Les théories en psychologie sociale 9783110899054, 9789027971364

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Les théories en psychologie sociale
 9783110899054, 9789027971364

Table of contents :
Sommaire
Préface
CHAPITRE I: LE RÔLE DE LA THÉORIE EN PSYCHOLOGIE SOCIALE
CHAPITRE II: L'APPROCHE DE LA PSYCHOLOGIE DE LA FORME
CHAPITRE III: LA THÉORIE DU CHAMP DANS LA PSYCHOLOGIE SOCIALE
CHAPITRE IV: LES THÉORICIENS DU RENFORCEMENT
CHAPITRE V: LA THÉORIE PSYCHANALYTIQUE
CHAPITRE VI: LA THÉORIE DU RÔLE
CHAPITRE VII: LES COURANTS ACTUELS EN PSYCHOLOGIE SOCIALE
BIBLIOGRAPHIE
INDEX DES NOMS
INDEX ANALYTIQUE

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les théories en psychologie sociale

l'œuvre sociologique 3

MOUTON É D I T E U R

• PARIS •

LA

HAYE

MORTON DEUTSCH / R O B E R T M. KRAUSS

les théories en psychologie sociale

MOUTON ÉDITEUR

• PARIS • LA

HAYE

Library of Congress Catalog Card Number : 72-80007 Titre de l'édition originale : Theories

in social

© 1972, pour l'édition française : Mouton & Co Couverture par Jurriaan Schrofer Imprimé

en

France

psychology

sommaire

CHAPITRE I :

LE RÔLE DE LA THÉORIE EN PSYCHOLOGIE

SOCIALE

1

L'objet de la psychologie sociale Les approches théoriques de la psychologie sociale La nature de la théorie

1 3 6

CHAPITRE II :

L'APPROCHE DE LA PSYCHOLOGIE DE LA FORME

15

L'orientation théorique de la psychologie de la forme . . . . Les caractéristiques d'une bonne organisation perceptive L'orientation de Solomon Asch L'orientation de Fritz Heider

16 18 25 31

CHAPITRE III : LA THÉORIE

DU CHAMP DANS LA PSYCHOLOGIE

SOCIALE

41

Kurt Lewin Leon Festinger

41 68

CHAPITRE IV :

LES THÉORICIENS DU RENFORCEMENT

Les orientations sous-jacentes des théoriciens du renforcement Deux procédures fondamentales des expériences sur l'apprentissage Les concepts fondamentaux de l'apprentissage

85 85 87 89

Sommaire

VI

Neal E. Miller et John Dollard Le programme de recherche sur la communication de Yale

95 99

Albert Bandura et Richard H. Walters

104

B. F. Skinner

112

George C. Homans

120

John W . Thibaut et Harold H. Kelley

129

Résumé

137

CHAPITRE

V

: LA THÉORIE PSYCHANALYTIQUE

139

L'apport essentiel de Freud

139

La théorie psychanalytique classique

143

L'apport de la psychanalyse à la psychologie sociale

172

Conclusion

188

CHAPITRE VI

: LA THÉORIE DU RÔLE

191

Les concepts fondamentaux de la théorie du rôle

191

George Herbert Mead

202

Robert K. Merton

210

Erving Goffman

224

CHAPITRE

VII

: LES COURANTS ACTUELS EN PSYCHOLOGIE

SOCIALE

235

BIBLIOGRAPHIE

241

INDEX DES NOMS

257

INDEX ANALYTIQUE

261

préface

La théorie est le filet que l'homme tisse pour capter le monde observable — l'expliquer, le prévoir et influer sur lui. Cet ouvrage présente les théories en psychologie sociale. Les théoriciens ont tissé des filets de différentes sortes. Certains, à usages multiples, veulent embrasser toute espèce de comportement, d'autres se limitent expressément à certaines catégories ; certains ont été conçus pour un usage en surface, d'autres sont plus adaptés aux profondeurs. Mais tous les théoriciens sont fermement convaincus que les idées sont importantes et que les données du monde observable doivent être prises dans un réseau d'idées si l'on veut parvenir à un produit véritablement scientifique. Notre but a été de présenter les idées principales de la psychologie sociale dans le contexte des orientations théoriques d'où elles sont issues. Nous avons été soutenus par notre conviction que les théories de psychologie sociale sont à la fois intéressantes et valables. Elles stimulent la recherche et mettent en lumière maints aspects variés, et parfois déconcertants, du comportement social. Et cependant, on a quelque peu négligé les théories de psychologie sociale ; peu d'ouvrages leur sont consacrés. Le présent travail veut y porter remède. Notre énumération des théoriciens en psychologie sociale est représentative plutôt qu'exhaustive. Nous nous sommes efforcés d'aller aux racines même de la psychologie sociale et, ce faisant, nous avons négligé certaines branches et certaines des floraisons les plus colorées de cet arbre de la connaissance. Nous avons donné des diverses orientations théoriques à la fois un exposé et un examen critique. Nous nous sommes attachés à pré-

VIII

Préface

senter les divers points de vue dans leur propre langage, avec leur propre terminologie mais nous n'avons pas hésité à formuler des critiques sévères sans toutefois tomber dans la malveillance et l'ergotage. Si nous savons que certains des théoriciens mentionnés ne seront pas d'accord avec nos commentaires, nous espérons qu'ils tiendront leur présence dans cet ouvrage pour une marque de notre estime. En réalisant ce livre nous avions présents à l'esprit à la fois l'étudiant et le profane. Nous voulons espérer cependant que nos collègues de travail y trouveront aussi intérêt et seront conduits à jeter un regard neuf sur des idées qui leur sont déjà familières. La clarté a été notre souci constant, mais nous n'avons pas hésité à solliciter le lecteur de s'arrêter et de réfléchir au cours de sa lecture, pas plus que nous n'avons écarté certains sujets complexes et subtils parce qu'ils exigeaient un effort soutenu. Nous exprimons toute notre reconnaissance à «Garry» Boring ; chaque page de l'ouvrage a bénéficié de sa compétence experte d'éditeur. Mmes George Ferguson et John Shewmon ont déchiffré nos brouillons manuscrits et en ont assuré la dactylographie ; nous leur exprimons notre gratitude. Enfin, nous sommes reconnaissants à tous nos collègues et nos étudiants qui ont lu, commenté ce travail et de maintes façons nous ont apporté leur aide. Morton Deutsch Robert M. Krauss

CHAPITRE I

le rôle de la théorie en psychologie sociale

Si l'on s'interroge sur la nature exacte de la psychologie sociale, diverses images viennent à l'esprit : une mère allaitant tendrement son enfant, un Blanc en colère qui jette des pierres sur un étudiant noir, la conversation de deux amis, un politicien haranguant son public au coin de la rue, un match de football, un homme en train d'écrire à son bureau, un enseignant travaillant avec ses étudiants, un malade avec son thérapeute. Quel est le lien qui unit ces diverses situations à la psychologie sociale ? Ce lien, c'est le souci chez le psychosociologue d'appréhender les modalités des relations interindividuelles.

L'OBJET DE LA PSYCHOLOGIE SOCIALE

Cette définition très lâche de l'objet de la psychologie sociale n'est pas totalement satisfaisante car elle laisserait penser que l'effet produit par un individu sur un autre est anodin et accidentel. En quoi les relations entre individus diffèrent-elles des relations entre molécules, sur ce point, notre définition est muette ; elle ne permet pas davantage de différencier les relations de personne à personne de celles qui unissent un individu à son environnement physique. Quels sont donc les traits distinctifs des relations de personne à personne ? Entre individus, contrairement à ce qui se produit entre choses, les faits psychologiques peuvent advenir dans l'un ou l'autre terme de la relation. Chacune des personnes engagées dans une relation peut percevoir, penser, sentir, désirer et agir. Mais en outre, chacune perçoit que les autres sont capables de perceptions et d'actions, per-

2

Rôle de la théorie

en psychologie

sociale

ceptions ec actions qui peuvent la concerner. L'aptitude des individus à être conscients les uns des autres et à exercer, en tant qu'êtres psychologiques, une influence mutuelle, signifie que dans une relation sociopsychologique les événements psychologiques qui se produisent sont influencés par les activités psychologiques perçues ou anticipées des autres (Asch, 1952). Bousculez une pierre, il n'y a pas de réaction à en attendre. Elle ne peut vous poursuivre ni suivre l'itinéraire changeant que vous adoptez pour lui échapper. En revanche, si vous bousculez un homme, il peut se mettre en colère, se lancer à votre poursuite et, s'il est assez leste, vous rattraper quelles que soient vos esquives. Le résultat d'un comportement relevant d'un système non intentionnel dépend étroitement de la présence ou de l'absence d'une quantité de conditions spécifiques. A l'opposé, un système intentionnel adapte et réoriente le comportement en fonction de l'information reçue sur l'écart entre la situation présente et le résultat souhaité. Le monde inanimé — en dehors des servo-mécanismes et des appareils cybernétiques — est essentiellement constitué de systèmes non intentionnels. Tandis que la pierre qui roule peut être aisément déviée de sa route, une personne, elle, si elle dispose d'un «pouvoir» suffisant, surmonte bien souvent des handicaps et des circonstances contraires pour atteindre, d'une façon ou d'une autre, son objectif. On ne trouve pas dans les objets matériels de «volonté» de produire des événements qui ont pour but de provoquer un changement donné chez une personne donnée ; ils n'ont pas davantage le pouvoir de le faire. Seuls les êtres humains ont le désir et le pouvoir de déterminer la nature des activités et des expériences psychologiques d'un autre être. Dans la mesure où l'être humain est, dès sa naissance, le centre ultime de l'action de ses semblables, il est évident que la compréhension du comportement humain passe par la compréhension de ses relations à autrui. (Ce point est étudié de façon plus détaillée chez Heider, 1958, chapitre IV.) Ce qui caractérise les relations de personne à personne, ce n'est pas seulement que des faits psychologiques puissent se produire chez l'un et l'autre terme de la relation, c'est aussi leur caractère social, à savoir que les relations humaines se situent toujours dans un environnement social organisé — famille, groupe, communauté, nation — qui s'est constitué des techniques, des catégories, des règles et des valeurs qui s'appliquent aux interactions humaines. D'où la nécessité pour comprendre les faits psychologiques qui se produi-

Les approches théoriques de la psychologie sociale

3

sent dans les interactions entre individus, d'appréhender les rapports que ces faits eux-mêmes entretiennent avec le contexte social où ils se produisent. Tout comme le spécialiste de psychologie animale qui étudie le comportement d'un rat dans un labyrinthe doit connaître les propriétés physiques propres au labyrinthe pour comprendre ou prévoir le comportement qu'y adoptera l'animal, de même le spécialiste de psychologie sociale doit être en mesure de déterminer les données caractéristiques de l'environnement social s'il veut comprendre ou prévoir les interactions des individus. La psychologie sociale s'intéresse donc à l'étude des relations d'individus à individus, réelles, imaginaires ou potentielles dans un contexte social donné en ce qu'elles affectent les individus concernés (Allport, 1954). Cette définition globale se subdivise en de nombreux problèmes lorsqu'on tente de répondre à des questions d'ordre général de ce type : quels sont les effets dont nous cherchons à comprendre les conditions déterminantes ? Quelles sont les conditions dont nous cherchons à étudier les conséquences ? Quels sont les processus intermédiaires qui relient ces déterminants et leurs effets ? Ainsi les psychosociologues s'attachent-ils à définir les conditions qui amènent une personne à se conformer au jugement d'une autre personne, les conditions qui déterminent les attitudes d'une personne, qui engendrent des interrelations de coopération ou de compétition. Ils s'intéressent également à l'étude des effets qu'ont les attitudes d'un individu sur ses relations avec les autres, l'étude des conséquences des interactions coopératives ou compétitives et autres relations analogues.

LES APPROCHES THÉORIQUES DE LA PSYCHOLOGIE SOCIALE

Bon nombre de positions théoriques différentes ont marqué la littérature de la psychologie sociale et continuent d'influer sur les recherches effectuées dans cette discipline. Le contexte historique et social de ces diverses approches théoriques a été étudié par Allport (1954), Martindale (i960) et Karpf (1932). Ces orientations distinctes reflètent, d'une part, des conceptions différentes de la nature humaine et, d'autre part, font porter l'attention sur les diverses facettes de ce qui constitue l'objet de la psychologie sociale. Les conceptions de l'homme, de leur côté, prennent leur source dans les doctrines politiques et religieuses et viennent les étayer. Du fait de leur lien étroit

4

Rôle de la théorie en psychologie

sociale

avec les doctrines idéologiques, les conceptions de l'homme sont rarement à l'abri des controverses politiques. La place nous manque pour décrire ici le lien qui unit les doctrines politiques et les conceptions quant à la nature humaine ; disons seulement que ces conceptions influent sur le choix qu'on est amené à faire face aux alternatives politiques telles que ségrégation raciale ou intégration, féodalisme ou démocratie, armement militaire préventif ou coopération internationale pour prévenir les guerres. Que compter parmi les importantes interrogations ou questions sur la nature humaine qui transparaissent dans les principales orientations théoriques de la psychologie sociale ? Nous allons indiquer ci-après quelques-uns des thèmes les plus fréquents : 1°) Faut-il considérer l'homme comme rien d'autre qu'un animal plus intelligent que les autres, dépourvu de caractéristiques psychologiques propres, ou bien l'interaction sociale, le langage et le fait qu'il reste longtemps dépendant des conduites de coopération, lui confèrent-ils des caractéristiques psychologiques spécifiques ? 2°) L'égocentrisme est-il le déterminant des conduites humaines ou bien peut-on considérer l'intérêt porté à autrui comme aussi fondamental et aussi essentiel que «l'amour de soi» ? 3°) Le comportement humain est-il principalement irrationnel et produit par l'expérience contingente de la récompense et de la punition ou bien l'homme modèle-t-il son comportement à la lumière de ce qu'il expérimente ? 4°) Le comportement humain prend-il sa source dans le donné biologique ou bien les conditions sociales exercent-elles une influence déterminante sur la forme et la nature de l'action de l'homme ? 5°) Le comportement de l'adulte est-il essentiellement le reflet d'expériences vécues dans l'enfance ou bien l'homme devient-il et reste-t-il tout au long des années sensible à son environnement ? Aujourd'hui les psychosociologues rejetteraient de telles questions sous la forme d'alternatives. Ils soutiendraient plutôt que l'homme est à la fois social et biologique par nature, qu'il y a chez lui tout ensemble l'aptitude à agir de façon égocentrique et tout animale sans tenir aucun compte des conséquences, et l'aptitude à des conduites spécifiquement humaines, altruistes et tenant rationnellement compte des conséquences encourues par lui-même et par autrui. Ce sont les diverses influences physiques, biologiques, psychologiques et sociales auxquelles il a été soumis dans le passé et qui s'exercent présentement sur lui, qui détermineront sa manière d'agir.

Les approches

théoriques

de la psychologie

sociale

5

Bien que la tendance actuelle en psychologie sociale soit plus de mettre l'accent sur les conditions qui conduisent l'homme à être «égocentrique» ou «sociocentrique», «rationnel» ou «irrationnel» que de la considérer comme étant l'un ou l'autre par nature, il n'en reste pas moins que les principales orientations théoriques reflètent en partie des vues divergentes quant à l'essence de l'homme. Ainsi le courant gestaltiste postule que l'homme est ainsi structuré qu'il est avant tout préoccupé de forger une vision du monde organisée et signifiante. Les théoriciens du «renforcement», de leur côté, posent en principe que le comportement est essentiellement déterminé par ses conséquences immédiates de plaisir ou de peine. Pour eux, l'homme essaie de comprendre sa situation en fonction des expériences qu'il a vécues dans la poursuite du plaisir. Les théoriciens du «rôle» partent de l'hypothèse que la détermination de l'homme est exclusivement sociale. Selon eux, les valeurs et les critères selon lesquels un homme décide de ce qui est source de plaisir et de ce qui a un sens, sont déterminés par le rôle qui lui est dévolu dans une société donnée. Les tenants de la psychanalyse considèrent l'homme comme un lieu de conflit entre sa nature animale et la société représentée par la famille. Dans cette perspective, le pouvoir rationnel de l'homme et ses facultés d'adaptation opèrent une médiation entre les forces conflictuelles et, au cours de ce processus de médiation, se structurent et se développent. Les expériences vécues au sein de la famille durant l'enfance sont considérées comme décisives pour la fixation des schémas de résolution des conflits et pour la vigueur des facultés d'adaptation. Dans les chapitres qui suivent, les quatre orientations théoriques principales que nous venons d'évoquer seront examinées plus en détail. Mais il faut souligner dès maintenant qu'aucune d'elles n'est une «théorie» au sens strict du terme. Il s'agirait plutôt d'orientations générales face à la psychologie sociale. Elles proposent certains types de variables à prendre en considération mais ne sont pas des systèmes déductifs dont puissent découler des hypothèses claires et vérifiables. Les principales approches théoriques en psychologie sociale sont les œuvres de l'enfance de cette science. Or, c'est le propre d'une science à ses débuts de développer des théories aussi ambitieuses dans la définition de leur champ qu'elles sont imprécises dans leur détail. Il semble cependant de plus en plus net que l'effort théorique en psychologie sociale va porter davantage sur l'élaboration de théories « de moyenne portée » pour reprendre l'expression par laquelle

6

Rôle de la théorie en psychologie sociale

Merton (1957) définissait des «théories intermédiaires entre les hypothèses de travail secondaires, élaborées d'abondance dans la routine quotidienne de la recherche, et les vastes constructions spéculatives ordonnées autour d'un schéma conceptuel central». Ainsi les théories dans cet ouvrage influent-elles de manière subtile mais constante sur le travail du psychologue. Elles le guident dans son choix des phénomènes qu'il va étudier et dans le choix des concepts auxquels il aura recours pour les analyser. Dans une certaine mesure, elles l'influenceront aussi dans le choix des techniques à employer pour sa recherche car chaque modèle théorique a sa propre tradition méthodologique. Le courant actuel en faveur des «théories de moyenne portée» aurait tendance à estomper quelque peu les lignes de partage entre les diverses écoles théoriques. Il arrive qu'il ne soit pas possible de classer un travail de recherche donné comme s'inscrivant dans une tradition par exemple, celle de la gestalt ou du renforcement. Néanmoins, il restera difficile de comprendre le sens et la portée des recherches actuelles en psychologie sociale, si l'on ne cherche à en connaître les antécédents historiques et théoriques.

LA NATURE DE LA T H É O R I E

Lorsqu'on débat de la nature des théories scientifiques, il est fréquent que l'on énumère un certain nombre de critères idéaux auxquels une théorie doit répondre pour pouvoir être valablement considérée comme «scientifique». Mais il faut bien voir que dans le domaine de la science comme dans celui de la vie quotidienne, l'idéal est rarement réalisé. Dans la pratique, la science est une affaire embrouillée et les idéaux définiraient plutôt les objectifs à se fixer que les moyens de les atteindre. Les théories sont des outils intellectuels qui permettent d'organiser des données de telle façon que l'on puisse faire des inférences et établir des transitions logiques d'un ensemble de données à un autre ensemble. Elles servent de guides à l'investigation, l'explication et la découverte de données observables (se reporter pour l'étude de la nature de la construction théorique aux brillants travaux de Braithwaite 1953, Campbell 1920, Kaplan 1964, Margeneau 1950 et Nagel 1961). Dans les sciences physiques, les théories comportent ordinairement trois éléments que l'on peut distinguer :

La nature de la théorie

7

I o ) un algorithme abstrait qui constitue le squelette logique du système théorique et qui détermine implicitement les notions fondamentales du système ; 2°) les constructions théoriques qui apportent quelque chair à la structure squelettique de l'algorithme sous forme de matériels conceptuels, ou représentatifs plus ou moins familiers ; 3°) enfin des règles de correspondance qui établissent un lien entre certaines des constructions théoriques et les données concrètes de l'observation et de l'expérience. Un algorithme est un système déductif qui est représenté symboliquement de telle sorte que pour chaque principe logique de déduction il existe une règle correspondante de manipulation symbolique (ce point est étudié plus avant dans Braithwaite, 1953). Un noyau mathématique a cette propriété scientifique d'être un système déductif dans lequel toutes les déductions s'opèrent en vertu de règles précises et explicites. Etant explicites, les déductions peuvent être soumises à vérification par tout un chacun et peuvent même être faites mécaniquement. En outre, le processus déductif peut se dérouler san? référence à aucun contenu empirique particulier et se trouve ainsi relativement à l'abri des biais et préconceptions que l'on observe souvent pour ce qui touche aux matières scientifiques. Enfin la variété des algorithmes existants, jointe à la possibilité d'en créer de nouveaux, permet à l'homme de science de rechercher l'algorithme qui sera particulièrement fécond dans l'organisation du domaine scientifique qui est le sien. Les théories et les approches théoriques en psychologie sociale ne se basent pas cependant, en règle générale, sur des algorithmes. Au contraire, elles ont presque toujours recours aux règles de la déduction implicitement à l'œuvre dans la syntaxe du langage de tous les jours. C'est pourquoi les dérivations tirées de la plupart des théories de psychologie sociale ne sont pas dépourvues d'ambiguïté, ne sont pas purement logiques car elles sautent des étapes, reposent sur des assertions non explicitées et sur des critères de plausibilité, de rationalité intuitive plus que sur de stricts critères de rigueur logique. Bien des épistémologues ont souligné l'inadaptation du langage quotidien à la formulation des théories scientifiques. Le langage de tous les jours est cependant un outil indispensable à une jeune science. Une théorie scientifique n'est pas, comme un système logique ou mathématique, un système purement déductif ; elle s'applique à des faits observables du monde réel. Pour qu'un tel sys-

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Rôle de la théorie

en psychologie

sociale

tème soit fécond, sa «grammaire», c'est-à-dire la structure logique de la théorie et son «vocabulaire», c'est-à-dire l'ensemble des constructions théoriques doivent en quelque sorte s'accorder afin que l'on puisse faire des prédictions qui soient significatives sur le plan empirique. Puisque la grammaire du langage quotidien n'est pas dépourvue de logique et que son vocabulaire s'applique à des faits significatifs du monde réel, la langue est, somme toute, un outil utilisable au cours du travail d'acquisition du savoir et des intuitions nécessaires à la formulation d'une théorie qui soit sans ambiguïté et pertinente dans ses implications empiriques. L'utilité du langage quotidien réside dans sa souplesse. On peut le couler dans des formes plus ou moins précises pour l'adapter à des circonstances diverses. Il permet au fur et à mesure que la connaissance progresse, de passer graduellement d'un raisonnement implicite à un raisonnement explicite, de concepts vagues à des concepts clairement définis, tout en maintenant le contact avec une compréhension intuitive qui s'amplifie régulièrement et qui est le terrain sur lequel toute science se développe. Les constructs théoriques ou concepts constituent le vocabulaire de la théorie. On peut considérer un concept comme une idée qui relie entre elles des observations ou d'autres idées en fonction de quelque commune propriété. Ainsi l'élaboration de nouveaux concepts est-elle un des aspects les plus productifs de la théorisation scientifique. En découvrant qu'on pouvait rendre compte de la chute d'une pomme du haut d'un arbre et du maintien de la lune sur son orbite à l'aide du concept de pesanteur, Newton devait ouvrir la voie à des changements révolutionnaires dans la théorie physique. La portée théorique d'un construct est déterminée par ses relations avec les autres constructs du système théorique dont elle fait partie ; sa portée empirique est déterminée par les règles de correspondance ou des définitions opérationnelles qui mettent le construct en relation avec des faits observables. Une définition opérationnelle définit un concept en termes de procédures selon lesquelles opérer les observations spécifiques qui constituent le fondement empirique de son emploi ; ainsi par exemple, il existe deux sortes de longueur, la longueur mesurée au mètre et la longueur triangulaire, et ces longueurs ne sont pas interchangeables (à moins que n'intervienne une opération nouvelle pour les identifier). Les constructs théoriques n'ont pas tous une portée empirique directe ; certains peuvent n'être employés qu'en tant que liaisons avec d'autres concepts qui, eux, ont un référent empirique direct. Définir un concept n'est pas chose facile puisqu'une définition complète doit

La nature de la

théorie

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comprendre l'exposé de ses interrelations avec le système de concepts dont il fait partie (pour définir un concept comme celui de «but», il faudrait définir également d'autres concepts tels que «mobile», «intention», «succès», «échec», «attente», «attraction»...) ainsi que l'énoncé des procédures mises en jeu dans l'observation des phénomènes qui se rapportent à ce concept. C'est pourquoi il n'est pas de réponse facile à des questions telles que «qu'est-ce qu'un électron ?» ou «qu'est-ce qu'une attitude ?» à moins que l'on suppose acquise une

CE QUI EST OBSERVÉ

Figure 1-1. Concepts

et

systèmes

Les traits doubles représentent les connexions empiriques entre un concept et les faits d'observation ; les connexions empiriques sont établies par des règles de correspondance ou des définitions opérationnelles. Le trait simple représente les liaisons logiques entre concepts. Les liaisons logiques reflètent le noyau abstrait ou squelette logique du système théorique. L'ensemble des concepts qui sont reliés empiriquement aux données observables (système A) forme un système scientifique. L'ensemble des concepts qui n'ont aucun lien avec les données d'observation (système B) forme un système logique mais non un système scientifique. Des concepts comme C' et C" qui ne présentent pas de connexions multiples, sont sans valeur (proposé par Margeneau, 1950).

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Rôle de la théorie

en psychologie

sociale

connaissance implicite des concepts voisins et des règles de correspondance qui lient les concepts en jeu aux données observables. Bien qu'il soit impossible d'édicter des règles pour l'invention de constructs théoriques, il est cependant évident qu'une théorie sera féconde dans la mesure où elle comprendra des concepts qui : I o ) satisfassent aux exigences de la fertilité logique (de tels constructs permettent les inférences logiques) ; 2°) offrent des connexions multiples (les constructs ne sont pas isolés les uns des autres mais sont au contraire si abondamment interconnectés qu'il est possible d'aller de l'un à l'autre par des cheminements divers) ; 3°) offrent un champ empirique extensible (certains constructs peuvent être mis en relation avec des faits d'observation de telle sorte que l'on puisse donner, de tout concept spécifique, toute une variété de définitions empiriques équivalentes). La figure 1-1 montre un ensemble de constructs à connexions multiples et dont le champ empirique est extensible. Des concepts comme C et C" qui n'ont pas de connexions multiples sont sans valeur dans un système théorique. L'ensemble des concepts qui ne sont reliés ni directement ni indirectement à des données observables (à l'intérieur du cercle dont le tracé est discontinu) forme un système logique mais non un système scientifique. En l'absence de règles de correspondance qui lient certains des constructs d'une théorie à des faits observables, il n'y a pas de moyen de constater, de vérifier ses conséquences empiriques. Toutefois, même lorsqu'on peut établir une coordination entre des données de fait et les constructs, il est bien rare qu'une quelconque observation ou expérimentation puisse, par elle-même, être cruciale et permettre de savoir si une hypothèse particulière déduite d'une théorie sera acceptée ou rejetée. Lorsque les résultats d'une expérimentation sont négatifs en ce qui concerne une hypothèse donnée, on peut encore «sauver» l'hypothèse en rejetant comme inappropriée la définition opérationnelle du concept qui a été retenu pour la formulation de l'hypothèse. Le choix entre le rejet de celui de l'hypothèse ou celui de la définition opérationnelle, dépendra de l'investissement réalisé dans la définition opérationnelle ou dans la théorie dont l'hypothèse est tirée et de la plus ou moins grande possibilité de modifier l'une ou l'autre. La définition empirique des concepts comporte donc une part d'arbitraire. Ils sont en partie définis de façon à ce qu'une théorie donnée puisse avoir de fécondes conséquences empiriques. En outre, les

La nature de la théorie

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règles de correspondance sont formulées de manière à permettre à d'autres observateurs ou expérimentateurs compétents d'effectuer des opérations similaires et d'obtenir des résultats similaires. Ce qui revient à dire que les règles de correspondance lient les concepts à des opérations ayant un caractère objectif, intersubjectif et reproductible. En dehors de ces critères généraux de «fécondité» et «d'objectivité», il n'est pas possible de fixer avec une quelconque précision les procédures selon lesquelles établir une correspondance entre les constructs et les données observables. Comme l'a souligné Nagel (1961) «les idées expérimentales n'ont pas les contours nets que possèdent les notions théoriques». Les processus que met en jeu la recherche scientifique ne sont pas uniquement ni même principalement les processus mis en jeu en logique ; la détermination des règles de correspondance fécondes et objectives est essentiellement affaire d'intuition, de créativité. Illustrons notre propos sur la nature de la théorie en nous référant à une «théorie de moyenne portée» bien connue en psychologie sociale, la théorie de la «frustration-agression» (Dollard, Miller, Doob, Mowrer et Sears, 1939). Cette théorie fait appel à quatre concepts principaux : la «frustration» qui est définie comme «l'état engendré par toute interférence avec une réponse-but» ; «l'agression» qui désigne une catégorie d'actes ayant pour but de causer du tort à quelqu'un ou quelque chose ; «l'inhibition» qui a trait à la tendance à freiner l'accomplissement de tel ou tel acte à cause des conséquences négatives qu'on lui suppose et enfin «le déplacement» qui a trait à la tendance à accomplir des actes d'agression dirigés non contre la source et la frustration mais contre une autre cible. Ces concepts sont reliés par le système suivant d'hypothèses croisées : I o ) Le degré de frustration est fonction de trois facteurs : la force de l'impulsion vers la réponse-but frustrée, le degré d'interférence avec la réponse-but frustrée et le nombre de tentatives de réponse-but contrariées. 2°) La force de l'instigation à l'agression est en fonction directe du degré de frustration. 3°) L'instigation la plus forte produite par la frustration porte à des actes d'agression dirigés contre l'agent perçu comme source de la frustration ; des instigations qui vont s'affaiblissant portent à des actes de moins en moins directs. 4°) L'inhibition de tout acte d'agression varie directement avec la force de la pénalisation anticipée en cas d'exécution. La pénalisation

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Rôle de la théorie

en psychologie

sociale

comprend le tort causé à des êtres aimés, l'empêchement d'accomplir un acte souhaité ainsi que toutes les situations courantes qui causent une peine. 5°) L'inhibition d'actes directs d'agression est une frustration supplémentaire qui pousse à l'agression contre l'agent perçu comme responsable de l'inhibition et accroît l'instigation à d'autres formes d'agression. Par conséquent, l'agression inhibée a fortement tendance à se déplacer vers des objets différents et à s'exprimer sous des formes modifiées. 6°) L'accomplissement d'un acte quelconque d'agression est une catharsis qui réduit l'impulsion à tout autre acte d'agression. De ces hypothèses fondamentales de la théorie, on peut faire dériver un grand nombre d'hypothèses subsidiaires. Celles-ci sont plus des inférences plausibles que des déductions logiques car elles comprennent des suppositions non explicitées et se fondent sur la signification implicite des termes d'usage courant. Ainsi il est plausible de conclure à partir des hypothèses précédentes qu'un homme dont le patron vient de repousser une demande d'augmentation de salaire a plus de chances de gifler son fils qui trouble la lecture de son journal que l'homme qui n'a pas été brimé par son patron. Il y a là cependant une supposition non exprimée à savoir que la demande d'augmentation a été présentée récemment. Mais imaginons qu'elle l'ait été cinq ans avant la naissance du fils ? Certaines hypothèses non exposées sur les effets de la durée sont importantes pour la théorie. De même certains mots clés comme «interférence», «réponse-but» et «direct» n'ont pas de signification théorique précise, mais sont plutôt définis implicitement en termes d'usage courant. En dépit de ces restrictions, il n'en reste pas moins que la théorie de la «frustration-agression» autorise des inférences plausibles et donne cohérence à une variété de phénomènes. Pour qu'une théorie ait une valeur prédictive, il n'est pas nécessaire que tous ses concepts soient définis au niveau opérationnel. Ainsi la «frustration» se définit théoriquement en tant que relation entre les deux constructs «agression» et «réponse-but contrariée». Certes, la théorie aurait une plus grande richesse empirique si la frustration était elle aussi liée directement à des observables, mais même en l'absence de tels liens directs, la théorie a de toute évidence des conséquences empiriques. Quelles sont les règles de correspondance à respecter en donnant une définition empirique du concept «agression» par exemple ? Comme

La nature de la théorie

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nous l'avons déjà vu, il s'agit là de choix arbitraire. D'une part, on ne cherche pas à heurter le sens commun sans nécessité, cependant, d'autre part, l'on répugne à écarter trop rapidement une théorie qui se révèle fructueuse à bien des égards. Prenons par exemple la proposition selon laquelle la frustration conduit à l'agression à moins que la réponse agressive ne soit inhibée. Il y a bien entendu de nombreux cas où le fait de contrarier une réponse-but aboutit à un comportement de résolution de problème et à une activité constructive plutôt qu'à une activité généralement considérée comme «agressive». On peut alors soit étendre la définition empirique de l'agression de façon à y inclure une activité de ce type (le comportement de résolution de problème est orienté vers la «destruction» du problème) soit revoir la théorie. Une façon de revoir la théorie pourrait être, par exemple, de distinguer différents types de frustration (distinguer la menace et la privation) et admettre que la menace est liée à l'agression et non la privation. (Voir pour une étude de la menace et de la «privation» Maslow, 1954.) La théorie ainsi modifiée pourrait admettre que l'interférence avec certains types de réponse-but constitue une «menace» plutôt qu'une «privation» tant que la force de cette dernière n'atteint pas un certain seuil ou encore que la nature de la frustration dépend du type d'interférence considérée. Berkowitz (1962) et Buss (1961) ont récemment enrichi la théorie de la frustration-agression. Conclusion La psychologie sociale est dans l'enfance. Elle en est tout juste à identifier son objet comme ayant trait à l'interaction humaine. Etant encore dans l'enfance, elle est encore sous l'emprise d'approches théoriques fondées sur des conceptions non explicites de la nature de l'homme. Aucune de ces approches n'est suffisamment explicite quant à ses présupposés psychologiques, son mode d'inférence logique, ses référents empiriques pour permettre que l'on en vérifie rigoureusement les implications. Bref, aucune de ces approches n'est une «théorie» au sens des théories en sciences physiques. Il n'en reste pas moins qu'un point de vue théorique stimule et guide la recherche, témoigne de la capacité humaine d'extrapoler «au-delà des informations reçues». Dans les chapitres qui suivent, nous examinerons les idées fondamentales qui sous-tendent les diverses approches de la psychologie sociale et nous explorerons rapidement la recherche qu'elles ont suscitée.

CHAPITRE II

l'approche de la psychologie de la forme

En matière de psychologie sociale, l'influence la plus pénétrante a été celle qu'ont exercée au cours des vingt dernières années et qu'exercent encore les travaux théoriques et les recherches des psychologues, qui s'apparentent à l'école de la psychologie de la forme (gestaltpsychologie). On trouvera l'explication probable de cette extraordinaire influence dans la conjonction heureuse et fortuite, chez les gestaltistes, de deux caractéristiques qui n'ont d'ailleurs qu'un rapport lointain avec leur orientation théorique. Contrairement aux psychanalystes et aux théoriciens du rôle, les gestaltistes, ayant toujours eu une orientation expérimentaliste, ont élaboré tout un choix de techniques expérimentales propres à l'expérimentation sur les phénomènes psychosociologiques qui a rendu possible la recherche en laboratoire sur des problèmes que l'on avait jusque-là tenus pour impropres à l'étude expérimentale. C'est ainsi que les études portant sur la conduite de groupe « démocratique » ou « autoritaire », sur la structure de groupe, sur la communication à l'intérieur du groupe, sur la confiance et sur la méfiance interpersonnelle, sur le changement d'attitude, sur l'affiliation, sont devenues réalisables grâce à l'orientation expérimentaliste de la gestalt. Mais cette approche expérimentaliste des gestaltistes n'aurait pas eu une telle influence sur la psychologie sociale si elle ne s'était accompagnée d'une volonté de choisir, comme point de départ de l'étude, l'expérience naïve. Les théoriciens du renforcement, qui utilisent également l'approche expérimentale, se sont refusés à prendre l'expérience naïve comme point de départ ; mais, de ce fait, leurs travaux en psychologie sociale sont restés loin des phénomènes significatifs de la vie quotidienne.

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L'approche

de la psychologie

de la

for?ne

La psychologie de la forme apparut tout d'abord comme la rébellion contre le parti pris méthodologique du structuralisme associationniste rencontré autrefois dans la psychologie allemande orthodoxe et selon lequel on doit rendre compte des faits psychologiques par la combinaison des sensations et associations locales élémentaires. Les gestaltistes répondaient que l'expérience directe est organisée et que la production de faits localisés (par exemple, la stimulation d'un récepteur sensoriel à un moment donné) était déterminée par le tout organisé dont ce fait est une composante. En rejetant les doctrines élémentaristes, ils affirmaient que la première étape indispensable au développement d'une psychologie systématique était l'observation et la compréhension des faits psychologiques tels qu'ils apparaissent dans l'expérience directe. En fait, les gestaltistes soutinrent qu'il était scientifiquement légitime de s'intéresser à l'expérience naïve et qu'un psychologue «respectable» pouvait étudier les phénomènes de l'expérience quotidienne — l'espoir, la puissance, l'influence, le leadership, la coopération, le changement d'attitude. Ainsi se trouvèrent encouragés à considérer comme réalisable une approche scientifique des phénomènes sociaux significatifs ceux qui étaient attirés par la psychologie sociale parce que fortement concernés par la vie sociale réelle.

L'ORIENTATION THÉORIQUE DE LA PSYCHOLOGIE DE LA FORME

Si l'orientation théorique des gestaltistes n'explique pas leur impact sur la psychologie sociale, la théorie de la forme n'en a pas moins marqué les travaux de psychosociologues aussi importants que Lewin, Heider, Asch, Festinger, Krech et Crutchfield, Newcomb, ainsi que les nombreux chercheurs qui ont travaillé au Centre de Recherche sur la dynamique de groupe, tout d'abord au Massachusetts Institute of Technology et plus tard à l'université de Michigan. Ce sont Kôhler (1929) et Koffka (1935) qui ont énoncé les propositions fondamentales de la théorie de la forme. On y repère essentiellement deux principes clés. Le premier est qu'un phénomène pscyhologique doit être conçu comme se produisant à l'intérieur d'un «champ», comme partie d'un système de facteurs coexistants et mutuellement interdépendants, système doté de certaines propriétés qui ne peuvent être déduites de la connaissance de ses éléments pris isolément. Le second principe de base est que certains états du champ

L'orientation théorique de la psychologie de la forme

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psychologique sont plus simples et plus ordonnés que d'autres et que les processus psychologiques tendent à rendre 1 état du champ aussi «bon» que le permettent les conditions existantes. En d'autres termes, le modèle conceptuel qui sous-entend l'orientation gestaltiste est celui d'un processus complexe au sein duquel de nombreux faits élémentaires concourent à ce qu'un certain état final optimal soit atteint. Les moyens par lesquels cet état final optimal est atteint peuvent varier en fonction des circonstances présentes ; tel moyen peut se substituer à tel autre puisque le même état final peut être atteint par des voies différentes (les moyens mis en œuvre peuvent être variables, ce qui est invariable, c'est leur direction vers l'état final préférentiel). Cette perspective de la gestalt fut développée à partir de l'étude des processus perceptifs. Les deux notions clés sont que la perception est organisée et que cette organisation tend à être aussi bonne que le permettent les conditions stimulus. Examinons les conséquences du premier principe dans la psychologie de la perception et voyons si des conséquences analogues peuvent se trouver en psychologie sociale. 1°) Si les perceptions sont organisées, alors certains aspects de la perception resteront identiques même si un changement intervient dans tous les éléments de la situation perçue aussi longtemps que les interrelations entre les éléments resteront identiques. Ainsi si on élève d'un demi-octave toutes les notes d'une chanson, la mélodie (l'unité organisée) n'en sera pas changée. Un carré sera identifié comme étant un carré même si les lignes qui le composent sont coloriées ou réalisées par des tirets. Par analogie, en psychologie sociale, on peut s'attendre à ce que dans des interactions sociales organisées, certains des schémas de l'interaction ne subissent pas de variation même si l'on remplace les individus qui participent à cette interaction. Ainsi une équipe de football sera encore identifiable comme telle si des suppléants remplacent les premiers joueurs. Une bureaucratie gardera ses traits distinctifs même en cas de renouvellement complet de son personnel. 2°) Si les perceptions sont organisées, alors la perception d'un élément quelconque sera influencée par le champ global dont cet élément fait partie. Ainsi, bien que l'image de deux objets sur la rétine soit de taille identique, l'objet qui sera perçu comme étant plus loin sera perçu comme plus grand. Le mot «conduite» (drive) sera perçu comme ayant

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L'approche de la psychologie

de la forme

trait à une motivation ou à une automobile selon le contexte dans lequel ce mot sera perçu. De même en psychologie sociale, la signification du comportement d'un individu sera nettement influencée par la façon dont seront perçus et le rôle social de l'individu et le contexte ou le cadre de référence social dans lequel le comportement s'est produit. Ainsi, les mêmes mots seront interprétés différemment selon qu'ils sont employés par un simple soldat blâmant un capitaine ou par un capitaine blâmant un simple soldat (Deutsch, 1961). Un homme qui se déshabille dans le vestiaire d'un gymnase ne suscitera pas les mêmes réactions qu'un homme qui en ferait autant à Times Square. L'effroyable pauvreté qui sévit à Hong-Kong apparaîtra plus effroyable encore à celui qui débarque tout juste des Etats-Unis qu'à celui qui arrive de l'Inde. 3°) Si la perception est organisée, alors certaines de ses caractéristiques d'organisation apparaîtront; il s'agira davantage des interrelations entre les entités perçues que des entités elles-mêmes. La mélodie est ainsi l'interrelation perçue entre les notes. La perception du mouvement est, de la même façon, la perception d'une relation. En ce qui concerne les relations sociales, le rôle de mari ne peut exister si ce n'est en relation avec celui d'épouse. De même, des phénomènes psychosociaux, tels que l'immoralité, la coopération, la loyauté, le leadership, ne peuvent se produire au niveau de l'individu totalement isolé (on ne peut se conduire de façon immorale ou coopérative qu'à l'égard d'une ou de plusieurs autres personnes). Les relations sociales comprennent les relations qui unissent au moins deux personnes et en tant que telles, elle ne peuvent être entièrement prévisibles à partir de la connaissance des individus pris isolément.

LES CARACTÉRISTIQUES D'UNE BONNE ORGANISATION

PERCEPTIVE

Après avoir examiné quelques implications de l'idée que la perception est organisée et avoir relevé des analogies au niveau de la psychologie sociale, considérons cet autre principe de base de la gestalt, selon lequel l'organisation tend à être aussi «bonne» que les conditions stimulus le permettent ou, en d'autres termes, selon lequel l'organisation de la perception n'est ni arbitraire ni due au hasard mais vise à réaliser un état idéal d'ordre et de simplicité. Les propriétés de cet état idéal n'ont

Les caractéristiques

d'une bonne organisation

perceptive

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jamais été spécifiées avec une grande précision. A l'origine des premieux travaux de la gestalt, toutefois, il y avait cette idée que l'organisation des faits physiques (comme dans une bulle de savon, une goutte de pluie, un champ électrique) reflète certains processus dynamiques et qu'il existe une similarité de forme, un isomorphisme, entre ces processus physiques dynamiques et les processus psychologiques. Les psychosociologues de la tradition gestaltiste seraient moins portés à souligner l'isomorphisme des processus d'organisation physiques et psychologiques qu'à attribuer à un apprentissage au sein d'un environnement socialement organisé, la plupart des caractéristiques de l'organisation perceptive d'événements complexes. Mais comme les premiers gestaltistes, la plupart des psychosociologues mettent l'accent sur le rôle de processus centraux, tels que perception et cognition, dans la compréhension du comportement. C'est pourquoi ils emploieront plus volontiers l'expression de «champ perceptif» que celle de «stimulus» et celle de «comportement orienté vers un but» que le terme de «réponse». Bien que les propriétés d'une bonne organisation perceptive n'aient jamais été clairement définies, les gestaltistes ont énoncé certains principes de l'organisation perceptive qui ont des conséquences en psychologie sociale. Ces principes sont décrits en relation à certains phénomènes courants auxquels ils s'appliquent. Io) Assimilation

et

contraste

Le principe du «maximum-minimum», le plus général et le plus vague des principes de la gestalt, établit deux types de simplicité : une simplicité d'uniformité minimum et une simplicité maximum de parfaite articulation. L'organisation perceptive est ainsi, en quelque sorte, bipolaire. Elle aura pour but soit de minimiser les différences de stimulus de telle sorte que le champ de perception devienne homogène ou alors d'accentuer les différences si celles-ci dépassent un certain seuil ou s'il existe une nette discontinuité entre les différentes parties du champ visuel. Selon les termes de Koffka (1935, p. 109) «ce qui se produira sera soit le maximum soit le minimum». La forme spécifique que revêt une telle différenciation perceptive tend à maximiser certaines différences de stimulus de façon que certaines parties du champ de perception contrastent les unes avec les autres et à miniser les différences de stimulus à l'intérieur des parties contrastantes (fig. 2-1). On désigne cette tendance à minimiser les différences de

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L'approche de la psychologie

de la forme

stimulus par le terme de processus d'assimilation. Ainsi une figure en gris foncé sur un fond noir peut être assimilée au fond de telle sorte que le champ tout entier est perçu comme noir. Mais d'autre part, si la différence entre le gris et le noir est suffisante, la figure grise peut contraster avec le fond noir et être perçue comme plus claire qu'elle ne l'eût été sans le fond. De même en psychologie sociale de très nombreux exemples montrent que nous avons tendance à percevoir un individu d'une façon qui l'assimile à son groupe (pour beaucoup d'Américains, un serveur chinois ressemble étrangement à un autre serveur chinois) ou d'une façon qui accentue le contraste entre cet individu et son groupe (un Noir à cheveux roux) selon l'intensité des différences existant entre cet individu et son groupe.

Figure 2-1. Assimilation

et contraste

L'anneau est vu uniformément gris en dépit du phénomène de contraste qui devait se produire. Cela vient de ce que l'anneau est perçu comme un tout, chaque moitié étant assimilée à l'autre. Couper l'anneau en plaçant un crayon le long de la limite du blanc et du noir. L'assimilation cesse alors parce que l'anneau n'apparaît plus en continuité et le contraste joue alors librement. De ce fait, la moitié gauche de l'anneau sur fond noir apparaît plus claire que la partie droite sur fond blanc. (Adapté de Krech et Crutchfield, 1958.)

De même nous avons tendance à assimiler notre perception de l'action d'une personne à notre perception de cette personne (le sens et l'évaluation d'une déclaration seront, en règle générale, déterminés de façon à s'accorder à notre point de vue sur la source de la déclaration, à l'évaluation que nous en faisons). Par exemple, une déclaration comme celle-ci : «Je tiens une petite rébellion, ici et là,

Les caractéristiques

d'une bonne organisation

perceptive

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pour bonne et aussi nécessaire au monde politique que les orages le sont au monde physique» sera interprétée tout différemment selon qu'on l'attribuera à Thomas Jefferson (son auteur réel) ou à Lénine. Lorsque Jefferson est la source supposée, les étudiants américains donnent généralement au mot de «rébellion» le sens d' «agitation et changement pacifique» ; dans le cas de Lénine, le mot de rébellion devient équivalent à celui de «révolution». 2°) Groupement

perceptif

Max Wertheimer (1923), un des fondateurs de l'école de la gestalt, fut le premier à énoncer un certain nombre de principes qui déterminent ce qui, dans le champ visuel, sera perçu comme étant groupé ou unifié. Les vues de Wertheimer ont depuis été développées et l'on pense ordinairement aujourd'hui que l'homogénéité repose sur les facteurs suivants : 1°) le devenir commun des éléments perçus (par exemple, ils se déplacent ensemble) ; 2°) leur similitude (ils ont par exemple la même couleur ou la même luminosité) ; 3°) leur proximité (ils apparaissent par exemple très rapprochés dans le temps ou dans l'espace) ; 4°) l'existence d'une frontière commune (par exemple, les éléments perçus sont séparés du reste du champ par une discontinuité abrupte) ; 5°) la tendance à grouper les éléments qui, ensemble, constituent une bonne forme (c'est-à-dire une forme symétrique ou équilibrée, complète ou fermée, continue ou unie, ordonnée ou prévisible plutôt que due au hasard simple, plutôt que complexe) ; 6°) la tendance à grouper les éléments fonctionnellement selon des liens de cause à effet (par exemple, considérer une boule de billard qui frappe une autre boule et lui imprime un mouvement comme faisant partie d'une même organisation perceptive) ; 7°) l'expérience passée ou l'habitude qui a proposé des réponses similaires aux divers éléments ; 8°) enfin, une attente selon laquelle les éléments doivent être groupés, La figure 2-II illustre quelques-uns de ces facteurs.

L'approche de la psychologie

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de la forme

GROUPEMENT PAR

Proximité

Devenir commun

t , « , t Séparation commune

Bonnes formes

• o o Figure 2-II. Exemples de groupement

Similitude • •

• •

x x • x x •

• •

Expérience passée BOY AND GIRL

perceptif

La «proximité» amène à percevoir trois paires de points. Le groupement se fait en raison d'un «devenir commun» lorsque certains points se meuvent en un sens et d'autres points dans l'autre sens, pour raison de «similitude» lorsque les figures qui se ressemblent sont réunies. Des «séparations» perceptibles peuvent décider du groupement des points. Dans la cinquième figure, les cinq traits verticaux sont séparés en groupes par le fait que deux paires de ces traits contribuent à la constitution de «bonnes formes», c'est-àdire de carrés. Dans le dernier exemple, les dix lettres se divisent aussitôt en trois mots si «l'expérience passée» de celui qui perçoit est l'expérience de la langue anglaise.

Il est évident que les principes de regroupement peuvent entrer en conflit les uns avec les autres dans des situations particulières — par exemple le regroupement par proximité peut s'opposer au regroupement par bonne forme. En règle générale, les gestaltistes considèrent que le regroupement par bonne forme est plus déterminant que les facteurs de proximité et de similitude dans l'organisation perceptive. Ils n'ont cependant pas poussé leurs recherches de façon assez détaillée pour pouvoir prédire avec quelque assurance ce qui se passe lorsque les différents principes de regroupement s'opposent. Des notions analogues à celles que mettent en jeu les principes de regroupement dans la perception ont été largement employées en psychologie sociale. Ainsi pour savoir si une collection d'individus constituera ou non un groupe et si oui, de quelle cohésion jouira ce groupe, on considère comme facteurs déterminants la proximité sociale, la similitude d'attitude ou de culture des personnes, leur commune expérience de l'échec ou du succès, la singularité d'un groupe ou d'une personne par rapport à ceux qui l'entourent, l'accord des personnalités entre elles, les attentes par rapport aux interrelations, etc.

Les caractéristiques d'une bonne organisation perceptive

23

En fait, les facteurs qui déterminent si un individu se percevra comme appartenant à un groupe donné sont analogues à ceux qui déterminent le regroupement des éléments dans le champ visuel. Les «principes de regroupement» de la gestalt s'appliquent également à l'étude de la perception sociale. Ainsi Zillig (1928) démontra expérimentalement que les enfants impopulaires se voient attribuer de mauvais résultats par leurs camarades de classe : ils sont regroupés par suite d'une similitude dans l'évaluation de l'acte et celle de l'acteur. Le phénomène bien connu de «culpabilité par association» (le fait qu'on prête à une personne donnée les caractéristiques des personnes avec lesquelles elle est vue) peut représenter une sorte de regroupement par proximité. Le regroupement selon un sort commun s'observe dans la tendance à considérer que les non-privilégiés constituent un groupe social cohérent. La tendance qui fait tenir les Français pour tous semblables pourrait être un cas de regroupement par frontière commune. Le point de vue gestaltiste selon lequel l'organisation de la perception tend à être aussi «bonne» que possible, et selon lequel certaines configurations sont préférées à d'autres en raison de leur simplicité et de leur cohérence, a été le point de départ de nombreuses théories décisives en psychologie sociale telles que la théorie de l'équilibre cognitif chez Heider (1946 ; 1958), celle des actes communicatifs chez Newcomb (1953) ou de la dissonance cognitive chez Festinger (1957). Toutes ces théories reposent sur l'idée centrale qu'une organisation ou une structure de croyances et d'attitudes ou de relations interpersonnelles peut se trouver en déséquilibre, dysharmonie, dissonance ou incongruence et qu'il se manifeste alors une tendance qui modifie croyances et attitudes jusqu'à ce qu'elles se retrouvent en équilibre. Le changement peut se produire par une altération de la réalité à laquelle ont trait croyances et attitudes ou encore par une modification directe de celles-ci. Tout comme la première approche de la gestaltpsychologie concernant la perception, ces théories plus récentes de psychologie sociale soulignent que la motivation à une action orientée peut naître de considérations structurales. Elles traduisent ainsi implicitement la croyance qu'un déterminant important du comportement humain est l'exigence chez l'homme d'une vue ordonnée et cohérente de ses relations avec ce qui est son monde. Les déséquilibres dont il est question dans ces théories de psychologie sociale ne sont pas seulement les dissonances dans le monde extérieur perçu de façon impersonnelle, dont

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L'approche

de la psychologie

de la forme

parlaient les premiers gestaltistes, car les attitudes à l'égard de soimême et d'autrui deviennent des composantes de la configuration qui recherche un équilibre. Dans sa quête d'une vision du monde qui soit cohérente avec la vision qu'il a de lui-même, un individu peut déformer grossièrement la réalité objective. Plus loin dans ce chapitre et dans le chapitre suivant, nous examinerons plus en détail les théories de l'équilibre et de la dissonance. Pour l'instant, contentons-nous d'indiquer la portée de ces théories en citant quelques exemples de leur application. Des configurations équilibrées seront par exemple celles qui impliquent (en supposant qu'on s'aime soi-même) que nous aimons les personnes et les choses qui nous «appartiennent», que nos différents amis ont entre eux des rapports amicaux, que nous aimons ce que nos amis aiment. D'autre part, si nous ne nous aimons pas nous-mêmes, nous n'aimerons pas les choses qui nous appartiennent ni ceux qui ont envers nous une attitude amicale. Le déséquilibre sera introduit si, par exemple, on apprend qu'un ami cher a volé de l'argent à un mendiant aveugle, qu'une habitude solidement ancrée est fatale à notre santé, que le choix du collège où faire ses études a été malencontreux. U n individu risque de se trouver en déséquilibre s'il appartient à un groupe dont certains membres ont des opinions nettement opposées aux siennes, s'il écoute le candidat politique d'un parti opposé, s'il fait quelque chose qu'il n'aime pas faire. Plusieurs voies s'offrent pour éviter le déséquilibre ou y remédier : écarter, repousser, déformer, nier, dissocier ou réinterpréter l'information dissonante, étayer les croyances mises en cause d'un soutien social ou alors modifier lesdites croyances de telle sorte qu'elles ne soient plus en contradiction avec la nouvelle information. Il se trouve malheureusement qu'aucune des théories de l'équilibre ou de la dissonance n'a été l'objet d'une formulation assez détaillée pour permettre des prédictions spécifiques quant à la façon dont l'équilibre sera restauré en cas de déséquilibre. Notons cependant que Rosenberg et Abelson ( i 9 6 0 ) ont fait quelques tentatives en ce sens. Parmi les théoriciens de psychologie sociale dont les travaux ont été marqués par l'orientation gestaltiste se détachent Kurt Lewin, Solomon Asch, Fritz Heider et Léon Festinger. Lewin, plus que tout autre théoricien, a joué un rôle important dans l'évolution de la psychologie sociale ; nous examinerons dans le chapitre suivant son œuvre ainsi que celle de Festinger. Nous allons présentement exposer brièvement les grandes lignes des recherches de Asch et de Heider.

L'orientation

de Solomon

Asch

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L'ORIENTATION DE SOLOMON ASCH L'essentiel de l'œuvre théorique de Asch, qui se trouve le plus complètement exposé dans sa Psychologie sociale (1952), est une protestation contre les propositions psychologiques touchant à l'expérience et au comportement humain qui dérivent essentiellement de l'étude du comportement non social, voire non humain. Asch soutient que l'étude de l'homme en tant qu'être social ne peut s'entreprendre que dans une perspective appropriée qui doit trouver son origine dans une conception, fût-elle sujette à révision, de ce que représente le fait d'être humain. Une vision correcte de l'homme devrait au minimum tenir compte de ses pouvoirs intellectuels hors de l'ordinaire, de sa capacité à agir en fonction d'idées et d'idéaux du bien et du mal même lorsqu'il transgresse ces idéaux. Asch postule que l'être humain aborde le monde grâce à une structure qui peut s'adapter aux conditions sociales et des aptitudes à entretenir des relations sociales. Le postulat de base de Solomon Asch s'exprime ainsi (1952, p. 127) «En ce qui concerne la société, le fait psychologique décisif est que les individus sont susceptibles de comprendre les expériences et les actions les uns des autres et d'y répondre. Ce fait qui permet aux individus d'être unis par des liens mutuels, devient la base de tout processus social et des changements les plus décisifs qui se produisent en eux. Il fait pénétrer les pensées, les émotions, les mobiles des autres à tout individu, étendant ainsi son monde bien au-delà de ce que ses seuls efforts isolés lui auraient permis d'atteindre. Cela l'insère dans une relation très vaste de dépendance mutuelle qui est la condition de son épanouissement comme personne. Cela transforme pour chacun la scène psychologique puisque vivre en société, c'est mettre concrètement en relation l'expérience publique et l'expérience privée. Il s'agit également d'une démarche irréversible ; une fois entrés dans la société, nous nous trouvons dans un cercle de mutualité qui ne peut se rompre.» L'opinion de Asch est que les processus psychologiques de l'être humain sont transformés dans la société. L'homme prend conscience de lui-même ; il se tourne vers le futur ou vers le passé comme vers le présent ; des mobiles et des buts naissent de son aptitude à se percevoir en relation avec les autres et à s'y comparer. Asch refuse l'image de l'homme égocentrique. Il écrit (p. 320) : « Le moi n'est pas uni2

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L'approche

de la psychologie

de la

forme

quement soucieux de sa propre mise en valeur. Il a besoin dette concerné par ce qui l'entoure, de se lier aux autres, de travailler avec eux... Souvent le renforcement du moi vient en réponse non pas à de puissantes tendances égocentriques mais en réponse au fait qu'a été contrarié le besoin de faire partie de son groupe, de savoir que l'on est respecté et aimé, de sentir que l'on joue un rôle dans la vie des autres. » Asch rejette la thèse selon laquelle une société pourrait être fondée sur des individus égocentriques, désireux chacun d'obtenir le plus possible en donnant le moins possible. Asch affirme ultérieurement que le sentiment accru qu'acquiert l'être humain des alternatives et des possibles multiples introduit au centre de la vie humaine une tension permanente entre ce qui est et ce qui pourrait être. La finalité de la vie n'est plus seulement de vivre mais de vivre une vie qui ait un sens, une signification. Ce point de vue rejoint ici celui de philosophes religieux comme Kierkegaard, Buber et Tillich qui soutenaient que l'homme fait à la fois partie de la nature et se situe en dehors d'elle, que l'homme est le seul animal à avoir conscience de sa distanciation et de son identité, à avoir conscience qu'il est mortel, enfin que l'homme est le seul animal à être conscient de son imperfection et de sa culpabilité. De nouvelles perspectives et de nouveaux problèmes se dégagent si l'on tient compte de ces prises de conscience. Asch est l'un des rares psychosociologues à avoir eu assez d'imagination et de hardiesse pour reconnaître qu'une psychologie sociale valable ne devait pas perdre de vue ce qui est proprement humain. Bien que la thèse centrale de Asch (la transformation de l'homme en société) ait été ainsi formulée qu'elle suggère tout un programme de recherches sur le développement pour étudier comment les enfants, situés dans des environnements sociaux différents, acquièrent leurs propres concepts et méthodes pour se situer par rapport à leur monde social, la recherche de Asch en psychologie sociale prit une autre direction. Il consacra une grande partie de ses travaux à démontrer le principe gestaltiste selon lequel l'expérience sociale n'est pas arbitraire mais au contraire organisée de façon cohérente et significative. Nous décrivons ci-après trois des expérimentations importantes de Solomon Asch.

L'orientation de Solomon Asch

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La formation des impressions Bien qu'Asch (1946) ait effectué de nombreuses séries d'expériences sur la formation des impressions, nous n'en retiendrons ici qu'une seule. Dans cette expérience, on donne lecture à deux groupes A et B d'une liste de traits de caractère. A l'exception d'un seul des termes, les listes lues aux deux groupes sont identiques. Liste lue au groupe A : Intelligent — habile — ingénieux — chaleureux — résolu — pratique — prudent. Liste lue au groupe B : Intelligent — habile — ingénieux — froid — résolu — pratique — prudent. Après avoir entendu l'une ou l'autre liste, les participants étaient invités à donner une impression rapide de la personne à laquelle étaient attribués ces traits de caractère. On leur demandait également de choisir sur une liste d'adjectifs associés deux par deux (tels que généreux-avare, subtil-sage) celui des deux adjectifs convenant le mieux à l'impression qu'ils s'étaient forgée. Les impressions que s'étaient forgées chacun des groupes présentaient des différences frappantes. Les impressions fondées sur la liste A étaient en règle générale bien plus positives. Les participants estimaient que la personne «chaleureuse» était plus généreuse, plus heureuse, dotée d'un meilleur naturel, plus plaisante, plus sociable, plus populaire, plus humaine, plus altruiste et douée d'une plus grande imagination. En ce qui concerne la véracité, l'importance, l'attirance physique, la persévérance, le sérieux, la réserve, la force et l'honnêteté, on ne relevait pas de différences sensibles. Lorsqu'on substituait à l'adjectif «chaleureux» celui de «poli» et à celui de «froid» celui de «bourru», les différences qui ressortaient des deux listes étaient sensiblement moindres. La qualité désignée par les termes «chaleureux-froid» apparaît beaucoup plus centrale dans notre conception d'une personne que celle d'être poli ou bourru. D'autres expérimentations démontrent que cette dimension de «chaleur» ou de «froideur» peut être plus ou moins centrale selon le contexte dans lequel elle apparaît selon les autres termes qui l'accompagnent, et que les premiers termes d'une série créent un contexte dans lequel les termes suivants seront perçus.

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L'approche

de la psychologie

de la

iorme

Voici les conclusions qu'Asch tire de ces expérimentations : 1") Nous nous efforçons de nous faire une image complète d'une personne alors même que les données fournies sont minces. 2°) Les traits de caractère d'une personne sont saisis en interrelation. L'intelligence d'une personne «chaleureuse» et celle d'une personne «froide» sont vues différemment. 3°) Nos impressions possèdent une structure. Certains traits sont perçus comme centraux et déterminants, d'autres comme périphériques et secondaires. 4°) Chaque trait a la qualité d'une partie dans un tout, c'est-àdire d'influer sur, et d'être influencé par l'organisation à laquelle elle appartient. Deux personnes qui ont toutes deux du charme mais sont par ailleurs dissemblables n'apparaissent pas comme ayant le même charme. 5°) Les impressions préexistantes constituent un contexte sur lequel se forment les impressions ultérieures. 6°) Les contradictions apparentes provoquent une recherche qui aboutit à une vue approfondie résolvant la contradiction. La compréhension

des

jugements

Asch (1948) a vivement critiqué les doctrines de la suggestion, du prestige et de l'imitation en psychologie sociale. Il a souligné que ces doctrines reposent sur l'hypothèse que l'association établie entre une affirmation et une personne prestigieuse aboutit à un changement «aveugle» de l'évaluation ; bien que l'objet sur lequel s'exerce le jugement reste inchangé, une nouvelle évaluation lui est arbitrairement associé. Asch répond dans sa critique que la modification introduite par l'influence du prestige dans l'évaluation d'une phrase donnée résulte d'une altération de la signification de cette phrase. La même déclaration signifie une chose si elle est attribuée à Jefferson, une autre si elle est attribuée à Lénine. Asch a mené un certain nombre d'expériences pour démontrer que la suggestion par prestige n'était pas un processus aveugle résultant du transfert arbitraire de l'évaluation de l'auteur d'une phrase sur l'évaluation de la phrase elle-même. Son procédé principal était de proposer une même phrase (par exemple : ceux qui possèdent et ceux qui n'ont rien ont toujours eu des intérêts différents dans la société) à des participants de telle manière que les uns soient amenés à attribuer cette phrase à Karl Marx et d'autres à John Adams (son auteur en réalité). Pour ceux des participants qui

L'orientation

de Solomon

Asch

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croyaient Adams l'auteur de cette phrase, elle décrivait une donnée permanente de la société ; pour ceux qui l'attribuaient à Marx, elle était un appel au changement social. Asch conclut (1952, p. 440) : «Pour comprendre les affirmations, un facteur semble fondamental : certaines opérations ajustent une affirmation à l'ensemble auquel elle appartient et établissent ainsi sa signification appropriée et pertinente. Il se produit des opérations de regroupement et de ségrégation, de réorientation, de convergence et de conflit. Ces opérations articulent les informations reçues en établissant ce qu'elles signifient en un temps et lieu donnés. On en peut conclure qu'un donné n'est pas le même dans des contextes différents. Il se produit aussi des opérations qui vont à l'encontre de l'assemblage arbitraire de la partie et du contexte. Cela se traduit manifestement dans la tendance à écarter certaines parties d'un contexte lorsque leurs directions sont divergentes ou à rejeter d'un bloc toute parenté entre parties et contexte.» Asch poursuit (p. 442) : «Ces conclusions... résument une exigence fondamentale que doit satisfaire celui qui veut comprendre les phénomènes sociaux. Si nous étudions des mouvements historiques, des idées politiques ou économiques, il est de fait en tous les cas qu'un acte tire sa portée et sa signification de sa relation aux conditions particulières de temps, de lieu et de conjoncture. La liberté de contrat signifie une chose lorsqu'elle est dirigée contre l'ordre féodal, elle signifie une chose tout à fait différente lorsqu'on l'invoque pour déclarer inconstitutionnels des règlements qui exigent des employeurs qu'ils prennent des mesures d'hygiène pour la protection des travailleurs — sous prétexte qu'ils violent le droit de l'individu de travailler dans les conditions qu'il désire.

La modification

des jugements

par les

groupes

Une remarquable série d'expériences menées par Asch ( 1956) a suscité un bon nombre d'autres expérimentations conduites par d'autres psychosociologues. Son paradigme expérimental est simple et ingénieux. On demande à un sujet non prévenu de porter un jugement sur une question évidente après avoir entendu l'unanimité des personnes présentes (complices de l'expérimentateur) porter un jugement faux. Les sujets sont en proie à un conflit profond, beaucoup en sont très ébranlés. Bien que (sur toute une série d'essais) le jugement cor-

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L'approche

de la psychologie de la forme

rect l'emporte, plus de la moitié des sujets sont influencés à donner des réponses erronées qui soient conformes au jugement faux de la majorité unanime. Lorsqu'un nouveau participant intervient dans l'expérience comme complice de l'expérimentateur avec pour instruction de donner des jugements corrects, le premier sujet vit un conflit moins intense et montre une moindre tendance à se conformer aux jugements erronés de la majorité. Lorsque la majorité des participants est non prévenue et qu'elle est confrontée à une seule personne qui a pour instruction de porter des jugements faux, la majorité réagit avec suffisance, amusement ou dédain. L'explication que donne Asch des résultats auxquels il parvient est que le sujet se trouve en situation conflictuelle entre deux sources d'information également dignes de foi, à savoir ses propres sens et le jugement des autres. Le conflit est un conflit profond car, en général, l'action individuelle est basée sur un minimum de confiance en ses propres perceptions et jugement et l'action sociale se fonde sur un minimum de confiance dans la perception et les jugements des autres. La situation de l'expérience est de celles dans lesquelles il est raisonnable d'accorder foi aux deux sources et pourtant elles sont en désaccord. Asch souligne que la tendance à rechercher l'accord avec le groupe n'est pas due à l'imitation aveugle mais est bien plutôt le résultat d'exigences objectives. Le groupe fait partie des conditions données. N e pas en tenir compte, ce serait volontairement ignorer un point de vue sensé sur la situation sociale, à savoir que chacun voit ce que les autres voient. Cependant, un nombre considérable d'évidences empiriques (Deutsch et Gérard, 1955) laissent penser que l'alignement sur l'opinion de la majorité s'explique davantage par le jeu de facteurs émotionnels comme la peur de la désapprobation, que par la conviction que les jugements d'autrui sont des sources d'information valables. Asch conclut que «la vie sociale nous impose une double exigence : faire confiance aux autres et devenir des individualités capables d'affirmer leur propre réalité». Parvenir à un accord, dans la vie sociale, traduit le fait qu'un processus productif qui a pris naissance dans une personne se poursuit en d'autres personnes. Cependant la signification de l'accord disparaît lorsque des individus agissent comme des miroirs pour se soutenir les uns les autres. La fonction sociale de l'accord exige que les individus soient capables de refuser l'accord lorsqu'ils ne voient pas de voie pour le réaliser.

L'orientation

En

de Fritz

Heider

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conclusion

La position de Asch en psychologie sociale est une généralisation de l'idée gestaltiste selon laquelle l'organisation de la perception tend à être aussi bonne que les conditions ambiantes le permettent. En un sens, sa thèse est que l'homme tend à être aussi bon (aussi cohérent, aussi compréhensif, aussi sensible à son environnement social) que les circonstances le permettent. Son optique est un heureux contrepoids à d'autres optiques en psychologie qui considèrent l'homme sous son pire jour, comme un être irrationnel, arbitraire et égocentrique. Mais en même temps Asch néglige le fait que, parfois, le comportement humain peut être dominé par des considérations immédiates, peut aussi être soumis aux compulsions et aux phobies, peut être une évasion hors de la liberté et de la raison. En outre ses travaux ne se sont pas centrés sur certaines questions fondamentales pour l'orientation qu'il adopte : comment l'homme devient-il humain ? dans quelles conditions se conduira-t-il de façon inhumaine ? Asch ne s'est pas attaché à montrer comment s'actualisent les potentialités de l'homme, de parole, d'amitié, de coopération, pas plus qu'il n'a montré comment ces potentialités peuvent être détournées par l'expérience sociale.

L'ORIENTATION DE FRITZ HEIDER

Pour ceux qui sont familiers de ses travaux, Heider a la réputation d'être l'un des penseurs les plus profonds et les plus originaux de l'école gestaltiste. Bien que ses écrits sur la perception ne soient pas très connus, ils ont eu une grande influence sur des théoriciens aussi marquants que Kurt Koffka, Kurt Lewin, James Gibson et Egon Brunswik. (Pour un choix de ses articles sur la perception, voir Heider, 1959.) Sa recherche théorique en psychologie sociale, qui est exposée le plus en détail dans son ouvrage La psychologie des relations interpersonnelles (1958), est guidée par le modèle de pensée qui soustend l'approche gestaltiste de la perception. Son oeuvre s'intéresse principalement mais non exclusivement à la façon dont les gens perçoivent les faits psychologiques interpersonnels. La thèse principale de Heider est que les gens cherchent à se former une vue ordonnée et cohérente de leur environnement, que, ce

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L'approche

de la psychologie

de la

forme

faisant, ils construisent une «psychologie naïve» qui à bien des égards ressemble à une science. Une science peut être considérée comme notre tentative pour représenter les propriétés invariantes de l'environnement qui se cachent derrière les faits superficiels variables et qui donnent naissance aux divers événements que nous observons. De façon analogue, dans la perception naïve de notre environnement social, nous regardons au-delà du comportement de surface (quelqu'un marche sur les pieds de quelqu'un...) vers la personne qui le produit, ses mobiles, ses attitudes et vers le contexte social dans lequel le comportement est produit. En d'autres termes, nous recherchons ces relations constantes qui peuvent nous aider à comprendre la myriade d'événements particuliers, variables, qui s'offrent dans notre champ d'observation. L'œuvre de Heider essaie d'expliquer les concepts psychologiques qui sont impliqués dans la psychologie naïve ainsi que leurs relations. Il y est conduit d'une part, par l'idée que pour comprendre le comportement social de quiconque il faut comprendre la psychologie de sens commun qui l'oriente, et par l'idée, d'autre part, que la psychologie scientifique a beaucoup à apprendre du trésor d'intuition que détient le sens commun. Heider toutefois ne s'est pas attaché à l'étude de la psychologie naïve d'individus particuliers mais plutôt à la psychologie naïve, soit implicite dans le langage de tous les jours, soit telle qu'elle s'exprime dans des propositions usuelles, littéraires ou philosophiques touchant aux relations entre les personnes. Sa méthode consiste à analyser les concepts psychologiques sous-jacents dans le langage et à étudier les relations entre ces concepts tels qu'ils sont employés dans les fables, les romans et autres formes littéraires. Pour Heider, la psychologie naïve comprend les concepts fondamentaux suivants (Heider, 1958, p. 17) : «Les gens ont conscience de leur milieu et des faits qui y surviennent (espace de vie), ils atteignent cette conscience par la perception et d'autres processus, ils sont affectés par leur environnement personnel et impersonnel, ils sont cause de changements dans leur environnement, ils sont capables de produire ces changements et s'y efforcent, ils ont des désirs et des sentiments, ils entretiennent avec d'autres entités des relations en tant qu'élément d'un ensemble (appartenance) et ils sont responsables selon certaines normes (devoir).» Les termes en italique sont les concepts de base dont Heider étudie en détail dans les chapitres suivants de son ouvrage, les relations. Deux principales idées-forces, liées l'une à l'autre, reviennent sans

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de Fritz

Heider

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cesse dans l'analyse de la psychologie naïve que fait Heider ; il s'agit de 1' «équilibre» et de 1' «attribution». Dans un de ses premiers articles, «Thing and Médium» (Chose et médium, 1927), Heider développe le thème suivant : les gens ont tendance à attribuer les événements qui surviennent dans leur environnement à des «noyaux» unitaires, conditionnés de façon interne et qui sont en quelque sorte les centres de la texture causale du monde. Ils n'attribuent pas ces événements aux processus médiateurs qui sont mis en œuvre par ces noyaux. Vous voyez une pierre et non pas les rayons lumineux qui interviennent entre la pierre et l'œil. Les processus médiateurs qu'affectent les organes des sens sont de fausses unités puisque constitués de nombreuses parties indépendantes les unes des autres (les rayons lumineux reflétés par une des arêtes de la pierre sont indépendants des rayons reflétés par une autre arête). Sans attribution à une cause unitaire, l'ordre qui est imposé aux processus médiateurs reste inintelligible. Ainsi dans notre perception du monde physique, la perception se focalise sur l'objet distant (par exemple la pierre) qui rend intelligible l'ordre selon lequel les processus médiateurs atteignent nos organes sensoriels. De la même façon dans notre perception de l'environnement social nous nous efforçons de trouver un sens à la diversité des stimuli immédiats en opérant une focalisation sur les noyaux unitaires auxquels peuvent être attribués les faits apparents. Les concepts de la psychologie naïve comme l'intention «vouloir» et l'aptitude «pouvoir» sont au centre causal de nos perceptions sociales. Dans la perception sociale comparée à la perception physique, il y a plus de chances pour qu'une distorsion du noyau causal sous-jacent se produise, ceci pour deux raisons. Tout d'abord il y a moins de chance pour que le contexte social exact (le champ environnant) soit représenté dans les stimuli immédiats qui reflètent un événement social et, deuxièmement, il y a plus de chance pour que les processus médiateurs sociaux à travers lesquels sont souvent perçus les faits sociaux, aient leurs propres propriétés de distorsion. Heider souligne que, dans l'interprétation des faits sociaux, le fait d'attribuer un événement à des facteurs tenant à la personne ou à des facteurs tenant à l'environnement de cette personne a une grande importance. Ainsi le plaisir qu'une personne trouve dans la pratique d'un jeu peut être attribué au jeu lui-même mais aussi à l'idiosyncrasie de ce joueur particulier ; qu'une personne réussisse ou échoue dans l'accomplissement d'une tâche peut être attribué à la

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L'approche

de la psychologie

de la

forme

facilité de la tâche ou à sa difficulté mais aussi par l'habileté (ou le manque d'habileté) de cette personne ; les reproches qu'un professeur adresse à l'un de ses étudiants peuvent être attribués à des intentions personnelles du professeur à l'égard de cet étudiant-là mais aussi aux exigences objectives de son rôle de professeur. Heider suggère (1958, p. 62) qu'une version naïve de la méthode de différence de J. S. Mill (que l'on appelle plus exactement «la méthode réunie de concordance et de différence») fournit le modèle de sens commun pour de telles attributions causales : l'effet est attribué à la condition qui est remplie lorsque l'effet est présent et qui n'est pas remplie lorsque l'effet est absent. Ainsi l'échec dans l'accomplissement d'une tâche est attribué à la difficulté de la tâche plutôt qu'à l'incompétence d'une personne donnée si d'autres personnes tenues pour compétentes y ont également échoué et si la personne qui rencontre dans ce cas un échec est par ailleurs capable d'accomplir des tâches considérées comme exigeant une certaine habileté. Il est évident que l'on sera souvent conduit, pour attribuer un comportement donné à une cause ou à une autre (à la personne ou à son environnement, aux idiosyncrasies ou aux exigences objectives d'une situation, etc.), à faire des comparaisons sociales. Pour être en mesure de déterminer si les jugements, les croyances ou les opinions de quelqu'un sont objectivement justes ou ne tiennent qu'à l'idiosyncrasie de cette personne, il peut être nécessaire de comparer ses croyances à celles des autres. Décider que les difficultés rencontrées dans l'accomplissement d'une tâche tiennent à soi-même ou tiennent à la tâche considérée, exige que l'on s'informe sur le niveau de réussite d'autres personnes. Pour juger si notre réponse émotionnelle à une situation est appropriée ou non, des comparaisons peuvent être utiles. La théorie de la comparaison sociale (chapitre m ) chez Festinger propose une formulation des processus de comparaison sociale plus précise et opérationnelle pour l'expérimentation. Heider s'en tient à indiquer que ces processus spécifiques sont des conséquences de cette tentative plus générale que poursuit l'homme, à savoir trouver un ensemble causal sous-jacent qui donne un sens à la multiplicité des événements superficiels qui nous assaillent. Dans son intéressante étude de 1' «analyse naïve de l'action», Heider souligne que l'imputation d'une responsabilité personnelle implique que l'on décide parmi les diverses conditions de l'action — les intentions de la personne, son pouvoir personnel ou les facteurs de

L'orientation de Fritz Heider

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l'environnement — de celle à laquelle donner le plus de poids dans la production du cas considéré. En général, plus on estime que les facteurs dus à l'environnement ont influé sur l'action, moins on tient pour responsable la personne qui se trouve engagée dans cette action. Heider pense également que le lien qui unit une personne et un acte peut prendre diverses formes dont chacune correspond à un stade différent de développement conceptuel. Au niveau le plus primitif, la connexion est globale : la personne est tenue pour responsable de tout effet ayant avec elle un lien quelconque ; ainsi une personne peut avoir à répondre des méfaits de ses ancêtres. Au stade suivant, un événement est lié à une personne seulement lorsque celle-ci est une des conditions nécessaires à la production dudit événement, qu'elle ait pu ou non, voulu ou non, le prévoir ou le modifier ; une personne est jugée selon les résultats de son action ; par exemple un homme qui gagne de l'argent en Bourse voit sa valeur en tant que personne rehaussée. Piaget (1948) définit ce stade comme celui de la «responsabilité objective». Au stade suivant, une personne est tenue pour responsable d'un événement même dans le cas où elle n'avait pas l'intention de le provoquer mais où elle avait la possibilité de la prévoir ou de l'empêcher : une voiture tombe en panne sèche parce que le conducteur a négligé de consulter sa jauge. Stade ultérieur : n'est considéré comme causé par une personne que l'acte qu'elle a commis intentionnellement, ce qui correspond dans les termes de Piaget à la «responsabilité subjective». Enfin la responsabilité d'actions voulues et produites par une personne n'est pas attribuée en totalité à cette personne si l'on perçoit que ses intentions ont elles-mêmes été produites par son environnement c'est-à-dire si l'on considère que sa volonté a été induite, contrainte ou séduite par l'environnement. La nature de l'attribution choisie dans chaque cas particulier est déterminée non seulement par le stade de développement cognitif, par l'application naïve de la méthode réunie de concordance et de différence, par les attentes, par le style personnel, mais aussi par le souci de prévenir un déséquilibre cognitif. La recherche constante de l'équilibre cognitif est le deuxième thème central de l'analyse que fait Heider de la psychologie naïve. Il remarque que la stabilité cognitive exige la congruence entre les anticipations de causalité relatives à des objets liés entre eux. Pour que soit atteint un état de totale harmonie cognitive, les diverses implications des attentes et

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L'approche

de la psychologie

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forme

jugements à legard d'un aspect quelconque de l'environnement connu ne peuvent être en contradiction avec les implications des attentes et jugements à l'égard de quelque autre aspect de l'environnement connu. Ainsi si une personne donnée estime que X peut être pour elle source de bien-être, elle ne peut en même temps considérer X et Y (également tenu pour source possible de bien-être) comme antagonistes sans mettre en péril sa structure cognitive stable ou équilibrée (X et Y peuvent être des objets, des individus, des produits des individus ou des caractéristiques des individus). Lorsque la structure cognitive est en déséquilibre ou est menacée de déséquilibre, des forces entrent en jeu pour provoquer soit une tendance au déplacement de façon à modifier l'environnement psychologique soit une tendance au changement dans la connaissance de l'environnement. Lorsque les conditions ne permettent pas le déplacement, c'est la tendance au changement cognitif qui est renforcée. Dans l'exemple de X et Y que nous prenions ci-dessus, le changement peut provenir d'une modification des jugements que l'on porte sur X ou sur Y sur la relation existant entre X et Y ou d'une différenciation de X et Y en éléments indépendants ou distincts. Ainsi au lieu de continuer à aimer à la fois X et Y qui se haïssent, on peut en venir à ne plus aimer soit X soit Y ou à penser qu'ils ne se haïssent pas l'un l'autre, ou encore à juger que l'on aime X parce qu'elle est belle tandis qu'Y la déteste parce qu'elle est riche et qu'il n'y a aucune interaction directe ou indirecte, entre ces deux caractéristiques, beauté et richesse, de X. En règle générale, la nature des changements cognitifs résultant d'un déséquilibre sera telle que s'instaure dans le champ de la perception et de la connaissance la plus grande congruence pour des changements minimum. A partir de raisonnements analogues à celui que nous venons d'esquisser et à partir de trois hypothèses sur les conditions du déséquilibre cognitif, Heider a pu développer un point de vue très pertinent sur certaines des conditions qui déterminent les perceptions dans les situations interpersonnelles. Nous allons examiner trois de ces conditions. 1°) En ce qui concerne les attitudes à l'égard d'une même entité, on notera un état d'équilibre si les attitudes positives (ou négatives) vont de pair. On a ainsi tendance à juger une personne positivement ou négativement sous tous les rapports. 2°) En ce qui concerne les attitudes à l'égard d'une entité lorsque entre en jeu l'appartenance, l'état d'équilibre existe lorsqu'une

L'orientation de Fritz Heider

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personne est liée aux entités qu'elle aime et lorsqu'elle aime les entités auxquelles elle est liée ; l'inverse est vrai pour les attitudes négatives. 3°) Lorsque deux entités sont perçues comme faisant partie d'une unité, l'équilibre sera atteint si les parties sont considérées comme ayant le même caractère dynamique (positif ou négatif). Mais si les deux entités ont des caractères dynamiques différents, l'état d'équilibre ne peut exister que si les entités sont perçues comme étant distinctes (c'est-à-dire en faisant éclater l'unité). Pour de nombreux types d'attitudes positives (aimer, chérir, apprécier, estimer) ces hypothèses peuvent être considérées comme justes, de même d'ailleurs pour diverses attitudes négatives. De manière analogue, les affirmations touchant à l'appartenance à une unité ou le fait de faire partie d'une unité, s'appliquent à différentes sortes d'unité (la fréquentation, l'appartenance, la causalité, la possession, la similitude ou la proximité). Nous devons toutefois nous souvenir que le déséquilibre de la situation cognitive ne produit qu'une tendance au changement. Qu'un déplacement ou qu'un changement cognitif se produise dépend de l'importance des autres forces à l'œuvre dans la situation considérée. Le lecteur peut rechercher quelques-unes des implications des hypothèses de Heider en considérant trois entités qu'unissent diverses relations, lui-même (P), une autre personne (O), et un troisième objet ( X ) . Précisez l'attitude perçue (positive ou négative) à l'égard de deux des entités et vous pourrez déterminer quelle sera vraisemblablement l'attitude perçue entre les deux autres entités. Ainsi si P aime X et n'aime pas O, on peut prévoir que la tendance sera de percevoir O comme n'aimant pas X ; si P aime X et aime également O, on peut prévoir que la tendance sera de percevoir O comme aimant X . Le lecteur peut introduire des facteurs additionnels en prenant en considération la relation d'appartenance. Etant donné, par exemple, que P aime O et que O a été la cause de X , ont peut prévoir que la tendance sera pour P d'aimer X , etc. Il peut être particulièrement intéressant de considérer X comme étant un des aspects du moi et d'envisager les prédictions que l'on peut formuler, à partir des hypothèses de Heider, sur les attitudes dans des conditions qui varient à l'égaxd des aspects du moi.

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L'approche de la psychologie de la jorme

La théorie des actes communicatifs chez Newcomb Theodore M. Newcomb (1953) a extrapolé la théorie de Heider sur l'équilibre et a formulé un ensemble de propositions quant à la communication interpersonnelle. Il conclut que la tendance à l'équilibre est caractéristique des systèmes inter- et intrapersonnels. Il soutient en effet que lorsque deux personnes se perçoivent comme étant (positivement) interdépendantes et lorsqu'elles sont toutes deux orientées vers une troisième entité, elles auront tendance à adopter des orientations similaires à l'égard de cette entité. La communication interpersonnelle accroît les chances de développement d'orientations similaires. D'autre part, des orientations dissemblables chez un couple ou un groupe interdépendant produisent une augmentation de la fréquence des actes communicatifs ayant pour but d'atténuer la dissemblance des orientations. La force de cet «effort vers une symétrie des orientations» est en partie déterminée par la force du lien existant entre les deux personnes et la force de leurs attitudes à l'égard de la troisième entité. Newcomb a élaboré ses propositions de base pour expliquer comment apparaissent dans les groupes à forte cohésion la «pression à l'uniformité» et la «tendance à orienter les communications vers les membres déviants». Dans un ouvrage plus récent (1961) Newcomb a démontré l'importance considérable de la perception d'attitudes similaires dans la fixation et des amitiés et de la structure des groupes informels.

Formalisations de la théorie de

Heider

Cartwright et Harary (1956) ont formalisé et généralisé la théorie de Heider relative à l'équilibre cognitif en empruntant des concepts à la théorie mathématique des graphes linéaires. Ils notent que la formulation de Heider comporte certaines ambiguïtés et certains manques. Ainsi Heider ne fait pas la distinction entre le «complément» et 1'«opposé» dans la relation d'appartenance ; le complément de l'appartenance est la «non-appartenance» ; son opposé n'est pas spécifié mais est probablement équivalent à la «désunion» ou à la «relation sur le plan de la compétition». Par ailleurs, la formulation de Heider se limite aux interrelations perçues entre trois entités (par exemple, trois personnes ou deux personnes et un objet) et

L'orientation de Fritz Heider

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ne distingue que deux états, l'un d'équilibre, l'autre de déséquilibre, sans permettre de discerner différents degrés dans le déséquilibre. La formulation mathématique de Cartwright et Harary dissipe certaines des ambiguïtés de Heider et comble certains de ses manques. Abelson et Rosenberg (1958) ont également repris la théorie de Heider afin d'en rendre certaines implications plus précises. Ils ont recours au formalisme de l'algèbre matricielle qui est sur le plan de la logique similaire à la formulation de Cartwright et Harary au moyen des graphes linéaires. Ils se sont efforcés de définir des principes permettant de déterminer parmi les différents modes possibles selon quel mode dans chaque cas particulier se fera la réduction du déséquilibre cognitif.

En conclusion L'œuvre théorique de Heider constitue une application originale et hardie à la psychologie sociale de cette orientation gestaltiste selon laquelle une tendance à l'ordre et à la simplicité se manifeste dans l'organisation mentale. Ses idées ont une grande portée et intéressent de nombreux aspects de la psychologie sociale. Toutefois elles ont été formulées d'une manière qui ne facilitait pas leur application dans le domaine de la pratique ou dans celui de la recherche. C'est la raison pour laquelle c'est principalement dans les travaux réalisés par d'autres que Heider qu'il faut mesurer la portée de ses écrits.

CHAPITRE III

la théorie du champ dans la psychologie sociale

KURT LEWIN

L'expression «théorie du champ en psychologie sociale» est associée au nom de Kurt Lewin et à ceux de ses disciples. Quoique membre du groupe gestaltiste de Berlin, Lewin attaqua rapidement un domaine vierge en concentrant son attention sur la motivation, abandonnant les problèmes classiques de la gestalt touchant à la perception. Une liste de quelques-uns des domaines que Lewin et ses collaborateurs ont ouverts à l'investigation expérimentale donnera un aperçu de l'ampleur et de la portée de leurs travaux : étude dynamique de la mémoire, reprise d'activités interrompues, activité substitut, satiété, niveau d'aspiration, conduite des groupes et décision de groupe. Bon nombre de termes associés au nom de Lewin font désormais partie du vocabulaire courant de la psychologie sociale : «espace de vie», «valence», «locomotion», «situation de chevauchement», «structure cognitive» et «recherche-action». Nous nous en tiendrons ici à un bref rappel des notions théoriques centrales chez Lewin qui ont trait à la psychologie sociale. Ces termes qui ont un parfum de sciences physiques ne représentent pas cependant une tentative de faire dériver les processus psychologiques de processus physiques. L'angle adopté par Lewin est résolument psychologique. Les concepts touchant à la motivation se rapportent aux desseins qui sous-tendent le comportement et aux buts vers lesquels ou loin desquels s'oriente le comportement. La terminologie de Lewin, à laquelle nous adhérerons, reflète le point de vue de Lewin selon lequel ce qu'il appelle «la logique de la dynamique» peut être similaire dans les diverses sciences. Certaines des

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Théorie du champ

premières recherches et des premiers écrits de Lewin (il était alors fortement influencé par le philosophe allemand Ernst Cassirer) portaient sur la nature de la théorie en science. Il nourrissait l'ambition de saisir les différentes sciences au moyen d'une même approche logique, ambition qui était fort en vogue dans les cercles intellectuels allemands après l'apparition de la théorie de la relativité d'Einstein. Contraire à l'opinion d'une bonne partie de ses collègues allemands, la conception que se faisait Lewin de ce qu'il appelait la «science comparée des sciences» rejetait l'utopie philosophique d'une science universelle unique qui fait reposer sur la physique l'explication psychologique. Son objectif était de déterminer les modes d'explication communs qui pourraient être employés dans les diverses sciences tout en maintenant l'idée que les phénomènes psychologiques et physiques devraient être expliqués dans leur contexte respectif. Certes, il n'atteint pas son objectif mais sa terminologie porte la marque de sa large visée.

Les concepts dynamiques Les concepts de «tension», de «valence», de «force», de «locomotion» jouent un rôle central dans la recherche théorique de Lewin sur la motivation. Lewin déclare qu'un système en état de tension existe chez une personne chaque fois qu'existe en elle un besoin psychologique ou une intention (qu'il appelle parfois un quasi-besoin). La tension se relâche lorsque le besoin est satisfait ou l'intention accomplie. La tension a certaines propriétés conceptuelles : c'est l'état d'une région qui s'efforce de se transformer de façon à devenir égal à l'état des régions environnantes ; ceci comporte la présence de forces à la frontière de la région sous tension. Une «valence positive» est conçue comme un champ de forces dans lequel celles-ci sont toutes dirigées vers une région donnée de ce champ (cette dernière étant le centre du champ de forces) tandis que toutes les forces s'éloignent d'une région de «valence négative». Le terme de «force» caractérise la direction et la puissance de la tendance au changement en un point donné de l'espace de vie. Le changement peut se produire soit par une «locomotion» (un changement de position) de la personne dans son environnement psychologique ou par un changement de la structure de son environnement perçu.

Kurt Lewin

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Il existe une relation étroite entre les systèmes de tension de la personne et certaines propriétés de l'environnement psychologique. En particulier, une tension peut être liée à une valence positive pour des régions d'activité de l'environnement psychologique qui sont perçues comme étant réductrices de tension et à une valence négative pour la région dans laquelle la personne se trouve présentement. L'existence d'une région à valence positive (une région but) ne dépend uniquement toutefois de l'existence de la tension mais aussi du fait que soient ou non perçues des possibilités de réduire la tension. La personne qui n'a aucune idée de la façon de réduire une tension, et qui par conséquent ne perçoit pas de région-but, aura une conduite déterminée par son désir de quitter la région négative où elle se trouve pour une autre, puis la nouvelle pour une autre et ainsi de suite. Sa conduite sera caractérisée par sa locomotion dans la direction opposée à la région actuelle ou, en termes concrets, par un mouvement incessant. La conduite de recherche, qui se produit lorsqu'un individu sait qu'une région-but existe mais n'en connaît pas l'emplacement, présente bien des similitudes avec l'activité incessante mais elle s'en distingue par le fait que la direction vers le but est prédominante et que l'abandon de la région présente n'est qu'un moyen d'atteindre ce but (Lewin, 1938, p. 62 et sq.). Lorsqu'il existe dans l'environnement psychologique une régionbut appropriée à un système sous tension, on peut affirmer qu'existe une force de mouvement en direction du but agissant sur le sujet. Une tension dont le but est connu, conduit non seulement à ce qu'une tendance s'exerce pour une locomotion effective vers la région du but, mais aussi pour que l'individu pense à ce type d'activité. On peut exprimer cette notion en disant que la force s'exerçant sur la personne vers le but existe non seulement au niveau du «faire» (la réalité) mais aussi au niveau de la pensée (irréalité). Des hypothèses précédentes sur les systèmes sous tension il est possible de tirer certaines dérivations. Ainsi il s'ensuit que la tendance à se souvenir des activités interrompues sera plus forte que la tendance à se souvenir des activités achevées. Zeigarnik (1927) et plusieurs autres ont réalisé des expériences dans lesquelles on donnait aux sujets une série de tâches à accomplir puis on les empêchait d'en terminer une moitié, l'autre moitié étant achevée. Ultérieurement on demandait aux sujets de se souvenir des tâches qu'ils avaient

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Théorie du champ

exécutées. Les résultats sont présentés sous la forme d'un quotient, couramment appelé le quotient de Zeigarnik (ZQ) : Tâches inachevées remémorées Tâches achevées remémorées Zeigarnik pronostiquait que ce quotient serait supérieur à 1. Le quotient obtenu fut approximativement de 1,9 ce qui venait nettement à l'appui des thèses lewiniennes. Cependant à partir du moment où plusieurs tâches terminées étaient également remémorées, il était évident que des facteurs additionnels entraient en jeu. Analysant la situation du sujet au moment de la remémoration, les chercheurs conclurent qu'outre la force opérant sur le sujet pour qu'il pense aux tâches inachevées et qu'ainsi il s'en souvienne, une autre force était également à l'œuvre tendant à faire revenir en mémoire à la fois les tâches inachevées et les tâches achevées, force induite par les instructions de l'expérimentateur : «Essayez de vous souvenir des tâches auxquelles vous avez antérieurement travaillé». Le quotient de Zeigarnik peut être considéré comme un indice de la grandeur relative des deux forces : celle, induite, poussant à se souvenir de toutes les tâches et celle poussant à se souvenir des tâches inachevées. Lorsque croît la grandeur de la force induite par rapport à celle de la force orientée vers les buts de la tâche, le quotient approche de l'unité ; lorsqu'elle décroît en valeur relative le quotient s'élève au-dessus de u a Ces considérations de remémoration furent confirmées par d'autres expériences conduites par Zeigarnik et par d'autres chercheurs. Ainsi lorsque la force de la motivation associée aux tâches interrompues esrelativement grande, ou lorsque la pression exercée par l'expérimentateur pour faire se souvenir est faible, ou lorsque la tâche est interrompue près de son achèvement, le quotient de Zeigarnik est élevé. De nombreuses expériences plus récentes ont révélé que la situation de remémoration est souvent encore plus complexe. Lorsque le fait de ne pas achever une tâche peut être interprété comme un échec personnel (dans une expérience par exemple où les tâches sont présentées comme des mesures d'une habileté socialement valorisée) et que le souvenir de l'échec menace l'estime que l'on a pour soi ou encore lorsque le souvenir du succès relève une estime de soi diminuée, alors le quotient de Zeigarnik tendra à être inférieur à un. De l'hypothèse générale selon laquelle lorsqu'un besoin dirigé vers

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un certain but est présent, il existe une force correspondante qui provoque une tendance à se déplacer vers ce but, on peut déduire qu'aussi longtemps que les tâches sont psychologiquement inachevées, le sujet continuera de s'efforcer de les achever (à condition qu'il n'y ait pas de forces contraires suffisamment grandes). Ovsiankina (1928) créa des conditions telles que le sujet pensait avoir été interrompu par hasard puis était laissé libre d'agir à sa guise dans une salle d'expérience. La reprise de la tâche était observée dans la totalité des cas. Lorsque l'interruption était presque comme intentionnelle, on constatait encore 82 % de reprise de la tâche. Lewin faisait le postulat que le changement de la différence de tension entre deux systèmes quelconques dépendait et de l'intervalle de temps et du degré d'interdépendance des systèmes considérés. Si l'intervalle de temps croît, on peut penser que les différences de tension entre les systèmes interdépendants décroissent. Ainsi Zeigarnik dans sa recherche sur la remémoration d'activités interrompues et Ovsiankina dans sa recherche sur la reprise d'activités interrompues trouvèrent tous deux que la tendance à se rappeler ou à reprendre les tâches inachevées diminuait avec le temps. Le degré d'interdépendance de deux systèmes de tension est conçu comme étant fonction du degré de fluidité ou de rigidité de la personne et fonction des relations ou connexions structurales entre les systèmes. La fluidité de la personne est affectée par son état général. Une personne, par exemple, est considérée comme plus fluide lorsqu'elle est fatiguée, lorsqu'elle subit une vague de tension émotionnelle, lorsqu'elle est jeune, lorsqu'elle est dans une situation de «faux-semblants», «irréelle», lorsqu'elle est plus intelligente. Des expériences de Zeigarnik ont montré que les différences de tension entre les systèmes tendaient à disparaître relativement vite dans les états de plus grande fluidité. L'étude des relations structurales entre des systèmes de tension renvoie à des questions comme celles-ci : Les deux systèmes appartiennent-ils tous deux à un autre système plus vaste ? Les deux systèmes sont-ils dans une relation de simple dépendance, d'interdépendance, de dépendance organisationnelle ? Quelle est la proximité des régions ? Si la recherche d'une expression mathématique des arrangements structuraux a peu retenu l'attention, en revanche les relations structurales ont fait l'objet d'un bon nombre d'expériences intéressantes. Nous nous intéresserons notamment aux études expérimentales de la substitution.

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Lissner (1933) a étudié, en utilisant une technique de reprise d'activités, la valeur que pouvait avoir une activité dans la réduction d'une tension primitivement liée à une autre activité. D'autres expérimentateurs ont employé une technique de remémoration. La valeur de substitution est mesurée par la diminution du taux de reprise ou de remémoration d'une activité auparavant interrompue après qu'une activité de substitution ait été menée à bien. On peut brièvement résumer comme suit les résultats de ces expériences sur la valeur de substitution : 1°) La valeur de substitution augmente avec le degré de similitude perçue entre l'activité originelle et l'activité de remplacement et avec le degré de difficulté de cette dernière (Lissner, 1933). 2°) La valeur de substitution croît avec la contiguïté dans le temps entre l'activité originelle et l'activité de remplacement et avec l'attirance qu'exerce cette dernière (Henle, 1942). 3°) La valeur de substitution d'une activité (penser, dire ou faire) dépend de la nature du but de la tâche originelle. Des tâches qui sont liées à un but de démonstration à l'intention d'une autre personne (l'expérimentateur par exemple) exige une activité de remplacement observable (pas seulement «penser» sans communication sociale) ; des «tâches de réalisation» dont le but est la construction d'un objet matériel réclament une activité de remplacement au niveau du «faire» et non simplement du «dire» comment on peut faire ; pour des problèmes intellectuels, parler (ou dire comment il faut faire) peut avoir une grande valeur de substitution (Mahler, 1933). 4°) Des «solutions magiques», des «solutions de faux-semblants» ou des solutions qui ne respectent ouvertement pas les exigences de la tâche ont une faible valeur de substitution pour des tâches situées sur le plan du réel. Cependant si la situation est une situation de feinte ou de jeu, des activités de faux-semblant peuvent avoir une valeur de substitution (Dembo, 1931 ; Sliosberg, 1934). 5°) Une activité de remplacement qui est identique à l'activité première aura peu de valeur de substitution si elle ne vise pas le même but. Ainsi construire une maison d'argile pour John aura peu de valeur si la première activité était d'en construire une pour Marie. Si toutefois l'accent est mis sur le fait de construire une maison d'argile et non de la destiner à une personne donnée, dans ce cas, certes, la substitution s'effectuera (Adler et Kounin, 1939). 6°) Qu'une personne quelconque achève la tâche laissée inachevée par le sujet semble n'avoir guère de valeur de substitution, spécia-

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lement lorsque l'accomplissement de la tâche est lié à l'estime de soi. Lorsque des couples d'individus cependant travaillent de manière coopérative sur une tâche, l'accomplissement par son partenaire a, pour un sujet donné, une valeur de substitution considérable (Lewis, 1944; Lewis et Franklin, 1944). Les résultats des recherches portant sur la valeur de substitution intéressent une gamme étendue de problèmes en psychologie •— depuis la valeur gratifiante relative de systèmes projectifs ou fantasmatiques individuels ou ayant une dimension sociale jusqu'au développement de rôles spécialisés au sein d'un groupe. On peut illustrer ce point particulier par cette importante découverte que les actions d'une autre personne peuvent constituer un substitut aux actions propres du sujet lorsque existe entre eux une relation de coopération. Le fait qu'une telle substitution soit possible permet à des personnes coopérant à une tâche commune de subdiviser celle-ci et d'assumer des activités spécialisées dans la mesure où aucun des individus engagés dans une situation de coopération n'éprouve le besoin d'accomplir par lui-même toutes les activités. En revanche, il y a moins de chances que l'individu pris dans une situation compétitive considère les actions d'autrui comme des substituts à des activités analogues qu'il entendait exercer lui-même. Ainsi lorsque la compétition règne au sein d'un groupe, il est peu probable que se développe une spécialisation des activités (Deutsch, 1949a ; Deutsch, 1949b). Le concept de système de tension a été également appliqué avec profit à des études expérimentales sur la satiété. En ce qui concerne la plupart des besoins, on peut observer un état de privation, de satiété et un état de saturation. Ces états correspondent à une valence positive, une valence neutre et une valence négative des régions d'activité qui sont liées à un besoin particulier ou un système de tension. Karsten (1928) a étudié l'effet produit par la réitération prolongée d'activités telles que lire un poème, écrire des lettres, dessiner et tourner une roue. Les principaux symptômes de la saturation semblent être : 1°) l'apparition de sous-parties dans l'activité conduisant à ce que l'activité globale se désintègre et perde sa signification ; 2°) une détérioration constante de la qualité et une fréquence accrue d'erreurs dans l'accomplissement de la tâche ; 3°) une tendance croissante à varier la nature de la tâche qui s'accompagne d'une rapide satiété pour chaque variation essayée ; 4°) une tendance à faire de l'activité accomplie à satiété une acti-

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vite périphérique tandis qu'on s'efforce de se concentrer sur autre chose tout en faisant la tâche — effort qui n'est habituellement pas couronné de succès car l'esprit divague ; 5° un dégoût croissant pour l'activité et toutes autres qui lui sont semblables et une valence croissante des tâches différentes ; 6°) de brusques accès émotionnels ; 7°) l'envahissement par la «fatigue» et autres symptômes corporels qui disparaissent rapidement lorsque le sujet est amené à une autre activité. La satiété n'apparaît que si l'activité, psychologiquement, se présente comme ne menant nulle part, comme faisant piétiner. Si l'activité peut être perçue comme permettant de progresser vers un but, les symptômes usuels de la satiété n'apparaîtront pas. L'intégration d'une activité dans un ensemble psychologique différent, qui en modifie la signification, a pratiquement le même effet sur la satiété que le passage à une activité différente. La rapidité avec laquelle se produit la satiété dépend de trois facteurs : 1°) la nature de l'activité (plus la taille des éléments de l'action et sa complexité augmentent, plus la satiété tarde à se manifester) ; 2°) le caractère plus ou moins central de l'activité (toutes choses égales par ailleurs, des activités qui revêtent le plus d'importance pour une personne donnée l'amènent à satiété plus rapidement que des activités périphériques) ; 3°) l'état du sujet (plus l'état du sujet est fluide, plus tôt apparaît la satiété). Le taux de satiété et de co-satiété d'activités similaires (c'est-à-dire la vitesse avec laquelle les effets de la satiété s'étendent d'une activité aux activités qui lui ressemblent) est fonction inverse de l'âge et de l'intelligence du sujet (Kounin, 1941a ; Kounin, 1941b). La plupart des phénomènes de satiété peuvent s'expliquer si l'on pose que l'accomplissement continu d'une tâche conduit à une réduction de la tension dans le système correspondant à cette tâche. Si la répétition de la tâche se poursuit, on peut représenter le système de tension correspondant à la tâche comme ayant atteint un niveau de tension plus bas que les systèmes environnants. Cette réduction de la tension fera que le sujet se détournera de la tâche répétitive vers d'autres activités. Avec le temps, il se détournera également d'activités qui sont liées à des systèmes de tension interdépendants du système saturé et s'orienta vers des activités qui n'ont pas de lien avec l'activité ayant conduit à satiété. La tendance générale est de se détourner des activités analogues au profit d'activités dissemblables.

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Cet éclatement de l'activité arrivée à satiété en éléments désorganisés concorde parfaitement avec l'analyse faite par Lewin de la «différenciation et de l'unité d'un tout basé sur la simple dépendance» (Lewin, 1941 ; Lewin, 1951, pp. 305-335). Le concept de système de tension et les diverses études expérimentales entreprises sur la remémoration et la reprise d'activités interrompues, sur la substitution, la satiété et la frustration ont un rapport direct avec de nombreux problèmes de psychologie sociale. Le concept de système de tension s'applique par exemple à des besoins, des intentions qui ont une origine sociale, à des mobiles qui naissent de l'appartenance à un groupe, de la participation à des activités de groupe, d'influences interpersonnelles. La compréhension des divers effets de la tension sur les processus psychologiques a fait progresser celle des facteurs sociaux ou de groupe qui produisent une motivation individuelle comme des facteurs sociaux ou de groupe qui facilitent la réduction des tensions individuelles. Les concepts

structuraux

Lewin tenta de constituer une géométrie, qu'il appela «l'espace hodologique» pour représenter la conception qu'une personne a de la structure de son environnement, en termes de moyens et de fin — quoi mène à quoi ? Bien qu'il n'ait jamais fait l'objet d'une formulation satisfaisante d'un point de vue mathématique, l'espace hodologique de Lewin a mis en lumière la nécessité de tenir compte de la conception que l'individu a de son environnement pour analyser ses possibilités comportementales et caractériser la direction de son comportement. Quelqu'un qui contourne une palissade pour atteindre une balle se trouvant de l'autre côté, psychologiquement se dirige vers cette balle alors même qu'il est physiquement en train de s'en éloigner. L'idée que la direction dans l'espace de vie dépend de sa structure cognitive a été appliquée à l'étude de certaines propriétés psychologiques de situations qui sont, du point de vue cognitif, non structurées. La plupart des situations nouvelles sont cognitivement non structurées puisque l'individu a peu de chances de savoir «quoi mène à quoi». L'individu, par conséquent, dans de telles situations ne peut guère savoir quelle direction il doit suivre pour atteindre son objectif. Lorsqu'il s'aventure dans l'une ou l'autre direction, il ne sait si elle le rapproche ou l'éloigné de son but. Son comportement sera de type exploratoire, tâtonnant, irrésolu et contradictoire et non pas efficace

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et économe. Si atteindre au but a pour lui une signification positive et ne pas l'atteindre une signification négative, alors se trouver dans une région qui ne possède pas de structure cognitive claire sera source de conflit psychologique puisque la direction des forces agissant sur lui peut aussi bien le rapprocher ou l'éloigner d'une quelconque région donnée. Dans de telles situations on notera des marques d'émotivité tout autant que de circonspection. En outre, il est dans la nature même d'une situation non structurée d'être instable ; la perception de la situation change rapidement et se trouve facilement modifiée sur de faibles indices ou sous la suggestion d'autrui. Cette détermination de quelques-unes des conséquences psychologiques des situations cognitivement non structurées est d'une très grande utilité en psychologie sociale. Lewin, par exemple, l'appliquera à l'étude de la situation psychologique de l'adolescent (1939 ; 1951), des minoritaires dans les groupes (Lewin, 1935a ; Lewin, 1948), de handicapés physiques (Barker, Wright et Gonick, 1946), des nouveaux riches et autres personnes passant d'une classe sociale à une autre. Le modèle peut s'appliquer à toute situation dans laquelle les conséquences du comportement sont de la même façon imprévisibles et incontrôlables, dans lesquelles les profits et les dommages surviennent, semblet-il, de façon tout à fait fortuite, inconséquente ou arbitraire ou encore dans lesquelles l'on ne peut avoir de certitude sur les réactions possibles des partenaires. Lewin se fonde également sur ce concept pour souligner l'importance de la «recherche-action» par les organismes de travail social et les équipes d'action civique qui s'attachent à prévenir et à éliminer les problèmes des communautés. Ne disposant pas de recherches sur l'efficacité de leur action, les travailleurs sociaux sont «dans le brouillard sur trois plans : quelle est la situation présente ? Quels sont les dangers ? Et essentiellement, que ferons-nous ?» (Lewin, 1946, p. 34). Lewin a également eu recours aux concepts structuraux en même temps qu'aux concepts dynamiques pour éclairer la nature des « situations de conflit». Lewin distingue trois types fondamentaux de conflit : 1°) L'individu se tient à mi-chemin entre deux valences positives de force sensiblement égale. Un exemple classique en est l'âne de Buridan crevant de faim entre deux bottes de foin. Ce type de conflit toutefois est instable. Lorsque l'individu, par le jeu de facteurs dus an hasard, quitte le point d'équilibre vers l'une ou l'autre des régions-

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buts, la force résultante vers cette région croît ; en conséquence, il continuera à s'en rapprocher en seloignant du point d'équilibre. Ceci est déduit de l'hypothèse selon laquelle la force d'attraction vers une région-but grandit au fur et à mesure que diminue la distance séparant du but. 2°) Le second type fondamental de situation de conflit s'observe lorsque l'individu se trouve entre deux valences négatives de force sensiblement égale. Le châtiment est un exemple typique de conflit fortement influencé par la structure de la situation. Il y a trois sortes de conflit entre des valences négatives : a) une situation dans laquelle une personne se trouve prise entre des valences négatives mais n'est pas contrainte de demeurer dans cette situation. Par exemple : une jeune fille qui doit épouser un prétendant déplaisant ou devenir une vieille fille étiolée mais que rien n'empêche de quitter le village ; b) une situation dans laquelle la personne est prise entre deux valences négatives et ne peut sortir du champ. Par exemple : le membre d'un groupe mis en demeure d'accomplir une tâche déplaisante ou de perdre son statut social s'il lui est impossible de quitter le groupe ; c) une situation dans laquelle une personne dans une région de valence négative ne peut la quitter qu'en passant par une autre région de valence négative. Par exemple : un homme accusé d'outrage au Congrès pour avoir refusé de témoigner sur l'appartenance ou la non-appartenance de certaines de ses relations au parti communiste et qui pour se blanchir doit devenir un délateur. Il est évident que la première situation conduira à une «sortie du champ». Le comportement d'évasion se produira du fait que la résultante des forces éloignant des régions de valence négative aura tendance à pousser la personne dans une direction perpendiculaire à la ligne reliant les deux régions négatives. Le conflit engendré par une telle situation ne sera que momentané sauf si l'individu rencontre des obstacles à sa sortie du champ. Les contraintes du type de celles qui s'exercent dans la situation (b) introduisent un conflit entre les forces de mouvement liées à la valence négative et les forces de freins liées à la barrière qui fait obstacle. Une barrière acquiert, semble-t-il, une valence négative qui croît avec le nombre d'essais tentés pour la franchir, valence qui, en fin de compte, est suffisamment puissante pour en tenir l'individu écarté (Fajans, 1933a ; Fajans, 1933b). Le conflit initial entre les forces de mouvement et les forces

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freins est alors remplacé par un conflit entre des forces de mouvement comme en comporte la situation (c). Il s'agit là d'un fait particulièrement important en psychologie sociale puisque dans de nombreuses situations vécues les barrières sont sociales. Lorsqu'une personne se tourne contre la barrière, elle s'oppose en réalité à la volonté et à la puissance de la ou des personnes ou du groupe qui a ou ont érigé ladite barrière. Ainsi lorsqu'il n'y a d'autres moyens pour éviter le conflit entre des valences négatives que de surmonter des barrières sociales, les barrières sociales et ceux-là même dont l'individu perçoit qu'ils sont à l'origine de leur existence, acquièrent une valence négative au fur et à mesure que l'individu échoue à s'évader. L'un des effets de la menace de sanctions est qu'elle crée une situation dans laquelle l'individu et le créateur de la barrière se dressent l'un devant l'autre comme des ennemis. 3°) Le troisième type fondamental de conflit se produit lorsque l'individu est soumis à des forces opposées issues d'une valence négative et d'une valence positive. On peut distinguer au moins trois formes de ce type de conflit : a) La situation dans laquelle une région revêt à la fois une valence positive et une négative (un individu voudrait s'intégrer à un groupe social mais craint que la participation à ce groupe ne soit trop onéreuse). On peut rapprocher de ce type de conflit le concept d'ambivalence de Freud. b) La situation dans laquelle un individu est entouré par une région négative ou une région-barrière (il n'est pas dans cette région mais encerclé par elle) et est attiré vers un but qui se trouve au-delà de la région négative ou région-barrière (une personne qui, pour poursuivre une activité désirée, doit subir l'épreuve douloureuse de quitter son foyer ou son groupe). La nature de cette situation est telle que la région de l'activité actuelle de l'individu tend à acquérir une valence négative aussi longtemps que la région qui l'encercle empêche la locomotion vers les buts désirés situés au-delà d'elle. Ainsi l'appartenance à un groupe minoritaire, le fait d'être en prison ou dans un ghetto se charge, en dehors des caractéristiques propres à ces régions, d'une valeur négative du fait que l'individu pour atteindre des buts désirés doit nécessairement franchir une région qui forme enceinte et qui est de valeur négative. c) Troisième exemple de ce type de conflit : la situation dans laquelle une région de valence positive est encerclée par une région de valence négative ou n'est en tout cas accessible qu'à travers une

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telle région. La différence entre cette situation et la précédente réside en ceci : c'est la région de valence positive et non plus la région où se trouve la personne qui est encerclée par une région de valence négative. La «situation de récompense» est un exemple de ce type ; l'individu ne se voit attribuer une récompense que s'il accomplit une tâche déplaisante. On peut de même considérer comme se rangeant dans cette catégorie de conflit les rites d'initiation en vigueur dans de nombreux groupes sociaux, les brimades du bizuthage par exemple. Lewin (1946, 1951, p. 259) et Miller (1944) ont tous deux souligné que les forces correspondant à une valence négative ont tendance à décroître en fonction de la distance psychologique plus rapidement que ne décroissent les forces correspondant à une valence positive. Le taux de décroissance dépend également de la nature de la région qui porte la valence positive ou négative. Ainsi en va-t-il différemment dans le cas d'un animal dangereux qui peut aller et venir et dans celui d'un objet déplaisant immobile. La différence entre les rythmes de décroissance des forces issues d'une valence positive et d'une valence négative justifie que l'on considère, malgré le paradoxe apparent, une grande peur ou une tendance très forte au retrait comme la preuve d'un grand désir du but visé. Ce n'est en effet que si le but exerce une grande attraction que le point d'équilibre entre les tendances à s'approcher et à s'écarter sera assez proche de la région de valence négative pour produire une force résultante puissante en direction opposée au but. Par ailleurs, renforcer la valence négative d'une région peut bel et bien avoir pour conséquence de diminuer les forces en conflit car le point d'équilibre (là où la force éloignant de la valence négative et la force vers la valence positive sont d'égale grandeur et de diréction opposée) peut être repoussé à une distance considérable des régions de valence. Le changement socialement induit Les concepts de Lewin n'impliquent pas que la motivation soit essentiellement induite par des déficits physiologiques. Lewin laisse ouverte la possibilité pour la tension et les valences d'être induites socialement (par l'ordre donné par l'expérimentateur d'exécuter une tâche, par exemple). Il montre également que les forces agissant sur une personne peuvent soit lui être imposées, soit refléter directement les besoins propres à cette personne.

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Dans cette perspective, il est pertinent d'introduire ici le concept de «champ de forces» qui, bien que n'ayant pas reçu de définition bien précise, a été employé dans de nombreuses recherches de psychologie sociale (Arsenian, 1943 ; Cartwright, 1950 ; Frank, 1944 ; Lippitt, 1940 ; Wiehe, cité par Lewin, 1935b). Un champ de forces est un champ d'induction qui peut produire, au sein de son aire d'influence, des changements dans l'espace de vie. La source d'un champ de force est ordinairement, mais non nécessairement, une personne. On peut appeler champ de force d'une personne l'aire sur laquelle celle-ci exerce directement une influence sociale et l'on peut parler des changements qui peuvent être ou sont induits par le champ de force d'une personne dans les espaces de vie d'autres personnes. Ainsi des ouvriers, qui n'ont pas d'intérêt personnel à leur tâche ne l'envisageant pas comme un moyen d'atteindre quelque objectif important, auraient tendance à tirer au flanc, n'était la présence d'un contremaître qui peut induire des forces orientées vers l'exécution du travail. Lorsque le contremaître n'est pas psychologiquement présent et lorsque par conséquent son champ inducteur est absent, les ouvriers retrouvent leur nonchalance. La distinction entre «forces propres» et «forces induites» a permis d'expliquer en partie la différence de comportement sous une direction autocratique et sous une direction démocratique (Lippitt et White, 1943) ; cette différence était au carrefour de l'intérêt scientifique que Lewin manifestait pour l'étude du leadership et des processus de groupe et pour l'étude des effets d'un gouvernement autocratique. Ce centre d'intérêt s'est révélé extraordinairement fécond. D'un point de vue scientifique, il contribua à stimuler le développement de la dynamique de groupe. Lewin, Lippit et White montrèrent par leur étude des différents modes de leadership qu'il était possible de conduire une expérimentation sur d'importantes propriétés des groupes et ce faisant ouvrirent de nouvelles et riches perspectives à l'expérimentation psychologique. D'un point de vue social, l'intérêt manifesté par Lewin pour les styles de commandement et sa démonstration qu'une direction démocratique a plus de chances de produire des groupes dont les membres poursuivent de leur plein gré et de leur propre chef les objectifs communs au groupe fournirent à la démocratie, au moment où elle subissait les attaques de gouvernements dictatoriaux, un modèle rationnel. En outre, ces travaux contribuèrent à encourager la transformation du style de commandement dans les groupes industriels, éducatifs et militaires, et ont donné naissance à des programmes

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de formation aux relations humaines auxquels on a largement recours pour permettre à certaines personnes d'acquérir les techniques propres à la conduite des groupes. Les résultats de l'étude des différents types de commandement montrent que les enfants d'un club dirigé par des chefs autoritaires (ce sont les chefs qui déterminent l'orientation, qui imposent les activités, qui évaluent personnellement et arbitrairement les activités) ont tendance à manifester une faible motivation personnelle à l'égard des activités du club. Bien que les enfants travaillent de façon productive tant que le chef est présent (quand son champ de force est psychologiquement efficient), le manque de motivation personnelle à l'égard de l'objectif collectif se traduit manifestement de plusieurs façons : 1°) par leur changement de comportement lorsque le chef quitte le club ; 2°) leur absence de motivation lorsque le chef arrive en retard ; 3°) leur manque de soin, d'application dans le travail ; 4°) leur manque d'initiative, le fait qu'ils ne font aucune suggestion spontanée concernant les objectifs du club, et enfin, 5°) leur absence de fierté devant les fruits du travail collectif. Au contraire les enfants appartenant à des clubs conduits par des leaders démocratiques manifestent une forte motivation personnelle envers les objectifs du groupe. La distinction entre forces «propres» et forces «induites» a également servi à expliquer pourquoi les ouvriers sont en général plus heureux et plus productifs lorsqu'ils peuvent prendre part aux décisions touchant leur travail. En dehors d'autres considérations, la participation à la détermination du but a plus de chances de créer des forces «propres» vers celui-ci, telles qu'il ne sera pas nécessaire d'exercer une pression sociale continue pour induire des forces vers le travail-but ou des forces de contrainte qui empêchent l'individu de quitter la région du travail (Coch et French, 1948 ; McGregor, 1944). Un champ de forces ne se caractérise pas uniquement par ce qui est perçu comme en étant la source (une personne donnée, un groupe, une valeur, une loi), mais aussi par de nombreux autres facteurs. Notamment : les régions qui peuvent se trouver affectées dans l'espace de vie de l'individu (un mathématicien peut influencer votre opinion quant à la validité d'une preuve mathématique mais non quant à la justesse d'un point de vue politique) ; la puissance du champ telle

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que la révèle l'ampleur des changements qu'il peut induire ; les conditions dans lesquelles il est plus opérant (il est peu probable qu'un enfant obéira à son père lorsque sa mère lui enjoint de faire le contraire) ; la nature des changements induits par le champ (si les barrières et les valences sont affectées ou non ; si les forces induites agissent sur le moi ou sur les régions de l'environnement psychologique) ; la valence positive ou négative que revêt le fait de se trouver ou non dans le champ de force d'une autre personne (un individu aime-t-il qu'on prenne pour lui les décisions ou préfère-t-il les prendre lui-même ?) ; les qualités que l'on prête à la source du champ de forces (amitié ou hostilité, caractère personnel ou impersonnel) ; le degré de correspondance ou de conflit entre les forces «induites» et les forces «propres» ; et enfin ces attributs de la source du champ de forces dont découle son pouvoir (force physique, rôle social, attraction personnelle). L'influence sociale et le changement socialement induit ont été au centre de toute une série de recherches menées sous la direction de Ronald Lippitt et Fritz Redl (Grosser, Polansky et Lippitt, 1951 ; Lippitt, Polansky et Rosen, 1952 ; Polansky, Freeman, Horwitz, Irwin, Papania, Rapaport et Whaley, 1949 ; Polansky, Lippitt et Redl, 1950a ; Polansky, Lippitt et Redl, 1950b). Cartwright, French et d'autres membres du Centre de Recherche sur la dynamique de groupe de l'université de Michigan (Cartwright, 1959) ont étudié systématiquement certains des phénomènes liés au pouvoir social et ils ont élaboré une conception du pouvoir cohérente avec la théorie du champ. Ces études, ces conceptualisations, mettent en lumière l'importance de l'influence sociale dans la production et l'orientation du comportement motivé.

Le niveau

d'aspiration

Aucun des domaines de recherche ouverts par Lewin et ses disciples n'a sans doute fait l'objet d'autant de travaux que celui portant sur le niveau d'aspiration ; ce dernier peut être défini comme le degré de difficulté du but vers lequel est tendu un individu. Ce concept ne s'applique que lorsque est perçue une échelle de difficulté dans la poursuite de buts possibles et lorsqu'il y a une variation de valence des buts tout au long de cette échelle. Pour aborder l'examen du niveau d'aspiration, il est sans doute

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utile de noter une séquence d'événements typique d'un grand nombre d'expériences dans ce domaine : 1°) le sujet accomplit une tâche ou joue à un jeu où il peut obtenir un score (par exemple lancer des fléchettes sur une cible) ; 2°) après qu'il ait joué et obtenu un certain score, on lui demande de fixer le score qu'il essaiera d'obtenir à la séquence de jeu ; 3°) il joue alors de nouveau et obtient un nouveau score ; 4°) il réagit à cette seconde performance avec un sentiment de succès ou d'échec, avec un niveau d'aspiration inchangé ou nouveau. Dans cette séquence, la quatrième phase, la réaction aux résultats est particulièrement significative quant à la dynamique du niveau d'aspiration. Dans ses grandes lignes, la théorie du niveau d'aspiration est assez simple (Lewin, Dembo, Festinger et Sears, 1944). Elle pose que la valence de tout niveau de difficulté (V) est égale au produit de la valence du succès (VS1.), par la probabilité subjective du succès (SPSu), moins le produit de la valence de l'échec (Vf), par la probabilité subjective de l'échec (SP f ). Algébriquement ceci pourrait se traduire ainsi : V =

(V su X SP.„) — (Vf X SPf)

On admet généralement que la somme de la probabilité subjective de succès et de la probabilité d'échec est égale à 1. Le niveau d'aspiration (le but qu'un individu s'efforcera d'atteindre) sera le niveau de difficulté qui a la plus haute valence positive. L'expérience subjective de succès ou d'échec est déterminée par la relation existant entre la performance de l'individu et son niveau d'aspiration lorsque la performance est vue comme étant accomplie par soi et non comme étant accomplie dans l'absolu. Les recherches expérimentales effectuées sur le niveau d'aspiration ont mis à jour la diversité des influences qui affectent la valence positive et négative des différents niveaux de difficulté. Elles ont montré que des facteurs culturels et de groupe établissent des échelles de référence qui contribuent à déterminer l'attrait relatif des différents points situés sur l'échelle de difficulté. Certaines de ces influences sont remarquablement stables et permanentes. On a ainsi trouvé, par exemple, que la majorité des personnes de culture occidentale, soumises à une pression culturelle insistante en faveur de l'autoperfectionnement, lorsqu'on les prie d'examiner leur niveau d'aspiration, indiquent un niveau supérieur au score précédemment obtenu 3

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et dans la plupart des cas maintiennent en général leurs aspirations à un niveau plus élevé que leurs performances antérieures. En dehors de ces facteurs culturels généraux, le niveau d'aspiration d'un individu est, en règle générale, fortement influencé par les canons du groupe auquel il appartient (Anderson et Brandt, 1939 ; Hilgard, Sait et Margaret, 1940). La nature des échelles de référence établie par les canons des différents groupes est variable. Les échelles de référence ne proviennent pas uniquement de l'appartenance à un groupe social aux structures définies ; elles reflètent aussi l'influence de l'image de soi, d'autres personnes ou groupes qui, soit établissent des normes de performances, soit servent de modèles dans l'évaluation de ses propres résultats. Ainsi le niveau d'aspiration d'un étudiant d'université par rapport à une tâche intellectuelle variera selon qu'on lui présente un score donné comme ayant été obtenu par un élève de lycée moyen, un étudiant débutant moyen ou un étudiant en fin d'études moyen (Festinger, 1942a ; Festinger, 1942b). La recherche a permis de progresser quelque peu dans la connaissance des facteurs qui placent les valeurs sur l'échelle de probabilité subjective. Un facteur important dans la détermination de la probabilité subjective du succès ou de l'échec à venir est l'expérience antérieure du sujet quant à son aptitude à atteindre certains objectifs (Jucknat, 1937). Si il a déjà une expérience notable pour une activité donnée, il saura fort bien quel niveau il peut espérer atteindre et la pente de son échelle de probabilité subjective sera forte. Cependant, ce n'est pas seulement la moyenne de ses performances passées qui fixe l'échelle de probabilité subjective d'un sujet, c'est également sa «forme» présente : est-il en train de faire des progrès, de baisser ou est-il égal à lui-même ? En outre, les expériences menées montrent que le dernier résultat obtenu ou le plus récent, succès ou échec, a une influence toute particulière sur l'estimation que se fait un sujet de ses résultats futurs. En outre, il apparaît à l'expérience que l'échelle de probabilité d'un sujet est influencée non seulement par les performances que les autres ont accomplies mais par les échelles de probabilité qu'ils se sont données. Des facteurs tenant à la personnalité comme la confiance en soi peuvent également influer sur l'échelle de probabilité. L'analyse du niveau d'aspiration trouve de vastes applications dans l'étude de nombreux problèmes sociaux. Elle donne un aperçu sur les raisons de l'apathie sociale face à des problèmes politiques et internationaux pressants. Il est peu probable que des gens s'efforcent

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d'atteindre des objectifs, fussent-ils des plus valorisés, s'ils ne voient aucun moyen d'y parvenir. De même, cette analyse permet de mieux comprendre pourquoi une révolution sociale a tendance à ne se produire qu'après une légère amélioration dans la situation des groupes opprimés. Cette amélioration élève les niveaux d'aspiration, et des buts, qui avaient pu être considérés comme inaccessibles, apparaissent alors comme du domaine du réel et du possible. L'étude du niveau d'aspiration se propose comme un instrument d'étude comparée des différentes cultures et d'analyse de leurs systèmes de valeurs. De même, cette méthode semble devoir être féconde dans l'approfondissement de notions telles que l'optimisme et le pessimisme, le besoin de succès, la crainte de l'échec, l'influence des normes spécifiques des groupes. Atkinson (1957, 1964) a élaboré une théorie de la motivation d'accomplissement qui est une extension et un raffinement des idées contenues dans la théorie du niveau d'aspiration. Par sa théorie, Atkinson veut rendre compte des facteurs qui déterminent l'orientation, l'ampleur et la continuité d'une performance répondant à la motivation d'accomplissement. Celle-ci est conçue comme la résultante de deux tendances opposées : T„ (la tendance à atteindre le succès) — Tf (la tendance à éviter l'échec). La tendance à atteindre le succès est posée comme fonction du produit de la motivation vers le succès (M„), que le sujet véhicule de situation en situation, par la probabilité subjective du succès (P„) et par la valeur incitatrice du succès pour une activité particulière (Is) : T s = M s X P s X D'une façon analogue, la tendance à éviter l'échec est une fonction du produit de la motivation à éviter l'échec (Mttf), par la probabilité subjective d'échec (P ( ) et par la valeur d'incitation négative de l'échec (I f ) : T ( = M a t X Pf X IfJusque-là, l'analyse d'Atkinson offre un parallèle avec la théorie du niveau d'aspiration si l'on considère, avec raison, que le concept lewinien de valence est équivalent au produit de la motivation par l'incitateur, autrement dit que la valence de succès est égale à M, X I» et que la valence d'échec est égale à M s X If- Toutefois, Atkinson introduit l'hypothèse supplémentaire que I s = I — P s et que If = P s . En d'autres termes, sa théorie détermine de façon plus rigoureuse la relation entre le niveau de difficulté perçu et les valeurs d'incitation du succès et de l'échec. (Remarquons que dans la théorie d'Atkinson Pa X Is doit être égal à P { X If et que, par conséquent, toute diffé-

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Théorie du champ

rence pouvant exister entre T s et Tf ne peut provenir uniquement que de la différence entre M s et M e f.) Atkinson (1964) résume un ensemble important de recherches qui sont en concordance avec sa théorie. La portée de celle-ci apparaît dans la gamme des problèmes auxquels elle a été appliquée, notamment : l'effet sur le plan de la motivation, de l'aptitude à se grouper dans les écoles ; la force de la motivation de l'accomplissement et la mobilité professionnelle ; la crainte de l'échec et l'aspiration professionnelle irréaliste ; le choix des degrés dans le risque, les effets du succès et de l'échec.

Les concepts de la dynamique

des groupes

En dehors de quelques articles sur la décision de groupe et le changement social (Lewin, 1947a ; Lewin, 1947b ; Lewin 1947c ; Lewin 1948), Lewin en réalité écrivit fort peu sur la théorie de la dynamique des groupes. Un remarquable appareil conceptuel a cependant peu à peu émergé des recherches entreprises par ses collègues et ses élèves du Centre de Recherche sur la dynamique de groupe. Lewin écrivait en 1948 (p. 54) : «L'essence d'un groupe ne réside pas dans la similitude ou la dissemblance de ses membres mais dans leur interdépendance. On peut caractériser un groupe comme un 'tout dynamique', ce qui signifique qu'un changement dans l'état d'une quelconque de ses sous-parties change l'état de toutes les autres sous-parties. Le degré d'interdépendance des sous-parties constituées par les membres du groupe varie de la masse 'lâche' à l'unité compacte.» French (1944) souligna que l'appartenance à un groupe supposait, outre l'interdépendance, l'identification au groupe. Deutsch (1949a) montra que la nature de l'interdépendance est plus promotionnelle ou coopérative que compétitive. Ainsi on peut tenter de définir un groupe comme étant constitué d'un ensemble de membres qui à des degrés divers et sur un ou plusieurs plans, se perçoivent mutuellement interdépendants d'une façon promotionnelle ou coopérative. L'un des concepts clés et sur lequel ont porté de nombreuses recherches expérimentales, est celui de cohésion. Intuitivement, la cohésion a trait à ces forces qui lient entre eux les éléments d'un groupe et

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ainsi s'opposent aux influences qui risquent de le désintégrer. C'est pourquoi l'étude des conditions qui affectent la cohésion d'un groupe et des effets sur le fonctionnement d'un groupe des variations de cette cohésion est au centre même de l'étude de la vie des groupes. Festinger, Schachter et Back (1950) ont défini la cohésion, du point de vue du membre du groupe, comme la «totalité du champ des forces qui s'exerce sur les membres pour qu'ils restent dans le groupe». La nature et la grandeur des forces agissant sur un membre pour qu'il demeure dans le groupe peut varier d'un membre à l'autre. Ces chercheurs suggèrent que la cohésion du groupe doit «être rapportée à la grandeur moyenne de cette force dans toutes les parties du groupe». Deutsch (1949a), dans une définition qui rejoint pour l'essentiel celle de Festinger, Schachter et Back, rapporte la cohésion du groupe au degré perçu d'interdépendance coopérative entre les membres et à la force des buts vers lesquels joue l'interdépendance coopérative des membres. La motivation à l'appartenance au groupe chez l'individu est définie comme étant la contrepartie de la cohésion dans le groupe. Dans les définitions précédentes, la relation entre la cohésion comme attribut du groupe et la motivation à l'appartenance (ou cohésion) comme attribut individuel n'est pas correctement maîtrisée. Il est évident toutefois que la moyenne des diverses motivations individuelles à l'appartenance n'est pas une mesure adéquate de la cohésion du groupe. Intuitivement on peut penser que la cohésion du groupe sera affectée selon la façon dont la motivation à l'appartenance se distribue dans le groupe, c'est-à-dire selon la façon dont varie cette motivation d'un membre du groupe à l'autre et selon la forte ou faible motivation des membres importants et des membres «moins importants». Notons en passant que dans les définitions de la cohésion, les forces de maintien dans le groupe sont la résultante à la fois des forces tendant à demeurer dans le groupe et des forces tendant à le quitter. Pour en simplifier la présentation, nous examinons les problèmes de la cohésion sans prendre considération des forces qui tendent à quitter le groupe. Dans les recherches expérimentales, on a eu recours à diverses mesures de la cohésion du groupe : désir de rester dans le groupe, rapport entre l'emploi du «je» et du «nous» dans les discussions de groupe, mesures du niveau de sympathie, évaluations du groupe et de sa production, acceptation des idées des autres, comparaison des choix sociométriques faits à l'intérieur et à l'extérieur du groupe. Dans un article théorique, Deutsch (1949a) propose une méthode ration-

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Théorie du champ

nelle pour l'emploi de toute une variété de mesures de la motivation à l'appartenance, en s'appuyant sur un corps d'hypothèses qui concerne le comportement comparé des membres de groupes très cohésifs (coopératifs) et de groupes peu cohésifs (compétitifs) dans des conditions où la locomotion du groupe est réussie. Les premiers seront : 1°) plus disposés à accepter les actions d'autres membres du groupe comme des substituts à des actions analogues qu'ils se proposaient de faire (et ils n'auront donc plus à les accomplir eux-mêmes) ; 2°) plus disposés à recevoir de la part des autres membres une induction à être influencés par eux et enfin, 3°) seront plus enclins à attribuer une valeur positive aux actions des autres membres du groupe, à s'y investir. De ces hypothèses centrales que complètent quelques propositions plus spécifiques, on peut déduire quelle sera l'influence du niveau de cohésion d'un groupe sur de nombreux aspects de son fonctionnement. Ainsi, à partir de l'hypothèse de la possibilité de substitution, on peut prévoir que l'on trouvera dans les groupes à forte cohésion une plus grande spécialisation des fonctions, une plus fine subdivision de l'activité, une plus grande diversité dans le comportement des membres. L'hypothèse de l'induction permet de prévoir que les membres des groupes plus cohésifs seront plus attentifs les uns aux autres, mieux compris les uns par les autres, plus influencés mutuellement, plus enclins au changement et à l'intériorisation des normes du groupe que les membres de groupes à faible cohésion. L'hypothèse de l'investissement permet de prévoir une plus vive cordialité et un pourcentage plus élevé de choix sociométrique dans le groupe. Des données recueillies au cours de diverses observations viennent à l'appui de cet ensemble d'hypothèses (Back, 1951 ; Deutsch, 1949b ; Gérard, 1954; Levy, 1953 ; Schachter, 1951). Dans un programme de recherche très structuré, Festinger et ses collaborateurs ont élaboré une série d'hypothèses fécondes (Festinger, 1950) et ont mené des expériences fort ingénieuses sur les processus de communication au sein des groupes. En résumé, les chercheurs se sont intéressés à trois sources de la pression à communiquer dans les groupes. Ils distinguèrent : 1°) les communications produites par des pressions à l'uniformité dans le groupe (Back, 1951 ; Festinger et Thibaut, 1951 ; Schachter 1951) ; 2°) les communications produites par des forces tendant à la

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locomotion dans une structure sociale (Kelley, 1 9 5 1 ; Thibaut, 1 9 5 0 ) et enfin, 3°) les communications provenant de l'existence d'états émotionnels (Thibaut, 1 9 5 0 ; Thibaut et Coules, 1 9 5 2 ) . Festinger ( 1 9 5 0 ) a relevé deux sources principales de pression à l'uniformité dans un groupe : la réalité sociale et la locomotion de groupe. Il montre que lorsqu'on ne dispose pas d'une base objective simple d'après laquelle déterminer la validité de ses propres croyances, on dépend pour avoir confiance en celles-ci, de la réalité sociale, à savoir du jugement consensuel des personnes dont on respecte l'opinion. Par exemple, un propriétaire de race blanche aura du mal à vérifier de façon simple et objective la croyance selon laquelle «l'arrivée des Noirs dans un quartier blanc entraîne une baisse de la valeur des biens» ; aussi est-ce le jugement d'autrui qui lui tient lieu de preuve. L'absence d'accord parmi les membres d'un groupe fournit une base instable à des croyances qui trouvent leur support dans le consensus social et de ce fait, des forces apparaîtront qui engendrent l'uniformité (ceci étant dans la m ê m e ligne de pensée que celle de Heider à propos de la tendance à l'équilibre cognitif). Les pressions à l'uniformité peuvent également apparaître dans un groupe lorsqu'une telle uniformité est souhaitable pour que le groupe se rapproche d'un but donné. U n e plus grande uniformité d'opinion au sein d'un groupe peut

être

obtenue de deux manières : soit par des actions (des communications) conçues pour modifier son propre point de vue, soit par des actions qui ôtent aux autres membres leur qualité d'élément de comparaison en rejetant ou en excluant du groupe ceux dont les opinions divergent de celles du groupe. Diverses expériences ont montré qu'avec l'augmentation de l'attrait exercé par le groupe et donc de l'importance que revêt le groupe comme élément de comparaison, augmente également le volume de l'influence exercée et le volume de changement d'opinion qui peut intervenir lorsqu'il y a divergence d'opinion au sein d'un groupe (Back, 1 9 5 1 ) . Il a encore été démontré que plus une opinion a un caractère décisif, vital pour le fonctionnement du groupe, plus est forte

la

pression

à

l'uniformité

(Festinger

et

Thibaut,

1951 ;

Schachter 1 9 5 1 ) . D e même, comme on pouvait le déduire de considérations théoriques, des données expérimentales montrent que lorsque des pressions à l'uniformité existent, les membres exercent principalement une influence sur ceux des autres membres dont les opinions divergent le plus nettement des leurs (Festinger et Thibaut, 1951 ;

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Théorie

du

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Schachter, 1951). Il n'y a eu jusqu'ici que peu de recherches sur les conditions dans lesquelles la pression à l'uniformité se traduira par le rejet des déviants plutôt que par un effort pour les amener à changer ; cependant des expériences réalisées par Gérard (1953) et par Festinger et Thibaut (1951) suggèrent que le rejet des déviants croît avec l'hétérogénéité du groupe. Les expériences qui mettent à jour une tendance à diriger les communications du groupe vers les déviants, tendance à exercer sur eux, par la communication, une pression sociale, confirment la théorie de Lewin de la décision de groupe et du changement social. Lewin (1947c) entama son analyse du changement en soulignant que le statu quo dans la vie sociale n'est pas un fait statique mais en réalité un processus dynamique qui fluctue tout en conservant une forme reconnaissable. Il emprunte aux sciences physiques l'expression d' «équilibre quasi stationnaire» et l'applique à de tels processus maintenus continûment à leur niveau actuel par des champs de forces qui empêchent un relèvement ou un abaissement de ce niveau. Le champ de forces aux alentours du niveau d'équilibre présuppose que les forces s'opposant à un relèvement de niveau qui serait supérieur à celui induit par les forces contraires à l'abaissement vont croître avec l'abaissement (selon un processus de feed-back négatif). Ainsi si l'on suppose qu'une norme de groupe est à l'œuvre dans la fixation du niveau de productivité des travailleurs dans une usine, toute tentative de la part d'un ouvrier de s'écarter par une productivité plus élevée de cette norme n'aura pour résultat que de le soumettre à des forces plus puissantes exercées par ses camarades pour le ramener au niveau de la norme. Ainsi, comme les travaux de Festinger l'ont démontré, plus un individu est déviant, plus fortes sont les pressions qui s'exercent sur lui pour l'amener à conformité. Néanmoins, Lewin remarque que le gradient des forces peut changer à une certaine distance du niveau d'équilibre ; lorsqu'un individu s'est écarté d'une certaine distance du niveau d'équilibre, des forces peuvent l'éloigner de la norme du groupe plutôt que l'y ramener. L'analyse que fait Lewin du statu quo en tant qu'équilibre quasi stationnaire a deux implications principales. Tout d'abord elle souligne que le changement du statu quo peut être obtenu, soit en augmentant les forces allant dans la direction voulue, soit en diminuant les forces opposées. Cependant ces deux moyens d'obtenir le changement auront des conséquences différentes : si l'on augmente les forces, le processus s'accompagnera au niveau nouvellement atteint d'un état

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de tension relativement élevé puisque les forces en opposition seront plus grandes ; avec une diminution des forces opposées, le nouveau niveau connaîtra une tension moindre. Deuxièmement, cette analyse met en relief les difficultés qu'il y a à s'efforcer de modifier une conduite et des attitudes individuelles enracinées dans le groupe par des efforts portant sur l'individu et non sur son groupe. Si l'on essaye de changer les préjugés d'un individu sans toucher aux préjugés de son groupe, l'individu se trouvera alors soit étranger au sein de son groupe, soit l'objet de pression de la part de celui-ci pour qu'il revienne à son attitude initiale. Des personnes isolées peuvent peutêtre modifier leurs attitudes par suite de leur expérience individuelle mais celui qui est profondément engagé dans la vie sociale de sa communauté sera, s'il veut y maintenir sa position, bien rarement en mesure de résister aux pressions à la conformité concernant des domaines importants pour la communauté. De semblables considérations ont conduit à des expériences destinées à jauger dans des contextes variés — écoles, groupes de voisinage, industrie, atelier multiracial — l'efficacité relative de tentatives pour changer le comportement orientées soit vers des individus, soit vers les groupes (Lewin, 1948). Un procédé classique a été de comparer les résultats quant au changement de comportement, d'instructions ou d'exposés donnés individuellement et de décisions de groupe touchant à des habitudes alimentaires. La comparaison a clairement établi que la décision de groupe entraînait plus de changement. Il faut noter toutefois que la plupart des expériences sur la décision de groupe n'ont malheureusement pas été conçues de façon que l'on puisse écarter l'hypothèse que des facteurs comme l'intérêt ou la décision n'étaient pas, en eux-mêmes, producteurs du plus grand changement. Une expérience de Bennett (1952) contrôlée avec plus de rigueur laisse penser que les avantages apparents de la discussion de groupe tiennent essentiellement à ce qu'elle facilite la décision et la perception du consensus. L'auteur conclut que, toutes choses égales par ailleurs, la discussion de groupe n'était pas plus efficace que l'exposé et que le fait de faire connaître publiquement les décisions individuelles ne contribuait pas de façon notable aux différences observées. Dans l'expérience de Bennett, les sujets étaient des étudiants en première année de psychologie et l'objet de la discussion de groupe ou de l'exposé était une demande de participation volontaire en tant que sujet à une expérience de psychologie qu'on ne spécifiait pas. Les «groupes» ne présentaient pas une très grande cohésion (étudiants au début de leurs

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du champ

études) et l'idée d'être volontaire n'était pas enracinée dans Je groupe au sens où elle ne relevait pas clairement des normes du groupe. L'accumulation des résultats, tout comme l'expérience quotidienne viennent à l'appui de la thèse fondamentale de Lewin selon laquelle pour changer les attitudes individuelles qui prennent racine dans le groupe, c'est, dans de nombreux cas, le groupe auquel les individus appartiennent qu'il faut changer. Horwitz ( 1 9 5 4 ) a mené une étude qui analyse les conséquences psychologiques de la décision de groupe. Dans son expérience, les membres d'un groupe avaient la possibilité de fixer des buts au groupe et de percevoir la position du groupe quant à l'atteinte de ces objectifs. Tandis que le travail vers l'un des buts agréés par le groupe était en cours, l'effort était interrompu. Pour d'autres buts, le groupe était autorisé à poursuivre son effort. Après que le groupe ait travaillé sui^ un certain nombre de tâches, on donnait à tous les membres du groupe un test de type Zeigarnik vérifiant la remémoration des tâches achevées et des tâches interrompues. L'expérience était ainsi organisée que chaque individu indiquait par vote s'il voulait ou non terminer chaque tâche. Les résultats pour chaque tâche du vote à bulletin secret étaient communiqués au groupe (en réalité, l'expérimentateur communiquait un vote du groupe falsifié afin d'être en mesure d'en étudier les effets dans des conditions équivalentes). Les résultats montrèrent clairement l'effet motivationnel des buts agréés par le groupe ; en règle générale, les tâches interrompues étaient davantage remémorées que les tâches achevées. En outre, il ressortait clairement que le vote du groupe communiqué (la décision de groupe) en faveur ou non de l'achèvement de la tâche, influait sur la remémoration : lorsque le vote de groupe indiqué était en faveur de l'abandon de la tâche, la remémoration était moindre que lorsque le vote de groupe était en faveur de l'achèvement. Nous avons jusqu'ici dans notre approche de la dynamique de groupe, considéré le groupe comme composé d'éléments homogènes. En réalité, bien sûr, les groupes sont des structures différenciées et le comportement d'un membre quelconque du groupe sera en grande partie déterminé par sa position dans la structure du groupe. Bien que les concepts de structure de groupe et de position au sein du groupe n'aient pas été parfaitement définis dans les ouvrages des théoriciens de la dynamique des groupes, ils ont fait l'objet d'un volume important de recherche. Ainsi les pionniers que furent Lewin, Lippitt et W h i t e (1939) ont démontré, dans leur étude sur les

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effets des différents types de style de commandement, combien la position de leadership était décisive dans la détermination de l'atmosphère du groupe. Bavelas (1951), Leavitt (1951) ont démontré l'importance de la position au sein d'un réseau de communication dans la détermination du comportement des membres et ont montré comment la structure d'un réseau de communication affectait la productivité du groupe et les satisfactions individuelles. Kelley (1951) a montré expérimentalement l'importance de la position dans un statut hiérarchique pour la détermination de la nature et de la direction de la communication. Dans une étude sur la contagion comportementale dans les groupes, Polansky, Lippitt et Redl (1950a ; 1950b) ont exploré la relation entre le statut (défini par de nombreux critères de choix sociométrique) et l'aptitude à influencer les autres dans les groupes. De telles études fournissent un modèle qui fait des processus de communication (qui parle avec qui, de quoi, suivant quelle fréquence, de quelle façon, dans quelles circonstances et avec quels résultats) un instrument capital pour caractériser la structure de groupe et localiser au sein de cette structure les tenants des diverses positions.

En

conclusion

On ne peut pas manquer d'être impressionné par l'ampleur considérable de l'œuvre de Lewin, par ses innovations brillantes en de nombreux domaines de la psychologie, par son ingéniosité d'expérimentateur. La marque de sa pensée se fait encore sentir dans les travaux de ses étudiants et collaborateurs ; parmi ceux-ci, citons Back, Barker, Bavelas, Cartwright, Deutsch, Festinger, French, Heider, Horwitz, Kelley, Lippitt, Pepitone, Redl, Schachter, Thibaut, White, Willerman, Wright et Zander. On ne saurait dire cependant que les constructions théoriques proprement lewiniennes — ses concepts dynamiques et de structure — sont au centre de la recherche poursuivie en psychologie sociale. C'est davantage son orientation générale en psychologie qui a marqué ses collègues et disciples, à savoir : les événements psychologiques doivent être expliqués en termes psychologiques ; la recherche doit être centrée sur les processus décisifs dans l'espace de vie (perception distale, cognition, motivation, comportement orienté vers un but) plus que les processus périphériques de l'information sensorielle et de l'action musculaire ; les faits psychologiques doivent être étudiés dans leurs interrelations ; l'individu doit

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du champ

être étudié dans ses interrelations avec les groupes auxquels il appartient ; la façon la plus féconde de faire des recherches sur un processus c'est d'essayer d'y introduire un changement ; on peut étudier expérimentalement des phénomènes psychosociologiques importants ; le chercheur doit avoir une conscience sociale et doit agir pour que le monde soit meilleur à habiter ; une bonne théorie présente une valeur pour l'action sociale autant que pour la science.

LEON FESTINGER

Contrairement à Lewin et aux psychologues théoriciens de sa génération, les étudiants de Lewin ne sont pas devenus des théoriciens au sens fort du terme. Ils n'ont pas produit de nouvelles approches théoriques de l'objet général de la psychologie. Ils ont plutôt eu tendance à mettre au point des théories plus limitées, spécifiques, orientées vers l'expérimentation en laboratoire et modelées en vue de cette expérimentation. Présentent ces caractéristiques, la théorie de la communication sociale chez Festinger, celles de la coopération et de la compétition de Deutsch ou encore celle de Cartwright et French sur le pouvoir social. Festinger est, parmi les élèves de Lewin, celui dont les travaux ont eu le plus grand impact en psychologie sociale. Nous nous attacherons à certaines des recherches théoriques les plus récentes de Festinger, notamment à sa théorie des processus de comparaison sociale et à sa théorie de la dissonance cognitive.

La comparaison

sociale

La théorie de la comparaison sociale (Festinger, 1954), est née de la théorie de la communication sociale de Festinger et en constitue un développement. L'hypothèse sous-jacente à cette théorie est que les êtres humains sont poussés à rechercher si leurs opinions sont exactes. La théorie de la comparaison sociale suppose que cette même impulsion engendre chez les individus un comportement orienté vers l'obtention d'une estimation rigoureuse de leurs propres aptitudes. Elle pose également que lorsqu'ils ne disposent pas de mesures «objectives, non sociales» les individus évaluent leurs opinions et leurs aptitudes au moyen de comparaisons avec celles d'autrui. (Festinger admet que

Leon F estinger

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les mesures «objectives, non sociales» ont la préférence sur la comparaison sociale sans doute parce qu'elles sont plus rigoureuses et moins facilement influencées.) La théorie postule ensuite que dans la mesure où les gens recherchent une évaluation précise de leurs opinions et aptitudes, ils auront tendance à se comparer à ceux dont les opinions et aptitudes sont semblables plutôt qu'à ceux dont les opinions et aptitudes s'éloignent fortement des leurs ; l'hypothèse étant qu'une évaluation peut être plus rigoureuse lorsque les différences sont faibles que lorsqu'elles sont fortes. Par exemple, quelqu'un qui commence juste à apprendre à jouer aux échecs se comparera à d'autres débutants plutôt qu'aux joueurs consacrés maîtres du genre. Festinger en vient à cette intéressante conclusion que paradoxalement ce besoin d'évaluer avec rigueur ses propres opinions et aptitudes peut conduire un individu à les modifier pour les rapprocher des opinions et aptitudes des personnes qui s'offrent à sa comparaison. Festinger suppose ici — sans formuler explicitement son hypothèse — qu'un des moyens de réduire la dissemblance est de changer et de devenir plus semblable aux autres. Un autre moyen d'agir en vue d'une réduction de la dissemblance est de changer les autres. Une autre voie encore est d'éprouver moins d'attirance pour les situations où les autres sont dissemblables. Dans le cas d'écarts extrêmes, on rejettera la situation et cessera toute comparaison avec ceux qui sont par trop différents. Qu'un individu ait plutôt tendance à changer lui-même ou à faire que les autres changent, cela dépendra dans une large mesure de la distance qui sépare sa position de la position modale au sein du groupe ; plus l'écart est grand entre sa position et cette position modale, plus il y a de chances pour qu'il modifie sa propre position. Prenons l'exemple d'un jeune homme qui obtient environ 80 au golf à dix-huit trous. D'après Festinger, ce jeune homme préférera jouer avec d'autres joueurs qui «font» environ 80 plutôt qu'avec ceux qui obtiennent des scores nettement supérieurs ou nettement inférieurs aux siens, il aura tendance à modifier soit ses performances soit celles du groupe afin de les rendre plus comparables. Il est ainsi possible que son jeu se détériore de façon à réduire la différence entre son score et celui des autres. Il peut encore modifier l'évaluation de son propre jeu pour l'aligner sur les performances des autres. (Festinger, naturellement, reconnaît que les opinions, y compris les opinions sur ses propres aptitudes, sont plus faciles à modifier que les performances ou les aptitudes elles-mêmes. Néanmoins, sa théorie conduit à l'idée, qui va à l'encontre du sens commun, qu'une personne fera moins bien

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que ce dont elle est capable non seulement pour être «un du groupe» mais plutôt pour se comparer lui-même au groupe.) Tout facteur rendant plus impérieux le besoin d'évaluer l'une quelconque de ses opinions ou aptitudes (en augmentant par exemple 1' «importance» de l'opinion ou de l'aptitude) augmentera vraisemblablement l'évaluation négative de la dissemblance entre soi et ceux qu'on utilise généralement aux fins de comparaison, et accroîtra donc la «pression à l'uniformité». De façon analogue, augmenter l'importance du groupe de comparaison en accroissant son pouvoir d'attraction ou en insistant sur le rapport existant entre le groupe et cette opinion ou aptitude, augmentera la pression à l'uniformité. Cependant si les autres sont considérés comme étant sous divers aspects différents de soi, la pression à l'uniformité, quant aux caractéristiques qui y sont liées, sera plus faible. Festinger souligne que si des processus fondamentaux de la comparaison sont les mêmes qu'il s'agisse d'opinion ou d'aptitude, il y a cependant des différences importantes. Dans le cas des aptitudes, une valeur est attachée à «faire toujours mieux» («une poussée vers le haut unidirectionnelle»), ce qui n'existe pas pour les opinions ; par ailleurs, il y a des contraintes non sociales qui rendent difficile de changer ses aptitudes. L'impulsion à faire toujours mieux entre vraisemblablement en conflit avec le besoin d'évaluer de façon précise ses aptitudes (par comparaison avec les performances de ceux qui sont d'aptitude semblable). En conséquence, chacun est conduit à ne réussir qu'un peu mieux que les autres. Mais cependant, il est évidemment impossible que dans un groupe chaque membre soit légèrement meilleur que tous les autres membres. C'est pourquoi, pour ce qui est de l'évaluation des aptitudes, l'état d'équilibre social n'est jamais atteint ; la conduite de compétition est une manifestation de cette absence d'équilibre. Festinger montre que la théorie de la comparaison sociale a des implications très nettes au niveau de la formation du groupe et de la structure du groupe. En effet, le besoin de s'auto-évaluer peut conduire les individus à s'associer et à s'intégrer à des groupes ; c'est là l'un des facteurs qui rendent les individus «grégaires». Mais la théorie suggère que les tendances sélectives à s'associer avec des personnes d'opinions et d'aptitudes semblables jointes à l'influence que suscite la dissemblance garantissent l'homogénéité relative au sein des groupes des opinions et des aptitudes. Schachter (1959) a étendu la théorie de la comparaison sociale

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pour l'appliquer à l'évaluation des émotions aussi bien qu'à celle des opinions et aptitudes. Dans une série d'expériences, il a démontré que la tendance à s'affilier à d'autres qui vivent une expérience analogue augmentait lorsqu'on rendait les sujets anxieux. Il explique cela par le fait que les sujets n'étaient pas certains que leur anxiété soit la réponse appropriée à la situation ; partant, ils recherchent la fréquentation de personnes engagées dans une expérience analogue afin de comparer leurs réactions. Pour Schachter, les émotions vécues par un individu sont souvent très fortement influencées par le processus de la comparaison sociale. Il posa de façon théorique qu'un état d'excitation physiologique (comme celle que peut provoquer une injection d'adrénaline) peut être ressenti soit comme de l'euphorie soit comme de la colère selon la façon dont il est interprété et que cette interprétation à son tour dépend d'indices sociaux fournis par la conduite d'autrui. Schachter testa cette hypothèse au moyen d'une série expérimentale qui montre qu'effectivement les sujets peuvent interpréter une excitation physiologique donnée de telle sorte qu'elle soit compatible avec les émotions manifestées par d'autres personnes dans la même situation (Schachter et Singer, 1962). La théorie de la comparaison sociale a provoqué un volume important de recherches, dont la majeure partie s'est centrée sur les effets des divergences d'opinion au sein d'un groupe (pour un résumé de ces recherches, voir plus haut la présentation des travaux de Festinger et de ses collaborateurs sur les processus de communication sociale). Rien d'important n'a été fait à partir des implications intéressantes que comportent les notions de Festinger touchant à la comparaison sociale des aptitudes, en dehors d'une étude de Hoffman, Festinger et Lawrence (1954). Dans cette dernière, on a étudié le comportement de formation de coalition chez des sujets placés en situation de compétition et de négociation à trois. Dans chaque épreuve tout au long de l'expérience, un des sujets avait la possibilité de construire un petit carré à l'aide de seules pièces mises à sa disposition ou de s'associer à un autre joueur pour en construire un plus grand. Les règles spécifiaient que si, dans une épreuve plus d'un carré était construit, le plus grand carré «gagnerait» ; si les carrés construits étaient de taille égale, aucun point ne serait attribué. Le carré gagnant donnait droit à huit points qu'il ait été construit individuellement ou non. Lorsque le carré avait été construit par deux joueurs, les joueurs devaient se mettre d'accord sur la distribution des points gagnés. On étudiait les effets de deux variables introduites expérimentalement : l'impor-

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tance de la tâche (on faisait croire à la moitié des sujets que la tâche représentait une mesure validée de l'intelligence, à l'autre moitié qu'il s'agissait d'une mesure non valide) et la «comparabilité» d'un autre joueur (pour une moitié des sujets, on leur faisait croire que l'un de leurs deux partenaires était d'une intelligence tout à fait supérieure, pour l'autre moitié, que les trois joueurs étaient d'égale intelligence). L'un des sujets (en fait un complice de l'expérimentateur) semblait au début s'assurer un net avantage de points ; d'après la théorie, on prédisait que les deux autres sujets s'efforceraient de rendre leur score comparable au sien et par conséquent auraient moins tendance à s'associer à lui dans une coalition à deux qu'entre eux. On prévoyait en outre que cette pression à l'uniformité décroîtrait si le sujet auquel était donné l'avantage initial était considéré comme «incomparable» (du fait de ses aptitudes de toute évidence supérieures) par les deux autres joueurs ou si les sujets étaient amenés à considérer la tâche comme une mesure non valide de l'intelligence plutôt que comme une mesure valide. Les résultats de l'expérimentation confirmèrent dans une large mesure les prédictions théoriques. Cependant, comme c'est le cas pour bien des expériences conduites pour vérifier la théorie, les résultats peuvent aisément s'expliquer en des termes différents. Ainsi les résultats de l'étude de Hoffman et al. pourraient s'expliquer en admettant que les sujets ont une motivation compétitive qui les pousse à faire plus de points que n'importe quel autre joueur et que cette motivation est quelque peu diminuée lorsque sont introduites des distinctions légitimes de statut. Ainsi, l'on peut considérer leur comportement comme une stratégie rationnelle dans une situation de compétition. Une vérification plus décisive de la théorie de la comparaison sociale en ce qui concerne l'aptitude serait de placer le sujet dans une situation compétitive structurée de telle sorte qu'il ait à choisir entre nuire à un sujet qui est très en avance sur lui quant aux points et aider un autre sujet qui n'est pas très en retard sur lui. La théorie de la comparaison conduirait ici à prédire, ce qui n'est pas évident, que le sujet préférera aider un des concurrents à le rattraper plutôt que de rivaliser avec le concurrent qui a plus d'avance sur lui que le dernier n'a de retard. Malgré l'ambiguïté de bon nombre des résultats expérimentaux — qui viennent souvent à l'appui de la théorie mais qui pourraient très bien s'expliquer sans elle — les notions centrales de cette théorie semblent intuitivement acceptables. Il est raisonnable de supposer

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que les gens veulent avoir une estimation précise de leurs opinions, de leurs attitudes et de leurs réactions émotionnelles. On est également fondé à penser que pour parvenir à ces estimations, il devront se comparer aux autres et que, de plus, ce désir de se comparer aux autres conduit à l'établissement de contacts sociaux. Les aspects moins évidents de la théorie résident dans trois notions implicites. La première est que l'exactitude de l'estimation exige que la comparaison soit limitée à des personnes ayant des attributs similaires. La seconde que la nécessité de se comparer à d'autres personnes qui soient semblables, sans doute afin que cette comparaison soit d'une plus grande exactitude, devient ensuite un besoin ou une motivation de plein droit. En tant que telle, elle peut pousser l'individu à modifier son opinion même si celle-ci est exacte, à influencer les autres pour qu'ils changent, ou encore elle le détermine dans le choix de ses associés. En clair, la théorie confère au besoin de similitude de puissantes propriétés motivationnelles. En troisième lieu, elle pose que ce sont les processus de comparaison sociale qui découlent du besoin qu'a l'individu d'évaluer ses opinions et aptitudes afin d'en avoir une idée exacte et non l'inverse. Ces trois notions ne vont pas sans soulever quelques questions. Ainsi il n'y a pas de raison de croire que l'estimation que l'on peut faire de ses opinions, aptitudes ou émotions, a plus de chances d'être rigoureuse si l'on s'en tient pour la comparaison à des individus qui nous soient semblables. Pour se situer sur une échelle d'aptitude, il peut être tout aussi utile de savoir quelque chose des positions extrêmes de cette échelle que de savoir où l'on se situe par rapport à des individus qui nous sont semblables. Par exemple s'il est utile à un psychologue de savoir ce que vaut sa compétence de statisticien par rapport à celle d'autres psychologues, il peut lui être tout aussi utile qu'il sache que les statisticiens mathématiciens sont bien supérieurs à lui et que le profane est souvent tout à fait inférieur. Deuxième critique : l'hypothèse implicite d'une sorte de besoin dérivé d'homogénéité et d'uniformité sociales va à l'encontre de nombreuses données d'expérience qui suggéreraient plutôt que l'on recherche dans les rencontres sociales variétés, nouveauté et différence. En outre, un comportement de recherche de la variété, un comportement exploratoire et d'autres analogues, font tout autant partie du processus par lequel on en vient à se connaître et à connaître son environnement que la comparaison sociale avec des individus semblables. De plus, de nombreux processus sociaux importants sont fondés sur des

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différences plus que sur des similitudes, sur des complémentarités plus que sur des identités. Ce type de relation s'établit dans la plupart des groupes sociaux où existe une différenciation de rôle — le «mari» et la «femme» dans la famille, le «professeur» et «l'élève» à l'école. Cette complémentarité des rôles ne conduit pas à une absence d'interaction. Elle ne signifie pas davantage que les réactions de l'autre dans le rôle complémentaire ne contribuent pas à nous informer pour que nous puissions apprécier notre propre comportement de rôle. En troisième lieu, il n'est nullement évident que les processus de comparaison sociale découlent du besoin d'avoir de ses propres capacités et opinions une image objective. Ne pourrait-on tout aussi bien inverser la relation causale ? Ce peut être en effet parce qu'au sein d'un groupe les opinions et les capacités font l'objet d'une comparaison sociale — parce qu'il est utile au groupe que les tâches de groupe soient assignées en fonction des capacités respectives des membres — qu'une personne éprouve le besoin d'évaluer ses opinions ou capacités. Un homme ayant un amour passionné et idiosyncrasique pour les peintures de Hiëronymus Bosch peut ne pas comparer, et ne pas éprouver le besoin de comparer son opinion à celle d'autrui tant que son point de vue n'affecte pas autrui et n'affecte pas non plus la façon dont autrui réagit à son égard. Lorsque l'opinion ou l'aptitude n'a guère d'importance sociale, même si elle revêt une grande importance sur le plan personnel, il se peut que la comparaison sociale ne se produise pas.

La théorie

de la dissonance

cognitive

La théorie de la dissonance cognitive (Festinger, 1957) est sous certains aspects une amplification de la théorie de la comparaison sociale. On se souvient que cette dernière théorie pose que les processus de comparaison sociale découlent d'un «besoin de savoir» ; la dissonance de la théorie va plus loin et précise que le besoin ressenti est celui d'une connaissance cohérente — à savoir que les éléments de connaissance ne soient pas en dissonance. Par l'accent mis sur la nécessité d'une consistance cognitive, la théorie de la dissonance de Festinger est proche de plusieurs autres théories, comme la théorie de l'équilibre de Heider (1946 ; 1958), la théorie des actes communicatifs de Newcomb (1953), la théorie des constructions personnelles de

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Kelly (1955), de l'autocohérence chez Lecky (1945), de la congruence des attitudes chez Osgood et Tannenbaum (1955) ou enfin l'orientation gestaltiste de théoriciens tels que Krech, Crutchfield (1948) et Asch (1952). Toutes ces théories affirment qu'un individu s'efforce de percevoir, de connaître et d'évaluer les divers aspects de son environnement et de lui-même de telle manière que ses perceptions ne comportent pas d'implications contradictoires au niveau du comportement. La théorie de Festinger diffère de toutes ces théories sur deux points : elle met de manière unique l'accent sur les conséquences des décisions et elle a suscité d'abondantes recherches. Festinger (1957, p. 31) présente ainsi le thème central de sa théorie : 1°) il peut exister entre des éléments de connaissance des relations dissonantes ou «qui ne s'accordent pas» ; 2°) l'existence de la dissonance engendre des pressions tendant à réduire la dissonance et à en éviter l'accroissement ; 3°) l'exercice de ces pressions se traduit notamment par des changements de comportement, des changements dans la connaissance et une attitude circonspecte face aux informations et aux opinions nouvelles. On dit qu'il y a dissonance entre deux éléments de connaissance X et Y si non-X découle de Y. Si X découle de Y, la relation est définie comme étant «consonante». Si aucune relation ne lie X et Y, ces éléments n'ont aucune pertinence l'un par rapport à l'autre. L'ampleur de la dissonance comme l'ampleur de la pression tendant à réduire la dissonance entre deux éléments de connaissance est supposée croître avec la valeur ou l'importance des éléments considérés. L'ampleur totale de la dissonance entre deux faisceaux d'éléments cognitifs est une fonction de la proportion pondérée des relations de pertinence existant entre les deux faisceaux dissonants. La pondération s'effectue selon l'importance des éléments engagés dans la relation. En décrivant la réduction de la dissonance, Festinger introduit une distinction entre éléments cognitifs se rapportant à un comportement ou à des sentiments (par exemple, la conviction «je vais aujourd'hui à un pique-nique») et éléments cognitifs se rapportant à l'environnement (par exemple, la conviction «il pleut»). Pour Festinger, les cognitions relatives à l'environnement sont en général plus résistantes au changement que celles touchant au comportement — il est plus

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facile de changer d'idée quant à ce qu'on va faire qu'au sujet d'une réalité tangible. Il en va ainsi vraisemblablement parce qu'on a plus souvent la possibilité de changer son comportement que de changer l'environnement. Festinger suggère que «la résistance au changement» d'un élément de connaissance est déterminée non seulement par l'incapacité dans laquelle se trouve l'individu d'influer sur les faits auxquels se réfère la croyance mais aussi par l'étendue de la nouvelle dissonance qu'introduirait le changement dans les relations avec les autres éléments cognitifs. Il déclare (1957, p. 28) : «La dissonance maximum qui peut exister entre deux éléments est égale à la résistance maximum au changement de l'élément le moins résistant. L'ampleur de la dissonance ne peut excéder ce niveau car, à ce point de dissonance maximum, l'élément le moins résistant changerait, éliminant ainsi la dissonance.» Jusque-là, les implications de la théorie de la dissonance sont fondamentalement semblables aux autres théories qui partent d'un besoin de cohérence cognitive. Ces théories — y compris celle de la dissonance — fournissent des aperçus fort utiles sur les processus de formation des attitudes, sur le changement, la pression vers l'uniformité au sein des groupes, la formation des impressions sur les personnes, le développement des relations interpersonnelles. La théorie de la dissonance n'échappe pas à la plupart des défauts que présentent les autres théories de la cohérence : une définition plutôt vague de la signification de l'inconsistance psychologique ou dissonance, définition qui ne prend pas en considération le «degré d'inconsistance», une spécification imparfaite des conditions qui conduiront à telle ou telle voie de réduction de la dissonance, une conceptualisation peu satisfaisante du type de motivation mis en jeu dans la pression à réduire la dissonance. Ainsi, bien que la dissonance soit conçue comme un état motivant, aucune tentative n'est faite pour caractériser cette motivation comme innée ou comme acquise, pas plus que ne sont étudiées les conditions qui rendent les individus plus ou moins sensibles à la dissonance. En outre, comme pour la plupart des théories de réduction des tensions, le «paradis» de la théorie de la dissonance est un état d'absence de tensions. Cependant, comme le style personnel de Festinger lui-même le suggère, la production de dissonance peut susciter l'intérêt et éveiller la curiosité. Les gens recherchent la dissonance, tout autant qu'ils l'évitent. Ce qui distingue la théorie de la dissonance des autres théories est la distinction faite entre les processus pré-décisionnels et post-

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décisionnels. Lewin, auparavant (1951, p. 176), dans son analyse du comportement d'une ménagère achetant de la nourriture, avait avancé que la pré-décision diffère de la post-décision. «Par exemple, si l'aliment est cher, deux forces de direction opposée s'exercent sur la ménagère. Elle est en conflit. La force qui freine une dépense excessive empêche l'aliment d'entrer dans le canal d'achat. Une deuxième force, correspondant à l'attrait de l'aliment, tend à le faire entrer dans le canal. Supposons que la ménagère décide d'acheter un morceau de viande qui coûte cher : l'aliment a franchi le canal. Maintenant la ménagère va être très soucieuse de ne pas le gaspiller. Les forces qui étaient jusqu'ici opposées vont s'exercer maintenant dans la même direction. Le prix élevé qui tendait à éloigner l'aliment cher est maintenant la raison pour laquelle la ménagère s'assure que, au travers de toute difficulté possible, la viande est acheminée sûrement vers la table et est mangée.» La théorie de Festinger généralise l'idée que la situation après décision peut être différente de la situation avant décision. Il fait cette hypothèse originale que la prise de décision en soi provoque la dissonance et les pressions à réduire. La dissonance après la prise de décision provient, d'après Festinger, du fait que la décision en faveur de l'alternative choisie va à l'encontre des croyances qui sous-tendent l'alternative ou les alternatives rejetées. Pour stabiliser ou geler la décision après qu'elle ait été prise, une personne s'efforcera de réduire la dissonance, soit en modifiant ses cognitions de façon à augmenter l'attraction relative de l'alternative choisie par rapport à celle de l'alternative rejetée, soit en développant des cognitions qui fassent des différentes alternatives des substituts possibles les uns des autres, soit encore en révoquant psychologiquement la décision. Selon Festinger (1964) la différence essentielle entre les états pré- et post-décisionnels est que le conflit avant décision est plus «impartial», plus «objectif», puisqu'il ne conduit à aucun déplacement de l'attraction en faveur de l'alternative qui va être choisie. Festinger écrit (1964, pp. 8-9) : «Une fois que la décision est prise, cependant, et que commence le processus de réduction de la dissonance, on peut observer que les différences d'attraction entre les alternatives changent, l'attraction de l'alternative choisie augmentant.» Dans cette optique, après qu'un étudiant ait décidé d'aller à telle université plutôt qu'à telle autre, l'université qu'il a choisie lui semblera être encore plus attirante qu'il ne l'avait cru par rapport aux universités qu'il a écartées. Le point de vue de Festinger sur le processus post-décision a suscité

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un nombre d'expériences intéressantes et ingénieuses. Ces expériences comportaient souvent des prédictions «non évidentes» qui semblaient même un défi au sens commun. Plusieurs d'entre elles partent de l'idée que lorsqu'une décision procure des récompenses insuffisantes, la personne change sa croyance de façon à ce que la décision apparaisse plus profitable. Festinger écrit (1961) : «Les rats et les gens en viennent à aimer les choses pour lesquelles ils ont souffert.» Cela vient sans doute de ce qu'ils veulent réduire la dissonance produite par leur souffrance et leur moyen de la réduire est d'aviver l'attraction des choix qui ont conduit à la souffrance. Dans une expérimentation fréquemment rappelée de Festinger et Carlsmith (1959) la prédiction faite était que plus mince serait la récompense offerte à un sujet pour lui faire faire quelque chose qu'il serait normalement opposé à faire, plus grand serait son changement d'opinion. On a donné à des sujets une tâche extrêmement ennuyeuse puis l'expérimentateur leur a demandé comme une faveur de dire à d'autres sujets que l'expérience avait été fort agréable et fort intéressante. Un groupe était payé pour cette tromperie au taux de 1 dollar, un autre groupe 20 dollars et un troisième groupe de contrôle ne fut pas engagé à tromper les autres. Par la suite on a mesuré l'attitude des sujets à l'égard de la tâche monotone. Ceux qui, pour tromper, avaient reçu 1 dollar notèrent la tâche comme relativement agréable, ceux qui avaient reçu 20 dollars et le groupe de contrôle donnèrent une notation «neutre», c'est-à-dire moins favorable. En d'autres termes, les résultats de l'expérience semblaient confirmer cette prédiction plutôt surprenante : une faible récompense peut être plus efficace qu'une forte récompense pour obtenir un changement attitudinal. Chapanis et Chapanis (1964) remarquent toutefois que les résultats s'expliquent aussi si l'on suppose que pour la plupart des sujets (étudiants d'université), le paiement au taux de 20 dollars de quelques minutes de travail éveillait leurs soupçons et, qu'en conséquence, ils ont pu abaisser leur estimation de la tâche. Mais leur critique ne s'applique pas dans le cas d'autres expériences où l'on accordait des récompenses plus faibles de 0,5 à 5 dollars et dont les résultats sont sensiblement les mêmes que ceux qu'avaient obtenus Festinger et Carlsmith. (Voir dans Silverman, 1964, un résumé de plusieurs de ces expériences.) Dans un ouvrage résumant la recherche suscitée par la théorie de la dissonance, Brehm et Cohen (1962, pp. 308-309) notent que la plupart des implications de la théorie ont été vérifiées et confirmées. Voici quelques-unes des dérivations quant à l'apparition de la disso-

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nance dans la situation de «libre choix» qui se sont trouvées confirmées : 1°) le choix entre des alternatives attirantes crée la dissonance ; 2°) la dissonance provenant d'un choix est proportionnelle à l'attirance exercée par l'alternative rejetée ; 3°) la dissonance est proportionnelle à la dissemblance qualitative entre les alternatives parmi lesquelles doit s'effectuer le choix ; 4") enfin la dissonance provoquée par le choix est proportionnelle à l'importance du choix. Citons quelques-unes des conclusions tirées et prouvées quant à l'apparition de la dissonance dans une situation «d'accord forcé» : 1°) la dissonance née de l'engagement de soumission décroît quand croissent les récompenses, les incitateurs ou les justifications de la soumission ; 2°) la dissonance décroît lorsque augmentent les forces coercitives employées pour obtenir la soumission. En ce qui concerne les études faites sur «l'exposition» à des informations dissonantes, les conséquences suivantes, entre autres, ont été confirmées : 1°) l'ampleur de la dissonance provoquée par une information discordante est fonction directe de l'importance de l'objet de l'information ; 2°) la dissonance est fonction directe de la difficulté ou de l'effort qui implique le fait d'être soumis à une information dissonante. Des données ont également confirmé la proposition que la dissonance est une fonction directe du choix, aussi bien dans les situations de «libre choix» que d' «accord forcé». Chapanis et Chapanis (1964) passant en revue certaines de ces expérimentations décrites dans Brehm et Cohen (1962) en viennent à une conclusion plutôt différente. Ils affirment : « C'est là une littérature tout à fait décevante, trop de ces études ne résistant pas à un examen sérieux. » Leurs critiques sur bon nombre d'expériences sur la dissonance sont catégoriques. Ils relèvent des insuffisances dans les plans de recherches, dans le traitement statistique des données et dans l'interprétation des résultats de beaucoup d'expériences fréquemments citées. Néanmoins, il n'est que juste de noter que leur critique laisse de côté les études sur la dissonance qui prêtent moins le flanc aux critiques méthodologiques. (Voir dans Silverman, 1964, une réfutation de la critique de Chapanis et Chapanis.) Ces études plus solides suggèrent que la dissonance après le choix et la réduction

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de la dissonance peut se produire. Elles n'affirment cependant pas que la dissonance doit se produire comme un résultat inéluctable de la prise de décision. Festinger, récemment, a revu sa première position (1957, p. 35) selon laquelle «la dissonance est donc un résultat de l'acte simple d'avoir pris une décision». Il écrit (1964, p. 156) : «Dans l'ensemble il est évident que le simple fait de prendre une décision ne garantit pas le déclenchement des processus de réduction de la dissonance.» Il suggère plus loin, en accord avec certaines propositions de Brehm et Cohen (1962 p. 300), que «l'engagement» est nécessaire pour que se produise la dissonance. Il indique qu'une décision comporte un engagement si «elle affecte de façon non équivoque le comportement à venir. Ceci ne veut pas dire que la décision est irrévocable mais qu'elle a une portée évidente sur le déroulement des événements tant que la personne s'en tient à sa décision». Malheureusement, Festinger n'est guère allé au-delà de cette définition vague et assez peu satisfaisante de «l'engagement». Ceci est particulièrement regrettable dans la mesure où la spécificité chez Festinger de la théorie de la consistence — à savoir l'accent mis sur la dissonance post-décisionnelle — est nécessairement liée à la signification de l'expression «décision avec engagement» une fois abandonnée l'idée que toute décision produit la dissonance. Ce que Brehm et Cohen disent de l'engagement n'est pas non plus d'un grand secours. Ils emploient ce terme à peu près comme un synonyme de «décision». Ainsi écrivent-ils (1962, p. 7) : «Une personne est engagée, lorsqu'elle a décidé de faire ou de ne pas faire certaine chose, lorsqu'elle a choisi une alternative (ou plusieurs) et donc rejeté une (ou plusieurs) alternatives, lorsqu'elle s'engage ou s'est engagée activement dans une conduite donnée.» Festinger conclut son dernier ouvrage sur la dissonance par ce commentaire désabusé (1964, p. 158) : « Il y a une vieille blague, qui n'est pas si drôle, sur l'essayiste qui conclut en disant qu'il a créé plus de problèmes qu'il n'en a résolus.» La théorie de la dissonance n'a certes résolu aucun problème, mais elle a soulevé de fort intéressantes questions sur les processus qui suivent la décision. Elle a entraîné des recherches qui donnent à penser qu'il peut y avoir moins d'objectivité, plus de partialité et de parti pris dans la façon dont un individu considère et pèse les alternatives après avoir pris sa décision qu'avant de l'avoir prise. Cependant jusqu'ici la théorie n'a pas été suffisamment poussée pour déterminer les conditions dans lesquelles se produit

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une «rationalisation» de la décision ni assez détaillée pour établir quel type de processus de rationalisation intervient. T,e terme psychanalytique de «rationalisation», employé pour désigner les processus en jeu dans la réduction de la dissonance postdécisionnelle, éclaire la discussion car il est bon de considérer la dissonance qui suit la décision comme la marque d'une attitude défensive et la «réduction de la dissonance» comme un «mécanisme de défense». Dans cette optique, qui a été exposée plus abondamment ailleurs (Deutsch, Krauss et Rosenau, 1962), lorsqu'une personne, après avoir fait un choix, éprouve la dissonance, elle essaie de se défendre contre une implication de son choix qu'elle perçoit être en contradiction avec la conception qu'elle a d'elle-même. Ce qui est décisif dans l'apparition de la dissonance post-décisionnelle, c'est la non-congruence entre les cognitions relatives à soi et celles relatives au choix, plutôt que la non-congruence résidant dans la sélection d'une alternative de préférence à une autre. D'une façon plus générale, on peut proposer la formulation suivante adaptée de Heider (1958) : un événement quelconque X , que l'on conçoit comme étant fonction des caractéristiques d'une personne P et de son environnement E aura tendance à être perçu de telle manière que la perception de P, E et X et de leurs interrelations soient congruentes entre elles. Cette formulation plus générale implique qu'un individu peut ressentir de la dissonance en rapport avec la conception qu'il se fait d'un autre individu, c'est-à-dire lorsque P est une autre personne. Ainsi voir un ami se montrer fourbe, ou le voir effectuer un mauvais choix, est dissonant avec la conception que l'on a d'un ami. Cette formulation implique encore qu'on peut se trouver en autodissonance (éprouver le besoin de défendre l'idée qu'on a de soi), même lorsque X est produit par une autre personne pour autant qu'on attribue à X quelques-unes de ses propres caractéristiques. Ainsi pour un père, savoir que son fils a volé de l'argent est en dissonance avec la conception qu'il a de lui-même. Savoir qu'une personne que l'on respecte (un professeur, un expérimentateur, un expert) estime que l'on a, en effectuant tel ou tel choix, manqué de jugement, est en dissonance avec l'idée que l'on a de soi. La formulation générale pose que la dissonance ou l'attitude défensive peut apparaître quand une décision a été prise ou en dehors de toute décision. Ainsi la dissonance n'est ni la conséquence inévitable de toute décision, ni un processus qui n'apparaît qu'après décision. Ceci ne veut pas dire cependant qu'une décision et les actes qui lui font

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suite sont sans conséquence. La nécessité où l'on se trouve fréquemment de justifier à ses yeux comme aux yeux d'autrui ses actes peut provoquer ces changements subtils, insidieux qui ont été au cœur des expériences sur la dissonance. En outre, les actes qui suivent la décision peuvent transformer la réalité dans laquelle se meut l'individu et lui rendre plus difficile, en conséquence, de modifier ou de reconsidérer sa décision. Si une personne décide de se rendre à une invitation à dîner plutôt qu'à un concert, des actes tels que prévenir son hôte qu'il viendra dîner (aller au concert aurait maintenant comme conséquence négative supplémentaire de faillir à une promesse) ou ne pas se procurer de billet (ce qui rend peu probable qu'il puisse y assister) auront pour effet de stabiliser sa décision. Ces transformations dans le réel qui résultent de décisions auront en général pour effet d'accroître la puissance psychologique relative de l'alternative choisie qui se trouve davantage au centre de l'attention et de l'activité. Dans un monde bien construit, une attention accrue doit entraîner un intérêt et une attirance accrus. Ainsi un étudiant, qui choisit comme dominante la psychologie plutôt que la physiologie, suivra plus de cours de psychologie. On peut penser que son attention et son activité étant centrées sur la psychologie il prendra à une telle étude un plaisir et un intérêt insoupçonnés tandis que le plaisir et l'intérêt qu'offre la physiologie resteront ignorés de lui simplement parce qu'il n'en a pas tenté l'exploration. Certes, le monde n'est pas parfaitement construit : une attention accrue ne conduit pas toujours à la découverte de nouveaux plaisirs. Elle peut au contraire conduire à la négation des espérances que l'on a nourries, au regret, voire à un effort pour défaire ce qui a été décidé.

En

conclusion

Les théories de Festinger ont été un stimulant pour la recherche expérimentale même si, en tant que telles, ces théories sont souvent vagues, présentent des généralisations hâtives et sont même, sous certains rapports nettement erronées. Mais comment expliquer alors qu'elles aient été si fécondes pour la recherche ? La réponse tient à l'aptitude hors du commun qu'a Festinger d'aller au-delà des apparences, de faire des prédictions audacieuses, jointe à son talent pour

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mettre au point des dispositifs expérimentaux ingénieux qui suffisent à suggérer des variations expérimentales intéressantes. Sans nul doute, Festinger préférera être stimulant à être juste. Cette attitude est raisonnable. En l'état actuel du développement de la psychologie sociale, personne n'est jamais «juste» pour longtemps. La vie d'une théorie est brève. Les travaux de Festinger, par leur caractère provocateur, leurs généralisations hardies, ont suscité des recherches qui créent à leur tour de nouvelles idées, recherches dont certaines sont la systématisation de notions qu'il avait lui-même créées.

CHAPITRE IV

les théoriciens du renforcement

Un des domaines de recherche les plus riches de la psychologie américaine moderne a été l'étude des phénomènes liés à l'acquisition de réponses — à l'apprentissage. L'importance de tels phénomènes est évidente. Chez l'être humain en tout cas, bien peu de la conduite, et moins encore de la conduite sociale, apparaît comme strictement déterminé par le donné génétique de l'organisme. C'est tout au long de son expérience au sein de divers environnements sociaux qu'une personne acquiert ces caractéristiques socialement importantes que sont son langage, ses valeurs et ses attitudes. Aussi est-ce capital pour comprendre la nature sociale de l'homme de connaître comment s'acquièrent ces prédispositions comportementales. Jusqu'à ces derniers temps, les efforts des psychologues de l'apprentissage ne s'étaient guère portés sur l'apprentissage spécifiquement social. Ils se sont plutôt efforcés de dégager un ensemble de principes fondamentaux qui rendent compte de l'apprentissage en toute situation. Les sujets de leurs travaux ont été principalement des organismes inférieurs tels que le pigeon ou la souris blanche ; quelques recherches sur l'homme ont cependant été entreprises.

LES ORIENTATIONS SOUS-JACENTES DES THÉORICIENS DU RENFORCEMENT

L'étude de l'apprentissage a été marquée par trois orientations majeures : le point de vue méthodologique du behaviorisme, les principes structuraux élémentaristes de Yassociationnisme et le principe de motivation de l'hédonisme.

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Les théoriciens du

renforcement

D'un point de vue méthodologique, le behaviorisme est apparu comme une réaction contre les procédures subjectives de l'introspection et les concepts mentalistes «de sensation, de perception, d'attention, d'image, de volonté, etc.» (Watson, 1919, p. x n ) . Le behaviorisme, à la place des procédures subjectives, insistait sur la nécessité pour la psychologie de ne se fonder que sur des données observables que tout le monde peut constater, c'est-à-dire les stimuli qui frappent les organes des sens d'un organisme et les réponses observables ou conduites tenues en réponse aux stimuli. Cette insistance salutaire du behaviorisme en faveur de méthodes d'observation objectives, qui puissent être répétées valablement par des observateurs différents, a eu un effet bénéfique sur la rigueur de la recherche en psychologie. Encore aujourd'hui en psychologie sociale, la recherche menée par les tenants de la tradition behavioriste se remarque généralement par son souci constant de s'en tenir à des observations qui n'exigent pas de l'expérimentateur de jugements complexes. A ses débuts, le behaviorisme, par l'accent mis sur les données externes, avait indirectement tendance à minimiser l'importance de la structure interne inhérente à l'organisme et à négliger les processus centraux qui donnent cohérence et souplesse à «l'input» venant de l'environnement et à 1' «output» vers l'environnement. L'expression «stimulus-réponse» ou S-R, que l'on emploie souvent pour caractériser l'orientation de certains théoriciens de l'apprentissage a pour connotation un certain manque d'intérêt pour ces caractéristiques de l'organisme qui lui permettent d'organiser les stimuli reçus de sorte qu'ils constituent des objets stables, «distaux», comme de coordonner et diriger des réponses vers des objets buts. Le peu d'intérêt manifesté pour la façon dont l'organisme contribue à l'intégration de 1' «entrée» sensorielle et de la «sortie» comportementale reflète à son tour la doctrine structurale élémentariste de l'associationnisme. Le principe essentiel de l'associationnisme, l'une des plus anciennes doctrines en psychologie, est que les unités élémentaires de l'esprit, comme les sensations ou les idées, sont liées ou associées par leur contiguïté dans le temps ou dans l'espace. La structure interne se développe à partir de l'expérience des unités élémentaires qui ont été associées. Les behavioristes, tout en rejetant les unités mentales de l'associationnisme classique, acceptaient cependant le principe de l'association en faisant de la «réponse conditionnée» l'unité de base de l'analyse. La troisième orientation que l'on retrouve, sinon chez tous les théoriciens de l'apprentissage du moins chez certains des plus célèbres

Des expériences sur l'apprentissage

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d'entre eux, est l'accent utilitaire mis sur le rôle que jouent «la récompense», «la réduction de la pulsion», «le plaisir», «les agents de renforcement» et les «agents de satisfaction» dans l'établissement et la consolidation des liaisons stimulus-réponse. La doctrine de l'hédonisme psychologique, qui soutient que la peine et le plaisir sont nos «souverains maîtres» (Bentham, 1789, p. 1), a une longue histoire et a revêtu diverses formes. En psychologie, dès 1898, Thorndike proposait sa fameuse sentence :«Le plaisir marque, la peine efface», qui devint l'une des lois fondamentales de l'apprentissage chez Thorndike, la «loi de l'effet». On englobe en général aujourd'hui des notions analogues sous le terme de «théorie du renforcement». En psychologie sociale, le point de vue hédoniste s'est le plus souvent exprimé à travers la doctrine de 1' «homme économique». Cette doctrine, comme Homans (1961, p. 13) l'a exprimé de façon fort concise, envisage «le comportement humain comme une fonction de son rendement ; le comportement humain dépend dans son étendue et dans sa nature de l'étendue et de la nature de la récompense et du châtiment qu'il procure». C'est cette doctrine de l'homme économique qui sous-tend l'œuvre de théoriciens en psychologie sociale tels que Homans (1961), Thibaut et Kelley (1959). Leurs travaux, en conséquence, se trouvent avoir des bases communes avec ceux des psychologues qui ont recours à la «théorie du renforcement» plus traditionnelle.

DEUX

PROCÉDURES

FONDAMENTALES

DES

EXPÉRIENCES

SUR

L'APPRENTISSAGE

L'étude expérimentale de l'apprentissage a été dominée par le recours à deux paradigmes connus sous les noms de conditionnement classique et de conditionnement instrumental. Le premier est issu des travaux du physiologiste russe Pavlov, l'autre dérive principalement de l'œuvre de E.L. Thorndike du Columbia University's Teachers College.

Le conditionnement classique Le paradigme du conditionnement classique est bien connu. On met dans la gueule d'un chien de la poudre de viande, stimulus inconditionnel (SI) qui provoque automatiquement l'écoulement d'un flot de salive, «réflexe inconditionnel» ou «réponse inconditionnelle» (RI) ;

Les théoriciens

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du

renforcement

juste avant chaque présentation de la viande, on produit un stimulus neutre qui ne provoque pas ordinairement l'écoulement de la salive, le son d'une cloche par exemple ; ce stimulus neutre finit par provoquer en l'absence du stimulus inconditionnel, l'écoulement de la salive. La nouvelle réponse à la cloche est appelée un «réflexe conditionnel» ou une «réponse conditionnelle» et le son de la cloche est appelé «stimulus conditionnel» (SC). Le stimulus neutre (SC) pour avoir été associé au stimulus inconditionnel (SI) entraîne une réponse (RC) qui ressemble à celle que provoquait originellement le stimulus inconditionnel (SI).

Le conditionnement

instrumental

La procédure du conditionnement opérant ou instrumental consiste à donner ou ne pas donner une récompense ou une punition après que l'animal ait fourni une réponse donnée. Pour être conditionnée, la réponse doit se produire avant qu'elle puisse être récompensée ou punie. Elle doit donc faire partie du répertoire comportemental de l'animal avant l'expérimentation et doit être «émise» par l'animal au cours de l'expérimentation. Dans une expérience typique, on place un rat affamé dans une boîte construite spécialement à cet effet. Toutes les fois qu'il presse un levier situé dans la boîte, des boulettes de nourriture tombent dans un récipient situé dans la boîte et le rat peut les manger. La pression du levier, qui tout d'abord se produit accidentellement au cours de l'exploration de la boîte par le rat, devient bientôt la réponse instrumentale dominante : le rat presse le levier, va vers le récipient et mange les boulettes ; lorsque le récipient est retiré, le rat retourne presser le levier. Dans l'entraînement par évitement (opposé à l'entraînement par récompense), l'animal peut être soumis à un stimulus douloureux — un choc électrique par exemple — qu'il peut éviter ou auquel il peut mettre fin en poussant un levier. Dans le conditionnement instrumental, le comportement de l'animal a une valeur instrumentale pour l'obtention de la récompense ou l'évitement de la punition. Notons qu'en règle générale, les réponses instrumentales sont spécifiées en fonction de leurs conséquences plutôt que des mouvements spécifiques qu'elles comportent (ainsi tous les comportements qui consistent à presser un levier pour obtenir une récompense sont appelées réponses presse-levier quelles que soient les différences existant par ailleurs entre ces comportements).

Les concepts fondamentaux

de

l'apprentissage

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LES CONCEPTS FONDAMENTAUX DE L'APPRENTISSAGE

Bien qu'entre les deux types de conditionnement, il y ait des différences, leur mécanisme présente de nombreuses similitudes. Celles-ci apparaissent dans le vocabulaire technique employé pour décrire les phénomènes que l'on observe dans les deux types de conditionnement. Des termes comme ceux que nous énumérons ci-après font partie du vocabulaire de base appliqué dans divers contextes aux phénomènes de l'apprentissage. 1°) La force de réponse. Du fait de l'apprentissage, la force de la tendance à émettre une réponse déterminée (dans une situation donnée pour une motivation donnée) tend à s'accroître. On mesure la force d'une tendance à une réponse de diverses manières. a) en termes de probabilité de son apparition (par exemple, quel est le pourcentage d'essais au cours desquels elle apparaît) ; b)) par le taux de réponse (par exemple, le nombre de réponses donné dans un laps de temps déterminé) ; c) par la latence (combien de temps met la réponse à se produire) ; d) par Xampleur ou l'intensité de la réponse ; e) par la résistance à l'extinction. Dans les travaux expérimentaux, ces diverses mesures de la force de réponse n'offrent entre elles qu'une faible corrélation (voir Kimble, 1961) et peuvent être elles-mêmes conditionnées (le sujet peut apprendre à répondre avec un temps de latence donné, avec une intensité ou un taux donné). Il en résulte qu'il est difficile d'établir des règles générales, non équivoques, qui lient les mesures empiriques d'une réponse au concept de «force de réponse» ou «potentiel de réaction». On lie en général la «force de réponse» à d'autres concepts tels que la «force de connexion», 1' «impulsion», la «motivation stimulante» ou 1' «intensité du stimulus», qui sont considérés comme des déterminants de la «force de réponse». Ces concepts sont à leur tour liés à des «observables» : la force de connexion peut être rapportée au nombre de fois où une réponse donnée a été renforcée (Hull), ou au nombre de fois où une réponse est apparue en liaison avec un stimulus donné (Spence) ; l'impulsion peut être signifiée par «des heures de privation de nourriture» ou «le pourcentage du poids normal du corps», le «taux de sucre dans le sang» ou «l'intensité de contractions stomacales». Les nombreux théoriciens de l'apprentissage ont des points de vue différents sur la relation existant entre la force de 4

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Les théoriciens du renforcement

réponse et ces autres concepts de «force de connexion» ou «d'impulsion», sur la relation entre ces concepts eux-mêmes, et enfin, sur ce qui lie ces concepts aux observables. Cependant, peu d'entre eux manifesteraient un désaccord avec l'affirmation que la performance d'une réponse donnée dans une situation donnée peut être influencée par des facteurs tels que : la quantité, la qualité, l'immédiateté et la distribution de la récompense associée à des performances antérieures ; la nature et l'intensité de la motivation du sujet, la quantité de travail qu'exige la réponse ; la spécificité de la situation stimulus par rapport à d'autres situations pour lesquelles des réponses concurrentes ou interférentes ont été apprises et la similitude de la situation stimulus avec d'autres situations pour lesquelles des réponses analogues ou facilitantes ont été apprises. Le terme même de «performance» indique que la façon dont, dans une situation donnée, un sujet agit est en partie déterminée par un apprentissage antérieur mais en partie aussi par ses motivations présentes, les incitateurs actuels et la situation présente. 2°) L'extinction. Elle a trait à la diminution, en l'absence de renforcement, de la force de réponse. Dans la mesure où les réponses conditionnelles ont peu tendance à s'oublier, il est clair que leur extinction doit être le fruit de quelque processus actif. Sur la nature de ce processus, les opinions divergent. Certains attribuent l'extinction au développement d'une «inhibition conditionnelle» tendant à éviter le travail que comporte la réponse non renforcée ; d'autres soutiennent que l'absence de récompense est une frustration et que la frustration agit comme une impulsion et produit des réponses qui interfèrent avec la réponse conditionnelle ; d'autres enfin suggèrent que l'extinction se produit lorsque le sujet apprend à s'attendre à ce que le renforcement ne suive plus la réponse conditionnelle. Nonobstant ces divergences théoriques, la plupart des théoriciens de l'apprentissage sont d'accord sur ce point : les facteurs en jeu dans l'extinction d'une réponse sont analogues à ceux que met en jeu son acquisition. 3°) Un stimulus discriminatoire. C'est un stimulus qui détermine dans quel cas une réponse sera renforcée — il permet au sujet de distinguer les situations dans lesquelles une réponse donnée sera renforcée de celles dans lesquelles elle ne le sera pas. Les théoriciens de l'apprentissage ont mené peu de recherches sur les propriétés des stimuli quant à leur facilité d'identification, leur caractère discriminatoire, en dehors des travaux sur les effets des variations quantitatives des

Les concepts fondamentaux

de l'apprentissage

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propriétés psychophysiques des stimuli (intensité, longueur d'onde). Les psychologues gestaltistes avaient montré un plus grand intérêt pour ce type de recherche (voir chapitre II). 4°) Le renforcement. Tout événement qui suit une réponse et rend plus probable la répétition de la réponse est appelé un «renforcement». Dans la pratique, on assure le renforcement en réglant les circonstances de telle sorte qu'après avoir fait une réponse donnée, le sujet obtienne quelque chose qu'il désire (de la nourriture après une privation de nourriture, l'approbation de l'expérimentateur) ou évite quelque chose qu'il n'aime pas (un stimulus douloureux, un choc électrique, une désapprobation). Un «renforcement secondaire» est tout stimulus qui tire ses propriétés de renforcement de l'association avec une récompense primaire. Le concept de renforcement secondaire est de la plus grande importance pour l'application de la théorie du renforcement au comportement social car il est bien clair que les sortes de renforcement qui sont à l'oeuvre dans les situations sociales (éloge, désapprobation) sont qualitativement fort différentes des renforcements primaires tels que la nourriture ou le choc électrique. Les théoriciens du renforcement admettent généralement que des renforcements «sociaux», tels que l'éloge ou la désapprobation, tirent leur pouvoir de l'association avec des agents de renforcement primaires. Les caractéristiques principales du renforcement qui ont été isolées pour l'investigation sont : a) la quantité et la qualité du renforcement, b) le délai de renforcement, c) la façon dont le renforcement est planifié ou programmé. On peut programmer de différentes manières un renforcement. Le «renforcement continu» prévoit l'administration du renforcement à chaque essai ou après chaque réponse correcte ; le «renforcement partiel» ou «intermittent» prévoit l'administration du renforcement selon une programmation déterminée. On peut prévoir l'intervention du renforcement seulement après qu'un laps de temps donné se soit écoulé (programmation à intervalles) ou encore après qu'un certain nombre de réponses aient été faites (programmation par taux) ; l'intervalle de temps ou le taux peuvent être fixes de telle sorte qu'ils ne varient pas d'un renforcement à l'autre, ou laissés au hasard de telle sorte que seul l'intervalle de temps moyen ou le taux de réponse moyen entre les renforcements sont spécifiques. Le renforcement a fait l'objet d'un volume important de recherches.

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Les théoriciens

du

renforcement

Mais aucun consensus ne s'est dégagé sur ce point : les récompenses sont-elles nécessaires à l'apprentissage ? Un point d'accord s'établit cependant sur le fait que l'octroi possible de récompense pour une réponse donnée affecte la disposition du sujet à faire cette réponse. En ce qui concerne la punition, ces données d'expérience tendent à montrer qu'elle n'agit que pour inhiber la performance sans affaiblir de manière permanente la force de l'habitude (comme ie fait le nonrenforcement). L'efficacité de la récompense ou de la punition immédiates est plus grande que celle de la récompense ou de la punition différées. Les recherches effectuées sur des animaux inférieurs laissent penser que différer le renforcement de plus de quelques secondes rend improbable un apprentissage primaire. Les cas d'apprentissage avec des délais de récompense prolongés sont expliqués par l'apparition immédiate de renforcements secondaires. La récompense intermittente d'une réponse, par rapport à la récompense continue, entraîne un taux d'extinction plus bas après qu'ait commencé le nonrenforcement ; la punition intermittente conduit à une inhibition plus longue de la réponse après que la punition ait cessé que l'inhibition produite par la punition continue. Les mécanismes du renforcement ont été abondamment étudiés. Jusqu'ici les recherches n'ont pas amené la découverte d'un mécanisme unique. Il apparaît plutôt qu'une grande variété de processus physiologiques, de stimuli externes et internes, de réponses, peuvent agir comme agents de renforcement. Ainsi, pour un animal affamé, l'odeur de la nourriture, son goût, l'introduction de la nourriture directement dans l'estomac, la modification du taux de sucre dans le sang, chacun de ces facteurs peut indépendamment servir au renforcement. Il en va de même pour la stimulation électrique de certaines parties du cerveau ou pour la possibilité d'explorer un labyrinthe ou de voir de nouveaux stimuli. Le point à noter est que la diversité des agents de renforcement indique que l'on peut avoir recours à une seule notion explicative comme «la réduction de tension» ou la «réduction du besoin». 5°) On désigne par le terme d' «impulsion» (drive)

tantôt

a) les conditions physiologiques qui activent et dynamisent le comportement (par exemple, les conditions physiologiques qui accompagnent la privation de nourriture), tantôt b) des stimuli (contractions stomacales par exemple) qui, s'ils sont suffisamment intenses, activent le comportement et enfin,

Les concepts fondamentaux

de

l'apprentissage

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c) la tendance pour le comportement à se caractériser par l'orientation vers un but (c'est-à-dire à persister jusqu'à ce qu'un état final donné soit atteint). De nombreux théoriciens du renforcement — à l'exception notable de Skinner — considèrent que le mécanisme du renforcement entraîne une réduction de l'impulsion. La recherche de la relation existant entre l'impulsion et l'apprentissage s'exprime le plus souvent par ces deux questions : en quoi les impulsions affectent-elles l'apprentissage ? Comment les impulsions s'expriment-elles ou s'apprennent-elles ? Malheureusement, il est peu fait de réponses nettes à ces questions. L'ambiguïté tient en partie au manque d elucidation du concept lui-même et des conditions qui affectent une impulsion donnée et en partie au fait que les différentes mesures de l'intensité d'une impulsion ne montrent souvent qu'une faible corrélation entre elles («le nombre d'heures de privation de nourriture» par rapport à la «quantité de nourriture mangée» ; le «niveau d'activité» par rapport à la «performance en labyrinthe»). On ne peut guère tirer de conclusion des observations tentées sur l'effet du niveau d'impulsion sur l'acquisition de réponses ; dans certains cas l'effet est nul, d'autres cas suggéreraient qu'une motivation intense peut indûment diminuer l'attention et interférer avec l'apprentissage tandis que d'autres cas encore montrent l'apprentissage s'améliorant avec un accroissement de la force de la pulsion jusqu'à une intensité modérée. Il existe des données plus certaines quant au fait que différentes impulsions (comme la soif et la faim) peuvent fournir des stimuli distinctifs auxquels le sujet peut apprendre à répondre et que ces apprentissages peuvent se faire rapidement. L'idée que les impulsions peuvent être acquises ou apprises est une idée en accord avec le sens commun. L'essentiel des travaux effectués sur les impulsions acquises ont porté sur l'acquisition de la peur. Ces travaux montrent qu'une peur conditionnée peut être éveillée par des stimuli associés à des événements douloureux, que cette peur conditionnée pourra servir de mobile à l'apprentissage et que la réduction de la peur est un renforcement. D'autres recherches non confirmées laissaient penser que des impulsions sociales telles que 1' «agression» ou 1' «affiliation» ont les propriétés habituelles des autres impulsions, c'est-à-dire qu'elles peuvent être amenées à satiété par un «comportement de consommation». Ainsi, le besoin d'agression ou d'affiliation peut être satisfait par une agression ou une affiliation et,

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Les théoriciens du

renforcement

une fois satisfait, ce besoin ne provoquera plus de réponse d'agression ou d'affiliation. Il y a cependant jusqu'ici peu de recherches qui analysent les processus par lesquels les motivations sociales sont acquises. 6°) Généralisation. La «généralisation du stimulus» a trait au fait qu'une réponse conditionnée pour un stimulus donné tend à se produire également pour les stimuli similaires ; plus est grande la similitude entre les deux stimuli, plus il y a de chances que se produise la réponse. La «généralisation de la réponse» signifie qu'un stimulus donné peut non seulement amener la réponse qui lui est directement associée mais aussi accroître la probabilité que se reproduisent les réponses analogues. La généralisation intervient aussi bien dans le processus d'extinction des réponses que dans celui de leur acquisition. Dans le paragraphe précédent, nous venons de voir qu'une réponse est souvent généralisée aux stimuli similaires, mais il apparaît aussi que souvent des réponses sont généralisées à des stimuli qui n'ont pas de similarité physique avec le stimulus original — des réponses acquises en relation avec une lumière intense peuvent être généralisées à des stimuli auditifs ou tactiles intenses, des réponses acquises pour le mot «grange» peuvent être généralisées à d'autres mots du vocabulaire rural. Pour expliquer que la généralisation apparaisse pour des stimuli physiquement différents, les théoriciens du conditionnement ont avancé l'idée qu'une telle généralisation était «médiatisée», qu'un processus médiateur devait intervenir entre le stimulus d'entrée observable et la réponse de sortie observable ; tout se passerait comme si le stimulus provoquait une réponse interne engendrant une stimulation interne qui à son tour provoque la réponse observable. La généralisation se produirait donc lorsque la réponse interne et les stimuli internes produits par les différents stimuli observables sont similaires. 7°) Discrimination. Lorsqu'un sujet a subi un renforcement pour répondre à un stimulus et non à un autre, ou pour faire une réponse plutôt qu'une autre à un stimulus donné, une discrimination s'installe graduellement. Le résultat final est que le sujet apprend à établir une discrimination soit entre les occasions auxquelles faire une réponse déterminée (discrimination des stimuli), soit entre les réponses appropriées à une occasion donnée (discrimination des réponses). L'extinction graduelle de la réponse à un stimulus inadéquat ou de la

Neal E. Miller et John Dollard

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réponse inappropriée suit parallèlement le développement de la discrimination. Un petit nombre seulement parmi les théoriciens de l'apprentissage ont apporté à la psychologie sociale une contribution importante. Une grande partie de leurs travaux a consisté à traduire des concepts psychanalytiques dans les concepts de la théorie de l'apprentissage. Ce fut en particulier le cas de théoriciens de l'apprentissage tels que Tolman (1951), Mowrer (1960a ; 1960b), Sears (1943 ; 1951) et dans une certaine mesure de Miller et Dollard (1941 ; Dollard et Miller 1950). Doivent retenir plus spécialement notre attention ici les travaut de Miller et Dollard, ceux de Bandura et Walters sur l'apprentissage social et l'imitation, les écrits de Hovland et de ses collaborateurs sur la communication et la persuasion et enfin l'apport de Homans, sociologue fortement influencé par le point de vue de Skinner. Nous nous attacherons ensuite au travail de Thibaut et Kelley qui ont analysé l'interaction sociale en termes de gains et de coûts.

NEAL E. MILLER ET JOHN DOLLARD

Miller et Dollard (1941 ; Dollard et Miller, 1950) soulignent l'importance primordiale et quatre facteurs dans l'apprentissage : l'impulsion (drive), l'indice (eue), la réponse, et la récompense ou renforcement. Ils définissent l'impulsion comme un puissant stimulus qui provoque une réponse ; plus puissant est un stimulus, plus il exerce une fonction d'impulsion. Les indices sont des stimuli d'identification qui déterminent quelle réponse sera faite et quand elle sera faite. La réponse initiale à une situation stimulus donnée est très probablement la réponse dominante dans la hiérarchie initiale des réponses. Si la réponse initiale n'est pas récompensée, le lien entre le stimulus et la réponse s'affaiblit. Si au contraire, la réponse est suivie d'une gratification, le lien est renforcé de telle sorte qu'à la prochaine fois où se présente, avec d'autres indices, la même impulsion, c'est cette réponse qui sera le plus probablement émise ; la hiérarchie des réponses à une situation donnée peut ainsi être modifiée selon que les réponses sont ou non suivies de récompense. Les effets des récompenses diminuent graduellement de telle sorte que les connexions de la réponse-

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Les théoriciens du

renforcement

indice immédiatement associée avec une récompense sont plus renforcées que les connexions plus lointaines. Miller et Dollard expliquent ainsi l'acquisition d'impulsions sociales et de récompenses sociales : un indice neutre peut acquérir les propriétés d'une impulsion s'il est connecté ou associé à un stimulus-impulsion {drive stimulus) ; et acquérir les propriétés d'une récompense s'il est associé à la réduction d'un stimulus-impulsion. Ainsi, un enfant peut apprendre à avoir peur des chiens après avoir été mordu par un chien et par la suite, la peur des chiens peut le motiver à émettre certains types de réponses (par exemple, courir vers sa mère) de nature à réduire cette peur. Ainsi « les chiens », au départ un indice neutre, provoquent des réponses internes (analogues à celles que provoque la douleur) qui engendrent de puissants stimuli qui suscitent des réponses qui auront toute chance de se répéter dans des situations analogues si elles procurent le bénéfice de réduire les stimuli-impulsions. Les indices associés avec la réduction de la tension — la mère par exemple — prennent valeur de récompense. Plus généralement, si la mère a été à plusieurs reprises associée à la réduction de l'impulsion, sa présence et son approbation en viennent à prendre valeur de récompense. D'un autre côté, son absence ou sa désapprobation peuvent produire des réponses internes (telles que l'anxiété) qui produisent des stimuli-impulsions. Miller et Dollard soulignent l'importance du langage en tant que «réponse productrice d'indices», dans la mesure où il opère une médiation entre les réponses et les récompenses ou punitions anciennes et produit des impulsions acquises, des réponses qui sont des prévisions. Ainsi un enfant qui a pris peur des chiens peut voir cette peur éveillée par la phrase : « Il y a un chien dans la pièce voisine », une fois qu'il a acquis la compréhension du langage. L'aptitude de l'enfant à une réponse de prévision (comme de fermer la porte donnant sur la pièce voisine) est considérablement facilitée s'il a la possibilité de faire par-devers lui des réponses verbales et anticipatrices («les chiens ne peuvent pas passer à travers des portes fermées» ; «la porte qui donne sur la pièce voisine a une serrure» et «je peux fermer la porte»). De même des déclarations orales — «le chien a une muselière et ne peut pas mordre» — peuvent contribuer à réduire la peur. En outre, des réponses verbales peuvent grandement faciliter les processus de discrimination et de généralisation en établissant entre les stimuli des catégories selon qu'ils appellent des réponses semblables ou dissemblables. Ainsi, les mots «gentil» ou «féroce»

Neal E, Miller et John

Dollard

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appliqués à un chien aident à faire la distinction entre les occasions d'y répondre par l'approche ou l'évitement. Qualifier un chien de «gentil» le rend, de ce point de vue, équivalent à d'autres chiens qui ont reçu la même qualification, et facilite le transfert de réponses apprises auparavant à propos de chiens qualifiés de «gentils». La différence d'effort à fournir pour faire les réponses verbales «gentil» ou «féroce» est quasi inexistante et il est pourtant évident que les indices produits par l'une ou l'autre appellation peuvent conduire à des différences considérables dans la façon dont une personne répond à la présence du chien. Les réponses verbales dans le langage parlé sont des réponses productrices d'indices particulièrement utiles, non seulement parce qu'elles sont aisées à faire et peuvent se faire à voix haute ou intérieurement, mais aussi parce qu'elles sont de nature sociale. Cette nature sociale du langage signifie que les réponses verbales d'une personne, si elles sont faites ouvertement, peuvent tenir lieu d'indice aussi bien pour les autres que pour elle-même. (Il faut noter à ce propos que Miller et Dollard inaugurent ici une orientation de théorie de l'apprentissage qui abandonne le préjugé méthodologique qu'avait à ses débuts le behaviorisme à ¡'encontre du rapport verbal et de l'introspection.) La nature sociale du langage rend possible qu'une personne transmette au moindre frais à d'autres personnes une quantité énorme d'informations (vraies ou fausses) au moyen du langage. Miller et Dollard montrent également que l'imitation sociale joue un rôle central dans l'apprentissage de la parole et d'une manière plus générale, un rôle considérable dans tout apprentissage social. L'imitation est aussi importante pour le maintien de la conformité et de la discipline. Miller et Dollard écrivent (1941, p. 10) : «Les individus doivent être formés dans de nombreuses situations, de telle façon qu'ils se sentent à l'aise lorsqu'ils font ce que les autres font et malheureux dans le cas contraire.» Le terme «imitation» désigne deux types d'action importants : le comportement «de dépendance» où ceux qui imitent doivent dépendre du leader pour obtenir les indices sur le type, le lien et le moment de l'action à entreprendre ; et le comportement de «copie» où l'imitateur essaie de produire des réponses qui soient une reproduction acceptable du comportement d'un modèle. Ce sont pour l'essentiel les mêmes concepts que l'on emploie pour expliquer comment s'acquièrent ces deux formes d'imitation. Les auteurs illustrent leur thèse, selon laquelle le comportement d'imitation apparaît parce

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que l'individu esc récompensé lorsqu'il imite et ne l'est pas quand il n'imite pas, par une série d'expérimentations parallèles sur des souris blanches et sur de jeunes enfants. Dans les expérimentations sur les souris blanches, la réponse étudiée était le fait de tourner dans la même direction que le leader à l'embranchement d'un labyrinthe en T. On trouva que, avant d'être spécialement entraînées, les souris ne manifestaient de tendance marquée ni à imiter ni à ne pas imiter le comportement du leader. Un groupe de souris affamées furent alors gratifiées par de la nourriture, uniquement quand elles allaient dans la même direction que le leader tandis qu'un autre groupe de souris ne recevaient de la nourriture que si elles allaient dans la direction opposée. Dans ces conditions, le premier groupe apprit à imiter, le second à ne pas imiter. Des tests ultérieurs montrèrent que l'apprentissage de l'imitation (ou de la non-imitation) avait été généralisé. Ainsi, des animaux qui avaient appris à imiter des souris blanches imitaient aussi, sans entraînement supplémentaire, des souris noires ; des animaux qui avaient appris à imiter lorsqu'ils étaient motivés par la faim, imitaient aussi lorsqu'ils l'étaient par la soif ; des animaux qui avaient appris à imiter dans un labyrinthe en T imitaient aussi dans l'accomplissement d'une autre tâche. Des expérimentations parallèles révélèrent que des enfants pouvaient apprendre à imiter ou à ne pas imiter un leader pour obtenir la gratification d'un bonbon. Des expériences ultérieures montrèrent que des enfants pouvaient apprendre à faire la distinction entre différents leaders, et ainsi, copier un leader (une personne de grande taille, par exemple) et ne pas copier un autre leader nettement différent du premier (une personne de petite taille). Lorsqu'un tel apprentissage s'est produit, une certaine généralisation intervient de telle sorte que les enfants auront plus tendance à copier des leaders dont l'apparence est proche de celle des leaders qu'ils furent récompensés d'avoir copiés que des leaders d'apparence différente. En outre, un enfant qui est récompensé pour copier un leader dans une situation donnée manifestera une tendance à imiter !e comportement de ce même leader dans d'autres situations. Miller et Dollard remarquent que l'imitation peut hâter sensiblement le processus de l'apprentissage indépendant (faire des réponses justes hors de la présence d'un modèle) lorsque l'apparition de réponses justes par un processus d'essais et erreurs est improbable. Toutefois, si le sujet est récompensé pour avoir fourni une copie incomplète des réponses du modèle, l'apprentissage indépendant peut en

Le programme de recherche sur la communication de Yale

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être retardé. Si l'observation du modèle empêche le sujet de copier la réponse du modèle dans l'attention que ce dernier porte aux indices appropriés, l'imitation peut retarder l'apprentissage de réponses indépendantes. La théorie de l'imitation sociale de Miller et Dollard a été sévèrement critiquée parce qu'elle exige, en fait, qu'une personne soit capable de faire une réponse avant d'avoir pu par imitation l'apprendre. Bandura (1962, p. 217) soutient ainsi que la théorie de Miller et Dollard voudrait qu'un enfant, pour apprendre par imitation à dire «symposium» ait tout d'abord eu l'occasion d'émettre au hasard de ses vocalisations ce mot de symposium, le fasse coïncider accidentellement avec la réponse verbale du modèle, assurant ainsi un renforcement positif. Bandura (1962, p. 260) conclut, à partir de ses propres recherches sur l'apprentissage social par imitation, que «le processus d'acquisition de réponses est fondé sur la contiguïté des événements sensoriels ; le conditionnement instrumental et le renforcement instrumental devraient peut-être être considérés plus comme une procédure de sélection de réponses que comme une procédure d'acquisition ou de consolidation des réponses». Il souligne également qu'il y a lieu de penser que des modèles attirants, gratifiants, prestigieux ou puissants capteront mieux l'attention et susciteront davantage l'imitation que des modèles auxquels ces qualités font défaut. De façon analogue, des personnes dépendantes, ayant peu d'estime pour elles-mêmes, incompétentes, et dont le comportement imitatif a souvent été récompensé, ont une propension à porter une attention vigilante aux indices produits par le comportement d'autrui. En d'autres termes, le renforcement peut exercer la fonction d'agent causal dans l'apprentissage par imitation, essentiellement parce qu'il augmente ou réduit l'apparition et le maintien de la réaction d'observation.

LE PROGRAMME DE RECHERCHE SUR LA COMMUNICATION DE YALE

Carl Hovland et ses collègues de l'université de Yale se sont engagés dans un programme systématique de recherche sur les effets des différents types de communication sur le changement d'opinions et d'attitudes (Hovland, Lumsdaine et Sheffield, 1959 ; Hovland, Janis et Kelley, 1953 ; Hovland, 1957 ; Hovland et Janis, 1959 ; Hovland et Rosenberg, I960). On se réfère souvent à leurs positions théoriques

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du

renforcement

en parlant du «modèle d'apprentissage instrumental» parce qu'il traite la dynamique des attitudes en termes semblables à ceux qu'emploient Hull (1943) ou Dollard et Miller. La notion centrale dans leur approche est qu'une opinion (un jugement familier ou une prédiction) ou une attitude (une orientation évaluative habituelle) devient habituelle parce que son expression ouverte ou sa répétition intérieure est suivie de l'expérience effective ou de l'anticipation d'un renforcement positif. Ils ont recours au terme «incitateur» plutôt qu'à celui de «renforcement» parce qu'ils s'intéressent à des agents de renforcement anticipés mis en jeu par un agent de communication qui s'efforce de changer les opinions ou les attitudes d'un auditoire. Hovland et ses collaborateurs remarquent que les techniques du changement d'opinions supposent que l'on obtienne l'attention de l'auditoire, sa compréhension et son acceptation de la communication. Même s'ils posent très clairement l'importance des influences étrangères à la motivation (spécialement dans la mesure où elles affectent le champ de l'attention, la mémoire et la compréhension), ils s'arrêtent principalement aux déterminants des incitations à prêter attention, comprendre et accepter une communication. Ils observent que les attitudes existantes sont soutenues par des incitateurs et que par conséquent, les tentatives faites pour modifier ces attitudes rencontreront une résistance. Dans leur étude du changement d'attitudes, ils ont centré leur recherche sur trois premiers types d'incitateurs : les gains directs en argent ou dans le domaine de la santé et de la sécurité, ou tout autre gain analogue, si l'attitude est modifiée ; l'approbation sociale, le prestige et l'acceptation par le groupe découlant d'attitudes semblables à celles qu'adoptent des individus ou des groupes respectés ; enfin, l'auto-approbation : se sentir dans son droit ou dans son tort, avoir le sentiment qu'on est manipulé ou traité avec respect. Le groupe de Yale a étudié expérimentalement en quoi le processus de persuasion était affecté par les caractéristiques de l'agent émetteur de la communication (crédibilité, ampleur du changement proposé), celles de la communication (direction, caractère explicite des conclusions, type d'incitateur auquel elle fait appel, ordonnance des arguments pour et contre), et enfin celles de l'auditoire (dispositions personnelles, netteté et force des appartenances de groupe, rôle — actif ou passif — dans l'apport d'un soutien à la position demandée). Nous n'entrerons pas ici dans le détail de ces études et de leurs résultats qui ont été résumés et soigneusement évalués par

Le programme

de recherche

sur la cotnmunication

Cohen (1964) dans son ouvrage Changement sociale.

de Yale

d'attitude et

101

influence

Nous relèverons seulement ci-après quelques-uns des principaux résultats en remarquant qu'ils sont tout à fait en accord avec les données du sens commun et ne réservent pas de surprises. Le changement d'attitudes est plus probable lorsque la crédibilité de l'agent émetteur de la communication est grande que lorsqu'elle est faible ; l'ampleur du changement d'attitudes qui peut être induit croît avec l'ampleur du changement demandé, mais seulement lorsque la crédibilité de l'agent est grande et non lorsqu'elle est faible ; des appels à la peur qui ne sont pas immédiatement suivis de réassurances tendant à réduire la peur ont un effet de boomerang ; il vaut mieux tirer les conclusions lorsque les données du problème sont si complexes que l'auditoire risque de n'être pas à même de tirer les conclusions souhaitées ; «vacciner» l'auditoire contre des points de vue adverses en présentant sous son double aspect, et non sous un seul, un problème, est préférable lorsque l'auditoire est susceptible de connaître ou d'entendre une contre-argumentation ; la puissance des motivations à la conformité au groupe affecte la volonté d'accepter des positions attitudinales concordantes ou discordantes avec les normes du groupe ; les sujets qui ont connu le succès ou reçu l'approbation pour une attitude qu'ils ont été induits à adopter auront plus tendance à conserver cette attitude que ceux qui n'ont pas tiré de tels bénéfices ; participer activement à la répétition de la nouvelle attitude, à l'improvisation d'arguments en sa faveur, provoque plus le changement au niveau de l'attitude qu'écouter ou lire passivement un matériel analogue. Une controverse intéressante opposa les partisans de la théorie de la dissonance à ceux de la théorie de l'apprentissage instrumental. Les deux théories conduisent à des prédictions opposées quant à la façon dont des incitateurs produisent un changement d'attitude lorsqu'on les emploie à induire un comportement qui est en contradiction avec une attitude préexistante (par exemple, pousser par la promesse d'une récompense, un partisan de la prohibition à se déclarer en faveur de l'abaissement de l'âge auquel les mineurs ont le droit d'acheter des boissons alcoolisées). La théorie de la dissonance prédit que de petites récompenses sont plus efficaces que les grandes pour provoquer un changement d'attitude tandis que la théorie de l'apprentissage instrumental conduit à la prédiction inverse. Dans les pages précédentes (74-82), nous avons décrit certaines recherches qui venaient à l'appui de la théorie de la dissonance. Nous verrons main-

102

Les théoriciens du

renforcement

tenant que des recherches récentes de Janis et Gilmore (1965) et de Rosenberg (1965) la contredisent. Letude de Janis et Gilmore s'attache à l'influence des conditions d'incitation sur l'efficacité du jeu de rôle pour la modification des attitudes. Les auteurs posent que lorsqu'une personne accepte de se charger d'improviser des arguments en faveur d'un point de vue différent de ses propres convictions, elle se trouve provisoirement motivée à imaginer des arguments en faveur de la nouvelle opinion et à refouler les arguments adverses. Par ce biais, se trouve favorisée la venue à l'esprit d'arguments favorables, et accrues les chances d'un changement d'attitude. Janis et Gilmore font cependant l'hypothèse que si l'entité à propos de laquelle se développe le jeu de rôle est perçue de façon défavorable, il en résultera des incitateurs négatifs engendrant des réponses qui vont interférer avec le changement d'attitude. La théorie de l'apprentissage instrumental fait aussi penser qu'une forte stimulation positive facilitera plus qu'une faible stimulation le changement d'attitude. Janis et Gilmore, dans leur expérience, ont comparé l'effet d'un référent favorable ou défavorable pour le jeu de rôle (le bien public ou un référent vulgairement commercial) ; ils ont comparé également l'effet lié à une faible ou une forte rémunération de la tâche (1 dollar et 20 dollars), enfin ils ont mesuré l'effet relatif du jeu de rôle effectif et de l'exposition passive au même matériel. D'une manière générale, les résultats de l'expérience ne confirmèrent pas les prédictions de la théorie de la dissonance. Le référent défavorable ne produit pas plus de réduction de la dissonance que le référent favorable et la rémunération à 1 dollar n'est pas plus efficace que la rémunération à 20 dollars. Cependant ces mêmes résultats ne confirment que dans une faible mesure la théorie de l'incitateur. N i le référent ni la rémunération ne produisent par eux-mêmes d'effets significatifs ; disons cependant que la combinaison d'un référent favorable et d'une forte récompense produit plus de changement d'attitude que celle d'un référent défavorable et d'une faible récompense. Les recherches expérimentales de Rosenberg (1965) fournissent des informations un peu plus nettes que celles de Janis et Gilmore sur les effets des incitateurs. Son argumentation est la suivante : dans les expériences qui confirment la théorie de la dissonance et où une récompense plus faible provoquait un plus grand changement d'attitude, le processus d'une récompense excessive provoquait sans que cela soit voulu une appréhension de l'évaluation et des attitudes

Le programme de recherche sur la communication de Yale

103

hostiles à l'égard de l'expérimentateur. Ces attitudes à leur tour augmentaient la résistance au changement d'attitude des sujets. Ainsi le changement d'attitude moindre des sujets auxquels une forte récompense était promise ne serait qu'une conséquence de la coïncidence entre l'appréhension de l'évaluation et la méfiance vis-à-vis de l'expérimentateur. Afin d'éliminer ce qui, d'après lui, faussait l'expérience, Rosenberg fit en sorte que les sujets ne puissent établir de lien entre le moment de l'expérimentation, où ils étaient priés d'écrire un essai contraire à leur point de vue pour une rétribution de 50, 1 ou 5 dollars, et le moment où étaient mesurées leurs attitudes. Entre autres moyens de séparer ces deux moments, on recourait à des expérimentateurs différents pour chaque moment. Les résultats montrèrent que l'ampleur du changement d'attitude est directement proportionnelle au montant de la rémunération perçue par le sujet. Ils confirmèrent également l'hypothèse de Rosenberg selon laquelle l'appréhension de l'évaluation serait à l'origine de plusieurs phénomènes observés dans les expériences sur la dissonance. L'hypothèse de Rosenberg rejoint d'ailleurs la nôtre selon laquelle l'autodéfense pourrait être centrale dans l'apparition de la dissonance post-décisionnelle.

En conclusion Hovland et ses collaborateurs n'ont pas élaboré de théorie systématique du processus de persuasion, ils ont néanmoins été guidés par cette notion centrale de la théorie de l'apprentissage : les conséquences du comportement et spécialement celles qui ont trait à la gratification et à la pénalisation influent sur le comportement ultérieur. Ils ont toutefois formulé la plupart de leurs propositions en se rapportant à des conséquences anticipées ou d'incitateurs plutôt qu'à des bénéfices immédiats. De ce fait, ils ont été en mesure d'inclure dans leurs conceptions quelques-unes des notions de la théorie de la personnalité et de la dynamique des groupes parmi celles qui sont le plus orientées vers la phénoménologie. Leurs travaux s'appliquent ainsi plus immédiatement à la vie quotidienne que ceux des behavioristes plus traditionnels. Leurs propositions ont en même temps cette qualité que, se trouvant en accord avec le sens commun, elle ne s'en éloigne guère.

104

Les théoriciens du

renforcement

ALBERT BANDURA ET RICHARD H. WALTERS

Contrairement à bien d'autres théoriciens de l'apprentissage qui ont traité du comportement social de l'homme, Bandura et Walters ont fait porté la majeure partie de leur recherche sur des personnes et non sur des animaux. L'essentiel de leurs travaux se trouve présenté dans deux ouvrages écrits en collaboration, L'Agression adolescente et Apprentissage social et personnalité (Bandura et Walters, 1959 ; Bandura et Walters, 1963) et dans l'ouvrage du seul Bandura Behavioristic Psychotherapy (Psychothérapie par conditionnement) (sous presse). Us ont mené leurs recherches en laboratoire, en milieu naturel et dans des cliniques pour enfants et adolescents. C'est pourquoi leurs travaux, parmi ceux des théoriciens de l'apprentissage, sont le mieux à même de montrer l'intérêt de cette approche pour la compréhension du comportement social de l'homme. Leurs ouvrages ne sont pas exempts de critiques à l'égard des applications de la théorie de l'apprentissage faite avant la leur. Ils écrivent (Bandura et Walters, 1963, pp. 43-44) : «Les tentatives faites jusqu'ici pour conceptualiser les phénomènes sociaux, dans le cadre des théories modernes de l'apprentissage, y compris celle relative aux patrons de réponse déviants, se sont fondées, d'une façon générale, sur une gamme limitée de principes de la théorie d'apprentissage qui furent le plus souvent élaborés et vérifiés dans des études portant sur des animaux ou des êtres humains en situation individuelle. Pour avoir négligé les variables sociales, ces tentatives se sont révélées notoirement impuissantes à rendre compte de l'acquisition de nouvelles réponses sociales. De plus, les partisans de l'approche par la théorie de l'apprentissage des problèmes du comportement social et antisocial ont pour la plupart accepté implicitement les principes de base et les concepts de la psychodynamique et n'ont fait que les traduire en termes familiers aux théoriciens de l'apprentissage et acceptables par eux. Dans le présent ouvrage nous nous sommes efforcés d'étendre et de modifier les principes de la théorie de l'apprentissage existants et d'en proposer de nouveaux afin de rendre compte d'une façon plus adéquate du développement et des transformations des réponses humaines. »

Le rôle de l'imitation Ce qui caractérise l'optique adoptée par Walters et Bandura pour l'étude du comportement social, c'est le rôle central qu'ils accor-

Albert Bandura et Richard H.

Walters

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dent à l'imitation dans l'acquisition du comportement, que celui-ci soit de déviance ou de conformité. En opposition à la théorie de l'imitation chez Miller et Dollard (qui suppose, comme nous l'avons vu, que les réponses imitées fassent déjà partie du répertoire comportemental du sujet) Bandura et Walters soutiennent que de nouveaux patrons de réponse qui sont des imitations exactes du comportement d'autrui peuvent être acquis par l'observation. Ils insistent même sur le fait que celui qui apprend imite avec succès la totalité du patron de réponse d'un modèle même lorsqu'il n'extériorise pas de réponse et ne reçoit pas de renforcement au cours de la démonstration. L'acquisition par imitation de nouvelles réponses n'est donc pas ce processus lent et graduel, basé sur un renforcement différentiel, qu'ont le plus souvent postulé les autres théoriciens de l'apprentissage. Au cours d'une série d'expériences, Bandura et ses collaborateurs (voir Bandura, 1962) présentèrent à des enfants des écoles maternelles différentes sortes de modèles (des êtres humains réels, des adultes filmés et des personnages de dessins animés). Ces modèles adoptaient des schèmes de comportement différents (agressif et non agressif) qui avaient pour eux des conséquences différentes (récompense ou punition). Les résultats ont montré que les enfants qui avaient observé des modèles agressifs (frappant une grosse poupée en plastique, s'asseyant dessus, la jetant ou lui lançant des coups de pied) répondaient à une frustration ultérieure par des comportements très nets d'agression dont beaucoup imitaient précisément le modèle, par contre les enfants, également frustrés, mais qui avaient observé des modèles faisant montre d'un comportement inhibé, avaient tendance à se confirmer au comportement non agressif du modèle inhibé. L'observation de personnages de dessins animés ou d'êtres humains filmés entraîna, après frustration, un comportement tout aussi agressif que l'observation de comportement agressif d'une personne adulte en chair et en os. Cela laisse penser que le comportement des enfants peut être grandement influencé par ce qu'ils peuvent voir sur les écrans de télévision. La présentation de modèles aux enfants peut, outre leur apprendre des réponses entièrement nouvelles, avoir un effet d' «inhibition», ou de «désinhibition» ou d'éveil sur leur comportement ; autrement dit, observer un modèle agressif peut diminuer, faire disparaître chez l'enfant certaines des inhibitions à l'égard du comportement agressif, ou peut simplement provoquer l'agression qui existe déjà dans son répertoire comportemental. De la même façon, observer chez un

Les théoriciens du renforcement

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modèle l'inhibition de l'agression peut renforcer la tendance à inhiber des réponses déjà apprises. Bien qu'une réponse puisse s'acquérir par la simple observation du comportement d'un modèle, la promptitude à l'employer dépend en partie du fait que le modèle ait été vu récompensé ou puni pour ce même comportement. L'observation de conséquences gratifiantes pour un modèle agressif produit une agression imitative substantielle et libère un comportement agressif précédemment appris ; l'observation de conséquences ayant un caractère de punition peut conduire à rejeter le modèle en tant que source d'émulation. Les modèles gratifiés ont plus de chances d'entraîner un comportement d'imitation que les modèles malheureux ; de même on rivalisera davantage avec des modèles gratifiants qu'avec les modèles non gratifiants. Bandura et Walters signalent cependant que toute une gamme de réponses imitatives peuvent être produites sans qu'il ait été nécessaire d'établir au départ une relation de dépendance gratifiante entre le modèle et son observateur.

Le rôle du

renforcement

Si Bandura et Walters insistent sur le fait que le renforcement (observé ou vécu) ne joue pas un rôle dominant dans l'acquisition de nouvelles réponses, ils donnent cependant un rôle central aux patrons de renforcement dans l'accentuation et la persistance de différentes tendances du comportement. Ils décrivent des recherches prouvant qu'un renforcement positif sous forme d'approbation orale ou de récompenses tangibles augmentera la fréquence de réponses agressives chez l'enfant, que le renforcement d'un type de réponse agressive peut avoir pour effet une augmentation des réponses agressives d'un autre type et enfin que le renforcement du comportement agressif dans une situation donnée peut conduire à un accroissement de ce comportement dans d'autres situations. De tels résultats vont à l'encontre de la théorie frustration/agression qui soutient que la frustration est un antécédent indispensable de l'agression. Bandura et Walters proposent de conceptualiser différemment (1963, p. 135) la relation existant entre la frustration et l'agression, la frustration étant définie comme un retard de renforcement. «La frustration peut produire une augmentation provisoire de la motivation et provoquer ainsi une réponse plus vigoureuse. La réponse

Albert Bandura et Richard H.

Walters

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dominante aux stimuli présents, avant qu'il y ait frustration, peut être de ces réponses qui, faibles, ne sont pas classées comme agressives mais qui, fortes, peuvent être caractérisées comme telles. La frustration modifie la situation stimulus et on peut s'attendre en conséquence à des changements, aussi bien dans la nature que dans l'intensité des réponses. L'interférence avec une séquence de réponse peut agir comme un stimulus libérant des hiérarchies de réponses parmi lesquelles, du fait d'un apprentissage passé, des réponses produisant la douleur tendent à être dominantes. La modification, par le changement du stimulus, de la force associative des réponses peut ainsi conduire, indépendamment des changements intervenus au niveau de la motivation du sujet, à l'apparition de comportements agressifs. Les expériences antérieures de sujets frustrés et surtout leurs 'traits de personnalité' (c'est-à-dire les schémas de réponses qui dominent dans plusieurs de leurs hiérarchies de réponses) détermineront dans une large mesure la nature de leur réponse à la frustration.» D'après Bandura et Walters, on peut faire qu'un enfant devienne rapidement très agressif en lui proposant des modèles agressifs qui connaissent le succès et en le récompensant de façon intermittente pour un comportement agressif de sa part, même si la frustration est maintenue à un niveau assez bas. Une expérience menée par Walters et Brown et rapportée par Bandura et Walters (1963) montre l'importance de la programmation du renforcement dans la production d'un comportement agressif persistant. Des garçonnets de sept ans recevaient une bille en récompense chaque fois qu'ils frappaient une poupée mécanique (ils recevaient un programme «continu» de renforcement). Ils se comportaient ultérieurement de façon moins agressive que d'autres garçonnets du même âge qui n'avaient reçu une bille en récompense qu'une fois sur six où ils avaient frappé la poupée (programme de renforcement intermittent invariable : 1/6). Le programme intermittent produisait plus de comportement ultérieur agressif, ce qui concorde avec d'autres recherches effectuées sur les effets des différentes programmations de renforcement. Ces autres recherches laissent en outre penser que, parmi les programmes intermittents, les programmes à intermittence «variable» (c'est-à-dire dans lesquels le taux de renforcement des réponses ou l'intervalle de temps entre les renforcements peuvent fluctuer autour d'une valeur moyenne) engendrent des tendances plus persistantes que les programmes «fixes». Ainsi une des façons pour une mère de créer chez son enfant un comportement persistant de recherche de son attention

108

Les théoriciens

du

renforcement

et de ses soins est de récompenser au hasard un tel comportement après que l'enfant se soit efforcé à plusieurs reprises d'attirer son attention. Bandura et Walters suggèrent que l'origine de nombreux comportements «difficiles» tient au fait que les parents ont, sans le vouloir, employé des programmes de renforcement qui récompensaient de façon intermittente des réponses fâcheuses très fréquentes et prenant une grande ampleur. Le développement

du contrôle de soi

Etudiant l'influence de modèles sur l'acquisition et la persistance de réponses de contrôle de soi, les auteurs rapportent des données montrant que les enfants, non seulement imitent ce que les adultes et les autres enfants font (ou ne font pas) en liaison avec autrui, mais qu'ils imitent aussi les actions dirigées vers soi-même. Bandura et Kupers (cité dans Bandura et Walters, 1963) ont montré que plus le score au jeu de quilles que le modèle s'efforçait d'atteindre avant de s'accorder la récompense d'un bonbon était élevé, plus élevé était aussi le score que l'enfant exigeait de lui-même avant de prendre un bonbon et ce, dans un jeu ultérieur alors que le modèle n'était plus présent. Les auteurs étudient diverses formes d'interventions disciplinaires dans le développement du contrôle de soi en distinguant entre l'emploi d'un agent de renforcement négatif ou d'un stimulus déplaisant et le retrait ou le maintien d'un renforcement positif. Ils soulignent que l'effet des actes disciplinaires dépend non seulement de la nature de la discipline employée mais aussi de son moment. Une punition intervenant tôt dans une séquence de réponse provoque une anxiété liée aux indices produits par la réponse et induit ainsi une inhibition de la réponse. Toutefois si la punition se produit après que l'acte répréhensible ait été commis et n'ait levé que lorsque le sujet fait une réponse autopunitive, autocritique ou d'excuses, les réactions de culpabilité, d'autocritique ou «d'excuses» peuvent être nettement renforcées. Certes, si la punition peut être évitée par «des excuses», la «dissimulation», ou en évitant l'agent de la punition, des réponses de ce type en seront, si elles se produisent, renforcées. S'il est vrai que des méthodes disciplinaires peuvent être des plus efficaces lorsque la punition intervient assez tôt pour inhiber le comportement indésirable, ou lorsque sa cessation est fonction de la

Albert Bandura et Richard H. Walters

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soumission de l'enfant aux exigences parentales, il convient de noter qu'un comportement d'abstention motivé par l'anxiété est souvent résistant au changement. Ainsi un enfant que la peur de la punition empêche d'explorer certains domaines — intellectuels, sociaux ou biologiques — peut être inhibé même après que la menace de punition ait disparu, parce que son anxiété ne lui aura pas permis de constater que ces explorations ne seraient plus punies. Bandura et Walters sont d'avis qu'il vaut mieux avoir recours à des techniques qui créent chez l'enfant des réponses désirables, susceptibles d'un renforcement positif et qui sont incompatibles avec l'instauration ou la poursuite d'une activité antisociale. Malheureusement, il y eut fort peu de recherches sur ce dernier aspect.

Les méthodes de production du changement de comportement Bandura et Walters distinguent cinq méthodes principales de modification du comportement : I o ) l'extinction : en faisant disparaître le renforcement positif ou la réduction de l'anxiété, qui maintient le comportement (ne pas répondre au bébé qui pleure quand on le met au lit), on mettra souvent, au bout d'environ une semaine, fin à la réponse par les pleurs au fait d'aller au lit ; 2°) le contre-conditionnement : qui suppose que l'on provoque, en présence des stimuli qui donnent peur, des réponses incompatibles avec l'anxiété ou des réactions de peur ; au moyen de ce conditionnement classique à ces réponses incompatibles avec les indices causes de peur, l'anxiété est éliminée ou réduite (Wolpe, 1958, avait recours à la relaxation pour produire des réponses incompatibles — la situation étant au départ de nature à provoquer une peur légère et la puissance des situations sources de peur augmentant graduellement jusqu'à ce que le stimulus potentiellement le plus phobique puisse être présenté sans que soit rompu l'état de relaxation et jusqu'à ce qu'enfin la relaxation en vienne éventuellement à être associée aux stimuli qui originellement provoquaient la peur) ; 3°) le renforcement positif : qui se traduit par l'emploi de récompenses pour augmenter la force d'une tendance à une réponse (récom-

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Les théoriciens du renforcement

penser un enfant replié sur lui-même chaque fois qu'il participe à une activité sociale) ; 4°) l'imitation sociale (en donnant à des jeunes malchanceux des modèles d'adultes qui connaissent le succès et dont ils puissent imiter le comportement) ; 5°) et enfin l'apprentissage par discrimination : qui est l'emploi d'agents de renforcement positifs pour récompenser les réponses souhaitées à des stimuli donnés et l'emploi d'agents de renforcement pour punir les réponses indésirables ou l'absence de récompenses pour les amener à extinction. En conclusion L'œuvre de Bandura et Walters fournit à la fois une vue d'ensemble pénétrante de l'application à la socialisation et au développement de la personnalité de l'orientation behavioriste et un apport original dans cette perspective. Leurs recherches personnelles sont stimulantes et s'appliquent directement à d'importants problèmes de l'éducation des enfants et de la psychothérapie. Un examen attentif de leurs idées et de leurs travaux amène toutefois à penser que leur œuvre comporte moins de théorie systématique et plus de simple bon sens qu'il n'y paraît. C'est en effet une idée courante que les enfants imitent, qu'ils se modèlent souvent eux-mêmes sur leurs parents, leurs frères et sœurs, leurs professeurs, leurs chefs scouts, les héros des histoires, etc. (Dans Les Mots, publiés en 1964, Sartre expose brillamment l'importance qu'ont eue les héros de la fiction dans la genèse de ses aspirations.) Bandura et Walters donnent maints exemples puisés à la fois dans leurs expériences et dans la littérature du processus d'imitation mais ils ne l'expliquent pas. La notion de stimulation sensorielle contiguë ne peut, de toute évidence, être tenue pour la condition suffisante de l'acquisition de réponses imitatives (même lorsque sont mises en jeu des variables suscitant l'attention). Cette notion n'explique pas pourquoi les gens n'imitent pas tout ce qu'ils peuvent observer, pas plus qu'elle n'éclaire en quoi que ce soit le fait que l'imitation puisse être défectueuse (l'un d'entre nous s'est efforcé sans succès pendant des années à prendre un accent français en parlant français alors qu'il avait eu

Albert Bandura et Richard H.

Walters

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maintes occasions d'entendre parler un français très correct). En d'autres termes, Bandura et Walters, dans leur approche de l'imitation se trouvent en accord avec le sens commun (et cet accord nouveau entre la théorie de l'apprentissage et le sens commun est, certes, déjà un résultat appréciable), mais ils ne rendent pas compte valablement de ce point de vue du sens commun. Les auteurs échouent à démonter le processus imitatif, à clarifier les conditions qui régissent l'aptitude à imiter ; ils ne proposent rien de mieux que l'approche psychosociologique la plus traditionnelle pour saisir la motivation à imiter (ou à se conformer). Leurs travaux n'expliquent guère enfin pourquoi l'imitation apparaît comme plus fréquente chez les adultes, ni pourquoi les enfants y réussissent tellement mieux. Bandura et Walters ont montré beaucoup d'ingéniosité dans l'application des recherches empiriques récentes sur les renforcements programmés, à l'apprentissage social et au développement de la personnalité. Dans ce domaine, leur étude de la persistance de comportement renforcé de façon intermittente éclaire d'un jour nouveau les causes de comportements indésirables d'une grande résistance. Il est vrai cependant que dans leur recours à la théorie du renforcement, ils se heurtent aux écueils que rencontrent de semblables théories : I o ) l'ignorance où l'on reste des conditions dans lesquelles un agent de «renforcement» est réellement «renforçant» (un éloge pour un travail que l'on sait médiocre amène-t-il un renforcement ou un mépris pour celui qui loue ?) ; 2°) la tendance à assimiler les aptitudes cognitives humaines à celles des animaux inférieurs et à admettre ainsi que l'être humain ne réagit qu'aux conséquences immédiates de son comportement ; 3°) le fait que des questions capitales sont négligées touchant aux processus mis en jeu dans la détermination des aspects particuliers, soit d'une situation stimulus complexe, soit d'une réponse complexe, soit d'un événement de renforcement complexe, qui seront retenus pour être associés. (Si on félicite un enfant de quatre ans d'avoir rangé ses jouets, après avoir joué avec, l'éloge sera-t-il associé au fait de «obéir à une adulte», de «faire plaisir à maman», de «rejeter les jouets», ou de «faire quelque chose que le petit frère ne fait pas» ? Et qu'est-ce qui sera gratifiant dans cet éloge — le sentiment qu'une réussite per-

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Les théoriciens du

renforcement

sonnelle est reconnue, le plaisir de maman, ou la promesse implicite que le Père Noël apportera un jouet convoité ?)

B. F. SKINNER

Dans son roman Walden Two, Skinner (1948) se présente lui-même sous les traits d'un des personnages comme n'ayant eu qu'une seule idée dans sa vie — une véritable idée fixe (en français dans le texte) — qu'exprime le mot «contrôle» : le contrôle du comportement. Il ne fait aucun doute qu'un thème essentiel des recherches expérimentales, à la fois vastes et minitieuses, faites par Skinner sur les animaux, a été centré sur cette question : comment peut-on placer le comportement d'un animal sous contrôle expérimental de telle sorte que celuici puisse être modelé et prédit en fonction des instructions de l'expérimentateur ? Globalement, sa réponse, que ses recherches ont eu pour but de préciser, est la suivante : ceci est obtenu grâce à la manipulation par l'expérimentateur des conditions de l'environnement de manière à contrôler les éventualités de renforcement qui sont associées au comportement de l'animal. Reprenons les termes mêmes de Skinner (1953, p. 64) : « La définition la plus concise du processus est celle-ci : nous faisons dépendre une conséquence donnée de certaines propriétés physiques du comportement... et on observe alors que la fréquence de ce comportement augmente. » Comme le dit Skinner, il s'agit là d'une reformulation de la loi de l'effet de Thorndike, reformulation dans la rhétorique du pur behaviorisme. L'approche de la psychologie est dominée chez Skinner par la rhétorique et la méthodologie du behaviorisme. D'un point de vue méthodique, il a centré son attention sur l'analyse du taux et de la fréquence d'un comportement donné (par exemple, un pigeon pique du bec un disque) comme étant fonction de variables aisément contrôlées par l'expérimentateur dans l'environnement de laboratoire extrêmement simplifié où se trouve placé l'animal expérimental. L'accent que Skinner fait porter sur la description positiviste se retrouve dans sa conception des théories psychologiques : celles-ci devraient se limiter à des propositions relatives à des faits qui traduisent la relation observée expérimentalement entre des variables comportementales dépendantes et des variables de l'environnement indépendantes. Il a rejeté la théorie hypothético-déductive, énoncé d'axiomes et de déductions formelles de conséquences logiques, comme

B. F

Skinner

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détournant du vrai travail scientifique qui consiste à décrire des lois qui se dégagent de l'observation expérimentale. La description de ces ordres observés peut être menée à bien sans référence aux données qui sont d'abord l'objet d'autres sciences (physiologie, sciences physiques) ; le comportement doit être étudié sur son propre plan. De la même façon, la description des lois du comportement n'exige pas le recours à des explications d'ordre mental ou psychique ; le contenu du conscient doit être décrit en termes de comportement, par exemple le «comportement consistant à voir-que-nous-voyons» ; nous apprenons à «voir-que-nous-voyons» uniquement parce que la communauté verbale organise ainsi les choses pour nous. Skinner refuse le point de vue des behavioristes plus traditionalistes selon lequel les événements privés (qui se produisent au sein de l'organisme) ne peuvent faire partie d'une science du comportement. Il serait plutôt d'avis que ces événements devraient être considérés comme des formes de comportement ne présentant pas de différences essentielles avec le comportement qui peut être publiquement observé. Il déclare (1963, p. 953) : « Un organisme apprend à réagir avec discrimination au monde qui l'entoure sous certaines conditions de renforcement... A ce que l'on sait, pour qu'un enfant parvienne à distinguer les événements qui se passent à l'intérieur de son corps, il faut que soit mis en jeu le même processus de renforcement différentiel. » Néanmoins, pour établir un répertoire de comportements verbaux, la «communauté verbale» souffre d'un lourd handicap quand il s'agit d'événements privés. «Elle ne peut apprendre à un enfant à nommer 'manque de confiance en soi' certain patron de stimuli privés et un autre patron 'gêne' aussi efficacement qu'elle lui enseigne à appeler 'rouge' tel stimulus et 'orange' tel autre, car elle ne peut avoir de certitude quant à l'absence ou la présence de patrons internes de stimuli appropriés au renforcement ou au non-renforcement.» Ainsi la conscience, ou pour employer la terminologie de Skinner «le comportement autodescriptif» est un produit social à peu près identique au comportement observable par tous, à cela près que la communauté verbale a plus de difficultés à modeler avec précision le comportement privé sur les événements privés. En s'en tenant rigoureusement à la description du comportement et des contingences qui l'affectent, et grâce à son génie inventif sur le plan technique, Skinner a beaucoup apporté à la psychologie. Sur le plan méthodologique, sa technique d'expérimentation est devenue l'un des modèles de l'étude expérimentale du comportement. Elle met

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Les théoriciens

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principalement en oeuvre les principes suivants : créer un environnement de laboratoire aussi simple que possible dont les caractéristiques puissent être contrôlées avec précision ; limiter la diversité des stimulations et des comportements possibles dans cet environnement ; n'employer que des animaux dont l'histoire antérieure, notamment le degré de privation, puisse être contrôlée ; isoler, en vue d'investigation, un acte comportemental simple (un rat presse un levier, un pigeon pique un disque du bec) que l'on puisse étudier quantitativement du point de vue du taux et de la fréquence de la réponse ; et enfin, introduire comme variables expérimentales diverses conditions contingentes entre l'acte comportemental simple et les stimuli de discrimination ou de renforcement contrôlés par l'expérimentateur. Son parti pris antithéorique et son peu d'intérêt pour les travaux d'autres chercheurs l'ont conduit à explorer et étudier des phénomènes tels que les programmes de renforcement, que les autres théoriciens avaient jusque-là ignorés. Il fut l'un des premiers à établir une distinction entre le conditionnement classique et le conditionnement opérant ou instrumental et il connut un succès certain en mettant l'accent nettement sur cette distinction. Par ailleurs, s'il n'était pas le seul à insister sur le rôle du renforcement, ses recherches approfondies sur la façon dont les techniques de renforcement peuvent modeler le comportement ont eu des applications variées : elles ont conduit à des techniques ingénieuses pour le dressage des animaux ; elles ont servi dans le domaine en expansion rapide de 1' «enseignement programmé» et ont enfin amené à étudier l'influence des procédures de renforcement sur le comportement verbal. Plus que les autres chercheurs expérimentant sur les animaux, Skinner a été tenté d'extrapoler ses concepts des situations dans lesquelles ils les avait élaborées à des situations plus complexes, comprenant les formes verbales et autres formes de comportement social. C'est ainsi que son parti pris antithéorique, maintes fois affirmé, joint à son penchant rhétorique pour un positivisme behavioriste descriptif, l'a mis dans la position inconfortable de faire ce que condamne sa rhétorique. Dans Le Comportement verbal (1957), par exemple, Skinner déclare que cet ouvrage n'est ni un ouvrage théorique, ni la présentation de faits et de relations obtenus à partir de l'étude réellement expérimentale du comportement verbal. Il écrit cependant (1957, p. 3) : « On connaît bien aujourd'hui les processus fondamentaux et les relations qui donnent au comportement verbal ses caractéristiques propres. Les progrès de la connaissance sont

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dus, il est vrai, à des recherches expérimentales menées sur d'autres espèces, mais il s'est avéré que les résultats obtenus étaient étonnamment indépendants des caractères des espèces. » (Ces recherches expérimentales avaient pour sujets des rats et des pigeons, espèces qui, ni l'une ni l'autre, ne révèlent de comportement verbal.) Skinner a raison de présenter son livre comme n'étant ni empirique, ni théorique. Il s'agirait plutôt en effet d'une extrapolation — extrapolation dont les règles ne sont aucunement explicitées —-, où l'on a aucun moyen de savoir si les termes qui ont pu être employés dans la description d'expériences de laboratoire s'appliquent de façon adéquate à la description du comportement humain dans une situation sociale complexe. Des notions comme celles de «stimulus», de «réponse», de «renforcement», sont assez bien définies en tant que relations observables dans les environnements réduits et contrôlés des expériences en laboratoire de Skinner, mais il n'en est pas donné d'autres définitions, elles, indépendantes. C'est pourquoi ce n'est que par analogie qu'elles peuvent intervenir dans l'étude de situations humaines plus compliquées. Il n'y a rien, certes, à redire à l'emploi des analogies ; elles fournissent souvent des perspectives fructueuses pour l'investigation de domaines nouveaux. Il n'en reste pas moins que les analogies sont, non pas des relations prouvées, mais des spéculations sur ce qui pourrait être vrai au cas où les analogies étaient valables. Dans Le Comportement verbal, Skinner propose un ensemble de termes propres à décrire le comportement verbal et une méthode pour identifier la façon dont apparaissent les caractéristiques spécifiques du comportement verbal. La question clé que pose Skinner est celle-ci : quel renforcement à parler donne son auditeur à celui qui parle, et qu'est-ce qui est accordé à l'auditeur pour écouter et renforcer celui qui parle ? Son hypothèse centrale est que le répertoire opérant dont dispose l'enfant (les sons qu'il émet au cours de ses vocalisations) constitue la matière première sur laquelle opèrent, pour modeler et déterminer son comportement verbal, les éventualités de renforcement offertes par la communauté verbale de l'enfant (son environnement social immédiat). Cette hypothèse pose le langage comme résultat du façonnement lent et prudent du comportement verbal au travers d'un renforcement différentiel. D'une manière cohérente avec l'importance qu'il accorde au rôle du renforcement, Skinner définit le «comportement verbal» comme un comportement produit par le locuteur et renforcé par la média-

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tion d'autres personnes (les auditeurs), qui ont précisément été conditionnées pour renforcer ce comportement. Skinner identifie un certain nombre de relations fonctionnelles dans le comportement verbal dont les deux types principaux sont le mand et le tact. Le mand est un opérateur verbal dans lequel la réponse est renforcée par une conséquence typique et qui est donc sous le contrôle fonctionnel de conditions appropriées de privation ou de stimulation négative. Pour le grammairien, le mand se range dans le mode impératif : il comprend les réclamations, les supplications, les requêtes, les questions et les commandements. Ces mands sont les premiers éléments fonctionnels à apparaître dans le comportement parlé de l'enfant. Ils sont les premières réponses verbales qui seront renforcées par les auditeurs tels que la mère ou la nourrice. En réalité, la mère renforce différentiellement l'enfant en lui donnant du lait lorsqu'il a dit quelque chose qui ressemble vaguement à «lait». Dans le conditionnement des mands, la forme de la réponse est spécifique du renforcement particulier obtenu. La «signification» d'un mand est définie par les conséquences qui suivent son émission dans une communauté verbale donnée. L'émission des mands est sous le contrôle des besoins de l'organisme dans la mesure où ces mands ont un passé de renforcement approprié lié à ces besoins. Le tact a trait à des stimuli discriminatifs particuliers (en général de nature non verbale) ; il reçoit un renforcement généralisé plutôt que spécifique. Il s'agit d'une «fonction de désignation» ; lorsque le locuteur émet le son requis en présence d'un stimulus discriminatif donné, il est renforcé par «approbation» ou par quelque autre agent de renforcement conditionnel généralisé (tout événement, qui précède de façon caractéristique différents agents de renforcement et qui peut être employé comme agent de renforcement pour amener sous contrôle un comportement, est appelé «renforcement conditionnel généralisé»). La relation de tact est celle d'une phrase déclarative : c'est l'énoncé d'un fait représentant un comportement relativement désintéressé pour lequel le locuteur ne reçoit de celui qui l'écoute rien de particulier mais quelque chose de général. Les réponses placées sous le contrôle de stimuli verbaux se distinguent des relations de tact et sont différenciées par la nature des stimuli verbaux qui déterminent la réponse : un «opérateur en écho» est une réponse qui engendre une structure sonore analogue à celle du stimulus ; un «opérateur textuel» est une réponse verbale qui correspond à un stimulus écrit ; un «opérateur inter-verbal» est une réponse

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verbale qui est sous le contrôle à la fois de réponses entendues et de réponses écrites. Une catégorie spéciale d'opérateurs, appelés «autoclitiques» est constituée par les réponses qui à la fois sont appelées par d'autres comportements du locuteur et agissent sur eux ; il s'agit de réponses à un comportement verbal, voilé, naissant ou potentiel. Elles comprennent la négation, la qualification, la quantification, la construction des phrases ainsi que les processus grammaticaux d'ordre et de disposition. Elles rendent compte des plus complexes manipulations de la pensée verbale. L'approche du comportement verbal tenté par Skinner prête le flanc à maintes critiques. L'une d'elles se fonde sur le processus bien établi de la généralisation sémantique. La généralisation sémantique est une sorte particulière de généralisation du stimulus, dans laquelle la généralisation se fait dans le sens d'une «proximité de signification» plus que dans le sens d'une similarité physique. Osgood écrivait ainsi (1963, p. 739) : «Ayant appris une nouvelle réponse au mot joy (joie) (par exemple, lever le doigt pour éviter un choc), l'adulte normal de langue anglaise transférera rapidement cette réponse au mot glee (allégresse) et non au mot physiquement plus proche boy (garçon). La base du transfert est à l'évidence la similitude des sens alors que le behaviorisme de Skinner ne laisse pas de place à de tels processus symboliques.» Le linguiste, Noam Chomsky (1959, p. 54), écrit dans sa critique pénétrante du Comportement verbal : «Si nous [en] prenons les termes dans leur sens littéral, la description ne recouvre pratiquement aucun aspect du comportement verbal, et si nous les prenons métaphoriquement, la description de Skinner ne présente aucun progrès par rapport à diverses autres formulations traditionnelles. Les termes empruntés, dans un sens métaphorique, à la psychologie expérimentale, perdent leur signification objective et se chargent de tout le vague du langage ordinaire.» Ce qui revient à dire que la rhétorique du behaviorisme, hors de l'observation minutieuse de relations spécifiques entre des variables, ne permet pas d'améliorer la précision et l'objectivité des propositions. L'hypothèse clé de Skinner, à savoir que l'acquisition du langage se fait à travers le lent et prudent façonnement du comportement par le renforcement, soulève elle aussi des questions. Il existe d'abondantes preuves de l'aptitude qu'ont les jeunes enfants à acquérir le langage par l'observation courante et l'imitation des adultes et des

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autres enfants sans qu'il intervienne précisément de la part de ceux qui les écoutent un façonnement de leur comportement : quelques jeunes enfants commencent à parler en faisant des phrases c'est-à-dire, en d'autres termes, sans qu'il y ait façonnement externe de leur discours par un renforcement différentiel. L'accent mis par Skinner sur le contrôle externe du comportement au moyen du renforcement l'a conduit à négliger le rôle important de la structure et des processus internes. Chomsky écrit (1959, p. 57) : «L'enfant qui a appris un langage s'est dans un certain sens construit une grammaire fondée sur ses observations des phrases et des non-phrases... Le jeune enfant a réussi à mener à bien ce qui, du point de vue formel en tout cas, semble être un type remarquable de construction théorique. En outre, ce travail est réalisé en un temps étonnamment court, indépendamment dans une large mesure de l'intelligence et d'une manière comparable, par tous les enfants. Toute théorie de l'apprentissage doit concorder avec ces faits... se refuser à étudier la contribution de l'enfant à l'apprentissage du langage n'aboutit qu'à rendre compte superficiellement de l'acquisition du langage en accordant un rôle considérable et non analysé à un stade appelé 'généralisation', terme qui est en fait une notion fourre-tout.» Comme nous l'avons déjà relevé, Skinner n'appuie pas sa théorie exposée dans Le Comportement verbal sur des faits d'expériences, si ce n'est, par suite d'une analogie assez grossière, avec le conditionnement instrumental chez les pigeons. Dans les années qui suivirent la publication de son ouvrage fondamental, Skinner et ses élèves ne firent guère effort non plus pour fonder le corps de la théorie sur une base empirique. [On trouvera des comptes rendus favorables du conditionnement verbal dans Krasner (1958), Salzinger (1959) et des analyses critiques dans les articles de Spielberger (1962) et Dulany (1962).] Le seul domaine dans lequel les idées de Skinner aient exercé une réelle influence est l'étude des effets sur le conditionnement verbal des «agents de renforcement généralisés». Toute une gamme d'études a montré que l'on pouvait utiliser les procédures du conditionnement instrumental pour modifier le comportement verbal des sujets. Dans une étude caractéristique sur le conditionnement verbal, on demandait au sujet de dire des mots, ou des nombres, ou de construire des phrases en employant un choix donné de mots, ou de s'engager dans quelque autre activité verbale déterminée. Dans certains cas, le sujet pouvait être informé qu'une expérience était en cours, dans d'autres, on l'amenait à penser qu'il subissait une

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interview ou une séance de psychothérapie, ou encore qu'il s'agissait d'une conversation informelle. L'expérimentateur renforçait sélectivement les réponses appartenant à certaines catégories prédéterminées de réponses verbales (par exemple, les noms au pluriel ou les pronoms personnels) en ayant recours à un «renforcement conditionnel généralisé» (en déclarant «bien» ou «mmhmm» ou par un hochement de tête approbatif). Des études de cette sorte révèlent un parallélisme frappant entre le comportement des sujets de l'expérience sur renforcement verbal et le comportement de pigeons sous conditionnement instrumental en laboratoire. Les sujets présentent une augmentation progressive de la fréquence de la réponse renforcée pendant la phase d'acquisition et une diminution progressive pendant la phase d'extinction. Ce conditionnement semble affecter de nombreuses et diverses sortes de réponses, notamment l'expression d'opinions, les pronoms personnels et les noms pluriels. En outre, de nombreux chercheurs ont noté que leurs sujets n'avaient pas conscience qu'il y ait eu conditionnement ni qu'ils aient en rien modifié de façon systématique leur comportement verbal. De telles études semblent venir à l'appui de la thèse skinnérienne du comportement verbal, cependant certains psychologues les ont considérées comme sujettes à caution. Spielberger (1962 ; Spielberger, Levin et Shepard, 1962) et Dulany (1962) ont tous deux critiqué les techniques auxquelles de nombreux chercheurs ont eu recours pour détecter la conscience qu'avaient leurs sujets du lien de dépendance entre le renforcement et le type de réponses renforcées. Les données recueillies par ces critiques laissent penser que lorsqu'on emploie une technique plus élaborée, presque tous les sujets dont le comportement est renforcé ont au moins quelque conscience du lien contingent réponse/renforcement. Dulany, quant à lui, objecte qu'il ne s'agit pas d'un renforcement automatique et inconscient des connexions stimulus-réponse mais qu'en réalité les sujets s'efforcent délibérément de formuler des hypothèses sur la réponse «correcte» qui guident ensuite leur comportement. Bandura, critiquant ces études sur le conditionnement verbal, a dit que si l'expérimentateur se contente de prier poliment le sujet d'énoncer des pronoms personnels, on peut prévoir sans risque que le sujet répondra immédiatement avec le comportement demandé. Ceci, sans qu'il soit nécessaire de s'engager dans le fastidieux processus de conditionnement verbal qui rend plus difficile, pour le

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sujet, la compréhension des désirs de l'expérimentateur. Ce commentaire de Bandura implique qu'il peut n'être pas nécessaire de recourir au renforcement pour amener un sujet à augmenter la fréquence d'un certain type de réponse. De même, cela s'entend, les procédures de conditionnement opérant peuvent ne pas être particulièrement efficaces ou économiques pour influencer le comportement humain. Un certain nombre d'autres études d'un autre genre viennent ajouter aux difficultés que rencontrent les défenseurs de la notion de conditionnement verbal. Ces travaux montrent que le fait qu'un sujet émette ou non la réponse désirée, dépend dans une large mesure des caractéristiques de la personne qui dispense le renforcement. Sapolsky ( i 9 6 0 ) rapporte que des sujets, auxquels on disait qu'il y avait «compatibilité» entre eux et l'expérimentateur, étaient rapidement «conditionnés» pendant la phase d'acquisition et qu'il en allait différemment de ceux auxquels on parlait d' «incompatibilité» entre eux et l'expérimentateur ; mais au cours de la phase d'extinction, pendant laquelle l'expérimentateur «compatible» ou «incompatible» quittait la pièce, les courbes de réponses des deux groupes convergeaient. Les sujets «compatibles» émettaient moins de réponses renforcées tandis que les sujets «incompatibles» en émettaient plus que dans la phase d'acquisition. En clair, les sujets de Sapolsky avaient appris, dans l'une et dans l'autre condition, quelle était la réponse «correcte». L'émission cependant de la réponse correcte était déterminée, non par le simple conditionnement, mais par la nature de la relation des sujets à l'expérimentateur. Il ne s'agit pas là d'un résultat isolé. Bien d'autres études montrent que c'est l'attitude du sujet à l'égard de l'agent de renforcement qui détermine s'il manifestera ou non une modification de son comportement verbal.

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Homans, psychosociologue raffiné et averti, se considère professionnellement, quant à lui, comme un sociologue. Ni la subtilité de sa peinture des valeurs et sentiments humains, ni son étiquette professionnelle, ne laissaient penser qu'il trouverait dans la psychologie skinnérienne un ensemble de principes explicatifs, adapté à ses propres vues sur le comportement social élémentaire. Homans explique l'attirance qu'a exercée sur lui l'orientation de Skinner par le besoin qu'il éprouvait de trouver quelques propositions d'assez haut niveau pour

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pouvoir en faire découler les résultats empiriques, fruits de ses recherches dans les trois domaines auxquels il s'est intéressé : les petits groupes, l'anthropologie sociale et l'histoire. Pour exprimer son point de vue, selon lequel «les principes explicatifs en anthropologie, en sociologie et en histoire [sont] en dernière analyse... psychologiques», Homans emploie le terme bien rébarbatif de «réductionnisme psychologique ultimes- (Homans, 1962, p. 61). Le fait qu'Homans ait choisi le système skinnérien plutôt que quelque autre orientation psychologique tient probablement à une circonstance toute contingente, à savoir qu'Homans et Skinner se connaissaient bien, ayant tous deux été membres de la Harvard Society of Fellows. En tout cas, Homans, avant de faire sien le système de Skinner l'a, semble-t-il, malaxé au point qu'il soit devenu presque méconnaissable. Homans s'intéresse au comportement social élémentaire, ce contact face à face entre des individus, où la récompense ou la punition qui vient du comportement des autres, est dans une certaine mesure immédiate et directe. De son point de vue, le terrain le plus adéquat pour l'étude de ce type de comportement est le petit groupe et, de ce fait, les données qu'il amasse viennent principalement de l'observation et de l'étude expérimentale des petits groupes. Dans Le Groupe humain (Homans, 1950) il s'appuie sur cinq études sur le terrain approfondies de groupes humains pour déterminer en quelles classes fondamentales pourraient être réparties les observations et quelles propositions pourraient être tirées sur les relations existant entre les classes de variables. Il recourt à quatre concepts principaux : l'«activité», qui est une sorte de comportement, le «sentiment», une activité qui est le signe d'attitudes et d'émotions, l'«interaction» qui se produit lorsqu'une activité d'une personne est pénalisée ou récompensée par l'activité d'une autre personne, et enfin la «norme» qui est la fixation par les membres d'un groupe de la façon dont les membres doivent se comporter en telle ou telle circonstance. Homans fait en outre une distinction entre le «système externe» («Le comportement d'un groupe en ce que ce comportement représente une des réponses possibles à la question : Comment le groupe survit-il dans l'environnement particulier qui est le sien ?» ; Homans, 1950, p. 109) et le «système interne» «l'élaboration du comportement de groupe qui, simultanément, naît du système externe et réagit sur celui-ci». A l'aide de ces concepts, Homans élabore un certain nombre de généralisations à partir des études sur le terrain rapportées dans Le Groupe humain. Voici quelques-unes de ces généralisations : s

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«Plus fréquemment des personnes sont en interaction l'une avec l'autre, plus forts pourront être leurs sentiments réciproques d'amitié» (p. 133). «Des personnes qui se trouvent fréquemment en interaction sont plus semblables l'une à l'autre dans leurs activités qu'elles ne sont semblables à d'autres personnes avec qui elles sont moins fréquemment en interaction» (p. 135). «Plus élevé est au sein d'un groupe le rang d'une personne, plus proches sont les activités de cette personne des normes du groupe» (p. 141). «Plus élevé est le rang social d'une personne, plus étendue est la gamme des interactions de cette personne» (p. 145). «Une personne de rang social plus élevé qu'une autre personne est à l'origine de l'interaction avec la seconde plus souvent que l'inverse» (p. 145). «Une personne qui est à l'origine de l'interaction avec une autre dans le système externe tendra à l'être également dans le système interne» (p. 146). «Les sentiments des leaders du groupe ont plus de poids dans l'établissement d'une hiérarchie sociale que ceux des autres membres» (p. 181). «Plus un individu ou un sous-groupe parviendra à intégrer dans toutes ses activités les normes du groupe dans son ensemble, plus élevée sera la position de cet individu ou de ce sous-groupe» (pp. 180-181). «Plus élevée est la position sociale d'un homme, plus élevé le nombre des personnes pour lesquelles il est directement ou par intermédiaires, l'origine de l'interaction» (p. 182). «Plus élevé est le rang social d'un homme, plus élevé est le nombre des personnes qui amorcent une interaction avec lui, soit directement soit par intermédiaires» (p. 182). «Une personne qui amorce une interaction avec un autre individu de position plus élevée, aura tendance à agir de même avec le membre de son groupe qui lui est le plus proche par le rang» (p. 184). «Plus souvent des personnes se trouvent en interaction les unes avec les autres, et si aucune d'entre, elles n'est plus fréquemment que les autres l'origine de cette interaction, plus grande sera leur affection réciproque et leur bien-être en présence les unes des autres» (p. 243). Devant ces généralisations empiriques et d'autres issues de son ouvrage

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Le Groupe humain, ainsi que des études expérimentales sur les petits groupes, Homans était à la recherche d'un corps de principes explicatifs qu'il trouva dans la psychologie du comportement et la science économique élémentaire. Il écrit (1961, p. 13) : «En bref, la psychologie du comportement et l'économie élémentaire envisagent le comportement humain comme une fonction de rentabilité ( p a y o f f ) , en qualité et en quantité il dépend de la qualité et quantité de gratification ou de pénalisation qu'il procure... C'est pourquoi le corps de propositions générales que j'emploierai envisage le comportement social comme un échange d'activité, tangible ou intangible, plus ou moins gratifiant ou coûteux, entre au moins deux personnes.» Homans (1961) énonce cinq propositions fondamentales par lesquelles peuvent, selon lui, s'expliquer les découvertes empiriques de la recherche en psychologie sociale. Ces propositions sont les suivantes : I o ) «Si dans le passé d'un individu, une situation-stimulus donnée a été l'occasion pour cet individu de voir son activité récompensée, plus une situation-stimulus ressemblera par la suite à cette situation première, plus il y a de chances que l'individu réitère l'activité passée ou une autre analogue» (p. 53). 2°) «Plus souvent, dans une période donnée, l'activité d'une personne aura récompensé l'activité d'une autre personne, plus souvent cette dernière s'engagera dans cette activité» (p. 54). 3°) «Plus une unité d'activité qu'un autre lui donne aura de valeur pour un individu, plus il renouvellera l'activité qui est récompensée par l'activité de l'autre» (p. 55). (Ici, la «valeur» a trait au degré de renforcement reçu d'une unité de l'activité de l'autre. Le «coût» se réfère à la valeur qui peut s'obtenir au moyen d'une activité autre, à laquelle on renonce au moment de l'activité présente. Le profit est égal à la récompense moins le coût.) 4°) «Plus souvent un individu a dans le passé reçu d'un autre une activité gratifiante, moins valable devient pour lui toute nouvelle unité de cette activité» (p. 55). 5°) «Plus la non-application de la règle de la justice distributive sera dommageable pour un individu, plus il y a de chances qu'il manifeste le comportement émotionnel que l'on appelle 'la colère'»

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(p. 75). (La règle de la «justice distributivo est énoncée ainsi :«Un homme, en relation d'échange avec un autre, s'attendra à ce que les récompenses de chacun soient proportionnelles aux coûts — plus grandes les récompenses, plus grands les coûts — et à ce que les récompenses nettes ou profits de chacun soient proportionnels à ses investissements — plus grands les investissements, plus grands les profits.») Les quatre premières propositions de Homans sont des tentatives de restituer, en langage quotidien, le point de vue skinnérien sur les effets corollés qu'auront la privation ou la satiété, la fréquence et la qualité du renforcement sur le taux et la fréquence d'un comportement donné. Il est aisé de faire la critique de ces propositions. Certains de leurs mots clés ne sont définis, ni conceptuellement ni opérationnellement, par exemple «unité d'activité», «valeur», «récompense». Par ailleurs, de nombreux cas infirment clairement ces propositions ; la seconde par exemple, lie la fréquence d'un comportement à la fréquence de la récompense. Or la psychologie doit précisément à Skinner d'avoir démontré la meilleure efficacité d'un renforcement intermittent par rapport à un renforcement continu pour freiner l'extinction d'une réponse. En dépit des critiques qui peuvent leur être opposées, les propositions de Homans servent à expliquer divers aspects du comportement social. On se fera une idée de son analyse du comportement social comme échange d'activités porteuses de valeur en considérant la part contingente de bénéfice et de coût que comporte une relation entre deux personnes A et B. S'agissant de n'importe quel acte, il est pertinent de s'interroger sur son coût pour le producteur et sur sa valeur de récompense pour le consommateur. Ainsi si A demande l'aide de B cela coûte quelque chose à A (d'admettre son incapacité ou son infériorité) et rapporte quelque chose à B (la reconnaissance de sa supériorité). Si B fournit son aide à A, cela lui coûte quelque chose (en outre, il remet à plus tard pour aider A quelque autre activité) et rapporte à A (qui est aidé). A partir des propositions de base, on peut conclure avec quelque raison que l'échange ne se poursuivra pas si l'une ou l'autre des parties ne tire profit de l'interaction. (Homans ne suppose pas que le profit, individuel ou global, doit être maximisé.) Sa proposition touchant à la justice distributive (ou à l'échange équitable) veut en outre que les profits soient égaux si les investissements ou les statuts sociaux sont égaux. Si les investissements ou les statuts sociaux (âge, sexe, ancienneté, technicité) sont

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différents, les profits de chaque partie seront proportionnels aux statuts. On suppose ainsi qu'un patron tirera un plus grand profit d'une interaction avec son subordonné que ce dernier. Ainsi, l'aptitude et la bonne volonté à rendre des services à autrui qui en éprouve le besoin (fournir des activités porteuses de valeur) appellera en retour la haute estime d'autrui, ce qui maintient en situation d'échange équitable. «Pour une haute valeur reçue, une haute estime sera rendue.» Homans écrit (1961, p. 264) : «Pratiquement la justice distributive est effective lorsque les différents éléments d'investissement et d'activité d'une personne, mis en ordre hiérarchisé par comparaison avec ceux d'autres personnes, trouvent la même place dans tous les ordres hiérarchisés. La condition que nous appelons la congruence de statuts est non seulement la condition pour qu'il y ait justice distributive mais aussi pour qu'il y ait certitude sociale : quand cette condition est remplie, le statut d'un individu est sûr, établi, sans ambiguïté aux yeux de ses compagnons... La congruence facilite l'aisance sociale dans l'interaction entre les hommes... et est de nature à encourager leur efficacité conjointe.» Pour Homans, l'incongruence de statut produit des stimuli conflictuels. Par exemple, un père qui se comporte avec son fils comme un copain va semer la confusion dans l'esprit de ce dernier et va sans doute faire en sorte que certaines des réponses du fils au père soient inappropriées. Ces réponses inappropriées gêneront ou frustreront à leur tour le père. L'incongruence de statuts est ainsi génératrice de frictions sociales. Homans applique ses propositions de base à divers phénomènes sociaux et propose toute une gamme d'activités qui peuvent être de l'ordre de la récompense : l'approbation, l'accord, le changement d'opinion pour se conformer à celle d'une autre personne, l'estime, la ressemblance, l'aide, la congruence de statut, et la cohésion. Il considère ainsi que les résultats des recherches de Festinger et de ses collaborateurs sur l'influence sociale viennent à l'appui de son point de vue qui assimile le comportement social à un échange. Lorsque Festinger dit que les groupes à plus forte cohésion peuvent exercer une plus grande influence sur des membres déviants afin qu'ils changent leur opinion, Homans transposa ainsi : «Plus grande est la valeur des activités dont ils bénéficient, plus grande sera la valeur des activités qu'ils dispensent.» Ce qui veut dire que le déviant, pour continuer à bénéficier des sentiments et activités de valeur qui tiennent à la cohésion du groupe, doit en retour accorder cette activité grati-

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ficante qu'est sa conformité. D'autre part, si le déviant n'apporte pas aux autres ce renforcement en changeant son opinion afin de se trouver en accord avec eux, alors les autres rompront la communication avec lui et lui refuseront l'approbation sociale. De la proposition selon laquelle plus une personne est récompensée pour une activité, plus elle exerce cette activité, Homans tire un certain nombre de conséquences sur l'interaction sociale. Si l'on admet que plus deux personnes s'aiment l'une l'autre, plus sûrement elles se récompenseront de leurs actes par leur approbation mutuelle, il s'ensuit, souligne Homans, que plus deux personnes s'aiment, plus elles sont en interaction. Pareillement si recevoir l'approbation pour un acte conduit à donner aussi l'approbation, il s'ensuit que plus deux personnes se trouvent en interaction, plus elles s'aiment. Homans développe ses hypothèses sur l'interaction en partant de l'idée que les hommes n'ont pas une égale aptitude à gratifier les autres. Un homme qui contrôle des ressources rares (aptitude, expérience, richesse) a la possibilité d'accorder des récompenses de valeur et il obtiendra ainsi une haute estime. En conséquence, il est presque certain de recevoir plus d'interactions dirigées vers lui qu'un homme moins hautement estimé. Comme par définition les services rares et de grande valeur sont contrôlés par un petit nombre d'individus, seul un petit nombre peut jouir d'une haute estime. Les requêtes, l'estime, l'obéissance et la loyauté sont dirigées par le plus grand nombre vers le petit nombre tandis que les conseils, les services appréciables, les ordres et le soutien émotionnel vont du petit nombre vers le plus grand nombre. Les coûts que comporte donner et recevoir des ordres, des conseils, etc. sont tels qu'ils introduisent dans les relations entre les leaders et les autres une ambivalence qui pousse à éviter l'interaction dans la sphère sociale avec des personnes qui, dans la sphère publique de la vie sociale (là où 1' «estime est gagnée et perdue»), n'ont pas le même statut. Cette brève présentation des idées centrales de l'œuvre de Homans ne rend que fort mal la finesse et la pénétration de sa pensée. Car, tout au long de l'exposé de ses généralisations systématiques, Homans éclaire de commentaires perspicaces, subtils et nuancés les arcanes de la vie sociale. Ajoutons que sa prose élégante et agréable voile les aspérités et l'aridité de ses formulations théoriques. Cependant si nous considérons en elles-mêmes les positions théoriques, il est évident qu'elles présentent un certain nombre de failles. Selon Homans lui-même, sa théorie met en jeu deux variables prin-

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cipales : la valeur d'une unité d'activité et le nombre de ces unités reçues dans un laps de temps donné. Sa théorie veut qu'il existe un cours, un axe sur lequel puisse être coordonnée la valeur d'expériences différentes («avoir une bonne note à un examen», «recevoir un baiser de son flirt», «écouter un quatuor de Beethoven», «se faire servir une bière bien fraîche») de telle façon que la valeur de 1' «unité» d'une activité donnée puisse être comparée à la «valeur» d'une autre unité. S'il existe un tel «cours de la valeur», il n'a pas encore été identifié, pas plus que n'a été trouvée la méthode de découpage des activités en unités (l'unité est-elle le baiser ou le rendez-vous ? Le mouvement ou la symphonie ?). Homans ne peut dire, sans cercle vicieux, que la valeur est mesurée par la fréquence des actes commis après qu'un acte ait été renforcé en rapportant à une personne donnée une valeur donnée. Homans ne peut adopter cette position parce qu'il souligne qu'il n'a pas essayé de répondre à la question de savoir comment sont acquises les valeurs ou, en d'autres termes, de savoir qu'est-ce qui (en dehors de la privation ou de la satiété immédiates) détermine la valeur d'un acte. Ce qui revient à dire que, manquant d'une définition aussi bien empirique que conceptuelle du renforcement, Homans se trouve conduit à définir la valeur comme étant ce qui est valorisé, retrouvant la tautologie skinnérienne qui définit un agent de renforcement comme ce qui renforce. A défaut de définir avec précision ses termes fondamentaux, Homans les emploie dans leurs significations du langage usuel, significations qu'il triture pour qu'elles s'appliquent à la recherche qu'il rapporte. Il prête ainsi une qualité ad hoc aux résultats qu'il emploie comme matériel de démonstration de ses propositions fondamentales et de leurs corollaires. Que ce cours, d'après lequel mesurer la valeur n'ait pas été spécifié, pose de sérieux problèmes à l'emploi de notions telles que le «profit» (ce qui est reçu moins le coût), le «taux d'échange» ou «la justice distributive». Ces notions supposent que l'on puisse comparer, additionner, soustraire et diviser la valeur. Le principe selon lequel on peut additionner directement les valeurs est commun à de nombreuses théories économiques. Mais la tendance de semblables théories est d'ignorer des processus psychologiques comme le conflit intérieur et l'ambivalence. Par exemple, si l'on ajoute une valeur négative, un coût (un choc électrique) et une valeur positive, une récompense (de la nourriture) le résultat n'est pas seulement la plus petite valeur positive que donne la formule Profit = Récompense

128

Les théoriciens

du

renforcement

— Coût ; en réalité le sujet vit un conflit et présente des symptômes de trouble. II faut bien dire que le flou, l'absence de définitions conceptuelles et empiriques adéquates, les lacunes et les défauts de cohérence que l'on peut reprocher à la théorie de Homans ne sont pas plus caractéristiques de sa théorie que de la plupart des autres théories de psychologie sociale. Plus que les autres théoriciens, en revanche, Homans a largement ouvert son système théorique de façon à comprendre un large éventail de phénomènes psychosociaux et si les mailles des filets qu'il leur tend sont peu lâches, il n'en parvient pas moins à cerner sinon à maîtriser la plupart des résultats obtenus jusqu'ici en psychologie sociale. Disons également que, contrairement à la plupart des autres théories, la sienne est centrée sur une image bien spécifique : celle d'une transaction commerciale impliquant l'échange de biens. Comme toutes les analogies, quand elles ne sont pas trop tirées par les cheveux, celle-ci a porté des fruits. Elle a par exemple introduit le concept de «justice distributive». En élaborant ce concept et en le reliant à d'autres phénomènes reconnus, comme la congruence de statut, Homans a découvert une des conditions primordiales de l'équilibre d'un groupe. Si le concept de justice distributive doit avoir un autre avenir que celui d'une métaphore suggestive, les concepts annexes de «profit», d' «investissement», de «récompense» et de «coût» demandent, eux, à être mieux définis tant sur le plan conceptuel que sur le plan empirique. Le lien unissant la théorie de Homans et la psychologie behavioriste est bien ténu. Si les skinnériens insistent bien sur le rôle du renforcement pour le contrôle du comportement, ils seraient horrifiés de la façon dont Homans emploie à sa guise des termes tels que «récompense», «coût», «attente» et «justice». Dans sa recherche en psychologie sociale, Homans non seulement abandonne la méthodologie du behaviorisme, mais il laisse également en chemin sa rhétorique. De plus il néglige ce qui a été l'apport essentiel des skinnériens, à savoir leur étude fouillée des effets des diverses éventualités de renforcement, par exemple des différentes programmations du renforcement. Le seul trait d'union entre Homans et la psychologie behavioriste reste l'hédonisme psychologique qui sous-tend à la fois la loi de l'effet et la doctrine de l'homme économique.

John

W. Thibaut

et Harold H.

Kelley

129

JOHN W. THIBAUT ET HAROLD H. KELLEY

Thibaut et Kelley, qui furent tous deux élèves de Kurt Lewin, présentent dans leur ouvrage Psychologie sociale des groupes (1959) une version modifiée de la doctrine de l'homme économique. Comme Homans, ils rendent compte de l'interaction sociale à partir de ses «résultats» ou «produits» (outcomes), à savoir les récompenses reçues et les coûts encourus par chaque participant d'une interaction (Homans utilisait les termes de «rentabilité» et de «profit» plutôt que celui de «résultat»). Ces auteurs soutiennent, comme Homans, qu'un comportement social a peu de chances d'être répété tant que les gains ne sont pas supérieurs aux coûts. Toutefois, selon Thibaut et Kelley, la valeur qu'une personne accorde à un produit donné n'est pas déterminée par sa grandeur absolue mais plutôt par référence à deux critères de comparaison. Le premier de ces critères appelé le «niveau de comparaison» (CL : comparison level) est défini (voir Thibaut et Kelley, 1959, p. 81) comme une valeur modale ou moyenne de tous les produits (d'une situation sociale donnée) qui sont connus de la personne (soit par expérience directe soit par personnes interposées), chaque produit étant sa saillance (ou le degré auquel il se manifeste à un moment donné). A l'aide de ce concept, Thibaut et Kelley s'efforcent de définir un point neutre sur une échelle de satisfaction. Plus un produit est situé au-dessus du CL, plus il est satisfaisant, plus il est au-dessous du CL moins il est satisfaisant. Ce concept de niveau de comparaison est calqué sur le premier concept psychosociologique de «niveau d'adaptation» chez Helson (Helson, 1948) qui a depuis donné naissance à une théorie très élaborée (Helson, 1964). L'idée essentielle, sous-jacente au concept de Helson comme à celui de niveau de comparaison, est que ce qu'éprouve une personne lorsqu'elle est soumise à un stimulus donné est déterminé par ce à quoi elle s'est jusque-là adaptée. Après avoir conduit à quatre-vingt-dix kilomètres à l'heure, rouler à soixante à l'heure semble une vitesse très faible ; après s'être englué dans un embouteillage, cela semble une vitesse appréciable. Thibaut et Kelley pensent que l'expérience courante joue un rôle important dans la fixation du niveau de comparaison ; si l'on vient juste de fumer un cigare de première qualité, un cigare bon marché, qu'on aurait en d'autres moments apprécié, devient déplaisant ; de même après avoir

130

Les théoriciens

du

renforcement

encouru les foudres d'un professeur, un éloge tiède de sa part qui aurait pu paraître écrasant, devient quelque chose d'enviable. Le second critère au moyen duquel évaluer les résultats d'une interaction est le «niveau de comparaison des possibilités» (comparison level for alternatives) ; ce critère permet de décider de demeurer ou non dans une relation sociale donnée. C'est le résultat minimum qu'une personne accepte en se référant aux meilleures alternatives qui s'offrent à elle. A partir de cette notion, qui s'apparente à celle de «niveau d'aspiration», Thibaut et Kelley cherchent à déterminer un point neutre sur une échelle d'acceptation/rejet. On peut supposer qu'une personne ne demeurera pas dans un emploi satisfaisant si elle peut en avoir un autre plus agréable et de même qu'elle ne quittera pas un emploi insatisfaisant si les alternatives offertes sont encore pires. Thibaut et Kelley se servent de matrices (voir tableau 4-1) pour décrire l'interaction sociale et les résultats de satisfaction et d'insatisfaction pour chaque participant lorsque les possibilités d'action de chacun sont connues. Le tableau 4-1 est une matrice de ce genre décrivant l'interaction sociale de deux personnes A et B. Horizontalement, sont portées les actes possibles de A et, verticalement, ceux de B. Les cases du tableau fournissent une information supplémentaire indiquant la quantité de satisfaction ou d'insatisfaction que connaîtront A et B si les conditions correspondant à cette case (acte de A et acte de B) sont remplies. Tableau 4-1. Matrice d'interactions montrant les résultats pour le vendeur A qui-peut-fixer-le-prix et pour l'acheteur B qui-fixe-la-quantité-de-marchandises-achetée. Prix de vente au mètre en dollar

B Quantité à acheter

10 m 15 m N'achète A 1 $ A = + 1 , B = + 1 A = + 3 , B = + 4 A = — 2, B A = + 4, B = — 2 A = — 2, B 1,25 $ A = + 2,B = 0 Ne vend A = — 2, B = — 1 A = — 2, B = — 1 A = — 2, B pas

rien = —1 = —1 = —1

Dans l'exemple du tableau, A, vendeur, est susceptible d'adopter trois conduites, et B, susceptible aussi d'adopter trois conduites qui pourront s'associer à l'un des trois choix qui s'offrent à A. Les cases

John W. Thibaut et Harold H. Kelley

131

montrent les résultats correspondants, coûts et gains combinés, en termes de satisfaction et d'insatisfaction pour chaque combinaison de conduite de ces deux personnes. Si A décide de vendre son tissu à 1 dollar le mètre et si B achète à ce prix 15 m, la matrice indique que A estime, en ce qui le concerne, le résultat à — — j 3 unités de satisfaction sur son échelle de satisfaction/insatisfaction tandis que sur son échelle, l'acheteur B évaluera le résultat à + 4 unités. Thibaut et Kelley indiquent que les résultats représentés dans leurs matrices sont, selon leurs propres termes, «les résultats objectivement disponibles» que les acteurs obtiendraient en se conduisant d'une manière donnée ; ce qui veut dire que les résultats figurant dans la matrice ne correspondent pas nécessairement à ce qu'espérait ou anticipait avant l'interaction effective chaque participant II est possible qu'une personne ne sache guère à quoi s'attendre ou se fasse une idée fausse de ce que peut lui procurer une rencontre sociale. Ainsi le vendeur du tableau peut n'être pas conscient avant de faire son choix que choisir de ne pas vendre lui laissera un sentiment d'insatisfaction. Thibaut et Kelley n'indiquent pas clairement s'ils ont envisagé ou non que les résultats immédiats et les résultats différés d'une interaction sociale puissent être différents les premiers des seconds et que l'évaluation faite d'un résultat donné puisse varier dans le temps. En d'autres termes, non seulement le résultat attendu et le résultat obtenu dans une rencontre sociale peuvent différer, mais l'évaluation qui est faite peut varier après son obtention, à différentes reprises. Vraisemblablement, seule l'expérience répétée d'une relation sociale donnée ou de relations analogues rend un individu capable de prévoir avec précision les conséquences qu'aura pour lui tel de ses comportements. Les résultats obtenus au cours des premiers stades d'une interaction peuvent cependant n'être pas une juste préfiguration des résultats possibles d'une relation dyadique ; ils peuvent néanmoins déterminer si la relation se poursuivra ou limiter l'interaction à certaines activités. Un homme et une femme peuvent se juger mutuellement déplaisants et indésirables s'ils se rencontrent comme des étrangers dans une assemblée vaste et impersonnelle et se trouver l'un à l'autre de l'esprit et du charme en se voyant dans un contexte social différent. Thibaut et Kelley étudient de façon assez détaillée la nature des facteurs qui influent sur la formation des premières impressions (qu'ils présentent comme le «processus d'exploration de la matrice des résultats possibles») et ils considèrent le cours du développement des

132

Les théoriciens du renforcement

relations comme une fonction des résultats effectivement obtenus par les participants. La représentation de l'interaction sociale au moyen d'une matrice, qui tire son origine d'une théorie mathématique des jeux (Luce et Raiffa, 1957 ; Shubik, 1964), s'est révélée un instrument fécond pour la description abstraite des différents types d'interdépendances sociales et elle a stimulé la recherche. Les matrices 2a, 2b, 2c, 2d en illustrent différents types. Le lecteur peut se représenter une image des expériences qui ont utilisé des matrices (Deutsch, 1958 ; Deutsch, 1962, Rapoport et Orwant, 1962) en imaginant deux joueurs A et B dont chacun doit choisir de pousser un bouton rouge ou noir. Le gain de chaque joueur est fixé par le choix des deux joueurs et par la matrice qui indique qu'elles sont les valeurs-résultats en jeu. Les résultats dans les expériences sont donnés en points ou en argent plutôt qu'en unités sur une échelle de satisfaction/insatisfaction. En général on donne aux joueurs une description complète de la matrice avant de les prier de faire leur choix. On leur demande d'effectuer leur choix simultanément et souvent sans avoir eu l'occasion de communiquer entre eux (bien que certains chercheurs aient étudié l'effet de la communication entre les sujets sur leur comportement). Le jeu comporte souvent plusieurs essais, leurs résultats étant communiqués aux joueurs après chaque essai. Parfois un des joueurs peut n'être pas une personne seule mais une équipe de deux personnes ou plus qui doivent se mettre d'accord avant de choisir. Thibaut et Kelley ont utilisé les matrices, aussi bien dans leur analyse théorique, qu'expérimentalement pour conduire une investigation sur les différents types d'interdépendance et principalement sur les types de contrôle qu'une personne peut exercer sur les résultats de son partenaire : le «contrôle par le sort» et «le contrôle par le comportement». A exerce un «contrôle par le sort» sur B si, en modifiant son propre comportement et sans affecter ses propres résultats directement, il affecte les résultats de B quoi que ce dernier fasse. A exerce sur B un «contrôle par le comportement» si, en modifiant son comportement, il peut rendre souhaitable pour B de modifier également le sien. Dans une situation de contrôle par le comportement, les résultats de B varient non seulement en fonction du choix de A (contrôle par le sort) ou en fonction des siens propres, mais plutôt en fonction des choix cumulés des deux personnes. Le tableau 4-2a montre une situation dans laquelle A exerce un «contrôle par le sort» sur B tandis que B n'a pas de contrôle sur A.

John W. Thibaut et Harold H. Kelley

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B est complètement à la merci de A. Que B choisisse rouge ou noir ne changera rien à ses résultats. Pour B, tout dépend du choix rouge ou noir que fera A. Le tableau 4-2b montre une situation de contrôle par le sort mutuel : si A choisit noir, B est bénéficiaire quoi qu'il fasse et si B choisit noir A est bénéficiaire quoi qu'il fasse. Les tableaux 4-2c et 4-2d montrent des situations de contrôle mutuel par le comportement. Dans ces deux matrices, sur lesquelles nous reviendrons, il est évident que pour prédire quel sera le résultat de B, il est nécessaire mais non suffisant de connaître le choix de A, il faut aussi connaître le choix de B. De même, pour fixer quel est le résultat de A, il est nécessaire de connaître les décisions de A et de B. Par exemple dans la matrice c du tableau 4-2, en choisissant noir, A peut faire qu'il soit plus avantageux pour B de choisir lui aussi noir. Il faut noter cependant que dans ce cas B peut percevoir l'action de A comme une invite à une lutte d'influence. Thibaut et Kelley supposent qu'une personne dans une situation qui ne lui donne aucun contrôle direct sur ses propres résultats, usera de son aptitude à contrôler les résultats de son partenaire de manière à influer indirectement sur ses propres gains. Ainsi dans la situation décrite en b dans le tableau 4-2, A peut persuader B de choisir noir en choisissant noir si B choisit noir et rouge si B choisit rouge. D'une manière plus générale, les auteurs supposent que, même lorsque les partenaires ne savent pas quelles conséquences ont pour l'un et pour l'autre leurs comportements, la stratégie qui conduira le plus vraisemblablement à une interaction stable et mutuellement bénéfique est une stratégie dans laquelle chaque partenaire modifie son comportement après avoir reçu une punition (un résultat qui n'est pas celui qu'on espérait) et maintient son comportement lorsque celui-ci lui a valu le résultat préféré. Selon cette matrice si chacun des joueurs adopte une telle stratégie, si A a choisi rouge et B a choisi noir, B ne sera pas satisfait de son résultat et optera ensuite pour le rouge tandis que A maintiendra son choix pour le rouge. Cette combinaison «rouge-rouge» procurera aux deux partenaires leurs résultats les moins appréciés, ce qui les amènera à choisir noir au prochain essai et à bénéficier l'un et l'autre de leurs résultats préférés et enfin entraînera la répétition des mêmes choix bénéfiques. Bien que les auteurs ne donnent aucune indication spécifique sur les types de situation présentés dans les matrices c et d dans le tableau 4-2, il est évident que la stratégie décrite au paragraphe pré-

Les théoriciens

134

Tableau

4-2. Différents

types d'interdépendance

du

renforcement

sociale

(a) Contrôle par le sort B

noir noir

A = + 5, B = + 5

rouge A =

rouge A = + 5, B = + 1

+ 5, B =

A = + 5, B =

+ 5 +

l

(b) Contrôle mutuel par le sort B

noir

rouge

noir

A = + 5, B = + 5

A = + 1, B = + 5

rouge

A = + 5, B = + 1

A = + 1, B = + 1

(0 Négociation noir

A

noir

A = + 4 , B = + 2

rouge

A = — 1, B = — 1

B

rouge A = — 1, B = — 1 A = + 2 , B = + 4

(d) Confiance et suspicion B rouge noir

A = + 1, B = + 1

A = — 2, B = + 2

rouge

A—+2, B = — 2

A = — 1, B = — 1

John W. Thibaut et Harold H. Kelley

135

cèdent ne produira de patron d'interactions mutuellement bénéfique que si l'un des joueurs, ou tous les deux, accepte de se contenter de résultats moindres que les résultats les plus convoités. La situation prévue dans la matrice c est dite de négociation parce que, coinme c'est le plus souvent le cas dans de telles situations, les partenaires s'en trouveront mieux s'ils peuvent se mettre d'accord (dans ce cas, s'ils se mettent d'accord pour choisir la même couleur), mais où l'accord est difficile parce qu'ils ont des avis opposés sur le contenu de l'accord. A préférerait que tous deux choisissent noir et B que tous deux choisissent rouge. A titre d'illustration de la matrice c, imaginons des époux qui voudraient tous deux sortir ensemble pour la soirée ; le mari voudrait qu'ils aillent au cinéma, la femme à un concert. Dans une telle situation, toute insistance à «faire à ma façon ou ne rien faire du tout» conduira à une impasse car elle pourrait transformer la signification de l'alternative ; il ne s'agirait plus tellement d'aller au cinéma ou au concert mais de savoir des deux «volontés» quelle est la plus forte (voir sur ce point des compte rendus de recherches dans Kelley, 1964a; Kelly 1964b; Kelly, Thibaut, Radloff et Mundy, 1962; Thibaut et Faucheux, 1965). La situation relative à la matrice est particulièrement intéressante en ce qu'elle soulève un problème pour les tenants de la doctrine de l'homme économique. Un examen de cette matrice révèle que, en choisissant le rouge, chaque joueur peut gagner le maximum (-)- 2 au lieu de -f- 1) ou perdre le moins qu'il puisse perdre ( — 1 plutôt que — 2) ; cependant si chaque joueur choisit rouge, les deux joueurs perdront. Ce qui signifie qu'une stratégie qui met l'accent sur le bénéfice mutuel (le choix du noir), si elle est suivie par les deux partenaires, peut conduire à un plus grand bénéfice individuel qu'une stratégie de recherche du gain individuel. Mais si les participants ne peuvent se faire confiance et se comporter de façon loyale l'un envers l'autre, il peut devenir difficile d'éviter que le rouge soit choisi (à moins que la vertu ne soit à elle-même sa récompense). C'est du moins ce que laissent penser bon nombre de recherches. On appelle quelquefois le dilemme posé par la matrice «le dilemme du prisonnier». A. W. Tucker, le théoricien du jeu mathématique qui mit au point cette matrice, l'illustrait par l'exemple de deux prisonniers soupçonnés d'avoir commis un crime. Le District Attorney les met dans deux cellules séparées, leur dit que chacun aura le choix entre «avouer» ou «ne pas avouer». On les informe que :

136

Les théoriciens

du

renforcement

1°) si tous deux choisissent de ne pas avouer, ils seront tous deux relâchés ; 2°) si tous deux choisissent d'avouer, ils seront l'un et l'autre condamnés à des peines légères ; 3°) si l'un choisit d'avouer et l'autre non, celui qui aura passé des aveux sera relâché et récompensé, et l'autre sera frappé d'une lourde peine. Si dans la matrice 2d, on équivaut «avouer» à rouge et «ne pas avouer» à noir, elle illustre ce dilemme. Il est clair que dans une telle situation, l'idée que chacun se fait de l'intention de l'autre et aussi ce que chacun imagine être l'image que l'autre a de lui, peut influer sur le choix effectué entre avouer et nier. Bien que leur ouvrage contienne de nombreuses pages très pertinentes sur les processus et les déterminants de l'interaction sociale, la position théorique des auteurs de La Psychologie sociale des groupes soulève bon nombre de problèmes auxquels se heurtait déjà la formulation de Homans. Le concept central de Thibaut et Kelley — la matrice des résultats objectivement disponibles — est tautologique, car les auteurs ne donnent aucun moyen de faire le constat de ces «résultats objectivement disponibles». Lorsqu'ils suggèrent que la matrice des résultats permet de mieux en mieux de prédire les comportements à mesure que les relations se stabilisent (donc à mesure qu'est répété le comportement), ils laissent entendre sans le vouloir, que l'on peut prédire le comportement directement à partir de la connaissance du comportement passé sans se référer à la matrice. Leur analyse théorique de l'interaction sociale, en outre, envisage celle-ci comme si elle mettait en présence des personnes poursuivant leurs intérêts personnels de façon mécaniste sans que la conscience qu'elles ont de se penser l'une l'autre et de s'efforcer à prévoir le comportement l'une de l'autre, ne suscite de leur part de réponse psychologique. Leur analyse laisserait parfois penser qu'elle admet qu'il n'y a aucune différence pour une personne entre l'interaction avec autrui et l'interaction avec une chose qui n'a d'idée ni du partenaire ni de l'interaction. C'est pourquoi le travail de Thibaut et Kelley fait si peu de place au rôle de la communication dans l'interaction comme si la possibilité de parler des problèmes d'intérêt commun n'avait pas grande signification pour le comportement social. L'intérêt de la thèse avancée par Thibaut et Kelley ne réside pas tant dans les concepts théoriques mis en jeu que dans l'accent mis sur

John W. Thibaut et Harold H. Kelley

1J7

l'influence qu'exerce l'interdépendance des participants sur l'interaction sociale. L'importance que Thibaut et Kelley accordent aux deux critères de comparaison servant à l'évaluation des résultats souligne le fait que les gains et les coûts ne sont pas ressentis comme des absolus ; la signification psychologique d'un gain varie avec l'expérience passée et la situation présente de celui qui le reçoit. En élargissant ainsi le concept de résultat, Thibaut et Kelley ont fait le lien entre les théoriciens de la gestalt et ceux du renforcement. Traditionnellement, les gestaltistes ont insisté sur le fait que les récompenses sont perçues en relation, mais ils ont négligé l'étude des conséquences de la récompense sur le comportement tandis que les théoriciens du renforcement ont insisté sur les conséquences de la récompense mais non sur les conditions qui déterminent la façon dont elle est perçue.

RÉSUMÉ

Nous notions au départ que l'objet des théories de l'apprentissage était les processus par lesquels s'acquiert le comportement. Il ne fait pas de doute que l'essentiel du comportement social est appris. On pourrait donc s'étonner que l'impact des théories de l'apprentissage sur la psychologie sociale n'ait pas été plus grand. Ce paradoxe s'explique peut-être par le fait que, jusqu'à ces dernières années, les théoriciens de l'apprentissage n'ont guère entrepris de recherches sur le comportement social des êtres humains. Or le comportement de rats et de pigeons semble trop éloigné de l'interaction quotidienne des êtres humains pour servir de modèle à l'étude de celle-ci. Il faut ajouter que la vision, si longtemps dominante, des processus d'apprentissage comme dépendants du renforcement s'est exprimée en des termes qui assimilaient en fait les facultés cognitives humaines à celles des animaux inférieurs. Cette formulation a répugné à de nombreux psychologues sociaux d'un point de vue humaniste aussi bien que d'un point de vue scientifique. Enfin ces théories, de par leur circularité, ignorent des problèmes essentiels de la psychologie sociale de l'homme ; à savoir, par exemple, le problème de ce qui pour une personne donnée est récompense ou renforcement, et quelles réponses une personne fera aux conséquences de son propre comportement Les théoriciens de l'apprentissage entreprennent aujourd'hui des recherches systématiques sur le comportement social humain. Ils ont

138

Les théoriciens du renforcement

d'ores et déjà fait progresser la connaissance dans des domaines importants touchant à l'éducation des enfants, ou à la modification du comportement, ou encore aux processus de l'interaction sociale. Il y a tout lieu de penser que théories de l'apprentissage et psychologie sociale gagneront également à un contact plus étroit entre elles.

CHAPITRE V

la théorie psychanalytique

Lorsque les psychologues ou le grand public cherchent à discerner qui a le plus fait pour la compréhension du comportement humain, un nom leur vient à l'esprit avant tous les autres : celui de Sigmund Freud. La consécration de Freud ne fut ni immédiate ni aisée. Dans les huit années qui suivirent la publication de son ouvrage le plus original et le plus profond, L'Interprétation des rêves, on n'en vendit que six cents exemplaires, alors qu'il s'en vend aujourd'hui davantage chaque mois. Compte tenu de la vulgarisation et de la vogue actuelle des théories psychanalytiques, il n'est pas facile d'apprécier la portée révolutionnaire de la théorie freudienne. Nous tâcherons dans le présent chapitre de cerner l'apport essentiel de Freud, d'exposer la théorie psychanalytique classique et certains de ses prolongements et de considérer l'apport de la psychanalyse à la psychologie sociale.

L'APPORT ESSENTIEL DE FREUD

De nombreux psychologues ont adopté les principes énoncés de façon convaincante par Freud dans ses abondants écrits : 1°) Le déterminisme psychique. Formé aux méthodes naturalistes de la physiologie et imprégné du déterminisme scientifique de la seconde moitié du 19e siècle, Freud porta ce déterminisme au cœur des problèmes humains. Les rêves, les bizarreries de la vie quotidienne, le mot d'esprit, les symptômes étranges du désordre mental, la religion, les mythes, l'art et la littérature, il fallait considérer tous ces phénomènes comme dépendant de processus psychologiques régis par des

140

La théorie psychanalytique

lois et communs à toute l'humanité. Les titres de certains de ses ouvrages reflètent l'étendue de cette tentative, qui fut la sienne, d'élargir le champ de l'explication psychologique systématique : La Science des rêves (1900), Psychopathologie de la vie quotidienne (1901), Le Mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient (1905), Léonard de Vinci (1910), Totem et Tabou (1913), Psychologie collective et analyse du moi (1921), Malaise dans la civilisation (1930), Moïse et le monothéisme (1939). 2°) La dynamique psychique. Bien que d'autres théoriciens (entre autres des fonctionnalistes comme James, Dewey, Angell, et Woodworth) aient, avant lui, souligné le caractère intentionnel, orienté vers un but du comportement, Freud fut le seul à s'efforcer de caractériser les instincts, leurs rejetons et leurs vicissitudes. L'usage qu'il fait du terme «instinct» est analogue à celui de pulsion {drive). Pour Freud, l'instinct ne définit pas un objet-but spécifique et génétiquement déterminé ou un mode de comportement spécifique, mais bien plutôt une tendance permanente, prenant source dans le soma, à modifier un état interne par des activités externes. Nous ne trahirons donc pas la pensée de Freud en utilisant indifféremment «pulsion» et «instinct». Pour Freud, il fallait expliquer la structure psychique et les processus psychiques essentiellement sous l'angle du destin des pulsions en ce qu'elles sont orientées vers la satisfaction dans le monde extérieur et par leur interaction de soutien ou de conflit. Les intérêts, les mécanismes de défense, les traits de caractère, l'organisation de la personnalité, tout cela reflète l'expérience de l'individu dans sa recherche de gratification de ses pulsions fondamentales et de leurs dérivés. Tout cela représente la tentative de modeler les réactions de la réalité extérieure et de modifier les pulsions en vue d'obtenir pour l'économie psychique un bénéfice maximum, en réduisant la peur ou le danger, en accroissant la satisfaction pulsionnelle. Après lui, certains psychanalystes représentatifs de la «psychologie psychanalytique du moi» (Kris, Hartmann, Rapaport, Erikson) ont critiqué la part trop importante accordée par Freud à la pulsion, en faisant l'hypothèse que l'essentiel de l'appareil cognitif-perceptivo-moteur qui relie l'homme à la réalité externe (le «moi») n'est pas un simple produit de l'interaction des pulsions et du réel, mais constitue plutôt un appareil autonome quant à ses origines et à ses fonctions.

L'apport essentiel de Freud

141

Cette approche psycho-dynamique a conduit à prendre en considération le rôle de la frustration et du conflit dans le développement mental ; ils semblent constituer des déterminants importants du développement tant normal que pathologique. La frustration peut conduire à l'agression, mais elle peut également engendrer une plus grande sensibilité au réel. Le conflit peut conduire à la névrose, mais il peut conduire aussi à l'élaboration d'une pensée plus créatrice. La psychanalyse fut le premier système psychologique à centrer systématiquement l'attention sur les causes et les conséquences de la frustration et du conflit. 3°) L'activité mentale inconsciente. C'est Freud qui fit savoir à quel point l'homme est peu conscient des racines de ses propres conduites ; c'est lui qui démontre que bien souvent, l'homme ne peut se permettre de savoir ce qu'il fait ni pourquoi il le fait. Cette démonstration poussa de nombreux critiques à conclure que Freud accentuait l'aspect irrationnel de la nature humaine. Il est certes exact qu'en démontrant que la conscience humaine ne contrôle que partiellement les conduites, Freud sapait la conception rationaliste selon laquelle l'homme est sous l'empire de la raison. Il n'en demeure pas moins vrai paradoxalement que, même dans son œuvre psychanalytique, Freud fut un rationaliste convaincu du rôle de la raison. La psychologie démasquante de Freud plongeait ses racines dans sa volonté de démystification. En outre, le concept freudien de l'inconscient établit que 1' «inconscient» est dynamiquement déterminé, c'est-à-dire qu'une idée ou une pulsion devient ou demeure inconsciente, parce que ainsi elle nuit moins à l'économie psychique de l'individu. Tout se passe comme si, demeurant inconsciente, cette idée ou pulsion engendrait moins d'anxiété, de culpabilité ou de souffrance que si elle était consciente ; le refoulement et les autres mécanismes de défense sont conçus comme étant les barrières qui maintiennent dans l'inconscient des idées ou des pulsions susceptibles d'être nuisibles. L'activité mentale inconsciente se reflète souvent dans les conduites dites «défensives» — conduites qui témoignent de l'usage actif d'une défense, vraisemblablement en vue de réprimer une idée inconsciente. On peut également déceler l'activité mentale inconsciente en cas de relâchement des défenses habituelles : dans les rêves, les rêveries, les lapsus, les états d'intoxication et dans un cadre vécu comme non menaçant. L'activité mentale inconsciente ne revêt pas les formes logiques de la pensée consciente et exprimée, mais adopte plutôt

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La théorie psychanalytique

comme mode d'expression des idées et des sentiments, la métaphore, le concret et le poétique dans des figures de style et des images visuelles. 4°) Le développement psychosexuel. La théorie psychanalytique est une théorie du développement qui s'attache à distinguer les étapes essentielles du développement psychosexuel (psychosocial serait plus adéquat), ainsi que les conditions et les expériences qui entraînent une fixation primaire à un stade donné ou une régression ultérieure à ce même stade. En mettant l'accent sur l'importance des expériences infantiles précoces, la psychanalyse a encouragé de nombreuses études sur la famille et sur les conséquences des différentes pratiques éducatives. Alors que Freud et plusieurs des premiers analystes donnaient une place prépondérante aux expériences vécues au cours des cinq premières années de la vie, plus récemment, Sullivan (1953) et Erikson (1963) ont, eux, insisté sur le fait que c'est tout au long de sa vie que l'individu est confronté aux problèmes de son développement. 5°) Sexe et agression. Dans ses écrits, Freud dévoile le rôle joué dans la vie mentale de l'homme par les pulsions sexuelles et pulsions agressives. Ce faisant, il souleva une tempête de protestations. L'opinion publique était choquée de lire que les pensées enfantines n'étaient pas aussi innocentes qu'il y paraissait, que les crises de nerfs féminines n'étaient bien souvent que l'expression déguisée de pulsions sexuelles refoulées et qu'une façade de gentillesse et de civilité excessives cachait souvent des pulsions meurtrières. Toutefois, de nos jours, il est banal tant pour les psychologues que pour les non-psychologues, de rechercher avec un zèle policier les tendances sexuelles et agressives qui se cachent derrière les comportements les plus innocents et les plus mondains. 6°) Technique psychanalytique. Outre son apport à la théorie psychologique, Freud a enrichi la technique psychothérapeutique, en particulier sur trois points : élaboration de la méthode de l'association libre, interprétation systématique des rêves et rêveries, analyse des phénomènes de transfert et de contre-transfert. Il s'agit dans les trois cas de méthodes permettant de recueillir le matériel inconscient. Dans l'association libre, on demande au patient d'exprimer toutes les pensées, les sensations ou les sentiments, quels qu'ils soient, qui se présentent à son esprit en faisant l'hypothèse que le flot non dirigé de la pensée, dans une atmosphère détendue, abordera naturellement

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la zone des tensions émotionnelles et des difficultés du patient. En fait, dans la cure, peu de patients parviennent à associer librement, et la plupart du temps, les associations se centrent sur un thème donné. Les obstacles et les résistances rencontrés au cours de l'association libre font, tout autant que les associations elles-mêmes, partie du matériel à analyser. Si les modalités de l'interprétation des rêves varient très sensiblement selon les analystes et les diverses écoles analytiques, l'interprétation des rêves est reconnue par tous comme l'instrument fondamental qui permet la venue au jour d'attitudes et de sentiments que le patient ne pourrait sans doute pas exprimer d'une autre manière. L'apport le plus important peut-être de Freud dans le domaine thérapeutique fut l'affirmation que la situation thérapeutique est une situation interpersonnelle et qu'il existe une tendance chez le patient à transférer certains de ses sentiments et certaines de ses attitudes nés au sein de sa situation familiale infantile dans sa relation avec le thérapeute. Le patient peut ainsi apparenter le thérapeute à une mère séductrice ou à un père sévère et rejetant. De la même manière, le thérapeute peut témoigner au patient des sentiments et adopter vis-à-vis de lui des attitudes fondées sur ses besoins personnels et sur ses premières expériences — et c'est ce qui constitue le «contre-transfert». Il est probable qu'ayant effectué avec succès sa propre analyse, le thérapeute éprouvera peu de réactions contretransférentielles, prendra rapidement conscience de leur apparition et sera par conséquent apte à les supprimer ou à les maîtriser.

LA THÉORIE PSYCHANALYTIQUE CLASSIQUE

La théorie psychanalytique a évolué et s'est modifiée au long de son histoire du fait de Freud lui-même et de ses disciples. Les dérivations de théoriciens tels que Adler, Jung, Rank, Horney, Fromm et Sullivan, ne feront l'objet d'une étude ci-après que dans la mesure où elles fournissent un aperçu critique de la théorie psychanalytique classique. Il est malaisé de traiter de la théorie psychanalytique dans la mesure où, comme le souligne Rapaport (1959b, p. 57) «ni les écrits de Freud ni ceux d'autres psychanalystes ne fournissent un exposé systématique de la théorie psychanalytique». Le seul à l'avoir tenté c'est Rapaport lui-même (1951 ; 1 9 5 9 a ; 1959b; i 9 6 0 ) ; c'est d'ailleurs à lui que nous empruntons l'essentiel du présent exposé.

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La théorie freudienne des instincts et des pulsions est au cœur de la théorie psychanalytique. Cet ensemble théorique est constitué d'un grand nombre de théories étroitement et diversement reliées : 1°) théorie de la transformation de l'énergie instinctuelle en motivations et en structures ; 2°) théorie de l'organisation structurelle de la personnalité ; 3°) théorie des stades du développement psychosexuel et 4°) théorie de la conscience. Dans les paragraphes qui suivent, nous nous bornerons à l'étude des trois premières. En effet, jusqu'à une époque récente, la théorie de la conscience a été le plus souvent négligée et elle n'apparaît que dans les travaux de psychologues comme Klein (1959a ; 1959b), Holt (1963 ; 1964), qui lui accordent l'attention qu'elle mérite. Mais aujourd'hui encore, l'approche qui en est faite ne tient pas suffisamment compte du rôle des facteurs sociaux qui affectent la conscience. En résumé, une réflexion d'un George Herbert Mead (voir chapitre vi) n'a pas eu encore un impact suffisant sur la psychanalyse.

Le modèle fondamental de la-psychanalysesur les pulsions instinctuelles et de leurs dérivés Conformément à ce modèle, un instinct est «le représentant psychique de stimuli en provenance de l'organisme et atteignant l'esprit» (Freud, 1915, pp. 121 et sq.). La source d'un instinct est le processus somatique qui engendre les stimuli, qui trouvent dans l'esprit une représentation en tant qu'instinct. (Pour Freud, connaître l'origine des instincts n'est pas nécessaire au psychologue et cette étude déborde le cadre de la psychologie.) Un instinct exerce une pression sur les appareils psychiques de la perception, de la mémoire, de l'affectivité et de la motricité pour qu'ils œuvrent en vue de la réalisation du but pulsionnel (à savoir la «satisfaction» qui ne peut être obtenue qu'en supprimant l'origine de la stimulation). Cette affirmation, selon laquelle une pulsion instinctuelle peut se manifester dans différents types d'activité ou de travail psychologique, amène Freud à postuler un capital permanent et mobile d'énergie instinctuelle ou d'énergie d'investissement pulsionnel (drive cathexis) qui peut être

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transformé ou utilisé dans différentes formes d'activité. Dès que l'énergie dépasse le seuil constitutionnellement déterminé de décharge, par définition, elle engendre une activité psychologique. Le courant naturel d'énergie instinctuelle est de nature «entropique», c'est-à-dire que son objectif est de parvenir à la décharge. Le «principe de plaisir» est le terme auquel Freud a recours pour désigner cette tendance entropique de l'énergie instinctuelle. Alors que le principe de plaisir décrit la tendance inhérente de l'énergie d'investissement, l'objet d'un instinct détermine la direction spécifique de l'activité déterminée par la pulsion. L'objet d'un instinct est ce au travers de quoi l'instinct est à même d'atteindre son objectif. «C'est dans l'instinct, l'élément le plus variable et qui ne lui est pas originellement lié mais qui s'y relie dans la seule mesure où il semble particulièrement adapté à rendre possible la satisfaction... Il peut être modifié bien des fois selon les vicissitudes que l'instinct traverse au cours de son histoire» (Freud, 1915, pp. 122 et sq.) Ainsi le modèle psychanalytique fondamental veut que l'énergie instinctuelle aspire à la décharge immédiate par l'obtention d'un objet pulsionnel. Si l'objet instinctuel est absent ou si pour une quelconque raison (par exemple, un conflit intérieur) la décharge énergétique ne peut se produire, une certaine quantité de l'énergie disponible peut s'exprimer dans l'investissement de la trace mnémonique d'un objet instinctuel (en rendant consciente l'image d'un objet désiré) ou dans une décharge affective. Autrement dit, l'énergie instinctuelle peut s'exprimer dans une représentation, un affect, aussi bien que dans une activité manifeste et selon toutes probabilités, c'est ainsi qu'elle s'exprime dans le psychisme immature à chaque fois qu'une gratification immédiate est impossible. Toutefois, seule une proportion assez faible d'énergie instinctuelle peut ainsi être répartie dans des décharges idéatives et affectives. C'est pourquoi, lorsqu'une pulsion instinctuelle atteint son seuil critique d'intensité et que l'objet pulsionnel est absent, le rétablissement de l'équilibre par la décharge n'est pas possible. En conséquence, une nouvelle méthode d'équilibration s'instaure, le seuil de décharge énergétique est relevé au moyen d'une barrière surajoutée nommée : «contre-investissement». Le «contre-investissement» puise sa force dans l'énergie instinctuelle originelle dont elle vise à stopper la recherche d'une décharge immédiate. L'absence répétée de gratification immédiate aboutit à «emprisonner» l'énergie en des structures de contrôle et de contre-investis-

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sement défensif qui bloquent toute tentative directe de gratification instinctuelle immédiate. Les structures défensives ont pour fonction le blocage de la gratification instinctuelle immédiate ou différée, si bien que la gratification ne survient pas même lorsque l'objet instinctuel est de nouveau à portée (on trouve dans la plupart des manuels de psychologie pathologique la description des différents types de défense — refoulement, dénégation, isolation, formations réactionnelles, rationalisation et annulation). De leur côté, les structures de contrôle assurent la possibilité d'une décharge différée et l'instauration de mobiles et de techniques permettant de trouver dans la réalité l'objet susceptible d'autoriser la décharge. Bien que l'on ne sache pas grand-chose des circonstances qui entraînent la constitution de structures défensives ou de structures de contrôle, il est généralement admis que les structures défensives ont plus de chances de s'instaurer, soit si la pulsion instinctuelle est d'une telle intensité que la pulsion semble «incontrôlable», soit si la réalité est si intensément frustrante qu'il y a peu d'espoir qu'elle parvienne à la gratification, soit si la pulsion instinctuelle se trouve en conflit irréductible avec une autre motivation instinctuelle importante ou l'un de ses dérivés. Chacune de ces trois situations est susceptible de provoquer l'anxiété, laquelle à son tour peut favoriser l'émergence d'une structure de défense. Les deux types de structures de contre-investissement sont des structures dynamiques et se traduisent en motivations du comportement. Tout comme les structures de contre-investissement peuvent se développer en liaison avec la décharge directe de l'énergie, les structures défensives et de contrôle peuvent également se développer en liaison avec des structures défensives ou de contrôle antérieures. Toute une sédimentation de structures motivationnelles dérivées peut se construire de la sorte. Afin d'illustrer la sédimentation des défenses, imaginons un exemple. Supposons une jeune fille qui, pour se défendre contre la désapprobation sociale exprimée à l'égard de toute manifestation de ses pulsions sexuelles, en vient à refouler son instinct sexuel (en instaurant un contre-investissement à l'encontre de la manifestation de son instinct dans ses conduites, ses pensées ou ses affects). Plus tard, à l'université, elle prend conscience de son manque d'intérêt et de sensations sexuelles et elle est troublée par cette absence. Comme défense contre ce trouble, elle instaure une nouvelle défense, la formation réactionnelle de nymphomanie, de pratique sexuelle compulsive. Puis, devenant soucieuse de sa respectabilité sociale, elle érige une

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dernière défense, se donner une apparence excessivement guindée, convenable et dépourvue de sex-appeal. Sous l'angle psychanalytique, on pourrait considérer son désir d'être guindée et respectable cortime un dérivé ancien de la rencontre entre la réalité extérieure et son instinct sexuel (et les dérivés les plus immédiats de son instinct sexuel). En effet, lès structures de contreinvestissement sont des représentations internes de faits perçus dans la réalité extérieure. Autrement dit, elles modifient la décharge énergétique de manière à n'autoriser que la décharge en accord avec la réalité perçue. Avec l'instauration de ces représentants intériorisés de la réalité, le principe de plaisir est alors modifié par le «principe de réalité». Une fois instaurées, les structures de défense ou de contrôle peuvent s'émanciper des pulsions instinctuelles dont elles découlent. Si en effet une structuré dérivée s'allie à d'autres pulsions instinctuelles et à leurs dérivés, elle peut subsister après la perte de sa fonction ou de sa liaison originelle. Il arrive qu'on confonde la théorie des pulsions instinctuelles de Freud avec sa «théorie de la libido». Par «libido», on entend généralement l'investissement ou l'énergie de ces instincts qui se rapportent à tout ce qu'on peut réunir sous les mots de «sexualité» ou «amour». Pour Freud, le terme de «libido sexuelle» désigne, non seulement le désir ou le plaisir physique, mais également les pulsions affectueuses, l'amour de soi, l'amour entre parents et enfants, l'amitié, etc. Autrement dit, toute énergie pulsionnelle qui est censée avoir pour origine une stimulation érogène prenant source dans le corps, quelle que soient les transformations qu'elle peut subir ou si lointaine que soit sa liaison avec la source biologique primaire. La théorie de la libido n'indique pas que le but indirect de la conduite est l'union sexuelle ; elle pose plutôt que la libido, dont la décharge n'est à l'origine possible qu'à traivers des objets sexuels, peut se transformer par la suite et trouver des gratifications dans des objets non sexuels. On peut dire que la sexualité est à l'origine de maintes conduites non sexuelles sans en être nécessairement l'objectif. Freud fit preuve d'une grande originalité et d'une grande hardiesse en avançant que les désirs polymorphes concernant le corps ou le plaisir physique étaient une préoccupation essentielle de l'enfant «innocent» et que les formes plus adultes d'activité sexuelle et de relations amicales découlaient de ces préoccupations «innocentes». Ce sont les perspectives ouvertes par une telle conception qui ont donné à la théorie psychanalytique sa coloration «sexuelle».

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Toutefois Freud n'affirmait pas que les instincts sexuels et leurs dérivés constituaient l'unique type de motivation. Dans ses premiers écrits, il établissait l'existence des instincts du Moi qui, en relation avec l'autoconservation, se modifiaient rapidement pour se conformer aux exigences de la réalité. Plus tard, en peine de donner une explication satisfaisante des phénomènes du sadisme et du masochisme, il introduisit le concept de «instinct de mort» (Thanatos) qu'il opposa aux «instincts de vie» (Eros). L'Eros comprend à la fois les pulsions sexuelles et les pulsions du Moi ; il représente toutes les forces constructives et unificatrices de l'organisme. Thanatos représente la tendance de la matière organique à un retour à l'inorganique. Si elle est drainée vers l'extérieur, cette tendance se traduit par l'agression, si elle demeure intériorisée, elle conduit à l'autodestruction. Si nombreux sont les analystes qui ont admis la notion de tendance innée à l'agression, bien peu ont admis le concept d'instinct de mort. Beaucoup voient dans ce concept le reflet du pessimisme de Freud après la première guerre mondiale : la nature humaine est ainsi faite qu'elle conduit l'homme à la destruction des autres et de lui-même. On ne saurait présenter de théorie psychanalytique des instincts sans reconnaître que son apport, même s'il fut quelque peu partial, se révéla d'une importance et d'une valeur indéniable. L'optique psychodynamique et l'importance accordée par Freud à la sexualité et à l'agression dans la vie mentale (Mit permis aux psychologues et aux non-psychologues d'aborder maints aspects troublants du comportement pathologique en leur fournissant une voie d'accès efficace aux comportements quotidiens et à certains de ses déterminants. Qu'ils admettent ou qu'ils n'admettent pas la valeur de la théorie des instincts, l'ensemble des critiques formule les réserves suivantes : Io) La théorie est trop vague, les concepts trop sommairement définis ; la théorie r¿autorise pas la prédiction mais seulement l'explication après coup. Critiques fondées certes, mais applicables à un degré variable à bien d'autres théories psychologiques. Bien que Freud ait établi l'origine des instincts dans des processus somatiques, il ne dit rien de précis concernant ces processus, pas plus qu'il n'indique dans quelle mesure des modifications de ces processus peuvent affecter de façon systématique les pulsions instinctuelles. Ni ses disciples ni lui-même n'ont précisé les conditions dans lesquelles l'énergie instinctuelle peut se déplacer d'une activité ou d'un objet à une autre activité ou à un autre objet. Pas plus qu'ils n'ont précisé dans quelles circonstances

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l'énergie pulsionnelle se mue en l'un ou l'autre type de contre-investissement : structure de contrôle ou structure de défense, formation réactionnelle défensive ou rationalisation défensive. La définition des divers instincts — instincts sexuels, pulsions du Moi, agression — est si vague qu'il n'est pas possible de préciser quelle est la pulsion à l'œuvre dans une conduite donnée. Bien que le concept d'investissement soit de nature quantitative, aucune méthode n'est fournie permettant de définir les différentes formes dans lesquelles il se manifeste généralement. Pas plus qu'il n'est donné d'indications quant à la manière dont les diverses énergies instinctuelles — sexuelles, moïques. et agressives — s'additionnent, fusionnent ou interagissent dans la détermination de la conduite. Ce sont là entre autres certaines défaillances formelles rendant la théorie par trop vulnérable pour servir de plate-forme à une quelconque prédiction et de fait, la théorie psychanalytique n'est pas particulièrement appréciée pour ses qualités prédictives. 2°) Que le but des instincts soit la diminution ou l'abolition de toute excitation, de toute tension, cette conception a particulièrement prêté le flanc à la critique. Comme l'ont souligné maints auteurs (entre autres Harlow, 1953 ; Piaget, 1952 ; Schachtel, 1959 ; White, 1959, White, i960), il est évident que les animaux et les nourrissons humains témoignent de tendances persistantes à l'activité, l'exploration, la manipulation, l'exposition à de nouvelles stimulations, après même que toute pulsion primaire connue soit parvenue à satiété. Or, la théorie freudienne de la motivation, comme d'ailleurs de nombreuses autres théories concernant la réduction des tensions ou des besoins, soutient que toute pulsion résulte d'une stimulation somatique déplaisante. Le corollaire implicite de cette affirmation est que l'individu ne traiterait le monde et les gens qui l'entourent qu'à la manière de simples objets de besoins susceptibles d'alléger son inconfort organique. Certains critiques (Schachtel, par exemple) font ressortir que la curiosité, le plaisir ressenti dans l'activité et dans l'exploration tel qu'en manifestent les jeunes enfants, suggèrent l'existence de motivations innées conduisant l'enfant à prendre un intérêt direct au monde qui l'entoure. Ces critiques soutiennent que ni l'intérêt porté au monde extérieur, ni le plaisir pris à une activité effective (White, 1959 ; White, i960) ne sont des motivations secondaires qui seraient dérivées de la recherche d'une gratification instinctuelle. Dans une certaine mesure, les leaders de ce qu'on appelle dans le milieu psychanalytique

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«la psychologie du Moi» (Hartmann, Rapaport, Erikson) ont également reconnu la nécessité pour expliquer certains traits patents de la conduite infantile de supposer des énergies autonomes mises à la disposition de l'appareil perceptivo-moteur. Reconnaissance timide, en fait, et qui repose encore beaucoup sur la doctrine fondamentale de l'équivalence du plaisir et de la réduction des tensions. 3°) Sous l'angle du développement, la théorie fait erreur en affirmant que les mobiles et intérêts de l'adulte ne sont que de simples dérivés des pulsions et mobiles infantiles. Bien que la théorie freudienne accorde à l'expérience un certain rôle, en ce qu'elle modifie l'expression des pulsions instinctuelles, en ce qu'elle engendre des motivations dérivées, elle soutient que «l'enfant est le père de l'homme». Dans l'expérience quotidienne, c'est plutôt l'inverse que l'on constate. En effet, l'enfant est démuni des capacités cognitives et des rôles sociaux qui sous-tendent l'orientation motivationnelle stable indispensable pour être un père réel. L'extension du champ psychologique tout au long de la métamorphose de l'enfant en adulte affecte à la fois la structure et le contenu des mobiles humains. Par exemple, la capacité accrue de l'adulte de prévoir ses actions, d'anticiper sa propre mort, peut avoir un retentissement profond au niveau de la motivation. Ceci ne veut pas dire que les expériences infantiles précoces ne peuvent influencer la conception adulte de la signification de la mort. Néanmoins, la conscience de sa possibilité peut modifier le sens et la valeur de nos actes et engendrer des activités et des projets qui sinon n'auraient peut-être pas vu le jour. 4°) De nombreux «néo-freudiens» rejettent la théorie de la libido comme trop biologique, trop sexuelle, trop «substantialiste» (entre autres Adler, Fromm, Horney, Kardiner, Sullivan). Par exemple, en soulignant les déterminants sociaux de la motivation, Fromm a écrit (1941, p. 9) : «S'il est vrai qu'il existe certains besoins tels que la faim, la soif, le sexe, en revanche, les pulsions qui engendrent les différences de personnalité telles que l'amour et la haine, la soif de pouvoir et le penchant à la soumission, le plaisir sensuel et la peur du plaisir, sont toutes des produits du processus social... La nature de l'homme, ses passions, ses anxiétés, sont des produits culturels... » La plupart des psychanalystes qui réfutent la théorie de la libido soulignent l'importance des besoins sociaux et des attitudes sociales qui s'instaurent dans la relation parents-enfants et qui sont en partie

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favorisés par les besoins biologiques de l'enfant et en partie par la conception que se font les parents de leurs rôles sociaux. Les besoins biologiques structurent la relation parents-enfants et, ce faisant, engendrent l'apparition d'attitudes interpersonnelles et d'images de soi qui deviennent par la suite le fondement motivationnel de la conduite. Il est un fait que les modes de satisfaction des besoins biologiques varient plus chez les adultes que chez les enfants et ce fait corrobore la préférence que les néo-freudiens accordent aux déterminants sociaux de la motivation par rapport aux déterminants biologiques. Toutefois, le manque d'intérêt des néo-freudiens pour les processus biologiques entraîne une sous-estimation des processus particuliers d'interaction qui, aux stades les plus précoces du développement, s'opèrent davantage, pour la communication des attitudes, par les contacts physiques et par les stimulations sensorielles que par le langage. En outre, ils ont ainsi échoué à donner une explication spécifique des processus de communication et de formation des attitudes sociales. Pour certains, la théorie de la libido se fonderait sur une mauvaise interprétation «adulto-morphique» du plaisir sensoriel infantile. Comme Schachtel l'écrit (1959, p. 133) : «Il n'y a rien de fondamentalement sexuel dans le plaisir du nourrisson lorsqu'il s'empare avec la bouche ou avec la main du sein maternel.» Le plaisir sensoriel constitue «un agent de liaison important dans les mobiles du nourrisson au cours de l'exercice permanent de ses sens et de ses muscles, de sa coordination motrice et de l'exploration de son environnement ou de son propre corps et des capacités physiques de celui-ci». Certes, à un stade ultérieur du développement, le plaisir sensoriel entre dans la composition du plaisir sexuel. Il n'en demeure pas moins vrai que qualifier de «sexuel» le plaisir sensoriel infantile dans la mesure où il fait partie à un stade ultérieur du plaisir sexuel, aurait à peu près autant de sens que le qualifier d' «athlétique», dans la mesure où il fait partie ultérieurement du plaisir athlétique ; qualifier le plaisir sensoriel infantile de «plaisir athlétique» amènerait par analogie à considérer le plaisir sexuel comme un dérivé du plaisir athlétique. Une troisième critique importante faite à la théorie de la libido est qu'elle a recours à un concept substantialiste qui suppose une limite quantitative. Si un individu investit son énergie libidinale dans un autre individu, il aura à sa disposition pour lui-même et pour les autres un moindre capital énergétique. En revanche, il est faux, comme l'a souligné Fromm, d'affirmer l'incompatibilité de

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La théorie

psychanalytique

l'amour d'autrui et de l'amour de soi. L'amour n'étant pas une substance, on n'en diminue pas sa part en la partageant. En prenant une comparaison dans le domaine de la physique, il s'agit plus «d'information» que «d'énergie», on ne perd pas sa propre information en en faisant part à autrui.

Organisation

structurale de la

personnalité

Freud distinguait trois composantes essentielles de la personne, le «Ça», le «Moi» et le «Surmoi». Le Ça est constitué de toutes les énergies pulsionnelles qui exigent une décharge immédiate. Il est soumis au principe de plaisir, il est inconscient et il est dominé par l'organisation du «processus primaire» •— organisation de la mémoire et de la pensée en terme de pulsion et l'affect en relation avec leur frustration ou leur satisfaction. Le «Moi» est constitué des appareils psychiques (perception, mémoire, motricité, etc.) qui permettent à l'individu de percevoir, de penser et d'agir sur son environnement. Il comprend également les structures psychologiques de défense et de contrôle engendrées par les rencontres antérieures du Ça avec la réalité. Le Moi est gouverné par le principe de réalité et a pour fonction d'accorder le Ça et la réalité et d'harmoniser la divergence éventuelle de leurs requêtes respectives. Il agit en faveur du Ça en lui cherchant des satisfactions dans la réalité et il agit en faveur de la réalité en contenant et en retardant une décharge pulsionnelle inadéquate, et en modifiant les pulsions afin de les rendre plus conformes à la réalité sociale. En outre, il a pour fonction d'harmoniser les structures du Moi en place y compris le Surmoi avec le Ça et la réalité. Alors que pour Freud, les appareils du Moi émergeaient des rapports du Ça avec la réalité, l'opinion la plus largement admise, avancée par Hartmann (1939), est que ces appareils ont une autonomie originelle. Ils se sont constitués tout au long de l'évolution de l'espèce humaine et sont «pré-adaptés» à un fonctionnement adéquat dans les conditions moyennes auxquelles peut vraisemblablement être confrontée l'espèce humaine. A l'origine les appareils du Moi opèrent indépendamment du Ça. Au fur et à mesure qu'ils s'intriquent plus étroitement aux pulsions, toutefois, elles deviennent objets d'investissement ou de contre-investissement. La cécité hystérique constitue un exemple frappant de la manière dont l'appareil perceptif peut être influencé par

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des processus motivationnels, de même bien sûr les variations les plus subtiles de ce qu'un individu assume et de ce qu'il ignore. Le Surmoi est un rejeton et un avatar du Moi. On le considère généralement comme une instance intériorisée de l'autorité, qui apprécie les pulsions du Ça et les conduites du Moi en termes de catégories et de valeurs acquises aux cours des expériences antérieures au sein des groupes sociaux et, en particulier, de la famille. Le Surmoi présente deux pôles : la «conscience» (intériorisation des interdits) et 1' «idéal du Moi» (intériorisation des idéaux). Le Moi s'efforce d'éviter la désapprobation de son Surmoi (ressentie sous forme de sentiment de culpabilité) en érigeant des défenses contre les pulsions du Ça jugées inacceptables et en sublimant des pulsions inacceptables en dérivés qui reçoivent l'approbation sociale. L'enfant qui se dit luimême «non, non» au moment où sa main se tend vers un objet défendu illustre l'apparition du Surmoi et aide à en comprendre l'élaboration. En disant «non, non» l'enfant agit à l'égard de sa propre conduite comme l'ont fait antérieurement ses parents à l'égard de conduites similaires ; l'enfant s'est identifié à ses parents et a intériorisé une valeur qui l'amène à désapprouver une conduite qu'eux-mêmes désapprouveraient. Evidemment, les valeurs intériorisées ne sont pas nécessairement et strictement les valeurs effectives des parents mais reflètent la signification qu'avait la conduite parentale pour l'enfant. En vivant l'événement comme une activité de sa main qui serait dissociée de l'ensemble de sa personnalité, l'enfant construit une défense contre la désapprobation de son Surmoi. Bien que l'on trouve des traces du Surmoi dans le système peu organisé de la moralité primitive qui se résume dans des «il faut» et «il ne faut pas» isolés, pour Freud, le Surmoi ne devient un système réellement intégré qu'une fois dépassé le stade œdipien de développement, c'est-à-dire aux environs de la cinquième ou sixième année. A ce stade, l'enfant s'identifie lui-même à l'ensemble structuré d'attitudes et de valeurs associé à l'un ou l'autre de ses parents (de préférence le parent de même sexe) comme à un moyen de maîtriser les pulsions sexuelles à l'égard du parent de sexe opposé. En s'identifiant au parent du même sexe, l'enfant obtient une satisfaction substitutive en ressemblant au parent envié et intériorise l'interdiction de toute expression directe de ses pulsions sexuelles sous la forme du rival adulte qui s'opposerait et châtierait toute tentative de le supplanter. En effet, Freud estimait que la conscience ne pouvait être parvenue à maturation tant que l'enfant n'avait pas acquis une certaine image 6

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la théorie psychanalytique

de son futur rôle d'adulte dans la famille et intériorisé les valeurs régissant ce rôle en s'identifiant au parent envié. On retrouve souvent dans les discussions théoriques psychanalytiques cette affirmation selon laquelle le Surmoi constitue l'instance sociale centrale de la personnalité, et l'identification d'un individu à un autre individu est l'un des processus psychologiques fondamentaux par lequel les traditions et les valeurs sociales s'intègrent dans la personnalité. Bien que cette affirmation soit valable sur le plan théorique, il faudrait également reconnaître que le développement du Moi reflète dans une large mesure les vicissitudes des pulsions instinctuelles au sein de la réalité extérieure, réalité essentiellement sociale. Outre ces appareils innés concernant la perception, la mémoire, la motricité, etc. le Moi est donc dans une large mesure constitué à partir de l'expérience sociale. Vraisemblablement, des trois instances essentielles de la personnalité, le Ça est le seul à demeurer immuable et inaccessible à l'expérience sociale. Cependant, comme on l'a vu dans notre examen des instincts et de leurs vicissitudes, la théorie freudienne suppose que les énergies ou investissements instinctuels peuvent se transformer et que les objets instinctuels peuvent changer au cours de l'expérience : les seuls aspects immuables du Ça sont son objectif (satisfaction immédiate), son mode de fonctionnement (le processus primaire) et les processus biologiques qui sont à l'origine des instincts. Toutefois, comme l'ont montré les recherches sur le conditionnement des processus viscéraux, il est probable que même les «sources des instincts» sont influencées par l'expérience. Les concepts de Ça, de Moi et de Surmoi sont-ils indispensables à la théorie psychanalytique ? Sans doute pas. L'examen précédent des instincts, de leurs vicissitudes, permet en effet de penser que l'apparition des structures de la personnalité peut être décrite de façon plus fructueuse comme étant la conséquence d'interrelations entre une expérience sociale spécifique et des processus et structures biologiques déterminés génétiquement. Les concepts structuraux globaux du Ça, du Moi et du Surmoi ne rendent pas compte en détail des processus impliqués dans la motivation, l'adaptation et l'évaluation de soi. Bien plus, ils évoquent des entités bâtardes là où il faudrait des concepts se référant aux diverses modalités d'un processus complexe. Cependant, la substantialité de ces concepts freudiens rend compte des aspects de l'expérience phénoménologique réelle du Moi divisé, sous les pressions conflictuelles du désir, de la réalité perçue et de la conscience. L'imagerie dramatique du Ça avide de plaisir, du Surmoi

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rigide et du Moi malléable et suggestible évoque une hiérarchie de personnages (externes et internes) familière à la plupart d'entre nous. En poussant un peu plus loin la comparaison, on imagine sans peine une intrigue éminemment dramatique entre ces personnages. La richesse des significations attachées à ces trois concepts les rend très évocateurs mais malheureusement peu clairs, car on observe des glissements de sens selon que l'accent est mis sur l'une ou l'autre de ces significations.

Les stades du développement psychosexuel Au cours de son travail de thérapeute auprès des névrosés et des déviants, Freud nota que ses patients n'étaient pas seulement immatures quant à leurs attitudes sociales, mais que leur sexualité était également altérée et qu'ils recouraient ouvertement ou non à des satisfactions en provenance de zones autres que les zones génitales. De plus, leurs perturbations semblaient reliées systématiquement aux expériences infantiles précoces et en particulier au destin de leurs recherches de plaisir physique compte tenu des méthodes éducatives de leurs parents. Freud en conclut que, par suite du processus de maturation, différentes zones du corps deviennent successivement la source de plaisirs sexuels au fur et à mesure qu'elles se chargent d'énergie libidinale. Tout d'abord la bouche, puis la zone anale et enfin, la zone génitale deviennent la source primordiale de satisfaction libidinale. Toutefois, le cours normal d'évolution peut être dévié en fonction de prédispositions constitutionnelles ou d'un vécu précoce de frustration ou de satisfaction trop intenses : une quantité excessive de libido peut se fixer sur une zone donnée, si bien que les stades ultérieurs du développement disposeront d'un capital libidinal insuffisant ; ou encore, sous l'influence d'une frustration sévère, la libido peut être déplacée de la zone douloureuse, ce qui entraîne une régression à un stade antérieur du développement. Ainsi les symptômes psychopathologiques reflètent-ils le stade de développement psychosexuel auquel un individu s'est fixé ou a régressé. Ce n'est que s'il parvient à cette utopie psychanalytique de la sexualité génitale activée qu'il peut être considéré comme dénué de tout symptôme névrotique. Concomitant du développement libidinal, mais ne lui étant pas nécessairement subordonné, on assiste au développement du Moi, des attitudes sociales et des relations sociales. Le bref résumé qui va suivre

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des différents aspects de la théorie du développement psychosexuel tente d'intégrer les apports les plus récents à la théorie freudienne du développement, tels qu'on les trouve chez Erikson (1950 ; 1959), White (i960 ; 1963), Parsons et Baies (1955). Il importe de noter cependant que les stades de développement décrits se chevauchent dans une large mesure, ce qui n'apparaît pas avec suffisamment de clarté dans une simple énumération. La théorie psychanalytique a essentiellement insisté sur les trois premiers stades de développement : oral, anal et phallique. Ce n'est que récemment que l'intérêt s'est porté sur les stades ultérieurs, période de latence, adolescence, début de l'âge adulte, âge adulte, maturité et vieillesse. Par nécessité, ces stades ultérieurs sont définis de façon nettement moins systématique. Chacun des premiers stades est décrit selon les catégories dont la liste figure ci-après ; les stades ultérieurs du développement sont définis de manière moins détaillée. 1°) 2°) 3°) 4°) 5°) 6°) 7°) 8°) 9°) 10°) 11°) 12°) 13°)

Appellation du stade. Niveau d'âge. Zones corporelles concernées. Noyau principal d'activité. Mode général d'approche reflété dans ces activités. Objet de ces activités. Frustration normale ou menace de fixation au stade donné. Mécanismes de défense typiques de ce stade. Attitudes sociales et traits de caractère dérivés de ce stade. Problèmes de développement posés par ce stade. Développement du Moi. Sous-système social concerné. Psychopathologie.

1. Le stade oral. Ce stade est généralement subdivisé en «érotiqueoral», et «sadique-oral». a) La période érotique-orale va de la naissance au huitième mois environ ; l'énergie libidinale investit la bouche, les lèvres, la langue, la peau et les organes des sens. Le mode d'obtention du plaisir est l'incorporation passive (recevoir) et s'exprime à travers des activités telles que sucer, avaler, avoir un contact physique et observer ; l'objet de l'énergie libidinale est essentiellement auto-érotique. (L' «auto-éro-

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tisme» est l'utilisation de l'excitabilité érotique locale sans relation à soi ou au monde extérieur, la distinction entre les deux n'étant d'ailleurs pas faite à ce stade.) La frustration normale essentielle à ce stade est l'absence d'une disponibilité permanente et exclusive de la mère pour satisfaire les besoins du nourrisson. Les mécanismes de défense caractéristiques de ce stade sont : l'apathie ou retrait de l'énergie libidinale, la dénégation (de l'absence de la satisfaction désirée, s'accompagnant d'une satisfaction hallucinatoire), l'introjection (intériorisation de l'objet aimé manquant comme compensation à sa perte). Ces deux derniers mécanismes impliquent qu'une différenciation minimale est atteinte entre le soi et le monde extérieur. Des attitudes sociales et des traits de caractère adulte qui représentent des fixations, des sublimations ou des formations réactionnelles (transformation d'une impulsion en son contraire) à l'encontre des pulsions originelles comportent la passivité, la dépendance, la réceptivité, la curiosité, la générosité, la soumission, l'optimisme, l'impatience, l'agitation, la tendance à fumer, la gloutonnerie, la boulimie, la logorrhée. b) La période sadique-orale s'étale de six mois environ à dix-huit mois. Les sources principales d'énergie libidinale sont les dents, les mâchoires, la peau et les organes des sens ; le mode d'obtention du plaisir est l'incorporation active (saisir) et s'exprime par la morsure et l'acte de mâcher ; l'objet investi est de nature essentiellement auto-érotique mais une partie de l'énergie est canalisée en direction du Moi (l'investissement du Moi est appelée «narcissisme») et une autre partie en direction de l'objet externe (la même telle qu'elle est perçue par le nourrisson). Les principales frustrations normales sont le sevrage et la naissance d'un nouvel enfant. Les mécanismes de défense caractéristiques comprennent le retrait de la libido, la dénégation, l'introjection et la projection (attribution à l'environnement extérieur de ses propres impulsions jugées inacceptables). Les attitudes et les traits de caractère adulte portant la marque de cette période comprennent la revendication, l'adhésivité, l'âpreté, l'ambivalence, l'envie, la jalousie, le cynisme, le pessimisme et le goût du sarcasme. Considéré comme un tout, le stade oral décrit l'enfant aux prises avec un conflit entre la confiance et la méfiance. Au cours de cette période, l'enfant instaure des dispositions durables (mais non nécessairement irréversibles) à la confiance ou à la défiance à l'égard du monde extérieur et de sa propre aptitude à maîtriser ses besoins et susciter les réponses d'autrui. Le Développement du Moi se reflète

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dans la distinction croissante entre le vécu intérieur et la réalité extérieure ; dans la reconnaissance par l'enfant des objets externes, dans la prise de conscience progressive d'une réalité objective, indépendante de sa prospection ; dans la naissance de son aptitude à demander, à signaler ses besoins («demander») et non plus à mettre de simples cris, réflexes de détresse ; l'instauration d'une conception duelle primaire de la mère vue comme «bonne» quand elle gratifie et comme «mauvaise» quand elle frustre, d'une conception duelle de soi-même vu comme tout-puissant ou démuni selon son état de satisfaction ou de frustration. Au cours du stade oral, le nourrisson et la mère constituent au sein de la famille un sous-système relativement isolé. Du point de vue de systèmes sociaux plus vastes, de la famille et de la communauté, le rôle de la mère est de veiller à ce que l'enfant s'épanouisse et développe en lui le besoin social de sa présence et de son approbation. Ceci permettra ultérieurement à la mère d'entraîner l'enfant à supporter les frustrations et les exigences diverses auxquelles il sera confronté, lorsqu'il s'éloignera du sous-système mère-enfant, isolé et protégé vers des systèmes plus vastes comprenant la fratrie et d'autres adultes. Le rôle de l'enfant est d'apprendre à attendre les soins maternels, à en être dépendant et à harmoniser ses besoins fragmentaires en fonction des rythmes déterminés socialement des soins maternels attendus. Les systèmes sociaux plus vastes de la famille et de la communauté facilitent l'instauration de ce stade en valorisant «l'amour maternel» et en minimisant au cours de cette période les autres responsabilités incombant à la mère. Des perturbations sévères du développement au cours du stade oral se retrouvent dans la schizophrénie caractérisée par une dénégation ou un retrait de la réalité, un vécu hallucinatoire, une idéation excessive, une inaptitude à faire clairement la distinction entre la réalité interne et la réalité externe, un système de pensée soumis au processus primaire ; dans les états dépressifs (caractérisés par des dépressions intenses, l'autodépréciation, l'agitation, les distorsions du schéma corporel) et dans la psychose maniaco-dépressive (caractérisée par d'excessives sautes d'humeur, qui va de l'euphorie à la dépression et par une image de soi profondément ambivalente — à la fois toute-puissance et dénuement —, et de son environnement — à la fois bienveillance et hostilité). Bien que les psychanalystes aient l'habitude de voir dans la psychose une perturbation du stade le plus précoce du développement, ils n'en contestent pas pour autant que les expériences ultérieures

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jouent un rôle dans le déclenchement de la psychose et dans la constitution de sa symptomatologie particulière. Cela dit, il n'existe malheureusement pas d'exposé précis des schémas caractéristiques de la petite enfance ni les déficiences constitutionnelles prédisposant un individu à la psychose. 2. Le stade anal. On divise ce stade en deux périodes : sadique-anale et érotique-anale. a) La période sadique-anale va de huit mois environ à vingt-quatre mois. L'anus, les seins et le système musculaire sont érotisés ; le mode d'obtention du plaisir est éliminatoire et s'exprime à travers des activités telles que la défécation, l'expulsion ou la destruction. L'investissement objectai est de nature essentiellement auto-érotique et narcissique, mais elle est également dirigée vers la mère. Les frustrations normales principales sont le dressage sphinctérien et d'autres exigences concernant la maîtrise du corps. Le mécanisme de défense, caractéristique de cette période, est la projection ; les traits de caractère sont essentiellement l'autoritarisme, l'hostilité, le désordre, l'irresponsabilité, la lubricité, la saleté, l'agitation, l'extravagance et l'assurance excessive. b) La période érotique-anale s'étend approximativement de la première à la quatrième année ; sont érotisés l'anus, les seins, les sphincters, l'urètre et le système musculaire ; le mode d'obtention du plaisir est la rétention et se traduit par des activités telles que la rétention de l'urine et des fèces. Uinvestissement objectai est de nature essentiellement narcissique mais il est également dirigée vers la mère et dans une moindre mesure, vers le père. Les frustrations normales caractéristiques sont le dressage sphinctérien ainsi que d'autres exigences de la maîtrise de soi. Les mécanismes de défense caractéristiques sont la formation réactionnelle, l'isolation (de la pensée, et de l'affect en jeu), l'annulation, l'intellectualisation et la rationalisation. Les attitudes sociales et les traits de caractère de cette période comprennent le goût de l'ordre, l'entêtement, l'avarice, la ponctualité, le pédantisme, la prudence, la rigueur, la tendance au collectionnisme, l'indécision, la tendance à la possessivité et à la soumission. Le stade anal montre l'enfant aux prises avec un conflit entre l'autonomie et la honte ou le doute. Comme l'a dit Erikson (1950), le problème pour l'enfant est d'acquérir «la maîtrise de soi sans perdre

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l'estime de soi». De cette réussite découle un sentiment durable d'indépendance et d'orgueil. Au contraire, des tentatives trop précoces de maîtrise ou une ingérence parentale excessive peuvent entraîner un sentiment durable d'indécision et de doute. Le développement du Moi se reflète dans la façon dont l'enfant acquiert rapidement des aptitudes à la locomotion, la manipulation et la communication. L'acquisition du langage aide l'enfant à adapter ses processus perceptifs et ses processus cognitifs aux schèmes socialement communicables caractéristiques de son environnement social. Il favorise l'instauration de sa conscience de soi et de sa capacité de maîtrise ainsi que l'instauration du Surmoi. Comme White l'a déclaré (i960, p. 118) : «C'est au cours de la deuxième et troisième année que l'enfant, à la suite d'une maturation progressive de la coordination globale et de sa capacité verbale, atteint un point critique dans son aptitude à s'adapter à son environnement social. » Il commence alors à se comporter de façon autonome, avec une conscience plus organisée de sa compétence. Il tente d'instaurer des méthodes de nature à lui éviter d'être perturbé par son environnement et à lui permettre de se poser et de s'affirmer. Au stade oral, c'est la mère qui porte seule la responsabilité des besoins de l'enfant, lequel n'a aucun moyen de faire plaisir à la mère. Au stade anal en revanche, la mère et l'enfant ont des rôles de réciprocité ; le rôle de la mère consiste à aider l'enfant à acquérir une conscience de ses capacités et son Moi ainsi que l'acceptation consciente des règles de conduite édictées par les adultes. En effet, c'est à la mère que revient la tâche délicate et souvent conflictuelle d'aider l'enfant à reconnaître et à accepter la distinction entre l'autorité et le pouvoir qu'il a sur lui-même et sur son environnement. La dépendance de l'enfant et son besoin d'affection instaurés au cours du stade oral fournissent une base positive à l'autorité maternelle et aide l'enfant à s'y plier. A l'enfant d'apprendre à respecter et à se soumettre à l'autorité parentale en même temps qu'il recherche une plus grande compétence et conscience de soi. Pour soutenir l'autorité maternelle et pour éviter à la mère de régresser à son rôle «oral» d'acceptation et d'approbation inconditionnelle de l'enfant, l'autorité paternelle (force et crainte du châtiment) demeure l'autorité ultime pour induire l'obéissance. Les psychopathologies reliées au stade anal comprennent : la paranoïa (caractérisée par des hallucinations systématiques dans lesquelles le patient se croit la cible d'une conspiration visant à l'attaquer, l'humi-

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lier ou le dominer) ; le caractère psychopathe (caractérisé par une indifférence au bien et au mal et par une absence de culpabilité en cas de viol des valeurs morales) ; les désordres sado-masochistes (caractérisés par un besoin de contrôler ou dette contrôlé, de dominer ou de soumettre, d'exploiter ou d'être exploité, de battre ou d'être battu) ; et enfin les désordres de nature obsessive-compulsive (caractérisés par des symptômes compulsifs, une incapacité à prendre des décisions, une rumination excessive, des sentiments de doute et de culpabilité). 3. Le stade phallique. Ce stade s'étend approximativement de la troisième à la sixième année. L'énergie libidinale se localise à la zone génitale. Le mode d'obtention du plaisir est la pénétration pour les garçons et l'incorporation pour la fille et se traduit par une activité masturbatoire. L'objet de l'énergie libidinale est essentiellement le parent de sexe opposé. La crainte normale essentielle pour le garçon est la menace de castration par le père, quant à la fille, la certitude d'avoir été châtrée l'amène à déplacer son affection de la mère vers le père. Moins sensible à la menace de castration que le garçon, la fille sera moins motivée à liquider son complexe d'Œdipe, son attachement au parent du sexe opposé. Les mécanismes de défense caractéristiques sont le refoulement, le déplacement et la conversion. Les attitudes sociales et les traits de caractère reflétant cette période comportent l'impulsivité, la naïveté, l'instabilité, le conformisme, la superficialité, l'opportunisme, l'excès d'assurance, l'arrogance. Erikson indique qu'à ce stade du développement, l'enfant est confronté à un conflit entre l'esprit d'initiative et la culpabilité. Il a pour tâche d'assurer une «cohésion interne» telle qu'elle lui permette d'orienter ses efforts vers ses rôles d'adulte futur, tout en gardant la conviction de sa valeur personnelle et la conviction que chemin faisant, il ne lésera personne et ne sera pas lui-même meurtri. «C'est à ce stade que le grand maître de l'initiative qu'est la conscience s'installe de façon durable» (Erikson, 1959, p. 80). Le problème à ce stade est l'accession à un état de conscience qui va favoriser une initiative de bon aloi et non l'étouffer. Le développement du Moi se caractérise par des progrès rapides dans les domaines de la locomotion, du langage et de l'imagination. White écrit (i960, p. 122 et sq.) : «La locomotion cesse d'être une prouesse pour devenir un outil docile... L'apparition de ces schèmes moteurs apparemment adultes lui permettent de se comparer aux

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grands non sans s'interroger sur la différence de taille. Dans le même temps, le langage atteint un stade de développement où il autorise une compréhension élargie et des échanges sociaux plus vastes... L'aptitude linguistique ouvre désormais diverses voies pour partir à la découverte du monde extérieur... L'imagination constitue la troisième sphère d'aptitude dans laquelle on enregistre de nets progrès au cours des quatrième et cinquième années... C'est l'époque où l'enfant commence à s'identifier à divers rôles adultes... Où il commence à vivre des rêves effrayants qui comportent des agressions et des poursuites par des loups.» Au fur et à mesure que s'épanouit chez l'enfant la conscience de son environnement social, il commence à saisir la nature des rôles sexuels et aspire au rôle tenu par le parent du même sexe. Cette aspiration le met au cœur d'un conflit avec le tenant réel de ce rôle, conflit qui aboutit à la crise œdipienne. Le Surmoi ne parvient à maturité qu'avec la résolution heureuse du complexe d'Œdipe, quand l'enfant renonce à posséder en tant que partenaire sexuel le parent de sexe opposé et quand il intériorise les valeurs clés qui gouvernent les rôles sexuels et adultes correspondant à son sexe. Sur le plan du système social, le stade phallique implique pour l'enfant le passage d'un système parents-enfant qui se différencie uniquement en termes de pouvoir à un système qui comporte deux axes de différenciation de rôles : le sexe (masculin/féminin) et le pouvoir (adultes/enfant). L'enfant pré-phallique que l'on caractérise le plus souvent par le terme de pré-génital est «sans sexe» comme le sont les versions infantiles pré-génitales de «mère» et «père». Parsons (Parsons et Baies, 1955, p. 101) suggère : «La différence essentielle entre les sexes dans les divers types de personnalité est que... la personnalité masculine tend plus vers la prédominance de besoins, de fonctions et d'intérêts instrumentaux... alors que la personnalité féminine tend plus vers la prédominance, d'intérêts de besoins et de fonctions expressives.» Par «instrumental», Parsons entend la tendance à s'orienter vers l'accomplissement de tâches, la résolution de problèmes, l'affrontement de difficultés dans le monde extérieur ; par «expressives», Parsons entend la tendance à établir des relations interpersonnelles harmonieuses et de soutien, à réduire les tensions et à procurer le confort. Le passage de l'enfant pré-génital au «garçon» ou à «la fille» exige que soient nettement distingués les rôles «paternel» et «maternel» Au stade anal, la mère constitue pour l'enfant la source essentielle

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d'amour et d'exigence quant à la maîtrise de soi. Lorsque l'enfant atteint le stade phallique, c'est le père qui devient la source essentielle de nouvelles exigences, de conformisme et de réalisations, alors que la mère demeure la source essentielle d'acceptation et d'amour. Les nouvelles exigences sont différenciées par rapport au sexe et imposent des comportements caractéristiques d'un garçon ou d'une fille. L'enfant doit s'identifier simultanément au «nous» de la famille en tant que groupe et au «nous» de l'enfant face à l'adulte et au «nous» des hommes comme le père (ou au «nous» des femmes comme la mère). Ces exigences entrent en conflit d'une part, avec la relation mèreenfant caractéristique des stades précédents et d'autre part, avec les aspirations précoces à l'état d'adulte. En se comportant comme une équipe différenciée d'agents de socialisation, le père et la mère aident l'enfant à surmonter ces conflits. A ce stade, il incombe à la mère de se dégager progressivement de son attachement à l'enfant, d'appuyer les exigences paternelles pour une assomption croissante du rôle de «garçon» ou de «fille», d'être indulgente et compréhensive à l'égard des expressions symboliques de frustration, de dépendance et d'agression chez l'enfant et d'accepter et approuver l'enfant dans son rôle de «garçon» ou de «fille». Au père incombe la responsabilité d'aider la mère dans sa tâche de désinvestissement, de mettre en place les nouvelles exigences qui permettront à son enfant de se comporter de façon adéquate dans des structures non familiales, et enfin d'encourager l'enfant dans ses réussites. A l'enfant incombe la responsabilité de renoncer à son attachement pré-œdipien à la mère, de réussir son identification quant au rôle sexuel avec le parent de même sexe — devenir un «garçon» ou une «fille». Les entités psychopathologiques caractéristiques de ce stade comprennent l'hystérie de conversion (caractérisée par des symptômes imitant un trouble physiologique, par exemple une paralysie hystérique), l'amnésie ou perte de mémoire due au refoulement, les états anxieux et les phobies. 4. La période de latence. Cette période s'étend de la cinquième à la douzième année ; l'énergie libidinale est désexualisée et déplacée de la famille aux substituts parentaux que sont les maîtres et les amis du même sexe. Les craintes normales essentielles sont l'insuccès et le rejet par les pairs ; les mécanismes de défense caractéristiques comportent l'identification à l'agresseur et la formation réactionnelle qui se manifeste souvent par une loyauté inconditionnelle à l'égard du chef

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et du groupe. Les traits de caractère et attitudes sociales q u i caractéri-

sent cette période sont l'assiduité au travail, l'infériorité, la sociabilité, la compétition, la coopération, la loyauté, l'altruisme et le moralisme et la masculinité compulsive. Durant la période de latence, l'enfant s'intègre au monde extérieur à sa famille immédiate. Les discriminations s'établissent entre «mère» et «femme», «père» et «homme», «sœur» et «fille». L'enfant commence à comprendre ce qui est «particulier» à ses relations familiales et ce qui est «universel» pour les garçons ou les écoliers de sa catégorie. Cette distinction entre le particulier et l'universel favorise l'épanouissement de la pensée logique. L'enfant commence à acquérir les attitudes et les aptitudes nécessaires à l'assomption du rôle qui lui est dévolu dans la communauté adulte. L'école lui inculque les valeurs propres à la communauté et constitue une transition entre les orientations personnelles et spécifiques du monde familial et les orientations impersonnelles et universalistes de la communauté élargie. Le groupe des pairs fournit la possibilité d'instaurer des relations fondées sur une égalité de statut et autorise l'élection ou le rejet des autres comme amis. Les premiers psychanalystes et les traditionnels n'estiment pas que la période de latence engendre de quelconques formes psychopathologiques spécifiques mais au contraire, ils sont convaincus que les problèmes surgissant au cours de la période de latence ne font que réfléter une résolution imparfaite de conflits antérieurs. Plus récemment, certains psychanalystes ont admis que les problèmes de développement se posaient tout au long de la vie. Ainsi Erikson (1950) qui a décrit les «huit stades de l'homme» qui vont de la petite enfance à la maturité. Pour lui, le danger spécifique de la période de latence réside dans l'apparition d'un sentiment d'inefficacité et d'infériorité. Sullivan (1953) qui, plus que la majorité des analystes, s'est attaché à la description clinique fouillée des problèmes de développement qui se poursuivent jusqu'à la fin de l'adolescence, qualifie la «période de latence» d'«ère juvénile». Il considère les individus demeurés fixés à cette ère juvénile comme des «juvéniles chroniques» : il s'agit d'individus constamment anxieux de faire reconnaître par leurs pairs leur réussite et leurs succès. Dans cette population de juvéniles chroniques, «on constate un mode de vie compétitif dans lequel pratiquement tout ce qui a une importance réelle fait partie d'un processus qui consiste à se placer à la tête» (Sullivan, 1953, p. 232). De façon plus générale, Sullivan suppose que les «défaillances» carac-

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téristiques de l'ère juvénile traduisent le fait que le jeune individu n'est pas parvenu à s'intégrer au sein du groupe de ses pairs : son souci de la «compétition, du compromis, de la popularité, de l'ostracisme, du dénigrement», traduit cet échec. 5. Puberté et adolescence. Dans la littérature psychanalytique classique, il est dit que le processus biologique de maturation sexuelle est à l'origine de la puberté et de l'adolescence et qu'il engendre un retour des pulsions instinctuelles sexuelles refoulées au cours de la période de latence. Un des rares psychanalystes «orthodoxes» à avoir tenté d'étendre et d'appliquer à l'adolescence les théories psychanalytiques, Bios, écrit (1962, pp. 11 et sq.) : «L'adolescence est considérée ici comme la somme de toutes les tentatives d'adaptation au stade pubertaire, au nouvel ensemble de conditions internes et externes — endogènes et exogènes — qu'affronte l'individu. L'urgence qu'il y a à s'adapter aux conditions nouvelles créées par la puberté suscite tous les modes d'excitation, de tension, de gratification et de défense qui avaient joué un rôle dans les années précédentes, c'est-à-dire au cours du développement psychosexuel de la prime enfance et de l'enfance. Ce mélange venu de l'enfance rend compte de la bizarrerie et du caractère régressif des conduites adolescentes. Il est l'expression typique de la lutte de l'adolescent pour garder ou restaurer un équilibre psychologique fortement ébranlé par la crise pubertaire. Il faut une récapitulation des besoins et conflits émotionnels caractéristiques de la petite enfance pour que soient trouvées de nouvelles solutions à l'aide d'objectifs instinctuels et d'intérêts du moi qualitativement différents... L'approche progressive tout au long de l'adolescence de la position génitale et de l'orientation hétérosexuelle n'est que la continuation d'une courbe qui a respecté un palier lors du déclin de la phase œdipienne.» En d'autres termes, l'adolescent qui s'éveille à la sexualité doit convertir ses sentiments incestueux en conduites hétérosexuelles orientées vers ses égaux en âge, parmi les personnes de sexe opposé étrangères à sa famille. Parallèlement à cette tâche, il doit affirmer son identité de manière à se reconnaître et à se faire reconnaître par les autres au sein de la communauté. Cette identité s'incarne dans les valeurs, les rôles et les groupes auxquels un individu adhère ou auxquels il aspire. Erikson a clairement décrit l'adolescence comme étant la période où à la «suspension psychosexuelle» (psychosexual moratorium) de la période de latence se substitue une «suspension psycho-

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sociale» (psychosocial moratorium). Il écrit (1959, p. 111) : «L'adolescence peut être décrite comme une suspension psychosociale (psychosocial moratorium) durant laquelle l'individu, à travers une libre expérimentation de rôle, peut trouver une case dans l'une des sections de sa société, case qui tout en étant strictement délimitée, semble être faite uniquement pour lui. Cest en trouvant cette case que le jeune adulte acquiert la conviction d'une continuité intérieure et d'une identité sociale qui établit un pont entre ce qu'il était en tant qu'enfant et ce qu'il est appelé à être ; cela réconcilie sa conception de lui-même et la reconnaissance de lui-même par sa communauté. » Erikson souligne en outre (1959, pp. 117 et sq.) : «La personnalité prolixe et vulnérable, distante et réservée, et pourtant exigeante et intransigeante de l'adolescent peu névrosé comporte de nombreux éléments d'une expérimentation à moitié voulue de rôles, sur le mode du défi lancé à soi-même et à autrui. On peut donc voir dans cette dispersion apparente un jeu social qui serait l'authentique rejeton du jeu infantile. De même, le développement du moi de l'adolescent exige et autorise une expérimentation ludique, fût-elle téméraire, à travers rêveries et introspection... On peut en dire autant de la 'fluidité des défenses' caractéristique de l'adolescence... Pour une bonne part, cette fluidité n'est nullement pathologique, car l'adolescence est une crise où seule une défense fluide peut triompher d'un sentiment de victimisation en raison des exigences internes et externes et dans laquelle seule une conduite par essais et erreurs peut mener aux voies les plus heureuses de l'action et de l'expression de soi. » Erikson indique ensuite que les pré-sociétés d'adolescents fournissent un appui global à l'expérimentation libre et l'éventualité que, pour un adolescent donné, ses capacités nouvellement acquises soient freinées par le conflit infantile dépend dans une large mesure de la qualité des occasions et des gratifications qui lui sont offertes au sein du groupe de ses pairs. Pour parler des sous-cultures des adolescents, Parsons (1942) recourt à l'expression «culture adolescentes. Il fait l'hypothèse que la jeune culture a pour fonction importante et positive de faciliter le passage de la sécurité de l'enfance à l'âge adulte tel qu'il se définit par un engagement dans un statut marital et professionnel. Contrastant avec l'importance accordée à la responsabilité, caractéristique des rôles adultes, la culture adolescente est, dans une certaine mesure, tournée vers l'irresponsabilité (irresponsabilité qui peut être une condition

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nécessaire de l'expérimentation libre au cours de la suspension psychosociale). Parsons remarque que l'une des expressions favorites de la jeune culture est «prendre du bon temps» avec une insistance particulière sur les activités sociales effectuées en compagnie du sexe opposé. On pourrait penser que la coloration romantique du Soi et la fascination exercée par les rôles sexuels qui sont caractéristiques de la culture adolescente ont vraisemblablement pour fonction d'offrir à l'adolescent une gratification compensatoire au moment où il affronte les rôles spécialisés et segmentarisés de l'âge adulte et où, partant, il s'éloigne des liens affectifs diffus qui l'unissaient à sa famille et de cette sensation de complétude indifférenciée qui caractérise le rôle de l'enfant. La coloration romantique du Soi préserve ce sentiment de complétude au moment où l'adolescent tente d'acquérir une identité adulte tandis que la fascination sexuelle facilite la canalisation de la sexualité des figures parentales aux «jeunes et fascinants» partenaires du même âge. La conscience croissante de l'identité se traduit par le sentiment d' «être bien dans sa peau», l'impression de «savoir où on va» et la conviction intérieure que l'on sera reconnu par ceux qui comptent. Mais tous les adolescents ne sont pas capables d'accéder à cette conscience de leur identité. Erikson a qualifié de «dispersion de l'identité» ce type de perturbation psychologique qui reflète les résultats pathologiques du travail évolutif propre à l'adolescence. La dispersion de l'identité se traduit généralement par des troubles psychologiques lorsqu'un adolescent se trouve confronté à un ensemble d'expériences exigeant de lui son engagement simultané dans une relation intime, dans un choix professionnel impératif, dans une situation compétitive et dans une définition psychosociale de soi. L'individuation ou la définition de soi et la nécessité de prendre des engagements durables entraînent la disparition irrévocable des rêves les plus chers de l'enfance. Comme Bios l'a écrit (1962, p. 12) : «La prise de conscience de la fin de l'enfance et de sa finalité, de la nature contraignante des engagements, et des limites mêmes de l'existence, cette prise de conscience engendre un sentiment de danger, de crainte et de panique. C'est pourquoi plus d'un adolescent s'efforce de demeurer indéfiniment au sein d'une phase transitoire de développement, c'est cet état que l'on appelle l'adolescence -prolongée.» Les symptômes de dispersion de l'identité ou de l'adolescence prolongée sont bien entendu aussi variés que les «symptômes de

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l'adolescence». Ils se manifestent par des perturbations du Moi (telles qu'une distorsion du vécu temporel, une incapacité à subordonner les rêveries à un mode de pensée réaliste ou une fluidité des défenses et des processus de contrôle), par un excès ou un manque de conscience de soi, par une incapacité à contracter des engagements durables, par un besoin de crises et de tourments incessants, par une alternance d'implication ardente et de désintérêt, par une adhésion persistante à la jeune culture, etc. Des aspirations grandioses caractérisent souvent la vie de ces jeunes gens, soit qu'ils aient été traités en petits dieux dans leur tendre enfance, soit que leurs parents aient fantasmé une réussite indirecte à travers celle de leurs enfants. Pour ces adolescents chroniques, comme l'a souligné Bios (1962, p. 224), «leur grand avenir s'étend derrière eux... Rien dans ce que la réalité a à offrir ne peut rivaliser avec cette ivresse légère et cette certitude d'être unique éprouvées par l'enfant lorsqu'il baignait dans l'admiration et la confiance maternelle». 6. Les trois étapes de l'âge adulte. Mis à part quelques réflexions d'Erikson et quelques commentaires de Jung, la théorie psychanalytique ne s'est pas intéressée à l'âge adulte. Erikson (1959) souligne pourtant que l'accession à des relations intimes avec autrui est l'une des étapes du développement que doit franchir le jeune adulte ; si cette étape n'est pas franchie, l'individu demeure centré sur luimême, isolé, ou dans une quête perpétuelle, faite de tentatives renouvelées et d'échecs répétés, pour atteindre à cette intimité. L'instauration de relations intimes authentiquement réciproques avec une autre personne exige la conscience de son identité ; elle exige donc qu'aient été franchis avec succès les stades antérieurs de développement. La contrepartie de l'intimité est la «distanciation» : la capacité de s'opposer et de se défendre contre ceux qui portent atteinte à ce qu'on pose comme valeurs. C'est au début de l'âge adulte que se renforce la capacité d'être sans ambivalence pour ou contre. Erikson caractérise l'objectif du second stade de l'âge adulte comme étant la «productivité» : le souci d'établir et de guider la seconde génération ; ce souci peut se traduire de manière directe en assumant sa responsabilité parentale ou de manière indirecte dans d'autres formes d'intérêt altruiste et de créativité. Erikson note (1959, p. 97) : « Il arrive souvent que les individus qui ne parviennent pas à la productivité se conduisent à l'égard d'eux-mêmes comme s'ils étaient leur propre enfant unique.» Devenir soi-même parent n'implique pas

La théorie psychanalytique classique

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nécessairement que la productivité soit atteinte car beaucoup de parents tardent à atteindre ce stade, s'ils l'atteignent jamais. Pour Erikson, ce qui caractérise le troisième stade de l'âge adulte, à savoir la maturité, c'est l'accession à l'intégrité (1959, p. 98) : «C'est l'acceptation de sa propre et unique existence et des personnes qui y ont pris une importance comme quelque chose qui devait être et qui, par nécessité, n'a pu tolérer de substituts. Cela sous-entend donc un nouvel amour différent à l'égard de ses propres parents, libéré du désir qu'ils eussent été différents et l'acceptation du fait que l'on soit le seul responsable de sa propre existence. C'est l'instauration d'une relation fraternelle avec des hommes et des femmes d'âges et d'orientations différents qui ont élaboré des normes, des objets et des discours porteurs de dignité humaine et d'amour.» L'absence du sentiment d'intégrité se traduit par le désespoir, le sentiment que la vie est trop courte pour risquer un nouveau départ et pour découvrir d'autres voies qui mèneraient à l'intégrité.

Critique de la théorie psychanalytique du développement

psychosexuel

Pour une juste évaluation de la théorie psychanalytique du développement psychosexuel, il faut rendre hommage à la portée révolutionnaire de l'optique psychanalytique, selon laquelle la personnalité évolue en fonction du vécu spécifique de l'individu tout au long d'une séquence de stades de développement, qui découle des caractéristiques bio-sociales de l'espèce humaine. Un volume important de recherches sur les effets des pratiques éducatives sur le développement de la personnalité a été stimulé par la détermination de stades spécifiques de développement et par l'individualisation détaillée de chacun des stades sous l'angle des plaisirs, des frustrations, des mécanismes de défense, des ressources du Moi, des diverses fonctions et perturbations qui le caractérisent. Mais la totalité de ces recherches (voir le résumé qu'en a fait Lind2ey, 1954) est loin de venir à l'appui de la thèse selon laquelle les caractéristiques de la personnalité adulte sont des dérivés d'expériences spécifiques de plaisir ou de frustration vécues à un stade précis du développement. Par exemple, le soi-disant caractère «anal» — goût de l'ordre, avarice, obstination — ne semble pas découler d'expériences spécifiques de l'époque de l'éducation sphinctérienne, mais bien plutôt d'expériences prolongées qui recouvrent tous les stades du développement

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La théorie psychanalytique

D'autres critiques importantes ont été formulées à l'adresse de la théorie freudienne du développement. 1°) Dans sa première formulation, la théorie affirmait que le développement individuel était une sorte de récapitulation de schémas phylogénétiques et partant, que les stades de développement — y compris le développement du complexe d'Œdipe — apparaissaient d'une manière prédéterminée et génétiquement invariable. Cet énoncé de la théorie laissait peu de place aux influences sociales sur le développement de la personnalité et ne pouvait rendre compte des différences manifestes constatées d'une culture à l'autre. Même dans la version plus élaborée qui met l'accent sur les influences sociales (celle que nous avons tenté de décrire), les stades de développement sont essentiellement décrits à partir d'individus appartenant à notre culture et ils ne sont donc pas nécessairement valables pour la nature humaine en général. Il est évident que la période appelée période orale change de caractère lorsque les enfants sont autorisés à téter jusqu'à quatre ans et plus ; la période anale est forcément différente lorsqu'il n'y a pas de lieux d'aisance et aucun apprentissage sphinctérien systématique ; la «période phallique» doit prendre d'autres aspects dans la pièce unique si répandue dans le monde où parents et enfants partagent le même lit ; la «période de latence» s'applique mal aux multiples sociétés où l'on autorise et encourage les jeux sexuels entre garçons et filles. 2°) La psychanalyse ne rend que très partiellement compte des phénomènes de développement. Elle sous-estime entre autres l'importanct du développement cognitif et le rôle du langage dans l'évolution de l'enfant et dans l'épanouissement des aspirations de l'enfant. De façon plus générale, le développement des systèmes non sexuels (perception, cognition, motricité, objectifs non sexuels) est négligé. Et pourtant, ces systèmes non sexuels subissent eux aussi une évolution et sont eux aussi grandement influencés par les expériences précoces. Ainsi, les processus d'apprentissage et la manière dont ils sont affectés par le développement et dont ils l'affectent, sont nettement sousestimés. 3°) Le développement de la personnalité est uniquement conçu en termes de structure et de dynamique internes, au détriment des relations existant entre la personnalité et la structure et la dynamique

La théorie psychanalytique classique

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sociales. Cette critique est valable tant pour les phénomènes collectifs (par exemple, le peu de place accordé par Freud aux facteurs extérieurs tels que la classe sociale, la pauvreté ou la guerre dans le développement de la personnalité) que pour les phénomènes particuliers (par exemple, la tendance à ne considérer les relations parentsenfant que sous l'angle de l'influence des parents sur l'enfant au lieu de l'envisager comme une interaction au sein de laquelle l'enfant influence également les parents). 4°) On pourrait comparer la théorie freudienne du développement à une stratification géologique des différentes époques de l'évolution dans laquelle les premières couches sont recouvertes mais non modifiées par les couches ultérieures. Les notions de fixation et de régression illustrent bien cette conception. Un adulte qui «régresse» n'en redevient pas cependant un enfant ; il y a des différences notables entre les processus de pensée d'un nourrisson et d'un schizophrène. 5°) L'imagerie pseudo-concrète de la théorie psychosexuelle du développement fige les relations parents-enfant dans un cadre par trop stéréotypé. Elever un nourrisson, par exemple, ne se borne pas à un simple échange entre le sein maternel et une bouche de bébé ; cela se réalise au travers de bien d'autres activités et par l'intermédiaire de bien d'autres systèmes organiques ; de même une attitude globale tendant à «faire prendre soin de soi» n'est vraisemblablement pas uniquement déterminée par des échanges au niveau du seul mode oral. 6°) La manière dont la théorie identifie les déterminants constitutionnels et les déterminants vécus du développement psychosexuel manque de précision. En d'autres termes, la théorie ne permet guère de prédire les circonstances qui conduiront, soit à la «fixation» soit à la «régression», de prédire les conditions qui feront qu'une «fixation» d'un trait infantile (tel que 1' «érotisme anal») entraînera une «persistance» de ce trait de caractère («la saleté») ou une «formation réactionnelle» («compulsion à la propreté») dans la vie ultérieure. La théorie psychanalytique n'apporte donc qu'une aide relative aux parents désireux d'aider leurs enfants à éviter les traquenards de la petite enfance. Il faut néanmoins reconnaître que cette théorie a signalé certains des dangers que pourraient faire courir aux enfants

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La théorie

psychanalytique

une frustration ou une indulgence excessive à leur égard au moment où ils ont pour tâche d'assurer leur propre développement.

L'APPORT DE LA PSYCHANALYSE À LA PSYCHOLOGIE SOCIALE

L'influence de Freud sur la psychologie sociale a été décisive et l'approche psychanalytique, telle qu'on a tenté de la décrire dans les pages qui précèdent, a profondément marqué la pensée et les travaux de nombreux psychosociologues, sociologues et anthropologues. Nous examinerons maintenant : 1°) les écrits de Freud lui-même touchant aux sciences sociales ; 2°) l'apport de la psychanalyse à l'étude de la formation des habitudes, par exemple dans l'ouvrage collectif sur la Personnalité autoritaire (Adorno, Frenkel-Brunswik, Levinson et Sanford, 1950) et 3°) les apports de la psychanalyse à l'étude de la culture et de la personnalité, plus particulièrement dans les travaux de Abram Kardiner.

Les travaux de Freud en psychologie

sociale

Freud a traité de la psychologie sociale dans cinq ouvrages principalement : Totem et Tabou (1913), Psychologie collective et analyse du Moi (1921), L'Avenir d'une illusion (1928), Malaise dans la civilisation (1930) et Moïse et le monothéisme (1939). Quelque critère que l'on adopte, il s'agit là d'œuvres fascinantes et d'une grande richesse imaginative. Néanmoins selon les critères actuels, ce sont des positions périmées s'appuyant sur des hypothèses et des données anthropologiques aujourd'hui dépassées. Freud soutenait, par exemple, que le développement individuel récapitule 1' «évolution culturelle» et que les sociétés primitives existantes sont à un «stade» antérieur de 1' «évolution culturelle». Il en déduisait que les cultures primitives offraient une image préservée du premier stade de notre propre développement culturel et que la vie psychique des primitifs constituait une réplique du premier stade de notre propre développement psychique. Dans Totem et Tabou, Freud avançait l'hypothèse que les systèmes de tabous et le totémisme observés dans les sociétés primitives décou-

L'apport de la psychanalyse à la psychologie sociale

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lent du conflit opposant le père et ses fils pour la possession de la mère, conflit qui, dans les tout premiers temps de l'histoire humaine aboutissait à une coalition des fils jaloux pour assassiner et dévorer le père. Ce «péché originel» engendrait le remords, l'institution de tabous comme mesures de défense contre les désirs incestueux interdits et le totémisme comme un moyen de fortifier l'identification du fils au père. Pour Freud, le complexe d'Œdipe découle de ce parricide primaire et les phobies d'animaux constatées chez les enfants seraient des vestiges infantiles du totémisme (la rivalité avec le père pour l'amour de la mère conduit l'enfant à déplacer sa peur et sa haine sur un animal). Cette conception présuppose un héritage lamarckien des caractères acquis par l'expérience, hypothèse dénuée de tout fondement scientifique. Dans Psychologie collective et analyse du Moi, Freud s'interroge sur la coexistence des sociétés et sur la nature des forces sociales de cohésion. Il tente d'apporter une réponse à l'aide de deux concepts fondamentaux : la «libido désexualisée» (ce qui unit les individus entre eux, c'est l'amitié qui est considérée comme une forme d'amour inhibée quant à ses buts, désexualisée ou sublimée) ; et 1' «identification» (les individus sont unis les uns aux autres au sein d'un groupe originel parce qu'ils ont élu le même leader comme idéal du Moi, qu'ils se sont identifiés à lui et, par conséquent, qu'ils se sont identifiés les uns aux autres). L'identification ne présuppose pas des sentiments positifs dénués d'ambivalence à l'égard du chef ; au contraire, Freud considérait l'identification au leader comme étant en partie un mécanisme de défense contre les sentiments hostiles à l'égard du supérieur (le père) et comme un moyen indirect de «devenir» le chef en s'identifiant à lui. Ainsi, selon Freud, le sentiment social serait fondé dans une certaine mesure sur un renversement de ce qui était à l'origine un sentiment hostile. Dans L'Avenir d'une illusion, Freud estime que, pour prix de sa protection, la société exige de l'individu qu'il maîtrise certaines satisfactions ou qu'il y renonce. Ces exigences engendrent une hostilité qui est annulée par l'identification à l'autorité interdictrice et l'intériorisation de celle-ci. Freud prétendait que Dieu remplissait pour beaucoup les mêmes fonctions à l'égard de l'adulte que le père à l'égard de l'enfant démuni. La croyance en Dieu aide l'homme à surmonter ses sentiments d'impuissance devant les forces de la nature et pour prix de cette assistance, l'homme accepte plus volontiers de maîtriser ou de renoncer à des satisfactions instinctuelles qui pour-

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La théorie psychanalytique

raient mettre en danger la société. Freud ébauchait là une hypothèse que Kardiner devait reprendre plus tard : les systèmes culturels servant à structurer le monde extérieur et les relations que l'homme entretient avec lui sont grandement influencés par le vécu de l'enfant en liaison avec ses parents et le reflètent souvent directement. Dans Malaise dans la civilisation, Freud reprenait l'idée que les objectifs de l'individu et ceux de la société ne coïncident pas. Il postulait là une agressivité ou un désir de destruction inné en l'homme qu'il considérait comme l'une des forces essentielle de désintégration de la société. La société domine les instincts agressifs en les intériorisant sous la forme du Surmoi et en les dirigeant contre le Moi. Sous l'influence du Surmoi sadique, le Moi peut devenir masochiste ou autodestructeur. Freud affirmait en effet l'existence en l'homme d'un besoin fondamental de destruction, besoin qui peut s'exprimer à l'égard des autres (de façon sadique) ou à l'égard de soi-même (de façon masochiste). Cette notion selon laquelle sadisme et masochisme sont les deux facettes de la même structure motivationnelle est une conception que l'on retrouve dans une large mesure dans La Personnalité autoritaire que nous allons aborder maintenant. La Personnalité autoritaire Le point de vue psychanalytique comportait à ses débuts une critique radicale des valeurs sociales de la société occidentale. C'était une psychologie démystifiante mettant en lumière les écarts séparant les apparences sociales des réalités psychologiques sous-jacentes ; elle mettait en lumière les difficultés auxquelles hommes et femmes étaient en butte dans leurs relations les plus intimes ; elle montrait comment l'autorité parentale était utilisée à couper l'enfant de ses pulsions fondamentales, etc. Ces attaques de la société retinrent l'attention de nombreux sociologues libéraux préoccupés des relations entre la culture et la personnalité. Durant l'entre-deux-guerres, cet intérêt s'illustra par l'inauguration de recherches à tendance psychanalytique concernant les relations entre la culture et la personnalité et de recherches également inspirées de la psychanalyse portant sur l'autoritarisme. Ces dernières furent stimulées par la montée du fascisme et du nazisme. Le caractère autoritaire du stalinisme fut généralement sous-estimé en partie parce que masqué par les slogans humanistes du marxisme et en partie en raison de l'aveuglement de nombreux sociologues libéraux.

L'apport de la psychanalyse à la psychologie sociale

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Lasswell (1930), Fromm (1941), Maslow (1943), Sartre (1946) et Reich (1946) furent parmi les premiers à tenter une description approfondie des fonctions des attitudes sociales dans la personnalité. Dans le sillage de ces premiers auteurs, La Personnalité autoritaire (Adorno et al., 1950) se proposait d'approfondir les origines et les conséquences du préjugé. Cette approche unissait l'orientation théorique de la psychanalyse et la méthodologie de la psychologie clinique et sociale. Bien que les auteurs de La Personnalité autoritaire n'aient jamais exposé de façon concise ou systématique la théorie sous-tendant leur ouvrage, celle-ci peut se résumer comme suit : la «personnalité autoritaire» est produite par les parents qui ont recours à l'égard de leur enfant à des formes rigides et dures de discipline, qui font dépendre leur amour et leur approbation d'une obéissance inconditionnelle de la part de l'enfant, qui mettent plus l'accent dans les relations familiales sur les devoirs et les obligations que sur les échanges affectifs, qui sont excessivement soucieux dans leurs relations interpersonnelles des distinctions de statut et qui se comportent avec mépris ou en exploiteurs à l'égard des tenants de statuts inférieurs. Soumis à cette autorité parentale, dure et arbitraire, l'enfant va nourrir une hostilité trop dangereuse pour l'exprimer à l'égard de ces parents frustrateurs mais redoutés. S'étant soumis, il acquiert également une image de luimême qui le fait se sentir plus dépendant de ses parents et partant moins à même de les défier ou même de les mettre en question. Le besoin chez l'enfant de réprimer sévèrement toute hostilité à l'égard des parents entraîne une identification à l'autorité et une idéalisation de celle-ci avec simultanément un déplacement de l'hostilité sur des groupes externes, généralement de statut inférieur. Accompagnant ce déplacement de l'hostilité, on constate une projection sur des groupes externes des impulsions autoritaires qui furent réprimées et refoulées au sein de la famille en raison de leur caractère inacceptable. La crainte de ses propres impulsions et la nécessité de les refouler sévèrement engendre une organisation rigide de la personnalité, un mode stéréotypé de pensée, un évitement de la conscience introspective et une attitude réprobatrice et moralisatrice à l'égard de toute valeur et de toute conduite non conventionnelles. Les relations personnelles sont perçues en termes de pouvoir et de statut. La «force» et la «dureté» sont idéalisées au détriment de la «faiblesse» et de «tendresse» qui sont associées l'une à l'autre et traitées avec mépris.

la théorie psychanalytique

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On peut dire en résumé que selon toute vraisemblance, les traits caractéristiques de la personnalité autoritaire trahissent des défenses contre l'expression d'une hostilité refoulée à l'égard de l'autorité ; les défenses essentielles sont la projection des pulsions inacceptables et refoulées sur des groupes externes, le déplacement de l'hostilité sur ces mêmes groupes et l'identification à l'autorité frustrante. Cette théorie a des implications nombreuses et intéressantes, plus nombreuses qu'on en peut énumérer ici. En premier lieu, elle indique que l'on peut attendre des personnalités autoritaires qu'elles soient dominatrices et qu'elles exploitent les faibles et les subordonnés et que par ailleurs, elles soient soumises et cauteleuses à l'égard des puissants ou des supérieurs. C'est effectivement une caractéristique de la conduite de nombreux nazis : arrogants dans la victoire et excessivement humbles dans la défaite. En second lieu, on peut s'attendre à ce que de telles personnalités affichent des préjugés, non seulement à l'égard des Juifs mais aussi à l'égard des Noirs et de tout autre groupe minoritaire. En outre, si l'on admet que la plupart des préjugés et des attitudes ethnocentriques sont basés sur des traits de personnalité sous-jacents, on s'attendra à voir ces attitudes associées à d'autres attitudes, par exemple à l'égard des problèmes politicoéconomiques, du pouvoir, de l'obéissance, de la sexualité, etc. En troisième lieu, si la plupart des préjugés prennent naissance dans une «personnalité autoritaire», il sera par conséquent malaisé de modifier ces préjugés ou d'en triompher, à moins que les représentants du pouvoir ne prennent des mesures énergiques et sans équivoque à l'encontre de tout préjugé et de toute discrimination. Même dans ce cas, le problème restera entier pour ladite personnalité autoritaire de savoir comment trouver un exutoire à l'hostilité refoulée ou comment maîtriser cette hostilité à l'égard du pouvoir. Les auteurs de La Personnalité autoritaire amorcent leur étude sur l'origine des préjugés au sein de la personnalité en analysant l'organisation des attitudes antisémites. Ils ont construit cinq échelles mesurant les diverses croyances concernant les Juifs : 1°) leur nature «blessante» ; 2°) 3°) 4°) 5°)

leur caractère «combatif» ; leur «tendance à l'isolement» ; leur «indiscrétion» ; les avantages de la ségrégation.

L'apport de la psychanalyse à la psychologie

sociale

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En dépit de l'apparente contradiction de certaines échelles (1' «indiscrétion» et la «tendance à l'isolement»), les intercorrélations entre les échelles sont relativement élevées (entre .74 et .83), ce qui indique que les croyances à l'égard des Juifs constituent un système d'attitudes relativement homogène. Adorno et ses collaborateurs ont ensuite recherché si l'antisémitisme fait partie d'une attitude plus vaste de rejet des groupes minoritaires. Pour répondre à cette question, ils ont construit une échelle d' «ethnocentrisme» composée de trois sous-échelles destinées à mesurer les attitudes à l'égard des Noirs, à l'égard des groupes minoritaires autres que les Juifs et les Noirs et les attitudes à l'égard des EtatsUnis considérés comme un groupe d'appartenance opposé aux autres pays considérés comme des groupes externes. Les intercorrélations des trois sous-échelles sont relativement élevées de même que leur corrélation avec la mesure de l'antisémitisme. Ces résultats viennent à l'appui de la thèse selon laquelle ethnocentrisme et préjugés constituent un ensemble vaste et cohérent. L'étape suivante a consisté à mettre au point un outil susceptible de mesurer les tendances antidémocratiques implicites rendant possible la mesure indirecte du préjugé. Des items sans référence directe à l'ethnocentrisme furent élaborés autour du concept de personnalité autoritaire. Après maints essais et erreurs, l'échelle F (vraisemblablement appelée ainsi parce qu'elle mesure la prédisposition au fascisme) fut mise au point ; il s'agit d'une échelle en trente items ; en voici quelques-uns : — l'obéissance et le respect de l'autorité constituent les vertus les plus importantes à inculquer aux enfants ; — on peut diviser les individus en deux grandes classes, les faibles et les forts ; — de nos jours, de plus en plus de gens se mêlent d'affaires qui devraient demeurer personnelles et privées ; — les homosexuels ne valent guère mieux que des criminels et devraient être sévèrement châtiés ; — la familiarité engendre le mépris. Les corrélations entre l'échelle F et l'échelle d'ethnocentrisme vont de .59 à .87 pour de nombreux groupes et différentes formes d'échelles. Ces résultats viennent à l'appui de l'opinion des auteurs selon laquelle

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La théorie psychanalytique

le préjugé s'enracine dans des prédispositions globales de la personnalité. Des entretiens cliniques approfondis furent menés avec des individus ayant obtenu des scores bas ou élevés d'ethnocentrisme et les résultats de ces entretiens, ainsi que ceux obtenus à des tests projectifs sont dans le même sens. On peut formuler de sérieuses critiques à l'égard de la méthode de La Personnalité autoritaire et on l'a d'ailleurs fait (voir à ce sujet, Christie et Jahoda, 1954). Parmi ces critiques, voici celles que nous avons retenues comme les plus fondées : 1°) Les données rassemblées en vue d'éprouver la théorie étaient elles-mêmes influencées par la théorie ; par conséquent, elles ne constituaient pas un instrument de contrôle impartial et autonome de la conception des auteurs (par exemple, les interviewers connaissaient avant l'entretien les scores obtenus par les sujets aux échelles d'attitude, ce qui a pu fausser involontairement les résultats de l'entretien). 2°) Les questionnaires recèlent de nombreuses faiblesses méthodologiques ; par exemple les réponses «favorables» entraînent des scores élevés quant au préjugé et à l'autoritarisme, par conséquent les individus qui manifestent une tendance généralisée au désaccord obtiennent en définitive des scores peu élevés de préjugés et d'autoritarisme. Les échelles mesurent donc non seulement ce qu'elles sont censées mesurer mais également la tendance à approuver et à désapprouver. Leur dimension n'est donc pas clairement circonscrite. 3°) Les scores «élevés» et les scores «bas» diffèrent de façon systématique sur le plan éducatif ; si bien que bon nombre des différences de personnalités enregistrées peuvent refléter des différences associées à l'éducation et à la classe sociale. 4°) La théorie sous-estimation psychanalytique la structure de idéologie.

se limite trop à un contenu, ce qui entraîne une des «autoritaires de gauche», alors que la théorie sous-jacente n'implique pas un lien nécessaire entre la personnalité d'un individu et le contenu de son

5°) La théorie se limite trop à une culture dans son hypothèse qu'antisémitisme, ethnocentrisme et autoritarisme sont liés dans les tendances sous-jacentes de la personnalité ; elle néglige les attitudes prévalant dans une culture donnée.

L'apport de la psychanalyse à la psychologie sociale

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6°) Les auteurs commettent l'erreur de déduire du fait que les autoritaires font fréquemment preuve de préjugés, que les individus pleins de préjugés sont des autoritaires. En dépit de ces critiques, La Personnalité autoritaire suscita un grand nombre d'études ultérieures qui, pour la plupart, établirent une corrélation entre l'échelle F et d'autres données concernant la personnalité, les attitudes et les conduites. Les résultats de cette masse de travaux sont bien trop nombreux et complexes pour que l'on puisse les résumer brièvement. Pour une étude approfondie, on se reportera aux travaux de Christie et Cook (1958) et de Titus et Hollander (1957). Notons simplement ici qu'il existe une corrélation significative entre l'échelle F et un vaste éventail de variables de personnalité et de variables sociales. Ainsi, les individus ayant obtenu un score élevé d'autoritarisme appartiennent fréquemment à une classe inférieure, sont moins instruits, moins évolués intellectuellement, moins libéraux en matière de politique ; ils ont plus de préjugés, résistent davantage à la psychothérapie, sont plus religieux et plus rigides dans leur pratiques éducatives que les individus ayant obtenu un score d'autoritarisme relativement bas. Les relations entre l'autoritarisme et d'autres variables sont sans conteste largement influencées par l'environnement socio-culturel. C'est ainsi que Pettigrew (1958) a démontré que les étudiants d'Afrique du Sud qui font preuve de préjugés intenses à l'égard des Noirs n'étaient pas plus autoritaires que les étudiants américains les moins susceptibles de préjugés. Parmi des étudiants sud-africains, les étudiants parlant l'afrikaans avaient plus de préjugés contre les Africains noirs et moins de préjugés contre les Africains indiens que les étudiants de langue anglaise. Plusieurs critiques ont insisté sur le fait que l'on ne saurait limiter l'autoritarisme aux politiciens de droite. On trouve également beaucoup d'autoritaires à gauche. Rokeach (i960, p. 6), entre autres, affirme que 1' «autoritarisme ne se limite pas à un contexte particulier, une idéologie particulière, une religion, une philosophie ou un point de vue scientifique... Ce n'est pas tant ce que l'on croit qui importe que la façon dont on le croit». La thèse centrale de Rokeach (i960, p. 395) est que «nous organisons le monde des idées, des personnes et de l'autorité principalement en fonction de la congruence des croyances». Nous aimons ceux dont les croyances sont semblables aux nôtres et n'aimons pas ceux dont les croyances sont différentes.

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La théorie psychanalytique

Nous nous différencions individuellement par notre volonté, dans l'absolu, d'accepter ou de rejeter autrui sur cette base. Ces différences reflètent 1' «ouverture» ou la «fermeture» structurelle des systèmes de croyance. Dans les termes de Rokeach, un système est ouvert dans la mesure où une personne peut recevoir, évaluer et agir sur une information pertinente lui venant de l'extérieur sur ses propres valeurs intrinsèques. Rokeach comme les auteurs de La Personnalité autoritaire, insiste sur le rôle qu'un état permanent de crainte peut jouer dans la constitution d'un esprit fermé. Son point de vue sur les origines de l'esprit fermé rejoint celui des auteurs de La Personnalité autoritaire sur les origines de celle-ci. Partant de cette conception plus générale, Rokeach élabore des échelles permettant de mesurer «le dogmatisme» et 1' «intransigeance d'opinions» (malheureusement, comme pour l'échelle F, il n'évite pas que des «réponses d'accord» ne se confondent avec ses mesures). Ces échelles avaient pour but de mesurer 1' «ouverture» ou la «fermeture» d'esprit. L'autoritarisme était considéré par hypothèse comme un reflet de la fermeture d'esprit. Bien que ces recherches ne soient pas toujours probantes, elles ont cependant montré que les personnes très intransigeantes — que leurs opinions soient de droite ou de gauche — avaient tendance à être dogmatiques. Les personnes qui se révélaient, d'après l'échelle F comme fortement autoritaires (de droite) avaient tendance à être passablement dogmatiques et intransigeantes. Rokeach a également démontré que des étudiants à l'esprit ouvert étaient plus capables de résoudre un problème intellectuel exigeant l'aptitude à intégrer de nouvelles croyances dans un nouveau système cognitif que des étudiants à l'esprit fermé et pourtant d'égale intelligence. Les résultats de Rokeach permettent de généraliser tout en les nuançant les conclusions de La Personnalité autoritaire. Quelles conclusions générales quant aux relations entre personnalité et attitude peut-on tirer des recherches suscitées par La Personnalité autoritaire ? Il est évident que les traits de personnalité influent sur les caractéristiques attitudinales — de la façon la plus directe en déterminant la structure et l'organisation des systèmes de croyances, en déterminant le mode de réponse particulière de chaque individu aux différentes sortes de gens, de rôles ou de groupes qui interviennent comme sources d'influence. Ainsi, de la connaissance des seuls traits de personnalité, sans y ajouter la connaissance des croyances adoptées par les personnes et les groupes importants dans l'environnement social d'un individu

L'apport de la psychanalyse à la psychologie sociale

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donné, on ne peut déduire le contenu particulier des attitudes et croyances de cette personne : une personne «autoritaire» aux EtatsUnis est vraisemblablement anticommuniste, antisémite, ségrégationniste, et anticastriste ; tandis qu'une personne «autoritaire» en Union soviétique offrira vraisemblablement un autre éventail d'attitudes. Ainsi, savoir qu'une personne a des préjugés ne permet pas d'affirmer qu'elle a une structure — «autoritaire» — de personnalité donnée. Comme Pettigrew (1958) en a fait la démonstration, le préjugé contre les Noirs chez un étudiant sud-africain est une chose et le même préjugé chez un étudiant américain en est une autre. A partir des données recueillies, on est fondé à penser que les premières expériences d'un enfant au sein d'une famille «autoritaire» peuvent prédisposer cet enfant à constituer des systèmes de croyances défensifs, rigides et fermés. Elles pourraient également le rendre particulièrement sensible à l'influence de personnes douées d'autorité et qu'il perçoit comme ayant des croyances et des valeurs, soit congruentes avec celles de l'autorité parentale, soit opposées à celle-ci. Il faut bien dire que, tout comme la théorie psychanalytique avec laquelle ces affirmations sont cohérentes, tout ceci reste par trop vague. Les conditions dans lesquelles se produiront soit la rébellion contre les valeurs de l'autorité (des autorités qui symbolisent l'autorité parentale) soit l'acceptation de ces mêmes valeurs ne sont pas spécifiées ; nous n'avons pas non plus de moyen de savoir quelles autorités symboliseront l'autorité parentale. Nous savons cependant, dans une certaine mesure, qui les gens vont croire, et comment, même si nous ne savons pas ce qu'ils vont croire. Avec la connaissance de l'environnement social de l'individu, la connaissance du comment croire et du qui croire aidera à préciser le que croire.

Culture et personnalité Clyde Kluckhohn, anthropologue bien connu, décrit ainsi l'attirance qu'a exercée la psychanalyse sur les anthropologues (Kluckhohn, 1954, p. 964) : «En dépit de l'extravagant dogmatisme et de la coloration mystique de bien des écrits psychanalytiques, l'anthropologue a compris, qu'ici du moins, il obtenait ce qu'il avait si longtemps attendu en vain de la psychologie académique : une théorie de la nature humaine à l'état brut... [La psychanalyse] a fourni à l'anthropologie une théorie générale des processus psychologiques susceptibles d'être

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La théorie psychanalytique

testés par des moyens empiriques en comparant les cultures et a fourni des indices qui peuvent être rapportés aux causes psychologiques des phénomènes culturels.» La relation entre la psychanalyse et l'anthropologie culturelle n'était pas cependant univoque ni l'adhésion inconditionnelle. La théorie de la «nature humaine à l'état brut» apportée par Freud, avec la place accordée à une succession génétiquement fondée et culturellement invariable de stades de développement psychosexuel, ne pouvait évidemment pas être aisément acceptée par les spécialistes de l'anthropologie culturelle. Leur identité professionnelle n'est-elle pas fondée sur l'approche des différences culturelles ? Très tôt, les anthropologues comme Malinowski (1927) et Margaret Mead (1928 ; 1930 ; 1935) se sont attachés à mettre en lumière la faiblesse de certaines notions psychanalytiques telles que l'universalité du complexe d'Œdipe ou l'invariance culturelle de la période de latence. Les nombreuses études anthropologiques faites sur des sociétés non occidentales et plus élémentaires ont fait beaucoup pour réfuter l'étrange optique psychanalytique selon laquelle les bourgeois viennois qu'étaient les patients de Freud seraient des prototypes de l'humanité. Ces études ont également amené maints psychanalystes à accorder plus d'importance aux expériences spécifiquement sociales de l'enfant et plus particulièrement sur la manière dont ces expériences étaient façonnées par les pratiques éducatives de sa famille. Parmi les analystes théoriciens qui rejettent la théorie de la libido — Harry Stack Sullivan, Karen Horney, Erich Fromm, Erik Erikson, Sandor Rado, David Levy, Abram Kardiner — nombreux sont ceux à avoir été profondément influencés par les travaux des spécialistes de l'anthropologie culturelle. Parmi ces théoriciens, Kardiner est celui qui a le plus étroitement collaboré avec les chefs de file de l'anthropologie qui a apporté une contribution indubitable à leur travail et a utilisé avec le plus de pertinence leurs recherches. Durant les années 30, Kardiner dirigea une série de séminaires — tout d'abord à l'Institut Psychanalytique de New York et plus tard à l'université de Columbia — qui permirent une heureuse confrontation de la théorie psychanalytique et des données anthropologiques. Participèrent à ces séminaires des anthropologues aussi célèbres que Ralph Linton, Ruth Benedict, Ruth Bunzel, Cora DuBois et Margaret Mead. Au cours de ces rencontres, il devint rapidement évident que les données anthropologiques existantes ne se prêtaient pas à une application systématique de l'analyse psychodynamique de Kardiner.

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Pour cette raison, une mission dans l'île d'Alor (dans ce qui était à l'époque les Indes néerlandaises) fut décidée afin de recueillir des données adéquates. Cette expédition fut conduite par Cora DuBois et essentiellement financée par Kardiner. Les résulats des séminaires de Kardiner sont recensés dans deux ouvrages essentiels, L'Individu et sa société (1939) et Frontières psychologiques de la société (1945). Pour l'essentiel, la théorie de Kardiner s'appuie sur la notion freudienne centrale selon laquelle les frustrations infantiles peuvent influencer l'évolution de la personnalité en mobilisant certaines attitudes défensives et en favorisant l'apparition de processus substitutifs ou compensatoires qui peuvent se perpétuer à l'âge adulte. L'approche de Kardiner diffère de celle de Freud, en ce qu'elle insiste sur la spécificité de la technique utilisée pour les soins et l'éducation de l'enfant, technique qu'il considère comme culturellement déterminée. Il conteste l'opinion selon laquelle les frustrations infantiles seraient phylogénétiquement déterminées (fait assez curieux, Kardiner, qui avait été analysé par Freud, a raconté au cours d'une conversation que Freud lui-même n'était pas — tant comme thérapeute que comme théoricien — un freudien aussi orthodoxe que ses propres écrits ou ses plus orthodoxes disciples ne voulaient le faire croire). De l'optique de Kardiner selon laquelle les frustrations infantiles résulteraient de pratiques éducatives culturellement déterminées, il découle que les membres d'une société donnée auront eu dans leur enfance de multiples expériences en commun et par conséquent qu'ils auront de multiples traits de personnalité communs. Kardiner et Linton ont utilisé l'expression «personnalité de base» pour décrire la constellation de personnalité partagée par l'ensemble des membres de la société comme le résultat de leurs expériences communes. Ce terme a prêté à de nombreux malentendus ; on a cru qu'il supposait que tous les membres d'une société donnée avaient la même personnalité, alors qu'au contraire, Linton (1945, p. vin) avait souligné : «Il ne s'agit pas de la personnalité globale de l'individu mais plutôt des systèmes projectifs ou en d'autres termes des systèmes de valeurs et d'attitudes. Le même type de personnalité de base peut se refléter dans des formes de conduite nombreuses et différentes et peut entrer dans des configurations de personnalité nombreuses et variées.» L'application des points de vue de Kardiner à l'étude de l'interaction entre la personnalité et la société implique :

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1°) l'identification des situations clés et des institutions sociales primaires qui influencent la formation de la personnalité ; 2°) une théorie psychodynamique suggérant comment des expériences culturellement déterminées de frustration et de satisfaction dans ces situations clés entraîneront l'apparition de structures de défense et de contrôle spécifiques, donnant naissance à une «personnalité de base» parmi les membres d'une société donnée ; 3°) une théorie socio-psychologique indiquant comment les exigences et les caractéristiques de la «personnalité de base», dérivant des expériences infantiles dans les institutions sociales primaires, modèleront et maîtriseront les institutions secondaires de la société ; 4°) une théorie expliquant comment des problèmes spécifiques que rencontre une société pour s'adapter à son environnement physique et social, en interaction avec la personnalité de base de ses membres et avec ses institutions sociales existantes, influenceront l'évolution future de ses institutions (y compris celles qui influencent les pratiques d'éducation des enfants) ainsi que la capacité qu'aura cette société de faire face à des environnements changeants. Kardiner (1945, pp. 26 et sq.) établit une liste de situations clés qui peuvent influencer la formation de la personnalité. Cette liste fondée sur une étude approfondie de dix cultures différentes, est très longue et constitue un pot-pourri ayant trait aux divers aspects des soins maternels, de la discipline, des statuts assignés et des statuts acquis, des techniques de production, des système des croyances, des pratiques religieuses, des systèmes de valeurs et de bien d'autres facteurs. Cette liste a été constitué ad hoc ; elle n'est pas issue d'une conception systématique des exigences de l'homme et de la société. Néanmoins, elle s'intéresse à un éventail de situations plus vaste que celui auquel s'intéresse généralement la psychanalyse. Le travail de Kardiner indique également de quelle manière on peut recourir à la théorie psychodynamique pour formuler des hypothèses spécifiques quant aux effets des pratiques éducatives culturellement déterminées sur le développement de la «personnalité de base». Il démontre également que les thèmes folkloriques et religieux, aussi bien que les caractéristiques des institutions sociales sont congruents avec la personnalité de base. L'étude des insulaires d'Alor illustre de manière très dramatique la corrélation existant entre personnalité et culture. S'appuyant sur le matériel ethnographique fourni par l'anthropologue Cora DuBois, Kardiner élabora des hypothèses

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sur les types de personnalité susceptibles de se développer dans les conditions éducatives décrites — hypothèses qui s'appuyaient sur l'analyse de huit biographies d'insulaires établies par DuBois. Ces hypothèses se virent confirmées par les descriptions de personnalité faites indépendamment par Emil Oberholzer, à partir de protocoles de Rorschach et de dessins d'enfants rassemblés par DuBois dans l'île d'Alor. Kardiner (Kardiner et Preble, 1963, p. 218 et sq.) présente en ces termes les résultats menés dans l'île d'Alor : «L'attitude d'ensemble à l'égard des enfants dans l'île d'Alor est toute, pourrait-on dire, de négligence et d'inconséquence. On peut prévoir à partir d'études portant sur nos propres sociétés, que de telles conditions produiraient de sérieux désordres chez l'individu ; ce que confirme les biographies et les tests psychologiques des habitants d'Alor. Ceux-ci sont soupçonneux, méfiants et anxieux. Ils n'ont pas confiance en eux-mêmes et n'ont pas d'estime de soi. Ils sont craintifs et non agressifs, mais ils nuisent à leurs voisins par des mensonges, des tromperies, des chicaneries. Ils sont incapables d'entretenir une relation d'amour ou d'amitié basée sur un choix volontaire. Ils manifestent une capacité limitée à maîtriser le monde extérieur et à en jouir. L'apparition de tels traits de caractère, comme étant l'héritage commun des habitants de l'île, ne nous surprend pas étant donné notre connaissance de ce qu'ils ont vécu dans leurs jeunes années auprès de leurs parents et dans leur environnement. Ce qui présente toutefois un plus grand intérêt et constitue un progrès réel de notre connaissance des processus culturels, c'est la constatation que ces traits se reflètent à tous les niveaux de la structure sociale de la culture. « Nous relevons dans le folklore et la religion de l'île des thèmes et des motifs directement liés au vécu et aux traits de caractère des Alorésiens. Le thème le plus courant de leur folklore est la frustration et la haine parentales. Ainsi, dans un conte, une mère ordonne à son enfant d'aller chercher de l'eau avec un seau dont elle a délibérément percé le fond. Pendant que l'enfant s'efforce vainement de remplir son seau, les parents l'abandonnent. Des années plus tard, à la célébration de son mariage, ses parents réapparaissent et on leur offre des seaux de nourriture remplis d'excréments. « Leur religion ne comporte pas d'idéalisation de la divinité. La divinité n'a pas grand pouvoir de faire le bien ; on ne cherche donc pas à se la concilier dans l'attente de récompenses et de bienfaits. On offre à contrecoeur et de mauvaise grâce des sacrifices à la divinité 7

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La théorie psychanalytique

et cela uniquement en cas d'urgence. Il n'y a pas d'idée de pardon, on ne stocke pas la vertu comme une sorte d'assurance. Le seul thème rassurant qui apparaisse dans la religion, les mythes ou le folklore alorésiens, a trait à des Etres Bons surnaturels qui dispensent leurs bienfaits capricieusement et sans qu'on le leur demande. Fait significatif, ils sont toujours totalement étrangers à ceux auxquels ils viennent en aide... A ce stade de notre connaissance de ce qui touche à l'île, plusieurs traits apparemment idiosyncrasiques de cette culture s'avèrent reliés entre eux de façon significative. Ceci s'applique à des traits individuels tels que la tendance à se coucher pour attendre la mort en cas d'une quelconque maladie et s'applique à des institutions sociales telles que le système socio-économique qui exagère grandement l'importance du statut et de la richesse. Dans le premier exemple, nous retrouvons la conviction des insulaires que l'on ne peut attendre de la vie que le pire et dans le second, un effort désespéré et frénétique pour relever l'estime que l'on a de soi. » Notons que Kardiner avance l'idée que des frustrations permanentes provoquent des tensions internes qui exigent l'élaboration de ce qu'il appelle des «systèmes projectifs» comme la religion ou le folklore qui prennent leur caractère spécifique dans une culture donnée, sans doute parce que l'on projette dans de tels systèmes les conceptions nées des expériences vécues dans l'enfance. Les systèmes projectifs jouent un rôle stabilisateur sur le plan social en exerçant une influence extérieure en faveur de la conformité à l'ordre social. Ainsi, par exemple, bien qu'il n'y ait pas à Alor d'idéalisation de la déité, les Alorésiens agissent envers la déité comme si pesait sur eux la menace d'un châtiment (ce qui rappelle fortement l'obéissance à laquelle ils étaient tenus lorsqu'ils étaient enfants). En d'autres termes, du fait que les institutions éducatives de l'île d'Alor produisent un type de personnalité insensible et méfiant à l'égard de l'affection, les institutions secondaires de cette société, telles que la religion, doivent s'appuyer, pour être efficientes, sur d'autres systèmes de motivation de la personnalité — sur ceux qui se sont développés du fait des pratiques éducatives. L'élaboration de tels systèmes projectifs, la religion par exemple, est essentiellement rendue nécessaire, selon Kardiner, par l'ampleur des expériences traumatisantes vécues au cours du processus de développement. Plus forts ont été les traumatismes, plus grandes sont les tensions intérieures et l'hostilité qui en résultent et plus grand le potentiel de motivations qui représentent pour la société une manière de

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dislocation et partant, plus se fait sentir le besoin de contrôles extériorisés en vue du maintien de la stabilité sociale. Cependant, comme le souligne Kardiner, les sociétés ont aussi des systèmes empiriques d'emprise sur le réel comme ceux que mettent en jeu l'agriculture, la chasse, la fabrication des outils et qui sont consciemment enseignés et appris en complément des systèmes projectifs. La stabilité culturelle et le changement dans une société seront sensiblement différents selon que les institutions sociales de cette société seront orientées vers les systèmes empiriques ou les systèmes projectifs. Les facultés d'adaptation d'une société sont gravement entravées par une culture dans laquelle la réalité extérieure est subordonnée aux systèmes projectifs et évaluée par eux. Kardiner écrit (1945, p. 43) : «Aussi longtemps que la loi naturelle n'est qu'une nouvelle manifestation de la volonté divine, la sécurité de l'individu ne dépend pas de ses agissements dans la réalité et l'on s'efforcera d'obtenir des changements adaptatifs importants au moyen de cet écran projectif, tandis que les réalités sociales restent ignorées et évoluent à leur gré. » Kardiner s'est efforcé, plus que tout autre psychanalyste, de cerner les relations réciproques qu'entretiennent personnalité et institutions sociales telles qu'elles se manifestent dans des cultures différentes. Il a souligné qu'une analyse valable de ces relations réciproques impliquait la maîtrise de trois domaines de connaissance : 1°) la compréhension des problèmes d'adaptation auxquels a été confrontée la société ; 2°) la connaissance des processus homéostatiques qui sont à l'œuvre dans cette société pour qu'elle continue à fonctionner en tant que société ; 3°) enfin, la connaissance de la «personnalité de base» qui résulte des modèles homéostatiques propres à une société donnée. Kardiner en cernant les problèmes clés auxquels doit répondre l'étude des relations entre culture et personnalité a ouvert la voie à une approche empirique qui permettrait de saisir l'intégration sociale dans les différentes cultures. Il se trouve que Kardiner (Kardiner et Preble, 1963, p. 223) donne une estimation pessimiste de l'infuence qu'il a pu exercer. «Malheureusement, écrit-il, cette optique particulière d'une recherche sur les liens culture-personnalité en anthropologie, n'a guère porté de fruits.» Néanmoins, de nombreux travaux ont été menés sur l'éducation des enfants dans différentes cultures (par exemple, Whiting,

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La théorie psychanalytique

1963) et cela est dû certainement en grande partie à l'œuvre de Kardiner. Mais tout comme la progéniture est d'ordinaire plus influencée par ce que les parents font que par ce qu'ils disent, de la même manière les travaux récents effectués sur l'intégration psychosociale n'accorde que trop peu d'attention au comportement adulte et aux situations sociales de la vie adulte. Car si Kardiner a souligné dans ses écrits la nécessité d'analyser l'intégration complexe qui s'opère entre «la personnalité de base» et les institutions sociales ainsi que les problèmes de l'adaptation à l'environnement, il n'en reste pas moins que ses propres travaux laissent entendre qu'il y a une continuation plus ou moins directe entre les attitudes sociales forgées dans l'enfance et celles de l'âge adulte. Il passe d'une manière trop directe des pratiques éducatives de l'enfant aux institutions secondaires de la société car il néglige ainsi l'interaction des institutions secondaires entre elles et du coup il laisse de côté le fait que, par suite de cette interaction, les pratiques éducatives et les problèmes d'adaptation peuvent se transformer.

CONCLUSION

L'objet premier de la psychanalyse est cette transformation de l'homme qui, organisme biologique à la recherche du plaisir à sa naissance, devient à sa maturité l'adulte socialisé et doué de raison. Toute tentative de comprendre l'homme doit prendre en considération ces processus biologiques et sociaux qui opèrent au cours du développement de l'être humain. C'est à quoi s'est efforcé Freud en montrant les instincts du nourrisson prenant leurs sources dans la biologie et qui, sous l'égide des parents, leurs soins et la discipline qu'ils instaurent, sont domptés et transformés. Ce fut le génie de Freud de révéler de façon aussi riche et brillante à quel point la vie de l'homme adulte est marquée par les vestiges des processus de son développement. Aucune autre approche théorique n'a permis à l'égal de l'approche freudienne de pénétrer les arcanes du développement de la personnalité humaine et de son mode de fonctionnement. Rappelons cependant les remarques de Schachtel (1959, p. 10) : «Les concepts et le vocabulaire employés par Freud pour décrire la grande métamorphose qui mène de la vie dans le sein de la mère à la vie dans le monde abondent en images de guerre, de contrainte, de compromis

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forcés, de nécessité douloureuse, de sacrifices imposés, de trêve précaire, de détours obligés et de voies sinueuses pour revenir à la paix de l'état originel à l'absence de conscience et de stimulation... Ce n'est que sous la pression du besoin, la faim par exemple ou dans la crainte de perdre l'amour et l'approbation que, de mauvais gré, la réalité est acceptée.» Certes, tous les parents reconnaissent la part importante de vérité que comporte la peinture chez Freud de cette lutte qu'il faut mener pour dompter et civiliser le Ça infantile, mais cette peinture n'en demeure pas moins partielle. Elle ne fait pas leur part aux sources biologiques de la curiosité, l'émerveillement, l'intérêt et l'ouverture au monde. Elle ne tient pas compte non plus du fondement biologique du plaisir pris dans l'activité, la plénitude de soi, la créativité. Il est certes exact que la réalité sociale de nos sociétés modernes handicape souvent la capacité de l'individu à établir avec le milieu qui l'entoure des relations productives où il engage son intérêt, si bien que l'individu et l'ordre social semblent se livrer une bataille de guérilla. C'est peut-être la très grande sensibilité de Freud aux préjugés, à l'oppression, à la souffrance humaine qui l'a conduit à montrer les luttes et les sacrifices qui jalonnent la croissance plus que les joies qu'elle comporte.

CHAPITRE VI

la théorie du rôle

De toutes les théories abordées dans le présent ouvrage, la théorie du rôle est la plus éloignée de cette théorie scientifique idéale que nous décrivions au premier chapitre. Elle consiste principalement en un est même souvent difficile qu'un consensus s'établisse sur la nature des interactions et des règles de correspondance, est peu développée. Il est même souvent difficile qu'un consensus s'établisse sur la nature des concepts eux-mêmes. Le mot de «rôle» par exemple, s'emploie dans au moins trois acceptions sensiblement différentes. En revanche, les éléments de la théorie du rôle sont exceptionnellement riches en références empiriques et fournissent à l'analyse du comportement social une approche qui faisait défaut aux théories que nous avons envisagées jusqu'ici.

LES CONCEPTS FONDAMENTAUX DE LA THÉORIE DU RÔLE

Les antécédents de la théorie du rôle appartiennent à la fois à la sociologie et à la psychologie (Neiman et Hughes, 1951). Il n'est donc pas surprenant que Rommetveit tienne le concept de rôle pour «le point d'articulation théorique entre la psychologie et la sociologie», dans la mesure où il constitue «dans la première de ces disciplines la plus vaste unité de recherche possible et dans la seconde la plus petite unité de recherche possible» (Rommetveit, 1955, p. 31). C'est sans doute la raison pour laquelle la théorie du rôle s'est enrichie d'apports venant de sources diverses. Mais, en même temps, cette diversité a souvent occasionné un manque de cohérence conceptuelle. On

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La théorie du rôle

trouvera dans Bredemeier et Stephenson (1962, chap. i-vi) une bonne présentation du rôle et des concepts sociologiques qui lui sont liés.

Statut et ensembles de statuts Toute personne occupe des positions au sein d'un certain nombre de «systèmes de statut». On peut concevoir un système de statut comme une carte géographique à plusieurs dimensions, qui situe les différents statuts les uns par rapport aux autres, et montre quelles sont leurs interconnexions. La position ou le statut d'une personne est représentée par sa localisation sur une telle carte. Le concept de statut est nécessairement relationnel ; il caractérise une personne par un ensemble de droits et d'obligations qui règlent son interaction avec ceux qui occupent d'autres statuts. Dans notre société, par exemple, le statut de «père» implique, vis-à-vis des enfants, certaines obligations (leur assurer nourriture et assistance, notamment) et certains droits (en être respecté et obéi, par exemple). Toutes les sociétés sont caractérisées par un grand nombre de systèmes de statut. Dans certains de ces systèmes, les positions sont allouées sur la base de ce qu'est une personne — son âge, son sexe, ses liens familiaux, sa religioa On les appelle les statuts assignés. Dans d'autres systèmes, les positions sont allouées en fonction de ce qu'une personne peut faire. Ce sont les statuts acquis. Statuts assignés et statuts acquis sont des types idéaux. Les statuts que l'on observe dans la réalité comportent un certain mélange des deux types de statuts. Ainsi on peut considérer que la présidence d'une vaste corporation est un statut acquis mais en fait certains traits attribués comme le sexe (masculin), la race (blanche) pouvaient être un préalable tacite à l'obtention d'une telle position. En faisant l'inventaire exhaustif de tous les statuts d'une personne, on est sûr, au moins théoriquement, de situer cette personne par rapport aux systèmes de statut de la société à laquelle elle appartient. U n homme peut simultanément occuper les positions de père, de fils, de fidèle d'une église, d'ouvrier d'usine, de responsable syndical et de membre d'une équipe de bowling. Une telle énumération de tous les statuts simultanés d'une personne donnée s'appelle 1' «ensemble de statut» de cette personne. Bien que l'usage courant du terme «statut» renvoie presque toujours à la position au sein d'un système de statut particulier, le système socio-économique, celui-ci n'est qu'un des nombreux systèmes

Les concepts fondamentaux

de la théorie du rôle

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que comporte une société. Dans le système de statut socio-économique, comme dans bien d'autres systèmes, les gens occupent des positions qui constituent une hiérarchie de telle sorte que les membres de la société sont en mesure de juger sur une échelle graduée de 1' «attrait», du «pouvoir», de 1' «autorité» ou du «prestige» d'une position. Dans un système de statut de ce genre, on distingue les positions par leur niveau ou leur rang vertical. A un même niveau, au sein de certains systèmes de statut, il n'y a pas d'évaluation différentielle des positions. Dans un hôpital par exemple, les médecins sont d'ordinaire de rang plus élevé que les infirmières tandis qu'aucune distinction de rang n'est établie entre, disons, un phtisiologue et un cardiologue. On considère les différences entre des positions de rang différent comme des différences de statut vertical, les différences entre positions de même rang sont considérées comme des différences de statut horizontal.

Rôles et ensembles de rôles Au sein d'une culture, chaque position est associée à un ensemble de normes ou d'attentes. Ces attentes caractérisent les conduites que l'on peut attendre de celui qui occupe telle position vis-à-vis de celui qui se trouve dans une autre position et, inversement, les conduites que l'on peut attendre du tenant de la seconde position vis-àvis du premier. Le concept de rôle est lié à ces attentes. Une définition unique, généralement admise du rôle, serait souhaitable mais, comme l'a souligné Rommetveit (1955), les usages divergents de ce terme rendraient un tel choix hautement arbitraire. C'est pourquoi nous préférerons recourir à la classification proposée dans les travaux de Rommetveit (1955), de Thibaut et Kelley (1959). L'usage courant de ce terme reflète au moins trois acceptions différentes : 1°) Le rôle consiste en ce système d'attentes existant dans le milieu social du tenant d'une position — attentes concernant son comportement à l'égard de ceux qui occupent une autre position. C'est ce qu'on peut appeler le rôle prescrit. 2°) Le rôle consiste en ces attentes spécifiques que le tenant d'une position perçoit comme applicable à sa propre conduite lorsqu'il est en interaction avec les tenants de quelque autre position. C'est çe que l'on pourrait appeler le rôle subjectif.

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La théorie du rôle

3°) Le rôle consiste en ces conduites manifestes spécifiques du tenant d'une position lorsqu'il est en interaction avec les tenants de quelque autre position. C'est ce qu'on a appelé le rôle mis en acte. Chacune de ces acceptions vise le même phénomène quoique sous un angle légèrement différent et il est certain que l'on pourra dégager, lorsqu'on les étudiera empiriquement, des liens étroits entre les trois constructs. Par exemple, dans un système social cohérent et bien intégré, les divers membres perçoivent correctement les normes sociales qui dictent leur comportement : leur rôle subjectif et leur rôle prescrit sont semblables. De même, le comportement réel des individus tend à correspondre à ce qu'ils croient «être attendu d'eux» : les rôles mis en acte et les rôles subjectifs coïncident. D'autre part, il y a souvent de grandes disparités entre ces divers aspects du rôle. Par exemple, un employé peut se tromper sur la dose de familiarité dont il peut convenablement faire preuve à l'égard de son patron. C'est en raison de telles disparités et en raison de leur signification dans les interactions sociales, qu'il importe de maintenir ces distinctions. En général, toutefois, l'usage veut que l'on recoure au terme de «rôle» pour décrire la mise en acte comportementale de cette partie du statut qui «prescrit la manière dont le tenant d'un statut doit se comporter à l'égard de l'une des personnes avec lesquelles ses droits et devoirs fixés par son statut le mettent en contact» (Bredemeier et Stephenson, 1962, p. 31, italiques omises). Employons donc «rôle» pour désigner la mise en acte du rôle prescrit. Tout statut implique certes l'interaction avec un grand nombre d'autres personnes. Un contremaître d'usine, par exemple, pourra être en interaction avec ses subordonnés et avec ses supérieurs, avec des délégués syndicaux et avec les contremaîtres d'autres ateliers. Ses droits et obligations statutaires diffèrent avec chacune de ces personnes. Le terme «ensemble de rôles» désigne «la totalité des relations de rôle qu'une personne entretient du fait de son statut social particulier» (Merton, 1957, p. 369, italiques omises). Valeurs universalistes et particularistes. On peut faire encore une autre distinction. Le terme de «rôle» s'applique généralement à des situations dans lesquelles les prescriptions régissant l'interaction sont définies culturellement et sont indépendantes des relations personnelles particulières que peuvent par ailleurs entretenir les personnes qui occupent les positions correspondantes — comme entre, par exemple,

Les concepts fondamentaux de la théorie du rôle

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un juge et une personne comparaissant devant le tribunal. Pour reprendre la terminologie de Parsons et Shils (1951), de tels rôles sont définis en termes de valeurs «universalistes» plus que «particularistes». Quelquefois cependant, il peut être utile de prendre en considération l'aspect personnel ou unique des rôles — en tant qu'ils sont régis par des attentes découlant de relations typiquement personnelles. Ainsi, les droits et devoirs associés au rôle d'«ami» sont définis de façon très générale par la culture ; cependant entre un couple donné d'amis, il peut exister une structure particulière de droits et d'obligations valables seulement pour cette amitié-là. Il est évident que les prescriptions d'un rôle dans sa définition universaliste peuvent se trouver en conflit avec les obligations d'un rôle défini de façon particulariste — un juge peut être amené à s'opposer à un avocat en dépit de l'amitié qu'il a pour lui. La déviance des rôles prescrits. On peut dire des rôles qu'ils sont plus ou moins structurés ou organisés. Dans une culture donnée, certains rôles en viennent à être nettement définis et un consensus assez large s'établit sur le comportement que l'on peut attendre de leurs tenants. Dans la culture américaine contemporaine par exemple, le rôle du médecin vis-à-vis de son patient est relativement bien structuré. Dans le même temps, on admet généralement une marge assez vaste de variations du comportement de rôle ; même lorsqu'il s'agit de rôles très structurés. Deux médecins partageant la même clientèle peuvent agir différemment au chevet de leurs malades ou prescrire des traitements différents et rester cependant tout à iaic dans les limites d'une conduite de rôle admissible. C'est pour cela qu'il est bon de penser le rôle comme prescrivant une gamme de comportements dont la définition n'est pas très stricte. A l'intérieur de cette gamme, toute conduite de rôle est admissible mais de moins en moins toutefois, au fur et à mesure que l'on s'éloigne de la norme. Les membres d'un système social donné peuvent attribuer des sanctions positives (des récompenses) à ceux qui mettent correctement en acte les rôles prescrits et des sanctions négatives (des punitions) à ceux qui ne répondent pas à ces normes. Ce pouvoir d'attribuer des sanctions opère comme l'un des moyens par lesquels un système social motive ses membres à accomplir leurs rôles. Ainsi, une mère qui se comporte d'une façon «non maternelle» à l'égard de son enfant (dont le rôle mis en acte dévie sensiblement du rôle prescrit) peut devenir l'objet de la désapprobation et du scandale de ses voisins.

La théorie

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du rôle

Si elle seloigne par trop du rôle prescrit, elle peut être frappée d'ostracisme et même dans les cas extrêmes, il se peut que la communauté dans son ensemble, par l'intermédiaire du système légal, la punisse directement.

Conflit de

rôle

Le fait que l'ensemble des statuts d'un individu comporte une grande variété de relations et d'attentes de rôle implique la possibilité que cet individu soit amené à occuper des positions comportant des exigences de rôle incompatibles. Une telle situation est désignée par l'expression «conflit de rôle». Le conflit de rôle peut naître d'un ensemble de statuts de bien des façons. Il peut se faire que deux positions réclament que l'on dépense d'une ressource rare, comme le temps ou l'énergie, plus que l'on n'en peut disposer (l'étudiant champion sportif peut trouver qu'il n'y a pas assez d'heures dans une journée pour le sport et les études). Il se peut que deux positions fassent appel de façon contradictoire à la loyauté de leurs tenants (un représentant élu qui a des intérêts en tant qu'homme d'affaires peut, lors du vote d'une loi donnée, tenir compte dans son bulletin de vote de valeurs qui ne sont pas celles du seul législateur. Il se peut encore que deux positions exigent le respect de valeurs qui sont conflictuelles (un médecin peut vivre un conflit entre ses principes religieux et son point de vue professionnel quant aux besoins de son patient). Enfin, certains statuts sont incompatibles avec d'autres, simplement parce que la culture les définit comme incompatibles. Dans la plupart des cultures, un homme et une femme nés dans la position de frère et sœur ne pourront plus tard occuper les positions de mari et femme. Dans de nombreuses cultures, certaines vocations sont réservées à des groupes particuliers, les chefs religieux par exemple se recrutent tous dans la caste des prêtres. L'ensemble de rôles, tout comme l'ensemble de statuts, peur constituer une source de conflits. Les personnes, avec lesquelles un individu est en interaction dans un ensemble de rôles donné, peuvent avoir des exigences incompatibles. Un contremaître d'usine peut être l'objet d'une pression de la part de ses supérieurs afin qu'il agisse d'une façon autoritaire, tandis que les hommes de son équipe de travail souhaitent que l'atmosphère soit plus libérale.

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Comme l'ont montré Getzels et Guba (1954), les conflits de rôle sont plus ou moins aigus. Certains sont, pour ainsi dire, bénins et peuvent durer depuis longtemps sans provoquer de censure sociale ni de dissociation psychologique. D'autres conflits plus sévères peuvent en revanche être à l'origine de troubles profonds. Getzels et Guba mettent en lumière deux facteurs structuraux qui déterminent l'acuité des conflits. 1°) Les rôles varient selon l'incompatibilité relative de leurs prescriptions. Plus de rôles auront de prescriptions en commun, moins ils engendreront de conflits. 2°) La rigueur avec laquelle les prescriptions doivent être observées varie. La rigueur se réfère ici à la marge de déviance autorisée par rapport aux prescriptions des rôles. Plus rigoureusement sont définis les rôles et plus stricte est l'observance de leurs prescriptions, plus il est difficile pour un individu de résoudre le conflit en s'écartant de ces prescriptions. Ce qui précède ne signifie pas que les pressions découlant de la multiplicité des rôles tiennent les gens en un état de conflit permanent. Il semble au contraire que la plupart s'en tirent très bien. Newcomb note (1950, p. 449) : «Il est assez étonnant de voir comment la plupart d'entre nous parviennent à tenir au prix d'un minimum de conflits, de nombreux rôles différents. » Cela vient dans une large mesure de ce que les rôles virtuellement conflictuels ne «se chevauchent pas», c'est-à-dire que l'on s'en acquitte à des moments et dans des contextes différents. Cependant, dans des circonstances exceptionnelles, ces conflits potentiels peuvent être exacerbés. Killian (1952, p. 310) a étudié auprès de quatre communautés du Sud-Ouest les réactions aux catastrophes physiques telles que séismes ou tornades. Il nota que «les loyalismes de groupe conflictuels et les règles contradictoires... étaient des facteurs qui affectent de façon notable le comportement individuel dans les situations critiques». Un ouvrier dans une raffinerie de pétrole, mis dans l'obligation de choisir entre porter secours à un ami blessé et sauver l'usine, peut être déchiré par ses devoirs d'ami et les devoirs de son emploi. La résolution des conflits de ce genre intervient en général en faveur du groupe primaire. Killian relève néanmoins certains cas exceptionnels : un policier qui a dû rester sourd aux appels au secours de ses amis et de ses proches pour sortir de la ville et aller chercher de l'aide dans les villes avoisinantes. Killian

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en conclut que les actes des individus en cas de catastrophe impliquent la résolution de conflits nés de prescriptions de rôles qui, dans les circonstances ordinaires, n'avaient pas semblé pouvoir être un jour incompatibles.

Personnalité et performance de rôle Nous avons jusqu'ici relevé un certain nombre de termes centrés sur les concepts de statut et de rôle. Nous avons envisagé l'individu, dans la mesure où nous l'avons pris en considération, comme étant à l'intersection d'un ensemble de rôles qui lui incombent de par les positions qu'il occupe dans toute une variété de systèmes de statut. C'est là cependant une vue incomplète, car une personne n'est pas simplement la somme d'un ensemble de rôles compartimentés mais plutôt un tout cohérent et intégré. En outre, la façon dont les individus mettent en acte les mêmes rôles varie et le comportement d'une personne donnée manifestera, dans ses différents rôles, un certain degré de cohérence. Bref, il convient de trouver un concept pour définir les propriétés propres à un individu et que l'on puisse analyser indépendamment de sa conduite de rôle. La notion de personnalité offre une approche valable pour une telle conceptualisation. Tandis que le «rôle» désigne ce qui est commun au comportement d'individus occupant le même statut, la «personnalité», dans son acception la plus générale, désigne ce qui est permanent dans le comportement d'un individu. Comme c'était le cas pour le concept de rôle, l'accord ne s'est pas fait sur une définition de la personnalité. Allport (1937) a pu trouver jusqu'à cinquante définitions différentes du terme et, depuis la parution de son ouvrage, d'autres définitions sont sans aucun doute venues s'y ajouter. Ainsi que Hall et Lindzey (1957) l'ont souligné dans leur excellent exposé des théories de la personnalité, cela n'a plus grand sens aujourd'hui de définir la personnalité sans référence à l'une des théories de la personnalité. Allport définit la personnalité comme 1' «organisation dynamique chez l'individu de ses systèmes psychophysiques qui détermine ses ajustements spécifiques à son environnement» (Allport, 1937, p. 48) ; définition du concept que nous pouvons retenir ici. La relation entre rôle et personnalité est réciproque. D'une part,

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une personne peut être prédisposée, de par sa personnalité, à occuper certains statuts ou en d'autres termes, les rôles associés à certaines positions peuvent offrir un moyen de satisfaire des besoins personnels primordiaux. Ainsi, on a souvent montré que certaines personnes pouvaient être attirées par la carrière militaire parce qu'elles y voyaient un exutoire à leur agressivité et leur besoin d'affiliation. D'autre part, les valeurs et attitudes associées à certains statuts peuvent elles-mêmes s'intégrer à la structure de la personnalité de l'individu et exercer ainsi une influence pénétrante sur l'ensemble de son interaction sociale. Merton remarque, par exemple, dans son analyse de la structure sociale de la bureaucratie (1957, p. 198) : «La structure sociale bureaucratique exerce une pression constante sur l'individu pour qu'il soit méthodique, prudent et discipliné. » Le résultat de ces pressions est que «la discipline bientôt conçue comme la soumission à la règle, quelle que soit la situation, n'apparaît plus comme devant servir des desseins spécifiques et devient une valeur en soi de l'organisation de vie du bureaucrate... engendrant des rigidités, un manque de souplesse et d'adaptation» (p. 199). Ainsi, des dispositions acquises comme faisant partie d'un ensemble de rôles spécifique peuvent devenir un attribut constant de la personnalité. La relation entre personnalité et rôle peut sembler contenir un paradoxe. Si la personnalité est une configuration unique de caractéristiques individuelles qui déterminent le comportement, comment peut-il se faire que le même rôle soit joué par des personnes différentes ayant vraisemblablement des structures de personnalité différentes ? L'une des réponses à cette question tient au fait, déjà évoqué, que la prescription de rôle admet une gamme relativement étendue de comportements possibles. Comme l'écrivent Parsons et Shils (1951, p. 24) «cette marge de liberté permet que des acteurs (des individus) ayant des personnalité différentes, répondent, dans des limites relativement larges, aux attentes associées en gros aux mêmes rôles, sans vivre une tension exagérée». Nous devons noter cependant, en accord avec Getzels et Guba (1954) que la personnalité peut devenir la source de conflits de rôles. Une personne peut être dans l'incapacité de satisfaire aux exigences d'un rôle parce que celles-ci sont incompatibles avec ses besoins personnels. Une personne effacée et soumise peut juger impossible d'assumer le statut de sergent de marine instructeur. Les conséquences de ces sortes de désaccords entre les prédispositions de la personnalité et les prescriptions de rôles sont sans doute amplifiées dans des situa-

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tions de tension, telles que les catastrophes ou le combat militaire, dans lesquelles la mise en acte des prescriptions de rôles ne tolère qu'une faible marge de déviation.

Le Soi Au cours du processus d'interaction avec son environnement social, une personne non seulement acquiert des caractéristiques, du fait des rôles qu'elle accomplit, mais elle commence aussi à éprouver un sentiment de soi. Elle commence à s'apercevoir que les autres réagissent à sa présence et à réagir à ses propres actes et qualités personnelles comme elle s'attend à ce que les autres y réagissent. Cette aptitude naissante à adopter le point de vue d'autrui et à se considérer soimême comme un objet engendre des croyances et des attitudes relatives à soi, bref à une «conception de soi». Les théoriciens du rôle, bien plus que les théoriciens d'autres orientations, ont élaboré et employé le concept de Soi comme une structure cognitive qui naît de l'interaction de l'organisme humain et de son environnement social. Il faut insister sur le fait que la conception de Soi est une structure cognitive et consiste en tant que telle en un ensemble d'éléments organisés en une relation systématique. On peut caractériser cette organisation en termes notamment de consistance du Soi — les éléments de conception que l'individu a de soi sont organisés en une structure ayant une cohérence interne. Il n'est pas toujours aisé de définir ce qui constitue la cohérence. En général, une structure cohérente a les propriétés d'une «bonne forme» gestaltiste — elle est constituée d'éléments perçus comme «allant bien ensemble». On peut recourir à la théorie de l'équilibre cognitif de Heider (voir chapitre il) pour prévoir les effets de l'introduction d'un nouvel élément non cohérent (en déséquilibre) dans une structure de soi cohérente. William James a été l'un des premiers théoriciens à considérer le Soi comme un concept psychologique central. Dans son Abrégé de Psychologie (1892), il distingue entre le «Moi» et le «Je», le Soi connu et le Soi connaissant. «Quel que soit ce à quoi je pense, je suis toujours en même temps plus ou moins conscient de moimême, de mon existence personnelle. En même temps, c'est le Je

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qui est conscient ; ce qui fait que le soi total doit avoir en lui... deux aspects distincts, dont pour être bref, on peut appeler l'un le Moi et l'autre le Je» (p. 176, les italiques sont de l'auteur). Il poursuit en précisant que le Je et le Moi doivent être conçus comme des aspects distincts mais non des choses séparées «car l'identité du Moi et du Je jusque dans l'acte par lequel on les distingue, est peut-être la certitude la plus inébranlable du sens commun» (p. 176). C'est nettement le Moi (que James appelle aussi le «Soi empirique») qui nous intéresse le plus ici. James a distingué trois constituants du Soi empirique ; le moi matériel, le moi spirituel et le moi social. Le moi matériel, c'est notre corps, les vêtements qui le couvrent, notre famille proche, notre maison, et à des degrés d'importance divers, les objets et les biens que nous avons acquis. Parlant du moi spirituel, James se référait à «toute la collection de mes états de conscience, à mes dons et aptitudes psychiques envisagés concrètement» (p. 181). Mais c'est le concept du moi social chez James qui eut les conséquences les plus importantes pour la théorie du rôle et la version moderne du concept de Soi. Le Moi social, selon James, naît de la reconnaissance que l'être humain reçoit d'autrui. Il nota aussi que, dans la mesure où des personnes différentes répondent différemment à une même personne, il devait y avoir non pas un mais plusieurs Soi sociaux. Il écrit : «A proprement parler, un homme a autant de Soi social qu'il y a d'individus qui le reconnaissent et ont à l'esprit une image de lui... Mais comme les individus qui ont ces images se rangent naturellement en classes, nous pouvons dire pratiquement que l'individu a autant de Soi sociaux différents qu'il y a de groupes distincts de personnes dont l'opinion lui importe» (p. 179, souligné par l'auteur). James établit ainsi explicitement un lien entre le Soi social et la structure de l'interaction sociale. (On remarquera également dans la citation ci-dessus que James, avec une grande perspicacité, recourt implicitement à la notion de groupe de référence que nous examinerons dans ce chapitre.) Un autre penseur a grandement contribué à l'élaboration du concept de Soi, il s'agit du sociologue Charles Horton Cooley, de l'université de Michigan. Cooley, qui subit l'influence des écrits de James, est surtout connu pour son concept de «Soi réfléchi» ou «Soi-miroir» ; «De la même façon que nous voyons notre visage, notre allure et nos vêtements dans la glace, nous nous y intéressons parce qu'ils sont

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nôtres et en sommes ou non satisfaits..., de la même façon, nous percevons dans l'imagination, dans l'esprit d'autrui, quelque idée de notre apparence, de nos manières d'être, de nos buts, actes, traits de caractère, etc., et nous en sommes diversement affectés» (Cooley, 1902, p. 184). Ainsi Cooley a déterminé, avec James, la source de cet aspect du Soi comme étant les gens de l'entourage de l'individu. Cooley alla plus loin, cependant, en précisant le mécanisme par lequel s'exerce cette influence. Mais ce que les théories aussi bien de Cooley que de James ne donnent pas, c'est une description détaillée et systématique du processus par lequel le Soi se développe, processus qui fait partie de la maturation progressive de l'organisme. C'est à George Herbert Mead et à sa théorie du développement du Soi que sont dus les progrès réalisés.

GEORGE HERBERT MEAD

George Herbert Mead marque, en diverses manières, la fin d'une période importante du développement de la psychologie américaine. Il fut avec John Dewey, son collègue et ami, le dernier de toute une tradition de chercheurs versés à la fois dans la philosophie et la psychologie et qui apportèrent dans ces deux domaines leur contribution. En réalité, Mead ne fit même jamais de distinction tranchée entre les deux disciplines. Il est curieux de noter que les travaux sur lesquels se fonde la réputation actuelle de Mead comme théoricien de la psychologie ne furent pas publiés par lui. Il est vrai que Mead, chercheur si éminent, ne publia qu'assez peu au cours de sa carrière. L'essentiel de sa production en théorie psychologique se trouve dans trois articles intitulés : «L'esprit», «Le Soi» et «La société», et dans un quatrième intitulé : «Le point de vue du behaviorisme social», qui furent tous publiés dans l'ouvrage L'Esprit, le Soi et la Société (Mead, 1934). Ces essais sont établis à partir de transcriptions sténographiques de ses cours à l'université de Chicago, complétées par ses propres notes et manuscrits non publiés ainsi que par les notes prises par ses étudiants. Comme on s'en doute, ces articles sont d'un style discursif et n'évitent pas les répétitions. Ces faiblesses mêmes et le recours à un vocabulaire avec lequel les étudiants d'aujourd'hui ne sont pas familiers ont fait apparaître l'œuvre de Mead comme assez impressionnante. L'Esprit,

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le Soi et la Société a été présenté et édité par C. W . Morris, philosophe et linguiste distingué, lui-même auteur d'une excellente étude (1934) qui présente l'ensemble de la pensée de Mead.

Les influences qui s'exercèrent sur Mead La théorie de l'évolution de Charles Darwin fut l'une des grandes révolutions intellectuelles du 19* siècle. L'influence que cette théorie exerça fut profonde et durable, particulièrement dans le domaine des sciences sociales. Pour Mead, la signification que la doctrine évolutionniste revêt pour la psychologie sociale réside en ceci que l'organisme humain et en particulier ce qui le caractérise, l'esprit, devait être expliqué en termes d'interaction entre l'organisme et son environnement. Autrement dit, l'esprit et la capacité de communication symbolique qu'a l'organisme humain (ce que Mead tient pour la condition sine qua non de l'esprit) doit être compris comme faisant partie d'un processus évolutionniste. Outre cette position méthodologique, les positions de Darwin quant à l'expression des émotions fournirent à Mead un point de départ pour expliquer le développement du langage. Comme Dewey et James, Mead était tenu pour pragmatiste, le pragmatisme étant cette philosophie américaine du 19" siècle selon laquelle c'est dans ses conséquences pratiques qu'il faut chercher la signification (et partant, la vérité) d'une proposition. Ce qu'il faut retenir ici, c'est l'importance accordée par le pragmatisme au rôle de la raison et de la rationalité. De ce point de vue Mead s'écarte sensiblement de McDougall lequel était également fortement influencé par la doctrine darwinienne mais qui, dans son interprétation de l'évolution mettait plus l'accent sur les déterminants génétiques, automatiques et irrationnels de la conduite. Pour Mead, une des caractéristiques spécifiques de l'homme est la capacité de celui-ci de modifier et de diriger le cours de l'évolution à l'aide de ses capacités intellectuelles. On a souvent appliqué à la théorie de Mead le terme de «behaviorisme social» afin de souligner à la fois ce qui le rapproche et ce qui l'éloigné du behaviorisme de J. B. Watson. Mead estimait que la réduction effectuée par Watson du monde vécu au fonctionnement des nerfs et des muscles simplifiait les choses à l'excès et indui-

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sait en erreur. C'est particulièrement en ce qui concerne les conduites sociales qu'il trouvait à redire au réductionnisme behavioriste. «En psychologie sociale, on ne construit pas le comportement d'un groupe social à partir de la conduite des individus qui le composent pris séparément. On part bien plutôt de l'activité complexe d'un groupe, comme totalité sociale donnée, au sein duquel on analyse (en tant qu'élément) le comportement de chacun des individus distincts qui le composent. Autrement dit, on tente de rendre compte des conduites de l'individu en terme de conduite organisée du groupe social... On n'explique pas l'acte social en l'élaborant à partir d'un stimulus plus une réponse, mais on le prend comme un tout dynamique — comme quelque chose d'évolutif —, dont on ne peut considérer ou comprendre un élément pris isolément» (Mead, 1934, p. 7). Pour Mead, dire de la psychologie sociale qu'elle est behavioriste ne signifiait pas qu'elle devait ignorer l'expérience intérieure de l'individu mais qu'elle partait d'une activité observable. Certes, le vécu intérieur de l'organisme humain doit être expliqué mais toujours sous l'angle de la réalité observable.

Evolution

du

langage

L'acte. Mead concevait l'organisme humain plus comme un agent actif qu'en tant que réceptacle passif de stimulations provenant de son environnement. L'action de l'organisme détermine la relation entre la personne et l'environnement. Dans cette perspective, il faut considérer la perception comme un processus actif. Il y a réponse sélective aux stimuli rencontrés dans le déroulement de l'action. En outre, on interprète et on répond de façon symbolique à ces stimuli. Dans le développement d'un acte qui peut s'étendre sur une période de temps considérable, l'environnement perçu se modifie — on découvre de nouveaux objets et on redéfinit d'anciens objets. «Ces nouveaux objets et ces nouvelles définitions sont renvoyés vers les groupes et les communautés auxquels appartient l'individu, car l'acte de l'individu et le vécu de sa perception font eux-mêmes partie de l'action commune plus vaste» (Strauss, 1956). Fait important, durant l'acte, des stimuli vont surgir constitués par les actions d'autres individus, lesquelles peuvent à leur tour constituer des réponses à l'acte lui-même. La conversation par gestes. Comme on vient de le noter, c'était une

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nécessité pour Mead de démontrer le processus d'évolution qui aboutit à l'aptitude au langage de l'homme. A cet effet, il eut à en dégager les formes plus anciennes et plus primitives d'où devaient surgir des formes plus évoluées et c'est dans l'ouvrage de Darwin intitulé Expression des émotions chez l'homme et l'animal (1872) qu'il trouva la clé de ce processus. Darwin soulignait que des ensembles d'expression corporelle et plus particulièrement faciale étaient associés à certains états émotionnels spécifiques. Chez l'animal, montrer les dents traduit un état intérieur de colère. Le caractère adaptatif de ce comportement est très apparent pour les animaux qui attaquent avec les dents. Mais Darwin notait que cette manifestation était encore observable chez l'homme où elle avait perdu sa valeur originelle de volonté de survie. Il en déduisait que cette manifestation devait avoir pris une autre valeur adaptative. Il fit l'hypothèse que le sens des expressions faciales résidait dans leur aptitude à révéler quelque chose de l'état intérieur de l'organisme. Mead qualifie ces états expressifs d' «attitudes» ou de «gestes». C'est le geste — l'action qui annonce ce qui va venir — que Mead a tenu pour la conduite primitive dont devait découler l'aptitude de l'homme à la communication. Tel qu'il est utilisé par l'animal, toutefois, le geste est automatique et non pensé (du moins Mead ne voyait-il aucune raison de le considérer autrement). Il n'est qu'un élément d'un acte annonciateur de ce qui va venir. L'animal n'a pas l'intention eii montrant les dents de communiqùer sa colère, il ne s'agit là que d'un préambule à la conduite d'attaque. Il y a loin de cette forme élémentaire à l'aptitude complexe qu'a l'homme de recourir au langage d'une manière consciente et intentionnelle. Mead a mis en lumière le rôle communicatif ou expressif du geste dans ce qu'il a appelé la «conversation par gestes». Une bataille de chiens en fournit un bon exemple. Deux chiens en train de se battre, en se tournant autour, en cherchant une faille, se répondent l'un à l'autre. Que l'un d'eux fasse un mouvement, l'autre tentera aussitôt de le contrecarrer. Donc, tout mouvement sera une réponse à un mouvement antérieur de l'adversaire, tout comme dans une conversation, chaque énoncé est une réponse à un énoncé antérieur. Dans une certaine mesure, on peut considérer que ces mouvements ou ces gestes constituent des symboles, étant donné qu'ils «tiennent lieu» de l'acte global dont ils font partie (ou favorisent des réponses qui lui sont adéquates). De ce même point de vue, on peut dire de tels gestes

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qu'ils ont une signification, c'est-à-dire «qu'ils constituent les prémisses de l'acte à venir... le poing brandi signifie le coup, la main tendue, l'objet à atteindre » (Morris, 1934, p. XX). Le geste signifiant. A ce stade toutefois, la conversation par gestes n'est pas en elle-même et d'elle-même à proprement parler une communication. Pour Mead, la communication implique l'usage de gestes ou de symboles signifiants (l'adjectif signifiant est à entendre ici comme «ayant les qualités d'un signe»). En résumé, l'individu doit être à même d'interpréter la signification de ses propres gestes. Comme Mead l'écrit : «les gestes deviennent des symboles signifiants lorsqu'ils appellent implicitement chez l'individu qui les accomplit les mêmes réponses que celles qu'ils appellent, ou sont censés appeler, explicitement chez les autres individus» (Mead, 1934, p. 47). C'est l'aptitude spécifiquement humaine à anticiper la réponse que les gestes suscitent chez les autres, aptitude rendue possible par la complexité de son système nerveux, qui permet à l'homme d'accéder, au-delà de la conversation par gestes, au niveau du langage symbolique signifiant. Du geste signifiant au geste vocal, le son, il n'y a qu'un pas. Mead soutient que c'est uniquement par le geste vocal que l'homme a pris pleinement conscience de ses propres gestes, mais on ne voit pas clairement qu'il en soit nécessairement ainsi. Il est après tout possible d'instaurer un système symbolique à base de gestes des mains (c'est le cas du langage par signes des Indiens) ou d'écriture hiéroglyphique. On doit néanmoins admettre que le geste vocal constitue un moyen de communication plus adéquat et plus efficace que ces derniers. Lorsque Mead se réfère à la signification d'un geste, il fait allusion à la réponse ajustée que le geste engendre chez autrui ; autrement dit, le sens d'un geste signifiant est à trouver dans la réponse qu'il suscite chez la personne à laquelle il s'adresse. Donc, pour communiquer, à l'aide de gestes ou de langage symbolique, il faut être à même d'anticiper la réponse que son acte va engendrer chez l'autre. D'après Mead, on y parvient en adoptant le rôle de l'autre, en se percevant soi-même du point de vue de l'autre.

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L'aptitude au langage rend également possible chez l'homme le développement du Soi. Pour Mead, le soi se caractérise par l'aptitude pour l'homme à se prendre soi-même comme un objet et cette aptitude est inhérente au mécanisme du langage. Dans la mesure où un individu est capable d'assumer le rôle d'autrui, il est capable de se donner à lui-même une réponse du point de vue d'autrui et partant, de devenir un objet à ses propres yeux. Mead considérait le Soi comme un phénomène de développement. Il indiquait qu' «il (le soi) n'est pas présent au départ, à la naissance, mais se développe tout au long de l'activité et de l'expérience sociale» (1934, p. 135). ]eu libre et jeu réglementé. Mead distinguait deux stades dans le développement du Soi : le jeu libre et les jeux réglementés. Dans le jeu libre, l'enfant met en place un dualisme de rôle, le sien et celui d'un autre personnage : le professeur, la mère, le marchand. Cette activité offre à l'enfant l'occasion d'explorer les attitudes d'autrui à l'égard de lui-même. Ainsi, en assumant le rôle de l'autre, l'enfant apprend à se considérer d'un point de vue extérieur. A ce stade primitif du développement de la personne, le Soi est constitué par l'organisation des attitudes particulières que les autres ont manifestées à son égard et à l'égard les uns des autres, dans le cadre de ces actes sociaux dont l'enfant a fait l'investigation dans son jeu. Le jeu réglementé est un exemple d'activité sociale organisée. L'enfant doit y adopter les attitudes de tous les protagonistes impliqués dans le jeu. «Les attitudes des protagonistes que le joueur adopte s'organisent en une sorte de tout et c'est cette organisation qui gouverne la réponse de l'individu... Chacune de ces actions est déterminée par la manière dont il prévoit l'action des autres» (Mead, 1934, p. 155). Par conséquent, dans le jeu réglementé, l'enfant va au-delà d'attitudes particulières de protagonistes particuliers. Dans le jeu, 1' «autre» est l'ensemble organisé des attitudes des individus engagés dans le même processus ou la même activité. Bien entendu, Mead n'entend nullement affirmer que ce deuxième stade de développement apparaît uniquement dans la procédure ludique. En fait, il se réfère au jeu comme à un modèle des activités sociales organisées pour lesquelles l'aptitude d'un individu à agir dépend de la connaissance qu'il a de la complexité des relations de rôle unissant les divers protagonistes.

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L'autre généralisé. C'est à travers ce processus que l'enfant peur apprendre les attitudes généralisées de la communauté dont il fait partie. Mead désigne sous le terme d' «autre généralisé» cette communauté ou ce groupe organisé qui procure à l'individu l'unité de son Soi. Au plein sens du terme, le développement du Soi exige que l'individu perçoive les attitudes à l'égard de sa propre activité sociale organisée. Effectivement, au second stade du développement (ce que Mead appelle «le développement achevé du Soi») l'individu perçoit son groupe social comme une communauté organisée d'attitudes, de normes, de valeurs et de buts qui régit son propre comportement et le comportement d'autrui. Les attitudes du groupe deviennent inhérentes à la structure du Soi, tout comme les attitudes d'individus particuliers. Ainsi : «C'est sous la forme de l'autre généralisé que le processus social influe sur le comportement des individus concernés... Car, c'est sous cette forme que le processus social ou la communauté pénètre en tant que facteur déterminant dans la mentalité de l'individu» (Mead, 1934, p. 155). Si chaque Soi se construit au travers de la participation au processus social, il ne s'ensuit pas que le Soi de tous les individus soit identique. Mead affirme que le Soi de chacun est appelé à avoir «une individualité spécifique, une configuration unique» (Mead, 1934, p. 202) dans la mesure où chacun appréhende le processus social sous un angle qui diffère sensiblement d'un individu à l'autre. Par conséquent, chaque Soi reflétera cette spécifité et «le fait que les Soi individuels tiennent leur origine et leur élaboration structurale d'une source sociale commune n'exclut pas qu'existent entre les individus de grandes variations et de profondes différences» (1934, p. 202).

En conclusion L'apport essentiel de Mead — ce qui constitue en fait la base de sa théorie — est la façon dont il a mis en lumière la relation entre le développement du Soi et les aptitudes intellectuelles de l'individu, en particulier l'aptitude à la communication au moyen de symboles signifiants. Pour lui, en effet, ces caractéristiques spécifiquement humaines sont reliées entre elles de façon inextricable ou, pour reprendre les termes de Morris, «le Soi, l'esprit, la conscience et les symboles signifiants forment en quelque sorte un précipité indissoluble» (Morris, 1934, p. xxiii).

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Comme l'a noté Strauss «les écrits de Mead proposent une réfutation convaincante des théories psychologiques basées sur des a priori individualistes. C'est particulièrement net dans la manière dont il insiste sur le fait que les actes individuels font partie d'actes communautaires plus vastes» (Strauss, 1956, p. XV). En tant que théorie du développement, la théorie de Mead met l'accent sur le développement cognitif de l'enfant. Elle ne porte pratiquement pas sur le développement émotionnel et sur les changements dus à la maturation qui firent l'objet, à la même époque, des travaux du psychologue suisse Jean Piaget. L'une des failles essentielles de la théorie de Mead vient du fait qu'elle fut élaborée sans l'aide d'études empiriques systématiques. Il en résulte un manque de spécificité des constructs ce qui rend difficile leur formulation en termes concrètement signifiants. N'ayant pas eu le souci de soumettre sa théorie à un contrôle empirique systématique, Mead n'a pas eu la possibilité de restructurer son schéma théorique à la lumière de nouvelles découvertes. Par exemple, comme l'a souligné Merton (Merton et Kitt, 1950, pp. 56 et sq.), Mead insiste sur le fait que les groupes auxquels un individu appartient servent de cadre de référence pour la formation de l'image de soi. Cependant, il arrive fréquemment que des individus appartiennent à des groupes divers et que ces groupes possèdent des normes contradictoires. Mead n'apporte aucune indication sur la façon dont se concilient les intérêts de ces divers groupes. En outre, il est évident qu'un individu n'a pas nécessairement besoin d'être membre d'un groupe pour utiliser ce groupe comme cadre de référence. Par exemple, un individu qui aspire à appartenir à un groupe peut être davantage influencé par les normes de ce groupe que les individus qui en font effectivement partie. Ces problèmes vont être discutés de façon plus détaillée au paragraphe suivant, lorsque nous aborderons la théorie du groupe de référence. Mead accorde peu d'attention à la manière dont l'expérience sociale individuelle est structurée par l'organisation de la société. Pour lui le concept de «processus social» demeure une notion statique. Tout en reconnaissant que ce processus est différencié, il n'a pas donné de la différenciation une définition systématique non plus qu'il n'en a souligné l'importance. Le sens dans lequel il emploie le concept de rôle le dissocie du contexte statutaire qui lui est associé. En conséquence, la mise en acte du rôle n'a pas été abordée en relation avec les performances d'autrui ni en relation avec les activités orga-

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aisées d'un système social. En séparant ainsi les concepts de rôle et de Soi du système structuré des relations sociales, il devait négliger le parallélisme important existant entre le Soi d'un individu donné, son système de statuts et le système social auquel il appartient. La place occupée par Mead dans la psychologie sociale ne saurait être mieux résumée que par cette formule de Strauss : « Plutôt qu'un ensemble d'hypothèses spécifiques ou même qu'une théorie, ce que Mead nous propose, c'est un cadre de référence relativement abstrait qui, si on s'y attachait avec assez d'attention et de cohérence, pourrait plus qu'aucun autre susciter des questions et suggérer des lignes de recherche» (Strauss, 1956, p. xvi). Négligées pendant de nombreuses années, les idées de Mead s'imposent de nouveau depuis peu et semblent exercer une grande influence sur les travaux des psychosociologues qui ont reçu une formation sociologique. C'est ainsi que Lindesmith et Strauss (1956) et Shibutani (1961) appliquent les formulations de Mead à de nombreux domaines de la psychologie sociale. Rose (1962) a publié un recueil de textes empiriques et théoriques tendant à démontrer que le point de vue interactionniste — le plus complètement exprimé dans l'œuvre de Mead — peut conduire à des hypothèses justiciables d'une vérification.

ROBERT K. MERTON

Robert K. Merton figure parmi les plus éminents et les plus productifs des sociologues américains. Ses écrits théoriques et ses recherches empiriques recouvrent une grande variété de domaines, entre autres : la bureaucratie, la communication de masse, l'histoire et la sociologie de la science, l'anomie, la propagande, ainsi que des questions de méthode et d'élaboration théorique. Parmi ses contributions les plus précieuses à la psychologie sociale figurent ses écrits sur la théorie du rôle et sur les groupes de référence.

Arrière-plan de la théorie des groupes de référence On a déjà exposé l'idée selon laquelle le Soi social de l'individu est le produit des attitudes des personnes, qui dans son entourage revêtent pour lui une signification. Comme l'a énoncé Mead, «l'individu

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acquiert l'expérience de Soi de manière indirecte à partir de points de vue particuliers d'autres membres du même groupe ou à partir du point de vue généralisé du groupe social auquel il appartient» (Mead, 1934, p. 138). Toutefois, Mead n'a jamais précisé qui étaient ces «autres». Il est clair, dans le cas d'un très jeune enfant, que les autres qui revêtent signification pour lui seront les membres de sa famille la plus proche. Mais 1' «autre généralisé» représente le «groupe social auquel il appartient». Dans la société contemporaine, toute communauté est composée d'un grand nombre de groupes et toute personne appartient à toutes sortes de groupes différents, organisés en fonction des origines ethniques, de l'appartenance religieuse, des intérêts culturels ou de la classe économique. Comme en outre, notre société est une société mobile, il n'est pas rare que des individus modifient assez fréquemment leur appartenance de groupe. L'expression «groupe de référence» a été forgée par Hyman (1942) au cours de ses recherches touchant au statut socio-économique. Il découvrit que le statut subjectif (le statut auquel une personne estime appartenir) ne peut se déduire directement de facteurs tels que le revenu ou l'éducation. Dans une certaine mesure, il dépendait des groupes sociaux qui étaient choisis comme cadres de référence. Les individus manifestaient une grande diversité dans les choix des groupes qu'ils retenaient comme cadres de référence. Ils choisissaient fréquemment des groupes dont ils n'étaient pas membres. Ainsi, Hyman jugea utile de faire une distinction entre un «groupe d'appartenance» (groupe auquel une personne appartient réellement) et un «groupe de référence» (groupe que l'individu choisit comme base de comparaison pour son auto-estimation). Dans certains cas, le groupe de référence est un groupe d'appartenance et dans d'autres cas, il ne l'est pas. Newcomb (1943), en étudiant le changement de valeurs et d'attitudes chez les étudiantes d'un collège libre, élabora une conceptualisation analogue. Bon nombre de ces étudiantes, le plus souvent issues de familles politiquement conservatrices, adoptaient des attitudes et des valeurs libérales de façon croissante tout au long de leur séjour dans l'établissement. En outre, l'évolution observée était en rapport avec le réseau de relations sociales qu'entretenait l'étudiante à l'intérieur du collège. En fait, Newcomb découvrit que la structure des attitudes d'une étudiante variait selon qu'elle choisissait la communauté étudiante ou la communauté familiale comme cadre de référence dominant.

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Reprenant les résultats de cette étude, Newcomb (1948) les résumait ainsi : «Dans cette communauté, comme probablement dans la plupart des autres, tous les individus appartiennent au groupe d'appartenance global, mais une telle appartenance n'est pas nécessairement un point de référence pour toute forme d'adaptation sociale, c'est-à-dire pour l'acquisition d'attitudes touchant les questions d'ordre public. De telles attitudes cependant ne s'acquièrent pas dans un vide social. Leur acquisition est fonction de la relation, positive ou négative, que chacun établit avec un ou plusieurs groupes (p. 154, italiques de l'auteur)... [Les] résultats de Bennington semblent confirmer la thèse selon laquelle dans une communauté caractérisée par l'approbation de certaines attitudes, le développement de l'attitude de l'individu est fonction de la façon dont celui-ci se lie à la fois au groupe d'appartenance global et aux groupes de référence» (p. 155). Jusqu'à maintenant, le concept de groupe de référence n'avait pas reçu de formulation systématique qui le situe par rapport au corps théorique croissant de la sociologie et de la psychologie sociale. Pour son application, la notion de groupes de référence semblait même poser plus de questions qu'elle n'en résolvait, et des questions apparemment assez complexes : «Qu'est-ce exactement qu'un groupe ?» «Comment définir l'appartenance de groupe ?» L'apport de Merton dans ce domaine a été de mettre au clair et de systématiser les bases conceptuelles de la théorie des groupes de référence ; il publia deux ouvrages, l'un en 1950 (en collaboration avec Alice S. Kitt) et l'autre en 1957. Le premier de ces essais (Merton et Kitt, 1950) a été suscité par la publication de The American Soldier (Stouffer, Suchman, DeVinney, Star et Williams, 1949 ; Stouffer, Lumsdaine, Williams, Smith, Janis, Star et Cottrell, 1949), ouvrage en deux volumes, qui rendait compte de l'essentiel des recherches effectuées par le service de la recherche de la Division Information et Education du département de la Guerre au cours de la seconde guerre mondiale. Ces études sur les attitudes, sentiments et conduites de très nombreux militaires, représentaient la plus grande entreprise d'analyse systématique et intégrée en sciences sociales menée à bien à cette époque et elle n'a sans doute pas été égalée depuis. Il n'est pas étonnant qu'un effort aussi considérable ait beaucoup apporté à la fois sur le plan théorique et sur le plan méthodologique. L'essai de Merton et Kitt constituait une partie du symposium organisé

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afin d'examiner et d'évaluer ces apports pour pouvoir les intégrer aux courants principaux de la recherche sociale. L'une des généralisations importantes, qui ressortait de plusieurs études de The American Soldier, concernait les attitudes des soldats à l'égard de la privation qu'ils subissaient du fait de leur service militaire, ou concernait le jugement qu'ils portaient sur cette privation. En résumé, il apparut que l'attitude d'un individu à l'égard de la privation tenait moins au degré réel de privation subie qu'aux critères utilisés dans l'évaluation de sa condition personnelle. Ainsi, on trouva que les Noirs originaires du Sud portaient sur leur expérience à l'armée un jugement plus favorable que ne le faisaient les Noirs du Nord. De même, plus faibles étaient les chances de promotion réelles dans une unité, plus les opinions quant aux chances de promotion étaient favorables. Ces résultats paradoxaux et un bon nombre d'autres analogues furent expliqués par la notion de «privation relative». Ainsi, le soldat noir, originaire du Sud, se sentait moins privé par la vie dans l'armée parce qu'il évaluait sa condition par rapport à celle du civil noir dans le Sud, tandis que le soldat noir du Nord prenait comme référence le Noir civil du Nord, plus favorisé. De la même manière, la corrélation négative entre les chances de promotion et l'opinion favorable à l'égard de la promotion s'expliquait en supposant que lorsque le taux de promotion est élevé, la personne qui reste dans la même position se compare à ceux qui ont été promus et se sent en conséquence frustrée et brimée. Merton et Kitt soulignent que la privation relative est un cas particulier (bien que fort important) du comportement de groupe de référence. Ce qui est ici en question, c'est le processus par lequel une personne s'oriente à l'égard de certains groupes et de certains individus et en fait les cadres de référence de son comportement, de ses attitudes ou de ses sentiments personnels.

La théorie du comportement de groupe de référence Kelley (1952) distingue deux types fonctionnels de groupes de référence, le type normatif et le type comparatif. Le type normatif fixe et impose à l'individu des normes (il constitue la source des valeurs que l'individu reconnaît) ; le type comparatif fournit une base de comparaison par laquelle l'individu s'évalue lui-même et évalue les autres (ce groupe lui permet d'évaluer sa position par rapport à

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celle d'autrui). Ces deux types de groupes de référence doivent être distingués des «groupes d'interaction» qui «ne sont qu'une partie de l'environnement social de l'individu... Ce dernier doit en tenir compte en allant dans le sens de ses objectifs, mais ils n'ont pas pour lui d'importance normative ou comparative» (Merton, 1957, p. 284). Pour parler sensément d'un groupe de référence, il est nécessaire de disposer d'une définition adéquate de ce qu'est «un groupe». Merton définit un groupe au moyen de trois critères: 1°) un groupe comprend un certain nombre d'individus qui sont en interaction les uns avec les autres sur la base de structures établies ; 2°) les personnes en interaction se définissent elles-mêmes comme membres du groupe et 3°) ces mêmes personnes sont définies par les autres (qu'ils soient eux-mêmes ou non membres de ce groupe) comme membres du groupe. Une telle définition permet de différencier les groupes d'avec cette classe d'agrégats sociaux plus vaste que l'on appelle des «collectivités» — «un ensemble de personnes ayant un sentiment de solidarité du fait qu'elles partagent des valeurs communes et qui ont acquis de ce fait le sentiment d'une obligation morale à remplir les attentes de rôle» (Merton, 1957, p. 299). Les groupes sont naturellement une subdivision des collectivités ; ils diffèrent de celles-ci en ce que l'interaction entre les membres est un critère nécessaire du groupe et non de la collectivité. Les «catégories sociales» sont encore autre chose que les groupes et les collectivités. Elles sont des «agrégats de statuts sociaux dont les tenants ne sont pas en interaction sociale» (Merton, 1957, p. 299). Les individus formant une catégorie sociale ont des caractéristiques sociales semblables telles que le sexe, l'âge ou le revenu, mais ils ne sont pas soumis à un même ensemble spécifique de normes. On verra donc alors que la notion générale de «groupe de référence» recouvre une gamme variée d'agrégats sociaux qui ne sont pas tous des «groupes» tels que les a définis Merton. Ainsi, lorsque le soldat noir originaire du Sud évalue son état personnel présent par comparaison avec celui du civil noir dans le Sud, il fait d'une catégorie sociale son «groupe» de référence. Mais nous devons avoir aussi présent à l'esprit que à côté des groupes de référence, une personne peut également choisir comme cadre de référence de simples individus. Bien que les recherches effectuées dans ce domaine aient

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insisté sur le groupe de référence et négligé l'individu de référence, Merton remarque que le choix d'individus à des fins de référence n'est pas plus arbitraire que ne l'est le choix de groupes. Il établit une distinction entre l'individu de référence et le «modèle de rôle». Une personne s'identifiant elle-même à un individu de référence cherche à «se rapprocher du comportement et des valeurs de cet individu dans ses différents rôles» (Merton, 1957, p. 302). La notion de modèle de rôle implique une identification plus limitée ne concernant qu'un (ou peut-être quelques-uns) des rôles du modèle de rôle. Un groupe peut servir de groupe de référence négatif ou de groupe de référence positif. Un groupe de référence positif est celui dont les normes et critères sont retenus comme cadre de référence ; un groupe de référence négatif est celui dont les normes sont rejetées en faveur de contre-normes. Les recherches effectuées dans ce domaine se sont principalement intéressées au groupe de référence positif, mais la notion de groupe de référence négatif fournit un outil d'analyse fécond. Newcomb par exemple (1943) observe que «la révolte adolescente» peut être considérée comme un comportement de groupe de référence dans lequel les parents servent de groupe de référence négatif. Deux des principaux problèmes que pose la théorie des groupes de référence sont les suivants : qu'est-ce qui détermine qu'un individu donné va choisir un groupe de référence parmi des groupes d'appartenance ou de non-appartenance ? En second lieu, qu'est-ce qui détermine le choix d'un groupe de référence parmi plusieurs groupes pertinents dans une situation donnée ? Merton répond à la première question en analysant quatre facteurs au niveau du groupe, de l'individu et du système social. I o ) Plus les groupes de non-appartenance sont susceptibles de conférer du prestige à l'individu (par comparaison avec les possibilités qu'offrent ses groupes d'appartenance), plus il y a de chances pour que l'individu les retienne comme cadre de référence. 2°) Moins un individu occupe une position centrale dans ses groupes d'appartenance (plus il a tendance à être un «isolé»), plus il est probable qu'il choisira un groupe de non-appartenance comme cadre de référence. 3°) Certaines données d'observation viennent à l'appui de l'hypothèse que les systèmes sociaux, dont les taux de mobilité sociale (changement de statut social) sont relativement élevés, favorisent le

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choix de groupes de non-appartenance comme groupes de référence. Cela est vrai, du moins en partie, parce que dans les sociétés à taux de mobilité élevée l'assimilation des attitudes et valeurs du nouveau groupe intervient fréquemment avant que les changements individuels de statut se soient réellement opérés. En fait, souvent, une telle «socialisation anticipatrice» est une condition préalable au changement de statut. 4°) Enfin, il est raisonnable de supposer que les traits de personnalité individuels jouent également ici un rôle; malheureusement, la recherche empirique accomplie dans ce domaine est trop mince pour permettre autre chose que d'assez vagues spéculation*-. On peut dire que l'essentiel du travail effectué dans le domaine des groupes de référence a porté sur des groupes de référence qui sont des groupes de non-appartenance. Merton relève que cet état de fait est regrettable car il signifierait que les seuls groupes de non-appartenance interviennent dans le comportement de groupe de référence — ce qui est manifestement erroné. On en sait encore moins sur ce qui détermine une personne donnée à choisir comme groupe de référence tels groupes plutôt que d'autres. Merton suggère que la réponse tient ici à un ensemble de propriétés qui distinguent les groupes les uns des autres. Il propose une liste de vingt-six propriétés, entre autres : la précision ou le flou des définitions de l'appartenance sociale dans le groupe, la durée d'appartenance, le degré de différenciation des membres, et le degré de conformité aux normes de groupe exigées. Une telle approche présente deux difficultés essentielles. Première difficulté : comment élaborer des mesures valides, sûres et standardisées de ces sortes de propriété ? Or seules de telles mesures permettraient de faire de? comparaisons valables entre les groupes. Mais en second lieu, même si de telles mesures existaient, ce que nous apporte la liste de propriétés de Merton n'est pas très clair, car il n'y a guère jusqu'ici de moyens de savoir lesquelles des vingt-six propriétés sont déterminantes du comportement de groupe de référence. Il faut bien admettre qu'à l'heure actuelle, on sait encore bien peu sur le processus de sélection des groupes de référence et c'est là, il faut en convenir, une faiblesse notable de la théorie. Le degré de généralité selon lequel les groupes peuvent servir de cadre de référence varie de façon très sensible. Comme dans le cas du modèle de rôle (le cas extrême où il y a identification avec

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l'individu de référence dans un seul de ses rôles), les groupes de référence peuvent intervenir, de manière fort spécifique, dans l'établissement de certaines évaluations et comportements. Certains groupes de référence n'affectent un individu que dans un contexte très étroit, tandis que d'autres ont une influence beaucoup plus étendue. On sait peu de choses sur ce qui détermine le degré de généralité selon lequel un groupe sert de cadre de référence, ni sur la raison pour laquelle un groupe sera plutôt qu'un autre choisi comme groupe de référence s'agissant de types spécifiques de comportement et d'évaluation. D'après ce que l'on sait, l'on peut penser que l'idée du «sens commun» selon laquelle le groupe qui est le plus pertinent soit par lui-même soit fonctionnellement est invariablement choisi comme groupe de référence, n'est pas fondée. Par exemple, il n'est pas évident qu'un membre d'un syndicat adoptera nécessairement le syndicat comme cadre de référence pour se faire une idée des problèmes économiques. Les données recueillies dans ce domaine, généralement à partir de l'étude d'individus de référence plus que de groupes de référence, conduisent à penser que l'influence est en règle générale plus souvent spécifique que généralisée (voir par exemple, Eisenstadt, 1954; Rosen, 1955). Ainsi, il paraît probable qu'une personne utilisera à des moments différents toute une variété de groupes ou d'individus de référence, et que le choix à un moment déterminé d'un groupe ou d'un individu particulier dépend de facteurs complexes, parmi lesquels figure l'élément de la personnalité qu'il est question d'évaluer. Une des régions de la théorie des groupes de référence, que des découvertes empiriques sont venues élucider, se rapporte au problème de la sélection de groupes de référence, de préférence parmi les catégories de statuts ou parmi les sous-groupes avec lesquels l'individu a entretenu une interaction. La majorité de ces études ont porté sur le comportement électoral (par exemple, Berelson, Lazarsfeld et McPhee, 1954). Bien que les conclusions en soient prolixes et complexes, on peut dégager l'idée que les personnes directement associées à un individu ont tendance à médiatiser l'influence de l'environnement social plus vaste ; ce qui revient à dire que les normes de la catégorie sociale ont tendance à être perçues à travers le «filtre» des personnes avec lesquelles on se trouve en interaction directe. Lorsque parmi les associés directs, le consensus ne s'établit pas, l'orientation normative de la catégorie sociale acquiert une plus grande importance. Ces résultats amènent à penser que, du moins g

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en ce qui concerne les types de comportement étudiés, les groupes ou individus de référence (opposés aux catégories sociales ou collectivités) semblent avoir l'impact le plus fort sur l'individu. Il est intéressant de comparer la théorie des groupes de référence à la théorie de la comparaison sociale chez Festinger (voir chapitre III). Toutes deux traitent des aspects d'un même sujet — les conditions dans lesquelles autrui sert de cadre de référence décisif pour l'autoévaluation. Dans sa formulation initiale, la théorie de Festinger concernait l'appréciation des aptitudes, bien qu'elle puisse, comme Schachter (1959) l'a montré, être étendue à d'autres domaines comme les états émotionnels. Il apparaît clairement, même à un examen superficiel, que la théorie des groupes de référence est une théorie sociologique tandis que la théorie de la comparaison sociale est une théorie psychologique. Merton s'intéresse aux facteurs structuraux qui déterminent les processus de groupe de référence tandis que Festinger s'attache à préciser les conditions motwationnelles qui poussent l'individu à rechercher une comparaison. Merton s'efforce d'expliquer le comportement d'un individu par référence à sa position dans une structure sociale ; Festinger s'efforce de faire dériver au moins certains aspects de la structure sociale du processus de comparaison sociale.

Structure sociale et

anomie

A ce point de notre étude, la structure des systèmes sociaux et la vie des individus au sein des systèmes sociaux offraient l'image d'un mécanisme d'horlogerie bien huilé. Tous les éléments s'adaptent avec précision, assument efficacement leurs fonctions sans interférer les uns avec les autres. A la seule exception du conflit de rôles, nous n'avons pas pris en considération les «pathologies» de la vie sociale — à savoir les problèmes qui apparaissent lorsque les valeurs centrales d'une culture sont incohérentes ou contradictoires ou lorsque le comportement d'un individu s'écarte très nettement des normes de son groupe, ou lorsqu'au sein d'une culture donnée, des sous-groupes ont des normes qui se trouvent en conflit. Le modèle d'un système social «bien huilé» peut avoir valeur heuristique mais il ne correspond évidemment pas à la réalité vivante. Si tel était le cas en effet, les cultures seraient statiques, changeant peu dans le temps et

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incapables de maîtriser des influences déséquilibrantes telles que le progrès technologique, la guerre et le contact avec d'autres cultures. Merton a fait beaucoup pour nous permettre de comprendre de quelle façon certains types particuliers de structures sociales produisaient le comportement déviant. Il tenait la déviance, non pour une affaire de psychopathologie ou d'idiosyncrasie, mais plutôt pour une construction, une production de la société. Reprenons les termes de Merton : «Le comportement socialement déviant est tout autant un produit de la structure sociale que le comportement conformiste» (Merton, 1957, p. 121, italiques de l'auteur), ou encore «Notre objectif essentiel est de découvrir comment certaines structures sociales exercent une pression déterminée sur certaines personnes dans la société afin quelles s'engagent dans une conduite de non-conformité plutôt que dans une conduite de conformité» (Merton, 1957, p. 132, italiques de l'auteur). Considérons deux aspects de tout système social et culturel. Le premier aspect est l'ensemble des «buts, desseins et intérêts culturellement définis, tenus par tous les membres ou par des membres diversement situés dans la société pour des objectifs légitimes» (Merton, 1957, p. 132). Il s'agit de choses que les gens estiment dignes qu'on se batte pour elles. Qu'elles soient culturellement définies découle clairement du fait que ce qui constitue un objectif hautement valorisé dans une culture peut être estimé de manière négative dans une autre. Il peut, par exemple, être jugé moins important d'accéder à un état de richesse matérielle qu'à un état de grâce spirituelle. On peut ranger cet élément sous la rubrique des «objectifs culturels». Le second élément important «définit, régule et contrôle les moyens acceptables d'atteindre ces objectifs» (Merton, 1957, p. 133) ; autrement dit, un objectif donné est susceptible d'être atteint par une multitude de moyens, mais seuls certains d'entre eux sont tenus pour légitimes, c'est-à-dire qu'ils sont positivement sanctionnés par la culture. Dans notre culture, la richesse est un objectif quasi universel mais la fraude n'est pas un moyen légitime d'y accéder. Cet élément regroupe ce que l'on appelle les «moyens institutionnalisés». A l'égard de ces deux éléments, on observe de grandes variations entre les diverses cultures mais pour l'équilibre et le bon fonctionnement de toute culture, il importe que les deux soient convenablement intégrés. Les individus pour lesquels un but particulier est considéré comme important doivent avoir à leur disposition un moyen légitime de l'atteindre. Merton s'intéresse particulièrement aux cultures

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dans lesquelles existent une forte accentuation de la valeur des buts culturels et une faible contrainte quant au choix pour les atteindre, de moyens institutionnellement prescrits. Lorsque l'intégration des deux éléments fait défaut dans une culture donnée, il en résulte un état d'absence de norme ou anomie. L'anomie est le terme auquel a eu recours le célèbre sociologue français, Emile Durkheim, pour désigner un état de désorganisation ou de «dérèglement» social. Dans son ouvrage classique Le Suicide (Durkheim, 1897), il a tenté de montrer dans quelle mesure on pouvait mettre au compte des variations de l'anomie les différences de pourcentage de suicide constatées dans divers pays. Merton fait porter son attention sur «les conséquences que peut avoir, sur le comportement d'individus diversement situés dans la structure sociale, une culture dans laquelle l'importance accordée aux objectifs dominants de succès a été progressivement dissociée de l'importance équivalente accordée aux procédures institutionnalisées pour atteindre ces objectifs» (Merton, 1957, p. 139). A cette fin, il a mis au point une typologie des modes d'adaptation auxquels peut avoir recours l'individu confronté à une situation d'anomie. L'individu peut accepter ou rejeter soit les buts culturels soit les moyens institutionnalisés en vue de les atteindre, ou il peut rejeter les deux et leur substituer de nouveaux buts et de nouveaux moyens. Les divers types d'adaptation individuels sont recensés dans le tableau ci-dessous. Le signe + signifie l'acceptation, le signe — le rejet et signe ± le rejet des valeurs dominantes et la substitution de nouvelles valeurs.

Mode d'adaptation 1. 2. 3. 4. 5.

Conformisme Innovation Attitudes rituelles Retrait Révolte

Objectifs culturels

+ + —



Moyens institutionnalisés

+



+



1°) Conformisme. Dans la mesure où une culture est bien intégrée (et l'anomie absente), la conformité à la fois aux objectifs culturels et aux moyens institutionnalisés sera la forme modale d'adaptation. Dans la mesure où Merton s'intéresse aux effets de l'anomie, il ne prête que peu d'attention à ce type d'adaptation.

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2°) Innovation. Lorsqu'un individu accepte l'objectif culturel mais, pour une quelconque raison, rejette les moyens institutionnalisés de l'atteindre, il peut se mettre à la recherche de nouveaux moyens. Ces moyens peuvent être ou ne pas être légitimes, sous l'angle du système de valeurs culturelles, et fréquemment ils ne le sont pas. Merton note que l'innovation entraînant un comportement déviant a plus de chances de se produire dans une culture qui tient le succès pour objectif universel mais qui, dans le même temps, tient à distance tout un secteur de la population des moyens légitimes pour l'atteindre. Ainsi on peut s'attendre à ce que des gens désavantagés en raison de leur race ou de leur religion — dans l'impossibilité de rivaliser effectivement en vue d'objectifs culturels — se mettent à la recherche de nouveaux moyens. 3°) Attitudes rituelles. Certains individus vont abandonner ou radicalement sous-estimer les objectifs culturels, mais dans le même temps continuer à respecter les normes institutionnelles destinées à les atteindre. Ce mode d'adaptation consiste essentiellement à «rechercher individuellement une échappatoire personnelle pour éviter dangers et frustrations... inhérents à la rivalité en vue d'objectifs culturels essentiels, en renonçant à ces buts tout en continuant à respecter strictement les routines et normes institutionnelles» (Merton, 1957, p. 151). Celui qui choisit le mode d'adaptation a perdu toute chance de succès (quelle que soit la définition du succès propre à sa culture) ; mais il trouve la sécurité en continuant d'observer les routines culturellement prescrites destinées à conduire au succès. Ainsi l'employé de bureau qui ne supporte pas l'éperon de la compétition peut abandonner tout espoir d'accéder à un poste supérieur, mais en même temps, il peut tenter de se conformer au rituel extérieur de l'employé arriviste. Dans une certaine mesure, ce type d'adaptation peut se comparer au coureur de fond, désespérément à la traîne, et qui s'oblige à la limite extrême de ses forces à atteindre la ligne d'arrivée bien que sa performance ne puisse avoir aucun effet sur l'issue de la course. Pour Merton, alors que l'innovation est un mode d'adaptation typique de la classe inférieure, le ritualisme se rencontrerait plus fréquemment dans la classe moyenne inférieure. 4°) Retrait. Lorsqu'un individu a rejeté à la fois les objectifs culturels et les moyens institutionnels qui y sont associés, il s'est en fait mis à l'écart de la société. C'est là le mode d'adaptation du clochard, du

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La théorie du rôle

drogué, du psychotique, de l'alcoolique, c'est-à-dire «des déshérités sociaux qui, s'ils n'obtiennent aucun des bienfaits offerts par la société, n'ont également que peu des frustrations qui accompagnent généralement la lutte menée pour obtenir ces bienfaits» (Merton, 1957, p. 155). 5°) Révolte. Ce mode d'adaptation consiste à la fois en un rejet des valeurs et des institutions culturelles auxquelles on substitue un nouvel ensemble de valeurs et d'institutions. Par ses écrits, Cloward (1959) a fait faire de grands progrès à la théorie de la structure sociale et de l'anomie. Cloward s'est efforcé de comprendre ce qui détermine le type spécifique de réponse déviante qu'un individu donné peut faire dans une situation d'anomie. L'un des déterminants évidents est constitué par les valeurs. Comme Cloward l'écrit, «les valeurs servent à ordonner le choix des adaptations déviantes (et également conformistes) qui s'instaurent en situation de contrainte» (Cloward, 1959, p. 167). Ainsi, comme l'observe Merton, étant donné que l'orientation de valeur induite par la socialisation des classes moyennes souligne l'importance des règles et de l'obéissance aux règles, le mode d'adaptation typique à l'anomie est le ritualisme ; dans les basses classes, où l'on met moins l'accent sur l'importance des règles, le mode d'adaptation typique est l'innovation. Cloward fait remarquer toutefois que, de même que l'accès aux moyens institutionnels d'atteindre des objectifs culturellement valorisés est socialement structuré, de même l'accès aux moyens illégitimes est aussi socialement structuré ; autrement dit, les motivations à la déviance et les pressions en sa faveur ne suffisent pas d'elles-mêmes, à rendre compte du comportement déviant. Comme ceux qui sont légitimes, les moyens illégitimes d'atteindre un objectif sont à la fois limités et diversifiés dans leur accessibilité, dépendant de la position de l'individu dans la structure sociale. Cloward note que le terme «moyen» renvoie en fait à deux réalités distinctes : les structures d'apprentissage («cadre d'apprentissage adéquat pour l'acquisition des valeurs et des attitudes associées à la performance d'un rôle particulier», Cloward, 1959, p. 168) et les structures de possibilité (possibilités offertes de remplir le rôle une fois les aptitudes acquises). Un criminel agit rarement au hasard. Même un malfaiteur, aussi peu qualifié qu'un monte-en-l'air, doit apprendre à choisir sa victime et la connaître pour la dépouiller de ses biens. Le savoir technique d'un escroc de haute volée soutient tout

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à fait la comparaison avec les capacités techniques de maintes vocations légitimes (voir Maurer, 1940). De tels rôles s'apprennent, non par essais et erreurs, mais dans le contexte de sous-cultures déviantes auxquelles seuls quelques membres d'une société ont accès.

En conclusion Il est clair que le domaine traité par la théorie des groupes de référence est d'une importance primordiale pour la psychologie sociale ; ce qui est moins clair, c'est de savoir si elle mérite ou non d'être appelée théorie. Elle ne contient aucune idée centrale spécifique ni ne postule de processus sociaux radicalement nouveaux. Fait particulièrement regrettable, elle ne permet guère de prédire le comportement individuel en regard des groupes de référence. En dépit de cette lacune, on ne saurait sous-estimer la notion de groupe de référence. Ce concept, en effet, remplit deux fonctions importantes : il a permis en premier lieu de souligner l'importance du comportement d'auto-évaluation chez l'individu et le rôle joué par les groupes en rapport avec comportement, et en second lieu d'attirer l'attention des psychosociologues sur le fait que les valeurs et les normes des groupes de non-appartenance exercent souvent une grande influence sur l'individu. Le concept d'anomie a un statut similaire. Indiscutablement, il a aidé à notre compréhension du comportement déviant. Le fait d'établir, sans conteste, la proposition selon laquelle la déviance est un trait «inhérent» de certains systèmes socio-culturels et non le produit d'une pathologie ou d'une malfaisance individuelle fut d'une grande importance. Il est juste toutefois de reconnaître que les pressions en faveur de la déviance existent pour la plupart des gens et que, même là où ces pressions sont les plus fortes, seule une minorité adopte un comportement déviant. Tous les enfants des bidonvilles ne deviennent pas de jeunes délinquants. On ne sait pas encore très bien ce qui détermine l'impact de la pression déviante sur un individu donné. Il ressort cependant de quelques résultats d'observation que la famille peut jouer un rôle important dans la constitution d'une structure de personnalité particulièrement sensible aux pressions déviantes (voir par exemple, Chein, Gérard, Lee et Rosenfeld, 1964). Quoi qu'il en soit, la notion d'anomie a favorisé l'étude de processus déviants tels que la délinquance juvénile, la criminalité, la

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maladie mentale, l'alcoolisme et les affections physiques. Au sujet de la maladie, Parsons (1951) a fait une analyse décisive du rôle de l'individu malade en tant que réponse aux pressions sociales du type de celles que nous avons envisagées ci-dessus. Dans son étude du concept de l'anomie, Merton a insisté sur les tensions inhérentes aux systèmes socio-culturels au détriment des mécanismes destinés à atténuer ces tensions. Par exemple, bien que dans notre culture le succès soit un objectif quasi universel, ce qui constitue précisément le succès est défini différemment selon les personnes. De même tout le monde n'adopte pas avec une conviction semblable les valeurs centrales d'une culture. Pour certains, les objectifs culturellement définis ne constituent pas des objets nécessitant une lutte intense et cela non parce qu'ils ont été rejetés mais parce qu'ils n'ont jamais été acceptés. Enfin, il faudrait noter qu'il arrive que la culture elle-même propose une alternative aux objectifs culturels. Pour recourir une fois encore à l'exemple de notre propre culture, le succès et la richesse peuvent être des objectifs primordiaux et en même temps un individu peut choisir de vouer son existence à la religion ou à la science sans pour autant perdre l'estime de ses pairs. Les concepts de groupe de référence et d'anomie ont favorisé de multiples recherches d'une grande portée tant sur le plan pratique que sur le plan théorique. C'est la raison pour laquelle leurs lacunes conceptuelles ont été sous-estimées au profit de leur valeur en tant qu'outil intellectuel. Au stade actuel du développement des sciences sociales, une telle fécondité est peut-être tout ce que l'on peut raisonnablement exiger.

ERVING GOFFMAN

La formation de Erving Goffman fut celle d'un sociologue tourné vers l'anthropologie ; ayant une vue pénétrante des problèmes humains, il a élaboré un cadre pour l'analyse de l'interaction sociale basée sur une analogie avec la performance théâtrale. Son ouvrage essentiel, La Présentation de soi dans la vie quotidienne (Goffman, 1959), détaille ce modèle théorique et l'applique à une grande variété de situations. Nos remarques sur Goffman se référeront essentiellement à cet ouvrage et, sauf indication particulière, toutes nos références en sont tirées. A la fois par sa formation et par ses inclinations personnelles,

Effing

Goffman

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Goffman s'attacha plus à de vastes perspectives sociales qua des questions de rigueur et précision scientifiques. Les données qu'il apporte à l'appui de sa théorie sont fondées principalement sur l'observation des interactions sociales dans notre culture et dans d'autres, observations menées par lui-même et par d'autres chercheurs en sciences sociales. Goffman n'hésite pas à utiliser les romans, les autobiographies et les mémoires, les articles de journaux ou revues et les informations glanées au cours de conversations personnelles. Comme de nombreux sociologues et anthropologues, il ne s'inquiète outre mesure ni des problèmes méthodologiques soulevés par la méthode d'observation ni du relatif manque de rigueur de sa théorie. Dans une grande mesure, le pouvoir de conviction de son élaboration théorique repose sur l'efficacité avec laquelle elle éclaire les exemples et illustrations qu'il expose avec une telle aisance.

Performances Goffman prend comme point de départ le fait que, pour que l'interaction sociale soit viable, l'individu a besoin d'être informé sur ses partenaires dans l'interaction. Cette information peut être communiquée par de multiples canaux, l'apparence, l'expérience antérieure avec des individus similaires, le cadre social dans lequel se trouve l'individu. L'information la plus importante toutefois est celle qu'un individu fournit sur lui-même à travers ses actes et ses paroles. Goffman s'intéresse tout particulièrement à cette source d'information pour deux raisons ; tout d'abord en raison de sa signification clé et ensuite parce qu'une telle information est soumise dans une large mesure au contrôle individuel — c'est-à-dire que l'on peut, du moins dans une certaine mesure, contrôler 1' «image» que l'on projette et que les autres sont appelés à accepter. Tout cela est important parce que, comme l'écrit Goffman (1959, p. 1), «l'information touchant à l'individu permet de préciser la situation, permet aux autres de prévoir ce qu'il (l'individu) va attendre d'eux, et ce qu'ils peuvent attendre de lui». Goffman s'intéresse aux techniques par lesquelles les gens «se présentent eux-mêmes» aux autres et aux conditions dans lesquelles ils ont recours à ces techniques. Une notion centrale dans la théorie de Goffman est la «performance» définie comme «toute l'activité émanant, dans une occasion 9

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donnée, d'un participant donné et visant à influencer d'une quelconque façon l'un quelconque des autres participants» (p. 15). Pendant une performance, 1' «acteur» (la personne dont nous sommes en train d'étudier le comportement) peut jouer son «rôle» ou tenuson «emploi» — un «schéma préétabli d'action qui se déroule durant une performance et qui peut être présenté ou joué en d'autres occasions» (p. 16). Le lien entre les idées de Goffman et les concepts de la théorie du rôle est visible. Une personne qui tient le même emploi devant le même public en des occasions différentes établira probablement avec ce public une relation standardisée. «En définissant le rôle social comme la mise en acte de droits et de devoirs attachés à un statut donné, nous pouvons dire qu'un rôle social comprendra une ou plusieurs parties et que chacune de ces différentes parties peut être jouée par l'acteur dans une série d'occasions, aux mêmes sortes de public ou à un public constitué des mêmes personnes» (p. 16). Goffman définit la «présentation de façade» comme «cette partie de la performance de l'individu qui opère régulièrement et d'une manière fixe pour définir la situation à ceux qui observent la performance. La présentation est donc l'équipement expressif standardisé employé, intentionnellement ou non, par l'individu au cours de sa performance» (p. 22). La présentation de façade peut comprendre un certain nombre d'éléments. Un de ces éléments est le «cadre» (setting), l'environnement physique dans lequel a lieu la performance, comprenant le mobilier, le décor et l'agencement des lieux. Un autre élément important de la présentation de façade est ce que Goffman appelle la «présentation de façade personnelle», les signes de la fonction, le vêtement, l'âge, le sexe, l'allure, les tournures de langage, les expressions du visage, etc. On peut encore distinguer les stimuli que comporte la présentation de façade en «apparence» et «manière». L'apparence se réfère à «ces stimuli qui opèrent au moment voulu pour nous dire le statut social de l'acteur» (p. 24). La manière se réfère à «ces stimuli qui opèrent au moment voulu pour nous avertir du rôle d'interaction que l'acteur se prépare à jouer dans la situation à venir» (p. 24). Ainsi, l'acteur peut par des manières timides et effacées, indiquer qu'il a l'intention de jouer un rôle soumis dans la situation à venir ; ou il peut laisser entendre l'inverse en adoptant des manières arrogantes et agressives. Goffman montre que nous avons tendance à espérer une certaine cohérence entre le cadre, l'apparence et la

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manière ; la personne dont l'apparence et les manières dénotent un rang social élevé devra se présenter dans un cadre approprié. Pour cette raison, nos sensibilités peuvent être quelque peu troublées lorsque nous entendons parler d'un millionnaire qui vit dans une masure ou qui achète ses chaussettes chez le fripier. Dans une certaine mesure, les présentations de façade sociales ont tendance à s'institutionnaliser sous forme d'un ensemble d'attentes du public à l'égard de l'acteur. La présentation de façade donc «tend à acquérir une signification et une stabilité en dehors des tâches spécifiques qui sont à un moment donné accomplies en son nom. La présentation de façade devient 'une représentation collective' et un fait en soi» (p. 27). Ainsi, lorsqu'un individu assume un rôle qui est bien établi, il est probable qu'il découvrira qu'une présentation de façade définie et spécifique va de pair avec ce rôle. Un des problèmes importants auxquels est confronté l'acteur est de dramatiser sa démonstration de manière à ce que le public ait une conscience précise de ce qu'il est en train de faire. Pour y parvenir, il doit fréquemment jouer d'une façon qui n'est ni ce qui lui conviendrait le mieux personnellement ni ce qui serait le plus efficace pour la tâche à remplir. Goffman donne exemple d'un arbitre de base-bail qui doit prendre ses décisions instantanément, sans trace d'hésitation (afin d'éviter de donner l'impression d'incertitude), et qui, ce faisant, renonce aux quelques instants de réflexion qui lui permettraient d'être certain de son jugement. Goffman relève un paradoxe : «Le travail à fournir pour remplir certains statuts est si mal conçu en tant qu'expression d'une signification voulue, que le tenant de ce statut, s'il veut mettre en lumière le personnage de ce rôle, doit y employer une appréciable quantité d'énergie» (p. 32). Ainsi, prononcer un discours qui frappe l'auditeur par son caractère authentiquement informel et spontané peut exiger de nombreuses heures de soins assidus que l'orateur devra encore se donner la peine de cacher à son auditoire afin de préserver l'illusion de spontanéité. Comme les performances sont dramatisées, elles ont également tendance à être idéalisées. Par idéalisation, nous nous référons à la tendance qui consiste à modeler une performance en fonction de la «forme idéale» du rôle en question. «Ainsi, lorsque l'individu se présente lui-même devant autrui, sa performance aura tendance à intégrer et exemplifier les valeurs officiellement accréditées de la société plus que ne le fait, en réalité, son comportement dans son

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ensemble» (p. 35). Ainsi, le chef religieux peut se présenter luimême comme une personne plus pieuse qu'il ne croit lui-même en réalité l'être. D'autre part, il est fréquent qu'une performance idéalisée oblige l'individu à se présenter lui-même comme possédant moins d'un attribut culturellement désirable qu'il n'en possède réellement. Prenons le stéréotype de 1' «Oncle Tom» — obséquieux, paresseux et ignorant — auquel un Noir du Sud de bonne éducation peut trouver opportun, à l'occasion, de se conformer. De la même manière, une jeune fille peut souvent prétendre être moins intelligente ou moins forte physiquement qu'elle ne l'est en réalité pour ne pas mettre dans l'embarras les hommes qu'elle rencontre. Goffman souligne que la culture anglo-américaine a tendance à faire une distinction très nette entre les performances qui sont «authentiques», «sincères» ou «honnêtes» et celles qui sont «fausses» ou «hypocrites». Les premières sont considérées comme la réaction inconsciente de l'individu à la réalité de sa situation ; les dernières doivent être «inventées de toutes pièces» puisqu'elles ne sont le reflet d'aucune réalité. Mais Goffman objecte que la relation entre apparence et réalité n'est pas nécessaire ou intrinsèque mais plutôt d'ordre statistique. Il est tout à fait possible à un acteur malhonnête ou peu sincère de donner une performance tout à fait convaincante (l'escroc en est une bonne illustration) comme il est possible à un acteur sincère (un acteur dont la performance est une réaction non consciente d'elle-même) de laisser par manque d'attention son auditoire non convaincu.

Les équipes de performance Bien que nous ayons jusqu'ici envisagé la performance comme si celle-ci n'était qu'un prolongement du personnage de l'acteur, sa fonction réelle dans l'interaction sociale est plus vaste et d'une plus grande portée. En particulier, la performance d'un individu donné s'entrecroise avec celle d'un autre ou de plusieurs autres individus et ces performances toutes ensemble projettent une définition de la situation commune à tous les acteurs qui y collaborent. Goffman emploie l'expression «équipe de performance» ou simplement le terme d' «équipe» pour désigner «tout ensemble d'individus qui collaborent à la même mise en scène» (p. 79). Les personnes qui jouent dans la même équipe sont liées les unes aux

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autres par une importante relation, relation dont nous distinguerons deux éléments. Tout d'abord, chaque membre de l'équipe a le pouvoir de «gâcher le spectacle», ce qui rend, selon l'expression de Deutsch (1949a) tous les membres solidaires quant à leur réussite, ce qui signifie que la possibilité pour tout membre de l'équipe d'atteindre son objectif dépend de la manière dont les autres membres atteignent les leurs. En second lieu, parce que les membres d'une équipe de performance doivent coopérer à créer une définition spécifique de la situation, il leur est difficile de préserver, étant entre eux, la même image. «De fait, il existe pour les coéquipiers une tendance proportionnelle à la fréquence selon laquelle ils agissent comme équipe, et à l'ampleur du domaine à propos duquel ils doivent préserver une image, à être liés par ces droits de ce qu'on peut appeler la 'familiarité'» (p. 83). Goffman s'applique à distinguer une équipe d'un groupe informel ou d'une clique. Une équipe est un groupement constitué en relation, non à une structure ou à une organisation sociale, mais plutôt en relation à une interaction dans laquelle est maintenue la définition pertinente de la situation. «Dans les vastes organismes sociaux, les individus à un niveau de statut donné, sont étroitement associés par le fait qu'ils doivent coopérer au maintien d'une définition de la situation face à ceux qui se trouvent au-dessus et au-dessous d'eux. Ainsi, un groupe d'individus, qui peuvent être dissemblables sous des aspects non négligeables et par conséquent désireux de maintenir entre eux une certaine distance sociale, se trouvent engagés dans une relation de familiarité forcée typique de coéquipiers engagés dans la présentation d'un spectacle. Il semble souvent que de petites cliques se forment, non pour favoriser les intérêts de ceux avec lesquels l'individu monte le spectacle, mais plutôt pour le protéger d'une identification qu'il ne souhaite pas avec eux» (p. 84). Un individu isolé peut, par son jeu, définir une situation donnée de la façon qui lui semble convenir en choisissant parmi plusieurs possibilités. En un certain sens, soutient Goffman, cette définition de la situation représente ce que l'individu prétend être la réalité. Toutefois, dans un jeu d'équipe, la définition de la situation et, partant, la réalité elle-même est déterminée par la ligne adoptée par l'équipe. Goffman introduit également la notion de région et de région de comportement. Le terme de région n'est pas pris ici dans la même acception que dans la terminologie de la théorie du champ lewinienne

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(voir chapitre m). Pour Goffman, le terme de région renvoie plutôt en règle générale à une zone physique (et non psychologique ou conceptuelle). Pour une performance donnée, la «région de façade» est le lieu où se déroule le jeu. Dans un restaurant par exemple, c'est l'endroit où les dîneurs ont accès. Les «coulisses» constituent la zone où des actes nécessaires au jeu se déroulent mais où le public ne doit rien voir. Ainsi, dans la région des coulisses, l'acteur ne se sent pas contraint à garder sa présentation de façade. Dans un restaurant, la région des coulisses correspondrait à la cuisine et aux autres lieux où le dîneur n'est pas autorisé à pénétrer. Un garçon (membre de l'équipe que constitue le personnel du retaurant) peut être obligé de conserver, tant qu'il est dans la région de façade, un air alerte, affable et éveillé. Lorsqu'il est dans les coulisses, il lui est loisible de montrer sa fatigue et de se conduire d'une façon plus maussade et avec plus de laisser-aller. On peut considérer que le comportement de l'acteur dans la région de façade respecte deux types de critères que Goffman qualifie de «politesse» et «décorum». La politesse se réfère aux manières que l'acteur adopte vis-à-vis du public — la façon dont il traite les autres dans son interaction avec eux. Le décorum se réfère au comportement de l'acteur dans sa relation non au public mais à l'environnement. Nous avons jusqu'ici présenté un ensemble de constructs liés entre eux et qui constituent une perspective d'où l'on peut envisager la vie sociale. Mais ce n'est là qu'une esquisse schématique de la pensée de Goffman. Ce dernier se hâte de souligner que ce n'est là qu'une des perspectives d'où l'on puisse observer la vie sociale et plus spécialement ce qu'il appelle les institutions sociales {social establishment). Les quatre perspectives d'analyse principales qu'il propose sont les suivantes : I o ) Perspective technique : se rapportant à l'efficience ou l'inefficience des institutions sociales pour atteindre des objectifs définis au préalable. 2°) Perspective politique : se rapportant au pouvoir que des individus particuliers ou des classes spécifiques d'individus peuvent exercer sur d'autres personnes ; les diverses sortes de récompenses et de punitions en quoi consiste ce pouvoir et les contrôles sociaux qui fixent comment ce pouvoir est employé.

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3°) Perspective structurale : ayant trait aux divisions, selon le statut au sein de l'institution sociale, et aux relations parmi les groupes différenciés. 4°) Perspective culturelle : relative aux valeurs et aux normes qui servent de critères du comportement au sein de l'institution. Goffman considère que chacune de ces perspectives permet une vision intéressante du fonctionnement des institutions sociales et il suggère que son approche personnelle offre une cinquième perspective qui peut être également fructueuse dans la mesure où l'on peut trouver intérêt à étudier une institution sociale du point de vue de la formation des images. On serait alors amené à «décrire les techniques de production d'impressions employées dans une institution donnée, les principaux problèmes de production des impressions dans l'institution, à identifier les différentes équipes de jeu qui opèrent dans cette institution, ainsi que leurs interrelations» (p. 240). Goffman note en outre que les phénomènes de production des impressions sont également pertinents dans les autres perspectives ; il suggère donc qu'il peut être utile d'étudier le croisement de la perspective «dramaturgique» avec les autres perspectives. Par exemple : «Les perspectives dramaturgique et culturelle se recoupent le plus nettement en ce qui concerne le maintien des normes morales. Les valeurs culturelles d'une institution fixeront de manière détaillée ce que les gens doivent éprouver en diverses matières et détermineront dans le même temps un cadre d'apparences qui doivent être maintenues, qu'il existe ou non derrière ces apparences un sentiment vrai» (pp. 241 et sq.). Goffman souligne l'importance de la relation existant entre la structure du soi et la nature des performances données dans l'interaction avec autrui. Cette importance est d'autant plus grande dans des cultures comme la nôtre qui tiennent à ce qu'une personne «soit réellement» ce qu' «elle paraît être». Il est pourtant clair que le «soi joué» est dans chaque cas une résultante de l'interaction d'une performance avec un public donné — comme le dit Goffman «une scène correctement mise en scène et jouée conduit le public à prêter au personnage joué un soi, mais ce soi est en fait un produit de la scène qui vient d'être jouée, il n'en est pas la cause» (p. 252, italiques de l'auteur).

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conclusion

Bien que dans l'ensemble, Goffman n'ait pas recours à la terminologie caractéristique de la théorie du rôle, il est clair que son œuvre se range cependant dans la même tradition intellectuelle. Ainsi on peut établir un parallèle entre le concept de routine et les attentes déterminées de façon normative qui sont associées à un rôle donné. Cependant, Goffman fait faire un progrès sensible à notre compréhension des relations de rôle lorsqu'il insiste sur le fait que dans une large mesure, on considère qu'un comportement de rôle a été «correctement» tenu non pas tant lorsque les exigences fonctionnelles du rôle ont été remplies, ni même lorsque les obligations de rôle ont été consciencieusement mises en acte, mais plutôt lorsqu'une personne a eu toutes les apparences de remplir les obligations du rôle. De cette conclusion principale découlent de nombreux corollaires. Il est regrettable que la richesse et la pénétration des intuitions de Goffman souffrent d'une présentation aussi schématique que celle-ci. Goffman s'attache à maintes reprises à rappeler que la perspective qu'il adopte n'est qu'une des perspectives possibles dans lesquelles envisager la vie sociale ; et il ne prétend en aucun cas que la perspective «dramaturgique» soit plus valable qu'une autre. Dans une très grande mesure, les insuffisances du modèle de Goffman tiennent à la conception qu'il a de la construction d'une théorie et à la nature des faits qu'il avance à son appui. Ce modèle pourrait-on dire, est analogique, en ce sens qu'il repose sur un parallèle établi entre une représentation dramatique et les modalités de la formation d'impressions dans l'interaction sociale. Goffman est certainement conscient des limites auxquelles se heurte une telle «extension par analogie» car il écrit : «une telle tentative de pousser aussi loin une simple analogie a quelque chose de rhétorique et de manœuvrier» (p. 254). Nous pouvons nous demander jusqu'où peut nous conduire cette analogie. Par exemple, un acteur professionnel a-t-il tendance à faire siennes les valeurs et attitudes du personnage qu'il incarne ? Vraisemblablement non, dirait-on. Et pourtant, il est prouvé que le jeu de rôle au cours d'expérimentations psychologiques n'est pas sans effet sur les valeurs et attitudes des sujets (Janis et King, 1954 ; King et Janis, 1956). Cela nous conduit à faire une autre remarque. Bien que Goffman fasse quelque allusion à l'importance de la relation entre «le soi

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représenté» et «le soi phénoménal» (le soi vécu), il y a lieu de penser qu'il ne lui accorde pas suffisamment d'intérêt. Car on peut penser que la nécessité de maintenir une cohérence entre ces deux facettes du soi doit constituer une source de motivation profonde et de portée très étendue, du moins dans des cultures analogues à la nôtre. L'étude de la théorie de la dissonance (voir chapitre m ) proposait qu'on l'interprète comme une tentative de maintenir une cohérence entre concept de soi et comportement. Ainsi est-on parvenu expérimentalement à corroborer «l'hypothèse que l'individu qui choisit éprouvera une dissonance post-décisionnelle uniquement s'il perçoit son choix dans une situation donnée comme étant incompatible avec l'idée qriil se fait d'un aspect de lui-même, aspect qiiil veut conserver à ses yeux et aux yeux des autres dans la situation présente» (Deutsch, Krauss et Rosenau, 1962, p. 18). Cette proposition implique que le «fabricant d'images», froid et calculateur que propose Goffman, est psychologiquement un cas aberrant. Certes beaucoup d'entre nous et probablement la plupart d'entre nous, s'efforcent à l'occasion de donner une image qui ne correspond pas à nos sentiments réels — nous pouvons feindre un intérêt pour une conférence que nous jugeons en fait fort ennuyeuse ou encore nous efforcer d'apparaître plus calés en art moderne que nous ne le sommes — mais cependant il est permis de mettre en question la portée et la signification d'un tel comportement. En fin de compte, il nous suffira de rappeler que pour être fort utiles à la compréhension d'une théorie, exemples et illustrations ne sont pas d'un grand recours pour la confirmer. La sélection dont ils sont nécessairement l'objet fait que l'on s'interroge sur leur caractère représentatif et leur pertinence. Enfin, des théories dont la confirmation repose principalement sur des illustrations s'exposent à être infirmées par d'autres illustrations.

CHAPITRE VII

les courants actuels en psychologie sociale

Bien que l'on puisse faire remonter ses origines aux premiers âges de la philosophie sociale, la psychologie sociale moderne naquit dans les premières décennies du 20 e siècle. Elle est un enfant de la psychologie et de la sociologie, conçu dans cette ambiance ambivalente, faite à la fois de désespoir et d'optimisme, qui a caractérisé l'âge scientifique. L'extension rapide de la connaissance, la confiance croissante dans les méthodes scientifiques, le changement technologique toujours plus rapide et les chances aussi bien que les problèmes sociaux qu'il provoque, le développement de nouvelles organisations sociales et de nouvelles planifications, l'agitation sociale, l'éclatement fréquent des communautés et la disparition de traditions sociales — tout cela a contribué à créer à la fois le besoin d'une psychologie sociale et la prise de conscience de la possibilité d'appliquer à la compréhension du comportement social des méthodes scientifiques. La théorie darwinienne dominait l'atmosphère intellectuelle de l'époque et elle devint un modèle pour les théoriciens de psychologie sociale qui se donnèrent eux aussi comme objectif l'élaboration d'une vaste théorie globale du comportement social. Les déclarations d'intention des premiers théoriciens comme Cooley (1902), Tarde (1903), McDougall (1908) et Ross (1908) étaient fort ambitieuses quant au champ visé mais n'offraient pas la même richesse dans leur détail. Les premières explications du comportement social furent souvent données en termes de processus tels que la sympathie, l'imitation, la suggestion, processus qu'on pensait à leur tour déterminés par l'instinct. On invoquait 1' «instinct grégaire», 1' «instinct de soumission» ou

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sociale

1' «instinct parental» et toute une cohorte d'autres instincts comme les causes innées, fruits de l'évolution du comportement. Les doctrines de l'instinct, cependant, n'eurent pas la vie longue. Au milieu des années 20, elles étaient sur le déclin. A ce déclin avaient contribué le prestige des méthodes empiriques dans les sciences physiques, le point de vue du déterminisme social tel que l'exposait Karl Marx et de nombreux autres théoriciens de la sociologie, les travaux des anthropologues culturalistes. Les deux aspects de cette rébellion contre la position instinctiviste, à savoir le rejet de la notion de comportement dont l'instinct serait la cause d'une part, et d'autre part, le parti pris méthodologique en faveur des procédures empiriques laissent encore leur marque dans la psychologie sociale contemporaine. L'empirisme est un héritage de la psychologie et 1' «environnementalisme» est un legs de la sociologie. L'opposition à la doctrine des instincts et parallèlement, la minimisation des influences génétiques par rapport à celles qu'exerce l'environnement sur le comportement social a inspiré de nombreuses études qui mettent en lumière les effets de facteurs sociaux sur les processus psychiques individuels. (Les travaux de Bartlett : «Les facteurs sociaux de la mémoire», de Sherif : «Influence de groupe sur la formation des normes et des attitudes», de Piaget : «Les facteurs sociaux du jugement moral», sont des classiques du genre. Newcomb et Hartley les recensent dans leur ouvrage publié en 1947.) Allant de pair avec les changements sociaux rapides caractéristiques de la période moderne, les recherches des psychosociologues jetaient un défi à des opinions enracinées touchant au caractère immuable de la nature humaine, à la supériorité ou l'infériorité innées d'une classe sociale, d'un groupe national ou d'une race. Les psychosociologues n'écoutaient pas sans bienveillance l'excessive affirmation de J. B. Watson (1930) selon laquelle «il n'existe rien qui ressemble à une hérédité d'aptitude, de talent, de tempérament, de constitution mentale et de caractéristiques individuelles». De nos jours, on a admis qu'on ne pouvait rendre compte pleinement du développement du comportement humain sans prendre en considération l'équipement biologique, génétiquement déterminé, avec lequel l'individu affronte son environnement ; néanmoins, la notion de supériorité ou infériorité innée, ou celle d'un comportement social «fixé» par l'instinct, est encore aujourd'hui rejetée par presque tous les psychosociologues. Le refus de théoriser en chambre sur le comportement social, la faveur accordée à l'investigation empirique, ont stimulé l'élabora-

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tion de toute une variété de méthodes, d'études dudit comportement : questionnaires de toutes sortes pour la mesure des opinions ou attitudes ; interviews systématiques pour recueillir des informations sur les motivations sous-jacentes du comportement ; procédures d'observation contrôlées pour décrire et classer les comportements dans les situations sociales ; méthodes d'analyses de contenu pour analyser les discours, les documents, la presse ; techniques sociométriques pour l'étude des préférences sociales et des schémas de l'interaction sociale au sein d'une communauté ; tests projectifs pour l'étude de la personnalité, etc. Ces méthodes ont été largement employées pour les sondages d'opinion publique, les enquêtes de consommation, les études portant sur l'état d'esprit, les préjugés et la discrimination, les procédures d'embauche, etc. Cette récolte contre la théorisation en chambre a conduit de nombreux psychosociologues, non seulement à quitter leur chambre, mais aussi à cesser toute théorisation. Il serait peut-être plus exact de dire que les psychosociologues qui abandonnèrent leur chambre au profit de la recherche empirique, dans les années 1920 et au début des années 1930, se soucièrent peu d'établir un lien entre leurs recherches et des idées théoriques. Au cours de la même période, les psychanalystes et également les premiers théoriciens abandonnèrent le confort de leur fauteuil le plus souvent pour la tribune du conférencier. Vers la fin des années 1930, sous le leadership enthousiaste mais libéral de Kurt Lewin, la psychologie sociale expérimentale moderne commença à se développer. Lewin et ses étudiants ont montré qu'il était possible de créer et d'étudier dans le cadre d'un laboratoire expérimental des groupes ayant un nombre important de traits communs avec les groupes de la vie réelle. Ce faisant, ils accrurent l'intérêt pour l'expérimentation en psychologie sociale et attirèrent de nombreux chercheurs dans ce domaine. Lewin toutefois n'était pas seulement un expérimentaliste mais un théoricien formé dans la tradition gestaltiste, en conséquence ses débuts dans l'expérimentation de groupe furent guidés par la notion gestaltiste qu'il y a dans un groupe des propriétés qui ne sont pas seulement des propriétés de ses membres (1' « atmosphère du groupe», sa «structure», etc.). Parallèlement, les membres des autres «écoles» de psychologie avaient été guidés dans leurs recherches en psychologie sociale par les doctrines à l'honneur dans leurs propres écoles. Mis à part la théorie du rôle, qui provenait de la sociologie, les différentes écoles traduisent des points de vue nés de la psychologie

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individuelle. Au cours des années 1930 et 1940, il y eut une âpre controverse entre les partisans des diverses théories psychologiques, chacun d'entre eux étant convaincu d'être le seul à se placer dans la perspective correcte pour étudier le comportement humain. De nos jours, on admet de plus en plus que les conduites humaines doivent être envisagées sous des angles différents si l'on veut en saisir les multiples facettes. Il n'existe pas d'explication souveraine, pas de mobile décisif unique, pas de processus psychologique dominant, capable de qualifier de façon adéquate les actions humaines. L'appréciation de la complexité humaine a amené plusieurs psychologues à se rendre compte que les approches théoriques recensées dans le présent volume ne se chevauchent que partiellement, chacune d'elles étant centrée sur des aspects différents de l'interaction humaine. Beaucoup de leurs conflits apparents témoignent de la fidélité de quelques théoriciens à l'idée grandiose et dépassée, qu'il pourrait exister une théorie unique pour embrasser tous les phénomènes psychosociologiques. Cette idée n'est rien de plus qu'un préjugé. Il règne dans les sciences physiques elles-mêmes, cela vaut d'être rappelé, une certaine confusion entre les théories. En psychologie sociale, se fait sentir le besoin d'un éventail varié de cadres conceptuels et de théories pour rendre compte de la richesse des conduites humaines. Evidemment, cela ne veut pas dire que toute formulation, si vague soit-elle, fera l'affaire, toute formulation doit permettre à la recherche de progresser. D'une manière générale, les propositions théoriques des psychosociologues contemporains sont plus circonscrites et plus précises que ne l'étaient celles que l'on formulait il y a une dizaine d'années, et il est moins facile de les situer comme appartenant à l'une ou l'autre des principales écoles. Les énoncés théoriques actuels proviennent en général des expériences de laboratoire ; immunisation contre les changements d'attitudes (McGuire, 1964), efficience du leadership (Fiedler, 1964), coopération et confiance (Deutsch, 1962), formation de coalitions (Gamson, 1964), expérience émotionnelle (Schachter, 1964), conduite de négociations (Fouraker et Siegel, 1963). Dans son accoutrement de laboratoire, la psychologie sociale devient de plus en plus «scientifiquement respectable» et on la considère de moins en moins comme l'apanage des rêveurs de bonne volonté. Le désir de respectabilité a souvent pour effet de réduire l'à-peuprès, les hypothèses hasardeuses et les généralisations hâtives. La recherche en psychologie sociale se conforme à des critères plus exigeants et à une méthodologie plus complexe que naguère. Cela ne

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fait pas de doute. Toutefois, ce désir de respectabilité ne va pas sans danger. Il conduit parfois à accorder plus d'importance aux aspects formels de la recherche qua son contenu, et c'est précisément ce danger qui commence à menacer la psychologie sociale. Au cours de la dernière décade, les psychosociologues, en nombre de plus en plus grand, ont centré leur attention sur des recherches de laboratoire soigneusement contrôlées, et ce, au détriment des études in vivo du comportement social. Cela vient du fait qu'en situation naturelle, les conditions que veut contrôler le chercheur autorisent rarement la réalisation d'une recherche rigoureuse selon un plan satisfaisant. Il est vrai que l'éclairage est souvent plus intense et la vue plus nette dans le laboratoire ; toutefois, les choses remarquables qu'accomplissent les gens en tant que participants à des expériences de laboratoire, pour être vues en perspective, devraient être saisies de l'extérieur. La quête du savoir doit se poursuivre même là où les obstacles sont considérables et la lumière faible, si les psychosociologues veulent contribuer à la compréhension des problèmes humains de leur temps.

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index des noms de personnes

Abelson, R.P., 39. Adams, John, 28. Adler, Alfred, 143, 150. Adler, D. L., 46. Adorno, T . W . , 172. Allport, Gordon W., 3, 198. Anderson, H.H., 58. Angell, Robert, 140. Arsenian, Jean M., 54. Asch, Solomon E., 2, 16, 25-31, 75. Atkinson, J . W . , 59-60. Back, Kurt, 61, 67. Bales, R.F., 156. Bandura, Albert, 95, 99, 104-112, 119. Barker, R . G . , 50, 67. Bartlett, F. C., 236. Bavelas, Alex, 67. Benedict, Ruth, 182. Bennett, Edith B., 65. Bentham, Jeremy, 87. Berelson, B. R., 217. Berkowitz, Leonard, 13. Bios, Peter, 165, 168. Bosch, Hieronymus, 74. Braithwaite, R. B., 6. Brandt, H. F., 58. Bredemeier, H.C., 192, 194. Brehm, J . W . , 79-80. Brunswik, Egon, 31. Buber, Martin, 26. Bunzel, Ruth, 182. Buss, A. H., 13.

Campbell, N. R., 6. Carlsmith, J . M . , 78. Cartwright, Dorwin, 39, 54-56, 6768. Cassirer, Ernst, 42. Chapanis, Alphonse, 78-79. Chapanis, Natalia P., 78-79. Chein, Isidor, 223. Chomsky, Noam, 117-118. Christie, Richard, 178-179. Cloward, R. A., 222. Coch, Lester, 55. Cohen, A.R., 79-80, 101. Cook, Peggy, 179. Cooley, Charles Horton, 201-202, 235. Cottrell, L. S., Jr., 212. Coules, John, 63. Crutchfield, R. S., 16, 20, 75. Darwin, Charles, 203-206. Dembo, Tamara, 46, 57. Deutsch, Morton, 18, 30, 47, 61, 6768, 81, 132, 229, 233, 238. Dewey, John, 140, 202-203. Dollard, John, 11, 95-99. Doob, L. W „ 11. DuBois, Cora, 182, 185. Dulany, D. E., Jr., 118-119. Dürkheim, fimile, 220. Eisenstadt, S.N., 217. Erikson, Erik H., 140, 142, 156, 159, 161, 165-169, 182.

258

Fajans, Sara, 51. Festinger, Leon, 16, 24, 34, 57-58, 61-64, 68-83, 125, 218. Fiedler, F.E., 238. Fouraker, L. E. ( 238. Frank, J . D . , 54. Franklin, Muriel, 47. Freeman, Willa, 56. French, J. R. P., Jr., 55, 60, 67-68. Frenkel-Brunswik, Else, 172. Freud, Sigmund, 139-143, 183, 188189. Fromm, Erich, 150-151, 175, 182. Gamson, W . A., 238. Gerard, H . B . , 30, 62, 64, 223. Getzels, J . W . , 197, 199. Gibson, James, 31. Gilmore, J . B . , 102. Goffman, Erving, 224-233. Gonick, Mollie R., 50. Grosser, Daniel, 56. Guba, E.G., 197, 199. Hall, C.S., 198. Harary, Frank, 39. Harlow, H.F., 149. Hartley, E.L., 236. Hartmann, Heinz, 140, 150, 152. Heider, Fritz, 2, 16, 23, 25-31, 39, 63, 67, 74, 81. Helson, Harry, 129. Henle, Mary, 46. Hilgard, E.R., 58. Hoffman, P . J . , 71-72. Hollander, E.P., 179. Holt, R . R . , 144. Homans, George C., 87, 95, 120128. Horney, Karen, 143, 150, 182. Horwitz, Murray, 56, 66-67. Hovland, C. I., 95, 99, 103. Hughes, J . W . , 191. Hull, C.L., 89. Hyman, H.H., 211. Irwin, Lucietta, 56. Jahoda, Marie, 178.

Index des noms de personnes

James, William, 140, 200-201, 203. Janis, I.L., 99, 102, 212, 232. Jefferson, Thomas, 21, 28. Jung Carl G., 143, 168. Kardiner, Abram, 150, 174, 182188. Karpf, Fay B., 3. Karsten, Anitra, 47. Kelley, H.H., 67, 87, 95, 129-137, 193. Kelly, G.A., 75. Kierkegaard, Sören, 26. Killian, L.M., 197. Kimble, G. A., 89. King, B. T., 232. Kitt, Alice S., 209, 212-213. Klein, G. S., 144. Kluckhohn, Clyde, 181. Koffka, Kurt, 16, 19, 31. Köhler, Wolfgang, 16. Kounin, J . S., 46, 48. Krasner, Leonard, 118. Krauss, R . M . , 81, 233. Krech, David, 16, 20, 75. Kris, E., 140. Kupers, Carol J., 108. Lasswell, H . D . , 175. Lazarsfeld, Paul F., 217. Leavitt, H. J., 67. Lecky, Prescott, 75. Lee, R . S . , 223. Lénine (Vladimir I. Oulianov), 21, 28. Levin, S.M., 119. Levinson, D. J., 172. Levy, David, 182. Levy, Seymour, 62. Lewin, Kurt, 16, 24, 31, 41-60, 6468, 77, 129, 237. Lewis, Helen B., 47. Lindzey, Gardner, 169, 198. Linton, Ralph, 182-183. Lippitt, Ronald, 54, 56, 66-67. Lissner, Kate, 46. Luce, R . D . , 132. Lumsdaine, A.A., 99. Lumsdaine, Marion H., 212.

Index des noms de personnes

MacGregor, Douglas, 55. Mahler, Wera, 46. Malinowski, Bronislaw, 182. Margaret, G. Ann, 58. Margenau, Henry, 6, 9. Martindale, Don, 3. Marx, Karl, 28, 236. Maslow, A.H., 13, 175. Maurer, D . W . , 223. McDougall, William, 203, 235. McGuire, W . J . , 238. McPhee, W . N . , 217. Mead, George Herbert, 144, 202210. Mead, Margaret, 182. Merton, Robert K., 6, 194, 199, 210224. Mill, J . S„ 34. Miller, Neal E., 11, 53, 95-99. Morris, C . W . , 203, 206, 208. Mowrer, O. H., 11, 95. Mundy, David, 135. Nagel, Ernest, 6, 11. Neiman, L . J . , 191. Newcomb, Theodore M., 16, 23, 38, 74, 197, 211-212, 215, 236. Oberholzer, Emil, 185. Orwant, Carol, 132. Osgood, Charles E., 75, 117. Ovsiankina, Maria, 45. Papania, Ned, 56. Parsons, Talcott, 156, 167, 195, 199, 224. Pavlov, Ivan, 87. Pepitone, A.D., 67. Pettigrew, T.F., 179. Piaget, Jean, 35, 149, 209, 236. Polansky, Norman, 56, 67. Preble, Edward, 185, 187. Radloff, Roland, 135. Rado, Sandor, 182. Raiffa, Howard, 132. Rank, Otto, 143. Rapaport, David, 56, 140, 143, 150.

259

Rapoport, Anatol, 132. Redl, Fritz, 56. Reich, Wilhelm, 175. Rokeach, Milton, 179-180. Rommetveit, Ragnar, 191, 193. Rosen, B.C., 217. Rosen, Sidney, 56. Rosenau, Norah, 81, 233. Rosenberg, M . J . , 24, 39, 99, 102. Rosenfeld, Eva, 223. Ross, E. A., 235. Sait, E.M., 58. Salzinger, Kurt, 118. Sanford, R . N . , 172. Sapolsky, Allan, 120. Sartre, Jean-Paul, 110, 175. Schachtel, E.G., 149. Schachter, Stanley, 61, 64, 67, 70, 188, 218, 238. Sears, Pauline S., 57. Sears, R. H., 11, 95. Sheffield, F . D . , 99. Shepard, Mary C., 119. Sherif, M., 236. Shils, E.A., 195, 199. Siegel, Sidney, 238. Silverman, Irwin, 79. Singer, J . E., 71. Skinner, B. F., 93, 112-120, 128. Sliosberg, Sarah, 46. Smith, M . B . , 212. Spence, K . W . , 89. Spielberger, C.D., 118-119. Star, Shirley A., 212. Stephenson, R.M., 192, 194. Stouffer, S.A., 212. Strauss, Anselm, 204, 209. Suchman, E. A., 212. Sullivan, Harry Stack, 143, 164, 182.

124,

150,

Tannenbaum, P. H., 75. Tarde, Gabriel, 235. Thibaut, John W., 64, 67, 87, 95, 129-137, 193. Thorndike, E.L., 87, 112. Tillich, Paul, 26.

260

Titus, H.E., 179. Tolman, E.C., 95. Walters, Richard H., 95, 104-112. Watson, J . B . , 86, 203, 236. Wertheimer, Max, 21. Whaley, Francis, 56. Whiting, Beatrice B., 187. Wiehe, F., 54.

Index des noms de personnes

Willerman, Ben, 67. Williams, R. M., Jr., 212. Wölpe, Joseph, 109. Woodworth, R. S., 140. Wright, Beatrice A., 50, 67. Zander, A. F., 67. Zeigarnik, Bluma, 43-45. Zillig, Maria, 23.

index analytique

Acceptation/rejet (échelle d'—), 130. Accord (fonction sociale de 1'—), 30. «Acteur» (en «performance»), 226. Action, analyse naïve de 1'—, 34 ; facteurs d'environnement et —, 3435 ; — de l'organisme, 204 ; stimulis et —, 204. Activité, — en tant que sorte de comportement, 121 ; récompense et —, 123 ; réitération d'—s, 47 ; — de remplacement, 46 ; valeur d'une unité d'—, 127. Adaptation, facultés d'— et expériences de l'enfance, 5 ; niveau d — , 129. Adolescence, — prolongée, 168 ; puberté et —, 165-168. Adulte, comportement de 1'— et l'enfance, 4, 150; trois étapes de l'âge —, 168-169. Age (égaux en — pendant l'adolescence), 165. Agression, 11 ; catharsis et —, 12 ; définition empirique de 1'—, 12 ; expériences d'—, 105 ; frustration et —, 106, 141 ; sexe et —, 142, 148. Alcoolisme, 222-224. Algorithme (système déductif), 7. Alternatives, 79 ; dissonance et —, 77. Ambivalence, concept d'—, 52 ; période orale et —, 157. Amour (et amour de soi), 150-152. Anal, caractère —, 169-170; plaisir —, 155 ; stade —, 159-160.

Analyse (perspectives d'— dans la théorie du rôle), 230-231. Animaux (dressage des —), 114. Anomie, définition de 1'—, 220 ; structure sociale et —, 218-223. Anthropologie culturelle, 181-182. Anticommunisme, 181. Antisémitisme, 177, 181. Anxieux (états —), 163. Apparence (présentation du moi et —), 226. Appartenance, 32, 37-38. Apprentissage, concepts de base de 1'—, 89-95 ; — par discrimination, 110; dissonance et —, 101; expériences sur 1'— et ses deux procédures fondamentales, 87-88 ; — instrumental, 101 ; langage et —, 117-118; — par processus d'essais et erreurs, 98 ; psychologie de 1'—, 85-138 ; quatre facteurs dans 1'—, 95 ; structures d'—, 222 ; — en tant qu'acquisition de réponses, 85 ; théories de 1'—, 137138. Aptitudes, opinions et —, 68-70 ; situation sur une échelle d'—, 73. Aspiration (niveau d'—), 56-60. Assimilation (et contraste), 19-21. Association (libre —), 142-143. Associationnisme, 85. Atelier multiracial, 65. Attente, 21. Attitude, changement d'—, 16, 78 ; échelles d'—s, 178; gestes et —s, 205-206; — habituelle, 100;

262

immunisation contre le changement d'—, 238 ; incitateurs et —s, 100 ; — préexistante, 101. Attribution (dans la psychologie de la forme), 33, 35. Audition (renfoncement de 1'—), 115. Auditoire («vaccination» de 1'—), 101. Auto-approbation, 100. Autoclitiques, 117. Autoconservation, 148. Autocritique, 108. Autodéfense, 103. Autonomie (conflit entre — et la honte ou le doute), 159. Autoritaire, conduite de groupe — , 15, 55 ; création de personnalité — , 176-177 ; personnalité — , 172-181. Autoritarisme (études de 1'—), 174. Autorité (identification à 1'—), 176. Avarice, 159. Behaviorisme, 86 ; rhétorique du — , 112, 1 1 7 ; — social, 203. Biologiques (processus — dans la théorie freudienne), 151. «Bon», concept de — dans l'organisation perceptive, 18-19, 23-24, 31 ; — et «mauvais» dans le développement du moi, 158. Bureaucratique (structure sociale — ) , 199. But, — culturellement défini, 219 ; moyens institutionnels d'atteindre le — , 222 ; niveau d'aspiration et — , 57 ; valence et — , 51. «Ça», 152-154. Caractère, traits de — et stade anal, 159-161; — et stade oral, 156159 ; — et stade phallique, 161163. Castration (menace de — ) , 161. Cause à effet (liens de — ) , 21, 34. Centraux (processus — dans la psychologie de la forme), 19.

Index analytique

Chaleur-froid (impressions de — ) , 27. Champ, — dans la psychologie de la forme, 16 ; — de forces, 42, 54, 5 5 ; — perceptif, 1 9 ; théorie du — dans la psychologie sociale, 4183 ; — visuel, 21. Changement, — d'attitude, 16, 78, 100, 238 ; résistance au — , 76 ; — socialement induit, 5 3 - 5 6 ; tendance au — , 37. Châtiment (Dieu et le — ) , 186. Voir aussi Punition. Chicago (université de — ) , 202. Choix, — et contrôle, 133 ; libre — , 79. Club (activités du — ) , 55. Coalitions (formation de — ) , 238. Cognitif, consistance —ve, 74 ; équilibre — , 23, 36, 63 ; espace de vie et structure —ve, 49-50 ; stabilité —ve, 36 ; théorie de la dissonance —ve, 23, 68, 75-82. Voir aussi Dissonance. Cohésion (concept de — ) , 60. Colère, 71 ; justice distributive et — , 123. Columbia (université de — ) , 87, 182. Communicatifs (théorie des actes — ) , 23, 38. Communication, agents émetteurs de la — , 100 ; langage et — , 97 ; réseau de — , 67 ; — sociale, 68. Comparaison (niveau de — ) , 129130. Comportement, — de l'adulte et l'enfance, 4, 150, 168-169; — agressif, 11-13, 105-107, 142, 148 ; — animal de l'homme, 4 ; — autodescriptif, 113 ; changement de — , 109 ; conditions de — , 5 ; conséquences de —s, 131 ; — de contre-conditionnement, 109 ; contrôle par le — , 112, 132-133 ; copie de — , 97 ; — et décision de groupe, 66-67 ; — de dépendance, 97 ; description des lois du — , 113 ; égocentrisme et — , 4 ; étude expérimentale du — , 113-114 ; — d'éveil,

263

Index analytique

105 ; — du groupe de référence, 213-218; — de groupe, 60-67, 103, 121 ; — imitatif, 28, 97 ; normes et contre-normes dans le —, 215 ; — du nourrisson, 149, 156159 ; — orienté vers un but, 19, 67 ; perception et —, 18-19 ; psychologie du — et économie élémentaire, 123 ; — de recherche d'attention, 107 ; région de —, 229 ; — renforcé de façon intermittente, 111 ; renforcement et —, 5-6, 85-138; — et rôle social perçu, 18 ; science du —, 113 ; — social élémentaire, 120-121 ; — socialement déviant, 219 ; stades du développement et —, 155-169 ; théorie psychanalytique du —, 149 ; théorie du rôle et —, 191-202 ; — verbal, 114-115, 119. Voir aussi Conduite. Concepts (systèmes et —), 9-10. Conditionnel, réflexe —, 88 ; réponse —le, 88, 90. Conditionnement, — classique, 87, 114; — opérant ou instrumental, 88, 99, 114, 119; — verbal, 118119. Conduite, — autoritaire, 55-56 ; — démocratique, 54 ; — de négociations, 238 ; — de recherche, 43 ; style de —, 54. Voir aussi Comportement. Confiance, coopération et —, 238 ; — et méfiance, 157. Configuration (— équilibrée), 24. Conflit, — dans la théorie psychanalytique, 140 ; — de rôle, 196197 ; trois types de —, 51. Conformité, 219-220. Connexions (multiples), 10. Conscience, état de —, 161 ; — des individus les uns des autres, 2 ; théorie de la —, 144. Consonante (relation —), 75. Construct, portée empirique du —, 8 ; portée théorique du —, 8. Contraste (assimilation et —), 1921.

Contre-i n v e s t i s s e m e n t , 145-146, 152; — et blocage, 145-146. Contre-transfert, 143. Contrôle, — de comportement ou d'environnement, 112, 132-133 ; investissement et —, 146 ; — par le sort, 132 ; structures de —, 147. Conversion (hystérie de —), 163. Coût (— et récompense), 124, 127128. Croyance, congruence des —s, 180 ; système de —, 180. Cruciale (expérimentation —), 10. Culpabilité, 161 ; punition et —, 108.

Culture (— adolescente), 167-168. Culturels (buts —), 219-220. Curiosité, 149. Cybernétiques (appareils —), 2. Cynisme, 157. Décision, conséquence d'une —, 82 ; — avec engagement, 80 ; environnement et prise de —, 35 ; prise de — et dissonance, 77, 8 0 ; rationalisation de la — , 81. Décorum (politesse et —), 230. Défense, mécanisme de — au stade anal, 159; mécanisme de — au stade oral, 157 ; mécanisme de — au stade phallique, 161-163 ; recherche sur des mécanismes de —, 169; structures de —, 147. Défensive (attitude —), 81. Définition, — empirique, 10 ; — opérationnelle, 8. Délinquance, 223. Démocratie (et féodalisme), 4. Dénégation, 157. Déplacement, 11, 176. Dépressifs (états —), 158. Dérivations (— dans les théories de psychologie sociale), 7. Déséquilibre, 24. Désignation (fonction de —), 116. Déviant (comportement socialement —), 219. Dieu (croyance en —), 173.

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Discrimination, apprentissage par —, 110; — des stimuli, 94-95. Dissonance, apprentissage et —, 101 ; choix et —, 79 ; — cognitive (voir Cognitif) ; — et équilibre, 23-24 ; — post-décisionnelle, 103 ; prise de décision et —, 77, 8 0 ; réduction de la —, 78-79 ; résolution de —, 80 ; théorie de la —, 24, 68, 74-82, 102, 103. Dissonantes (connaissance des relations —), 75. Distanciation, 168. Distributive (règle de la justice —), 123, 128. Drogué, 222. Dyadique (relation —), 131. Dynamiques (concepts —), 42. Echange (relation d'—), 124. Echec, — et aspiration, 58 ; motivation et —, 59. Echo (opérateur en —), 116. Economique (l'homme —), 87. Education (recherches sur 1'—), 169, 183. Effet («loi de 1'—»), 87, 112. Egocentrisme, 4, 26. Eloge (en tant que renforcement), 111.

Empirisme, 236. Enfance, comportement humain et —, 4 ; conflits et —, 5 ; expériences précoces de 1'—, 150, 155 ; fin de 1'—, 168 ; frustration dans 1'—, 183 ; stades oral, anal, et phallique de 1'—, 156-165 ; — et systèmes projectifs, 186-187 ; théorie freudienne de 1'—, 150 sq. Enfant, agressivité de 1'—, 105-108 ; développement psychosexuel de 1'—, 155-156 ; i d e n t i f i c a t i o n sexuelle de 1'—, 162-163 ; imitation chez 1'—, 110; période de latence chez 1'—, 163-165 ; — et la personnalité autoritaire, 175 ; — pré-génital, 162 ; théorie freu-

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analytique

dienne du développement chez 1'—, 155-172. Engagement, — et adolescence, 167 ; — et dissonance, 80. Enseignement programmé, 114. Environnement, manipulation des conditions de 1'—, 112; prise de décision et —, 35. Environnementalisme, 236. Equilibre, — cognitif, 23, 36, 63 ; — dans la psychologie de la forme, 33 ; — quasi stationnaire, 64 ; théorie de 1'—, 37. Erotique-anale (période —), 159-160. Espace hodologique, 49-50. Esprit (fermeture d'—), 180. Estime (— gagnée et perdue), 126. Ethnocentrisme, 177. Etudiante (communauté —), 211. Euphorie, 71. Evolution (théorie de 1'—), 203. Expériences (— et observations), 9Externe (système —), 121. Extinction (apprentissage et —), 90, 109, 120. F (échelle —), 177-180. Faim (renforcement et —), 92. Famille, — en tant que communauté, 211 ; — en tant que groupe, 162. Fascisme, 174-177. Fatigue et satiété, 48. Féodalisme (et démocratie), 4. Fixation, 155, 171. Foiictionnaliste (psychologie —-), 140. Force, champ de —, 42, 54, 55 ; •—s «propres» et «induites», 54-55. Forme (psychologie de la —). Voir Psychologie de la forme. Freudien, influence —ne sur la psychologie sociale, 172-188 ; théorie —ne de la libido, 147 ; théorie —ne des pulsions et instincts, 144. Frustration, 11, 141 ; agression et —, 106, 141 ; développement de la personnalité e t — , 183; expériences de —, 105 ; — au stade anal, 159 ; — au stade oral, 157 ; ten-

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analytique

sions internes et —, 186-187 ; types de —, 11. Frustration/agression (théorie —), 106. Généralisation (•— du stimulus), 94. Généralisé (l'autre —), 208, 211. Générosité, 157. Génitale (zone — et libido), 161. Gestes (conversation par —), 204206. Grammaire, — dans le comportement verbal, 116-118; langage et —, 117-118; science et —, 7. Gratification (le ça et la —), 154. Grégaire, 70; instinct —, 235. Groupe, accord avec le —, 30 ; adolescence et appartenance au —, 166; appartenance au —, 6 1 ; — d'appartenance, 211 ; cohésion du —, 61 ; communication à l'intérieur du —, 62-63 ; comparaison de soi-même avec le —, 69 ; comportement de —, 121 ; conflit de rôle et loyalisme de —, 197 ; décision de —, 65 ; définition du —, 61, 212 ; déviants dans le —, 64 ; dynamique de —, 60-67, 103 ; ensemble dynamique du —, 60 ; hétérogénéité du —, 65 ; interdépendance des membres du —, 60 ; intérieur et extérieur du —, 61 ; modification des jugements par les —s, 29-30 ; motivations à la conformité au —, 101 ; — de nonappartenance, 215 ; normes de — et appartenance au —, 208-209 ; — de référence, 210-218 ; structure de —, 15 ; uniformité et —, 7 0 ; vote de —, 66. Groupement perceptif, 21-24. Guerre, première — mondiale, 148 ; seconde — mondiale, 212. Habitude (renforcement et —), 100. Hédonisme psychologique, 85-86,128. Hodologique (concept de l'espace —), 49-50. Homme, dépendance de 1'—, 4 ; dua-

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lité de la nature de 1'—, 4 ; 1'— économique, 87 ; 1'— égocentrique, 4 ; les huit stades de 1'— ; 164 ; 1'— irrationnel, 4 ; nature 1'—, sociocentrique, 4 ; transformation de 1'— en société, 26. Hostilité (répression ou déplacement de 1'—), 176. Humain, comportement —, 31 (voir aussi Comportement) ; la nature —e à l'état brut, 182. Hypothèse, 10. Hystérique, cécité —, 152-153 ; paralysie —, 163. Idéation, 158. Identification, 173Identité, conscience de son —, 168 ; dispersion de 1'—, 167. Idiosyncrasie, 34. Imitation, 97 ; doctrine de 1'—, 28 ; — chez les enfants, 110; rôle de 1' —, 104-106 Impressions (formation d'—), 27-28. Impulsion, 89, 95 ; acquisition d'—, 96 ; apprentissage et —, 92 ; indice et réduction d'—, 95-96. Inconditionnel, réflexe —, 87 ; réponse —le, 87 ; stimulus —, 87, 88. Inconscience, 141. Inconsistance (degré d'—), 76. Indices (réponse productrice d'—), 96. Information et langage, 97. Inhibition, 11, 90. Initiation (rite d'—), 53. Innovation, 221. Instinct, 140 ; critique de la théorie de 1'—, 149 ; objet d'un —, 145 ; source d'un —, 144, 154; théorie de 1'—, 236 ; théorie de 1'— chez Freud, 144. Instinctuelles (pulsions — et leur modèle fondamental de la psychanalyse), 144-152. Instrumental (conditionnement —), 88, 114, 118-119. Intégrité du moi, 169.

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Interaction, groupe d'—, 214 ; — sociale, 121-126, 132. Interdépendance (de systèmes de tension), 45. Interférence, 12. Interpersonnel, relations —les, 23, 31 ; systèmes —s, 38-39. Interrelations (dans la psychologie de la forme), 18. Intrapersonnels (équilibre et systèmes —), 38-39. Introspection, 86, 166. Intuition, 7. Investissement, 152 ; hypothèse de 1'—, 62 ; — objectai, 159 ; — pulsionnel, 144-145. Irréalité, 43, 45. Irresponsabilité, 167. Isolés, 215. Isomorphisme, 19. Jeu, — libre et réglementé, 207 ; théorie mathématique des —x, 132136 ; — dans la théorie du rôle, 207. Jugement, compréhension de —, 2829 ; modification de —s par les groupes, 29-30. Juifs (hostilité à l'égard des —), 177, 181. Justice (— distributive), 123-124, 128.

Juvénile (l'ère —), 165. Labyrinthe (apprentissage du —), 98. Langage, apprentissage et —, 117118; caractère social du —, 9 7 ; comportement et —, 116-117 ; — dans le développement de l'enfant, 170; évolution du —, 204-206; imitation dans le —, 111, 117118; — quotidien, 7. Latence (période de —), 163-165. Libido, — désexualisée, 173 ; fixation de la —, 155, — au stade phallique, 161 ; théorie de la —, 147, 150-152. Libre, — association, 142-143 ; — choix dans la situation, 79.

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Linéaires (théorie des graphes —), 38. Locomotion, 41-42, 63, 161. Logique (dans les concepts dynamiques), 42. Loi, — divine et naturelle, 187 ; — de l'effet, 87, 112. Lubricité, 159.

Hani (dans le comportement verbal), 116-117. Maniaco-dépressive (psychose —), 158. Marxisme, 174. Masochisme, 148, 174. Massachusetts Institute of Technology, 16. Masturbation, 161. Maternel (amour —), 158. Mathématique (théorie — des jeux), 132-136. Matrice d'interaction sociale, 131-136. Matricielle (algèbre —), 39. Maturité (âge adulte et —), 169. Maximum-minimum (le principe — dans la psychologie de la forme), 19. Mentale (activité — inconsciente), 141-142. Mère-enfant (relation —), 158, 161163. Michigan (université de —), 16, 56, 201. Modèles (dans les expériences de comportement), 105-106. Moi, 152-155 ; développement du —, 157-161 ; idéal du —, 173 ; intégrité du —, 169 ; — et la pulsion, 140 ; — et la société, 26 ; — et le Surmoi, 174. Moi-je (relation —), 200-201. Mort (instinct de —), 148. Motivation, — d'accomplissement, 5960 ; apprentissage et —, 86 ; — dans la psychologie de la forme, 23 ; — stimulante, 89, 100 ; tensions et valences dans les —s, 53 ; théorie freudienne de la —, 147150.

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Moyenne portée (théorie de —), 11. Mutuels (liens —), 25. Naïve (psychologie —), 32-33. Narcissisme, 159. Nazisme, 174. Néo-freudisme, 150-151. New York (Institut Psychanalytique de —), 182. Noirs, préjugés à l'égard des —, 177, 179, 181 ; — en tant que soldats, 213 ; valeur des biens et les —, 63. Non-appartenance (groupes de —), 216. Non-intentionnels (systèmes —), 2. Normes (des membres d'un groupe), 121, 209, 215. Nourrisson (comportement du —), 149, 156-159. Nous (concept du —), 163. Nouveaux riches, 50. Noyaux (dans la psychologie de la forme), 33. Obéissance (de l'enfant), 175. Objectai (investissement —), 159. Objectivité, 11. Observation, 9. Obsessif-compulsif (désordre —), 161. Œdipe, complexe d'—, 162, 170, 173 ; universalité du complexe d'—, 182. Opérateur, — en écho, 116 ; — textuel, 116. Opinion, —s et aptitudes, 68-70 ; changement d'—, 78, 100 ; — habituelle, 100. Oral (stade —), 156-158, 170. Ouvert (esprit —), 180. Panique (de l'adolescence), 167. Parental, instinct —, 236 ; responsabilité —e, 169. Parents-enfant, les besoins sociaux et les relations — , 150 ; formes stéréotypées des relations —, 171 ; hostilité dans les relations —, 175 ; relations —, 175 ; le stade phalli-

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que et les relations —, 161-163. Passivité, 157. Patient-thérapeute (relations —), 142143. Perceptif, caractéristiques de l'organisation —ve, 18-23 ; champ —, 19 ; groupement —, 21-24; organisation —ve, 18-19 ; organisation —ve bipolaire, 19. Perception, — d'attitudes dans les relations interpersonnelles, 37 ; comportement et —, 18-19 ; — distale, 67 ; — dans la psychologie de la forme, 17-18 ; — dans les relations interpersonnelles, 32, 37. Père-enfant (relations —), 162-163. Performance, apprentissage et —, 90 ; équipes de —, 228-231 ; —s idéalisées, 227 ; soi et la —, 225-228. Personnalité, — de base, 183-184 ; culture et —, 181-188 ; développement de la —, 171 ; développement psychosexuel de la —, 155165 ; organisation structurelle de la —, 152-155 ; performance de rôle et —, 198-200 ; situations clés et —, 184. Personne à personne (relations de —), 2-3. Personnelle (attitude), 37. Phallique (stade), 161-163, 170. Phobies, 163. Physiques (handicaps —), 50. Plaisir (du corps), 147, 151, 155. Plaisir-peine (principe de), 5, 87, 145. Politesse (et décorum), 230. Possibilité (structures de —), 222. Post-décision, 77. Pouvoir (de la personnalité autoritaire), 176-177. Pré-décision, 77. Prédiction, 8, 12. Pré-génital (enfant —), 162. Préjugé, 177, 179. Prescrit (rôle —), 195. Présentation (de façade personnelle), 226. Prestige, 28. Prisonnier (le dilemme du —), 135.

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Privation (et satiété), 47. Probabilité, échelle de — , 58 ; — subjective, 58. Problème (comportement de résolution de —), 12. Productivité (adulte et —), 168. Profit (et coût), 127. Projectifs (systèmes —), 186-187. Psychanalyse, 140 ; mystique de la —, 181 ; l'objet premier de la —, 188-189 ; technique de la —, 142143. Psychanalytique, critique de la théorie — , 149-152 ; théorie —, 5, 139-189 ; théorie — classique, 143172. Psychique (déterminisme —), 139140. Psychologie, — naïve, 32-33 ; — perceptive, 1 7 ; — de sens commun, 32. Psychologie de la forme, 5, 237 ; approche de la — , 15-39 ; assimilation et contraste dans la — , 1921 ; — classique, 41 ; motivations dans la —, 23 ; orientation théorique de la — , 16-18 ; principe de maximum-minimum dans la — , 19 ; principes de regroupement dans la —, 21-23. Psychologie sociale, algorithme dans la —, 7 ; approches théoriques de la —, 3-6; contributions psychanalytiques à la —, 172-188 ; courants actuels de la —, 235-239 ; déductions dans la — , 7 ; définition de la —, 1-3 ; enfance de la —, 13 ; influence de Freud sur la —,172-188 ; l'objet de la — , 1-3 ; rôle de la théorie dans la — , 1-13 ; théorie du champ dans la — , 4183 ; théorie de moyenne portée dans la —, 11. Psychologique (événement — dans les interactions humaines), 2. Psychose, 158. Psychosexuel, critique de la théorie du développement — , 169-172 ; développement — , 142, 155-169.

Index analytique

Psychosociale (suspension — ) , 165166. Psychothérapie, 142. Puberté (développement psychosexuel pendant la — : ), 165-168. Pulsion, 140 ; réduction de la — , 87, 96 ; renforcement et réduction de la —, 93 ; théorie freudienne de la — , 144. Pulsionnel (investissement —), 144145, 152. Punition, conflit et —, 51 ; contrôle de soi et —, 108 ; récompense et — , 87, 92, 105, 121-124, 1 9 5 ; renforcement et — , 92 ; théorie du rôle et — , 195. Voir aussi Châtiment. Quasi stationnaire (équilibre —), 64. Raciale (ségrégation — ) , 4. Rationalisation, 149 ; dissonance et — , 80-81. Réactionnelle (formation — ) , 171. Réalité (principe de —), 147, 152. Recherche, cinq propositions fondamentales concernant la — , 123124 ; conduite de la —, 43. «Recherche-action», 50. Récompense, activité et — , 123 ; coût et — , 124, 127-128 ; profit et — , 124-127 ; punition et — , 87, 92, 105, 121-124, 1 9 5 ; renforcement et — , 91-92, 96-97 ; le réfèrent et la —, 102 ; rôle de la — , 87 ; — dans la théorie du rôle, 195 ; valence et — , 53. Référence, échelles de — , 58 ; théorie des groupes de — , 211-218. Référent (changement d'attitude et l'effet d'un — ) , 102. Région (et région de comportement), 229. Régression, 155, 171. Relations, caractère social des — , 2 ; — dissonantes, 75 ; — de personne à personne, 2-3 ; types de —, 1-3. Religion, personnalité et —, 184-

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185 ; — en tant que système projectif, 186-187. Remémotation et tension, 45. Renforcement, agression et —, 106107; — par l'auditeur, 115-116; — conditionnel généralisé, 116; définition du —, 91-92 ; — différentiel, 113 ; habitude et —, 100 ; — intermittent, 111 ; orientations des théoriciens du —, 85-87 ; — positif, 109-110; rôle du —, 106108 ; programmation par taux et —, 91, 114; — secondaire, 9 2 ; stimulus et —, 96 ; théorie du —, 5-6, 85-138. Rentabilité (concept de —), 123, 129. Réponse, acquisition de —s, 85 ; — conditionnelle, 88 ; discrimination des —s, 94-95 ; —s « favorables », 178 ; force de —, 89 ; — inconditionnelle, 87 ; — presse-levier, 88 ; renforcement et —, 95-96. Réponse-but, 12. Rétention (des urines et des fèces), 159, 170. Retrait, 221-222 ; — de l'énergie libidinale, 157. Rêves (interprétation des —), 139140, 143. Révolte, 222. Ritualisme, 221. Rôle, «acteur» et «performance» dans la théorie du —, 224-230 ; complémentarité du —, 74 ; concept du —, 102, 191-193 ; concepts de base de la théorie du —, 191-202 ; conflit de —, 196-197 ; déviance des —s, 195 ; différenciation de —, 73, 163 ; incompatibilité du —, 197 ; institutions sociales dans la théorie du —, 230-231 ; — mis en acte, 194 ; performance de — et personnalité, 198-200 ; performances idéalisées dans la théorie du —, 227 ; —s et ensembles de —s, 193194 ; théorie du —, 5, 191-233 ; — universaliste et particulariste, 194-195.

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Sadique-anale (période —), 159. Sadique-orale (période —), 157. Sadisme, 148, 174. Sado-masochistes (désordres —), 161. Sarcasme, 157. Satiété, 48, 127. Satisfaction (instinct et —), 144. Satisfaction-insatisfaction, 130-132 ; échelles de —, 132. Schizophrénie, 158. Science universelle, 42. Scientifique, déterminisme — , 139 ; nature de la théorie —, 6-13. Sémantique (généralisation —), 117. Sentiment, 121. Servo-mécanismes, 2. Sexe, agression et —, 142, 148 ; — et puissances, 149. Sexuel, fascination des rôles —s, 167 ; identification aux rôles —s, 162 ; jeux —s, 170 ; plaisir —, 151, 155; pulsions —les, 148; stimulation —le, 111. Similitude, besoin de —, 73 ; évaluation de soi et —, 69. Social, attitudes —es au stade anal, 159-160; attitudes —es au stade oral, 156-159 ; attitudes —es au stade phallique, 161-163 ; behaviorisme —, 203 ; catégorie —e, 214, 2 1 7 ; changement d'influence —e, 57 ; comparaison —e, 218 ; comportement — élémentaire, 120121 ; corollaires de l'interaction —e, 122-126 ; groupe d'interaction —e, 2 1 4 ; institutions —es, 230231 ; interactions et rang —, 122 ; jeu —, 166 ; matrice des interactions —es, 135 ; mobilité —e, 215 ; structure —e et anomie, 218223 ; théorie de la communication —e, 68 ; théorie de la comparaison —e, 68-74 ; théorie de l'imitation —e, 97-99 ; types d'interdépendance —e, 134. Socialisation anticipatrice, 216. Société (le Moi et la —), 26. Socio-économique, groupe de réfé-

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rence et statut —, 211 ; statut — , 193. Sociométrique (choix —), 62, 67. Soi, amélioration de —, 59 ; coloration romantique du — , 167 ; conception de —, 81, 200, 201 ; confiance en —, 58 ; conscience de —, 2, 4, 161 ; contrôle de —, 108-109, 160; définition psychosociale de —, 167-168 ; développement du —, 202, 207-208 ; — divisé, 152-155 ; estime de —, 44, 160 ; évaluation de —, 69 ; intérêt pour —, 4, 136 ; jeu du — , 231 ; — phénoménal, 233 ; — dans la théorie du rôle, 200-202. Soi-miroir, 201. Soldat (études du — américain), 212213. Somatiques (processus —), 148. Sous-cultures (des adolescents), 166. Stalinisme, 174. Statut, —s assignés et acquis, 192 ; conflit de rôle et —, 196-198; définition du système de —, 192193 ; ensemble de —s, 192-193 ; —s vertical et horizontal, 193. Stéréotypée (pensée —), 175. Stéréotypes (dans la théorie du rôle), 228. Stimulante (motivation —), 89, 100. Stimulus, — conditionnel et — inditionnel, 88 ; — discriminatoire, 90-91, 94-95, 116; généralisation du —, 94 ; intensité du —, 89. Stimulus-réponse (S-R), 86, 115, 119. Subjective, probabilité —, 58 ; responsabilité —, 35. Substitution, 62 ; valeur de — d'activité, 47. Succès, aspiration et —, 59 ; motivation et —, 59. Succion (réflexe de —), 156. Suggestion (doctrine de —), 28. Surmoi, 152-154 ; instauration du —, 160. Systèmes (et concepts), 9-10.

Index analytique

T (labyrinthe en —), 98. Tact (dans le comportement verbal), 116-117. Taux (programmation par — et renforcement), 91. Télévision (réponses aux programmes de —), 105-106. Tension, concept de —, 42-43 ; frustration et —, 186 ; réduction de —, 46 ; système de —, 45-49. Textuel (opérateur —), 116. Théorie, concepts et systèmes dans la — , 9-10; constructs dans la —, 10 ; formulation mathématique de la —, 38-39 ; nature de la —, 613 ; valeur prédictive de la —, 12. Thérapeute, 142-143. Thérapeutique (situation —), 142143. Transfert, 143. Tromperie, 78. Uniformité (pression à 1'—), 38, 70, 72. «Vaccination» (de l'auditoire), 101. Valence, 42-43 ; buts et —s, 51 ; — négative, 42, 53. Valeur, 124. Verbal, comportement — , 114-115, 118-119; conditionnement—,118119 ; réponse et indice — aux, 97. Vie, direction dans l'espace de — , 50 ; espace de —, 32, 41-42 ; espace de — et structure cognitive, 49-50 ; instincts de —, 148. Vocabulaire (science et —), 7-8. Voir aussi Grammaire ; Langage. Yale (programme de recherche sur la communication de l'université de —), 99-103. Zeigarnik, expériences de — , 45 ; quotient de —, 44.

ACHEVÉ

D'IMPRIMER

Srnl

SUR LES PRESSES DE

L'IMPRIMERIE A U B I N

M« H

86 LIGUGÉ / VIENNE

LE 15 SEPTEMBRE

1972

Dépôt légal, 3' trimestre 1972. — Imprimeur, 6707. Imprimé en France