Lettres aux amis des frères et des soeurs de Saint Jean, n° 62, Sept. 2001 Le mystère de la famille

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Lettres aux amis des frères et des soeurs de Saint Jean, n° 62, Sept. 2001 
Le mystère de la famille

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LETTRE AUX AMIS DES FRÈRES ET DES SŒURS DE SAINT-JEAN

N° 62

TRIMESTRIEL

Septembre 2001

20 F le numéro

Sommaire Septembre 2001 Nouvelles de la Communauté -Editorial (p.JEAN-PIERRE-MARIE).................................................................................................................... p. 1 - Lettres et chroniques Le message du père Marie-Dominique PHILIPPE........................................................................................ p. 3 Chronique des sœurs apostoliques................................................................................................................. p, 4 - La naissance au ciel de sœurFaustine...................................................................................................................... p. 6 - Ordinations à Vézelay (23 juin 2001) Mot d'accueil de Mgr GeorgesGILSON, Archevêque de Sens-Auxerre....................................................... p. 10 Mot de Mgr Louis-Marie BILLÉ, Archevêque de Lyon, Primat des Gaules................................................. p. 10 - Maisons et prieurés Rimont : Homélie du p. JEAN-EMMANUEL lorsde la Messe d'enterrement de sr. Faustine........................... p.11 Pellevoisin........................................................................................................................................................... p.13 Troussures........................................................................................................................................................... p.14 Bucarest (Roumanie).......................................................................................................................................... p.16 -Engagements............................................................................................................................................................... p.20 - Foru?n de la famille Saint-Jean (Souvigny , 2-4 juin 2001) Conférence du p. M-D PHILIPPE, o.p. :"Le mystère de la Famille"...........................................................p.23 Témoignages - sr MARIE-ODILE, pèresJEAN-PIERRE-MARIE, PHILIPPE-MARIE, MARIE-ALAIN: " Celui dont nous témoignons, c'est le Christ "..................................................................................... p. 32 - Les 'Enfants de la rue", Saint-Jean Education, un jeune couple, une oblate : "Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures" ........................................................ p. 39

Vie de l’Association Le mot du trésorier (André DAVID)................................................................................................................. encart

Enseignement - Homélie de S.E. le Cardinal Louis-Marie BILLÉ (Ordinations, Vézelay, 23 juin 2001)................................... p. 56 - Homélie du p. M-D PHILIPPE (Professions perpétuelles, Souvigny, 3 juin 2001).......................................... p. 59 - Homélie du p. M-D PHILIPPE (Professions simples, Souvigny, 4 juin 2001)..................................................p. 61 -Vivre du mystère du Cœur blessé de Jésus (p. JEAN-PIERRE-MARIE)............................................................. p. 65 -Avec saint Jean, contempler le visage de Jésus (p. M-D PHILIPPE, o.p.)......................................................... p. 70 - Pour nous, la sainteté c'est le Christ (p. M-D PHILIPPE, o.p.)......................................................................... p. 77

"Rencontres” - Ecole Saint-Jean Prieurés - Troussures........................................................................................................................................................... p. 86 - Orléans : Sessions............................................................................................................................................... p. 89 Cours d'iconographie.......................................................................................................................... p. 92 - Libramont (Belgique)........................................................................................................................................ p. 91 Associations amies - C.E.PHI.................................................................................................................................................................... p.93 -JeunesseJohannique............................................................................................................................................... p.94 - CJ3A- .Alliance Saint-Jean.........................................................................................................................................p.97 Pèlerinages - Irlande......................................................................................................................................................................p.98 - Ile-Bouchard, Notre-Dame de la prière.................................................................................................................. p.99 - Sinaï.................................................................................................................................................................. p. 101

- Publications -Je suis venu jeter un feu sur la terre (p. M-D PHILIPPE , o.p.) .......................................................................p. 22 - De Vilnius à Pondichéry (J-F. VIVIER) , Éd. du Triomphe.............................................................................. p. 54 -A l'écoute de la Sagesse (Cassettes / conférences du p. M-D PHILIPPE)........................................................ p. 75 - L'écho d'Abel (fr. FRANçOIS-NOEL Deman), Éditions Grégoriennes............................................................ p. 75 -Aletheia (École Saint-Jean).............................................................................................................................. p. 103 «Lettre aux Amis des frères et des sœurs de Saint-Jean» ISSN 1266-5452

Forum de la Famille Saint-Jean

Dimanche 3 Juin 2001, à Souvigny

CONFÉRENCE Le mystère de La famille (p. M.-D. PHILIPPE, o ; p.) Il faut toujours essayer de mieux découvrir la manière dont Dieu, dans sa sagesse, nous conduit. C'est pourquoi je voudrais, en cette fête de la Pentecôte, découvrir avec vous comment Jésus, en nous envoyant le Paraclet, veut que nous vivions pleinement ce renouveau, ce Duc in altum dont nous parle le Saint-Père.

La création de l'homme et de la femme Dieu a commencé son œuvre de Créateur par les anges (ce sont nos frères aînés, nous ne les connaissons pas beaucoup, nous les oublions souvent, et pourtant ils sont très présents). Puis Dieu a créé l'homme, il les a créés immédiatement, homme et femme. Le Saint-Père insiste beaucoup là-dessus ; au début de son pontificat, il a traité longuement de ces passages de la Genèse où le secret du Créateur nous est révélé par la création d'Adam et Eve. Cela peut nous paraître très lointain ; mais si nous sommes attentifs à chercher les intentions que Dieu a en créant, nous reconnaissons qu'il a créé d'abord l'univers, comme milieu dans lequel Adam et Eve pourraient vivre : l'Eden. Adam et Eve, eux, sont créés tout de suite pour Dieu, et l'un et l'autre pour eux-mêmes', et Adam pour Eve, et Eve pour Adam. On pourrait discuter longuement : Eve est-elle totalement pour Adam ? Adam est-il totalement pour Eve ? C’est une amitié, et c'est quelque chose de très important dans la vision de Dieu. Dieu avait créé les anges, qui étaient tous des solitaires et n'avaient entre eux que des liens surnaturels, dans la charité : il n'y avait pas de support naturel, alors que la charité fraternelle a un support naturel. En créant l'homme et la femme, Dieu a voulu montrer que, à la différence des anges, l'homme et la femme - elle peut-être encore plus - ne pouvaient vivre que s'ils étaient à deux dans une grande union, une union d'amour d'amitié, et bien sûr en adorant Dieu, en reconnaissant leur dépendance à son égard. Et Dieu avait béni cela par ce qu'on appelle la grâce de 'justice originelle" ; par cette grâce, l'amitié d'Adam et Eve était transformée en 1. Voir Saint-Thomas, Contra Gentiles III, ch. 112. Gaudium et spes, 24, §3 : “L’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même”;

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charité fraternelle et leur adoration à l'égard de Dieu pouvait aller jusqu'au bout : ils reconnaissaient que Dieu était le Créateur de leur âme et ils pouvaient le contempler. Dieu était leur Père. Il est très important de comprendre que la famille est gouvernée par Dieu, par un Dieu Père. Pour notre univers, l'univers physique, Dieu est Créateur, et il se sert de causes secondes. Lorsque Dieu crée l'homme et la femme, lorsqu'il crée des âmes spirituelles, il est le Père qui appelle ses enfants à vivre un jour de son bonheur. C'est le propre du père, d'appeler ses enfants à partager son patrimoine, à vivre de son patrimoine ; et le patrimoine de Dieu, c'est lui-même, c'est son bonheur. Et Dieu a créé en premier lieu une famille, et dans cette famille il a pu manifester son amour de Père en conduisant ses enfants en vue du Ciel, en vue du bonheur éternel. On sait très peu de choses de ce premier moment de l'humanité, mais l'Eglise le maintient toujours : Dieu a vraiment créé au point de départ la famille, il a créé Adam et Eve dans une grande amitié, dans une confiance mutuelle (parce que l'amitié exige cette confiance mutuelle qui permet de tout se dire).

La faute d'orgueil vient diviser Puis il y a eu cette catastrophe : un troisième individu est venu diviser car le démon divise toujours ; dès qu'on perçoit une division, surtout à l'égard de la charité et à l'égard de l'amour d'amitié, on peut être sûr que le démon est là et cherche à séparer ce que Dieu a uni. Là le démon a voulu séparer par l'orgueil : "Vous serez comme des dieux"2. "Comme des dieux" signifie qu'Adam n'aura plus besoin d’Eve et qu'Eve n'aura plus besoin d'Adam : étant "comme des dieux" ils auront en eux un absolu et que, trouvant l'absolu en eux, ils ne seront plus capables ni d'adorer, ni d'aimer Dieu, ni de s'aimer. Il est très important de se rappeler cette première faute d'orgueil, d'exaltation de soi, parce que, de fait aujourd'hui, on a beaucoup de difficulté à s'aimer ! Or la famille a été le lieu choisi par Dieu pour apprendre à l'homme et à la femme à s'aimer ; c'est facile à dire, mais c'est très difficile à vivre ! On le voit bien puisque, alors qu’ils étaient créés par Dieu dans un état de perfection et d'innocence, la tentation du démon est arrivée à corrompre leur cœur pur et à les diviser : Eve a écouté le serpent, Adam a suivi Eve dans sa faute, et en faisant cela ils se sont écartés l'un de l'autre. Et le foyer, au lieu d'être un vrai foyer d'amour, un lieu où ils pouvaient se rencontrer et s'aimer, a été brisé. La conséquence première du péché, c'est la brisure de la famille - et c'est bien ce qu'on voit aujourd'hui. Si on est attentif à ce qui se passe autour de nous, on voit combien la famille est en danger. Tous les jeunes foyers sentent (et les anciens le voient aussi) combien il est difficile aujourd'hui de maintenir ce premier regard de Dieu sur l'homme et la femme et sur l'éducation des enfants, combien il est difficile d'éviter que l'orgueil vienne diviser : "chacun pour soi". Car c'est cela, l'orgueil : c'est "chacun pour soi" ; on ne le dit pas, mais en réalité c'est cela : on veut être premier et on cherche par tous les moyens à l'être. 2. Gn 3, 5. 24

Famille humaine etfamille religieuse Jésus est venu pour restaurer la famille. Le premier moment de sa vie apostolique, selon l'Evangile de saint Jean, doit être pour nous un signe tout à fait particulier de son amour pour la famille : il fait son premier miracle pour qu'un repas familial, un repas de noces, soit parfait, sans manque de vin. Si Jésus fait cela, c'est parce qu'il veut qu'il y ait une grande joie dans ce repas de noces... C'est très étonnant ! aucun grand prophète n'a fait cela, et Jésus a voulu le faire. Avant cela, il avait choisi ses Apôtres. Il y a eu ainsi, tout de suite, comme deux familles distinctes et intimement unies. Ne retrouvons-nous pas cela entre nous ? Nous avons la famille des frères et des sœurs, puis nous avons la famille de nos oblats, de nos amis, et nous devons vivre ce que Jésus nous demande de vivre dans ce renouveau du troisième millénaire. Jésus nous demande, aux uns et aux autres, de distinguer -la cérémonie d'hier rappelait bien cette distinction -, de bien voir le passage de la famille humaine à la famille divine ; et rien ne devrait être plus grand pour une famille chrétienne que de pouvoir donner un fils ou une fille à Dieu. Il faut bien comprendre le début de la vie apostolique du Christ : il commence par choisir des Apôtres, et avec les Apôtres il y a eu très vite un petit groupe de saintes femmes autour de Marie, et ensuite il y a toutes les familles auprès de Jésus. Regardons d'abord la famille initiale, première, celle des Apôtres et celle des saintes femmes suivant Jésus par leur contemplation et par une contemplation apostolique. Les frères et les sœurs savent bien ce que doivent être leurs communautés. Et, croyez-le bien, ce n'est pas si facile que cela de vivre en communauté dans la vie religieuse ! parce que, dans la communauté religieuse, c'est Dieu qui choisit, et Dieu a un cœur plus grand que le nôtre, et ses choix sont beaucoup plus variés que nos choix, et très souvent la Providence nous met à côté d'un frère ou d'une sœur qui n'est pas celui ou celle qu'on aurait choisi... On entre dans une communauté pour Jésus, pour suivre Jésus, et saint Jean exige de nous d'être très attentifs à la charité fraternelle - il est farouche là-dessus : "Celui qui prétend aimer Dieu et qui n'aime pas son frère est un menteur"3. La première vérité à garder - et nous avons tous le désir de chercher la vérité -, c'est la charité fraternelle, c'est cette unité entre les frères, entre les sœurs. Le démon cherche tout le temps à diviser, et Dieu réclame cette charité fraternelle. Certes cette charité fraternelle - que ce soit chez les sœurs contemplatives, chez les sœurs apostoliques ou chez les frères - réclame la contemplation, elle réclame la recherche de la vérité du point de vue de la foi ; mais tout commence et s'achève par la charité fraternelle, parce que la charité fraternelle est la première manifestation de notre lien avec Dieu, de notre intimité avec lui. Cette famille religieuse demande de s'étendre, et c'est ce que nous essayons de faire avec nos familles, nos amis, tous ceux que la Providence a mis proches de nous. Et nous devons, par notre charité fraternelle, soutenir et aider les familles, nous devons les considérer comme nos familles ; c'est avant tout un lien spirituel, surnaturel, mais qui s'incarne dans le "temporel". Les parents des 3. Cf. IJn 4, 20.

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frères et des sœurs, leurs propres frères et sœurs quand ils fondent des foyers, leurs amis, tous ceux-là font partie de la famille. Et Dieu demande à toutes les familles chrétiennes, pour ce troisième millénaire, un renouveau de charité fraternelle.

L'amitié entre époux On sait que le démon n'aime pas l'union de l'époux et de l'épouse (comme il n'a pas aimé l'union d'Adam et Eve) et qu'il essaie par tous les moyens de diviser. Aujourd'hui, la fidélité entre les époux peut être une chose héroïque, et elle devient rare, tellement le démon essaie de diviser, de séparer. Or la charité fraternelle repose sur une amitié, car la grâce présuppose toujours la nature ; la grâce du mariage chrétien, du sacrement, s'enracine donc dans une amitié entre l'époux et l'épouse, une véritable amitié humaine, un véritable choix libre où l'on se choisit mutuellement. Et ce choix n'est pas seulement l'œuvre des fiançailles, il est l'œuvre de toute une vie, il doit être toujours en acte. Et plus on avance, plus ce choix, pour être actuel, doit se renouveler. C'est très important, de voir comment la grâce du sacrement de mariage s'enracine dans une véritable amitié entre l'époux et l'épouse, car c'est toujours là où le démon attaquera, et quand il n'y a plus cette amitié, la grâce n'est plus enracinée. Prenons l'exemple d'un arbre : il a ses racines, et si les racines sont détruites, le moindre vent va faire tomber l'arbre. C'est un exemple tout matériel, mais c'est comme cela qu'en réalité les choses se passent : quand l'amitié humaine n'existe plus, il suffit d'un souffle du démon (par des conversations, par des rencontres, ou dans le travail) pour que la grâce du mariage en arrive à ne plus s'exercer... et au bout d'un certain temps c'est la rupture. On est responsable d’une amitié, il faut bien le comprendre ; une amitié demande à grandir, parce que l'amour d'amitié a une croissance, il demande à croître et à être vécu toujours plus profondément. Au début on ne voit que les qualités de l'autre, et c'est pour cela que tout semble très beau - "On sera un couple merveilleux, et on formera un foyer très uni" -, et petit à petit on s'aperçoit des défauts, des limites de l'autre. Alors on se taquine, on met cela doucement en lumière plutôt que de se résigner : "On sait bien qu'on n'est pas parfait, on le sait dès le point de départ". Quand on aime, on arrive à dépasser cela ; Dieu lui-même nous en donne l'exemple, puisqu'il se sert même de nos défauts pour nous aimer plus : Jésus se sert de nos faiblesses pour créer des liens plus profonds en pardonnant ! Le pardon est quelque chose de capital pour que les blessures ne se referment pas sur elles-mêmes. Quand la blessure se referme sur elle-même il y a gangrène, et un jour cela éclate parce qu'on n'a pas été assez vigilant. Il faut comprendre que l'amour d'amitié est une chose qui s'acquiert, et qui s'acquiert dans un regard mutuel qui doit être toujours vrai : ne pas trop s'arrêter aux défauts, aux actes ratés, aux maladresses, aux chutes, mais voir que l'amour premier a été véritable et a atteint la personne. Ce qui peut rendre les choses difficiles, c'est que la personne est enveloppée de tout son milieu et qu'il est rare que la personne arrive à dominer complètement son milieu pour aimer vraiment. On est influencé par son milieu, et dans le milieu il y a des voix positives, bonnes, et des voix négatives, et on se laisse prendre par celles-là... 26

La grâce assume la nature et elle la transforme, et la grâce transforme en premier lieu l'amour d'amitié, en mettant en pleine lumière la grandeur du pardon. Tous les jours, dans le Notre Père, nous demandons à Dieu de nous pardonner "comme nous pardonnons". Si on ne pardonne plus, si les époux ne se pardonnent plus, s'il y a des silences mauvais qui s'établissent et qui grandissent, cela fait tout "sauter". Nous devons tous être pour le monde d'aujourd'hui des témoins de l'amour du Christ, et dans un foyer l'époux et l'épouse doivent être des témoins de la fidélité dans l'amitié. Ceux qui sont proches de nous ont besoin de cela parce que le monde exalte les divisions en en parlant tout le temps. Rien ne se transmet plus vite que les maladresses, les fautes, les bêtises, les manques de prudence. La vérité profonde, elle, est très difficile à transmettre.

L'éducation des enfants Un foyer est premièrement un lieu d’amour entre l'époux et l'épouse, et entre les parents et les enfants. Entre l'époux et l'épouse, il y a eu un choix libre ; entre les parents et les enfants, il n'y a pas de choix libre, bien qu'il y en ait un en ce sens qu'on a voulu avoir des enfants, on a désiré en avoir ; mais parfois on se fait une image, un idéal de ce que les enfants doivent être ... et ils ne sont pas comme cela ! Un père très intelligent peut très bien avoir des fils moins intelligents que lui,ou qui ont un autre type d'intelligence ; alors, le père s'en désintéresse, parce qu'il avait un idéal, un modèle : il fallait que son fils soit comme cela, et qu'il fasse telles études, etc... C'est très difficile de découvrir quelqu'un qui nous est très lié et qui pourtant n'est pas nous. Le propre de l'enfant, c'est justement d'être quelqu'un d'original qui dépasse donc l'image qu'on a pu se faire, le modèle, l'archétype. L'intelligence que les parents doivent avoir à l'égard de leur enfant, surtout lorsqu'il grandit, n'est pas une intelligence logique ou une intelligence scientifique mais une intelligence aimante. Il faut que l'enfant puisse comprendre que sa mère et son père, dans leur amour pour lui, sont des gardiens de sa liberté, des gardiens de sa propre personnalité. On voit combien est importante, dans un foyer chrétien, l'éducation des petits. Je me souviens de la réflexion d'un père regardant des enfants : "Ils sont si gentils quand ils sont petits ! Dès qu'ils grandissent, ils sont moins gentils". Ce n'est pas juste ; on devrait dire : "Quand ils sont petits, ils sont plus faciles, et en grandissant ils deviennent plus difficiles". C'est vrai aussi dans la vie religieuse : lorsqu'on quitte le noviciat, c'est plus difficile. Mais c'est encore plus grand de voir quelqu'un grandir, de constater que son intelligence et son cœur grandissent, d'avoir pour lui le désir qu'il soit de plus en plus conforme au désir de Dieu sur lui - autrement dit d'avoir une finalité qui soit vraie dans l'éducation. Nos enfants sont bien nos enfants, mais ils réclament des parents une grande pauvreté pour les laisser être eux-mêmes tout en les corrigeant, en leur permettant d'être plus grands, plus adaptés à la vie d'aujourd'hui et plus capables de se diriger. On éduque en vue de faire des hommes, et des chrétiens ; on éduque en vue de faire des femmes, et des chrétiennes ; et que chacun ait sa manière de vivre cette vie chrétienne. Aujourd'hui, vu la rapidité avec laquelle les générations se suivent - et parfois s'opposent -, ce n'est pas facile car, très 27

souvent, les enfants ont des désirs très différents de leurs parents, et cela rend l'éducation très difficile. Il faut demander conseil à ceux qui peuvent nous aider, et il faut prier Marie qui est une merveilleuse éducatrice. Il faut prier saint Joseph, qui est un éducateur étonnant, parce que c’est difficile d'éduquer quelqu'un de plus saint que nous ! Un enfant, même plus saint que nous, doit être éduqué ; il ne faut surtout pas, devant lui, abdiquer son autorité de père et de mère. On peut avoir cette tentation, surtout dans le climat d'aujourd'hui à cause des philosophies qui veulent supprimer, et très vite, l'autorité des parents. Je pense à Sartre qui remerciait son père d'être mort quand il avait sept ans, car ainsi son père n'avait pas été un obstacle à sa croissance ! Pauvre Sartre ! Il ne voyait pas que, s'il avait eu un père pour l'aider, il n'aurait pas été ce qu'il a été, plaidant la liberté par la négation - puisque pour lui c'est en niant qu'on est libre. Et de fait, très souvent on se croit libre en niant l'autorité. Si on met la négation avant tout, comme Sartre et bien d'autres philosophies modernes qui mettent la négation avant l'affirmation, nécessairement l'autorité est annihilée.

Tout chrétien est apôtre Les foyers chrétiens doivent être des lieux d'amour pour les époux entre eux, et pour les parents à l'égard de leurs enfants, mais il ne faut pas oublier que tout chrétien est apôtre et il faut comprendre que, dans le monde d'aujourd'hui, dans notre France qui a été chrétienne et qui ne l’est plus, les Chrétiens sont souvent très isolés et doivent être témoins ; ils doivent comprendre qu’ils ont le devoir d’aider ceux qui sont autour d’eux, surtout s’ils ont à côté d’eux des personnes qui ne croient plus et qui parfois sont désespérées, ou des personnes qui ne croient plus et qui s'exaltent, des gens qui aiment affirmer qu'en n'étant plus croyants ils sont plus libres. Il faut pouvoir apporter aujourd'hui un témoignage vrai, authentique. Tout Chrétien suit Jésus et, comme lui, il est témoin, doit témoigner que Dieu est un Dieu d'Amour4, que Dieu est un Père, et que son gouvernement sur nous est paternel. C'est le gouvernement d'un Père qui nous rappelle toujours que nous sommes faits pour vivre éternellement avec lui. Nous sommes, en tant que Chrétiens, témoins que l'homme est fait pour être plus grand que lui, que la femme est faite pour être mère, parfaitement mère, comme Marie, parfaitement donnée à Dieu dans son dévouement et dans tout ce qu'elle est. Un Chrétien ne peut être vraiment chrétien, heureux et joyeux, que s'il a ce souci de charité fraternelle à l'égard des plus pauvres. Le Chrétien doit avoir ce sens chrétien que lui donne Jésus, que lui donne Marie, d'aller toujours vers les plus pauvres pour les aider, parce que les plus pauvres, dans le monde d'aujourd'hui, sont très seuls et ont de la peine à vivre ; alors il faut les aider, matériellement si on le peut, et les aider spirituellement. C'est très important, cet amour des pauvres. Jésus nous le montre bien puisqu'il nous dit que, quand on donne à un pauvre, on donne à Jésus lui-même, même si le pauvre est loin de Jésus. "Tu m'as vu nu et tu m'as donné un vêtement, tu m’as vu affamé et tu m'as donné la nourriture. - Quand ai-je fait cela ? - Chaque fois que 4. “Et nous, nous avons connu l’amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru. Dieu est amour...” (!Jn4, 16).

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tu l’as fait à un plus petit que toi, à un plus petit dans le royaume de Dieu”5. C'est cette rencontre-là que nous faisons avec tous ceux qui sont autour de nous et qui ont besoin de nous. Il faut découvrir dans notre vie, dans notre foyer, dans notre famille, ceux qui ont besoin de nous et qui sont dans un état de faiblesse, de misère, et qui n'osent plus se montrer...

Réponses aux questions -PèreJean-Marie : Père, vous venez de nous parler de cette vocation qui est la nôtre. Pourriez-vous nous parler un peu de la complémentarité des membres de la Famille Saint-Jean ? Parmi nous qui sommes réunis ici il y a des frères et sœurs, des oblats, des amis, des parents de frères. Ce que vous nous avez dit est-il pour chacun d'entre nous ? et comment sommes-nous, d'une façon particulière, à notre place, invités à le vivre ?

- Père Marie-Dominique Philippe :Je crois que c'est directement dans la ligne de ce que doivent faire les frères et les sœurs. La clôture est là pour nous rappeler que nous sommes appelés par Dieu, mais la clôture doit agrandir notre cœur puisque, devenant des familiers du Christ, des amis du Christ, nous devons avoir avec ceux qui sont proches de nous des liens d'amitié, des liens de famille, et les aimer particulièrement, et leur faire comprendre qu'ils nous sont indispensables. Non seulement ils nous aiment, mais ils rendent service parce qu’ils atteignent des personnes que nous ne pouvons pas atteindre. Ces laïcs chrétiens, amis de la Communauté, sont un prolongement de la famille religieuse, parce qu'ils peuvent faire, du point de vue apostolique, quantité de choses que nous ne pouvons pas faire, notamment être des témoins de Jésus auprès de certains qui sont très loin de nous ; eux peuvent les atteindre, par amitié pour nous et par amitié pour ces pauvres. Il faut bien comprendre ce que représente, concrètement, le Corps mystique. Dans la Famille Saint-Jean, nous formons un petit corps mystique et, dans ce corps mystique, il y a les frères, les sœurs et nos oblats et nos amis. Il faut à la fois unir et distinguer : une sœur ne serait plus sœur si elle était toujours en dehors de son couvent sous prétexte d'aller aider et soutenir ceux qu'elle connaît, ceux qu'elle aime. Mais en même temps, cette distinction ne doit pas être une séparation ; elle doit être un moyen d'une unité plus grande, plus profonde. Parfois cette unité ne se manifeste pas assez, et dans ce cas on doit le dire. Frères et sœurs doivent pouvoir être tout proches des oblats et amis par la parole, par des rencontres. Ils doivent avoir des audaces, des initiatives, pour que nos oblats et amis puissent trouver auprès d'eux ce dont ils ont besoin ; et, en même temps, frères et sœurs doivent recevoir d'eux ce dont ils ont besoin. Chaque foyer chrétien doit être une petite oasis, une petite source de vie au milieu de ce désert qu'est notre monde ; au milieu de tous ces hommes qui ne pratiquent plus, qui n'ont plus la foi, il faudrait qu’il y ait comme des relais qui permettent aux frères et aux sœurs d'atteindre ceux

5. Voir Mt 25, 31 sq.

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qu'ils n'atteindraient pas autrement. C'est très important, et cela c'est l'amitié. Quand, dans une amitié, on ne fait que recevoir, que dépendre de l'autre, ce n'est pas une véritable amitié ; il faut qu'il y ait un échange actif.

- PèreJean-Marie : Père, tout à l'heure vous nous avez parlé de l'amitié et, en même temps, vous nous avez dit que par l'amour nous devenons des témoins. Sommes-nous tous appelés à être témoins ? On le comprend bien du côté d'une vocation apostolique comme celle des frères, ou d'une vie consacrée dans le monde, mais est-ce qu'un père de famille, par exemple, ou quelqu'un qui travaille dans le monde, peut vivre aussi cette dimension de témoignage ? et de quelle façon ? - Père Marie-Dominique Philippe : Du fait qu'il est chrétien, il est témoin. Dans certaines circonstances, il sera obligé de se taire parce que, si on savait qu'il est chrétien, on l'écarterait... ce sont là des cas extrêmes, qui existent. Mais quand on peut dire qu'on est chrétien, le simple fait de vivre sa vie chrétienne est un témoignage. En la vivant, on témoigne et, si on le peut, on exprime ce témoignage par la parole ou en rendant service. Pour entrer en contact avec quelqu'un qui est loin de nous et qu'on ne rencontre pas, il faut d'abord rendre service. Si on rend un service à l'autre, si on se donne à lui pour l'aider, on peut, grâce à cela, avoir un contact avec lui et se mettre à lui parler. Cela, c'est très important. Le témoin est d'abord un serviteur, serviteur de l'Esprit Saint, serviteur de Dieu, serviteur de Marie, et il essaie de voir quels services il pourrait rendre à l'autre, quel geste d'affection il pourrait avoir à son égard. N'oublionsjamais que celui qui a plus reçu doit avoir les initiatives. Celui qui a-moins reçu est toujours un peu dans un état d'infériorité et il est très difficile pour lui d'avoir des initiatives ; tandis que celui qui a plus reçu doit avoir ces initiatives. Or la plupart du temps, en tant que chrétien, on a beaucoup plus reçu que ceux qui sont autour de nous, et on doit avoir la bonté de faire le premier pas vers eux, d'aller vers eux, et par là on est témoin. Si on ne fait pas cela, les autres diront : "On ne se rencontre pas, on ne se connaît pas, on est tellement différents !". Mais avez-vous cherché la manière de rendre un petit service ? Les femmes peuvent faire cela très facilement entre elles, plus facilement que les hommes (les hommes ont toujours plus de peine), et alors on peut se servir d'une personne qu'on connaît et qui fait le lien. Il faut être astucieux dans les rencontres ! - Père Jean-Marie : Père, vous nous avez exhortés à cette croissance de l'amitié, de la charité fraternelle. Ce que je vais faire maintenant, ce n'est pas de la publicité mais presque ! Il y a ici votre dernier livre, qui s'intitule : "Je suis venu jeter un feu sur la terre", que toutes les personnes qui le désirent peuvent se procurer, et qui est accompagné d'une série de cassettes vidéo... Mais je ne dis pas cela pour faire de la publicité ! Simplement j'utilise cette opportunité pour vous demander en quoi les béatitudes peuvent nous éclairer sur la manière propre dont nous sommes invités à vivre de la charité fraternelle.

- Père Marie-Dominique Philippe : Permettez-moi d'abord de dire que ce livre m'a été demandé ; l'initiative n'est pas venue de moi. C'est quelqu'un que je connais bien qui me l'a demandé. 30

Les béatitudes, on doit les vivre tout le temps. C'est notre vie chrétienne. Je sais bien que ce sont des conseils, mais chez les religieux c'est plus que cela. Les religieux devraient vivre des béatitudes, et surtout de la béatitude des pauvres. Saint Dominique a été, comme saint François, un pauvre. L'un et l'autre ont vécu à un moment où la vie religieuse contemplative bénédictine s'était beaucoup enrichie (cela n'existe plus maintenant mais, à cette époque-là, c'était ainsi). Et saint Dominique a voulu que celui qui prêche soit pauvre, mendiant. Nous vivons aujourd'hui quelque chose d’analogue, et nous devons avoir une pauvreté intérieure très grande. On ne possède pas la vérité, on l'aime et on la cherche. Très souvent on peut apparaître comme possédant la vérité, mais il faut être des pauvres, des mendiants de la vérité, et tout homme doit chercher la vérité. Je crois que, par la pauvreté intérieure, on peut devenir beaucoup plus vite des amis pour ceux qui sont plus loin de nous. Les béatitudes sont les sept sentiers, les sept chemins qui nous conduisent à l'amitié avec le Christ ; c'est pour cela qu'on aime les béatitudes, même si c'est toujours quelque chose qu'on n'ajamais atteint : on n'est jamais un vrai pauvre, on n'est jamais vraiment doux, on n'est jamais miséricordieux tout le temps, mais on tend vers cela. Les béatitudes ont ceci de très grand qu'à la fois elles sont présentes en nous et que, si on veut vivre chrétiennement, elles sont des petits sentiers, et des sentiers merveilleux. Chaque Chrétien essaie de les vivre comme il peut... et l'avantage des béatitudes, c'est qu'on ne les atteint jamais ! Dans le Ciel les béatitudes régneront en chacun d'entre nous, mais sur la terre on tend vers ces béatitudes, on cherche à en vivre, on les aime.

- PèreJean-Marie : Père, merci pour la richesse de ce patrimoine que vous nous laissez. Tout à l'heure vous avez commencé votre enseignement en disant que le Père appelait ses enfants à vivre de son patrimoine, et c'est ce que nous voulons faire à travers ce forum où l'ensemble des membres de notre famille va essayer de mieux se faire connaître.

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