Les Primitifs flamands à Bruges 9493039102, 9789493039100

Bruges est une ville d'art, qui abonde en trésors du passé et du présent. Le centre-ville a été classé dans son en

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Les Primitifs flamands à Bruges
 9493039102, 9789493039100

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Primitifs flamands '

A BRUGES

Till-Holger Borchert

l!LUDION

Aucune partie de cet ouvrage ne peut être reprodu ite et/ou publiée par impression, photocopie, microfilm ou de toute autre manière sans l'autorisation écrite préalable de l'éditeur. Copyright du texte © 2019 Ludion, Bruxelles, et l'auteur Crédits photographiques Musea Brugge, Sint-Salvatorskathedraal Brugge, Sint-Jakobskerk Brugge, Collectie Heilig Bl oed, Grootseminarie Brugge © www.lukasweb.be - Art in Flanders vzw, photos Hugo Maertens et Dominique Provos!; p. 16, haut: Bruges, Bibliothèque publique, Ms. 736 coll. Fondation Roi Baudoin; p. 1T Vill e d'Ypres. Nous nous sommes efforcés d'appliquer les exigences légales en matière de droit d'auteur. Toute personne qui estime néanmoins pouvoir faire valoir des droits est invitée à contacter l'éditeur: Ludion, rue de la Senne 34b, 1000 Bruxelles. Texte: Till-Holger Borchert Traducti on: Muriel Weiss et Marie-Françoise Dispa Suivi rédactionnel: Claude Fa gne Coordination: Ruth Ruyffelaere Composition: Dylan Van Elewyck Production: Emiel Godefroi! Impression: Graphius, Gand Première de couverture: Hans Memling, Portrait de jeune femme (« Sibylla Sambetha »), détail Quatrième de couvertu re Jan van Eyck, La Madone au chanoine Joris van der Poele, détail ISBN 978-94 - 9303-910 - 0 D/2019 /63 28/8 www.ludion.be

Avant-propos

Bruges est une ville d'art, qui abonde en trésors du passé et du présent. Le centre-ville a été classé dans son ensemble au patrimoine mondial par l'UNESCO. Derrière les façades imposantes qui composent autant de vues emblématiques de la ville reposent de véritables joyaux. Bruges est une ville culturelle, comme en témoignent un agenda bien rempli et un éventail artistique de première qualité, proposés entre autres par le Concertgebouw, le Cultuur Centrum et les quatorze musées de la ville rassemblés sous la bannière de Musea Brugge. Bruges doit pour une grande part sa réputation en ce domaine à la collection de Primitifs flamands du Groeningemuseum, particulièrement représentative et d'une richesse exceptionnelle. C'est au XV• siècle, à l'époque où Bruges était l'une des plus grandes villes d'Europe et où marchands et banquiers étrangers se rencontraient en ses murs, que de nombreux peintres flamands choisirent d'y établir leurs ateliers. Leur technique à l'huile innovante et leur manière réaliste de peindre ont donné naissance à un nouveau style pictural, dont l'influence a rayonné jusqu'au bassin méditerranéen. Jan van Eyck, Hans Memling, Dieric Bours, Hugo van der Goes, Gerard David et leurs œuvres constituent le fil rouge de cet ouvrage. Till-Holger Borchert, le directeur de Musea Brugge, guide le lecteur dans les méandres fascinants de la Bruges du XV• siècle. Voir Bruges à travers les yeux d'un peintre, c'est découvrir et sentir la ville au plus profond de sa singularité et de sa mystique. Après avoir lu cet ouvrage, vous ne regarderez sans doute plus les Primitifs flamands de la même manière. Chacun des tableaux de ces maîtres fait revivre une époque capitale de l'histoire européenne; chaque coup de pinceau évoque l'âge d'or artistique de notre cité. Aujourd'hui, il est de notre devoir d'entretenir précieusement cet héritage et de l'enrichir de nouveaux élans culturels. Rédigé par un fin connaisseur et un directeur de musée passionné, cet ouvrage répond à merveille à cette ambition. En espérant que cet ouvrage vous prépare à apprécier pleinement les œuvres des Primitifs flamands et constitue un magnifique souvenir de votre visite en nos murs.

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Bruges, plaque tournante du commerce mondial Simple centre administratif du comté de Flandre à partir du XIJe siècle, Bruges est une capitale du commerce mondial au début du XVIe siècle. Le principal moteur de ce spectaculaire essor économique a été l'expansion continue, jusqu'à la fin du xrve siècle, de l'industrie drapière, qui fera la fortune de toute la Flandre et en particulier de cités comme Gand et Ypres.

Lieven van Lathem, Bataille de Beverhoutsveld près de Bruges en mai 1382 (une a rmée gantoise menée par Philippe d'Artevelde y a vaincu les armées du comte de Flandre Lo uis de Maele et de la Vi lle de Bruges), miniature extraite de Jean Froi ssart, Chroniques, XIV• siècle, tome 2. Berlin, Staatsbibliothek zu Berlin - PreuBischer Kulturbesitz

Bruges produit nettement moins de draps que ses deux voisines mais, grâce à sa situation géographique propice, à proximité des côtes de la mer du Nord, elle devient le plus grand port de transit en important de la laine anglaise et en exportant du drap flamand, mais aussi d'autres marchandises, comme des céréales du Nord de la France ou des vins de la Loire et du Bordelais. En réalité, c'est un raz-de-marée catastrophique qui a créé, en u34, le chenal du Zwin. Cette voie d'eau va permettre une liaison directe avec la mer du Nord, en passant par les avantports de Damme et de Sluis. Au cours des siècles suivants, la ville parviendra à maintenir sa situation privilégiée face aux ambitions d'autres villes marchandes, au besoin par la force. Jusqu'au début du XIIIe siècle, les marchands brugeois jouent un rôle de premier plan dans le commerce européen. Nombre d'entre eux rejoignent les grandes foires de Champagne

Jea n de Hervy, Carte du Zwin, 1501, huile su r toile. Bruges, Groeningemuseum

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- les plus importantes de l'Europe médiévale - où ils proposent des draps flamands aux marchands italiens. Par voie terrestre, les Brugeois font du négoce avec Cologne et le Nord de l'Italie; par voie maritime, avec l'.Angleterre, les Pays-Bas septentrionaux, Hambourg et Lübeck, mais aussi, au sud, avec La Rochelle, Bordeaux et Bayonne. À l'époque, les familles de négociants constituent le patriciat de la cité qui, au XIVe siècle, préside seul à sa destinée politique. Mais la suprématie commerciale des Flamands, et spécialement des Brugeois, est éphémère. Dès 1250 environ, des marchands étrangers s'établissent durablement dans la ville, où ils obtiennent de généreux privilèges. Par leur intermédiaire, des bateaux venus de la Baltique, puis, à partir de la fin du siècle, d'Italie et de la péninsule Ibérique, débarquent leurs marchandises et rentrent chez eux chargés des draps flamands tant convoités. Dès 1356, la puissante Hanse fonde un comptoir à Bruges. Cette association très active de villes commerçantes d'.Allemagne occidentale, de la mer du Nord et de la Baltique, regroupait notamment Cologne, Münster, Dortmund, Hambourg, Lübeck, Brême, Gdansk, Torun, Riga et Tallinn. Forte de son importance, la Hanse obtient des comtes de Flandre d'attrayants droits d'étape et des privilèges douaniers, favorisant ainsi l'établissement, à Bruges en 1356, d'une représentation permanente de ceux que l'on appelle alors les « osterlins » - c'e st-àdire les « marchands venus de l'Est ». Ces osterlins sont suivis par des marchands venus d'Écosse et d'.Angleterre, et de la plupart des places d'Europe méridionale: Venise, Gênes, Lucques, Pise, Rome et Florence mais aussi du Portugal, de Castille, de Biscaye, de Navarre et de Catalogne. Tous se voient octroyer de substantiels privilèges, qui allègent les droits d'étape et de douane. Les Vénitiens, les Génois, les Lucquois et enfin les Florentins développent à Bruges diverses techniques bancaires comme le change de monnaies, les transferts de fonds, les lettres de change et les emprunts, faisant de Bruges, au XIVe siècle, - avec Londres - le plus important centre bancaire et d'assurances du Nord-Ouest de l'Europe. À l'instar des marchands de la Hanse, les Italiens et les Ibériques s'organisent en associations, les fameuses «nations». À partir du milieu du siècle, elles

Vue de la p lace de la Bo urse o u Byrsa Brugensis, eau-forte d 'Anton ius Sanderus, dan s Flandria 11/ustrata, Cologne, 1641

établissent leurs propres consulats, leurs juridictions et leurs propres chapelles dans les nombreux couvents et églises de la ville. La présence des marchands étrangers affaiblit la position des familles patriciennes locales. À la fin du XIVe siècle, presque toutes les activités commerciales de Bruges se trouvent dans des mains extérieures, ce qui renforce indirectement l'influence politique des corporations. En effet, au XIIIe siècle, le destin de la cité était encore aux mains du patriciat, qui imposait son pouvoir non seulement aux commerçants et aux artisans, mais aussi, souvent, aux souverains. Mais les troubles et les soulèvements se sont multipliés au sein des métiers et des classes populaires installées dans les faubourgs en constant développement. Le comte de Flandre se voit finalement contraint d'associer les corporations au gouvernement de la ville, ce qui reflète bien le poids croissant des métiers et des artisans dans l'économie brugeoise. Vers le milieu du XIVe siècle, la ville ne compte pas moins de cinquante corporations, regroupant les membres des différents métiers ou commerces. Outre les teinturiers, tanneurs, tailleurs et chapeliers, on trouve aussi, par exemple, les fabricants de peignes en ivoire. Leurs innombrables produits ne sont pas seulement destinés au marché local, mais aussi à l'exportation. La Foire de mai de Bruges - la ville a obtenu en 1200 le privilège de tenir un marché annuel - devient au fil du temps la plus grande foire de marchandises des anciens Pays- Bas.

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Bruges, capitale artistique « Bruges est une grande ville très prospère, et l'un des plus importants marchés au monde», Lors de son bref séjour en 1438, Pero Tafur, le grand voyageur castillan, est favorablement impressionné par la cité flamande. Il s'extasie devant la multitude des commerces, devant les grandes maisons en pierre, la richesse des habitants, la splendeur de la ville, l'abondance de marchandises et l'opulence inouïe: « Celui qui a beaucoup d'argent à dépenser peut acheter ici tout ce que la terre produit»,

Anonyme (d 'après Van der Weyden), Philippe le Bon, 1451 - 1500, huile sur bois. Bruges, Groeningemuseum

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Ja n Baptist van Meunincxhove, Le Burg à Bruges, 1696, hui le sur toil e. Bruge s, Groen inge m useum

Malgré sa profonde admiration, Tafur ne manque pas d'observer la pauvreté saisissante de certaines couches de la population, conséquence de la terrible famine de l'année précédente et de la peste qui l'a suivie. À propos des étuves de la ville, il note avec une certaine désapprobation que « La déesse Luxure y a grand pouvoir, mais il ne faut pas qu'un homme pauvre y vienne, il serait mal reçu». Son impression générale est que « les habitants étalent leur richesse », et qu'ils sont« excessivement exigeants quant à leurs vêtements, très extravagants dans leur alimentation, et très portés sur toutes les formes de luxure ». En 1438, au moment du séjour de Tafu, la ville déborde de vie et de prospérité. Elle se relève d'une révolte (1437), mais aussi d'une épidémie et de la famine, abordant

une longue période de paix et d'essor culturel, qui permettra au duc de Bourgogne d'étendre et d'asseoir son pouvoir dans les Pays-Bas bourguignons. Bruges compte parmi les résidences favorites de Philippe le Bon, qui règne de 1419 à 1467. Il y organise le chapitre de la Toison d'Or de 1432, et la choisit également comme théâtre du mariage de son fils Charles le Téméraire avec la princesse anglaise Marguerite d'York, qui aura lieu en 1468. Le grand-père de Philippe le Bon, Philippe le Hardi (1342- 1404), avait épousé en 1369 Marguerite, fille de Louis de Maele, comte de Flandre. À la mort de ce dernier, en 1384, le comté de Flandre, économiquement florissant, échoit dès lors à la maison de Valois-Bourgogne, assurant ainsi l'avenir de la

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Petrus Christus, Un orfèvre dans son atelier, peut-être saint Éloi, 1449, huile sur bois. New York, The Metropolitan Museum of Art, Robert Lehman Collection

dynastie. Alors que les ambitions de Philippe le Hardi et de son fils Jean sans Peur (1371 - 1419), princes de Valois, se tournaient encore vers Paris, Philippe le Bon et Charles le Téméraire (1433-1477) se concentrent sur leurs possessions dans les anciens Pays-Bas. À partir de 1421, ceux-ci sont au cœur de la formation de l'État bourguignon. Au terme du processus, portés par une diplomatie habile et diverses revendications successorales, les ducs de Bourgogne - pourtant de facto vassaux tout à la fois du roi de France et de l'empereur germanique - prendront place parmi les souverains les plus puissants de leur temps. Le luxe ostentatoire dont s'entourent les ducs de Bourgogne et leurs cours - que les riches patriciens flamands comme les maisons royales européennes s'efforcent

d'imiter - est financé principalement par les recettes perçues en Flandre et par les crédits de plus en plus considérables accordés par les nombreuses maisons bancaires italiennes établies à Bruges. Même si les Pays-Bas bourguignons sont administrés depuis Lille, en tant que plaque tournante du commerce international, Bruges constitue le cœur économique de cette région densément peuplée et particulièrement industrialisée pour l'époque, mais aussi sa métropole culturelle. Alors qu'au XIV• siècle, de nombreux artistes flamands partaient encore travailler à Paris, au siècle suivant, l'Europe entre la Loire et le Rhin, et particulièrement Bruges, exerce la plus forte attraction culturelle. Orfèvres, brodeurs, sculpteurs et peintres venus de tout le continent

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Hans Meml ing, Gillesjoye, 1472, huile sur bois. William stown (Mass.), The Clark Art lnstitute

- dont Jan van Eyck, Hans Memling et Gerard David - s'y établissent et fondent des ateliers. Parallèlement, les nombreux couvents, monastères et églises paroissiales de la ville, qui jusqu'en 1560 dépendent de l'évêché de Tournai, voient naître la pratique nouvelle des illustres polyphonistes flamands Guillaume Dufay, Gilles Binchois et Gilles Joye. Sise au centre de la ville, dans le quartier du Burg, l'église attitrée des ducs de Bourgogne, la collégiale Saint-Donatien, est l'un des principaux foyers de cette effiorescence musicale.

Guillaume Dufay et Gilles Binchois, miniature dans Martin le Franc, Le champion des dames, 1440. Paris, Bibl iothèque nationale de France, Ms. fr. 12476, fol. 98

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L'art à Bruges avant Jan van Eyck

Au XVe siècle, la peinture sur panneau connaît aux Pays-Bas son premier âge d'or en même temps que son apogée. Les tableaux réalistes et aux couleurs intenses des maîtres des anciens Pays-Bas - Jan van Eyck, Rogier van der Weyden, Hugo van der Goes ou Hans Memling - comptent parmi les sommets incontestés de , , 1art europeen. Ce prodigieux essor de la peinture flamande coïncide pour ainsi dire avec celui de la peinture toscane de la Première Renaissance. Quelques années à peine séparent le retable de LA.gneau mystique, achevé par Van Eyck en 1432, des fresques peintes par Masaccio dans la chapelle Brancacci à Florence, entre 1425 et 1428.

Pour mieux évaluer l'œuvre innovatrice de Masaccio, il suffit de la mettre en regard des fresques de Masolino, plus ancrées dans la tradition, et même de la replacer historiquement dans une filiation qui remonte à Giotto (1266/I267-1337), grâce aux nombreuses peintures italiennes, sur panneaux ou murales, qui nous sont parvenues. En Flandre, une telle tradition est pratiquement impossible à établir. Seules l'enluminure et la tapisserie franco-flamandes de la fin du XIVe siècle - deux arts particulièrement appréciés des cours régnantes - attestent que l'âge d'or de la peinture flamande sur panneau n'a pas surgi du néant. De la peinture flamande antérieure à Van Eyck, on ne connaît qu'une douzaine de tableaux. Créés à des dates et en des lieux différents, ils varient également par leurs formats, leurs usages et surtout leur qualité. Faute d'é léments de comparaison, leur datation et davantage encore leur localisation géographique posent problème. Il en va de même pour les peintures murales, un médium artistique qualifié à juste titre d' « art perdu». Du XIVe siècle, il n'en subsiste aux Pays-Bas que quelques-unes, dans un état fragmentaire - notamment un saint Georges combattant le dragon, mais aussi des représentations de vertus et de héros antiques, dans la maison « De Patience», dans le centre de Bruges. Il est donc malaisé de reconstituer le contexte artistique que Van Eyck trouve à son arrivée dans la ville en 1431/I432. Car si, au XIVe siècle, Paris s'impose encore comme le foyer incontestable des arts en Europe du Nord, attirant de

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nombreux artistes des anciens Pays-Bas, Bruges est déjà l'une des principales vitrines culturelles du comté de Flandre. La ville entretient de multiples relations avec la capitale française et les cours des Valois, à Dijon, Bourges et Angers, ainsi qu'avec les centres artistiques voisins, Tournai, Valenciennes, Gand et Ypres. En se penchant sur les sources d'archives contemporaines et les œuvres subsistantes, on peut néanmoins ébaucher une image approximative de l'art brugeois pré-eyckien. La gilde des peintres Les peintres de Bruges fondent leur gilde de Saint-Luc en 1351 - donc bien avant Gand ou Tournai (1404) - prouvant ainsi

qu'ils jouissent d'une certaine reconnaissance sociale. Ils semblent même s'ê tre associés avant cette date avec d'autres professions au sein d'une corporation que l'on désignera généralement par la suite, sous le nom de « ambacht der beeldenmakers en zadelmakers », le métier des imagiers et des selliers. Outre les peintres sur panneau (beeldenmakers, scilders ), cette corporation regroupe les peintres sur toile (kleerscrivers ), les peintres verriers, les miroitiers et les selliers-harnacheurs - auxquels viendront s'ajouter au XVe siècle les graveurs. Ces métiers constituent des sections distinctes, qui délèguent des représentants au conseil de la corporation, constitué de six membres élus. Documentée dès 1362 - même si on ne dispose du registre matricule des admissions qu'à partir de 1453 - , cette composition atteste la prééminence des peintres (scilders ) qui avaient droit à deux représentants alors que les autres métiers n'e n avaient qu'un.

Jean de Bondol, Jean de Vaudetar

devant le roi Charles V, 1372, miniature de d éd icace d'une Bible historiale. La Haye, Koninklijke Bibliotheek

Les artistes brugeois à Paris Deux des artistes les plus éminents, les plus influents et les plus novateurs de Paris à la fin du XIVe siècle - les miniaturistes Jean de Bondol et Jacob Coene - sont originaires de Bruges, où ils ont sans doute fait leurs premières armes. Leurs œuvres permettent dès lors de se faire une idée du climat artistique de la ville flamande un demi-siècle avant l'arrivée de Jan van Eyck. Jean de Bondol - également connu sous le nom de Hennequin de Bruges -, peintre à la cour du roi Charles V de 1368 à 1381, a donné à l'art parisien, raffiné mais encore fort traditionnel, des impulsions déterminantes par son sens inédit de l'espace, du mouvement, de l'individualité et de la plasticité.

La miniature de dédicace (1372) de la Bible historiale, conservée à La Haye, est attestée comme étant de sa main. Elle montre le courtisan Jean de Vaudetar tendant au roi de France Charles V le manuscrit somptueusement illustré. Ce qui est immédiatement perceptible, ce n'est pas seulement

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, 1

Jean de Bond

,

Apocalypse d' ol, detail de t · 'Angers' 1375-1382 ap1sserie Ch, ·

ateau d'A ngers '

la représentation spatiale convaincante, mais aussi la tentative de Bandol de donner aux personnages représentés des traits individualisés. Mais de Bandol n'excelle pas seulement dans les petits formats. Il s'entend aussi à concevoir des œuvres monumentales, comme en témoignent les magnifiques tapisseries d'Angers. Cette tenture représentant des scènes de l'Apocalypse a été commandée en 1373 par Louis I•r d'Anjou, frère du roi. I.:artiste s'est chargé des modèles et des cartons à l'échelle. Le cycle de six tapisseries, qui faisait à l'origine plus de cent quarante mètres de long sur près de six mètres de haut, a été tissé par les ateliers parisiens de Nicolas Bataille et de Robert Poinçon. On peut supposer que de Bandol s'est inspiré, pour composer ce cycle grandiose, de gigantesques peintures murales, un genre alors florissant en Flandre et dont il ne reste pratiquement aucune trace. Si ses compositions révèlent un sens manifeste du mouvement et de l'espace, elles frappent aussi par le rendu des matières: même dans la tapisserie, on reconnaît encore distinctement l'or, les bijoux, les étoffes, etc. Ce remarquable don d'observation et de restitution préfigure le réalisme du détail des Primitifs flamands. Le développement futur de la peinture flamande s'annonce avec plus d'évidence encore dans les miniatures de l'enlumineur du célèbre Livre d'heures du maréchal de Boucicaut (Musée Jacquemart-André, Paris). Cet enlumineur anonyme a longtemps été identifié à Jacob Coene, un miniaturiste brugeois travaillant à Paris. Même si cette identification n'est plus retenue, Coene reste particulièrement intéressant car, en 1404 à Paris, il a enluminé une Bible, désormais perdue, pour Philippe le Hardi. Documenté de 1388 à 1404, cet artiste est un peu plus jeune que de Bandol. La famille de peintres dont il est issu sera active à Bruges jusqu'au XV• siècle. Elle y occupera régulièrement des charges au sein de la corporation. Jacob Coene apprend probablement son métier dans l'atelier de son père Quinten, documenté comme régent de la corporation en 1363. Jan Coene l'Ancien, qui exécute en 1388 un Jugement dernier, désormais perdu, pour la salle des échevins de l'hôtel de ville de Bruges et peint régulièrement des blasons et des bannières pour les autorités municipales est sans doute son frère. Jacob semble s'être établi assez tôt à Paris. En 1388, il s'est déjà fait un nom et est appelé à la cour du roi Jean I•r d'Aragon. Mais il rentre à Paris vers 1395. En 1398, il aide l'érudit Jehan Alcherius dans la rédaction de son ouvrage De coloribus ad pingendum en lui fournissant des informations détaillées sur les pigments et sur les techniques de l'enluminure, de la peinture et du dessin sur parchemin. Ce texte est conservé grâce à une copie du début du XV• siècle.

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Maître de Boucicaut, La Visitation et La Fuite en Égypte, miniatures du Livre d'heures du maréchal de Boucicaut, 1408-1410. Pari s, Musée Jacquemart-André

Sur la recommandation dA.lcherius, Coene est engagé en 1399 par la Fabbrica del Duomo di Milano comme inzignerius, ancêtre de l'ingénieur, afin de participer à la construction de la cathédrale gothique de la ville. Il est chargé d'établir tous les plans et élévations. Pendant son séjour, il se familiarise avec la peinture, la sculpture et l'architecture lombardes. On retrouve d'ailleurs des échos de l'enluminure lombarde et de l'intérêt de Coene pour l'architecture dans le Livre d'heures du maréchal de Boucicaut, réalisé à Paris entre 1408 et 1410 pour Jean le Meingre (1336-1421), maréchal de France et gouverneur de Gênes. Les splendides miniatures pleine page de Coene constituent un bond formidable dans l'histoire de l'art par leur agencement spatial complexe et le traitement innovateur, atmosphérique, du paysage. Elles recèlent les germes du renouveau de la peinture qu'initieront Van Eyck, Campin et Van der Weyden. La Visitation (fol. 65v), LA.nnonce aux bergers (fol. 79v) et La Fuite en Égypte (fol. 90v), notamment, remarquables par leurs nuances de couleurs, sont considérées à juste titre comme des jalons décisifs dans l'histoire de la peinture de paysage au nord des Alpes. Il est imaginable que le soin particulier apporté par Jacob Coene aux paysages soit en rapport avec ses origines flamandes, d'autant qu'o n observe sur ce point des similitudes avec l'œuvre de Melchior Broederlam, originaire de la ville voisine d'Ypres.

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Les peintres de cour flamands En 13841 Melchior Broederlam, peintre de cour de Louis de Maele, est engagé, à la mort du comte de Flandre, par Philippe le Hardi et participe à la décoration de sa résidence à Hesdin. De 1396 à 1399 1 il peint les volets du Retable de la Crucifixion

que le duc de Bourgogne destine à la chartreuse de Champmol (désormais au Musée des Beaux-Arts de Dijon). Sa partie centrale avait été commencée en 1392 par le sculpteur Jacques de Baerze, venu de Termonde. Unnonciation et la Visitation sur le volet gauche, La Présentation et la Fuite en Égypte sur le volet droit rappellent, surtout par leur coloris nuancé et leurs draperies fluides, le style gothique international.

Ce style élégant, raffiné, stylisé et décoratif est alors commun à toute l'Europe occidentale. Le traitement de l'espace est cependant beaucoup plus audacieux et proche des miniatures du Maître de Boucicaut. Repoussés du bord inférieur du cadre, les personnages s'intègrent désormais dans la profondeur du tableau. Comme le miniaturiste, Broederlam accorde au paysage une importance nouvelle, tout en conservant, dans des proportions amoindries, le fond doré conventionnel. Ces volets - les seuls panneaux flamands antérieurs à Van Eyck et à Campin dont l'origine est attestée par des documents - mettent en évidence le haut niveau atteint par l'art flamand vers 1400.

Maître de Boucicaut, L'Annonciation et la Visitation et La Présentation et la Fuite en Égypte, miniatures du Livre d'heures du maréchal de Boucicaut, 1408-1410 . Paris, Musée Jacquemart-André

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Maître des personnages élancés, Montée des âmes au ciel et La Flagellation du Christ, miniatures du Livre d'heures Bowet, 1400-1420. Bruges, Bibliothèque publique

La peinture de manuscrits avant Van Eyck

Anonyme, Saint Georges et le Dragon, min iature, XV• siècle. Bruges, Archives Grootseminarie, Ms. 72/175, fol. 52

Durant les premières décennies du XV• siècle, Bruges est un centre majeur de la production de manuscrits. Copistes et miniaturistes entretiennent une collaboration fructueuse, principalement axée sur la production de « livres d' heures », surtout pour le marché international. Un nombre étonnamment élevé de ces livres de prières quotidiennes est destiné au diocèse de Salisbury, ce qui semble indiquer qu'une grande partie de la production est exportée vers li\ngleterre. Récemment acquis pour la Bibliothèque publique de Bruges, l'un de ces manuscrits, les Heures Bowet - du nom de ses premiers propriétaires - contient de nombreuses illustrations caractéristiques des livres d'heures de Bruges. Si aucune des miniatures produites à Bruges vers 1400-1415 ne peut être rattachée à un artiste spécifique, il est néanmoins possible de distinguer différents ateliers - dirigés notamment par le Maître des saints de Beaufort et le Maître aux rinceaux d'or - ou le « groupe dit d' Ushaw ». Bien que de styles différents, ces miniatures témoignent de la même volonté de créer de la profondeur dans l'espace pictural et d'accroître l'illusionnisme du cadre peint. Même si la production brugeoise est beaucoup moins raffinée que les miniatures innovantes produites dans le cadre de diverses cours en France et dans les anciens Pays-Bas, les enlumineurs travaillant à Bruges n'ignorent rien des avancées artistiques de leur temps.

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Les prémices de la peinture flamande sur panneau Les rares panneaux conservés situés avec une certaine certitude en Flandre sans être directement

liés à l'influente cour bourguignonne ne témoignent guère d'une continuité esthétique entre l'époque de Van Eyck et la période précédente. LÉpitaphe de la famille Van Belle (Museum Godshuis Belle, Ypres) date du début des années 1420, soit une décennie environ après la mort de Melchior Broederlam et est probablement due à un artiste formé dans son entourage immédiat. Mais le tableau - qui présente au demeurant de nombreux surpeints - obéit strictement au schéma de composition conventionnel des épitaphes peintes ou sculptées et traduit le langage courtois de Broederlam dans un idiome provincial d'un maître anonyme. Le Retable des tanneurs est un exemple comparable de la peinture sur panneau ancienne qui a longtemps été considérée comme le plus important témoignage de l'art brugeois vers 1400 (voir p. 72).

Il s'agit d'un retable en forme de coffret dont le panneau central évoque la Crucifixion et les volets latéraux sainte Catherine et sainte Barbe. Conservé aujourd'hui dans le trésor de la cathédrale SaintSauveur de Bruges, il a probablement appartenu à la gilde des tanneurs. C'est en tout cas sous cette origine qu'il est acquis lors d'une vente aux enchères vers le milieu du xrxe siècle avant d'être offert en 1852 à la cathédrale. En raison de sa provenance présumée, mais aussi de son style archaïsant mêlant des influences brabançonnes, italiennes, rhénanes et westphaliennes, il a longtemps été tenu pour un témoignage incontestable et capital de la peinture brugeoise du XIVe siècle. Par rapport aux tableaux de Broederlam et surtout aux miniatures du Maître de Boucicaut, la disposition schématique des personnages de part et d'autre de la Croix et le placement de sainte Catherine et de sainte Barbe dans des niches en oblique paraissent cependant bien obsolètes. La datation usuelle, c'e st-à-dire avant ou vers 1400, en sort renforcée.

Anonyme, Épitaphe de la famille Van Belle, 142 0, huile sur bois. Ypres, Museum Godshuis Belle

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En réalité, comme l'a montré une récente analyse dendrochronologique du support, le retable n'a pas pu être peint avant 1415. Une datation autour de 1420 semble même plus vraisemblable. Il a donc été créé à la même époque que le Jugement dernier des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (Bruxelles), qui provient de Diest plutôt que de Bruges, mais n'en est pas moins comparable, en termes de qualité artistique, aux œuvres de Broederlam. Comment expliquer, dès lors, l'anachronisme formel du Retable des Tanneurs? Esc-il l'œuvre d'un peintre au crépuscule de sa vie et conservateur ? Reflètet-il les goûts conventionnels et l'envie de paraître de son commanditaire aux dépens d'innovations artistiques? Est-ce l'œuvre d'un peintre venu de l'Est - par exemple d'Allemagne ou du Brabant - et resté attaché à la manière de sa région natale? Ou l'œuvre a-c-elle-même été importée à Bruges? Jusqu'ici, aucune de ces questions n'a reçu de réponse satisfaisante.

Anonyme, Châsse de sainte Ursule, vers 1400 -

1420,

La petite châsse en bois provenant de l'hôpital Saint-Jean de Bruges, qui renfermait les reliques de sainte Ursule et de ses u.ooo vierges et qui fut remplacée par la splendide châsse de Hans Memling, soulève moins de questions. Les peintures montrent d'évidentes affinités iconographiques et thématiques avec l'enluminure brugeoise vers 1400. Il est donc plus que probable qu'elles aient été exécutées à Bruges, même si les châsses peintes sont davantage connues dans un contexte rhénan. À nouveau, il existe un monde de différence entre la petite châsse de sainte Ursule et les œuvres de Broederlam. La qualité des représentations sur le reliquaire reste bien inférieure à celle des grands ateliers de Bruges. Ce serait une erreur de penser - au vu du fossé qui sépare les deux exemples précités des œuvres de Bondol, Coene ou Broederlam - que siècle avait un la production brugeoise du caractère foncièrement provincial. Car si ce retable et cette châsse traditionnellement associés à la peinture

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bois, dorure et polychromie, Bruges, Hospitaalmuseum

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pré-eyckienne ont en commun d'ê tre conservés à Bruges, ils montrent entre eux de nettes disparités de qualité et de style. Le niveau des productions variait clairement en fonction des différents talents utilisés au sein d'un atelier, mais aussi des goûts, tout aussi variables, des commanditaires. De toute évidence, la peinture brugeoise était déjà très diversifiée au XIV• siècle, comme l'indique aussi la distinction précoce entre les différents types de peintres au sein de leur corporation.

André Beauneveu, Sainte Catherine, 1374-1386, albâtre. Courtrai, ég lise Notre-Dame, cha pelle des Comtes

La sculpture La même variation de qualité est perceptible dans la sculpture brugeoise du XIV• siècle. Comme dans le cas de la peinture, il subsiste très peu d'œuvres de cette époque. À la différence d'un tableau, une sculpture sur pierre, du moins à la fin du Moyen Âge, voit rarement le jour isolément. Elle s'intègre généralement dans un vaste programme de construction, commandé par des princes ou des autorités municipales. Le travail de sculpture est souvent confié non pas aux artisans locaux, mais à des ateliers itinérants, hautement spécialisés, qui sont apparus dans le cadre des chantiers français des cathédrales gothiques. Leur éventuelle mise en couleurs, en revanche, est laissée aux peintres locaux, qui en retirent une importante source de revenus. Le tombeau que le comte de Flandre Louis de Maele a fait ériger en l'église Saine-Donatien de Bruges pour son père, le comte Louis de Nevers, tombé à la bataille de Crécy en 1346, est sans doute l'œuvre d'un de ces ateliers itinérants. Achevé avant 1362, par des sculpteurs du Hainaut, lorsque Valenciennes et la ville alors française de Tournai étaient des centres réputés de sculptures sur pierre, cette œuvre ne nous est connue que par un dessin du XVII• siècle. Le sculpteur valenciennois André Beauneveu - dont le nom apparaît pour la première fois en 1360 dans le cadre de travaux d'embellissement du château de La Motte au Bois, une résidence des comtes de Flandre près de Hazebrouck - pourrait avoir participé à l'édification du tombeau. C'est à Bruges que Beauneveu pourrait avoir acquis ce savoir-faire qui a convaincu le roi de France Charles V de l'engager en 1364 comme ymagier et de lui confier l'exécution de son propre gisant - ainsi que ceux de son père et de son grand-père pour la crypte royale de la basilique de Saint-Denis, près de Paris. Ce qui est certain, c'est qu'en 1374, Louis de Maele charge Beauneveu, rentré à Valenciennes en 1366, de concevoir et d'exécuter son monument funéraire. Plus tard, il commandera une statue de sa sainte patronne, Catherine. La statue et le tombeau - dont des éléments inachevés ont été transportés à

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Anonyme, Généalogie des comtes

et comtesses de Flandre et des abbés de l'abbaye des Dunes, vers 1480, huile sur bois. Bruges, Gran d sé minaire

Lille en 1382 - devaient être installés dans la chapelle comtale de Courtrai, dont Louis de Macle voulait faire un monument dynastique. La chapelle, construite sur le modèle de la Sainte-Chapelle de Paris, a été décorée par le peintre de cour Jan van der Asselt d'immenses fresques évoquant les comtes de Flandre. Cet ensemble aujourd'hui disparu pourrait être l'exemple le plus précoce des cycles des comtes qui se répandront bientôt en Flandre (Grand séminaire de Bruges) et en Hollande (Haarlem) . Le programme iconographique et décoratif de la chapelle de Courtrai est rapidement devenu le concept programmatique «officiel >>pour exprimer la légitimité du pouvoir dynastique des comtes de Flandre. Il sera bientôt adopté, cette fois sous la forme de sculptures,

sur la façade du tout nouvel hôtel de ville de Bruges. Plus grandes que nature, les statues ont été posées sur des consoles, également sculptées. Lédifi.ce, dont la construction a commencé en 1376, a été érigé sur le Burg, en plein centre, plaçant ainsi symboliquement la ville sous la protection du comte, tout en affirmant le renforcement de son propre pouvoir. Les plans du bâtiment et de la décoration de sa façade sont probablement dus à Jean de Marville, qui a séjourné à Bruges durant six mois en 1376-1377. Vraisemblablement en contact étroit avec Beauneveu et son entourage, il dessinera plus tard le tombeau de Philippe le Hardi à la chartreuse de Champmol. Dans la ville de Dijon toute proche, il dirigera l'atelier qui, sous son successeur Claus Sluter, révolutionnera

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Claus Sluter, Le puits de Moïse, 1395-1405, pierre calcaire, polychromie, Dijon, Chartreuse de Champmol

la sculpture. Beauneveu ne semble pas avoir participé au programme de la façade de l'hôtel de ville. Les consoles, dont il subsiste seize originaux (maintenant au Gruuthusemuseum, Bruges), sont pour certaines mentionnées dans des documents d'archives dès 1379. Elles sont généralement attribuées au sculpteur Jean de Valenciennes, qui travaillait à Bruges depuis 1364. Il est en effet probable qu'il ait supervisé le travail, sculpté dans le grès par ses assistants, et qu'il ait exécuté la première des statues des comtes. En outre, on sait que le comte de Flandre lui a confié, en 13821 la décoration de la chapelle comtale voisine - la chapelle du Saine-Sang, qui abrite les reliques du sang du Christ rapportées de la deuxième croisade par le comte Thierry d'Alsace en u50.

Toutes les consoles conservées ne peuvent cependant pas être de la main de Jean de Valenciennes, car elles présentent des différences considérables, non seulement de qualité, mais aussi dans le traitement de l'espace, le relief et même les types des figures. Certaines puisent manifestement dans la tradition de la sculpture parisienne, comme celle représentant Tris tan et Iseult, tandis que d'autres dénotent une approche plus moderne et novatrice. Parmi ces dernières, on citera la console dite de Zacharie (Zacharie et l'ange), qui se distingue par un sens plus développé de la profondeur ainsi que par sa monumentalité. Par ces caractéristiques, cette console se rapproche d'une Vierge à /'Enfant (Museum Mayer van

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Jean d e Valenci ennes et a telier, Zacharie et /'Ange et Couple amoureux, 1376 -1 379, co nsoles de p ierre de l'hôtel de ville. Bru ges, Gruuthusemuseum

Christi aan van de Voorde (o u successeurs), Séraphin volant, après 1386, fragment d'un vitrail. Bruges, Gruuthusemuseum

den Bergh, Anvers) qui se trouvait dans l'église Saint-Donatien. Vraisemblablement créée entre 1375 et 1399 et issue d'un atelier brugeois, cette œuvre est clairement influencée par Beauneveu, même si le drapé et le mouvement rappellent des sculptures postérieures de Sluter et pourraient dès lors indiquer une source commune. Par ailleurs, l'ange de la console de Zacharie ressemble beaucoup aux chérubins et séraphins représentés sur les fragments conservés des vitraux de l'hôtel de ville de Bruges. Ceux-ci sont l'œ uvre de Christiaan van de Voorde et de ses successeurs, qui ont réalisé plusieurs vitraux de l'édifice, illustrant entre autres des scènes de la vie du roi David. Les consoles et les vitraux de l'hôtel de ville, tout comme la Vierge à /'Enfant de Saint-Donatien, étaient des commandes officielles de la Ville ou du souverain et témoignent par conséquent du plus haut niveau de l'art brugeois à la fin du

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Anonyme, Vierge à /'Enfant, 13751399, pierre, polychromie. Anvers, Museum Mayer van den Bergh Anonyme, Saint Corneille, fin du XIV• siècle, bois, polychromie. Bruges, Hospitaalmuseum

XIVe siècle. Des sculptures moins ambitieuses nous sont également parvenues. La statue polychrome presque grandeur nature de Saint Corneille (Hospitaalmuseum, Bruges) est sans conteste une œuvre de belle facture. Par sa posture asymétrique, elle évoque à la fois la Vierge de Saint-Donatien et des exemples parisiens du XIVe siècle. En revanche, le visage charnu et la chevelure sommaire sont typiques de la production brugeoise vers 1400. Ünsemble de l'art brugeois de cette époque est donc loin d'être provincial; tout au plus peut-on dire qu'il se décline, dans toutes les disciplines et tous les genres, en différents niveaux de qualité.

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Les Primitifs flamands à Bruges

Bruges garantissait aux peintres, comme aux autres artisans proposant des produits de luxe, de nombreuses commandes et des revenus confortables. Une bourgeoisie aisée et socialement ambitieuse investissait des sommes sans cesse plus importantes dans la décoration et l'ameublement de leurs fondations religieuses et de leurs chapelles privées, pour lesquelles elles commandaient de somptueux retables.

Jan et Hubert van Eyck, Polyptyque de /'Agneau mystique, 1432, huile su r bois. Ga nd, ca t hédrale Sa int- Savon

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Il en allait de même pour les nombreuses gildes et confréries, qui disposaient de leurs propres autels dans les églises paroissiales, les monastères et les couvents, à l'intérieur comme à l'extérieur des enceintes urbaines. À cette clientèle s'ajoutaient encore les communautés monastiques et laïques, les membres du clergé et les chanoines fortunés, les banquiers et les commerçants étrangers, sans oublier la puissante municipalité et la cour de Bourgogne itinérante, qui prenait de temps à autre ses quartiers dans la ville. C'est ainsi que Bruges attira peu à peu des maîtres des environs immédiats ou de régions plus lointaines - le Brabant, la Hollande ou la Rhénanie. La corporation assurait réglementairement les contrôles, garantissant la qualité comme la quantité, assurant ainsi le haut niveau de la production de la ville qui se maintiendra jusqu'au xvre siècle autant que l'on puisse en juger d'après les tableaux qui ont subsisté et affirmant le style caractéristique dit de l' « école brugeoise ». Jan van Eyck Linfluence la plus déterminante dans l'affirmation de ce style a certainement été exercée

par Jan van Eyck, qui a vécu et travaillé à Bruges de 1432 au moins à sa mort en 1441. Il est né vers 1390 à Maaseik, dans l'actuel Limbourg belge, probablement dans une famille de peintres puisque ses deux frères Hubert et Lambert ainsi que sa sœur Margareta semblent avoir également exercé ce métier. Il gagne semble-t-il ses premiers galons de peintre dans sa

région natale, plus précisément à la cour du princeévêque de Liège, Jean de Bavière. En 1418, ce dernier renonce à l'épiscopat et parvient à mettre la main sur les terres de son défunt frère Guillaume IV de Hainaut-Hollande. Engagé comme peintre officiel, Jan van Eyck le suit alors à La Haye. À la mort de Jean de Bavière, en 1425, il entre, en tant que peintre officiel, au service du duc de Bourgogne Philippe le Bon, qui lui assure une rente en tant que « valet de chambre». La première œuvre attestée de Jan van Eyck est l'impressionnant polyptyque de r:Adoration de !'Agneau mystique, conservé dans la cathédrale Saint-Bavon à Gand, qui compte parmi les grands jalons fondateurs de la Première Renaissance. Une inscription sur le cadre indique que le retable a été commencé par Hubert van Eyck et achevé le 6 mai 1432 par son frère Jan. Ce retable de douze panneaux monumentaux, commandé par le riche bourgeois gantois Jodocus Vijd, propose une véritable somme encyclopédique de la théologie chrétienne, et relie, d'une manière inédite dans l'art, le début de l'histoire de la Rédemption - l'Annonciation - à la fin des temps, l'Apocalypse. Il propose, sans aucun précédent manifeste, une vision totalement nouvelle de la réalité, embrassant tout à la fois l'ici et maintenant et l'audelà. Cette nouvelle réalité s'exprime avec un réalisme sans précédent jusqu'aux moindres détails, ce qui n'aurait pas été possible sans une totale maîtrise de l'art de la peinture.

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Jan van Eyck, Giovanni Arno/fini et son épouse, 1434, huile sur bois. Londres, National Gallery

26

Jan va n Eyc k, Margareta van Eyck, 1439, huil e sur boi s. Bruges, Groeningem useu m

Jan van Eyck, Jan de Leeuw, 1436, huile sur bois. Vienne, Ku nsthistorisches Museum, Geméil degaleri e

Le retable montre pour la première fois des portraits réalistes de donateurs et les premiers nus grandeur nature de la peinture au nord des Alpes. Tout au long des cinq panneaux inférieurs se déroule en continu, telle une vue panoramique, un paysage à la végétation luxuriante et parfois exotique. Lors de sa visite de Gand en 1521, Albrecht Dürer a vu le polyptyque exposé dans une chapelle du déambulatoire et en a fait l'éloge dans son journal, le qualifiant de « peinture fort exquise et d'une grande intelligence». La question de savoir quelles parties du retable doivent être attribuées à Hubert ( t 1426) et lesquelles doivent l'être à son frère cadet continue d'alimenter les controverses, en dépit du récent traitement conservateur. Une des raisons en est qu'Hubert n'est connu que par quelques documents et qu'aucune œuvre ne peut lui être attribuée avec certitude. l'.autre raison pourrait être que tant Hubert que Jan ont poussé jusqu'à la perfection un style collectif partagé avec leurs assistants. Quoi qu'il en

soit, seul Jan se taillera la réputation d'un artiste extrêmement talentueux et novateur puis passera à la postérité comme l'homme ayant révolutionné la peinture nord-européenne. Manifestement, toutes les œuvres documentées de Jan van Eyck ont vu le jour après le retable de Gand et après son installation définitive à Bruges avec son atelier, en 1431/r432. Jan van Eyck produit ensuite à un rythme soutenu, à la demande d'ecclésiastiques et de bourgeois, d'officiers de la cour de Bourgogne et surtout de marchands et de banquiers italiens, de splendides portraits, épitaphes, retables ou tableaux de dévotion, et notamment le célèbre double portrait du banquier lucquois Giovanni di Nicolao Arnolfini, représenté avec son épouse défunte dans le célèbre mais énigmatique double portrait daté de 1434 (National Gallery, Londres). Les intérieurs réalistes de Van Eyck, dont le panneau des Arnolfini est un exemple de première importance, sont le résultat d'une perspective conçue de manière empirique, laissant

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Ja n van Eyck, La Madone au chanoine Joris van der Pae/e, 1436, hu ile sur b ois. Bruges, Groenin gemu se um

une impression naturaliste de profondeur sans être construite selon les lois de la géométrie. Il a également contribué significativement à l'essor du portrait de trois quarts. Il représente ses modèles avec une grande précision psychologique, apportant un même soin aux visages et aux vêtements. Ses contemporains italiens admirent son talent de portraitiste, affirmant que ses modèles paraissent si réels qu'il ne leur manque que le souffie. Les portraits de Van Eyck dépeignent des membres de la noblesse bourguignonne et des négociants italiens, mais aussi l'orfèvre brugeois Jan de Leeuw et même sa propre épouse, Margareta. La M adone au chanoine Van der Paele est, après le retable de Gand, l'œuvre la plus imposante de Jan van Eyck parmi celles conservées. Elle lui a

été commandée pour l'ancienne église collégiale de Saint-Donatien par Joris van der Paele, l'un de ses chanoines, à l'occasion de la fondation, en 1434, de deux chapelles dans le chœur de l'église. Achevé en 1436, le tableau représente le donateur, marqué par la vieillesse et la maladie, aux côtés de son protecteur saint Georges et agenouillé devant la Vierge et l'Enfant. Saint Donatien, patron de l'église, lui fait face, de l'autre côté de la Vierge. La scène est située dans un espace intérieur dans lequel on reconnaît sans peine un déambulatoire de style roman. l'.espace complexe de l'église est organisé de façon magistrale. Le peintre a intégré dans son œuvre, avec virtuosité, une symbolique eucharistique et mariale complexe, que vient encore souligner la citation biblique figurant

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sur le cadre - d'origine-, où la Vierge est comparée à un miroir sans tache de l'activité de Dieu (Sagesse de Salomon, 7:26). Le somptueux manteau de brocart de saint Donatien, avec ses broderies précieuses, ou l'armure sophistiquée de saint Georges, qui reflète d'innombrables fois la figure de la Vierge, mettent en évidence l'immense talent du peintre. Ces détails renvoient aussi à des reliques conservées dans la collégiale puisque le geste d'accueil de saint Georges est inspiré d'un bras reliquaire du saint appartenant au trésor de l'église, où le manteau de saint Donatien était également vénéré. Le tableau est une excellente illustration de la méticulosité technique de Van Eyck, qui rend avec une netteté microscopique les détails les plus infimes et use abondamment de la lumière pour rendre l'illusion matérielle des matières. Ce n'est pas un hasard si la composition fait songer par plusieurs aspects à une épitaphe, la commande de Joris van der Paele s'expliquant par le souci de préserver son propre souvenir. Même si, conformément aux termes de la fondation, des messes seront dites devant le tableau de Van Eyck, l'image est censée inviter les fidèles à prier pour l'âme du chanoine dont le nom est repris sur le cadre. Van Eyck y a d'ailleurs inclus son propre nom, probablement pour intégrer son propre souvenir dans l'épitaphe de son mécène. Deux ans avantJoris van der Paele,Jan van Eyck meurt en 1441. À la requête de son frère Lambert, il est inhumé en la collégiale Saint-Donatien - la future cathédrale de Bruges-, un privilège qui donne une idée du grand respect dont il jouissait. De son vivant déjà, sa renommée s'est répandue à travers toute l'Europe. Plusieurs de ses œuvres, commandées par des négociants prospères, ont rejoint

l'Italie et l'Espagne. Peu après sa mort, l'humaniste Bartolomeo Facio (avant 14ro-1457), conseiller à la cour d'Alphonse V d'Aragon à Naples, salue en lui l'un des plus grands artistes de la chrétienté. Des rois et des princes collectionnent ses peintures avec passion. Giorgio Vasari, peintre et historien d'art florentin, ira jusqu'à lui attribuer, dans ses Vies d'artistes (1550 et 1564-1568), l'invention révolutionnaire de la peinture à l'huile - plus légendaire que réelle - mais qui sera tenue pour vraie pendant des siècles (voir pp. 32-33). Petrus Christus Après la mort de Jan Van Eyck, son atelier brugeois semble être resté en activité pendant quelques années, sous la direction de son frère Lambert. La Vierge à /'Enfant avec sainte Barbe, sainte Élisabeth et Jan Vos (The Frick Collection, New York) est un exemple de tableau «posthume» de l'atelier Van Eyck. Probablement conçu comme une épitaphe, il a été commandé par Jan Vos d'Utrecht, après son élection, au printemps 1441, comme prieur au couvent des chartreux du Val-de-Grâce à Bruges, en dehors des murs de la ville. Cela n'a laissé que trois mois au peintre, jusqu'à sa mort le 9 juillet 1441, pour dessiner l'ensemble de la composition. En 1443,Jan Vos persuade un évêque invité d'attacher une indulgence à cette image permettant à tous ceux qui réciteraient le «Je vous salue Marie» devant le panneau de passer quarante ans de moins au Purgatoire. Lorsque Jan Vos quitte Bruges en 1450 pour devenir prieur du couvent des chartreux Nieuwlicht à Utrecht, il emporte le tableau d'autel. Il a été avancé qu'il aurait laissé une copie commandée à Petrus Christus, la Vierge à /'Enfant avec sainte Barbe et Jan Vos, appelée aussi la Madone d'Exeter (Gemaldegalerie,

Jan van Eyc k, La Madone au chanoine joris van der Pae/e, 1436, huile sur bois. Bruges, Groeningemu seum pour les détails, voir pp. 30-31, 34-35 --i

pour la suite du texte, voir p. 36 --i

29

Jan van Eyck et la découverte de la peinture à l'huile

L'ingénieuse technique des

la détrempe. Entreprenant le voyage

mieux. Sur la base de ses propres

anciens maîtres flamands, et surtout

jusqu'aux Pays-Bas pour tenter de

recherches, Van Mander date cette

de Jan van Eyck, a très tôt suscité

percer ce secret, il y sera finalement

«invention» de 1410. La légende

l'émerveillement, notamment parmi les

initié et introduira la peinture à l'huile

continue de se répandre, relayée

critiques d'art italiens. Giorgio Vasari

dans la péninsule.

notamment par le peintre et écrivain

lui-même, peintre florentin considéré comme le fondateur de l'histoire de

Près de cinquante ans plus tard, dans son célèbre Schilder-Boeck qui

allemand Joachim von Sandrart et son collègue français Jean-Baptiste

l'art, relève dans la deuxième édition

reprend notamment les biographies

Descamps, jusqu'à ce que !'écrivain

de ses Vies des meilleurs peintres,

de peintres flamands, allemands et

et bibliothécaire allemand Gotthold

sculpteurs et architectes (1568) que

néerlandais, dont la première édition

Ephraim Lessing la réfute enfin à la fin

Van Eyck aurait inventé la peinture

date de 1603-1604, Ka rel van Mander

du XVIII" siècle. Il a en effet découvert,

à l'huile. Le passage en question

reprend la légende qu'il enjolive sans

dans la bibliothèque de Wolfenbüttel

apparaît dans l'introduction à la

vergogne: Jan van Eyck, qui peignait

(Herzog-August-Bibliothek), un

biographie du peintre italien Antonello

à la détrempe, aurait amélioré cette

manuel du peintre rédigé au Xll9 siècle

de Messine (vers 1430-1479), ce qui

technique avec un vernis composé

par le moine bénédictin Theophilus,

n'est pas un hasard, car ses œuvres

d'un mélange d'huiles. Un jour, ayant

décrivant par le menu l'emploi d'huiles

témoignent effectivement de ses

exposé un tableau au soleil pour le

comme liants.

contacts intenses avec la peinture des

faire sécher, le panneau s'est fendu.

Le matériau servant à la

anciens Pays-Bas. Vasari imagine le

Cherchant un vernis séchant plus

« peinture à l'huile» est bel et bien

scénario - fictif - suivant: découvrant

rapidement, il s'aperçoit que l'huile

fabriqué à partir de pigments liés à

par hasard que l'huile peut servir

de lin et l'huile de noix donnent les

l'huile. Les peintres du Moyen Âge

de liant, Jan van Eyck dissimule

meilleurs résultats: « Les soumettant

et de la Renaissance utilisaient de

soigneusement sa découverte, ne

à l'action du feu et y mêlant d'autres

l'huile de noix, de lin ou de graines

mettant dans le secret que ses plus

substances, il finit par obtenir le

de pavot. Les huiles et les pigments

proches disciples - au nombre

meilleur vernis possible». Peu après,

sèchent par oxydation, beaucoup plus

desquels Vasari compte Rogier van

il découvre que les pigments peuvent

lentement qu'avec des liants aqueux

der Weyden. Toujours selon Vasari,

se délayer dans ce vernis. Les couleurs

- on parle alors collectivement de

Antonello se montre très curieux de

sèchent plus vite, ont davantage

tempera. Ceux-ci sont fabriqués en

ce procédé nouveau, car les Italiens

d'éclat - même sans vernis - et, en

mélangeant, le plus souvent, du jaune

continuaient à pratiquer la peinture à

outre, les couleurs se mélangent

d'œuf ou diverses colles faites à partir

32

de peaux animales avec de l'eau et

les pigments sont indissolublement

On utilisait aussi les vernis à

de l'huile. Durant l'évaporation, le

intégrés dans le liant n'a pas encore

l'huile décrits par Van Mander. Il s'agit

liant durcit et ne peut plus être dilué

été étudié en profondeur. Ce qui est

de mélanges d'huiles que l'on faisait

à l'eau. Dans les anciens Pays-Bas,

par contre établi, c'est que certains

bouillir avec des oxydes et des sels

les liants à base d'eau étaient surtout

pigments qui ne contiennent pas de

métalliques afin de favoriser une

employés pour préparer les peintures

métal, le noir par exemple, sèchent

oxydation partielle et un séchage plus

sur une base de toile, c'est-à-dire un

par nature beaucoup plus lentement

rapide. Ces préparations servaient en

tissu de lin. Pour désigner les œuvres,

que les pigments d'origine métallique,

général à délayer les couleurs pour en

le terme Tüchlein était usuel. Dans le

comme la malachite ou le vert-de-

faciliter l'application. En tant que liant,

Nord de l'Europe, les deux techniques

gris. C'est pour cette raison que

ce type de vernis n'a été retrouvé que

de peinture - huile et tempera - ont

les artistes ajoutaient parfois des

dans les couches de préparation.

été utilisées concomitamment. Les

pigments métalliques ou du verre

Les Primitifs flamands

pigments ont tendance à se comporter

comme siccatifs, afin d'accélérer le

différemment selon le liant utilisé.

processus de séchage.

Certains, par exemple, deviennent

Entre la technique des peintres

procédaient de manière totalement différente: ils superposaient de fines couches de couleurs transparentes ou

translucides dans l'huile - et non dans

flamands et celle des Italiens du

glacis - en allant du plus clair au plus

la tempera -, car l'indice de réfraction

Quattrocento, il y a évidemment des

foncé. La couche de préparation claire

de l'huile est supérieur à celui, par

différences fondamentales, et l'emploi

reflète la lumière à travers les couches

exemple, de la détrempe à l'œuf. En

de liants différents n'en constitue

de glacis transparentes, donnant

pratique donc, les deux techniques

qu'un aspect. En réalité, la distinction

aux tableaux ces couleurs profondes

de base étaient souvent utilisées dans

principale réside dans la façon

et saturées tant admirées par les

la même œuvre, en Italie comme

d'appliquer les couches picturales.

contemporains. Il ne fait aucun doute

aux Pays-Bas, certaines couches de

En Italie, on utilisait, suivant l'exemple

que Jan van Eyck a considérablement

peinture étant appliquées a tempera,

de Giotto, le système dit des trois

amélioré cette technique fondée sur

d'autres à l'huile.

nuances, que Cennino Cennini décrit

l'emploi de liants à l'huile, même s'il ne

en détail dans son Livre de /'art(1390)

l'a pas inventée.

Huile, tempera et technique mixte se distinguent à l'œil nu: les

alors que dans les anciens Pays-

couleurs à la détrempe, au contraire

Bas, on opérait selon une méthode

Certains maîtres italiens et espagnols - comme Antonello de

de celles à l'huile, ne s'étendent

complexe de glacis superposés. Le

Messine ou Jacomart, originaire de

pas bien, de sorte qu'elles devaient

principe des trois nuances permettait

Valence - ont tenté d'imiter le coloris

être posées en fines touches les

de compenser dans une certaine

éclatant des tableaux flamands, en

unes à côté des autres. C'est

mesure les altérations des couleurs

particulier pour le rendu de matériaux

pourquoi les tableaux a tempera

qui survenaient pendant le séchage

recherchés, comme les pierres

italiens présentent des hachures

de la tempera - les couleurs ne se

précieuses et l'or. Ils ont également

caractéristiques. Les tableaux à l'huile,

stabilisant qu'après l'application du

utilisé de fins glacis à l'huile, mais

par contre, présentent cette surface

vernis. La technique était la suivante:

sans procéder systématiquement du

égale et lisse tant admirée chez les

on mélangeait une couleur pure

plus clair au plus foncé. Les tableaux

(première nuance) avec deux parts de

d'Antonello de Messine ressemblent

blanc de plomb (troisième nuance); on

particulièrement à ceux des maîtres

Primitifs flamands. Même aujourd'hui, le mystère de la peinture à l'huile - le secret de Van

mélangeait ensuite ces deux nuances à

des anciens Pays-Bas, même s'il

Eyck - n'est pas encore entièrement

parts égales pour obtenir un ton moyen

apparaît clairement que sa technique

percé. On sait que les molécules

(deuxième nuance). Les couleurs

du glacis était différente.

d'huile se dilatent durant leur

ainsi obtenues étaient appliquées les

oxydation, entraînant le processus de

unes par-dessus les autres, de la plus

séchage. Mais le processus par lequel

foncée à la plus claire.

33

Berlin). Ce minuscule tableau est une interprétation personnelle de l'original eyckien. Sur le plan stylistique, Christus s'efforce de reproduire la facture minutieuse du maître et de son atelier. Avec sa vue plongeante sur Bruges, d'une topographie exacte - on reconnaît la Walplein, la Sashuis et le pont de bois du Minnewater - , il propose cependant un contre-projet aux « paysages du monde » panoramiques de Van Eyck. Le peintre a peut-être gravi la tour de l'église Notre-Dame, d'où un panorama similaire devait s'offrir à ses yeux. Dans ses œuvres de jeunesse, dont fait partie la Madone d'Exeter, Petrus Christus adopte résolument la manière de Van Eyck, ce qui explique qu'on l'ait pendant longtemps tenu pour l'un de ses assistants. En réalité, Christus est originaire de Baerle, dans le duché de Brabant - aujourd'hui sur la frontière belgo-néerlandaise - et ne devient citoyen de Bruges qu'en 1444, soit trois ans après la mort de Van Eyck. Néanmoins, en imitant son style et sa technique, il se

recommande lui-même aux commanditaires publics brugeois en tant que digne successeur du maître. Comme Van Eyck, il date et signe ses portraits et ses retables sur leur cadre. Les portraits de Christus doivent, eux aussi, beaucoup à Jan Van Eyck, mais, plutôt que d'utiliser un arrière-plan neutre, il place ses figures dans un intérieur plus ou moins identifiable. Cette approche est déjà de mise avec le Portrait d'Edward Grymestone, daté de 1446 ( en prêt à la National Gallery, Londres). Lart du portrait chez Petrus Christus atteint son apogée avec son Portrait de jeune femme (Gemaldegalerie, Berlin) réalisé vers 1470. Relevons que, contrairement à Van Eyck, Christus connaît la construction géométrique de la perspective, qu'il semble avoir appliquée pour la première fois dans son Annonciation (Gemaldegalerie, Berlin), volet gauche d'un retable dont le panneau central est perdu - le volet droit, montrant le Jugement dernier, est daté de 1452. La Vierge à !'Enfant

Jan van Eyck et atelier, Vierge à /'Enfant avec sainte Barbe, sainte Élisabeth et Jan Vos, vers 1442, huile sur bois. New York, The Frick Collection

Petrus Christus, Vierge à /'Enfant avec sainte Barbe et Jan Vos («Madone d 'Exeter»), vers 1450, huile sur bois. Berlin, Staatliche Museen zu Berlin - Stiftung PreuBischer Kulturbesitz, Gemi:ildegalerie

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assistée des saints Jérôme et François (Stadel Museum, Francfort-sur-le-Main), datée de 1457, dont la composition s'inspire manifestement de la Vierge au chanoine Van der Paele de Van Eyck, est le premier tableau d'un maître flamand à utiliser la perspective à point de fuite unique. Après la mort de Van Eyck, Petrus Christus devient le peintre le plus en vogue au sein des nations de marchands étrangers de Bruges, et nombre de ses / œuvres connues ont eu des commanditaires italiens ou ibériques. Sa peinture trouve rapidement un écho en Italie mé7Îciionale, principalement chez Antonello de Messiné'. Nul doute que le peintre de Bruges profite larglrnent de l'engouement suscité par la peinture de Van Eyck dans les cours italiennes et ibériques vers le milieu des années 1450. Petrus Christus reçoit régulièrement des commandes des autorités municipales, réalisant notamment des décorations et des tableaux vivants pour les Joyeuses Entrées. Il semble avoir également

Petrus Christus, Vierge à /'Enfant assistée des saints Jérôme et François, 1457, huile sur bois. Francfort-sur-le-Main, Stéidel Museum

la faveur du patriciat brugeois, travaillant notamment pour la famille Adornes. C'est ainsi que Christus réalise des portraits de Pieter Adornes et de son épouse, mais aussi sa Lamentation (Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles), dont la composition dénote l'influence de Rogier van der Weyden, qui est sans doute une commande des Adornes. Christus s'est très vite intégré dans la société brugeoise. Avec son épouse Gaudicine, ils sont membres de l'éminente confrérie de Notre-Dame de l'Arbre sec, aux côtés d'Isabelle de Portugal - épouse de Philippe le Bon -, d'Adolphe de Clèves, de Louis de Gruuthuse, des notables locaux Adornes, Van Nieuwenhove et De Baenst, ainsi que des négociants et banquiers étrangers. En 1467, Christus adhère en outre à l'illustre confrérie de Notre-Dame dès Neiges. En 1472, peu avant la mort du peintre, une commande d'Isabelle de Portugal auréole son atelier d'un prestige inégalé. Christus livre un petit triptyque, que Catherine de Buisson, abbesse de

Petrus Christus, Portrait de jeune femme, vers 1470, huile sur bois. Berlin, Staatliche Museen zu Berlin Stiftung PreuBischer Kulturbesitz, Geméildegalerie

37

Petrus Christus, Lamentation, vers 1455- 1460, huile sur bois. Bruxelles, Musées royaux des Bea uxArts de Belgique

Sainte-Élisabeth du Quesnoy, offrira par la suite à Marguerite di\utriche. Au centre, le peintre a représenté une Mater Dolorosa ( désormais perdue) ; sur le volet gauche, Isabelle de Portugal et sa protectrice sainte Élisabeth (Groeningemuseum, Bruges) et, sur celui de droite, sainte Catherine. Le rendu précis des tissus précieux du volet des donateurs témoigne de l'influence persistante de Van Eyck, dont Christus s'est inspiré pour son répertoire de motifs. Tout en restant intéressé par les motifs eyck.iens, Petrus Christus se tourne néanmoins sans cesse davantage dans ses propres compositions vers l'œuvre de Rogier van der Weyden.

Hans Memling Si l'influence de Rogier van der Weyden se perçoit déjà dans l'œuvre de Petrus Christus, ce n'est qu'avec l'arrivée à Bruges de Hans Memling que sa peinture devient l'un des fondements de l'art de la cité flamande. Originaire de Seligenstadt, sur le Main, Memling acquiert, en janvier 1465, le droit de bourgeoisie de la ville de Bruges, où il travaillera jusqu'à sa mort en 1494. Il y acquiert une modeste fortune et une certaine considération sociale, en devenant notamment membre de la confrérie de Notre-Dame des Neiges - comme Petrus Christus. Ayant sans doute entamé sa formation en Allemagne, il rejoint l'atelier de Van der Weyden à Bruxelles, où il reste jusqu'à la mort du maître en 1464. Pendant cette période, il a tout le loisir

38

d'assimiler l'univers formel et la technique de son maître flamand, jusqu'à voir disparaître toute trace de ses origines allemandes. Arrivé à Bruges, Memling étudie intensivement l'œuvre de Jan van Eyck, car ses tableaux mêlent à l'art de Van der Weyden celui du peintre de la cour bourguignonne. Sa peinture, synthèse heureuse de ces deux protagonistes de l'art flamand, contribuera pour une part essentielle à l'éclosion d'un canon pictural qui dominera l'art brugeois à partir de la fin du xve siècle. Parmi ses premières œuvres, citons un retable monumental que Ferry de Clugny, évêque de Tournai, lui a probablement commandé pour la « chapelle dorée» fondée par ses soins en 1465 dans la cathédrale Saint-Lazare d'A utun, sa ville natale. Seul subsiste le volet de li\nnonciation (New York, The Metropolitan Museum of Art). Il témoigne de la profonde influence de Rogier.

l'.un des premiers commanditaires de Memling à Bruges est Jan Crabbe, supérieur de la puissante abbaye cistercienne des Dunes et humaniste convaincu. Ce triptyque de la Crucifixion rappelle les œuvres de ses années de formation dans l'atelier de Van der Weyden, et la scène de l'Annonciation, au revers du retable, reste relativement raide. Les personnages sont peints en semi-grisailles, seules les chairs - l'incarnat - étant colorées ; ce choix inusité peut avoir été suscité par la conviction que l'Annonciation est le moment de l'incarnation du Fils de Dieu. Il semble néanmoins que le peintre n'a guère mis longtemps à surmonter son manque d'assurance, car il produit bientôt l'une de ses œuvres les plus ambitieuses: le Triptyque du Jugement dernier commandé vers 1467 par Angelo Tani, représentant de la banque Médicis à Bruges, qui le destine à sa chapelle de Badia Fiesolana (abbaye de Fiesole),

Hans Meml ing, Annonciation, vers 1465- 1470, huile sur bois. Bruges, Groening em useum

39

Hans M emling, Triptyque du Jugement dernier (ou vert), 1467- 1472, huile sur bois. Gda nsk, Muzeu m Narodowe w Gda r\ sku

près de Florence. Dans ce retable, Memling joue pour ainsi dire de tous les registres de son art et fait la démonstration de ses aptitudes de peintre et d'inventeur. Les élus comme les damnés - sur le panneau central montrant le Jugement dernier et sur les volets montrant respectivement l'accueil au Paradis et l'Enfer révèlent, par leurs postures et leurs expressions, l'éventail complet des émotions humaines. Les raccourcis anatomiques des corps nus, même les plus complexes, sont correctement résolus. Si Memling demeure, par certains motifs, tributaire de Van der Weyden et de son Jugement dernier de Beaune, l'échelle céleste en cristal ou la surface luisante et réfléchissante de l'armure de saint Michel témoignent déjà d'une pratique assidue de l'art de Van Eyck. Achevée au plus tard en 1472, l'œuvre ne parviendra jamais en Italie. Détournée pendant son transport par un corsaire de Gdansk armé par la Hanse en guerre avec l'Angleterre, elle sera installée en l'église Notre-Dame de cette ville (aujourd'hui au Muzeum Narodowe w Gdansku). Même si elle n'a jamais atteint Florence, elle semble avoir fait la renommée de Memling au sein de la nation italienne de Bruges, qui l'a inondé de commandes, notamment des portraits.

40

Hans Memling, Triptyque du jugement dernier (fermé), 1467-1472, huile sur bois. Gdansk, Muzeum Narodowe w Gdar'isku

À partir de 1474 ou 1475, Memling travaille à une impressionnante commande pour l'hôpital Saint-Jean et sa communauté de laïcs, un ensemble unique qui trouve son couronnement dans la célèbre Châsse de sainte Ursule, toujours à son emplacement d'origine. Le Retable des deux saints Jean est destiné à orner le maître-autel de l'église que l'hôpital vient de se faire construire. La brillante composition du panneau central emprunte ouvertement aux œuvres de Van Eyck familières aux Brugeois, et notamment à La Madone au chanoine Joris van der Paele. La Vierge trônant sous un baldaquin de brocart, devant une colonnade en hémicycle, est encadrée par Jean le Baptiste et Jean l'Évangéliste, les saints patrons de l'hôpital, et par sainte Catherine et sainte Barbe. Si le rendu scrupuleux des précieuses étoffes de brocart et du tapis oriental est entièrement dans l'esprit du réalisme eyckien, la décollation du Baptiste pourrait être inspirée d'une invention de Van der Weyden dans son Retable de saint Jean-Baptiste (Gemaldegalerie, Berlin). Le volet droit montre saint Jean l'Évangéliste à Patmos. La représentation circonstanciée de l'Apocalypse, qui anticipe les gravures de Dürer, peut en revanche être considérée comme une formule personnelle. Les principaux motifs en seront copiés par de nombreux peintres flamands. Lartiste signe

fièrement son retable, achevé en 1479, sur le cadre: Opus Iohanni Memling. Probablement le peintre y travaillait-il déjà lorsque des membres de la communauté hospitalière lui ont commandé de petits retables de dévotion privée. Parmi ceux-ci, le triptyque représentant la Nativité (à gauche), l'Adoration des Mages (au centre) et la Présentation au Temple (à droite) - dont la composition doit beaucoup au triptyque de Sainte-Colombe par Van der Weyden (Alte Pinakothek, Munich) - est l'un des joyaux de Memling. Sur cette œuvre commandée en 1479 par Jan Floreins, le maître s'e st également immortalisé par le biais d'une inscription sur le cadre. Un an plus tard, Memling peint pour le frère lai Adriaen Reins un petit triptyque dont le panneau central montre une Déploration. D'aspect plus modeste que le Triptyque de Jan Floreins, cette œuvre s'en rapproche néanmoins par sa conception et son style. Suivra encore, après un certain laps de temps, la commande de la châsse de sainte Ursule, dont Memling est chargé d'exécuter les peintures. D'après l'acte de translation de la châsse, le travail du peintre est terminé en 1489. Ses représentations en miniature de scènes de la vie et du martyre de la sainte en font un fleuron de l'art flamand. Si Memling était enclin à reproduire en de multiples exemplaires ses compositions les plus prisées, la châsse de sainte Ursule lui permet de montrer son originalité. Lartiste s'efforce de rendre ses représentations plus crédibles par leur précision topographique: ses deux vues de Cologne, avec l'église romane Saint-Martin et le chœur gothique de la cathédrale inachevée, sont considérées à juste titre comme deux prototypes de vedute. Contrairement à Petrus Christus et à Gerard David, Memling n'a jamais reçu de commande officielle de la Ville de Bruges. En revanche, il a régulièrement travaillé pour des commanditaires italiens, et nombre de ses retables étaient manifestement destinés à l'exportation vers l'Allemagne ou l'Espagne. Il a également réalisé

pour la suite du texte, voir p. 44

41

~

Les triptyques connaît pas exactement l'application concrète de ces manipulations dans le cadre liturgique, l'extérieur d'un retable est généralement considéré comme sa vision au quotidien, 2

3

alors que l'intérieur est associé aux dimanches ou aux jours de fête. Dans les anciens Pays-Bas, la hiérarchie entre intérieur et extérieur est consciemment soulignée par des différences de coloris et de structure narrative. Sur certains triptyques de

volets peints. Il existe aussi des

Robert Campin et de Jan van Eyck,

nom l'indique, un tableau divisé en

polyptyques, comme en témoignent

déjà, aux revers, les couleurs se

trois parties. Toutefois, au sens strict,

L'Agneau mystique des frères Van Eyck

limitent à un camaïeu de gris - une

on désigne par ce terme un retable à

et Le jugement dernier de Rogier van

grisaille suscitant en trompe-l'œil

volets, composé d'un panneau central

der Weyden à Beaune. Leur structure

l'illusion de sculptures. On a tenté

et de panneaux latéraux mobiles,

les apparente au triptyque, dont

d'expliquer cette palette réduite par

qui peuvent se refermer. En règle

ils proposent en quelque sorte une

la liturgie spécifique au Carême, mais

générale, les volets ont la moitié de

version étendue.

on ne peut guère accorder de portée

Un triptyque est, comme son

la largeur du panneau central. Les

Dans le nord de l'Allemagne et

générale à cette interprétation. En

triptyques conservés sont réalisés

en Westphalie, mais aussi en France,

effet, nombre de triptyques flamands

dans les matériaux et les formats

les retables à doubles volets se

- retables d'églises ou autels privés

les plus variés et selon diverses

rencontrent couramment. Il s'agit de

- présentent des faces extérieures en

techniques. Dans les anciens Pays-

triptyques avec deux paires de volets

couleurs, par exemple ceux réalisés

Bas, les retables à volets sont, à la fin

qui peuvent être fermés séparément.

par Memling pour l'hôpital Saint-

du XIV· siècle, le plus souvent peints

Le Retable de la Passion peint en 1491

Jean de Bruges. Dans d'autres, tel

et/ou sculptés. Ils surmontent les

par Hans Memling pour les Greverade,

le Retable de Sainte-Colombe de

autels des églises ou servent d'autels

une famille de marchands de Lübeck,

Rogier van der Weyden, les revers sont

portatifs, que l'on peut emporter avec

appartient à ce type particulier, usuel

recouverts d'une couche de couleur

soi en voyage. Ces triptyques portatifs,

dans cette ville hanséatique. C'est

neutre, sans figuration. En outre, au

de petit format, sont généralement

également le cas du retable exécuté

revers des petits retables de dévotion

peints. Le petit Triptyque de la

par le Maître de la Légende de sainte

privée apparaissent souvent le blason

Vierge, de 1437, que Jan van Eyck a

Lucie pour la confrérie des Têtes noires

et la devise du commanditaire. C'est

probablement peint pour un membre

de Tallinn.

également le cas du monumental

de la famille génoise des Giustiniani, est un exemple typique de triptyque réservé à un usage privé. Dans les églises, on trouve, outre

L'organisation hiérarchique du

Triptyque de la Passion de Bernaert

triptyque accorde habituellement

van Orley, qui surplombe le maître-

davantage d'importance aux faces

autel de Notre-Dame de Bruges

intérieures qu'aux faces extérieures; le

et dont le revers des volets est

les triptyques peints, des retables de

côté interne est en outre dominé par le

uniquement orné de blasons. Ces

forme mixte, dont la partie centrale

panneau central, où apparaît la scène

insignes n'ont évidemment aucun lien

est sculptée et encadrée par deux

principale de l'œuvre. Même si l'on ne

avec le Carême.

42

Hans Memling, Retable de saint Jean-Baptiste et saint Jean l'Évangéliste, 1479, huile sur bois. Bruges, Hospitaalmuseum

Hans Memling, Triptyque d'Adriaen Reins, 1480, huile sur bois. Bruges, Hospitaalmuseum

43

des retables pour des gildes ou de grandes familles brugeoises, notamment le Triptyque avec saint Christophe, saint Maur et saint Gilles, commandé en 1484 par Willem Moreel pour la chapelle familiale en l'église Saint-Jacques, qui est l'un des tout premiers exemples de portrait de groupe dans l'art des anciens Pays- Bas. C'est essentiellement en tant que portraitiste que Memling a acquis une réputation qui dépasse l'art flamand. Il a ainsi donné une impulsion déterminante à l'art du portrait en Italie. Un tiers de son œuvre connu est constitué de portraits, si l'on comprend les portraits autonomes des donateurs représentés à mi-corps dans ses diptyques et triptyques de dévotion. Memling a joué un rôle capital dans le développement d'un genre initié par Rogier van der Weyden, celui du diptyque représentant le donateur adorant la Vierge à l'Enfant. Le Diptyque de Maarten van Nieuwenhove, daté de 1487, en est sans doute, entre autres par la complexité de son organisation spatiale, l'exemple le plus ambitieux dans la peinture flamande en général. Il illustre remarquablement l'apport novateur de Memling au portrait européen.

Gerard David Après la disparition de Hans Memling, Gerard David devient l'artiste le plus en vue de Bruges. Né en 1455 à Oudewater, près d'Utrecht, et probablement formé à Gouda ou à Haarlem, il se fait inscrire en 1484 comme franc-maître au sein de la gilde de SaintLuc à Bruges, où il travaillera jusqu'à sa mort en 1523, à l'exception d'un voyage en Italie entrepris vers 1505/1506. Peintre sur panneau, David semble avoir également exercé à l'occasion le métier d'enlumineur et entretenu d'étroites relations avec le miniaturiste Simon Bening, auquel ont récemment été attribués quelques tableaux de dévotion imitant son style. Gerard David est élu à deux reprises, en 1488 et en 1495, à la fonction de « tweede vinder » ou deuxième assistant de la corporation, puis, en 1499, à celle de premier assistant, avant d'en devenir le doyen en 1501. En 1507, il rejoint, en même temps que son épouse Cornelia Cnoop, fille d'un orfèvre, la prestigieuse confrérie de Notre-Dame de l'Arbre sec (voir p. 37, Petrus Christus). En 1515, il entre

dans la gilde des peintres d'Anvers, où il ouvre probablement une succursale de son atelier afin de vendre ses œuvres sur le marché local, alors en pleine expansion. Son œuvre comprend une proportion considérable de tableaux de dévotion proposant, avec quelques variations formelles minimes, des thèmes populaires comme Le Repos pendant la fuite en Égypte, La Vierge nourrissant l'Enfant Jésus ou La Déploration du Christ. Ces œuvres n'ont très probablement pas été commandées mais produites pour le marché libre. Aucun des tableaux conservés de Gerard David n'est signé, contrairement à ceux de Van Eyck, Christus et Memling. La reconstitution de son abondante production repose sur deux œuvres dont la paternité est établie par des documents officiels. Il s'agit du diptyque de justice Le Jugement de Cambyse, achevé en 1498 pour la salle des échevins de l'hôtel de ville, et de La Vierge entre les Vierges offert par David en 1509 au couvent de Sion, voisin de son atelier. Ce tableau d'autel, aujourd'hui à Rouen, montre le peintre et son épouse en donateurs, nous offrant ainsi le premier autoportrait attesté d'un Primitif flamand. Lorsque David s'établit à Bruges, l'expérience acquise pendant son apprentissage dans le nord des Pays-Bas est encore toute fraîche. Comme nous l'apprend la littérature artistique du début du siècle, un style paysagiste innovant s'était développé à Haarlem dans le sillage d'Albrecht van Ouwater. Le jeune peintre a été marqué par ce courant, à en juger d'après plusieurs œuvres supposées de jeunesse et antérieures à son arrivée à Bruges, notamment la Crucifixion du Museo ThyssenBornemisza de Madrid, situé vers 1475. Sous l'influence de la peinture de Van Eyck, qu'il étudiera avec acharnement à Bruges, et de celle de Dieric Bouts, il transforme progressivement ses vues et ses personnages pour développer, au plus tard au début du siècle, son propre style de paysages. Caractérisés par leur variété et leur palette froide, ils sont sensiblement différents des compositions panoramiques anversoises de Patinier ou de l'atelier Metsys et ils influenceront à leur tour les peintres brugeois de la génération suivante. Si le triptyque du Baptême du Christ, peint entre 1502 et 1508, est rangé

xvrre

xvre

44

Gerard Da vid, La Vierge entre les Vierges, 1509, hui le sur b ois. Rouen, Musée des Beau x-Arts

parmi ses chefs-d'œuvre, c'est essentiellement en raison de son arrière-plan, un paysage qui fait littéralement plonger le spectateur dans les profondeurs du tableau. Ce triptyque témoigne en même temps de la fascination persistante que la peinture de Van Eyck a exercée sur David, qui a contribué pour beaucoup à la tendance passéiste de la peinture flamande à partir du début du XVIe siècle. Le somptueux brocart brodé de perles de l'ange ou le rendu minutieux de la couronne de sainte Élisabeth font l'effet d'hommages à Van Eyck, qui savait rendre comme nul autre les surfaces les plus complexes des objets. Le Triptyque du Baptême du Christ est une commande du notaire brugeoisJan de Trompes, en mémoire de son épouse Élisabeth van der Meersch, décédée en 1502. Le donateur et son épouse sont représentés, en compagnie de leurs enfants et de leurs saints protecteurs, sur les faces internes des volets. Les revers, peints en 1508, montrent Magdalena Cordier, la seconde épouse du notaire, qui décédera en 15ro, et

sa fille, qui font face à la Vierge et l'Enfant. En 1520, la famille de Trompes fera don du retable à la confrérie des clercs assermentés du tribunal de Bruges, qui l'installera dans la chapelle de Saint-Laurent dans l'église inférieure Saint-Basile, située sous la chapelle du Saint-Sang. Même si l'essentiel de la production de David est manifestement destiné au marché de l'art, il recevra également, tout au long de sa carrière, des commandes importantes, comme le diptyque de la Crucifixion de la part de Bernardinus de Salviatis, chanoine de Saint-Donatien. En 1506, il réalise, à la demande de Vincenzo Sauli, un patricien génois, un monumental retable pour l'abbaye de la Cervara, dans les montagnes ligures. Il a été avancé que le peintre aurait fait spécialement le déplacement jusqu'en Italie pour

p our la suite du texte, voi r p. 48

45

~

Retables, fondations et prestige social

Au XV• siècle, il est d'usage pour

de leurs chapelles est en effet très

Les familles particulièrement

les chrétiens de se soucier de leur

fréquemment laissé aux gildes en

aisées ont la possibilité de fonder

vie après la mort, par le biais d'actes

échange de l'aménagement de l'autel

des chapelles privées ou d'acquérir

commémoratifs ou de commandes

et de l'assurance de veiller à leur

les droits de chapelles existantes,

d'œuvres, en fonction de leurs

propre mémoire.

qu'elles ornent ensuite en déployant

revenus et de leur position sociale. Si les indulgences, par exemple,

Au cours du

xv• siècle, certaines

gildes ouvrent leurs portes aux

un luxe impressionnant. Toutes les grandes églises paroissiales de

étaient accessibles à l'ensemble de

notables, aux marchands étrangers

Bruges abritent ce type de chapelles,

la population, les personnes de statut

et à la noblesse bourguignonne. Ces

souvent associées à de coûteuses

plus élevé disposaient d'autres moyens

confréries, par exemple la gilde des

concessions funéraires. Le Triptyque

pour assurer leur salut.

archers et celle des arbalétriers,

de saint Christophe de Memling, par

placées respectivement sous le

exemple, ornait autrefois l'autel de

organisés en corporations, mais

Les simples artisans sont

patronage de saint Sébastien et

la chapelle privée de Willem Moreel

aussi en gildes. Les premières sont

de saint Georges, poursuivent les

et de son épouse, en l'église Saint-

les structures politiques des divers

mêmes buts que les gildes ordinaires.

Jacques, où le couple établit en 1484

métiers, tandis que les secondes en

Cependant, l'appartenance à une

une généreuse fondation.

constituent le bras religieux. Entre

telle confrérie assure davantage

autres tâches, les gildes - comme par

de prestige et dénote un rang

exemple celle des libraires - veillent

social élevé. Leurs chapelles sont

social plus élevés encore, d'autant

à ce que des messes de requiem

somptueusement ornées. La confrérie

qu'ils nécessitent généralement

Les oratoires privés sont le signe d'une puissance et d'un prestige

soient célébrées devant leur propre

de Notre-Dame de !'Arbre sec,

une dispense papale. Le splendide

autel. Les cotisations des membres

hébergée par l'église des franciscains

oratoire de Louis de Gruuthuse, à

servent notamment à son entretien,

(détruite en 1578), ou celle de Notre-

côté de l'église Notre-Dame, en est

c'est-à-dire la fourniture des cierges

Dame des Neiges, dont la chapelle

certainement l'exemple le plus connu

et des objets liturgiques, mais aussi

se trouvait dans le déambulatoire

et le plus remarquable. Jean Gros,

au placement d'un retable peint ou

de l'église Notre-Dame, comptent

courtisan du duc de Bourgogne,

sculpté et au paiement des officiants.

alors parmi leurs membres Charles

dispose lui aussi de son oratoire

Ces at1tels se dressent souvent

le Téméraire, Isabelle de Portugal,

personnel, attenant à l'église Saint-

dans des chapelles privées des

Giovanni Arnolfini, Petrus Christus,

Jacques, tandis que les Adornes

riches familles brugeoises. L'usage

Hans Memling et Gerard David.

en possèdent un dans leur propre

46

Hans Memling, volets extérieurs avec portraits de donateurs du Retable de saint JeanBaptiste et de saint Jean l'Évangéliste, 1479, huile sur bois. Bruges, Hospitaalmuseum

fondation, l'église de Jérusalem, où se

des messes et des retables pour

trouve également le caveau familial.

affirmer leur puissance. Le portrait du

Sans doute y gardait-on, dans un

donateur, qui joue dans ce contexte

décor fastueux, de précieux livres

un rôle essentiel, occupe une place de

d 'heures et des petits tableaux ou

plus en plus ém inente sur les retables.

diptyques de dévotion que l'on faisait

Parallèlement s'accroissent les

admirer à ses invités.

commandes de portraits autonomes,

Ces chapelles privées et ces

la bourgeoisie en venant ainsi à m imer

oratoires illustrent bien les ambitions

l'orgueil familial et les symboles de

sociales de la bourgeoisie, qui s'aligne

pouvoir de l'aristocratie.

sur le mode de vie et le faste de l'aristocratie. Les familles brugeoises de vieille souche acquièrent ainsi des terres et des biens appartenant

à la noblesse et fondent elles aussi

47

installer le retable, profitant de son séjour pour se familiariser avec l'art italien de son temps. Cela ferait de lui l'un des premiers artistes flamands - avantJoos van Cleve et Quinten Metsys - à avoir été directement influencé par la peinture de la péninsule. Le voyage pourrait également expliquer l'adoption de la technique du sfumato, jusqu'alors inconnue à Bruges, et qui deviendra l'un des traits caractéristiques de l'abondante production des collaborateurs et disciples du maître.

Memorielijst (registre des membres défunts) de la gilde des peintres brugeois. Bruges, Stadsarchief

Les maîtres brugeois anonymes Le registre de la corporation des imagiers et selliers de Bruges reprend des centaines de noms de francs-maîtres. Année après année, les nouveaux maîtres y sont inscrits, de même que les apprentis commençant leur formation dans un atelier de la ville. La gilde tient en outre, à partir de 1450, un registre de ses membres défunts (Memorielijst). Tous ces artistes ne créent pas des tableaux, certains se consacrant spécifiquement aux drapeaux, aux bannières, aux blasons ou à d'autres types de décorations. À côté de ces noms documentés, la production brugeoise du et du début du siècle comprend aussi un nombre

xve

xvre

Maître de la Légende de sa inte Ursule, volets d 'un retable avec des

Scènes de la légende de sainte Ursule et des onze mille vierges, vers 1482, huile sur bo is. Bruges, Groeningemuseum

48

Maître de la Légende de sainte Ursule, Sainte Véronique présentant le suaire, vers 1495, huile sur boi s. Bruges, Groeningemuseum

considérable de tableaux dont l'auteur est inconnu. Parmi ces œuvres, certaines présentent des similitudes stylistiques - mêmes types de figures, de physionomies ou de paysages - qui permettent de les distinguer des tableaux de maîtres bien identifiés ou des réalisations totalement anonymes. Ces «familles» d'œuvres peuvent être attribuées à un même artiste, auquel la critique donne un nom d'emprunt, généralement celui de son œuvre la plus significative. Le Maître de la Légende de sainte Ursule et le Maître de la Légende de sainte Lucie, ainsi nommés d'après leurs œuvres majeures respectives, toujours conservées à Bruges, sont deux de ces maîtres anonymes. Actifs à Bruges dans le dernier quart du XV• siècle, ces contemporains de Memling ont créé comme lui, avec l'aide de leurs collaborateurs, des tableaux d'autel, des tableaux de dévotion et des portraits. Les œuvres du Maître de la Légende de sainte Ursule ont été réalisées entre 1475 et 1500, celles du Maître de la Légende de sainte Lucie plutôt entre 1480 et peu après 1500. Il a récemment été suggéré d'identifier les deux maîtres anonymes - qui seraient respectivement Pieter Casenbroot et Frans vanden Pitre - qui figurent tous deux dans les registres de la corporation mais ces propositions restent sujettes à caution. La légende de sainte Ursule et des onze mille vierges est racontée en huit scènes sur deux panneaux (Groeningemuseum) provenant du couvent des Augustines de Bruges, aussi appelées les Sœurs noires de Bethel. Les revers en grisaille représentent, à gauche, les quatre Évangélistes; à droite, les quatre Pères de l'Église latine. Debout sur des socles et placées devant des niches, les représentations donnent l'illusion de statues. Sur les faces internes des deux petits volets qui couronnent l'ensemble apparaissent des personnificati0ns allégoriques de l'Église et de la Synagogue et, au verso, une Annonciation en grisaille. Les deux panneaux, exécutés vers 1475 ou 1480 par le maître et son atelier, constituaient jadis les volets d'un retable dont la partie centrale, désormais perdue, devait être sculptée. Avec un goût prononcé pour le détail narratif, l'atelier du maître a respecté l'ordre chronologique de la légende, sur fond de vues urbaines très précises quoique fictives. Les personnages curieusement allongés et les éléments d'architecture sont quelque peu schématiques, et les scènes conservent une certaine naïveté, surtout si on les compare aux œuvres narratives de Memling. Les grisailles, au revers des volets, sont mieux réussies. Malgré leur aspect ramassé, elles témoignent d'un sens du volume et du modelé qui se retrouve dans les meilleurs tableaux du Maître de la Légende de sainte Ursule. Cet artiste semble avoir

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joui d'une certaine réputation, puisqu'on relève parmi ses commanditaires quelques familles florentines aussi exigeantes que les Portinari ou les Pagagnotti et certaines de ses œuvres ont été exportées en Italie. ü:euvre-clé du Maître de la Légende de sainte Lucie se trouve aujourd'hui en l'église Saint-Jacques, où sa présence n'est toutefois attestée qu'à partir de 1847. Le panneau - qu'une inscription date de 1480 - représente trois scènes, telles qu'elles sont décrites dans la Légende dorée, célèbre recueil hagiographique compilé au XIIIe siècle par Jacques de Voragine. À gauche, on voit Lucie, à côté de sa mère miraculeusement guérie, distribuant avec gratitude ses richesses à des mendiants et pèlerins; au centre, son fiancé délaissé la dénonce comme chrétienne; à droite, enfin, on assiste aux vains efforts des attelages de bœufs pour conduire Lucie vers son châtiment. Toute la légende n'est pas illustrée; les autres épisodes, dont le martyre, devaient être traités sur un deuxième panneau désormais perdu. Malgré le blason figurant sur le tableau, son commanditaire n'a pas encore pu être identifié. Le tableau présente les principales caractéristiques de ce maître, dont l'œuvre révèle l'influence d'Hugo van der Goes. Les physionomies

restent très schématiques: les carnations des femmes sont claires et lisses, et les traits des hommes grossiers. Les corps restent raides et gauches, les scènes statiques. Le Maître de la Légende de sainte Lucie se caractérise également par l'usage d'un coloris dur et contrasté, et par la manière presque ornementale de rendre la végétation. À l'arrière-plan, cet artiste place souvent des vues de Bruges, l'état d'avancement du beffroi servant même de référence pour la datation de ses œuvres. Un retable du Groeningemuseum représentant saint Nicolas provient également de l'atelier du Maître de la Légende de sainte Lucie. La vue de Bruges, où l'on reconnaît la tour de Notre-Dame et le beffroi, a permis de dater l'œuvre de 1501. Cette figure de saint en trône, dont la solennité est accentuée par la richesse des vêtements et des étoffes, fait songer à celles qui ont abondé dans la peinture espagnole, dans le sillage de Bartolomé Bermejo. Le Saint Nicolas résulte sans doute du goût d'un mécène espagnol, peut-être un marchand de laine. Ce n'est pas la seule commande reçue de marchands étrangers. À la demande d'un membre de la famille Baldovini de Pise, il a également

Maître de la Légende de sainte Lucie, Saint Nicolas, vers

1501,

huile sur bois. Bruges, Groeningemu seum

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Maître de la Légende de sainte Lucie, Sainte Catherine, vers 1490, huile sur bois. Pise, Museo Nazionale di San Ma tteo

représenté une monumentale sainte Catherine d'Alexandrie sur le panneau central du triptyque du couvent de San Domenico - les peintures latérales étant l'œuvre d'un atelier local. Quant à son œuvre la plus imposante, le Retable de la gilde des Têtes noires une association de marchands célibataires de Tallinn -, elle n'a pour sa part pas quitté la capitale estonienne. Le Maître des Scènes de la Passion de Bruges tient son nom de cette œuvre monumentale conservée dans le trésor de l'église Saint-Sauveur. Linscription sur le panneau mentionne l'année 1500. Ce retable avec le Portement de Croix, la Crucifixion et la Déploration se distingue par la multitude de ses références à des modèles plus anciens, notamment des compositions ou des thèmes de Memling, David ou Robert Campin. Ce maître éclectique, dont on ne connaît que deux autres tableaux, séduit surtout par son savoir-faire technique et son habileté. Il s'est inspiré du Portement de Croix du triptyque de la Passion de Memling (Lübeck), il a emprunté la Descente de Croix à une œuvre perdue de Robert Campin qui se trouvait probablement à Bruges, tandis que Gerard David lui a donné son modèle pour la Déploration. Les scènes du Maître de la Passion de Bruges étaient ancrées dans la tradition locale, mais avec sa technique et son talent de peintre, elles sortaient de la moyenne. Le peintre, indubitablement formé à Bruges, a sans doute quitté la ville peu de temps après.

Maître de la Légende de sainte Lucie,

Retable de la gilde des Têtes noires, vers 1490, hu ile su r boi s. Tallinn, Eesti Kunstimuuseum, Niguliste

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Maître du Sa int-Sang, Vierge à /'Enfant avec sainte Catherine et sainte Barbe, vers huile sur bois. Bruges, Groeningemuseum

Le Maître du Saint-Sang pourrait par contre avoir suivi sa formation à Anvers. En effet, les quelque trente œuvres qui lui sont attribuées révèlent pour la plupart l'influence de Quinten Metsys, tant dans leur composition et leur coloris que dans le traitement des visages. Les splendides vues se déployant à l'arrière-plan montrent également des similitudes évidentes avec la peinture de paysage anversoise du début du XVIe siècle. Trois œuvres du maître anonyme suggérant une origine brugeoise, on suppose qu'il a établi un atelier dans cette ville peu après 1500. Il s'agit du triptyque de la Vierge à /'Enfant avec sainte Catherine et sainte Barbe du Groeningemuseum, qui est à l'origine une commande de Jan van Cattenbrouck et de son épouse Jossine Lamsins pour leur autel en l'église Saint-Donatien (la figure du donateur et son blason ont été repeints après sa mort en 1529); du Triptyque de la Déploration commandé pour sa part par la confrérie brugeoise du Saint-

1510-1520,

Sang pour leur chapelle (l'actuel Musée du SaintSang) - d'où le maître tire son nom -, et enfin du Triptyque de la Glorification de la Vierge de l'église Saint-Jacques, initialement destiné au couvent des frères mineurs de Bruges. Pour cette commande de choix - son œuvre la plus significative -, . il s'est appuyé sur des modèles brugeois plus anciens, notamment Hans Memling et Petrus Christus. Néanmoins, la plupart des œuvres du Maître du Saint-Sang n'ont pas été réalisées sur commande et semblent avoir été exécutées pour être vendues sur le marché de l'art, qui connaissait depuis la fin du siècle une expansion fulgurante.

xve

Ambrosius Benson, Adriaen lsenbrant et Albert Cornelis Le litige porté en février 1519 devant le tribunal échevinal de Bruges, opposant les peintres Gerard David et Ambrosius Benson, jette un éclairage intéressant sur la production artistique du début du

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Maître d u Sa int- Sang, Triptyque de la Déploration, vers 1510-1520, huile sur bois. Bruges, Museum van de Edele Confrérie van het Heilig Bloed

XVI• siècle. Originaire de Lombardie, Benson s'est établi dans la ville flamande en 1517 ou 1518, travaillant initialement comme assistant dans l'atelier de David, en échange du gîte et du couvert. Mais, dans l'idée sans doute de s'inscrire comme franc-maître auprès de la corporation, le Lombard a quitté l'atelier du maître avant la date convenue, y laissant deux malles, confisquées par David en guise de dédommagement. Benson en réclamant la restitution, leur contenu a été consigné par le tribunal. On y trouve divers modèles et esquisses liés à la peinture sur panneau et à l'enluminure, un carnet de motifs de têtes et de nus, plusieurs tableaux pour partie inachevés et des couleurs, mais aussi une série de patrons provenant de l'atelier d'Adriaen Isenbrant mais qui sont la propriété de Benson, ainsi que d'autres modèles empruntés à Albert Cornelis. Le procès, qui se déroule dans une atmosphère surchauffée - David sera brièvement emprisonné en 1520 - se clôt sur un compromis: David restitue les malles et Benson, devenu entre-

temps franc-maître, s'engage à travailler un jour par semaine gracieusement dans l'atelier de David. La production des successeurs et suiveurs de Gerard David à Bruges confirme ce que les pièces du procès laissent entendre : entre les ateliers circulent non seulement les modèles de compositions et les carnets d'esquisses, mais aussi les collaborateurs qui n'hésitent pas à se rendre jusqu'à Anvers. Il est même désormais usuel qu'un peintre fasse exécuter par un autre trente ou quarante copies d'une de ses compositions, pour les proposer ensuite lui-même sur le marché libre. D'innombrables versions de la Vierge à l'Enfant, de la Crucifixion, du Repos pendant la fuite en Égypte ou de la Pietà, réalisées à Bruges au XVI• siècle, nous sont ainsi parvenues, se différenciant moins par leur composition, généralement empruntée à David, que par leur qualité extrêmement variable. Une série d'œ uvres de grande qualité, reprenant des motifs et des compositions de l'atelier de David, est vraisemblablement en rapport avec le monumental

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Couronnement de la Vierge - dont les volets sont perdus - présente d'étroites affinités stylistiques avec l'œuvre d'Isenbrant. Même s'il s'agit d'une des rares Le volet gauche de ce retable datant de 1521 - le œuvres de la peinture brugeoise du XVIe siècle dont portrait du donateur - est conservé à Bruxelles, l'identité du commanditaire comme celle du peintre tandis que le volet droit, qui représente la Vierge sont attestées par des documents d'archives, une des Sept Douleurs, n'a pas quitté son lieu d'origine, grande partie du tableau - par exemple le chœur des l'église Notre-Dame de Bruges. On y voit la Vierge en deuil devant une niche de marbre ornementée de anges - ne semble pas avoir été exécutée par Albert Cornelis lui-même - dont on ne connaît d'ailleurs style Renaissance, autour de laquelle se déploient des registres architectoniques montrant les Sept Douleurs aucune autre œuvre - mais sous-traitée par ses soins à un autre maître, peut-être Adriaen Isenbrant. Les - de la circoncision à la déposition du Christ. Tandis sources sont une nouvelle fois des actes procéduraux que la Vierge reproduit un type développé par David, les scènes qui l'encadrent s'inspirent en outre du tribunal échevinal de Bruges. La gilde de Saintde modèles d'estampes de Martin Schongauer et François a en effet attaqué Cornelis en justice pour n'avoir pas livré l'œuvre dans les temps, mais aussi di\.lbrecht Dürer. Les œuvres attribuées à Isenbrant se caractérisent pour ne pas avoir, contrairement aux accords, exécuté entièrement de sa main les scènes principales. Si le par des couleurs chaudes et intenses, et un délicat tribunal a accordé un délai à l'artiste, il a bel et bien été sfumato italianisant, que l'on retrouve notamment condamné à repeindre les scènes en cause. dans le Portrait de Paulus de Nigro, daté de 1518, du Les œuvres di\.mbrosius Benson (actif en 1518, Groeningemuseum. Commandé en 1517 à Albert Cornelis (actif en t 1550) sont étroitement apparentées, par leur coloris et leur sfumato prononcé, à celles d'Isenbrant et de 1513, t en 1531) par la gilde de Saint-François - qui regroupe les tondeurs de laine - pour embellir sa Cornelis, mais elles s'en distinguent stylistiquement chapelle en l'église Saint-Jacques, le gigantesque par ses puissants effets de clair-obscur liés sans doute aux origines lombardes du peintre. Le Groeningemuseum possède sept œuvres de Benson, dont l'une est essentielle pour la reconstitution de sa carrière. Cette Sainte Famille avec saint JeanBaptiste enfant est un des deux tableaux signés du monogramme AB, qui a permis d'identifier Benson. C'est aussi sa première œuvre datée. Basée sur une composition d'Andrea del Sarto, elle a été exécutée en 1527, dix ans à peine après l'arrivée du peintre à Bruges. Il semble que, à partir des années 1530, Benson se spécialise dans la réalisation de tableaux de dévotion ainsi que de retables destinés à l'exportation vers l'Espagne, dont beaucoup continuent à orner les autels de plusieurs monastères. Le peintre a également sa place parmi les grands portraitistes brugeois, comme en témoigne le Portrait d'Otho Stochoven, daté de 1542, considéré comme l'une de ses dernières œuvres. Diptyque de Joris van de Velde et hypothétiquement lié au nom di\.driaen Isenbrant (actif en 1510, t 1551).

Adriaen lsenbrant, Portrait de Paulus de Nigro, 1518, huile sur bo is. Bruges, Groeningemuseum

Jan Provoost Originaire de Mons, dans le Hainaut, Jan Provoost souffre - injustement - de l'ombre laissée

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Ambro siu s Benson, La Sainte Famille avec saint Jean-Baptiste, 1527, huile sur bois. Bru g es, Groeni ngemuseum

Ambrosiu s Benson, La Sainte Famille aux noix, vers 1535/ 4 0, huile sur bois . Bru g es, Groeni ngemuseum

par son illustre contemporain Gerard David. Sa peinture est moins enracinée dans la tradition brugeoise que celle de son concurrent, au point même de paraître étrange, à l'image de son énigmatique représentation de I:Avare et la Mort sous la forme d'une scène de genre. De toute évidence, personne ne s'en formalise alors puisque d'importantes commandes lui sont constamment confiées. Deux de ses œuvres sont attestées par des documents officiels permettant ainsi la reconstitution de sa production. Il s'agit notamment de son Jugement dernier - achevé en 1525 pour la salle des échevins de l'hôtel de ville de Bruges. Né vers 1465, Provoost apprend son métier dans l'atelier paternel, à Mons. Vers 1480, il part travailler chez le célèbre enlumineur Simon Marmion, à Valenciennes, où il semble avoir occupé un rôle de

premier plan dans la production de peintures sur panneau. À la mort de son maître, en 1489, Provoost épouse sa veuve, Jeanne de Quaroube, devenant ainsi l'un des héritiers de l'atelier. En 1493, il s'installe à Anvers, où il se fait membre de la gilde de SaintLuc. Lannée suivante, il s'inscrit comme franc-maître dans la corporation des peintres de Bruges. Comme David, Provoost participe activement, à partir de 1501, à l'administration de la corporation. Il en devient successivement le vinder ou assistant du doyen, puis doyen. On peut supposer qu'il a maintenu ses deux ateliers, l'un à Anvers et l'autre à Bruges, ce qui pourrait expliquer pollinisations croisées avec Metsys. En 1521, il rencontre Dürer à Anvers, qu'il accompagne ensuite à Bruges, où il l'héberge et lui fait découvrir la ville.

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Ja n Provoost, L'Avare et la Mort, vers

1515- 1521,

La Crucifixion du Groeningemuseum compte parmi les plus anciennes œuvres conservées de Provoost. La vue de Jérusalem, à la différence de celles de Gerard David, est d'une exactitude topographique stupéfiante. Selon la dernière hypothèse en date, le tableau, réalisé entre 1505 et 15ro, serait le panneau central d'un retable qui ornait l'autel de sainte Catherine d'Alexandrie, dans le chœur principal de l'église de Jérusalem. Fière gardienne d'une relique de la Sainte Croix, cette église abritait le lieu de

huile sur bois. Bruges, Groeni nge mu seu m

rassemblement de la confrérie brugeoise des Pèlerins de Jérusalem, dont Provoost devient membre en 1523 avant d'en devenir le régent en 1527. Daté de 1522, le diptyque, qui montre le Portement de Croix et un franciscain en prière, est l'une des rares œuvres où se perçoit indirectement l'influence de M armion : la représentation du Portement en demi-figure, l'une des toutes premières, n'est pas sans rappeler les cadrages audacieux utilisés par son maître pour renforcer l'effet dramatique de

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Jan Provoost, Portement de croix et portrait d'un frère mineur et revers du diptyque avec un memento mori, 1522, huile sur bois. Bruges, Hospitaalmuseum

ses miniatures. Le rébus au revers, avec un crâne dans une niche, invite au voyage dans l'univers spirituel des humanistes brugeois. Avec son jugement dernier, peint entre 1520 et 1525 pour la Ville de Bruges, Provoost livre à nouveau une version atypique de l'iconographie traditionnelle, qui semble déjà puiser dans l'univers formel de Jérôme Bosch. On y voit notamment des prêtres précipités dans les flammes de l'enfer, image qui ne pouvait manquer de faire scandale. Lorsque Charles

Quint, en avril 1550 - au plus fort des conflits de la Réforme - interdira par décret dans ses territoires de Bourgogne toute représentation choquante de l'état monastique, le conseil municipal priera aussitôt le peintre Pieter Pourbus de repeindre les parties litigieuses du tableau.

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Les Primitifs flamands en dehors de Bruges La concentration relativement dense d'agglomérations urbaines et une infrastructure bien développée d'axes fluviaux et routiers transcontinentaux ont largement contribué à l'épanouissement des arts dans les PaysBas bourguignons du XVe et du début du XVIe siècle. Si Bruges, ville cosmopolite et plaque tournante du commerce international, est un important foyer culturel, il existe cependant d'autres centres artistiques dans les anciens Pays-Bas. Tournai Dans le sud-ouest, en Hainaut et en Artois, ces villes d'art sont Tournai, Arras et Valenciennes. Outre le fait d'être un important centre ecclésiastique, l'ancienne ville épiscopale de Tournai - une enclave française dans les Pays-Bas bourguignons - est en plein essor économique et culturel. l'.Escaut la relie directement à des grandes villes flamandes et brabançonnes comme Gand, Audenarde ou Anvers, avec lesquelles elle entretient d'intenses échanges culturels. Associés dès 1365, les peintres et les orfèvres tournaisiens se joignent, en 1404, aux sculpteurs pour fonder la corporation des « sculpteurs et imagiers ». À Tournai, Robert Campin, le premier des grands Primitifs flamands, dirige un vaste atelier. De nombreux documents font état de commandes prestigieuses reçues entre 1406 et 1438 de la part des édiles, des corporations et des institutions ecclésiastiques de la ville. En raison de similitudes stylistiques avec les tableaux de Rogier van der Weyden et de Jacques Daret - ses disciples les plus marquants - , on attribue aujourd'hui à Campin une série d'œuvres longtemps groupées sous le nom d'emprunt du « Maître de Flémalle » - l'abbaye de Flémalle étant le lieu d'origine présumé des panneaux conservés au Stade! Museum de Francfort-sur-le-Main. Les nombreuses copies de ses compositions, mieux encore que ses œuvres reconnues, montrent que sa renommée débordait largement les frontières de Tournai. La période de création de Campin, qui couvre une trentaine d'années, rend particulièrement bien compte du développement prodigieux de la peinture sur panneau flamande dans le premier tiers du xve siècle. Les attributions à Campin restent un sujet de controverse.

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Robert Campin (M aître de Flémalle), Nativité, ve rs 14 35, huile su r bois. Dijon, Musée d es Bea ux-Arts

Le Triptyque de la Mise au tombeau (The Samuel Courtauld Trust, The Courtauld Gallery, Londres ), généralement donné comme une œuvre de jeunesse, rappelle encore, par son coloris et son fond doré ornementé, les tableaux de Broederlam, même si l'espace pictural est plus clairement défini. Les figures de l'arrière-plan sont nettement plus petites que ceux du premier plan, dont les postures complexes traduisent les émotions, entraînant le spectateur dans le récit. Sans doute exécutée vers 1435 pour la chartreuse de Champmol, près de Dijon, la Nativité (Dijon) attribuée à Campin montre les progrès considérables accomplis dans le rendu de l'espace et du paysage. La scène s'inscrit dans un panorama à l'horizon élevé dont les couleurs deviennent plus pâles et plus floues au fil de leur éloignement. l'.utilisation de cette perspective dite atmosphérique - que Campin a probablement empruntée, tout comme l'étonnante richesse de détails de son tableau, à la peinture des Van Eyck - compte parmi les innovations majeures

des Primitifs flamands. Une rencontre au moins est attestée entre Jan van Eyck et Campin: en 1427, la gilde tournaisienne de Saint-Luc organise, le jour de la fête de son saint patron, un banquet en l'honneur de Jan van Eyck auquel participe Campin, qui semble en outre avoir eu des commanditaires à Bruges. Un de ses chefs-d'œuvre aujourd'hui disparu, un triptyque ayant pour thème la Descente de Croix - dont il ne subsiste que le panneau représentant le mauvais larron (Stade! Museum, Francfort-sur-leMain) - devait se trouver au XVe siècle dans une église de la ville, car la composition en fut plusieurs fois reprise dans la peinture brugeoise. Une copie de format réduit aurait fait partie d'une donation faite en 1467 par le notable brugeois Jan de Coninck à l'hôpital Saint-Julien, et plusieurs motifs se retrouvent sur le panneau de la Crucifixion du Maître des Scènes de la Passion de Bruges.

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Robert Campin (Maître de Flémalle), Triptyque de la Mise au tombeau(« Triptyque Seilern »), vers 1425, huile sur bois. Londres, The Samuel Courtauld Trust, The Courtauld Gallery

D'après Robert. Campin (Maître de Flémalle), Crucifixion avec donateurs, seconde moitié du xv• siècle, huile sur bois. Bruges, Trésor de la cathédrale Saint-Sauveur

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Simon Marm ion, Scènes de la vie de saint Bertin, 1459, huile su r bois. Berli n, Sta a tliche M usee n zu Berlin - Sti ft un g PreuBischer Kulturbesitz, Gemiildeg alerie

En Artois En Artois, le principal centre artistique est Arras, dont la production semble toutefois avoir été éclipsée par l'école de Tournai autour de Campin. C'est à Arras que choisit de s'installer l'un de ses disciples, Jacques Daret, qui y reste actif dans la seconde moitié du XVe siècle. Les panneaux du Retable de la Vierge, provenant de l'abbaye de Saint-Vaast près d'Arras, sont considérés comme son œuvre maîtresse, dont il subsiste quatre panneaux répartis dans diverses collections. Lœuvre a été a admirée en 1435 par les délégués participant aux pourparlers de paix entre la France et la Bourgogne, parmi lesquels le cardinal Niccolè Albergati, dont Jan van Eyck a réalisé le portrait à la même époque. Le retable de Saint-Vaast aurait apparemment fait connaître Daret à la cour de Bourgogne. C'est ainsi qu'e n février 1454, il participe aux décorations du fameux Banquet du Vœu du faisan à Lille organisé par Philippe le Bon. En 14681 à Bruges, il prend part avec ses assistants à la réalisation des décors éphémères pour les noces de Charles le Téméraire et M arguerite d'York. Son œuvre commence seulement à sortir de l'ombre de Campin et de Van der Weyden alors qu'il a pourtant exercé, depuis son atelier d'A rras,

une influence considérable sur l'enluminure et la sculpture en Artois. Comme Tournai, Valenciennes est, dès le XIVe siècle, un important fo yer artistique. André Beauneveu y est né, et il est probable que Campin y a appris les bases de son métier. Mais il faut attendre le milieu du xve siècle pour voir y apparaître un artiste dont la renommée, tant d'enlumineur que de peintre sur panneau, franchira les frontières régionales. Issu d'une famille de peintres originaire d'A miens, Simon Marmion s'établit à Valenciennes avant 14581 y prenant une part active dans la fondation de la gilde de SaintLuc. Marmion, que le chroniqueur Jean Lemaire de Belges qualifia de« prince des enlumineurs», compte parmi les grands innovateurs de la miniature flamande. Il semble avoir été le premier à utiliser le cadrage comme vecteur dramatique de scènes narratives (La Flora, Biblioteca Nazionale di Napoli) . Bien que son atelier se trouve à Valenciennes, Marmion s'affilie en 1468 à la corporation des peintres de Tournai. Il semble avoir en outre collaboré régulièrement avec les miniaturistes les plus en vue de Bruges et de Gand. Les volets du retable de l'abbaye SaintBertin de Saint-Omer (Gemaldegalerie, Berlin),

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Hug o va n der Goes, Adoration des Mages(« Retable de Monforte »), vers 1470, huile su r bois. Berlin, Staatliche Museen zu Berlin - Stiftun g Preuf3ischer Kulturb esitz, Geméi ld ega lerie

commandés par Guillaume Fillastre, évêque de Verdun, Toul et Tournai, constituent son œuvre maîtresse en tant que peintre. En la matière, il paraît d'abord influencé par Memling et Bouts. Le diptyque de dévotion conservé au Groeningemuseum, représentant une Mater Dolorosa et un Christ de Douleurs, reproduit une formule iconographique développée par Marmion. Bien que produit par un atelier bruxellois, le tableau se caractérise par sa précision et sa grande qualité. Originaire de Mons, Jan Provoost ( voir pp. 54-57) a sans doute été l'un des principaux collaborateurs de l'atelier de Marmion. Après la mort du maître, il épousera sa veuve, une pratique nullement inhabituelle pour un compagnon. Il accède ainsi à la direction de l'atelier, qu'il semble avoir fermé après l'ouverture de ses ateliers d'Anvers et de Bruges.

Gand Dans la Flandre du XVe siècle, Gand s'élève au rang de centre artistique influent, Lille et Ypres ne jouant plus qu'un rôle de second plan. Nos connaissances de la peinture gantoise restent pourtant étonnamment lacunaires. Seuls les noms de peintres figurant dans des documents officiels témoignent encore d'une

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production florissante, quoique de qualité moindre que celle de Bruges. En réalité, durant la seconde moitié du XVI• siècle, les iconoclastes ont détruit d'innombrables retables gantois. Nous savons néanmoins que Lieven van den Clite a peint, en 1413, un jugement dernier pour l'hôtel de ville de Gand, et qu'Hubert van Eyck est mort dans cette ville en 1426 pendant qu'il travaillait au polyptyque de I:Agneau mystique, achevé par son frère cadet en 1432 ( voir pp. 24-27 ). Il est impossible de déterminer avec certitude les parts respectives des deux frères dans cette œuvre fondatrice de la peinture primitive flamande, et tous les efforts pour retrouver d'autres œuvres d'Hubert van Eyck sont restés vains. Il faut ensuite attendre le milieu du XV• siècle pour rencontrer deux artistes majeurs,Juste de Gand (Joos van Wassenhove) et Hugo van der Goes, dont les œuvres donnent une idée de l'éclat artistique atteint par la plus grande ville de Flandre. Le Triptyque du Calvaire, dans la crypte de Saint- Bavon, a été attribué àJoos van Wassenhove et daté d'avant son départ pour l'Italie, où il travaillera à la cour du duc d'Urbino

Federico da Montefeltro. Le triptyque révèle un remarquable coloriste indépendant et un paysagiste novateur qui a dû être très familier de la peinture de Dieric Bouts. À l'image de Jan van Eyck ou de Rogier van der Weyden, Hugo van der Goes a exercé une influence bien au-delà de Gand et même des anciens Pays-Bas. Né vers 1430, il rejoint la gilde de la ville en 1467. Ses clients sont issus de la bourgeoisie, du clergé et de l'aristocratie. Ses relations avec Bruges ne se limitent pas à une influence artistique - qui s'exerce alors sur le Maître de la Légende de sainte Lucie ou le Maître des Scènes de la Passion de Bruges - puisqu'il travaille aussi pour la communauté des marchands italiens et sans doute d'autres clients. Lors de son séjour à Bruges en 1521, Dürer s'extasie devant une de ses œuvres présentée en l'église Saint-Jacques. Probablement s'agissait-il d'un triptyque avec une descente de Croix réalisé vers 1475 pour Jacob Biese, dont la chapelle funéraire se trouvait dans l'église. Le Retable de /Adoration des Mages (ou« retable de Monforte », Gemaldegalerie,

Hugo van der Goes, Adoration des bergers(« Triptyque Portinari»), vers 1477-1478, huile sur bois. Florence, Galleria degli Uffizi

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Rogier van der Weyden (atelier), Diptyque de la Crucifixion, ve rs 1460, hu ile sur bois. Philadelphia Museum of Art, The John G. John son Collection

Berlin), trahit pour sa part une connaissance certaine de la peinture de Van Eyck. Van der Goes choisit cependant un cadrage audacieux qui ajoute à la monumentalité de la composition. Le Triptyque de /Adoration des bergers - une commande de Tommaso Portinari pour sa chapelle familiale à Santa Maria Novella (désormais aux Uffi.zi) qui fait fureur dès son installation à Florence - montre l'évolution extrêmement rapide de son art dont le paroxysme est atteint avec la Mort de la Vierge. Ce chef-d'œuvre aux

couleurs estompées a probablement été commandé par l'abbé Jan Crabbe pour la fondation brugeoise de l'abbaye des Dunes de Coxyde. L'expressivité exacerbée de ses peintures tardives semble être le résultat de la profonde piété de l'artiste qui a souffert d'une grave dépression durant les dernières années de sa vie, cherchant en vain la paix intérieure dans l'isolement du Rouge-Cloître, au cœur de la forêt de Soignes, près de Bruxelles.

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Rogie r van der Weyden, La Descente de Croix, vers 14 35-1 438, huile sur bois. Madrid, Museo Naciona l d el Pra do

Le duché de Brabant Dans le duché de Brabant, le pôle d'attraction culturel est Bruxelles. Enrichie par l'industrie drapière, la capitale est un important centre artistique dès le XIVe siècle. Le rayonnement de la sculpture brabançonne, en particulier, s'é tend alors jusqu'en Flandre et en pays rhénan. Comme en témoigne une intense exportation, les sculpteurs bruxellois conserveront leur prééminence jusqu'au xvre siècle. En 1430, lorsque la branche cadette brabançonne de la maison de Bourgogne s'éteint à la mort de Philippe IV, le duché échoit à Philippe le Bon. Le palais du Coudenberg devient bientôt l'une des résidences

favorites du duc de Bourgogne. Sa présence régulière et celle de sa cour contribuent pour beaucoup à l'efHorescence culturelle que connaît Bruxelles au xve siècle. Rogier van der Weyden est sans conteste l'artiste le plus éminent de la cité. N é en 1399 à Tournai, il y est formé dans l'atelier de Robert Campin, avant d'ê tre nommé, en 1435, peintre officiel de la Ville de Bruxelles. C'est à ce titre qu'il réalise les légendaires tableaux de justice de l'hôtel de ville. Ces œuvres, dont les contemporains, entre autres Nicolas de Cues, faisaient déjà l'éloge, ont été détruites lors du bombardement de 1695 par les Français.

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Elles représentaient la Justice de l'empereur romain Trajan et celle d'Herkenbald, magistrat légendaire de Bruxelles, et servaient, comme tous les panneaux analogues que l'on accrochait alors fréquemment dans les salles du conseil des anciens Pays-Bas, d' exempla iustitiae, censés rappeler leur devoir de justice impartiale aux échevins. On connaît ce cycle impressionnant par une tapisserie qui faisait partie du butin pris aux Bourguignons par les confédérés suisses et qui se trouve aujourd'hui à Berne. La monumentale Descente de Croix réalisée pour la gilde des arbalétriers de Louvain compte parmi les premières œuvres connues de Van der Weyden, aujourd'hui au Prado, à Madrid. Dans cette composition, le peintre condense de manière particulièrement saisissante l'idée de la «compassion», la disposition parallèle des corps du Christ mort et de la Vierge tombant en pâmoison illustrant à elle seule le principe de l' imitatio Christi. Le tableau est conçu comme un trompe-l'œil imitant un retable sculpté, les

personnages donnant, par un puissant effet plastique, l'illusion de sculptures polychromes. Van der Weyden surpasse déjà de loin, dans cette œuvre, l'art tournaisien. À partir du répertoire formel de Campin, il développe ses propres motifs, qui domineront les œuvres de l'école de Bruxelles jusqu'au XVI• siècle et trouveront un écho au-delà des Pays-Bas, dans toute l'Europe, que ce soit dans la peinture, le dessin ou la sculpture. Dans ses portraits, Van der Weyden s'inscrit également dans la filiation de Robert Campin, mais aussi de Jan van Eyck. Alors qu'il n'a jamais été attaché à la cour, la plupart des portraits connus des ducs de Bourgogne remontent aux modèles de sa main, désormais perdus. Le diptyque de dévotion privée constitué d'une représentation de la Vierge à mi-corps et du portrait du donateur est sans conteste à ranger parmi ses inventions les plus marquantes. Memling, son disciple, développera cette formule dans son magistral

Dieric Bouts, Retable du Saint- Sacrement, 1464-1467, huile sur bois. Louvain, église Saint-Pierre

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Diptyque de Maarten van Nieuwenhove, peint à

rappelle Piero della Francesca. Bouts est, avec Petrus Christus, le premier peintre flamand à appliquer à Bruges en 1487. Il est plus que probable que Rogier Van der ses vues intérieures la perspective géométriquement correcte, qui commençait alors à se répandre en Weyden et Jan van Eyck se sont rencontrés. Le Italie. La Dernière Cène, qui constitue le panneau peintre de la Ville de Bruxelles dut, comme Campin, central d'un retable exécuté entre 1464 et 1467 pour la rencontrer le peintre de la cour bourguignonne à Tournai, à la fête de Saint-Luc, en 1427, mais il y a confrérie du Saint-Sacrement de Louvain, se déroule vraisemblablement eu d'autres occasions. Son Saint dans un intérieur dont les lignes de fuite convergent vers un point particulièrement significatif, l'hostie Luc dessinant le portrait de la Vierge, qui a sans doute orné l'autel de la gilde de Saint-Luc de Bruxelles présentée par le Christ. (Museum of Fine Arts, Boston), se réfère en tout cas Les historiens de l'art attribuent à Bouts la clairement à La Vierge au chancelier Rolin de Jan van paternité du premier portrait avec une fenêtre Eyck (Louvre, Paris). donnant sur un paysage, mais on retiendra plutôt son Le Groeningemuseum a acquis, il y a quelques apport majeur, reconnu par la critique dès la fin du décennies, une des copies de ce tableau de Rogier. XVIe siècle, au développement du paysage en général. Cette réplique d'excellente qualité n'est pas de la main Le Triptyque du Martyre de saint Hippolyte est l'une de d'un des épigones connus du maître - le Maître de la ses œuvres tardives, resté inachevée à sa mort en 1475. Légende de sainte Catherine, le Maître au Feuillage Elle faisait partie d'une fondation d'autel établie par brodé ou le Maître de la Rédemption du Prado - mais Hippolyte de Berthoz, en charge des finances des ducs d'un peintre totalement anonyme dont aucun autre de Bourgogne, qui avait quitté la Franche-Comté peu avant 1467 pour venir s'installer à Bruges et avait été travail n'a été identifié. Relatant sa visite de Bruges en 1521, Albrecht appelé en 1473 à la cour de Charles le Téméraire. Les Dürer évoque dans son journal les « Rüdigers portraits du donateur et de son épouse Élisabeth van Keverswyck seront achevés par Hugo van der Goes, gemahlte Capellen » ou les « chapelles peintes de Rogier » - il s'agit sans doute de retables - et les le panneau central et le volet droit vraisemblablement tableaux du maître et d'Hugo van der Goes de l'église par l'atelier de Bouts, avec la participation du peintre bruxellois Aert van den Bossche (Maître de la Saint-Jacques. Aucune de ces œuvres n'est conservée, Légende de sainte Barbe). et l'on ne sait donc absolument rien de l'activité de Dans le nord du vaste duché de Brabant, l'art Rogier à Bruges. Il faut attendre Petrus Christus et surtout Hans Memling pour que son langage pictural s'épanouit surtout à Bois-le-Duc. La ville connaît depuis le XIVe siècle un bel essor économique grâce s'implante dans la peinture brugeoise au commerce à longue distance de produits textiles, de Outre Bruxelles, le Brabant peut s'enorgueillir d'un deuxième grand centre artistique: Louvain, par cuir et de ferronnerie. C'est dans cette ville du Brabant septentrional, sur la place du Marché, que se trouvait ailleurs siège d'une université depuis 1425. Dieric l'atelier de Jérôme Bosch, où travaillaient également Bouts, né vers 1420 à Haarlem, y est actif à partir de plusieurs membres de sa famille. Ce peintre, parfois 1457 et y remplit la fonction de peintre de la Ville. mentionné sous le nom de Jheronimus van Aken, La peinture de Bouts, qui suivit probablement sa formation dans sa ville natale, est fortement influencée est surtout célèbre pour son iconographie insolite et ses motifs énigmatiques, copiés au XVIe siècle par celle de Van der Weyden, mais montre en outre une connaissance certaine de l'art italien. Les dans de nombreux tableaux et gravures. Alors que la littérature ancienne voyait dans l'excentricité de son personnages hiératiques de ses triptyques de Bruges œuvre maîtresse, le triptyque du Jardin des Délices, (Martyre de saint Hippolyte) et de Louvain (Martyre l'expression d'une pensée hérétique, les recherches de saint Érasme) (voir pp. 124-125), représentés strictement de profil, forment avec le magnifique les plus récentes ont montré que l'univers visuel de Jérôme Bosch plongeait avant tout ses racines dans paysage qui les entoure un contraste saisissant qui

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Jérô me Bosch, Le Jardin des Délices, vers 1500 -

15 0 5 ,

une tradition populaire, celle des insignes et fanions de pèlerinage. Pour l'illustre confrérie Notre-Dame de sa ville natale, il peint les volets d'un retable - toujours à Bois-le-Duc - sculpté par Adriaen van Wesel. Il semble avoir eu en outre d'éminents commanditaires parmi les dignitaires de la cour de Bourgogne, notamment Philippe le Bel. Nombre de chefsd'œuvre de Jérôme Bosch partent dès le XVIe siècle pour l'Espagne, où il est fort apprécié, Philippe II le considérant même comme son peintre favori. Le Triptyque du Jugement dernier acquis par le Groeningemuseum au début du XXe siècle a d'abord été tenu pour une œuvre du maître lui-même, mais fut par la suite attribué à l'un de ses suiveurs. À en juger par la qualité remarquable de l'invention et de l'exécution, l'œuvre doit en tout cas avoir vu le jour dans le voisinage immédiat de Bosch lui-même. Elle présente d'étroites affinités stylistiques avec un ensemble de retables qui lui sont communément attribués, et en particulier avec le Triptyque des

hui le sur boi s. Madrid, M useo Naci onal d el Prado

ermites conservé à Venise (Palazzo Ducale), et vraisemblablement destiné à cette ville dès l'origine. Il provient de la collection du cardinal espagnol Antonio Despuig y Damato (1745-1813), qui en a acquis la plus grande partie à Venise. La recherche récente attribue le triptyque à Bosch. Le Triptyque de Job, une commande de l'échevin anversois Jacob van de Voorde ( t 1520) et de son épouse Christina van Driele, est l'œuvre d'un épigone. Il est considéré comme la meilleure réplique existante de cette œuvre disparue, qui a récemment gagné en importance dans les études consacrées à Bosch.

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D'après Jérôme Bosch, Triptyque de Job, 1500-1524, hui le su r bois. Bruges, Groeningemuseum (prêt à long term e de l'église de Hoeke, Damme)

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Les chefs--d'œuvre des Primitifs flamands à Bruges

Anonyine Crucifixion avec sainte Barbe et sainte Catherine («Retable des Tanneurs »)

vers 1420 huile sur bois Trésor de la cathédrale Saint-Sauveur

Ce retable, en forme de coffret avec une crucifixion en son centre, est supposé provenir de la salle de réunion de la gilde des tanneurs de Bruges. Pendant longtemps ce « Retable des Tanneurs» a été tenu pour le témoignage le plus important de l'art brugeois vers 1400 mais en réalité, comme l'a montré une récente analyse dendrochronologique, il

n'a pas pu être peint avant 1415; la date de 1420 semblant plus probable. Il présente d'intéressantes correspondances avec la peinture brabançonne, mais aussi des liens étroits avec l'enluminure brugeoise de la même période. Malheureusement, aucune œuvre similaire de l'art brugeois ne nous est parvenue.

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Jan van Eyck La Madone au chanoine Joris van der Paele

1436 huile sur bois Groeningemuseum

La Madone au chanoine Van der Pae/e est, après L'Agneau mystique, l'œuvre la plus imposante de Jan van Eyck qui soit conservée. Joris van der Paele, chanoine de Saint-Donatien, lui a commandé cette œuvre lorsqu'il a décidé de fonder, en 1434, deux chapelles dans le chœur principal de l'église.

Ce n'est pas un hasard si la composition fait penser à une épitaphe. Même si le tableau a été conçu comme un retable devant lequel les prêtres, conformément aux termes de la fondation, devaient dire la messe, il servait probablement d'épitaphe murale, liée à la tombe du donateur.

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Jan van Eyck Margareta van Eyck

1439 huile sur bo is Groeningemuseum

Jan van Eyck a révolutionné la peinture à bien des égards. Outre ses innovations techniques légendaires, il a exercé une influence considérable sur la peinture de paysage, mais aussi sur l'art du portrait. Celui de son épouse Margareta date de deux ans à peine avant la mort de l'artiste. Il s'agit probablement

de son portrait le plus personnel, voire le plus intimiste mais l'inscription latine sur le cadre - « Mon époux Johannes [Jan] m'a réalisée ... » - semble indiquer une destination plus publique. La gilde des peintres de Bruges s'en portera ensuite acquéreur pour l'exposer en bonne place dans sa chapelle.

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Petrus Christus Isabelle de Portugal et sainte Élisabeth de Hongrie

1457-1460 huile sur bois Groeningemuseum

Réalisé pour Isabelle de Portugal par Petrus Christus, peu avant sa mort en 1472, ce triptyque devait revêtir une signification particulière. Le retable, dont seul le volet gauche a survécu, a rejoint par la suite la collection de Marguerite d'Autriche. Au centre, le peintre avait représenté une Pietà.

Sur le volet gauche figurent Isabelle de Portugal et sa protectrice sainte Élisabeth, et sur le droit, sainte Catherine. Le panneau conservé au Groeningemuseum - le portrait de la donatrice - témoigne de l'influence de Van Eyck dans le rendu méticuleux des somptueux vêtements.

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Hans Meinling Retable de saint Jean--Baptiste et saint Jean l'Évangéliste

1479 huile sur bois

Hospitaalmuseum

Ce monumental Retable des deux saints Jean était destiné à orner le maître-autel de l'église que l'hôpital venait de se faire construire. Memling emprunte ouvertement aux œuvres de Van Eyck: la Vierge trônant sous un baldaquin de brocart, devant une colonnade en hémicycle, est encadrée par Jean le Baptiste et Jean l'Évangéliste - les saints patrons de l'hôpital - et par sainte

Catherine et sainte Barbe. Si le rendu scrupuleux des précieuses étoffes de brocart et du tapis oriental est entièrement dans l'esprit du réalisme eyckien, Memling semble s'être en revanche inspiré, pour représenter la décollation du Baptiste du volet gauche, du Retable de saint Jean-Baptiste de Rogier van der Weyden (Gemëildegalerie, Berlin).

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Hans Metnling Triptyque de Jan Floreins

1479 huile sur bois Hospitaalmuseum

Memling travaillait sans doute déjà au pour Jan Floreins en 1479 et représentant retable du maître-autel de l'hôpital Saintla Nativité, !'Adoration des Mages et la Jean lorsque des membres de la communauté Présentation au Temple est un des joyaux hospitalière lui ont commandé de petits de l'œuvre du peintre et de l'art flamand retables de dévotion privée. Le triptyque peint en général.

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Hans Meinling Portrait de jeune femme (« Sibylla Sambetha »)

1480 huile sur bois Hospitaalmuseum

Voici un des rares exemples de portrait féminin peint par Memling, le portraitiste le plus renommé de Flandre. Alors qu'il a introduit dans la peinture de portrait le paysage d'arrière-plan qui plaît particulièrement à ses clients italiens, Memling utilise ici un fond neutre traditionnel.

Il a été avancé que ce Portrait de jeune femme avait une valeur commémorative, ce qui expliquerait le choix d'un type de portrait plus archaïque. On ignore qui est le modèle et son nom était déjà tombé dans l'oubli à la fin du XVI e siècle, lorsque fut ajoutée l'inscription « Sibylla Sambetha ».

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Hans Memling Triptyque avec saint Christophe, saint Maur et saint Gilles ( « Triptyque More el>>)

1484 huile sur bois Groeningemuseum

Ce retable a été commandé par Willem Moreel et son épouse Barbara van Vlaenderberch. Homme politique influent, Moreel a assumé à Bruges de nombreuses fonctions publiques - il a même été bourgmestre à deux reprises, en 1473 et en 1483. L'œuvre était destinée à la chapelle familiale fondée en 1484 en l'église Saint-

Jacques. La date sur le cadre renvoie à la date de la commande de l'œuvre plutôt qu'à celle de sa réalisation. Le triptyque propose un des premiers exemples de portrait de groupe des anciens Pays-Bas. Au revers des volets apparaissent, en grisaille, saint Georges combattant le dragon et saint Jean-Baptiste.

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Hans Men1ling Diptyque de Maarten van Nieuwenhove

1487 huile sur bois

Hospitaalmuseum

Memling a joué un rôle capital dans le développement d'une formule inventée par Regier van der Weyden, celle du diptyque représentant le donateur en adoration devant la Vierge à !'Enfant à mi-corps. Par la complexité de son organisation spatiale, le Diptyque de Maarten van Nieuwenhove, daté de 1487, en est sans doute l'exemple

le plus ambitieux de l'art flamand. Il illustre remarquablement l'apport novateur de Memling à la peinture de portrait européenne. Maarten van Nieuwenhove, donateur de l'œuvre, appartenait à une influente famille patricienne de Bruges, dont il sera d'ailleurs un temps le bourgmestre.

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Hans Memling Châsse de sainte Ursule

1489

bois doré et peint Hospitaalmuseum

La Châsse de sainte Ursule et des onze mille vierges compte parmi les œuvres les plus célèbres de Memling. D'après l'acte de translation de la châsse, le travail du peintre est terminé en 1489. Ses représentations en miniature de scènes de la vie et du martyre de la sainte en font un fleuron de l'art flamand. Si Memling était enclin à reproduire à de multiples exemplaires ses compositions

les plus prisées, la châsse de sainte Ursule lui permet de montrer son originalité. L'artiste s'efforce de rendre ses représentations plus crédibles par la précision topographique : ses deux vues de Cologne, avec l'église romane Saint-Martin et le chœur gothique de la cathédrale inachevée, sont considérées à juste titre comme deux prototypes de vedute.

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Maître de la Légende de sainte Ursule volets d'un retable avec des Scènes de la légende

de sainte Ursule et des onze mille vierges

vers 1482 huile sur bois Groeningemuseum

Peints vers 1482, ces panneaux constituaient les volets d'un retable dont la partie centrale, désormais perdue, devait être sculptée. Avec un goût prononcé du détail narratif, l'atelier du maître a respecté l'ordre chronologique de la légende, sur fond de vues urbaines très précises quoique fictives. Les personnages curieusement allongés et les éléments d'architecture sont quelque peu

schématiques, et les scènes conservent une certaine naïveté, surtout si on les compare aux œuvres narratives de Memling. Les grisailles, au revers des volets, sont mieux réussies. Malgré leur aspect ramassé, elles témoignent d'un sens du volume et du modelé qui se retrouve dans les meilleurs tableaux de ce maître anonyme.

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Maître de la Légende de sainte Ursule Sainte Véronique présentant le suaire

vers 1495 huile sur bois Groeningemuseum

Un des meilleurs tableaux du Maître anonyme de la Légende de sainte Ursule représente sainte Véronique présentant le suaire avec la Sainte Face. Après le concile de FerrareFlorence (1438-1445), l'Église cherche à promouvoir activement le recours à des images de dévotion comme la Sainte Face. Jan van Eyck et, après lui Regier, Bouts et Memling en proposeront plusieurs versions.

Le Maître de la Légende de sainte Ursule a également traité plusieurs fois le sujet, la plupart de ses œuvres ayant été exportées en Italie. Filippino Lippi en complétera une (aujourd'hui à la Pinacoteca Manfrediana, Venise), tandis que Piero di Cosimo profitera de son passage à Florence, peu après 1500, pour copier le tableau aujourd'hui à Bruges.

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Maître de la Légende de sainte Lucie Scènes de la légende de sainte Lucie

1480

huile sur bois Église Saint-Jacques

Ce tableau est l'œuvre-clé du Maître de la Légende de sainte Lucie. Le panneau, qu'une inscription date de 1480, représente trois scènes de la vie de la sainte. Les autres épisodes de la légende devaient être traités sur un autre panneau, désormais perdu. Malgré le blason figurant sur le tableau, son donateur n'a pas encore pu être identifié. L'œuvre présente certaines des caractéristiques formelles essentielles de ce maître. Les physionomies restent

schématiques : les carnations des femmes sont étonnamment claires et lisses, et les traits des hommes grossiers. Les corps demeurent raides et gauches, les scènes statiques. À l'arrière-plan de ses tableaux, il place souvent des vues de Bruges, l'état d'avancement du beffroi servant même de référence pour la datation de ses œuvres. La palette est dure et très contrastée et la manière de rendre la végétation presque ornementale.

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Maître des Scènes

de la Passion de Bruges La Passion du Christ

1500 huile sur bois Trésor de la cathédrale Saint-Sauveur

Le Maître des Scènes de la Passion de Bruges tient son nom du calvaire monumental conservé dans le trésor de l1église SaintSauveur. Une inscription - qui n 1est pas d 1origine - sur son cadre date l1œuvre de 1500. Les représentations du Portement de

Croix, de la Crucifixion et de la Déploration sont empruntées à différentes œuvres. Ce maître éclectique, dont on ne connaît que deux autres tableaux, s1inspire à la fois de compositions et de motifs de Hans Memling, de Gerard David et de Robert Campin.

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Maître du Saint~Sang Triptyque de la Glorification de la Vierge

1510-1525 huile sur bois Église Saint-Jacques

Le retable conservé en l'église Saint-Jacques, que l'on pense avoir été initialement destiné au couvent des frères mineurs, est l'œuvre la plus significative du maître anonyme. Pour cette commande de choix, il s'est appuyé sur des modèles brugeois plus anciens, notamment Hans Memling et Petrus Christus. Néanmoins, la plupart des œuvres

du Maître du Saint-Sang, principalement influencé par la peinture anversoise - et tout particulièrement Quinten Metsys - n'ont pas été réalisées sur commande et semblent avoir été exécutées pour être vendues sur le marché de l'art, qui connaissait depuis la fin du xvesiècle une expansion fulgurante.

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Gerard David Le Jugement de Cambyse

1498 huile sur bois Groeningemuseum

Les deux panneaux représentant le jugement de Cambyse étaient destinés à la salle des échevins de l hôtel de ville de Bruges, où se tenaient les séances du tribunal. Ces panneaux de justice étaient considérés comme un exemplum iustitiœ, destiné à rappeler aux juges leur devoir d intégrité professionnelle. Gerard David a transposé 1

1

xve

dans la Bruges du siècle l'histoire classique du juge corrompu Sisamnès condamné par l1empereur perse Cambyse à être écorché vif. Pour cette commande de prestige, le peintre a inclus les portraits de plusieurs citoyens influents de Bruges de son temps, mais aussi des bâtiments identifiables, telle la Poortersloge ou Loge des bourgeois.

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Gerard David Triptyque du Baptême du Christ

1502-1508 huile sur bois Groeningemuseum

Le Triptyque du Baptême du Christ est une commande du notaire brugeois Jan des Trompes, en mémoire de son épouse Élisabeth van der Meersch, décédée en 1502. Le donateur et son épouse sont représentés, en compagnie de leurs enfants et de leurs saints protecteurs, sur les faces internes des volets. Peints en 1508, les revers montrent Magdalena Cordier, la seconde épouse du

notaire, qui décédera en 1510, et sa fille. Elles font face à la Vierge et l'Enfant. En 1520, la famille de Trompes fera don du retable à la confrérie des clercs assermentés du tribunal de Bruges, qui l'installeront dans la chapelle de Saint-Laurent dans l'église inférieure Saint-Basile, située sous la chapelle du Saint-Sang.

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Gerard David La Transfiguration

1505 huile sur bois Église Notre-Dame

Un jour, ayant emmené avec lui Pierre, Jean et Jacques sur le mont Tabor, Jésus se transfigura sous leurs yeux. Son visage resplendit comme le soleil et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière (Marc 9:2-13, Matthieu 17:1-13, Luc 9:28-36). Les prophètes Moïse et Élie leur apparurent, et la voix de Dieu sortant d'un nuage leur dit que le Christ était son Fils bien-aimé. La Transfiguration de David représente un thème peu abordé dans la peinture sur panneau des anciens

Pays-Bas. Par contre, il était fréquent dans l'enluminure. David semble s'être inspiré d'un dessin attribué à Alexander Bening. Si David est surtout connu comme peintre, il pratiquait aussi l'enluminure. Il semble avoir collaboré avec Simon Bening, alors le miniaturiste le plus en vue de Bruges. Pieter Pourbus a peint les volets latéraux en 1573 avec les portraits d'Anselmus de Boodt, de son épouse Johanna Voet et de leurs enfants.

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Jan Provoost La Crucifixion 1505-1510 huile sur bois Groeningemuseum

La Crucifixion du Groeningemuseum compte parmi les plus anciennes œuvres conservées de Provoost. La vue de Jérusalem, à la différence de celles de Gerard David, est d'une exactitude topographique stupéfiante. Selon la dernière hypothèse en date, le tableau, réalisé entre 1505 et 1510, serait le panneau central d'un retable qui ornait l'autel de sainte Catherine d'Alexandrie, dans le

chœur principal de l'église de Jérusalem. Fière gardienne d'une relique de la Sainte-Croix, cette église abritait le lieu de rassemblement de la confrérie brugeoise des Pèlerins de Jérusalem, dont Provoost devint membre en 1523 avant d'en devenir le régent en 1527, ce qui suggère fortement qu'il avait lui-même effectué le pèlerinage en Terre Sainte.

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Jan Provoost Le Jugement dernier 1525 huile sur bois Groeningemuseum

Dans Le Jugement dernier qu'il peint en 1525 pour la ville de Bruges, Provoost livre

une version atypique de l'iconographie traditionnelle, qui semble déjà puiser dans l'univers formel de Jérôme Bosch. On y voit notamment des prêtres précipités dans les flammes de l'enfer, image qui ne pouvait manquer de faire scandale. Lorsque Charles

Quint, en avril 1550 - au plus fort des conflits de la Réforme -, interdit par décret dans ses territoires bourguignons toute représentation choquante de l'état monastique, le conseil communal pria aussitôt le peintre Pieter Pourbus de faire repeindre les parties litigieuses du tableau.

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Adriaen Isenbrant La Vierge des Sept Douleurs, volet droit du Diptyque de Joris van de Velde

1521

huile sur bois Église Notre-Dame

Une série d'œuvres de grande qualité, reprenant des motifs et des compositions de l'atelier de David, est vraisemblablement en rapport avec le monumental Diptyque de Joris van de Velde et hypothétiquement lié au nom d'Adriaen lsenbrant (actif en 1510, t 1551). Le volet des donateurs de ce retable, exécuté en 1521, est conservé à Bruxelles, tandis que le volet droit, qui représente la Vierge des Sept

Douleurs, n'a pas quitté son lieu d'origine, l'église Notre-Dame de Bruges. Tandis que la Vierge reproduit un type développé par David, les scènes qui l'encadrent s'inspirent en outre de modèles de gravures de Martin Schongauer et d'Albrecht Dürer. Les œuvres attribuées à lsenbrant se caractérisent par des couleurs chaudes et intenses et par un délicat sfumato italianisant.

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Albert Cornelis Le Couronnement de la Vierge

1520

huile sur bois Église Saint-Jacques

Même si ce Couronnement de la Vierge est l'un des rares exemplaires de la peinture brugeoise du XVIe siècle dont l'identité du commanditaire comme celle du peintre sont attestées par des documents d'archives, une grande partie du tableau - par exemple le chœur des anges - ne semble pas avoir été exécutée par Albert Cornelis lui-même mais sous-traité par ses soins à un autre maître.

La gilde de Saint-François a en effet attaqué Cornelis en justice pour ne pas avoir livré l'œuvre dans les temps, mais aussi pour ne pas avoir, contrairement aux accords, exécuté entièrement de sa main les scènes principales. Le peintre - dont aucun autre travail n'est connu - a été condamné à repeindre les scènes en cause.

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An1brosius Benson La Sainte Famille avec saint Jean--Baptiste enfant

1527

huile sur bois Groeningemuseum

Les œuvres d'Ambrosius Benson (actif en 1518, t 1550) sont étroitement apparentées, par leur coloris et leur sfumato prononcé, à celles d'lsenbrant et de David, mais elles s'en distinguent stylistiquement par ses puissants effets de clair-obscur. Cette caractéristique n'est sans doute pas sans rapport avec les origines du peintre, un

Lombard promu franc-maître à Bruges en 1520. Le Groeningemuseum possède sept œuvres de cet artiste, dont cette Sainte Famille de 1527 basée sur une composition d'Andrea del Sarto, qui est une des clés de la reconstitution de son œuvre. Il s'agit d'un des deux tableaux conservés de Benson signés du monogramme AB.

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Rogier van der Weyden

(copie)

Saint Luc dessinant le portrait de la Vierge

vers 1500 huile sur bois Groeningemuseum

Les nombreuses copies de la Vierge de saint Luc d'après Regier van der Weyden témoignent de la popularité de ce thème. La version de Bruges est probablement due à un maître bruxellois. L'œuvre originale de Van der Weyden, aujourd'hui à Boston, a sans doute vu le jour vers 1435. On pense qu'elle était destinée à la chapelle de la gilde bruxelloise de Saint-Luc en la collégiale Sainte-Gudule. L'évangéliste Luc était le saint

patron des peintres car il était réputé avoir réalisé un portrait de la Vierge qui lui serait apparue. Regier reprend ce motif, mais il représente le saint en dessinateur plutôt qu'en peintre, exprimant ainsi sa considération pour l'art du dessin. La pointe d'argent à double pointe pourrait faire référence à l'usage d'un instrument récemment découvert dans le dessin flamand du xve siècle.

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Hugo van der Goes La Mort de la Vierge

1475-1480 huile sur bois Groeningemuseum

La Mort de la Vierge d'Hugo van der Goes a été décrite comme l'expression ultime de la mort. La palette aux tons atténués et le rendu expressif des visages et des gestes des douze apôtres font de cette œuvre une des plus belles compositions du maître gantois.

L'analyse dendrochronologique a établi que le panneau pourrait avoir été achevé vers le milieu des années 1470, donc au début de la carrière de Van der Goes et non, comme on l'a souvent avancé, à la fin de sa vie.

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Dieric Bouts et atelier, Hugo van der Goes Triptyque du martyre de saint Hippolyte

1475-1480 huile sur bois Trésor de la cathédrale Saint-Sauveur

Le Triptyque du martyre de saint Hippolyte est une des dernières œuvres de Bouts, restée inachevée à sa mort en 1475. Elle faisait partie d'une fondation d'autel établie par Hippolyte de Berthez, en charge des finances des ducs de Bourgogne, qui avait quitté la FrancheComté peu avant 1467 pour venir s'installer à Bruges et avait été appelé en 1473 à la

cour de Charles le Téméraire. Les portraits du donateur et de son épouse Élisabeth van Keverswyck seront achevés par Hugo van der Goes, le panneau central et le volet droit vraisemblablement par l'atelier de Bouts, avec la participation du peintre bruxellois Aert van den Bossche (Maître de la Légende de sainte Barbe).

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Jérôtne Bosch Triptyque du Jugement dernier

1500-1505 huile sur bois Groeningemuseum

L'attribution du Triptyque du jugement dernier, acquis en 1912 par le Groeningemuseum comme un original de Bosch, a longtemps été mise en doute. Depuis peu, cependant, les résultats d'un examen technique en ont confirmé la possibilité. Divers motifs du tableau de Bruges découlent

de modèles utilisés par Bosch dans d'autres triptyques, dont le Jardin des Délices (Prado, Madrid). L'œuvre, d'une qualité surprenante, témoigne du talent - souvent sous-estimé de Bosch et de son atelier pour la peinture de paysage.

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