leurs biens immobiliers confisqués et rachetés à prix dérisoire par leurs concurrents chrétiens. Ainsi, dès la mort de Frédéric III, les expulsions de juifs reprirent-elles à travers le Saint Empire. Elles débutérent en Autriche, à la demande du clergé et des assemblées provinciales de Styrie, Carinthie et Carniole, aux motifs que les juifs avaient profané les sacrements, assassiné des enfants chrétiens et utilisé leur sang dans leurs rites impies. Le décret impérial d'expulsion de ces trois provinces fut signé le 4 mars 1496. Les juifs offrirent au nouvel empereur 40 000 *gulden pour lever cette mesure. Maximilien ne consentit qu'à leur accorder un délai jusqu'à la fin de l'année, puis jusqu'à la fin de l'hiver, pour quitter ces provinces, tout en leur fournissant un asile à Marchek et Eisenstadt. À Nuremberg, la campagne d'expulsion fut menée par les corporations marchandes, qui reprochaient depuis longtemps aux juifs de devenir trop nombreux et de ruiner par l'usure les honnétes artisans

CHRONIQUE

DE

L'AFFAIRE

23

chrétiens. L’imprimeur Antoine Koberger participa à leur propagande en éditant dés 1494 à ses frais le *Renforcement de la religion d' Alfonso da Spina. Le conseil de la ville assiégea l'empereur de pétitions jusqu'à obtenir de lui un mandat (5 juillet 1498) annulant le « statut des juifs » et permettant leur expulsion et la confiscation de leurs biens immobiliers. L'expulsion prit effet le 10 mars suivant et leurs biens furent remis à l'empereur, qui les céda à la ville pour la somme dérisoire de 8 000 gulden. La plupart d’entre eux émigrèrent à Francfort-sur-le-Main. En Baviére, la trés ancienne communauté

de Ratisbonne vivait elle

aussi sous la menace d'une expulsion. Cette fois, la raison était également politique car les bourgeois avaient négocié leur sortie du statut de ville impériale afin de se placer sous la seule tutelle du duc de Baviére. Mais ils avaient perdu au change et s'étaient trouvés contraints de payer des charges beaucoup plus élevées qu'auparavant. Ils reprochérent alors aux juifs d'étre des privilégiés et attendirent l'occasion pour se venger sur eux de leurs déconvenues. Ce moment allait se présenter lors de la mort de Maximilien, en 1519. Les dominicains et les franciscains prirent cette fois une part trés active à la mise en scène des manifestations publiques. Maximilien mourut le 12 janvier, ils obtinrent l'expulsion des juifs en février. Certaines régions d'Allemagne se trouvaient ainsi déjà vidées de leur population juive. C'était par exemple le cas de la Souabe, où vivait Reuchlin, comme il le dit lui-même dans le passage cité plus haut des * Accents. Mais toutes les communauté juives du Saint Empire étaient visées à court ou moyen terme par des persécutions et des expulsions (ce fut encore le cas de Mayence en 1516, sous le principat de l'archevéque *A]bert de Brandebourg). L'Affaire Reuchlin ne fut donc, de ce point de vue, que l'un des épisodes de la lutte séculaire du catholicisme romain médiéval pour la purification religieuse. En cela, elle n'était pas particuliérement originale et pourrait, selon le mot de certains, étre considérée comme une « affaire locale, ne concernant que les dominicains de Cologne ». Elle présenta pourtant une particularité inédite, par le fait que l'intervention de Reuchlin réduisit les persécuteurs à la défensive. Il les contraignit en effet à abandonner le terrain des accusations traditionnelles, tant vulgaires (meurtres d'enfants, etc.) que théologiques (hérésie) et à dévoiler la faiblesse de leur argumentaire contre les juifs en général, et le Talmud en particulier. D'ailleurs, les théologiens se gardérent bien d'argumenter directement contre les juifs et laissérent Pfefferkorn tenir le devant de la scène, avec ses pamphlets qui amalgamaient tous les types d'accusations possibles. Lorsque Reuchlin démontra leur inanité dans les * Besicles,

24

L'AFFAIRE

REUCHLIN

c'est son ouvrage qui devint alors leur cible principale, jusqu'à sa condamnation finale en 1520. N’étant pas théologien, Reuchlin se présentait en tant que juriste et philologue. Il plagait ainsi les théologiens en situation d'infériorité en raison de leur méconnaissance de la littérature hébraique. Seul l'humaniste possédait en effet les outils théoriques et pratiques (philologiques) susceptibles de trancher la question posée par l'empereur : « Doit-on prendre tous leurs livres aux juifs, les confisquer et les brüler ? » (« ob man den iuden alle ire bücher nemmen abthun unnd verbrennen soll »). C'est pourquoi la condamnation finale de Reuchlin par le pape ne peut faire illusion, car au méme moment, le méme *Léon X, qui l'avait protégé pendant toute l’Affaire, lui donnait publiquement raison en finançant personnellement la publication du Talmud en hébreu par Daniel Bomberg. Voici maintenant une présentation chronologique de l'Affaire.

1504. Reuchlin ne fut concerné personnellement qu'à partir de 1509, mais l'Affaire avait débuté quelques années plus tôt!. L'homme qui la provoqua était Jean *Pfefferkorn, un juif originaire de Nuremberg, qui s'était fait baptiser à Cologne vers 1504 avec sa femme et ses enfants. Il devint pendant plusieurs années prédicateur itinérant, vraisemblablement envoyé par les dominicains pour tenter de convertir d'autres juifs. La propagande antijuive (1507-1508) 1507. Pfefferkorn publia en août 1507 un *Mfrorr des juifs en allemand (Judenspiegel), qui fut traduit en latin l'année méme de sa parution — sans doute par Ortwin Gratius. Ce livre, sous la forme d'une homélie en quatre parties, exhortait ses anciens coreligionnaires à reconnaitre la « vraie » religion. Il reprenait les accusations traditionnelles des chrétiens contre les juifs (sacriléges, etc.) et proposait aux autorités de recourir à trois moyens pour contraindre les juifs à la conversion : leur interdire la pratique de l'usure, les forcer à assister aux préches chrétiens, et enfin les priver de leurs livres, considérés comme la source principale de leur endurcissement (le statut de la Bible hébraique restant à préciser). 1508. Six mois plus tard (février 1508), il récidiva avec la *Confession des juifs. Cette fois, l'ouvrage ne s'adressait pas aux juifs, mais aux chré1. Les détails de l'affaire ont été publiés par Geiger (Johann Reuchlin, livre 3), Graetz (Geschichte der Juden, chap. 3 à 6 et note 2) et repris pour l'essentiel par Ackermann (Johannes Reuchlin), Peterse (Jacobus Hoogstraeten), et Martin (Die deutschen Schriften), qui souligne, à la suite d'Overfield (« A New Look... »), que les humanistes étaient souvent aussi violemment antijuifs que les théologiens de Cologne.

CHRONIQUE

DE L'AFFAIRE

25

tiens. Il leur décrivait d'une facon grotesque les rites judaiques des dix jours de pénitence du mois de Tichri! et reprenait ses trois propositions, en y ajoutant celle d'expulser les juifs qui refuseraient de s’y soumettre. L'ouvrage eut une diffusion importante car on en connaît, pour la seule année 1508, quatre éditions en allemand et deux traductions différentes en latin. La méme année, parut à Cologne un virulent pamphlet antijuif intitulé *Perit Livre des juifs dans lequel on lira comment Monsieur Victor von Karben, qui était un rabbin des juifs, est venu à la foi chrétienne... qui fut, lui aussi, traduit en latin par Ortwin Gratius sous le titre Opus aureum... Le libelle avait été rédigé, comme le précise son titre, par un ancien rabbin devenu prétre, nommé Victor von Karben. Les ouvrages des deux convertis mettaient directement en cause le Talmud, dont Pfefferkorn et Karben s'affirmaient spécialistes. Ils fournissaient ainsi opportunément aux dominicains des arguments pour justifier les persécutions à venir. 1509. Le 3 janvier 1509, l'infatigable Pfefferkorn publia le *Livre de la Páque. Cet ouvrage, destiné lui aussi aux chrétiens, était un complément de son précédent. Il y décrivait de façon détaillée les rituels du repas pascal (Seder) et dénongait la « malice » (schalckhafftige büslistikait) de leur interprétation symbolique de la féte. Il se terminait également par un appel aux autorités à bannir les juifs. Ce livre fut à son tour traduit en latin par Ortwin Gratius. Quittant alors le ton de l'homélie il publia l’*Ennemi des juifs, dans lequel il annongait sans ambage son projet de persécuter impitoyablement les juifs. Il dissertait cette fois sur la question traditionnelle des sacriléges proférés par les juifs contre Jésus, la Vierge et les saints. Il prouvait, par exemple, que chaque prière juive est, par son énonciation méme, un blasphéme anti-chrétien (démonstration des « dix-huit invocations hérétiques par jour »). Sa conclusion générale était que les juifs n'espéraient rien d'autre que la destruction du christianisme. Le libelle fut lui

aussi traduit en latin. Pfefferkorn passa alors à l'étape suivante, à savoir la mise en œuvre des mesures qu'il avait appelées de ses vœux. Il disposait de soutiens importants à l'université de *Cologne, puisque les traductions latines de ses pamphlets avaient été réalisées par Ortwin Gratius. Nous ignorons qui fut réellement à l'origine de la démarche, mais il est clair que toute a 1. Le premier mois de l'année juive, qui débute vers la mi-septembre et au cours duquel notamment lieu le Jom Kippour.

26

L'AFFAIRE

REUCHLIN

cette campagne antijuive fut planifiée. Peut-étre l'agressivité croissante de Pfefferkorn était-elle seulement due à sa déception devant les maigres résultats de ses prédications — il se vanta d'avoir converti douze juifs (cf. la lettre II, 3). Mais peut-être aussi les dominicains eurent-ils très tôt l'idée d'utiliser au maximum le zéle de ce converti, plein de haine et de mépris à l'égard de ses anciens coreligionnaires. Le tribunal de l'Inquisition locale! était dirigé par le prieur du couvent dominicain de Cologne, Jacques de *Hochstraten. En tant qu'« inquisiteur de la perversité hérétique », sa juridiction s'étendait sur les trois provinces de Cologne, Mayence et Tréves. De plus, en vertu d'une décision du pape Sixte IV, il disposait du droit de censure sur toute publication en Allemagne?. Il avait donc toutes les raisons de voir d'un ceil favorable les manigances des deux convertis, ainsi que les propositions de Pfefferkorn, qui allaient dans le sens de la politique générale de l'ordre. Mais, comme partout ailleurs, son autorité n'était que spirituelle et il ne pouvait exercer ses visées répressives qu'en passant par le bras séculier des autorités laiques.

La confiscation des livres juifs (1509) Malheureusement pour lui, les juifs de l'Empire étaient placés sous la juridiction directe de l'empereur, avec le statut de « serfs de l'empereur » (Kammerknechte des Kaisers?), et ils comptaient encore dans leurs communautés des personnalités riches et influentes — sans parler de certains proches de l'empereur, tel Jacob Lohans, dont l'influence était considérable. De plus, l'empereur était perpétuellement court d'argent pour ses guerres italiennes, si bien qu'il était absolument impossible de persécuter les juifs sans son accord exprès. Il fallut donc se décider à lui demander l'autorisation d'appliquer les mesures préconisées par Pfefferkorn. C'est Pfefferkorn lui-même qui fut chargé de la mission. L’empereur se trouvait alors à Padoue, en pleine guerre contre Venise. Judicieusement conseillé par les dominicains, le converti se rendit d'abord à Munich, 1. La tâche de l’extirpation de l’hérésie avait été confiée dès la fondation de cette institution aux deux principaux ordres mendiants, dominicains et franciscains, qui se partageaient les siéges inquisitoriaux — par ailleurs relativement lucratifs car les condamnations s'accompagnaient généralement de la confiscation des biens de l’« hérétique ». 2. Bulle du 18 mars 1479 : singulari quadam commissione per totam Alemaniam hæresium extirpandarum munus theologis Coloniensibus commississe (citée par Geiger, Reuchlin, p. 389, note 1).

3. Ce terme était la traduction du latin servi camere. Ce statut, promulgué par Frédéric II en 1236, protégeait théoriquement les juifs des exactions des chrétiens, mais les soumettait en revanche à des impóts spéciaux, au bon gré de l'empereur.

CHRONIQUE

DE L'AFFAIRE

27

pour y rencontrer Cunégonde, la sœur de Maximilien, dans le couvent des clarisses où elle s’était retirée après la mort de son mari, le comte Albert IV de Bavière. Il entra dans ses bonnes grâces en lui apportant des lettres de recommandation de plusieurs couvents dominicains. Elle lui remit alors une lettre à l’attention de son impérial frère. La manœuvre réussit et Pfefferkorn fut reçu par l’empereur, qui signa le 19 août 1509 un acte ordonnant aux juifs de l’empire de présenter tous leurs livres critiquant la foi chrétienne « à notre serviteur fidèle de l’empire Jean Pfefferkorn — en tant que spécialiste de votre foi »!. Il était accordé à celui-ci le droit « de les leur confisquer tous et de les détruire, en tout lieu, avec la connaissance, le conseil et l’assistance du pasteur ou du curé et aussi du conseil municipal ou de l'autorité »?. Pfefferkorn exigeait que l'on détruisit les ouvrages religieux dans leur totalité, qu'ils fussent de tradition talmudique (Mischna et Guemara) ou kabbalistique, auxquels s'ajoutaient deux livres qui irritaient particulièrement les chrétiens : la *Victoire et l'*Histoire de Tésus. Muni de son mandat, il rendit à nouveau visite à Cunégonde dans son couvent et celle-ci lui fournit alors des lettres de recommandation adressées aux villes ou il comptait opérer. Puis il se rendit « naivement » chez Jean Reuchlin à Stuttgart, espérant obtenir son appui pour réaliser ses projets. Reuchlin, qui était conseil juridique des dominicains de Cologne depuis trente ans, accepta de recevoir Pfefferkorn, mais refusa catégoriquement de le soutenir dans ses projets et lui fit observer que son mandat présentait plusieurs irrégularités. Sans se laisser troubler par les objections de l'érudit, Pfefferkorn se mit immédiatement à l’œuvre à Francfort, ville où se trouvait la communauté juive la plus nombreuse et la plus riche d'Allemagne. Il fit convoquer les juifs à la synagogue, leur signifia d'avoir à y apporter tous leurs livres le jour méme. Le 28 septembre, il avait récupéré 168 livres, qu'il fit enfermer dans l'hópital Sainte-Marthe. Il opéra ensuite àWorms, où il en confisqua 304, puis à Mayence, Bingen, Lorch, Lahnstein et Deutz, et revint à Francfort. C'est alors que les choses se compliquérent. L'archevéque de Mayence, *Uriel von Gemmingen, juriste de formation et proche des humanistes, convoqua Pfefferkorn à son cháteau d'Aschaffenburg et contesta la validité de son mandat en arguant du fait qu'il n'était pas assez instruit pour juger si les livres confisqués étaient réellement injurieux envers la religion chrétienne. Peut-étre craignait-il seulement pour 1. « unserm diener unnd des Reichs getreuwen Sohansen Pfefferkorn — als aynem wolgegrundten den unnd erfarn Eurs glaubens » (cité par Geiger, op. cit., p. 216). 2. « dieselben alle, doch an yedem ort mit wyssen, rat, unnd in geghenwertigkait des pastors oder pfarrers, auch twayer vom Rat oder der Oberkait, von euch zu nemen und zu undertrucken » (ibid).

28

L'AFFAIRE

REUCHLIN

son autorité dans son diocèse. Mais, quoi qu'il en soit, il interdit formellement à son clergé de continuer à participer à l'opération sans son accord. Pfefferkorn ne pouvait braver l'évéque. Il dut donc retourner à la cour impériale. L'empereur, qui avait été alerté par les juifs de Francfort, ne voulut pas prendre de décision franche. Il ordonna (le 10 novembre 1509) que l'affaire füt jugée par l'archevéque, tout en permettant à Pfefferkorn de continuer sa campagne de confiscations. Mais Uriel von Gemmingen, préalablement à sa décision finale, devait réunir les avis des quatre universités de Mayence, *Cologne, Erfurt et Heidelberg, auxquels il ajouterait *Hochstraten et deux hébraisants : Reuchlin et Victor von *Karben,

ainsi que Pfefferkorn. Ces experts décideraient du choix des livres à éliminer. De fait, seul Reuchlin connaissait l'hébreu de facon approfondie. Les deux convertis n'en avaient que des notions rudimentaires!, gráce auxquelles ils avaient beau jeu d'impressionner les théologiens qui, eux, n'en avaient pas la moindre notion. 1510. Pendant ce temps, Pfefferkorn continuait ses confiscations à Worms, Mayence et dans d'autres villes rhénanes. Le conseil municipal de Francfort, pour sa part, craignant que Pfefferkorn n'essaye de monnayer la restitution des livres aux juifs, avait ordonné la mise sous scellés d'environ mille cinq cents livres, en attendant les décisions des experts. C'est pendant cet hiver que Pfefferkorn publia * À la Louange et en l’honneur du trés puissant et sérénissime prince et seigneur Maximilien. L'ouvrage parut en latin dés le mois de mars. Il y expliquait « comment sa Majesté impériale a donné à son envoyé Pfefferkorn les pleins pouvoirs pour prendre aux juifs tous leurs livres falsifiés, comment ils se nomment et lesquels on peut leur laisser »?. Aprés un exorde sur la guerre de l'empereur contre Venise (chap. 1), il rappelait l'historique de la confiscation (chap. 2 à 4), le dénombrement des livres non confisqués, des livres inutiles et faux et des auteurs rabbiniques (chap. 5 et 6). Dans une deuxiéme partie, il évoquait avec des descriptions grotesques les coutumes des juifs, leurs règles spirituelles, leur croyance au Messie, leurs idées sur la mort et la vie éternelle, pour démontrer qu'ils étaient hérétiques vis-à-vis de leur propre loi (chap. 7 à 12). Le livre s'achevait par un appel aux autorités de l'empire (chap. 13) et sur la proposition d'im-

1. Voir sur ce sujet Graetz, Geschichte der Tuden, note 2.

2. « wie die k. M. dem vorgemelten pfefferkorn volmechtigen gewalt geben hat den Juden alle falsche buecher zenemen vie die haisen vnd welche buecher inen zu gelasen seiend... » (f? ar).

CHRONIQUE

DE L'AFFAIRE

29

poser aux juifs un serment de reniement de leurs livres (chap. 14), suivie par une dénonciation (anonyme) de ses propres ennemis (chap.15 et 16). L'affaire se termina néanmoins à l'avantage des juifs de Francfort gráce à un événement imprévu. Pour tirer l'empereur d'une difficulté financière, le comte de Brunswick-Kalenberg avait déposé des bijoux de grande valeur chez des préteurs sur gages juifs de cette ville. Le délai de remboursement était écoulé et les hommes d'affaires pressaient l'empereur de rembourser sa dette. Celui-ci leur proposa alors de leur faire rendre leurs livres non suspects d'hérésie, en échange d'un nouveau délai de remboursement. Le 23 mai 1510, il intima donc au conseil municipal de Francfort l'ordre de rendre les livres aux juifs, « jusqu'à la fin de

notre enquête ». Dans le reste de l'Allemagne, en revanche, les juifs restaient victimes de persécutions incessantes. À Berlin, par exemple, on retrouva un voleur qui avait dérobé un ciboire et un ostensoir en or dans une église. L'homme déclara qu'il avait revendu les objets sacrés à des juifs de Spandau, Brandebourg et Stendal. Trente-huit juifs furent accusés de profanation, puis de meurtre rituel d'enfants. Ils furent brülés le 19 juillet. Cette affaire avait fait sensation en Allemagne et les dominicains en profitèrent pour faire à nouveau pression sur l'empereur (encore une fois par l'intermédiaire de la bigote Cunégonde) pour qu'il relangát l’affaire de la condamnation du Talmud, réclamée par Pfefferkorn. Le 6 juillet, Maximilien ordonna à l'archevéque de Mayence de réunir les rapports des experts demandés l'année précédente. Dès le 12, Reuchlin reçut une requête dans ce sens, rédigée en allemand par l'archevéque. Les conclusions des experts arrivèrent à l'automne. Les plus violentes furent celles de Mayence, qui demandaient méme la destruction des Bibles hébraiques, supposées falsifiées par les juifs — dans le but de ne pas annoncer la venue du Christ. Celles de Cologne s'en prenaient surtout au Talmud : « Il est évident que le livre appelé Talmud par les juifs ne contient pas seulement des erreurs et des faussetés, mais méme des blasphémes et des hérésies contre leur propre loi. »! Karben et Pfefferkorn suivirent ces avis. Le Grand Inquisiteur Hochstraten, qui était professeur de théologie à l'université de Cologne, fit de méme et demanda que l'on ouvrît une instruction en hérésie contre les juifs pos-

1. Manifestum est librum iudeorum quem talmut vocant tantos continere nedum errores et falsitates, verum etiam blasphemias et hereses contra legem propriam. Les textes des conclusions des universités sont cités par Pfefferkorn dans sa Defense contre les infamantes... Celui-ci au f? B4 r., reproduit dans Bócking, Supplementum I, p. 94.

30

L'AFFAIRE

REUCHLIN

sesseurs de cet ouvrage. L'université d'Erfurt, en proie à des désordres intérieurs, différa sa réponse jusqu'au mois de mars suivant!. Celle de Heidelberg ne réussit pas à se mettre d'accord sur une position unique. Elle recommanda donc la prudence et s'en remettait au jugement des autres experts.

Le rapport de Reuchlin (1510) Seul Reuchlin fut d'un avis opposé. Sa réponse arriva exactement au bout de deux mois, le 6 octobre, en allemand, sous le titre de *Rapport sur la question si l'on doit prendre aux juifs tous leurs livres, les confisquer et les brüler. Sans doute pensait-il, avec raison, que l'empereur le comprendrait plus aisément dans sa langue maternelle qu'en latin. Ce rapport est essentiel pour la suite des événements, car c'est sa publication qui provoqua le tournant de l'affaire. On peut d'ailleurs se demander pourquoi il créa tant de problémes, car l'empereur aurait parfaitement pu passer outre, d'autant qu'il ne s'agissait que d'un rapport consultatif et, en aucun cas, d'un jugement ayant valeur exécutoire. De plus, l'avis de Reuchlin se trouvait trés largement minoritaire, en face de ceux de quatre universités et de trois experts. Sans doute son argumentaire était-il particulièrement convaincant, puisqu'il ne fut jamais réfuté (même lors de la condamnation finale). Il était rédigé sous la forme juridique très stricte du « modèle italien » (modus itahcus) : après le rappel de la question posée, l'expert exposait les arguments pro et contra, suivis par son argumentaire propre. Reuchlin présentait donc d'abord les quatre arguments sur lesquels se fondaient ceux qui répondaient « Oui » à la question « Faut-il confisquer et brüler les livres des juifs ? » : 1. 2. notre 3. 4.

Ils sont faits contre les chrétiens. Ils outragent Jésus, Marie et les douze apótres, ainsi que nous et ordre chrétien. Ils sont faux. Ils poussent les juifs à persister dans leur judaisme et à ne pas deve-

nir chrétiens?.

1. Uriel von Gemmingen ne put les envoyer à l'empereur que le 23 avril 1511. 2. Züm ersten dan sie seien vider die cristen gemacht. Züm andern sie schmehen Jesum Mariam

vnn die zwelffbotten auch vnns vnser cristenliche ordnung. Züm dritten dann sie seien falsch. Züm vierden so werden dar durch die iuden verfürt das sie verharren in irer iüdischhait vnd nit züm cristen glauben kommen. (Augenspiegel, fol. BrzIr, reproduit dans Johannes Reuchlin Sämtliche Werke, IV 1, p227)

CHRONIQUE

DE

L'AFFAIRE

31

Venaient ensuite les six arguments sur lesquels se fondaient ceux qui répondaient « Non » à la méme question : 1. Puisqu'ils sont sujets du Saint Empire romain, les juifs doivent être traités selon le droit impérial. 2. Ce qui nous est acquis ne doit pas pouvoir nous étre enlevé sans que nous y soyons pour quelque chose. 3. La législation impériale et royale et les autres règlements princiers stipulent que personne ne doit étre privé de son bien par la force. 4. Donc, chacun doit étre traité selon son usage traditionnel et garder

ses biens, quand bien méme il serait un brigand. 5. Donc, les juifs doivent pouvoir conserver leurs synagogues, que l'on appelle écoles (Schul), sans dommage ni préjudice. 6. Donc, de tels livres juifs ne peuvent étre confisqués ni condamnés par le droit religieux, ni par le droit civil. [...] Et c'est pourquoi ces gens-là pensent qu'on ne devrait pas enlever ces livres aux juifs, en les supprimant ou en les brülant!.

La lecture de cet exposé liminaire des théses en présence montre clairement que la stratégie du juriste était de dénier le caractére religieux (causa fidet) du cas examiné et de le limiter à un cas de droit civil, ce qui avait pour effet de le soustraire à la compétence des facultés de théologie, voire de l'Inquisition. Reuchlin établissait ensuite une distinction entre les différents types de livres des juifs, qu'il répartissait en sept catégories : les vingt-quatre livres de la Bible, le Talmud, les grands secrets de la parole de Dieu (Kabbale), les gloses et commentaires de la Bible, les livres de discours, débats et prédication (Midrach), les livres de philosophie et de sciences (Sepharim), et enfin les livres de fables, histoires et autres (que nous nommerions livres profanes). Il n'est évidemment pas le lieu d'entrer ici dans le détail de son argumentaire, mais on notera qu'il s'attacha particulièrement à la réhabilitation du Talmud, réfutant au passage les allégations des grands controversistes antijuifs Ramón Martí (Le *Poignard de la religion contre les Maures et les juifs), Paul de Burgos (L7* Examen des Ecri1. Zum ersten dann die iuden als vnderthonen des hailigen rómschen reichs sollent by kayBerhchen rechten behaltten werden. Zum andern was vnsern ist das soll von vns nit mógen kommen on vnfler zü thün. Zum dritten kaiBerliche ond künigkliche recht auch andere furstliche satzungen habent es fürkommen das nieman das syn verliere durch gewalt. Zum vierden so sol ain ieglicher by synem alten her-

kommen brauch vnd besesB behalten werden ob er gleich ain rauber wer. Zum funfften so sollennt die iuden ire synagogen die man nennet schul rüwigklich on irrung vnnd eintrag mógen halten. Zum sechsten so sind sollch iuden bücher noch nit weder von gaistlichen noch weltlichen rechten verworffen noch verdampt [...] Vnnd darumb mainen die selben man sol nit mógen solliche bücher den iuden abreissen vnd die vndertrucken oder verbrennen. (Augenspiegel, fol. BuzIo, repr. Johannes Reuchlin Sámtliche Werke, IV 1, p.28)

32

L'AFFAIRE

REUCHLIN

tures), Alfonso da Spina (Le * Renforcement de la religion) et Pierre Nigri (* Étoile du Messie). Il affirmait par exemple que Jésus lui-méme avait recommandé l'étude du Talmud (c'est-à-dire des textes rabbiniques de son époque), comme l'atteste l'évangile de Jean V, 39 : « Vous scrutez les écritures parce que vous pensez avoir par elles la vie éternelle, or elles témoignent de moi », qu'il commentait par le paradoxe sui-

vant : Les écrits de leurs scribes et savants qui sont réunis dans le Talmud témoignent de moi autant que la Bible [c'est le Christ qui parle]. Et c'est la vérité : car, plus le Talmud nous critique et plus nous pouvons y trouver des bons et efficaces témoignages pour nous et notre foi chrétienne. C'est pourquoi le Christ nous a ordonné d'étudier ces textes méme dans les écoles pour les réfuter et de ne pas les brüler!.

En ce qui concerne la Kabbale, Reuchlin invoquait l'autorité de Sixte IV, qui avait approuvé le point de vue de l’Apologie de Pic de la Mirandole selon lequel ses enseignements pouvaient servir à consolider la foi chrétienne. Il n’hésita pas à comparer les grammairiens juifs Abraham ben Ezra, Moise ibn Gabirol et David Kimhi à leurs homologues latins *Priscien, Servius et *Donat, et les commentaires de Kimhi sur la Bible à ceux d'Eusthate sur Homère. Finalement, il déclara que seuls la * Victoire et l’* Histoire de Jésus étaient répréhensibles — et d’ailleurs condamnés par les juifs euxmêmes. Pour le reste, non seulement il ne fallait pas détruire les livres talmudiques, kabbalistiques ni les commentaires rabbiniques, mais il fallait au contraire les conserver soigneusement et les étudier car ils étaient des sources primordiales de compréhension des Écritures pour les chrétiens. Enfin, s'il fallait condamner les juifs à cause de leur méconnaissance de Jésus, ce n'était point aux hommes de le faire, mais à Dieu. L'archevéque de Mayence expédia, à la fin octobre, les conclusions des experts à l'empereur en se rangeant lui-méme à l'avis des extrémistes de Mayence. Cependant, Maximilien ne voulut pas encore trancher et il confia la décision à une nouvelle commission. Ses membres étaient 1. Die schrifften ewer schreiber und gelerten, daruss der Thalmud gesamlet und gemacht ist, die geben auch zeugknus von mir, als wol als die bibel. Und das ist die warhait : dann, ye mer der Thalmud swider uns gemacht ist, so vil besser und hefftiger synd die gezeugknus, die für uns unnd unssern christlichen

glauben darin erfunden werden. Darumb hat Christus bevolhen, das man sie selben schrifftenn in der schul soll fleisslich ersuchen, dar von disputirn, und nicht verbrennen. (Augenspiegel, fol. Cijj- VIIv, repr. Johannes Reuchlin Sàmtliche Werke, IV 1, p. 39).

CHRONIQUE

DE

L'AFFAIRE

935

Jéróme Baldung, ami du célébre juriste Ulrich Zasius, proche de Reuchlin, et Grégoire Reisch, prieur des chartreux qui connaissait Reuchlin, mais prit pourtant parti contre lui en l'accusant d'étre acheté par les juifs. Le troisiéme membre se nommait Angelus, un professeur de théologie dont nous ne savons rien. Leur recommandation fut que des experts en hébreu examinent les livres. Ceux qui ne contiendraient rien de répréhensible seraient restitués et les autres seraient enfermés dans des bibliothèques chrétiennes, ou bien brûlés. L'empereur — ayant déjà suffisamment de soucis politiques — ne se satisfit cependant pas de cet avis et demanda que le cas fût examiné à la prochaine Diéte d'Empire. Cette proposition équivalait à un non-lieu car la Diéte ne s'occupa pas de l'affaire, si bien que les juifs gardérent leurs livres et les théses de Reuchlin restérent confidentielles. 1511. Pfefferkorn (suivi par les dominicains), ayant perdu la partie contre les juifs, se déchaina alors contre Reuchlin. Ses grands projets ayant tourné court, il s'employa à relancer l'affaire et publia, dès Pâques 1511, un nouveau pamphlet intitulé *Face-à-main dirigé contre les juifs et les écrits talmudiques. Reuchlin s'y voyait, entre autres, accusé d'apostasie, ce qui pouvait suffire pour provoquer l'ouverture d'une instruction de la part de l'Inquisition. Il s'en plaignit immédiatement auprès de l'empereur. Celuici lui promit de faire punir le coupable et confia à l’évêque d'Augsbourg, Heinrich von Liechtenau, le soin de trancher, tout en imposant silence aux deux parties en attendant la décision. Mais l'évéque laissa trainer l'affaire. Les Besicles (1511) Reuchlin, sûr de son bon droit, répliqua dès l'été par ses célèbres *Besicles (Augenspiegel'), qui parurent pour la foire d'automne de Francfort (voir page suivante). Dans une première partie, il reproduisait son Rapport d'octobre précédent (en allemand toujours), à laquelle il ajouta une seconde partie, en latin cette fois, contenant les cinquantedeux Arguments qui pourraient être opposés en termes d'école?. Il s’y justifiait des accusations lancées contre lui par Pfefferkorn et trempait à son tour sa plume dans l'acide pour accuser son accusateur. Les libraires, à l'affût d'un succès de scandale, diffusèrent largement l'ouvrage. 1. Le sens courant de ce terme était simplement « lunettes », comme le rappellent les splendides besicles gravées sur la première page de l'ouvrage. Mais on peut aussi prendre ce titre dans sa richesse métaphorique. Augenspiegel, littéralement, le «miroir de l'oeil » peut signifier « miroir de l’âme », étant donné que l’œil est supposé être le miroir de l’âme. Mais il peut également signifier « image de l'oeil » (de Pfefferkorn), d'autant qu'il était une réplique à la série des « Miroirs »

de Pfefferkorn. 2. Argumenta, quce possent scholastice in contrarium obüci.

34

L'AFFAIRE

REUCHLIN

Boctor '2jobarnfien Reuchlins u^

TAA TNer Burtocricptere óm wagen voarba[Frige entfcbulbigung gegen vn vider aute getauffteniuben

genantpferatorm venmals erudit vfigangen vnwarba tige (cbmacbeieblin

'

JAugenfpíegel

"2m ghNeedioci matt ain corvectur et[icber wérs

ter (oinn dem trucE verfeben net ourcb biesal bec6letter

find im ceutfcben vn À space"

*

C'est seulement à partir de cette publication que l'affaire prit son tour public et bientót international. Pfefferkorn se rendit lui aussi à Francfort, où il se lia avec le curé de la ville, Pierre Meyer, connu pour sa haine des juifs. Celui-ci proposa au converti de précher à la porte de son église Saint-Barthélemy et lui donna ainsi l'occasion de se déchainer publiquement contre les juifs, leurs livres et leur défenseur Reuchlin. Ensuite, Pfefferkorn affirma que l’archevêque de Mayence avait donné l'ordre de faire « examiner » les Besicles par Meyer (alors qu'en fait, l'archevéque avait refusé d'interdire ce livre tant que le Face-à-main restait en circulation). Le curé parcourut néanmoins l'ouvrage et se mit aussitót à hurler : « À la potence ! À la potence ! » Il en interdit immédiatement la vente et en envoya un exemplaire pour examen à la faculté de théologie de Cologne.

CHRONIQUE

DE

L'AFFAIRE

35

À Cologne, l'ouvrage fut remis à deux théologiens, *Arnold de Tongres et le dominicain Conrad Collin, sous l'autorité du Grand Inquisiteur Jacques de *Hochstraten. Reuchlin, voyant le danger, tenta de se concilier leurs bonnes gráces (il avait autrefois été l'ami de Collin à Heidelberg), mais sans succès. 1512. Les trois théologiens rendirent leurs conclusions à la fin février 1512. C'était une condamnation catégorique : Reuchlin devait détruire tous les exemplaires restants de ses Besicles. De plus, il devait publier une rétractation par laquelle il se déclarerait ennemi des juifs et du Talmud, sans quoi il était passible d'un procès devant l'Inquisition. Quelques jours plus tard, Reuchlin leur écrivit une lettre dans laquelle il rejetait leur condamnation et annongait qu'il trouverait « une armée de défenseurs dans les rangs des historiens et des poétes, qui le tenaient en haute estime parce qu'il avait été leur maitre vénéré, et qui le défendraient contre les calomnies de la faculté! ». Il publia ensuite une * Explication en allemand de ses propres conclusions de 1510. En août, Arnold de Tongres publia ses *Articles..., accusation en trois parties contre les juifs et les Besicles de Reuchlin. Le texte était introduit par deux poèmes. L'un, d'Ortwin Gratius, évoquait les pleurs de la Vierge Marie (nommée 7ouis alma parens? dans le plus pur style « humaniste ») et les blessures de Jésus qui saignaient à cause de l'impudence de Reuchlin. L'autre avait été composé par Hermann Busch sous le titre : « Éloge, rédigé par Hermann *Busch Pasiphile, dirigé contre les juifs et les amoureux intempestifs des juifs »? et persiflait les défenseurs des juifs. L'humaniste fit par la suite amende honorable en devenant l'un des plus actifs défenseurs de Reuchlin, dont il n'avait pas encore fait la connaissance à l'époque. Les théologiens de Cologne réclamèrent alors de l'empereur une ordonnance interdisant la vente des Besicles, qu'ils obtinrent le 7 octobre 1512. Elle enjoignait à tous les habitants de l'Empire, et particuliérement au maire et au conseil municipal de Francfort, de confisquer tous les exemplaires du livre, sous peine de sanctions sévéres. L'archevéque de Francfort la publia seulement le 27 novembre et le conseil municipal de Francfort le 28 mars de l'année suivante“. 1. Cité par Geiger, op. cit., p. 264. 2. Le poème dit : « Flet Jouis alma parens ». 3. Hermanni Buschii Pasiphili in Tudceos Judeorumque amatores præposteros Elogium. Le texte en est reproduit dans Geiger, op. cit., p. 361. 4. Dans ses *Remarques... de 1514, Ortwin Gratius raconte que la confiscation des Besicles a été menée à bien par les archevéques de Mayence et de Cologne et par les évéques de Worms et de Wurzbourg (f? 4a).

36

L'AFFAIRE

REUCHLIN

De son cóté, Pfefferkorn ne restait pas inactif. Il rédigea un nouveau « miroir », intitulé le *Miro?r enflammé (Brandtspiegel), qui parut sans doute pendant l'hiver 1512-1513. Il y attaquait à nouveau violemment les juifs et Reuchlin. Il réclamait par exemple que l'on rassemble les vieux juifs « comme les chiens galeux » et que les enfants soient enlevés de force afin d'étre sauvés de l'hérésie. Quant aux adultes, il demandait qu'on les chasse pour l'éternité de partout oü ils se trouvaient, particulierement des trois grandes communautés d'Allemagne (Worms, Francfort et Ratisbonne), « et il ne faut pas attendre aujourd'hui, demain ou aprés-demain, mais il faut le faire sur l'heure »!. Il se plaignait enfin que l'empereur n'ait pas sévi contre les conclusions de Reuchlin comme il l'avait fait contre les livres des juifs. 1513. La riposte de Reuchlin parut en 1513 sous le titre de * Défense de Jean Reuchlin... contre ses calomniateurs de Cologne, adressée à l'empereur. Il lui rappelait (en latin cette fois) qu'il avait rédigé ses conclusions à sa demande expresse et attaquait les théologiens de Cologne et Hochstraten en mettant leurs compétences en cause — en les qualifiant du sobriquet de « théologistes ». Il réussit à rencontrer personnellement Maximilien à Geislingen et à lui remettre l'écrit en lui demandant sa protection. L'empereur accéda à sa requéte et signa au mois de juin un mandat imposant le silence aux parties en présence, à savoir Reuchlin, Arnold de Tongres et Pfefferkorn. Les théologiens de Cologne réussirent à convaincre leur conseil municipal de réclamer une ordonnance de saisie de la Défense de Jean Reuchlin... qui fut obtenue le 9 juillet et mise à exécution lors de la foire de Francfort (octobre 1513). Pendant l'été, sur l'avis de Hochstraten, ils

cherchérent des appuis extérieurs et demandèrent aux plus prestigieuses facultés de théologie européennes la mise en examen des Besicles. Ils s'adressérent à Erfurt, *Louvain (à la place de Heidelberg qui s'était montrée trop indulgente à l'égard des juifs deux ans plus tót) et surtout à la Sorbonne à Paris, autorité supréme. Reuchlin eut vent de leurs démarches et écrivit à l'humaniste *Lefèvre d'Étaples — qu'il avait fréquenté à Paris dans sa jeunesse — une lettre circonstanciée (le 31 août) pour lui demander d'intervenir en sa faveur auprés de ses collégues. Il lui rappelait, si besoin en était, leurs intéréts communs dans le domaine des *Bonnes Lettres — notamment leur admiration pour Pic de la Mirandole — qui les rangeaient, par le fait, dans le méme camp de la 1. wie die schebigen hunt [...]und man sol nit warten heut, morgen oder ubermorgen, sondern von stunt an, so must es geschehen. (f? D3a).

CHRONIQUE

DE

L'AFFAIRE

a7

lutte contre les scolastiques. Lefèvre fut très sensible à cet appel et, tout au long de l'année pendant laquelle l'affaire fut discutée à Paris, il ne ménagea pas ses efforts pour venir en aide au maître hébraisant allemand. Les autres universités consultées rendirent leurs jugements dans des délais trés rapides. Louvain répondit la première (28 juillet) qu'il fallait confisquer et brüler les Besicles. Le 16 aoüt, l'université de *Cologne jugea de méme, puis celle de Mayence le 13 octobre. À Erfurt, en revanche, on adopta un autre ton. L'université y comptait de nombreux humanistes, autour de Conrad *Mutianus. On loua la grande science de Reuchlin et l'on condamna pour la forme les Besicles le 3 septembre. Il fallait maintenant attendre le verdict de Paris pour départager les avis. L'Inquisition de Mayence (1513) Hochstraten, qui était doyen de la faculté de théologie de Cologne, passa à l'attaque ouverte. Dès le 9 septembre, Reuchlin recevait une citation à comparaitre devant son tribunal inquisitorial de Mayence le 15 du méme mois. L'humaniste ne se présenta pas, arguant du fait que Hochstraten y siégeait dans les doubles fonctions d'accusateur et de juge, ce qui était évidemment irrégulier. La mise en accusation de Reuchlin fut signifiée à son avocat Peter Staffel le lendemain, aux chefs suivants : — 1l refusait de nommer les juifs hérétiques ; — il refusait de considérer que leurs prières attaquaient les chrétiens ; — il soutenait le Talmud malgré ses outrages contre le christianisme ; — il ne respectait pas les Pères de l'Église ; — il péchait en plusieurs points contre l'enseignement traditionnel de

l'Église. Le chapitre de la cathédrale chercha à temporiser, peut-étre en raison du mauvais souvenir laissé par le proces de *Wesalius en 1479. Le jugement fut rendu le 12 octobre : Reuchlin était condamné et ordre était donné de brûler tous les exemplaires des Besicles que l'on pouvait trouver. Une nouvelle fois, l'archevéque de Mayence, Uriel von Gemmingen, fit obstacle aux anti-reuchlinistes en interdisant à Hochstraten de publier le jugement avant un mois. L'avocat de Reuchlin fit savoir qu'il en appelait au pape.

Giovanni de Medicis avait été élu pape (sous le nom de *Léon X) sept mois auparavant. Reuchlin écrivit une lettre en hébreu à son médecin personnel, l'érudit juif Bonet de Lates!, dans laquelle il lui exposait les détails 1. Voir Geiger, op. cit., p. 297.

38

L'AFFAIRE

REUCHLIN

de l'affaire et implorait son soutien. Le médecin se laissa convaincre, tout comme le pape, qui était acquis au parti de l'humaniste. Par un bref du 21 novembre, il chargea les évéques de Spire et de Worms de régler la question. L'évéque de Spire, qui était, tout comme le pape, un protecteur des Lettres, prit les opérations en main et confia l'enquéte au chanoine Truchsess, lui-même helléniste et ancien élève de Reuchlin.

Le 20 décembre, le chanoine cita les deux parties à comparaitre sous trente jours. 1514. Le procés débuta le 25 janvier au palais de l'évéque de Spire. Hochstraten, qui avait été déchargé jusqu'à nouvel ordre de ses fonctions d'Inquisiteur, ne se présenta pas et se fit représenter par Johannes Horst. Il fit savoir qu'il n'avait pas confiance dans l'impartialité des juges. L'autodafé de Cologne(1514) Le 10 février 1514, les théologiens de Cologne, sans attendre le verdict, condamnèrent solennellement les Besicles et le brülérent en public. Immédiatement aprés l'autodafé, Ortwin Gratius publia un libelle de dix pages de justification intitulé *Remarques... contre les Besicles, qui se concluait par la « formule de condamnation selon laquelle il est juste, légitime et catholique que les Besicles soient brülés »!. Il s’efforçait de semer la confusion dans les esprits des lettrés en reconnaissait la grande science de Reuchlin, et il étalait lui-méme sa culture humaniste en citant Hésiode, Cicéron, Quinte-Curce, Grégoire de Nazianze, Jean Dama-

scène et méme la Parole magique de Reuchlin. Il ajoutait perfidement que la grande science ne mettait pas à l'abri de l'hérésie — à preuve Jéróme de Prague qui était un érudit et qui n'en avait pas moins été brülé?. Il affirmait que, selon saint Jéróme, Cyprien et Marsile Ficin, on ne pouvait en aucun cas fonder la foi chrétienne sur les enseignements des juifs. Enfin, Reuchlin était un talmudiste sénile et la faculté de Cologne avait eu raison de condamner les Besicles au feu. Par cette publication, les ennemis de Reuchlin montraient qu'ils savaient jouer des failles de la machine judiciaire : comme l'interdiction de publier promulguée par l'empereur en juin l'année précédente ne visait nommément que Reuchlin, Arnold de Tongres et Pfefferkorn, Ortwin Gratius était autorisé à publier ses Remarques... Au mois de mars, pour la foire de Francfort, Reuchlin fit publier, par les soins de son petit-neveu Melanchthon un recueil de cent dix *Lettres 1. « Sententia condemnativa, quod juste, legitime et catholice Speculum oculare sit combustum. » 2. Pour cause d'hérésie hussite, lors du concile de Constance en 1412.

CHRONIQUE

DE

L'AFFAIRE

39

des hommes célébres (Clarorum virorum epistole), qui démontraient en quelle estime Reuchlin était tenu par les plus grands humanistes de son temps. Certaines étaient écrites en hébreu (de Jacob ben Iehiel Lohans et de Jacob Margolith), d'autres en grec (de Georges Hermonyme et de Demetrios Chalcondylas). Parmi les autres, on relevait des noms tels que Alde Manuce, *Spalatin, *Brant, *Peutinger, *Pirckheimer, *Bebel ou *Questenberg.

L'acquittement de Spire Le 24 avril', Truchsess publia son verdict : abandon de toute poursuite contre Reuchlin et condamnation de Hochstraten à payer les frais du procès (111 *florins d'or). Celui-ci fit à son tour appel à Rome. Dès le 25 avril, la faculté de théologie de Cologne écrivit au cardinal Bernardin de *Carvajal, grand diplomate rompu aux intrigues de la *Cour romaine, pour lui demander de défendre leur collégue. Une lettre adressée par Reuchlin à Érasme au lendemain de ce jugement donne un résumé fort clair de la situation au printemps 1514 : Sur l'ordre de Maximilien César, notre empereur, j'ai rédigé un mémoire concernant l'incinération des ouvrages des juifs. Les professeurs de théologie de Cologne l'ont combattu, non pas de la façon qui conviendrait à des docteurs, mais avec les plus graves injures et insultes contre mon nom, ainsi que le font les bouffons les plus légers. Ayant défendu ma réputation ainsi que je le dois, dans une apologie qui a été éditée, ces gens furieux composérent un mémoire en sens contraire avec beaucoup de mensonges et de détestables calomnies ; et sous ce prétexte, pour me décrier auprès de la basse plèbe, ils ont décidé que le livre contenant mon mémoire, que j'ai intitulé Les Besicles, serait brülé par l'Inquisiteur des fréres précheurs dans la ville de Mayence ; à quoi je me suis opposé par droit et par sagacité, malgré les précheurs qui affluaient aussi nombreux que des mouches quand viennent les chaleurs et j'en ai appelé au Saint-Siège ; celui-ci a confié toute la cause à l’évêque de Spire et a interdit à tous les juges et autres personnes de rien changer ou attaquer dans l'affaire des Besicles, sous peine d'excommunication. Le juge apostolique procéda par conséquent ; et les fréres précheurs envoyèrent leur procurateur, mais non celui qui aurait été régulier, en mépris et moquerie du juge et pour me desservir en me détournant de mon chemin. Entre-temps, les fréres précheurs brülérent mon mémoire entre eux à Cologne, alors que l'affaire était toujours pendante et aprés que l'interdiction formulée contre eux avait été publiée. Le juge apostolique continua néanmoins de procéder et porta la sentence définitive au

sujet du mémoire des théologiens et jurisconsultes ; la voici ; je l'adresse

à ta trés humaine bienveillance envers tous les amis des Bonnes Lettres, 1. Ackermann (Der Jurist) a rétabli cette date plutôt que le 29 mars proposé par Geiger.

40

L'AFFAIRE

REUCHLIN

afin que moi, [...] si depuis un an j'ai été accusé par des envieux auprès de tes amis anglais, maintenant du moins, défendu par toi, je sois réhabilité contre les brüleurs de livres. Porte-toi bien. À Francfort, pendant la foire d'avril 1514!.

Cet appel fut entendu, comme le montre la lecture des Lettres. La condamnation par la Sorbonne Cependant, on attendait toujours le jugement de la Sorbonne. Les théologiens de Cologne ne lésinérent pas sur les moyens pour convaincre leurs collégues parisiens. L'université de Paris jouissait d'une autorité indiscutée sur l'Europe entière. En matière de théologie, l’Alma Mater parisienne était l'une des rares capables de s'opposer ouvertement au pape, comme l'avaient montré plusieurs conflits récents et particulièrement l'affaire du concile « gallican » de Pise opposé au concile « papal » du Latran, qui ne s'était achevée qu'avec la mort de Jules IP". La partie n'était pas jouée d'avance, c'est pourquoi la faculté de théologie de Cologne dépécha spécialement à Paris un émissaire, nommé *Dietrich de Gouda, au mois de mai 1514, pour convaincre les éventuels

récalcitrants. Après l'avoir entendu, la Sorbonne réunit une commission qui se mit aussitót au travail, examinant chaque jour quelques propositions suspectes de Reuchlin. Les débats durérent trois mois. On rechercha les anciennes condamnations rendues depuis Saint Louis contre les livres des juifs. Le débat atteignit la cour royale. Les dominicains, par le truchement de Guillaume *Petit, confesseur du roi, demandérent à Louis XII d'intervenir contre l'hérésie. Le médecin du roi, Guillaume *Cop, helléniste luiméme, écrivit à Reuchlin une lettre oü il raconta l'altercation suivante : Un évéque favorable à vos ennemis attaquait violemment votre réputation ; le roi me demanda si je vous connaissais. Je répondis que je ne vous ai pas vu depuis quarante ans, mais qu'au temps oü vous enseigniez à Bâle, personne ne vous égalait dans les *arts libéraux et les études d’humanité ; que, depuis, vous n'avez pas cessé de consacrer tous vos soins aux Lettres, et que de nombreux ouvrages témoignent de vos travaux. Alors, votre adversaire, incapable de trouver des arguments pour me répondre, s'écria que j'étais, moi aussi, l'ami des juifs?.

À Rome, pour donner suite à l'appel du jugement de Spire, Léon X désigna deux nouveaux juges favorables à Reuchlin, les cardinaux 1'Aettren 290!

2. Voir à ce sujet Renaudet, Préréforme et humanisme, pp. 524-556. 3. Cité par Renaudet, op. cit., p. 650.

CHRONIQUE

DE

L'AFFAIRE

41

Domenico *Grimani et Pietro *Accolti. Le 8 juin, Grimani convoqua les deux parties à comparaitre dans les six jours suivant la remise de la citation. *Hochstraten était tenu de comparaitre en personne, Reuchlin était autorisé à se faire représenter, eu égard à son grand áge. Hochstraten vint à Rome en grand équipage. L'université de Cologne l’aida financièrement, comme en témoignent ses archives : « L'appel de Jacques est au Siège apostolique. L'inquisiteur lui-même est convoqué à Rome contre le jugement de Spire, aux frais de la faculté. Il a reçu deux cents *florins d'or de la faculté des arts. »! Dans une lettre datée du 30 septembre, Hermann *Busch informait Reuchlin que Hochstraten avait recu 1 500 florins. Les dominicains d'Allemagne avaient collecté des fonds auprés des monastéres et des pénitents pour que leur champion puisse se défendre efficacement à Rome, au besoin par la corruption. Reuchlin se fit représenter par son vieil ami Jacques de *Questenberg. En juillet, la Sorbonne reçut une lettre de Reuchlin demandant la clémence et une autre du duc Ulrich de Wurtemberg la mettant en garde contre un déni de justice. Rien n'y fit. La Sorbonne, craignant une intervention directe de Léon X, accéléra les débats?. Le 2 aoüt, une séance plénière de la faculté de théologie condamna les Besicles et renouvela les condamnations du Talmud : Nous disons qu'il a été relevé de nombreuses affirmations fausses, téméraires, offensantes pour des oreilles pieuses, scandaleuses, erronées, manifestement dues à la perfidie judaique, injurieuses et outrageantes à l'égard des Docteurs de la sacro-sainte Eglise, des blasphémes contre le Christ et sa fiancée l'Eglise, puissamment suspects d'hérésie [...] et c'est pourquoi un livre de cette sorte doit étre supprimé à juste titre, confisqué et brülé publiquement par le feu. Et il faut contraindre l'auteur de ce livre à une rétractation publique, sans tenir compte d'aucun commentaire, que ce soit interprétation ou défense, qui puissent nous étre oppo-

sés en cette affaire”.

1.«... Jacobi est appellatum [sic] ad sedem apostolicam : iussus ipse inquisitor Rome sumptibus facultatis contra sententiam Spirensem tueri appellacionem acceptis ducentis florenis aureis mutuis a facultate artium. » (Acta universitatis et facultatis theologicæ Coloniensis, cité par Martin, op. cit. p. 182). 2. Lefèvre d'Étaples, dans sa lettre du 31 août, écrit à Reuchlin : Theologi nostri, [...] summopere timebant breve pontificium. Ideo acceleraverunt suam sententiam. 3. « Dicimus esse respersum multis assertionibus falsis, temerariüis, piarum aurium offensivis, scan-

dalosis, erroneis, Iudaicee perfidie manifeste fautoriis, sacrosanctis ecclesice doctoribus iniuriis et contumeliosis, in Christum eiusque sponsam ecclesiam blasphemis, de heeresi vehementer suspectis [...] ob idque libellum huiusmodi esse iure supprimendum, de medio tollendum atque igne publice cremandum. Ipsius autem libelli auctorem ad publicam revocationem compellendum non obstantibus glosis, quibuslibet interpretationibus et defensoriis, nobis hac in re oblatis. » Ce texte est cité dans la Defensio... de Pfefferkorn, f? Kv, reproduit par Bócking, op. cit., p. 141.

42

L'AFFAIRE

REUCHLIN

Les efforts de *Lefévre d'Étaples furent donc vains. Le 31 août, il annonça la mauvaise nouvelle à Reuchlin : « La foule a pourtant vaincu par son grand nombre ; on a donné aux gens de Cologne la satisfaction qu'ils demandaient. » Et il ajoutait plus loin le fameux : « Si tu vaincs, nous vaincrons avec toi. »! Bien plus, Lefèvre fut à son tour l'objet de suspicions à propos de son édition de saint Paul’. Des théologiens de *Louvain (Martin Dorp) et de Rome lui reprochèrent en effet d'avoir corrigé la Vulgate et d'avoir mis en doute son attribution à saint Jéróme. Léon X s'émut de la condamnation de Reuchlin et il fit écrire à la Sorbonne pour demander des explications?. Louis XII, de son cóté, défendit son université, qui l'avait largement soutenu dans ses conflits contre Jules II. Durant le mois d’août, Érasme, se rendant à Bále, fit halte

àMayence.

Il y rencontra Reuchlin, Hermann Busch et Hutten. Cette rencontre marqua le début d'une alliance « contre les ennemis des langues et des Bonnes Lettres ». Certains ont pensé qu'on y avait aussi imaginé la stratégie des Lettres des hommes obscurs. C'est alors que se déroula l'affaire du « curé Rapp », dont il est question dans la lettre II, 7. Le 4 septembre, à Halle, un juif converti, surnommé le « curé Rapp », fut condamné et brülé pour divers chefs d'accusation, tant religieux (sacrilége, infanticide) que de droit commun (vols). On ne sait pourquoi, le bruit courut qu'il s'agissait de *Pfefferkorn, ou de son frère. Certains humanistes gonflèrent la rumeur au point que l'un d'eux (sans doute Hutten) publia un pamphlet intitulé : * Écrits concernant le juif converti Jean Pfefferkorn (le curé Rapp), qui a été brülé à Halle le 4 septembre. L'affaire prit une telle importance que Pfefferkorn, lorsqu'il publia sa * Défense, se crut obligé de préciser qu'il n'avait pas été brülé à Halle... Les théologiens de Cologne, comblés par le jugement de la Sorbonne, en publiérent le texte chez Quentel au mois de décembre, sous le titre * Actes des Parisiens. Les amis de Reuchlin y répondirent immédiatement par un pamphlet anonyme intitulé *Contre le sentiment parisien (dà vraisemblablement à *Crotus Rubeanus) pour ridiculiser ce jugement. Ils y présentaient un débat contradictoire en douze points entre *Glareanus (défenseur de Reuchlin) et Guillaume *Petit (accusateur). L'un et l'autre y sont nommés par les pseudonymes qui les désignent dans les Lettres des hommes obscurs. 1.« Turba tamen multitudine vicit. Itaque expedierunt Coloniensibus que petierant. [...] Si vinces, nos tecum vincimus.» (cité dans Herminjard, Correspondance des réformateurs dans les pays de langue frangaise, Genéve, 1865, I, pp. 15-16).

2. Il avait publié en 1512 chez Henri Estienne les Epistolæ divi apostoli ex vulgata editione adjecta intelligentia ex greco. Il y présentait les épitres de Paul selon la Vulgate, accompagnées de sa traduction personnelle, ce qui préfigurait le scandale du Novum Instrumentum. 3. Renaudet, op. cit, p. 654.

CHRONIQUE

DE L'AFFAIRE

43

Pfefferkorn publia lui aussi chez Quentel un * Tocsin contre les juifs sans foi [...] et contre le vieux pécheur Jean Reuchlin, sympathisant des perfides juifs... Les deux adversaires s'employérent à rassembler chacun le plus grand nombre de soutiens à leur cause. Reuchlin écrivit à ses protecteurs, le cardinal *Adrien, Matthieu *Lang, l'érudit hébraisant *Gilles de Viterbe, général des augustins et cardinal, et le prieur Christophe Welser, beaufrère de Conrad *Peutinger. Il espérait que Léon X le protégerait comme VI avait protégé Pic de la Mirandole. Alexandre Le procés en appel à Rome (1515) 1515. Le 13 janvier, les deux juges romains ordonnérent que les deux parties leur présentent une traduction latine de l’Augenspiegel. Ils constatérent que celle de Hochstraten comportait plus de 300 erreurs, alors que celle de Reuchlin, achevée par *Martin de Groningue, n'en comptait que huit!. Cette derniére fut donc acceptée comme officielle, sous le titre de Speculum oculare. Le 19 du méme mois, les deux cardinaux signifiérent à Jean de *Wick (représentant Reuchlin) et à Johann Kótenbrür (représentant Hochstraten) une inhibition apostolique (mandatum de supersedendo), qui interdisait aux deux parties, et particuliérement à *Arnold de Tongres et aux théologiens de Cologne, de publier aucun texte mettant en cause leurs adversaires. Les grands de ce monde s’engagèrent dans la partie. Du côté de Reuchlin, le comte Frédéric de Saxe (le Sage), Ulrich de Wurtemberg, le margrave de Bade, le comte Louis de Baviére ainsi que le grand maitre

de l'ordre teutonique, l'évéque de Strasbourg, Hugues de Constance, quinze abbés et cinquante-trois villes souabes. L'empereur Maximilien lui-même écrivit au pape pour lui demander la clémence en faveur d'un vieillard d'une moralité irréprochable et soucieux du bien de la chrétienté. Dans le camp opposé, parmi les plus célébres, Charles de Gand (le futur Charles Quint), François I‘, qui venait de monter sur le trône (soucieux, comme son prédécesseur, de défendre le crédit de la Sorbonne), et la plupart des universités, dont la Sorbonne n'était pas la moindre. Au mois d'avril, *Érasme rencontra à nouveau Reuchlin, Hermann *Busch et Hutten à Francfort-sur-le-Main. Telle était la situation lorsque parut le premier volume des Lettres des hommes obscurs (fin 1515). Érasme admira le talent du satiriste — étant lui-même expert en la matière depuis lÉloge de la folie — même s'il lui 1. Voir la lettre III, 615, du 30 juillet 1517, de Jean Czsarius à Érasme.

44

L'AFFAIRE

REUCHLIN

reprocha par la suite son manque de mesure dans les attaques personnelles, qui risquait de lui aliéner les sympathies de certains personnages haut placés, et en particulier du pape. Au total, les deux camps avaient déjà échangé à cette date plus d'une quinzaine de pamphlets. En décembre 1515, à Rome, le dominicain Sylvestre *Prieras, ennemi déterminé de Reuchlin, fut nommé Maître du Sacré-Palais. François I rencontra Léon X à Bologne, pour y préparer le concordat. *Hochstraten s'y rendit également et obtint une intervention du roi de France en sa faveur auprès du pape (cf. lettre II, 12).

1516. En Allemagne, les propositions d’expulsions des juifs restaient toujours à l'ordre du jour. Le nouvel archevêque de Mayence *Albert de Brandebourg (le protecteur d'Ulrich von Hutten) y était favorable et convoqua en janvier une conférence des ordres de la ville sur ce sujet. L'empereur fit savoir qu'il s'y opposait formellement. L'archevéque et les délégués s'inclinérent. En février, Érasme publia chez Froben à Bále sa traduction latine du Nouveau Testament (Novum Instrumentum). En mettant en cause la vérité de la Vulgate, il déclencha un scandale que l'Église romaine mettrait quatre siècles à résorber (au concile de Vatican IT). Léon X protégea Érasme, qui ne fut pas menacé directement, mais les milieux scolastiques tenaient là un prétexte révé pour attaquer les humanistes. Ils firent, comme 1l était prévisible, l'amalgame entre Érasme et Reuchlin, dont on connaissait les liens d'estime profonde. L'acquittement de Rome (1516) L'instruction du procès de Reuchlin à Rome touchait à sa fin. À l’issue de deux années de luttes d'influences, les deux juges romains réunirent une commission de vingt-deux membres, qui délibérérent pendant quatre séances. Lors de la derniére séance (2 juillet 1516), chacun lut ses conclusions. Le premier à prendre la parole fut le franciscain Georges *Benignus, archevéque de Nazareth. Cet érudit, ami de longue date des Médicis et confesseur du pape, innocenta Reuchlin. L’évêque grec de Malfi fit de méme, ainsi que Pierre Gryphus, évéque de Forli, et tous les autres aprés eux. Seul Sylvestre Prieras condamna Reuchlin. Le jugement final confirma l'acquittement de *Spire : « Dorénavant, le jugement de Spire reste et restera éternellement valable et en honneur. »! L'affaire semblait close. 1. Et adhuc manet cethernumque manebit sententia Spirensis in vigore et honore. Cité par Geiger, Op. cit., p. 321.

CHRONIQUE

DE

L'AFFAIRE

45

Hochstraten resta à Rome encore une année entière pour tenter d’obtenir la révision de ce jugement. Pfefferkorn, pour sa part, jugeant sans doute que sa position devenait moins confortable, voulut ménager ses arrières et publia en juillet 1516 sa * Défense de Jean Pfefferkorn contre les infamantes et criminelles lettres des hommes obscurs... L'ouvrage s'ouvrait par une lettre au pape, suivie d'une adresse à Hermann von Wied, l'archevéque de Cologne, lui rappelant que le danger juif n'était pas à sous-estimer, car on avait encore brülé à Berlin en 1510 trente-huit juifs accusés d'avoir profané l'hostie (« Iudeos xxxviii iusto flammarum supplicio affecit », voir supra, p. 28). Il fallait donc se montrer vigilant. Venaient ensuite le rappel de la série des condamnations des diverses universités et de l'Inquisition, ainsi que les lettres de Charles de Gand et de Frangois I* hostiles à Reuchlin. La fin du volume était consacrée à la dénonciation des Lettres des hommes obscurs. Pour finir, Pfefferkorn démontrait par une Responsio en neuf arguments que l'auteur des Lettres ne pouvait étre que Reuchlin lui-méme, tant il était évident qu'elles avaient été écrites par un homme qui le connaissait personnellement — n’y lisait-on pas que Pfefferkorn ignorait le latin et que sa femme le faisait cocu (argument n° 3 : « zmsimulat implicite uxorem meam honestissimam [.-.] turpis sibi involucro adulterii ») ? Il publia encore, la méme année, son *Pamphlet pour la vérité et la vraie histoire de Tean Pfefferkorn combattant contre le faux frère docteur Jean Reuchlin... dans lequel il récapitulait onze chefs d'accusation contre Reuchlin, dont le moindre n'était pas le neuviéme, accusant Reuchlin de nier la divinité du Christ comme le faisaient les juifs. Cette fois cependant, il s'attacha également à se défendre lui-méme. Il se justifiait de l'identification avec le « curé Rapp » et des accusations de vol à Dachau et Nuremberg. Il ajoutait donc au livre quelques attestations de « bonne moralité » émanant de divers princes et municipalités. Des sommités érudites intervinrent également dans le combat par leurs publications, tel le franciscain Pierre Galatinus, expert hébraisant, qui avait travaillé pendant deux années au moins à un fort gros *Owvrage trés utile à la République chrétienne... qui fut imprimé en septembre 1516. Il s'agissait d'un dialogue mettant en scéne Reuchlin et Galatinus luiméme, défendant contre Hochstraten l'utilité du Talmud pour la reli-

gion chrétienne.

1517. Le second volume des Lettres parut au début de l'année. Cette fois, ce n'étaient plus seulement Ortwin Gratius, Pfefferkorn, et consorts qui étaient ridiculisés, mais la *Cour pontificale et le pape lui-méme.

46

L'AFFAIRE

REUCHLIN

La condamnation des Lettres On peut se demander si cette publication rendit réellement service à la cause qu’elle défendait. De fait, les craintes d'*Érasme s’avérèrent fondées et la condamnation des Lettres des hommes obscurs ne tarda pas à être promulguée par Rome, dans des termes très durs, par une bulle du 1S5umars1517s « Quelques fils du péché [...] ont publié ces lettres dans lesquelles ils outragent et moquent les dominicains et en premier lieu les professeurs des universités de Cologne et de Paris [...] en conséquence, il est ordonné de confisquer et de brüler ce livre. »

La condamnation des Lettres risquait de rejaillir sur l’homme qu'elles défendaient. Le soutien de Léon X devenait plus délicat. Hochstraten et son clan en tirérent évidemment argument pour demander la révision du jugement de juillet précédent. La guerre des pamphlets reprit de plus belle. Reuchlin, qui ne se laissait pas intimider, poursuivait opiniâtrement ses études hébraiques. Il publia au mois de mars sa Science de la *Kabbale (De arte cabalistica). Ulrich von Hutten avait composé (sans doute dés l'annonce de l'acquittement de Spire en 1514) un poème intitulé * Triomphe de Jean Reuchlin... 1l le publia au mois de mai 1517. Au long de ses 1063 vers, il ridiculisait à nouveau Pfefferkorn, Hochstraten, Ortwin Gratius, *Arnold

de Tongres, les théologiens et autres fréres précheurs et achevait son poème par un éloge dithyrambique de Reuchlin. Érasme, quant à lui, avait à se défendre au méme moment contre l'accusation d'avoir écrit le Julius exclusus, un pamphlet dirigé contre Jules II qui avait fortement indisposé Léon X. Aprés avoir reçu le

Triomphe de Jean Reuchlin, 1 écrivit à Hermann de *Neuenahr : [...] je ne suis pas sot au point de vouloir écrire contre des personnages qui peuvent me faire condamner. [...] Moi-méme, il y a deux ans, je me suis mis en peine pour empécher la parution en Allemagne du Triomphe de Reuchlin, qui était alors déjà prét à étre édité, et de méme pour un autre ouvrage portant comme titre Le Moine!. J'éprouve en effet de la sympathie pour Reuchlin à cause de son érudition, mais de façon à ce que, de toute maniére, aucune guerre n'éclate entre moi et Hochstraten et les autres de ce clan, puisque la cause ne me touche en

rien. Quand méme, je n'approuve pas, et aucun homme vraiment pieux 1. Monachus, pamphlet trés acerbe, peut-être dû à la plume de Wolfgang *Angst.

CHRONIQUE

DE

L'AFFAIRE

47

ne les approuve, ces attaques si virulentes qui émanent de l'esprit du monde et non de celui du Christ. Du moins, où que j'aie été sur terre jusqu'ici, n'importe qui de l'élite est favorable àReuchlin!.

On voit clairement par cette lettre — qui était destinée à une publication proche — qu'Érasme avait bien conscience de la fragilité de la victoire des « amis des Bonnes Lettres », surtout aprés la condamnation des Lettres des hommes obscurs. Pendant l'été, avant son départ, Hochstraten adressa au pape les * Affirmations erronées dans les Besicles de Tean Reuchlin exposées mot à mot, et les conclusions que Maître Jacques de Hochstraten leur oppose. Au mois de septembre, George *Benignus se lança à son tour dans le conflit en publiant sa * Défense du très éminent Jean Reuchlin, sous forme de dialogue, à partir de l'opinion des dix-huit hommes trés sages chargés d'examiner les Besicles par notre trés saint pontife Léon... Il fit imprimer ce dialogue à Cologne par les soins du comte de *Neuenahr pour mieux atteindre Hochstraten, comme l'atteste une lettre de Jean *Cæsarius à Érasme : Notre ami, le comte de Neuenahr, a fait imprimer ces jours-ci à plus de mille exemplaires, un certain petit livre, apporté de la Ville?, et qui s'intitule Défense de Reuchlin. Deux exemplaires en sont à cette heure envoyés à ton adresse*.

Ce petit mot nous fait une fois de plus entrevoir l'importance des réseaux d'humanistes à l'échelle européenne, puisque cinq hommes sont impliqués dans ce simple échange : Georges Benignus, Hermann de Neuenahr, Jean Cæsarius, Érasme, ainsi que *Martin de Groningue qui avait apporté le manuscrit de Rome pour le faire imprimer aprés l'avoir présenté à l'empereur auquel Benignus l'avait dédicacé. L'ouvrage était précédé par deux lettres, la première du comte de Neuenahr et la seconde de Martin de Groningue.

Mais, à partir de novembre 1517, le contexte général de l'Affaire allait se dégrader rapidement pour les humanistes. Un nouvel élément était en effet intervenu, qui n'était autre que la publication des fameuses 95 théses de Luther sur les indulgences, à Wittenberg. Luther ne cachait pas l'estime qu'il portait aux critiques érasmiennes contre la Vulgate. Il 1. Lettre III, 636, 29 sqq, du 25 août 1517.

2. Il s'agit bien sür de Rome. 3. Lettre III, 680, 34, du 22 septembre 1517.

48

L'AFFAIRE

REUCHLIN

écrivit à P'humaniste pour l'en féliciter et lui demander son soutien. Dans les premiers temps, Érasme prodigua d'ailleurs au théologien de Wittenberg des marques d'estime non négligeables. Les ennemis du réformateur ne tardérent pas à en tirer les leçons et eurent beau jeu de dénoncer officiellement la collusion entre les causes de Reuchlin, d'E-

rasme et de Luther. 1518. En février, *Hochstraten publia un récapitulatif de l'affaire, à l'usage des étudiants en droit canonique, afin de les familiariser avec les diverses phases du procès, suivi d'une *Apologie à notre Trés-Saint-Pére [...] contre le dialogue écrit par Georges Benignus, archevêque de Nazareth, dans le procès de Tean Reuchlin… Les Lamentations des hommes obscurs (1518) Ortwin Gratius, le plus « littéraire » parmi les ennemis de Reuchlin, prit à son tour la plume. Il publia en mars une *Lettre apologétique, puis il contre-attaqua de front Hutten dans les *Larnentations des hommes obscurs, qui ne sont pas interdites par le siége apostolique, qui parurent au cours du méme mois. Contrairement à Pfefferkorn et à Hochstraten qui en étaient bien incapables, il tenta de répondre à la satire par la satire en attaquant son adversaire sur son propre terrain. Il imagina donc à son tour des « hommes obscurs », mais qui étaient cette fois les partisans de Reuchlin et se plaignaient amérement du peu d'intérét que leur cause éveillait. L'ouvrage parut en deux volumes contenant respectivement 45 et 41 lettres. Gratius réutilisa un certain nombre de pseudonymes d'auteurs inventés par Hutten et, tout comme lui, eut l’habileté de mêler des auteurs imaginaires à d'autres bien réels. Il poussa méme la perversité jusqu'à inclure dans le premier recueil une lettre authentique d'Érasme, adressée l'année précédente à son ami l’helléniste Jean *Cæsarius de Cologne!. Cette lettre est supposée citée par le nommé François Bécasson (auteur fictif de la Lettre des hommes obscurs I, 6), s’adressant à Picolendouce Reuchlinophile (auteur fictif de la Lettre I, 7). Voici la traduction de ses premières lignes : François Bécasson à Picolendouce, le reuchlinophile. La tristesse a desséché mon cœur, et ma chair est bouleversée par l'huile [...] Nous avons voulu honorer Jean Reuchlin [...]. Mais voilà qu'Erasme de Rotterdam lui-méme, trés prolixe entre les théologiens, s'y 1. Lettre III, 622, du 16 août 1517.

CHRONIQUE

DE L'AFFAIRE

49

oppose énergiquement dans une certaine lettre adressée à Jean Caesarius qu'il nous a confiée lui-méme. [...] i Lettre d'Erasme de Rotterdam (que nous avons intercalée ici afin de dissiper tous les mensonges qui ont pu étre introduits par malveillance) : « Erasme salue son ami Cæsarius s Lettres des hommes obscurs me déplaisent au plus haut point, [...] etc. »

Dans cette lettre, Érasme avait effectivement critiqué la méthode employée par Hutten pour défendre Reuchlin (les attaques personnelles) — mais naturellement pas le fond. Il se trouvait maintenant utilisé, bien malgré lui, comme témoin à charge contre l'ami qu'il défendait ! Au mois de mai, Hermann von Neuenahr publia les *Lettres de trois hommes illustres adressées au comte de Neuenahr en réponse à l'Apologie de Hochstraten. Les trois hommes illustres en question étaient Reuchlin, Hermann *Busch et Hutten. Busch y disait entre autres que la langue de l'Apologie de Hochstraten était tellement mauvaise qu'elle aurait pu être écrite par un enfant de sept ans. 1519. Au mois de mars, la Ligue souabe entra en guerre contre le duc Ulrich de Wurtemberg, avec une armée forte de prés de 30 000 hommes et 4 000 cavaliers. Un millier d'entre eux, parmi lesquels Hutten, étaient placés sous les ordres de Franz von *Sickingen. Le 7 avril, la capitale Stuttgart, où Reuchlin résidait, était prise. Mais, après le départ de l'armée de la Ligue, le duc Ulrich réinvestit sa capitale. Reuchlin se sentit trés menacé, car ses liens avec Hutten et Sickingen étaient connus. En avril, Hochstraten publia sa *Destruction de la Kabbale, ou de la perfidie kabbalistique récemment publiée par Jean Reuchlin. Le mois suivant, Reuchlin publia les Lettres des hommes illustres (seconde édition des *Lertres des hommes célèbres), qui contenaient maintenant une lettre d'Érasme. Le 28 juin, Charles de Gand était élu empereur romain germanique (Charles Quint). Contrairement à Maximilien, le nouvel empereur s'était toujours déclaré contre Reuchlin. 1.« Tristicia exiccavit cor meum, et caro mea immutata est propter oleum. [...] Honorare voluimus Ioannem Reuchlin [...]. Verum enimvero [...] Erasmus ipse Roterodamus, theologorum disertissimus in epistola quadam ad Ioannem Cæsarium sese a nobis commendatum fuisse, vehementer detestatur [...] tibi illius exemplar transmitto [...] Epistola Erasmi Roterodami quam hic honoris gratia interposuimus, ut ea quce falso illi a malevolis imposita fuere quantotius evanescant : a Erasmo Cæsario suo. S.D. Magnopere mihi displicabant epistole obscurorum virorum, etc. » Ce texte est reproduit dans Bócking, Supplementum, vol I, pp. 338-339 (lettre 10).

50

L'AFFAIRE

REUCHLIN

Le 26 juillet, Sickingen adressa aux dominicains de Cologne une * Réclamation et proclamation... solennelle à Hochstraten, lui enjoignant de payer les frais du procés et de laisser Reuchlin en paix, sans quoi... Ne recevant pas de réponse de leur part, il leur écrivit à nouveau en leur fixant un ultimatum pour le 28 décembre. Le 9 novembre, Reuchlin s'enfuit de Stuttgart pour Ingolstadt, où il enseigna le grec et l'hébreu à partir du mois de mars suivant. Le 26 décembre, soit deux jours avant l'expiration de l'ultimatum, le provincial des dominicains rencontra Sickingen à Landstuhl. Terrorisé, le provincial se déchargea de la responsabilité de toute l'affaire sur Hochstraten. Sickingen lui accorda un dernier délai d'un mois pour trouver un accord avec Reuchlin, sans quoi il assignerait les dominicains devant le tribunal de Worms. Pendant ce temps, les satiristes ne désarmaient pas. La méme année parut anonymement la *Conférence macaronique, dialogue entre trois théologiens de Cologne et les trois champions de l'humanisme, Reuchlin, Érasme et *Lefévre d'Étaples. Le style de ce dialogue fait immédiatement penser aux Lettres des hommes obscurs, d'autant que les trois théologiens — qui se font rudement étriller — se nomment Ortwin Gratius, Léopold et Gingolphe (ces derniers figurant au nombre des auteurs des Lettres). 1520. Le 8 janvier, deux émissaires des dominicains (le recteur de l'université de Heidelberg et le prieur du couvent d'Esslingen) partirent pour Ingolstadt. Ils rendirent visite à Reuchlin le 18 et lui proposérent un arrangement, en lui offrant méme un dédommagement pour les frais de procédure. Il refusa, mais se déclara prét à soumettre l'accord à une commission mixte. En février parut un Florilège de divers opuscules et traités des frères, pères et Not? Maîtres [...] Lis et tu riras, suivi d’un Alphabet contre les maudits juifs et le Talmud, comprenant les pastiches de vingt-deux propositions antijuives, dans le style des *Articles d'Arnold de Tongres. La commission exigée par Sickingen fut réunie au mois de mai. Elle comprenait Sickingen et son beau-frère Philipp von Flersheim, Johann Wacker, un juriste proche de Reuchlin et Simon Risbin, doyen de Spire. Les dominicains étaient représentés par leur provincial Eberhart de Cléves. On envoya une lettre au pape pour lui demander de lever le verdict de Spire et d'imposer silence aux deux parties, en échange de quoi les dominicains s'engageaient à ne plus rien entreprendre contre Reuchlin. Mais ces derniers jouaient double jeu en faisant croire qu'ils acceptaient les conditions posées par Sickingen, alors méme qu'ils redoublaient leurs efforts à Rome pour circonvenir le pape.

CHRONIQUE

DE L'AFFAIRE

51

Au cours de l'année parut encore une série de pamphlets anonymes écrits par les amis de Reuchlin. Hutten publia un nouveau dialogue satirique intitulé Hochstraten triomphant, qui mettait en scène *Hochstraten, sous le pseudonyme d'Érostrate!, le frére Léopold (connu par les Lettres des hommes obscurs) et les deux théologiens de Louvain, Jacques Latomus et Edward Lee (qui parle en aboyant, car il fut jadis un chien), ennemis acharnés d'Érasme depuis le Novum Instrumentum. Furent aussi publiés les « sept dialogues », généralement attribués à*Crotus Rubeanus. On en citera la * Réunion des théologistes, célébré à Cologne contre les étudiants des Bonnes Lettres et d'Allemagne, le 16 des calendes de mai aprés que Hochstraten eut été démis de ses fonctions de prieur et d'inquisiteur. L'auteur y mettait par exemple dans la bouche de Hochstraten : « De méme que je hais Jean Reuchlin [...], je hais également Martin Luther, *Pierre de Ravenne et Hutten, et d'autres... » Le style de l'ensemble évoque nettement la *Conférence macaronique. Cependant, à Rome, le rapport des forces tournait en défaveur de Reuchlin. Jacques de *Questenberg et Caspar *Wirt avaient quitté la ville, tout comme Jean *Potken et le comte de *Neuenahr. Philippe Béroald était mort et Jean de *Wick était malade. *Grimani et *Gilles de Viterbe n'étaient plus à Rome. Le cardinal *Adrien, qui avait trempé dans la conspiration des cardinaux contre le pape, était en disgráce. En revanche, Adrien d'Utrecht, théologien de Louvain anti-reuchliniste, qui avait soutenu Hochstraten, était devenu cardinal et, depuis 1518, le nouveau général des dominicains était Thomas de Vio (Cajetan), lui aussi résolument anti-reuchliniste. *Léon X, traumatisé par la tournure vio-

lente que prenait le conflit avec Luther, devenait de plus en plus sensible aux arguments de Sylvestre *Prieras et de Cajetan. La condamnation finale(1520) Le 15 juin était fulminée la bulle Exsurge Domine qui excommuniait Luther. Le 23 juin, Léon X signait la cassation du jugement de "Spire. Les *Besicles étaient interdits et Reuchlin condamné aux dépens. Le 8 septembre, Hochstraten était réintégré dans ses fonctions. Les amis de Reuchlin cherchérent de nouveau à faire intervenir leurs relations. Hutten rédigea pour *Sickingen une lettre à l'empereur, Spalatin sollicita l'intervention du comte Friedrich de Saxe, Wolfgang Capito, celle de l'archevéque de Mayence, mais sans résultat. Sickingen invita à plusieurs reprises Reuchlin à venir s'installer sous sa protection dans son cháteau, mais celui-ci déclina l'invitation. 1. Du nom du célèbre incendiaire du temple de Diane à Éphèse.

52

L'AFFAIRE

REUCHLIN

1521. Le 21 mars, Pfefferkorn publia encore Une *plainte pitoyable au-dessus de toutes les plaintes à notre trés miséricordieux empereur et à toute la nation allemande, par Jean Pfefferkorn, contre le déloyal Jean Reuchlin… Ce fut sa dernière publication. Au printemps, Reuchlin quitta Ingolstadt pour Tübingen, où il enseigna le grec et l'hébreu pendant une année encore. Trois des principaux acteurs de cette affaire disparurent au cours des deux années qui suivirent. Pfefferkorn mourut sans doute peu de temps aprés cette ultime publication. Reuchlin mourut le 30 juin 1522 à Bad Liebenzell, où il était allé se reposer. Hutten, pourchassé par les impériaux, mourut de la syphilis en août 1523, sur une ile du lac de Zurich. Je mettrai un point d'orgue à ce rappel historique en citant un texte composé par *Érasme en l'honneur de Reuchlin. Il s'agit de l'un de ses Colloques les plus célébres, intitulé : « L'apothéose de Capnion ». Dans ce dialogue, Brassicanus (le successeur de Reuchlin à Tübingen) raconte à son ami Pompilius comment un franciscain de ses amis a vu en songe saint Jéróme accueillir Reuchlin au Paradis par ces mots : « Salut, émule trés pieux ! Je suis chargé de te recevoir pour te conduire à l'assemblée céleste, où la mansuétude divine t'a ménagé une place en récompense de tes œuvres si saintes. » Le saint donne l'accolade au savant et le revét d'une robe identique à la sienne, sur laquelle sont brodés les trois alphabets (latin, grec et hébreu). Pompilius commente : « Que nous reste-t-il à faire, sinon à inscrire au calendrier le nom de ce trés saint personnage ? » Brassicanus approuve et ajoute qu'il a méme composé une prière à inscrire dans l'ordinaire de la messe sous la forme d'une « collecte » (invocation au saint du jour) : Ó Dieu, qui aimes le genre humain, et qui, grâce à ton serviteur, à ton élu, Jean Reuchlin, as fait refleurir dans le monde ce don des

langues que, par l'intermédiaire du Saint-Esprit, tu avais jadis octroyé à tes apôtres pour la prédication de l'Évangile, fais que chacun, en toutes les langues et en tous lieux, préche la gloire de ton fils Jésus. Daigne confondre les langues des faux apótres qui ont comploté de construire la tour impie de Babel, avides qu'ils sont d'obscurcir ta gloire et d'exalter la leur, alors que toute gloire est due à toi seul, à Jésus ton Fils et Notre-Seigneur, et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles.

Ainsi soit-il !!

1. Traduction Jarl Priel, Colloques, tome 3, Paris, Éditions du Pot cassé, 1934, p. 204.

LES

COMBATTANTS

58

3. Les combattants Les hommes

obscurs

Une fois posé le cadre historique de l'Affaire, revenons au texte des Lettres. Leur destinataire Ortwin Gratius est bien connu (voir supra, pp. 16 à 18), mais l'identification des « hommes obscurs », leurs auteurs fictifs, pose en revanche bien des problémes — au-delà de l'effet de miroir évoqué par la lettre II, 1 (« C'est pour se moquer de Reuchlin que Gratius les a publiées... »). En premier lieu, il ne faut pas comprendre « obscurs » dans le sens de l'« obscurantisme

médiéval

» cher aux Lumiéres, mais dans le sens

d'« inconnus », comme le veut l'opposition entre clarus et obscurus. Reuchlin avait revendiqué l'amitié et l'estime des hommes célèbres (clarorum virorum), le Gratius « de papier » revendique celles des inconnus (obscurorum virorum). On peut cependant tenter de cerner plus précisément leurs identités fictives, en distinguant parmi eux certains types : — quelques-uns sont des personnages réels, bien connus par ailleurs et fréquemment mentionnés au cours des lettres comme ennemis jurés de Reuchlin (le Grand Inquisiteur Jacques de *Hochstraten, *Arnold de Tongres) ; — d’autres sont également des personnages réels, sans que l’on sache exactement ce qui leur a valu d’être ridiculisés dans ce rôle (Jean *Arnoldi, *Conrad de Zwickau) ; sans doute Hutten et ses amis avaientils quelques comptes personnels à régler ; — certains portent des noms de personnages célèbres, mais largement anachroniques, généralement de maîtres scolastiques des siècles précédents (Holcot, Mesue, de la Porrée, etc.) — voire Démétrius de Phalère ! — affublés de prénoms fantaisistes ; le procédé équivaudrait à publier en 2003 des lettres prétendument écrites par Charles Descartes ou Lucien Heidegger ; — parmi les plus « obscurs », certains portent des noms germaniques courants, parfois sous leur forme allemande (Fink, Hipp, Steynhart), ou bien grossièrement latinisés par l'adjonction d'un -us final (Straufifederius, Stablerius) ; — d'autres sont « académiquement » traduits de l'allemand en latin (Langschneyder devient Sartoris, Pelzer devient Pellifex) comme c'était l'usage lors de l'inscription à l'université ; certains d'entre eux ont d'ailleurs été repérés dans les registres d'immatriculation de diverses universités, mais généralement avec d'autres prénoms ;

54

L'AFFAIRE

REUCHLIN

— d'autres, enfin, sont clairement parodiques (Léve-le-coude, Coupeur-de-cheveux-en quatre, Pine-de-pigeon, Baisecon, etc.) — à condition, bien sûr d’être traduits (ces quatre-là se nomment respectivement Cantrifusoris, Cribelioniacus, Daubengigelius et Nollerius Stech). Il faut cependant rester vigilant dans ce domaine car certains

noms, qui nous paraissent comiques, ont bel et bien été portés trés sérieusement. Par exemple, l'auteur de la lettre II, 59 se nomme Louchenbois, ce qui est la traduction du latin Cocleariligneus, lui-même traduction de l'allemand Lóffelholz. Or, c'était le nom d'une grande famille de Nuremberg, à laquelle appartenait la propre mere de Willibald *Pirckheimer, reuchliniste notoire. Par ailleurs, ceux que l'on ne trouve attestés dans aucune source de l'époque ne sont pas nécessairement fictifs pour autant. N'existe-t-il pas de respectables citoyens frangais qui se nomment Vachier ou Courtequeue ? Enfin, rien n'interdit de penser que certains de ces noms fussent d'authentiques sobriquets attribués par des potaches ou des satiristes de l'époque à des personnages connus — coutume attestée depuis qu'il existe des potaches et des satiristes. Rien ne prouve, par exemple, qu'il n'ait pas existé à Paris, au temps de Rabelais, des docteurs en droit surnommés par leurs étudiants Baisecul et Humevesne (Pantagruel, chap. X à XIII). Dans la littérature parodique, tous les coups sont permis, à condition qu'ils portent. Quelques éléments pourraient donner des pistes d'identification. Les noms des hommes obscurs sont parfois accompagnés d'un lieu d'origine ou de résidence et agrémentés d'un titre universitaire ou social. C'était l'usage pour les personnes qui ne pouvaient pas faire état d'une ascendance noble ni bourgeoise (c'est pourquoi on parlait d'Érasme de Rotterdam ou d'Antonio de Nebrija). À la fin des lettres, aprés les salutations, on trouve aussi parfois un lieu d'expédition (souvent une taverne...). Pour le premier volume, l'ensemble de cette onomastique parcourt le vaste Saint Empire germanique et ses principales villes universitaires. Pour le second, elle se concentre sur Rome et la *Cour pontificale. Dans certains cas, les lieux, les personnes et les sujets des lettres sont en correspondance étroite, mais, en général, leurs rapports nous échappent totalement. De méme, les choix des prénoms fictifs ou des titres universitaires qui leur sont attribués nous paraissent le plus souvent totalement arbitraires (pourquoi Léopold Scribouillard est-il « bientót *licenciant » alors que Balthasar Leboyau est déjà « *bachelier formé » ?). Sans doute toutes ces allusions perfides étaient-elles plus claires pour les contemporains. La grande enquête d'identification des hommes obscurs a été menée, au milieu du XIX* siécle, par l'immense érudit Eduard Bócking, pour

LES

COMBATTANTS

53

l'établissement de son édition critique des Lettres (voir plus bas, pp. 105 et 673-675). Il va sans dire que la quasi-totalité des éclaircissements proposés dans le présent ouvrage proviennent de lui ou des sources qu'il indique (les historiens postérieurs l'ayant, comme il se doit, pillé sans vergogne, comme ils ont pillé Geiger, le biographe de Reuchlin). Bócking a passé au crible les registres universitaires allemands et réalisé le tour de force de repérer la plupart des personnages nommés, ainsi que les sources possibles des citations (en particulier des innombrables citations de la Bible). Ceux qui lui ont échappé peuvent donc étre globalement considérés comme définitivement obscurs, ou purement fictifs. Malgré toutes ces incertitudes, on peut établir le « profil » type des hommes obscurs. Ils sont presque tous des clercs, appartenant à deux catégories trés distinctes. Les uns sont étudiants dans le cycle élémentaire de la *faculté des arts (des « *artiens » selon la terminologie de Rabelais), âgés d'une vingtaine d'années environ (l’âge requis pour devenir *bachelier és arts était 21 ans). Ce sont donc des jeunes. Les autres sont déjà *maitres es arts et appartiennent au cycle supérieur, généralement étudiants à la faculté de théologie. Certains ont méme presque terminé leurs études, ils sont chargés de cours et « bacheliers formés » en théologie. Ces derniers ont donc près de trente-cinq ans et jouissent déjà d'un statut social élevé. Les plus prestigieux sont les docteurs en théologie, qui ont droit au titre de « *Not' Maitre » et au port du *lyripipion. Beaucoup appartiennent à des ordres religieux, principalement aux dominicains. Restent quelques marginaux. Je n'y compterai avec certitude que Jean Lelippu, *protonotaire apostolique (IL, 1), Maitre Gratius, bourreau à Halberstadt et oncle d'Ortwin (II, 61), et Maitre Abraham Isaac de la lignée d'Aminadab (II, 66), mais d'autres y auraient sans doute leur place. Les hommes obscurs proviennent de toutes les régions d'Allemagne et aussi de Rome (quelques-uns sont de Paris ou de *Louvain), et partagent unanimenent la méme stupidité, la méme exécration des juifs et de l'humanisme, incarné par son représentant Reuchlin, et la méme vénération pour la scolastique, incarnée par Ortwin Gratius. Outre leur latin épouvantable, la plupart d'entre eux sont tellement imprégnés par les techniques scolastiques qu'ils ne savent s'exprimer autrement que sous la forme d'un argumentaire de *débat quodlibétique. Aprés avoir posé une question (utrum), leurs phrases commencent immanquablement par quia (vu que) ou par ergo (donc). J'ai dit plus haut que Rabelais, une quinzaine d'années apres la publication des Lettres, connaissait encore bien les hommes obscurs. Outre

56

L'AFFAIRE

REUCHLIN

Ortwin Gratius, il en cite en effet quelques autres, et non des moindres, dans le catalogue de la bibliothéque de Saint-Victor (la liste qui suit est traduite du latin dans lequel Rabelais les a imaginés dans Pantagruel, VID. Ce sont : — « Alamammelle : Des babouins et des singes, avec un commentaire de Des Orbeaux »! (Alamammelle est l'auteur fictif de la lettre I, 33). — « L'usage des bouillons et comment chopiner discrètement, par Sylvestre Prieras, dominicailleur »? (le Maitre du Sacré-Palais est cité dans la lettre

II, 49). — « La foufounetterie cafardeuse, présentée par Maitre Jacques Hochstraten, héréticométre »? (le grand Inquisiteur de Cologne est cité dans une trentaine de lettres). — « Chaultcouillon, Huit livres trés galants sur les beuveries des Not^maítrisants et des Not? maítrants »* (le sujet est traité tout particulièrement dans la lettre I, 1). — « Moralisations du lyripipion sorbonnique, par Maitre Léopold »? (Maitre Léopold Scribouillard est l'auteur fictif de la lettre I, 37). — « Les bla-blas des docteurs de Cologne contre Reuchlin » (passim). — « D'ingéniosité pour invoquer les diables et les diablesses, par Maitre Gingolfe »? (Maitre Gingolphe Ducoupeur-de-bois est l'auteur fictif de Jadettre-d53232).

Tous les auteurs des lettres apportent leur soutien à Ortwin Gratius dans son juste combat contre le camp des perfides hérétiques et de leur maitre Jean Reuchlin. S’ils reconnaissent Gratius comme leur chef incontesté, ils citent également de facon récurrente plusieurs autres capitaines de leur camp. Ces héros sont principalement Jean *Pfefferkorn (qui est à l’origine de toute l'affaire), Jacques de *Hochstraten (Grand Inquisiteur, supérieur du couvent des dominicains de Cologne et doyen de la faculté de théologie), *Arnold de Tongres (professeur de théologie à Cologne) et Pierre *Meyer (curé de Francfort). Les hommes obscurs sont une troupe nombreuse et agressive. Ils se sentent puissants car ils disposent de renforts quasi inépuisables chez les dominicains, dont le réseau de couvents s'étend sur l'Europe entiére. 1. Marmotrectus [sic] De baboïinis et cingis, cum commento Dorbellis. 2. De brodiorum usu et honestate chopinandi, per Silvestrem Prieratem, Jacospinum. 3. Callibistratorium caffardie, actore M. Iacobo Hocstratem hereticometra.

4. tissimi. 5. 6. 7.

Chaultcouillon, De Magistro nostrandorum magistro nostratorumque beuvetis lib. octo galan-

Lyripipii Sorbonici Moralisationes, per M. Lupoldum. Tarraballationes Doctorum coloniensium adversus Reuchlin. Ingeniositas invocandi diabolos et diabolas, per M. Guingolfum.

LES

COMBATTANTS

57

Les Fréres précheurs se sentent invulnérables à Cologne, qui est en quelque sorte leur capitale intellectuelle, car l'université y a été fondée par *Albert le Grand et *Thomas d'Aquin y a enseigné. De plus, les disciples de ces deux grands maitres (respectivement albertistes et thomistes) font la loi dans les principales universités européennes, en rivalité constante avec les franciscains (scotistes et occamistes). Les dominicains de Cologne disposent ainsi de l'appui de plusieurs universités (Mayence, Erfurt, *Louvain), et surtout de la Sorbonne, la fameuse faculté de théologie de Paris. Méme si l'empereur Maximilien ne les soutient que du bout des lévres et si Léon X les déteste cordialement, les dominicains ont néanmoins des alliés importants à la *Cour pontificale, le cardinal Cajetan, puis Sylvestre *Prieras, le Maitre du Sacré-Palais.

Mais les hommes obscurs nous renseignent également sur leurs ennemis car ils injurient copieusement, à longueur de lettres, les humanistes et leurs capitaines, Hermann *Busch, le comte de *Neuenahr, *Érasme, *Murner, Hutten... et une foule d'autres. Au total, plusieurs centaines de personnages sont évoqués au cours des lettres. Cet effet de nombre, et souvent d'énumération, n'est pas dü au hasard. Il s'agit bien de montrer deux armées face à face. Du cóté de Gratius, la nature de l'armée se comprend par elle-méme, ce sont les bataillons des moines mendiants et de théologiens, surtout dominicains. Cet aspect de troupe nombreuse n'est pas nouveau, il est méme, pourraiton dire, constitutif de l'Église médiévale, dont les clercs et les ordres religieux formaient les troupes d'élite. Érasme en fit une description frappante dans une lettre de 1519 adressée à son ami l'helléniste *Mosellanus : Tu me dis que chez vous [à Leipzig] la lutte fait rage entre ceux qui enseignent une meilleure littérature et ceux qui patronnent la vénérable ignorance ; cela ne m'étonne pas, car la méme fièvre règne partout, au point qu'on pourrait penser à une conspiration ou à un coup du sort. [...] Le mal affecte surtout ceux qui sont soumis à Mercure, parmi lesquels on nomme les gens de Louvain. Cette université en effet, oü en temps normal les études de Lettres fleurissent dans une paix profonde, est travaillée d'étranges agitations, dont je n'ai vu, en ma vie, l'équivalent nulle part. On dirait qu'une sorte d'Até! trouble le travail des studieux. [...] Pour moi, si j'ai quelque flair, je pense que l'affaire est menée en collaboration par des conspirateurs et par des dévots, à voir comme, dans tout le pays, sur un signal donné dirait-on, on s'est mis à clamer contre les langues et les *Bonnes Lettres. On se masse en phalange afin d'avoir, 1. Até est la déesse de la discorde, envoyée par Zeus pour répandre la confusion parmi les hommes.

58

L'AFFAIRE

REUCHLIN

contre des adversaires peu nombreux, du moins l'avantage du nombre. On distribue la besogne, envoyant les uns déclamer dans les banquets et les conférences, les autres vociférer devant une plèbe ignorante, à laquelle il est facile d'en imposer ; d’autres discutent dans les écoles ; d'autres distillent leur venin dans les oreilles des grands ; d'autres composent des livres, à *Cologne surtout!, dont l'école a toujours eu des défenseurs obstinés des mauvaises lettres. [...] Les premiers róles dans cette affaire sont tenus par des troupeaux de moines. Comme leur nombre est si grand qu'ils pourraient vaincre le Turc lui-même, ils ont quantité d'émissaires préparés pour cet admirable travail, chargés de répandre sur leur route de vilaines rumeurs ou, dans leurs sermons, d'exciter le peuple à lancer des pierres?.

L'armée des reuchlinistes

En revanche, la présentation des humanistes comme une armée nombreuse, solidaire et offensive, est une nouveauté. Jusqu'alors, les humanistes (surtout italiens par définition) se présentaient plutót comme des poètes isolés, tout au plus comme membres de clubs d'intellectuels (l’Académie de Careggi, celle de Pomponius Latus, la Néakadémia d'Alde Manuce ou les fameuses sodalitates de Conrad *Celtis). S’ils doivent maintenant se constituer en armée, c'est parce qu'ils se sentent menacés à travers Reuchlin, leur père spirituel et intellectuel. Les défenseurs de Reuchlin aimaient d'ailleurs se représenter comme une armée. La formule est évidemment métaphorique — quoique le comte de Neuenahr, Hutten et Franz von *Sickingen n'aient pas répugné à tirer l'épée pour défendre la cause. Bien avant les Lettres, Reuchlin lui-même avait déjà employé cette image dans sa lettre de 1512 à Conrad

Collin aprés la condamnation des *Besicles par la faculté de théologie de Cologne. Trois ans plus tard, en février 1515, *Crotus Rubeanus, auteur supposé d'une partie des Lettres, écrivait à Reuchlin Sois tranquille, tu n'es pas seul. Que les ennemis écrivent, expliquent, attaquent, accumulent les articles?, si ce n'est que par cela qu'ils se font connaitre, ils ne provoqueront que le rire des savants. Appuie-toi sur nous, sur *Mutianus et sa troupe ; parle et ordonne, nous sommes préts.

Mon corps est encore assez solide pour supporter la chaleur et le froid, la faim et la soif, les hauteurs et les montagnes ne me sont pas trop hautes

si c'est pour toi*.

1. Allusion à l'Affaire Reuchlin. Hochstraten venait de publier sa * Destruction de la Kabbale. 2. Erasme, Correspondance, lettre III, 948, du 22 avril 1519.

3. Il s'agit des « articles » dénoncés comme hérétiques dans les ouvrages de Reuchlin. 4. Lettre à Reuchlin de février 1515, citée par Geiger, op. cit., p. 345.

LES

COMBATTANTS

59

Dans les Lettres, tous ces hommes sont évoqués dans le désordre imposé par la forme littéraire. Mais dans la réalité, ils se regroupaient selon de solides réseaux d'affinités, essentiellement

dans les cercles

humanistes des principales villes universitaires, où ils vivaient. Certains de ces cercles étaient de véritables sociétés littéraires possédant des statuts (les sodalitates), mais la plupart n'étaient que des regroupements occasionnels autour d'une université ou d'une cour, dont le protecteur était acquis aux idées humanistes. Il faut prendre le terme « cour » au sens large, pouvant aller de la véritable cour d'un prince (tel Frédéric le Sage électeur de Saxe) ou d'un évéque (*Albert de Brandebourg à Mayence), à la familia d'un grand bourgeois magistrat d'une riche cité (*Pirckheimer à Nuremberg ou *Peutinger à Augsbourg). De plus, ces cercles se modifiaient au gré des déplacements incessants de la plupart de ces humanistes — à commencer par Hutten, qui se trouvait en Italie au moment où les Lettres paraissaient, alors qu'il était « naturellement » lié au cercle d'Erfurt de *Crotus Rubeanus. L'image de la troupe organisée et belliqueuse se retrouve clairement dans certaines lettres, telles que Le tour d'Allemagne d'un antireuchliniste (II, 9, signée Philippe Cocagne). Son malheureux héros y raconte à Gratius (sous la forme d'un long poéme mélangeant l'allemand argotique au latin) comment il a erré à travers l'Allemagne et s'est fait recevoir à coups de poings et de bâtons par tous les humanistes qu'il rencontrait en chemin, jusqu'à ce qu'il trouve finalement un asile auprès des théologiens de Cologne. Cette lettre énumère les noms de pas moins de cinquante-quatre humanistes, répartis dans vingt-trois villes allemandes. Voici son itinéraire : Il commence dans le Nord de l'Allemagne, à l'université de Wittenberg (rencontre avec *Sibutus, *Facha et *Engentinus), d'oü il file vers celles de Rostock sur la Baltique (*Busch), puis de Greifswald (où il ne rencontre personne, à cause de la peste) et de Francfort-sur-Oder (*Trebell et les deux *Osthéne). Il se dirige ensuite vers le Sud jusqu'à Vienne (*Collimitius, *Vadian, *Cuspinianus), puis vers l'Ouest pour arriver à Ingolstadt (*Locher), d'oü il remonte vers le centre de l'Allemagne. Il se rend à Nuremberg (*Pirckheimer), Leipzig (*Croke, *Mosellanus), Erfurt (*Aperbach, *Eobanus Hessus, *Crotus Rubeanus) et Meissen (*Æsticampianus,

*Spalatin). Il parcourt les monts de l'Erz (^Sturnus) et de Franconie (Hutten), avant de retourner dans le Sud à Augsbourg (*Peutinger). Il se dirige ensuite à l'Ouest, vers le Rhin, en parcourant le Wurtemberg. Il ren-

60

L'AFFAIRE

REUCHLIN

contre Reuchlin à Stuttgart, puis *Melanchthon, *Bebel, *Brassicanus et *Vereander à Tübingen. Il traverse le Rhin à Strasbourg (*Gerbell, *Brant, *Schürer), puis rayonne en Alsace. À Sélestat (au sud de Strasbourg), il rencontre *Wimpfeling, *Spiegel, *Kirher, *Sapidus, *Storckius, *Phrygius et *Beatus Rhenanus. À Haguenau (au nord de Strasbourg), il tombe sur *Angst et *Setzer. Il file alors à nouveau vers le Sud en suivant la route de la rive droite du Rhin, qui le conduit d'abord à Fribourg (*Zasius, *Amerbach), puis à Bâle (*Érasme, *Froben, *Glareanus). Il a alors atteint l'extréme sud de ses pérégrinations et va maintenant redescendre le Rhin en sens inverse, en bateau car il suit le sens du courant. Cette fois, il ne s'arréte

pas à Strasbourg et gagne directement Worms (*Fettich), puis Mayence (*Carbach, *Huttich, *Weydmann, *Kônigsteyn). Pendant la traversée, il a l’ultime malchance de rencontrer *Murner, puis parvient enfin à Cologne, pour s’y faire consoler par les théologiens, malgré la présence de Busch (de nouveau), de *Cæsarius et du comte de *Neuenahr. Tous les humanistes se sont donné le mot. Dès qu'ils apprennent que le voyageur est un théologien, ils le rouent de coups. Une autre lettre décrit, plus explicitement encore, les reuchlinistes comme une conspiration organisée. L'auteur du Rapport d'un mouchard (Jean Louchenbois, II, 59), raconte en effet à Gratius qu'il a rencontré

l'imprimeur Froben à la foire du livre de Francfort : Et tout derniérement, je suis allé voir un libraire qui arrivait du HautPays [de Bâle]. Il m'a dit des choses extraordinaires. Et il m'a donné beaucoup de noms et il m'a dit qu'il avait vu leurs écrits qu'ils s'envoient entre eux. Il m'a parlé primo du docteur Murner, qui est en quelque sorte le chef de cette association [...] Aprés, il a nommé Hermann Busch [...] De méme, il a dit ensuite qu'il y a aussi dans cette conjuration le comte de Neuenahr, chanoine de Cologne [...] Il y a également Willibald Je-ne-saisqui [Pirckheimer], qui doit étre à Nuremberg. [...] Il m'a ensuite nommé un poète à Erfurt, qui s'appelle Eobanus Hessus [...] Celui-ci a, dans la même ville, un collègue du nom de Pierre Aperbach. [...] Avec ça, il y aurait à Leipzig un Anglais, qui s'appelle je ne sais pas comment [Croke]. Mais je crois que c'est le méme que celui qui a été à Cologne il y a deux ans. [...] Et Vadian à Vienne [...] De méme, à la cour du cardinal!, il y a un certain Caspar *Ursinus, qui sait faire des poémes en grec. Il a promis son aide à Reuchlin et il veut étre membre de son association. [...] De méme, il a dit qu'il avait entendu dire que Philipp Melanchthon, 1. Le cardinal Matthieu *Lang, archevéque de Salzbourg et reuchliniste convaincu.

LES

COMBATTANTS

61

Jacques Wimpfeling, Beatus Rhenanus et Nicolas Gerbell en font parties [25] Etil a dit qu'ils écriraient à Ulrich von Hutten, qui étudie à Bologne, qui pourrait aussi être l'un d'eux. [...] Alors, j'ai demandé à d'autres si Érasme de Rotterdam en faisait partie. Un certain commerçant m'a répondu en disant : [...] il défend et excuse ouvertement Reuchlin par ses paroles et ses écrits, car il a méme écrit au pape!. [...] Par d'autres, j'ai entendu dire que Paul *Ritius est aussi du nombre. [...] Et il y en a qui disent que Jean Cuspinianus et Conrad Peutinger, qui sont dans les grandes gráces de l'empereur, rejoignent ces associés. [...] Et un étudiant d'Erfurt m'a dit que Conrad Mutianus est le pire de tous ceux qui sont pour Reuchlin.

Il est clair que la conspiration des reuchlinistes est un fantasme des hommes obscurs, car les humanistes ne pouvaient matériellement organiser aucune action collective que ce füt. Cependant, elle n'est que le négatif de la conspiration des théologiens qui, pour leur part, contrólaient réellement les troupes des moines, dominicains en particulier. L’organisation des ordres religieux sur le modèle de l'obéissance militaire n'était pas une vue de l'esprit et elle figurait en général explicitement dans leurs regles. De plus, tous les ordres disposaient d'une structure hiérarchique pyramidale remontant jusqu'à Rome — ceux qui s’y refusaient (les ermites guilelmites par exemple, ou les spirituels franciscains) se voyaient vigoureusement repris en main. La métaphore militaire a encore été employée par Reuchlin lui-méme au verso de la page de titre de la seconde édition des *Lettres des hommes célébres de 1519, sur laquelle on peut lire « Tu trouveras à la prochaine page l'armée des reuchlinistes. Ce sont les défenseurs trés vigoureux de *Capnion, les hommes les plus érudits et les plus brillants de toute l'Allemagne. »? Suit une liste de quarante-deux noms, qu'il est inutile d'énumérer, car on les retrouve à chaque page des Lettres. On notera seulement les louanges que Reuchlin décerne aux trois premiers d'entre

eux D. Érasme de Rotterdam, disculpe Capnion et le défend comte de Neuenahr, modèle homme absolument complet 1. Lettre du 28 avril 1515.

l'homme le plus savant de notre temps, qui partout par ses œuvres divines ; Hermann, de tous les nobles ; Ulrich von Hutten, un dans toutes les disciplines?.

2. Reuchlinistarum exercitum pagina invenies mox sequenti. Capnionis defensores acerrimi, uiri Germanic totius literatissimi splendidissimique. 3. D. Erasmus Roterodamus uir seculi nostri doctissimus, qui Capnionem suis diuinis operibus undique purgat ac defendit. Hermannus Comes de Nuenar, nobilium omnium specimen, Hulderichus de Hutten, uir omni in doctrina absolutissimus (f? a ii).

62

L'AFFAIRE

REUCHLIN

Cette armée, essentiellement germanique, disposait aussi de soutiens à l'étranger. On pensera par exemple à une lettre qu'Erasme envoya à Reuchlin en1516 : Voici quels sont, en Angleterre, les trés savants amis de Reuchlin :

Maitre William *Grocyn, théologien. Thomas *Linacre, médecin du roi. Cuthbert Tunstall, jurisconsulte, chancelier Cantorbéry. William Latimer, théologien.

de l'archevéque

de

John Colet, doyen de Saint-Paul de Londres. Thomas More de Londres, juge et avocat très éloquent. André Ammonius, de Lucques, secrétaire trés savant.

Tous connaissent le grec, excepté Colet!.

Il faudrait rajouter à ce réseau anglais William Warham, évéque de Cantorbéry et John Fisher, évéque de Rochester, pour qui Érasme traduisit méme le *Pamphlet (Streytpuechlyn) de Pfefferkorn en latin. Fisher comptait d'ailleurs parmi les partisans les plus inconditionnels de Reuchlin. Voici ce qu'Érasme écrivait à son propos à Reuchlin : [...] L’évêque ne m'envoie pas une lettre où il ne te mentionne dans les termes les plus flatteurs. [...] Il avait décidé de passer sur le continent ; c'était avant tout pour pouvoir s'entretenir avec toi, tant il est possédé du désir de savoir et de te voir [...] Tu ne l'ennuiras pas en lui écrivant souvent et j'en dirai autant pour Colet. Tous deux ont pour toi la plus grande

sympathie?.

Dans son * Éponge. ..? (1523), Érasme dira de Fisher : « Il se meurt presque du désir de Capnion. » On ajoutera encore à cette liste prestigieuse le cardinal archevéque d' York, Thomas Wosley, et le diplomate

Richard Pace, ami fidèle d’Érasme.

Érasme, qui avait ses entrées chez les grands de la Cour romaine, ne

ménagea pas ses efforts pour y rassembler des alliés importants (ou en tout cas les convaincre de non-belligérance). Il écrivait en 1515 au cardinal *Riario :

1e Érasme, Correspondance, lettre II, 471, du 29 septembre 1516. 2. Erasme, Correspondance, lettre II, 457, du 27 août 1516.

3. Spongia adversus aspergines Hutteni, Bále, Froben, 1523, f? C2r.

LES COMBATTANTS

63

Je mets un accent plus pressant à te supplier et à te conjurer, au nom des *Bonnes Lettres, [...] de faire que Johann Reuchlin ait le sentiment que vous étes impartiaux et bienveillants. Par cette attitude méme, vous mériterez bien de la littérature et de tous les lettrés qui tous et chacun, dans la mesure de leur grande érudition, mettent une grande énergie à militer pour lui. C'est envers lui que se trouve en dette toute l'Allemagne, dans laquelle il a le premier éveillé le goût pour les études grecques et

hébraiques [...]!

Puis au cardinal *Grimani (l'un des deux juges chargés de l'affaire Reuchlin) : [...] à propos d'un homme extrémement grand, Johann Reuchlin. [...] Il était juste que, arrivé en quelque sorte à l'automne de sa vie, un homme formé à tellement de langues, à tellement de disciplines, répandit dans le monde entier la riche provende de son génie. [...] et voilà que j'entends dire que sont survenus je ne sais quels inconnus qui, ne pouvant par eux-mémes rien réaliser de reluisant, ternissent sa gloire par un biais qui est le comble de la perversité. [...] Dire que d'un libelle, mais non, d'une lettre, d'ailleurs écrite en allemand, une telle quantité de remous ait été soulevée [...]?

Il sollicita enfin le pape *Léon X lui-méme, en lui glissant des remarques tres élogieuses sur Reuchlin au milieu de la lettre par laquelle il lui proposait la dédicace de son édition de saint Jéróme?. D'ailleurs, le pape Médicis ne fit jamais mystère (sauf après novembre 1517) de sa sympathie pour la cause de l'humaniste, fortement encouragé par les érudits hébraisants de son entourage, le général des augustins*Gilles de Viterbe, Pierre *Galatinus et Georges *Benignus. Peut-on tracer un profil de ces reuchlinistes ? Ils provenaient de milieux sociaux trés variés. Certains étaient des roturiers pauvres (Caesarius, Brassicanus), d'autres de grands bourgeois membres des élites municipales (Pirckheimer, Peutinger), ou des nobles (Hutten, Neuenahr). Beaucoup étaient des clercs séculiers (Crotus Rubeanus, Conrad Mutianus), mais aussi réguliers (Murner, *Urbanus) — il est vrai que l'on n'y trouvait aucun dominicain. On pourrait méme y rajouter des tétes couronnées (princes, empereur) et des trés hauts dignitaires de l’Église (cardinaux, voire le pape). Beaucoup d'entre eux devaient leur statut social à leurs capacités intellectuelles (juristes, professeurs, 1. Érasme, Correspondance, lettre II, 333, 146 sqq., du 15 mai 1515. D Érasme, Correspondance, lettre II, 334, 242 sqq., (méme date). 3. Érasme, Correspondance, lettre IL, 335, 415-420, du 21 mai 1515.

64

L'AFFAIRE

REUCHLIN

souvent itinérants), et la plupart dépensaient beaucoup d'énergie pour obtenir la sécurité matérielle par l'obtention de *bénéfices. En somme, la variété de leur recrutement reflétait celle des humanistes. On a donc affaire à un groupe beaucoup moins défini économiquement et socialement que celui des hommes obscurs. Qu'avaient-ils donc en commun ? Il serait peut-étre anachronique de répondre, avec les érudits du xIx° siècle : le goût de la liberté de pensée, ce qui est une projection rétrospective de l'esprit des Lumiéres ou des rationalistes anticléricaux modernes. Cependant, la lecture de leurs ouvrages et de leurs correspondances révèle des préoccupations constantes chez ces hommes, des attitudes pourrait-on dire. Ils se définissaient généralement par une attitude double : un goüt immodéré pour les *Bonnes Lettres et pour l'élégance de la langue (latine naturellement) accompagné d'une indignation permanente contre ceux qui s'y opposaient au nom d'une autorité usurpée. Ce probléme d'autorité était l'une des clés de leur révolte. On en trouve des illustrations comiques dans les Lettres, par exemple à propos des étymologies barbares (lettres I, 25 et II, 56), utilisées par Hutten comme métonymies de la démonstration suivante : si les scolastiques appuient leur langue sur des étymologies délirantes, les auteurs (auctores) qu'ils invoquent ne peuvent être que délirants eux aussi. Ils avaient alors beau jeu de montrer que le lien organique unissant la grammaire modiste à la logique scolastique était bien la cause principale des errements des *débats quodlibétiques. Les humanistes ne rejetaient aucunement l'autorité. Ils en avaient méme, aux yeux des modernes, une conception trés traditionnelle, dans le sens qu'ils ne la reconnaissaient qu'à des « auteurs » investis par des textes « consacrés », qu'ils fussent religieux ou profanes (ils accordaient à Cicéron et à Virgile à peu près le méme statut qu'à la Bible). D’où leur lutte incessante pour la restitution et la correction des textes antiques. Puisque c'est à l'aune de la langue qu'ils reconnaissaient l'auctoritas d'un auctor, la philologie devenait logiquement la condition sine qua non de la philosophie (y compris chrétienne, comme l'a montré Érasme). Leurs prises de positions esthétiques les conduisaient donc à des prises de positions éthiques, donc politiques et finalement religieuses (comme le montra Luther). Il serait absurde d'avancer que les humanistes ont défendu Reuchlin par seul souci de l'élégance de la langue, mais c'est cela qui explique pourtant que nombre d'entre eux aient pu mépriser cordialement les juifs et leur religion — les Défenses de Reuchlin publiées par *Galatinus et *Benignus s'affichaient encore comme des dénonciations de la « perfidie des juifs ». Reuchlin n'a pas défendu les juifs parce qu'il

LES

COMBATTANTS

65

les aimait, mais parce que la destruction de leurs livres constituait un déni de justice — et de religion. Cette attitude mettait fréquemment les humanistes en opposition avec les autorités institutionnelles, intellectuelles et religieuses, de leur époque. Les conflits évoqués dans les fameux « débats humanistes-scolastiques! » en témoignent. Toute contestation du discours dominant des facultés de théologie risquait en effet de mettre en péril l'ensemble de l'édifice universitaire. Mais l'orthodoxie dogmatique n'était pas seulement une question théorique. Elle était du ressort d'un appareil judiciaire autonome, confié à l'Inquisition. C'est la raison pour laquelle les luttes entre les écoles scolastiques furent si acharnées. C'est aussi la raison pour laquelle la définition (et l'extirpation) de l’hérésie fut l'une des tâches majeures des facultés de théologie médiévales — et perpétuellement recommencée, car sans l'existence de l'hérésie, l'Inquisition perdait sa raison d'étre. Le tournant de 1514 de l'Affaire Reuchlin en fournit un bel exemple, lorsque Hochstraten, qui attendait patiemment son heure depuis cinq ans, put enfin inculper Reuchlin devant le tribunal inquisitorial de Mayence, gráce au dossier fourni par la faculté de théologie de Cologne, dont il était le doyen. Les humanistes ne présentaient pas le probléme en ces termes, mais la virulence des attaques dont ils furent les objets — et de leurs ripostes — ne s'explique que par l'hostilité de cet environnement, et non par une structure psychologique particulièrement agressive. Les styles polémiques trés violents de Reuchlin ou d'Érasme en sont des exemples frappants, au regard de leur vie quasi contemplatives.

II. LES LETTRES

1. Les thèmes Les Lettres des hommes obscurs traitent à peu près sans exception de l'Affaire Reuchlin. Il est clair qu'elles ont été rédigées et publiées pour défendre l'humaniste et que, sans cet enjeu, elles n'auraient pas vu le jour — en tout cas pas sous cette forme. Cependant, leur force satirique vient non moins évidemment du fait qu'elles ont toujours l'air de parler d'autres choses et que Reuchlin n'y est souvent cité qu'incidemment, presque par hasard. 1. Pour reprendre le titre de l'essai d'Erika Rummel sur ce sujet.

66

LES

LETTRES

De ce fait, elles abordent une infinité de sujets, dont l’éventail va de la haute scolastique (*albertistes contre *thomistes) jusqu'aux déboires sexuels des moines, sans oublier la constipation de l'éléphant du pape, etc. Cette astuce littéraire a, pour nous, l'avantage de plonger le lecteur dans la vie de l'époque, avec son comique et son tragique, vue par les yeux des contemporains, avec la saveur et la langue d'un roman réaliste. Les 118 lettres constituent ainsi autant de tableaux de la vie quotidienne dans les premières années du xvr siècle (ou si l'on préfère, à la veille de la Réforme). C'est pour cette raison que j'ai cru utile de donner un titre à chaque lettre (qui ne figure pas dans l'original). Ces titres permettent de repérer le sujet principal abordé dans la lettre, — ce « sujet » n'étant qu'un prétexte pour en venir au « vrai » sujet : l'Affaire Reuchlin. Cependant, certains des thémes sont abordés avec une telle insistance que le lecteur comprend bien qu'on s'engage également dans la dénonciation des causes, parfois lointaines (par exemple la domination de la scolastique), de la situation actuelle. Certains thèmes apparaissent aussi de façon récurrente, pour les besoins de la polémique, ou parce que les questions évoquées étaient particuliérement pressantes pour les contemporains (les indulgences, les guerres...). Elles braquent donc souvent le projecteur sur des événements qui ont été largement oubliés — surtout en France (l'affaire des dominicains de *Berne, par exemple) — et qui nous éclairent mieux sur les « mentalités » de l'époque que de savants traités académiques. Si l'on tente de repérer le sujet principal (le prétexte) de chaque lettre, comme je l'ai fait en donnant à chacune un titre, on peut considérer qu'ils se regroupent autour de huit grands thémes principaux, qui courent dans les deux volumes : 1. La littérature, les universités (27 lettres). . Les débats scolastiques (23 lettres). . La vie dissolue des religieux (15 lettres). . L’Affaire Reuchlin (18 lettres). . L'armée des reuchlinistes (18 lettres). . L'armée des anti-reuchlinistes (12 lettres). . La magie noire et la médecine (6 lettres). OO Ui ND À I Q © . Les mœurs de la *Cour romaine (6 lettres). L'addition de tous ces chiffres donne un total supérieur à 118, parce que certaines lettres abordent plusieurs sujets « principaux ». Voici leur liste :

La littérature, les universités I, 6 : Gratius a raison de supprimer les accents du grec I, 11: La logique est la reine des sciences

LES THÈMES

67

E 15 I, 18 I, 20 E/25 I, 28 I, 30 I, 46

: L'art de rédiger les lettres avec élégance : Cantique en l'honneur de saint Pierre : Le curriculum vite d’un candidat secrétaire : Leçon de grammaire « modiste » : La mythologie grecque expliquée par la Bible : Un sermon à la mode de Paris : Les brillants théologiens thomistes de Heidelberg 1 AZ Lettre poétique à la manière d'Ovide IE 13 : On ne peut pas étre membre de 10 universités ! (objection grammaticale) II, 18 : Pourquoi Pfefferkorn sait le latin sans l'avoir appris (réponse à une objection) IE, 23 : Qu'est-ce qu'un maitre ès arts ? (débat grammatical) 1E 22 : J'ai composé un petit poème en l'honneur de Hochstraten II, 29 : Not’ Maitre de Gelterfiheim est un escroc IM,34 : Les humanistes font rien que critiquer notre latin ! IL, 35 : Vive les vieux manuels scolaires ! II, 36 : Admirez les progrès notables de mon style depuis ma dernière lettre ! IL, 41: Gratius le cancre est devenu un homme

célèbre II, 44 : Homère en grec ne vaut rien II, 45 : Qu'est-ce qui distingue vraiment les thomistes des albertistes ?

II, 46 : La littérature, c'est la ruine des universités SC: Les humanistes ridiculisent nos prophéties IL 52: : Gratius est un grand savant, car il a beaucoup de livres IL, 56 : Leçon d'étymologie savante 1b 35^ Autrefois, c'était le bon temps à l’université de Leipzig, mais maintenant, les humanistes cassent le métier

II, 69 : Qu'est-ce donc que la Kabbale ? Les débats scolastiques I, 1: Faut-il dire Not Maîtrisant ou Maít^Notrisant ? I, 2 : Est-ce un péché de confondre des juifs avec des théologiens ? I, 7 : Faut-il étudier Virgile, Cicéron et Pline ?

Lr15* briós 1926: II3U5 Pete 12585 Li425

Gratius baise la femme de Pfefferkorn Gratius est-il vraiment un bátard ? Les juristes doivent-ils s'incliner devant les théologiens ? Vaut-il mieux compicoler que lire la Bible ? Le prépuce des juifs repousse-t-il s'ils se convertissent ? Que signifie le nom de Gratius ? Érasme est un tocard

68

LES

LETTRES

II, 1 : Pourquoi les hommes obscurs sont-ils obscurs ? IL, 10 : Martin de Groningue, qui traduit les Besicles en latin, est un âne IL, 17 : Peut-on m'obliger à boire contre mon gré ? (débat juridique) II. 25 : Pfefferkorn n'est pas plus mauvais chrétien qu'Arnold de Tongres n'est sodomite IL, 26 : A-t-on le droit de manger le poussin dans un ceuf un vendredi ? II, 28 : Je réfute dix thèses d'un reuchliniste, (argumentaire théologique) II, 30 : Faut-il pendre les Besicles ou les brûler ? II, 43 : (début) Les réguliers sont supérieurs aux séculiers II, 47 : Quatre débats quodlibétiques : 1. Pourquoi les dominicains ont-ils une grosse voix ? 2. Saint Thomas est-il supérieur à saint Dominique ? 3. Pfefferkorn restera-t-il chrétien ? 4. Les noms propres ont-ils un pluriel ?, II, 60 : (milieu) Les maitres du premier cycle sont supérieurs aux docteurs en droit II, 61 : Gratius est-il vraiment un bátard du bourreau d' Halberstadt ? II, 63 : (milieu) Toute la science se trouve sous la cuculle II, 67 : Le vin, la musique et les femmes

La vie dissolue des religieux I, 4 : Le frère précheur qui a sauté dans la merde I, 9 : Comment se porte la maitresse de Gratius I, 13 : Gratius baise la femme de Pfefferkorn I, 21 : Mes amours avec Dorothée I, 23 : Les amours adultéres de Gratius I, 43 : J'ai trop travaillé du goulot à Heidelberg I, 44 : Comment les théologiens de Leipzig font la féte I, 45 : Arnold de Tongres serait disposé à partager la maîtresse de Gratius I, 47 : Le Catalogue des crimes des dominicains I, 49 : Le lupanar du couvent de Colmar II, 22: Ah ! qu’ils sont bons, les gros gardons de Berlin ! II, 39 : La vie sexuelle débridée d'Ortwin Gratius II, 62 : Conseils du bourreau d' Halberstadt à son neveu théologien II, 64 : Si l'Inquisition s'occupait plutót des chanoines II, 66 : La joyeuse vie qu'on a menée chez les dominicains de Wimphen

L'Affaive Reuchlin I, 8: La publication des *Actes des Parisiens I, 12 : Le pape va-t-il confirmer le jugement de *Spire ?

LES THEMES

I, 24 Venise I, 29 I, 48 IL, 4 II, 5

69

: La publication de la Défense de Reuchlin. La guerre contre

: Encouragement à Gratius pour qu'il publie contre Reuchlin : Les souffrances de l'Inquisiteur Hochstraten à Rome : Ca va mal pour Hochstraten à Rome : Il y a quand méme de l'espoir pour Hochstraten II, 6 : Hochstraten est réduit à la misère IL, 7 : Reuchlin a empêché les théologiens de racketter les juifs IL, 20 : Il parait que le nouvel évêque de Cologne est un reuchliniste ! IL, 21 : Gratius ne doit pas utiliser Pfefferkorn comme préte-nom II, 32. Hochstraten serait capable de convertir les Turcs IL, 34 : Reuchlin a la vue qui baisse et il doit porter des lunettes II, 49 : Érasme est un hérétique et les Besicles vont étre traduits en latin II, 54 : La lettre des théologiens de Louvain au pape fait du tort à notre cause II, 57 : Les dominicains veulent se faire musulmans

II, 60 : Le proces de Rome tourne mal pour les théologiens II, 70 : C'est Pfefferkorn qui a inspiré les théologiens de Cologne L'armée des reuchlinistes I, 3 : Beuverie chez Georges Sibutus I, 10 : Un poète noble I, 22 : Les contestataires de Mayence contre Meyer IL 32: Hermann

Busch

I, 35 : Les hellénistes anglais : Linacre, Grocyn et Croke I, 39 : Hermann Busch ne comprend rien aux allégories IL, 3 : Thomas Murner défend Reuchlin II, 14 : Les objections d'un curé reuchliniste II, 24 : Ceux de Rostock soutiennent Reuchlin

IL, II, IL, vente II,

30 : (suite) L'université de Vienne est infiltrée par les reuchlinistes 38 : À Bâle, les poètes Érasme et Glareanus défendent Reuchlin 43 : (fin) Le prédicateur reuchliniste de la cathédrale sabote la des indulgences 51 : La fin du monde est proche

IL, 53 : Mort à Jean de Wick, le défenseur de Reuchlin ! II, 55 : (début) Liste des reuchlinistes de l'Auberge de la Couronne de

Mayence II, 59 : Rapport d'un mouchard de Francfort sur l'armée des reuchlinistes II, 63 : Les cucullés vaincront l'humaniste Wimpfeling II, 68: Sus à Érasme !

70

LES LETTRES

L'armée des anti-veuchlinistes I, 5 : Pierre Meyer, curé de Francfort I, 14 : Heckman de Franconie, contre Hutten, à Vienne I, 17 : Andreas Delitzsch, contre Æsticampianus, à Leipzig I, 19 : Not? Maitre Sotphi, régent du collége de Kuijk I, 27 : Barthélemy Zehender, prédicateur à Mayence I, 36 : La vraie nature de Pfefferkorn, et de sa femme... II, 9 : Le cauchemardesque tour d'Allemagne d'un anti-reuchliniste II, 11 : Thomistes et albertistes rivalisent de zèle contre Reuchlin II, 12 : Récit d'un voyage agité de Cologne à Rome II, 33 : Plan de contre-attaque de l'armée des théologiens contre les humanistes, les juifs et les grecs II, 37 : Les théologiens parisiens prennent parti contre Reuchlin, malgré Guillaume Cop et Lefèvre d'Étaples II, 55 : (fin) Liste des anti-reuchlinistes de l'Auberge de la Couronne de Mayence

La magie noire et la médecine I, 33. Comment soigner la maladie d'amour ? I, 34 : Réponse de Gratius : il faut échapper aux femmes ! I, 40. Comment soigner Gratius qui est malade ? I, 41 : Gratius a été envoüté par une sorcière libidineuse IL 42 : Cours de nécromancie amoureuse II, 65 : Leçon de magie noire

Les mœurs de la Cour romaine II, 8 : Comment va le monde, vu par un fonctionnaire de la Cour romaine IL, 15 : Les études de droit à Rome, c'est plus lucratif que la théologie II, 16 : Je vous envoie un chapelet en corne de buffle qui fait des miracles et une chose qui protége des morsures de serpent par la gráce spéciale de saint Paul II, 19 : La dure vie d'un étudiant allemand qui fait son droit àRome II, 40 : Les trois procès des théologiens allemands à Rome II, 48 : Derniéres nouvelles de l'éléphant du pape, du traité de Noyon et de l'idéal du bonheur d'un curé de campagne x

Si l’on voulait brosser le décor complet à l’intérieur duquel se jouent les Lettres, il faudrait dresser une liste des conflits (larvés ou ouverts) qui

LES THEMES

71

opposaient les divers groupes de la société universitaire et religieuse de l'époque. J'en citerai quelques-uns pour exemples, dont chacun mériterait à lui seul des développements considérables : — humanistes contre scolastiques, — docteurs en théologie contre simples maitres és arts, — universités récentes contre anciennes (par exemple Rostock contre la Sorbonne), — universités allemandes contre la *Sapienza de Rome (accusée de vendre les diplómes), — facultés de théologie contre facultés de droit (pour l'obtention de postes lucratifs), — clergé séculier contre régulier (pour l'obtention des *bénéfices et des gratifications en nature des fidèles), — ordres mendiants contre contemplatifs (à l'intérieur du clergé régulier), — *observants contre conventuels (à l'intérieur des ordres mendiants), — rivalités entre les ordres mendiants (par exemple pendant la grande lutte théologique sur l'immaculée conception, donc lors de l'affaire des faux miracles de *Berne) : - pour la vente des indulgences (les augustins (Luther) n'en vendant pas, les dominicains (Tetzel) en faisant un commerce lucratif), - pour le contróle des facultés de théologie (statu quo entre dominicains et franciscains à Paris, monopole dominicain à Cologne, monopole franciscain en Angleterre), - pour le contróle de l'Inquisition (aux mains des franciscains en Espagne (Ximenez de Cisneros), des dominicains en Allemagne (Hochstraten), etc.) Tous ces conflits ne sont mentionnés ici que pour mémoire. En revanche, il est indispensable de présenter sommairement l'organisation et le fonctionnement des deux grands ensembles « institutionnels » au milieu desquels les hommes obscurs évoluent, à savoir les universités et la Cour de Rome.

2. Les lieux Les universités Au début du xvr? siècle le monde

des universités était dans une

période à la fois d'expansion et de déclin.

72

LES

LETTRES

La fin du Moyen Âge avait vu la création d'une vingtaine d’universités nouvelles dans l'est du Saint Empire, suivant la croissance des besoins en administrateurs et en cadres politiques. Il y avait donc une rivalité de fait entre les anciennes universités (Paris, Cologne) vieilles de plusieurs siècles et les nouvelles (Wittenberg, fondée en 1502 ou Francfort-sur-Oder, fondée en 1506), qui n'avaient que quelques années d'áge et cherchaient à s'imposer. Or, l'organisation des études était (théoriquement) uniforme dans toutes les universités et leurs statuts étaient calqués en dernière instance sur ceux de Paris. Pour les nouvelles universités, l'un des moyens de s'émanciper avait été de créer dans les *facultés des arts des enseignements de type nouveau (humaniste), intitulés généralement de « *poésie » ou de « rhétorique » et comportant parfois le grec. Mais il fallait compter avec l'opposition énergique des docteurs en théologie. Le conflit éclatait parfois dans des universités anciennes (*Pierre de Ravenne chassé de l'université de Cologne, *Æsticampianus de celle de Leipzig). Cependant, beaucoup de témoignages signalent une nette baisse de fréquentation des universités à partir de la seconde moitié du Xv* siècle. On les retrouve dans les Lettres (par exemple II, 58 : Autrefois, c "était le bon temps à l’université de Leipzig). L'analyse du phénomène est délicate, car on ne dispose que de peu de données chiffrées sur les effectifs. Les humanistes affirmaient que la cause en était le dégoüt des étudiants pour l'enseignement scolastique.

Le déroulement des études La structure globale des universités médiévales est bien connue. Elles comportaient deux cycles trés distincts. Le premier cycle (élémentaire) se nommait *faculté des arts. Il était sanctionné par un *baccalauréat (és arts) et par une *maîtrise (ès arts). Il correspondait à peu prés au cycle qui va chez nous de la classe de seconde jusqu'au deug. Une fois parvenu à la maîtrise ès arts, l'étudiant pouvait poursuivre ses études dans une des trois facultés supérieures (droit, médecine, théologie). Seule une infime minorité se lançait dans l'aventure, qui exigeait une quinzaine d'années d'études supplémentaires et des frais considérables. Sur les questions de statuts, on se référera particuliérement à la lettre II, 46 (La littérature, c'est la ruine des universités). De plus, nous avons la chance de posséder plusieurs statuts de l'université de Leipzig au XV* siécle, ainsi qu'un dialogue intitulé La Langue latine pour les nouveaux étudiants! ,qui explique les règles de la scolarité à la faculté des 1. Latinum ydeoma pro novellis studentibus. Ce dialogue fut publié par Zarncke sous le titre Manuele scholarium, dans Die deutschen Universitáten..., pp. 1-48, puis récemment par Gerhard Streckenbach, dans « Paulus Niavis... ».

LES

LIEUX

73

arts de Leipzig. Ce dialogue fut sans doute composé par Paul *Niavis à l'attention des étudiants débutants. À quelques détails prés (de terminologie par exemple), ces régles étaient identiques dans toutes les universités. La faculté des arts dispensait les sept « *arts libéraux », répartis théoriquement en deux cycles successifs : le trivium (connaissances de la langue : *grammaire, rhétorique et dialectique), suivi du quadrivium (connaissances mathématiques : arithmétique, géométrie, astronomie et musique). L'enseignement consistait en leçons (/ectiones), exercices (exercitia et resumptiones), débats ordinaires, extraordinaires et du soir (disputationes ordinarie, extraordinariæ et serotinæ) et examens (examina). Selon les statuts de Leipzig de 1436, les candidats *bacheliers étaient censés avoir assisté aux cours sur : — les quatre premiers traités des Petites Sommes logiques de *Pierre d'Espagne (Summuleæ logicæ) et le 7° traité, connu sous le nom de Penites Logiques (Parva logicalia) ; — ]e Petit Priscien (Priscianus minor ou brevior), c'est-à-dire les livres 17 et 18 des Institutions grammaticales de *Priscien (Institutiones grammaticæ), qui étaient alors comptés comme livres I et II ; — la Technique ancienne (Vetus ars), citée dans la lettre I, 10, qui comprenait : les Catégories d' Aristote (Liber predicamentum), De l'interprétation d'Aristote (Peri hermeneias, nommé également De interpretatione), et l'Isagoge de Porphyre commentant les Catégories ; — ]a Nouvelle Logique (Nova logica) : Livres des premiers et des seconds (Libri priorum et posteriorum), c'est-à-dire les Premiers et Seconds Analytiques et les Topiques d' Aristote ; — ensuite, venait le Liber elenchorum, ou De sophisticis elenchis (livre 9 des Topiques), la Physique (Liber phisicorum) et De l'àme (Liber de anima), selon les traductions correspondantes des écrits d'Aristote ; — enfin, les ouvrages grammaticaux traditionnels : en premier lieu le Petit Donat (Donatus minor), sous lequel on comprenait la premiére partie de la Technique de la grammaire (Ars grammatice) de *Donat, qui était intitulé Perite Technique des parties de la raison (Ars minor de partibus rationis), et destiné au cours des débutants ; — ou bien à sa place : la Seconde Partie du * Manuel (Doctrinale) d'Alexandre de Villedieu (Secunda pars Alexandri), qui traite du régime des voyelles (regimen vocum) et de la construction (constructio), et éventuellement aussi le *Fleuriste (Flores grammatice, nommée Florista), du

chanoine de Hildesheim Ludolfus de Luckowe.

74

LES

EETTRES

Ce canon de cours était complété par un quelconque livre de rhétorique (Liber in rhetorica), généralement aussi d’après Aristote, et par l'Algorismus, un livre de calcul de Jean de Sacrobosco (John of Hollywood), ainsi que par une /ectio de musique. Les leçons étaient accompagnées d'exercices obligatoires. Si on devait avoir participé une fois aux Petites Logiques, à la Sophistique, à la Nouvelle Logique, à la Physique et à l’Âme, on devait avoir participé deux fois aux Techniques anciennes (voir supra). On constate donc aisément que la part accordée aux apprentissages de la langue (grammaire) et du style (rhétorique) était infime par rapport à la logique (dialectique). Cela explique la faiblesse insigne des étudiants dans le maniement du latin. Quant aux disciplines mathématiques, elles étaient également réduites à la portion congrue. En ce qui concerne les textes utilisés, en Europe du Nord, il n'était pas question d'apprentissage du grec.*Lefèvre d'Étaples, qui enseignait au collége du Cardinal Lemoine de Paris en utilisant les textes grecs d'Aristote, était considéré comme un marginal frisant l'hétérodoxie. Les textes utilisés étaient les trés lourdes traductions médiévales, du type de celles du dominicain Guillaume de Moerbeke, dont le scrupuleux mot à mot amenait souvent le lecteur au franc contre-sens. Les humanistes, depuis Chrysoloras et Leonardo Bruni, avaient violemment dénoncé ces traductions abstruses, mais leur influence dépassait trés rarement la péninsule italienne!. À Leipzig, en 1516 encore, il était stipulé de lire Aristote dans l'ancienne traduction à partir de l'arabe ou éventuellement du grec, « tant en raison de sa fidélité que de ses trés féconds et trés savants traducteurs, dont on dit qu'ils font défaut à la nouvelle »?. Les débats scolastiques L'ensemble du systéme d'enseignement avait son couronnement dans la pratique du « *débat » (disputatio), qui était la plus importante forme d'étude de l'université médiévale. Selon les statuts de 1423, les candidats au baccalauréat és arts devaient avoir été présents à trente débats ordinaires pendant le temps d'argumentation de cinq maitres, et aussi avoir répondu à six débats ordinaires ou extraordinaires. Chaque maitre promu à l'université de Leipzig était obligé de débattre ordinarie pendant dix ans aprés sa promotion, s'il ne voulait pas perdre son statut et ses droits à la faculté. Les bacheliers, aussi 1. On se reportera, sur ce sujet, à mon ouvrage La Bataille du grec..., particulièrement au chapitre 2. 2. cum ob eus dicunt fidelitatem tum propter ipsius copiosissimos et doctissimos interpretes, quibus carere dicunt novam. Cité par Streckenbach, dans « Paul Niavis... », 1970, p. 161.

LES LIEUX

75

longtemps qu’ils aspiraient à la maîtrise, devaient participer le dimanche à des débats, dans lesquels on traitait de *sujets (quæstiones) tirés de la Logique ou de la Physique d’Aristote, ou de sophismes logiques et grammaticaux. C’est la raison pour laquelle ils n’avaient pas le droit de quitter Leipzig pendant deux années entières. Les sujets en question étaient arrivés au cours des siècles à des degrés de subtilité dont on aura une idée par quelques exemples : « Il existe certains êtres vivants, dont aucun n’est un être vivant » ; « Socrate est un homme très savant, qui n’est pas un homme très savant » ; ou « Sans limite, Socrate peut porter un poids »!. Rabelais en a laissé un pastiche célèbre, et hélas ! vraisemblable, avec son : « Une chimère voletant dans le vide

peut-elle manger des intentions secondes ?? » À cóté des débats officiels avaient lieu les débats du soir (disputationes serotince) destinés aux débutants, qui se tenaient aprés manger dans les colléges ou pensionnats. Dans ce domaine, l'événement le plus important de l'année scolaire était le célèbre Polylogium de quatorze jours, grand combat de discours dans lequel méme les plus hautes facultés participaient aux débats quodlibétiques. Certains lecteurs pourraient penser que les débats (notamment quodlibétiques) présentés dans les Lettres sont des caricatures outrancières. Voire ! dirait peut-étre Panurge. Voici en effet ce qu'en disait Juan Luis Vivés, une dizaine d'années plus tard, dans Les Causes de la corruption des savoirs : Ou alors, quelqu'un dirait seulement : « Écris-moi ! ». Et voilà le sujet : — Est-il de grammaire, ou plutót de dialectique ? — Et si ce n'est pas de dialectique, n'est-ce pas plutót de physique : « Quel serait le moteur d'écrire ? » — ou plutót de métaphysique : « Est-ce une substance ou un accident ? » Car aujourd'hui, les enfants apprennent les premiers rudiments de la dialectique, alors qu'ils ont été admis à l'école hier ou avant-hier. Ces débutants sont ainsi accoutumés à ne jamais se taire et à affirmer avec assurance tout ce qui leur passe par la téte, de peur d'avoir l'air de manquer d'arguments. Et il ne suffit pas de faire un débat par jour, ou deux, comme les repas. Ils débattent avant le déjeuner, ils débattent aprés le déjeuner, ils débattent avant le diner et ils débattent apres le diner. Est-ce pour apprendre, ou pour digérer, qu'ils font cela ? Ils débattent à la maison, ils 1. Aliqua sunt animalia, quorum nullum est anima ; Socrates est sapientissimus homo, qui non est

sapientissimus homo ; Infinitus pondus potest Socrates portare (ibid.) 2. Utrum chimera bombinans in vacuo possit comedere secundas intentiones ? (Pantagruel, VII, que

Voltaire reprit dans son Dictionnaire philosophique portatif, article : « Athée, athéisme »).

76

LES

LETTRES

débattent dehors, à table, au bain, au bain de vapeur, à l'église, en ville, à la campagne, en public, en privé, ils débattent en tout lieu et en tout temps. Les putains ne se bagarrent pas aussi souvent sous la main de leur maquereau, ni les gladiateurs ne combattent sous la poigne de leur entraineur, pour l'appát du gain, que ces petits sous la férule de leur professeur de philosophie. Ce peuple, qui n'est pas grave et calme, mais léger, barbare et belliqueux, s'en délecte merveilleusement, comme du spectacle de la boxe.

[sax] D'abord, ce sont les cris jusqu'à l'enrouement, puis les injures, les grimaces, les menaces, les invectives pendant le combat, et chacun tente d'abattre l'autre. Quand les mots sont épuisés, on en vient aux poings et, aprés le combat fictif et simulé, on passe au combat réel. Et on se comporte ici comme au gymnase, sans oublier les coups de poings, gifles, crachats, coups de pieds et morsures, ni ce qui est interdit au gymnase : bátons, couteau, beaucoup de blessés, parfois des morts!.

S'il voulait accomplir toutes ses obligations, l'*artien n'avait pas un instant libre dans sa journée. Les statuts de Leipzig de 1436 obligeaient expressément les étudiants à suivre les cours attentivement dans le livre qui faisait l'objet de la leçon (audire cum diligentia in libro, qui legitur), à ne pas manquer sans motif raisonnable (causa rationabilis) trois heures de leçons consécutives, à ne pas assister à deux leçons différentes en méme temps (!), et surtout à assurer par serment qu'ils y avaient consacré tout le temps requis. En 1471, il fut rajouté que les leçons et exercices devaient être exécutés intégralement sans tricherie ni fraude (sine dolo et fraude). On nommait completio l'achévement de la totalité des obligations d'études. Il va sans dire que l'étudiant avait besoin, pour justifier sa participation au cycle des études, des diverses attestations, reconnaissances (reco1. « Dicas vel hoc solum Scribi mihi ; hic queestio, si non ex grammatica, at ex dialectica, si non ex dialectica, at ex physicis, qui motus sit scribere ; ex metaphysicis, substans an inhærens : atqui pueri isti nunc audiunt prima dialecticee rudimenta, heri, aut nudiustertius in ludum admissi : sic sunt

tirones isti assuefaciendi nunquam tacere, fortiter asseverare quidquid in buccam venerit, ne quando videantur cessisse. Nec una disputatio uno sufficit die, aut gemina, sicut refectio ; sub prandium altercantur, pransi altercantur, sub cenam altercantur, ceenati altercantur ; agunt hec ut discant, an ut concoquant ? Domi altercantur, foris altercantur, in convivio, in balneo, in vaporatio, templo, urbe, agro, in publico, in privato, omni loco, omni tempore altercantur ; non toties sub lenone rixantur meretriculee,

aut sub lanista dimicant gladiatores, appetente munere, quoties isti sub magistro philosophice : populus, non ille moderatus et gravis, sed levis, barbarus, bellax, hac velut pugnee specie mirifice delectatur [...] Clamores primum ad ravim, hinc improbitas, sannæ, mince, convicia, dum luctantur, et uterque alterum tentat prosternere ; consumptis verbis venitur ad pugnos, ad veram luctam ex ficta et simulata ; quin

etiam, quee contingunt in palestra, illic non desunt, colaphi, alapæ, consputio, calces, morsus ; etiam quee Jam supra leges palcestree, fustes, ferrum, saucii multi, nonnunquam occisi. (Vives, Opera omnia, De disciplinis libri XX, in tres tomos distincti, Mayans y Síscar, Valencía 1785, De causis corruptarum artium, L. 1, chap. VII, pp. 50-51).

LES LIEUX

71

gnitiones) ou lettres justificatives (ittere testimoniales), qui étaient remises lors du rapport d'examen, avec le compte rendu des études et l'attestation (cedula actuum), avant que l'admission dans la liste des candidats puisse étre examinée par le doyen. Elle serait alors suivie par une présentation personnelle (presentatio). Ainsi, le principal souci des étudiants résidait dans l'achévement de la completio, à laquelle ils étaient tenus par le serment prété lors de leur immatriculation, s'ils ne voulaient pas devenir « parjures » (periuri) et se retrouver « non ratifiés » (non proveri). La question de l’âge des étudiants et des bacheliers était également importante. Pour l'obtention du premier grade il fallait avoir un áge minimum de 17 ans et avoir suivi un minimum de trois semestres d'études. En pratique, la moyenne était de cinq à six semestres. Mais on atteignait souvent un nombre de semestres beaucoup plus grand, sans doute à cause d'inscriptions d'enfants de bourgeois trés jeunes (et non pas d'immatriculations). Enfin, il faut dire un mot d'une particularité du recrutement, qui a totalement disparu des universités modernes et nous parait donc surprenante. C'est la justification par l'étudiant de sa filiation légitime au moment de son inscription. En d'autres termes, un bátard n'avait pas le droit d'étre immatriculé à l'université. C'est pourquoi l'accusation récurrente de bátardise contre Gratius dans les Lettres, bien que pure calomnie, n'est pas un simple trait de vulgarité, mais le rappel d'une menace réelle. Elle nous renvoie d'ailleurs à la bátardise d'Érasme, qui a longtemps pesé sur sa carrière.

Les facultés supérieures Seul un étudiant qui avait obtenu sa *maitrise és arts pouvait s'inscrire dans l’une des trois facultés supérieures. Dans les Lettres, il est rarement question de la faculté de médecine, mais souvent de la rivalité entre les juristes et les théologiens. Elle s'explique par le fait que l’« un et l'autre *droits » (canonique et civil) donnaient accés aux emplois les plus lucratifs des cours princiéres ou des conseils municipaux — encore que les docteurs en théologie eussent accés à des *bénéfices confortables. Mais les facultés de théologie faisaient aussi la loi dans les facultés des arts, où l'on enseignait la littérature et les sciences, par le biais de leurs diverses écoles aristotéliciennes (*thomistes, *albertistes...). Puisqu'elles avaient le monopole de tout enseignement concernant la religion, elles avaient interdit l'étude des langues « sacrées » autres que le latin, (à savoir le grec et l'hébreu), ce qui jetait le discrédit sur toute approche littéraire de l'Antiquité profane (particuliérement grecque), ainsi que sur toute

78

LESICETTRES

étude directe de la Bible dans le texte hébreu — sans parler du Talmud ni de la Kabbale ! Les théologiens voyaient donc clairement le danger que présentait la montée en puissance des humanistes et leur revendication de l'étude des « trois langues ». L'hébraisant Reuchlin — qui était juriste par surcroit — et l'helléniste Érasme étaient particulièrement visés. Ce dernier, non content de publier une nouvelle traduction du Nouveau Testament en 1516, parvint d'ailleurs, non sans peine, à faire ouvrir en 1518 un college à Louvain oü seraient enseignés le grec et l'hébreu. À — — — — — — —

la faculté de théologie, on était successivement : simple étudiant pendant 6 ans, bachelier au bout de 7 ans (à 25 ans minimum), *bachelier biblique (biblicus ou cursor) pendant 3 ans, bachelier sententiaire (sententiarius) pendant 1 an, *bachelier formé (formatus) pendant 3 ans, *]icencié à la Sainte-Catherine, puis maître, docteur (au bout de 14 ans d'études de théologie).

Si l'on voulait dresser un tableau « sociologique » de la population universitaire, on pourrait classer les étudiants en cinq types!, qui constituent une sorte de pyramide : 1. Le « suppôt » (suppositum, scholaris simplex) Ils sont les plus nombreux et appartiennent à la faculté des arts. L'étudiant y est en général un jeune homme âgé de 14 à 16 ans, qui est immatriculé pour la première fois à l’université et qui remplit les conditions financiéres et légales aussi bien qu'il le peut. Il appartient à la « classe moyenne », avec une large extension des riches aux pauvres, correspondant à la dispersion selon l'ensemble des participants à l'université. Il a probablement auparavant suivi l'école latine dans son pays natal et il y a acquis au moins une connaissance élémentaire de la lecture et de l'écriture, ainsi que de la grammaire latine. Il s'attache à un maitre de son choix et il commence,

d'une façon scolaire, et sous la

supervision ultime de ce dernier, à approfondir ses connaissances dans le cursus des arts. Il n'est cependant pas pour autant un débutant au sens moderne du terme. Une telle perspective serait anachronique, puisqu'il n'a pas l'intention de poursuivre ses études à l'université jusqu'à un doctorat en médecine, en théologie ou en droit. Sa scolarité 1. J'emprunte l'essentiel de cette analyse à Rainer Christoph Schwinges dans De Ridder, A History... 3° partie p. 196 sqq.

LES

LIEUX

79

dépassera rarement une durée de deux ans (estimation pour les universités germaniques). Ce type d'étudiant ne passe pas d'examen et n'obtient pas de titres académiques. Les universités de cette époque le qualifient de scholaris simplex. On le trouve dans les universités à quatre facultés de la « jeune Europe », aussi bien que dans la « vieille Europe », au nord des Alpes, particuliérement à Paris et dans les universités anglaises. Il représente souvent jusqu'à 50 % ou plus de la population scolaire et peut donc par conséquent étre considéré comme l'acteur majeur parmi les étudiants des universités médiévales. 2. Le *bachelier (baccalarius) Le second type d'étudiant se rencontre aussi dans la faculté des arts. Sa scolarité n'est à première vue pas trés différente de celle du précédent. Pour l'áge, la scolarité initiale et le milieu social, il s'en distingue peu, sinon que la proportion d'étudiants pauvres augmente avec le temps. Cela signifie sans doute que ce second type représente, bien qu'à un très faible niveau, des espoirs d'avancement social via l'université et l'éducation. Contrairement au premier type, ce second type souhaite achever (determinare) ses études, c'est-à-dire démontrer les compétences qu'il a acquises. Son but est le diplôme de baccalarius artium, qui peut étre obtenu au bout de deux ans ou deux ans et demi de travail par l'actus scholastici sous un maitre choisi. L'étudiant est alors âgé de 16 à 19 ans. Pour employer une analogie moderne, on pourrait comparer ce diplóme à l'examen de fin d'études secondaires, précédant l'entrée à l'université. Les bacheliers és arts représentaient — entre 1350 et 1500 — environ de 20 à 40 % des effectifs de l'université et étaient donc le second groupe le plus important, avec occasionnellement la méme répartition que les premiers. Pour les deux tiers d'entre eux, c'est le seul diplóme qu'ils obtenaient ou souhaitaient obtenir à l'université. Il était la condition requise pour être accepté comme « compagnon » (socius) dans la plupart des colléges en Espagne, en France et en Angleterre.

3. Le *maitre és arts (magister artium) Le troisiéme type était lui aussi associé à la faculté des arts, mais il avait des objectifs qui la dépassaient. Commengant en général avec le baccalarius, ce type d'étudiants acquérait, aprés deux ou trois années supplémentaires, le diplóme de maitre ès arts, analogue à l'époque moderne à l'entrée à l'université. À ce niveau, il avait généralement atteint l’âge de 19 ou 21 ans. Le milieu social reste le même, bien que la proportion d'étudiants pauvres ait encore substantiellement diminué

80

LES

LETTRES

en comparaison avec le second type. S'il ne quitte pas l'université avec ce diplóme — qui est lié à une obligation d'enseigner des arts, dont la dispense est croissante au cours des siécles —, il peut entamer des études dans les hautes facultés de médecine, théologie, droit canonique ou civil. Ce type d'étudiant-maitre se rencontre dans toute l'Europe, mais plus fréquemment dans les universités qui suivent le « modèle parisien ». C'est seulement à premiére vue qu'il ressemble au bizuth d'aujourd'hui. Ses effectifs sont remarquablement faibles par rapport aux deux types précédents. En moyenne, il représente de 10 à 20 % de l'ensemble. Tout en restant formellement un étudiant, il exerce simultanément

une activité d'enseignement, si bien que les notions d'étudiant et de professeur ne sont pas toujours clairement séparables. L'étudiant-maitre enseigne aux jeunes membres de la faculté des arts — à ceux du premier ou du second type qui l'ont choisi comme maitre. Il réunit autour de lui une clientèle, sa schola, sa familia. Beaucoup d'étudiants de ce type ne financent la suite de leurs études que par ce moyen. Le prochain obstacle est le diplóme de bachelier de l'une des hautes facultés. Les collégues les plus chanceux ont la possibilité d'acheter des chaires, des directions de collèges, des allocations d'études, des prébendes et des bourses universitaires ou religieuses. Un tel étudiantmaitre peut assumer une série de fonctions officielles : il peut devenir doyen de la faculté des arts et méme, s'il est l'objet d'une considération particuliérement élevée, recteur de l'université. La meilleure chance d'y parvenir se trouvait toujours à Paris, oü le recteur était uniquement choisi dans la faculté des arts. 4. L'étudiant « de rang » Le quatriéme type d'étudiants est fondamentalement différent des trois premiers. Il trouve dans l'universté tous les avantages de classe et de statut dont il a joui ailleurs. Il est déjà « quelqu'un » avant d'avoir franchi le seuil de l'université. Il est caractérisé par son rang, par la haute considération pour sa personne, sa famille d'origine, par la noblesse, par la possession de *bénéfices ecclésiastiques, ou par une prospérité de classe moyenne. S'il est membre de la noblesse ou joue le noble, il arrive à l'université avec une suite de serviteurs, allant de son professeur privé jusqu'à son valet. Socialement, sa place typique et convenable n'est pas la faculté des arts, ni celle de théologie, mais la plus haute faculté ou université de droit. Il n'a pas préparé sa maîtrise és arts dans un pensionnat public, mais avec un précepteur privé. L'obligation d'enseignement liée au diplóme des arts ferait du tort à

LES

LIEUX

81

son statut social. Il en va de méme pour les diplômes délivrés par les hautes facultés jusqu'au doctorat. Le fait qu'un titre académique soit inapproprié à son rang — comme c'est généralement le cas dans la haute noblesse — ou approprié, dépend de son origine sociale. La recherche de l'ascension sociale par l'université, comme c'est peut-étre le cas pour la moyenne des étudiants-maîtres, est inutile à un « étudiant de rang ». On le trouve dans toutes les universités d'Europe, en nombre trés variable, mais surtout dans les universités de droit ou facultés de droit de la « vieille Europe » méridionale. Le centre « international » pour les étudiants de rang est Bologne. Ensuite viennent Padoue, Pise, Pavie, Pérouse, Sienne et les autres universités italiennes.

5. L’étudiant-spécialiste Le cinquième et dernier type serait le plus proche de nos étudiants modernes, par son intention d’achever la majeure partie de ses études par un examen — et peut-être aussi par un doctorat. Généralement, cet « étudiant-spécialiste » continue ses études après son baccalarius d’une des hautes facultés et passe une licence en médecine, théologie ou droit civil ou canonique, ou les deux — un diplôme qui donne aussi le droit d’enseigner (/icentia docendi) dans les facultés en question. S’il le désire et s’il en a les moyens, il passe alors un doctorat. Comme l'étudiant moderne également, il a bien entre vingt et trente ans. Cependant, l'analogie s'arréte là. Arrivé au sommet de la pyramide universitaire, on découvre que ce type représente un pourcentage infime du total. On en trouve trés peu dans les universités de la jeune Europe au nord des Alpes (2 ou 3 % dans les universités germaniques), plus dans les universités classiques de la vieille Europe, dans les bastions de médecine et de droit en Italie et en France, aussi bien que dans les facultés de théologie d'Oxford et de Cambridge. Dans les universités d'Italie cependant, le nombre des étudiants-spécialistes venant de l'étranger était particulièrement élevé. La majorité d'entre eux provenaient des « nations germaniques ». Ce type se caractérise par un statut social élevé — descendance de chevalier ou membre de la haute classe urbaine ou classe moyenne supérieure. Pour un étudiant pauvre, c'était un saut presque inconcevable sans un soutien social considérable. Ce qui distingue notablement l'étudiant-spécialiste du Moyen Áge de son collégue contemporain, c'est qu'il a déjà trouvé un bon pied dans la société bien avant ou pendant la période de ses études : dans le service municipal, à la cour, ou plus souvent dans les offices cléricaux. La licence ou le doctorat lui donnent simplement des honneurs supplémentaires et du prestige.

82

LES LETTRES

La Cour romaine La plupart des lettres du second volume sont fictivement expédiées de Rome et racontent avec force détails la vie à la « Cour » (curia) du pape. Les allusions multiples aux mœurs de ses « courtisans » ne peuvent donc se comprendre sans une présentation rapide de cette société fort particuliére, dont il ne reste que des vestiges de nos jours!. Rappelons tout d'abord que la papauté du xvI* siècle gouvernait, autour de Rome, un État plus vaste que le duché de Milan ou la République de Florence et presque aussi étendu que la République de Venise. Le pape, souverain temporel, vivait sur un train équivalent à celui de ses collégues gouvernant des États d'importance similaire. C'est pourquoi, pour assurer ses fonctions politiques (gouvernement, armée, justice, finances), il entretenait une Cour au moins aussi importante que celles de ses voisins, pourvue de l'appareil administratif nécessaire. Mais il gouvernait également l'ensemble de l'Église catholique et de son clergé, dont le réseau recouvrait toute l'Europe. Pour ce faire, il

employait aussi une administration complète, religieuse, financière et judiciaire — bien que ne disposant pas de bras séculier pour imposer ses lois (ni armée, ni police). Ce « gouvernement » de l'Église, qui s'appliquait bien sür également aux États pontificaux, comprenait donc nécessairement une administration « centrale », travaillant à Rome, et une administration « décentralisée », hors des États pontificaux, et dont l'au-

torité se répercutait, à travers les évéques, jusqu'aux curés des paroisses. Rome n'abritait bien sûr que l'administration centrale. Enfin, l'administration de l'Église se partageait elle-même en deux secteurs concurrents, le clergé séculier et le régulier. Ce dernier comprenait les énormes effectifs des ordres religieux, jalousement soustraits au pouvoir « décentralisé » des évéques, et ne dépendant théoriquement que du pape. Les ordres religieux représentaient — outre le nombre de leurs clercs — un poids économique et politique considérable car leurs abbayes possédaient des domaines fonciers souvent trés importants. De plus, les ordres mendiants (dominicain et franciscain surtout) jouaient un róle politique de premier plan gráce à leur position dominante dans les facultés de théologie, qui leur donnait de forts moyens de pression sur les choix idéologiques des souverains. C'était généralement parmi eux 1. L'essentiel des données reproduites ici proviennent de Partner, The Pope's Men, p. 38 sqq., ainsi que du Dictionnaire de droit canonique de R. Naz.

LES

LIEUX

83

que les princes et les rois choisissaient leurs confesseurs (on pensera au dominicain Guillaume Petit, confesseur de Louis XIL, puis de François I*, ou au franciscain Ximenez de Cisneros, confesseur d'Isabelle la Catholique). Les plus hauts dignitaires des ordres religieux résidaient, eux aussi, à Rome, dans l'entourage proche du pape. Cependant, les séparations entre ces secteurs n'étaient pas étanches car les grands organes administratifs romains traitaient l'ensemble des dossiers, qu'ils ressortissent à l'État pontifical au sens strict ou à l'Église décentralisée. De ce fait, on rencontrait à Rome des « courtisans » de catégories trés diverses. Tout d'abord les personnels employés directement au service du pontife ou des grands dignitaires ecclésiastiques (cardinaux...), qui pouvaient se chiffrer à plusieurs milliers (prés de mille personnes pour la seule familia du pape). Mais on y trouvait aussi les personnels des administrations évoquées ci-dessus. Ils occupaient des offices relativement stables grâce aux charges qu'ils avaient achetées et résidaient donc sur place. On trouvait enfin également à Rome la trés nombreuse population des solliciteurs, venus des quatre coins d'Europe pour traiter notamment du commerce et des litiges concernant les attributions des *bénéfices, lesquels constituaient la principale source de revenu pour les membres du clergé. La vente des offices était une importante ressource pour le pape, comme elle l'était pour les princes laïques. À la Cour pontificale, ils rapportaient annuellement à leurs titulaires environ 8 % de leur prix d'achat et ne se transmettaient pas à leurs héritiers, si bien qu'ils étaient fréquemment remis sur le marché (résignation). Au temps de *Léon X, le nombre des offices vénaux dépassait 2 000. Cependant, celui des officiers titulaires ne dépassait sans doute pas un tiers de ce chiffre, à cause des cumuls. Le trafic des offices qui changeaient de mains par résignation

était énorme. Moins d'un tiers d'entre eux était vacants à cause de la mort de leur titulaire et Partner a calculé que la moyenne de durée de possession d'un office dépassait rarement huit ans. La prudence imposait donc de gérer son office comme un investissement et de le vendre de son vivant. Un office pouvait également devenir vacant en raison d'une promotion ou d'une incompatibilité légale (par exemple avec un évéché ou un cardinalat). Le nombre des offices avait quadruplé en un siécle. A la fin du xv* siècle avaient été créés des collèges d'offices à prix réduits, tels que les 100 solliciteurs en 1482, les 104 collecteurs de la taxe du plomb en 1497,

les 101 scripteurs des archives en 1507, les 141 présidents du port de Ripa. On peut y ajouter les 108 enregistreurs des lettres apostoliques, les

84

LES

LETTRES

140 camériers et les 140 écuyers, les 612 portionaires du port de Ripa, 60 chambellans, 140 scutifères, 401 chevaliers de Saint-Pierre, 200 chevaliers de Saint-Paul, 260 chevaliers de Lorette et 350 chevaliers du lys, les 149 timbreurs du plomb des bulles. Un document de la daterie indique le nombre des opérations effectuées entre 1503 et 1514 : 336 résignations, 224 vacations (par décès du titulaire) et 45 promotions. Pendant cette période, le nombre des offices était passé de 700 à près d'un millier. Les « officiers » étaient supposés exercer leurs fonctions dans les divers organes de l'État pontifical, dont les trois principaux étaient : — Le *Consistoire, grand conseil pontifical, qui se réunissait trois fois par mois (on le nommait le « sénat » du pape). Il traitait de toutes les affaires importantes (par exemple des attributions d'évéchés et d'abbayes d'une valeur supérieure à 200 florins annuels). Y participaient, outre les cardinaux, le vice-chancelier, le chambellan apostolique, le trésorier, les clercs de la chambre apostolique, les juges de la Rote, des *référendaires, des notaires, *protonotaires, avocats...

— La Chancellerie, située sur l'autre rive du Tibre, dans le palais Sforza-Cesarini, qui recevait les suppliques, demandes de dispenses, etc. Elle ne les transmettait pas sous leur forme brute, mais les rédigeait en « style pontifical », avant de les faire parvenir aux autorités compétentes, éventuellement jusqu'au pape lui-méme. Une fois la décision prise par ladite autorité, la Chancellerie organisait la rédaction et la transmission de la réponse. Pour faire face à ces tâches, elle utilisait un personnel considérable : chanceliers, vice-chanceliers, protonotaires, notaires, abréviateurs, scripteurs, dataires, correcteurs, distributeurs, auditeurs de lettres contradictoires, rescribendaires et clercs tenant les registres, solliciteurs... — La Chambre apostolique, organe financier central de la papauté, qui gérait les finances pontificales officielles et contrólait ses trésoriers provinciaux. Elle contrólait également les collecteurs apostoliques à tra-

vers l'Europe et les contributions des ordres religieux. Elle était dirigée par sept clercs apostoliques (payés 800 *ducats annuels, pour une charge achetée 10 000 ducats). Ils tenaient les comptes des réglements des droits liés aux attributions de *bénéfices, particuliérement les « annates » des petits bénéfices (un an de revenus nets du bénéfice, à verser lors de la collation) et les « communs

» et « menus services », dus lors de la collation

d'un bénéfice important (évéché ou abbaye). Elle était dirigée, outre le vice-trésorier, par des auditeurs, avocats, procureur fiscal, avocat des

pauvres et un banquier. Elle percevait également les revenus des indulgences.

LES

LIEUX

85

Rome était ainsi le centre d'un trafic financier qui étendait ses ramifications sur toute la chrétienté et convergeait à la Chambre apostolique. Elle encaissait en effet les revenus des États pontificaux : impóts, douanes, exploitation à ferme de l'alun de Tolfa, vente des charges de la

Cour romaine (dont les prix pouvaient atteindre plusieurs dizaines de milliers de ducats d'or), taxes sur les actes juridiques, etc. Mais elle percevait aussi des sommes énormes prélevées dans toute la chrétienté (dime, annates et menus services lors des collations de bénéfices, indulgences, etc.). De plus, le commerce des bénéfices était largement démultiplié par la vente des « grâces expectatives » (promesses d’attributions de bénéfices non encore vacants). L'attribution d'un bénéfice (ou d'une gráce expectative) se matérialisait par une « lettre de provision » (bulle) pontificale délivrée par la Chancellerie. Les formalités que le candidat devait accomplir pour obtenir ce précieux document étaient fort compliquées et coüteuses. On s'en fera une idée par le schéma (simplifié) des démarches à effectuer. Le candidat devait en premier lieu déposer une supplique, qui était enregistrée au Bureau des suppliques sur le Registre des vacances. La supplique devait étre rédigée dans le « style de la chancellerie », donc réécrite par un spécialiste (abréviateur), qui connaissait les formules nécessaires. L'abréviateur la soumettait à un correcteur, qui la faisait éventuellement modifier. Une fois jugée conforme, elle était transmise à un référendaire, qui la présenterait au pape. Le pape paraphait sa réponse en quelques mots (« accordé » ou « refusé »), le vice-chancelier la certifiait et le dataire la datait. La supplique recevait ensuite un numéro dans le Livre des distributions, puis

était enregistrée dans le Livre des supplications. L’heureux candidat passait ensuite un examen pour justifier qu'il avait les compétences nécessaires à ses nouvelles fonctions. S'il échouait, le bénéfice était perdu pour lui (ainsi que l'argent déjà dépensé). S'il réussissait, il se faisait remettre un certificat par ses examinateurs. La lettre de provision devait lui étre expédiée dans un délai de six mois à dater de l'acceptation, d’où l'importance de la date inscrite par le dataire. Elle était préparée, au Bureau de la minute, par un abréviateur qui la condensait, puis revue par un correcteur. Elle était ensuite transmise au Bureau de la grosse, où un scripteur y ajoutait toutes les formules nécessaires, puis au Bureau des correcteurs qui la révisaient, puis chez l'auscultateur, qui la comparait avec la minute initiale. Enfin, le rescribendaire fixait la taxe de chaque opération effectuée suivant les barémes du Livre des taxes de la chancellerie. La bulle était scellée par les bullateurs.

86

LES'EETTRES

Fort peu de candidats parvenaient à effectuer toutes ces démarches correctement sans étre assistés de juristes compétents. C'est pourquoi des *procurateurs, trés bien informés des arcanes de la procédure, étaient habilités (contre rémunération, naturellement) à s'en charger en leur lieu et place. Le nombre total des bénéfices en circulation dans la chrétienté (de la simple cure de campagne jusqu'à l’archevêché) s'élevait à plusieurs dizaines de milliers. Le jeu trés complexe et sans cesse renouvelé des expectatives-vacances-collations-résignations entrainait donc nécessairement des milliers de contestations et actions en justice de tout type, assorties de leurs actes qui étaient tous monnayés au prix fort. Ces pratiques provoquaient donc une gigantesque circulation d'argent, y compris par banques interposées, gérée par la Chambre apostolique. Chaque intermédiaire prélevait naturellement sa commission et avait donc intérét à mainenir la complexité, l'opacité et les dysfonctionnements du systéme. Les litiges ne se réglaient pas tous à Rome, car les tribunaux ecclésiastiques diocésains jugeaient l'essentiel des affaires courantes. Cependant, dés que des intéréts majeurs étaient en jeu (qu'ils fussent financiers ou théologiques — l'un allant rarement sans l'autre), on en déférait à Rome, où siégeaient les trois grandes instances judiciaires supérieures, pourvues chacune de tout le personnel administratif nécessaire : — La Pénitencerie, qui jugeait les dispenses (notamment matrimoniales ou de voeux) et les censures (pour hérésie ou disciplinaires). Elle comprenait des dataires, scripteurs et autres correcteurs, distributeurs et garde des sceaux. — La *Rote, dont les juges se nommaient « auditeurs » du SacréPalais et qui était le tribunal d'appel. — Le tribunal supréme de la Signature apostolique, derniére instance, présidée par le pape lui-méme. C'est lui qui signa la cassation définitive du jugement de *Spire acquittant Reuchlin. Si l'on ajoute à tous ces courtisans le personnel ecclésiastique (séculier et régulier) nécessaire au fonctionnement proprement religieux de la capitale de la chrétienté (cérémonies, gestion des lieux de culte, pélerinages, etc.), on aura une idée de l'importance de la population et des trafics en tout genre que Hutten a eus sous les yeux pendant son séjour romain, et dont les Lettres donnent un reflet.

LES

LANGUES

87

3. Les langues Premiére observation, le latin macaronique est du latin. La charge comique des Lettres ne pouvait en effet étre appréciée que par des lecteurs parlant et lisant couramment le latin — ou en ayant des rudiments. Cette langue étrange mérite donc qu'on l'examine plus attentivement. On qualifie traditionnellement de « macaronique » un terme étranger inséré dans un texte, par ignorance ou par fatuité. C'est un ressort immémorial du théátre comique (le latin des médecins de Moliére, pour ne citer que le plus célébre, mais aussi le grec des personnages de Plaute ou de Térence). Ce genre de termes abonde dans les Lettres (kaufmannus allemand ou rruffator italien) et je les ai généralement signalés en note du texte latin. Mais on trouve aussi dans les Lettres de nombreux macaronismes que l'on devrait nommer syntaxiques, car ils concernent la construction et non pas le lexique. Il s'agit donc plutót de « latin de cuisine » que de macaronismes à proprement parler. L’inventaire de ce type de tournures dans les Lettres n'aurait pas grand sens, car la quasi-totalité du texte pourrait y figurer à des titres divers. Leur repérage est plus délicat. En effet, ce n'est pas exactement l'erreur, mais plutót la bizarrerie qui signale ce type de macaronisme — le cas où, dès la première lecture, une phrase latine ne semble pas « correcte ». Pour repérer à coup sür de tels macaronismes, il faut alors opérer une rétro-traduction en relisant la phrase comme si c'était de l'allemand, ou de l'italien (ou du français), dans lesquels on aurait simplement remplacé les mots par des mots latins, en conservant la construction « moderne ». L'effet est garanti. Le grand spécialiste du latin médiéval Bengt Lófstedt a d'ailleurs écrit à ce propos : Une recherche particuliére sur la syntaxe médio-latine et sur les germanismes [...] enseigne quels traits les auteurs humanistes érudits des Lettres ont relevés et moqués. Naturellement, il faut recourir à la comparaison avec la littérature humaniste contemporaine non satirique, car il

faut toujours compter avec la possibilité qu'une faute dans les Lettres ne soit pas due à la parodie, mais à l'ignorance. J'ai lu pour cela entre autres les lettres et les dialogues de Hutten, ainsi que les écrits d'Erasme et de Luther. Je peux en établir que les constructions non-classiques [...] n'apparaissent que rarement. En ce qui concerne la syntaxe et le lexique, il vaut la peine de se pencher sur les italianismes. De nombreux humanistes, à commencer par Ulrich von Hutten, avaient déjà passé de longs

88

LES

LETTRES

séjours au sud des Alpes et il y avait des relations étroites entre l'Italie et l'Allemagne à cette époque!.

Le latin de cuisine des Lettres ne suit évidemment pas de règles, mais on peut y relever des constantes. Parmi ses traits les plus frappants, on

notera : — l'emploi systématique de 7//e(-a) comme article (= le, la). Le latin des hommes obscurs est ainsi muni d'articles définis ; de ce fait, zsze(-a) se voit réduit à une simple fonction de démonstratif (= ce, cette), perdant le sens péjoratif qu'il a en latin classique ; — l'emploi de ralis comme adjectif démonstratif ; — l'emploi de ego, vos... comme pronoms personnels, les verbes latins se voyant ainsi pourvus de pronoms personnels ; — Jincapacité des hommes obscurs à utiliser les superlatifs en —15s1mus et leur remplacement systématique par valde ou multum (- trés, sehr en allemand) ; quand un superlatif en —1ssimus apparait, c'est en général une formule lourdement emphatique (comme en français) ou un macaronisme italien ; — leur ignorance de la proposition complétive infinitive, si chère aux classiques ; les hommes obscurs ne connaissent que la complétive introduite par quod (= que, daf en allemand) ; cette ignorance est soulignée avec insistance par le fait que les auteurs fictifs de la plupart des lettres veulent toujours raconter (avec indignation) ce que d'autres (les reuchlinistes) ont dit ; — enfin, ils sont incapables de respecter l'ordre de construction de la phrase latine classique élémentaire, dans laquelle le verbe est renvoyé à la fin. On remarquera, à ce propos, qu'ils ne respectent pas non plus l'ordre de la phrase allemande, avec ses nombreuses inversions de verbe, et notamment le renvoi du verbe de la subordonnée en fin de proposition (Wie sollen wir die Augenspiegel an die Nasen stecken ?). Curieusement, la construction de leurs phrases est étonnamment francaise, ou italienne. —

On notera

ensuite, comme

germanisme

(macaronisme

syn-

taxique), l'utilisation de volo comme auxiliaire à la maniére de l'allemand wollen : « Talia audivi pro nunc, sed quando scio plura, tunc volo vobis scribere. » (II, 59) se décalque de l'allemand : « Solche habe ich für jetzt gehórt, aber, wenn ich weif mehr, dann will ich ihnen schreiben. » Je l'ai donc rendu en frangais par l'auxiliaire « aller » dans son sens d'auxiliaire du 1. « Zur Sprache... », p. 275.

LES LANGUES

89

présent progressif : « Voilà ce que j'ai entendu dire, mais quand j'en saurai plus, je vais vous l'écrire. » — Il en va de méme pour debeo, utilisé systématiquement à la facon de l'allemand sollen ou müflen : « Cum hoc debet esse Liptzick unus Anglicus. » (II, 59) se décalque de l'allemand : « Damit soll sein in Leipzig ein Engländer. » (« Avec ça, il doit y avoir à Leipzig un Anglais. ») — On considérera en revanche comme un gallicisme le pluriel de politesse à la deuxième personne, qui est nettement français (vouvoiement). En allemand, on utiliserait la troisiéme du pluriel, en italien, la

troisiéme du singulier et en latin, on deuxième personne du singulier : Rogo mihi exponere mentem vestram, quia estis excellence que vous vouliez m'exposer étes trés profond).

s'adresse à un supérieur à la excellentiam vestram quod velitis multum profundus (Je prie votre votre opinion, parce que vous

Le latin, langue parlée Dans un sens restrictif, on pensera que les macaronismes sont simplement le reflet de l'ignorance crasse des hommes obscurs, donc le ressort comique de la parodie. Mais on peut aussi penser que ce sont les besoins expressifs des hommes obscurs qui les entrainent à couler le latin dans les moules de leurs langues vernaculaires (généralement l'allemand) — l’un n'excluant d'ailleurs pas l'autre. On peut aussi se demander si l'étonnante présence de tournures « à la frangaise » n'est pas, pour un obscur, un signe de familiarité avec le français, donc d'un séjour à la prestigieuse université parisienne, de la méme façon que, chez nos contemporains, le tic d'émailler ses phrases de mots anglais signale un séjour aux États-Unis. J'en citerai un exemple pris non pas dans les Lettres, mais dans la *Conférence macaronique, un dialogue vraisemblablement écrit par Hutten et publié en 1519, qui met précisément en scène trois maîtres de Cologne, nommés Gratius, Léopold et Gingolphe : Magister Ortvinus : Deus est testis, quod ego credo, quod si aliquis interrogaret eos, quomodo declinatur Musa, quod ipsi non possent dicere. [..]

Magister Gingolphus : Ita da, et volunt corrigere Magnificat.

90

LES

LETTRES

Ce qui signifie : Maitre Ortwin : Dieu m'est témoin que je crois que si quelqu'un les [Erasme et Reuchlin] interrogeait, comment on décline la Muse, qu'ils ne pourraient pas le dire [...]

Maitre Gingolphe : Oui-da ! Et ils veulent corriger le Magnificat !

La formule ta da ne peut s'expliquer que par « Oui-da », macaronisme spécifiquement frangais, donc vraisemblablement universitaire et parisien dans le cas d'un docteur en théologie de Cologne. Aprés un inventaire sommaire des macaronismes rencontrés dans les Lettres, Lófstedt conclut : Ces exemples nous rappellent que la langue allemande, tant en ce qui concerne sa syntaxe que son vocabulaire et ses expressions idiomatiques, a une grande communauté avec le latin tardif et les langues romanes. Tout cela appartient ainsi à l'histoire encore à entreprendre des affinités entre les langues européennes. On veut seulement ici attirer l'attention sur le fait que, dans la formation de ces affinités, le latin médiéval et le latin humaniste avaient joué un róle significatif et jusqu'ici, à mon avis, trop

peu souligné!.

Lófstedt a évidemment raison de souligner que les macaronismes sont avant tout le reflet d'une évolution de la langue latine d'usage au Moyen Âge (chez les clercs), se modelant sur les vernaculaires. Avant de les interpréter dans un sens parodique, il faut donc voir dans les Lettres un document quasi ethnographique sur les clercs de la Renaissance, d'autant plus précieux qu'il concerne une langue parlée. Les hommes Obscurs écrivent en effet comme ils parlent. On notera, comme exemple de ce type d'évolution, à l'intérieur méme des Lettres, le passage de la Germania du premier volume à l'Almania du second. Mais il est non moins évident que leur style regorge aussi de formules tirées directement des exercices scolastiques, qui étaient eux-mémes parlés avant d'étre écrits. Les fameux débats quodlibétiques étaient en effet des exercices oraux, dont l'énonciation était rigoureusement codifiée. La lecture de leurs restitutions écrites montre que leurs auteurs étaient soucieux de respecter la syntaxe et l'orthographe classiques, tout en étant obligés de couler leurs propositions dans les moules rigides des définitions et des argumentations scolastiques.

1. Ibid., p. 285.

LES LANGUES

91

Les principales autres sources comparables de latin macaronique sont les écrits satiriques dont cette époque fut particuliérement riche. Pour une part, ce sont des textes liés de prés ou de loin à l'Affaire Reuchlin (par exemple les dialogues de Hutten, tels que Hochstratus ovans) et qui mettent directement en scéne des « hommes obscurs ». Mais nous possédons également divers textes supposés s'adresser à des latinistes débutants, tel le Manuale scholarium de Paul *Niavis, qui reproduit les conversations des étudiants entre eux et avec leurs professeurs. Leur langue présente une similitude étonnante avec celle des hommes obscurs. Enfin, la lecture des correspondances des humanistes est également trés révélatrice de l'usage latin, quoique dans un autre sens. En effet, si les lettres destinées à la publication (le cas d'Érasme en étant le plus notable) étaient rédigées avec toute l'élégance latine requise, celles qui n'avaient d'usage que privé, disons utilitaire (quelques mots envoyés à un ami pour lui demander un service), mélaient sans vergogne le latin à l'allemand, voire à l' italien. Les lettres de ce second type n'étaient évidemment jamais publiées du vivant de leur auteur, et n'étaient d'ailleurs pas conservées. Mais les modernes en ont retrouvé et publié un certain nombre, notamment celles de Reuchlin!.

Le latin des hommes obscurs ne se comprend ainsi qu'en relation permanente avec les deux autres latins concurrents en usage à l'époque : le latin scolastique et le latin humaniste (supposé reproduire la langue antique classique) — sans parler du latin ecclésiastique (poétique ou liturgique), qui s'en distinguait également. L'imprégnation par les vernaculaires — évidente à la lecture des Lettres — s’y surajoute et vient se glisser à l'intérieur de ces niveaux de langues. La langue des hommes obscurs apparait donc comme une langue vivante, saisie en pleine transformation, précisément sous la pression des vernaculaires. Pour autant, le référent linguistique implicite (donc comique) permanent des Lettres reste la langue de leurs « vrais » auteurs (Hutten...), c'est-à-dire celle des humanistes et de leurs modèles antiques. Les lecteurs savaient pertinemment que les « poètes », éventuellement « couronnés », qui avaient rédigé ces lettres étaient des experts en latin classique, et qu'elles ne pouvaient donc étre que des parodies transparentes, destinées à ridiculiser leurs auteurs fictifs.

1. Geiger, Reuchlins Briefwechsel.

92

LES

LETTRES

La quadrature du cercle de la traduction D'éminents « néo-latinistes » affirment magistraliter que le latin macaronique « par essence » ne doit pas être traduit, puisqu'il est déjà une forme de traduction. Certes, mais dans ce cas, l'argot non plus, ni les dialectes régionaux, ni aucun niveau de langue non académique. Alors, ne traduisons pas Plaute, et laissons aux seuls latinistes (avertis) le bonheur de lire Ulrich von Hutten. Dans le cas des Lettres, nous avons la chance de posséder trois traductions frangaises, déjà anciennes, de la plupart d'entre elles. Leurs auteurs étaient sans conteste de grands stylistes (précision de Victor Develay, faconde de Laurent Tailhade, ornement de Sarl Priel). Ces trois traducteurs proposent au lecteur de fort beaux textes, mais c'est là que le bát blesse, car les Lettres sont tout sauf de beaux textes. Elles sont des monstres linguistiques dignes des plus grossières farces de cabaret (ou de télévision). J'ai donc pensé qu'il était dommage de priver le lecteur de cet aspect des lettres, car le comique de forme y est au moins aussi cruel que celui de contenu. Cette nouvelle édition s'efforce également de fournir au lecteur le minimum d'informations nécessaires pour identifier les personnes, les usages ou les allusions littéraires, sans lesquels la compréhension du contenu reste pour le moins hasardeuse. À lire Tailhade ou Priel, on comprend certes que Hutten avait un sérieux compte à régler avec les curés, qu'il défendait un innocent persécuté, nommé Reuchlin, et qu'il se permettait tous les coups au-dessous de la ceinture. C'est déjà beaucoup, mais c'est insuffisant pour un lecteur qui n'a (hélas !) pas étudié tout cela à l'école. D'ailleurs, la lecture de Rabelais pose exactement les mémes problémes, y compris pour les lecteurs francophones. Enfin, tous les traducteurs (y compris en allemand) des Lettres ont travaillé comme si elles étaient écrites en latin normal. Ils se sont contentés de signaler l'existence des macaronismes et de s'en débarrasser en reproduisant « en latin dans le texte » les termes trop problématiques (noms de personnes ou de livres). Il faut pourtant dire quelques mots de certains problémes insolubles : L'argot Les Lettres ne fourmillent pas seulement de termes de jargon universitaire ou ecclésiastique. Elles contiennent aussi d’authentiques mots d’argot — à connotation sexuelle bien sûr, et supposés incompréhensibles par le bourgeois. Parfois, ce sont des termes allemands (langue vulgaire) et les grands érudits du xIx* siècle les ont pudiquement ignorés. Mais il s'agit

LES

LANGUES

93

parfois aussi de termes latins détournés de leur sens premier. Le cas le plus frappant est celui du verbe supponere. Verbe attesté chez les classiques antiques, il signifie bien sür « supposer », mais son sens étymologique est « poser au-dessous », qui peut aisément préter à équivoque sexuelle. Curieusement, il est utilisé dans les Lettres avec le sens de « poser par-dessus », que l'argot francais rend habituellement par « monter, grimper, sauter » et en dernier recours, par « baiser ». Mais le sublime de l'affaire est que ce terme était répertorié dans le jargon des traités de logique scolastique. *Marsile d'Inghen en donnait par exemple la définition suivante : Une supposition est l'acception du terme dans une proposition pour une ou plusieurs choses, à propos de laquelle ou desquelles ce terme est vérifié au moyen de la copule de cette proposition. Comme dans cette proposition : « L'homme court », l’homme suppose pour n'importe quel homme qui existe, parce que cela se vérifie au moyen de cette copule!.

C'est naturellement de cette définition fort obscure? que Hutten tire le principe que « le prélat suppose personnellement » (lettre II, 67). Enfin, au champ lexical du verbe supponere appartenait également le terme technique administratif de suppositum (devenu en frangais « suppôt »), qui désignait un étudiant qui n'avait encore aucun diplôme (szmplex suppositum). Les termes techniques Aucun ne figure dans les dictionnaires d'époque (car ils n'appartiennent pas au latin classique) et ils ont parfois changé de sens au cours du Moyen Âge. La plupart proviennent du lexique propre de la vie universitaire (replicatio, copulata, suppositus, opus minus) et ont donc un sens relativement univoque. En revanche, il en est d'autres dont le sens varie selon le contexte. En voici quelques exemples : Bursa/Collegium : à l’origine des universités, seul Collegium était employé’. Il désignait des établissements d'enseignement où les élèves pouvaient étre externes ou internes. Avec le temps et les excés incontró1.« Suppositio est acceptio termini in propositione pro aliquo, vel pro aliquibus, de quo, vel de quibus, verificatur talis terminus mediante copula talis propositionis. Ut in hac propositione homo currit, homo supponit pro quolibet homine qui est, quia de quolibet eorum mediante copula ista verificatur » Marsilius of Inghen, Treatises on the Properties of Terms, (Suppositiones, ampliationes, appellationes, Restrictiones and Alienationes), ed. by Egbert P. Bos, Dordrecht/Boston/Lancaster, D. Reidel Publishing Company, 1983, p. 52. 2. Marie-Josèphe Beand-Gambier suggère de lire supponitur à la place de supponit, ce qui

rétablirait un sens acceptable. 3. Voir sur ce sujet, l'article « Bursa », dans CIVICIMA, vol X.

94

LES LETTRES

lables, les autorités ont progressivement imposé aux étudiants la pension compléte dans leur établissement, contre paiement d'une bursa (« bourse »), que les pauvres recevaient au titre d'une fondation charitable. C'est la raison pour laquelle les établissements fondés aux XIV*-XV* siècles (et généralement dans le Saint Empire) se nommaient bursa et non pas collegium comme en France. J'ai donc choisi de les nommer « *pensionnats ». Dominus, utilisé comme titre honorifique, est généralement l'équivalent du « Seigneur » frangais, mais l'usage ecclésiastique frangais a également conservé Dom pour désigner les moines. Ainsi, il est impossible de savoir si Dominus Pfefferkorn (qui n'était en aucune façon un moine, mais seulement un juif converti laïque) aurait été nommé Dom Pfefferkorn par un Frangais de l'époque. Lectorium signifie tantôt pupitre, tantôt salle de cours. Socius, désignait un étudiant dûment immatriculé, jouissant donc d'un statut proche de celui d'un compagnon de corporation (je l'ai dans ce cas traduit généralement par « collègue »). Mais il peut aussi signifier simplement « compagnon de route ». Les noms propres Une grande partie du comique des Lettres provient du fait que leurs auteurs fictifs portent des noms qui ont un sens (comique), à l'instar des personnages de théâtre depuis la nuit des temps. En baptisant Démobilisette l’incompréhensible Lysistrata, et Chaulapin son non moins incompréhensible compére Cinésias, Alphonse Debidour a fort démocratiquement permis aux lecteurs « non-hellénistes-qualifiés » de saisir quelques éléments fondamentaux du comique d' Aristophane. Il en va de méme pour les Lettres, avec parfois une considérable accumulation de sens — qui ne pouvait échapper au lecteur (surtout allemand) de l'époque. C'est la raison pour laquelle j'ai pris le risque de traduire les noms propres, sachant que beaucoup d'entre eux sont déjà des traductions de l'allemand en latin. Prenons un cas simple. Le dénommé Joannes Currificis (lettre I, 46) s'appelait probablement (à supposer qu’il eût existé) Johannes Wagner au dehors

de l'université. Il avait été obligé de latiniser son nom lors de son immatriculation. Je l'ai donc baptisé Jean du Charron, en rendant ainsi le génitif latin, car la traduction « normale » de Wagner eût été le nominatif Currifex. On peut aussi imaginer qu'il s'appelait von Wagner (hypothèse assez peu plausible) ou bien qu'il était le fils du charron ou le fils du nommé Wagner, lequel n'était pas pour autant nécessairement charron de son état... Cas nettement plus compliqué : Mammotrectus Buntemantellus (lettre I, 33). Pour Buntemantellus, pas (trop) de probléme. En allemand, un

LES LANGUES

95

Buntemantel est un manteau fait de piéces et de morceaux, une sorte de manteau d'Arlequin (peut-étre formé de haillons rapiécés). Il sera donc baptisé « Manteau-Bariolé ». Mammotrectus, en revanche, est le nom d'un ouvrage scolaire médiéval, qui signifie littéralement « à la maïmelle ». Ce sobriquet, qui était le terme habituel par lequel on désignait ce livre, lui venait d'un mot d'Augustin, cité dans sa préface!. Le lecteur moderne, méme cultivé, ayant peu de chances de connaitre l'ouvrage et son titre Mammotrectus, il m'a paru préférable de lui laisser la saveur du sobriquet d'époque (« À-la-mammelle »). Il m'était enfin impossible de distinguer, par la traduction seule, les cas où un nom était traduit de l'allemand, parfois latinisé (dans le texte), de ceux où il l'était du latin. J'ai choisi la facilité typographique de composer en «italique » les noms purement allemands (Matthieu Pinson, que la lettre II, 8 nomme Matthæus Fink), et de laisser en caractères « romains » les noms purement latins (Hildebrand Gronichon, que la lettre I, 19 nomme Hiltbrandus Mammaceus) ou latinisés par l'adjonction d'un —us final. Reste l'épineuse question des génitifs. En effet, comment expliquer que certains noms soient des nominatifs (Mammaceus), et d'autres des génitifs (Prleatoris) — l’un comme l'autre étant grammaticalement des sujets ? L’usage de certains génitifs est attesté dans les sources d'époque (Pistoris par exemple), mais l'usage d'un féminin en —5ssa complique singulièrement le probléme (Domina Pistorissa, lettre I, 34). Il faut sans doute prendre les noms propres en forme génitivée comme signifiant « fils de » ou « de la lignée de », à la façon des suffixes grecs en —idis.

Les titres des ouvrages Autre casse-téte, les noms des livres cités. À part quelques exceptions (les Besicles de Reuchlin ou la Défense de Pfefferkorn, écrits en allemand),

tous les livres mentionnés dans les Lettres étaient écrits en latin, et la plupart (ouvrages de piété ou de scolastique) n'ont jamais été traduits en francais. De plus, Hutten cite abondamment les ouvrages de référence utilisés dans les universités de l'époque, tels que les traités de Thomas d'Aquin, Guillaume d'Occam ou Marsile d'Inghen. Étant donné que les lecteurs de l'époque comprenaient évidemment ces titres — y compris lorsqu'il s'agissait simplement des premiers mots de l'ouvrage —, il m'a paru légitime de mettre le lecteur moderne dans la méme situation. J'ai donc choisi de traduire systématiquement les 1. La plupart des ouvrages médiévaux (et antiques) n'avaient pas de titre, au sens où nous l'entendons aujourd'hui. On les nommait donc généralement par leurs premiers mots.

96

LES

LETTRES

titres, au risque de fort chagriner mes érudits collégues médiévistes. Certains cas sont particulièrement importants, tel le Doctrinale d'*Alexandre de Villedieu, dont le titre fait nécessairement penser qu'il s'agit d'un livre de religion, peut-étre une sorte de catéchisme. Or, c'était une simple grammaire latine versifiée que les enfants des écoles médiévales apprenaient par cœur (comme le Bescherelle de nos jours). Pour éviter ce type de malentendu au lecteur (méme averti), j'ai préféré privilégier la clarté et le traduire par un titre restituant son sens. La doctrina étant simplement la connaissance, au sens large du terme, le Doctrinale est devenu Manuel, au sens où nous parlons d'un manuel scolaire — sachant qu'en latin humaniste, un manuel se nommait (avec un brin de cuistrerie grecque) enchiridion. Méme difficulté pour les titres allemands. Rien ne peut faire deviner à un lecteur français que Augenspiegel, bien que signifiant littéralement « miroir des yeux », désignait modestement des « besicles ». Sa traduction latine en Speculum oculare n'arrange rien, car il s'agit d'une rétro-traduction de l'allemand. Reuchlin a signifié par ce titre qu'il examinait dans cet ouvrage la proposition qui lui était soumise par l'empereur (Faut-il brüler les livres des juifs ?). Le Grimm rappelle que Paracelse écrivait! : Wie sollen wir die Augenspiegel an die Nasen stecken ? (Comment devons-nous chausser nos lunettes ?). Les citations Elles fourmillent dans les lettres. C'est un vrai tic d'universitaire : un débat scolastique ne se concevait sans la citation d'Aristote, de la Bible ou d'un maitre ayant valeur d'autorité. Cependant, le lecteur remarquera vite qu'elles sont utilisées à tort et à travers et systématiquement hors de leur contexte, pour leur faire dire souvent le contraire de leur sens d'origine — comique oblige. L'interdiction de l’accès aux sources par les maitres scolastiques sous-tend sans cesse la critique de Hutten. Les citations de la Bible proviennent évidemment de la Vulgate latine. Pour les Psaumes, on se rappellera que la numération de la Vulgate (et de la Septante) diffère de celle de la plupart des Bibles modernes (calées sur le texte hébraique), qui divisent en deux parties (psaumes 9 et 10) le psaume 9, unique à l'origine. C'est pourquoi, à partir du psaume 10, il faut óter un numéro pour obtenir celui de la Vulgate. Je me suis donc efforcé d'indiquer la double numérotation. Les citations juridiques posent un probléme plus délicat. En effet, la tradition juridique, y compris moderne, veut qu'on ne traduise pas les 1. Chirurgische Schifte,

3186.

LES

LANGUES

9'7

références des Décrets de Gratien, etc. Cependant, les étudiants en droit du XvI° siècle, tout comme les lecteurs des Lettres, comprenaient quand méme le sens de ces mots (méme énigmatiques). C'est la raison pour laquelle j'ai également tenté de les traduire. Ce choix finit tout de méme par conduire le traducteur à l'impasse totale lorsqu'il arrive aux étymologies latines délirantes car, tout comme les calembours, elles sont littéralement intraduisibles (Seria, etc., lettre I, 25). Peut-on imaginer traduire Cantatrix sopranica de Perec dans une langue étrangère ? ou une chanson de Brassens ?Je citerai comme témoin à décharge le héros des traducteurs de l'impossible, Johann Fischart qui traduisit rien moins que Gargantua en allemand en plein XVr? siècle!.

Not’ Maître Il y a, dans l’usage de ce terme, une allusion formulaire intraduisible. La lettre II, 43 explique comment les théologiens ont droit à cette salutation spéciale, permettant de les distinguer des simples maîtres ès arts. Magister Noster signifie bien sûr littéralement « Notre Maitre », mais *Érasme avait déjà persiflé cette coutume : Ils se croient proches des dieux chaque fois qu'on les salue presque dévotement du titre de Not’ Maîtres, mots dans lesquels se cache, selon

eux, quelque chose de comparable juifs. C'est pourquoi ils disent qu'il autrement qu'en capitales. Quant termes : « Maítre nótre », il ruinerait théologien?.

à ce qu'est le Tétragramme chez les est impie d'écrire « NOT" MAITRE » à celui qui dirait en inversant les. d'un seul coup la majesté du titre de

La lettre I, 1, qui met en scène un débat sur cette question, est une allusion directe à ce passage de IÉloge de la folie. C’est pourquoi j'ai préféré rendre Magister Noster par la formule « Not? Maitre » pour évoquer le style obséquieux des valets de comédie.

Monsieur le Vénérable Maítre Ortwin Gratius Les adresses des lettres sont des parodies des titres universitaires ronflants. Ortwin Gratius s'y voit qualifié de superexcellent, d'éminent, de vénérable, de savantissime et d'autres qualificatifs pour le moins super1. On se fera une idée de la richesse de son imagination par le titre-méme de l'ouvrage : Affentheuerlich Naupengeheuerliche Geschichtklitterung von Thaten und Rhaten der vor kurtzen langen vund je weilen vollenwolbeschreiten Helden und Herzen Grandgoschier Gorgellantua und def defi Eüteldurstlichen Durchdustlechtigen Fürsten Pantagruel von Durstwelten Kónigen in Utopien Tederwelt Nullatenten und Nienenreich, Soldan der Neuen Kannarien, Fäumlappen, Dipsoder, Durstling [...] Etwann von M. Frantz Rabelais Franzósisch entworffen... (1575)

2. Éloge de la folie, LIII.

98

LES

LETTRES

latifs. La lecture des correspondances de l'époque montre que la charge n'est pas excessive, car les contemporains usaient et abusaient des titres honorifiques lorsqu'ils s’adressaient à une personnalité. Erasme donne très fréquemment à ses correspondants de l'optimo ou du doctissimo viro. Rabelais écrit à Geoffroy d'Estissac : Clarissimo doctissimoque viro D Gotofredo ab Estissaco. L'usage du terme vir dans ces adresses pose d'ailleurs un probléme aux traducteurs français, qui le considèrent souvent comme une sorte d'explétif, dont la seule utilité est de permettre la présence d'un adjectif que la tradition latine ne permettait pas de substantiver. Ils choisissent donc tantót de l'ignorer (Venerabilis vir étant alors rendu par « Vénérable »), tantót de le traduire littéralement par « Homme » ou « Personne », mais de tels termes conviennent rarement au style formulaire d'une adresse. Cependant, on trouve dans les correspondances en langues vernaculaires des formules dont l'allure est étonnamment proche de ces tournures latines. Ce sera par exemple Rabelais écrivant « àMonsieur Maitre Antoyne Hullot! » ou Ronsard « à Monsieur et bon amy Monsieur Passerat ». Dans le domaine germanique, je citerai quelques adresses tirées de la correspondance de *Pirckheimer. D'un barbier de Nórdlingen : Dem erwirdigen und wollgelerden hern doctor Birkhemer, meinem ginstigen hern.

Fyrsychtiger weyser her, etc?. D'un correspondant italien : Dem hochgelerten hern Wilibaldo Burckner [sic], doctor zu Nurnberg, meinem hern und gueten fraindt, Nurenberg. Magnifico Signore moi honorando, etc?. Le wollgelerden (ou hochgelerten) hern n'est autre que le doctissimo viro. Quant au Magnifico Signore, on trouve son équivalent latin dans des adresses de Jean Cochlæus ou Laurent Behaim : Magnifico viro Bilibaldo Pirckheimer, etc.^ Les adresses dans lesquelles vir latin apparait comme un décalque de Herr ou Signore foisonnent dans la correspondance du grand 1. 2. pulos 3. 4.

Lettre « à Monsieur Le Baillif du Baillif des Baillifz ». Lettre 174 bis, Willibald Pirckheimers Briefwechsel, vol. II, Munich, C. H. Beck, 1956,

Lettre 190, ?bid. p. 77. Lettre 191, ibid. p. 80., lettre 205, ibid. p. 139.

LES

LANGUES

99

humaniste de Nuremberg (rédigée autant en allemand qu'en latin). C'est la raison pour laquelle j'ai traduit ce terme par « Monsieur » dans les adresses — à commencer par celle qui tient lieu de titre du premier volume : Lettres des hommes obscurs, adressées àMonsieur leVénérable Maítre Ortwin Gratius, etc. (Epistole obscurorum virorum ad venerabilem virum Magistrum Orrvinum Gratium... misse).

La poésie Derniére chausse-trappe, et non la moindre : les hommes obscurs aimaient taquiner la Muse. Prés d'une lettre sur deux contient une poésie. Or, elles sont composées,

sauf exception, en vers « léonins » —

comme le Manuel dans lequel ils avaient appris le latin —, c'est-à-dire avec une rime (généralement fort pauvre) à l'hémistiche. Ce vers avait été fort prisé pendant tout le Moyen Âge et les poètes religieux nous en ont laissé des dizaines de milliers. Les humanistes, qui vouaient un souverain mépris à ce type de littérature, se considéraient comme les seuls vrais poètes, à l'image de leurs modèles antiques — dont aucun n'avait pratiqué le vers léonin. D’où leur insistance à dénoncer la médiocrité de la poésie cléricale de leurs contemporains. La consécration supréme était précisément, pour eux, d’être couronnés poètes (Hutten, *Celtis, *Cuspinianus, entre autres), à

l'instar de Pétrarque. De plus, ils s'affirmaient ainsi en opposition radicale avec les maîtres scolastiques qui, depuis le xir? siècle, avaient proprement éliminé les études littéraires des universités. La revendication de la poésie était d'ailleurs si importante pour eux que le terme de « *poète » était devenu pratiquement un synonyme d'humaniste. Pour ces raisons, il m'a paru indispensable de traduire en vers les poémes des obscurs — la « pauvreté » de leurs rimes facilitant (une fois n'est pas coutume) la tâche du traducteur.

La pauvreté de la langue Le style des Lettres est terriblement formulaire et parataxique. Les hommes obscurs ne savent s'exprimer qu'en accumulant des tournures juridico-ecclésiastiques et en utilisant à tout propos des mots-chevilles, tels que nuper, tunc, quia, ergo, dixi, respondi. La construction d'une période latine bien balancée leur est un cauchemar. Je me suis efforcé de restituer la pauvreté de ce style dans la traduction, quitte à lui donner souvent une lourdeur assez insupportable. Par exemple, j'ai traduit systématiquement nuper par « l'autre jour », au lieu de « récemment », qui est littéraire, et quia par « car » pour donner un ton familier (et par « vu que » dans les argumentaires de débats).

100

LES

LETTRES

La langue latine (non humaniste) de la fin du Moyen Âge est en fait très mal connue. Il existe néanmoins un certain nombre de dictionnaires d'époque, y compris latin-vernaculaires, tels que le trés précieux *Dictionnaire-Étant-donné-que (Ex quo vocabularius), latin-allemand. Ils ont malheureusement le défaut majeur d'étre destinés à enseigner le latin le plus correct possible. Ils ne contiennent donc que des mots authentiquement latins et on n'y retrouve jamais les termes macaroniques, dont l'emploi était pourtant attesté dans la langue familiére. En revanche, on y trouve un certain nombre d'indications trés précieuses sur les glissements lexicaux, tels que Vila = village, sans lesquels les lettres resteraient souvent incompréhensibles. Quant au *Dictionnaire abrégé (Breviloquus Vocabularius) de Reuchlin lui-même (latin-latin), il est un modele de dictionnaire humaniste, mettant son point

d'honneur à indiquer les significations les plus littéraires des termes, donc rarement adaptées à la langue des hommes obscurs. Il en va de méme pour le dictionnaire de Dasypodius, publié en 1536 à Strasbourg. Par exemple, le mot valde, qui signifie en latin classique « tout à fait », est traduit dans le Dictionnaire-Étant-donné-que par sehr ou gar (en français : « trés »). De ce fait, le théologien qui est qualifié de valde profundus est tout simplement trés profond, ou trés érudit. Pour le reste — les récits par exemple —, les hommes obscurs écrivent comme nous le faisions dans nos thémes latins, c'est-à-dire en décalquant mot à mot le latin sur nos tournures frangaises (ou allemandes, en

l'occurrence) modernes. Ce qui donne par exemple : Et cum hoc etiam studeo = « Et avec ça, j'étudie encore » (II, 35), que Jarl Priel avait traduit par le trés élégant : « De plus, je me livre à l'étude ». Le probléme est identique pour rendre la dimension scatologique ou sexuelle des lettres. J'en prendrai un exemple fort simple (lettre I, 22) en

donnant la parole à l'excellent Gérard Lefoutoir (en latin Schirruglius) — que Develay « francise » en Schirrugl, et à qui les deux autres traducteurs laissent son nom latin entier. Voici ce que disent notre obscur, puis les trois traducteurs : Etiam dixit quod vellet merdare super indulgentias fratrum predicatorum, quia ipsi essent bufones, et deciperent mulieres et rusticos. Develay : « Il a dit aussi qu'il voulait embrener les indulgences des fréres Précheurs, parce que c'étaient des bouffons qui trompaient les femmes et les paysans. » Taàilhade : « Bien plus, il ajouta qu'il dépose sa merde contre les indulgences des Fréres Précheurs, lesquels sont de piétres saltimbanques dont les boniments trigaudent fumelles et pétrousquins. »

LES

LANGUES

101

Priel : « Il à méme dit qu'il chiait sur les indulgences des frères précheurs, du moment que ces derniers sont des charlatans, aptes à leurrer les bonnes femmes et les paysans. »

On voit à quel point la tentation du beau style est difficile à surmonter. Pour faire sentir la pauvreté de cette langue, je me suis également efforcé de reproduire la pauvreté du lexique en traduisant (sauf impossible) les mêmes termes latins par les mêmes termes français — règle de la traduction scolastique, que les humanistes avaient précisément dénoncée depuis Leonardo Bruni. J'y ai, de plus, introduit quelques incorrections typiquement modernes, telles que « malgré que » ou « comme quoi que », tout en sachant bien que la langue « populaire » frangaise actuelle n'est en aucune maniere l'équivalent de la langue des clercs du xvr? siècle — sinon par le fait qu'elle fourmille d'incorrections. Cependant, le probléme de l'élégance de la langue est tellement central dans la polémique des humanistes contre les scolastiques qu'il m'a paru préférable de le souligner. C'est un probléme insoluble en France, car si l'argot a droit de cité dans l'écrit depuis Céline ou San-Antonio, le « mauvais » français ne l'a toujours pas — contrairement à d'autres langues comme l'anglais ou l'allemand, dans lesquelles on peut écrire aussi « mal » que l'on parle. Les choix de présentation J'ai modifié la ponctuation originale du latin, généralement assez flottante, en l'alignant sur l'usage moderne. L’usage des capitales variant d'une lettre à l'autre, je ne l'ai pas normalisé, sauf dans le cas de Magister Noster. La présentation originale des lettres en « pavés » étant particuliérement rebutante (voir p. suivante), j'ai pris la liberté de créer des paragraphes selon le sens, particulièrement dans les pastiches de débats scolastiques. Pour la méme raison, j'ai systématiquement présenté les trés nombreux dialogues, rapportés au style direct, sous forme « théátrale », en faisant précéder chaque réplique par un tiret. J'ai suivi la composition de Bócking, en encadrant les citations explicites par des guillemets. Les citations implicites sont composées en italique. De plus, rien n'indiquant au lecteur le contenu de chaque lettre, je leur ai ajouté des numéros et des titres, évoquant leur sujet principal.

anafcbneyder(us baccalaurtuo rheologie formatus pMere eme € al Sfupegcellenri nccnon fcientífictffímo vt ro oo £Oitu(no ratio DDauentríenff pocte: otato1(:2 pbílofo pbo:nccnon tbcologo:s plus fi vellet.

Glonii (vrofcir Ariftoreles )oubítare oe fingtis no cftinuris

le:2 quía legíf ín £ccle. gpofut in anio meo qrerc 7 ínueftígare

Z

ZA]

oc oibusa funt fub fole.igif cgo gpofuí mibimouere vnà qftío

ncm ín qua oubíü babeo ad onarioné veftrá. €55 pus preftoz p oci fanctü:q' nó volo térarc vñarioné feu vencrabilérare vram:

fcd cgocupío coidíalí£ ct affectuofe q» ínftruaríe me fup oubíü (llud. Quia fcprü E in cuangclto:nolt rérare oim ocu tui.q? vr oícít Galos

mon:a oco eft ois (apia:fcd vos ocdíftís mibi oem fcias qui ego babeo: 7 ois fcia bona cft o:igo fapie:ergo vos cftis mibi quodämodo vcus:q? ocdíftís mf

bi iniriu fapic : loquédo poctíce. £ft aür élla qftío fic (ntroducra. iDudü fuít

bicprandiu Ariftorelis:7 oocto:cs:lícecíarí:necno magrí fuerür in magna le

tía :2 ego fuí críà ibi : bíbímus pro pmo ferculo tree bauftus oe maluarts €o:2ppma vice ímpofuim? femcllae recéres:7 fecím? offam:z ocínde babuit

muse fer fercula:oe carníb:2 es caponil»:7 vni oe pifcils:7 pcedendo vc vno fcrculo ín aliud:femp bibimus vínu "Kotsbo:genfe: TRbenenfe: ct ceo

rcuifí3 f£mbcccéfem nccnó Z burgefem 2 Heuburgcfem. £r magit fucrunt

bi orenrí:z ofrcrürq o. magri nouelli bene ezpedíuerüt fc:z ctimagno bono

rc. aL ücinagri bilaríficari inceperür lod artífíc(alit oe magnis qftiontb». £t vnus dfiuit:vrrii o(cendii magr nrandus:vel nr magrandus:p pfona apra na tà ad fiendü oocro: in tbeología fícur pnunc eft in Lolonia mellíüuus parer

frat X beodcric? oc Banda:oïdis carmelirag vencrädiffimus legatus alme

vniucrfiraris Æolonicnfis: puídífTin? arrifta:pbs:argumérato::2 rhcologus

fupeminés.Er ftarim rñdicmagr warmfemmellanfminus mcus:d cft fcoris

fta fubriliffim?:z mgr cví(j.3nog:z fuir tpcfuop Gdu magífterg bis regcir?:z ter (mpedit?:z ri fterit vlrer(? quoad fuir pmorus p bonoze vniuerfirarç: + (n tellígit bri facta fia:z bs inl'tos otfcípl'os:puos 7 magnos:fenes cü (untozibo: 1 cü mag macuríttare oírít:z renuír q oom eft: noftermagrandus q fir vna ot ctío:q? magrarc fear magrm facere: baccalauriare baccalaurit facere: 7 do cto:zarc ooctoxé facerc.z bínc ventüt ifti fminimagrandus:baccalauriidus:z

vocroxidus.3 q1 oocto:co ín facra rhcologia nó dicunf vocrorcs : fed pter

bumilicaré z crià fanctírare:z jprer ostam noianf feu appellanf maarí noftrí: q ftant ín fíde carbolica in loco oí nr (efu chri d eft fons víte:fed cbrus fuit nioy oim magíftcr.G (pi appellant magrt noftrí:q2 baber nos inftrucre{n vía fitaría:2 veus cft iras:Qpropf mcríro vocant magrí noftrí: q? omes nos fc chiant ocbem?cr rencmur audire pdícatione cog: null? ocbs oícere contra

cos: cr d funt oim nm magiftri. €yed noftro cras.crarc. non cft in vlu.z ne

Icgíf in vocabularío £rd:ncgp in Éarbolicon:ncqg in 3Dzcnílod:neqg in Sem

magémaz :à cii babec multos fmínog. £rgo ocbem?oíccre nofter magiftri dus: no magrnoftradus. ZZüc magr ZAnd2cas Delirsfch: d eft mulcü fubcit

1 pio pte cft pocta:z pio pre cft arrifta:medicus 2 (urífta: z (am legir o1dínae ric Cuídiü in riicram.z crponir omce fabulae allegozice 2 lralíter : 2 ego fut audiro? c(?:q? ezponicimultü fundaméralitiz cri legit ín oomo fua Quinris líanü z Juucnci: (pe cenuir oppofícü magro xvarmfemcl:z otrít æ ocbem? vicerc marnoftràdus. Quia fic e(t oa inter magifter nofter : z nofter magi:

íta crí3 cit ofiainter magítter noftridug:2 nofter magrandue: uia mgr ne Didi oocto: in tbeología:s cft vna víccio:fcd nofter magr funr oue oícríore:z Lettre I, 1, premiere édition.

LES ÉDITIONS

103

4. Les éditions Les éditions initiales Les Lettres des hommes obscurs appartenaient à la littérature de circonstance. Leur condamnation les a rendues clandestines. Leurs éditions ori-

ginales sont donc des raretés. On en trouve par exemple une à Paris, à la Bibliothéque mazarine, mais aucune à la Bibliothéque nationale. Leurs éditions originales sont imprimées en caractéres gothiques minuscules, fourmillant d'abréviations et de ligatures. Les lettres s'enchainent sans numéro, séparées simplement par leurs adresses, sans doute pour économiser le papier, qui coütait fort cher. Les 41 lettres du premier volume couvrent 34 pages imprimées (17 feuillets, dont la page de titre) et les 62 lettres du second couvrent 47 pages imprimées (24 feuillets, dont la page de titre illustrée d'une xylogravure). Les marges entourant le texte et les interlignes sont réduites à leur plus simple expression, puisque le premier volume est imprimé sur 51 lignes par page, avec une justification de 10,4 cm et le second, sur 53 lignes par page, avec une justification de 11 cm. Certaines pages contiennent donc deux, voire trois lettres. Ces deux petits cahiers (leur format est de 19 cm x 14 cm et leur

épaisseur ne dépasse pas quelques millimètres) étaient ainsi très faciles à dissimuler dans des bagages, pour échapper aux contróles des douanes. On est réduit à des conjectures sur les lieux, les imprimeurs et les dates des éditions initiales — sans parler de leurs tirages... L'inventaire systématique en a été établi par Bócking dans son édition critique de

Leipzig!, puis complété par Aloys Bómer? en 1924 (j'indique ici les numéros d'inventaire de Bócking). Premier volume seul. On en connait quatre éditions initiales : — Haguenau, sans doute chez Heinrich Gran, le 19 octobre 1515 (lettres I, 1-41, Bócking n? 1). Il en existe un exemplaire à la Bibliothéque mazarine de Paris, sous la cote 12676, pièce 7. Peut-être fut-il plutót imprimé chez Anshelm, ou à Cologne ou Mayence, comme le pensa Ortwin Gratius. 1. Bócking, Supplementum IL, p. 1, sqq. 2. Aloys Bómer, Epistole..., p. 107, sqq.

104

LES

LETTRES

— Nuremberg, chez Friedrich Peypus, mars-avril 1516 (lettres I, 1-41, Bócking n? 2). — Cologne, chez Heinrich von Neuf, entre le 22 août et le 19 octobre 1516 (édition augmentée avec les lettres I, 42-48, Bócking n° 3). — Lieu inconnu (peut-être en France), quatrième édition inconnue de Bócking, identique à la précédente, découverte par Bómer à Berlin. Second volume seul. Sa page de titre est ornée de la fameuse gravure montrant une assemblée de théologiens, sous le cartouche : OBSCURI VIRI (voir reproduction p. 351). On en connait deux éditions initiales : — Cologne, chez Heinrich von Neuf, printemps 1517 (lettres IL, 162, Bócking n? 4). Il en existe un exemplaire à la Bibliothéque mazarine de Paris, sous la cote 12676 (piéce 6), relié avec le premier volume (pièce 7) et divers autres textes de l’Affaire Reuchlin. Le relieur a sans doute cru que ce volume était le premier à cause de l'illustration de couverture. — Strasbourg, chez Johannes Grüninger, 1517 (édition augmentée avec les lettres II, 63-70, Bócking n? 5).

Les éditions postérieures Ces éditions, réalisées longtemps après la mort de l'auteur, sont fréquemment augmentées d'autres textes satiriques, tels que la *Conférence macaronique de Hutten, la * Défense de Pfefferkorn ou les *Lamentations des hommes obscurs de Gratius. — 1556, 1*' volume seul (édition augmentée avec la lettre I, 49, Bócking, n? 6) — 1556, 2 éditions des deux volumes réunis, comme le seront les suivantes (Bócking n? 7 et 8). — 1557, (Bócking n? 9). — 1570, (Bócking n? 10). — 1581, Francfort-sur-le-Main (Bócking n? 11). — 1583, Francfort-sur-le-Main (inconnue de Bócking, découverte par Bómer). — 1599, Francfort-sur-le-Main (Bócking n? 12). — 1624, Francfort-sur-le-Main (Bócking n? 13). — 1643, Francfort-sur-le-Main (Bócking n? 14). — ?, Utopia (Bócking n? 15). — 1689, Londres, augmentée d'un troisiéme volume (voir infra, p. 674, Bócking n? 16).

L'AUTEUR

105

— ?, Londres, augmentée d'un troisiéme volume (Bócking n? 17). — 1710, Londres (Bócking n? 18). — 1742, Londres (Bócking n? 19). — 1757, Francfort-sur-le-Main (Bócking n? 20). — 1827, Leipzig, Ernst Münch (Bócking n? 21). — 1827, Hanovre, H. W. Rotermund (Bócking n? 22). — 1830, Hanovre, H. W. Rotermund (Bócking n? 23). — 1858, Leipzig, Teubner, Bócking (Bócking n? 24). — 1864, Leipzig, Teubner, 2 vol. in 16? (Bócking n? 25). — 1864-70, Leipzig, Teubner, grande édition critique de Bócking. — 1869, Leipzig, Teubner. — 1924, Heidelberg, avec une présentation trés détaillée d'Aloys Bómer. Toutes ces éditions présentent le texte latin seul. Les traductions

Elles sont récentes. Les Lettres ont évidemment beaucoup intéressé les auteurs anticléricaux de la fin du XIX* siècle, et particulièrement les francais. — 1870, traduction française par Victor Develay (Lettres I, 1-49 en 3 vol. in 32?)!. — 1876, traduction allemande par Wilhelm Binder (Lettres I, 1-49 et II, 1-62, rééd. 1898, 1904, 1964). — 1909, traduction anglaise par Francis Griffin Stokes. — 1924, traduction française par Laurent Tailhade (Lettres I, 1-49)?. — 1933, traduction frangaise par Jarl Priel (sauf II, 62-70), rééd. 1997.

5. L'auteur Tous ces mystères littéraires sont encore épaissis par la question de l'identité de l'auteur réel de l'ensemble. Si la tradition y voit le chevalier Ulrich von Hutten, certains de ses contemporains attribuèrent la gloire d'avoir rédigé les Lettres à son ami Crotus Rubeanus ou à divers autres 1. Paris, Librairie des Bibliophiles. Le premier volume comprend les lettres 1-17, le second, 18-35, et le troisiéme, 36-49.

2. Dans l'édition de Tailhade, les huit premières lettres ne se succèdent pas selon l’ordre de

l'original, mais dans l'ordre suivant : 7, 1, 2, 4, 3, 5, 6, 8.

106

LEBSIEETERES

humanistes : *Erasme, Heinrich Stromer, Willibald *Eobanus Hessus, voire Reuchlin lui-méme.

Problémes

*Pirckheimer,

d'identification

L'auteur des Lettres et ses complices ont choisi de rester masqués, méme aprés leur mort. On peut dire qu'ils y ont bien réussi. Les modernes n'ont pourtant pas ménagé leur peine pour percer leurs identités, mais aucun n’y est parvenu avec certitude. L'anonymat n'est d'ailleurs pas un phénomène isolé dans la littérature de l'époque. Le début du xvr'? siècle vit imprimer en Allemagne une quantité impressionnante de pamphlets. Pour beaucoup d'entre eux, et

non les moindres (Julius exclusus!, Karsthans? ou Till Eulenspiegel?), l'identité de l'auteur reste tout aussi mystérieuse. La difficulté se redouble par la question du nombre des auteurs. Le lecteur remarque en effet aisément des différences de forme et de fond entre certaines lettres ou certains groupes de lettres. Par exemple, on constate immédiatement que la grande majorité des 62 premières lettres du second volume sont supposées envoyées de Rome, ce qui leur donne une relative unité thématique, alors que les huit derniéres concernent principalement une controverse entre *Wimpfeling et les bénédictins plutôt que Affaire Reuchlin. De telles observations plaident pour la diversité des auteurs. Cependant, il n'est stipulé nulle part que ces recueils doivent présenter une quelconque unité de style, ni de contenu. La forme épistolaire elleméme incite à la diversité. De plus, l'idée de donner aux lettres des auteurs fictifs ne fait que compliquer la tâche. En effet, si tous écrivent horriblement mal, les types d'horreurs rencontrés sous leurs plumes sont trés variables. D'ailleurs, certains sont supposés écrire encore plus mal que les autres. On pensera aux progrès accomplis par Jean *Arnoldi entre ses deux lettres (I, 10 et II, 36), qui figurent chacune dans un volume différent. Les citations et allusions entre les lettres, et parfois entre les volumes, sont innombrables et plaident en revanche pour l'unicité de l'auteur. Un seul cas pourrait sembler probant, c'est le traitement du célébre pamphlétaire franciscain Thomas *Murner, fréquemment cité comme reuchliniste actif et sympathique (lettres II, 3, 9, 59 et 63) et qui se voit 1. Pamphlet contre Jules II attribué à Érasme, personnage central des Lettres. 2. Attribué à Hutten par Bócking. 3. La tradition attribuait souvent T1] l'espiégle à Thomas Murner, autre personnage central des Lettres. Cependant, de récentes découvertes laissent supposer que son véritable auteur serait Hermann Bote, un receveur des douanes polygraphe de Brunswick.

L'AUTEUR

107

soudain traité comme un ennemi et copieusement injurié dans la lettre II, 68. Cette brouille soudaine peut s'expliquer aisément par l'évolution religieuse de Hutten, qui prit ouvertement parti pour Luther dés l'hiver 1517, alors que Murner se rangea non moins résolument dans le camp opposé. Cependant, la différence de traitement du personnage ne prouve rien, sinon que l'auteur n'a pas jugé utile de réécrire les lettres précédentes lorsqu'il s'est fáché avec Murner. Dès le xix* siècle, les éditeurs se sont attelés à la tâche de Sisyphe de débusquer les auteurs « réels » des lettres. Bócking avait déjà posé les bases de cette recherche, en proposant, dans le commentaire initial du second volume des Lettres, une belle métaphore évoquant l'art des graveurs satiristes de la Renaissance, tels Dürer, Cranach ou Urs Graf : Il m'apparait que beaucoup de choses trahissent un auteur imitateur, bien que trés habile et plus facilement bouillant et plus impétueux, alors que je dirais que le rédacteur de ces anciennes [des lettres du premier volume] s'est servi d'un poinçon non pas moins pointu, mais moins agité et grincant, et répandant moins de copeaux, en guise de stylet pour exercer sa technique naturelle de la dérision et de l'écriture satirique. C'est pourquoi je ne préférerais globalement aucune des deux parties, car chacune a ses qualités propres, mais il me semble voir une différence entre elles plus importante que ce que d'autres en disent!.

Bócking, conforté par les recherches de Kampschulte? et Krause? sur le cercle humaniste d'Erfurt, penchait pour une attribution globale du second volume à Hutten et du premier à *Crotus Rubeanus. Quarante ans plus tard, Walther Brecht, s’inspirant de Strauf?, tenta de mener

l'enquéte à son stade ultime, en se livrant à une étude systématique du style des Lettres. Son argumentation, étayée par une riche collecte d'indices externes et internes, l'orientait également vers une attribution principale à Crotus Rubeanus et Ulrich von Hutten. La critique externe consistait à comparer les Lettres avec divers autres textes satiriques dont les auteurs sont connus. Comme Bócking, il pensa par 1. Multa imitatorem, quamvis ingeniosissimum et facilius effervescentem impetuosioremque auctorem prodere mihi videntur, cum veterum illarum scriptorem terebro non minus acri sed minus inquieto ac stridulo minusque ramenti circuminicienti pro sullo in exercenda naturali sua deridendi satirasque scribendi arte usum esse dixerim. Ita neutram partem in universum alteri prætulerim, cum utraque proprias suas dotes habeat ; sed maiorem inter utramque partem differentiam videre mihi videor, quam alu statuunt. (Bôcking, Suppl. IL, p. 647). 2. E. W.Kampschulte, Die Universität Erfurt in ihrem Verháltnisse zu dem Humanismus und der Reformation, Trèves, 1858. 3. Krause, Der Briefwechsel des Mutianus Rufus, 1885 ; Helius Eobanus Hessus, 1879.

4. W. Brecht, Die Verfasser... 5. D. FE. Straufà, Ulrich von Hutten.

108

LES. EETTRES

exemple retrouver des traces du style d'Hermann *Busch dans les lettres I, 12, 19, 36 et 39. Cette méthode, pour intéressante qu'elle soit, présente

néanmoins l'inconvénient d'interdire la reconnaissance de citations ou d'allusions, ou méme d'écriture « à la manière de ». Disons que son sérieux littéraire la rend difficilement sensible au pastiche et à l'arte allusiva. Les sources externes sont fort peu nombreuses et Brecht ne leur consacre qu'une quarantaine de pages (contre 350 à l'analyse stylistique). Il s'agit essentiellement de témoignages provenant de correspondances. Le 9 aoüt 1516, par exemple, Hutten écrivit de Bologne à son ami Richard *Croke à Leipzig une lettre qui laisse clairement entendre qu'il n'est pas l'auteur du premier volume : On me raconte que les Lettres des hommes obscurs sont diffusées à travers toute l'Allemagne et je me réjouis que vous les ayez entre les mains, bien que je sois absent. Cependant, je n'ignore pas combien là-bas vous triompherez, en présence de ceux pour qui ce monument a été réalisé, en les attaquant. Agis donc, ne néglige rien de ce que tu pourrais mettre en ceuvre pour tourmenter les hommes les pires. Les barbares sont ridiculisés par leurs façons barbares. À quel point cela a réussi, *Érasme l'a fort bien prouvé, pensant avoir trouvé enfin la méthode tout à fait appropriée pour harceler les sophistes malhonnétes!. Mais pour moi, qui entends parler de ces choses-là, je ne peux pas les voir, car ces hommes obscurs, quels qu'ils soient, ne sont pas encore parvenus jusqu'à mes yeux. S'ils sont vraiment obscurs, ils ne le sont pas tellement pour moi. Je te remercierai (ce que j'ai appelé remerciement, je devrai le nommer remerciements immenses) si je reçois un exemplaire que tu m'enverras?.

Le 22 août, il écrit de nouveau à Croke : J'ai recu les hommes obscurs. Grands dieux ! Que ces plaisanteries sont distinguées ! À dire vrai, les sophistes ne me soupconnent pas encore d'en étre l'auteur, mais j'entends dire qu'ils le proclament ouvertement. Contredis-les et défends la cause de ton ami absent, et ne permets pas que je sois souillé par cette ordure?. 1. Dans son Éloge de la folie. 2. Narrantur mihi epistole obscurorum virorum tota Germania divulgari, et apud vos quoque haberi in manibus gaudeo absens, non nescius interea quam isthic vos triumphetis presentes his, quibus monumentum hoc fit, insultando. Age igitur, nihil intermitte quod quidem divexandis pessimis hominibus usurpare possis ; barbare ridentur barbari : quam hoc bene cesserit, probavit Erasmus, aptissimam tandem viam, qua exagitentur improbi sophistæ, inventam arbitratus ; sed mihi, qui heec audio, videre non licet : nondum enim ad oculos pervenerunt isti, quiqui sunt, obscuri viri ; recte obscuri, non a me tantum. Gratum igitur feceris (quod gratum dixi, et gratissimum inquam) si te mittente exemplar accepero (Bócking, t. I, p. 124). 3. Accepi obscuros viros : dii boni ;quam non illiberales iocos ! Verum ipsum me auctorem non iam suspicantur sophistee, sed, ut audio, palam preedicant. Oppone illis te, et aliquam absentis amici causam age, nec me istis sordibus pollui sine (Ibid., p. 125).

L'AUTEUR

109

Les protestations de Hutten sont fort convaincantes, mais on peut également penser qu'elles lui étaient dictées par la prudence la plus élémentaire. Les protestations d'Erasme contre l'attribution de la paternité du Julius exclusus n'étaient pas moins virulentes et elles n’ont pas pour autant convaincu la postérité. C'est en tout cas ainsi que les contemporains ont compris la chose, car le 27 avril 1517, Laurent Behaim, chanoine à Bamberg, écrivait à son vieil ami *Pirckheimer : Salut ! J'ai reçu tes lettres accompagnées du jugement de maître Ortwin. Je te rends des grâces magnifiques ! ce jugement, que Dom Stabius nous a montré, me semble de loin meilleur, plus agréable, et mieux argumenté. J'aimerais qu'on l'imprime. Il y a ici Dom Jacques Fuchs, le frére du doyen, un homme savant et élégant, qui est intégralement reuchliniste. Il s'amuse merveilleusement à la lecture de ces textes qui ont été faits contre les théologiens. Il est mon meilleur ami et proche d'Ulrich von Hutten. Je crois méme qu'il a composé un certain nombre des Lettres des hommes obscurs, ou au moins qu'il n'était pas loin pendant que certaines d'entre elles ont été composées. Il me communique toujours les nouveaux textes à ce sujet, des qu'il les a. Moi, si je t'ai écrit, dans mes dernières lettres, que je ne comprenais pas comment tu étais tombé dans ce libelle des obscurs, c'est que je n'avais encore lu que deux cahiers de ces textes. Mais le lendemain, quand j'en ai lu d'autres, j'ai bien compris que ce n'était pas par esprit de reproche, mais pour désigner les reuchlinistes. Et ce bon Hutten, qui est peut-étre l'auteur de la plus grande partie de ce libelle, c'est-à-dire de ce recueil de lettres, s'y introduit

comme

lui-méme,

ainsi qu'il l'écrit, en se décrivant

s'il était un grand tartufe ou sauvage, afin d'éviter peut-étre

qu'on l'en croie l'auteur. Moi, je ne sais comment

admirer suffisam-

ment l'esprit de ces gens, et avec quelle astuce ils attaquent cet Ortwin et les mauvais théologiens et *artiens...!

Six ans plus tard, Érasme écrivait, dans son *Eponge contre les éclaboussures de Hutten (S 92) : 1. Salutem. Percepi leteras tuas una cum iudicio M. Ortwini : gratias ago magnificas. Illud iudicium, quod nobis monstravit D. Stabius, longe excellentius, lepidius argutiusque videtur : vellem ut imprimeretur. Est hic D. iacobus Fuchs, frater decani, vir doctus et elegans, qui totus est Reuchlinista : is mirabiliter delectatur lectione harum materiarum contra theologistas factarum : est optimus amicus meus et intimus Ulrici Hutteni : credo eiiam ipsum non nullas composuisse epistolas obscurorum virorum, vel saltem non abfuisse longe, dum nonnulle earum sunt composite. Ipse semper mihi communicat nova de hac materia, quando ea habet. ego literis proximis scripserim ad te non me intelligere quomodo incideris in illum libellum obscurorum, quia tunc non legi nisi II quaterniones de illa materia ; at postera die cum ulterius legi, bene intellexi quod non vituperii caussa [sic], sed ut significaret Reuchlinistas. Et ille Huttenus, qui forte auctor est vel maioris partis illius libelli seu epistolarum, ipsemet se, ut scribit, inseruit, sibi ipsi obloquens quasi sit magnus truffator seu bestialis, ut forte evitaret suspicionem auctoris. Ego non satis possum mirari de ingeniis hominum, quam argun vitu-

perent illum Ortwinum et malos theologos et artistas [...]. (Bócking, Hutteni opera, t. I, p. 133, lettre L).

110

LES

LETTRES

[Hutten écrit que] « J'ai d'abord applaudi aux Lettres des hommes obscurs, mais bientót, saisi par la crainte, j'ai envoyé une lettre à Cologne, par laquelle j'expliquais que de tels libelles ne me plaisaient pas. » Recois donc l'affaire, excellent lecteur et comprends l'artifice de Hutten : j'étais tombé sur une lettre écrite à la main qui racontait un banquet de maîtres! et ne contenait rien de plus qu'une plaisanterie innoffensive, et on l'attribuait à Hutten. Elle me procura un énorme plaisir et souvent, je l'ai lue avec des amis, si bien qu'elle se fixa dans ma mémoire. Quand je rentrai à Bále, comme j'avais perdu l'écrit, je l'ai dictée de mémoire à *Beatus Rhenanus. Et entretemps, j'ai écrit à des amis de Hutten pour qu'ils me l'envoient telle qu'elle avait été écrite. C'est ainsi que cela s'est passé, je l'avoue naivement. Mais quel péché y a-t-il là, si j'ai pris plaisir à une lettre qui ne contenait que de la gaité sans étre liée à aucune infamie ? Quelque temps plus tard, le libelle achevé parut, et il contenait de nombreuses lettres diffamatoires, obscènes et agressives. Nous l'avons encore lu et nous avons ri. Or, la société des érudits qui fréquentait souvent l'établissement de *Froben attestera que j'approuvais la gaieté de nombreuses lettres, mais en revanche que je condamnais une manière qui allait revenir dans divers autres endroits. Et je n'ai jamais approuvé autrement ce libelle. On y faisait passer par jeu Reuchlin pour un hérétique, mais on le faisait passer quand méme. Et je pense qu'il n'a pas été content de ce libelle. Quand je suis retourné au Brabant, j'ai entendu beaucoup de gens confirmer mon opinion. Assurément, je n'ignorais pas qu'on leur attribuait trois auteurs. Je n'ai détourné les soupçons contre personne. Au point que j'ai repoussé de moi le faux soupçon par la lettre? envoyée à

*Czesarius?.

1. Il s'agit sans doute de la lettre I, 1. 2. Lettre du 16 aoüt 1517, par laquelle Érasme se défend vigoureusement d'avoir une quelconque responsabilité dans la rédaction des Lettres. Il avait suffisamment de soucis à se défendre des accusations d'hérésie pour avoir traduit le Nouveau Testament. Cette lettre est reproduite dans Bócking, Hutteni opera, vol I, p. 149 sq. 3. «" Epistolis obscurorum virorum primum applausi, mox metu territus epistolam Coloniam misi, qua significabam mihi displicere tales libellos". Accipe nunc rem, optime lector, et intellige Huttenicum artificium : nactus eram unam epistolam manu descriptam de convivio magistrorum, quce nihil haberet præter innoxium 1ocum, et ferebatur Hutteni. Heec mihi maxime voluptati fuit, ac toties inter amicos lecta est, ut propemodum hæreret memorice. Basileam reversus cum mihi perisset scriptum, ex memoria dictavi Beato Rhenano, scribens interim amicis Hutteni ut mihi eam mitterent quemadmodum

erat scripta. Hoc ita factum esse ingenue fateor. Sed quid hic est peccati, si delectatus sum epistola quee festivitatem habebat cum nullius infamia coniunctam ? Aliquanto post prodiit libellus excusus, habens complures epistolas famosas, obscϾnas ac virulentas ; legebatur libellus nobis quoque ridentibus, sed

tamen frequens eruditorum sodalitas, quee tum versabatur in ædibus Frobent, testabitur me tum probasse festivitatem in multis epistolis, sed damnasse exemplum vicissim aliunde in alios recursurum ; nec unquam aliter probavi eum libellum. Traducebatur illic Reuchlinus hereticus ioco, sed tamen traducebatur ; et arbitror nec ipsum eo libello delectatum. Ubi redissem in Brabantiam, sensi plerosque confirmare meum esse commentum. Equidem non ignorabam autores, nam tres fuisse ferebantur ; in neminem

derivavi ullam suspicionem ; tantum epistola missa ad Cæsarium suspicionem falsam a me depuli. » (Bócking, Hutteni opera, t. IL, p. 278, $ 92-94).

L'AUTEUR

111

L'indice finalement le plus probant de la double paternité de Crotus et de Hutten est la Réponse à l’Apologie de Crotus Rubeanus!, publiée en 1532, dont l'auteur anonyme accuse (à juste titre) Crotus d'avoir apostasié la cause luthérienne et d'avoir donc abandonné les convictions de sa jeunesse : Rappelle-toi, voici quinze ans, avant que Luther ne se soit dressé, alors que tes hommes obscurs n’avaient pas encore rendu célèbres Hochstraten de Cologne et les autres papistes par cette œuvre sans doute comparable, mais néanmoins éternelle, combien vous, les deux héros, toi et Hutten, vous avez déclaré une guerre terrible contre la totalité du monde papistique ! Combien d’hommes, combien de troupes instruites et solides, vous avez convaincus de poursuivre les papistes sur terre et sur mer ! Par combien (et en quelle quantité !) de dialogues, d'épigrammes, de satires, d'écrits en latin et en allemand, n'avez-vous pas persécuté les [courtisans] romains, les cardinaux, les évéques, et surtout les théologiens et les moines ? [...] pour que je taise pendant ce temps ton libelle, qui pourrait faire travailler [les poumons de] dix Démocrites?, à savoir les Lettres des hommes

obscurs

[...] Pour elles, tu étais l'un des auteurs, et

peut-être le premier par rapport à Hutten, qui est demeuré fidèle au parti

luthérien jusqu'à la fin?.

Ces témoignages indiquent clairement dans quels cercles les Lettres ont été composées, mais ne permettent pas de trancher définitivement la question. C'est pourquoi Brecht, conscient de la minceur des sources externes, a développé l'essentiel de son argumentation à partir de l'analyse stylistique interne, en poursuivant les observations de Bócking. Il écrivit donc : On ne peut pas lire attentivement les Lettres sans remarquer une forte différence de style entre la première et la seconde partie. On serait peutêtre embarrassé si on devait sur le champ la définir concrètement. On res1. Ad apologiam Ioannis Croti Rubeani responsio amici ad quem privatim eam scripsit. Cette longue lettre fut publiée par Bócking (Suppl. II, pp. 456-465), qui l’attribue à Juste Menius. 2. Citation du 5° vers (exerce pulmonem) du poème figurant en exergue du second volume des Lettres, qui fait lui-même allusion à Juvénal (Perpetuo risu pulmonem agitare solebat Democritus) reproduit à la p. 351 du présent ouvrage. 3. « Nosti ante annos quindecim, antequam exortus esset Lutherus, cum nondum tui Obscuri Viri Coloniensem Hochstratum et reliquos Papistas comparabili illo quidem, sed tamen æterno poemate cele-

brarant, quam vos duo Heroes, tu et Huttenus, horribile bellum indixistis universo papistico nomini, quantis viribus, quam instructis et firmis copiis, terra marique persequi papistas induxeratis in animum.

Quot et tantis dialogis, epigrammatis, satyris, scriptis latinis, germanicis, exagitastis romanistas, cardinales, episcopos, precipue autem theologos et monachos ? [...] ut interim taceam libellum illum tuum, qui decem possit exercere Democritos, Obscurorum scilicet Virorum Epistolas [.. . ] Ad heec tu unus et pri-

mus pene author eras Hutteno, qui Lutheranarum partium constanter mansit usque ad finem. »

(Bócking, Hutteni opera, t. II., pp. 460-461)

112

LES. EETTRES

sent sa présence comme une évidence. C'est Bócking qui a exprimé cette différence le plus clairement avec une image heureuse. Il dit de la seconde partie (qu'il ne pourrait d'aucune façon préférer à la première pour sa valeur artistique) : « Il m’apparaît que beaucoup de choses trahissent un auteur imitateur [...] mais il me semble voir une différence entre elles plus importante que ce que d'autres en ont dit. » (sur la citation du texte de Bôücking reproduit supra). Par conséquent, Bócking voulait attribuer principalement la premiére partie à Crotus et la seconde à Hutten. Avant lui déjà, Strauf)! avait cherché à délimiter plus précisément la différence, mais ses remarques fines n’allaient pas non plus au fond de la chose?.

David Friedrich Strauf avait en effet abordé ce probléme dans sa biographie de Hutten (1858). Dans le chapitre consacré aux Lettres, il avait approfondi l'image du poinçon du graveur proposée par Bócking, en s'appuyant sur une typologie littéraire de la satire : Déjà dans la premiére? d'entre elles [la première lettre du supplément au premier volume], qui raconte une entrevue avec Erasme (comme Hutten en avait eue peu de temps avant à Mayence et à Francfort, et l’avait souhaitée lorsqu'il partait pour l'Italie), l'auteur tombe par moments dans un trés bon latin (hutténique), comme s'il n'était pas encore familiarisé avec le jargon des hommes obscurs ; de méme que, par ailleurs, quand il a l'idée de celui qui parle, il déforme beaucoup plus violemment sa langue, que ne l'avait fait le rédacteur principal de la première partie, avec sa connaissance technique plus exacte et son jeu mimétique. Dans la seconde partie, cela s'améliore, mais il subsiste pourtant dans la majorité des lettres une différence toujours visible*.

1. D.F. Straufà, Ulrich von Hutten, p. 207. 2. Man kann die Eov nicht aufmerksam durchlesen, ohne eine starke stilistische Verschiedenheit des ersten und des zweiten Teiles zu bemerken. Man káme vielleicht in Verlegenheit, wenn man sie sogleich greifbar hinstellen sollte ; da sie da ist, fühlt man als unmittelbar gewif3. Am klarsten hat Bücking den Unterschied mit einem glücklichen Bilde ausgedrückt. Er sagt von dem zweiten Teile, den er an künstlerischem Wert keinesfalls dem ersten vorziehen móchte « multa imitatorem, quamvis ingenisissimum [...] differentiam videre, mihi videor, quam ali statuunt. ». Bücking wollte demgemäf Crotus besonders für den ersten Teil, Hutten besonders für den zweiten in anspruch nehmen. Schon vor ihm hatte Strauf die Verschiedenheit enger zu umschreiben gesucht ; seine feinen Bemerkungen gehen jedoch nicht auf den Grund der Sache. (Die Verfasser... p. 44). 3. En fait, il s'agit de la seconde (lettre I, 42). 4. Gleich im ersten derselben, der von einer Zusammenkunft mit Erasmus erzáhlt (wie sie Hutten kurz vorher in Mainz und Frankfurt gehabt und auf dem Wege nach Italien ersehnt hatte) ,verfállt der Verfafier stellenweise in ein ganz gutes (Hutten'sches) Latein, als wäre er des Jargons der Dunkelmänner noch nicht máchtig ; wie er andrerseits, wenn ihm einfállt, wen er reden làfit, die Sprache viel gewaltsamer verdreht, als dief der Hauptverfasser des ersten Theils mit seiner genauern Sachkenntnif und seinern Mimik gethan hatte. Im zweiten Theile wird es damit besser, doch bleibt in der Mehrzahl der Briefe der Unterschied immer noch bemerkbar. (Sauf, Ulrich von Hutten, livre I, chap. 8).

L'AUTEUR

113

Brecht commente à son tour l'observation de Strauf et propose de la pousser beaucoup plus loin : En ce qui concerne la technique de la satire, comme elle apparait dans les Lettres, Strauf a proposé le nom de satire mimétique, c'est-à-dire une satire dont l'effet comique est provoqué par l'imitation caricaturale apparemment naive du sujet comique. Elle est seulement une autre formulation du concept, établi par Friedrich Vischer!, de la satire indirecte

qui « objective plus, est plus sereine, refléte l'objet à railler dans sa propre lumière, et l'aime en le créant ». La satire indirecte œuvre esthétiquement de maniére plus pure, elle se rapproche de la miniature, de l'idylle, alors que la satire directe, plus grossière entretient un lien étroit avec l'éthique et méme le pathétique, et se transforme volontiers en invective pure. [...] Il faut donc aller plus loin. Dans la première partie, on ne trouve absolument pas de satire directe pathétique. Il n'y est question que de modeles exemplaires de satire mimétique. Son style est pleinement homogene. Ainsi, seul Crotus Rubeanus, en concordance avec les témoignages extérieurs, peut être considéré comme son auteur’.

Il poursuit cette analyse pour le second volume des Lettres : De cela, il ressort bien l'impression d'un meilleur latin que Strauf et Bócking ont eue de nombreuses parties du second volume (surtout du début), et du supplément du premier volume. Hutten ne posséde pas encore suffisamment l'idiome des obscurs. I] ne l'apprend qu'en écrivant. Il s'intéresse également moins au mimétisme de la pseudo-logique scolastique, il y parvient également moins. Plus tard, dans le volume II, son latin est souvent incroyablement pauvre. Il lui manque le sens du juste milieu, où réside la vie. Tout au long du volume II, la latinité est plus riche en vocabulaire et plus colorée, nettement mélangée, si bien que l'ensemble apparait dépourvu de style ; alors que le latin de cuisine du premier volume a pourtant ses règles, qui gouvernent toutes les 41 lettres,

ses particularités et son style, du début à la fin*. [...] 1. F. Vischer, Asthetik III, p. 758 et V, p. 1458.

2. Für die Art der Satire, wie sie in den Eov vorliegt, hat Strauf den Namen der mimischen Satire eingeführt, d. h. einer Satire, deren komische Wirkung auf der scheinbar naiven karikierende Nachahmung des komischen Subjekt beruht. Es ist dies nur eine andere Bezeichnung für den von

Friedrich Vischer aufgestellten Begriff des indirekten Satire, die « mehr objektiviert, heiterer ist, das zu Verhóhnende in seinem eignen Lichte spiegelt, es beim Schaffen liebt. » Die indirekte Satire wirkt reiner ästhetisch, sie neigt zur Kleinmalerei, zur Idylle ; während die gróbere direkte einen starken Zug zum Ethischen, ja Pathetischen hat und gern zur reinzn Invektive auswächst. [...] Man muf jedoch zweiter gehen. Im ersten Teile ist von direkter pathetischer Satire gar nichts zu finden, er enthált nichts als mustergiltige mimische Satire. Sein Stil ist vóllig einheitlich. Als sein Verfasser kann daher, übereinstimmend mit dem Ergebnis der áufferen Zeugnisse, nur Johannes Crotus Rubeanus in Betracht kommen. Walther Brecht, Die Verfasser der Epistolae obscurorum virorum, Strasbourg, 1904, p. 45 (c'est Brecht qui compose en gras). 3. Mit daher stammt wohl der Eindruck der besseren Latinitát, den auch Straufj und Bócking von

manchen Partieen des zweiten Teils, besonders dem Eingang und der App. I, gehabt haben. Hutten

114

LES|LETYERES

Comme le style de la première partie est en général fluide ! Comme le mouvement de la langue et de la pensée y est agréable ! Leur courant subtil emporte insensiblement le sentiment du lecteur qui sourit, et n'éclate de rire qu'exceptionnellement!.

On est évidemment un peu surpris de l'accusation de pauvreté du latin adressée à Hutten dans le second volume

des Lettres, comme

si

cette pauvreté n'était pas précisément le ressort principal de la dénonciation humaniste de pauvreté radicale de la langue des scolastiques — et un beau cas de « satire mimétique ». Pour étayer sa démonstration, Walther Brecht chercha à repérer des constantes de vocabulaire ou de syntaxe — disons de style — susceptibles de délimiter des groupes de lettres distincts. Il a traqué les moindres fautes de grammaire, les macaronismes, les citations de la Bible, les formes des adresses, etc. Je n'entrerai pas ici dans le détail de ses démonstrations, car elles sont entravées par un biais considérable : dans une littérature parodique, rien n'interdit à un auteur de modifier volontairement son style et d'écrire « à la maniére de », voire de se pasticher lui-même afin de brouiller les pistes. C'est précisément la raison pour laquelie, de ce cóté-ci du Rhin, on se demande toujours si Rabelais est l'auteur du Cinquième Livre. Quoi qu'il en soit, la conclusion de Brecht — suivant les pistes proposées par Strauf? et Bócking — est que *Crotus Rubeanus était l'auteur des lettres 1 à 42 du premier volume, et Hutten celui du supplément au premier volume (lettres I, 43 à 48), ainsi que du second volume (lettres II, 1 à 62), mais pas de son supplément. Les huit lettres supplémentaires du second volume (II, 63 à 70) seraient dues à des humanistes des cercles alsaciens, sans doute proches de *Wimpfeling. La plupart des érudits allemands modernes ont suivi ces conclusions. La question de l'attribution des Lettres est captivante pour le philologue-détective qui dort au fond de tout historien, mais il se trouve ici devant un probléme aussi complexe (et simple à la fois) que celui de l'unicité des poèmes homériques. La diversité y est en effet flagrante. beherrscht eben das obskure Idiom noch nicht genügend, er lernt es erst im Schreiben ; und auf die Mimik der scholastichen Pseudo-logik kommt es ihm auch weniger an. Spüterhin ist sein Latein in II manchmal unwahrscheinlich elend. Ihm fehlt der Sinn für die Mitte, in der das Leben liegt. Durchgehends ist die Latinität in II wortreicher und bunter, deutlich gemischt, also als Ganzes betrachter stillos ; während das Küchenlatein in I doch seine Gesetze hat, die alle 41 Briefe beherrschen, Eigenart und Stil von Anfang bis zu Ende. (Ibid. p. 110)

l. Wie flüfig ist überhaupt der Stil des ersten Teils ! Wie angenehm die Sprach- und Gedankenbewegung, deren leiser Strom das Gefühl des lächelnden, nur selten lautauflachenden Lesers unmerklich weiterschaukelt ! (Ibid. p. 112)

L'AUTEUR

115

Mais l'unité ne l'est pas moins. De plus, les règles de l'anonymat de la littérature parodique autorisent (encouragent) toutes les combinaisons, y compris les plus « tordues », d'autant que les humanistes qui défendirent Reuchlin étaient réputés pour leur subtilité et leur virtuosité linguistique — on compte un nombre appréciable de « *poétes couronnés » dans leurs rangs. Pour cette raison, je m'en tiendrai à l'opinion des contemporains qui attribuaient les Lettres au poète couronné et futur chevalier-brigand Ulrich von Hutten. Cela étant dit, rien n'interdit de penser qu'il ait réalisé ce vaste projet avec la collaboration active de nombreux amis, qui auraient été précisément la fine équipe des *Crotus Rubeanus, Hermann *Busch, Hermann von *Neuenahr et consorts.

Mais il me parait finalement que la question de l'identité de l'auteur — ou des auteurs — est secondaire. D'ailleurs, s'il(s) a(ont) voulu rester caché(s), c'était sans doute aussi parce qu'il(s) pensai(en)t que l'efficacité polémique des Lettres en serait accrue. Il(s) laisserai(en)t aux sots la latitude de croire que les hommes obscurs en étaient les vrais auteurs. On lui(leur) accordera donc ce crédit, en nous rappelant que leurs contemporains ont à peu prés unanimement cru à l'unicité de l'auteur (généralement Hutten). D'ailleurs, la grande édition critique des Lettres par Bócking ne constitue-t-elle pas les deux derniers volumes de sa monumentale édition des œuvres complètes de Hutten ? Ulrich von Hutten Il est maintenant temps de dire quelques mots de ce personnage, omniprésent dans les Lettres, et qui fut un acteur de premier plan de toutes les batailles littéraires, politiques et religieuses de la seconde décennie du xvI' siècle. Ulrich von Hutten naquit en 1488 au château de Steckelberg, près de Fulda, descendant d'une grande famille de chevaliers franconiens. Ses parents le destinaient à la prétrise et le firent entrer à l'áge de onze ans, en 1499, au monastère de Fulda. Il s'en échappa en 1505, en âge de poursuivre ses études dans une *faculté des arts. Quasi indigent, il consacra les quelques années suivantes à étudier dans les universités de Cologne et d'Erfurt, ce qui lui donna l'occasion d'entrer en contact avec Crotus Rubeanus et son cercle humaniste. Il obtint son *baccalauréat és arts en 1507 à Francfort-sur-Oder, et poursuivit ses études à Leipzig, où il fut l'éléve d’*Æsticampianus, puis à Greifswald. Un conflit avec Lótze, son hóte à Greifswald, l'incita à publier les Querelles (Francfort-sur-Oder, 1510), où il fit pour la première fois la démonstration de ses talents de

satiriste et de polémiste.

116

LES

LETTRES

Pendant une visite à Vienne (été 1511), il fut initié aux desseins patriotiques et historico-politiques du cercle humaniste fondé par Conrad *Celtis. La méme année, il publia son Ars versificatoria à Leipzig. En 1512, il partit pour l'Italie étudier le droit romain à Pavie mais, trois mois aprés son arrivée, la ville fut investie par les Français, puis par les Suisses. Hutten crut sa dernière heure arrivée et composa son épitaphe. Dépouillé de tout ce qu'il possédait, il put s'enfuir à Bologne. Il tira la leçon de ce séjour italien dans le poème satirique Personne (Nemo, Oo1tc), dans lequel il expliquait qu'il était parti en Italie pour devenir « quelqu'un » (un juriste, selon le souhait de son pére), mais qu'il en revenait en n'étant toujours « Personne ». Il retourna en Allemagne l'année suivante. À partir de cette date, Hutten s'engagea dans une série de controverses majeures, qui allaient changer radicalement le cours de son existence et de sa production littéraire — et lui assurer la renommée. Tout d'abord, l'Affaire Reuchlin. C'est sans doute dés qu'il apprit l'acquittement de Reuchlin en avril 1514, que Hutten composa le * Triomphe de

Jean Reuchlin. Il le présenta à *Érasme lors de leur première rencontre à Mayence (en aoüt), mais ne le publia que trois ans plus tard. Une seconde rencontre eut lieu à Francfort-sur-le-Main en avril 1515. Ces deux rencontres marquerent le début d'une alliance « contre les ennemis des langues et des *Bonnes Lettres », relation qui était des plus flatteuses pour Hutten, parce qu'Érasme avait déjà atteint le zénith de sa carrière. Il joua ensuite un rôle majeur dans l'élaboration des Lettres, avec toutes les incertitudes que l'on a déjà évoquées plus haut. La deuxiéme controverse eut son origine dans une affaire privée. Le 7 mai 1514, le duc Ulrich de Wurtemberg assassina son maitre écuyer, Johann von Hutten, un cousin d'Ulrich, dont il convoitait la femme. Quand Ulrich von Hutten apprit cette nouvelle, il réclama vengeance, selon les lois de la chevalerie. Comme il ne pouvait atteindre physiquement le puissant duc, il l'attaqua par une série de pamphlets vengeurs (cinq discours et le dialogue Phalarisme, publiés entre 1515 et 1519), qui dénongaient sa tyrannie et appelaient ses sujets à la révolte. Il s’y présentait comme le champion politique des chevaliers impériaux libres.

En octobre 1515, il retourna en Italie pour étudier le droit. Il y séjourna une année et demie au cours de laquelle il se rendit à Rome, puis à Bologne, Ferrare et Venise. C'est à l'issue de ce second séjour italien qu'il se langa dans la bataille contre l'Église romaine et pour la liberté de la nation allemande. Revenant d'Italie, il passa par Augsbourg, où il fut recu par Conrad *Peutinger. Ce dernier, profitant de la présence de l'empereur dans la ville, obtint que son jeune ami füt couronné poéte par Maximilien le 12 juillet 1517.

ENTRE

ÉRASME

ET RABELAIS

17

Hutten se fixa à Mayence, au service de l'archevéque *Albert de Brandebourg. Il y publia dés 1517 le traité de Lorenzo Valla sur la * Donation de Constantin, qui anéantissait les prétentions papales sur l'Empire, puis en 1518 une adresse à la Diète d'Augsbourg lui demandant de rejeter l'impót demandé par Rome pour financer une croisade contre les Turcs (Augsbourg, 1518). Au printemps 1519, il rejoignit l'armée de la Ligue souabe dans sa guerre contre Ulrich de Wurtemberg. Cette campagne le lia d'amitié avec Franz von *Sickingen, qu'il convainquit de protéger Reuchlin. Les derniéres années de sa vie furent encore plus mouvementées, rythmées par des déplacements incessants, le soutien à Luther, la brouille avec Erasme, la publication de nouveaux pamphlets en latin, puis en allemand, la syphilis, les expéditions militaires (désastreuses), et finalement la fuite et la mort, abandonné de tous, sur l'ile d'Ufenau, dans le

lac de Zurich, à l'áge de trente-cinq ans.

6. Entre Érasme et Rabelais Le pastiche comme

polémique

Si Hutten s'est vu attribuer la paternité des Lettres, c'est parce que sa personnalité s’y prétait particulièrement bien. Il est vrai que la plupart des humanistes avaient l'invective facile, mais Hutten fut, avec Érasme, l'un des maitres du genre. Hors son art poétique et son traité sur la vérole, il n'écrivit à peu pres que des pamphlets, parmi lesquels un bon nombre de pièces satiriques, ridiculisant ses adversaires. Bócking a publié dans son édition complète des œuvres de Hutten! pas moins de vingt-huit dialogues satiriques anonymes, dont il attribue onze à Hutten avec certitude. Les autres auteurs sont *Pirckheimer (Eckius dedolatus), Fausto Andrelini (De obitu Iulit), ou des inconnus (*Crotus Rubeanus est souvent soupçonné). Dans cet ensemble foisonnant, je reléverai trois dialogues, dont la langue (latin de cuisine) présente dès l'abord une parenté frappante avec celle des Lettres. Il s’agit de la *Conférence macaronique, de la *Réunion des théologistes et de Hochstraten triomphant?. Je ne me prononcerai pas sur leur auteur, mais j'observe qu'ils ont en commun avec les Lettres, outre leur style, la particularité de mettre en scéne des personnages réels, 1. Hutteni opera, IV. 2. Hochstratus ovans est reproduit dans Bócking, Supplementum I, pp. 461-488.

118

LEESJLET ERES

contrairement à d'autres dialogues qui donnent la parole à des divinités ou à des allégories, et se rapprochent donc plus du genre de l'apologue. La * Réunion des théologistes fait ainsi dialoguer Hutten avec les théologiens Hochstraten, Édouard (Lee), (Jean) Eck, *Arnold (de Tongres) et Léopold. Quant à Hochstraten triomphant, c'est un dialogue entre Hochstraten, Lee, Latomus et Léopold. Bócking a également retrouvé et publié quelques autres véritables pastiches, contemporains des Lettres, mais qui ne sont pas des dialogues, tels le *Contre le sentiment parisien (1514), le Manuel de l'inquisiteur (1519), adressé à Sylvestre *Prieras, ou le Florilège extrait de divers opuscules et traités des frères, pères et Not? Maîtres (1520)!. Tous sont écrits dans ce méme latin de cuisine universitaire, avec lequel les Lertres nous ont familiarisés. De plus, ces pastiches, pour « véritables » qu'il paraissent, affichent toujours, tout comme les Lettres, des traces plus ou moins apparentes de leur vraie nature, telles que l'exergue « Lis et tu riras » (Lege et ridebis) sur la page de titre du Florilège. On croira donc difficilement que ces textes de combat, émanant tous du camp reuchliniste (à l'exception notable des *Lamentations des hommes obscurs de Gratius), aient été destinés à étre lus « naivement » par leurs victimes. La subtilité de leurs jeux stylistiques s'adressait sans doute plutôt à des lecteurs complices, c'està-dire aux humanistes capables de les décrypter. Barbarolexis Parmi ces jeux, l’un des plus spectaculaires consiste à insérer de l'allemand au milieu d'un texte latin. Cette manie — qu'Isidore de Séville? nommait barbarolexis — est fréquente dans la littérature satirique universitaire de la fin du Moyen Âge. Elle était l’un des ressorts du comique des « sujets délirants » (Queestiones fabulosæ), pastiches de *débats quodlibétiques*. On s'en fera une idée par cet extrait du débat sur « La fidélité des concubines envers les prétres » :

1. Le Contra sentimentum parrhisiense est reproduit dans le Supplément I, pp. 318-322, le Tractatulus... de arte et modo inquirendi quoscunque hereticos..., pp. 489-499, à la suite du Hochstratus ovans. Le Florilegium ex diversis opusculis atque tractatibus fratrum, patrum, et magistrorum nostrorum... est seulement décrit dans son Index scriptorum (Supplément IL, pp. 111-112).

2. Étymologies, I, 31. Ce terme se retrouve dans un commentaire

du *Grécisme : « la

Barbarolexis est une certaine figure de style et elle se produit quand un texte est composé à partir de langues diverses, comme par exemple [...] l'allemand et le latin » (Barbarolexis est quedam figura grammaticalis et fit cum oratio componitur ex diversis idiomatibus velut [...] ex tautonico et latino), cité par Hess, op. cit., p. 178. 3. Publiés par Zarncke, Die deutsche Universitáten...

ENTRE

ÉRASME

ET

RABELAIS

119

Hzc in Bethania facta sunt, teste Virgilio : Itur in antiquam silvam, et in nocte paschali : — wen suchen ir hie, ir beschlepten frozen ? — ein alte hur mit einem ouge,

et mox responsum est « Non est hic », quoniam concubina subtraxit pecunias...!

Ces choses se sont produites à Béthanie, comme en témoigne Virgile : « On va dans l'antique forét », et dans la nuit pascale : — Qui cherchez-vous ici, vous les femmes traínantes ? — Une vieille pute borgne, et il fut bientót répondu : — Elle n'est pas ici, parce que la concubine a volé de l'argent...

L'effet comique nait bien sür de l'assemblage hétéroclite de citations des Evangiles et de Virgile, assorties de commentaires orduriers. Dans l'exemple cité, on se souviendra que la réponse « Il n'est pas ici » est celle de l'ange aux saintes femmes, venues chercher le corps du Christ au tombeau le matin de la Páque (Luc XXIV, 6). L’absence de pronom personnel en latin fait que le sujet du verbe être (// n'est pas ici) peut être aussi bien « il » que « elle ». Tous les étudiants de l'époque connaissaient évidemment l'origine de cette citation et pouvaient apprécier. Mais cette manière était également répandue chez les poètes goliards? vagants, tel *Samuel ex Monte Rutilo (cité dans les lettres I, 15 et 25). L'homme est peu connu, mais l'humaniste *Bebel écrivit de lui dans ses Commentaires sur la façon de composer les lettres : Samuel du Mont-Rouge : un certain Samuel erre à travers l'Allemagne, rempli d'inepties et répandant de nombreux barbarismes, n'enseignant rien sinon à faire des rimes incultes (ainsi que nous les nommons) et d’autres calamités latines, desquelles, je te prie, tu te garderas autant que du venin de la vipère*.

1. Zarncke, De fide concubinarum in sacerdotes, disputée à Heidelberg pour la soutenance de Maitre Paul Olearius, op. cit., p. 96. 2. La littérature universitaire de dérision anticléricale, nommée « goliarde », est attestée au

moins depuis le XII? siècle, y compris chez des auteurs sérieux, tel l'Archipoéte de Cologne. Sa

nature méme (piéces de circonstance, souvent orales) fait que la plus grande partie en a disparu

sans laisser de trace. 3. Heinrich Bebel, Commentaria epistolarum conficiendarum : Samuel de monte rutilo : Vagat hicinde per Germaniam quidam Samuel, ineptiarum plenus, multos barbarismos seminans, nihil docens preeter incultos rhythmos (quos dicimus) facere et reliquas latine lingue calamitates, a quibus, precor, caveas tamquam ab aspidum venenis. (cité par Hess, op. cit., p. 212)

120

LES

LETTRES

Il est vrai que Bebel était un puriste particuliérement exigeant et que le poéte Samuel s'était fait une spécialité de compositions alternant les vers latins et allemands. Il avait par exemple publié à Bâle en 1500 un poème intitulé par dérision « Barbara lexis »!, commençant par ces vers : Quicunque velit amare Wyber oder junckfrowen, Magno in gaudio stare Der soll gar eben schowen, Ut fungatur prudentia, Er mócht die sach verderben... Quiconque voudrait aimer Des femmes ou des jeunettes, Et rester en grande joie Il doit faire bien attention,

Qu'il fasse preuve de prudence, Il devrait garder la chose cachée...

On est ici trés proche du style des Lettres. Il est clair que ce type de poésie était honni des humanistes, comme diamétralement opposé à l'élégance, et ils accusaient les hommes obscurs de l'apprécier. La question de l'usage de la langue vernaculaire est donc posée. Dans le camp des humanistes (y compris *Brant et *Murner), la seule langue authentiquement poétique était le latin. On sait qu'Érasme n'a pas publié une ligne en aucune langue vernaculaire, dont il devait pourtant connaitre une bonne demi-douzaine. Quant à l'allemand de la Nef des fous de Brant, il a un statut intermédiaire. Il ne prétend aucunement à la noblesse du latin, mais s'affirme la langue des moralistes et des prédicateurs, contraints d'utiliser les vernaculaires s'ils voulaient étre compris par un public ignorant le latin. L'allemand était donc pour eux une langue « par défaut ». D'ailleurs, l'allemand de la Nef n'est autre que la langue des fous. Et ce n'est certes pas un hasard si le premier fou qui monte dans le bateau est un pédant scolastique. Il ouvre le premier chapitre de l'ouvrage (intitulé : « Des livres inutiles ») par ces mots : Ce n'est pas sans raison Que je suis à l'avant du bateau [...] 1. Barbara lexis Samuelis ex monte rutilo, à Bâle, chez Michael Furter. Le poème fut réédité

avec un ensemble de textes germano-latins à Strasbourg en 1506 chez Hupfuff sous le titre de Pertransivit clericus. Il est reproduit dans Zarncke, op. cit., pp. 84-85.

ENTRE

ÉRASME

ET RABELAIS

121

Puisque je suis un savant, Je sais que Jra veut dire oui. Je suis heureux avec l’allemand Car je suis nul en latin...!

Le docteur scolastique « de papier » parle allemand par nécessité mais, contrairement à Brant, son créateur, c’est parce qu’il ne connaît pas assez bien le latin. C’est ainsi un représentant typique des hommes obscurs qui mène le voyage vers le pays des fous de Brant. La hiérarchie des langues n'est donc pas plus remise en cause dans la Nef que dans les Lettres. Günther Hess rappelle à juste titre, dans son étude sur la littérature « germano-latine », que « le mélange de l’allemand et du latin a sa source dans la vie bilingue des écoles et des universités. Il appartient aussi à la réalité langagière du mode des études?. » D'ailleurs, le mélange des langues à l'intérieur d'un méme discours n'est aucunement une invention de la fin du Moyen Âge. Il est attesté depuis la plus haute antiquité dans l'usage de toutes les populations bilingues du globe. Mais il est évidemment réservé à la langue parlée et son introduction dans les langues écrites (savantes) a toujours été un ressort garanti du comique. Dans le cas qui nous occupe, il ne s'agit pas d'un bilinguisme géographique (frontalier), mais d'un bilinguisme social, que l'on pourait qualifier de « vertical », à l'instar de celui des populations colonisées vis-à-vis de la langue du colonisateur. L'usage de la langue pose ainsi des différences radicales entre ces diverses ceuvres. Brant écrit en vernaculaire. *Érasme écrit en latin trés académique alors que les hommes obscurs écrivent en latin de cuisine mátiné d'allemand.

La « corporation des fous » On ne peut comprendre la particularité des Lettres sans les replacer dans le cadre de la littérature de leur temps. Elles sont en effet souvent considérées comme une curiosité littéraire, un peu à la manière de Rabelais dans la littérature française. On admire chez ce dernier le fon1. Das ich sytz vornan jn dem schyff Das hat wortlich eyn sundren gryff [...]

Doch si ich by gelerten bin So kan ich jta sprechen jo Des tütschen orden bin ich fro Dann jch gar wenig kan latin. (chap. 1, vers 1-2 et 26-29) 2. Deutsch-lateinisch Narrenzunft, II? partie, chap. V (Barbarolexis, aspects du mélange satirique des langues dans la satire universitaire des Xv* et XVI* siècles), p. 188.

122

LES

LETTRES

dateur de la prose frangaise de la Renaissance, l'humaniste nourri de l'Antiquité, l'esprit libre, le pédagogue, le satiriste, l'artiste populaire, l'artiste savant... Mais, tout en reconnaissant son génie, on le voit comme un phénomène isolé, auquel on ne connaît pas vraiment de prédécesseur, ni de successeur. Les Lettres sont, elles aussi, souvent citées et peu lues, car on ne sait pas bien dans quelle catégorie littéraire les classer et leur aspect incohérent rebute l'historien de la littérature. Cependant, leur lecture montre que leur auteur était nourri d'ceuvres contemporaines et qu'il se plaisait à la fréquentation et à l'admiration d'un grand nombre de poètes à la plume non moins acérée que la sienne, qu'il revendique comme ses maîtres ou ses pairs. Les trois principaux sont Érasme, Sébastien Brant et Thomas Murner. À tout seigneur tout honneur, Érasme ouvre les Lettres en fanfare, avec son Éloge de la folie, puisque la première lettre du premier volume s'y réfère explicitement par son thème : « Doit-on dire Magisternostrandus ou Nostermagistrandus ? ». L'Éloge avait été publié en 1512, soit trois ans avant les Lettres. Érasme y exposait fort clairement son programme de critique contre les moines et les théologiens scolastiques, enrichi d'un solide répertoire de sarcasmes. On notera qu'Érasme est l'un des auteurs les plus souvent nommés dans les Lettres (cinq fois dans le premier volume et vingt-et-une fois dans le second). Vient ensuite Sébastien Brant et sa non moins fameuse Nef des fous, qui est citée longuement dans la lettre II, 9, signée par l'obscur Philippe Cocagne (Schlauraff). Or, il se trouve que le pays de Cocagne (Schluraffenland) est précisément la destination de la nef des fous, au chapitre 108 de l'ouvrage de Brant, sous le titre sans équivoque : « La nef de Cocagne » (Das Schluraffen Schiff). Le second vers de l'exergue surmontant la gravure qui ouvre le chapitre (identique à celle de la couverture du livre) annonce également : « Nous allons au pays de Cocagne. » (Wir faren jnn Schluraffen landi). Dans cette lettre, Philippe Cocagne, anti-reuchliniste convaincu, raconte sa longue odyssée à travers l'Allemagne et son arrivée à Strasbourg : Venit Sebastianus Brant, Dicens « Mihi sequere : Ab hinc in Narragoniam

der nam mich bei der hant, nos volumus navigare propter tuam stulticiam. »

Arrive Sébastien Brant. Par la main il me prend Et me dit : « Suis-moi, mon beau ! Que je 'emméne en bateau Jusqu'au pays des châteaux en Espagne, tellement tu m'as l'air idiot. »

ENTRE

ÉRASME

ET RABELAIS

123

La Narragonia, pays des fous (Narren) donc des « cháteaux en Espagne », est une autre destination de la nef des fous de Brant. La gravure de couverture de l'ouvrage, évoquée plus haut, représente en effet un bateau rempli de fous, surmonté de l'inscription : Ad Narragoniam. L'ouvrage de Brant était nettement plus ancien que celui d'Érasme, puisqu'il avait été publié pour la première fois en 1494, mais sa notoriété ne faiblissait pas. L'importance de la référence croisée aux deux princes de l'humanisme se trouve d'ailleurs soulignée dans la lettre II, 68, dont l'auteur attribue à Érasme la Nef des fous de Brant : Pour faire bref, je vous dirai que moi aussi, je considére Érasme comme une nullité. Parce qu'il est l'ennemi des moines. Et il dit beaucoup de mal d'eux. Il dit méme que ce sont de gros ánes, et qu'ils détestent les *Bonnes Lettres, et qu'ils ne savent rien faire d'autre que manger et boire et délirer les psaumes. Et c'est un fieffé menteur de dire qa ! C'est plutót lui qui est un áne ! Il est bon latiniste et il sait bien latiniser, mais il ne sait rien d'autre ! Il a fait beaucoup de livres, surtout une Nef des fous et un commentaire sur Jéróme, dans lesquels il fait rien qu'attaquer les religieux.

Après Brant, on pourrait accorder à Thomas Murner la troisième place parmi les références littéraires des Lettres. Ses œuvres n'y sont pas citées, mais il est explicitement nommé à plusieurs reprises comme chef de file des reuchlinistes. De plus, son Exorcisme des fous (Narrenbeschwórung), publié en 1512, puisait sans vergogne dans la Nef des fous de Brant (tant pour les illustrations que pour le texte!) la matiére de ses sermons moralisateurs. Murner, s'exprimant à la premiere personne, s'y montrait beaucoup plus acide que Brant, notamment contre les docteurs scolastiques. Par leur personnalisation de la folie, ces trois ceuvres s'inscrivent dans la « littérature des fous » ou, selon l'expression de Günther Hess, dans celle de la « corporation des fous » (Narrenzunft?), dont on connaît les avant-courriers dans les jeux de carnaval (Fastnachtsspiel), fort prisés en Allemagne médiévale. Cette littérature se présente traditionnellement comme directement moralisatrice et l'on sait que, dés avant Murner, le fameux prédicateur strasbourgeois Geiler s'est servi de la Nef comme réservoir d'exemples pour ses sermons. L' Éloge de la folie s’en démarque déjà par sa forme paradoxale, puisqu'Érasme fait prononcer par la Folie son propre éloge et laisse donc au lecteur le soin d'en tirer les conclusions qui s'imposent. Quant aux Lettres, elles trouvent leur place dans cette tra1. Zarncke a dénombré un tiers des vers de Murner « empruntés » à Brant. 2. C'est le titre méme de son ouvrage, Deutsch-lateinisch Narrenzunft.

dition par leur mise en scène des « obscurs », à qui on donne la parole pour mieux dénoncer leur folie. Sous cet aspect, elles sont une amplification de la satire érasmienne, puisque les hommes obscurs chantent les louanges de Gratius et des scolastiques, pour mieux les ridiculiser — bien malgré eux. Cependant, la frontiére qui sépare la satire moralisatrice de l'éloge du vice est parfois difficile à repérer. C'est en effet dans la méme tradition littéraire de l'« inversion des valeurs » que s'inscrivit 77/7] l’espriègle (Eulenspiegel, Strasbourg, 1515). Son héros, modele des parasites sociaux et des marginaux, triomphe de toutes les classes de la société gráce à sa roublardise. Il ne fut certes pas le premier du genre — Renart ou le Curé Amis le précédérent de plusieurs siècles! — mais son succès en fit le modèle de la grande lignée des romans picaresques. On situera Rabelais dans la méme veine. Il ne raconte pas une histoire de fous, mais de géants éclairés — et de parasites sociaux non moins éclairés (Panurge) —, qui renvolent les hommes en général, et les scolastiques en particulier, à leur stupidité et à leur méchanceté. Je noterai enfin que les Lettres traversent aussi le genre du « miroir » littéraire (Spiegel), qui est celui du « double ». Brant affirmait déjà que sa Nef était le miroir des vices des hommes. *Pfefferkorn commit trois «miroirs » contre les juifs (*Judenspiegel, *Handtspiegel et * Brandtspiegel). Reuchlin intervint pour défendre les juifs avec son *Augenspiegel. Quant à Eulenspiegel, il est bien le miroir de la chouette — quoique certains aient fait observer que Un speigel signifie « Léche-moi le cul ! » en basallemand. Si les Lettres ne sont pas intitulées Miroir, elles n'en sont pas moins le miroir des hommes obscurs, que leur tendent les humanistes.

1. Rheinardt Fuchs, de Henri le Grimaceur (der Glichesaere) a été composé vers la fin du xr siècle et le Pfaffe Amis, du Tricoteur (der Stricker), date de la première moitié du xir? siècle.

Lettres des hommes obscurs

VOLUMEI

LETTRES DES HOMMES OBSCURS ADRESSÉES À MONSIEUR LE Vénérable Maitre Ortwin Gratius de Deventer qui enseigne les *Bonnes Lettres à Cologne, expédiées de lieux et d'époques divers, mais enfin réunies dans un livre

EPISTOLAB OBSCVRORVM VIRORVM AD VENEFABI lem virum Magiftrum Ortinum Gratium Dauentrienfem Coloniz Agrippinz bonas litteras docentem? varijs X locis € temporibus miflæ: ac demum ín volumen coacta,

(Scolastique d’ivrognes, débat nominaliste) 'Thomas Rapetasseur!, *bachelier formé en théologie, bien qu'indigne, salue Monsieur le superexcellent et non moins savantissime Seigneur Ortwin Gratius de *Deventer, poète, orateur et philosophe, non moins que théologien, et encore plus, s’il voulait. Puisque (comme dit Aristote) il n'est pas inutile de douter de chaque chose,

et vu qu'on lit dans l’Ecclésiaste : « J’ai mis mon cœur à étudier et à enquéter sur tout ce qui existe sous le soleil »?, je me suis donc proposé de soumettre à Votre Seigneurie un *sujet de débat à propos duquel j'ai un doute. Mais d'abord, je jure par le Dieu saint que je ne veux pas tenter Votre Seigneurie ou en d'autres termes Votre Vénérabilité : je désire seulement, avec cordialité et affection, que vous m'ótiez ce doute. Vu qu'il est écrit dans l'Évangile : « Ne tente pas le Seigneur, ton Dieu », et vu que, comme dit Salomon, « de Dieu vient toute sagesse »4, or, vous m'avez donné toute la science que j'ai, et toute bonne science est source de sagesse, donc, d'une certaine facon, vous étes Dieu pour moi, puisque vous m'avez donné le commencement de la sagesse, pour dire les choses poétiquement. 1. Dans les adresses des lettres, les italiques indiquent que le nom d'un auteur fictif n'est pas latin mais allemand (parfois grossiérement latinisé par un suffixe -us). On trouvera deux autres Rapetasseur (Sartoris) comme auteurs fictifs : Josse (lettre II, 11) et Philippe (lettre II, 49). 2. Ecclésiaste I, 13. Cette citation montre que les « hommes obscurs » apprennent stupidement par cœur des citations de la Bible en ignorant leur contexte, puisque cette phrase célèbre se conclut par l'affirmation que la recherche du savoir n'est que « vanité des vanités et poursuite de vent », ce qui ne s'accorde pas précisément avec l'enseignement encyclopédique d’Aristote. 3. Mathieu IV, 7 et Luc IV, 12, racontant la tentation de Jésus dans le désert. Jésus répond au Diable par cette citation de Deutéronome VI, 16. 4. C'est le premier verset de l'Ecclésiastique (Siracide) que notre homme obscur confond avec l’Ecclésiaste, dont la tradition attribuait la rédaction à Salomon.

Thomas Langschneyderius! baccalaurius theologia formatus quamvis indignus salutem dicit superexcellenti necnon scientificissimo viro Domino Ortvino Gratio Daventriensi poetz, oratori, et philosopho, necnon theologo, et plus si vellet. Quoniam (ut dicit Aristoteles) dubitare de singulis non est inutile?, et quia legitur in Ecclesiaste : « Proposui in animo meo quærere et investigare de omnibus quz sunt sub sole », igitur ego proposui mihi movere unam quæstionem in qua dubium habeo ad dominationem vestram. Sed prius protestor per deum sanctum, quod non volo tentare dominationem seu venerabilitatem vestram. Sed ego cupio cordialiter et affectuose quod instruatis me super dubium illud. Quia scriptum est in evangelio : « Noli tentare dominum deum

tuum », quia, ut dicit Salomon : « A deo est omnis sapientia », sed vos dedistis mihi omnem scientiam quam ego habeo, et omnis scientia bona est origo sapientiz,

ergo vos estis mihi quodammodo deus, quia dedistis mihi initium sapientiz, loquendo poetice.

1. Un Ludovicus Sartoris (Langschneider + 1536), de Górlitz, fut immatriculé comme maître és arts en 1507 à Leipzig. 2. Cette citation (Dubitare autem de singulis non erit inutile) provient de la traduction des Predicamenta (Catégories, à la fin du livre VIT) par Boéce. Cette traduction, datant du vi‘ siècle, fut la source principale d’Aristote au Moyen Âge. Le texte grec porte : td HÉVTOL óuyropnxévau

£g éxáctov atv oùx &ypnotóv £cttv. Guillaume de Moerbeke (au x siècle) traduisit, pour sa part, cette phrase par le mot à mot suivant : Dubitasse tamen de unoquoque ipsorum non inutile est (Aristoteles latinus, I, 1-5, p. 23 pour Boéce et p. 101 pour Moerbeke). On voit que la formule de Boéce, malgré son élégance stylistique, peut provoquer le franc contresens dans lequel s'engouffre l’« homme obscur », alors que la trés lourde (mais exacte) traduction de frére Guillaume

a l'avantage de l'éviter.

130

VOLUME

LIDETTEBS

Voici donc en quels termes le débat se présente : Récemment, il y a eu ici un « banquet d'Aristote? ». Les docteurs, les “licenciés, ainsi que les *maîtres, étaient de trés bonne humeur. Et moi, j'y étais aussi. En apéritif, nous avons bu trois coups de vin doux*, et pour la premiére tournée, nous y avons trempé des petits pains frais, et nous avons fait chabrot. Ensuite, nous avons eu six plats de viande, poulets et chapons, et un plat de poissons. Entre chaque plat et le suivant, nous buvions du vin de Kótzschenbrod, du Rhin, et de la bière d'Eimbeck, ainsi que de Torgau? et de Naumburg. Les maitres étaient bien contents et ils ont dit que les nouveaux maîtres les avaient bien traités et leur avaient fait un grand honneur. Alors, les maîtres se sont mis à rire et ils ont commencé à discuter avec science de questions importantes. Et l'un d'entre eux a demandé s'il fallait dire « Maît’ Notrisant » ou bien « *Not? Maitrisant », quand on voulait parler d'une personne apte de naissance à devenir docteur en théologie — comme actuellement à Cologne le Pére *Dietrich de Gouda à la langue de velours, frére de l'ordre des carmes, qui est le trés vénérable légat de la sainte université de Cologne, *artien trés avisé, philosophe, argumentateur, et théologien superéminent. Maitre Petitpainchaud? lui a répondu aussitôt — c'est mon pays, et c'est un scotiste? trés subtil, et il est maitre depuis dix-huit ans, et il a été recalé deux fois à la maitrise, et puis encore une troisième fois, et il a persisté jusqu'à ce qu'on la lui donne pour ne pas déshonorer l'université, et il a compris qu'il avait bien fait, et il a beaucoup d'éléves, des petits et des grands, des vieux comme des jeunes, — et il a parlé avec une grande expérience, et il a soutenu qu'il faut dire « Not'Maitrisant » en un seul mot pour les raisons suivantes : vu que « maitriser » signifie : « faire un maitre », « bachelier » signifie : « faire un bachelier », « doctorer » signifie : « faire un docteur » ; d'ou les expressions : « maitrisant », « *bacheliérant » et « doctorant ». Or, vu que les docteurs en sainte théologie ne sont pas appelés « Docteurs » mais « *Not' Maîtres », par souci d'humilité et de sainteté, et

pour qu'on ne les confonde pas!? ; Vu qu'ils tiennent dans la religion catholique la place de Notre Seigneur Jésus-Christ (qui est la source de la vie) ; 5. On nommait ainsi le banquet traditionnellement offert par les maîtres en théologie qui avaient obtenu leur doctorat, à l'issue de leurs quatorze années d'études. 6. Litt. « malvoisie ». 7. Les bières d'Eimbeck et de Torgau sont encore renommées de nos jours. 8. Warmsemmel (= Petit pain chaud) est sans doute un sobriquet désignant Ioannes Rogge Brunopolitanus, natif de Górlitz comme Langschneyder, et qui fut recteur à Leipzig en 1515. 9. Les « nominalistes » de l'école de *Duns Scot estimaient que les concepts n'existaient que dans les noms (et qu'ils n'étaient pas des réalités, comme le pensaient les « réalistes »). L'argumentation qui suit en est une grosse parodie. 10. Pour qu'on ne les confonde pas avec les docteurs en droit ou en médecine.

"ROM UISSISTEPISHOM

131

Est autem illa quæstio sic introducta : Dudum

fuit hic prandium Aristotelis, et doctores, licenciati, nec-

non magistri fuerunt in magna lztitia, et ego fui etiam ibi. Et bibimus pro primo ferculo tres haustus de malvatico, et pro prima vice imposuimus semellas recentes, et fecimus offam. Et deinde habuimus sex fercula de carnibus, et gallinis, et caponibus, et unum de piscibus. Et procedendo de uno ferculo in aliud, semper bibimus vinum Kotzborgense,

Rhenense,

et cerevisiam

Embeccensem,

necnon

Thurgensem et Neuburgensem. Et magistri fuerunt bene contenti, et dixerunt quod domini magistri novelli bene expediverunt se, et cum magno honore. Tunc magistri hilarificati inceperunt loqui artificialiter de magnis quæstionibus. Et unus quæsivit, utrum dicendum « magister nostrandus » vel « noster magistrandus », pro persona apta nata ad fiendum doctor in theologia, sicut pronunc est in Colonia mellifluus pater frater Theodericus de Ganda, ordinis Carmelitarum venerandissimus legatus almæ universitatis Coloniensis, providissimus artista, philosophus, argumentator, et theologus supereminens. Et statim respondit magister Warmsemmel lansmannus? meus, qui est Scotista subtilissimus, et magister XVIII annorum, et fuit tempore suo pro gradu magisterii bis reiicitus, et ter impeditus, et tamen stetit ulterius quoad fuit promotus pro honore universitatis, et intelligit bene facta sua, et habet multos discipulos, parvos et magnos, senes cum iunioribus, et cum magna maturitate dixit, et tenuit quod dicen-

dum est « nostermagistrandus », quod sit una dictio : quia « magistrare » significat « magistrum facere », et « baccalauriare », « baccalaurium facere », et « doctorare », « doctorem facere ». Et hinc veniunt isti termini « magistrandus, baccalauriandus, et

doctorandus ». Sed quia doctores in sacra theologia non dicuntur doctores, sed propter humilitatem et etiam sanctitatem, et propter differentiam nominantur seu appellantur magistri nostri, quia stant in fide catholica in loco domini nostri Iesu Christi qui est fons vitz ;

3. De l'allemand Landsmann, dont l'équivalent français serait : « pays ».

132

VOLUME

I, LETTRE

1

mais le Christ fut notre maitre à tous ; donc, ils se font appeler « Not? Maitres », car ils doivent nous instruire dans le chemin de la vérité, et que Dieu est

la vérité!! ; c’est pourquoi ils sont appelés à juste titre « Not’ Maîtres » ; car nous tous, en tant que chrétiens, nous sommes tenus et obligés d'écouter leurs préches ; et que personne ne doit dire du mal d'eux, du fait qu'ils sont nos maitres à tous. Or, on ne dit pas « Je notre, tu notres, il notre », et on ne le trouve pas dans le * Dictionnaire Étant-donné-que, ni dans le *Catzholicon, ni dans l'AAbrégé, ni dans le *Dzamant des diamants, qui pourtant contient beaucoup de mots ; donc, nous devons dire « Not? Maitrisant » et non pas « Mait? Notrisant ».

Alors, Maitre Andreas *Delitzsch — il est trés subtil et il est pour une part *poéte et pour une autre artien, médecin et juriste, et il fait déjà un cours magistral sur la Métamorphose d' Ovide, et il explique toutes les fables allégoriquement et littéralement!?, et j'ai été un de ses auditeurs, parce qu'il explique avec beaucoup d'érudition, et aussi il donne des cours chez lui sur Quintilien et sur Juvencus!? — il s'est opposé à Maitre Petitpainchaud et il a dit que nous devons dire « Maît’Notrisant », car, de méme qu'il y a une différence entre « Mait? Notre » et «Not? Maitre », il y a aussi une différence entre « Mait? Notrisant » et « Not? Maitrisant » ; car on appelle un docteur en théologie « Not? Maitre », en un seul mot, alors qu'on appelle en deux mots « notre maitre » n'importe quel maitre dans tous les *arts libéraux, qu'ils soient techniques ou intellectuels!* ; donc le fait que l'on n'utilise pas communément « je notre, tu notres, il notre » ne pose pas probléme parce que nous avons le droit de fabriquer des mots nouveaux, et il a cité là-dessus l'autorité d'HoraceP. Alors, les maitres ont beaucoup admiré sa subtilité, et l'un d'entre eux lui a apporté un bock de biére de Naumburg, et il a dit : « Je vais attendre, mais pardonnez-moi ! » et il a touché sa barrette!? et il a ri à gorge déployée et il a trinqué avec Maitre Petitpainchaud, et il a dit : «Voilà, Seigneur Maitre, ne pensez pas que je suis votre ennemi ! » et il a bu cul sec. Et Maitre 11. Réminiscence de Jean V, 6 et XIV, 6.

12. Ce sont deux des quatre fameuses méthodes d'exégése médiévale de la Bible (les deux autres étant l'anagogique et la tropologique). On lira dans la Lettre I, 28 un pastiche de ce type d’exégèse.

13. Poète chrétien de l’époque de Constantin, très prisé au Moyen Âge pour ses hymnes. . Les humanistes le considéraient comme totalement désuet. 14. Les arts libéraux étaient les disciplines enseignées à la faculté des arts, c'est-à-dire dans le cycle élémentaire de l'université, alors que la théologie faisait partie des cycles supérieurs, comme la médecine et le droit. 15. Art poétique, v. 52 sq. 16. En signe d'admiration.

TOMUS

I, EPIST.

1

133

sed Christus fuit nostrorum omnium magister : ergo ipsi appellantur magistri nostri, quia habent nos instruere in via veritatis, et deus est veritas, quapropter merito vocantur magistri nostri, quia omnes nos scilicet Christiani debemus et tenemur audire przdicationem eorum, et nullus debet dicere contra eos, ex quo sunt omnium nostrum magistri. Sed « nostro -tras -trare » non est in usu, et neque legitur in vocabulario Exquo, neque in Catholicon, neque in Breviloquo, neque in Gemmagemmarum, qui tamen habet multos terminos. Ergo debemus dicere « noster magistrandus », et non « magister nostrandus ». Tunc magister Andreas Delitzsch, qui est multum subtilis et pro parte est poeta, et pro parte est artista, medicus et iurista, et iam legit ordinarie Ovidium in metamorphosi, et exponit omnes fabulas allegorice et litteraliter, et ego fui auditor eius, quia exponit multum fundamentaliter, et etiam legit in domo sua Quintilianum et Iuvencum, et ipse tenuit oppositum magistro Warmsemmel, et dixit quod debemus dicere « magisternostrandus »,

quia sicut est differentia inter « magister noster », et « noster magister », ita etiam est differentia inter « magister nostrandus », et « noster

magistrandus », quia « magister noster » dicitur doctor in theologia, et est una dictio, sed « noster magister » sunt duz dictiones, et sumitur pro unoquoque magistro in quacunque scientia liberali, seu mechanica

manuali, seu capitali. Et non obstat quod « nostro -tras -trare » non est in usu, qui possumus fingere nova vocabula, et ipse allegavit super hoc Horatium. Tunc magistri multum

admiraverunt

eius subtilitatem, et unus

portavit ei unum cantharum cerevisiæ Neubergensis, et ipse dixit : « Ego volo expectare, sed parcatis mihi », et tetigit birretum, et risit hilariter, et portavit magistro Warmsemel, et dixit : « Ecce domine magister, ne putetis quod sum inimicus vester », et bibit in uno anhe-

134

VOLUME

TI; LETTRES

1-2

Petitpainchaud en a fait autant en l'honneur de ceux de Silésie. Et tous les maîtres étaient contents. Et après, les vépres ont sonné. C'est la raison pour laquelle je prie Votre Excellence comme quoi vous voudriez bien m'exposer ce que vous en pensez, parce que vous étes trés érudit. Et voilà que je me suis dit : « Maitre Ortwin va bien m'écrire la vérité,

parce qu'il a été mon professeur à Deventer, quand j'étais en troisième!?. » Et vous devez aussi me raconter comment que ça se passe dans la guerre entre vous et le docteur Jean Reuchlin. Parce que j'ai compris que ce ribaud (bien qu'il soit docteur et juriste) n'a pas encore voulu retirer ce qu'il avait dit. Et envoyez-moi aussi en méme temps le livre!? de Not’ Maitre *Arnold de Tongres, qu'il a rédigé par articles, parce qu'il est trés subtil et qu'il traite de nombreux points difficiles en théologie. Portez-vous bien et ne le prenez pas mal si je vous écris aussi familièrement, parce que vous m'avez dit autrefois que vous m'aimiez comme un frére, et que vous vouliez me soutenir dans tout, méme si vous deviez me

sacrifier beaucoup d'argent pour ça!°. Donné à Leipzig.

2 (Est-ce un péché de confondre des juifs avec des théologiens ? débat théologique) Maitre Jean Lefourreur salue Maître Ortwin Gratius, un salut aimable et une soumission incroyable.

Vénérable Seigneur Maître, Vu que, comme le dit Aristote dans ses Catégories}, il n’est pas inutile de douter de chaque chose, voilà pourquoi il y a une chose qui me pose un grave cas de conscience. 17. Les Frères de la *Vie commune avaient introduit dans leurs collèges, au lieu de la classe unique traditionnelle, le système de répartition des élèves par niveaux d’études, donc par « classes » (qui se comptaient de la septième à la première, comme on le fait encore en France de nos jours). 18. Les *Articles contre Reuchlin, publiés en 1512. 19. Pour acheter l’indulgence des jurys. 1. Cette citation, utilisée en guise d’introduction « passe-partout », figurait déjà dans la

lettre précédente.

TOMUS

I, EPIST.

1-2

135

litu. Et magister Warmsemel respondit ei fortiter pro honore Slesitarum. Et magistri omnes fuerunt læti, et postea fuit pulsatum ad vesperas. Quapropter rogo excellentiam vestram quod velitis mihi exponere mentem vestram, quia vos estis multum profundus : et ego dixi protunc, « Magister Ortvinus debet mihi bene scribere veritatem, quia

fuit preceptor meus in Daventria, quando fui tertiarius ». Etiam debetis me certificare quomodo stat in guerra inter vos et doctorem Ioannem Reuchlin. Quia intellexi quod iste ribaldus* (quamvis sit doctor et iurista) nondum vult revocare verba sua. Et mittatis etiam adhuc semel mihi librum magistri nostri Arnoldi de Thungaris, quem articulatim composuit, quia est multum subtilis, et tractat de multis profunditatibus in theologia. Valete, et non habeatis pro malo, quod scribo vobis ita socialiter, quia vos dixistis mihi olim quod amatis me sicut frater, et vultis me promovere in omnibus, etiam si debeatis mihi concedere magnam pecuniam. Datum in Lyptzick.

2

Magister Ioannes Pellifex! salutem dicit Magistro Ortvino Gratio, salutem amicabilem et servitutem incredibilem.

Venerabilis domine magister, Quia, ut dicit Aristoteles in praedicamentis, de singulis dubitare non est inutile : quapropter est una res quz facit mihi magnam conscientiam.

4. De l'italien ribaldo (= ribaud). 1. Un Georgius Pellifex (Pelzer) fut immatriculé à Wittenberg en 1502.

136

VOLUME

I, LETTRE

2

Je me trouvais l'autre jour à la foire de Francfort, et alors je déambulais avec un *bachelier dans la rue qui méne au champ de foire, et nous avons croisé deux hommes qui nous ont paru plutót d'allure honnéte. Ils avaient des robes noires et des grandes capuches avec des *lyripippions. Et Dieu m'est témoin que j'ai pensé que c'étaient deux *Not' Maîtres. Et je leur ai fait la révérence en ótant ma barrette. Alors le bachelier m'a bousculé et il a dit : — Pour l'amour de Dieu, qu'est-ce que vous faites ? Ce sont des juifs, et vous Ótez votre barrette devant eux ! Alors j'ai été terrifié, comme si j'avais vu un diable. Et j'ai dit : — Seigneur bachelier, que Dieu me pardonne parce que j'ai agi par ignorance. Mais pensez-vous que ce soit un grand péché ? Alors, il a dit primo qu'il lui semblait que c'était un péché mortel ; car ca relevait de l'idolátrie, en violation du premier des dix commandements : « Un seul Dieu tu adoreras » ; car, lorsque quelqu'un marque du respect à un juif ou à un paien, comme si c'était un chrétien, il agit contre la Chrétienté, et il me semble être luiméme comme un juif ou un paien ; et alors, les juifs et les paiens disent : « Voilà que nous suivons la meilleure vole, parce que les chrétiens nous montrent du respect. Et si nous ne suivions pas la meilleure voie, ils ne nous montreraient pas de respect. » Et ainsi, ils sont fortifiés dans leur religion et ils méprisent la religion chrétienne et ne permettent plus qu'on les baptise?. Alors, je lui ai répondu : — C’est bien vrai, quand quelqu'un le fait sciemment. Mais moi, je l'ai fait par ignorance, et l'ignorance excuse le péché ; Car, si j'avais su que c'étaient des juifs, et que je les avais honorés, alors j'aurais mérité d’être brûlé pour hérésie ; mais Dieu sait que je n’ai rien remarqué de spécial, ni dans leurs paroles ni dans leurs gestes, vu que j'ai cru que c'étaient des Not? Maîtres. Alors, il a dit que c'est quand méme un péché, et il a dit : — Moi aussi, une fois, je suis allé dans une église où il y a un Juif en bois, devant le Sauveur, et il tient un marteau dans la main?. Et j'ai pensé que

c'était saint Pierre avec ses clés à la main. Et j'ai fait une génuflexion et j'ai ôté ma barrette, et alors, j'ai vu que c'était un juif, et j'ai compris ma faute. Eh bien, quand je suis allé à confesse au couvent des précheurs*, mon confesseur m'a dit que c'était un péché mortel, car nous devons réfléchir. Et il a dit qu'il ne pourrait pas m'absoudre s'il n'avait pas le mandat de 2. Les autorités catholiques ont tenté avec constance, pendant tout le Moyen Âge, de contraindre les juifs à la conversion en les forçant à assister à la messe et à recevoir le baptême. 3. Il s’agit sans doute d’un groupe sculpté représentant la crucifixion. Le juif tenant un marteau est l’un de ceux qui ont cloué Jésus sur sa croix. 4. Les dominicains.

TOMUS.

I,!EPIST.:2

197

Nuper fui in missa? Franckfurdensi, tunc ivi cum uno baccalaurio

per plateam ad forum, et obviaverunt nobis duo viri qui apparuerunt satis honesti, quantum ad aspectum, et habuerunt nigras tunicas, et magna caputia cum liripipiis. Et deus est testis meus quod putavi quod sunt duo magistri nostri. Et feci ipsis reverentiam, deponendo birretum. Tunc ille baccalaurius stimulavit me, et dixit : « Amore dei quid facitis ? isti sunt Iudzi, et vos deponitis birretum vestrum ante eos ! » Tunc ego ita fui perterritus, ut si vidissem unum

diabolum. Et

dixi : « Domine baccalaurie, parcat mihi dominus deus, quia feci igno-

ranter. Sed quid putatis, utrum sit magnum peccatum ? » Et primo dixit quod videtur sibi, quod est peccatum mortale, quia comprehenditur sub idolatria, et est contra primum præceptum ex decem przceptis, quod est « Unum crede deum », quia quando aliquis facit honorem Iudzo, vel pagano quasi esset Christianus, tunc facit contra Christianitatem, et apparet esse met Iudzus, vel paganus. Et tunc Iudzi et pagani dicunt : « Ecce nos sumus de via meliori, quia Christiani faciunt nobis reverentiam, et nisi essemus de via meliori, non facerent nobis reverentiam. » Et sic fortificantur in sua fide, et despiciunt fidem Christianam, et non permittunt se baptizare. Tunc ego respondi :

« Est bene verum, quando aliquis facit scienter ; sed ego feci cum ignorantia ; et ignorantia excusat peccatum, quia si scivissem quod fuissent Iudzi, et fecissem eis honorem, tunc fuissem dignus ad comburendum, quia esset hæresis, sed neque verbo, neque opere, sicut scit deus, aliquid novi, quia putavi quod essent magistri nostri. » Tunc ipse dixit, quod tamen est adhuc peccatum, et dixit : « Ego etiam semel ivi per ecclesiam, ubi stat unus Iudzus ligneus ante salvatorem, et habet malleum in manu. Et ego putavi quod est sanctus Petrus, et haberet clavem in manu, et flexi genua, et deposui birretum. Tunc vidi quod est Iudzus, et etiam pænituit me. Tamen in confessione cum confitebar in monasterio prædicatorum, dixit mihi confessor meus quod est peccatum mortale, quia debemus respicere. Et dixit quod non posset me absolvere, nisi haberet potestatem epi2. De l'allemand Messe. La foire de Francfort se nomme Messe.

encore aujourd'hui Frankfurte

138

VOLUME

I, LETTRE

2

l'évéque, parce que ce cas relevait de la compétence de l'évéque. Et il a dit que si j'avais agi en connaissance de cause et non pas par ignorance, alors, ce serait de la compétence du pape. Et si j'ai reçu l'absolution, c'est parce qu'il avait un mandat de l'évéque. Et par Dieu, je crois que si vous voulez sauver votre Âme, il faut que vous vous confessiez à un officier du *consistoire ; d'ailleurs, l'ignorance ne peut pas excuser ce péché ; car vous auriez dà faire attention ; d'ailleurs, les juifs portent toujours une rouelle jaune sur le devant de leur manteau”, et vous auriez dû la voir comme je l'ai vue moi-même ; donc, c'est une ignorance crasse qui ne peut entrainer l'absolution du péché.

Voilà donc ce que m'a dit le bachelier. Mais, vu que vous étes un théologien érudit, je vous implore dévotement, et non moins humblement, que

vous daignassiez résoudre pour moi la question susdite, et m'écrire si c'est un péché mortel ou véniel, un cas simple ou bien du ressort de l'évéque ou bien du pape. Et écrivez-moi aussi si vous pensez que les bourgeois de Francfort ont raison d'agir comme ils le font, en suivant leur habitude de permettre aux juifs de se promener avec des habits de Not' Maitres. Moi, je pense qu'ils n'ont pas raison et que c'est un grand scandale qu'il n'y ait pas de différence entre des juifs et des Not? Maitres. Et que c'est méme se moquer de la sacrosainte théologie. Et notre Sérénissime Seigneur l'empereur ne devrait en aucune facon permettre qu'un juif — qui est comme un chien et qui est l'ennemi du Christ — puisse se promener habillé comme un docteur en sainte théologie. Je vous envoie aussi un billet de Maitre Bernard Ramasse-Plume? (Brossareluire en langue vulgaire), qu'il m'a envoyé de Wittenberg. En effet, vous le connaissez, puisqu'il fut votre « cothurne » à *Deventer. Et il m'a dit que vous faisiez une bonne paire de copains et il est encore un bon camarade et il fait rien que de chanter vos louanges. Portez-vous donc bien au nom du Seigneur. Donné à Leipzig.

5. Les juifs étaient astreints au port de cet insigne depuis le IV* concile de Latran (1215). 6. Un Federleser (Plumilegus) était celui qui, d'un geste délicat, ótait la petite plume tombée par inadvertance sur la veste de son interlocuteur, d'oü le sens dérivé de « flatteur ».

TOMUSJII,EPIST.

2

139

scopalem, quia esset casus episcopalis. Et dixit quod si libenter fecissem, et non ignoranter, tunc fuisset casus papalis. Et sic fui absolutus, quia habuit potestatem episcopalem. Et per deum ego credo, quod si vultis salvare conscientiam vestram, oportet facere confessionem officiali consistorii. Et ignorantia non potest excusare illud peccatum, quia deberetis respicere, et Iudæi habent semper unum gilvum circulum ante in pallio, quem deberetis vidisse, sicut et ego vidi, ergo est ignorantia crassa et non valet ad absolutionem peccati. » Sic pro tunc dixit mihi ille baccalaurius. Sed quia vos estis profundus theologus, rogo vos devote necnon humiliter, quatinus dignemini mihi solvere predictam quæstionem, et scribere an est peccatum mortale an veniale, simplex casus an episcopalis an papalis. Et etiam scribatis mihi an videtur vobis quod cives in Franckfordia recte faciunt, quod habent illam consuetudinem, quod permittunt Iudaeos incedere in habitu magistrorum nostrorum. Mihi videtur quod non est rectum et est magnum scandalum, quod non est differentia inter Iudaeos et magistros nostros. Etiam est una derisio sacrosanctz Theologie. Et serenissimus dominus imperator nullo modo deberet pati, quod unus ludæus qui est sicut canis, et est inimicus Christi, debet incedere sicut doctor sacrz theologia. Etiam mitto vobis unum dictamen magistri Bernardi Plumilegi, vulgariter Federleser, quod misit mihi ex Wittenpurck. Vos enim novistis eum,

quia fuit olim vester constans

in Daventria. Et dixit

mihi quod fecistis ei bonam societatem, et ipse adhuc est bonus socius et commendat vos laudabiliter. Et sic valete in nomine domini. Datum Lyptzick.

140

VOLUME

I, LETTRE

3

a (Bagarre d'alcooliques sur la poésie) Maitre Bernard Brossareluire

dit beaucoup de saluts à Maitre Ortwin Gratius.

« Malheureux, le rat enfermé seul dans un terrier. » Je pourrais en dire autant de moi, sauf votre respect, Vénérable Monsieur, parce que je serais pauvre si moi aussi je n'avais qu'un seul ami, et qu'il me trahisse et que je n'en aie pas d'autre qui me donne son amitié. C'est comme maintenant ici, un certain *poeéte qui s'appelle Georges *Sibutus, et qui est un des *poétes profanes, et qui donne des cours publics de *littérature, et qui est d'ailleurs un bon camarade. Mais, comme vous le savez, ces poètes, alors qu'ils ne sont méme pas théologiens comme vous, veulent toujours faire la leçon aux autres, et ils méprisent les théologiens. Et voilà qu'une fois, lors d'une beuverie chez lui, nous buvions de la biére de Torgau et nous étions encore à table à trois heures «du matin». Et j'étais légèrement bourré, parce que la bière me monte à la tête. Et voilà qu'il y en a un qui me cherchait des histoires. J'ai levé un demi bock à sa santé, et il a accepté. Mais après, il n'a pas voulu me rendre la pareille. Et j'ai recommencé trois fois, et il s'est défilé les trois fois. Et il restait assis en silence sans rien dire. Alors, je me suis dit : « Celui-là te bat froid. Il se la joue et il veut rien que t'injurier. » Alors, j'ai commencé à me monter le bourrichon. J'ai pris un bock et je lui ai cogné le cràne avec. Alors, le poéte s'est mis en pétard contre moi et il a dit que j'avais mis le bazar chez lui et que, par le Diable ! je devrais m'en aller de chez lui. Alors, je lui ai répondu : — Je m'en fous que vous soyez contre moi ! Parce que moi, j'ai déjà eu affaire à des aussi mauvais que vous et je leur ai tenu téte ! Et puis qu'est-ce que ca peut me faire que vous soyez poète ? Moi aussi, j'ai des amis poétes, et qui sont aussi bons que vous ! Et moi, votre littérature, je chie dessus ! Qu'est-ce que vous croyez ? Vous me prenez pour un abruti, ou bien pour une pomme qui a poussé sur un arbre ? Alors, il m'a traité d’âne et il a dit que je n'avais jamais vu un seul poète. Alors j'ai dit :

TOMUS

I, EPIST. 3

141

3 Magister Bernhardus Plumilegus Magistro Ortvino Gratio salutem dicit plurimam. « Mus miser est antro qui solum clauditur uno. »! Sic etiam possum dicere de me cum supportatione, venerabilis vir, quia essem pauper si haberem tantum unum amicum, et quando ille unus superdaret me, tunc non haberem alium, qui me tractaret amica-

biliter. Sicut nunc quidam poeta hic qui vocatur Georius? Sibutus, et est unus ex poetis szcularibus, et legit publice in poetria, et est alias bonus socius. Sed sicut vos scitis, isti poetæ quando non sunt etiam theologi sicut vos, semper volunt reprehendere alios, et parvipendunt Theologos. Et semel in una zeccha? in domo sua, quando bibimus cerevisiam Turgensem, et sedimus usque ad tertiam horam, et ego fui modicum ebrius, quia illa cerevisia ascendit mihi in caput. Tunc fuit ibi unus qui alias non stetit bene mecum, et ego apportavi ei unum medium cantarum, et ipse accepit. Sed postea non voluit mihi simile facere. Et ter cavisavi eum, et non voluit mihi respondere, et sedit cum silentio et nihil dixit : Tunc ego cogitavi : « Ecce iste alias spernit te, et est superbus, et semper vult te confundere. » Et fui commotus in ira mea, et accepi cantarum et percussi ei ad caput. Tunc ille poeta fuit iratus super me, et dixit quod fecissem rumorem in domo sua, et dixit quod deberem exire de domo sua in nomine diaboli. Tunc ego respondi : « Quid tunc est, si estis inimicus meus ? Ego bene habui ita malos inimicos sicut vos estis, et tamen mansi prz eis. Quid tunc est etiam si estis poeta ? Ego habeo etiam poetas qui sunt amici mei et sunt bene ita boni sicut vos. Ego bene merdarem in vestram poetriam. Quid creditis ? Putatis quod ego sum stultus, vel quod sum natus super arborem sicut poma ? » Tunc vocavit me asinum, et dixit quod ego nunquam vidi unum poetam. Et ego dixi : 1. On trouve ce proverbe dans les Quodlibet sur la foi des concubines, d' Olearius (Olearii quod-

libetum de fide concubinarum), publié à Heidelberg en 1500, reproduit par Zarncke, Die deutschen Universitäten, p. 101. | 2. En Basse-Allemagne, Georges se disait Jóres (= Iorius). 3. De l’allemand : Zeche (= écôt), d’où les sens dérivés d’auberge, de consommation

l’auberge), de banquet, voire de beuverie.



142

VOLUME

I, LETTRES

3-4

— [àne, c'est toi qui en es un dans ta peau. Et moi, j'ai connu plus de poètes que toi ! Alors j'ai parlé de vous et de *Not' Maitre *Sotphi au pensionnat de *Kuijk, qui a composé la *Glose remarquable et du Seigneur “Roger, *licencié de théologie au pensionnat de *Mons. Et puis je suis parti de chez lui, et depuis ce temps-là, nous sommes fâchés. C'est pourquoi je vous prie trés cordialement que vous vouliez bien m'écrire une fois un petit billet, et alors je pourrais le montrer à lui et aux autres et je pourrais me vanter que vous étes mon ami, et que vous étes bien meilleur poéte que lui. Et surtout, écrivez-moi ce que fabrique le Seigneur Jean *Pfefferkorn, et s'il est encore en conflit avec le docteur Reuchlin, et si vous le défendez encore, comme vous l'avez fait, et envoyez-moi des nouvelles. Portez-vous bien dans le Christ.

4 (Le moine qui a sauté dans la merde)

Maitre Jean Léve-le-coude! à Maitre Ortwin Gratius, un salut cordial.

Vénérable Seigneur Maitre, Étant donné que nous nous en racontons souvent des bien bonnes, tous les deux, et puisque vous ne détestez pas si quelqu'un vous dit une blague (comme j'ai l'intention de le faire), alors, je n'ai pas craint que vous preniez en mauvaise part que je vous raconte maintenant une plaisanterie, parce que vous en faites autant. Et je sais que qa va vous faire rire, parce que c'est une histoire extraordinaire. Il y a eu chez nous l'autre jour un type de l'ordre des précheurs?, assez érudit en théologie, et c'était un théoricien, et il avait beaucoup de partisans. Il s'appelle Dom Georges. Il est d'abord allé à Halle, avant de venir ici et il a préché bien la moitié de l'année. Au sermon, il faisait des remontrances à tout le monde, méme au prince et à ses vassaux. Mais à table, il était bon compagnon, d'esprit joyeux, et il buvait avec les collégues tant et plus. 1. Un Wolfgang Kannegief?er (= Cantrifusor), natif de Zwickau, a été immatriculé à l’université de Wittenberg dans les premières années du xvr? siècle. 2. Les moines précheurs (dominicains et franciscains principalement) avaient pour táche d'assurer les sermons des messes dans les églises à la place des curés qui en étaient souvent incapables.

TOMUS

I, EPIST.

3-4

143

« Tu met es asinus in cute tua. Ego vidi bene plures poetas quam tu. »

Et dixi de vobis et de magistro nostro Sotphi in bursa Kneck, qui composuit glosam notabilem, et de domino Rutgero licentiato Theologie in bursa Montis. Et sic exivi domum suam, et adhuc sumus inimici. Quapropter rogo vos valde cordialiter quatenus velletis mihi semel scribere unum dictamen. Tunc ego volo huic poetz et aliis ostendere, et volo gloriari quod estis amicus meus, et estis bene melior poeta quam ille. Et precipue scribite mihi quid facit dominus Ioannes Pfefferkorn, an adhuc habet inimicitiam cum doctore Reuchlin, et an vos adhuc defenditis eum sic fecistis, et mittite mihi unam novitatem.

Valete in Christo.

d

Magister Ioannes Cantrifusoris! Magistro Ortvino Gratio salutem cordialem. Venerabilis domine magister, Quoniamquidem szpe tractavimus tales levitates ad invicem, et quia non est cura vobis si aliquis dixerit vobis unam fantasiam sicut ego nunc intendo, propterea non timul quod tollatis in malam partem quod scribam vobis nunc unam cavillationem, quia vos etiam facitis taliter. Et vos ridebitis, ego scio, quia est mirabile factum. Fuit hic nuper quidam de ordine prædicatorum, et fuit satis profundus in Theologia, et fuit speculativus, et habuit etiam multos fautores. Ipse vocatur dominus Georgius. Et primum fuit Hallis, deinde venit huc, et praedicavit bene per dimidium annum, in sermone suo reprehendens omnes homines, etiam principem et suos vasallos. Sed in collatione fuit socialis et laetae mentis, et bibit cum sociis ad dimidios et ad totos.

1. Littéralement, le Kannegiefler est un remplisseur de bocks.

144

VOLUME

I, LETTRE

4

Mais à chaque fois qu'il avait bu avec nous le soir, le lendemain matin il parlait de nous dans son sermon en disant : — Et voilà que dans cette université, les *maîtres passent leur nuit à boire, à jouer et à plaisanter avec leurs étudiants. Et au lieu de les corriger de cela, c'est eux qui donnent le mauvais exemple ! Et souvent il m'a fait honte. Alors, ca m'a énervé contre lui, et je me suis demandé comment je pourrais me venger. Mais je ne trouvais pas de moyen. Et voilà-t-il pas que quelqu'un est venu me raconter comment, la nuit, ce prédicateur allait rejoindre une femme, et qu'il la sautait, et qu'il dormait avec elle. Moi, quand j'ai entendu ça, aussitôt je suis allé chercher d'autres copains qui sont en pension au collège. Vers dix heures, on est allés à cette maison et on a forcé la porte. Et alors, le moine a voulu s'enfuir, mais il n'a pas eu le temps de mettre ses vétements et il a sauté tout nu par la fenétre. Et moi, je rigolais tellement que j'en ai pissé dans mes chausses. Alors j'ai crié : — Messire prédicateur ! Prenez vos ornements pontificaux? ! Alors les collégues, qui étaient dehors, l'ont jeté dans la merde et dans l'eau*. Mais je les ai calmés en leur disant d’être discrets. Et puis, je leur ai donné un coup de main pour qu'on aille tous sauter la femme. Et voilà comment je me suis vengé de ce moine. Et aprés ça, il a cessé de parler de moi dans ses sermons. Mais n’allez pas répéter ça à d'autres gens, parce que les fréres précheurs sont à présent dans votre camp contre le docteur Reuchlin, et ils défendent l'Église et la religion catholique contre les *poétes profanes. Moi, j'aurais préféré que ce fichu moine fût d'un autre ordre, parce que cet ordre est vraiment le plus admirable de tous. Maintenant, c'est à vous de m'envoyer une histoire dróle sans vous fácher contre moi. Portez-vous bien. De Wittenberg.

3. Ornements de cérémonie réservés à l'évéque. 4. Sans doute dans le caniveau, qui coulait au milieu de la rue.

TOMUS

I, EPIST.

4

145

Sed semper quando de sero bibit nobiscum, tunc de mane prædicavit de nobis, dicens :

« Ita sedent magistri in hac universitate cum suis sociis per totam noctem bibentes, ludentes, et tractantes levitatem ; et ipsi deberent

eos de talibus emendare, tunc ipsi incipiunt ». Et szpe fecit mihi verecundiam. Et fui iratus super eum, et cogitavi quomodo possem me vindicare, et non potui imaginare quomodo facerem. Et semel dixit mihi unus, quomodo de nocte iret ille prædicator ad unam mulierem, et supponeret eam, et dormiret cum ea. Et ego audiens talia, semel accepi aliquos socios qui stant in Collegio, et circa horam decimam ivimus ad illam domum, et per vim intravimus. Tunc ille monachus volens fugere, non habuit tempus

ut tolleret vestimenta sua, et saltavit nudus ex fenestra. Et ego risi ita quod statim perminxissem me, et clamavi : « Domine prædicator, tollatis pontificalia vestra ! »

Et socii exterius proiecerunt eum in merdam et in aquam. Sed ego compescui eos, et dixi quod haberent discretionem. Verumtamen adiuvi eos quod omnes supposuimus illam mulierem. Et ita vindicavi me de illo monacho, et postea id non amplius prædicavit de me. Sed non debetis aliis dicere, propterea quod fratres praedicatores nunc sunt pro vobis contra doctorem Reuchlin, et defendunt ecclesiam et fidem catholicam contra illos poetas sæculares. Ego vellem quod iste? monachus fuisset de alio ordine, quia ille ordo est valde mirificus inter omnes. Vos etiam debetis mihi aliquid risibile significare, et non irascimini mihi. Valete. Ex Wittenberg.

2. Il est rare dans les Lettres que iste ait un sens nettement péjoratif.

146

VOLUME

I, LETTRE

5

(Le noble qui a osé défendre Reuchlin) Jean Plume-d'Autruche

à Ortwin Gratius un immense salut et beaucoup de bonnes nuits, autant qu'il y a d'étoiles dans le ciel et de poissons dans la mer!. Et sachez que je vais bien, et que ma mere aussi. Et j'aimerais beaucoup en entendre autant de votre part, parce que moi, chaque jour, je pense au moins une fois à Votre Seigneurie. Et alors, avec votre permission, écoutez une chose invraisemblable qu'un noble? a faite ici. Que le Diable le damne pour l'éternité, car il a dit des horreurs au seigneur *Not Maitre Pierre *Meyer lors d'un repas ou se trouvaient de nombreux seigneurs et des nobles. Et il n'a pas eu une goutte de honte, et au contraire il a été si insolent que j'en suis encore sidéré. Il a dit: — Eh bien, le docteur Reuchlin est plus savant que vous ! Et il lui a fait la nique. Alors Not' Maitre Pierre a dit : — J'en mettrais ma tête à couper si c'est vrai ! Sainte Vierge ! Le docteur Reuchlin est comme un enfant en théologie, et méme un enfant en sait plus que lui en théologie. Sainte Vierge ! Croyez-moi, parce que j'ai de l'expérience. Il ne connait rien au *Livre des Sentences. Sainte Vierge ! Cette matière est subtile et les gens ne peuvent pas la comprendre aussi facilement que la *grammaire? et la *littérature. Moi, si je voulais, je pourrais bien étre aussi un poète et je saurais méme composer des vers, parce que j'ai suivi à Leipzig un cours sur les Quantités des syllabes de *Sulpicius. Mais peu importe ! Il n'a qu'à me proposer un *sujet de débat de théologie et essayer d'argumenter le pour et le contre ! Et Meyer a prouvé par de nombreuses raisons que personne ne connait parfaitement la théologie, sinon grâce au Saint-Esprit. Car c'est le SaintEsprit qui irrigue cette discipline. Et /a littérature est un aliment du Diable“, 1. Ce type d'adresse ridicule est moqué par Érasme dans l'Art d'écrire les lettres comme exemple de ce qu'il ne fallait pas écrire en téte d'une lettre (On la retrouve dans la Conférence macaronique de 1519). 2. Peut-étre Hutten lui-méme. 3. La grammaire (latine) était l'une des matiéres principales des arts libéraux (élémentaires), alors que le Livre des Sentences était l'un des textes fondamentaux de la théologie, donc des études supérieures. 4. Jérôme avait écrit (Lettre 21, 13 à Damase) « Deemonis cibus est carmina poetarum ». Il est vrai que Jéróme a vécu toute sa vie un conflit permanent entre sa haine contre les paiens et son goût pour les lettres classiques, paiennes par définition.

TOMUS

I, EPIST. 5

147

5 Ioannes Straussfederius! Ortvino Gratio salutem maximam et multas bonas noctes sicut sunt stelle in cælo, et pisces in mari.

Et debetis scire quod ego sum sanus, et etiam mater mea. Et vellem libenter etiam taliter audire de vobis, quia ego cogito cottidie ad minus semel de vestra dominatione. Sed cum licentia audite unum magnum miraculum, quod fecit hic unus nobilista. Diabolus confundat eum in æternum, quia scandalizavit dominum magistrum nostrum Petrum Meyer in mensa, ubi fuerunt multi domini et nobilistæ. Et non habuit unam guttam verecundiz, sed fuit ita prætensus quod ego miror. Ipse dixit : « Ecce doctor Ioannes Reuchlin est doctior quam vos. »

Et dedit ei unum knipp?. 'Tunc magister noster Petrus dixit : « Ego mitterem solvere collum meum an hoc est verum. Sancta Maria, doctor Reuchlin est in theologia sicut unus puer, et unus puer plus scit in theologia quam doctor Reuchlin. Sancta Maria, credatis mihi, quia ego habeo experientiam. Tamen ipse nihil scit in libris Sententiarum. Sancta Maria, ista materia est subtilis, et homines non possunt ita capere? sicut grammaticam et poetriam. Ego vellem etiam bene poeta esse, et scirem etiam componere metra, quia audivi in Lyptzick Sulpitium de quantitatibus syllabarum. Sed quid est ? Ipse deberet mihi proponere unam quaestionem in theologia, et deberet

arguere pro et contra ». Et ipse probavit per multas rationes, quod nemo scit perfecte theologiam, nisi per spiritum sanctum. Et spiritussanctus infundit illam artem. Et poetria est cibus diaboli, sicut dixit Hieronymus in suo epis-

1. De l'allemand Strauf (= autruche) et Feder (= plume). 2. De l'allemand Schnippchen (= pichenette). 3. De l’italien capire (= comprendre).

148

VOLUME

I, LETTRE

5

comme l’a dit Jérôme dans sa correspondance. Et alors, ce bouffon a dit que ce n'est pas vrai, que le docteur Reuchlin lui aussi possède l'Esprit saint, et qu'il s’y connaît en théologie, puisqu'il a composé un livre assez théologique”, je ne me rappelle plus son titre, et il a traité Not’ Maitre Pierre de bête. Et il a dit que Not? Maître *Hochstraten est un frère-à-fromage. Et les invités ont ri. Mais j'ai dit que c'est un scandale qu'un vulgaire étudiant se permette d'étre aussi insolent à l'égard d'un Not? Maitre. Et le docteur Pierre s'est mis tellement en colére qu'il a quitté la table et il a cité les Évangiles en disant : — Tu es un Samaritain, possédé par le Diable !? Et moi j'ai dit : — Attrape ça ! Et j'étais tout content qu'il ait aussi bien cloué le bec à ce tartufe. Il faut que vous persistiez dans vos actions pour défendre la théologie, comme vous l'avez fait auparavant, et vous ne devez pas prendre en considération que vous avez affaire à un noble ou à un paysan, parce que vous avez bien assez de jugement. Si je savais composer des poémes comme vous, je ne me soucierais méme pas d'un prince, méme s'il voulait me tuer. Mais, par ailleurs, je suis fâché contre les juristes parce qu'ils se promènent en souliers rouges, avec des pelisses de martre, et qu'ils ne font la révérence ni aux *maitres, ni aux Not’ Maîtres. Je vous demande aussi, humblement non moins qu'affectueusement, que vous me signifiassiez comment ça se passe à Paris? avec les *Besicles. Que Dieu fasse en sorte que notre sainte mère, l'université de Paris, veuille vous soutenir et faire brüler ce livre hérétique, car il contient beaucoup de choses scandaleuses, comme l'a écrit Not? Maitre de Tongres?.

J'ai entendu dire que Not? Maitre *Sotphi, au pensionnat de *Kuijk, qui a composé la *Glose remarquable sur les quatre parties d'Alexandre, est mort. J'espére que ce n'est pas vrai, parce que c'était un homme excellent, et un latiniste érudit et bien meilleur que ces nouveaux latinistes poétailleurs. Daignez donc saluer pour moi Maitre *Rémi, car il a été autrefois mon précepteur exceptionnel. Souvent, il me donnait de bonnes engueulades, quand il me disait : — Tu es comme une oie et tu ne veux pas apprendre pour devenir un grand argumentateur ! 5. Le manuel de prédication intitulé : Liber congestorum de arte preedicandi, publié en 1504. 6. Hochstraten, le Grand Inquisiteur, est traité de vulgaire Käsemônch, de pauvre moine

mendiant à qui les paysannes avaient l'habitude de donner des fromages en aumóne. Voir sur le méme sujet, la /ettre II, 27.

7. Jean VIII, 48. 8. L'homme obscur est supposé avoir envoyé sa lettre avant août 1514, date où la Sorbonne condamna au feu l’ouvrage de Reuchlin. 9. *Arnold de Tongres, dans ses * Articles.

FOMUSINEPIST.25

149

tolari. Tunc ille bufo? dixit quod non est verum, et quod doctor Reuchlin etiam habet spiritumsanctum, et quod est sufficiens in theologia, quia composuit unum librum satis theologicalem, et nescio quomodo vocatur. Et nominavit magistrum nostrum Petrum unam bestiam. Et dixit quod magister noster Hochstratus est frater casearius. Et commensales riserunt. Sed ego dixi quod est scandalum, quod unus simplex socius debet esse ita irreverentialis coram uno magistro nostro. Et doctor Petrus fuit ita iratus, quod surrexit de mensa, et allegavit evangelium dicens : « Samaritanus es, et diabolum habes ! » Et ego dixi : « Capias tibi hoc ! » Et fui valde gavisus, quod ita realiter expedivit illum trufatorem“. Vos debetis procedere in factis vestris. Et debetis defendere theologiam, sicut fecistis antea. Et non debetis aliquem respicere, sive sit nobilis sive rusticus, quia vos estis sufficiens. Si scirem ita facere carmina sicut VOS, ego non curarem unum principem, etiam si vellet me interficere. Sed alias sum inimicus iuristarum, quia vadunt in rubeis caligis, et in mardaris schubis?, et non faciunt debitam reverentiam magistris, et magistris nostris. Ego etiam peto vos humiliter necnon affectualiter, quatenus signi-

ficaveritis mihi quomodo stat in Parrhisia cum Speculo oculari. Deus tribuat quod alma mater universitas Parrhisiensis velit tenere vobiscum, et comburere illum haereticum librum, quia habet multa scan-

dala, sicut scripsit magister noster Tungarus. Ego audivi quod magister noster Sotphi, in bursa Kneck, qui composuit glosa notabilem super quattuor partes Alexandri, est mortuus. Sed spero quod non est verum, quia fuit excellens vir, et fuit profundus grammaticus, et fuit bene melior quam isti novi grammatici poetales. Salutare etiam dignemini mihi magistrum Remigium, quia olim fuit preceptor meus singularissimus, et sepe dedit mihi bonas vexas, quando dixit mihi : « Tu es sicut auca, et non vis studere quod fias magnus argumentator. »

3. De l'italien buffone (= pitre). 4. De l'italien truffatore (= escroc). 5. De l'allemand Schauben von Marder (= des pelisses en martre).

150

VOLUME

I, LETTRES

5-6

Et moi, je lui disais : — Éminent Seigneur, Not? Maitre, je me corrigerai plus tard ! Alors, tantót il me pardonnait, tantót il me flanquait une bonne correction. Et déjà en ce temps-là, j'étais assez discret pour accepter de bon cœur les punitions pour mes négligences. Bon, je ne vois rien de plus à vous écrire, sinon que je vous souhaite de vivre cent ans. Portez-vous bien en paix. Donné à Mayence.

6 (Faut-il supprimer les accents du grec ?)

Nicolas Lengoulevent Bachelier, à Maitre Ortwin Gratius, de nombreux saluts avec un grand respect eu égard à Votre Dignité, ainsi que je le dois quand j'écris à Votre Magistralité.

Vénérable Seigneur Maitre, Sachez qu’il y a un *sujet de débat remarquable dont auquel je demande, ou plutót j'implore Votre Magistralité de résoudre. Il y a ici un Grec! qui commente la Grammaire d' Urbain. Or, quand il écrit le grec, il met toujours des accents au-dessus. C'est pourquoi j'ai dit l'autre jour : — Pourtant, Maitre Ortwin a lui aussi pratiqué la grammaire grecque à *Deventer et il est aussi compétent que lui. Or, il n'a jamais écrit des accents comme Ça. Et moi, je crois qu'il connait aussi bien son affaire que celui-là, et donc qu'il pourrait bien corriger ce Grec. Mais les autres n'ont pas voulu me croire. Mes collégues et mes camarades m'ont demandé d'écrire à Votre Seigneurie comme quoi vous voudriez bien me notifier ce qu'il en est, si nous devons ou non mettre des accents. S'il ne faut pas en mettre, par Dieu ! nous allons réellement embéter ce Grec et nous allons faire en sorte qu'il n'ait plus beaucoup d'éléves. Je vous ai bien vu à Cologne, chez Henri *Quentel, quand vous étiez correcteur et que vous deviez corriger du grec. Vous faisiez sauter tous les

1. Le Grec en question était en fait l’helléniste anglais Richard *Croke, ami d'Érasme.

TOMUS

I, EPIST.

5-6

D5]

Et ego dixi : « Eximie domine magister noster, ego volo me emendare in posterum. » Tunc aliquando dimisit me, aliquando dedit mihi bonam disciplinam. Et protunc ego fui ita discretus, quod libenter accepi correctiones pro negligentiis meis. Sed nihil amplius habeo vobis scribere, prater quod velitis vivere centum annos. Et valete in requie. Datum Moguntiz.

6

Nicolaus Caprimulgius! baccalaurius Magistro Ortvino Gratio salutem plurimam cum magna reverentia erga Vestram Dignitatem, sicut debeo scribens ad Vestram Magistralitatem. Venerabilis Domine Magister, Sciatis quod est una notabilis questio quam peto seu rogo determinari a vestra magistralitate. Est hic unus græcus qui resumit grammaticam Urbani. Et quando scribit graecum, tunc semper ponit titellos superius. Quapropter ego dixi nuper : « Tamen magister Ortvinus Daventriæ etiam practicavit grammaticam graecam, et etiam est sufficiens ita bene sicut ille, et nunquam scripsit ita titellos. Et ego credo quod ita bene intelligit facta sua sicut ille, et adhuc posset corrigere istum gracum. » Sed alii non voluerunt credere, et socii mei ac constantes petiverunt quod vellem scribere ad dominationem vestram, quod notificaretis mihi quomodo est, an debemus ponere titellos, an non. Si non debemus ponere, tunc per deum realiter volumus vexare illum græcum, et volumus facere quod debet paucos auditores habere. Ego bene vidi de vobis Colonie in domo Henrici Quentel, quando fuistis corrector et debuistis corrigere græcum. Tunc abscidistis

1. L'engoulevent était nommé en latin Caprimulgius (litt. : « trayeur de chévres ») et traduit par Ziegenmelker en allemand.

152

VOLUME

I, LETTRES

6-7

accents qui étaient au-dessus des lettres en disant : « À quoi servent ces stupidités ? » C'est pourquoi j'ai considéré que vous aviez vos raisons, sinon vous ne l'auriez pas fait. Vous étes un homme admirable et Dieu vous a donné une grande gráce en vous rendant savant en toutes matiéres de connaissances. C'est pourquoi vous allez encore louer Dieu dans vos vers et la Sainte Vierge? et tous les saints du ciel. Vous ne me tiendrez pas rigueur si j'importune Votre Seigneurie avec ces questions, parce que si je fais tout ca, c'est rapport à l'information. Portez-vous bien. De Leipzig.

f (Faut-il étudier Virgile, Cicéron et Pline ? débat théologique) Maitre Pierre Prcolendouce à Maitre Ortwin Gratius, un innombrable salut.

Vénérable Seigneur Maitre, S1 j'avais des sous, et les moyens en conséquence, je vous offrirais un fameux banquet, vous pouvez me croire, si vous pouviez résoudre ce *sujet de débat que je propose. Mais vu que, pour le moment, je n'ai pas de brebis et bœufs, tous ensemble, qui marchent sur terre, et le bétail des champs! mais que je suis pauvre, c'est pour ca que je ne peux pas vous rétribuer pour votre savoir. Mais je vous promets que, dés que je serai titulaire d'un bénéfice? — d'ailleurs j'en ai un en vue comme vicaire —, alors je vais vous traiter une fois avec les plus grands honneurs. Écrivez-moi donc s'il est nécessaire au salut éternel des élèves qu'ils étudient le latin à partir des *poétes profanes, comme Virgile, Cicéron, Pline et les autres. Moi, je pense que ce n'est pas une bonne façon d'étudier, car :

3. Ortwin Gratius avait composé un poème de style « humaniste » à la Vierge pleurant sur les turpitudes de Reuchlin, imprimé en épigraphe des "Articles d'Arnold de Tongres (cf. lettres I, 1, 5, 38 et 40). La Vierge y était notamment qualifiée de iovis alma parens (= sainte mère de Jupiter). 1. Citation du Psaume VIII, 8.

2. C'est-à-dire dés qu'il aura son doctorat et qu'il pourra prétendre à un *bénéfice ecclésiastique.

TOMUS

I, EPIST.

6-7

153

omnes titellos qui fuerunt supra litteris, et dixistis « Quid debent illae stultitiae ? » Et ita iam consideravi quod vos habetis aliquam rationem. Alias non fecissetis. Vos estis mirabilis homo, et deus dedit vobis magnam gratiam quod scitis aliquid in omni scibili. Quapropter debetis etiam laudare dominum deum in vestris metris, et beatam virginem, et omnes sanc-

tos dei. Sed non habueritis mihi pro molestia quod impedio vestram dominationem cum istis quzstionibus, quia facio talia causa informationis. Valete. Ex Lyptzick.

7

Magister Petrus Hafenmusius! Magistro Ortvino Gratio Salutem innumerabilem. Venerabilis domine magister, Si haberem pecunias et substantiam magnam, tunc vellem dare vobis unam notabilem propinam, credatis mihi firmiter, quod solvatis mihi istam quaestionem quam propono. Sed quia pronunc non habeo oves et boves, universa insuper et pecora campi, sed sum pauper, propterea non possum vobis appreciare pro vestra doctrina. Sed promitto vobis, quod postquam sum beneficiatus, sicut iam insteti pro una Vicaria, tunc volo semel unum honorem specialem facere vobis. Et scribatis mihi an est necessarium ad aeternam salutem, quod scholares discunt grammaticam ex poetis saecularibus, sicut est Virgilius, Tullius, Plinius, et alii ? Videtur mihi quod non est bonus modus studendi : Quia,

1. On peut imaginer que Hafenmusius est formé de l'allemand Hafen (= pot) et de m(a) usen (2 boire discrétement).

154

VOLUME:/L

LETTRE

7

comme l'écrit Aristote dans la Métaphysique, livre I, « Les poètes mentent beaucoup »? ; Or, ceux qui mentent péchent, et ceux qui fondent leurs études sur des mensonges les fondent sur des péchés. Et tout ce qui est fondé sur les péchés n'est pas bon, mais c'est contre Dieu, car Dieu est l'ennemi des péchés. Or, il y a des mensonges dans la littérature. Donc, ceux qui fondent leur savoir sur la littérature ne peuvent pas se développer vers la bonté, car la mauvaise racine fait pousser une mauvaise herbe, et le mauvais arbre porte un mauvais fruit, selon l'Évangile où le Sauveur dit : « L'arbre

n'est pas bon qui donne un mauvais fruit. »* Et d'ailleurs, je me souviens encore bien jusqu'à présent de ce bon conseil

que m'a donné *Not' Maître *Valentin de GelterBheim au pensionnat de *Mons, quand j'étais son éléve et que j'ai voulu suivre un cours sur Salluste. Voilà qu'il m'a dit : — Pourquoi veux-tu assister à un cours sur Salluste, cancre ? Alors, je lui ai répondu que Maitre *Jean de Bratislava avait dit qu'on apprend à faire de beaux textes chez les poétes de ce genre. Alors, il a dit : — Quelle blague ! Tu ferais mieux de bien connaitre les parties d'*Alexandre, et les Lettres de *Carolus, que l'on pratique dans la classe de latin. Moi, je n'ai jamais suivi de cours sur Salluste et pourtant je sais faire des phrases en poésie et en prose ! Et c'est ainsi que Not’ Maitre Valentin a fait que je n'ai jamais étudié la littérature. Et maintenant, ces *humanistes se moquent de moi avec leur latin à la nouvelle mode, et ils méprisent les livres anciens : l’Alexandre, le

*Rémi, le *Tean de Garlande, le Cornu”, la Composition des mots, la Correspondance de Paul *Niavis. Et ils disent de si gros mensonges que je fais le signe de croix quand j'entends, comme a dit récemment l'un d'entre eux, qu'il existe dans une certaine région une eau qui a du sable d'or et qui se nomme le Tage". Moi, j'ai siffloté en cachette, parce que ce n'est pas possible. Je sais bien que vous êtes aussi poète, mais je me demande d’où vous tenez cette technique. Ils disent que, quand vous vous y mettez, vous arri3. Métaphysique, I, 2. Cette remarque était souvent l'objet des sarcasmes des *poétes humanistes. On notera cependant qu'Aristote ne dit pas que les poétes mentent, mais que « le proverbe dit que les poétes mentent. » 4. *Matthieu VII, 18 et Luc VI, 43.

5. De *Jean de Garlande. 6. De Jean *Sinthen.

7. On peut pourtant lire dans le *Diamant des diamants (Cologne, 1512, chez Martin de Werden) : « Tagus est fluvius hispanice lusitanice habens arenas aureas ».

TOMUS

I, EPIST.

7

155

ut scribit Aristoteles primo methaphisicæ : « Multa mentiuntur poetz », sed qui mentiuntur, peccant, et qui fundant studium suum super mendaciis, fundant illud super peccatis ; et quicquid fundatum est super peccatis, non est bonum, sed est contra deum, quia deus est inimicus peccatis ;

sed in poetria sunt mendacia, et ergo qui incipiunt suam doctrinam in poetria, non possunt proficere in bonitate, quia mala radix habet super se malam herbam, et mala arbor profert malum fructum, secundum evangelium, ubi dicit salvator : «Non

est arbor bona quz facit fructum malum. » Etiam bene adhuc memoro illam doctrinam, quam dedit mihi semel magister noster Valentinus de Gelterfiheim in bursa Montis, quando fui suus discipulus, et volui audire Salustium. Et dixit : « Quare vis audire Salustium, tu dischole ? » Tunc ego respondi, quod magister Ioannes de Vratislavia dixit, quod discimus bona dictamina facere ex talibus poetis. Tunc ipse dixit : « Est fantasia, sed tu debes bene advertere in partibus Alexandri, et epistolis Caroli, quae practicantur in aula grammaticorum. Ego nunquam audivi Salustium, et tamen scio dictamina facere metrice et prosaice. » Et sic magister noster Valentinus fecit quod ego nunquam studui in poetria. Et isti humanistz nunc vexant me cum suo novo latino, et annihilant illos veteres libros, Alexandrum, Remigium, Ioannem de Garlandia, Cornutum, Composita verborum, Epistolare magistri Pauli Niavis, et dicunt ita magna mendacia quod ego facio crucem pro me quando audio. Sicut nuper unus dixit, quod est in quadam provincia una aqua, qua habet arenam auream et vocatur Tagus. Et ego fistulavi occulte, quia non est possibile. Ego scio bene quod etiam estis poeta, sed non scio unde habetis illam artem. Ipsi dicunt quod quando vultis, tunc facitis plura metra

156

VOLUME

I, LETTRES

7-8

vez à faire plusieurs vers à l'heure. Mais moi, je crois que votre esprit est tellement illuminé par la grâce de l'Esprit saint que vous savez ces choses, et aussi les autres, car vous avez toujours été un bon théologien et que vous cor-

rigez ces paiens?. J'aimerais beaucoup vous écrire des nouvelles, si j'en connaissais. Mais je n'ai rien entendu d'autre, sinon que les fréres et les doms de l'ordre précheur ont ici de grandes indulgences et qu'ils rachètent les péchés et les peines de ceux qui les avouent et s'en repentent, et qu'ils ont pour cela des lettres du pape. Écrivez-moi aussi quelque chose, car je suis en quelque sorte votre serviteur. Portez-vous bien, de Nuremberg.

(La sentence de la Sorbonne)

Frangois Bécasson à Maitre Ortwin Gratius un salut que mille quintaux! ne peuvent pas peser aussi lourd que lui.

Vénérable Seigneur Maitre, Sachez qu'ici on parle beaucoup de vous. Les théologiens vous admirent parce que vous n'avez craint personne et que vous avez écrit pour la défense de la religion contre le docteur Reuchlin. Mais il y a quelques collégues qui manquent d’intelligence, et méme des juristes, qui n'ont pas les lumières de la religion chrétienne?, et qui vous méprisent. Ils déblatérent contre vous, mais ils ne peuvent pas gagner, parce que la faculté de théologie vous soutient. Voilà que l'autre jour, lorsque ces livres que l'on nomme les *Actes des Parisiens sont arrivés, presque tous les *maitres les ont achetés et ils ont été trés satisfaits. Moi aussi, j'en ai acheté un et je l'ai envoyé à Heidelberg pour qu'ils le voient là-bas. Et je crois que dés qu'ils l'ont vu, ceux de Heidelberg ont regretté de ne pas avoir donné les mémes conclusions que la sainte université de Cologne contre le docteur Reuchlin?. 8. Litt. : les « gentils ». 1. Litt. : mille talents. 2. allusion vise surtout Ulrich *Zasius, célèbre professeur de droit et ami d’Érasme. 3. L'université de Heidelberg, où les humanistes étaient influents, avait été la seule — comme Reuchlin — à refuser de condamner au feu les livres des juifs.

TOMUS

I, EPIST.

7-8

157

in una hora. Sed credo quod intellectus vester est ita illuminatus per gratiam spiritussancti desuper quod scitis illa et alia, quia semper fuistis bonus Theologus, et reprehenditis illos gentiles. Libenter vellem vobis scribere unam novitatem si scirem. Sed non audivi aliquid quam quod fratres ac domini de ordine predicatorum habent hic magnas indulgentias, et absolvunt a pena et a culpa, quando aliquis est confessus et contritus, et habent super hoc litteras papales. Etiam scribite mihi aliquid, quia ego sum vester tanquam famulus. Valete ex Nurenberga.

8

Franciscus Genselinus! Magistro Ortvino Gratio Salutem quam mille talenta non possunt æquivalere in sua gravitate. Venerabilis domine magister, Scitote quod hic est magnus sermo de vobis, et theologi valde laudant vos quod non respexistis aliquem, et scripsistis pro defensione fidei contra doctorem Reuchlin. Sed aliqui socii qui non habent intelligentiam, et etiam iuristz qui non sunt illuminati in fide christiana, spernunt vos, et loquuntur multa contra vos, sed non possunt prævalere, quia facultas theologica tenet vobiscum. Et nuper quando venerunt huc isti libri, qui vocantur acta Parrhisiensium, tunc fere omnes magistri emerunt et gavisi sunt maxime. Ego protunc etiam emi, et misi ad Heidelbergam ut ibi viderent. Et credo quod ubi viderunt, tunc pænituit Heidelbergenses quod non etiam concluserunt cum alma universitate Coloniensi contra doctorem Reuchlin.

1. De Pallemand Gänselein, diminutif de Gans (= oie), animal réputé pour sa bêtise. Son équivalent francais n'existant pas, je l'ai remplacé par un autre volatile non moins réputé pour sa bétise.

158

VOLUME

I, LETTRE

8

Et c'est pour ça que j'entends dire que l'université de Cologne a fait un règlement comme quoi jamais jusqu'à la fin des temps, ils n'accepteront quelqu'un qui aura obtenu son *baccalauréat ou sa *maîtrise à Heidelberg. Et c'est bien fait parce que comme ça, ils apprendront ce que c'est que l'université de Cologne, et qu'ils doivent la soutenir. Et je voudrais bien qu'ils fassent pareil pour les autres, mais je crois que les autres universités n'étaient pas au courant, et vous pardonnerez donc à leur ignorance. Il y a aussi un collégue qui m'a donné des jolis vers que vous devriez présenter à l’université de Cologne. Je les ai montrés aux maîtres et aux *Not Maîtres, et ils ont été trés appréciés. Alors je les ai envoyés à de nombreuses cités pour votre gloire, parce que je vous soutiens. Les voici, pour que vous sachiez ce que je pense : Qui veut lire les hérétiques perversités, Et en méme temps apprendre les bonnes latinités, Qu'il achéte les Actes des Parisiens Et les derniers écrits des Parisiens, Comme quoi Reuchlin s'est écarté de la religion, Comme Not’ Maitre de *Tongres en a fait la démonstration“. Maitre Ortwin voudrait bien les enseigner Gratis?, dans cette sainte université Partout sur ce texte gloser, Les notes en marges pas oublier, Et pour et contre prendre parti, Comme les théologiens de Paris

Quand les Besicles ils examinérent? Et Reuchlin magistralement condamnèrent, Comme le savent les carmélites'

Et les autres, qu'on appelle jacobites?. Je m'émerveille comment que vous soyez capable de visionner des ceuvres si élaborées. Vous avez vraiment un savoir-faire étonnant dans vos compositions. Et aussi vous avez un grand charme, à tel point que je ris toujours de plaisir quand je lis quelque chose que vous avez composé. Et je souhaite toujours que vous puissiez bien vivre longtemps, pour que votre gloire s'accroisse comme elle l'a fait jusqu'ici, car vos écrits sont trés utiles. 4. Dans ses *Arricles de 1512. 5. Calembour facile sur le nom de Gratius qui veut enseigner gratis contre Reuchlin. 6. Il s'agit bien d'une « mise en examen » judiciaire supposée déboucher sur une mise en accusation par-devant l'Inquisition, avec les conséquences que l’on connaît. 7. Dietrich de Gouda, l'envoyé de Cologne à Paris était carmélite (= carme). 8. Ces jacobites ne sont pas un ordre religieux, mais les « sectateurs de Jacques «de *Hochstraten» », le Grand Inquisiteur de Cologne.

TOMUS

I, EPIST.

8

159

Et propterea audio quod universitas Coloniensis fecit unum statutum quod nunquam in aeternum volunt promovere unum qui complevit pro gradu baccalaureatus vel magisterii in Heidelberga. Et est bene factum, quia sic debent discere quid est universitas Coloniensis, et alia vice debent tenere cum ea. Ego vellem quod sic facerent aliis, sed credo quod alie universitates non sciverunt, et igitur parcitis eis propter ignorantiam. Etiam quidam socius dedit mihi pulchra carmina quz debetis intimasse in universitate Coloniensi, quz ostendi Magistris, et Magistris nostris, et fuerunt multum commendata. Et misi illa ad multas civitates pro vestra gloria, quia faveo vobis. Et sunt ista, ut sciatis quid

puto : Qui vult legere hæreticas pravitates Et cum hoc discere bonas latinitates,

Ille debet emere Parrhisiensium acta Et scripta de Parrhisia nuper facta, Quomodo Reuchlin in fide erravit, Sicut magister noster Tungarus doctrinaliter probavit. Ila vult magister Ortvinus legere Gratis, in hac alma universitate, Et cum hoc textum ubique glosare Necnon quaedam notabilia in margine notare, Et vult arguere pro et contra, Sicut fecerunt Theologi in Parrhisia,

Quando speculum oculare examinaverunt Et Reuchlin magistraliter damnaverunt, Ut sciunt fratres Carmelitæ Et alii qui vocantur lacobitæ. Ego miror quomodo potestis ita speculari talia. Vos estis valde artificialis in compositionibus vestris, et habetis magnam dulcedinem, ita quod semper ego rideo prz letitia, quando lego aliquid quod vos composuistis. Et opto semper quod velitis diu vivere quod laus vestra crescat sicut fecit usque huc, quia vestra scripta sunt valde utilia.

160

VOLUME

I, LETTRES

8-9

Que Dieu vous garde et vous vivifie et ne vous livre pas aux mains de vos ennemis?. Comme dit le Psalmiste : « Que Dieu vous rétribue selon votre

cœur et exauce tous vos souhaits. »!? Et vous, écrivez-moi aussi ce que vous faites, parce que j'aime beaucoup entendre et voir vos faits et gestes. Donc, portez-vous bien. De Fribourg.

9 (Comment se porte votre maîtresse ?) Maitre *Conrad de Zwickau salue Maitre Ortwin Gratius.

Vu qu'on lit dans l’Ecclésiaste chap. XI : « Amuse-toi, jeune homme, dans

ta jeunesse »! ; c'est la raison pour laquelle je suis maintenant de joyeuse humeur et vous devez savoir que j'ai pas mal de succès en amour et que j'ai beaucoup d'occasions de baiser ; et puisque Ézéchiel dit : «Maintenant, elle forniquera dans sa fornication » ; pourquoi est-ce que je ne devrais pas me purger les reins de temps en temps ? Je ne suis pourtant pas un ange, mais un homme, et errare humanum est. D'ailleurs, vous-méme, vous baisez de temps en temps, bien que vous soyez un théologien, car vous ne pouvez pas toujours dormir seul, comme dit l'Ecclésiaste chap. III : « Si deux personnes dorment ensemble, elles se tiendront chaud. Tout seul, comment peut-on se réchauffer ? »? Quand m'écrivez-vous des nouvelles de votre maîtresse ? L'autre jour, quelqu'un m'a dit que, quand il se trouvait à Cologne, vous vous étes battu avec elle et que vous l'avez tabassée, peut-étre parce qu'elle n'avait pas fait ce que vous vouliez. Mais je m'étonne que vous puissiez tabasser une femme aussi belle. Si je voyais ça, j'en pleurerais !Vous devriez 9. Citation du psaume XLI (Vulgate XL), 3. 10. Psaume XX (Vulgate XIX), 5. 1. Ecclésiaste XI, 9. 2. Ezéchiel XXIII, 43, parlant d'une prostituée. 3. Ecclésiaste IV, 11.

TOMUS

I, EPIST.

8-9

161

Deus vos conservet et vivificet vos, et non tradat vos in manus inimicorum vestrorum. Et sicut dicit Psalmista : « Tribuat vobis dominus secundum cor vestrum, et omne consilium vestrum confirmet. » Et vos etiam scribatis mihi de factis vestris, quia libenter audio, et

video quid facitis seu agitis. Et sic Valete. Ex Friburga.

9 Magister Conradus de Zuiccavia salutem dicit Magistro Ortvino Gratio. Quia legitur Ecclesiastes.XI. « Lætare iuvenis in adolescentia tua. » Quapropter ego nunc sum lætæ mentis, et debetis scire quod bene succedit mihi in amore, et habeo multum supponere. Quia dicit Ezechiel : « Nunc fornicabitur in fornicatione sua. » Et quare non deberem aliquando purgare renes ? Tamen non sum angelus, sed homo, et omnis homo errat.

Vos etiam aliquando supponitis, quamvis estis l'heologus, quia non potestis semper solus dormire, secundum

illud Ecclesiastæ II. « Si dormierint duo simul, fove-

buntur mutuo, unus autem quomodo calefiet ? » Quando scribitis mihi quid facit vestra amasia ? Nuper dixit mihi unus quod quando ipse fuit Coloniz, tunc fuistis in rixa cum ipsa et percussistis eam, quia fortassis non fecit secundum opinionem vestram. Et ego miror quare potestis ita pulchram mulierem percutere. Ego flerem si viderem. Potius debetis dicere

162

VOLUME I, LETTRE 9

plutôt lui dire de ne pas recommencer. Comme ça, elle se corrigerait et, la nuit, elle serait plus aimable avec vous. D'ailleurs, quand vous nous faisiez le cours sur Ovide, vous nous disiez que nous ne devions en aucune façon tabasser les femmes, et vous citiez méme l'Écriture sainte à ce sujet. Moi, je suis content de mon amie parce qu'elle est gaie et ne me gueule pas dessus. Quand je vais la voir, je fais pareil et nous sommes de bonne humeur, et nous buvons de la biére et du vin,

car le vin réjouit le cœur de l'homme, alors que la tristesse dessèche les os*. Des fois, je suis en colére contre elle, alors elle me donne un baiser et on fait la paix, et puis elle dit : « Seigneur Maitre, soyez de bonne humeur ! » L'autre jour, comme j'allais la voir, voilà que je vois sortir de chez elle un jeune marchand qui avait la braguette ouverte et le front en sueur. J'ai cru qu'il l'avait baisée et je me suis mis comme qui dirait en colère. Mais elle m'a juré qu'il ne l'avait méme pas touchée et qu'il voulait seulement lui vendre du lin pour faire des chemises. Alors j'ai dit : — C'est bon, mais quand est-ce que vous me donnerez donc une chemise ? Alors, elle m'a demandé de lui donner deux *florins pour qu'elle puisse payer ce lin, comme ça, elle pourrait me donner une chemise. Mais voilà que j'avais pas un rond, alors j'ai demandé à un collègue qui m'en a prêté, et que je lui ai donné. Je loue celui qui est toujours joyeux?. D'ailleurs les médecins disent qu'étre de bonne humeur, c'est bon pour la santé. Il y a ici un *Not’ Maitre qui est toujours de mauvaise humeur et jamais content. Du coup, il est toujours malade et il passe son temps à me faire des reproches et il me dit que je ne dois pas aimer les femmes, parce que ce sont des diables qui perdifient les hommes, et qu'elles sont répugnantes, et qu'aucune femme n'est pure, et que, quand quelqu'un est avec une femme, c'est comme s'il était avec un diable, parce qu'elles ne laissent personne tranquille. Alors j'ai dit : — Pardonnez-moi, Seigneur Not’ Maitre, mais votre mère était quand méme une femme ! et Je suis parti. L'autre jour voilà qu'il nous a préché que les ecclésiastiques ne devraient en aucune façon avoir de maîtresses, et que les évêques font un péché mortel en acceptant la dime du lait? et en permettant aux servantes de vivre 4. Cette citation « bidonnée » est en fait un collage à partir de deux textes différents : le psaume CIV (Vulgate CI), 15 et Proverbes XVII, 22.

5. Citation approximative d' Ecclésiaste VIII, 15. 6. Olearius affirme dans sa Quodlibet que les évêques prélevaient une taxe sur les maîtresses et les enfants des prêtres, que l’on appelait communément Milchpfennig et KindBzehent (voir Zarncke, op. cit., p. 95).

HUGPNAUSERSEPIST:T9

163

quod non faciat amplius, tunc ipsa emendaret se, et de nocte esset vobis amicabilior. Tamen quando legistis nobis Ovidium, dixistis nobis quod nullo modo debemus percutere mulieres, et allegastis ad hoc etiam sacram scripturam. Ego sum contentus quod amica mea est hilaris et non irascitur mecum. Quando venio ad eam, tunc etiam facio talia, et sumus laetitia, et bibimus cerevisiam et vinum,

in

quia vinum lztificat cor hominis, sed tristitia exiccat ossa. Aliquando sum iratus super eam, tunc dat mihi osculum, et fit pax, et postea dicit : « Domine magister, estote laetae mentis. » Nuper volui ire ad eam, tunc vidi exire quendam iuvenem mercatorem qui habuit apertas caligas, et sudavit in fronte, et credidissem quod supposuisset eam, et fui quodammodo iratus. Sed ipsa iuravit quod non tetigisset eam ille mercator, sed voluisset ei vendere linteum

ad faciendas camisias. Tunc ego dixi : « Est bonum, sed quando etiam datis mihi unam camisiam ? » Tunc rogavit me quod deberem ei concedere duos florenos quod posset solvere illum linum, tunc etiam vellet mihi dare unam camisiam. Et pro tunc non habui pecuniam, sed petii unum socium qui concessit mihi et dedi ei. Ego laudo quod aliquis semper est latus. Et medici dicunt etiam quod sanum est quando aliquis est latus. Quidam magister noster hic semper irascitur et nunquam est lætus, et propterea semper est infirmus. Ipse semper reprehendit me et dicit, quod non debeo amare mulieres, quia sunt diaboli, et perdificant homines, et sunt immundz,

et nulla mulier est pura. Et quando aliquis est cum muliere, tunc est sicut cum diabolo, quia permittunt nulli requiem. Tunc ego dixi : « Parcatis mihi, domine

magister noster, vestra mater etiam fuit

mulier. » Et abivi. Ipse etiam nuper praedicavit, quod sacerdotes nullo modo deberent habere concubinas secum. Et dixit quod episcopi peccant mortaliter quando accipiunt decimam lactis et permittunt ancillas esse cum

164

VOLUME

I, LETTRES

9-10

avec des prêtres, et qu'ils devraient toutes les chasser ! Mais d'une façon ou d'une autre, il faut bien qu'on s'amuse de temps en temps, c'est pourquoi nous pouvons quand méme dormir avec des femmes, si personne ne nous voit. Et aprés, on ira à confesse. Et comme

Dieu est miséricorde, nous

devons espérer le pardon. Je vous envoie ci-joint quelques écrits pour la défense d'Alexandre le Français’, ce grammairien ancien et trés compétent, bien que les *poètes modernes le critiquent, mais ils ne savent pas ce qu'ils disent parce qu'Alexandre est le meilleur, comme vous me l'avez dit autrefois quand nous faisions nos études à *Deventer. C'est un *maitre d'ici qui me les a donnés, mais je ne sais pas oü il les a trouvés. J'aimerais bien que vous les fassiez imprimer, ca mettrait sacrément en colère ces poétes-là, parce que cet auteur les démolit réellement. D'ailleurs, c'est composé si poétiquement que je n'y comprends rien, car celui qui les a composés est aussi un bon poète. Mais avec ca, c'est un théologien, et il ne prend pas le parti de ces *poètes profanes comme

le docteur Reuchlin, *Busch et les autres.

Dés qu'on m'a donné ces documents-là, alors j'ai dit que j'allais vous les envoyer pour que vous les lisiez. Si vous avez du neuf, alors envoyez-le moi. Portez-vous bien dans une amitié non feinte?. De Leipzig.

10 (Un poète qui ose défendre Reuchlin)

Jean *Arnoldi dit beaucoup de saluts à Maitre Ortwin Gratius.

Puisque, passque donc, vous désirez toujours avoir du nouveau, selon ce que dit Aristote : « Tous les hommes, par nature, désirent

savoir »!, c'est pourquoi donc, moi, Jean Arnoldi, votre éléve et humble serviteur, j'envoie ci-joint à Votre Seigneurie, c'est-à-dire à Votre Honorabilité, un

7. *Alexandre de Villedieu était natif de Villedieu-les-Poéles, en Normandie. 8. Cette expression provient de II Corinthiens VI, 6. 1. Ce sont les premiers mots de la Métaphysique d' Aristote.

TOMUS

I, EPIST.

9-10

165

presbyteris, quia deberent eas totaliter expellere. Sed sit a vel b, nos debemus esse aliquando lzti, et etiam possumus dormire cum mulieribus, quando nemo videt. Postea tamen facimus confessionem. Et deus est misericors, et debemus sperare veniam. Ego mitto vobis hic quzdam scripta pro defensione Alexandri Galli grammatici antiqui et sufficientis, quamvis poete moderni volunt eum reprehendere. Sed non sciunt quid loquuntur, quia Alexander est optimus, ut olim dixistis mihi quando stetimus Daventriæ. Quidam magister hic dedit mihi, sed nescio ubi accepit. Ego vellem quod faceretis imprimere, tunc maxime faceretis iratos illos poetas, quia ille auctor realiter vexat eos. Sed est ita poetaliter compositum quod ego non intelligo, quia ille qui composuit est etiam bonus poeta. Sed cum hoc est Theologus, et non tenet cum szcularibus poetis sicut est doctor Reuchlin, Buschius et alii. Statim quando fuit mihi data illa materia, tunc dixi, quod vellem vobis mittere quod legeretis. Si habetis aliquid novum, tunc etiam mittatis mihi. Valete in charitate non ficta. ex Liptzick.

10 Ioannes Arnoldi salutem dicit plurimam Magistro Ortvino Gratio.

Quoniam quoniamquidem igitur vos concupiscitis semper habere unam novitatem,

secundum quod dicit Aristoteles : « Omnes homines natura scire n desiderant », subhumilis et discipulus, vester Arnoldi quare igitur ego Ioannes libellum unum hic vestra ditus mitto dominationi seu honorabilitati

166

VOLUME

I, LETTRE

10

libelle? composé par un quelconque ribaud, qui a diffamé le Seigneur *Pfefferkorn à Cologne, un homme sans aucun doute trés honnéte. Je me suis mis pas mal en colére, mais je n'ai pas réussi à empécher qu'il ne l'imprime pas? car ce collégue a ici beaucoup de partisans, y compris des nobles. Ils se proménent dans les rues, armés comme des bouffons avec de longues épées. Et moi, j'ai dit quand méme que ce n'est pas bien, car il faut que vous sachiez que ces *poétes profanes feraient encore beaucoup de guerres avec leurs vers, si les *Not' Maîtres ne font pas attention et ne les citent pas en justice par-devant la Cour romaine par les soins de Not? Maitre Jacques de *Hochstraten. Et j'ai peur que qa fera un grand trouble dans la religion catholique. C'est pourquoi je vous prie de bien vouloir composer un livre contre ce diffamateur, pour bien le mater, et après ça, il n'aura plus l'audace d'aller critiquer les Not? Maitres, passque c'est un vulgaire étudiant qui n'a méme pas de diplómes, et il n'a méme pas passé un grade ni une qualification en droit, ni méme en "arts, quoiqu'il ait étudié à Bologne“, où on trouve aussi beaucoup de poètes profanes qui n'ont ni zèle ni lumières dans la religion. L'autre jour, voilà qu'il s’assied à table et qu'il dit comme ça que les Not? Maitres de Cologne et de Paris font un déni de justice au docteur Reuchlin. Alors, moi, je l'ai contredit. Alors, y s'est mis à m'injurier avec des tas de paroles méchantes et diffamatoires, et que ca m'a tellement énervé que je me suis levé de table et que j'ai pris tout le monde à témoin de ces injures, et que Jai pas pu avaler une bouchée de plus. Vous devez me donner un conseil dans l'affaire susdite, parce que vous êtes également un peu juriste. J'ai composé quelques vers que je vous envoie ci-joint : Choriambique, hexamètre, saphique, iambique, asclépiadique, hendécasyllabe, élégiaque, dicolon, distrophe. Celui qui est un bon chrétien, doit approuver les Parisiens, Car leur collége, en vérité, est la mére des universités. Cologne, la sainte, également, qui est chrétienne tellement, Que nul ne doit la contester, sans un chátiment mérité, Comme Reuchlin, le docteur qui des Besicles est l'auteur, Et Not’ Maît’ de *Tongres a prouvé, qu' c'est un hérétique avéré, Et Maitre de la *Grand-Rue lui aussi, qui a fait brüler ses écrits. 2. Sans doute le Den zu Halle am 4. September 1514. verbrannten getauften Tuden Johannes Pfefferkorn (Pfaff Rapp) betreffende Schrifften, qui annonçait que Pfefferkorn avait été brûlé à Halle pour ses crimes. C'était un juif nommé le « curé Rapp » qui avait été la victime. L'auteur

du pamphlet était Hutten lui-méme. 3. L'homme obscur s'empétre dans sa triple négation qui lui fait dire le contraire de ce qu'il veut. 4. Le noble en question n'est pas sans rappeler Hutten.

RONUSNEPISTE

10

167

quem composuit quidam ribaldus et scandalizavit dominum Ioannem Pfefferkorn in Colonia, virum proculdubio integerrimum. Et ego fui valde iratus, sed non potui prohibere, quod non imprimeret, quia iste socius habet hic multos fautores, etiam nobiles, et

vadunt armati sicut bufones, cum longis gladiis in plateis. Sed tamen ego dixi quod non est rectum, quia debetis notare quod istæ poetæ seculares adhuc facient multas guerras, cum suis metris, si magistri nostri non habebunt advertentiam, et non citabunt eos per magistrum nostrum Iacobum de Hochstraten ad curiam romanam. Et ego timeo quod erit unum magnum disturbium in fide catholica. Rogo igitur vos quod velitis componere unum librum contra istum scandalizatorem, et realiter vexare eum. Tunc postea non erit audax quod velit stimulare magistros nostros, quia ipse est simplex socius, et neque est promotus neque qualificatus in iure vel in artibus, quamvis stetit in Bononia, ubi etiam sunt multi poetæ sæculares, non zelosi et in fide illuminati. Ipse nuper sedit in mensa et dixit quod magistri nostri in Colonia et Parrhisia faciunt iniuriam doctori Reuchlin, et ego tenui ei oppositum. Tunc vexavit me multis malis verbis et scandalosis, quod fui ita iratus quod surrexi de mensa, et protestavi coram omnes de iniuriis, et non potui comedere unam buccellam. Vos debetis mihi dare consilium in supradicta causa, quia etiam pro parte estis iurista. Ego compilavi aliqua metra quz mitto vobis hic. Choriambicum, Hexametrum, Sapphicum, Iambicum, Asclepiadicum, Endecasyllabum, Elegiacum, Dicolon, Distrophum. Qui est bonus catholicus,

Quia illud gymnasium,

| debet sentire cum Parrhisiensibus,

est mater omnium universitatum.

Deinde Colonia sancta, quz est in fide christiana tanta, Quod nullus debet contradicere, vel merito penam luere, Sicut Reuchlin doctor, qui est speculi ocularis auctor, Quem magister noster Tungarus, probavit quod est hæreticus, Necnon magister de Alta platea, qui fecit comburere eius dictamina.

168

VOLUME

I, LETTRES

10-11

Si j'avais un argument, je composerais un livre contre ce tartufe, et je prouverais qu'il est excommunié de facto. Je n'ai plus de temps pour écrire, car il est temps que j'aille au cours, car il y a un *maître qui fait des exercices sur la technique ancienne”, qui sont très subtilement composés, et j'y assiste parce qu'ils sont au programme. Portez-vous bien, encore mieux que tous mes collègues et amis d'ici et de partout, et dans tous les lieux, méme honnétes.

1l (La logique est la reine des sciences) Corneille du Vitrier dit beaucoup de saluts à Maitre Ortwin Gratius, autant de saluts qu'il y a d'étoiles dans le ciel et de sable dans la mer. Vénérable Seigneur Maitre, Je prends part ici à de nombreuses rixes et guerres provoquées par des hommes malintentionnés qui se prétendent savants, alors qu'ils n'ont pas étudié la logique, qui est la science des sciences!. L'autre jour, j'ai dit une messe chez les précheurs de l’*Esprit saint pour que Dieu veuille bien me donner sa grâce et une bonne mémoire pour retenir les syllogismes? afin de débattre avec ces personnes qui savent seulement parler latin et composer des textes. J'ai méme ordonné au cours de cette messe une quéte en faveur de *Not' Maitre Jacques de *Hochstraten et de Not Maitre *Arnold de Tongres, le régent supérieur du pensionnat [Saint-] Laurent, pour qu'ils puissent venir à bout, dans un *débat théologique, d'un certain docteur en droit nommé Jean Reuchlin, méme que c'est un *poéte profane et vaniteux, qui s'oppose à quatre universités? en prenant le parti des juifs, et qui fait des propositions scandaleuses et offensantes pour des oreilles

5. C'est-à-dire selon les universaux de Porphyre et les catégories d' Aristote. 1. Cette supériorité affirmée de la logique sur toutes les autres disciplines des «arts libéraux » était l'un des principes de la scolastique, affirmé depuis Abélard par les maîtres de toutes les tendances. 2. Il s'agit des fameuses formules mnémotechniques versifiées telles que : Barbara Celarent, Darii, Ferio, Baralipton, Celantes, Dabitis, Fapesmo, Frisesmorum, etc. 3. Les universités de Cologne, Erfurt, Louvain et Paris avaient condamné

1513-1514.

les Besicles en

TOMUS

I, EPIST.

10-11

169

Si haberem unum argumentum, ego vellem componere unum librum contra istum trufatorem, et probare quod de facto est excommunicatus. Non habeo plus tempus ad scribendum, quia oportet me ire ad lectionem, quia unus magister legit replicationes super veterem artem valde subtiliter compositas, et ego audio eas pro completione. Valete super omnes socios et amicos meos qui sunt hic et ubique, et in omnibus locis et honestis.

11

Cornelius Fenestrificis salutem dicit plurimam Magistro Ortvino Gratio, salutes tot quot habet celum stellas et mare arenas. Venerande Domine Magister, Ego habeo hic multas rixas et guerras a malis viris qui presumunt esse docti, et tamen non didicerunt logicam, quz est scientia scientiarum. Ego legi nuper unam missam ad prædicatores de Spiritusancto quod deus velit mihi dare suam gratiam, et bonam memoriam in syllogismis ad disputandum cum illis qui sciunt tantum latinisare, et dictamina componere. Etiam imposui unam collectam in illa missa pro magistro nostro Iacobo de Hochstrat, et magistro nostro Arnoldo de Tungaris, summo regente in bursa Laurentii, quod possunt in disputatione Theologica ad metam redargutionis ducere quendam doctorem in iure qui vocatur Ioannes Reuchlin, etiam est poeta sæcularis

et præsumptuosus, et tenet oppositum contra quattuor universitates, pro Iudzis, et facit propositiones scandalosas et offensivas piarum

170

VOLUME

I, LETTRE

:11

pieuses^, comme l'ont démontré Jean *Pfefferkorn et Not" Maitre de Tongres?. Mais il n'y connaît rien en théologie théorique, et il n'est qualifié ni en Aristote ni en *Pierre d'Espagne. C'est pourquoi les Not’ Maîtres à Paris l'ont condamné au feu, à moins qu'il ne se rétracte. J'ai vu la lettre et le sceau du Seigneur doyen de la sacrosainte faculté de Théologie de Paris. Il y a un des Not’ Maîtres, très érudit en sainte Théologie et éclairé dans la religion, — il est membre de quatre universités et il a plus de cent [étudiants] qui écrivent sur le *Livre des Sentences (sur lequel il se fonde) — qui a dit que le susdit docteur Reuchlin ne peut pas s’en sortir, et que même le pape n'oserait pas donner une sentence contre une université si tellement solennelle, parce qu'il n'est méme pas théologien et qu'il ne comprend rien au Contre les paiens de saint Thomas’, bien qu'il y en ait des qui disent qu'il est plutót savant en poésie. Un Not! Maître, qui est curé à Saint-Martin?, m'a montré la lettre dans

laquelle cette université? promet trés aimablement son aide « réellement et avec effet!? » à sa sœur l'université de Cologne contre lui. Et malgré ça, ces pauvres latinisateurs prétendent s'y opposer. L'autre jour, je suis descendu à Mayence à l'Auberge de la Couronne! , et voilà que je me suis fait prendre à partie trés grossierement par deux tartufes, qui ont traité les Not’ Maîtres de Paris et de Cologne de délirants et de fous. Et ils ont dit que leurs *Commentaires sur les Sentences étaient des blagues, et pareil ils ont dit que les manuels, *compilations et *sommes de tous les pensionnats étaient du vent. Alors, ca m'a énervé parce que je ne savais pas quoi répondre. Et avec ca, ils se sont moqués de moi parce que j'avais fait le pélerinage à Trèves pour voir la tunique du Seigneur!?, car ils ont dit que ce

4. C'est par ces termes que les inquisiteurs nommaient toutes les propositions qu'ils voulaient attaquer comme hérétiques. On retrouve cette expression à chaque page des écrits antireuchlinistes. 5. La « démonstration » de Pfefferkorn était le *Miroir enflammé et celle d' Arnold de Tongres la Lettre àMaximilien. 6. La copie et le commentaire des * Livres des Sentences occupaient une part essentielle des études à la faculté de théologie. 7. Léon X (Jean de Médicis) avait recu une éducation humaniste trés soignée à la cour de son pére Laurent le Magnifique, mais il n'était pas docteur en théologie. De plus, sa famille avait été chassée du pouvoir à Florence, vingt ans plus tót, par la révolution du dominicain Savonarole, ce qui ne devait pas lui rendre cet ordre particuliérement sympathique. 8. Sans doute Barthélémy *Zehender (voir Lettre I, 27). 9. La lettre de la congrégation générale de la faculté de théologie de Paris était datée du 16 juillet 1514, au couvent des Mathurins. Elle commençait par ces mots : « Litteratissimi viri et

fratres optimi... ». 10. Termes de jargon scolastique. 11. Il y avait à Mayence une auberge Zu den drei Kronen (Aux Trois Couronnes). 12. On montrait à Trèves, depuis 1196, une relique supposée être la tunique de Jésus, récupérée par les soldats romains aprés sa crucifixion.

TOMUS

I, EPIST.

11

171

aurium, ut probavit Ioannes Pfefferkorn, et magister noster Tungarus. Sed non est fundatus in Theologia speculativa, nec qualificatus in Aristotele, aut Petro Hispano. Ideo magistri nostri in Parrhisia damnaverunt eum ad ignem vel reclamationem. Ego vidi litteram et sigillum domini Decani sacrosancte facultatis Theologicae Parrhisiensis. Unus magistrorum nostrorum valde profundus in sacra Theologia, et illuminatus in fide, qui est membrum quattuor universitatum, et qui habet plus quam centum scribentes super libros sententiarum, in quibus se fundat, dixit manifeste quod praedictus doctor Ioannes Reuchlin non potest evadere, et quod etiam Papa non audet dare sententiam contra talem solennissimam universitatem, quia ipse non est Theologus, et beatum Thomam contra gentiles non intelligit, quamvis dicunt quod est doctus videlicet in poesi. Ostendit mihi magister noster qui est plebanus ad sanctum Martinum

epistolam, in qua illa universitas sorori suz universitati

Coloniensi valde amicabiliter promittit auxilium suum realiter cum effectu. Et tamen isti latinisatores presumunt tenere oppositum. Ego sedi nuper Maguntiæ in corona hospicio, ubi tribulaverunt me valde indiscrete duo trufatores!, et vocaverunt magistros nostros in Parrhisia et Colonia fantasticos et stultos. Et dixerunt quod ipsorum libri super sententias essent fantasia. Similiter processus, copulata, reparationes omnium bursarum dixerunt quod essent vanitates. Tunc fui ita iratus quod non scivi respondere. Cum hoc etiam vexaverunt me, quod feci passagium ad Treverim ad videndum tunicam

1. De l'italien zruffatore.

172

VODUMESDIDESSSEBSI

n'était peut-étre pas la tunique du Seigneur. Et ils l'ont démontré par ce syl-

logisme cornu? : « Une chose qui est déchirée ne peut pas étre présentée comme la tunique du Seigneur. Or celle de Tréves l'est, donc, etc. »

Du coup, je leur ai concédé la majeure, mais j'ai contesté la mineure. Alors, voilà comment ils l'ont démontré : « Saint Jérôme a dit : “Saisi par une vieille erreur, l'Orient a vainement

déchiré en morceaux la tunique du Seigneur qui était sans couture et surtout

d'une seule piéce."!^ » Alors, j'ai répondu que saint Jéróme n'est pas parole d'évangile et qu'il

est carrément inférieur aux apôtres”. Et puis je me suis levé de table et j'ai planté là ces tartufes. Sachez qu'ils parlent en termes si irrévérencieux des Not' Maitres et des docteurs éclairés dans la religion qu'ils peuvent de facto être excommuniés par le pape. Si les *courtisans étaient au courant, ils les traineraient en procés devant la *Cour romaine, et ils leur feraient perdre leurs *bénéfices, ou au moins ils les condamneraient aux dépens. A-t-on jamais entendu dire que de vulgaires étudiants!f, ni diplômés ni qualifiés dans aucune faculté, puissent se moquer d'hommes si éminents et véritablement si érudits dans toutes les branches du savoir, comme le sont les Not? Maitres ? Ils se vantent de leurs vers. Eh bien, moi aussi je sais faire des vers et de

la prose, parce que j'ai méme enseigné la Nouvelle Langue latine de maitre Laurent *Corvin, et la Grammaire de *Brassicanus, et Valère Maxime!’ et les autres poètes. L'autre jour, en cheminant, j'ai composé contre eux un poème en vers, que voici : À Mayence, à l'Auberge de la Couronne, Ou j'ai dormi moi-méme en personne, Il y a deux bouffons indiscrets, Des vauriens insolents contre les Not? Maitres Qui osent critiquer les maitres en Théologie, Alors qu'y n'sont pas diplómés en Philosophie, Qu'y n'savent pas dans les formes académiques controverser, Ni plusieurs corollaires d'une seule conclusion tirer, 13. Du nom du fameux sophisme attribué à Chrysippe : « Ce que tu n'as pas perdu, tu l'as encore. Or, tu n'as pas perdu tes cornes. Donc, tu as des cornes. »

14. Hutten « bidonne » légérement cette citation de Jéróme (Lettre XV, 17 à Damase) qui

est une belle allégorie sur les Eglises qui se déchirent entre elles. 15. Affirmation déchirante au moment où les théologiens se mobilisaient contre Érasme qui était en train de prouver que la Vulgate attribuée à Jéróme était souvent fautive par rapport à l'original grec des Evangiles.

16. Litt. : « de simples membres ». 17.Valére Maxime était l'un des auteurs latins les plus étudiés dans les universités.

IBOINEIRISSTSTEBISATEMU

173

domini, quia dixerunt quod fortassis non esset tunica domini. Et probaverunt sic per Cornutum syllogismum : « Quicquid est laceratum, non debet ostendi pro tunica domini, sed illa est talis, ergo etc ». Tunc ego concessi maiorem, sed negavi minorem. "Tunc probaverunt sic : « Beatus Hieronymus dicit : *Vetusto oriens collisus errore tunicam domini inconsutilem desuper contextam per totum minutatim discerpsit per frustra." » Et ego respondi, quod sanctus Hieronymus non est de stilo evangelii, nec immodicite ex apostolis. Et sic surrexi de mensa et reliqui illos trufatores. Vos debetis scire quod tam irreventialiter loquuntur de magistris nostris, et doctoribus illuminatis in fide, quod certe de facto possunt esse excommunicati a papa. Si scirent curtisani, ipsi citarent eos ad curiam romanam,

et impetrarent eorum beneficia, vel saltem tribu-

larent eos cum expensis. Quis unquam audivit, quod simplices socii, in nulla facultate promoti vel qualificati, deberent vexare tam eximios viros, in omni profecto scibili profundissimos, ut sunt magistri nostri ? Sed ipsi superbiunt propter sua metra. Ego etiam scio facere metra et dictamina, quia legi etiam novum latinum idioma magistri Laurentii Corvini, et grammaticam Brassicani, et Valerium Maximum, et alios poetas. Et compilavi nuper in via eundo unum dic-

tamen metricum contra istos hoc modo : Sunt Maguntiz in publica Corona, In qua nuper dormivi in propria persona, Duo indiscreti bufones In magistros nostros irreverentiales nebulones, Qui audent reprehendere magistros in Theologia, Quamvis ipsi non sunt promoti in Philosophia, Nec sciunt in scholis formaliter disputare, Et ex una conclusione multa corollaria formare,

174

VOLUME

I, LETTRES

11-12

Comme l'enseigne avec érudition le *docteur subtil — Celui qui le méprise est trés vil — Comme le concluent les *quodlibets du *docteur irréfragable, Qui dans les sciences est inexpugnable. Et du *docteur séraphique ils ne savent rien Lui, sans qui personne ne devient un bon médecin!5, Et celui qui écrit la vérité, le *saint docteur, Sur Aristote et Porphyre avec tant de cœur,

Comme quoi d'exposer les cinq universaux, ou prédicables, Correctement lui seul en est capable. Oh ! Comme il résume les livres prédicamentaux, Et d'Aristote fait une somme des discours moraux ! Les *poétes ne comprennent rien à toutes ces matières, C'est pourquoi leurs paroles sont si grossiéres, Comme ces deux vaniteux tartufes Qui traitent les Not? Maitres de truffes. Mais Not’ Maitre Hochstraten s'en va les convoquer, Et comme ça, ils n’oseront plus se moquer des Éclairés. Portez-vous bien et saluez de ma part avec une grande révérence mes Seigneurs Not! Maître Arnold de Tongres et Not? Maitre *Rémi et Not Maitre *Valentin de GelterBheim, et le Seigneur *Jacques de Gouda, poète trés subtil de l'ordre des précheurs, et les autres.

12 (Le pape va-t-il confirmer le jugement de Spire en faveur de Reuchlin ?) Maitre Hildebrand Gronichon salue Maitre Ortwin.

Amicalissime Seigneur Ortwin, Voilà que je ne peux pas écrire élégamment une lettre selon les régles qui sont écrites dans l’Art d'écrire des lettres, parce que je n'en ai pas le temps. Mais il faut que je vous révèle rapidement et tout de suite en quelques mots ce qui se passe, parce que je dois traiter avec vous d'une affaire qui est incroyable. Vous devez comprendre qu'il court ici une rumeur terrible : tout le monde dit que le procés des *Not' Maitres se présente mal à la *Cour 18. Bonaventure n'avait évidemment rien à voir avec la médecine.

TOMUS.

I, EPIST

11-12

175

Ut docet fundamentaliter doctor subtilis. Qui contemnit eum est multum vilis, Ut concludunt quodlibeta doctoris irrefragabilis, Qui est in scientiis non expugnabilis. Et non sciunt quid est doctor Seraphicus, Sine quo nullus fit bonus Phisicus, Et qui veraciter scribit, doctor sanctus,

In Aristotele et Porphyrio tantus, Quod solus recte exponit quinque universalia, Quz dicuntur etiam quinque prædicabilia. O quam breve continuat libros prædicamentales Et summat Aristotelis sententias morales. Quz omnia non intelligunt poetæ. Ideo loquuntur ita indiscrete, Ut isti duo præsumptuosi trufatores, Qui vocant magistros nostros osores. Sed magister noster de Hochstrat debet eos citare, 'Tunc non amplius audebunt illuminatos vexare. Valete et salutate mihi cum magna reverentia dominos meos magistrum nostrum Arnoldum de Tungaris, et magistrum nostrum Remigium, et magistrum nostrum Valentinum de Gelterfheim, et dominum Iacobum de Ganda ordinis predicatorum poetam subtilissimum, et alios.

12

Magister Hiltbrandus Mammaceus salutem dicit Magistro Ortvino. Amicissime domine Ortvine,

Non possum iam scribere eleganter epistolam secundum praecepta quz scribuntur in modo epistolandi, quia hoc tempus non permittit, sed oportet breviter et statim manifestare paucis verbis quid est, quia habeo expedire casum unum vobiscum, qui est mirabilis, et est talis

tés: Vos debetis intelligere quod hic est terribilis fama, et omnes dicunt quod in curia romana causa magistrorum nostrorum male stat, quia

176

VOLUME I, LETTRE

12

romaine, parce qu'on dit que le Pape veut confirmer la sentence qui a été rendue l'année passée à *Spire en faveur du docteur Reuchlin. Quand j'ai entendu qa, j'ai été tellement inquiet que j'ai pas pu articuler un mot et je suis resté comme muet, et j'en ai pas fermé l'oeil pendant deux nuits. Car les amis de Reuchlin se réjouissent et se proménent partout en répandant cette rumeur. Quant à moi, j'y croirais pas si j'avais pas vu une lettre d'un Not Maitre de l'ordre des précheurs, dans laquelle il a rapporté cette nouvelle avec une grande tristesse. Et avec ça, il a écrit que le pape avait permis que les *Besicles soient imprimés à la Cour romaine!, et que les commerçants ont le droit de les vendre, et que tout le monde a le droit de les lire. Même que Not’ Maitre *Hochstraten a voulu quitter la Cour romaine et il a voulu préter serment de pauvreté, et alors les juges n'ont pas voulu le laisser partir. Et ils ont dit qu'il doit attendre la fin «du procés» et qu'il ne peut pas préter serment de pauvreté parce qu'il était entré dans la ville de Rome avec trois chevaux, et qu'il avait invité à sa table des personnages de la Cour, et qu'il avait dépensé de grosses sommes d’argent?, et qu'il avait régalé à grands frais des cardinaux, des évêques et des juges du *consistoire, et c'est pour ça qu'il n'a pas le droit de prêter serment de pauvreté. Ó Sainte Vierge ! Qu'allons-nous faire maintenant, si la théologie est méprisée à un tel point qu'un seul juriste puisse l'emporter sur tous les théologiens ? Moi, je crois que le pape n'est pas un bon chrétien, parce que s’il était un bon chrétien, alors, il serait impossible qu'il ne soutienne pas les théologiens. Et si le pape rend la sentence contre les théologiens, alors je pense qu'on devrait en appeler au concile, parce que le concile est audessus du pape, et que dans un concile, les théologiens l'emportent sur les autres facultés?. Alors, j'espére que le Seigneur donnera sa bonté et jettera les yeux sur ses serviteurs*, les théologiens, et qu'il permettra pas que notre ennemi se gargarise d'une victoire sur nous, et qu'il nous accordera la gráce du Saint-Esprit comme quoi nous puissions vaincre la fallacieuseté de ces hérétiques.

1. Léon X fit traduire les Besicles (Augenspiegel) de Reuchlin d'allemand en latin, par Martin de Groningue, sous le titre de Speculum oculare, afin que les juges romains puissent en prendre connaissance (voir lettres II, 10 et 49)

2. Quand Hochstraten était parti pour Rome, les dominicains avaient organisé à travers l'Allemagne des quêtes dans leurs couvents et auprès de leurs donateurs pour fournir un trésor de guerre à leur champion, en prévision des dépenses nécessaires à ses frais de représentation — et de corruption des juges romains. 3. Deux questions brülantes : depuis le concile de Bâle au siècle précédent jusqu’au rocambolesque concile de Pise au temps de Jules II, les papes menaient une lutte sans merci pour rétablir leur supériorité sur les conciles. Le concile de Trente en serait la confirmation. Quant à la lutte de prééminence des facultés de théologie contre leurs consœurs de droit et de médecine, elle durait depuis la fondation des universités au xir siècle. 4. Réminiscence du psaume LXXXV (Vulgate LXXXIV) 13 et de Judith VIII, 33. Voir la lettre II, 33.

IFONIOSIIS

EPISTII2

277

dicunt quod Papa vult autentizare sententiam qua ante annum lata est in Spira pro doctore Reuchlin. Quando audivi tunc ita timui quod non potui aliquod verbum

dicere, et fui sicut mutus, et per duas

noctes non dormivi. Quia amici Reuchlin gaudent et vadunt ubique seminantes istam famam. Et ego non crederem nisi vidissem unam litteram unius magistri nostri de ordine praedicatorum, in qua scripsit cum magna tristitia illam novitatem. Et cum hoc scripsit quod Papa permisit quod Speculum oculare debet in curia romana imprimi, et mercatores debent vendere, et omnis homo debet legere. Et magister noster Hochstratus voluit exire curiam romanam et voluit iurare paupertatem, tunc iudices non voluerunt eum dimittere. Sed dixerunt quod debet expectare finem, et quod non potest iurare paupertatem, quia intravit Urbem Romam cum tribus equis, et in curia romana habuit commensales, et exposuit magnas pecunias, et propinavit Cardinalibus, et Episcopis, et auditoribus consistorii multa munera, et propterea non debet iurare paupertatem. O sancta Maria, quid volumus nunc facere, si Theologia ita spernitur, quod unus iurista debet prevalere omnes Theologos ? Ego credo quod Papa non est bonus christianus, qui si esset bonus christianus, tunc esset impossibile quod non teneret cum Theologis. Sed etiam si Papa dat sententiam contra Theologos, tunc videtur mihi quod debet fieri appellatio ad concilium, quia concilium est supra Papam, et in concilio Theologi habent prævalentiam super alias facultates. Tunc spero quod dominus dabit benignitatem et respiciet famulos suos Theologos, et non permittit quod inimicus noster supergaudeat nos, et dabit nobis gratiam spiritussancti quod possumus superare fallimoniam istorum hzreticorum.

178

VOLUME

I, LETTRE

12

L'autre jour, il y a un juriste qui a dit ici qu'il y avait une prédiction comme quoi l'ordre des précheurs allait disparaître, et comme quoi cet ordre allait provoquer d'énormes scandales dans la religion du Christ, comme on n'en a jamais entendu des pareils, et il a méme dit oü il avait lu cette prophétie. Mais il manquerait plus que ce soit vrai ! Car cet ordre est utile, et si cet ordre existait pas, alors je me demande ce qu'il resterait de la théologie, car les «fréres» précheurs sont toujours plus érudits en théologie que les «fréres» mineurs ou augustins?, et ils marchent sur les pas du *saint docteur, qui n'a jamais fait de faux pas. Et puis aussi ils ont eu beaucoup de saints dans leur ordre, et ils sont courageux dans le débat contre les hérétiques. Je m'étonne pourquoi Not’ Maitre Jacques de Hochstraten ne peut pas préter serment de pauvreté, bien qu'il soit d'un ordre de mendiants qui sont manifestement pauvres*. Si je craignais pas l'excommunication, je dirais que là, le pape se trompe. Et je ne crois pas que ce soit vrai qu'il ait dépensé autant d'argent et qu'il ait offert des cadeaux, car c'est un homme vraiment zélé. Et je crois que c'est ces juristes et les autres, qui inventent ça, et que le docteur Reuchlin sait y faire pour les flatter, car j'ai entendu dire que beaucoup de cités et beaucoup de princes et seigneurs ont écrit pour le soutenir. Et la raison, c'est qu'ils y connaissent rien en théologie, et qu'ils y comprennent rien à cette affaire. Autrement, ils enverraient cet hérétique aller au diabie, parce qu'il est contre la religion, méme si tout le monde dit le contraire. C'est pour ça que vous devez révéler immédiatement tout ça aux Not Maitres de Cologne, comme quoi ils sachent prendre une décision. Et écrivez-moi ce qu'ils vont faire. Portez-vous bien dans le Christ. Donné à Tübingen

5. Les rivalités entre les ordres précheurs (dominicains, franciscains, carmes et augustins) allaient jusqu'aux bagarres dans les églises, parce que le prédicateur choisi avait droit à diverses gratifications en nature (repas, cadeaux, etc.). 6. Mais ce n'était manifestement pas le cas de Hochstraten, qui bénéficiait également, en tant que Grand Inquisiteur, des confiscations des biens des juifs et autres hérétiques. Les différences de « classes » se retrouvaient dans les ordres religieux, y compris mendiants.

TOMUSE

BPEST.12

179

Quidam iurista nuper dixit hic quod est fatatum, quod ordo prædicatorum debet perire, et quod ex illo ordine debent venire maxima

scandala in fidem Christi, sicut non audita sunt prius. Et dixit ubi legit illam prophetiam. Sed absit quod hoc sit verum. Quia ille ordo est utilis, et si ille ordo non esset, tunc nescio quomodo staret theo-

logia, quia semper praedicatores sunt profundiores in theologia, quam minores vel Augustinenses, et tenent viam doctoris sancti, qui tamen nunquam erravit. Et etiam ipsi habuerunt multos sanctos in suo ordine, et sunt audaces in disputatione contra hzreticos. Ego miror quare magister noster Iacobus de Hochstraten non potest iurare paupertatem. Tamen est de ordine mendicantium qui manifeste sunt pauperes. Si non timerem excommunicationem, ego vellem dicere quod papa erraret ibi. Et non credo quod hoc est verum, quod ipse exposuit sic pecunias, et dedit propinas, quia est vir valde zelosus. Et credo quod isti iuristæ, et alii fingunt talia, et doctor Reuchlin scit ipsis ita blandiri, quia etiam audivi quod multz civitates, et multi principes, ac domini scripserunt pro eo. Et est ratio, quia non sunt in theologia instructi, et non intelligunt factum. Alias permitterent istum haereticum habere diabolum, quia est contra fidem, etiam si totus mundus diceret contrarium. Vos debetis ista statim manifestare magistris nostris in Colonia, quod sciunt capere consilium. Et scribatis mihi quid volunt facere. Et valete in Christo. Datum in Tubinga.

180

VOLUME I, LETTRE

13

13 (Ortwin Gratius baise la femme de Pfefferkorn, est-ce un péché ? débat théologique) Maître *Conrad de Zwickau salue Maitre Ortwin.

D'aprés ce que vous m'avez écrit, comme quoi vous ne vous souciez plus de ces bagatelles, et que vous ne voulez plus aimer les femmes ni en baiser, sauf une fois ou deux par mois, je m'étonne que vous écriviez de telles choses. En effet, je suis au courant du contraire. Il y a ici un collégue qui est arrivé l'autre jour de Cologne, et vous le connaissez bien, et il a toujours été avec vous là-bas. Il dit que vous sautez la femme de Jean *Pfefferkorn, et il me l'a véritablement dit, et il l'a juré, et donc je le crois. Car vous étes trés séduisant et vous savez faire de beaux discours. Et avec ça, vous connaissez parfaitement l’Art d'aimer d'Ovide. Et il y a méme un marchand qui m'a dit qu'à Cologne on raconte que *Not' Maitre *Arnold de Tongres la saute aussi. Mais ça, c'est pas vrai parce que je sais de source süre qu'il est resté puceau jusqu'à maintenant, et qu'il n'a jamais touché une femme. Pourtant, s’il l'avait fait, ou s’il le faisait — contrairement à ce

que je crois — ca ne serait pas pour autant une mauvaise action, parce que errare

humanum

est.

Vous m'écrivez beaucoup au sujet de ce péché, comme quoi il n'y a pas de pire péché au monde, et vous citez de nombreux passages des Écritures. Moi, je sais bien que ce n'est pas bien, mais pourtant on trouve quand méme dans la sainte Écriture qu'il y en a eu qui ont fait ce péché et qui ont pourtant été sauvés. Par exemple, Samson qui a dormi avec une prostituée, et pourtant, aprés, l'esprit du Seigneur est entré en lui. Et voilà ce que je peux argumenter contre vous : Si quelqu'un n'est pas malintentionné, il reçoit l'Esprit saint. Or, Samson n'est pas malintentionné, donc il reçoit l'Esprit saint. » Je prouve la majeure, car il est écrit : « L'esprit de sagesse ne pénétrera pas dans une âme malintentionnée »!, mais l'Esprit saint est l'esprit de sagesse, CQFD. La mineure est évidente, car, si le péché de fornication avait été aussi mal, 1. Sagesse, I, 4.

TOMUS

I, EPIST. 13

181

43 Magister Conradus de Zuiccavia salutem dicit Magistro Ortvino. Sicut scripsistis mihi quod non amplius curatis illas levitates, et non amplius vultis amare mulieres, vel supponere, nisi in mense semel, aut bis, ego miror quod talia scribitis. Tamen ego scio contrarium. Est hic unus socius qui nuper venit ex Colonia, et bene est vobis notus, et fuit etiam semper ibi vobiscum. Ipse dicit quod supponitis uxorem Ioannis Pfefferkorn. Et dixit mihi veraciter, et iuravit, et ego credo etiam. Quia vos estis valde amicabilis, et etiam scitis dare bona verba. Et cum hoc scitis perfecte artem amandi ex Ovidio. Etiam dixit mihi quidam mercator, quod dicunt Colonie quod magister noster Arnoldus de Tungaris etiam supponit eam. Sed hoc non verum, quia ego scio veraciter quod ipse adhuc est virgo, et quod nunquam tetigit unam mulierem. Sed etiam si fecisset, vel faceret sicut non credo, tamen non esset propterea ita malus, quia huma-

num est errare. Vos multum

scribitis mihi de isto peccato, quod non est maius

peccatum in mundo, et allegatis multas scripturas. Ego scio bene quod non est bonum. Sed tamen etiam in sacra scriptura reperitur, quod aliqui sic peccaverunt, et tamen fuerunt salvati. Sicut Samson qui dormivit cum una meretrice, et tamen postea spiritus domini irruit in eum. Et possum contra vos arguere sic : « Quisquis non est malevolus, recipit spiritumsanctum, sed Samson non est malevolus,

ergo recipit spiritumsanctum. » Maiorem probo,

quia scriptum est : « In malevolam animam non introibit spiritus sapientiz », sed spiritussanctus est spiritus sapientiae, ergo. Minor patet, quia si illud peccatum fornicationis esset ita malum,

182

VOLUME

I, LETTRE

15

alors l'esprit du Seigneur n'aurait pas pénétré dans Samson, comme il est dit dans le Livre des Fuges?. Et on lit aussi que Salomon a eu trois cents reines, et on ne compte pas ses concubines, et il a été un fornicateur maximal jusqu'à sa mort, et pourtant, les docteurs concluent à l'unanimité qu'il est sauvé. Maintenant, qu'en pensez-vous ? Je ne suis pas plus fort que Samson, ni plus sage que Salomon’, donc je dois prendre un petit plaisir de temps en temps. Car, comme disent les médecins?, c'est bon contre la mélancolie. Ah ! Qu'est-ce que vous me parlez de ces Pères-tue-la-joie ? L'Ecclésiaste dit pourtant : « Et j'ai découvert qu'il n'est rien de meilleur pour l'homme que de se réjouir dans ses œuvres. » C'est pourquoi je dis, avec Salomon, à mon amie : « Tu as blessé mon cœur, ma sœur, ma fiancée ; tu as blessé mon cœur par un de tes regards, et par un cheveu de ton cou. Que tes seins sont beaux, ma sœur, ma fiancée. Tes tétons sont plus beaux que le vin, » etcf. Par Dieu ! C'est trés agréable d'aimer les femmes, comme il est dit dans

ce chant du poéte *Samuel : Apprends, bon clerc, à aimer les pucelles, Parce qu'elles savent donner de doux baisers,

Et conserver la fleur de ta jeunesse. Vu que l'amour est charité,

et que Dieu est charité!, donc l'amour n'est pas une mauvaise chose. Essayez donc de me réfuter cet argument. D'ailleurs, Salomon dit : « Si un homme donnait toute la richesse de sa maison pour l'amour, il la mépriserait comme presque rien. »? Mais, laissons cela, et passons à autre chose. Vous m'avez demandé comme quoi je vous tienne au courant des nouveautés. Sachez donc que nous avons déjà eu ici une grande réjouissance pendant le caréme. C'était un tournoi et le prince en personne est entré en lice, et il avait un beau cheval, avec un beau caparaçon par-dessus, sur lequel était représentée une femme 2. Juges XIV. 3. Cette formule était attribuée à /&neas Silvius Piccolomini (le futut pape Pie ID), en réponse à l'accusation de débauche. 4. Ce sage précepte se trouvait chez Hippocrate et Galien. 5. Ecclésiaste, III, 12 et 22.

6. Cantique des Cantiques, IV, 9-10. La tradition attribuait la rédaction de ce poème biblique fort érotique à 7. Citation 8. Citation les biens de sa

Salomon lui-méme. de I Jean IV, 8. « bidonnée » du Cantique des Cantiques (VIII, 7) : « Si un homme consacrait tous maison à l'amour, on le mépriserait. »

TOMUS

Ij! EPIST:'13

183

tunc spiritus domini non irruisset in Samson, sicut patet in libro Iudicum. Etiam legitur de Salomone, quod habuit trecentas reginas, et concubinarum non fuit numerus ; et ipse fuit maximus fornicator

usque ad mortem suam. Et tamen doctores communiter concludunt quod est salvatus. Quid nunc videtur vobis ? Ego non sum fortior quam Samson, et non sum sapientior Salomone, et ergo oportet aliquando habere unam lætitiam.

Quia, ut dicunt medici, hoc valet contra melancoliam. Ah quid dicitis de istis seriosis patribus ? Tamen dicit Ecclesiastes : « Et deprehendi nihil esse melius quam laetari hominem in opere suo. » Quapropter ego dico cum Salomone ad amicam meam « Vulnerasti cor meum, soror mea, sponsa mea ; vulnerasti cor meum in uno oculorum tuorum, et in uno crine colli tui. Quam pulchre sunt mamma tuz, soror mea, sponsa mea. Pulcriora sunt ubera tua vino », et cetera. Per deum, valde iucundum est amare mulieres, secundum illud

carmen Samuelis poetæ : Disce, bone clerice, virgines amare, Quia sciunt dulcia oscula præstare, Iuventutem floridam tuam conservare.

« Quia amor est charitas, et deus est charitas,

ergo amor non mala res. » Solvatis mihi illud argumentum. Etiam dicit Salomon : « Si dederit homo omnem substantiam domus suz pro dilectione, quasi nihil despiciet eam. » Sed permittamus ista, et veniamus ad alia. Rogastis me quod deberem vobis nova significare. Ergo sciatis quod iam in carnisprivio fuit hic magna lætitia. Et fuit hastiludium, et princeps met equitavit in foro, et habuit pulchrum equum, et pulchrum andallum desuper, in

184

VOLUME

I, LETTRES

13-14

richement parée et, assis à cóté d'elle, un beau jeune homme aux cheveux frisés, en train de lui jouer de l'orgue, comme dit le Psalmiste : « Que les jeunes gens et les jeunes filles, les vieux avec les jeunes, louent le nom du Seigneur?. » Et quand le prince est entré dans la cité, alors l'université l'a intronisé en grande procession, et les bourgeois ont brassé beaucoup de bière et ils ont dressé un banquet avec des mets choisis, et ils ont bien régalé le prince et toute sa cour. Et aprés, on a dansé, et moi, je me suis installé à une bonne place pour bien voir. Je n'en sais pas plus, sauf que je vous souhaite toutes sortes de bonnes choses. Et portez-vous bien au nom du Seigneur. De Leipzig.

14 (Épitaphe d’un persécuteur de Hutten) Maitre Jean Croate salut Maitre Ortwin Gratius.

Excellent Monsieur,

En vertu que je vous ai fréquenté voici deux ans à Cologne, et vous m'avez dit qu'il faudrait que je vous écrive toujours, où que je me trouve, alors voilà que je vous notifie que j'ai appris la mort! d'un théologien excellentissime, nommé *Not' Maître *Heckmann de Franconie, qui était un homme capital, et qui a été recteur de mon temps, et qui était un argumentateur érudit suivant la méthode de *Duns Scot, et qui était l'ennemi de tous les *poétes profanes, et qui était un homme zélé et qui aimait célébrer les messes. Et quand il était recteur à Vienne, alors il surveillait les étudiants avec une grande rigueur, et il a été digne de louanges. Et lorsque j'étais à Vienne, voilà qu'un collégue est arrivé de Moravie, qui devait être *poéte? — d'ailleurs il écrivait des vers — et il a voulu enseigner la prosodie, mais il n'était pas immatriculé «au registre de la faculté». Alors, Not' Maitre Heckmann le lui a interdit, et l'autre était si prétentieux qu'il n'a 9. Psaume CXIVIII, 12. 1. Cette annonce de décès est une vengeance littéraire, car nous possédons une lettre de 1517 de Jean Eck à *Vadian, critiquant la mauvaise tenue et l'immoralité de Heckmann, bien vivant.

2. Le poéte en question était Ulrich von Hutten lui-méme.

TOMUS

I, EPIST.

13-14

185

quo fuit picta una mulier cum magno ornatu, et iuxta ipsam sedit quidam iuvenis in crispis crinibus, qui organizavit ei secundum psal-

mistam : « Iuvenes et virgines, senes cum iunioribus laudent nomen

domini. » Et quando princeps venit in civitatem, tunc universitas intronisavit eum cum magna processione, et cives braxaverunt multam cerevisiam, et propinaverunt dulcia cibaria, et bene dapiverunt principem et omnes curiales. Et postea chorizaverunt!, et ego steti in uno conspicello quod potui videre. Non scio plura, quam quod opto vobis omnia bona. Et Valete in nomine domini. Ex Liptzick.

14

Magister Ioannes Krabacius! salutem dicit Magistro Ortvino Gratio. Excellens vir, Secundum quod fui ante duos annos vobiscum in Colonia, et vos dixistis mihi quod semper deberem vobis scribere ubicunque essem, sic iam notifico vobis quod audivi de morte unius excellentissimi Theologi, qui vocatur magister noster Heckman de Franconia, qui fuit unus principalis vir, et tempore meo fuit rector, et fuit profundus

argumentator in via Scoti, et fuit inimicus omnium poetarum sæcularium, et fuit vir zelosus et libenter celebravit missas. Et quando tenuit rectoratum Viennæ, tunc servavit supposita in magno rigore, et fuit laudabilis. Semel venit unus socius ex Moravia, quando ego fui Viennz, qui debet esse poeta et scripsit etiam metra, et voluit legere artem metrificandi, et non fuit intitulatus. Tunc ipse magister noster Heckman prohibuit ei, et ipse fuit ita prætensus quod non voluit curare man-

1. Chorizare est un néologisme (= choros agere) à résonance grecque. 1. Krabat est une forme allemande ancienne de Kroat.

186

VOLUME

I, LETTRE

14

pas voulu obéir à son ordre. Et alors, le recteur a interdit aux étudiants de ne pas suivre ses cours?. Alors, ce ribaud est allé chez le recteur et lui a dit beaucoup de paroles insolentes et il l'a tutoyé. Alors le recteur a fait chercher les sergents de ville pour le faire mettre en prison, parce que c'était un scandale énorme qu'un vulgaire étudiant ait osé tutoyer un recteur d'université qui est un Not’ Maitre. Et avec ça, j'apprends que ce collègue n'est ni *bachelier, ni *maître, ni diplômé ni gradué d'aucune façon. Et il se promenait comme un guerrier, c'est-à-dire comme un qui va partir à la guerre, et il avait un grand chapeau et un grand poignard au cóté. Et par Dieu, il aurait été mis en prison s'il n'avait pas eu des relations dans la cité. Je suis terriblement affligé si c'est vrai que cet homme est mort, parce qu'il m'a fait beaucoup de bien quand j'étais à Vienne. C'est pourquoi je lui ai fait l'épitaphe que voici : Celui qui dans la tombe git Et il a voulu les chasser

des poètes fut l'ennemi, quand ils ont voulu exercer,

Comme naguère ce collègue ici, qui n’était même pas inscrit, Et qui arrivait de Moravie, pour enseigner la poésie. Il a voulu l’incarcérer parce qu'il l'avait tutoyé, Maintenant qu'il est décédé, et qu'à Vienne il est enterré, Récitez donc une ou deux paires pour lui de Pater noster. Il y a eu ici un messager qui a apporté des nouvelles qui sont mauvaises si elles sont vraies, comme quoi votre procès se présente mal à la *Cour romaine. Mais moi, je n'y crois pas, car ces messagers disent aussi beaucoup de mensonges. Ici, les poétes murmurent bien contre vous et ils disent qu'ils vont défendre le docteur Reuchlin avec leurs poémes. Mais, vu que vous étes poéte quand vous voulez, je crois que vous allez bien leur tenir téte. Écrivez-moi quand méme comment se présente l'affaire. Comme Ça, si je peux vous aider, alors vous pourrez me considérer comme un allié fidéle et secourable. Portez-vous bien de Nuremberg.

3. L'homme obscur s’empêtre dans la double négation latine qu'il ne maîtrise pas.

TOMÜS-E

EPISTJ.14

187

datum eius. Tunc rector prohibuit suppositis quod non deberent visitare eius lectionem. Tunc ille ribaldus accessit rectorem et dixit ei multa superba dicta, et tibisavit eum. Tunc ipse misit pro famulis civitatis et voluit eum incarcerare, quia fuit magnum scandalum quod simplex socius deberet tibisare unum rectorem universitatis qui est magister noster. Et cum hoc ego audio quod ille socius neque est baccalaurius neque magister, nec est aliquo modo qualificatus seu graduatus, et incessit sicut bellator, vel qui vult ambulare ad bellum,

et habuit pileum et longum cultrum in latere. sed per deum ipse fuisset incarceratus si non habuisset notos in civitate. Ego doleo maxime si est verum quod ille vir est defunctus, quia fecit mihi multa bona quando fui Viennæ ; et propterea feci ei epitaphium tale : Qui iacet in tumulis, Et voluit eos expellere, Sicut nuper unus socius,

fuit inimicus poetis, quando voluerunt hic practicare, qui non fuit intitulatus, Veniens ex Moravia, et docens facere metra. Quem voluit incarcerare, propter suum tibisare. Sed quia nunc est mortuus, in Vienna sepultus,

Dicatis bis vel ter,

pro eo Pater noster.

Fuit hic nuncius qui portavit nova quz sunt mala si sunt vera, quod causa vestra non bene stat in curia romana. Sed ego non credo, quia isti nuncii dicunt etiam multa mendacia. Poeta bene murmurant hic contra vos, et dicunt quod volunt defendere doctorem Reuchlin cum suis carminibus. Sed quia vos etiam estis poeta quando vultis, credo quod bene manebitis prz ipsis. Tamen debetis mihi scribere quomodo stat negocium. Si tunc possum adiuvare vos, tunc habebitis me fidelem socium et adiutorem.

Valete Ex Nurenberga.

188

VOLUME

T CERERENS

15 (L'art de rédiger une lettre avec élégance) Guillaume Rémouleur salue Maitre Ortwin.

Je m'étonne beaucoup, Vénérable Monsieur, pourquoi que vous m'écrivez pas, alors que vous écrivez aux autres qui ne vous écrivent pas aussi souvent comme je vous écris. Si vous étes fáché aprés moi comme quoi vous ne voulez plus m'écrire, alors écrivez-moi quand méme pourquoi que vous ne voulez plus m'écrire, pour que je sache pourquoi que vous ne m'écrivez pas, alors que moi, je vous écris toujours, comme par exemple maintenant je vous écris, bien que je sache que vous n'allez pas me répondre. Mais vraiment je vous supplie du fond du cœur comme quoi vous vouliez quand méme m'écrire, et quand une fois vous m'avez écrit, alors moi, je vais vous écrire dix fois, parce que j'écris volontiers à mes amis et je veux m'exercer à l'écriture, de façon que je peux écrire avec élégance! des textes et des lettres. J'arrive pas à comprendre la cause que vous m’écrivez pas. Même que, l'autre jour, comme il y avait ici quelques gars de Cologne, je m'en suis plaint à eux et je leur ai demandé : — Qu'est-ce qu’y fabrique donc, Maitre Ortwin, qu'y m'écrit pas ? Ça fait deux ans qu'y m'a pas écrit ! Dites-z-y donc qu'y m'écrive, parce que jaimerais encore mieux lire ses lettres que de manger du miel. Et puis, dans le temps, il était mon meilleur ami. Et je leur ai demandé comment ça se passe pour vous dans ce procès avec le docteur Reuchlin. Alors, ils ont dit que ce juriste sait y faire pour vous entortiller. Alors, j'ai souhaité que le Seigneur Dieu vous donne sa gráce pour que vous serez vainqueur. Si vous voulez m'écrire, alors il faut m'écrire à ce sujet, parce que j'aimerais bien étre au courant. Ces juristes se proménent ici en disant : « Le docteur Reuchlin est dans son droit et les théologiens de Cologne lui ont fait tort ! » Et par Dieu, j'ai peur que l'Église soit un objet de scandale, si ce livre des *Besicles n'est pas brülé, parce qu'il contient beaucoup de propositions injurieuses et contraires à la religion catholique. Et si ce juriste n'est pas contraint à se rétracter, alors, il y en a encore d'autres qui vont tenter d'écrire comme Ça en théologie, alors qu'ils n'y connaissent rien et qu'ils n'ont pas étudié selon la méthode de *Thomas, ni d'*Albert*, ni de *Scot. Et ils ne sont méme pas éclairés dans la religion par la gráce du Saint-Esprit ! 1. élégance du style, si négligée par les scolastiques, était l'un des grands soucis des humanistes et des poétes de la Renaissance.

TOMUS

I, EPIST. 15

189

15 Guilhelmus Scherscleifferius! salutem dicit

Magistro Ortvino. Valde miror, venerabilis vir, quare mihi non scribitis, et tamen scribitis aliis qui non scribunt vobis ita sæpe sicut ego scribo vobis. Si estis inimicus meus quod non vultis mihi amplius scribere, tunc scribatis mihi tamen quare non vultis mihi amplius scribere, ut sciam quare mihi non scribitis, cum ego semper scribo vobis, sicut etiam nunc scribo vobis, quamvis scio quod non eritis mihi rescribere. Verumtamen oro vos præcordialiter quod velitis mihi tamen scribere, et quando semel scripsistis mihi, tunc ego volo vobis decies scribere, quia libenter scribo amicis meis, et volo me exercitare in scribendo, ita quod possum eleganter dictamina et epistolas scribere. Ego non possum cogitare quid est in causa quod non scribitis mihi. Et conquestus sum nuper quando hic fuerunt aliqui Colonienses,

et interrogavi : « Quid facit tamen magister Ortvinus, quod non scribit mihi ? Ipse non scripsit mihi in duobus annis. Dicatis tamen ei quod scribat mihi, quia libentius vellem suas litteras legere, quam mel comedere. Et ipse fuit olim amicus principalis. » Et interrogavi etiam quomodo transit vobis in illa lite cum doctore Reuchlin. Tunc dixerunt quod ille iurista scit vos circumducere cum sua arte. Tunc optavi quod dominus deus velit dare vobis suam gratiam quod eritis victor. Si vultis mihi scribere, tunc etiam debetis mihi de illo scribere, quia vellem libenter scire. Isti iuristæ vadunt hic et dicunt : « Doctor Reuchlin habet bonum negocium, et Theologi in Colonia fecerunt ei iniuriam. » Et per deum ego timeo quod ecclesia potest in scandalum venire, si ille liber Speculum oculare non comburitur, quia habet multas propositiones irreverentiales, et contra fidem catholicam. Et si non cogitur ille iurista ad revocationem, tunc alii etiam tentabunt sic scribere in Theologia, quamvis non sciunt, et neque studuerunt in via Thomæ, neque in via Alberti neque Scoti. Et etiam non sunt illuminati in fide per gratiam spiritussancti.

1. De "allemand Scherenschleifer (= aiguiseur de ciseaux).

190

VOLUME

I, LETTRES

15-16

Car chacun doit rester à sa place et ne doit pas faucher la moisson? des autres. Car un cordonnier est un cordonnier, un rapetasseur est un rapetasseur, et un forgeron est un forgeron. Et qa irait de travers si un rapetasseur se mettait à faire des chaussures ou des savates. Vous devez vous défendre courageusement, vous et la sainte théologie. Et je prierai aussi Dieu pour vous, comme quoi il vous donne sa gráce et éclaire votre intelligence, comme il l'a fait pour les Péres anciens, pour que le Diable avec ses serviteurs ne soit pas victorieux contre toute justice. Mais écrivez-moi donc quand méme pour l'amour de Dieu comment que ca va pour vous. Vous me faites un grand chagrin sans nécessité. Bon, en attendant, je vous recommande au Seigneur Dieu. Portez-vous bien dans le Christ. Donné à Francfort.

16 (Ortwin Gratius est-il vraiment un bâtard ? débat *quodlibétique) Matthieu Léchemiel salue Maitre Ortwin Gratius.

Puisque donc j'ai toujours été un ami de Votre Seigneurie et que je vous ai toujours causé du bien, je vais encore aujourd'hui vous mettre en garde contre des périls. Je vais être joyeux dans votre bonne fortune et triste dans votre mauvaise fortune, parce que vous étes mon ami, et avec nos amis nous devons étre joyeux quand ils sont joyeux, et tristes quand ils sont tristes, comme l'écrit Cicéron!, bien qu'il soit paien et *poéte. Je vous informe donc que vous avez ici un ennemi trés acharné, qui

reproche des tas de choses à Votre Seigneurie, et qui fait le fier et qui se vante dans son orgueil, et qui dit devant tout le monde que vous étes un bátard?, que votre mére est une putain et votre pére un prétre. 2. Allusion à la formule d' Apocalypse XIV, 15, reprise de Joél III, 13. Voir la lettre II, 33.

1. Paraphrase de Romains XII, 15. Cicéron écrit : « nam et letamur amicorum letitia eque atque nostra et pariter dolemus angoribus » (De finibus, I, 67).

2. L'accusation n'est pas seulement injurieuse, car les bátards n'avaient pas le droit de s'inscrire à l'université.

TOMUS

I, EPIST.

15-16

191

Quia unusquisque debet manere in facultate sua, et non debet mittere falcem in messem alterius. Quia sutor est sutor et sartor est sartor, et faber est faber. Et non staret bene si unus sartor vellet facere calceos vel stamulta. Vos debetis audacter defendere vos et sacram Theologiam, et etiam ego orabo deum pro vobis, quod velit vobis tribuere gratiam suam, et illuminare vestrum intellectum, sicut fecit antiquis patribus, ne dia-

bolus prævaleat cum suis servitoribus contra iustitiam. Sed scribite mihi tamen propter deum quomodo statis. Vos facitis mihi magnam angustiam et non indigetis. Sed pro nunc commendo vos domino deo Valete in Christo. Datum Franckfurdiz.

16 Matthaeus Mellilambius salutem dicit

Magistro Ortvino Gratio. Quoniamquidem semper fui amicus vestrae dominationis et procuravi vestrum bonum. Ergo etiam nunc volo vos in vestris adversitatibus cavisare, et volo in vestra fortuna esse latus, et in infortunio tristis. Quia vos estis amicus meus, et cum amicis debemus esse laeti quando laetantur, et contristari quando tristantur, ut scribit Tullius,

quamvis est gentilis et poeta. Igitur manifesto vobis quod hic habetis unum inimicum valde malitiosum, qui dicit multa vituperia contra dominationem vestram. Et praesupponit multa extollens se in superbia sua, et dicit coram omnibus quod estis spurius, et mater vestra est meretrix, et pater vester presbyter.

192

VOLUME

I, LETTRE

16

Alors, j'ai pris votre parti et j'ai dit : — Seigneur bachelier (ou quel que soit votre titre), vous étes encore jeune et vous ne devriez pas faire de reproches aux maitres ; car, comme il est dit dans l'Évangile : « L’élève n'est pas au-dessus du maître »? ; or, vous êtes encore élève, alors que le Seigneur Ortwin est maitre depuis huit ou dix ans, donc, vous n'étes pas qualifié pour faire des reproches à un maitre ou à un homme investi d'une telle dignité. Sans quoi, vous allez trouver quelqu'un qui va vous faire des reproches, méme si vous avez été jusqu'à maintenant si fier. Vous devriez avoir honte et ne pas faire des choses pareilles. Alors, il a dit : — Je dis la vérité, et je peux le prouver, et je me fiche de vous, car Ortwin

est un bátard, et il y a méme un de ses pays qui me l'a confirmé parce qu'il connaît ses parents. Alors, je vais écrire au docteur Reuchlin car il n'est pas encore au courant. Mais pourquoi est-ce que vous voulez me faire des reproches ? Vous ne savez rien de moi ! Alors j’ai dit : — Regardez, Seigneurs collègues ! Ce type se prend pour un saint car il dit qu’on ne peut rien lui reprocher et qu’il n’a rien fait de mal, comme le pharisien qui a dit qu'il avait jeûné deux fois le jour du sabbat*. Alors, il s’est mis en colére-et il a dit: — Je ne dis pas que je n'ai pas péché, car ce serait contredire le Psalmiste qui dit : « Tout homme teur »?, ce qui signifie « pécheur » selon la glose ;

est men-

mais j'ai dit que vous ne pouvez rien me reprocher quant à ma filiation de père et de mère, par contre, Ortwin est un bâtard et il n’est pas légitime, donc on peut lui en faire le reproche, et je le lui reprocherai jusqu'à la fin des temps. Alors, j'ai dit : — Vous ne le ferez pas, car le Seigneur Ortwin est un homme excellent et il peut se défendre. Alors il a encore dit diverses horreurs sur votre mére, comme quoi elle se faisait sauter par des prétres, des moines, des chevaliers et des paysans, dans les champs et dans l'étable, et partout. Alors, j'ai eu une grande honte, à un point que vous ne pouvez pas le croire. Mais je ne peux pas vous défendre, car je n'ai jamais vu votre père ni votre mère. Je crois pourtant fermement

3. Matthieu X, 24 et Luc, VI, 40. 4. Luc, XVIII, 12.

5. Psaume CXVI (Vulgate CXV), 11.

IEXOUNDEISSIS HPISH

I6

193

Tunc ego steti pro vobis, et dixi : « Domine baccalaurie, vel qualiter estis qualificatus, vos estis adhuc

iuvenis et non deberetis vituperare magistros. Quia, ut scriptum habetur in evangelio : *Non est discipulus super magistrum." Sed vos estis adhuc discipulus, et dominus Ortvinus est magister octo vel decem annorum, et ergo non estis sufficiens ad vituperandum unum magistrum vel virum in tali dignitate constitutum. Alias etiam invenietis aliquem qui vituperabit vos, etiam si essetis adhuc ita superbus. Vos debetis habere verecundiam, et non facere talia. »

Tunc ipse dixit : « Ego loquor veritatem, et scio probare dicta mea et non volo vos respicere, quia Ortvinus est spurius, et quidam lansmannus! suus dixit mihi pro vero, quia novit eius parentes, et etiam ego volo scribere hoc doctori Reuchlin, quia adhuc non scit. Sed quare velletis me vituperare ? Vos nihil scitis de me. » Tunc ego dixi : « Ecce, domini socii, iste praetendit se esse sanctum, quia dicit quod non potest vituperari et quod nihil mali fecit, sicut ille pharisæus qui dixit quod ieiunaret bis in sabbato ». Tunc ipse fuit iratus et dixit : « Ego non dico quod non peccavi, quia hoc esset contra psalmistam qui dicit : “Omnis homo mendax", et exponit glosa “id est peccator". Sed dixi quod non debetis seu potestis me vituperare quantum ad generationem de patre et matre. Sed Ortvinus est spurius et non est legitimus. Ergo est vituperabilis, et ego volo eum vituperare in aeternum. » Tunc ego dixi : « Non faciatis, quia dominus Ortvinus est excellens vir et potest se defendere. » Ipse vero dixit adhuc plura scandala de matre vestra, quod sacerdotes et monachi et equestres et rustici in campo et in stabulo, et alibi supposuerunt eam. Et ego habui ita magnam verecundiam quod non creditis. Sed non possum vos defendere, quia non vidi patrem vestrum et matrem. Quamvis credo firmiter quod sunt honesti et

1. De l'allemand Landsmann (= homme du pays).

194

VOLUME

I, LETTRE

16

qu'ils sont honnétes et vertueux. Mais écrivez-moi donc ce qu'il Comme ga, je pourrai répandre vos louanges ici. Je lui ai dit aussi : — Vous ne devez pas dire de telles choses, car, supposons que Maître Ortwin soit un bâtard, il peut quand avoir été légitimé ; et s’il a été légitimé, alors il n'est plus un bâtard, car le souverain a le pouvoir de lier et délier, et il peut rendre un bátard légitime,

en est.

méme pontife et vice

versa.

Or, je vais prouver à partir de l'Évangile que vous méritez des reproches, car il est écrit : « La mesure à laquelle vous mesurerez les autres, elle vous mesurera aussi »$, or, vous mesurez par la mesure de la remontrance, donc elle vous sera appliquée aussi. Et je le prouve aussi par un autre passage,

car Notre Seigneur Jésus-Christ a dit : « Ne jugez pas afin de ne pas étre

jugés »?, or, vous avez jugé les autres et leur avez fait des reproches, donc vous devez aussi être jugé et subir des remontrances. Alors, il a dit que mes arguments sont des foutaises et n’ont pas de valeur. Et il s’est tellement obstiné qu’il a dit que, même si le pape faisait un fils hors mariage, et le reconnaissait par la suite, malgré cela, devant Dieu, il ne serait pas légitime, et qu'il le considérerait comme un bâtard. Je crois que le Diable habite ces ribauds comme quoi ils vous font des reproches. C'est pour cette raison qu'il faut que vous m'écriviez comme quoi je puisse défendre votre honneur. Car ce serait un scandale que le docteur Reuchlin apprenne que vous étes un bátard. Mais, en supposant que vous le soyez, il ne peut pas le prouver. Et si cela vous convient, nous allons le citer en justice devant la *Cour romaine et le forcer à la rétractation, comme les juristes savent l'obtenir. Et nous pouvons le frapper d'irrégularité, et nous pouvons le faire attaquer par le *procurateur, et s'il est frappé d'irrégularité, nous pouvons récupérer son *bénéfice, car il posséde un canonicat ici, à Mayence, et une paroisse ailleurs. Ne prenez pas mal que je vous aie écrit ce que j'ai entendu, parce que je tâche de faire de mon mieux. Portez-vous bien dans le Seigneur Dieu qui protége toutes vos démarches. Donné à Mayence.

6. Matthieu VII, 2 ; Marc IV, 24 ; Luc VI, 38. 7. Matthieu VII, 1 ; Luc VI, 37.

TOMUS-I$

BPIST.'

16

195

probi. Sed scribatis mihi quomodo est. Tunc ego volo seminare vestram laudem hic. Etiam dixi sibi : « Vos non debetis talia dicere, quia ponamus casum quod magister Ortvinus sit spurius, tamen fortassis est legitimatus. Et si est legitimatus, tunc non est amplius spurius, quia summus pontifex habet potestatem ligandi et solvendi, et potest unum spurium facere legitimum, et econtra. Sed ego volo probare ex evangelio, quod estis dignus vituperari. Quia scriptum est : “qua mensura mensuraveritis, eadem mensurabitur et vobis". Sed vos mensuratis mensura vituperationis. Ergo etiam sic debet mensurari vobis. Etiam probo per aliud : quia dicitur a domino nostro Iesu Christo : “Nolite iudicare ne iudicemini.” Sed vos iudicatis alios et vituperatis eos. Ergo etiam debetis iudicari et vituperari. » Tunc ipse dixit quod mea argumenta sunt frascariæ? et non habent effectum. Et fuit ita contumax quod dixit, etiam si papa fecisset unum filium extra matrimonium, et postea legitimaret eum, quod tamen coram deo non esset legitimus, sed ipse vellet eum tenere pro spurio. Ego credo quod diabolus est in istis ribaldis quod ita vituperant vos. Quapropter scribatis mihi quod possum vestrum honorem defendere. Quia esset scandalum quod doctor Reuchlin sciret de vobis quod essetis spurius. Sed dato quod sitis, tamen ille non potest sufficienter probare, et si videtur vobis bonum, tunc volumus citare ipsum

ad curiam romanam, et cogere quod debet facere revocationem, sicut sciunt iuristæ concludere. Et possumus eum facere irregularem, et per procuratorem possumus tribulare eum, et accipere eius beneficia si incurrerit irregularitatem, quia habet unum canonicatum hic Maguntiz, et unam parrochiam alibi. Et non habeatis mihi pro malo quod scribam vobis quid audivi, quia puto optime. Et valete in domino deo qui custodiat omnes vias vestras. Datum Maguntiz.

2. De l'italien frascheria (= frivolité).

196

VOLUME

I, LETTRE

17

17 (Comment l'humaniste Æsticampianus a été chassé de Leipzig) Maitre Jean Serpette salue Maitre Ortwin Gratius.

« Justes, réjouissez-vous dans le Seigneur, et tous les cceurs droits, soyez

glorifiés ! » (Psaume 31!). Mais ne vous fáchez pas en disant : « Qu'est-ce qu'il imagine, celui-là, avec sa citation ? », mais lisez plutót avec plaisir une nouvelle qui réjouira merveilleusement votre Seigneurie. Et je vais tâcher d’être bref. Il y a eu ici? un “poète, du nom d’*Æsticampianus. Et il était plutôt prétentieux et, souvent, il critiquait les *maîtres ès arts, et il les traitait de moins

que rien dans son cours. Il disait qu'ils étaient incompétents et qu'un seul poète vaut dix maîtres, et que dans les processions?, les poètes devraient passer avant les maitres et les *licenciés. Et il faisait cours sur Pline et sur d'autres poètes, et il disait que les maîtres ès arts ne sont pas maîtres dans les sept arts libéraux, mais plutôt dans les sept péchés capitaux“, et qu'ils n’ont pas de bonnes bases puisque, au lieu de la littérature, ils n'ont fait qu'étudier *Pierre d'Espagne et les Petites logiques. Et il avait beaucoup d'éléves et de pensionnaires. Et il disait que ni les *scotistes ni les *thomistes ne valent rien, et il blasphémait contre

le *saint docteur. Alors, les maitres ont attendu une occasion pour se venger de lui avec l’aide de Dieu. Et Dieu a voulu qu'un jour, il fasse un discours où il diffamait les maitres, les docteurs, les licenciés et les bacheliers, et il louait sa

faculté? et attaquait la sainte Théologie. Ce fut une grande indignation parmi les seigneurs de la faculté. Alors, les maîtres et les docteurs ont tenu conseil et ils ont dit : « Que faire ? Parce que cet homme fait des choses monstrueuses. Si nous le laissons faire, tout le monde va croire qu'il est plus savant que nous. Et alors, les modernes? arriveraient et ils diraient que leurs 1. Psaume XXXII (Vulgate XXXI), 11. 2. La lettre est donc supposée étre envoyée de Leipzig, puisque c'est là que s'est déroulée la bataille d’Æsticampianus. 3. Les processions étaient l'occasion de manifester officiellement les préséances entre les grades et les corporations, qui étaient l'objet de rivalités féroces. 4. Pour mémoire : luxure, gourmandise, avarice, tristesse, colére, envie, orgueil. Le * Dictionnaire abrégé les nomme par ce vers mnémotechnique : « Luxus, gustus, avet, tristis, furit, invidet, ambit. »

5. La faculté des arts, où il enseignait. 6. Il s'agit ici des humanistes, et non pas des théologiens nominalistes.

IPONUSSI,

EPISTS

17

197

17

Magister Ioannes Hipp! salutem dicit Magistro Ortvino Gratio. « Lætamini in domino et exultate iusti, et gloriamini omnes recti corde », Psalm. XXxI. Sed ne habeatis molestiam dicentes : « Quid putat iste cum sua allegatione ? » Debetis legere unam novitatem cum laetitia, qui hilarabit vestram dominationem mirabiliter. Et volo scribere cum brevibus verbis. Fuit hic unus poeta qui vocatur Ioannes Æsticampianus, et ipse fuit satis prætensus, et parvipendit sepe magistros artium, et annihilavit eos in sua lectione, et dixit quod non sunt sufficientes, et quod unus poeta valet decem magistros, et quod poetae in processione deberent praecedere magistros et licentiatos. Et ipse legit Plinium, et alios poetas, et dixit quod magistri artium non sunt magistri in septem artibus liberalibus, sed potius in septem peccatis mortalibus, et non habent bonum fundamentum, quia non didicerunt poetriam, sed tantum sciunt Petrum Hispanum, et Parva

loicalia?. Et habuit multos auditores et domicellos. Et dixit, quod nihil est cum Schotistis et Thomistis, et emisit blasphemias contra doctorem sanctum. Tunc magistri expectaverunt suum tempus ut vindicarent se cum adiutorio dei. Et deus voluit quod ipse semel fecit unam orationem, et scandalizavit magistros, doctores, et licentiatos, et baccalaurios, et laudavit suam facultatem, et vituperavit sacram Theologiam. Et fuit magna verecundia inter dominos de facultate. Et collegerunt magistri et doctores concilium et dixerunt : « Quid facimus ? quia hic homo multa mira facit. Si dimittimus eum sic, omnes credent quod est doctior nobis. Ne forte veniant moderni et dicant quod sunt de meliori

E 1. De l'allemand Hippe (= serpette). 2. La suppression du g de /ogica (ainsi que dans les termes dérivés) était fréquente au

Moyen-Âge, cf. Bengt Lófstedt, « Zur Sprache der Epistole obscurorum virorum », p. 215

198

VOLUME

I, LETTRE

17

méthodes valent mieux que celles des anciens. Ce sera la honte sur notre université et cela fera scandale. » Et puis, Maitre Andreas *Delitzsch, qui est lui aussi un bon poete, a dit qu'à son avis, Æsticampianus était comme la cinquième roue du carrosse pour l'université, parce qu'il génait les autres facultés «en disant» que les étudiants ne peuvent pas y être bien formés. Alors les autres maîtres ont juré que c'est bien ça, et en somme, au total, ils ont décidé qu'ils allaient chasser, c'est-à-dire exclure, ce poéte, méme s'ils devaient avoir sa haine éternelle. Et ils l'ont cité devant le recteur et ils ont affiché l'avis sur les portes de l'église. Et puis, il a comparu, accompagné d'un juriste, et il a prétendu se défendre, et il avait aussi d'autres amis? qui sont restés avec lui. Alors, les maîtres ont dit que ceux-là devaient sortir, parce que c'étaient des parjures?, parce qu'ils prenaient parti contre l'université. Alors les maitres ont été vaillants au combat et ils ont résisté avec constance et ils ont juré qu'au nom de la justice ils n'allaient épargner personne. Mais il y a eu quand méme quelques juristes et gens de la cour «du duc» qui ont pris sa défense. Alors, les seigneurs maitres ont dit que ce n'était pas possible, car il y a des statuts et que selon les statuts, il fallait l'exclure. Et ce qui est extraordinaire, c'est que méme le prince? a pris sa défense, mais cela n'a servi à rien, car ils ont dit au duc qu'il fallait obéir aux statuts de l'université, car les statuts de l'université sont comme la reliure d'un livre. Car, s'il ny avait pas de reliure, alors toutes les pages tomberaient n'importe où. Ainsi, s'il n'y avait pas de statut, il n'y aurait pas d'ordre dans l'université et ses membres vivraient dans la discorde, et il régnerait une confusion chaotique. Donc, il devait œuvrer pour le bien de l'université, comme l'avait fait

son pére!?, Alors, le prince s'est laissé convaincre et il a dit qu'il ne pouvait pas agir contre l'université, et qu'il valait mieux qu'un seul soit exclu plutót que toute l'université pâtisse d'un scandale!!. Alors, les seigneurs maîtres ont été trés contents et ils ont dit : « Seigneur Prince, Dieu soit loué pour cette bonne justice ! » Et puis, le recteur a affiché un avis sur les portes de l'église, comme quoi Æsticampianus était exclu pour dix ans. Du coup, ses élèves ont protesté et ils ont dit que les seigneurs du conseil avaient fait un déni de justice à 7. Parmi lesquels sans doute Hermann *Busch. 8. Les candidats à la maitrise prétaient serment d'obéissance au doyen et aux statuts de l'université. Ils n'avaient donc pas le droit de contester les décisions du recteur. 9. Le duc Georges de Saxe, dit « le Barbu ». 10. Le duc Albert (T 1500). 11. Allusion à Jean XI, 50 et à MatthieuV, 29.

TOMUS

I, EPIST.

17

199

via quam antiqui, et vilificabitur nostra universitas, et fiet scandaIum. » Et dixit magister Andreas Delitzsch, qui est etiam alias bonus poeta, quod videtur sibi, quod Æsticampianus est in universitate tanquam quinta rota in curru, quia impedit alias facultates, quod supposita non possunt bene in eis qualificari. Et alii magistri iuraverunt quod est ita. et summa summarum ipsi concluserunt quod vellent relegare vel excludere istum poetam, etiam si deberent in perpetuum

habere inimicitiam. Et citaverunt eum ad rectorem et monuerunt eum in valvis ecclesia. Et ipse comparuit et habuit unum iuristam secum, et praetendit se defendere, et habuit etiam alios socios qui steterunt cum eo. Et magistri dixerunt quod deberent abire, quia alias essent periuri, quia starent contra universitatem. Et magistri fuerunt fortes in bello, et permanserunt constantes, et iuraverunt quod vellent nemini parcere propter iustitiam, et aliqui iuristæ et curiales rogaverunt pro eo. Et domini magistri dixerunt quod non est possibile, quia habent statuta, et secundum statuta debet relegari. Et quod est mirabile, etiam princeps petivit pro eo, et nihil iuvit, quia dixerunt ad ducem quod oportet servare statuta universitatis. Quia statuta in universitate sunt sicut ligatura in libro. Quia si ligatura non esset, tunc folia caderent hincinde. Et si statuta non essent, tunc non esset ordo in universitate, et

supposita starent in discordia, et fieret confusum chaos. Ergo deberet procurare bonum universitatis, sicut fecisset pater suus. Tunc princeps permisit sibi persuadere, et dixit quod non potest facere contra universitatem. Et quod expedit plus quod unus relegatur quam quod tota universitas patitur scandalum. Et domini magistri fuerunt optime contenti, et dixerunt : « Domine princeps, deo gratias de bona iustitia. » Et rector affixit unum mandatum in valvis ecclesie, quod Æsticampianus est relegatus ad decem annos. Et auditores sui fecerunt multa verba, et dixerunt quod domini de consilio fecerunt iniu-

200

VOLUME

I, LETTRE

17

Æsticampianus. Mais les seigneurs ont dit qu'ils ne miseraient pas un sou sur lui. Du coup, certains de ses pensionnaires ont dit qu’Æsticampianus allait se venger de cette injustice, et qu'il citerait l'université par-devant la *Cour de Rome. Alors, les maîtres ont ri et ils ont dit : « Ha, ha ! Qu'est-ce que ce ribaud va donc faire ? » Et puis, sachez que maintenant, il régne une grande concorde dans l'université. Et maitre Delitzsch enseigne la méthode des *humanités. Et puis aussi, maître de *Rotenburg, qui a composé un livre au moins trois fois plus épais que les ceuvres complétes de Virgile. Et puis, dans ce livre, il a écrit beaucoup de bonnes choses, surtout pour défendre notre sainte mére l'Église et à la louange des saints. Et puis, il a particulièrement recommandé notre université, et la sainte théologie et la faculté des *artiens, et il critique ces *poétes profanes et paiens. Et puis, les Seigneurs Maîtres disent que ses vers sont aussi bons que ceux de Virgile, qu'ils n’ont aucun défaut, qu'il connait parfaitement l'art de faire des vers et qu'il était déjà bon versificateur avant l’âge de vingt ans. C'est la raison pour laquelle les seigneurs du conseil l'ont autorisé à donner un cours public sur ce livre, à la place de celui sur Térence, parce qu'il est plus utile que Térence, qu'il contient une bonne christianité et qu'il ne parle pas de prostituées et de bouffons, comme Térence. Je vous prie d'annoncer ces nouvelles dans votre université. En effet, comme ça, il pourrait arriver à *Busch la méme chose qu'il est arrivé à Æsticampianus. Quand est-ce que vous m'envoyez votre livre!? contre Reuchlin ? Vous en parlez beaucoup et il n’y a rien. Et vous m'avez écrit que vous alliez vraiment me l'envoyer, et vous ne le faites pas ! Que Dieu vous pardonne comme quoi vous ne m'aimez pas autant que je vous aime, parce que vous étes pour moi comme mon propre cœur. Mais maintenant, envoyez-le moi, car 7’at conçu le désir de partager ce repas pascal avec vous}, c'est-à-dire de lire ce livre. Alors, écrivez-moi des nouvelles. Et aussi composez donc un texte, ou n'importe quels vers à mon sujet, si j'en suis digne. Et portez-vous bien dans le Christ Notre Seigneur Dieu, dans tous les siécles des siécles,

Amen!*,

12. Les *Remarques. 13. Citation de Luc XXII, 15. C’est la phrase par laquelle Jésus annonce la Cène à ses disciples. 14. Formule qui conclut les bénédictions et les priéres les plus solennelles de la liturgie catholique.

TOMUS

I, EPIST. 17

201

riam Æsticampiano. Sed ipsi domini dixerunt quod non vellent dare unum obulum [sic] pro eo. Et aliqui domicelli dixerunt quod Zàsticampianus vellet istam iniuriam vindicare, et vellet citare universitatem ad Curiam Romanam. Tunc magistri riserunt et dixerunt : « Ha quid vellet facere iste ribaldus ? » Et debetis scire quod nunc est magna concordia in universitate. Et magister Delitzsch legit in arte humanitatis. Et similiter magister Rotburgensis, qui composuit unum librum bene in triplo ita magnum sicut est Virgilius in omnibus suis operibus. Et posuit multa bona in illo libro, etiam pro defensione sancta matris ecclesiæ, et de laudibus sanctorum. Et commendavit nostram universitatem principaliter, et

sacram theologiam, et facultatem artistarum, et reprehendit illos poetas szeculares et gentiles. Et domini magistri dicunt quod sua metra sunt ita bona sicut metra Virgilii, et non habent aliqua vitia, quia ipse perfecte scit artem metrificandi, et ante.XX. annos fuit bonus metrista. Quapropter domini de consilio permiserunt, quod ipse debet istum librum publice legere pro Terentio, quia est magis necessarius quam Terentius, et habet bonam christianitatem in se, et non tractat de meretricibus et bufonibus, sicut Terentius. Vos debetis hzc nova

manifestare in vestra universitate. Tunc fortassis etiam fiet sic Buschio, sicut factum est Æsticampiano. Quando mittitis mihi vestrum librum contra Reuchlin ? Vos dicitis multa et nihil est. Et scripsistis mihi quod vultis mihi veraciter mittere, et non facitis. Deus parcat vobis, quod non diligitis me, sicut et ego diligo vos, quia estis mihi sicut cor meum. Sed adhuc mittatis mihi, quia desiderio desideravi hoc pascha manducare vobiscum, id est istum librum legere. Et scribite mihi novitates. Et semel componite unum dictamen, vel aliqua metra de me si sum dignus. Et valete in Christo domino deo nostro, per omnia sæcula sæculorum. Amen.

202

VOLUME

I, LETTRE

18

18 (Cantique à quatre voix en l'honneur de saint Pierre) Maitre Pierre Petitclou salue Maitre Ortwin Gratius.

Bien que je craigne beaucoup d'étre assez audacieux comme quoi j'ose vous montrer un texte de ma composition, car vous étes expert dans l'art de composer des vers et de la prose, eh bien je suis comme un nain et, comme dit Jérémie : « Ah, ah, ah ! Seigneur ! Je ne sais pas parler parce que je suis un enfant!. » C'est que je n'ai pas encore de bonnes bases et que je ne suis pas parfaitement instruit dans la technique de la littérature et de la rhétorique. Et pourtant, vu que vous m'avez dit autrefois que je devrais de toutes façons vous composer un poème et vous l'envoyer, alors, vous voudriez bien me le corriger et me montrer où sont ses fautes. Alors je me suis dit l'autre jour : « C'est ton professeur et il pense du bien de toi, tu devrais lui obéir. Parce qu'il peut te faire progresser là-dedans, et dans tout le reste. Et tu pourrais t'améliorer jusqu'à devenir un savant, si Dieu le veut, et ca pourait t'aider dans tes entreprises. Car on lit au premier livre des Rois : “L’obéissance vaut mieux que les holocaustes."? » Voilà pourquoi je vous envoie ci-joint un poéme que j'ai composé en l'honneur de saint Pierre. Et il y a un compositeur, aussi bon musicien en plain-chant qu'en chant polyphonique, qui me l'a mis à quatre voix. Alors je me suis donné beaucoup de mal comme quoi je puisse le mettre en rimes ainsi qu'il est rimé, parce que les vers sonnent mieux s'ils sont composés à la maniére des Parties? d'Alexandre. Mais je ne sais pas s'ils ont des fautes. Pourriez-vous me les scander selon les régles de la métrique et me les corriger ? Début du nouveau cantique de maitre Pierre Petitclou en l'honneur de saint Pierre Monseigneur saint Pierre, Car le Seigneur t'a donné

écoute nos prières, avec ces clés Un pouvoir maximal et une grâce spéciale Par-dessus tous les saints parce que tu es un privilégié, 1. Jérémie I, 6. Ce sont les premiers mots du * Dictionnaire abrégé de Reuchlin. 2. Dans la Vulgate : I Rois, XV, 22, (I Samuel dans les Bibles modernes). 3. Le *Manuel en trois parties d' Alexandre de Villedieu, était composé en vers « léonins », c’est-à-dire rimés à l'hémistiche et à la fin du vers, comme ceux de maitre Petitclou. La troisième

partie de l'ouvrage était consacrée à la métrique.

TOMUS

I, EPIST. 18

203

18 Magister Petrus Negelinus! salutem dicit Magistro Ortvino Gratio. Quamvis valde timeo esse ita audax, quod debeo vobis ostendere unum dictamen a me compositum, quia vos estis valde artificialis in compositione metrorum et dictaminorum ; sed ego sum sicut pusillus, et sicut dicit Hieremias : « A, a, a, domine, nescio loqui, quia puer ego sum. » Namque ego nondum habeo bonum fundamentum, et non sum perfecte instructus in arte poetria et Rhetorica. Attamen quia dixistis olim, quod deberem vobis componere omni modo unum carmen et mittere ad vos, tunc velletis mihi illud emendare, et osten-

dere ubi sunt vitia. Tunc ego cogitavi nuper : « Ecce iste est preceptor tuus, et bene putat tecum, et tu deberes ei obedire. Ipse etiam potest te promovere in his, et in omnibus. Et tu poteris crescere in doctum virum, si vult dominus deus, et potest tibi bene succedere in tuis negociis. Quia legitur in.I. libro Regum : *Plus valet obedientia quam victima." » Quapropter mitto vobis hic unum poema per me compilatum in laudem sancti Petri, et unus componista qui est bonus musicus in cantu chorali et figurali, composuit mihi quattuor voces super illud. Et ego feci magnam diligentiam quod potui ita rigmizare, sicut est rigmizatum. Quia illa carmina sonant melius, sicut partes Alexandri sunt compilata. Sed nescio an habent vitia. Vos debetis illa scandere secundum artem metrificandi, et emendare. Carmen novum magistri Petri Negelini in laudem sancti Petri incipit. Sancte Petre domine Quia tibi dominus Potestatem maximam, Super omnes sanctos :

nobis miserere, dedit cum istis clavibus necnon specialem gratiam quia tu es privilegiatus

1. De l'allemand Nágelein (= petit clou).

204

VOLUME

I, LETTRES

18-19

Ce que tu délies est délié, sur la terre comme au ciel, Et ce que tu auras attaché ici est attaché au ciel aussi*, C'est pourquoi nous te prions et dévotement te supplions De prier pour nos péchés, en l'honneur de l'université.

Il y en a qui disent que le docteur Reuchlin, qu'on nomme Jean *Capnion en hébreu’, a obtenu une sentence favorable à *Spire. Mais les *Not' Maitres de l'ordre des «fréres» précheurs disent que ce n'est pas grave, parce que cet évéque n'a pas la science de la sainte Théologie. Et Not Maitre *Hochstraten est à la *Cour romaine et il est bien vu par le Seigneur apostolique‘. Et il a en suffisance argent et tout le reste. Je donnerais bien quatre groschen pour savoir la vérité. Il faut que vous m'écriviez. Grand Dieu ! Pourquoi que vous ne m'écrivez méme pas une lettre ? J’aime pourtant vraiment ca quand vous m'écrivez. Portez-vous bien, et daignez saluer pour moi Not’ Maitre *Valentin de GelterBheym, et Not’ Maitre *Arnold de Tongres au pensionnat Laurent, et Not’ Maitre *Rémi, et le Seigneur *Roger, *licencié au pensionnat de *Mons, et qui sera bientót *Not' Maitrisant, sans oublier le Seigneur Jean *Pfefferkorn, qui est un homme zélé, et les autres, qui sont bien qualifiés en théologie et en *arts. Portez-vous bien dans le nom du Seigneur. Donné à Tréves.

19 (Oraison funèbre d’un théologien) Étienne Chauvin, *bachelier, à Maître Ortwin Gratius, un salut avec humilité à l’égard de Votre Grandeur.

Vénérable Seigneur Maître, Il y a un collègue qui est arrivé ici qui a apporté certains vers, et il a dit que c'est vous qui les aviez composés et que vous les avez publiés à Cologne.

4. Matthieu XVI, 19.

5. C'est en grec et non pas en hébreu que Reuchlin (= petite fumée) se traduit par Capnion. 6. Sans doute le Maitre du Sacré-Palais, le dominicain Sylvestre *Prieras, acquis à la cause

des théologiens contre Reuchlin.

TOMUS

Quod solvis est solutum,

I, EPIST.

18-19

205

in terris et per cælum,

Et quicquid hic ligaveris, ligatum est in cælis. Ergo te oramus, necnon devote supplicamus, Ut ores pro nostris peccatis, propter honorem universitatis. Ipsi dicunt quod doctor Reuchlin, qui hebraice vocatur Ioannes Capnion, acquisivit unam sententiam pro se in Spira, sed magistri nostri de ordine praedicatorum dicunt, quod non nocet, quia ille episcopus non habet intelligentiam in sacra theologia. Et magister noster Hochstratus est in Curia Romana, et est bene visus apud dominum apostolicum. Et etiam habet sufficientiam in pecuniis et in aliis. Ego vellem dare quattuor grossos quod scirem veritatem. Vos debetis mihi scribere. Sancte deus, quid est quod non mittitis mihi semel unam litteram ? Tamen ego habeo libenter quando scribitis mihi. Valete, et dignemini mihi salutare magistrum nostrum Valentinum de GelterBheym, et magistrum nostrum Arnoldum de Tungaris in bursa Laurentii, et magistrum

nostrum

Remigium,

et dominum

Rutgerum, in bursa montis licentiatum, et prope diem magistrum nostrandum, necnon dominum Ioannem Pfefferkorn virum zelosum, et alios qui sunt bene qualificati in theologia, et in artibus. Et valete in nomine domini. Datum in Treviris.

19 Stephanus Calvastrius baccalaurius Magistro Ortvino Gratio salutem cum humilitate erga vestram maioritatem.

Venerabilis domine magister, Venit huc unus socius qui portavit certe carmina, et dixit quod vos composuistis illa, et intimastis in Colonia : tunc unus poeta hic

206

VOLUME

I, LETTRE

19

Alors, il y a ici un *poéte!, qui a une grande réputation, mais ce n'est pas un bon chrétien, et il les a regardés et il a dit qu'ils ne sont pas bons et qu'ils sont pleins de fautes. Du coup, j'ai dit : « Si c'est Maitre Ortwin qui les a composés, alors, ils n'ont aucune faute, c'est certain. » Et j'en aurais parié ma robe?, comme

quoi : si ces vers avaient des fautes, alors ils ne pourraient pas être de vous,

mais, s'ils étaient de vous, alors ils n'avaient pas de fautes. Du coup, je vous envoie ces vers comme quoi vous regardiez si c'est vous

qui les avez imaginés, et écrivez-moi la réponse. Ce poème, il a été écrit à l'occasion de la mort de *Not' Maitre *Sotphi du pensionnat de *Kuijk, celui qui a composé autrefois une *Glose remarquable, et maintenant, hélas ! il est mort. Qu'il repose en paix ! Voici son début : Ici git un étudiant diplômissimé, Congu? par le Saint-Esprit de l'université, Comme quoi sur le pensionnat de Kuijk il a régné Où c'est qu'les * Compilations, 7/ a rabáché. Oh ! S’il avait pu encore plus longtemps vivre, Et la Glose remarquable poursuivre, Ça aurait bien aidé cette université ! Il aurait appris aux écoliers la bonne latinité. Mais maintenant, depuis qu'il est clamecé Sans avoir tout le jus de l'*A/exandre pressé, L'université pleure son membre Comme une lanterne, ou comme un candélabre, Qui en long et en large illumine En répandant sa doctrine. Nul n'a aussi bien rédigé les constructions, Ni vaincu les poétes, ces bouffons, Qui enseignent si mal le latin, Gráce à la logique, qui est la mére des sciences. D'ailleurs, ils ne sont pas par la religion éclairés, C'est pourquoi par la sainte Église ils sont écartés. Et puis, s'ils ne veulent pas s'incliner, Que *Hochstraten les envoie calciner, Lui qui a déjà Jean Reuchlin assigné Au tribunal, et qui l'a merveilleusement traité ! 1. Hermann *Busch probablement. 2. Litt. : « ma tunique ». 3. Litt. : « né ». Allusion à la conception de Jésus par le Saint-Esprit.

TOMUS

I, BPIST.

19

207

qui habet magnam laudem, sed non est bene christianus, vidit illa et dixit quod non sunt bona, et quod habent multa vitia. Et ego dixi : « Si magister Ortvinus composuit, tunc non habent vitia, hoc est certum. » Et volui impignorare tunicam meam, quod si illa metra haberent vitia, tunc vos non composuissetis : sed si vos composuissetis, tunc non haberent vitia. Et mitto vobis ista carmina quod videatis an vos finxistis illa, et

scribatis mihi. Et est illud carmen scriptum in morte magistri nostri Sotphi in bursa Kneck, qui olim composuit glosam notabilem, et nunc prohdolor est mortuus. Requiescat in pace. Et est sic initiatum : Hic obiit unum solennissimum suppositum, Per spiritumsanctum universitati natum, Quod rexit in bursa Kneck, Do macht er die copulat von stuck zu stuck!. O si potuisset diutius vivere Et plus in glosa notabili scribere. Tunc adiuvasset hanc universitatem Et docuisset scholares bonam latinitatem. Sed nunc postquam decessit Et Alexandrum nondum satis expressit, Universitas luget suum membrum Tanquam unam lucernam vel candelabrum, Quod longe lateque luxit Per doctrinam quz ab eo fluxit. Nemo tam bene scripsit constructiones Et confundebat poetas illos bufones, Qui non recte discunt grammaticam, Per logicam scientiarum scientiam. Et in fide non sunt illuminati, Ideo a sancta ecclesia alienati. Et si non volunt recte opinari, Tunc debent per Hochstratum concremari, Qui Ioannem Reuchlin iam citavit Et in iudicio mirabiliter tractavit. 1. Il se peut que ce vers allemand soit une parodie de la mode des motets dans lesquels il arrivait qu'on chantát une variation libre en langue vernaculaire (clausule) pendant qu'un autre chanteur chantait la « teneur » en latin, longuement modulée et vocalisée. Ici, ce serait le vers précédent : « Quod rexit in bursa Kneck ».

208

VOLUME

LLETLTTRE

19-20

Mais écoute, toi, Dieu tout-puissant ! Quand je prie, en suppliant et en pleurant ! À ce membre mort, accorde ta faveur à perpète, Et en Enfer envoie tous ces poètes !

Je trouve que c'est un poéme excellent, mais je ne sais pas comment il faut le scander, car il est d'un genre remarquable, alors que je ne sais scander que les hexamètres. Vous ne devez pas admettre que quelqu'un critique vos poèmes. Et si ca arrivait, écrivez-moi, et alors je m'en irai vous défendre jusqu'en duel ! Et portez-vous bien. De Munster en Westphalie.

20 (Demande de piston, accompagnée d’un curriculum vitz) Jean Porte-Lampion à Maitre Ortwin Gratius,

tant de salutations que personne n'arrive à les compter.

Vénérable Seigneur Maitre, Vous m'aviez promis dans le temps, comme quoi vous alliez m'aider chaque fois que j'en aurais besoin, et que vous voudriez me pistonner en passant devant tous les autres, et vous aviez dit que je devrais vous le demander hardiment, et que vous viendriez à mon aide comme à un frére, et que vous n'alliez pas me laisser dans mes angoisses. Alors donc, je vous supplie pour l'amour de Dieu, parce que c'est vraiment nécessaire que vous voudriez venir à mon secours, parce que vous étes puissant. Le recteur d'ici a licencié un collaborateur et il veut en avoir un autre. C'est pourquoi vous devez écrire pour moi une lettre de recommandation, comme quoi il veuille, c'est-à-dire il daigne m'accepter. Parce que voilà que je n'ai plus d'argent parce que j'ai tout dépensé et j'ai méme acheté des livres et des souliers. Vous savez bien que j'ai un bon niveau, par la gráce de Dieu. Parce que quand vous étiez à *Deventer, moi j'étais en «classe de» seconde, et aprés j'ai étudié un an à Cologne «à la *faculté des arts», ce qui m'a permis de terminer mes études avec le grade de *bachelier. Et j'aurais méme été reçu vers la Saint-Michel! si j'avais eu de l'argent. 1. La fête de la Dédicace de saint Michel, le 29 septembre. L’élève dont les parents avaient les moyens de payer suffisamment de dessous-de-table pouvait donc être reçu bachelier un mois aprés la rentrée scolaire.

TOMUS

I, EPIST. 19-20

209

Sed tu audi, deus omnipotens, Quod ego oro supplex ac flens. Da mortuo membro favorem sempiternum

Et mitte poetas ad infernum. Mihi videtur quod est optimum carmen, sed non scio quomodo debeo scandere, quia est mirabile genus, et ego tantum scio scandere hexametra. Non debetis pati quod aliquis reprehendit vestra carmina. Et igitur scribatis mihi. Tunc ego volo vos defendere usque ad duellum. Et valete ex Monasterio in Westphalia.

20 Ioannes Lucibularius

Magistro Ortvino Gratio salutes quas nemo potest numerare.

Venerabilis domine magister, Secundum quod promisistis mihi prius, quod velletis mihi esse adiutorium quandocunque haberem necessitatem, et velletis me promovere prz omnibus aliis, et dixistis quod audacter deberem vos invocare, tunc velletis mihi suppetiare sicut fratri, et non velletis me derelinquere in angustiis meis. Sic nunc rogo vos pro amore dei, quia est valde necesse, quod velletis mihi subvenire, quia potestis bene. Rector hic licentiavit unum collaboratorem, et vult habere unum alium. Quapropter velitis pro me scribere litteras promotoriales quod velit seu dignetur me acceptare. Quia iam non habeo amplius de pecunia, quia exposui omnia, et etiam emi libros et calceos. Vos bene novistis me quod sum sufficiens de gratia dei. Quia quando vos fuistis Daventriz, tunc ego fui secundarius. Et postea in Colonia steti per annum, ita quod complevi pro gradu baccalauriatus. Et fuissem etiam promotus circa festum Michaelis, si habuissem pecuniam.

210

VOLUME

I, LETTRES

20-21

Je sais méme résumer pour les écoliers l’*Entraînement des enfants et le * Petit Ouvrage de la seconde partie. Je connais aussi la manière de scander les vers, comme vous me l'avez apprise, et *Pierre d'Espagne dans tous les traités, et méme l’Abrégé de philosophie de la nature’. Et en plus je sais chanter et je connais le plain chant et aussi la polyphonie. Et avec ça, j'ai une voix de basse et j'arrive à chanter une note plus grave que le sol 1°. Mais si je vous écris tout ça, c'est pas pour me vanter. C'est pourquoi vous me pardonnerez, et je vous recommande à Dieu tout-puissant. Portez-vous bien. De Zwolle.

21 (A mon tour de raconter mes amours avec Dorothée) Maitre *Conrad de Zwickau! salue Maitre Ortwin Gratius.

De méme qu'en effet vous m'avez écrit l'autre jour au sujet de votre maitresse comment que vous l'aimez intimement, et qu'elle vous aime aussi, et qu'elle vous envoie des bouquets, des mouchoirs et des ceintures, et tout ça, et qu'elle ne vous prend pas d'argent comme les putains. Et quand son homme n'est pas à la maison, alors vous allez chez elle, et elle est bien contente. Et l'autre jour, vous m'avez dit qu'une fois vous l'aviez sautée trois

fois, dont une debout derriére la porte d'entrée?, et aprés vous avez chanté : « Soulevez vos portes, princes... »?. Et aprés, son homme est arrivé et vous vous êtes sauvé par le jardin derrière la maison. 2. Ces genres de traités étaient — comme de nos jours — des compilations de « fiches » à l'usage des étudiants (avec citations à apprendre par cœur) sur les principaux concepts aristotéliciens et sur leurs commentateurs les plus « autorisés ». Il en était publié couramment dans toutes les universités. Notre bachelier és arts posséde donc ses rudiments de grammaire (Alexandre de Villedieu), de logique (Pierre d'Espagne) et de sciences (philosophie de la nature). 3. Le gammaut était, au Moyen Age, la note la plus grave de l'échelle fondamentale (notée sol 1), correspondant à notre sol, en bas de la clé de fa. En supposant une montée du diapason d'un ton vers l'aigu au cours des derniers siécles, le fa que notre homme obscur se vante de chanter devient donc un mi bémol grave, ce qui est déjà honorable pour une voix d'homme. 1. Cette lettre est la suite de la lettre I, 9.

2. On peut aussi comprendre un double sens obscene : la troisième fois, Gratius a pris sa maitresse « en s'introduisant par la porte de derriére ». 3. Psaume XXIV (Vulgate XXIII), 7. Ce passage est trés obscur. La suite du psaume dit : « Que le roi entre ! »

TOMUS

I, EPIST.

20-21

211

Etiam scio scholaribus resumere Exercitium puerorum, vel Opus minus secundz partis. Et scio artem scandendi ut vos docuistis me,

et Petrum Hispanum in omnibus tractatibus, et Parvulum philosophiz naturalis. Etiam sum cantor et scio Musicam choralem et figuralem, et cum

hoc habeo vocem bassam, et possum cantare unam notam infra gammaut. Sed non scribo vobis talia iactanter, et ideo parcatis mihi, et sic commendo vos omnipotenti deo. Valete. Ex Suollis.

21 Magister Conradus de Zuiccavia salutem dicit Magistro Ortvino Gratio.

Sicut enimvero scripsistis mihi nuper de vestra amasia quomodo amatis eam intime, et etiam ipsa amat vos, et mittit vobis serta, et faciletas!, et zonas, et talia, et non accipit pecuniam a vobis sicut meretrices. Et quando vir eius est extra domum, tunc acceditis eam, et

ipsa bene est contenta. Et nuper dixistis mihi quod pro una vice ter supposuistis eam, et semel stando retro ianuam in introitu, postquam cantastis : « Attollite portas principes vestras. » Et postea vir eius venit, et vos fugistis posterius per hortum.

1.De l'italien fazzoletto (= mouchoir).

212

VOLUME

I, LETTRE

21

Voilà donc pourquoi maintenant, je vais vous écrire comment que qa se passe pour moi avec ma maitresse. C'est vraiment une femme excellente et en plus, elle est riche. Et j'ai fait sa connaissance par un hasard extraordinaire, parce qu'un de mes pensionnaires, qui était connu de l’évêque“, m'a présenté à elle. Alors, moi, je suis tout de suite tombé trés amoureux d'elle, à tel point que j'ai tourné en rond toute la journée, et que je n'en ai pas dormi de la nuit. Mais, à peine je m'étais endormi, que je me suis mis à crier dans mon lit : « Dorothée ! Dorothée ! Dorothée ! » et voilà que les collégues qui habitent dans le collége m'ont entendu. Ils se sont levés et m'ont dit : « Seigneur Maître, qu'est-ce que vous voulez, que vous criez comme ça ? Si vous voulez vous confesser, alors, on va amener un prétre », car ils pensaient que j'étais à l'article de la mort, et que j'invoquais sainte Dorothée? avec tous les saints. Alors, j'ai piqué un sacré fard. Mais, quand je suis allé voir ma maitresse, j'avais encore si peur que je n'ai pas pu la regarder et j'étais encore tout rouge. Alors, elle a dit : « Ah ! Seigneur Maitre ! Qu'est-ce qui vous fait honte comme ça ? » Et elle a insisté pour savoir la raison. Mais j'ai dit que je n'osais pas le dire. Mais elle voulait savoir, et elle n'a pas voulu me lâcher tant que je ne lui dirais pas. Alors elle a dit qu'elle ne se mettrait pas en colére contre moi, méme si je disais une grosse cochonnerie. Alors, ca m'a donné du courage et je lui ai révélé mon secret. Car vous m'avez dit autrefois, quand vous faisiez le cours sur l'Art d'aimer d'Ovide, que les amoureux doivent étre aussi courageux que les guerriers, sinon ils ne

valent rien. Du coup, je lui ai dit : — Ma Dame respectée, pardonnez-moi par Dieu et par tout votre honneur, je vous aime et je vous ai choisie parmi les filles des hommes”, parce que vous êtes belle entre les femmes et que vous êtes sans tache*, car vous êtes si magnifique qu'y en pas une seule autre aussi pareille que vous au monde. Alors, elle a ri et elle a dit : — Par Dieu, vous savez parler galamment, si je vous crois. Et aprés, je suis souvent allé chez elle et j'ai bu avec elle. Et quand elle allait à l'église, je me mettais de facon que je puisse la regarder. Et elle aussi, elle me regardait comme si elle voulait me transpercer. 4. Peut-étre le maire. Le * Diamant des diamants propose : « Pontifex, eyn byschoff oder ein bur-

germeister. » 5. La sainte Dorothée en question n'est sans doute pas la martyre légendaire de Cappadoce, mais la mystique Dorothée de Montau (1347-1394), qui eut de nombreuses visions extatiques caractérisées par un état de « langueur amoureuse » (caritas violenta). Elle fut l'objet d’un culte trés populaire en tant que patronne de la Prusse, mais ne fut jamais canonisée. 6. Ovide, L'Art d'aimer, I, 607. 7. Pastiche au féminin du psaume XIV (Vulgate XLIV), 3 : «Tu es le plus beau parmi les fils des hommes. » 8. Pastiche du Cantique des cantiques, IV, 7. L'original s'adresse à sa bien-aimée en la tutoyant.

TONUSA

PIS

021

215

Sic etiam nunc volo vobis scribere quomodo succedit mihi cum mea amasia. Ipsa est valde excellens mulier, et est dives, et venit mirabiliter quod ego acquisivi notitiam cum ea, quia quidam domicellus qui fuit notus pontifici, promovit me. Et ego statim incepi eam valde amare, ita quod non scivi aliquid facere in die, et de nocte non potui

dormire. Sed quando dormivi, tunc clamavi in lecto : « Dorothea, Dorothea, Dorothea », ita quod socii qui stant in bursa audiverunt. Et surrexerunt et dixerunt mihi : « Domine magister, quid vultis quod sic clamatis ? Si vultis confessionem facere, tunc volumus afferre sacerdotem. » Quia putaverunt quod essem in articulo mortis, et invocarem sanctam Dorotheam cum aliis sanctis. Et ego erubescui valde. Sed quando veni ad illam amasiam, tunc semper fui ita perterritus, quod non potui eam aspicere, et fui rubicundus : tunc ipsa dixit : « Ah domine Magister, quare estis ita verecundus ? » Et sæpe interrogavit me rationem. Et ego dixi quod non audeo dicere. Sed ipsa voluit scire, et non voluit me dimittere, nisi vellem dicere ei. Et dixit quod non vellet irasci super me, etiam si dicerem unam magnam nequitiam. Tunc semel fui audax, et revelavi ei secreta mea. Quia vos dixistis mihi olim, quando legistis Ovidium de arte amandi, quod amatores debent esse valde audaces sicut bellatores, alias nihil est cum ipsis. Et dixiei:

« Domina mea reverenda, parcatis mihi propter deum, et propter honorem omnem vestrum, ego amo vos, et elegi vos prz filiis hominum, quia vos estis pulchra inter mulieres, et macula non est in vobis. Quia vos estis speciosissima sicut est una in toto mundo. » Tunc ipsa risit et dixit : « Per deum, vos scitis amicaliter loqui, si ego vellem credere. » Et postea sepe veni in domum eius et bibi cum ea. Et quando fuit in ecclesia, tunc steti ita quod potui aspicere eam. Et ipsa etiam aspexit me quasi vellet me transvidere.

214

VOLUME

I, LETTRE

21

L'autre jour, je lui ai demandé pour de bon comme quoi elle veuille bien étre mienne. Alors, elle m'a dit que je ne l'aimais pas. Et moi, j'ai juré que je l'aimais comme ma propre mère, et que j'étais prêt à faire tout pour elle, méme si j'en perdais la vie. Alors, ma belle maitresse m'a dit : « Bon, eh bien, c'est ce qu'on va voir ! » Alors, elle a fait une croix à la craie sur sa maison et elle m'a dit : « Si vous m'aimez, chaque soir, quand il fait nuit, vous

devrez venir baiser cette croix pour moi. » Et moi, je l'ai fait pendant plusieurs jours. Mais voilà-t-il pas qu'il y en a un qui est venu et qui m'a mis de la merde sur la croix. Et, quand j'ai baisé la croix, je me suis mis de la merde sur la bouche et les dents et le nez. Et ça m'a mis très en colère contre elle. Mais elle m'a juré sur tous les saints que c'était pas elle qui avait fait ça. Et je l'ai crue, parce que, par Dieu, elle est honnéte pour le reste. Et je me suis dit que c'était un collégue qui avait fait le coup. Et si j'arrive à le découvrir, je vous jure qu'il en aura pour son argent ! Mais maintenant, elle a des gestes encore plus aimables à mon égard qu'auparavant. Du coup, j'espere bien que je vais la sauter. D'autant que quelqu'un lui a dit que je suis *poète, et elle a dit : — Jai entendu dire que vous êtes un bon poète. Vous allez donc m'écrire tout de suite un poème. Et je l'ai fait, et je le lui ai chanté le soir dans la rue, comme quoi elle l'entende. Et puis aprés, je lui ai traduit en allemand, et voici ce que ca donne : Ó, sainte Vénus, inventeuse et domineuse de l'amour,

Pourquoi que ton fils? est mon ennemi ? Ó, belle Dorothée, que j'ai choisie comme amie, Fais-moi Z'en donc aussi bien que je t'en fais ! T'es la plus belle de toutes les filles de cette ville, Et puis tu brilles comme une étoile et tu souris comme une rose.

Elle a dit qu'elle allait le garder toute sa vie en souvenir de moi. Il faut que vous me donniez un conseil sur comment que je dois m'y prendre, et comment que je dois faire pour qu'elle m'aime. Et pardonnez-moi comme quoi j'ai écrit avec si peu d'élégance à Votre Seigneurie. Parce que c'est mon habitude comme quoi je ne fais pas de maniéres avec mes amis. Porte-toi bien au nom du béni. De Leipzig.

9. Le petit dieu Amour est fils de Vénus.

THONUOUSSIS

BPISIT-L2T

215

Et Tunc sicut etiam

nuper rogavi eam valde quod vellet me habere commendatum. dixit quod non amarem eam. Et ego iuravi quod amarem eam propriam matrem, et vellem omnia facere ad servitium eius, si solveret mihi vitam. Tunc respondit illa pulchra amasia mea : « Ego bene volo videre an est ita », et fecit unam crucem ad domum suam cum creta, et dixit : « Si amatis me, tunc semper de sero quando est tenebrosum, debetis osculare illam crucem propter me. » Et ego feci taliter per multos dies. Tunc semel venit unus, et permerdavit mihi crucem, et ego osculando maculavi os, et dentes, et nasum. Et fui valde iratus super eam. Sed ipsa iuravit ad sancta sanctorum quod non fecisset. Et ego credo, quia per deum alias est honesta. Et imaginavi mihi unum socium, quid debet fecisse. Et si possum perscrutare, dico vobis quod debet habere retributionem suam. Sed iam habet amicabiliores gestus erga me quam antea. Et spero quod supponam eam. Dudum aliquis dixit ei, quod sum poeta, et Ipsa dixit : « Ego audivi quod estis bonus poeta : ergo debetis mihi semel scribere unum carmen. » Et ego feci illud, et cantavi de sero in platea quod ipsa audivit. Et postea exposui ei teutonice. Et est hoc : O alma Venus, amoris inventrix et dominatrix, Quare tuus filius est inimicus meus ? O pulchra Dorothea, quam ego elegi amicam,

Fac mihi etiam sic qualiter ego tibi. Pulchrior es tu inter omnes huius urbis puellas, Et splendes sicut stella, et rides sicut rosa.

Ipsa dixit quod vult per suam vitam servare illud propter me. Vos debetis mihi dare consilium quomodo debeo me regere, et quomodo debeo facere quod amat me. Et parcatis mihi quod fui ita grossus scribendo ad dominationem vestram. Quia est consuetudo mea quod sum socialis cum amicis meis. Vale in nomine benedicti. Ex Lyptzick.

216

VOLUME

I LETTRE

22

22 (Les contestataires de Mayence)

Gérard Lefoutoir à Maitre Ortwin Gratius Donne bien des bonsoirs pour célébrer du Seigneur la gloire, Lui qui ressuscita des morts, et dans les cieux règne encore. Honorable Monsieur, Je vous notifie que je ne suis pas content d'étre ici, et que je souffre que je ne suis pas resté à Cologne auprès de vous, où que j'aurais pu mieux faire des progrés, et que vous auriez pu faire de moi un bon logicien, et aussi un peu *poéte. Et puis, à Cologne, les gens sont pieux. Ils aiment aller dans les églises, et le dimanche, ils vont au préche. Et puis il n'y a pas d'orgueil comme ici. Les étudiants ne font pas la révérence aux *maîtres et les maîtres ne s'en soucient pas. Ils les envoient se promener habillés comme ils veulent, et sans capuche. Et quand ils sont dans les bars à vin, ils jurent par le nom de Dieu et ils blasphément et font plein de choses horribles. C'est comme l'autre jour, y en a un qui a dit qu'il ne croyait pas que la tunique du Seigneur qui se trouve à Trèves! était vraiment la tunique du Seigneur, mais seulement une vieille casaque pleine de poux. Et qu'il ne croyait pas qu'il restait encore sur terre un cheveu de la Vierge Marie?. Et un autre a dit que peut-étre que les trois rois mages de Cologne? n'étaient que trois paysans de Westphalie. Et aussi que le glaive et le bouclier de saint Michel? n'appartiennent pas à saint Michel. Et il a méme dit qu'il chiait sur les indulgences des fréres précheurs, parce que ce sont des bouffons qui abusent les femmes et les paysans. Alors, j'ai dit : — Au feu ! Au feu cet hérétique ! Et il s’est moqué de moi. Mais j'ai dit : — Dis-donc, toi, ribaud, va donc raconter ça, que *Not’ Maître *Hochstraten t'entende à Cologne, lui qui est « Inquisiteur de la perversité des hérétiques »^. Alors, il a dit : 1. Voir supra, la lettre I, 11.

2. On vénérait ce cheveu dans l'église du couvent des franciscains de Cologne. 3. Le 6 janvier, jour de la féte des Rois, on exhibait à la cathédrale de Cologne les ossements des « Rois mages ». L'humaniste Euricius Cordus s'en moque dans une lettre de 1521 à Joachim Camerarius : « Il n'y a rien à regarder ici, sinon les trois rois. Mais lesquels ? le comte de *Neuenahr, *Cæsarius et Sobius. Je n'en trouve aucun autre. » (Bócking, vol. II, p. 51). 4. On n'a pas conservé de témoignages du culte de ces reliques à Cologne. 5. C'était le titre complet du Grand Inquisiteur.

TOMUS

I, EPIST. 22

211

22 Gerhardus Schirruglius! Magistro Ortvino Gratio Salutem dicit variam per domini nostri gloriam, Qui resurrexit a mortuis, et nunc sedet in cælis. Honorande vir, Notifico vobis quod non sum libenter hic, et penitet me quod non mansi Coloniz apud vos, ubi potui melius proficere. Et vos potuissetis me facere bonum loicum?, et etiam pro parte poetam. Et in Colonia sunt homines devoti, et libenter visitant ecclesias, et in domi-

nica vadunt ad sermonem. Et non est tanta superbia sicut hic. Supposita non faciunt reverentiam magistris, et magistri non habent advertentiam ad supposita, et mittunt eos ire quomodo volunt. Et non portant caputia. Et quando sunt in zechis? ad vinum, tunc iurant per deum, et blasphemant et faciunt multa scandala. Sicut nuper unus dixit quod non credit, quod tunica domini in "Treveris esset tunica domini, sed una antiqua et pediculosa vestis. Et non credit etiam quod crinis beatæ virginis est adhuc in mundo. Et unus alter dixit, quod possibile est, quod tres reges in Colonia sunt tres rustici ex Vestphalia. Et quod gladius et clipeus sancti Michaelis non sunt ad sanctum Michaelem. Etiam dixit quod vellet merdare super indulgentias fratrum praedicatorum, quia ipsi essent bufones, et deciperent mulieres et rusticos. Tunc ego dixi : « Ad ignem, ad ignem cum isto hzretico ! » Et ipse derisit me. Ego vero dixi : « Tu ribalde, tu deberes talia dicere, quod magister noster Hochstratus in Colonia audiret, qui est inquisitor hæreticæ pravitatis. » Tunc dixit :

1. Terme d'origine obscure, Schirr désigne un attelage de chevaux, dans un sens obscene. | 2. Pour logicum (cf. lettre I, 17). 3. De l'allemand Zeche, qui signifie parfois : bar à vin.

218

VOLUME

I, LETTRE

22

— Hochstraten est une sale béte maudite ! et il l'a maudit et il a dit : — Jean Reuchlin est un homme honnéte ! Les théologiens sont des diables ! Ils l'ont jugé injustement quand ils ont brálé son livre qui s'appelle les *Besicles. Alors j'ai répondu : — Ne dis pas ça, car il est écrit dans l’Ecclésiastique, chap. VIII : « Tu ne condamneras pas le juge, car il juge selon la justice. »f Tu vois bien que l’université de Paris, où se trouvent des théologiens très profonds et zélés, et qui ne peuvent pas se tromper, ont aussi jugé comme ceux de Cologne. Pourquoi veux-tu donc t'élever contre toute l'Église ? Alors, il a dit que les Parisiens étaient des juges iniquissimes et qu'ils avaient reçu de l'argent des frères de l'ordre des précheurs, et que cet argent leur a été porté (comme il ment mal !) par un homme zélé et théologien trés savant, le Seigneur *Dietrich de Gouda, le légat de l'université de Cologne. Et puis il a dit que cela, ce n'était pas l'Église de Dieu, mais celle dont le Psalmiste dit : « Je hais l'assemblée des méchants et je ne siégerai pas parmi les impies. »" Et il a condamné l'ensemble des décisions des Not? Maîtres à Paris. Et il a dit que l'université de Paris était la mére de toute la stupidité, et qu'elle y trouvait sa source, pour aller se répandre ensuite en Allemagne et en Italie, et que cette école avait semé partout la superstition et la vanité. Et il a dit aussi que, souvent, ceux qui étudient à Paris prennent une mauvaise mentalité et sont à moitié fous. Et il a dit que le Talmud n'est pas

condamné par l'Église?. Alors, voilà que Not? Maitre Pierre *Meyer, curé à Francfort, était assis

là et il a dit : — Je vais démontrer ici-même que ce collègue n'est pas un bon chrétien et qu'il n'est pas d'accord avec l'Église. Sainte Vierge !Vous autres, les collégues, vous voulez parler beaucoup de théologie, mais vous n'y connaissez rien ! Car Reuchlin ne sait méme pas oü il est écrit que le Talmud est interdit. Alors, le collégue a demandé : — Et où est-ce écrit ? Et Not' Maitre Pierre a dit qu'on peut le lire dans le *Renforcement de la religion. Ce tartufe a répondu que Le Renforcement de la religion était un livre de merde et qu'il ne valait rien, et que personne ne cite ce livre, à moins d'étre stupide et idiot. J'étais terrorisé parce que Not’ Maître Pierre était tellement 6. Ecclésiastique, VIII, 14 (Vulgate VIII, 17). 7. Psaume XXVI (Vulgate XXV), 5. 8. Lors de leurs délibérations de 1514, les théologiens de la Sorbonne étaient allés rechercher dans leurs archives toutes les anciennes condamnations du Talmud par l'université de Paris.

TOMUS.I,

RPIST.

22

219

« Hochstratus est una execrabilis et maledicta bestia ! » Et maledixit ei et dixit : « Ioannes

Reuchlin

est probus vir, et theologi sunt diaboli, et

iniuste iudicaverunt quando combusserunt suum librum qui vocatur Speculum oculare. » Tunc ego respondi : « Noli dicere hoc, quia scriptum habetur in Ecclesiastico capite VIII. : “Non iudices contra iudicem, quia secundum quod iustum est iudicat." Tu vides, quod universitas Parrhisiensis, ubi sunt theologi

profundissimi et zelosi, et qui non possunt errare, etiam iudicaverunt ita sicut Colonienses ; quare ergo vis esse contra totam ecclesiam ? » Tunc ipse dixit quod Parrhisienses essent iniquissimi iudices, et quod acceperunt pecuniam a fratribus de ordine predicatorum, quam portavit ipsis (ut ille nequam mentitur) zelosus vir et theologus scientificissimus, dominus Theodericus

de Ganda, legatus universi-

tatis Coloniensis. Et adhuc dixit quod ista non est ecclesia dei, sed est illa de qua dicit Psalmista : « Odivi ecclesiam malignantium, et cum impiis non sedebo. » Et culpavit magistros nostros in Parrhisia in omnibus actibus suis. Et dixit quod universitas Parrhisiensis esset mater omnis stultitia, qua haberet ibi originem, et venisset in Alemaniam et Italiam ; et quod illa schola seminasset undique superstitionem et vanitatem. Et frequenter omnes qui student in Parrhisia, habent mala capita, et sunt quasi fatui. Et dixit quod Thalmut non est ab ecclesia damnatus. Tunc sedit ibi magister noster Petrus Meyer plebanus in Franckfurdia, et dixit : « Ibi ego volo ostendere quod iste socius non est bonus christianus, et non sentit recte cum ecclesia. Sancta Maria, vos socii vultis mul-

tum loqui de theologia, et non scitis. Quia etiam Reuchlin ignorat, ubi scriptum est quod Thalmut est prohibitus. » Tunc ille socius quæsivit : « Ubi est scriptum ? » Et dixit magister noster Petrus quod legitur in Fortalitio fidei. Respondit ille trufator, quod Fortalitium fidei est merdosus liber, et non valet. Et quod nemo allegat istum librum nisi stultus et fatuus. Et ego fui perterritus, quia valde iratus fuit magister noster

220

VOLUME,

LETTRE"

22

en rage que ses mains tremblaient. J'ai méme eu peur qu’il lui fasse du mal, et je lui ai dit : — Maitre éminent, soyez patient, parce que « celui qui est patient est gouverné par beaucoup de sagesse (Proverbes, XIIT^). » Pardonnez-lui, parce qu'il finira en poussière à la face du vent\°. Il parle beaucoup, mais il ne sait rien. Et comme il est écrit dans l'Ecclésiastique : « Le fou parle d'abondance »!!, du coup, c'est ce qu'il fait. Alors, cet homme a commencé, hélas ! à dire des tas de choses sur l'ordre

des précheurs, comme quoi ces honnétes fréres avaient commis un crime à *Berne, chose que je ne croirai jamais de ma vie, et comment ils ont été brülés parce qu'une fois, ils avaient empoisonné le sacrement de l'eucharistie et causé la mort d'un empereur!?. Et il a dit qu'il fallait supprimer cet ordre, sinon, il se produirait beaucoup d'abominations dans la religion, car

cet ordre est rempli de perversité, et il a encore dit beaucoup d'autres choses. Vous comprendrez donc clairement que je veuille rentrer à Cologne, parce que qu'est-ce que je peux faire avec des maudits pareils ? Que la mort les prenne et qu'ils descendent vivants en Enfer, comme dit le Psalmiste, parce qu'ils sont /es fils du Diable!*. Si vous étiez d'accord, je veux d'abord passer mon diplóme. Sinon, je veux m'en aller tout de suite. Il faut donc que vous m'écriviez rapidement votre avis. Je m'y conformerai. Et avec ça, je vous recommande au Seigneur Dieu. Portez-vous bien. De Mayence.

9. En réalité Proverbes XIV, 29 10. Citation du psaume XXXV

(Vulgate XXXIV),

5. Cf. aussi psaumes

I, 4 et XVIII

(XVID, 43. 11. En réalité Ecclésiaste (Qohelet) X, 14.

12. Vieille rumeur : en 1313, l'empereur Henri VII étant mort subitement pendant sa guerre contre Florence, le bruit avait couru qu'il avait été empoisonné par son confesseur, un domini-

cain. 13. Psaume LV (Vulgate LIV), 16. 14. Citation de I fean III, 10.

TOMUS

I, EPIST.

22

221

Petrus, ita quod tremuerunt ei manus. Et ego timui quod noceret ei,

et dixi ei : « Domine eximie, estote patiens, quia qui patiens est, multa gubernatur sapientia. Proverbiorum XiII. Permittatis istum, quod peribit sicut pulvis a facie venti. Ipse dicit multa, et tamen nihil scit. Et sicut scribitur in Ecclesiastico : *Stultus verba multiplicat", ita ipse etiam facit. » Tunc ipse prochdolor incepit multa dicere de ordine prædicatorum, quomodo isti probi fratres fecerunt unam nequitiam in Berna. Quod ego non credo per vitam meam. Et quomodo fuerunt combusti, et quod ipsi semel imposuerunt venenum in sacramento eucharistiz, et sic interfecerunt unum imperatorem. Et dixit quod oportet istum ordinem delere. Alias fient multa scandala in fide, quia omnis malitia est in illo ordine. Et alia multa dixit. Ergo debetis aperte scire quod vellem libenter redire ad Coloniam, quia quid debeo facere cum talibus maledictis hominibus ? Veniat mors super illos, et descendant ad infernum viventes, ut inquit Psalmista, quia sunt filii diaboli. Si videtur vobis, tunc prius volo acci-

pere gradum. Si non, tunc volo abire statim. Ergo debetis mihi cito scribere mentem vestram ; secundum illam volo me regere. Et cum hoc commendo vos domino deo. Valete. Ex Moguntia.

222

VOLUME

I, LETTRE

25

25 (Les amours adultères de Gratius) Jean Labite, humble professeur de sainte théologie, salue Maitre Ortwin Gratius,

poète, théologien, etc. Étant donné que vous fütes jadis mon disciple à *Deventer, et que jusqu'à ce jour, je vous ai aimé au-dessus de tous les autres élèves, parce que vous eûtes une bonne intelligence et que vous fütes un jeune homme fort discipliné, voilà pourquoi maintenant je vais vous donner des conseils partout où je le pourrai. Mais vous devrez les recevoir d'une humeur égale, parce que Dieu scrute les cœurs! et sait que je vous parle avec amour, pour le salut de votre àme. Il y a eu ici des gens de Cologne qui ont dit que vous aviez une femme à Cologne, qu'elle est souvent chez vous et vous chez elle, et ils disent qu'assurément vous passez à l'acte avec elle. Quand j'ai entendu cela, j'ai éprouvé une grande peine avec une terreur extréme, parce que si c'est vrai, c'est un grand scandale, parce que vous êtes diplômé, et avec le temps, vous grimperez encore plus haut, à savoir jusqu'au diplóme de sainte théologie. Et quand on entend des choses pareilles à votre sujet, ca donne un mauvais exemple aux jeunes, et ca les encourage au vice. Vous avez pourtant bien lu dans l'Ecclésiastique : « Beaucoup ont été perdus pour la beauté d'une femme, et ils ont brülé comme

dans le feu à cause

de cette concupiscence. »? Et dans l’Ecclésiaste : « Détourne les yeux de la femme parée, ne fixe pas ton regard sur la beauté étrangére. »? Et au méme endroit : « Sur la jeune fille, ne fixe pas ton regard, de peur d'étre damné à cause de ses charmes. »* Vous savez aussi que la fornication est le plus grand des péchés. Or, j'entends dire en plus que cette femme est une épouse légitime et qu'elle a un mari ! Pour «l'amour de» Dieu, abandonnez-la et veillez à votre réputation ! Il est scandaleux que des gens puissent dire qu'un théologien est adul1. Citation de Sagesse, I, 6.

2. Ecclésiastique, IX, 8 (Vulgate IX, 9). 3. En fait, il s'agit du début du verset précédent de l’Ecclésiastique. Peut-être le docteur Labite veut-il donner l'impression à son disciple qu'il cite deux livres différents alors qu'il s'est contenté d'un seul passage. Il se peut aussi que son recueil de citations ait confondu le livre biblique de l’Ecclésiastique avec celui de l'Ecclésiaste. 4. Il s'agit cette fois du verset 5 du méme chapitre IX, lequel est tout entier consacré à dénoncer les vices des femmes, sources de toutes les perversités, comme chacun le sait.

TOMUS

I, EPIST. 23

223

23 Ioannes Vickelphius! humilis sacræ Theologiz professor salutem dicit Magistro Ortvino Gratio poetæ et Theologo, etc. Quoniamquidem olim fuistis discipulus meus in Daventria, et ego amavi pro tunc vos ante omnes scholares, quia habuistis bonum ingenium et fuistis valde disciplinatus iuvenis, quapropter nunc etiam volo vobis dare consilium ubicunque possum. Sed vos debetis etiam bono animo accipere, quia deus est scrutator cordium et scit quod ego loquor vobis ex dilectione, et pro salute animz vestra. Fuerunt hic aliqui Colonienses qui dixerunt quod habetis Coloniæ unam mulierem quz est sepe apud vos, et vos apud ipsam, et dicunt veraciter quod habetis actum cum ipsa. et ego dolui valde cum magno terrore quando audivi, quia est magnum scandalum, si verum est, quia estis graduatus, et pro tempore ascendetis etiam ad altiora, scilicet ad gradus in sacra Theologia. Et quando talia audiuntur de vobis, tunc dant malum exemplum iunioribus, qui peiorantur exinde. Vos tamen bene legistis in Ecclesiastico : « Propter speciem mulieris multi perierunt, et ex hac concupiscentia quasi ignis ardescit. » Et in Ecclesiaste : « Averte faciem tuam a muliere compta, et ne circumspicias speciem alienam. » Et ibidem : « Virginem ne conspicias, ne forte scandalizeris in decore illius. » Vos scitis etiam quod maximum peccatum est fornicatio. Sed cum hoc audio quod illa mulier est legitima et habet virum. Propter deum dimittatis eam, et respiciatis famam vestram. Est scandalum quod homines debent dicere quod Theologus est adulter. Quia alias habe-

1. En argot allemand Fickel signifie ce que les philologues nomment membrum virile.

224

VOLUME

I, LETTRE

23

tere. Car vous avez une réputation plutôt bonne, et tout le monde dit que vous étes à la hauteur de votre qualité, comme je le sais bien moi-méme. Vous devriez chaque jour vous remémorer une fois avec dévotion la passion du Seigneur, parce que c'est un trés bon reméde contre les tentations du Diable et l'aiguillon de la chair, et demander chaque jour dans vos priéres que Dieu veuille vous protéger des mauvaises pensées. Je pense que vous avez lu tout cela dans les *poètes profanes, et que cela vous a entrainé au vice. Donc, je voudrais que vous abandonniez ces poètes. Vous savez en effet que saint Jéróme fut frappé par un ange parce qu'il lisait un livre de ces poétes?. D'ailleurs, à Deventer, je vous ai aussi souvent dit que vous ne devriez pas devenir poète, ni juriste, parce que ce sont des gens mal affectionnés pour la religion, et ils ont presque tous une mauvaise disposition des mœurs. Et c'est d'eux que le Psalmiste dit : « Tu hais tous ceux qui révèrent

les vanités inutilement. »? Je veux aussi vous parler d’autre chose. On dit que vous avez écrit contre Jean Reuchlin en matière de religion’. C’est une bonne chose, parce que vous pouvez profiter du talent que Dieu vous a donné. Cependant, on dit ici que Jean *Pfefferkorn, que vous avez également défendu, est un affreux bandit, qu'il ne s'est pas fait chrétien par amour de la religion, mais parce que les juifs voulaient le pendre à cause de ses crimes, parce qu'ils disent qu'il est voleur et traître. Et c'est comme ça qu'il s'est fait baptiser ! Et tout le monde dit qu'il est secrétement un mauvais chrétien et qu'il ne persistera pas dans la religion. Il faut donc que vous examiniez ce que vous devez faire. À Halle, on a déjà brülé un juif baptisé, qui s'appelle lui-aussi Jean Pfefferkorn, et qui a fait beaucoup de mal?. J'ai bien peur que l'autre en fasse autant, et alors, vous serez en difficulté. Il faut néanmoins que vous défendiez la théologie. Prenez en bonne part ce que je vous ai conseillé fraternellement. Salut et prospérité. Donné à Magdebourg.

5. Jéróme, Lettre 22 à Eustochius, $ 29 sqq. et Contre Rufin, livre II.

6. Citation approximative du psaume XXXI (Vulgate XXX), 7, qui dit simplement : « odisti custodientes vanitates ». 7. Les *Remarques.... 8. L'autodafé avait eu lieu le 4 septembre 1514. La victime était un juif converti, surnommé

le « curé Rapp », et non pas Pfefferkorn, comme le bruit en avait couru. C'est la raison pour laquelle Pfefferkorn a tenu à préciser en 1516, sur la couverture de sa Défense, que l'auteur de cet ouvrage n'avait pas été brülé, cf. lettres I, 10 et IL, 7).

TOMUS

I, EPIST.

23

225

tis satis bonam famam, et omnes dicunt quod estis bene qualificatus, sicut etiam ego scio. Vos deberetis quotidie semel habere unam devotam recordationem passionis dominicz, quia illud est magnum remedium contra tentationes diaboli et stimulum carnis, et petere in orationibus vestris, quod dominus velit vos custodire a malis cogita-

tionibus. Ego credo quod talia legistis in poetis sæcularibus, et peioratis vos inde. Et ergo vellem quod dimitteretis illos poetas, quia scitis quod sanctus Hieronymus fuit percussus ab angelo, quia legit in libro poetarum. Et Daventriz szpe dixi etiam vobis quod non deberetis fieri poeta vel iurista, quia isti sunt male affectionati? in fide, et habent quasi omnes malam dispositionem? in moribus. Et de illis loquitur Psalmista : « Odisti omnes observantes vanitatem supervacue. » Etiam de alio volo scribere vobis. Ipsi dicunt quod vos scripsistis contra Ioannem Reuchlin in causa fidei. Et est bonum, quia vultis lucrari super talentum vestrum quod tradidit vobis deus. Sed dicitur hic quod Ioannes Pfefferkorn, quem etiam defenditis vos, est malus nequam, et non est factus christianus amore fidei, sed propterea quod Iudzi voluerunt eum suspendere propter suas nequitias, quia dicunt quod est fur et proditor, et sic fuit baptizatus. Et omnes dicunt quod occulte est malus christianus, et non manebit in fide. Ergo debetis videre quid facitis. Iam combusserunt in Hallis unum baptizatum Iudæum qui etiam vocatur Ioannes Pfefferkorn, et fecit multa mala. Ego timeo quod ille faciet semel talia, tunc vos male staretis. Sed nihilominus debetis defendere Theologiam. Et accipite in bonam partem quod fraterne consului vobis. Et Valete in bona prosperitate. Datum Madepurck.

2. Gallicisme. 3. Autre gallicisme.

226

VOLUME

I, LETTRE

24

24 (Les derniéres nouvelles d'Augsbourg) Paul Pine-de-Pigeon dit beaucoup de saluts à Maitre Ortwin Gratius. C'est vraiment si je suis un menteur, comme vous me l'avez dit l'autre jour, comme quoi je vous ai toujours promis que j'allais vous écrire, et pourtant, je ne vous ai pas écrit. Maintenant, je vais prouver que je mérite votre confiance, parce qu'un homme d’âge már et honnête ne doit rien promettre qu'il ne va pas tenir. Ce serait d'ailleurs une grande inconséquence de ma part si je ne tenais pas les promesses que je vous ai faites, et si je vous trompais. Mais il faut aussi que vous m'écriviez. Alors, comme

qa, maintenant,

nous allons souvent nous envoyer, c'est-à-dire nous faire parvenir des lettres tous les deux. Maintenant, il faut que vous sachiez que le docteur Reuchlin a fait imprimer un livre dont le titre est *Défense... Il fait de la diffamation d'une manière trés indécente et il vous traite d'àne. Du coup, je suis tout honteux

quand je lis ce livre, bien que je ne l'aie pas encore lu entiérement, parce que je l'ai jeté contre le mur quand j'ai vu qu'il était si méchant contre les théologiens et les *artiens. Si vous voulez, vous pouvez le lire, parce que je vous l'envoie ci-joint. Je pense qu'il faut brüler cet auteur avec son livre, parce que c'est absolument scandaleux que quelqu'un puisse rédiger un livre pareil. L'autre jour, j'ai été au marché aux chevaux pour m'acheter un cheval pour chevaucher jusqu'à Vienne. Et alors, j'y vois ce livre en vente. Du coup, je me suis dit en moi-même qu'il fallait que vous le voyiez, pour que vous puissiez lui répondre à sa perversité, car si je pouvais vous rendre un plus grand service, je ne devrais pas tarder, car considérez-moi comme votre humble serviteur et partisan. Sachez que j'ai encore mal aux yeux. Et voilà qu'un alchimiste est arrivé ici. Il dit qu'il est capable de guérir les yeux, méme à un homme qui serait totalement aveugle. D'ailleurs, il a pas mal d'expérience parce qu'il a voyagé en Italie et en France, et dans beaucoup de pays. Et, comme vous le savez,

tout alchimiste est à la fois un peu médecin et un peu chimiste, bien que celui-là soit plutót démuni d'argent. Vous m'avez demandé comment ça va pour le reste. Je vous remercie de votre question. Sachez donc que jusqu'à présent, grâce à Dieu, ça va bien : ces vendanges, j'ai pressé beaucoup de vin et j'ai de bonnes réserves de blé.

TOMUS

I, EPIST. 24

221

24 Paulus Daubengigelius! salutem dicit plurimam Magistro Ortvino Gratio. Ecce si ego sum mendax sicut nuper dixistis, quod promitterem vobis semper quod vellem vobis scribere et tamen non scriberem vobis. Iam volo probare quod teneo vobis fidem, quia vir maturus et rectus nihil debet promittere quod non vult servare. Et esset magna inconstantia de me si non servarem vobis promissa, et essem fallax.

Vos debetis similiter scribere mihi. Tunc sepe volumus adinvicem mittere seu dirigere epistolas. Et iam debetis scire quod doctor Reuchlin permisit imprimere unum librum qui intitulatus est « Defensio », in quo scandalizat valde dedecorose, et vocat vos asinum. Et verecundatus sum valde legens illum librum, quamvis non legi eum per totum, quia proieci ante parietem quando vidi quod est ita malignosus contra Theologos et Artistas. Vos potestis eum legere si vultis, quia mitto hic eum vobis. Mihi videtur quod autor ille cum suo libro debet comburi, quia est maxime scandalosum quod aliquis debet talem librum compilare. Nuper fui Equiritia? et volui emere equum, in quo volo equitare ad Viennam. Tunc vidi illum librum venalem. Et cogitavi mecum quod necesse est quod vos videbitis illum, ut possitis ei respondere ad suam perversitatem. Quia si possem facere vobis maiora servitia, non vellem tardari, quia habetis me humilem servitorem et fautorem vestrum. Sciatis quod adhuc habeo malos oculos. Sed venit huc quidam Alchimista qui dicit quod scit medicare oculis, etiamsi homo esset totaliter cæcus in illa infirmitate. Et alias habet bonam experientiam, quia ambulavit per Italiam et Franciam, et multas provincias. Et sicut scitis, omnis Alchimista est medicus aut saponista : quamvis iam est depauperatus aliquantulum. Vos quæsivistis etiam quomodo succedit mihi alias. Gratior vobis quod quaeritis ita. sed debetis scire quod adhuc bene sto de gratia dei. Et in ista vindemia detorculavi multum vinum, et in frumentis habeo bonam sufficientiam. 1. De l'allemand Taube (= pigeon) et Gigel (= zizi). Ce terme d'argot enfantin s'entend encore de nos jours dans les cours de récréation de l'Oberland bernois. 2.'Terme composé à l'image du français « écurie ».

228

VOLUME

I, LETTRES

24-25

À propos de nouveautés, apprenez que le trés sage Seigneur empereur envoie beaucoup de monde en Lombardie contre les Vénitiens, et qu'il veut corriger leur orgueil. J'en ai vu bien deux mille, avec six banniéres!. La moitié avait des lances, et les autres, des pyxides, c'est-à-dire des arquebuses. Ils étaient assez terribles et ils portaient des chausses à « crevés ». Ils ont fait des ravages chez les paysans et les villageois. Méme que les gens disaient qu'il faudrait qu'ils soient tués tous. Mais moi, je souhaite qu'ils reviennent en bonne santé. Envoyez-moi par ce messager Les Formalités et Les Distinctions de Scot, composées par *Brulifer, et aussi le *Bouclier des thomistes dans les caractéres

d'Alde?, si vous pouvez les trouver. J'aimerais bien aussi voir L'Art de versifier que vous avez composé. Achetez-moi un *Boéce en ceuvres complétes, et surtout La Discipline des études et La Consolation philosophique, avec les commentaires du *saint docteur. Avec tout ca, portez-vous bien et je me recommande à vous. D'Augsbourg.

23 (Leçon de grammaire « modiste ») Maître Philippe Lesculpteur salue Maître Ortwin Gratius.

Comme je vous l’ai déjà souvent écrit, je suis fort peiné que cette bande de ribauds — je veux parler de la faculté des *poètes! — prenne de l’importance et se répande dans tous les coins du pays. De mon temps, il y avait un seul poète, qui s’appelait *Samuel. Et voilà que maintenant, rien que dans cette seule ville, il y en a bien vingt. Et ils nous attaquent tous, nous qui sommes partisans des *anciens. L'autre jour, j'en ai carrément démoli un qui disait qu'un écolier, ce n'est pas quelqu'un qui va à l'école pour s'instruire. Je lui ai dit : 1. Six « bandes » (régiments). 2. Ortwin Gratius ne risquait pas de trouver des ouvrages scolastiques de ce type dans les productions du célébre imprimeur humaniste Alde Manuce, car celui-ci s'était presque exclusivement consacré à la publication des auteurs profanes antiques. 3. Ortwin Gratius n'avait jamais composé d’Art de versifier, mais il se piquait de poésie.

1. Bócking pense que cette lettre est fictivement envoyée de Leipzig, où une chaire (humaniste) de « poésie » avait été inaugurée en 1507 par *Æsticampianus (cf. supra, la lettre I, 17).

TOMUS

I, EPIST.

24-25

229

Sed de novitatibus scitote, quod serenissimus dominus imperator mittit magnum populum in Lombardiam contra Venetianos, et vult eos corrigere pro superbia sua. Ego vidi bene duo milia cum sex baniris?, et habuerunt pro dimidio cuspides, et pro dimidio pixides seu bombardas, et fuerunt satis terribiles, et habuerunt scissas caligas. Et fecerunt multa

damna rusticis et villanis. Et homines dixerunt quod vellent quod omnes interficerentur. Sed ego opto quod redibunt cum sanitate. Mittatis mihi cum isto nuncio formalitates et distinctiones Scoti quas composuit Brulifer, et etiam Clipeum Thomistarum in littera Aldi, si potestis reperire. Etiam vellem libenter videre modum metrificandi quem vos composuistis. Et emite mihi Boecium in omnibus suis operibus, et przcipue de disciplina scholarium, et de consolatione philosophica cum commento Doctoris sancti. Et cum hoc Valete et habeatis me commendatum. Ex Augusta.

22 Magister Philippus Sculptoris salutem dicit Magistro Ortvino Gratio.

Sicut scripsi vobis sæpe, ego habeo molestiam quod ista ribaldria, scilicet facultas poetarum, fit communis et augetur per omnes provincias et regiones. tempore meo fuit tantum unus poeta qui vocatus fuit Samuel. Et nunc solum in ista civitate sunt bene viginti, et vexant nos omnes qui tenemus cum antiquis. Ego nuper realiter expedivi unum qui dixit quod scholaris non significat personam qui vadit ad scholas discendi causa, et dixi :

| 3. Italien : bandiera. 4. Selon le * Diamant des diamants, une pyxide était eyn bychfó (= une arquebuse).

230

VOLUME

I, LETTRE

25

— Espèce d’âne ! Est-ce que tu vas corriger le saint docteur? qui a défini ce terme ? Alors, aprés, il a écrit une invective contre moi, et il y a mis beaucoup de phrases infamantes. Et il a dit que je ne suis pas un bon instituteur parce qu'il y a des mots que je n'ai pas expliqués correctement quand j'ai fait mes leçons sur la première partie d'*Alexandre et sur le livre Les *Modes de signification. Du coup, je vais vous écrire formellement ces mots, comme quoi vous pourrez voir que je les ai correctement expliqués, d’après tous les dictionnaires?. Je peux aussi les illustrer avec des auteurs qui font autorité, méme en théologie. J'ai dit d'abord : Seria [= cruche] signifie « pot », et vient de « Syrie », parce que c'est dans ce pays qu'on les fabrique. On peut aussi dire qu'il vient de « sérieux », parce que c'est quelque chose d'utile et de nécessaire. Mais il vient aussi de « série », parce qu'il est fabriqué en série. De la méme fagon, « patriciens » signifie : « les péres des sénateurs ». De méme, « char » vient de « À la charge ! » parce que, avec un char, on court de l'intérieur vers l'extérieur. De méme, « le juge » signifie « celui qui juge »*, alors que « le jus » signifie « une boisson ». D'oü le vers suivant : Mieux vaut boire un jus que voir un juge?. De méme, « impóts sur les bois sacrés » signifie une somme d'argent que l'on préléve sur un bois sacré, c'est-à-dire sur une forét. De méme, « manteau » signifie « vêtement de dessus », d’où le diminutif : « mantelet ». « Mécanique », c'est comme « mec à nique ». C'est pour cela qu'on dit que les « arts mécaniques » sont niqués par rapport aux « *arts libéraux », qui sont

les vrais « arts »f. De méme, un « comptable », c'est quelqu'un qui se met à table.

2. L'homme obscur confond vraisemblablement Thomas d'Erfurt, auteur d'une *Grammaire

spéculative célèbre avec Thomas d’Aquin, le « *saint docteur ». 3. La plupart des étymologies qui suivent proviennent du *Cazholicon et du *Diamant des diamants. On remarquera le goüt prononcé de ces dictionnaires médiévaux pour les « racines » grecques, symboles évidents d'autorité dans ce monde de clercs qui ignoraient totalement cette langue. Ma traduction est évidemment fort libre. 4. Litt. :« le droit » signifie « la justice ». 5. Litt. :« jus : je consomme ;droit : je conteste. » 6. Le Catholicon proposait à mechanicus l'étymologie grecque mechos (to1yôc = adultére), assortie du commentaire en question. Les arts dits « mécaniques » étaient les disciplines techniques, donc à but lucratif, alors que les sept arts « libéraux » intellectuels (grammaire, dialectique, rhétorique, arithmétique, géométrie, astronomie, musique)

enseignés dans le premier cycle des universités (*faculté des arts).

étaient les seuls à étre

TOMUS-

I; EPIST.

25

251

« Asine, vis tu corrigere doctorem sanctum qui ponit istam dictio-

nem ?» Postea scripsit ipse unam invectivam ad me, et posuit multa opprobriosa dicta, et dixit quod non sum grammaticus bonus, quia non recte exposui ista vocabula quando practicavi in prima parte Alexandri, et in libro de Modis

significandi. Et volo vobis scribere

formaliter illos terminos, quod debetis videre quod recte exposui, secundum omnes vocabularios, et ad hoc possum allegare autenticos autores, etiam in Theologia.

Et primo dixi : « Seria aliquando significat ollam, et tunc dicitur a Syria, quia in tali provincia primo facta est. Etiam potest dici a seriis, quia est utilis et necessaria. Vel a serie, id est ordine fit.

Item Patritii dicuntur patres senatorum. Item currus dicitur a currendo, quia per eum currunt interiora ad extra. Item ius, iuris, significat iustitiam ; sed ius, iutis!, significat prodium^ ; unde versus : Ius, iutis, mando ; ius, iuris, in agmine pando.

Item Lucar significat pecuniam quz colligitur ex luco vel ex sylva. Item mantellus significat pallium, et inde venit diminutivum manticulus. Mechanicus, id est adulterinus, hinc dicuntur artes mechanicz, id

est adulterinz, respectu liberalium, quas sunt verz artes. Item mensorium est quicquid ad mensam pertinet.

1. Le génitif de ius (= le jus) est également zuris. 2. Le *Gatholicon donne généralement brodium.

232

VOLUME

D EETTLRE

25

De méme, un « polyhistorien », c'est quelqu'un qui connait beaucoup d'histoires. D'ou le mot « polyhistoire », qui veut dire : « une multiplicité d'histoires ». « Polysénique? » veut dire : « qui a plusieurs sens ». Il a dit que tout ça, et les choses de ce genre, c'était pas vrai, et il m'a fait affront devant mes collégiens. Alors, j'ai dit que, pour gagner son salut éternel, il suffisait d'étre un simple maître d'école et de savoir au moins exprimer ce que l'esprit conçoit. Alors, il a répondu que je n'étais ni un simple maitre d'école, ni un double, et que je n'y connaissais rien. Alors, ca m'a fait plaisir parce que maintenant, je m'en vais le citer devant l'université de Vienne pour atteinte à mes privilèges. Et là, il faudra bien qu'il me rende raison, parce que c'est là-bas que j'ai réussi ma maitrise, grâce à Dieu. Et si j'ai été à la hauteur de toute l'université réunie, je pourrai étre à la hauteur d'un poète tout seul, parce qu'une université, ça vaut plus qu'un poète. Et croyez-moi, cette injure-là se payera plus que vingt "florins ! On dit ici que tous les poétes veulent prendre le parti du docteur Reuchlin contre les théologiens, et qu'il y en a un? qui a composé un livre qui s'appelle le Triomphe de Capnion, qui contient des tas d'horreurs méme

sur vous. Si seulement on pouvait mettre tous les poétes dans un champ de poivre, ils nous laisseraient tranquilles? ! Parce que ces poétes risquent de faire disparaître la *faculté des arts. Ils disent aussi que les *artiens attirent les jeunes en leur donnant le *baccalauréat et méme la *maitrise contre de l'argent, méme s'ils ne savent rien. Et maintenant, ils [les poètes] ont réussi à faire que les collégiens ne veulent plus passer les diplómes és arts, et qu'ils veulent tous devenir poètes. J'ai un ami, un brave jeune homme, qui est trés intelligent. Ses parents l'ont envoyé à Ingolstadt. Je lui ai donné des lettres de recommandation pour un *maitre qui a de bons diplómes en arts, et qui maintenant va se présenter au doctorat en théologie. Eh bien, voilà que ce jeune homme a quitté ce maitre et qu'il est allé voir le poéte *Philomuses pour assister à ses cours ! J'ai pitié de ce jeune homme, selon ce qui est écrit au Livre des Proverbes, XIX : « Qui donne aux pauvres, préte à Dieu. »!? En effet, s'il était resté chez ce maitre, aujourd'hui il serait bachelier. Au lieu de qa, il n'est rien, méme s’il étudie la *littérature pendant dix ans. 7. Le terme latin classique était polysemus, qui a donné notre « polysémique » moderne. 8. Il s'agit de l'humaniste Accius Neobius, dont le Triumphus Capnionis avait déjà été publié en 1516. Hutten ne publia le sien qu'en 1517. 9. Cette imprécation s'explique sans doute par la notice du * Dictionnaire abrégé selon laquelle l'arbre à poivre provoque des incendies dans les pays du Caucase où il pousse. 10. Proverbes XIX, 17.

ROMUSTIEPIST

25

Item Polyhistor dicitur qui scit multas historias. Polyhistoria, id est pluralitas historiarum. Polysenus dicitur qui habet plures sensus. »

2933

Inde venit

Ista et similia dicit non esse vera, et scandalizavit me coram scho-

laribus meis. Tunc ego dixi quod sufficit ad aeternam salutem, quod aliquis est simplex grammaticus et saltem scit exprimere mentis conceptum. Tunc respondit, quod neque sum simplex neque duplex grammaticus, et nihil scio. Tunc fui lztatus, quia iam volo citare eum ad privilegia universitatis Viennensis, ubi debet respondere mihi, quia ibi sum promotus de gratia dei in magistrum. Et si fui sufficiens toti universitati, etiam volo sufficiens esse uni poetz, quia universitas est plus quam poeta. Et credatis mihi, ego non vellem istam iniuriam dare pro viginti florenis. Dicitur hic quod omnes poetæ volunt stare cum doctore Reuchlin contra Theologos, et quod unus iam composuit unum librum qui vocatur Triumphus Capnionis, et continet multa scandala etiam de vobis. Utinam omnes poetz essent ibi ubi piper crescit, quod dimitterent nos in pace, quia timendum est quod Facultas artistica peribit propter illos poetas. Quia ipsi dicunt, quod artistæ seducunt iuvenes, et accipiunt ab eis pecuniam et faciunt eos baccalaureos et magistros, etiam si nihil sciunt. Et iam fecerunt quod scholares non amplius

volunt promoveri in artibus, sed omnes volunt esse poetæ. Ego habeo unum amicum qui est bonus iuvenis, et habet optimum ingenium, et parentes sui miserunt eum ad Ingelstad, et ego dedi ei litteras promotoriales ad quendam magistrum qui bene est qualificatus in artibus, et nunc tendit procedere ad gradum doctoratus in Theologia. Tunc iste iuvenis recessit ab illo magistro et venit ad Philomusum poetam, et audit lectiones eius. Et sic misereor illius iuvenis, secundum quod scriptum est Proverbiorum XIX. « Fæneratur domino qui miseretur pauperis. » Quia si mansit usque ad hoc tempus apud illum magistrum, tunc iam esset baccalaurius. Sed sic nihil est, etiam si studet decem annos in poetria.

234

VOLUME

I, LETTRES

25-26

Je sais que vous souffrez beaucoup des misères que vous font les *poétes profanes. Vous êtes pourtant vous-même un poète, mais pas de cette sorte, parce que vous étes du parti de l'Église, et avec ça, vous êtes trés érudit en théologie. Et quand vous composez des poèmes, ce n'est pas sur des sujets vains, mais à la louange des saints. J'aimerais énormément savoir oü vous en étes dans votre affaire avec le docteur Reuchlin. Si je peux vous y étre utile, écrivez-le moi et racontez-moi tout par la méme occasion. Portez-vous bien.

26 (Les juristes doivent-ils s’incliner devant les théologiens ? débat juridico-théologique) Antoine de Villenavet à Maitre Ortwin Gratius souhaite amicalement un salut plein d'affection cordiale.

Vénérable Seigneur Maitre, Sachez que jusqu'à présent, je n'ai pas eu le temps d'écrire sur des sujets qui ne sont pas absolument nécessaires. Cependant, répondez-moi sur un sujet de débat que je propose en ces termes : Est-ce qu'un docteur en droit est tenu de s'incliner devant un *Not Maitre qui ne porte pas son costume ? L’habit des Not’ Maîtres est en effet, comme vous le savez, une grande capuche, avec un *lyripippion. Il y a ici un docteur!, diplómé dans l'un et l'autre *droits, qui est en conflit avec Not’ Maitre le curé Pierre *Meyer. L'autre jour, voilà qu'il passait dans la rue, alors que Not' Maitre Pierre passait sans son costume. Alors, ce juriste ne s'est pas incliné devant lui. Et aprés, on a dit qu'il avait eu tort, car, méme s’il est fâché contre lui, il devrait s'incliner devant lui, par respect pour la sainte théologie ; car il devrait être fâché avec la personne, et non pas avec la science, car les maitres tiennent la place des apótres, dont il est écrit : « Qu'ils sont beaux, les pieds de ceux qui annoncent la bonne parole et qui préchent la

paix ! » C'est pourquoi, si leurs pieds sont beaux, combien davantage doivent l'étre leurs tétes et leurs mains ! 1. Bócking pense qu'il s'agit de Philippe de Fürstenberg, l'ami de Hutten. 2. Epître aux Romains, X, 15, citant Isaie LII, 7.

TOMUS

I, EPIST.

25-26

255

Ego scio quod etiam habetis multas vexas ab istis poetis szecularibus. Quamvis enim vos estis etiam poeta, tamen non estis talis poeta. Sed vos tenetis cum ecclesia, et cum hoc estis bene fundatus in "Theologia. Et quando compilatis carmina, tunc non sunt de vanitatibus, sed de laudibus sanctorum. Libentissime vellem scire quomodo staret negocium illum cum doctore Reuchlin. Si possum in hoc utilis esse vobis, tunc significate mihi et simul scribatis mihi omnia. Et Valete.

26

Antonius Rubenstadius! Magistro Ortvino Gratio Salutem ex cordiali affectu amicabiliter optat. Venerabilis Domine Magister, Sciatis quod pronunc non habeo tempus ad scribendum de aliis rebus non valde necessariis, sed tantum respondeatis mihi ad unam

quastionem quam sic propono : Utrum doctor in iure teneatur facere reverentiam magistro nostro qui non incedit in habitu ? Est autem habitus magistrorum nostrorum, sicut scitis, caputium magnum cum liripipio. Est hic unus doctor qui est promotus in utroque iure et habet inimicitiam cum magistro nostro Petro Meier plebano. Et nuper obviavit sibi in platea, quando magister noster Petrus non ivit in habitu, tunc ille iurista non fecit ei reverentiam. Et postea fuit dictum quod non bene fecisset. Quia etiam si esset inimicus eius, tamen deberet ei facere reverentiam, propter honorem sacræ Theologia. Quia deberet esse inimicus personz et non scientia. Quia magistri sunt in loco apostolorum. De quibus scriptum est : « Quam speciosi pedes evangelizantium bona, prædicantium pacem. » Quapropter si speciosi sunt pedes eorum, quanto magis capita et manus debent esse speciosa.

1. De l'allemand Rübe (= navet) et Szadt (= ville)

236

VOLUME

I, LETTRES

26-27

Il apparait ainsi que tout homme, y compris les princes, doit honorer les théologiens et les Not? Maitres, et s'incliner devant eux. Alors, ce juriste a répondu et il a cité ses lois pour soutenir précisément le contraire, et beaucoup de passages des Écritures : car il est écrit : « Tel je te trouve, tel je te juge ! »? Mais personne n'est obligé de s'incliner devant quelqu'un qui se présente sans sa tenue, méme si c'est un prince. Et quand un prétre est découvert en train de faire des cochonneries et qu'il n'a pas sa tenue sacerdotale, mais une tenue laique, alors le juge laique a le droit de le faire arréter et de le traiter comme un laic, en lui infligeant un châtiment corporel, malgré son privilège de clerc. Voilà ce qu'a dit ce juriste ! Il faut donc que vous me donniez votre opinion. Et si vous n'étes pas capable de le faire par vous-même, alors, consultez les juristes et les théologiens de l'université de Cologne, que je sache la vérité. Car Dieu est vérité*, et celui qui aime la vérité aime aussi Dieu. En méme temps, expliquez-moi comment marche votre procédure contre le docteur Reuchlin. J'entends dire qu'il est réduit à la misère à cause des grands frais de justice, et ca me réjouit beaucoup. Car j'espère que les théologiens seront vainqueurs, et vous aussi. Portez-vous bien au nom du Seigneur.

Donné à Francfort’.

27 (Le voleur d'indulgences et l'autodafé raté) Jean Dubáton, de Miltenberg, salue Maitre Ortwin Gratius.

Comme vous avez toujours désiré avoir des nouvelles par moi, le moment est venu comme quoi je dois et je peux vous en écrire, bien que je sois attristé parce qu'elles ne sont pas bonnes. Sachez que les fréres de l'ordre des précheurs! ont eu ici des indulgences qu'ils ont obtenues à la *Cour romaine au prix fort et dont ils ont néanmoins

3. Paraphrase d’Ézéchiel, 18, 30 ou 33, 20. 4. TeanV, 6 et XIV, 6. 5. Sur-le-Main.

1. Peut-étre ne s'agit-il pas de dominicains, mais de franciscains, car ces derniers avaient un

couvent à Miltenberg.

TOMUS

I, EPIST.

26-27

237

Et videtur quod omnis homo, etiam principes debent honorem et reverentiam facere Theologis et magistris nostris. Tunc ille iurista respondit, et precise in contrarium allegavit suas leges et multas scripturas. Quia scriptum est : « Qualem te invenio, talem te iudico. » Sed nemo tenetur facere ei reverentiam qui non incedit qualiter debet, etiam si esset princeps. Et quando presbyter reperitur in aliquo indecenti opere et non est vestitus sicut sacerdos esse debet, sed habitu seculari, tunc iudex

saecularis potest eum habere et tractare pro homine szculari, et afficere eum pena corporali, non obstantibus privilegiis clericorum. Sic dixit ille iurista ; sed vos debetis mihi significare mentem vestram, et si non scitis per vosmetipsum, tunc habetis consulere iuristas, et Theologos in universitate Coloniensi, quod sciam veritatem. Quia deus est veritas, et qui amat veritatem, amat etiam deum. Similiter debetis notificare mihi quomodo procedit in vestra lite contra doctorem Reuchlin. Ego audio quod ipse est depauperatus, propter magnas expensas, et valde laetor. Quia spero quod Theologi erunt victores et vos etiam. Valete in nomine domini. Datum Franckfordiæ.

21 Ioannes Stablerius! Miltenpurgensis salutem dicit Magistro Ortvino Gratio. Sicut semper cupivistis a me habere novitates, iam est tempus quod debeo et possum vobis nova scribere, quamvis doleo, quia non sunt bona. Sciatis quod fratres de ordine praedicatorum habuerunt hic indulgentias quas impetraverunt in curia romana magnis expensis, et col-

1. De l'allemand Szab (= bâton). Un Srabler est donc un porteur de bâton, peut-être un pèlerin.

238

VOLUME

I, LETTRE

27

tiré un gros paquet d'argent. Et alors, une nuit, un voleur est entré dans l'église et il a pris plus de trois cents *florins, et il les a volés. Du coup, les fréres, qui sont pleins de zéle et trés bien disposés pour la religion chrétienne, ont été désolés et ils se sont mis à la recherche du voleur. Mais les

habitants de la ville ont cherché partout et ils n'ont pas réussi à le retrouver, parce qu'il s'était enfui avec l'argent sur lui. Et c'est un grand crime qu'il ait osé faire ca avec les indulgences du pape, surtout dans un lieu sacré, et il est excommunié, oü qu'il se trouve. Du coup, les gens qui avaient été absous de leurs péchés parce qu'ils avaient mis de l'argent dans le tronc, pensent qu'ils ne sont plus absous. Mais c'est faux, car ils sont aussi bien absous que si les fréres précheurs avaient gardé leur argent. Sachez aussi que les partisans du docteur Reuchlin se montrent ici et répandent beaucoup de rumeurs, car ils disent que les fréres précheurs réclament les indulgences à la Cour romaine, parce qu'avec cet argent, ils veulent attaquer le docteur et lui intenter un procès en *matière de religion. Et «ils disent» que personne ne doit rien leur donner, quelle que soit sa position sociale, ni les grands, ni les humbles, ni le clergé, ni les laïcs. L'autre jour, j'ai été à Mayence assister à la cérémonie que les *Not Maîtres ont célébrée contre Reuchlin?. Et voilà qu'il y avait là-bas un certain prédicateur de la cathédrale qui a été diplómé Not' Maitre à Heidelberg et qui s'appelle Barthélémy *Zehender (en latin : le percepteur de dime). Et il a annoncé en chaire que les gens devaient revenir le lendemain pour voir comment brüleraient les *Besicles. Car il pensait qu'il ne serait pas possible que le docteur Reuchlin puisse trouver une ruse pour éviter ça. Alors, un collégue qui était sur les lieux (il parait que c'est un *poéte), s'est mis à circuler partout et à raconter des choses effroyables contre le Not' Maitre en question. Et quand il l'a croisé, il lui a lancé un regard de dragon venimeux. Et il a dit en public : « Ce prédicateur n'est pas digne de pouvoir s'asseoir à la méme table que des gens honnétes. Et je peux prouver que c'est un bandit et un poltron, parce qu'il a dit, en chaire dans votre église devant tout le peuple, des mensonges contre la réputation d'un homme excellent. Et il a dit des choses qui n'ont pas existé. » Et en plus, il a méme dit : « C'est par jalousie qu'on accuse ce bon docteur ! » Et il l'a traité de béte et de chien. Et il a dit qu'aucun pharisien n'avait jamais été aussi malfaisant et envieux. Quand ces mots sont venus aux oreilles du maitre en question, il s'est justifié suffisamment, à mon avis, en disant que méme si ce livre n'avait pas encore été brülé, ca ne manquerait pas d'arriver à l'avenir. Et il a cité de 2. Cette cérémonie s'est déroulée le soir du 13 octobre 1513. En présence d'une foule considérable, le tribunal de l'Inquisition de Mayence rendit son verdict ordonnant de brüler les Besicles de Reuchlin. Mais un envoyé de l'archevéque arriva et ordonna que l'on surseoie au jugement pour un mois, au grand dam de l'Inquisiteur Hochstraten. Reuchlin raconta l'épisode dans sa lettre àWimpfeling du 30 novembre 15123.

TOMUS

I3 EPIST:

27

239

legerunt etiam satis magnam pecuniam. Tunc de nocte venit quidam fur in ecclesiam et accepit plus quam trecentos florenos, et furatus est eos. Et isti fratres viri zelosi et in fide christiana valde bene affectionati tristes fuerunt, et conqueruntur de illo fure. Sed cives miserunt undique et non possunt reperire eum, quia aufugit, et habet secum pecuniam. Et est magna nequitia, quod hoc debet fieri in indulgenuis papalibus, et in loco sacro. Ipse est excommunicatus, sit ubi sit. Homines qui sunt absoluti et dederunt pecuniam suam ad illam cistam, nunc putant quod non sunt absoluti. Sed nihil est : ipsi sunt ita bene absoluti ut si fratres prædicatores haberent adhuc pecuniam suam. Etiam sciatis quod isti qui sunt ex parte Doctoris Reuchlin, vadunt hic et faciunt multos rumores, quia dicunt quod fratres praedicatores propterea impetrant illas indulgentias in curia romana, quod cum illa pecunia volunt vexare ipsum doctorem et tribulare eum in causa fidei. Et quod homines non debent eis dare aliquid, in quocunque statu fuerint, sive alto sive basso, sive ecclesiastico sive mundano. Nuper fui Moguntiz in actu illo quem celebraverunt magistri nostri contra Reuchlin. Tunc est ibi quidam praedicator in summo qui est magister noster promotus in Heydelberga et vocatur Bartholomæus Zehender, latine Decimarius. Ille publicavit in ambone quod homines deberent convenire ad sequentem diem et videre quomodo Speculum oculare combureretur. Quia ipse putabat quod non esset possibile,

quod doctor Reuchlin posset invenire unam fallaciam quod illud non fieret. 'Tunc unus socius qui est ibi, et dicunt quod est poeta, circumivit et seminavit pessimos sermones contra pradictum magistrum nostrum, et quando obviavit ei, tunc aspexit eum aspectu draconico et venenoso. Et dicit publice : « Iste praedicator non est dignus quod debet sedere in mensa ubi sedent probi viri, quia possum probare quod est nequam et pultronus, quia in ambone in ecclesia vestra coram omni populo mentitus est contra famam unius excellentis viri, et dixit illa que non sunt facta. » Et prætenditur dici : « Ex invidia tribulant istum bonum doctorem. » Et appellavit eum bestiam et canem. Et dixit quod nullus pharisæus unquam fuisset ita nequitiosus et invidus. Et venit talis sermo ad praedictum magistrum, et ipse excusavit se sufficienter, ut mihi videtur, quia dixit quod quamvis non combustus est ille liber, tamen fortassis comburetur in posterum. Et allegavit

240

VOLUME

I, LETTRES

27-28

nombreux passages de l'Écriture sainte, comme quoi ce n'est pas un mensonge quand on dit quelque chose dans l'intérét de la religion catholique. Et il a dit que les baillis et les officiers de l'évéque? de Mayence avaient fait obstacle à cette cérémonie contre toute justice. Et il a dit qu'on verrait bien ce qui allait se passer aprés. Il était prét à prophétiser que ce livre serait brülé, méme si l'empereur, le roi de France, tous les princes et tous les ducs prenaient la défense du docteur Reuchlin. Voilà ce que je voulais vous raconter, pour que vous en soyez prévenu. Et je vous prie de bien vouloir mener vos affaires avec diligence, pour que vous ne risquiez pas de scandale. Donc, portez-vous bien. Donné à Miltenberg.

28 (La mythologie grecque expliquée par la Bible)

Frère Conrad Lecinglé! à Maître Ortwin Gratius un salut et une très humble dévotion,

avec des prières quotidiennes à Notre Seigneur Jésus-Christ. Vénérable Monsieur,

Ne vous fâchez pas si je vous écris au sujet de mes affaires, alors que vous avez bien mieux à faire. C'est que vous m'avez dit autrefois que je devrais toujours vous écrire comment j'étudie et que je ne devrais pas interrompre mes études, mais au contraire que je devrais progresser, parce que je suis intelligent et que je pourrais bien réussir avec l'aide de Dieu, si je m'en donnais la peine. Sachez donc que pour l'instant, je me suis inscrit à l'université de Heidelberg et j'étudie la théologie. Mais en plus, je suis chaque jour un cours de *littérature et j'ai commencé à y faire des progrès sérieux, grâce à Dieu. Je sais déjà par cœur toutes les fables des Métamorphoses d'Ovide, et je suis capable de les expliquer par les quatre sens, c'est-à-dire : naturel, littéral, historique et spirituel, alors que ces *poétes profanes en sont bien incapables. 3. En fait, l'archevéque. 1. Un Jean Tolhopf fut recteur à Leipzig en 1474. Mais, parmi les Conrad que les humanistes détestaient particulièrement, on peut penser à Conrad Collin ( 1536) qui, après avoir été doyen de la faculté de théologie de Heidelberg en 1507, devint général des dominicains en 1511 et fut l'un des chefs du parti anti-reuchliniste.

TOMUS

I, EPIST.

27-28

241

scripturam sacram in multis passibus, quod non est mendacium quando aliquis dicit aliquid pro fide catholica. Et dixit quod balivi et officiales Episcopi Moguntinensis impediverunt illum factum contra omnem æquitatem. Sed homines deberent videre quid post hac contingeret. Quia ipse vellet esse propheta quod ille liber combureretur, etiam si imperator et rex Franciz, et omnes principes et duces starent pro doctore Reuchlin. Talia volui vobis significare, ut essetis cavisatus. Et rogo vos quod velitis esse diligens in negociis vestris, ne incurratis scandalum. Et sic valete. Datum in Miltenpergk.

28 Frater Conradus Dollenkopffius! Magistro Ortvino Gratio salutem et devotionem humillimam cum orationibus quottidianis apud Dominum Nostrum Iesum Christum. Venerabilis vir, Non habeatis molestiam quod scribo vobis de negociis meis, cum vos bene habetis maiora pro agendo. Sed dixistis mihi olim quod deberem vobis semper scribere quomodo studerem et non deberem cessare in studendo, sed deberem procedere, quia haberem bonum ingenium, et possem cum adiutorio dei bene proficere, si met vel-

lem. Ergo debetis scire quod ego pro nunc contuli me ad studium Heydelbergense et studeo in Theologia. Sed cum hoc audio quotidie unam lectionem in poetria, in qua incepi proficere notabiliter de gratia dei. Et iam scio mentetenus omnes fabulas Ovidii in metamorphoseos, et scio eas exponere quadrupliciter, scilicet naturaliter, litteraliter, historialiter, et spiritualiter. Quod non sciunt isti poeta saeculares.

1. De l'allemand to] (= fou) et Kopf (= tête).

242

VOLUME

I, LETTRE

28

L'autre jour, j'ai interrogé l'un d'entre eux :

— D'où vient le nom de Mavors? ? Alors, il m'a répondu une explication fausse, et du coup je l'ai corrigé et jai dit que Mavors signifie : « celui qui dé-vore les má-les ». Il s'est trouvé embarrassé. Alors, j'ai dit :

— Quel est le sens allégorique des neuf Muses ? Alors, il n'a pas su non plus, et j'ai dit que les neuf Muses signifiaient les sept chœurs des anges. Je lui ai demandé rert?o : — D'oü vient le nom de Mercure ? Comme il ne savait pas, alors je lui ai dit que Mercure signifie : « celui qui a cure des com-mer-çants », parce qu'il est le dieu des com-"mer-çants et qu'il en a cure. Vous voyez ainsi que ces poètes n'étudient que par leur méthode littérale et qu'ils ne comprennent pas les allégories ni les explications spirituelles, parce qu'ils sont des hommes de chair. Et comme l'écrit l'apótre dans la première épitre aux Corinthiens, chap. II : « L'homme bestial ne comprend pas

les choses qui sont l'esprit de Dieu. »? Mais vous pourriez demander : « D’où tenez-vous une telle subtilité ? » Et je vous réponds que l'autre jour, je me suis procuré un livre écrit par un *Not' Maitre anglais de notre ordre, qui s'appelle *Thomas le Gallois. Il a composé ce livre sur les Métamorphoses d'Ovide, en expliquant le sens allégorique et spirituel de toutes les fables. Il est érudit en théologie à un point que vous ne croiriez pas. Il est absolument certain que c'est l'Esprit saint qui a inspiré une telle science à cet homme. En effet, il y a inscrit des concordances entre l'Écriture sainte et les fables des poétes*, comme vous pourrez le constater à partir des exemples que je vais vous citer : Sur le serpent Python qu'Apollon a tué, le Psalmiste écrit : « Ce dragon que tu as créé pour jouer avec lui » ; et plus loin : « tu marcheras sur l'aspic et le basilic ». Sur Saturne qui est supposé un vieil homme et le pére des dieux, mangeant ses enfants, Ezéchiel écrit : « Les péres mangeront leurs enfants parmi vous. » Diane signifie la Trés Sainte Vierge Marie, marchant entourée d'une troupe nombreuse de vierges. C'est donc d'elle qu'il est écrit dans les

2. Nom archaique et poétique du dieu Mars. 3. I Corinthiens II, 14.

4. La plupart des exemples cités (sauf Saturne et Vulcain) proviennent des Méramorphoses d'Ovide. 5: Psaume CIV (Vulgate CII), 26. 6. EzéchielV, 10.

TOMUS

I, EPIST.

28

243

Et nuper interrogavi unum ex illis : « Unde dicitur Mavors ? » Tunc dixit mihi unam sententiam quz non fuit vera. Sed etiam correxi eum, et dixi, quod Mavors dicitur quasi mares vorans. Et ipse

fuit confusus. Tunc dixi : « Quid significatur per novem Musas allegorice ? » Tunc etiam ignoravit et ego dixi quod.Ix. Musæ significant.VII. choros Angelorum. Tertio dixi : « Unde dicitur Mercurius ? » Sed quando non scivit, tunc dixi ei quod Mercurius dicitur quasi mercatorum curius, quia est deus mercatorum et habet curam pro eis. Ita videtis quod iste poeta nunc student tantum in sua arte litteraliter, et non intelligunt allegorias et expositiones spirituales, quia sunt homines carnales ; et ut scribit Apostolus.I. ad Corinthios II. : « Animalis homo non percipit ea quz sunt spiritus dei. » Sed possetis dicere : « Unde habetis istam subtilitatem ? » Respondeo quod nuper acquisivi unum librum, quem scripsit quidam magister noster Anglicus de ordine nostro, et habet nomen Thomas de Walleys et compositus est ille liber super librum Metamorphoseos Ovidii, exponens omnes fabulas allegorice et spiritualiter. Et est ita profundus in Theologia quod non creditis. Certissimum est quod spiritussanctus infudit huic viro talem doctrinam. Quia scribit ibi concordantias

inter sacram

scripturam, et fabulas poetales ; sicut

potestis notare ex istis quae iam ponam. De Phitone serpente quem interfecit Apollo, scribit Psalmista : « Draco iste quem formasti ad illudendum ei. » Et iterum : « Super aspidem et basiliscum ambulabis. » De Saturno qui supponitur homo senex, et pater deorum comedens filios suos, scribitur ab Ezechiele : « Comedent patres filios in medio tul. » Diana significat beatissimam virginem Mariam, ambulans cum multis virginibus hincinde. Et ergo de ea scribitur in Psalmis :

244

VOLUME

I, LETTRE

28

Psaumes : « Les vierges sont amenées à sa suite. »' ; et ailleurs : « Entrainemoi après toi ! Nous courrons dans le parfum de tes onguents ! »* De méme, à propos de Jupiter, quand il a dépucelé la vierge Callisto et qu'il est remonté au ciel, il est écrit dans Matthieu XII : « Je retournerai dans

la maison d’où je suis sorti. »? De méme, à propos de la suivante Aglauro, que Mercure a changée en pierre, il est question de cette pétrification dans 7ob, XLII : « Son cœur

deviendra dur comme la pierre. »!? De méme, comment Jupiter a baisé la vierge Europe, il y a aussi un passage là-dessus dans l'Écriture, que je ne connaissais pas auparavant, et c'est là qu'il lui dit : « Écoute, ma fille, vois et préte l'oreille, car le roi a eu envie

de ta beauté. »!! De méme

Cadmos

recherchant sa sœur!?, préfigure la personne

du

Christ recherchant sa sœur, c'est-à-dire l'àme humaine. Et quand il bátit une cité!4, c'est l’Église. Sur Actéon qui a vu Diane nue, Ezéchiel a prophétisé en disant : « Tu étais nue et pleine de confusion, et je suis passé devant toi et je t'ai vue. »'? Et ce n'est pas sans raison que les poétes ont écrit que Bacchus est né deux fois! : c'est parce que cela signifie que le Christ qui lui aussi est né deux fois, une fois avant l'origine des temps, et l'autre sous forme humaine et charnelle. Et Sémélé, qui nourrit Bacchus, elle signifie la Sainte Vierge, à qui il est dit dans Exode, II : « Prends cet enfant et allaite-le pour moi, et je

te donnerai ton salaire. »!? De même, la fable de Pyrame et Thisbé et spirituel : Pyrame signifie le fils de Dieu que le Christ aime, et de qui il est écrit transpercera ton âme » (Luc, II'5). C'est l'épée de son amant.

s'explique par les sens allégorique et Thisbé signifie l’âme humaine dans les Évangiles : « Son glaive ainsi que Thisbé s’est tuée avec

7. Psaumes XIV (Vulgate XLIV), 15 et XIC (Vulgate XC), 13. 8. Collage de Cantique des cantiques I, 3 et IV, 10. 9. Matthieu XII, 44.

10. Job XLI, 15. 11. Psaume XIV (Vulgate XLIV), 11-12. 12. Europe.

13. L'homme obscur applique ici aux récits paiens le « quatrième sens » de l’exégèse médiévale, à savoir l'explication « *anagogique », dont le principe était de montrer que chaque mot de la Bible annonce le christianisme.

14. Thébes. 15. Ezéchiel XVI, 7-8. 16. Bacchus est né une première fois de sa mère Sémélé, lorsqu'elle fut foudroyée par Zeus. Ce dernier enferma ensuite le bébé (prématuré) dans sa cuisse pour qu'il parvienne à terme et naisse donc à nouveau. Cette idée de la préfiguration du Christ par Bacchus (surtout comme sauveur de l'humanité) a eu un certain.succés au Moyen Âge. 17. Exode, II, 9. lSLuc I S5;

TOMUS

I, EPIST.

28

245

« Adducentur virgines post eam. » Et alibi : « Trahe me post te. Curremus in odore ungentorum tuorum. » Item de Iove quando defloravit Callistonem virginem, et reversus est ad calum scribitur Matth. Xi. : « Revertar in domum meam, unde

exivi. » Item de Aglauro pedissequa, quam Mercurius vertit in lapidem : illa lapidificatio tangitur Iob.xur. : « Cor eius indurabitur ut lapis. » Item quomodo Iuppiter supposuit Europam virginem, etiam habetur in sacra scriptura, quod ego ignoravi prius, quia sic dixit ad eam : « Audi, filia, et vide, et inclina aurem tuam, quia concupivit rex speciem tuam. » Item Cadmus quzrens sororem suam, gerit personam Christi, qui quarit suam sororem, id est animam humanam. Et zdificat civitatem,

id est ecclesiam. De Actæone vero qui vidit Dianam nudam, prophetizavit Ezechiel cap. XVI. dicens : « Eras nuda et confusione plena, et transivi per te et vidi te. » Et non est frustra a poetis scriptum quod Bacchus est bis genitus, quia per hoc significatur Christus qui etiam est bis genitus, uno modo ante szecula, et alia vice humaniter et carnaliter. Et Semele quz nutrit

Bacchum, significat beatam virginem, cui dicitur Exodi II. : « Accipe puerum istum et nutri mihi, et ego dabo tibi mercedem tuam. » Item fabula de Piramo et Thisbe sic exponitur allegorice et spiritualiter : Piramus significat filium dei, et Thisbe significat animam humanam quam amat Christus, et de qua scribitur in evangelio : « Tuam ipsius animam pertransibit gladius. » Lucz .11. Sic Thisbe interfecit se gladio amasii sui.

246

VOLUME

I, LETTRES

28-29

De méme pour Vulcain qui est précipité du ciel et qui en reste boiteux, il est écrit dans les psaumes : « Ils ont été expulsés et n'ont pas pu se relever. »? Voilà ce qu'on apprend dans ce livre, ainsi que beaucoup d'autres choses semblables. Si vous étiez avec moi, vous verriez des merveilles. Et c'est de cette maniére que nous devons étudier la littérature. Mais pardonnez-moi que j'ai la prétention quasiment de donner des leçons à Votre Seigneurie, parce que vous étes plus savant que moi. Si je l'ai fait, ca part d'une bonne intention. J'ai fait en sorte que quelqu'un de Tübingen me tienne au courant des faits et gestes du docteur Reuchlin?^, de façon que je puisse vous prévenir. Mais pour l'instant, je ne suis au courant de rien, sinon je vous le dirais. Maintenant, portez-vous bien dans une amitié non feinte?!. Donné à Heidelberg.

29 (Remontrances amicales à Gratius)

Maitre Tilmann Laguenillette salue Maitre Ortwin Gratius.

« Je suis le plus fou des hommes et la sagesse ne m'habite pas. Je n'ai pas appris la sagesse et je ne connais pas la science des saints » (Proverbes, MOON Donc, il ne faut pas que vous me méprisiez parce que je me permets de vous donner un conseil sur vos actions, parce que je fais cela d'un bon sentiment. En fait, je veux vous mettre en garde en fonction de quoi que je comprends, et je veux vous faire quelques reproches, parce que /a réprimande donne de l'esprit. Et il est écrit dans l’Ecclésiastique, chap. XIII : « Celui qui touchera de la poix, ça lui salira les mains. » Et c'est ce qui vous arrivera parce que vous devez considérer que je suis votre ami, et c'est pourquoi aussi il faut que vous preniez mes remontrances en bonne part. 19. Psaume XXXVI

(Vulgate XXXV),

13.

20. Reuchlin se trouvait alors à Stuttgart. 21. Citation de II Corinthiens VI, 6. 1. Proverbes XXX, 2, 3. 2. Citation d'Isaie XXVIII, 19.

3. Ecclésiastique XIII, 1 (Vulgate XIII, 11).

TOMUS

I, EPIST.

28-29

247

Item de Vulcano qui eiicitur de czlo, et efficitur claudus, scribitur in Psalmis : « Expulsi sunt nec potuerunt stare. » Hzc et talia multa didici ex illo libro. Vos videretis mirabilia si essetis mecum. Et ista est via qua debemus studere in poetria. Sed parcatis mihi quod prætendo quasi docere vestram dominationem, quia vos scitis melius quam ego, sed feci in bona opinione. Ego disposui hic, aliquis in Tubinga debet me certificare quicquid agit doctor Reuchlin, ita quod possum vos cavisare. Sed iam nihil scio, alias vellem vobis notificare. Sed iam valete in charitate non ficta. Datum Heidelbergz.

20

Magister Tilmannus Lumplin! salutem dicit Magistro Ortvino Gratio. « Stultissimus

sum virorum, et sapientia non est mecum

; non

didici sapientiam, et non novi scientiam sanctorum. » Proverbiorum XX. Ergo non debetis me spernere quod prætendo vobis dare consilium in factis vestris, quia facio talia bono animo. Et volo cavisare vos

secundum quod ego intelligo, et modicum volo corrigere vos, quia vexatio dat intellectum. Et scriptum est in Ecclesiastico cap. XIII. : « Qui tetigerit picem, inquinabitur ab ea. » Sic etiam fit vobis, quia vultis habere quod sum amicus vester. Propterea oportet etiam pro bono accipere vexationes a me.

1. allemand Lumplein est le diminutif de Lump (= guenille).

248

VOLUME

I, LETTRE

29

J'ai saisi, c'est-à-dire compris, que vous vous taisez dans l'affaire de Jean Reuchlin, et que vous ne répondez pas à ses scandaleusetés. Eh bien, ca me met trés en colére, parce que je vous aime et qu'il est écrit : « Qui aime bien, chátie bien.^ » Alors, pourquoi avoir commencé à lui répondre, si vous ne voulez pas continuer ? Est-ce que vous n'en étes pas capable ? Par Dieu, vous l’êtes, et surtout à la faculté de théologie, vous êtes meilleur

que lui. Donc, vous devez lui répondre, et défendre votre réputation et précher la

religion chrétienne, contre laquelle cet hérétique écrit. Et vous ne devez avoir peur de personne, car Salomon dit dans l'Ecclésiastique XIII : « Ne sois pas humble dans la sagesse, de peur que l'humilité ne te rende sot. » Et vous ne devez pas craindre le pouvoir des juristes, comme quoi ils vous menacent de chátiments corporels, car vous devez souffrir cela pour la religion et la vérité. C'est de cela que le Christ dit dans l'Évangile de Matthieu XVI : « Qui voudra sauver son âme, la perdra. »? Et si vous craignez de ne pas arriver à le vaincre, c'est que vous ne croyez pas en l'Évangile, car il est matière de foi. Et il est écrit dans l'évangile que rien n'est impossible à l’homme qui croit, car il est écrit en Matthieu XVIII : « Si vous aviez la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : “Va-t’en là-bas !”, elle irait, et rien ne vous serait impossible. »? Or, il est impossible que le docteur Reuchlin puisse écrire la vérité, car sa religion n'est pas honnéte, car il défend les juifs qui sont des ennemis de la religion, et il est contre les opinions des docteurs, et avec ca, il est pécheur, comme l'écrit Maitre? Jean *Pfefferkorn dans son livre qui s'appelle le * Tocsin. Or, les pécheurs ne devraient pas avoir le droit de s'occuper des textes sacrés, parce qu'il est écrit au Psaume XLIX : « Or, Dieu dit au pécheur : “Pourquoi dis-tu ma justice et as-tu mon alliance à la bouche ?" »? C'est pourquoi je vous exhorte et je vous prie du fond du cœur que vous vous défendiez hardiment, comme quoi les gens puissent dire de vous élogieusement que vous avez défendu l'Église et votre réputation. Ne vous lais-

4. Cette forte sentence se trouve déjà dans Hébreux XII, 6 (reprise de Proverbes III, 12). 5. Ibid. XIII, 8. Ce passage est particuliérement obscur. Maitre Laguenillette confond, lui aussi, l’Ecclésiastique (le Siracide) avec l'Ecclésiaste (attribué traditionnellement à Salomon). 6. Matthieu, XVI 25.

7. Matthieu XVII 20 (Vulgate XVII, 19). 8. Pfefferkorn était tout sauf un Magister de l'université. Il ne savait en tout cas pas assez de latin pour écrire ses pamphlets, que les théologiens traduisaient pour lui. 9. Psaume L (Vulgate XLIX), 16.

TOMUS

Ego percepi

I, EPIST.

29

seu intellexi quod vos tacetis in causa

249

Ioannis

Reuchlin, et non respondetis ei contra suas scandalizationes. Et ira-

tus sum valde, quia amo vos, et scriptum est : « Quem diligo, corrigo. » Nam quare incepistis ei respondere, si non vultis continuare ? An non estis sufficiens ? Vos estis per deum et præsertim in facultate theologica estis ei melior. Et ergo debetis ei respondere, et defendere famam vestram, et prædicare fidem christianam, contra quam scribit ille hereticus. Et non debetis aliquem respicere, quia dixit Salomon in Ecclesiastici Xii. : « Noli esse humilis in sapientia, ne humiliatus in stultitiam seducaris. » Neque debetis timere potentiam iuristarum, quod faciant vobis periculum corporis, quia debetis talia pati pro fide et veritate. Unde Christus dicit in evangelio Matthzi XVI. : « Qui voluerit animam suam salvam facere, perdet eam. » Et si timetis quod non potestis eum vincere, tunc non creditis evangelio, quia ista est causa fidei. Et scriptum est in evangelio, quod nihil est impossibile homini qui credit. Quia ponitur Matthæi XVIII. : « Si habueritis fidem sicut granum sinapis, dicetis monti huic “transi

hinc", et transibit, et nihil erit impossibile vobis. » Sed non est possibile quod doctor Reuchlin potest verum scribere,

quia non habet fidem integre, quia defendit Iudæos qui sunt hostes fidei, et est contra opiniones doctorum. Et cum hoc est peccator, sicut scribit magister Ioannes Pfefferkorn in suo libro qui dicitur Sturmglock. Sed peccatores non debent aliquid habere agere in scriptura sacra, quia scribitur Psalmo XLIX. : « Peccatori autem dixit deus : "Quare tu enarras iustitias meas, et assumis testamentum meum per os tuum ?"» Quapropter ergo hortor vos, et rogo pectoraliter quatenus velitis audacter defendere vos, quod homines possent laudabiliter dicere de vobis quod defendistis ecclesiam et famam vestram. Nec debetis

250

VOLUME

I, LETTRES

29-30

sez impressionner par personne, méme si le pape voulait vous en empécher!°, parce que l'Église est au-dessus du pape. Et vous devez me considéreticomme excusé comme quoi je vous fais des reproches, parce que je vous aime, et tu sais, Seigneur, que je t'aime!!. Portez-vous bien avec la force du corps et de l'àme.

30 (Un sermon à la mode de Paris)

Jean Dubois-Quicraque, bientót *licenciant, dit des saluts exubérantissimes avec son humble soumission aux ordres du profondissime et néanmoins éclairissimé Maitre Ortwin Gratius, théologien, poéte, et orateur à Cologne, son Seigneur et précepteur respectissimé. Cordialissime et néanmoins profondissime Maitre Ortwin, Moi, Jean Dubois-Quicraque, bientót licenciant en théologie dans la sainte université de Tübingen, j'aimerais bien parler à Votre Dignité. Mais je crains comme quoi c'est une irrévérentialité parce que vous étes si savant, et vous avez une si grande réputation à Cologne, que personne ne peut accéder à Votre Dignité avant de s'étre bien regardé lui-même, car il est écrit : « Mon ami, comment es-tu entré ici sans avoir revêtu tes habits de noces ? »! Mais vous, vous étes humble, et vous savez vous montrer humble, selon ce

que dit l’Écriture : « Celui qui s'humilie sera élevé et celui qui s’élève sera humilié. »? C'est pourquoi je vais abandonner ma timidité et parler hardiment avec Votre Seigneurie, mais tout en gardant néanmoins le respect qui s'impose. L'autre jour, pour la féte de l'ascension du Seigneur, j'ai entendu ici, devant une grande assemblée, un préche d'un certain maitre de Paris. Il avait choisi pour théme : « Dieu s'est élevé avec jubilation. »? Il a fait un bon 10. Dans une lettre du 23 octobre 1514, l'empereur avait demandé au pape d'imposer silence aux théologiens. Les lettres d'interdiction contre Hochstraten furent publiées le 19 janvier 1514 (du calendrier ancien) donc 1515. 11. Citation de la célèbre réplique de l'apótre Pierre à Jésus, aprés la résurrection, pour se justifier de sa trahison, citée par Jean, XXI, 15.

1. Matthieu XXII 12. 2. Matthieu XXIII, 12 et Luc, XIV, 11. 3. Psaume XI VII (Vulgate XLVT), 6.

TOMUS

I, EPIST.

29-30

254

respicere aliquem, etiam si papa vellet prohibere, quia ecclesia est super papam. Et debetis me habere excusatum quod moneo vos, quia vos amo, et tu scis domine quia amo te.

Valete in fortitudine corporis et animz.

30 Profundissimo necnon illuminatissimo magistro Ortvino Gratio theologo, poetz, et oratori in Colonia,

domino ac præceptori suo observandissimo Ioannes Schnarholtzius! mox licentiandus salutes exuberantissimas dicit, cum sui humilima commendatione ad mandata.

Cordialissime necnon profundissime Magister Ortvine, Ego Ioannes Schnarholtzius, mox licentiandus in theologia in alma universitate Tubingensi, vellem libenter loqui cum vestra dignitate. Sed timeo quod est irreverentialitas, quia vos estis ita doctus, et tam

magnz reputationis in Colonia, quod nullus debet ad vestram dignitatem accedere, qui prius non bene prævidit se, quia scriptum est : « Amice, quomodo huc intrasti, non habens vestem nuptialem ? » Sed vos estis humilis, et scitis vos humiliare, secundum quod dicit scriptura : « Qui se humiliat exaltabitur, et qui se exaltat humiliabitur. » Ideo volo deponere pudorem, et cum dominatione vestra audacter loqui, sed tamen cum qua decet reverentia. Ego audivi nuper prædicare hic a quodam magistro de Parrhisia in magna audientia in festo ascensionis domini, quo praemisit tale thema : « Ascendit deus cum iubilatione », et fecit unum bonum ser-

1. De l'allemand schnarren (= ronfler, craquer) et Holz (= bois).

252

VOLUME

I, LETTRE

50

sermon, au point que tous les auditeurs l'ont loué et ils en ont pleuré, tant ils étaient devenus meilleurs gráce à cette prédication. Dans la seconde partie de son commentaire, il a introduit deux conclusions trés magistrales et subtiles :

La première, ç’a été quand le Seigneur s'est élevé en l'air avec les mains levées, et alors, les apótres et la Sainte Vierge se sont levés et ont crié avec tant de jubilation qu'ils se sont enroués, pour que s'accomplisse la prophé-

tie qui dit : « Ils ont crié au point que leurs voix se sont enrouées. » Et il a démontré que cette clameur fut une clameur joyeuse et indispensable dans la religion catholique, comme en témoigne cette parole du Seigneur dans l'Évangile : « Amen, amen, je vous dis que s'ils se taisent, ce sont les pierres qui crieront. »? Ils ont tous crié de bon cœur avec beaucoup de zéle, et surtout saint Pierre qui avait une voix de trombone, comme l'at-

teste David : « Ce pauvre a crié. »? La Sainte Vierge n'a pas crié, mais elle a loué Dieu dans son cœur, parce qu'elle savait bien que toutes ces choses devaient se produire, comme l'ange le lui avait prédit*. Et quand les apótres ont ainsi crié tous ensemble avec jubilation et dévotion, un ange est venu du ciel, qui leur a dit : « Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous ici à crier et à regarder le ciel ? Ce Jésus, qui est monté au ciel, il reviendra de la méme manière que vous l'avez vu. »? Et cela s'est produit pour que s'accomplisse l’Écriture qui dit : « Les justes ont crié et le Seigneur les a entendus. »!? La seconde conclusion a été tirée encore plus magistralement, et voici sous quelle forme :

Le fils de l'homme!! a voulu avoir sa passion, sa sépulture et sa résurrection à Jérusalem, qui est au centre de la terre!?, comme quoi tous les pays soient informés de sa résurrection, et comme quoi aucun paien ne puisse 4. Encore une satire de la manie de l’*exégèse « anagogique » qui veut lire dans chaque mot du Nouveau Testament un accomplissement de ce qui était annoncé par l'Ancien. 5. Citation « arrangée » du psaume LXIX (Vulgate LXVIID, 4, qui dit : « Je m'épuise à crier, mon gosier est brülant. ». 6. Luc, XIX, 40. 7. Psaume XXXIV utu N20:

(Vulgate XXXIID, 7.

9. Actes des apôtres, I, 11. Bôcking rappelle à ce propos la traduction satirique en allemand de ce passage dans le pastiche de quodlibet intitulé Les différents genres d’ivrognes, dans laquelle on lit : «Hommes de Galilée, (salauds de Français), qu'admirez-vous (qu'est-ce que vous vous imaginez) en regardant le ciel ? (est-ce que vous croyez que vous allez nous chassez, nous les Allemands ?). Alleluia, (Que Dieu vous envoie le mal de saint Urbain) pour vous mettre dans le droit chemin (qui va vous faire tous tomber le nez dans la merde). » (éd. Zarncke, p. 152). 10. Psaume XXXIV (Vulgate XXXIID), 18. 11.Terme évangélique désignant Jésus. 12. La représentation de Jérusalem au centre de la terre s'inspire d Ezéchiel V, 5.

WOMUS

monem,

quem

omnes

T; BPIST;.

30

223

laudaverunt audientes, et fleverunt, melio-

rantes se ex illa praedicatione. Ipse in secunda parte suz collationis induxit duas conclusiones valde magistrales et subtiles. Prima fuit quando dominus ascendit in altum cum elevatis manibus, tunc apostoli et beata virgo steterunt et clamaverunt cum tanta iubilatione usque ad raucitatem, ut impleretur prophetia quz dicit : « Clamaverunt et raucæ factz sunt voces eorum. » Et probavit quod iste clamor fuit lætitialis, et necessarius in fide catholica, teste domino

dicente in evangelio : « Amen, amen, dico

Vobis, si isti tacebunt, lapides clamabunt. » Ipsi clamaverunt omnes charitative cum magno zelo. Praecipue tamen beatus Petrus qui habebat unam tubalem vocem, ut testatur David : « Iste pauper clamavit. » Ipsa beata virgo non clamavit, sed deum laudavit in corde suo, quia novit bene quod ista omnia deberent fieri, sicut ei prædixit angelus. Et quando apostoli ita unanimiter cum iubilatione et devotione clamaverunt, venit unus angelus de czlo, et dixit eis : « Viri Galilæi, quid hic statis et clamatis, et aspicitis in celum ? Hic Iesus qui assumptus est in celum, sic veniet quemadmodum vidistis eum. » Et hoc factum est, ut impleretur scriptura quz dicit : « Clamaverunt iusti, et dominus exaudivit eos. » Secunda conclusio extitit magistralior, et talis in sui forma Filius hominis voluit habere suam passionem, sepulturam, rectionem in Hierusalem, quz est in centro terre, quod regiones scirent de eius resurrectione, et quod nullus gentilis

: resuromnes posset

254

VOLUME

I, LETTRES

30-31

prendre prétexte de son hérésie et dire : « J'ignorais que le Seigneur est ressuscité des morts. » Étant donné que donc, ce qui se passe au milieu d'un cercle, tous ceux qui sont autour peuvent le voir, et du coup aucun incroyant n'a plus le moindre petit refuge comme excuse, car ce lieu où le Seigneur est monté au ciel, c'est le milieu et le centre de la terre, et là-bas, il y a une cloche que tout le monde entend, et quand elle sonne, alors, ça fait un son épouvantable de

Jugement dernier et d'Ascension du Seigneur, tellement que quand elle sonne, méme les sourds l'entendent.

Et il a encore déduit de nombreux corollaires de cette conclusion, qu'il avait apprise à Paris. Or, quand il a eu fini son préche, alors un certain maitre d'Erfurt a voulu le contredire, mais il est resté embarrassé. Il faut que vous m'indiquiez les livres ou on traite de ces sujets, car je veux les acheter. Donné à Bâle, chez Beatus Rhenanus, qui est votre ami!?.

31 (Vaut-il mieux combiblipicoler que lire la Bible ? débat théologique) Wilibrord Duhochet de l'ordre des *guilelmites, *chargé de cours en théologie, sous l'autorité du trés révérend général de l'ordre, se recommande avec salutation à Barthélemy Leveau *bachelier formé en théologie de l'ordre des carmes. Autant que la mer a de gouttes, et sainte Cologne de bigotes?, Autant que les peaux d’ânes ont de poils! — tant et plus de saluts je t'envoie.

Vénérable Seigneur carme Leveau, Je sais que vous appartenez à un ordre excellent et que vous avez beau13. Beatus Rhenanus, l'ami trés cher et collaborateur d'Érasme, était l'un des plus brillants humanistes du parti des reuchlinistes. L'idée saugrenue qu'il ait été un ami de Gratius devait encore accroitre la confusion des lecteurs « obscurs » des Lettres. 1. On se souviendra de la remarque d'Érasme sur les salutations stupides dans son Art de

rédiger les lettres. 2. A l'origine, les « bigotes » (« bégardes » ou « béguines ») étaient une confrérie pieuse de femmes laiques, dans la mouvance des lollards anglais (voir note 6, p. 258).



TOMUS

I, EPIST.

30-31

255

se excusare cum sua hzresi et dicere : « Ego nescivi quod dominus resurrexit a mortuis. » Quoniam ergo quod est in medio, omnes videre possunt qui sunt circa medium, et quod nullus incredulus haberet unum parvum refugium excusationis, in illo loco ubi dominus ascendit, est in centro et in medio terræ, ac ibi pendet una campana quam omnis mundus audit, et quando ipsa pulsat, tunc dat horribilem sonum de extremo iudicio, et de ascensione domini. Et quando pulsat, etiam surdi audiunt. Deduxitque multa corollaria ex illa conclusione, quam didicit in

Parrhisia. Sed quando cessavit predicare, tunc quidam magister Erphordia voluit eum reprehendere, sed stetit cum confusione.

de

Vos debetis mihi ostendere libros ubi ista materia habetur, et volo

emere. Datum ex Basilea apud Beatum Rhenanum, qui est vester amicus.

31

Bartholomæo Colpio! baccalaurio theologiæ formato ordinis Carmelitarum

Willibrordus Niceti? ordinis Wilhelmitarum cursor in theologia autoritate reverendissimi generalis in ordine sese commendat cum salute. Quotin mari sunt guttæ, et quot in Colonia sancta beguttæ, Quot pilos habent asinorum cutes, tot et plures tibi mitto salutes.

Venerabilis domine Carmelita Colpe, Ego scio quod estis de optimo ordine, et habetis multas indulgen-

1. De l'allemand Kalb (= veau). 2. De l'allemand #icken (= hocher la tête).

256

VOLUME

I, LETTRE

31

coup d'indulgences du Saint-Siége «à vendre». Et aucun autre ordre ne peut dépasser le vótre dans ce domaine parce que vous avez le droit d'absoudre diverses catégories «de péchés» en confession — naturellement seulement quand les pénitents manifestent du repentir et de la componction, et qu'ils veulent communier. C'est pourquoi je vais soumettre à votre Seigneurie un *sujet de débat théologique, que vous serez bien capable de résoudre, car vous êtes un bon *artien, vous savez bien précher,

vous êtes plein de zèle, et vous étes raisonneur. Et avec ça, j'entends dire que vous avez dans votre couvent une bibliothèque où il y a beaucoup de livres qui traitent de l'Écriture sainte, de philosophie, de logique et de *Pierre d'Espagne, sans parler du Recueil du maítre du pensionnat *Saint-Laurent de Cologne, que dirige actuellement *Not” Maitre de *Tongres, un homme vraiment zélé, érudit en théologie théorique, et éclairé dans la religion chrétienne. Il est vrai qu'il y a un certain docteur en droit? qui lui cherche noise, mais comme il n'est pas formé en technique de débat et qu'il n'a méme pas son diplôme en *Livres des Sentences, les Not’ Maîtres s'en fichent pas mal. Mais surtout, j'entends dire que dans la bibliothèque susdite, où les chargés de cours en théologie ont leur salle d'étude, il y a un livre trés remarquable, attaché par une chaîne en fer“, qu'on appelle les Combiblipicolations. Et méme que ce livre contient les autorités suprémes en théologie, et les premiers principes de l'Écriture sainte, et que c'est un Not’ Maitre de Paris qui vous l'a légué à l'article de la mort, quand il s'est confessé et qu'il a révélé certains secrets dans *Bonaventure et qu'il a interdit que personne ne le lise s'il n'appartient pas à votre ordre, et méme que le pape y a concédé certaines indulgences et des quarantaines?. Et à cóté de ce livre, il y a le *Commentauire sur les livres des Sentences de *Henri de Hassia et celui de Verne et ceux de tous les autres docteurs, qui sont les bases de votre instruction.

Vous les connaissez à fond et vous savez argumenter selon toutes les techniques de controverse, que ce soit celles des *anciens, des *modernes, des *scotistes, des *albertistes, et méme dans celle de la clique du pensionnat de *Kuijk à Cologne, oü ils ont leur recueil spécial.

C'est pourquoi je vous demande du fond du cœur et affectueusement comme quoi vous n'écartiez ma demande, mais me donniez un avis autorisé

3. Il s'agit de Reuchlin, naturellement. 4. Dans les bibliothéques, les livres précieux étaient ainsi enchainés, généralement dans une salle particuliére, contrairement aux livres « courants », éventuellement destinés au prét. 5. Pénitences de quarante jours de jeüne.

TOMUSATS

BPEISITC31

251.

tias a sede apostolica, et quod nullus ordo vestro ordini potest prævalere, quia potestis varios casus absolvere in confessione, quando videlicet confitentes sunt contriti et compuncti, et volunt communicare. Ideo volo a dominatione vestra interrogare unam quæstionem theologicalem, quam vos bene potestis determinare, quia estis unus bonus artista, et scitis bene praedicare, et habetis unum bonum zelum, et estis conscientiosus. Et cum hoc audio, quod habetis unam magnam liberariam in vestro conventu, in qua sunt multi libri in sacra scriptura, in philosophia, et in logica, et in Petro Hispano. Necnon quidam processus magistralis de Colonia de bursa Laurentii, ubi regit actu magister noster Thungarus, vir valde zelosus ac profundus in Theologia speculativa, et illuminatus in fide catholica. Quamvis quidam doctor in iure vult eum vexare ; sed non est formalis in disputando, nec qualificatus in libris sententiarum. Ideo non curant eum magistri nostri. Nec non præcipue audio, quod in prædicta liberaria, ubi cursores in Theologia habent suum studitorium, est ligatus in ferrea catena unus

liber valde notabilis, qui dicitur Combibilationes?, qui etiam

continet autoritates in Theologia, et prima principia sacræ scriptura, quem vobis legavit unus magister noster de Parrhisia in mortis articulo, quando fecit confessionem et revelavit quadam secreta in Bonaventura, et mandavit quod nemo deberet in eo legere qui non esset de vestro ordine, et in hoc papa dedit quasdam indulgentias et carenas. Apud quem librum iacet Henricus de Hassia et Verneus, et omnes alii doctores super libris sententiarum, in quibus omnibus vos estis fundatus, et scitis defendere omnem viam in disputando antiquorum, modernorum, Scotistarum, Albertistarum, et etiam illorum

qui sunt de secta de bursa Kneck in Colonia, ubi habent proprium processum. Ideo rogo vos cordialiter et charitative quod non velitis gravare in mea petitione, sed mihi dare unum bonum consilium in mea quzs-

3. Ce « mot-valise » renvoie à trois significations (au moins) : compilatio (= compilation), Biblia (= Bible) et bibere (= boire).

258

VOLUME

I; EETTRE

51

sur mon sujet de débat selon vos capacités, et de me citer les conclusions des Seigneurs Docteurs, disputativement et conclusivement. Voici donc comment le sujet est formulé : « Est-ce que les lollards? et les bigotes de Cologne sont des personnes séculières ou des *spirituelles ? Est-ce qu'ils doivent prononcer des voeux ? Est-ce qu'ils peuvent prendre femme ou mari ? » J'ai fait des longues recherches dans l'Écriture sainte, dans le * Disciple et dans le *Fascicule des périodes, ainsi que dans les autres livres authentiques’ de l'Écriture sainte, mais je n'ai pas réussi à trouver. Y a aussi un certain prétre de Fulda, qui a beaucoup étudié dans les livres en question. Eh ben ! Lui non plus, il a rien trouvé du tout, ni dans les catalogues, ni dans les textes. Il est de la famille du pasteur de l'endroit, qui est un poète passqu’y cause très bien latin et y compose des textes. Parce que je suis curé en charge d'un monastère, et j'ai beaucoup de relations, et méme des personnes à qui j'ai soumis le sujet.

Notre surintendant a dit clairement qu'il ne peut pas se résoudre à trancher de telles questions, bien qu'il en ait débattu avec beaucoup de docteurs de Paris et de Cologne, parce qu'il a poursuivi les études jusqu'à la licence et que, pour l'examen de sortie, il a su bien répondre sur l'ensemble du programme. Si vous n'arrivez pas à décider sur cette matière, il faut aller interroger maître Ortwin, et c'est lui qui nous apprendra tout. D'ailleurs, s’il s'appelle Gratius, c'est à cause de la gráce divine qu'il a en lui et qui n'ignore rien,. J'ai composé un poéme en alexandrins? sur le livre susdit. Lisez-le et corrigez-le en signalant par un point les endroits où je suis trop long, ou trop court. Tâchez aussi de savoir comment ça plait à maitre Ortwin. Je vais le faire imprimer. Voici comment ça commence : Personne n'est assez cinglé Ni enterré sous une telle présomptuosité Pour vouloir étre éclairé dans la sainte Écriture Et déduire selon les formes des corollaires de Bonaventure S'il n'a pas appris par cœur les Combiblipicolations Que les Not' Maitres résument dans toutes les régions, 6. Le mouvement spirituel des lollards (litt. : «marmonneurs » de priéres) était né au début du xiv? siècle en Allemagne et s'était notamment répandu en Angleterre autour de Wycliff. Ses membres préchaient le retour à l'Écriture et dénonçaient la richesse de P Église ainsi que l’hypocrisie du célibat des religieux. Malgré leur condamnation finale et la féroce répression dont ils furent victimes, leurs idées se diffusèrent largement en Europe où ils furent les avant-courriers de la Réforme. Le sujet du débat était donc d'une actualité brülante. 7. Les livres « authentiques » étaient les livres reconnus comme faisant autorité, donc généralement des commentaires ou des paraphrases de docteurs célèbres, telles que l'Historia scolastica de Pierre le Mangeur. 8. Litt. : un poéme « héroique ».

TOMUS

I, EPIST.

31

259

tione secundum vestrum posse. Et allegare quid domini doctores determinant disputative et conclusive. Est autem quæstio ista talis in sui forma : « Utrum Lolhardi et Beguttæ in Colonia sunt szculares vel spirituales persona. Utrum teneantur facere professionem. Et an possunt accipere mulieres et viros ? » Ego diu studui in sacra scriptura, in Discipulo et in Fasciculo temporum, necnon in aliis libris autenticis sacræ scripturæ, sed non potui invenire. Sicut etiam quidam sacerdos in Fulda, qui multum studuit in dic-

tis libris, sed non invenit in registro vel in libris. Ipse est de genelogia domini pastoris ibidem, qui est poeta, quia scit bene latinisare, dictaminaque componere, quia ego sum plebanus ratione monasterii. Et habeo multos communicantes, et etiam tales personas de quibus iam facio quastionem. Superintendens noster dicit manifeste quod ipse non potest conscientiam suam salvare in descissione talis quæstionis, quamvis habeat disputata multorum doctorum de Parrhisia et Colonia, quia complevit usque ad licentiaturam, et respondit materialiter et formaliter pro completione. S1 vos non potestis determinare illam materiam, debetis interro-

gare magistrum Ortvinum. Ille docebit nos omnia. Nam vocatur Gratius propter gratiam divinam in se quz nihil ignorat. Compilavi unum carmen heroicum de prædicto libro. Vos debetis legere et corrigere, et facere unum punctum ubi sum superfluus vel diminutus. Et audite quomodo placet magistro Ortvino. Ego volo mittere imprimere. Et sic incipit :

Nemo debet esse tam stultus Et in tanta præsumptuositate sepultus, Quod velit fieri illuminatus in sacra scriptura Et formaliter deducere corollaria ex Bonaventura,

Qui non didicit mentetenus combibilationes, Quas magistri nostri resumunt per omnes regiones,

260

VOLUME

I, LETTRES

31-32

Surtout à Paris, qu'est la mére de toutes les universités, Et à Cologne où les Not? Maîtres ont magistralement prouvé L’aut’ jour dans un débat théologique, Grâce à des démonstrations séraphiques? Qu'il vaut mieux connaître les Combiblipicolations Qui traitent de tout par d'irréfragables!? raisons

Qu'apprendre par cœur Jérôme et Augustin!! Qui savent écrire un tant beau latin. Parce que les Combiblipicolations sont des textes excellents Que les Not? Maitres discutent dans tous les couvents. Elles concluent par des *conclusions magistrales Dans les matiéres divines, c'est des notions fondamentales. Elles traitent méme des premiers principes théologicaux Et de beaucoup d'autres qui sont trés magistraux.

32 (Comment embéter et ré-embéter l’humaniste Hermann Busch)

Maitre Gingolphe Ducoupeur-de-bois! dit mille milliers de saluts dans une amitié non feinte? à Monsieur Ortwin Gratius, le Maitre des sciences inénarrables. Très glorieux Maitre, Je vous aime du fond du cœur, et avec un zèle intime, parce que vous

m'avez toujours aimé du fait que vous avez été mon précepteur préféré à *Deventer. Et tout ce qui vous embéte? en conscience, ça m'embéte encore plus, et ce qui m'embéte, je sais que ça vous embéte aussi, et votre embétement a toujours été mon embétement, et personne ne vous a jamais embété qui ne m'ait pas embété plus gravement encore. De fait, mon cœur supporte autant d'embétements qu'il y a eu de gens qui vous ont embété. 9. Démonstrations menées selon les méthodes de *Bonaventure, le « docteur séraphique ». 10. Raisons proposées selon les méthodes d'*Alexandre de Halés, le « docteur irréfragable ». 11. Ces deux saints Péres de l'Eglise étaient moins appréciés par les dominicains que leurs collégues modernes saints Dominique et Thomas d'Aquin. 1. Un Gingolphe figure parmi les trois théologiens grotesques de la *Conférence macaronique, pamphlet anti-scolastique de Hutten publié en 1519. Les deux autres se nomment Léopold (auteur fictif de la lettre I, 37) et... Ortwin Gratius. 2. Citation de II Corinthiens VI, 6. 3. Litt. : « tout ce qui vous aiguillonne ».

TOMUS

I, EPIST.

31-32

261

Præsertim in Parrhisia quz est mater omnium universitatum,

Et in Colonia, ubi nuper magistraliter est probatum Per magistros nostros in theologicali disputatione, In qua determinaverunt omnia seraphica probatione, Quod multo melius est scire istas combibilationes Quz plurima tractant per irrefragabiles rationes, Quam mentetenus scire Hieronymum et Augustinum, Qui tantum sciunt scribere bonum latinum. Quia combibilationes sunt optima materia, Ceu disputant magistri nostri per omnia monasteria. Ipsa concludunt per conclusiones magistrales, Qui sunt in divinis ipsi termini essentiales. Et tractant etiam prima principia theologicalia Et alia multa quz sunt valde magistralia.

da Magistro Ortvino Gratio viro inenarrabilium doctrinarum

Magister Gingolfus Lignipercussoris! mille millium salutes dicit in charitate non ficta. Gloriosissime magister,

Ego amo vos pectoraliter ex intimo zelo, quia vos me semper amavistis ex quo fuistis præceptor meus singularissimus in Daventria. Et quicquid vos stimulat in conscientia vestra, hoc me magis stimulat, et quod me stimulat, scio quod vos etiam stimulat, et vester stimulus

semper fuit etiam stimulus meus, et nemo vos unquam stimulavit, qui me non durius stimulavit, atque cor meum

totiens patitur stimulos,

quotiens aliquis vos stimulat : credatis mihi in bona fide, quando

1. Lignipercussor signifierait littéralement : « casseur de bois ».

262

VOLUME

I, LETTRES

32-33

Croyez-moi de bonne foi, si Hermann *Busch vous a embété dans sa préface*, eh bien moi, il m'a embété encore plus que vous. Alors, j'ai réfléchi comment que je pourrais bien ré-embéter ce cassepieds insupportable, tellement présomptueux qu'il ose embéter les *Not” Maîtres de Paris et de Cologne. Même qu'il n'est méme pas diplômé, quoique ses collégues disent qu'il est *bachelier en droit à Leipzig. Mais je le crois pas, parce qu'il embéte méme les maîtres de Leipzig, c'est-à-dire le Grand Chien et le Petit Chien”, et encore beaucoup d'autres qui peuvent l'embéter lui-méme beaucoup plus qu'il ne les embéte. Mais ils ne veulent embéter personne du fait de leur moralité, et du fait de l'enseignement de l'apótre qui dit : « Ne résistez pas aux embétements. »? Néanmoins, il faut que vous le ré-embétiez, parce que vous êtes fort intelligent et imaginatif et en une heure, vous étes capable de composer beaucoup de vers embétatoires. Vous étes méme capable de l'embéter dans tout ce qu'il fait et qu'il dit. J'ai composé un texte contre lui dans lequel je l'embéte magistralement et poétiquement. Il n'échappera pas à mon embétement et s'il veut me réembéter, alors, je vais à nouveau l'embéter encore plus fort. Donné vite fait à Strasbourg chez Matthias *Schürer.

33 (Comment soigner la maladie d'amour ?)

*Alamammelle Manteau d’Arlequin maitre dans les sept *arts dit un salut cordialissime à Maitre Ortwin Gratius philosophe, orateur, poéte, juriste, théologien, et ainsi de suite. Très raisonneur Seigneur Maitre Ortwin, Croyez-moi fermement comme quoi vous étes mon

cceur, du fait que

4. Busch avait rédigé une préface au * Triomphe de Capnion de Hutten, qui ne fut pas publiée, mais qui circula parmi les humanistes. 5. Il y avait à Leipzig un professeur de théologie nommé Magnus Hundt (litt. : « Chien »), originaire de Magdebourg. Bócking pense qu'il avait peut-être un fils, professeur lui aussi, d’où le « Petit Chien ». 6. Citation très approximative des Actes des apôtres XXVI, 14 relatant la conversion de Paul sur le chemin de Damas. La voix céleste dit littéralement à Saül : « Il est dur pour toi de résister à l'aiguillon [= à l'embétement]. »

TOMUS

I, EPIST.

32-33

263

Hermannus Buschius stimulavit vos in suo proemio, amplius me stimulavit quam vos, et cogitavi quomodo possum istum indiscretum rixatorem restimulare, qui etiam tam præsumptuosæ superbiæ est quod audet stimulare magistros nostros de Parrhisia et Colonia. Et ipse tamen non est promotus, quamvis socii eius dicunt quod ipse est promotus in baccalaurium iuris in Lypsi. Sed ego non credo, quia etiam stimulat magistros in Lypsi, videlicet magnum Canem et minorem Canem, et alios multos, qui eum possunt multo melius stimulare quam ipse illos stimulat. Verum ipsi neminem volunt stimulare propter suam moralitatem, et propter doctrinam apostoli dicentis : « Nolite calcitrare contra stimulos. » Verumenimvero vos debetis eum restimulare, quia habetis unum bonum ingenium et estis inventivus, et scitis in una hora multa metra

facere stimulativa. Scitis etiam eum stimulare in omnibus suis factis et dictis. Ego compilavi unum dictamen contra eum, ipsumque magistraliter, poeticeque stimulo. Non potest evadere stimulum meum. Si vult restimulare, tunc volo iterum fortius stimulare. Datum raptim ex Argentina apud Mathiam Schurerium.

33 Mammotrectus Buntemantellus! in septem artibus Magister, Magistro Ortvino Gratio philosopho, oratori, poetæ, iuristæ, theologo et sic sine statu salutem dicit cordialissimam.

Conscientiosissime Domine Magister Ortvine, Credatis mihi firmiter quod vos estis cor meum,

1. De l’allemand bunt (= bariolé) et Mantel (= manteau)

ex quo audivi

264

VOLUME

I, LETTRE

35

j'ai entendu dire beaucoup de choses au sujet de votre dignité en *poésie à Cologne, où vous dépassez tout le monde dans cette matière, et que vous êtes un bien meilleur *poéte que *Busch ou *Cæsarius et que vous êtes méme capable d'enseigner Pline et la grammaire grecque. Comme j'ai confiance en vous, je vais révéler quelque chose à votre révérence, sous le secret de la confession : Vénérable Seigneur Maitre, j'aime une fille d'ici, et c'est la fille du sonneur de cloches. Son nom, c'est Marguerite. L'autre jour, elle était assise à cóté de vous, je veux dire le jour où notre curé vous a invité à une réception et vous a reçu avec tous les honneurs. On a bien bu et on était d'humeur joyeuse, et elle a méme bu un coup à votre santé. Je l'aime d'un si grand amour que je ne suis plus moiméme. Croyez-moi fermement comme quoi j'ai perdu l'appétit et le sommeil à cause d'elle. Et les gens me disent : « Seigneur Maitre, pourquoi étes-vous si pále ? Pour l'amour de Dieu, laissez vos livres !Vous étudiez trop ! Il faut que vous preniez un peu de repos et que vous fassiez la féte !Vous étes encore jeune et vous pourriez bien réussir jusqu'au doctorat et devenir un *Not' Maitre. Vous étes méme si érudit et si bon étudiant que vous valez déjà presque un docteur ! » Mais je suis timide et je ne peux pas leur avouer mon mal. Alors je lis les Remèdes de l'amour d' Ovide, que j'ai commentés à Cologne sur les indications de Votre Dignité, avec des tas de notes et de réflexions morales dans les marges!. Mais ça ne m'aide pas, car cet amour augmente chaque jour. L'autre Jour, j'ai dansé trois danses avec elle à la soirée chez le bailli. Et voilà que le flûtiste s'est mis à jouer la chanson du Berger de Neuville. Alors tous les danseurs ont pris leur cavaliére dans leurs bras, selon la coutume. Et moi aussi, j'ai serré la mienne trés amoureusement contre moi, en appuyant ses seins contre ma poitrine. Et puis je lui ai pressé la main fortement. Alors, elle s'est mise a rire et elle m'a dit : « Sur mon âme, Seigneur

Maitre, vous étes un homme délicieux et vous avez les mains plus douces que les autres. Ne vous faites pas prétre et prenez plutót une femme ! » Et elle m'a jeté un regard délicieux comme quoi je crois méme qu'elle m'aime en secret. Pour dire vrai, ses yeux ont blessé mon percé.

cœur comme

si une flèche l'avait

Et puis, je suis rentré à la maison avec mon serviteur et je me suis mis au lit. Alors, ma mère s'est mise à pleurer parce qu'elle avait peur que j’aie la peste et elle a couru avec mon urine chez le docteur *Brunellus en criant : « Seigneur docteur ! Je vous supplie au nom de Dieu ! Secourez mon fils et je vous donnerai en cadeau une belle chemise, parce que j'ai fait le vœu qu'il devienne prêtre ! » 1. Sur le modéle de l'Ovide moralisé de *Thomas le Gallois (cf. lettre I, 28). 2. Der Scháfer von Neustadt.

TOMUS";

EPIST;/33

265

multa a dignitate vestra in poesi in Colonia, in qua vos excellitis omnes in illa arte, et estis multo melior poeta quam Buschius vel Cæsarius et scitis etiam Plinium legere et grammaticam græcam. Ex illa confidentia volo reverentiz vestre quaedam manifestare sub fide confessionis. Venerabilis domine magister, ego amo hic unam virginem, filiam campanatoris, Margaretam cum nomine, quz sedit nuper in latere vestro, videlicet quando plebanus noster dominationem vestram invitavit ad convivalitatem et tractavit vos reverentialiter, quando bibimus et fuimus lætæ mentis, quando illa etiam propinavit vobis bonos haustus : ego amo eam in tanto amore quod non sum mecum : credatis mihi firmiter quod neque comedo neque dormio prz ea. Et homines dicunt ad me : « Domine magister, quare ita pallescatis ? amore dei relinquite libros vestros, vos nimium studetis : debetis aliquando solatium quærere et zechare, vos estis adhuc unus iuvenis vir, bene potestis adhuc proficere ad doctoratum et fieri magister noster ; estis etiam fundamentalis et bonus scholaris et iam quasi valetis unum doctorem. » Sed ego sum timidus et non possum dicere meam infirmitatem. Ego lego Ovidium de remedio amoris quem Coloniz glosavi a vestra dignitate cum multis notabilibus et moralitatibus in margine : verum non iuvat, quia iste amor quotidie fit maior. Nuper chorisavi cum ea ter in chorea serotinali in domo sculteti, tunc fistulator fistulavit cantilenam de pastore de nova civitate, et statim omnes chorisatores amplexabantur suas virgines sicut mos est. Et ego etiam meam valde amicabiliter compressi ad pectus meum cum suis mamillis. Nec non tetigi fortiter manus eius. Tunc ipsa risit et dixit : « In anima mea, domine magister, vos estis delectabilis vir, et habetis molliores manus quam alii. Non debetis sacerdos fieri, sed uxorem accipere. » Et inspexit me delectabiliter, quod ego credo quod me etiam occulte amat. Verum oculi eius cor meum sic læserunt sicut una sagitta pertransisset. Et etiam ivi ad domum cum famulo meo, et posui me ad lectum. Tunc mater mea flevit, quia timuit quod haberem pestilentiam, ac cucurrit cum urina mea ad doctorem Brunellum clamans : « Domine doctor, rogo vos propter deum, iuvate filium meum, volo vobis dare ad propinam unam bonam camisiam, quia promisi quod debet sacerdos fieri. »

266

VOLUME

EL EETTRE

5

Alors le médecin a regardé l'urine et il a dit : — Ce malade est pour une part bilieux et pour l'autre flegmatique. Il y a à craindre une grosse tumeur autour des reins à cause des gaz et des maux de ventre dus à une mauvaise digestion. Il lui faut un traitement laxatif, à savoir une herbe qui s'appelle « gyné? ». Elle pousse dans des endroits humides et elle sent fort, comme l'enseigne l’*Herbier. Vous devrez prendre ses parties inférieures et les broyer. Avec le jus, vous ferez un large emplátre que vous appliquerez sur tout son ventre pendant une heure. Il faudra qu'il reste couché sur le ventre pendant une bonne heure en suant beaucoup. Et c'est comme cela qu'assurément ces maux de ventre disparaitront ainsi que les gaz. En effet, c'est la médecine la plus efficace pour cette maladie, comme cela a été démontré pour de nombreux patients. Mais auparavant, il serait certainement judicieux qu'il prenne une purge de crottes de chien? macérées dans quatre drachmes? de jus de raifort. Et aprés, il ira bien. » Quand ma mère est revenue, elle m'a forcé à avaler cette purge. Pendant la nuit, j'ai été cinq fois à la selle en quantité considérable. Du coup, je n'ai pas fermé l'aeil de la nuit et je n'ai fait que penser à comment que je l'avais serrée contre moi en dansant et que j'avais pressé ses seins contre ma poitrine, et comment qu'elle m'avait regardé. Je vous supplie, au nom de toute la bonté que vous avez en vous, que vous vouliez m'indiquer une recette pour un philtre d'amour extraite de votre petit livre [de magie], où il est noté : « C'est testé ». Un jour, vous me l'avez montré et vous m'avez dit : « Regardez ! Avec ce livre, je peux me faire aimer par n'importe quelle femme ! » Si vous ne le faites pas, Seigneur Maitre, j'en mourrai, et ma mère aussi en mourra de chagrin. De Heidelberg.

3. « La femme » en grec (dans la prononciation moderne iottacisante). On remarquera que la médecine se réclamait de la tradition grecque — tout au moins de ses termes. 4. Jusqu'au xvir' siècle, on fabriquait des pilules à base de crottes de chien séchées (riches en phosphore), considérées comme un fortifiant efficace.

5. La drachme était (outre une monnaie grecque antique) une trés petite unité de poids, équivalente à quelques grammes.

TOMUS

I, EPIST.

33

267

Tunc medicus vidit urinam, et dixit : « Ille patiens pro parte est cholericus et pro parte flegmaticus, ipse habet timere de magno tumore circa renes propter inflationes ac tormenta ventricalia ex mala digestione. Debet sumere medicinam extractivam. Est una herba que videlicet dicitur gyni, nascens in locis humidis, habens gravem odo-

rem, sicut docet Herbarius. Illius herbz partes inferiores debetis conterere, et cum suo succo facere unum longum emplastrum, et ei ponere ad totum ventrem suum hora consueta, et debet iacere super ventrem suum bene ad unam horam multum sudando. Sic sine dubio cessabunt illa tormenta ventricalia cum suis inflationibus, quia non est alia medicina tam efficax ad istam infirmitatem sicut illa, ut est

probatum in multis patientibus. Verum certe bonum est ut ipse prius accipiat unam purgationem de albo graeco? cum succo raphani ana drachmas.1iiij. et bene erit. » 'Tunc mater venit et dedit mihi talem purgationem contra voluntatem meam. Et habui in illa nocte quinque sedes magnas atque nihil dormivi, semperque cogitavi quomodo illam in chorea compressi cum suis mamillis ad pectus meus, ac quomodo illa me aspexit. Precor vos propter omnem bonitatem quam in vobis habetis, quod velitis mihi dare unum experimentum de amore ex vestro parvo libro,

in quo stat scriptum « probatum est », quem mihi semel ostendistis et dixistis : « Ecce ex illo libro possum facere quod omnis mulier me amat.

»

Et nisi faciatis, domine magister, tunc ego moriar, et mater mea pra dolore etiam morietur. Ex Heydelbergo.

2. Le terme albus græcus (= crotte de chien) est attesté dans la pharmacie médiévale haute allemande (cf. Streckenbach, « Paulus Niavis... », 1972, note 26).

268

VOLUME

I, LETTRE

34

34 (Réponse au précédent : il faut échapper aux femmes /)

Maître Ortwin Gratius salue Maître *Alamammelle ami profondissime, de première classe en amitiés. Du fait que l'Écriture dit : « Le Seigneur aime ceux qui s’avancent dans la simplicité. »! Je loue donc Votre Seigneurie, subtilissime Seigneur Maitre, que vous m'avez écrit avec tant de simplicité le concept de votre esprit”, et néanmoins avec éloquence, car vous étes bien stylé comme latinisateur. Je vais donc vous répondre avec simplicité, rhétoriquement et non pas poétiquement.

Aimablissime Seigneur Maitre, Vous me faites part de votre amour. Mais je m'étonne que vous ne soyez pas plus prudent comme quoi vous voulez aimer les filles. Je vous dis que vous avez tort et que cette disposition pécheresse pourrait vous conduire en Enfer. Je pensais que vous étiez discret et que vous ne vous occupiez pas de ces futilités qui finissent toujours mal. Mais je vais quand méme vous donner le conseil que vous m'avez demandé : Du fait que l'Écriture dit : « Qui demande reçoit. » Premiérement, abandonnez vos réveries vaines au sujet de votre Marguerite. C'est le Diable qui vous les envoie, lui qui est le pére de tout péché, témoin *Richard, au chapitre IV de Sur“. Chaque fois que vous penserez à elle, faites un signe de croix devant vous et dites un Pater noster en y ajoutant ce vers du livre des psaumes : « Que le Diable se tienne à sa droite ! » Enfin, mangez toujours du sel béni le dimanche et aspergez-vous d'eau sainte, consacrée par le [curé] permanent de Saint-Robert. C'est ainsi que vous pourrez échapper au Diable qui vous a provoqué ce grand amour pour votre Marguerite. D'ailleurs, elle n'est pas aussi belle que vous le pensez. Elle a une verrue au milieu du front, des grosses jambes

1. Proverbes II, 7.

2. Il s'agit, dans le vocabulaire scolastique, de ce que l'esprit a concu. Ce terme éminemment philosophique convient particuliérement bien aux pensées de l'homme obscur. 3. Jean XVI, 24. : « Demandez et vous recevrez. » 4. Le titre complet de l'ouvrage est : Sur les Évangiles et les Építres de Paul (Super Evangelia et epistolas Pauli). 5. Psaume CIX (Vulgate CVIID, 6.

TOMUS

I, EPIST. 34

269

34 Magister Ortvinus Gratius Magistro Mammotrecto profundissimo amico in primo gradu amicitiarum salutem dicit. Ex quo dicit scriptura : « Amat dominus gradientes simpliciter », ideo laudo dominationem vestram, subtilissime domine magister, quod scribitis mihi tam simpliciter conceptum mentis vestræ, oratorie tamen, sicut estis bene stilatus in latinisando. Ego volo vobis etiam

simpliciter scribere rhetoricaliter, et non poeticaliter. Domine magister amicabilissime, Vos manifestatis mihi de amore vestro. Ego miror quod non estis prudentior, quam quod vultis amare virgines. Dico vobis quod male facitis, et habetis propositum peccaminosum, quod vos posset ducere ad infernum. Ego cogitavi quod estis discretus et non curatis istas levitates, que semper habent malum exitum. Ast dabo vobis consilium meum quod petitis. Ex quo dicit scriptura : « Qui petit, accipit. » Debetis primo relinquere illas vanas cogitationes de vestra Margareta, quas diabolus vobis suggerit, qui est pater omnis peccati, teste Richardo super.IIII. Et quandocunque de ea cogitatis, facite crucem ante vos, nec non orate unum Pater noster cum illo versu in psalterio : « Stet diabolus a dextris eius. » Etiam semper comedite sal benedictum in die dominico, et spar-

gite vos cum aqua sancta quod consecravit stationarius sancti Ruperti. Et sic potestis effugere illum diabolum qui vobis suggerit illum magnum amorem de vestra Margaretha, quz non est ita pulchra ut putatis. Ipsa habet unam verrucam in fronte, ac magna rubeaque

270

VOLUME

I, LETTRE

34

rouges et des grandes mains noires. Elle sent mauvais de la bouche parce qu’elle a des dents gâtées. Et surtout, elle a le cul serré, comme dit le proverbe commun : « Marguerite, piège à bites. » Mais cet amour diabolique vous rend aveugle au point de ne pas voir ses défauts. Elle boit et mange beaucoup et, l’autre jour, quand elle était assise à table à côté de moi, elle a même pété deux fois et elle a dit que c'était sa chaise qui grinçait. Moi, j'en avais une à Cologne, plus jolie que votre Marguerite, et je l'ai quand méme plaquée. Aprés qu'elle ait pris un mari, elle m'a souvent fait appeler par une vieille maquerelle, quand son mari était absent. Mais je n'y suis jamais allé, sauf une fois où j'étais bourré. Je vous exhorte à jeüner deux fois le samedi’ et à vous confesser ensuite à un *Not' Maître de l'ordre des précheurs, qui pourra bien vous guider moralement. Et aprés vous être confessé, vous prierez saint Christophe de vous porter sur ses épaules?, pour ne pas récidiver et ne pas vous noyer dans /a mer immense et vaste qui abrite des reptiles en nombre infin??, c’est-à-dire les innom-

brables péchés, comme l'explique le Compicolateur!?. Ensuite, vous prierez pour ne pas succomber à la tentation. Levez-vous aussi tót le matin, lavez-vous les mains, peignez-vous et ne soyez pas paresseux. Car l'Écriture dit : «Mon Dieu, mon Dieu, je veille vers

toi dés l'aube. »!! Évitez aussi les maisons closes. Nous autres savons que les lieux et les temps incitent souvent les hommes au péché et particuliérement à la luxure. Maintenant, puisque vous voulez que je vous communique une recette éprouvée de philtre d'amour, sachez que ma conscience m'interdit de le faire. Quand je vous ai commenté ici l'Art d'aimer d'Ovide, je vous ai dit que personne ne doit se faire aimer des femmes en utilisant la magie noire. Celui qui le ferait quand méme serait excommunié de facto, et les « exquisiteurs de la perversité hérétique »!? pourraient le citer à comparaitre et méme le condamner au bücher. Je vous ai méme donné un exemple que vous feriez bien de noter, et le voici : un bachelier de Leipzig aimait une fille nommée Catherine Pistoris??. 6. Littéralement, ce « proverbe » signifie : « La technique de Marguerite est un piége merveilleux. » Mais il faut tenir compte d'un « jeu de mot intraduisible » du fait de l'assonance entre le latin Ars (la technique) et l'allemand Arsch (le cul) et de la rime interne entre Margarethe et rete. 7. Comme le pharisien de Luc, XVIII, 12. 8. La Légende dorée racontait que le bon géant Christophe exerçait le métier de passeur et qu'il portait les voyageurs sur ses épaules pour leur faire traverser le fleuve. 9. Citation du psaume CIV (Vulgate CIID, 25. 10. Voir supra la lettre I, 31.

11. Citation du psaume LXIII (Vulgate LXID, 2. 12. Parodie du titre porté par les « Inquisiteurs de la perversité des hérétiques ». 15. Peut-étre s'agit-il de la fille du médecin Simon Pistoris, de Leipzig, à qui Hermann Busch avait dédié un poéme.

TOMUS

I, EPIST.

34

241

crura, grossa nigrasque manus, sibique olet os suum propter malos dentes. Necnon etiam habet spissum culum secundum commune proverbium : «Ars Margarethz est mirabile rete. » Sed vos estis caecus ex illo diabolico amore quod non videtis eius vitia. Ipsa multum bibit et comedit, ac bis nuper/bombisavit quando sedit apud me in mensa,

et dixit quod fecit cum scamno.

Ego habui in Colonia pulchriorem vestra Margaretha, et tamen dereliqui eam. Postquam accepit virum, sæpe vocavit me per unam antiquam vetulam, quando vir eius fuit absens. Sed non veni prater semel. Sed tunc fui ebrius. Ego hortor quod bis ieiunatis in sabbato, et postea faciatis vestram confessionem uni magistro nostro ordinis praedicatorum, qui posset vos bene instituere. Et quando fecistis confessionem, tunc debetis orare de sancto Christoforo quod velit vos portare in humeris suis, ne iterum recidivetis ac mergatis vos in mare amplum et spaciosum, in quo sunt reptilia quorum non est numerus, id est peccata infinita, sicut exponit Combibilator. Ac postea orate ne cadetis in tentationem. Surgite etiam mane, lavate manus vestras, ornate crines, et nolite esse accidiosus. Scriptura enim dicit : « Deus, deus meus, ad te de luce

vigilo. » Etiam vitate loca secreta. Nos scimus quod loca et tempora sepe inducunt homines ad peccandum, et maxime ad luxuriandum.

Verum quod vultis a me habere unum experimentum probatum de amore, sciatis quod ego non possum salvare conscientiam meam. Quando glosavi vobis hic Ovidium de arte amandi, dixi vobis quod nemo deberet facere per artem nigromantiam quod mulieres se amant. Et quicunque contraiverit, ipse esset excommunicatus de facto, et exquisitores hæreticæ pravitatis possunt eum citare, atque ad ignem damnare. Ego dixi vobis etiam unum exemplum, quod debetis notare, videlicet hoc : Unus baccalaurius Lypsensis amavit unam virginem

212

VOLUME

I, LETTRE

34

Il lui envoya une pomme ensorcelée. Elle la prit et la posa sur sa poitrine entre ses seins. Aussitót, elle tomba folle amoureuse de ce bachelier, à tel point que lorsqu'elle était à l'église, elle passait son temps à le regarder. Quand il fallait prier « Notre Pére, qui étes aux cieux », elle priait : « Bachelier, où es-tu ? » Même à la maison, quand son père ou sa mère l'appelait, elle répondait : « Qu'est-ce que tu veux, bachelier ? » Eux, ils n'y comprenaient rien, jusqu'au jour où un certain Not’ Maitre est passé devant sa maison et a salué la fille en disant : — Dame Catherine, bonsoir. Portez-vous bien !Vous avez un joli peigne dans les cheveux ! Et la fille Catherine a répondu : — Grâce à Dieu, cher bachelier, voulez-vous boire un coup d’excellente

biére avec moi ? Et elle lui a tendu un bock. Alors, le maître s'est mis en colère et il est allé la dénoncer à sa mère en disant : — Madame Pistoris, il faut que vous corrigiez votre fille ! Elle est vraiment insolente ! Elle a diffamé notre université en me nommant bachelier

alors que je suis un Not? Maitre ! En vérité!^, je vous le dis : elle a commis un péché mortel? en me privant de mon rang. C'est un péché qui ne peut étre absous tant qu'elle ne me l'aura pas rendu ! De plus, elle a appelé bacheliers d'autres Not? Maitres ! À mon avis, elle est amoureuse d'un bachelier. Faites attention à elle ! Alors, sa mère a pris un bâton et lui en a donné une telle dérouillée sur la téte et le dos qu'elle en a pissé sur elle. Puis elle l'a enfermée dans sa chambre pour six mois, au pain sec et à l'eau. Pendant ce temps-là, le bachelier s'est avancé dans les études et il a célébré sa premiére messe. Aprés quoi il a été nommé curé d'une paroisse à Pardau, en Saxe. Quand elle l'a appris, elle a sauté du haut de la fenétre et a manqué se casser le bras droit. Puis elle s'est enfuie en Saxe rejoindre ce bachelier, avec lequel elle vit encore aujourd'hui, et elle a quatre enfants avec lui. Vous comprendrez aisément que c'est un scandale dans l'Église. Donc, gardez-vous de la pratique de la magie noire, qui est la cause de bien des maux. Utilisez plutôt les remèdes à base de gyné que le docteur *Brunellus vous a prescrits. C'est une bonne médecine. Je l'ai souvent utilisée contre les maux de ventre. Portez-vous bien, ainsi que votre mére. De Cologne, dans la maison du Seigneur Jean *Pfefferkorn.

14. Litt. : «Amen, Amen ! Je vous le dis ! »

15. Péché particulièrement grave qui vaut l’Enfer si l'on n'est pas absous au préalable par un évéque.

TOMUS

I, EPIST.

34

273

Catarinam Pistoris, et iactavit ipsam cum pomo nigromantico, et ipsa pomum accepit et posuit ad pectus suum inter mamillas. Et statim incepit istum baccalaurium furialiter amare, sic quod quando fuit in ecclesia, semper inspexit istum baccalaurium. Et quando debuit orare « Pater noster qui es in cælis », oravit « Baccalaurie ubi es ? » Etiam in domo quando pater vel mater clamavit sibi, respondit : « Baccalaurie, quid vultis ? » Et ipsi non intellexerunt, donec quidam magister noster prætergrediens domum eius salutavit istam virginem dicens : « Domina Catarina, bonum sero. Proficiat vobis, vos habetis unum pulchrum crinale. » Et respondit illa virgo Catarina : « Deo gratias, bone baccalaurie, vultis mecum bibere de optima cerevisia ? » porrigens sibi cantharum. Verum ille magister noster fuit iratus, et accusavit ipsam apud matrem suam sic : « Domina Pistorissa, corrigete filiam vestram : ipsa est valde indiscreta. Scandalizavit nostram universitatem. Nam vocavit me baccalaurium, et sum magister noster. Amen, amen, dico vobis quod perpetravit peccatum mortale. Abstulit mihi honorem meum, et peccatum non dimittitur, nisi ablatum restituatur. Alios magistros nostros nominavit etiam baccalaurios. Ego credo quod amat unum baccalaurium. Habete advertentiam. » Tunc mater eius accepit unum lignum percutiens ipsam ad caput et dorsum suum quod perminxit sese, inclusitque ipsam in cubile per dimidium annum, et dedit ei panem et aquam comedere. Interea temporis baccalaurius processit, et celebravit primitias, posteaque rexit unam parrochiam in Saxonia Padorauw. Quod cum ipsa audivit, saltavit ex alta fenestra, et fregit quasi dextrum brachium, et fugit in Saxoniam ad istum baccalaurium, cum quo adhuc est hodierna die, et habet cum eo quatuor pueros. Vos vero bene scitis quod hoc est scandalum in ecclesia. Ergo igitur debetis cavere ab illa arte nigromantica, ex qua veniunt multa mala. Verum potestis bene uti medicina quam vobis dominus doctor Brunellus docuit de gyni. Est bona medicina. Ego probavi eam sæpe contra tormenta ventricalia. Valete cum matre vestra.

Ex Colonia e domo domini Ioannis Pfefferkorn.

274

VOLUME

I, LETTRE

55

35 (Les hellénistes anglais : Linacre, Grocyn et Croke)

Délirant Lebouif, théologien de l'ordre des «fréres» précheurs, salue Guillaume Páré!, qui est le théologissime des théologiens

Vous m'avez écrit de Londres en Angleterre une longue lettre en beau latin, dans laquelle vous me demandiez de vous écrire une nouvelle, bonne ou mauvaise, parce que vous étes par nature curieux de connaitre les nou-

velles. C'est le propre de tous ceux qui sont de complexion sanguine. Ils aiment beaucoup écouter des chansons et ils sont joyeux à table. J'ai été trés content de recevoir votre lettre, autant que celui qui trouve une pierre précieuse. Alors, je l'ai montrée à mes maitres Jean *Grocyn et *Linacre et je leur ai dit : — Regardez, Messeigneurs, regardez ! Est-ce que ce *Not' Maitre ne connait pas les formes du style latin, de la composition des textes et de l'art épistolaire ? Et ils ont juré qu'ils seraient incapables de composer des lettres dans un tel style latin, bien qu'ils soient *poétes grecs et latins. Et ils vous ont placé au-dessus de tous ceux qui sont en Angleterre, en France et en Allemagne, et dans tous les pays qui se trouvent sous le ciel?. C'est pour cela qu'il ne serait pas étonnant que vous soyez général de votre ordre et que le roi de France vous chérisse. Vous n'avez pas votre égal pour latiniser, débattre et précher. Et puis vous savez trés bien conseiller le roi et la reine en les confessant. Et ces deux poétes ont méme fait votre éloge parce que vous avez la technique de la rhétorique. Mais voilà qu'un jeune collégue, nommé Richard *Croke, est arrivé ici et il s'est mis à vous dénigrer, parce que vous n'écrivez pas selon les régles de la technique de la rhétorique. Mais quand je lui ai demandé de le prouver, il s'est trouvé trés embarrassé. Il réside actuellement à Leipzig où il enseigne la Logique de *Pierre d'Espagne. Je pense qu’après cela, il sera plus prudent. 1. Un théologien du nom de Hackinetus est mis en scène dans le libelle *Contre le sentiment parisien, publié anonymement en 1514. Dans cette parodie de la condamnation de Reuchlin par la Sorbonne, ce personnage désigne sans équivoque le dominicain Guillaume *Petit, confesseur de Louis XII et chef du parti anti-reuchliniste, largement majoritaire à Paris. Les détails de la présente lettre confirment également cette attribution. La méchante assonance française entre « páté » et « Petit » pourrait d'ailleurs expliquer ce calembour. 2. Citation des Actes des apôtres II, 5.

TOMUS

I, EPIST. 35

275

55 Lyra! Buntschuchmacherius? ordinis prædicatorum theologus

Guillermo Hackineto? qui est theologorum theologissimus salutem dicit. Vos scripsistis mihi ex Anglia de Londino unam longam litteram pulchre latinisatam, in qua petivistis quod deberem vobis scribere unam novitatem sive bonam, sive malam, quia estis naturaliter incli-

natus ad audiendum nova. Sicut faciunt omnes qui sunt de complexione sanguinea, et audiunt libenter cantilenas musicales, ac in mensa sunt lætæ mentis. Ego fui valde lætatus, quando accepi vestram litteram, sicut qui invenit unam preciosam margaritam, et ostendi eam dominis meis Ioanni Grocino et Linacro dicens : « Videte, domini mei, videte, nonne iste magister noster est formalis in latinisando et componendo dictamina, et arte epistolandi ? » Et iuraverunt quod non possunt similes epistolas componere in arte latinitatis, quamvis sunt poetæ, græci, et latini. Et extulerunt vos super omnes qui sunt in Anglia, Francia, Germania, et omni natione quz sub czlo est. Ideo non esset mirum quod vos estis generalis in vestro ordine, et quod rex in Gallia diligit vos. Non enim habetis similem in latinisando, disputando, et praedicando. Ac scitis regem cum regina optime informare in confessione. Etiam isti duo poetæ laudaverunt vos quod habetis artem rhetoricalem. Verum fuit ibi unus iuvenis socius, qui intitulavit se Richardum Crocum. Ille praesumpsit contra vos, quod non scribatis secundum regulas artis rhetoricalis. Verum fuit valde confusus quando debuit probare. Ipse nunc stat in Lypsi et discit logicam Petri Hispani. Credo quod postea erit cautior.

1. Le *Dictionnaire Étant-donné-que explique lirus par stultus (= fou), en raison de l'homonymie Zirare/delirare. 2. Le Bundschuh était le gros soulier à lacets typique des paysans rhénans. Il avait été adopté comme signe de ralliement des fameuses ligues de paysans d'Alsace et duWurtemberg au cours des révoltes des années 1493 et 1502. Le fabricant de souliers (Bundschuhmacher) est donc l'équivalent du « bouif » de nos campagnes. 3. De l'allemand /ge]hackt (= haché).

246

VOLUME

I, LETTRE

35

Mais j'en viens aux nouvelles. Les Suisses et les lansquenets se sont fait une grande guerre. Ils se sont entretués par milliers?, et il est à craindre qu'aucun d'entre eux n'aille au ciel, parce qu'ils font ça pour de l'argent, et aussi parce qu'il est défendu à un chrétien d'en tuer un autre. Mais vous ne vous souciez pas de cela : ce sont des gens de peu et qui se battent par plaisir. L'autre nouvelle est moins bonne, et Dieu fasse qu'elle soit fausse ! On m'écrit de Rome que les *Besicles de Jean Reuchlin viennent d'étre traduits de sa langue maternelle en latin*, sur ordre de notre Seigneur le pape, et qu'il y a plus de deux cents passages où le texte signifie autre chose que ce qu'ont traduit les Not? Maîtres et le Seigneur Jean *Pfefferkorn à Cologne. On assure aussi qu'à Rome, on le lit en public et on l'imprime avec le Talmud des juifs?. Et on en conclut que les Not? Maitres sont des faussaires et des bandits, parce qu'ils ont mal traduit, et méme que ce sont des ànes qui ne comprennent ni le latin ni l'allemand. Et aussi que, comme ils ont fait brüler ce livre devant l'église Saint-André de Cologne, il faut qu'ils brülent aussi leur Conclusion? ainsi que le Sentiment’ de Paris, sans quoi, c'est eux qui vont se retrouver hérétiques. J'en ai un tel chagrin que je pleure des larmes de sang. Si l'on entend dire des choses pareilles, qui voudra maintenant continuer à étudier la théologie ? Qui rendra aux Not' Maitres les honneurs qui leur sont dus ? Ils croient tous que le docteur Reuchlin est plus expert que les Not? Maîtres, et c'est une choses impossible ! Et avec ça, on m'écrit aussi que dans trois mois sera promulguée la sentence finale contre les Not’ Maîtres ! Et aussi que le pape va ordonner, sous peine de blàme public, que les fréres précheurs portent dorénavant une paire de lunettes ou de besicles blancs dans le dos de leur *chape noire?, en souvenir perpétuel du scandale qu'ils ont causé par leur injustice contre les Besicles du docteur Jean Reuchlin. Et on dit qu'ils ont déjà causé un autre scandale en empoisonnant un certain empereur au cours d'une messe?. J'espére que le pape ne sera pas assez fou pour le faire. Et s'il le fait, nous lirons contre lui, dans tous les établissements de notre ordre, ce psaume

:

« Dieu... ma louange. »!? 3. La bataille de Marignan avait été une véritable boucherie qui avait fait 30 000 morts (18 000 chez les Suisses, 12 000 dans le camp des lansquenets et des Français). 4. Par *Martin de Groningue, cf. les lettres I, 12 et II, 10.

5. Léon X, grand ami des Lettres, venait d'autoriser l'édition du Talmud en hébreu par Bomberg à Venise. 6. Sententia contra Speculum oculare... aux termes de laquelle ils avaient condamné Reuchlin le 10 février 1514.

7. L'homme obscur a confondu la satire intitulée *Contre le sentiment... avec la véritable publication de la sentence, intitulée *Acres des Parisiens. 8. La page de titre des Besicles de Reuchlin était précisément ornée d'une gravure représentant une belle paire de besicles. Bócking pense que cette condamnation imaginée par Hutten rappelle celle de la rouelle jaune que les juifs devaient porter sur leur manteau en mémoire de la condamnation de Jésus. 9. Rappel de l'assassinat de l'empereur Henri VII en 1313 (cf. la lettre I, 22). 10. Psaume CIX (Vulgate CVIID, 2.

TOMUS

I, EPIST.

35

2n

Sed accedo ad novitates. Schwitzenses et Lanf'knechti* fecerunt unam magnam guerram inter se, interficientes se ad multa milia. Est timendum quod nullus illorum venit in calum, quia faciunt propter pecuniam, et unus christianus non debet interficere alium. Sed vos ista non curatis, sunt enim leves personæ, et sequuntur rixas ex pro-

posito. Alia novitas est peior, deus det quod non sit vera. Scribunt de Roma, quod speculum Ioannis Reuchlin est de novo translatus de materna lingua in latinum ex mandato domini papz, et quod plusquam in ducentis locis aliter sonat in latinitate quam transtulerunt magistri nostri et dominus Ioannes Pfefferkorn in Colonia. Ac dicunt pro certo quod Rome publice legitur et imprimitur cum Iudaeorum 'Taimut. Ex hoc inferunt quod magistri nostri sunt falsarii et infames, quia male transtulerunt. Etiam quod sunt asini, non intelligentes latinum, vel teutonicum. Ac sicut combusserunt istum librum apud sanctum Andream in Colonia, sic etiam debent comburere sententiam suam, et sentimentum Parisiense, vel ipsi met debent esse hæretici. Ego possem sanguinem flere, adeo doleo. Quis vult amplius in theologia studere, et magistris nostris exhibere condebitam reverentiam qui talia audit ? Omnes credent quod doctor Reuchlin est profundior quam magistri nostri, quod est impossibile. Cum hoc etiam scribunt quod post tres menses debet venire finalis sententia contra magistros nostros. Necnon quod papa mandabit sub pena latissimæ censuræ, quod fratres ordinis praedicatorum debent propter suam protervitatem portare unum album brillum sive perspicillum in sua nigra cappa in dorso ad perpetuam memoriam et scandalum, quod fecerunt iniuriam speculo oculari domini Ioannis Reuchlin, sicut iam etiam dicuntur pati unum scandalum in celebratione missali propter intoxicationem alicuius imperatoris. Ego non spero quod papa erit tam stultus quod faciet. Si faciet, volumus per universum nostrum ordinem contra ipsum legere istum psalmum : « Deus, laudem. »

4. De l'allemand Landsknecht (= lansquenet).

278

VOLUME

I, LETTRES

35-36

D'ailleurs les pères et les Not’ Maîtres réfléchissent à comment ils pourraient empécher ce malheur. Ils veulent réclamer au Saint-Siége des indulgences universelles!! pour récolter beaucoup d'argent en Allemagne et en France, afin de résister à ce suppót des juifs, en attendant sa mort, parce qu'il est vieux", et ils veulent absolument le faire condamner. Portez-vous bien et donnez vos conseils selon votre pouvoir, et faites du bien à l'ordre.

36 (La vraie nature de Pfefferkorn, et de sa femme...) Levraicon-Furieux, de Pesseneck,

*Chargé de cours en théologie de l'ordre des *Guilelmites, dit des innombrables saluts à Maitre Ortwin Gratius. « Par nature, nous

sommes

attirés vers le mal » lisons-nous

dans les

ouvrages qui font autorité!. C'est la raison pour laquelle nous entendons dire parmi les gens plus de choses mauvaises que bonnes. L'autre jour, à Worms, j'ai soutenu un débat avec deux juifs. Je leur ai démontré que leur loi est annulée par le Christ, et que leur attente du Messie est une pure farce et de la blague. Et là-dessus, j'ai cité? le seigneur Jean *Pfefferkorn à Cologne. Mais ils se sont mis à rire et ils m'ont dit : — Votre Jean Pfefferkorn de Cologne est le pire des tartuffes. Il ne connait pas un mot d'hébreu et il s'est fait chrétien pour cacher sa perversité. Du temps qu'il était encore juif en Moravie, il a frappé une femme au visage si violemment qu'elle n'y voyait plus rien au comptoir de change de *florins et il a volé plus de 200 florins en s'enfuyant. Et dans un autre endroit, on a déjà dressé le gibet pour le pendre comme voleur. Je ne sais pas comment il a été libéré. Nous avons vu le gibet de nos yeux, ainsi que de nombreux chrétiens, et méme certains nobles que nous pourrions vous nommer. Alors, ne venez pas me citer ce voleur «comme autorité». Alors, je me suis mis en colère et j'ai répondu : 11. Chaque type d'indulgence s'appliquait à une catégorie particulière de péchés. Les indulgences « universelles » coütaient donc beaucoup plus cher. 12. En 1515, Reuchlin était âgé de 60 ans. 1. Pierre Lombard, *Livre des Sentences, II, distinction 30.

2. Pfefferkorn avait publié sur ce sujet en 1508 un violent pamphlet intitulé La *Confession des juifs (Judenbeicht ou De iudaica confessione).

TOMUS

I, EPIST.

35-36

279

Ceterum patres et magistri nostri nunc cogitant quomodo possunt obviare isto malo. Ipsi volunt a sede apostolica impetrare latissimas indulgentias, et maximam pecuniam colligere in Germania et Gallia, per quam possunt resistere illi fautori ludæorum donec moria-

tur : quia est senex, et tunc volunt eum omnino damnare.

Valete, et date consilium vestrum secundum vestrum posse, et promovete bonum ordinis.

36 Eitelnarrabianus! de Pesseneck ordinis Wilhelmi cursor in theologia Magistro Ortvino Gratio Salutem dicit numerosissimam. « À natura sumus proclivi ad malum », ut legimus in autenticis. Ideo inter homines audimus semper plura mala quam bona. Ego disputavi nuper in Wormatia cum duobus Iudzis et probavi quod ipsorum lex per Christum esset cassata, atque quod expectatio ipsorum de Messia esset una mera frasca et phantasia, ac super hoc allegavi dominum Ioannem Pfefferkorn in Colonia. Illi vero riserunt dixeruntque : « Vester Ioannes Pfefferkorn in Colonia est unus pessimus trufator. Nihil scit in hebrzo. Ipse factus est christianus ut suam nequitiam occultaret. Quando fuit adhuc Iudaus in Moravia, percussit unam mulierem in faciem quod non potuit videre in bancis, ubi mutantur floreni, et accepit plusquam.cc. florenos aufugiens. Et in alio loco propter suum furtum fuit sibi erectum patibulum, sed nescio quomodo fuit liberatus. Nos vidimus patibulum, et multi Christiani vide-

runt, etiam aliqui nobilistæ quos possumus vobis nominare. Propterea non debetis mihi allegare istum furem. » Tunc ego fui iratus et respondi :

1. On pourrait retrouver dans ce nom deux racines allemandes : estel (= pur), Narr (= crétin), et une latine : rabianus (rabiosus = enragé).

280

VOLUME

I, LETTRE

36

— Vous êtes de fieffés menteurs, abominables juifs ! Si vous n'étiez pas protégésÿ, j'irais vous tirer par les cheveux et vous jeter dans la merde ! C'est par haine que vous avez dit des choses pareilles contre le seigneur Jean Pfefferkorn ! Il est un chrétien aussi bon et zélé que n'importe qui d'autre à Cologne. Je le sais d'expérience parce qu'il va souvent avec sa femme se confesser chez les «fréres» précheurs. Il est assidu à la messe et, quand le prêtre élève l'eucharistie, il regarde dévotement, et il ne regarde pas vers le sol, comme le lui reprochent les envieux, sauf pour cracher par terre. Mais il le fait pour lui, et c'est parce qu'il est de tempérament très flegmatique et qu'il prend tous les matins un médicament pectoral. Est-ce que vous croyez que les *Not” Maîtres de Cologne et les bourgmestres sont fous de l'avoir nommé directeur du grand hópital et méme responsable du grenier à sel municipal ? Vous pensez bien qu'ils n'auraient pas fait cela s'il n'était pas un bon catholique ! Sachez que je vais tout lui raconter pour qu'il puisse défendre son honneur et vous nuire pour de bon en écrivant contre votre confession. Vous me direz sans doute qu'il est bien vu par les Not' Maitres et les bourgmestres à cause de la beauté de sa femme. Mais ce n'est pas vrai, parce que les bourgmestres ont aussi de jolies femmes. Quant aux Not’ Maîtres, ils ne se soucient pas des femmes et on n'a jamais entendu dire qu'un Not? Maitre ait commis un adultére. Au contraire, elle est une brave femme aussi honnête qu'une autre à Cologne, et elle préférerait perdre un œil que sa bonne réputation. Je l'ai souvent entendu dire qu'elle avait entendu dire de sa propre mére que les hommes avec prépuce donnent plus de plaisir aux femmes que les non-circoncis*. C'est pour cette raison, dit-elle, que, lorsque son mari mourra, le nouveau qu'elle prendra ne devra pas avoir de calotte sur le bout du membre. C'est pour cette raison que je ne pense pas qu'elle aime les bourgmestres parce que les bourgmestres n'ont pas été juifs et ne sont donc pas circoncis comme le seigneur Jean Pfefferkorn. Laissez-le donc en paix ! sinon il écrira contre vous un traité qu'il intitulera Le Tocsin, comme il l'a fait contre Reuchlin?. Montrez cette lettre au Seigneur Jean Pfefferkorn, pour qu'il se défende réellement contre ces juifs-là, et contre Hermann *Busch. Il est en effet mon ami le plus cher et il m'a prété dix florins? quand j'ai passé mon diplóme de *bachelier formé en théologie. Donné à Bonn, où Busch et son collègue ont mangé de la poularde

grasse. 3. Les juifs de l'empire avaient le statut de « serviteurs de la cour impériale » (kaïserliche Kammerknechte) qui les protégeait (théoriquement) des persécutions des chrétiens. 4. Il semble qu'une fois de plus l'homme obscur se soit empétré dans le jeu des négations. C'est évidemment des hommes « sans prépuce » (les juifs) qu'il voulait parler. 5. Pfefferkorn avait déjà écrit ce pamphlet contre Reuchlin en 1514. 6. L'inscription coûtait fort cher (surtout pour les cancres qui devaient également soudoyer leur jury). Voir supra, la lettre I, 20.

TOMUS

I, EPIST.

36

281

« Mentimini in collum vestrum, vos pessimi Iudzi. Nisi haberetis privilegium, ego vellem vos crinisare, et in stercus proiicere. Vos dicitis talia ex odio in dominum Ioannem Pfefferkorn. Ipse est bonus et zelosus Christianus sicut est aliquis in Colonia. Ego habeo ex experientia, quia multum confitetur ad prædicatores cum uxore sua. Audit libenter missas, et quando sacerdos elevat eucharistiam, tunc aspicit devotarie, et non videt in terram sicut sibi obiiciunt sui invidi, nisi quando expuit. Sed hoc facit pro eo, quia est multum flegmaticus, et

mane comedit medicinam pectoralem. Putatis quod magistri nostri in Colonia et burgimagistri sunt stulti, qui fecerunt eum hospitalarium maioris hospitalis, necnon mensuratorem salis ? Quod certe nequaquam fecissent, nisi esset bonus catholicus. Dico vobis quod volo omnia talia sibi nunciare, quod potest defendere honorem suum, et vos realiter vexare scribendo de vestra confessione. Verum dicitis, quod ipse est gratiabilis apud magistros nostros et burgimagistros propter suam formosam uxorem. Hoc non est verum. Nam burgimagistri habent met pulchras uxores, et magistri nostri non curant mulieres, et nunquam est auditum quod aliquis magister noster fuisset adulter. Ipsa vero est ita honesta matrona sicut est una in Colonia. Vellet libentius unum oculum quam bonam famam perdere. Et ego sæpe audivi ab ea, quod audivit frequenter a sua matre quod viri præputiati faciunt feminis maiorem voluptatem, quam non preputiati. Eam ob causam dicit, quando suus maritus moritur, et ipsa alium accipiet, ille debet etiam nullam cutem habere in membro. Ergo non est credendem [szc] quod amat burgimagistros, quia burgimagistri non fuerunt Iudzi, nec sunt circumcisi sicut dominus Ioannes Pfefferkorn. Propterea relinquite ipsum in pace. Alias scribet contra vos unum tractatum quem intitulabit « die sturmglock », ut fecit contra Reuchlin. Vos debetis istam litteram ostendere domino Ioanni Pfefferkorn, ut se defendat realiter contra tales Iudæos, et Hermannum Buschium, quoniam ipse est amicus meus singularissimus, et mutuavit mihi.x. florenos quando fui promotus baccalaurius formatus in theologia. Datum ex Verona Agrippina, ubi Buschius et eius socius comederunt pingui de gallina.

282

VOLUME

LL LETTRE

37

o fi (Le prépuce des juifs repousse-t-il s'ils se convertissent ? débat quodlibétique)

*Léopold Scriboullard bientót *licenciant dit à Maitre Ortwin Gratius autant de saluts que les oies mangent de graines. Seigneur Maitre Ortwin, Il a été proposé à Erfurt, pour une séance de débat *quodlibétique, un *sujet trés subtil dans les deux facultés de théologie et de médecine : Il y en a qui disent que, quand un juif devient chrétien, alors son prépuce repousse, c'est-à-dire la peau de son membre viril qui a été coupée à sa naissance, selon «les prescriptions de» la loi juive. Ils sont d'accord avec les théologiens et ils ont pour eux des raisons magistrales, parmi lesquelles principalement la suivante : si ce n'était pas le cas, le jour du Jugement dernier, les juifs qui se sont faits chrétiens pourraient étre confondus avec les vrais juifs, s'ils nont pas de calotte sur le membre, et ce serait une injustice pour eux ; or, Dieu ne veut pas commettre d'injustice envers personne ; donc, etc.

L'autre raison repose sur l'autorité du Psalmiste qui dit : « I] m'a caché pendant le jour des malheurs et il m'a protégé dans un lieu secret. »! Quand il dit « pendant le jour des malheurs », cela veut dire lors du Jugement dernier dans la vallée de Josaphat, quand il faudra rendre raison de toutes les mauvaises actions. Je laisse de cóté les autres raisons par souci de faire court. En effet, à Erfurt, nous sommes des *modernes et les modernes aiment toujours la briéveté, comme vous le savez. Et puis en plus, j'ai une mauvaise mémoire et j'ai du mal à retenir par cœur beaucoup de références à citer, comme le font les seigneurs juristes. Mais les autres prétendent que cette opinion ne tient pas, et ils invoquent Plaute, qui dit dans son ceuvre que « Ce qui est fait n'est

plus à faire. »? À partir de cette citation, ils démontrent que si un juif a perdu une partie de son corps, dans sa judaicité, il ne la récupére pas dans sa religiosité chrétienne.

1. Psaume XXVII (Vulgate XXVI), 5. 2. Amphitryon, III, 2, 3.

TOMUS

I, EPIST. 37

283

37 Lupoldus Federfusius! mox licentiandus Magistro Ortvino Gratio tot salutes dicit quot aucæ comedunt gramina. Domine magister Ortvine, est in Erphordia in quodlibetis mota una quæstio multum subtilis in duabus facultatibus, theologicali et physicali. Quidam dicunt quando Iudzus fit Christianus, protunc renascitur sibi præputium, quz est cutis precisa de membro virili in nativitate per legem Iudzorum. Et illi sunt de via theologorum, et habent præ se magistrales rationes, de quibus est una :

Quod alias Iudæi facti Christiani in extremo iudicio putarentur esse Iudzi, si essent nudi in ipsorum membro virili, et sic ipsis fieret iniuria. Sed deus nemini vult facere iniuriam. Ergo etc. Alia ratio tenet ex autoritate psalmistz qui dicit : « Et abscondit me in die malorum, et protexit me in abscondito. » Dicit : « in die malorum », id est in extremo iudicio in valle Iosephat, quando oportet reddere rationem omnium malorum. Alias rationes relinquo propter brevitatem. Ex quo in Erphordia sumus moderni, et moderni semper gaudent brevitate, ut scitis. Etiam pro eo quod ego habeo malam memoriam, non possum multa mentetenus scire allegando, prout faciunt domini iuristæ. Sed alii volunt quod illa opinio non potest subsistere. Et habent pro se Plautum, m dicit in sua poetria quod facta infecta fieri nequeunt. Ex hoc dicto probant, si aliquam partem corporis Iudaeus amisit in sua iudaitate, non recuperat illam in christiana religiositate.

1. De l'allemand Federfuchser (= gratte-papier).

284

VOLUME

I; LETTRE

97

Et avec ca, ils soutiennent que les arguments des autres ne sont pas démonstratifs formellement. D'ailleurs, il découle de la premiére raison que les chrétiens qui ont perdu une partie de leur membre du fait de leur luxure*, comme il arrive souvent aux *séculiers et aux *spirituels, seront eux aussi pris pour des juifs lors du Jugement dernier. Mais soutenir cela est hérétique et les *Not' Maitres, qui sont les « Inquisiteurs de la perversité des hérétiques* », ne l'acceptent en aucune facon, parce que ce bout leur manque aussi souvent. Cependant, dans leur cas, ce n'est pas dû à la fréquentation des putains, mais seulement à un manque de précautions dans les bains publics. Voilà pourquoi je prie humblement et dévotement Votre Seigneurie que vous vouliez bien juger et déterminer la vérité sur cette affaire, et interroger la femme du Seigneur Jean Pfefferkorn, du fait que vous étes en bons termes avec elle. Elle n'aura pas honte de dire devant vous tout ce que vous voulez, en raison des relations amicales que vous avez avec son mari. J'ai méme entendu dire que vous étes son confesseur. Alors, vous pouvez la contraindre sous la menace de la sainte obéissance. Dites-lui : — Madame, n'ayez pas honte, je sais que vous êtes une personne aussi honnéte qu'on peut l'étre à Cologne. Je ne vous demande rien de malhonnéte, mais seulement que vous me révéliez la vérité sur cette affaire. Votre mari a-t-il son prépuce ou non ? Répondez franchement et sans honte, pour l'amour de Dieu ! Pourquoi vous taisez-vous ? Mais je n'ai rien à vous apprendre. Vous savez mieux que moi comment vous y prendre avec les femmes. Donné vite fait à Erfurt, à l'Auberge du Dragon.

5. Peut-étre s'agit-il des hommes atteints de la vérole ou de phimosis, qui sont circoncis pour raison médicale. Les « spirituels » (moines mendiants et vagants franciscains et dominicains) sont, du fait de leur mode de vie, plus exposés aux maladies vénériennes que les conventuels, qui résident dans les couvents. 4. C'était le titre officiel des membres de l'Inquisition, généralement des théologiens dominicains.

TOMUS

I, EPIST.

37

285

Et cum arguunt quod ipsorum argumenta non concludunt formaliter. Alias ex prima ratione sequeretur quod illi Christiani qui perdiderunt propter suam luxuriam partem unam e suo membro, ut sepe contingit in sæcularibus et spiritualibus personis, etiam crederentur in extremo iudicio esse Iudzi. Sed hoc asserere est haereticum, et magistri nostri heretice pravitatis inquisitores nequaquam concedunt, quia ipsi aliquando etiam sunt defectuosi in ista parte. Sed hoc non contingit ipsis ex meretricibus, sed quando in balneis se non prævident. Iccirco precor dominationem vestram humiliter et devotarie quod velitis vestra descisione determinare rei veritatem, et interrogare uxorem domini Ioannis Pfefferkorn, ex quo cum ea bene statis, et illa non verecundatur dicere coram vobis quæcunque vultis propter illam

amicabilem conversationem quam habetis cum viro suo. Et ego etiam audio quod estis eius confessor. Propterea potestis eam compellere sub pena sanctz obedientia. Dicatis : « Domina mi, nolite verecundari, ego scio quod estis honesta persona, sicut est una in Colonia. Non peto inhonestum a vobis, sed ut manifestetis mihi rei veritatem, utrum maritus vester habet præputium vel non ? Dicatis audacter sine verecundia, amore dei, quid tacetis ? »

Verum ego nolo vos docere. Vos melius scitis quomodo debetis vos habere cum mulieribus, quam ego. Datum raptim ex Erphurdia. Ex Dracone.

286

VOLUME

I, LETTRE

38

38 (Gratius est bien meilleur poéte que l'humaniste Georges Sibutus débat quodlibétique) Padormann Lefoutrier, *licencie, dit un salut salutairissime à Maitre Ortwin Gratius.

L'autre jour, vous m'avez écrit de Cologne et vous m'avez reproché que je ne vous écris pas, du fait que vous avez dit que vous lisiez mes lettres avec plus de plaisir que celles des autres, parce qu'elles ont un bon style, et aussi parce qu'elles sont correctement composées selon les règles de l'art épistolaire que j'ai appris auprés de Votre Grandeur à Cologne. Je pourrais vous écrire ceci : « Je n'ai pas toujours l'imagination et le sujet comme je les ai aujourd'hui. » Sachez qu'ici on est en train de tenir un débat *quodlibétique. Alors les *maitres et les docteurs font assaut de leurs astuces techniques et de leur grande science pour les dénominations, résolutions, propositions, questions, arguments et problèmes dans tous les domaines du savoir. Et avec ça, les *poétes et les orateurs ont l'air trés capable et savant. Parmi eux, il y en a un! remarquable et magistral, qui dépasse les autres dans cette technique et qui se fait une vraie renommée en donnant ses leçons. Il se qualifie de « poète des poètes » et il dit qu'il n’y a pas d'autre poéte que lui. Il est l'auteur d'un certain traité en vers, qu'il a justement intitulé... mais voilà que j'ai oublié son titre. Je crois que c'est : La Colére et les coléreux.

Dans ce traité, il critique beaucoup de maitres, et d'autres poétes qui l'ont empéché d'enseigner à l'université à cause de son style obscéne. Mais les maîtres lui ont jeté à la face qu'il n'est pas aussi bon poète qu'il s'en glorifie, et ils s'opposent à lui sur de nombreux points. Et ils le démontrent gráce à vous, à savoir que vous étes beaucoup plus érudit en technique poétique. Avec ca, ils montrent aussi qu'il n'est pas trés fort sur la quantité des syllabes?, suivant les principes de maître de *Villedieu dans son livre trois, et on voit qu'il ne l'a pas assez étudié. Et ils l'attaquent de multiples manières.

1. Il s’agit de Georges *Sibutus. 2. L'ordonnance des syllabes brèves et longues était le principe fondamental de la poésie latine classique (et non pas la rime comme dans la poésie médiévale ou moderne).

TOMUS

I, EPIST. 38

287

38 Padormannus Fornacificis! licentiatus

Magistro Ortvino Gratio Salutem salutarissimam dicit.

Nuper scripsistis ad me de Colonia, et reprehendistis me quod ego non scriberem ad vos, ex quo dixistis quod prz aliis libenter legitis meas litteras, quod habent bonum stilum, necnon procedunt recte secundum artem epistolandi, quam audivi a vestra praestantia in

Colonia. Ego scriberem vobis : « Non habeo semper inventionem et materiam ut nunc habeo. » Vos debetis notare quod iam hic celebratur quodlibetum, et magistri doctoresque expediunt se artificialiter cum magna doctrina in determinandis, solvendis, proponendis quæstionibus, argumentis, probleumatibus [szc] in omni scibili. Et cum hoc poetz et oratores apparent valde artificiosi ac scientiosi. Inter quos est unus notabilis et magistralis in illa arte prz ceteris, qui facit sibi magnum titulum quando intimat lectiones suas. Et dicit quod est poeta poetarum, et quod prater eum non est alius poeta. Ipse scripsit quendam tractatum metrice, quem notabiliter intitulavit, ego sum oblitus nomen, credo quod est de ira et cholericis. In quo tractatu stimulat magistros multos, et alios poetas qui se impediverunt legere in universitate propter suam luxuriosam artem. Verum magistri dicunt sibi in faciem, quod non est tam bonus poeta sicut gloriatur, et tenent sibi in multis oppositum, et probant per vos, videlicet quod estis multo profundior in arte poeticali. Cum hoc etiam ostendunt quod non est bene fundatus in quantitate syllabarum, prout determinat magister de Villa dei in tertia sui, quam iste videtur non sufficienter legisse. Atque deducunt contra ipsum intentum suum multipliciter.

1. Un fornax étant un four, un fornacifex est un fabriquant de fours, mais un fornicarius est un fornicateur. La consonance des deux racines est largement évocatrice.

288

VOLUME

Primo, par votre nom

I, LETTRE

38

«de famille», et cela de deux manières :

primo, de la façon suivante : «Voilà un type qui prétend être un poète plus expert que maître Ortwin, alors que son nom ne s'y prête pas. En effet, il est certain que maître Ortwin se nomme Gratius en raison d'une grâce supérieure, que l'on appelle “grâce donnée gratis"?, car autrement, vous ne pourriez pas écrire des textes poétiques aussi élaborés sans cette gráce, qui vous est donnée gratis par le Saint-Esprit, qui souffle où il veut. Et si vous l'avez obtenue, c'est à cause de votre humilité, car Dieu refuse la grâce aux orgueilleux et l'accorde aux humbles*. » Ceux qui lisent vos ceuvres et qui comprennent l'affaire, déclarent en conscience que vous n'avez pas votre pareil. Et ils s'étonnent que ce type puisse étre assez insensé et sans vergogne pour prétendre étre meilleur que vous. Méme un enfant comprendrait que vous le dépassez autant que le *Labyrinthe dépasse? le *Cornu. Ils voudraient réunir vos textes et faire imprimer tous les poémes que vous avez insérés dans divers traités, à Savoir : dans le traité? de Not? Maitre de *Tongres, régent principal du pensionnat *Saint-Laurent, dans le traité sur les propositions scandaleuses de Jean Reuchlin’, dans le *Sentiment parisien et dans les nombreux traités du Seigneur Jean *Pfefferkorn, qui était juif autrefois et qui est maintenant un excellent chrétien. Sinon, ils craignent que votre œuvre littéraire ne disparaisse. Ils disent que ce serait un scandale énorme pour notre temps et méme un péché mortel si on la laissait disparaitre par négligence, faute de l'avoir imprimée. Les Seigneurs Maitres demandent également que vous daigniez leur envoyer votre apologie? contre Jean Reuchlin, dans laquelle vous attaquez vigoureusement ce prétendu docteur, en ceci qu'il ose s'opposer à quatre universités?. Ils veulent la copier et vous la renvoyer. Ceux qui soutiennent ce mode de démonstration sont : maitre Jean Kirchberg, mon ami préféré qui a été diplómé dans la méme promotion que moi, maitre Jean Hungen, mon trés affectueux ami, maitre Jacques de Nuremberg, maitre Josse Wynfheim,

et de nombreux

autres maîtres, mes

amis très dignes, qui sont vos partisans indéfectibles. 3. Matthieu X, 8.

4. Citation de Jacques IV, 6, qui paraphrase Proverbes III, 34. 5. Les deux poèmes étaient considérés comme aussi mauvais l’un que l'autre par les huma-

nistes. 6. Les *Arricles de 1512 débutaient par un poème de 26 vers de Gratius, contenant la fameuse formule citée plus bas « Fer Iovis alma parens » (v. 15).

7. Il ne s'agit pas à proprement parler d'un traité, mais de la seconde partie des Articles. 8. Il s'agit des *Remarques de février 1514, justifiant l'autodafé de Mayence. 9. Les universités de Cologne, Erfurt, Louvain et Paris, qui avaient condamné les Besicles en

1513-1514 (cf. lettre I, 11).

TOMUS

I, EPIST.

38

289

Primo per nomen vestrum, et hoc dupliciter : Primo sic : « Ecce iste vult profundior esse poeta quam magister Ortvinus, et tamen nomen suum non patitur. Profecto magister Ortvinus dicitur Gratius a supernali gratia, qua vocatur gratia gratis data, quia alias non poteritis scribere tam profunda dictamina poeticalia sine illa gratia gratis data vobis per spiritum sanctum, qui ubi vult spirat. Et vos eam impetrastis per humilitatem vestram. Deus enim resistit superbis, et humilibus dat gratiam. » Qui vestram poetriam legunt, et intelligunt negotium, fatentur in conscientia sua quod non habetis parem, et mirantur quod iste est sic insulsus et inverecundus, quod vult esse super vos. Quando unus puer posset intelligere quod illum excellitis sicut Laborintus Cornutum excellit. Ipsi volunt colligere dictamina vestra, et curare imprimere quz in variis tractatibus hincinde scripsistis, videlicet in tractatu magistri nostri de Tungaris, summi regentis in bursa Laurentii, in tractatu de scandalosis propositionibus Ioannis Reuchlin, in Sentimento Parrhisiensi, in multis tractatibus domini Ioannis Pfefferkorn, qui fuit olim Iudzus, et nunc est optimus Christianus. Ipsi timent quod alias pereat vestra poetria, et dicunt quod esset unum maximum scandalum illius temporis et peccatum mortale, si periret per negligentiam, et non imprimeretur. Orant etiam domini magistri quod dignemini sibi mittere apologiam vestram contra Ioannem Reuchlin, in qua realiter tribulatis illum pratensum doctorem, quod audet oppositum tenere contra quattuor universitates. Volunt exscribere, et vobis remittere. De isto modo probandi sunt magister Ioannes Kirchberg, amicus meus singularissimus, mecum promotus, magister Ioannes Hungen, amicus meus affectualissimus, magister Iacobus de Nurnberga, magister Iodocus Wynfhheim, et alii multi magistri, amici mei dignissimi et fautores vestri imperterriti.

290

VOLUME

I, LETTRE

38

Mais néanmoins, donc, il y en a d'autres qui ne sont pas d'accord et qui disent que ce mode de démonstration, quoique trés subtil et de conclusion magistrale, n'est pas conforme à votre esprit, car on vous trouverait un fort accent d'orgueil si vous disiez : « Voilà,

Messeigneurs, que je me nomme Gratius à cause d'une gráce supérieure que Dieu m'a accordée pour la littérature et dans tous les domaines du savoir. » Il est certain que cela choquerait votre humilité, qui vous procure précisément cette gráce. Il y aurait contradiction dans l'attribution : car la grâce supérieure et l'orgueil ne peuvent pas se rapporter au méme sujet. En effet, la grâce supérieure est une vertu alors que l'orgueil est un péché. Et les deux ne peuvent pas cohabiter pour la raison que « L'un des contraires exclut l'autre par nature, comme la froideur exclut la chaleur. »!? Not” Maitre est donc poète selon les *Prédicaments, dans lesquels *Pierre d'Espagne débat comme quoi le vice est le contraire de la vertu. Il y a enfin une autre raison bien meilleure selon laquelle le nom de Gratius est dérivé de celui des Gracques romains — en leur retirant une lettre pour raison d'euphonie. On lit dans les histoires des Romains que ces Gracques furent des poètes et des orateurs tout à fait remarquables, et qu'à Rome en ce temps-là, ils n'avaient pas leurs égaux en subtilité et en érudition pour la *poésie et la rhétorique. On lit aussi qu'ils parlaient d'une voix douce et suave : non pas comme un trombone tonitruant, mais douce comme une flüte. Et souvent, ils commençaient par déclamer leurs textes en s'accompagnant de la flûte. C'est pour ces raisons que le peuple les écoutait avec une telle affectuosité et qu'il les louait comme étant meilleurs que les autres dans leur technique. C'est donc en référence à ces Gracques que maitre Ortwin a été nommé Gratius. En outre, personne ne l'égale pour le style et la douceur de la voix. Et lui, il les dépasse tous, autant que les Gracques dépassaient tous les poétes romains. Ainsi donc par conséquent, voilà pourquoi ce poète doit se taire et se montrer humble, ici à Wittenberg. Il est tout de méme assez compétent, mais c'est un enfant à cóté de vous. Cette méthode de démonstration, c'est celle qu'utilisent mes trés chers amis *Eobanus Hessus, maitre Henri *Urbanus, *Ritius Euritius, maître Georges *Spalatin, Ulrich Hutten, et surtout le docteur Dom Louis

Mistotheus!!, qui est mon ami et qui vous défend. 10. Tiré du Commentaire des petites logiques de *Pierre d'Espagne. 11. Bócking pense que ce Misthotheus (= mysticus theologus) désigne Martin Luther. Les autres sont les humanistes du cercle de *Crotus Rubeanus à Erfurt, ennemis jurés d'Ortwin Gratius.

TOMUS

I, EPIST.

38

291

Verum enimvero ergo alii opponunt se et dicunt quod iste modus probandi est quidem subtilis, et concludit magistraliter, sed non sit de mente vestra, quia hoc sonaret multum superbe, si vos diceretis : « Ecce domini mei, ego vocor Gratius a supernali gratia, quam mihi dedit deus in poetria et in omni scibili. » Et hoc idem repugnaret humilitati vestre, per quam habetis illam gratiam, et esset oppositum in adiecto : nam gratia supernalis et superbia non patiuntur se in eodem subiecto : porro gratia supernalis est virtus, et superbia vitium, quæ se non compatiuntur propter hoc quod « unum contrariorum natum est expellere reliquum, ut caliditas expellit frigiditatem. » Magister noster poeta secundum Petrum Hispanum in prædicamentis, qui disputat quod virtus contrariatur vitio. Ergo est alia ratio multo melior, propter quam vocatur Gratius videlicet a Graccis Romanis, deposita una littera propter malam sonantiam. De quibus legitur in historiis Romanorum quod fuerunt valde notabiles poetæ et oratores isti Gracci, et quod Roma illo tempore pares non habuit, qui fuerunt tam subtiles et profundi sicut illi in poesi et in Rhetorica. Et legitur, quod fuerunt de molli et suavi voce, non tubali et grossa, sed dulci sicut una fistula, ad quam fistulam ipsi etiam aliquando inceperunt rhetorizare in principio sui dictaminis. Propterea populus audivit eos cum magna affectualitate, et dedit eis primam laudem prz ceteris in illa arte. Ab istis igitur Gracchis nominatus est Gratius magister Ortvinus. Porro nemo est sibi par in poesi, et in dulcore vocis. Et illos omnes sic præcellit, sicut illi Gracchi Romanorum poetas omnes præcellebant. Ergo ideo igitur debet tacere, et se humiliare ille poeta hic in Witenburga. Alias est profundus, sed respectu vestri est unus puer. Illam viam probandi tenent amici mei cordialissimi Eobanus Hessus, magister Henricus Urbanus, Ritius Euritius, magister Georgius Spalatinus, Ulricus Hutenus, et in primis doctor Ludovicus Mistotheus, dominus et amicus meus, et defensor vester.

292

VOLUME

Vous devez m'écrire affaire au clair. Et je vais comme quoi vous allez traité d’hérétique, parce

I, EETTRES'

58-59

lesquels suivent la meilleure méthode, et tirer cette dire une messe pour vous chez les «fréres» précheurs vaincre le docteur Reuchlin, qui vous a injustement que vous avez écrit dans votre recueil de poésie :

« Elle pleure, la sainte mére?? de Jupiter. » Portez-vous bien en excellente santé.

De Wittenberg!5, dans la citadelle, chez maitre Spalatin, qui vous envoie autant de saluts que l’on chante d'alleluias entre Pâques et la Pentecôte. Encore une fois, portez-vous bien et riez éternellement.

39 (2humaniste Hermann Busch ne comprend rien aux allégories) Nicolas Lampiste envoie au Seigneur Maitre Ortwin autant de saluts qu'il nait de punaises et de puces en un an.

Savant précepteur, Maitre Ortwin, Apprenez que je vous envoie plus de remerciements que je n'ai de poils sur le corps, comme quoi vous m'avez conseillé de me rendre à Cologne et de poursuivre mes études au pensionnat *Saint-Laurent. Mon pere a été trés content. Il m'a donné dix *florins et m'a acheté une grande *chape avec un *lyripippion de couleur noire. Le premier jour, quand je suis venu à l'université et que j'ai versé mes droits d'inscription au collége susdit, j'ai appris une nouvelle que je n'échangerais pas pour dix *blancs. Un certain *poéte, nommé Hermann *Busch, est arrivé dans ce collége pour traiter une affaire avec le régent-adjoint. Ce maitre lui a tendu la main et l'a accueilli dignement par ces mots : — D'où me vient-il que la mère du Seigneur vienne vers moi ?! 12. (= la Vierge Marie). Dans sa * Défense contre ses calomniateurs de Cologne, Reuchlin avait effectivement dénoncé comme blasphématoire cette formule d'Ortwin Gratius. On notera que ce type de métaphore « à l'antique », d'allure « humaniste », était trés en vogue à l'époque, y compris chez les littérateurs les plus traditionalistes. 13. Spalatin était un reuchliniste déclaré et cette adresse pouvait semer la confusion chez les lecteurs « obscurs ».

1. C'est par ces mots qu'Élisabeth accueillit la Vierge Marie, selon Luc I, 43.

TOMUS

I, EPIST.

38-39

293

Vos debetis mihi scribere qui sunt de via meliori, ac informare rei veritatem. Et volo unam missam pro vobis legere apud pradicatores, quod debetis vincere doctorem Reuchlin qui vocavit vos hereticum immerito, quod scripsistis in vestra poetria : « Flet 10vis alma parens. »

Valete in maxima valitudine. Ex Witenburgo, ex arce apud magistrum Spalatinum, qui vobis mittit tot salutes, quot cantatur Halleluia infra pascha et penthecostes. Iterum valete et ridete semper.

20 Nicolaus Luminatoris Domino Magistro Ortvino tot salutes mittit, quot in uno anno nascuntur culices et pulices.

Scientifice praeceptor Magister Ortvine, Ego significo vobis plures grates, quam habeo crines in corpore meo, quod dedistis mihi consilium quod deberem ambulare ad Coloniam pro studio ad bursam Laurenti. Pater meus fuit optime contentus, et dedit mihi.x. florenos, et emit

mihi unam magnam cappam cum liripipio nigri coloris. In primo die quando veni ad universitatem, et deposui beanium in prædicta bursa, tunc didici unum notabile, quod non vellem carere pro.x. albis. Quidam poeta Hermannus Buschius venit ad istam bursam cum suo negotio ad unum regentem collateralem. Tunc ille magister dedit sibi manum suam, et excepit eum reverentialiter dicens : « Unde mihi hoc quod mater domini venit ad me ? »

294

VOLUME

I, LETTRES

39-40

Alors, Busch a répondu : — Si la mére de Notre Seigneur n'était pas plus belle que moi, alors elle n'était vraiment pas trés belle ! C'est qu'il n'avait pas compris la subtilité rhétorique de cette allégorie que le régent du collége avait introduite dans son discours. J'espère que je vais encore apprendre par la suite, dans cette sainte université, beaucoup de choses aussi utiles que cette remarquable histoire. J'ai acheté aujourd'hui le recueil de cours du collège, car demain, je dois intervenir dans un débat du collège sur le *sujet suivant : « Est-ce que la matière premiére est un étre en acte ou en puissance ?? » À Cologne, au pensionnat Saint-Laurent.

40 (Comment soigner Ortwin Gratius ?)

Herbord Lechargeur-de-fumier dit tant de saluts que personne ne pourrait les compter à Maitre Ortwin Gratius, son savantissime et incollable précepteur. Maitre éclairissimé, Quand j'ai quitté Votre Seigneurie à Zwolle!, voici deux ans, vous m'avez promis en me serrant la main comme quoi vous alliez m'écrire souvent et me transmettre votre art d'écrire grâce à vos textes. Mais vous ne l'avez pas fait et vous ne m'écrivez pas si vous étes encore en vie ou non. Que vous soyez encore en vie ou non, vous ne me l'écrivez pas, si bien que je ne peux pas savoir ni pourquoi ni comment. Grand Dieu ! Quel souci vous me donnez ! Je vous supplie par Dieu et par saint Georges, libérez-moi de ce souci, parce que je crains que vous ayez mal à la téte ou au ventre, et que vous ayez la diarrhée, comme autrefois, le jour oü vous avez chié dans vos chausses au milieu de la rue sans vous en apercevoir et c'est une femme qui vous a dit :

— Seigneur Maitre, oü est-ce que vous vous étes assis dans la merde ? Vous en avez plein la tunique et les pantoufles ! Alors, vous étes allé chez Maitre Jean *Pfefferkorn et sa femme vous a donné d'autres habits. 2. Sujet éminemment *thomiste. 1. A l'école des Fréres de la *Vie commune.

TOMUS

I, EPIST.

39-40

295

Et Buschius respondit : « Si dominus noster non habuit pulchriorem matrem quam ego sum, certe ipsa non fuit multum pulchra. » Et non intellexit illam subtilem retoricalem allegoriam, quam ille regens bursalis prætendit in suo sermone. Ego spero quod volo adhuc multa in hac alma universitate discere tam utilia sicut hoc notabile est. Hodie emi processum bursæ. Cras debeo arguere in disputatione bursali, de illa materia, utrum materia prima sit ens in actu, vel potentia. Coloniz ex bursa Laurentii.

40

Herbordus Mistladerius! Magistro Ortvino incomparabili in doctrina præceptori suo sulsissimo salutem dicit quam nemo dinumerare poterit. Illuminatissime Magister, Quando discessi a vestra dominatione ad Suollis ante duo annos, promisistis mihi ad manum meam quod velitis mihi frequenter scribere, et mihi modum dare dictandi in vestris dictaminibus. Ast non facitis, et mihi non scribitis sive vivitis, sive non vivitis. Sive vivitis sive non vivitis, non tamen scribitis ut scio quid est, quomodo vel qualiter est. Sancte deus, quomodo me sollicitatis. Rogo vos propter deum et sanctum Georgium, liberate me ex mea cura, quia timeo quod caput vobis dolet, vel quod habetis infirmitatem in ventre, et estis laxus, sicut olim fuistis quando permerdastis caligas vestras in plateis et non sensistis, donec una mulier dixit : « Domine magister, ubi sedistis in merdis ? Ecce tunica et pantofoli vestri sunt maculata. » Tunc ivistis in domum domini Ioannis Pfefferkorn, et mulier eius dedit vobis alia vestimenta.

1. De l'allemand Mist (= fumier) et /aden (= charger).

296

VOLUME

I, LETTRES

40-41

Je vous conseille de manger des œufs durs et des châtaignes róties au four, et aussi de la purée de fèves saupoudrée de poivre?, comme on le fait dans votre pays de Westphalie. J'ai révé que vous aviez une toux grasse et un fort rhume de cerveau. Pour cela, il faut manger du sucre et des pois cuits mélangés avec du serpolet et de l'ail pilé. Mettez aussi un oignon cuit sur votre nombril et pendant six jours, abstenez-vous des femmes. Couvrez-vous bien la téte et les reins, et

vous guérirez. Sinon, utilisez la recette que la femme de Jean Pfefferkorn a souvent donnée à ceux qui sont ramollis, et qui a souvent fait ses preuves. De Zwolle.

41 (Ortwin Gratius a été envoüté par une sorcière libidineuse)

Gros-Philippe d'Anvers, *bachelier, dit le plus grand salut à Maitre Ortwin Gratius, son ami préférissimé.

J'ai reçu la visite d'un religieux de l'ordre des précheurs, disciple de *Not' Maitre Jacques de *Hochstraten, l'Exquisiteur! de la perversité des hérétiques. Il m'a salué et je l'ai aussitôt interrogé : — Que devient mon ami préférissimé Maitre Ortwin Gratius, auprès de qui j'ai tant appris en logique et en *poésie ? Il m'a répondu que vous étiez malade. Alors, saisi de terreur, je suis tombé par terre, à ses pieds. Il m'a jeté de l'eau froide et m'a tiré les poils du cul, et il m'a relevé avec peine. Alors j'ai dit : — Oh ! Que vous m'avez fait peur ! Quelle est sa maladie ? Et il a dit que vous aviez une grosseur au sein droit et que ce mal douloureux vous génait et vous empéchait d'étudier. Alors, j'ai retrouvé mes esprits et j'ai dit : — Ah ! Ce n'est que cela ? Je sais bien comment guérir ce mal ! Je le sais d'expérience. Mais apprenez d'abord, Seigneur Maitre, d'oü est venu ce mal, car à l'époque, j'ai trouvé un reméde : quand des femmes impudiques voient un bel homme comme vous, c'est-à-dire qui a les cheveux jaunátres, 2. Ces nourritures, que l'on trouve déjà mentionnées chez Pline, étaient censées renforcer

l'érection, et aussi guérir la toux et les catarrhes.

1. Parodie du titre officiel du grand « Inquisiteur ».

TOMUS

I, EPIST.

40-41

297

Vos debetis comedere ova dura, et castaneas in fornace assatas, necnon fabas coctas aspersas cum papavere, ut fit inWestvalia patria vestra. Mihi somniavit de vobis quod habetis gravem tussim, et multum de flegmate. Comedite zuccarum, et pisas contusas mixtas cum serpillo et allio contrito, ac ponite unum assatum cepe ad umbilicum vestrum, et per sex dies debetis abstinere a mulieribus. Tegite caput et lumbos vestros bene, et sanabitis. Vel sumite receptum quod uxor domini Ioannis Pfefferkorn sæpe languentibus dederat, quod est probatum sæpe. Ex Suollis.

41 Vilipatius! de Antwerpia baccalaurius Magistro Ortvino Gratio amico suo singularissimo salutem dicit maximam. Venit ad me unus religiosus ordinis pradicatorum, discipulus magistri nostri Iacobi de Hochstrat, hæreticæ pravitatis exquisitoris, et salutavit me. Et statim interrogavi : « Quid facit amicus meus singularissimus magister Ortvinus Gratius, a quo multa didici in logica et poesi ? » Et respondit quod estis infirmus. Tunc cedidi in terram ante pedes eius prz terrore. Ipse me perfudit cum aqua frigida, et crinisavit me apud pudenda, et vix suscitavit. Tunc dixi : « O quam me terruistis ! quz est eius infirmitas ? » Et ait, quod dextra vestra mamilla est inflata, ac dolorosa infirmi-

tate vos vexat et impedit a studio. Sic cepi iterum mentem dicens : « Ha ! non est aliud ? ego possum bene sanare istam infirmitatem : habeo artem per experientiam. Verum, domine magister, audite, primum, unde venit ista infirmitas ? » Tunc subiungavi remedium. Quando mulieres male pudorosæ vident unum pulchrum virum sicut vos estis, videlicet qui habet gilvos

1. De l'italien Fzippazzo (= Gros-Philippe).

298

VOLUME

I, EETTRE

41

les yeux brun-marron, la face rougeaude, un gros nez et une bonne bedaine, alors, elles veulent le posséder. Mais s'il a de bonnes mœurs et s'il est un intellectuel de haut niveau comme vous, il ne se soucie pas de leurs atours et de leurs appas. Alors, elles ont recours à la magie. La nuit, elles enfourchent un balai et elles le chevauchent jusqu'à ce bel homme qu'elles aiment. Elles font leur affaire avec lui pendant son sommeil et il ne se rend compte de rien parce qu'il dort. Il y en a d'autres qui se transforment en chattes ou en oiseaux. Elles sucent le sang de leur amant par ses mammelles, jusqu'au moment où il est si affaibli qu'il ne peut plus marcher

sans canne. Je crois que c'est le Diable qui leur a enseigné cette technique. Mais à la vérité, il faut les combattre avec la méthode que j'ai lue dans un livre trés ancien de la bibliothèque des *maîtres de Rostock. Je l'ai essayée et ça marche : Un dimanche, il faut prendre du sel bénit? avec lequel on fera une croix sur la langue, puis l'avaler suivant le commandement de l'Écriture : « Vous étes le sel de la terre », ce qui signifie : « Vous mangez «le sel de la terre». »? Ensuite, vous ferez une croix sur la poitrine et une dans le dos. Puis vous vous mettrez du sel dans les deux oreilles, toujours avec une croix, en veillant

à ce qu'il ne tombe pas dehors. Enfin, vous direz dévotement la priére suivante :

Seigneur Jésus-Christ, et vous les quatre évangélistes, gardez-moi des putains dangereuses, et de ces envoüteuses, qu'elles ne me sucent pas le sang, en me faisant souffrir atrocement, dans les mammelles. Si vous pouvez me protéger d'elles, je vous ferai don d'un joli goupillon, et vous serez sauvé. Si elles reviennent encore, elles suceront leur propre sang et c'est elles qui seront affaiblies. Pour parler d'autre chose, comment va votre affaire avec le docteur Reuchlin ? Les maîtres d'ici disent qu'il vous a vaincu. Je ne peux pas croire qu'il puisse vaincre des Not’ Maîtres ! Et je m'étonne d'autant plus que vous n'ayez pas écrit un texte contre lui.

2. Ces rites de sorcellerie et leurs antidotes à base de sel sont attestés par les fréres Grimm (Deutsche Mythologie, pp. 589 sqq.). 3. Jeu de mot latin strictement intraduisible, puisque estis peut être (selon le contexte, naturellement) la deuxiéme personne du pluriel du présent du verbe « étre » (esse) aussi bien que celle du verbe « manger » (edere). Dans le cas présent, Gros-Philippe d'Anvers montre une ignorance crasse des Évangiles, car ce passage de Matthieu (5, 13) est l'un des lieux les plus communs des prédicateurs.

TOMUS

I, EPIST.

41

299

crines, brunellos oculos vel grauos, os rubeum, magnum nasum, et est

bene corporatus, tunc volunt eum habere. Sed quando ille est bene moratus, qualificatusque in mente sicut vos, et non curat ipsarum levitates et fallacias, tunc fugiunt ad artes magicas, et in nocte sedent super unam scobem, equitantes super istam scobem ad pulchrum illum virum quem amant, facientes negotium suum cum eo quando dormit, et nihil sentit nisi somnium. Aliquz fiunt cattæ vel aves, et sugunt sanguinem eius per mamillas, et faciunt suum amicum aliquando sic infirmum quod vix valet cum baculo ambulare. Ego credo quod diabolus docuit ipsas illam artem. Verumenimvero sic debemus ipsis obviare sicut legi in libraria magistrorum in Rostochio in antiquissimo libro, et postea probavi, et est verum. In die dominico debemus sumere sal benedictum, et cum eo super linguam facere unam crucem, et comedere ex mandato scripturæ : « Vos estis sal terrz », id est comeditis. Postea facere unam crucem in pectore, et unam in dorso. Similiter ponere in utramque aurem semper cum cruce, cavendo ne cadat exinde. ac postea orare talem orationem devotam : Domine Iesu Christe, et vos quattuor evangelistæ, custodite me a malis meretricibus, et ab ipsis incantatricibus, ne exsugant meum cruorem, et faciant gravem dolorem in meis mammillis ; quæso resistite illis :

dabo vobis offertorium,

unum pulchrum aspersorium.

Et eritis liberatus. Si iterum veniunt, tunc exsugunt suum sanguinem et fiunt met infirmz. Ceterum quomodo stat res cum doctore Reuchlin ? magistri dicunt hic quod vos vicit. Ego non credo quod posset vincere magistros nostros. Et multo magis miror quod non scribitis unum dictamen contra ipsum.

300

VOLUME

I, LETTRES

41-42

Portez-vous bien superéternellement. Et saluez le seigneur Jean Pfefferkorn et sa femme“. Dites-lui que je leur souhaite plus de nuits agréables que les astronomes ne comptent de minutes. De Francfort-sur-Oder.

Fin des Lettres des hommes obscurs?, gráce à Dieu et à sa sainte mére. Imprimé à Venise dans l'imprimerie d'Alde Minus’, l'année ci-dessus. De plus, on prévient que, sur ordre de l'illustrissime prince des Venisiens, personne n'ait l'audace d'imprimer aprés nous pendant dix ans chez d'autres

42 (Érasme est un tocard, débat *quodlibétique)

Antoine N. quasi-docteur en médecine, c’est-à-dire *licencié à la veille d’être diplômé, salue Monsieur le remarquable Maitre Ortwin Gratius son précepteur très vénérable. Mon précepteur préférissimé, D'aprés ce que vous m'avez écrit l'autre jour comme quoi je dois vous écrire des nouvelles, sachez que tout récemment je suis allé de Heidelberg à Strasbourg, pour y acheter quelques produits dont nous nous servons dans nos traitements, comme vous le savez, je pense. Parce que c'est l'usage chez vos médecins, lorsqu'ils ne trouvent pas quelque chose chez leurs apothicaires, d'aller l'acheter dans une autre ville pour pouvoir faire leurs prescriptions. Mais ça suffit comme ça ! Or, voilà qu'en arrivant là-bas, j'ai rencontré un bon ami, qui me veut beaucoup de bien, et que vous connaissez bien parce qu'il a été longtemps 4. Sous-entendu : « votre maitresse ». Le souhait des « nuits agréables » au mari devient alors

perfide. 5. La première livraison des Lettres s'arrétait ici. 6. Calembour facile sur le nom du célébre imprimeur de grec et humaniste vénitien Alde Manuce — et la Sérénissime était connue pour n'étre gouvernée par aucun « prince ».

TOMUS

I, EPIST.

41-42

301

Valete superæternaliter. Et salutate dominum Ioannem Pfefferkorn cum sua uxore. Dicatis quod ego opto sibi plures bonas noctes, quam Astronomi habent minutas. Ex Franckfurdia apud Oderam. *

Et sic est finis epistolarum obscurorum virorum Deo gratia eiusque sancte matri. In Venetia impressum in impressoria Aldi Minutii : anno quo supra : etiam cavisatum est ut in aliis, ne quis audeat post nos impressare per decennium per illustrissimum principem Venetianorum?.

42

Antonius N. Medicinz quasi doctor, id est Licentiatus, statim autem promotus spectabili viro Magistro Ortvino Gratio praceptori suo multum venerando salutem dicit. Praeceptor singularissime, Secundum quod scripsistis mihi nuper quod debeam vobis scribere novalia, sciatis quod ego nuperrime veni ex Heydelberga ad Strafiburg volens emere quzdam materialia quibus utimur in nostris medicinalibus, ut scitis credo. Quia etiam est consuetudo apud vestros medicos, ut si non habent in suis apotecis, tunc solent pergere in aliam civitatem ut possint emere ad practicationem suam. Sed stent illa. Cum itaque venissem illuc, venit ad me unus bonus amicus qui est

mihi multum favorabilis, et quem vos bene cognoscitis, quia fuit diu

2. De l’italien veneziani.

302

VOLUME

I, LETTRE 42

sous votre férule à Cologne. Alors, il m'a parlé d'un certain *Érasme de Rotterdam, dont je n'avais jamais entendu parler auparavant, et qui serait trés savant dans tout ce qu'il est possible de savoir et dans tous domaines. Et il m'a dit qu'il se trouvait alors à Strasbourg!. Je n'ai pas voulu le croire et je ne le crois toujours pas, car il me parait impossible qu'un homme aussi médiocre que lui puisse savoir tant de choses. J'ai donc prié cet homme, qui m'avait dit tellement de telles choses, de me conduire quand méme chez lui pour que je puisse le voir. Il se trouve que j'avais sur moi un carnet de notes, que j'ai intitulé Vade-mecum de médecine, et que j'ai l'habitude d'emporter avec moi lorsque je vais par monts et par vaux pour soigner mes malades, ou pour acheter des produits. J'y note divers *sujets «de débats quodlibétiques» tout-à-fait subtils dans la technique de la médecine. J'ai choisi dans ce carnet un sujet avec ses remarques et ses arguments pour et contre, et j'ai décidé de m'en servir comme arme contre celui-là que l'on disait tellement savant, pour que je puisse faire l'expérience s’il y connaissait quelque chose en médecine, ou s'il n’y connaissait rien. Quand j'ai dit ca à mon ami, il a organisé un excellent repas et il a invité des théoriciens de la théologie, des juristes splendidissimes, ainsi que moi, comme unique — quoique indigne — représentant des médecins praticiens. Mais, voilà qu'une fois que tout le monde fut assis, pendant un long moment, personne n'a parlé et, par timidité, aucun d'entre nous n'osait entamer la discussion. Alors, j'ai poussé du coude mon voisin de table parce qu'il me revenait en mémoire, Dieu sait pourquoi, que :

Tous se taisaient et regardaient attentivement?

un vers que je garde à l'esprit jusqu'à présent parce que, quand vous nous avez expliqué l'Énéide de Virgile, vous nous avez recommandé de repérer ce passage, alors moi, j'ai dessiné en face de ce vers un bonhomme avec un verrou sur la bouche. Et puis, ca tombait parfaitement à propos parce que, d’après eux, ce savant était aussi un *poéte. Mais comme on continuait à rester silencieux, il s'est lancé dans un long préambule à un discours. Mais il parlait d'une voix tellement faible que je suis né de thoros illégitime” si j'y ai compris un traître mot. Je crois pourtant qu'il parlait de théologie. Et il a fait ça pour pouvoir entraîner dans la dis1. Revenant d'un voyage en Angleterre, Érasme s'était arrété à l'été 1514 à Strasbourg, où il avait recu un accueil triomphal de I'« académie » humaniste locale. Wimpfeling lui écrivit le 1*' septembre une lettre de félicitations au nom des douze principaux membres du groupe. 2. Virgile, Énéide II, 1. 3. Thoros signifiant « sperme », en grec, il y a dans cette phrase une double perfidieà l'égard d'Érasme, qui était considéré comme le « prince des hellénistes » et qui était bátard d'un prétre

— ce qui lui valut des difficultés considérables tout au long de sa carrière. De plus, l'homme obscur singe le tic littéraire des humanistes (notamment d'Erasme) consistant à insérer à tout pro-

pos des mots grecs (en caractéres grecs) au milieu de leurs textes latins.

TOMUS

I, EPIST.

42

303

etiam Coloniz sub virga vestra. Ille mihi dixit tunc de uno qui erat dictus Erasmus Roterdamus [sic], mihi prius incognitus, qui esset homo valde doctus in omni scibili omnique doctrinarum genere. Et dixit quod esset iam in Strafburg. Ego nolui credere et adhuc non credo, quia videtur mihi impossibile quod unus homo parvus, ut ipse est, tam multa deberet scire. Rogavi ergo illum qui mihi talia dixit valde plurimum, ut vellet me tamen ducere ad eum ut possem eum videre. Habui etiam mecum tunc unum Rapiarium quod intitulavi « Vade mecum in medicina », ut soleo semper habere, quando ambulo transcampis ad visitandos pacientes vel ad materialia emenda. In hoc habeo etiam varias quæstiones quz sunt valde subtiles in arte medicinali. Ex illo rapiario enucleavi mihi unam quæstionem cum suis notabilibus et argumentis pro et contra, cum quibus volui armatus venire contra illum quem dicebant tam scientiosum, ut possem tamen experientiam facere an etiam aliquid sciat in medicina vel non. Cum igitur dixissem hoc amico meo, instituit collationem optimam et invitavit Theologos speculativos, Iuristas splendidissimos, et me

quasi unum

ex medicinarum

practicatoribus, licet indignus. Nempe cum sedissent, tunc diu tacuerunt neque aliquis ex nobis voluit incipere prz pudore. Tunc ego stimulavi meum proximum consessorem, quod mihi ad salvos deos ex abrupto occurrit in memoriam, Conticuere omnes intentique ora tenebant.

quem versum adhuc habeo in recenti consideratione, quia vos cum exposuistis nobis Virgilium in Æneidis [sic], tunc pinxi ad illum versum, ut facerem mihi locationem in libro meo secundum quod iussistis nos, unum virum qui habet claustrum in ore. Sic ergo etiam optime venit ad propositum, cum ille scientificus etiam sit poeta ut ipsi dicunt. Quippe cum sic taceremus invicem, ipsemet incepit magno præludio sermonisare. Ego vero non intellexi, vel non sum ex legittimo thoro! natus, unicum verbum, quia habet tam parvam vocem. Puto autem quod fuit ex theologia. Et hoc fecit ut possit attrahere illum

1. Translittération du grec 9opóc (= sperme).

304

VOLUME

I, LETTRE

42

cussion le *Not’ Maitre, très érudit en théologie, qui était assis avec nous à table. Quand il a eu fini son introduction, le Not’ Maître a lancé un débat subtilissime sur l'étre et l’essence*, que je ne vais pas vous répéter parce que vous connaissez tout cela sur le bout des doigts. Quand il a fini, l'autre lui a répondu en quelques mots et de nouveau, tout le monde s'est tu. Alors donc, notre hóte, qui est un bon *humaniste,

a commencé

à par-

ler de littérature en faisant un éloge appuyé de Jules César, tant pour ses écrits que pour ses actes. Du coup, moi, quand j'ai entendu ça, ça tombait bien car j'ai beaucoup lu et j'ai suivi vos cours de *poésie? quand j'étais à Cologne. Alors j'ai dit : — Puisqu'en effet vous avez abordé la littérature, je ne peux pas me taire plus longtemps. Je dis, en toute simplicité, que je ne crois pas que ce soit César qui ait écrit les Commentaires [de la guerre des Gaules]. Et je vais prouver cette thése? par l'argument suivant : Quiconque s'occupe des armes et de travaux incessants n'a pas le temps d'apprendre le latin ; or, il est établi que César a passé son temps à faire la guerre et des travaux considérables ; donc il n'a pas pu s'instruire ni apprendre le latin. Je pense donc réellement pas autrement que c'est Suétone qui a écrit les Commentaires, car je n'ai jamais vu quelqu'un dont le style ressemble plus à celui de César, que Suétone. Après que j’eusse dit cela — et beaucoup d'autres paroles que je ne rapporte pas par souci de brièveté car, comme vous le savez, selon le dicton

antique : « Les modernes aiment la brièveté. » —, alors Érasme s'est mis à rire et n'a rien répondu, parce que je l'avais battu par la subtilité de mon argumentation. Et c'est comme ça que le repas s'est terminé et je n'ai pas voulu lui soumettre mon sujet de médecine, parce que je savais qu'il ne saurait pas plus y répondre qu'à mon argument de poésie, bien qu'il soit luiméme un poete. Et j'affirme par Dieu qu'il ne l'est pas aussi beaucoup qu'on le dit. Il ne connait rien de plus qu'un autre. En poésie, je reconnais qu'il sait s'exprimer en beau latin. Mais qu'est-ce que qa peut faire ? En un an, on peut apprendre beaucoup de choses comme cela. Alors que dans les sciences spéculatives, comme la théologie ou la médecine, il y a des tas d’autres choses à faire pour les apprendre, bien que ce type se prétende théologien". Mais, mon cher précepteur, quelle sorte de théologien ? Un élémentaire, tout juste capable de jouer sur les mots sans jamais goüter les choses mémes de 4. Débat thomiste (cf. lettre I, 39). Le théologien est donc à coup sûr un dominicain. 5. Gratius se targuait d'étre professeur de « *Bonnes Lettres » à Cologne, comme on peut le lire sur les pages de titres de ses divers ouvrages.

6. Hutten évoque cette discussion dans une lettre du 1* aoüt 1515 à Michel de Sensheim. 7. Erasme avait obtenu son doctorat de théologie en 1506 à l'université de Turin. Mais les

théologiens scolastiques refusaient absolument de le reconnaitre comme leur pair.

TOMUS

I, EPIST.

42

305

magistrum nostrum, virum maxime profundum in theologia, qui nobiscum sedebat in collatione. Quinimo cum finivisset illud præludium, tunc incepit magister noster disputare subtilissime de ente et essencia, quod non opus est iam repetere, quia bene pertractastis illam materiam. Illo finito ipse respondit paucis verbis. Tunc iterum omnes tacuerunt. Tunc ergo hospes noster, qui est bonus humanista, incepit quædam dicere ex poetria, ubi laudavit valde Cæsarem Iulium in suis scriptis et etiam factis. Profecto cum hoc audivissem, erat mihi bene adiuvatum, quia multa legi et audivi in poesi a vobis dum fui in Colonia, et dixi : « Quoniamquidem igitur incepistis loqui de poetria, non potui me longius occultare, et dico simpliciter, quod non credo Cæsarem scripsisse illa commentaria, et volo dictum meum roborare hoc argumento, quod sic sonat : "Quicunque habet negocium in armis et continuis laboribus, ille non potest latinum discere. Sed sic est quod Cæsar semper fuit in bellis et maximis laboribus. Ergo non potuit esse doctus vel latinum discere. Revera puto igitur non aliter quam quod Suetonius scripsit illa commentaria, quia nunquam vidi aliquem, qui magis haberet consimiliorem stilum Czsari quam Suetonius." » Postquam ita dixissem et multa alia verba quz hic causa breviatis omitto, quia ut scitis ex antiquo dicterio : "Gaudent brevitate moderni”, tunc risit Erasmus et nihil respondit, quia eum tam subtili argumentatione superavi. Et sic inposuimus finem collationi et nolui quaestionem meam in medicina proponere, quia scivi quod ipse non sciret, cum non sciret mihi solvere illud argumentum in poesi, et ipse tamen esset poeta. Et dico per deum quod non est tam multum ut dicunt de eo. Non scit plus quam etiam alius homo. In poesi bene concedo quod scit pulchrum latinum dicere. Sed quid est ? In anno multa possumus talia discere. Sed in speculativis scientiis, ut est theologia et medicina, multo aliter faciendum est si quis velit eas discere, quamvis ipse etiam vult esse theologus. Sed, bone praeceptor, qualis theologus ? Nempe simplex, quia laborat tantum circa verba, et non

306

VOLUME

I, LETTRES

42-43

l'intérieur. Comme si (là, je vais faire une comparaison extraordinaire !) quelqu'un voulait manger une noix et se contentait de manger le dessus sans jamais atteindre l'amande. En tout cas, c'est comme ça que je les vois avec mon esprit obtus. Mais vous comprenez les choses d'une toute autre maniére que moi, car j'ai entendu dire que vous allez déjà recevoir les insignes de docteur en théologie. Que Dieu et la sainte mére de Dieu vous soutiennent ! Pour moi, en ce qui me concerne personnellement, sans dépasser le délai que je me suis fixé, je pourrais me perfectionner beaucoup plus dans mon métier (si seulement Dieu m'accorde d'avoir beaucoup de malades) en une semaine qu'Érasme ou un autre poète en un an. Et ca suffit pour aujourd'hui ! Et qu'ils se le tiennent pour dit, parce que, par Dieu ! je suis déjà très en colère ! Une autre fois, je vous donnerai plus de nouvelles. Vivez et portez-vous bien aussi longtemps qu'un phénix ! Que tous les saints du Paradis vous l'accordent, et aimez-moi jours fait jusqu'à présent. Donné à Heidelberg.

comme

vous l'avez tou-

43 et 44

(Fa trop travaillé du goulot)

Coquet File-la-laine de Gundelfingen, chantre avec les bons copains, salue Maître Ortwin Gratius, son précepteur préféré de toutes façons. Révérend Seigneur Maître,

Je vous rends des grâces éternelles de m’avoir écrit à Eberburg une lettre vraiment consolatoire, par laquelle vous m’avez consolé parce que vous aviez appris que j'étais malade. Mais dans votre lettre, vous m'écrivez que vous avez été étonné que je sois tombé malade, alors que je n'étais pas trop chargé de travail, comme ceux qu'on appelle les désceuvrés, c'est-à-dire les valets des seigneurs. Ha, ha, ha ! Laissez-moi rire ! Que je sois bátard si je vous laisse me poser des questions aussi naivement ! Est-ce que vous ne savez pas que Dieu est libre de rendre quelqu'un malade quand il veut, et de lui rendre la santé à nouveau, quand ça lui plait ? Si la maladie était toujours causée par le travail, ca ne serait pas bon pour moi, bien que vous disiez que je ne travaille pas beaucoup.

TOMUS

I, EPIST.

42-43

307

gustat res ipsa interiores. Sicuti (volo facere optimam comparationem) si aliquis velit comedere nucem et comederet superiorem partem, et nucleum nunquam attingeret. Sic etiam est cum illis secundum meum obtusum intellectum. Sed multo aliter intelligitis quam ego, quia audio quod iam etiam vultis accipere ornamenta doctoralia in theologia. Ad quod deus et sancta dei genitrix velint vos promovere. Sed tamen hoc dico pro me, ne fiam longior quam proposui, quod velim plus acquirere mea arte (si saltem deus concederet mihi, ut haberem multos ægrotos) in una septimana quam Erasmus vel alius poeta in uno anno. Et hoc sufficiat pro nunc, et habeant sibi hoc. Quia per deum iam maxime fui iratus. Alia vice volo vobis plura novalia scribere. Vivite et valete quam diu unus fenix vivere potest. Quod dent vobis omnes sancti dei, et me diligite sicut adhuc semper fecistis. Datum in Heydelberga.

43, 44

Gallus Linitextoris! Gundelfingensis cantor inter bonos socios Salutem dicit Magistro Ortvino Gratio præceptori suo plurifariam dilecto. Reverende Domine Magister, Quia scripsistis mihi ad Eberburck valde solaciosam litteram, in qua consolastis me quia audivistis me esse infirmum. Propterea habeo vobis grates sempiternas. Sed in illa epistola scripsistis vobis fuisse mirum quare fuissem factus infirmus, cum non habeam magnos labores, ut etiam nec alii habent qui dicuntur sine labore, id est dominorum servi. Ha ha ha ! oportet me ridere, vel sim spurius, quod quaeritis ex tam simplici mente. Non scitis quod hoc est in dei voluntate quod potest unum facere infirmum quando vult, et iterum sanare quando sibi placet. Si semper debet venire infirmitas ex labore, tunc mihi non esset bonum : licet vos dicatis me non multum laborare.

1. Littéralement :« Tisse-le-lin », mais la vieille chanson frangaise m'a semblé plus immédiatement évocatrice.

308

VOLUME

I, LETTRES

43-44

Le fait est que, quand j'étais récemment à Heidelberg, chez mes bons copains, j'ai toujours dû travailler énormément du goulot, c'est-à-dire boire du vin, au point que j'ai failli ne pas réussir à m'en extraire la gueule de dedans. Et ça, vous pensez pas que c'est du travail ? Mais ça suffit comme réponse sur ce point. Ensuite, vous dites dans votre lettre que je devrais vous choisir un livre dans lequel il y aurait quelque chose de beau pour les jeunes, que vous pourriez résumer. Comme je vous ai toujours beaucoup apprécié en raison de la variété des matières que vous connaissez par cœur, je n'ai pas pu m'empécher que je ne vous envoie pas une lettre extraite d'un beau livre qui se nomme Les Lettres des maîtres de Leipzig. Elles ont été dictées par les *Not Maîtres les plus qualifiés de la sainte université de Leipzig. Et j'ai fait ceci pour la raison suivante : si cette première lettre vous plaît, alors, je vous enverrai tout le recueil, parce que je ne m'en séparerai qu'à regret. Donc, cette lettre commence comme ça : (Comment les maítres de Leipzig font la noce) Maitre Curio, vieillissime régent du pensionnat de *Henri, à Leipzig, salue Matthieu de Falckenberg, issu d'une famille de vieille noblesse son ami inséparable depuis cinquante ans et jusqu'à maintenant.

Puisqu'en effet, comme il y a déjà longtemps que nous n'avons pas été comme qui dirait ensemble, je pense qu'il serait bon de vous écrire une fois afin que cette vieille amitié ne se détruise pas. Car j'ai entendu dire par beaucoup de gens que vous étes encore vivant et que vous vous portez bien, et que vous avez encore toutes les capacités que vous aviez du temps de votre jeunesse. Quand j'ai entendu cela, nom de Dieu ! je m'en suis réjoui au plus haut point, mais que le Bon Dieu me pardonne ce foutu juron ! Que Dieu et la Sainte Vierge vous permettent une fois de chevaucher jusqu'ici, parce que j'ai entendu dire que vous ne chevauchez aussi volontiers que quand vous étiez avec moi à Erfurt et dans les autres régions de Saxe, et j'admirais toujours votre gaieté quand vous chevauchiez à cheval. J'ai eu trés peur, quand j'ai appris que les gens de Worms avaient un litige avec un certain noble!, que vous ayez pris son parti, parce qu'une vieille famille comme la vótre aime bien étre auprés d'une autre. Dans votre jeu-

nesse, vous aimiez toujours faire la féte et chevaucher avec ces gens-là, et je 1. Il s'agit du chevalier-brigand Franz von *Sickingen, aux cótés de qui Hutten irait combattre quelques années plus tard.

TOMUS

I, EPIST.

43-44

309

Quippe cum fui nuper in Heydelberga apud bonos socios, tunc maxime semper cogebar laborare cum collo, bibendo scilicet vinum, quod non mirum fuisset quod traxissem collum meum ab inde : et vos non putatis esse illum laborem ? Sed sufficiat hzc responsio ad illam partem. Postea sequitur in vestra littera quod debeam vobis disponere unum libellum in quo stet aliquid pulchrum pro iuvenibus quod possitis resumere. Cum igitur fuistis mihi semper amabilis propter disciplinas vestras varias quas scitis mentetenus, non potui me servare ut non mitterem vobis unam epistolam ex pulchro libello qui inscriptus est « Epistolare magistrorum lipsensium », quem dictaverunt magistri dispositissimi in alma universitate lipsensi. Et hoc propterea feci, si placet vobis illa prima littera, tunc volo mittere totum librum, quia non libenter permitto a me. Est ergo ista epistola talis in principio : Magister Curio Regens veterrimus in bursa Henrici Lipsig salutem dicit Matthiæ Falckenbergensi ex antiqua familia Nobilistæ ante Quinquaginta annos et adhuc suo socio indivisibili. Quoniamquidem cum sit iam longum tempus ut non fuimus simul apud invicem, bonum esse puto vobis semel velle scribere, ut antiqua amicitia non destruatur. Quia audivi a multis vos adhuc vivere et vos bene habere, atque sitis adhuc in bona possibilitate sicut fuistis adhuc iuvenis. Quod ego per deum sanctum cum maxima hilaritate audivi. Sed parcat mihi bonus deus quod tam robuste iuravi. Utinam deus et sancta Maria semel velint permittere ut huc possitis equitare, quia audio vos iam non sic libenter equitare sicut fecistis quando fuistis mecum in Erphordia et in ceteris partibus Saxoniae. Quando ego sæpius admiratus sum vestram hilaritatem, cum equitastis in equo. Ego valde timui quando audivi Wormacienses habere litigium cum quodam nobilista, ne vos etiam essetis cum illo, quia una antiqua familia, sicut vos estis, est libenter apud aliam. Semper in iuventute cum illis libenter fuistis zecchando? et equitando, in quo ego vos sæpe

2. Le verbe zechare est évidemment dérivé du macaronisme allemand Zecha.

310

VOLUME

I, LETTRE

44

vous en faisais souvent le reproche. Mais tout s'est bien passé jusqu'à présent et rendons à Jésus notre Dieu les gráces qu'il mérite pour nous avoir gardé la santé si longtemps. Je m'étonne beaucoup que vous ne m'ayez jamais écrit, alors que vous avez de nombreux messagers qui vont à Leipzig, et que vous savez bien que j'y ai toujours habité. Je ne peux pas étre aussi paresseux que vous, c'est pourquoi je vous écris encore, et toujours avec plaisir, et je sais que pendant ces années durant lesquelles nous ne nous sommes pas vus, j'ai écrit plus de vingt lettres à des savants de mon niveau. Mais cette erreur passera comme les autres. Seigneur Gentilhomme, j'aurais aimé que vous fussiez là l'autre jour, quand le Sérénissime prince de Saxe célébra ses noces? avec un bal magnifique, où il y avait de nombreux nobles. J'ai été délégué à ces noces avec notre recteur de Leipzig. Selon la coutume, nous avons offert un grand vase avec beaucoup de *florins dedans. Et nous sommes restés là-bas deux jours. Nous étions vraiment heureux et réjouis et nous avons passé notre temps à manger et à boire. J'avais avec moi un serviteur qui avait deux pots. Il savait bien où j'allais m'asseoir à table et il alla mettre les pots sous ma banquette. Il faut savoir que nous avions du vin de premiére qualité, que vous connaissez bien : un vin doux, archidoux, que j'aime tellement boire qu'il me fait tourner la téte et alors, après le repas, je vais danser. Alors, j'en ai pris du meilleur et j'en ai rempli un des pots et je l'ai reposé sous la table. C'était pour qu'on ait de quoi boire pendant le voyage. Ensuite, parmi les nombreux plats, nous avions des bonnes volailles, avec quantité de poulardes et de bonnes choses. Alors, jai pris l'autre pot et je l'ai rempli avec une poularde entière. J'ai aussi fait ca pour que le magnifique Seigneur recteur et moi-méme, nous ayons quelque chose à manger en route. Après avoir fait ca, j'ai dit à un gentilhomme : — Seigneur Gentilhomme, appelez mon serviteur, j'ai quelque chose à lui dire. Il l'a fait et mon serviteur est venu. Je lui ai dit : — Serviteur, va ramasser mon couteau qui est tombé sous la table ! (c'est moi qui l'avais fait tomber exprès). Il s'est mis à quatre pattes sous la table et il a ramassé le couteau et les pots, et il les a cachés dans son manteau. Ensuite, il s'est éclipsé sans que personne ne le remarque. Ô sainte Dorothée? ! si vous aviez fait avec nous le voyage du retour à Leipzig, la belle vie que vous auriez eue ! J'ai encore 2. Henri de Saxe se maria fastueusement au cháteau de Freiberg le 6 juillet 1512 avec Catherine de Mecklembourg. 3. La mystique Dorothée de Montau était célébre pour ses macérations : elle cessa pratiquement de s'alimenter à partir de l’âge de six ans. Son invocation est donc particulièrement bien venue au milieu d'un banquet (cf. lettre I, 21).

TOMUS

I, EPIST.

44

317

taxavi. Sed tamen cum adhuc omnia bona sunt, volumus referre Deo Iesu meritas grates quod tam diu mansimus sani. Miror valde quod mihi nunquam scripsistis, cum tamen habetis multos nuncios ad Lipsig, et bene scivistis quod hic semper habitavi. Ego non possum esse tam piger ut vos estis, quare etiam scribo vobis, et semper scribo libenter, et scio quod in illis annis, quibus nos simul

invicem non vidimus, scripsi plus quam viginti litteras ad doctos viros meos æquales. Sed transeat ille error cum ceteris. Domine nobilista, ego velim quod nuper fuissetis hic, quando Serenissimus princeps Saxoniz habuit suas nupcias cum pulcherrima corisatione, ubi fuerunt multi nobilistæ. Ego fui in illis nupciis missus cum Rectore nostro lipsensi, ut solet fieri. Ubi propinavimus magnam Crateram et multos florenos intra, et mansimus ibi per duos dies, et fuimus valde lati et hilariter nos refecimus comedendo et

bibendo. Ego habui mecum unum famulum qui habuit duas ollas, et ille bene scivit ubi ego sederem in mensa, et posuit illas ollas infra scamnum meum. Tunc habuimus vinum de meliori. Scitis bene quod est illud. Est enim dulcissime dulce, quod ego tam libenter bibo ut mihi fiat rotundum caput inde, et post prandium soleo tunc chorisare. Tunc accepi et implevi de meliori, et iterum posui infra mensam. Hoc autem feci quod aliquid haberemus bibere in via. Postea inter alia multa fercula habuimus bonum Galrinum? cum multis gallinis et bonis rebus. Tunc accepi aliam ollam et implevi cum tota gallina. Etiam hoc feci ut magnificus dominus Rector et ego haberemus aliquid comedere in via. Illo sic habito dixi ad unum nobilistam : « Domine nobilista, vocate mihi servum meum, habeo sibi aliquid dicere. » Cum ille fecisset et servus venit, dixi : « Famule, veni, leva mihi cultellum quod cecidit mihi infra mensam. » (sed tamen ego libenter misi cadere), et sic repsit infra mensam et accepit cultellum et ollas infra vestem, et sic distillavit quod nullus unquam vidit. O sancta Dorothea, si tunc affuissetis nobiscum in via, quando perreximus ad Lipsig iterum, quam iucunditer voluissemus vitam habuisse. Ego comedi eciam^ ad

3. Dérivé de gallina, formé à la manière de porcinum, vitulinum, etc: 4. Cette graphie (pour etiam) était fréquente au Moyen Âge. Cf. quelques lignes plus bas : disnllacionem.

312

VOLUME

I, LETTRE

44

mangé des restes pendant deux jours parce que nous n'avions pas pu tout manger en route. La raison pourquoi je vous écris cela, c'est que je sais que vous étes aussi fort habile au vol à la tire. C'est en tout cas ce que vous faisiez quand vous étiez avec moi. D'ailleurs c'est de vous que j'ai appris la technique et, par ma foi, c’est une excellente technique ! Je ne l'échangerais pas contre cent *gulden. Quelqu'un m'a dit tout récemment que vous aviez un beau jardin dans votre pays, dans lequel vous avez beaucoup de fruits, des poires, des pommes et des raisins. Et quand vous étes à l'auberge — car vous ne prenez pas vos repas chez vous —, alors vous emportez une grande besace dans laquelle vous faites disparaitre des petits pains, des volailles róties et des viandes. Et vous faites la manipulation avec tant d'art que personne n'y voit rien, et ca m'épate. Mais je crois que vous avez un long entrainement et « c'est en forgeant qu'on devient forgeron », comme dit le *Philosophe au chapitre neuf

de la Physique. J'ai aussi appris que vous vivez avec une maîtresse qui y voit mal d’un œil. Je vous admire de pouvoir être encore un mâle pendant la nuit alors que vous étes si vieux. Mais j'ai aussi appris — et c'est ce qui m'étonne le plus — que votre machin est resté dressé pendant six semaines sans que vous puissiez le plier, et vous avez dit que c'était une maladie. O Dio ! Si seulement j'avais cette maladie-là, quel bon camarade je serais ! Mais croyez-moi, je n'y arrive plus autant que dans ma jeunesse. J'ai méme dü renvoyer ma cuisiniére voici quatre semaines parce que je n’y arrivais plus du tout. Il me reste une chose à vous demander avant de conclure : si vous avez un enfant ou un parent, ou bien si vous avez un bon ami qui en a un, et qu’il doive faire des études, alors envoyez-le moi à Leipzig. Nous avons beaucoup de savants maîtres chez nous et nous avons du bon manger dans notre pensionnat, et deux fois par jour, le matin et le soir, il y a sept plats, à savoir : - le premier, qui s'appelle « Toujours », c'est-à-dire Bouillie en allemand ; - le second, « Sans cesse », c'est-à-dire Soupe ; - le troisième, « Chaque jour », c'est-à-dire Purée ; - le quatriéme, « Souvent », c'est-à-dire Viande maigre ; - le cinquième, « Rarement », c’est-à-dire Rôti ; - le sixième, « Jamais », c’est-à-dire Fromage ; - le septième, « Des fois », Pomme ou Poire. Et avec ca, nous avons une bonne boisson, qu'on appelle Couven?. Voilà ! Qu'est-ce qu'il vous faut de plus ? Nous avons ce menu pendant l'année entiére et tout le monde en est satisfait. 4. C'est dans la Métaphysique (I, 1) qu' Aristote énonce cette forte pensée : « Le métier vient de l'expérience ». De plus, la Physique ne contient que huit livres.

5. C'était un des noms de la biére dans le jargon des étudiants de Leipzig (cf. De generibus ebriosorum, éd. Zarncke, p. 144).

TOMUS

I, EPIST.

44

315

duos dies postea de illis reliquiis, quia non potuimus totum comedere in vla. Propterea autem vobis hoc scripsi, quia scio quod vos etiam libenter distillatis per filtrum et per saccum. Tunc enim fecistis cum fuistis adhuc mecum, ubi ego didici a vobis. Et est in bona fide optima ars. Ego non vellem carere centum aureis. Dixit mihi nuperrime unus quod habetis pulchrum hortum in vestra patria, in quo habetis multos fructus, et piras et pomas et botros. Et cum estis in hospicio vestro, quia non habetis propriam mensam in domo, tunc habetis magnum Carnirum, in quem distillatis et simellas et assatas aves et carnes, et ita pulchre facitis distillacionem, ut nemo vidit, quod ego miror. Sed credo hoc habetis ex longo usu. Usus enim facit artem, ut dicit philosophus nono phisicorum. Audio etiam quod habetis vobiscum unam amasiam quz non vidit bene cum uno oculo. Ego miror profecto quod adhuc potestis esse in nocte unus vir et estis tam senex. Et quod mihi maxime mirum est, audivi quod res vestra stetit una statione ad sex hebdomadas, quod non potuistis flectere, et vos dixistis quod esset ex infirmitate. O dio?,

si etiam haberem talem infirmitatem, quam bonus socius tunc velim esse. Sed credite mihi, non possum amplius sicut scivi in iuventute. Et percussi extra domum meam cocam ante quattuor hebdomadas, tam diu est quod nihil magis potui. Est adhuc unum quod volo vos petere antequam faciam conclusionem. Si habetis aliquem puerum vel consanguineum, vel si scitis bonum amicum qui habet, et si debet studens fieri, tunc mittite huc

ad Lipsig ad me. Nos habemus multos doctos magistros apud nos, et habemus bonum comedere in bursa nostra et cotidie septem fercula bis, mane et sero, scilicet Primum dicitur « Semper », id est teutonice grutz, Secundum « Continue », id est sop, Tertium « Cottidie », id est mufj,

Quartum « Frequenter », id est magerfleisch, Quintum « Raro » id est gebrottes, Sextum « Nunquam », id est kef3e,

Septimum « Aliquando », æpffel und birn. Et cum hoc habemus bonam potationem quz dicitur Conventum. Ecce videte, non est satis ? Illum ordinem semper servamus per totum annum, et laudatur ab omnibus.

5. Exclamation typiquement italienne.

314

VOLUME

I, LETTRES

44-45

Mais dans nos chambres, nous n'avons pas beaucoup de manger supplémentaire, parce que ça ne serait pas bon. Sans cela, nos élèves n'étudieraient pas. C'est la raison pour laquelle j'ai fait inscrire dans toutes les chambres ces deux vers : Au pensionnat, le réglement Apporte tes provisions

est toujours le suivant : si tu veux que nous mangions.

Mais ça devrait suffire. Vous voyez que je suis moi aussi un poète, sans en avoir l'air. Donné vite fait à Leipzig, sous un ciel azuré. Portez-vous bien avec votre maîtresse, plus gai que l’abeille dans le thym ou que le poisson dans les ondes. Portez-vous encore bien une fois. Maintenant, voyez, Seigneur Maitre Ortwin, si cette lettre vous alors je vous enverrai tout le livre qui en est plein et, d'aprés mon faible, il y en a qui sont trés bonnes. Je ne vois plus rien d'autre à vous Portez-vous bien en celui qui a créé le monde. Donné à Eberburg, oü j'aimerais que vous soyez avec moi, sinon diable m'emporte !

plait, esprit écrire.

que le

Le sixième dimanche? entre Pâques et la Pentecôte.

45 (Dfefferkorn n'est que le préte-nom des théologiens de Cologne, et nous pourrions partager la méme maîtresse)

*Arnold de Tongres *Not' Maitre en *page sacrée salue Maitre Ortwin Gratius

Vénérable Seigneur Maitre, Je suis offensé d'une offense majeure. Je comprends maintenant la vérité de ce dicton des poétes : « Un malheur ne vient jamais seul », et je vais vous le prouver. Voilà que je suis malade, et en plus de cette maladie, je suis touché par une offense majeure, qui est la suivante : chaque jour, des gens vien6. Litt. : le vendredi, mais peut-être aussi le sixième jour « férié », donc le sixième dimanche.

TOMUS

I, EPIST.

44-45

315

Sed tamen in habitationibus nostris extraordinarie non habemus multa comedere, quod etiam non esset bonum, alias enim suppositi nostri non studerent. Quare ego scripsi ad habitationes omnium illos duos versus :

Regula bursalis

est omni tempore talis :

Prandia fer tecum,

si vis comedere mecum.

Sed hoc sit satis, videtis quod etiam sum poeta, ne videar superfluus. Datum raptim ex Lipsig, sub blauio cælo, et valete cum amasia vestra laetius quam apis in thymo vel piscis in undis. Valete adhuc semel. Nunc videte, domine Magister Ortvine, si placet vobis illa epistola, tunc volo vobis mittere totum librum plenum, quia sunt valde bonæ secundum meum debile ingenium : alias nihil magis possum vobis iam scribere. Valete in eo qui cuncta creavit. Datum in Eberburck, ubi velim quod essetis mecum, vel diabolus

confundat me. Sexta feria infra pasche et penthecoste.

45 Arnoldus de Thungaris Magister Noster in sacra pagina salutem dicit Magistro Ortvino Gratio. Venerabilis Domine Magister, Ego vexor iam supra vexationem : nunc intelligo illud dicterium poetarum esse verum : « Nullum damnum solum », et hoc volo sic probare. Ego iam sum infirmus, et supra illam infirmitatem venit mihi alia vexatio maxima, quz est talis. Currunt cotidie ad me homines et

316

VOLUME

I, LETTRE

45

nent me voir ou méme m'écrivent depuis diverses régions, parce que je suis célébre à travers tout le pays à cause du pamphlet! que j'ai fait, comme vous le savez, pour attaquer la * Défense de Jean Reuchlin. Or, ces gens disent et écrivent qu'ils s'étonnent que nous ayons délégué à Jean Pfefferkorn, juif renégat, la táche d'écrire pour notre parti, pour se défendre lui-méme et pour nous défendre tous contre Reuchlin et pour défendre notre religion. Car ainsi, il se fait une renommée, alors que c'est nous qui aurions fait tous les ouvrages qu'il a publiés sous son nom. C'est la vérité, je l'ai dit sous le sceau de la confession. Ils ont aussi dit qu'il avait composé un nouveau livre qu'il a intitulé en latin * Défense de Jean Pfefferkorn contre Jean Reuchlin, dans lequel il raconte toute l'affaire depuis le début jusqu'à la fin. Et il a méme écrit ce texte en allemand". Quand j'ai entendu ça, j'ai dit que ce n'était pas vrai, tout simplement parce que je n'en savais rien. Mais s'il a fait ca, par Dieu, c'est un scandale ! parce qu'il ne m'a pas tenu au courant, alors qu'auparavant, il me consultait toujours. Je crois qu'il ne se souvient méme plus de moi parce que je suis malade. S'il m'avait demandé mon avis, je lui aurais dit qu'une seule fois suffisait parce que je sais que nous n'arriverons à rien en publiant des écrits. En effet, Reuchlin contre-attaque chaque fois comme s’il était possédé par le diable. Mais si c'est vrai, je vous prie instamment de le faire cesser, car vous pouvez l'empécher puisque c'est vous qui révisez les épreuves de ses livres. Secundo, j'ai appris — mais cela ne m'a pas peiné autant — que vous avez grimpé la servante (cela dit en toute honnêteté) de l'imprimeur *Quentel et que vous lui avez fait un enfant. Et méme que c'est vrai ! Mais, à dire vrai, il parait qu'il lui a donné son compte et qu'il ne veut plus d'elle dans sa maison. Alors, elle reste chez elle à fabriquer des chemises neuves avec des vieilles. Je vous prie, au nom de l’extrême affection que nous avons l'un pour l'autre, de bien vouloir m'écrire si c'est vrai ou pas, parce que qa fait longtemps que j'aimerais la baiser et je n'ai jamais voulu le faire parce que je craignais qu'elle soit encore vierge. Mais si c'est vrai que vous avez fait ca, et si la chose vous convient, nous allons la grimper tous les deux, à tour de róle, moi un jour et vous le lendemain, en commengant par moi parce que les plus diplômés passent les premiers : je suis docteur et vous n'étes que *maître. Ce que j'en dis, c'est sans intention méprisante. De cette maniére, nous pourrons garder cela secret et nous la nourrirons avec son enfant en partageant les frais. Je pense que ca lui plaira beaucoup. D'ailleurs, je me rends compte que, si je l'avais grimpée, il y a longtemps que je ne serais plus malade comme Ça. Du coup, je compte bien me purger les reins et retrouver la santé. 1. Les *Articles, contre les *Besicles de Reuchlin. 2. Tout laisse évidemment supposer que Pfefferkorn avait rédigé l'ouvrage en allemand (Beschyrmung) et que c'était Gratius qui l'avait traduit en latin.

TOMUS

I, EPIST.

45

317

etiam scribunt ad me ex diversis provinciis, ut notus sum in omnibus regionibus propter libellum, quem feci contra defensorium Iohannis Reuchlin, ut scitis. Illi homines dicunt et scribunt eos mirari quod permittimus Ioannem Pfefferkorn, tinctum Iudaum, accipere nostrorum causa laborem scribendi, ut defendat se et nos omnes contra

Reuchlin, et defendat fidem nostram. Sic quod ipse habeat nomen et nos tamen scripta omnia fecerimus quz emisit suo nomine, ut tunc verum est. In confessione hoc dixi. Dixerunt etiam quod iam compilasset novum librum quem intitulavit in latino « Defensorium Iohannis Pfefferkorn contra Iohannem Reuchlin », in quo enarrat totum factum a principio usque ad finem. Quem libellum theutonisavit etiam. Cum ego hoc audivissem, dixi quod non esset verum, simpliciter quia ego nihil scirem de hac re. Et si fecit, tunc per deum scandalum est, quod me non fecit certum, et tamen prius semper me consultavit. Credo quod ipse iam non recordatur mei, cum sum infirmus. Si me interrogasset, tunc dixissem uno modo satisfuisse, quia scio quod scribendo nihil acquiremus. Nam Reuchlin semper restimulat quod habet diabolum. Si ergo ita est, tunc peto diligenter, ut non faciat, quia vos potestis impedire tanquam corrector suorum librorum. Secundo audivi etiam, quod non tam vehementer dolui, vos lardasse ancillam (cum honestate dico) Quentels impressoris et fecisse sibi unum puerum. Atque ut verum sit. Tunc ipse dedit sibi veniam et non vult pati amplius in domo, et iam est in propria domo, et facit

antiquas tunicas novas. Peto vos propter maximam charitatem quam habuimus semper alternatim, ut velitis mihi hoc scribere an sit vel non, quia ego libenter vellem eam diu supposuisse. Sed tamen non volui facere, quia timebam quod esset adhuc virgo. Si autem ita sit, quod vos fecistis, tunc si potestis pati, volumus ad unam dicam lardare, ego hodie et vos cras, quia digniora sunt priora, ego doctor et vos magister. Dico tamen hoc sine contemptione. Sicque volumus hoc in secreto servare atque eam nutrire cum puero expensis mutuis. Et scio quod ipsa libenter erit contenta. Atque etiam scio, si diu lardassem eam, non

esset mihi infirmitas illa. Spero tamen quod volo renes purgare, ut fiam sanus.

318

VOLUME

I, LETTRES

45-46

Et avec qa, portez-vous bien. Si je n'étais pas trop faible pour voyager, je serais allé vous rendre visite au lieu de vous écrire. Alors, répondez-moi. Donné vite fait à notre pensionnat de *Mons.

46 (Les brillants théologiens thomistes de Heidelberg)

Jean Wagner d'Ambach! à Ortwin Gratius de *Deventer, un certain nombre de saluts. Puisqu'en effet vous m'avez écrit l'autre jour comment que ça va pour moi à Heidelberg ? et comme quoi je vous réponde comment que me plaisent les docteurs et les maîtres d'ici ? sachez donc primo que la première fois que je suis venu à Heidelberg, je travaillais comme cuisinier au pensionnat, où j'avais le couvert gratis et quelques sous pour mes dépenses. Qa m'a permis de faire des progrès et d'arriver jusqu'au diplôme de *maitre. J'ai fait comme le pauvre Henri’, qui n'avait pas de livres ni de papier, mais qui écrivait tout sur sa pelisse. C'est aussi comme cela que vivait Plaute qui portait, comme un âne, des sacs de farine au moulin, ce qui ne l'a pas empêché de devenir un auteur trés savant, parce qu'aprés ca, il a écrit en vers et en

prose?. Surtout, pour que vous sachiez qui sont les savants ici, je vais vous les citer, en commengant par les plus importants, et en continuant par les autres : car, comme dit le *Philosophe au livre I de la Physique : « Il faut descendre du général au particulier » ; et Porphyre lui aussi est descendu du genre le plus général à l'espéce la plus spéciale, à laquelle Platon recommande de s'arréter? ; enfin, une énumération doit commencer par les plus dignes, comme dit le Maitre paien au livre II de son traité De l’âme.

1. Plusieurs Ioannes Currificis sont attestés dans les universités allemandes de l'époque, mais aucun originaire d'Ambach. 2. Le « Pauvre Henri » (Henricus Septimellensis) était un brillant étudiant florentin qui avait commencé par « manger de la vache enragée ». Il composa, vers 1191, un poème sur ce sujet, intitulé De diversitate fortune et philosophice consolatione. 3. L'anecdote est rapportée par Aulu-Gelle (Nuits attiques, III, 3-14), citant Varron. 4. Citation presque mot à mot du commentaire de Boéce à l'Isagogé de Porphyre (III, 8) : « quapropter usque ad specialissima a generalissimis descendentem iubet Plato quiescere. » 5. Aristote encore, De Anima, II, 4.

TOMUS

I, EPIST.

45-46

319

Et cum hoc valete. Si non fuissem debilis transicionis, tunc met

ivissem ad vos et non scripsissem : sed tamen vos debetis mihi rescribere. Datum raptim ex bursa nostra Montis.

46 Ioannes Currificis! Ambachensis Ortvino Gratio Daventriensi

salutis plurimum. Quoniamquidem mihi nuper scripsistis quomodo mihi succederet in Heidelberga et quod etiam vobis rescriberem quomodo placerent mihi hic Doctores et magistri, sciatis ergo primo quod quamprimum veni ad Heidelbergam, fiebam cocus in bursa, ubi habeo mensam

gratis et etiam aliquas pecunias pro mercede, et possum proficere et complere ad gradum magisterii. Sic etiam fecit pauper Henricus qui non habuit libros neque papirum, sed omnia scripsit ad pellicium suum. Ita etiam nutrivit se Plautus qui portavit saccos ad molendinam sicut asinus, et tamen postea evasit in doctissimum autorem, quia postea scripsit metra et prosas. Praeterea ut sciatis qui sunt hic viri docti, volo vobis prius recitare de dignioribus, et deinde successive de aliis,

quia, ut dicit philosophus primo phisicorum : « Oportet ex universalibus ad singularia procedere. » Et Porphirius etiam descendit a genere generalissimo ad speciem specialissimam, ubi iubet Plato quiescere. Et a dignioribus debet fieri denominatio, ut dicit gentilis magister in secundo de anima.

1. Ce nom est la traduction latine de l'allemand Wägner (= charron).

320

VOLUME

I, LETTRE

46

Parmi tous les docteurs en théologie, il y en a un avec nous, qui est un «frére» précheur, et qui a une voix de trombone, bien qu'il soit tout petit. Les gens aiment beaucoup l'écouter précher, et ils ont de l'estime pour lui, parce que, par Dieu ! ce qu'il est savant ! et méme superlativement savant ! Je vous le dis, il y a foule à ses sermons parce qu'il est agréable et qu'il en sort des bonnes blagues du haut de la chaire ou de la tribune. Une fois, je l'ai entendu traiter depuis là-haut ce *sujet de débat [*quodlibétique] tiré des Seconds Analytiques : « Pourquoi ce qui existe existe-t-il, si cela existe, et dans quel but ? »f. Et en plus, il a été capable de le dire en allemand ! Une autre fois encore, il a fait un sermon sur la virginité. Il a dit que les vierges qui avaient perdu leur pucelage disaient généralement qu'on le leur avait pris de force. Alors, il a dit : — De force ? Parlons-en ! Je vous demande un peu ! Si quelqu'un tient sa lame nue dans une main et un fourreau dans l'autre, et qu'il n'arréte pas d'agiter le fourreau, est-ce qu'il pourra s'empécher d'entrer sa lame dedans ? Eh bien, c'est pareil dans les vierges ! Une autre fois encore, c'était pour le nouvel an, au moment de faire des

cadeaux à chacun selon son rang, il en a fait aux étudiants des trois colléges (parce qu'il y a ici des *modernes et des *anciens). Aux modernes, il a offert Saturne en leur expliquant : — Saturne est une planète froide et il convient bien aux modernes parce qu'ils sont eux-mêmes des *artiens froids, parce qu'ils ne se conforment pas à saint Thomas, ni aux *compilations, ni aux *sommes prescrites par le recueil de cours du pensionnat de *Mons à Cologne. Mais aux *thomistes, il a offert pour le nouvel an un enfant qui a couché avec Jupiter et qui s'appelle Ganymède. Cela convient aux *réalistes, parce que Ganyméde sert à Jupiter le vin, la biére, et le doux jus de réglisse. Cette histoire, qui se trouve dans le premier livre de l’Énéide’, a été magnifiquement commentée par * Torrentinus. C’est en effet de cette façon que les « réalités » pénètrent dans leurs techniques et leurs savoirs, comme il le prouva par de nombreux arguments. Il ajouta encore beaucoup d'autres choses délectables, propres à étonner chacun. Pour concevoir des raisonnements aussi subtils et élégants, je pense qu'il a passé beaucoup de nuits, couché dans son lit, sans dormir. Pourtant, il y en a beaucoup qui disent qu'il préche rien que de la foutaise. Et ils le surnomment « le tchatcheur? » ou bien « Jean Sans-Téte » ou «Tête d'oie », pour cette raison qu'il s'est trouvé un jour sans argument dans un débat «quodlibétique». Et cette fois-là, ils l'ont traité réellement comme on n'a jamais traité personne depuis un siécle ! Il y en a un qui l'a attendu 6. Pastiche des quatre questions d'Aristote sur l'étre (Seconds Analytiques, II, 1). 7. On connaissait à l'époque Ganymède par ce passage de l'Enéide (I, 38).

8. Litt. : « le caqueteur ».

TOMUS

I, EPIST.

46

321

Inter omnes doctores Theologi: est unus hic qui est praedicator nobiscum, et habet tubalem vocem, licet parvus sit. Illum audiunt

homines libenter predicare et tenent aliquid de eo, quia per deum ipse est doctus, et doctus in superlativo, dico vobis, et multi homines intrant eius prædicationes, quia ipse est delectabilis et lacerat bonos possos? in ambone sive cancellis. Ego audivi semel ab eo ex libris Posteriorum de quzstione, quia est quid est, si est, et propter quid est, et omnia scivit in theutonice dicere. Praeterea semel prædicavit de virginitate, et dixit quod virgines qua amiserunt suam virginitatem, solent dicere quod sit eis per vim factum. Tunc ipse dixit : « Bene veneritis, per vim. Ego quzro, si unus haberet nudum gladium in una manu et vaginam in alia, et ipse semper moveret vaginam, nonne est ita quod ipse non posset gladium intra stimulare ? Sic etiam est in virginibus. » Praeterea semel in novo anno quando unicuique statu dedit novum annum, tunc dedit studentibus in Tribus Bursis (quia hic sunt moderni et antiqui), modernis dedit Saturnum, et ita exposuit : « Saturnus

est frigidus planeta, et ille bene convenit modernis,

quia ipsi sunt frigidi artistas, quia non servant Sanctum Thomam et Copulata et Reparationes secundum processum bursæ montis in Colonia. » Sed Thomistis dedit pro novo anno unum puerum qui dormivit apud Iovem et vocatur Ganimedes. Ille quadrat realistis, quia Ganimedes propinat Iovi vinum et cerevisiam et dulcem potum de lacaritio, quam historiam pulcherrime interpretavit Torrentinus in primo libro /&neidos. Sic etiam reales infundunt eis artes et scientias, et multa arguitur.

Et multa alia delectabilia, ut unus posset mirare. Ego credo quod iacuit multas noctes, et non dormivit quando illa ita subtiliter et pulcherrime speculavit. Sed sunt multi qui dicunt quod sit frascaria? quod ipse praedicat, et vocant eum « Quacculator? » et « Ioannes cum destructo capite » et « auca caput », ex illa ratione, quia ipse stetit semel male in disputatione. Tunc expediverunt eum ita realiter sicut unus in centum annis expeditus est. Et unus expectavit eum ante lectorium et detraxit suum 2. De l'allemand Posse (= plaisanterie). 3. De l'italien frascheria (— frivolité). 4. De l'allemand Gackeler (= bavard).

322

VOLUME

I, LETTRE

46

à la sortie de la salle de cours, et qui lui a óté sa barrette (non pas pour l'honorer, mais comme les juifs quand ils ont couronné le Christ d'épines et qu'ils se sont agenouillés devant lui) en lui disant : — Seigneur Docteur, sauf votre respect, que Dieu bénisse votre bain !? Alors il a répondu : « — Merci bien, Seigneur Bachelier ! » et il est parti sans un mot. Et quelqu'un m'a dit qu'il avait les yeux remplis de larmes et qu'il lui avait semblé qu'il s'était mis à pleurer apres. Quand j'ai entendu parler d'injures pareilles, ca m'a fait mal au ventre. Si j'avais su ce qu'était ce faux-cul, je lui aurais cassé la gueule, au risque de me faire casser la téte à coups de planche. Mais il a maintenant un disciple, que je trouve savant, et presque plus que savant, et méme presque plus savant que son maitre, bien qu'il ne soit que simple *bachelier biblique. Il y a quelques temps, je dirais méme il y a extrémement peu de temps, il a résolu pas moins de vingt sujets et sophismes!, et à chaque fois en donnant tort aux modernes, à savoir : Est-ce que Dieu est contenu dans un *prédicament ? Est-ce que l'essence et l'existence sont distinctes ? Est-ce que les « rollations!! » sont distinctes de leur fondement ? Est-ce que les dix prédicaments sont distincts réellement ? Oh là là ! Qu'est-ce qu'il y a eu comme contradicteurs ! De ma vie, je n'ai jamais vu plus de contradicteurs dans une salle de cours ! Il a défendu ses thèses et il s’en est tiré avec les honneurs, parce que pour un simple maitre, ca aurait déjà été suffisant d'y arriver contre un seul contradicteur. Mais je me suis étonné que le doyen ait autorisé «ce débat», moi je crois que c'était malsain à cause de la canicule, d'ailleurs c'est interdit par les statuts. Et

quand le débat a été terminé, j'ai improvisé ce petit poème à sa louange, parce que moi aussi, je suis un peu *humaniste à mes heures : Voilà un maitre bien savant. Il a, en deux temps trois mouvements, Trouvé si l'étre de l'essence Se distingue de l'étre de l'existence. Il a trouvé des « rollations », Des distinctions entre les prédicaments Et si Dieu dans le Firmament Est dans un prédicament Personne ne l'a fait avant lui Dans tous les siécles des siécles. 9. Le salut à l'entrée du bain était une formule traditionnelle (de protection magique), mais il était souvent adressé avec un intention néfaste. Cf. Hans Sachs : « Le Diable dit : Je bénis ton bain ! (der teufel sprach, ich gsegn dirs bad). » 10. Ces questions sont extraites de L’Étre et l'Essence (De ente et essentia) de'Thomas d'Aquin. 11. Jean Wagner a sans doute forgé ce mot à partir des termes techniques scolastiques corrolatio et relatio.

TOMUS

I, EPIST.

46

523

baretum ab inde (sed non propter honorem, sed sicut fecerunt Iudæi quando coronaverunt Christum et flectebant genua) et dixit : « Domine doctor, cum supportatione, Deus benedicat vobis balneum ! » Tunc ipse dixit : « Deo gratias, Domine Baccalaurie ! » et non dixit

amplius et abivit. Unus dixit mihi, quod oculi eius steterunt sibi plenum aqua, et credidit quod ploravit postea. Et quando ego audivi tales vexationes, tunc doluit mihi in ventre, et si ego scivissem quid ille leccator? fuisset, ego percussissem me cum eo, et si deberent mihi caput cum una dila? abinde trusisse.

Sed ipse habet adhuc unum discipulum, ille est mihi unus doctus vir, et quasi plus quam doctus, et etiam quasi plus doctus quam suus preceptor, nisi quod ipse est simplex baccalaureus in biblia. Ipse iam pauculis, immo paucissimis temporibus praeteritis intimavit bene viginti quzstiones et sophismata, et semper contra modernos, videlicet Utrum deus sit in praedicamento, Utrum essentia et existentia sint distincta,

Utrum rollationes a suo fundamento sint distincta et Utrum decem praedicamenta sint realiter distincta. Hui quot respondentes ! Ego non vidi in vita mea plus respondentes in lectorio, et ipse etiam defendit sua dicta et imposuit honorem, quia unus simplex magister haberet cum uno sufficientiam. Ego miravi quare Decanus admisit, ego credo quod fuit insanus propter Caniculares, quia est contra statuta. Et quando disputatio fuit, ex tunc ego in laudem ipsius metrificavi illa carmina ex tempore, quia ego pro parte sum humanista : Hic est unus doctus magister, Qui intimavit bis vel ter, An esse essentiz Distinguatur ab esse existentiz ;

Et de Rollationibus, Et de prædicamentorum distinctionibus, Et utrum deus in firmamento Sit in aliquo praedicamento. Quod nemo fecit ante eum Per omnia sæcula seculorum.

5. De l'italien /eccatore (= lécheur). En ancien français : Achard. 6. De l'allemand Dele (= planche).

324

VOLUME

I, LETTRE

46

Mais ca suffit sur ce sujet. Maintenant, je vais vous parler un peu des *poétes, ou plutôt vous écrire. Il y en a un ici qui fait cours sur Valère Maxime!?, mais il ne me plait pas à moitié autant que vous me plaisiez quand vous faisiez votre cours à Cologne sur Valére Maxime. En effet, il l'explique avec simplicité, alors que vous, quand vous expliquiez les chapitres sur « La religion négligée », « Les réves », « Les auspices », vous citiez l'Écriture sainte, autrement dit la *Chaîne

d'or que l'on appelle le Continuum de saint Thomas, *Durand et les autres sublimes en théologie. Vous nous ordonniez de bien noter ces points de la *page sacrée. Alors, nous dessinions en face une petite main et nous l'apprenions par cceur. Sachez aussi qu'ici on reçoit moins d'étudiants qu'à Cologne, parce qu'à Cologne, les étudiants peuvent avoir des allures que les vagabonds ont ici. Et ici, quand des étudiants viennent mendier leur pitance, on la leur refuse, parce que tous doivent avoir une place au réfectoire du pensionnat et étre immatriculés à l'université. Mais bien qu'ils soient peu nombreux ici, ils sont insolents et méme aussi insolents que beaucoup à Cologne. Tout récemment, ils ont jeté au bas de l'escalier un régent de pensionnat qui se tenait devant une chambre en train d'écouter les jeux qu'ils faisaient à l'intérieur. Alors, il y en a un qui a voulu sortir, il l’a trouvé là et l'a balancé au bas des marches. Mais par-dessus tout, ils ont l'audace de se battre avec les gendarmes, comme ceux de Cologne le font avec les ouvriers!?. Ils se proménent à la façon des gendarmes, avec des poignards dégainés, des laniéres et des épées. Ils ont méme des billes de plomb attachées à des longues cordelettes, qu'ils peuvent lancer et ramener ensuite. L'autre jour, les gendarmes ont donné à un pensionnaire d'ici un tel coup sur le crâne qu'il est tombé par terre. Mais il s'est aussitót relevé et il s'est défendu réellement et il les a cognés et il les a tous mis en fuite et ils se sont sauvés comme des possédés!*. Il y a encore une chose que vous devez savoir. Demandez au Docteur * Arnold de Tongres, qui n'est pas le plus mauvais en théologie, si c'est un péché de jouer des indulgences aux dés. Je connais des soi-disant camarades, qui sont des ribauds et qui ont perdu comme ça toutes les indul-

12. On pourrait penser à Hermann Busch, mais Bócking observe qu'il ne se trouvait pas à Heidelberg à ce moment. 13. Litt. : « avec les tonneliers ». 14. Litt. : «comme s'ils avaient le «mal de» Saint Valentin » (appelé en France le « feu saint Antoine »).

TOMUS

I, EPIST.

46

025

Sed de hoc sufficienter. Nunc de poetis volo aliquid dicere vel scribereset sic: est hic unus qui facit Valerium Maximum, sed ipse non placet mihi in media parte tam bene sicut vos mihi placuistis quando vos fecistis Coloniz Valerium Maximum, quia ille hic procedit simpliciter, vos autem quando legistis ibi de neglecta religione, de Somniis, et de Auspitiis, tunc allegastis sacram scripturam, videlicet Cathenam auream quz vocatur Continuum beati Thomz, Durandum et alios sublimatos in Theologia, et iussistis quod bene notaremus illa puncta ex sacra pagina et pingeremus ibi unam manum et disceremus men-

tetenus. Sciatis etiam quod hic non intrant tam multa supposita sicut Colonie, quia Colonie studentes possunt esse sicut hic sunt scutones/, et ibi aliqui studentes scutant etiam parthecas?, quod non volunt hic concedere, quia oportet hic quod omnes habeant mensam in bursa et sint in matricula universitatis. Sed quamvis hic sunt pauci, tamen

sunt audaces

et bene tam

audaces sicut illi multi in Colonia, quia ipsi scalaverunt nuperrime unum regentem in bursa, qui stetit ante cameram et audivit quod luserunt interius. Tunc unus voluit exire et invenit eum ibi et proiecit eum per gradus. Præterea etiam sunt audaces, quia percutiunt se hic cum reuteris? sicut faciunt Colonie cum Doleatoribus, et incedunt more reuterorum cum productis gladiis et Chordis et Spadis, etiam cum plumbatis, ubi habent cordulam, ut possunt iactare et iterum ad se trahere. Nuper semel reuteri secaverunt hic unum Domicellum per scabiem quod cecidit ad terram. Sed cito surrexit et defendit se realiter et percussit et secavit eos omnes quod habuerunt Sanctum Valentinum, et omnes currebant fugens. Adhuc unum est quod debetis scire. Vos debetis interrogare Doctorem Arnoldum de Tungari, qui non est minimus in Theologia, an etiam sit peccatum ludere in taxilis pro indulgentiis. Ego scio aliquos praetensos socios qui sunt ribaldi, qui perluserunt omnes indul7. Scuto est dérivé de scutum, litt. : «bouclier » (en allemand Schutz). Ce terme désignait les

étudiants vagants, qui circulaient d'une université à l'autre en vivant plus ou moins de mendicité. On disait aussi Bacchans. 8. Parteca (de l'allemand Parteke) signifiait une portion. Luther a raconté que dans sa jeunesse, pour payer ses études, il allait chanter dans les fermes avec d'autres enfants. Les paysans les payaient d'une saucisse (« ...da ich ein kleiner Knabe war, und meine Gesellen, mit denen ich die Parteken gesammlet, davon wir uns bey unserm Studio erhalten móchten, auch begegnet ist... da uns der Bauer singen hórete, kam er heraus, und fragete mit groben baürischen Worten, wo wir wären und sagte :Wo seyd ihr Buben, und brachte zugleich etliche Würste mit, die er uns geben wolte. » Luthers Werke III, Leipzig, 1729, p. 255). 9. Allemand : Reuter (Ritter) = cavalier.

326

VOLUME

I, LETTRES

46-47

gences que Jacques de la *Grand-Rue leur avait données, quand il a terminé le procés de Reuchlin à Mayence. Ils étaient trois et ils ont dit que ces indulgences ne servaient à rien pour les gens. Si c'est un péché, comme je le pense — et il n'est pas possible que ce ne soit pas un péché — alors, je les connais bien et je vais maintenant les dénoncer aux «freres» prêcheurs!”, qui vont les condamner de la belle maniére. Et moi aussi, en ce qui me concerne personnellement, je suis assez courageux pour leur tartiner leur pain «avec de la merde». Voilà, je n'ai plus rien d'autre à vous écrire, sinon de saluer pour moi la bonne de *Quentel qui est sur le point d'accoucher!6. Portez-vous catchement!”?, athlétiquement, combativement, impérialement, bellement et magnifiquement, comme dit *Érasme dans ses Adages!$. Donné à Heidelberg.

47 (Les crimes des dominicains) Wendelin Dutailleur de Guenilles,

*bachelier et chantre à Strasbourg, à Maitre Ortwin Gratius, de nombreux saluts

Vous m'avez reproché, dans votre lettre précédente, de prendre mon encre pour une liqueur précieuse, ma plume pour un mouchoir en batiste et mon papier pour des feuilles d'or, ce qui expliquerait pourquoi que je vous écrirais si rarement. Mais maintenant, je vais à l'avenir vous écrire sans cesse, et surtout parce que vous avez été mon précepteur à *Deventer en classe de cinquième. Et c'est aussi parce que vous êtes mon parrain. C'est pour ça qu'il faut que je vous écrive. Mais, puisque j'ai pas de nouvelles à vous raconter, je vais vous écrire d'autres choses. Mais je sais qu'elles ne vont pas vous faire plaisir, parce que vous étes bien du parti des «fréres» précheurs. L'autre jour, voilà qu'on était assis une fois à un banquet. Alors, il y en a un qui s'est assis et qui parlait si admirablement latin que je comprenais pas tous les mots qu'il disait, mais il y a des choses que j'ai bien comprises, et 15. Les dominicains étaient responsables de l'Inquisition. 16. Voir la lettre précédente. 17. Litt. : « pancratiquement ». 18. Adages, IL, VIII, 86. Érasme y commente cette salutation très « sportive », citée de Plaute, dans Les Bacchides.

TOMUS

I, EPIST.

46-47

321

gentias quas dedit eis Iacobus de alta platea, quando ipse terminavit causam Reuchlins in Maguntia, quia tres fuerunt ibi, et etiam dixe-

runt quod ille indulgentiæ non essent hominibus proficuæ. Si est peccatum sicut credo, et non est possibile quod non sit peccatum, tunc ego nosco illos bene, tunc ego volo hoc prædicatoribus dicere, qui erunt eos recte confundere, et ego etiam volo eis met in propria persona, ego sum bene tam audax, ad panem eorum ponere. Nihil est iam amplius ad scribendum, nisi salutate mihi ancillam

Quentels quz iam est in puerperio, et Valete Pancratice, Athletice, Pugilice, Basilice, belle et magnifice, prout dicit Erasmus in parabolis. Datum Heidelberg.

47 Wendelinus Pannitonsoris baccalaureus et cantor in Strafbergk Magistro Ortvino Gratio salutem plurimam.

Vos culpastis me in superiori littera quod atramentum esset mihi balsamus et calamus bissinus et papirus aurea eo quod ego vobis ita raro scriberem. Ego volo nunc deinceps semper vobis scribere, et maxime quia vos fuistis preceptor meus in Daventria in quinto loco, et quia etiam estis vittrinus meus, quare ego teneor vobis scribere. Sed quia iam nullas novitates habeo, volo vobis alia scribere. Sed ego scio quod illa non delectabunt vos, quia vos estis bonus super latere praedicatorum. Nuper semel sedimus in simposio. Tunc sedit ibi unus qui loquebatur tam mirabile latinum, quod ego non omnia verba intellexi, sed aliqua bene, et inter cetera dixit, quod vellet unum tractatum com-

328

VOLUME

I, LETTRE

47

entre autres qu'il allait écrire un traité qui devait paraître pour la prochaine foire de Francfort!, et qui s'appellerait Le Catalogue des «freres» prévaricateurs, c'est-à-dire des précheurs. Il voulait y raconter tous leurs crimes qu'ils ont faits, parce qu'ils sont le plus criminel de tous les ordres. En premier, comment que ça s'était passé à *Berne, comme quoi le prieur et les supérieurs avaient fait entrer des putains dans le couvent, et comment qu'ils avaient fabriqué un nouveau saint François? et comment que la Sainte Vierge et les autres saintes étaient apparues à un frère lai’, et aussi aprés comment que les moines ont essayé de faire avaler à ce bigot une hostie empoisonnée. Et comme quoi tout ça, c'est des crimes et des délires que ces moines avaient faits, et comment ils avaient été brülés après. Ensuite, il a voulu raconter aussi comment une fois, à Mayence, il y a un précheur qui a sauté une pute au milieu de l'église, devant l'autel, et comment aprés, les autres putains l'ont engueulée et l'ont traitée de « putain de moines » et de « putain de sacristie », et de « putain d'autel ». Et ca, il y a des gens qui l'ont entendu, parce qu'ils connaissent cette putain. Et il va aussi raconter comment il y a un «frére» précheur, à Mayence, qui a voulu s'envoyer la servante de l'Auberge de la Couronne, la fois que les «fréres» précheurs d'Augsbourg ont eu leurs indulgences*. Comme ils couchaient dans cette auberge, et que la servante voulait faire le lit, il y a un moine qui l'a vue et qui lui a couru après. Il l'a balancée par terre et il a voulu la grimper. Alors, la servante s'est mise à appeler et des gens sont arrivés pour lui porter secours. Sans ça, il se la faisait ! Et il a voulu raconter comment ici, à Strasbourg, dans le couvent des précheurs, il y avait des moines qui ramenaient des femmes dans leurs cellules, en les faisant passer par la riviére qui coule le long de leur couvent. Et qu'ils leur avaient rasé les cheveux?. Et les femmes ont passé longtemps pour des moines, et elles allaient au marché ou elles achetaient des poissons à leurs maris qui étaient des pécheurs. Mais à la fin, elles ont été dénoncées. Et pareil, les prêcheurs ont fait une fois un mauvais coup à des étudiants itinérants. Et comme une fois, il y a eu un prêcheur qui s’est promené avec une nonne pas loin d’une école, alors les étudiants les ont

entraînés tous les deux à l’intérieur de l’école et leur ont mis une sacrée fessée. Et quand ils ont flanqué la fessée à la bonne sœur, ils ont vu qu'elle avait 1. La foire du livre se tenait tous les ans à Francfort. 2. Dans ce récit, l’homme obscur mélange plusieurs histoires concernant les dominicains : l'épisode de Wigand *Wirt et du novice Jetzer qui avait simulé les stigmates, avait eu lieu en 1509 à Berne. En revanche, l'affaire de l'hostie empoisonnée avait eu lieu en 1313 à Milan et c'est

l'empereur Henri VII qui avait été assassiné. 3. Le novice Jetzer, manipulé par les supérieurs, qui avaient ainsi déclenché une vague de faux miracles et une affluence de pélerins, pour critiquer la thèse de l'immaculée conception.

4. Qu'ils venaient vendre dans la région. 5. Ils leur avaient fait une tonsure pour qu'elles aient des tétes de moines.

TOMUS

I, EPIST.

47

329

ponere qui deberet exire ad proximam missam! Franckfurdensem, qui deberet intitulari « Cathalogus prævaricatorum, hoc est prædicatorum. » Quia vellet scribere omnes eorum nequitias quas fecerunt, quia iam essent inter omnes ordines nequitiosissimi. In primis quomodo contigisset in Berna quod prior et superiores introduxerunt meretrices ad claustrum, et quomodo fecerunt novum Sanctum

Franciscum,

et quomodo

Beata virgo et ceteræ Sancta

apparuissent illi Nolhardo, et etiam quomodo monachi voluerunt postea illi Nolhardo venenum dare in Corpore Christi, et quod hzc omnia essent nequitiæ et fantasiæ quod ipsi monachi fecerunt, et quomodo deinde essent combusti. Deinde voluit componere quomodo semel unus prædicator supposuit Maguntiz in ecclesia ante altare unam meretricem, et quando deinde aliæ meretrices fuerunt iratæ super illam, tunc nuncupabant eam « monachus meretrix », « ecclesia meretrix », et « altare meretrix ». Et hoc audierunt homines, et cognoscunt etiam adhuc illam

meretricem. Et vult etiam componere quomodo unus prædicator voluit uno modo Maguntiæ in hospitio ad Coronam ancillam lardare, quando praedicatores de Augspurg habuerunt suas indulgentias ibi, quia iacuerunt in illo hospitio, et ancilla voluit lectum facere, et unus monachus vidit eam et currit ei postea et proiecit eam ad terram et voluit ante. Tunc ancilla clamavit, et homines venerunt ei in auxilium. Alias oportuisset quod illa ancilla servasset ei unum ex. Et voluit componere quomodo hic in Strafiberg in claustro prædicatorum fuissent monachi qui duxissent mulieres ad cellas eorum per ripam quz fluit apud claustrum eorum, et raserunt eis crines abinde, et ille mulieres iverunt longe pro monachis, et iverunt ad forum et emebant pisces a viris suis qui erant piscatores, et postea fuerunt tradita. Et taliter praedicatores fecerunt semel nequitiam bachantibus. Et quando semel unus prædicator ivit spaciatum cum monacha, tunc iverunt apud Scholas, et scolares trahebant illos duos monachos ad scholam et correxerunt eos audacter, et quando monacham correxe-

]. De l'allemand Messe.

330

VOLUME

I, LETTRE

47

un con. Ca les a tous bien fait rigoler et ils leur ont fichu la paix. Mais aprés, on ne parlait plus que de ça dans toute la ville. Alors moi, par Dieu ! quand il a dit ça, ça m'a mis très en colère et je lui ai dit : — Vous ne devriez pas dire des choses pareilles !Méme à supposer que ca soit vrai, vous avez quand méme pas le droit de les dire parce que, si les gens apprenaient tous leurs crimes, ca pourrait bien arriver qu'ils se fassent tous massacrer en une heure de temps, comme c'est arrivé aux templiers? ! Alors il a dit : — J'en connais tellement là-dessus que je pourrais en écrire vingt rames de papier. Alors j'ai dit : — Pourquoi voulez-vous accuser tous les «freres» prêcheurs ? Ils n'ont pas tous fait cela. Si ceux de Mayence, d'Augsbourg et de Strasbourg sont des criminels, les autres sont peut-étre honnétes. Alors il a dit : — Comment ! Tu me contredis ? Je crois que tu es le fils d'un précheur, ou bien que tu as été un prêcheur toi-même ! Cite-moi le nom d'un seul couvent où il y a des précheurs honnêtes ? Alors j'ai dit : — Et ceux de Francfort, qu'est-ce qu'ils ont fait ? Alors il a dit : — Tu n'es donc pas au courant ? Ils ont chez eux un supérieur, qui s'appelle *Wigand, et qui est le cerveau de tous les crimes. C'est lui qui a été à l'origine de l'hérésie de Berne. Il a écrit un pamphlet contre *Wesalius et par la suite, à Heidelberg, il s'est rétracté, l'a déchiré, censuré et renié. Il a ensuite écrit un autre livre nommé le *7ocsin, qu'il n'a pas eu le courage de le publier sous son nom. Alors il y a fait mettre le nom de Jean *Pfefferkorn, en lui promettant la moitié des bénéfices, si ça lui convenait. Il savait bien

que Jean Pfefferkorn est le genre d'homme qui ne se soucie de personne, et qui ne se soucie méme pas de sa réputation, dés qu'il est question de gagner de l'argent, comme tous les juifs. Quand j'ai vu qu'il y avait plus de gens de son avis que du mien, alors je suis parti. Mais j'étais trés en colére qu'il ne soit pas seul. Si j'avais été seul en face de lui, je lui serais rentré dedans ! Portez-vous bien. Donné à Strasbourg le jeudi après la fête de saint Bernard". L'an mil cinq cent seize. 6. L'homme obscur a une vision fort exagérée de l'histoire, car la destruction de l'ordre des templiers par le pape ClémentV et le roi de France Philippe le Bel a duré une bonne dizaine d'années. 7. La saint-Bernard se fête le 20 août.

TOMUS

I, EPIST.

47

391

runt, viderunt quod habuit vulvam. Tunc omnes riserunt et dimise-

runt eos in pace, et tota civitas fiebat deinde plena de illa re. Tunc ego fui per deum valde iratus quando talia dixit, et dixi ad eum : « Vos non deberetis talia dicere. Posito casu quod essent vera, tamen adhuc non deberetis dicere, quia posset bene contingere quod omnes occiderentur in una hora sicut Templarii, si homines illas nequitias omnes scirent. » Tunc dixit : « Ego scio adhuc tot quod non possem ad viginti arcus papiri scribere. » Tunc ego dixi : « Quare vultis de omnibus prædicatoribus scribere ? Non tamen fecerunt omnes. Si illi in Maguntia et in Augspurgk et in Strafberg sunt nequitiosi, tunc alii sunt forte probi. » Tunc ille dixit : « Quomodo confundis me ? Ego credo quod tu sis filius prædicatoris, vel fuisti met prædicator. Nuncupa mihi unum

claustrum, ubi

sunt probi praedicatores. » Tunc ego dixi : « Quid fecerunt illi in Franckfurdia ? » Tunc dixit ille : « Nescis hoc ? Illi habent principalem apud eos qui vocatur Wigandus. Ille est caput omnium nequitiarum, et ipse incepit illam hæresem in Berna, et fecit unum libellum de Wesalio, et illum postea in Heydelberga revocavit, cassavit, extirpavit et annullavit. Et fecit etiam deinde unum alium librum qui vocatur « Die sturmglock », et ipse non fuit ita audax quod scriberet suum nomen, sed misit Iohannem Pfefferkorn suum nomen scribere?, ut daret sibi medium lucrum, tunc velit esse contentus, quia bene scivit quod Iohannes Pfefferkorn esset talis homo qui neminem curaret, etiam suam famam non curaret, quando nisi lucraret pecunias, sicut faciunt omnes

Iudzi. » Et quando ego vidi quod eorum erant plus quam meorum, tunc ego abivi. Sed fui valde iratus quod ipse non fuit solus. Si fuissemus ego et ipse solus, ego vellem diabolum posuisse. Valete. Datum ex Strafberg Feria quarta post festum Sancti Bernhardi. Anno Millesimo quingentesimo decimosexto.

2. Misit... scribere est peut-être la reproduction macaronique de l'allemand //ef.... schreiben.

392

VOLUME

I, LETTRE

48

48 (Les souffrances de l'Inquisiteur)

Jacques de la *Grand-rue trés humble professeur dans les *arts libéraux septénaires et néanmoins originels et en sanctissime théologie non moins que maitre des hérétiques, c'est-à-dire leur correcteur, dans certaines régions d'Allemagne, un salut dans Notre Seigneur Jésus-Christ à Ortwin Gratius de *Deventer, qui passe sa vie à Cologne. Jamais la trés douce pluie ne fut plus appréciée par les campagnards aprés une longue sécheresse, ni le soleil après de longs nuages, que ne le fut par moi votre lettre que vous m'avez envoyée ici à Rome. Quand je l'ai lue, je fus si transporté de joie que j'en aurais pleuré avec plaisir, parce que je me revoyais chez vous à Cologne, quand nous buvions toujours une ou deux chopes de vin ou de biére, et nous jouions aux dames et j'étais content. Mais vous voulez que je fasse à mon tour comme vous, c'est-à-dire que je vous écrive aussi ce que je fais ici, à Rome!, depuis si longtemps, et comment ca va pour moi. Je vais le faire trés volontiers. Sachez donc que je suis en bonne santé, gráce à la divine inspiration. Mais pourtant, bien que je sois en bonne santé, je ne suis pas heureux ici parce que ce procès, pour lequel je me trouve ici, est en train de mal tourner pour moi. Je voudrais ne l'avoir jamais entamé. Tout le monde se moque de moi et m'injurie, et Reuchlin est mieux connu ici qu'en Allemagne. Il y a de nombreux cardinaux, évéques, prélats et *courtisans qui l'aiment. Si je ne m'étais pas lancé dans cette histoire, je serais encore à Cologne et je mangerais et je boirais bien, alors qu'ici, il y a des jours où j'ai à peine du pain sec?. Je crois aussi qu'en Allemagne tout va de travers depuis que je n'y suis plus. Tout le monde écrit maintenant des livres de théologie à sa guise. On dit qu'*Érasme de Rotterdam a écrit de nombreux traités de théologie?. Je ne crois pas qu'il ait raison en tout. Il a commencé par insulter les théologiens dans un petit traité^, et il écrit maintenant en théologien. C'est incroyable ! Si je viens en Allemagne, et que je lis ses opuscules et que j'y 1. Aprés sa condamnation au procès de *Spire, Hochstraten s'était rendu à Rome pour tenter de retourner les hautes autorités de la *Cour (cardinaux et Rote) contre Reuchlin. 2. Évocation des tourments du « fils prodigue » de ? Évangile (Luc XV). 3. D'*Art de la vraie théologie, ainsi que les autres traités servant d'introduction à sa traduction du Nouveau Testament, de février 1516.

4. Sans doute l’Éloge de la folie, publié en 1511, dans lequel Érasme étrillait trés durement les théologiens.

TOMUS

I, EPIST. 48

333

48 Iacobus de Altaplatea septenarum et liberalium necnon ingenuarum artium et Sacratissima Theologiz professor humillimus necnon in aliquibus partibus in Germania hareticorum magister id est corrector Ortvino Gratio Daventriensi in Colonia vitam trahens salutem in domino nostro Iesu Christo. Nunquam fuit tam grata ruriculis dulcissima pluvia tempore longæ siccitatis, neque sol post longas nebulas, quam mihi fuit littera vestra quam ad me huc ad Romam misistis. Quando ego eam legi, tunc fui ita gaudibundus quod libenter flevissem, quia mihi videbatur quod iam essem in Colonia in domo vestra, quando bibimus semper unam vel duas quartas vinum vel cerevisiz, et lusimus in assere, ita lætus fui. Sed vos vultis quod ego iterum ita faciam sicut vos, hoc est quod ego etiam scriberem quid faciam hic in Roma tam longe, et quomodo mihi succedat. Quod volo libentissime facere. Sciatis ergo quod ego adhuc sum sanus divina spiratione. Sed tamen quamvis sum sanus, adhuc tamen non sum libenter hic, quia illa causa, propter quam ego sum hic, est mihi nunc adversa. Ego vellem quod nunquam incepissem eam. Omnes derident me et vexant me, et noscunt hic Reuchlin

melius quam in Almania, et multi Cardinales et episcopi et prælati et Curtisani

amant

eum.

Si non

incepissem,

tunc

essem

adhuc

in

Colonia, et comederem et biberem bene ; ego habeo hic aliquando vix siccum panem. Ego credo etiam quod male iam procedat in Almania, quia ego sum absens. Omnes iam scribunt libros in theologia secundum suum libitum. Ipsi dicunt quod Erasmus Roterdamus composuit multos tractatus in theologia. Ego non credo quod faciat omnia recte. Ipse etiam prius in uno parvo tractatu vexavit theologos, et iam scribit theologice. Est mihi mirum. Si ego venio ad Almaniam et lego suos

334

VOLUME I, LETTRE 48

trouve le moindre point sur lequel il s'est trompé ou bien que je ne comprends pas, je vais lui voler dans les plumes ! En plus, il a écrit en grec”, et ça, il n'aurait pas dû, parce que nous sommes des Latins et pas des Grecs. S'il veut écrire de manière à ce que personne ne le comprenne, pourquoi est-ce qu'il n'écrit pas aussi en italien, ou en tchèque, ou en hongrois ? Comme ça, personne ne le comprendrait ! Qu'il se conforme à notre usage de théologiens, mille diables ! Qu'il écrive des Est-ce que ? et des Contre, des Arguments, des Répliques et des *Conclusions, comme l'ont toujours fait les théologiens ! Et comme cela, nous le lirons ! Je ne peux pas vous parler de tout, ni méme de la pauvreté où je suis réduit ici. Les courtisans «romains», quand ils me voient, me traitent d'apo-

stat et disent que j'ai renié mon ordref. Et ils font pareil au docteur Pierre *Meyer, le curé de Francfort, car ils l’insultent aussi bien que moi, parce qu'il me soutient. Mais pour lui, ca va mieux que pour moi, parce qu'il a un bon office’, parce qu'il est chapelain du cimetiére?, ce qui est, par Dieu ! un bon office, bien que les courtisans disent que c'est l'office le plus minable que l'on puisse trouver à Rome. Mais qa ne fait rien. Ils le disent par jalousie, parce que c'est son gagne-pain et il arrive à se nourrir tant bien que mal, jusqu'à la fin de son procès contre ceux de Francfort”. Presque tous les jours, nous allons tous les deux nous promener au *Campo dei fiori pour y attendre les Allemands. Nous sommes contents de voir des Allemands. Et voilà qu'arrivent les courtisans. Ils nous montrent du doigt et se mettent à rire en disant : — Regarde !Voilà les deux qui veulent bouffer Reuchlin ! Eh bien, qu'ils le bouffent ! Mais aprés, il faudra qu'ils le chient ! Et ils se moquent tellement de nous que qa ferait pleurer des pierres. Alors, le curé dit :

— Sainte Vierge ! Qu'est-ce que ca peut faire ? Nous allons supporter cela en pensant à Dieu, qui a lui-méme beaucoup souffert pour nous. De plus, nous sommes des théologiens et nous devons étre humbles et méprisés dans

ce monde!?, Cela me remet de bonne humeur, et je me dis : 5. Contrairement à son habitude, Érasme n'avait pas farci son Art de la vraie théologie de citations en grec. En revanche, notre Hochstraten de papier ne supporte pas qu'Érasme ait publié les Évangiles en grec, de sorte qu'aucun théologien ne soit capable de les lire. 6. Les dominicains étaient supposés étre un ordre mendiant, donc vivre dans la pauvreté.

7. La *Cour pontificale vendait d'innombrables « offices » ecclésiastiques pour faire entrer de l'argent dans ses caisses. 8. Litt. : « chapelain du champ de Dieu ».

9. Les chanoines de Francfort avaient intenté un procès au curé Pierre Meyer (fervent antireuchliniste) parce qu'il ne voulait pas partager les revenus de la paroisse selon l'usage. C'est le

procés « en compétence » dont il sera souvent question dans le second volume des Lettres. 10. Parodie de l’Épître aux Hébreux XII, 2. selon laquelle c’est l’ignominie de la croix que Jésus a méprisée.

TOMUS

I, EPIST.

48

335

codiculos, et invenio unum parvissimum punctum ubi erravit vel ubi ego non intelligo, ipse debet videre quod ego volo sibi super cutem. Ipse scripsit etiam grece, quod non deberet facere. Quia nos sumus Latini et non Grzci. Si vult scribere quod nemo intelligat, quare non scribit etiam Italicum et Bohemicum et Hungaricum ? Et sic nemo intelligeret eum. Faciat se conformem nobis Theologis in nomine centum diabolorum, et scribat per Utrum et Contra, et Arguitur, et Replica, et per Conclusiones, sicut fecerunt omnes Theologi, sic etiam nos legeremus. Ego non possum vobis iam omnia scribere, neque meam pauper-

tatem quam hic habeo dicere. Illi Curtisani quando vident me, tunc nuncupant me Apostata et dicunt quod ego cucurri ex ordine. Et sic etiam faciunt Doctori Petro Meyer Plebano in Franckfurdia, quia vexant eum ita bene sicut me, quia ipse favet mihi. Sed tamen ipse habet melius quam ego, quia ipse habet bonum officium, quia est Capellanus super dei agro, quod est per deum bonum officium, licet Curtisani dicunt quod sit vilissimum inter omnia officia quæ in Roma possunt esse. Sed hoc nihil nocet, ipsi dicunt hoc ex invidia. Ipse tamen habet panem suum de hoc et nutrit se taliter qualiter, donec ipse suam causam contra Francfurdienses ad finem ducat. Omni die quasi ivimus ipse et ego spatiatum in Campo florz, et expectamus Teutonicos. Ita libenter videmus Teutonicos. Tunc veniunt illi Curtisani et monstrant cum digitis super nos, et rident et dicunt : « Vide, ibi vadunt duo qui volunt Reuchlin comedere ! Comedunt ipsi eum, tunc etiam merdant eum iterum. », et habemus tantas vexationes quod deberet lapidem commovere. Tunc dicit plebanus : « Sancta Maria, quid nocet ? Nos volumus hoc propter deum pati, quia deus multa passus est pro nobis, et nos etiam sumus Theologi, qui debent esse humiles et spreti in hoc mundo. » Et ita facit me iterum lætæ mentis, et cogito :

336

VOLUME

I, LETTRE

48

— Qu'ils disent ce qu'ils veulent, ils n'obtiennent pas non plus tout ce qu'ils veulent ! Si nous étions dans notre pays et que quelqu'un osait nous traiter comme ca, là, nous saurions bien quoi lui dire et quoi lui faire. Et moi, ça ne trainerait pas que je lui intente un mignon proces. Méme que, tout récemment, alors que nous nous promenions, en voilà deux ou trois qui marchaient devant nous, et nous derriére eux. Et alors, j'ai trouvé un billet «par terre». Je pense que l’un d'entre eux l'avait laissé tomber exprès pour que nous le ramassions. Il contenait les vers suivants :

Épithaphes de Hochstraten Colère, fureur, rage, douleur, sévérité et pâleur livide, N'ont pas cessé de vivre avec Hochstraten. Il a planté ces boutures pour le peuple sans goût, À la mémoire de son esprit et en souvenir. Une autre

Poussez sur cette tombe, ifs et aconits vénéneux ! Celui qui y repose était le plus hardi des malfaiteurs. Une autre

Pleurez, méchants, et vous, les bons, réjouissez-vous ! Car la mort

Arrivant entre vous, a privé les premiers et comblé les derniers. Une autre

Ci-git Hochstraten. Les méchants l'ont supporté vivant Mais les bons ne le pouvaient pas. Il a quitté la vie indigné et fáché, parce qu'il Ne pouvait plus nuire à personne. Moi et le curé, quand nous avons trouvé ce billet, nous sommes rentrés à la maison et nous avons planché dessus plus de huit ou quinze jours, sans arriver à le comprendre. Il me semble qu'il est question de moi dans ces vers, parce qu'on y parle de Hochstratus. Mais il me semble aussi que ce n'est pas de moi qu'on parle, parce que ce n'est pas comme ça que je m'appelle en

latin. En latin, mon nom est Jacques de la *Grand-Rue!!, c'est-à-dire en allemand Jakob von Hochstraten. 11. Jacobus de Altaplatea.

TOMUS

I, EPIST.

48

9894

« Dicant quid volunt, ipsi tamen non habent omnia quz volunt. » Si essemus in patria et unus faceret nobis ita, tunc sciremus etiam ei aliquid dicere vel facere. Quia ego vellem levem causam quærere contra ipsum. Nuperrime etiam ivimus uno modo spaciatum, tunc duo vel tres iverunt ante nos et nos post eos, tunc ego inveni unam cedulam. Ego credo quod unus eorum misit eam libenter cadere, ut nos inveniremus, et illa continet illa metra :

Epithaphia! Hochstrati. Ira, furor, rabies, dolus, inclementia, livor, Dum cadit Hochstratus, non cecidere simul. Hzc ille insipido posuit plantaria vulgo, Ingenii dotes et monumenta sui.

Aliud. Crescite ab hoc, taxi, crescant aconita sepulchro. Ausus erat sub eo qui iacet omne nephas.

Aliud. Flete, mali, gaudete, boni, mors una duorum In medium veniens abstulit his, dedit his.

Aliud. Hic iacet Hochstratus, viventem ferre patique Quem potuere mali, non potuere boni. Ipse quoque excedens vita indignatus ab illa, Maæstus ob hoc, quod non plus nocuisset, erat. Ego et Plebanus quando invenimus illam cedulam, tunc ivimus ad domum et iacuimus plus quam octo aut quattuordecim dies supra, et non potuimus intelligere. Mihi videtur quod me attingant illa metra, quia stat Hochstratus interius. Sed ego etiam cogito quod non attingant me ante, quia ego non vocor ita in latino, sed vocor Iacobus de altaplatea vel in teutonice Iacobus Hochstraten.

1. Hochstraten «de papier» maítrise mal l'orthographe des mots grecs latinisés (epitaphium).

338

VOLUME

I, LETTRE

48

Cest pourquoi je vous envoie cette lettre pour que vous me donniez votre interprétation : s'agit-il de moi ou non ? S'il s'agit de moi (ce que je ne crois pas, pour la bonne raison que je ne suis pas mort), je m'en vais lui coller un procès par devant l'Inquisition, et quand il sera entre mes mains, je m'en vais lui préparer un bain qui lui fera passer le goût de rire ! Et je m'y connais ! J'ai ici un bon partisan, qui est un pays : c'est le palefrenier du cardinal de Saint-Eusèbe!?. Il lui mitonnera un bon séjour au cachot au pain sec et à l'eau, et avec une bonne maladie. Faites donc diligence et écrivez-moi rapidement votre jugement, afin que j'en sois bien certain. J'ai également entendu dire que Jean *Pfefferkorn était redevenu juif, mais je ne peux pas le croire, parce qu'on m'avait dit, voici deux ou trois ans, qu'il avait été brülé à Halle sur ordre du margrave. Mais ce n'était pas lui. Pourtant, la nouvelle était vraie, mais elle concernait un autre qui portait le

méme noml°. Je ne crois pas non plus qu'il devienne Mamelouk!l#, parce qu'il écrit contre les juifs. D'ailleurs, cela serait déshonorant pour tous les théologiens de Cologne et tous les précheurs, avec qui il était dans les meilleurs termes auparavant. Qu'ils disent ce qu'ils veulent, moi, par Dieu ! je n'y crois pas ! Et ainsi, portez-vous bien. Donné à Rome, à l'Auberge de la Cloche au Campo dei fiori, le 21 août.

12. Hochstraten avait tenté de suborner le cardinal de Saint-Eusébe, Pietro *Accolti. Mais

celui-ci, tout comme Achille de Grassis et d'autres, vota néanmoins en faveur de Reuchlin. Nous possédons deux lettres que lui a envoyées Reuchlin (10 fév. 1515 et 13 nov. 1518). 13. L'affaire avait eu lieu en 1514 (cf. lettre I, 10).

14. Les Ottomans venaient de renverser l'empire mamelouk en Égypte (août 1516), mais Hochstraten de papier pense peut-étre aux janissaires, qui étaient souvent des enfants chrétiens enlevés à leur famille, et qui devenaient ainsi des apostats (musulmans).

TOMUS

I, EPIST.

48

339

Quare ego mitto illam litteram ad vos, quod vos velitis eam interpretare an velit me vel alium. Si vult me (quod ego non credo, quia ego adhuc non sum mortuus), tunc volo inquisitionem facere, et quando ego habeo eum, tunc volo sibi unum balneum præparare, quod non debet ridere. Ego bene possum. Ego habeo hic unum bonum fautorem, qui est lansmannus? meus, et ille est Stafirus? Cardinalis Sancti Eusebii. Ille debet bene preparare quod veniat ad carcerem, et quod ibi comedat panem et aquam, et habere pestilentiam. Quare facite diligentiam et scribite mihi mentem vestram, ut sim certioratus. Ego etiam audivi quod Ioannes Pfefferkorn esset iterum Iudzus, quod ego non credo, quia etiam dixerunt ante duos vel tres annos, quod esset combustus a margravio in Hallis. Sed etiam non fuit verum de eo, sed de alio qui etiam sic vocabatur fuit bene verum. Ego non credo quod fiat mammaluca, quia ipse scribit contra Iudzo. Et esset etiam omnibus Doctoribus Theologiæ in Colonia et omnibus prædicatoribus dedecus, quia ipse fuit cum eis bene ante. Dicant quicquid velint, ego per deum non credo. Et sic valete. Datum Romæ in hospitio ad Campanam in Campo flora Vicesima prima Augusti.

T. 3 2. De l'allemand Landsmann (= homme du pays). 3. De l'italien szaffiere, valet chargé de présenter l'étrier (staffa) à son maitre pour l'aider à monter à cheval.

340

VOLUME

I, LETTRE

49

Lettre d’un certain frère, dévót et sans crainte, de l’ordre saint et sans tache, c’est-à-dire de saint Augustin, au sujet des fácheuses nouvelles d'événements survenus récemment à Colmar. Que la colére divine soit sur nous ! Hélas, mon Dieu !

49 L'humble frère

Jean Ledingue! dit de nombreux saluts au révérend père, le frère Richard de Folleville?, seigneur vraiment dévót.

Je ne peux pas te donner, sans torturer mon àme par une grande douleur, mon trés cher frére, des nouvelles des faits qui se sont récemment déroulés ici-méme dans notre ville, et qui nous ont touchés, ainsi que notre saint ordre. Car il y a chez nous, au couvent, un frére que tu connais bien. C'est un homme respectable, utile au monastère et qui fait honneur à tout l'ordre,

parce qu'il a une voix de trombone dans le chœur et qu'il joue bien de l'orgue. L'autre jour, voilà qu'il s'est mis à baratiner une brave commére de notre ordre, qui était belle à l'époque, mais qui est devenue une vilaine béte depuis qu'elle nous a désertés. Il lui a fait un tel baratin qu'elle est venue le rejoindre la nuit dans le monastère, et elle y est restée trois nuits. Deux ou trois frères l'ont rejointe et ils se sont tous payé du bon temps. Ils se sont amusés avec elle, et ils lui ont tous tiré un coup énergiquement et virilement, comme à la fête de Codrus?, si bien qu'elle s'en est trouvée bien contente. Et le jour où elle devait rentrer chez elle, il lui a dit : — Viens, il faut que je te ramène dehors, pour que personne puisse te voir. Elle a dit : — Donne-moi d'abord mon salaire pour toi et pour tous les autres ! Et il a dit : 1. De l'allemand Tol/heit (= folie). On peut aussi imaginer que Tollheit-anus signifie « Culde-folie ». 2. Le calembour allemand porte sur la transformation du nom de la ville de Halberstadt (litt. : « Demi-ville ») en Kalberstadt (Kälbern signifie « folâtrer »). 3. Le Codrus en question n'est ni le saint, ni le roi d'Athénes, ni le berger de Virgile, ni le minable poète dont parle Juvénal, mais sans doute l'humaniste italien Antonius Urceus (+ 1500), auteur de nombreux poèmes, souvent érotiques.

TOMUS

I, EPIST.

49

341

(Lettre apocryphe de l'édition de 1556)

Epistola cuiusdam devoti et imperterriti fratis sancti et impolluti ordinis, hoc est, divi Augustini, de malis novitatibus nuper in Colmaria factis,

divina ira super nos, proh bone Deus.

49 Humilis frater Ioannis Tolletanus reverendo patri, frateri [sic] Richardo Kalberstatensi, domino vere devoto salutem plurimam dicit.

Non possum tibi non sine magno

cruciatus animo meo dolore,

clam habere, charissime frater, de his quae nobis et nostris sancti ordinis hic in civitate noviter successerunt, et asteterunt. Quia est apud nos in Convento unus frater, quem tu met novisti, spectabilis vir, uti-

lis Monasterio et toto ordini honorabilis, quia habet tubalem vocem in choro, et scit bene ludere in organis. Ipse nuper loquebatur et peroravit unam bonam fautricem ordinis formosam, olim quando fuit, sed nunc apostetavit a nobis et facta est mala bestia. Et dixit tam multum, quod ipsa ad noctem venit ad illum ad Monasterium, et ad tres noctes ibi mansit. Et venerunt ad eam duo vel tres fratres, et fuerunt omnes laeta mente, et leviter sensati cum ea, et fecerunt omnes, ut in festo Codri, fortiter viriliter rem, ita quod

bene contenta fuit. Et quando dies factus, quod ipsa debuit ad domum ire, tunc ipse dixit : « Veni, ego volo te exterius mittere, iam videt te nemo. »

Ipsa dixit : « Da mihi antea meum solarium pro te et alios omnes. » Et dixit ipse :

342

VOLUME

I, LETTRE

49

— Je ne peux pas payer pour les autres ! Et ce jour-là, il y avait grand office dans le chœur, et c'était lui le célébrant. Alors, il a fallu qu'il aille dans le chœur pour entonner et conclure les matines. Et, tout de suite aprés, il est revenu la voir, en dalmatique et en aube blanche, et il lui a fait des gentillesses sur la poitrine entre les seins, et il a pris un pied exceptionnel dans son con, au point qu'il n'imaginait rien de mal la concernant. Et voilà que le sacristain a sonné pour retourner dans le chœur, alors il a foncé pour le service divin, en aube mais sans remettre sa culotte“. Et quand il est revenu, alors, cette vilaine béte avait fichu le camp en emportant avec elle un froc tout neuf avec sa *cuculle de bonne toile noire”. Et quand elle est rentrée à la maison, elle l'a aussitót découpé en morceaux, sans craindre l'excommunication au motif qu'elle détruisait un vétement consacré. Et c'est ainsi que s'est accomplie la parole : « Ils se sont

partagé mes vêtements. »° Et il y a certains fréres zélés qui disent que cette vilaine béte a découvert dans le *lyripipion de la cuculle quatorze couronnes, et ca, ó douleur ! c'est une grosse perte ! Mais il y en a qui y croient, et d'autres qui n'y croient pas. Alors, quand ce brave frére a vu qu'il était victime d'une telle malhonnéteté et d'une telle injustice, il est allé voir l’huissier de la ville (que les néo-latinistes" appellent l'appariteur), et il lui a dit : — Mon cher, va la voir et dis-lui qu'elle me rende ma cuculle. L'huissier a dit : — Je ne vais pas y aller quand tu le dis, mais je vais y aller quand le juge le dit ! Alors, le frére, croyant de bonne foi que le juge était un fidéle soutien de notre ordre, est allé inconsidérément chez le juge et il a porté plainte. Alors, le juge a entamé la procédure et a fait convoquer la femme. Quand elle est venue, le juge lui a demandé : — Pourquoi est-ce que tu lui as volé sa cuculle ? Alors elle s'est levée et elle a tout raconté sans honte, comment elle avait passé trois nuits dans le couvent, et comment ils s'y étaient pris virilement avec elle, mais sans lui payer son salaire. Alors, le juge ne l'a pas obligée à rendre la cuculle au brave frére, mais il a dit à celui-ci :

— Vous autres, vous commencez beaucoup de choses, mais vous n'allez pas toujours vous en tirer comme cela !Va-t'en, par les cent mille diables ! et ne sors plus de ton couvent !

4. Litt : « sans ses braies ». 5. Il s'agit du froc des dominicains, de couleur noire, qui se porte par-dessus la tunique blanche. Le frère avait óté ce froc pour enfiler la dalmatique de cérémonie. 6. Citation libre de l'évangile de Matthieu (XXVII, 35), où il est dit, à propos du Christ :

« Quand ils l'eurent crucifié, ils se partagérent ses vêtements. » 7. Les humanistes, qui se piquent d'exactitude latine.

TOMUS

I, EPIST.

49

343

« Ego non possum pro alios dare. » Et fuit hoc die plenum officium in choro, et ipse fuit officiator, tunc oportuit eum ad chorum ire, ad incipiendum et conclaudendum horas, et statim ad eam revenit in dalmatica et in albis, et fuit ei

amicabilis in pectore inter mamillas, et in gremio egregie lusit, et ita quod se nihil mali ad illam providit. Tunc custos pulsavit ad chorum, et ipse cucurrit in albis sine bracha ad interessendum divinis. Et quando revenit, tunc illa mala bestia foras vias iverat, et portavit secum bonam superindusiam tunicam cum cucullo de bono nigro panno. Et quando ad domum venit, tunc statim perscidit in partes, et non timuit incurrere penam excommunicationis, quod vestimentum consecratum destruxit. Vere ibi impletum est illud : « Diviserunt sibi vestimenta mea. » Et sunt quidam zelosi fratres, qui dicunt, quod illa mala bestia debet invenisse in lyripipiolo cucullo quatuordecim coronatos, quod (heu proch dolor) semper damnosum esset, sed unus credit, et secundus non credit. Tunc quando ille bonus frater vidit, quod iniuriatus et damnificatus fuit, ivit ad pedellum cursorem civitatis (novi Latinistæ vocant viatorem) et dixit ad eum : « Chare, vade ad illam, et dic quod det mihi meam

cucullam. »

Pedellus dixit : « Ego nolo ire, quando tu dicis, sed quando Magistratus dicit, ego volo ire. » Tunc frater, non bene consideratus, ex bono zelo, quem habuit, quod magistratus esset fautor ordinis, ivit ad magistratum, et fecit suam querelam. Tunc magistratus fecit actionem, et misit pro ea. Et quando venit, magistratus interrogavit eam : « Quare huic suam cucullam deportasti ? » Tunc ipsa stetit et sine verecundia omnia manifeste dixit, et quomodo ad tres noctes in monasterio fuit, et quomodo secum viriliter fecerunt, et non dederunt sibi solarium. Tunc magistratus noluit boni fratri facere suam cucullam rehabere, sed dixit ad eum : « Vos multa incipitis, certe non semper vobis sic pertransibit, vade tu in nomine centorum diabolorum, et mane in tuo Monasterio »,

344

VOLUME

I, LETTRE

49

Et il l'a débouté. Et le brave frére en a été honteux et confus. Et on s'est moqué de lui. Et aprés qu'on se füt moqué de lui, on nous a condamnés à porter une grande croix : l'interdiction de sortir du couvent et de nous promener dans les rues, sous peine de graves punitions. Mais notre révérend père, le frère prieur, n'était pas là quand c'est arrivé. Alors, quand il est revenu de voyage, il a rendu compte de toute cette affaire au révérend pére provincial, notre gracieux seigneur (un homme savant et éclairé, la lumiére du monde, qui a combattu énergiquement les hérétiques dans deux controverses, et qui les a tous supervaincus, mais les infidéles n'ont pas voulu l'admettre). Alors, le révérend pére provincial est venu immédiatement dans notre ville. Il est vrai qu'il était, comme le prieur, mécontent de ce frère, qui était allé chez le magistrat si inconsidérément. Il aurait bien mieux valu que nous lui payions une cuculle neuve de la meilleure toile. Mais il avait agi de bonne foi. Aussitót arrivé, le provincial s'est rendu chez le magistrat et les conseillers municipaux pour les prier de nous permettre à nouveau de pouvoir sortir du monastère et d'aller dans les rues. Mais il n'a rien pu obtenir, parce qu'ils ont tous dit, le conseil entier :

— Ce n'est pas grand-chose de ne pas avoir le droit de sortir. Ils vont nous imposer un syndic (ils disaient un curateur), qui administrera dorénavant les recettes et les dépenses du couvent, et qui ne nous laissera que le strict minimum. En vérité, si cela se produit, c'en sera fini de la liberté de l'Église, et que peut-il arriver de pire ! Le Diable s'installerait au couvent (6 mon frère !) N'aurons-nous vécu que pour voir cela ! Qui aurait jamais imaginé cette douleur de voir nos meilleurs soutiens nous trahir ? En vérité, notre révérend père le frère prieur est profondément attristé. Il est resté malade de chagrin pendant plusieurs jours. Mais, aujourd'hui, au bout de huit jours, pendant la matinée, aprés la troisiéme digestion, il a eu une mauvaise sueur. Et quand il s'est levé pour faire ses besoins naturels, il a chié, mais en trés petite quantité et d'une matiére ténue et peu épaisse. Mais ca lui a fait du bien. Alors, il met ses espoirs dans une commére de notre ordre, qui sait mitonner de bons petits plats, des pets-de-nonne, et

tout ca. Trés cher frére, si les laics deviennent nos patrons, tout le monde se moquera de nous. Déjà qu'ils ont fait courir une histoire sur nous, qu'ils ont apprise par un ancien, à propos d'un curé qui était trés amateur de bon fromage. Et voilà-t-il pas que, pendant la sainte nuit «pascale», il est allé jouer, et pendant ce temps-là, sa bonne commére lui a volé un bon fromage. Alors, quand il est revenu de jouer, il n'a pas retrouvé son fromage et il s'est mis à

crier — Sacrés dieux ! La putain a volé mon fromage !

TOMUS

I, EPIST.

49

345

et dedit ei refutatorios, et sic bonus frater verecundatus et confu-

sus fuit. Et illudebant ei, et postquam illusissent ei, imposuerunt nobis crucem magnam, quod sub magna pena non debemus exterius Monasterium ire super plateas. Sed reverendus pater frater Prior non fuit domi, quando hzc pertransierunt. Sed quando de via revenit, ipse misit omnem rem pertingere ad reverendum patrem Provincialem gratiosum dominum nostrum (ipse ille doctus vir illuminatus, lux mundi, qui super duas disputationes strenue se habuit contra hæreticos, et superdisputavit eos omnes, sed noluerunt ei credere ipsi infideles). Tunc reverendus

pater Provincialis statim venit in civitatem, et

certe fuit, ipse et Prior male contentus super illum fratrem, quod sic inconsiderate ivit ad magistratum, melius fuisset quod sibi emissemus novam cucullam de optimo panno, sed fecit ex bono zelo. Et statim Provincialis ivit ad magistratum et senatores, et rogavit eos, ut nobis iterum licentiam darent, ut possumus de monasterio ire super plateas, sed nihil potuit impetrare, quia dixerunt omnes, totus consulatus : « Hoc parvum est, quod non debemus amplius exire. Ipsi volunt nobis adhuc unum factorem dare (ipsi vocaverunt curatorem), qui debet monasterio omnia percipere et exponere, et nobis solummodo necessaria dare. » Certe si hoc esse erit, tunc habet finem circa libertatem ecclesiasticam, nihil est amplius, diabolus maneat

in monasterio,

(o frater

mihi) vivi pervenimus illuc. Quis hunc aliquando potuit sperare dolorem, quod nostri optimi fautores nobis sic derecedunt ? Et certe reverendus pater frater prior est valde contristatus, et fuit aliquibus diebus prz tristitia infirmus, sed hodie est octava, quod de mane post tertiam digestionem, unum malum sudorem habuit, et postmodum surrexit, et ivit ad opus naturæ, et cacavit valde male nimis, non spisse sed tenuiter, et factum est melius circa illum. Sed habet bonam expectantiam ab una fautrice ordinis, quz bene scit illi coquere bona iuscula, et moniales crepitus, et huiusmodi. Charissime frater, si laici nostri domini erunt, omnes nos deridebunt. Quia iam fecerunt unum proverbium de nobis, et acceperunt illi de uno antiquo, quod dicitur de uno plebano, qui libenter comedit bonum caseum, et quando in sancta nocte fuit in ludo pascali, tunc sua bona fautrix sibi bonum caseum furavit, et quando revenit de ludo, et non invenit caseum, clamavit : « Per deos sanctos, meretrix furavit caseum ! »

346

VOLUME

I, LETTRE

49

Du coup, quand nous mettons le nez hors des murs du couvent et que nous passons dans les rues, pour nous distraire, ils transforment le bon mot, non pas en le réduisant, mais en changeant un mot, et ils crient : — Écoutez ! Sacrés dieux ! La putain a volé ma cuculle ! Pieux frére ! Voilà les nombreuses et grandes injures et vexations, que

nous devons supporter de la part des laics contre que s'accomplissent ces mots des Écritures : «Les maîtres et personne n'est venu nous racheter de ont abandonné les portes et les jeunes gens ont

notre ordre. Et c'est ainsi esclaves sont devenus nos leurs mains. Les vieillards quitté le chœur des chan-

teurs. La joie a abandonné nos cœurs et notre chant est devenu lamenta-

tion. » Mon trés cher frère, prie Dieu pour nous, afin qu'il nous libère des méchants laics. Mais, quoi que tu fasses, cher frére, veille à ce que ces méchants ribauds de *poètes profanes n'aient pas connaissance de cette lettre et ne la comprennent pas, sans quoi ils vont se mettre à écrire contre nous. Porte-toi catchement bien”, mon trés cher et pieux frère. Donné dans notre couvent, le 8 mai 1537.

Si quelqu'un voulait améliorer le style de cette lettre par des tournures élégantes, qu'il le fasse. Mais il faut absolument qu'il garde intégralement le récit de cette histoire, parce qu'elle est vraie et que personne ne pourrait imaginer des choses pires que celles qui nous sont arrivées. Cette lettre, écrite au sujet des certaines nouvelles fâcheuses et antichrétiennes, a été envoyée du Brabant à un frére dévót de Mayence.

8. Lamentations V, 8, 14 et 15.

9. Cette salutation « érasmienne » se trouvait déjà dans la lettre I, 46.

TOMUS

I, EPIST.

49

347

Sic iam quando nos de muris exspicimus ad plateas, solatii gratia, ipsi convertunt proverbium, non simpliciter, sed per contrapositionem, et clamant :

« Audite per deos sanctos, meretrix furavit cucullam ! » Pie frater, sic oportet nos habere multas et magnas vexationes et tribulationes sub istis laicis, propter ordinem nostrum. Et vere iam in nobis implentur ille scripture : « Servi dominati sunt nostri, non fuit qui redimeret de manu eorum. Senes defecerunt de portis, iuvenes de choro psallentium, defecit gaudium cordis nostri, versus est in luctum

chorus noster. » Charissime frater, ora pro nobis deum, ut liberet nos a malis laicis. Sed quicquid feceris, bone Frater, vide, ut hanc literam illi mali ribaldi poetæ sæculares non sciant, et non intelligant, quia alias erunt

scripturi de nobis. Vale pangratice, charissime, pie Frater. Datum monasterio nostro, in octava mensis Maius, in anno 1537.

Si quis vult hoc epistolium cum elegantiis meliorare, ille bene potest. Sed debet textum historiz mittere integrum manere, quia est veritas, et non potest aliquis tam mala scribere, multum peius nobis transivit. Hzc litera missa fuit ex Brabantia, uno devoto Fratri in Moguntia, de aliquibus malis, et in christianis novitatibus scripta.

n6 par ver be PRÉ Eee, tes ND

(wh

nella aai

»s éme

bornes

7

menée re 10anareisón =

orale

*aly 2002/0!

==

leur

ansirit

murtattts

$104 SD 779

upper

OUEN

7;

tian L2 eei certe PERS ruri re

e

vv

ALS

et

iib

MM:

chant

fre

-

Shit eium. & of Favsdil 1u ,iamrsby don no Etu edd

sise

Ha DEL ipd SAT i SD SAUT deoa JPRUAY MES drin siti siriskalffmt dois she Er LE :

di

z

TI

ns

ons

,

! AER "P

nus at Haie

^mi Shop

s. dao (8 Ammon fiesta 3 e

iro najsis nim

ct ET MTS

muioniqs

rom

«ur, gum Etre] dior A gizi

agumuani^

^ oH :

av

LE. M tER ARS SH » I derum

vf tup. aTia TO. TIAE DO, STATUT Rice

2

rec

20d

2-11 EAN

CH |

à

tire -—

à

Dnrxd wb

En n iP pA te

crea AU m EIG

1

rn d

ene. á tan » TAC,

à

RAR

Lettres des hommes obscurs

VOLUME

II

LES HOMMES

OBSCURS

Lettres des hommes obscurs, adressées à Maitre Ortwin Gratius de Deventer, enseignant les lettres latines à Cologne. Il ne s'agit pas des anciennes que l'on connait déjà, mais des nouvelles, qui sont de loin supérieures à ces anciennes par leur élégance, leur finesse, leur humour et leur beauté. Au lecteur On a ri d Héraclite. Les grossiers stoiciens, Préts à rire, ont changé leurs cceurs desséchés. Donne-moi ton esprit triste. Repousse les chagrins funestes. Que je meure si bientót on ne rit pas de tout. Fais travailler ton poumon !

Lettres des hommes obscurs, ne contenant rien d'autres que plaisanterie et jeu dans la paille!, ordures et déchets, à partir desquels certains barbares sans langue, demi-savants, aussi arrogants que vides et superficiels, se vantent de leurs bons hommes et leur «bonne» littérature. Raison pour laquelle nous, les bons, nous avons fui les corrupteurs. En vérité, personne n'est blessé dans ces lettres d'aucune façon, sinon celui qui est trop délicat des oreilles, ou d'un esprit peu joyeux. Enfin, on se permettra de citer à bon droit : Jéróme, pour cette raillerie contre ces obscurs dans la distinction 37 du Décret, canon « Est-ce que... ? » ;

Le pape Urbain, dans la méme distinction, canon : « Toute leur énergie... » ; Raban et Origène, dans la même distinction, canon : « Nous lisons... »* ; Aulu Gelle, I. I, chap. r1 et 1. V, chap. xv et l. X, chap. XXIP ;

Cicéron, l. I des Devorrs® ; Sénéque, à Lucilius, lettre 49" ;

1. Littéralement, les « pailles » (palea) des codes juridiques étaient les jugements provenant d'autorités douteuses, alors que le « grain » était constitué par les jugements « authentiques », attribués à Gratien. Les deux canons invoqués proviennent tous les deux de la « paille » de la distinction 37, dont le sujet concerne directement le sujet des Lettres : « On demande s’il est opportun que [les prétres] soient savants dans les lettres profanes. » Hutten a soigneusement choisi les passages qui attaquent la vaine dialectique. Le lecteur non juriste de l'époque pouvait donc lire implicitement ces extraits comme une défense de la littérature contre la scolastique. On trouvera le texte de cette fameuse distinction 37 de Gratien dans : E. Friedberg, Corpus iuris canonici, t. 1, Leipzig, 1879, rééd. Graz, 1999, col. 135-138. 2. Canon III (citant le commentaire de Jérôme sur Ephésiens IV) : « Est-ce que vous ne voyez pas qu'il s'engage dans la vanité du sens et l'obscurité de l'esprit, celui qui consacre ses nuits et ses jours à l'art de la dialectique... ? » 3. Canon VI : « Toute leur énergie, les hérétiques la dépensent dans les débats philosophiques... » 4. Canon VII (citant Origene, cité lui-même par le Pseudo-Raban dans De pressuris ecclesiasticis) : « Nous lisons dans saint Jérôme que, lorsqu'il lisait les livres de Cicéron, il fut critiqué par un ange pour la raison qu'un chrétien s'intéressait aux fictions des paiens ». Commentaire de Gratien : « $ 1. D'oà Origène comprend que les moustiques et les grenouilles, par lesquels les Egyptiens sont assourdis, ressemblent au vain bavardage des dialecticiens et aux arguments sophistiques. De tout cela il appert que les ecclésiastiques ne doivent pas rechercher la compétence dans les lettres profanes... » 5. Nuits attiques I, chap. 2, où il est fait mention d' Hérode Atticus. 6. Sans doute Livre I, chap. 6, $ 19. 7. Lettres morales, livre V, lettre 9 à Lucilius, $ 5 : « Cicéron dit que, méme s’il doublait son âge, il n'aurait pas le temps de lire les lyriques. Considére de la même façon les dialecticiens. Ils

sont tristement ineptes. Ils s'amusent du haut de la chaire et ils pensent faire quelque chose... »

(texte figurant au verso de la page de titre dans l'édition de Strasbourg, Bócking n? 5) Epistolæ Obscurorum Virorum, nil prater lusum continentes et Jocum in paleas, feces et quisquilias e quibus sese Barbari quidam, et elingues scioli iactitant, tam arrogantes quam vani et frivoli, bonorum virorum et earum literarum, unde boni evadimus contaminatores. Sane in epistolis huiuscemodi nemo læditur nisi qui aut nimium delicatus est auribus, aut ingenio parum amono. Denique in ius trahat licebit Hieronymum propter acerbius scomma in obscuros istos dictum XXXVIJ. dis. decreti c. Nonne. Urbanum papam ea. dis. c. omnem vim. Rabanum et Origenem ea. dis. c. legimus. Aul.:gel. li. 1. ca. 3j et li. v. ca. xv. et li. x. ca. xxij. Ciceronem li. i. officiorum. Senecam ad Luc. epi. xlix.

354

VOLUME

II

Æneas Sylvius dans la Description de la ville de Vienne en Autriche? ; Lorenzo Valla dans le prologue de Du libre arbitre’. Nous ne disons rien des hommes très savants de notre époque, de peur de provoquer, à l'égard des illustres, la haine que méritent les obscurs — à

trés juste titre — de la part de tous les bons.!? Au lecteur

On a ri dHéraclite!!. Les grossiers stoiciens, Prêts à rire, ont changé leurs cœurs desséchés. Donne-moi ton esprit triste. Repousse les chagrins funestes. Que je meure si bientót on ne rit pas de tout.

Fais travailler ton poumon?? ! Avec des additions ratifiées par un nouveau privilège pour sept ans.

8. La Descriptio urbis Viennæ Pannonice du futur Pie II, fut imprimée seulement en 1571 à

Bâle chez Henri Petri. On y lit, p. 719 : « Le plus grand défaut de ce gymnase, c'est qu'on y consacre trop de temps à la dialectique, trop de temps à des activités sans aucun profit... » 9. De libero arbitrio de Lorenzo Valla, écrit vers 1439, fut publié à Bâle chez Cratander en

1518. On y lit f? a3 : « J'aimerais énormément... et je souhaiterais très vivement que tous les chrétiens, autant que ceux d'entre eux que l'on nomme théologiens, n'accordent pas tant d'importance à la philosophie et ne se consacrent pas tant à ces ouvrages, mais qu'ils s'occupent au moins autant de sa sceur, je devrais dire de sa patronne, la théologie... » 10. Cette seconde adresse au lecteur est celle de la quatriéme livraison (contenant l'ensemble des 70 lettres du second volume). Certains détails techniques laissent penser qu'elle a été imprimée chez Quentel à Cologne. 11. Héraclite était célèbre dans l'Antiquité pour avoir été un pédant sinistre. 12. Allusion au vers de Juvénal, selon lequel Démocrite riait sans cesse (faisait travailler ses poumons) : Perpetuo risu pulmonem agitare solebat Democritus (Satire X, v. 33 sq.).

TOMUS

II

255

Æneam silvium in descriptione urbis Vienenum. Pannoniz. Laurentium vallam in prologo de libero arbitrio. Doctissimos huius ztatis tacemus ne illustribus concitemus odium quod obscuri iure optimo ab omnibus bonis meruerunt. Ad Lectorem

Risum Heraclitæ est. Vasti ridere parati Arida mutarunt pectora Stoicidz. Da mihi tristem animum. Ferales obijce luctus, Dispeream nisi mox omnia risus erunt. Exerce pulmonem. Cum Additionibus novo Privilegio ad septennium Sancitis.

(texte latin figurant sous l'image du frontispice reproduit en p. 351)

Epistolae Obscurorum virorum ad Magistrum Ortuinum Gratium Dauentriensem Coloniz latinas litteras profitentem, non ille quadam veteres et prius visz, sed et novz et illis prioribus Elegantia argutijs lepore ac venustate longe superiores.

(Pourquoi les hommes obscurs sont-ils obscurs ?

débat *quodlibétique d'aprés-diner) Jean Lelippu, *protonotaire apostolique par la grâce de Dieu, envoie à Monsieur le Vénérable Maitre Ortwin Gratius de Deventer en tant que très cher frère cent mille sesterces de saluts selon la nouvelle *grammaire faurais reçu avant-hier, honorable Monsieur, un livre que Votre Seigneurie m'a envoyé de Cologne. C'était (ou plus exactement c'est) un livre intitulé Lettres des hommes obscurs. Grand Dieu ! comme mon cœur s'est réjoui, quand j'ai vu ce livre, parce qu'il contient beaucoup de belles choses, écrites tant en vers qu'en prose. Et Ç’a été pour moi une grande joie dans un doux régal, que j'ai vu que vous avez beaucoup de collègues *poétes, orateurs et théologiens, qui vous écrivent et sont vos amis contre Jean Reuchlin. Hier, nous avons eu un déjeuner et il y avait avec moi quelques *courtisans habiles et expérimentés. J'ai posé ce livre sur la table et, aprés qu'ils en eurent lu des passages, j'ai posé le probléme suivant : — Messeigneurs, que pensez-vous de ceci ? Pourquoi donc Maitre Ortwin, en intitulant ce livre Lettres des hommes obscurs, a-t-il qualifié ses amis et alliés d'hommes obscurs ? Alors, un prétre, qui est originaire de Munster et bon juriste, a répondu que « obscurité » peut se comprendre en plusieurs sens : comme dans la loi Ita fidei, dans le Digeste, au titre Du droit du fisc, première réponse à la fin!. Et il a dit que cela pouvait aussi étre un nom propre d'une famille quelconque, car il est écrit que Dioclétien et certains autres rois étaient nés de parents obscurs. Alors, je l'ai poussé et j'ai dit : — Avec votre permission, Seigneur, vous n'y êtes pas ! 1. Lex Ita fidei (40.) Dig. De iure fisci XLIX. 14. Paulus lib. XXI. Queestionum « ...cum diversitas rerum obscurum faciat legatum ».

Iohannes Labia dei gratia Prothonotarius apostolicus Venerabili Viro Magistro Ortvino Gratio Daventriensi ut fratri charissimo salutis centum milia sestertia secundum novam grammaticam. Acceperim nudiustertius, Honorande Vir, unum librum quem Dominatio Vestra miserit mihi ex Colonia. Et fuit vel est talis liber intitulatus « Epistolae Obscurorum Virorum ». Sancte deus, quomodo laetatus sum in corde meo, quando vidi illum librum, quia habet multa pulchra in se, metrice vel prosaice compilata. Et fuit mihi magnum gaudium in dulci iubilo, quod vidi quod habetis multos socios Poetas et Rhetoricos et Theologos, qui scribunt vobis et sunt

Amici vestri contra Iohannem Reuchlin. Habuimus

heri collationem, et fuerunt mecum

aliqui Curtisani

periti et habentes bonam practicam, et ego posui illum librum ad mensam. Et postquam legerunt hincinde, tunc movi unum dubium dicens : « Domini mei, quid videtur vobis ? Quare tamen Magister Ortvinus intitulavit istum librum “Epistolæ Obscurorum Virorum" ? appellans amicos suos et coharentes Obscuros viros ? » Tunc respondit unus Sacerdos qui est Monasteriensis et est bonus Iurista, quod obscuritas multipliciter capitur, ut in |. Ita fidei .ff. de Iur. Fisci, responso primo in fine. Et dixit quod potest esse nomen proprium alicuius progeniei. Quia scribitur quod Diocletianus et alii quidam reges fuerunt nati Obscuris parentibus. Tunc ego tetigi eum et dixi : « Cum licentia, domine, nihil ad propositum. »

358

VOLUME

II, LETTRE

1

Ensuite, j'ai interrogé un théologien important, qui buvait avec nous. Il est de l'ordre des carmes et natif du Brabant? et il a dit avec beaucoup de sérieux : — Monsieur l'Éminent Seigneur Protonotaire, puisque, comme dit Aristote, « il n'est pas inutile de douter des choses

particuliéres »?, donc, votre Éminence m'a soumis une question : pourquoi Maitre Ortwin, quand il a fait imprimer le nouveau volume des lettres, l'a-t-il intitulé Lettres des hommes obscurs ? Avec la permission de ces Seigneurs, je vais dire mon opinion : comme quoi Maitre Ortwin, qui est un homme très profond et un théoricien, a nommé ses amis « hommes obscurs » dans un sens mystique, car j'ai lu une fois chez une autorité que la vérité se trouve cachée chez les obscurs, et donc Job a dit : « Il dévoile les profondeurs des ténébres. »* Item, on lit dans Michée, chap. sept : « Si je demeure dans les ténébres, le

Seigneur est ma lumière. » Et de nouveau dans ob, chap. XXVIII : « La sagesse est tirée des choses cachées. »° C'est pourquoi Virgile a dit : « Par les obscurs, les choses vraies dans les obscurs »’, d’après ce que j'ai entendu dire par d'autres. Et il faut comprendre que Maitre Ortwin et ses amis sont ainsi parce qu'ils explorent les secrets des Écritures, ainsi que la vérité, la justice et la sagesse, qui ne peuvent étre comprises par personne sauf par eux, qui sont éclairés par le Seigneur. D'ou Rois, chap. CXXXVIII : « Car les ténèbres ne seront pas obscurcies par toi, et la nuit sera éclairée comme le jour. Les ténébres de l'une seront comme la lumiére de l'autre. »?

Aprés que le religieux susdit eut dit cela, tout le monde m'a regardé pour savoir si j'étais satisfait. Mais moi, je refléchissais à cela. Or, il y avait là Bernard M'as-tu-vu°, un Maitre Parisien, qui est jeune, mais dont on dit qu'il est fort intelligent, et qu'il fait de solides études, et qu'il fait des pro2. Peut-étre s'agit-il de *Dietrich de Gouda. 3. Ce faux topos d'Aristote était déjà la première phrase de la première lettre du premier volume. 4. Tob XII, 22. 5. Michée VII, 8.

6. Job XXVIII, 18. 7. Enéide VI, 100, à propos de la Sibylle de Cumes : « obscuris vera involvens » (« Elle enveloppe la vérité de ténébres »). 8. Cette citation provient du psaume CXXXIX (Vulgate CXXXVIII ), 12 et non pas du Livre des Rois. 9. Ce Bernard M'as-tu-vu sera l'auteur fictif de la lettre II, 28.

TOMUS

II, EPIST.

1

359

Et consequenter interrogavi unum Theologum notabilem, qui bibit nobiscum. Ipse est de ordine Carmelitarum, et natus ex Brabantia, et

dixit cum magna gravitate : « Eximie vir domine Prothonotarie, quoniam, ut dixit Aristoteles, de singulis dubitare non est inutile, ergo Eximietas vestra assignavit mihi unam quæstionem : quare Magister Ortvinus faciens imprimere novum Epistolare, intitulavit illud *Epistola Obscurorum Virorum ?" Cum venia istorum Dominorum, dico opinionem meam, quod Magister Ortvinus, qui est vir valde profundus et speculativus, mystice appellavit amicos suos Obscuros Viros quia semel legi unam auctoritatem, quod veritas latet in Obscuris. Et ergo dixit Iob : *Qui revelat profunda de tenebris." Item Michez septimo legitur : *Cum sedero in tenebris, Dominus lux mea est." Et iterum Iob .xxvrr. : ^Irahitur autem Sapientia de Occultis.” Quapropter Virgilius dixit : *Obscuris vera in obscuris", sicut ego audivi ab aliis. Et datur intellegi, quod Magister Ortvinus, et sui amici sunt tales, quod inquirunt secreta scripturarum, et veritatem et iusticiam et sapientiam, quz non potest intelligi ab omnibus nisi ab his, qui sunt illuminati a domino. Unde Regum cxxxvit. : “Quia tenebrae non obscurabuntur a te, et nox sicut dies illuminabitur. Sicut tenebrz eius, ita et lumen eius." »

Postquam talia dixit praedictus religiosus, omnes respexerunt me si essem contentus. Ego autem cogitavi desuper. Tunc fuit ibi Bernardus Gelff, Magister Parisiensis, qui est iuvenis, sed audio quod habet bonum ingenium, et valde studet, et bene proficit in artibus, et

360

VOLUME

II, LETTRE

1

grès en *arts, et qu'il a même de bonnes bases en théologie. Lui, selon son habitude, il a hoché la téte et il a déclaré, d'un air grave : — Apprenez, mes seigneurs, qu'il y a une raison importante et raisonnable que maitre Ortwin nomme ses amis les hommes obscurs : il le fait par humilité. Parce que, comme vous pouvez le savoir, bien que vous puissiez également ne pas le savoir, mais on peut supposer que vous le savez, comme quoi voici trois ans, Jean Reuchlin, quand il a fait imprimer la correspondance de

ses amis!^, lui a donné pour titre : *Lettres des hommes célébres. Considérant cela, Maitre Ortwin, s'est beaucoup creusé la cervelle et s'est dit à lui-méme : « Ce Reuchlin croit qu'il est le seul à avoir des amis. Qu'est-ce qu'il va faire si je montre que moi aussi j'ai des amis, et bien plus dignes que lui, et qui savent faire des poèmes et des textes meilleurs que ses amis ? » Et donc, pour se moquer de lui, il a fait imprimer ces lettres sous le titre de : Lettres des hommes obscurs. Comme dit le Psalmiste : « Il a envoyé les ténébres et a créé l'obscu-

rité. »!1 Mais il a fait cela humblement, en se rabaissant et en s'humiliant, pour

pouvoir dire avec le Psalmiste : « Seigneur, mon cœur n'est pas gonflé d’orgueil et mes yeux ne se lèvent pas. »!? C'est pourquoi le Seigneur Dieu, voyant son humilité, lui donnera un jour la grâce! de réaliser de grandes œuvres, et méme de leur donner des titres ronflants. D'oà Job : « Et de nouveau, après les ténèbres, j'espére la lumière. »!* Il ne faut pas comprendre pour autant que cette correspondance des amis de Maitre Ortwin est composée sans style, parce que les amis de Jean Reuchlin n'en composeront jamais de meilleure de toute leur vie, méme s'ils en mettaient leur téte à couper. C'est pour cette raison que j'ai dit que dorénavant, les nouvelles seraient encore plus extraordinaires. Et si Dieu nous protège, j'espère que nous verrons des merveilles. Car Maitre Ortwin ne se soucie pas de titres pompeux. C'est donc pourquoi il dit : « Le Seigneur est ma lumiére et mon salut. De qui aurai-je peur ? »? Car il sait qu'en se rabaissant, un jour il sera élevé. En effet, l'Écriture

dit : « Qui s'éléve sera humilié. »!9 10. 11. 12. 13.

Au mois Psaume Psaume Reprise

de mai 1514. CV (Vulgate CIV), 28.

CXXXI (Vulgate CXXX), 1. des plaisanteries sur l'assonance Gratius/gráce (cf. lettre I, 38). 14. Job XVII, 12. 15. Psaume XXVII (Vulgate XXVD), 1. 16. Matthieu XXIII, 12.

THIOGMUSTID

EPIST.:1

361

etiam in Theologia habet bonum fundamentum. Ipse more solito movens caput hincinde, et videns austeriter dixit : « Scitote, domini mei, quod est magna et rationabilis causa, quod magister Ortvinus appellat amicos suos Obscuros Viros : facit enim propter humilitatem. Quoniam sicut potestis scire, quamvis etiam non potestis scire, sed præsumendum est, quod scitis, quomodo ante tres annos Iohannes Reuchlin faciens imprimere Epistolare amicorum suorum, intitulavit illud “Epistolæ Clarorum Virorum." Quod consyderans Magister Ortvinus, et multum desuper pensitans, dixit ad semetipsum : *Ecce Reuchlin credit quod nemo habet amicos nisi ipse. Quid vult facere, si ego ostendo quod habeo etiam amicos, et bene digniores quam ipse, et scientes facere carminam [sic] et dictaminas meliores quam sui amici ?" Et ergo in despectum ipsius dedit ad imprimendum istas Epistolas, intitulando eas : ^Epistolae Obscurorum Virorum." Sicut dicit Psalmista : *Misit tenebras et obscuravit." Sed ipse fecit hoc humiliter, minorando et humiliando se, ut queat dicere cum Psalmista : ^Domine, non est exaltatum cor meum, neque

elati sunt oculi mei." Igitur dominus deus videns humilitatem suam, olim dabit ei gratiam, quod faciet magna opera, et etiam intitulabit ea cum magnis titulis. Unde Iob : “Et rursum post tenebras spero lucem." Non intelligendo, quod istud epistolare amicorum Magistri Ortvini non est artificialiter compositum, quia amici Iohannis Reuchlin in vita sua nunquam componerent melius, etiam si deberent perdere capita sua. Sed propterea dixi, quia adhuc tamen excellentiora habent post se. Et favente deo spero quod videbimus magnalia. Quia Magister Ortvinus non curat de pomposis titulis. Et ergo sic dicit : «Dominus illuminatio mea est, et salus mea, quem timebo."

Quia scit quod minorando se, maiorabitur olim. Nam dicit scriptura : *Qui se exaltat, humiliabitur."

362

VOLUMB

II, LETTRES

1-2

Et on lit dans l’Ecclésiastique, chap. XX : « C'est à cause de la gloire qu'est venu l'abaissement, et c'est à cause de l'humiliation que la tête sera relevée.!? » Ces choses ont été prophétisées par le prophète Nahum, quand il dit : «et ses ennemis seront pourchassés par les ténébres »!*. Alors, comme je ne voulais pas qu'ils deviennent ennemis, ou que l'un se fáche contre moi si je disais à l'autre : « Tu es plus subtil que lui. », j'ai cité

un passage d' Horace, où il dit : « Pour l'instant, le jugement est suspendu. »!? « J’écrirai donc par écrit à Maitre Ortwin qu'il me dise qui a raison. me pardonnerez donc de vous avoir importuné. » Et ainsi, ils ont cessé de se disputer, bien que Maitre Bernard ait voulait soutenir jusqu'au bücher que vous étiez d'accord avec lui. Je vous prie donc amicalement, Seigneur Ortwin, quand vous bien me répondre, de me dire ce que vous aviez en téte en donnant de Lettres des hommes obscurs. Ainsi, portez-vous bien, et avec honneur.

Et vous dit qu'il voudrez ce titre

Donné à la *Cour romaine.

2 (Lettre poétique à la manière d’Ovide) Jean Corbeau souhaite éternellement à Maitre Ortwin un salut cordial avec un grand amour, et se recommande à lui comme son humble serviteur.

Cher frére et précepteur, Puisque vous m'avez écrit l'autre jour que je dois vous écrire un mot ou une lettre, ou un poème en vers, que vous puissiez voir ce que j'ai appris auprès de vous à Cologne et à *Deventer, pour me moquer de Jean Reuchlin et des reuchlinistes, qui sont vos ennemis, sachez que j'ai fait diligence. Et je vous envoie ci-joint une lettre poétique, c'est-à-dire versifiée, à la manière des lettres d'Ovide!, parce que je sais que vous préférez lire les vers 17. Ecclésiastique XX, 11. 18. Nahum 1, 8. 19. Horace, Art poétique 78.

1. Les Héroides d'Ovide étaient des lettres supposées écrites par des femmes célèbres abandonnées par leurs amants (Médée, Phédre, etc.).

TOMUS

II, EPIST.

1-2

363

Et legitur Ecclesiastici .XX. : “Est propter gloriam minoratio, et est qui ab humilitate levabit caput." Hzc prophetizata sunt per Prophetam Naim dicentem “et inimiCOS eius persequentur tenebræ.” » Tunc ego non volens quod deberent fieri inimici, vel quod unus eorum deberet mihi irasci, si dicerem « tu vel tu subtilior es », allegavi

Horatium in uno passu qui dicit : « Et adhuc sub iudice lis est. » « Scribens enim scribam Magistro Ortvino, quod dicat mihi rationem. Et ergo parcatis mihi, quod feci vobis molestiam. » Et sic non contenderunt amplius, quamvis Magister Bernhardus diceret, quod vellet disputare ad ignem, quod hzc est opinio vestra. Ergo, domine Ortvine, rogo vos amicaliter, quatinus velitis mihi respondere, quid tamen habuistis ante vos intitulando illud epistolare « Epistolae Obscurorum Virorum » ? Et sic valeatis sane et cum honore. Datum in Curia Romana.

2

Iohannes Grapp! Magistro Ortvino salutem cordialem cum multa dilectione optat semper, et commendat se tanquam humilem servitorem. Frater et præceptor dilecte,

Quia nuper scripsistis mihi, quod debeo vobis semel unum dictamen seu Epistolam vel Carmen metricum scribere, quod potestis videre quid didici a vobis Colonie et Daventriæ, in despectum Iohannis Reuchlin, et Reuchlinistarum, qui sunt inimici vestri : Sciatis

quod feci diligentiam. Et mitto vobis hic unam Epistolam Carminalem seu metrosam, sicut sunt Epistolae Ovidii, quia scio quod libenter legitis metra quam

1. De Pallemand Rabe (= corbeau), à moins que l’on préfère Grab (= tombe).

364

VOLUME

II, LETTRE

2

plutôt que la prose. Mais il faudra que vous la corrigiez, car l’élève n'est pas supérieur au maître’. Et il faudra aussi que vous la scandiez, parce que je ne suis pas encore assez entraîné dans cette technique. Lettre de Jean Corbeau, tout nouveau *poete versificateur, à son précepteur Maitre Ortwin Gratius

Son salut parla voie

de cette lettre Corbeau envoie,

Et ses bons services en plus,

à Maitre Ortwin Gratius,

Comme il convient à un jeune homme qui son précepteur affectionne. Donc, Ortwin, mes vers, ne méprisez pas les, S’ils ne sonnent pas beau et ne résonnent pas comme vos Poèmes écrits car tous n’ont pas le méme prix, Nous ne sommes pas équivalents les profs avec les étudiants : L'un est logicien, un autre est écrivain, Un autre naturaliste, un autre est bon médecin, Un autre a une grâce certaine dans tous les domaines Comme vous d’ailleurs qui serez toujours le meilleur Aussi bien à Cologne qu'ici à la *Rote à Rome, Où les courtisans se disputent comme des débutants : Ils se traînent en justice pour des affaires de *bénéfices Comme l’un d'eux l’autre soir qui m'a fait toute une histoire Pour un vicariat, et d'accommodement, il ne veut pas Alors que vous, dans vos études plongé, de tout cela vous vous fichez, Car c'est de la sainte Écriture seulement que vous avez cure, De peur que ces profanes qui vous chicanent En aidant Reuchlin et tout ce peuple mesquin Je veux dire les poètes — et les chieurs de lois, les juristes Qui à vous s’en sont pris, n'aient gain de cause par leurs écrits Et qu'ils vous critiquent, dans leurs poèmes hérétiques. C'est ce qu’a fait *Tongres et le christicole *Pfefferkorn Et l’école des Frangais*, quand ce livre elle brûlait Qui les *Besicles s'appelait, et que vous aviez vigoureusement réfuté. Mais oublions ces scandales contre la religion, Contre vous et contre *Hochstraten, qui vaut bien mieux que Platon.

2. Cette citation de Matthieu X, 24 est un topos pour les hommes obscurs, cf. les lettres I, 16 et II, 47.

3. Le phisicus était celui qui avait étudié les sciences de la nature d'Aristote. Ce terme désigna rapidement les médecins. 4. La Sorbonne.

TOMUSYL

BPIST.

2

365

prosaica. Sed debetis emendare : Quia non est discipulus super Magistrum. Et debetis scandere, quia non sum adhuc bene usitatus in tali arte.

Epistola Iohannis Grapp novelli poetze Carminalis ad praeceptorem suum Magistrum Ortvinum Gratium. Mittit Epistolio — salutem Grappus in isto, Necnon servitium — Magistro Ortvino benignum, Sicut decet iuvenem, | qui amat suum praeceptorem ; Ergo, Ortvine, meos velitis haud spernere versus. Sinon benesonant, veluti vestra quoque tonant Carmina scripta quidem, | quia non omnes valent idem, Necsumus omnes pares magistri sive scholares : Unus novitlogicam, alius didicit poetriam, Alius est Phisicus, alius medicusque peritus, Aliter habet gratiam — in cunctis rebus mirandam, Sicut vos etiam, qui vix habebitis parem In Colonia tota, et hic quoque Roma in rota, Ubi Curtisani vexant se sicut Beani Unus alium citantes, pro beneficiis litigantes, Sicut nuper aliquis, cum quo est mihi magna lis Pro una vicaria, nec potest fieri concordia. Sed vos in studiis,

caretis illis fantasiis,

In sacra scriptura, Ne isti seculares,

—ubi est vobis magna cura,

qui sunt vestri tribulatores,

Reuchlin cum auxilio, |necnon populo isto maligno, Scilicet Poetis, et legifluis Iuristis, Qui ita vos tentant, sua nec dictamina probant, Contra vos faciant, et hæretica carmina scribant, Ut facit et Tungarus et christicola Pepercornus,

Et schola Francorum, quæ combussit illum librum Speculum oculare dictum, et per vos fortiter victum. Sed volo dimittere ^ ista scandala in sacra fide Vobis et Hochstrato,

qui est bene maior quam Plato,

366

VOLUME

II, LETTRES

2-5

Les philosophes sont moins calés que lui dans ces subtilités. et une bonne nuit de passer. Je vous souhaite de bien vous porter Merci, mon Dieu.

Pardonnez-moi s'il y a des défauts dans ces vers, parce que errare humanum est, comme dit le *Philosophe, et vous devriez encore m'écrire. J'aimerais aussi que vous m'écriviez quelque chose de nouveau. Donné dans la ville de Rome oü il y a des merveilleuses pommes”, Vendues parles paysans pour une livre bien pesant, Je l’ai constaté ici et par l'expérience appris. Amen.

3 (Thomas Murner défend Reuchlin) Maître Étienne Romadémolir salue Maître Ortwin Gratius

Rapidement et sans faire de préambule, Votre Seigneurie doit apprendre comment est arrivé récemment ici un docteur en théologie, nommé Thomas *Murner. Il est de l’ordre de saint François, et originaire du *Haut-Pays. Il connaît tant de choses que vous ne pourriez pas le croire. On dit qu’il a inventé un jeu de cartes pour apprendre la grammaire et la logique à ceux qui y jouent. Il a aussi inventé un jeu d’échecs dans lequel on apprend les quantités des syllabes. Il prétend connaître l’hébreu et il compose des vers en allemand!. Et quelqu'un m'a dit que ce docteur connait tout dans tous les domaines. Alors, quand j'ai entendu ça, j'ai dit : — Un peu sur chaque chose et rien sur l'ensemble ! Ca en a fait rire plusieurs. Mais ce docteur est aussi un grand ami de Jean Reuchlin. Que le Diable l'emporte ! J'ai bien peur qu'il s'arrange ici avec les chanoines et les autres clercs, pour les faire passer du cóté de Reuchlin.

5. Des oranges.

1. Le Schelmenzunft, pamphlet contre les dominicains de *Berne.

TOMUS

Doctior philosophis, Ergo vos valete,

II, EPIST.

2-3

367

in subtilitatibus istis. |necnon bonam noctem habete. Deo Gratias.

Parcatis mihi si sint vicia in istis Carminibus, quia humanum est errare secundum Philosophum, et debetis etiam aliquid novum ad me scribere. Datum in urbe Roma, | ubi sunt mirabilia poma, Quz rustici ibi vendunt, et per libram bene pendunt, Sicut ego vidi, et per experientiam didici. Amen.

3

Magister Stephanus Romedelantis! Magistro Ortvino Gratio salutem. Celeriter non facto præambulo habeat Dominatio Vestra scire, quomodo noviter venit huc unus doctor Theologia, qui vocatur Thomas Murner. Ipse est de ordine sancti Francisci, et est superiorista?, et presupponit ita multa quod non creditis. Dicunt quod facit Cartas, et qui ludunt in illis cartis, discunt grammaticam et logicam. Et composuit unum ludum scaci, in quo trahuntur Quantitates Syllabarum. Et praetendit scire hebraicum, et componit versus in Teutonico. Et dixit mihi unus quod talis doctor in omnibus artibus scit aliquid. Tunc ego audiens dixi : « In omnibus aliquid, in toto nihil. » Et steterunt ibi aliqui qui riserunt. Est autem ille doctor magnus amicus Iohannis Reuchlin. Diabolus confundat eum. Ego timeo quod faciet hic cum Canonicis et aliis Clericis, quod erunt pro Reuchlin.

1. Bócking pense que Romedelantis est une latinisation de Räum das Land (« Fiche-lecamp ! »), mais on peut aussi imaginer que c'est une adaptation du fameux delenda est Carthago de Caton, devenant : Roma delenda.

2. Superiorista est la traduction de l'allemand Oberländer.

368

VOLUME

II, LETTRE

3

L'autre jour, il a déclaré devant un auditoire nombreux qu'un enfant peut reconnaître la stupidité, les délires et la méchanceté des théologiens de Cologne et de leurs partisans. Il a juré par tous les saints que si le pape n'y prend pas garde et ne les corrige pas de cette perversité, cela provoquera un schisme dans l'Église et la religion chrétienne. Parce que si le pape leur permet de faire cela, plus personne n'étudiera et plus personne ne s'avisera de devenir savant. Et en plus de cela, il a dit que Reuchlin rend plus de services à l'Église de Dieu en un jour que ses ennemis en un siècle. Et il a dit : — Si ces gens sont bons et loyaux, ou bien s'ils ont des griefs justifiés contre Reuchlin, pourquoi est-ce qu'ils n'agissent pas en leur propre nom ? Pourquoi veulent-ils se décharger de leur táche sur un juif baptisé en faisant des livres diffamatoires contre ce bon docteur et en les faisant signer par ce tartufe ? S'il existait dans toute l'Allemagne un homme pire et plus maudit que lui, ils le prendraient comme associé. Et ce n'est pas étonnant parce que « les salauds s'allient ». Alors, je n'ai pas pu me taire plus longtemps et j'ai dit : — Seigneur docteur, pardonnez-moi, mais Jean *Pfefferkorn est un homme honnête, un chargé de mission assidu de Sa Majesté César’, et il est né de la tribu de Nephtali?. Et apprenez que c'est une famille antique. Il pourrait donc se glorifier de sa noblesse, bien qu'il s'en abstienne par humilité. Alors, le docteur a répondu : — Prenez une cuiller et mangez-en vous-méme ! Alors j'ai dit : — Croyez-vous que je ne connais pas les hommes ? Je suis Maitre parisien et j'ai bien étudié pendant deux ans la théologie à Cologne ! Seigneur docteur, ne soyez pas aussi orgueilleux avant de connaitre les hommes ! Le docteur Murner a répondu qu'il ignorait que j'étais docteur, puis il a dit : — Je n'ai pas beaucoup entendu parler de l’honnêteté de Jean Pfefferkorn, mais ce que j'ai entendu dire à son sujet, je peux bien le dire : qu'il ne se serait jamais fait chrétien si les juifs n'avaient pas voulu le mettre à mort à cause de ses méfaits. Et puis il a dit qu'un certain juif lui avait dit : — Voilà que quelque chose qui ne vaut rien pour les juifs est bon pour les chrétiens. Nous avons voulu condamner à mort ce malfaiteur, et vous, les 2. L’empereur romain germanique Maximilien. 3. L'une des douze « tribus » mythiques d'Israél. Pfefferkorn avait lui-même affirmé cette antique appartenance dans sa * Défense : « Douziémement : S'il faut discuter de la noblesse, je suis issu de la glorieuse lignée de Nephtali, mais j'ignore celle de Reuchlin. D'ailleurs, j'ai entendu dire par d'autres que son pére était un nécessiteux et un rapetasseur de vieilles chaussures. » (Duodecimo Si de nobilitate generis est disputandum, ego ex laudabili tribu Neptalim genitus, qua vero Reuchlin ignoro. Hoc autem ex aliis audivi patrem ipsius pauperculum fuisse et antiquarum caligarum resarcinatorem. f? Oij, reproduit dans Bócking, Suppl. I, p. 170).

TOMUSAIL

EPIST.13

369

Dixit nuper multis audientibus, quod unus puer potest cognoscere stultitiam et fantasias et malitias Theologorum Coloniensium, et

suorum Cohærentium. Et iuravit ad sancta Sanctorum, quod nisi papa habet advertentiam et corrigit eos de illa perversitate, quod erit schisma in Ecclesia et fide Christiana. Quia si papa permittit illos facere talia, nemo postea studebit et Nemo cogitabit fieri doctus. Et super hoc dixit quod Reuchlin uno die plus potest prodesse Ecclesiæ dei quam isti inimici eius in centum annis. Et dixit : « S1 sunt boni aut recti viri, vel habent iustam causam contra Reuchlin, quare non agunt per se ? Quare per baptizatum Iudeum volunt expedire negocia sua, et faciunt libros scandalizativos, contra illum bonum doctorum, et ascribunt eos huic trufatori? ? Si esset peior et maledictior homo per totam Almaniam, ipsi etiam sociassent sibi eum. Sed non est mirum. Quia schlim schlem* quærit sibi similem. » Tunc ego non potui amplius tacere, sed dixi : « Domine doctor, parcatis mihi, Iohannes Pfefferkorn est vir honestus, et est fidelis sollicitator Caesareze Maiestatis, et est natus de tribu Neptalim. Et scitis quod est una antiqua progenies. Et ipse posset gloriari quod est nobilis, quamvis non facit propter humilitatem. »

Tunc respondit Doctor ille : « Accipiatis coclear et gustate quid dixistis. » Tunc dixi : « Creditis quod non etiam vidi homines ? Ego sum Magister Parhisiensis, et Colonie studui in Theologia bene duos annos. Domine doctor, non sitis sic superbus antequam cognoscitis homines. » Respondit doctor Murner quod non scivit quod fui Magister, et dixit : « De honestate Iohannis Pfefferkorn non multum audivi, sed quod de eo audivi, bene possum

dicere, quod nisi Iudzi voluissent eum

mortificare propter maleficia sua, ipse nunquam fuisset factus Christianus. » Et dixit quod quidam Iudzus dixit sibi : « Ecce illud quod non valet apud Iudaeos, bonum est apud Christianos : Nos voluimus ad mortem iudicare istum malefactorem, D 3. Italien rrufator. 4. Ce calembour germano-latin peut se comprendre par l'assonance entre le latin szmilem (semblable) et les mots allemands Schlimm (mauvais) et Schlamm (boue). Le mot Schlemm se trouve encore de nos jours dans l'expression yiddisch Schlemmazel (= malchanceux). Cette

expression se retrouve dans la lettre II, 70 et on la lit dans la Nef des fous de Sébastien Brant (Narrenschiff, introduction, v. 60) sous la forme : « Schlym schlem, eyn yeder findt sin glich » (litt. :

chacun trouve son semblable).

370

VOLUME

II, LETTRE

chrétiens, vous lui rendez honneur, comme

3

s'il était un homme honnête et

savant, alors que vous avez pourtant vu pour quelle raison il s'est fait chrétien. Alors là, j'ai répondu : — Seigneur docteur, écoutez un peu : les juifs commettent une injustice à l'égard de Jean Pfefferkorn, parce qu'il n'a jamais rien volé, ni fait une mauvaise action, méme lorsqu'il était juif, comme il faut pieusement le croire. Et pour vous convaincre que c'est vrai, apprenez qu'une fois, deux juifs ont voulu le frapper d'infamie pour vol, mais c'était par jalousie et par une exécrable méchanceté. Alors, il les a cités à comparaitre devant le tribunal impérial et ils lui ont versé trente *florins de dommages-intéréts, et il a été satisfait. De plus, Jean Pfefferkorn est né de bonne famille. Mais, du temps qu'il était juif, il était comme les autres juifs, parce que comme on dit, «il faut hurler avec les loups ». Par contre, maintenant, il mange de la viande de porc et il se comporte en bon chrétien. Alors, le docteur Murner a répondu : — Est-ce que Pfefferkorn mange aussi des saucisses ? J'ai répondu : — Je ne l'ai jamais vu en manger, mais on peut supposer que, s'il mange du porc, il mange aussi ce que l'on fabrique à base de porc. Il a dit : — Vous trouvez de bonnes excuses à Jean Pfefferkorn. Et il a demandé ensuite s'il avait encore ses deux oreilles. J'ai répondu que, du temps où j'étais à Cologne, il les avait, et que je crois qu'il les a encore maintenant et qu'il les aura pour l’éternité. Alors il a dit : — Qu'est-ce que vous pensez de Jean Reuchlin ? J'ai dit que je ne le connais pas, mais que je sais bien que les théologiens et l'Église réunis le considérent comme un hérétique, parce qu'il a accusé Jean Pfefferkorn et d'autres personnes trés prestigieuses, sans que ces per-

sonnes aient aucunement démérité*. Alors, il s'est mis à rire et il a dit : — Par Dieu ! vous faites bien de défendre Jean Pfefferkorn et les autres personnages trés prestigieux ! Alors j'ai dit : — Écoutez encore cela : ce Pfefferkorn est trés utile dans l'Église de Dieu, parce qu'il a gagné à Dieu douze âmes, comme il nous l’a avoué sincèrement. Le docteur Murner a répondu :

4. Citation de l'adresse au pape précédant la * Défense de Pfefferkorn : « nullis meis demeritis quovis modo præcedentibus » (f? Aiv, Aij, reproduit dans Bôcking, Suppl. I, p. 84).

TONIUSLHSUEPIST.

13

371

Vos Christiani habetis eum in honore quasi esset homo probus et doctus, cum tamen videtis propter quid est factus Christianus. » Ibi ego respondi : « Domine doctor, audiatis modicum : Iudzi faciunt iniuriam Iohanni Pfefferkorn, quia nunquam furavit aliquid, neque malefecit

etiam quando fuit Iudzus, sicut est pie credendum. Et quod hoc sit verum, debetis scire, quomodo duo Iudzi semel voluerunt ei imponere infamiam furti, sed ex invidia duntaxat et execrabili malicia :

tunc ipse citavit eos ad Cameram imperialem, et dederunt sibi .Xxx. florenos pro expensis, quod fuit contentus. Etiam Iohannes Pfefferkorn natus est bona progenie. Sed quando fuit Iudzus, fuit sicut alii Iudaei. Quia, ut communiter dicitur, “ Qui est inter lupos, oportet ululare cum lupis ". Nunc autem comedit carnes de porca, et facit sicut bonus Christianus. » Tunc respondit doctor Murner : « Comedit Pfefferkorn etiam farcimina ? » Respondi ego : « Non vidi eum comedere, sed præsupponitur, si comedit porcas, quod etiam comedit illa qua fiunt de porcis. » Dixit ipse : « Bene excusastis Iohannem Pfefferkorn. » et interrrogavit, si etiam adhuc habet ambas aures. Respondi quod quando ego adhuc fui Coloniz, habuit, et credo quod etiam iam habet et habebit in æter-

num. Tunc dixit : « Quid tenetis de Iohanne Reuchlin ? » Dixi quod non novi eum, sed scio bene quod Theologi et Ecclesia communiter habent eum pro hzretico, quia criminavit Iohannem Pfefferkorn et alios præstantissimos viros, nullis eorum precedentibus demeritis. Tunc risit et dixit : « Per deum, vos bene facitis, quia defenditis Iohannem Pfefferkorn et alios præstantissimos viros. » Tune dit. « Audiatis adhuc plus : Ille Pfefferkorn est valde utilis in Ecclesia dei, quia obtulit deo .xII. Animas, ut ipsemet ingenue fatetur. » Respondit doctor Murner :

212

VOLUME

II, LETTRE

3

— Où est-ce qu'il a gagné ces âmes à Dieu ? Dans la forêt de Bohême” ? Parce qu'il a peut-étre assassiné là-bas, avec d'autres bandits, des hommes

dont les âmes sont parvenues jusqu'à Dieu ? J'ai répondu : — Pas du tout ! C'est en les convertissant à la religion chrétienne ! Alors, il a dit : — Comment savez-vous donc que ces âmes sont parvenues jusqu'à Dieu ? J'ai répondu qu'on devait le présumer pieusement. Murner a répondu : — Mais, que fait donc Pfefferkorn actuellement ? J'ai dit qu'il va peut-étre à l'église pour écouter des messes et des sermons, et qu'il attend le Jugement dernier pour se défendre contre Jean Reuchlin. Il a répondu : — Est-ce que Pfefferkorn sera encore en vie à ce moment-là ? Alors j'ai dit que oui, en ce qui concerne l'àme, mais non en ce qui concerne le corps. Le docteur Murner a dit : — C'est bien ! Pfefferkorn est digne d'avoir un défenseur comme vous ! Et il m'a quitté, et tous ceux qui étaient présents se sont mis à rire, et ils ont dit : — Par Dieu, Seigneur Étienne, vous lui avez répondu hardiment ! Alors j'ai dit : — Je vais écrire toutes ces paroles à Maitre Ortwin. Et vous pouvez constater que je suis en train de le faire. Et répondez-moi. Je me recommande à vous. Donné à Tréves.

5. Célébre pour ses bandits de grands chemins.

TOMUS

II, EPIST.

3

378

« Ubi obtulit deo illas animas ? In silva Bohemica ? quia fortasse ibi cum aliis latronibus interfecit homines, quorum animz pervenerunt ad deum. » Respondi : « Nullo modo, sed convertendo eos ad fidem Christianam. »

Tunc ipse dixit : « Quomodo tunc scitis quod tales animz Respondi, quod pie presumendum est. « Quid ergo nunc facit Pfefferkorn ? » Dixi quod fortasse vadit ad Ecclesiam mones, et defendendo se contra Iohannem extremi iudicii. Respondit ille : « Erit tunc Pfefferkorn ita diu vita ? » 'Tunc dixi, quod sic quoad animam, sed doctor Murner : « Bene est. Pfefferkorn

pervenerunt ad deum ? » Respondit Murner :

audiendo missas et serReuchlin expectat diem

non quoad corpus. Dixit dignus est habere talem

defensorem. », et dimisit me : et omnes qui fuerunt ibi riserunt dicentes : « Per deum, domine Stephane, vos audacter respondistis ei ! » Tunc dixi : « Ego volo omnia verba scribere Magistro Ortvino », sicut videtis quod nunc facio ; et rescribite etiam. Ego sum vobis ad mandata. Datum Treveris.

374

VOLUME

II, LETTRE

4

4 (Ça va mal pour Hochstraten à Rome)

Maître Jean Duchapeau! salue Maître Ortwin Gratius.

Vu qu’il est écrit dans l'Évangile : «Vous serez mesurés à la méme mesure que vous aurez mesuré », par conséquent, moi non plus, je ne devrais pas vous écrire, de la méme façon que vous ne m'écrivez pas. Et je sais pourtant que vous tenez beaucoup à ce que je vous écrive des nouvelles de la ville de Rome, à savoir, comment ça se passe dans le procès de *Not' Maitre Jacques de *Hochstraten, un homme sans aucun doute plein de zéle, qui défend la religion catholique contre ces juristes et poétes profanes, qui ne gardent pas les yeux fixés sur Dieu?, contrairement aux théologiens de Cologne et de Paris, qui ont fait brûler les *Besicles de Jean Reuchlin*. Je devrais vous faire la méme chose que vous m'avez faite, et je ne devrais pas vous écrire une goutte «d'encre». Mais je ne le ferai pas, et je vais méme vous pardonner, à la condition que vous me répondiez immédiatement. Sachez donc de quelle maniére ces juristes et adversaires, avec l'aide du Diable, qui est l'ennemi de la religion chrétienne, par leurs flatteries, comme on le croit pieusement, ont conquis beaucoup de partisans, et surtout des *courtisans, originaires du *Haut-Pays, et dépourvus de jugement, et comment ils lancent de grands affronts au Not? Maitre susdit. Ils se moquent de lui comme d'un novice, et ils disent qu'il est lui-même un hérétique, et que les théologiens de Cologne sont des bouffons. Grand Dieu ! que pouvons-nous dire ? N'est-ce pas un grand miracle que la sainte théologie doive être ainsi diffamée et traitée comme une foutaise ! Et que les théologiens, qui sont comme les apótres de Dieu, doivent étre méprisés comme des fous ! Croyez-moi vraiment ! La religion catholique en sortira dans un mauvais état, et je crains qu'il n'en advienne une grande confusion dans l'Église de Dieu. Ils disent méme que le Seigneur apostolique? est du parti de Jean

1. Un Pileatoris (allemand : Huter = Duchapeau) aurait été docteur en théologie à Erfurt vers 1514. Il sera à nouveau l'auteur fictif de la lettre II, 16. 2. Matthieu VIL, 2. 3. Litt. : «qui ne gardent pas Dieu devant leurs yeux » allusion à la phrase « Solum deum pre oculis habentes » de la sentence par laquelle les théologiens de Cologne avaient condamné les Besicles de Reuchlin au bücher, le 10 février 1514. 4. L’autodafé de Cologne avait eu lieu le 10 février 1514. L'université de Paris avait approuvé.

5. Le pape *Léon X.

TOMUS

II, EPIST.

4

375

1 Magister Iohannes Pileatoris salutem dicit Magistro Ortvino Gratio. Quia scriptum est in evangelio : « Qua mensura mensuraveritis, eadem mensurabitur et vobis », igitur ego similiter non deberem vobis scribere, sicut et vos non scribitis mihi. Et tamen scio quod magnam importantiam habetis, quod scribam vobis novalia ex urbe Roma, videlicet quomodo stat in Causa Magistri nostri Iacobi de Hochstraten, viri proculdubio zelosi, qui defendit fidem Catholicam contra illos iuristas et poetas sæculares, qui non habent deum præ oculis suis, sicut Theologi in Colonia et Parrhisia, qui combusserunt Speculum Oculare Iohannis Reuchlin : sed ego deberem vobis facere sicut vos facitis mihi, et non deberem vobis scribere unam guttam : sed tamen non faciam, et adhuc semel volo indulgere vobis, ita tamen quod scribatis mihi statim. Et debetis scire qualiter isti iuristæ et adversarii cum adiutorio Diaboli, qui est hostis fidei Christianæ, per suas blandicias, sicut pie creditur, acquisiverunt multos fautores, et precipue Curtisanos qui sunt de partibus superioribus, et non habent bonam Conscientiam, et inferunt magnas iniurias praedicto Magistro nostro, vexantes eum sicut beanum, et dicentes quod ipsemet est hæreticus, et quod

"Theologi in Colonia sunt Bufones!. Sancte Deus, quid debemus dicere ? Non est magnum miracuIum quod sacra Theologia debet ita scandalisari, et haberi pro una frascaria?, et Theologi qui sunt sicut apostoli dei, debent sperni quasi essent stulti ? Credatis mihi firmiter, quod fides Catholica habebit magnum malum exinde, et ego timeo, quod erit una confusio in ecclesia dei.

Etiam dicunt, quod dominus

1. De l'italien buffone. 2. De l'italien frascheria (= frivolité).

apostolicus est pro parte Iohannis

376

VOLUME

II, LETTRES

4-5

Reuchlin, parce qu'il est lui-même *poète® et qu'il favorise les juristes. J'espère néanmoins que Sa Sanctissimité sera éclairée par la grâce de l'Esprit saint, et qu'Elle ne rendra pas une sentence inique". Que veuille le Seigneur Dieu — qui règne sur Terre et dans les Cieux Et la Vierge Marie, sa mère, ^ nous délivrer de ces littéraires. Donné à Rome.

B (dl y a quand méme de l'espoir pour Hochstraten, argumentaire juridique)

Frére Jean de Werdea! à Maitre Ortwin Gratius, humbles et pieuses priéres avec de nombreux saluts. Vénérable Monsieur, Vous m'écrivez que vous avez entendu dire que votre procés se présente mal et que Jean Reuchlin a bénéficié d'une interdiction apostolique?. Vous m'écrivez également que vous craignez beaucoup qu'il ne remporte la victoire contre les théologiens et notre trés-saint ordre, et que cela provoque ensuite un scandale dans l'Église. Ó, homme de peu de foi ? êtes-vous terrorisé à ce point que vous perdiez déjà tout espoir ? Pourtant, autrefois, quand j'étais avec vous à *Deventer, vous n'étiez pas aussi timoré, et vous aviez au contraire beaucoup de courage. Car je me rappelle encore bien comment vous avez assommé ces deux bizuths qui vous avaient attaqué avec de longues dagues, alors que vous n'aviez aucune arme ni la plus petite défense. Et vous les avez pourtant assommés avec l'aide de Dieu réellement en acte, au point que l'un d'entre

6. Léon X était connu pour avoir recu une éducation humaniste trés raffinée à Florence. 7. Le jugement de non-lieu pour Reuchlin avait été prononcé le 2 juillet 1516 et était donc déjà connu lors de la publication de ce second volume des Lettres (début 1517).

1. 2. dirent quant 3.

Un juriste nommé Obermayr de Werdea fut recteur de l'université de Leipzig en 1486. Le 19 janvier 1515, les deux juges romains Domenico *Grimani et Pietro *Accolti interau parti de Cologne, et nommément à *Arnold de Tongres, de publier aucun texte critil'affaire en cours ni Reuchlin. Apostrophe habituelle de Jésus contre ses détracteurs.

TOMUS

II, EPIST.

4-5

377

Reuchlin, quia ipse etiam est poeta et favet iuristis. Sed tamen spero quod sua Sanctissimitas illuminabitur per gratiam Spiritussancti, et non dabit malam sententiam, Quod velit dominus deus et sua mater virgo Maria,

qui regnat in terris et per cælos quz liberet nos ab ista poetria.

Datum Roma.

5 Frater Iohannes de Werdea

Magistro Ortvino Gratio humiles et devotas orationes cum numerosa

salute.

Venerabilis vir, Vos scribitis mihi quod audivistis quod Causa vestra male stat et Iohannes Reuchlin acquisivit unam inhibitionem apostolicam. Et scri-

bitis mihi quod timetis valde, ne habebit victoriam contra Theologos et Sanctissimum ordinem nostrum, et postea scandalizabitur ecclesia

dei. O modicz fidei, vultis esse ita perterritus, quod vultis statim desperare ? Tamen olim quando fui vobiscum in Daventria, non fuistis ita timax, sed habuistis magnam audaciam. Quia scio adhuc bene, quomodo semel percussistis illos duos beanos, venientes ad vos cum lon-

gis cultris, et vos non habuistis unum armum seu defendiculum. Et tamen percussistis eos cum adiutorio dei realiter cum effectu, ita

378

VOLUME

II, LETTRE

5

eux s'est pissé dessus tellement il a eu peur. Beaucoup de gens vous ont vu et ils ont dit : « Par Dieu ! cet Ortwin a du cœur au ventre ! » Apprenez qu'ici, à la *Cour romaine, ce n'est pas comme ailleurs, ni comme vous le pensez, car une fois on gagne, et une autre fois, on perd. Et il arrive que quelqu'un ait àun moment deux ou trois sentences favorables, mais qu'il perde pourtant son procès. Mais vous allez me dire : « Le pape a autorisé la vente, la lecture et l'édition* des *Besicles ». Et alors ? S'il l'a permis, ne peut-il pas l'interdire à nouveau ? L'un n'entraine pas l'autre, car le Trés Saint-Pére a le pouvoir de lier et de délier, et on ne peut pas le critiquer. Il en ale plein pouvoir, ici et partout, comme vous le savez de l'Évangile?, car vous étes merveilleusement savant en Écriture sainte. Mais je vais citer le droit canonique : Primo, comme quoi le pape détient le pouvoir sur toute la terre : IX. q. IV.

canon « Par toute la terre »9. Il peut également, de son propre chef, déposer l'empereur, méme sans le consentement du concile, comme le dit la glose du chap. Ad Apostolice, « De

la sentence et de l'affaire jugée »". On trouve aussi IL, q. VI « Pour le reste »5,

Et le pape n'est pas soumis à la loi, car il est lui-même la loi vivante sur terre, comme il est dit dans la glose sur le chap. 11 « De la charge de juge délégué »°. Et, si le pape est la loi, il peut faire ce qu'il veut, sans en rendre compte à personne. Et méme s’il a dit « Oui », il peut ensuite dire « Non ». Ainsi, ayez confiance, parce que l'autre jour, j'ai entendu dire ici, par un *auditeur de la Rote, qui est un homme important et de grande expérience, qu'il n'est pas possible que le pape rende une sentence contre vous, parce que votre procès est excellent, et c'est un procès en *matière de religion.

Soyez donc courageux au combat'?, car méme si ces réveurs vous parlent de cette interdiction, n'en croyez rien, car elle ne sera pas appliquée. J'espére pourtant que j'aurai bientót de bonnes nouvelles à vous écrire, parce que le Seigneur *Not' Maitre Jacques de *Hochstraten fait grande 4. Par le jugement du 2 juillet 1516. 5. Cf. Matthieu XVI, 18. 6. Décret de Gratien, C. 9, q. 3 (et non pas 4), c. 17 : il s'agit d'une célébre lettre de Gélase

à tous les évéques, affirmant la primauté de juridiction du pape. 7. Liber Sextus (de Boniface VIIT), II, 14, 2, constitution promulguée par Innocent du concile de Lyon (mais qui ne fait pas partie des canons du concile), pour pouvoir l'empereur Frédéric II. 8. Sans doute Décret de Gratien C. 1, q. 1, c. 109. Sa glose supérieure cite le canon XV, question 6, concernant la déposition du roi de France Zacharie par le pape et son cement par Pépin le Bref. 9. Liber Sextus, I, 14, 11. 10. Expression provenant de Hébreux XI, 34.

IV lors déposer 3, chap. rempla-

TOMUS

II, EPIST.

5

379

quod unus pre timore perminxit se. Et viderunt multi homines et dixerunt : « Per deum, iste Ortvinus habet magnum cor. » Vos debetis scire quod hic in Curia Romana non est sicut alibi, et

sicut vos putatis, sed unus una vice lucratur et alia vice perdit. Et licet aliquis habet aliquando duas vel tres sententias pro se, tamen adhuc potest perdere litem. Sed potestis dicere : « Papa permisit quod Speculum Oculare debet vendi, legi et imprimi. » Quid tunc est ? Si permisit, ergo non potest iterum prohibere ? Non sequitur : quia sanctissimus habet potestatem ligandi et solvendi, et non debet corrigi : quia habet plenariam potestatem, hic et ubique, sicut scitis ex evangelio, quia mirabiliter estis solidatus in sacra scriptura. Sed ego volo allegare Ius canonicum. Primo quod Papa obtinet principatum totius Orbis, .IX. q. II. c. « Cuncta per mundum ». Et potest deponere Imperatorem solus, etiam sine Concilio, ut dicit glosa in Cap. « Ad Apostolice » De Sententia et Re iudicata. Et habetur .II. q. Vi. « De cetero ». Et Papa non est sub lege ; sed ipse est lex animata in terris, ut habetur in glosa super capitulo .XI. de officio Iudicis delegati. Et si Papa est lex, potest facere quod! vult et neminem respicere. Et quamvis semel dixit « ita », tamen postea potest dicere « non ». Et debetis habere bonam confidentiam : quia nuper audivi hic ex uno auditore Rotz, qui est vir notabilis, et habet magnam experientiam, quod non est possibile, quod Papa potest Sententiam dare contra vos, quia habetis optimam Causam, et est causa fidei. Ergo estote fortes in bello : quia licet isti fantastæ dicunt vobis de illa inhibitione, nihil debetis dare supra : quia non habet effectum. Sed ego spero quod statim volo vobis scribere bonas novitates, quia dominus Magister noster Iacobus de Hochstraten facit magnam

1. Lire quid.

380

VOLUME

II, LETTRES

5-6

diligence. Et l'autre jour, il a organisé un banquet, et il y a invité beaucoup de *courtisans, âgés et pleins d'expérience, ainsi qu'un *scripteur apostolique, qui est tres bien vu de sa Sainteté, et quelques auditeurs de la Rote. Il leur a donné à manger des perdrix, des faisans, des lièvres et des poissons frais, ainsi qu'un excellent vin de Corse et aussi de Grèce. Ils ont tous dit qu'on les avait traités avec beaucoup de respect. Et ils ont dit : — Par Dieu, voici un théologien remarquable ! Nous allons prendre son parti ! Voilà pourquoi il a bon espoir. Mais il faut maintenant conclure, parce que le messager ne veut pas attendre. Portez-vous bien et saluez pour moi tous les Not? Maitres et les maitres,

ainsi que Jean *Pfefferkorn!!. Donné à Rome.

6 (Hochstraten est réduit à la misére) Maitre Corneille Létourdi

salue beaucoup Maitre Ortwin

Selon la requéte que vous m'avez envoyée à la Cité!, lorsque je me suis trouvé à la *Cour romaine, comme quoi je dois vous signifier point par point comment se déroule l'affaire en *matière de religion qui vous oppose, vous ainsi que les autres théologiens, à Jean Reuchlin. Je vous prie d'étre attentif car je suis parti si vite que je n'ai pas pu écrire un seul mot. Je me suis donc proposé de vous écrire une fois dans ma patrie, et c'est ce que je fais à présent. Sachez donc que, lorsque je fus à Rome, ça n'allait pas bien du tout et je m'en afflige beaucoup, car *Not' Maitre Jacques de *Hochstraten est dans une grande pauvreté?. N'avez-vous pas honte, vous autres les théologiens, ne de pas lui envoyer d'argent? ? Vous voulez obtenir des merveilles et vous ne voulez pas dépenser d'argent ! Croyezvous que c'est comme ca qu'il faut faire ?

11. Qui n'est pas méme un vulgaire étudiant. 1. Rome. 2. Voir les lettres I, 12 et 48 ; II, 53. 3. Voir la lettre II, 26.

TOMUS

II, EPIST.

5-6

381

diligentiam. Et nuper habuit convivium et invitavit multos Curtisanos antiquos bene experimentales, et unum scriptorem Apostolicum, qui est bene visus apud Sanctissimum, et aliquos auditores Rotæ. Et dedit eis comedere perdices, et fasianos et lepores et pisces recentes, et optimum vinum Cursicum necnon grecum, et dixerunt omnes quod tractavit eos cum summa

reverentia, et dixerunt :

« Per deum, iste est notabilis Theologus. Volumus esse pro parte ipsius ». Et sic habet bonam sperantiam?. Sed oportet concludere, quia nuncius non vult expectare. Valeatis et salutetis mihi omnes Magistros Nostros et Magistros et Iohannem Pfefferkorn. Datum Romz.

6

Magister Cornelius Storati! Magistro Ortvino Salutem Plurimam.

Secundum postulata vestra qua misistis mihi in Urbem, quando adhuc fui Curiz Romanz, quod debeo vobis articulariter significare, quomodo stat negocium in causa fidei, inter vos et alios Theologos et Iohannem Reuchlin. Advertatis rogo. Ego ita celeriter abivi quod non potui scribere unum verbum. Et proposui mihi, quod ego volo vobis scribere ex patria?, et ego nunc facio. Ergo sciatis quod quando ego fui Romz, tunc non bene stetit, valde doleo. Nam magister noster Iacobus de Hochstraten est in magna paupertate. Non habetis verecundiam vos "Theologi, quod non mittitis ei pecuniam ? Vos vultis expedire magnalia, et non vultis exponere pecuniam. Creditis quod sic est faciendum ?

2. De l'italien speranza.

1. Nom fictif sans doute dérivé du latin médiéval stordatus (= l'estourdi). 2. Inexplicablement, on lit poetria dans toutes les éditions des Lettres.

382

VOLUME

II, LETTRES

6-7

Lorsque ce Not’ Maitre est arrivé à Rome avec deux ou trois chevaux“,

il avait de l’argent à la banque et offrait des cadeaux, et les *courtisans l’honorèrent beaucoup. Quand l’un demandait : « Qui est celui-ci ? », l’autre répondait : « C'est un docteur d'Allemagne, aussi réputé que possible. Il est particulièrement bon théoricien et argumentateur sans égal. Il est ici pour un procès en religion contre un juriste civil”. » Alors, les courtisans le complimentaient, et souvent ils me disaient : — Seigneur Corneille, recommandez-moi à ce remarquable théologien ! Il avait alors des partisans et son procès prenait bonne tournure. Et voilà que maintenant vous l'abandonnez et que vous ne lui envoyez plus assez d'argent ! J'ai méme été dans sa chambre, et j'ai vu sa *chape trainer par terre et elle était couverte de poux. Et lui, voyant que je l'avais vue, cita l'Écriture en disant : — Tes animaux y habiteront. Dans ta bonté, Ó Dieu, tu l'as préparé pour le pauvref. Et il dit encore : — Mon zèle m'a consumé'. Et moi, j'en ai pleuré de compassion. Vous devez donc faire en sorte que les fréres précheurs lui envoient de l'argent. Et s'ils disent qu'ils n'en ont pas, alors, dites-leur qu'ils prennent celui qu'ils ont récolté avec les indulgences, parce que c'est pour un procés en matière de religion, et que ce qu'ils obtiennent dans ce procès, ils l'obtiennent dans l'intérét de la religion chrétienne. Portez-vous bien. Donné à Augsbourg.

7 (Reuchlin a empéché les théologiens de racketter les juifs)

Frére Albert Delapointe salue Maitre Ortwin Gratius Honorable Monsieur,

L'autre jour est arrivée ici une lettre de Votre Seigneurie, qui m'était adressée. Je l'ai donc ouverte avec joie, car j'avais reconnu votre sceau, et je 4. Voir les lettres I, 12 et II, 53. 5. Reuchlin était docteur en droit civil, mais pas en droit canonique.

6. Psaume LXVIII (Vulgate L'XVID), 11. 7. Psaume CXIX (Vulgate CXVIID, 139.

TOMUS

II, EPIST.

6-7

383

Quando ille magister noster intravit Romam cum duobus vel tribus equis, habens pecuniam in banco, et dans propinas, tunc Curtisani valde honoraverunt ipsum. Et dixit unus ad alium : « Quis est iste ? » Respondit alius : « Ipse est unus Doctor de Almania, ita notabilis sicut est possibile, et est speculativus et argumentifex singularis, quod non habet similem. Ipse habet hic Causam fidei contra unum [uristam sæcularem. » Tunc Curtisani laudaverunt eum et sæpe dixerunt mihi : « Domine Corneli, commendate me huic notabili Theologo. » Protunc habuit fautores, et Causa sua bene stetit. Nunc autem derelinquitis eum non mittentes ei satis de pecunia. Ego semel fui in Camera ipsius, tunc vidi ibi iacere cappam suam, et vidi quod fuit plena pediculorum. Et ipse videns quod ego vidi, allegavit scripturam dicens : « Animalia tua habitabunt in ea. Parasti in dulcedine tua pauperi, deus. » Et iterum dixit : « Tabescere me fecit zelus meus. » Ego autem ex commiseratione flevi. Debetis ergo esse pro eo, quod tamen fratres praedicatores mittant ei pecuniam. Si dicunt quod non habent, tunc dicatis quod accipiant de illa, quam collegerunt ex indulgentiis : quia est causa fidei, et que impetrantur in illa causa, impetrantur pro fide Christiana. Valete. Datum Augustæ.

7| Frater Albertus Acuficis Magistro Ortvino Gratio salutem. Honorabilis vir, Nuper venit huc una littera, a dominatione vestra mihi destinata. Et cum læticia aperui, quia cognovi sigillum vestrum, et legi et intel-

384

VOLUME.

II, LETTRE

7

l'ai lue, et je comprends que Votre Seigneurie désire savoir comment les gens parlent ici du procès en *matière de religion qui vous oppose, vous les théologiens, à Jean Reuchlin. Je vais vous l'écrire, mais ne le prenez pas mal parce qu'ils ne sont pas de votre parti. Tout le monde dit que les théologiens agissent envers Reuchlin comme les scribes et les pharisiens envers Jésus!, et qu'il a toujours été un homme honnéte, et qu'il a été membre du conseil de deux empereurs?. Ses compétences en droit ont aidé de nombreuses cités et de nombreux princes. Et tous l'ont trouvé honnéte et loyal, et ils pensent que les théologiens sont jaloux de sa gloire et qu'ils ont voulu le déclarer hérétique par des moyens tortueux et lamentables. Quand j'entends des choses pareilles, je m'y oppose. Mais vous savez bien que plusieurs chiens aboient plus fort qu'un seul. L'autre jour, deux Maitres qui arrivaient de Cologne (l'un d'entre eux est noble) ont dit que tous ceux qui manœuvrent contre Reuchlin sont pour la plupart des bátards, des bandits ou des bouffons. Ça m'a rempli de honte. Et l’un d'eux a méme dit avec une telle insolence que tout le monde l'a entendu : — Seigneurs, pour que vous compreniez quel est ce proces mené contre Reuchlin, sachez que ce procès a été déclenché par Jean *Pfefferkorn, qui est semblable par la chose, par le nom, et en tout point à ce Jean Pfefferkorn qui a ici-méme été déchiré par des tenailles rougies au feu”, car il est, lui aussi,

un juif baptisé et il a, lui aussi, abandonné sa religion à cause des crimes qu'il a commis. Et s'il était détenu ici dans la prison et que le bourreau l’interrogeát sur ses actions, il n'en avouerait pas moins que l'autre. C'est lui qui a poussé les théologiens de Cologne, et eux à leur tour l'ont poussé, quand ils ont voulu brûler les livres des juifs dans toute l'Allemagne. Et s'ils ont fait ça, c'était dans l'espoir que les juifs viendraient voir secrétement les théologiens et le susdit Pfefferkorn avec de grosses sommes d'argent pour leur dire : « Laissez-moi mes livres, et voici quarante *gulden. » Et certains juifs en auraient bien donné cent, et certains mille. Mais voilà que Reuchlin est arrivé et qu'il a empéché ce trafic. Alors, ils se sont mis en colére contre lui et ils écrivent des livres pour le diffamer et le déclarer hérétique. Ils écrivent méme des livres en latin sous le nom de Jean Pfefferkorn, alors qu'il ne connait méme pas son alphabet latin. Or, ils font cela parce qu'ils savent que personne ne lui répondra parce que personne ne veut se salir au contact de ce malfaiteur. Vous voyez ainsi que s'ils 1. Voir Matthieu XXVII, 28-42 et la lettre II, 28, cinquiéme article.

2. Frédéric III puis Maximilien. 3. En 1514, un juif converti surnommé le « curé Rapp » avait été brûlé à Halle. Hutten avait fait courir le bruit qu'il s'agissait en réalité de Pfefferkorn, ou de son frère, cf. lettres I, 10 et 23.

JqiOMCOSUIE,

BPIST..

7

385

ligo quod Dominatio vestra cupit scire quomodo tamen homines loquuntur hic de causa fidei inter vos Theologos et Iohannem Reuchlin. Volo vobis scribere, sed non debetis mihi habere pro malo, quia non sunt pro parte vestra. Omnes dicunt quod Theologi faciunt Reuchlin sicut scribz et phariszi fecerunt Christo, et quod ipse semper fuit probus vir, et fuit in Concilio duorum Imperatorum. Et sua iuristria iuvavit multa civitates et Principes. Et omnes invenerunt eum probum et fidelem. Et quod Theologi invident gloriz ipsius, et voluerunt eum declarare haereticum per devia et nullitates. Quando talia audio, tunc teneo oppositum : Sed scitis bene quod multi canes superlatrant unum. Dixerunt nuper duo Magistri venientes ex Colonia, et unus ex eis est nobilitaris, quod omnes qui agunt contra Reuchlin, sunt commu-

niter Spurii, vel Infames, vel Bufones!. Quod fuit mihi magna verecundia. Sed ipsorum unus audacter dixit quod omnes circumstantes audierunt : « Domini, ut intelligatis qualis sit ista causa contra Iohannem Reuchlin : illa causa habuit principium a Iohanne Pfefferkorn, qui est similis re et nomine et omnibus modis huic Iohanni Pfefferkorn qui fuit hic cum forcipibus calidis laceratus, quia etiam est Iudæus baptizatus, et etiam propter nequitias quas fecit, dereliquit fidem suam. Et si deberet hic sedere in turri, et spiculator deberet eum interrogare quid fecit, ipse deberet non minus confiteri quam ille alius. Ipse instigavit Theologos Coloniæ, et ipsi etiam instigaverunt eum, et voluerunt libros Iudaeorum per totam Almaniam comburere. Et hoc fecerunt propterea quod Iudzi deberent venire ad Theologos et praefatum Pfefferkorn cum magna pecunia occulte dicentes *Permittatis mihi libros meos : ecce hic habetis quadraginta aureos". Et aliqui Iudaei dedissent libenter centum, aliqui mille. Tunc venit Reuchlin et impedivit illud propositum, et irati sunt super eum, et scribunt libros et scandalizare volunt eum, et dicunt quod est hæreticus. Etiam scribunt aliquos libros in latino, et intitulant eos nomine Iohannis Pfefferkorn, cum tamen ipse non scit alphabetum in latino. Sed igitur faciunt, quia sciunt quod nemo respondebit ei, quia nemo cum isto malefactore vult se permaculare.

1. De l'italien buffone.

386

VOLUME

II, LETTRE

7

étaient de véritables théologiens, ou des hommes honnêtes, ils agiraient sous leurs vrais noms au lieu de se cacher derriére ce tartufe*. Ils ont également fait d'autres livres, dont certains sont signés du nom d'*Arnold de Tongres, lequel a été si bien convaincu de falsification, qu'il ne pourra jamais nier ni contester qu'il ne soit un faussaire, parce que la facon dont il a falsifié les écrits de Jean Reuchlin a été rendue publique dans toute l'Allemagne. Il y a encore un autre auteur chez les théologiens, c'est Maitre Ortwin, qui est le fils d'un prétre. De plus, il vit en concubinage et il a été pris en flagrant délit d'adultére. Enfin, il y en a encore un autre, dont vous avez sürement entendu parler, c'est le docteur Wigand *Wirt, de l'ordre des précheurs, qui est aussi une crapule. Il a écrit un livre selon lequel la Sainte Vierge a été congue dans le péché originel, et il a déclenché une grande émeute par ses prédications. C'est pourquoi il a été contraint de renier publiquement ses paroles et ses écrits à Heidelberg, et je l'ai entendu et vu moiméme. Vous pouvez maintenant comprendre qui sont les ennemis de Jean Reuchlin. Quand j'ai entendu des choses pareilles, alors j'ai dit : — Mon Seigneur, il ne faut pas dire des choses pareilles devant le peuple, méme si elles étaient vraies, parce que le scandale éclabousserait tout l'Ordre, et cela donnerait un mauvais exemple aux gens. Il a répondu : — Et vous, vous n'auriez pas dû agir contre Reuchlin de cette manière, en cherchant à le diffamer, parce qu'il ne peut plus se justifier sans que la diffamation rejaillisse sur vous.

Par Dieu, Maitre Ortwin, je voudrais que ce procès se termine, parce qu'il nous cause bien des ennuis : les gens ne veulent plus nous donner d'aumóne. Moi-même, je suis allé la semaine dernière faire la collecte de fromages? et, en dix jours, je n'en ai pas récolté plus de quinze, car tout le monde me disait : — Va donc chez Jean Reuchlin et dis-lui de te donner des fromages ! Que le Seigneur Dieu nous accorde une issue favorable ! Ainsi, portez-vous bien dans le Seigneur. Donné à Halle en Saxe.

4. Voir les lettres I, 45 et II, 21.

5. C'est donc un « frére-à-fromages » qui est supposé avoir écrit la lettre. (cf. la lettre I, 5)

TOMUS

II, EPIST.

7

387

Ergo videtis, quod si essent veri Theologi, aut probi viri, ipsimet facerent facta sua, et non velarent et occultarent se cum isto trufatore?.

Fecerunt etiam alios libros, quorum aliqui sunt intitulati nomine Arnoldi de Tungari, qui inventus est falsarius, ita quod nunquam potest negare et nunquam potest se excusare, quod non est falsarius, quia manifestum est per totam Almaniam, quomodo falsificavit scripta Iohannis Reuchlin. Alius scriptor Theologorum est magister Ortvinus, qui est filius presbiteri, qui etiam est concubinarius, et deprehensus in adulterio. Deinde habent alium, de quo bene audivistis, doctorem Vigandum Wirt ordinis predicatorum, qui similiter est infamis. Ipse composuit librum, quod beata virgo est concepta in peccato originali, et fecerat magnam seditionem cum prædicationibus suis. Et ergo fuit coactus revocare verba et scripta sua publice Heydelbergæ, quod ego met audivi et vidi. Sic potestis scire quales sunt inimici Iohannis Reuchlin ». Quando audivi talia, tunc dixi :

« Domine mi, non debetis talia dicere coram populo, etiam si essent vera, quia scandalisatur per hoc totus Ordo, et homines accipiunt malum exemplum. » Respondit ille : « Etiam vos non debetis ista fecisse contra Reuchlin, quem etiam voluistis scandalisare. Ergo ipse nunc non posset se purgare sine vestro scandalo. » Per deum, Magister Ortvine, ego vellem quod haberet finem ista

Causa, quia est nobis multum incommodosa. Homines amplius non volunt nobis elemosinam dare. Ego ivi septimana proxima pro caseis, et per .X. dies non plures quam .XV. collegi, quia dicunt omnes : «Vade ad Iohannem Reuchlin, et dic quod det tibi caseos. » Dominus deus tribuat bonum finem. Et sic valeatis in domino. Datum Hallis in Saxonia.

2. De l'italien truffatore (= escroc).

388

VOLUME

II, LETTRE

8

8 (Comment va le monde, vu par un fonctionnaire de la *Cour romaine)

Matthieu Pinson, *bachelier à Maitre Ortwin Gratius saluts inénarrables et amours ineffables.

Honorable Monsieur, Puisqu'en effet, vous savez suffisamment bien comment Ville de Rome, car je travaille à la Scribouillerie! et, gráce bonne situation, il n'est donc pas nécessaire que je vous en vous n'aimez pas beaucoup lire aussi les lettres longues. Cependant, étant donné que je vous ai promis de vous

je vis ici dans la à Dieu, j'ai une parle, parce que

écrire des nouvelles de la Ville de Rome, au moins une fois par mois, et à chaque départ de coursiers ou de postiers, alors je m'en vais vous signifier comment vont les affaires dans les guerres et tout le reste, ainsi qu'au sujet du roi de France et de l'empereur. Pour ces raisons, vous pourriez vous dire : — En voici un qui est bien fier, parce qu'il a une bonne situation à Rome, et à cause de cela, il ne se soucie pas de m'écrire. Il a oublié que j'ai été son professeur. Je l'ai instruit en *poésie et en *arts, et aussi avec ça dans le * Grécisme, si bien qu'il a fait un bout du programme en grec?. Eh bien, je dis que ce n'est pas vrai. Et que le Diable m'emporte si je ne vous garde pas en mémoire et aussi dans les priéres que j'adresse à Dieu ! Car Grégoire dit que l'ingratitude est la source de tous les péchés. Donc, celui qui péche par ingratitude, pèche dans tous les péchés. Mais si c'était par vanité que je ne vous écrivais pas, alors je serais ingrat envers vous qui m'avez fait tant de bien. Mais j'ai des causes raisonnables comme quoi je n'ai pas envoyé de lettres à Votre Seigneurie : c'est parce que j'ai été malade un bon bout de temps et je ne sais pas ce que j'ai attrapé. Le médecin a dit que j'avais quelque chose à l'estomac et que je ne digérais pas bien. Avant-hier, j'ai méme pris une purge et, sauf votre respect, j'ai chié une merde si fluide qu'on aurait pu la manger à la cuiller. Et avec ca, il m'est sorti un machin blanc de la grosseur d'une poire. Et le médecin a dit : « C'est une matiére indigeste qui cause la fiévre. » Mais maintenant, je mange de nouveau bien, car j'ai bon appétit, Dieu soit loué ! Et si je garde la santé’, je vous écrirai toujours.

1. Durant le Xv? siècle, la bureaucratie pontificale s'était accrue de façon exponentielle (ce qui rapportait des sommes considérables gráce à la vente des offices). 2. L'étude du Grécisme était tout le contraire de l'apprentissage du grec (voir *Évrard de Béthune).

3. Hélas ! On apprendra la mort du bachelier Pinson dans la lettre 54...

TOMUS

II, EPIST. 8

389

8 Mathæus Finck!, bacularius Magistro Ortvino Gratio inenarrabiles salutes et amores ineffabiles.

Honorabilis vir, Quoniamquidem sufficienter scitis quomodo sto hic in Urbe Roma, et sum in Copistria et de gratia dei habeo bonum servitium : ergo non est necesse quod scribo vobis de eo, quia etiam non libenter legitis productas litteras. Sed secundum hoc quod promisi vobis scribere novitates ex Urbe Roma, ad minus semel in mense, et quandocunque irent Cursores vel

postz, tunc vellem certificare vos quomodo stat hic in bellis et in aliis et de rege Francie et de imperatore, propterea potestis cogitare : « Ecce iste est superbus, quia habet bonam stantiam Romz, et propterea non curat mihi scribere, et est oblitus quod fui praeceptor suus, et docui eum in poesi et artibus et cum hoc etiam in græcismo, ita quod pro parte est bonus græcus. » Dico quod non, et diabolus auferat me si non habeo vos in memoria et etiam in orationibus meis erga deum. Quia dicit Gregorius, quod ingratitudo est radix omnium vitiorum : Ergo qui peccat in Ingratitudine, peccat in omnibus peccatis. Sed si ego non scriberem vobis per superbiam, tunc essem vobis ingratus, qui fecistis mihi talia bona. Sed

habeo

rationabiles

causas,

quod

non

direxi

literas

ad

Dominationem vestram : quia pro magna parte fui infirmus, et nescio quid fuit mihi. Medicus dicit quod habeo aliquid in stomacho et non scio bene digerere. Etiam nudiustertius sumpsi unam purgationem, et salva reverentia coram dominatione vestra, ego merdavi unam

merdam ita tenuem, quod aliquis posset sorbere cum cocleari ; et cum hoc exivit [de me]una petia? alba bene ita magna sicut pirum. Et dixit Medicus : « Illa est materia indigesta et causat febrem. » Sed pro nunc scio iterum bene comedere, quia habeo bonum appetitum, laudetur deus. Et si maneo sanus, tunc semper volo scribere vobis.

1. De l'allemand Finck (= pinson). 2. De l'italien pezza (= une pièce, un bout).

390

VOLUME

II, LETTRE

8

Pour cette fois, apprenez que Sa Sainteté est à présent à Florence‘, et que les *courtisans la maudissent de ne pas revenir car ils ne peuvent pas régler leurs affaires. Mais je leur dis de prendre patience et de ne pas la maudire, autrement, ils seront excommuniés. Et je cite le Droit à ce sujet, parce que je vais ici à la Sapienza? pour étudier. J'ai déjà fait de gros progres dans l'un et l'autre *droits, dans l'un aussi bien comme dans l'autre. Mais, il y a des gens qui disent que Sa Sainteté a mal aux yeux, et qu'elle ne peut donc pas se promener au grand air. Apprenez aussi que le roi de France retourne en France et qu'il va en ramener beaucoup de monde pour faire la guerre à l'empereur. Et les Espagnols vont aider l'empereur et vous pouvez comprendre que cela va faire une grande guerre. C'est pourquoi nous devons dire dans nos priéres : « Seigneur, donne la paix à notre temps ! »’, car pour les courtisans, ce n'est pas une bonne chose qu'il y ait la guerre dans ces régions. S'il y avait la paix, vous pourriez m'écrire si vous avez connaissance d'un *bénéfice vacant, qu'il soit attaché à une cure ou non, ou bien de droit patronal, ou autre. Car jai maintenant une solide expérience et je pourrais bien obtenir quelque chose. Et si vous avez une procédure, alors, je vais solliciter ici en votre faveur. Et aussi en ce qui concerne le procés avec Jean Reuchlin, apprenez que *Not' Maitre Jacques de *Hochstraten est en train d'extraire d'autres articles dans les Besicles*, et ils sont tout aussi hérétiques que les premiers. Il est maintenant à Florence avec la Cour et il sollicite avec zèle. Vous ne devez pas douter que vous n'aurez pas la victoire?. Écrivez-moi aussi des nouvelles et portez-vous bien avec gloire. Donné à Rome.

4. *Léon X s'y trouvait depuis le 30 novembre 1515. 5. L'université de Rome, nommée « Archigymnasium », dont la réputation était médiocre pour les études de droit. 6. Léon X, qui était myope, aimait beaucoup se promener dans la campagne romaine. 7. Ecclésiastique L, 25.

8. L'homme obscur a voulu faire un effet de style mais, en s'emmélant dans la double négation (que les auteurs latins affectionnaient tant), il prédit par ce /apsus à Gratius la défaite finale.

TOMUS

Et pro ista vice debetis

II, EPIST.

scire, quod

8

Sanctissimus

391

adhuc

est

Florentiz, et Curtisani hic maledicunt ei quod non venit, quia non

possunt expedire negocia sua. Sed ego dico quod debent habere patientiam, et non debent ei maledicere, alias sunt excommunicati. Et

allego eis Iura supra hoc, quia vado hic ad Sapientiam et studeo ; iam feci magnum profectum in utroque Iure, in uno ita bene sicut in alio. Sed dicunt aliqui quod oculi dolent Sanctissimo, ergo non potest ambulare per aerem. Debetis etiam scire quod Rex Franciz revertit in Franciam et vult portare magis populum ad bellandum contra Imperatorem. Et Hispani volunt auxiliare imperatori, et habetis scire quod erit magna guerra. Quapropter debemus dicere in Orationibus nostris : « Da pacem, domine, in diebus nostris. » Quia non est bonum quod est guerra in istis locis, pro Curtisanis. Si esset pax, tunc semel deberetis mihi scribere de Vacantia unius beneficii, sive est curatum sive non

curatum, sive de iure patronatus sive aliter. Quia ego nunc habeo bonam Experientiam, et vellem bene impetrare aliquid. Et si habetis unam litem, tunc ego volo sollicitare vobis hic. Etiam de causa cum Iohanne Reuchlin debetis scire quod Magister Noster Iacobus de Hochstraten collegit adhuc alios articulos in Speculo Oculari : et sunt ita bene hæreticales sicut alii. Et ipse iam est Florentie cum Curta, et diligenter sollicitat. Non debetis dubitare quod non habebitis victoriam. Scribatis mihi similiter nova et Valeatis cum gloria. Datum Roma.

392

VOLUME

II, LETTRE

9

9 (Le voyage de cauchemar d’un anti-reuchliniste à travers l'Allemagne)

Maitre Philippe Cocagne à Maitre Ortwin Gratius un salut démesuré.

Vénérable Maitre, Sachez que j'ai regu votre lettre qui est écrite trés poétiquement, selon votre habitude. Car vous avez écrit :

À Cologne je l'ai donnée Et qu'on a bien fait la féte

quand on a eu un bon diner, sans se prendre la téte.

Cela m'a fait penser que vous étiez bien imbibé, c'est-à-dire plein de vin, pour m'exprimer poétiquement. Et je crois que vous étiez bourré quand vous avez écrit ce texte. Et vous m'écrivez de vous envoyer ce poéme que j'ai composé au sujet de mes déambulations un peu partout à travers l'Allemagne, lorsque j'ai visité les universités, porteur d'un mandat des théologiens pour récolter leur soutien contre Jean Reuchlin, et comment j'ai été persécuté par les *poétes qui s'y rencontrent un peu partout. De toute façon, je vais le faire, mais vous devez, vous aussi, m'envoyer un échantillon de vos

ceuvres. Je l'ai donné à ce messager pour qu'il vous le porte. Sachez encore que je l'ai composé en rimes, sans m'occuper des quantités [des syllabes] ni [du nombre] des pieds [des vers]. Il me semble en effet qu'il sonne mieux comme cela. Et puis, c'est que je n'ai pas appris la technique pour faire des vers, et d'ailleurs, je m'en fiche. Portez-vous bien, de Bruneck! en Flandre.

Poéme rimé de maitre Philippe de Cocagne, qu'il a composé et compilé quand il était *chargé de cours en théologie et qu'il a déambulé dans toute la Haute-Allemagne. Christ, dieu tout-puissant espérance de tout vivant, Dieu des dieux, toi qui vis dans les siécles infinis, Sois moi favorable quand l'ennemi me tombe sur le rable?. C'est un diable qu'il nous faudrait pour conduire sur le gibet Les juristes et les poétes qui m'ont fait une grosse téte,

1. Localité introuvable.

2. Cf. psaume CVI (Vulgate CV), 42.

TOMUS

II, EPIST. 9

393

9 Magister Philippus Schlauraff! Magistro Ortvino Gratio salutem sesquipedalem. Venerabilis Magister, Sciatis quod accepi litteram vestram valde poeticaliter scriptam, sicut est consuetudo vestra. Et scripsistis : « Datum in Colonia,

et viximus in hilaritate,

quando habuimus bona convivia,

et non curavimus de gravitate. »

Et sic consideravi quod fuistis bene vinificatus, id est vino repletus, dicendo poetaliter. Et credo quod fuistis ebrius quando scripsistis illud dictamen. Et scribitis mihi quod debeo vobis mittere illud Carmen quod compilavi de ambulatione mea hinc inde per Almaniam, quando visitavi universitates, habens mandatum a "Theologis quod debui seminare favorem eorum contra Iohannem Reuchlin, et quomodo fui ibi tribulatus a poetis qui sunt hincinde. Faciam utique, sed vos iterum debetis mihi aliquid mittere de vestris operibus. Et dedi huic nuncio quod portaret vobis. Etiam sciatis quod composui rithmice non attendens quantitates et pedes : quia videtur mihi quod sonat melius sic. Etiam ego non didici illam poetriam, nec curo. Valete ex Bruneck in Flandria. Carmen Rithmicale magistri Philippi Schlauraff quod compilavit et comportavit, quando fuit Cursor in Theologia et ambulavit per totam Almaniam superiorem : Christe deus omnipotens, in quem sperat omne Ens, Qui es deus deorum . per omnia sæcula seculorum, Tu velis mihi esse propitius, quando tribulat me inimicus. Mitte unum diabolum, qui ducat ad patibulum Poetas et iuristas, qui dederunt mihi vexas, 1. Le Schlauraffenland est le pays où il suffit d'ouvrir la bouche pour que les cailles y tombent toutes róties, l'équivalent de notre pays de Cocagne. On le trouve dans La Nef des fous de Sébastien *Brant, où le bateau des fous est nommé Das schluraffen schiff (= le bateau de Cocagne, chap. 108) et chez Hans Sachs dans un poéme qui commence par : « Schlauraffenland, welches... endiget. » Ce mot est encore en usage actuellement, sous la forme Schlaraffenland.

394

VOLUME

II, LETTRE

9

En Saxe spécialement où en logique j'étais étudiant Chez le docteur *Sibutus qui en médecine est trés pointu. Il vit avec une vieille rombière qui vend de la bonne bière. Il y a un poète là-bas nommé *Balthasar de Facha. Il m'a fait des misères qui beaucoup m 'affligérent. Et puis, *Engentinus Philippe, qui est aussi un méchant type, M'a déclaré la guerre. J'ai donc cherché une autre terre Et j'ai eu la bonne idée à Rostock de m'en aller. Là-bas, Hermann *Busch par ses poèmes faisait mouche. Mais en chemin on m'expliqua qu'il y avait la peste là-bas. Alors vers Greifswald j'ai filé, mais bien peu y étaient restés. Du coup je suis reparti malgré qu'arrivát la nuit. À Francfort j' suis arrivé qui sur l'Oder est située Mais là, Hermann *Trebell avec ses poèmes, de plus belle M'a injurié et il a horriblement blasphémé, Et les deux *Osthène aussi, qui sont des élèves à lui. De tous les noms ils m'ont traité chez les bourgeois d' la cité Et dans toute la ville on me nomme le bachoteur de Cologne* Alors, en Autriche je suis allé, mais je fus mal inspiré Car *Collimitius (que «le feu» Saint-Antoine le tue !) Y était recteur et 1l fut aussitôt mon ennemicateur. Il m'accusa de trahison et il m'aurait mis en prison Sans l'intervention d'*Heckmann. Mais Joachim *Vadian Nouveau malheur, à cause de *Pfefferkorn, à c't' heure, S'en est pris à moi parce que l'autre l'avait injurié une fois Dans sa * Défense, bien qu'à trés juste titre, je pense. J'ai dit que j'étais innocent et je l'ai supplié en pleurant De me laisser en liberté. Mais, à son oreille est venu chuchoter Le recteur du pensionnat du Lys, disant qu'on me retienne à tout prix.

Et *Cuspinianus — que le roi Maximilien aime tant et plus—, A dit qu’ les *maîtres ès arts, c'est en péchés mortels qu'ils sont docteurs. Alors, je m'en suis allé, vers Ingolstadt je me suis dirigé. Mais c’est là que *Philomuses se tient, qui versifie contre les théologiens. Alors, craignant sa furie, pour Nuremberg je suis parti Où un certain *Pirckheimer, qui n’est même pas maître en grammaire, M'a créé beaucoup d'ennuis et j'ai entendu dire en secret là-bas sur lui, Qu'avec beaucoup d'autres amis dans tous les coins du pays, Il veut créer une grande conjuration pour défendre *Capnion Et contre nous, les théologiens écrire un tas de bouquins.

4. Littéralement : « le radoteur des Copulata de Cologne ». Voir infra, lettre 35, note 2. Les passages en italiques, à part les titres d'ouvrages, sont en allemand dans le texte.

TOMUS

Praesertim in Saxonia, Quam docuit me Sibutus,

II, EPIST.

9

395

ubi fui studens in loyca, qui est in medicina imbutus,

Et habet antiquam vetulam, qua vendit bonam Cerevisiam. Tunc est ibi unus poeta, qui vocatur Balthasar de Facha, Qui me tribulavit, quod mihi valde doloravit. Tunc Philippus Engentinus, qui non est vexator minus, Incepit unam guerram. Tunc quæsivi aliam terram, Et cogitavi bonam rem,

10

ut ad Rostock irem,

Ubi Hermannus Buschius mortificavit unum Carminibus. "Tunc audivi in via, quod viget ibi pestilentia. Et ivi ad Gripswaldiam, qua habet modicam Companiam. Et sic abivi mox, quamvis fuit statim Nox, Et veni ad Francfurdiam, quz iacet apud Oderam. Ibi Hermannus Trebellius cum suis poematibus Multum me infamavit, et audacter blasphemavit, Necnon duo Osthenii, qui sunt illius discipuli, Qui multis cognominibus vexabant me in Civibus.

15

20

Do hief mich die gantz statt « das Colnisch Copulat », Ita quod ambulavi in Austriam, ad meam malam fortunam : Quia Collimitius (veniat ei sanctus Anthonius) 25 Fuit ibi Rector, et meus inimicator, Vocans me traditorem, et volens ponere ad Carcerem, Nisi fuisset Heckman. Sed Ioachimus Vadian, Novum infortunium, propter Pepercornum 30 Mecum ibi incepit, quia eum vilipendit In sua defensione, quamvis cum magna ratione. Tunc dixi quod sum innocens, et rogavi eum flens, Quod vellet me dimittere. Tunc dixit ei tacite Rector bursz lilii, quod retineret me cum vi. 35 Et dixit Cuspinianus, quem amat rex Maximilianus, Quod magistri in artibus sunt doctores in peccatis mortalibus. Tunc incepi inde transire, et ad Ingolstadt venire. Hic Philomusus habitat, et contra Thelogos metrificat. Tunc timens eius furiam

Ubi quidam Pirckheimer, Fecit mihi instantiam : Quod cum multis sociis Magna in Coniuratione Et contra nos Theologos

transivi ad Nurmbergam,

qui non est Magister, sed audivi ibi clam, in partibus diversis

vellet stare pro Capnione, facere multos libros.

40

396

45

50

55

60

65

70

25

VOLUME

Et on m'a dit aussi que, dans

II, LETTRE

9

un livre très récent”,

On parle du prêt à intérêt que la théologie autoriserait. Même qu’à Bologne ça a été discuté et par les *Not' Maîtres approuvés. Au bout d’un mois je suis parti à l’université de Leipzig, Mais Richard *Croke s’y trouvait, dont on dit qu’il est anglais. Il m'a aperçu dans la rue et il a dit : « Cette béte-là, À Cologne je l'ai connue. » « C'est faux, ai-je répondu C'est pas moi ! » Alors il a dit à son ami : « Pour les théologiens, ce garcon, a trahi Capnion Et c'est un grand trouillard. » Quand j'ai dit ça aux maîtres ès arts Ils ont juré d'un commun accord de lui retirer son heure de cours Pour que, tant qu'à faire il soit privé de son salaire. *Mosellanus est venu en disant : « Ce bizuth Devrait sur un gibet étre pendu par le collet. » Alors j'ai été expulsé. À Erfurt j'ai décidé d'aller Mais *Aperbach a commencé à me persécuter Et *Eobanus Hesse, qui n'avait jamais de cesse De recruter dans la rue des gens pour me taper dessus, M'a bousculé violemment à deux ou trois moments Et il a dit aux étudiants : « Cassez-lui donc les dents ! Parce qu'il est théologien, donc un ennemi de Reuchlin ! » Alors *Crotus Rubianus a dit : « D’où vient ce bizuth Que nous n'avons jamais vu ? » J'ai dit que j'étais promu. « Fiche le camp ! » a-t-il répondu. Alors j'ai voulu À Cologne aussitót rentrer, par la Buchonie’ faisant un crochet. Mais un ami m'a prévenu que Rufus *Mutianus Sur la méme route cheminait et qu'il risquait de m'assommer. Alors par la campagne j'ai pris pour retourner en Misnie. Mais rapidement la chose est venue aux oreilles d’*Æsticampianus. Alors, ses éléves il a envoyés. Par les cheveux ils m'ont tiré. Et *Spalatin, qui est son voisin, A demandé que de sa part à lui, ils me donnent les verges aussi. 5. Il s'agit de la traduction (latine) par Pirckheimer du Ilepi x09 un óetv 6ave(Ceo9ot (De vitanda usura) de Plutarque, édité à Nuremberg en 1513. Dans son Eccius dedolatus (1520), le méme Pirckheimer fera dire à son ennemi le théologien Eck : « Je défendais l'usure que Cochlæus critiquait pour défendre son ancien patron [Pirckheimer]. Outre que j'eusse démontré à Bologne que les préts à intérét sont licites dans les contrats publics [...] lui, cependant comme il écrivait à ses amis à ce sujet, il insultait la doctrine, la langue, l'acte et la matière, alors

que Jean *Lefèvre [d'Étaples] l’eût loué un maximum. » (Bócking, IV, p. 522, $ 26). 6. La question de l'interdiction de l'usure fut l'objet de débats passionnés à la fin du Moyen Âge. Les franciscains notamment, cherchantà tout prix à priver les juifs de leur quasi-monopole du prêt à intérêt, se lancèrent dans la création des monts-de-piété. Mais pour ce faire, ils devaient au préalable justifier théologiquement le prét à intérét. 7. La Buchonia était le nom que Hutten donnait poétiquement à la forét de son pays natal.

TOMUS

Et fuit mihi dictum, Scripsit de usura,

II, EPIST.

9

397

quod noviter unum librum quam admittit Theologia,

Sicut Bononie est disputatum — et per Magistros nostros probatum. Sic ivi post unum mensem ad universitatem Lipsensem : qui dicitur esse Anglicus, Ubi Richardus Crocus, Vidit me per viam, et dixit « Illam bestiam Ego novi Coloniz ! » Respondi « Noli dicere, Quia ego non sum. » Tunc dixit ad suum socium « Iste pro Theologis est proditor Capnionis, Et est magnus pultronus?. » quod dixi magistris in Artibus, Qui iuraverunt invicem accipere ei lectionem Ita quod in posterum non amplius haberet stipendium. Venit Mosellanus, dicens : « Ille beanus Deberet ad patibulum suspendi per suum collum. » Et sic fui licentiatus et ad Erfordiam intentionatus, Ubi Aperbachius me incepit tribulare, Et Eobanus Hessus, qui nunquam fuit fessus Quærere in plateis, ut percuterent me cum pugnis. Et multum terribiliter

vexavit me bis vel ter,

Et dixit ad studentes : « Frangatis ei dentes, Quia Theologicus et Reuchlin est inimicus. » Tunc dixit Crotus Rubianus :

« Unde venit iste beanus,

Qui non est nobis notus ? » Dixi quod sum promotus. Respondit : « Eatis utique ! » Tunc volui revertere Statim ad Coloniam, vadens per Buchoniam. Sed dixit quidam socius, quod Mutianus Ruffus Esset in itinere, et posset me percutere. Tunc ivi per Campaniam,

et veni iterum in Misniam.

Quod fuit ibi subito dictum Æsticampiano, Qui misit suos discipulos, qui traxerunt me cum crinibus. Et dixit Spalatinus, qui est eius vicinus, Quod etiam ex parte sua darent mihi verbera.

2. Du français : poltron. 3. Italien (ou frangais) : campagne.

398

VOLUME

II, LETTRE

9

je suis reparti vers les sacrés monts Ayant reçu mon content de gnons, «De l'Erz» où un diable ou bien un ange détestable Et dés qu'il me reconnut, M'a fait rencontrer *Sturnus.

80

85

90

95

100

Ilmegifla.

Alors j'allai en Franconie, là

Où coule le Main. Mais Ulrich von Hutten Jura, avec les doigts dressés, qu'il me ferait fouetter Si je prétendais rester. Alors, mon salut, ai-je pensé, vers Augsbourg, la belle cité. Est en Souabe d'émigrer qui n'aime pas *Brulifer Mais, Conrad *Peutinger, Refusa de m'autoriser à m'y reposer. Quant à Stuttgart, je l'évitai, car c'est là que résidait qui ne me semblait pas trés catholique. Reuchlin, cet hérétique Alors je partis pour Tubingue. Mais là, y avait plein d' collégues . Qui font des nouveaux bouquins pour critiquer les théologiens. Et le pire de ces types, c'est bien *Melanchthon Philippe. Dès que je l'ai connu un peu, j'ai fait le vœu au bon Dieu j'irai à Saint-Jacques. Que le jour où il claque, Il y avait *Bebelius et puis Jean *Brassicanus Et Paul *Vereander et tous entre eux ils jurérent Qu'ils allaient me tabasser si je n° voulais pas m'en aller. du nom de François «Stadien?» Mais il y avait là un théologien de quitter la région. Qui m' conseilla sans façons Alors j'ai préféré m'en aller et de ces poètes m'éloigner Si bien que j'arrivai un jour dans un pays nommé Strasbourg. Mais là, au milieu d? la rue une ribauderie il y eut, Car Nicolas *Gerbell avec ses querelles M'attaqua devant tout le monde et il me couvrit de honte. Par la main il me prend Arrive Sébastien *Brant.

105

110

Que je t'emméne en bateau!? Et me dit : « Suis-moi, mon beau ! Jusqu'au pays des châteaux — en Espagne, tellement tu m'as l'air idiot. » Il y avait aussi *Schürer, un compagnon bien en chair. Et de moi il s'est moqué en disant : « M'sieur, faut aller En Cocagne, soyez le bienvenu, comme le loup blanc vous y étes connu. » Alors, ma robe j'ai pris et triste, je suis parti Mais *Wimpfeling était là Jusques à Sélestat. Avec sa pelisse toute grasse.

Jacques *Spiegel me dit sur le méme ton. : «D'où viens-tu, Pine-de-Pigeon!! ? »

8. En pèlerinage d'action de grâces à Saint-Jacques-de9. Le précepteur et ami de Melanchthon. 10. Dans la nef des fous, bien sür. 11. Voir la lettre I, 24.

Compostelle.

TOMUS

II, EPIST. 9

399

Ergo satis percussus veni ad quoddam Nemus, Ibi quidam diabolus, vel certe malus Angelus Sturnum ad me portavit, qui ubi cognovit, Dedit mihi alapam. Tunc ivi ad Franconiam, Ubi est fluvius Menus. Ibi Ulrichus Huttenus Iuravit levatis digitis, quod vellet me percutere virgis, Si vellem ibi stare. Tunc cogitavi meum salutare, Vadens hic in Sueviam, ad civitatem Augustam. Ibi Conradus Beutinger, cui non placet Brulifer, Noluit me permittere, quod possem hic quiescere. Tunc præterivi Studgardiam, quia habet ibi stantiam Reuchlin ille hæreticus, qui fuit mihi suspectus. Tunc ad Tubingam abii. Hic sedent multi socii Qui novos libros faciunt et Theologos vilipendunt, Quorum est vilissimus Philippus Melanchtonius, Sicut ego cognovi. Et igitur deo vovi, Si viderem illum mortuum, quod irem ad sanctum Iacobum. Fuit et Bebelius, et Iohannes Brassicanus, Et Paulus Vereander, die schworen alle mit ein ander, Quod vellent me percutere, si non vellem recedere. Sed quidam hic Theologus, cum nomine Franciscus, Sua cavisatione portavit me ex illa regione. Tunc cogitavi ire, et ab istis poetis venire, Et ivi ad unam patriam, quam dicunt Argentinam. Ibi in media via facta est una rebaldria?,

Quia Nicolaus Gerbellius Confudit me in populo,

80

85

90

95

100

cum suis disputationibus quod steti in magno scandalo.

Venit Sebastianus Brant, Dicens « Mihi sequere :

der nam mich bei der hant, nos volumus navigare 105 Ab hinc in Narragoniam? propter tuam stulticiam. » Et fuit ibi Schurerius, qui est pinguis socius. Ipse me derisit, et dixit « Herr, ir mussent mit Bif ins Schlauraffen landt. Do seynt ir vast voll bekandt. » Collegi meam tunicam, et cepi inde fugam 110 Pergens ad Sletstadium, cum vidi Wimphelingum, quod est bene impinguatum, Qui habet unum pellicium, Necnon Iacobum Spigel, qui dixit : «Wo her, du daubengigel ? » 4. De l'italien ribaldria (= ribauderie). 5. Ce mot-valise est formé de Narr (= fou) et Aragonia (= Aragon). La Narragonia est le pays où se rend la nef des fous de Sébastien Brant. La gravure de couverture de l'ouvrage représente un bateau rempli de fous, surmonté de l'inscription : Ad Narragoniam.

400

115

VOLUME

II, LETTRE

9

« De Souabe ! » que j' dis. «Alors, t'es qu'une bête ! » qu'i m'dit. Moi, ca m'a mis en colère. « Alors, m'a dit *Kirher, Faut qu’ tu partes pour Athènes et qu’ l'alphabet grec t' apprennes ! » Et voilà *Sapidus qui se léve avec ses nombreux élèves Pour me taper sur les doigts ^ Alors j'ai prié la reine des cieux à pleine voix. Mais *Storckius s’est écrié :

« Jetons-le en bas de l’escalier ! »

120

Et *Phrygius qui lui répond :

125

*Beatus Rhenanus,en arrivant, —m'a d'mandé : « Es-tu donc allemand ? » « De Flandre ! » que j'ai répondu. Immédiatement, j'ai reçu Deux coups de fouet sur la tête J'en suis resté à moitié bête. À Haguenau, j' suis allé voir et on m'y a fait les yeux au beurre noir. Au gibet, *Angst Wolfgang, Que Dieu te fasse tirer la langue ! Car c’est avec ton pieu que tu m'as frappé les yeux. Et *Setzer est arrivé, lui qui est juste bachelier, Et, avec un livre épais, au côté il m'a frappé. J'en ai perdu la respiration alors j'ai prié ce compagnon

130

Debien vouloir me confesser

« Un pauvre prêtre épargnons ! »

— parce que je me repentais de mes péchés.

Mais au milieu de la nuit je me suis levé d? mon lit Et j'ai filé à Fribourg, pour y d'mander du secours. Mais là, voilà qu! de nombreux nobles, armés et hideux, Ont pris la défense de Reuchlin et de m'occire firent mine,

135

140

145

150

Et méme un vieillard chenu,

qui se nomme *Zazius.

Ce trés vieux juriste m'a d'mandé si j'étais *scotiste. J'ai répondu : « I7 *saint docteur, c'est l'idole de mon cœur ! » Alors il s'est moqué de moi et J'en ai rougi d'émoi. Alors un certain *Amerbach a déclaré : « Te m'en vais te coller . Unm autre bon coup de soliveau, ca va t'apprendre du nouveau ! » Alors je me suis enfui, me voyant par le destin poursuivi. À Bâle, quand je suis arrivé, voilà-t-i pas que j' suis tombé Sur un nommé *Érasme, celui qui la foule enthousiasme. J'y ai dit : « Avec votre permission, Excellence, dites-moi donc Si vous êtes *Not' Maitrisant ou bien seulement qualifiant ? » « Les deux ! » qu' i m' dit. Du coup je suis resté chez lui. Mais chez *Froben, ma foi, des hérétiques, y'en a des tas. Tel *Glareanus qui a osé lever la main sur moi. Dans le dos il m'a frappé, et dehors il m'a jeté.

J'aidit: « Par tes lauriers!?, de moi prends pitié ! » Ensuite, en frêle équipage, de Worms j'ai gagné le rivage. Et là-bas, dans un hótel avec le médecin Théobald!5 Je me suis disputé parce que sur les théologiens il tenait 12. L'humaniste Henri Glareanus avait été couronné poéte en 1512 par Maximilien. 13. *Fettich.

TOMUS

II, EPIST.

9

401

Respondi quod ex Suevia. Tunc dixit quod sum bestia. Et ego fui iratus. Tunc dixit mihi Kirherus, 115 Quod irem ad Athenas, et discerem græcas litteras. Et fuit etiam Sapidus cum multis suis scholaribus, Dans mihi disciplinam. Tunc invocavi celorum reginam. Tunc exclamavit Storckius : « Volvamus hunc de gradibus ! » Respondit ei Phrygio : « Parcamus sacerdotio. » 120 Venit Beatus Rhenanus, quarens an sum Almanus. Respondi « Sum ex Flandria. » Tunc statim duo verbera Accepi super capite, quod vix potui audire. Et ivi hinc ad Haganaw. Do wurden mir die augen blaw Per te, Wolffgange Angst, Gott gib da du hangst, 125 Quia me cum baculo percusseras in oculo. Accurrit autem Setzerius, Cum uno magno volumine

qui vix est Baclarius, percutiens me in latere,

Quod non habui spiritum. Tunc oravi illum socium, Quod facerem confessionem, quia haberem Contritionem. Sed ego in noctis medio surrexi de cubiculo Et ivi ad Friburgiam, quarens misericordiam. Sed ibi multi nobiles, Reuchlin defenderunt, Necnon unus vetulus,

armati et horribiles, et mihi mortem minaverunt. qui vocatur Zazius,

Percutiens in dorsum,

et proiciens deorsum.

130

135 Ille antiquus iurista, quaesivit an sum Scotista ? Respondi « Doctor sanctus est mihi autor summus ! » Tunc fecit me risibilem, quod habui pudorem. Etstatim quidam Amorbach — spricht « Ich wyl eyn anders machen, Und langent mir die brietschen her, so wil ich in eyn newes lern. » 140 Sic fui hinc fugatus, quia sum ad miseriam natus, Et veni Basileam, ubi vidi quendam Qui Erasmus dicitur, et multum honoratur. Tunc dixi « Cum licentia, dicat vestra excellentia, 145 Si estis Magister nostrandus, vel statim qualificandus ? » Respondit ipse « Utique ! » Tunc sivi eum stare. Sed in domo Frobenii sunt multi pravi hæretici, Necnon Glarianus, qui imposuit mihi manus

Et dixi « Per tuam lauream

fac mecum misericordiam ! »

abiens Wormaciam, Tunc ivi ad Naviculam Ubi in hospicio cum Theobaldo medico Fuit mihi lis, quia de Theologis

150

402

155

160

165

170

175

VOLUME

II, LETTRE

9

Des propos répugnants. Alors j'ai dit modestement : «Vous êtes un sot ! » et un fromage aussitót Sur la téte m'est tombé. Je suis reparti blessé Jusques à Mayence. Là-bas, j'ai eu la chance D'étre grácié par le précheur, Barthélemy, des dimes le percepteur!^. Il m'a accueilli en jurant par le dieu vivant

Que, si à La Couronne!” j'étais allé,

j'aurais des ennuis récoltés

Car parmi les voyageurs, on trouve de vrais malfaiteurs. Tel Nicolas *Carbach qui, devant de nombreux potaches Donne un cours sur Tite-Live. Et chez *Huttich, à peine j'arrive Que, par une vieille haine emporté, — un coup de tabouret il m'a donné, Qui m'a fait lâcher un pet bien rond. Alors, j'ai recu un marron Du docteur Conrad *Weydmann. Ÿ’ai dit : « Je dois l’entendre comment ? » Puis, Jean *Konigsteyn m'a poussé jusqu'au bas de l’escalier. Réchappé d'un tel danger, jusques au Rhin je suis allé. Et pendant que j'y naviguais, sur le bateau j'ai rencontré Ledocteur Thomas *Murner, de l'ordre des fréres mineurs. Il m'a dit : « Sauf le respect que j' dois à ma dignité, Tu devrais devant tout |’ monde te faire balancer dans l'onde ! » J'y ai dit : « Et pourquoi donc ? » Et lui : « La ferme ! Tête de con ! Car maintenant, je me souviens de c’ que t'as fait au docteur Reuchlin ! »

Alors, pour Cologne jsuis parti

— et j'y ai trouvé une bonne compagnie,

Bien que Busch sans tréve, entouré de ses éléves, Et Jean *Cæsarius qui, sans façons, là-bas sur Pline donne des leçons,

180

M'aient encore bien embêté. Car chez les théologiens, j'ai Erje n'aurais pas donné un liard Bien qu'il soit un poéte. Car À longueur de ses écrits que

Ils sont vraiment réputés, 185

Mais je ne m'en suis pas soucié vécu loin des chagrins, du comte de * Neuenahr Jean Pfefferkorn répète les nobles, méme si

on n° peut pas les excuser!$,

Et ils doivent se repentir à cause de leurs Hommes obscurs. Et voilà, j'ai terminé, pour l'honneur d' l'université.

14. Ce calembour facile porte sur le nom du théologien Barthélémy *Zehender, dont le nom de famille signifie « percepteur de dime ». 15. LAuberge de la Couronne de Mayence, qui était déjà le théâtre de l’altercation de la lettre I, 11, sera celle des lettres II, 12 et 55.

16. Citation de la *Défense de Pfefferkorn : « nec quispiam nobilitate excusandus videtur... » (f? N, reproduit dans Bócking, Suppl. I, p. 162).

TOMUS

II, EPIST.

9

403

Dicebat multa scandala. Tunc dixi cum modestia : « Vos estis homo stolidus ! » Et statim unus Caseus Stetit mihi in capite. Et sic recessi cum vulnere Usque ad Moguntiam, ubi mihi gratiam Fecit pradicator Bartholomæus decimator, Dans mihi hospitium et iurans per deum vivum, Siivissem ad Coronam, quod accepissem vexationem bonam, Quia ibi commensales sunt valde nequitiales, Nicolaus Carbachius qui legens pro scholaribus Exponit Titum Livium. Tunc reperi Huttichium, Qui ex antiquo odio percussit me cum scamno, Quod feci unum bombum. Tunc dedit mihi pugnum Doctor ConratWeydmann. Ich sprach «Wie sal ich das vorstan ? » Tunc trusit me Iohan Konigsteyn, quod cecidi de gradibus. Et sic post hoc periculum contuli me ad Rhenum, Ubi cum ambulavi, visus est mihi in navi Doctor Thomas Murner, ordinis minorum Frater, Qui dixit « Nisi parcerem propter meam dignitatem, Statim coram omnibus iaceres hic in fluctibus. » Respondi « Quare hoc ? » Tunc dixit « Schweyg, du holtzbock ! Es leygt mir noch im sin, quod fecisti Doctori Reuchlin ! » Sic ivi ad Coloniam, et inveni bonam companiam, Quamwvis mihi Buschius cum suis auditoribus

155

160

165

170

175

Et Iohannes Cæsarius, qui legit ibi Plinius, Facerent instantias, quia non curavi has, Sed steti cum Theologis, et vixi in laetitils,

Und gab nit ein har Quamvis sit poeticus, In suis dictaminibus Quod quamvis sunt clari,

auff den grafen von newen Ar, quia Pepercornus dicit de nobilibus,

180

non possunt excusari,

Et debent sibi solvere pro sua Obscuritate. Et sic est finis : propter honorem Universitatis.

185

404

VOLUME

II, LETTRE

10

10 (Martin de Groningue, qui traduit les Besicles en latin, est un áne, débat *quodlibétique)

Not’ Maitre Barthélémy Lecocu à Maitre Ortwin, saluts innombrables avec une immense vénération devant vous.

Vénérable Maitre, Sans plus de préambule ni circonlocutions, sachez, comme vous m'avez écrit l'autre jour que je devais vous notifier quelle tournure prend ici l'affaire en *matiére de religion. Apprenez qu'elle prend bonne tournure, mais que

la sentence définitive n'a pas encore été prononcée. Il y a ici un juriste nommé *Martin de Groningue, docteur de Sienne à ce qu'il dit, assez prétentieux et vaniteux. Il est chargé de traduire en latin les *Besicles et il est assez présomptueux parce qu'il cherche à se mettre en valeur. Il y a des gens qui chantent ses louanges et, l'autre jour, j'ai demandé à l'un d'entre eux : — Qu'est-ce qu'il sait de plus qu'un autre ? Alors, ils ont dit qu'il a de bonnes connaissances en grec. Vous voyez donc qu'il n'y a pas à s'en soucier parce que le grec n'est pas de l'essence de l'Écriture sainte. Par contre, je ne crois pas qu'il connaisse une ligne du *Livre des Sentences, ni qu'il soit capable de former un seul syllogisme en Baroco ni en Celarent!, parce qu'il n'est pas logicien. L'autre jour, il m'a traité d'àne. Alors, je lui ai dit : — Si tu es si courageux, entame un débat contre moi ! Je le tutoyais avec courage. Et il se taisait. Alors, j'ai poursuivi et j'ai dit pour l’humilier : — Je prouve que tu es un àne : Primo : Quiconque porte une charge est un àne ; Or, tu portes une charge ; donc, tu es un áne. Et je prouve la mineure, car tu portes ce livre. Et c'était vrai car il portait un livre que lui avait donné Jacques de *Questenberg pour y étudier contre *Not' Maitre Jacques de *Hochstraten. Il avait d'ailleurs manqué d'habileté car, s'il m'avait contesté la majeure, je n'aurais pas pu la lui démontrer, mais je savais qu'il ny connaissait rien en logique. Je lui ai donc dit : 1. Formules mnémotechniques de trois syllabes utilisées pour retenir les formes des syllogismes. Chaque voyelle représentait un type de proposition, et chaque formule représentait donc un type particulier de syllogisme. On les enchainait dans de petits poèmes, tels que : Barbara, Celarent, Darii, Ferio, etc.

TOMUS

II, EPIST. 10

405

10 Magister Noster Bartholomæus Kuckuck! Magistro Ortvino salutes innumerabiles cum summa veneratione a parte ante?.

Venerabilis Magister, Non facto præambulo, aut multo circuitu verborum habetis scire

sicut nuper scripsistis mihi quod deberem vobis notificare qualiter negocium in causa fidei stat hic : sciatis quod bene stat, sed nondum exivit Sententia diffinitiva. Et est hic unus Iurista qui vocatur Martinus Groningen, Doctor Senensis, ut ipse dicit, satis prætensus et superbus. Ipse debet latinisare Speculum Oculare, et est valde presumptuosus, quia cupit videri. Aliqui laudant eum, et quzsivi nuper ex eis : « Quid plus scit quam alius ? » 'Tunc dixerunt, quod habet bonam notitiam in græco. Et sic videtis quod non est curandum de eo, quia grecum non est de essentia Sacre scripture. Et credo quod non scit unum punctum in libris Sententiarum. Nec ipse posset mihi formare unum Syllogismum in Baroco aut Celarent, quia non est logicus. Ipse nuper vocavit me asinum. Et dixi ei : « Si es ita audax, tunc disputa mecum ! » Et tibisavi eum audacter. Et tacuit. Tunc ulterius vexando eum dixi : « Ego arguo quod tu sis asinus : Primo sic : Quicquid portat onera, est asinus, tu portas onera, ergo es asinus. Minorem probo, quia tu portas istum librum. » Et fuit verum, quia ipse portavit unum librum quem dedit Iacobus de Questenberg ad studendum intus contra Magistrum Nostrum Iacobum de Hochstraten. Tunc non fuit ita prudens quod negaret mihi Maiorem, quia non potuissem probare. Sed bene scivi quod nihil scit in logica. Dixi ergo ad eum :

1. Litt. : «le coucou ». 2. Cette salutation est un décalque de l'allemand : Gruf zuvor.

406

VOLUME

II, LETTRE

10

— Seigneur docteur, vous voulez vous immiscer dans une affaire de théologiens alors que cela n'est pas de votre compétence. Je vous conseillerais donc d'abandonner parce que vous ne comprenez pas cette matière. D'ailleurs, cela pourrait vous valoir une condamnation car les théologiens ne veulent pas que les juristes se mêlent des « matières de foi ». Il s'est aussitót mis en colére et il m'a dit : — Non seulement je m'y connais dans cette matière, mais je vois aussi que tu es une maudite béte ! Alors, ca m'a choqué et je me suis levé. Et ce jour-là, nous avons eu une grosse bagarre. Et Not? Maitre Pierre *Meyer, le curé de Francfort, m'a dit : — Allons à l'auberge pour déjeuner, car c'est l'heure du repas. Permettez à ce brave homme de rester avec nous, car il ne comprend pas la portée de ses actes. Il ferait mieux de retourner à l'école. Mais vous devez savoir, Maitre Ortwin, que nous avons décidé de nous venger de cet affront de la belle manière : il est étudiant à Cologne et il est pensionnaire au pensionnat de *Mons, je le sais de source süre. Faites donc en sorte que l'université le convoque. Alors, nous l'accuserons de parjure, car 1l est immatriculé au registre de l'université et il a prété serment de défendre les intéréts de l'université. Mais maintenant, il se dresse avec Jean Reuchlin contre l'université ! Et je vous prie de le faire sans tarder et envoyez-moi le livre de Jean Pfefferkorn intitulé * Défense de Tean Pfefferkorn contre les diffamatoires. J'ai vu l'autre jour un camarade en porter un exemplaire et j'aimerais beaucoup en avoir un, car mon cœur souffre du fait que ce livre contient beaucoup de propositions subtiles. Que le Seigneur Dieu vous donne le salut et la paix. Amen.

TOMUS

II, EPIST.

10

407

« Domine doctor, Vos vultis vos intromittere in negocio "Theologorum, quod non est in facultate vestra. Ego suaderem vobis quod dimitteretis, quia vos non intelligitis materiam istam. Alias potestis venire ad damnum, quia Theologi non volunt quod Iuristæ debent tractare causas fidei. » Et statim ille iratus dixit : « Ego non solum intelligo istam materiam, sed etiam video quod tu es una maledicta bestia ! » Tunc fui etiam commotus et surrexi. Et fuit inter nos magna rixa in die illa. Dixitque mihi Magister Noster Petrus Meyer plebanus Franckfordiensis : « Eamus ad hospitium pro comedere, quia est tempus ad prandium. Permittatis stare istum bonum virum, quia non intelligit facta sua. Ipse adhuc deberet ire ad scholas desuper. » Sed debetis scire, Magister Ortvine, quod volumus pulcherrime vindicare istam iniuriam. Ipse est studens Coloniensis, et stetit in bursa montis quod ego pro certo scio. Ergo faciatis quod universitas citat eum. Tunc volumus declarare periurum, quia est immatriculatus in matricula universitatis et fecit iuramentum quod vult procurare bonum universitatis. Sed nunc stat cum Iohanne Reuchlin contra universitatem. Et rogo quod velitis hoc statim facere, et mittatis mihi librum Ioannis Pfefferkorn qui intitulatur « Defensio Ioannis Pepericorni contra famosas ». Ego vidi nuper unum socium portare huc, et vellem ita libenter habere quod cor dolet mihi inde, quia talis liber habet multas propositiones subtiles. Dominus deus det vobis salutem et pacem. Amen.

408

VOLUME

IH, LETTRE

11

11 (Thomistes et albertistes rivalisent de zèle contre Reuchlin)

Josse Rapetasseur! à Maitre Ortwin Gratius,

je souhaite à Votre Seigneurie le salut éternel, et autant de bonne chance pour la nouvelle année, qu'il y en a dans le monde, et méme plus, si c'est possible.

Qu’elle apprenne que, pour l'instant, ça va bien pour moi, grâce à Dieu qui m'a accordé sa miséricorde?, et comme dit le Psalmiste, « Le Seigneur a écouté ma supplication, le Seigneur a exaucé ma prière. » Car je prie chaque jour pour mes péchés et je demande que Notre Seigneur Jésus-Christ protége mon àme et mon corps. Mais quand méme plus mon âme, car le corps est poussiére, et comme dit l'Écriture sainte, « Tu es poussière et tu redeviendras pous-

sière. »* J'espére aussi qu'il ne vous arrivera rien de mal car, quand quelqu'un a reçu de Dieu cette grâce de se repentir toujours de ses péchés et de faire dévotement ses prières, même s’il ne jeûne pas souvent, eh bien, le seigneur

Dieu ne veut pas qu'il lui arrive du mal. Je sais que vous avez votre conscience en règle et que vous passez votre temps à étudier pour le bien de l'Église. Car je sais bien comment récemment vous avez écrit un livre? contre un certain hérétique nommé Jean Reuchlin. Il était si magistralement composé qu'il a provoqué mon admiration. J'ai méme dit à un *chargé de cours de l'ordre des précheurs qui diffusait ce livre : — Je crois que cet homme a deux tétes, pour pouvoir posséder son sujet avec une telle science. Et j'ai aussi compris, d’après les explications de ce chargé de cours, que vous étes en train d'écrire un commentaire sur le livre? de *Not? Maitre * Arnold de Tongres, qu'il a composé par articles au sujet des propositions hérétiques des *Besicles. Dés qu'il sera terminé, envoyez-moi ce commentaire,

. Un Sartoris fut doyen de l'université de Leipzig en 1508. . Citation du psaume LVII (Vulgate LVD), 4. . Psaume VI, 10. . Genése III, 19.

. Les * Remarques. Ur Ov À©b— .

Les * Articles ou propositions...

IOMUÜSSII:

EPISTU.IG

409

11

Iodocus Sartoris! Magistro Ortvino Gratio salutem sempiternam et novum annum cum bona fortuna sicut est in mundo, et plus si est possibile, opto vestra dominationi,

Quz debet scire quod adhuc bene succedit mihi de gratia dei, qui tribuit mihi misericordiam suam, et sicut dicit Psalmista, « Exaudivit dominus deprecationem meam. Dominus orationem meam suscepit. » Quia oro cotidie pro peccatis meis, et peto quod dominus noster Iesus Christus velit mihi custodire animam et corpus. Sed tamen

magis animam, quia corpus est pulvis, et sicut dicit sacra scriptura : « Pulvis es et in pulverem reverteris. » Etiam spero quod non male succedit vobis, quia quando unus habet istam gratiam a deo quod semper pænitet de peccatis suis, et orat devote orationes suas, etiam si non sepe ieiunat, tunc dominus deus non vult quod male succedit ei. Ego scio quod habetis bonam Conscientiam, et semper estis in studio volens procurare bonum ecclesiz. Quia scio bene quomodo nuper scripsistis unum librum contra quendam hæreticum Ioannem Reuchlin et fuit ita magistraliter compilatus quod habui admirationem exinde. Et dixi ad unum cursorem de ordine praedicatorum qui circunportavit talem librum : « Ego credo quod iste homo habet duo capita, quod potest ita scientifice practicare unam rem ». Sed intellexi etiam ab illo Cursore, quod scribitis commentum super librum Magistri nostri Arnoldi de Tungari quem articulatim composuit de propositionibus hzreticalibus Speculi Ocularis. Mittatis mihi quando est perfectum tale Commentum.

1. Ce nom est la traduction latine de Langschneyder (cf. l'auteur de la lettre I, 1). On retrou-

vera un Philippus Sartoris comme auteur fictif de la lettre II, 49.

410

VOLUME

II, LETTRE

11

car je sais que sans aucun doute, il exposera admirablement tous les arguments, les notes, les propositions, les *conclusions et les corollaires, que peu de gens comprennent ; car ce Not? Maître est trés subtil dans ses écrits, comme le sont fréquemment les *albertistes avec leur système. Ne prenez pas mal que je loue les albertistes, alors que vous étes *thomiste, parce qu'il n’y a pas une grande différence, mais beaucoup de ressemblances entre eux’. Cependant, le *saint docteur est plus érudit, et c'est

dû à l'inspiration de l'Esprit saint. C'est pourquoi on le nomme le saint docteur, bien que Reuchlin ne lui donne pas ce titre dans ses écrits, et c'est pour cela qu'il est hérétique et qu'il le restera, au nom du Diable. L'autre jour, je me suis mis en colére contre un juriste? qui le défendait, et j'ai écrit un poème en vers contre lui. En effet, j'ai aussi coutume de versifier quand je suis seul, en utilisant l'Art poétique de *Bebel, qui est trés subtil. Voici ce poème : Mere du Christ vénérable,

du dieu astripotent,

Donne des oreilles favorables aux prières de ton serviteur Qui te prie, Marie, pour la sainte théologie Contre laquelle écrit Reuchlin, Lui qui n'est ni inspiré ni d'en haut Comme devrait l'étre celui qui Celui qui de toi est né, souviens-toi Pour aider cette faculté qui est

le juriste maudit, éclairé veut te plaire. de le prier la sienne.

C'est un poéme élégiaque. On le scande comme le premier vers de *Boéce : « Les poèmes, moi qui jadis par l'étude [les ai achevés] »? Mais le porteur ne m'a pas dit qu'il veut s'en aller tout de suite, sinon!? je vous aurais envoyé plusieurs poèmes que j'ai écrits pour la défense de

l'Église et de la religion. Pensez donc à m'envoyer le commentaire que vous composez. Alors, je vous enverrai à mon tour quelque chose de nouveau. Portez-vous bien avec promptitude, bonheur et dévotion. Donné à Olmütz en Moravie.

7. Sur ce sujet, voir la lettre II, 45. 8. Peut-étre *Martin de Groningue, dont il est question dans la lettre précédente.

9. C'est le premier vers de la Consolation philosophique. Xs s s de plus, l'homme obscur s'empétre dans la négation et écrit le contraire de ce

qu'il voulait

dire.

TONMUSTII,

RPIST.'

11

411

Quia scio quod proculdubio erit mirabile, exponens omnia argumenta, et notabilia et propositiones et conclusiones et corolaria, quz pauci bene intelligunt, quia ille Magister noster est nimis subtilis in scriptis suis, sicut communiter Albertistz in via sua. Sed non debetis mihi pro malo habere quod laudo Albertistas, cum vos estis Thomista, quia non est magna differentia, et multum concordant in aliquibus. Sed doctor sanctus est profundior, et hoc habet ex speciali inspiratione Spiritussancti. Quapropter etiam dicitur Doctor sanctus, quamvis Reuchlin non vocat eum sic in suis scrip-

turis, et propterea est hæreticus et maneat in nomine diaboli. Ego nuper fui iratus super unum Iuristam qui defendit eum, Et scripsi unum carmen metricum contra eum. Etenim soleo poeticare etiam, quando sum solus, ex Arte metrificandi Bebelii qua est mul-

tum subtilis. Est autem hoc Carmen. Astripotenti dei Mater venerabilis Christi, Da precibus famuli aures benignas tui : Qui te orat, Maria, pro sancta Theologia, Contra quam scribit Reuchlin Iurista malus, Non clarificatus nec desuper illuminatus, Qualiter esse debet qui vult placere tibi. Ergo tuum natum memento habere rogatum, Ut subvenire velit huic facultati suæ.

Et est Elegiacum et scanditur sicut primum metrum incipiens « Carmina qui quondam studio etc. »

in Boetio

Sed nuncius non dixit mihi quod vult ita cito recedere, alias volui

vobis misisse plura metra quz scripsi pro defensione ecclesiz et fidei. Ergo cogitate quod mittatis mihi tale commentum a vobis practicatum. Tunc iterum volo vobis aliquid novi mittere. Valete raptim faustim zelose. Datum Olmuntz in Moravia.

412

VOLUME

II, LETTRE

12

i2 (Récit d'un voyage agité de Cologne

à Rome)

Maitre Guillaume Lehèvre * Maitre es arts salue Maitre Ortwin Gratius

Révérend Monsieur,

Selon ce que vous m'avez dit et recommandé comme quoi dés que j'arriverais àRome, je dois aussitót vous écrire comment tout s'est déroulé dans mon voyage et comment je me trouve en ce qui concerne la santé de mon COrps, sachez que gráce à Dieu, jusqu'à présent, je suis en bonne santé et j'aimerais bien aussi vous entendre dire que vous étes en bonne santé. Mais j'espére, si le Seigneur Dieu le veut, que vous étes en bonne santé. Je vous fais donc savoir, comment aussitót quand je suis venu à Mayence à l'Auberge de la Couronne! , voilà-t-il pas que j'y ai trouvé des gens qui discutaient du procés en *matiére de religion et ils étaient pour le docteur Reuchlin. Et quand ils ont vu que je suis de Cologne, ils ont discuté encore plus et ils m'ont regarde de travers. Ils ont loué Jean Reuchlin et critiqué les *Not' Maitres de Cologne, en disant que c'étaient des chauves-souris qui craignent la lumiére et ne volent que dans les ténébres en se livrant à des activités obscures. Alors, j'ai dit : « Écoutons la partie adverse ! », et j'ai cité les *Fleurs des lois. Alors, ils ont commencé à me chercher querelle avec un tas de gros mots, et finalement j'ai dit : « Qu'est-ce que j'ai à faire de Reuchlin ? Laissezmoi manger pour mon argent ! » Et si vous me dites : « Maitre Guillaume, vous auriez dû persévérer et leur répondre courageusement ! », sachez que c'est impossible dans un endroit pareil. J'ai entendu dire que l'autre jour, dans cette auberge, il y a un type qui s'est pris un coup de tabouret?, parce qu'il avait pris la défense de Not’ Maître Jacques de *Hochstraten. Car les collégues qui viennent manger ici sont vraiment terribles. Ils ont des épées et des dagues. Et il y en a un d'entre eux qui est comte?. C'est un grand type qui a les cheveux blancs. Il parait qu'il attrape à mains nues un homme armé et qu'il le jette par terre. Et il a une épée gigantesque. Quand je l'ai vu, je me

1. Cette auberge était un lieu de rencontre et de débats, cf. les lettres I, 11 et II, 55. 2. Cf. lettre II, 9, v. 164. 3. Le géant en question est peut-étre Eberhard von Kónigstein, ou le comte Wilhelm von Henneberg, ou encore le comte Joachim von Qitlingen.

TOMUS

II, EPIST. 12

413

12

Magister Wilhelmus Lamp! artium Magister Magistro Ortvino Gratio salutem. Reverende Vir, Secundum quod dixistis et mandastis mihi quod statim quando venio ad Romam, debeo vobis scribere quomodo transivit mihi in via

per omnia et quomodo sto quoad sanitatem corporis. Sciatis quod de gratia dei adhuc sum sanus, et vellem etiam de vobis libenter audire quod estis sanus. Sed spero, si vult dominus deus, quod estis sanus. Et facio vobis notum qualiter statim quando veni ad Maguntiam in hospitium Corona, tunc inveni ibi quosdam viros qui loquebantur de Causa fidei, et erant pro doctore Reuchlin, et quando viderunt quod ego sum Coloniensis, adhuc magis loquebantur et fecerunt mihi

in despectum. Et laudaverunt Iohannem Reuchlin et parvipenderunt Magistros nostros in Colonia et dixerunt quod essent vespertiliones qui nihil habent agere in luce, sed volant in tenebris, et tractant Obscuritates. Tunc ego dixi « Audiatur pars altera. », et alligavi Flores legum. Et ipsi inceperunt me irritare multis malis verbis, quod dixi : « Quid mihi cum Reuchlin ? Permittatis me comedere pro pecunia mea. » Et potestis dicere

« Domine Wilhelme, vos debuissetis perseverasse et

audacter respondisse ipsis. » Sciatis quod non est faciendum in isto loco. Et audivi quod nuper unus in isto hospitio fuit percussus cum uno scamno, quod defendit Magistrum nostrum Iacobum de Hochstraten. Quia isti socii qui vadunt ibi ad mensam, sunt valde terribiles, et habent gladios et spados. Et unus ex eis est Comes et est longus vir et habet albos crines. Ipsi dicunt quod accipit cum manibus suis unum virum armatum et iactat eum ad terram. Et habet gladium ita longum sicut gigas. Quando vidi eum, tunc tacui et permisi

1. Dans les fables allemandes, le lièvre se nomme Meister Lampe.

414

VOLUME

II, LETTRE

12

suis tu et je les ai laissés parler. Mais j'ai pensé que j'allais vous écrire, mais sur le moment, je n'avais aucun messager. Quand je suis arrivé àWorms, nous sommes descendus dans une auberge où il y a beaucoup de docteurs, qui sont assesseurs du tribunal de la Chambre*. On y disait des choses incroyables contre les théologiens et j'ai entendu qu'ils citaient Pfefferkorn à propos de son * Tocsin. Il y en a un qui a dit : — Vous verrez que, dans quelques années, ces Not’ Maîtres seront supprimés et qu'il n'y en aura plus. Alors j'ai dit : — Qui est-ce qui vous fera donc les préches et vous enseignera la religion catholique ? Il a répondu : — Ce sera les savants théologiens qui comprennent les Écritures, comme *Érasme de Rotterdam, Paul *Ricius, Jean Reuchlin et d'autres? ! Alors, je me suis tu et j'ai pensé : « Le sot dit des sottises ! »? Il y en avait un qui était assis à la table et qui s'appelait Théobald *Fettich, qui est actuellement docteur en médecine. Je le connaissais parce qu'il était autrefois à Cologne au pensionnat de *Mons. Et il parlait encore plus que les autres. Alors, je lui ai dit : — Souvenez-vous que vous avez prété serment au recteur et à l'université de Cologne ! Il a répondu qu'il chierait sur nous tous. Mais en voilà assez sur ce sujet. Plus tard, alors que nous quittions Worms, des hommes affreux sont arrivés à cheval, avec des arbalétes et des fléches, et ils voulaient nous tirer dessus. Alors mon collégue s'est écrié : — Jésus ! Jésus ! Et moi, comme je suis courageux, je lui ai dit de ne pas crier comme qa et J'ai dit aux hommes : — Gracieux Seigneurs, ne nous envoyez pas de flèches parce que nous sommes désarmés. Nous ne sommes pas vos ennemis, nous sommes des clercs et nous allons à Rome pour obtenir des *bénéfices. Alors, l'un d'entre eux a dit : — Qu'est-ce que j'ai à faire de bénéfices ? Donnez-moi de l'argent, ainsi qu'à mes camarades, pour que nous allions boire un coup, sinon, le Diable va vous emporter ! 4. Le tribunal impérial siégeait dans la ville où la cour séjournait. 5. Cette question était particuliérement douloureuse pour les théologiens universitaires, seuls autorisés à pratiquer l'étude des Écritures (qu'ils étaient incapables de lire dans les langues originales). Parmi les trois érudits cités, seul Érasme était titulaire d'un doctorat en théologie. Reuchlin

était juriste et Paul Ricius, médecin — ces deux derniers étant des hébraisants réputés. 6. Isaie, XXXII, 6.

7. Le serment de ne jamais parler ni agir contre les intérêts de l'université. 8. Sans doute des hommes de Franz von Sickingen.

TOMUS

II, EPIST.

12

415

eos loqui. Sed cogitavi quod vellem vobis scribere, sed protunc non statim habui nuncium. Sed quando veni ad Wormatiam, intravimus ad unum hospitium, ubi sunt multi doctores, qui sunt assessores in Iudicio Cameræ. Ibi dicebant mirabilia contra Theologos. Et audivi quod citaverunt Iohannem Pfefferkorn propter Stormglock. Et dixit unus : « Vos videbitis quod adhuc in paucis annis auferentur isti Magistri nostri et non erunt amplius. » Tunc dixi : « Quis tunc prædicabit vobis et docebit in fide Catholica ? » Respondit ille : « Hoc faciunt docti Theologi, qui intelligunt scripturas, sicut Erasmus Roterodamus, Paulus Ricius, Iohannes Reuchlin et alii. »

Tunc tacui et cogitavi mecum « Stultus stulta loquitur. » Et sedit unus in mensa nomine Theobaldus Fettich, qui pronunc est Doctor Medicinæ, et cognovi eum, quia olim stetit Coloniæ in bursa montis. Ipse multo plura dixit quam alii. Et dixi ei : « Vos debetis recordare quod fecistis Iuramentum Rectori et Universitati Coloniensi. » Respondit quod merdaret super nos omnes. Sed transeant illa. Postea quando exivimus Wormaciam, venerunt quidam viri terribiles in equis, habentes balistas cum telis et volentes nos sagittare. Tunc socius meus clamavit : « Iesus, Iesus ! » Et ego habens bonum cor dixi quod non debet ita clamare, et dixi ad illos viros : « Domini gratiosi, nolite sagittare nos, quia non sumus induti cum armis, et non sumus inimici vestri, sed sumus clerici, et tendimus Romam pro beneficiis. » Tunc unus dixit :

« Quid ego curo beneficia ? Detis mihi pecuniam et sociis meis quod habemus bibalia, vel diabolus debet vos confundere ! »

416

VOLUME

II, LETTRE

12

Alors, pour nous échapper de ceux-ci, il a fallu que nous leur donnions deux *florins. Et j'ai chuchoté : — Buvez, et que le Diable vous bénisse !

Et aprés, mon collégue a dit : — Que penseriez-vous si nous portions plainte contre eux à la *Cour romaine ? Alors, j'ai dit que ce n'est pas possible, parce que nous ne connaissions pas leurs noms. Ensuite, aprés beaucoup de merde, nous sommes arrivés à Augsbourg. Il pleuvait beaucoup, et méme il neigeait tellement qu'on ne pouvait pas garder les yeux ouverts. Alors, mon collègue a dit : — Diable ! Qu'est-ce que je me gele ! Si j'étais encore à Cologne, je n'irais pas à la Cour de Rome ! Ca m'a fait rire. Or, à l'auberge, il y avait une belle fille. Le soir, il y avait un bal et mon collègue y a dansé. Alors, je lui ai dit qu'il ne devrait pas faire ca parce qu'il est Maitre et qu'il ne doit pas s'adonner à de telles fredaines. Mais il s'en fichait et il m'a dit : — Si cette fille veut dormir avec moi pour une nuit, je suis prét à manger une livre de sa merde. Je n'ai pas pu en entendre davantage, alors j'ai cité l’Ecclésiaste : « Vanité des vanités, tout n'est que vanité ! »? et je suis allé dormir. Le lendemain, nous sommes arrivés à Landsberg et la nuit, mon

collégue a sauté la servante de l'auberge. Et quand nous sommes repartis de l'auberge le lendemain matin, son cheval boitait. Alors, j'ai dit :

— Vous avez trop baisé les servantes!? ! Mais un forgeron est venu le secourir. Ensuite, nous sommes allés à Schongau, oü nous avons acheté de jolis

miroirs. Puis nous avons pris la direction d'Innsbruck. Mais la route était tellement mauvaise que les chevaux n'arrivaient plus à avancer. Et la merde était si profonde que nos chevaux s'y enfonçaient jusqu'au ventre. Finalement, après tant de tribulations, nous sommes arrivés à Innsbruck, où le Seigneur empereur séjournait avec ses vassaux, sa cour, ses satrapes, ses soldats et ses hommes d'armes, qui portaient des vestes en soie et des chaines d'or autour du cou. Certains d'entre eux étaient terribles à voir, avec leurs barbes et leurs bérets à crevés militaires. J'ai eu peur de manger à l'auberge parce que j'en avais entendu un qui disait : — Si j'étais l'empereur, je ferais pendre tous les *courtisans parce qu'ils vont à Rome pour y préparer des mauvais coups. En effet, dés qu'ils arrivent 9. Cette phrase est le /eztmortiv de YEcclésiaste. 10. En argot allemand, on dit encore d'une fille dépucelée qu” elle a « perdu un fer » (Sie hat

ein Hufeisen verloren), donc qu'elle boite — le fer à cheval ayant une vertu apotropaique.

TOMUS

II, EPIST.

12

417

Tunc si voluimus venire de ipsis, oportet quod dedimus ipsis .II. florenes. Et ego dixi occulte : « Bibite quod diabolus benedicat vobis ! » Et postea socius meus dixit : « Quid vobis videtur, volumus illos citare ad Curiam Romanam ? »

Tunc dixi quod non est possibile, quia non scimus nomina ipsorum. Deinde per multam merdam ivimus ad Augustam, et valde pluit, et etiam ita ninxit quod non potuimus aperire oculos nostros. Tunc dixit socius meus : « O diabole, quomodo friget me. Si essem adhuc Coloniz, ego non vellem ire ad Curiam Romanam. » Et ego risi. In hospitio autem erat una pulchra virgo. Et de nocte fecerunt choream, et socius meus chorisavit etiam. Et dixi ei quod non deberet facere. Quia iam est Magister, et non deberet exercere istas levitates. Sed ipse non curavit, et dixit mihi : « Si illa virgo vellet mecum dormire per unam noctem, ego vellem de merda eius comedere unam libram. » Et non potui amplius audire, sed allegavi Ecclesiastes .I. : « Vanitas vanitatum et omnia vanitas », et iv] dormitum. De mane? venimus ad Lanf)pergk, ubi socius meus supposuit ancillam hospitis per noctem. Et de mane quando exivimus hospitium, tunc equus suus claudicavit, et dixi : « Supponatis amplius ancillas ! » Sed unus faber iuvavit ei. Et postea venimus ad Schangaw, ubi emimus pulchra specula. Deinde ivimus versus Inspruck. Tunc fuit ita mala via quod Equi non potuerunt ire. Et fuit ita profunda merda quod transivit Equis ad ventres superius. Et sic post multas tribulationes venimus Insprucken, ubi fuit dominus Imperator et eius vasalli et Curiales et satrapæ et milites et armigeri, habentes vestes sericas et cathenas aureas in collibus suis. Et aliqui fuerunt terribiles cum barbis et birretis scissis militariter. Et timui comedere in hospitio, quia audivi unum dicentem : « Si esset Imperator, ipse vellet suspendere omnes Curtisanos, quia vadunt Romam et discunt nequitias. Ibi etiam decipiunt se invicem

2. En allemand, Morgen signifie « le matin », aussi bien que « demain ».

418

VOLUME

II, LETTRE

12

là-bas, il se battent entre eux pour obtenir des bénéfices, et ils font du tort à ceux qui ont des bénéfices en Allemagne. Si bien que l'argent quitte l'Allemagne pour aller à Rome. Alors, j'ai compris que les gens de la Cour ne se soucient ni de Dieu, ni des hommes. C'est pour ça qu'ils disparaítront comme la poussière emportée

par le vent!!. Ensuite, nous avons traversé une montagne? qui était pleine de neige et tellement haute que j'ai cru qu'elle traversait le ciel. Et il faisait si froid sur cette montagne que j'ai cru avoir la fièvre, et je pensais à mon poêle à Cologne. Et mon collégue disait : — Oh ! Si seulement j'avais ma pelisse ! Alors, je lui ai dit : — Vous vous plaignez tout le temps du froid quand vous étes à la campagne, et quand vous arrivez à l'auberge, vous ne pensez qu'à baiser ! Estce que vous ne savez pas que le coit refroidit encore plus ? Il m'a répondu qu'il ne pensait pas que qa refroidissait, mais au contraire que ca réchauffait. Et vous devez savoir, Maitre Ortwin, que je n'ai jamais rencontré de ma vie un homme aussi luxurieux ! Quand nous entrions dans une auberge, la premiére chose qu'il demandait au serveur de l'auberge, c'était toujours : — Ho ! Garçon ! Qu'est-ce qu'il y a ici comme femelles ? J'ai mon petit

doigt!? tellement dur que je pourrais casser des noix avec ! Ensuite, nous sommes allés à Trente. Et que le Seigneur me pardonne, et vous-méme, ne m'en tenez pas rigueur si je vous écris la vérité. Car une fois là-bas, je suis allé me purger les reins clandestinement au bordel. Mais la nuit suivante, j'ai récité les *Heures de la Sainte Vierge pour ce péché. Il y avait là beaucoup de gens qui voulaient aller à Vérone pour y faire des merveilles. Ils nous disaient des choses importantes, comment l'empereur voulait s'emparer de Venise. Et nous avons vu des bombardes et beaucoup d'autres choses que je n'ai jamais vues de ma vie!*. Et le dimanche, nous sommes arrivés à Vérone. C'est une belle ville, qui a des murailles, une citadelle et des forts. Et nous y avons vu la maison de

Dietrich de Berne!”, où il a habité. C'est là qu'il a vaincu et tué de nombreux géants qui l'avaient combattu. Ensuite, voulant continuer notre route, nous avons dû y renoncer pendant un long moment, par crainte des Vénitiens, car 11. Psaume XVIII (Vulgate XVID), 43. 12. Le Brenner. 13. La signification phallique du « petit doigt » (dactylus) se lit y compris dans la métrique,

où le « dactyle » (une longue suivie de deux brèves) est représenté par : —UU. 14. Litt. : « dans les jours de ma vie ». 15. Il s'agit de Théodoric de Ravenne, devenu par assonance Dietrich von Bern (= Vérone) héros de nombreuses chansons de geste allemandes, trés populaires à la fin du Moyen Áge, qui

évoquent ses démélés avec Odoacre, Ermanaric, Attila et divers dragons et monstres.

TOMUS.

II, EPIST..

12

419

pro beneficiis, et vexant alios beneficiatos in Almania, et faciunt quod

pecunia venit ad Romam de Almania ! » Et sic vidi quod isti Curiales non curant deum neque homines. Et ergo peribunt sicut pulvis a facie venti. Postea transivimus per unum montem qui fuit plenus nive et est ita altus, quod credo quod transit ad medium Cali. Et fuit ita magnum frigus super illum montem, quod putavi habere febrem, et cogitavi de stufa mea Coloniz. Dixit autem socius meus : « O si haberem pellicium meum ! » Tunc dixi ei : « Vos semper queritis de frigiditate quando estis in Campo, et quando venitis ad hospitium, tunc vultis supponere. Non scitis quod coitus etiam infrigidat ? » Respondit ipse quod non videtur sibi quod infrigidat, sed calefacit. Et debetis scire, Magister Ortvine, quod in vita mea non vidi unum hominem ita luxuriosum. Semper quando intravimus unum hospitium, tunc primum verbum fuit ad famulum hospitis : « O famule, non habemus aliquid pro genibus ? Datulus meus stat michi ita dure : ego scio quod vellem cum eo nuces supra percutere. » Deinde venimus ad Tridentum. Et parcat mihi dominus, et vos etiam non habeatis mihi pro malo, quod scribo vobis veritatem. Quia ibi etiam semel purgavi renes vadens occulte ad prostibulum. Sed postea de nocte oravi horas de beata virgine pro peccato illo. Fuerunt ibi multz gentes, volentes ire ad Veronam, et facere ibi mirabilia. Et

dicebantur nobis grandia, quomodo Imperator velit captivare Venetiam. Et vidimus bombardas et alia multa qualia non vidi in diebus vitæ mez. Et una Sabbatorum venimus ad Veronam. Illa est pulchra Civitas habens muros, castra et fortalitia. Et vidimus ibi domum Ditheri de Bern, ubi ipse habitavit. et ibi superavit et mortificavit multos gigantes qui bellaverunt cum ipso. Postea volentes procedere, diu non potui-

420

VOLUME

II, LETTRE

12

le bruit courait qu'ils occupaient la campagne. Et c'était vrai. Car plus tard, près de Mantoue, nous les avons entendu bombarder, car ils assiégeaient Brescia. Alors, mon collégue a dit : — C'est ici qu'est né Virgile. J'ai répondu : — Qu'est-ce que j'ai à faire de ce paien ? Allons plutót chez les carmes pour y voir *Baptiste de Mantoue, qui est deux fois meilleur que Virgile, comme je l'ai bien entendu dire dix fois par Ortwin. Et je lui ai dit de quelle manière vous aviez critiqué *Donat dans le passage où il dit : « Le plus savant des poètes fut Virgile, et le meilleur de sa

nation.!? ». Vous avez dit : — Si Donat était ici, je lui dirais en face qu'il ment, car Baptiste de Mantoue est supérieur à Virgile. Mais quand nous sommes arrivés au cloître des carmes, on nous a dit que Baptiste de Mantoue était mort. Alors j'ai dit : — Qu'il repose en paix ! Ensuite, nous sommes allés à Bologne, où se trouvait le Très Saint-Pére, ainsi que le roi de France". Nous y avons entendu la messe papale et nous avons reçu des tas d'indulgences «valables» pour tous les péchés, tant véniels que mortels, et nous nous sommes confessés. Et voilà qu'il y avait là-bas le révérend pére Frére Jacques de *Hochstraten, qui est un Not’ Maitre et Inquisiteur de la perversité des hérétiques. En le voyant, j'ai dit : — Ó révérend pére ! Qu'est-ce que Votre Excellence fait ici ? Je croyais que vous étiez à Rome. Alors, je lui ai donné votre lettre et la lettre de Not? Maitre *Arnold de Tongres. Alors, il m'a répondu qu'il voulait obtenir du roi de France que Reuchlin soit déclaré hérétique et que les *Besicles soient brülés. Alors, je lui ai demandé : — Est-ce que le roi de France comprend quelque chose là-dedans ? Il m'a répondu : — Il n’y comprend sans doute rien lui-même, mais les théologiens de Paris l'ont instruit. Et son confesseur Guillaume *Petit, qui est un homme plein de zéle, lui a dit en confession qu'il ne lui donnerait pas l'absolution s’il ne réussissait pas à s'entendre avec le pape pour déclarer Reuchlin hérétique. Cela m'a fort réjoui et j'ai dit :

16. Cette phrase ne se trouve pas dans la Vie deVirgile de Donat. En revanche, elle a pu étre écrite par l'un de ses innombrables commentateurs médiévaux. 17. *Léon X et François I** étaient occupés à négocier le fameux concordat de décembre SNS.

TOMUS

II, EPIST.

12

421

mus propter metum Venetianorum, quia dicebatur quod essent in campo. Et fuit verum. Quia postea apud Mantuam audivimus eos bombardare, quia iacebant ante Brixiam. Et dixit socius meus : « Hic natus fuit Virgilius. » Respondi : « Quid curo illum paganum ? Nos volumus ire ad Carmelitas et videre Baptistam Mantuanum qui in duplo est melior quam Virgilius, sicut ego audivi bene decies ab Ortvino. » Et dixi ei, quomodo semel reprehendistis Donatum, quando dicit : « Doctissimus poetarum fuit Virgilius vel optimus plebis. » Et dixistis : « Sed esset Donatus hic, ego vellem ei in faciem dicere quod mentitur : quia Baptista Mantuanus est super Virgilium. » Et quando venimus ad claustrum Carmelitarum, dicebatur nobis

quod Baptista Mantuanus est mortuus. Tunc dixi : « Requiescat in pace ! » Deinde venimus ad Bononiam, ubi fuit Sanctissimus et etiam rex

Franciz. Ibi audivimus missam Papalem, et accepimus multas indulgentias pro omnibus

peccatis, tam venialibus quam

mortalibus, et

fecimus confessionem. Tunc fuit ibi Reverendus pater frater Iacobus de Hochstraten Magister noster et inquisitor hæreticæ pravitatis. Et ego videns eum dixi : « O pater reverende, quid excellentia vestra facit hic ? Ego putavi quod estis Romæ. » 'Tunc dedi ei litteras vestras et litteras Magistri nostri Arnoldi de Tungari. Tunc respondit mihi quod vult impetrare per regem Franciæ, quod Reuchlin debet declarari hæreticus, et speculum Oculare debet comburi. Interrogavi autem eum : « Intelligit tunc etiam Rex istam materiam ? » Respondit : « Licet ipse non intelligit per se, tamen Theologi in Parrisia instruxerunt eum. Et confessor suus Wilhelmus Parvi, qui est vir zelosus, dixit ei in confessione quod non vult eum absolvere nisi vult facere

cum Papa quod Reuchlin declarabitur hzreticus. » Et gavisus sum valde et dixi :

422

VOLUME

II, LETTRE

12

— Que le Seigneur Dieu nous accorde que les choses se passent comme vous l'avez dit ! J'ai trouvé là-bas de nombreux courtisans que je connaissais, et je les ai invités à l'auberge. Puis nous sommes allés à Florence, qui est une cité comme il n’y en a aucune autre de si belle au monde. Ensuite à Sienne, où il y a une université, mais peu de théologiens. Ensuite, il y a des petites cités. L'une d'entre elles s'appelle Montefiascone. Nous y avons bu un vin excellent, comme je n'en avais jamais bu de ma vie. Alors, j'ai demandé à l'aubergiste comment s'appelle ce vin. Il m'a répondu que c'est la « Larme du

Christ!? ». Alors, mon collégue a dit : — Si seulement le Christ pouvait aussi pleurer dans notre pays ! Alors, nous en avons bu une bonne quantité. Et deux jours plus tard, nous sommes entrés à Rome. Que Dieu soit loué car de nombreuses aventures, il nous a tirés, Survenues tout au long du chemin, et aussi dans une mauvaise cordonnerie.

Mais maintenant, je n'ai rien appris de neuf à la Cour, sinon que j'ai vu un animal qui est bien aussi grand que quatre chevaux. Il a un nez aussi long

que moi?? et c'est une créature merveilleuse. Quand je l'ai vu, j'ai dit : — Dieu est merveilleux dans ses œuvres !20 Je donnerais bien un florin pour que vous puissiez voir cet animal. Et je trouve, par Dieu ! que je m'en suis plutót bien sorti en vous écrivant. Faites donc pareil, sinon, je ne vous écrirai plus jamais ! Portez-vous en bonne santé ! Donné en vitesse à la Cour romaine.

18. Confusion avec le fameux vin de Montefiascone nommé Est, est, est (voir la lettre II, 64). 19. Bócking pense qu'il faut comprendre : « Il a le nez aussi long que mon membre ». Sur l'éléphant de Léon X, voir la lettre II, 48.

20. Réminiscence de l’Apocalypse XV, 3 : « Magna et mirabilia opera tua domine deus »

TOMUS

II, EPIST.

12

423

« Det Dominus Deus quod fiat secundum verba vestra. » Et inveni ibi multos Curtisanos mihi notos, et invitavi eos ad hos-

pitium. Deinde ivimus ad Florentiam, quz est ita pulchra Civitas sicut est in mundo. Et postea Senam, ubi est universitas, sed sunt pauci Theologi. Postea sunt parvae Civitates, et una vocatur Monteflascon. Ibi bibimus optimum vinum, quale non bibi in vita mea. Et interrogavi hospitem quomodo vocatur illud vinum ? Respondit quod est lachryma Christi. Tunc dixit socius meus : « Utinam Christus vellet etiam flere in patria nostra ! » Et sic bibimus bonam positionem. Et post duos dies intravimus Romam. Laudetur deus qui liberavit nos de multis tribulationibus quz sunt in tota via, necnon in mala Scarparia?.

Sed nunc in Curia non intellexi aliqua nova, nisi quod vidi hic unum Animal bene ita magnum sicut quatuor equi, et habet rostrum ita longum sicut ego, et est mirabilis creatura. Quando vidi, tunc dixi : « Mirabilis deus in operibus suis ! » Ego vellem dare unum florenum quod videre deberetis illam bestiam. Sed credo per deum quod satis bene expedivi me scribendo. Vos similiter faciatis, alias nunquam vobis scribam. Et valete saniter. Datum raptim Romanæ Curiæ.

3. Scarparia avec sa consonnance italienne, évoque la cordonnerie.

424

VOLUME

II, LETTRE

13

13 (On ne peut pas étre membre de dix universités ! objection grammaticale) Thomas Klorb,

humble docteur en théologie, salue Maitre Ortwin. Puisqu'il est écrit « la réprimande donne de l'esprit »!, donc, ne prenez pas mal si je vous contredis sur un point de détail, car je le fais pour la bonne cause. Vous avez écrit l'autre jour dans un texte, à propos d'un *Not' Maitre, qu'il est trés savant, et qu'il est docteur depuis de nombreuses années, et qu'il est un *scotiste érudit, et qu'il fait trés bien le cours sur le *Livre des Sentences. Il sait même par cœur tout le livre L'Étre et l'essence du *saint docteur, et pour lui, le * Renforcement de la religion est comme le Notre Père. Pour ce qui est des techniques de mémorisation, il a imprimé en lui les Formalités de *Scot comme dans de la cire. Et pour finir, vous écrivez qu'il est membre de dix universités. Pardonnez-moi, mais vous vous exprimez improprement : Car un membre ne peut avoir plusieurs corps. Mais par contre, un corps a bien plusieurs membres, car le corps humain a une téte, des pieds, des mains, des bras, un ventre, un priape ou une vulve si c'est une femme, ainsi, le pied est un membre de l’homme, et la tête est un membre de l'homme, etc. et tout le corps humain dirige ces membres, et ces membres sont soumis à ce corps, de méme qu'une espéce est soumise à son genre, mais aucun de ces membres ne dirige plusieurs corps. Si, par contre, vous alliez dire que tel Not’ Maitre est le corps de dix universités, je devrais à nouveau vous corriger, car n'importe qui penserait alors que les dix universités sont les membres de ce Not' Maitre, et qu'il serait composé des dix universités ; Or, cette supposition serait scandaleuse pour ces dix universités et, de ce fait, elles en seraient diminuées, car un seul homme (les Not’ Maîtres eux-mêmes, comme vous le savez, sont des hommes) serait considéré comme plus digne qu'autant d'universités, ce qui est une hypothése impossible, car méme le saint docteur n'est pas plus que dix universités. 1. [saie XXVIII, 19. Cette sentence avait déjà été utilisée dans la lettre I, 29.

TOMUS

II, EPIST. 13

425

13 Thomas Klorbius humilis Theologia doctor Magistro Ortvino salutem.

Quia scriptum est « vexatio dat intellectum », ergo non debetis mihi habere pro malo quod modicum teneo vobis oppositum, cum ego facio in bonam partem. Vos nuper scripsistis in uno dictamine de uno Magistro Nostro, quod est valde doctus, et est Doctor multorum annorum, et est profundus Scotista, et est valde cursivus in libris Sententiarum. Etiam scit mentetenus totum librum Doctoris sancti de Ente et Essentia, et Fortalitium fidei est ei sicut Pater noster. Et per artem memorativam

impressit sibi formalitates Scoti sicut ceram. Et ultimo scribitis quod est membrum decem universitatum. Parcatis mihi, vos estis incongruus, quia unum membrum non potest habere plura corpora, sed per contrarium unum corpus bene habet plura membra ; quia corpus humanum habet caput, pedes, manus, brachia, ventrem, priapum, vel vulvam si est mulier ; et pes est membrum hominis, et caput est membrum hominis,

PICS et totum Corpus hominis habet sub se illa membra, et illa membra subsunt huic Corpori, sicut species suo generi ; sed nullum istorum membrorum habet sub se plura Corpora. Sed si velitis dicere quod talis Magister noster est Corpus decem universitatum, iterum ego vellem reprehendere vos, quia ibi putaret aliquis, quod decem Universitates essent membra iliius Magistri Nostri, et quod ipse constaret ex decem universitatibus ; quo posito fuerit scandalum illis X universitatibus et ipse minorarentur exinde, cum unus homo (qui etiam magistri nostri, sicut scitis, sunt homines) diceretur esse dignior tot universitatibus ; quod est Casus impossibilis, quia etiam Doctor sanctus non est plus quam X Universitates.

426

VOLUME

II, LETTRES

13-14

Comment faut-il donc corriger, afin de nous exprimer correctement ? Soyez attentif, car cette question est trés difficile et, bien qu'elle relève de la

*grammaire, plusieurs Not’ Maîtres y achoppent?. Donc, celui-ci — qui est inscrit dans dix universités, et qui y a méme suivi les études le temps nécessaire, en assistant aux cours et en respectant les statuts, ayant prété et observé son serment, honorant les maitres et les docteurs — peut dire : « Je suis les membres de dix universités » et non pas « le membre ». Et ce n'est pas une expression impropre, bien qu'elle contienne une incohérence de nombre, car on y pratique une apposition, comme chez Virgile : Le berger Corydon brülait pour le bel Alexis, délices du maitre?

car ici, Alexis, qui est seulement un paysan, est appelé « délices », en apposition. Et croyez-moi que c'est une subtilité trés remarquable. Je l'ai apprise quand je faisais mes études à *Louvain, alors que je n'étais pas encore *bachelier, quand cette question fut débattue pendant quatre jours. Ne vous formalisez pas, car c'est par un bon sentiment que je vous ai écrit. Et portez-vous bien. Donné à Coblence.

14 (Les objections d’un curé reuchliniste) Maitre Othon Bourreau à Maitre Ortwin Gratius une extréme abondance de saluts.

Vénérable Maitre,

Votre Seigneurie m'a fait une grande gráce en m'envoyant le livre remarquable de Jean *Pfefferkorn, intitulé * Défense de Jean Pfefferkorn contre les diffamatoires. Je ne sais comment exprimer mon admiration sur la façon que cet homme corrige Jean Reuchlin si remarquablement et si excellemment. Et quand je l'ai lu, j'ai dit : 2. La grammaire était l'étude la plus élémentaire du cycle des *arts. Les diaient étaient donc âgés d'environ 14 ans. Or, les Not" Maîtres en théologie étaient parvenus au niveau le plus élevé du cursus universitaire (vers 35 ans). grammaire qu'ils ne parvenaient pas à résoudre devait donc étre d'une difficulté humaine. B Églogues, TIS ps

élèves qui l'étuétaient ceux qui Une question de proprement sur-

TOMUS

II, EPIST.

13-14

427

Quomodo ergo volumus emendare, quod dicimus recte ? Advertatis, quia est quæstio multum difficilis. Et quamvis pertinet ad grammaticalia, tamen etiam plures Magistri Nostri non sciunt. Ille ergo qui est inmatriculatus in decem universitatibus, etiam ad tempus studuit in eis, audiens lectiones, et servans statuta, facto etiam et servato iuramento, exhibens honorem Magistris et doctoribus, potest dicere : « Ego sum membra decem Universitatum » et non « membrum ». Et non est oratio incongrua, quamvis sit ibi disconvenientia in numero : quia fit ibi appositio, sicut in Virgilio : « Formosum pastor Coridon ardebat Alexim, Delitias domini », quia ibi etiam Alexis, qui est solum unus rusticus, dicitur esse delitie per appositionem. Et credatis mihi quod est una subtilitas valde notabilis. Ego didici quando steti Lovaniæ, et nondum fui bacularius, quando hzc materia fuit disputata per quatuor dies. Non habeatis pro indignatione, quia ex bono scripsi vobis et Valete. Datum Confluentiz.

14

Magister Otho Hemerlin! Magistro Ortvino Gratio salutis maximam Copiam. Venerabilis Magister, Dominatio Vestra magnam gratiam fecit mihi mittendo illum notabilem librum Iohannis Pfefferkorn, qui intitulatur « Defensio Iohannis

Pfefferkorn contra famosas ». Ego non possum admirari satis, quod sic notabiliter et excellenter ille vir reprehendit Iohannem Reuchlin. Et dixi quando legi :

1. En allemand, Hämmerlein (= bourreau) signifie littéralement « Petit-Marteau ». Ce nom, trés répandu en Allemagne, se retrouve sous sa forme latine (Malleolus), mais sans prénom, dans la lettre II, 70.

428

VOLUME

II, LETTRE

14

— Ce Reuchlin ferait mieux d'étre mort ! Mais il y a un curé, qui est un vrai reuchliniste, et qui me contredit toujours en argumentant de la majeure à la mineure. Et voilà qu'hier, avant les vépres, comme j'allais me promener avec lui, les mots suivants sortirent de sa bouche : — Si les théologiens n'ont rien obtenu contre Reuchlin en Allemagne!, ils obtiendront encore beaucoup moins à la *Cour romaine, car en Italie, il y a des hommes trés savants, qui comprennent immédiatement la stupidité et la vanité des théologiens, et parce qu'à Rome, on ne se soucie pas de telles foutaises. Et il a ajouté : — Qu'est-ce que cela signifie que les théologiens n'osent pas écrire sous leur propre nom contre Jean Reuchlin et ses partisans, mais qu'ils utilisent un bouffon, qui n'a à perdre ni son honneur, ni ses biens, et qu'ils signent des livres de son nom ? Alors, j'ai répondu : — C'est vraiment Pfefferkorn qui a composé l’œuvre, et ensuite, Maitre Ortwin l'a traduite en latin. Le:curé a dit:: — Je sais bien que c'est Ortwin qui l'a rédigée en latin, parce que j'ai tout de suite reconnu son style. Je sais aussi que cet Ortwin est de bonne famille, à savoir fils d'un prétre?. Mais dites-moi donc une chose :

vous devez bien avouer que Pfefferkorn ne sait pas le b a ba du latin ; et s'il ne sait pas le b a ba du latin, il peut encore moins le lire ; et s'il ne sait pas le lire, il peut encore moins le comprendre ; et s'il ne peut pas le comprendre, il peut encore moins l'écrire et le rédi-

ger ; et s'il ne sait nile lire, nile comprendre, ni l'écrire, il peut d'autant moins

débattre de ces questions, que personne ne peut comprendre à moins d'étre trés érudit dans les langues. Donc, comment est-il possible qu'il ait rédigé cette ceuvre en latin, ou en allemand, ou en hébreu ? J'ai répondu qu'il me semblait que Pfefferkorn avait une intelligence tellement lumineuse, et qu'il avait si souvent entendu traiter de cette question, qu'avec l'aide de Dieu et par l'inspiration de l'Esprit saint, il pouvait bien en débattre. Et ce procès est d'ailleurs tellement facile que Reuchlin pourrait étre vaincu méme par la femme de Pfefferkorn?. 1. Reuchlin avait été acquitté par la sentence de Spire en mars 1514. 2. Cette accusation de bâtardise est récurrente (voir lettres I, 16 ; II, 54, 61, 62 et 65).

3. C'est ce que Pfefferkorn avait affirmé dans sa Défense (« ... ut etiam ab uxore mea faciliter convinci possent. » f? Oiv, reproduit dans Bócking, Suppl. I, p. 170).

TOMUS

II, EPIST.

14

429

« Iste Reuchlin deberet libenter esse mortuus. » Sed plebanus quidam existens bonus Reuchlinista, semper opponit mihi Arguens a maiori ad minus. Et heri ante vesperas quando ivi secum spaciatum^, hzc verba exiverunt ab ore suo? : « Si Theologi non obtinuerunt contra Reuchlin in Almania, multo minus obtinebunt in Curia Romana, quia in Italia sunt doctissimi viri, et statim intelligent stultitiam et vanitatem Theologorum, quia Romæ non curantur tales frascariz.* » Et etiam dixit : « Quale signum est hoc, quod Theologi non audent nominibus propriis scribere contra Iohannem Reuchlin et cohærentes, sed subordinant unum bufonem qui neque honorem neque bona habet perdere, et huic adscribunt libros ? »

Tunc respondi ego : « Pfefferkorn quidem composuit materiam, sed Magister Ortvinus postea latinisavit. » Dixit plebanus : « Bene scio quod Ortvinus composuit hoc latinum, quia statim cognovi stilum suum ; etiam scio quod ipse Ortvinus est de bona progenie, scilicet sacerdotali. Sed dicatis mihi unum : Vos habetis fateri quod Pfefferkorn non scit Alphabetum latinum. Et si non scit alphabetum, multo minus scit legere. Et si non scit legere, multo minus scit intelligere. Et si non scit intelligere, multo minus scit scribere et componere. Et si non scit legere neque intelligere neque scribere, multo minus scit disputare de istis questionibus quas nemo potest sapere nisi sit profundissimus litteratus. Quomodo ergo est possibile quod ipse composuit hanc materiam vel latine vel teutonice vel hebraice ? Respondi quod videtur mihi quod Pfefferkorn habet ita illuminatum intellectum, et ita sæpe audivit istam materiam quod adiuvante deo et ex instinctu spiritussancti bene potest disputare desuper. Et causa illa est ita facilis, quod Reuchlin posset vinci in ea etiam per

uxorem Pfefferkorns?. »

2. De l'allemand spazieren (= se promener). 3. On remarquera la recherche stylistique de cet « obscur » : il a remplacé le sempiternel Tunc dixit par le trés recherché hæc verba exiverunt ab ore suo (sans toutefois aller jusqu'à maîtriser l'usage de suus et eius). 4. De l'italien frascheria (= frivolité). 5. Ce génitif allemand trahit son latin de cuisine.

430

VOLUME

II, LETTRE

14

Le'curé-a:dit : — C''est bien vrai,

car je crois que cinq jeunes paysans costauds de Westphalie n'arriveraient pas à venir à bout de la femme de Pfefferkorn ! Alors, Jean Reuchlin, qui est vieux et faible et donc impuissant, y arriverait encore bien moins. Mais je m'étonne que le Trés Saint Seigneur le pape ainsi que notre empereur permettent que de tels scandales soient provoqués par ce bouffon juif, qui ose se lever dans un lieu consacré et précher au peuple et lui donnner sa bénédiction, et faire des choses telles que, si un laic qui aurait toujours été chrétien les faisait, cela nous le rendrait immédiatement suspect. Alors d'autant plus si c'est un juif baptisé, dont on ne pourra prouver qu'il a été

un bon chrétien qu'aprés sa mort“. Et s'ils ne devaient pas le souffrir, alors, ils devraient d'autant moins

souffrir qu'il s’introduise dans les *débats des grands savants et qu'il diffame les hommes les plus honnétes. Il faudrait le pendre, avec ses livres et ses diffamations, comme mérité depuis longtemps.

il l'a

J'ai répondu? que la prédication de Jean Pfefferkorn n'était pas de type ecclésiastique, mais laique, c'est-à-dire, un simple discours. Mais en ce qui concerne ses livres, il est clair qu'il s'est défendu contre Jean Reuchlin qui l'avait attaqué. Et dans son *Face-à-main, il se justifie des injures que lui inflige Jean Reuchlin. Et le fait qu'il est un bon chrétien, on peut le présumer de ceci que, s’il n'avait pas prévu de rester toujours chrétien, il ne se serait pas déchainé de cette facon contre les juifs et il ne leur aurait pas fait tant de mal. Eeé'cure'a dits — Écrire ou rédiger des livres, c'est une affaire importante, qui ne revient à personne d'autre qu'aux grands et savants personnages qui ont obtenu les plus hauts diplómes, donc d'autant moins à Jean Pfefferkorn, qui est un profane. Donc, les théologiens de Cologne n'auraient jamais dû essayer de faire croire aux gens que c'était Pfefferkorn qui avait écrit cela. Alors, si j'étais l'empereur, je ferais pendre Pfefferkorn et *Hochstraten à la méme potence. J'ai répondu : — Qu'a fait *Not' Maître Jacques de Hochstraten ? Il est pourtant un bon sujet de l'Empire, et je peux le prouver par sa lettre à l'empereur, dans 4. Les juifs convertis étaient toujours soupçonnés de duplicité et notamment de revenir à

leur religion d'origine à l'approche de la mort (voir les lettres II, 30, 47 et 60). 5. Argument repris de la Défense... de Pfefferkorn.

TOMUS

II, EPIST.

14

431

Dixit plebanus : « Verum est hoc. Quia credo quod uxorem Iohannis Pfefferkorn non vincerent quinque iuvenes quadrati rustici ex Westphalia, multo minus Iohannes

Reuchlin, qui est senex et debilis et per

Consequens impotens, poterit eam vincere. Sed miror quod Sanctissimus dominus Papa et etiam Imperator noster permittunt tanta scandala fieri per istum Iudaicum bufonem, quod debet stare in loco sacro et praedicare populo et dare benedictionem, et facere talia, quz si faceret unus laycus qui fuisset semper Christianus, tamen nihil boni deberemus suspicari de eo ; multo minus de Iudzo baptizato, qui non debet probari quod fuerit bonus Christianus, nisi post mortem. Et si non deberent hoc pati, multo minus deberent pati quod ipse intromitteret se in disputationes Doctissimorum virorum, et scandalizaret honestissimos viros. Ipse deberet suspendi cum libris et scandalis suis, sicut diu meruit. » Respondi quod prædicatio Iohannis Pfeffercorn non fuit pontificalis, sed fuit laycalis et simplex instructio. Sed de libris eius manifestum est quod ipse defendit se contra Iohannem Reuchlin qui parvipendit eum. Et ipse in Speculo suo manuali corrigit iniustitiam Iohannis Reuchlin. Et quod sit bonus Christianus praesumitur ex hoc quod si non cogitaret semper manere Christianus, ipse non esset ita iratus super Iudzos, et faceret eis tanta mala. » Dixit plebanus : « Scribere seu componere libros est una magna res, et non competit nisi magnis et Doctis Viris qui sunt altissime graduati, multo minus Iohanni Pfefferkorn qui est ideota : et Ergo Theologi Colonienses nunquam debuissent prætendere quod vellent hominibus persuadere quod Pfefferkorn componit talia. Sed si ego essem Imperator, Ego vellem Pfefferkorn et Hochstrat suspendere ad unum patibulum. » Respondi : « Quid fecit Magister noster Iacobus de Hochstraten ? Tamen est bonus Imperialis, quod ego volo probare per Epistolam suam ad

432

VOLUME

II, LETTRES

14-15

laquelle il écrit : « Bonne santé et bonheur éternel à la Majesté de César, et que Dieu, le supréme et le plus haut, daigne le conserver heureux pour son Église pour des millénaires ! » Lejcureunditk: — Ji vu dix criminels exécutés, et aucun d'entre eux ne méritait la mort autant que Hochstraten, lui qui persécute si injustement un homme bon et innocent ! Et il a méme été jusqu'à réclamer au roi de France, qui est l'ennemi public de l'empire, de l'aider contre Jean Reuchlin ! C'est bien un crime de lése-majesté ! Et en plus, il est allé porter plainte à Rome ! J'ai répondu que Hochstraten faisait tout cela par zéle religieux, et que la religion est au-dessus de l'empereur, et que les théologiens ne se soucient pas de se soumettre au pouvoir séculier. Alors, le curé m'a quitté en disant : — Ó, trés innocent Reuchlin ! faut-il que tu sois persécuté ainsi par tes ennemis les pires et les plus malfaisants ? Que Dieu te protège ! Mais s'il existe une Justice, tu ne peux pas perdre ce proces. Je peux donc dire : « Les nations se ligueront, mais elles ne pourront rien contre toi. »? J'ai répondu à voix basse : — Que ses jours soient comptés et que sa charge passe à quelqu'un d'autre !? Par Dieu ! Seigneur Ortwin, nous avons bien des malheurs. Je voudrais que ce procès soit terminé. Écrivez-moi donc comment ça se passe à la Cour romaine. Portez-vous bien autant d'années que vécut Mathusalem®.

Donné à Bratislava?.

L5 (Les études de droit à Rome, c'est plus lucratif que la théologie) Maitre Pierre Rochedure A Maitre Ortwin Gratius Salut.

Je voudrais beaucoup vous écrire, Seigneur Ortwin, au sujet des nouvelles de par ici, des conflits et des guerres! et méme du procès de Jean 6. 7. 8. 9.

Citation approximative du psaume Citation du psaume CIX (Vulgate Qui vécut neuf cent soixante-neuf Ville où se trouvait la maison mère

II, 2. CVIID, 8. ans, selon GenèseV, 27. des dominicains de Pologne.

1. De l'empereur Maximilien contre les Vénitiens (voir lettre I, 24)

TOMUS

II, EPIST.

14-15

433

Imperatorem, in qua sic scribit : *Valeat et in aeternum gaudeat Cæsaria Maiestas quam deus optimus maximusque suæ Ecclesiæ conservare dignetur per milia tempora felicem". » Dixit plebanus : « Ego vidi X malefactores mortificari, et nullus fuit ita dignus mortis sicut Hochstrat, qui tam bonum et innocentem virum sic iniuste

tribulat, et adhuc petiit etiam adiutorium a Rege Franciæ qui est publicus inimicus Imperii, contra Iohannem Reuchlin ; quod est crimen lzsz maiestatis ; et super hoc Romz lamentavit. » Respondi quod Hochstrat facit talia zelo fidei, et fides maior est quam imperator, et Theologi non curant superioritatem sæcularem. » "Tunc plebanus abscessit dicens : « O Innocentissime

Reuchlin, debes tu sic tractari a pessimis et

nequitiosissimis tribulatoribus ? Deus te conservet. Sed si ulla est iusticia, tu non potes superari in ista causa. Ergo possum dicere : *zelabunt gentes et nihil adversum te poterunt". » Respondi occulte : « Fiant dies eius pauci, et Episcopatum eius accipiat alter. » Per deum, domine

Ortvine, nos habemus

multas tribulationes.

Vellem quod ista causa esset expedita : et ergo scribatis mihi tamen quomodo stat in Curia Romana,

et Valeatis per tot annos quot vixit Matusalem. Datum Vratislavia.

15

Magister Petrus Steynhart! Magistro Ortvino Gratio salutem.

Multum vellem vobis scribere, domine Ortvine, de novitatibus hincinde et bellis et guerris et etiam de Causa Iohannis Reuchlin : sed

1. De l'allemand Stein (= pierre) et hart (= dur).

434

VOLUME

II, LETTRE

15

Reuchlin. Mais je suis tellement en colére que je ne peux pas retrouver mon calme. Je n'arrive donc pas à écrire ça, car mon cœur bat aussi fort que si quelqu'un me donnait des coups de poing, car il y a ici un Allemand de la région de Misnie? qui m'a promis de me donner un * Vocabulaire juridique. Et maintenant, il ne veut plus me le donner. Je l'ai prévenu plusieurs fois aimablement, mais il refuse. Et je vois bien qu'il cherche à m'offenser. Mais, comme vous le savez, chose promise, chose due, c'est pourquoi je l'ai fait citer «en justice». Alors, aujourd'hui, il m'a écrit une lettre injurieuse et il m'a diffamé en me traitant comme un bouffon. Je suis tellement en colère que je ne sais pas ce que je dois faire. Mais je vais aller chez le gouverneur et lui demander «de lancer» un mandat d'amener, car je soupçonne ce collègue de vouloir s'enfuir. Et s'il ne me donne pas le livre immédiatement, je lui enverrai les sbires de la police pour l'arréter et le mettre en prison. Et si on le passe une ou deux fois à l'estrapade, qu'il ne s'en prenne qu'à lui. Car je vais lui apprendre à

se moquer des gens en ne tenant pas sa promesse. Et croyez pour de bon que je vais corriger ce collègue. Je le jure sur ma téte ! Car il me faut ce livre, car je me mets à l'étude de facon méthodique : j'ai acheté des livres de droit et des autres matiéres, et je vais chaque jour passer quatre heures à la Sapienza? pour y suivre les cours sur les *Institutes et sur l'*Infortiat, et méme de droit canonique et des règles de la Chancellerie. Et j'ai trouvé ici un livre trés pratique, qui est excellent, et j'y apprends beaucoup de choses. Je crois qu'en Allemagne vous ne l'avez pas. Il est merveilleux et extrêmement clair, et il s'appelle les *Longs Cas sur les Institutes, et il donne de trés belles explications, et il présente les Instituzes avec une telle profondeur qu'il arrive souvent à diviser un seul paragraphe en dix parties, et il procéde sous forme de dialogue et, quant au style, son latin est trés élégant. Je n'arrive pas à vous écrire à quel point c'est utile d'avoir ce livre. Mais n'en parlez pas aux juristes de Cologne qui sont partisans de Reuchlin, parce que, s'ils possédaient ce livre, ils pourraient devenir plus habiles en procédure. Je sais bien que ca ne vous fait pas plaisir que j'étudie le droit, parce que vous m'avez souvent dit que je devais étudier la théologie qui sanctifie et qui est d'un plus grand mérite que ce droit qui rend courbe ce qui est droit et droit ce qui est courbe. Et vous m'avez cité un passage de *Richard. Cependant, je peux vous dire qu'il faut que je le fasse parce que la science juridique est lucrative. D’où les

vers.

2. Hutten était originaire de Misnie (toute ressemblance avec un personnage connu...). 3. L'université de Rome, de médiocre réputation, par comparaison avec l'illustre faculté de droit de Bologne (où Hutten étudia).

TOMUS

II, EPIST.

15

435

iam sum ita iratus quod non possum sedere prz ira : et ergo non possum scribere talia, quia Cor palpat mihi quasi unus percuteret cum pugno, quia est hic unus Almanus de partibus Misnensium, et ipse promisit mihi dare unum vocabularium [uris : et nunc non vult dare, et sepe monui eum amicabiliter, sed non iuvat. Et video quod prætendit me vexare. Sed quia scitis quod omne promissum cadit in debitum, propterea feci eum citare. Tunc hodie scripsit mihi unam litteram vituperativam et scandalisavit me quasi bufonem. Ergo sum ita iratus quod nescio quid debeo facere. Sed volo ire ad gubernatorem et impetrare unum mandatum de capiendo, quia iste socius est mihi suspectus de fuga. Et quando non mittit mihi statim librum, tunc afferam famulos pariselli ad captivandum eum, et mittere in presunam : et si tunc habebit unam? strapecordam” vel duas, capiat sibi : quia volo eum docere quomodo debet unum

circumducere, et non tenere promissum.

Et credatis mihi firmiter quod volo rectificare illum socium : vel est damnum quod vivo. Quia oportet me habere talem librum, quia iam pono studium meum in ordine, et emi libros in Iure et in aliis, vadens cotidie quattuor horas ad Sapientiam, audiendo Instituta, et Infortiatum, et etiam in iure Canonico, et Regulas cancellariz ; et inveni hic unum

librum multum practicum, et est excellens, et

ex eo disco multa : ego credo quod in Almania non habetis eum : ipse est mirabilis et est valde declarativus, et intitulatur « Casus longi super Institutis », et practicat pulcherrimas materias, et ita profunde declarat Instituta, quod sæpe dividit unum Paragraphum in .X. partes, et procedit per modum dialogi, et est etiam quantum ad latinitatem valde elegans. Non possum vobis scribere quantum est utile habere talem librum. Sed non debetis dicere Iuristis in Colonia qui sunt fautores Ioannis Reuchlin : quia si haberent illum librum, magis subtiliter possent practicare. Ego bene scio quod non habetis libenter quod studeo in Iure, quia sæpe dixistis mihi quod debeo studere in Theologia, quz beatificat et est de maiori merito, quam illa Iura quz faciunt curvum rectum et

rectum curvum. Et allegastis mihi Richardum in uno passu. Attamen dico vobis quod oportet me facere, quia scientia Iuris est de pane lucrando : unde versus

2. Le texte porte unum. 3. De l'italien strappata di corda (= arrachement de corde).

436

VOLUME

II, LETTRES

15-16

Galien donne la richesse, tout comme la sanction de Justinien. Des autres, tu auras la paille, mais d'eux, recueille le grain“.

Vous savez aussi par ailleurs que je suis pauvre et ma mère m'a écrit que je dois m'occuper de me procurer le gîte et le couvert”, parce qu'elle ne va plus m'envoyer d'argent. C'est comme ça, par Dieu ! Mais voilà que je pense de nouveau à ce collégue qui m'a mis en fureur. Portez-vous bien, cordialement. Donné à Rome.

16 (Je vous envoie un chapelet en corne de buffle qui fait des miracles, et une chose qui protége des morsures de serpent par la gráce spéciale de saint Paul)

Maitre Jean Duchapeau! à Maitre Ortwin Gratius à vous, des saluts plus nombreux que les voleurs en Pologne,

Et

Les Les Les Les Les Les Les Les Les Les

hérétiques? en Bohéme, paysans en Suisse, scorpions en Italie, proxénétes en Espagne, poux en Hongrie, *Articles à Paris, ivrognes en Saxe, marchands à Venise, *courtisans à Rome, chapelains en Allemagne,

Les Les Les Les Les Les Les

Et

Les chevaux en Frise, Les vassaux en France,

Les Les Les Les

putains à Bamberg, artisans à Nuremberg, juifs à Prague, pharisiens à Cologne, clercs à Wurtzbourg, bateaux à Naples, fabricants d'aiguilles à [Bois-le-Duc?, fourreurs à Francfort, nobles en Franconie, marins en Zélande, sodomites à Florence,

4. Ces deux vers se trouvaient en téte d'un poéme célébre composé par des canonistes anglais du xrIr* siècle à la gloire de leur profession. Ils figuraient dans le Vocabulaire juridique (que notre homme n'a pas réussi à se procurer), à l'article Ars. Galien était l'autorité antique pour la médecine et Justinien, pour le droit — les deux seuls métiers vraiment lucratifs, comme chacun le sait. « La paille » et « le grain » sont déjà cités dans l'adresse au lecteur en téte du présent

volume des Lettres. 5. Littéralement : « la nourriture et le vêtement ». 1. Déjà auteur fictif de la lettre II, 4. 2. Les Fréres moraves notamment.

3. S'Hertogenbosch aux Pays-Bas.

TOMUS

« Dat Galienus opes Ex aliis paleas,

II, EPIST.

15-16

437

et sanctio Iustiniani. ex istis collige grana. »

Et scitis bene quod alias sum pauper, et mater mea scripsit mihi quod debeo cogitare ad habendum victum et amictum, quia amplius non vult mittere mihi pecuniam : et sic est per deum. Sed iam iterum cogito de isto socio qui fecit me iratum. Valete cordialiter. Datum Romx.

16 Magister Iohannes Pileatoris Magistro Ortvino Gratio salutes vobis plures quam sunt in Polonia fures, in in in in

Et

Bohemia hzretici, terra Suitensium rustici, Italia Scorpiones, Hispania lenones,

Meretrices in Bamberga, artifices in Nurmberga, in Praga Iudzi, Coloniz Phariszi,

in Ungaria pediculi,

Clerici in Herbipoli,

in Parrisia articuli, in Saxonia potatores, in Venetia Mercatores, Romæ Curtisani,

naves in Neapoli, Busto ducis acufices, Franckfordiæ pellifices, nobiles in Franconia,

Et

in Almania Cappellani,

nautæ in Selandia,

in Frisia Caballi,

Sodamitici Florentiz,

4. La tradition dit lustiniana, mais notre juriste cite de mémoire.

438

VOLUME

Les Les Les Les

poissons cochons moutons bœufs au

II, LETTRE

dans la Marche, en Poméranie, en Angleterre, royaume de Hongrie,

16

Les indulgences chez les fréres [précheurs, Les tisseurs à Augsbourg, Les sauterelles en été, Les pigeons à Wetterau, Les choux en Baviére, Les sacs en Thuringe.

Voici l'infinité de saluts que je vous souhaite, Vénérable Maitre, car vous m'étes aussi cher que c'est possible dans une amitié non feinte*. Cependant, vous pourriez dire que je feins cette affection car vous ne croyez pas qu'elle vient vraiment du cœur. Je ne veux donc pas m'étendre sur le sujet. D’où le vers : « La louange de soi-méme fait puer la bouche », en allemand : « Eygen lob stinckt geren? ». Mais en signe d'affection, je vous envoie ci-joint deux cadeaux, à savoir un chapelet fabriqué en corne de buffle, qui a touché le sépulcre des saints Pierre et Paul, et beaucoup d’autres reliques de Rome. Et avec ça, j'ai fait dire trois messes dessus. Et on dit qu'il est efficace contre les voleurs et tous les sortiléges qui tuent, si on l'utilise pour dire le Rosaire. ecundo, je vous envoie une chose qui est enveloppée dans un mouchoir et qui a des vertus contre les serpents, et je l'ai vu agir. S'il vous arrivait (Dieu vous en garde !) d'étre mordu par un serpent, cela ne vous ferait aucun mal. J'ai payé un *carlin pour. Il y avait ici un type au *Campo dei fiori qui fait des merveilles par la vertu de saint Paul. Il avait beaucoup de serpents tellement énormes que c'est extraordinaire à voir. Il les touche et ça ne lui fait pas de mal. Mais s'ils mordaient quelqu'un d'autre, il le soignait par cette vertu, en donnant à l'homme cette matiére enveloppée comme cela. Il parait qu'il est de la famille à qui saint Paul a accordé ce don. Parce que quand saint Paul se promenait sur terre, un jour, il a reçu l'hospitalité d'un homme qui l'a traité avec une trés grande déférence, qui lui a fait bon accueil et lui a offert le manger, le boire et un bon coucher. Et le lendemain matin, l'homme lui a demandé : — Ô, bon Seigneur, ne le prenez pas mal, mais je vois que vous étes un Monsieur important, et que vous avez une gráce spéciale de Dieu, et je suis sûr que vous êtes un saint, car hier, je vous ai vu faire des miracles. Je vous en prie, dites-moi qui vous étes. Saint Paul lui répondit : — Je suis Paul, l’apôtre du Christ. 4. II Corinthiens VI, 6 (cf. lettres I, 9, 28 et 32).

5. Le proverbe complet est : Eygen lob stinckt geren in dem munde. Il se trouve notamment dans la traduction de l'*Elégant par Sébastien Brant (v. 273), ainsi que chez Luther (qui l'attribue à Salomon..., cf. Weimarer Ausgabe, VIII, 150, 31).

TOMUS

in terra Franciæ vasalli,

pisces in Marchia,

MID EPIST

M6

439

ex ordine prædicatorum

[indulgentiæ,

sues in Pomerania, oves in terra Angliæ,

textores Augustæ, per æstatem locustæ,

boves in regno Daciæ,

Columbæ in Wettrania, caules in Bavaria, alleces in Flandria, sacci in Turingia,

id est infinitas salutes vobis opto, Venerabilis Magister, quia estis mihi ita charus sicut est possibile in caritate non ficta. Sed possetis dicere quod fingo illam dilectionem, quia non creditis quod est ita cordialis : igitur non volo multum scribere de illa. Unde versus « Laus proprio sordet in ore », Teutonice « Eygen lob stinckt geren. » Sed in signum dilectionis mitto vobis hic duo munera, scilicet unum Pater noster factum de cornu bufli, et tetigit sepulchrum Sanctorum Petri et Pauli et multas alias reliquias Romae. Et cum hoc feci tres missas superius legi. Et dicunt quod valet contra latrones et omnes interfectoriales nequitias, quando aliquis orat Rosarium in eo. Secundo mitto vobis unam rem que est ligata in panniculo, et habet virtutes contra serpentes, quia vidi experimentum ; et quandocunque (deus custodiat) mordet vos unus serpens, tunc non nocet vobis : ego dedi unum Carlinum pro. Fuit hic unus in Campo flore qui facit mirabilia per virtutem sancti Pauli, et habuit multum de serpentibus terribiliter formatis, ita quod est mirabile ad videndum. Ipse tangit eos et non nocet ei ; sed quando mordet unum alium, tunc ipse liberat eum per talem virtutem, dans homini illam materiam sic ligatam ; et dicunt quod est de illa progenie, cui sanctus Paulus concessit talem virtutem. Quia quando sanctus Paulus ambulavit in terris, tunc semel fuit

hospitatus ab uno viro qui tractavit eum cum summa reverentia, et faciens ei bonam Companiam præbendo comedere et bibere et bona lectisternia, et de mane quzsivit eum « O bone domine, non habeatis mihi pro malo : ego video quod estis unus magnus vir, et habetis specialem gratiam a deo, et non dubito quod estis sanctus, quia heri vidi vos facere miracula. Rogo dicatis mihi quis estis ? » Respondit ei sanctus Paulus : « Ego sum Paulus Christi apostolus. »

440

VOLUME

II, LETTRES

16-17

Alors, l'homme tomba à ses genoux en disant :

— Ó saint Paul, pardonnez-moi, car je ne savais pas qui vous étes. Je vous prie donc de bien vouloir prier Dieu pour mes péchés, et de bien vouloir me donner en guise d'adieu une gráce spéciale au nom de Dieu. Saint Paul lui dit : « Ta foi t'a sauvé? ! » et il lui donna, à lui ainsi qu'à tous ses descendants, cette gráce de pouvoir guérir les gens qui ont été mordus par un serpent venimeux’. Eh bien, l'homme qui m'a donné cela est de cette famille, ainsi qu'il l'a prouvé beaucoup de fois. Recevez-le donc de bonne gráce. Et écrivez-moi des nouvelles des guerres, et faites-moi savoir si le juriste Jean Reuchlin a encore écrit d'autres choses contre vous, car il serait capable de l'avoir fait par son audace, alors que vous n'avez rien fait de répréhensible. J'espére au contraire que vous allez bien le confondre, car ici le Seigneur *Not' Maitre *Hochstraten m'a dit que son procès est en bonne voie et que je devais vous l'écrire. Portez-vous bien. Donné à Rome.

FT (Peut-on m'obliger à boire contre mon gré ?

débat juridique de taverne!) Frédéric Brillant à Maitre Ortwin Gratius

un tas de saluts !

Honorable Monsieur,

Si vous ne le saviez pas avant, alors je vais vous notifier des nouvelles, comme quoi j'ai été en guerre avec un certain chantre, qui se croit un grand seigneur, mais qui est pour l'instant un bien pauvre compagnon comme moi et les autres. Nous étions en train de boire ensemble et il a dit qu'il avait bu à ma santé un plein bock de biére. Mais j'ai dit que non, et Dieu me soit témoin que je ne l'avais pas vu boire. 6. Formule typique que les Évangiles mettent fréquemment dans la bouche de Jésus. 7. Cette légende, trés populaire au Moyen Age (elle est attestée dans la Légende dorée de Jacques de Voragine) tire son origine de l'anecdote des Actes des apôtres (XVIII, 3-10) selon laquelle Paul, aprés son naufrage à Malte, se fit mordre par une vipére et n'en ressentit aucun mal. 1. La mise en scène de cette lettre rappelle fort celle de la lettre I, 3.

TOMUS

II, EPIST.

16-17

441

Tunc ille vir cecidit in genua sua dicens : « O sancte Paule, parcatis mihi, quia nescivi quis estis : et ergo rogo vos velitis deum orare pro peccatis meis, et velitis mihi dare pro valedictione unam specialem gratiam propter deum. » Dixit ei sanctus Paulus : « Fides tua salvum te fecit, » et dedit ei talem gratiam, et omnibus successoribus suis, quod possunt sanare homines qui sunt veneficati a serpentibus. Et iste vir, qui dedit mihi hoc, est de tali progenie, sicut multotiens probavit. Ergo accipiatis pro bono. Et scribite mihi novalia de guerris ; et mittatis me scire an ille Iurista Iohannes Reuchlin composuit adhuc alia contra vos, quia possibile est quod fecit propter audatiam suam, quamvis nullis vestris praecedentibus demeritis. Sed spero quod etiam bene confundetis eum, quia hic dominus Magister Noster Hochstrat dixit mihi quod causa sua bene stat, et quod debeo hoc vobis scribere. Valete Romz datum.

17 Fredericus Glantz! Magistro Ortvino Gratio salutis Cumulum.

Honorabilis vir, Si non scitis prius, tunc volo vobis certificare nova, quod fui hic in guerra cum quodam Cantore, qui putat se esse magnum dominum, sed est adhuc ita bene pauper socius sicut ego et alii.

Nos bibimus in simul, et ipse dixit quod portasset mihi unum totum cantarum Cerevisiz : et ego dixi quod non : et ita me deus iuvet quod non vidi quod bibit.

1. De l'allemand Glanz (= éclat).

442

VOEUME:IbJLETIRE

7

Alors, j'ai dit : — Seigneur chantre, je n'ai pas vu que vous aviez bu ! Si je l'avais vu, alors je vous aurais volontiers rendu la pareille, car jusqu'à présent c'est pas un bock de biére qui me fait peur ! Alors, il a juré qu'il avait bu à ma santé et il a dit que je dois boire. J'ai répondu : — Buvez à ma santé et je boirai à la vôtre ! Alors, il a dit qu’il avait bu à ma santé et que j'étais donc obligé de le lui rendre. J'ai répondu que je ne l'avais pas vu, et que, à supposer que je l'aie vu, je ne serais pas obligé de lui obéir et qu'il n'avait aucun droit à me contraindre à boire, si je ne le voulais pas. Il a dit : — Bien sür que je peux vous y contraindre ! J'ai répondu : — Et où est-ce que vous avez lu ça ? Il a dit : — Dans la loi « Le vin » du *Digeste, au titre : « Si on peut réclamer süre-

ment. »? Jai répondu : — Vous me citez un texte de loi, et je ne suis pas juriste ! mais je vais me renseigner là-dessus ! Du coup, j'ai payé ma consommation et je suis parti. Et il a dit qu'il ne trinquerait plus jamais de sa vie avec moi. J'ai répondu : — Laissez tomber ! Voilà comment ça s'est passé, Maitre Ortwin. Vous, par contre, écrivez-moi des nouvelles et portez-vous bien jusqu'au temps où un moineau pèsera cent livres. Donné à Munster.

2. Digeste, XII, 1, 22. Il s'agit d'un passage du juriste Julien (IIT? s. ap. J.-C.), concernant la date à laquelle un vin prêté doit être évalué (date du prêt ou date du procès ?).

TOMUS

II, EPIST. 17

443

Tunc dixi : « Domine Cantor, ego non vidi quod bibistis. Si vidissem, tunc libenter vellem respondere vobis, quia adhuc sum Imperterritus contra unum Cantarum Cerevisiæ. » Tunc iuravit quod portasset mihi, et dixit quod debeo bibere. Respondi : « Portate mihi unum, et faciam vobis equum. » Tunc dixit quod portasset mihi, et ergo essem ei satisfacere obstrictus. Respondi quod non vidi, et posito casu quod vidissem, tamen non

tenerer ei, et de nullo iure potest me

cogere

ad bibendum,

quando non volo. Dixit ille : « Imo possum vos cogere. » Respondi : « Ubi hoc legistis ? » Dixit :

«In 1. Vinum .ff. Si certum petatur. » Respondi : «Vos allegatis me Iura. Ego non sum iurista, sed volo interrogare desuper ». Et sic solvi zecham et recessi. Et dixit ipse quod nunquam in vita sua vellet mihi portare aliquid. Respondi : « dimittatis ». Sic est factum, Magister Ortvine. Vos etiam per Contrarium scribite mihi novalia. Et Valete tam diu donec unus passer ponderat centum libras. Datum Monasterii.

2. Ce .ff est la transcription erronée (transmise depuis le xn° siècle) d'un D barré (abréviation de : Digeste).

444

VOLUME

IL EEEFIRE'

1S

18 (Pourquoi Pfefferkorn sait le latin sans l'avoir appris réponse à une objection) Frére Simon La Saucisse Docteur en sainte théologie à Maitre Ortwin Gratius salut.

Depuis que nous avons reçu ici la * Défense de Fean Pfefferkorn contre les diffamatoires, qu'il a écrite en latin, nous entendons ici des nouveautés chaque jour. L'un dit comme ci, l'autre comme ça. L'un est pour lui, l'autre pour Reuchlin. L'un le défend, l'autre l'accuse. Et c'est la mêlée générale et ils veulent se taper dessus. S'il fallait que je vous écrive toutes les guerres qui sont causées par ce livre, Je temps des dieux de l'Olympe n’y suffirait pas! .Mais je vais vous en dire quelques mots, en passant. Simplement, beaucoup disent, et particuliérement les *maitres laiques, les prétres et les fréres de l'ordres des mineurs?, qu'il est impossible que *Pfefferkorn ait composé ce livre, parce qu'il n'a jamais appris un seul mot

de latin?. Je réponds* que cette objection ne vaut rien, bien qu'elle ait fortement convaincu méme des grands personnages jusqu'à ce jour, mais à tort, car Jean Pfefferkorn, qui porte sur lui une plume et un encrier, peut noter ce qu'il entend dans les sermons publics, ou dans les réunions privées, ou quand des étudiants et des fréres précheurs viennent chez lui, ou quand il va aux bains. Sacre Dieu ! Combien de prédications est-ce qu'il a entendues au cours de ces douze ans? ? Combien de sermons ? Combien d'autorités des saints Pères ? Et il a pu les apprendre lui-même, ou bien les dire à sa femme, ou les écrire sur le mur ou les reporter sur son calepin. J'ai méme dit l'autre jour que Jean Pfefferkorn affirmait (vanité mise à part) qu'il était capable de citer de mémoire tout ce qui se trouve dans la Bible ou dans les saints Évangiles, à tout propos, soit en mal, soit en bien, soit en juif", soit en allemand. Et il sait méme par cœur tous les Évangiles, alors qu'il faut un an pour les

1. Citation de la Défense : me sit Olimpice tempus defecturum (f? Mij, reproduit dans Bócking, Suppl. I, p. 155). Le ton trés « humaniste » de cette métaphore laisse penser qu'elle est due à la plume d'Ortwin Gratius, qui se piquait de lettres antiques. 2. Les franciscains, qui étaient les rivaux de toujours des dominicains.

3. Sur l'analphabétisme de Pfefferkorn, voir les lettres II 14 et 21. 4. L’argumentaire des deux paragraphes qui suivent est repris presque mot à mot de la * Defense de Pfefferkorn, Nota Quarto (éd. Bócking, ibid. p. 145). 5. Depuis sa conversion au christianisme, vers 1504. 6. En hébreu.

TOMUS

II, EPIST. 18

445

18 Frater Simon Worst! Sacræ Theologiz doctor Magistro Ortvino Gratio salutem.

Postquam venit huc defensio Iohannis Pfefferkorn contra famosas quam composuit in latino, semper omni die audimus hic nova. Unus dicit sic, alius sic. Unus est pro eo, alius pro Reuchlin. Unus defendit eum, alius culpat. Et est magnum certamen, et volunt invicem percutere se. Si deberem vobis scribere Omnes guerras, quas sunt de hoc libro, Olympiae me tempus sit defecturum. Sed transeunter dicam

pauca. Simpliciter plures dicunt, et communiter sæculares Magistri et presbiteri et fratres de ordine minorum, quod non est possibile quod Pfefferkorn composuit istum librum, quia nunquam didicit unum verbum latinum. Respondeo quod hzc obiectio nihil valet, licet magnos etiam viros in hunc usque diem perverterit, et male : quia Ioannes Pfefferkorn, qui secum fert Calamare et atramentarium, ea potest annotare quz audit, vel in sermonibus publicis, vel in conventiculis, vel quando studentes et fratres praedicatores veniunt in domum suam, vel quando ipse vadit ad balneum. Sancte deus, quot prædicationes intra XII annos audivit ? Quot admonitiones ? Quot sanctorum patrum autoritates ? Quas ipse vel per seipsum retinere aut uxori suz dicere potuit, vel ad parietem scribere, vel ad tabulam? suam ponere. Et dixi etiam nuper quod Iohannes Pfefferkorn de seipso profitetur (citra iactantiam tamen), quod omnia illa quae in biblia vel in sacris Evangeliis habentur, per seipsum allegare potest ad omne propositum, sive malum sive bonum, sive Iudaice sive Almanice. Et etiam scit mentetenus omnia Evangelia qua per totum

1. De l'allemand Wurst (= saucisse). 2. Le Dictionarium latinogermanicum de Dasypodius (1536) traduit Tabula par : « Ein Tafel. Item ein briefflein jetlich ding daran geschriben wirt. »

446

VOLUMPB

TIL. JIETLIRE

tS

expliquer”, et il peut les réciter sur le bout du doigt, chose que ne peuvent pas faire ces juristes ni ces *poètes. Il a aussi un fils, nommé Laurent, un garçon vraiment bien élevé, qui a tant étudié qu'il en a perdu ses couleurs. Cependant, je m'étonne qu'il lui permette d'étudier dans ces poètes diaboliques. Il rassemble pour son père les sentences des orateurs et des poètes, soit qu'il les ait trouvées lui-même, soit qu'il les tienne de la bouche de ses professeurs, sur tous les sujets et à tous les propos. Il sait méme citer *Hugo. Et Jean Pfefferkorn comprend beaucoup de choses grâce à ce garçon si intelligent, si bien que les choses qu'il ne peut pas faire, en raison de son ignorance, c'est son fils qui les fera. Qu'ils souffrent, tous ceux qui ont colporté faussement qu'il n'a pas écrit ses livres lui-méme, mais que ce sont les docteurs et les Maitres de Cologne qui les ont écrits ! Et que Jean Reuchlin rougisse et gémisse éternellement, pour avoir dit que Jean Pfefferkorn n'a pas écrit son *Face-à-main, livre qui a souvent provoqué des querelles chez les savants, car trois hommes lui ont fourni les autorités? qu'il cite ! Alors, quelqu'un a dit : — Qui sont ces trois hommes ? J'ai répondu que je ne le sais pas, mais que je crois que ce sont les trois hommes qui sont apparus à Abraham, comme on lit dans la Genèse’. À peine j'ai dit cela, qu'ils se moquent de moi et me maltraitent comme un étudiant-mendiant. Je voudrais que le Diable leur envoie un grand coup d'épée, comme il est écrit au livre de Job!°, dont nous faisons actuellement

la lecture au réfectoire dans notre couvent. Dites à Jean Pfefferkorn qu'il prenne patience, car j'espére que, pour une fois, le Seigneur Dieu fera un miracle, et saluez-le de ma part.

Saluez également de ma part sa femme, comme vous savez bien le faire!!, mais discrétement. Portez-vous bien. Donné en hâte, et pas trés théoriquement!?, à Anvers.

7. C'est la tâche de l'étudiant en théologie qui a achevé ses sept premières années d’études et qui devient alors « *chargé de cours ». 8. Le terme latin auctoritas possède en permanence le double sens d'« auteur » et d'« autorité ». 9. Genèse XVIII, 2. Augustin supposait que ces trois « hommes » étaient les trois anges Michel, Gabriel et Raphaël (De Trinitate XI, 20). 10. Cette citation ne provient pas du livre de Job, mais d'Eszher (IX, 5) : « percusserunt Iudei inimicos suos plaga magna. » 11.Voir sur ce thème les lettres I, 13 et II, 39. 12. Car frére Simon se contente de recopier les arguments de la Défense de Pfefferkorn.

IPONUSITL,

BPIST.18

447

annum exponuntur, et potest ea recitare ad unguem, quod non possunt facere isti luristæ et poeta. Etiam habet filium nomine Laurentium, ingenuum profecto adolescentem, qui studuit ita quod est pallidus. Sed ego miror quod permittit eum studere in illis diabolicis poetis. Ipse recolligit patri suo sententias Oratorum et poetarum tum ex suo tum praeceptorum suorum ore, ad omnem materiam et omne propositum. Et scit allegare Hugonem. Et ipse Iohannes Pfefferkorn intelligit multa ex tam ingenuo adolescente, ita ut quz ipse indoctus facere non potest, filius eius perficiet. Doleant igitur omnes qui false circumtulerunt, quod ipse non composuit suos libros, sed doctores et Magistri in Colonia componunt eos. Erubescat quoque et in Æternum ingemiscat Iohannes Reuchlin, qui etiam dixit quod Iohannes Pfefferkorn non composuit suum Manuale speculum, de quo sæpe apud doctos fuit contentio, quia tres viri dederunt ei illas Autoritates quas ibi allegavit. Tunc unus dixit : « Qui sunt illi tres viri ? » Respondi quod nescio, sed credo quod sunt illi tres viri qui apparuerunt Abraam, ut legitur in Genesi. Et quando dico talia, tunc subsannant me, vexantes sicut scuto-

nem. Ego vellem quod diabolus percuteret eos plaga magna, sicut scribitur in libro Iob, quem pronunc in monasterio nostro legimus ad mensam. Dicatis Iohanni Pfefferkorn, quod habeat patientiam, quia spero quod semel dominus deus faciet miraculum, et salutate eum nomine meo. Etiam debetis mihi salutare uxorem eius sicut bene scitis, sed occulte. Et Valeatis. Datum raptim, non valde speculative Antverpiae.

448

VOLUME

II, LETTRE

19

19 (La dure vie d'un étudiant allemand qui fait son droit à Rome) Conrad Croquemitaine à Maitre Ortwin Gratius

Il est incroyable, Vénérable Seigneur Maitre, que mes parents ne m'envoient pas d'argent ! Ils savent pourtant que je n'ai plus un sou, et je leur ai bien écrit vingt lettres. S'ils ne veulent pas m'envoyer d'argent, alors, par Dieu, je vais m'y prendre autrement. Croyez-moi que l'autre jour, j'ai eu l'intention que j'ai voulu emprunter, aux risques de la Chambre! «apostolique», deux ou trois *florins rhénans, pour rentrer au pays, pour leur dire ma façon de penser avec d’assez gros mots pour qu'ils pigent. Par le Diable ! Ils croient donc que j'ai poussé sur un arbre, ou bien que je vais manger du foin comme une béte ? Que le Diable m'emporte si j'ai eu un seul *carlin en six mois ! Et je mange rien que de la salade, des oignons et de l'ail, et des fois un minestrone de fèves ou d' herbes ou d'épinards, à la façon italienne. Et je sais bien que mes frères, à la maison, mangent des poissons et des volailles et des bons petits plats, et qu'ils ne pensent pas à moi. Mais je ne veux pas souffrir plus longtemps, et je veux que vous le leur disiez ! Alors, je vais encore insister ici auprès de mon maître, comme quoi il fasse avancer votre affaire?, comme vous me l'avez écrit. Et quand mes parents donneront de l'argent, je vous supplie que vous me l'envoyiez. Et avec ca, envoyez-moi un morceau de craie, car dans tout Rome, il n'y a pas de bonne craie, méme pour un florin?. Parce que, comme vous le savez, j'ai besoin de craie, car je suis logicien. Et quand je veux faire un syllogisme, alors je n'ai jamais d'encre sur moi, et puis l'encre n'est pas pratique pour ça“. Et envoyez-moi des lacets allemands pour attacher mes chaussures, car en Italie on fait des lacets de tellement mauvaise qualité que c'en est incroyable. Je vous envoie une véronique? qui a touché les tétes des saints Pierre et Paul et beaucoup d'autres reliques?. Et je vous envoie un Agnus de. 1. La Chambre apostolique contrólait les affaires financières de l'État pontifical. 2. Le malheureux étudiant a sans doute trouvé un emploi de serviteur chez un riche membre de la *Cour romaine, dont l'avis peut peser dans le procés contre Reuchlin. 3. En la payant son poids en or. 4. Parce que, si l'on a écrit une bétise, l'encre ne peut pas s'effacer, contrairement à la craie. 5. Sans doute un ducat émis par Paul II en 1475, à l'occasion du jubilé, pour rappeler l'exhibition de la relique (une reproduction « en négatif » du visage de Jésus sur le linge avec lequel sainte Véronique aurait essuyé son visage pendant sa passion). 6. Cf. lettre IL, 16. 7. Il s'agit d'une médaille de cire « apotropaique » représentant sur une face l'agneau céleste

portant un étendard et, sur l'autre, les armoiries du pape et les clés de Saint Pierre. Ces médailles étaient bénies par le pape le samedi saint (la veille de Pâques), et leur vente constituait donc, tout comme celle des divers objets de piété, une source non négligeable de revenus pour l'Église.

TOMUS

II, EPIST. 19

449

19 Cunradus Unckebunck! Magistro Ortvino Gratio. Mirabile est, Venerabilis Domine Magister, quod parentes mei non mittunt mihi pecuniam, et tamen sciunt quod non habeo unum obulum, et scripsi eis bene viginti litteras. Si non volunt mittere mihi pecuniam, tunc per deum ego volo aliter facere. Et credatis mihi quod nuper habui in voluntate, quod volui me obligare sub penis Camere accomodando

duos florenos Renenses aut tres, et redire in patriam,

et dicere eis opinionem meam, ita grosse quod deberent tangere. Diabole, credunt quod sum natus super arborem, vel debeo comedere fenum sicut animal ? Diabolus auferat me si habui unum Carlinum in sex mensibus ; et semper nihil comedo nisi salatum et cæpe et allium, et aliquando unum menestrum de fabis vel herbis vel spinaciam more Italico. Ego bene scio quod fratres mei in patria comedunt pisces et aves et bona fercula, et non cogitant super me. Sed ego non volo diutius pati, et debetis ipsis dicere. Tunc ego etiam volo diligenter hic instare apud dominum meum, quod promovebit negocium vestrum sicut scripsistis mihi. Et rogo vos, quando parentes mei dabunt pecuniam, quod velitis mihi mittere. Et cum hoc mittatis mihi unum frustrum de Creta, quia in tota Roma non habent bonam cretam, etiam si velitis dare unum florenum pro ea. Sed sicut scitis, oportet habere cretam, quia sum logicus. Et quando volo facere syllogismum, tunc non habeo atramentum semper. Etiam est fastidiosum facere cum atramento. Et mittatis mihi ligas teutonicas ad ligandum caligas, quia faciunt ita malas ligas in Italia quod est mirabile. Mitto vobis hic unam veronicam quz tetigit capita sanctorum Petri et Pauli et multas alias reliquias. Et mitto vobis unum agnus dei.

1. Le Grimm Wôrterbuch atteste jusqu'au xviI* siècle le terme Unkepuntz dans le sens de «bête de Apocalypse » (thier der apokalypse mit sieben kópfen). Ce personnage sera également l'auteur fictif de la lettre II, 46. 2. Macaronisme italien.

450

VOLUME

II, LETTRES

19-20

Vous devez saluer pour moi le Seigneur *Valentin de Gelterfbheim, *Not' Maître très savant. Par Dieu ! je n'aurais jamais pu apprendre aussi bien la logique si je n'avais pas étudié dans son pensionnat. Car il est vraiment explicite, et les collégiens comprennent immédiatement quand il fait son cours. Portez-vous bien de beaucoup de fagons, en bonne santé d'esprit et de corps. Donné à la Cour romaine.

20 (Il paraît que le nouvel évêque de Cologne est un reuchliniste /)

Maitre Marquard Leconnard à Maitre Ortwin Gratius salut, avec mon amicale soumission.

Vénérable Seigneur Maitre, Comme vous m'avez écrit que je dois vous notifier à propos de *Not Maitre Jacques de *Hochstraten, sachez que les juristes lui font un grand tracas. Mais, à ce que j'ai entendu dire, le diable les confondra. Car beaucoup de cardinaux sont pour vous, et surtout le cardinal de *Sainte-Croix, qui doit devenir pape quand ce pape-ci mourra. Et j'ai appris qu'il avait dit : — Je défendrais ce remarquable théologien, Jacques de la *Grand' Rue, contre Reuchlin, méme si tous les juristes de toute la terre prenaient son parti. Et il a agi de la méme façon qu'il l'avait fait avec les *Articles contre *Pierre de Ravenne, qui étaient aussi terriblement hérétiques. Et vous pouvez tenir pour certain que ce cardinal va confondre tous les juristes, car il est bien disposé en faveur des théologiens. Il est également bien disposé en

faveur du roi! de France et de l'université de Paris. Le précédent roi? de France avait voulu le faire pape. Par ailleurs, votre procès est en bonne voie. Voilà que ce Not? Maitre Jacques a donné il y a huit jours un banquet copieux pour un *référendaire d'un cardinal, que je ne veux pas nommer”, qui doit le soutenir auprès de Sa Sainteté, comme il en a le pouvoir. 1. François I‘. Louis XII était mort le I janvier 1515. 2. Louis XII. 3. Il s’agit de Pietro *Accolti, l'un des deux cardinaux désignés par Léon X pour traiter de l'Affaire Reuchlin.

TOMUS

II, EPIST.

19-20

451

Et debetis mihi salutare dominum Valentinum de Gelterfiheim, magistrum nostrum colendissimum. Per deum ego nunquam ita potuissem discere logicam si non stetissem in bursa sua, quia ipse est valde declarativus, et supposita cito capiunt quando ipse legit. Valete plurime cum sanitate mentis et corporis.

Datum Romanz Curiæ.

20 Magister Marquardus Fotzenhut! Magistro Ortvino Gratio salutem cum servitute amicabili. Venerabilis Domine Magister Sicut scribitis mihi quod debeo notificare vobis de Magistro Nostro Iacobo de Hochstraten : Scitote quod Iuristæ faciunt ei magnam instantiam. Sed sicut ego audivi, diabolus confundet eos. Quia multi Cardinales sunt pro vobis, et precipue Cardinalis sanctae Crucis, qui debet fieri papa quando ille Papa moritur. Et audivi quod dixit « Ego volo defendere illum notabilem Theologum Iacobum de alta platea contra Reuchlin, et si omnes Iuristæ in toto mundo starent pro eo. » Sicut etiam fecit, cum habuit semel articulos contra Petrum Ravennatem, qui etiam fuerunt multum hæreticales. Et debetis pro certo habere, domine Ortvine, quod ille Cardinalis adhuc confundet omnes iuristas, quia est bonus pro Theologis. Et est etiam bonus pro rege Francie et Universitate Parrhisiensi. Antiquus Rex Francie voluit ipsum facere Papam. Etiam alias habetis bonam causam. Cum hoc Magister Noster Iacobus dedit ante octo dies unam pinguem propinam uni referendario cuiusdam Cardinalis quem non volo nominare, qui debet eum

promovere apud Reverendissimum sicut bene scit.

1. Fotze est une désignation allemande familiére du sexe féminin, et Hut signifie « chapeau ». « Téte-de-con » aurait donc peut-étre été plus littéral.

452

VOLUME

II, LETTRE

20

Le bruit a couru ici que l'évéque de Cologne est mort* et que le comte de *Neuenahr a été élu comme nouvel évéque?. Si c'est vrai, alors, je dois vous dire que les chanoines de Cologne sont vraiment stupides, car « *poéte » et « évéque » sont deux termes parfaitement contradictoires. De plus, ce ne serait pas bon pour le procés en *matiére de religion, car ce comte est un fervent partisan de Jean Reuchlin. Car un certain courtisan? m'a dit que, quand

il est parti de Cologne pour l'Italie, il lui a donné une lettre à apporter à Jean Reuchlin. Et j'ai entendu dire par d'autres gens qu'il entretient des relations avec de nombreux poétes et « *nouveaux théologiens », tel qu'*Érasme de

Rotterdam’. Quand j'étais àWurzbourg, il y avait là-bas un poète du nom de Ulrich von Hutten, toujours en train de rire et de se moquer des théologiens et des maîtres *artiens. Une fois, dans une auberge, il a dit à table à un autre noble? qu'il avait écrit le jour-méme une lettre à ce comte. Alors, le noble a répondu : — Qu'est-ce que vous avez donc écrit, quand vous vous êtes écrit l'un à l'autre ? Il a répondu qu'il lui avait écrit de consacrer tous ses efforts au procés en matiére de religion, et qu'il devait ceuvrer en faveur de Reuchlin contre les théologiens, afin qu'ils ne fassent pas brüler les *Besicles. Et qu'il lui recommandait beaucoup Jean Reuchlin, et il lui avait dit qu'il aimait Jean Reuchlin autant que son père. Du coup, je n'ai rien dit, pour qu'il ne s’aperçoive pas que je suis de votre parti. C'est pour cela que je vous dis que ce ne serait pas une bonne chose qu'il devienne évéque. Mais j'espére que ce n'est pas vrai. Écrivez-moi donc la vérité et portez-vous bien depuis la plante des pieds jusqu'au sommet du crâne, comme dit Isaie?. Donné dans la Cité de Rome.

4. L’archevêque de Cologne Philipp von Eberstein était décédé au mois d’août 1515. Son successeur fut le comte Hermann von Wied. 5. Il se peut que la (fausse) rumeur de son élection ait réellement circulé à Rome, en raison de la similitude des prénoms des deux comtes. Il se peut aussi que ce soit un simple canular lancé par Hutten pour affoler les anti-reuchlinistes. 6. Peut-étre le reuchliniste Jean *Potken. 7. Erasme venait de publier son *Art de la vraie théologie, radicalement anti-scolastique. 8. Peut-être Cochlzus (Johann Dobeneck de Wendelstädt). 9. Le prophète est cité à contre-emploi, puisqu'on lit dans Isaie (I, 6) : « Il n'y a rien de bon en lui depuis la plante des pieds jusqu'au sommet du cráne. »

TOMUS

II, EPIST.

20

453

Fuit hic rumor, quod Episcopus Coloniensis est mortuus, et Comes de nova Aquila est electus in novum episcopum. Si est verum, tunc volo dicere quod Canonici Colonienses sunt magni stulti, quia Poeta et Episcopus proprie sunt duo Contradictoria. Etiam non esset bonum pro causa fidei, quia talis Comes est magnus fautor Iohannis Reuchlin. Quia dixit mihi quidam Curtisanus, quod quando ex Colonia ivit ad Italiam, tunc ipse dedit ei unam Epistolam, quam portavit Iohanni Reuchlin ; et audivi ab aliis quod habet societatem cum multis poetis et novis Theologis sicut est Erasmus Roterdamus. Quando ego fui in Herbipoli, tunc fuit unus poeta qui vocatur Ulricus Hutenus qui semper ridet et vexat Theologos et Magistros artium. Ipse dixit in mensa in uno hospitio ad quendam alium nobilitarem, quod in illo die scripsit unam litteram ad illum Comitem. Tunc respondit ille nobilitaris : « Quid tamen scribitis, quando sic scribitis ad invicem ? » Respondit ille, quod scripsit ei, quod debet facere magnam diligentiam in causa fidei, et debet laborare pro Reuchlin contra Theologos, ne comburant Speculum oculare. Et quod multum commendavit ei Iohannem Reuchlin, et dixit quod amat Iohannem Reuchlin tanquam patrem suum. Et ego tacui, ne notaret quod sum fautor vester. Et propterea dico vobis, quod non est bonum si iste debet esse episcopus. Sed spero quod non est verum. Ergo scribatis mihi veritatem et Valete a planta pedis usque ad verticem capitis, sicut dicit Esaias.

Datum in Urbe Roma.

454

VOLUME

II, LETTRE

21

21 (Gratius ne doit pas utiliser Pfefferkorn comme préte-nom)

Jean Holcot! à Maitre Ortwin Gratius amicabilité pour salut. Excellent Monsieur, j'ai reçu votre lettre que vous avez rédigée à Cologne, et vous écrivez que vous l'avez rédigée le jour de la Sainte-Marguerite, et je ne l'ai reçue que le jour de la Saint-Barthélemy. Alors, quand je l'ai reçue, j'ai dit : — Diable ! cette lettre a été écrite il y a longtemps?, et Maitre Ortwin va

se fácher contre moi et il va dire : « Il est bien fier, celui-là, qui ne me répond pas !» Je prie donc Votre Vénérabilité que vous m'excusiez, et que vous ne doutiez pas que c'est arrivé comme qa. Car vous pensiez que j'étais à Cassel à ce moment-là, et mon hôte, quand il l'a reçue, me l'a fait suivre

à Marbourg.

C'est pour cela qu'il s'est passé tant de temps, parce que je suis à Marbourg où je suis précepteur de deux jeunes pensionnaires. Donc, quand vous voudrez rn'envoyer des lettres, envoyez-les là-bas. D'aprés ce que vous écrivez, j'ai compris que vous rédigez — c'est-àdire réalisez — un livre remarquable, que vous allez l'intituler * Défense de Jean Pfefferkorn contre les diffamatorres, et que vous allez le donner à imprimer. Et vous écrivez que vous ne voulez pas y faire figurer votre nom, et que vous pensez qu'il serait préférable de le signer J. P., parce que *Pfefferkorn ne craint rien et n'a pas peur de Jean Reuchlin et de ses partisans, au cas où ils voudraient composer quelque choses contre lui. Mais je dois vous dire autre chose : Qu'est-ce qui arriverait si Reuchlin disait : — Ce Pfefferkorn ne sait pas le latin, il ne peut donc pas avoir rédigé de telles choses. En revanche, les théologiens de Cologne, et Ortwin, qui est leur poéte, composent des abominations pareilles, et ensuite, ils disent : « C'est Pfefferkorn qui les a écrites, ce n'est pas nous ! » ? Je voudrais donc que vous considériez bien ce fait : si vous vouliez par la suite nier que c'est vous qui l'avez écrit, alors Reuchlin pourrait reconnaitre votre style et prouver que c'est vous qui l'avez rédigé. Et dans ce cas, vous risquez la honte. 1. Le dominicain anglais Robert Holcot avait été l'un des plus grands maitres scolastiques de la premiére moitié du XIV? siécle. 2. La Sainte-Marguerite étant le 13 juillet et la Saint-Barthélemy le 24 août, la lettre a mis cinq semaines pour parcourir environ 200 kilométres (de Cologne à Cassel, puis retour à Marbourg), soit une moyenne de 6 km par jour...

TOMUS

II, EPIST. 21

455

21 Iohannes Holcot Magistro Ortvino Gratio amicabilitatem pro salute. Excellens vir, Accepi litteram vestram quam compilastis in Colonia, et notetis quod talis littera fuit compilata in die sancte Margarethz, et ego accepi eam in die sancti Bartholomzi. Et quando accepi eam, tunc dixi « O diabole, ista littera diu est scripta, et dominus Ortvinus iras-

cabitur mihi et potest dicere *Quam iste est superbus, et non respondet mihi" ! » Ergo peto venerabilitatem vestram quod habeatis me excusatum. Et non debetis dubitare quod est ita. Quia vos putatis quod fui adhuc in Cassel, et hospes meus, quando accepit eam, misit mihi postea ad Margburck. Et sic transivit multum tempus, quia actu [sic] sum in Margburck et resumo duos iuvenes domicellos. Quando ergo vultis mihi litteras mittere, debetis eas destinare huc. Et intellexi a vobis, quod componitis seu practicatis unum notabilem librum quem vultis intitulare « Defensio Ioannis Pepericorni contra famosas », et vultis eum dare ad impressuram. Et scribitis quod non vultis ponere nomen vestrum, et cogitatis quod est melius intitulare eum nomen I. P. quia Pfefferkorn non curat talia et non timet Iohannem Reuchlin et suos cohzrentes, si vellent aliquid componere contra eum. Sed volo vobis unum aliud dicere : Quid si Reuchlin diceret : « Ecce Pfefferkorn non scit latinum, ergo non potest compilare talia ; sed Theologi in Colonia et Ortvinus qui est poeta eorum, componunt tales scandalizationes, et postea dicunt “Pfefferkorn scripsit,

nos non scripsimus" ? » Ergo vellem quod considerabitis bene ante factum : si velletis postea negare quod scripsistis, tunc Reuchlin posset cognoscere vestrum stilum et probare quod vos composuistis, et sic incurreretis scandalum.

456

VOLUME

II, LETTRES

21-22

Pardonnez-moi parce que je vous écris par amour. Portez-vous bien. Donné à Marbourg.

22 (Ah ! qu'ils sont bons, les gros gardons de Berlin /)

Josse Lalame, *bachelier, A Maitre Ortwin Gratius. Vénérable Monsieur, Bien que je sois éloigné de vous corporellement, sachez cependant que du point de vue de l'esprit, je suis toujours proche de vous, quand je pense à notre camaraderie que nous avions l'un pour l'autre, quand nous étions à *Deventer. Donc, l'autre jour, le bizuth est venu ici et il m'a apporté votre mot en disant que vous lui aviez dit : — Oh ! le Josse, il est maintenant dans son pays et il prend du bon temps et il ne se soucie plus de moi !

Je vous réponds qu'il n'en est rien. Car je ne fais pas partie de ces genslà et je me rappelle encore bien comment que, à Deventer, vous écriviez toujours sur le mur :

Loin des yeux,

loin du cœur.!

Et, par Dieu ! hier, quand nous sommes passés à table, nous avons eu des poissons de chez moi, qui s'appellent des gardons, car mon pére m'en avait apporté, alors, j'ai pensé à vous et j'ai dit : — Oh ! Si Maitre Ortwin pouvait être là et manger ces poissons, ça me réjouirait le cœur ! Mon pére m'a répondu : — Qui est cet Ortwin ? Alors, je lui ai dit que vous étes mon vieux copain et que vous avez été avec moi à Deventer. Quand j'étais chez lui, à la maison, vous étiez en première. Et plus tard, à l'université de Cologne, vous avez été mon « patron » quand j'ai été bizuthé, parce que vous étes arrivé un an avant moi à Cologne, et ensuite, je suis resté avec vous jusqu'au diplóme de bachelier. Alors, vous avez recu la maitrise. Mais moi, une fois que j'ai été promu bachelier, gráce à Dieu, je suis retourné à l'université de Wittenberg. Aprés, j'ai été *régent 1. Litt. : « Loin de la lumière du cœur. »

TOMUS

II, EPIST.

21-22

457

Et perdonate mihi quia scribo ex amore. Valete. Datum Margburgk.

22

Iodocus Klynge! baclarius Magistro Ortvino Gratio. Venerabilis vir,

Quamvis sum remotus a vobis corporaliter, tamen habetis scire quod quoad mentem semper sum vobis propinquus cogitando de sodalitate nostra quam habuimus invicem cum stetimus Daventriæ. Ergo nuper ille Beanus veniens huc et portans mihi illud vestrum dictamen dixit quod dixistis ei : « O ille Iodocus pro nunc est in patria et habet bonos dies et non curat pro me. » Ego respondeo quod nihil est. Quia non sum de talibus, et adhuc bene scio quomodo semper Daventriz scripsistis ad parietem : Qui procul est oculis,

procul est a cordis lumine.

Et per deum, heri quando fuimus in Cena et habuimus de illis piscibus de patria mea qui vocantur Amæ, quia pater meus portavit mihi, tunc optavi vos et dixi : « O si Magister Ortvinus deberet esse praesens et comedere de talibus piscibus, tunc cor deberet mihi laetari. » Respondit pater meus : « Quis est iste Ortvinus ? » Tunc dixi ei quod estis socius meus antiquus, et fuistis mecum Daventriz, et quando ego fui secum domi, Vos fuistis primarius. Et postea in universitate Coloniensi fuistis depositor meus, quando deposui beanium, quia vos venistis unum annum ante me ad Coloniam, et postea steti vobiscum usque ad gradum baculaureatus. Tunc vos accepistis magisterium. Sed ego promotus in bacularium de gratia dei recessi ad universitatem Wittenpergensem. Tunc fui scholi-

1. De l'allemand KZge (= lame).

458

VOLUME

II, LETTRE

22

de collége à droite et à gauche, si bien que je vous ai perdu de vue. Et je lui ai beaucoup parlé de vous. Et je lui ai dit comment un jour je vous ai fait rire en vous récitant ce vers : Je m'en vins à Spandau par la digue,

et les gardons regardaient mézigue.

Et je vous ai dit comme quoi les bizuths de Spandau ont traduit ce vers de l'allemand en latin, car en allemand, voilà ce que ça donne :

Ick kam genn Spandaw opp den dam, Dar segen mick de plontzgen ann. Et alors, vous m'avez dit que vous ne saviez pas que ces poissons, c'està-dire les gardons, se nommaient en latin des « amies ». Alors, j'ai cité ce vers et vous avez éclaté de rire. Et puis aprés, je vous ai expliqué que ces poissons se trouvent en si grande quantité chez nous, qu'on en vend pour un groschen, qui font une coudée de long. Alors, vous avez dit :

— Mon Dieu ! si seulement nous étions là-bas ! Et hier, j'ai donc souhaité que vous soyez avec moi. Et mon père a dit : — Crois-tu qu'il n'a méme pas de poisson à Cologne ? Je lui ai dit comme quoi les poissons de Cologne se trouvent dans les poissonneries. Mais vous m'avez écrit que votre affaire se présente mal et qu'elle ne tourne pas bien à Rome, et que les partisans de Jean Reuchlin vous font de grands tracas. Croyez-moi, je souffre pour vous autant que si vous étiez ma propre mère. Mais j'espére que Ze Seigneur Dieu montrera sa bienveillance et que notre terre portera son fruit, c'est-à-dire que vous, les théologiens de Cologne, aprés que vous avez fait brüler les livres hérétiques, vous fructifierez dans l'Église de Dieu en préchant, argumentant, controversant, écrivant des théses nouvelles et ainsi de suite. Que le Christ, fils de Dieu, fasse qu'il en soit ainsi, en vous étant clément

et propice ! Amen.

Donné à Berlin dans la Marche, où sont

2. Citation du psaume LXXXV

(Vulgate LXXXIV),

13.

— de bons gros poissons.

TOMUS

II, EPIST.

22

459

rega hincinde. Et sic non vidi vos. Et dixi ei multa de vobis. Et dixi ei quomodo semel feci vos ridere quando allegavi vobis illud metrum : Veni Spandaw aggere, Et dixi vobis quomodo

tunc inspexerunt me Ama. Beani in Spandaw composuerunt tale

metrum de teutonico in latinum, quia teutonicum sic sonat :

Ick kam genn Spandaw opp den dam, Dar segen mick de plontzgen ann. Et pro tunc dixistis mihi quod prius nescivistis quod ille piscis, scilicet plotzken, latine vocatur Amæ. Et allegavi tale metrum et vos risistis intime, et consequenter dixi vobis qualiter ille piscis est in magna copia apud nos. Et unus qui est ita longus sicut brachium meum, vix solvit unum grossum. Et dixistis : « O deus, si essemus ibi ! » Et ergo heri optavi quod essetis mecum. Dixit autem pater meus :

« Credis quod etiam non habet pisces Coloniz ? » Dixi ei quomodo pisces Coloniz sunt in caro foro. Sed scripsistis mihi quod negocium vestrum non bene stat et male procedit vobis in urbe Roma, et quod fautores Iohannis Reuchlin faciunt vobis magnas instantias. Debetis mihi credere quod ita doleo de vobis sicut essetis mater mea. Sed spero quod dominus deus dabit benignitatem et terra nostra dabit fructum suum, id est vos Colonienses Theologi postquam combussistis libros hæreticales, fructificabitis in ecclesia dei praedicando, argumentando,

disputando,

novas materias scribendo et talia faciendo. Sic faciat filius dei Christus, qui sit vobis clemens et propitius. Amen. Datum Perlin in Marchia,

2. Peut-étre s'agit-il de bonnes « poissecailles ».

ubi sunt bona piscalia?.

460

VOLUME

II, LETTRE

23

25 (Qu'est-ce qu'un *maître és arts ? débat grammatical)

Maitre Berthold Háchepaille à Maitre Ortwin Gratius son affection fraternelle en guise de salut. Honorable Monsieur, Selon ce que je vous ai promis en vous quittant que j'allais vous notifier chaque chose et vous écrire comment ça va pour moi, sachez qu'à présent

j'ai été pendant deux mois dans la cité de Rome sans réussir à trouver un patron. Un *auditeur de la Rote a voulu m'embaucher. Alors j'ai été content et j'ai dit : — C'est bien, Seigneur, mais que Votre Magnificence veuille bien me dire ce que je dois faire. Il m'a répondu que je devais rester dans l'écurie et m'occuper d'une mule, pour lui donner à manger et à boire, l'étriller et la panser. Et quand il veut la monter, il faut qu'elle soit préte. Et qu'elle ait son mors, sa selle et tout ca. Et aprés, je dois courir avec lui jusqu'à l'audience, et de nouveau pour revenir à la maison. Je lui ai dit que ce n'est pas un travail pour moi, parce que je suis maitre ès arts de Cologne et que je ne peux pas faire de telles choses. Il m'a répondu : — Si tu ne veux pas les faire, va au Diable ! Alors, je crois que je vais retourner au pays. Est-ce que je devrais étriller une mule et nettoyer une écurie ? Je préférerais que le Diable emporte la mule et son écurie ! Je crois méme que c'est contraire aux statuts de notre université, car un maitre doit tenir son rang comme un maître. Et ça serait une grande honte pour l'université qu'un maitre de *Cologne aille faire des choses pareilles. Je vais donc rentrer au pays pour l'honneur de l'université. D'ailleurs, il y a une autre chose qui ne me plait pas à Rome, c'est que les *copistes et les *courtisans sont vaniteux à un point que vous ne croirez pas. Hier, l'un d'entre eux m'a dit qu'il chierait sur un maitre de Cologne. Je lui ai répondu qu'il devrait chier sur la potence. Alors, il a dit qu'il est maître lui aussi, à savoir de la *Cour, et qu'un maitre diplômé de la Cour! est supérieur à un maitre és arts d'Allemagne. Je lui ai répondu que ce n'est pas possible. Et j'ai dit : 1. La Cour pontificale vendait non seulement des offices, mais aussi des diplômes de l’université romaine, lesquels étaient confirmés par une bulle qui dispensait le bénéficiaire de passer les examens.

TOMUS

II, EPIST. 23

461

23

Magister Bertholdus Hackstro! Magistro Ortvino Gratio Fraternalem dilectionem loco Salutis. Honorabilis vir, Secundum quod reliqui vobiscum, quod volo vobis notificare singula et scribere quomodo sto, scire debetis quod nunc fui per duos menses in urbe Roma, et non possum habere patronum. Unus audi-

tor Rotz voluit me suscipere. Tunc fui lztus et dixi « Bene est, domine, sed magnificentia vestra velit mihi dicere quid debeo facere. » Respondit quod debeo esse in stabulo et unum mulum servare in ordine, dando ei comedere et bibere, et strigilando et mundificando.

Et quando ipse vult equitare, quod sit paratus. Et habeat frenum et sellum et omnia. Et postea debeo currere et cum eo ad audientiam et iterum ad domum. Ego dixi quod non est pro me, quod sum et magister artium Coloniensis et non possum talia facere. Respondit ipse : « Si non vis facere, tuum damnum ! » Et sic credo quod volo iterum ire ad patriam. Deberem strigilare mulum et purgare stabulum ? Ego potius vellem quod diabolus auferet illum mulum cum stabulo. Etiam credo quod esset contra statuta universitatis nostra, quia Magister debet se tenere sicut magister. Et esset magnum scandalum universitatis, quod Magister Coloniensis deberet facere talia. Ergo volo redire in patriam propter honorem universitatis. Etiam alias non placet mihi Roma. Quia Copistæ et Curtisani sunt ita superbi quod non creditis. Unus heri dixit mihi quod velit merdare super unum magistrum Coloniensem. Respondi quod deberet merdare ad patibulum. Tunc dixit quod ipse etiam est Magister, scilicet Curiz, et unus Magister Curiz praevalet magistrum artium de Almania. Respondi quod non est possibile. Et dixi :

1. De l'allemand Aacken (= hácher) et Srroh (= paille).

462

VOLUME

II, LETTRE

23

— Tu voudrais étre aussi bon que moi, alors que tu n'as pas passé comme moi l'examen pendant lequel cinq maîtres m'ont interrogé sévèrement et tu n'es donc maitre que « par bulle ». Alors, il a commencé à débattre? contre moi en disant : — Qu'est-ce qu'un maitre ? J'ai répondu : — C'est une personne qui a la qualification, la promotion et le diplóme dans les sept *arts libéraux, confirmé par un examen magistral. Elle a les pri-

viléges de porter une bague d'or et une doublure en soie à sa *chape, et de se comporter avec ses éléves comme un roi avec ses sujets. Le titre de Maitre [magister] se comprend selon quatre modes? : D'abord, il est composé de magis et ter, car un magister doit être trois fois [ter] plus [magis] savant qu'une personne normale. Secundo, le mot est composé de magis et terreur, car un magister doit inspirer la terreur à ses élèves. Tertio, il est composé de magis et theron qui signifie « stature »*, car un magister doit étre de plus grande taille que ses éléves. Quarto, il est composé de magis et sedere [s'asseoir], car un magister doit avoir un siège plus haut que n'importe lequel de ses élèves. Alors, il m'a demandé : — Dans quel auteur as-tu trouvé cela ? J'ai répondu que je l'avais lu dans le *Vademecum. Alors il a immédiatement cherché à contester ce livre en disant qu'il n’était pas authentique”. J'ai répondu : — Tu veux contester les *Anciens, et pourtant tu n'en connais pas de meilleur. À Cologne, je n'ai vu personne contester ce livre. Tu n'as pas honte ? Et je l'ai quitté avec une grande indignation. Donc, prenez note que je vais rentrer en Allemagne, car là-bas les maîtres sont des seigneurs, et à juste titre. Je le prouve par l'Évangile : 2. Il s’agit d'une disputatio scolastique en bonne et due forme, avec définitions et étymologies des termes employés, et citation des autorités. 3. Cette analyse en « modes » est une parodie de grammaire « modiste ». On lit effectivement dans une édition du *Catholicon de 1490 l'explication suivante de magister : « Maïster a maior et sterion quod est status componitur. Et dicitur Matister quasi maior in statione : sicut minister minor in statione. »

4. Cette plaisanterie s'explique par la note précédente, car l'homme obscur (qui ne connait évidemment pas le grec) a confondu sterion (oxepeóv = stature) avec rhérion (9np(ov = bête sauvage). 5. Rappelons que l’« authenticité » (authenticitas) d'un ouvrage signifiait qu'il était dû à un « auteur » (auctor), donc à une « autorité » (auctoritas) reconnue. Il allait de soi que les auteurs les plus « authentiques » étaient les Anciens.

LROMUS

UT ERIST#25

463

«Tu velles esse ita bonus sicut ego, cum tamen non stetistis in examine sicut ego, ubi quinque magistri rigorose examinaverunt me, et ergo es magister bullatus. » Tunc incepit disputare mecum dicens :

« Quid est magister ? » Respondi : « Est persona qualificata, promota et graduata in septem artibus liberalibus præcedente examine magistrali, privilegiata quod potest portare annulum aureum et sericum sub cappa, habens se ad suos discipulos sicut rex ad suum populum. Et Magister dicitur quatuor modis : uno modo a magis et ter, quia magister ter magis debet scire quam simplex persona ; secundo dicitur a magis et terreo, quia Magister debet esse terri-

bilis in conspectu suorum discipulorum ; tertio a magis et theron, id est status, quia magister in suo statu debet esse maior quam sui discipuli ; quarto a magis et sedere, quia magister debet esse maior in sua sede quam aliquis suorum discipulorum. Tunc ille interrogavit « quis est autor ? » Respondi quod legi in Vade mecum. Statim ipse voluit reprehendere illum librum et dixit quod non est autenticus. Respondi : « Tu vis reprehendere illos antiquos, et tamen tu non scis melius. Ego neminem vidi Coloniz reprehendere talem librum. Non habes verecundiam ? » Et cum indignatione magna recessi ab eo. Et ergo notetis quod volo redire in Almaniam, quia ibi magistri sunt domini, Et merito. Probo per Evangelium.

464

VOLUME

II, LETTRES

23-24

car le Christ s’est lui-même nommé maître et non pas docteur, quand il a dit : «Vous m'appelez Maître et Seigneur, et vous faites bien, car je le suis. » Mais je ne peux pas écrire plus longtemps, car je n'ai plus de papier, et il y a loin d'ici au *Campo dei fiori. Portez-vous bien. Donné à la Cour de Rome.

24 (Ceux de Rostock soutiennent Reuchlin)

Maitre Philippe Mesue! à Maitre Ortwin Gratius, son humble soumission en guise de salut.

Vénérable Maitre, Puisqu'en effet je vous ai promis de vous écrire tout ce que j'entends et vois à propos de votre procès, qui est nommé à juste titre procès en *matière de religion car il concerne universellement la religion chrétienne, sachez donc que primo, quand je suis arrivé ici, les maitres m'ont dit : — Quoi de neuf, quoi de neuf, Maitre Philippe ? Quoi de neuf à Cologne ? J'ai répondu que je ne savais rien de neuf, sinon que tout nouvellement les Seigneurs théologiens et l'Inquisiteur de la perversité hérétique? de l'ordre des précheurs avaient brûlé un livre hérétique intitulé les *Besicles de Jean Reuchlin. Maitre *Egbert de Harlem — qui est un homme savant et honnéte, et vous pouvez me croire quand je dis qu'il est impartial — a répondu en

disant : — Nous avons effectivement entendu dire ici qu'ils ont brülé ce livre. Mais nous avons aussi entendu dire qu'ils ont agi dans ce procés au mépris du droit et de la justice, et qu'ils ont commis un acte trés scandaleux, car nous avons aussi vu ici ce livre et il ne nous a semblé contenir aucune perversité hérétique. Mais, ce qui est plus grave, c'est que les théologiens ont rendu leur sentence alors que le procès était en suspens à la *Cour romaine, 6. Jean, XIII, 13.

1. Il y eut au xir siècle un médecin arabe fort estimé qui se nommait Jean Mesue de Damas. Hutten le cite élogieusement dans son traité sur la vérole : Le Mal français (De morbo gallico). 2. *Hochstraten.

TOMUS

II, EPIST.

23-24

Quia Christus etiam vocavit se Magistrum,

465

et non doctorem,

dicens : « Vos vocatis me magister et dominus, et bene dicitis. Sum etenim. » Sed non possum plus scribere, quia pro nunc non habeo amplius papirum. Et est longum ad Campum florz. Vale Datum in Romana Curia.

24 Magister Philippus Mesue Magistro Ortvino Gratio humilem subiectionem loco Salutis. Venerabilis Magister, Quoniamquidem promisi vobis omnia scribere quz audio et video in causa vestra, quz merito vocatur Causa fidei, quia universaliter concernit fidem Christianam, ergo sciatis quod primo quando veni huc, tunc Magistri dixerunt mihi : « Quid novi, quid novi, magister Philippe ? Quid novi de Colonia ? » Respondi quod nihil novi scio nisi quod noviter Domini theologi et Inquisitor hzreticz pravitatis de Ordine praedicatorum combusserunt unum librum hæreticalem qui intitulatur « Speculum Oculare Iohannis Reuchlin ». Respondit Magister Ecbertus de Harlem, qui est vir doctus et probus, et debetis mihi credere quod non est partialis, ipse dixit :

« Bene audivimus hic quod combusserunt illum librum. Sed etiam audivimus quod non debite et iusto modo processerunt in illa causa,

et commiserunt maximum scandalum, quia nos hic etiam vidimus talem librum, et non videtur nobis quod hæretica pravitas inest. Sed quod est maius, Theologi dederunt Sententiam quando causa pendebat in Curia Romana,

et Sanctissimus

commisit illam duobus

466

VOLUME

II, LETTRE

24

et que le Tres Saint-Pére avait commis deux cardinaux? à cette affaire et avait ordonné le silence aux deux parties. Or, les théologiens de Cologne ont brûlé ce livre malgré cela. Alors j'ai dit qu'ils l'avaient fait en raison des Parisiens* et des quatre autres universités? qui sont contre Reuchlin. Maitre Egbert a répondu : — Même si dix universités prenaient parti contre ce docteur, elles devraient quand méme se soumettre au souverain pontife, en tant que chef

de l'Église. J'ai répondu qu'on pouvait présumer qu'un si grand nombre d'universités ne se trompent pas. Il a répondu qu'« une telle présomption était sans valeur. Et croyez-moi, cette affaire finira mal. » Alors, je n'ai pas voulu continuer à répondre, mais j'ai dit : — Que ce soit a ou b, ca m'est égal ! Donc, Maitre Ortwin, je vous notifie que vous soyez prudent, car je crains que la sentence ne soit prononcée contre vous, car le pape est en colére. Et si en plus vous perdez votre procès à Rome, alors, le Diable tiendra la chandelle? ! Ceux de Rostock sont de grands ennemis des Parisiens, car les Parisiens ont un statut comme quoi ils n'acceptent pas les maîtres de Rostock dans leur faculté. Et du coup, ceux de Rostock n'acceptent pas les Parisiens. Mais vous savez peut-étre ce que vous devez faire. Je me recommande à vous. Donné à Rostock.

3. Les cardinaux *Grimani et *Accolti. 4. Les théologiens de la Sorbonne qui avaient condamné Reuchlin. 5. Les universités de Louvain, Cologne, Mayence et Erfurt. L'homme obscur mélange les différentes phases de l'affaire. C'est sans attendre le jugement de Spire que l'autodafé de l'Augenspiegel (non encore traduit en Speculum oculare) avait eu lieu. Quant aux deux cardinaux, ils n’ont été commis par Léon X qu'aprés que Hochstraten eût fait appel de la sentence de Spire. 6. Cette expression, traduisant « nu will der dufel die kertz halden ») se lit dans la * Défense de Jean Pfefferkorn contre les diffamatoires... (f? Eiv, reproduit dans Bócking, Suppl. I, p. 109). Nous dirions sans doute : « Satan ménera le bal ». Cf. lettres II, 30 et 38.

TOMUS

II, EPIST.

24

467

Cardinalibus et mandavit silentium ex utraque parte. Illo non obstante Theologi Colonienses combusserunt librum. » Tunc dixi quod fecerunt hzc propter Parrhisienses, et alias quatuor universitates quz sunt contra Reuchlin. Respondit Magister Ecbertus : « Etiam si X universitates

essent contra illum Doctorem,

tamen

debuerunt esse obedientes summo Pontifici tanquam capiti Ecclesiz. » Respondi quod prasumitur quod tot universitates non errant. Respondit ipse « quod talis præsumptio non valet. Et ergo credatis mihi quod istud negocium habebit malum finem. » Tunc non volui amplius respondere, sed dixi : « Sit a vel b, ego non curo. » Ergo, domine Ortvine, notifico vobis talia quod velitis esse cautus, quia timeo quod Sententia erit contra vos, quia papa est iratus : et si etiam Romæ perditis litem, tunc diabolus tenebit candelam.

Rostochienses sunt magni inimici Parrhisiensium, quia Parrhisienses habent unum statutum quod non accipiunt ad facultatem suam Magistros Rostochienses. Et sic Rostochienses etiam non accipiunt Parrhisienses. Sed vos forte scitis quid debetis facere. Commendo me vobis. Datum Rostock.

468

VOLUME

II, LETTRE

25

25 (Pfefferkorn n'est pas plus mauvais chrétien qu’Arnold de Tongres n’est sodomite, débat *quodlibétique)

Maître Adolphe Tintoreilles! à Maître Ortwin Gratius Des saluts tellement pour Maître Ortwin, qu'autant Ne peut en contenir cette lettre, nile messager les remettre, Que personne ne peut les dire ni personne les écrire. Et avec ça, je voudrais que vous soyez joyeux et que vous ne vous torturiez pas autant pour le procès en *matière de religion. Plus jamais je ne voudrais vous convaincre d’être triste et de vous donner du repos’. Ici, les gens me disent aussi beaucoup de choses, parce que je suis de Cologne. Mais j'en ris, comme si ça m'était égal. Et des fois, je leur réponds même en les insultant. C’est comme l’autre jour, quand un type (qui a pourtant vécu à Cologne il y a dix ans) m'a dit qu'il ne croyait pas que *Pfefferkorn soit encore un bon chrétien : car, disait-il, il l'avait vu l'année précédente et il puait encore comme un autre juif. Pourtant, on dit généralement que quand les juifs se font baptiser, ils cessent de puer. Donc il croit que Pfefferkorn garde encore une malignité derriére la téte?. Et alors que les théologiens croient qu'il est un excellent chrétien, en fait, il redeviendra juif. Et il ne faut pas avoir confiance en lui car tout le monde se méfie des juifs qui se font baptiser. Alors, j'ai dit : — Sacre Dieu ! vous voulez tirer argument de soupçons ! Les gens croient que les juifs baptisés sont de mauvais chrétiens, donc Pfefferkorn est un mauvais chrétien ? On ne peut pas conclure cela ! 1. Maitre Tintoreilles était un personnage traditionnel de la littérature goliarde. On le retrouve par exemple cité comme « auteur » d'ouvrages fantaisistes, en compagnie d'Eulenspiegel et du curé de Kalenberg, dans le pastiche de quodlibet « Des genres d’ivrognes » (Zarncke, p. 126). 2. L'homme obscur s'est empêtré dans son effet de style. Il a voulu faire précéder élégamment le verbe par l'adverbe en début de phrase, mais il s'est trompé de verbe. Il voulait évidemment dire : « Je voudrais vous convaincre de ne plus jamais étre triste... »

3. Dans sa * Défense contre les diffamatoires..., Pfefferkorn avait écrit que l’évêque de Mayence, Uriel von Gemmingen lui avait dit que Reuchlin « gardait une malignité judaique derrière les oreilles... » (« habuerit Iudaicum nequam post aures suas sedentem », f? Dir, reproduit dans Bócking, Suppl. I, p. 102).

TOMUS

II, EPIST. 25

469

25 Magister Adolphus Klingesor! Magistro Ortvino Gratio Salutis tantum sit Magistro Ortvino, quantum non potest in hac littera stare, et nuncius non potest portare, et nemo potest dicere, et nemo potest scribere. Et cum hoc etiam vellem quod essetis lætus et non cruciaretis vos sic in causa fidei. Ego nunquam suadeo vobis quod debetis esse ita tristis, sed permittatis vobis requiem. Ipsi etiam multa dicunt mihi hic, quia sum Coloniensis. Sed ego rideo quasi non curans. Aliquando etiam respondeo ipsis vexans eos iterum. Sicut nuper quando unus (qui etiam stetit Coloniae ante X annos) dixit mihi quod non credit quod Pfefferkorn adhuc est bonus Christianus. Quia dixit quod vidit eum ante unum annum et adhuc fœtebat sicut alius Iudaus. Et tamen dicunt communiter, quod quando Iudzi baptizantur, non amplius foetent. Ergo credit quod Pfefferkorn adhuc habet nequam post aures. Et quando Theologi credent quod est optimus Christianus, tunc iterum erit Iudzus, et fides non est ei danda, quia omnes homines habent malam suspicionem de Iudzis baptizatis. Tunc dixi : « Sancte deus, vultis arguere ex suspicionibus : homines credunt quod Iudzi baptizati sunt mali Christiani, ergo Pfefferkorn est malus Christianus ? Non sequitur.

1. De l'allemand klingen (= tinter) et Ohr (= l'oreille).

470

VOLUME

II, LETTRES

25-26

Parce que je pourrais aussi soupçonner *Not' Maitre *Arnold de Tongres d'étre sodomite, alors que ce n'est pas vrai, parce que, à Cologne, tout le monde pense qu'il est totalement vierge*. Cependant, je vous répondrai à cette objection : Vous dites que Pfefferkorn pue. Supposons que ce soit vrai (alors que je ne le crois pas et que je ne l'ai jamais entendu dire), je dis qu'il y a une autre cause à cette puanteur : c'est parce que Pfefferkorn, du temps qu'il était juif, était boucher”, et que généralement, les bouchers puent aussi. Alors, tous ceux qui écoutaient ont dit que c’est une bonne raison.

C’est pourquoi je vous prie de ne plus vous attrister pour cette affaire, car la tristesse de l'esprit dessèche les os. Portez-vous bien. Donné à Francfort-sur-Oder.

26 (A-t-on le droit de manger le poussin dans un œuf un vendredi ? débat *quodlibétique de restaurant) Henr Gueule-de-Mouton à Maitre Ortwin Gratius dit de nombreux saluts.

Avant que je parte pour la *Cour, vous m'avez dit que je dois vous écrire souvent et à l'occasion vous soumettre diverses questions théologiques, car vous sauriez mieux les résoudre que les *courtisans de Rome. Je demande donc maintenant à Votre Seigneurie ce que vous pensez de celle-ci : si le jour de Vénus, c'est-à-dire le vendredi ou, en d'autres termes le jour du jeüne, quelqu'un mange un œuf et qu’il y a un poussin dedans ? Car l'autre jour, au *Campo dei fiori, nous étions assis dans une auberge pour le repas, et nous mangions des œufs. Et moi, en ouvrant mon œuf, j'ai vu qu'il y avait un poussin dedans, et je l'ai montré à mon collégue. Alors il a dit : — Mangez-le vite avant que l'aubergiste ne le voie car, s’il le voit, il faudra lui donner un *carlin ou un *jules pour la volaille. 4. Sur ce théme, voir les lettres I, 13 et 45.

5. Comme il le reconnait lui-méme dans sa Défense contre les diffamatoires... (« eo quod te macellarium in Iudaismo », f? Miijv, reproduit dans Bócking, op. cit., pp. 158). 6. Citation du Livre des Proverbes, XVII, 22.

TOMUSIIDIEPIST?

25-26

471

Ego etiam possem suspicari quod magister noster Arnoldus de Tungari esset zodomita : sed tamen non esset verum, quod Colonia omnes tenent quod est purus virgo. Sed respondebo vobis ad illud obiectum : Vos dicitis quod Pfefferkorn fœtet. Posito casu quod est verum, sicut non credo, neque unquam intellexi, dico quod est alia causa huius foetoris. Quia Ioannes Pfefferkorn, quando fuit Iudæus, fuit macellarius, et

macellarii communiter etiam foetent. » Tunc omnes qui audiverunt, dixerunt quod est bona ratio. Sic etiam rogo vos quod non velitis nimis tristari in illa causa, quia spiritus tristis exsiccat ossa. Valete. Datum Franckfordiæ ad Oderam.

26

Henricus Schaffsmulius! Magistro Ortvino Gratio salutem plurimam dicit.

Cum priusquam ambularem ad Curiam, dixistis mihi quod sæpe debeo vobis scribere et aliquando debeo dirigere alias quaestiones Theologicales ad vos. Tunc vultis mihi eas solvere melius quam Curtisani Romz. Ergo nunc quæro dominationem vestram quid tenetis de eo, quando unus in die Veneris, id est feria sexta, vel alias quando est ieiunium, comedit ovum et est pullus intus ? Quia nuper in Campo floræ sedimus in uno hospitio et fecimus collationem, et comedimus ova. Et ego aperiens ovum vidi quod iuvenis pullus est in eo. Et ostendi socio meo, tunc ipse dixit :

« Comedatis cito antequam hospes videt, quia quando videt, tunc oportet ei dare unum Carlinum vel Iulium pro gallina.

1. De l'allemand Schaf (= mouton) et Maul (= gueule).

472

VOLUME

II, LETTRE

26

Car c'est l'habitude ici que, quand l'aubergiste pose quelque chose sur la table, il faut le payer, car ils ne veulent rien reprendre. Et s'il voit qu'il y a une jeune poule dans l’œuf, il dira : « Payez-moi aussi la poule ! », car il facture une petite autant qu'une grande. Et j'ai immédiatement bu l’œuf, avec le poussin à l'intérieur. Et aprés, j'ai réfléchi que c'était vendredi, et j'ai dit à mon collégue : — Vous m'avez fait faire un péché mortel en me faisant manger de la viande le vendredi ! Et il a dit que ce n'était pas un péché mortel, ni méme un véniel!, car le poulet n'est pas d'une autre nature que l'ceuf, tant qu'il n'est pas né. Et il m'a dit que c'est la méme chose avec les fromages, dans lesquels il y a quelquefois des asticots, et dans les cerises, les pois ou les fèves fraîches, que l'on mange pourtant les vendredis et même les veilles des fêtes des apótres?. Les aubergistes sont tellement ladres qu'ils disent que c'est de la viande, pour en tirer plus d'argent. Alors, je suis parti et j'ai réfléchi là-dessus. Et par Dieu ! Maitre Ortwin, je suis trés perturbé et je ne sais pas quelle conduite tenir. Si je demandais conseil à un courtisan, je sais qu'ils ne sont pas de bon conseil. Il me semble que ces jeunes poules dans les ceufs sont de la viande, car la matière est déjà formée et figurée dans les membres et le corps de l'animal et elle a un esprit vital. Il en va différemment pour les asticots dans les fromages et ailleurs, car les vers sont supposés être de la même nature que les poissons, comme je l'ai entendu dire par un médecin, qui est un très bon naturaliste. Donc, je vous prie vraiment du fond du cœur de bien vouloir répondre à la question proposée, car, si vous considérez que c’est un péché mortel, alors je vais acheter une absolution ici, avant de rentrer en Allemagne. Il faut aussi que vous sachiez que *Not' Maître Jacques de *Hochstraten a retiré mille *florins de la banque. Et je crois qu'il gagnera son procès et que le Diable confondra ce Jean Reuchlin et les autres *poétes et les juristes, car ils se déclarent contre l'Église de Dieu, c'est-à-dire contre les théologiens, sur lesquels l'Église est bátie, ainsi que le Christ a dit : « tu es Pierre et sur

cette pierre je bátirai mon église »*. Ainsi, je vous recommande au Seigneur Dieu. Portez-vous bien. Donné dans la cité de Rome. 1. Les péchés véniels pouvaient étre pardonnés par un confesseur quelconque. Les péchés mortels ne pouvaient étre absous que par l'évéque. Ainsi, si l'on mourait en état de péché mortel, c'était l'Enfer garanti. 2. Et particuliérement le « jour des apótres », le 15 juillet. 3. En 1514, les théologiens lui avaient fait parvenir à Rome 1 500 gulden. 4. Ce fameux calembour, qui était censé justifier la suprématie de l'Église de Rome sur toutes les autres (en particulier sur celle de Constantinople), provient de Matthieu XVI, 18.

TOMUS

II, EPIST.

26

473

Quia est hic consuetudo quod quando hospes ponit aliquid ad tabulam, tunc oportet solvere, quia non volunt recipere. Et si videt quod iuvenis gallina est in ovo, ipse dicit : *Solvatis mihi etiam gallinam", quia computat parvam, sicut magnam. » Et ego statim bibi ovum, et simul illum pullum intus. Et postea cogitavi quod fuit dies Veneris, et dixi socio meo : « Vos fecistis quod feci peccatum mortale comedendo carnes in feriis sextis. » Et dixit ipse, quod non est peccatum mortale, immo non est peccatum veniale, quia ille pullaster non reputatur aliter quam ovum, donec est natus. Et dixit mihi quod est sicut de caseis in quibus aliquando sunt vermes, et in cerasis, et in pisis et fabis recentibus, sed tamen comeduntur in sextis feriis, et etiam in vigiliis Apostolorum. Hospites autem ita sunt pultroni quod dicunt quod sunt carnes, ut habeant plus pecuniam. Tunc ego abivi et cogitavi desuper. Et per deum, Magister Ortvine, ego sum multum turbatus et nescio quomodo debeo me regere. Si vellem libenter consilium quærere ab uno curtisano, tunc scio quod non habent bonas conscientias. Videtur mihi quod istæ iuvenes gallinæ in ovis sunt carnes, quia materia est iam formata et figurata in membra et corpus animalis, et habet animam vitalem. Aliud est de vermibus in caseis et aliis, quia vermes reputantur pro piscibus, sicut ego audivi ab uno

medico qui est valde bonus Phisicus?. Ergo rogo vos multum cordialiter quatenus velitis mihi respondere ad propositam quzstionem. Quia si tenetis quod est peccatum mortale : tunc volo hic acquirere unam absolutionem, antequam vado ad Almaniam. Etiam debetis scire quod Magister Noster Iacobus de Hochstraten acquisivit mille florenos ex banco : et credo quod lucrabit causam, et

diabolus confundit illum Ioannem Reuchlin et alios poetas et iuristas, quia volunt esse contra Ecclesiam dei, id est contra Theologos, in quibus est fundata ecclesia, ut Christus dixit « Tu es Petrus et super hanc petram zdificabo ecclesiam meam. » Et sic commendo vos domino deo. Valete. Datum in Urbe Roma. 2x GEnIettrertis 2.

474

VOLUME

TII, LETTRE

27

2

(J^ai composé un petit poème en l'honneur de Hochstraten) Maitre Guillaume Lacigogne à Maitre Ortwin Gratius dit de nombreux saluts.

Comment se fait-il que vous me parlez beaucoup de vous dans vos lettres, et que vous ne m'envoyez pas une fois le livre! que vous avez écrit contre Jean Reuchlin ? De plus, vous m'écrivez que vous avez été bien inspiré quand vous avez écrit ce livre, et que vous croyez qu'un livre comme celui-là aura beaucoup de succés, à tel point qu'un imprimeur vous en a offert vingt *florins pour que vous le lui remettiez pour l'imprimer. Et vous m'écrivez que vous allez m'en envoyer une copie, que je puisse la montrer ici aux *courtisans et aux *copistes. Comme ça, je pourrais leur faire honte, car ils ne veulent pas croire qu'en Allemagne, il y a des *poétes aussi bons qu'en Italie. Et ce serait bien bon que vous me l'envoyiez. Or, vous ne le faites pas alors que vous dites sans arrét que vous allez le faire. Et je vous implore de m'envoyer ce texte, ou ce livre. Car je veux faire honte à certains copistes, qui croient que personne ne sait rien, à part eux. Ici, ils critiquent méme mes poèmes quand j'en écris, et ils disent qu'ils ne sont pas bien composés. Vous jugerez si c'est vrai, car je vous en envoie ci-joint un que j'ai composé l'autre jour quand *Not' Maitre* Hochstraten est arrivé et je l'ai déposé au Pasquin? en l'honneur de ce docteur, car c'est un homme remarquable et il défend la religion catholique contre de nombreux hérétiques. Voici ce poème : Poéme de Maitre Guillaume Lacigogne, de *Deventer, qu'il a composé pour l'intronisation? du révérend pére, le frére Jacques de Hochstraten, Not’ Maitre de l’ordre des précheurs et inquisiteur de la perversité des hérétiques.

Que tout le monde apprenne ici, les vieux comme les petits, Qu'un de nos Not' Maitres un docteur excellent, en fait, Jacques de Hochstraten, l'appelle-t-on, et c'est vraiment son nom,

1. Les *Remarques... de 1514. 2. Les Romains de la Renaissance avaient coutume de glisser dans le « Pasquin » (une statue antique informe située près de la Piazza Navona) des poèmes satiriques, parfois trés violents, contre les autorités. D’où le nom de « pasquinades ». 3. Maitre Lacigogne veut sans doute parler de l'entrée solennelle de Hochstraten à Rome en 1514, avec trois chevaux (cf. lettre I, 12).

TOMUS

II, EPIST.

27

475

21

Magister Wilhelmus Storch! Magistro Ortvino Gratio salutem plurimam dicit. Quid est quod multum scribitis mihi de vobis et tamen non repræsentatis mihi semel illum librum quem scripsistis contra Iohannem Reuchlin. Et scribitis mihi quod habuistis bonum ingenium quando composuistis illum librum, et creditis quod talis liber erit multum notabilis, ita quod unus impressor voluit vobis dare viginti florenos quod mitteretis eum imprimere. Et scribitis mihi quod vultis mihi mittere copiam, quod debeo ostendere hic Curtisanis et copistis, et vexare eos, quia non volunt credere quod in Almania sunt etiam ita bene poetz sicut in Italia. Et esset bene bonum quod mitteretis mihi eum. Sed non facitis. Et tamen semper scribitis quod vultis facere. Et rogo vos quod velitis mihi mittere illud dictamen seu librum. Quia volo hic vexare aliquos copistas, qui credunt quod nemo scit aliquid quam ipsi. Etiam reprehendunt hic carmina mea quando aliqua scribo, dicentes quod non sunt bene compilata. Videatis tamen si est verum, quia hic mitto vobis unum quod composui nuper quando Magister Noster Hochstrat advenit et posui ad Pasquillum in honorem illius doctoris. Quia est vir singularis et defendit fidem Catholicam contra multos hæreticos. Et est tale carmen : Carmen Magistri Wilhelmi Storch Daventriensis quod composuit ad Intronisationem Reverendi Patris Fratris Iacobi de Hochstrat ordinis praedicatorum Magistri nostri et inquisitoris hæreticæ pravitatis. Notum sit hic omnibus parvis necnon senibus, Qualiter unus Magister noster, qui est doctus excellenter, Et vocatur Iacobus de Hochstraten, quod est suum proprium nomen,

1. Storch signifie « cigogne » en allemand.

476

VOLUME

II, LETTRE

27

Est arrivé dans cette cité où il se promène avec une grande gravité. Il arrive de l'Allemagne reculée oü des fromages il a récoltés* En grande quantité. Dans une université? Il a aussi été diplómé et en théologie on l'a qualifié Car il a débattu subtilement et composé des tas de syllogismes en Celarent et Baroco6, que tout le monde a trouvés très beaux. Les théologiens, en voyant ça, eux qui sont pleins d’ardeur pour la foi, Inquisiteur ils l'ont nommé contre l'hérétique perversité. Mais on pourrait demander aussi : « Qu'est-ce qu'il vient faire ici ? » Alors, attentivement il faut m'écouter, car je m'en vais vous le raconter : C'est qu'en Allemagne aussi il y a un certain docteur en droit Jean Reuchlin, il est nommé et par ce Not? Maitre il est cité Par-devant la *Cour romaine, car une thése il nous raméne

Qui n'est pas théologique mais qui parait hérétique, Car elle contient beaucoup de propositions — scandaleuses pour la religion. Il faut que vous sachiez aussi que son livre favorise les juifs C'est pourquoi il est suspecté. Donc, par cet inquisiteur ayant été examiné, Au feu il a été condamné et son auteur doit se rétracter. Ce livre, il faut que vous l'appreniez, les *Besicles est nommé. Mais ce Not’ Maitre déjà s’amène à la Cour romaine. I! va cette affaire achever car les théologiens ne l'ont pas laissé en paix Jusqu'à ce qu'il se mette en piste pour perdre ce juriste Vous devez donc l'honorer, et avec respect le saluer Quand il passe devant vous car pour les *débats, il vous enfonce tous, Et sur les premiéres intentions ' c’est vraiment un champion. Les mêmes disent que ce poème n'est pas correctement composé (en d'autres termes réparti) pour «le nombre de» ses pieds. Je leur dis : — Qu'est-ce que j'ai à faire des pieds ? Je ne suis pas un *poéte profane, mais théologique, et je me fiche de respecter ces puérilités. En revanche, je me soucie du contenu. C'est pourquoi, Seigneur Ortwin, il faut de toute facon que vous répondiez à ce texte et que vous mettiez vos lettres à la banque.

4. Voir à ce sujet la lettre I, 5.

5. L'université de Cologne. 6. Formules mnémotechniques de trois syllabes utilisées pour retenir les formes des syllogismes. Chaque voyelle représentait un type de proposition, et leur enchainement représentait donc un type particulier de syllogisme. 7. L'« intention première » (acte de compréhension signifiant des choses qui ne sont pas des signes) était une notion clé pour les scolastiques de toutes les tendances. Leurs ennemis la considéraient comme une pure fiction philosophique.

TOMUS

II, EPIST.

27

477

Est in hac Civitate, et vadit cum magna gravitate. Sed venit ex Almaniz partibus, ubi collegit multos caseos In magna quantitate; etin una universitate Tandem fuit graduatus, et in Theologia qualificatus ; Quia ibi subtiliter disputavit, et multos sillogismos formavit In Baroco et Celarent, ita ut omnes admirarent. Quod videntes ibi Theologi, qui sont in fide zelosi,

Fecerunt eum inquisitorem, contra hæreticam pravitatem. Sed posset aliquis querere, « Quid vult talis hic facere ? » Advertatis diligenter, quia dico vobis libenter : Est ibidem in Almania unus doctor in iuristria, Qui Iohannes Reuchlin vocatur. Ille per hunc Magistrum [nostrum citatur Ad Romanam Curiam, quia scripsit unam materiam, Quz non est Theologicalis, sed videtur esse hæreticalis, Quia habet multas propositiones in fide scandalizativas. Et debet notum esse vobis,

quod ille liber favet Iudzis,

Et propterea est suspectus. Ergo nuper ab illo inquisitore perlectus, Fuit ad ignem damnatus, et autor ad revocationem vocatus. Etiam sciatis istum librum Speculum Oculare dictum. Sed ille magister noster iam venit ad Romanam curiam Ad perficiendum illud negocium, quia Theologi non permiserunt [ei ocium, Donec huc veniret, et faceret quod ille iurista periret. Ergo debetis eum honorare, et reverenter salutare, Quando est vobis obvius. Quia est valde disputativus, Et quantum ad primas intentiones paucos habet similes.

Ipsi dicunt quod non est recte compositum seu comportatum in pedibus sui : Et ego dixi : Quid ego curo pedes ? Ego tamen non sum poeta sæcularis, sed Theologicalis, et non curo nec habeo respectum ad ista puerilia, sed tantum curo sententias : Quapropter, domine Ortvine, debetis mihi omni modo respondere ad hoc dictamen, et debetis litteras ponere in bancum.

478

VOLUME

II, LETTRES

27-28

Je vais aussi vous donner des nouvelles, comme quoi des gens que l'on appelle des Espagnols marchent sur la Lombardie. Et ils disent que l'empereur veut chasser le roi de France. Et ce ne serait pas bon pour Not’ Maitre Jacques de Hochstraten, car il sollicite l'intervention du roi de France pour l'appuyer dans son affaire auprés de Sa Sainteté, et le roi trés chrétien réclame beaucoup pour lui, pour l'honneur de l'université de Paris qui serait

trés mortifiée que l'on ne brüle pas les Besicles. Pour l'instant, je n'en sais pas plus. Portez-vous dans la joie. Donné à Rome.

28 (Je réfute dix thèses d’un reuchliniste, argumentaire théologique)

Maitre Bernard M'as-tu-vu, l'un des plus humbles, à Maitre Ortwin Gratius, salut. Honorable, c'est-à-dire important Monsieur,

Bien que je ne vous connaisse pas personnellement, je vous connais néanmoins de réputation. En effet depuis longtemps j'ai entendu parler de votre procès, que l'on appelle procès en matière de religion contre Jean Reuchlin, et j'ai avec moi tout le dossier. Et tous les jours j'en débats avec des *courtisans et des *copistes qui défendent Jean Reuchlin. Et quand ce *chargé de cours, qui emporte la présente, m'a dit qu'il allait en Allemagne et qu'il devait passer par Cologne, j'ai dit : — Alors, grand Dieu ! je vais prendre contact avec Maitre Ortwin et lui écrire un mot. Alors, il a dit : — Ô par Dieu ! faites-le ! Cela lui fera trés plaisir. Car il m'a dit, quand jai quitté Cologne : « Dites à tous les théologiens, aux maîtres, aux *artiens et aux “poètes qui se trouvent à Rome qu'ils m'écrivent, car j'aime beaucoup que des personnages savants et bien qualifiés m'écrivent des mots. Car

1. Ce personnage est déjà mentionné dans la lettre II, 1.

TOMUS

II, EPIST.

27-28

479

Etiam volo vobis nova scribere, quod quidam homines qui vocantur Hispani, vadunt ad Lombardiam : et dicunt quod Imperator vult expellere regem Franciz, quod non esset bonum pro Magistro Nostro de Hochstraten, quia ipse per regem Franciz sollicitat negocium suum apud Sanctissimum, et Christianissimus rex multum petit pro €o, propter honorem universitatis Parrhisiensis, quz scandalizaretur ex hoc, si Speculum Oculare non combureretur. Sed iam nihil magis scio. Valete in gaudio. Datum Roma.

28

Magister Bernhardus Gelff! unus ex minimis Magistro Ortvino Gratio salutem.

Honorabilis seu præstans vir, Quamvis non habeo notitiam vestri quoad personam, tamen quoad famam novi vos. Et iamdudum est quod intellexi de Causa vestra qua& vocatur Causa fidei contra Iohannem Reuchlin, et habeo mecum totum processum. Et disputo cottidie cum Curtisanis et Copistis qui defendunt Iohannem Reuchlin. Et quando iste Cursor praesentium lator dixit mihi quod vult ire ad Almaniam et per Coloniam habet facere iter, dixi : « Tunc per deum sanctum ego volo contrahere notitiam cum Magistro Ortvino et scribere ei unum dictamen. » Tunc ille dixit : « O per deum faciatis ! Ipse multum gaudebit. Et dixit mihi quando exivi Coloniam : “Dicatis omnibus Theologis et magistris et Artistis et poetis qui sunt Romz, quod scribant mihi, quia libenter habeo quod docti viri et qui sunt bene qualificati, scribunt mihi dic-

1. De l'allemand Ge/ff (= vantardise).

480

VOLUME

II, LETTRE

28

quand ils m'écrivent, alors je rassemble leurs lettres, et ensuite j'en fais un

livre et je les fais imprimer?. » Je lui ai répondu : — Je le sais bien, car j'ai bien vu un livre qui s'appelle Lettres des hommes obscurs, qui me donne beaucoup de plaisir quand je le lis, car il est remarquablement bon et il traite de beaucoup de sujets nombreux et variés. Donc, Maitre Ortwin, je supplie Votre Seigneurie qu'elle veuille bien que je me recommande à elle, car je suis votre extraordinaire partisan, et je vous aime incroyablement. Vous pourriez aussi me recommander à Jean *Pfefferkorn, jadis juif, mais par bonheur aujourd'hui baptisé dans le Christ. Son livre, qui s'intitule * Défense de Jean Pfefferkorn contre les diffamatoires, m'a été envoyé d'Allemagne et je l'ai lu en entier et j'y ai ajouté des notes et des commentaires dans la marge. Je tiens ce livre en haute estime. Cependant, vous devez lui dire qu'il y a ici un *official de la Cour, qui est un partisan inconditionnel de Jean Reuchlin?. Il a rassemblé quelques articles de ce livre de Jean Pfefferkorn et il veut prouver que ces articles contiennent des éléments tantót hérétiques, tantót de lése-majesté. Et il dit méme qu'il veut lancer une instruction contre Jean Pfefferkorn pour hérésie et crime de lése-majesté*. Je vous envoie ci-joint une note contenant ces articles, suivis des réfutations que j'ai rédigées contre ces conclusions, car j'ai débattu avec cet official et j'ai défendu Jean Pfefferkorn du mieux que j'ai pu. Ainsi, portez-vous bien et considérez moi comme votre relation et votre ami. Donné à la Cour de Rome. Articles extraits du livre de Jean Pfefferkorn contre Reuchlin et certains reuchlinistes, qui est intitulé Défense de Jean Pfefferkorn contre les diffamatoires. Ces articles sont désignés par les reuchlinistes comme hérétiques et contenant le crime de lèse-majesté, ce qui grâce à Dieu n’est, ne fut et ne sera pas la vérité.

2. Gratius espérerait ainsi rivaliser avec Reuchlin, qui avait publié en 1514 un recueil de lettres nommé *Lettres des hommes célèbres (Clarorum virorum epistolæ). Ces lettres, tant en latin

qu’en grec et en hébreu, lui avaient été envoyées par les plus illustres intellectuels de l’époque, avec lesquels il était en relation. 3. Sans doute Jacques de *Questenberg, secrétaire pontifical, qui était un vieil ami de Reuchlin. 4. Crime dont Reuchlin avait été accusé par Pfefferkorn dans sa Défense...

TOMUS

II, EPIST.

28

481

taminas. Et quando sic scribunt mihi, tunc ego colligo illas litteras, et postea facio unum librum ex illis, et facio eas imprimere." » Respondi ei : « Bene scio, quia vidi bene unum librum qui intitulatur Epistola Obscurorum virorum, et multum delectat me quando lego, quia est notabiliter bonus, habens in se de multis materiis hincinde. » Ergo, Magistrer Ortvine, rogo Dominatio vestra velit me habere commendatum, quia sum mirabilis fautor vester, et amo vos incredibiliter. Etiam debetis me commendare Iohanni Pfefferkorn quondam Iudzo, sed nunc feliciter in Christo baptizato. Liber suus qui intitulatur « Defensio Iohannis Pfefferkorn contra Famosas » est mihi portatus ex Almania, et legi eum per totum, et signavi notabilia et Continuationes in margine. Et multum teneo de tali libro. Sed debetis ei dicere quod est hic unus Officialis curiz qui est singularissimus fautor Iohannis Reuchlin. Ipse collegit aliquos articulos ex tali libro Iohannis Pfefferkorn, et vult probare quod in talibus articulis partim est hæresis, partim Crimen læsæ Maiestatis. Et dicit quod vult quod fiat inquisitio contra Ioannem Pfefferkorn de hzresi et Crimine lzsa Maiestatis. Mitto vobis hic unam schedulam in qua scribuntur illi articuli, et consequenter contra ipsos Solutiones quas ego replicavi. Quia disputavi cum illo Officiali et defendi Ioannem Pfefferkorn pro posse

meo. Et sic valete habens me pro noto et Amico vestro. Datum in Curia Romana.

Articuli extracti de libro Iohannis Pfefferkorn contra Reuchlin et quosdam Reuchlinistas qui liber intitulatur Defensio Iohannis Pfefferkorn contra Famosas. Et sunt tales Articuli a Reuchlinistis excerpti pro hæreticis et habentibus in se Crimen lesa Maiestatis quod fovente deo non est nec fuit nec erit verum.

482

VOLUME

II, LETTRE

28

Article premier

Le reuchliniste dit que Jean Pfefferkorn, dans son livre intitulé Défense de Jean Pfefferkorn contre les diffamatoires, dans sa lettre au Trés Saint-Père le Seigneur *Léon, etc. Souverain Pontife, blasphéme et commet un crime de lèsemajesté en appelant le pape ministresse du Seigneur, comme s’il était une femme, de la méme façon que nous lisons qu'une fois, une femme avait été élue pape’. Il a en effet écrit en Aij. Col. i. : « si bien que Ta Sainteté, comme tenant lieu de Notre Seigneur sur la terre et sa ministresse. »° Cet article contient également un élément hérétique, car Pfefferkorn veut y insinuer — bien que pas explicitement, mais implicitement —, que toute 1"Église se serait trompée en créant une femme pape, car cette erreur est énorme. Or, celui qui dit que 1"Église se trompe est hérétique de facto. CQFD. Je réponds que Jean Pfefferkorn, qui n'est pas bon en *grammaire et ne connaît pas le latin, a cru que « Pape » [Papa”] est du genre féminin, comme « Muse » [Musa], car, comme il l'a entendu répéter par les autres : «les noms en -a sont du

genre féminin, sauf exception », d’où ce vers d'* Alexandre : « Considère les noms en -a comme féminins, sauf les nombreuses excep-

tions. »? D'ou il appert que Jean Pfefferkorn, dans le présent traité, écrit comme un théologien, mais les théologiens se fichent de la *grammaire, car on ne l'enseigne pas dans leur faculté?.

5. Il s'agit évidemment de la fameuse « papesse Jeanne ». Diverses légendes, fort populaires au Moyen-Age, racontaient que cette jeune (et belle) Anglaise, née

à Mayence, avait vécu et

s'était instruite à Athénes sous l'habit bénédictin. Devenue cardinal(e), elle fut élue pape(sse) en 855, puis mourut en couches quelques mois plus tard. Sa vie et ses faits héroiques sont notamment racontés par le Pseudo-Anastase. 6. Le texte complet de la phrase est : « Tuam itaque sanctitatem, velut domini nostri locum in terris tenentem, ac ministram et ducem universalis ecclesie suppliciter invoco. » (Bócking, Suppl. I, p. 84). Le rédacteur du texte s'est curieusement laissé « contaminer » par le féminin sanctitatem. Cette erreur est d'autant plus étrange que cette lettre d'adresse à Léon X n'existe que dans l'édition latine et que son auteur réel était trés certainement un universitaire diplómé (sans doute Gratius). 7. Pfefferkorn, qui ignore tout du latin, aurait cru que les noms masculins terminés en —a étaient des féminins. 8. *Manuel, v. 531. C'est le premier vers du chapitre IV, traitant des genres et des nombres. 9. Cette fausse réfutation vise donc à ridiculiser Gratius, traducteur de la Beschyrmung, qui se qualifiait de professeur de *Bonnes lettres.

TOMUS

II, EPIST.

28

483

Primus Articulus.

Dicit Reuchlinista, quod Ioannes Pfefferkorn in libro suo qui intitulatur « Defensio Ioannis Pfefferkorn contra famosas », in Epistola ad Sanctissimum dominum Dominum Leonem .etc. Pontificem Maximum blasphemat et committit Crimen lesæ maiestatis appellando Papam ministram domini, quasi sit femina, sicut legimus quod semel una femina fuit

papa : Sic enim scripsit Aij. col. i. : « Tuam itaque sanctitatem, velut domini nostri in terris locum tenens ac ministram. » Etiam habet in se heresim iste articulus : quia vult ibi Pfefferkorn innuere, licet non expresse, tamen implicite, quod tota ecclesia erraverit faciendo mulierem in papam ; quia ille error est maximus. Sed qui ecclesiam dicit errare, de facto est hereticus : ergo. Respondeo quod Iohannes Pfefferkorn qui non est bonus grammaticus et non intelligit latinum, putavit quod Papa est generis feminini, sicut Musa, quia ut ipse audivit ab aliis « Nomina

in a sunt generis feminini

exceptis excipiendis ». Unde Alexander :

Sit tibi nomen in a muliebre, sed excipe plura. Unde patet quod Iohannes Pfefferkorn in presenti tractatu scribit sicut Theologus ; sed theologi non curant grammaticam, quia non est de sua facultate.

484

VOLUME

II, LETTRE

28

Article second

Les reuchlinistes argumentent ainsi : Sean Pfefferkorn, dans de nombreux passages tels que À j. et K üÿ., quand il veut jurer que quelque chose est vrai, dit : « Par ma fot? ! », comme s’il disait : « Par mon dieu la Foi ! ». En effet, « Par ma foi ! » signifie : « Mon dieu la Foi ! » ; D'où il est clair que Pfefferkorn est idolátre et ne considère pas le Christ comme son dieu, mais la «Bonne? Foi, qui était une idole chez les anciens paiens. Je réponds que Pfefferkorn a juré ici « Par ma foi ! » sans préter attention au terme « Foi », qui est parfois le nom propre d'une idole, mais qu'il a utilisé ce terme en tant qu'adverbe. Et c'est ce que l'on trouve dans *Donat, qui est une autorité et qu'on enseigne à l'école : dire « Par ma foi ! », c'est la méme chose que dire « certainement ! », ou « sérieusement ! » Ou bien, disons comme ci-dessus, que Pfefferkorn se fiche de la grammaire. Ou bien, disons que « Par ma foi ! » est synonyme de « Ma foi ! », et d'ailleurs je l'ai entendu dire par un *poéte. Article troisième

Le reuchliniste dit : Celui qui dit qu’il soutient l'Église est un hérétique ; or, Jean Pfefferkorn dit qu'il soutient l’Église ; donc, il est hérétique.

Je démontre la majeure : Car celui qui dit qu’il soutient l’Église se vante de ce que toute l’Église est dans l'erreur et que, s'il ne la soutenait pas, elle tomberait et serait détruite. Il apparait méme étre un antipape, c'est-à-dire quelqu'un qui voudrait étre le pape contre le pape que la communauté de l"Église a élu. Car soutenir l'Église, c’est la charge du pape ; or Pfefferkorn s'arroge cette charge ; donc, il est un antipape et un hérétique, en insinuant que le pape se trompe et n'est pas un bon pasteur. La mineure apparaît dans les mots de Tean Pfefferkorn qui écrit dans le méme livre « être un humble membre de l'Église. » Or, le membre humble du corps est le pied, car les pieds reposent sur l'humus, c'est-à-dire la terre. 10. L'antique formule latine Mediusfidius signifie littéralement : « Que le dieu «Bonne» Foi me «protege» ! » (cf. Cicéron, De Officiis, 3, 104). Ce dieu Fidius était considéré comme un fils de Jupiter.

TOMUS

II, EPIST. 28

485

Secundus Articulus.

Reuchlinistee arguunt : Ioannes Pfefferkorn in multis locis sicutÀ j. et K iij. quando vult iurare quod aliquid sit verum, dicit « mediusfidius », quasi diceret « per meum deum fidium ». Nam mediusfidius interpretatur « meus deus fidius » ; unde manifestum est, quod ipse Iohannes Pfefferkorn est idolatra et non habet Christum pro deo suo, sed Fidium qui fuit idolum apud veteres paganos. Respondeo quod Pfefferkorn iuravit ibi « mediusfidius » non respiciendo ad hunc terminum « fidius », quod est forsitan proprium nomen alicuius Idoli, sed ipse utitur illo termino in quantum est Adverbium. Et sic ponit Donatus, qui est autenticus et legitur in scholis, et est dicere « mediusfidius », id est « certe » vel « seriose ». Vel dic, ut prius, quod Iohannes Pfefferkorn non curat grammaticam ; vel dic, quod « mediusfidius » idem est quod « per meam fidem », et sic audivi ab uno Poeta. Tertius Articulus.

Dicit Reuchlinista : Quisquis dicit se sustentare Ecclesiam, est heereticus ; Sed Iohannes Pfefferkorn dicit se sustentare Ecclesiam ; Ergo est heereticus. Maiorem probo, quia qui dicit se sustentare Ecclesiam, præsumit quod tota ecclesia est in errore, et nisi ipse sustentaret eam, caderet et destrueretur. Etiam talis videtur esse Antipapa, id est volens esse papa contra illum papam quem elegit communis ecclesia. Quia sustentare ecclesiam est officium Pape ; sed Pfefferkorn arrogat sibi hoc officium ; ergo est Antipapa et hereticus innuens papam errare et non esse bonum Pastorem. Minor patet ex verbis Iohannis Pfefferkorn qui scribit in eodem libro «se esse humile ecclesie membrum ». Sed humile membrum 1n corpore est pes ; quia pedes stant humi, id est in terra ;

486

VOLUME

II, LETTRE

28

De plus, les pieds soutiennent le corps, et sans les pieds, le corps tombe ; donc, Pfefferkorn se vante de ce que |"Église repose sur lui et qu'il soutient l"Église. Je réponds que Pfefferkorn ne prend pas les termes au sens strict de leur signification premiére. Or, il dit étre un membre, c'est-à-dire une partie de l'Église, de la méme façon que tout chrétien est considéré comme une partie de l'Eglise, ou encore en utilisant « membre » au sens large du terme. Et il utilise ici le mot « humble » pour « fervent » et « simple ». Dans sa lettre au pape, le méme Jean Pfefferkorn dit d'ailleurs : « Bien que je sois le moins digne, de méme à tes trés saints pieds, etc. » Donc, on ne peut pas en inférer que Pfefferkorn parle contre le pape.

Article quatriéme Le reuchliniste dit : Pfefferkorn considére que la religion chrétienne est fausse, et il l'affirme par ses propres paroles. C'est ainsi qu'il écrit méme, dans le livre susdit en D j. qu'il a dit à l’évêque de Mayence : « Si la religion chrétienne est vraie, Reuchlin ne m'aura fait aucune perfidie. » Or, ensuite, dans plus de deux cents passages, ainsi que dans ses autres livres, il qualifie Jean Reuchlin de perfide. Donc, il est trés évident qu'il veut faire entendre qu’il ne croit pas que la rehgion chrétienne soit vraie. Je réponds qu'il faut prendre ces paroles dans un sens limité : car, quand Pfefferkorn a dit « si la religion chrétienne est vraie », il faut sous-entendre : « et si Reuchlin est un vrai chrétien » ; car si Reuchlin était un vrai chrétien, il n'aurait jamais fait une telle perfidie. Mais, pour mieux dire, Jean Pfefferkorn veut dire ceci : « car nous sommes tous des hommes, et l'erreur est humaine ». Or, il a été immédiatement châtié par l’évêque et il a supporté avec patience cette correction en tant que pénitence ; car il écrit comment l'évéque lui a donné une gifle quand il a dit ces paroles. Ainsi, il a recu cette punition pour son péché.

TOMUS

II, EPIST.

28

487

pedes autem sustentant corpus et amotis pedibus cadit corpus : Ergo Dfefferkorn preesumit quod Ecclesia stat in se, et ipse sustentat ecclesiam. Respondeo quod Pfefferkorn non sumit terminos sic stricte, et prout in sua prima impositione significant. Sed dicit se membrum, id est partem ecclesiz, sicut omnis homo Christianus dicitur esse pars Ecclesie ; vel etiam « membrum » largo modo utendo terminis. Et sumitur ibi « humilis » pro devoto et simplici ; sicut etiam in Epistola ad Papam idem Iohannes Pfefferkorn dicit : « Quanquam minime dignus sum ut vel ad sacratissimos pedes tuos etc. » Ergo non debet intelligi quod Pfefferkorn loquitur contra Papam. Quartus Articulus.

Dicit Reuchlinista : Pfefferkorn tenet quod fides Christiana est falsa, et hoc suismet verbis affirmat. Sic etiam scribit se dixisse ad Moguntinensem Episcopum in libro prefato D j. : « Si fides Christiana est vera, Reuchlin nullam perfidiam mihi facturus est. » Sed postea plus quam in ducentis locis et etiam in alüis suis libris prius scriptis vocat Iohannem Reuchlin perfidum ; Ergo manifestissime dat intelligere quod non credat fidem Christianam esse veram. Respondeo quod illa verba sunt limitanda. Quia quando dixit Pfefferkorn : « si fides Christiana est vera », subintelligendum est : « et Reuchlin est verus Christianus » ; quia si Reuchlin fuisset verus Christianus, nunquam fecisset tantam perfidiam ; vel dico et melius quod Iohannes Pfefferkorn protunc ita sensit, quia omnes sumus homines et humanum est errare ; sed tunc statim fuit ab Episcopo castigatus et patienter tulit illam Correctionem faciens pænitentiam. Quia scribit quomodo episcopus dedit ei alapam quando dixit illa verba. Et sic habuit illam correctionem pro peccato suo.

488

VOLUME

II, LETTRE

28

Article cinquiéme Le reuchliniste dit : Pfefferkorn se fait plus grand que le Christ Car, dans ce livre, il est dit en F j. : « Reuchlin m'a trahi comme Judas a trahi le Christ, et bien pire. » C’est comme s’il avait dit : « C'est pire d’avoir trahi Pfefferkorn que le Christ. », ou bien : « Le Christ méritait plus d'étre trahi que Pfefferkorn. », ou encore : « Le Christ a été plus digne de passion que Dfefferkorn. » Or, dire de telles choses ouvertement est hérétique, comme chacun peut le toucher du doigt! !. Je réponds que, quand Pfefferkorn dit, à cet endroit, qu'il a été plus trahi que le Christ, il veut faire entendre que Reuchlin l'a livré!? à César. Or, le Christ n'a été livré qu'aux scribes et aux prétres!^, qui sont inférieurs à César. Ainsi, il apparait qu'il est pire, c'est-à-dire plus terrible, d'étre livré à César, plutót qu'aux prétres et aux scribes, qui n'ont pas un aussi grand pouvoir. Article sixiéme

Le reuchliniste dit : Pfefferkorn commet de nouveau un crime de lése-magesté, et cela, à plusieurs reprises : Il dit en effet en O j. : « Tous les amis et partisans de Tean Reuchlin, les princes et les autres savants et ignorants pèchent en ceci qu'ils soutiennent Jean Reuchlin. » Or, il y a en Allemagne au moins dix princes, y compris le Seigneur empereurl*, à Rome de nombreux cardinaux et évêques, et méme le Très Saint-Père le pape Léon, qui, l'autre jour, en lisant la lettre de Jean Reuchlin, a comblé de louanges un tel homme. Il a méme dit qu’il allait le défendre contre tous les frères . Et c'est aussi ce qu'ont dit les très révérends cardinaux de *SaintMarc, de *Saint-Georges et de *Saint-Chrysogone, ainsi que beaucoup d'autres. Je réponds que Pfefferkorn a fait cela pour l'amour de la vérité, qui est plus importante que le pape, l'empereur et tous les cardinaux, évéques et princes. Ainsi donc, dans sa protestation finale, en O iiij, voici comment il se justifie : 11. ché les 12. 13.

Comme l'apótre Thomas, selon le célébre récit de l'évangile de Jean XX, 27, qui a touplaies de Jésus pour se convaincre qu'il était ressuscité. Le texte latin joue sur le double sens du verbe trado, qui signifie « livrer », ou « trahir ». À l'empereur Maximilien.

14. Matthieu XX, 18 ; Marc X, 33.

15. Maximilien avait écrit à Léon X le 23 octobre 1514 pour défendre Reuchlin.

TOMUS

II, EPIST. 28

489

Quintus Articulus. Dicit Reuchlinista : Pfefferkorn facit se maiorem Christo ; quia in hoc libro sic dicit F j. « Sic me tradidit Reuchlin sicut Iudas Christum, et multo peius », quasi diceret : « peius est quod Pfefferkorn traditus est quam quod Christus », vel « magis merito Christus est traditus quam Pfefferkorn » ; vel « Christus dignior fuit passione quam Pfefferkorn. » Sed talia dicere ita aperte est heereticum, quod aliquis posset tangere cum digitis suis. Respondeo, quod quando Pfefferkorn ibi dicit, quod sit peius traditus quam Christus, vult intelligere, quod Reuchlin tradidit eum Caesari ; sed Christus tantum fuit traditus scribis et sacerdotibus qui sunt minores quam Casar. Et sic videtur esse peius, id est terribilius, quod aliquis traditur Cæsari quam Sacerdotibus et scribis qui non habent ita magnam potestatem. Sextus Articulus.

Dicit Reuchlinista : Pfefferkorn committit iterum Crimen lesce maiestatis, et hoc multiplici-

ter. Dicit enim O j. : « omnes amicos et fautores Iohannis Reuchlin, principes et alios doctos et indoctos peccare in hoc quod Iohanni Reuchlin favent » ; sed tales sunt in Germania bene X Principes et dominus Imperator met et multi Cardinales et Episcopi Rome ; et ipse sanctissimus dominus Papa Leo, qui nuper quando legit Epistolam Iohannis Reuchlin, multum laudavit talem virum, et dixit quod vult eum defendere contra omnes Fratres ; et talia dixerunt etiam Reverendissimi Cardinales sancti Marci et sancti Georgii et sancti Chrisogoni et alu plures. Respondeo quod Pfefferkorn fecit hoc amore veritatis quz est maior quam Papa et Imperator et omnes Cardinales et Episcopi et Principes. Et ergo in protestatione sua finali, O iiij. sic excusat se :

490

VOLUME

II, LETTRE

28

« Je me suis défendu moi-méme, guidé par la vérité et sans offenser qui que ce soit. Car, selon la prophétie de Jérémie : Maudit celui qui refuse le sang à son épée'^. Et il vaut mieux tomber entre les mains des hommes que dans les mains de Dieu tout-puissant. »!? Donc, il pense qu'il vaut mieux offenser le pape et l'empereur que la vérité, c'est-à-dire Dieu,

car Dieu est la vérité!?. Article septiéme Le reuchliniste dit : Pfefferkorn, dans le méme livre et dans un méme passage, commet l'hérésie et le crime de lèse-magesté : Car il dit en O j. colonne y. : « on ne combat pas ici par le glaive ni par les forces, le soldat ne part pas en campagne en brandissant la lance (ce qui est un crime d'orgueil) contre son roi, etc. » Il dit ainsi ici que faire la guerre et partir en campagne est un crime d’orgueil. Or, c'est ce que font le pape et l'empereur, comme ils l'ont toujours fait, tout comme beaucoup de ceux qui figurent sur le catalogue des saints. Donc, si partir en campagne était un crime d'orgueil, alors ces saints et l'empereur actuel et méme le pape seraient en état de péché mortel, et par conséquent, l"Église qui les considère comme des saints, se tromperait. Donc, Dfefferkorn se porte directement en faux contre les droits canonique et civil, contre l'empereur et le pape, contre l'Église et 1"Empire. Je réponds que ces mots doivent étre pris au sens restrictif, et qu'il faut comprendre que les guerriers en armes et ceux qui vont en campagne commettent un crime d'orgueil dans la mesure où ils font du tort à d'autres sans juste cause. Alors que, quand l'empereur et le pape font la guerre, alors il faut supposer qu'ils la font pour la défense de l'Église et de l'empire. Ainsi, Pfefferkorn ne les critique pas. Article huitiéme

Le reuchliniste dit : Pfefferkorn prétend que l'empereur ment : car voici ce qu'il écrit en O ÿ., colonne j., contre Reuchlin : « F’affirme au 16. Citation de Jérémie XI VIII, 10. 17. Citation « bidonnée » de II Samuel (Vulgate : II Rois) XXIV, 14 qui dit exactement le contraire : « melius est ut incidam in manu Domini multæ enim misericordie eius sunt quam in manu hominis ». 18. Citation de I Jean V, 6.

TOMUS

II, EPIST.

28

491

« Meipsum duce veritate et sine alicuius offensione defendi. Nam Hieremiz vaticinio Maledictus qui prohibet gladium suum a sanguine ; et melius est incidere in manus hominum quam in manus omnipotentis dei. » Et ergo putat quod melius est offendere Papam et Imperatorem quam veritatem, id est deum. Quia deus est veritas.

Septimus Articulus. Dicit Reuchlinista : Pfefferkorn in eodem libro uno eodemque loco committit hæresim et Crimen læesæ maiestatis. Quia dicit O j. columna qj. « Non pugnatur hic gladio, non viribus, non hasta progreditur in campum (quod superbice Crimen est) cum rege miles .etc. » Ibi enim dicit quod bellare et ire in campum superbice crimen est ; sed hoc faciunt Papa et Imperator, et semper fecerunt, et etiam multi qui sunt in Cathalogo sanctorum. S1 ergo ire in campum esset Crimen superbice, tunc illi sancti et imperator modernus et etiam papa essent in peccato mortali, et per consequens erraret Ecclesia quee habet pro sanctis. Ergo Pfefferkorn directe est contra ius Canonicum et Civile, contra Imperatorem et Papam, contra Ecclesiam et Imperium. Respondeo quod hzc verba sunt limitanda, quorum talis erit intellectus quod bellantes cum armis et vadentes in campum committunt crimen superbie in quantum sine iusta causa aliis faciunt iniuriam. Sed quando Imperator et Papa gerunt bellum, tunc praesumitur quod faciunt pro defensione Ecclesie et Imperii ; et sic Pfefferkorn non reprehendit eos. Octavus Articulus.

Dicit Reuchlinista :

Pfefferkorn arguit Imperatorem quod mentitur, quia sic scribit O y. Columna j. contra Reuchlin : « Ego contra dico eum

492

VOLUME

II, LETTRE

28

contraire qu’il est un traître pour Dieu et pour les hommes et pour la majesté de César un conseiller perfide. » Par ces mots, il s'oppose clairement à l'empereur et le traite de menteur ; car le Seigneur empereur, dans sa lettre au pape, ainsi que dans de nombreux mandements et ordonnances variés, nomme Reuchlin son fidéle conseiller et consultant. Comment pourrait-il donc faire un pire blasphème que le traiter de menteur ? D'où il a mérité sans rémission la peine de lése-magesté. Je réponds qu'il faut faire une distinction dans ce texte, en le ponctuant, en mettant deux points aprés le mot « majesté », car Reuchlin est peut-être fidèle consultant de l'empereur pour ses affaires, mais il n'a pas été fidele à Jean Pfefferkorn, ainsi qu'il le prouve par de nombreux arguments. Donc, personne ne peut penser que Jean Pfefferkorn parle contre l'empereur, car il est lui-même un bon sujet de l'Empire, comme il apparait dans ses livres variés, en allemand et en latin. Article neuviéme

Le reuchliniste dit : Ce qui est le pire de tout, grandissime, terriblissime, horriblissime, diaboliquissime et infernalissime, c'est que Jean Dfefferkorn critique le pape et la *Cour, en les accusant du crime de fausseté : Il écrit en effet en I. iiy. : « D'ailleurs, toutes ces choses, c'est-à-dire l'ordon-

nance? qu’il [Reuchlin] a obtenue de la cité de Rome, de façon injuste, et méme injustissime, le Maître de la perversité hérétique?? n'en a eu cure, etc. » Or, c'est le pape qui lui a donné cette ordonnance, donc, c’est le pape que Pfefferkorn accuse de ne pas bien administrer sa justice, ce qui est tellement hérétique que cela mériterait trois büchers. Je réponds : Pfefferkorn ne dit pas ici que le pape ou la Cour romaine a donné injustement cette ordonnance. Mais il veut faire entendre que Reuchlin l'a obtenue injustement. Donc, c'est Jean Reuchlin qu'il qualifie d'injuste et non le pape. Article dixiéme

Le reuchliniste dit : Dfefferkorn a de nouveau commis le crime de lése-majesté,

19. Sans doute s'agit-il du jugement de Spire du 29 mars 1514, condamnant Hochstraten. 20. Hochstraten.

TOMUS

II, EPIST.

28

493

esse proditorem dei et hominum et Ceesarece maiestatis perfidum consultorem. » In his verbis aperte tenet oppositum Imperatori et vocat eum mendacem. Quia dominus imperator in Epistola sua ad Papam, et etiam in multis mandatis et commissionibus hincinde vocat Iohannem Reuchlin suum fidelem consiliarium et consultorem. Quomodo ergo posset maiorem blasphemiam facere, quam vocare eum mendacem ? Unde irremissibiliter meruit penam lesce Maiestatis. Respondeo quod iste textus distinguendus est, et punctandus ita ut post hoc verbum « Maiestatis » ponantur duo puncta. Quia Reuchlin forte est fidelis consultor imperatoris in suis rebus ; sed non fuit fidelis Iohannis Pfefferkorn, ut ipse probat multis argumentis. Et ergo nemo debet putare quod Iohannes Pfefferkorn loquitur contra imperatorem ; quia ipse est bonus imperialis, ut apparet in suis libris hincinde, teutonicis et latinis. Nonus Articulus.

Dicit Reuchlinista : Quod omnium maximum et grandissimum et terribilissimum et horribilissimum et diabolicissimum et infernalissimum est, Iohannes Pfefferkorn reprehendit Papam et Curiam, attribuendo eis Crimen falsi. Sic enim scribit I. ni. « Ceterum omnia heec, id est ipsius ex Urbe Roma commissionem, minus iuste, immo iniustissime acquisitam, hæreticæ pravitatis Magister non curavit .etc. » Sed Papa dedit illam commissionem ; ergo Papam vituperat Iohannes Pfefferkorn, quod non bene administrat iustitiam ; quod est ita hæreticum ut mereatur tres ignes. Respondeo : Pfefferkorn non dicit ibi quod Papa vel Curia Romana iniuste dedit illam commissionem ; sed vult intelligere quod Reuchlin iniuste acquisivit eam. Et ergo Iohannem Reuchlin appellat iniustum, et non Papam. Decimus Articulus.

Dicit Reuchlinista : Pfefferkorn iterum committit Crimen lesæe Mauestatis,

494

VOLUME

II, LETTRE

28

car il ment manifestement au sujet de l'empereur et de l'évéque de Cologne, car il dit qu’un certain inquisiteur de la perversité hérétique, sur ordonnance de Sa Majesté César, avec la signature de l’évêque de Cologne, a fait brûler les *Besicles à Cologne. Or, c'est totalement faux : car Sa Majesté César ne l’a pas ordonné, ni l’évêque ne l'a signé, car si l'empereur l'avait ordonné, il ne se mettrait plus en peine pour Reuchlin en écrivant au pape de prendre la défense de son conseiller contre les théologiens envieux et fourbes. Donc, Pfefferkorn est manifestement un faussaire, car il falsifie, c'est-à-dire ment, au sujet des ordonnances impériales. Je réponds qu'on ne s'occupe pas de l'évéque de Cologne, car il est

mort?!, En revanche, Pfefferkorn parle intentionnellement de l'empereur, et implicitement quant au premier projet de l'empereur. Car, primo, quand Jean Pfefferkorn a entrepris cette activité louable pour la cause de la religion, dans le but de faire brüler les livres des juifs, alors l'empereur avait l'intention, comme il apparait, de faire brüler tous les livres qui sont contraires à la religion chrétienne. Or, le livre de Jean Reuchlin est de ce type. Donc, il est apparu à l'empereur qu'il allait également donner l'ordre de le faire brûler. C'est pourquoi Pfefferkorn écrit que l'empereur en a donné l'ordre, bien entendu implicitement, et non pas explicitement ni expressément. Et il pense qu'il était suffisant que l'empereur ait donné une fois cet ordre pour les livres des juifs, parmi lesquels on compte aussi les livres hérétiques. Car j'ai entendu dire que, si l'empereur était demeuré dans cette louable intention, alors les théologiens auraient visité toutes les bibliothéques de toute l'Allemagne, et brülé tous les mauvais livres, particuliérement les livres de ces *nouveaux théologiens qui ne se fondent pas sur le *saint docteur, ni sur le *docteur subtil, ni sur le *docteur séraphique, ni sur *Albert le Grand. Chose qui eüt été vraiment louable et trés profitable. Mais je crois que cela se fera quand méme un de ces jours, avec l'aide du Tout-Puissant, qui régne

par tout, sur tout et en tout temps??. Amen.

21. Cf. lettre IL, 20, l'évéque Philipp von Eberstein était mort en aoüt 1515. 22. Paraphrase de l'Epítre aux Ephésiens IV, 6.

TOMUS

II, EPIST. 28

495

quia manifeste mentitur de Imperatore et Episcopo Coloniensi. Quia dicit quod quidam inquisitor hæreticæ pravitatis ex commissione Ceesarece Maiestatis cum appositione manus Episcopi Coloniensis combussit Speculum Oculare Colonie. Quod est falsissimum. Quia neque Cæsarea Maiestas commisit hoc, neque Episcopus unquam

apposuit manum : quia si imperator commisisset hoc, non iam laboraret pro Reuchlin scribendo ad papam, quod debet sibi Consiliarium defensum habere contra invidos et captiosos Theologos. Ergo Dfefferkorn manifeste est falsarius, quia falsificat seu mentitur commissiones imperiales. Respondeo quod de Episcopo Coloniensi non curatur, quia est mortuus. Sed de Imperatore Iohannes Pfefferkorn loquitur intentionaliter, et implicite quantum ad primam imperatoris mentem. Quia primo quando Iohannes Pfefferkorn incepit istud laudabile negocium in Causa fidei, ut faceret comburere libros Iudeorum, tunc imperator fuit intentionatus, ut videbatur, quod vellet comburere

omnes libros qui sunt contra fidem Christianam. Sed liber Iohannis Reuchlin est talis. Ergo imperatori videbatur quod vellet etiam eum committere ad comburendum. Igitur Pfefferkorn scribit quod imperator commisit, videlicet implicite, non explicite vel expresse. Et ipse putat quod satis fuit quod imperator commisit ei semel de libris Iudeorum, sub quibus reprehenduntur etiam libri hæreticales. Quia audivi ego, quod si imperator mansisset in illo laudabili proposito, tunc Theologi voluerunt omnes liberarios per totam Almaniam visitare, et omnes malos libros comburere, presertim libros istorum novorum Theologorum qui non habent fundamentum suum ex Doctore sancto, ex doctore subtili, et ex doctore Seraphico, et Alberto magno. Quod fuisset utique laudabile et valde proficuum. Et credo quod adhuc erit. Quod tribuat omnipotens qui regnat per omnia et super omnia et omni tempore. Amen.

496

VOLUME

II, LETTRE

29

29

(Not? Maître de GelterBheim est un escroc) Egbert Tartempion à Maitre Ortwin Gratius salut.

Vénérable Seigneur et trés cher ami, Il y a longtemps que je n'ai pas eu de messager, afin de pouvoir envoyer des lettres à Votre Seigneurie, sinon il y a longtemps que je vous eusse écrit. Vous me pardonnerez parce que je vous eusse écrit volontiers si j'eusse eu

un messager. Cependant, comme vous m'avez écrit que *Not’ Maitre *Valentin de GelterBheim vous a dit que vous deviez m'écrire, que je lui dois à ce jour deux *florins pour les cours, du temps où j'étudiais dans son pensionnat!, sachez que je ne vais rien lui donner, car il m'avait promis beaucoup de choses, et il avait dit qu'il me donnerait des bons repas, à condition que jaille deux ou trois fois par jour au bord du Rhin pour voir quand il y a des bateaux qui arrivent d'amont ou d'aval, et que, quand il y aurait des nouveaux étudiants dedans, alors je devrais les persuader de venir à son pen-

sionnat?. Eh bien, par Dieu ! je lui ai bien amené une vingtaine de nouveaux, et ça m'a fait perdre beaucoup de temps, à courir dans tous les sens. Et j'eusse mieux fait de passer ce temps à étudier. Et en plus, il ne m'a jamais rien donné. Et méme, il ne nous donnait que de la mauvaise nourriture, des viandes avariées et de la piquette. Vous pouvez lui dire qu'il commence par se rappeler ces choses-là. Mais vous, portez-vous bien dans l'amitié. Donné à Lou.

1. Le pensionnat de *Mons. 2. Cette pratique du rabattage des étudiants par les régents de collèges, trés courante dans les universités, était strictement interdite par les statuts. À Bále, l'amende était de six florins d'or par infraction.

TOMUS

II, EPIST. 29

497

29

Ecbertus Ungenant! Magistro Ortvino Gratio salutem.

Venerabilis domine et amice singularissime, Diu est quod non habui nuncios, ut possem dirigere litteras ad dominationem vestram. Alias diu scripsissem vobis. Parcatis ergo mihi, quia libenter scripsissem vobis, si habuissem nuncium. Sed sicut scripsistis mihi quod Magister noster Valentinus de GelterBheim dixit vobis, quod debetis mihi scribere, quod adhuc duos

florenos debeo ei pro lectionibus quando steti in bursa sua. Sciatis quod nihil volo ei dare, quia ipse etiam promisit mihi multa, et dixit quod vellet mihi dare bonas propinas, quod irem omni die bis vel ter ad Rhenum videndo quando naves veniant ex partibus inferioribus vel superioribus ; et quando beani sunt intus, tunc deberem eis suadere quod visitarent in bursa sua. Et per deum ego bene portavi ei viginti beanos et perdidi multum tempus, currendo

hincinde. Et fuisset melius studere illo tempore.

Sed ipse nunquam dedit mihi aliquid. Etiam dedit nobis mala bursalia et macras carnes, et acerbum potum. Et potestis ei bene dicere quod debet ista recordare. Sed vos valete in Caritate. Datum Lo.

1. En allemand, Ungenannt signifie littéralement « pas-nommé ».

498

VOLUME

II, LETTRE

30

30 (Faut-il pendre les Besicles ou les brüler ? argumentaire théologique et l'université de Vienne est infiltrée par les reuchlinistes) Balthazar Leboyau *bachelier formé en théologie à Maitre Ortwin Gratius salut. Pour vous, des actions de gráces immenses, infinies, inénarrables, innombrables, incomparables, ineffables, pour m'avoir envoyé le livre du seigneur Jean *Pfefferkorn, intitulé * Défense de Jean Pfefferkorn contre les diffamatoires. J'ai été tellement content quand j'ai reçu ce livre que j'en ai sauté de joie. Maintenant, je suis absolument sür que Jean Pfefferkorn est celui dont Ézéchiel prophétise ainsi au chapitre IX : « Et il appela l’homme qui était vétu de lin et qui portait une écritoire de scribe à la ceinture. »! Car Jean Pfefferkorn a toujours une écritoire avec lui et, pendant les sermons ou les

réunions privées, il prend en note les citations et les phrases intéressantes, pour s'en resservir par la suite?. Vous me réjouiriez beaucoup si vous m'envoyiez ses livres, car ils sont écrits avec tant d'art que j'en suis émerveillé. De plus, à Vienne, je tire une grande gloire du fait d'étre de ses relations, et quand je parle de lui, je dis : « Mon ami Jean Pfefferkorn. » Or, dans ce livre, j'ai compris que les théologiens sont en désaccord à propos des *Besicles, car il y en a qui les condamnent au feu, comme ceux de Paris et de Cologne, et d'autres, à la potence, comme *Not' Maitre Pierre *Meyer qui, quand il a vu les Besicles, a crié à pleine voix : « À la potence ! À la potence, ce livre ! » Il faudrait vous mettre d'accord, comme ça vous pour-

riez gagner la victoire contre cet hérétique. Quand j'ai lu cela, j'ai été terrifié, et j'ai dit : « Maintenant, si les théologiens ne sont pas d'accord entre eux, le Diable tiendra la chandelle?. » Mais j'espère que vous allez vous remettre d'accord. Cependant, il me semble que Not' Maitre Pierre Meyer et ses partisans ne sont pas justes quand ils estiment que les Besicles doivent étre pendus au gibet, car ce livre est hérétique et les hérétiques méritent le bücher, car les hérétiques sont brülés, alors que les voleurs sont pendus, 1. Ézéchiel IX, 3. 2. Cf. lettre II, 18. 3. Cf. lettres II, 24 et 38.

TOMUS

II, EPIST. 30

499

30 Baltasar Sclauch! Baccularius Theologiae formatus Magistro Ortvino Gratio salutem. Gratiarum actiones vobis immensas, infinitas, inenarrabiles, innumerabiles, incomparabiles, ineffabiles, quod misistis mihi librum domini Iohannis Pfefferkorn, qui intitulatur « Defensio Iohannis Pfefferkorn contra famosas ». Ego fui ita laetus quando accepi illum librum, quod saltavi pre gaudio. Et certissime credo quod Iohannes Pfefferkorn est ille de quo prophetizatur Ezechielis Ix. sic : « Et vocavit virum qui indutus erat lineis et atramentarium scriptoris habebat in lumbis suis. » Quia Iohannes Pfefferkorn semper habet atramentarium secum et scribit in prædicationibus vel conventiculis Auctoritates et notabilia, unde postea componit talia. Vos exhilaratis me valde quando mittitis mihi libros suos, quia sunt ita artificialiter compositi quod miror. Ego etiam Viennz multum glorior quod sum notus sibi, et quando nomino eum, dico : « Iohannes Pfefferkorn, Amicus meus. »

Sed in illo libro intellexi, quod Theologi sunt discordes super Speculum Oculare, quia aliqui damnant eum ad ignem, sicut Parrhisienses et Colonienses, aliqui vero ad suspensionem, sicut Magister Noster Petrus Meyer, qui quando vidit Speculum Oculare, clamavit voce magna : « Ad patibulum, ad patibulum cum tali libro ! » Vos deberetis esse concordes, tunc possetis habere victoriam contra illum hæreticum. Ego fui multum perterritus quando legi ista, et dixi : « Nunc diabolus tenebit candelam, si Theologi volunt esse discordes. » Sed spero quod eritis iterum concordes. Sed mihi videtur quod Magister noster Petrus non est iustus ipse et sui Cohærentes, qui tenent quod Speculum Oculare debet suspendi ad patibulum, quia est ille liber hæreticus, et heretici merentur penam ignis ; quia haeretici comburuntur, sed fures suspenduntur ;

1. De l'allemand Schlauch (= boyau).

500

VOLUME

II, LETTRES

30-31

bien qu'il y en ait qui disent que les Besicles ont quand méme commis un vol,

car Jean Pfefferkorn dit que, dans ce livre, Jean Reuchlin lui a volé son honneur, qu'il ne donnerait pas pour vingt *florins, car deux juifs, qui lui avaient également volé son honneur, lui avaient donné trente florins pour cela. Que ce soit a ou b, je voudrais que vous vous mettiez d'accord. Ici, il ny a rien de neuf, sinon que le *poéte Joachim *Vadian, qui est un des reuchlinistes, a été élu recteur de l'université*. Que Dieu abatte toute la société des poètes et des juristes, et qu’il ne laisse pas un seul mâle vivan? ! J'ai réfléchi que j'allais m'en aller. Qu'est-ce que je pourrais faire dans cette université où c'est un poète qui est recteur ? Du coup, ici, il y a plus de reuchlinistes que dans toutes les autres universités : à savoir le recteur Joachim Vadian, Georges *Collimitius Tanstetter, actuellement médecin et précédemment mathématicien, Jean *Cuspinianus, qui est serviteur et conseiller de César, et un type qui s'appelle Thomas *Resch, et Simon *Lasius, qui est un compatriote de Jean Reuchlin, et beaucoup d'autres. En revanche, Not’ Maitre *Heckmann est de notre côté. Et il a dit qu'il resterait du parti des théologiens jusqu'à la fin de ses jours. Il vous salue beaucoup, ainsi que Jean Pfefferkorn. Portez-vous bien. Donné à Vienne. Encore une fois, portez-vous bien aussi longtemps que Pfefferkorn res-

tera chrétien.

31 (Les humanistes font rien que critiquer notre latin /) Albert Lassouche A Maitre Ortwin Gratius de *Deventer obéissance déférente en guise de salut.

Vénérable Seigneur Maitre, Je vous prie du fond du cœur que vous vouliez bien être indulgent pour moi comme quoi je ne vous écris pas souvent car, par Dieu ! il fait une telle 4. En 1516. 5. Citation de / Rois (Vulgate : III Rois), XVI, 11, litt. : «et qu'il n'en laisse pas un seul pissant sur le mur ». 6. Voir sur ce théme récurrent, les lettres II, 14, 25, 47 et 60.

TOMUS

II, EPIST.

30-31

501

quamvis illi fortasse dicunt quod Speculum Oculare etiam commisit furtum ;

quia Iohannes Pfefferkorn dicit quod in hoc libro Iohannes Reuchlin furavit ei honorem suum, quem non daret pro viginti florenis ; quia duo Iudzi qui similiter furaverunt ei honorem suum, dederunt ei triginta florenos pro eo. Si a vel b, ego vellem quod essetis concordes. Non habemus hic nova, nisi quod ille poeta Ioachimus Vadianus, qui est unus ex Reuchlinistis, est factus Rector universitatis. Percutiat deus omnem societatem Poetarum et Iuristarum et non derelinquat unum ex eis mingentem ad parietem. Ego cogitavi quod volo recedere. Quid deberem in illa universitate facere, ubi poeta est rector ? Et sunt hic ita multi Reuchlinistæ sicut in nulla alia universitate, scilicet Ioachimus Vadianus rector, et Georgius Collimitius Tanstetter, pronunc Medicus, olim Mathe-

maticus, et Ioannes Cuspinianus, qui est servitor et consiliarius Cæsaris, et quidam qui vocatur Thomas Resch, et Simon Lasius, qui est compatriota Iohannis Reuchlin, et alii multi. Sed Magister noster Heckman est de via nostra. Et dixit quod tenebit cum Theologis usque ad finem vitz suz. Ipse etiam multum salutat vos, et Ioannem Pfefferkorn. Valete. Datum in Vienna. Iterum Valete tam diu donec Pfefferkorn manet Christianus.

21 Albertus Strunck! Magistro Ortvino Gratio Daventriensi Reverentialem obedientiam loco Salutis.

Venerabilis Domine Magister, Rogo vos cordialiter quatenus velitis mihi indulgere, quod non scribo vobis szpe, quia est per deum ita magnus Calor in Roma, quod

1. De l'allemand Szrunck (= souche).

502

VOLUME

II, LETTRES

31-32

chaleur à Rome! qu'on ne peut ni se promener dans les rues, ni rester à la maison. Et à cause de cette chaleur, je ne peux rien écrire ni rédiger. Or, vous savez que c'est un gros travail de faire des textes, et vous me disiez à Cologne que sept jours vous suffisaient à peine pour faire un bon texte. Et vous me citiez Horace, en disant que ce poète enseigne que nous devons consacrer neuf ans à faire un bon texte?. Et je crois que c'est comme cela qu'il faut faire. Car il faut étre vigilant et veiller à accorder les mots. Et des fois, ce n'est pas assez d'avoir un bon accord, car il faut aussi la beauté, selon les vingt préceptes des Élégances et de l'Art épistolaire de *Pontius ou de Paul *Niavis, qui a été maitre à Leipzig. Mais maintenant, méme que ces “poètes font rien que critiquer, et quand quelqu'un écrit quelque chose, ils? disent : « Ici, ce n'est pas du bon latin ! Et là non plus ! » Et les voilà qui arrivent avec leurs nouveaux termes, et ils condamnent la *grammaire ancienne. Donc, je ne peux pas écrire dans ces chaleurs. Donc, excusez-moi. Et portez-vous bien. Donné à Rome.

32 (Hochstraten serait capable de convertir les Turcs)

Maitre Henri Coupeur-de-cheveux-en-quatre à Maitre Ortwin salut. Vénérable Maitre, Tout d'abord et avant tout, apprenez que j'ai été débouté à deux reprises, et si je perds la troisième, le Diable sera abbé!. Et j'ai très peur, car le juge m'a dit :

— Par Dieu ! si j'étais à votre place, je n'irais pas en appel, car vous n'avez pas le droit pour vous. Alors, je ne sais pas ce que je dois faire. Je crois que la chance ne sourira pas aux théologiens cette année.

1. L’été 1516 avait été particulièrement caniculaire à Rome. 2. Horace, Art poétique, 388. 3. Il s’agit des humanistes qui connaissent leur Quintilien et les Elégances de Lorenzo Valla. 1. Nous dirions sans doute : « Le Diable ménera le bal. »

TOMUS

II, EPIST.

31-32

503

unus non potest ire in plateis vel sedere in domo. Et non possum scribere aliquid vel componere prz Calore. Sed vos scitis quod est magnus labor facere dictaminas, et dixistis mihi in Colonia, quod in septem diebus vix facitis unum bonum dictamen. Et allegastis mihi Horatium dicens, quod talis poeta docet quod novem annos debemus consumere faciendo unum bonum dictamen. Et credo quod sic est faciendum. Quia oportet esse cautum et videre quod est bona congruitas. Et aliquando non est satis quod est bona congruitas, quia requiritur etiam Ornatus secundum viginti precepta Elegantiarum et Modum epistolandi Pontii vel Pauli Niavis qui fuit magister Lipsensis. Etiam isti poete sunt nunc valde reprehensivi, et quando aliquis scribit aliquid, tunc dicunt : « Ecce ibi et ibi non est bona latinisatio ».

Et veniunt huc cum suis novis terminis et confundunt antiquam grammaticam. Ergo non possum scribere in istis Caloribus. Ergo habeatis me excusatum. Et valete. Datum Romz.

2 Magister Henrichus Cribelinioniacius! Magistro Ortvino salutem. Venerabilis Magister, Primum et ante omnia sciatis, quod perdidi duas sententias, et si perdo tertiam, tunc diabolus erit Abbas. Et timeo valde, quia Auditor dixit mihi : « Per deum, si essem sicut vos, ego non vellem appellare, quia non habetis Ius. » Ergo non scio quid debeo facere. Ego credo quod theologi hoc anno non debent fortunam habere.

1. En latin, cribellum signifie « crible », et limus « lin ». Un cribelinioniacus serait alors littéra-

lement un « fabricant de tamis en fil de lin » (donc extrémement fin).

504

VOLUME

II, LETTRE

32

Car méme Monsieur l'Éminent Seigneur *Not? Maitre Pierre *Meyer se trouve en assez mauvaise posture dans son proces contre les chanoines de Francfort, qui attaquent ce bon et dévót père. Mais je crois que ces chanoines font cela à cause de Jean Reuchlin, qu'ils apprécient à cause de ses ceuvres. Et à cause qu'ils veulent lui plaire, ils maltraitent ce bon pasteur, car il est extraordinairement hostile à Jean Reuchlin, et à juste titre, car il prend position pour sa faculté. Car Jean Reuchlin est l'ennemi des théologiens ; or, Not? Maitre Pierre Meyer est théologien ; CQFD. Et c'est bien normal que chacun défende sa faculté. Même le Seigneur Jacques de *Hochstraten, qui est Not” Maitre et Inquisiteur de la perversité des hérétiques, n'a pas de chance dans son procés en *matiére de religion. Car tous ces *courtisans veulent maintenant étre des *poétes et, du coup, ils méprisent les théologiens et sont contre eux. Mais j'espére qu'ils obtiendront peu, car le Seigneur jettera les yeux sur ses serviteurs et les libérera?. L'autre jour, j'ai entendu dire que l'empereur avait écrit une lettre au pape en faveur de Jean Reuchlin?. Et dans cette lettre, il a dit que si le Trés Saint-Pére ne voulait pas mettre un terme à cette affaire et rendre la sentence, alors 1l examinerait lui-méme par quel moyen défendre son conseiller. Mais qu'est-ce que ça veut dire ? Si le pape est pour les théologiens, alors je ne crains rien. Jai méme entendu un Monsieur important, qui est *official de la Cour, dire : — Qu'est-ce que nous avons à faire avec les lettres ? Si Reuchlin a de l'argent, qu'il l'envoie ici. Car à la *Cour, il faut avoir de l'argent, sans quoi, rien ne peut aboutir. Et il y en a un autre qui m'a dit en secret que Not? Maitre Jacques a de nouveau offert certains banquets à quelques *référendaires. Et ainsi, maintenant, quand ils le croisent, ils lui font de grandes révérences et ils lui parlent aimablement. Nous avons donc toujours meilleur espoir. Si je perds ce *bénéfice, alors je me porterai candidat à ce vicariat que vous connaissez à Neuss, car mon *procurateur m'a informé que j'avais un bon droit «à y faire valoir». Mais voilà que je me souviens que récemment un type est venu ici qui a dit que l'université d'Erfurt voulait rétracter sa sentence, c'est-à-dire sa détermination' contre Reuchlin. Mais si elle le fait, alors je vais vous dire que tous les théologiens qui sont là-bas sont perfides et menteurs, et je dénoncerai 2. Réminiscence de Judith VIII, 33. Cf. lettre I, 12. 3. Cette lettre est déjà mentionnée dans la lettre 28 (article sixiéme).

4. Il s'agit de la condamnation prononcée par la faculté de théologie d'Erfurt le 3 septembre 1513.

TOMUSNIT,

BPIST.

32

505

Quia etiam eximius vir Dominus Magister noster Petrus Meyer satis male stat in causa sua contra Canonicos Franckfordienses, quod vexant illum bonum et devotum patrem. Sed credo quod isti Canonici faciunt hoc propter Iohannem Reuchlin quem diligunt propter suam poetriam. Et propterea volentes ei placere tribulant illum bonum pastorem, quia ipse mirabiliter inimicatur Iohanni Reuchlin. Et merito, quia stat pro facultate sua. Quia Iohannes Reuchlin est inimicus Theologorum ; sed Magister noster Petrus est Theologus ; ergo. Et est bene licitum, quod unus defendit facultatem suam. Etiam Dominus Iacobus de Hochstraten Magister noster et hæretice pravitatis Inquisitor non habet bonam fortunam in causa fidei. Quia isti Curtisani nunc omnes volunt esse poetæ, et sic parvipendunt "Theologos et sunt contra eos. Sed tamen spero quod parum lucrabunt ;

quia dominus respiciet famulos suos et liberabit eos. Ego audivi nuper quod Imperator scripsit unam litteram ad Papam pro Iohanne Reuchlin, et scripsit ita, quod si Sanctissimitas sua non vult finem facere in isto negocio et dare Sententiam, tunc ipse met vult videre quomodo potest defendere suum consiliarium. Sed quid est ? Si papa est pro theologis, tunc non timeo. Etiam audivi ab uno notabili viro qui est Officialis Curie qui dixit : « Quid nobis hic cum litteris ? Si Reuchlin habet pecuniam, mittat huc. Quia in Curia oportet habere pecunias : alias nihil potest expedire. » Et alius occulte dixit mihi, quod Magister noster Iacobus iterum

dedit certas propinas quibusdam referendariis. Et sic quando iam vadunt ante eum, tunc faciunt ei maiorem reverentiam et loquuntur amicabiliter cum eo. Ergo nunc semper meliorem spem habemus. Si perdo illud beneficium, tunc adhuc volo contendere pro illa vicaria in Nussia sicut scitis. Quia procurator meus informavit me quod habeo bonum Ius. Sed iam recordor quod nuper venit unus huc qui dixit, quod universitas Erfordiensis vult revocare sententiam suam seu determinationem contra Iohannem Reuchlin. Et si facit, tunc volo dicere, quod omnes Theologi qui sunt ibi, sunt perfidi et mendaces, et volo sem-

506

VOLUME

II, LETTRE

32

toujours ce scandale qu'ils ne restent pas dans le camp de leur faculté pour défendre Monsieur le trés zélé Seigneur, Jacques de Hochstraten, qui est la lumière des théologiens, et qui luit comme une étoile par ses connaissances et ses argumentations au service de la religion catholique. Je crois méme que si les hérétiques ou les Turcs venaient, il débattrait contre eux et il les confondrait avec sa subtilité, et il les convertirait à la religion chrétienne. Car ce théologien n'a pas son pareil. L'autre jour, il a débattu ici à la *Sapienza sur des questions trés savantes. Alors, il y a un Italien qui a dit : — Je n'aurais jamais cru auparavant que l'Allemagne avait des théologiens pareils ! Mais il y en a un autre qui a dit qu'il n'était pas tres fort sur les textes de la Bible, et qu'il ne comprenait pas tres bien Jéróme ni Augustin. J'ai répondu : — Ô, Bon Dieu ! Qu'est-ce que vous dites ? Ce docteur connaît déjà ces choses ! Et il doit encore s'occuper d'autres, qui sont d'une subtilité encore plus grande ! Dieu veuille qu'il poursuive son chemin dans la bonne direction et nous triompherons, et ensuite, nous chasserons la littérature de toute l'Allemagne. Et nous allons faire en sorte que les juristes n'oseront plus ouvrir la bouche en présence des théologiens, car ils craindront que ceux-ci ne leur envoient l'Inquisiteur et ne les fassent brüler comme hérétiques, comme j'espére que cela arrivera à Jean Reuchlin, avec l'aide de Dieu, dont nous sommes les juges. Car, de méme que les soldats laiques défendent la justice sur terre, nous défendons l'Église par nos *débats et nos prédications. Mais pardonnez-moi ma prolixité. Et portez-vous bien. Donné à la Cour de Rome.

TOMUS

II, EPIST.

32

507

per de eis dicere hoc scandalum, quod non manent cum facultate sua et defendunt zelosissimum virum dominum lacobum de Hochstraten qui est lux Theologorum, et lucet sicut stella per suas doctrinas et Argumentationes pro fide Catholica. Et credo quod si hæretici vel Turci venirent, ipse disputaret contra eos et confunderet eos cum subtilitate sua, et converteret eos ad fidem Christianam. Quia ille Theologus non habet æqualem. Et nuper disputavit hic in Sapientia valde doctrinaliter. Tunc dixit quidam Italus :

« Ego non credidi prius, quod Almania habet tales Theologos ». Sed quidam alius dixit, quod non est bene profundatus in textibus bibliæ, et non bene intelligeret Hieronymum et Augustinum. Respondi : « O bone deus, quid dicitis ? Ille doctor praesupponit talia, et iam ipse habet curare alia, et bene maiores subtilitates ». Deus det quod recte eat, tunc volumus triumphare, et postea ex tota Almania pellere illam poetriam. Et volumus facere quod isti Iurista non audent dicere unum verbum, quando sunt cum "Theologis. Quia timebunt ne mittant super eos Inquisitorem et comburant eos pro hæreticis, sicut nunc spero quod fiet Iohanni Reuchlin adiuvante deo, cuius nos sumus iudices ;

quia sicut milites sæculares defendunt Iustitiam in terris, ita nos defendimus Ecclesiam per disputationes et prædicationes. Sed parcatis mihi de longiloquio. Et Valete. Datum Romanz Curiz.

508

VOLUME

II, LETTRE

33

09 (Plan de contre-attaque de l’armée des théologiens contre les humanistes, les juifs et les grecs)

Pierre Nigaud *licencié en texte et commentaire! de Bible à Maitre Ortwin Gratius salut.

Selon ce que vous m'avez écrit une fois, vénérable Monsieur, que vous considérez que c'est un trés grand miracle qu'il y ait maintenant tellement d'excellents docteurs à Cologne, sans compter les autres qui ne sont pas encore promus mais qui vont passer un de ces jours *Not' Maîtres, et tant d'éminentissimes théologiens, et vous m'avez nommé Not' Maitre Jacques de *Hochstraten, Not? Maitre *Arnold de Tongres, et Not’ Maitre *Rémi, et Not’ Maitre *Valentin de GelterBheim, et Not? Maitre *Pierre qui de mon temps dirigeait le pensionnat de *Kuijk, et le Seigneur licencié *Roger, et beaucoup d'autres qui sont actuellement en activité à Cologne, et aussi Jean *Pfefferkorn qui, bien qu'il soit laique et ignorant dans les *arts libéraux, qu'il n'ait jamais fréquenté les écoles des chrétiens et qu'il n'ait pas appris le latin ni la logique, néanmoins, comme vous l'avez écrit, a une intelligence profonde et le cœur éclairé. Les apôtres non plus n'étaient pas des savants et ils ont pourtant tout su?. Et, ainsi que vous le pensez, l'Esprit saint peut faire pénétrer dans le susdit Jean Pfefferkorn toute la science des saints, ainsi qu'il est dit dans l'Écriture?. Vous m'avez également nommé deux Not’ Maîtres à Mayence, le Seigneur Barthélemy *Zehener, prédicateur à la cathédrale et le Seigneur curé Pierre *Beltram. Et à Francfort, le Seigneur Pierre *Meyer, qui fait des sermons merveilleux : quand il veut, il fait rire l'assistance, et quand il veut, il la fait pleurer, et il fait des merveilles en préchant. Pour cette raison, je voudrais que vous agissiez tous d'un commun accord

pour vaincre ces juristes et *poétes profanes, c'est-à-dire que vous leur imposiez silence de facon à ce qu'ils n'osent plus écrire de livres. Et quand ils voudront rédiger quelque chose, ils devront d'abord le présenter aux Not

1. Litt. : « *page sacrée ». 2. Dans sa Défense..., Pfefferkorn avait justifié —

par la plume latine de Gratius —

son

manque d'instruction contre le savant Reuchlin en arguant du manque d'instruction des apôtres : « Beatus Petrus piscator fuit et ceteri apostoli piscatores vel omnino indocti. » (f? Oij, reproduit dans Bócking, Suppl. I, p. 170). 3. Sagesse X, 10.

TOMUS

II, EPIST. 33

509

33

Petrus Lapp! sacræ paginz Licenciatus Magistro Ortvino Gratio Salutem. Secundum quod semel scripsistis mihi, vir venerabilis, quod habetis valde magnum miraculum abinde quod pro nunc sunt ita multi excellentes Doctores in Colonia, et etiam alii non adhuc promoti sed propediem Magistri Nostri, et multi egregiissimi theologi, et nominastis mihi Magistrum Nostrum Iacobum de Hochstraten, Magistrum Nostrum Arnoldum de Tungari, et Magistrum Nostrum Remigium, et Magistrum Nostrum Valentinum de Gelterfiheim, et Magistrum Nostrum Petrum qui tempore meo regebat in bursa Kück, et dominum Rutgerum Licentiatum et multos alios qui actu sunt Coloniz, et etiam Iohannem Pfefferkorn qui quamvis est laicus et indoctus in artibus liberalibus, et nunquam visitavit scholas Christianorum et non didicit Grammaticam aut logicam, tamen ut scribistis habet profundum intellectum et Cor illuminatum. Etiam apostoli non fuerunt docti, et tamen sciverunt omnia. Et sic putatis, quod spiritussanctus potest prædicto Iohanni Pfefferkorn infundere omnem scientiam sanctorum, sicut dicit scriptura. Etiam nominastis mihi in Maguntia duos Magistros nostros, Dominum Bartholomaum Zehener pradicatorem in summo, et Dominum Petrum Bertram plebanum. Et in Franckfordia dominum Petrum Meyer qui est mirabilis in sermonibus suis. Et quando vult ipse facit homines ridere, et quando vult facit eos flere, et facit mirabilia prz dicando. Secundum hoc vellem quod faceretis omnes ad unum et excelleretis istos Iuristas et Poetas sæculares, vel imponatis eis silentium quod non auderent ita scribere libros. Et quando vellent aliquid compilare, tunc deberent prius ostendere Magistris nostris ad videndum

1. Dans l'Oberland, un nigaud est encore qualifié de Lappi.

510

VOLUME

II, LETTRE

33

Maîtres pour voir si ça peut être imprimé. Et si ca ne plait pas aux Not Maîtres, ça n'aura pas le droit d’être imprimé, mais ça devra être brülé. Il faudrait aussi que les Not’ Maîtres promulguent une ordonnance comme quoi aucun juriste ni *poéte n'ait le droit d'écrire en théologie, et qu'ils n'introduisent pas le nouveau style de latin dans la sacrosainte théologie, comme l'ont fait Jean Reuchlin, ainsi que ce type dont j'ai entendu parler et qui s'appelle Proverbes d'Érasme*. Car ils n'y connaissent rien. Et si ca se trouve, ils n'ont jamais participé à des *débats publics ni à des séances de *conclusions, selon l'usage?. Ils veulent faucher la moisson$ des autres, ce que les théologiens ne doivent pas tolérer. Je vous prie donc de bien vouloir prier ces personnages trés savants dont vous parlez, qu'ils se préparent à débattre contre ces « nouveaux latinistes » pour les ridiculiser de la bonne façon. Et s'ils disent qu'ils connaissent les lettres grecques et hébraiques, répondez-leur que les théologiens se fichent de ces lettres. Car l'Écriture sainte est suffisamment traduite et nous n'avons pas besoin d'autres traductions’. De plus, nous ne devons pas étudier ces lettres, pour montrer notre mépris des juifs et des grecs. Car les juifs, quand ils voient que nous étudions leurs lettres, disent : « Ces chrétiens étudient nos doctrines, et sans elles ils ne peuvent pas justifier leur religion. »? C'est une grande honte pour les chrétiens et cela fortifie les juifs dans leur religion. Quant aux grecs, ils se sont séparés de l'Église. Ils doivent donc également étre considérés comme des ennemis, et leurs doctrines ne doivent donc pas étre pratiquées par les chrétiens ! Voilà ce que j'aimerais bien que vous fassiez. Écrivez-moi ensuite ce que ca va donner. Portez-vous bien. Donné à Halberstadt.

4. L'homme obscur a pris les Adages dÉrasme (publiés pour la première fois en 1500) pour un homme.

5. La participation aux disputationes et aux conclusiones était obligatoire dans le cursus universitaire. 6. Allusion à la formule d' Apocalypse XIV, 15, reprise de Jo] III, 13. Cf. lettre I, 15. Le sens est sans doute : « marcher sur les plates-bandes ». 7. L’allusion vise évidemment Erasme, qui avait publié sa nouvelle traduction (en latin) du Nouveau Testament à partir de manuscrits grecs, en février 1516, chez *Froben, à Bâle. 8. C'était la thése défendue par Reuchlin dans les Besicles, à propos du Talmud et de la Kabbale.

TOMUS

II, EPIST.

33

511

si debet imprimi. Et si non placet magistris nostris, non debet imprimi vel debet comburi. Etiam deberent Magistri nostri facere mandatum quod nullus iurista vel poeta aliquid scriberet in Theologia, et ne introducerent illam novam latinitatem in sacrosanctam Theologiam, sicut fecerunt Iohannes Reuchlin et quidam ut audio qui appellatur Proverbia Erasmi : quia non sunt fundamentales in ea : et possibile est quod nunquam disputaverunt publice vel tenuerunt conclusiones sicut est mos. Ipsi volunt mittere falcem in messem alterius, quod Theologi non debent pati. Ergo rogo vos quod velitis rogare illos doctissimos viros de quibus scribitis, quod disponant disputare contra illos novos latinisatores et scommatizare! eos bene. Et si dicunt

quod sciunt litteras græcas

et hebraicas, habetis

respondere, quod tales littera non curantur a Theologis. Quia sacra scriptura sufficienter est translata et non indigemus aliis translationibus. Et potius non debemus discere tales litteras propter despectum Iudaorum et Grecorum. Quia Iudzi videntes quod discimus suas litteras dicunt : « Ecce Christiani discunt nostras scientias, et sine illis non possunt fidem suam defendere » : et fit magna verecundia Christianis, et Iudzi fortificant se in sua fide. Sed Grzci recesserunt ab ecclesia : igitur etiam debent haberi pro inimicis et eorum scientiæ non debent practicari a Christianis. Talia vellem libenter quod faceretis, et postea scriberetis mihi quid fieret. Valete. Datum in Halberstat.

1. Scommatizare est composé comme un décalque d'un hypothétique oxoppaocíCew, dérivé du substantif rù ox@uua (= le sarcasme). Le verbe grec est en réalité oxorceiv. Cf. la lettre

1165:

512

VOLUME

II, LETTRE

34

34 (Reuchlin a la vue qui baisse et il doit porter des lunettes) Maitre Jean Ronflette envoie à Maitre Ortwin Gratius un salut, annoncé avec simplicité, et non pas enjolivé par des phrases ronflantes, comme ont coutume de le faire les maitres en poésie, qui ne circulent pas sur le chemin de la simplicité en compagnie des théologiens, Mais un salut dans le Christ, pour qu’il nous hbère en ce jour De toutes nos tribulations! ^non moins que de Jean *Capnion Qui est un juriste profane mais en matière de théologie, qui est un âne. D'ailleurs s'il devait débattre,

et avec les théologiens combattre,

Même s’il arrivait à résoudre quoi que ce soit, par Dieu, il ne gagnerait pas En sainte Écriture — car là, c'est vraiment dur Pour n'importe qui, de résister ou de contre-attaquer Et d'arriver àen finir et par une conclusion à bien le démolir. Comme l'autre jour *Hochstraten, qui pour sauver l'Église naquit, En chassant ces collègues de rien, les *poétes et les historiens Qui ont des idées perverses et ne valent rien dans les controverses. Grand Dieu ! je n’avais pas l’intention de vous écrire des vers, et voilà que je vous en écris ! Mais c'était improvisé. D'ailleurs, ces vers ne sont pas de la *littérature profane et moderne, mais de l'ancienne, que méme les *Not Maitres admettent à Paris, à Cologne et partout ailleurs. De mon temps, quand j'étudiais à Paris, on disait qu'un Maitre ancien qui habitait au pensionnat de *Mons, avait composé toute la Bible en vers?, et précisément avec la méme métrique. Il faut aussi que vous appreniez des nouvelles qui sont bonnes pour vous, à savoir que Reuchlin ne peut plus étudier autant qu'avant, car sa vue est en train de baisser, comme dit l'Écriture, dans la Genése : « Et ses yeux s'affaiblirent, et il n'y voyait plus. »? Car l'autre jour, un *bachelier est arrivé de Stuttgart, et il lui avait rendu visite chez lui. Moi, j'ai joué celui qui n'était pas au courant de l'hostilité que vous avez contre lui, et je lui ai dit : — Mon bon Seigneur bachelier, ne le prenez pas mal si je vous interroge. Avec votre permission, j'aimerais bien savoir primo si Reuchlin se porte bien

en ce moment. 1. Citation du psaume XXXIV (Vulgate XXX), 18, repris dans Sophonie I, 15. 2.'Irois siècles plus tôt, Pierre de Riga et Gilles de Paris en avaient tenté l'aventure, sans y parvenir, et dans un tout autre métre. 3. Genése XXVII, 1, à propos d'Isaac.

TOMUS

II, EPIST. 34

518

34 Magister Iohannes Schnerckius! Magistro Ortvino Gratio salutem simpliciter annunciatam et non per pomposum ornatum verborum sicut consueverunt poetales Magistri non ambulantes in via simplici cum Theologis, Sed salutem in Christo, qui liberet nos in die isto Ab omni tribulatione, necnon a Iohanne Capnione, Qui est Iurista sæcularis, sed in Theologia vix scholaris, Et si deberet disputare,

cum Theologis se exercitare,

Ita quod aliquid solveret : per deum ipse perderet In sacra scriptura : quia ibi est magna cura Quod possit aliquis bene stare, vel unum alium vexare, Ita quod cum concludat, et concludendo bene confundat, Sicut nuper Hochstratus, qui est ad salutem ecclesiz natus, Ut expellat istos socios, poetas et historicos, Qui tenent malas opiniones, et non valent ad disputationes. Sancte deus, ego non habui voluntatem scribere vobis metra, et

tamen scribo. Sed factum est ex improviso. Etiam illa metra non sunt de poetria sæculari et nova, sed de illa antiqua quam etiam admittunt Magistri nostri in Parrhisia et Colonia et alibi. Et tempore meo quando steti Parrhisius, dicebatur quod unus antiquus Magister qui habitavit in Collegio Montis, componeret totam bibliam metrice, scilicet cum istis metris. Debetis autem scire novitates quz sunt bene pro vobis : videlicet quod Reuchlin non potest amplius ita multum studere sicut prius, quia oculi volunt ei decrescere, sicut dicit scriptura in Genesi : « Et caligaverunt oculi eius, nec videre poterat. » Quia nuper venit unus bacularius de Stuckgardia qui fuit ibi in domo eius : et ego feci quasi non scirem de inimicitia vestra quam habetis invicem, dixi ad eum : « Bone domine bacularie, non habeatis mihi pro malo quod interrogo vobis. Et cum supportatione pro primo libenter vellem scire, an Reuchlin est adhuc sanus ? »

1. Le verbe allemand schnerken est un synonyme de schnarren (= ronfler).

514

VOLUME

II, LETTRE

34

Il m'a répondu que oui, mais tout de méme qu'il n'y voyait pas bien sans

lunettes. Alors, j'ai dit : — Donc, secundo, dites-moi comment ça va pour lui en ce qui concerne

le procès en matière de religion. J'ai en effet entendu dire qu'il a une certaine procédure avec certains théologiens, car je crois qu'ils commettent une injustice à son égard (je disais cela ironiquement). Comment prend-il la chose ? Je crois qu'il compose toujours quelque chose contre les théologiens. Il a répondu : — Je ne sais pas, mais je peux vous dire ce que j'ai vu de lui. Quand je suis allé chez lui, il m'a dit : « Soyez le bienvenu, Seigneur bachelier, et asseyez-vous ! » Et il avait ses lunettes sur le nez, et un livre devant lui, qui était écrit dans une écriture si extraordinaire que j'ai vu tout de suite que ce n'était ni de l'allemand, ni du tchéque, ni méme du latin. Alors, je lui ai dit : « Éminent Seigneur docteur, comment se nomme donc ce livre ? » Il m'a répondu qu'il se nomme Plutarque, en grec, et qu'il traite de philosophie. Alors, j'ai dit : « Lisez ! au nom du Seigneur ! » Et ca me fait penser qu'il connait des sciences merveilleuses. Et alors, j'ai vu un petit livre, récemment imprimé, qui trainait sous son siège. Je lui ai dit : « Éminent Seigneur docteur, qu'est-ce qui traîne là ? » Il m'a répondu : « C'est un livre scandaleux qu'un de mes amis? m'a récemment envoyé de Cologne, et qui est écrit contre moi. Ce sont les théologiens de Cologne qui l'ont rédigé, et ils disent maintenant que c'est Jean Pfefferkorn qui a fait ce livre. » Alors, j'ai dit : « Qu'allez-vous donc faire maintenant pour qa ? Ne voulez-vous pas vous venger ? » Il m'a répondu : « D'aucune façon, car je suis suffisamment vengé. Et maintenant, je ne me soucie plus de cette sottise, car il me reste juste assez d'yeux pour étudier les choses qui me sont utiles. » C'était un livre intitulé * Défense de Tean Pfefferkorn contre les diffamatoires. Je ne sais rien d'autre du docteur Reuchlin. Telles furent les paroles du bachelier susdit. Donc, Seigneur Ortwin, gardez bonne confiance. Car s'il a une vue si mauvaise qu'il ne puisse plus lire ni écrire, que le Diable l'emporte ! Mais vous ne devez pas rester inactif, et au contraire, il faut que vous écriviez rapidement contre lui. Portez-vous bien. Donné à Ulm.

4. Au début 1517, Reuchlin avait presque 62 ans. 5. Peut-étre le comte Hermann de *Neuenahr.

TOMUS

II, EPIST.

34

515

Respondit, quod ita, sed tamen quod non potest bene videre sine

brillo?. Tunc dixi « Ergo pro secundo dicatis mihi quomodo tamen habet se quoad Causam fidei ? Ego audivi quod habet certas lites cum certis "Theologis : sed credo quod faciunt ei iniuriam (sed dixi ironice) : quomodo ergo habet se ? Ego credo quod semper componat aliquid contra Theologos. » Respondit ille : « Nescio, sed tamen volo dicere vobis quid ego vidi ab eo : quando veni in domum

eius, dixit mihi : “Bene veneritis domine bacularie,

sedeatis.” Et ipse habuit brillum in naso et librum ante se qui fuit scriptus mirifice, ita quod statim vidi quod non erat Almanice neque bohemice scriptus, neque etiam latine. Et dixi ei : “ Egregie domine doctor, quomodo tamen vocatur talis liber ?” Respondit quod vocatur Plutarchus in grzco, et tractat de Philosophia. Tunc dixi : ^Legatis in nomine domini." Et sic credo quod scit artes mirabiles. Tunc vidi iacere unum parvum librum noviter impressum sub scamno. Et dixi ei : «Egregie domine doctor, quid iacet hic ?" Respondit : “Est unus liber scandalizativus quem nuper quidam amicus meus misit mihi ex Colonia, et est scriptus contra me, et Theologi

Colonienses composuerunt eum, dicentes nunc quod Iohannes Pfefferkorn fecit talem librum." Tunc dixi : “Quid facitis ergo desuper ? Non vultis vindicare vos ?" Respondit : *Nullo modo. sed sum satis vindicatus. Ego nunc non curo amplius istam stulticiam, sed vix habeo satis oculos ad studendum ea quz sunt mihi utilia". Fuit autem talis liber intitulatus *Defensio Iohannis Pfefferkorn contra famosas." Aliud non scio de doctore Reuchlin. » [alia dixit praedictus bacularius. Ergo, domine Ortvine, habeatis bonam Confidentiam. Quia si ille

habet malos oculos quod non potest amplius multum legere aut scribere, suum damnum, Vos autem non debetis quiescere, sed debetis

recenter scribere contra eum. Valete. Datum Ulmæ.

2. Brillum est un décalque de l'allemand Brille (= lunettes).

516

VOLUME

II, LETTRE

35

85 (Vive les vieux manuels scolaires /) Maitre Guillaume Lehèvre à Maitre Ortwin Gratius salut.

Éminent et très célèbre Monsieur, dont le patronage doit être respecté, Vous m'avez écrit que la lettre que j'avais composée pour vous oü je vous racontais mes pérégrinations jusqu'à la *Cour, vous a été remise!. Et vous m'écrivez que vous pouvez en conclure que je vous aime beaucoup. Vous faites bien d'écrire cela, car c'est la vérité. Car vous étes présent dans mon cœur et je vous aime du fond du cœur. En outre, vous m'écrivez que je dois vous « intimer », c'est-à-dire vous déclarer comment ça se passe pour moi maintenant. Sachez donc que je suis chez un *notaire de la Rote et que je dois préparer la table et aller au marché pour acheter les herbes, les fèves, les pains et les viandes et tout ça, et ranger la maison pour que tout soit prét quand le maitre revient de l'audience avec ses invités. Et avec ça, j'étudie. Et mon maitre m'a dit l'autre jour que, par Dieu ! quand j'aurai passé un an ou deux avec lui, il va m'aider à obtenir un *bénéfice, de méme qu'il en a aidé beaucoup avant moi. Et il faut vraiment le croire, car il m'aime beaucoup. Et surtout l'autre jour, quand il a vu que je suis poète, alors il a dit qu'il m'aimerait toujours davantage. Et c'est ce qui est arrivé : il y a un de ses invités qui est *poéte dans cette *littérature nouvelle. Et quand il est à table, il parle toujours de *poésie, et il critique beaucoup les pères et les latinistes anciens, *Alexandre, le Gréciste?, les Verbes déponents?, *Rémi et les autres. Et l'autre jour, il a dit que si quelqu'un voulait apprendre à faire de bons poèmes, il fallait qu'il connaisse *Diomede, et il a dit beaucoup de choses sur ce Diomède. Je lui ai répondu : — Je m'étonne comment que vous en étes arrivé à ces nouveaux grammairiens, alors que vous avez tout, en vers, dans la troisiéme partie d'Alexandre, sur les pieds et la quantité des syllabes, et sur la maniére de scander, et cetera. Et avec ça, ce Dioméde n'était pas un bon chrétien. Car jai lu une fois qu'il avait des chevaux qui mangeaient des hommes, et qu'il leur donnait des hommes à manger“.

1. Il s'agit de la lettre II, 12, du présent recueil. 2. D'*Évrard de Béthune. 3. De *Jean de Garlande. 4. Notre Lelièvre (déjà auteur fictif de la lettre II, 12) confond le grammairien avec le roi Diomède, héros de l'un des travaux d'Hercule, qui nourrissait ses chevaux de chair humaine.

TOMUS

II, EPIST. 35

517

23 Magister Wilhelmus Lamp Magistro Ortvino Gratio salutem.

Eximie et promotoriali reverentia celeberrime vir, Vos scripsistis mihi qualiter litera mea quam composui vobis de ambulatione mea ad Curiam, fuit vobis presentata. Et scribitis quod potestis exinde notare quod diligo vos valde. Et bene scribitis talia. Sunt etenim vera. Quia vos estis mihi in corde et ego amo vos cordialiter. Sed etiam scribitis mihi quod debeo vobis intimare seu declarare quomodo transit mihi pronunc. Sciatis quod sum apud unum Notarium Rotæ et habeo parare mensam, et ire ad forum pro comparando herbas et fabas et panes et carnes et talia, et facere domum in ordine, quando dominus venit ex audientia et commensales quod omnia sunt parata.

sui,

Et cum hoc etiam studeo. Et dominus meus nuper dixit mihi, quod per deum quando sto unum annum vel duos secum, ipse vult mihi iuvare ad unum beneficium, sicut prius iuvavit multis. Et est bene credendum, quia amat me multum. Et precipue nuper quando vidit quod sum poeta, tunc dixit quod vult me semper amantius habere. Et factum est ita : est unus ex commensalibus qui est poeta in ista poetria nova, et semper in mensa loquitur de poesi, et multum reprehendit illos antiquos patres et grammaticos, Alexandrum, Græcistam, Verba deponentalia, Remigium et alios. Et nuper dixit quod aliquis volens discere bona Carmina facere, debet scire Diomedem. Et dixit multa de tali Diomede. Respondi : « Ego miror quomodo tamen venistis super illos novos grammatiCOS, et tamen habetis omnia metrice in tertia parte Alexandri de pedibus et quantitatibus syllabarum, et artem scandendi et cetera. Et cum hoc iste Diomedes non fuit bonus Christianus. Quia legi semel qualiter ipse habuit Equos qui comederunt homines, et ipse dedit eis comedere homines. »

518

VOLUME

II, LETTRE

35

Alors, ce courtisan a éclaté de rire et s'est moqué de moi. Et ensuite, il a

dit que je devrais lui dire de quel type était la premiére syllabe de « Habacuc ». J'ai répondu : — Je pose une distinction car, en tant que nom propre, la première peut être indifféremment des deux types [longue ou brève], selon Alexandre : J'ai noté de scander librement beaucoup de noms propres?.

Mais, dans la mesure oü la question posée est la quantité « naturelle » de la première syllabe, en considérant les natures des noms communs, alors elle est bréve selon Alexandre, car il dit que a est bréve avant b dans les premières syllabes, sauf exceptions. Alors, il s’est mis à se moquer encore plus de moi, et il a dit : — Bachoteur’ de Cologne !Va donc avec ton Alexandre, qui était un âne parisien, comme il y en a beaucoup maintenant ! Et il est sorti en disant des tas d’horreurs sur le bon Alexandre. Et moi, J'ai dit : — Demain, vous verrez ! Et le lendemain, je lui ai apporté un poème que j'avais composé pendant la nuit en l'honneur d'Alexandre. Je vous en envoie la copie. Et quand mon maître a vu ce poème, il m'a félicité et il a dit : — Ce collégue me plait. Et il a dit : — Ó Guillaume, tu sais donc composer des vers ? Je l'ignorais ! Alors, je vais t'apprécier encore plus à l'avenir ! Et ainsi, j'espére que qa ira bien pour moi. Et quand le Seigneur Dieu voudra que j'obtienne quelque chose, alors je retournerai dans nos provinces, pour me faire prétre. Portez-vous continuellement ! Donné à la Cour romaine.

5. Vers 1558 du Manuel. Les vers suivants sont : Cum sim christicola : normam non est mihi cura De propriis facere : quce gentiles posuere. (Puisque je suis chrétien, je n'essayerai pas de donner une règle pour les noms propres, car les paiens l'ont fait.) 6. Les vers 1703 et 1705 du Manuel disent : Ante b corripis a : sicut scabo sive scabellum Et labor : hinc demam labi cum fabula flabam... (Devant b, raccourcis a, comme dans scabo ou scabellum, etc.) Bócking précise que le a initial d'Abacuc est justement une longue. 7. Littéralement : « copulatiste ». Les étudiants de première année ressassaient les compilations (Copulata) de *Pierre d'Espagne (cf. lettres IL, 9 et 64).

IFOMUIS?TISUBPISTA35

519

Tunc ille Curtisanus multum risit et subsannavit me. Et postea dixit, quod debeo ei dicere quomodo Abacuck habet primam syllabam. Respondi : « Ego distinguo. Quia prout est proprium, habet primam indifferentem secundum Alexandrum :

“Ad placitum poni propriorum multa notavi." Sed prout quæritur quantam habet primam naturaliter respiciendo ad naturas appellativorum, tunc habet primam brevem secundum Alexandrum dicentem quod a ante b in primis syllabis, exceptis excipiendis, est brevis. »

Tunc ille adhuc magis derisit me et dixit « Vade tu Coloniensis Copulatista, cum tuo Alexandro, qui fuit asinus Parrhisiensis, sicut adhuc sunt plures. » Et sic multum scandalizans illum bonum Alexandrum abivit. Et dixi ego : « Cras videbitis. » Et de mane portavi unum carmen quod compilavi per noctem in laudem Alexandri, et mitto vobis exemplum. Et quando dominus meus vidit illud Carmen, tunc laudavit me et dixit : « Iste socius est pro me. » Et dixit : « O Wilhelme, scis ita compilare metra ? Ego ignoravi. Et propterea plus volo te diligere in posterum. » Et sic spero quod volo bene stare. Et quando vult dominus deus quod acquiro aliquid, tunc iterum volo me conferre ad partes, fiendo presbiter. Valete iugiter. Datum Romanz Curiz.

520

VOLUME

H; LETTRES

55-56

Poésie épigrammatique, fabricationnée par Guillaume Lelièvre, *Maître dans les sept *arts libéraux à Cologne, en l'honneur d'Alexandre le Frangais? Si tu veux la *grammaire apprendre, lis donc l’œuvre d'Alexandre. De quatre parties ellese compose et plein de bonnes techniques elle propose. Elle verse aux enfants le lait et le miel, comme la *Glose remarquable le révèle, Celle qu'à Cologne on fabrique, surtout à propos de la métrique. La troisième partie, quand tu l'auras apprise, —t'enlévera toute ta bêtise, Comme à moi qui beaucoup de choses lui dois.

36 (Admirez les progrès notables de mon style depuis ma dernière lettre /)

Jean *Arnoldi à Maitre Ortwin Gratius donne de nombreux saluts J'aurais cru, en tout état de cause, que vous auriez entendu dire (ou

qu'il vous aurait été un tantinet rapporté) avec quelle bonne affection de mon áme je me serais lancé tout récemment dans une pérégrination itinérante à destination de la *Cour citoyenne de Rome, pour le motif intéressé de réunir un bénéficinet (en d'autres termes : une prébendette), ou une quelconque « paroisse-à-messe » qui suffirait à me fournir le gite et le couvert! jusqu'à la fin de mes jours, si tel avait été le dessein de la gráce divine. C'est pourquoi, par Hercule ! (ou par ma foi !) vous auriez dû m'écrire moins rarusculement une lettrinette amicalement composée (en d'autres termes : rédigée), et m'y signifier affectueusement comment vous vous seriez porté dans toute votre qualité corporelle (en d'autres termes : vivante). Et comment vous auriez été comblé par le destin gráce à la prédestination divine, qui existait avant les siécles, comme l'aurait dit Lactance?, sur lequel j'aurai tout récemment assisté studieusement aux cours, qui ont été donnés selon le programme, ici à la *Sapienza. 8. Alexandre de Villedieu était, comme Normandie.

son nom

l'indique, né à Villedieu-les-Poéles, en

1. Litt. : «la nourriture et le vêtement » (cf. lettre II, 15) 2. Institutions divines, 2, 9 ; 4, 6.

TOMUS

II, EPIST.

35-36

521

Metrum Epigrammaticum confectionatum per Wilhelmum Lamp Magistrum septem artium liberalium Coloniensem In laudem Alexandri Galli Qui vult discere grammaticam, legat Alexandri materiam, Quz est divisa in quattuor partes, docens multas bonas Artes, Præbens lac et mel pueris, sicut docet Glosa notabilis In Colonia facta : precipue quoad metra Collige partem tertiam : ipsa tollet tibi omnem inertiam, Sicut fecit mihi, qui multum ex hac didici.

36 Iohannes Arnoldi Magistro Ortvino Gratio

salutem dicit plurimam!. Crediderim utique quod audiveritis vel fuerit vobis pluscule dictum qualiter ex quadam affectione animali bona contulerim me nuperrime viatica ambulatione ad urbanam Roma Curiam causa lucruli ad consarcinandum unum beneficiolum seu præbendiolam vel parrochiam aliquam missam", unde poterit mihi ex nunc usque ad finem vitæ mez sufficere ac suppetere victus et amictus, si divina voluerit dei gratia. Quamobrem, me hercule vel mediusfidius, debueritis mihi non rariuscule unam literulam amiciose conflatam seu compilatam ascribere, et in ea affectionaliter significare quomodo steteritis in omni qualitate corporali seu animali. Et quomodo fueritis fortunatus fataliter ex praedestinatione divina quz fuit ante sæcula, sicut dixerit Lactantius quem nuperrime audiverim studio intentionali, quando lectus fuerit formaliter hic in Sapientia.

1. Cette lettre (une premiére avait été signée par le méme auteur : I, 10) détonne par son afféterie latine (abondance de conditionnels et de subjonctifs). Dans les deux volumes des Lettres, c'est le seul homme obscur qui sache que le verbe de la subordonnée complétive introduite par quod doit étre au subjonctif. 2. Bócking voit dans parrochia missa un germanisme, décalqué de Mefpfarrer.

522

VOLUME

II, LETTRES

36-37

De plus, il est effectif qu'un colléguinet serait arrivé de Cologne et des régions glacées d'Allemagne, apportant un peu partout des courriers épistolaires dont il était mandataire, duquel j'aurais compris clairement comme quoi vous auriez fait imprimer par la méthode typographique un livrinet, dont on comprend qu'il est (ou qu'il eût été) intitulé (en d'autres termes : nommé) Lettres des hommes obscurs adressées à Maítre Ortwin Gratius, dans lequel codicule (en d'autres termes : libelle), en tout état de cause, du moins ainsi qu'il me l'aurait laissé entendre, sont contenues toutes les lettrinettes envoyées d'un peu partout à Votre Dignité, amicalement et fraternellement par vos amis et connaissances, et méme que vous y auriez introduit ma lettre dedans, et j'aurais été trés miraculiquement stupéfié que vous me considériassiez digne d'un honneur si démesuré, et que vous m'auriez fait une renommée éternelle. C'est pourquoi vous auriez dü apprendre à quel point j'aurais voulu vous rendre grâce, dans la mesure où je le pourrai.

Vous auriez également appris comment ici j'étudie à fond les plus fines techniques du style poétique, et combien je serais devenu autrement plus

stylé qu'avant. Portez-vous démesurément bien ! Donné à Rome.

3T (Les théologiens parisiens prennent parti contre Reuchlin, malgré Guillaume Cop et Lefèvre d'Etaples)

Frére Georges Mouton! à Maitre Ortwin Gratius mon humble priére, et la soumission qui va avec.

Seigneur et Maitre Ortwin, Vous m'avez envoyé ici le livre de Jean *Pfefferkorn, intitulé *Défense de Jean Dfefferkorn contre les diffamatoires. En tout cas, ainsi que vous me l'avez demandé, je l'ai montré à tous les *Not' Maîtres dans tout Paris, et aussi aux théologiens de notre ordre? qui ont dit unanimement : 3. On se fera une idée des progrés accomplis en comparant cette lettre à la premiére rédigée par Arnoldi (I, 10).

1. Sans doute une allusion à l'esprit particulièrement « moutonnier » des théologiens de Paris, qui avaient attendu les conclusions des autres universités avant de condamner Reuchlin. 2. Les dominicains.

TOMUS

II, EPIST.

36-37

523

Præterea enimvero venerit unus sociolus ex Colonia et gelidis Almaniz partibus, apportans epistolia missiva hincinde sibi astipulata, a quo videlicet intellexerim qualiter vos fecistis imprimere arte characterali unum librulum, qui intelligitur esse vel fuisse intitulatus seu prznominatus « Epistola Obscurorum Virorum ad Magistrum Ortvinum

Gratium

», in quo utique codiculo seu libello, sicut talis

dederit mihi intelligendum, continentur omnes literulæ ad vestram dignitatem hincinde destinate charitative et fraternaliter a vestris amicis et notis. Et etiam posueritis meum epistolium intus, et valde miratorie stupefactus fuerim, quod dignamini me tantisper honore sesquipedali, et facitis mihi æternalem famam. Quapropter habueritis scire quatinus voluerim vobis gratiam referre in quantum potero. Etiam sciveritis qualiter studuero hic per totum in poeseos artificiolo, et ergo fuerim aliter stilatus quam prius. Valete sesquipedaliter. Datum Rom.

37

Frater Georgius Bleck! Magistro Ortvino Gratio humilem orationem meam

cum ea qua decet subiectione,

Domine et Magister Ortvine, Vos misistis mihi huc librum Iohannis Pfefferkorn qui est prætitulatus « Defensio Iohannis Pfefferkorn contra famosas ». Quem utique, sicut petivistis, ostendi omnibus Magistris nostris per totam Parrhisiam, et similiter de nostro ordine Theologis, qui unanimiter

1. De l'allemand Blech (= brebis).

524

VOLUME

II, LETTRE

37

— Voilà que l'Allemagne a des théologiens remarquables. Si un homme sans diplóme écrit des choses pareilles, que doivent faire les savants et les diplómés ? Et l’un d'eux m'a demandé si les princes en Allemagne ont aussi une grande considération pour Jean Pfefferkorn. J'ai répondu que les uns oui et les autres non. Et comment il est le vrai et aimé chargé de mission de l'empereur? pour s'occuper de l'affaire des livres des juifs et de la propagation de la religion chrétienne. Et que feu l’évêque de Mayence, de pieuse mémoire, lui accordait beaucoup d'amour et qu'il lui avait promis son aide dans tous les domaines dans la mesure de ses moyens. Et que, quand il voyageait à droite et à gauche pour les affaires de la religion, il lui avait donné une grosse somme d'argent pour ses frais. Un théologien a répondu : — Est-ce que ce Jean Pfefferkorn est trés efficace dans cette affaire ? J'ai dit (comme vous me l'aviez écrit) que oui, car il a circulé dans toute l'Allemagne sans se plaindre, bien que cela lui ait causé des soucis, car il a sa femme et ses enfants à éduquer et à nourrir, et qu'il les a abandonnés. Cela dit, en son absence, les théologiens ont fait beaucoup de gâteries à sa femme pour la consoler, car ils voyaient que son mari était occupé pour la cause de la religion. Méme, une fois, des fréres de notre couvent sont allés la voir et ils lui ont dit : — Ça nous fait de la peine pour vous que vous soyez seule, comme ça. Et elle a répondu : — Venez de temps en temps me rendre visite, car je suis comme une veuve, et vous me consolerez. Cependant, le nouvel évéque de Mayence? ne veut pas de bien à Jean Pfefferkorn. C'est parce qu'il a quelques conseillers? qui soutiennent beaucoup Jean Reuchlin et qui détestent les théologiens. L'évéque en question a méme refusé de recevoir Jean Pfefferkorn quand il a voulu lui offrir sa Défense contre les diffamatoires, comme je l'ai compris par votre lettre. Voilà ce que j'ai dit. Alors, il y en a un qui a répondu : — Qui est donc ce Pfefferkorn ? J'ai répondu qu'autrefois il était juif et que, maintenant, il est heureusement baptisé dans le Christ, et qu'il est sans aucun doute un homme honnéte, et qu'il est de la tribu de Nephtali. Alors, il a dit : — La bénédiction qui a été donnée à Nephtali s'est vraiment réalisée dans Jean Pfefferkorn. Car Jacob a dit à son fils Nephtali : « Nephtali est un cerf rapide, qui fait de beaux discours. » (Genése, XLIX?). 3. 4. 5. 6. 7.

Maximilien. *Uriel von Gemmingen était mort le 3 février 1514. *Albert de Brandebourg. Dont Hutten. Genèse XLIX, 21.

IPOMUS'II

BPIST:.37

525

dixerunt : « Ecce Almania habet notabiles Theologos. Si unus simplex scribit talia, quid deberent facere docti et promoti ? » Et unus interrogavit me, an etiam principes in Almania faciunt magnam reverentiam Iohanni Pfefferkorn ? Respondi quod pro parte sic et pro parte non. Et qualiter ipse est verus et dilectus sollicitator Imperatoris ad procurandum negotium de libris Iudeorum et augmentum fidei Christianz. Et quod episcopus Moguntinensis pie memoria defunctus iam solebat eum valde amare et promisit ei auxilium in rebus omnibus quantum ei fuit possibile. Et quando ambulavit hincinde in negocio fidei, tunc dedit ei magni precii nummum pro viatico. Respondit unus Theologus « Facit tunc etiam magnam diligentiam ipse Iohannes Pfefferkorn in dicto negotio ? » Dixi velut scripsistis mihi, quod sic : quia sine molestia circumivit per totam Almaniam, quamvis protunc fuit ei inconveniens, cum uxorem et liberos suos educare et alere conveniret, quos dereliquit. Quamvis in absentia sua Theologi fecerunt multa bona uxori eius consolantes eam, quia vident quod vir eius est occupatus in causa fidei. Etiam aliquando Fratres de Monasterio nostro accedunt eam dicentes : « Miseremur vestri quod estis sic sola. » Et ipsa respondet : « Veniatis aliquando visitantes me, quia sum quasi vidua, et detis mihi consolationes vestras. » Attamen modernus Episcopus Moguntinensis non favet Iohanni Pfefferkorn. Et hoc propterea, quia habet aliquos Consiliarios qui multum promovent Iohannem Reuchlin et odiunt Theologos. Etiam dictus episcopus non voluit admittere Iohannem Pfefferkorn, quando voluit ei praesentare suam Defensionem contra famosas, sicut intellexi ex vestra littera. Talia dixi. Tunc respondit unus : « Quis est tamen ille Pfefferkorn ? » Respondi quod olim fuit Iudzus et nunc est feliciter in Christo baptizatus et est vir proculdubio integerrimus et est de tribu Neptalim. Dixit ille : « Vere benedictio, qua data est Neptalim, completa est in Iohanne Pfefferkorn. Quia Iacob dixit filio suo Neptalim : *Neptalim cervus emissus dans eloquia pulchritudinis." Genesis .XLIX. »

526

VOLUME

II, LETTRES

37-38

Ensuite, de nombreux Not’ Maîtres et des licenciés et d'autres théologiens ont lu ce livre en entier, page par page, mot à mot, article par article. Or, il y en a unÿ, originaire du *Haut-Pays, qui apprend le grec. Il va partout et il dit que ce n'est pas vrai que Pfefferkorn est chargé de mission de César, et méme qu'il ne l'a jamais été. Et que l'empereur a écrit au Trés Saint-Pére pour défendre Reuchlin, et qu'il veut simplement que les théologiens cessent de maltraiter son conseiller fidéle et honnéte. De méme, Jacques *Lefévre d'Étaples, de qui vous avez beaucoup entendu parler, prend position ouvertement en faveur de Jean Reuchlin, bien que les théologiens lui aient dit de ne pas le faire. Et on a dit qu'il a écrit, dans une lettre qu'il a envoyée en Allemagne, que les théologiens parisiens avaient traité Reuchlin de la même façon que les juifs avaient traité le Christ. Mais, que chacun dise ce qu'il veut, la majorité à Paris est de notre cóté, pour honneur de l'université et la détestation des juristes. Donc, vous pouvez étre de bonne humeur, joyeux et content.

Portez-vous bien éternellement. Donné à Paris.

38 (À Bâle, les poètes Érasme et Glareanus défendent Reuchlin) Démétrius de Phalére! à Maître Ortwin Gratius, salut.

Vous m'avez écrit pour me demander quelle est cependant la position de notre université sur le procès en *matière de religion, si elle est pour vous ou pour Jean Reuchlin. Apprenez, ici et sur toute la terre, «que» les fréres suisses de l'ordre des Précheurs ont mauvaise réputation et sont en grande disgráce à cause de ces fréres innocents qui ont été brülés à *Berne, car je n'ai jamais cru qu'ils aient fait ce qu'on a dit à leur sujet. C'est pourquoi leurs couvents sont dans la désolation, alors que les couvents des frères de saint François prospèrent. Et pendant qu'une personne 8. Sans doute l'humaniste Guillaume *Cop.

1. Cet homme obscur, suivant peut-étre la mode humaniste des pseudonymes grecs, s'est attribué, sans peur du ridicule, le nom de l'un des plus célébres érudits grecs de l'Antiquité, le fondateur de la bibliothèque d' Alexandrie.

TOMUS

II, EPIST.

37-38

8597

Postea multi Magistri Nostri et licentiati et alii Theologi per totum legerunt istum librum de folio ad folium, de verbo ad verbum, de

articulo ad articulum. Sed est unus superiorista qui studet in græco. Ipse vadit ubique et dicit, quod non est verum quod Pfefferkorn est sollicitator Caesaris, et quod nunquam etiam fuit. Et quod imperator pro Reuchlin scripsit ad sanctissimum et simpliciter vult quod Theologi non debent sibi vexare suum consiliarium fidelem et probum. Item Iacobus

Fabri Stapulensis, de quo audivistis multa, ipse

aperte favet Iohanni Reuchlin, quamvis Theologi dixerunt ei ne deberet facere. Et dictum fuit quod scripsit in una littera ad Almaniam quod theologi Parrhisienses tractaverunt Iohannem Reuchlin non aliter quam Iudzi Christum. Sed dicat quicquid velit, tamen maior pars in Parrisia est pro nobis propter honorem universitatis et odium Iuristarum. Ergo debetis esse bono animo lzttando et gaudendo. Valete aeternaliter. Datum Parrhisius.

38 Demetrius Phalerius

Magistro Ortvino Gratio salutem.

Scribitis mihi interrogans a me quomodo tamen universitas nostra habet se in Causa fidei, an est pro vobis an pro Iohanne Reuchlin. Sciatis, hic et per totam terram, Suitensium fratres de ordine prædicatorum habent malam famam et sunt in magna disgratia propter illos Innocentes fratres qui fuerunt combusti in Bern, quia nunquam credo quod fecerunt talia quz dicuntur de eis. Igitur Monasteria eorum desolantur, et monasteria fratrum sancti

Francisci crescunt. Et quando unus homo dat Elemosinam prædica-

528

VOLUME

II, LETTRE

38

donne une aumóne aux précheurs, il y en a vingt qui donnent aux *mineurs, aux augustins et aux autres. Il parait méme qu'il y a une prophétie qui annonce que l'ordre des Précheurs va étre entiérement détruit. Et en plus de ça, il y a ici un théologien, c'est en tout cas le nom qu'il se donne?, mais il me semble qu'il est plutôt un *poéte, appelé *Erasme de Rotterdam, qui est honoré par beaucoup de gens ici, comme s’il était une merveille du monde. C'est lui qui a écrit le livre des Proverbes, que vous m'avez montré une fois à Cologne en me disant : — Qu'est-ce qu'on a à faire avec les Proverbes d'Érasme, alors que nous avons les Proverbes de Salomon ? Cet Érasme soutient beaucoup Reuchlin et il le loue sans cesse. L'autre jour, il a fait imprimer certaines lettres? qu'il a envoyées à la *Cour de Rome, au pape et à certains cardinaux. Dans ces lettres, il louait Reuchlin et il diffamait les théologiens. Quand je les ai vues, j'ai dit : — Si les *Not' Maîtres voient ça, le Diable le damnera ! Ainsi donc, notre université accorde une grande considération à Érasme et penche en faveur de Reuchlin. Et voilà qu'est arrivé ici le poète Gloireanus?, qui est un homme très effronté, comme vous le savez. Il dit des abominations incroyables sur vous et sur les autres théologiens. Et il dit qu'il va composer un livre sur les crimes des «fréres» précheurs et qu'il va raconter tout ce qui s'est passé à Berne. Je voudrais bien lui dire aimablement qu'il ne le fasse pas. Mais c'est un homme terrible. Il est colérique et veut toujours se battre, au point qu'on croirait qu'il est possédé par le diable. J'espére que la sentence de la cité de Rome va arriver en faveur des théologiens. Alors, tout ira bien. Mais si elle était en faveur de Reuchlin, le Diable tiendrait la chandellef. Portez-vous bien. Donné à Bâle.

2. Érasme avait obtenu son doctorat en théologie à Turin en 1506, mais ses satires contre

les théologiens scolastiques et son soutien à Reuchlin lui avaient évidemment attiré la haine mortellede la plupart des membres de cette corporation. 3. Les Adages, dont la premiére publication latine datait de 1500 et qui étaient rapidement devenus, augmentés des citations en grec, un succès de l'édition humaniste.

4. Sans doute les lettres du 15 mai 1515 adressées aux cardinaux *Riario et *Grimani. 5. L’altération du nom de Henri *Glareanus en Glorianus peut être due à une erreur de l'auteur ou à une coquille du typographe, mais aussi à un /apsus de l'homme obscur, faisant ainsi de son ennemi un homme « glorieux ». 6. Cf. lettres II, 24 et 30.

TOMUS

II, EPIST.

38

529

toribus, tunc viginti dant Minoribus et Augustinensibus et aliis. Etiam dicitur quod est in prophetia, quod ille Ordo prædicatorum debet totaliter deleri. Super hoc est hic unus Theologus, ut ipse se nominat, sed mihi videtur quod magis est poeta, dictus Erasmus Roterodamus, qui a multis ita honoratur sicut si esset miraculum Mundi. Et est ille qui scripsit librum Proverbiorum, quem semel ostendistis mihi Coloniæ, et dixistis : « Quid nobis cum Proverbiis Erasmi, cum habemus proverbias [szc] Salomonis ? » Ille Erasmus multum tenet de Reuchlin et semper laudat eum. Et nuper fecit imprimere aliquas Epistolas quas misit ad Curiam Romanam ad Papam et aliquos Cardinales. In istis laudavit Reuchlin et scandalizavit theologos. Ego videns dixi : « Si videbunt hoc Magistri nostri, diabolus confundet eum. » Sic ergo universitas nostra quz facit magnam reverentiam Erasmo, inclinata est pro Reuchlin. Et venit huc Glorianus poeta, qui est homo valde audax ut scitis. Ipse mirabilia scandala loquitur de vobis et alis theologis. Et dicit quod vult unum librum componere de nequitiis prædicatorum et vult totaliter describere illa qua facta sunt in Bern. Ego vellem libenter amicaliter dicere ad eum ne faciat. Sed est homo terribilis, et est iracundiosus semper volens percutere, quapropter habeat sibi diaboIum. Ego spero quod veniet Sententia ex urbe Roma pro Theologis. Tunc omnia erunt bona. Si autem fuerit pro Reuchlin, tunc diabolus

tenebit candelam. Valete. Datum Basileæ.

530

VOLUME

II, LETTRE

39

39 (La vie sexuelle débridée d'Ortwin Gratius) Conrad Latrique-de-cheval à Maitre Ortwin Gratius salut.

Le respect et la serviabilité de mon affectuosité cedent le pas à votre virtuosité, Vénérable Maitre, Je vous ai souvent expliqué que je ne me trouve pas bien ici. Mais, je crois que c'est le Diable qui m'a amené ici. Et je ne peux pas repartir, car il

n'y a pas ici de bonnes camaraderies comme en Allemagne. Ici, les gens ne sont pas sociables. Ils n'aiment pas que quelqu'un soit soül une fois par jour et ils le traitent de porc. Et puis, je ne peux pas baiser, car les putes veulent beaucoup d'argent, et pourtant elles ne sont méme pas belles. Et je peux vous dire qu'en vérité, en Italie, les femmes sont les plus vilaines qu'il est possible, bien qu'elles aient de trés belles robes de soie et de velours. Car, quand elles commencent à vieillir, elles ont tout de suite le dos voüté et elles marchent comme si elles avalent envie de chier. En plus, elles mangent de l'ail et elles puent énormément. Et elles ont la peau noire et non pas blanche comme en Allemagne. Et aussi elles ont le visage pàle comme la mort. Mais quand il y en a qui sont roses, c'est sûr qu'elles se sont maquillées avec du fard. C'est pour ça que les femmes d'ici ne me plaisent pas. En plus, on dit qu'en été, ce n'est pas sain de baiser ici. Alors, je dis : — Je veux donc retourner en Allemagne, où c'est toujours sain de baiser. Et je repense souvent aux maitresses que nous avions à *Deventer, vous et moi. Nous allions les voir, malgré ce jeune bourgeois qui était aussi amoureux de votre maîtresse. Mais elle lui aurait plutôt chié sur la figure. Or, voilà que j'ai entendu dire que vous baisiez la femme de Jean *Pfefferkorn, à cause de sa vertu. Car elle est discréte et presque vertueuse. Et c'est bien d'en avoir une à soi en secret. D'ailleurs, quelqu'un m'a dit qu'une fois, Pfefferkorn vous avait tabassé et vous avait dit : — Seigneur Ortwin, je voudrais que vous mangiez dans votre gamelle et que vous me laissiez manger dans la mienne ! Et vous, vous ne compreniez toujours pas. Car cet homme est vraiment subtil et il parle toujours énigmatiquement par proverbes. Or, un de vos amis (à ce que j'ai entendu par d'autres) vous a expliqué ces mots mystérieux. Il vous a dit :

TOMUS

II, EPIST. 39

531

39 Chunradus Stryldriot! Magistro Ortvino Gratio salutem. Reverentia et servitio affectuositatis mez praecedentibus erga virtuositatem vestram, Venerabilis Magister,

Intimavi vobis sæpe qualiter non sum hic libenter. Sed credo quod diabolus portavit me huc. Et non possum recedere quia non sunt hic bonz societates sicut in Almania. Et homines non sunt ita sociales. Et habent pro malo quando aliquis semel in die est ebrius, vocantes eum porcum. Etiam non habeo supponere. Quia meretrices volunt multum pecuniz, et tamen non sunt pulchræ. Et dico vobis in veritate quod in Italia sunt ita distortz mulieres sicut est possibile, quamvis habent pulcherrimas vestes de serico et sameloto?. Quia quando modicum sunt senes, tunc statim habent curva dorsa et vadunt quasi vellent merdare. Etiam comedunt allium, et fœtent maxime. Et sunt nigræ, nec sunt ita albz sicut in Almania. Item in facie sunt pallentes sicut mors. Et quando aliquae sunt rubra, certum est quod fecerunt sibi colorem cum unguentis. Ergo non placent mihi mulieres hic. Etiam dicunt quod in æstate non est bonum supponere hic. Tunc dico ego : « Ergo redire volo in Amaniam, ubi semper bonum est supponere. » Et sæpe recordavi qualiter habuimus in Daventria amasias ego et vos : et ivimus in despectum istius domicelli qui etiam amabat vestram amasiam. Sed ipsa merdasset ei super os. Sed nunc audivi qualiter debetis supponere uxorem Iohannis Pfefferkorn causa honestatis. Quia est secreta et quasi honesta. Et est bonum quando aliquis habet propriam in secreto. Et dixit unus ad me, quod Iohannes Pfefferkorn semel rixavit vobiscum dicens ad vos : « Domine Ortvine, Ego vellem quod comederetis ex vestra patella et permitteretis me comedere ex mea. » Et vos diu non intellexistis. Quia ille vir est valde subtilis et semper loquitur ænigmatice in proverbiis. Sed quidam amicus vester, sicut ego audivi ab aliis, exposuit vobis illa archana verba dicens : 1. Terme fort obscur : le verbe allemand szriegeIn (lui-même dérivé du latin strzgilis) signifiait « étriller », y compris dans un sens obscène. 2. De l'allemand Samt (= velours).

532

VOLUME

II, LETTRES

39-40

— « Je voudrais que vous mangiez dans votre gamelle » «signifie» : « que vous baisiez votre épouse ou votre femme » et « que vous me laissiez manger dans la mienne » signifie : « ne touchez pas à ma femme, mais laissez-moi la toucher ! » Alors, j'ai dit à un poéte d'ici qu'il cherche ce proverbe dans les *Proverbes d'Érasme. Il m'a répondu qu'il ne l'avait pas trouvé. Je lui ai dit : — Donc, ce n'est pas un auteur complet, mais insuffisant.

Mais quand j'ai entendu dire ces choses au sujet de Jean Pfefferkorn, j'ai dit qu'il est trop jaloux s’il fait cela. Car il y a un proverbe comme quoi entre amis tout est en commun, bien qu'il y ait des gens qui disent que ça ne concerne pas les épouses. Il ne doit quand méme pas se mettre en colère contre vous, car vous n'avez pas d'épouse. Et il faut subvenir aux indigents?. J'ai également entendu dire que vous baisiez la servante de l'imprimeur *Quentel, si bien qu'elle a fait un enfant. Qa, vous ne devriez pas le faire, C'est-à-dire, forer de jeunes trous. Moi, je reste toujours avec des vieilles qui ne font pas d'enfants. Mais ici, je n'ai ni vieilles, ni jeunes. C'est pour ça que je veux rentrer en Allemagne, comme je l’espère. En attendant, portez-vous bien, jusqu'au jour où une alouette pésera

cent talents. Donné à Rome.

40 (Les trois procés des théologiens allemands à Rome) Maitre Jean Corbeau à Maitre Ortwin Gratius salut.

Votre Seigneurie m'écrit à quel point elle est trés joyeuse de ma lettre poétique que j'ai composée l'autre jour!, et vous m'écrivez que vous en avez rarement vu de pareille. Et, si je comprends bien, vous voudriez que je vous écrive toujours de cette facon. Mais il faut quand méme que je vous dise, 1. Il s’agit du premier des Adages d'Érasme (1, L, 1) : « T& vv QUXGY xotvá, id est Amicorum communia omnia. » 2. Bócking lit dans ce passage une allusion au livre biblique de Tobie, dont le héros se présente comme particuliérement secourable aux indigents. Or, Pfefferkorn se vantait d'appartenir, comme Tobie, à la tribu de Nephtali. 3. Un talent pesait environ cinquante livres. Nous dirions sans doute : Jusqu'au jour où les poules auront des dents.

1. Jean Corbeau était déjà l'auteur de la lettre II, 2.

TOMUS

II, EPIST.

39-40

533

« Ego vellem quod comederetis ex vestra patella, [id est] quod supponeretis vestram uxorem vel mulierem, et permitteretis me comedere ex mea patella, id est non tangeretis uxorem meam, sed sineretis me eam tangere. » Ego dixi hic ad quendam poetam quod quæreret illam proverbiam in proverbiis Erasmi. Respondit mihi quod non potest invenire. Dixi ci « Ergo ille Autor non est sufficiens sed diminutus. » Sed quando

audivi hzc de Iohanne

Pfefferkorn, dixi, quod est

nimis invidiosus si facit hoc. Quia est una proverbia [sic] quod amicorum omnia sunt communia. Quamvis aliqui dicunt quod uxores debent excipi. Ipse tamen non deberet irasci super vos quia vos non habetis uxorem. Et non habentibus debemus impertire. Audivi etiam quod supponitis ancillam Impressoris Quenttel, ita quod fecit puerum. Hoc non deberetis facere, scilicet forare nova foramina. Ego semper maneo cum antiquis quz non faciunt pueros. sed hic habeo neque antiquas neque novas. Ergo volo redire in Almaniam sicut spero. Valete tam diu donec una alauda ponderat C talenta. Datum Rommz.

40 Magister Iohannes Crapp Magistro Ortvino Gratio salutem. Scribit mihi dominatio vestra qualiter valde gavisa est de Epistola mea Carminali nuper compilata, et scribitis quod vix vidistis similem. Et sicut intelligo, vultis quod semper ita debeo vobis scribere. Sed

534

VOLUME

II, LETTRE

40

comme vous le savez vous-méme, que ce n'est pas possible pour quelqu'un de n'écrire qu'en poèmes. Vous le savez bién de vous-même, bien que vous soyez trés prolixe et que vous sachiez écrire avec plusieurs types de vers différents. Cependant, « il n'y a pas toujours de l'huile »?, comme on dit vulgairement. Et tantót vous étes inspiré pour la poésie, tantót pour la prose. Je me souviens d'ailleurs qu'une fois, à Cologne, je vous ai dit : — Seigneur Ortwin, faites-moi donc un poéme en vers ! Et vous m'avez répondu : — Pour l'instant, je ne ressens pas d'Apollon. Et vous m'avez dit que parfois, vous étiez à peine capable de composer un bon vers en dix jours, parce que l’atmosphère n'est pas favorable et qu'il faut attendre le moment. D’où Ovide : Le temps s'écoule et nous vieillissons avec les années silencieuses?.

Donc, quand il m'arrive soudain de ressentir un Apollon favorable, je veux immédiatement en composer un et vous l'envoyer. Vous m'écrivez aussi de vous notifier quelques nouvelles. Or, je ne sais rien, si ce n'est qu'il y a ici trois excellents théologiens qui sont de grands noms parmi les Allemands. Et ils nous font une réputation bonne et flatteuse dans toute la *Cour. Il y en a deux que vous connaissez peut-étre : le Révérend pére, Seigneur *Not' Maitre Jacques de *Hochstraten (en latin : « de la Grand-Rue »), et le Seigneur Not’ Maitre Pierre *Meyer, curé de Francfort. Le troisiéme est le Seigneur *Caspar, prédicateur de Kempten, *|icencié de sainte théologie et sous peu *Nor' Maitrisant. Ils viennent ici pour soutenir trois procès remarquables. Le premier, à savoir Not’ Maitre Jacques, a un procès en *matiére de religion contre Jean Reuchlin, dont on dit que c'est un hérétique. Er on a raison, car c'est vrai* | Le second a un procès en compétence, à savoir Not? Maitre Pierre, contre les chanoines de Francfort qui ne veulent pas reconnaitre son autorité. C'est pourquoi il est arrivé à la Cour en les insultant horriblement. Le troisième, à savoir le Seigneur Caspar, a un procès en huile sainte contre certains moines qui habitent dans les faubourgs de Kempten et qui ont de l'huile sainte? dans leur couvent. Alors, quand des gens ont besoin d'étre huilés, voilà qu'on n'a pas d'huile sainte. Donc, le licencié susdit veut remettre ces moines à la raison, comme quoi ils doivent autoriser l'huile sainte dans la cité pour le salut commun des gens. 2. Juvénal, Satire 7, 99 : «il ny a pas toujours de l'huile dans la lampe. » 3. Ovide, Fastes 6, 771. 4. Réminiscence de Jean XIII, 13.

5. L’huile sainte en question est le « saint chréme », indispensable pour administrer le sacrement de l'extréme-onction aux mourants.

TOMUS

II, EPIST.

40

535

dico vobis, sicut etiam ipse met scitis, quod non est possibile quod unus semper facit carmina. Vos bene scitis de vobis, quamvis estis valde facundus et scitis facere plura metra, tamen « non semper oleum », sicut communiter dicunt. Et aliquando estis luxuriosus ad metra, aliquando ad prosas. Et recordor quod semel dixi vobis Coloniz : « Domine

Ortvine, faciatis mihi tamen

aliquod Carmen

metri-

cum », Respondistis mihi : « Non habeo pronunc Apollinem. » Et dixistis mihi quod aliquando in X diebus vix potestis facere unum bonum metrum, quia Aer non patitur et oportet expectare tempus. Unde Ovidius : Tempora labuntur tacitisque senescimus annis. Ergo quando semel habeo bonum Apollinem, tunc volo dictare unum et mittere vobis. Etiam scribitis mihi quod debeo vobis intimare aliquas novitates ;

sed nihil scio nisi quod sunt hic tres excellentes Theologi qui habent magna nomina inter Almanos. Et faciunt nobis bonam famam et laudabilem per totam Curiam. Duos forte bene novistis, Reverendum patrem dominum Magistrum Nostrum Iacobum de Hochstraten, latine de Alta platea, et Dominum Magistrum Nostrum Petrum Meyer plebanum Franckfordiensem. Tertius est Dominus Caspar praedicator ex Kempten, sacre Theologie Licentiatus propediem Magisternostrandus. Ipsi habent hic agere tres Causas notabiles. Unus scilicet Magister Noster Iacobus habet causam fidei contra Iohannem Reuchlin qui dicitur esse hæreticus. Et bene. Est etenim. Secundus habet Causam competentiz, scilicet Magister Noster Petrus contra Canonicos Franckfordienses qui non volunt ei dare Competentiam suam. Et ergo venit huc in curiam tribulans eos terribiliter. Tertius scilicet Dominus Caspar habet causam sacri olei contra quosdam Monachos qui habitant extra muros Kempten, et habent sacrum oleum in Monasterio. Et quando homines debent oleari, tunc non habetur sacrum oleum. Et ergo praefatus licentiatus vult ipsos Monachos rectificare quod debent sacrum oleum in Civitate permittere pro communi salute hominum.

536

VOLUME

II, LETTRES

40-41

Je n'ai pas d'autres nouvelles. Mais vous ne m'écrivez rien non plus. [ignore vraiment comment j'ai été apprécié par votre Révérence.] Je vous recommande au Seigneur Dieu,

car vous étes fort comme un lion [furieux,

Beau comme Absalon$, Sage comme Salomon, Riche comme Assuérus’, Poétique comme Homérus, Et saint comme Jean-Baptiste. |Mort à Reuchlin le juriste !

Et aux poétes profanes tout autant,

Qui pourraient étre parmi vos étudiants.

Voilà que je ne voulais pas faire de poème, et j'en ai pourtant fait un, mais je me demande comment cela s'est produit que je l'aie fait. Louange à Dieu Portez-vous bien. Voilà comment ça finit. Télos. Amen.

Tetragrammaton?. Donné à la cour de Rome.

41 (Gratius le cancre est devenu un homme célèbre) Maitre Simon Porcochon à Maitre Ortwin Gratius donne de nombreux saluts.

« Ta science est devenue miraculeuse, en sortant de moi. Elle s'est renforcée et je ne pourrai pas l'atteindre. »! (Le Psalmiste) Je pourrais étre l'auteur de ces mots, quand je pense à l'étendue du savoir de Votre Seigneurie, dont j'ai eu une idée l'autre jour par votre livre intitulé 6. Absalon, fils de David, est présenté par Samuel II (Vulgate Rois II), 25 comme le plus beau des Hébreux.

7. L'empereur de Perse, qui épousa la belle juive Esther, héroine du livre biblique du méme nom. On voit que les six comparaisons de ce poéme sont les plus plates banalités possibles. 8. Ces trois mots signifient « Fin » (en grec), «Ainsi soit-il ! » (en hébreu), et «Tétragramme » (en grec : les « quatre lettres » hébraiques du nom de Dieu). On trouvait parfois l'un ou l'autre de ces mots à la fin des manuscrits religieux grecs du Moyen Âge. Cette formule est donc un signe de grande érudition (ou de cuistrerie) sous la plume d'un homme obscur. 1. Psaume CXXXIX

(Vulgate, CXXXVIIL, 6.

TOMUS

II, EPIST.

40-41

537

Alia nova non habeo. Sed vos etiam nihil scribitis mihi. [Nescio profecto quomodo demerui de Reverentia vestra.]

Commendo vos domino deo,

qui vos custodiat quod estis fortis [sicut Leo,

Pulcher sicut Absolon, Prudens sicut Salomon, Dives sicut Asuerus, — Poeticalis sicut Homerus,

Et sanctus sicut Iohannes Baptista. —Moriatur Reuchlin Iurista, Nec non poetæ seculares, |qui adhuc possent esse vestri scholares. Ecce non volui facere Carmina et tamen feci, sed nescio qualiter venit quod feci. Laus deo. Valete. Et sic est finis. "Telos. Amen. Tetragrammaton. Datum Romanæ Curiæ.

41

Magister Simon Pocoporius! Magistro Ortvino Gratio salutem plurimam dicit. « Mirabilis facta est Scientia tua ex me, confortata est, et non

potero ad eam. » Psalmista. Hzc verba possunt appropriari mihi directe, quando considero Doctrinam dominationis vestræ quam perspexi nuper ex libro vestro

1. Il faut sans doute lire Porcoporcius.

538

VOLUME

II, LETTRE

41

Les Discours de Maître Ortwin?. Sacre Dieu ! Comme vous êtes devenu un homme important ! Alors qu'autrefois, vous n'étiez qu'un de mes cancres, voilà que vous avez dépassé votre maitre, bien que l'Écriture dise : « Le disciple ne dépasse pas le maître. » Donc, quandj'ai vu ce livre, je me suis écrié à haute voix: — Ó Ortwin, ta science est devenue miraculeuse, en sortant de moi. Elle s'est renforcée et je ne pourrai pas l'atteindre ! « Miraculeuse » est le bon terme, car je n'aurais jamais cru que vous pourriez arriver à faire des textes excellents et d'une telle qualité technique, à partir de moi. Car, par la gráce de Dieu, j'ai été votre répétiteur et votre professeur, et je me glorifie beaucoup de vous. « S'est renforcée » est le bon terme, car autrefois, vos connaissances n'étaient pas aussi efficaces, alors que maintenant, elles sont renforcées par l'inspiration de l'Esprit saint qui vous a éclairé. D'ailleurs, autrefois (pardonnez-moi), vous ne vouliez pas apprendre, et je vous ai souvent réprimandé car vous ne saviez pas quel était le cas de « à moi » ou « à lui », ni le temps de « qu'il lise » ou « qu'ils lisent »*. Et je vous ai souvent récité ce vers :

T'es qu'une tête de bois,

incapable d'apprendre ça !

Mais maintenant, vous pourriez me donner des leçons. Et je n'aurais pas honte d'étre votre éléve. Et je dis donc : « Je ne pourrai pas l'atteindre. », c'est-à-dire « y parvenir » car, comme dit Socrate : « Ce qui est au-dessus de nous n'est pas pour nous. »? Mais, continuez comme ca à composer des textes, et vous deviendrez un

homme remarquable. Portez-vous bien. Donné à Lubeck.

2. Il s'agit des discours *quodlibétiques publiés par Ortwin Gratius à Cologne en 1508 (Orationes quodlibetice periucunde Ortwini Gratij Dauentriensis Colonie bonas literas docentis). 3. Encore une fois Matthieu X, 24, ou Luc VI, 40. 4. Le professeur n'est pas meilleur que son éléve, car il lui reproche de se tromper de cas alors qu'il s'agit de distinguer entre les deux types d'adjectifs possessifs (réfléchi ou non-réfléchi), et de se tromper de temps, alors qu'il s'agit de distinguer entre le singulier et le pluriel d'un verbe. 5. Lactance, Institutions divines, III, 20, repris par Érasme dans l’Adage, I, VI, 69.

TOMUS

II, EPIST.

qui intitulatur « Orationes Magistri Ortvini crevistis ita in magnum virum, cum tamen ris meus, sed nunc estis super magistrum, « Non est discipulus super Magistrum ». Et ergo quando vidi talem librum, tunc

41

539

». Sancte deus, quomodo olim fuistis hebes scholaquamvis dicit scriptura : clamavi alta voce :

« O Ortvine, Mirabilis facta est scientia tua ex me, confortata est et non potero ad eam ».

Et bene « mirabilis », quia nunquam credidi quod potestis sic facere dictamina excellenter et artificialiter ex me. Quia de gratia dei fui resumptor et instructor vester. Et multum glorior super vobis. « Confortata est », bene, quia olim non fuit ita efficax scientia vestra, sed nunc confortata est per instinctum Spiritussancti qui illuminavit vos. Et olim (parcatis mihi) non voluistis studere. Et sepe correxi vos quando non scivistis « mel » vel « sui » cuius casus, et « legat, legant » cuius temporis. Et sæpe dixi ad vos illud Metrum : Durz cervicis es,

hæc enim sapere non vales.

Sed nunc possetis me instruere. Et ego non deberem verecundari quod essem vester discipulus. Et ergo dico : « Non potero ad eam », scilicet pervenire, quia, ut dicit Socrates, « Quz supra nos, nihil ad nos ». Sed procedatis sic compilando dictamina et eritis notabilis vir. Valete. Datum Lubeck.

540

VOLUME

II, LETTRE

42

42 (Cours de magie noire amoureuse) Maitre Achate! Verluisant à Maitre Ortwin Gratius dit de nombreux saluts. Je m'étonne vraiment, honorable Monsieur, que vous écriviez à tous vos

collégues et amis à Rome, et qu'à moi seul vous n'écriviez pas, alors que vous m'avez dit que vous vouliez toujours m'écrire. Mais j'ai compris, par quelqu'un qui est arrivé de Cologne, que vous voudriez bien avoir cette technique dont je vous ai parlé une fois, à savoir pour arriver à faire qu'une femme aime follement quelqu'un. Bien que vous ne m'ayez pas encore écrit, je vais quand méme vous l'envoyer, pour que vous puissiez voir à quel point je vous aime. Car je ne vais rien garder de secret pour vous, mais je vais vous l'enseigner. Ce que les Anciens ne voulaient

— à leurs chers collègues pas révéler’.

Or donc, voici cette technique. Mais vous ne devez l'enseigner à personne, car je la garde tellement secréte que je ne l'enseignerais méme pas à mon propre frère. Car je vous aime plus que mon frère. Je vais donc vous la communiquer. Voici comment il faut faire : si vous aimez une femme, alors vous devez chercher comment elle s'appelle et comment s'appelle sa mère. Supposons que vous en aimez une qui s'appelle Barbara, et sa mére s'appelle Elsa. Alors, procurez-vous un cheveu de la téte de cette Barbara et, une fois que vous avez ce cheveu, vous devez vous repentir «de vos péchés> et vous confesser, ou tout au moins dire une confession générale. Ensuite, vous ferez une statuette de cire vierge et vous ferez dire trois messes sur elle en lui attachant ce cheveu autour du cou. Aprés quoi, un matin, allez d'abord à la messe, puis prenez un pot récemment émaillé, remplissez-le d'eau et allumez un feu dans une piéce totalement fermée, et faites une fumigation d'encens. Puis, vous allumerez une bougie de cire neuve, dans laquelle se trouve un

peu de cierge pascal. 1. Le « fidèle » Achate est le compagnon d'Énée, célébré par Virgile. 2. Vers 4 du *Manuel d' Alexandre de Villedieu. 3. Le cierge pascal était un trés gros cierge, béni et allumé le jour de Páques. Il restait allumé jusqu'à sa fonte complète, c'est-à-dire pendant plusieurs semaines.

TOMUS

II, EPIST. 42

541

42 Magister Achatius Lampirius! Magistro Ortvino Gratio salutem plurimam dicit. Valde miror, vir honorabilis, quod scribitis omnibus sociis et Amicis vestris Romam versus, et solum mihi non scribitis, cum dixis-

tis tamen quod vultis semper scribere mihi. Sed intellexi ab uno qui venit ex Colonia quod velitis libenter habere illam artem de qua dixi vobis semel, videlicet ut faciatis quod una mulier maxime amat unum.

Quamvis iam non scripsistis mihi, tamen volo mittere vobis, ut potestis videre qualiter diligo vos. Quia non volo aliquid in secreto habere prz vobis, sed volo vos docere.

« Quze veteres sociis

nolebant pandere charis. »

Est autem talis Ars illa. Sed non debetis aliquem docere, quia ita abscondo illam, quod non vellem docere fratrem meum, quia plus amo vos quam Fratrem meum. Ergo volo participare vobiscum. Et faciatis sic. Quando amatis unam mulierem, tunc debetis quærere quomodo vocatur ipsa et quomodo vocatur Mater eius. Et ponamus casum quod amatis unam quz vocatur Barbara et mater eius vocatur Elsa : tunc quæratis unum Crinem de capite ipsius Barbare et quando habetis illum Crinem, debetis esse contritus et confessus vel ad minus dicere Confessionem generalem. Deinde faciatis unam Imaginem de Cera virginea et faciatis legere tres missas desuper ligando illum Crinem circum collum ipsius. Postea uno mane audiatis prius missam, deinde accipiatis Ollam novam vitreatam cum aqua et faciatis Ignem in una Camera clausa undique et faciatis fumum de thure et incendatis unam candelam de cera nova, in qua est modicum de Candela paschali.

1. Peut-être dérivé du grec Aaurupiç (= ver luisant).

542

VOLUME

II, LETTRES

42-43

Ensuite, dites cette incantation sur la statuette : « Je te conjure, cire, par

la vertu de Dieu tout-puissant, par les neuf chœurs des anges, par la vertu de Cosdriel, Boldriach, Tornab, Lissiel, Farnach, Pitrax et Starnial, de représenter pour moi dans toute sa substance et sa corporalité Barbara, fille d'Elsa, pour qu'elle m'obéisse en tout ce que je veux. » Aprés quoi, écrivez autour de la téte de la statuette les noms suivants avec une pointe d'argent : « Astrab T Arnod T Bildron T Sydra T ». Et alors, plongez la statuette dans le pot et dans l'eau. Puis mettez sur le feu. Et dites cette incantation : « Je te conjure, Barbara, fille d'Elsa, par la vertu de Dieu tout-puissant, par les neuf chœurs des anges, par la vertu de Cosdriel, Boldriach, Tornab, Lissiel, Fornach, Pitrax et Starnial, et par la vertu de ces noms : Astrob^, Arnod, Bildron, Sydra, de commencer immédiatement à m'aimer au point que tu viennes me rejoindre sans tarder. Car je me languis d'amour. » Et alors, dés que l'eau commencera à bouillir, ca y est ! Car elle commencera à vous aimer, bien qu'elle ne vous voie pas et qu'elle ne sache pas où vous êtes. On l’a essayé souvent, et ça marche à chaque fois. Et vous pouvez me croire que cette science est très précieuse. Et je ne vous la donnerais pas si

je ne vous aimais pas aussi intensément. Alors, il faut maintenant que vous aussi, vous me communiquiez un secret. Ainsi, portez-vous bien, avec votre bonne santé.

Donné à la *Cour de Rome.

43 (Le prédicateur de la cathédrale de Wurtzbourg sabote la vente des indulgences)

Frére Othon Eunuque-à-poufiasse à Maitre Ortwin Gratius ma priére dévote en guise de salut. Vénérable Monsieur, Ainsi que vous me l'écrivez, nous tous, les théologiens, nous devons rendre gráces à Dieu tout-puissant de ce que pour l'instant, la théologie soit tellement florissante et qu'il y ait nombre de savants théologiens dans toutes

les régions d'Allemagne. Et tous les gens, seigneurs et serfs, nobles et pay4. L'« Astrab » de l'incantation précédente est devenu « Astrob », mais c'est peut-étre une coquille...

TOMUS

II, EPIST.

42-43

543

Deinde dicatis istam Coniurationem super Imaginem : « Coniuro te Cera per virtutem dei omnipotentis, per novem choros angelorum,

per virtutem Cosdriel : boldriach : tornab. Lissiel farnach pitrax et Starnial, quod velis mihi repræsentare in omni substantia et Corporalitate Barbaram Elsz, ut obediat mihi in omnibus quz volo. » Postea scribatis circum caput imaginis hac nomina cum stilo argenteo « Astrab T Arnod T Bildron + Sydra + » Et sic ponatis imaginem in ollam et aquam. Et ponite ad ignem. Et dicatis istam Coniurationem « Coniuro te, Barbara Elsz, per virtutem dei omnipotentis, per novem choros angelorum, per virtutem Cosdriel boldriach tornab lissiel, fornach [sic] pitrax et starnial, et per virtutem istorum nominum Astrob Arnod Bildron Sydra, quod statim incipias amare me ita quod sine tardatione velis ad me venire. Quia amore lan-

gueo. » Et tunc statim quando aqua incipiet fieri calida, satis est : quia ita incipiet vos amare quod quando non videt vos, ipsa nescit ubi estis. Probatum est sæpe, et totiens quotiens. Et debetis mihi credere quod ista scientia est valde preciosa. Et ego non darem vobis nisi amarem vos ita intentionaliter. Ergo vos etiam semel debetis mihi participare unum secretum. Et sic Valete cum sanitate vestra. Datum Romanz Curiz.

43

Frater Otho Flerfiklirdrius! Magistro Ortvino Gratio devotam orationem meam pro salute. Venerabilis vir, Ut scribitis mihi quod omnes nos Theologi debemus agere gratias omnipotenti deo quod pronunc Theologia est ita in flore et sunt plures docti Theologi in omnibus partibus Almaniæ. Et omnes

1. De l'allemand Ker (= chapon) et Flerre (= femme repoussante).

544

VOLUME

II, LETTRE

43

sans leur rendent un grand honneur en les appelant « *Not' Maîtres ! » en raison de leur excellence, et ils ótent leur chapeau ou leur barrette! devant eux, en leur disant : « Je me recommande à Votre Exceptionnalité, éminent Seigneur Not? Maitre ! » Et quand un Not’ Maître passe dans la rue, alors tout le monde lui rend les honneurs comme si c'était un prince qui arrivait. Et c'est à juste titre. Car les Not? Maitres sont comme les apótres de Dieu. Ainsi, vous, dans votre lettre, vous m'écrivez des choses grandioses. Mais je vous ferai une objection

en vous disant que c'est bien vrai à Cologne, mais pas partout. Et surtout ici, dans ma patrie?, les Not’ Maîtres réguliers? ne reçoivent aucun honneur. Et les chanoines et les nobles les méprisent beaucoup. Par contre, les séculiers* sont honorés et respectés. Et cela me semble indigne ! Car les réguliers devraient toujours avoir la première place, car ils sont plus élevés dans le clergé, et un régulier est toujours supérieur à un clerc séculier en matiére de choses célestes. Car les réguliers sont aptes de naissance à déclamer les louanges divines à la gloire de Dieu et de sa sainte mère la Vierge Marie, toujours bénie, et à la gloire de tous les saints et saintes martyrs, confesseurs?, er cetera. Donc, il me semble que c'est une grosse erreur que les gens honorent les séculiers plus que les réguliers. Même les théologiens séculiers dans le *Haut-Pays commencent à se montrer orgueilleux et presque hostiles aux réguliers, alors pourtant qu'ils sont plus mondains et donc plus éloignés du Royaume des Cieux. Car vous savez que le Christ a dit : «Vous, qui me suivez, vous serez assis sur des trónes, pour juger les douze tribus d’Israël. »° Or, les réguliers ont abandonné leurs propriétés et tous leurs biens’, et ils sont méprisés dans le monde. Donc, ils sont les plus proches du royaume des Cieux. Mais vous me pardonnerez d'écrire cela au sujet des théologiens séculiers, alors que vous en êtes un. Mais, c'est différent à Cologne où les gens sont humbles et déférents à l'égard des réguliers. Et vous étes vous-méme d'un zélotisme digne d'un régulier. Car vous m'avez dit une fois à Cologne : 1. Dans le cas des étudiants.

2. Hutten comptait beaucoup d'amis à Würzburg. 3. Litt. : les « religieux ». Ce sont les clercs soumis à la règle d’un ordre religieux (dominicains, franciscains, augustins, etc.). 4. Les clercs séculiers, en revanche, vivent donc dans le « siécle », sous l'autorité de l'évéque.

Les rivalités entre réguliers et séculiers étaient aussi importantes que celles qui opposaient les ordres religieux entre eux. 5. Il s'agit des saints qui n'avaient aucun caractére particulier, tel que le martyre, sinon d'avoir « confessé » la vraie religion. 6. Matthieu, XIX, 28.

7. Car ils ont fait vœu de pauvreté.

TOMUS

II, EPIST.

43

545

homines, domini et servi, nobiles et rustici, faciunt eis magnum honorem vocantes eos Magistros nostros propter excellentiam et depo-

nunt pileos et bareta ante eos dicentes : «Commendo me egregitudini vestre, eximie domine Magister noster. » Et quando unus Magister noster transit per stratum, tunc omnes honorant eum sicut si venerit unus princeps. Et merito. Quia Magistri nostri sunt sicut Apostoli dei. Sic vos in Epistola vestra scribitis mihi magnalia. Sed ego tenebo vobis oppositum, dicendo, quod bene est hoc verum Coloniz, non autem alibi. Et precipue hic in patria mea Magistri nostri religiosi habent nullum honorem, et Canonici et nobilitares multum parvipendunt eos. Sed sæculares bene adhuc habent honorem et sunt in respectu. Et hoc videtur mihi indignum, Quia religiosi deberent semper habere primum locum : quia sunt magis Clericales, et semper religiosus quoad czlestitatem est super sæcularem clericum. Quia religiosi sunt apti nati ad personandum in divinis laudibus ad gloriam dei et suz sanctz matris virginis Mariz semper benedictæ et ad gloriam omnium sanctorum et sanctarum Martyrum confessorum, et cetera. Ergo videtur mihi magnus error quod plus honorant homines sæculares quam religiosos. Etiam saeculares Theologi in partibus superioribus incipiunt esse superbi, et sunt quasi contra religiosos, cum tamen ipsi sunt plus mundiales et tanto plus remoti a regno Cælorum. Quia vos scitis quod Christus dixit « Vos qui secuti estis me, sedebitis super sedes, iudicantes XII tribus Israel. » Sed religiosi reliquerunt patrimonia sua et omnia bona, et sunt spreti in mundo, ergo sunt proximi ad regnum Cælorum. Et parcatis mihi quod scribo talia de Theologis secularibus, cum vos etiam estis unus. Sed est aliter Coloniz, ubi sunt humiles et reverentiales erga religiosos. Et etiam vos quoad zelositatem estis religiosus : quia dixistis mihi semel Coloniz :

546

VOLUME

II, LETTRE

45

— Seigneur Othon, je crois bien que mvais devenir moine de votre ordre. Carj'en ai une bonne envie. Donc, je vous écris comme à un collègue. Car cela me déplait beaucoup que maintenant quelques théologiens séculiers soient si orgueilleux, comme ici le docteur Jean *Reiss, qui est prédicateur à la cathédrale de cette cité. Il est comblé d'honneurs et tous les chanoines et les nobles l'aiment beaucoup. Car il sait leur faire des beaux discours. Mais ce docteur me parait étre trés malintentionné contre les réguliers. Quelqu'un, qui a souvent été avec lui à table, m'a dit qu'il veut suivre dans tous les domaines sa méthode personnelle, et qu'il n'est ni *albertiste, ni *scotiste, ni *occamiste, ni *thomiste. Or, quand quelqu'un lui demande : « Éminent Seigneur Docteur, de quelle école étes-vous ? », il répond : « De l'école du Christ. » Et il rit quand les docteurs en théologie se donnent du Not' Maitre. Et méme, il n'a pas une grande considération pour les réguliers et il dit qu'il n'est pas nécessaire de porter la *chape, et que nous pouvons être sauvés d'autres maniéres. Et il dit aussi que Dieu ne tient pas compte des habits. Dans tout cela, il me parait hérétique, car il est irrespectueux à l'égard des réguliers et des saints pères. Il a même une façon particulière de précher, et il ne fait pas comme les autres, qui proposent des questions subtiles, développent des arguments contre, et les résolvent ensuite et en tirent les corollaires. Non, il s’y prend avec simplicité. Je m'étonne donc qu'il y ait des gens qui apprécient ses sermons alors qu'il n'utilise pas les techniques. J'ai eu deux fois l'occasion de constater qu'il est malintentionné à l'égard des réguliers. Une fois, quand vous autres, de Cologne, vous avez lancé en commun universellement avec notre ordre le louable combat contre Jean Reuchlin, alors, je lui ai apporté une note dans laquelle il était ordonné contre Jean Reuchlin que son livre soit brülé et qu'il soit condamné à la rétractation. Je lui ai dit, sur les instances de notre provincial” : — Éminent Seigneur, Not' Maitre, voici pour votre excellence

une ordonnance"? selon laquelle Reuchlin est hérétique et son livre doit étre brûlé. Je vous prie donc de la proférer du haut de la chaire. Et avec ça, nous vous prions de prendre notre parti contre l'hérétique susdit. Alors, il a lu l'ordonnance. Et ensuite, il a dit : — Je ne vois rien d'autre, dans cette ordonnance, que l'interdiction de vendre en public les *Besicles, jusqu'à l'examen et la sentence du procès. Je n'y vois pas que Reuchlin doive étre déclaré hérétique. J'ai répondu que cela se déduisait du fait que son livre était interdit à la vente, et je lui ai demandé de recommander notre cause du haut de la chaire. Il m'a répondu : 8. Peut-être réminiscence du fameux apologue de Paul (I Corinthiens I, 12) : « Chacun de vous dit : “Moi, je suis de Paul, et moi d'Apollos, et moi de Képhas, et moi du Christ !” »

9. Il s'agit du chef de la province de l'ordre (des dominicains). 10. Il s'agit de la conclusion publiée par la faculté de théologie de Cologne le 6 juillet 1510.

TOMUS

II, EPIST.

43

547

« Domine Otho, ego credo quod adhuc volo fieri Monachus de vestro ordine : quia habeo bonam inclinationem. » Et ergo scribo vobis socialiter. Quia displicet mihi valde quod nunc aliqui Theologi szculares sunt ita superbi, sicut hic Doctor Iohannes Rey, qui est praedicator in hac Civitate in summo. Ipse est in magno honore et omnes Canonici et nobiles valde amant eum, quia scit eis bona verba dare. Sed talis doctor videtur esse valde contra religiosos intentionatus. Unus dixit mihi qui sæpe fuit cum eo in mensa, quod ipse omnino tenet unam propriam viam. Et neque est Albertista, neque Scotista, neque Occanista, neque Thomista. Sed quando aliquis interrogat eum « Eximie domine doctor, de qua via estis ? » respondet « de via Christi ». Et ipse ridet quando doctores theologiæ appellant se Magistros nostros. Etiam non multum tenet de religiosis dicens quod non oportet induere cappam, sed alias etiam possumus salvari. Et dicit quod deus non respicit vestes. Et in hoc videtur mihi esse hæreticus, quia est irreverentialis erga religiosos et sanctos patres. Ipse tenet etiam specialem modum prædicandi, et non facit sicut alii, movendo subtiles quzstiones et formando Argumenta contra, et solvendo postea et eliciendo Corollaria ; sed simpliciter procedit. Et ergo miror, quod libenter audiant prædicationes eius, cum tamen non est artificialis praedicator. Ego consyderavi in duobus passibus, quod non est bene intentionatus erga religiosos. Semel quando incepistis vos Colonienses una cum ordine nostro universaliter istam laudabilem contentionem contra Iohannem Reuchlin. Tunc ego portavi ei unam schedulam, in qua erat mandatum contra Iohannem Reuchlin quod liber suus deberet comburi et ipse debet cogi ad revocationem. Et dixi ei sicut mihi commissum a provinciali nostro « Eximie domine Magister noster, hic habet eximietas vestra unum mandatum quod Reuchlin est hzreticus et liber eius debet comburi. Ergo velitis publicare super cancellis. Et cum hoc rogamus vos quod velitis stare nobiscum contra praedictum hæreticum. » Tunc ipse legit mandatum. Et postea dixit : « Ego non video nisi quod est mandatum quod Speculum Oculare non debet vendi publice, usque ad cognitionem et decisionem Causa. Ego non intelligo quod Reuchlin debet dici hæreticus. » Respondi, quod præsumitur ex quo prohibitum est quod liber suus non debet vendi, et rogavi eum quod vult causam nostram commendare in cancellis. Respondit :

548

VOLUME

II, LETTRE

43

— Laissez-moi en paix ! Je suis ici parce que je dois semer la parole de Dieu et je ne dois pas scandaliser qui que ce soit. Car il est écrit : « Celui qui scandalisera un seul de ces petits, etc. »!! Et du coup, je n'ai pas réussi à obtenir qu'il accepte de soutenir la cause de la religion. L'autre fois, j'ai observé ceci. Quand Frère Jacques"?, de notre ordre, est arrivé ici et a diffusé les indulgences que nous avions obtenues à Rome pour le couvent des augustins, voilà qu'il a demandé au susdit docteur Reiss de bien vouloir vanter ces indulgences du haut de la chaire et inciter les femmes et les autres à mettre de l'argent dans le tronc, car ce serait une bonne action. Eh bien, il l'a laissé dire ce qu'il voulait, et il n'a pourtant pas voulu dire un seul mot au sujet des indulgences. Alors, une fois, Frére Jacques lui a dit : — C'est que vous nous enviez parce que nous pouvons collecter de l'argent. Mais nous le collecterons, même si ça doit vous briser le cœur. Et il a méme dit en chaire : — Voici des indulgences et des lettres indulgentiales. Ce qui est écrit dedans est aussi vrai et digne de foi que l’Évangile. Et si vous prenez ces indulgences, alors vous étes aussi bien absous que si le Christ en personne était venu et vous avait absous. Alors, le docteur Reiss l'a contredit en disant : —- Rien ne peut étre comparé avec l'Évangile ! Et celui qui fait le bien ira sur le bon chemin. Et méme si quelqu'un prenait cent de ces indulgences,

tout en vivant dans le mal, il serait perdu. Il ne recevrait aucun secours de ces indulgences. En revanche, si quelqu'un vivait bien, ou bien s’il faisait pénitence et s'amendait aprés avoir péché, eh bien, celui-ci, je lui prédis qu'il habitera au Royaume des Cieux et qu'il n'aura besoin d'aucun autre secours. C'est ainsi que j'ai observé que ce docteur Reiss est un ennemi des réguliers. Et j'ai l'impression qu'il est favorable au docteur Reuchlin, bien que je n'en aie pas la preuve. Vous voyez donc ce qu'il faut dire. Je vous accorde volontiers que les théologiens de Cologne soient trés respectés et que les théologiens séculiers et mondains soient trés unis avec les réguliers. Mais ici, ce n'est pas le cas. J'espére pourtant que, quand Reuchlin sera vaincu, alors les théologiens se réjouiront ensemble de ce que le Sauveur, fils unique!?, nous donne la victoire.

Amen. Donné à Würzburg.

11. Matthieu XVIII, 6.

12. Jacques de *Hochstraten, le Grand Inquisiteur, qui était prieur du couvent des dominicains de Cologne. 13. De Dieu.

TOMUS

II, EPIST.

43

549

« Permittatis me in pace ! Ego sum hic quod debeo seminare verbum dei, et non debeo scandalizare quenquam. Quia scriptum est : “Qui scandalizaverit unum ex minimis istis .etc.” » Et sic non potui impetrare quod vellet adiuvare causam fidei. In alio passu notavi : quando fuit hic frater Iacobus de Ordine nostro et seminavit indulgentias quas impetravimus Romz pro Monasterio Augustensi, tunc etiam rogavit predictum Doctorem ReyB quod in ambone vellet laudare illas Indulgentias et hortare mulieres et alios quod darent pecuniam ad cistam, quia esset bene datum. Sed ipse permisit eum dicere quicquid voluit, et tamen non voluit dicere unum verbum de Indulgentiis. Et Frater Iacobus semel dixit ad eum : « Ecce vos invidetis nobis quod debemus colligere pecuniam, et tamen colligamus etiam si deberet vobis cor frangi. » Et dixit etiam in Ambone : « Ecce hic habetis indulgentias et litteras indulgentiales, et quod scriptum est in illis, est ita verum et credendum sicut evangelium. Et quando accipitis illas Indulgentias, tunc estis ita absoluti sicut si Christus met venisset et absolvisset vos. » Tunc Doctor Reyf tenuit oppositum, dicens : « Nihil est comparandum cum Evangelio, et qui bene facit, bene ibit. Et si aliquis centies acceperit istas indulgentias, et non bene vixerit, peribit. Nec adiuvabitur per istas Indulgentias. Sed econtra siquis bene vixerit, vel post peccata paenitentiam egerit et vitam emendabit, ecce ego praedico ei quod erit habitator regni Cælorum, nec indigebit ullis aliis auxiliis. » Et sic notavi quod iste doctor ReyB est Inimicus religiosorum. Et videtur etiam mihi quod favet Iohanni Reuchlin, quamvis nescio. Ergo videtis quid sit dicendum. Bene concedo quod Theologi Coloniz sint in magna veneratione, et quod Theologi seculares et mundani sunt in magna unione cum religiosis. Sed hic non est ita. Spero tamen quod quando Reuchlin erit superatus, tunc Theologi gaudebunt invicem, quod præstet nobis Salvator noster unigenitus. Amen. Datum Herbipoli.

550

VOLUME

II, LETTRE

44

44 (Homère en grec ne vaut rien) Pierre de Worms à Maitre Ortwin Gratius dit de nombreux saluts.

Éminent Monsieur, En vertu du fait que vous étes par nature bien disposé à mon égard et que vous me favorisez beaucoup, je ferai donc moi aussi mon possible pour vous. Or, vous m'avez dit : — Ô Pierre, quand vous arriverez à Rome, regardez s’il y a des livres

nouveaux et envoyez-m'en quelques-uns. Eh bien, voici un livre nouveau qui a été imprimé ici. Et puisque vous étes *poéte, je pense que vous pourrez beaucoup vous améliorer grâce à lui. Car j'ai entendu dire ici pendant une audience, par un *notaire qui doit être très fort dans cette matiére, que ce livre est la source de la littérature, et que son auteur, qui s'appelle Homère, est le père de tous les poètes. Et il a dit qu'il existe à présent un autre Homère en grec!. Alors, j'ai dit : — Qu'est-ce que j'ai à faire avec le grec ? Le latin est meilleur, car je vais l'envoyer en Allemagne à Maitre Ortwin, qui se moque de ces blagues

grecques?, Et je lui a1 demandé : — Qu'est-ce qu'il y a dans ce livre ? Il m'a répondu qu'il parlait de certains hommes qui s'appellent les Grecs, qui ont fait la guerre avec d'autres hommes qui s'appellent les Troyens, dont javais aussi déjà entendu parler auparavant. Et ces Troyens avaient une grande cité, et les Grecs se sont installés devant la cité et ils y sont bien restés dix ans. Alors, un jour, les Troyens sont sortis vers eux et ils se sont réellement battus avec eux, et ils se sont entretués si merveilleusement que toute la plaine saignait?. Et il y avait là-bas un certain cours d'eau qui a été tellement coloré par le sang, et entiérement rougi, qu'on aurait dit que c'était du sang qui coulait. Et les cris s'entendaient jusqu'au ciel*. Et il y a quelqu'un

1. Homère, traduit en latin par Nicola del Valle, avait été imprimé en 1474 chez Lignamine à Rome. La première édition grecque avait été réalisée en 1488, par Demetrios Chalcondylas, chez Bernardus Nerlius à Florence. 2-Gf:Jalettre L6.

3. Iliade IV, 451. 4. Ihade XII, 338.

TOMUS

II, EPIST. 44

351

44 Petrus de Wormatia Magistro Ortvino Gratio salutem plurimam dicit.

Vir eximie, Secundum quod estis mihi naturaliter inclinatus et multum favetis mihi. Ergo etiam volo vobis facere possibilia. Dixistis mihi autem : « O Petre, quando venitis Romam, videte an sunt novi libri et mittatis mihi aliquos. » Ecce habetis unum novum librum qui est hic impressus. Et quia estis poeta, credo quod potestis vos multum ex illo meliorare. Quia audivi hic in Audientia ab uno Notario, qui debet esse perfectus in tali arte, quod iste liber est fons poetriæ, et autor eius qui vocatur Homerus est pater omnium poetarum. Et dixit quod est adhuc alius Homerus in grzco. Tunc dixi :

« Quid mihi cum grzco ? Ille Latinus est melior. Quia volo eum in Almaniam mittere Magistro Ortvino, qui non curat illas græcas fantasias. » Et interrogavi eum « Quid continetur in tali libro ? » Respondit quod tractat de quibusdam viris qui vocantur Grzci, qui bellaverunt cum aliis viris qui vocantur Troiani, quos etiam audivi prius nominare. Et isti Troiani habuerunt unam magnam Civitatem, et illi Greci posuerunt se ante Civitatem et iacuerunt ibi bene X annos. Tunc Troiani aliquando exiverunt ad eos, et percusserunt se realiter cum ipsis, et interfecerunt se mirabiliter ad invicem, ita quod totus Campus sanguinavit ; et fuit ibi quaedam aqua, quz fuit colorata per sanguinem et fuit per totum rubicata, ita quod fluxit sicut si

esset sanguis. Et clamor audiebatur in Cælo, et unus proiecit unum

5527

VOLUME

II, LETTRES

44-45

qui a lancé une pierre que douze hommes ne pourraient pas soulever”. Et il yaun cheval qui s'est mis à parler et il a prophétiséf. Mais, je ne peux pas croire à des choses pareilles, parce qu’elles me paraissent impossibles. Alors, je me demande si ce livre est très authentique. Je vous prie de m'écrire à ce sujet, et de me faire savoir ce que vous en pensez. Et avec qa, portez-vous bien.

Donné à Rome.

45 (Qu'est-ce qui distingue vraiment les thomistes des albertistes ?) Jean Chaulapin à Maitre Ortwin Gratius

Comme il est écrit « C'est dans le besoin qu'on reconnait ses amis! », j'aimerais maintenant savoir si vous vous souvenez de moi. Et je peux le voir par le moyen suivant : le porteur des présentes est un de mes parents. Il est intelligent et il voudrait faire ses études d’*arts. Alors, son père a voulu qu'il fasse l'université ici, mais je l'en ai dissuadé, car je veux qu'il étudie selon l'ancienne école?, comme je l'ai fait moi-même. C'est pourquoi je vous prie de le recommander. Bien que je sois *albertiste, ça ne me gêne pas que vous le fassiez entrer au pensionnat de *Mons, où l'on étudie selon l'école *thomiste, car le rec-

teur? est du *Haut-Pays. Et de fait, il n'y a pas une grande différence entre les thomistes et les albertistes, si ce n'est que : les albertistes pensent que les adjectifs qualifient et que l'objet de la physique est le corps mobile, alors que les thomistes pensent que les adjectifs ne qualifient pas et que l'objet de la physique est l'étre mobile ; de plus, les albertistes disent que la logique, c'est de passer des intentions secondes aux premières, alors que les thomistes disent que c'est de passer

des premiéres aux secondes? ; 5. Iliade XII, 445 sq., où Hector soulève une pierre que non pas douze, mais deux hommes

ne pourraient pas soulever, « du moins deux hommes d'aujourd'hui », précise le poéte. 6. Iliade XIX, 404 sq., où Xanthe, le cheval d'Achille, lui annonce sa mort prochaine. 1. Ce lieu commun évoque l’Adage IV, V, 5 d'Érasme : « Amicus certus in re incerta cernitur. »

2. nistes 3. 4.

L'école nominaliste, alors que l'université d'Erfurt était connue pour ses tendances humaanti-scolastiques. *Valentin de GelterBheim, élu en 1516. Cf. lettre II, 27.

TOMUS

II, EPIST.

44-45

553

lapidem quem XII viri non possent elevare, et unus equus incepit loqui et prophetizavit. Sed non credo talia, quia videntur mihi impossibilia. Et tamen nescio an talis liber est multum autenticus. Rogo scribatis mihi de eo, et faciatis me cognoscere quid tenetis. Et cum hoc Valete. Datum Romxz.

45 Iohannes Gerilambius! Magistro Ortvino Gratio.

Sicut scribitur « Amicus in necessitate probatur », volo etiam videre an adhuc habetis memoriam mei. Et possum videre tali medio : præsentium lator est consanguineus meus et habet bonum ingenium et intendit studere in artibus ; tunc pater suus voluit eum huc facere ad universitatem : et ego dissuasi, quia volo quod studet in via Antiquorum, sicut ego studui. Et rogo quod mittatis eum vobis esse commendatum. Quamyvis ego sum Albertista, non curo tamen quod faciatis eum ad bursam Montis, ubi student in via Thoma. Quia ille rector est superlorista. Et etiam non est magna differentia inter l'homistas et Albertistas, nisi quod : Albertistæ tenent quod adiectiva appellant, et quod corpus mobile est subiectum in Phisica ; sed Thomistz tenent quod Adiectiva non appellant, et quod Ens mobile est subiectum in phisica. etiam Albertistæ dicunt quod logica est de secundis intentionibus in ordine ad primas, Thomistæ vero dicunt quod est de primis intentionibus in ordine ad secundas.

1. Gerilambius pourrait être composé de gierig (= cupide, concupiscent) et Lampe (= lièvre).

554

VOLUME

II, LETTRE

45

de méme, les albertistes pensent que le mobile posé dans le vide se meut successivement, alors que les thomistes disent que le mobile posé dans le vide se meut instantanément ;

de plus, les albertistes disent que la Voie lactée est de nature céleste, alors que les thomistes disent que la Voie lactée est de nature élémentaire. Mais cela n'a pas une grande importance d'étre d'un avis plutót que de l'autre, pourvu qu'on soit de l'ancienne école. Je voudrais donc que ce jeune homme prenne ses repas au pensionnat et que vous le teniez sévèrement, pour qu'il n'aille pas courir dehors quand ça lui plait. Et s’il fait une faute, donnez-lui le fouet. Car il est écrit (Proverbes XXIID) : « Ne soustrais pas l'enfant au fouet. Si tu le frappes avec la verge, il n'en mourra pas. Tu le frapperas de la verge, et tu sauveras son àme de l'enfer. » Et habituez-le à participer aux *débats du pensionnat, et à ne pas suivre les cours de *Cæsarius ou des autres *poeétes. Je suis content que vous m'ayez écrit que *Busch n'est plus à Cologne, car il créait de gros embarras à l'université, en attirant les étudiants avec sa *|ittérature. Mais il y a encore ici deux poètes, *Eobanus Hessus et Petreius * Aperbach, qui sont mes ennemis. Mais je me fiche d'eux. Partout où ils me rencontrent, ils me parlent du procés de Jean Reuchlin. Ils lui donnent raison et ils déblatérent sur les théologiens. Mais je me tais, bien que j'aie dit, l'autre jour : — Jean *Pfefferkorn sait bien lui dire ce qu'il est ! Et je leur ai montré son livre qui s'appelle * Défense de Tean Pfefferkorn contre les diffamatoires, et là-dessus, je suis parti. Que le Seigneur Dieu fasse que la sentence soit en votre faveur, sans quoi ces poètes nous Joueraient des sales tours. Or donc, recommandez ce jeune homme,

et portez-vous bien. Donné à Erfurt.

5. Versets 13 et 14.

TOMUS

II, EPIST.

45

555

Item Albertistæ tenent quod Mobile positum in vacuo movetur successive, Thomistæ dicunt quod Mobile positum in vacuo movetur in instanti. Etiam Albertistæ dicunt quod Galaxia est nature cælestis ; Thomistæ dicunt quod Galaxia est naturæ elementaris. Sed non multum refert sic vel sic tenere, dum modo sit aliquis Antiquus. Et volo quod iste iuvenis comedat in bursa, et quod teneatis eum sub rigore, ne currat exterius quando sibi placet. Et quando facit aliquem excessum, detis ei disciplinam. Quia scribitur Proverbiorum XXII. « Noli subtrahere a puero disciplinam : si percusseris eum virga, non morietur. Tu virga percuties eum, et animam eius de Inferno liberabis. » Et teneatis eum in consuetudine quod semper intrat disputationes bursales, et quod non visitat lectiones Cæsarii vel aliorum poetarum. Gaudeo quod scripsistis mihi quod Buschius non est amplius Coloniz, quia ipse fuit magnum impedimentum universitatis, seducens supposita cum sua poetria. Sunt hic etiam duo poeta, Eobanus Hessus et Petreius Aperbachus, qui sunt inimici mei. Sed ego non curo eos. Ubicunque vident me, loquuntur de causa Iohannis Reuchlin, et dant ei rectum et obloquuntur Theologis. Ego autem taceo, quamvis nuper dixi : « Iohannes Pfefferkorn bene scit ei dicere qualis est. » Et ostendi eis librum ipsius qui intitulatur « Defensio Iohannis Pfefferkorn contra Famosas », et sic abivi. Det dominus deus, quod sententia vadat pro vobis, alias isti poetæ facerent nobis magna frivola.

Sed habeatis vobis illum iuvenem commendatum et Valeatis. Datum Erfordiz.

556

VOLUME

II, LETTRE

46

46 (La littérature, c’est la ruine des universités)

Maitre Conrad Croquemitaine! à Maitre Ortwin Gratius dit de nombreux saluts

«Ils ont une bouche mais ils ne parleront pas. Ils ont des yeux mais ils ne verront pas. Des oreilles mais ils n'entendront pas. » (Le Psalmiste?.) Ces mots peuvent servir d'entrée en matière et de plan à mon sujet. Maitre Ortwin a une bouche, mais il ne parle pas, au point qu'il a dit une fois à un *courtisan qui partait pour Rome : « Saluez de ma part le Seigneur Conrad Croquemitaine. » Et il a des yeux mais ne voit pas, car je lui ai écrit de nombreuses lettres et il ne me répond pas, comme s’il ne savait ni lire, ni voir.

Et tertio, il a des oreilles mais n'entend pas, car j'ai recommandé à de nombreux collégues qui retournaient dans les provinces? de le saluer, mais il n'a pas entendu mes saluts, car il n'y a pas répondu. Donc, vous faites un grand péché, car je vous aime, et vous devez donc m'aimer en retour. Mais vous ne le faites pas, car vous ne m'écrivez rien. Alors que j'aimerais tant que vous m'écriviez trés souvent des lettres car, quand je lis vos lettres, elles me réjouissent jusqu'au fond du cceur. J'ai néanmoins cru comprendre que vous avez peu d'éléves, et que vous vous plaignez de ce que *Busch et *Cæsarius vous prennent vos élèves et vos étudiants, alors qu'ils sont incapables d'expliquer comme vous les poétes sur le mode allégorique, et de citer à tout bout de champ l’Écriture sainte. Je crois que le Diable habite ces *poètes. Ils ruinent toutes les universités. Je l'ai méme entendu dire par un vieux maitre de Leipzig, qui a passé maitre il y a trente-six ans. Il m'a dit que, quand il était jeune, alors cette université se portait bien, car il n'y avait pas un seul poéte à vingt milles à la ronde. Et il disait aussi qu'à l'époque, les étudiants se pressaient studieusement à ses leçons, aussi bien de textes que de commentaires, c'est-à-dire du pensionnat*. Et que c'était un grand scandale si un étudiant se promenait dans la rue sans avoir sous le bras son *Pierre d'Espagne ou ses *Petites Logiques. 1. Cet homme obscur était déjà l'auteur de la lettre II, 19, très similaire à IL, 58. 2. Psaume CXV (Vulgate CXIII B), 5, 6. Cette formule s'applique aux idoles des paiens. 3. Les provinces allemandes. 4. Les leçons de « textes » (litt. : « de forme ») consistaient en lectures des textes (principalement des livres de physique et de logique d'Aristote), que le maitre enseignait à diviser en leurs parties constitutives pour en dégager l'argumentaire. Les leçons de «commmentaires » (litt. : « de matiére ») consistaient en lectures de commentaires, qui en expliquaient le contenu, notamment par des exemples. On peut supposer que l'ensemble de ces leçons constituaient l'enseignement du pensionnat, car l'adjectif bursales se rapporte sans doute aux /ectiones des deux types.

TOMUS

II, EPIST. 46

557

46 Magister Cunradus Unckebunck Magistro Ortvino Gratio salutem plurimam dicit. « Os habent et non loquentur ; oculos habent et non videbunt ;

aures habent et non audient. » Psalmista. Hzc verba possunt sic introduci et thematisari! ad propositum meum. Magister Ortvinus habet os et non loquitur, ita ut semel diceret alicui Curtisano qui tendit Romam : « salutetis mihi dominum Cunradum Unckebunck. » Et habet oculos et non videt : quia scripsi ei multas litteras et non respondet mihi quasi non legens seu videns. Et tertio habet aures et non audit : quia commendavi multis sociis quando iverunt ad partes, ut salutarent eum ; sed ipse non audivit salutationes meas, quia non respondit illis. Ergo peccatis valde, quia ego amo vos. Et ergo debetis me iterum amare. Sed non facitis, quia non scribitis mihi nihil. Et vellem libenter quod sæpissime scriberetis mihi, quia quando lego litteras vestras, lætificant me in corde intus. Attamen intellexi, quod habetis paucos auditores, et est querela vestra quod Buschius et Cæsarius trahunt vobis scholares et supposita abinde, cum tamen ipsi non sciunt ita exponere poetas Allegorice sicut vos, et superallegare sacram scripturam. Credo quod diabolus est in illis poetis. Ipsi destruunt omnes universitates. Et audivi ab uno Antiquo Magistro Lipsensi qui fuit magister XXXVI annorum, et dixit mihi, quando ipse fuisset iuvenis, tunc illa universitas bene stetisset,

quia in XX miliaribus nullus poeta fuisset. Et dixit etiam quod tunc supposita diligenter compleverunt lectiones suas formales et Materiales seu bursales. Et fuit magnum scandalum quod aliquis studens iret in platea et non haberet Petrum Hispanum aut Parva logicalia sub brachio. Et si fuerunt Grammatici,

1. Ce terme technique ronflant est décalqué du grec 9euaxíCetv.

558

VOLUME

Les

étudiants

II, LETTRE

en latin, eux, portaient

46

les Parties’

d'*Alexandre

ou le

* Vademecum ou Y *Entraínement des enfants, ou le * Petit Ouvrage ou les textes de Jean de *Sinthen. Et dans les écoles, ils écoutaient attentivement et ils honoraient les *maîtres ès arts. Et quand ils voyaient un maître, ils étaient aussi terrifiés que s'ils avaient vu un diable. Et il disait aussi qu'à l'époque, on passait *bachelier quatre fois par an, et chaque fois par cinquante ou soixante. En ce temps-là, l'université était florissante. Si quelqu'un étudiait un an et demi, il était promu bachelier. Et maître au bout de deux ans et demi ou trois ans. Comme ça, les parents étaient satisfaits et ils donnaient leur argent de bon cœur. Car ils voyaient que leurs fils accédaient aux honneurs.

Alors que maintenant, les étudiants veulent suivre des cours sur Virgile et Pline? et les autres nouveaux auteurs. Et ils ont beau suivre des cours pendant cinq ans, ils n'obtiennent pas de diplóme. Alors, quand ils reviennent au pays, leurs parents leur disent : — Qu'est-ce que tu es ? Ils répondent qu'ils ne sont rien, mais qu'ils ont étudié la *poésie. Alors, les parents ne savent pas ce que c'est. Et quand ils voient qu'ils ne sont pas méme maîtres d'école, ils sont mécontents contre cette université et ils regrettent leur argent. Et après, ils disent aux autres :

— N'envoyez pas vos fils à l'université, car ils n'apprennent rien et ils passent leurs nuits dans les rues à faire des mauvais coups. Donner de l'argent pour les études, c'est le jeter par la fenétre ! Et ce maitre me disait encore qu'à son époque, il y avait bien deux mille étudiants à Leipzig, autant à Erfurt, quatre mille à Vienne et autant à Cologne, et ainsi dans les autres. Alors que maintenant, il n'y a pas dans toutes les universités réunies autant d'étudiants que dans une ou deux à l'époque. Et les maitres de Leipzig se lamentent beaucoup du petit nombre des étudiants. Car les poètes leur font du tort. Et quand les parents envoient leurs fils dans les pensionnats ou les colléges, ils ne veulent pas y rester et, au lieu de cela, ils vont chez les poétes et ils étudient des saletés. Et il m'a dit qu'il avait autrefois quarante pensionnaires à Leipzig. Et que, quand il allait à l'église ou au marché, ou à la promenade au Rosengarten, ils marchaient derriére lui. Et à l'époque, c'était un grave délit? d'étudier la littérature. Et si quelqu'un avouait à la confession qu'il avait pris clandestinement des cours sur Virgile auprés d'un bachelier, alors, le prétre lui imposait une pénitence 5. 6. 7. 8.

Le Manuel d' Alexandre de Villedieu était divisé en trois parties. Donnés par Jean Czsarius et Hermann Busch. Litt. : « grammairiens », c'est-à-dire latinistes. Contre les statuts des universités.

TOMUS

II, EPIST.

46

559

tunc portabant Partes Alexandri vel Vade mecum vel Exercitium puerorum, aut Opus minus, aut dicta Iohannis Sinthen. Et in scholis advertebant diligenter. Et habuerunt in honore magistros Artium. Et quando viderunt unum Magistrum, tunc fuerunt perterriti quasi viderent unum diabolum. Et dixit etiam quod protunc quater in anno promovebantur bacularii et semper pro una vice sunt sexaginta aut quinquaginta. Et illo

tempore universitas illa fuit multum in flore. Et quando unus stetit per annum cum dimidio, fuit promotus in bacularium, et per tres annos, aut duos cum dimidio, in Magistrum. Et sic parentes eorum

fuerunt contenti, et libenter exposuerunt pecunias, quia videbant quod filii sui venerunt ad honores. Sed nunc supposita volunt audire Virgilium et Plinium et alios novos autores. Et licet audiunt per quinque annos, tamen non promoventur. Et sic quando revertunt in patriam, dicunt eis parentes « Quid es ? » Respondent

parentes non

quod

sunt

nihil, sed studuerunt

sciunt quid est. Et quando

in Poesi. Tunc

vident quod non sunt

Grammatici, tunc sunt male contenti super illam universitatem, et pænitent de pecunia. Et dicunt postea aliis : « Non mittatis filios vestros ad universitatem, quia nihil student, trufantes in plateis per noctem. Et est inutilis pecunia quz datur ad studium. » Et dixit mihi amplius talis Magister quod tempore suo fuerunt bene duo millia studentes in Liptzicgk et Erfordiæ totidem, et Viennæ quatuor millia et Coloniz etiam tot, et sic de aliis. Nunc autem in omnibus universitatibus non sunt tot supposita sicut tunc in una aut duabus. Et magistri Lipsenses nunc valde conqueruntur de paucitate suppositorum. Quia poetz faciunt eis damnum. Et quando parentes mittunt filios suos in bursas et collegia, non volunt ibi manere, sed vadunt ad poetas et student nequitias. Et dixit mihi quod ipse Liptzigk olim habuit quadraginta domicellos, et quando ivit in Ecclesiam vel ad forum vel spaciatum in Rubetum, tunc iverunt post eum. Et fuit tunc magnus excessus studere in poetria. Et quando unus confitebatur in confessione quod occulte audivit Virgilium ab uno baculario, tunc Sacerdos imponebat ei magnam paenitentiam, videli-

560

VOLUME

II, LETTRES

46-47

grave, comme par exemple jeüner tous les vendredis?, ou réciter chaque jour les sept *psaumes pénitentiels. Et il m'a juré sur sa conscience qu'il avait vu un *maîtrisant se faire recaler, car un des examinateurs l'avait vu une fois faire un cours sur Térence un jour férié. Si seulement ça pouvait encore se passer comme ça dans les universités,

alors, je n'aurais pas besoin de faire autant le larbin ici à la *Cour. Car qu'estce que nous allons faire dans les universités ? Nous n'en tirons aucun profit. Car les gars ne veulent pas rester plus longtemps dans les pensionnats, ni sous «l'autorité» des maitres. Et sur vingt étudiants, il y en a à peine un qui essaye de passer ses diplómes. Par contre, ils veulent tous étudier les *humanités. Et quand un maître fait son cours, il n'a aucun auditeur, alors que les poètes, dans leurs cours publics, ont un nombre d'auditeurs incroyable. Et c'est comme qa que les universités périclitent dans toute l'Allemagne. Nous devons donc prier Dieu pour que tous les poétes meurent, car mieux vaut qu'un seul périsse!?, etc., en d'autres termes, il vaut mieux que les poétes, qui sont en petit nombre dans n'importe quelle université, meurent, plutót que toutes les universités disparaissent. Mais vous, répondez-moi à la présente, sans quoi je vous ferai une longue complainte sur vos promesses non tenues. Portez-vous bien. Donné à Rome.

47 (Quatre débats *quodlibétiques : 1. Pourquoi les dominicains ont-ils une grosse voix ? 2. Saint Dominique est-il supérieur à saint Thomas ? 3. Dfefferkorn restera-t-il chrétien ? 4. Les noms propres ont-ils un pluriel ?)

Frère Benoît d'Écosse! à Maître Ortwin Gratius par une fraternelle et affectueuse amitié en guise de salut. Je vous fais savoir, comme vous l'avez demandé, que votre lettre m'a été

apportée à la fête de saint Michel?, et je vais répondre à vos dernières article par article. 9. C'était déjà l'obligation de tous les fidéles en temps normal. 10. Jean XI, 50.

1. Un Thomas d'Écosse, théologien à Cologne, avait polémiqué contre Wigand *Wirt pour défendre la thése de l'immaculée conception. 2. Le 29 septembre.

TOMUS

II, EPIST.

46-47

561

cet ieiunare singulis sextis feriis, vel orare cottidie septem psalmos pænitentiales. Et iuravit mihi in conscientia sua quod vidit quod unus magistrandus fuit reiectus, quia unus de examinatoribus semel in die festo vidit ipsum legere in Terentio. Utinam

adhuc staret ita in Universitatibus, tunc etiam ego non

vellem ita servire hic in Curia. Quia quid debemus facere in universitatibus ? Nos non habemus proficuitatem. Quia socii non volunt amplius stare in bursis vel sub Magistris. Et quando sunt viginti studentes, vix unus intendit procedere ad gradus. Sed omnes alii volunt studere in humanitate. Et quando unus magister legit, tunc non habet auditores, quia poetæ in resumptionibus suis habent tot auditores quod est mirabile. Sic omnes Universitates per totam Almaniam minorantur. Ergo debemus deum orare quod moriantur omnes poetz, quia « expedit vobis ut unus moriatur .etc. », id est, ut poetae quorum sunt pauci in qualibet universitate, moriantur potius quam quod tot universitates pereant. Vos autem scribite mihi posthac : vel faciam unam longam querelam de negligentiis vestris commissis. Valete. Datum Rommaz.

47 Frater Benedictus de Scocia Magistro Ortvino Gratio fraternali et affectuosa dilectione salutis loco præmissa. Notum facio vobis sicut petitis, quod epistola vestra est mihi præsentata in festo sancti Michælis, et volo respondere ad proximas vestras articulariter.

562

VOLUME

II, LETTRE

47

Primo, vous demandez pourquoi nous autres, les fréres précheurs, nous chantons avec une voix plus puissante que les autres religieux.

Je dis que je n'y vois pas d'autre raison que ce qui est écrit dans Jsaie, 59 : « Nous rugissons tous comme des ours et nous gémissons comme des colombes. »? C'est pour cette raison que je crois que saint Dominique a voulu accomplir cette prophétie. Secundo, vous me demandez lequel je considére comme le plus saint, de saint Thomas, ou de saint Dominique. Je dis qu'il y a diverses opinions. D'ailleurs, les docteurs de notre ordre en débattent de diverses façons : Les uns pensent que saint Dominique est plus saint du point de vue de sa vie, mais pas du point de vue de sa science, et qu'au contraire, saint Thomas est plus saint du point de vue de sa science, mais pas du point de vue de sa vie. Les autres pensent simplement que saint Dominique est plus saint, et ils le prouvent par deux raisons : La première est : car saint Dominique est le fondateur de notre ordre ; et ainsi, saint Thomas, qui était membre de l'ordre, fut son disciple ; or, /e disciple ne peut pas dépasser le maítre* ; COFD. La seconde est : parce que la science ne peut l'emporter sur la vie et les actions. Donc, bien que saint Thomas ait été plus savant que saint Dominique, il n'en est pas plus saint pour autant. Les autres soutiennent simplement que saint Thomas est plus saint, car il n'y a aucun autre docteur parmi tous les saints qui soit appelé « *saint docteur » en dehors de saint Thomas. Donc, de méme qu'Aristote est appelé «le Philosophe » et Paul « l'Apótre », ainsi saint Thomas est appelé « le Saint » à cause de sa supériorité. Donc, ce n'est pas seulement dans la science, mais aussi dans la sainteté

qu'il est supérieur à saint Dominique. On me répondra que saint Thomas est appelé « le Saint », non pas parce qu'il est simplement plus saint que tous les autres saints, mais en tant qu'il est plus saint parmi les saints docteurs. Et ainsi, il n'est pas plus saint que saint Dominique. Il y a méme un vétéran de notre ordre qui m'a dit qu'il allait me montrer, dans un livre vieillissime, qu'il est interdit de débattre de la supériorité de ces deux saints. Donc, j'abandonne cette question et je ne veux pas en décider. Solsaie IEPXSUIMT 4. Toujours la méme citation de Matthieu X, 24 et Luc VI, 40.

"TOMUS.

II, EPIST.

47

563

Primo quzritis quare nos fratres praedicatores cantamus grossiori voce quam alii religiosi. Dico quod non ob aliam rationem puto nisi quod scribitur Esaiæ .LIX. « Rugiemus quasi ursi omnes, et quasi columbæ gememus. » Et propterea credo quod sanctus Dominicus voluit implere istam prophetiam. Secundo quzritis quid teneo, an sanctus Thomas vel sanctus Dominicus est sanctior. Dico quod sunt variz opiniones, et doctores ordinis nostri variis modis disputant. Aliqui tenent quod sanctus Dominicus est sanctior merito vitz, sed non merito doctrinz, et per contrarium sanctus Thomas est sanctior merito doctrinz, non merito vita. Ahi putant quod simpliciter sanctus Dominicus est sanctior, et probant duabus rationibus. Prima est quia sanctus Dominicus est auctor ordinis nostri, et sic sanctus Thomas, qui est de illo ordine, fuit eius discipulus. Sed non discipulus super magistrum. Ergo. Secunda est quia doctrina non habet prærogativam ad vitam et

gesta. Et

ergo licet sanctus Thomas fuit doctior quam sanctus Dominicus, tamen non propterea etiam est sanctior. Alii volunt quod simpliciter sanctus Thomas est sanctior, quia non est alius doctor inter omnes sanctos qui appellatur « doctor sanctus » praeterquam sanctus Thomas. Et ergo sicut Aristoteles appellatur « Philosophus » et Paulus « Apostolus », sic sanctus Thomas propter eminentiam vocatur « Sanctus ». Et ergo non solum in doctrina, sed etiam in sanctitate est maior quam sanctus Dominicus. Respondetur quod sanctus Thomas vocatur « sanctus » non quod est sanctior omnibus aliis sanctis simpliciter, sed tantum inter sanctos doctores est sanctior. Et sic non est sanctior quam sanctus Dominicus. Etiam dixit mihi unus antiquus de ordine nostro, quod vult mihi ostendere in uno libro veterissimo, quod prohibitum est disputare de superioritate inter istos duos sanctos. Et ergo relinquo hanc quæstionem et non volo eam decidere.

564

VOLUME

II, LETTRE

47

Tertio, vous me demandez si je pense que Jean * Pfefferkorn persévérera dans

la religion chrétienne. Je réponds que par Dieu ! je ne sais pas ce que je dois dire, car c’est très dangereux. Vous connaissez bien cet exemple à Saint-André de Cologne*. Un doyen de cette église était un juif baptisé et il resta très longtemps dans la religion chrétienne, et il vécut très droitement. Mais ensuite, à l’article de la mort, 1l ordonna qu’on lui apporte un lièvre et un chien, et il les fit courir. Aussitôt, le chien attrapa le lièvre. Alors, il ordonna de faire courir un chat et une souris. Et le chat attrapa la souris. Alors, il dit aux nombreux assistants : — Voyez-vous comment ces animaux ne peuvent abandonner leur nature ? De la méme fagon, un juif ne peut pas abandonner sa religion. C'est pourquoi, aujourd'hui, je veux mourir en bon juif. Et il mourut. Alors, les citoyens de Cologne, en mémoire de ce fait, ont fait fabriquer ces statues de bronze, que l'on voit encore devant le mur du cimetière’. J'ai également entendu parler d'un autre, qui de la méme façon, parvenu à l'article de la mort, ordonna qu'on lui apporte une grosse pierre, qu'on la mette dans une grande marmite remplie d'eau, et qu'on la mette à cuire sur le feu. Il la laissa bien trois jours sur le feu. Alors, il demanda si elle était cuite. On lui répondit que non, car il n'est pas possible qu'une pierre puisse cuire. Alors, il répondit : — De méme que cette pierre ne ramollira jamais au feu, aucun juif ne deviendra jamais un vrai chrétien. Ils ne le sont que par appát du gain, par peur ou par esprit de traitrise. Quant à moi, aujourd'hui, je veux mourir comme un juif fidèle. Donc, par Dieu ! Maitre Ortwin, il faut craindre sérieusement à propos de Jean Pfefferkorn, bien que j'espére que le Seigneur Dieu lui donnera une gráce spéciale et le maintiendra dans la religion. En tout cas, nous devons toujours dire qu'il est certain qu'il restera toujours chrétien, à cause de Jean Reuchlin et de ses partisans. Quarto, vous me demandez ce que je pense des noms propres : s'ils n’ont pas de pluriel, comme le soutiennent les latinistes anciens, * Alexandre et les autres, ou au contraire, s'ils ont un pluriel, comme le pensent les modernes et les nouveaux,

comme * Dioméde et * Priscien. 5. Sur ce théme récurrent, cf. les lettres II, 30 et 60. 6. Lieu de l'autodafé des Besicles du 10 février 1514. 7. Ces statues, qui ont aujourd'hui disparu, auraient été réalisées au XIII? siècle, pour illus-

trer la fable dont parle la lettre (selon d'autres sources, elles se seraient trouvées sur le tympan d'un porche de l'église Saint-André).

TOMUS

II, EPIST.

47

565

lertio quzritis an etiam puto quod Iohannes Pfefferkorn perseverabit in fide christiana ? Respondeo quod per deum nescio quid debeo dicere, quia est valde periculosum. Vos bene scitis illud exemplum ad sanctum Andream Coloniz, qualiter unus Decanus eiusdem ecclesiz Iudaeus baptisatus diutissime mansit in fide christiana, et vixit rectissime. Sed postea in articulo mortis iussit sibi portare unum leporem et canem, et misit eos currere. Tunc statim canis apprehendit leporem. Tunc iterum iussit currere unum Catum et murem, et Catus apprehendit murem. Et dixit multis circumstantibus : « Videtis quod ista animalia non dimittunt naturam suam ? Sic etiam Iudæus nunquam dimittit fidem suam. Ergo etiam hodie volo mori sicut bonus Iudzus. » Et mortuus est. Tunc cives Colonienses in memoriam facti illius fecerunt has areas imagines quz adhuc sunt super murum ante cimiterium. Item audivi de alio, qui similiter in articulo mortis constitutus iussit sibi portare unum lapidem magnum, et ponere eum in olla cum aqua et ponere ad ignem ad coquendum. Et stetit bene tres dies apud ignem. Tunc quæsivit an esset coctus. Responderunt quod non, quia non est possibile quod unus lapis deberet coqui. Tunc respondit ipse : « Sicut iste lapis nunquam fit mollis apud ignem, ita etiam nunquam aliquis Iudaus fit recte christianus. Sed faciunt hoc propter lucrum vel propter timorem vel propterea quod possint facere unam proditionem. Et ego hodie volo mori sicut fidelis Iudaeus. » Ergo per Deum, Magister Ortvine, timendum est valde de Ioanne Pfefferkorn, quamvis spero quod dominus deus dabit ei specialem gratiam et conservabit eum in fide ; et nos debemus utique semper dicere quod pro certo semper manebit christianus propter Ioannem Reuchlin et suos adhzrentes. Quarto interrogatis quid teneo de propriis nominibus, an carent plurali numero sicut tenent antiqui grammatici, Alexander et alii, an vero habent pluralem sicut opinantur moderni et novi, ut Diomedes

et Priscianus.

566

VOLUME

II, LETTRES

47-48

Je réponds qu'il faut dire que les noms propres n'ont pas de pluriel, en tant que noms propres. Mais, il arrive parfois qu'on les décline au pluriel, et dans ce cas, il faut les prendre comme des noms communs, comme « les deux Jacques », à savoir

les deux apótres qui s'appelaient Jacques ; « les deux Catons », à savoir les deux rois ou savants sénateurs romains qui s'appelaient ainsi ; « les trois Maries? », à savoir les trois femmes qui portaient ce nom. Je vous ai répondu selon mes capacités. Si j'en savais plus, je vous répondrais mieux. Prenez-le donc en bonne part. Et saluez beaucoup pour moi *Not' Maitre *Arnold de Tongres, mon très cher précepteur. Et portez-vous bien. Donné à Stralsund.

48 (Dernières nouvelles de l'éléphant du pape, du traité de Noyon et de l'idéal du bonheur d'un curé de campagne) Jean Leveau à Maitre Ortwin Gratius un salut amical. Honorable Seigneur, Vénérable Maitre, Sachez que je m'étonne vraiment comment vous pouvez me tracasser ainsi en m'écrivant toujours : « Écrivez-moi donc quelque chose de nouveau ! » Vous voulez sans cesse avoir des nouvelles, mais moi, je n'ai pas que ca à faire ! Je ne peux donc pas m'occuper beaucoup des nouvelles, car je dois passer mon temps à courir ici et là pour solliciter, si je ne veux pas perdre mon procès et que ce *bénéfice me passe sous le nez. Mais, si ca peut vous faire plaisir, je vais vous écrire une fois, pour que vous me laissiez tranquille avec les nouvelles.

Vous avez sürement entendu dire que le pape avait une grosse béte qu'on appelle un éléphant, et qu'il le comblait d'honneur, et qu'il l'aimait beau8. Allusion à une violente querelle qui divisait les théologiens de l'époque, sur la question de savoir si les trois Marie dont parlent les Évangiles étaient une seule femme (selon la tradition médiévale) ou trois différentes. *Lefévre d'Etaples défendit cette dernière thèse en 1517 dans son De Maria Magdalena et triduo Christi disceptatio.

TOMUS

II, EPIST.

47-48

567

Respondeo, quod dicendum est, quod propria careant plurali in quantum propria. Sed aliquando tamen declinantur in plurali, et tunc debent exponi per appellativa, ut duo Iacobi, id est duo apostoli qui fuerunt nominati Iacobus ; duo Catones, id est duo reges vel sapientes Senatores Romani vocati taliter ; tres Mariæ, id est tres mulieres habentes tale

nomen. Respondi vobis pro posse meo. Si scirem melius, etiam melius responderem vobis. Et ergo accipiatis in bonam partem. Et salutate mihi plurimum Magistrum nostrum Arnoldum Tungari praeceptorem singularissimum. Et Valete. Datum Sundis.

de

48

Ioannes Kalp! Magistro Ortvino Gratio salutem amicabilem. Honorabilis Domine, Venerabilis Magister, Sciatis quod miror valde, quomodo sic potestis me tribulare scribendo mihi semper « Scribatis mihi tamen aliquid novi. » Et semper vultis scire novalia, cum tamen ego habeo alia ad agendum. Et ergo non possum multum curare de novitatibus, quia oportet me currere hincinde et sollicitare, si non volo perdere sententiam et venire de

beneficio illo. Sed tamen si vultis esse contentus, tunc semel volo scribere vobis,

ita quod postea permittatis me in pace cum novitatibus. Vos bene audivistis qualiter papa habuit unum magnum animal quod vocatum fuit Elephas, et habuit ipsum in magno honore, et

1. De l'allemand Kalb (= veau).

568

VOLUME

coup. tombé leur a —

II, LETTRE

48

Eh bien, apprenez maintenant que cet animal est mort. Quand il est malade, le pape a été trés triste. Il a appelé plusieurs médecins et il dit : Si c'est possible, guérissez-moi mon éléphant !

Alors, ils se sont donné beaucoup de mal. Ils ont regardé son urine, et ils lui ont donné une purge qui coûtait cinq cents *gulden. Mais ils n'ont quand même pas réussi à faire chier l'éléphanr, et voilà qu'il est mort. Et le pape est plein de chagrin pour son éléphant. Et on dit qu'il donnerait mille *ducats pour un éléphant ! Car c'était un animal extraordinaire, qui avait une trompe d'une longueur extréme. Et quand il voyait le pape, il s'agenouillait devant lui et il disait avec une voix terrible : « Bar, bar, bar ! » Je pense qu'il n'y a aucun animal semblable au monde. On dit que le roi de France et le roi Charles ont signé la paix pour de nombreuses années! et qu'ils se sont prété serment mutuellement. Mais certaines personnes pensent que cette paix est hypocrite et qu'elle ne durera pas longtemps. Je ne sais pas ce qu'il en est, et d'ailleurs, je m'en fiche. Car, quand je retournerai en Allemagne, j'irai dans ma paroisse et j'y prendrai du bon temps. Car j'aurai là-bas beaucoup d'oies, de poules et de canards, et je peux avoir dans ma maison cinq ou six vaches, qui me donneront du lait pour faire du fromage et du beurre. Car je vais avoir une cuisinière pour me les fabriquer. Mais il faudra qu'elle soit vieille. Car si elle est jeune, elle me donnera des tentations de la chair, et je pourrais pécher. Il faudra aussi qu'elle file, car je lui achéterai du lin. Et je vais avoir deux ou trois porcs, que je vais engraisser pour qu'ils me fassent du bon lard. Car avant tout, dans ma maison, je veux avoir de la bonne chére. Et je vais aussi tuer un bœuf de temps en temps. J'en vendrai la moitié aux paysans, et je ferai fumer l'autre moitié. Et derrière la maison, j'ai un jardin, où je vais semer de l'ail, des oignons, du persil, et je vais avoir des choux, des navets et d'autres légumes. Et en hiver, je resterai dans ma chambre à préparer ce que je devrai précher aux paysans, dans les *Sermons préparés ou les «Sermons du» *disciple, ou méme dans la Bible, jusqu'à ce que j'aie l'habitude de précher. Et en été, j'irai pécher ou jardiner dans le potager. Et je ne m'occuperai pas des guerres, car je veux m'occuper de moi, réciter mes priéres et dire les messes, et ne pas me soucier de ces affaires du monde qui causent la perdition de l’âme. Portez-vous bien.

Donné à la *Cour de Rome. 1. Francois I* signa le traité de Noyon avec Charles de Gand (le futur Charles Quint) le

13 août 1516.

TOMUS

II, EPIST.

48

569

valde amavit illud. Nunc igitur debetis scire quod tale animal est mortuum. Et quando fuit infirmum, tunc Papa fuit in magna tristitia, et vocavit medicos plures, et dixit eis :

« Si est possibile, sanate mihi Elephas. » ' Tunc fecerunt magnam diligentiam et viderunt ei urinam, et dederunt ei unam purgationem quz constat quinque centum aureos. Sed tament non potuerunt Elephas facere merdare. Et sic est mortuum. Et papa dolet multum super Elephas. Et dicunt quod daret mille ducatos pro Elephas. Quia fuit mirabile animal habens longum rostrum in magna quantitate. Et quando vidit Papam, tunc geniculavit ei et dixit cum terribili voce bar, bar, bar. Et credo quod non est simile animal in mundo. Dicunt quod rex Franciæ et rex Karolus fecerunt pacem ad multos annos et iuraverunt invicem. Sed videtur aliquibus quod talis pax est cautelosa, et non durabit diu. Ego nescio quomodo est. Etiam non multum curo. Quia quando venio iterum ad Almaniam, tunc ibo ad pastoriam meam et habeo bonos dies. Quia habebo? ibi multas aucas et gallinas et annetas, et possum habere in domo mea quinque vel sex vaccas, quz dabunt mihi lac quod facio caseos et butirum. Quia volo habere Cocam quz facit mihi talia. Et debet esse antiqua. Quia si esset iuvenis, tunc faceret mihi tentationes carnis, ita quod possem peccare. Ipsa etiam debet mihi nere, quia emam ei linum. Et volo habere duos vel tres porcos et volo eos impinguare quod faciunt mihi bonum lardum. Quia ante omnia volo in domo mea habere bona coqualia. Etiam volo semel mactare unum taurum, et dimidium volo vendere rusticis, et dimidium volo suspendere in fumo. Et retro domum habeo hortum, ubi volo seminare allium, cæpas,

petrosilium, et volo habere olera et rapas et alia. Et ego volo in hieme sedere in stuffa mea et studere quod possim rusticis praedicare in sermonibus Parati vel Discipuli, vel etiam in Biblia, ita quod ero habituatus ad praedicandum. Et in zstate volo ire piscatum vel laborare in horto. et non volo curare de bellis, quia volo esse pro me, et dicere orationes meas et legere missas, et non curare ista mundana negocia quz afferunt perditionem anima. Valete. Datum Romanz Curiz. 2. Le texte dit : « habeo ».

570

VOLUME

II, LETTRE

49

49 (Érasme est un hérétique et les Besicles vont étre traduites en latin)

Philippe Rapetasseur!, d'Erfurt A Maitre Ortwin Gratius saluts à souhaiter honorablement à Votre Honorabilité. Vénérable Seigneur Maitre,

Ainsi que vous m'avez écrit, qu'il y a un *poéte en Allemagne, appelé *Érasme de Rotterdam, qui a rédigé beaucoup de livres et surtout il a écrit une lettre au pape dans laquelle il défend Reuchlin. Apprenez que j'ai vu

cette lettre?. Mais depuis, j'ai vu un autre gros livre qui s'appelle Le Nouveau Testament, et il a envoyé ce livre au pape. Et je crois qu'il voudrait bien que le pape authentifie ce livre?. Mais j'espére que cela n'arrivera pas. Car le Maitre du Sacré Palais*, qui est un personnage remarquable et de grande réputation, a dit qu'il va prouver que cet Érasme est un hérétique car, dans certains passages, il critique le *saint docteur et il compte les théologiens pour rien du tout. Et avec ça, il a écrit une chose qui s'appelle la Folie d'Érasmé, qui contient beaucoup de propositions scandaleuses et peu respectueuses, et à certains endroits, des blasphémes ouverts. C'est pour cela que les Parisiens? veulent faire brüler ce livre. Donc, je ne crois pas que le pape authentifiera ce gros livre. Même *Not Maitre Jacques de la *Grand-Rue a bon espoir. Hier, il m'a invité à déjeuner et il m'a dit qu'à la vérité le cardinal? lui avait dit qu'il aurait une sentence favorable. Mais Jean Wick*, qui est le *procurateur de Jean Reuchlin, lui fait de grands tracas. J'étais présent la fois où Not? Maitre Jacques lui a dits — Voilà maintenant que tu es contre moi ! Eh bien, crois-moi bien, si j'obtiens la victoire, je te persécuterai tellement que tu ne seras nulle part en

sécurité en Allemagne? ! 1. On avait déjà eu unThomas Rapetasseur en I, 1 et un Josse Rapetasseur en II, 11. 2. Il s'agit de la lettre du 21 mai 1515. 3. Erasme avait envoyé à Léon X sa nouvelle traduction latine du Nouveau Testament réalisée à partir de manuscrits grecs. La lettre en question est datée du 28 avril 1515, de Londres. Le pape lui répondit en l'assurant de son appui dans cette entreprise révolutionnaire. 4. Le dominicain Sylvestre *Prieras, ennemi déclaré de Reuchlin, puis d' Érasme. 5. Il s'agit évidemment de l’Éloge de la Folie, publié pour la première fois en 1511 à Paris chez Gilles de Gourmont. 6. Les théologiens de la Sorbonne. 7. Bernardin de *Carvajal. 8. Cette menace allait se réaliser, car Wick fut poursuivi par la rancune tenace de Hochstraten jusqu'en 1533, oü les chanoines du couvent de Wastenau le massacrérent en tant que défenseur de la Réforme.

TOMUS

II, EPIST. 49

571

49 Philippus Sartoris de Erfordia Magistro Ortvino Gratio salutes honorabiliter optandas Honorabilitati Vestra. Venerabilis Domine Magister, Sicut nuper scripsistis mihi quod quidam poeta in Almania dictus Erasmus Roterodamus componit multos libros, et precipue composuit unam epistolam ad Papam, in qua commendavit Iohannem Reuchlin. Sciatis quod vidi illam epistolam. Sed adhuc vidi unum alium librum magnum qui intitulatur « Novum Testamentum », et misit illum librum ad Papam. Et credo quod libenter vellet quod Papa autenticaret illum librum. Sed spero quod non fiet. Quia Magister sacri Palatii qui est vir notabilis et magnz reputationis, dixit, quod vult probare quod Erasmus ille est hæreticus, quia in quibusdam passibus reprehendit doctorem sanctum et nihil tenet de Theologis. Et cum hoc scripsit unam materiam quz vocatur Moria Erasmi, qua habet multas propositiones scandalizativas et parum reverentiales, et aliquando continet apertas blasphemias. Quapropter Parrisienses volunt comburere talem librum. Ergo etiam non credo quod Papa autenticabit illum magnum librum. Etiam Magister noster Iacobus de alta platea est in bona sperantia. Heri invitavit me ad collationem, et dixit mihi veraciter quod Cardinalis dixit sibi, quod debet habere sententiam pro se. Sed Iohannes Wick qui est Procurator Iohannis Reuchlin, facit ei magnam instantiam. Ego semel affui quod Magister Noster Iacobus dixit ad eum « Ecce tu iam es contra me, et credas mihi firmiter, si habuero victoriam, ego tribulabo te ita quod in tota Almania non eris securus. »

572

VOLUME

II, LETTRES

49-50

Et il lui dit à nouveau : — Je sais que Reuchlin ne pourra pas te payer”, et es-tu tellement téméraire que tu veuilles te faire détester par l'ensemble de l'ordre ? Enfin, il y a un autre, à savoir le docteur *Martin de Groningue, qui doit traduire!? les *Besicles. J'ai entendu dire que Not’ Maitre Jacques lui donnera cent *ducats en cachette s'il falsifie les Besicles. S'il le fait, vous aurez la victoire. Et j'espére que le docteur le fera!!. Si vous apprenez quoi que ce soit à ce sujet, écrivez-le moi. Portez-vous bien de Rome.

50 (Les humanistes ridiculisent nos prophéties) Maitre Adolphe Tintoreilles à Maitre Ortwin Gratius dit de nombreux saluts. Comme je vous l'ai expliqué l'autre jour!, ici, les gens ont l'habitude de débattre avec moi de Jean Reuchlin et du procés en *matiére de religion. Apprenez que, après que vous m'eütes envoyé le livre de Jean *Pfefferkorn qui s'appelle * Défense de Jean Pfefferkorn contre les diffamatoires, je suis allé voir un type qui me contredit toujours. Je lui ai montré un passage dans ce livre, vers la fin, à savoir en O 1j, où il est écrit ceci : « Il y a 20 ans, si je me souviens bien,

Jean *Lichtenberger, a/as Ruth, l'ermite pèlerin (dont les prédictions ont été imprimées à Mayence en latin et en allemand?) a prophétisé sur nous autres, de Cologne. C'est ainsi qu'il écrit au folio 16 : “Prenez garde, ó vous, les philosophes de Cologne, que les loups voraces ne s'introduisent pas dans votre bergerie ! En effet, à votre époque, des choses nouvelles et inouies se produiront dans vos églises, dont le Tout-Puissant vous préserve !" » Pendant qu'il lisait cela, il restait tranquille et réfléchissait. Puis il a dit : — p'admire la stupidité des théologiens ! Prenez-vous tous les gens pour des enfants, pour essayer de leur faire avaler des choses pareilles ? Eh bien, 9. Cf. lettre I, 26.

10. Les Besicles avaient été rédigées par Reuchlin en allemand. *Léon X ordonna donc qu'on les traduisit en latin, afin que tous les théologiens pussent le lire dans la méme langue officielle, sans craindre les falsifications de la partie adverse. 11. Dans la préface de l'ouvrage, Martin de Groningue est muet sur cette tentative de cor-

ruption et Bócking pense que c'était peut-étre une calomnie des reuchlinistes. 1. Par sa précédente lettre II, 25.

2. En 1488.

TOMUS

II, EPIST.

49-50

573

Et iterum dixit ad eum : « Ego scio quod Reuchlin non habet tibi dare pecuniam, et tu es ita temerarius quod vis tibi totum ordinem ad inimicitiam facere ? » Postea est unus alius, scilicet doctor Martinus Groningen qui debet transferre Speculum Oculare. Ego intellexi quod Magister noster Iacobus

dabit ei centum

ducatos in occulto, quod falsificabit

Speculum Oculare : et si faciet, tunc eritis victores. Et spero quod ille doctor faciet. De talibus quicquid scitis debetis mihi scribere. Valete ex Roma.

50

Magister Adolfus Clingesor! Magistro Ortvino Gratio salutem plurimam dicit. Sicut nuper intellexistis de me quod solent hic mecum disputare de Iohanne Reuchlin et causa fidei. Sciatis quod postquam misistis mihi illum librum Iohannis Pfefferkorn qui intitulatur « Defensio Iohannis Pfefferkorn contra famosas », tunc ivi ad quendam qui semper tenet mihi oppositum, et ostendi ei in illo libro circa finem scilicet O 1j, ubi sic scribitur « Ante .XX. annos, si bene memini, nobis Coloniensibus a Iohanne Lichtenberger sive peregrino Ruth heremita, (cuius prognostica Moguntiae tam latine quam teutonice

impressa sunt) vaticinata fuisse. Sic enim scribit folio .XVI. "Attendite, o vos Philosophi Colonienses, ne lupi rapaces introeant in ovile vestrum. Nam temporibus vestris exurgent nova et inaudita in ecclesiis vestris qua almipotens avertat. ? » Cum ille legisset, stetit modicum, et pensavit. Deinde dixit : « Ego miror stultitiam Theologorum. Creditis quod omnes homines sunt pueri, quod possitis eis persuadere talia ? Sed quia

1. De l'allemand khngen (= tinter) et Ohr (= l'oreille).

574

VOLUME

II, LETTRE

50

puisque les théologiens de Cologne veulent avoir l'air tellement subtils, moi, je vais vous montrer une prophétie concernant Jean Reuchlin, qui est encore plus à propos. Et ensuite, je vous démontrerai encore que cette prophétie qu'ils montrent est en faveur de Reuchlin et non pas contre lui ! Regardez donc Sophonie, premier chapitre, où le prophète dit : « Et il arrivera dans ce temps que j'examinerai Jérusalem avec des torches, et je fouillerai ceux qui restent immobiles sur leurs excréments, et qui disent dans leur cceur, etc. »? Maintenant, puisque vous autres, à Cologne, vous prétendez faire dire aux Écritures ce qui vous arrange, écoutez comment moi aussi je peux commenter les paroles du prophète. Donc, le Seigneur dit par la bouche du prophète : « Et il arrivera, dans ce jour, que j'examinerai Jérusalem » signifie : « l'inspecterai mon Église, dans l'idée de la réformer et d'en ôter les erreurs, s'il y en a chez elle. » « Je ferai cela avec des torches » signifie : « gráce à des hommes trés savants, comme

sont en Allemagne *Érasme de Rotterdam, Jean Reuchlin,

*Mutianus Rufus et d'autres ». « P'inspecterai les hommes » signifie : « les théologiens ». « Qui restent immobiles » signifie : « endurcis dans leur obstination ». « Sur leurs excréments » signifie : « dans cette sorte de théologie sordide, ténébreuse et inepte », qu'ils ont usurpée depuis quelques siécles, en abandonnant les anciens théologiens lettrés qui ont marché à la vraie lumiére des Écritures. Car eux, ils ne connaissent ni les lettres latines, ni les grecques, ni les hébraiques, qui leur permettraient de comprendre les Écritures. Par conséquent, ayant abandonné la théologie vraie et originelle, ils ne font plus rien d'autre que débattre et argumenter en soulevant des questions inutiles. Et en faisant cela, ils disent qu'ils défendent la religion catholique, alors qu'il n'y a personne autour d'eux qui combatte la religion. De ce fait, ils perdent leur temps inutilement et n'apportent rien d'utile à l'Église de Dieu. Car, si leurs *débats avaient une quelconque utilité, ils pourraient s'en servir pour l'avantage de l'Église de la religion catholique, en allant à travers le monde pour précher la parole de Dieu, comme les apótres. Ils débattraient contre les Grecs pour les faire rentrer dans l'union avec l'Église romaine. Ou bien, s'ils ne voulaient pas aller si loin, ils iraient au moins en Bohéme pour convaincre ces gens? grâce à leurs arguments et leurs syllogismes. Mais ils ne le font pas. Et en revanche, ils débattent là où cela ne sert à rien. « Donc, le Seigneur les inspectera » [signifie :] et il enverra certains autres docteurs, savants en grec, en latin et en hébreu, qui, « aprés que les excréments aient été évacués », c'est-à-dire « aprés que la théologie ait été débarrassée de ces sottises ineptes et aberrantes, ainsi que des commentaires Obscurs », apporteront des flambeaux et éclaireront les Écritures, et nous res3. Sophonie, I, 12. 4. Les hussites (cf. lettre II, 57).

TOMUS

II, EPIST.

50

575

Theologi Colonienses volunt ita subtiles videri, ego ostendam vobis

unam prophetiam de Iohanne Reuchlin quz magis erit ad propositum. Et postea demonstrabo etiam illam prophetiam quam illi ponunt, quod est pro Reuchlin et non contra eum. Videatis igitur Sophoniz primo, ubi propheta sic dicit : “Et erit in tempore illo, scrutabor Hierusalem in lucernis et visitabo super defixos in fæcibus suis, qui dicunt in cordibus suis etc." Nunc quia vos Colonienses prætenditis scripturas trahere ad placitum vestrum : Audiatis quomodo etiam ego possum exponere verba prophetæ. Dicit ergo dominus per os prophetæ : “Et erit in die illa, scrutabor Hierusalem", id est visitabo ecclesiam meam, cogitans reformare eam, et tollere errores si sunt aliqui in ea ; et “hoc faciam in lucernis", id est mediantibus doctissimis viris, sicut sunt in Almania Erasmus Roterodamus, et Iohannes Reuchlin, et Mutianus Ruffus et alii ; "et visitabo super viros", id est Theologos, “defixos”, id est obstinaciter induratos,

“in fecibus suis", id est in quadam sordida et tenebricosa et inepta "Theologia, quam ante pauca sæcula usurpaverunt sibi, relinquentes illos antiquos et literatos Theologos qui in vera luce scripturarum ambulaverunt. Ipsi autem non sciunt neque latinas neque græcas neque hebraicas literas, ut possint scripturas intelligere. Et ergo relicta vera et originali Theologia, nihil amplius faciunt nisi quod disputant et argumentantur et movent inutiles quzstiones. Et ista faciendo dicunt se defendere fidem Catholicam, cum tamen neminem apud se habeant qui pugnat contra fidem. Et sic inutiliter perdunt tempora et non conferunt aliquam utilitatem in ecclesia dei. Sed si disputationes eorum haberent aliquam utilitatem, tunc possunt illam vertere ad commodum ecclesiz fidei Catholicae eundo per mundum et prædicare verbum dei sicut Apostoli, et disputare contra Græcos quod redeant in unionem cum ecclesia Romana. Vel si non vellent longe abire, saltem irent in Bohemiam concludentes illam gentem cum Argumentis et Syllogismis suis. Sed hoc non faciunt. Verum ibi disputant ubi non est opus. *Ergo visitabit eos dominus" et mittet quosdam alios Doctores græce, latine et hebraice doctos, qui “eiectis illis fecibus”, id est ablatis illis ineptis Cavillationibus et adulterinis Theologia et obscuris commentationibus, adducent lucernas suas et illustrabunt scripturas,

576

VOLUME

II, LETTRE

50

titueront l'antique et vraie théologie”, de la méme façon que récemment cet Érasme, dont j'ai parlé, a corrigé les livres de saint Jéróme et les a fait imprimer. Il a méme corrigé le Nouveau Testament, ce qui est à mon avis d'une plus grande utilité que si vingt mille *scotistes ou *thomistes débattaient pendant cent ans de l'*Étre et de l'Essence. Après qu'il eut dit cela, j'ai répondu : — Que Dieu me garde ! Qu'est-ce que j'entends ? Vous étes excommunié de facto ! Et j'ai voulu le quitter. Alors, il m'a retenu en disant : — Écoutez au moins la fin ! J'ai répondu : — Je ne veux pas écouter la fin ! Alors, il a dit :

— Écoutez seulement comment j'expliquerai votre prophétie ! Alors, je me suis dit que j'allais l'écouter. Car ce n'est pas grave d'écouter un excommunié, du moment qu'on ne boit pas ou qu'on ne mange pas avec lui. Alors, il a commencé ainsi :

— « Prenez garde, ó vous, les philosophes de Cologne » : il n'a pas dit «les théologiens », mais « les philosophes », car la théologie de ceux de Cologne est plutót de la philosophie, c'est-à-dire qu'il faut plutót la nommer une technique sophistique que théologique, car elle n'est rien d'autre que sornettes diaboliques et bavardage creux. « Que des loups voraces » : à savoir Jacques de *Hochstraten, *Arnold de Tongres et leurs semblables, qui attaquent violemment et férocement par leurs mensonges et leurs fraudes les brebis innocentes que sont et furent *Pierre de Ravenne et Jean Reuchlin, pour les déclarer hérétiques, car ils sont jaloux de leur science et de leur gloire. Et puisqu'ils voient qu'ils ne peuvent pas réussir comme ces hommes trés savants, ils préfèrent donc les perdre. Ce sont donc eux, les loups voraces qui portent atteinte à la réputation et à la vie des innocents. C'est ainsi que, depuis sept ans déjà, ils ont capturé et trainé de tous cótés le malheureux vieillard Jean Reuchlin. Et si Dieu tout-puissant ne l'avait pas défendu contre cette calamité, ils l'auraient entiérement dévoré.

Et il est impossible d'expliquer que Reuchlin soit ce loup vorace, car dans toute sa vie, il n'a jamais fait aucun tort à qui que ce soit, il n'a jamais accusé quelqu'un à tort, ni agi par ses paroles ni par ses écrits contre la vie ni la réputation de personne. 5. Le contradicteur humaniste de l'homme obscur reprend ici les termes mêmes du titre de l'opuscule d'Erasme intitulé Rario sive Methodus verc Theologiæ, qui accompagnait sa nouvelle traduction du Nouveau Testament de février 1516. 6. Erasme édita entre 1516 et 1518 les neuf tomes des ceuvres de Jéróme chez *Froben à

Bále.

TOMUSME, SBPITSTAAA0

5T

et restituent nobis antiquam et veram Theologiam, sicut nuper ille prenominatus Erasmus emendavit libros sancti Hieronimi, et fecit eos imprimi. Etiam emendavit novum testamentum, quod ego credo esse maiori utilitati quam si viginti milia Scotistæ vel Thomistæ centum annos disputarent de Ente et essentia. » Postquam dixit talia, respondi ego : « Custodiat me Dominus Deus, quid audio ? Vos de facto estis excommunicatus. » Et volui abire ab eo. Tunc tenuit me dicens : «* Audiatis tamen finem. » Respondi : « Nolo audire finem. » Tunc dixit : « Audiatis ergo solum quomodo exponam vestram prophetiam. » Et cogitavi mecum quod volo audire, quia nihil nocet audire unum excommunicatum, dummodo aliquis non bibit vel comedit secum. "Tunc incepit sic : « "Attendite, o vos philosophi Colonienses." Non dixit “Theologi”, sed *philosophi", quia theologia Coloniensium potius est philosophia, id est Ars Sophistica, quam Theologia dicenda, quia nihil aliud est quam garrulitas diabolica et inanis loquacitas. “Ne lupi rapaces", scilicet Iacobus de Hochstraten, Arnoldus de Tungari et similes, qui falsitate et fraudibus suis violenter et ferociter invadunt innocentes oves, quales sunt et fuerunt Petrus Ravennas et Iohannes Reuchlin, volentes eos declarare hæreticos propter doctrinam et laudem suam cui ipsi invident. Et quia vident quod ipsi non possunt talia efficere qualia isti doctissimi viri. Ergo vellent libenter perdere eos. Hi sunt igitur lupi rapaces qui insidiantur famæ ac vitae innocentum. Et sic per septem iam annos rapuerunt et tractaverunt hincinde miserum senem Iohannem Reuchlin. Et nisi omnipotens deus avertisset illud malum, omnino devorassent eum. Et non potest exponi, quod Reuchlin sit ille lupus rapax, quia in tota vita sua neminem rapuit, id est neminem falso accusavit vel contra vitam aut famam eius dictis vel scriptis egit.

578

VOLUME

II, LETTRE

50

Mais soyez attentif au sens des paroles suivantes : « Il s'est introduit dans votre bergerie. » Car ce bon Reuchlin n'a jamais pénétré dans l'université de Cologne. D'ailleurs, il ne s'est jamais soucié des théologiens de Cologne, ni de l'Église de Cologne, car il avait à s'occuper de choses plus utiles. Donc, il ne peut pas étre considéré comme un de ces « loups voraces » dont Lichtenberger juge qu'il devait sortir de la bergerie de Cologne. Ensuite, « car, dans vos temps, des choses nouvelles et inouies se produiront » : « nouvelles et inouies » est exact, car aucun ail n'a vu, ni aucune

oreille entendu, ni aucun cœur humain n'a imaginé! qu'un homme aussi savant et honnéte, qui a fait du bien à tant de gens et n'a jamais fait de mal à personne, puisse, dans son extréme vieillesse, étre si cruellement et perfide-

ment maltraité, tourmenté et persécuté. Il s’ensuit donc : « dans vos églises » ; il ne peut pas être ici question de Reuchlin, car il vit trés paisiblement en dehors de l'Église de Cologne, à savoir dans l'évéché de Constance. « Et ainsi j'espére que les chiens viendront », c'est-à-dire les fidéles gardiens des brebis qui, sans jalousie ni malveillance, font paitre humblement et fidèlement les brebis du Christ, c'est-à-dire le peuple chrétien. « Et ils déchireront ces loups qui ont dévasté la bergerie de Dieu, et ils purifieront l'Église de Dieu », c'est-à-dire qu'ils chasseront ces théologiens sordides et orduriers qui ne savent rien et prétendent tout savoir. Après qu'il eut dit cela, je l'ai quitté, et j'ai juré par tous les saints du ciel que j'allais écrire à Cologne. Je vous prie donc humblement de bien vouloir dire aux *Not' Maitres et à Jean Pfefferkorn, qui est comme le secrétaire de ceux de Cologne et qui sait si merveilleusement rédiger, qu'il les attaque bien par ses écrits. Celui qui a dit ces choses est natif de Berlin. Si vous voulez savoir son nom, écrivez-moi, et je vous le dirai. Il a séjourné à Bologne, où il a été bien chátié. Mais il persiste quand méme à dire du mal des théologiens, et c'est un mauvais chrétien?. Il demeure dans sa perversité, et comme ça, il mourra en enfer, ce dont le Seigneur Dieu vous préserve, ainsi que les théologiens et les frères précheurs, dans tous les siècles des siècles. Amen.

Donné à Francfort-sur-Oder.

7. Citation de I Corinthiens IL, 9.

8. Le portrait de ce « mauvais chrétien » évoque irrésistiblement Hutten lui-méme (en remplaçant Berlin par le château de Steckelberg).

TOMUS

II, EPIST.

50

579

Sed attendatis, quid sonant sequentia verba : “Introivit in ovile vestrum". Quia ille bonus Reuchlin nunquam intravit studium Coloniense. Immo nunquam habuit curam de Theologis Coloniensibus vel ecclesia Coloniensi, sed habuit alia agere maioris utilitatis. Ergo ipse non potest dici unus ex illis lupis rapacibus, de quibus Lichtenberger sentit, qui debet esse ex ovili Coloniensi. Consequenter : “Nam temporibus vestris exurgent nova et inaudita". Bene * nova et inaudita ", quia neque oculus vidit neque auris audivit, neque in cor hominis descendit, quod ita doctus et probus vir,

qui tam multis profuit et nemini unquam nocuit, in summa senectute sua debet ita crudeliter et perfide vexari et conturbari et persecutionem pati. Et ergo sequitur “in ecclesiis vestris", quapropter non potest de Reuchlin allegari, quia ipse benignissime vivit extra ecclesiam Coloniensem, scilicet in Episcopatu Constantiensi. “Et sic spero quod venient Canes", id est fideles Custodes ovium, qui sine Invidia et malevolentia humiliter et fideliter pascent oves Christi, id est populum Christianum ; “et dilacerabunt illos lupos qui vastaverunt ovile dei, et purgabunt Ecclesiam dei", id est eiicient illos sordidos et fæculentes theologos qui nihil sciunt et omnia scire prætendunt. » Postquam talia dixit, recessi ab eo, et iuravi ad sancta sanctorum

quod volo scribere ad Coloniam. Peto ergo humiliter quod velitis ista dicere Magistris Nostris et Iohanni Pfefferkorn qui est quasi scriptor Coloniensium et scit mirabiliter componere, ut bene vexet eos scriptis suis. Ille qui dixit ista, est natus ex Perlin. Si vultis nomen eius scire, tunc scribatis mihi, et dicam vobis. Ipse stetit Bononiz, ubi fuit bene castigatus. Sed tamen adhuc loquitur contra Theologos et est male Christianus. Et manet in pravitate sua, et ergo morietur in gehenna, a qua dominus deus conservet vos et Theologos et fratres Prædicatores per omnia sæcula sæculorum. Amen. Datum Franckfordiæ apud Oderam.

580

VOLUME

II, LETTRE

51

51 (La fin du monde est proche)

Jean Lassistant (en latin : Jupiter)! à Maitre Ortwin salut en se recommandant trés humblement à lui.

Vénérable Seigneur Maitre, Comme vous m'avez écrit que vous avez de l'admiration pour moi, du fait que je me donne le nom de Jupiter, sachez que, lorsque j'étudiais à Vienne, j'ai suivi des cours de littérature, et il y avait là-bas un certain jeune *poeéte, qui était l’élève de Conrad *Celtis, et qui se nomme Georges *Sibutus. Il était mon collégue et nous ne faisions qu'un seul. Il m'a dit : — Tu devrais t'appeler Jupiter, car en latin, Jupiter veut dire la méme chose que « l’assistant » [Helferich] en allemand. C'est ainsi que l'on m'appelle maintenant Jupiter. Or, ce poéte est maintenant à Wittenberg et, là-bas, il s'est pris une archi-vieille femme qui a vécu soixante-dix-huit ans, ou méme un peu plus. Une fois, j'ai été chez lui, quand je revenais de Prusse. La vieille était assise derrière le poêle. Alors, je lui ai dit : — C'est votre mére ? Il a répondu : — Non, mais c'est ma femme et mon épouse ! Alors, je lui ai dit : — Pourquoi est-ce que vous avez choisi une si vieille femme ? Il m'a répondu qu’elle est encore bonne pour la fornication. Et aussi qu'elle a beaucoup d'argent et qu'elle sait faire de la bonne biére, qu'elle la vend ensuite, et que cela lui rapporte de l'argent. Alors, j'ai dit : — Vous avez bien fait ! Et je lui ai demandé : — Comment s'appelle votre femme ? Il a répondu : — Je l'appelle ma Corinne, ma Lesbie, et aussi ma Cynthia?. Mais passons à autre chose. Vous m'écrivez que vous pensez que le Jugement dernier est imminent. 1. Ce jeu de mots est particuliérement « intraduisible ». On lit en effet chez Cicéron, dans La Nature des dieux (De natura deorum) Yl, 25 : « Iuppiter, id est iwvans pater », ce qui induit l'étymologie : Juvans pater (= «le père aidant »). Cette « étymologie » devient en allemand : Helferich (« celui qui aide », c'est-à-dire « l'assistant »). On pourrait donc également nommer notre homme obscur : « Jean Larpète ». 2. Ce sont les noms respectifs des amoureuses des poétes érotiques latins Ovide (Corinne), Catulle (Lesbie) et Properce (Cynthia).

TOMUS

II, EPIST. 51

581

51 Iohannes Helferich Latine Iuppiter! Magistro Ortvino salutem cum humillima commendatione sui.

Venerabilis Domine Magister, Sicut scribitis mihi quod habetis admirationem abinde quod voco me Iuppiter, sciatis quod quando steti Viennz, tunc audivi lectiones in poetria, et fuit ibi quidam iuvenis poeta qui fuit discipulus Cunradi Celtis et vocatur Georgius Sibutus. Ipse fuit socius meus et semper fuimus una. Et dixit mihi : « Tu debes vocari Iuppiter, quia Iupiter latine est idem quod Helferich teutonice. » Et sic vocant me nunc Iuppiter. Sed ille poeta nunc est Wittenbergk, et ibi accepit unam antiquam vetulam quz vixit annis septuaginta octo vel paulo plus. Ego fui semel in domo eius, quando ambulavi ex Prussia. Tunc illa vetula sedit retro fornacem. Tunc dixi m « Est ista Mater vestra ? » Respondit : « Non, sed est Femina et Uxor mea. »

Et dixi ei : « Quare sumpsistis ita antiquam vetulam ? » Respondit quod est adhuc bona in fornicatione. Et etiam habet multum pecuniz et scit facere bonam Cerevisiam, et postea vendit eam et colligit pecuniam. » Tunc dixi : « bene fecistis. » Et interrogavi : « Quomodo vocatur Femina vestra ? » Respondit : « Ego voco eam Corinna mea, Lesbia mea, et Cynthia mea. »

Sed transeant illa. Scribitis quod videtur vobis quod statim erit extremum iudicium.

1. Voir la note 1 de la page précédente.

582

VOLUME

II, LETTRE

51

Car le monde est à présent tellement corrompu qu'il n'est pas possible qu'il puisse encore empirer, et les gens font des mauvaises actions à un point extraordinaire. Car les jeunes veulent égaler les vieux, les disciples les maîtres et les juristes les théologiens. Il en sort une grande confusion et surgissent de nombreux hérétiques et pseudo-chrétiens, tels que : Jean Reuchlin, *Érasme de Rotterdam, Wilibald Je-ne-sais-qui?^, Ulrich «von» Hutten, Hermann *Busch, Jacques *Wimpfeling qui a écrit contre les augustins*, et Sébastien *Brant qui a écrit contre les «fréres» précheurs (qu'on s'en plaigne à Dieu !) et les a injuriés témérairement. Et ainsi surgissent de nombreux scandales dans la religion et je veux bien vous croire, car j'ai lu que ces choses doivent immédiatement précéder le Jugement dernier. Mais maintenant, je veux vous signifier une autre chose que j'ai entendu dire — et elle m'a été affirmée pour vraie par un père religieux — c'est que l'on tient pour certain que l'Antéchrist est né, mais qu'il est encore petit. Il a méme dit qu'une certaine révélation a été faite à un certain chartreux. Celui-ci, une fois, alors qu'il dormait dans sa cellule, a entendu une voix du ciel qui disait : « Le monde va périr, le monde va périr, le monde va périr ! » Alors, ce religieux a eu peur et il a voulu dire quelque chose, pendant qu'il récitait à voix basse ses prières contre la tentation du Diable. Alors, cette voix a recommencé à crier. Et elle a encore recommencé une troisième fois. Alors, comprenant dans son esprit que c'était la voix du Seigneur, il a répondu : — Seigneur, pourquoi ? La voix a répondu : — À cause de ses péchés ! Alors, de nouveau, le religieux a dit : — Seigneur, quand ? La voix a répondu : — Dans dix ans ! Voilà pourquoi j'ai trés peur. De plus, quand j'ai traversé Bologne, j'ai entendu dire qu'il y avait là-bas un citoyen qui est possédé par un esprit nommé Rilla. Et cet esprit lui dit des merveilles sur le roi de France, l'empereur, le pape et la fin du monde. J'ai lu ses prédictions. Ainsi, je vous ai écrit ce que je sais. Avec ca, soyez recommandé au Seigneur Dieu.

Donné à la *Cour de Rome. 3. Dans sa * Défense..., Pfefferkorn avait qualifié le grand reuchliniste Willibald *Pirckheimer, de « Wilibald Je-ne-sais-qui » (« ab ipso Bilibaldo (nescio quo) », f° Mijo, reproduit dans Bócking,

Suppl. I, p. 156). 4. Wimpfeling avait dénoncé en 1505 la corruption des augustins de Fribourg-en-Brisgau, ce qui lui avait valu deux convocations à Rome.

TOMUS

II, EPIST.

51

583

Quia mundus ita nunc est peioratus quod non est possibile quod potest amplius peiorari, et homines habent sic malos gestus quod est mirabile. Quia iuvenes volunt se æquiparare senibus, et discipuli magistris, et Iurista Theologis. Et est magna confusio, et surgunt multi hæretici et pseudo Christiani, Iohannes Reuchlin, Erasmus Roterodamus, Bilibaldus nescio quis, et Ulrichus Huttenus, Hermannus Buschius,

Iacobus Wimphelingus qui scripsit contra Augustinenses, et Sebastianus Brant qui scripsit contra Prædicatores (quod sit deo conquestum) et temerarie vituperavit eos. Et sic multa scandala surgunt in fide, et bene credo vobis, quia legi quod talia debent immediate praecedere extremum iudicium. Sed adhuc aliud volo significare vobis quod audivi et dictum est mihi veraciter ab uno religioso patre, quod dicitur pro certo quod AntiChristus est natus. Sed est adhuc parvus. Etiam dixit quod facta est quzedam revelatio cuidam ordinis Carthusiensium. Qui quando semel dormivit in cella sua, audivit unam vocem de cælo dicentem : « Peribit mundus, peribit mundus, peribit mundus. » Tunc ille religiosus timuit et voluit aliquid dicere, sed occulte fecit Orationes suas contra tentationem diaboli. Tunc incepit iterum clamare vox illa. Et etiam tertio incepit. Tunc ipse intelligens in spiritu quod esset vox domini, respondit : « Domine, quare ? » Respondit vox illa : « Propter peccata sua. » Tunc iterum dixit religiosus : « Domine, quando ? » Respondit vox illa : « Adhuc in .X. annis. » Propterea timeo valde. Et quando ambulavi per Bononiam, audivi quod est ibi unus Civis qui habet spiritum, qui vocatur Rilla. Et ille spiritus mirabilia dicit ei de rege Franciæ et Imperatore et Papa, et de fine mundi. Ego legi prophetias eius. Sic scripsi vobis quid ego scio. Cum hoc sitis commendatus domino deo. Datum Romanz Curiz.

584

VOLUMBEJTL

LETTRE

52

52 (Gratius est un grand savant, car il a beaucoup de livres)

Henri Lapiquette à Maitre Ortwin Gratius amitié et soumission éternelle par devant Votre Seigneurie, et quoi que je puisse faire pour Votre Seigneurie, ici et en tous lieux, méme honnétes!. Vénérable Seigneur Maitre, J'envoie ci-joint à Votre Seigneurie un livre remarquable et trés profitable. De plus, il me semble que ce livre est rédigé avec un grand savoir-faire car il contient des propositions vraiment magistrales, et il s'appelle l'* Explication raisonnée des choses divines. Je l'ai acheté ici, quand il s'est trouvé sur le marché et j'ai dit : — Voici un livre pour Maitre Ortwin. Dieu soit loué que je l'aie trouvé ! Car je vais le lui envoyer, comme il m'a envoyé l'autre jour le livre de Jean *Pfefferkorn qui s'appelle * Défense de Tean Pfefferkorn contre les diffamatoires, que cet homme a rédigé dans l'intention de défendre la sainte religion catholique contre Jean Reuchlin et ses suppóts, qu'il couvre de bons sarcasmes. Mais, vous pourriez dire : — Pourquoi est-ce qu'il m'envoie ce livre ? Est-ce qu'il croit que je n'ai pas assez de livres ? Je réponds que ce n'est pas pour cette raison. Et si vous pensiez que je vous ai envoyé ce livre pour cette raison, vous me feriez injure, car je l'ai fait dans une bonne intention. Et ne croyez pas que je vous méprise parce que vous n'avez pas beaucoup de livres, car je sais que vous en avez beaucoup. Car j'ai bien vu, quand je suis venu dans votre chambre, à Cologne, que vous aviez beaucoup de livres de grand et de petit format. Les uns avaient des reliures en bois, les autres en parchemin. Certains étaient entiérement recouverts en cuir rouge, vert ou noir, d'autres ne l'étaient qu'à moitié. Et vous étiez assis, avec un plumeau à la main, pour en nettoyer les poussiéres. Alors, j'ai dit : — Maitre Ortwin, par Dieu ! vous avez beaucoup de beaux livres et vous les tenez en haute considération ! Alors, vous m'avez dit que c'est à cela que je dois reconnaitre si quelqu'un est savant ou pas. Car celui qui honore les livres, honore aussi les sciences. Et par contre, celui qui n'honore pas les livres, n’honore pas non plus les sciences.

1. Cf. l'adresse de la lettre I, 10.

TOMUS

II, EPIST. 52

585

52 Henrichus Schluntz! Magistro Ortvino Gratio amicitiam et servitutem dominationi vestræ a parte ante semper, et quicquid possum pro dominatione vestra hic et ubique et in omnibus locis et honestis.

Venerabilis Domine Magister, Mitto Dominationi Vestre hic unum notabilem et multum proficualem librum. Et videtur mihi quod talis liber est compositus multum artificialiter, habens in se propositiones valde magistrales, et

vocatur « Rationale divinorum ». Ego emi hic quando fuit in nundina et dixi : « Iste liber est pro Magistro Ortvino. Laudetur deus quod inveni eum. Quia volo ei mittere, sicut ipse nuper misit mihi librum Iohannis Pfefferkorn qui intitulatur “Defensio Iohannis Pfefferkorn contra Famosas", quem talis vir composuit intentionaliter defensorium Sacræ fidei Catholicæ contra Iohannem Reuchlin et sequaces, dando eis bonas scommas. » Sed possetis dicere : « Quare talis mittit mihi talem librum ? Credit quod non met habeo libros satis ? » Respondeo quod non facio propterea. Et quando putatis quod misi vobis talem librum propterea, tunc facitis mihi iniuriam, quia feci cum bona opinione. Et non debetis credere quod parvipendo vos, quod habetis paucos libros. Quia scio quod habetis multos libros. Quia vidi bene quando fui in stuffa vestra Coloniz, quod habuistis multos libros in magna et in parva forma. Et aliqui fuerunt ligati in asseribus, aliqui in bergamenibus. Et aliqui fuerunt per totum cum corio rubeo et viridi et nigro, aliqui pro dimidio supertracti. Et vos sedistis habens flabellum in manu ad purgandum pulveres abinde. Tunc ego dixi : « Magister Ortvine, Vos per deos habetis multos pulchros libros et tenetis eos in magno honore. » Tunc dixistis mihi, quod ita debeo cognoscere quando aliquis est doctus vel non. Quia qui honorat libros, honorat etiam scientias. Et

econtra qui non honorat libros, etiam non honorat scientias.

1. Les étudiants d'Erfurt nommaient Schluntz la bière de mauvaise qualité.

586

VOLUME

II, LETTRES

52-53

J'ai donc gardé cette vérité dans mon cœur et je la garde pour tous les siècles des siècles. Amen.

Donné à Naumberg?.

53 (Mort à Jean de Wick, le défenseur de Reuchlin /)

Jean Qui-pue-la-piquette à Maitre Ortwin Gratius.

Vous m'avez écrit tout récemment une lettre trés injurieuse et vous me reprochez de ne pas vous écrire quelle tournure prend le proces en *matiére de religion avec Jean Reuchlin. Et quand j'ai lu cette lettre, j'ai été trés en colére et j'ai dit : — Pourquoi est-ce qu'il m'écrit des choses pareilles, alors que je lui ai déjà écrit deux lettres il y a moins de six mois ? Si les porteurs ne les lui ont pas apportées, qu'est-ce que je peux y faire ? Et vous devez me croire assurément que je vous ai écrit dans le détail et article par article tout ce que je savais. Mais, c'est bien possible que les porteurs ne vous les apportent pas. Surtout, je vous ai écrit que, pendant que je revenais à cheval de Florence à Rome, voilà que j'ai rencontré en chemin le révérend pére Frére Jacques de *Hochstraten, *Not' Maitre et Inquisiteur de la perversité hérétique. Il arrivait de Florence où il avait obtenu quelque chose auprès du roi de France, pour votre procès. Alors, aprés avoir levé mon chapeau, j'ai dit : — Révérend père, est-ce vous, ou n'est-ce pas vous ? Alors, il a répondu : — Jf suis qui je suis !! Alors, j'ai dit : — Vous êtes mon Seigneur Not’ Maitre Jacques de la Grand-Rue, Inquisiteur de la perversité hérétique. Il a répondu : — Dans tous les cas, je le suis P? Et je lui ai tendu la main en disant : 2. Il s'agit peut-étre de Nuremberg, ou bien de Naumburg, oü l'on brassait de la si bonne bière.

1. Hochstraten parle comme Dieu lorsqu'il apparut à Moïse sur le Sinaï (Exode III, 14). 2. Cette fois, Hochstraten parle comme Jésus dans Luc VII, 26.

TOMUS

II, EPIST.

52-53

587

Et tenui in corde meo tale dogma et tenebo per omnia seculorum szecula. Amen. Datum in Neumberga.

53

Iohannes Schluntzick! Magistro Ortvino Gratio. Scripsistis mihi noviter unam litteram valde vituperativam et criminatis me quod non scribo vobis quomodo stat in causa fidei cum Iohanne Reuchlin. Et quando legi illam litteram, fui valde iratus et dixi : « Quare scribit mihi talia, cum ego scripsi ei duas litteras et non est adhuc medius annus ? Sed nuncii non præsentaverunt sibi : quid ego possum facere ? » Et debetis mihi firmiter credere quod scripsi vobis singulariter et articulatim quicquid scivi. Sed est bene possibile quod nuncii non præsentant vobis. Et przcipue scripsi vobis quod quando equitavi ex Florentia versus Romam, tunc in via inveni reverendum patrem Fratrem Iacobum de Hochstraten, Magistrum nostrum et hæreticæ pravitatis Inquisitorem, venientem ex Florentia, ubi impetravit aliquid in causa vestra per regem Franciæ. Tunc detracto pileo meo dixi : « Pater reverende, estis vel non estis ? » Tunc respondit : « Ego sum qui sum. » Tunc dixi : « Vos estis dominus meus Magister noster Iacobus de alta platea, Inquisitor hæreticæ pravitatis. » Respondit : « Sum utique. » Et dedi ei manum dicens :

1. On peut entendre une assonance entre Schluntzig (= qui boit de la mauvaise bière) et Schmutzig (= sale).

588

VOLUME

II, LETTRE

53

— Ô mon Dieu ! Comment se fait-il que vous arriviez à pied ? C'est un scandale qu'un homme tel que vous doive marcher à pied dans la merde et la fange ! Il a répondu : — Les uns vont en voiture, les autres à cheval. Mais nous, nous allons au nom

du Seigneur P Je lui ai dit : — Mais il pleut beaucoup et il fait froid ! Alors, il a levé les mains vers le ciel en disant : — Cieux, épanchez-vous là-haut, et que les nuages déversent la justice * Et je me disais en moi-méme : — Ó mon Dieu ! N'est-ce pas une grande misére que ce Not? Maitre soit en si mauvaise posture ? Il y a deux ans, je l'ai vu arriver à Rome avec trois chevaux, et maintenant, il marche à pied ! Et je lui ai dit : — Voulez-vous mon cheval ? Il m'a répondu par ce vers :

« Qui veut faire une bonne action,

doit le faire avec discrétion?. »

Alors, j'ai dit : — Par Dieu, éminent Seigneur ! Je suis en train de négocier une vacance «de *bénéfice», alors, il faut que je me dépêche. Autrement, c'est avec plaisir que je vous donnerais mon cheval ! Et je l'ai planté là. Voilà ! Comme ça, vous savez comment ça va. Et vous savez que ce Not Maitre est dans une grande misère, et qu'il faut donc que vous lui procuriez de l'argent, sinon, le procès va mal tourner. Car Jean de *Wick, le *procurateur de Jean Reuchlin, est trés efficace et il fait des tas de démarches. L'autre jour, il a méme présenté certains documents contre Not’ Maitre Jacques, tellement scandaleux que je m'étonne que Dieu ne l'ait pas ouvertement chátié. L'autre jour, il a méme injurié le susdit Not? Maitre, en lui disant en pleine face : — À l’aide de la vérité, je ferai en sorte que tu meures dans la honte, la misère et la tristesse, et que Jean Reuchlin triomphe. Et tous les théologiens verront cela, méme s'ils doivent en crever ! Je constate ainsi que le susdit Jean de Wick s'affirme comme l'ennemi de tous les théologiens et que c'est un homme trés audacieux. Il est méme téméraire à un point incroyable ! J'ai entendu Not Maitre Jacques dire : 3. Citation du psaume XX (Vulgate XIX), 8. 4. Citation d'Isaie, XLV, 8.

5. Litt. : « Celui qui donne aux autres ne doit pas dire “Voulez-vous ?" »

TOMUS

II, EPIST.

53

589

« O deus, quomodo venit quod inceditis per pedes ? Est scandalum quod talis vir debet pedibus suis ambulare per merdam et per lutum. » Respondit ipse : « Hi in curribus et hi in equis. Nos autem in nomine domini venimus. » Dixi ei : « Sed nunc est magna pluvia et frigus. » Tunc levavit manus suas ad caelum dicens : « Rorate cæli, desuper, et nubes pluant iustum. » Et cogitavi mecum : « O Deus, non est magna miseria quod talis Magister noster debet habere malam fortunam ? Ante duos annos ego vidi eum venire Romam cum tribus equis, et nunc vadit per pedes. » Et dixi ei : « Vultis equum meum ? » Respondit ipse metrice : Qui dare vult aliis, non debet dicere « Vultis ? »

Tunc dixi : « Per deum, eximie domine, ego habeo unam vacantiam, et prop-

terea oportet me velociter ire. Alias vellem vobis dare equum meum. » Et sic dereliqui eum. Ecce nunc scitis quomodo stat. Et videtis quod ille magister noster est in magna miseria, propterea procuretis ei pecuniam, vel Causa male stabit. Quia procurator Iohannis Reuchlin Iohannes von der Wick facit maximam diligentiam, et currit et recurrit. Et nuper imposuit quaedam scripta contra Magistrum nostrum lacobum, ita scandalosa quod ego miror quod deus non aperte plagat eum. Ipse etiam nuper vituperavit prefatum Magistrum nostrum in faciem, dicens : « Ego efficiam auxilio veritatis, quod tu morieris in scandalo et miseria et tristicia, et Iohannes Reuchlin triumphabit. Et omnes "Theologi debent hoc videre, etiam si deberent rumpi. » Et sic video quod iste predictus Iohannes de Wick praetendit esse inimicus omnium Theologorum et est homo valde audax. Et est ita temerarius quantum est possibile. Ego audivi a Magistro nostro Iacobo quod dixit :

590

VOLUMEBJIL.LETIRE'

53

— S'il n'y avait pas eu celui-là, j'aurais obtenu une sentence en ma faveur dés mon arrivée à Rome ! Et c'est la vérité, car j'ai méme entendu dire par d'autres que, quand Not’ Maitre Jacques est arrivé pour la première fois à la *Cour romaine, il était tellement terrifiant que tous les *courtisans ont eu peur de lui. Et aucun procurateur n'a voulu défendre Reuchlin, car ils craignaient ce Not’ Maitre. Et Jacques de *Questenberg, qui est aussi un ami de Reuchlin, a fait des recherches dans tout Rome pour trouver un procurateur. Et il n'a pas réussi à en trouver, car ils disaient tous qu'ils voulaient bien lui complaire en tout le reste, mais que, dans une *affaire de religion, ils craignaient que Not Maitre Jacques n'instruise contre eux une procédure qui les conduise jusqu'au bücher. Les choses en étaient là, quand le docteur (s'il mérite ce titre) Jean de Wick est arrivé. Il a dit à Jacques de Questenberg : — Moi, je suis prêt à m'opposer à la fureur de ce moine ! Alors, Not’ Maitre Jacques l'a menacé ouvertement en disant : — Je vais faire en sorte que tu regretteras d'avoir prononcé une seule parole en faveur de Reuchlin ! J'ai aussi entendu à l'époque, de sa propre bouche, que, si la sentence était prononcée contre Reuchlin, il attaquerait aussitót en justice le docteur de Wick en le dénonçant comme hérétique. Car il avait extrait de ses déclarations quelques articles hérétiques. Mais maintenant, c'est différent. Et croyez-moi quand je vous dis que l'affaire se présente mal. Car là oü il y a dix partisans de Reuchlin, on n'en trouve pas un seul des théologiens. Et quand, aprés les débats, les théologiens ont votéf, il y en a eu dix-huit qui ont voté pour Reuchlin et seulement sept pour les théologiens. Et encore, ces sept ne disaient pas qu'il fallait brüler les *Besicles, mais ils réservaient leur avis. Je n'ai donc pas bon espoir. Il faut que vous fassiez tout ce qui est en votre pouvoir pour que ce Jean de Wick meure, car c'est à cause de lui que ça va bien pour Reuchlin, et mal pour les théologiens. Et s'il n'avait pas été là, de telles choses n'auraient pas été perpétrées. Et comme ga, je crois que je m'en suis bien tiré en vous écrivant, pour que vous ne puissiez plus, en retour, m'écrire de telles injures. Donc, portez-vous bien. Donné à la Cour romaine.

6. La commission pontificale, présidée par les cardinaux Domenico *Accolti, prononça la sentence acquittant Reuchlin le 2 juillet 1516.

*Grimani et Pietro

TOMUSANT,,

EPIST:553

591

« Nisi fuisset iste, ego habuissem sententiam pro me statim quando veni Romam. » Et est verum, quia etiam ab aliis audivi, quod quando Magister Noster Iacobus primum venit ad Romanam

Curiam, tunc fuit ita ter-

ribilis quod omnes Curtisani timuerunt eum. Et nullus procurator voluit esse pro Iohanne Reuchlin, quia timuerunt talem magistrum nostrum, et Iacobus de Questenbergk qui est etiam Amicus Reuchlin, quæsivit per totam Romam invenire unum procuratorem. Et non potuit invenire, quia omnes dixerunt quod vellent ei in aliis complacere, sed in negocio fidei timerent ne Magister Noster Iacobus inquireret eos ad ignem. Istis sic stantibus venit ille doctor (si est dignus) Iohannes de Wick et dixit ad Iacobum de Questenberg :

« Ego sum paratus offerre me contra Tunc Magister noster Iacobus aperte « Ego volo facere quod pænitebit te verbum pro Reuchlin. » Et audivi ab ore eius tunc temporis

furorem illius monachi. » minavit ei dicens : quod unquam dixisti unum

quod dixit, quando haberet sententiam contra Reuchlin, tunc statim vellet illum doctorem de Wick citare et declarare eum haereticum. Quia ex verbis eius collegit aliquos articulos hæreticales. Sed nunc est aliud. Et credatis mihi quod non bene stat negocium. Quia nunc semper sunt X fautores Iohannis Reuchlin, ubi non est unus Theologorum. Et quando fuit post disputatum a Theologis votatum, tunc fuerunt XVIII qui votaverunt pro Reuchlin et solum septem pro Theologis. Et ad huc illi septem non dixerunt quod deberet comburi Speculum Oculare, sed limitaverunt verba sua. Ergo non habeo bonam sperantiam. Vos debetis omnia facere que potestis quod moriatur ille Iohannes de Wick, quia ipse est causa quod Reuchlin bene stat et Theologi male. Et nisi ipse fuisset, talia non fuissent perpetrata. Et sic credo quod bene expedivi me scribendo quod postea non potestis mihi scribere talia vituperia. Ergo Valete. Datum Romanz Curiz.

592

VOLUME

II, LETTRE

54

54 (La lettre des théologiens de Louvain au pape fait du tort à notre cause) Guillaume Bricot! à Maitre Ortwin Gratius Puisque vous me demandez toujours de vous envoyer des nouvelles, et que pourtant, je vous écris souvent, mais ca ne sert à rien, donc, je vais vous écrire à nouveau, et je pense que Ça suffira. J'ai appris, par une lettre en provenance de la *Cour de la cité de Rome, que Matthieu Pinson?, votre indéfectible partisan, est mort, et certains *courtisans de ses compatriotes m'ont prié comme quoi je veuille bien lui composer une épitaphe. La voici :

Ci-git,liquidé, dit-on, Dans sa rouge toge. Lui dont le ventre autrefois

Dans une foi sincère

le jadis vénérable Pinson Prie Dieu qu’Il le loge. buvait du vin corse avec joie

et une amitié très chères.

Je vous prie aussi que vous vouliez bien m'instruire comment je dois comprendre que les [théologiens] parisiens, quand ils rendent leur sentence sur les *Besicles, écrivent ces mots : « sans pour autant blàmer l'auteur luiméme, que nous considérons comme catholique, en raison de son humble soumission et de ses autres écrits qui sont dignes de louange. »* Car je ne comprends pas ce que ça veut dire que les Besicles doivent être brülés en tant que livre hérétique, sans que soit condamné Jean Reuchlin, qui l'a composé et défendu jusqu'à maintenant. Car il me semble qu'un artisan, qui est la cause efficiente, doit avoir une faute plus grande que la chose qu'il a fabriquée. J'aimerais aussi que ceux de Louvair? n'aient pas écrit, dans leur lettre au pape, que la sentence des Parisiens et la condamnation des Besicles leur 1. Ce nom est peut-être un mixte de ceux de deux maîtres scolastiques très renommés : le franciscain Guillaume Brizo (= l'Anglais, + 1356), qui enseigna et écrivit à Cambridge et à Paris ; et Thomas Bricot (T 1516), professeur de théologie à Paris et membre actif du parti antireuchliniste. 2. Ce Matthieu Pinson (Finck) était l'auteur de la lettre II, 8. 3. C'est-à-dire « non feinte » : paraphrase de II Corinthiens VI, 6. 4. Cette formule se trouvait en fait dans la condamnation promulguée par l'Inquisiteur de Cologne (Hochstraten), qui invitait à l'autodafé des Besicles. Elle avait été reproduite par Pfefferkorn dans sa * Défense contre les diffamatoires (f? I4v, reproduit dans Bócking, Suppl. I,

p. 139).

5. La faculté de théologie de Louvain avait écrit au pape le 23 mai 1515 une lettre contenant ces mots : « Suscepimus... non parum nobis spiritualis iocunditatis attulit ».

TOMUS

II, EPIST. 54

593

54 Wilhelmus Bricot Magistro Ortvino Gratio. Quia semper petitis quod volo vobis nova szepe scribo vobis, sed non iuvat. Ergo iterum credo quod sufficiet. Venit mihi in litera ex Romana Urbis Curia singularissimus fautor vester est mortuus, et manni! sui habuerunt me rogatum quod Epitaphium. Quod feci sic :

scribere, et ego tamen scribere vobis volo, et quod Matthaeus Finck aliqui Curtisani lansvolo ei componere

Hic iacetextinctus |quondam venerabilis Finckus Inrubeatoga; pro eo deum roga, Cuius olim venter — bibit Cursica vina libenter, In fide syncera et Charitate vera.

Unum rogo de vobis quod velitis me tamen instruere quomodo debeo intelligere quod Parrhisienses quando sententiant super Speculum Oculare, ponunt ista verba « citra tamen autoris ipsius notam, quem ob humilem eius submissionem et alia eius laudabilia scripta pro Catholico habemus » : Quia non scio quid est, quod Speculum Oculare debet comburi tanquam liber hæreticus sine infamia Iohannis Reuchlin qui composuit et adhuc defendit eum. Quia videtur quod aliquis artifex, qui est causa efficiens, magis debet habere culpam quam res illa quam facit. Etiam vellem quod Lovanienses in Epistola ad papam non scripsissent, quod Sententia Parrhisiensium et Condemnatio Speculi

1. Allemand : Landsmann (= « pays »).

594

VOLUME

II, LETTRE

54

avaient donné une grande joie spirituelle, car Sa Sainteté le pape va se dire : « Voilà que je comprends qu'il n'y a que de la pure jalousie chez les théologiens. En effet, s'ils étaient théologiens, ou méme simplement des chrétiens, ils devraient avoir de la compassion pour les maux d’un autre chrétien$, plutôt que de la joie et de la jubilation. » Et, croyez-moi que ça va beaucoup renforcer la cause de Reuchlin, et tout le monde va croire qu'il est persécuté par jalousie — ce qui pourtant, si on va au fond des choses, n'a jamais été démontré. Car notre adversaire — ou plutót notre ami dans le Christ — et ses Philocapnions — c'est-à-dire les fils de Jean Reuchlin’, ont causé du tort à Jean *Pfefferkorn, qui s'est défendu et qui a écrit la vérité. Et celui-ci a méme affirmé qu'il préférerait mourir que d'avoir écrit le moindre petit mensonge, bien que le Psalmiste dise : «Tout homme est menteur.» Et il ne faut pas objecter que Jean Pfefferkorn s'est exercé depuis son plus jeune âge (Ô douleur !) aux turpitudes et aux crimes (comme il l’écrit lui-même dans sa Défense contre les diffamatoires). Car, même si une personne a depuis longtemps été une canaille et un malfaiteur, elle peut cependant redevenir honnéte. Ainsi, il faut croire pieusement que Jean Pfefferkorn a été régénéré par la grâce de l'Esprit saint par le moyen du baptéme. Donc, il est maintenant honnéte, comme je n'en doute pas. Et il restera

chrétien jusqu'à la fin du siécle?. J'ai aussi cru comprendre qu'il y a quelqu'un qui vous a terriblement calomnié en allant raconter partout que vous étes le fils d'un prétre et que vous n'étes pas un enfant légitime. Je m'étonne que ces ribauds n'aient aucune honte et soient d'une pareille audace !Vous avez pourtant vos lettres de légitimation ! J'assignerais bien en justice ceux qui disent des choses pareilles ! Et je vous prie aussi de faire grande diligence dans le procés en *matiére de religion, pour que cet hérétique aille au gibet, et ainsi, portez-vous bien. Donné à Worms.

6. Réminiscence de 1 Corinthiens XII, 26.

7. L'homme obscur sait que Reuchlin a hellénisé son nom en « Capnion », mais son ignorance crasse lui fait prendre le mot grec philos (ami) pour le mot latin filius (fils). Il croit donc que les philocapniones (amis de Reuchlin) sont les filiicapniones (fils de Reuchlin). 8. Le Psaume CXVI (Vulgate, CXV), 11 dit littéralement : « Tout homme est mensonge. » 9. Ce reproche de conversion hypocrite avait déjà été formulé dans les lettres I, 48 ; II, 14, 25, 30 et 47. Il reviendra encore en II, 60.

TOMUS

II, EPIST.

54

595

Ocularis attulit ipsis multum Spiritualis iocunditatis, quia Sanctissimus dominus Papa cogitabit : « Ecce nunc video quod nihil est in Theologis nisi pura Invidia : Si enim essent Theologi, immo si

essent Christiani, deberent potius compassionem habere de malis alicuius Christiani quam gaudere et exultare. » Et credatis mihi quod hoc multum promovebit causam Iohannis Reuchlin, et omnes credent quod ex invidia tribulatur : quod tamen in rei veritate nunquam compertum est. Quia ille adversarius noster seu potius in Christo amicus, et sui Philocapniones, id est Filii Iohannis Reuchlin, fecerunt iniuriam Iohanni Pfefferkorn, qui defendit se et scripsit veritatem. Et ipsemet petit quod moriatur si vel minimum mendacium scripsit, quamvis Psalmista dicit : « Omnis homo mendax. » Nec debet obstare quod Iohannes Pfefferkorn in nequitiis et criminibus a puerili proch dolor setate (ut ipsemet scribit in defensione sua contra Famosas) exercitatus est. Quia licet aliquis etiam per longum tempus sit malus et nequitiosus, tamen bene iterum potest fieri probus : sic pie credendum est de Iohanne Pfefferkorn qui regeneratus est per gratiam spiritussancti mediante baptismo. Et ergo nunc est probus sicut non dubito. Et manebit Christianus usque ad finem szculi. tiam intellexi quod quidam valde infamavit vos ubique dicens quod estis filius presbiteri et non estis legittimus. Miror istos ribaldos quod non habent verecundiam et sunt ita audaces. Tamen habetis litteras legitimationis vestræ. Ergo vellem eos citare qui dicunt talia. Et rogo vos quod in Causa fidei velitis habere magnam diligentiam, quod ille hæreticus eat ad patibulum. Et sic Valete. Datum Wormaciz.

596

VOLUME

II, LETTRE

55

55 (Liste des reuchlinistes et des antireuchlinistes de L'Auberge de la Couronne à Mayence)

Maitre Sylvestre Gricius à Maitre Ortwin Gratius Puisqu'en effet j'ai prété serment de défendre ma faculté et de soutenir ses intéréts en toutes circonstances!, je vais donc vous écrire dans le détail qui sont ici ceux qui défendent les théologiens et ceux qui défendent Reuchlin, pour que vous disiez aux théologiens qu'ils puissent agir en conséquence. D'abord, il y a, à l'Auberge de la Couronne, quelques hôtes qui font sans arrêt les pires miséres aux *Not' Maîtres et aux frères de l'ordre des précheurs, et ils font si bien que, dans cette auberge, plus personne ne donne d'aumóne aux précheurs. Je connais les noms de certains d'entre eux : Il y en a un qui s'appelle Maitre Philippe Keilbach, qui parle sans arrét de Reuchlin en le recommandant, et une fois Not’ Maitre Pierre *Meyer, curé de Francfort, l'a bien remis à sa place ! Un certain Ulrich von Hutten, qui est une vraie béte, et qui a dit une fois que si les fréres précheurs lui causaient le méme tort qu'ils causent à Jean Reuchlin, il deviendrait leur ennemi et partout où il trouverait un moine de cet ordre, il lui couperait le nez et les oreilles. En plus, il a beaucoup d'amis à la cour de l'évéque?, qui favorisent bien Jean Reuchlin. Mais maintenant, il est parti (Dieu soit loué !) pour devenir docteur, et on ne l'a pas revu ici depuis un an?. Que le Diable l'emporte ! Ensuite, il y a deux fréres nobles, Otto et Philippe de *Bock. Ils se moquent de tous les théologiens. Et méme, une fois, pendant la sainte cérémonie* que les Not? Maitres ont célébrée à Mayence contre les *Besicles, eh bien, Maitre Jacques de *Hochstraten, en vertu de sa charge, a donné des indulgences à tous ceux qui y assistaient. Alors, les deux fréres sont allés s'asseoir en face des théologiens qui se trouvaient à l'auberge, et ils ont joué les indulgences aux dés avec les autres bouffons. Il y en a aussi un qui s'appelle Jean *Huttich, et qui est aussi un de vos ennemis,

et aussi un autre qui vient d'étre promu docteur en droit, nommé Conrad *Weydman. Lui, il aide tous ceux qui font quelque chose contre vous. 1. Les étudiants prétaient ce serment lors de leur inscription. 2. *Albert de Brandebourg, archevéque de Mayence, qui protégeait Hutten et les humanistes. 3. Hutten était parti en Italie de 1515 à 1517. 4. Lors du jugement du 13 octobre 1513 à Mayence.

TOMUS

II, EPIST. 55

597

55 Magister Sylvester Gricius Magistro Ortvino Gratio.

Quoniamquidem ego sum iuratus quod volo defendere facultatem meam, et promovere eius utilitatem in omnibus. Ergo volo vobis articulariter scribere qui sunt hic qui favent theologis et qui favent Iohanni Reuchlin, ut dicatis Theologis quod possent se dirigere secundum hoc. Primum sunt quidam Commensales in hospitio Coronz qui semper faciunt summas nequitias Magistris nostris et fratribus de Ordine praedicatorum, facientes quod nemo in isto hospitio dat Elemosynam prædicatoribus. Ego scio nomina aliquorum : unus vocatur Magister Philippus Keilbach, qui semper loquitur de Reuchlin

commendans

eum, et semel Magister noster Petrus

Meyer plebanus in Franckfordia dedit ei bonam scommam ; unus Ulrichus de Hutten qui est valde bestialis, qui semel dixit, si fratres praedicatores facerent sibi illam Iniuriam quam faciunt Iohanni Reuchlin, ipse vellet fieri inimicus eorum et ubicunque reperiret unum monachum de hoc Ordine, tunc vellet ei amputare nasum et aures. Iste etiam habet multos amicos in Curia episcopi qui etiam bene favent Iohanni Reuchlin. Sed nunc abivit (deo gratias) ad fiendum doctor, et in uno anno non fuit hic. Diabolus auferat eum.

Deinde sunt duo fratres Nobilitares Otho et Philippus de Bock, ipsi vexant omnes Theologos. Et semel in illo sacro actu quem magistri nostri celebraverunt in Maguntia contra Speculum Oculare, tunc Magister Iacobus de Hochstraten ex officio suo dedit indulgentias omnibus qui interfuerunt huic actui. Tunc isti duo fratres cum aliis bufonibus sedendo in conspectu Theologorum qui fuerunt ibi in hospitio, luserunt cum talis pro illis indulgentiis. Adhuc est ibi unus qui vocatur Iohannes Huttichius qui etiam est inimicus vester. Et alias est quidam noviter promotus in doctorem in Iure, nominatus Cunradus Weydman. Ipse iuvat omnes qui faciunt aliquid contra vos.

598

VOLUME

II, LETTRE

55

Et aussi un autre docteur, qui était autrefois *artien à l'école *moderne, et qui s'appelle *Eucharius. Et avec lui Nicolas *Carbach, qui enseigne la *poésie. De méme, Henri *Brumann, qui est vicaire à la cathédrale et bon organiste. Et je lui dis toujours : « Occupez-vous de vos orgues et laissez les théologiens en paix ! » Mais avant tout, presque tous les chanoines sont pour Reuchlin. Et surtout, il y a beaucoup d'autres maitres qui aiment la *littérature, dont je ne me rappelle pas les noms.

Maintenant, je vais vous parler de vos amis et de vos partisans. Vous avez ici un ami, qui est un homme très excellent. Il s'appelle le Seigneur Adulaire Schwan. Il est noble et il a un calice sur son blason. Son pére était fondeur de cloches. Il est un controversiste subtil de l'école des *scotistes et il fabrique de bons arguments. Il dit d'ailleurs qu'il pourrait immédiatement venir à bout de Jean Reuchlin, s'il devait débattre avec lui. Il y en a un autre qui est votre partisan acharné, du nom de Henri *Han, alias Riton Lacloche, car il adore sonner les cloches. C'est un personnage trés inventif, et il a un esprit merveilleux, et une intelligence d'une profondeur telle que vous ne pourriez pas le croire, et il adore débattre. Et quand il débat, ca le fait rire, et quand il rit, alors, il gagne. Et lui, quand il a vu les articles hérétiques de Jean Reuchlin, il a dit que pour un seul de ces articles, Jean Reuchlin devrait être brálé. Ensuite, vous avez aussi dans votre compagnie, un noble damoiseau, un homme d'armes, qui s'appelle Matthias de *Falckenberg. C'est un homme trés belliqueux et il porte toujours ses armes sur lui et il est chevalier. À table, il s'assied toujours de face, et jamais de dos, car il dit que, s’il était de dos et qu'il y avait une guerre, il ne pourrait pas se lever tout de suite pour attaquer ses ennemis. Et avec ça, c'est un argumentateur trés subtil de l'ancienne école. Il dit que, si Reuchlin ne cesse pas, alors, il va venir à votre aide avec cent chevaux. Il y a aussi un citoyen de Mayence, qui s'appelle Wigand de *Solms. Il est jeune, mais tellement savant qu'il pourrait égaler un Not’ Maître. Il dit qu'il voudrait débattre avec Reuchlin pour dix *florins. Et l'autre jour, il a dominé Jean Huttich dans un débat au point qu'il a été vaincu et n'a rien su répondre. Avec eux, il y a encore de votre cóté le Seigneur *Werner, qui fait des cours admirables sur la Somme contre les gentils de *Thomas, et qui sait par cœur les Formalités de *Scot. Il dit que, si Not’ Maître de Hochstraten n’était pas à la *Cour, alors, il irait lui-même et il viendrait à bout de Jean Reuchlin. Ceux de vos collégues que j'ai nommés se réunissent chaque semaine chez Monsieur l'Excellent Seigneur Not’ Maître *Barthélemy, qui est le chef

'"FOMUS

II, EPIST..55

599

Et alius doctor qui olim fuit Artista de via modernorum, et vocatur Eucharius. Et cum hoc Nicolaus Carbachius qui legit in poesi. Item Henrichus Brumannus qui est vicarius in summo et est bonus Organista. Et dico semper ei : « Vos deberetis respicere organa vestra et dimittere Theologos in pace. » Sed ante omnia Canonici fere omnes sunt pro Reuchlin ; preterea multi alii magistri qui amant poetriam, quorum nomina non teneo. Nunc scribam vobis de Amicis et fautoribus. Vos habetis hic unum Amicum qui est vir multum excellens, et vocatur dominus Adularius Schwan. Ipse est nobilis et habet unum Calicem in clypeo. Pater eius fuit Campanifex. Et est subtilis disputator in via Scotistarum, et facit bona Argumenta. Et dicit quod statim vellet concludere Iohannem Reuchlin, si deberet cum eo disputare. Alius est fautor vester singularissimus, dictus Henricus Han, alias Glockenheintz, quia libenter campanisat. Ille est homo valde inventivus, et habet mirabilem intellectum, et ita profundum ingenium quod non creditis, et libenter disputat. Et quando disputat, tunc ridet, et ridendo concludit unum. Talis quando vidit Articulos hæreticales Iohannis Reuchlin, tunc dixit, quod propter unum ex istis articulis

Iohannes Reuchlin deberet comburi. Postea habetis etiam de vestra compania unum nobilem domicellum et armigerum qui dicitur Matthias de Falckenberg. Et est vir multum bellicosus et portat semper arma secum et est equestris. Ipse semper in mensa sedet ante et nunquam retro, quia dicit quod quando sederet retro et fieret bellum, tunc non posset ita statim surgere et percutere inimicos suos. Et cum hoc est argumentator multum subtilis de via antiquorum. Ipse dicit, si Reuchlin non vult cessare, tunc vult venire cum centum equis ad auxiliandum vobis. Adhuc est unus civis Moguntinensis qui nominatur Wigandus de Solmf. Ille est iuvenis, sed ita doctus, quod potest æquivalere unum

Magistrum Nostrum. Ipse dicit quod vellet cum Reuchlin disputare pro X florenis. Et nuper superdisputavit Iohannem Huttichium ita quod fuit conclusus et nihil scivit respondere. Cum illis est etiam de via vestra dominus Wernherus qui est mirabiliter cursivus in Summa Thomæ contra gentiles, et scit mentetenus

formalitates Scoti, qui dicit, si Magister noster de Hochstraten non esset in Curia, tunc ipse vellet intrare et concludere Ioannem Reuchlin. Isti socii vestri iam nominati singulis septimanis semel conveniunt in domo excellentis viri domini Magistri nostri Bartholomzi, qui est

600

VOLUME

II, LETTRES

55-56

de tous vos amis. Ils y traitent de sujets trés subtils. Et ils se présentent mutuellement des objections. Si l'un défend le point de vue de Reuchlin, les autres argumentent contre lui?, et ils ont *des débats remarquables. Je ne sais rien au sujet des autres qui sont de votre parti, car je ne les connais pas. Mais, dés que je les connaitrai, je vous écrirai. Pour l'instant, je vous recommande à Dieu. Donné à Mayence.

56 (Leçon d'étymologie savante) Gilbert de la *Porrée *Maître és arts et *bachelier dans l'un et l’autre *droits à Maitre Ortwin Gratius un salut à vous et un bon jour. Vénérable Monsieur, J'ai lu votre lettre que vous m'avez envoyée à Ingolstadt. Et j'ai bien compris votre opinion. Vous dites que vous vous réjouissez beaucoup qu’après avoir été théologien, j'étudie maintenant encore le droit. Car c'est trés bien que certains théologiens soient experts en droit, afin de pouvoir débattre avec les juristes. Et vous m'écrivez au sujet de certains termes pour me demander ce qu'ils veulent dire, car vous pensez qu'ils sont juridistiques. Eh bien, ils le sont!. D'ailleurs, vous trouvez leur explication dans les gloses? et dans *Accurse. Comme ça, vous pourrez voir que j'ai de bonnes connaissances en droit :

Laticlave : c'est le nom d'une dignité?, ou encore disons que c'est une grande clé de métal que le tribun lançait au beau milieu des adversaires en pleine mélée, et ainsi, tous les autres combattaient avec courage pour récupérer cette clé. 5. Ces théologiens simulent le procés devant la Curie. Celui qui « défend le point de vue de Reuchlin » joue ainsi l’« avocat du Diable ». 1. Réminiscence de Jean XIII, 13, où Jésus dit : « Vous m'appelez Seigneur, eh bien je le suis ! ». 2. Voir dans le texte latin ci-contre le détail des références aux gloses et à Accurse. Ces définitions « étymologiques » reposent principalement sur des assonances, évidemment intraduisibles. Bócking (Suppl. IL, pp. 742-747) en fournit les textes complets. 3. L'homme obscur confond clavus (= la bande de pourpre cousue au bord de la toge) avec clavis (= la clé). Dans la Rome antique, le port de la toge laticlave était une prérogative des sénateurs.

TOMUS

II, EPIST.

55-56

601

caput omnium amicorum vestrorum. Ibi tractant materias multum subtiles. Et opponunt sibi invicem. Et unus tenet opiniones Reuchlin et alii arguunt contra eum, et habent notabiles disputationes. De aliis qui sunt hic de parte vestra, non scio, quia non sunt mihi noti. Sed quando scio, tunc volo vobis scribere. Pronunc commendo vos deo. Datum Maguntiæ.

56 Gilbertus Porretonius artium Magister et utriusque iuris bacularius Magistro Ortvino Gratio. salus vobis et bona dies. Venerabilis vir, Legi literam vestram quam misistis mihi ad Ingelstat. Et intellexi

bene oppinionem vestram. Vos dicitis quod multum gaudetis quod ego sum prius Theologus, et nunc etiam studeo in iure, quia est valde bonum quod aliqui Theologi sunt experti in Iure, ut possint disputare cum iuristis. Et scribitis mihi de quibusdam terminis volens scire quid significant, quia videtur vobis quod sunt iuristici. Et bene sunt etenim. Et habetis hic expositiones eorum ex glosis et Accursio. Et sic potestis videre quod habeo bonum fundamentum in iure. Latus clavus! est nomen dignitatis, vel dic quod erat clava de metallo quam proiiciebat tribunus in confertissimos hostes et sic ceteri omnes fortiter pugnabant ita, quod clavam illam recuperabant.

1. Glossa in L. 4. (Si Rufinus) Cod. de testam. milit. VI. 21.

602

VOLUME

II, LETTRE

56

Épistographe^ : c’est une tablette de bois sur laquelle on écrivait les dettes, comme on le fait aujourd'hui. Et le mot épistographe est formé à partir de opes [= les richesses] et graphia, c'est-à-dire l'écriture, donc en quelque sorte : « l'écriture de ses richesses ». Abaques : ce sont des vases précieux. Corinthiens : c'est le nom qu'on donne à des vases fabriqués en matiéres grossiéres, comme de la paille ou de l'herbe des marécages, comme on en vend à Bologne. Bains) : c'est un verre luisant, ou comme s’il reflétait la lumière ou un plateau. Vestibule : vient de thyros, c'est un maitre, mais on ne sait pas ce que cela veut dire. Peut-étre que c'est quelque chose qu'on tire en arriére, comme de l'eau ou quelque chose d'autre, comme dans la maison Cyrella d'Accurse. Responsables de l'approvisionnement : ce sont ceux qui gardent le maitre quand il est au lit ; ou bien ceux qui jouent de la musique et qui chantent

pour le maître quand il est à table. Chauffage central : c'est un lieu où se mettent les malades qui parfois ont besoin de feu. Coq coquet : se dit d'un Français’ chátré et tellement minable qu'il préfère se battre avec des serpents. On peut aussi dire coq coquet, car il aime les poules, comme un homme efféminé, qui aime [fréquenter] les femmes. Comme dans les Odes d'Horace?. Diète : c'est un lieu dans les Cours, où les seigneurs se tiennent au coin du feu. Chœur : c’est une foule de serviteurs (d'esclaves ?) chantant avec un certain instrument de musique qu'on appelle chœur. Juges du tribunal des Cent : ce sont les sénateurs, qui étaient au nombre

de cent?. Patricien : c'est en quelque sorte le père du prince. D'oà Salluste : « Ó, Péres conscrits ! » Car leurs noms étaient écrits dans un certain endroit, ou au sommet de leur cráne, ou ailleurs. 4. Au xvr siècle, opisthographus signifiait « brouillon » (litt. : une feuille au verso de laquelle on écrivait). 5. L'homme obscur confond balnea (= les bains) avec balluca (= une cassette de métal brillant), dont Accurse propose cette étymologie à partir de /ucem baiulans). 6. Le contresens vient du fait que obsonator est un dérivé de ops (les provisions), alors que l'homme obscur croit que c'est un dérivé de sonator (en italien macaronique : le musicien). 7.Vieux calembour provoqué par l'homophonie latine entre gallus (= le coq) et Gallus (= le Gaulois, donc au xvr' siècle : le Français), qui est d'ailleurs à l'origine de la prolifération des cogs de métal ornant les clochers de nos églises et nos monuments aux morts. 8. Horace, Odes, chant I, 2, 19. On sait que l'Antiquité gréco-latine considérait que la seule

fréquentation honorable pour un homme était celle des autres hommes. Porter un quelconque intérét aux femmes (sinon pour la reproduction de la famille) était incongru. , 9. Le tribunal des centumviri était en réalité composé de 180 membres, au dire de Pline (Ep. 4, 24, 1). Le nombre des sénateurs ne fut jamais inférieur à 300.

TOMUS

I$. BPIST:.56

603

Epistographum! est tabula lignea in qua erant scripta debita, ut hodie fit. Et dicitur Epistographum ab opibus et graphia, quod est scriptura, quasi scriptura suarum opium. Abaces? dicuntur vasa preciosa. Corinthia dicuntur vasa de vili materia ut de palea vel herba palustri, quales venduntur Bononiz. Balnea* est vas lucens, vel quasi baiulans lucem vel lancem. Prothyrum” a thyros, quod est magister, et nescitur quid sit dicere. Vel dic quod est illud quod procul trahitur, ut aqua vel aliquid aliud, ut in domo Accursii Cyrella. Obsonatores® sunt qui custodiunt dominum in lecto. Vel obsonatores qui resonant et cantant domino in mensa. Hypocaustum! est locus ubi stant ægroti qui quandoque indigent igne. Gallus gallinacius? dicitur Gallus castratus et sic vilis, quem dicunt fortius pugnare cum serpente. Vel dic Gallus gallinacius, quia amat gallinas, ut vir uxorius qui feminas diligit. Ut in Odis Horatii. Dizeta? est locus in aulis, ubi domini stant ad ignem. Chorus)? est multitudo servorum cantantium cum quodam instrumento musico quod dicitur Chorus.

Centumviri!! sunt Senatores qui centum numero erant. Patritius!? dicitur quasi principis pater. Unde Salustius « O patres Conscripti ». Nam scripta erant eorum nomina in aliquo loco, vel in Corona capitis eorum vel alias.

2. Gl. ad Ulp. L. 4. (Charte appellatio) Dig. de B. P sec. tabb.

XXXVII. 11.

3. Gl. ad Iavol. L. 100 (98.) $ 3. (L. Heres meus ( Cui Corinthia vasa legata essent, et Bâceiç quoque). 4. GI. Accurs. ad L. 1. Cod. de metallarus XI. 6. 5. Gl. ad Pompon. L. 245. (Statue affixæ) $ 1. (Idem Labeo ait Prothyrum) Dig. de verbor.

signif. l. 16. 6. Gl. ad Marciani L. 65. (68.) pr. (Legatis servis...) Dig. de legat. III. XXXII. 7. GI. ad Ulp. L. 16 (siquis mihi mand.) D. mandati XVII. 1., ainsi que Gl. ad Ulp. L. 55 (53). 4 3. (L. Ligni S Lignis) Dig. de legat. III. XXXII 8. Gl. ad Modestini L. 9. pr. [L. Pena parricidii] Dig. ad L. Pompeiam de parric. XLVIII. 9. 9. GI. ad cit. L. 55. $ 3. D. de legat. III. 10. GI. ad Celsi L. 79. (77). pr. (L. Si chorus) Dig. de legat. III. XXXII. 11. GL ad Iustiniani L. 12. pr. (Cum hereditatis petit.) Cod. de petitione hereditatis III. 31. 12. Gl. ad $ 4. Inst. quib. modis ius patr. pot. solv. I. 12.

604

VOLUME

II, LETTRES

56-57

Dorénavant, quand vous aurez un doute quelconque dans l'un et l'autre droits, alors, signifiez-le moi. Comme ga, je vous l'expliquerai aussi bien que Jean Reuchlin ou n'importe lequel des juristes qui sont sur terre. Et avec qa, portez-vous bien. Donné à Ingolstadt.

57 (Les dominicains veulent se faire musulmans /) Galien de Paderborn à Maitre Ortwin Gratius salut.

Vénérable Maitre, Une rumeur trés terrifiante m'est parvenue et m'a fait dresser les cheveux au-dessus de la téte. Voici ce que c'est : presque tous les étudiants et les

clercs qui arrivent de Cologne disent qu'il court un bruit comme quoi les frères précheurs, plutôt que d’être vaincus par Jean Reuchlin dans le procès en religion, préféreraient aller précher une autre religion. Il y a même quelqu'un qui a dit qu'il est possible que, si le pape rend sa sentence contre eux, ils partiront pour la Bohéme pour précher aux hérétiques! de ne plus croire en l'Église et au pape et, comme ça, ils se vengeront de l'injustice. Oh, bon Seigneur Ortwin ! Conseillez-leur de ne pas faire cela, car ce serait une grande hérésie ! J'espére que ce n'est pas vrai. Et je me suis dit en moi-méme : « Peut-étre que les précheurs menacent ainsi le pape pour lui faire peur, comme quoi il pense “Voilà que, si je ne donne pas la sentence en leur faveur, ils seront l'objet d'un mépris et d'une humiliation énormes. Et tout le monde les attaquera, et personne ne leur donnera d'aumónes, et leurs monastéres

tomberont

en ruines. Alors, ils partiront en Bohéme,

et

peut-étre méme en Turquie, et ils précheront que la religion chrétienne n'est pas la vraie. Et ce sera un grand malheur !” » Qu'il en soit fait selon sa volonté. Mais je voudrais bien que vous, les théologiens, vous ayez de la patience et que vous ne fassiez rien contre le pape, de peur que tous les chrétiens ne deviennent vos ennemis. Et portez-vous bien au nom du fils unique de Dieu. Donné à Bréme.

1. Les hussites (cf. lettre II, 50).

TOMUS

II, EPIST.

56-57

605

Semper quando habetis aliqua dubia in utroque iure, tunc debetis significare mihi, et exponam vobis ita bene sicut Iohannes Reuchlin vel aliquis Iurista qui sunt in mundo. Et cum hoc Valeatis. Datum Ingolstadt.

57 Galienus Padebornensis

Magistro Ortvino Gratio salutem.

Venerabilis Magister, "Terribilis fuit mihi valde una loquela quz pervenit ad me faciens mihi surgere Crines superius. Est autem talis : omnes fere studentes et clerici qui veniunt ex Colonia, dicunt quod est murmur, quod fratres praedicatores antequam volunt quod Iohannes Reuchlin debet eos vincere in causa fidei, ipsi volunt potius praedicare unam aliam fidem. Et dixit quidam quod est possibile quod quando Papa facit sententiam contra eos, quod ibunt in Bohemiam et hortabunt hæreticos ad credendum contra Ecclesiam et Papam, et sic vindicabunt iniuriam. O bone domine Ortvine, consultatis eis quod non faciunt, quia esset magna hæresis. Ego spero quod non est verum. Et cogitavi mecum : « Forte quod Prædicatores minantur sic papz, volentes eum terrere, quod debet cogitare *Ecce si ego non dabo Sententiam pro ipsis, tunc ipsi erunt in maximo contemptu et despectu, et totus mundus erit inimicus eorum, et nemo dabit eis Elemosynas, et destruen-

tur monasteria eorum. Tunc ibunt in Bohemiam vel etiam in Turciam et prædicabunt, quod fides Christiana non est vera, et erit magnum malum." » Sit quidquid vult. Ego vellem quod haberetis patientiam et non faceretis contra papam vos Theologi, ne omnes Christiani sint inimici vestri. Et valete in nomine unigeniti filii dei. Datum Bremen.

606

VOLUME

II, LETTRE

58

58 (Autrefois, c'était le bon temps à l'université de Leipzig, mais maintenant, les humanistes cassent le métier) Maitre Irus! Délirant à Maitre Ortwin Gratius une abondance de saluts. Vénérable Monsieur,

Les écrits que vous avez composés contre Jean Reuchlin et adressés à l'université sont arrivés ici. Les anciens *maîtres les apprécient beaucoup, mais les nouveaux et les jeunes les trouvent nuls, et ils disent que c'est par jalousie que vous persécutez ce bon Reuchlin?. Et quand nous avons réuni le conseil pour décider si nous allions condamner les *Besicles, voilà que les nouveaux, qui n'ont aucune expérience, se sont opposés aux anciens. Ils ont dit que Reuchlin est innocent et qu'il n'a jamais rien écrit d'hérétique. Et c'est ainsi qu'ils ont fait de l'obstruction jusqu'à maintenant. Je ne sais pas ce qui va arriver maintenant. Je pense que l'université disparaitra à cause de ces *poétes qui sont nombreux à un point que c'en est incroyable. Et récemment”, il y en a un qui est arrivé, nommé Pierre *Mosellanus, et qui est grec. Et il y en a aussi un autre ici qui fait cours de grec. Il s'appelle Richard *Croke et il est arrive d'Angleterre. Alors, j'ai dit l'autre jour : « Diable ! Il arrive d'Angleterre ? Je pense que s'il y avait un poète partout où pousse du poivre“, il viendrait jusqu'à Leipzig ! » Et voilà pourquoi les maitres ont si peu de pensionnaires que c'en est honteux. Et je me souviens du temps où, quand un maitre allait aux bains, il avait plus de pensionnaires derriére lui que maintenant, les jours de féte, quand ils vont à l'église. En ce temps-là, les étudiants étaient aussi discrets que des anges. Alors qu'aujourd'hui, ils vont de tous les cótés et n'ont aucune considération pour les maitres. Ils veulent tous habiter en ville et prendre pension hors du collége, si bien que les maitres n'ont vraiment presque plus personne à table. De la méme facon, dans la derniére promotion, il n'y a eu que dix *bacheliers. Et, quand nous avons fait passer l'examen, les maîtres ont parlé d'en recaler quelques-uns. Alors, j'ai dit : « Jamais de la vie ! Car, si vous en 1. Irus était le mendiant qu'Ulysse chassa du palais lors de son retour à Ithaque (Odyssée, chant XVII). 2. Sur la jalousie des théologiens, voir la lettre II, 54.

3. À l'été 1515.

4. Cette imprécation se trouvait déjà dans la lettre I, 25 : « Si on pouvait mettre tous les poétes dans un champ de poivre, ils nous laisseraient tranquilles [car ils y seraient brülés] ! »

TOMUS

II, EPIST. 58

607

58 Magister Irus Perlirus! Magistro Ortvino Gratio salutis copiam. Venerabilis vir, Venerunt huc scripta vestra ad Universitatem qua composuistis contra Iohannem Reuchlin : quz antiqui Magistri hic valde laudant,

sed novi et iuvenes non tenent aliquid de eis, dicentes quod ex invidia vexatis bonum Reuchlin. Et quando habuimus consilium an etiam vellemus concludere contra Speculum Oculare, tunc illi novelli qui non sunt adhuc satis experimentati, tenuerunt oppositum antiquis illis, dicentes quod Reuchlin est innocens et nunquam scripsit aliquid hæreticum. Et sic usque adhuc impediverunt : nescio quid fiet postea. Ego credo quod Universitas adhuc peribit propter illos poetas qui sunt ita multi quod est mirum. Et noviter advenit unus huc qui vocatur Petrus Mossellanus qui est graecus. Et alius est hic qui etiam legit in Græco, vocatus Ricardus Crocus, et venit ex Anglia. Ego dixi nuper : « Diabole, venit iste ex Anglia ? Ego credo quod si esset unus poeta ibi ubi piper crescit, ipse etiam veniret Liptzick. » Et ergo Magistri habent ita paucos domicellos quod est scandaIum. Et ego recordo adhuc, quod quando unus magister ivit olim ad balneum, ipse habuit plures domicellos retro se, quam nunc in diebus festis quando vadunt ad ecclesiam. Supposita etiam tunc fuerunt ita discreti sicut angeli. Sed nunc currunt hincinde et non curant aliquid magistros ; et volunt omnes stare in Civitate et comedere extra Collegium, et magistri habent valde paucos commensales. Item in proxima promotione fuerunt promoti tantum X bacularii. Et quando habuimus examen, tunc tractaverunt magistri quod volunt aliquos reiicere. Tunc ego dixi : « Nullo modo. Quia si reiicitis unum,

1. On lit dans le *Dictionnaire Etant-donné-que : lira... est equiuocum [...] stultus et dicitur a « liros » grece. Le Dictionnaire de Dasypodius rapproche /irus de dehrus.

608

VOLUME

II, LETTRE

58

recalez un seul, plus personne ne se présentera à l'examen, ni ne se préparera aux diplômes. Ils iront tous chez les poètes ! » Et ainsi, nous les avons repéchés. Or, on donne une dispense dans trois cas : Primo, en raison de l'áge, car il faut que celui qui veut passer bachelier ait au moins seize ans, et vingt ans pour passer maitre. Or, s'ils ne sont pas assez ágés, on leur donne une dispense. Secundo, on donne une dispense pour le comportement : car, quand des étudiants n'ont pas montré assez de respect envers les maîtres et les diplómés, alors, on les recale, sauf s'ils obtiennent une dispense. Et avec ça, on enquéte sur les délits, c'est-à-dire s'ils se sont comportés sans discrétion dans les rues, ou bien s'ils ont été chez les prostituées, s'ils ont porté des armes, s'ils ont tutoyé un maître ou un prêtre, ou s'ils ont chahuté dans les salles de cours ou dans les colléges. Tertio, on donne une dispense pour les *arts, quand ils ont des connaissances insuffisantes, et qu'ils n'ont pas achevé leur programme. L'autre jour, pendant un examen, j'en ai interrogé un : — Dis-moi comment qa se fait que tu ne répondes rien ? Il m'a dit qu'il était comme ça timidique. Alors, je lui ai répondu que je ne pensais pas qu'il était si timidique que ca, mais plutôt qu'il était comme ca ignorantique. Alors, il a dit : — Par Dieu ! Non, Seigneur Maitre ! J'ai beaucoup de connaissances en moi, mais elles ne veulent pas sortir. Alors, je lui ai accordé la dispense. Vous voyez à quel niveau sont tombées les universités. J'ai un pensionnaire que j'ai interrogé l'autre jour au sujet d'un délit. Et voilà qu'il s'est rebellé et qu'il s'est aussitót mis à me tutoyer. Alors, je lui ai dit : « — Je m'en souviendrai le jour de ton diplóme ! » en insinuant ainsi qu'il serait recalé. Il m'a répondu : — Et moi, je chie sur vous et sur vos bacheliers, et je vais partir en Italie, où les précepteurs ne se moquent pas comme ça de leurs élèves et ne font pas des blagues pareilles pour leur faire passer le *baccalauréat ! Mais quand quelqu'un est instruit, on lui rend les honneurs, alors que s'il est ignorant, on le traite d’âne comme un autre ! Et je lui ai dit : — Toi, ribaud ! Est-ce que tu voudrais mépriser le diplóme du baccalauréat, qui est une grande dignité ? Alors, il a répondu qu'il se fichait méme de la *maitrise. Et il a dit : — [ai entendu dire par un ami, qui a étudié à Bologne”, qu'il a vu là-bas que tous les *maitres és arts qui venaient d'Allemagne étaient traités comme 5. L'ami en question est évidemment Hutten lui-méme.

TOMUS

II, EPIST.

58

609

tunc postea nullus intrabit amplius examen, vel studebit pro gradu, sed ibunt ad poetas. » Et sic dispensavimus cum ipsis. Fit autem dispensatio in tribus : Primum in Aetate, quia oportet quod unus qui vult promoveri in bacularium, sit ad minus XVI annorum, in magistrum autem viginti. Si non sunt autem satis senes, tunc dispensatur cum eis. Secundo fit dispensatio in moribus : Quia quando supposita non exhibuerunt debitam reverentiam magistris et graduatis, tunc reiiciuntur, nisi mediante dispensatione admissi fuerunt. Et cum hoc quæretur de excessibus, scilicet si fuerunt in plateis sine discretione, vel fuerunt apud meretrices, vel portaverunt arma, vel tibisaverunt

unum magistrum vel presbiterum, vel fecerunt tumultum in lectoriis vel collegiis. "Tertio fit dispensatio in Artibus, quando non sunt bene habituati in scienciis, et non satis compleverunt. Nuper in examine quæsivit unum : « Dic mihi quomodo tamen venit quod tu nihil respondes ? » Dixit ille, quod esset ita timax. Respondi ego, quod non crederem quod esset ita timax, sed bene crederem quod esset ita ignorax. Tunc dixit : « Per deum, non, domine Magister. Ego habeo magnam scientiam intus, sed non vult exire. » Et sic dispensavi cum eo. Ita videtis quod universitates valde minorentur. Ego habeo unum domicellum quem nuper interrogavi super unum excessum : tunc rebellavit mihi et statim tibisavit me. Et dixi ei : « Hoc ego volo servare usque ad promotionem », innuens quod deberet pati reiicionem. Respondit ipse : « Ego merdarem vobis super vestros baculaureatus, et ibo ad Italiam, ubi præceptores non decipiunt sic suos discipulos, et non habent in usu istas fantasias facientes bacularios. Sed quando aliquis est doctus, tunc habet honorem : quando autem est indoctus, habetur sicut alius asinus ». Et dixi ei : « Tu ribalde?, velles tu parvipendere gradum bacalariatus qui est magna dignitas ? » Tunc respondit, quod etiam non curaret magisterium. Et dixit : « Ego audivi ab amico meo quod quando stetit Bononiæ, tunc vidit quod omnes magistri artium ex Almania deponebantur tanquam beani, 2. De l'italien ribaldo.

610

VOLUME

II, LETTRES

58-59

des bizuths, contrairement aux simples étudiants ! Car en Italie, on méprise ceux qui sont reçus bacheliers ou maîtres en Allemagne. Et voilà les abominations qui se passent ici ! C'est pourquoi je voudrais que toutes les universités s'accordent pour condamner ensemble tous les poétes et les *humanistes qui ruinent les universités. Maitre Rapetasseur?, Maitre Negelinus?, Maitre *Kachelofen, Maitre Arnold *Wustenfelt et le docteur *Ochsenfahrt vous envoient leur salut. Portez-vous bien. Donné à Leipzig

59 (Rapport d'un mouchard de Francfort sur l'armée des reuchlinistes) Jean Louchenbois à Maitre Ortwin Gratius salut.

Vous m'avez chargé comme quoi, quand il y a la foire ici, je dois interroger tous les commergants qui viennent des diverses provinces, au sujet de cette conjuration, dont à laquelle vous avez écrit, car il doit y avoir certains *poétes et juristes, qui ont fait une conjuration, comme quoi ils vont défendre Reuchlin et écrire contre les théologiens de Cologne et les fréres précheurs, à moins qu'ils ne laissent en paix immédiatement le susdit Reuchlin. Sachez que j'ai fait grande diligence à enquéter et à interroger. Et tout derniérement, je suis allé voir un libraire! qui arrivait du *Haut-Pays. Il m'a dit des choses extraordinaires. Et il m'a donné beaucoup de noms, et il m'a dit qu'il avait vu leurs écrits qu'ils s'envoient entre eux. Il m'a parlé primo du docteur *Murner, qui est en quelque sorte le chef de cette association, parce qu'il sait parfaitement qu'il a composé un livre sur les scandales des précheurs, et un autre pour défendre Reuchlin?.

6. Il était déjà l'auteur fictif de la lettre I, 1. 7. Auteur fictif de la lettre I, 18. 1. Sans doute *Froben, de Bâle.

2. Si ce dernier livre a été écrit, il n'a sans doute pas été publié et aucun exemplaire n'en est connu à ce jour.

TOMUS

II, EPIST.

58-59

611

et simplicia supposita non. Quia in Italia habetur pro vituperio quando aliquis est promotus in Almania in magistrum vel bacularium. » Ecce talia scandalia fiunt. Ergo vellem quod omnes universitates facerent in simul et concluderent simul omnes poetas et humanistas, quia destruunt universitates. Magister Langschneyder et magister Negelin et Magister Kachelofen et Magister Arnoldus Wustenfelt et doctor Ochsenfart mittunt vos salutare. Valete. Datum Liptzick.

59

Iohannes Cocleariligneus! Magistro Ortvino Gratio salutem. Commisistis mihi quod quando est hic missa?, tunc debeo interrogare ab omnibus kauffmannis? qui veniunt ex diversis partibus, de illa coniuratione, de qua scriptum est vobis, quia debent esse aliqui poetz et iuristæ qui fecerunt coniurationem, quod volunt Iohannem Reuchlin defendere et contra Theologos Colonienses et fratres prædicatores scribere, nisi statim dimittunt pradictum Iohannem Reuchlin. Sciatis quod feci magnam diligentiam quærendo et interrogando et ultimo veni ad unum librivendum^* de partibus superioribus. Ipse dixit mihi mirabilia, et nominavit mihi multos et dixit quod vidit scripta eorum quz mittunt sibi ad invicem. Et dixit primo de doctore Murner qui est quasi caput illius societatis, quod scit perfecte quod ipse composuit unum librum de scandalis praedicatorum et unum alium in defensionem Reuchlin. 1. Le nom Cocleariligneus (traduction latine de l'allemand Lóffelholz) n'est pas seulement une invention comique de Hutten (Lóffelholz signifie littéralement « Bois-dont-on-fait-les-louches »). Barbara, la mére de Willibald Pickheimer, était née Lóffelholz, famille patricienne de Nuremberg. 2. De l'allemand Mefe (= foire). 3. De l'allemand Kaufmann (= commerçant). 4. Traduit macaroniquement de l'allemand Buchhändler, ou du latin (lui-même décalqué du grec) bibliopola (= libraire).

612

VOLUME

II, LETTRE

59

Aprés, il a nommé Hermann *Busch, en disant qu'il avait vu sa lettre, dans laquelle il promet à ses collégues de ne pas étre le moins actif et qu'il va se mettre courageusement du cóté de Reuchlin. De méme, il a dit ensuite qu'il y a aussi dans cette conjuration le comte de *Neuenahr, chanoine de Cologne, et qu'il a rédigé sur les théologiens des choses extraordinaires, qu'il va imprimer incessamment. Et il a beaucoup d'autres amis et nobles, qu'il incite par ses écrits à prendre position en faveur de Reuchlin. Il y a également Wilibald Je-ne-sais-qui^, qui doit être à Nuremberg. Il a fait beaucoup de menaces en disant qu'il allait réellement régler leur compte aux théologiens par ses écrits. Alors, j'ai dit :

« Celui qui par les menaces mourra,

enterré sous les pets trépassera. »

Ce qui se dit en allemand : « Wer von trewen stirbt, den sol man mit furtzen zum grab leutten. » Il m'a ensuite nommé un poète à Erfurt, qui s'appelle *Eobanus Hessus, et qui serait un poète jeune et très habile. Celui-ci a, dans la méme ville, un collégue du nom de Pierre *Aperbach. Ils rédigent déjà des livres qu'ils vont imprimer sans tarder si les théologiens ne font pas la paix avec Reuchlin. Avec ca, il y aurait à Leipzig un Anglais, qui s'appelle je ne sais pas comment. Mais je crois que c'est le méme que celui qui a été à Cologne il y a deux ans. Et *Vadian à Vienne, dont on dit qu'il est un poéte redoutable. De méme, à la cour du cardinal’, il y a un certain Caspar *Ursinus, qui sait faire des poémes en grec. Il a promis son aide à Reuchlin et il veut étre membre de son association. De méme, il a dit qu'il avait entendu dire que Philippe *Melanchthon, Jacques *Wimpfeling, *Beatus Rhenanus et Nicolas *Gerbell en font partie. Et il a dit qu'ils écriraient à Ulrich von Hutten, qui étudie à Bologne, qui pourrait aussi étre l'un d'eux. Mais des autres, il n'en a pas entendu parler. Alors, j'ai demandé à d’autres si *Érasme de Rotterdam en faisait partie. Un certain commergant m'a répondu en disant : — Érasme est quelqu'un qui reste à l'écart. Mais il est certain qu'il ne sera jamais l'ami de ces théologiens et de ces fréres, et qu'il défend et excuse ouvertement Reuchlin par paroles et ses écrits, car il a méme écrit au pape*. 3. Wilibald *Pirckheimer, qui avait déjà été nommé de la sorte dans la lettre II, 51. 4. Richard *Croke, qui y enseignait le grec, et dont il a été question dans la lettre précédente. 5. Le cardinal Matthieu Lang, archevéque de Salzbourg et reuchliniste convaincu. 6. Lettre du 28 avril 1515.

TOMUS

II, EPIST.

59

613

Postea nominavit Hermannum Buschium, dicens quod vidit epistolam eius in qua promittit sociis suis, quod non vult esse minimus, et audacter vult stare pro Reuchlin. Item deinde dixit quod etiam est in illa Coniuratione Comes de nova Aquila Coloniensis Canonicus, et quod talis composuit mirabilia de Theologis quz vult statim imprimere. Et ipse habet multos alios amicos et nobiles quod ipse etiam instigat scriptis suis quod debent favere Iohanni Reuchlin. Item Bilibaldus nescio quis, qui debet esse in Nurmberga. Ipse fecit multas minas dicens quod realiter vult expedire Theologos scriptis suis. Tunc ego dixi : « Qui moritur minis,

Ile compulsabitur bombis »,

teutonice *Wer von trewen stirbt, den sol man mit furtzen zum grab leutten'. » Nominavit mihi postea unum poetam in Erfordia qui vocatur Eobanus Hessus et debet esse iuvenis et expertissimus poeta ; et talis habet unum socium ibidem dictum Petreium Aperbachium. Ipsi componunt iam libros quos volunt statim imprimere nisi "Theologi faciunt concordiam cum Reuchlin. Cum hoc debet esse Liptzick unus Anglicus nescio quomodo dictus. Sed credo quod est ille qui fuit ante duos annos Coloniz, qui est etiam unus. et Vadianus Viennz, de quo dicunt quod est terribilis poeta. Item in Curia Cardinalis est quidam Caspar Ursinus qui scit facere græca Carmina et promisit Reuchlin auxilium suum, et vult esse inter SOCIOS. Item ipse dixit quod audivit quod Philippus Melanchton et Iacobus Wimphelingus et Beatus Rhenanus et Nicolaus Gerbellius sunt etiam tales. Et dixit ipse quod scriberent literas ad Ulrichum Huttenum qui studet Bononiz, quod etiam debet esse unus ex eis. De aliis autem ipse non audivit. Tunc quæsivi ab aliis, an etiam Erasmus Roterodamus esset cum

eis. Respondit mihi quidam kauffmannus dicens : « Erasmus est homo pro se. Sed certum est quod nunquam erit amicus illorum Theologorum et fratrum, et quod ipse manifeste in dictis et scriptis suis defendit et excusat Iohannem Reuchlin, etiam scribens ad papam. »

614

VOLUME

Par d'autres, j'ai entendu Et il y en a qui disent que sont dans les grandes gráces tout ce qu'ils peuvent contre

II, LETTRES

59-60

dire que Paul *Ritius est aussi Jean *Cuspinianus et Conrad de l'empereur, rejoignent ces les théologiens de Cologne et

du nombre. *Peutinger, qui associés et font pour l'honneur

de Jean Reuchlin. Et un étudiant d'Erfurt, que je connais, m'a dit que Conrad *Mutianus

est le pire de tous ceux qui sont pour Reuchlin, et qu'il est l'ennemi des théologiens au point qu'il ne peut pas supporter d'entendre que quelqu'un dise le mot « théologiens de Cologne ». Et cet étudiant m'a dit qu'il a bien vu vingt lettres de lui, dans lesquelles il demande à des collégues de se faire reuchlinistes. Voilà ce que j'ai entendu dire pour l'instant. Mais quand j'en saurai plus, je vous l'écrirai. Portez-vous bien dans le Christ. Donné à Francfort.

60 (Le procés de Rome tourne mal pour les théologiens) Maitre Werner Labruti à Maitre Ortwin Gratius salut.

Apprenez, magnifique Monsieur, que, quand j'ai reçu votre lettre, j'ai été terrorisé à un point inimaginable, j'en ai rougi et mes cheveux se sont dressés sur ma tête. Et je crois que j'ai à peine eu moins peur que la fois où jai été à la Chambre rouge! de Cologne, quand je me suis présenté au *baccalauréat et que j'ai passé mon examen. Car à l'époque, j'avais encore trés peur que les seigneurs examinateurs me recalent. Vous m'avez écrit que le procès en *matière de religion se présente mal à Rome. Grand Dieu ! Qu'est-ce que nous pouvons dire ? Ces juristes et ces *poétes vont complétement détruire la faculté des *artiens et celle des théologiens. Car, méme ici, dans notre université, ils se déchainent contre les *maitres et les théologiens. Et méme que l'autre jour, il y en a un qui m'a dit que, dans les processions, un *bachelier en droit doit passer avant un *maitre és arts. Alors, j'ai dit : 1. La « Chambre rouge » était la salle, tendue de tentures rouges, dans laquelle se déroulaient les épreuves (orales) du baccalauréat.

TOMUS

II, EPIST.

59-60

615

Et ab aliis audivi quod Paulus Ritius est etiam de hoc numero. Et dicunt quidam quod Iohannes Cuspinianus et Cunradus Beutinger qui sunt in magna gratia Imperatoris, ipsi copulant istos socios et faciunt omnia quz possunt contra Theologos Colonienses in honorem Iohannis Reuchlin. Et quidam studens Erfordiensis qui est mihi notus, dixit quod Cunradus Mutianus est pessimus omnium illorum qui sunt pro Reuchlin, et est ita inimicus Theologis quod non potest audire quod aliquis nominat Theologos Colonienses. Et talis studens dixit quod vidit bene viginti Epistolas illius, in quibus ipse rogat quosdam socios quod volunt esse Reuchlinistæ. Talia audivi pro nunc, sed quando scio plura, tunc volo vobis scribere. Valete in Christo. Datum Franckfordiæ.

60

Magister Wernherus Stompff! Magistro Ortvino Gratio salutem. Sciatis, magnifice vir, quod quando accepi vestram literam, ego fui ita perterritus quantum est possibile et fui rubeus in facie, et crines surrexerunt mihi. Et credo quod vix tantum fui in timore quando fui in rubea Camera Coloniz, intendens fieri bacularius et subiiciens me examini. Quia tunc etiam valde timui, quod reiicerent me domini examinatores. Scribitis mihi quod causa fidei male stat Romæ. Sancte deus, quid debemus dicere ? Isti iuristæ et poetz volunt destruere totam facultatem Artistarum et Theologorum. Quia etiam hic in nostra universitate ipsi prætendunt multa contra Magistros et Theologos. Et quidam nuper dixit quod unus bacularius Iuris deberet in processione ire super unum magistrum in Artibus. Dixi :

1. De l'allemand szumpf (= abruti).

616

VOLUME

II, LETTRES

60-61

— Ce n'est pas possible ! Et je vais démontrer que les maitres és arts sont supérieurs aux docteurs en droit : Car les docteurs en droit en savent beaucoup dans un seul art, à savoir l'art du droit ; Or, les maîtres sont maîtres dans les sept *arts libéraux ; Ainsi, ils en savent plus. Alors, il a dit :

— Va donc en Italie, et dis-leur que tu as passé ta *maitrise à Leipzig. Et tu verras comment ils te traiteront là-bas? ! Alors, j'ai dit que je pourrais défendre ma maitrise là-bas, aussi bien que quelqu'un qui l'aurait passée en Italie. Et en le quittant, je me suis dit que notre faculté est bien méprisée, et que c'est mal, car ce sont les maitres es arts qui devraient diriger les universités, alors que maintenant, ce sont les juristes qui prétendent le faire. Et c'est trés indécent ! Et puis, je vais vous consoler comme quoi vous ne devez pas perdre espoir dans le procès en religion, car j'espere que Dieu vous favorisera bien. Et avec ça, portez-vous bien, aussi longtemps que *Pfefferkorn restera

chrétien?. Donné à Leipzig, au collége du prince.

61 (Gratius est-il vraiment un bâtard du bourreau d? Halberstadt ? débat *quodlibétique) Pierre de la Charité, *chargé de cours de latin et professeur de logique salue Maitre Ortwin.

Révérendissime Seigneur Maitre, Or donc ici, au pied de la Résine!, c'est-à-dire du Harz, la coutume veut que, dans une journée, on fasse toujours deux beuveries. La première s'appelle la « beuverie des bourgeois » : elle commence à midi et dure jusqu'à quatre ou cinq heures. L'autre s'appelle la « nocturne » et l’« après-beuve2. Voir la lettre II, 58. 3. Voir sur ce refrain les lettres I, 24, 48 ; II, 14, 25, 30, 47 et 54.

1. Cuistrerie de l'homme obscur qui a la manie de tout traduire en latin (Harz signifie « résine »).

TOMUS

II, EPIST.

60-61

617

« Hoc non est possibile. Quia volo probare quod Magistri in artibus sunt super doctores in iure. Quia doctores in iure sciunt tantum unam Artem, scilicet artem Iuris, Sed magistri sunt Magistri in septem artibus liberalibus : et sic sciunt plus. »

Tunc ille dixit : « Vade in Italiam, et dic quod es Magister Lipsensis, et videbis quomodo vexabunt te ibi. » Tunc dixi, quod possem adhuc ita bene defendere magisterium meum sicut unus ex Italia. Et abivi ab eo cogitans mecum quod facultas nostra multum parvipenditur, et est malum, quia magistri in artibus deberent regere universitates, nunc Iuristze pratendunt eas gubernare, quod est valde indecenter. Et volo vos consolare quod non debetis desperare? in causa fidei. Quia spero quod deus bene providebit vos. Et cum hoc Valete tam diu donec Pfefferkorn manet Christianus. Datum Liptzick in Collegio Principis.

61 Petrus Charitatis cursor in Grammatica et professor in loyca! salutem dicit Magistro Ortvino. Reverendissime Domine Magister. Quia hic ante picem sive Harzonem est consuetudo, quod in die habent semper duas zechas?. Una vocatur Civium zecha, et incipit hora duodecima, et manet usque ad horam quartam sive quintam. Altera vocatur nocturnalis et postzecha, quz a quinta hora incipit et

2. Les premiéres éditions des Lettres portaient : disputare. 1. Fréquemment employé pour /ogica. Voir sur ce point Bengt Lófstedt, op. cit. 2. De l'allemand Zeche (= écot, consommation, banquet).

618

VOLUME

II, LETTRE

61

rie » : elle commence à cinq heures, et elle dure tantót jusqu'à huit, neuf ou méme dix heures, et tantót jusqu'à minuit ou une heure du matin. Et les riches bourgeois, et aussi les magistrats et les bourgmestres, quand ils ont participé à la premiére beuverie et qu'ils ont suffisamment bu, alors, ils payent et ils rentrent à la maison. Mais la société des étudiants, et les «autres» collégues qui ne se soucient pas de savoir qui paye leur pain?, eux, ils restent à l'aprés-beuverie et ils boivent jusqu'à tomber ivres morts. L'autre jour donc, nous étions donc ainsi à une après-beuverie, moi et le seigneur Pierre, un moine de l'ordre des précheurs qui vous est trés favorable à cause de Jacques de *Hochstraten, le Maitre des hérétiques à Cologne. Et alors, c'était entre dix et onze heures du soir. Et alors, nous discutions beaucoup de l'origine de votre nom*. Moi, j'ai soutenu l'opinion que votre nom provenait des Gracques romains. Mais le seigneur Pierre, qui est en quelque sorte bien versé dans les *humanités, a dit qu'il n'était pas d'accord, et que vous vous nommiez Gratius en raison d'une gráce supérieure. Et alors, il y avait là-bas un tartufe, qui parlait dans un latin si alambiqué que je ne comprenais pas tout^. Et il a dit que vous ne vous appeliez pas Gratius à cause des Gracques, ni à cause de la grâce. Et il a aligné tant de paroles creuses que j'ai dit : — Alors, d’où vient donc qu'on l'appelle Gratius ? Car il y a d'autres personnes trés érudites qui ont fait un examen approfondi de la question et qui ont conclu que Gratius portait son nom soit à cause des Gracques, soit à cause de la gráce ! Alors, il a dit : — Ceux qui ont débattu de cela étaient des amis de Maitre Ortwin Gratius. Ils ont donc interprété ce nom, chacun à son idée, dans le sens le plus favorable. Mais, ces opinions ne préjugent pourtant pas de la vérité. Alors, le seigneur Pierre a demandé : — Qu'est-ce que la vérité ? et il pensait que ca le ferait taire, comme l'a fait Notre Seigneur quand

Pilate l’a interrogé”. Mais il ne s'est pas tu et il a dit : — Il y a à Halberstadt un bourreau qui s'appelle Maître Gratius, et qui est l'oncle maternel d'Ortwin. C'est de ce bourreau que Gratius tient son nom ! Alors, je n'ai pas pu me contenir et j'ai dit : — Ho, ho ! collégue ! C'est une grosse injure et je proteste ! Maitre Ortwin ne va pas laisser passer ca ! Je sais que vous dites ca à cause de la jalousie que vous avez contre le seigneur Ortwin. 2. Ceux qui ne sont pas affiliés à la société des étudiants. 3. Voir sur cette question de l'origine du nom de Gratius les lettres I, 16 ; II, 14, 54, 62 et 65.

4. C'était sans doute un « poéte », qui s'exprimait donc dans le latin élégant des humanistes. 5. Jean XVIII, 38 : « Pilate lui dit : — Qu'est-ce que la vérité ? »

TONMUSISI,

EPIST.

61

619

durat interdum ad octavam, nonam, et etiam decimam horam, inter-

dum etiam durat usque ad duodecimam et ad primam horam. Et divites cives, et etiam consules, et Magistri civium quando in prima zecha sederunt et satis biberunt, tunc solvunt et vadunt ad

domum. Sed iuvenis bursa? et illi socii qui non multum curant quid solvit triticum, isti manent sedere in illa postzecha et bibunt ac si corpus et animam solveret. Nuper ergo cum sic etiam sederemus in una postzecha, ego et dominus Petrus monachus ordinis predicatorum qui vobis multum favet propter Iacobum Hochstraten haereticorum magistrum in Colonia. Tunc erat infra decimam et undecimam in nocte. Tunc multa disputavimus de ratione nominis vestri. Et ego tenui istam opinionem de Grachis Romanis vos esse nominatum. Sed dominus Petrus qui etiam est aliqualiter in arte humanitatis bene tentus, dixit non convenire, sed quod a gratia supernali nominaremini Gratius. Tunc fuit ibi unus trufator qui fecit valde crispum latinum, quod ego non omnia bene intellexi. Ille dixit quod neque a Grachis neque a gratia essetis dictus Gratius. Et fecit tam multa inutilia verba quod ego dixi : « Unde ergo dicitur Gratius ? Tamen alii viri valde profundi habuerunt desuper latam examinationem et concluserunt quod vel a Grachiis vel a gratia est dictus Gratius. » Tunc ipse dixit : « Isti qui hoc disputaverunt, fuerunt amici Magistri Ortvini Gratii, Et interpretati sunt illud nomen quilibet secundum suam opinionem in meliorem partem. Sed tamen istz opiniones non præiudicant veritati. » Tunc dominus Petrus interrogavit :

« Quid est veritas ? » Et putabat quod ipse deberet tacere, sicut fecit dominus noster quando Pilatus eum interrogavit. Sed ipse non tacuit et dixit : « Est in Halberstat unus suspensor qui vocatur magister Gratius, et ille est Ortvini avunculus maternus et ab illo Gratio suspensore vocatur Gratius. » Tunc ego non potui me servare et dixi : « Ohe socie, illa est una magna iniuria et ego protestor : Magister Ortvinus non debet sic mittere transire. Ego scio vos dicitis hæc ex invidia, quam habetis adversus dominum Ortvinum. 3. Le terme Iuvenis bursa ne désigne plus ici le pensionnat mais est la rétroversion latine de l'allemand junge Bursch (société de jeunes gens).

620

VOLUME

II, LETTRE

61

Car tout enfant reçoit son prénom et son nom de son père et non pas de sa mere. Alors, pourquoi donc ce bon maître aurait-il reçu le nom de sa mère et de son oncle maternel, et pas de son pére, comme les autres ? Alors, il a répondu, et il a dit hardiment, de facon que tout le monde l'en-

tende : —

C'est bien vrai, et cela devrait étre comme vous le dites.

Mais il nose pas nommer son pere avec honneur, car son père est un prêtre. Donc, s’il portait le nom de son père, tout le monde comprendrait qu'il est le fils d'un ecclésiastique et d'une prostituée, ce qu'on nomme proprement un bátard. Alors, je me suis à mon tour écrié trés hardiment : — Comment cela peut-il étre vrai ? Il est pourtant maitre à Cologne ;

Or, la sainte université a un statut comme quoi personne ne peut étre diplômé s’il n'est pas «un enfant» légitime ; donc, etc. Alors, il a répondu : — Qu'elle donne des diplômes aux enfants légitimes ou illégitimes, ça n’empêche que Maître Ortwin est un bâtard et restera bâtard pour l’éternité ! Alors, j’ai dit à nouveau : — Et si par hasard le pape lui avait accordé une dispense? ? Alors, il serait quand méme légitime et toi, tu pécherais gravement en parlant contre l'Église romaine ! Alors, il a dit : — Même s'il avait obtenu mille dispenses, il ne serait quand méme pas

légitime ! Et il a donné un exemple : — Ce serait la méme chose par exemple, avec un juif qui recevrait le baptéme dans l'eau, c'est-à-dire qui serait baptisé. Si le Saint-Esprit ne s'y trouvait pas, alors l'eau ne lui servirait à rien, et 1l resterait juif. Et c'est pareil pour les bátards qui sont fils des prétres et des prostituées, car ces prétres n'ont pas le droit d'épouser des prostituées, donc, leurs fils ne peuvent pas bénéficier de dispenses. Alors, j'ai posé une autre question :

— Qu'est-ce que tu penses donc du Seigneur Jean *Pfefferkorn ? Alors, il a répondu en disant : — Je soutiens fermement qu'il est encore juif à ce jour ! 6. Un décret d'Innocent III accordait ce pouvoir au pape.

TOMUS

II, EPIST.

61

621

Quia omnis progenies accepit nomen et cognomen a patre et non a matre ; quare ergo deberet ille bonus magister ab matre et ab avunculo materno nominari, et non a patre sicut alii ? »

Tunc ipse respondit et dixit audacter quod omnes audirent : « Est bene verum et deberet sic esse ut dicitis ; sed ipse non audet patrem suum cum honore nominare ; quia pater suus est presbiter. Si ergo se nominaret a patre, tunc omnes intelligerent quod ipse esset sacerdotis et meretricis filius, qui proprie vocantur spurii. » Tunc ego iterum valde audacter clamavi et dixi : « Quomodo potest hoc verum esse ? Tamen ipse est magister Coloniensis ;

sed alma universitas habet unum statutum quod neminem promovent nisi sit legittimus. Et ergo .etc. » Tunc respondit : « Sive promovet legittimos sive illegittimos, tamen Magister Ortvinus est spurius et manebit spurius in aeternum. » Tunc ego iterum dixi : « Quid tunc si forte Papa dispensasset secum ? Tunc ipse tamen esset legittimus, et tu graviter peccares dicendo contra Romanam ecclesiam. » Tunc ille dixit : « Etiam si millies esset secum dispensatum, tamen non esset legittimus. » Et dixit unum exemplum : « Quemadmodum esset cum Iudzo qui baptizaretur ex aqua sive baptismate, si ibi tamen non esset spiritus sanctus, tunc illa aqua nihil proficeret, sed esset adhuc Iudzus. Sic etiam est cum istis spuriis qui sunt sacerdotum et meretricum

filii, quia isti sacerdotes non possunt in iure meretrices matrimonialiter habere, et ergo non potest dispensatio filiis eorum proficere. » Tunc ego iterum interrogavi :

« Quid ergo servas de Domino Iohanne Pfefferkorn ? » 'Tunc respondendo dixit : « Ego firmiter teneo quod adhuc est Iudzus. »

622

VOLUME

II, LETTRES

61-62

Et reprenant les arguments déjà cités plus haut, il a encore cité l'évangile de Matthieu, III, où il est écrit : « Celui qui ne sera pas né à nouveau de l'eau et de l'esprit, celui-là n'entrera pas dans la vie éternelle. »? Or, puisque Pfefferkorn n'est jamais né à nouveau de l'esprit, donc, cette eau ne lui profite en rien, mais il restera juif pour l'éternité. Alors, je n'ai rien trouvé d'autre à répondre et nous nous sommes levés, moi et le Seigneur Pierre, et nous sommes partis dormir. Mais maintenant, j'entends dire que ce misérable se vante de nous avoir vaincus dans le débat et d'étre plus savant que moi et que le Seigneur Pierre. C'est pourquoi, je prie Votre Seigneurie que vous vouliez bien me répondre comment je devrais résoudre ces arguments au sujet de cette dispense, et pareillement du baptéme du Seigneur Jean Pfefferkorn, pour clouer le bec à ce faux-cul. Je vous en serai reconnaissant toute ma vie. Portez-vous bien.

62 (Conseils du bourreau d' Halberstadt à son neveu théologien) Maitre Gratius, de la zizanie l'extirpateur, c’est-à-dire des bandits le pendeur, des traitres l'écarteleur, des faussaires et des calomniateurs le fouetteur, des hérétiques le brüleur et beaucoup d'autres choses, dit beaucoup de saluts à Maitre Ortwin

son neveu par sa sœur!. Trés cher neveu, et néanmoins Révérendissime Seigneur Maitre, Vu que beaucoup d'années se sont écoulées depuis que nous nous sommes vus tous les deux, j'ai pensé qu'il serait bon que je vous écrive une lettre. J'entends dire en effet beaucoup de merveilles à votre sujet, tellement que votre réputation, elle est grande. On dit méme que vous étes déjà assez bien connu par tous les savants, pas seulement à Cologne, mais méme au-delà de

l'Elbe et du Rhin, et méme dans toute l'Italie et la France. Cependant, ce 7. Citation approximative de Matthieu III 11, (et de Jean III, 5). 1. Cette lettre est évidemment la suite de la précédente.

TOMUS

II, EPIST.

61-62

623

Et replicando allegationes supra tactas allegavit etiam evangelium Mathei .iij. ubi stat : « Nisi quis renatus fuerit ex aqua et spiritu, non intrabit in vitam æternam. » « Sed quia Pfefferkorn unquam fuit renatus ex spiritu, Ergo illa aqua nihil profecit, sed ipse manebit Iudæus in zternum. » Tunc ego non potui ei ultra respondere, et surreximus, Ego et dominus Petrus, et ivimus dormitum. Nunc autem audio quomodo iste nequam gloriatur quod nos disputando vicit, et quod sit doctior quam ego et dominus Petrus. Quare oro vestram dominationem ut velitis mihi rescribere quomodo ego debeam illa argumenta de dispensatione, similiter de baptismate domini Iohannis Pfefferkorn solvere, et illi leccatori* ad suum

ros-

trum adligare. Quod volo per omnem vitam promerere. Valete.

62 Magister Gratius Zisaniæ Extirpator hoc est furum suspensor proditorum quadruplicator falsariorum et calumniatorum virgator haereticorum combustor et multa alia Magistro Ortvino avunculo materno salutem dicit plurimam. Charissime avuncule nec non Reverendissime Domine Magister,

Quia iam sunt multi anni elapsi et non vidimus nos invicem, cogitavi quod bonum esset, quod vobis unam litteram scriberem. Audio enim multa mirabilia de vobis, quomodo sitis magna famae.

Et dicunt quod iam estis omnibus etiam mediocriter doctis notus, non solum in Colonia, sed etiam ultra Albim et Rhenum, et etiam in tota Italia et Francia. Colonienses tamen precipue colunt vos prop-

4. De l'italien Jeccatore (= lécheur).

624

VOLUME

II, LETTRE

62

sont ceux de Cologne qui vous vénérent le plus en raison de votre science exceptionnelle, que vous avez exposée dans vos écrits sur la religion catholique contre un certain docteur et *poéte profane nommé Jean Reuchlin. Et ils ont pour vous une telle considération et une telle admiration que, où que vous alliez dans la rue, on vous montre du doigt en disant : « Voilà Maitre Ortwin, qui maltraite tant les poètes ! » Je pense que, s'ils savaient que vous étes mon neveu, ils le feraient encore plus. En effet, je suis moi aussi d'une grande fameuseté ici, et j'exerce mon métier devant une grande foule de gens, et les gens me rendent le méme honneur. Et quand je passe dans les rues, ils me montrent aussi du doigt, comme ils le font pour vous à Cologne. C'est pourquoi je suis trés content que les gens aient de la considération pour vous autant que pour moi. J'ai aussi entendu dire qu'il y a d'autres personnages à Cologne qui sont vos amis et qui écrivent aussi contre le docteur Reuchlin, à savoir Jacques de la *Grand-Rue, le Maitre des hérétiques, et Maitre *Arnold de Tongres, le régent du pensionnat Saint-Laurent. Et tous les gens pensent que vous étes tous les trois vraiment éclairés dans la religion catholique. Ils vous considérent méme comme trois gros candélabres, c'est-à-dire des lanternes. Il y en a méme certains qui y ajoutent un quatriéme, comme un lustre, c'est-à-dire une lumiére suspendue et qui éclaire quand méme moins, à savoir le Seigneur Jean *Pfefferkorn. Je pense que, si on vous attachait tous les quatre, avec votre sagesse, à un grand poteau, dans un lieu élevé, sur un tas de bois sec, ça ferait immédiatement une grande lueur qui se répandrait sur le monde. Et encore plus éclatante que celle qui fut produite à *Berne. Mais cela, trés cher neveu, je vous le dis pour plaisanter. J'espére quand méme, plaisanterie mise à part, que vous deviendrez tous les quatre la lumiére du monde. En effet, il n'est pas possible que la grande sagesse qui est en vous doive ainsi rester enfouie dans la merde. On m'a aussi dit que l'autre fois, au milieu de la nuit, vous avez voulu sauter une antique vieille qui vend beaucoup de verres prés de la fontaine de Cologne. Elle a poussé des cris, et les gens ont regardé dehors avec des lampes, et ils vous ont vu. Par Dieu ! Je vous félicite vraiment pour de si belles actions qui sont toutes du ressort de mon métier. Et c'est vraiment digne de vous, les théologiens ! L'autre fois, il nous est arrivé la rumeur qu'il y avait un *poéte à Cologne. Lui seul, il vous qualifiait de stupide et il vous nommait le Porcin, c'est-àdire digne des porcs et de la porcherie. Par Dieu ! Si je savais qui est ce poète, je le pendrais de bon cœur ! Pour finir, trés cher neveu, je vous prierais vraiment de faire tout votre possible avec beaucoup de zéle, pour que votre renommée soit connue sur

TOMUS

II, EPIST.

62

625

ter egregiam doctrinam, quam scribitis in fide catholica contra quendam doctorem et poetam secularem Iohannem Reuchlin. Et ita vos inspiciunt et admirantur quod quocunque eatis in platea, tunc monstrant cum digitis super vos, dicendo : « Hic est Magister Ortvinus qui ita vexat poetas. » Credo si scirent quod essetis avunculus meus, tunc magis hoc facerent. Nam ego hic sum etiam magnæ famositatis, et exerceo artem meam in maxima populi frequentia, et homines faciunt mihi eundem honorem, et quando eo in plateis, etiam monstrant cum digitis super me, sicut faciunt in Colonia super vos. Quare ego valde lator, quod homines servant aliquid de vobis et me. Audio etiam alios viros esse in Colonia qui sunt vestri amici, et etiam vobiscum scribunt contra Doctorem Reuchlin, videlicet Iacobum de alta platea haereticorum magistrum, et magistrum Arnoldum de Tungari regentem in bursa sancti Laurentii. Et omnes homines credunt quod vos tres estis vere illuminati in fide catholica. Et servant vos tanquam tria magna candelabra sive lucernas. Et aliqui addunt quartum velut unam lampadem sive pendens lumen quod non tam clare splendet, scilicet dominum Iohannem Pfefferkorn. Ego credo si vos quatuor cum vestra scientia, mediante forti palo in aliquo excelso loco aridorum lignorum congerie exædificato, essetis colligati, posset statim unum magnum lux mundi fieri. Et etiam clarius quam fuit illud in Berna. Sed hzc, charissime avuncule, vobiscum pro nunc iocor. Spero tamen extra iocum futurum quod vos quattuor eritis lux mundi fieri. Nam non est possibile ut illa magna scientia quz est in vobis, deberet sic in merdro [szc] manere iacere. Est mihi etiam dictum quod nuper voluistis unam antiquam vetulam quz vendit multa vitra circa fontem Coloniæ, in nocte supponere, et ipsa clamavit et homines viderunt cum luminibus extra domum et viderunt vos. Per deum, ego valde laudo tam bona facta vestra qua pertinent omnia ad meum artificium. Et hoc decet etiam

vos Theologos. Venit nuper huc fama quod esset unus poeta in Colonia. Ille solus teneret vos pro stulto et vocaret vos Porquinum, hoc est porcis et hara dignum. Per deum, si ego scirem quis esset iste poeta, Ego vellem eum gratanter suspendere. Sed finaliter vos, charissime avuncule, valde orarem ut omnia

cum

magna

diligentia faceretis, quod fama vestra per totum

626

VOLUME

II, LETTRES

62-63

toute la surface de la terre, si je ne savais pas déjà qu'il n'est pas nécessaire de vous le recommander. En effet, vous le savez fort bien par vous-méme — et vous le tenez de vos grands-parents, aieux, bisaieux et trisaieux —, mais surtout vous l'avez appris de votre mére qui est ma trés chére sceur, et celle-ci, dés qu'elle a su que les bátards ont toujours un meilleur sort que les [enfants] légitimes, elle a foncé chez un prétre pour se faire enfiler, de maniére à engendrer un homme de votre qualité, que le monde entier connaitrait. Portez-vous bien, d' Halberstadt.

La cinquiéme Lune a édité les Hommes

obscurs?. Lecteur,

Dénoue ce nœud “> et tu riras mieux. Imprimé à la *Cour romaine.

63 (Les cucullés vaincront

l'humaniste Wimpfeling)

Jean de Schweinfurt, Maitre dans les sept *arts libéraux, envoie mille saluts et un peu plus à Monsieur Ortwin Gratius, savant merveilleusement instruit et éclairé, qui enseigne magistralement à *Deventer la langue grecque et la latine.

Après avoir répandu sur votre autel un honneur et une obéissance révérencieux, précepteur qui étes expert dans un si grand nombre de savoirs, Vous m'avez écrit l'autre jour que vous aviez obtenu la victoire à Rome contre ce Reuchlin qui s'est audacieusement opposé à vous, ainsi qu'à cet homme récemment éclairé dans la religion chrétienne, par la grâce de Dieu, Jean *Pfefferkorn. Et comment que le pape lui a imposé silence!, de sorte qu'il n'avait plus le droit d'écrire, « de peur qu'il ne lui arrive quelque chose de pire », comme dit Notre Seigneur dans l'Évangile?. D'abord, en effet, il a 2. Parodie d'Hésiode : « Évitez les cinquiémes jours du mois, ils sont pénibles et néfastes. C'est un cinquième jour, dit-on, que les Erinyes entourérent la naissance de Serment, enfanté par Lutte, pour étre le fléau des parjures. » (Les Travaux et les Tours, v. 802-804). 1. En fait, le « mandat à surseoir » du 2 juillet 1516 était une défaite pour Hochstraten, car toutes les parties se voyaient interdites de publication. 2. Tean V, 14.

TOMUS

II, EPIST.

62-63

6277

orbem terrarum fiat nota, nisi scirem non opus esse ut vos admo-

nerem. Vos enim per vos pulchre scitis, ab avis, abavis, attavis et trittavis habetis, precipue tamen didicistis a matre vestra charissima meaque sorore, quz audiens quod spurii semper habent meliorem fortunam quam legittimi, iccirco ad sacerdotem cucurrit et permisit se lardare, ut vos talem virum generaret, Quem totus mundus aliquando cognosceret. Valete ex Halberstat.

Quinta luna Obscuros viros edidit. Lector Solue nodum 4p et ridebis amplius. Impressum Romanz Curiz.

63 Ioannes de Schwinfordia septenarum artium liberalium Magister scientifico et mirabiliter docto atque illuminato viro Ortvino Gratio in Daventria graecam et latinam linguam magistraliter docenti mille salutes et paulo plus. Reverentiali honore et obedientia prælibatis, Praeceptor in pluribus scibilibus experte, Scripsistis mihi nuper de victoria vestra obtenta in Roma contra istum Reuchlin qui audacter fuit contra vos, et virum noviter deifice illuminatum in fide Christiana Ioannem Pfefferkorn, Et quomodo Papa imposuit sibi silentium, ita quod nihil deberet magis scribere, « ne deterius sibi aliquid contingat », ut dicit dominus noster in evangelio. Prius enim in Speculo Oculari sic scripsit mirabiliter quod

628

VOLUME

II, LETTRE

63

écrit dans les *Besicles d’une façon tellement invraisemblable? que les *Not Maitres n'y ont rien compris. Du coup, ils l'ont déclaré hérétique. C'est parce qu'ils n’ont dans leurs livres rien de pareil à ce qu'il a écrit. Et leur nouveau théologien, que Dieu a fait surgir des pierres, comme s'il avait été de la semence d'Abraham, ainsi que dit l'Écriture*, à savoir Jean Pfefferkorn, n'a rien trouvé de tel non plus dans sa vision, c'est-à-dire sa manifestation déifique, ni sur la foi — digne d'étre rapportée — de sa femme, dont j'ai entendu dire qu'elle a aussi l'esprit de prophétie. Mais vous savez cela mieux que moi, parce que vous avez souvent été chez elle quand Jean Pfefferkorn n'était pas à la maison. Mais, par Dieu, je ne sais pas comment Reuchlin a été vaincu par vous ou par le pape. Car ils ont fait une nouvelle faculté en plus des quatre autres que nous avions déjà”. Ils félicitent tous Reuchlin et ils disent qu'ils sont ses disciples. Et ils ne se soucient plus de la *faculté des arts, au point «qu'ils disent» que les *artiens sont des ânes aussi grands que vaniteux, car ils ne savent pas dire trois ou quatre mots de latin. Et, hélas ! ces bétes séduisent un certain nombre de jeunes gens innocents qui, aprés avoir perdu un long temps et comme noyés dans ces immondes bas-fonds de toute la barbarie, reviennent à la demeure paternelle sans avoir rien appris d'autre que « On argumente, on répond, on demande », dont les dieux sont *Tateret, *Versor, Perversor$, *Buridan, le *Bruxellois, et qui ressemblent à une race de fange obscure. C’est quand même extraordinaire qu’un simple étudiant ou un cornu veuille déjà en savoir plus dans Aristote qu'un *bacheliérant ou un *maitrisant qui a assisté au cours et est bien qualifié. Eux, ils ne sont méme pas respectueux des *maîtres et quand ils passent devant un maitre, ils ne touchent pas leur barette" (selon la coutume) et ils veulent toujours fréquenter la maison tu-sais-bien$. En plus, ils n'assistent pas aux cours sur les Conséquences de *Marsile ni sur les *Positions, ni sur les * Petites logiques. De ce fait, il n'est pas possible qu'ils puissent être formés et préts pour les *débats. Mais laissons cela. Je vous écris pour vous tenir au courant que Jacques *Wimpfeling, qui est un reuchliniste central, a été réellement liquidé par un certain moine nommé Paul *Lang, qui a réellement su lui dire ce qu'il avait eu tort d'écrire dans un livre nommé L’Intégrité, à savoir qu'il ny aurait pas 3. En Oberdeutsch, avant sa traduction latine par Jacques de *Questenberg. 4. Matthieu, III, 9, ou Luc, III, 8. 5. Les quatre facultés médiévales étaient celles des arts, de théologie, de droit et de médecine. La nouvelle faculté, dont l'homme obscur craint l'apparition, serait celle de *poésie, chére aux humanistes. 6. Ce Perversor, au nom significatif, est sans doute une invention comique de Hutten.

7. Ils ne le saluent pas. 8. Le bordel, naturellement.

TOMUS"

II, EPIST..

63

629

magistri nostri non potuerunt intelligere. Et tamen dixerunt quod est hæreticus. Ideo quia non habent sic in libris suis, sicut ille Scripsit, neque novus eorum theologus quem deus suscitavit ex lapidibus, ut esset semen Abrahz, sicut scriptura dicit, videlicet Ioannes Pfefferkorn, habet sic ex deifica visione seu manifestatione, vel ex fide digna relatione uxoris suz, quam audivi etiam habere spiritum prophetiæ. De quo vos melius scitis quam ego, quia sæpe cum ea fuistis quando Ioannes Pfefferkorn non fuit in domo. Sed nescio per deum, quomodo Reuchlin sit per vos confusus aut per papam. Quia iam fecerunt novam facultatem ultra alias quattuor facultates, quas iam habuimus. Et omnes illi laudant Reuchlin et dicunt quod sunt eius discipuli, et non curant amplius facultatem Artisticam, eo quod artiste sunt ita magni et superbi asini, quia non

sciant tria aut quattuor verba latine loqui, et vah illae bestiae seducunt plures innocentes iuvenes qui postquam longam ætatem contrivere et quasi immersi in hac omnis barbariei nequam sentina, redeuntes in paternas ædes nihil prater « Arguitur, Respondetur, Quaeritur » didicere, quorum dii Tateretus, Versor, Perversor, Buridanus, Bruxellensis, et id genus similes turba obscurz sunt. Est tamen mirum quod unus simplex studens aut cornutus vult plus scire iam in Aristotele quam baccalaureandus aut magistrandus qui audivit cursum et est bene qualificatus. Ipsi etiam non sunt reverentiales magistris, et quando ante unum vadunt, non tangunt birretum (sicut moris est) et semper volunt frequentare domum scis bene. Etiam non audiunt Consequentias Marsilii neque Suppositiones aut Parva logicalia. Ideo non est possibile quod possunt esse formales et apparere in disputationibus. Sed dimittamus ista. Scribo vobis pro novitatibus quod Iacobus Wimphelingius qui etiam est medius Reuchlinista, realiter est expeditus per quendam monachum Paulum Langium, qui realiter scivit sibi dicere quod non recte scripsit in uno libro qui vocatur « De integritate », videlicet quod scientia non tantum esset in cuculla. Nam ille

630

VOLUME

II, LETTRE

63

eu tant de science que cela sous une *cuculle. En effet, ce moine a rédigé un autre livre en réfutation, qui a été approuvé au chapitre, c'est-à-dire au synode de Reinhartzborn de l'ordre de saint Benoit, l'année du Seigneur 1509. Il est en bon latin, car il y a quelqu'un qui a dit qu'il était carrément aussi bon que le *Manuel d' Alexandre. Moi, je me réjouis beaucoup qu'on trouve tant de latinité chez des moines. Et on dit méme qu'il dépasse Cicéron par la qualité de son style. Mais moi, je ne l'ai pas cru, parce que [Cicéron] est d'un niveau plus élevé. Mais il procède de façon très savante contre Wimpfeling en vers, en prose et en rimes. Et ainsi je pense qu'il a raison comme quoi toute la science se trouve sous la cuculle, c'est-à-dire dans les moines,

car, montant de l'inférieur au supérieur, les moines ont écrit des commentaires aux régles de *grammaire, à *Donat, à *Pierre d'Espagne, à la Physique, à la Métaphysique et à l'Éthique?. Et ainsi, ils ont conchié par leurs commentaires et ils sont devenus des maîtres dans tous les domaines du savoir. Mais, sauf son respect, je propose les distinctions suivantes : primo les cucullés, car c'est un terme équivoque dans de nombreux cas : primo dans le cas des Bohémiens, qui ont des cuculles tellement longues qu'elles leur dépassent de la ceinture. Et il n’y a pas en eux de science, mais plutót de l'hérésie!?. Secundo dans le cas des juifs, qui sont aussi cucullés!!, et ne sont cependant pas savants, car ils sont hors de l'Église. Tertio dans le cas des Not’ Maîtres, qui sont bien éclairés, mais pas superlativement. Quarto dans le cas des moines, qui possédent une science superexcellente, comme vous.

C'est pourquoi je vous implore de venir en aide à ce moine, car vous faites aussi partie de ce groupe, c'est à dire des cucullés du troisiéme type, pour qu'il puisse, par ses écrits, se défendre contre Wimpfeling, car, puisque j'ai entendu dire que Wimpfeling a beaucoup de disciples qui sont à Strasbourg, il y a un gars qui me les a nommés l'autre jour : il y en a un qui s'appelle Jacques *Sturm, un noble et à ce qu'on dit, un bon latiniste,

un autre, Ottomar *Luscinius, qui sait méme le grec, comme Reuchlin, et qui sait citer abondamment les *Extra et les *Digestes, et méme la Bible, ce qui n'est pas extraordinaire, car il a fait ses études à Paris. 9. Il s'agit des trois parties de l'enseignement aristotélicien. 10. L' « hérésie » hussite était particulièrement implantée en Bohême. 11. Voir à ce propos la lettre I, 2, où l'on confond des juifs avec des théologiens à cause de leur costume.

TOMUS

II, EPIST.

63

631

monachus composuit alium librum contra, qui est approbatus in Capitulo sive sinodo Reinhartzbornensi ordinis sancti Benedicti, Anno domini .1509. et est bonum latinum, quia unus dixit quod esset ferme ita bonum sicut Doctrinale Alexandri. Et ego multum gaudeo quod tanta latinitas etiam invenitur in monachis. Et ipsi etiam dicunt quod superexcellescat stilum Ciceronis. Sed ego hoc non credidi, quod est una nota altius. Sed procedit doctrinaliter multum contra Wimphelingium metrice, prosaice et rigmatice. Et sicut ego puto, recte habet, quod omnis scientia est in cuculla, id est in monachis, quia transeundo de inferiori ad superius monachi scripserunt commenta in regulas grammaticales, in Donatum, in Petrum Hispanum, in Phisicorum, Metaphisicorum et Ethicorum, et sic commentis suis commerdaverunt, et in omnibus scibilibus facti sunt magistrales.

Sed cum supportatione sua ego distinguerem : Primo de cucullatis, quia est terminus æquivocus ad multa. Primo ad Bohemos qui habent cucullas ita longas ut vadant ultra cingulum abinde, et in illis non est scientia, sed potius hzresis. Secundo ad Iudzos qui etiam sunt cucullati, et tamen non scientifici, quia extra ecclesiam. Tertio ad magistros nostros qui sunt bene illuminati, sed non in superlativo. Quarto ad monachos, et illi superexcellenter habent scientiam sicut vos habetis. Igitur rogo vos, iuvate illi monacho,

quia etiam vos estis ex parte, id est tertio modo cucullatus, ut possit scripta sua defendere contra Wimphelingum. Quia ut audio quod Wimphelingus habet multos discipulos, quod michi unus nuper nominavit, qui sunt in Argentina. Unus vocatur Iacobus Sturmius nobilis, et ut dicunt bonus latinista, alius Ottomarus Luscinius qui etiam scit graecum sicut Reuchlin, et scit multum allegare Extra et Digestis, etiam ex Biblia, que non sunt mirabilia, quia studuit in Parrhisia.

632

VOLUME

II, LETTRE

63

Item, Lucas *Batodius et Jean *Ruserus, Jean *Sapidus et beaucoup d'autres, qui veulent tous venir en aide à Wimpfeling contre les cucullés et les liquider proprement par leurs écrits. Et ils disent tous que ce Paul n'est pas bien fondé dans ses affirmations, qu'il a bien trahi son ordre de neuf façons, qu'il est un agité et un énorme tartufe, ainsi que *Trithème l'a écrit lui-même dans une lettre à Jérôme *Tungerfheim d'Ochsenfurt. Et c'est une grande malédiction, que quelqu'un aille ainsi perdre son papier et son encre, et méme son temps, comme il l’a fait. Ils disent méme que saint Jérôme a écrit ceci à un moine : « Que le livre des Psaumes ne s'écarte jamais de ta main ni de tes yeux ! »!?, comme quoi, si c'était vrai, cela obligerait toujours les moines, et pour toujours, car C'est une formule négative. Et si les moines ne devaient rien faire d'autre que lire les psaumes, mais je crois que c'est un mensonge, car saint Jéróme lui-méme était un moine, et ainsi, 1l n'a pas écrit contre eux.

J'ai aussi entendu une truffe et une grosse ribauderie d'un disciple de Wimpfeling. L'autre jour, je lui ai dit hardiment en face : — Votre précepteur Wimpfeling se trompe complètement, car il a écrit contre le seigneur abbé Trithéme et contre les moines, or dans son enseignement et sa sainteté, il y a des choses vraiment remarquables et utiles, et maintenant, l'Église n'a pas d'autres piliers que les moines. Alors, il a dit : — Je pose une distinction à propos des moines, car on peut les considérer selon trois modes : primo, ceux qui sont saints et utiles, or ils sont au ciel, secundo, ceux qui ne sont ni utiles ni inutiles, et ceux-là sont peints sur les églises, tertio, ceux qui sont vivants actuellement, et ceux-ci font du tort à beaucoup de gens, méme qu'ils ne sont pas des saints. Car ils sont aussi vantards que les séculiers. C'est pour cela qu'ils se réservent l'argent et les belles femmes. Car l'autre jour, est venu de Heidelberg, où c'est prés de ceux de Heidelberg, un gros abbé, gras et triste. Et il a emmené tous les moines du collège Saint-Jacques en leur disant qu'il allait leur préparer un bon ragoût. Et ensuite, il n'a plus rien dit. Mais eux, ils ont dit qu'ils voulaient bien

croire qu'il allait faire comme il avait dit (/e bon apótre!^), parce que «le comte» Palatin!® voulait instaurer une nouvelle méthode comme quoi un 12. Lettre CXXV, 11, adressée au moine Rusticus. 13. L’abbaye de Schónaugen, construite extra-muros Heidelberg, avec le collége Saint-Jacques. 14. En allemand dans le texte. 15. Philippe, comte palatin.

et intégrée

à l'université

de

TOMUS

II, EPIST. 63

633

Item Lucas Batodius et Ioannes Ruserus, Ioannes Sapidus et multi alii, qui omnes volunt Wimphelingio iuvare contra cucullatos et eos realiter expedire in scriptis suis. Et dicunt omnes quod ille Paulus non est bene fundatus in dictis suis, et bene novem modis apostatavit ab ordine et est inquietus et trufator maximus, sicut ipsemet Tritemius scripsit in una litera ad Hieronymum Tungerfiheim ex Ochsenfurt. Et magnum damnum est quod aliquis sic debet perdere papyrum et incaustum, et etiam tempus, sicut ipse fecit. Ipsi etiam dicunt, quod sanctus Hieronymus scribit ad unum monachum sic : « Nunquam de manu tua vel oculis tuis liber Psalterii discedat », quod si esset verum, tunc obligaret monachos semper et pro semper, quia est negativum. Et si monachi nichil aliud deberent facere quam Psalterium legere. Sed ego credo esse mentitum, quia sanctus Hieronymus met fuit monachus, et ideo non scripsit contra eos. Audivi etiam unam trufam et magnam ribaldriam de uno discipulo Wimphelingii qui nuper quando sibi audacter ad os dixi : « Vester praeceptor Wimphelingius errat valde, quia scripsit contra dominum Abbatem Tritemium contra monachos,

quia in doctrina sua et sanctitate sunt notabiles et multum utiles, et ecclesia iam non habet alias columnas nisi monachos. » Tunc ille dixit : « Ego distinguo de monachis, quia accipiuntur tribus modis. Primo pro sanctis et utilibus, sed illi sunt in cælo. Secundo pro nec utilibus nec inutilibus, et illi sunt picti in ecclesia. Tertio modo pro illis qui adhuc vivunt, et illi multis nocent, etiam non sunt sancti, quia ita superbi sunt sicut unus szcularium. Et ita libenter habent pecunias et pulchras mulieres. Quia venit nuper ex Heidelberga, ubi prope Heidelbergenses est unus magnus abbas, pinguis discolus. Et iste abigavit omnes monachos de Collegio sancti Iacobi. Et ipse dixit, quod vult eis recte bonum pulmentum præparare. Et postea cessabit ultra dicere. Sed ipsi dicunt, quod bene volunt credere quod fecerit ideo (Der gut bruder) quia Palatinus vult unam aliam viam instituere quod veniat unus

634

VOLUME

II, LETTRE

63

*poétel? viendrait à Heidelberg qui ferait parler le nouveau latin!" à ces moines et aux autres étudiants. Et alors, ce gros abbé a vite compris comment la plaisanterie allait tourner, et il a dit : — Mes moines ne doivent pas apprendre le nouveau latin, parce que, ensuite, ils se vanteront d'en savoir plus que moi. Et alors, j'aurai bonne

mine à venir au milieu d'eux comme un gros àne au milieu des singes. Mais, à la vérité, cette distinction n'est pas trés bien formulée, car elle

n'est pas constituée de deux membres, si bien qu'on ne peut Je vous envoie ce livre, pour que vous le fassiez imprimer, dedans beaucoup de choses contre ce Wimpfeling qui a moines. Parce qu'il le coiffera tout de suite au poteau quand

pas la conclure. parce qu'il y a écrit contre les il lira que Notre

Seigneur le Christ a été un moine, à savoir un abbé, et saint Pierre un prieur, et Judas Iscariote un célérier, et Philippe un portier, et pareil pour les autres, selon ci-dessus et ci-dessous, toute ces choses que prouve si magistralement Paul Lang, ce moine éclairé et trés savant, si bien que Wimpfeling et ses disciples ne peuvent pas lui opposer un seul mot. Or, il y a un wimpfelingien qui m'a résisté en face et il a dit que les moines mentent comme des cabaretiers scélératissimes, qui veulent que le Christ ait été un animal aussi monstrueux et une béte cucullée. Et il m'a injurié au nom du Christ. Alors, j'ai été tellement terrifié que je me suis pissé et chié dessus, et que tout le monde se bouchait le nez. Mais, quoi qu'il en soit, je crois fermement que tout le monde restera confondu par une telle science et dira : « C'est le Diable qui a amené ce moine chez nous ! Qui donc l'a fait si formé et si qualifié dans tous les domaines du savoir ? Comment cela se peut-il, si ce n'est pas par la science infuse ? Car il n'a étudié dans aucune université, et il est à ce jour un vrai bizuth, et pourtant, il vaut bien un un maitrisant ou méme plus, avec la permission des plus éminents Not' Maitres. Méme Thomas

*Murner, qui est un moine et un docteur trés subtil, a

une fois préché solennellement en chaire que le Christ Notre Seigneur était un moine. Et il a méme su défendre ça réellement. Mais il y a un disciple de Wimpfeling qui n'a pas voulu croire que le Christ avait été moine et il a fait à ce sujet les vers suivants : Je n'aurais pas cru en toi, Christ, couvert d'une menteuse Cuculle. Sous cet habit se cachent la fraude et le méfait,

D'ailleurs, le nouveau et recherché Frangois!? de *Berne, prouve Combien les moines doivent avoir la foi. 16. Reuchlin ou Wimpfeling. 17. Le latin élégant des humanistes. 18. Il s'agit du frère lai Jetzer, qui simula les stigmates.

TOMUS

II, EPIST.

63

635

poeta ad Heidelbergam qui faciat monachos istos et alios studentes novum latine loqui. Tunc ille pinguis abbas cito intellexit quomodo iocus vult finem accipere, et dixit : «Monachi mei non debent discere latinum novum,

quia postea erunt superbi quod sciunt plus quam ego : tunc ego pulchre venirem inter eos ut pinguis asinus inter simias. » Sed revera illa distinctio non est multum formalis, quia non est bimembris, et sic non potest concludere. Ego mitto vobis hunc librum, quem debetis facere impressare, quia multa bona sunt intra contra istum Wimphelingium qui scripsit contra monachos. Quia statim erit in meta quando leget dominum nostrum Christum fuisse monachum, videlicet abbatem, et sanctum Petrum priorem, et Iudam Schariotis cellerarium, et Philippum portarium et sic de aliis secundum sub et supra, quz omnia iste illuminatus et valde scientificus monachus Paulus Langius sic magistraliter probat, ut Wimphelingus et sui discipuli non debent unum verbum contra rebellare. Sed resistit michi unus Wimphelingianus in faciem et dixit quod monachi mentiantur sicut sceleratissimi caupones, qui volunt Christum fuisse ita portentosum animal et cucullatam bestiam, et super me protestavit nomine Christi. Tunc fui ita perterritus quod perminxi et permerdavi me, quod omnes nasum prætenebant. Sed sit quomodo sit, ego hoc firmiter credo, quod omnes tandem erunt stare confuse tantum cum sua scientia, et dicere « Diabolus portavit illum

monachum ad nos. Quis fecit eum in omnibus scibilibus ita formalem et qualificatum ? Quomodo potest hoc esse nisi per scientiam infusam ? Quia non stetit in aliqua universitate, et est adhuc unus purus beanus, et tamen bene valet magistrandum vel etiam plus, cum venia eximiorum Magistrorum Nostrorum. » Ipse etiam Thomas Murner monachus et doctor multum subtilis et semel solenniter praedicavit in ambone quod Christus dominus noster fuit monachus, et scivit etiam realiter defendere. Sed unus discipulus Wimphelingii noluit credere in Christum si esset monachus et fecit illos versus desuper : Non ego fallaci tecto Tibi, Christe, cuculo Crediderim : veste hac fraus tegiturque dolus. Atque probat novus e Berna quæsitus, habenda, Franciscus, monachis quanta sit, ipse, fides.

636

VOLUME

II, LETTRE

63

Mais qu'est-ce que c'est que ça qu'il ne veut pas croire ? Alors, il sera hérétique, comme les autres qui ont été condamnés avec Reuchlin à Paris et à Cologne et dans les autres universités. Je vous prie aussi de bien vouloir mettre en téte du livre ces vers que j'ai composés avec une grande diligence à la louange du livre et de son auteur, à savoir le moine Paul Lang, et pour la plus grande partie pendant la nuit, quand j'étais couché dans mon lit, et c'est ainsi que je les ai conçus. Alors, presque sans dormir, je suis devenu versificateur, comme suit :

Ce livre indigne attaque Jacque Wimpfeling que Lang Paul en vers a merveilleusement composé, aussi bien que rhétoriqué Comme quoi toutes les techniques sont dans les Cucullatulés Ainsi comme Trithéme l'a dit et aussi Évrard De *Campis, *Volzius Paul, et *Schürer, Jean *Piémont, *Sibert Jacques, *Roger Le Sicambre, savants hommes et cucullés. Maintenant, il sera battu Jacques et repoussé de partout Wimpfeling, *Bebel et ce *Gerbell, Sturm et *Spiegel, Luscinius et *Rhenanus, Ruserus, Sapidus et *Guida et Bathodius : Tous ces vaincus sont abattus, ils n’osent pas dire « Coucou ! » Comme ça, les wimpfelingiens seront pris dans le sac, Incapables de trouver en grec, ni en poésie Quoi répondre à Lang, ce savant homme.

Portez-vous bien, homme très éclairé et précepteur très savant, et aimezmoi vice-versa, comme quoi je vous soutiens dans tous les siècles des siècles. Donné à la citadelle impériale de Schnersheim??, dans la grand-rue, là où les jeunes paysans viennent toujours s'amuser le dimanche, comme quoi leur cœur explose «de joie». L'an un de la création du monde.

19. Schnersheim am Kochersberg, village de l'Alsace « profonde », situé entre Strasbourg et Saverne.

TOMUS

II, EPIST.

63

637

Sed quid ad hoc quod non vult credere ? Tunc erit hæreticus, sicut alii qui condemnati sunt cum Reuchlin in Parrhisia et Colonia et in aliis Universitatibus. Oro etiam vos ut velitis etiam supra librum ponere illos versus quos ego in laudem libri et authoris, videlicet Pauli Langii monachi, cum magna diligentia composui et pro maiori parte quando de nocte iacui in lecto et sic speculavi, tunc quasi insomnis factus sum versificator ut sequitur. Hic liber indignum vexat Iacobum Wimphelingum, Langius quem Paulus — fecerat mirifice, Metrice quiscripsit, — etiam quoque rhetoricavit, Quod omnes Artes — sunt in Cucullatulis. Sic quoque Tritemius dixit, sic et Eberhardus De Campis, Volzius Paulus, et Schurerius, Iohannes Piemont, Siberti Iacobus, Rotger Sicamber, docti — cuculatique viri. Iam erit confusus Iacobus, et omnino detrusus Wimphelingius, Bebelius, — atque ille Gerbelius, Sturmius et Spiegel, Luscinius atque Rhenanus, Ruserus, Sapidus, Guidaque, Bathodius : Omnes hi victi lacent, non audent dicere Gukuck,

Sicin sacco conclusi Wimphelingiani erunt, Non valent in Grecis — invenire neque Poetis Quod Lango respondeant X viro scientifico. Valete, vir illuminatissime et præceptor valde doctrinalis, et me vice-versa habeatis dilectum, quod ita bene promoveo vos per omnia saecula seculorum. Datum in Oppido Imperiali Suerfhheim in longa platea, ubi iuvenes Rustici semper in Dominica die corrisant, quod cor eis crepet. Anno a mundo condito Primo.

638

VOLUME

II, LETTRE

64

64 (Si l’Inquisition s’occupait plutôt des chanoines...) Le seigneur Sacavin de Montefiascone, un salut éternel au Révérend Maître le Seigneur Ortwin Gratien

Bien que vous ne connaissiez rien, Révérend Maitre, au latin profane (à ce que m'a dit quelqu'un) — ce pourquoi je vous aime beaucoup —, et que vous n'avez rien à faire des mots pompeux comme en font les “poètes, vous savez quand méme où vous devez coucher la nuit (comme dit le Sage dans le livre des Proverbes!). Et nous nous fichons pas mal de ce que font ces rénovateurs du latin, tels qu'*Érasme de Rotterdam et Jean Reuchlin. Et moi, je me fiche d'eux, parce que ce n'est pas de l'essence de l'Écriture sainte, méme si lui et méme les autres veulent toujours faire du tort aux théologiens anciens avec cette littérature, et je ne sais pas comment ils s'y prennent avec le Nouveau Testament et les œuvres de saint Jéróme?, comme quoi ils veulent toujours y méler de la littérature hérétique, alors que tout de méme Paul dit que les Grecs sont toujours des menteurs”. Il est donc clair, sauf le respect des éminents *Not' Maitres, que cette littérature n'est rien que des mensonges. Maintenant, je résume. Or, quiconque veut embrouiller l'Écriture sainte par des mensonges, celui-là est un hérétique. CQFD. Maintenant, quant à eux, ils savent ce qui en résulte, car ce serait, je crois, un scandale pour eux si j'avais conclu publiquement qu'ils sont hérétiques. Oh ! s'ils connaissaient cette subtilité qui est en moi, ils ne vien-

draient pas devant ma face* ! Taisez-vous quand méme jusqu'à la fin’, et alors, vous entendrez l'accord final.

1. La référence de cette citation n'a pas été retrouvée. Peut-étre est-elle une pure invention parodique. 2. Erasme venait de publier sa nouvelle traduction latine du Nouveau Testament, et son édition des œuvres complètes de Jérôme était en cours chez Froben, à Bâle. 3. Dans l’Épitre à Tite, Paul cite, sans le nommer, le fameux sophisme d'Épiménide, dont la majeure est : « Tous les Crétois sont des menteurs. » 4. Formule parodique du style biblique. 5. L'homme obscur se croit sans doute en train de faire un cours à ses étudiants.

TOMUS

II, EPIST. 64

639

64 Dominus Volwinius! de Monteflascon?

Reverendo Magistro Domino Ortvino Gratiano? Æternam

Salutem.

Quamquam vos nichil sciatis, Reverende Magister, in latinitate saeculari (ut unus michi dixit), propter quod multum diligo vos, et non curatis pomposa verba sicut faciunt poetz. Tamen alias scitis ubi debetis de nocte iacere (sicut dicit Sapiens in proverbiis). Et non est nobis magna cura quid faciant illi novatores latinitatis, scilicet Erasmus Roterodamus et Ioannes Reuchlin. Nec ego curo eos, quia non est de essentia sacræ scripturz, licet ipse et etiam alii semper volunt Theologos antiquos plagare cum ista literatura et nescio quomodo ipsi supponunt cum novo testamento et operibus sancti Hieronymi quod semper volunt illam hæreticam literaturam immiscere, cum tamen dicat Paulus quod Grzci semper sint mendaces. Et ergo videtur cum supportatione eximiorum magistrorum nostrorum, quod illa literatura nichil sit quam mendatium. Nunc subsumo : sed quicunque vult confundere sacram scripturam mendaciis, ille est hæreticus,

ergo. Nunc ipsimet sciunt quid sequitur, quia esset credo ipsis scandalum quando ego palam concluderem eos esse hæreticos. O si scirent istam subtilitatem in me esse, ipsi non venirent michi ante faciem. Tacete tamen usque ad finem, tunc bene videbitur cuius toni.

1. De l'allemand vol! (= plein) et Wein (= vin). 2. Ce « Sac-à-vin de Montefiascone » évoque irrésistiblement une curieuse anecdote : on peut en effet voir dans l'église san Flaviano de Montefiascone la pierre tombale d'un évéque allemand nommé Johannes Fugger. Son épitaphe dit : Est, est, est pr nim est hic So«hannes» de Foucris do«minus» meus mortuus est », qui signifie : « Il l’est, il l'est, et c'est parce qu'il l'est trop que mon maître Johannes de Fugger est mort ». L’explication en est qu'un serviteur précédait l'évéque dans ses déplacement pour vérifier la qualité de la nourriture et des vins pour son patron. Lorsque le vin était bon, il écrivait «est (il l'est) ». Mais à Montefiascone, le vin lui parut tellement bon qu'il nota « est, est, est ». L'évéque suivit trop bien son conseil et mourut d'excés de boisson. L'épitaphe aurait donc été composée par le serviteur zèlé. On se rappellera également que Montefiascone est l'une des destinations du Schluraffen Schiff de la Nef des fous de Sébastien Brant. Il écrit en effet : « Nous allons dans tous les pays, de Narbonne au pays de Cocagne, puis nous allons à Montefiascone. » (Wir faren vmB durch alle landt |Von Narbon jnn Schluraffen landt | Dar nach went wir gen Montflascun, chap. 108, v. 8-10). 2. Dans cette lettre et la suivante, Gratius devient inexplicablement Gratianus (coquille du typographe de la quatrième livraison des Lettres ?).

640

VOLUME

II, LETTRE

64

Mais, en ce qui concerne les nouvelles, je ne peux pas renoncer à ce que je vais vous écrire. En effet, je me trouvais l'autre jour, je ne sais plus quand, assis à un banquet. Et s’y trouvaient également beaucoup de jeunes collégues prétentieux. Et ils venaient chacun d'une autre région payer leur écot. L'un d'Angleterre, un autre de Strasbourg, un autre de Vienne, un autre

était de Wimpfen, que l'on appele Angelinus, un autre était Romain et il était bien à moitié *courtisan, et beaucoup ont dit beaucoup de choses, comme vous le savez. Et voilà que la conversation est venue sur le procès Reuchlin. Alors il y en a un qui m'est tombé dessus, quand il a entendu que je n'étais pas un bon reuchliniste. Et il a dit : — Qu'aucun théologien radoteur de Cologne ne vienne se mettre en travers de ma route, sinon je vais le chátrer vite fait ! Et surtout Maitre Ortwin ! Alors, ca m'a coupé le sifflet. Et il y en a un autre qui a parlé, et qui n'était pas riche, et il avait perdu plusieurs *bénéfices à la *Cour romaine, et avec ca, il était en bagarre avec tous les courtisans, et il a dit des choses étonnantes, comme :

— Sur mon âme, j'ai toujours été étonné par ces types en grandes capuches qu'on appelle des théologiens et qui sont dans cette cité où on imprime les débats sur *Donat selon la méthode de saint * Thomas et les règles de *grammaire selon la méthode des anciens, comme selon ce vers : Tu recevras les enseignements d'un si saint docteur. et parmi eux, les moines, qui veulent toujours condamner

les autres

comme hérétiques, c'est pourquoi ils nous excitent contre eux, et ils déclenchent contre eux des enquétes de perversité hérétique, alors qu'eux-mémes, ils ont tellement de bénéfices (l'un en a six, l'autre, dix, l'autre vingt et plus), et ils réunissent autant d'argent et un buffet aussi bien garni de bouteilles et de coupes que s'ils étaient des fils de princes ou de comtes, et ils nourrissent délicatement chez eux des putains ou des concubines, avec des chaînes au cou, des anneaux aux doigts et des pelisses, comme si elles étaient des femmes de chevaliers. Et pendant ce temps, l'un d'entre eux a trois canonicats en méme temps et en une fois, il encaisse les revenus des trois, comme quoi aprés il peut se taper la cloche. Et il ne peut seulement assister et étre présent que dans un chœur et pas dans les autres. Et du coup, il n’y a personne dans les autres chœurs et personne n’y assiste pour louer Dieu et prier pour les vivants et les défunts. Est-ce que c'est correct ?

6. Cologne, où l'imprimeur *Quentel imprimait depuis plusieurs dizaines d'années ce genre d'ouvrages.

TOMUS

II, EPIST.

64

641

Sed pro novitatibus non possum dimittere quin vobis scribam. Sedi enim nuper nescio quando in uno convivio, et ibi etiam fuerunt multi praetensi iuvenes socii, et venerunt quilibet ex alia regione in unum symbolum : unus ex Anglia, alius ex Argentina, alius ex Wienna, alius erat Wimpinus qui vocatur Angelinus, alius Romanus qui fuit bene medius Curtisanus, et multi multa dixerunt ut ipse sciis. Et venimus in Colloquia de causa Reuchlin. Tunc unus surrexit erga me, ubi audivit quod ego non fui bonus Reuchlinista, et dixit : « Ne veniat michi obvius Coloniensis copulatista theologus, alias volo eum cito emasculare. Et presertim magistrum Ortvinum ! » Tunc ego traxi fistulam meam in meum saccum. Et alius dixit qui non erat dives et perdidit plura beneficia in curia Romana, et cum hoc male habet cum omnibus Curtisanis, et dixit mirabilia, ut sequitur : « Super anima mea ego sæpe miravi quod isti in magnis caputiis qui vocantur Theologi et sunt in illa civitate ubi impressitæ sunt quæstiones super Donatus secundum viam sancti Thomæ et regulæ grammaticales secundum viam antiquorum cum isto carmine :

“Accipias tanti doctoris dogmata sancti" inter ipsos monachi, qui volunt alios semper facere hæreticos, quare etiam nos stimulant super illos, et producunt inquisitionem super eos super hzretica pravitate, qui habent tot multa beneficia, unus sex, alter decem, alius viginti et magis et congregant tam multam pecuniam, et tantam credentiam ex flasculis et poculis pecheriis*, sicut si essent filii principum vel comitum, et in domo nutriunt putanas sive concubinas preciose cum cathenis in collo, cum annulis in manibus, cum schubis? veluti si essent uxores militum. Et interdum unus illorum habet tres Canonias simul et semel, et

imbursat de omnibus illis tribus giltas, quod inde potest habere multas zechas, Et potest solum stare et esse in uno choro, et in aliis non. et sic in aliis choris nullus et nemo stat pro eis, qui laudat deum et

rogat pro vivis et pro defunctis : estne hoc recte ? »

4. De l'allemand Becher (= pot). 5. De l'allemand Schauben (= pelisse).

642

VOLUME

II, LETTRE

64

Pourquoi est-ce que l'on n'enquéte pas sur eux, en les interrogeant devant de nombreux notaires et de nombreux témoins (comme on l'a fait autrefois à Mayence?) en leur disant : — À quoi croyez-vous ?

— Oui ou non ? — Croyez-vous ou ne croyez-vous pas ? — Croyez-vous aux sacrements dans l'Église de Dieu ? — Dites-nous quels sont votre cœur au sacrement de du Christ ? — Si vous croyez, quand la dites au moins une fois

les sacrements, et quelle foi vous accordez dans l'eucharistie : est-ce vraiment le corps et le sang

donc, aprés que vous avez dit la messe (si vous dans l'année), immédiatement aprés que vous

rentrez à la maison, votre concubine (qui a des mœurs et une tenue comme si elle était une prostituée), [est-ce qu'elle s'amuse, joue, plaisante, et fait-elle comme ci et comme ça] avec vous à la maison ou à table, ou dans la

chambre ? — Dites-nous si vous croyez que c'est un si grand bienfait produit par la messe, et agréable à Dieu, ainsi qu'on le trouve dans les * Décrétales et dans les traités théologiques. — Pourquoi avez-vous donc autant de bénéfices, avec lesquels on pourrait nourrir cinq ou six prétres dévots, qui diraient volontiers des messes, qui feraient de bon cœur des prédications au peuple et au clergé, qui pourraient donner des conseils pour l'honneur de Dieu, pour le salut des àmes, pour la liberté ecclésiastique, qui corrigeraient les vices et pourraient prier Dieu pour notre seigneur le pape, pour le roi, pour les évéques et pour les autres chrétiens, pour la paix et la santé, ainsi que cela figure dans la tranquillité et le silence de la messe après le Sanctus et le Té igitur clementissime pater? ? — Si vous croyez qu'une telle quantité de biens peut provenir de la messe pour les vivants et les morts, pourquoi ne rendez-vous pas votre superflu en le laissant aux autres bonnes personnes, dévotes et savantes, pour que Dieu en soit loué et que les àmes de ceux qui sont morts auparavant soient rachetées de la purification du feu? et que Dieu, adouci par notre amour, ne nous envoie plus ainsi des pustules dans le bas, et qu'il ne frappe pas non plus la vigne et le blé par la grêle et la gelée, et qu'il n’y ait plus non plus de grandes famines sur la terre ? — Mais si vous ne croyez pas que tant de bonnes choses viennent de la messe, alors, par le grand Dieu, vous étes suspects d'hérésie. Au moins vous étes réellement plus hérétiques que Wessalia!? et le docteur Reuchlin. 7. En 1479, contre *Wesalius qui était prédicateur à la cathédrale. 8. Pendant la messe, à la suite de ces deux invocations, le prétre nommait les diverses personnalités à l'intention de qui l'office était célébré. 9. Du feu du Purgatoire. 10. Autre graphie de Wesalius.

TOMUS

II, EPIST.

64

643

Quare non inquiruntur super eos et interrogant coram multis notariis et multis testibus (sicut olim in Mentz? fecerunt) et dicunt : * quid creditis ? ita vel non ? creditis vel non creditis ? quid creditis de sacramentis in ecclesia dei ? Dicatis nobis quod sunt sacramenta, et quam fidem in corde vestro portatis de sacramento eucharistiæ : estne ibi corpus et sanguis Christi ? Si creditis, quando ergo postquam missam legistis (si saltem in anno semel legistis), statim quando ad domum iterum vaditis, concubina vestra habens mores et inspectum acsi esset una meretrix, vobiscum in domo vel in mensa vel in camera [est hilaris, ludit, iocatur, et

taliter qualiter facit etc.?] ? dicatis nobis si creditis adeo magnum esse fructum, et qui deo placet, ex missa, sicut in decretalibus et in tractatibus Theologorum stat :

Quare ergo vos habetis tot beneficia, quz possent quinque aut sex devotos sacerdotales sustentare qui libenter legerent missas, qui libenti animo facerent prædicationes ad populum et ad clerum, qui possent dare consilia pro honore dei, pro salvatione animarum, pro libertate ecclesiastica, corrigere vitia, et vellent rogare deum pro domino Papa, pro Rege, pro Episcopis et pro alis Christicolis, pro pace et sanitate, sicut stat in tranquilla et silenti missa post Sanctus et post Te igitur clementissime pater ? Si creditis tantum bonum venire ex missa pro vivis atque defunctis, quare non supradatis illa quz habetis in superfluo, et dimittis aliis bonis devotis et doctis viris, ut deus exinde præconisceretur et animæ eorum qui mortuerunt citius ex purganti igne redimerentur, et deus nobis amicabiliter placatus non sic immitteret nobis deorsum pustulas, et non sic percuteret nobis vinum et plada? per grandinem et pruinam, et non esset sic magna fames in terra ? Si autem non creditis tot bona venire ex missa, tunc estis per deum

sanctum suspecti de hæresi ; imo estis realiter hæretici plus quam Wessalia et doctor Reuchlin". »

6. Pour Mainz (= Mayence). 7. Les mots entre crochets n'apparaissent qu'à partir de l'édition de 1599. 8. Blada, que le * Dictionnaire-Etant-donné-que traduit par korn (= blé) uel krut (= chou). Cf. l'ancien frangais : bled.

644

VOLUME

II, LETTRES

64-65

Vous voyez, Révérend Maitre Ortwin, ces nouvelles que j'ai voulu aussi vous

écrire, comment

tous soutiennent

Reuchlin

contre

vous.

Par ma

conscience, je finis par croire que le Diable lui-aussi soutient ce Reuchlin. Alors, qa nous fait bien chier. Et ainsi, je me recommande à vous. De Spire oü on dit de nous les choses les pires! Car les reuchlinistes en chœur traitent ceux de Cologne de radoteurs Mais de vous je suis trés content parce que comme un mouton vous êtes [patient Et supporter ça vous pouvez comme si vous étiez de campagne un simple [curé.

65 (Leçon de magie notre) Maître Barthole Lachouette

À Maître Ortwin Gratien, Théologien de Cologne, Maître Savantissime en arts interdits.

Recevez mon salut quand vous voudrez, Savantissime Seigneur Maître Ortwin. Une certaine personne, un certain jour, dans un certain lieu, m'a dit que vous étiez trés malade! et que, quand vous étes malade, vous faites toujours comme si vous étiez fou. Je vous en félicite car c'est le propre de ceux qui sont savants dans les sciences interdites?, c'est-à-dire de retenir

le Diable dans un verre ou n'importe où, car ils ne sont fous à ce point

qu'à certains moments tout au plus. Et il faut aussi qu'ils soient des bátards, comme vous l'étes? (ainsi que cela m'a été rapporté par un excellent ami). Car, pour le Diable, ils sont toujours meilleurs pour réaliser quelque chose. Car le Diable ne fréquente pas aussi aisément les enfants légitimes que les bátards, qui sont particuliérement aptes au Diable. Et si seulement vous étiez un moine, alors vous auriez tous les dons pour cette technique, et alors, vous seriez un instrument exceptionnel du diable. 11. C'est à Spire que Wimpfeling avait été autrefois prédicateur, et que Reuchlin avait été acquitté en 1514.

1. Voir sur le méme sujet la lettre I, 41 de Gros-Philippe d'Anvers. 2. Sur Gratius et la magie noire, voir les lettres I, 34 et 41 et II, 42. 3. Sur la bátardise de Gratius, voir les lettres I, 16 ; II, 14, 61et 62.

TOMUS

II, EPIST.

64-65

645

Videte, reverende magister Ortvine, has novitates volui vobis etiam scribere, quomodo ipsi communiter omnes tenent contra vos cum Reuchlin. Per conscientiam meam, ego credo denique quod diabolus etiam favet ipsi Reuchlin : tunc bene permerdavimus nos. Et sic commendo me vobis Ex Spira, ubi de nobis dicuntur mirabilia, Quia omnes Reuchliniste —dicunt quod Colonienses nil sunt quam [copulatistæ : Sed multum gaudeo de vobis, |quod patiens estis sicut ovis, Et potestis patiilla, sicut essetis simplex sacerdos in villa!?.

65 Perdocto artium prohibitarum Magistro Ortvino Gratiano Coloniensi Theologo Magister Bartholus Kutz!. Salutem accipite quando vultis, Perdocte Domine Magister Ortvine. Dixit michi quidam quondam quodam in loco de vobis quod estis valde infirmus, et quando estis infirmus, tunc semper facitis quasi essetis insanus. Quod laudo in vobis, quia proprium est illis qui sciunt scientias prohibitas, hoc est diabolum in vitrum vel quocumque banniare?, quia isti ut in plurimum sunt ita insani quandoque. Et oportet etiam quod sint spurii, sicut vos (ut michi ab singulari amico dictum est) etiam estis. Quia illi semper sunt meliores diabolo ad aliquid efficiendum. Quia diabolus non ita libenter committit se legittimis ut sicut spuriis, qui sunt singulariter apti diabolo. Et si solum essetis monachus, tunc omnia dona haberetis ad hanc artem, et tunc essetis egregium instrumentum diaboli. [Ubi enim dia-

10. *Étant-donné-que traduit villa par eyn dorff (2 un village). 1. De l'allemand Kauz (= chouette). 2. Cf. le français bannir.

646

VOLUME

II, LETTRE

65

[En effet, là où le diable ne parvient pas à apparaître ou à réaliser quelque chose, il y envoie toujours une méchante antique vieille ou bien un moine.*] Mais je ne sais pas si vous étes moine. Car si vous l'étiez, alors, je serais bien content. Car les moines, plus que les autres, ont la gráce d'étre trés audacieux, et tout ce qu'ils entreprennent, ils osent le faire. C'est ainsi que j'ai entendu parler l'autre jour d'un type qui s'appelle Paul *Lang et qui a écrit un traité excellentissime en vers contre Jacques *Wimpfeling et dans lequel

il le démolit bien”. Et on dit aussi à propos de ce Paul qu'il s'est sauvé (révérence gardée) du cloître de neuf façons. Et ce que personne n'essaye de faire, lui, il le fait. Et je crois qu'il a parfois, lui aussi, des crises de folie, et qu'il est bátard. C'est la troisiéme fois qu'il est hors de lui. Mais je le félicite qu'il vous ressemble autant, à vous qui avez commerce avec le diable. Mais, avec votre permission, passons à autre chose. J'ai ici un point remarquable de magie noire, que j'aimerais bien vous écrire clairement. Mais j'ai peur que, quand vous avez une de ces crise de folie, alors votre serviteur puisse trouver cette lettre, et s'il la lisait, que le diable nous damnerait, lui et moi. Je vais donc faire selon mon habitude, car quand j'ai un secret comme Ça, alors, j'écris sur le papier sans encre‘, et alors, personne ne peut lire, sauf s’il est illégitime. J'ai donc décidé de faire de cette manière en votre présence. Et ce point est le suivant :

Je crois que vous m'avez bien compris, et c'est la vérité. Et je vous interdis et je vous conjure, par la vertu de toutes les sciences interdites, de l’enseigner à personne. Et ainsi, portez-vous bien,

de la Robertsau". Attendez sous peu plusieurs choses de ma part et plus longues, si cellesci vous plaisent. 4. Le passage entre crochets n’apparaît qu'à partir de l'édition de 15909. 5. C'est le sujet de la lettre II, 63. 6. Sans doute à l'encre sympathique, ou au jus de citron. 7. Village proche de Strasbourg (actuellement l'une de ses banlieues).

TOMUS

II, EPIST.

65

647

bolus pervenire, vel aliquid efficere non potest, ibi semper mittit unam malam antiquam vetulam, vel unum monachum.?] sed ego nescio tamen an sitis monachus. Quia si essetis, tunc essem bene contentus. Quia monachi prz aliis habent gratiam quod sunt protervi multum et quicquid conantur, hoc facere audent. Sicut nuper audivi de aliquo qui vocatur Paulus Langius et scripsit unum excellentissimum tractatum cum versibus contra Iacobum Wimphelingium et

bene scompisat? eum. Et etiam dicunt de illo Paulo quod novem modis cucurrit (Salva reverentia) ex claustro. Et quicquid nemo conatur facere, hoc ipse facit. Et credo quod etiam aliquando sit insanus ; et quod sit spurius. Tertium ex se habet. Et ego plurimum laudo quod etiam est vobis similis, qui rem habetis cum diabolo. Sed transeat hoc cum reverentia. Ego habeo hic unum notabile punctum Nigromanticum quod vobis libenter manifeste scriberem. Sed ego timeo, quod quando estis ita insanus, tunc famulus vester posset illam epistolam invenire et si legeret, tunc diabolus confunderet me et eum ; et ergo volo secundum consuetudinem meam facere, quia quando habeo sic aliquid secretum, tunc scribo super papirum sine atramento, et tunc nemo scit legere nisi sit illegittimus. Et ergo eo casu in præsentiarum vobis etiam decrevi facere. Et est illud punctum ut sequitur :

Credo quod bene intellexistis me, et hzc est veritas. Et prohibeo vobis et coniuro vos per virtutem omnium scientiarum prohibitarum quod neminem doceatis. Et sic Valete ex Ruprechtsow. In brevi plura expectabitis a me et maiora si illa placuerint vobis. 3. La phrase entre crochets n'apparait qu'à partir de l'édition de 1599. 4. Scompisat est une cuistrerie décalquée du verbe grec oxwntiCetv, mais on aussi peut penser à une contamination du français compisser.

648

VOLUME

II, LETTRE

66

66 (La joyeuse vie qu’on a menée chez les dominicains de Wimpfen)

Maître Abraham Isaac, de la lignée d'Aminadab! salue

Maitre Ortwin Gratius? Maitre hautissime des mauvaises et des bonnes techniques,

Que Votre Seigneurie sache que je vais maintenant tenir mes promesses, car je vous ai promis, sur votre demande, quand je vous ai quitté à Cologne, de vous écrire sans cesse des nouvelles. Ainsi, avant tout, vous serez heureux que je vous informe de ce fourbe juriste Jean Reuchlin, avec lequel *Not' Maitre Jacques de *Hochstraten a beaucoup à s'occuper à la *Cour «de Rome» pour la religion. Je vais le faire avec un plaisir particulier. Alors, sachez primo (car je vais tout vous révéler depuis l'origine du monde). Quand je suis retourné vers Rome, pendant les jours de la Canicule?, comme vous le savez bien, alors, je n'ai eu aucune passion plus grande, pendant tout le chemin, qu'une soif extraordinaire, quand j'ai monté les hauts monts de l'Allgau* avec mes collègues. Et quand je suis arrivé à la Cour, je me suis retrouvé valet de chambre d'un cardinal”, prés du *Campo dei Fiori. Et je suis resté à son service huit mois avec beaucoup de zèle pour un *bénéfice doté d'une cure à Culdevache, dans le diocése de Grandmont. Et j'ai obtenu pour ca une bulle avec les douze sceaux de tous les cardinaux. Et notre Trés SaintPére a méme mis son sceau en premier, par plus grande précaution. Alors, je suis parti tout joyeux, mais quand j'ai voulu en prendre possession, voilà que le curé précédent n'était pas mort. Alors, j'ai été trés en colére etait — Par tous les diables ! Est-ce que je vais perdre mon argent comme ça ? C’était même un petit bénéfice : si je l’avais su à la Cour, je ne serais pas parti à cause de ça. Je pensais qu’il aurait pu rapporter chaque année une provision de 20 *florins. Vous savez bien aussi que je ne réside pas en personne dans ces contrées. Je préférerais avoir un bénéfice à *Deventer, près de notre patrie, avec cent 1. Selon la Bible, Aminadab était le beau-père d’Aaron (Exode VI, 23).

2. Bócking pense que plusieurs épisodes racontés dans cette lettre peuvent la faire attribuer à *Glareanus. 3. L'été 1516 avait été marqué par une chaleur exceptionnelle en Italie. 4. Cf. la lettre II, 12, qui raconte cet itinéraire.

5. Peut-étre s'agit-il du cardinal Raphael *Riario, dont le palais se trouvait prés du Campo dei Fiori.

TOMUS

II, EPIST.

66

649

66 Magister Abraam Isaac de stirpe Aminadab Magistro Ortvino Gratio salutem. Malarum bonarumque artium Altissime Magister, Sciat Dominatio Vestra quod ego volo iam satisfacere promissis meis, quia promisi super vestram petitionem quando a vobis recessi ex Colonia, quod volo vobis continue novitates scribere. Et ante omnia libenter haberetis quod notificarem vobis de illo astuto Iurista Ioanne Reuchlin, cum quo magister noster Iacobus de Hochstrat multum habet in Curia propter fidem tractandum. Hoc ego volo facere ex singulari dilectione. 'Tunc sciatis primo (quia ego ab origine mundi vobis omnia pandam). Quando ego recessi in diebus Canicularibus versus Romam, ut bene scitis, tunc nullam maiorem passionem habui super totam viam, nisi quod maxime sitivit me, quando ascendi altos montes in Algoia cum meis sociis. Et quando veni ad Curiam, factus sum servus corporalis! unius Cardinalis prope Campum flora. Et fui servitor suus octo mensibus cum magna diligentia pro uno beneficio curato in

Kelbertzhausen?, quod iacet in Vollenbergensi? diocesi. Et impetravi super hoc unam bullam cum duodecim sigillis de omnibus Cardinalibus. Et sanctissimus noster fecit suum sigillum etiam ante, ad maiorem cautelam. Tunc cum laztitia exivi et volui possessionem accipere, tunc ille prior plebanus non est mortuus. Tunc ego in magna ira dixi : « Percutiant mille diaboli ad hoc. Debeo pecuniam meam sic perdere ? » Etiam fuit parvum beneficium. Si in Curia scivissem, ego non exivissem propterea. Ego putavi quod posset portare in omnibus annis

.Xx. florenos in reservato. Vos etiam bene scitis quod ego non maneo personaliter in illis partibus. Ego vellem libentius habere beneficium in Daventria prope

1. En allemand : Leibdiener. 2. De l'allemand Kälber (= veaux) et Haus (= maison). Littéralement veaux », c'est-à-dire la demeure d’où ils sortent. 3. De l’allemand vo! (= pleine) et Berg

(= montagne).

: « la maison des

Vollenberg,

Kälbertzhausen, évoque aisément un nom de localité de l'Allemagne « profonde ».

tout

comme

650

VOLUME

II, LETTRE

66

florins et une simple fille de douze ans, plutót qu'un dans le *Haut-Pays avec trente florins et une matrone madrée de soixante ans. Mais ces provisions sur bénéfices auraient bien fait l'affaire ensemble. Secundo, sachez, Maitre Ortwin, qu'ensuite, je n'ai pas pu revenir tout de suite à la Cour, à cause de la guerre en Italie, car il y a des ribauds qui courent partout tout nus. Et si l'un d'entre eux avait pris mes vétements, alors, j'aurais perdu toute ma pauvreté, comme l'a dit une fois une vieille, quand elle a cassé des œufs sur le pont de Helbrunn*. Et c'est comme ça que je suis resté deux mois à Wimpfen-la-Vallée’, avec aussi quelques bons *courtisans. Et là-bas, j'ai appris un jeu de Jean *Greyfer, qui est trés libéral, car il a donné une fois à six collégues (j'étais l'un d'eux) sept ceufs à manger, et pas un de moins. Et ce jeu se nomme en italien le trenteet-un. Ca, je ne l'avais jamais vu à la Cour romaine. Mais ce n'est pas étonnant, car je devais toujours m'occuper de la mule dans l'étable d'en bas*. Et écoutez comment nous faisions toujours. Nous allions de temps en temps à Wimpfen faire l'école buissonniére, là ou les bons camarades allaient toujours. Et il y avait l'un d'entre eux qui s'appelle Grégoire Ledard. Il est trés déclaratif sur les modes des positions? «amoureuses». Il expose cette matiére avec autant de clarté que vous nous exposiez autrefois la troisiéme partie d'*Alexandre sur l'art de faire des vers. À chaque fois que je l'entends parler aussi grossiérement de la chose luxurieuse, alors, ca augmente mon plaisir à baiser. J'ai beaucoup appris de lui (pardonnez-moi parce que C'est un besoin naturel). Je donnerais un *carlin, avec l'aide de Dieu, pour que vous sachiez enfiler avec autant de bonheur, ne serait-ce que dans l'intérét de la femme de Jean *Pfefferkorn. Alors, je sais qu'elle vous aimerait plus que tous les autres théologiens de Cologne. Par Dieu, cette technique ne m'aide pas autant que celle que vous m'avez montrée une fois dans un petit fascicule que vous avez écrit à l'envers!?. Maintenant, écoutez ce qui est arrivé après ça. Un jour, à la taverne, ils m'ont demandé (car j'avais été courtisan) quelle tournure prenait le procés en *matière de religion avec Jean Reuchlin et ceux de Cologne. J'ai répondu : — Par Dieu, j'ai trés peur pour ce bon Monsieur Jean Reuchlin parce qu'il est trop pauvre pour mener ce procès à son terme. Parce que les moines 6. Bócking dit que cette histoire se raconte à propos de nombreux ponts, et que personne n'ignore la reine de Golconde... 7.Wimpfen im Thal, où se trouvait un important couvent dominicain. C'est dans ce couvent qu'avait été décide, lors du chapitre de 1507, la supercherie au miracle qui allait aboutir au « crime de *Berne » de 1509. 8. Cf. la lettre II, 23. 9. Ce jeu de mot intraduisible porte sur le sens littéral du terme scolastique supponere (= supposer), dont le sens « concret » serait : « étendre sous ». Cette utilisation argotique du terme est attestée dans beaucoup de lettres, et particuliérement dans la lettre suivante qui file cette métaphore à propos d'un soi-disant traité De suppositionibus de *Marsile d'Inghen. 10. Peut-étre écrit de droite à gauche, comme un texte cabalistique en hébreu.

TOMUS

II, EPIST.

66

651

patriam nostram cum centum florenis, et cum una simplici puella duodecim annorum, quam in illa superiore parte unum cum triginta florenis, et cum callida matrona sexaginta annorum. Sed illa reservata

bene fecerent uni“. Secundo sciatis, Magister Ortvine, quod deinde non potui ita staüm venire ad Curiam propter bella in Italia. Quia currunt hincinde nudi Ribaldi. Et si unus acciperet mihi vestimenta, tunc perdidissem paupertatem meam totaliter, sicut dixit semel una vetula quando fregit ova super pontem in Helpruna. Et sic permansi duobus mensibus

in valle ad Wimpinam,

etiam

cum quibusdam bonis Curtisanis. Et ibi didici unum ludum a Ioanne Greyferio, qui est valde liberalis, quia dedit semel sex sociis, quorum ego fui unus, ad comedendum septem ova et non minus. Et ille ludus dicitur in lingua Italica Trent uno. Hoc ego nunquam vidi in Romana curia. Etiam non est mirabile, quia oportuit me semper habere advertentiam ad mulum in stabulo inferius. Et audiatis quomodo semper fecimus. Nos ivimus aliquando in Wimpina super scholam, ubi semper convenerunt super extra boni socii. Et fuit unus inter eos qui dicitur Gregorius Spiculi. Ille est valde declarativus de modo supponendi. Ipse declarat hanc materiam ita clare sicut vos nobis olim Tertiam partem Alexandri de arte versificandi. Quandocunque audio eum sic grosse loqui de illa luxuriosa re, tunc acquiro delectationem ad supponendum. Ego multum didici ab eo (parcatis mihi, quia est opus naturale). Ego vellem, sicut deus mihi iuvat, unum Carlinum dare quod vos sciretis ita amicabiliter lardare,

nisi propter uxorem Ioannis Pfefferkorn. Tunc ego scio quod amaret vos super omnes alios theologos qui sunt in Colonia. Per deum illa ars non iuvat quam mihi semel ostendistis in libello parvo qui fuit retro scriptus. Nunc audiatis quid post illa factum est. Ipsi una vice apud vinum? quæsiverunt me (quia fui Curtisanus) quomodo res staret in causa fidei cum Ioanne Reuchlin et Coloniensibus. Respondi : « Per deum, ego timeo multum de illo bono viro Ioanne Reuchlin quod est nimis pauper ad finem perducendum illam causam. Quia

4. Le *Dictionnaire-Étant-donné-que donne à uni l'équivalence de simul et le traduit par czusamen. 5. En allemand : beim Weine.

652

VOLUME II, LETTRE 66

précheurs arrivent plus loin avec leurs sacs de fromages!! qu'une personne seule avec de l'argent. Alors, il y en a un qui a dit : — Ô Grand Dieu ! Que ces moines sont des grands salauds quand ils recueillent des fromages ! L'autre jour, il y a eu le frère N. de ce monastère d'ici qui est venu dans mon village et il a voulu enfiler ma sceur de force. Il l'a poursuivie par l'escalier jusqu'en haut de la maison, et il lui a couru après. Il l’a jetée sur le lit. Il s'est mis à relever sa *cuculle et à lui mettre son doigt d'en bas. Alors, ma sceur a crié : — Monsieur N. ! Monsieur N. ! Arrétez ! Je vais crier jusqu'à ce que tout le monde m'entende, et alors le Diable vous chiera dessus ! Alors, il a dit : — Corbleu ! Ne crie pas ! Je vais t'acheter à la fête patronale quelque chose qui vaut au moins un demi-florin ! Ensuite, la mére est arrivée. Alors, il est descendu et son doigt se dressait au point que sa cuculle en était soulevée comme s'il avait en bas la dent d'un ráteau. Alors, un autre collégue a dit : — Si ce salaud avait fait ca à ma sœur, je lui aurais coupé les couilles, et je les aurais envoyées aux autres moines pour qu'ils les mangent marinées dans du vinaigre pour le jour de Noël. Alors, il a dit de nouveau : — Par Dieu, je ne leur en veux pas, parce qu'ils sont toujours enfermés. Je pense que, si un âne portait une robe, il ne serait pas en sécurité chez eux. Et pourquoi est-ce qu'ils ne pourrait pas se servir d'une pouffiasse ? Alors, il y en a un qui a juré et il a dit que Jean Reuchlin allait rassembler dans un livre tous les crimes des moines en Allemagne, «décrits» par un promeneur qui irait un peu partout. Il les offrira au Trés Saint-Père et il lui dira : — Pourquoi ce Hochstraten n'extirpe-t-il pas cette luxure d'entre ses freres ? Et il a dit que les moines puent comme des boucs quand ils suent, et que dans son pays, ils ont infecté toutes les prostituées. Et quand il lui arrive par nécessité d'avoir besoin de se purger les reins, alors, il a l'impression de se taper un moine, à cause de la puanteur qu'elles ont contractée par les moines. Donc, Maitre Ortwin, vous étes leur soutien. C'est pourquoi évitez que ce Hochstraten, qui est déjà inquisiteur de la perversité hérétique, ne

11. Il s'agit des fromages qui leur étaient donnés en aumóne au cours de leurs pérégrinations dans les campagnes.

TOMUS

II, EPIST.

66

653

praedicatores monachi remotius veniunt cum eorum caseorum saccis

quam una unica persona cum pecunia. » Tunc unus dixit : « O sancte deus, quam magni nequam sunt isti monachi quando colligunt caseos. Nuper fuit Frater .N. huius monasterii hic in villa? mea et voluit mihi meam sororem cum potestate lardasse. Ipse fugavit eam per gradum supra in domum, et cucurrit ei post, et iecit eam ad lectum, et voluit levare cucullam et cum Datulo' inferius ad. Tunc

soror clamavit : “ Her N., Her N., cessate ! Ego clamo quod omnis homo audit et tunc diabolus vos permerdabit !" Tunc ipse dixit : * Per corpus tuum? noli clamare ! Ego volo tibi pro Dedicatione aliquid emere quod debet medium florenum valere." Deinde venit mater. Tunc ipse descendit et Datulus ei adhuc stetit, quod levavit sibi cucullam quasi haberet dentem Rastri inferius. » Tunc unus alius socius dixit : « Si iste nequam hoc fecisset sorori mez, Ego vellem ei testiculos excindere et aliis monachis mittere ad comedendum in aceto, quando

haberent festum Iovis.? » Tunc ille iterum dixit : « Per deum, ego non habeo sibi pro malo, quia semper sunt inclusi. Ego credo quando asinus haberet peplum supra, quod non esset securus prae ipsis. Et quare una feminalis imago!? non deberet eis tenere ? » ' Tunc unus iuravit et dixit quod Ioannes Reuchlin vult in unum librum colligere omnes nequitias monachorum in Almania per unum vagantem hincinde. Et vult illas Sanctissimo offerre et vult dicere « Cur ille Hochstrat non extirpat illam luxuriam inter fratres suos ? » Et dixit ille quod monachi feetent sicut Hirci quando sudant, et in sua patria veneficaverunt omnes meretrices, et quando ipse vult semel in necessitate purgare renes, tunc ipse putat quod lardat monachum propter illum foetorem quem conceperunt ex monachis. Ergo, Magister Ortvine, vos estis eorum fautor. Ideo sitis ante, quod habebunt etiam inquisitorem Luxuriz salacitatis ad illum 6. Étant-donné-que traduit villa par eyn dorff. 7. Étant-donné-que précise que : dactilus est membrum virile. 8. Traduction littérale de l'allemand : Beileibe ! (litt. : par ton corps !) 9. Traduction « humaniste » de l'allemand : Zulfest. 10. Feminilis imago est sans doute la traduction de l'allemand Weéibsbild (= créature).

654

VOLUME

II, LETTRES

66-67

devienne pas aussi l'inquisiteur de la salacité luxurieuse. Alors, leur affaire sera faite. Ou bien s'ils faisaient en cachette comme leurs prieurs, qui appellent les femmes dans les cellules, là où personne ne peut les voir. Et ainsi, on passerait bien là-dessus ! Mais, tomber sur elles en public de cette facon, c'est un scandale pour tout l'ordre ! Faites donc pour le mieux ! Aprés tout ca, j'ai repris le chemin de la Cour. Et depuis, j'attends là-bas les gráces de Dieu. Portez-vous bien. Donné à Rome, au réfectoire du Capitole!?.

67 (Le vin, la musique et les femmes, débat quasi *quodlibétique) Frére Baisecon de Calabre A Maitre Ortwin, je vous souhaite mes prières dévotes à la place de saluts. Votre Excellence théologique sait que je suis déjà revenu comme pèlerin du mont Sinai. Néanmoins, vous ne savez pas combien j'ai souffert depuis que je vous ai quitté à Cologne. Cela prendrait du temps de vous écrire tout cela, parce qu'il ne me reste aucun autre ami que vous, auquel j'ai plus besoin de me plaindre. Quoi que je dise au monastère, ils me répondent aussitôt : — Oh, toi ! tu n'es pas cloitré au point de désirer mener la belle vie ! Rien de tel pour les impies! ! Rien de tel ! Je ne parviens pas à comprendre comment il est arrivé, ni par quel mauvais sort, que *Not’ Maitre Jacques de *Hochstraten ait dépensé une aussi importante somme d'argent à la *Cour de Rome pour la religion chrétienne, que ce misérable Jean Reuchlin a détruite dans ses *Besicles ! Je pense que tous nos monastéres devraient lui envoyer de l'argent. Car il doit faire des libéralités en donnant de tout cóté des cadeaux aux cardinaux, pour qu'ils jugent en sa faveur et non pas en celle de Jean Reuchlin. C'est pourquoi nos prieurs nous rationnent le vin, bien que Salomon dise que « la musique, la femme et le vin réjouissent le cœur de l'homme », dans le premier livre des Proverbes, chapitre XII". 12. Où mangeaient les serviteurs des hauts personnages de la cour papale. 1. Psaume I, 4.

2. C'est en fait l’Ecclésiastique, XL, 20, qui dit cela, mais sans parler de la femme. L'homme obscur confond encore l’Ecclésiastique avec YEcclésiaste (attribué à Salomon).

TOMUS

II, EPIST.

66-67

655

Hochstrat qui est inquisitor hæreticæ pravitatis. Tunc res bene stabit cum ipsis. Vel si saltem facerent occulte sicut ipsorum priores qui vocant eas ad cellas, ibi nemo potest videre. Et sic bene transiret hinc. Manifeste autem sic super eas cadere, est

scandalum toti ordini. Ideo faciatis melius ad hoc. Post hzc omnia traxi iterum ad Curiam, Et adhuc ibi expecto gratias dei. Valete. Datum Romæ in Refectorio Capitolii.

67

Frater Nollerius! Stech? de Calabria Magistro Ortvino devotas meas orationes opto vobis loco salutis. Excellentia Vestra Theologicalis scit quod ego iam veni quasi peregrinus ex monte Synai. Nescitis tamen quam multa sum passus in hoc tempore, quando a vobis a Colonia recessi. Longum esset vobis illa omnia scribere, quia nullus alius amicus mihi superest cui necessitatem meam conquererer prater vos. Quando aliquid dico in monasterio, tunc statim respondent mihi :

« O tu non es ideo claustralis quod velles habere bonam vitam. » Non sic impii, non sic. Ego non possum excogitare unde veniat, nisi ex illa mala fortuna quod Magister noster Iacobus de Hochstrat consumit ita magnam summam pecuniæ in curia Romana propter fidem Christianam quam ille nequam Ioannes Reuchlin destruxit in suo Speculo Oculari. Ego credo quod omnia monasteria nostra debent ei mittere pecuniam, quia oportet eum esse liberalem dando hincinde Cardinalibus propinas, ut iudicant pro se et non pro Ioanne Reuchlin. Ideo priores nostri abbreviant nobis vinum, quamvis Salomon dicat « Musica, mulier et vinum lætificant cor hominis » primo Proverbiorum .XII.

1. Peut-être de l'allemand Noller (= cheval-tape-cul). Le verbe nollen est attesté par Grimm dans le sens de « foutre » (de la racine No/] = mont de Vénus). 2. allemand Stech est une graphie dérivée de Szich (= piqure, d'ou : coit).

656

VOLUME

II, LETTRE

67

Pour ma part, je m'exerce toujours à la musique, en jouant de la lyre et en hurlant les psaumes dans le chœur. Et ce n'est pas rare, donc pas cher”. En ce qui concerne les femmes, il m'est difficile d'en parler, car je n'en vois aucune, sauf quand je vais au marché avec notre administrateur, quand il achéte des ceufs. Et méme quand je vais dans les villages pour collecter des navets et des choux, si la chair m'entrainait quand je suis près d'une femme, c'est elle qui ne voudrait pas de moi. Donc, si on nous rationne le vin, quel plaisir nous restera-t-il ? Si seulement nous avions la moitié autant de biens comme ils ont les autres ordres, comme les prêtres de chez nous qui sont profes chez la confrérie du SaintEsprit ! Je pense que vous savez bien ce qui se passe pour l'ordre. Ils ont une double croix blanche“ sur leur robe, et ils ne sont pas rasés aussi court que nous?. Et quand on les prive d'un plaisir, sans doute quand on leur rationne le vin parce qu'ils en ont abusé, alors, ils ont un autre plaisir : ils peuvent avoir des prostituées par Jean le Boiteux? qui coupe le bois. Et il marche méme sur les mains et les genoux. Vous pourriez dire : « Cette vie prostitutive ne convient pas aux frères du Saint-Esprit ! » Je vous réponds que j'ai entendu dire comme assuré que leur seigneur maitre (bien que vieux, boiteux, grisonnant et chassieux, il est pourtant avide de la chose, bien que pas toujours capable) a l'habitude d'avoir la sienne propre dans sa cellule. Et quand il l’a complètement labourée, il lui fournit un mari et il lui donne une bonne dot prélevée dans la sacristie du SaintEsprit, qui ne diminue jamais, car il s’y trouve une pure grâce du Saint Esprit. Ensuite, il se procure une autre servante, et il lui fait aussi comme je vous ai écrit. Et c'est comme ça que cet ordre s'accroit, en secret, d'un grande population. Je vais maintenant citer un proverbe qui se dit couramment : « Dés que le père abbé, c'est-à-dire le père supérieur, apporte les dés, alors les frères peuvent jouer », ce qui veut dire : quand nos vieux prélats sont si luxurieux et ménent une vie si misérable, alors nous, leurs sujets, nous sommes autorisés à les suivre. C'est une bonne déduction, car je l'ai trouvée dans le traité Des positions’, car là-dedans, f? 52, «le prélat baise personnellement ». Mais, selon *Marsile, il baise matériellement par-dessous. 3. Allusion au fameux sophisme du cheval : « Ce qui est rare, est cher. Or, un cheval pas cher

est rare, donc un cheval pas cher est cher. » 4. Une « croix de Lorraine ». 5. Leur tonsure est minimum : on ne leur rase qu'une touffe de cheveux au sommet du crâne, au lieu ne leur laisser qu'une mince couronne de cheveux trés courts. 6. On surnommait le « Boiteux de Leipzig » (Claudus Lipsius), alias Vulcain, Wolfgang Polich, docteur és arts et en médecine, parent de Martin Polich, qui avait été le premier recteur de l'université de Wittenberg. 7. Le vrai nom du traité serait naturellement Des suppositions (cf. lettre précédente) et, selon Marsile, il « supposerait matériellement » en partant de l'inférieur (par-dessous).

TOMUS

II, EPIST.

67

657

Et ego me semper exerceo in musica, Psalmos in choro lyrando et ululando. Et hoc non est rarum, ideo non charum. De mulieribus est mihi grave loquendum, quia nullam video, nisi quando vado ad forum cum procuratore nostro quando emit ova. Etiam quando vado ad villas ad colligendum rapas et olera?, et si caro me superaret quando essem apud unam feminam, tunc ipsa non teneret mihi. Ergo quando nunc nobis vinum abbreviatur, quale gaudium habebimus ? Si medium haberemus ita bonum sicut alii ordines, ut sacerdotes nobiscum apud Spiritumsanctum professionati ! Credo quod bene sciatis quid sit pro ordine. Ipsi habent duplices albas cruces in tunica, et non sunt alte rasi sicut nos : et quando illis unum gaudium tollitur, scilicet quando eis vinum abbreviatur propter unam supergressionem, tunc habent aliud gaudium. Nam possunt disponere meretrices per claudicantem Ioannem qui ligna secat. etiam graditur super manibus et genubus. Possetis dicere : « Hzc vita meretricea non licet Sanctispiritualibus. » Respondeo, quod audivi pro certo, quod eorum dominus magister (quamvis senex, claudus, griseus et lipposus, est tamen avidus ad illam rem, non autem semper potens) solet habere propriam in sua stuffa. Et quando excavavit illam totaliter, tunc disponit sibi unum virum et dat sibi bonam dotem ex Gazophilacio* Spiritussancti, quod nunquam minoratur, quia est ibi mera gratia spiritussancti. Deinde sibi aliam ancillam procurat, et facit sibi etiam sicut iam scripsi. et sic ille ordo in multis hominibus occulte crescit. Nunc volo inferre proverbialiter, quia communiter dicitur : « Quandocunque abbas, id est pater supremus, apponit tesseras, tunc possunt fratres ludere, » hoc est quando przlati nostri antiqui sunt ita luxuriosi, et ducunt ita miserabilem vitam, Ergo nos subditi licite possumus sequere. Hzc est bona consequentia, quia perspexi in tractatu de suppositionibus : quia ibi ly? « Praelatus supponit personaliter. » Sed secundum Marsilium supponit inferius materialiter.

SIE * Dictionnaire-Étant-donné-que traduit Olus par muflkrud uel kole. 4. Gazophylacium (yaCopuadxiov) qui, chez Jérôme (lettre 14, 8), signifiait la salle du trésor, désignait au Moyen Áge la sacristie. 5. Dans les traités scolastiques, la formule « ly » annonçait un exemple.

658

VOLUME

II, LETTRES

67-68

Maintenant, revenons à la proposition : je voudrais que, si Not' Maitre Jacques de Hochstraten n'arrive pas à gagner contre Jean Reuchlin, au moins il obtienne pour nous un assouplissement «de la règle> de l’ordre, comme le susnommé. Car la chair nous aiguillonne à l'occasion. Je sais que j'aurai une vie trés bréve si je ne peux pas de temps en temps expurger le vieux fermen? que j'ai ingurgité avec ces fromages. Pardonnez-moi si je vous parle à cœur ouvert, c'est que ça me touche au cœur. J'ai toujours peur que ce procés se terminera mal, comme

celui des *Bernois.

Vous m'aurez suffisamment compris. Le Seigneur Not' Maitre Jean *Amphoraticius vous souhaite beaucoup de saluts. Il a fini par devenir un homme important. Il est en effet notre prédicateur. Tout le monde chante ses louanges. Il est tellement bon pour les démonstrations par l'exemple. L'année du Seigneur 1516, il a préché la Passion. Et alors, il a pris avec lui un báton pour monter en chaire. Et quand il a récité la sentence prononcée par Pilate, il a sorti le bâton de sa *cuculle, et il l’a cassé en deux par le

milieu en deux morceaux, comme un sceptre. Que c'était triste à voir ! Les vieilles femmes pleuraient aussi amèrement que saint Pierre, quand il entendit le coq chanter prés du feu. Portez-vous bien et recommandez-moi à Not’ Maitre quand il reviendra de Rome.

68 (Sus à Érasme 7) Maitre Jean Tisserand dit à son «cher» Pierre Lebranleur Autant de saluts Qu'il y a de gouttes dans la mer et d'atomes dans le soleil

Sachez, trés cher ami, que j'ai recu votre lettre, dans laquelle vous m'avez écrit au sujet d'*Erasme de Rotterdam, et vous voulez apprendre ce que je pense de lui. Vous devez savoir, et m'en croire, parce que méme, quandj'étais encore jeune, j'ai beaucoup lu dans les Lettres d'*humanités, et aussi Étienne *Fliscus et le *Gréciste, et *Sinthen, l’* Élégant*, le *Fleuri, et ces anciens poètes, je les connaissais presque par cœur, sur le bout du doigt. Et ce qui est vrai, c'est que j'ai écrit à cette époque un livre qui s'appelle Le *Fleuriste, 8. Formule empruntée à I Corinthiens V, 7.

TOMUS

II, EPIST.

67-68

659

Nunc ad propositum : ego vellem quod quando magister noster Iacobus Hochstrat in Roma nihil sciret Ioanni Reuchlin abinde lucrare, quod impetraret nobis laxiorem ordinem, sicut ille prænominatus. Caro tamen nos quandoque etiam stimulat. Ego scio quod ero brevissimz vite quando non debeo quandoque expurgare vetus fermentum, quod contraxi ex illis caseis : parcatis mihi, quia loquor vobiscum cordialiter, id est quz mihi sunt circa cor. Ego semper timeo quod illa causa erit malum finem acquirere, sicut causa Bernensis. Vos satis intellexistis me. Dominus Magister noster Ioannes Amphoraticius optavit vobis multas salutes. Ipse evasit in solemnem virum. Est enim prædicator noster. Omnis homo eum laudat. Est ita bonus in exemplari demonstratione. Anno domini .1516. praedicavit passionem. Tunc accepit secum unum baculum super Ambonem. Et quando recitavit sententiam Pilati, tunc traxit eum de cuculla extra et fregit illum baculum in medio in duas partes, quasi sceptrum. Quod fuit miserabiliter ad videndum. Vetulæ mulieres flebant ita amare, sicut Petrus quando audivit gallum prope ignem cantare. Valete et commendate me Magistro Nostro quando venerit ex Roma.

68 Magister Iohannes Textoris

Petro Schwinckoncio! suo tot dicit salutes quot sunt guttz in mari et athomi in sole. Sciatis, Charissime amice, quod ego literam vestram accepi, in qua mihi scribitis de Erasmo Rotherodamo, et vultis scire quid ego teneam de eo. Debetis scire et michi credere, quia etiam, quando fui adhuc iuvenis, multa legi in literis humanis et Stephanum Fliscum et Græcistam et Synthis, Facetum, Floretum, et illos antiquos poetas quasi super unum unguem scivi mentetenus. Et quod verum sit, tunc scripsi unum librum qui dicitur Florista?, in quo bene videtis scientiam 1. De l'allemand schwingen (= branler). 2. Italien : fiorista (= fleuriste).

660

VOLUME

II, LETTRE

68

dans lequel vous voyez bien mon savoir et plusieurs autres choses, sans me vanter. Mais je le dis pour autant que vous ne pensiez pas que je vous mens. Car je suis trés capable de juger cet Érasme. J'ai aussi examiné les *Besicles de Reuchlin et sa *Kabbale, comme vous le savez bien. Pour faire bref, je vous dirai que moi aussi, je considere Érasme comme une nullité. Parce qu'il est l'ennemi des moines. Et il dit beaucoup de mal d'eux. Il dit méme que ce sont de gros ânes, et qu'ils détestent les *Bonnes Lettres!, et qu'ils ne savent rien faire d'autre que manger et boire et délirer? les psaumes. Et c'est un fieffé menteur de dire ça ! C'est plutôt lui qui est un áne ! Il est bon latiniste et il sait bien latiniser, mais il ne sait rien d'autre ! Il a fait beaucoup de livres, surtout une Nef des fous? et un commentaire sur Jérôme“, dans lesquels il fait rien qu'attaquer les religieux. Par Dieu ! Je lui dis que s'il ne les laisse pas tranquilles, nous lui ferons comme à Reuchlin, méme s’il était reçu cent fois chez le pape et le roi Charles?. Car nous en avons bien vu des aussi orgueilleux que lui, et nous les avons détruits quand méme. Je vais vous dire quelque chose, mais il ne faudra pas le répéter, sinon le Diable me damnerait : *Not' Maître Jacques de *Hochstraten, et tous les Not’ Maîtres de Cologne et ceux de Cantabrie? sont déjà en train d'examiner le commentaire sur Jérôme. Et, à ce que j'ai entendu dire, ça va très mal tourner. Je ne prendrais pas sa place pour cent florins ! Car on dit qu'il y a semé beaucoup de zizanie, et il croit que personne ne va s'en apercevoir. Mais les Not' Maitres ne sont pas si idiots, et ils savent bien repérer l'anguille sous la roche" (comme dit *Alexandre). Je n'ai pas réussi à tout retenir, mais en tout cas, je sais pour l'instant qu'il a dit que saint Jéróme n'était pas cardinal?, ce qui est de toute facon un crime de lése-majesté, et qu'il a mal parlé de saint Georges et de saint Christophe, et des autres saints, et des cierges, et du sacrement de la confession. Et il blasphéme aussi dans de nombreux passages, car il parle contre le 1. Littéralement : « les lettres les plus raffinées », expression utilisée fréquemment par les humanistes. 2. Calembour possible en raison de l'homonymie entre /yrare (= jouer de la lyre) et rare (= délirer). Cf. la lettre précédente. 3. L'homme obscur confond La Nef des fous de Sébastien *Brant avec L’Éloge de la folie d'Érasme. 4. Publié en 1516. 5. Charles de Gand, futur Charles Quint.

6. L'homme obscur confond la Cantabrie et Cambridge. L'information n'en était pas moins véridique, car les franciscains de l'université de Cambridge avaient « mis en examen » les ceuvres d'Érasme en août 1516, comme l'atteste sa correspondance de l'époque. 7. Litt : «le serpent dans l'herbe ». L'expression se trouve chez Virgile (Églogue III, 93), mais pas dans le *Manuel d? Alexandre de Villedieu. 8. La tradition médiévale faisait de Jéróme un cardinal, sans doute en raison de sa haute

science. On le trouve coiffé du fameux chapeau plat à pompons sur la plupart des tableaux de l'époque.

TOMUS

II, EPIST.

68

661

meam et plura alia, si ego vellem me iactare. Sed dico pro tanto, quod non putetis, quod ego vobis mentior. Quia ego possum bene valde iudicare de illo Erasmo. Ego etiam examinavi speculum Reuchlin et eius Gabalam, sicut bene scitis. Et ut non faciam multa verba. Et ego nihil teneo de Erasmo, Quia ipse est inimicus monachorum. Et dicit multa mala de eis, et dicit quod sunt grossi asini, et odiunt literas politiores. Et nichil sciant nisi Comedere et Bibere et psalmos lirare. Quod ipse mentitur in Collum suum quando hoc dicit. Immo ipse est unus asinus. Ipse est bonus latinista, et scit bene latinizare, alias nichil scit. Ipse fecit

multos libros, presertim unam Navem stultiferam et commentum super Hieronimum, in quibus ipse nichil facit quam quod stimulat religiosos. Per deum ego dico sibi, si non vult cessare ab illis, tunc volumus sibi facere sicut Reuchlin, etiam si centum modis esset acceptus apud Papam et Regem Karolum. Sed nos vidimus bene tam superbos sicut ipse est, et tamen suppressimus eos. Ego dicam vobis aliquid, sed non debetis michi hoc postdicere, alias diabolus me confunderet : Magister noster Iacobus Hochstrat et omnes magistri nostri in Colonia et in Cantabria illi examinant iam commentum super Hieronymum, et sicut ego audio, tunc ipse pessime stabit ; ego non acciperem centum florenos quod haberem hoc in loco suo, quia dicunt quod ipse ibi multam seminavit zizaniam. Et putat quod nemo debeat hoc notare. Sed Magistri Nostri non sunt tam stulti, sed ipsi bene sciunt ubi iacet Anguis in herba (ut Alexander ait). Ego non potui omnia retinere. Sed aliqua adhuc scio, quia dicit quod sanctus Hieronimus non fuit Cardinalis, quod utique est crimen læsæ maiestatis, et male sentit de sancto Georgio et Christofero, et

reliquiis sanctorum et candelis, et de confessione Sacramentali. Etiam in multis locis blasphemat, quia loquitur contra doctorem sanctum et

662

VOLUME

II, LETTRES

68-69

*saint docteur et contre le *docteur subtil. Et il dit que leur théologie ne vaudrait rien. Les Not’ Maîtres ont écrit tout ça dans un livre, et ils vont le condamner comme hérétique, comme ils l'ont fait pour Jean Wessalia? à Mayence. Et s'il se met à trop aboyer et à écrire des invectives contre eux, alors, ils attendront aprés sa mort. Et à ce moment-là, ils feront condamner tous ses livres. C'est déjà la pratique chez les Not? Maitres. Et puisque vous aimez entendre des nouvelles, sachez que les frères

mineurs!? vont avoir un général de l'observance!!, chose qu'ils ont obtenue à la *Cour «romaine» pour seize mille *ducats. Et les moniales de sainte

Claire de l'ordre des mineurs"? craignent beaucoup d’être réformées et, quoi qu'il advienne, elles s'enfuient à la cité et gisent misérablement sur les bancs. Il y a des gens qui disent que le docteur *Murner fait son affaire avec elles. Mais ce n'est pas vrai, car il est eunuque chátré. Pour ce qui est des autres religieux, je ne sais pas bien s'ils leur courent aprés comme qa. Dans la Cité «de Rome» est mort un *courtisan qui avait vingt-deux gras *bénéfices, et les *poétes qui sont là-bas font beaucoup de poémes contre lui. Autrement, je ne sais rien et que le Seigneur vous garde en bonne santé tant que les liévres courront plus vite que les chiens". Portez-vous bien, de Strasbourg.

69

(Qu'est-ce donc que la Kabbale ?)

Marcolphe Lemaire à Jean Pentzizipanpan de Rohrbach, des saluts infinis et immortels.

Très cher Jean, Vous m'avez écrit l'autre jour quelques nouvelles qui ne m'ont pas fait plaisir à entendre, à savoir au sujet de Jean Reuchlin, comme quoi il s’est 9. *Wesalius. 10. Les Franciscains. 11. *Léon X venait de mettre un terme à un conflit (parfois sanglant) qui opposait, depuis

plus de deux siècles, dans l’ordre des Franciscains, les *observants et les conventuels. Par la bulle

Ite et vos, du 29 mai 1517, le pape séparait en effet définitivement ces deux branches de l'ordre en les instituant en ordres distincts. 12. Cet ordre était l'équivalent féminin des Franciscains (les Clarisses). 13. C'est-à-dire toujours.

TOMUS

II, EPIST.

68-69

663

contra doctorem subtilem. Et dicit quod Theologia ipsorum nichil sit. Quz omnia magistri nostri scripserunt in unum volumen, et volunt eum confundere sicut haereticum, sicut fecerunt Ioanni Wessalia in Maguntia. Et si vult multum relatrare et invectivas scribere contra eos, tunc volunt expectare usque post mortem eius. Et tunc volunt condemnare omnes libros eius. Illa est iam practica apud magistros nostros.

Et quia etiam libenter auditis novitates, debetis scire, quod Fratres minores debent iam habere generalem de Observantia, quod impetraverunt ipsi in Curia pro .16. mille ducatis. Et Moniales ad sanctam Claram

de ordine Minorum

valde timent ne reformentur, et quic-

quid habent, hoc fugant in Civitatem et iacent miserabiliter in scaminibus. Aliqui dicunt, quod doctor Murner habet rem cum ipsis. Sed hoc non est verum, quia ipse est Enuchus castratus. Sed de aliis religiosis ego non bene credo, quando sic currunt ad eas. Est mortuus in Civitate unus Curtisanus qui habuit .22. beneficia pinguia, et poetz qui sunt ibi, faciunt multa metra contra illum. Alias nichil scio nisi quod dominus tam diu teneat vos sanum quam diu unus «lepus? supercurrit unum Canem. Valete ex Argentina.

69

Marcolphus Sculteti! Ioanni Bimperlenbumpun? ex Rorbach salutes infinitas et immortales. Dilecte Ioannes, Vos scripsistis mihi nuper aliquas novitates, quas non libenter audivi, videlicet de Ioanne Reuchlin quod comparavit sibi magnam

| | 1. De l'allemand Schulze (= maire). 2. Dans le dialecte du Sundgau, Bumper = membre viril. Chez Grimm, Bimber = pénis, d’où Bimberlen = petitzizi. Pumpen = pompe. On notera aussi l’assonance entre Perlenbumpun et le français : « Perlinpinpin ».

664

VOLUME

II, LETTRE

69

orné d'une grande gloire auprès de ses *poétes, car il a fait un livre qui s'appelle La Kabbalistique ou la *Kabbale, et qui est déjà dans les bonnes gráces du pape. J'aimerais pourtant bien savoir ce que c'est que la Kabbale. J'ai recherché longtemps dans mon *Catholicon et mon * Diamant des diamants et dans l'*Anglais, mais je n'ai pas pu trouver ce que ça veut dire. J'ai aussi envoyé une lettre à *Not? Maitre Ortwin. Mais il ne m'a pas encore répondu. Or, les Not" Maitres ont fait une réunion et ils ont mis ce livre en examen!. Et à ce que je leur ai entendu dire une nuit — lors d'un banquet où nous avons festoyé si libéralement que chacun a dü payer trois oboles pour sa participation, et que je n'ai plus d'autre argent — que ça se présente mal pour lui, car il a affirmé des choses dans ce livre contre le *saint docteur et contre les docteurs *modernes. Et il dit que le Fils de Dieu a été fait par le Pére. Item beaucoup d'autres choses, et il pervertit les termes théologiques de « engendrer » et « faire », et ainsi des autres,

et il ne se soucie pas des Arguments, ni des * Débats [quodlibétiques], ni des

Réfutations sophistiques? du saint docteur. C'est pourquoi ils vont brûler ce livre, car ils disent qu'ils ne le comprennent pas, et tout ce qu'ils ne comprennent pas, ils le brülent, donc. Car tout Not’ Maitre est rabi et la lumière du monde. Ce livre a aussi beaucoup de textes de Pythagore, qui était magicien, Or, la magie noire est une science interdite, comme il apparait en 66, quest. 10, chapitre zéro, et dans le canon « Ó, vous, les ânes ! », et le saint docteur est

d'accord avec Aristote au livre neuf de la Physique : « Des ignorants ». Il y a en effet encore dans ce livre beaucoup d'hébreu, que les Not Maitres ne peuvent pas lire, et beaucoup de grec. Et c'est parce qu'ils ne s'occupent pas de ces vanités, mais de choses plus élevées. Et c'est pour cela qu'ils ont utilisé Jean *Pfetferkorn, chrétien et à moitié juif, qui est un bel ivrogne. Et c'est lui qui examine si par hasard il ne s'y trouverait pas de venin sous le miel. Mais je vais encore laisser cela, parce que nous verrons bien à la foire de Francfort*, et là-bas, nous allons parler plus longuement de ces choses avec

1. Pour le dénoncer à l'Inquisition s'ils y trouvaient des propositions suspectes. Hochstraten

publia d'ailleurs une dénonciation de ce livre en 1519 sous le titre : La * Destruction de la Kabbale. 2.'Irois traités de logique de Thomas d'Aquin. 3. La Physique d'Aristote ne compte bien sür que huit livres (cf. la lettre I, 44). 4. La célébre foire annuelle du livre.

TOMUS

II, EPIST.

69

665

gloriam apud suos poetas, quia fecit unum librum qui intitulatur « Gabellistica vel Gabala », et est iam in gratia Papæ. Vellem tamen libenter scire quid est Gabala. Ego quæsivi diu in meo Catholicon et Gemma gemmarum et in Briton, sed non possum reperire quid significat. Misi etiam unam literam ad magistrum nostrum Ortvinum, sed ipse etiam nihil rescribit. Sed Magistri Nostri

fecerunt unum consilium et examinaverunt illum librum. Et sicut ego audivi ab ipsis de nocte in convivio ubi zechavimus ita liberaliter, quod oportuit unum dare pro zecha tres obulos, quod ego non habeo ultra pecuniam, quod ipse male stabit. Quia posuit ibi aliqua contra doctorem sanctum et modernos doctores. Et dicit quod filius dei est factus de patre. Item multa alia, et pervertit terminos theologiz « generare » et « facere », et sic de aliis, et nihil curat de argumentis et quæstionibus et sophismata doctoris sancti, et ideo volunt illum librum comburere, quia dicunt quod non intelligunt eum, et quicquid ipsi non intelligunt, hoc comburunt. Ergo. Quia omnis magister noster est rabi et lux mundi. Etiam ille liber habet multa dicta Pithagoræ, qui fuit Nigromanticus, sed nigromantia est scientia prohibita, sicut patet .66. quzst. 10. capitulo nullo, et in Canone

: « O vos asini » ; et concordat doctor

sanctus et Arestoteles [sic] in nono Phisicorum de ignorantiis. Est enim in hoc etiam libro multum hebræum, quod magistri nostri non possunt legere, et multum græcum. Et quia ipsi non curant hzc vana, sed maiora, et ideo disposuerunt Ioannem Pfefferkorn christianum et dimidium Iudæum, qui est bonus ebrius. Et ille iam examinat ne forte ibi latet venenum sub melle. Sed volo illa iam dimittere, quia videbimus bene in nundinis Francfurdiensibus, et tunc volumus plura loquere de illis cum magis-

666

VOLUME

II, LETTRE

69

Not’ Maître Ortwin, qui est envoyé par les Not’ Maîtres comme quoi il aille acheter les nouveautés qu'on y vend. Et alors, ils vont les mettre en examen. Les autres nouvelles, je ne peux pas vous en parler plus, si ce n'est qu'il y a aussi un Not’ Maitre de l'ordre des précheurs à Strasbourg, qui est toujours appelé docteur *Jésus, qui s'est enfui du cloitre. Et on dit beaucoup de mal sur lui, que je n'ose pas répéter. Et il y a beaucoup de ribauds poétes qui lui font des vers pour l'injurier, et ils les font tomber sur le marché et à l'église. Et cela me déplait. Je voudrais qu'ils ne le fassent pas, de peur que les «fréres» précheurs ne tombent en disgráce. J'ai quand méme ramassé un poème parmi les autres, que voici : Détracteur du clergé, voleur, fuyard et pédé, Il méritait le feu ou la prison à vie. Ennemi des curés, imitant les gestes des femmes, Craignant les flammes, il part comme un bandit.

Une grande prétresse? a été attirée par lui hors du cloitre. Le démon fait tout ce qui est de pire grâce à ce moine. Voyez donc ce que font ces méchants pendards. Ils se moquent de tout le monde. Mais par le saint Dieu, s’1/ ne fait pas autre chose? (comme le dit très justement *Alexandre), c'est parce qu'il a toujours eu leurs mauvaises habitudes, comme quoi, quoi qu'il se passe à Strasbourg, eux, ils en traitent et ils font ainsi des vers sur lui. Je vous écrirai trés bientót plus de choses à ce sujet. Portez-vous bien, de Sélestat.

5. Il s'agit sans doute d'une abbesse.

6. Dans le chapitre sur les pronoms, Alexandre de Villedieu écrit à propos de ille : Ille refert monstrat : non facit hoc aliud.

TOMUS

II, EPIST.

69

667

tro nostro Ortvino, qui est missus a magistris nostris quod debet emere novitates quz ibi venduntur. Et tunc volunt etiam examinare. De aliis novitatibus non possum vobis plura scribere nisi quod etiam unus magister noster de ordine praedicatorum in Argentina, qui semper vocatus est doctor Iesus, exivit ex claustro. Et multa mala

dicunt de eo. Quod ego non audeo dicere. Et multi ribaldi carministz faciunt sibi versus in vituperium eius, et mittunt cadere in foro, et ecclesia. Quod male me habet. Ego vellem quod non facerent, ne venirent ex gratia illorum predicatorum. Inter alia tamen ego reperi unum carmen et est tale :

Detractor cleri, fur, profugus atque cinædus Igne aut perpetuo carcere dignus erat. Plebanorum osor, gestus imitans muliebres,

Formidans flammas more latronis abit. Cuius ope ex claustro seducta est magna sacerdos. Omnia per monachum pessima dæmon agit. Ecce videte quid illi mali furciferi faciunt, ipsi neminem curant, sed per deum sanctum non facit hoc aliud (ut verissime dixit Alexander) quia semper est de mala consuetudine eorum, quod quicquid fit sic Argentinz, tunc ipsi tractant de eo et faciunt sic carmina de eo. proxime vobis plura scribam de ea re. Valete ex Schletstat.

668

VOLUME

II, LETTRE

70

70 (C'est ce Judas de Pfefferkorn qui a inspiré les théologiens de Cologne) Au Paradis, Maitre Maillet!

au célébrissime Maitre Ortwin, qui est

Rétif au style et à ses beautés, contre les écrivains et les latins

et qui gueule comme un âne bâté

et contre les étrangers grecs, non moins,

et qui défend tous les barbares

lui, le plus fameux héraut des [Colognards.

J'ai entendu précher à votre sujet les escroqueries étonnantes et les perfidies exceptionnelles, Maitre Ortwin — telles que je n'en ai jamais entendu de toute ma vie, Grand Dieu ! — que vous, et les autres *Not' Maitres de Cologne (sauf votre respect) vous auriez faites à Monsieur l'honnétissime et savantissime Seigneur Jean Reuchlin. Et pourtant, quand j'ai entendu ça, je n'ai pas pu être tellement étonné, parce que vous êtes des ânes à deux têtes? et des philosophes naturels (en langue vulgaire : « des fous par nature, supérieurs de vingt quintaux à ces insensés fantasques ») vous essayez encore de faire du tort misérablement et stupidement à des hommes aussi pieux et savants. D'ailleurs, à ce propos, il m'est venu une révélation admirable au sujet de la personne qui vous a enseigné aussi subtilement à pervertir et à falsifier des opinions si pieuses d'un homme aussi honnétissime. Mais, pour finir, j'ai pensé que celui qui fait ca n'est pas un homme d'un autre genre que celui qui a coupé les testicules de Judas’, car les enfants suivent leur père, comme le fait Jean *Pfefferkorn. Et vous tous, vous êtes ses amis, car « les salauds s'allient? et qui se ressemble s'assemble ». Ainsi donc, à la potence vous tous ! et que le licteur?

vous y conduise, vous et vos amis, pendant que vous direz : « Priez pour nous !» Mais bien que passque donc, toutes ces choses soient vraies à tel point que je vous les écris en mains propres à vous particuliérement, vous pourriez aussi le dire aux autres qui siégent avec vous dans ce tróne de la pestilence, comme dit le psaume*, pour qu'elles n'arrivent pas jusqu'au public,

1. Peut-étre Félix Hemmerlin, docteur en droit canonique, auteur d'une cinquantaine d'ou-

vrages. Il eut des démélés avec l’évêque de Constance et critiqua violemment les ordres mendiants. Aprés avoir été emprisonné à plusieurs reprises, il mourut en 1456 (et se trouvait donc au Paradis). 2. Les deux tétes sont peut-étre la téte du moine et sa capuche. 3. Soit, le prépuce de Judas, Pfefferkorn étant de la méme engeance (circoncise) que Judas.

4. Cette expression proverbiale allemande se trouvait déjà dans la lettre II, 3. 5. Dans la Rome antique, le licteur ouvrait le passage des grands personnages de l'État. Cette description est celle d'une procession de l'Inquisition menant un condamné. 6. Le psaume I, 1 parle de cathedra derisorum (le siége des moqueurs).

TOMUS

II, EPIST. 70

669

70 Magister Maleolus! in Paradiso,

|Omni verborum ornatu reciso,

Famosissimo Magistro Ortvino: Qui clamat more asinino Contra poetas et latinos, Nec non Grzcos peregrinos, Omnium Barbarorum defensori,

Et Coloniensium præconi

[famosiori. Mirabiles trufas et egregias nequitias audio de vobis praedicare, magister Ortvine, quas unquam in vita mea nunquam per deum sanctum audivi, quas vos et alii Colonienses magistri nostri (cum supportatione) fecistis honestissimo et doctissimo viro domino Ioanni Reuchlin. Et tamen cum audivi, non scivi in tantum mirare, quia cum estis bicipites asini et naturales Philosophi (vulgo « naturlich narren, zwenzig zentner vber ein dollen fantasten »), intenditis etiam misere et nebulonice vexare ita pios et doctos viros. amen super hoc incidit michi una singularis miratio quis vos docuit ita subtiliter pervertere et falsificare ita pias opiniones probissimi hominis. sed ego finaliter cogitavi quod non facit hoc aliud hominum genus quam hoc quod Iudas de testiculis scalpsit, quia patrem sequitur sua proles, ut est Ioannes Pfefferkorn. Et vos omnes estis amici huius, quia « schlim schlem similis quærit sibi similem ». Et ergo ad furcas cum vobis omnibus, ad quas perducat vos lictor cum sociis suis, vobis dicentibus « Orate pro nobis ! »

Sed quamquam quoniamquidem illa omnia vera sint et ideo vobis singulariter ad manus proprias illa scribo, possitis etiam aliis dicere qui vobiscum sedent in hac Cathedra pestilentiz, ut dicit Psalmus. Et ne illa veniant in publicum, quod omnis homo sciat quid retro vos est.

1. Traduction de l'allemand Hämmerlein (= petit marteau).

670

VOLUME

II, LETTRE

70

comme quoi tout le monde sache ce qui est derrière vous. Mais il m'est venu une scrupulation par tous les saints, et je crains que l'imprimeur m'a volé une copie de la lettre. Et si c'est le cas, que Dieu vienne à votre aide ! Parce que moi, je ne peux pas m'y opposer. Mais je vais quand méme vous donner un bon conseil. Priez seulement, à genoux, huit jours de suite, et invoquez à jeun sainte Hélène qui a découvert la croix de Notre Seigneur Jésus-Christ. Alors, je retrouverai de nouveau cette lettre. Et alors, vous irez

bien de nouveau. Voyez donc que je fais tout ça par charité fraternelle, étant donné que nous sommes tous fréres. Et je fais tout ca pour vous, comme quoi les gens aient méme une bonne opinion de vous. Portez-vous bien, de Heidelberg, chez le Boiteux’ de Leipzig, qui permet qu'on lui courre après avec le nez dans le cul. Oh ! si seulement vous aussi étiez avec lui, vous n'auriez pas besoin de mettre des lunettes ! Parce qu'on dit qu'il se les pose bien gratis.

Cet ouvrage a été imprimé à *Berne Où des précheurs quatre lanternes Ont illuminé des Suisses toute la région Avant que Hochstraten n'ait persécuté *Capnion.

7. Jean le Boiteux avait déjà été cité comme maquereau dans la lettre II, 67.

TOMUS

II, EPIST.

70

671

Sed ad omnes sanctos michi incidit una scrupulatio, et timeo quod Impressor furavit michi unam copiam de epistola, et si sic est, tunc iuvat vobis deus. Tunc ego non possum resistere. Sed tamen ego volo vobis bonum consilium dare : Orate solum Octo dies continue flexis genubus et invocate ieiunus sanctam Helenam quz invenit Crucem Domini nostri Ihesu christi. Tunc iterum ero invenire illam epistolam. Tunc vos iterum bene stabitis. Ecce videte quod illa omnia facio vobis ex charitate Fraterna, sicut

omnes sumus fratres, et omnia facio vobis quod etiam homines tenent aliquid de vobis. Valete ex Heydelberga apud Claudicantem Lipsium qui sinit unum sibi cum naso in culum currere. O utinam vos etiam essetis cum illo ! Tunc non opus esset vobis disponere unum brillum, quia Ipsi dicunt quod gratis accomodat uni. Hoc opus est Impressum Berne Ubi quatuor predicatorum Lucerne : Illuminauerunt totam Suitensium regionem Antequam Hochstrat vexauit Ioannem Capnionem.

Hiat etr» Als en € necs

Deer

merida

mshr ar ici jene

vien annees vow Eres. Eshefon tes pipe aec: esta

ine ito teriodei Yerendittbéis D bo

SET

M ene EE j Và. SATIS vit SSP bn iio siiis D 2

qi

que

ME =

á

id >

s

M

t chan BN

i y

zumstí farez21qeid fruzo189: ben b 316

ts & TT

VEM

0

re

y,

ex

AP

uu

pado t

DT

d

BIBLIOGRAPHIE

Sources J'ai indiqué qu'il existe un exemplaire de l'édition princeps des Lettres des hommes obscurs à la Bibliothéque mazarine de Paris. Il en existe probablement quelques autres en France, mais ce sont de grandes raretés. Il en va de méme pour l'ensemble des pamphlets concernant l’Affaire Reuchlin. L'édition critique de référence des Lettres des hommes obscurs est celle d'Eduard BÔCKING : Ulrichi Hutteni Equitis Operum Supplementum, 2 tomes, Leipzig, Teubner, 1864-1870, rééd. Aalen, 1963.

Je rappelle que ce Supplementum constitue les tomes 6 et 7 des Ulrichi Hutteni opera. Il contient, outre les Lettres, de trés nombreux et précieux documents et explications variés concernant l'ensemble de l’Affaire, qui en font un outil absolument irremplagable. L'ensemble représente plus de 1 300 pages, dont il me parait utile d'indiquer le contenu détaillé (j'ai noté d'un astérisque les textes commentés dans le répertoire). Le premier tome (Epistolæ obscurorum virorum cum inlustrantibus adversartisque scriptis) contient les textes suivants : — Epistolæ obscurorum virorum (vol. I) — Defensio Ioannis Pepericornis contra famosas... (*Défense de Dfefferkorn) — Doctor iohanns Reuchlins tütsch missive... (Reuchlin) — Reuchlini epistola ad Questenbergum (lettre de Reuchlin, 12 août 1515) — Epistolee obscurorum virorum (vol. II) — Ex obscurorum virorum salibus cribratus dialogus... (*Conférence macaronique)

674

BIBLIOGRAPHIE

— Commentum seu lectura Magistri Nostri Schluntz in universitate Erfurdensi — Contra sentimentum parrhisiense (*Contre le sentiment parisien) — Lamentationes obscurorum virorum (* Lamentations... Ortwin Gratius) — Iacobi Hochstrati dedicatio Apologiæ ad papam et imperatorem (Adresse de l’*Apologie à notre Trés Saint-Pére..., Hochstraten) — Reuchlini ad Hermannum comitem Nuenar (lettre de Reuchlin, 21 mars 1518) — Ex Hochstrati Apologia secunda (Hochstraten) — Ervorderung und Verkundung (* Réclamation... Sickingen) — Quattuor Reuchlini ad Pirckheimerum epistole (lettres de Reuchlin, 1520) — Martini Buceri ad Beatum Rhenanum (lettre de Martin Bucer, 15 mars 1520)

— Predicatorum synodi Francofurti ad Leonem PP X supplicatio (10 mai 1520) — Reuchlini ad Pirckheimerum epistola (lettre de Reuchlin, 31 mai 1520)

— Eyn mileydliche cleg (*Plainte compatissante... Pfefferkorn) — Oratio funebris in laudem Ioannis Cerdonis... — Hochstratus ovans dialogus festivissimus (Hochstraten triomphant, Hutten) — Tractatulus quidam solennis de arte et modo inquirendi quoscunque hæreticos: — Duo de monachis carmina, ex Querela fidei (Hutten) — Pasquillus marranus exul — Tractatus metricus de Wimariensi disputatione... — Epistolee obscurorum virorum volumen tertius (ce « troisième volume » des Lettres est un apocryphe, contenant 14 lettres qui sont apparues dans l'édition de 1689).

Le second tome (commentaires) contient : — Index des éditions des Lettres des hommes obscurs (Index editionum...) — Supplément à l'index bibliographique de Hutten, avec un index des ouvrages d'autres auteurs (Indicis bibliographici hutteniani supplementum...) — Index des écrits concernant l’Affaire Reuchlin (Index scriptorum...) — Tableau chronologique des écrits et des événements qui se rapportent particulièrement à l'Affaire Reuchlin et aux Lettres (Conspectus chronologicus...) — Index des termes [latins] qu'on lit dans les Lettres (Index verborum...)

BIBLIOGRAPHIE

675

— Noms fictifs des auteurs et destinataires des Lettres (Nomina eorum a quibus...) — Index biographique et onomastique (Index biographicus...) — Notes explicatives des Lettres (Commentarius...) — Corrections aux sept tomes des Hutteni opera.

Une édition critique des œuvres complètes de Reuchlin est en cours de publication : Johannes Reuchlin — Sámtliche Werke, éditée par Widu-Wolfgang EHLERS, Hans-Gert ROLOFF et Peter SCHÂFER, Frommann-Holzboog, Stuttgart-Bad Cannstatt. Le volume IV (en deux tomes) de cette édition est consacré aux textes de l'Affaire Reuchlin.

Le premier tome (IV 1) contient les publications de Reuchlin : — Tütsch Missive (1505) — Augenspiegel (1511) — Ein clare verstentnus (1512) — Defensio contra calumniatores suos colonienses (1512). Le second tome (IV 2, à paraitre) contiendra celles de Pfefferkorn : — Fudenspiegel (1507) — — — —

Sudenbeichte (1508) Osterbuch (1509) Judenfeind (1509) Lob und eer... Maximiliani (1510)

— — — — — —

Handspiegel (1511) Brandspiegel (1512) Sturmglock (1514) Beschyrmung (1516) StreytPuechleyn (1516) Eyn mitleydiche clag (1521).

La correspondance de Reuchlin a été publiée par le grand hébraisant allemand Ludwig Geiger : GEIGER Ludwig, Johann Reuchlins Briefswechsel, Tübingen, 1875, rééd. Hildesheim, 1962. Il faut noter qu'il ne s'agit pas de la correspondance intégrale de Reuchlin, mais seulement des lettres qui étaient encore inédites en 1875 (les lettres qui avaient déjà été publiées auparavant sont résumées).

676

BIBLIOGRAPHIE

Essais ACKERMANN Markus Rafael, Der Jurist Johannes Reuchlin (14551522), Berlin, Duncker & Humboldt, 1999. BIETENHOLZ Peter G., « Erasmus und die letzte Lebensjahre Reuchlins », dans Historische Zeitschrift, 240, 1985, Munich, Oldenbourg, pp. 45-66. BÔMER Aloys, Die lateinische Schülergespräche der Humanisten, vol. I de Texte und Forschungen zur Geschichte der Erziehung und des Unterrichts in den Ländern deutschen Zunge, 1897, rééd. Amsterdam, P. Schippers Verlag, 1966. BÔMER Aloys, Epistolæ obscurorum virorum, Heidelberg, 1924, réimp. Aalen, Scientia Verlag, 1978 en un seul volume. Band 1 : Einführung (Présentation), Band 2 : Text (latin seul) (Stachelschriften. Âltere Reihe.

II12» BRECHT Walther, Die Verfasser der Epistole Obscurorum Virorum, Strasbourg, 1904, (Quellen und Forschungen zur Sprache und Culturgeschichte der germanischen Vólker, Band 93). BRoDp Max, Johannes Reuchlin und sein Kampf, Stuttgart-BerlinCologne,W. Kohlhammer,

1965.

CHAIX Gérald, Réforme et contre-réforme catholiques, Salzbourg, 1981. CHOMARAT Jacques, « Les hommes obscurs et la poésie », dans L'humanisme allemand (1480-1540), XVIII colloque international de Tours, Paris, Vrin, 1979, pp. 261-283. DE RIDDER, SYMOENS Hilde (ed.), À History of the University in

Europe, Cambridge University Press. Vol. 1, Universities in the Middle Age, Cambridge, 1992. GEIGER Ludwig, Das Studium der hebraischen Sprache in Deutschland vom Ende des XV. bis zur Mitte des XVI. Fhdts, Breslau, Schletter, 1870. GEIGER Ludwig, Johann Reuchlin, sein Leben und seine Werke, Leipzig, Dunker und Humboldt, 1871, repr. Nieuwkoop, 1964. GRAETZ Heinrich, Geschichte der Tuden von den ältesten Zeiten bis auf die Gegenwart. Vol. IX : Geschichte der Juden von der Verbannung der Juden aus Spanien und Portugal (1494) bis zur dauernden Aussiedelung der Marranen in Holland (1618), Leipzig 1866, 1891(3* éd.), rééd. Hirsch Arani, Berlin, 1998. HERZIG Arno, SCHOEPS Julius, ROHDE Saskia, Reuchlin und die Juden, Sigmaringen, Jan Thorbecke Verlag, 1993. Hzss Günther, Deutsch-lateinische Narrenzunft. Studien zum Verháltnis von Volkssprache und Latinitüt in der satirischen Literatur des 16.

BIBLIOGRAPHIE

677

Jahrhunderts, Munich, 1971 (Münchener Texte und Untersuchungen zur deutschen Literatur des Mittelalters, 41). LÔFSTEDT Bengt, « Zur Sprache der Epistole obscurorum virorum », dans Mittellateinisches Jahrbuch, 18 (1983), pp. 271-289. MaRTIN Ellen, Die deutschen Schriften des Johannes Pfefferkorn, Kümmerle Verlag, Góppingen, 1994. MENSCHING Günther, « Die kólner Spätscholastik in der Satire der Epistolæ obscurorum virorum », dans Zimmermann (dir.) Die Kólner Universität im Mittelalter : Geistige Wurzeln und soziale Wirklichkeit, Berlin, De Gruyter, 1989, pp. 508-523. MEYER C. S., « Erasmus and Reuchlin », dans Moreana, n? 24, Angers, 1969, pp. 65-80. OVERFIELD James D., « A New Look at the Reuchlin Affair », dans Studies in Medieval and Renaissance History, 8, 1971, Lincoln, University of Nebraska Press. PARTNER Peter, The Pope's Men. The Papal Service in the Renaissance, Oxford, 1990. PETERSE Hans, Jacobus Hoogstraeten gegen Johannes Reuchlin : ein Beitrag zur Geschichte des Antijudaismus im 16. Tahrhundert, Mayence, P. von Zabern, 1995. REICHLING Dietrich, Ortwin Gratius. Sein Leben und Werken, Heiligenstadt, 1884, repr. 1963, Nieuwkoop, B. de Graaf. RENAUDET Augustin, Préréforme et Humanisme à Paris pendant les premuères guerres d'Italie (1494-1517), Paris, 1916, rééd. Genève, Droz,1953. RUMMEL Erika, The Humanist-Scholastic Debate in the Renaissance and the Reformation, Cambridge/Londres, Harvard University Press, 1995. SALADIN Jean-Christophe, La Bataille du grec à la Renaissance, Paris, Les Belles Lettres, 1999. SECRET François, Les Kabbalistes chrétiens de la Renaissance, Milan, Arche, 1985. STECK Rudolf (éd.), Die Akten des Zetzerprozesses nebst dem Defensorium, Basel, 1904 (Quellen zur Schweizergeschichte, Band 22). STRAUB David Friedrich, Ulrich von Hutten, Leipzig, F. A. Brockhaus, 1858, 3° éd. Bonn, Emil Strauf), 1877 (vol. 7 des Gesammelte Schriften), rééd. Leipzig, 1927. STRECKENBACH Gerhard, Srtheorie und Rhetorik der Rómer als Gegenstand der imitatio im Bereich des deutschen Humanismus untersucht besonders auf Grund der lateinischen Schülergesprüche bis zu Erasmus « Colloquia familiaria », Berlin, Friedrich Wilhelm Universität, 1932, rééd. Gôttingen, 1979. STRECKENBACH Gerhard, « Paulus Niavis Latinum ydeoma pro novellis studentibus : ein Gesprächbüchlein aus dem letzten Viertel des 15.

678

BIBLIOGRAPHIE

Jahrhunderts », dans Mürtellateimisches Tahrbuch, 6 (1970), pp. 152-191 (présentation) et 7 (1972), pp. 187-251 (texte). ZARNCKE Friedrich, Die deutschen Universitáten im Muüttelalter. Beiträge zur Geschichte und Charakteristik derselben, Leipzig, Weigel, 1857.

RÉPERTOIRE DES HOMMES

OBSCURS

Ce répertoire contient de courtes notices explicatives concernant tous les noms de personnages (réels et non fictifs), titres de livres ou notions précédés d'un astérisque dans l'ensemble de cet ouvrage. Le lecteur trouvera les biographies de Reuchlin et d'Ortwin Gratius (cités presque à chaque page) en pp. 16-21 de la présentation, et celle de Hutten, en p. 115-117. Les dates de naissances indiquées sont souvent incertaines (parfois à plusieurs années près) surtout pour les personnages d'origine modeste, dont les parents ne pouvaient pas se payer les services d'un astrologue patenté et sachant écrire pour féter l'événement. J'ai indiqué, à la fin de chaque notice, les occurrences par numéros de page (pour la présentation) et par numéros de lettres (pour les Lettres). Pour les livres, l'indication « (Bócking) », suivie d'un chiffre romain, renvoie aux numéros de l’Index de Bócking (Index scriptorum causam reuchlinianam spectantium. Auf den Streit wegen der Tudenbücher und die beiden Theile des Epistolae obsc. viror. bezügliche Druckschriften beider Parteien,

figurant aux pp. 53-115 du Supplementum, vol. II), qui contient la description bibliographique détaillée et la reproduction en facsimilé du titre de chaque ouvrage — il décrit quarante-quatre ouvrages se rapportant à l'Affaire Reuchlin. Je me suis efforcé de rendre exactement les graphies originales des titres des livres, malgré les difficultés de lecture qu'elles occasionnent (telles que la diphtongue latine c écrite e, et en allemand, l'utilisation de u et v à l'inverse de l'usage moderne) — mais sans leurs trés nombreuses abréviations, qui reproduisaient celles de la tradition manuscrite.

680

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

Abrégé : voir * Dictionnaire abrégé. I, 1. Accents et l'Orthographe de l'hébreu (Les) : le titre complet de cet ouvrage est : « Trois livres sur les accents et l'orthographe de la langue hébraique, dédiés au cardinal *Adrien par Jean Reuchlin de Pforzheim, docteur en droit civil ». Haguenau, Thomas Anshelm, 1518 (De accentibus et orthographia lingue hebraice, à Iohanne Reuchlin Phorcensi LL. Doctore Libri Tres Cardinali Adriano dicati). La troisiéme partie de cet ouvrage est consacrée à la musique religieuse juive, avec des exemples de chœurs transcrits sur des portées musicales. 20, 21, 23. Accolti (Pietro) : [1455-1532] natif d'Arezzo, il avait commencé sa carriére comme professeur de droit canonique à Pise en 1481. Il fut nommé par Alexandre VI auditeur de la *Rote. Il était souvent appelé

l'Anconitain car il fut évéque d'Ancóne à partir de 1505. Créé cardinal de Saint-Eusébe par Jules II en 1511, il fut chargé par *Léon X (avec Domenico *Grimani) d'instruire l'Affaire Reuchlin, apres l'appel de *Hochstraten contre le jugement de Spire. Malgré les tentatives de subornations par ce dernier, il défendit l'humaniste jusqu'au bout. C'est sans doute lui qui fut à l'initiative de la réunion de la commmission de 22 membres qui acquitta Reuchlin le 2 juillet 1516. 41 ; I, 48 ; IL, 5, 20, 24153. Accurse (l'Ancien) : juriste bolonais qui entreprit en 1220 la rédaction de la Glose ordinaire du corpus du droit civil (Glossa ordinaria corporis turis civilis), commentaire de l'ensemble des textes constituant la base de ce que nous nommons encore le droit romain, et remontant pour la plupart à Justinien. Ces commentaires furent utilisés jusqu'au Xvilr? siècle pour l'enseignement du droit civil en Europe. II, 56. Actes des Parisiens : fascicule publié à Cologne chez Quentel, le 5 décembre 1514, reproduisant la sentence rendue au mois d’août de la méme année par la Sorbonne et condamnant au feu les Besicles de Reuchlin. Il commence par ces mots : « Actes des docteurs parisiens de la trés sainte faculté de théologie pour l'honneur de Jésus-Christ et pour le moins pour le salut de l’Église, contre les Besicles de Jean Reuchlin de Pforzheim, accompagnés de la sentence condamnant ce méme libelle au feu. Nonobstant le jugement de *Spire ou toutes autres expositions, déclarations, commentaires de celui-ci, ou défenses en sa faveur, qui ont été envoyés en complément, examinés et longuement discutés par les mémes plus hauts docteurs, et néanmoins condamnés à trés juste titre. En outre, on a pesé l'intention de l'auteur (ce que j'ai noté comme trés digne) dans tous ses articles et écrits, dans la mesure où le roi trés chrétien de France Louis [XII] et d'autres évéques, trés pieusement zélés pour la religion, [l']Jont encouragé. » (Acta Doctorum Parrhisiensium de

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

681

sacratissima facultate theologica ad honorem dumtaxat 3esu christi et ecclesie salutem Contra Speculum oculare Joannis reuchlin Phorcensis. una cum sententia eiusdem libelli condemnatiua ad ignem. Non obstantibus sententia Spirensis aut quibuscunque alijs eius expositionibus, declarationibus, glossematibus vel defensionibus pro eum met illuc missis et diligentissime a summis ibidem doctoribus prospectis, examinatis, diu multumque discussis, et tandem iustissime condemnatis. Ponderata atque in omnibus (id quidem notaui dignissimum est) et articulis et scriptis auctoris intentione Prout christianissimus rex Francie Ludouicus et alij quidam Episcopi pro fide ibidem pussime zelantes adhortati sunt.) (Bócking, XVI) 42, 68 ; I, 8, 35. Adrien, cardinal : [Adriano Castellesi, 1461-1521]

cardinal de *Saint-Chrysogone, né à Corneto. D'origine modeste, il occupa la charge de secrétaire de la Chambre apostolique chargée du trésor, et fut créé cardinal par Alexandre VI en 1503. Il publia plusieurs textes philosophiques La Vraie Philosophie (De vera philosophia, 1507) et littéraires /a Parole latine (De sermone latino, 1515). Son intérét pour l'hébreu lui donna l'occasion de se lier d'amitié avec *Gilles de Viterbe. Il défendit Reuchlin, qui lui dédia en 1518 sa grammaire hébraïque (Les * Accents et l'Orthographe de l'hébreu). Ayant participé en 1517 à la conjuration des cardinaux contre Léon X, il fut condamné par le pape à payer 12 000 florins. À ne pas confondre avec Adrien d'Utrecht, théologien de Louvain et ennemi de Reuchlin, qui allait succéder à Léon X en 1521 sous le nom d' Adrien VI. 43, 51. Æsticampianus : [Ioannes Rhagius (Rack), 1460-1520] on sait peu de choses de la jeunesse de cet humaniste né en Lusace, sinon qu'il suivit l'enseignement de Béroald en Italie. Il fut à Rome un familier de Jacques *Questenberg. Il séjourna ensuite à Paris, puis rejoignit la cour impériale à Fribourg-en-Brisgau, ou il fut couronné poète. Il enseigna les Bonnes Lettres pendant vingt-trois ans, notamment à Cologne et Spire. À Bâle, il donna un cours sur le Tableau de Cébés, puis enseigna à Cracovie et Francfort-sur-Oder, oü il eut Hutten comme éléve en 1506. Il enseigna à Leipzig de 1508 à 1511 (le cours sur Pline) d’où il fut expulsé à l'instigation de *Delitzsch et des théologiens (voir lettre I, 17). En 1515, il ouvrit une école « latine et chrétienne » à Fribourg, puis à Wittenberg, où Luther le tenait en haute estime. 59, 72, 115 ; I, 17, 25 ; 11,9; Affaire de religion : [causa fidei] voir *marière de religion II, 53. Affirmations erronées... : dernier libelle publié par *Hochstraten à la fin de son séjour romain. Il commengait par ces mots : « Affirmations erronées dans les Besicles de Jean Reuchlin, exposées mot à mot, et accompagnées par les conclusions que leur oppose Maitre Jacques de la

682

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

Grand Rue » (Erronee assertiones in oculari Speculo Io. Reuchlin verbatim posite & conclusiones per magistrum Iacobum de alta platea eisdem obiecte, Roma, 1517). 47. À la Louange... : pamphlet en seize chapitres publié en 1510 par *Pfefferkorn. Il commençait par ces mots : « À la louange et en l'honneur de Son Altesse Sérénissime, le trés puissant prince et seigneur des seigneurs Maximilien... (In lob vnd eer dem Allerdurchleuchtigsten Grofomechtigsten Fursten unn heren hern Maximilian...). On en connait trois éditions allemandes la méme année et une traduction latine, due à Andreas

Frisius de Groningue sous le titre : In laudem et honorem Illustrissimi Maximique principis et domini Maximiliani... (Bócking, VII, 1). 28. Alamammelle : [Mammotrectus] commentaire biblique rédigé vers 1300 par le franciscain Marchesinus de Reggio. Il explique les passages difficiles de la Bible à l'usage des débutants, en compilant divers anciens traités allégoriques et vocabulaires, tels que celui de Guillaume l'AAnglais. Il doit son titre à un mot de sa préface, emprunté au second commentaire d'Augustin au psaume 30 (à propos des enfants qui restent trop longtemps au sein) : « Et puisque le rythme du pédagogue, qui guide les pas des plus petits, est approprié, on pourrait le nommer À-la-mammelle. » (Et quia morem geret talis decursus peedagogi qui gressus dirigit parvulorum, mammotrectus poterit appellari). 1, 33, 34. Albert de Brandebourg : [1490-1545] fils d'une des plus importantes familles de la noblesse germanique (à ne pas confondre avec son cousin Albert, né la méme année que lui, grand maitre de l'ordre teutonique, qui passa sa vie à guerroyer). Aprés ses études à l'université de Francfort-surOder, il fut ordonné prétre en 1513 et élu la méme année archevéque de Magdebourg et administrateur de Halberstadt. L'année suivante, il fut élu archevéque-électeur de Mayence. Créé cardinal en 1518, il était alors l'un des hommes les plus puissants du Saint Empire et de l'Église. Pour payer au pape les sommes dues au titre de son élection (pallium et annates), il s'endetta auprés des banquiers Fugger et passa un accord secret avec la *Cour romaine pour se rembourser avec la vente des indulgences. C'est pourquoi il laissa le fameux dominicain Tetzel opérer dans le diocése de Magdebourg. De l'autre cóté, il temporisa pour condamner les 95 théses de Luther. Il était trés lié avec les humanistes, tels que Hutten, Eitelwolf von Stein, son médecin personnel Heinrich Stromer et Wolfgang Capito. Il admirait beaucoup *Érasme, qui lui dédia son Art de la vraie théologie en 1518. Toute sa vie durant, il chercha le compromis avec les réformés. Il fut un grand ami des arts et des lettres et protégea notamment Dürer, Cranach et Grünewald. Dürer a gravé deux portraits de lui et Cranach l'a représenté en saint Jérôme. 23, 44, 59, 116 ; IL, 37, 55.

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

683

Albert (le Grand) : [1193-1280] ce noble allemand entra en 1223 dans l'ordre des dominicains nouvellement créé. Il étudia la théologie à Cologne, puis enseigna dans cette ville (il y fonda le studium de son ordre), et dans diverses villes allemandes. Docteur de l'université de Paris en 1245, il y dirigea pendant trois ans l'une des deux écoles des dominicains, oü il eut *Thomas d'Aquin comme éléve. De retour à Cologne il partagea le reste de sa vie entre l'enseignement dans cette ville et diverses missions diplomatiques et religieuses de haut niveau. Il fut l'un des grands promoteurs de la branche « réaliste » (via antiqua) de la scolastique aristotélicienne. On lui doit, outre le traditionnel *Commentaire des Sentences de Pierre Lombard, divers commentaires de livres bibliques. I] fut trés influencé par la théologie mystique du Pseudo-Denys l'Aréopagite. 57 ; I, 15 ; II, 28. Albertiste : théologien de l’« école » d'*Albert le Grand. 66, 77 ; I, 31 ; IL 11, 43, 45. Albus : voir *Blanc. Alexandre : lorsque ce prénom est utilisé seul, il désigne généralement *Alexandre de Villedieu, donc souvent son *Manuel (Doctrinale). 96 ; I, 7, 9, 18, 19, 25 ; II, 28, 35, 46 47, 63, 66, 68, 69. Alexandre de Halès : [1185-1245] ce théologien, natif de Hayles (dans le comté de Gloucester), fut d'abord maitre séculier à l'université de Paris. La tradition affirme qu'il fut le premier à rédiger (vers 1220) un *Commentaaire sur les Sentences de Pierre Lombard (Glossa in Quattuor libros sententiarum Petri Lombardi). À la suite de la grande querelle universitaire et de la gréve de 1229-31, il se fit franciscain, si bien que sa chaire de théologie resta par la suite attribuée à son ordre. On lui soit aussi une Somme théologique. Il fut surnommé le « *docteur irréfragable ». I, 11, 31. Alexandre de Villedieu : *maitre és arts de l'université de Paris, vers 1200. Il rédigea un *Manuel de latin versifié pour les débutants (intitulé en latin : Doctrinale) qui resta pendant plusieurs siécles l'ouvrage scolaire de base de l'enseignement des enfants dans toute l'Europe. I, 9. Alfonso a Spina : voir * Renforcement de la religion (Le). Alta Platea : voir *Hochstraten (Jacques). Amerbach (Jean) : [1440-1513] né à Reutlingen, il obtint sa *maitrise ès arts à Paris, où il s'initia à l'imprimerie chez Jean von Stein. Il travailla ensuite à Venise, puis chez l'imprimeur Koberger à Nuremberg, avant de s’établir à Bâle en 1478. Le * Dictionnaire abrégé de Reuchlin fut sa première réalisation. Il devint bourgeois de Bâle en 1484. C'est chez lui que *Trithéme fit imprimer ses Écrivains ecclésiastiques en 1494. Il fut le premier imprimeur allemand à utiliser les caractéres « romains » à la place des « gothiques ». Proche de Petri et de *Froben, il se fit une spé-

684

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

cialité de gros in folio (Bible avec glose et postilles, Ambroise, Augustin, droit canonique, etc.). Il mit en chantier l'édition des œuvres complètes de Jéróme, qu'il laissa inachevée à sa mort. L'ouvrage fut terminé par Froben et Érasme en 1516. Ses fils Bruno et Boniface poursuivirent son activité. 20, 61 ; II, 9.

Amphoraticius : peut-étre s'agit-il d'un nommé Krüger ou bien de Heimeric de Campis, docteur en théologie à Cologne, mort à Louvain en 1460. II, 67.

Anagogique : voir *Exégese. I, 28, 30. Ancienne école : voir *Anciens. II, 45, 55. Anciens : ce terme désignait à l'origine les seuls « réalistes », parmi lesquels les thomistes, par opposition aux « *modernes » scotistes. Ils pensaient que les concepts (les universaux) ont seuls une existence « réelle », dont les étres particuliers ne sont que des dérivés imparfaits. Ils interprétaient Aristote selon les termes fortement néoplatoniciens de *Boèce. Avec la montée de l'humanisme, ce terme désigna parfois aussi l'ensemble des scolastiques, par opposition aux humanistes. I, 25, 31, 46 ; IL, 23. Áne ou le miroir des fous (I2) : [Asinus, sive speculum stultitiorum]

voir *Brunellus. Anglais (Guillaume D) : [Guilhelmus Brito, T 1350] franciscain de la vieille souche de Cambridge, il enseigna à l'université de Paris et écrivit divers ouvrages de grammaire (Synonyma, Duodecim decades Iohannis de Gallandia), ainsi qu'un dictionnaire d'hébreu biblique et un commentaire des six principes de Gilbert de la *Porrée. II, 54, 69. Angst (Wolfgang) : [vers 1485-1523] cet humaniste étudia à Francfort-sur-Oder, où il se lia avec Hutten. Il y passa son *baccalauréat és arts en 1507. Il travailla chez de nombreux imprimeurs, tant comme correcteur que comme éditeur de textes, particuliérement chez *Schürer à Strasbourg, et chez Thomas Anshelm à Haguenau. Il fut un reuchliniste parmi les plus actifs et 1l expédia le 19 octobre 1515 le premier volume des Lettres à *Érasme. En 1517, il corrigea chez Froben à Bále quelques ouvrages d'Érasme. L'année suivante, il travaillait à Mayence, chez Schóffer, avec *Carbachius, à l'édition de Tite Live, agrémentée d'une préface de Hutten adressée à *Albert de Brandebourg. La méme année, il édita le Traitement par le gaiac et le mal frangais (De guaiaci medicina et morbo gallico) de Hutten. Il fut peut-être l'auteur du Moine (Monachus). 46, 60 ; II, 9. Aperbach (Petreius) : [Peter Eberbach, 1480-1531] fils du célébre

médecin et professeur d'Erfurt Georges Aperbach, il étudia à Vienne en compagnie de *Vadian. Il séjourna à Rome pendant le procès de Reuchlin de 1515-1516 et transmit soigneusement à celui-ci toutes les informations qu'il pouvait recueillir sur l'évolution de la situation. Après

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

685

ce voyage mouvementé, il retourna à Erfurt où il anima le cercle des humanistes reuchlinistes avec *Mutianus Rufus, *Crotus Rubeanus, *Eobanus Hessus. Certains auteurs ont pensé qu'il était l'auteur de quelques-unes des lettres. 59 ; II, 9, 45, 59. Apologie à notre Trés Saint-Pére... : ouvrage composé par

*Hochstraten en réponse à Georges *Benignus. Ses premiers mots étaient : « Apologie du révérend pére Jacques de Hochstraten, adressée à notre Très Saint-Père le pape Léon dix, ainsi qu'au divin empereur Maximilien, toujours auguste [...] contre le dialogue écrit par Georges Benignus, archevéque de Nazareth pour le procés de Jean Reuchlin... » CAd sanctissimum dominum nostrum Leonem papam decimum. Ac diuum Maxemilianum Imperatorem semper augustum. APOLOGIA Reuerendi patris Iacobi hochstraten [...] Contra dialogum Georgio Benigno Archiepiscopo Nazareno in causa Ioannis Reuchlin ascriptum...). Il fut publié à Cologne, en février 1518. C'est principalement contre lui que furent publiées les * Lettres de trois hommes illustres en mai 1518. (Bócking XXIX). 48. Arnold de Tongres : [T 1540] l'un des adversaires les plus acharnés de Reuchlin. Né vers 1470, dans le Limbourg, il fut immatriculé à l'université de Cologne en 1486. *Licencié ès arts en 1489, il fut doyen de la faculté des arts en 1494. Docteur en théologie en 1509, II publia dès 1512 ses *Articles contre Reuchlin. Il publia la méme année, chez *Quentel, un Traité des propositions alphabétiques... contre les juifs (Tractatus propositionum alphabeticarum... contra ludæos). Ayant obtenu un canonicat en 1513, il devint régent du pensionnat *Saint-Laurent pendant vingt ans, aprés quoi il retourna à Liège où il finit ses jours comme

iaquisiteur:17, 35, 43,46,53,56,

117 ;

1,1, 5,10,11, 13,18;

81245,4060 $113545/75:10, 1162325: 33,475 50,62. Arnoldi (Jean) : [Jan Aerts of Nossegem, T 1537] ce moine augustin, ami de Martin Lipse, fut prieur du couvent de Saint-Martin à Louvain de 1493 à 1497. Il devint ensuite recteur du couvent des nonnes de Béthanie, prés de Bruxelles, avant de retrouver son couvent en 1509. Il laissa à sa mort une réputation de bon gestionnaire (on le surnommait « bourse plate »). 53, 106 ; I, 10 ; II, 36. j Art de la vraie théologie (I?) : petit traité publié par *Erasme dans le premier volume de son Novum Instrumentum en février 1516, dans lequel il critiquait systématiquement la théologie scolastique et revendiquait le retour au texte originel de l'Écriture (en hébreu et en grec). Initialement intitulé Méthode (Erasmi Roterodami Methodus), il fut ensuite publié seul et considérablement augmenté, sous le titre : L’Art, ou la méthode abrégée pour parvenir à la vraie théologie (Ratio seu Methodus compendio perveniendi ad veram Theologiam). I, 48 ; II, 20, 50 (note 5).

686

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

Articles... : [Articuli] recueil, rédigé en 1512, des propositions considérées comme hérétiques par *Arnold de Tongres dans les Besicles de Reuchlin. Il commence par ces mots : « Articles, c'est-à-dire propositions trop suspectes de favoriser le judaisme, extraites du libelle en allemand du docteur en droit Jean Reuchlin (selon le titre des Besicles), avec des annotations et des critiques du vénérable et zélé *Not' Maitre Arnold de Tongres, trés profond professeur d'*arts et de sainte théologie... » (Articuli siue propositiones de iudaico fauore nimis suspecte ex libello theutonico domini Ioannis Reuchlin legum doctoris (cui speculi ocularis titulus inscriptus est) extracte, cum annotatonibus [sic] et improbationibus venerabilis ac zelosi viri magistri nostri Arnoldi de Tungeri artium et sacre theologie professoris profundissimi...). Le fascicule débute par deux poémes composés par Ortwin Gratius et Hermann *Buschx17595,5051, 1755 6;8;989)45 5 IB $46. Artien : [artista] Rabelais désignait par ce terme les étudiants de la *faculté des arts, c'est-à-dire du premier cycle universitaire, équivalant à peu prés à notre lycée actuel, se prolongeant jusqu'au DEUG. Ils faisaient donc partie d'une classe d’âge beaucoup plus jeune que les étudiants en théologie. C'est d'eux que l'on parlait généralement lorsqu'on dénongait l'agitation, les mauvaises mœurs et la rébellion des supposita, studentes, scholàrés 55,776,110: 5 H1151753245,25; 315 46 5 11,20, 28, 5510607 63c Arts : les sept «arts libéraux » (le rrivium : grammaire, rhétorique, dialectique, suivi du quadrivium : arithmétique, géométrie, astronomie, musique) constituaient en principe le programme du premier cycle des études universitaires, appelé de ce fait : *faculté des arts. En pratique, la logique scolastique y occupait la place essentielle et les disciplines littéraires y étaient réduites à la portion congrue. On y devenait généralement bachelier en deux ans environ (à 21 ans révolus), puis licencié et maitre à l'issue d'une troisiéme année. La faculté des arts était à peu prés l'équivalent de notre enseignement secondaire du « lycée » actuel, se prolongeant jusqu'au DEUG. On pouvait ensuite commencer les études dans les facultés supérieures de droit, de théologie ou de médecine. 16, 40, 73 ; I, 1, 10, 18,25;33; 48511; 1; 8/135 14; 207 235 28/33355534159587607 69! Auditeur (de la Rote) : juge du tribunal supréme de l'Église (la *Rote), siégeant à Rome. Ce tribunal traitait des affaires les plus importantes, telles que les annulations de mariages princiers ou les affaires d'hérésie de haut niveau. II, 5, 12, 23. Augenspiegel : voir *Besicles (Les). Baccalauréat : les étudiants de la *faculté des arts, âgés de 21 ans au moins et justifiant d’environ deux années d’études, après avoir payé des droits d’inscription assez élevés, étaient convoqués individuellement devant un jury qui les interrogeait sur leur niveau de connais-

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

687

sances. L'examen n'était pas écrit, ni collectif comme c'est le cas de nos jours, mais oral. L'épreuve se déroulait dans une « chambre rouge » (lettre II, 60), et chacun jurait à la fin « qu’il n'entreprendrait aucune revendication ni en parole, ni en actes, ni aucune machination funeste, s'il n'était pas admis, faute de quoi, il risquait d'étre puni par des réprimandes vigoureuses ; et qu'il ne révélerait pas les secrets de la délibération, ni du déroulement de l'examen, qui ne doivent pas étre révélés » (quod non volet moliri vindictam verbo vel opere aut quacunque sinistra machinatione, si non fuerit admissus, aut fuerit forte acerbis monitis castigatus. Et quod non volet pandere secreta conclavis seu camere examinis, quce demandantur non revelanda, cité par Bócking, Suppl. II, p. 755). Il pouvait ensuite, après environ une année d'études supplémentaires, prétendre à la licence, puis à la maitrise « es arts ». La grande majorité des étudiants cessaient les études après l'obtention du baccalauréat ès arts, c’est-à-dire une fois qu'ils savaient lire et écrire en latin à peu prés cor-

tectemenbt: 18,72, 11551,8,25 ;11, 58, 60. Bachelier : [baccalarius] lorsqu'il est employé seul, ce terme désigne généralement les titulaires du baccalauréat ès arts (voir ci-dessus), désireux d'achever leur premier cycle universitaire par la *maitrise ès arts. Les trois facultés supérieures (théologie, droit et médecine) délivraient elles aussi des baccalauréats. Ainsi, les étudiants en théologie pouvaient prétendre au baccalauréat de cette faculté aprés sept années d'études. Ils devenaient alors bacheliers « *bibliques », puis « sententiaires », puis « *formés », et enfin licenciés, puis docteurs et maitres en théologie. Un docteur en théologie avait donc passé deux bacclauréats, le premier ès arts, le second en théologie. 14, 16, 18, 55, 73, 79 ; I, 1, 2, 19, 20, 32, 41,

46, 47 ; IL, 8, 9, 13, 22, 30, 34, 46, 58, 59, 60. Bachelier biblique : [baccalaureatus biblicus, in Biblia] étudiant qui avait terminé la moitié (sept ans) d'études de théologie comme auditeur (simplex) et qui commençait à enseigner en qualité de « *chargé de cours » (cursor biblicus ou currens). À ce titre, pendant deux années, il devrait lire et commenter un livre de son choix de l'Ancien Testament et un du Nouveau, aprés quoi il deviendrait bachelier « sententiaire » et enseignerait un commentaire des *Sentences de Pierre Lombard pendant quatre ans. Il pourrait ensuite prétendre à la licence, puis à la maitrise et au doctorat en théologie. 78 ; I, 46 ; II, 56. Bachelier dans l’un et l’autre *droits : [baccalaureatus in utroque iure] étudiant en droit, parvenu au baccalauréat en droit civil et en droit canonique. II, 56. Bachelier formé (en théologie) : [baccalaureatus formatus] : étudiant en théologie qui avait achevé les quatorze années de son cycle

688

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

d'études, tentiaire. de maître toire à la

y compris les deux années de *bibliste et les quatre de *senIl ne lui manquait plus que la reconnaissance de son diplóme (obtenu après une série de collations et de *débats) préparalicence, puis au doctorat. Il était donc déjà parvenu à un trés haut niveau de la hiérarchie universitaire. 54, 78 ; I, 1, 31, 36 ; IL, 30. Bachelier promu : [Baculaureatus promotus] étudiant qui avait achevé avec succès le cycle de ses études (completio) de bachelier. 18 ; II, 22, 46. Bacheliérant : [baccalariandus] ce barbarisme technique désignait un étudiant qui se préparait à devenir bachelier (généralement és *arts). (D-1551E 65) Balthasar de Facha (Fabricius) : [ T vers 1540] humaniste de Wittenberg, né à Vacha-sur-la-Werra. C'est chez lui que Hutten composa son Art de la versification en 1510. L’amitié entre les deux hommes ne se démentit pas. Il fut également lié à *Melanchthon et à *Spalatin. Il fut professeur d'arts et recteur de l’université de Wittenberg en 1517. 59 ; II, 9. Baptiste de Mantoue : [Battista Spagnuoli, 1436-1516] général des carmes, l'un des poètes latins les plus réputés de son époque, dans les milieux traditionalistes. 17 ; II, 12. Barthélemy : voir *Zehender. II, 9, 55. Batodius (Lucas) : cet humaniste nous est connu par deux lettres d'*Érasme à *Gerbell (20 oct. 1518, 1*' fév. 1523) et une lettre de luiméme à Érasme (1*' oct. 1525). Il fit partie du cercle des proches de *Wimpfeling à Strasbourg et Sélestat. Vicaire puis chapelain, il passa à la Réforme. II, 63. Beatus Rhenanus : [Beatus Bild, 1485-1547] il vint étudier à Paris en 1503 où il reçut notamment l'enseignement de *Lefèvre d'Étaples. Il corrigea l'édition de Raymond Lulle réalisée par ce dernier. De 1507 à 1527, il vécut surtout à Bâle et participa activement aux développements de l’édition humaniste (avec Matthias *Schürer à Strasbourg, avec *Froben à Bâle). Il devint très proche d’*Érasme à partir de l’installation de ce dernier à Bâle (1514) et devint grâce à lui un excellent helléniste.

Il s’efforça toujours de rester à l’écart des extrémismes religieux, ce qui l'amena à quitter Bâle pour Sélestat en 1527. On lui doit notamment la fameuse édition des œuvres complètes d'Érasme de 1537 chez Froben. Il mourut à Strasbourg. 60, 110 ; I, 30 ; II, 9, 59.

Bebel (Henri) : [1472-1518] cet humaniste souabe, fils d’un fermier, étudia les lettres latines à Cracovie auprés de Laurent *Corvin (dont il publia la Cosmographie en 1496), puis à Bále auprés de Sébastien *Brant. Il se fixa à Tübingen, où il enseigna la rhétorique à partir de 1496 jusqu'à sa mort. Il fut couronné poète par Maximilien en 1501. II

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

689

composa un Art poétique (Ars versificandi, cf. lettre II, 11) qui fut souvent réimprimé. A l'instar de Reuchlin et de *Wimpfeling, il s'illustra dans le théátre pédagogique par sa Comédie sur les meilleurs études des jeunes gens (Comædia de optimo studio Iuvenum, 1504) et dans la satire avec son Triomphe de Vénus (Triumphus Veneris) qui dénonçait les vices des moines. Son œuvre la plus célèbre fut les Facéties (1508-1512) à la manière du Pogge (Facetic). Il fut aussi l'un des premiers à s’intéresser à la littérature populaire allemande en publiant un recueil de proverbes (Proverbia germanica collecta atque in Latinum traducta, 1508). Il manifesta un ardent patriotisme allemand et entretint des relations avec la plupart des humanistes importants. 39, 60, 119 ; II, 9, 11, 63.

Beltram (Pierre) : curé de Mayence antireuchliniste. II, 33. Bénéfice : rémunération associée à toute charge ecclésiastique. Cellesci étaient en effet assimilées à des « offices », comprenant une fonction spirituelle (l'exercice du culte) en échange d'une compensation matérielle (les revenus de la cure, du canonicat, etc.). I'attribution (collation) d'un bénéfice entrainait pour le bénéficiaire l'obligation de s'acquitter d'une taxe, généralement appelée « annate », car elle correspondait à peu prés à une année de revenus. La collation des bénéfices dans toute la chrétienté, depuis la cure de campagne jusqu'à l'évéché ou l'abbaye, entrainait donc

un commerce considérable, dont le marché (et les tribunaux jugeant les contestations) se trouvait à Rome. Le bénéfice s'éteignait à la mort du titulaire. À ce moment, il y avait donc vacance du bénéfice et la chambre apostolique romaine percevait ses revenus en attendant sa collation à un nouveau titulaire. La demande de bénéfices étant naturellement beaucoup plus importante que l'offre, les papes avaient instauré un astucieux second systéme de taxation en vendant les « gráces expectatives », qui étaient des promesses de collation de bénéfices non encore libérés. 64, 71, 77, 80, 82313849 I73315165105258;:12,32; 35,53;.64, 66, 68. Benignus (Georges) : [Juraj Dragisié, vers 1455-1520] était un franciscain croate, natif de Srebrenica, qui s'enfuit de Bosnie lors de la conquête turque de 1463. Il reçut une excellente formation humaniste en Italie, à Paris et Oxford. Il fréquenta le cardinal Bessarion, puis vécut à Florence à partir de 1482. Il participa au cercle platonicien de Marsile Ficin et Pic de la Mirandole et devint précepteur des enfants de Laurent le Magnifique. Aprés l'invasion frangaise, il partit quelques années en exil à Dubrovnik. Il fut rappelé à Rome par Jules II pour diverses missions diplomatiques et devint enfin confesseur de *Léon X. Il enseigna la philosophie à la *Sapienza. Son ouvrage consacré à la défense de Reuchlin (*Défense du trés éminent...) ne représente qu'une petite partie de son intense activité littéraire. 22, 44, 47, 63, 64.

690

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

Berne (crime de) : En 1506, au chapitre provincial de Wimpfen, les dominicains décidérent d'organiser une mise en scene de faux miracles, pour lutter contre la thése de l'immaculée conception de la Vierge Marie (défendue par les franciscains...). L'opération débuta dés l'année suivant$) au couvent de Berne — cette ville ayant été choisie en raison de «la stupidité et la naïveté » de ses habitants. Un novice, du nom de Jetzer,

prétendit avoir eu des apparitions de la Vierge et de diverses saintes, puis exhiba les stigmates. Les pèlerins affluèrent et l’on vit même la Vierge peinte d'une Pietà pleurer des larmes de sang. Mais la supercherie fut découverte et Jetzer emprisonné. Il dénonga les quatre instigateurs de l'affaire, parmi lesquels le prieur et l'intendant du couvent. L’Inquisition mena l'enquéte et l'affaire remonta jusqu'à Rome. À l'issue d’un procès de deux ans, les quatre responsables furent brûlés à Berne en juin 1509. Jetzer eut la vie sauve, mais fut banni de l'Empire. Le franciscain Thomas *Murner, qui avait assisté au procès, publia contre eux un pamphlet particuliérement virulent, intitulé La Corporation des brigands (Der Schelmenzunft). 22, 66, 71 ; I, 22, 47 ; II, 38, 62, 63, 70.

Bernois (procès des) : voir ci-dessus. II, 67. Beschyrmung : voir * Défense de Dfefferkorn... Besicles (Les) : [Augenspiegel] cet ouvrage de Reuchlin, qui devint le symbole de la résistance humaniste aux théologiens scolastiques, commence par ces mots : « Excuse sincére de Jean Reuchlin, juriste de Sa Majesté Impériale l'Archiduc d'Autriche, de princes-électeurs et de princes, ainsi que de la Ligue souabe, contre et à l'adresse d'un libelle mensonger, récemment imprimé et publié par un juif baptisé, nommé Pfefferkorn. Besicles. » (Doctor Fohannsen Reuchlins der K. M. als Ertzhertzogen zu Osterreich auch Churfürsten vnd fürsten gemainen bundtrichters inn. Schwaben warhafftige entschuldigung gegen vnd wider ains getaufften iuden genant Pfefferkorn vormals getruckt vBgangen vnwarhaftigs schmachbüchlin. Augenspiegel) (Bócking, IX). Il est reproduit dans Johannes Reuchlin — Sámiliche Werke, vol. IV, 1, pp. 13-168. Le juriste y demandait que l'on ne confisque ni ne brüle les livres des juifs, mais au &rontraire, qu'on se serve du Talmud pour mieux comprendre la Bible. Le livre fut condamné par quatre universités, puis brülé en autodafé devant l'église Saint-André de Cologne, à l'initiative du curé de Francfort Pierre *Meyer. Il fut traduit par la suite en latin sous le nom de Speculum oculare par Jacques de *Questenberg, à la demande de *Léon X. Le terme Augenspiegel, qui signifie littéralement « miroir de l’œil », est attesté dans le sens de « besicles » dans la littérature du Xvr° siècle : Wie sollen air die augenspiegel an die nasen stecken ? (« Comment devons-nous chausser nos besicles ? » Paracelse, Chirurgische Schrifte, 318b). La couverture de

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

691

l'ouvrage est ornée d'une gravure montrant une magnifique paire de besicles, indiquant au lecteur que l'on va examiner sérieusement l'affaire de l'interdiction des livres des juifs. 17, 23, 33, 51, 58 ; 1, 5, 8, 10,

125:15,22; 21,35 5 Ib; 2; 455, 8/10; 11;12, 20; 24;:27, 28, 30, 43, 49; 53, 54, 55, 58, 63, 67, 68) Bild (Beatus) : voir *Beatus Rhenanus. Blanc : [albus] monnaie d'argent, frappée surtout en Rhénanie, et valant 24 pfennigs, soit le prix d'une grosse poule sur le marché. I, 39. Bock (Otto et Philippe de) : sans doute deux *officiaux de l'évéché de Mayence, fils d'un conseiller du duc Georges de Magdebourg. Ces deux fréres, reuchlinistes, furent immatriculés à l'université de Wittenberg en 1507. II, 55. Boéce : [Anilius Manlius Severinus Boethius, T 524] aristocrate de la cour de Théodoric et philosophe chrétien. Il fut accusé de trahison par l'empereur, emprisonné et finalement mis à mort. C'est pendant cet emprisonnement qu'il composa sa célèbre Consolation philosophique. Ses ceuvres comptent parmi les mieux conservées et transmises au Moyen Áge, alors que l'essentiel de la littérature antique avait été perdu. Ses traductions et commentaires d'Aristote devinrent ainsi l'une des sources principales de la scolastique, particuliérement dans le domaine de la logique. I, 24 ; II, 11. Bolzano (Urbano Valerio de) : voir *Urbain de Bellune. Bonaventure, saint (docteur séraphique) : [Jean Fidanza, 12171274], théologien franciscain né en Italie, exactement contemporain de *Thomas d'Aquin. Il étudia à Paris sous la direction d'*Alexandre de Halés, puis y enseigna à son tour jusqu'en 1257. Il publia une quantité considérable de traités et sermons. Il fut inscrit au catalogue des saints en 1482. 1; 11, 31 ; II, 28. Bonnes Lettres : ce terme, trés fréquent sous la plume des humanistes, désignait l'ensemble des lettres antiques profanes, dont l'étude avait été délaissée dans les facultés des *arts depuis la « révolution scolastique » du xir? siècle, au profit de la logique aristotélicienne (que l'on nommait généralement : dialectique). On les nommait aussi souvent les lettres « plus raffinées » (politiora) ou « plus humaines » (humaniora). Celui qui s'en réclamait s’affirmait de ce fait comme un « moderniste » ou en d'autres termes, comme un « poéte », et s'exposait sciemment au mépris des théologiens scolastiques. En revanche, il attirait la sympathie des humanistes. Ortwin Gratius se qualifiait « professeur des Bonnes Lettres ». 12, 56, 57, 63; 64; 116, 1235 I; 42 ; II; 68. Bouclier (des thomistes) : Bouclier contre les traits volant de tout côté vers l’immaculée et sacrée conception de la Vierge Marie... (Clypeus contra

692

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

iacula in sacram ac immaculatam virginis Marice conceptionem volitantia...) cet ouvrage, qui critiquait les positions des franciscains sur l'immaculée conception, avait été publié en 1489 à Leipzig par le dominicain Georges Orter de Frickenhausen (T 1497). I, 24. Brandtspiegel : voir * Miroir enflammé. Brant (Sébastien) : [1458-1521] humaniste trés combatif de la génération de Reuchlin. Il étudia à Bâle où il devint *bachelier ès arts en 1477 et docteur dans l'un et l'autre *droits en 1489. Auteur prolifique tant en droit qu'en littérature et en religion, il connut la célébrité immédiate avec la Nef des fous (Narrenschiff, Bâle, 1494), caricature moralisatrice en langue allemande de l’hypocrisie et de la bêtise de ses contemporains. Le livre fut traduit en latin par son éléve Jacques *Locher, trois ans aprés sa parution et devint l'un des plus gros succés éditoriaux du XVr? siècle. Brant enseigna à Strasbourg et à Bâle, puis se fixa à nouveau à Strasbourg, ou il devint syndic de la ville en 1500. Il y anima le cercle des humanistes avec *Wimpfeling, Jacques *Sturm et l'imprimeur Mathias *Schürer. Il défendit contre les dominicains la thèse de l'immaculée conception, pour laquelle il composa en 1498 un poème intitulé « Pour la défense de la conception virginale » (Pro virginalis conceptionis defensione). Dans divers poèmes, il qualifia les dominicains de « chiens enragés, bétail effronté, pauvres ànes », et autres noms choisis, ce qui lui valut leur haine inexpiable. 39, 60, 120 sg ; II, 9, 51, 68. Brassicanus (Jean) : [Kohlburger, vers 1470-1514] cet étudiant pauvre fut immatriculé en 1489 à Tübingen. Il y étudia les humanités auprès de *Bebel avec qui il resta trés lié par la suite. Il devint *maitre ès arts en 1493. En 1508, il publia une grammaire latine (Grammaticales Institutiones) qui connut un beau succés (douze éditions en quinze ans). Il devint notaire àTübingen en 1512 et y enseigna la grammaire et la philosophie jusqu'à sa mort. (Ne pas le confondre avec son fils Alexandre, né en 1500, qui succéda à Reuchlin comme professeur de grec à Ingolstadt.) 60 ; I, 11 ; IL, 9. Bricot (Thomas) : théologien de la Sorbonne, anti-reuchliniste, mort en 1516. II, 54.

Brulifer (Étienne) : Étienne Brülefer, théologien franciscain, natif de Saint-Malo. Il enseigna à Paris vers 1460. Ce disciple de *Duns Scot rédigea entre autres les Formalités selon la méthode de Scot (Formalitates secundum viam Scoti) et la Déclaration de l'identité et la distinction des choses selon Scot (Declaratio identitatum et distinctio rerum secundum Scotum). I, 24 ; II, 9. Brumann (Henri) : humaniste de Mayence, qui avait été élève d'*Aisticampianus, comme Hutten. II, 55.

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

693

Brunellus : le moine anglais Brunellus Vigelli publia, vers 1200, une satire contre les médecins, intitulée L’Âne ou le Miroir des fous (Asinus, sive speculum stultorum). Il est probable que Hutten ait choisi ce nom pour son médecin de farce. C'était également le nom du cheval de Buridan lorsqu'il fut nommé recteur de l'université de Paris, ainsi que le rappela opportunément Umberto Eco dans le Nom de la rose. I, 33, 34. Bruxellois (Georges) : [f 1510] théologien nominaliste de la Sorbonne qui fit florès à la fin du xv? siècle. Son œuvre majeure fut, en 1496, L’Interprétation trés facile de la logique d’Aristote (Facillima in Aristotelis logicam interpretatio... a magistro Thoma Bricot edita). Ses œuvres furent éditées par son ami Thomas *Bricot. II, 63. Burckhard : voir *Spalatin (Georges). Burckhart (Jean) : voir *Jésus (docteur). Buridan : [T 1358] théologien natif de Béthune, disciple de *Guillaume d'Occam. Recteur de l'université de Paris en 1328 et 1340, il fut à Paris, puis à Vienne (Autriche), l'un des chefs de file de l'école « *moderne » (nominaliste) dans la première moitié du XIV? siècle. II, 63. Bursa : voir *Pensionnat. Busch (Hermann von dem) : [1468-1534] ce noble, ancien élève de l'école des Fréres de la *Vie commune de Deventer et ami de Hutten, fut l'un des principaux soutiens de Reuchlin. Comme ses collègues, il transita par la plupart des universités allemandes : Rostock (1501), Cologne, Wittenberg (1503), Greifswald (1504), Leipzig où il devint bachelier en droit (1503), et dont il fut expulsé en 1511, comme son collègue *Æsticampianus. Il partit pour Magdebourg, d’où il fut chassé pour les mémes raisons. Un long périple l'amena jusqu'en Angleterre où il fréquenta John Colet. Il fut rappelé à Cologne par le comte humaniste Hermann von *Neuenahr. Poéte trés renommé, il se laissa convaincre par *Arnold de Tongres d'écrire un poème introductif à ses Articles..., dans lequel il persiflait ceux qui soutiennent les juifs. Quand il comprit que l'ouvrage était en fait dirigé directement contre Reuchlin, il fit amende honorable et se rangea résolument au parti de ce dernier. Il eut l'occasion de faire sa connaissance personnelle aprés le jugement de Spire et resta par la suite dans les meilleurs termes avec lui. Aprés les Lettres, il se rapprocha du parti luthérien. 17, 35, 41, 43, 49, 57, 59, 107,

N05. 514020275325 9834/:96; 39: 1I; 9»45,:46;51559. Butzbach (Jean) : voir *Piémont. Caesarius (Jean) : [1468-1550] étudiant pauvre à Cologne en 1491, il étudia ensuite à Paris auprès de *Lefèvre d’Étaples. Bachelier en 1496, puis *maître ès arts en 1498. Il enseigna pendant dix ans à *Deventer. En 1508, il accompagna le comte Hermann de *Neuenahr en Italie, où

694

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

il étudia le grec à Bologne. À son retour (1510), il commenga à donner à Cologne des cours privés de grec, qui eurent un succès considérable.

Parmi ses éléves les plus notables figurent *Glareanus, *Mosellanus, Agrippa de Nettesheim, Gérard Listrius et Henri Bullinger. *Erasme le tenait en haute estime. Entre temps, il obtint le doctorat en médecine à Sienne en 1512. Il fut également précepteur d'enfants de diverses familles nobles. Il se retira à la fin de sa vie dans une maison des Frères de la *Vie commune proche de Cologne. 19, 47, 48, 60, 110 ; L, 22, 33 ;

II, 9, 45, 46. Campis (Évrard de) : théologien, auteur d'un *Commentaire sur les livres des Sentences et de divers recueils de sermons. Il devint en 1519 abbé du monastére bénédictin Saint-Matthieu de Tréves. II, 63. Campo dei fiori : c'est sur cette place de Rome qu'étaient brülés les hérétiques. Bócking a pensé perfidement que c'était pour cette raison que *Hochstraten et *Meyer aimaient s'y promener. Mais c'était aussi à proximité de cette place que le cardinal Rafael *Riario avait fait édifier le nouveau palais qui abritait la Chancellerie apostolique ainsi que le tribunal de la *Rote. On affichait sur les portes principales de ce palais les diverses bulles, constitutions et autres décisions. Cela explique que le Campo dei ftori ait été trés fréquenté par tous les solliciteurs qui se pressaient à la *Cour pontificale. I, 48 ; II, 16, 23, 26, 66. Capnion : nom hellénisé de Reuchlin, signifiant littéralement : petite fumée (Reuchlin = Raüchlein). 61 ; I, 18 ; IL, 9, 34, 70. Carbach (Nicolas) : [Nicolas Fabri, vers 1485-1534]

se fit remarquer pour ses dons en grec à l'université de Leipzig. Il enseigna la littérature à partir de 1512 à l'université de Mayence. Il découvrit des manuscrits perdus de Tite-Live et travailla comme éditeur et correcteur avec Wolfgang *Angst chez l'imprimeur *Schóffer. 60 ; II, 9, 55. Carlin : petite monnaie d'argent romaine, valant 7,5 baiocchi (le baioccho étant la plus petite monnaie). Il valait donc un peu moins qu'un *jules. II, 16, 19, 26, 66. Carolus Virulus : [Manneken, T 1493] licencié et *maitre és arts à Louvain en 1432, il devint bachelier en droit canonique et en médecine en 1437. Pendant cinquante-six ans, il fut régent du collège du Lys. Il publia en 1474 son Art épistolaire (Epistolarum formule), qui connut une grande fortune pendant la fin du siécle. Les humanistes furent partagés à son sujet. *Bebel le tenait en piètre estime, mais *Érasme et Vivès furent plus nuancés et lui reconnurent des qualités. I, 7. Carvajal (Bernardino Lopez de) : [1456-1523] Ce prince de l'Eglise, docteur en théologie, d'origine espagnole, s'était distingué par son anti-humanisme militant. Il fut élevé à la pourpre (cardinal de

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

695

Sainte-Croix de Jérusalem) par AlexandreVI Borgia en 1493 et fut souvent chargé de missions diplomatiques de premier plan. Nommé légat pontifical en Allemagne en 1510, il séjourna à Cologne et s’y lia d'amitié avec Hochstraten. Il fut disgrácié par Jules II à cause de son róle dans l'organisation du concile de Pise, puis emprisonné par *Léon X et contraint à la rétractation publique, et finalement réhabilité. 39 ; II, 49.

Caspar : prédicateur anti-reuchliniste de Kempten. II, 40. Catena aurea : voir *Chaíne d'or. Catholicon : cet ouvrage, intitulé Summa quc vocatur catholicon... est un trés gros dictionnaire (latin-latin) composé par le dominicain Jean de Génes (Ioannes de Balbis de Ianua), achevé en 12806. Il est généralement précédé de cing livres traitant de l'orthographe, l'accentuation, l'étymologie, les figures et la prosodie. Il fut trés en vogue jusqu'aux temps de l'humanisme et fréquemment imprimé. Les humanistes le tenaient en piètre estime. I, 1, 25 ; II, 23, 49, 69.

Causa fidei : voir *Matière de religion. Celtis (Conrad) : [Pickel, 1459-1508] ce fils de paysan de Thuringe fut le type méme de l'humaniste vagant. Il parcourut l'Empire, du Rhin à la Baltique et de la Vistule au Danube, restant rarement plus d'une année dans la même ville. Il s'inscrivit à l'université de *Cologne le 14 octobre 1478 et y devint *bachelier le 1* décembre de l'année suivante. Il erra à travers l'Empire pendant cinq ans et devint *maitre ès arts en 1485 à Heidelberg. Dans la seule année 1486, il enseigna les humanités à Erfurt, puis à Rostock et la poésie à Leipzig. L'année suivante (18 avril), il fut couronné poète par l'empereur Frédéric III à Nuremberg (il était le premier Allemand à recevoir cette distinction). Il passa les deux années suivantes en Italie, où il rencontra entre autres Marsile Ficin (qui le convertit à son syncrétisme platonicien) à Florence et Pomponius Latus à Rome. De 1489 à 1491, il enseigna les mathématiques et les sciences à l'université de Cracovie, aprés quoi il obtint la chaire de *poésie et de rhétorique à celle d'Ingolstadt. En 1493, il fut recteur de l'école cathédrale de Ratisbonne. De retour à Heidelberg en 1495, il se fit recruter par le nouvel empereur Maximilien pour fonder une chaire de poésie et d'éloquence à Vienne où il se rendit en 1497. Miné par la maladie, il ne quitta plus Vienne, où il mourut. Au cours de ses pérégrinations, il

eut à cœur de réunir les humanistes dans diverses sociétés littéraires. Parmi les plus célébres, on citera la sodalitas rhenana de Strasbourg et la danubiana de Vienne. *Spiegel, *Sturnus, *Ursinus, *Collimitius et *Wimpfeling comptérent parmi ses meilleurs amis. 58, 99, 115 ; IL, 51. Chaîne d’or : [Catena aurea] nom donné à une compilation, rédigée par *Thomas d'Aquin, de gloses et de commentaires de divers Péres de

696

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

l'Église, tant grecs que latins, portant sur chaque chapitre des quatre Évangiles. Son titre complet est : Exposition continue sur les quatre Evangiles (Expositio continua super IV Evangelia). (1, 46) Chape : [cappa] partie noire du costume des dominicains, qui s'enfile par-dessus la tunique blanche, et sur laquelle est fixé la capuche. 355961162343; Chargé de cours : [cursor] *bachelier chargé des cours de l’aprèsmidi, alors que les maítres faisaient généralement cours (ordinaire) le matin. À la faculté de théologie, le chargé de cours était un bachelier en théologie, qui avait donc déjà accompli sept ans d'études, en plus de la faculté des arts. Ne pas confondre avec le « coursier » porteur de lettres. Ip2T5H39;:0$ 18:28:61 Clypeus contra iacula... : voir * Bouclier (des thomistes). Collimitius (Georges) : [Tanstetter, 1482-1535] natif de Rain en Baviére, il étudia à Ingolstadt et fut invité en 1503 par *Celtis et Stiborius à enseigner les mathématiques à Vienne. Astrologue réputé, aprés des études de médecine, il devint en 1510 médecin personnel de l'empereur Maximilien, puis de Ferdinand Ier. Il fut à plusieurs reprises doyen de la faculté de médecine et, en 1512, il fut élu recteur de l'université de Vienne. Il participa à sa société littéraire du Danube (Sodalitas danubiana). Ses prédictions astrologiques étaient réputées (il avait, par exemple, prédit la date exacte de la mort de Maximilien). Il publia divers ouvrages dans ces disciplines et mourut à Vienne en 1535. 59 ; IL, 9, 30. Cologne (université) : *Albert le Grand fonda, en 1228, le Studium generale dominicain de Cologne, où il enseigna la théologie, ainsi que son éléve * Thomas d'Aquin. L'université proprement dite fut fondée en 1388. Elle jouissait d'une grande autorité en Allemagne, de par son ancienneté et l'autorité de ses fondateurs. Elle était une sorte de capitale européenne de la théologie dominicaine. L’université de Louvain se considérait comme sa fille spirituelle. La faculté des arts comportait trois pensionnats principaux, dans lesquels les étudiants étaient obligatoirement résidents : les pensionnats de *Kuijk (cucanus, où enseignaient Gratius et *Sotphi), de *Mons (montanus) et de *Saint-Laurent (Laurentius, que dirigeait *Arnold de Tongres). 11, 25, 28, 37, 58 ; I, 39, 46 ; IL, 23. Commentaire sur les Sentences : exercice obligé, au terme de neuf années d'études, pour devenir licencié en théologie, puis docteur. Une fois achevé son temps de *bibliste, le bachelier devenait sententiaire car il devait enseigner et commenter les *Livres des sentences de Pierre Lombard pendant quatre ans à l'usage des étudiants débutants. On a recensé prés de 1 500 Commentaires des livre des Sentences rédigés au cours du Moyen Âge. Cet exercice est resté la régle pour les études de théolo-

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

697

gie catholique jusqu'au XX* siècle dans certains pays (en Espagne, par exemple). I, 11, 31. Compilations : [copulata] recueils dans lesquels on rassemblait par une reliure (copula) divers auteurs de la méme tradition scolastique ou du méme établissement. Les plus connues contenaient les traités de logique (Parva logicalia) de *Pierre d'Espagne et de *Marsile d'Inghen, à l'usage des étudiants en arts. Ces derniers étaient donc désignés par le sobriquet de copulatistæ (« compilatistes », traduit ici par « radoteurs »), par exemple au pensionnat de Mons à Cologne. D’où l'expression colnische copulat I, 11, 19, 46. Composition des mots : voir Jean de *Sinthen. Conciliabulum theologistarum : voir * Réunion des théologistes. Conclusions (séance de) : exercices de révisions scolastiques, qui avaient généralement lieu le samedi ou le dimanche dans les pensionnats.

135 48; II, H, 33. Conférence macaronique (La) : dialogue satirique, vraisemblablement écrit par Hutten en 1519 pour attaquer les théologiens de Cologne. Son titre complet est : Dialogue nouveau et merveilleusement comique, rempli des plaisanteries de certains hommes, embrassant non moins d'érudition que de macaronisme... (Dialogus nouus et mire festiuus ex quorundam virorum salibus cribratus non minus eruditionis quam macaronices amplectens... Il met en scène une rencontre fictive entre trois théologiens de Cologne (Gratius, Léopold et Gingolphe) et les trois héros de l’humanisme (Reuchlin, *Érasme et *Lefèvre d'Étaples). Le texte en est reproduit par Bócking, Suppl. I, pp. 301-316. Il a été édité et traduit en frangais à la suite des Funérailles de la Muse, Paris, Les Belles Lettres,

2001. (Bócking, XL) 50, 51, 89, 104, 117 ; I, 32. Confession des juifs (La) : de Pfefferkorn. Généralement nommé le Tudenbeicht. Son titre complet est un poéme rimé : « Je me nomme un petit livre de la confession juive. Dans tous les lieux on me trouve aisément. Je suis au courant de beaucoup d'informations nouvelles. Je vais me répandre dans tout le pays. À celui qui me lit, je souhaite le salut Mais pas d'étre dévolu aux juifs. » (Ich heyB eyn buchlijn der iuden beicht In allen orten vint man mich leicht Vill neuve meren synt myr woll bekant Ich will mich preyden in allen landt Wer mich lyst dem wunschen ich heyl Doch das ich den iuden nit werde tzu deyl)

698

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

On en connaît quatre éditions en 1508, il fut traduit en latin sous le titre de Libellus de Judaica confessione, siue sabbato afflictionis. Son texte allemand sera reproduit dans Johannes Reuchlin — Sámtliche Werke, vol. IV. 2;(Bócking 1I2)017524:5 1556: Conrad de Zwickau : Peut-étre Conrad Zwick, un important négociant de Constance, qui entra au service de l'évéque Hugo von Hohenlandenberg et devint l'intendant du couvent de Meerseburg, où il mourut en 1523. Son fils Johann, acquis à la cause de la Réforme, fut l'objet de rétorsions de la part de cet évéque. Par ailleurs, un Conrad de Zwickau fut immatriculé à l'université de Wittenberg en 1515. 53 ; I, 9, 1951208 Conséquences : voir *Marsile. II, 63. Consistoire : assemblée des cardinaux (éventuellement élargie), qui constituait le « sénat » du pape. Il traitait de toutes les affaires politiques, financiéres, judiciaires et religieuses importantes (par exemple des attributions d'évéchés et d'abbayes d'une valeur supérieure à 200 florins annuels). Il se réunissait environ trois fois par mois. 84 ; I, 2, 12.

Contre le sentiment parisien : [Contra Sentimentum Parrhisiense] libelle satirique, sans doute dü à *Crotus Rubeanus, publié en décembre 1514, persiflant la sentence rendue par la Sorbonne le 2 août 1514 contre Reuchlin. On peut penser que son titre (Sentimentum) est déjà une parodie de celui du rapport de la Sorbonne (Sententia). Il était composé à la maniére d'un placard judiciaire récapitulant un débat entre le défenseur de Reuchlin nommé Gloricianus (Henri *Glareanus Loriti) et son accusateur nommé Guillaume Pâté (Hackinetus, allusion transparente à Guillaume *Petit, le confesseur du roi de France). La lettre I, 35 est adressée à Guillermus Hackinetus et la lettre II, 38 parle du poète Glorianus. (Bócking, XVIII) Le texte en est reproduit par Bócking, Suppl. I, pp. 318-322. 42, 118 ; I, 35, 38. Cop (Guillaume) : cet humaniste bâlois devint *maitre és arts en 1483. Il étudia la médecine à Paris, où il devint bachelier en 1492 et doc-

teur en médecine en 1496. Médecin et chirurgien de Louis XII à partir de 1512, il resta celui de Frangois Ier. Il étudia le grec à Paris avec Lascaris et Jéróme Aléandre et traduisit notamment les écrits médicaux grecs de Paul d'Égine, Galien et Hippocrate. Très lié à Budé et à *Lefèvre d'Étaples, il défendit Reuchlin à la cour royale. *Érasme le tenait en haute estime, tant pour ses qualités morales que philologiques. 40 ; II, 37. Copiste : [copista] rouage inférieur de toute administration bureaucratique. Cette charge (achetée) serait l'équivalent de nos modernes «secrétaires administratifs » dont la tâche est de copier les documents que leurs chefs (les « rédacteurs ») leur dictent. Toutes les grandes adminis-

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

699

trations de la *Cour romaine en employaient en nombre variable, particuliérement la Chancellerie et la Chambre apostolique. II, 23, 27, 28. Copulata : voir * Compilations. Cornu : voir *Jean de Garlande. I, 7, 38. Corvin (Laurent) : [Rabe, vers 1465-1527] humaniste né à Neumarkt en Silésie. Il fut immatriculé en 1484 à l'université de Cracovie. Il enseigna ensuite dans sa ville natale, puis à Torün et Bratislava, où il eut pour élèves Copernic et *Bebel. En 1503, il devint notaire et rédacteur de la ville. Outre de nombreuses missions diplomatiques, il publia divers ouvrages, parmi lesquels le Tardinet des élégances (Hortulus elegantiarum, Leipzig, 1502), qui connut vingt-cinq éditions en dix-huit ans, et le dialogue La Langue latine (De latino ydiomate, Landshut, 1503), qui en connut vingt-cinq en vingt ans. I, 11. Cour romaine : ce que nous appelons aujourd'hui la « Curie » désignait initialement l'ensemble de la Cour du pape à Rome, avec tout son personnel administratif et religieux. Voir pp. 82-86 de la présentation. Courtisan (romain) : il s'agit des trés nombreux personnages qui gravitaient autour de la *Cour pontificale : administrateurs, financiers, juges, dignitaires ecclésiastiques. Les courtisans non romains étaient les innombrables solliciteurs qui séjournaient à Rome afin d'y négocier un bénéfice ou y régler un litige quelconque. Ce terme, ainsi que le précédent, se rencontre très fréquemment dans les lettres. Croke (Richard) : [1489-1558] helléniste anglais, qui fut d'abord l’élève de *Grocyn, puis étudia à Paris auprès de Jérôme Aléandre. Proche d'*Érasme, il édita avec lui l’Éloge de la folie chez Gilles de Gourmont. Il enseigna ensuite le grec à Cologne en 1515, puis à Leipzig, en 1516, où il publia ses Tableaux absolument nécessaires à ceux qui sont désireux d'apprendre davantage les lettres grecques (Tabulee græcas literas impendio discere cupientibus sane quam necessarie). Ill y fit la connaissance de nombreux humanistes allemands (notamment Hutten, Reuchlin et Conrad *Mutianus, qui le qualifia de « plus grec qu'anglais »). Il retourna en Angleterre, où il fut le premier professeur public de grec à Cambridge en 1520. Il publia la méme année sa leçon inaugurale (Orationes due, à Paris) et ses Introductions aux rudiments du grec (Introductiones in rudimenta græca, à Cologne). Ordonné prêtre en 1519 et docteur en théologie en 1524, il devint un familier du roi Henry VIII, qui l'envoya à Rome de 1529 à 1531 défendre la cause de son divorce. Il termina sa carriére comblé d'honneurs universitaires et ecclésiastiques. 59, 108 ; I, 6,35 ; II, 9, 58, 59. Crotus Rubeanus : [Johann Jäger, 1480-1545] fils d’un paysan de Thuringe, il devint *bachelier ès arts à Erfurt en 1500. Il fréquenta le

700

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

cercle humaniste de Conrad *Mutianus et de Hutten, avec qui il étudia à Cologne en 1505. Il retourna à Erfurt passer sa *maitrise ès arts en 1507. Il se fit connaître comme un poète très doué. Ordonné prêtre, il dirigea l’école attachée au monastère de Fulda de 1510 à 1515. Il passa son doctorat en théologie à Bologne en 1517, puis revint en Allemagne en 1520 où il enseigna la théologie à Erfurt. En 1524, il entra au service d’Albert de Brandebourg (le cousin de l’archevêque humaniste), grand maître de l’ordre teutonique, et résida en Prusse jusqu’en 1530. Il passa ensuite au service de l’autre *Albert de Brandebourg (l’archevêque de Mayence) et devint chanoine à Halle. Il n’adhéra jamais au camp luthérien, ce qui lui valut de se brouiller avec nombre de ses anciens amis, notamment *Eobanus Hessus. 11, 42, 51, 58, 59, 107, 108, 114 ; I, 38 ;

II, 9. Cuculle : capuchon des moines. I, 49 ; II, 63, 66, 67.

Cursor : voir *Chargé de cours. Cuspinianus (Jean) : [SpieBhammer, 1473-1529] humaniste né à Schweinfurt, il arriva jeune à Vienne, où il étudia la littérature auprès de Conrad *Celtis, puis la médecine. Il y fit des cours sur Salluste, Virgile, Horace et Cicéron. Il fut élu doyen de la faculté de médecine à quatre reprises et recteur en 1500. Son éloquence était renommée et il fut couronné poete en 1502. Aprés la mort de Celtis (1508), il dirigea la « société danubienne » des humanistes. L’empereur l’appela auprès de lui comme conseiller et lui confia de nombreuses missions diplomatiques, dont il tint la chronique dans son journal (Diarium...). Maximilien le tenait en si haute estime qu'il passait, selon le témoignage de *Gerbell, des nuits entiéres à discuter avec lui. Cuspinianus publia également de nombreux ouvrages, tant littéraires qu'historiques et politiques. On citera parmi les plus marquants son édition des Histoires de Florus (Vienne, 1511), celle d'Otto von Freising, et sa continuation par Ragewin. Il publia aussi L'Origine des Turcs, leur religion et leur abominable tyrannie sur les chrétiens... (De Turcorum origine, religione ac immanissima eorum in Christianos tyrannide...) et l'Ouvrage remarquable sur les Césars ainsi que les empereurs romains [germaniques] (De Ceesaribus atque Imperatoribus Romanis Opus insigne), publié après sa mort par Gerbell à Strasbourg (1540). 59, 99 ; II, 9, 30, 59. Daripinus : voir *Sibutus (Georges). Débat : (disputatio) exercice essentiel de la pédagogie scolastique, qui se déroulait oralement et en public. Il portait soit sur un seul sujet (questio), soit sur plusieurs (de quodlibet). Les débateurs échangeaient leurs arguments selon les méthodes syllogistiques et des citations d'au-

torités. Les professeurs en proposaient généralement des « corrigés » aux

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

701

étudiants au cours d'une séance postérieure. À partir d'un certain niveau, les étudiants étaient tenus d'y participer, sans quoi leur cursus n'était pas validé. Ces débats jouaient donc à peu prés le róle des « dissertations » écrites modernes. C'était aussi l'occasion de briller pour un maitre nouvellement arrivé — ou de déchoir, pour un maitre qui restait sans argument (réduit a quia). De nombreuses lettres sont des pastiches évidents de ces exercices. 13, 55, 64, 74 sq, 118 ; LI, 1, 7, 11, 13, 16, 26, 3538539, 42:46:51, 10; 14,17,:23, 25,26, 27, 325 33, 45,475 50, 55, 61, 63, 64, 67, 69. Decimator : voir *Zehender (Barthélemy). Décrétales : compilation de droit canonique, réalisée par le pape Grégoire IX au milieu du xir? siècle, pour compléter le Décret de Gratien. Avec leurs commentaires variés, ces sommes

constituaient la

matiére de l'enseignement des facultés de droit canonique dites de « Décret », et particuliérement de la plus prestigieuse d'entre elles, celle de Bologne. II, 64. Défense de Jean Pfefferkorn contre les diffamatoires. : libelle publié en 1516, aprés la premiere livraison des Lettres des hommes obscurs. Il commence par ces mots : « Défense de Jean Pfefferkorn (que l'on n'a pas brülé). Dénonce maints abus. LIaffaire louable qu'il a déclenchée. Dans son conflit contre Jean [Reuchlin] et contre les juifs infidéles avec leur allié. Lesquels ont lancé dans le monde la semence la plus ordurière et la plus stérile par des libelles manifestement outrageants. » (Beschyrmung Johannes Pfefferkorn (den man nyt verbrant hat) zeygt menniglichen an. den loblichen handell von ym geubt. zwyschen ym vnd wyder Johan Reuchleyn vnd der trulosen juden zusambt yren mithelffers. die wylche durch offenbaren smach bucher. den aller vnfletigisten vnd vnfruchbarlichsten samen in die Welt aufigeworffen haben.) Son titre latin, cité fréquemment dans le second volume des Lettres, signifie : »Défense de Jean Pfefferkorn contre les infamantes et criminelles Lettres des hommes obscurs, par leur provocation indigne, qui raconte presque toute l'histoire reuchlinienne engagée honorablement naguére par Sa Majesté César contre les juifs perfides, respectueusement dédiée au Tres Saint Pontife dans le Christ le Seigneur Notre Seigneur Léon X, pape par la providence divine, et aux trés révérends cardinaux, pas moins qu'à toute l'Eglise... » (Defensio Soannis Pepericorni contra famosas et criminales obscurorum virorum epistolas. indigna earumdem prouocatione. totam fere historiam Reuchlinianam a Cesarea maiestate. contra perfidos dudum Tudeos laudabiliter inceptam verissime describentis Sanctissimo in Christo pontifici D N D Leoni diuina prouidentia pape decimo reuerendissimisque Cardinalibus ac toti tandem ecclesie reuerenter dedicata...)

702

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

Elle est reproduite par Bócking, Suppl. I, pp. 81-176, et figurera dans Johannes Reuchlin — Sämtliche Werke, vol. IV, 2. (Bócking, XXI). 17, 42,

45, 104 ; I, 45 ; IL, 3, 9, 10, 14, 18, 21, 24, 25, 28, 30,34, 37, 45,50,515 52, 54. Défense de Jean Reuchlin... : publiée en 1513 par Reuchlin chez Anshelm à Tübingen (une autre édition identique est datée de 1514 : Défense de Jean Reuchlin de Pforzheim, docteur en droit, contre ses calomniateurs de Cologne (Defensio Joannis Reuchlin phorcensis LL. doctoris Contra calumniatores suos colonienses) Elle est reproduite dans Johannes Reuchlin — Sámtliche Werke, vol. IV 1, pp. 197-443. (Bócking, XIII). 36 ; I, 24, 38,

45. Défense du très éminent Jean Reuchlin... : son titre complet est : « Défense du trés éminent Jean Reuchlin, docteur dans l'un et l'autre droits, éditée à Rome sous la forme d'un dialogue par le révérend père Georges *Benignus, archevéque de Nazareth, mais aussi à partir des opinions des dix-huit hommes les plus sérieux, que Notre Trés Saint-Pére Léon, le souverain pontife, a chargés d'examiner les Besicles. » (Defensio preestantissimi viri Iohannis Reuchlin LL. Doctoris a Reuerendo patre Georgio Benigno Nazareno archiepiscopo Romæ per modum dialogi edita, atque ex opinione decem & octo grauissimorum virorum ad examinandum Oculare speculum a Sanctiss. D. nostro Leone P M. deputatorum...), Cologne, septembre 1517. Ce texte a été réédité par Elizabeth von Erdmann-PandZic dans Juraj Dragisic und Johannes Reuchlin : eine Untersuchung zum Kampf für die judischen Bücher, mit einem Nachdruck des Defensio præstanti viri Johannis Reuchlini (1517) von Georgius Benignus, Bamberg, Bayerische Verlaganstalt, 1989. 47. Delitzsch (maitre Andreas) : théologien de Leipzig. Il y fut enregistré comme professeur d'humanités en 1513 et 1519. En 1509, il avait orchestré la campagne qui aboutit à interdire l'enseignement de l'humaniste *Æsticampianus — chez qui Hutten avait été hébergé. I, 1, 17. Destruction de la Kabbale : ouvrage publié en avril 1519 par *Hochstraten pour réfuter la Science de la *Kabbale de Reuchlin. Son titre complet est : « Destruction de la Kabbale, ou de la perfidie kabbalistique, récemment publiée par Jean Reuchlin Capnion, adressée à Notre Trés Saint seigneur le pape Léon X par le révérend pére Jacques Hochstraten, grand professeur d'arts et de sainte théologie, et inquisiteur trés juste et trés vigilant de la perversité hérétique pour les provinces de Cologne, Mayence et Tréves, dédiée respectueusement à l'honneur de toute l'Eglise. » (Destructio Cabale, seu Cabalistice perfidie ab Ioanne Reuchlin Capnione iampridem in lucem edite. Sanctissimo domino nostro Leoni papæ decimo per Reuerendum patrem Iacobum Hochstraten. artium &

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

703

sacræ Theologice Professorem eximium. & hereticæ prauitatis. per Coloniensem. Maguntinam. Treuerensem prouincias Inquisitorem æquissimum. Vigilantissimumque. ad totius ecclesie honorem reuerenter dedicata.) à Cologne, chez *Quentel. (Bócking XXXV) 49, 58 ; II, 69. Deventer (école des Fréres de la *Vie commune) : cette école, destinée à l'enseignement du rrivium, fut la première fondée par les Fréres de la Vie commune de Gérard de Groote, à la fin du XIV? siécle. Un siécle plus tard, elle comptait plus de 2 000 éléves, parmi lesquels *Érasme, Ortwin Gratius (qui y enseigna), Jean *Cæsarius et Hermann UgBusch. 165 I;-1, 2; 6,0;20, 23; 32,.:46,47,48 51, 2, 5, 22, 27, 31; 39, 63, 66. Diamant des diamants : [Gemma gemmarum] dictionnaire latinallemand médiéval, trés usité. Il était composé à partir de l'*Anglais, Hugutius, Papias et du *Carzholicon. I, 1, 7, 21, 24, 25 ; II, 69. Dictionnaire abrégé : [Breviloquus Vocabularius] gros dictionnaire (latin-latin) publié par Reuchlin en 1478, pour l'inauguration de l'imprimerie du bálois Jean *Amerbach. Ce prototype des dictionnaires humanistes connut un grand succès puisqu'on n'en recense pas moins de vingt-cinq éditions jusqu'à 1504. Il est précédé de trois courts traités grammaticaux de Guarino de Vérone. Il débute par cette jolie citation du prophete Jérémie : À a a domine deus, ecce nescio loqui, quia puer ergo sum (« Ah, ah, ah ! Seigneur Dieu ! voilà que je ne sais pas parler, parce que je ne suis qu'un enfant ! » Térémie I, 6). 21, 100 ; I, 17, 18. Dictionnaire Étant-donné-que : [Ex quo Vocabularius] glossaire latin-allemand du Xxv* siècle, trés usité (on en connait deux cent cinquante manuscrits et une quarantaine d'éditions incunables). Il commengait par ces mots : « Étant donné que les dictionnaires d'auteurs reconnus

sont variés, à savoir l'Isidore [de Séville], le *Cazholicon, le

Hugutius, Y * Anglais, et que les autres livres sont coûteux à l'achat et prolixes en texte, mais trés obscurs à comprendre et trés nombreux, au point que les pauvres écoliers ont des difficultés à se les payer en raison de leur pauvreté, afin néanmoins qu'ils aient un accès plus aisé à la sainte Écriture en latin, en grec et en hébreu, le présent dictionnaire est composé pour leur usage et par nécessité, selon l'ordre alphabétique, de façon que le [terme] latin vient en premier, suivi par l'allemand, aprés quoi on a ajouté son genre et sa déclinaison ou sa conjugaison, ou bien la partie du discours à laquelle le mot se rapporte... » (Ex quo autentici vocabularij et varij sunt, videlicet Ysederus, Catholicon, Huicio et Brito aliique codices sunt in comparacione preciosi et in collacione prolixi, in intelleccione vero obscuri et e numero multi, ita quod pauperes scholares eosdem de facili et pro precio competenti racione eorum paupertatem habere ac sibi comparare non

704

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

valebunt, vt tamen eo facilius sacram scripturam latinale, grecum, ebraicum, pro vtilitate et necessitate collectus est presens vocabularius secundum ordinem alphabeti conscriptus, ita quod latinum precedat et teutunicum sequatur, post hoc cuius generis, cuius declinacionis uel coniugacionis seu cuius partis oracionis quelibet diccio fuerit, est annexum). Une édition critique de cet ouvrage essentiel a été réalisée sous le titre : Vocabularius ex quo, Überlieferungsgeschichtliche Ausgabe, Gemeinsam mit Klaus Grubmüller, hg. von Bernhard Schell, Hans-Jürgen Stahl, Erltraud Auer und Reinhard Pawis, Max Niemeyer Verlag, Tübingen (Texte und Textgeschichte, Würzburger Forschungen, 23-27), 5 volumes, 1988,1989. Le premier volume contient l'introduction et les quatre suivants, le texte. 100 ; I, 1, 35 ; IL,

58, 64, 66, 67. Dietrich de Gouda : [Theodoricus, T 1539] ce théologien de l'université de Cologne, grand pourfendeur d'hérétiques, avait été envoyé à Paris en mai 1514 par ses collégues, avec la mission de convaincre les théologiens de la Sorbonne de condamner Reuchlin. Aggripa de Nettesheim écrivit à son propos (lettre à *Aisticampianus) : « ils fabriquèrent avec la méme glaise un autre homme sans religion, sans culture, mais rusé et artificieux au point d'étre plus habile que leurs sycophantes, un moine de l'ordre des carmes. Ils l'ont récompensé de l’auréole théologique pour son seul mérite d'avoir lancé contre Capnion les calomnies des *Not’ Maîtres de Cologne, maintenant répandues sur toute la terre. » 100: 21515 8522 5I A

Digeste : également appelés Pandectes, compilation, réalisée sur l'ordre de l'empereur Justinien (au vi siècle), des plus de mille six-cents ouvrages des plus grands juristes romains des 1° et II? siècles. L'ensemble constitua les bases, tant théoriques que pratiques, du droit civil romain dans toute l'Europe jusqu'au XIX* siècle. II, 17, 63. Dioméde : grammairien latin du v? siécle, qui fut redécouvert au XV* siècle. Il fut imprimé à Venise vers 1476 par Jenson. II, 35, 47. Disciple : recueil de modèles de sermons, au titre plein de modestie : Les Sermons du disciple, rédigé en 1418 par le dominicain Jean Herolt. I, 31 ; II, 48. Disputatio : voir *Débat. Docteur irréfragable : voir *Alexandre de Haleés. I, 11. Docteur (saint) : voir *l'homas d'Aquin. Docteur séraphique : voir *Bonaventure. Docteur subtil : voir *Duns Scot. Doctrinale : voir *Manuel et *Alexandre de Villedieu. Donat : [/€lius Donatus] grammairien latin qui enseigna à Rome pendant la seconde moitié du IV? siècle ap. J.-C. Il compta notamment

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

705

saint Jéróme parmi ses élèves. Il fut, avec *Priscien, l'une des autorités scolaires du Moyen Age occidental. Quintilien, grande référence des classiques, fut redécouvert et remis à l'honneur par les humanistes. 17, 32,

43:215 12528; 63:64 Donation de Constantin (La) : le titre complet de cet ouvrage de Lorenzo Valla est La Donation de Constantin, qui lui est faussement et mensongérement attribuée (De falso credita et ementita Constantini donatione). Valla y démontrait, par la critique interne et externe, que cette prétendue donation de l'empire au pape Sylvestre par Constantin — « preuve » traditionnelle de la suprématie du pape sur l'empereur — n'était qu'un faux récent, rédigé par des copistes qui ignoraient tout de la langue administrative du Bas-Empire. 116. Dondi (Jacques de) : voir * Herbier. Droits (l’un et l’autre) : les deux droits étaient le droit civil et le droit canonique (religieux). Le second concernait entre autres toutes les affaires d’attribution de bénéfices, donc une part considérable des litiges assortis d’enjeux financiers énormes. Il s’enseignait surtout à Bologne. On était docteur 7» utroque jure quand on avait étudié les deux droits. 77 ; 19265 IE 8,56. Ducat : forte monnaie d'or vénitienne, d'une valeur à peu prés équivalente au *florin, donc au *gulden, pesant 2,52 g. 84 ; II, 48, 49, 68. Dungerfiheim : voir * Tungerfheim. Duns Scot (le docteur subtil) : [vers 1266-1308] théologien franciscain, né en Angleterre (ou en Écosse ?), mort et enterré à Cologne. Il est considéré comme l'initiateur du nominalisme en scolastique (l'école « moderne »). Il aimait à se faire nommer « le flambeau et la trompette des choses réelles » (Realium fax et tuba). Outre son Commentaire sur les Sentences, il écrivit entre autres des Sujets [de débats] quodlibétiques (Quæstiones quodlibeticæ), Sujets sur les universaux et les catégories et sur l'Interprétation d’Aristote (Quæstiones super universalibus et predicamentis et peri herments Aristotelis), La Façon de signifier ou grammaire spéculative (De modi significandi seu grammatica speculativa), Sermons sur les périodes [de l'année liturgique] et sur les saints (Sermones de tempore et de sanctis), Questions formelles (Formalitates). I, 1, 11, 14, 15 ;

1151254283 55568. Durand (Guillaume) : théologien dominicain né à Béziers en 1237, auteur notamment d'une Explication raisonnée des offices divins (Rationale divinorum officiorum) qui eut un tel succès qu'on l'imprima à Mayence des 1459. I, 46. Écrits : Écrits concernant le juif converti Jean Pfefferkorn (le curé Rapp), qui a été brûlé à Halle le 4 septembre (Den zu Halle am 4. September 1514.

706

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

verbrannte getauften Tuden Johannes Pfefferkorn (Pfaff Rapp) betreffende Schriften) (Bócking XIX). 42. Egbert de Harlem : professeur de philosophie et régent du collège À la porte du ciel (Himmelspforte) à Rostock, il recueillit et soigna Hutten chez lui en 1510 lors de ses pérégrinations de jeunesse. Il fut recteur de l'université en 1517. II, 24. Élégant (L) : [Facetus] ce traité de bonnes manières en vers pour les jeunes gens était présenté comme la suite des Disriques moralisateurs de Caton, attribué généralement au bénédictin Reiner l'Allemand (11551230). Il fut plusieurs fois traduit en allemand, notamment par Sébastien *Brant. Il débutait par ces mots : « Livre de l'élégant, enseignant les usages des hommes et particuliérement des jeunes gens, pour compléter ceux qui avaient été oubliés par Caton... » (Liber Faceti docens mores hominum precipue iuvenum, in supplementum illorum qui a Cathone erant omissi...) II, 16, 68. Engelhart (von) : voir *Valentin de Geltersheim. Engentinus (Philippe) : [Engelbrecht] immatriculé à l'université de Wittenberg en 1508-1509. Il fut un ami de Zasius. (cf. Lettre VII de Hutten aux Osthéne, Bócking, vol. I, p. 16) 59 ; II, 9. Ennemi des juifs (L7) : pamphlet de Pfefferkorn publié en 1509, souvent nommé JZudenfeind. Son titre complet est un poème rimé : « Je suis un petit livre, mon nom est L’Ennemi des Juifs. Je dis leur perversité et je ne veux pas en avoir honte. Elle a été cachée depuis longtemps, c'est ce que je veux expliquer. Je veux maintenant le mettre au jour pour tous les chrétiens Car je suis bien prémuni contre leurs écrits hébraiques Et je n'ai pas épargné la vérité à cette race pervertie. » (Ich bin ain Buchlinn der Juden veindt ist mein namen Ir schalckhait sag ich vnnd wil mich des nit schamenn Die lang zeyt verborgen gewest ist als ich thun bedeütenn Das wil ich 1etz offenbarn allen Cristen leüten Dann ich bin mit yren hebraischen schrifften wol v^wart Und dem verkerten geschlecht die warhaïit nit gespart.) Sa traduction latine s’intitule : Hostis ?udeorum hic liber inscribitur qui declarat nequicias eorum circa vsuras et dolos etiam varios qui in hunc vsque diem noti christianis non fuerunt Habet etiam in se hebraicas sententias vt ceci et maledicti iudei tanto apertius vel ex suis scripturis confundantur, Cologne, 1509. Il figurera dans Johannes Reuchlin — Sàmtliche Werke, vol.

IV, 2. (Bócking, VI, 2) 17, 25. Entrainement des enfants (L^) : l’'Entraînement grammatical des enfants, réparti selon leur âge (Exercitium puerorum grammaticale per dicetas

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

707

distributum), dont l’auteur n’est pas connu, était une grammaire pour débutants. Elle connut treize éditions à Haguenau entre 1485 et 1506.

I, 20 ; II, 46. Eobanus Hessus : [Helius Eobanus Koch von Hagelhausen, 14881540] fils d’un paysan au service de l’abbaye cistercienne de Haina, au nord de Marbourg (Hesse). Il se surnomma Helius car il était né un dimanche (jour du Soleil). Il s'inscrivit à l'université d'Erfurt en 1504, où il se lia rapidement avec *Crotus Rubeanus et Conrad *Mutianus. Une bagarre entre étudiants et artisans d'Erfurt lui donna l'occasion de publier son premier poème : « Le Combat des étudiants d'Erfurt » (De pugna studentium erphordiensium). Il récidiva à l'occasion de la peste de 1505 en célébrant « La Fuite des étudiants [et de leurs professeurs]

d'Erfurt » (De recessu studentium ex Erphordia). *Bachelier és arts en 1506, il publia alors les Louanges [...] du trés célébre collége littéraire d'Erfurt (De laudibus [...] celebratissimi gymnasiü litteratorii apud Erphurdia), puis de nombreux poèmes, tels que le « Bucolicon » et « Le Bonheur des amants » (De amantium falicitate). En 1509, devenu *maitre ès arts, il entra au service de Job de Dobeneck, ce qui lui donna l'occasion de séjourner en Prusse. Il reprit les études en 1513 à Francfort-sur-Oder, puis à Leipzig, où il publia ses « Silves » (Sy/ve) ainsi que ses Héroides chrétiennes (Heroides christiane), qui le consacrérent comme le meilleur poète de sa génération. Revenu à Erfurt, il y anima le cercle des humanistes et Reuchlin le sacra « roi des humanistes ». Il se lia avec Hutten. En 1518, il obtint un poste de professeur de « poétique et rhétorique ». Il entreprit alors un voyage mouvementé pour rencontrer *Érasme à Louvain, qu'il raconta ensuite dans son Récit de voyage (Hodoeporicon, 1519). Il prit ensuite la défense d'Érasme contre le théologien Edward Lee et baptisa la société des humanistes d'Erfurt : société érasmienne (Sodalitas erasmica). Il resta l'un des plus importants humanistes d'Erfurt et il inspira largement les idées de Luther sur la nécessité d'un enseignement humaniste, publiées dans An die Ratherren aller Stádte... En 1523, il commença des études de médecine, dans l'espoir d'augmenter ses revenus, mais il ne les acheva pas. En 1526, il partit pour Nuremberg, oü il enseigna pendant sept ans avec Joachim Camerarius dans le collége nouvellement fondé par *Melanchthon. On le vit ensuite enseigner à nouveau à Erfurt (1533-36), puis il se réfugia à Marbourg, ville plus tranquille. Il y composa une paraphrase en vers des psaumes que Luther apprécia fortement. C'est là qu'il mourut. 59, 106; I, 38 ; IL, 9, 45, 59. Éponge... :pamphlet d'*Érasme contre Hutten, publié en 1523 chez *Froben à Bále. Son titre complet est : « Éponge contre les éclaboussures de Hutten » (Spongia adversus aspergines Hutteni). 62, 110.

708

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

Érasme (Didier) : [1467-1536] bâtard d’un prêtre de Gouda, aux Pays-Bas, il entra vers neuf ans à l’école des Frères de la *Vie commune de *Deventer. À la mort de ses parents, alors qu'il avait dix-sept ans, ses tuteurs le « confièrent » au couvent des augustins de Steyn (ce qui leur permettait de récupérer son maigre héritage). Il y prononça ses vœux en 1488. Ordonné prêtre en 1492, il découvrit les Élégances de la langue latine de Lorenzo Valla, qui décidèrent de sa vocation humaniste. En 1495, il fut autorisé à venir étudier à Paris. En 1499, il fut accueilli à la cour d'Angleterre où il commença l'étude du grec. Après sa première édition des Adages (1500) et sa publication des Annotanons de Valla sur le Nouveau Testament (1505), il devient le champion de la lutte contre les scolastiques et leur latin barbare. Il séjourna de 1506 à 1508 en Italie où il se lia avec Alde Manuce et le cercle des hellénistes vénitiens. Aprés un nouveau séjour de deux ans en Angleterre, il rentra à Bâle en 1514. Ses relations cordiales avec Hutten se refroidirent après la publication des Lettres et devinrent franchement hostiles par la suite. En 1516, sa traduction latine du Nouveau Testament (Novum Instrumentum) déclencha les polémiques à propos de l'autorité de la Vulgate, qui durérent jusqu'à sa mort. Soutenu par *Léon X et courtisé par Luther (qu'il soutint pendant les premiers temps), il refusa toujours de prendre parti pour l'un ou l'autre camp, ce qui lui valut de se faire rejeter par les deux — puisque la totalité de ses œuvres furent mises à l'Index en 1559. L’ensemble de ses œuvres furent à son époque de grands succès d'édition, particuliérement les Adages, recueil de plusieurs milliers de sentences latines et grecques commentées, empruntées aux auteurs de l'antiquité. 11, 17, 43,

46, 48, 52, 57, 60, 97, 106, 108, 116, 121 sg 51, 5, 11, 42, 46, 48 ; II, 9, 12, 20, 33, 38, 40, 50, 51, 59, 64, 68. Esprit saint (précheurs de D") : ordre de style augustin, fondé à Montpellier en 1175. Il était consacré aux activités hospitaliéres et connut une grande diffusion jusqu'au XVr? siècle. Il comptait à cette époque plus de mille établissements et se trouvait à la téte d'une telle fortune immobiliére qu'il finit par créer sa propre banque en 1547,1e Monte Santo Spirito. I, 11. Étant-donné-que : voir * Dictionnaire Étant-donné-que. Etoile du Messie (I7) : [Der Stern des Messias]. Son auteur, Petrus Nigri [Peter Georg Schwarz, T vers 1484], était un théologien dominicain originaire de Bohéme. Il semble qu'il ait appris l'hébreu pendant ses études à Salamanque et à Montpellier. Aprés avoir enseigné à Ingolstadt, il fut appelé par Mathias Corvin à la nouvelle université de Buda. Outre le Bouclier des thomistes contre tous les adversaires de la doctrine du docteur angélique... (Clypeus Thomistarum adversus omnes doctrinae doctoris ange-

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

709

lici obtrectatores...), dirigé contre les nominalistes, il fit imprimer deux ouvrages violemment antijuifs. Le premier en latin, Contre les juifs perfides et sur les conditions du vrai Messie (Contra perfidos Judaeos de conditionibus veri Messiae, Esslingen, 1475), et le second, en allemand, L'Étoile du Messie (Der Stern des Messias, Esslingen, 1477). Ces deux derniers livres contiennent en appendice un alphabet et des rudiments de grammaire hébraique et sont sans doute les plus anciens exemples d'imprimerie en hébreu en Allemagne. 32. Etre et Essence (L^) : grand thème scolastique, illustré notamment par le De ente et Essentia, de *lT'homas d'Aquin. I, 42 ; II, 13, 50. Eucharius : [Henner] humaniste disciple de *Wimpfeling, qu'il défendit lors de sa querelle contre *Murner. Il fut chanoine à Spire et on connait de lui des lettres à *Érasme, *Pirckheimer et *Trithéme. II, 55. Évrard de Béthune : [Eberhardus Bethuniensi, T 1124] L'un des principaux auteurs de manuels scolaires médiévaux. Il était surnommé le « *Gréciste » (Græcista) à cause de sa célèbre grammaire glosée, commengant par ces mots : « Le Grécisme, ou bien le livre écrit en vers hexametres sur les figures et les huit parties du discours... » (Græcismus sive liber carmine hexametro scriptus de figuris deque octo partibus orationis...) en 27 chapitres et 4 500 hexametres. Il était également l'auteur du Labyrinthe (poème élégiaque) ainsi que des Misères des directeurs d'écoles (De miseriis rectorum scholarum). IL, 8, 35. Ex quo vocabularius : voir * Dictionnaire-Étant-donné-que. Examen des Écritures (D) : [Scrutinium Scripturarum] l'un des principaux ouvrages systématiques de réfutation du judaisme, rédigé dans la première moitié du xv? siècle. Son auteur, Solomon ha-Levi, juif espagnol converti, avait réussi une belle carriére dans l'Église, sous le nom de Paul de Sancta Maria, en devenant évêque de Carthagène, puis de Burgos, et enfin chancelier de Castille-Léon. Il mourut en 1435.31. Exégése anagogique : forme d'interprétation biblique trés usitée depuis les origines du christianisme, selon laquelle l'Ancien Testament (particuliérement les textes prophétiques) annongait le Nouveau. Elle était censée démontrer, contre les juifs, que Jésus était le Messie et le christianisme la vraie religion. Les Lettres fourmillent de pastiches de ce type d’exégèse, telles que : « Primo, vous demandez pourquoi nous autres, les fréres précheurs, nous chantons avec une voix plus puissante que les autres religieux. Je dis que je n'y vois pas d'autre raison que ce qui est écrit dans Isaie, 59 : *Nous rugissons tous comme des ours et nous gémissons comme des colombes." C'est pour cette raison que je crois que saint Dominique a voulu accomplir cette prophétie. » I, 28, 30 ; II, 67. Exercitium puerorum : voir *Entraínement des enfants (17).

710

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

Explication claire en allemand... (Une) : second ouvrage (après les *Besicles) publié en allemand par Reuchlin le 22 mars 1512, pour justifier ses conclusions d'octobre 1510 sur la question « Faut-il brûler les livres des juifs ? ». Son titre complet est : « Une explication claire en allemand du rapport de Jean Reuchlin sur les livres des juifs, déjà publiée auparavant en latin dans les Besicles. » (Ain clare verstentnus in tütsch vff doctor Johannsen Reüchlins ratschlag von den iuden büchern vormals auch zu latin imm Augenspiegel vBgangen). (Bócking, X). 35. Explication raisonnée des choses divines : voir Guillaume *Durandell5 52. Extra : [Extra Decretum] terme désignant les Décrétales du pape Grégoire IX. II, 63. Fabri (Nicolas) : voir *Carbach (Nicolas). Face-à-main : [Handtspiegel] second libelle de Pfefferkorn, publié en avril 1511, contre les conclusions de Reuchlin d'octobre 1510. Il commence par ces mots : « Face-à-main de Jean Pfefferkorn adressé et opposé aux juifs et aux écrits juifs talmudiques. Sur la maniére dont ils chantent et lisent l'ordre chrétien. Ceux d'entre eux qui peuvent en toute justice étre comptés, appelés, condamnés et détruits, en tant que blasphémateurs, coupables d'hérésie et de superstition selon l'Ancien et le Nouveau Testament et selon la loi naturelle. » (Handt spiegel Johannis Pfefferkorn vider vnd gegen die Füden vnd Judischen Thalmudischen schrifftenn So sie uber das Cristenlich Regiment singen vnn lesen Welche pillich Gots lesterer ketzer vnd aberglauber des alten Newen vnd des Naturlichen gesetzen gezelt geheissen verthümbt vnn abgethan werden mógen.) Il sera reproduit dans Johannes Reuchlin — Sämtliche Werke, vol. IV 2. (Bócking, VIIT). 33 ; II, 14, 18. Facetus : voir *Élégant (L7). Facha : voir *Balthasar de Facha. Faculté des arts : faculté élémentaire de l'université, dans laquelle l'étudiant se perfectionnait en latin, logique et sciences (zrivium puis quadrivium), avant de devenir *bachelier, puis *licencié, et enfin *maître ès arts. Il pouvait ensuite envisager de poursuivre ses études dans l'une des trois facultés supérieures de droit, médecine ou théologie. Les facultés n'étaient pas de vastes bátiments abritant toutes les disciplines, comme aujourd’hui, mais des ensembles de collèges (ou pensionnats) autonomes, dont le nombre pouvait s'élever à plusieurs dizaines comme à Paris. 16, 18, 5550725311550D479520525 NIE 8I Falckenberg (Matthias de) : peut-être déjà l'auteur fictif de la lettre I, 44. On ne connait pas le modèle de ce capitaine Fierabras antireuchliniste. II, 55.

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

TM

Fascicule des périodes... (Le) : le titre complet de cet ouvrage est : « Le Fascicule des périodes, contenant toutes les chroniques des anciens, admis par la sainte université de Cologne » (Fasciculus temporum, omnes antiquorum cronicas complectens, admissus ab alma universitate Coloniensi), écrit par Werner Rolewinck de Westphalie, chartreux de Cologne, mort e€91502. IL, 31. Fastnacht de Urba : voir *Urbanus (Henri). Fettich (Theobald) : humaniste né à Kaiserslautern. Il a probablement étudié à Cologne vers 1500 et fut immatriculé à Heidelberg en 1510. Médecin de Wolfgang von Affenstein, à Worms, il possédait un manuscrit des huit livres de la Géographie de Ptolémée en grec seul, qu'*Érasme édita chez *Froben en 1533. 60 ; II, 9, 12. Fleuri (Le) : [Floretus] poème moralisateur attribué à Bernard de Clairvaux (saint Bernard), fréquemment étudié dans les écoles. II, 68. Fleuriste (Le): [Florista] nom d'une grammaire rédigée par Ludolfus de Lucknow, chanoine à Hildesheim, dont le titre réel était Les Fleurs de la grammaire (Flores grammatice). 73 ; II, 68. Fliscus (Étienne) : [Stefano Fieschi] né à la fin du XIV? siècle, cet humaniste fut cinq ans secrétaire de l'évéque de Lisieux. Il étudia ensuite à Pavie auprès de Gasparino Barzizza (T 1430). En 1441, il fut nommé chancelier à Raguse, oü il fut recteur du collége pendant quinze ans. Il occupa les mémes fonctions à Venise en 1460. Il publia de nombreux traités de grammaire, qui furent tres appréciés et souvent traduits, notamment en Allemagne, parmi lesquels : Les Synonymes des mots (Synonyma verborum) ; Les Synonymes ou les variations des phrases (Synonyma seu variationes sententiarum), dans lequel il proposait par exemple douze manières différentes d'exprimer la phrase Deus nos adiuvet (Dieu nous aide) ; Les Expressions de l'élégance latine (Phrases elegantie Latine) ; La Composition des lettres (De componendis epistolis) ; Grammaire (Regulas summaticas sive opus grammaticum). II, 68. Fleuvs des lois (Les) : [Flores legum] cet ouvrage était un index alphabétique des autorités en matiére de droit civil, accompagnées de citations, donc un « florilege ». II, 12. Floretus : voir *Fleuri (Le).

Florin rhénan : monnaie d'or équivalente du *Gulden et du *ducat. 20941159:125,:275 36339344 LI, 35:12:19; 26527529, 30, 55566: Florista : voir *Fleuriste (Le). Formalités (Les) : voir *Duns Scot. I, 15, 55. Formé : voir *bachelier. Fortalitium fidei : voir * Renforcement de la foi (Le). Fréres de la Vie commune : voir *Vie commune.

712

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

Froben (Jean) : [1460-1527] né en Franconie, il travailla d'abord comme correcteur chez Koberger, à Nuremberg, puis chez *Amerbach à Bále. Devenu bourgeois de cette ville en 1490, il s'y établit comme imprimeur l'année suivante. Il se spécialisa d'abord dans les ouvrages de luxe tels que les grandes Bibles #n-folio. En 1494, il s'associa avec Jean Petri (+ 1511), puis en 1502, avec Amerbach (t 1513). Avec la publication des Adages d'*Érasme en 1513, il devint un ami trés proche de ce dernier et se spécialisa dans l'édition humaniste, notamment grecque — en digne continuateur d’Alde Manuce, à qui il emprunta les petits formats et l'italique — et hébraïque. Il imprima par la suite la quasi-totalité des œuvres d'Érasme (par exemple le Novum Instrumentum de 1516). Son atelier fut l'un des plus actifs du groupe des imprimeurs humanistes bálois. 15, 60, 110 ; II, 9,

33, 503594 Galatinus (Pierre) : voir *Ouvrage trés utile... Ganda (Dietrich de) : voir *Dietrich de Gouda.

Geltersfjeim : voir *Valentin de. Gemma gemmarum : voir * Diamant des diamants (Le). Gemmingen (Uriel von) : voir *Uriel von Gemmingen. Gerbell (Nicolas) : [T 1560] fils d'un peintre de Pforzheim (la patrie de Reuchlin), il commenga ses études à Vienne, puis à Cologne à partir de 1506. Il enseigna le droit à Vienne, ou il se lia avec *Cuspinianus et fréquenta le « collège des poètes », sous le pseudonyme de Musophilus. Il obtint son doctorat en droit à Bologne en 1513. Reuchliniste trés actif, il collabora avec les imprimeurs Mathias *Schürer de Strasbourg et Thomas *Anshelm de Haguenau. Il s’établit à Strasbourg (où il se maria en 1525) et y mena une vie trés active comme enseignant, historien et antiquaire. Il passa à la Réforme et poursuivit une activité éditoriale importante. On lui doit notamment l'édition de la Description de la Gréce de Sophianos (à Bále, 1545, chez Oporinus), qu'il réédita et augmenta substantiellement en 1550. Il mourut trois mois avant son ami *Melanchthon. 60 ; II, 9, 59, 63. Gereander : [Altmann ?] humaniste de Salzbourg, versé en latin et en grec, à qui Melanchthon* dédia son Térence en 1516. 60 ; II, 9. Gilles de Viterbe : [1465-1532] entré dans l'ordre des augustins à l’âge de dix-huit ans, il étudia la théologie à Padoue, où il suivit l'enseignement d’Agostino Nifo. Il se passionna dès lors pour Platon, ce qui l'amena à faire la connaissance de Marsile Ficin et de Pic de la Mirandole. Il partagea avec ce dernier (et Reuchlin) un intérét passionné pour l'hébreu et la Kabbale. Il fréquenta aussi le cercle humaniste napolitain de Pontano et Sannazaro. AlexandreVI remarqua son éloquence et lui confia diverses missions diplomatiques. Jules II le fit général de son

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

713

ordre en 1506, charge qu'il occupa pendant plus de dix ans. Ces honneurs contrariaient son goüt marqué pour la vie érémitique et les études, mais il ne cessa jamais d'étudier ni d'écrire, quoique publiant trés peu. On lui doit entre autres un commentaire platonicien des Sentences de Pierre Lombard (Sententiæ ad mentem Platonis) une Histoire des vingt siècles (Historia viginti seculorum) et le traité kabbalistique Scechina. *Léon X entretint avec lui des relations cordiales et lui confia à son tour des missions diplomatiques, notamment auprés de Maximilien. Enfin, il prit activement part à la défense de Reuchlin. Léon X l'éleva au cardinalat. 43, 51, 63.

Glareanus (Henri) : [Loriti, 1488-1563] né à Mollis, prés de Glaris, en Suisse, il étudia à Rottwril (Wurtemberg) en compagnie de Myconius, Berchtold Haller et Melchor Volmar. Il se lia d'amitié avec Zwingli. On le trouve inscrit au pensionnat de *Mons de l'université de Cologne en 1507. Il fut couronné poète par Maximilien en 1512. Reuchliniste actif, il fut accueilli en 1514 à Bâle par *Érasme comme le meilleur des humanistes suisses et resta en relations constantes avec lui. Il dirigea des pensionnats à Bále, Paris, Bále de nouveau, et Fribourg. On lui doit de nombreux ouvrages de littérature profane (Panegyricum) ; d'histoire ; de géographie : Description de la Suisse, (Descriptio Helvetice), La Géographie (De Geographia), Les Régions selon Ptolémée (De regionibus extra Ptolemcum) ; de mathématiques : Abrégé des six espèces de pratique arithmétique (De sex arithmeticæ practice speciebus epitome) et de musique : Introduction à la musique (Isagoge in musice), Dodecachordon. 42, 60 ; IL, 9, 38, 66. Glose remarquable : [Glosa notabilis] voir *Sotphi. I, 3, 5, 19 ; II, 36: Gouda : voir *Dietrich de, ou *Jacques de. Græcismus : voir *Évrard de Béthune. Grammaire : [grammartica regularis] la première des trois disciplines (trivium) étudiées dans les écoles et au niveau élémentaire de la faculté des *arts (premier cycle). C'était une initiation au latin. D'ailleurs, l'instituteur était généralement nommé grammaticus, ce qui signifiait « latiniste » (IL, 28, 46). Le * Dictionnaire Étant-donné-que traduit : Gramaticus eyn latin koner. Le grand modèle antique de la grammaire était les Institutions de Quintilien, repris à la fin de l'Empire par *Donat et *Priscien. Le Moyen Âge ne les connut généralement que par les versions vulgarisées, composées par *Alexandre de Villedieu, *Évrard de Béthune et consorts, dont les élèves apprenaient les œuvres par cœur. Les humanistes combattirent vigoureusement pour réhabiliter le Quintilien authentique. 73 ; I, 5, 7 ; IL 1, 13, 28, 31, 35, 63, 64.

714

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

Grammaire spéculative : Souvent appelée « modiste », ce type de grammaire (exclusivement latine, elle aussi) se distinguait radicalement de la grammaire « philologique » scolaire évoquée dans la notice précédente. Elle fut développée à partir d'Abélard, au xir? siècle. Elle cherchait à fonder le sens « universel » des termes sur leur adéquation aux concepts, substances et attributs, donc sur la métaphysique (aristotélicienne) et, en dernier ressort, sur la théologie. Ce type de spéculations connut son plein essor avec Roger Bacon (Summa grammatica, 1245), puis Martin de Dacie (De Modis significandi, vers 1270) et surtout Thomas d'Erfurt (De Modis significandi sive grammatica speculativa, vers 1350). Les humanistes la détestaient car elle faisait totalement perdre l'appréhension littéraire de la langue et de la poésie et s'égarait facilement dans les marécages des étymologies délirantes et des associations phonétiques, que Platon dénongait déjà dans le Cratyle. Ils reconnurent comme remède à cette dérive les Élégances de la langue latine de Lorenzo Valla, publiées au milieu duxvésècle 25: Grand Rue: traduction littérale du nom de Jacques de *Hochstraten. I, 10, 40, 48 ; II, 20, 40, 49, 53, 62. Grécisme : voir *Évrard de Béthune. IH 8: Gréciste : voir *Évrard de Béthune. EE, 355:608« Greyfer (Jean) : inconnu à ce jour. II, 66. Grimani (Domenico) : [1461-1523] cardinal de Saint-Marc, ce fils d'un patricien vénitien étudia à Padoue et obtint son doctorat en droit canonique en 1487. Trés lié au groupe des humanistes florentins (Politien, Pic de la Mirandole) et au cercle d'Alde Manuce, il fut créé cardinal à l'àge de 32 ans (les mauvaises langues disent que son pére paya 30 000 ducats pour cela). Il fut l'un des deux cardinaux (l'autre étant Pierre *Accolti d'Ancóne) chargés par *Léon X d'instruire l'Affaire Reuchlin, aprés le jugement de Spire. Il défendit l'humaniste autant qu'il le put. Grand bibliophile, il laissa à sa mort une bibliothéque de 15 000 volumes;4T, 51; 63.;1155, 244 38,53: Grocyn (William) : [T 1519] il étudia au New Collége d'Oxford à partir de 1467. Il fut le tuteur de William Warham, le futur archevéque de Cantorbéry. *Maitre és arts en 1474, il partit passer deux années en Italie en 1488. Il étudia le grec à Florence, en compagnie de *Linacre et Latimer, auprès de Démétrios Chalcondylas et Ange Politien. Il se lia également avec Alde Manuce. *Bachelier en théologie en 1491, il fut le premier Anglais à enseigner le grec. Il eut notamment comme éléves Thomas More et Richard *Croke. Il devint ensuite professeur de théologie à Londres, au pensionnat Saint-Paul, dont John Colet était doyen. Il se lia d'une grande amitié avec *Érasme, qu'il présenta à son protec-

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

115

teur William Warham. Érasme le considérait comme le meilleur soutien de Reuchlin en Angleterre. 62 ; I, 35. Groote (Gérard) : voir *Deventer et *Vie commune. Groschen : [grossus] le * Dictionnaire Étant-donné-que indique : grossus grob uel eyn grosch. Il valait 12 pfennigs, donc à peu près le vingtième d'un florin. C'est l'équivalent du « gros » français. II, 22. Guida (Jean) : humaniste et poéte de Sélestat. Il travailla avec *Wimpfeling à l'édition de la Germania d'/&neas Silvius Piccolomini (1515). Il était également membre de la société littéraire humaniste de Strasbourg. II, 63. Guilelmites : ordre d'ermites, d'origine italienne, qui connut une grande vogue à la fin du Moyen Âge. Ils furent rattachés aux cisterciens. *Wimpfeling se retira quelques temps dans un de leurs ermitages.

1591; 36. Gulden : [aureus] monnaie d’or pesant 2,52 g, équivalant à un *florin florentin (ou à un *ducat vénitien), qui donnerait par la suite naissance au thaler. Il valait 21 groschen, donc 252 pfennigs. 20, 22 ; I, 44 ;

II, 7, 26, 48. Hackinetus : voir *Petit (Guillaume). Han (Henri) : cet anti-reuchliniste acharné se nommait sans doute Lecoq (Hahn), mais Bócking avoue qu'il ne peut rien en dire d'autre. II,

55 Handtspiegel : voir * Face-à-main. Haut-Pays : [pars superiora] V Oberland, donc la Suisse. 17 ; II, 3, 4,

37, 43, 45, 59, 66. Heckmann de Franconie

(Jean) : ce théologien, alors qu'il était recteur de l'université de Vienne (en 1511), avait fait expulser Hutten qui arrivait de Moravie et tentait d'y travailler comme "maitre, sans être immatriculé à l'université. I, 14 ; II, 9, 30. Henri de Hassia : un des 1 500 docteurs en théologie auteur d'un *Commentaire sur les Livres des Sentences. I, 31. Henri (pensionnat d") : établissement de la "faculté des arts de Leipzig, recrutant spécialement une clientèle noble. I, 44. Herbier (D) : Catalogue d'herbes médicinales composé au XIV* siècle par Jacques de Dondi de Padoue. I, 33. Heures de la sainte Vierge : livre de prières pour toutes les heures de la journée, dédiées à la Vierge Marie. Ces livres connurent une très grande vogue à la fin du Moyen Âge, accompagnant le développement de la dévotion mariale. II, 12. Histoire de Jésus (D) : [Toledoth Yeshuh] ouvrage d'époque rabbinique tardive, considéré par les juifs comme apocryphe au dire de

16

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

Reuchlin lui-méme, rapportant une tradition selon laquelle Jésus aurait été le fruit des amours coupables de Marie et de son suborneur Pardéca (Pappus ou Jochanan, selon d'autres versions). Il en existe une édition française sous le titre Jésus raconté par les Juifs, ou l'Evangile du ghetto, la légende juive de Jésus du 1 au X* siècle, par Jean-Pierre Osier, Paris, Berg international, 1984. 27, 32. Hochstraten (Jacques) : [1455-1527] son nom, d'origine flamande (Jacob Hoogstraeten), est fréquemment orthographié Hoogstraaten et se rencontre dans les écrits de l'époque sous sa traduction latine de Alta Platea (de la Grand-Rue) — *Érasme et Ulrich von Hutten le surnommérent pour leur part le « chat-huant ». Immatriculé en 1482 à l'université de Louvain, il y devint *maître ès arts trois ans plus tard. Il y enseigna pendant quelques années la philosophie et y commenga ses études de théologie, qu'il poussa jusqu'au grade de *bachelier biblique. Il entra chez les dominicains et se fit ordonner prétre avant de partir pour Cologne (1496). Il y passa sa *licence en théologie en 1503 et son doctorat en 1504. Il fit ses premiéres armes anti-humanistes en écrivant contre *Pierre de Ravenne (Tustificatio... dissolvens rationes... Petri Ravennatis, Cologne, 1507 ; Defensio scolastica, 1508 ; Purgatorium detractorum, 1509). En 1510, il devint supérieur du couvent des dominicains de Cologne, avec la fonction de Grand Inquisiteur. Il fit condamner à mort en 1512 à Utrecht le médecin Hermann de Rijswijk, pour hérésie averroiste, puis se consacra à la lutte contre Reuchlin. Il le convoqua par-devant l'Inquisition de Mayence en 1513 etle condamna par contumace, à la suite de quoi les théologiens de Cologne brülérent les Besicles. Condamné lui-méme par le chanoine Truchsess à Spire en 1514, sur ordre de *Léon X, il partit pour Rome, avec des fonds collectés en Allemagne, pour tenter d'obtenir la révision du procés de Reuchlin. Il y séjourna trois ans sans succès. En 1518, il publia une *Apologie contre Georges *Benignus, puis la *Destruction de la Kabbale contre la Science de la *Kabbale de Reuchlin. Par la suite, il participa tout aussi activement à la lutte contre Luther et Érasme. 17, 26, 28, 35, 41, 44, 48, 51, 53, 56,

65 51,5, 8, 10,:1215112348;:19522:/4 1541; 29495546585 I0902521d beo! 24, 26, 27, 32, 33, 34, 40, 43, 49, 50, 53, 55, 61, 62, 66, 67, 68. Hostis Judceorum : voir * Ennemi des juifs (L7). Hugo : peut-étre l'un des deux théologiens dominicains Hugo de Prato florido (prés de Florence) (T 1322) ou Hugo de Strasbourg ; ou le franciscain Hugo de Sélestat, théologien de l'école de Bonaventure. II,

18. Humaniste : ce terme, rarement utilisé dans les Lettres, désignait initialement en Italie (wmanista) une personne qui se consacrait à l'étude

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

717

des auteurs latins et grecs de l'Antiquité, par opposition aux « philosophes » et aux théologiens, qui méprisaient radicalement toute littérature. Le mot peut souvent être entendu comme « poète ». 11 sq. ; I, 7, 42,

46 ; II, 58. Humanités : c'est l'ensemble de la littérature antique (donc paienne), considérée par les humanistes comme anti-modèle de la culture scolastique (donc religieuse). Tous les grands docteurs antiques de l'Eglise, à commencer par Jéróme (pour les Latins) et Basile (pour les Grecs) ont été écartelés entre leur goüt pour cette littérature et sa condamnation radicale par le christianisme. I, 17 ; II, 46, 61, 68. Huttich (Jean): [1480-1544] en 1506, il étudiait auprés d’*Æsticampianus à l'université de Francfort-sur-Oder, en compagnie de Hutten et d'*Angst. Il suivit son maitre à Leipzig, d’où il dut fuir lors du conflit de 1511. Il partit alors pour Mayence, où il se lia avec *Beatus Rhenanus et devint vicaire de la cathédrale. Il travailla souvent comme correcteur chez Schóffer. En 1521, il acheta la bourgeoisie à Strasbourg et consacra sa vie à des travaux d'érudition et d'archéologie, ainsi qu'à des œuvres de bienfaisance. Il était surnommé « antiquartus ». 60; II, 9, 55. Infortiat : partie centrale du * Digeste de Justinien (livres 25 à 38).

IE. 15. Institutes : manuel latin condensé d'enseignement du droit, faisant partie du Corpus juris civilis de Justinien (élaboré en 534). Il fut utilisé pour enseigner les rudiments du droit civil (romain) dans toutes les universités de l'Europe médiévale. II, 15. Irréfragable (docteur) : voir *Alexandre de Halès. Jacques de Gouda : [Jakobus Magdalius, T 1520] natif des Pays-Bas, ce dominicain s'établit à Cologne vers 1470 et y devint professeur de musique et de *poésie. À ce titre, il fut professeur de Hutten. Il enseigna ensuite la théologie. Ses collégues lui attribuaient une réputation d'érudition extréme, y compris en grec et en hébreu. Il composa, comme Hermann *Busch, un poéme introductif pour les Articles... d'*Arnold de Tongres. Il déclara par la suite qu'il avait été contraint par son prieur Hochstraten à composer ce poéme malgré lui, mais Reuchlin ne lui pardonna jamais cette trahison. I, 11. Jean de Bratislava : [Borscus] on ne connait cet humaniste que par une lettre de *Pierre de Ravenne (datée de 1508) à Ortwin Gratius, dans laquelle il loue vigoureusement son ouvrage de « discours quodlibétiques ». I, 7. Jean de Garlande : Poète et grammairien anglais du milieu du xr siècle. Il comptait parmi les grands auteurs « anciens » de manuels scolaires que l’on utilisait encore couramment au début du xvr' siècle. On

718

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

lui doit notamment : Verba deponentalia ; Synonyma ; Equivoca ; Nomina et verba defectiva. Il composa aussi un recueil de distiques moraux intitulé

Cornutus sive antiqua distigia (en hexamètres). Les humanistes le considéraient comme encore plus délirant qu'*Évrard de Béthune. I, 7 ; II, 35. Jésus (docteur) : [Jean Burckart, T 1536] Immatriculé en 1503 à Heidelberg, ce dominicain poursuivit ses études de théologie à Fribourgen-Brisgau. Il devint *bachellier biblique en 1506, sententiaire en 1511, licencié en 1512 et docteur en 1512. Il s’installa l'année suivante à Strasbourg, où il devint l’un des prédicateurs les plus en vue. Il participa notamment aux grandes controverses contre Luther. II, 69. Judenbeicht : voir * Confession des juifs (La). Judenbiüchlein : voir * Petit Livre des juifs (Le). Judenfeind : voir * Ennemi des juifs (L7). Judenspiegel : voir * Miroir des juifs (Le). Jules : monnaie d'argent de 3,2 g, frappée par Jules II, et valant 10 baiocchi (soit 1/10 de *florin), donc un peu plus qu'un *carlin. II, 26. Kabbale (La Science de la) : [De arte cabalistica] livre publié par Reuchlin en mars 1517, sous la forme d'un dialogue entre un juif (Simon), un musulman (Marranes) et un pythagoricien (Philolaus). Comble de provocation, la scène se passe à Francfort, dans la maison du

juif. L'ouvrage comprend trois livres : le premier et le troisiéme constituent un exposé complet de la Kabbale, le second expose le pythagorisme. Il s'agit de démontrer que les enseignements de la Kabbale s'accordent avec les spéculations pythagoriciennes pour éclairer les mystères de la divinité par la transformation du tétragramme juif IHWH en pentagramme chrétien I,H/SH/W/H, c'est-à-dire le nom de Jésus, par adjonction de la lettre s/n. L’ouvrage fut apprécié par *Léon X. Reuchlin rappelait au pape, dans la préface, qu'il était l'ancien éléve de Marsile Ficin et surtout de Pic de la Mirandole, son maitre és sciences kabbalis-

tiques. *Hochstraten en publia une réfutation deux ans plus tard (*Destruction de la Kabbale) en s’efforçant de réunir dans un méme amalgame les idées qu'il attribuait à Reuchlin, à *Érasme et à Luther. (Bócking, XXIV) 21, 46 ; IL, 68, 69.

Kachelofen (Conrad) : [vers 1450-1529] marchand de papier, épicier et négociant en vins à Leipzig, il y obtint la bourgeoisie en 1476 et devint rapidement l'un des principaux imprimeurs de cette ville. Il éditait des textes liturgiques (le premier ouvrage sorti de ses presses en 1485 était un psautier), mais aussi des livres scolaires (*Alexandre de Villedieu, dix éditions de *Donat), théologiques (* Thomas d'Aquin, *Albert le Grand), des classiques, aussi bien que des auteurs contemporains (Paul *Niavis ou Conrad *Celtis). II, 58.

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

719

Karben (Victor von) : voir * Petit livre des juifs. 17, 28. Karoch von Lichtenberg (Samuel) : voir *Samuel. Keilbach (Philippe) : humaniste de Mayence, sur lequel nous ne possédons aucun renseignement. II, 55. Kircher (François) : voir *Stadian (François). Kirher (Jean) : humaniste né à Sélestat. Il devint chanoine à Spire et compta parmi les amis d’*Érasme et de *Wimpfeling. 60 ; II, 9. Kónigsteyn (Jean) : humaniste de Mayence. 60 ; II, 9. Kuijk (pensionnat de) : l'un des trois grands pensionnats de l'université de Cologne, qui avait été fondé par un nommé Kuijk. Maitre Gérard de Zutphania (*Sotphi) le dirigeait lorsque Ortwin Gratius y étudia, puis y devint professeur à son tour. 16 ; I, 3, 5, 19, 31 ; II, 33. Labyrinthe (Le) : poéme d'*Évrard de Béthune, considéré comme exécrable par les humanistes. I, 38. Laïque : (secularis) poète humaniste, viscéralement réfractaire aux hymnes religieuses médiévales et aux vers léonins. Il n'admire que les poetes latins antiques tels que Virgile, Horace ou Ovide et s'efforce de les imiter, à l'instar de Pétrarque. I, 28. Lamentations des hommes obscurs : leur titre complet est : « Lamentations des hommes obscurs, qui ne sont pas interdites par le Saint-Siége. Lettre de D. Érasme de Rotterdam : ce qu'il pense des obscurs ; avec un certain nombre d'autres, d'une lecture non moins gaie que nécessaire à la connaissance. » Cologne, mars 1518. (Lamentationes obscurorum virorum non prohibitee per sedem apostolicam. Epistola D. Erasmi Roterodami : quid de obscuris sentiat. Cum ceteris quibusdam : non minus lectu iucundis quam cognitu necessarÿs). Elles sont reproduites par Bócking,

Suppl. I, pp. 323-392. (Bócking, XXX). 17, 48, 104, 118. Lang (Matthieu) : [1468-1540] ce bourgeois d'Augsbourg, devenu diplomate de haut rang, fut l'un des conseillers les plus proches de Maximilien. C'est à lui qu'Alde dédia son édition de la traduction d'Aristote par Théodore Gaza en 1504. Évéque de Gurk en 1505, il devint cardinal en 1511. 43, 60. Lang (Paul) : [1 1536] né à Zwickau, il fut immatriculé en 1486 à l'université de Cracovie. L'année suivante, il entra chez les bénédictins comme bibliothécaire. En 1507, il se lia avec l'abbé *Trithème et rédigea à sa demande son Petit Ouvrage en deux parties à la louange et pour la défense de toutes les clôtures [monastiques] (Opusculum bipartitum ad omnium claustralium laudem et defensionem), pour s'opposer à L’Intégrité (De integritate) de *Wimpfeling. Il resta proche des humanistes, particulièrement de *Brant, Reuchlin et Wimpfeling. Il se fit surtout connaitre par des ouvrages historiques, tels que le Chant à la louange de la Saxe (Carmen

720

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

de laudibus Saxoniæ), la Chronique de la cité (Chronicon citizense) et la Chronique de Naumburg (Chronicon Numburgense). II, 65, 65. Lasius (Simon) : [Latz, T 1532] docteur et professeur de médecine à Vienne, il devint chanoine à Saint-Étienne. Il fut le pére du célébre historien Wolfgang Lazius. II, 30. Lefèvre d'Étaples (Jacques) : [vers 1460-1536] ce Picard étudia à Paris au collège de Boncour, puis à celui du Cardinal-Lemoine, où il devint *bachelier és arts en 1479, licencié et maitre l'année suivante. Il étudia le grec auprés de Georges Hermonyme de Sparte. En 1490-91, il se rendit pour la première fois en Italie, où il rencontra Marsile Ficin et Pic de la Mirandole à Florence, et le grand aristotélicien Ermolao Barbaro à Venise. Dés lors, il mit un point d'honneur à expliquer Aristote et à en publier les commentaires, en suivant le texte grec, selon les principes d'Ermolao Barbaro et non pas les gloses et traductions médiévales. Pic l'avait initié à ses spéculations kabbalistiques (à l'instar de Reuchlin) et Lefévre en fut trés impressionné, tout comme par la mystique de Raymond Lulle. Il enseigna à la *faculté des arts à Paris (au collège du Cardinal-Lemoine) pendant une trentaine d'années et se dépensa sans succés pour défendre Reuchlin contre la faculté de théologie de Paris. Par la suite, il fut lui-même inquiété pour ses opinions « évangélistes » et il ne dut son salut qu'à la protection royale. Il se réfugia à Meaux, puis à la cour de Marguerite de Navarre, à partir de 1530. 36, 42, 50, 74 ; II,

9, 37, 47. Léon X : [Giovanni de Médicis, 1475-1521]. Fils de Laurent le Magnifique, il reçut une éducation humaniste soignée (notamment helléniste) sous la direction des meilleurs maîtres florentins. Élu pape en 1513, sa cour fut l'une des plus fastueuses de la Renaissance. Il aimait à s'entourer des meilleurs artistes (Raphaël et l’Arétin, pour ne citer que les plus connus) et protégea par tous les moyens possibles les humanistes menacés par l’Inquisition, particulièrement Reuchlin et *Érasme. Il favorisa systématiquement les études philologiques et l’imprimerie en langues orientales (y compris de la Bible et du Talmud). En revanche, pour faire face aux énormes besoins somptuaires de sa cour, il développa sans vergogne la vente des indulgences, ce qui le mit dans une situation

pour le moins difficile à soutenir en face de la contestation luthérienne. 11, 24, 37, 40, 42, 46, 51, 63, 83 ; I, 11, 12, 35:11; 4, 8, 12; 28,49, 68. Léopold : [Lupoldus] un maitre Léopold (Lupoldus) figure parmi les trois théologiens grotesques du dialogue de Hutten (1519) La *Conférence macaronique, les deux autres étant Gingolphe (auteur fictif de la lettre I, 32) et Ortwin Gratius. On le retrouve également dans le dialogue Hochstraten triomphant (Hochstratus ovans), écrit par Hutten en

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

721

1521, qui tourne en dérision *Hochstraten et le théologien Edward Lee. E37. Lettre apologétique... : son titre complet est : « Lettre apologétique d'Ortwin Gratius, surnommé de Deventer en raison de l'éducation premiére qu'il y a recue depuis sa plus tendre enfance, également philosophe de l'académie de Cologne et prétre du Christ, adressée à la cohorte obscure des reuchlinistes sans tenir compte de l'indignation des bons » (Epistola apologetica Ortwini Gratyÿ. ob primam a paruulo educationem Dauentriensis cognominati. Agrippinensis quoque academice philosophi Christique sacerdotis Ad obscuram Reuchlinistarum cohortem citra bonorum indignationem missa), publiée à Cologne chez Quentel en mars 1518.

(Bócking XXXI). 17, 48. Lettres de trois hommes illustres : leur titre complet est : Lettres de trois hommes illustres, adressées au comte Hermann de Neuenahr (Epistolæ trium illustrium virorum ad Hermannum comitem de Neuenar), Cologne, mai 1518. (Bócking, XXII). X 49. Lettres des hommes célébres : recueil publié par Reuchlin pour sa défense en mars 1514, par les soins de *Melanchthon. Il commengait par ces mots : « Lettres des hommes célébres, en latin, grec et hébreu, envoyées à différentes époques à Jean Reuchlin de Pforzheim, docteur en droit civil » chez Thomas Anshelm à Tübingen (Clarorum virorum epistole latine, grece & hebraice uariis temporibus missæ ad 10annem Reuchlin Phorcensem LL. doctorem). (Bócking XV). Il en publia une seconde édition en 1519, augmentée notamment par une lettre d'*Érasme, sous le titre « Lettres des hommes illustres, en hébreu, en grec et en latin, envoyées à diverses époques à Jean Reuchlin de Pforzheim, l'homme le plus savant dans notre époque, auxquelles on a ajouté depuis longtemps un second livre qui n'avait jamais encore été publié » (Jl/lustrium virorum epistole, hebraice, grece et latine, ad loannem Reuchlin Phorcensem virum nostra cetate doctissimum diuersis temporibus missæ, quibus iampridem additus est liber secundus nunquàm antea editus). (Bócking XXVIII). X 13, 38,

49, 61 ; II, 1, 128. Licencié : [//centiatus] titulaire de l'avant-dernier grade des études universitaires, autorisant l'enseignement (/icentia docendi) généralement dans un cycle supérieur (médecine, droit ou théologie). 78 ; I, 1, 3, 17,

18, 38, 42 ; I1, 33, 40. Licenciant : [/icentiandus] barbarisme technique désignant un étudiant qui allait passer sa licence en théologie. Il était donc presque parvenu au terme de ses études supérieures, à un áge proche de trente-cinq ans. 54 51,905 37. Lichtenberg (Samuel Karoch von) : voir *Samuel.

122

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

Lichtenberger (Johannes): astrologue alsacien (natif de Lichtenberg) de la cour de l'empereur Frédéric III. Il publia en 1488 deux livres intitulés : Pronostications et Conjonction de Tupiter et de Saturne. Il se surnommait lui-méme « l'ermite Ruth ». II, 50. Linacre (Thomas) : [1460-1524] on ne sait rien des débuts de cet humaniste anglais, sinon qu'il se trouvait à Oxford en 1481. Il séjourna en Italie de 1487 à 1499, où il étudia le grec et le latin à Florence auprès de Demetrios Chalcondylas et Ange Politien, en compagnie de William *Grocyn, William Latimer et Giovanni de Médicis (le futur *Léon X). Il étudia ensuite la médecine à l'université de Padoue. À Venise, il travailla avec l'imprimeur Alde Manuce à l'édition complète princeps de l’Aristote grec. De retour à Londres, il enseigna notamment le grec à Thomas More. Il entra en relations suivies et cordiales avec *Érasme. En 1509, il devint le médecin de Henry VIII et reçut divers bénéfices ecclésiastiques. En 1514, il vint à Paris pour accompagner Mary Tudor et il y rencontra Guillaume Budé. Bien que l'un des principaux promoteurs des études grecques, il publia assez peu, sinon quelques ouvrages de grammaire et quelques traductions. 62 ; I, 35. Littérature : C'est le sens large du terme poetria, qui signifie ars poetica selon le *Dictionnaire abrégé de Reuchlin. I, 3, 5, 34 ; IL, 25, 28, 35,

45, 55. Livre de la Páque (Le) : pamphlet de *Pfefferkorn commengant par ces mots : « Dans ce petit livre, vous trouvez un exposé définitif sur la manière dont les juifs aveugles célèbrent leur Páque et en particulier sur la manière dont la communion est mangée. Il est en outre démontré que les juifs sont hérétiques par rapport à l'Ancien et au Nouveau Testament. C'est pourquoi ils méritent d'étre jugés selon la loi de Moise. » (In diesem buchlin vindet yr ein entlichen furtrag wie die blinden Juden yr Ostern halten vnnd besonderlich wie das Abentmal gessen vwirt Verer wurdt aufügedruckt das die Juden ketzer seyn des alten vnn neuwen testaments DeBhalb sye schuldig seyn des gerichts nach dem gesetz Moysi.) On en connait trois éditions en 1509, et il fut traduit immédiatement par Gratius sous le titre : In hoc libello comparatur absoluta explicatio quomodo ceci illi iudei suum pascha seruent : et maxime quo ritu paschalem eam cenam manducent. Exprimitur propterea iudeos esse hereticos et desertores veteris et oppugnatores noui testamenti. quamobrem iudicy rei sunt secundum legem moysi. L'édition allemande figurera dans Johannes Reuchlin — Sämthche Werke, vol. IV 2. (Bócking, V, 1). 17, 25. Livres des Sentences : ouvrage composé au milieu du xir siècle par le théologien parisien Pierre Lombard. Il rassemblait une collection de « sentences » supposées rendre compte de toutes les questions posées par le « sens » de la Bible. Ses quatre livres étaient ainsi répartis :

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

723

Livre I : Le mystére de la Trinité (De mysterio Trinitatis), distinctions

I à XLIVIII. Livre II : La création des choses (De rerum creatione, etc.) distinctions

I à XLIV. Livre III : L'incarnation du verbe (De incarnatione verbi), distinctions

Ra XIE Livre IV : La connaissance des symboles (De Doctrina signorum), distinctions I à L. Son étude et son commentaire étaient des étapes nécessaires du cursus de théologie. Les humanistes le critiquérent avec violence, car son étude remplaçait celle des sources bibliques elles-mêmes, notamment en hébreu et en grec. Une édition moderne en a été réalisée sous le titre : Liber sententiarum : Magistri Petri Lombardi, Parisiensis Episcopi Sententice in IV libri Distincte, Quaracchi, 1916 ; rééd. Editiones Collegii S. Bonaventuræ Ad Claras Aquas, Grottaferrata (Roma), 1971-1981, vol. 105514531536; 1510,13. Locher (Jacques) : voir *Philomuses. Lollard : frère lai (par ex. domestique attaché aux cuisines). Ce terme est sans doute dérivé du nom du mouvement piétiste populaire des Lollards anglais (= marmonneurs de prières), inspirés par Wycliff, qui furent persécutés au XV* siècle. I, 31, 47. Longs Cas sur les Institutes : il peut s'agir, soit des Casus institu-

tionum de Guido de Cumis (composé en France au xuI° siècle), qui accompagnait fréquemment les éditions glosées des Institutes, soit des Casus longi de Guillaume Accurse (fils de François, l'auteur de la glose ordinaire du Corpus juris civilis). IL, 15. Loriti (Henri) : voir *Glareanus. Louvain (faculté de théologie) : « fille de l'université de Cologne », cette faculté jouissait d'une grande renommée en Europe. *Érasme chercha vainement à y être reçu comme théologien et c’est auprès d'elle qu'il fonda, en 1518, son fameux collège « trilingue », subventionné par Busleyden. 36,42; 55, 57.; IL, 13,54. Luscinius (Ottomar) : [Nachtigall, 1487-1537] humaniste strasbourgeois, élève de *Wimpfeling. Il étudia le latin à Paris en 1508 auprès de Fausto Andrelini et le grec auprès d'Aléandre, puis poursuivit ses études de théologie et de droit canonique à Louvain, Padoue et Vienne. Il aurait méme voyagé en Gréce et en Asie Mineure. Il rentra à Strasbourg en 1514 et y devint organiste à l'église Saint- Thomas. Il y publia un traité de musique (Institutiones musice, 1515) et un traité juridique (Summa Roselle, 1516). En 1518, il obtint son doctorat en droit en Italie. Il se lança la méme année dans la controverse théologique par son introduction à un commentaire des

724

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

Építres de Paul, dans laquelle il attaquait violemment la théologie scolastique, puis, en 1524, par une traduction commentée des Psaumes, qui popularisa l'expression « La Bible par la Bible ». Il se signala encore par son dialogue satirique Le Sophiste Grognon, ou l'océan de la misére humaine (Grunnius sophista siue pelagus humance miseriæ, 1522), puis par son recueil d'anecdotes antiques comiques (Loci ac sales mire festivi, 1524). II, 63. Lyripipion : longue capuche portée par les docteurs en théologie, ressemblant à une *cuculle de moine. Les juifs étaient tenus d'en porter, en plus de la rouelle cousue sur leur manteau. 55 ; I, 2, 26, 39, 49.

Magister noster : voir *Not' Maitre. Magisternostrandus : voir *Not’ Maitrisant. Maître és arts : on le devenait à l'issue du cycle de la *faculté des arts, à 21 ans minimum, en passant un oral devant cinq maitres. Aprés avoir obtenu son titre, le maitre és arts devait assurer plusieurs années d'enseignement. Il était donc supposé compétent dans l'ensemble des disciplines scolaires, alors que ses capacités littéraires (notamment en latin) laissaient souvent fort à désirer. C'est pourquoi les humanistes les tenaient souvent en si plétre estime. Le bruit courait que la *Cour pontificale en vendait également le titre, sans examen.

18, 55, 79 ; I, 1, 4, 5,

8, 9, 10, 14, 17, 22, 25, 38, 41, 45, 46 ; II, 9, 12, 18, 23, 35, 46, 58, 60, 63. Maitrisant : [magistrandus] barbarisme technique désignant un étudiant préparant sa maitrise. II, 46, 63.

Maîtrise (ès arts) : le titre de magister artium sanctionnait l'achévement du premier cycle des études universitaires (*faculté des arts). Il était indispensable à qui désirait poursuivre ses études dans un cycle supérieur (théologie, droit ou médecine), ou devenir maitre d'école. Trés peu nombreux étaient les étudiants qui parvenaient jusqu'à ce niveau, et la plupart cessaient les études avant d'avoir achevé ce cycle. 16, 72, 77 ;

Ij: 1593425: 11285 660€ Mamwmotrectus : voir *Alamammelle. Manneken : voir *Carolus Virulus. Manuel : [Doctrinale] d'*Alexandre de Villedieu. Ce manuel d’apprentissage du latin, à l'usage des débutants, est divisé en trois parties (la 3* consacrée aux règles de la versification). Il fut l'un des ouvrages scolaires les plus en vogue pendant tout le Moyen Âge. Les enfants apprenaient par cœur ses 2 645 vers léonins, dont la rime à l'hémistiche facilitait la mémorisation. On l'appelait communément du nom de son auteur : l’Alexandre. D'innombrables extraits en furent publiés, parmi lesquels Le Petit Ouvrage des premiére et seconde parties d'Alexandre (Opus minus prime et secunde partis Alexandri grammatici). On en a recensé plus

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

725

de cent éditions différentes imprimées avant 1500. 73 ; I, 18 ; IL 28, 42,

63, 68. Marsile (d’Inghen) : [vers 1340-1396] théologien nominaliste, qui suivit à Paris, en compagnie de Buridan, l’enseignement de Guillaume d'Occam et s’illustra dans cette université. *Maitre ès arts en 1363, il en

fut recteur en 1367 et 1371. Appelé parmi les fondateurs de l'université de Heidelberg, il en fut le premier recteur en 1386. Ses œuvres connurent un succes durable, notamment ses divers commentaires sur la Physique et la Logique d' Aristote (Parva logicalia). C'est parmi ces derniérs que figurent les traités sur les termes des propositions (Suppositions

et Conséquences). Il passa son doctorat en théologie peu avant sa mort et publia ses Débats sur les quatre livres des Sentences. 93 ; II, 63, 66, 67. Martí (Ramón) : [Raimundus Martinus] voir *Poignard de la religion. Martin de Groningue : ce juriste de Bréme, lié à Reuchlin et *Érasme, étudia à Bologne en 1511 et fut reçu docteur en droit à Sienne. Comme il séjournait en Italie pour achever ses études, il traduisit la partie allemande de l'Augenspiegel (Les Besicles) en latin, à la demande de *Léon X et de Jacques de *Questenberg. C'est lui qui présenta à l'empereur Maximilien la Defensio Reuchlini de Georges *Benignus. On sait peu de choses sur la suite de sa vie. Il raconta avoir trouvé un manuscrit de Tite-Live, provenant de Norvége, qui contenait des décades perdues. Mais à sa mort, on ne retrouva rien. 42, 47 ; I, 35 ; II, 10, 11, 49. Matière de religion (procès en) : [causa fidei] affaire judiciaire échappant à la compétence des tribunaux civils et relevant donc de celle des tribunaux ecclésiastiques. Il s'agissait principalement des accusations portant sur le dogme catholique (principalement en cas d'accusation d'hérésie). Ce type d'affaires pouvait donc être de la compétence de

l'Inquisition et traité en dernière instance à la *Cour pontificale. C'est l'un des nœuds de l'Affaire Reuchlin dés son origine, car Reuchlin avait affirmé que la question des livres des juifs échappait à la compétence des juridictions ecclésiastiques, et c'est pour cette raison qu'il fut lui-même l'objet d'une mise en accusation par-devant l'Inquisition de Mayence. I, 2329 75:15:5;.6375:105:12,20, 245 25,32, 385, 40550,.51,53; 54;:59;:66: Mediavilla, Mediotunensis : voir *Richard de. Melanchthon (Philipp) : [1497-1560], fils d'une nièce de Reuchlin, Philipp Schwarzerd (= Terrenoire, Terra negra, etc.) naquit à Bretten dans le Palatinat. À la mort de son pére (1508), il étudia à l'école de Pforzheim, dont le directeur, Georg Simler, l'encouragea à l'étude du grec. Dès l'année suivante, sur les conseils de Reuchlin, il traduisit son nom en Melanchthon. Il participa à une comédie latine de son grand-

726

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

oncle, puis fut inscrit à l’université de Heidelberg. Il y fréquenta *Wimpfeling, lequel publia en 1510 deux poèmes du jeune homme, alors âgé de 13 ans. L'enfant prodige devint *bachelier ès arts en 1511. Il s'inscrivit à l’université de Tübingen, où il obtint sa maîtrise en 1514. Ayant profité des enseignements de François *Stadian et de Johann Stóffler, il commenga à collaborer à l'imprimerie de Thomas Anshelm, en publiant notamment les * Lettres des hommes célèbres en 1514. En 1518, il inaugura la chaire de grec de l'université de Wittenberg. Pendant les trois premiéres années de son enseignement, il composa une grammaire grecque (1518) et deux traités de rhétorique (1519) et de dialectique (1520). Sa leçon inaugurale, imprimée sous le titre de La Nécessité d'améliorer les études de la jeunesse (De corrigendis adulescentiæ studiis), connut un énorme succés et devint rapidement un manifeste de l'éducation humaniste à travers l'Europe. Trés lié à Luther, il fut l'un des principaux artisans de l'extension des collèges trilingues dans le monde réformé, notamment à partir de la création du collége municipal de Nuremberg, en 1524, avec *Pirckheimer. Malgré son engagement aux cótés de Luther, il resta un interlocuteur privilégié d'*Érasme, qui appréciait hautement sa modération et sa subtilité. 19, 60 ; II, 9, 59. Meyer (Pierre ) : curé de Francfort et l'un des chefs de file des antireuchlinistes. I] était sans doute docteur en théologie, puisqu'il est qualifié de « Not? Maitre ». Il fut l'un des soutiens de *Pfefferkorn et c'est lui qui organisa l’autodafé des *Besicles de Reuchlin à Cologne le 10 février

1514156155 1;55225206j 48::1B 105805525333 4056851 Middleton (Richard de) : voir *Richard de. Mineurs : nom donné par Frangois d'Assise à l'ordre franciscains), pour affirmer l’humilité de ses membres par luxe dans lequel vivait généralement le clergé. II, 38. Miroir enflammé (Le) : [Brandtspiegel] pamphlet de publié fin 1512, commengant par ces mots : « Pour expulser

qu'il créa (les opposition au *Pfefferkorn, et éteindre un

livre scandaleux et sans fondement du nom de Besicles que Jean Reuchlin,

professeur de droit, a écrit contre moi Jean Pfefferkorn, qu'il a fait imprimer et qu'il a autrefois publié. Contre quoi j'ai voulu crüment faire entendre à tous les hommes et proclamer mon innocence dans ce petit livre que voici appelé Miroir brülant. » (ABzotraiben ond auszuleschen eines vngegrunten laster buechleyn mit namen Augenspiegell So Johannes Raichlein lerer der rechten gegen vnd wyder mich Johannes Pfefferkorn erdicht gedruckt vnn offenlich vormals vf)geen hat lassen Dar gegen ich meyn unschult allen menschen gruntlich tzu vernemen unn tzu vercleren in deses gegenwyrdigen buechgelgyn genant Branispiegell. gethan hab.) Il sera reproduit dans Johannes Reuchlin — Sámtliche Werke, vol. IV 2. (Bócking XII). 36 ; I, 11.

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

127

Miroir des juifs (Le) : pamphlet de *Pfefferkorn en trois parties, publié en 1507, commençant par ces mots : « Le Miroir des juifs. Ce petit livre a été rédigé par Jean, celui qui, à partir du contenu du Nouveau et de l'Ancien Testament, alors qu'il se nommait Joseph de la famille Pfefferkorn, s'est converti jadis de la religion juive à la religion chrétienne, pour l'honneur et la respectabilité de la sainte et indivisible Trinité de Notre Seigneur Jésus-Christ, de Sa mére bénie Marie et du Seigneur du Ciel, conversion pour l'éternité. En méme temps pour servir de miroir et d'exemple à tous les hommes. Et il est composé de trois parties... » (Der Juden Spiegel. Di puchlein ist durch Johannes der nach inhaltz des newen vnn alten Testamentz vonn dem geschlecht pfefferkoren Joseph genant auf dem Judischen zu dem Cristenlichen glauben nun vorlangs bekert worden zu Ere vnd wirdigkeyt der heyligen vnn vnuerteylten driueltigkeyt vnsers herrnn iesu christi seyner gebenedeyten muter maria unn des himelischen hers zu seligkeyt bekerung. zu sampt einem Spigel ond exempel aller menschen Und wirt geteylt in drey teyl...) (Bócking, II, 2). Il fut traduit en latin sous le titre de Speculum adhortationis Tudaice ad Christum. Son texte allemand sera reproduit dans Johannes Reuchlin — Sámtliche Werke, vol. IV 2. (Bócking, II, 1*).17, 24. Mitleydige Claeg : voir * Plainte compatissante (Une). Mode de signification : [modus significandi] traité des matières grammaticales. Il s'agit des traités de « grammaire spéculative » scolastique, dont le projet central était une tentative de faire coincider les catégories grammaticales avec les catégories métaphysiques. Ces « grammaires », fort en vogue chez les scolastiques des XIV* et Xv? siècles (à partir de Boèce de Dacie au x siècle), étaient ainsi totalement opposées à la tradition littéraire des grammairiens antiques, donc des humanistes. On en trouve des exemples frappants dans certaines gloses du Grécisme d’*Évrard de Béthune. I, 25. Modernes : Autre nom désignant les théologiens nominalistes, essentiellement disciples du franciscain *Duns Scot, donc d'une école plus récente (via moderna) que les « anciens » réalistes (*thomistes ou *albertistes). Se réclamant d'un aristotélisme strict, ils soutenaient que seuls les étres particuliers existent et que les concepts (les noms) n'existent que dans l'esprit de l’homme. I, 31, 37, 46 ; II, 55, 69. Mons (pensionnat de) : l'un des trois principaux pensionnats de l'université de *Cologne. I, 3, 7, 18, 45, 46 ; IL, 10, 12, 29, 34, 45. Monte Rutilo (Samuel de) : voir *Samuel. Mosellanus (Pierre) : [Peter Schade, T 1524] né à Brüttig, prés de Coblence, sur la Moselle. Aprés avoir étudié à Beilstein, Luxembourg, Limbourg et Trèves, il s'inscrivit à l'université de *Cologne en 1512, où

728

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

il rencontra Jean *Cæsarius, auprès de qui il s’initia au grec. Dès 1514, il était professeur de grec à l’école municipale de Fribourg (Saxe), que dirigeait *Æsticampianus. L’année suivante, il se perfectionna en grec auprès de Richard *Croke, à l’université de Leipzig, avant de lui succéder, deux ans plus tard, comme professeur de grec. En 1520, il devenait officiellement *maître ès arts. La méme année, il fut admis comme *bachelier en théologie et il enseigna dans cette faculté. En 1520 et 1523, il fut recteur de l’université. Il entretenait de bons rapports avec Luther et espérait devenir professeur à Wittenberg, mais *Melanchthon lui fut préféré. *Érasme lui manifesta beaucoup de sympathie après la publication de sa leçon inaugurale de Leipzig Discours sur la nécessité d’apprendre des langues variées (Oratio de variarum linguarum cognitione paranda), dans laquelle il développait des thèses trés érasmiennes sur la « vraie théologie ». De santé fragile, il mourut prématurément. 57, 59 ; II, 9, 58. Murner (Thomas) : [1475-1537] né dans la région de Strasbourg, il fut élève à l’école des franciscains de cette ville et entra dans leur ordre en 1494. *Maitre ès arts en 1499 à Fribourg-en-Brisgau, il suivit l'enseignement humaniste de Jacques *Locher, et publia la même année son Invective contre les astrologues (Invectiva contra astrologos) puis un traité contre la sorcellerie (Tractatus perutilis de phitonico contractu). Licencié en théologie en 1506, puis docteur, il commença à enseigner la littérature latine et fut couronné poète par l’empereur Maximilien à Worms. En 1507, il enseignait la logique et publia son 7eu de cartes de logique (Chartiludium logicee), sur le modèle du jeu de cartes arithmétique inventé par *Lefèvre d'Étaples. En 1509, il se rendit à *Berne lors du procès des quatre dominicains et publia le récit de l'affaire dans Les quatre hérétiques de l'ordre des soi-disant prédicateurs de l'observance (De quattuor heresiarchis ordinis Preedicatorum de Observantia nuncupatorum). Il s'intéressait également à l'hébreu et édita à Francfort en 1512 un Rire et célébration de la Páque des juifs... discours traduit d’hébreu en latin (Ritus et celebratio phase iudeorum... ex hebreo in latinum traducta eloquium). À Strasbourg, il se lia avec le groupe des humanistes de Brant* et Wimpfeling*. Il y publia notamment une traduction allemande de Virgile (Vergilii Maronis dryzehen Bücher von Troianischer zerstórung und uffgang des Rómischen reichs, 1515). En 1518, l'imprimeur Knoblauch publia son 7eu de cartes des "Institutes... (Chartiludium Institute summarie...). Il séjourna ensuite à Bále pour y étudier le droit. En 1519, il traduisit en allemand et publia à Strasbourg le traité de Hutten sur le traitement de la syphilis (von der wunderbarlichen artzney des holtz Guaiacum). Il allait devenir l’un des plus farouches opposants à Luther et participa aux colloques de Lucerne, Bade et Berne. Luther et Zwingli le considérérent comme l'un de leurs

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

729

ennemis les plus dangereux. On a longtemps pensé qu'il était l'auteur de Till Eulenspiegel. 22, 60, 106, 120 sq. ; II, 3, 9, 59, 63, 68. Mutianus Rufus : [Conrad Muth, 1472-1526] éléve de Hegius au

collège de *Deventer, il y fut condisciple d'*Érasme. En 1486, il s'inscrivit à l'université d'Erfurt, où il suivit l'enseignement de *Celtis. Il y devint *maitre és arts six ans plus tard. Il rencontra *Wimpfeling et * [rithéme à Mayence en 1496. Il poursuivit ses études en Italie, où il se familiarisa avec les spéculations de Marsile Ficin et Pic de la Mirandole. I] rencontra Pomponius Lztus à Rome en 1498. Aprés avoir suivi les enseignements de Philippe Beroalde et Urceus Codrus, il obtint son doctorat en droit canonique à Bologne en 1502. De retour en Allemagne, il devint chanoine à Gotha et mena dès lors une vie calme et consacrée à l'étude. Il recevait chez lui les humanistes du cercle d'Erfurt (Herbord von der Marthen, Georges *Spalatin, Henri *Urbanus, Helius *Eobanus Hessus, *Crotus Rubeanus, Euricius Cordus, Hermann *Trebell, Peter

Eberbach et son frère Justus Jonas...). Il soutint énergiquement la cause de Reuchlin et participa certainement à l'aventure des Lettres. Il semble qu'aucune de ses ceuvres ne nous soit parvenue. Il était bon compagnon et aimait la plaisanterie. 37, 58 ; II, 9, 50, 59.

Nachtigall : voir *Luscinius. Nef des fous (La) : [Narrenschiff] voir *Brant. Neuenahr (Hermann von) : [1492-1530] ce fils de vieille noblesse reçut une prébende au chapitre de la cathédrale de Cologne à l’âge de trois ans et était déjà chanoine lors de son immatriculation à l'université en 1504. Il étudia le grec auprès de Jean *Cæsarius et accompagna celuici pour une ambassade à Rome en 1508. Les deux hommes séjournérent en Italie. Ils furent immatriculés à Bologne en 1509. Prévót d'Aix-laChapelle, le comte devint chancelier de l'université de *Cologne et collaborateur proche de l'archevéque Hermann von Wied. Helléniste et ami d'*Érasme, il était l'un des piliers du parti humaniste à Cologne et l'un des plus fidéles soutiens de Reuchlin. Il publia en 1517 la * Défense du trés éminent Jean Reuchlin... de Georges *Benignus et l'année suivante les *Lettres de trois hommes illustres. Les trois hommes illustres en question étaient Reuchlin, Hermann *Busch et Hutten. 46, 47, 51, 57, 60, 107 ; 22511559; 20, 34559. Niavis (Paul) : [Schneevogel, 1460-après 1514] il fut immatriculé à Ingolstadt en 1475, *bachelier en 1479, immatriculé à Leipzig à la rentrée de septembre de la méme année, *maitre és arts en 1481. Il fut ensuite directeur d'école à Halle, puis à Chemnitz. On le trouve professeur à Leipzig en 1489, rédacteur en chef municipal à Zittau, puis à Bautzen. Il se familiarisa avec les maitres de l'éloquence latine (Cicéron

730

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

et Quintilien) et publia de nombreux ouvrages scolaires pour débutants, dont les Élégances latines (Elegantice latinitatis), ainsi qu'un Art épistolaire. *Trithéme le loue dans son Catalogue des hommes illustres. Il fut l'un des pionniers des dialogues pédagogiques pour l'apprentissage du latin. Certains de ses manuels eurent tellement de succès qu'on les employait encore au XVIII? siècle. 73, 91 ; I, 7 ; IL, 31.

Nizachon : voir * Victoire. Not Maître : Le titre de Magister Noster était une prérogative jalousement gardée par les docteurs en théologie, ainsi que la grande robe noire à capuchon (lyripipion). On rencontre ce terme dans presque toutes les lettres. Not Maîtrisant : [Magisternostrandus] barbarisme technique signifiant littéralement : « celui qui doit devenir Not? Maitre ». Il désigne donc les étudiants en théologie qui s'apprétent à passer les ultimes épreuves universitaires à l'issue de leurs quatorze années d'études supérieures. I:193851159;:40. Notaire de la *Rote : greffier du tribunal ecclésiastique supréme de Rome. II, 35, 44.

Nouveaux théologiens : ce sont les théologiens qui appliquent les méthodes humanistes à la théologie, à la suite d'*Érasme et de *Lefévre d'Étaples. Ils posent comme condition de leur étude la restitution de la vérité philologique des textes sacrés (en grec pour le Nouveau Testament et en hébreu pour l'Ancien), ce qui en fait les ennemis jurés des théologiens scolastiques, pour lesquels l' »authenticité » de la Vulgate latine est un dogme. II, 20, 28. Observants : Les frères franciscains de la « stricte observance » tentaient de réformer leur ordre (tout comme les dominicains) et de le ramener à la stricte observance de la régle de pauvreté et d'errance de leur fondateur. Leur mouvement se rattachait à la tradition des « *spirituels » des XII et XIV? siècles, qui avaient affirmé la pauvreté de Jésus contre la débauche de richesses de l'Église. Leurs ennemis les conventuels se cramponnaient aux avantages matériels que leur procurait la vie dans les couvents. On sait que leur conflit ne fut résolu que par la rupture et qu'ils constituérent à partir de 1521 deux ordres séparés. 71 ; II, 68. Occamiste : théologien de l’« école » nominaliste du franciscain Guillaume d'Occam. II, 43. Ochsenfahrt : docteur (en théologie ?) qui fut recteur de l'université de Leipzig en 1510. II, 58. Official dela Cour (romaine) : titulaire d'un office acheté, en l'occurrence Jacques de *Questenberg. II, 28, 32. Osternbuch : voir * Livre de la Páque (Le).

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

731

Osthéne (les deux) : Hutten fut le précepteur des deux jeunes chevaliers Jean et Alexandre von Osthen à Francfort-sur-Oder en 1509. Ils furent ensuite éléves de *Trebell à Wittenberg. Hutten resta dans les meilleurs termes avec eux. Il leur avait dédié son Art de la versification en

1511:59 31]; 9: Ouvrage trés utile... : livre du franciscain Pierre Galatinus commençant par ces mots : « Ouvrage très utile à toute la République chrétienne, sur les secrets de la vérité catholique, contre la perfidie trés obstinée des juifs de notre temps ; extrait naguére du Talmud et d'autres livres hébreux ; et composé élégamment dans les quatre langues [le latin, le grec, le « chaldéen » et l'hébreu] à Ortona a Mare, chez Jéróme Soncino. » (Opus toti christiane Reipublice maxime utile, de arcanis catholicee ueritatis, contra obstinatissimam ludæorum nostre tempestatis perfidiam : ex Talmud, aliisque hebraicis libris nuper excerptum : & quadruplici linguarum genere eleganter congestum. Ortonce maris. Hieronymum Soncinum). Ce gros volume de plus de 300 pages, fut imprimé en 1516 chez le grand imprimeur juif Jéróme Soncino. Il défendait Reuchlin sous la forme d'un dialogue supposé entre l'auteur (Galatinus lui-méme), Reuchlin et *Hochstraten. Galatinus y proposait, à son tour, une réappropriation des sources juives du Talmud « pour le dégager des mensonges des juifs ». La polémique contre Hochstraten n'y jouait qu'un róle relativement accessoire et lui servait surtout de prétexte à développer ses propres idées sur le Talmud. (Bócking, XXIII). 22, 63, 64. Page sacrée : [sacra pagina] ensemble des deux pages ouvertes de la Bible, présentant le texte sacré entouré de ses commentaires. Un *Not Maitre en « page sacrée » était un docteur en théologie spécialisé dans l'enseignement du commentaire de la Bible. I, 45, 46 ; II, 33. Pamphlet... : [Streytpuechleyn] « Pamphlet pour la vérité et une authentique histoire de Jean Pfefferkorn polémiquant contre le faux frère Jean Reuchlin, Docteur [en droit] et ses disciples, les [lettres] des obscurorum virorum qu'il a autrefois déversées clandestinement contre moi et encore plus contre la sainte Église et contre de nombreux hommes respectables. Un écrit ignominieux non chrétien, hérétique, mensonger et scandaleux. » (Streydt puechlyn vor dy warheit und eyner warhafftiger historie Joannis Pfefferkorn Vechtende wyd' den falschen Broder Doctor Joannis Reuchlyn. vnd syne jungernen. Obscurorum virorum. Die Formals verstolen zoyd? mich vnd noch vil mer wyd” die heylig kyrch vnd wyd” vill erber menner auf gegossen haben. eyn uncristenlich. ketzerlich. unwarhafftig. schentlich. smach schryfft.) 11 fut publié en 1516 et on n'en connaît pas de traduction latine. Il sera reproduit dans Johannes Reuchlin — Sámtliche Werke, vol.

IV 2. (Bócking, XXII). 45, 62.

732

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

Parva logicalia : voir *Petites Logiques. Pensionnat : dés l'origine (xir? siècle), il exista dans les universités des collèges dotés de fonds propres (bursæ) destinés à l'entretien des étudiants pauvres mais méritants — qui étaient donc « boursiers ». Au cours du XIV? siécle, pour lutter contre l'anarchie régnant dans le monde étudiant, diverses ordonnances furent promulguées dans les universités européennes, afin de contraindre tous les étudiants à étre internes dans les colléges. Dans les universités de fondation récente (en Allemagne particulièrement), tous les collèges se nommérent donc bursa, avec un statut (théorique) de pensionnat. Voir *Kuijk, *Mons, *Saint-Laurent.

93. Petit (Guillaume) : [vers 1470-1530] ce dominicain, licencié, puis docteur en théologie à Paris en 1502, fut nommé Inquisiteur de France en 1508 et confesseur de Louis XII l’année suivante. Il conserva cette fonction auprès de François Ier, qui le nomma bilbiothécaire royal. Lié avec les humanistes, il s’efforça de ménager les camps adverses, mais Reuchlin et *Lefèvre d'Étaples le suspectèrent de double jeu. Hutten le désigna nommément comme l’âme damnée du camp anti-reuchliniste à Paris. Il est persiflé dans les Lettres sous le nom de Guillaume Hackinetus (= Pàtéz?)»405423:I; 355H5: 12; Petit Livre des juifs : [Opus aureum] libelle du converti Victor von Karben, publié à Cologne en 1508, qui commengait par ces mots : « Petit livre des juifs. On y lit comment Monsieur Victor von Carben, qui était un rabbin des juifs, est venu à la foi chrétienne. En outre, on y trouve une polémique savoureuse entre un chrétien érudit et un juif érudit, dans lequel toutes les erreurs des juifs sont résolues par leurs propres écrits. Un entretien sur la religion entre Dom Michel Kromer, curé de Cunitz et un rabbin juif du nom de Jacob von Brucks, qui s'est déroulé à Cunitz. De nouveau corrigé et amélioré. » (Tudenn Büchlein. Hyerinne würt gelesen Wie Herr Victor von Carben welcher ein Rabi der Tuden gewesst ist zu Christlichem glaubem kommen. Weiter findet man darinnen ein kôstliche disputatz eines gelerten Christen vnd eins gelerten Tuden darinne alle jrthumb der Juden durch ir eygen schrifft auffgelóft werden. Eyn Underredung vom Glauben durch Herr Micheln Kromer Pfarherr zu Cunitz vnd einem Judischen Rabien mit namen Jacob von Brucks geschehen zu Cunitz. Auffs new corrigiert vnd gebessert.) Il fut traduit en latin par Ortwin Gratius sous le titre Declarantur etiam in hoc opere omnes iudæorum mores... Opus aureum. (Bôcking, IV, 2). 17, 25. Petit Ouvrage de la premiére et de la seconde partie : [Opus minus prime et secundæ partis Alexandri grammatici] voir *Manuel. I, 20 ; II, 46, 63.

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

1235

Petites Logiques : [Parva logicalia] nom donné à des petits traités portant sur des points particuliers de la (grande) Logique d'Aristote. Parmi les plus célébres, on comptera celles de *Pierre d'Espagne et de *Marsile d'Inghen. 73 ; I, 17 ; II, 46, 63. Petites Sommes logiques : [Summulæ logice] voir *Pierre d'Espagne. Petrus de Spanheim : voir *Pierre d'Espagne. Peutinger (Conrad) : [1465-1547] son pére, riche marchand, mourut l'année de sa naissance. Écolier à Augsbourg, puis étudiant à Bále, il partit pour l'Italie en 1482. Il y reçut l'enseignement des plus grands professeurs de droit, Jason Mainus et Philippe Béroalde l'Ainé à Bologne, et des humanistes Matthieu Collatius et Ermolao Barbaro à Padoue. À Florence, il fréquenta Pic de la Mirandole et Ange Politien ; à Rome, Pomponius Latus, le pape Innocent VIII et le cardinal Rodrigue Borgia (futur pape Alexandre VI). De retour à Augsbourg, il fut appointé à partir de 1497 comme fonctionnaire municipal. Il se fit apprécier comme juriste et historien, en préparant notamment le Sradtgerichtordnung de 1507. À quarante ans, il se mit à l'étude du grec pour parfaire ses connaissances. Très intéressé par les recherches antiques, il dressa les tableaux des richesses archéologiques et épigraphiques de sa région et publia en 1505 les Fragments de l'antiquité romaine à Augsbourg et dans son diocèse (Romane vetustatis fragmenta in Augusta Vindelicorum et eius diocesi). Son chef-d'ceuvre dans ce domaine fut évidemment la découverte de la fameuse « Table », carte des routes de l'Empire romain tardif, à laquelle son nom reste attaché. Ses goüts humanistes, partagés par sa femme Margaret Welser, le mirent notamment

en relations avec *Pirckheimer,

*Beatus Rhenanus, Hutten, Œecolampade et *Érasme. Il eut une intense activité diplomatique à la cour impériale de Maximilien, puis à celle de Charles Quint. Il put ainsi rendre de grands services à la ville d'Augsbourg et à la Ligue souabe. Aprés 1520, il tenta, avec Érasme, de rester à distance des extrémistes, tant réformés que romains. 39, 43, 59,

116 ; IL 9, 59. Pfefferkorn (Jean) : juif converti originaire de Nuremberg (son nom signifie « Grain-de-Poivre », allusion possible à son avarice, ou à celle de son père). Prénommé Joseph, il reçut le nom de Jean lors de son baptême à Cologne vers 1504. À la suite de son confrère Victor von Karben qui publia son Opus aureum, il publia de 1507 à 1509 quatre libelles très violents contre les juifs, traduits en latin par Ortwin Gratius et plusieurs fois réédités : Le *Miroir des juifs (fudenspiegel), La *Confession des juifs (Judenbeichte), Le * Livre de la Páque (Osternbuch) et L'* Ennemi des juifs (Fudenfeind). Protégé par les dominicains de Cologne, il réussit à circon-

734

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

venir Maximilien pour lui faire signer le mandement de 1509 ordonnant la destruction des livres des juifs. N’ayant pas réussi à obtenir le soutien de Reuchlin pour cette opération, il reprit l'attaque avec le *Face-à-main (Handtspiegel), puis le *Miroir brûlant (Brandtspiegel), et le * Tocsin (Sturmglock, 1515). Quand il se vit ridiculisé par les Lettres, il publia la * Défense (Beschyrmung), puis le *Pamphlet (Streitpuechlein) et enfin la *Plainte compatissante (Mitleydige Clag). La thèse des Lettres, suivant laquelle Pfefferkorn n'aurait été qu'un homme de paille, un agitateur manipulé par les théologiens de Cologne, désireux de rester dans l'ombre (Gratius, *Arnold de Tongres), est assez vraisemblable. 17, 22, 24 sq., 52, 56, 124 ; I, 3, 10, 11, 13, 18, 23, 29, 34, 35, 36, 38, 40, 41, 47, 48 ; IL, 2, 3, 55/739;115:145-18; 21, 255285 30, 3393715395455, 414 50552,5491905 61, 62, 63, 66, 69, 70. Philomuses : [Jakob Locher, 1470-1528] cet humanise étudia à Bále en 1487-88 auprès de Sébastien *Brant, puis à Fribourg et Ingolstadt (1492), où il reçut l'enseignement de *Celtis. Il séjourna en Italie en 1492-93 (ou il reçut son pseudonyme). À Bologne, il suivit l'enseignement de Béroalde et, à Padoue, celui du grec Marc Musurus. Il publia une Nouvelle Grammaire (Grammatica Nova) en 1495 et se fit connaitre par sa traduction latine de la Nef des fous de Sébastian *Brant (Srulrifera

Navis, 1497). Il fut couronné poète par l'empereur Maximilien la méme année. Il succéda à Celtis à l'université d'Ingolstadt, puis fut nommé en 1503 professeur de littérature et de rhétorique à Fribourg-en-Brisgau. Il y lança une polémique violente contre la théologie scolastique, incarnée par le vieux professeur Georg Zingel. Mais lorsqu'il défendit la littérature profane contre la théologie, il fut attaqué par ses propres amis *Zasius et *Wimpfeling, qui le qualifia alors de Vilomusus et Mulopoeta. Il fut finalement suspendu de son poste. Il retourna à Ingolstadt, où la polémique se poursuivit et y enseigna jusqu'à sa mort. 59 ; I, 25 ; II, 9. Philosophe (Le) : Chez les scolastiques — donc chez les hommes obscurs — il s'agit toujours d'Aristote, dont les grands corpus (Logique, Physique, Éthique) constituaient la matiére essentielle du premier cycle universitaire (*faculté des arts). Dans les facultés de théologie, les diverses « écoles », qu'elles fussent réalistes ou nominalistes, se réclamaient également d'Aristote. Il jouissait donc d'un statut pratiquement égal à celui de la Bible et — comme elle — n'était connu que par des traductions latines généralement fort obscures (de Guillaume de Moerbeke, par exemple). Les humanistes mirent un point d'honneur à retrouver et traduire correctement les manuscrits grecs d'Aristote, afin de libérer la philosophie de ce dernier de sa gangue scolastique. Ce fut principalement l’œuvre de Leonardo Bruni (à Florence), puis de Bessarion (à

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

135

Rome), d'Ermolao Barbaro (à Padoue) et de *Lefèvre d'Étaples (à Paris). Platon ne fut redécouvert que plus tard, grâce aux humanistes grecs émigrés en Italie après la prise de Constantinople, notamment au cardinal Bessarion. I, 44, 46 ; II, 2, 47. Phrygius : humaniste de Sélestat. 60 ; II, 9. Piémont (Jean) : [Ioannes Butzbach, Piemontanus, 1477-1526] cet apprenti tailleur, natif de Miltenberg, se présenta à l’âge de 21 ans, quasi analphabète, à l'école des Frères de la *Vie commune de *Deventer. Il parcourut les six classes de la scolarité en deux années. En 1500, il entra comme tailleur chez les bénédictins du couvent de Maria Laach et en devint prieur en 1507. Proche de *Trithème, il le défendit par son Boucher contre les délires de Jacques * Wimpfeling (Clipeus in deliramenta Iacobi Wimpfelingi). 1l rédigea également pour lui un supplément aux Ecrivains ecclésiastiques, contenant 1 150 biographies. On lui doit aussi, entre autres, une histoire de l'art intitulée Le Perit Livre des grands professeurs de peinture (Libellus de præclaris picturæ professoribus, 1505), un Livre des femmes illustres ou érudites et savantes (Liber de illustribus seu studiosis doctisque mulieribus), ainsi qu'un récit de sa vie avant son entrée au couvent (Hodoeporicon, 1506). II, 63. Pierre (maitre) : [Süls, T 1525] docteur en théologie antireuchliniste, professeur au pensionnat de *Kuijk à Cologne, il fut élu doyen en $2512;1533. Pierre d'Espagne : (vers 1220 t 1277) ce dominicain avait été l'un des maîtres de l'université de Paris. Il composa entre autres les Petites Sommes de logique (Summulas logicæ), les Petites Logiques (Parva logicalia) et les Compilations (Copulata), qui furent parmi les manuels scolastiques les plus usités dans les *facultés des arts. Il fut à l'origine du fameux décret de 1277 condamnant l'enseignement « averroiste » de Siger de Brabant à la Sorbonne. Il fut élu pape sous le nom de Jean XXI un an avant sa mort. *Hochstraten le nommait Petrus de Spanheim. 72 ; I, 11, 175207 31438538711]; 35/46; 69; Pierre de Ravenne : [vers 1448-vers 1508] nommé parfois Petrus Franciscus Tomai (ou Tomasi) Né à Ravenne, il étudia auprès d'Alexandre d'Imola (Tartagnus). Étudiant trés doué, il fut promu docteur dans l'un et l'autre *droits à l’âge de 24 ans. Il enseigna à Ferrare, Padoue, Pise, Bologne, Pavie et Venise, puis fut invité par le duc de Poméranie Bohuslav X, pour enseigner dans les nouvelles universités allemandes. Il résida dix ans à Greifswald et Wittenberg, puis se rendit à *Cologne, où il fut accueilli triomphalement en 1506. Ortwin Gratius, enthousiaste, composa à sa louange le Criricomastix suce peregrinationis. Il fut, dés l'année suivante, en butte à une cabale de théologiens, menée par

736

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

*Hochstraten et Gérard *Sotphi, qui l'attaquérent à propos de ses thèses sur la dime (il soutenait qu'elle était de nature humaine et non divine) et la sépulture des criminels repentis (il estimait qu'ils devaient étre enterrés en terre chrétienne). Il répliqua trés vigoureusement et ironiquement à Hochstraten par Salut en silence perpétuel au trés célébre professeur de théologie Maítre Jacques de la Grand-Rue, de l'ordre des Précheurs, par Pierre de Ravenne de la Rue basse, docteur dans l'un et l'autre droits (Valete cum perpetuo silentio ad clarissimum theologiæ professorem magistrum Jacobum de Alta Platea, ordinis predicatorum, Petri Ravennati3.U Doctoris de bassa Platea), puis il quitta Cologne au printemps 1508. Marié et père de famille, il était membre du tiers ordre des franciscains. Il publia dixhuit traités juridiques qui connurent une grande renommée. Reuchlin et les humanistes le considéraient comme un martyr de leur cause. 16, 51,

723911350: Pirckheimer (Willibald) : [1470-1530] fils d'une très riche famille de commergants de Nuremberg, il fut instruit par des précepteurs privés. Il étudia le droit à Pavie et Bologne, mais ne passa aucun diplóme universitaire car cela lui aurait interdit de briguer les charges municipales. En 1495, il fut élu membre du conseil de la cité dont il fut un membre trés actif. Tout au long de sa vie, il déploya une activité considérable pour développer les études littéraires à Nuremberg et pour soutenir les arts (1l fut notamment l'ami et le mécéne de Dürer). Outre des activités de diplomate, il réunit une impressionnante bibliothéque et une belle collection d'antiquités. Il se fit également une renommée de traducteur de grec (Plutarque, Lucien, Aristophane...). Comptant parmi les humanistes les plus importants d'Allemagne, il était notamment trés lié à Reuchlin et *Érasme. Aprés avoir soutenu la réforme luthérienne, il s'en sépara lorsque le conseil de Nuremberg voulut fermer les couvents, qui abritaient sept de ses sceurs (dont la célébre Charitas) et trois de ses

filles. 19, 39, 54, 59, 98, 106 ; IL, 9, 51, 59. Plainte pitoyable (Une) : ultime pamphlet de Pfefferkorn, dont le titre complet est : « Une plainte pitoyable par-dessus toutes les plaintes, adressée à notre trés bienveillant empereur et à toute la nation allemande, par Jean Pfefferkorn, contre le déloyal Jean Reuchlin et contre son avis erroné autrefois publié en faveur des juifs infidéles et commis contre moi et diffusé de facon non chrétienne. » (Ein mitleydliche claeg uber alle claeg an vnsern allergnedichsten Kayser vnn gantze deutsche Nacion Durch Johannes Dfefferkorn gegen den ungetruwen Johan Reuchlin vnnd wydder seynen falschen raytschlack vurmalB vur die trewloiBen Juden vnd wydder mich geübt vnd vnchrystlichen vBgegossen.) Il sera reproduit dans Johannes Reuchlin — Sámtliche Werke, vol. IV 2. (Bócking, XLIV). 52.

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

737

Poésie : [poesis] c’est le terme par lequel on désignait généralement les études littéraires, donc humanistes. Les maîtres en poésie (magistri poetales) affirmaient ainsi leur différence avec les simples maîtres *artiens qui avaient une très mauvaise connaissance du latin. C’est aussi souvent par ce terme (de même que par celui de rhétorique) que l’on désignait les nouveaux enseignements humanistes dans les universités. 72 ; I, 33, 38, 41, 42 ; IL 8, 35, 46, 55. Poète : C'est le nom par lequel les humanistes aimaient se désigner et la plupart d'entre eux se targuaient en effet d'une production poétique importante. Se qualifier de « poète » signifiait en outre que l'on était un ennemi des scolastiques et de leur jargon. Dans les Lettres, les humanistes se désignent généralement comme poètes « profanes » par opposition aux poètes « religieux », auteurs d'hymnes dans le style traditionnel (en vers léonins par exemple). Les vrais « poétes » étaient ceux qui savaient composer selon les règles très subtiles de la métrique latine, donc sans rime, mais selon la quantité des syllabes. La tradition de couronner les poètes était le signe manifeste de la vogue de l'humanisme dans les cours européennes. 99 ; I, 1, 3,9, 11, 14, 16, 17, 19, 21, 22, 25,

83530538; 3542,46: 1515,2,:4;:9:48720,26,294528;930,31592, 34, 35, 38, 44, 45, 46, 49, 51, 58, 59, 60, 62, 63, 64, 68, 69. Poète couronné : [poeta laureatus] le modèle du genre fut Pétrarque, recevant du sénateur romain Orso dell’ Anguillara, le 8 avril

1341, la couronne de laurier qu'il alla déposer sur le tombeau de saint Pierre. En Allemagne, le premier qui reçut le titre de poeta laureatus fut l’Italien Enea Silvio Piccolomini, couronné à Francfort-sur-le-Main, en 1442, par l'empereur Frédéric III. Le premier Allemand fut Conrad * Celtis, qui reçut ce titre presque 50 ans plus tard, le 18 avril 1487, lors d'une diéte à Nuremberg, au cháteau impérial. La maniére dont l'empereur Frédéric III aurait sacré le poète se réfère au geste du pape qui avait couronné l'année précédentre Giovanno Pontano, l'auteur des « Duo libri amorum » : couronne d'argent sur la téte, anneau d'or au doigt, et baiser impérial. Les mauvaises langues disent que, par la suite, Frédéric III et Maximilien distribuaient les couronnes de laurier, aussi généreusement que les «pains d’épices impériaux » (kaiserliche Lebkuchen). 115. Poète profane : terme équivalent à “humaniste. Le poète profane imite les poètes latins et Pétrarque. I, 3, 4, 7, 9, 10, 11, 14, 17, 23, 25, 28, 49 ; II, 4, 27, 33, 34, 40, 62. Poignard de la religion (Le) : Poignard de la religion contre les Maures et les Juifs [Pugio fidei adversus Mauros et Iudcos, 1278]. Son auteur Ramón Martí, dominicain catalan (T 1286), étudia à Paris auprès

738

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

d’*Albert le Grand et de *Thomas d’Aquin. Après un séjour à Tunis, il devint expert en langues orientales (arabe et hébreu) et participa à la grande commission réunie par Louis IX pour la réfutation du Talmud en 1264. 31. Pontius : auteur d’un Art épistolaire particulièrement apprécié par les hommes obscurs et détesté par les humanistes. II, 31. Porrée (Gilbert de la) : [Porretonius, 1070-1154] était un théologien qui étudia aux écoles de Chartres et de Laon. Devenu évêque de Poitiers, il controversa contre Bernard de Clairvaux et fut finalement condamné en 1148. II, 56. Positions (Livre des) : en réalité, Livre des Suppositions, voir *Marsile d'Inghen. II, 63, 66, 67. Potken (Jean) : cet érudit, membre du chapitre de Saint-Georges à Cologne, était spécialiste des langues orientales. Séjournant à Rome en 1515-1516, il tenait son ami Reuchlin au courant des développements de son procès. Son goût des langues l'amena à fréquenter Pierre *Galatinus à qui il enseigna l'araméen. En 1516, Reuchlin lui demanda de le lui enseigner à son tour. 51 ; II, 20. Prænotamenta : voir * Remarques d'Ortwin Gratius. Prédicaments : nom latin (predicamenta) des « catégories » d'Aristote. I, 38, 46. Prieras (Sylvestre) : dominicain, anti-reuchliniste convaincu, qui fut nommé en 1515 maitre du Sacré-Palais. Il était, à ce titre, la plus haute autorité en matiére de doctrine religieuse auprés du pape. Son ouvrage le plus connu fut la Somme sur les péchés ou des cas de conscience, ou Somme des sommes (Summa de peccatis aut casuum conscientiæ, vel Summa summarum, Bologne 1515). Il écrivit plusieurs textes trés mal-

adroits contre Luther, si bien que *Léon X dut le contraindre au silence. 44, 51, 57, 118 ; L 18 ; II, 49. Priscien : grammairien établi à Constantinople à la fin du v? siécle de notre ère et au début du vi. Auteur des Institutions grammaticales en dix-huit livres, il établit la tripartition classique phonétique/morphologie/syntaxe. Pour lui, tout énoncé intelligible est nécessairement construit, donc grammatical. La grammaire n'est alors qu'un systéme de justification a posteriori, et non un systéme de production a priori. De ce point de vue, la langue est un ensemble ouvert. 32, 73 ; II, 47.

Processus : voir *Recueil. Procurateur : [procurator] c'est le représentant du demandeur auprés de l'administration pontificale. Il devait, nécessairement étre expert en affaires de droit canonique. Il rédigeait la demande dans le « style de la Curie » et la présentait à un notaire. Le notaire faisait rédi-

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

739

ger la minute par un abréviateur, qui transmettait à un correcteur, etc. Jean de *Wick se chargea de cette fonction pour Reuchlin. 86 ; I, 16 ; II,

32, 49, 53. Profane : voir *poéte. Protonotaire apostolique : titre accordé aux sept notaires de la Chancellerie apostolique. 52, 84 ; II, 1. Proverbes : voir *Érasme, Adages. II, 39. Psaumes pénitentiels : ce sont sept psaumes de contrition (6, 31, 37, 50, 101, 129, 142). Ils étaient souvent imposés par les confesseurs comme « pénitence » à réciter pour expier ses péchés. De nombreux ordres religieux en imposaient la récitation dans leurs offices. Il semble que cet usage se soit multiplié vers la fin du Moyen Âge (chez les dominicains notamment), au point que certains les récitaient chaque jour. II, 46. Pugio fidei : voir *Poignard de la religion (Le). Quentel (Henri) : (T 1501) originaire de Strasbourg, il fut l'un des premiers imprimeurs de Cologne, à partir de 1479. Aprés son mariage avec une fille de famille patricienne de la ville, il s'établit prés de la cathédrale. Son activité fut très prospère et on a dénombré plus de 130 éditions sorties de son atelier de son vivant. Aprés sa mort, ses héritiers reprirent l'affaire et la développèrent (In officina liberorum Quentelli). C'est chez eux que Gratius travailla comme correcteur. L'entreprise était encore en activité au milieu du Xvir? siècle. 16 ; I, 6, 45, 46, 64 ; II, 39. Questenberg (Jacques de) : [1465-1524] d'abord pensionnaire au

collége de *Mons à Cologne, il poursuivit ses études en philosophie à Leipzig. Le pape Alexandre VI l'appela à Rome comme rédacteur. Il y fréquenta le célébre helléniste Argyropoulos et y fit la connaissance de Reuchlin vers 1490. Les deux hommes restèrent liés par une amitié profonde. Questenberg acheta pour Reuchlin plusieurs manuscrits grecs. Il fut l’un de ses meilleurs défenseurs à la *Cour de Rome. 39, 41, 51 ; IL, 20:28:53; 63. Question : [questio] voir *sujet de *débat (disputatio) universitaire. Quodlibet : voir ci-dessus. *Sujet libre (donc sans préparation) proposé à un étudiant ou à un maître lors d'un *débat oral (disputatio). 17 ; I, 16, 37, 38, 42, 46 ; IL, 1, 10, 25, 26, 41, 47, 61, 67, 69. Rabe : voir *Corvin (Laurent). Rapport... : conclusions rendues par Reuchlin le 6 octobre 1510 à l'archevéque de Mayence *Uriel von Gemmingen, pour étre transmises à l'empereur Maximilien, sous le titre : « Rapport sur la question si l'on doit confisquer tous leurs livres aux juifs, les détruire et les brûler ? » (Ratschlag ob man den Fuden alle ire bücher nemmen, abthun vnd verbrennen soll.) Ce texte n'a été rendu public que dans la première partie des

740

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

* Besicles (Augenspiegel), l'année suivante. Il se trouve à ce titre reproduit dans Johannes Reuchlin Sámtliche Werke, IV 1, pp. 27-64. 21, 30. Ratschlag... : voir *Rapport... Ravenne (Pierre de) : voir *Pierre de Ravenne. Réalistes : voir *Anciens. I, 46. Réclamation...: de Franz von *Sickingen, publiée le 29 juillet 1519. Elle commence par ces mots : « Réclamation et annonce du noble et ferme Franz von Sickingen d'Eberburg, adressées à et contre le prieur provincial et le couvent de l'ordre des Précheurs de la nation allemande et en particulier contre le frére Jacques de *Hochstraten, également de l’ordre des Précheurs, à cause et au nom du trés savant et célèbre Seigneur Jean Reuchlin, docteur dans l'un et l'autre *droits, en considération de son droit exécutoire... » (Eruorderung vnd verkundung des Edeln unn vestn Francisco von Sickingen zu Eberbürg an vnd wider Provincial prioren vnd Conuenten Prediger ordens teutscher nation onn sunderlichen Brüder Jacoben von der hochstraten auch prediger ordens von wegen und namen des hochgelerten ond weitberümbten hern Johann Reüchlins baider Rechten doctor seiner erlangten Executorial halben...). (Bócking, XXXIX). 50.

Recteur : élu pour trois mois, il était obligatoirement membre de la *faculté des arts, mais élu par les délégués des quatre facultés réunis en assemblée. I'élection à ce poste était donc une consécration dans la carriére d'un étudiant. I, 20. Recueil (de cours) : [processus] ouvrage propre à chaque établissement universitaire, contenant les bases des méthodes de I'« école » (za) à laquelle se rattachent ses maîtres (albertiste, thomiste, scotiste...). Le terme signi-

fiait aussi « dossier » dans le vocabulaire judiciaire. I, 11, 31, 46. Référendaire (de la chancellerie pontificale) : c'est celui qui a la charge de lire les suppliques au pape. Il est en général recruté parmi les *auditeurs ou les *notaires. 84 ; II, 20, 32. Régent (de collége) : professeur qui avait la charge d'une classe dans un collége. Il devait en assumer l'intendance (hébergement, nourriture, etc.) autant que la pédagogie. 16 ; I, 44, 46 ; II, 26. Reiss (Jean) : [T 1517] théologien reuchliniste. Il avait fait ses études à l'université d'Erfurt oü il fut promu docteur en 1504. Il devint prédicateur 7n summo c'est-à-dire à la cathédrale de Wurzbourg et chanoine de l'église Saint-Jean. II, 43. Remarques... : cet ouvrage d'Ortwin Gratius, publié à Cologne en février 1514 (généralement cité comme Prenotamenta), commençait par ces mots : « Dans cet opuscule, contre les Besicles de Jean Reuchlin de Pforzheim, on trouvera les choses suivantes, destinées à la défense de la religion et de l'Église :

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

741

Les remarques d'Ortwin Gratius, professeur des disciplines libérales, dédiées, sans la moindre malveillance, à l'ensemble des fidéles de la chrétienté. Le récit historique et véridique du procès judiciaire qui s'est déroulé à Mayence contre le libelle du susdit, analysant les perversités hérétiques. Les décisions des quatre universités sur la nécessité de retrancher les

Besicles du susdit de l'Église de Dieu. Les articles hérétiques de ce méme libelle afin que tous les chrétiens distinguent plus clairement le mal qu'il a écrit. La sentence condamnative comme quoi il est juste, légitime et catholique que les Besicles soient brülés. » (Hoc in opusculo contra Speculum oculare Joannis Reuchlin Phorcensis, hec in fidei et ecclesie tuitionem continentur : Prenotamenta Ortwini Gratij liberalium disciplinarum professoris citra omnem maleuolentiam cunctis christifidelibus dedicata. Historica et vera enarratio Turidici processus habiti in Maguntia contra libellum eiusdem hereticas sapientem prauitates. Decisiones quatuor vniuersitatum de speculo eiusdem oculari ab ecclesia dei tollendo. Heretici ex eodem libello articuli ot Christiani omnes male eum scripsisse luce clarius dyudicent. Sententia condemnatiua quod iuste, legitime et catholice Speculum oculare sit combustum.) (Bócking, XIV). 16, 17, 38 ; I, 17, 23, 38 ; I, 11, 27. Rémi (de Malmundario) : licencié de théologie, il fut recteur de l'université de *Cologne en 1498. I, 5, 11, 18 ; IL, 33. Rémi (Remigius Clarus Florentinus) : [T 1312] dominicain, auteur de divers ouvrages pédagogiques, notamment des Régles pour les enfants (Regulee puerorum), du Fondement des études (Fundamentum scholarium) et de divers ouvrages de théologie, qui connurent un succés durable, parmi lesquels le Rémi par images (Remigius per figuras), destiné à l'enseignement élémentaire. I, 7 ; IL, 35. Renforcement de la religion (Le) : Le Renforcement de la religion contre les ennemis de la religion chrétienne (Fortalitium fidei contra fidei Christiance hostes), célèbre manuel de prédication écrit en 1458 par Alfonso a Spina (T vers 1491). Ce juif espagnol converti devint prieur du couvent franciscain de Salamanque, et fut promu évéque des Thermopyles. Le premier livre de son traité argumente contre ceux qui nient la divinité du Christ, le second contre les hérétiques, le troisième contre les juifs, le quatrième contre les musulmans, et le cinquiéme traite des batailles à livrer contre les portes de l'Enfer. Il connut de nombreuses éditions. Reuchlin le critiqua dans les * Besicles, puis dans sa *Défense. 23, 32 ; I, 22 ; IL, 13.

742

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

Reparationes : voir *Sommes. Resch (Thomas) : [Velocianus ou Roscius] autrichien, né à Crémis, *bachelier en théologie, il fut couronné poéte par Maximilien. Il fut trois fois doyen de l’« ordre des philosophes » et recteur de l'université de Vienne en 1509 et 1511. II, 30.

Réunion des théologistes (La) : dialogue satirique attribué à Hutten. Son titre complet est : « La réunion des théologistes dirigée contre les étudiants d'Allemagne et des Bonnes Lettres, célébré à Cologne le XVI avant les calendes de mai [= le 16 avril] après que Jacques de Hochstraten eut été chassé de son office de prieur et d'inquisiteur. » (Conciliabulum theologistarum adversus germanice et bonarum literarum studiosos coloniæ celebratum XVI. Kal. Maii postquam Iacobus Hohenstratus deiectus est ab officio prioratus et ab officio inquisitoris.) Ce texte est reproduit dans Hutteni opera IV, pp. 575-585. 51, 117. Rhenanus : voir *Beatus Rhenanus. (II, 63) Riario (Rafael), cardinal : [1460-1521] personnage clé de la *Cour romaine, il fut camérier papal pendant trente-quatre ans, jusqu'à sa disgrâce. Florentin, proche du clan des Pazzi, il était un ennemi juré des Médicis, donc de *Léon X. Cardinal de Saint-Georges, il trempa dans la « conspiration des cardinaux » de 1517 et ne sauva sa téte qu'au prix d'une amende de 100 000 florins. 62 ; IL, 28, 38, 66. Richard : [t vers 1300] théologien franciscain anglais, Richard de Middelton (Mediotunensis ou De Mediavilla) avait notamment publié un ouvrage intitulé Sur les Évangiles et les Épîtres de Paul (Super Evangelia et epistolas Pauli). L'ouvrage était communément désigné par le premier mot de son titre : Super. I, 34 ; II, 15.

Ricius (Paul) : parfois orthographié Ritius, ce médecin juif était fort réputé. Il fut le médecin de l'empereur Maximilien, mais aussi de *Pirckheimer et de *Peutinger. Il connaissait le grec et l'hébreu. Il traduisit divers textes hébraiques en latin et il se peut que l'empereur lui ait demandé de traduire le Talmud. *Érasme et Reuchlin le tenaient en haute estime. 61 ; II, 12, 59.

Ritius Euritius : humaniste de Wittenberg. I, 38. Roger le Sicambre : chanoine augustin qui fut recteur de l'université de *Cologne en 1519. Théologien et auteur trés prolifique : ses Hymnes à la Vierge comptent 12 000 vers. I, 3 ; II, 63. Roger (licencié) : Roger de Venloe, théologien antireuchliniste du pensionnat de *Mons de Cologne. I, 3, 18 ; II, 33. Roscius : voir *Resch (Thomas). Rote : tribunal de la *Cour pontificale à Rome. Ses douze juges se nommaient les *auditeurs du Sacré-Palais. 86 ; II, 2, 23, 35.

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

743

Rotenburg : [Ioannes Matthias Tyberinus Erythropolitanus, von Rotenburg an der Tauber], docteur és arts libéraux et médecine, il fut professeur à l'université de Leipzig. Il publia notamment (en 1475) le libelle antijuif Simon, l'enfant tué par les juifs à Trente (De Simone puero Tridenti a Iudeeis trucidato). I, 17. Ruchard de Vesalia : voir *Wesalius (Jean). Ruserus (Jean) : [T 1518] né à Eberheimmünster, cet humaniste fut élève et partisan de *Wimpfeling. Il participa à la société littéraire humaniste de Strasbourg. Il était trés lié avec *Beatus Rhenanus, qui lui dédia son édition des Lettres de Pline (1514). Il devint prêtre de l'ordre de Saint-Jean et mourut à Sélestat. II, 63. Sacra pagina : voir *Page sacrée. Saint-Chrysogone (cardinal de) : voir *Adrien. II, 28. Saint docteur : voir *Docteur (saint) et * Thomas d'Aquin. Saint-Eusébe (cardinal de) : voir *Accolti. I, 48. Saint-Georges (cardinal de) : voir *Riario. II, 28. Saint-Laurent (pensionnat) : l'un des trois principaux collèges de l'université de Cologne, dont *Arnold de Tongres était le régent. I, 31,

38, 39. Saint-Marc (cardinal de) : voir *Grimani. II, 28. Sainte-Croix (cardinal de) : voir *Carvajal. II, 20. Samuel : Samuel ex Monte Rutilo, de son nom Samuel Karoch von Lichtenberg. Poéte goliard vagabond dont nous savons trés peu de choses. Il fut professeur d'*arts à Heidelberg et publia un recueil intitulé Barbara lexis (1500 Bâle, chez Michael Furter, reproduit dans Zarncke, op. cit., pp. 84-85). Le poéme fut réédité avec un ensemble de textes germano-latins à Strasbourg en 1506 chez Hupfuff sous le titre de Pertransivit clericus. 119 ; I, 13, 25. Sapidus (Jean) : [Witz, 1490-1561] ce fils d'un bourgeois de Sélestat étudia d'abord à l'école municipale des Fréres de la *Vie commune, dirigée par Crato Hofmann. Il poursuivit ses études à Paris en

1506 auprès de *Lefèvre d'Étaples, Fausto Andrelini et *Beatus Rhenanus. Il s'y lia notamment d'amitié avec Michel Hummelberg. Il se rendit à Strasbourg en 1509 et commenga à travailler comme correcteur chez son compatriote l'imprimeur Matthias *Schürer. L'année suivante, il rentra à Sélestat et y devint recteur de l’école où il avait été élève. II commenga à étudier le grec en 1514 et devint un professeur trés recherché, au point qu'en 1517, il avait plus de 900 élèves, selon le témoignage de Thomas Platter. Il publia principalement un recueil d'épigrammes en 1520 et la comédie latine scolaire Lazare ressuscité (Lazarus redivivus) en 153976051159; 63.

744

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

Sapienza : université de Rome. *Léon X tenta de redorer son blason, en face de ses prestigieuses concurrentes de Bologne et de Padoue. Il y fit appeler à prix d'or des professeurs humanistes, mais les finances municipales ne purent supporter l'effort et l'université déclina de nouveau: 715 1L: 92; 36.

Schade Peter : voir *Mosellanus (Pierre). Schneevogel : voir *Niavis (Paul). Schürer (Matthias) : [vers 1470-1519] né à Sélestat, il y étudia à l'école de Crato Hofmann. En 1489, il était immatriculé à l'université de Cracovie (en compagnie de *Bebel). Il y obtint le *baccalauréat és arts en 1491 et la *maîtrise en 1494. Il s'établit à Strasbourg en 1500 et y publia sa Grammaire nouvelle (Grammatica nova) dés l'année suivante. Il acheta sa bourgeoisie en 1502 et commenga à travailler comme correcteur chez son oncle, l'imprimeur Martin Flach. Il travailla ensuite chez divers imprimeurs tels que Johannes Preuf et Knobloch, avant de s'installer à son compte en 1508. Dès l'année suivante, il utilisa ses premiers caractères grecs pour publier sa grammaire grecque (Elementale introductorium in nominum et verborum declinationes greecas). Il imprima surtout des livres religieux et humanistes, *Beatus Rhenanus, *Wimpfeling, Geiler, Bebel, *Érasme (six éditions du De duplici copia entre 1514 et 1519). Il fut l’un des membres actif de la société humaniste de Wimpfeling. 60 ; I, 32 ; II, 9, 63. Scot : voir *Duns Scot. Scotiste : théologien de l’« école » nominaliste du franciscain *Duns Scots 17491:218099243;745;50! 55: Scripteur : [scriptor] cette charge correspond, pour la *Cour romaine, à ce que l'administration française moderne nomme « rédacteur ». Rabelais utilisait cette dénomination (Pantagruel, VIT). II, 5. Scrutinium scripturarum : voir *Examen des Écritures ex Séculier : ce terme désigne initialement les membres du clergé n'appartenant pas à un ordre religieux « régulier ». Dans le cas des ordres précheurs, ce terme désigne les moines vivant « dans le siécle », c'est-à-dire circulant à travers le pays en vivant d'aumónes et de prédications. Ils sont donc des « *observants » ou des « *spirituels », contrairement aux « conventuels » qui vivent retirés dans des couvents. I, 31, 37. Sentences : voir * Livres des Sentences. Sentiment parisien : voir *Contre le sentiment parisien. Séraphique (docteur) : voir *Bonaventure. Sermons du disciple (Les) : voir * Disciple. Sermons préparés : recueils de modéles de sermons pour tous les jours de l'année. II, 48.

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

745

Setzer (Jean) : humaniste de Haguenau, qui devint un imprimeur important après Anshelm. Il édita de nombreux ouvrages de Luther et de *Melanchthon. 60 ; II, 9. Sibert (Jacques) : nous ne connaissons rien de ce personnage, sinon la notice que lui a consacrée le bénédictin Jean *Piémont dans son supplément aux Ecrivains ecclésiastiques de *Trithème. Sibert serait entré chez les bénédictins de Maria Laach en 1503 et y aurait montré des aptitudes extraordinaires pour les études humanistes (le grec notamment). Piémont donne la liste de ses vingt-cinq œuvres, très diverses, allant de la poésie religieuse en hexamètres à des essais pieux. Il était encore vivant au moment où l’auteur écrivait sa notice (1509). II, 63. Sibutus (Georges) : [Daripinus] il avait commencé ses études à la *faculté des arts de *Cologne et les avait poursuivies à Wittenberg. Proche de Hutten, il avait été le disciple de Conrad *Celtis à Vienne. Couronné poète, il publia de nombreux poèmes et libelles variés. Nous ignorons à peu pres tout de lui, sinon qu'il était capable d'improviser des vers latin avec virtuosité, comme le prouvent son Panégyrique du chevalier Kilian Reuther de Mellerstadt (Libellus de Musca Chiliana) composé en trois heures (1507) et les 1 000 hexamètres composés à l'occasion d'un tournoi organisé lors du passage de Maximilien à Wittenberg en 1510 (Friderici et Ioannis, Illustriss. Saxoniæ principum, tormiamenta). 59 ; I, 3,

38:5 11,9; 51. Sicambre (Roger le) : voir *Roger le Sicambre. Sickingen (Franz von) : [1481-1523] noble de Franconie, châtelain d'Ebernburg, Landstuhl et Hohenburg, prés de Kreuznach. Sur le modèle des anciens Raubritter, il participa, avec des armées de mercenaires, à de nombreuses guerres allemandes, dont celle de la ligue de Worms (1513-1514). Il passa au service de François Ier, retourna à celui de Maximilien (1517), puis de Charles Quint. Il se posait en défenseur de la noblesse libre contre les prérogatives des villes ou des princes, lorsqu'il les jugeait usurpées, et ne dédaignait pas les campagnes de brigandage lorsqu'elles servaient ses buts politiques. Au contact de Hutten, il devint le champion de l'humanisme et de la liberté de la nation allemande, ce qui l'amena à protéger Reuchlin, puis les premiers réformés. Il participa à la campagne contre Ulrich de Wurtemberg (1519-1520), pendant laquelle il publia la *Réclamattion... (26 juillet 1519). En 1522, à l'instigation de Hutten, il prit la téte d'une révolte de chevaliers souabes et rhénans, qui se termina par sa défaite finale et sa mort le 7 mai 15223. 49, 51, 58, 117 ; I, 44. Sinthen (Jean de) : professeur d'*Erasme à *Deventer. Il avait composé entre autres, deux Gloses sur le Manuel d'* Alexandre de Villedieu et

746

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

un Commentaire sur la composition des mots (In composita verborum commentum). Il mourut avant 1498. I, 7 ; II, 46, 68. Solms (Wigand de) : peut-être le fils du comte Bernard III de Solms-Braunfeld (T 1547). II, 55. Sommes : [reparationes] c'était le nom que l'on donnait généralement aux compilations d'une école sur un sujet donné. On publia par exemple à Cologne en 1494 une Somme des livres de toute la philosophie naturelle selon les cours des albertistes et des thomistes (Reparationes librorum totius naturalis philosophie secundum |processum Albertistarum et Thomistarum). I, 11, 46. Sotphi : [Gérard de Zutphania + avant 1515] théologien qui fut recteur de l'université de *Cologne en 1506. Professeur de théologie et d’*arts libéraux au pensionnat de *Kuijk. Il écrivit, contre *Pierre de Ravenne, en 1508, un Traité des cadavres des malfaiteurs punis de mort (Tractatus de cadaveribus maleficorum morte punitorum...), puis une Glose remarquable (Glosa notabilis) du Manuel d’*Alexandre de Villedieu, les Questions remarquables des quatre livres des Sentences, et des Questions quodhbétiques. Il comptait parmi les anti-reuchlinistes. 16 ; I, 3, 5, 19. Spagnuoli (Battista) : voir *Baptiste de Mantoue. Spalatin (Georges) : [Burckhard, 1482-1545] né à Spalt, près de Nuremberg, il étudia à Erfurt où il devint *bachelier és arts en 1500. Sous la protection de l'helléniste Nicolas Marschalk, il obtint sa *maitrise dans la premiére promotion des étudiants de Wittenberg, l'année de la création de l'université (1502). Il se lia avec Conrad *Mutianus, puis à Henri *Urbanus, qui le nomma précepteur des novices au couvent de Georgenthal. Il devint bientót précepteur des enfants de la famille princiére de Saxe. Trés apprécié par le prince, il lui faisait également office de chapelain, de bibliothécaire, d'historien officiel et de secrétaire particulier. Il recut un canonicat à l'église d'Altenburg en 1511. Il participa à la plupart des activités politiques et diplomatiques de Frédéric le Sage et passa à la Réforme avec lui. On lui doit notamment la traduction en allemand de Plutarque, Justinien, *Érasme (les Adages et l'Éducation du prince chrétien), puis de Luther et *Melanchthon. 39, 59 ; I, 38 ; II, 9. Speculum adhortationis Judaiceæ : voir * Miroir des juifs. Speculum oculare : voir *Besicles (Les). Spiegel (Jacques) : neveu de *Wimpfeling, né vers 1482 à Sélestat. Il fut immatriculé à l'université de Heidelberg en 1496. Il y obtint son *baccalauréat és arts en 1500. Il poursuivit des études de droit à Fribourg-en-Brisgau auprés de *Zasius, avec qui il entretint une longue amitié. Il obtint ensuite un office à la chancellerie impériale, et fut rapidement promu secrétaire impérial. Professeur de droit à Vienne en 1514,

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

747

il participa activement à la société littéraire du Danube (Sodalitas danubiana), qui avait été fondée par *Celtis. Sa position à la cour en faisait un avocat trés efficace des humanistes auprés de l'empereur (Reuchlin et Hutten entre autres). Maximilien lui commanda des travaux historiques sur l'Autriche. A la mort de l'empereur, il retourna à Sélestat et s'y consacra à des travaux d'érudition historique et juridique (Lexicon juris civilis). En 1521, il réussit à retrouver une place de conseiller auprès de Charles Quint, qu'il occupa pendant un an, aprés quoi il se mit au service du roi Ferdinand, jusqu'à la diéte de Spire (1526). Il retourna ensuite à Sélestat oü il se consacra à l'écriture, tout en donnant occa-

sionnellement des consultations juridiques à ses anciens patrons princiers. Il fut un auteur assez prolifique. Il mourut sans doute peu aprés

1538. 60 ; IL, 9, 63. Spire (jugement de) : jugement acquittant Reuchlin, prononcé par le chanoine Truchsess le 24 avril 1514, et condamnant *Hochstraten aux dépens — dont ce dernier ne s'acquitta jamais. 44, 51, 68, 86 ; I, 12,

18. Spirituels : souvent nommés les « *observants », car ils affirmaient observer fidèlement la règle de leur ordre, ces moines des ordres mendiants vivaient dans la pauvreté et l'errance et dénongaient le luxe et les abus du clergé. Ils s'opposaient aux « conventuels » des mémes ordres, qui vivaient dans les couvents (cf. lettre II, 68). Ces deux tendances s'opposèrent dans des conflits, parfois très violents, au cours des XIV* et Xv* siècles. Les spirituels franciscains (autour d'Ubertin de Casale) furent notamment à l'origine des « fraticelles » et de la guerre paysanne qui ensanglanta le nord de l'Italie dans les années 1315. Dans certains cas, ce terme désigne peut-étre seulement les moines « réguliers » en général, par opposition aux « *séculiers ». I, 31, 37. Spongia...: voir * Éponge... Staar : voir *Sturnus (Jean). Stadian (François) : [Kircher], étudiant à l'université de Tübingen en 1509 et ami trés proche de *Melanchthon, il obtint sa *maitrise ès arts en 1512 et y enseigna jusqu'en 1521. Il en fut recteur en 1518. Melanchthon fit un éloge appuyé de ses leçons sur la logique et la rhétorique d'Aristote et de ses qualités de pédagogue. Parallèlement à cet enseignement, il aurait poursuivi ses études de théologie. II, 9. Storckius (Jean) : humaniste de Sélestat, dont nous ne savons rien, sinon que Zasius le cite dans une lettre comme le type méme des érudits qui ont attendu en vain l'attribution d'un bénéfice en récompense de leurs mérites — ainsi que *Luscinius et *Gerbell. 60 ; II, 9. Streitbüchlein ou Streytpuechleyn : voir * Pamphlet...

748

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

Sturm (Jacques) : [1489-1553] patricien strasbourgeois, il était destiné à la carrière ecclésiastique. Trés jeune, dès l’âge de douze ans, il étudia les *arts à Heidelberg auprès de Jacques *Wimpfeling, qui l'introduisit aux études humanistes. Il poursuivit ses études à l'université de Fribourg, où il devint *maître ès arts en 1505 (à 16 ans). Il poursuivit ses études de théologie jusqu'en 1511. Il enseigna les humanités, puis devint en 1517 secrétaire du prévót du chapitre de Strasbourg, Henri, comte palatin. En 1523, il adhéra à la Réforme, contrairement à son maitre Wimpfeling et entama une carriére de conseiller de Strasbourg, devenant membre du Comité des Treize. Il joua un rôle considérable dans la fondation de la « haute école » et dans la diplomatie de la ville, participant notamment à la Diète d'Augsbourg (1530) aux cótés de Martin Bucer. II, 63. Sturmzglock : voir * Tocsin. Sturnus (Jean) : [Staar] humaniste né à Smalcade. Vers 1500, il accompagna comme précepteur un fils de famille noble en Italie, aprés quoi il s'établit à Vienne, où il participa à la société danubienne (Sodalitas danubiana) de *Celtis. Il entra au service de Bohuslav de Hassenstein à Lobkowitz. On sait qu'il entretint des relations amicales avec Hermann *Busch, car celui-ci le mentionna dans ses épigrammes. Aucune de ses ceuvres ne nous est parvenue. 59 ; II, 9. Sujet (de *débat) : [questio]. Les sujets de théologie grotesques que les hommes obscurs soumettent à Ortwin Gratius sont formulés comme ceux qui étaient véritablement proposés aux étudiants en *arts et en théologie, lors des débats publics dans les *facultés. Les plus célébres étaient les sujets de quodlibet, qui devaient étre traités sans préparation. Il existait d'ailleurs une littérature satirique pastichant ces débats, à grand renfort de citations d'Aristote et de la Bible, telles les guodlibeta d'Erfurt en 1514 sur la fidélité des concubines de prétres, les différents types de soülerie, le monopole de la confrérie des cochons, etc., publiés par Zarncke (cf. Bibliographie). voir : *Débat. 75. Sulpicius de Verula (Jean) : [Johannes Sulpicius Verulanus] cet humaniste avait enseigné les Lettres à Rome au milieu du Xv? siècle. Il publia de nombreux ouvrages consacrés à l'art poétique, ainsi que la première édition de Vitruve. Les Quantités des syllabes sont le traité le plus élémentaire de la versification. I, 5. Süls : voir *Pierre (Maitre). Super : voir *Richard. Tanstetter : voir Georges *Collimitius. II, 30. Tateret ou Tarteret (Pierre) : théologien scotiste de Paris, qui compta parmi ceux qui examinèrent et condamnérent Reuchlin en 1514. IIx65:

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

749

Thomas : lorsque ce nom est employé seul, il désigne généralement * Thomas d'Aquin. II, 47. Thomas d’Aquin (le saint *docteur, ou docteur angélique) : [1224-1274] né à Aquino, prés du Mont-Cassin, il entra chez les dominicains à l’âge de dix-neuf ans. Il fut d'abord étudiant à Paris (1245), sous la direction d'*Albert le Grand, au collége universitaire des dominicains (Saint-Jacques). Il suivit son maitre à *Cologne, oü se fondait la nouvelle université, puis revint à Paris en 1252, pour y suivre la carriére de professeur, jusqu'à la *maitrise (1256) et l'habilitation à diriger l'une des deux écoles de ce collège. De là, il partit pour l'Italie, où il enseigna dans plusieurs villes, puis revint à Paris en 1268. En 1272, il fut appelé à Naples, dont Charles d'Anjou reconstituait l'université. Il mourut en se rendant au Concile de Lyon. Il laissa une ceuvre scolastique énorme, parmi laquelle des commentaires sur Aristote, dont il faisait traduire les ceuvres du grec en latin par son ami Guillaume de Moerbeke, un Commentaire sur les Sentences de Pierre Lombard, de nombreux Débats de quodlibet, la fameuse Somme théologique, la Somme contre les gentils et la

SOhsint uoc. 515 E 31;12, 15 11,24;25, 28 ;15 9,11, 13; 28,47;:49; 55, 64, 68, 69. Thomas le Gallois : [de Walleys, T 1340] ce théologien dominicain enseigna à Paris et à Oxford dans la première moitié du XIv* siècle. Il connut la célébrité pour son Ovide moralisé (Moralizationes in Ovidium), qui fut notamment utilisé par Dante. I, 28, 33. Thomiste : théologien de l’« école » de * Thomas d'Aquin. 66, 77 ; I, 17, 39, 46 ; II, 11, 43, 50. Tocsin : [Sturmglock] ouvrage de *Pfefferkorn, publié en 1514. Son titre complet est : « Assaut de Jean Pfefferkorn contre les juifs infideles, qui contestent le cadavre du Christ et ses membres. Assaut contre un vieux pécheur, Jean Reuchlin, sympathisant des juifs perfides, et de leurs agissements, pris en flagrant délit dans son opuscule Les Besicles. Lesquelles Besicles, en raison d'une action particuliére de Sa Majesté impériale et de la dénonciation de quatre universités, ont été à bon droit condamnées publiquement à Cologne par le Grand Inquisiteur à étre confisquées et anéanties. Et elles ont été détruites par le feu. Lequel autodafé est maintenant confirmé par la trés vénérable et trés haute université de Paris. Tocsin. » (Sturm Johansen Pferfferkorn uber und wider die drulosen Juden. anfechter des leichnams Christi. und seiner glidmossen. Sturm uber eynen alten sunder Johann Reuchlin, zuneiger der falschen Juden. und wesens. uff warer thatt begriffen. in seinem biechlin Augenspiegell. welcher Augenspiegell. durch sunderlichem gescheft Kaisserlicher maiestait. unnd anzeigung vierer hohen schulen. durch den Ketzermeister. mit recht unn myt urtell.

750

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

offenklichen zu Cóllen. abgethon verdilgt. unnd mit dem fuer verbrant ist worden. Wilche berbrantnif nu confirmiert ist durch die erwerdigst und allerhoichst vniuersiteit van Paryfl. Sturm Glock). (Bócking, XVII) Il sera reproduit dans Johannes Reuchlin — Sämtliche Werke, vol. IV 2. I, 29, 36, 47 ; II, 12. Toledoth Yeshuh : voir * Histoire de Jésus (L}). Tomai ou Tomasi (Petrus Franciscus) : voir *Pierre de Ravenne. Tongres : voir *Arnold de. Torrentinus : [Hermann van Beek, ? t vers 1520] natif de Zwolle, ii y fut l'éléve d'Alexandre Hegius à l'école des Fréres de la *Vie commune. Il enseigna la rhétorique à Groningue et publia à Strasbourg en 1516 une édition du Manuel d'*Alexandre de Villedieu. Il édita également quelques commentaires sur les Églogues et les Géorgiques de Virgile, ainsi que sur les poèmes de Sabellico. * Piémont lui a consacré une notice dans son supplément aux Écrivains ecclésiastiques. I, 46. Trebell (Hermann) : [Surwynt] né vers 1475 à Eisenach, il étudia à l'université d'Erfurt, sans doute en méme temps que *Spalatin. Il étudia le grec auprès de Marschalk et suivit ce dernier àWittenberg en 1502. Il collabora à son imprimerie et la reprit à son compte en 1504, lorsque Marschalk, devenu docteur en droit, quitta Wittenberg. Tout en enseignant les humanités (et particuliérement le grec), il imprima notamment les ceuvres de *Pierre de Ravenne et la grammaire grecque de Marschalk (Elementale introductorium in idioma greecum). ll se lia à *Eobanus Hessus et à Conrad *Mutianus. En 1508, il se rendit à Francfort pour y enseigner la littérature et y étudier le droit. Il y trouva la protection d'Eitelwolf von Stein et fut couronné poète. 59 ; II, 9. Triomphe de Capnion : voir ci-dessous * Triomphe de Tean Reuchlin (Le). Triomphe de Jean Reuchlin... (Le) : le titre de ce poéme de Hutten est : « Le Triomphe de Jean Reuchlin, ou éloge de l'homme trés célébre Jean Reuchlin... triomphant sur ces hommes obscurs vaincus, c'est-à-dire des théologistes de Cologne et les fréres précheurs, chanté par Eleuthére Byzenus. » (Triumphus Doctoris Reuchlini sive Ioannis Reuchlin viri clarissimi encomion... triumphanti illi ex devictis obscuris viris id est theologistis coloniensibus et fratribus de ordine predicatorum ab Eleutherio Byzeno decantatum.) Il fut publié en mars 1517. (Bócking, 35X V)/465:36519:255:921 Trithéme (Jean) : [1462-1516] abbé bénédictin. Il naquit à Trittenheim, près de Trèves. D’après le récit qu'il fit lui-même, sa famille s’opposa à ce qu'il fasse des études. Il s’enfuit donc de chez lui à 17 ans et se rendit pour étudier à Trèves, puis à Heidelberg, où il se sensibilisa sans doute aux idées humanistes. Trois ans plus tard, il entra comme

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

231

novice au couvent bénédictin de Spondheim, proche de Kreuznach, dans

une région peu fréquentée. Cette situation lui fut favorable car aucun noble ne cherchait à en devenir abbé, si bien que, 14 mois aprés ses voeux de profés, il fut élu abbé. Pendant les vingt années qu'il y passa, il enrichit la modeste bibliothéque du couvent, qui allait passer de 46 livres à plus de 2 000 en 1505. Sa curiosité encyclopédique le mit en relation avec de nombreux humanistes de renom et il sut encourager l'émulation littéraire chez les bénédictins (Paul *Lang, *Piémont, *Volzius...). Ses amis et admirateurs affirmaient qu'il connaissait le grec et l'hébreu. Pour cette derniére langue, il y eut sans doute confusion entre ses recherches sur l'écriture chiffrée, qu'il nommait steganographia, et la Kabbale, ce qui lui valut l'accusation de se livrer à la magie. Il prit position contre les dominicains, en défendant la thèse de l'immaculée conception dans ses Louanges de sainte Anne (De laudibus Sancte Anne) et polémiqua à ce propos contre Wigand *Wirt. Il entreprit de vastes travaux d'érudition religieuse et historique. Il publia notamment les Écrivains ecclésiastiques (De scriptoribus ecclesiasticiis), qui occasionna sa polémique avec *Wimpfeling. Mais il rencontra aussi de sérieuses oppositions à l'intérieur méme de son couvent. En 1505, alors qu'il était en visite à Berlin chez le prince-électeur de Brandebourg, une rébellion éclata à Spondheim. Il décida alors de l'abandonner et, malgré une invitation de Maximilien à la cour impériale, il préféra devenir abbé à Wurzbourg, où il demeura jusqu'à sa mort. Il y reprit ses études de chronologie mystique dans l’Opuscule sur les sept esprits [planétaires] (De septem intelligentus libellus), d'écriture chiffrée (polygraphia), et d'historiographie (Chronique du couvent de Hirsau, Chronique des Francs de Hunibald). Au total, il rédigea une centaine d'ouvrages. II, 63. Tungerfiheim (Jérôme) : [Dungersfeim, 1465-1540] natif d'Ochsenfurt-sur-le-Main. Il étudia à Leipzig, où il obtint sa *maiítrise ès arts en 1489. Aprés des études de théologie, il entra chez les dominicains et fut nommé prédicateur à Zwickau. De 1504 à 1506, il voyagea à Bologne, Sienne, Rome et Cologne, aprés quoi il s'établit à Leipzig. Il y est mentionné comme vice-chancelier en 1508 et comme recteur en 1510. Luther le nommait le « bœuf de Leipzig » ou le « taureau ». Il publia entre autres des Conclusions sur la Somme de Thomas d’Aquin (Conclusiones ad summam Thomaæ Aquinatis) et les Épitomées des quatre livres des Sentences de Pierre Lombard (Epithomata IIII librum Sententiarum Petri Lombardi). (IL, 63) Urbain de Bellune : souvent nommé Urbano Valeriano de Bolsano. Aprés un vaste périple en Méditerranée, cet érudit franciscain devint le professeur de grec du jeune Jean de Médicis (le futur *Léon X) à

752

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

Florence. Il publia une grammaire grecque célèbre chez Alde Manuce, en 1497 (Institutiones Grece Grammaticæ). I, 6. Urbanus (Henri) : [Fastnacht de Urba] immatriculé à Erfurt en 1494, il obtint son *baccalauréat ès arts en 1509 et sa *maitrise en 1510 à Leipzig Il devint un ami trés proche de Conrad *Mutianus et de Georges *Spalatin. Il entra chez les cisterciens et devint intendant du couvent de Georgenthal. Il se faisait un point d'honneur de « gréciser » avec ses amis humanistes et défendit vigoureusement Reuchlin. 63 ; I, 28: Uriel von Gemmingen : [t 11 fév. 1514] archevêque de Mayence à partir du 26 sept. 1508. Il était docteur en droit et avait une conception rigoureuse de l'administration de son diocèse. Il surveillait les mœurs de son clergé et lui interdit par exemple le cumul des bénéfices. Geiger raconte (Suppl. II, p. 219) qu'aprés avoir surpris son cellérier en train de lui dérober du vin dans sa résidence d'Aschaffenburg, il le roua de coups puis, rongé de remords, resta dehors, au bord du Rhin, dans la tempête et la pluie, si bien qu'il attrapa un refroidissement dont il mourut. Son successeur fut *Albert de Brandebourg. 27 ; II, 37. Ursinus (Caspar) : [Vel, 1493-1537] cet enfant prodige, né en Silésie, se distingua très jeune par son goût pour les lettres antiques. Il étudia à l'université de Cracovie (1505) puis auprès d’*Æsticampianus à Leipzig (1508). Il entra ensuite au service de Matthieu *Lang, l'archevéque de Salzbourg, avec qui il partit pour l'Italie en 1510. Il apprit le grec à Venise, auprès de Scipion Fortiguerra (Carteromachos) et fut couronné poete par l'empereur en 1517. Il enseigna le grec à Vienne, jusqu'à la peste de 1521. Il rendit alors visite à *Érasme (à Bâle), à Ulrich *Zasius (à Fribourg) et à Reuchlin (à Stuttgart). En 1524, il obtint une chaire de rhétorique à Vienne, oü il participa à la Société littéraire danubienne avec Georges *Collimittius. Il devint historien officiel, puis précepteur des enfants du roi Ferdinand, qu'il accompagna dans la campagne de Hongrie en 1527-1528. Il participa à la diéte d'Augsbourg en 1530. Il n'abandonna jamais la religion catholique et se noya dans le Danube (à cause de difficultés familiales, dit-on). *Érasme, qui le tenait en haute estime, échangea une correspondance avec lui. 60 ; II, 59. Vademecum : on publia sous ce nom, du Moyen Âge à nos jours, d'innombrables petits dictionnaires, ABC et autres traités élémentaires, souvent assez fantaisistes, qui connurent (comme c'est encore le cas actuellement) des succés durables dans les écoles et les universités. II, 23, 46. Vadian (Joachim) : [von Watt, 1484-1551] fils d’une famille de marchands et de juristes de Saint-Gall, il étudia à Vienne (*bachelier és arts

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

753

en 1501, *maitre en 1508) où il fut « cothurne » de Hutten. Professeur de rhétorique et recteur de l'université en 1516, il obtint son doctorat en médecine en 1517. Membre actif de la société d'humanistes de Conrad *Celtis, avec Nicolas *Gerbell. Couronné poéte par Maximilien en 1514, il se fit une réputation comme géographe et publia notamment chez Cratander à Bâle la grande édition de Pomponius Mela. Il fut trés tôt sympathisant de Luther et de Zwingli. En 1520, il succéda à son père comme

membre

du conseil et médecin

de la ville de Saint-Gall, où il

milita activement en faveur de la Réforme. On lui doit diverses ceuvres littéraires (De poetica et carminis ratione, Vienne, 1518) et historiques, telle l'histoire des abbés de Saint-Gall. 59 ; I, 14 ; II, 9, 30, 59. Valentin de Geltersfjeim : [von Engelhart] chanoine de l'église cathédrale, puis licencié en théologie à *Cologne, il fut recteur de l'uni-

versité en 1503, puis *Not' Maitre au pensionnat de *Mons, où il enseigna la logique, et qu'il dirigea pendant 27 ans. Il était connu pour son âpreté au gain. Les étudiants le surnommaient Srudentenfänger (chasseur d'étudiants). I, 7, 11, 18 ; II, 19, 29, 33, 45. Van Beek (Hermann) : voir *Torrentinus. Velocianus : voir *Resch (Thomas). Venloe (Roger de) : voir *Roger, licencié. Verbes déponents (Les) : voir *Jean de Garlande. II, 35. Vereander (Paul) : mauvaise graphie pour *Gereander. II, 9. Verne : l’un des innombrables théologiens auteur d'un *Commentaire sur les Sentences de Pierre Lombard. I, 31. Versor (Jean) : docteur parisien, originaire de Normandie, qui enseigna notamment au pensionnat de *Mons à Cologne dans les derniéres années du XV? siècle. Il publia de nombreux commentaires sur Aristote, *Pierre d'Espagne et les « quiddités » de * Thomas d'Aquin. IL, 63. Vesalia (Ruchard de) : voir *Wesalius (Jean). Victoire : [Nizachon] recueil hébraïque des citations bibliques susceptibles de réfuter la thèse chrétienne de l’annonce du Christ par l'Ancien Testament. Il fut composé par Jomtob Lipman à la fin du xiv* siècle. 27, 32. Vie commune (Fréres de la) : Cette confrérie avait été fondée à *Deventer par Gérard Groote (1340-1384), un ami de Ruysbroek qui s'était initié auprés de lui à la mystique de la devotio moderna. Il était trés soucieux de procurer aux enfants une éducation sérieuse et pieuse et ses

disciples animérent ou fondérent des écoles dans plusieurs dizaines de villes depuis les Pays-Bas jusqu'à la Pologne. Les Fréres possédaient parfois une école en propre (à Gouda et Bois-le-Duc par exemple), mais généralement ils se contentaient de fournir les maîtres à l'école locale,

754

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

municipale ou cathédrale (comme ce fut le cas dans les plus importantes à Deventer, Zwolle et Münster). Ces écoles furent des centres de scolarisation intense et leurs effectifs atteignaient souvent plusieurs centaines d'éléves (1 200 à Zwolle au début du xv? siècle, 2 200 à Deventer au temps d'*Érasme). À l’origine, ces écoles n'avaient rien d'humaniste et se contentaient de fournir aux enfants l'enseignement traditionnel du trivium en classes uniques. Cependant, trés tót, on inaugura à l'école de Zwolle le système des classes séparées par âges, qui allait par la suite s'imposer dans toute l'Europe. Alexandre Hegius, qui dirigea l'école de Deventer à partir de 1483, rencontra Rudolf Agricola à son retour d'Italie et entreprit selon ses conseils d'introduire les *Bonnes Lettres dans son établissement. Il compta parmi ses élèves *Érasme, Hermann *Busch, Jean *Cæsarius et Ortwin Gratius. Hegius tenait à ce que ses élèves devinssent de bons latinistes. Il manifesta un goût prononcé pour les auteurs antiques, mais il ne semble pas avoir ceuvré pour attirer ses propres éléves dans cette voie — à son époque, la bibliothéque ne contenait que trois livres d'auteurs classiques. Voici en quels termes Érasme en parla : « Lorsqu'il [Érasme] eut neuf ans [en 1478], son père l'envoya à Deventer. [...] Cette école était encore barbare (on récitait Pater meus, on ressassait les conjugaisons, on récitait *Évrard et *Jean de Garlande), Alexandre Hegius et *Sinthen commengaient toutefois à apporter un peu de meilleure littérature. » (Ce texte provient de l'Abrégé de la vie d 'Érasme, dont l'authenticité n'est pas certaine. Il est publié dans le premier volume de la Correspondance, p. 46.) 16 ; I, 1, I, 40. Villedieu : voir *Alexandre de Villedieu. I, 38. Vocabulaire juridique : compilation de l'un et l'autre *droits, sans

doute rédigée du temps du pape Eugène IV (au milieu du xv? siècle). Elle était un ouvrage de référence de la plupart des bibliothéques. II, 15. Volzius (Paul) : [vers 1480-1544], humaniste membre actif du cercle de Sélestat, dés sa fondation par *Wimpfeling. Il obtint en 1513 la charge d'abbé du monastére bénédictin de Hugshofen, prés de cette ville. Ses loisirs lui permirent de se consacrer aux *Bonnes Lettres. Il se rendit célébre par sa préface au Manuel du soldat chrétien d'*Érasme, en 1515. Son abbaye fut détruite en 1525 lors de la guerre des paysans. Il passa officiellement à la Réforme l'année suivante. II, 15, 63. Walleys (Thomas de) : voir * Thomas le Gallois. Walz (Angelus) : voir *Wirt (Wigand). Watt (von) : voir *Vadian. Werner : prieur des dominicains de Bále, qui joua un róle actif dans la conjuration du chapitre de Wimpfen de 1506, oü fut décidé le « crime de *Berne ». II, 55.

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

155

Wesalius (Jean) : [Ruchard de Vesalia, + 1481] il étudia à Erfurt, où il devint *maître és arts en 1445, et docteur en théologie en 1456. Il exerca la fonction de prédicateur de la cathédrale de Mayence. Ce théologien, supérieur des augustins, avait publié des textes trés critiques contre les abus de l'Eglise (les indulgences, etc.) et entretenait de bonnes relations avec les milieux juifs. Soupçonné de sympathies pour les thèses de Wycliff et des hussites bohémiens, il fut condamné à la rétractation par l'Inquisition à Worms en 1479 et toutes ses ceuvres furent brülées. Il eut de nombreux disciples, parmi lesquels Hensel, curé de Francfort, qui fut attaqué par *Wirt. 37 ; I, 47 ; II, 64, 68. Weydman (Conrad) : humaniste bálois, qui fut, avec Hutten, éléve d’*Æsticampianus. Lié d'amitié à Ulrich *Zasius, il devint juriste à Mayence. 60 ; II, 9, 55. Wick (Jean de) : [T 1533] né à Munster en Westphalie. On sait fort peu de choses de ce *procurateur de Reuchlin lors de son procés romain, sinon qu'il fut, à partir de 1528, magistrat des villes de Bréme et de Munster. Il fut assassiné par les chanoines de Wastenau pour avoir défendu la Réforme. 34, 51 ; II, 49, 53. Wigand : voir *Wirt. I, 47. Wimpfeling (Jacques) : [1450-1528] fils d'un sellier de Sélestat, il y étudia jusqu'à l’âge de 12 ans (apud scholas triviales) à l'école des Frères de la *Vie commune de Louis Dringenberg. À 14 ans, il poursuivit ses études à l'université de Fribourg-en-Brisgau, à 18 ans à Erfurt, et à 19 ans à Heidelberg. Aprés sa *maitrise ès arts en 1471,1l commença à y enseigner la *poésie et la rhétorique à la *faculté des arts, tout en entamant des études de droit canonique, puis de théologie (*bachelier formé en 1481 et licencié en 1496). Il fut élu recteur de l'université en 1481. De 1484 à 1498, il vécut à Spire où il était titulaire d'un bénéfice. C'est là qu'il publia quelques traités défendant les droits traditionnels du clergé, notamment la Défense du statut d’immunité et de liberté ecclésiastiques (Immunitatis et hbertatis ecclesiasticæ status... defensio, 1494). Il y composa aussi des ouvrages pédagogiques, tels que la Moelle des élégances (Elegantiarum medulla, 1493) son fameux dialogue Stylpho (1495) et l'Isidoneus. Il retourna ensuite à Heidelberg pour y enseigner la littérature et la rhétorique, à la requéte de Philippe, électeur palatin. Il y publia en 1498 ses PIulippiques (dialogue politico-pédagogique), l'Agatharchia (essai sur le prince modele), et en 1500 l’Adolescentia (traité d'éducation). Il se joignit à la Sodahtas rhenana, fondée par *Celtis, qui comptait Reuchlin parmi ses membres. En 1501, aprés un essai de vie en ermitage avec ses amis Geiler de Kaysersberg et Christoph von Utenheim, il se retira pendant quelques temps à Strasbourg, au couvent des guilelmites. Il fonda la société littéraire de

756

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

Strasbourg, en compagnie de *Schürer, Geiler et *Brant. Il prit violemment position en faveur de l'immaculée conception avec les franciscains contre les dominicains. En 1505, il publia l’Intégrité (De integritate, Strasbourg, chez Knoblauch), dans lequel il critiquait les mœurs des moines. Il y contredisait les Écrivains ecclésiastiques de l'abbé *Trithème et montrait qu'Augustin d'Hippone ne fut nullement moine, et encore moins de l'ordre des augustins, alors que ceux-ci le décrivaient dans leurs écrits pourvu d'une longue barbe, d'une robe noire et d'une ceinture de cuir. De méme pour Grégoire le Grand, Alcuin et Bède le Vénérable. Paul *Lang lui répondit par un ouvrage virulent. En 1514, il reçut solennellement Érasme, de retour d'Angleterre. L'année suivante, il retourna à Sélestat, où il anima encore la société littéraire, en compagnie notamment de Paul *Volzius, *Sapidus, *Beatus Rhenanus, Martin Bucer et Jacques *Spiegel. Sa santé déclinant, il consacra le reste de sa vie à des ouvrages historiques. 6010654157515 9$ 51559, 63565Wirt (Caspar) : juriste ami de Reuchlin, qui fut son procurateur à Rome pendant toute la durée du procés romain. 51. Wirt (Wigand) : [Angelus Walz, 1460-1519] ce dominicain, théologien au couvent de Francfort-sur-le-Main, fut l'un des champions du camp des « maculistes », opposés à la thése de l'immaculée conception de la Vierge Marie. Il écrivit dés 1494 des textes trés violents contre le bénédictin *Trithéme et son De laudibus Sancte Anne. En 1500, il attaqua en justice le curé de Francfort Hensel qui avait reproché aux dominicains diverses turpitudes. Sébastien *Brant défendit Hensel, qui fut acquitté. Wirt publia ensuite contre Brant la Défense de la Bulle sixtine... contre Brant et tous ses complices qui naviguent avec lui sur la nef furieuse (Defensio Bulle sixtince... contra Sebastianum Brant et omnes suos complices in furibunda nave secum fluctuantes, Oppenhaim, 1503), qui débutait par le « Poème pathétique. adressé à l’important docteur dans l’un et l'autre droits, l'honorable maitre Sébastien Brant... » (Carmen patheticum... ad insignem utriusque turis doctorem honorandum dominum Sebastianum Brant...). Il attaqua ensuite *Wesalius avec son Dialogue apologétique contre la perfidie de Wesalius et les persécuteurs des fréres de l'ordre divin des Fréres précheurs (Dialogus apologeticus contra weselianicam perfidiam atque divi ordinis fratrum prædicatorum persecutores, Oppenheim, 1504). Il fut l'un des instigateurs du chapitre de Wimpfen oü les dominicains préparèrent le « crime de *Berne ». La virulence de ses écrits lui valut d’être cité par ses ennemis (particuliérement *Trebellius, *Wimpfeling et le franciscain Jean Spengler) à comparaître à Rome en 1506, où il fut finalement condamné en 1512 à la rétractation. Il dut s'exécuter à Heidelberg l'année suivante. I, 47 ; II, 7, 47, 64, 65.

RÉPERTOIRE

DES

HOMMES

OBSCURS

71541

Witz : voir *Sapidus. Wustenfelt : Wustenfeld de Lindau fut recteur de l’université de Leipzig en 1507 et doyen en 1509. II, 58. Zazius (Ulrich) : [1461-1535] célèbre juriste, né à Constance. Il étudia à Tübingen en 1481. Imprégné d'humanisme, il exerça l'essentiel de sa carrière à Fribourg-en-Brisgau. Ce grand juriste ne suivit pas d'études de droit, mais d'abord de *Bonnes Lettres. En 1499, il devint professeur de *poésie et en 1500, de rhétorique, à quoi il ajouta, une fois promu docteur en droit civil en 1501, l'enseignement des "Institutes, tout en continuant une carrière de conseiller privé. En 1508, Maximilien le nomma conseiller impérial. Il entretint des rapports étroits avec les cercles humanistes, notamment de Strasbourg. Il eut comme éléve Boniface *Amerbach, qui le mit en contact avec *Érasme. Il resta trés lié avec ce dernier jusqu'à sa mort. 60 ; 1, 8 ; II, 9. Zehender (Barthélemy) : Parfois orthographié Zehener. L'un des plus violents anti-reuchlinistes parmi les théologiens de Mayence. Dans une lettre au comte de *Neuenahr, Hutten le décrit ainsi : « si tu voyais son visage, tu croirais voir le visage de la Jalousie... et l'aspect du scorpion » (lettre du 3 avril 1518, Bócking, Huttem opera, I, p. 165). Son nom, traduit en latin (decimator), signifiait « le percepteur de dime », d’où les calembours faciles. I, 27 ; II, 9, 33, 55. Zutphania (Gérard de) : voir *Sotphi.

Ci

TY ge

Pratt

shot E

D

irte

rc

Loses

ma

arr

2

S

Fe

E

m

a, Silio (BEIM

icr )D Home"

son Siri.

SF

yenit vineis qiti RON

fits egit potentiel 024 drrko M si rod M, eo? Eier abii eGino hist

232 sa

ET 43*499:e9b 1nasmes. IH -lonsoneatliserfhée sable. be 1 dédie sbnmegr is a*1nomurlie: hé Fit ÉTÉ oe filiSonderon chi epesrio icr"

L dont, Toscane f ola dbrcnorri ché 'aperrorits ob a0. 1 owilos. 3ütgiemesrtu siohs 3 : (anelärdiant{} mal

AU

tote

b GM

sb enseanioada«S UemarpáeaeiHi career ctl

SE o ^ Gargihrosh oak retin ti lé sov"

Yioerd sVososas tes finc 1 05 ap

tc b

À cnm

vacet

di 1200 ne ble CE

cw

rte EE

v^

nodu

gm

rue O

Mant,

Tc

iris

r

dirt

qu fui

ht

ec

STU. ) €

+: ef ferie

hu?

|

sise

hé sat.

ry

iz Pai

e

us vum

ase vano UE ER Tigre

isamln zb duc scop £1 anten o

|

ab no

accio Mio Spear Site aide

TE

come

M

1101 m0 débu 0, te ^edys “ras d

nartont

d'etre

rác

AUT

hr

ess



a^

DI Mx

""

"racines.

à

mme

v» A

Do

CN?

de Winter

a

date l'en

dcr

"E

lan

| S

halles

is

ahaingénig

lI

p

a PS quo^ am

|

Onprafyem; ETSI

nt Io dominicaine

Le viro'ner de ees cerita Ind value d OT VO

imf

pes,

emspranue $ Homeen 4506, ei it ti Cf &da retretooum c sess "Diet D dut

onte

1 AP 20, 0547 ee

ns

:

TABLE DES MATIERES

EDESENLEA LION, Queue BENE SIEBEN MIROIR

es cb

dus ioo nera te

ln

de

reset MOS d

eT

an De RIS nas à deu

hos end tuns 11 duis.

12

RU D S T Ap

16

Me E MARTINS TOT TNT TET TTC TEN QU RIT 16 PII CORE Ca abu ie owes Éd) aas c aUe TIE IE) s 16 Dane the s erbe, Iis LM. or xa at daa 18

Z.CIepunmquederafbure00.7 CL, OB ate veisoST RI. Irmopacmdeanrgoamwe11507-1508) 122304 mon 223... EdX'coniscanon des Ires juifs (1509) rj. 25 68 2564... EE TNoreaeckeuchimm CLS TUN o 22S C72 ABOUMD 8. RS D NT TT TR ee tr abus IERI ING II. LInquinnonmude Mayecace 109513) 9 00 VOCI S AVRLI... Poucddate de Cologne 5D. oou dan cuv RER: 2. Iacaunemnencdespue 7 à CDN M7 SINPAMESE ed .... Pavondamnatson par.I3.Sorbonsmesnec o3 AO MR 239.3... I UOTOOEP em Appel T ROME (LAN 2 20 SAGmIbl 93 : pPacnudemesrde Rome (1516); PR Sc d canda [tes iFonver do HonpHes ODSCUNWS 22 o caen atas d Dad cpmey Te. Les Lamentations des hommes obscurs (1518) ............. TIenmcondamdiadon Bualeri520 N41 72228 m vetu.

Julbescombpafinis s c mu lI és AO MES ODSCULS 4 uL L'Armée des TeUCD

STE

21 24 26 30 95 f. 38 39 40 43 44 46 48 51

E ER ce bips de + 55 Se sonate veste ela Et. 39

Canana de

58

760

TABLE

ILES LETTRES

eu

I. Les héhé...

DES

MATIÈRES

eat der

EM

65 66 67

La vi dissolue des religieux. 1.2, Ra Du M LAffure Reuchlin «2 eue none RES L'armée des reuchlinistes 2 4S nA NE L'armée des atiu-reucbbmistes. 9v esu oe n ME La magie noirest Ia medecine (143.2. AT «sn ee Ross Les mœurs de Id Cour fTORDAIDe. «uou RtAHIS TM

68 68 69 70 70 70

«aus co

came

nn

de

AL

65

La httérature, les MAINeRStés candens gon ee Les débats scolastiques. o. ona mun Yr Re MEE

2. Les lleux

ee

et TROIE

EEE

71

Les-universites oos M AU UM REED QC Le déroulement.des.études 42:44 ROMAIN Les débats scolastiques 0 DS Re Les facultés supérieures, 4c ucc RMI RE La Couf romaines nets tu POI SeLeslangues:

PMR ER TR RE LFeélaulangueparee^ 4 TE La quadrature du cercle dela ttaducHon "m ITaroeot AE Les termes. techniques. «x. MA TON DEDI Les noms propres (R0? I. Y 0€ D. sapiens. bm md AT Les titres des ouvrages (ire 22194 25b. nonem er" Les citations : ..: 0.2 COMITE SE RE Not: Maltte- «sss met rence GRECE IER ERES Monsieur le Vénérable Maitre Ortwin Gratius ......... La poésie. 4.444420 ATOM MORE La pauvreté de la langue : . Came sb mme Les choix de présentaon 2 el 0 CRE XT

4: Les éditions.

s.

NME OR IQ

Les éditions initiales" 5.5. SR Ees'éditiotis postérjeures ES nc Les traductions "S TR RE TE 5, lia3Uteuf

ic

sp

IMPR

OME

TREND

TERMI

RPM

Problèrnes d'idehibcadon NALE Ulrich von Hütten 5*5 kx scs 6. Entre Érasme et Rabelais

PR

Lepastiche comme polémique

ee

71 72 74 ri" 82 87

89 92 92 93 94 95 96 97 97 99 99 101 103 103 104 105 105

106 115 IIT

117

TABLE

DES

MATIÈRES

761

rer nié sarah so ro. ebosteeeedevg vor Ext poraBopdEes fous v oio

118 121

ein 31.

125

Ub oder au ea DC Lie asd.

125

LEEERESDES RNC

EOS

HOMMES

OBSCURSw

mem

ami

1. Scolastique d'ivrognes, débat nominaliste, Thomas Grantailleur (Langschneyderius), bachelier formé en théologie, de Leipzig. ... 128 2. Est-ce un péché de confondre des juifs avec des théologiens ? débat théologique, Maitre Jean Lefourreur ne PERSE de Lepage et omepbo mute es 134 3. Bagarre d'alcooliques sur la poésie, Maitre Bernard Brossareluire PRENDdrdod Pudor in dott o ro QR eu. gas ds. 140 4. Le moine qui a sauté dans la merde, Maitre Jean Léve-le-coude ones Cantribusotis), de Wattésberg 34. ob uua We ai 142 5. Le noble qui a osé défendre Reuchlin, Jean Plume-d'Autruche loannes Straussfederius), de Mayence: tt au sm ds, 146 6. Faut-il supprimer les accents du grec ? Nicolas Lengoulevent (Nicolaus Caprimulgius), bachelier, de Leipzig. ............. 150 7. Faut-il étudier Virgile, Cicéron et Pline ? débat théologique, Maître Pierre Picolendouce SI Hafenmusius), de Nuremberg... .Vommun. eur 152 8. La sentence de la Sorbonne, François Bécasson rncacasGenselnos); de Fribourg. some, 156 9. Comment se porte votre maîtresse ? Maître Conrad de Zwickau (Cotradus de Ziani), dedeipzigsu 2v 20mm tbsus TN. 160 10. Un poéte qui ose défendre Reuchlin, Jean Arnoldi tomes Rene ass boxe iie ote Nu IR s à 164 11. La logique est la reine des sciences, Corneille Duvitrier (CorneliuscEenesteificis sement. Sete arme dc, ros t PA. 168 12. Le pape va-t-il confirmer le jugement de Spire en faveur de Reuchlin ? Maitre Hildebrand Gronichon (Hiiltbrandus.Mammaceus);de' lübingen: 25 íi #0 174 13. Ortwin Gratius baise la femme de Dfefferkorn, est-ce un péché ? débat quodlibétique, Maitre Conrad de Zwickau ((ZGnradus deZuiccavia)pderiDeipzig ool wl. ue uso. ves. 180 1. Je rappelle au lecteur que lettres n'ont pas de titre dans l'édition originale. J'ai traduit les noms et prénoms de leurs auteurs fictifs.

162

TABLE

DES

MATIÈRES

14. Épitaphe d'un persécuteur de Hutten, Maitre Jean Croate (Ióànnes Krabacius), de Nuremberg.. = iuocLosizcoanRIEmq 109? XUL 184 15. L'art de rédiger une lettre avec élégance, Guillaume Rémouleur (Guilhelmus Scherscleifferius), de Francfort. ............... 188 16. Ortwin Gratius est-il vraiment un bâtard ? débat quodlibétique, Matthieu Léchemiel (Mattheus Mellilambius), de Mayence. .... 190 17. Comment l'humaniste Æsticampianus a été chassé de Leipzig, Maitre Jean Serpere oannes Epp c eec cS TS 196 18. Cantique à quatre voix en l'honneur de saint Pierre, Maître Pierre Petitclou (Petrus Negelinus), de Trèves. ......... 202 19. Oraison funèbre d’un théologien, Étienne Chauvin (Stephanus Calvastrius), de Munster en Westphalie. .......... 204 20. Lettre de motivation avec curriculum vitæ, Jean Porte-Lampion (oannes Ixcibülártius)sdeZiollesnios o. we mue nee 208 21. À mon tour de raconter mes amours avec Dorothée, Maître

Conrad de Zwickau (Conradus de Zuiccavia), de Leipzig. ...... 210 22. Les contestataires de Mayence, Gérard Lefoutoir (GerhardusSehirruslius de Mayence RE tu. n5. Me» 216 23. Les amours adultères de Gratius, Jean Labite (Ioannes Vickelphius);decMabdeboutp.io. vi smEen 222 24. Les derniéres nouvelles d'Augsbourg, Paul Pine-de-pigeon (Paulus Daubengiselius), d'Aussbouree LE aient b 226 25. Legon de grammaire « modiste », Maitre Philippe Lesculpteur (Phülippus.Sculptoris), nes dime nb. AREA 228 26. Les juristes doivent-ils s’inchner devant les théologiens ? débat quodlibétique, Antoine Villenavet (Antonius;Rübenstadins), deilEráncfortisss sect v or Sete 234 27. Le voleur d'indulgences et l'autodafé raté, Jean Dubáton de Miltenberg (Ioannes Stablerius Miltenpurgensis). .......... 236 28. La mythologie grecque expliquée par la Bible, Frére Conrad Lecinglé (Conradus Dollenkopffius), de Heidelberg. .......... 240 29. Remontrances amicales

à Gratius, Maitre Tilmann

Laguenillette (IilmannuscLamplinmosé eme Dent wo ETE 246 30. Un sermon à la mode de Paris, Jean Dubois-Quicraque (Ioannes Schnarholtzius), de Bâle. 31. Vaut-il mieux combiblipicoler que lire la Bible ? débat théologique, Wilibrord Duhochet (Willibrordus Niceti) à Barthélémy Leveau (Bartholomæus Colpius)............... 254 32. Comment embéter et ré-embêter l’humaniste Hermann Busch, Maitre Gingolphe Ducoupeur-de-bois (Gingolfus Lignipercussoris), de Strasbourg. ................ 260

TABLE

DES

MATIÈRES

763

33. Comment soigner la maladie d'amour ? Alamammelle ManteauBariolé(Mammotrectus Buntemantellus), de Heidelberg. ...... 262 34. Réponse au précédent : il faut échapper aux femmes ! Maitre Ortwin Gratius, de Cologne, à Alamammelle Manteau-Bariolé (Mammotrectus Buntemantellus), de Heidelberg. ............ 268 35. Les hellénistes anglais, Linacre, Grocyn et Croke, Délirant Lebouif (Lyra Buntschumacherius), de Londres, à Guillaume Pâté (Guillermus Hackinetus). ................ 274 36. La vraie nature de Pfefferkorn et de sa femme... Levraicon-Furieux (Eitelnarrabianus), de Pesseneck, répétiteur en théologie de l'ordre des Guilelmites, de Bonn. .... 278 37. Le prépuce des juifs repousse-t-il s'ils se convertissent ? débat quodlibétique, Leopold Scribouillard (Lupoldus Federfusius), sedit Norbctenti d Erfüresot ie dons el opus rush 282 38. Que signifie le nom de Gratius ? débat quodlibétique, Padormann Fabricant-de-poéles-en-faience (Padormannus Fornacificis), de Wittenberg. ................ 286 39. L’humaniste Hermann Busch ne comprend rien aux allégories, Nicolas Dulampiste (Nicolaus Luminatoris), de Cologne. ...... 202 40. Comment soigner Ortwin Gratius ? Herbord Lechargeurde-Fumier (Herbordus Mistladerius), de Zwolle. ............ 294 41. Ortwin Gratius a été envoüté par une sorcière libidineuse, Gros-Philippe d'Anvers (Vilipatius de Antwerpia), bachelier,

dac draco oup deroga

ear

Om cu visits o urat une

296

Supplément du volume I 42. Érasme est un tocard, débat quodlibétique, Antoine N., quasrdocteüurien médecinopde Heidelberg. Sue 002 oves 300 43. T'ai trop travaillé du goulot, Coquet File-Lalaine (Gallus Tdinitextoris).de.Gundelfingenc" 159 dni Iv oe ous 306 44. Comment les théologiens de Leipzig font la féte, Ege Gunorde leipzig. L25906:25. 20908 2b. LA dot, euo 308 45. Pfefferkorn n'est que le préte-nom des théologiens de Cologne, et nous pourrions partager la méme maîtresse, Araoidde biere deiOolagüe: rS, STRIS POUR PELIS uar à 314 46. Les brillants théologiens thomistes de Heidelberg, Jean Ducharron d'Ambach (Ioannes Currificis); de Heidelberg.- ...5.......... 318 47. Les crimes des dominicains, Wendelin Dutailleur-de-Guenilles (Wendelinus Pannitonsoris), de Strasbourg. ................ 320

764

TABLE

DES

MATIÈRES

48. Les souffrances de l’Inquisiteur, Jacques:dé la Grandrüe; desRotae? »uisumdl. euros) 49. (Lettre apocryphe de l'édition de 1556) Fácheuses nouvelles d'événements survenus récemment à Colmar.

332

Que la colère divine soit sur nous ! Hélas, Mon Dieu ! Jean Ledingue (Ioannis Tolletanus), du Brabant, à Richard de Folleville (Richardus deKalberstadt) restent oed uode

340

NMOLOMEBJIIt*

349

i v66545edistee

s

rene

on

RP

er

SP

EEE

1. Pourquoi les hommes obscurs sont-ils obscurs ? débat quodlibétique Jean Lelippu (Iohannes Labia), protonotaire apostolique, de Rome.356 2. Lettre poétique à la manière d’Ovide, Jean Corbeau (Johännes:Grapph'déRomemtdhamtre lement 362 3. Thomas Murner défend Reuchlin, Maître Étienne Romadémolir (St&phanus Romedelantis); de;FEreyesdy «bo reel ne 366 4. Ca va mal pour Hochstraten à Rome, Maitre Jean Duchapeau (Iohannes Pilearari$); de Romemtmetelaee ir EHE sn 374 5. Il y a quand même de l'espoir pour Hochstraten, argumentaire juridique; Erére Jean deWerdeshdéRomeel ist 376 6. Hochstraten est réduit à la misère, Maître Corneille Létourdi (Cornelius;Stórati);retour.-de:Romes5booU liens 380 7. Reuchlin a empêché les théologiens de racketter les juifs, Frèré Albert Delapointe (Albertus Acuficis), de Halle. ......... 382 8. Comment va le monde, vu par un fonctionnaire de la cour romaine, Matthieu Pinson (Mattheus Finck), bachelier, de Rome.

.......

388

9. Le voyage de cauchemard d'un anti-reuchliniste à travers l'Allemagne, Maitre Philippe Cocagne (Philippus.Schlausaffys-bglibabmoo atu dba Men entier. 392 10. Martin de Groningue, qui traduit Les Besicles en latin, est un áne débat quodlibétique, Not’ Maitre Barthélémy Lecocu (Bartholomæus Kuckuck); de Rome... cnini Lobos 404 11. Thomistes et albertistes rivalisent de zèle contre Reuchlin, Josse Rapetasseur (Iodocus Sartoris), d'Olmuz en Moravie. .... 408 12. Récit d'un voyage agité de Cologne à Rome, Maitre Guillaume Leliévre (Wilhelmus Lamp), maitre ès arts, de Rome. ......... 412 13. On ne peut pas être membre de 10 universités ! objection grammaticale, Thomas Klorb (Thomas Klorbius), de Coblence. . 424 14. Les objections d’un curé reuchliniste, Maitre Otto Bourreau (Eémerlinus);de Bratislava ste EE Re CHE 426

TABLE

DES

MATIÈRES

765

15. Les études de droit à Rome, c’est plus lucratif que la théologie, Maitre Pierre Rochedure (Petrus Steynhart), de Rome. ........ 432 16. Je vous envoie un chapelet en corne de buffle qui fait des miracles, et une chose qui protége des morsures de serpent par la gráce spéciale de saint Paul, Maitre Jean Duchapeau (Iohannes Pileatoris), de Rome. ... 436 17. Peut-on m'obliger à boire contre mon gré ? débat juridique de taverne, Frédéric Brillant (Fredericus Glantz), de Munster. .. 440 18. Pourquoi Pfefferkorn sait le latin sans l'avoir appris, réponse à une objection, Frère Simon La Saucisse (Simon Worst), d'Anvers. ... 444 19. La dure vie d’un étudiant allemand qui fait son droit à Rome, Conrad Croquemitaine (Cunradus Unckebunck), de Rome. .... 448 20. Il parait que le nouvel évêque de Cologne est un reuchliniste ! Maître Marquard Leconnard (Marquardus Fotzenhut), de Rome. 450 21. Gratius ne doit pas utiliser Pfefferkorn comme prête-nom, NOR de Nisrboleoi oU mers care seem anas. 454 22. Ah ! qu'ils sont bons, les gros gardons de Berlin ! Josse Lalame (odocmiKIynge); bachelier; de Berlin... 2, sense2. 456 23. Qu'est-ce qu'un maître ès arts ? Maitre Berthold Háchepaille übecrholidusHackstto); de Rome (0 ce Lus VN LE. 460 24. Ceux de Rostock soutiennent Reuchlin, mue Fine Mesus; de Béstóck. 4356 een es Lib 464 25. Pfefferkorn n'est pas plus mauvais chrétien qu? Arnold de Tongres n'est sodomite, débat quodlibétique, Maitre Adolphe Tintoreilles (Adolphus Klingesor), de Francfort-sur-Oder................ 468 26. A-t-on le droit de manger le poussin dans un œuf un vendredi ? débat quodlibétique de restaurant, Henri Gueule-de-Mouton (HeüricünSela8smulus)de Roanne me vy vu TV eui. 470 27. T'ai composé un petit poème en l'honneur de Hochstraten, Maître Guillaume Lacigogne (Wilhelmus Storch), de Rome. ......... 474 28. fe réfute dix thèses d’un reuchliniste, argumentaire théologique, Maître Bernard M'as-tu-vu (Gelff), de Rome. ............... 478 29. Not? Maître de GelterBheim est un escroc, Egbert Tartempion (Ecbertus uugemant); de Louvain: 1.5 5: te eoMort 496 30. Faut-il pendre Les Besicles ou le brûler ? argmentaire théologique, et l'université de Vienne est infiltrée par les reuchlinistes, Balthazar Leboyau (Baltasar Sclauch), bachelier formé en théologie, de Vienne. .... 498 31. Les humanistes font rien que critiquer notre latin ! Albert Lassouche (Albertus Strunck), de Rome. ............. 500 32. Hochstraten serait capable de convertir les Turcs, Maitre Henri Coupeur-de-cheveux-en-quatre (Henrichus Cribelinioniacius), de Rome: ane,4e 502

766

TABLE

DES

MATIÈRES

33. Plan de contre-attaque de l’armée des théologiens contre les humanistes, les juifs et les Grecs, Pierre Nigaud (Petrus Lapp), licencié en texte et commentaire de Bible, d'Halberstadt. ...... 508 34. Reuchlin a la vue qui baisse et il dott porter des lunettes, Maitre Jean Ronflette (Iohannes Schnerckius), d'Ulm. ........ 512 35. Vive les vieux manuels scolaires !Maitre Guillaume Lelièvre (WilhelmusLanmp)sderResde? 22303b5:::712 23828 509.203 5089 nw 516 36. Admirez les progrès notables de mon style depuis ma dernière lettre ! Jean Arnoldi; de/Ronieac VW. aonnz S25 BE B. AO o 13. den 520 37. Les théologiens parisiens prennent parti contre Reuchlin, malgré Guillaume Cop et Lefèvre d'Etaples, Frère Georges Mouton (GéeotrgiussBleck);de:ParisAsy bao Senna tC 522 38. À Bâle, les poètes Érasme et Glareanus défendent Reuchlin, Démétrius de Bhaléresde«Romed $3. decim antt el 39. La vie sexuelle débridée d’Ortwin Gratius, Conrad Latrique-de-cheval (Chunradus Stryldriot), de Rome. .........

40. Les trois procés des théologiens allemands à Rome, Jean Corbeau (Iohannes Grapp)/de Romesstalé Fosse 41. Gratius le cancre est devenu un homme célèbre, Maître Simon Porcochon (Simon Pocoponus)tdelubeckmmetmemar. 42. Cours de magie noire amoureuse, Maitre Achate Verluisant (Achatius'EampiriuS),de Romeo charme | 43. Le prédicateur de la cathédrale sabote la vente des indulgences, Frère Otto Eunuque-à-pouffiasses (Otho Flerfiklirdrius), de W'ützbüutg:- «39 uro codi ub some scende debel 3 eo-1- S 44. Homère en grec ne vaut rien, Pierre de Worms, de Rome. ... 45. Qu'est-ce qui distingue vraiment les thomistes des albertistes ? Jean: Chaulapit(Jobarines Gerilaimbius);d'Erfurtsc. me t. 46. La littérature, c'est la ruine des universités, Maitre Conrad Croquemitaine (Cunradus Unckebunck), de Rome. 47. Quatre débats quodlibétiques : 1. Pourquoi les dominicains ont-ils une grosse voix ? 2. Saint Thomas est-il supérieur à saint Dominique ? 3. Dfefferkorn restera-t-il chrétien ? 4. Les noms propres ont-ils un pluriel Frère Benoît dÉcosse (Benedictus de Scocia), de Stralsund. .... 48. Dernières nouvelles de l'éléphant du pape, du traité de Noyon et de l'idéal du bonheur d'un curé de campagne, Jean Leveau (Ioannes Kalp), dé. Rorhentoz mnia ood Moment at 49. Erasme est un hérétique et Les Besicles va être traduit en latin, Philippe Rapetasseur (Philippus Sartoris) d'Erfurt, de Rome. ... 50. Les humanistes ridiculisent nos prophéties, Maitre Adolphe Tintoreilles (Adolfus.Clingesor)smo4 3b Re din

526

530 532 536 540

542 550 552

? 560

566

570 572

TABLE

DES

MATIÈRES

767

51. La fin du monde est proche, Jean Larpète (en latin : Jupiter) (Iohannes Helferich Æatiné Iuppiter): 2284 2 20.1201 u.s 580 52. Gratius est un grand savant, car il a beaucoup de livres, Henri Lapiquette (Henrichus Schluntz), de Nuremberg ....... 584 53. Mort à Jean de Wick, le défenseur de Reuchlin ! Jean Pue-Lapiquette (Iohannes Schluntzick), m Conr romaines 2h. (monts slaesiass 586 54. La lettre des théologiens de Louvain au pape fait du tort à notre cause, Guillaume Bricot, deWorms. ................. 592 55. Liste des reuchlinistes et des anti-reuchlinistes de ILAuberge de la Couronne de Mayence, Maitre Sylvestre Gricius, de Mayence. ... 596 56. Legon d'étymologie savante, Gilbert de la Porrée (bertus Porretonius), d'Ingolstadt 24 24:23 2. sa. o o 600 57. Les dominicains veulent se faire musulmans ! CtunmdePaderboriu de Bréme

.........

seo

IVA

604

58. Autrefois, c'était le bon temps à l’université de Leipzig, mais maintenant les humanistes cassent le métier, Irus Grandélire BENED COL OCDE uu qe uox a do sam mur oo RR CP OWIES 606

59. Rapport d'un mouchard de Francfort sur l'armée des reuchlinistes, Jean Louchenbois (Iohannes Cocleariligneus), de Francfort .... 610 60. Le procés de Rome tourne mal pour les théologiens, Maitre Werner Labruti (Wernherus Stompff), de Leipzig, au Collège du prince . 614 61. Gratius est-il vraiment un bâtard du bourreau d^ Halberstadt ?

débat quodlibétique, Pierre de la Charité (Petrus Charitatis), chargé de cours de latin et professeur de logique. ............ 62. Conseils du bourreau d' Halberstadt à son neveu théologien, Maitre Gratius, de la zizanie l'extirpateur, c'est-à-dire des bandits le pendeur, des traîtres l'écarteleur, des faussaires et des calomniateurs le fouetteur, des hérétiques le brüleur, et beaucoup daunechoses. d'Eulberstilt o, Te ne den or ro Th

616

622

Supplément du volume II 63. Les cucullés vaincront l'humaniste Wimpfeling, Jean de Schweinfurt (Ioannes de Schwinfordia), Maitre dans les sept arts libéraux, de la citadelle impériale de Schnersheim, dans la grand rue. .... 626 64. Si l'Inquisition s'occupait plutôt des chanoines... Le seigneur Sacavin de Montefiascone (NOIRS de MOntetiascoDi. de SpIEE. rose db kar rut s 638 65. Legon de magie noire, Maitre Barthole Lachouette ur PTS E 644 (Bartholus Ku) de ba Robertedu.- «5er

SJ 38 OLISIG

609$ “AL - 9

768

TABLE

DES

MATIÈRES

66. La joyeuse vie qu'on a menée chez les dominicains de Wimpfen, Maitre Abraham Isaac, de la lignée d'Aminadab, de Rome,

au.réfectoire-duGapitoleuicd o et Qd baies db 29e s 648 67. Le vin, la musique et les femmes, débat quasi quodlibétique, Frére Baisecon (Nollerius Stech) de Calabre, de Rome. ....... 654 68. Sus à Érasme ! Maitre Jean Tisserand (Iohannes Textoris) à Pierre Lebranleur (Schwinckoncius), de Strasbourg. ......... 69. Qu'est-ce donc que la Kabbale ? Marcolphe Lemaire (Marcolphus Sculteti), à Jean Petitzizipanpan (Ioanni Bimperlenbumpun) de Rorbach, de Sélestat. ......... 70. C’est ce Judas de Pfefferkorn qui a inspiré les théologiens de Cologne, Maitre Petit-Marteau (Malleolus) au Paradis, dejHeidelberg chez le:boiteux decBeipzigasoEP numos vor von

668

BIBLIOGRAPEBXE:4

673

in: snatetuxii ew dite onde

ap:

3 2

SOUETCOS E MEE nas E CRIT ONT TERR ELE OE EE lusorTgelten otl Erato e prie bos elo Detalle, ec testet trecenti

RÉPERTOIRE

DES HOMMES

OBSCURS

...............

TABLE DES MATIÈRES | M nene PR

658

662

673 676

679

759

Ce volume, le premier de la collection « Le Miroir des Humanistes » publié aux Éditions Les Belles Lettres a été achevé d'imprimer en décembre 2003 dans les ateliers de Normandie Roto Impression s.a.s. 61250 Lonrai — N° d'éditeur : 6033 — N° d'imprimeur : 03-3159 — Dépôt légal : janvier 2004 — Imprimé en France

BIBLIO RPL Ltée 6 - JAN. 2006



Ce pamphlet fut publié anonymement entre 1515 et 1517 pour

défendre

l'humaniste

Jean

Reuchlin,

accusé

.

par

|

l'Inquisition de Cologne de défendre les Juifs.

Son auteur, le chevalier allemand Ulrich von Hutten, ami d'Érasme et satiriste redouté, imagina perfidement que les « hommes obscurs » (moines, théologiens et autres punaises de sacristies) envoyaient ces lettres grotesques aux théolo- — — giens de Cologne. Leurs auteurs supposés s'y ridiculisaient — eux-mêmes par l'étalage de leur vulgarité et de leur stupidité — n. crasse.

Ces 118 lettres sont autant de tableaux de la vie quoti- ——

dienne en Allemagne et en Italie à la veille de la Réforme.On — y lit - dans un savoureux latin de cuisine - les aventures des — moines paillards et des étudiants paresseux, mais aussi dc — e ( l'éléphant du pape et des belles prostituées romaines. Édition bilingue

Les lettres sont traduites et . présentées par Jean-Christophe Saladin, qui a publié précédemment chez le méme éditeur La Bataille du grec à la Renaissance et Les Funérailles de la Muse. M x

« Il vaut la peine de se rendre compte combien les Lettres des bommes obscurs plaisent à tous, aussi bien par le cóté humoristique aux gens instruits, que par le cóté sérieux aux ignorants. Parce que ceux-ci s'imaginent que, quand nous rions, c'est le style seul qui est l'objet du rire, [...] dont ils disent qu'il est compensé par le poids des idées. »

(Thomas More à Érasme, lettre du 31 octobre 1516) ,

d

(fl | ISBN : 2-251-34

AA

:

z

UE I EIE IM WIN

" DS

UMS —— -

be

Ac

:

.