Cet ouvrage enquête sur ce que nous proposons d'appeler une " mystérisation " des discours et des pratiqu
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French Pages [604]
Table of contents :
Front Matter
Nicole Belayche and Francesco Massa. INTRODUCTION
Nicole Belayche. PERCER LA LOI DU SILENCE ? LES « NUITS ILLUMINANTES » À ÉLEUSIS AU IIe SIÈCLE
Sandra Blakely. A COSMOLOGICAL TURN IN AN ARCHITECTURAL SETTING: ROMAN APPROACHES TO SAMOTHRACE INTO THE SECOND CENTURY CE
Francesco D’Andria. DES « MYSTÈRES » À HIÉRAPOLIS DE PHRYGIE ?
Beatriz Pañeda Murcia. LES CULTES ISIAQUES AU IIe SIÈCLE DE NOTRE ÈRE : ENTRE « ÉGYPTIANISATION » ET « MYSTÉRISATION »
Jennifer Larson. THE COGNITIVE ANATOMY OF A MYSTERY CULT
Antoine Pietrobelli. GALIEN HIÉROPHANTE ET LES MYSTÈRES DE LA MÉDECINE
Georgia Petridou. MAPPING MEDICINE ONTO MYSTERIES IN AELIUS ARISTIDES’ HIEROI LOGOI
Jordi Pià-Comella. “MYSTERY” IN IMPERIAL STOICISM?
Mauro Bonazzi. PLUTARCH AND THE MYSTERIES OF PHILOSOPHY
Andrei Timotin. THÉON DE SMYRNE ET LA TRANSPOSITION PLATONICIENNE DES MYSTÈRES ÉLEUSINIENS
Anne-France Morand. LES MYSTÈRES DANS LES HYMNES ORPHIQUES : CONTINUITÉ OU RUPTURE ?
Geoffrey Herman. ON THE TERM “MYSTERY” IN THE CLASSICAL RABBINIC LITERATURE
Françoise Van Haeperen. MYSTÈRES PHRYGIENS ET TAUROBOLES AU IIe SIÈCLE
Charles Delattre. MYTHOGRAPHIE ET MYSTÉRIOGRAPHIE: FRAGMENTS DE DISCOURS DANS ET AUTOUR DES MYSTÈRES
Romain Brethes. ROMANS GRECS, ROMANS À MYSTÈRES ? UN ÉTAT DES LIEUX
Marie-Odile Boulnois. « LES MYSTÈRES VÉRITABLES »: ORIGÈNE EN CONFRONTATION DANS LE CONTRE CELSE ET LES NOUVELLES HOMÉLIES SUR LES PSAUMES
Thomas Galoppin. « Ô BIENHEUREUX MYSTE DE LA MAGIE SACRÉE ! »: MYSTÈRES ET TELETAI DANS LES PAPYRUS « MAGIQUES » GRECS
Florian Audureau. RITUEL D’INITIATION OU « MYSTÉRISATION » DU DISCOURS : LA FONCTION DU ΜΥΣΤΑΓΩΓΌΣ DANS LA LETTRE DE NÉPHOTÈS (PGM IV, 154-285)
Philippe Hoffmann. EN FORME DE CONCLUSION
Back Matter
LES MYSTÈRES AU IIe SIÈCLE DE NOTRE ÈRE : UN TOURNANT
BIBLIOTHÈQUE DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES
SCIENCES RELIGIEUSES
VOLUME
187
Illustration de couverture : The Sun, Edvard Munch, 1911, Aula de l’Université d’Oslo, cliché N. Belayche.
LES MYSTÈRES AU IIe SIÈCLE DE NOTRE ÈRE : UN TOURNANT
Sous la direction de Nicole Belayche Francesco Massa Philippe Hoffmann
H
F
La Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences religieuses La collection Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences religieuses, fondée en 1889 et riche de plus de cent quatre-vingts volumes, reflète la diversité des enseignements et des recherches menés au sein de la Section des sciences religieuses de l’École Pratique des Hautes Études (Paris, Sorbonne). Dans l’esprit de la section qui met en œuvre une étude scientifique, laïque et pluraliste des faits religieux, on retrouve dans cette collection tant la diversité des religions et aires culturelles étudiées que la pluralité des disciplines pratiquées : philologie, archéologie, histoire, philosophie, anthropologie, sociologie, droit. Avec le haut niveau de spécialisation et d’érudition qui caractérise les études menées à l’EPHE, la collection Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences religieuses aborde aussi bien les religions anciennes disparues que les religions contemporaines, s’intéresse aussi bien à l’originalité historique, philosophique et théologique des trois grands monothéismes – judaïsme, christianisme, islam – qu’à la diversité religieuse en Inde, au Tibet, en Chine, au Japon, en Afrique et en Amérique, dans la Mésopotamie et l’Égypte anciennes, dans la Grèce et la Rome antiques. Cette collection n’oublie pas non plus l’étude des marges religieuses et des formes de dissidences, l’analyse des modalités mêmes de sortie de la religion. Les ouvrages sont signés par les meilleurs spécialistes français et étrangers dans le domaine des sciences religieuses (chercheurs enseignants à l’EPHE, anciens élèves de l’École, chercheurs invités…). Directeur de la collection : Christian Jambet Secrétaires d’édition : Cécile Guivarch, Anna Waide Comité de rédaction : Andrea acri, Mohammad Ali amir-moezzi, Constance arminJon, Jean-Robert armoGathe, Samra azarnouche, MarieOdile boulnois, Marianne buJard, Vincent Goossaert, Ivan Guermeur, Andrea-Luz Gutierrez-choquevilca, Vassa Kontouma, Séverine mathieu, Gabriella Pironti, François de PoliGnac, Ioanna r aPti, Jean-Noël robert, Arnaud sérandour, Judith törszöK, Valentine zuber.
© 2021, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2021/0095/250 ISBN 978-2-503-59459-0 e-ISBN 978-2-503-59460-6 DOI 10.1484/M.BEHE-EB.5.123380 Printed in the EU on acid-free paper.
TABLE DES MATIÈRES Introduction Nicole Belayche et Francesco Massa
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– I – Approcher des rItuels mystérIques Au IIe sIècle : un étAt des « lIeux » Percer la loi du silence ? Les « nuits illuminantes » à Éleusis au iie siècle Nicole Belayche
25
A Cosmological Turn in an Architectural Setting: Roman Approaches to Samothrace into the Second Century ce Sandra Blakely
55
Des « mystères » à Hiérapolis de Phrygie ? Francesco D’anDria
103
Les cultes isiaques au iie siècle de notre ère : entre « égyptianisation » et « mystérisation » Beatriz PañeDa Murcia
127
The Cognitive Anatomy of a Mystery Cult Jennifer larson
181
– II – une « mystérIsAtIon » dAns les sAvoIrs et lA lIttérAture du IIe sIècle ? Galien hiérophante et les mystères de la médecine Antoine PietroBelli
201
Mapping Medicine onto Mysteries in Aelius Aristides’ Hieroi Logoi Georgia PetriDou
217
“Mystery” in Imperial Stoicism? Jordi Pià-coMella
243
Plutarch and the Mysteries of Philosophy Mauro Bonazzi
267
Théon de Smyrne et la transposition platonicienne des mystères éleusiniens Andrei tiMotin
279
5
Les mystères dans les Hymnes orphiques : continuité ou rupture ? Anne-France MoranD
299
On the Term ‘Mystery’ in the Classical Rabbinic Literature Geoffrey herMan
317
– III – des effets de lA « mystérIsAtIon » ? Mystères phrygiens et tauroboles au iie siècle Françoise Van haePeren
331
Mythographie et mystériographie. Fragments de discours dans et autour des mystères Charles Delattre
351
Romans grecs, romans à mystères ? Un état des lieux Romain Brethes
379
« Les mystères véritables » : Origène en confrontation dans le Contre Celse et les nouvelles Homélies sur les Psaumes Marie-Odile Boulnois
401
« Ô bienheureux myste de la magie sacrée ! ». Mystères et teletai dans les papyrus « magiques » grecs Thomas GaloPPin
435
Rituel d’initiation ou « mystérisation » du discours : la fonction du μυσταγωγός dans la lettre de Néphotès (PGM IV, 154-285) Florian auDureau
463
En forme de conclusion Philippe hoffMann
489
Bibliographie sélective
507
Indices Emmy Martins Index des sources (littéraires et épigraphiques) Index général
523 556
Les auteurs
573
Résumés des contributions
579
Catalogue de la BEHE-SR
593
INTRODUCTION Nicole Belayche EPHE, PSL Paris – AnHiMA (UMR 8210) Francesco Massa Université de Fribourg (Suisse)
Apparitions « qui sans doute ne sont même pas révélées à tous, en sorte que je me réjouis que ces signes secrets d’Asclépios m’aient été montrés. Le principal concernait la puissance du dieu […] Telle fut l’initiation, et quand je me réveillai […]1 ». Ælius Aristide
c
et ouvrage est né de la volonté de vérifier une hypothèse qui s’est
imposée au long des études que nous avons menées depuis 2014 sur les cultes à mystères dans les mondes grec et romain : une recherche sur « les “cultes à mystères” et leurs acteurs spécialisés » développée à l’équipe « Anthropologie et Histoire des Mondes Antiques » (Paris)2, portée conjointement à l’Université de Genève avec un programme centré sur les rapports entre mystères païens et chrétiens3. Cette recherche commune a enquêté successivement sur trois questions : la catégorie même de mystères, la représentation visuelle des mystères,
1. Discours 49 (Discours sacrés 3), 48 : καὶ οὐδὲ ῥητὰ ἴσως εἰς ἅπαντας, ὥστε ἀσμένῳ μοι φανῆναι σύμβολα τοῦ Ἀσκληπιοῦ. κεφάλαιον δ᾽ ἦν περὶ τῆς τοῦ θεοῦ δυνάμεως […] τοιαῦτα ἦν τὰ τῆς τελετῆς· καὶ ἀνέστην […] (traduction A.-J. Festugière). 2. Pilotée par N. Belayche et F. Massa dans le programme quinquennal (2014-2018) de l’Unité Mixte de Recherche 8210 du CNRS – AnHiMA. 3. Mené par F. Massa, dans le cadre d’un projet « Ambizione » du Fonds National Suisse de la recherche scientifique (2015-2018). 10.1484/M.BEHE-EB.5.125917
7
Les mystères au iie siècle de notre ère : un tournant et la relation entre mystères et philosophie4. Progressivement s’est fait jour l’idée qu’on assistait, au iie siècle de notre ère, à ce que nous proposons d’appeler une « mystérisation » des discours et des pratiques – c’est-à-dire une multiplication, diversification et intensification des références aux « mystères » dans des contextes variés mais cohérents, et dans les différents groupes religieux présents dans l’empire (païens, chrétiens et juifs). Ce « tournant » mystérique affecte non seulement des pratiques rituelles et les discours qui les entourent, mais, au-delà, de nombreux domaines du savoir – rhétorique, poésie, médecine, philosophie – qui se mettent à mobiliser le vocabulaire et l’imagerie des mystères. L’enquête à conduire devait donc se déployer sur deux terrains : celui des rituels « mystériques » dans des cultes qui se développent à l’époque romaine (comme ceux d’Isis ou de Mater Magna)5 – parallèlement à la continuation des mystères grecs (à Éleusis ou Samothrace par exemple) –, et celui de la construction des savoirs de tous ordres qui s’élabore à ce même moment, et où se banalise l’emploi d’un lexique mystérique6. Une telle enquête exigeait de réunir des collègues spécialistes de champs disciplinaires variés – historiens, historiens des religions, archéologues, philologues, et bien sûr philosophes –, et de systèmes religieux différents – polythéisme, judaïsme et christianisme –, qui acceptent de tester notre hypothèse d’une « mystérisation » au iie siècle. Les contributeurs de cet ouvrage ont
4. Les résultats sont publiés : N. Belayche, F. Massa (éd.), Les « mystères ». Questionner une catégorie, Dossier Mètis N.S. 14 (2016), p. 7-132 ; N. Belayche, F. Massa (éd.), Mystery Cults in Visual Representation in Graeco-Roman Antiquity, Leyde – Boston (RGRW 194) 2021 ; F. Massa, N. Belayche (dir.), Les philosophes et les mystères dans l’empire romain, Liège 2021 (Religions 11). 5. La question historique et historiographique des « mystères de Mithra » n’est pas abordée ici car nous l’avons fait dans d’autres publications, cf. N. Belayche, F. Massa (éd.), Mystery Cults in Visual Representation et N. Belayche, « Les dévots latinophones de Mithra disaient-ils leurs mystères, et si oui comment ? », in F. Massa, D. Nelis (éd.), Mystery Cults in Latin Texts, Mnemosyne, à paraître. Voir aussi N. Belayche, A. Mastrocinque, « Introduction historiographique. I. “L’homme de Mithra” », in Id., F. Cumont, Les Mystères de Mithra, réédition critique, Turin – Turnhout 2013 (Bibliotheca Cumontiana, Scripta maiora 3), p. xiii-lxxxviii. 6. P. Boyancé, « Sur les mystères d’Éleusis », Revue des études grecques 75 (1962), p. 463, a évoqué un « abus du recours aux mystères » dans l’historiographie. Sur les savoirs dans l’Antiquité, voir les travaux de Ch. Jacob et notamment Des mondes lettrés aux lieux de savoir, Paris 2018. Pour les savoirs religieux, voir F. Massa (éd.), Discours sur les religions dans l’Empire romain : regards croisés entre “païens”, “juifs” et “chrétiens”, Revue de l’histoire des religions 234.4 (2017), p. 587-822.
8
Introduction relevé le défi de cette « coupe » synchronique, et nous les en remercions chaleureusement. L’approche interdisciplinaire qui a été réalisée confirme notre hypothèse pour plusieurs domaines, en y apportant aussi des nuances quelquefois. Comment enquêter sur un fait secret et incommunicable ? En histoire des religions des mondes grec et romain, la question des « mystères », de leur signification et interprétation par les Anciens et de leurs réalités rituelles, est sans doute la plus controversée qui soit. Depuis la naissance même de la discipline, elle a été ardemment discutée, provoquant dans le passé de vifs débats, non seulement entre spécialistes de l’Antiquité classique, mais aussi entre théologiens et philosophes7. Les raisons en sont multiples. Excepté quelques formules chez les auteurs chrétiens, la documentation antique, écrite comme matérielle, est à peu près muette sur le contenu de l’expérience μυστική (secrète ou mystérique), par suite à la fois de l’interdit de divulgation8 et de l’indicibilité et incommunicabilité réputées accompagner ce que le myste a vécu pendant ces rituels9 – d’où un
7. Depuis la querelle entre I. Casaubon et le cardinal Baronio au xviie siècle, les mystères païens et chrétiens sont entrés dans les débats intellectuels et théologiques entre catholiques et protestants. Au début du xxe siècle, il suffit de penser à la production d’A. Loisy, et notamment à son ouvrage Les mystères païens et le mystère chrétien, Paris 1914 ; voir la lettre de Loisy à Cumont du 27 février 1912 : « l’idée même de la justification par la foi, dans s. Paul, lui a été suggérée par les mystères bien plus que son expérience religieuse à la mode (prétendue) de Luther », dans A. Lannoy, C. Bonnet, D. Praet (éd.), « Mon cher Mithra … ». La correspondance entre Franz Cumont et Alfred Loisy, 1, Paris 2019 (Mémoires de l’AIBL 55), no 55. Sur le rôle de Loisy, voir J.-M. Roessli, « Les mystères païens et le mystère chrétien d’Alfred Loisy (1857-1940) et sa place dans les débats sur les origines du christianisme au début du xxe siècle », Mythos. Rivista di Storia delle religioni 7 (2013), p. 73-95 (avec bibliographie antérieure). Plus généralement sur l’historiographie des rapports entre mystères païens et mystères chrétiens, voir J. Z. Smith, Drudgery Divine: On the Comparison of Early Christianities and the Religion of Late Antiquity, Chicago 1990. Pour une présentation de la question en rapport avec les sources antiques, F. Massa, « La notion de “mystères” au iie siècle de notre ère : regards païens et Christian turn », Mètis N.S. 14 (2016), p. 109-132. 8. Cf. N. Belayche, F. Massa, « Mystery Cults and Visual Language in Graeco-Roman Antiquity. An Introduction », in Id. (éd.), Mystery Cults in Visual Representation. 9. Voir par ex. Apulée, Métamorphoses XI, 25.
9
Les mystères au iie siècle de notre ère : un tournant lien organique entre mystères et initiation10. Dans l’Antiquité déjà, et dans l’historiographie ensuite, ces deux caractéristiques sont devenues constitutives de la définition même de « mystère », comme le chantait le chœur des vieillards de Colone dans la dernière pièce de Sophocle : C’est là que les Souveraines [scil. Déméter et Coré] maintiennent de vénérables mystères au profit des humains sur les lèvres desquels est posée la clef d’or de leurs servants, les Eumolpides11.
Secret et incommunicabilité, deux traits élaborés dans la matrice devenue normative des mystères éleusiniens12, se combinent donc pour voiler la réalité rituelle des mystères13. Les sources littéraires en fournissent parfois des récits allégoriques ou métaphoriques14, mais les témoignages émanant de groupes d’initiés ne laissent paraître le plus souvent que des règles civiques (comme à Éleusis ou Andanie), ou associatives, comme chez les Iobacchants d’Athènes l’insistance sur l’ordre et la discipline15. Toutefois l’indicible, qui est l’un des sceaux des mystères, et qui sera donc abordé dans plusieurs études de ce volume, ne prive pas complètement l’observateur d’éléments d’information sur les aspects social, culturel, intellectuel et même rituel de ce fait religieux. Certes l’historien est toujours attentif aux éventuelles discordances entre
10. Cf. J. N. Bremmer, Initiation into the Mysteries of the Ancient World, Berlin 2014. 11. Sophocle, Œdipe à Colone 1050-1053 (trad. CUF légèrement modifiée) : οὗ πότνιαι σεμνὰ τιθηνοῦνται τέλη / θνατοῖσιν ὧν καὶ χρυσέα / κλῂς ἐπὶ γλώσσᾳ βέβα/κε προσπόλων Εὐμολπιδᾶν. Cf. R. Seaford, « Sophokles and the Mysteries », Hermes 122 (1994), p. 275-288. 12. Outre J. N. Bremmer cité n. 10, voir par exemple G. M. Rogers, The Mysteries of Artemis of Ephesos: Cult, Polis and Change in the Graeco-Roman World, New Haven – Londres 2012, p. 265. Sur la diffusion du modèle éleusinien dans le monde impérial, voir F. Massa, « Éleusis-Rome aller/retour. Mobilités religieuses autour des mystères éleusiniens à l’époque impériale », dans B. Amiri (éd.), Migrations et mobilité religieuse. Espaces, contacts, dynamiques et interférences, Besançon 2020, p. 271-293. 13. Voir la contribution de N. Belayche dans ce volume, p. 25-53. 14. Voir par ex. le célèbre fragment de Plutarque, fr. 178 Sandbach, ap. Stobée 4, 52, 49 (p. 1089 Hense), qui est convoqué dans plusieurs contributions de ce volume. 15. A.-F. Jaccottet, Choisir Dionysos. Les associations dionysiaques ou la face cachée du dionysisme, Zurich 2003, II, n o 4, l. 63-67 : « À la stibas, il ne sera permis à personne de chanter, de s’adonner à de bruyantes manifestations ou d’applaudir, mais, avec une discipline et une tranquillité parfaites (μετὰ δὲ πάσης εὐκοσμίας καὶ ἡσυχίας), chacun récitera et jouera les rôles (τοὺς μερισμοὺς λέγειν καὶ ποιεῖν) sous la direction du prêtre ou de l’archibacchant ».
10
Introduction attestations dévotionnelles et représentations discursives, qu’elles soient textuelles ou visuelles – difficulté qui est accrue dans les enquêtes sur la ritualité des « mystères » précisément du fait de la règle du secret16. En outre, dès lors que le même lexique (sinon la même praxis) est utilisé dans des contextes religieux différents, la ritualité mystérique peut être envisagée selon des perspectives différentes mais complémentaires. Les procédures de croyance à l’œuvre lors des rituels mystériques s’appuient sur deux composantes entrelacées : premièrement, sur des transmissions de traditions (rituelles, mythographiques, etc.) – et le mouvement de la Seconde Sophistique invite à poser à nouveaux frais la relation entre mythe et mystères en inscrivant les mystères dans une représentation de l’hellénisme17 ; deuxièmement, sur des expériences polysensorielles vécues dans des espaces et des ambiances qui pourraient avoir laissé des témoignages archéologiques de modifications au iie siècle18. On peut donc explorer la dimension expérientielle avec des outils cognitivistes19, ou en examiner le (faire-)croire d’un point de vue sociologique, en prenant en compte les implications identitaires dans les communautés rituelles concernées (la cité d’Athènes pour les mystères d’Éleusis ou les associations religieuses avec mystères). C’est pourquoi il importe de croiser les modifications des pratiques et des conceptions qui manifestent cette tendance que nous appelons « mystérisation » avec divers discours lettrés qui mobilisent alors aussi les mystères, entre tradition culturelle, religion et philosophie20. Au plan herméneutique, la publication en 1987 de Ancient Mystery Cults par Walter Burkert a fourni un tremplin renouvelé aux études sur
16. Cf. J. N. Bremmer, « Religious Secrets and Secrecy in Classical Greece », dans H. G. Kippenberg, G. G. Stroumsa (éd.), Secrecy and Concealment. Studies in the History of Mediterranean and Near Eastern Religions, Leyde – New York – Cologne 1995, p. 72 : « it is the very holiness of the rites which forbids them to be performed or related outside their proper ritual context… there was no esoteric wisdom to be found in the ancient Mysteries ». 17. Voir les contributions de Ch. Delattre et de R. Brethes dans ce volume, p. 351 et 379. 18. Voir les contributions de S. Blakely et F. D’Andria dans ce volume, p. 55 et 103. 19. Voir la contribution de J. Larson dans ce volume, p. 181. 20. Voir par exemple Fr. Casadesús Bordoy, « The transformation of the initiation language of mystery religions into philosophical terminology », dans M. J. MartinVelasco, M. J. Garcia Blanco (éd.), Greek Philosophy and Mystery Cults, Cambridge 2016, p. 1-26.
11
Les mystères au iie siècle de notre ère : un tournant les mystères, sans les affranchir toutefois de présupposés phénoménologiques (existe-t-il « une catégorie » du mystère, est-elle émique ou étique ?), voire idéologiques, qui résistent aux documents21. Dans bon nombre de travaux parus depuis, deux paramètres continuent d’informer la spécificité des mystères antiques : un paramètre idéologique dans l’histoire des religions grecque mais surtout romaine – à savoir la question de la religiosité individuelle22, propre à accueillir des préoccupations métaphysiques cohérentes avec un « changement d’esprit » (W. Burkert) de l’initié23 –, et un paramètre globalisant pour lequel Éleusis (plus ou moins mâtiné d’orphisme) serait le modèle de tous les cultes à mystères24, conformément à la conception d’un religieux uniforme structuré par une doctrine. Le lexique mystérique et les variations de son emploi au IIe siècle Pour qui réexamine le dossier selon une perspective d’anthropologie historique, la question terminologique demeure un préalable méthodique, dont nous ne rappellerons ici que brièvement les données générales les plus saillantes25. En grec, les termes mystèria, teletai, orgia, vel sim., sont particulièrement labiles : ils peuvent désigner aussi bien un rituel initiatique de format éleusinien26 que tout type d’expérience de la divinité et de son pouvoir, chez un Ælius Aristide par
21. W. Burkert, Ancient Mystery Cults, Cambridge (MA) – Londres 1987 (trad. française Les cultes à mystères dans l’Antiquité, Paris 1992). Pour une réflexion sur l’historiographie, voir N. Belayche, F. Massa, « Les cultes à mystères. Quelques balises introductives : lexique et historiographie », Mètis N.S. 14 (2016), p. 10-12. 22. Cf. K. Waldner, « Dimensions of Individuality in Ancient Mystery Cults: Religious Practice and Philosophical Discourse », dans J. Rüpke (éd.), The Individual in the Religions of the Ancient Mediterranean, Oxford 2013, p. 215-242. 23. Voir encore récemment Y. Lehmann, « La théologie des mystères de Samothrace : mythe, rites et philosophie », dans M. Philonenko, Y. Lehmann, L. Pernot (éd.), Les Mystères : nouvelles perspectives, Turnhout 2017, p. 125-147. 24. Voir par exemple l’ouvrage de J. N. Bremmer, Initiation into the Mysteries of the Ancient World, p. 2 pour la « considerable Orphic influence ». Déjà chez P. Boyancé, « Sur les mystères d’Éleusis », p. 474-480. Pour les Hymnes orphiques, voir la contribution d’A.-F. Morand dans ce volume, p. 299. 25. Cf. F. L. Schuddeboom, Greek Religious Terminology, Telete & Orgia. A Revised and Expanded English Edition of the Studies by Zijderveld and Van der Burg, Leyde – Boston 2009 ; et N. Belayche, F. Massa, « Les cultes à mystères. Quelques balises introductives », p. 8-10. 26. Voir par ex. Lucien, Alexandre ou le faux prophète 38.
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Introduction exemple, au iie siècle donc27. Lorsque l’on passe du grec au latin, les usages extensifs ne sont pas moins nombreux : la palette lexicale pour dire les mystères n’est pas plus étroite, ni le sens des mots mieux circonscrit. À côté de calques de termes grecs – mysteria28 (ou l’adjectif mysticus), orgia et teleta (même si ce dernier est très peu attesté) –, le latin utilise très souvent le terme générique sacra, sans spécifier plus avant les rituels en question29. Enfin le latin a un terme propre pour définir ces rituels, initia, qui peut traduire les mots grecs mysteria ou teletai, mais dont l’usage n’est pas systématique30. Au iie siècle, il semble que le vocabulaire utilisé se différencie : teletê par exemple se charge alors d’une signification plus précise que son sens générique de « cérémonie ». Pour autant, les stratégies d’utilisation du vocabulaire des mystères varient selon les contextes géographiques des auteurs et les formes littéraires qu’ils emploient. Vers 158-160, le rhéteur et philosophe Apulée comparaît devant le tribunal de Sabratha en Tripolitaine, avec pour chef d’accusation d’être un magicien qui a « charmé » la riche veuve Pudentilla de façon à l’épouser. L’une des pièces à conviction retenues était un tissu en lin contenant des objets qu’il aurait utilisés lors de ses rituels magiques. Le rhéteur se défend en plaidant que ces objets qu’il conserve sont « les signes et les symboles » des « initiations » auxquelles il a participé en Grèce : J’ai été initié en Grèce à un grand nombre de cultes (sacrorum pleraque initia in Graecia participaui). Des symboles et des souvenirs m’en ont été remis par les prêtres, et je les conserve avec soin (eorum quaedam signa et monumenta tradita mihi a sacerdotibus sedulo conseruo)31.
27. Voir l’exergue de cette introduction et la contribution de G. Petridou dans ce volume, p. 217. 28. Dans la littérature païenne avant le ive siècle de notre ère, seules deux occurrences de mysterium (au singulier) existent : Cicéron, La nature des dieux II, 64 et Pline, Histoire naturelle XXVIII, 232. En épigraphie grecque, l’usage païen de μυστήριον (au singulier) est également exceptionnel : à Panamara en Carie sur deux invitations à des cités pour célébrer « le mystère » de Zeus (I.Stratonikeia 23 et 30), dont la datation est controversée (entre le iie siècle avant notre ère et le iie siècle de notre ère), et sur l’épitaphe du hiérophante Glaucos à Éleusis, IG II2, 3661, 5, de date tardive (c. 235 de notre ère). 29. C’est notamment le cas pour lesdits « mystères mithriaques », cf. N. Belayche, « Les dévots latinophones de Mithra disaient-ils leurs mystères, et si oui comment ? ». 30. Sur le vocabulaire latin des mystères, voir les études réunies par F. Massa, D. Nelis (éd.), Mystery Cults in Latin Texts. 31. Apulée, Apologie 55, 8 (trad. P. Vallette, CUF, légèrement modifiée).
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Les mystères au iie siècle de notre ère : un tournant Ce qu’Apulée dit des pratiques dans ces cultes à mystères ne doit pas sonner étrangement aux oreilles du tribunal et de l’auditoire car, parmi les personnes qui assistaient au procès, plusieurs devaient être initiées aux mystères de Liber (Liberi patris mystae), comme le rappelle l’auteur lui-même. Ce passage de l’Apologie est important pour notre enquête. D’abord, les initia qu’Apulée a connus et pratiqués personnellement sont situés en Grèce et pas ailleurs dans l’empire, alors que l’auteur a beaucoup voyagé dans d’autres régions de la Méditerranée : les initia apparaissent donc comme un phénomène religieux typique de la Grèce, même s’ils n’y sont pas cantonnés puisque le public d’Oea connaissait une forme mystérique locale, en l’honneur de Liber Pater : Je ne dis là rien d’insolite, rien qui ne soit connu. Ainsi, et pour ne m’adresser qu’aux mystes du dieu Liber qui peuvent se trouver ici (uel unius Liberi patris mystae qui adestis scitis) : vous savez ce que vous gardez caché dans vos demeures et vénérez en silence, loin de tous les profanes32.
Ensuite, le fait qu’Apulée dise qu’il a énuméré ces rituels (sacra) lors d’une conférence publique (tot initiorum enumerationes), montre que ces pratiques pouvaient émailler un discours public et devaient être connues par les habitants des villes africaines au iie siècle de notre ère, même non initiés. En outre, le vocabulaire des mystères utilisé par Apulée est particulièrement intéressant. Nous y retrouvons le terme latin générique le plus répandu, sacra et les verbes associés. En revanche, la stratégie de l’auteur face aux calques grecs est plus complexe : dans les Métamorphoses, l’auteur n’utilise jamais le terme d’origine grecque mystèria, et il est le premier et unique auteur païen à utiliser le latin teleta, qui démarque le grec τελετή. Dans le livre XI des Métamorphoses, teleta prend un sens tout à fait technique, qui n’allait pas de soi dans la langue grecque où τελετή pouvait aussi indiquer l’accomplissement rituel, sans référence obligée aux pratiques mystériques. Dans ce livre en revanche, teleta est le seul terme récurrent pour désigner les trois initiations auxquelles Lucius est soumis après avoir retrouvé sa forme humaine33. Il est remarquable qu’Apulée n’y utilise jamais le subs32. Apulée, Apologie 55, 8 (trad. P. Vallette, CUF). 33. Teleta est employé six fois : Apulée, Métamorphoses XI, 22, 8 ; 24, 5 ; 26, 4 ; 27, 3 ; 29, 1 et 30, 1. Le terme mysteria n’est utilisé que deux fois dans l’ensemble des
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Introduction tantif initia qu’il semble remplacer par le calque grec teleta. Pourtant, il use à plusieurs reprises du verbe initiare et de ses dérivés comme le participe initiatus34. Le choix d’Apulée dans les Métamorphoses est délicat à expliquer, dès lors que l’auteur se sert du latin initia dans les passages de l’Apologie cités plus haut. Une possibilité est que l’auteur a trouvé le terme grec dans l’une des nombreuses sources qu’il a employées pour la rédaction de son roman35 ; son choix pourrait donc s’appuyer sur son modèle grec d’inspiration. De plus, puisque nous sommes dans un roman, il ne faut pas sous-estimer non plus les effets de style : l’utilisation d’un calque grec comme teleta pouvait répondre aussi à un souci de variation qu’Apulée voulait donner à sa langue. L’emploi du latin teleta restera circonscrit dans la littérature latine, puisqu’il faut attendre la Cité de Dieu d’Augustin d’Hippone pour le retrouver36. Les variations d’emploi du lexique mystérique au iie siècle se combinent, comme en attestent les contributions de ce volume, avec une extension (sinon banalisation) de son emploi, tant dans les textes littéraires et philosophiques que dans les témoignages dévotionnels plus révélateurs de pratiques socio-religieuses. Cette « mystérisation » du vocabulaire religieux illustre-t-elle un simple emploi extensif dont les auteurs anciens sont coutumiers pour des faits religieux (par exemple pour les termes de templum en latin ou adyton en grec), ou bien exprime-t-elle une modification significative de la conception de l’approche du divin ? La question se pose par exemple à Claros où, au iie siècle, les théores des cités qui descendaient dans la salle de consultation de l’oracle se désignaient comme οἵτινες μυηθέντες ἐνεβάτευσαν, alors qu’à Sardes au ier siècle avant notre ère, un groupe privilégié de dévots de Zeus inscrivait seulement οἱ τοῦ Διὸς θεραπευταὶ τῶν εἰ[ς] τὸ ἄδυτον εἰσπορευομένων37. La question est tout sauf anodine, car ce « brouillage » terminologique est contemporain de l’utilisation du vocabulaire mystérique par le christianisme en formation, voire il est exacerbé par lui. C’est précisément à partir du milieu du iie siècle que
œuvres d’Apulée : Apologie, 56, 1 et Le démon de Socrate, 14, où l’auteur parle des mysteriorum silentia. 34. Par exemple Apulée, Métamorphoses XI, 10, 1 ; 17, 1 ; 21, 2. 35. Sur la question des sources d’Apulée, voir S. E. Harrison, Apuleius. A Latin Sophist, Oxford 2000, p. 218-219. 36. Augustin, Cité de Dieu, IV, 31 ; X, 9, 23 et 28. 37. Respectivement : OGIS II, 530, 15 et I.Sardis I (vol. VII), 1, 22.
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Les mystères au iie siècle de notre ère : un tournant les auteurs chrétiens commencent à se servir couramment du vocabulaire des mystères dans leurs ouvrages, en même temps que les termes mystèria, mystikos, teletai abondent davantage dans les discours païens, voire juifs38. Chez les auteurs chrétiens, l’opposition se joue entre les « vrais mystères » de ceux qui se considèrent comme représentant l’orthodoxie, et les « faux mystères » des religions des autres39. Dans ce contexte, le Protreptique aux Hellènes de Clément d’Alexandrie, qui date de la fin du iie siècle, a sans doute représenté un tournant dans la représentation chrétienne des « mystères païens » : malgré les tentatives de systématisation déjà présentes chez les philosophes (par exemple chez Plutarque40), Clément d’Alexandrie propose un exposé des mystèria païens qui deviendra une référence pour les œuvres chrétiennes ultérieures41. Doit-on imaginer un lien entre les deux contextes ? Une « mystérisation » dans les pratiques rituelles et sociales et leur représentation ? En regard de la fluidité et de l’intensification du lexique mystérique dans la littérature, la documentation épigraphique invite aussi à questionner le iie siècle comme moment pivot dans l’utilisation du motif mystérique dans des pratiques rituelles ou sociales, et dans leur représentation. Les inscriptions de l’Asie romaine montrent notamment combien le vocabulaire des mystères en est venu à être utilisé pour désigner des rituels qui semblent plutôt réguliers. Déjà, celles d’Éphèse relatives aux fameux mystères d’Artémis indiquent que la fonction de hiérophante n’apparaît que modestement sous Domitien et ne s’impose à la tête des Courètes qui pratiquaient les mystères qu’au milieu du iie siècle de notre ère, au terme d’une compétition entre agents rituels, de plus en plus diversifiés et spécialisés depuis
38. Voir la contribution de G. Herman dans ce volume, p. 317. 39. Sur le rôle d’Origène, voir la contribution de M.-O. Boulnois dans ce volume, p. 401. La contribution de F. Massa, « Les auteurs chrétiens face aux mystères au iie siècle : koinè culturelle ou compétition cultuelle ? », présentée lors du colloque, sera publiée dans une monographie en préparation. 40. Voir la contribution de M. Bonazzi dans ce volume, p. 267. 41. Sur le rôle clé du Protreptique aux Hellènes de Clément d’Alexandrie dans la littérature chrétienne et dans l’historiographie moderne, voir F. Massa, « La notion de “mystères” au iie siècle de notre ère ».
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Introduction les Julio-Claudiens42. La documentation ne permet pas, hélas, de déterminer si cette nouvelle fonction s’est accompagnée de modifications rituelles. Jusqu’alors, les pratiques des Courètes consistaient en des activités sacrificielles et divinatoires, sans agent à fonction de « révélation », « montrant les hiera » (ἱερο-φάντης)43. C’est ainsi que Strabon, notre plus ancien texte sur le collège des courètes, le présente : « il accomplit (ἐπιτελεῖ) certains sacrifices μυστικάς », c’està-dire secrets ou réservés44. Quelques documents, plus riches en détails rituels, aident à discerner certains composants avec lesquels se construit cette « mystérisation ». Depuis l’installation du culte impérial sous Auguste, il existait à Pergame une association cultuelle prestigieuse d’« hymnodes du dieu Auguste et de la déesse Rome ». Dans leur calendrier rituel sous Hadrien (daté de 129/138), les mystèria auxquels ils participent le 25 juin ne se distinguent pas rituellement d’autres fêtes du calendrier, qu’elles soient impériales ou saisonnières45. Les offrandes prévues sont les mêmes : du vin, de l’argent, du pain (μηνὸς Λῴου γʹ μυστηρίοις οἶνον, μνᾶν, ἄρτον), et le maître des cérémonies (ὁ εὔκοσμος) doit procurer aux hymnodes et à leurs fils qui officieront lors de ces « mystères » des couronnes, des gâteaux, de l’encens et des lampes, comme pour les anniversaires impériaux46. Comme l’avait très justement remarqué Simon Price47, dans ces fastes cérémoniels, ni les acteurs du rituel ni les objets utilisés dans le rite ne présentent de singularité « mystérique », de même qu’il n’est pas
42. Cf. N. Belayche, « Les hiérophantes marqueurs des “mystères” ? Le cas de l’Artémis éphésienne », Mètis N.S. 14 (2016), p. 49-74. 43. Plutarque, Alcibiade 22 : le hiérophante δεικνύει τὰ ἱερά. Mais le lexique de Pollux, I, 35, cite les hiérophantes et les dadouques dans une liste de fonctions cultuelles diverses, dont sacrificielles et hymnodiques : ἱεροφάνται, δᾳδοῦχοι, κήρυκες, σπονδοφόροι, ἱέρειαι, παναγεῖς, πυρφόροι, ὑμνῳδοί, ὑμνήτριαι (nous soulignons). 44. Strabon, Géographie XIV, 1, 20. Cf. G. M. Rogers, The Mysteries of Artemis of Ephesos, p. 103-110 et 259-263. 45. I.Pergamon II, 374 = IGR IV, 353 (trad. R. S. Ascough, Ph. A. Harland, J. S. Kloppenborg, Associations in the Graeco-Roman World. A Sourcebook, Wako 2012, no 117). 46. Ibid. B, 13-20 : παρέξει δὲ ὁ εὔκοσμος τῇ τοῦ Σεβαστοῦ ἐνμήνῳ γενεσίῳ καὶ ταῖς λοιπαῖς γενεσίοις τῶν Αὐτοκρατόρων στεφάνους τοῖς ὑμνῳδοῖς, καὶ τοῖς μυστηρίοις στεφάνωσιν ἐν τῷ ὑμνωδείῳ καὶ στεφάνους ὑμνῳδοῖς καὶ τοῖς υἱοῖς αὐτῶν πάσης ἡμέρας καὶ πόπανον καὶ λίβανον καὶ λύχνους τῶι Σεβαστῶι. 47. S. R. F. Price, Rituals and Power. The Roman Imperial Cult in Asia Minor, Cambridge 1984, p. 191 : « Nothing in the list or the ritual that is specified marks out the mysteries as being different in kind from the other rituals ».
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Les mystères au iie siècle de notre ère : un tournant fait mention de lieu spécifique pour ces cérémonies48, si tant est qu’il y en ait eu49. La place donnée aux hymnodes dans le rituel pergaménien, comme dans les fêtes avec procession d’époque impériale, laisse d’ailleurs penser que ces « mystères » comportaient à tout le moins des séquences rituelles avec une grande audience et publicité, qui n’étaient pas mystikai, confinées ou secrètes50. Pareillement, à Stratonicée, les lettres d’invitation envoyées à toute la population (esclaves compris) des cités voisines pour qu’elles participent au « mystère » de Zeus ne laissent voir que la « liesse » des festivités (τῆς παρ’ αὐτῷ μετέχιν εὐφροσύνης) et des repas bien arrosés (δεῖπνον)51. Le « mystère » auquel le dieu invite semble, donc, désigner cette théoxénie, commensalité festive avec le dieu et au plus près de lui, sans dimension initiatique particulière. Au-delà de Pergame et toujours au iie siècle se multiplient les attestations de μυστήρια dans les honneurs rendus aux empereurs52. Ce dossier connu sous le nom de « mystères impériaux » fut une pièce importante dans l’élaboration de notre hypothèse : après les positions de grands savants comme M. P. Nilsson qui les appelait des « Pseudo-Mysterien » en 1950, A. D. Nock avait souligné en 1952 « the metaphorical use of mystery terminology », et plus récemment S. Price, pour cette raison, les mentionne à peine dans son ouvrage de référence
48. C’est le cas aussi à Pessinonte, IGR III, 230 (fin ier ou iie siècle), où Tiberius Claudius Hèra, un membre de l’ancienne dynastie galate, est « sébastophante du temple de Pessinonte (σεβαστοφάντην τοῦ ναοῦ τοῦ ἐν Πεσσινοῦντι) ». À Prusias ad Hippium au iiie siècle (I.Prusias ad Hypium 47, 11-13), Tib. Claudius Pison est « sébastophante et hiérophante des mystères du grand sanctuaire du koinon de Bithynie (σ[ε] βα̣στοφάντην [καὶ] τοῦ μεγάλου καὶ κοινοῦ τῆς Βειθυ[νίας νά]ου τῶν μυστηρίων ἱεροφάντ[ην]) ». 49. Cf. A.-F. Jaccottet, compte rendu de I. Nielsen (Housing the Chosen. The Architectural Context of Mystery Groups and Religious Associations in the Ancient World, Turnhout 2014) dans Kernos 28 (2015), p. 287-291. 50. G. M. Rogers, The Mysteries of Artemis of Ephesos, insiste sur cette dimension dans sa 3e partie « Epopteia – Viewing ». 51. I.Stratonikeia 22, 23, 25, 27, 30. A. Laumonier, Les cultes indigènes en Carie, Paris 1958, p. 255, insiste sur la « fête-beuverie ». Cf. N. Belayche, « L’évolution des formes rituelles : hymnes et mystèria », dans L. Bricault, C. Bonnet (éd.), Panthée. Religious Transformations in the Graeco-Roman Empire, Leyde – Boston (RGRW 177) 2013, p. 35-39. 52. J. N. Bremmer, « Imperial Mysteries », Mètis N.S. 14 (2016), p. 21-34, avec la bibliographie antérieure, notamment H. W. Pleket, « An Aspect of the Emperor Cult: Imperial Mysteries », The Harvard Theological Review 58, 4 (1965), p. 331-347.
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Introduction sur le culte impérial en Asie Mineure53. En 2016, J. N. Bremmer a postulé une réalité « mystérique » dans ces mystères impériaux sur la base des titres ou fonctions de leurs officiants (hierophantès et sebastophantès), des désignations en « -phantès »54 construites sur le modèle éleusinien55. Or ces fonctions font partie de la panoplie des charges civiques où s’illustre la philotimia des élites, loin de qualités particulières comme celles exigées des hiérophantes éleusiniens, voire d’éventuelles préoccupations intérieures ou métaphysiques. Bien que la construction des deux termes sébastophante (σεβαστοφάντης) et hiérophante soit identique, seul le second est explicitement lié aux « mystères » (ἱεροφάντης τῶν μυστηρίων). La sociologie de leurs titulaires suit les critères socio-économiques et culturels de l’élite, comme à Éleusis56. Mais à la différence d’Éleusis, on ne perçoit pas de critères religieux discriminants, liés à l’appartenance à une dynastie sacerdotale, à une voix ou un charisme particuliers, ou encore au savoir propre à une expérience religieuse autre que celle des rites civiques habituels. De plus, si officier lors de mystèria – qui figuraient parmi les rituels publics les plus prestigieux à Athènes – avait dû procurer une marque d’honneur privilégiée, on ne peut que s’étonner que ces deux fonctions liées aux « mystères impériaux » ne comptent pas parmi les plus glorieuses dans la carrière de leurs détenteurs. Sauf exception, elles sont mentionnées après la grande prêtrise du culte impérial et l’agonothétie (provinciale ou locale), et après les grandes magistratures civiques. Enfin, à la différence de ce qu’on peut entrevoir à Éleusis aux iie-iiie siècles, ces fonctions « mystériques » ne mobilisent pas une 53. Respectivement : m. P. Nilsson, « Kleinasiatische Pseudo-Mysterien », Bulletin de l’Institut archéologique bulgare 16 (1950), p. 17-20 ; a. d. Nock, « Hellenistic Mysteries and Christian Sacraments », Mnemosyne 5 (1952), p. 177-213 (rééd. A. D. Nock, Essays on Religion and the Ancient World, I, Oxford 1972, p. 791-820) ; S. R. F. Price, Rituals and Power, p. 190-191. Cf. F. Graf, « Lesser Mysteries. Not less Mysterious », dans M. B. Cosmopoulos (éd.), Greek Mysteries. The Archeology and Ritual of Ancient Greek Secret Cults, Londres – New York 2003, p. 241-262, en part. p. 246 ss. pour l’Anatolie. 54. Voir les phasmata de Platon, Phèdre 250c : φάσματα μυούμενοί τε καὶ ἐποπτεύοντες ἐν αὐγῇ καθαρᾷ (« et nous étions initiés aux apparitions et nous les contemplions au sein d’une pure lumière »). Cf. Ch. Schefer, « Rhetoric as part of an initiation into the mysteries: a new interpretation of the Platonic Phaedrus », dans A. Michelini (éd.), Plato as Author: The Rhetoric of Philosophy, Leyde – Boston 2003, p. 175-196. 55. J. N. Bremmer, « Imperial mysteries ». 56. Voir K. Clinton, « The Sacred Officials of the Eleusinian Mysteries », Transactions of the American Philosophical Society N.S. 64, 3 (1974).
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Les mystères au iie siècle de notre ère : un tournant rhétorique ou des valeurs autres que celles de la rhétorique sociale, ce qui aurait été noté en cas de responsabilité dans une initiation. On est donc incité à penser que le registre d’expérience religieuse lors de ces dits mystères n’était pas différent de celui des pratiques courantes. Hors contexte éleusinien explicite, la fonction de hiérophante pouvait désigner de façon large celui qui enseigne les rites et le culte, comme à Éphèse (à la fin du iie ou au tout début du iiie siècle) le « hiérophante public » (δημοτελὴς ἱεροφάντης). Il agissait en connaisseur du rituel, garant de la conformité (νόμιμον) des cérémonies religieuses pratiquées par le prytane, le plus haut magistrat civique, lors des sacrifices et des actes traditionnels du culte57. De leur côté les prytanes pratiquent les mystères et les sacrifices pour le salut de la collectivité58, ce qui ne correspond pas à une représentation des initiations réputées renvoyer à une expérience personnelle. Quant au sébastophante, à Pessinonte, la cité de la Mère des dieux importée par Rome en 204 avant notre ère, il était très étymologiquement l’agent rituel qui « montrait (les portraits de) l’empereur » pendant la procession59, donc pendant une cérémonie de visibilité maximale, ni secrète ni réservée, de même qu’en Occident intervenaient des associations de cultores imaginum domus Augustae60. L’adoration des images de l’empereur fait partie des diversification et embellissement des honneurs rendus à l’Auguste, avec peut-être dans certains cas la constitution de groupes de happy few conviés à des cérémonies réservées socialement, sans apparat « mystérique » au sens initiatique du terme61. Les statues des dieux et des divi portées en procession étaient 57. I.Ephesos 10, 10-12 : περιηγουμένου καὶ διδάσκοντος αὐτὸν [le prytane] τοῦ δημοτελοῦς ἱεροφάντου καθότι ἕκαστον τοῖς θεοῖς νόμιμόν ἐστιν. Le hiérophante reçoit alors les parts les meilleures du sacrifice. 58. I.Ephesos 1077, l. 5-7 certes restituée : τῆς πρυτάνεως [εὐτυχῶς ἐκτελεσάσης τὰ μυ]στήρια καὶ τὰς θυσίας ἐπὶ τῇ τοῦ κ[οινοῦ ἡμῶν σωτηρίᾳ] (sous le règne de Caracalla et Géta). En contexte familial, Marcus Aurelius Agathopous, prytane, ἐτελείωσε τὰ μυστήρια avec toute sa familia (τῆς εὐσεβοῦς ὑπηρεσίας), une formule qui n’oriente pas vers une expérience initiatique, I.Ephesos 1069, 5-6. 59. J. H. M. Strubbe, « The Imperial Cult in Pessinous », dans L. de Blois, P. Funke, J. Hahn (éd.), The Impact of Imperial Rome in Religions, Ritual and Religious Life in the Roman Empire, Amsterdam 2006, p. 116-117. 60. I. Gradel, Emperor Worship and Roman Religion, Oxford 2002, p. 216-224 (« his [the emperor] image functioned as his representative », p. 224). Pour les pays hellénophones, M. Clauss, Kaiser und Gott: Herrscherkult im römischen Reich, Munich 1999, p. 340-341. 61. Cf. m. P. Nilsson, « Kleinasiatische Pseudo-Mysterien ».
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Introduction ointes soigneusement de façon à ce qu’elles resplendissent en gloire62. Le decorum / kosmos somptueux garantissait l’objectif de communication qu’aurait bridé le secret du « mystère ». L’agent cultuel qui montre/dévoile l’empereur (sebasto-phantès) est assez banalement un agent rituel qui porte les statues ou bustes de l’empereur (un sebastophoros), dont le nom a fait illusion eu égard au contexte de « mystérisation ». Les lexicographes tardifs en donnent le sens : « les Augustales que les Grecs appellent sébastophores (Αὐγουστάλιοι, οὓς Ἕλληνες σεβαστοφόρους καλοῦσι) », qui ont notamment la garde des images des empereurs (τοὺς τῶν βασιλέων τύπους φυλάττοντες)63. Sur la piste de la « mystérisation » … Les témoignages variés en provenance de l’Asie romaine semblent bien indiquer que le lexique mystérique a contaminé les désignations de formes rituelles habituelles et de leurs agents dédiés. Le recours extensif à cette terminologie au iie siècle a pu contribuer à voiler certaines reconstructions de rituels, et cela invite aussi à s’interroger sur les raisons de la même diffusion dans les discours sur les mystères et leur interprétation. Dans les discours philosophiques – mais pas seulement comme on le lira –, la représentation des mystères se déploie comme savoir ésotérique. Esquissée déjà chez Platon, elle devient une métaphore de l’initiation à la sagesse : l’expérience des mystères semble proposer un parcours comparable à celui du bios philosophikos. Des contributions dans ce volume s’attachent tout spécialement aux registres dans lesquels les emprunts aux mystères (qu’il s’agisse du lexique ou de l’expérience rituelle) furent les plus prégnants, de façon à comprendre en quoi les approches philosophiques du iie siècle ont pesé sur l’imaginaire mystérique qui a été transmis aux époques ultérieures64. Le point est d’autant plus important que, du fait 62. Cf. un sébastophante à Ancyre sous Hadrien : ἀλείψ̣αντος ἐκ τῶν ἰδίων, IGR III, 208, 6. Le soin de patine des statues est strictement réglementé dans la donation de Gaius Vibius Salutaris à Éphèse. 63. Jean Lydus, De mensibus fr. 3, 8 ; voir aussi 4, 138 (le 5 octobre, les régionarques et les sébastophores offrent une cérémonie chorale en l’honneur de Tibère). J. N. Bremmer, Initiation into the Mysteries of the Ancient World, p. 154-155, dresse un tableau très habituel des activités de ces « functionaries who displayed […] the images of the emperor », bien qu’il parle d’initiation. 64. Voir la deuxième partie de ce volume : « Une “mystérisation” dans la littérature du iie siècle ? ».
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Les mystères au iie siècle de notre ère : un tournant que la pensée (médio-)platonicienne était un socle commun à l’élite lettrée de l’empire, les auteurs chrétiens ont puisé dans les allégories et l’imagerie mystériques, alors même qu’ils considéraient – ou en tout cas affichaient – que les cultes à mystères étaient les rivaux les plus dangereux du christianisme. Sur la base de ces remarques préliminaires qui visaient à esquisser les terrains (et éventuellement les chausse-trappes) sur lesquels se déploient les attestations de « mystères » ou d’« ambiance » mystérique au iie siècle, les études réunies dans cet ouvrage65 progressent selon trois étapes. La première partie propose un « état des “lieux” » des rituels au iie siècle, en combinant approches de terrain (d’Éleusis et Samothrace aux découvertes récentes de Hiérapolis de Phrygie et aux cultes isiaques) et réflexion théorique (l’apport d’un schéma cognitif). Les contributions de la deuxième partie posent très directement la question de la « mystérisation » dans les littératures du iie siècle : médicale, philosophique et hymnique, ainsi que rabbinique. La troisième partie conduit le lecteur en aval, en interrogeant les effets de cette « mystérisation » dans divers domaines : rituels (dont des « recettes » dans les papyrus magiques), littéraires et théologiques chez des auteurs chrétiens.
*** Nous sommes heureux de remercier les institutions qui ont accompagné et soutenu la réalisation de ce projet : l’UMR 8210 AnHiMA (Paris) ; le Fonds National Suisse de la recherche scientifique ; l’EPHE, PSL, Section des Sciences religieuses – auprès de qui nous sommes aussi redevables d’avoir accepté l’ouvrage dans sa collection ; le Laboratoire d’Excellence HASTEC (Histoire et Anthropologie des Savoirs, des Techniques et des Croyances porté par l’EPHE-PSL, ANR-10LABX-85) ; et l’UMR 8584 LEM (Paris). Un remerciement spécial s’adresse à Cécile Guivarch, éditrice, pour sa patience, son attention et sa précieuse rigueur dans la réalisation de ce volume.
65. Les résumés (en français et en anglais) des contributions sont réunis en fin de volume, p. 579.
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Approcher des rituels mystériques au IIe siècle : un état des « lieux »
PERCER LA LOI DU SILENCE ? LES « NUITS ILLUMINANTES » À ÉLEUSIS AU IIe SIÈCLE Nicole Belayche EPHE, PSL Paris – AnHiMA (UMR 8210)
Iacchus, Eumolpidaeque nostri, et augusta illa mysteria,[…] nihil melius illis mysteriis Cicéron1
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y a du secret / μυστικός2 dans les mystères, mais tout n’est pas μυστικός dans les cérémonies que les Anciens appelaient μυστήρια. Sur ce type de rituel particulier, à la fois public et personnel, la tradition ancienne est unanime à considérer que les mystères d’Éleusis étaient matriciels3 – d’autant qu’ils avaient une dimension « panhell
1. Cicéron, Lois 2, 14 : « Iacchus, nos Eumolpides, et tous ces augustes mystères […] rien n’est supérieur à ces mystères. » Pour les « nuits illuminantes » (Ælius Aristide), infra, n. 16. Abréviation : I.Eleusis = K. Clinton, Eleusis, the Inscriptions on Stone: documents of the Sanctuary of the two goddesses and public documents of the deme, I : Text, II : Commentary, Athènes 2005-2008. Je remercie vivement Constantinos Macris pour sa relecture. 2. Le sens de « clos, cacheté et scellé » est conservé dans le Code civil français, article 976 sur le « testament mystique », [https://www.legifrance.gouv.fr/ affichCodeArticle]. Je dois cette référence à Florian Audureau que je remercie. Sur la construction historiographique du « secret » des mystères, voir L. H. Martin, Studies in Hellenistic Religions, Eugene (OR) 2018, p. 181-195 (« Those Elusive Eleusinian Mystery Shows », 1re édition 1986). 3. Cf. P. Scarpi, Le religioni dei misteri, I. Eleusi, dionisismo, orfismo, Milan 2002. Dans l’attaque de Démosthène contre Eschine, Sur la couronne (Or. 18) 259, un modèle différent en ce qu’il est « privé », mais construit avec des éléments « mystériques » 10.1484/M.BEHE-EB.5.125918
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Nicole Belayche lénique »4. Il suffit de lire comment Alexandre fonda son culte du serpent Glycon dans la Bithynie du iie siècle de notre ère d’après Lucien de Samosate : il établit une sorte d’initiation (τελετήν τε γάρ τινα συνίσταται), avec dadouquies et hiérophanties (καὶ δᾳδουχίας καὶ ἱεροφαντίας) […] sur le modèle de celle d’Athènes (ὥσπερ Ἀθήνησι τοιαύτη)5.
Le modèle éleusinien a donc guidé les savants qui ont travaillé sur les rituels mystériques, et qui ont appliqué ses formes et modalités à toutes les cérémonies religieuses classées comme « mystères » dans le monde romain6. Or, à la différence d’autres cultes dits à mystères sous l’Empire (comme celui d’Isis selon le dernier livre des Métamorphoses d’Apulée), à Éleusis les documents anciens appellent ta mystèria ou ta Eleusinia l’ensemble de la panégyrie qui s’ouvrait le 14
similaires : « Devenu homme, pendant que ta mère accomplissait le rite (τῇ μητρὶ τελούσῃ), tu lisais les livres et l’aidais pour tout le reste. La nuit (νύκτα), tu donnais à ceux qui accomplissent le rite une peau de faon, tu présentais le cratère, tu les purifiais (καθαίρων), tu les frottais de son et d’argile ; et les faisant se lever après la purification tu leur faisais dire (κελεύων λέγειν) : “J’ai fui le mal, j’ai trouvé le bien” ». 4. La prorrhèsis du 15 Boedromion éloignait ceux qui ne parlaient pas grec et avaient les mains souillées, cf. C. Riedweg, Mysterienterminologie bei Platon, Philon und Klemens von Alexandrien, Berlin – New York 1987, p. 74-85. Sur l’aura du sanctuaire en contexte non littéraire, RICIS 114/0202 (arétalogie de Maronée), l. 38-41 : « […] voilà pourquoi nous avons à cœur d’aller voir, dans la Grèce Athènes, et dans Athènes Éleusis (τῆς μὲν Ἑλλάδος ἰδεῖν σπεύδομεν τὰς Ἀθήνας, τῶν δ’ Ἀθη/νῶν Ἐλευσῖνα), en estimant que la cité est la parure de l’Europe, et que le sanctuaire est la parure de la cité (τῆς / δὲ πόλεως τὸ ἱερὸν κόσμον) ». Cf. IG II/III³, 4, 217 : τοῖν θ[εοῖν καὶ] τ̣ῶι Αὐτοκ[ρ]άτορι οἱ Πανέ[λλ]ηνες. 5. Lucien, Alexandre ou le faux prophète 38. Cf. A. Chaniotis, « Old wine in a new skin: Tradition and innovation in the cult foundation of Alexander of Abonoteichos », dans E. Dabrowa (éd.), Tradition and Innovation in the Ancient World, Cracovie 2002 (Electrum 6), p. 67-87, en part. 78-79. 6. Cf. récemment J. N. Bremmer, Initiation into the Mysteries in Ancient World, Leyde – Boston 2014, p. 138 : « the prototypical Eleusinian Mysteries ». Or le rituel éleusinien ne s’est jamais exporté ailleurs (des tentatives avortées à Alexandrie ou Rome), du fait du lien organique, dans le mythe, avec le lieu d’Éleusis ; sur le caractère topique (dans l’espace-temps) si conforme au polythéisme de ces mystères, Épictète, Entretiens III, 21, 13-16. Voir l’enquête de F. Massa, « Éleusis-Rome aller/ retour. Mobilités religieuses autour des mystères éleusiniens à l’époque impériale », dans B. Amiri (éd.), Migrations et mobilité religieuse (Actes du colloque de Besançon, 23-24 novembre 2017), Besançon 2020, p. 271-293. Cela ne préjuge pas de la dissémination des symboles visuels éleusiniens (ciste, épis, etc.).
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Les « nuits illuminantes » à Éleusis au iie siècle Boedromion : ce 25 septembre, les hiera étaient transportés d’Éleusis à l’Eleusinion d’Athènes7, avant de revenir en grande pompe (la ἅμα ἱεροῖς πομπή8) le 19 Boedromion avec les nouveaux mystes, qui seuls, à l’arrivée au sanctuaire, pénétreront à l’intérieur des hauts murs9. Quant à l’expérience des candidats pendant la séquence proprement mystérique (initiatique) des Eleusinia, l’historiographie n’a pu que la reconstituer à partir d’évocations littéraires du fait de la loi du silence propre aux « mystères »10. Ainsi, le Discours olympique de Dion Chrysostome évoque-t-il les visions et voix, l’alternance de ténèbres et de lumière « dans quelque sanctuaire mystérique d’une beauté et d’une grandeur exceptionnelles »11. Plutarque a fourni un tableau devenu paradigmatique de cette expérience dans un récit sur l’âme au moment de la mort : alors elle éprouve la même sensation que ceux qui sont initiés aux grands mystères. Car le mot et la chose se ressemblent ; on dit τελευτᾶν et τελεῖσθαι. Ce sont d’abord des courses au hasard, de pénibles détours, des marches inquiétantes et sans terme à travers les ténèbres. Puis, avant la fin, la frayeur est à son comble ; le frisson, le tremblement, la sueur froide, l’épouvante. Mais ensuite une lumière merveilleuse s’offre aux yeux, on passe dans des lieux purs et des prairies où retentissent les voix et les danses ; des paroles sacrées, des apparitions saintes inspirent un respect religieux.12
7. Les hiera conditionnent l’existence de la festivité puisque c’est l’annonce faite à la prêtresse d’Athéna de leur arrivée à Athènes qui ouvre le processus rituel, cf. infra, n. 58 ; sur les embellissements de l’Eleusinion à l’époque romaine, sur le modèle de ceux d’Éleusis, M. M. Miles, The City Eleusinion (The Athenian Agora XXXI), Athènes – Princeton (NJ) 1998, p. 88-91. 8. I.Eleusis 638, l. 13, en 220 de notre ère. 9. E. Lippolis, Mysteria. Archeologia e culto del santuario di Demetra a Eleusi, Turin 2006, p. 100-106, détaille le calendrier de la fête ; pour le calendrier des processions, D. N. Robertson, « The Two Processions to Eleusis and the Program of the Mysteries », American Journal of Philology 119 (1998), p. 547-566. 10. Cf. par exemple W. Burkert, Les cultes à mystères dans l’Antiquité, Paris 1992 [éd. orig. Cambridge (MA) – Londres 1987], p. 82-83 (« nous servir de cette langue comme d’un miroir, afin d’apercevoir quelque chose de l’autre côté des murs », p. 83). De façon générale, sur la surreprésentation des textes dans l’approche du religieux, A. W. Geertz, « Global Perspectives on Methodology in the Study of Religion », Method & Theory in the Study of Religion 12 (2000), p. 49-73, en part. p. 70-71. 11. Dion de Pruse, Olympikos (Or. 12), 33. 12. Plutarque fr. 178 Sandbach, ap. Stobée 4, 52, 49 (V, p. 1089 Hense), trad. P. Foucart, Les mystères d’Éleusis, Paris 1914, p. 393 : τότε δὲ πάσχει πάθος οἷον
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Nicole Belayche Sans être aussi narratif, Ælius Aristide, dans son Eleusinios prononcé à Smyrne au printemps 171, partage aussi les savoirs et représentations du Chéronéen13. Sa défense et illustration du sanctuaire attique après l’attaque sarmate de 170 distingue d’entrée les ἄρρητα φάσματα14 des « bienheureux » initiés et les récits du mythe dans la littérature mythico-poétique et hymnique15. Comme chez Plutarque, le discours d’Aristide sur les cérémonies derrière les murs mobilise les mêmes images de terreur, de brillance lors des « nuits illuminantes (τὰς φωσφόρους νύκτας) »16, puis de bonheur : le sanctuaire vénérable (σεμνός) « provoque les plus grands frissons et procure la plus grande joie (ταυτὸν φρικωδέστατόν τε καὶ φαιδρότατον) », et il promet des espoirs pour l’après-vie17. J’ai souhaité mettre en regard ces discours du iie siècle qui ont contribué à construire la catégorie de « mystères » et leur expérience18, avec ce qui émerge de la documentation épigraphique sur les
οἱ τελεταῖς μεγάλαις κατοργιαζόμενοι. διὸ καὶ τὸ ῥῆμα τῷ ῥήματι καὶ τὸ ἔργον τῷ ἔργῳ τοῦ τελευτᾶν καὶ τελεῖσθαι προσέοικε. πλάναι τὰ πρῶτα καὶ περιδρομαὶ κοπώδεις καὶ διὰ σκότους τινὲς ὕποπτοι πορεῖαι καὶ ἀτέλεστοι, εἶτα πρὸ τοῦ τέλους αὐτοῦ τὰ δεινὰ πάντα, φρίκη καὶ τρόμος καὶ ἱδρὼς καὶ θάμβος· ἐκ δὲ τούτου φῶς τι θαυμάσιον ἀπήντησεν καὶ τόποι καθαροὶ καὶ λειμῶνες ἐδέξαντο, φωνὰς καὶ χορείας καὶ σεμνότητας ἀκουσμάτων ἱερῶν καὶ φασμάτων ἁγίων ἔχοντες. Même comparaison dans Sur les progrès dans la vertu 81D-E. Pour le fr. 157 Sandbach, voir récemment R. Scannapieco, « Mυστηριώδης θεολογία: Plutarch’s fr. 157 Sandbach between Cultual Traditions and Philosophical Models », dans L. Roig Lanzillotta, I. Muñoz Gallarte (éd.), Plutarch in the Religious and Philosophical Discourse of Late Antiquity, Leyde – Boston 2012, p. 193-214. 13. C. Franco, « Le Discours pour Éleusis d’Ælius Aristide (or. 22) : entre histoire et rhétorique », dans L. Pernot, G. Abbamonte, M. Lamagna (éd.), Ælius Aristide écrivain, Strasbourg (RRR 19) 2016, p. 147-165. Pour l’édition commentée, A. Humbel (éd.), Ailios Aristeides, Klage über Eleusis (Oratio 22), Vienne 1994. 14. Les ὁρώμενα s’accompagnent de δρώμενα, cf. Plutarque, Sur les progrès dans la vertu 81 D : δρωμένων δὲ καὶ δεικνυμένων τῶν ἱερῶν. 15. Ælius Aristide, Eleusinios (Or. 22), 3. L’auteur chrétien Minucius Felix, Octavius 22, 1, et 2 pour Éleusis, s’appuie sur les mythes pour caractériser les mystères. 16. Ælius Aristide, Eleusinios (Or. 22), 11. Une formule similaire dans les inscriptions, infra n. 82 et 84. 17. Ælius Aristide, Eleusinios (Or. 22), 2 et 10. 18. Sur les difficultés posées par cette catégorie, N. Belayche, F. Massa (éd.), Dossier Les « cultes à mystères » : retour sur une catégorie, Mètis N.S. 14 (2016), p. 7-132. Déjà T. J. Wellmann, « Ancient Mysteria and Modern Mystery Cults », Religion & Theology 12.3-4 (2005), p. 308-348 (p. 313 : « mysteria was a rhetorical and constructivist taxon in ancient use and the same condition persists in modern analyses »).
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Les « nuits illuminantes » à Éleusis au iie siècle rituels pendant les « jours mystériques » (μυστηριώτισιν ἡμέραις)19, et sur d’éventuelles nouveautés du siècle – puisque les rituels sont des réalités dynamiques et qu’il y eut assurément des évolutions à cette époque, liées principalement à celles des sociétés civiques impériales20. Mon propos pistera surtout ce qui se passait à l’intérieur des murs et n’ambitionne pas de dessiner « les mystères d’Éleusis »21. Des textes au terrain du IIe siècle de notre ère La documentation littéraire apporte de premiers éléments pour contextualiser des initiations du iie siècle, tout spécialement prestigieuses puisqu’il s’agit d’empereurs. J’examinerai ensuite les faits rituels, malgré un contexte archéologique imprécis et publié de façon dispersée22. Je m’efforcerai de lever un coin du voile, même si l’observation de G. Mylonas en 1947 risque de rester d’actualité sur plusieurs points : What happened in the Telesterion, what was the initiation and what the tests, what were the mysteries which were revealed to the mystae, are questions that cannot be answered even today23.
19. I.Eleusis 271, l. 9, c. 76 avant notre ère. Cf. Ælius Aristide, Eleusinios (Or. 22), 7 : les μυστηριώτιδες σπονδαί. 20. Cf. N. Belayche, « L’évolution des formes rituelles : hymnes et mystèria », dans L. Bricault, C. Bonnet (éd.), Panthée. Religious Transformations in the GraecoRoman Empire, Leyde – Boston (RGRW 177) 2013, p. 17-40. I. Patera, « Changes and Arrangements in a Traditional Cult. The Case of the Eleusinian Rituals », dans A. Chaniotis (éd.), Ritual Dynamics in the Ancient Mediterranean. Agency, Emotion, Gender, Representation, Stuttgart 2011, p. 119-137, ne traite pas de la période romaine. 21. Cf. L. J. Alderink, « The Eleusinian Mysteries in Roman Imperial Times », ANRW II 18, 2 (1989), p. 1457-1498. Pour une revue des modèles interprétatifs au regard de la polis religion, I. Patera, « Individuals in the Eleusinian Mysteries: choices and actions », dans M. Fuchs, A. Linkenbach et al., Religious Individualisation, Historical Dimensions and Comparative Perspectives, Berlin 2019, p. 686-690. 22. Des « preliminary reports », cf. G. E. Mylonas, Eleusis and the Eleusinian Mysteries, Princeton 1961, p. 13, n. 13. Pour un état synthétique de l’extension du sanctuaire, J. Travlos, « The topography of Eleusis », Hesperia 18 (1949), p. 138-147 et Id., « Τὸ ᾿Ανάκτορον τῆς ᾿Ελευσῖνος », ArchEph (1950/1951), p. 1-16 ; E. Lippolis, Mysteria, p. 241-286 pour la période romaine. 23. G. E. Mylonas, « Eleusis and the Eleusinian Mysteries », The Classical Journal 49 (1947), p. 140. Mylonas faisait une lecture littérale du mythe éleusinien (la forme cérémonielle des mystères aurait été instituée par Déméter elle-même), sur la base des indications données dans l’Hymne homérique à Déméter. Mais nous savons que le rapport entre mythe et rite est généralement inverse (étiologique).
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Nicole Belayche Les données archéologiques relatives aux espaces à l’intérieur de l’enceinte réservée aux initiés – ce que Pausanias appelait « ce qui se trouve à l’intérieur du mur du sanctuaire »24 – sont peu explicites25.
Fig. 1 : Plan du sanctuaire aux périodes hellénistique et romaine, d’après M. B. Cosmopoulos, Bronze Age Eleusis and the Origins of the Eleusinian Mysteries, Cambridge (MA) 2015, p. 149, fig. 80.
24. Infra, n. 63. L’Hymne homérique à Déméter 270-274, ne mentionne qu’« un vaste temple (νηὸν μέγαν), et un autel à proximité, au pied de l’acropole […] sur le versant de la colline ». 25. Les fouilles du Télestèrion dans les années 1930 avaient pour but premier de découvrir les traces mycéniennes du sanctuaire, ce qui a fait disparaître les niveaux ultérieurs, a fortiori romains, cf. G. E. Mylonas, « Excavations at Eleusis. 1932, Preliminary Report », American Journal of Archaeology 37.2 (1933), p. 271 : « The work of removing the earth was completed in 1932, the natural rock is now exposed in practically the entire area. » Cf. récemment M. B. Cosmopoulos, Bronze Age Eleusis and the Origins of the Eleusinian Mysteries, Cambridge (MA) 2015.
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Les « nuits illuminantes » à Éleusis au iie siècle Pour le iie siècle, sont attestés les agrandissements et embellissements dès Hadrien26, et les reconstructions consécutives à l’attaque des Costobocs en 170. Ainsi (fig. 1), la stoa de Philon est reconstruite, avec son autel (?) dans la cour intérieure avant, et elle accueille des statues de hiérophantes. Ce qu’on appelle traditionnellement le Télestèrion est agrandi vers l’ouest, en mordant sur le versant de la colline27. Ses sièges sont embellis d’un revêtement de marbre, auquel pourrait faire allusion l’ἐνδοξ̣ότερόν τε καὶ σεμνότερον d’une lettre de Commode28. La longue terrasse réaménagée dans la colline en surplomb du Télestèrion à l’ouest est plus intrigante pour l’enquête sur les rituels à l’intérieur de l’espace réservé. Elle était accessible par des volées d’escalier plus ou moins larges situées de part et d’autre du bâtiment (au nord et au sud). La question de la relation éventuelle entre ces aménagements, des circulations (rituelles ?) d’initiés, et l’élévation du Télestèrion – avec ses deux étages et le lanterneau couronnant l’anaktoron après les travaux péricléens (τὸ δ’ ὀπαῖον ἐπὶ τοῦ ἀνακτόρου)29 –, est entière. Escaliers et terrasse donnaient accès à un temple d’ordre ionique (L 10 sur la fig. 1) construit sur le rocher au nord-est du Télestèrion, qui dominait un autre temple appelé F. Leur attribution par G. Mylonas à l’époque romaine et à deux impératrices (Faustine, épouse d’Antonin et Sabine, épouse d’Hadrien30), avait déjà été écartée par K. Clinton31, même s’ils furent embellis au iie siècle.
26. Cf. E. Lippolis, « Eleusis. Sanctuary of the Empire », dans M. Galli (éd.), Roman Power and Greek Sanctuaries. Forms of Interaction and Communication, Athènes (Tripodes 14) 2013, p. 245-264. 27. Cf. R. F. Townsend, « The Roman Rebuilding of Philon’s Porch and the Telesterion at Eleusis », Boreas 10 (1987), p. 97-106. 28. Voir infra, n. 61. 29. Plutarque, Vie de Périclès 13, 7. Pour les difficultés posées par les sources littéraires, cf. E. Lippolis, Mysteria, p. 90-94. 30. G. E. Mylonas, Eleusis and the Eleusinian Mysteries, p. 175-181 et 160-162 pour le Télestèrion au iie siècle. 31. K. Clinton, « The Eleusinian Mysteries: Roman initiates and Benefactors, Second Century B.C. to A.D. 267 », ANRW II 18, 2 (1989), p. 1523 ; E. Lippolis, Mysteria, p. 278-279 et E. Lippolis, « Eleusis. Sanctuary of the Empire », p. 256-257 ; F. Camia, « Cultic and Social Dynamics in the Eleusinian Sanctuary under the Empire », dans E. Muñiz Grijalvo, J. M. Cortés Copete, F. Lozano Gomez (éd.), Empire and Religion. Religion Change in Greek Cities under Roman Rule, Leyde – Boston 2017, p. 48-49 ; Eleusis. The Great Mysteries (catalogue de l’exposition du Musée de l’Acropole, 26 février-30 juin 2018), Athènes 2018 (un temple de Corè).
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Nicole Belayche À défaut de certitudes topographiques et architecturales, la réputation du sanctuaire combinée à l’epigraphic habit dans les sociétés civiques impériales nous gratifient de témoignages gravés dont on a peu interrogé jusqu’à présent les apports rituels de façon systématique32. Certes, l’exercice a ses limites, car ces inscriptions sont des textes honorifiques ou funéraires d’illustration de hauts personnages de l’élite athénienne, hommes et femmes, de surcroît souvent dans une langue poétique archaïsante prisée dans l’ambiance de la Seconde Sophistique, ce qui peut fausser les informations espérées de certains usages terminologiques. Les initiations impériales au IIe siècle La monumentalisation du sanctuaire des « Deux Déesses » s’est intensifiée à partir du ier siècle avant notre ère33. Les nouvelles constructions, notamment à l’entrée de la zone réservée (intra muros), ou les agrandissements d’anciennes structures comme le Télestèrion, furent portées par le philhellénisme d’Hadrien34 et l’initiation de plusieurs empereurs de la dynastie antonine (βασιλῆας μυστιπόλους35). Mais ces initiations eurent peu d’incidence sur le calendrier normal des mystèria au iie siècle36, contrairement à celle de sinistre mémoire
32. Les travaux de K. Clinton sont d’un apport richissime depuis 1974, voir infra. 33. Cf. K. Clinton, « Eleusis from Augustus to the Antonine: Progress and Problems », Atti XI Congresso Internazionale di Epigrafia greca e latina, Rome 1999, p. 93-102. 34. Ses Grands Propylées remplacent la porte nord de Cimon. Outre les ouvrages généraux déjà cités, voir D. Giraud, « The Greater Propylaia at Eleusis, a Copy of Mnesikles’ Propylaia », dans S. Walker et A. Cameron (éd.), The Greek Renaissance in the Roman Empire, Londres 1989 (BICS Suppl. 55), p. 68-75, et P. Baldassarri, « Copia architettonica come memoria del passato. I Grandi Propilei di Eleusi e il santuario eleusino in età antonina », dans O. D. Cordovana, M. Galli (éd.), Arte e memoria culturale nell’età della Seconda Sofistica, Catane 2007, p. 211-233. Ils furent sans doute terminés sous Marc Aurèle, dont le buste figure dans une imago clipeata et qui est cité dans l’inscription, cf. J. M. Cortés Copete, « Marco Aurelio, benefactor de Eleusis », Gerion 16 (1998), p. 255-270. Plus généralement K. Clinton, « Hadrian’s contribution to the renaissance of Eleusis », dans S. Walker, A. Cameron (éd.), The Greek Renaissance in the Roman Empire, p. 56-68 et C. Antonetti, « La centralità di Eleusi nell’ideologia panellenica adrianea », Ostraka. Rivista di antichità 4/1 (1995), p. 149-156. 35. I.Eleusis 502. 36. Mais, à partir de 124, l’année commence au mois de Boedromion, date de l’arrivée
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Les « nuits illuminantes » à Éleusis au iie siècle de Démétrios Poliorcète en 303/302 avant notre ère37. D’autre part, la documentation n’atteste pas des deux étapes initiatiques – myèsis puis epopteia l’année suivante – généralement acceptée pour la période grecque, j’y reviendrai. Une seule inscription, en 162 (?), indique que le hiérophante tint deux fois les mystères la même année, mais le besoin de préciser : καὶ τοῦτο κατὰ τὸ θεμιτόν laisse justement entendre un fait exceptionnel38. D’après Dion Cassius, l’initiation d’Hadrien daterait de 12839, mais la date est sans doute antérieure. S. Follet, qui a établi le calendrier des voyages du prince, pas celui des initiations, ne mentionne pour Hadrien qu’une seule participation aux mystères, et va même, de façon hypercritique, jusqu’à hésiter entre Éleusis et les Antonieia40. On pourrait lire une allusion aux « petits mystères » d’Agra41 (donc à deux initiations) dans une mention de l’Histoire Auguste : Hadrien « se fit initier aux mystères d’Éleusis à l’exemple d’Hercule et de Philippe (Eleusinia sacra suscepit exemplo Herculis Philippique) »42, puisque, selon le mythe, les cérémonies d’Agra furent fondées pour purifier Héraclès avant son initiation. Mais l’indice est fragile car les mystères d’Agra ne sont plus attestés à l’époque romaine43. La mention tardo-antique d’Hadrien pour son premier voyage, cf. F. Camia, « Cultic and Social Dynamics », p. 47. Voir aussi infra, n. 44. 37. Plutarque, Vie de Démétrios 26, 2-4. En revanche L. Licinius Crassus, questeur en Asie en 109 avant notre ère, fut irrité par les Athéniens qui avaient refusé de recommencer les mystères qu’il avait manqués à deux jours près (Atheniensibus quod mysteria non referrent ad quae biduo serius veneram succensuissem), Cicéron, De oratore 3, 75. 38. IG II2, 3592, l. 23-24 ; voir K. Clinton, « The Sacred Officials of the Eleusinian Mysteries », Transactions of the American Philosophical Society, N.S. 64 /3 (1974), p. 37. 39. Dion Cassius 69, 11, 1. P. Foucart, « Les empereurs initiés aux mystères d’Éleusis », Revue de philologie (1893), p. 196-207, proposait la date de 129 pour l’époptie. 40. S. Follet, Athènes aux iie et iiie siècles. Études chronologiques et prosopographiques, Paris 1976, en part. p. 107-141, p. 109 pour les mystères. D. Knoepfler, « L’empereur Hadrien et les cités grecques : état des lieux après un demi-siècle de découvertes épigraphiques exceptionnelles », Annuaire du Collège de France 114 (2015), en ligne, [https://journals.openedition.org/annuaire-cdf/11923], n’évoque pas l’initiation. 41. Plutarque, Vie de Démétrios 26, 1, distingue dans la teletê les mikra et les megala epoptika. 42. Histoire auguste. Hadrien 13, 1 ; il s’agit de Philippe II de Macédoine, mais sur la difficulté posée par le texte, voir K. Clinton, « The Eleusinian Mysteries », p. 1518, n. 92. 43. Cf. K. Dowden, « Grades in the Eleusinian Mysteries », Revue de l’histoire des
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Nicole Belayche fleure plutôt bon la référence glorieuse propre à illustrer une vie de « bon empereur ». K. Clinton date finalement, et de façon convaincante, l’initiation d’Hadrien de la période de ses études à Athènes, au plus tard en 112/11344. C’est pourquoi Isidotè fille d’Isaios ne manque pas de rappeler que son ancêtre homonyme avait enseigné au futur empereur l’art des Muses45, et que, de son côté, Lucius Memmius de Thoricos, prêtre à l’autel, connu par plusieurs inscriptions des années 160-170, avait donc pu « introduire aux rites secrets en présence du dieu Hadrien (μυήσαντα παρόντος θεοῦ Ἁδριανοῦ) », déjà initié46. On a aussi voulu reconnaître la trace d’une deuxième initiation (l’époptie) sur le revers d’un cistophore d’Asie frappé à Éphèse (?) en 128/129, et figurant Hadrien en toge tenant un épi de blé47. La légende latine – HADRIANVS AVG(ustus) P(ater) P(atriae) REN(?) – a donc été lue REN(atus), en célébration de « sa renaissance spirituelle »48. Outre l’emploi exceptionnel de renatus dans les cultes à mystères païens49, le consensus récent des numismates a établi que la pièce doit être lue avec une autre de légende identique, qui représente Hadrien sacrifiant avec une patère sur un foculus ; REN est donc à développer REN(ovavit), en lien avec l’image augustéenne50. L’hypothèse de la deuxième initiation s’éloigne à nouveau.
religions 197/4 (1980), p. 409-427, en part. p. 421. 44. K. Clinton, « The Eleusinian Mysteries », p. 1517 ; suivi par F. Camia, « Cultic and Social Dynamics in the Eleusinian Sanctuary », p. 47, en 111-112 quand Hadrien était archonte éponyme, et par A. Lo Monaco, « Adriani in visita agli dèi in Grecia », dans E. Calandra, B. Adambri (éd.), Adriano e la Grecia, Vérone 2014, p. 27. En revanche, pour A. Carandini, E. Pepi, Adriano, Roma e Atene, Milan 2019, p. 186, en 124 lors du premier voyage d’Hadrien empereur. 45. IG II2, 3632, l. 9-10 = I.Eleusis 502 = K. Clinton, « Sacred Officials », no 10 ; trad. S. Follet, Athènes aux iie et iiie siècles, p. 264-265. 46. Λ. Μέμμιος ἐπὶ βωμῶι Θορίκιος, descendant de dadouques, d’archontes, de stratèges et d'agonothètes, qui a officié pendant 56 ans, donc sous trois règnes, IG II2, 3620, l. 11-12 = I.Eleusis 503 = K. Clinton, « Sacred Officials » no 12 ; trad. S. Follet, Athènes aux iie et iiie siècles, p. 289-290, en 177-180. 47. RPC III, 1441. 48. J. Beaujeu, La religion romaine à l’apogée de l’Empire, I : La politique religieuse des Antonins (96-192), Paris 1955, p. 169-170 ; plus récemment E. Lippolis, Mysteria, p. 214 (sans référence). 49. Il n’existe, à ma connaissance, que trois autres attestations : Apulée, Métamorphoses XI, 21, 7 ; ILS 4152 (inscription taurobolique de 376) ; et CIMRM 498 (20 novembre 202, un célèbre graffito du mithraeum de Santa Prisca à Rome). 50. RPC III, 1442 et p. 176 (avec bibliographie). Voir aussi D. Calomino, « AD 14-2014:
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Les « nuits illuminantes » à Éleusis au iie siècle Après Antonin qui ne quitta pas l’Italie51, Lucius Verus fut initié probablement à l’automne 162, et Marc Aurèle et Commode à l’automne 17652. Tous furent agrégés à la famille des Eumolpides53. Monumentalisation et initiations d’empereurs ne sont pas des gages d’une documentation plus loquace sur les rituels, car les empereurs ont les premiers respecté la loi du silence54. Auguste, initié en 21 avant notre ère (Athenis initiatus), eut à juger « à son tribunal une affaire relative aux privilèges des prêtres de la Cérès attique » ; considérant « que l’on divulguait certains secrets (secretiora) », il « renvoya ses assesseurs ainsi que la foule des assistants et suivit seul les débats »55. Deux reconstitutions également plausibles peuvent justifier sa décision. Les sacerdotes en question étaient le hiérophante, le dadouque, et peut-être le prêtre à l’autel, les seuls concernés par les secretiora, puisque les mystagogoi qui guident éphèbes et mystes lors Commemorating Augustus on coins », ARA. The Bulletin of The Association for Roman Archaeology 23 (2015-2016), p. 11. Je remercie Antony Hostein pour son assistance. 51. C’est pourquoi le hiérophante T. Flavius Leosthenes reçut sans doute son strophion lors d’une de ses ambassades à Rome, IG II2, 3592, l. 21-22. 52. Histoire Auguste. Hadrien 13, 1 et Marc Aurèle 27, 1. Cf. K. Clinton, « Eleusis and the Romans: Late Republic to Marcus Aurelius », dans M. C. Hoff, S. Rotroff (éd.), The Romanization of Athens, Oxford (Oxbow Monographs 94) 1997, p. 161181 ; K. Clinton, « Eleusis from Augustus to the Antonines: Progress and Problems », dans XI Congresso Internazionale di Epigrafia greca e latina, p. 93-102. Selon Philostrate, Vie des sophistes II, 1, 15 [563], à la suite d’un vœu fait lors de la guerre contre les Marcomans, Marc Aurèle aurait demandé à Hérode Atticus, qui avait été son maître, d’être le mystagogue de son initiation (ηὐξάμην γάρ, ὁπότε ὁ πόλεμος μάλιστα ἐφλέγμαινε, καὶ μυηθῆναι, εἴη δὲ καὶ σοῦ μυσταγωγοῦντος). 53. Cf. IG II2, 3592, l. 24-25 = K. Clinton, « Sacred Officials », p. 33 et 37 (προσειδρύσαντα Εὐμολπίδην συναγαγόντα, Lucius Verus). Pour Marc Aurèle, une base de statue, IG II2, 3407 = I.Eleusis 499. 54. Cf. R. Gagné, « Mystery Inquisitors: Performance, Authority and Sacrilege in Eleusis », Classical Antiquity 28 (2009), p. 211-247 ; J. N. Bremmer, « Ritual and Its Transgressions in Ancient Greece », dans C. Ginzburg avec L. Biasiori, A Historical Approach to Casuistry. Norms and Exceptions in a Comparative Perspective, Londres 2019, p. 47-64, en part. p. 57 : « it is the very holiness of the rites that forbids them from being performed or related outside their proper ritual context ». 55. Suétone, Auguste 93 : pro tribunali de privilegio sacerdotum Atticae Cereris cognosceret et quaedam secretiora proponerentur, dimisso consilio et corona circum stantium solus audiit disceptantes. Voir aussi aussi Dion Cassius 51, 4 et 54, 9. Sur le « secret », après d’autres J. N. Bremmer, « Religious Secrets and Secrecy in Classical Greece », dans H. G. Kippenberg, G. G. Stroumsa (éd.), Secrecy and Concealment. Studies in the History of Mediterranean and Near Eastern Religions, Leyde (Numen Series 65) 1995, p. 61-78.
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Nicole Belayche de la procession semblent ne pas dépasser les hauts murs56. Même le φαιδυντὴς τοῖν Θεοῖν, au titre pourtant prédestiné puisqu’il est formé aussi sur phainô57, et à qui revenait l’honneur de garder les hiera et d’en annoncer l’arrivée à Athènes à la prêtresse d’Athéna58, ne semble pas attesté à l’intérieur du périmètre réservé. Si l’on compare avec ce qui se passait à Éphèse lors de la procession des statues saintes d’Artémis et des empereurs59, la « passation de flambeau » entre les deux personnels rituels devait se faire au seuil de l’espace réservé. La monumentalisation grandiose engagée par Appius Claudius Pulcher de ce qu’on appelle les Petites Propylées, avec une décoration non équivoque de cistes et d’épis, n’en revêt alors que plus de sens60. On pourrait aussi comprendre que les génériques sacerdotes de Suétone désignent tous les officiants éleusiniens, et dans ce cas Auguste, ou son biographe, aurait volontairement appuyé sur le portrait de l’empereur Pius, selon sa titulature. En effet Suétone donne l’information dans un paragraphe consacré aux relations d’Auguste avec les cultes étrangers, pérégrins, dans lequel Éleusis est magnifiée (Rome n’estelle pas une polis Hellènis pour Denys d’Halicarnasse ?) quand les cultes égyptiens et juifs sont tenus à distance. Deux siècles plus tard, Commode, qui n’est pas un modèle de bon empereur dans l’historiographie romaine, est réhabilité par l’épigraphie, en tout cas pour le respect qu’il eut des mystères. Dans une lettre (qui fut gravée) qu’il envoya aux Athéniens entre 183 et 190, il rappelle son initiation, son entrée dans le genos des Eumolpides et l’honneur de l’archontat (τῆς τειμῆς, l. 27), et déclare ne pas se dérober aux charges effectives (τὸ ἔργον, l. 26) qui en découlent, pour rendre « les rites secrets de la cérémonie pendant les mystères » (τὰ ἀπόρρητα τῆς κατὰ τὰ μυστήρια τελετῆς) « plus magnifiques et vénérables » (ἐνδοξ̣ότερόν τε καὶ
56. Voir SEG 22, 494 (ier siècle avant notre ère). Cf. R. M. Simms, « Myesis, Telete, and Mysteria », Greek, Roman, and Byzantine Studies 31 (1990), p. 191-194, sur une documentation d’époque grecque. 57. IG II3, 231 = I.Eleusis 7, A 14. Dès 510-500 avant notre ère, voir P. Foucart, Les mystères d’Éleusis, p. 206-208, qui le classe dans les « ministres secondaires ». 58. IG II2, 1078, c. 220 de notre ère = I.Eleusis 638, 16-18 : ἐπειδὴ καὶ ὁ φαιδυντὴς τοῖν Θε[οῖν] ἀγγέλλει κα̣τὰ τὰ πάτρια τῆι ἱερείαι τῆς Ἀθηνᾶς ὡς [ἥκει τὰ] ἱερὰ […]. 59. I.Ephesos 27 (la procession établie par G. Vibius Salutaris). 60. Cf. Cicéron, Ad Atticum VI, 1, 26 et 6, 2 ; et ILLRP 401 = ILS 4041 : l’inscription de dédicace du projet d’Appius Claudius Pulcher (propylum Cere[ri et Proserp] inae) achevé par ses neveux après sa mort en 48 et avec une décoration typiquement éleusinienne, outre des objets cultuels classiques.
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Les « nuits illuminantes » à Éleusis au iie siècle σεμνότερον, l. 16-18)61. La formule désigne bien les rites intra muros et rappelle que Perséphone est l’ἄρρητος κούρα dans l’Hélène d’Euripide (v. 1307). Le Périégète du iie siècle ne supplée pas au silence des autres textes. Pausanias a bien connu le sanctuaire, mais c’est aussi un initié. Donc, passé les temples62 et « le puits Callichoron [aux belles danses], où les femmes d’Éleusis dansèrent et chantèrent pour la première fois devant la déesse », il opère un retrait muet : Pour ce qui se trouve à l’intérieur du mur du sanctuaire (τὰ δὲ ἐντὸς τοῦ τείχους τοῦ ἱεροῦ), un songe m’a détourné d’en rien écrire (τό τε ὄνειρον ἀπεῖπε γράφειν), et les non initiés (τοῖς οὐ τελεσθεῖσιν) n’ont évidemment pas à avoir la moindre connaissance de choses dont la vue leur est interdite (ὁπόσων θέας εἴργονται, δῆλα δήπου μηδὲ πυθέσθαι μετεῖναί σφισιν)63.
Même la description topographique de l’intérieur du sanctuaire est interdite par le divin, puisque le Périégète invoque un songe, ce qui laisse penser que les dispositifs internes participaient déjà de la connaissance réservée64. La seule information laconique que donne Pausanias concerne le temple de Kyamitès (le Génie des fèves) qui était une des stations sur la voie sacrée venant d’Athènes qu’empruntait la procession des futurs initiés : Je ne peux dire avec certitude (σαφές) si [Kyamitès] a été le premier à faire pousser des fèves (εἴτε πρῶτος κυάμους ἔσπειρεν), ou si l’on a assigné ce nom à un héros parce qu’on ne pouvait pas attribuer à
61. IG II2, 1110 = I.Eleusis 513, trad. J. H. Oliver, Greek Constitutions of Early Roman Emperors from Inscriptions and Papyri, Philadelphia 1989, no 206, p. 416-419 : « if the secret rites of the initiation during the Mysteries receive some additional support, worship may be rendered to the goddesses in a more splendid and reverent manner ». 62. Ils sont d’époque romaine : Triptolème, Artémis Propylaia et Poséidon Père, cf. G. E. Mylonas, Eleusis and the Eleusinian Mysteries, p. 155-185. 63. Pausanias, I, 38, 7 ; voir aussi I, 14, 3. Contra la position provocatrice du cynique Démonax selon Lucien, Démonax 11 : « Quant aux mystères, la raison qui l’empêchait de s’y faire initier, c’était, selon lui, que s’ils étaient contraires à l’honnêteté (φαῦλα), il ne pourrait se défendre de les révéler aux profanes (οὐ σιωπήσεται πρὸς τοὺς μηδέπω μεμυημένους), afin de les détourner des orgies, et que, s’ils étaient honnêtes, il les divulguerait (ἐξαγορεύσει) à tous par amour de l’humanité ». 64. Cf. A.-F. Jaccottet, « Les mystères dionysiaques pour penser les mystères antiques ? », Mètis N.S. 14 (2016), p. 82 : « ce n’est pas la forme, mais le contexte, topographique, spatial et ensuite fonctionnel, rituel, qui [fait] les lieux initiatiques ».
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Nicole Belayche Déméter l’invention des fèves (ἐς Δήμητρα τὴν εὕρεσιν) ; quiconque a déjà vu la célébration des mystères d’Éleusis (ὅστις δὲ ἤδη τελετὴν Ἐλευσῖνι εἶδεν), ou lu ce qu’on appelle les Orphika (ἢ τὰ καλούμενα Ὀρφικὰ ἐπελέξατο), sait ce que je dis (οἶδεν ὃ λέγω)65.
Pausanias pourrait accréditer ici une dimension orphico-pythagoricienne des mystères, qui se retrouve dans la tradition philosophique66. Quatre informations rituelles dans les inscriptions Si les récits ne lèvent pas l’épais voile posé sur les rituels, on peut interroger les inscriptions. De savants prédécesseurs, sur les datations desquels je m’appuie, ont collecté et commenté la documentation épigraphique : sans remonter à la somme de Paul Foucart, je pense plus récemment à l’expert qu’est Kevin Clinton et à l’étude prosopographique et socio-politique de Simone Follet67. Parmi les « jours mystériques », j’enquêterai plus spécialement sur ce qu’on pourrait appeler la pannychis mystikè, la « nuit mystique / réservée ». Les deux termes figurent dans les inscriptions, mais pas
65. Pausanias I, 37, 4. Sur l’interdiction des fèves dans les mystères d’Éleusis, voir Diogène Laërce 8, 33 (citant Alexandre Polyhistor) et Porphyre, De l’abstinence IV, 16, 6 (éd. CUF avec les n. 246-247 de Patillon et Segonds). Cf. Plutarque aussi cité par Théodoret, Thérapeutique des maladies helléniques I, 468 : Ὅτι δὲ καὶ τῶν Διονυσίων καὶ τῶν Παναθηναίων καὶ μέντοι τῶν Θεσμοφορίων καὶ τῶν Ἐλευσινίων τὰς τελετὰς Ὀρφεύς, ἀνὴρ Ὀδρύσης, εἰς τὰς Ἀθήνας ἐκόμισε, καὶ εἰς Αἴγυπτον ἀφικόμενος τὰ τῆς Ἴσιδος καὶ τοῦ Ὀσίριδος εἰς τὰ τῆς Δηοῦς καὶ τοῦ Διονύσου μετατέθεικεν ὄργια. 66. Cf. aussi Plutarque, Banquet des Sept sages 158E (des cultes agricoles) et 349A-C, et Thémistios, Θέσις εἰ γεωργητέον, qui les transforme en véritables « mystères » qu’il rattache à Orphée, souvent considéré comme le fondateur des rites mystériques ; déjà chez Platon, République 364e-365a : « on peut être absous et purifié de ses crimes, de son vivant ou après sa mort (… εἰσι μὲν ἔτι ζῶσιν, εἰσὶ δὲ καὶ τελευτήσασιν), par des sacrifices et des fêtes qu’ils appellent mystères (τελετάς) ». Voir F. Graf, Eleusis und die orphische Dichtung Athens in vorhellenistischer Zeit, Berlin – New York 1974, p. 22-39 et 182-186 ; A. Bernabé, « Aristotle and the Mysteries », dans M. J. MartinVelasco et M. J. Garcia Blanco (éd.), Greek Philosophy and Mystery Cults, Cambridge 2016, p. 27-42 ; et J. N. Bremmer, « The Construction of an Individual Eschatology: The Case of the Orphic Gold Leaves », dans K. Waldner, R. Gordon, W. Spickermann (éd.), Burial Rituals, Ideas of Afterlife, and the Individual in the Hellenistic World and the Roman Empire, Stuttgart (PAwB 57) 2016, p. 31-51. 67. K. Clinton, « The Sacred Officials » et Id., « The Eleusinian Mysteries », p. 14991539 ; et S. Follet, Athènes aux iie et iiie siècles (ses traductions, à ambition littéraire, s’éloignent très souvent de la littéralité des textes).
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Les « nuits illuminantes » à Éleusis au iie siècle le syntagme. Comme on l’a déjà entrevu avec les Antonins initiés, les inscriptions des iie-iiie siècles n’attestent pas des deux degrés de l’initiation connus au ve siècle avant notre ère, distinguant μυούμενος et μύστης comme un premier degré encadré par les mystagogues, de l’epopteia qui recevrait la qualité de teletê68. Pour l’époque romaine, cette interprétation semble relever d’une extension à des realia rituels de ce que les textes littéraires et surtout philosophiques présentent comme une progression de la myèsis à l’epopteia69. Les inscriptions viennent plutôt confirmer l’analyse lexicale convaincante de K. Dowden qui réserve myèsis pour l’initiation proprement dite70. Le verbe myeô (μυήσαντος, μυήσαντα) est utilisé trois fois pour des hiérophantes qui ont initié des empereurs (celui qui a initié Lucius Verus et L. Memmius de Thoricos), et teletê est employé autant qu’orgia, comme le résume l’inscription mémorielle d’un hiérophante en 191192 : ὃς τελετὰς ἀνέφηνε καὶ ὄργια πάννυχα μύσταις71. Orgia est même plus souvent utilisé lorsqu’est évoquée la « nuit mystique », comme dans ce cas72. À l’intérieur du péribole réservé, quatre faits rituels émergent des inscriptions, en premier lieu les sacrifices. En 330-270 avant notre 68. Cf. I.Eleusis 19 (avant 460 avant notre ère) ; voir aussi 138. Cf. P. Foucart, Les mystères d’Éleusis, p. 432 ; P. Roussel, « L’initiation préalable et le symbole éleusinien », BCH 54 (1930), p. 51-74, en part. 51-57 ; K. Clinton, Eleusis. Inscriptions on Stone, p. 8-11 et Id., « Stages of initiation in the Eleusinian and Samothracian Mysteries », dans M. J. Martin-Velasco, M. J. Garcia Blanco (éd.), Greek Philosophy and Mystery Cults, Cambridge 2016, p. 50-78 (51-60 pour myèsis et teletê dans l’Éleusis d’époque classique). À Samothrace, IG XII, 8, 186 (ier siècle avant notre ère), 215, 216 : μύσται καὶ ἐ̣πόπται εὐσεβεῖς. 69. Cf. Hippolyte, Refutatio omnium haeresium V, 8, 39 : Ἀθηναῖοι, μυοῦντες Ἐλευσίνια καὶ ἐπιδεικνύντες τοῖς ἐποπτεύουσι τὸ μέγα καὶ θαυμαστὸν καὶ τελεώτατον ἐποπτικὸν ἐκεῖ μυστήριον ἐν σιωπῇ, τεθερισμένον στάχυν (« Les Athéniens initiés à Éleusis et qui montrent aux époptes le grand, l’admirable et le plus parfait mystère époptique : un épi de blé moissonné en silence », trad. P. Foucart, Les mystères d’Éleusis, p. 433, modifiée). Myèsis indique le secret et epopteia la vision. 70. K. Dowden, « Grades in the Eleusinian Mysteries ». Voir aussi R. M. Simms, « Myesis, Telete, and Mysteria », p. 183-195 pour la période grecque. 71. IG II2, 3639, l. 3 = I.Eleusis 515 = K. Clinton, « Sacred Officials » no 25 = S. Follet, Athènes aux iie et iiie siècles, p. 258. 72. Pour orgia, voir A. Motte, V. Pirenne-Delforge, « Le mot et les rites. Aperçu des significations de ΟΡΓΙΑ et de quelques dérivés », Kernos 5 (1992), p. 119-140, et F. L. Schuddeboom, Greek Religious Terminology, Telete & Orgia. A Revised and Expanded English Edition of the Studies by Zijderveld and Van der Burg, Leyde – Boston 2009.
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Nicole Belayche ère déjà – donc après l’extension du mur du péribole par Lycurgue –, un calendrier sacrificiel du dème d’Éleusis indique que la fête nocturne (ἐν τεῖ παννυχίδι), celle de l’initiation, comportait des libations et offrandes de gâteaux (παρέχειν σπονδ[ὰς] vac. ψαιστά)73, qualifiées de [μυστη]ρ̣ιώτιδας σπ[ονδάς] dans des inscriptions contemporaines74. Attestés depuis l’époque classique, ce sont οἱ ἐπιμεληταὶ τῶν μυστηρίων qui ont en charge les sacrifices à l’époque hellénistique, également pendant les mystères d’Agra (τῶν πρὸς Ἄγραν μυστηρίων) attestés jusqu’à l’époque hellénistique75. À l’époque romaine, l’autel situé devant la façade de la stoa de Philon semble avoir été lui aussi réinstallé. Là devait officier le ἱερεὺς ἐπὶ βωμῷ, donc intra muros mais hors du Télestèrion76. D’autres sacrifices publics, non mystikoi pour suivre l’usage du mot chez Strabon77, avaient lieu dans la partie ouverte du sanctuaire, comme en atteste le tarif sacrificiel édicté par le Panhellènion sous les Sévères pour fixer les parts revenant aux divers agents rituels et à leurs assistants78. Les deuxième et troisième faits rituels sont difficilement dissociables, car la célébration nocturne renchérit sur l’importance portée à la vision. La plus souvent attestée par la documentation est la célébration nocturne (παννυχίς), récurrente dans la littérature aussi, comme en atteste Lucien se raillant de Peregrinus79. L’ambiance nocturne, et de toute façon obscure, invite à imaginer les dispositifs de lumière, pour qui se risque à des hypothèses sur les scénarios rituels, car le vocabulaire dominant dans les inscriptions est celui de la vision : les mystes voyaient et le hiérophante (voire d’autres agents) montrait (ἔφαινε), 73. CGRN 94, 18-21. 74. Agora XVI (1997) 56 = I.Eleusis 138, 20, en 367-348 dans un règlement sur les mystères, et IG II², 1673a, III, 3-4, en 354-320. Cf. à Andanie comme à Éphèse, le syntagme régulier thusiai kai mystèria. 75. IG II3, 1164, en 214/213. 76. Contra N. A. Evans, « Sanctuaries, Sacrifices and the Eleusinian Mysteries », Numen 49, 3 (2002), p. 227-254, considère qu’il n’y avait pas d’autel ou de thusiai à l’intérieur des murs, ce qui indique que « the Mysteries entailed a more egalitarian experience of the gods than did the traditional customs of thusia ». Mais elle n’examine pas la documentation du iie siècle. 77. À Éphèse, Strabon, Géographie XIV, 1 20. 78. IG II2, 1092 = I.Eleusis 489. Cf. P. Foucart, Les mystères d’Éleusis, p. 221-224. 79. Lucien, Peregrinus 28, imaginant les honneurs post mortem du « grand Protée » : « on instituera en son honneur des mystères nocturnes (τελετήν τινα ἐπ´ αὐτῷ συστήσεσθαι νυκτέριον) et une cérémonie avec torches (δᾳδουχίαν) devant le bûcher ».
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Les « nuits illuminantes » à Éleusis au iie siècle conformément au nom de sa fonction. Vers 235 de notre ère, Glaukos (que nous retrouverons), μυστικὸς ἡγεμών comme on appelle un autre hiérophante80, officia neuf ans ; il « montrait à tous les rites de Dèo qui éclairent les mortels (ὄργια πᾶσιν ἔφαινε βροτοῖς φαεσίμβροτα Δηοῦς) »81. L’épigramme d’un autre hiérophante « pur servant de Dèo et de Corè (Δηοῦς καὶ Κούρης ἁγνὸν πρόπολον) » – celui qui a sauvé les ὄργια lors de l’attaque de 170 en emportant les hiera (assurant ainsi la permanence des cérémonies), puis initia Marc Aurèle – insiste tout particulièrement sur l’illumination qu’il procurait : « illuminant les nuits vénérables (σεμνῶν φάντορα νυκτῶν) » et « révélant le mystère (τελετὰς ἀπέφηνε) »82. Plus encore, le monument épigraphique d’Apollonios, rhéteur suffisamment célèbre pour figurer dans la Vie des Sophistes de Philostrate, apporte des données précieuses, topographiques notamment. Le texte se compose de deux parties gravées vers 215-220 : l’une par Apollonios lui-même avant sa mort, et l’autre posthume due à ses fils (l. 1-8 et 9-13). Son nom n’apparaît que dans la seconde partie, car Apollonios respecte l’interdit, le θεσμὸς83 μυστικός (en ce qu’il se rapporte aux mystères), qui porte sur le nom du hiérophante à compter de son entrée en charge : Ô initiés, vous m’avez vu apparaître hors de l’anaktoron pendant les nuits lumineuses. ὦ μύσται, τότε μ’ εἴδετ’ ἀνακτόρου ἐκ προφανέντα / νυξὶν ἐν ἀργενναῖς84.
Les fils d’Apollonios « révèlent (φαίνομεν, l. 10) » son nom, et son fils homonyme l’indique, σημαίνει (à la dernière ligne). Ces jeux
80. IG II2, 3662 = I.Eleusis 649, 4-5 : μυστικὸν ἡγεμόνα [καὶ δᾳδουχήσ]αντα πρὶν ἀνδράσιν ἱερὰ φαίνειν. 81. IG II2, 3661 = I.Eleusis 646, 3 ; trad. S. Follet, Athènes aux iie et iiie siècles, p. 263 légèrement modifiée. 82. IG II2, 3411 = I.Eleusis 516 = K. Clinton, « Sacred Officials » no 25 ; S. Follet, Athènes aux iie et iiie siècles, p. 258 (trad. modifiée), en 191-192 ou peu après. 83. Je souscris à l’interprétation de thesmos / loi divine donnée par S. Follet, Athènes aux iie et iiie siècles, car elle est cohérente avec une construction étiologique des mystères (selon l’Hymne homérique à Déméter, la déesse aurait elle-même donné les rites). Contra K. Clinton, « Sacred Officials », p. 40-41, selon lequel il s’agissait d’un objet utilisé lors des Thesmophories et que, lors de la cérémonie d’investiture du hiérophante, son nom était inscrit sur une tablette qui était jetée à la mer. P. Foucart, Les mystères d’Éleusis, p. 176, imaginait un bain purificatoire dans la mer. 84. IG II2, 3811 = I.Eleusis 637 = K. Clinton, « Sacred Officials » no 29 ; Follet, Athènes aux iie et iiie siècles, p. 268.
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Nicole Belayche sur phainô et sa famille, comme l’accent mis sur la lumière, ne sont pas fortuits. On retrouve Plutarque : « Celui qui a pénétré dans l’intérieur (ὁ δ’ ἐντὸς γενόμενος) et qui a vu une grande lumière (καὶ μέγα φῶς ἰδών), comme à l’ouverture d’un anaktoron (οἷον ἀνακτόρων ἀνοιγομένων) »85. On voit les torches qui sont devenues un des marqueurs visuels des mystères éleusiniens au point qu’elles auraient stoppé une attaque des Thespiens selon Ælius Aristide86, et qui peuplaient le décor sculpté des Petites propylées87. On entend plus tard Claudien, au ve siècle, chanter l’enlèvement de Proserpine et les culmina (sans doute le lanterneau mentionné par Plutarque88) qui diffusent une clara lux89. Un autre hiérophante eut droit à un mémorial ὑψιφανές : lui aussi s’est illustré en 170 et « sauva sans qu’ils soient souillés les rites des choses secrètes (ἀρρήτων θέσμια) pour les Cécropides »90. La formule d’Apollonios : μ’ εἴδετ’ ἀνακτόρου ἐκ προφανέντα rappelle l’importance du voir à l’acmé de la « nuit mystique », lors de la révélation des hiera. C’est une constante chez les auteurs grecs de l’époque classique et dans l’historiographie, au premier chef chez Aristote, dans un fragment transmis par le byzantin Michel Psellos qui distingue deux modes d’apprentissage, didactique et télestique : le premier (τὸ διδακτικόν) arrive aux hommes par l’audition (τὸ μὲν οὖν πρῶτον ἀκοῇ τοῖς ἀνθρώποις παραγίνεται), mais le deuxième (τὸ δὲ δεύτερον = τὸ τελεστικόν) lorsque l’esprit subit l’illumination (αὐτοῦ παθόντος τοῦ νοῦ τὴν ἔλλαμψιν). C’est cela justement qu’Aristote a nommé mystérique (μυστηριῶδες), en le comparant aux mystères d’Éleusis. Dans ceux-ci en effet, l’initié (ὁ τελούμενος) était marqué (τυπούμενος) par les visions (τὰς θεωρίας), mais ne reçoit pas d’enseignement (οὐ διδασκόμενος)91.
85. Plutarque, Sur des progrès dans la vertu 10 [81E]. 86. Ælius Aristide, Eleusinios (Or. 22), 11. 87. Voir aussi les reliefs de hiérophantes, K. Clinton, « Sacred Officials », photo p. 34. 88. Voir supra, n. 29. 89. Claudien, De raptu Proserpinae 8. 90. IG II2, 3639 = I.Eleusis 515 = K. Clinton, « Sacred Officials » no 25, en 191/2 ; S. Follet, Athènes aux iie et iiie siècles, p. 258 (trad. modifiée). 91. M. Psellos, Commentaire à Jean Climaque = Aristote, Peri philosophias fr. 15b, Ross (trad. P. Vesperini, Lucrèce, Paris 2017, modifiée). Cf. J. Croissant, Aristote et les mystères, Liège – Paris 1932.
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Les « nuits illuminantes » à Éleusis au iie siècle Bien que l’auteur du xie siècle dise employer les mots d’Aristote (dont une bonne partie de l’œuvre est perdue)92, il se pourrait que le lexique soit paraphrastique. Car, dans la littérature grecque conservée, le terme μυστηριώδης n’apparaît pas avant Plutarque93, de même qu’ἔλλαμψις chez deux doxographes du iie siècle aussi – Aetius dans les Placita philosophorum et le Pseudo-Galien dans le De historia philosophica –, dans deux passages quasi identiques sur les Stoïciens94. Le terme ἔλλαμψις aura d’ailleurs une belle postérité chez les néoplatoniciens à partir de Plotin, et chez les auteurs chrétiens à partir de Grégoire de Nazianze, dont Pseudo-Justin Martyr dans les Quaestiones Christianorum ad gentiles ou ad Graecos au ve siècle de notre ère95. Outre la vision, le son jouait un rôle dans la « nuit mystique », dont celui clair et sonore de la voix du hiérophante. Sur son mnèma versifié de 191/192, un hiérophante est rappelé pour « avoir fait ruisseler la voix charmante d’Eumolpos » (Εὐμόλπου προχέων ἱμερόεσσαν ὄπα)96. La justesse de la voix comptait tant dans le choix des hiérophantes qu’on s’est demandé si le nom des Eumolpides et de son éponyme ne viendrait pas de εὖ μέλπεσθαι, bien chanter, ou plus exactement à la voix juste97. Dans sa Vie des sophistes, Philostrate écrit d’Apollonios que sa voix résonnait hors de l’anaktoron (τὰς ἐξ ἀνακτόρου φωνὰς ἤδη γηράσκων), même si son εὐφωνία ne le distinguait pas parmi les autres hiérophantes98. Outre le bruit du gong qui appelait Corè disparue99, il
92. Voir aussi les réserves de T. J. Wellmann, « Ancient Mysteria and Modern Mystery Cults », p. 330, n. 1. 93. Le grec classique (par ex. Eschine) dit μυστηριῶτις (« qui concerne les mystères ») ; voir aussi supra, n. 19 et 74 pour le langage épigraphique. La formation de l’adjectif μυστηριώδης donne le sens de « qui a l’apparence de, ressemble à des mystères » (litt. « sent le mystère »), voir aussi supra n. 12. Je remercie Sophie Minon pour son assistance. 94. L. Torraca (éd. et trad.), I Dossografi Greci, Padoue 1961 (sur l’éd. de H. Diels). En revanche la forme verbale ἐλλάμψεσθαι est déjà employée par Hérodote, 1, 80. 95. M. D. Boeri, « Pseudo-Justin on Aristotelian Cosmology: A Byzantine Philosopher searching for a new picture of the world », Byzantion 79 (2009), p. 99-135. 96. IG II2, 3639, l. 4 = I.Eleusis 515 = K. Clinton, « Sacred Officials » no 25 ; S. Follet, Athènes aux iie et iiie siècles, p. 258 (trad. modifiée). Il n’est pas indispensable d’imaginer ici un écho avec les traditions qui reliaient Eumolpos à la Thrace, donc à Musée (père ou fils d’Eumolpos ?) et Orphée, cf. supra, n. 66. 97. Cf. P. Foucart, Les mystères d’Éleusis, p. 148-150. 98. Philostrate, Vie des Sophistes, II, 20, 56 [601]. Pour son épitaphe, supra, n. 84. 99. Apollodore d’Athènes, FGrH 244, Sur les dieux F110b : τὸν ἱεροφάντην τῆς Κόρης ἐπικαλουμένης ἐπικρούειν τὸ λεγόμενον ἠχεῖον.
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Nicole Belayche devait donc y avoir des proférations lors de cette nuit, de forme hymnique peut-être au vu de l’insistance sur la musicalité. Toutefois, la priorité donnée au phainein, à la vision, dans une expérience qu’on peut qualifier de neurocognitive sur la base du τυπούμενος100, poursuit une tradition largement attestée pour les mystères éleusiniens. Chantant, accompagné de percussions au moins, le hiérophante Apollonios sortait probablement de l’anaktoron en portant les hiera, « trésor mystique des choses indicibles (ἀρρήτων θησ[αυρὸν…] / μυστικόν) » sauvé par un hiérophante qui les emporta à Athènes101. Or les hiera sont porteurs de lumière dans la performance du rituel « à l’ouverture d’un anaktoron » selon Plutarque102. On s’est beaucoup interrogé sur la nature des hiera – qualifiés de mystika dans le règlement d’Andanie (l. 30) –103, mais sans les mettre en relation avec l’indication gestuelle d’Apollonios (μ’ εἴδετ’ ἀνακτόρου ἐκ προφανέντα) et de Glaukos (τῷ μὲν ἀπ’ αἰγλήεντος ἀνακτόρου ἱερο[φάντῃ] Γλαύκῳ)104, qui peut éclairer notre compréhension du rituel à l’intérieur du Télestèrion, voire de sa topographie105. On s’accorde pour reconnaître que des σύμβολα étaient dans la ou les cistes :
100. Ph. Borgeaud traduit littéralement « frappé au sceau de certaines visions ». Voir l’article de J. Larson dans ce volume, p. 181-197. 101. Dédicace métrique d’un herme, IG IV2, 1084 = I.Eleusis 494 = K. Clinton, « Sacred officials » no 25 ; S. Follet, Athènes aux iie et iiie siècles, p. 258 (« sens général probable », p. 258 n. 4) ; je ne retiens pas ses restitutions l. 4. 102. Supra, n. 85. 103. Voir par ex. Ch. Berchet, « À la recherche des objets sacrés d’Éleusis. Langage et mystères », dans Ch. Delattre (éd.), Objets sacrés, objets magiques de l’Antiquité au Moyen Âge, Paris 2007, p. 23-51. 104. IG II2, 3709, l. 10-11 ; voir aussi supra n. 81. Il est le grand-oncle d’Eunice, infra, n. 119. 105. Cf. K. Clinton, « The Eleusinian Anaktoron of Demeter and Core », Journal of Ancient History 4/1 (2016), p. 40 : « The issue has a critical bearing on interpreting the sparse evidence on the ritual of the Mysteria enacted within the sanctuary. » Pour la reconstitution devenue « classique » de G. E. Mylonas, « Eleusis and the Eleusinian Mysteries », The Classical Journal 49 (1947), p. 138 : « Thus the interior space was divided into two stories, a lower main floor and an upper or mezzanine. Light and air were introduced by means of a lantern placed in the middle of the roof. Through that open space, at the climax of the initiation service, lights shone so brilliantly that they could be seen from a great distance. The great hall was surrounded by tiers of steps, cut in the living rock on the west side, and on those steps the initiates stood during the celebration of the rites. On each of the north, east and south sides two doors were cut. The center of the hall was set apart, perhaps by movable partitions, and it was known as the anaktoron or palace of the goddess. »
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Les « nuits illuminantes » à Éleusis au iie siècle ils ne devaient guère créer de surprise pour des initiés passés par les Propylées où ils étaient sculptés (l’épi de blé par exemple). Mais, en suivant l’intuition de P. Foucart dès 1914106, et en convoquant des parallèles contemporains de cérémonies appelées « mystères », il est probable que le hiérophante, au moment où il appelait Corè, montrait une statue ou un buste de sa mère. De fait, l’anaktoron est le lieu de Dèo/Déméter, il n’est jamais relié aux Deux Déesses. Soudainement, dans la pénombre générale de la salle, les mystes assistaient à l’épiphanie éblouissante de Déméter éclairée par des flambeaux, ointe d’une patine spécialement scintillante telle que celle que G. Vibius Salutaris prévoit dans sa fondation à Éphèse107, sans qu’il soit besoin d’imaginer que les agents rituels jouaient le rôle des divinités108. La dédicace d’Eukratès à Déméter au ive siècle avant notre ère (fig. 2) pourrait être un essai coroplastique de figurer en deux registres l’expérience du face-à-face du myste avec la déesse rayonnante109.
106. P. Foucart, Les mystères d’Éleusis, p. 409-412, imaginait des statues ou statuettes des deux déesses, en se fondant sur la fonction de φαιδυντὴς τοῖν Θεοῖν. 107. Cf. I.Ephesos 27, 540-549 : « In order that the type-statues may all remain clean (καθαρά), let it be permitted, that as often as may be approved, they be rubbed with argyromatic earth (γῇ ἀργυρωματικῇ) », trad. G. M. Rogers, The Sacred Identity of Ephesos. Foundation Myths of a Roman City, Londres 1991, p. 185. 108. Cf. K. Clinton, « Epiphany in the Eleusinian Mysteries », Illinois Classical Studies 29 (2004), p. 85-109, en part. 88-90. On sait combien « Seeing the gods » (R. L. Fox) répond à des attentes religieuses d’époque impériale, cf. G. Petridou, Divine Epiphany in Greek Literature and Culture, Oxford 2015, p. 251-287 pour les cultes à mystères. 109. IG II2, 4639. Cf. F. Van Straten, « Gifts for the Gods », dans H. S. Versnel (éd.), Faith, Hope and Worship. Aspects of Religious Mentality in the Ancient World, Leyde 1981, p. 122 no 13.1 : « I would suggest […] that it was dedicated […] to commemorate Eukrates’ attaining to the epopteia » ; K. Clinton, Myth and Cult: The Iconography of the Eleusinian Mysteries, Stockholm 1992, p. 86-90. Récemment, depuis une perspective de « visuality », G. Petridou, « “Blessed Is He, Who Has Seen”: The Power of Ritual Viewing and Ritual Framing in Eleusis », HELIOS 40.1/2 (2013), p. 309-341, en part. 316-323 (p. 323 : « the Eucrates relief seems to be a powerful testament to the centrality and intensity of the ocularcentric processes that informed the initiate’s experience at Eleusis »). Le registre inférieur n’évoque que formellement des ex-voto anatomiques figurant des paires d’yeux, tels ceux retrouvés à proximité de l’Asclepieion de l’Eleusinion d’Athènes (établi en 420/419) où étaient célébrés des Epidauria pendant la période des mystères, cf. C. L. Lawton, « Asklepios and Hygieia in the City Eleusinion », dans M. M. Miles (éd.), Autopsy in Athens: Recent Archaeological Research on Athens and Attica, Oxford 2015, p. 34.
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Nicole Belayche De fait, le φῶς τι θαυμάσιον de Plutarque110 utilise le vocabulaire du thauma qui est celui de l’épiphanie divine, et ce qui faisait lesdits « mystères impériaux » qui se développent au iie siècle, c’était l’ostension d’un portrait ou d’un buste de l’empereur en gloire par le sébastophante111. Le hiérophante était bien le σεμνῶν φάντωρ νυκτῶν112 et l’anaktoron était αἰγλήεις.
Fig. 2 : Dédicace d’Eukratès, Athènes, Musée national inv. no 5256, d’après K. Clinton, Myth and Cult: The Iconography of the Eleusinian Mysteries, fig. 78.
Concernant les dispositifs architecturaux internes, les inscriptions du iie siècle mentionnent soit le temenos réservé aux mystipoloi, soit l’anaktoron (fig. 3). Dans le débat des savants sur la réalité architecturale de l’anaktoron – structure interne ou synonyme du Télestèrion –113, les gestuelles d’Apollonios et de Glaukos, qui se retrouvent chez Plutarque (οἷον ἀνακτόρων ἀνοιγομένων)114, invitent plutôt à comprendre 110. Supra, n. 12. 111. Cf. N. Belayche, « Religions de Rome et du monde romain », Annuaire EPHE, Sciences religieuses 124 (2015-2016), p. 132-135, en ligne, [https://journals. openedition.org/asr/1597]. Voir aussi l’introduction de ce volume, p. 20-21. 112. Voir supra, n. 82. 113. G. E. Mylonas, Eleusis and the Eleusinian Mysteries, p. 83-88 : une structure interne sur la base de blocs de fondation mal datés. Contra K. Clinton, « Anaktoron », p. 40-54, conclut prudemment que « there is no testimonium that unambiguously demonstrates that the Eleusinian Anaktoron is not the Telesterion » (p. 47) et qu’à l’intérieur se trouvait une simple « platform » (p. 54). 114. Supra, n. 85. Déjà P. Foucart, Les mystères d’Éleusis, p. 406-408, identifiait « une partie du Télestèrion » (p. 406).
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Les « nuits illuminantes » à Éleusis au iie siècle le terme115 comme désignant une structure intérieure fermée dont sort le hiérophante, puisque les mystes sont dans la salle (et non à l’extérieur). Cela pourrait aussi expliquer pourquoi trois inscriptions de mystes ou de desservants de statut secondaire, qui entraient dans le Télestèrion, insistent sur leur position παρ’ ἀνάκτορα Δηοῦς.
Fig. 3 : Plan de l’anaktoron, d’après C. Kerényi, Eleusis, Londres 1967, fig. 30A, p. 87116.
L’importance épiphanique du lieu lors de la « nuit mystique » en a fait un marqueur des mystères, dans la littérature aussi. Cela a pu favoriser un usage extensif du terme chez un rhéteur comme Sopater au ive siècle, qui décrit le hiérophante et le dadouque faisant entrer les
115. Cf. M. Casevitz, « Temples et sanctuaires : ce qu’apprend l’étude lexicologique », dans G. Roux (éd.), Temples et sanctuaires. Séminaire de recherche 1981-1983, Lyon 1984, p. 94-95. 116. C. Kerényi le reprend de J. Travlos, « Τὸ ᾿Ανάκτορον τῆς ᾿Ελευσῖνος », fig. 4.
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Nicole Belayche mystes « dans les anaktora »117. L’anaktoron recelait les hiera pendant l’année – d’où la piété héroïque des hiérophantes qui ont sauvé les mystères en les mettant à l’abri118. La qualité « σεμνός » du lieu justifie que les inscriptions mémorielles insistent sur la proximité de l’individu honoré avec lui, telle l’Eumolpide Eunice « près de l’anaktoron de Dèo » (Δηοῦς παρ’ ἀνακτόρῳ)119. K. Clinton et F. Schuddeboom120 tirent de ces données que le terme désignerait le Télestèrion, mais l’argument me semble d’autant moins dirimant que K. Clinton rappelle avec justesse que des inscriptions honorifiques devaient être en vue, donc de toute façon à l’extérieur, là où circulaient les mystes121. Dans ce lieu interne qui abritait les hiera toute l’année, pénétraient le hiérophante122, et sans doute tous les Eumolpides, hommes et femmes. Ainsi pourrait-on comprendre pourquoi l’Histoire Auguste écrit que Marc Aurèle, devenu un Eumolpide123, « pénétra tout seul dans le sanctuaire (sacrarium solus ingressus est) »124, en donnant à
117. Sopater, Διαίρεσις Ζητημάτων, 121, 24-27 (éd. Walz) : ἡμᾶς μὲν γὰρ ἱεροφάντης ἅμα καὶ δᾳδοῦχος εἴσω τῶν ἀνακτόρων εἰσήγαγε ; voir aussi 114, 23 – 115, 1. Cf. K. Clinton, « Anaktoron », p. 48. 118. Supra, n. 82 et 101. 119. IG II², 3709 = I.Eleusis 659 ; S. Follet, Athènes aux iie et iiie siècles, p. 264 (avec trad.). K. Clinton, « Anaktoron », p. 42, n. 6, considère qu’elle n’a pas été retrouvée « in its original position ». 120. Respectivement : K. Clinton, « Anaktoron » ; F. Schuddeboom, AIO, [https:// www.atticinscriptions.com/inscription/IEleus/659], traduit « beside the temple of Deo » et conclut : « If this is not poetic pars pro toto, the wording here tends to suggest that, at Eleusis, the anaktoron (properly the abode of a king or deity) may not, as has sometimes been suggested, have been a separate shrine within the Telesterion […], but a term used to describe the Telesterion itself. » 121. Même analyse de M. Horster, « Layers of Corporate Memory in the Sanctuary of Demeter and Kore in Eleusis », dans A. Gangloff (éd.), Lieux de mémoire en Orient grec à l’époque impériale, Berne – Berlin – Bruxelles 2013, p. 155-178. 122. Le terme megaron chez Élien est plus ambigu, Élien, fr. 10, 31-32 : ἐς τὸ μέγαρον· ἔνθα δήπου τῷ μὲν ἱεροφάντῃ μόνῳ παρελθεῖν θεμιτὸν ἦν κατὰ τὸν τῆς τελετῆς νόμον. Il est en tout cas certain que le hiérophante n'était pas seul à entrer dans le Télestèrion. 123. Voir supra, n. 53. 124. SHA Marc Ant. 27, 1. Marc Aurèle n’évoque pas son initiation dans ses Pensées, ce qui peut paraître curieux eu égard à sa méditation introspective, voir la contribution de J. Pià-Comella dans ce volume, p. 243. Pierre Vesperini, que je remercie pour sa suggestion, interprète ce passage comme une construction de théologie impériale, en se fondant sur le précédent de Vespasien entrant seul dans le Sarapieion d’Alexandrie et y recevant son deuxième présage de la pourpre, Tacite, Histoires 4, 82 (arceri templo cunctos jubet. Atque ingressus…). Le modèle historiographique est celui
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Les « nuits illuminantes » à Éleusis au iie siècle sacrarium son sens spécifique de lieu où sont les objets sacrés125. Pénétraient aussi les dadouques qui ont la double torche126, mais pas le kosmètès des enfants du foyer d’après l’épitaphe d’Aelius Apollonius en 217/218. Né d’une famille de dadouques et d’une mère hiérophantide, il fut κοσμήτωρ παίδων (« commander of the boys » traduit Clinton), quand son fils, qui fait graver le texte, fut « archonte des éphèbes (ἄρχων ἐφήβων) ». Il a fait écrire : ἣ τελετὰς ἀνέφαινε θεοῖν / παρ’ ἀνάκτορα Δηοῦς (« il a montré les cérémonies pour les Deux Déesses auprès de l’anaktoron de Dèo »)127, ce qui semble indiquer qu’il était dans le Télestèrion (τελετὰς ἀνέφαινε128) mais hors de l’anaktoron. Enfin le quatrième fait rituel, le couronnement, est attesté dans plusieurs documents. Il pourrait participer à la fois du kosmos cérémoniel, de la ritualisation de l’entrée des empereurs dans le genos des Eumolpides, et/ou du « changement d’esprit » caractérisé par W. Burkert en s’appuyant sur Plutarque et l’expérience de l’illumination (épiphanique) qui procure l’état d’initié. Alors l’homme, dès lors parfait et initié (ὁ παντελὴς ἤδη καὶ μεμυημένος), devenu libre et se promenant sans contrainte, la tête couronnée (ἐστεφανωμένος), célèbre les mystères (ὀργιάζει)129.
de Scipion l’Africain s’entretenant avant l’aube avec Jupiter capitolin, Aulu-Gelle, Nuits Attiques VI, 1, 6 : ibi solum diu demorari quasi consultantem de republica cum Ioue (je souligne). La Vie de Commode ne signale pas un pareil fait puisque c’est un modèle de « mauvais empereur ». 125. Cf. Apulée, Métamorphoses XI, 17, 1. 126. Cf. Lucien, Lexiphanes 10, 2 : δᾳδούχῳ τε καὶ ἱεροφάντῃ καὶ τοῖς ἄλλοις ἀρρητοποιοῖς (dadouque, hiérophante et autres agents des rites indicibles). Voir aussi Sopater, Διαίρεσις Ζητημάτων, 114, 23-25 (éd. Walz). 127. IG II2, 3764, je souligne. Dans une inscription du iiie siècle honorant un proconsul romain initié (μύστην ἀνθύπατον), [παρ’ ἀνάκτο]ρα est restitué, IG II2, 4218 = I.Eleusis 661. 128. Voir supra, n. 81 ἔφαινε pour un hiérophante. Si la règle du secret commence dès les murs franchis, selon Pausanias, la teletê de la « nuit mystique » a lieu dans le bâtiment. 129. Plutarque fr. 178 Sandbach, ap. Stobée 4, 52, 49 (V, p. 1089 Hense), trad. P. Foucart, Les mystères d’Éleusis, p. 393, modifiée : ἐν αἷς ὁ παντελὴς ἤδη καὶ μεμυημένος ἐλεύθερος γεγονὼς καὶ ἄφετος περιιὼν ἐστεφανωμένος ὀργιάζει. Voir la contribution de M. Bonazzi dans ce volume (« this text does not have any direct or exclusive link to the concrete initiations, but is built after Plato’s philosophical interpretation », p. 277).
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Nicole Belayche Les hiérophantides du iie siècle immortalisées sur les pierres insistent tout spécialement sur cet acte, mais sans préciser à quel moment du rituel il intervenait. Être couronné est, on le sait, un signe habituel de l’eusèbeia dans les rituels grecs130, au point qu’il est pour les Romains le marqueur du ritus Graecus, comme l’a enseigné John Scheid. Se couronner n’a donc pas en soi de sens mystérique. Toutefois, selon l’interprétation philosophique de Théon de Smyrne, le couronnement, qui est chez lui la quatrième étape du parcours initiatique (myèsis), est réservé aux agents rituels (ἱερωσύνη) chargés de transmettre les teletai131. Mais à Andanie, dans le diagramma des « sacrifices et mystères (αἰ θυσίαι καὶ τὰ μυστήρια) » selon le titre exact du règlement, certes antérieur d’un voire de deux siècles132, le chapitre relatif aux couronnes et plus généralement aux coiffures (l. 13-15) indique que, à un moment du cortège, les hieroi, qui sont les maîtres d’œuvre de la cérémonie, inviteront tous (πάντες) les τελούμενοι à se couronner de laurier, peut-être au moment de procéder aux sacrifices133. À Éleusis, un décret athénien du ier siècle avant notre ère impose aux mystes d’être couronnés de myrte lorsqu’ils se rassemblent à la nuit134. Dans les inscriptions des hiérophantides, l’accent mis sur le couronnement prend d’autant plus de relief qu’il s’agit de têtes impériales déjà couronnées. Dans le premier quart du iiie siècle, l’épigramme funéraire de la « hiérophantide inégalée de Déméter aux beaux épis (πυροφόρου Δήμητρος ὑπείροχον ἱερόφαντιν) » Isidotè fille d’Isaios, descendante d’un maître de rhétorique d’Hadrien135, rappelle que, lors de sa prise de fonction (« au début de ses initiations, ἀ̣ρχομένη τελετῶν »), « elle avait couronné les mystes royaux, Marc Aurèle et Commode (ἥ τε καὶ Ἀντωνῖνον ὁμοῦ Κομμόδῳ βασιλῆας ἔστεφε μυστιπόλους) »136. Les
130. Cf. les hymnodes de Pergame avec leurs fils sous Hadrien, I.Pergamon II, 374, B 16-20. 131. Théon de Smyrne, Expositio rerum mathematicarum ad legendum Platonem utilium, p. 14, 18 – 16, 2, éd. Hiller : ὥστε καὶ ἑτέροις, ἅς τις παρέλαβε τελετάς, παραδοῦναι δύνασθαι, δᾳδουχίας τυχόντα ἢ ἱεροφαντίας ἤ τινος ἄλλης ἱερωσύνης. Voir infra la contribution d’Andrei Timotin, p. 279. 132. Sur la question de la date, cf. L. Gawlinski, The Sacred Law of Andania: a New Text with Commentary, Berlin – Boston (Sozomena 11) 2012. 133. Je remercie vivement Stella Georgoudi pour cette suggestion. 134. Sokolowski, LCG, no 15, l. 43. 135. Voir supra, n. 45 et infra, n. 142. 136. IG II2, 3632 = I.Eleusis 502 = K. Clinton, « Sacred Officials » no 10 ; S. Follet, Athènes aux iie et iiie siècles, p. 264-265 avec trad.
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Les « nuits illuminantes » à Éleusis au iie siècle textes ne précisent ni le moment ni le lieu du couronnement ; mais on a remarqué que lorsque l’activité des agents rituels les met à proximité de l’anaktoron, ils ne manquent pas de l’inscrire. On peut imaginer que le couronnement se faisait à l’intérieur du péribole réservé, à en juger par l’inscription de Praxagora, une « enfant du foyer (πάις ἀφ’ ἑστίας) »137, qui attire l’attention des lecteurs sur son ascendance de dadouques, après avoir loué « le célèbre anaktoron de Dèo » (μετ’ εὐκλέ’ ἀνάκτορα Δηοῦς)138. Elle rappelle qu’« un chœur d’enfants l’a ornée (παίδων κοσμεῖ χορός) devant les autres initiés lors des mystères (πρὸ μυστῶν ἄλλων ἐν τελεταῖς) » en posant une couronne (στέμμα) sur ses cheveux. La précision, certes générique, ἐν τελεταῖς fait davantage ressortir l’absence d’indication temporelle ou spatiale pour les couronnements des empereurs. Il paraît donc plus plausible de considérer que les couronnements mentionnés concernent l’intronisation des empereurs dans le genos des Eumolpides139. Une inflexion métaphysique dans les inscriptions des IIe-IIIe siècles ? On signalera pour terminer une possible inflexion dans les inscriptions des iie-iiie siècles, qui serait cohérente avec une évolution du temps, dans le médio-platonisme notamment. Le hiérophante Glaukos est surtout connu pour les deux derniers vers de son épigramme funéraire : « pour les mortels, la mort non seulement n’est point Mal, elle est Bien (τὸν θάνατον θνητοῖς οὐ κακὸν ἀλλ’ ἀγαθόν) »140. Cet aphorisme vient appuyer l’interprétation des mystères comme garants de la félicité post mortem assurée par l’initiation – une interprétation présente dans la tradition littéraire déjà reliée à Éleusis (l’art de « mourir avec une belle
137. Cf. L. Bruit Zaidman, « “L’enfant du foyer”. Des statues pour les filles et les garçons initiés à Éleusis au nom de la cité », Archimède 5 (2018), p. 113-123, 119 pour Praxagora ; plus généralement F. Camia, « Cultic and Social Dynamics in the Eleusinian Sanctuary », p. 57-62. 138. IG II2, 4077, l. 7-10 = I.Eleusis 511. K. Clinton, « Anaktoron », p. 45, traduit : « behold, after the renowned Anaktora of Demeter, also the renowned race of ancestors of Praxagora… ». 139. Cf. supra, n. 53. 140. Voir aussi Isidotè : « Elle fut en retour emmenée par Dèo vers les îles des bienheureux, loin de tout mal, et reçut une mort meilleure qu’un doux somme », IG II2, 3632 = I.Eleusis 502 = K. Clinton, « Sacred Officials », no 10 ; trad. S. Follet, Athènes aux iie et iiie siècles, p. 264-265.
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Nicole Belayche espérance [cum spe meliore moriendi] »)141 et dans une perspective philosophique. Plusieurs inscriptions mettent l’accent sur la sagesse et la mesure des hiérophantes qui sont au plus près de la divinité qui se révèle, dans la tradition d’Isaios prince des sages (τοῦ σοφίαις ὑπάτου)142 : sage glorieux (σοφίῃ κλεινόν), éclatant de sagesse (ἐν σοφίῃ κῦδος), d’une puissante modération (κρείττονα σωφροσύνην), brillant par ses actes mesurés (ἔξοχον […] ἔν τε σαοφροσύναις)143. On lit bien sûr ici une rhétorique de l’éloge, servie à la fois par l’aristocratisation des élites dans les sociétés civiques impériales et par les valeurs défendues par la Seconde Sophistique dans laquelle ces milieux baignaient. Mais on peut y voir aussi une inflexion philosophico-religieuse sur la représentation des mystères à l’époque144. Dans sa Vie d’Apollonios de Tyane, Philostrate en donne un bel exemple en relatant l’arrivée d’Apollonios en pleine célébration des mystères et le refus du hiérophante d’initier Apollonios. Ce prototype du theios anèr lui répond : « j’en sais plus long que toi sur l’initiation (περὶ τῆς τελετῆς πλείω ἢ σὺ γιγνώσκων) ». Face à la désapprobation des assistants et soucieux de conserver son image sociale, le hiérophante s’amadoua : « Sois donc initié, dit-il, car tu m’as l’air d’être un homme sage (“μυοῦ”, ἔφη “σοφὸς γάρ τις ἥκειν ἔοικας”) »145. Le caractère « historique » de la saynète n’importe pas. L’argument prêté au hiérophante indique que l’attention est désormais portée à des qualités qui ne sont plus seulement ethniques (parler grec) et éthiques (les criminels146). Les quelques formules épigraphiques qui saluent la sagesse des hiérophantes et leur sophrosynè s’inscrivent dans cette évolution dont la littérature philosophique va offrir, dans ce volume, un volet autrement riche.
141. Cicéron, Lois 2, 14. 142. IG II2, 3632 = I.Eleusis 502 = K. Clinton, « Sacred Officials », no 10. Supra, n. 45. 143. Respectivement : IG II2, 3411 = I.Eleusis 516 ; IG II2, 3639 = I.Eleusis 515 ; IG II2, 3661 = I.Eleusis 646 ; IG II2, 3632 = I.Eleusis 502. 144. Voir les contributions de la deuxième partie de ce volume : « Une “mystérisation” dans les savoirs et la littérature du iie siècle ? », p. 199-328. Voir M. W. Dickie, « The Meaning of Initiation in Late Antiquity », dans E. Pachoumi, M. J. Edwards (éd.), Praying and contemplating in Late Antiquity: religious and philosophical interactions, Tübingen 2018 (STAC, 113), p. 157-180. 145. Philostrate, Vie d’Apollonios 4, 18, trad. P. Grimal. Le récit de Philostrate se passe lors des Epidauria qui faisaient partie du festival, avant la procession du retour à Éleusis. 146. Cf. Suétone, Néron 34, dont K. Clinton, « The Eleusinian Mysteries », p. 1514, doute à juste titre.
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Les « nuits illuminantes » à Éleusis au iie siècle Conclusion Dans une quête qu’on pressentait impuissante à percer une loi du silence qui commande les témoignages écrits conservés, quelques fenêtres se sont toutefois entrebaillées. Le déroulement de la teletê dans le sanctuaire réservé et aux jours prescrits n’a sans doute guère évolué par rapport aux périodes antérieures, à la différence de l’ensemble du festival qui fut largement embelli. Bien que les rituels soient des pratiques dynamiques, le constat n’est pas pour surprendre, tant les cérémonies éleusiniennes, jamais interrompues, étaient identitaires pour Athènes et les Grecs. À l’époque tardive, elles demeurent identitaires de l’hellénisme comme en atteste Vettius Agorius Prétextat, gouverneur d’Achaïe, qui, pour préserver la tenue des rituels éleusiniens, intervint en 364 contre une loi de Valentinien interdisant les sacrifices nocturnes par crainte de divination ou de « magie » : « il (Valentinien) suspendit la loi et ordonna que toutes les cérémonies fussent célébrées selon les traditions originelles »147. Les modifications attestées concernent les moments de la panégyrie ouverts à tous, notamment la procession. La documentation épigraphique du iie siècle permet de mieux repérer les agents rituels qui officiaient alors à l’intérieur du péribole réservé, puis dans le Télestèrion, et enfin dans l’anaktoron. Le caractère « impressionnant (τυπούμενος) » (au sens littéral du terme) de ce qui se passait dans le Télestèrion – la révélation – est confirmé. Mais les images données des principaux acteurs de cette manifestation, les hiérophantes, soulignent désormais des traits qui font se superposer agents rituels qui ont le privilège d’approcher le divin et amis de la sagesse. L’ambiance sonore de la teletê intra muros n’est pas à sous-estimer par suite d’une documentation littéraire, surtout philosophique, qui met davantage en avant le visuel, l’illumination, parce qu’elle est ἐξαίφνης, rupture sans médiation. Les inscriptions font résonner cette ambiance, même en sourdine. Toutefois le voir, lumineux et éclatant lorsqu’il surgit de l’anaktoron – μ’ εἴδετ’ ἀνακτόρου ἐκ προφανέντα – demeure primordial. Le hiérophante dévoilait certainement les objets sacrés contenus dans les cistes et liés au mythe de Déméter et au blé qu’elle offrit à l’Attique et au monde grec. Mais ceux-ci ne constituaient pas la révélation transformante. Si l’expérience était effectivement porteuse d’un futur prometteur, c’est que le dispositif rituel faisait que les mystes voyaient alors la déesse face à face, dans une épiphanie glorieuse. 147. Respectivement : Code Théodosien IX, 16, 7 ; Zosime, Histoire nouvelle IV, 3, 3.
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A COSMOLOGICAL TURN IN AN ARCHITECTURAL SETTING: ROMAN APPROACHES TO SAMOTHRACE INTO THE SECOND CENTURY CE Sandra Blakely Emory University, Georgia (USA)
Introduction: Physics and mysteries
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y the second century ce, a Roman presence in the mystery cult of the Great Gods on the island of Samothrace had been a reality for some four centuries. M. Claudius Marcellus dedicated statues and paintings from the sack of Syracuse in 211;1 Cn. Octavius captured Perseus there after the battle of Pydna in 168.2 The earliest Roman initiate may be an L. Iuventius Thalma, potentially the legate of the praetor C. Calpurnius Piso in Spain in 185 BC.3 171 inscriptions which list initiates have now been published from the island; 64 of these include or are
1. Plutarch, Marcellus 30.4; S. Cole, Theoi Megaloi: The Cult of the Great Gods at Samothrace, Leiden 1984, p. 157; B. Wescoat, “Insula Sacra: Samothrace Between Troy and Rome”, in M. Galli (ed.), Roman Power and Greek Sanctuaries: Forms of Interaction and Communication, Athens 2013, p. 45-81. 2. Livy’s account of the negotiations over Perseus reflects Roman awareness of the island’s sacrality: Livy, 45.5.1-6.11; 45.40.1-2; Velleius Paterculus, 1.9.4-5, Plutarch, Aemilius Paulus 23.11; 26.1-5; Florus, 1.28; Justin, 33.2.5; Dio Cassius, F 66.3-4; Ampelius, Liber memorialis 16.4; Eusebius, Chronica, BNJ 260 F 3.18; Zonaras, Epitome 9.23; M. L. Popkin, “Samothracian Influences at Rome: Cultic and Architectural Exchange in the Second Century bce”, American Journal of Archaeology 119.3 (2015), p. 343-373, esp. 343-345. 3. The lettering of the inscription is consistent with an early second century date: see Livy, 39.31.4, 39.38.4; RE 10.2: 1371, s.v. “Iuventius”; N. Dimitrova, Theoroi and 10.1484/M.BEHE-EB.5.125919
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Sandra Blakely dedicated by Roman initiates, and over a quarter of all Samothracian initiates are Roman. By the first century ce, the Roman presence was so substantial that an inscription forbidding entry of non-initiates into the site’s sanctum sanctorum was written in both Latin and Greek. Initiation was de rigueur for Romans living or traveling in Macedonia or the Greek East.4 Neither epigraphy nor initiation were aristocratic habits: the inscriptions show soldiers, households and boatloads of individuals who experienced the rites together. Despite this intimacy with the mysteries, the Roman uses of the cult differed strikingly from their Greek counterparts. The Greeks themselves proposed multiple identities for the gods of the rites, from Demeter to the Kabeiroi. The multiple names index both the capacity for ritual to evolve over time, and the secrecy which shrouded these rites. That secrecy was so profound that the gods were known epigraphically only by their euphemistic title, theoi megaloi.5 The Romans added their own proposals for the island’s gods, toward the distinctive end of making the rites Roman. The archaic Roman priesthood of the Salii was connected to the Samothracian cult, their names derived either from a Samothracian man named Saon or Salius;6 Varro derived the camillae, ritual acolytes of good family, from the “Kasmilos” who appeared in the island’s rites.7 Etruscan kings and Roman temples were connected to the cult: Macrobius reports that Tarquinius
Initiates in Samothrace, Princeton 2008, p. 151, no. 64; M. L. Popkin, “Samothracian Influences”, p. 344 and n. 9. 4. B. Wescoat, “Insula Sacra”, p. 58-63; M. L. Popkin, “Samothracian Influences”, p. 345 and n. 10; S. Cole, Theoi Megaloi, p. 87-103; S. Cole, “The Mysteries of Samothrace During the Roman Period”, Aufstieg und Niedergang der römischen Welt 2.18.2 (1989), p. 1565-1598, esp. 1579-1588; N. Dimitrova, Theoroi and Initiates, p. 151-200, nos. 64-116; for the last certainly dated list of Romans see N. Dimitrova, ibid., p. 148-150, no. 63. 5. S. Blakely, “Toward an archaeology of secrecy: power, paradox, and the Great Gods of Samothrace,” in Y. Rowan (ed.), Beyond Belief: The Archaeology of Religion and Ritual, Archaeological Papers of the American Anthropology Association 21.1 (2012), p. 49-71. 6. Salii: Critolaos, FHG IV, 372 = FGH 823 F 1; Servius, in Aeneidem 2.325, 8.285; Festus, De Verborum Significatione, ed. Mueller, p. 326, 329; ed. Lindsay, p. 438-439; Plutarch, Numa 13.7. 7. Varro, De lingua latina 7.3.34; K.-L. Elvers, “Camillus”, in H. Cancik, H. Schneider, C. F. Salazar (eds), Brill’s New Pauly, [http://dx.doi.org/10.1163/1574-9347_bnp_ e225930] (2006); C. Bruun, “What every man in the Street used to Know: M. Furius Camillus, Italic Legends and Roman Historiography”, in C. Bruun (ed.), The Roman
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Roman Approaches to Samothrace into the Second Century CE Priscus was a Samothracian initiate, and built the Capitoline temple for the gods he brought from the island.8 The Trojan Palladium was said to have come from Samothrace.9 And many authors explored the tradition that the Penates had Samothracian as well as Trojan roots.10 While Aeneas’ departure from Troy, carrying both his father and his gods, appears in the visual arts as early as the sixth century bce, his Penates only become Samothracians in the 2nd century bce, contemporary with the onset of Roman participation in the cult. Our first evidence is Cassius Hemina, followed by Varro, Dionysius of Halicarnassos, Plutarch and Virgil’s scholiasts.11 These authors disagree on details – whether Dardanus brought the images to Troy when he founded the city, or Aeneas took them from the island itself in his flight. Linguistic, functional, and historical arguments, ancient and modern, have sought the truth behind this connection between the household gods of Rome and the North Aegean mysteries.
Middle Republic: Politics, Religion and Historiography, c. 400-133 BC, Rome 2000, p. 41-68; B. Hemberg, Die Kabiren, Uppsala 1950, p. 193-197; IG XII 8, n. 74. 8. Macrobius, Saturnalia 3.4.7-9; Tertullian, Ad nationes 2.12.5 = Varro, Antiquitates rerum divinarum fr. 207; S. Cole, “The Mysteries of Samothrace During the Roman Period”, p. 1565. 9. Plutarch, Camillus 20.6-7. 10. A. J. Kleywegt, Varro über die Penaten und die “Grossen Götter”, Amsterdam 1972; H. Cancik, H. Cancik-Lindemaier, “The Truth of Images: Cicero and Varro on Image Worship”, in J. Assmann, A. I. Baumgarten (eds), Representation in religion: studies in honor of Moshe Barasch, Leiden 2001, p. 43-61; R. B. Lloyd, “Penatibus et Magnis Dis”, American Journal of Philology 77.1 (1956), p. 38-46; N. Masquelier, “Pénates et Dioscures”, Latomus 25 (1966), p. 88-98; G. Wissowa, “Die Überlieferungen über die römischen Penaten”, Hermes 22.1 (1887), p. 29-57; H. Versnel, “Mercurius amongst the ‘Magni Dei’”, Mnemosyne 4th series, 27.2 (1974), p. 144-151; F. Schelling, Über die Gottheiten von Samothrake, Stuttgart 1815; E. Stehle, “Dii Penates a Samothracia sublati”, Latomus 50.3 (1991), p. 581-601. 11. Cassius Hemina: Servius, in Aeneidem 1.378; Scholia Veronensia ad Aeneidem, 2.717; H. Peter, Historicorum Romanorum Reliquiae, Leipzig 1906-1914, I, I 99, no. 5; G. Wissowa, “Die Überlieferungen”, p. 33-35; Varro, De lingua latina 5.10.5758, 7.3.34, 7.19, de Re rustica 2.1.5 (23); Dionysius Halicarnassus, Antiquitates Romanae 1.23.5; 1.50.4; 1.61.2-4; 1.68.2-4, 69.4; 2.66.5; A. Hurst, “Un critique grec dans la Rome d’Auguste: Denys d’Halicarnasse”, Aufstieg und Niedergang der römischen Welt 2.30.1 (1982), p. 839-65. Plutarch, Aemilius Paulus 23.11, 26.1-5; Alexander 2.2; Camillus 20.6-7; Lucullus 13.1-2; Marcellus 30.6; Numa 13.7; Pompey 24.6 and de Alexandri fortitudine (Moralia 339 E); Cicero, in Pisonem 36.89, 199.
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Sandra Blakely Far less explored is the proposal first put forth by Varro that the gods of the rites are earth and sky. His contemporary Cicero, declaring that the rites had more to do with natural science than with theology, confirms the tie between physics and mysteries.12 These proposals direct us to a Roman connection between cosmology and mysteries which reaches far beyond Samothrace, informing imperial period literary works as well as scientific speculation well into the fourth century ce.13 Its Samothracian longevity is attested in three literary voices from the second century, Athenaeus, an Orphic hymn and Galen, who suggest enacted and embodied routes to the physics in the mysteries. Evolving Roman notions on the signifying power of round structures suggest an intensification of these notions in the second century, in the form of Roman restorations to the Hieron. For Romans able to follow the nuanced epistemological paths which Varro demanded, these offered an architectural materialization of cosmological signs which both distinguished Samothrace from Eleusis and represented a new means for the Romans to make the rites their own. Thinking through images: Varro, Samothrace, and epistemology Varro is exceptional for his engagement with Samothrace: he seems to have been an initiate himself, in 67 bce, and he embraced
12. Cicero, De natura deorum 1.42.119: Omitto Eleusinem sanctam illam et augustam, “ubi initiantur gentes orarum ultimae”, praetereo Samothraciam eaque quae Lemni “nocturno aditu occulta coluntur silvestribus saepibus densa”, quibus explicatis ad rationemque revocatis rerum magis natura cognoscitur quam deorum (I say nothing of holy and awesome Eleusis, “where peoples from the ends of the earth are initiated”, and I pass over Samothrace and those rites which at Lemnos “are celebrated in nightly procession, deep shrouded in sylvan coverts”, for these when explained and rationally analyzed are recognized as involving the nature of the material world rather than of the gods). 13. Varro’s proposals are cited in Probus on Vergil’s Eclogue 6.31; Augustine, de Civitate Dei 7.28; Servius, in Aeneidem 2.296, 3.12; Macrobius, Saturnalia 3.4.7-9. For cosmology and mysteries in Augustan literature, M. Desport, L’incantation virgilienne: Virgile et Orphée, Bordeaux 1952; M. Paschalis, “Semina Ignis: The Interplay of Science and Myth in the Song of Silenus”, American Journal of Philology 122.2 (2001), p. 201-222; S. Braund, “Virgil and the cosmos: Religious and philosophical ideas”, in C. Martindale (ed.), The Cambridge Companion to Virgil, Cambridge 1997, p. 204-221; T. Mackenzie, “Georgica and Orphica: The Georgics in the context of Orphic Poetry and Religion”, in N. Freer, B. Xinyue (eds), Reflections and New Perspectives on Virgil’s Georgics, London 2019, p. 67-78.
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Roman Approaches to Samothrace into the Second Century CE the narrative of Samothracian origins for Roman Penates.14 Out of the fragments for his Divine Antiquities, five focus on Samothrace, an extraordinary number in a work explicitly devoted to Roman traditions. All of these, unfortunately, come filtered through their citation by other authors. The cosmological ideas to which these authors respond are preserved in Varro’s own words in book 5 of de Lingua Latina, a study of words that denote places. Varro dedicated this work to Cicero; it is perhaps not surprising that the two men agree on the nature of the Samothracian gods. In setting out his methodology Varro foregrounds the tension between sign and signifier, noting that each and every word has two meanings, that from which and to which it is applied – a tension that will lie at the heart of his Samothracian explorations (5.2). He also proposes four levels of explanation for individual words (5.7-8). The first is what every man is able to see, which translates into a folk etymology; the second, the work of the poets; the third, that which is accessible through philosophy (quo philosophia ascendens pervenit); the fourth relies on the sanctuaries and the mysteries of the high priest, ubi est adytum et initia regis. This positions him in the mystery cults, as the un-enterable space of a temple, adytum, encourages the translation of initia as secret rites. His philosophical conversants are both Stoic and Pythagorean: he promises that his ascent will be led by the lamp of Cleanthes, and his first reference as he concludes his introduction is to Pythagoras of Samos (5.11). His methodology also includes a clear appeal to the most ancient voices: for poetic interlocutors he will cite not only Ennius and Livius, but appeal to King Latinus and Romulus before them (5.9) – and promises to prefer Roman origins to foreign ones.15 The exploration begins with the notion that primal elements occur in pairs, an idea drawn from Pythagoras (11); the primary divisions are terra and caelum, earth and sky (16). He explores the multiple folk 14. M. L. Popkin, “Samothracian Influences”, p. 165; S. Cole, Theoi Megaloi, p. 93; P. Van Nuffelen, “Varro’s Divine Antiquities: Roman Religion as an Image of Truth”, Classical Philology 105.2 (2010), p. 162-188; H. Cancik, H. Cancik-Lindemaier, “The Truth of Images. For Varro’s possible initiation”, De re rustica 2, praef. 6. Varro’s discussions of the island include mention of the island’s distinctive goats, De re rustica 2.1.5; the Camillae, De lingua latina 7.3.34; the Penates, Antiquitates rerum humanarum 2, fr. 8; Tarquinius’ Samothracian initiation, Antiquitates rerum divinarum 15, fr. 3a; the Great Gods, Curio de cultu deorum fr. 1; on the image and their identification with cosmic deities, Antiquitates rerum divinarum 16, fr. 43. 15. J. Collart, Varron, grammairien latin, Paris 1954, p. 179.
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Sandra Blakely etymologies appropriate to his first level of data: thus territorium, a place for the farmer, is so named because teritur, it ‘is trodden’ (21), and he appeals to Ennius, Hesiod, and Aelius among his poets. Having worked his way through the area of Rome itself, he reaffirms the organizing principle of the duality (57), and turns to things that deal with gods and men, focusing first on the gods, among whom the Samothracians are his first. Principes dei Caelum et Terra. Hi dei idem qui Aegypti Serapis et Isis, etsi Harpocrates digito significat, ut taceam. Idem principes in Latio Saturnus et Ops. Terra enim et Caelum, ut Samothracum initia docent, sunt dei magni, et hi quos dixi multis nominibus non quas Samothracia ante portas statuit duas viriles species aeneas dei magni, neque ut vulgus putat hi Samothraces dii qui Castor et Pollux, sed hi mas et femina et hi quos Augurum libri scriptos habent sic, divi qui potes, pro illo quos Samothraces Θεοὶ δυνατοί. The first gods were Sky and Earth. These gods are the same as Serapis and Isis of Egypt – though Harpocras signals me with his finger to be silent. The same first gods in Latium are Saturn and Ops. For Earth and Sky, as the mysteries of the Samothracians teach, are great gods. These, whom I have called by many names, are not those Great Gods of whom Samothrace has set up two masculine images of bronze before the doors; they are not – though commonly thought to be – these Samothracian gods, who are Castor and Pollux. They are a male and a female, they are those whom the Books of the Augurs record as “potent deities”, rendering the Samothracians’ appellation “Powerful Gods” (5.10.57-58).16
Caelum and Terra, on whom Varro builds multiple etymological speculations (16-21), are here explored not in terms of folk etymologies or early Latin poetry, but by their equivalencies to a series of anthropomorphic gods, Serapis and Isis, Saturn and Ops. The exploration of the first pair, the first foreign gods cited in this book, is characterized by a restriction of voice and physical space appropriate to his fourth level of explanation, rites sealed by secrecy (initia) and areas
16. P. Van Nuffelen, “Varro’s Divine Antiquities”, p. 177, notes that the rejection of Castor and Pollux has puzzled many scholars, including G. Wissowa, “Überlieferungen”, p. 49; P. Boyancé, “Étymologie et théologie chez Varron”, Revue des études latines 53 (1975), p. 99-115, esp. 102; A. J. Kleywegt, “Varro”, p. 36, has an elaborate hypothesis that Varro read different inscriptions and so arrived at this hypothesis. In identifying the gods as two in number, he follows Acusilaos, BNJ 2 F 20, and Pherekydes, BNJ 3 F 48.
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Roman Approaches to Samothrace into the Second Century CE that may not be entered (adyta).17 Behind the dynamics of the passage lies his tripartite division of religion: the entry into the space of un-entered and un-spoken data is coterminous with the movement from the contemplation of cosmic dualities into the anthropomorphic forms of the gods, a switch from the philosophic to the mythic.18 The secrecy involved in both Egyptian and Samothracian rites, however, does not map precisely onto the third of his tripartite theology, civic religion. In this world of sacral viewing, an additional epistemological pathway appears, one beyond Varro’s proposed programme and regarding which he seems to be at best ambivalent: the reading of images.19 In Antiquitates rerum divinarum, Varro claimed that ancient Romans worshipped the gods without images for 170 years, and that if that custom could have been continued, the gods would today be more purely worshipped. The impact of images was a reduction of fear and an increase of error: antiquos Romanos plus annos centum et septuaginta deos sine simulacro coluisse. Quod si adhuc… mansisset, castius dii observarentur… qui primi simulacra deorum populis posuerunt, eos civitatibus suis et metum dempsisse et errorem addidisse, prudenter existimans deos facile posse in simulacrorum stoliditate contemni. the ancient Romans, for more than a hundred and seventy years, worshipped the gods without an image. And if this custom, he says, could have remained till now, the gods would have been more purely worshipped… those who first consecrated images for the people have both taken away religious fear from their fellow citizens, and increased error, wisely thinking that the gods easily fall into contempt when exhibited under the stolidity of images (Antiquitates rerum divinarum F 18).
And yet those divine images, to those properly initiated, can be pathways to understanding the world soul:20
17. P. Van Nuffelen, “Varro’s Divine Antiquities”. 18. J. A. North, “The Limits of the ‘Religious’ in the Late Roman Republic”, History of Religions 53.3 (2014), p. 225-245, 232 and n. 22 for an overview of the tripartite theology. 19. For sacral viewing, J. Elsner, “Image and Ritual: Reflections on the Religious Appreciation of Classical Art”, Classical Quarterly 46.2 (1996), p. 515-531. 20. Augustine cites Antiquitates rerum divinarum F 18 in pursuit of a prescient monotheism in Varro’s conception of the world soul. Varro’s enthusiasm for the aniconic figures elsewhere in his work as well – Penates are sigilla lignea vel marmorea (Antiquitates rerum divinarum fr. 8); Mars is a lance (Antiquitates rerum divinarum fr. 254); and he claims that all ancients worshipped without figures (De
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Sandra Blakely primum eas interpretationes sic Varro commendat, ut dicat antiquos simulacra deorum et insignia ornatusque finxisse, quae cum oculis animadvertissent hi, qui adissent doctrinae mysteria, possent animam mundi ac partes eius, id est deos veros, animo videre; quorum qui simulacra specie hominis fecerunt, hoc videri secutos, quod mortalium animus, qui est in corpore humano, simillimus est immortalis animi; tamquam si vasa poneretur causa notandorum deorum et in Liberi aede oenophorum sisteretur, quod significaret vinum, per id quod continet id quod continetur; ita per simulacrum, quod formam haberet humanam, significari animam rationalem, quod eo velut vase natura ista soleat contineri, cuius naturae deum volunt esse vel deos. First of all, Varro commends these interpretations so highly as to say that the men of old invented the images, attributes and adornments of the gods precisely so that, when those who had approached the mysteries of the doctrine had seen these visible things with their eyes, they might also see with their mind the soul of the world and its parts; that is, the true gods. Those who made the images of these gods in human form, he says, appear to have been guided by the thought that the mortal mind that is in the human body is very much like the immortal mind. For example, it is as if vessels were placed to represent the gods: as, for example, a wine-jar might be placed in the temple of Liber, to signify wine, that which is contained being signified by that which contains (Antiquitates rerum divinarum F 225).
If Varro’s invention of religion begins with a blissful aniconism, his invention of simulacra emphasizes the encoding of those material forms. That encoding emerges at the epistemological divide between those who read objects as direct manifestations of the signified and those who perceive the world soul.21 That perception is enabled by initiation into the mysteries of doctrine. The science of seeing emerges as fundamental to religion, activated at the intersection of viewer, experience in ritual spaces, cosmic truth, and the earliest strata of human
gente populi romani fr. 9, 13); P. Van Nuffelen, “Varro’s Divine Antiquities”, p. 183, n. 124; H. Cancik, H. Cancik-Lindemaier, “The Truth of Images: Cicero and Varro on Image Worship”, p. 46. For the di selecti of Antiquitates rerum divinarum book 16 as allegories for elements of the cosmos, B. Cardauns, Marcus Terentius Varro: Einführung in sein Werk, Heidelberg 2001, p. 59-60. 21. P. Van Nuffelen, “Varro’s Divine Antiquities”, p. 175; cf. P. Boyancé, “Étymologie”, p. 481, who proposed from this passage that Varro believed in a telestic efficacy of statues.
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Roman Approaches to Samothrace into the Second Century CE culture. Varro found, moreover, material objects for this kind of epistemological complexity in the simulacra on Samothrace which functioned as signs for these cosmic entities. hinc in superiore libro etiam Samothracum nobilia mysteria… sic interpretatur eaque se, quae nec Sais nota sunt, scribendo expositurum eisque missurum quasi religiosissime pollicetur. (Dicit enim) se ibi multis indiciis collegisse in simulacris aliud significare caelum, aliud terram, aliud exempla rerum, quas Plato appellat ideas; caelum Iovem, terram Iunonem, ideas Minervam (vult intellegi); caelum a quo fiat aliquid, terram de qua fiat, exemplum secundum quod fiat. Hence also, in the preceding book, Varro similarly interprets the celebrated mysteries of the Samothracians, and promises, almost with religious fervor, that he will expound in writing things unknown to the local priests and send those to them. For he says that he had discovered, in Samothrace, from many indications, that one of the images there signified the heaven, another the earth, and another the model of things which Plato calls Forms. Varro wishes it to be understood that Jupiter is the heaven, Juno the earth, and Minerva the Forms; heaven being that by which anything is made; earth being that of which it is made; and the idea being the form according to which it is made (ARD F 206/Augustine, de Civitate Dei 7.28).
Augustine ties Varro’s allegorical interpretations to his viewing of simulacra.22 It is not necessary to infer from this passage that Varro saw statues of the Capitoline Triad on Samothrace – in contrast to the Dioskouroi, who are attested for the island in sources from Apollonius onward, no other authors suggest a role for these gods in the rites. While simulacra, moreover, is commonly used to describe anthropomorphic images, its meanings also embrace a more nuanced relationship between sign and signifier that goes beyond superficial visual similarities. Lucretius uses simulacra to describe the capacity for specks of dust, revealed by the rays of the sun in a dark room, to model atomic phenomena (2.112): cuius, uti memoro, rei simulacrum
22. The triplicate of gods in this passage contradicts the duality of earth and sky in De lingua latina, but has a long life in the Roman efforts to claim the mysteries. Macrobius writes that Tarquin, the founder of Rome, was a Samothracian initiate, and that he brought those gods to Rome, where he set them up on the Capitoline – where the triad of Jove, Juno and Minerva embodied the cosmological entities (Saturnalia 3.4.7-9); Servius similarly identified a cosmic triplicate, declaring the Samothracian gods the upper, middle and bottom strata of the atmosphere (in Aeneidem 3.12; 2.296).
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Sandra Blakely et imago ante oculus semper nobis versatur et instat.23 Simulacra may thus be the uncrafted entities of the natural world, beyond which the philosopher may perceive the invisible but universal workings of the whole. In this case there is no stratum of primordial kings involved in encoding the signs: the shared reliance on a skilled interlocutor – a philosophical guide, or one initiated into the mysteries of doctrine – connects Lucretius’ specks of dust to Varro’s cosmic principles. What precisely Varro’s Samothracian simulacra may have looked like may be best deduced from his attitudes about the material instantiations of cosmic truth. These emphasize the archaic, a suspicion of the anthropomorphic, and an epistemological opacity. The focus on the archaic reflects Varro’s conviction, possibly originating in Greek Stoicism and modified by Posidonius, that religion contains the true knowledge of the cosmos that was held by the earliest human races. The rulers of those races hid those truths, in both verbal and material form, as it was unseemly for them to be broadly known.24 A walk through the site with Varro as our guide is an exercise in reading beyond the surfaces of images, ritual installations, aniconic forms, and architectural realizations. The site The Sanctuary of the Great Gods is nestled at the foot of Mount Phengari, cut out from the surrounding landscapes by twin streams in lieu of a temenos wall. While modern visitors experience the site as a place close to nature, it was situated immediately outside a city sufficiently prosperous to build an imposing wall of cyclopean proportions, and sufficiently adept at networking to establish draw networks of theoroi, proxenoi and initiates from Asia Minor, the Black Sea, and Alexandria as well as Rome.25 The site fared poorly in the years between the visits of Cyriacus of Ancona and the Greek war of liberation: the remains of lime
23. See also De rerum natura 4.110, 128-9 for simulacra which move in invisible ways. 24. P. Van Nuffelen “Varro’s Divine Antiquities”, p. 182; P. Van Nuffelen, “Words of Truth: Mystical Silence as a Philosophical and Rhetorical Tool in Plutarch”, Hermathena 182 (2007), p. 9-39. 25. K. Lehmann, Samothrace: a guide to the excavations and the museum, 6th edition, Princeton 1998; N. Dimitrova, Theoroi and Initiates; S. Blakely, “Beyond Braudel: Network models and a Samothracian Seascape”, in L. Mazurek, C. Concannon (eds), Across the Corrupting Sea, London 2016, p. 17-38.
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Roman Approaches to Samothrace into the Second Century CE kilns found in the sanctuary are tokens of innumerable architectural elements that were burned for cement production. Even in its present state, the site offers numerous indices, both visual and epigraphic, of the deep antiquity and aniconism that answer Varro’s preconceptions, and would resonate as well with the Greek traditions that located the rites in the pre-Greek, Pelasgian stratum of cultural history. Herodotus knew the rites as Pelasgian (2.51-52); Dionysius of Halicarnassus associated the island’s Kabeiroi with Pelasgians (Antiquitates Romanae 1.23.5). All of the island’s daimones are associated with pre-Greek populations; Hippolytus (Refutatio omnium haeresium 5.8.9-10, 5.9.7-9) claims that early man, or Adam, figured in the mysteries themselves.26 Architectural signatures and epigraphic evidence suggest that visitors to the island would experience these literary claims of antiquity in embodied form on site. Most visually spectacular is the frieze of maidens on the fourth century Hall of Choral Dancers. Numbering up to 920 figures, these maidens reflect 4th century types in their features, proportions and gait, but their swallow-tailed mantles, and the stylized folds in their garments, invoke a more remote, archaic past: they are the first example in Greek architecture of the archaizing sculptural style (see Fig. 1).27 The specific myth to which they refer has long eluded easy identification. Though often proposed as the chorus for the marriage of Kadmos and Harmonia, they lack the iconography appropriate for that narrative; the tympana, auloi and kitharae they carry would render them suitable for celebrants of the Great Mother associated with the rites. Marconi has suggested they reflect the civic reality of theoroi in the annual summer festivals which gathered representatives from Greek poleis to the island.28 Conze was the first to note that the archaic style of the maidens provided an artistic parallel to the tradition recorded by Diodorus Siculus, that those undergoing initiation used many words from the language of the island’s pre-Greek inhabitants (5.47.14-16).29
26. S. Blakely, Myth, Ritual and Metallurgy in Ancient Greece and Recent Africa, Cambridge 2006, p. 20-22. 27. K. Lehmann, D. Spittle, in P. W. Lehmann, D. Spittle (eds), Samothrace, vol. 5: The Temenos, Princeton 1982, p. 3-12, and M. L. Hadzi, “The Frieze”, Ibid., p. 172-220. 28. C. Marconi, “Choroi, Theoriai and International Ambitions: The Hall of Choral Dancers and its Frieze”, in O. Palagia, B. D. Wescoat (eds), Samothracian Connections: Essays in honor of James R. McCredie, Oxford 2010, p. 106-135, esp. 128. 29. A. Conze, Reise auf den Inseln des Thrakischen Meeres, Hannover 1860, p. 132-133.
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Fig. 1. Choral dancers. Image used by kind permission of Dan Diffendale, under Creative Commons license https://creativecommons.org/licenses/ by-nc-sa/2.0/
Fig. 2. Mycenaean door, photo courtesy of Michael Page.
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Roman Approaches to Samothrace into the Second Century CE Diodorus’ claim has found confirmation in the form of some 70 ceramic inscriptions, dated from the sixth-fourth century bce, written in a Thracian language; the identification has been confirmed through a significant corpus of ceramic graffiti from the temple of Apollo in Mesembria, ancient Zone, on the Thracian mainland.30 Chronological and ethnic boundaries were thus made coterminous with the boundary between man and the sacred on the site. The use of the foreign language is a striking contrast to Eleusis, whose initiates were required to understand the Greek used in the rites.31 An even deeper past is suggested in the faux door, built into the retaining wall for Hellenistic room 10. Topped by a relieving triangle of the type used in Mycenaean engineering, it would offer appeal to the heroic past that would map onto the legend of the rites’ foundation by Dardanos as well as the numerous legends of heroic initiates, from Odysseus to the Argonauts (see Fig. 2).32 The site also has an exceptional number of aniconic objects which received ritual attention in chthonic style installations; these occur throughout the life of the sanctuary.33 A three-room, possibly open-air Orthostate structure has been dated to the first half of the fourth century bce; 30.5 x 12 meters in dimension, it is the first of three structures that occupies the northwest corner of the site. It was replaced in the early third century by the proto-Anaktoron, and in the early imperial period, the first century ce, by the Anaktoron, at 27 x 11.58 meters (see Fig. 3,23 and Fig. 4 and 5). The nearly precise duplication of size for these buildings, and their occupation at the same section of the site, difficult through it was to use, suggests significant continuity over time. The focus of ritual action in its south precinct was a beehive-shaped pit 2.5 meters deep; a stone at its base received the libations poured into the shaft (see Fig. 5).34 This chthonic focus
30. G. Bonfante, “A Note on the Samothracian Language”, Hesperia 24.1 (1955), p. 101-109; C. Brixhe, “Zone et Samothrace: lueurs sur la langue thrace et nouveau chapitre de la grammaire comparée ?”, Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 2006, p. 1-20. 31. W. Burkert, Greek Religion, Cambridge 1985, p. 286 and n. 13. 32. J. R. McCredie, “A Samothracian Enigma”, Hesperia 43.4 (1974), p. 454-459; S. Alcock, “The Heroic Past in a Hellenistic Present”, in P. Cartledge, P. Garnsey, E. Gruen (eds), Hellenistic Constructs, Berkeley 1997, p. 20-34, esp. 21-22, 29. 33. P. Van Nuffelen, “Varro’s Divine Antiquities”, p. 183; H. Cancik, H. CancikLindemaier, “The Truth of Images: Cicero and Varro on Image Worship”, p. 46. 34. K. Lehmann, “Samothrace: Third Preliminary Report”, Hesperia 19.1 (1950), p. 1-20, esp. 7-12; K. Lehmann, “Samothrace: Fourth Preliminary Report”,
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Fig. 3. Plan of the Sanctuary of the Great Gods, Samothrace, by J. Kurtich; Lehmann 1998: Plan IV. Courtesy Institute of Fine Arts, New York University. 1-3 Late Hellenistic buildings; 4 Unfinished early Hellenistic building; 6 Milesian dedication; 7 Dining rooms; 8, 10 Unidentified niches; 9 Archaistic niche; 11 Stoa; 12 Nike monument; 13 Theater; 14 Altar court; 15 Hieron; 16 Hall of Votive Gifts; 17 Hall of Choral Dancers; 20 Rotunda of Arsinoe II; 22 Sacristy; 23 Anaktoron; 24 Dedication of Philip III and Alexander IV; 25 Theatral area; 26 Propylon of Ptolemy II; 27 Southern necropolis; 28 Doric rotunda.
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Fig. 4. Plan of the Anaktoron, the Sacristy, the Rotunda of Arsinoe, and Earlier Remains, 1976, by J. Kurtich; Lehmann 1998: fig. 26. Courtesy Institute of Fine Arts, New York University.
Fig. 5. North-South section through Southern part of Anaktoron, Sacristy, and Arsinoeion, Lehmann 1950: pl. 7 fig. 16. Courtesy of the Trustees of the American School of Classical Studies at Athens.
continues into the monumental Arsinoeion of the third century bce, possibly contemporary with the proto-Anaktoron, in the form of a lined shaft, built next to its doorway, which runs down to the bedrock and yielded a quantity of sheep bones (see Fig. 6a and 6b)35. The long tradition of chthonic offerings thus continues, even alongside the
Hesperia 20.1 (1951), p. 1-30, esp. 2-3; J. R. McCredie, “Samothrace: Supplementary Investigations, 1968-1977”, Hesperia 48.1 (1979), p. 1-44, esp. 28-32. Lehmann dates the structure to the seventh century bce, McCredie to the fourth. 35. K. Lehmann, “Preliminary Report on the Second Campaign of Excavation in Samothrace”, American Journal of Archaeology 44.3 (1940), p. 328-358, esp. 334; Id., “Samothrace: Fourth Preliminary Report”, Hesperia 20 (1951), p. 9-11.
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Fig. 6a. Bothros at Arsinoeion, plan drawing by J. Kurtich after S.M. Shaw, McCredie et al. 1992, p. 240, fig. 147. Reprint by permission of Princeton University Press ©.
Fig. 6b. Bothros at Arsinoeion, section drawing by J. Kurtich after S.M. Shaw, McCredie et al. 1992, p. 240, fig. 147. Reprint by permission of Princeton University Press ©.
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Fig. 7. Raised bothros in Anaktoron, photo by author.
elegant architectural masterpiece of Arsinoe’s tholos. A similar perpetuation of the chthonic into the latest period of the building informs the Anaktoron as well: its final form, of the imperial period, included a raised bothros in its northeastern corner for receiving liquid libations, and a stone placed in the shaft’s base seems to have been the object of offerings (see Fig. 7 and 3,23).36 An analogous conservatism appears in the Hall of Choral Dancers to the south of this structure. Here chthonic offering spaces were built into the floor in both the seventh and fourth century iterations of the building (see Fig. 3,17). The earlier were excavated by Conze and Hauser in the middle of the west aisle of the building, beneath the floor of the late classical building. Lehmann identified a stone at the base of one of these, which had been identified as an eschara, echoing the stones in the shaft of the Arsinoeion and the Anaktoron.37 In the third
36. J. R. McCredie, “Samothrace: Supplementary Investigations, 1968-1977”, p. 33; K. Lehmann, “Preliminary Report on the Second Campaign”, p. 334. 37. K. Lehmann, “Samothrace: Third Preliminary Report”, p. 5-6; K. Lehmann, “Fourth Preliminary Report”, p. 13; C. Marconi, “Chorai, Theoriai”, p. 123-124, notes that one looks archaic, but cannot be confidently dated; he notes, for the first set of
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Fig. 8. Rock altars, photo by author.
quarter of the fourth century, chthonic orientation in offering practices is again indicated by two openings in the floor of the western aisle, and by the placement of that west aisle at a lower level than the porch, reached by three descending steps. Libations to unworked stones are suggested in the area immediately between these buildings: here Lehmann identified a stone emerging from the bedrock through the paving, around which ran a narrow channel separating it from the surrounding pavement, allowing libations to run over the stone and into the earth (see Fig. 8).38 This focus on unworked stones and a physical descent into lowered spaces continues most strikingly in the Hieron, begun at the end of the fourth century bce, first completed in the second century bce, and repaired and restored in the second century ce. It is an impressive
bothroi, the comparison with bothroi from the sanctuaries of the chthonic deities in Agrigento. Conze and Hauser had identified the southern of the earlier bothroi as an eschara, based on a misreading of the structure. Marconi notes that the chthonic nature of the cult in this west aisle of the building is suggested by the placement of its floor at a level lower than the porch. 38. K. Lehmann, “Samothrace: Fourth Preliminary Report”, p. 3-5, 7, noted that a proximal stone was leveled off in order to allow a person to stand on top of it and perform the ceremony. These have analogy in an archaic period rock altar, monumentalized in the Hellenistic period into the altar court. K. Lehmann, “Samothrace: Third Preliminary Report”, p. 8-9.
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Roman Approaches to Samothrace into the Second Century CE structure, measuring 40 x 13 meters, entered from the north, through a porch of two rows of six columns; it terminated in an apse covered by a conical wooden ceiling (see Fig. 3,15). An inscription on a stele near the door forbade entrance to the uninitiated: Lehmann hypothesized that this was the location for epopteia.39 Visitors entered a splendid interior, lined by marble benches able to seat some 144 people, finely stuccoed walls, and a floor of gleaming marble: an eschara in the floor suggests a focus on the chthonic consistent with the rest of the site. Second century Roman remodeling of the cella maintained its visual brilliance but made some changes. The main door was enlarged, the eschara was sealed and perhaps replaced with portable hearths, and parapets were installed: Lehmann suggested that animals would now be driven into the interior for sacrifice. More elaborate benches were introduced in the area near the apse, affirming the importance of activities in that area. The apse – where one traditionally expected a cult statue – remains, however, strikingly chthonic and aniconic. The area was never entirely paved (see Fig. 9a and 9b): inside it, two steps gave access to the central area, which was never paved in marble but consisted of earth, terrazzo or mosaic.40 Visitors could thus step down to the earth, analogous to their descent into the western aisle of the Hall of Choral Dancers. At the end of that earthy space which was closest to the cella – at the point corresponding to the ‘capstone’ of the roughly arch-spaced shape of the unpaved area – was the largest marble block of the area. Into its surface, in the Roman period, was cut a semicircular hole, duplicating the shape of the apse, and centralizing focus on the red porphyry bedrock directly beneath it. Lehmann suggested liquid offerings were poured here, analogous to the rock altars in the paved area near the Arsinoeion. A second century ce inscription suggests that this area was recognized as the abaton.41 Varro’s signs of primordially pure religion on Samothrace could thus derive from a combination of anonymous maidens and aniconic stones, reinforced by a language that recalled the pre-Greek inhabitants, and a chthonic orientation which may as well have invoked
39. K. Lehmann, “Guide”, p. 85; K. Lehmann, “The Epopteia and the Function of the Hieron”, in P. W. Lehmann (ed.), Samothrace: The Hieron, Text II, Princeton 1969, p. 3-50, esp. 30, 36. 40. K. Lehmann, “Hieron”, p. 32. 41. K. Lehmann, “Hieron”, p. 33-36.
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Fig. 9a. Apse of Hieron, photo by author.
Fig. 9b. Restored plan of the Roman apse of the Hieron, drawing by M.R. Jones, Lehmann 1969, Pl. XCII. Reprint by permission of Princeton University Press.
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Roman Approaches to Samothrace into the Second Century CE pre-Greek ethnicities.42 While aniconic forms were not in fact historically limited to the archaic period, Varro clearly declares them a sign of primitive man, free of the epistemological tangles of anthropomorphic forms.43 If we seek on Samothrace an idea of what the latter may have been, we find ourselves on much drier ground than Varro or later Romans would have been. The Nike, perched above the theater on the prow of her ship, offers a tantalizing suggestion of what is now missing from the site, as do the emptied and inscription-less statues bases which ring the theatral circle, and the barely identifiable sculpted heads from the Hall of Choral Dancers.44 These suggest the frameworks for iconographic representations of the multiple narrative traditions that cluster about the island, from the Amazon Myrrhina to Dardanos on his raft, Kadmos’ elopement, or the Kabeiroi and Korybantes. Varro himself confirms only the Dioskouroi, about which he builds his epistemological critique of images. He introduces them with a word that underlines the capacity for confusion: principes may invoke the chronological priority appropriate for the first generations of mankind, as Collart has noted, but equally serve as the Latin rendering of ἄνακτες.45 It is used of the Dioskouroi themselves in Orphic Hymn 38, and is appropriate for the Samothracian building which Hippolytus described, many years later, as the ‘Anaktoron’, before which stood images of two young men.46 Thus
42. Z. Archibald, “Thracian cult, from practice to belief”, in G. Tsetskhladze (ed.), Ancient Greeks West and East, Leiden 1999, p. 427-468. 43. M. Gaifman, Aniconism in Greek Antiquity, Oxford 2012; M. Gaifman, “Aniconism: Definitions, Examples and Comparative Perspectives”, in M. Aktor, M. Gaifman (eds), Exploring Aniconism, thematic issue of Religion 47 (2017), p. 335-352. 44. B. Wescoat, Samothrace 9: The Monuments of the Eastern Hill, Princeton 2017, p. 276, 293-297; 327-345; A. Sowder, “A New Ceiling for the Hieron in the Sanctuary of the Great Gods on Samothrace,” in O. Palagia, B. D. Wescoat (eds), Samothracian Connections: Essays in honor of James R. McCredie, Oxford 2010, p. 137-154, 138, 152. 45. J. Collart, Varron, p. 179. 46. J. Carcopino, La Basilique pythagoricienne de la Porte Majeure, Paris 1926, p. 365, n. 1; this is the final word in Orphic Hymn 38, below. Hippolytus, Refutatio omnium haeresium 5.8.9-10 referred to the “Anaktoron” on Samothrace as the building before which stood two bronze images of young men, whom he identifies as Kabeiroi. The term does not mean the twins were worshipped there, as the word is use as well of a shrine of Thetis (Euripides, Andromache 43, 117) but especially used of Demeter (Anthologia Palatina 9.147, Antagoras), and of Demeter at Eleusis (Herodotus 9.65, cf. Hegesander 8, Posidonius 4.1, Choricius Procopius 86.24B).
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Sandra Blakely while Varro’s argument in favor of earth and sky relies on the chronological meaning of the word, its own semantic range signals equally the anthropomorphic twins his contemporaries knew as the gods of the rites. This framing makes his point well: the aniconic stones, the form of ritual installations, and the embodied and auditory experience of the rites are a more direct pathway to the gods he favors. Cosmology on Samothrace in the second century ce: Athenaeus, Orphics, and Galen A cosmological sensibility for Samothrace was not limited to Varro in his own generation. Cicero recognized the connection with natural science and the mysteries, and Lucretius, though unfond of religion, selected the magnetized rings from Samothrace to render visible the unseen powers of nature, and so demythologize the world.47 Three voices from the second century ce reflect the conception of Samothrace’s mysteries as natural science in that era. Athenaeus includes a lengthy fragment of a comedy by Athenion, The Samothracians, in Deipnosophistae (14.80, 660e-661d).48 Athenaeus sets up his citation with care: it is part of a long discourse initiated by Ulpian, the host of the feast, about the role of cooks in the evolution of mankind (14.7780). Ulpian uses a range of learned references for cooks as ritual masters. Samothracian myths and patrons figure among these: Kadmos and Harmonia are a cook and a flute player who ran off together; Olympias of Macedonia corresponded with Alexander the Great about the need to acquire a cook who understood ancestral sacrifices and mysterious rites (14.78).49 Ulpian’s cook, a mageiros, strides onstage arguing in the manner of a natural philosopher – φυσιολογοῦντα – about the nature of things and men.50 Given Ulpian’s reference to Kadmos, it is tempting to
47. S. Blakely, “Toward an archaeology of secrecy: power, paradox, and the Great Gods of Samothrace,” in Y. Rowan (ed.), Beyond Belief: The Archaeology of Religion and Ritual, Archaeological Papers of the American Anthropology Association 21.1 (2012), p. 49-71, esp. 61-64; Lucretius, De rerum natura 6, 1043-1047. 48. PCG IV.13-16 c; we know little more about the author than his name: Athenaeus credits Juba of Mauretania as his source, BNJ 275 F 86. 49. PCG IV: Athenio 1 Σαμόθραικες Οὐκ οἴσθ᾽ὅτι πάντων ἡ μαγειρικὴ τέχνη Πρὸς εὐσέβειαν πλεῖστα προσενήνεχθ᾽ὅλως. 50. Used particularly of the pre-Socratic philosophers in Aristotle, Metaphysics 986
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Roman Approaches to Samothrace into the Second Century CE suggest that his imagined speaker is Kadmos himself, and that this culinary version of the rise of man constituted a parody of elements within the mysteries. This cook explains to his interlocutor the emergence of human piety from the culinary arts. Men dwelled long ago in a bestial θηριώδους (line 4), cannibalistic state (ἀλληλοφαγίας, lines 6, 9), until ‘a man of better genius’ made the first sacrifice. The flesh of the sacrificed animals proved so much tastier than human flesh that men ceased to practice cannibalism, and focused their attention on seasonings and sausages. Cohabitation became a far less risky proposal, with the result that human began to live together, settle cities, and build civilization – all because of the genius of the cook. The cook’s interlocutor declares the chef ‘a new Palaephatus’ καινὸς γάρ ἐστιν οὑτοσὶ Παλαίφατος (27). Palaephatus foregrounds the analogy between Athenion’s view of the rites and Varro’s – a critique of myth, and a drive for rationalization.51 The primitivism which for Varro ensured a purity of religious thought has been replaced by an anthropological trope for cultural evolution.52 Far more information comes from Samothrace’s inclusion in the Orphic Hymns.53 Arguments that these hymns were not genuinely Orphic, and certainly not ritual, began with Guthrie, who noted the absence of the eschatology that characterizes other Orphic texts. The hymns are now generally accepted as records of ritual performance, based on increasing epigraphic evidence for the boukoloi who appear
b 14, οὐ γὰρ ὥσπερ ἔνιοι τῶν φυσιολόγων ἓν ὑποθέμενοι τὸ ὂν ὅμως γεννῶσιν ὡς ἐξ ὕλης τοῦ ἑνός; Metaphysics 990 a 3, ὡς ὁμολογοῦντες τοῖς ἄλλοις φυσιολόγοις; De Anima 426 a 20, ἀλλ᾽οἱ πρότερον φυσιολόγοι τοῦτο οὐ καλῶς ἔλεγον; De partibus animalium 641 a 7, oἱ φυσιολόγοι τὰς γενέσεις καὶ τὰς αἰτίας τοῦ σχήματος λέγουσιν; Poetics 1447 b 19, οὐδὲν δὲ κοινόν ἐστιν Ὁμήρῳ καὶ Ἐμπεδοκλεῖ πλὴν τὸ μέτρον, διὸ τὸν μὲν ποιητὴν δίκαιον καλεῖν, τὸν δὲ φυσιολόγον μᾶλλον ἢ ποιητήν. 51. BNJ 44 F 8. 52. On Kadmos as a cook, A. A. Benton, “The Classical Cook”, The Sewanee Review 2.4 (1894), p. 413-424; for the mageiros in comedy, H. Dohm, Mageiros, Munich 1964, p. 169-173, 204; G. Berthiaume, Les rôles du mágeiros: étude sur la boucherie, la cuisine et le sacrifice dans la Grèce ancienne, Leiden 1982; J.-C. Carrière, Le Carnaval et la politique, Paris 1979, p. 310-317; A. Giannini, “La figura del cuoco nella commedia greca”, Acme: Annali della Facoltà di Lettere e Filosofia dell’Università degli Studi di Milano 13 (1960), p. 135-217, esp. 173. 53. Orpheus comes to Samothrace in legend as an Argonaut and early initiate, or in the company of the Idaian Daktyloi who establish the rites; little if any scholarship has explored Orphic resonance in the island’s rites. For his arrival on the island, Dionysius Skytobrachion, BNJ 32 T1, T3; J. S. Rusten, Dionysius Scytobrachion, Opladen 1982, p. 85-86; Ephoros BNJ 70 F 104.
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Sandra Blakely in the hymns, along with familiar ritual practitioners such as mystai, neophantes, and orgiophantai. They are also placed in Asia Minor, based on the appeals to local gods such as Meter Antaia and Sabazios.54 In both of these regards, these Orphic hymns intersect with Samothracian realities. Samothrace’s benefits are overwhelmingly maritime rather than eschatological, and the Asia Minor coast is one of the areas most densely filled with its initiates, proxenoi, theoroi, and koina.55 As ritual experiences, the poems represent, moreover, an important response to Varro’s concern to penetrate through the material and the mythic to cosmic realities. That penetration comes in the form of performance. The hymns may have been commissioned by different groups, and either sung, recited, or even pantomimed.56 Each poem begins with a libation of incense: performers would enter a space set apart from the ordinary through olfactory means as well as auditory or mimetic experience. While the hymns lack narrative, an intensity emerges through the poetics of assonance and alliteration, the multiplication of names and epithets as the performers seek to persuade the gods to their benefit.57 Ricciardelli has proposed that their recitation would produce an effect on the imagination so powerful that their very performance would have an initiatory effect.58 Samothrace appears in the hymn to the Kouretes (# 38), in which the island’s Dioskouroi create a pathway from narrative figures to physical principles. The Kouretes figure within the larger context of Orphic poetry as attendants on newborn Zeus in his Cretan cave, on Kore, or the baby Dionysos; Athena as the daughter of Zeus becomes
54. F. Graf, “Serious Singing: The Orphic Hymns as Religious Texts”, Kernos 22 (2009), p. 169-182; J. Rudhardt, “Recherches sur les Hymnes orphiques”, in Id., Opera Inedita, ed. Ph. Borgeaud, V. Pirenne-Delforge, Liège 2008, p. 165-325, and p. 161-162, and Ph. Borgeaud, “Préface”, p. 171; G. Ricciardelli, Inni Orfici, Rome 2000; a.-F. Morand, Études sur les Hymnes Orphiques, Leiden 2001 (see her contribution in this volume, p. 299); M. L. West, The Orphic Poems, Oxford 1983; A. N. Athanassakis, The Orphic Hymns, Missoula 1977. 55. S. Blakely, “Beyond Braudel”; N. Dimitrova, Theoroi and Initiates. 56. G. Ricciardelli, Inni Orfici, p. xxxv; Lucian, De saltatione 15, knew of no mysteries that did not include dance; see also Alciphron 3.2, Achilles Tatius 4.8; Oxyrhynchus Papyri III 411.25. 57. Ph. Borgeaud, “Préface”, p. 161, in J. Rudhardt, Opera Inedita, and J. Rudhardt, “Recherches”, p. 165-325, esp. p. 183 and 187-205; cf. F. Graf, “Serious Singing”, p. 172, notes that the hymns ask for general rather than specific favors. 58. G. Ricciardelli, Inni Orfici, p. xv-xvi.
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Roman Approaches to Samothrace into the Second Century CE their leader in the Rhapsodies narrative.59 Their associations with Kore and Dionysos suit the soteriological aspects of Eleusinian and Bacchic rites, as their attendance on Zeus links them to the eschatological focus of Orphism, in which the cosmos is metonymnic for the initiate himself as a child of earth and starry sky.60 Literary authors recognize the Kouretes among Samothrace’s many daimones, characterized by dances in arms and syncretization with Korybantes and Idaian Daktyloi.61 The Dioskouroi are only added to the number of the Samothracian gods in the Ptolemaic period, a natural complement to the Ptolemies who chose the twins as models of fraternal affection and Samothrace as an outpost for their votive display.62 This hymn, uniquely, elides the company of dancers with the twin sons of Zeus as mythic figures and philanthropic winds. An equation to natural elements is not unprecedented for the Dioskouroi: Xenophanes recognized them as St. Elmo’s fire, an equation to starry forces which figures in the literary tradition well into the imperial period.63 That literary tradition foregrounds
59. M. L. West, The Orphic Poems, p. 48, 50, 72, 74, F 257; 95-96; 122, 166-168. 60. For starry imagery among Orphic initiates, PEG 2.2 F 474.10, 475.12, 476.6, 477.8-9, 478.3, 479.3, 480.3, 481.3, 482.3, 483.3, 484.3, 488.4, 489.4, 490.5; E. Csapo, “Star Choruses: Eleusis, Orphism, and New Musical Imagery and Dance”, in M. Revermann, P. Wilson (eds), Performance, Iconography, Reception: Studies in Honour of Oliver Taplin, Oxford 2008, p. 262-290, esp. 270-272 and n. 40. For caveats on the soteriology of Eleusis as a reflection of scholarly tradition, and an emphasis on the benefits in this life, R. G. Edmonds III, Redefining Ancient Orphism: A Study in Greek Religion, Cambridge 2013. 61. Strabo 7. F 5; 10.3.7; Priscian, Periegesis 544-545, GGM II 195 – 5b; Lycophron, Alexandra 72-80; Eusebius, Praeparatio evangelica 1.10; Paraphrasis Dionysii Periegesis 524, GGM II 416; Eustathius, Commentarii in Dionysii ‘Periegesin’ 524, GGM II 317; Statius, Achilleid 1.830-32; Arnobius, Adversus nationes 3.41, 3.43. 62. S. Blakely, “Starry Twins and Mystery Rites: From Samothrace to Mithras”, Acta Antiqua Academiae Scientiarum Hungaricae 58 (2018), p. 427-463. 63. Xenophanes, DK 21 A 39 = τοὺς ἐπὶ τῶν πλοίων φαινομένους οἷον ἀστέρας, οὗς καὶ Διοσκούρους καλοῦσι τινες, νεφέλια εἶναι κατὰ τὴν ποιὰν κίνησιν παραλάμποντα. Metrodorus locates the cause in the optical function of the viewers themselves, suggesting that they are optical illusions, flashes from the eyes of those who look at them in fear and amazement. Ps-Plutarch, Placita Philosophorum 2.18: Μητρόδωρος τῶν ὁρώντων ὀφθαλμῶν μετὰ δέους καὶ καταπλήξεως εἶναι στιλβηδόνας. These natural science speculations inform literary tradition as well: Alkaios of Mytilene, 1983: 265, B2(a); Homeric Hymn 33, to the Dioskouroi; Theocritos, Idyll 22: 8-22; Euripides, Helen 1495-1504; Cinna, Propemticon for Asinius Pollio 21-24; Horace, Carmina 1.3.2; 1.12.25-31; 4.8.30-32. Seneca, Natural Questions 1.1.3, Hercules Furens 550-553; Plutarch, Moralia 426 C; Lysander 12.1; V. Platt, “Double Vision:
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Sandra Blakely the philanthropy, agency, and patriotism of the twins as shining stars, writing human emotion into the heavens and confirming the intervention of natural forces on behalf of sailors at risk. The hymn three times confirms the Kouretes as powers that connect terrestrial and celestial realms. The introductory lines move quickly from anthropomorphic to cosmic and interventionary: the bronze-beating, armor wearing, Ares-oriented dancers of the first line occupy, in the second, heaven, earth and sea, and in the third become life-giving breezes and cosmic saviors. Χαλκόκροτοι Κουρῆτες, Ἀρήια τεύχε ἔχοντες, οὐράνιοι χθόνιοί τε καὶ εἰνάλιοι, πολύολβοι, ζωιογόνοι πνοιαί, κόσμου σωτῆρες ἀγαυοί Bronze beating Kouretes, wearing Ares’ arms, Heavenly, earthly and of the sea, much blessed, Life-bringing breezes, illustrious saviors of the world (1-3).
The tripartite universe echoes in the Kouretes’ triple tie to Samothrace, as their earthly place of dwelling, guarantor of maritime safety, and whose rites the Kouretes found: οἵτε Σαμοθράικην, ἱερὴν χθόνα, ναιετάοντες κινδύνους θνητῶν ἀπερύκετε ποντοπλανήτων ὑμεῖς καὶ τελετὴν πρῶτοι μερόπεσσιν ἔθεσθε (4-6). The hymn then turns to the embodied reality of the bronze clad dancers, with three accounts of how their dance links ocean, forest and sky: first as the noise and shouts of their pounding feet rise to heaven (ἐρχόμενοι γαῖαν κοναβίζετε ποσσὶν ἐλαφροῖς, μαρμαίροντες ὅπλοις… θόρυβος δὲ βοή τ᾽εἰς οὐρανὸν ἵκει εἱλιγμοῖς τε ποδῶν [9-10]), second as the dust moves physically from earth to the clouds κονίη νεφέλας ἀφικάνει ἐρχομένων (12-13), third as the trees they uproot crash to the ground, torn from their roots, and the sound of their leaves reaches the skies (δένδρη δ᾽ὑψικάρην᾽ἐκ ῥιζῶν ἐς χθόνα πίπτει, ἠχὼ δ᾽οὐρανία κελαδεῖ ῥοιζήμασι φύλλων). The dance characteristically associated with the protection of a god
Epiphanies of the Dioscuri in Classical Antiquity”, Archiv für Religionsgeschichte 20.1 (2018), p. 229-256, esp. 245. Among the daimones, individually named Daktyloi are familiar, but Kouretes and Korybantes remain corporate entities; S. Blakely, Myth Ritual and Metallurgy, p. 13-22. The Kouretes assume Orphic tones in Euripides, Kretes F 472, where they are Phoenicians, wear white garments, and avoid births and funerals.
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Roman Approaches to Samothrace into the Second Century CE here frames the Kouretes as masters of the middle atmosphere between earth and heaven. That atmosphere is one of three airy regions Varro identifies as the Samothracian triad.64 With their cosmic position thus affirmed, the breezes referred to at the hymn’s onset finally receive development, as the Kouretes are transformed from dancers to breezes and celestial twins. πνοιαὶ ἀέναοι, ψυχοτρόφοι, ἀεροειδεῖς, οἵτε καὶ οὐράνιοι δίδυμοι κλήιζεσθ᾽ἐν Ὀλύμπωι, εὔπνοοι, εὔδιοι, σωτήριοι ἠδὲ προσηνεῖς, ὡροτρόφοι, φερέκαρποι ἐπιπνείοιτε ἄνακτες. breezes ever flowing, soul-nourishing and airy, who on Olympus are called heavenly twins, kindly saviors, fair breezes and clear weather, nurturers of seasons and bringers of fruit, breathe on us lords! (lines 22-26)
The mimetic dance dissolves the boundary between mythic types and the physical world. Kouretes become breezes in a flurry of adjectives indexing philanthropy, air-like form, and agency. The three words before the final appeal to the ‘lords’ connects the heavenly twins to other celestial and natural phenomena: ὡροτρόφοι is used of the sun in hymn 8.10; φερέκαρποι of the moon in 9.5, the earth in 26.3, Dionysos as god of harvest in 50.10; ἐπιπνείοιτε appears in connection with Zephyrus in 81.5. The line between Kouretes and the performers or audience members would be analogously thin. Kouretes figured prominently in the associations of Asia Minor and the priesthoods where, as in the larger corpus of Orphic texts, their most productive myth is their attendance on the chief god of the polis, rendering their priesthoods and performances a confirmation of citizenship.65 That attendance is
64. Varro, Antiquitates rerum humanarum 2, fr. 8; Antiquitates rerum divinarum 15, fr. 8; apud Macrobius, Saturnalia 3.4.7-9; Servius, in Aeneidem 2.296 repeats this framework. 65. F. Graf, “Lesser mysteries – not less mysterious”, in M. B. Cosmopoulos (ed.), Greek Mysteries: The Archaeology of Ancient Greek Secret Cults, London 2003, p. 241-262, esp. 248-250; F. Graf, Nordionische Kulte, Rome 1985, p. 118 f, 416417; R. Lindner, “Kouretes, Korybantes”, Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae 8.1, Zurich 1997, p. 736-741, esp. 737 f; D. Knibbe, “Ursprung, Begriff und Wesen der ephesischen Kureten”, Forschungen in Ephesos IX/1/1 (1981), p. 70-92; H. Lloyd-Jones, “The Pride of Halicarnassus”, Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 124 (1999), p. 1-14, esp. 5; W. Burkert, Greek Religion, p. 168, 202, 392.
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Sandra Blakely the aitiology of their dance. In this hymn, that dance positions the Kouretes in the airy spaces between earth and sky, where they eventually metamorphize into the winds that resemble the airy space in which they move.66 Seaborne humans replace infant gods as the beneficiaries of their dance when it is positioned in a cosmic frame. The Samothracian gods confirm the maritime focus of that soteriology, and bring this hymn into resonance with the many others in the collection devoted to wellbeing at sea: Ino, Leukothe and Palaemon (74, 75) who bring fair tail winds;67 Thalassa who delights in ships (22), Poseidon (17), Okeanos (83) and the winds Boreas, Zephyros and Notos (80, 81, 82) also all receive hymns.68 The long poetic tradition of the Dioskouroi as simultaneously mythic and elemental makes them an apt choice for turning Kouretes into physical powers; the presence of both Kouretes and Dioskouroi in Samothracian traditions, and the familiarity with the island’s mysteries among the Asia Minor populations, made the island a natural inclusion in the hymn. The dance which enables the transformation of youthful gods into natural forces relies precisely on the anthromorphism which drew Varro’s irritation, and lets the performers mimetically experience the cosmic realities behind mythic types. Our third voice is Galen, who contrasts the epistemological obscurity of the mysteries to the clarity of the human anatomy as a route to understanding nature. At Usu partium 17.1 (361) he writes:
66. There are eschatological resonances behind this air-like quality: see E. Csapo, “Star Choruses”, p. 274 on Dionysos aitherios at Antigone line 1146, “in accordance with some doctrine of the mysteries”. Archaic and classical sources, mostly tombstones, confirm that the soul rejoins the aither after separation from the body. That this was a desirable immortality, see PEG 2.1 F 436; Alexis PCB F 163; IC II, 2, 12599; cf. Epicharmus PCG F 213, 254. 67. Leukothea’s veil, which saved Odysseus, is tied by an anonymous scholiast to Apollonius of Rhodes to the Samothracian rites, and the triad is among the complex of gods invoked at embarkation to ensure maritime success. Scholia Laurentiana to Apollonius Rhodius 1.917-18; G. Ricciardelli, Inni Orfici, p. 505-508; 2.2.1 Plutarch, Theseus 25; Philostratus, Imagines 2.16; C. O. Pache, “Singing Heroes: The Poetics of Hero Cult in the Heroikos”, in G. Nagy (ed.), Greek Literature in the Roman Period and in Late Antiquity, New York 2001, p. 381-396. 68. Rudhardt has noted that this connectivity to other gods is a significant index of power for the gods in the hymns: Ph. Borgeaud, “Préface”, p. 162; J. Rudhardt, “Recherches”, p. 218.
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Roman Approaches to Samothrace into the Second Century CE Οὔκουν ἰατρῷ μόνον ἡ περὶ χρείας μορίων ἐστὶ πραγματεία χρησίμη, πολὺ δὲ μᾶλλον ἰατροῦ φιλοσόφῳ τῆς ὅλης φύσεως ἐπιστήμην κτήσασθαι σπεύδοντι, καὶ κατ᾽αὐτὴν χρὴ τελεῖσθαι τὴν τελετὴν ἅπαντας [γάρ], ὡς οἶμαι, καὶ κατ᾽ἔθνος καὶ κατ᾽ ἀριθμὸν ἀνθρώπους, ὅσοι τιμῶσι θεούς, οὐδὲν ὅμοιον ἔχουσαν Ἐλευσινίοις τε καὶ Σαμοθρᾳκίοις ὀργίοις. ἀμυδρὰ μὲν γὰρ ἐκεῖνα πρὸς ἔνδειξιν ὧν σπεύδει διδάσκειν· ἐναργῆ δὲ τὰ τῆς φύσεώς ἐστι κατὰ πάντα τὰ ζῷα. Therefore, the study of the function of the various parts of the body is useful not to the physician alone, but much more so to the philosopher who seeks to understand all of nature. To this end all men, collectively and individually, who worship gods must, in my opinion, be initiated into this mystery, which has nothing in common with the Eleusinian and Samothracian secret rites. For the latter are obscure in their expression of what they seek to teach, whereas the mysteries of nature are plainly visible in all living things.
He makes the comparison as well at 7.14 (576), asking his readers to πρόσσχες τοίνυν ἤδη μοι τὸν νοῦν μᾶλλον, ἢ εἴ ποτε μυούμενος Ἐλευσίνια καὶ Σαμοθρᾴκια καὶ ἄλλην τινά τελετὴν ἁγίαν ὅλος ἦσθα πρὸς τοῖς δρωμένοις τε καὶ λεγομένοις ὑπὸ τῶν ἱεροφαντῶν, μηδέν τι χείρω νομίσας ταύτην ἐκείνων εἶναι τὴν τελετήν, μηδ᾽ἧττον ἐνδείξασθαι δυναμένην ἢ σοφίαν ἢ πρόνοιαν ἢ δύναμιν τοῦ τῶν ζῷων δημιουργοῦ. give heed more attentively than if you were being initiated into the Eleusinian or Samothracian or some other holy mystery… And consider that this [physiological] mystery is no whit inferior to those, nor any less able to indicate the wisdom, foresight, or power of the creator of living things.
De Usu, along with On Anatomical Procedures, reveals Galen’s own dualistic epistemology: the acquisition of practical knowledge through vivisection, and a philosophical drive to understand the purpose of nature.69 In On Anatomical Procedures he establishes four motivations for the knowledge of the body: knowledge for its own sake, the teleology of nature, the investigation of medical and physical functions, and surgical practice (33-34).70 The perfections of anatomy, and the ability of the body to perform as an instrument of the soul, are
69. K. Kornu, “Enchanted nature, dissected nature: the case of Galen’s anatomical theology”, Theoretical Medicine and Bioethics 39 (2018), p. 453-471. 70. B. Inwood, “Why Physics?”, in R. Salles (ed.), God and cosmos in Stoicism,
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Sandra Blakely to him a manifestation of the Aristotelean and Stoic finalism.71 His analogy between medical science and the mysteries is based on this philosophical drive; his critique of the mysteries is an epistemological one, and arguably an elevation of the empirical procedures and pragmatic goals of his medical knowledge. The analogy, based on conviction that the practice of medicine bridges the universal and the particular, renders the wielder of the scalpel into a mystagogue.72 Galen’s claim that Eleusis and Samothrace were equally cosmological demands a closer look, as the mysteries offer significant distinctions in myth and orientation. The role of Demeter and Kore at Eleusis encouraged generations of scholars to emphasize the eschatological potential of the rites, based on the myth of katabasis and return, while Samothracian initiates were promised the practical benefit of safety at sea.73 That argument for common meaning may have been bolstered by a shared reliance on dance as the modality of cosmic experience. Galen’s contemporaries knew of circular dances in which the performers acted out the role of stars.74 Dio Chrysostom compared the circle dance of initiates to the immortal gods who encircle us dancing as stars (Orationes 12.33-35); Artemidorus suggests that those who practiced mysteries were likely to see choruses of stars in their dreams (Onirocriticus1.3); Flavius Philostratus calls star choruses ‘the
Oxford 2009, p. 201-223; C. Gill, “Galen and the Stoics: Mortal Enemies or Blood Brothers?”, Phronesis 52.1 (2007), p. 88-120. 71. M. Vegetti, “Galen on Body, Temperaments and Personalities”, in P. Olmos (ed.), Greek Science in the Long Run, Cambridge 2012, p. 265-281. 72. K. Kornu, “Enchanted nature”, p. 458; C. E. Cosans, “The experimental foundations of Galen’s teleology”, Studies in History and Philosophy of Science 29 (1998), p. 63-80, esp. 75. See also the contribution of A. Pietrobelli in this volume, p. 201. 73. C. Sourvinou-Inwood, “Festivals and Mysteries: Aspects of the Eleusinian Cult”, in M. B. Cosmopoulos (ed.), Greek Mysteries: The Archaeology and Ritual of Ancient Greek Secret Cults, New York 2003, p. 25-49, esp. 26; S. Blakely, “Hermes, Kyllene, Samothrace and the Sea”, in J. Miller, J. Strauss-Clay (eds), Tracking Hermes, Tracing Mercury, Oxford 2019, p. 271-292; R. G. Edmonds, Redefining Orphism. 74. Alternative routes to the stars include the evidence that the mysteries were timed to coincide with the appearance of the “celestial X”, the intersection of the Milky way and the zodiacal light: G. Latura, “Plato’s X and Hekate’s Crossroads: Astronomical Links to the Mysteries of Eleusis”, Mediterranean Archaeology and Archaeometry 14.3 (2013), p. 37-44. G. Petridou, “Resounding mysteries: sound and silence in the Eleusinian soundscape”, Body and Religion 2.1 (2018), p. 68-87 on the centrality of dance at Eleusis.
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Roman Approaches to Samothrace into the Second Century CE mysteries above the earth’(Epistolae 56).75 Lucian claimed that the first chorus was formed by stars, and from them mankind learned the harmony of music and dance (de Saltatione 7). These dances have much earlier roots, from Pythagorean and Platonic cosmology through the poetics of Attic drama.76 Sophokles’ chorus in Antigone calls on Dionysos as Eleusinian Iacchus, the chorus leader of fire-breathing stars, to come along with his “revolving Thyiads” ἅμα περιπόλοις Θυῖαισιν, who dance for him all night long (1146-53).77 The torches which dominate the iconography of Eleusinian processions would provide the props to turn dancers into stars for the duration of their performance.78 The scholiast to this passage writes that Dionysos was called ‘etherial’ αἰθέριος and ‘chorus leader of the stars in accordance with some doctrine of the mysteries’; in Frogs he is ‘light bringing star of the nocturnal rite’ (343); Eumolpus calls him ‘star-shiner’ and ‘firey-faced’ amidst beams of light (D.S. 1.11 ἀστροφαῆ Διόνυσον ἐν ἀκτίνεσσιν πυρωπόν).79 In Euripides’ Ion, 1074-86, the chorus describes the risk of a foreigner seeing the all-night dances and the torches, ‘when the starry-faced aether of Zeus has begun to dance and the moon dances and dance too the fifty daughter of Nereus on the sea and the eddies of overflowing rivers’ – the ‘eddies’ on which the Nereids evoke the
75. E. Csapo, “Star Choruses”; J. Miller, Measures of Wisdom: The Cosmic Dance in Classical and Christian Antiquity, Toronto 1986, p. 1-55. 76. E. Csapo, “Star Choruses”, p. 264-265, and n. 7; 285; for Pythagorean/Platonic cosmology, Philolaus DK 44 A 16; Plato, Timaeus 40c, Epinomis 982e; Aristotle fr. 11 Rose, De philosophia = fr. 12b Ross; Dio Chrysostom, Orationes 12.33-34; Philostratus, Epistulae 56. 77. The name Iacchus ties this performance to Eleusis; see A. Henrichs, “‘Why Should I Dance?’ Choral Self-Referentiality in Greek Tragedy”, Arion 3.1 (19941995), p. 56-111, esp. 77-78; A. Henrichs, “Dancing in Athens, Dancing on Delos: Some Patterns of Choral Projection in Euripides”, Philologus 140 (1996), p. 48-62, esp. 51-56, cited in E. Csapo, “Star Choruses”, p. 267 and n. 22. Csapo notes that the “revolving” word is the proper term for the movement of heavenly bodies, see LSJ περιπολεῖν and περιπόλησις. 78. R. Parker, Polytheism and Society at Athens, Oxford 2005, p. 349, 358 and references. 79. E. Csapo, “Star Choruses”, p. 269. Similarly, Philodamos of Scarphea asks the god to show his “starry form” ἀστε[ρόεν δ]έμας (21 Powell), and Pindar describes Demeter’s child Ploutos as “brilliant star” (Olympian 2.53); cf. R. Seaford, “Dionysiac Drama and the Dionysiac Mysteries”, Classical Quarterly 31.2 (1981), p. 252275, esp. 256, n. 46; R. Seaford, Euripides Bacchae, Warminster 1996, p. 176, 202. Dionysos is called “aither” in Euripides, Bacchae 292-3.
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Sandra Blakely circular forms that characterize their dance.80 The riotous train of Aristophanes’ Frogs, on arriving at Eleusis, call on the chorus to ‘dance in the circular motion sacred to the goddess… and I, carrying a holy light, will dance with the girls and women, where they hold the allnight celebration for the goddess.’ (Frogs 440-447).81 Cleanthes, in the third century bce, expanded this choral reality to the entire mysteries: he wrote that at Eleusis the Sun was dadouchos, the initiates were the cosmos, and those whom the divine possessed were ‘initiands’; Porphyry echoed these notions some six hundreds years later, when he wrote that the hierophant of Eleusis was the demiourgos, the dadouchos was the Sun, the altar priest was the moon.82 A spectacular index of the astral orientation of Eleusis is provided in the hymn sung for Demetrius the Besieger in 291/290. Demetrius staged his Athenian triumph to coincide with the procession to Eleusis; Demochares (BNJ 75 F 2) reports that the Athenians sang to him that he was the only true god, and the hymn as preserved by Duris of Samos describes him as ‘radiant with joy’ and encircled about by his friends, ‘who are like the stars as he is like the sun’ (BNJ 76 F 13). He wore, for the event, garments embroidered with the image of the cosmos and the stars.83 The turn to Eleusis indexes how broadly spread was the capacity for cosmology in the context of the mysteries – experienced through circular dances, astral costumes, poetic metaphor and allegorical reading – from the Orphic communities of Asia Minor to the outskirts of Attica. The evidence for this turn casts in high relief how clumsy, scanty and ultimately minor the indications for cosmology are on Samothrace itself. The attempts to render Samothracian gods as cosmic allegories added gods to the rites – Juno, Jupiter, Minerva – who
80. E. Csapo, “Later Euripidean Music”, Illinois Classical Studies 24.5 (1999-2000), p. 399-436, esp. 422-424; E. Csapo, “The Dolphins of Dionysus”, in E. Csapo, M. Miller (eds), Poetry, Theory, Practice: The Social Life of Myth, Word and Image in Ancient Greece, Oxford 2003, p. 69-98. 81. E. Csapo, “Star Choruses”, p. 269 and n. 31, the phrase χωρεῖτε νυν ἱερὸν ἀνὰ κύκλον θεᾶς is usually translated to refer to a circular place – ἀνὰ κύκλον is used, however, of dance specifically, see Aristophanes, Birds 1379, Oppian, Halieutica 3.250. 82. Cleanthes, SVF 1.123 fr. 538, apud Macrobius, Saturnalia 1.18; Porphyry apud Eusebius, Praeparatio Evangelica 3.12.4; R. Parker, Polytheism, p. 353; W. Burkert, Ancient Mystery Cults, Cambridge 1987, p. 90; E. Csapo, “Star Choruses”, p. 270. 83. E. Csapo, “Star Choruses”, p. 271-272.
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Roman Approaches to Samothrace into the Second Century CE are absent from the Greek record.84 Penates and Salii would not be expected to have Hellenic counterparts, but the gods of the Capitoline Triad did, and thus highlight the loose inventiveness of these patriotic Roman impulses. The vacillation between Penates and Great Gods is compounded by the numerical distinctions between them, so that the gods, and thus the elements of the cosmos, alternate between two or three in number.85 Varro, beyond his citations by Probus, Augustine, Macrobius and Servius, is echoed in spirit but without elaboration only briefly by Cicero, implicitly by Lucretius. Both men were of his intellectual circle: we could expect that the cosmological turn was limited to their coterie. The Dioskouroi of whom Varro complained are a rare overlap between the Greek and the Roman view of the rites.86 But it is another of the distinctly Roman lenses on the site which counters the challenge to his cosmological programme: Varro’s determination to apprehend world truths through simulacra, preferably non-imagistic ones. Architecture and cosmology: moving in circles on Samothrace We have seen that for Varro the archaic and aniconic elements at Samothrace would provide effective indices of earth and sky as gods of the rites, because they recall the earliest stratum of religious experience, when mankind worshipped the truest gods. Varro and his contemporaries, however, were also engaged with the question of architecture as a cosmic signifiers, an architectural literacy that intensified in Hadrian’s Rome. Samothrace is a northern Aegean hub of Hellenistic architectural invention and sophistication, within which round structures had particular prominence: at the point of entrance, the descent into the sanctuary, and in its heart.87 The theatral circle on the Eastern hill of the sanctuary stood before the site’s great propylon: it was the final
84. Macrobius, Saturnalia 3.4.7-9; Servius, in Aeneidem 3.12. 85. Servius, in Aeneidem 8.679; 3.264; Probus in Vergil, Eclogue 6.31 (Thilo, Servii Grammatici III, pt. II, 344), Augustine, de Civitate Dei 7.28. 86. Three Delian inscriptions, dated between 168/7 and 161/160 bce, attest the assimilation of the Great Gods of Samothrace to both Kabeiroi and Dioskouroi: M. L. Popkin, “Samothracian Influences”, p. 345 and n. 17; I.Délos 1498, 1898, 2605. Nigidius Figulus deemed the Dioskouroi the gods of Samothrace: Scholia to Germanicus Caesar Aratea 146, S. Blakely, “Starry Twins”. 87. M. L. Popkin, “Samothracian Influences”, p. 343.
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Fig. 10. Eastern Hill of the Sanctuary of the Great Gods, Samothrace American Excavations.
space before entering the sacred area, and the point of exit after initiation (see Fig. 10).88 A natural basin at this location may have been the inspiration for the creation of a circular court, encircled by grandstands. Those grandstands in turn drew the initiates into the mimetic experience of a circle, as their bodies repeated the shape dictated by both landscape and architecture.89 The ritual possibilities for the space are many: it would not be suitable for sacred rites themselves, but ideal for dance, libation, sacrifice, or preliminary instructions.90 A series of statue bases on the grandstands reflect the ancient presence of life size statues to which the visitors themselves would be juxtaposed: all participants would have equal visual access to the rituals performed at its center. Within their line of site were also their fellow initiates, and the simulacra around them, who may have represented historical theoroi, the gods of the rites, Samothracian kings or mythic initiates.
88. Here the initiates seem to have left behind the coarse-ware ritual vessels, which, from the second half of the third century bce, become the preferred vessel within the sanctuary: B. Wescoat, Samothrace 9, p. 339 and n. 56. 89. B. Wescoat, Samothrace 9, p. 3. 90. B. Wescoat, Samothrace 9, p. 337-339.
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Roman Approaches to Samothrace into the Second Century CE Directing the gaze and juxtaposing the bodies of the newcomers, the circle dissolves the boundaries between present and past, experience and myth, and mortal and divine – a crossing of multiple ontological boundaries at the point of crossing into the sanctuary itself. On descending into the sanctuary, the initiates encountered two rotundas. The first, 4,10 m in diameter, is Doric in style: inside the building three steps descend to a fieldstone paved floor, suggesting a chthonic focus, likely a cenotaph (see Fig. 3,28).91 It is dwarfed by the rotunda of Arsinoe, the largest roofed round building of the Hellenistic age, built at the culmination of the golden era of Greek tholos construction that had begun at the sanctuary of Athena Pronoia in Delphi, 390-380 bce (see Fig. 3,20). The building’s form reflects the Ptolemaic impulse to compete with the other great tholoi, well as a complement to the chthonic nature of the site’s bothroi, escharae, unworked stones and descending ritual spaces. While Greek authors recognized the chthonic associations of round buildings, they also attest the combination of these associations with civic and political functions. The size of the Arsinoeion, capable of containing a hundred people for a shared ritual, and decorated with phiale and bucrania, recommends a function at the time of construction that combined ritual action, chthonic focus, and political competition.92 Imperial period Roman viewers were familiar with the chthonic functions of round buildings: Ovid claimed that Numa built the first round temple in Rome for Vesta, whom he identified with earth.93 They also, however, viewed them as models of the cosmos. Varro provides one of these interpretations in his account of his aviary at Casinum, dedicated to a devotee of all mysteries, the Neopythagorean Appius Claudius
91. The pavement recommends its identification as a cenotaph rather than heroon: J. R. McCredie, “Appendix IV: The Doric Rotunda”, in J. R. McCredie, G. Roux, S. M. Shaw, J. Kurtich (eds), Samothrace 7: The Rotunda of Arsinoe, Princeton 1992, p. 262-272. 92. G. Roux, “Structure and Style of the Rotunda of Arsinoe”, in J. R. McCredie, G. Roux, S. M. Shaw, J. Kurtich (eds), Samothrace 7: The Rotunda of Arsinoe, Princeton 1992, p. 92-231, esp. 177, 223 and n. 277. See, for the tholos of Hierapolis of Phrygia, the contribution of F. D’Andria in this volume, p. 103. 93. G. Sauron, Quis Deum? L’expression plastique des idéologies politiques et religieuses à Rome à la fin de la République et au début du Principat, Rome 1998, p. 30-33; Ovid, Fasti 6.267: Vesta eadem quae Terra; Ovid notes its absence of cult statue at Fasti 6. 295-298.
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Fig. 11. The Aviary of Marcus Varro, Ambrogio Brambilla, Pirro Ligorio, Claudio Duchetti, engravers, Speculum Romanae Magnificentiae, 1581, Special Collections Research Center, University of Chicago Library.
Pulcher.94 His aviary was nestled into a grove at the top of a drive closed off between two parallel porticoes (see Fig. 11). The building positioned his diners in five concentric circles: net-enclosed porticoes for the songbirds, the diners inside them in a circle on the stylobate, and a duck pond and tiny island, supporting a circular dining table, in the center. Above their heads was the hemispherical ceiling, on which the stars Lucifer and Hesperus traced the movement of the hours, and a wind rose, modeled on Andronicos’ tower of the winds in Athens, tracked the movement of the air.95 Varro twice calls the cupola a ‘hemisphaerium’, clearly meaning to imitate the sphere, and titles his aviary a tholos. Deschamps,
94. Varro, Res rusticae 3.5; G. Sauron, Quis Deum, p. 92-93, 137, 164-165. 95. P. Boyancé, “Aedes Catuli”, Mélanges d’archéologie et d’histoire 57 (1940), p. 64-71, republ. in Id., Études sur la religion romaine, Rome 1972, p. 187-193; C. Green, “Free as a Bird: Varro de re Rustica 3”, American Journal of Philology 118.3 (1997), p. 427-448; B. Cache, “The Tower of the Winds of Andronykos of Kyrros”, Architectural Theory Review 14.1 (2009), p. 3-18.
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Roman Approaches to Samothrace into the Second Century CE in a Pythagorean reading of the aviary, offers an eschatological interpretation, seeing the tiny island as an invocation of the isles of the blessed and the winds the means of raising the soul to heaven.96 Sauron, reading the aviary as Varro’s imaginary initiate would read it, argues that the structure placed diners between the two antithetical zones of the world, a supralunary furthest hemisphere, characterized by the regular movement of the stars, and the sublunary zones lost in humidity and agitation, the ducks and their dark swamp beneath the feet of the diners, and its fluctuations marked by the weathervane.97 The birds who encircle the diners are all songbirds, which simultaneously are embodiments of the harmony of the spheres, and one of the most consistent metaphors in Greco-Roman literature for the human soul. A cosmic and an eschatological reading thus may co-exist, written onto the cosmos invoked in the multiple circles.98 Varro was not alone in the creation of cosmic tholoi: he had many on which to model. Among them was the aedes of Fortuna Huiusce Diei, dedicated by Q. Lutatius Catulus in fulfilment of his vow at the battle against the Cimbrians in 101 bce.99 The cosmic resonances in this structure are amplified on the one hand by the name of its god, who joins human fortune to cosmic rhythms.100 Numerical associations were equally important: the columns in its peristasis were eighteen in number, a number proper to the celestial sphere, corresponding to the columns of the celestial temple in Scipio’s dream (Cicero, De re publica 6.17) and to the tholoi at Tivoli and the Philippeion of Olympia. The proximity of the Fortuna temple to the aedes 96. L. Deschamps, “La salle à manger de Varron à Casinum ou ‘Dis-moi où tu manges, je te dirai qui tu es’”, Bulletin de la Société toulousaine d’études classiques (janvierdécembre 1987), p. 63-93. 97. G. Sauron, Quis Deum, p. 144-167. 98. G. Sauron, Quis Deum, p. 141-147; cf. Cicero, De re publica 6.18, Varro, Menippean Satires F 351. 99. G. Sauron, Quis Deum, p. 92, 135; the building was located at the porticus Minucia Vetus at Rome; Plutarch, Marius, 26; P. Boyancé, “Aedes Catuli” and F. Coarelli, “L’Area Sacra di Largo Argentina. Topografia e storia”, in F. Coarelli, I. Kajanto, U. Nyberg, M. Steinby (eds), L’area sacra di Largo Argentina: topografia e storia, 1, Rome 1981, p. 11-51 identified this with temple B of Largo Argentina. 100. P. Boyancé, “Aedes Catuli”, p. 189, n. 3, cites a London papyrus mentioning Tyche and the daimon of this place, who establishes hours and days, and notes the assimilation to astrology and Greek Kairos; J. Champeaux, Le culte de la fortune dans le monde romain, II: Les transformations de Fortuna sous la République, Rome 1987, p. 154-163, has emphasized the traditional devotion of the gens Lutatia to the goddess.
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Sandra Blakely of Hercules Musarum on the Campus Martius would further emphasize the association. The Hercules Musarum was dedicated in 179 by M. Fulvius Nobilior, on the site where Numa was said to have celebrated the Camenae. Its plan anticipates Varro’s aviary, with a circular temple, on a high podium, preceded by a rectangular pronaos. Here Fulvius set up statues of the nine Muses, and a cult statue of Hercules holding a lyre, an attribute of the harmony of the sphere; here Ennius claimed to dream of the harmony of the spheres. Boyancé has argued compellingly for Fulvior’s devotion to astral mysticism: this was the place where the dedicator set up his own study of the calendar, a monument to his dedication to the movement of time and the heavens.101 Second century ce authors also had abundant invitations to reflect on the cosmological potential of round buildings. Suetonius described the mechanical wonders of the cenatio rotunda of Nero’s domus aurea (Suetonius, Nero 31.3); Apollonios of Tyane detailed the bejeweled ceiling and abundant statues of the hemispherical andron of the hall of justice in the palace of Babylon as described by Apollonios of Tyane (Philostratos, Vita Apollonii 1.25.34). Dio Cassius confirmed that the vault of the Pantheon after Hadrian’s reconstruction was akin to the 101. A. Gobbi, “Hercules Musarum”, in M. Harari, S. Paltineri, M. T. A. Robino (eds), Icone del Mondo Antico: Un Seminario di Storia delle Immagini: Pavia, Collegio Ghislieri, 25 novembre 2005, Rome 2009, p. 215-234; F. Coarelli, Il Campo Marzio. Dalle origini alla fine della repubblica, Rome 1997, p. 476; F. De Stefano, “Hercules Musarum in Circo Flaminio. Dalla dedica di Fulvio Nobiliore alla Porticus Philippi”, Archeologia Classica 65, n.s. II.4 (2014), p. 401-431; G. Sauron, Quis Deum, p. 84-89, 135-136; for Fulvius’ Fasti, Macrobius, Saturnalia 1.12.16; for his statues, Pliny, Natural History 35.66; Ovid, Fasti 6.812; for the honors of Numa, Servius, ad Aeneidem 1.8. The statues of Hercules and the nine muses appear on denarii of Q. Pomponius Musa, about 64 bce, H. A. Grueber, Coins of the Roman Republic in the British Museum, London 1970, vol. I: 441, nos. 3602-3632. The temple was restored in 29 bce by L. Marcius Philippus: Suetonius, Augustus 29. L. Richardson, Jr., “Hercules Musarum and the Porticus Philippi in Rome”, American Journal of Archaeology 81.3 (1977), p. 355-361; A. Hardie, “Juno, Hercules and the Muses at Rome”, American Journal of Philology 128.4 (2007), p. 551-592; A. Viscogliosi, “Hercules Musarum Aedes”, in E. M. Steinby (ed.), Lexicon Topographicum Urbis Romae, vol. 3, Rome 1996, p. 17-19; E. W. Leach, “Fortune’s Extremities: Q. Lutatius Catulus and Largo Argentina Temple B: A Roman Consular and his Monument”, Memoirs of the American Academy in Rome 55 (2010), p. 111-134; P. Boyancé, “P. Fulvius Nobilior et le dieu ineffable”, Revue de philologie, de littérature et d’histoire anciennes, 3e série, 29 (1955) = Études sur la religion romaine, p. 227252, esp. 250; cf. M. W. Jones, Principles of Roman Architecture, New Haven 2001, p. 71-106.
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Roman Approaches to Samothrace into the Second Century CE heavens - θολοειδὲς ὂν τῷ οὐρανῷ προσέοικεν (53.27). And much later, Macrobius noted its function in sanctuary space in the temple of Sabazios in Thrace in the hill Zilmisso, which assimilated the god to the sun (Saturnalia 1.18.11). From Varro to Ovid, Suetonius, Plutarch, and Philostratos, Late Republican as well as Imperial period visitors to Samothrace brought with them a capacity read the cosmos in the round structures so abundantly present on the island. Their texts remind us how many different messages that cosmic sign could communicate, and through how many different means. The cosmos may be evoked through the round building itself, as Ovid suggests, or a complex set of rings, as in Varro’s aviary. A hemispherical dome may signal the celestial sphere through its shape alone, as Dio Cassius suggested for the Pantheon, or may be complemented by jeweled and anthropomorphic splendor, such as the blue-sapphire covered, statue-ringed dome in Babylon which Apollonius describes, or the mechanized wonder of Nero’s rotating dining room.102 Varro’s aviary offered a more allegorical animation in the form of the songbirds whose chirping could evoke the celestial harmony of the spheres. Scientific paraphernalia and models themselves could complement the shape, in Varro’s windrose and moving models of Hesperus and Lucifer. The symbolic force of numbers could provide messages for those who knew how to read them, as the use of nine and eighteen in the aedes Hercules Musarum and the aedes Fortunae huiusce diei suggest. De Latte found more elaborate number symbols in Varro’s aviary, where the porticoes for bird cages before the tholos show measurements in multiples of eight, at 72 x 48 feet, and the diameter, at 27 feet, is 33, evoking Pythagorean teachings on 3 and 9. The gods to whom the buildings were dedicated may also offer a mythic route to the cosmos, in the form of Ovid’s Vesta, Fortuna of the present day, or the Muses who could invoke the harmony of the spheres. And Hercules became a concrete image of the apotheosis of a heroized mortal of the terrestrial sphere to the cosmic sphere.103
102. D. Hemsoll, “Reconstructing the octagonal dining room of Nero’s Golden House”, Architectural History 32 (1989), p. 1-17. 103. G. Sauron, Quis Deum, p. 97; P. Boyancé, “Aedes Catuli”, p. 189, 193. A sensibility for the latter may represent an intriguing possibility for Roman visitors to recognize distinctive semantics in Arsinoe’s rotunda: the queen herself claimed deification through the intervention of the Dioskouroi: M. Depew, “Gender, Power, and Poetics in Callimachus’ Book of Hymns”, in A. Harder, R. F. Regtuit, G. C. Wakker (eds), Callimachus II, Leuven 2004, p. 117-138, 130; A. Sens, Theocritus: Dioscuri
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Sandra Blakely Robert noted that cosmic and chthonic symbolism could co-exist in the same building; the temple of Hercules Musarum, for example, offers a confirmation of this principle, as its celestial elements existed alongside the traditional associations of circular structures for heroized mortals that predominated in central Italy at the end of the second century bce.104 Sauron argues, however, for a historical shift in the apprehension of round buildings between the years of the late Republic and the second century. The astral eventually wins out over ancient chthonic orientations, so that ultimately: on voit bien que les tendances diverses de la religion cosmique conspiraient toutes à la ruine des antiques divinités chthoniennes, et que le sanctuaire rond ne pouvait plus évoquer pour elles la forme de la terre, où elles ne voyaient plus que le dépotoir brumeux où allaient s’abîmer les déchets lourds et humides de la sphaera, mais bel et bien la sphéricité des orbes du cosmos, scintillant des feux subtils qu’y allumaient les astres.105
Even when those chthonic notions remained, it was the cosmic conception that ultimately engendered the multiplication of sacred rotundas around the empire.106 The tholos of the Athenian agora, built originally in the fourth century bce, offers a model of this capacity for buildings to acquire new and cosmic meanings through imperial eyes. It was designed for the civic functions of the prytany, the meeting and dining which enabled discourse in a setting that emphasized social parity. In the Imperial period, however, Roman officials took it upon themselves to appoint priests for a cult connected to the structure, dedicated to Helios and Selene as theoi phosphoroi. Epigraphic evidence suggests a tangential association with Artemis Phosphoros in the earlier life of the tholos: the formalization of a cult to the celestial gods extracted from her epithets foregrounds the capacity to expand cosmic meanings as suited the Roman rulers.107
(Idyll 22): Introduction, Text and Commentary, Göttingen 1997, p. 23; P. M. Fraser, Ptolemaic Alexandria, Volume 1, Oxford 1972, p. 207. That deification transformed her into Aphrodite Euploia, mistress of the same maritime powers uniquely promised to Samothracian initiates. 104. F. Robert, Thymele, Paris 1939, p. 117-137; G. Sauron, Quis Deum, p. 93-95. 105. G. Sauron, Quis Deum, p. 96. 106. G. Sauron, Quis Deum, p. 97. 107. F. Robert, Thymele; G. Sauron, Quis Deum, p. 93-94 and n. 54.
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Fig. 12. Restored cross section of Hieron through the cella at the lateral doors, looking south. Lehmann et al. 1969: Plates, vol. 3, Pl. CIV. Reprint by permission of Princeton University Press.
The Hieron and the Dioskouroi: form, narrative and meaning The multiplicity of meanings behind these architectural forms, and the suggestion of evolution over time, encourages a closer look at the second century Roman restorations of the space Lehmann identified for the culminating revelation of initiation in the Hieron.108 The space, a semicircular apse, was hidden from view both inside and out. Round spaces inside buildings square on the exterior are not unprecedented in Roman construction; the interior screen of the Hieron, however, seems an index of high ritual significance.109 It has been reconstructed through a combination of epigraphic and architectural evidence (see Fig. 12). Four initiate lists from the second to first century bce are decorated with an image of a monumental doorway, flanked by flaming, upright torches
108. K. Lehmann, “Epopteia”, p. 32. 109. K. de Fine Licht, The Rotunda in Rome: A study of Hadrian’s pantheon, Aarhus 1968, p. 210-212; M. W. Jones, Roman Architecture, p. 74.
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Fig. 13. Facsimile of drawing by Cyriacus of Ancona of stele recording initiates from Kyzikos, and Greek and Roman initiates of uncertain provenance. Fraser 1960, Pl. XIV. Reprint by permission of Princeton University Press.
Fig 14. Fragmentary inscribed stele 68.55, Samothrace Museum, Hall B. Image used by kind permission of Dan Diffendale, under Creative Commons license https://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/.
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Roman Approaches to Samothrace into the Second Century CE that reach to its full height; snakes wind their way heavenward to the top of the torches (see Fig. 13 and 14).110 The images are exceptional, as most initiate lists from the site are void of decoration. Architectural confirmation of such a doorway emerged in the form of fragments of snake-wrapped torches, found near the center of the Hieron’s apse, which formed the columns depicted on the inscriptions (see Fig. 15). This repeated icon of a closed door between snakes and torches celebrates the visual inaccessibility of the apse, suggesting an architectural analogy to a sealed cista mystica. That access to this area was part of the ritual is suggested by the second century inscription recording the presence of an abaton, as well as from analogy with the interior structure of the Anaktoron. The Anaktoron, like the Hieron, was equipped with benches along the sides, presumably to enable viewing of ritual actions in the center (see Fig. 3,23). The northernmost end of the interior, however, was separated from the rest by a wall, and accessed only through one door, recommending its identification as a sanctum sanctorum. In the Hieron, those who entered the apse found themselves in a conflux of hemispherical forms – a half-dome above the head of the initiate, the vertical semicircle formed by the walls of the space, and the hemicircle cut into the Roman period floor, which gives access to the red porphyry bedrock that stands in lieu of a cult statue (see Fig. 16). The reiteration of the shape recalls the multiple nested rings of Varro’s Aviary, a repeated appeal to purely geometric forms. Proposals to date have focused on the apse as an architectural invocation of a natural cave, which offer connections to a number of the mythic traditions
110. K. Lehmann, “Epopteia”, p. 31 and n. 144, notes the correspondence between these snakes and those which flank the kerykeion of Hermes, engraved on a stele at the Anaktoron as the marker of a bilingual inscription which warns the uninitiated not to enter. The inscriptions are: Fig. 13, IG XII.8.190-192; see N. Dimitrova, Theoroi and Initiates, p. 140-144, no. 58; K. Lehmann-Hartleben, “Cyriacus of Ancona, Aristotle, and Teiresias in Samothrace”, Hesperia 12.2 (1943), p. 115-134, esp. 117-122; F. Chapouthier, Les Dioscures au service d’une déesse, étude d’iconographie religieuse, Paris 1935, p. 176; P. W. Lehmann, “Cyriacus of Ancona’s Visit to Samothrace”, in P. W. Lehmann, K. Lehmann (eds), Samothracian Reflections: Aspects of the Revival of the Antique, Princeton 1973, p. 3-56. Fig. 14, IG XII 8.190, N. Dimitrova, Theoroi and Initiates, p. 119, no. 47; IG XII 8.189, see N. Dimitrova, Theoroi and Initiates, p. 137-139, no. 57; IG XII 8.188, N. Dimitrova, Theoroi and Initiates, p. 135-137, no. 56.
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Fig. 15. Fragment of snake-wrapped torch from the Hieron, drawing by David Diener, after Lehmann et al. 1969: Text I, 136: fig 89.
Fig. 16. Bema pouring stone in the abaton. Lehmann et al., 1969: Text II, p. 35, fig. 358. Reprint by permission of Princeton University Press ©.
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Roman Approaches to Samothrace into the Second Century CE associated with the island.111 Thracian traditions offer another rich set of mythic possibilities in narratives such as Zalmoxis, who dwelled for three years underground (Herodotus 4.95).112 These hypotheses rely on reading myth in a space devoid of anthropomorphic signs of narrative; none of them incorporate the epistemological pathways that characterize the Roman readings of curved spaces. The striking absence of a cult statue in the space emphasizes the invitation to think beyond the figurative. In its place is an unworked stone, its significance highlighted by the semicircular cutting that frames it and duplicates the shape of the space as a whole. Its aniconism encourages readings beyond the first level signifiers that correspond to a specific myth, such as the cave of Hekate or Zalmoxis. For those who brought the full force of a philosophical and architectural literacy to the site, the geometric form of the hemicircle itself opens the door to the cosmic reading of the Dioskouroi about whom Varro grumbled, but conceptualized as the upper and lower halves of the cosmos. That association is attested as early as Philo Judaeus in the first century ce in his On the Decalogue, 55-57: τόν τε οὐρανὸν εἰς ἡμισφαίρια τῷ λόγῳ διχῇ διανείμαντες, τὸ μὲν ὑπὲρ γῆς, τὸ δ᾽ὑπὸ γῆς, Διοσκόρους ἐκάλεσαν τὸ περὶ τῆς ἑτερημέρου ζωῆς αὐτῶν προστερατευσάμενοι διήγμα. Τοῦ γὰρ οὐρανοῦ συνεχῶς καὶ ἀπαύστως ἀεὶ κύκλῳ περιπολοῦντος, ἀνάγκη τῶν ἡμισφαιρίων ἑκάτερον ἀντιμεθίστασθαι παρ᾽ἡμέραν ἄνω τε καὶ κάτω γινόμενον ὅσα τῷ δοκεῖν. They divided heaven into two hemispheres, following this theory, one above earth, the other beneath it, and called them Dioskouroi and created in additional a miraculous story of how they lived on alternate
111. K. Lehmann, “Epopteia”, p. 36, cites analogies at Nemea, Seleucia, Miletos and Ostia; the Kabeirion on Mt. Kynthos in Delos was equipped with a bothros and eschara. A Zerynthian cave for Hekate appears in Nikander Theriaca and scholia ad loc; Suidas s.v. Ζηρυνθία; a grotto for Rhea in scholia to Lycophron, Alexandra 78, scholia to Aristides, Oratio 13, and Etymologicum Gudianum s.v. Κάβιροι. 112. Cf. Hesychius, s.v. “Kubela”; Y. Ustinova, Caves and the Ancient Greek Mind: Descending Underground in the Search for Ultimate Truth, Oxford 2009, p. 1-13, 100-108. Apuleius, Golden Ass 11.25 offers a Roman account of descent into an underground crypt for initiation. See K. Clinton, “Two Buildings in the Samothracian Sanctuary of the Great Gods”, Journal of Ancient History 52 (2017), p. 323-356, esp. 341-346 for an interpretation as an oracular space of Dionysos, based on analogy with the manteion of Apollo at Delphi.
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Sandra Blakely days. For since heaven revolves without cease, continually round and round, by necessity each of the hemispheres must change its position up and down.
Philo’s observations are part of his account of mythmakers who render the natural science of the cosmos more palatable through an engaging myth of fraternal love.113 The brothers’ movement between the upper and lower hemispheres may be understood to refer to the alternation of night and day – Julian, in the fourth century, noted they could refer as well to the changing of the seasons in Fall and Spring.114 The Dioskouroi’s hemicircles thus invite a measurement of time and season analogous to the tholos of Fortuna Huiusce Diei, and through narratives of deification comparable to those of Hercules. Sextus Empiricus highlights this comparison to Hercules when explaining the Dioskouroi’s cosmic counterparts: τὰ γὰρ δύο ἠμισφαίρια, τό τε ὑπὲρ γῆν, καὶ τὸ ὑπὸ γῆν Διοσκούρους οἱ σοφοὶ τῶν τότε ἀνθρώπων ἔλεγον. Διὸ καὶ ὁ ποιητὴς τοῦτο αἰνιττόμενός φησιν ἐπ᾽αὐτῶν ἄλλοτε μὲν ζώους᾽ἑτερήμεροι, ἄλλοτε δ᾽αὖτε τεθνᾶσιν, τιμὴν δὲ λελόγχασιν ἶσα θεοῖσιν. Πίλους τ᾽ ἐπιτιθέασιν αὐτοῖς, καὶ ἐπὶ τούτοις ἀστέρας, αἰνισσόμενοι τὴν τῶν ἡμισφαιρίων κατασκευήν. Indeed wise men of that time called the two hemispheres, the one above and the one below the earth, ‘Diokouroi’. And thus the poet as well, making riddling allusion, says of them that they live on one day and die the next, in alternate succession, so they exist, and their honor is no less than that of the gods. They place felt caps on their heads, and stars on top of them, symbolizing in a riddling way the construction of the hemispheres (Adv. Math. 9.37).115
If the Dioskouroi are presented in this form at the rites’ culminating moment, their identities would only be perceived by those able to reason
113. D. Ulansey, The Origins of the Mithraic Mysteries: Cosmology and Salvation in the Ancient World, Oxford 1989, p. 114. 114. Hymn to King Helios 147 A-b; W. C. Wright, The Works of the Emperor Julian, vol. I, Cambridge 1962, p. 401-403. 115. John Lydus in the fifth century and Damascius in the sixth reflect a continued understanding that this reading of the Dioskouroi belongs to the philosophers: John Lydus, de mensibus IV 17; Damascius, In Parmenidem, II, p. 100, 10-11 Westerink – Combès – Segonds (= II, § 261 Ruelle); F. Chapouthier, Les Dioscures, p. 306-307.
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Roman Approaches to Samothrace into the Second Century CE from geometric forms to mythic narrative to the cosmic structures behind them. This movement between sign, story and physics exemplifies the readings of those who, in Varro’s words, adissent doctrinae mysteria (ARD 1 F 18). The celestial twins who proved so productive for this transition between mythic and cosmic in Orphic Asia Minor provide on Samothrace an analogously subtle path, but accessed through hemispherical signs, appropriate for both the circle dances of Eleusis and the celestial speculations attendant on Roman tholoi. There is a subtle but significant distinction between the Dioskouroi of the Orphics and those in the Samothracian abaton. In Asia Minor, Samothracian Dioskouroi substituted for Cretan Kouretes, and so transformed the focus of the dance from eschatological enactment to the maritime benefits that recur throughout that corpus. If the multiple hemispheres of the hieron summoned cosmic twins, they did so by invoking a different portion of their narrative, the capacity to trek across the universe to evade the finality of their own death, rather than maritime interventions. The mystic reader thus could perceive an eschatological resonance even at the heart of the mysteries more famously oriented to this life.116 Conclusion: physics, mysteries, and Roman Samothrace Cicero in the first century bce, Galen in the second century ce, claimed that physics underlay the mysteries of Eleusis as well as Samothrace. Our investigation of their claims is constrained by the discretion of initiates and the fragmentary nature of material finds. The data are sufficient, however, to suggest that these claims were not purely theoretical, unrelated to the experience of the rites themselves. The aniconic and chthonic installations provided one material, epistemological route to earth and sky; architectural forms provide another. Roman trends toward cosmic interpretation of rounded forms suggest that this became a new element in the Roman vocabulary for making the rites their own in the second century ce, in the form of their constructions in the abaton of the Hieron. Here, the shapes which in the Greek imagination could be a cave, Romans could experience as cosmic signifiers, if they had learned in the mysteries themselves 116. For analogous signals of an eschatological benefit, see the epitaph of an Athenian initiate of Samothrace of the second-first centuries bce: C. Karadima-Matsa, N. Dimitrova, “An Epitaph for an Initiate at Samothrace and Eleusis”, Chiron 33 (2003), p. 335-345; N. Dimitrova, Theoroi and Initiates, p. 83-90, no. 29.
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Sandra Blakely the proper transitions between myth, material form, and the truth of the physical world. Varro argued that this episteme was the outcome of mystery initiation: the initiate should master material as well as philosophical paths to the physics in the mysteries. That epistemological challenge should be added to the multiple ways in which Romans made the rites her own: for in Rome, the heart of religion was the capacity for re-invention, redefinition, and debate.117
117. M. Beard, “A Complex of times: no more sheep on Romulus’ Birthday”, Cambridge Classical Journal 33 (1987), p. 1-15; J. Rüpke, “Roman Religion – Religions of Rome”, in J. Rüpke (ed.), A Companion to Roman Religion, Malden 2007, p. 1-9; M. Beard, J. North, S. Price, Religions of Rome, Vol. 1: A History, Cambridge 1998, p. 4-5.
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DES « MYSTÈRES » À HIÉRAPOLIS DE PHRYGIE ? Francesco D’Andria Université du Salento, Lecce (Italie)
Le contexte naturel de la ville*
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contexte naturel particulier de la ville phrygienne, caractérisé par des phénomènes sismiques et hydrothermaux qui en ont modelé le paysage d’une façon extraordinaire, a dû fortement impressionner ceux qui habitaient la vallée du Lykos1 dans l’Antiquité et déterminer ainsi la formation de croyances religieuses, de rites et de traditions qui se sont consolidés avec le temps. La zone sur laquelle les colons macédoniens ont construit leur ville, à la fin du iiie siècle av. J.-C., est traversée, le long de l’axe nord-sud, par une faille sismique qui est à l’origine de manifestations spectaculaires de la nature – les paradoxologiai dont parlent les sources antiques –, qui suscitent merveille et terreur2. Des profondeurs de la faille, qui a provoqué au e
* Je souhaite remercier Tullia Ritti pour ses précieux conseils et pour les indications qu’elle a généreusement bien voulu me fournir durant l’élaboration de ce travail, et Maria Piera Caggia pour son support indispensable dans la rédaction du texte et la sélection des images. 1. Pour le contexte géographique et environnemental des villes de Hiérapolis et de Laodicée, situées dans la vallée du fleuve Lykos, affluent du Méandre, qui les relie à la côte égéenne, voir C. Șimsek, F. D’Andria (éd.), Landscape and History in the Lykos Valley. Laodikeia and Hierapolis in Phrygia, Cambridge 2017. 2. H. Kumsar, Ö. Aydan et al., « Historical Earthquakes that Damaged Hierapolis and Laodikeia Antique Cities and their Implications for Earthquake Potential of Denizli Basin in Western Turkey », Bulletin of Engineering Geology and the Environment 75.2 (2015), p. 519-536. 10.1484/M.BEHE-EB.5.125920
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Francesco D’Andria cours des siècles des tremblements de terre dévastateurs, jaillissent d’abondantes sources d’eau thermale qui permettent, aujourd’hui comme il y a deux mille ans, d’irriguer et de cultiver la vaste plaine en contrebas3. En déposant le carbonate de calcium, elles forment, sur une longueur de plus d’un kilomètre, les blanches cascades de travertin qui ont donné au site le nom turc de Pamukkale (le Château de coton, pour sa ressemblance avec les touffes blanches de coton caractéristiques des fruits mûrs de cette plante)4. Mais le long de la faille, des profondeurs de la terre, remontent aussi des gaz toxiques, en particulier le CO2 (dioxyde de carbone), mortel pour tout être vivant et extrêmement dangereux parce qu’inodore5. Comme cela arrive encore aujourd’hui, ceux qui fréquentaient cette zone dans l’Antiquité observaient, à l’endroit où s’ouvrait la roche le long de la faille, la présence d’oiseaux et d’autres petits animaux tués par les exhalaisons et attribuaient le phénomène à l’intervention des divinités du monde souterrain6. De là dérive aussi le nom grec de Hiérapolis (cité sacrée) attribué à la ville par les colons séleucides. Comme l’ont mis en évidence les fouilles les plus récentes, la cavité naturelle produite par le passage de la faille sismique faisait
3. Dans l’Antiquité, la valeur sacrée d’un site était attribuée à la présence des sources : nullus enim fons non sacer, Servius, in Aeneidem 7, 84, commente ainsi les vers de Virgile qui se réfèrent à la source de Mephite d’où se dégagent à la superficie, en même temps que l’eau, des gaz toxiques d’origine volcanique. 4. Pour les recherches sur le géothermalisme dans le bassin du Méandre, voir H. Karakus, S. Șimsek, « Tracing deep thermal water circulation systems in the E-W trending büyük Menderes Graben », Journal of Volcanology and Geothermal Research 252 (2013), p. 38-52. 5. Sur le monitorage des émissions de CO2, en particulier dans la zone du Ploutonion, et sur l’effet des gaz dans la conservation des ouvrages en pierre, S. Vettori, C. Riminesi, E. Cantisani, S. Bracci, B. Sacchi, « Marble from Hierapolis: decay, conservation, monitoring of surfaces and environment », dans T. Ismaelli, G. Scardozzi (éd.), Ancient Quarries and Building Sites in Asia Minor. Research on Hierapolis in Phrygia and other cities in south-western Anatolia: archaeology, archaeometry, conservation, Bari 2016 (Bibliotheca archaeologica 45), p. 557-573. 6. Pour la première présentation de la découverte du Ploutonion et sur les relations entre sources littéraires et documentation archéologique, F. D’Andria, « Il Ploutonion a Hierapolis di Frigia », Istanbuler Mitteilungen, 2013, p. 157-217. Sur les manifestations naturelles dans le sanctuaire d’Hadès, qui devient un pôle d’attraction « touristique » dans l’Antiquité, N. Zwingmann, Antiker Tourismus in Kleinasien und den vorgelagerten Inseln: Selbstvergewisserung in der Fremde, Bonn 2012 (Antiquitas. Reihe 1, Abhandlungen zur alten Geschichte 59), p. 314-342.
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Des « mystères » à Hiérapolis de Phrygie ? déjà l’objet d’un culte à l’époque phrygienne7. Ainsi est-il possible d’expliquer la position, dans le centre de l’habitat, d’un type de sanctuaire qui, d’habitude, se trouve situé dans des contextes extra-urbains et dans des paysages naturels (fig. 1). Le programme iconographique du théâtre Pour tenter de répondre à la question sur le rôle des mystères dans le tissu culturel de la ville8, nous trouvons des indications dans son édifice principal, le théâtre, structure monumentale de l’époque augustéenne, qui fut reconstruit au début du iiie siècle apr. J.-C. S’étant écroulé lors d’un tremblement de terre dévastateur au viie siècle apr. J.-C., il a conservé ses principaux éléments architectoniques et a fait l’objet de travaux de restauration ces dernières années de la part de la Mission archéologique italienne, sous ma propre direction9. Pour les spectateurs, qui se réunissaient dans la cavea à l’occasion des festivités et des agones, l’ensemble des sculptures du front de scène illustrait les principaux thèmes de l’identité de la ville, à travers un programme iconographique complexe, qui se développe dans les cycles en relief et dans les statues posées à l’intérieur des niches disposées le long des trois ordres de la façade10. À côté du cycle d’Artémis et d’Apollon, le
7. Ö. Harmanşah (Place, Memory, and Healing. An Archaeology of Anatolian Rock Monuments, Londres – New York 2015, p. 120-142) a examiné l’impact (« the cultural life ») des grottes et des sources dans des paysages anatoliens et dans des communautés qui attribuent à ces lieux des valeurs religieuses particulières dans une mémoire collective de longue durée. 8. Pour les problématiques générales sur les mystères je me suis servi du récent volume de synthèse de J. N. Bremmer (2014, avec l’examen de l’imposante bibliographie consacrée à ce thème) et des discussions stimulantes contenues dans les articles rassemblés par N. Belayche et F. Massa dans Mètis 2016. 9. Pour les activités concernant le projet de restauration du théâtre, F. D’Andria, « Il teatro di Hierapolis di Frigia. Anastilosi e restauro della frontescena », dans J. Bonetto, M. S. Busana, A. R. Ghiotto, M. Salvadori, P. Zanovello (éd.), I mille volti del passato. Scritti in onore di Francesca Ghedini, Rome 2016, p. 1017-1028 ; P. Mighetto, F. Galvagno, « “Opera felice il rimettere in posto gli elementi originari ritrovati” (Carta di Atene, cap.4). Anastilosi e interventi di miglioramento statico del primo ordine della scaenae frons del Teatro », dans F. D’Andria, M. P. Caggia, T. Ismaelli (éd.), Le attività delle campagne di scavo e restauro 2007-2011, Istanbul 2016 (Hierapolis di Frigia VIII), p. 171-190. 10. F. D’Andria, T. Ritti, Le sculture del teatro. I rilievi con i cicli di Apollo e Artemide, Rome 1985 (Hierapolis. Scavi e ricerche II) ; pour les statues qui décoraient
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Francesco D’Andria
Fig. 1. Hiérapolis. Plan de la ville : au centre, Ploutonion et Sanctuaire d’Apollon. Archives de la Mission archéologique italienne à Hiérapolis ©.
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Des « mystères » à Hiérapolis de Phrygie ? dieu archegetès qui avait guidé les colons, et de celui de Dionysos, très répandu dans la décoration des édifices théâtraux, un autre relief particulier présente les thèmes et les personnages liés au mythe du rapt de Proserpine et aux divinités de l’Enfer, vénérées dans le Ploutonion situé à proximité11. Sur le podium du premier ordre, à l’intérieur des deux édicules situés de part et d’autre de la porta regia, se trouvaient aussi les statues de Déméter et de Koré, de grandes dimensions et d’une qualité stylistique très élevée, qui montrent des connexions importantes avec les modèles de l’hellénisme de Pergame12. En outre, dans une des niches, se trouvait une copie en marbre, en format réduit, de la statue de culte colossale d’Hadès, exposée dans le sacellum du Ploutonion, situé au-dessus de l’entrée de la grotte13. On trouve une référence aux mystères liés au culte d’Éleusis dans le relief agonistique placé au-dessus de la porta regia, où sont représentées de nombreuses figures identifiables, grâce à des inscriptions, à des personnifications qui flanquent le groupe central des Kaisares Seoueroi, figurés au centre de la frise dans l’acte d’inaugurer les agones locaux de la ville14. Entre les personnages à droite du groupe impérial, l’inscription indique aussi la personnification le front de scène, G. Bejor, Hierapolis. Scavi e Ricerche III. Le statue, Rome 1991 (Archaeologica 99). 11. Au niveau du deuxième ordre, et à la hauteur de la frise agonistique centrale, se trouvaient les reliefs représentant le rapt de Proserpine poursuivie par Déméter sur un char conduit par des serpents ailés (le thème du rapt de Proserpine a d’ailleurs été repris dans la frappe des monnaies locales de la même période). Pour la position des reliefs avec les divinités infernales à l’intérieur du front de scène, G. Sobrà, « Nuovi elementi per la conoscenza degli ordini superiori della frontescena del teatro di Hierapolis », dans F. D’Andria et al., Le attività delle campagne di scavo e restauro 2007-2011, p. 155-169. 12. M. Galli, « Le statue di Demetra e Kore-Persephone nel Teatro di Hierapolis », Istanbuler Mitteilungen 66 (2016), p. 161-224. Déméter et Koré, associées à la triade apollinienne, étaient représentées aussi sur un relief du début de l’époque impériale, provenant du sanctuaire d’Apollon (F. D’Andria, « Gods and Amazons in the nymphaea of Hierapolis », dans F. D’Andria, I. Romeo [éd.], Roman sculpture in Asia Minor, Proceedings of the International Conference to celebrate the 50th anniversary of the Italian excavations at Hierapolis in Phrygia, held on May 24-26, 2007 in Cavallino [Lecce], Journal of Roman Archaeology, Supplementary Series, 80, Portsmouth 2011, p. 166). 13. F. D’Andria, « Il Ploutonion a Hierapolis di Frigia », p. 189-191. 14. Une première présentation de la frise agonistique dans T. Ritti, Fonti letterarie ed epigrafiche, Hierapolis. Scavi e Ricerche I, Rome 1985, p. 59-77. Voir aussi V. Di Napoli, « Il fregio a tema agonistico del teatro di Hierapolis (Frigia). Iconografia e iconologia nell’arte romana imperiale », Annuario Scuola Atene 80 (2002), p. 379-411.
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Francesco D’Andria de Dadouchos (ou de la Dadouchia), figure féminine avec la tête couverte de l’himation, dans l’acte de porter la torche ; l’image se réfère à la seconde charge sacerdotale d’Éleusis, après le hiérophante, liée aux rites nocturnes en l’honneur de Déméter. En face d’elle se trouve une figure à laquelle est associée l’inscription Synodos, l’association des acteurs, qui peut aussi faire allusion à des cérémonies se rattachant à Dionysos15 (fig. 2). La personnification est représentée dans le schéma statuaire de l’Apollon Lycée, avec le bras droit porté au-dessus de la tête, tandis qu’elle porte un masque dans la main gauche ; par terre, à sa droite, sont posés le tripode, la cithare et l’omphalos. Il s’agit clairement d’une référence aux actions théâtrales qui devaient caractériser les rites dans les principaux sanctuaires de la ville (celui d’Apollon et le Ploutonion), où sont présentes des structures à cavea théâtrale.
Fig. 2. Hiérapolis. Théâtre, frise avec Andreia, Synodos e Dadouchos (époque sévérienne). Archives de la Mission archéologique italienne à Hiérapolis ©.
Au vu de la richesse et l’originalité des thèmes iconographiques et des références littéraires, le programme iconographique du front de scène du théâtre a permis de supposer l’intervention d’Antipatros, un des hommes les plus influents de la ville entre le iie et le iiie siècle. 15. T. Ritti, Fonti letterarie ed epigrafiche, p. 69, tav. 5a. La fonction de dadouchos peut être remplie par une femme, dans une combinaison entre statuts social et familial, qu’A.-F. Jaccottet (« Les mystères dionysiaques pour penser les mystères antiques ? », Mètis N.S. 14 [2016], p. 84) relie à une dimension dionysiaque, comme cela semble plausible aussi dans le relief du théâtre de Hiérapolis.
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Des « mystères » à Hiérapolis de Phrygie ? Représentant de la Seconde Sophistique, il se vantait d’étroites relations avec la maison impériale comme maître des principes et secrétaire de Septime Sévère ab epistulis Graecis16. À l’époque impériale, la ville constituait en effet un centre culturel très actif, en raison aussi de ses rapports intenses avec la ville voisine de Laodicée, dans un territoire entre les fleuves Lykos et Méandre en plein développement économique, où florissait également la ville de Tripolis17. On peut attribuer à ces membres de la Seconde Sophistique l’élaboration de mythes, liés en particulier à la narration sur les origines des villes, où les grands thèmes de la religion grecque se fondent avec les traditions locales ; ces mêmes personnages devaient aussi intervenir dans les processus de formation des activités rituelles. Dans ce climat de forte dialectique intellectuelle s’insèrent la figure du philosophe stoïcien Épictète, né à Hiérapolis mais qui s’installa rapidement à Rome, et la présence dans la ville d’hommes comme Dion Cassius, Apulée et Galien, qui visitèrent le Ploutonion, attirés par ses manifestations naturelles (la visite d’Hadrien est également probable)18. En outre, au iie siècle, il y avait aussi une forte composante intellectuelle chrétienne, représentée par des figures comme celles de Papias et, surtout, d’Apollinarios, auteur de libelles contre les hérétiques montanistes et aussi contre les païens19. Durant cette période, en opposition aux pratiques religieuses traditionnelles au sein desquelles les cultes mystériques devaient représenter une composante significative, s’affirment les traditions liées à la figure de l’apôtre Philippe et à la présence de sa tombe dans la nécropole orientale. L’inscription d’Apollinarios20, 16. Pour la figure d’Antipatros dans le cadre de la Seconde Sophistique, et pour la réalité culturelle en Asie Mineure à l’époque impériale sur la base du bios de Philostrate et des autres sources littéraires, T. Ritti, « Il sofista Antipatro di Hierapolis », Miscellanea greca e romana 13 (1988), p. 71-128. 17. Pour la mise à jour sur les recherches archéologiques conduites par la Pamukkale Üniversitesi – PAÜ dans les villes entre les vallées des fleuves Lykos et Méandre, voir c. Șimsek (éd.), Laodikeia Nekropolü (2004-2010 Yılları), Laodikeia Çalιşmalarι I, Istanbul 2011, pour Laodicée ; B. Duman, Tripolis Araştırmaları, Tripolis ad Maeandrum I, Istanbul 2017, pour Tripolis sur le Méandre. 18. T. Ritti, Fonti letterarie ed epigrafiche, p. 13 ; N. Zwingmann, Antiker Tourismus in Kleinasien, p. 317-320. 19. Pour les premiers évêques de Hiérapolis, voir U. Huttner, Early Christianity in the Lycus Valley, Leyde – Boston 2013, p. 213-271 : l’ouvrage constitue la synthèse la plus vaste et la plus à jour sur les origines et les premiers développements du christianisme dans la région. 20. T. Ritti, « Alcune iscrizioni rinvenute nella chiesa di S. Filippo », dans F. D’Andria,
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Francesco D’Andria datable du iie siècle, gravée sur la partie droite de la façade du sacellum funéraire qui deviendra le centre du sanctuaire à l’époque byzantine, a été interprétée comme un document de l’intervention directe du célèbre évêque hiérapolitain dans la formation de la tradition chrétienne qui lie Hiérapolis à la présence et au martyre de l’apôtre21. Les inscriptions concernant les mystères Le patrimoine épigraphique de la ville, récemment publié par Tullia Ritti dans un volume de synthèse fondamental22, fournit des éléments significatifs permettant de reconnaître à Hiérapolis la présence de pratiques liées aux mystères. Un texte épigraphique mentionne un hiérophante de Dionysos Kathègemôn23, témoignage révélateur des rapports avec la capitale attalide, attestés par la nouvelle fondation pergaménienne de la ville au début du iie siècle av. J.-C., et par d’importantes inscriptions comme le décret en l’honneur de la reine Apollonis, mère d’Eumène II et d’Attale II. Καθηγεμόνι Διονύσῳ Γ. ᾿Αμβείβιος Φρουγιανός, ἱεροφάντης ἀνέθηκεν.
« Il santuario e la tomba dell’apostolo Filippo a Hierapolis di Frigia », Rendiconti Pontificia Accademia Archeologia 84 (2011-2012), p. 53-54. 21. F. D’Andria, « Il santuario e la tomba dell’apostolo Filippo a Hierapolis di Frigia », p. 1-52. Une liaison possible du culte de Philippe avec la dimension mystérique peut être également reconnue dans le terme theologos attribué à l’apôtre de Hiérapolis (T. Ritti, Storia e istituzioni di Hierapolis, Hierapolis di Frigia IX, Istanbul 2017, inscription sur le sarcophage de l’archidiacre Eugenios). J. N. Bremmer (« Imperial Mysteries », Mètis N.S. 14 [2016], p. 25) reconnaît dans le qualificatif, qui est utilisé aussi pour indiquer l’apôtre Jean, une dérivation de la tradition mystérique, et cite une inscription de Smyrne qui mentionne deux theologoi femmes préposées au culte de Déméter. Voir aussi S. Th. Shipporeit, Kulte und Heiligtümer der Demeter und Kore in Ionien, Istanbul 2013 (Byzas 16), p. 198-201. 22. T. Ritti, Storia Hierapolis. 23. L’épigraphe en question, datable probablement du iie siècle, découverte dans des conditions de remploi dans les fouilles de la « maison des chapiteaux ioniques » dans un îlot à proximité à la fois du théâtre et du sanctuaire d’Apollon, est gravée sur une petite base fragmentaire en marbre blanc qui porte deux trous sur la face supérieure pour insérer l’objet dédié, SEG 41, 1202 et 53, 1466 ; E. Miranda, « Dioniso Kathegemon a Hierapolis di Frigia », Opuscula Epigraphica 10 (2003), p. 165-176 ; T. Ritti, Storia Hierapolis, p. 298-299.
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Des « mystères » à Hiérapolis de Phrygie ? L’auteur de la dédicace, probablement un mercator qui s’était établi dans la province, porte un nom latin, avec le gentilice peu commun d’Ambivius et le cognomen Frugianus ; c’est un prêtre du thiase mystérique, chargé de montrer aux initiés les objets sacrés (ta hiera), cachés aux profanes24. Un autre document épigraphique important est représenté par le texte de l’oracle d’Apollon Clarios adressé aux Hiérapolitains, remployé dans un mur du temple A à l’intérieur du sanctuaire d’Apollon25. Se référant, selon toute probabilité, à la grande épidémie de peste de l’époque de Marc Aurèle26, le texte épigraphique prescrit les actes rituels à accomplir pour apaiser la colère des dieux célestes et souterrains ; il recommande en particulier de faire des libations en l’honneur de Déméter (indiquée par le nom rare de Dèo) et des dieux des Enfers (Pluton et Koré), selon les habitudes, c’est-à-dire pas seulement à l’occasion de la purification de la peste : Δηοῖ δ᾿ ὡς ἔθος ὔμμιν ἐνερτερίοις τε θεοῖσιν / ἱερὰ ποιήσασθε μετ᾿ εὐαγέεσσι θυηλαῖς / ἥρωσίν τε χοὰς χθονίοις κατὰ τεθμὰ χέασθε. Pour Dèo, comme c’est votre coutume, et pour les dieux souterrains, accomplissez les rites avec des victimes immaculées et aux dieux souterrains faites les libations selon les rites.
Les fouilles du Ploutonion Par rapport aux documents iconographiques et épigraphiques auxquels il vient d’être fait référence, l’archéologie peut fournir un cadre plus complexe pour reconstruire les modalités selon lesquelles se déroulaient les activités rituelles réservées à des groupes restreints
24. Une petite base en marbre porte la dédicace du neokoros Apollonianos aux dieux Augustes, au thiase sacré et au Dèmos et pourrait se référer au culte dionysiaque, voir T. Ritti, Storia Hierapolis, p. 122. Toutefois il faut remarquer que N. Belayche (« Les hiérophantes marqueurs des “mystères” ? Le cas de l’Artémis éphésienne », Mètis N.S. 14 [2016], p. 67), à propos du hiérophante attesté à Éphèse, met en évidence, pour le iie siècle, la tendance à gonfler la terminologie mystérique ; cela ne permet ni d’inférer une dimension initiatique dans les « mystères », ni d’en faire systématiquement des agents marqueurs de « mystères ». 25. T. Ritti, Storia Hierapolis, p. 259-263, avec ample bibliographie antérieure. 26. E. Lo Cascio, L’impatto della « peste antonina », Bari 2012.
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Francesco D’Andria de personnes initiées aux mystères locaux. Grâce à une approche multidisciplinaire qui valorise la globalité des données fournies par les fouilles, il est possible de faire émerger les fonctions qui se déroulaient dans les différents espaces du lieu sacré. C’est dans cette perspective qu’il faut considérer les indications d’Anne-Françoise Jaccottet : Aucune filiation formelle ne lie entre eux les espaces dédiés aux mystères. Aucune reprise manifeste, aucun trait véritablement commun. Le seul élément qui fait le pont entre les différentes structures c’est la contingence du lieu dans sa capacité à accueillir des assemblées, à proposer des espaces de réunion. Le rituel initiatique ne semble pas laisser de trace objectivable dans les sanctuaires initiatiques ni dans les lieux de réunions des associations. Ce n’est pas le rituel qui dicte la forme précise, le plan du lieu rituel… Ce n’est pas la forme, mais le contexte, topographique, spatial et ensuite fonctionnel, rituel, qui [fait] les lieux initiatiques27.
Un cadre fortement nouveau, en effet, a émergé des recherches qui ont débuté en 2007 dans une zone au sud du sanctuaire d’Apollon, où l’on a définitivement reconnu le sanctuaire des divinités chthoniennes, le fameux Ploutonion, cité par de nombreux auteurs antiques, à commencer par Cicéron et Strabon (fig. 3). Les fouilles ont mis au jour toute la zone du sanctuaire, correspondant à 2500 m2, et permis de reconnaître les fonctions des différents secteurs, en relation avec les activités rituelles qui se déroulaient dans chacun des édifices à l’intérieur du temenos28. La présence de la faille et de la grotte d’où jaillissent les eaux thermales et se dégagent les gaz toxiques a conditionné la formation des espaces sacrés où il a été possible de reconnaître des parcours certainement liés aux pratiques d’initiation aux mystères des divinités chthoniennes. Les fouilles stratigraphiques ont permis de distinguer avec précision l’évolution de ces activités rituelles, à partir des phases phrygiennes
27. A.-F. Jaccottet, « Les mystères dionysiaques pour penser les mystères antiques ? », p. 82. 28. Pour une lecture des diverses phases de développement du Ploutonion, à la lumière des fouilles les plus récentes, F. D’Andria, « The Ploutonion of Hierapolis in light of recent research (2013-2017) », Journal of Roman Archaeology 31 (2018), p. 91-129. Pour les comptes rendus de fouilles, P. Panarelli, « Il cosiddetto “Santuario delle Sorgenti” (Ploutonion): le attività di scavo 2008-2011 », dans F. D’Andria, M. P. Caggia, T. Ismaelli, Le attività delle campagne di scavo e restauro 2007-2011, p. 293-320.
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Des « mystères » à Hiérapolis de Phrygie ?
Fig. 3. Fig. 3. Hiérapolis. Vue aérienne (2018) : au premier plan, le Ploutonion après la restauration ; en haut, le Théâtre. Archives de la Mission archéologique italienne à Hiérapolis ©.
de l’époque archaïque qui ont précédé la fondation de la colonie. Au niveau de la roche, au-dessus de l’entrée de la grotte, ont été mis au jour un autel à gradins et des traces consistantes de combustion autour d’une stèle, liées à des activités sacrificielles. Un document exceptionnel de cette fréquentation plus ancienne est le fragment de vase à relief qui représente un joueur d’elymos, l’instrument musical phrygien dont l’une des deux flûtes se termine par une corne ; le personnage porte le bonnet phrygien et devait faire partie d’une frise avec des danseurs, référence évidente à l’enthousiasmos qui caractérisait les rites en l’honneur de la Mère Cybèle29.
29. Voir pour les phases de fréquentation cultuelle les plus anciennes, F. D’Andria, « The cult of Cybele in Hierapolis of Phrygia », dans G. R. Tsetskhladze (éd.), Phrygia in Antiquity: From the Bronze Age to the Byzantine Period, Louvain 2019 (“Colloquia Antiqua” 24), p. 475-495.
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Francesco D’Andria Avec la fondation de la colonie séleucide s’est progressivement développé, à côté du culte phrygien, le culte grec d’Hadès-Pluton et de Proserpine-Koré et, entre les époques hellénistique et proto-impériale, il est possible de reconnaître des structures qui définissent, après la construction du mur de temenos, la zone sacrée, avec des fonctions spécifiques liées aux parcours processionnels qui ont la grotte pour centre. Il s’agit du lieu décrit, dans la seconde moitié du ier siècle av. J.-C., par Strabon (XIII, 4, 14) qui raconte comment des oiseaux lancés à l’intérieur de la grotte étaient tués par les vapeurs mortelles ; le géographe d’Amasée rapporte aussi le sacrifice des taureaux également suffoqués par les gaz à l’entrée de la grotte, et le phénomène des prêtres de Cybèle, les galles eunuques, les seuls à pouvoir entrer dans la cavité sacrée sans être tués par les exhalaisons. Ces phénomènes suscitaient merveille et crainte chez tous ceux qui assistaient à l’événement, sans qu’ils réussissent à en trouver une explication logique. Mais un important développement monumental du sanctuaire, correspondant certainement à une période d’augmentation des activités rituelles, et se référant sans doute à un « tournant mystérique » local, se réalise durant les iie et iiie siècles, à partir de la période qui suit le tremblement de terre de l’année 60. Sous l’empereur Néron, et sous l’impulsion du proconsul d’Asie Barea Soranos, est construit un portique, d’ordre ionique, qui couronne toute la zone sacrée30 (fig. 4) sur les côtés sud et est. L’inscription dédicatoire mentionne, outre l’empereur et le proconsul, une femme, Glykonis, personnage éminent de l’aristocratie locale, qui, selon toute probabilité, a financé la reconstruction du sanctuaire, à l’intérieur duquel elle devait remplir des fonctions sacerdotales importantes. Cette intervention radicale contribue à définir l’image du monument qui caractérisera, durant l’époque impériale moyenne, le site autour de la grotte. Les éléments fondamentaux de cet aménagement sont constitués par le theatron rituel, à plan rectangulaire sur les trois côtés, et le sacellum qui se projette à l’intérieur de la cavea et qui abritait la statue colossale d’Hadès, flanquée de celle de Cerbère31. En face de l’entrée de la grotte, sur laquelle se
30. S. Bozza, « The Ionic Portico of the Ploutonion in Hierapolis in Phrygia », dans T. Ismaelli, G. Scardozzi, Ancient Quarries and Building Sites in Asia Minor, p. 373-384. 31. Sur l’initiation aux mystères de Sérapis et sur la descente (katabasis) des initiés dans le monde souterrain, J. N. Bremmer, Initiation into the Mysteries of the Ancient World, Berlin – Boston 2014, p. 122.
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Des « mystères » à Hiérapolis de Phrygie ?
Fig. 4. Hiérapolis. Ploutonion, reconstruction virtuelle 3D du complexe à l’époque impériale (M. Limoncelli). Archives de la Mission archéologique italienne à Hiérapolis ©.
trouve l’inscription dédicatoire à Pluton et Koré, furent construites deux grandes vasques qui recueillaient les eaux thermales de la source située à l’intérieur de la grotte, dans lesquelles les fidèles s’immergeaient à des fins thérapeutiques et de purification. Au centre de la plate-forme se trouvait, dans une position symétrique par rapport au sacellum d’Hadès, la tholos en marbre, finement décorée, qui, à mon avis, pouvait abriter l’image de Proserpine-Koré32. Nous trouvons également une allusion aux rituels de purification dans le relief en marbre trouvé dans le Ploutonion, avec des jeunes filles qui dansent en se tenant par la main33, comme dans le relief du théâtre où Apollon katharsios est représenté dans l’acte d’asperger des jeunes filles qui dansent en se tenant les unes aux autres avec une guirlande34.
32. Pour la reconstruction virtuelle du sanctuaire à l’époque impériale, F. D’Andria, « The Ploutonion of Hierapolis in light of recent research (2013-2017) », p. 112-124, fig. 32. 33. F. D’Andria, « Sculpture in the context of the Ploutonion in Hierapolis », dans M. Aurenhammer (éd.), Sculpture in Roman Asia Minor, Proceedings of the Conference at Selçuk, 1-3 october 2013, Vienne 2018, p. 91-92, fig. 6 : le relief est remployé dans le mur G, relatif à la phase médio-byzantine. 34. F. D’Andria, T. Ritti, Le sculture del teatro, p. 73-76, pl. 21-22.
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Francesco D’Andria La découverte, au cours des fouilles, de nombreuses lampes à huile, en particulier dans la zone devant la grotte, a fait penser au déroulement de rites nocturnes. Huit cents personnes environ pouvaient prendre place dans le theatron pour y assister, tout en n’ayant pas la possibilité de descendre dans la zone située devant la grotte, qui se trouvait à environ deux mètres et demi en dessous du niveau de la première rangée de sièges. Les fouilles des dépôts rituels ont également mis en évidence une grande quantité d’os d’animaux : les oiseaux sont en nette majorité, non seulement ceux de petite taille comme les moineaux cités par Strabon, mais aussi les animaux d’élevage comme les poules, les coqs, les pigeons, qui caractérisent les sacrifices liés aux cultes mystériques (citons, entre autres, les mystères de Mithra)35. Les différentes structures présentes dans le Ploutonion servaient aux rites d’initiation qui se déroulaient pendant plusieurs jours consacrés aux cérémonies. Il faut aussi prendre en considération les représentations auxquelles assistaient les fidèles assis dans le theatron, et qui racontaient les épisodes du rapt de Proserpine, thème central dans tout le complexe du sanctuaire. Il est possible de trouver une référence à ces performances dans les nombreux fragments de masques en terre cuite qui ont été retrouvés dans la zone du Portique, au-dessus du theatron. Ces rites, tout en présentant en arrière-plan la référence aux mystères d’Éleusis – dans la dimension chthonienne et dans le thème du rapt de Koré et de la recherche désespérée de sa mère –, apparaissent aussi bien ancrés dans les traditions phrygiennes avec la référence à Cybèle et la présence dans l’espace sacré des galloi. La construction d’un contexte culturel et religieux qui unissait au modèle incontournable d’Éleusis les traditions mythiques locales, est certainement due à des figures qui représentaient, à Hiérapolis, les instances de la Seconde Sophistique. Ces personnages, très influents dans la vie des poleis asiatiques, étaient en mesure d’élaborer les différentes composantes de la réalité religieuse locale dans la perspective de la construction d’une identité civique. Cultes chthoniens, rites nocturnes, pratiques de purification, danses extatiques, représentations théâtrales dessinent certainement un cadre compatible avec les diverses étapes d’initiation aux mystères des 35. J. De Grossi Mazzorin, « I resti animali del mitreo della Crypta Balbi: testimonianze di pratiche cultuali », dans M. Martens, G. De Boe (éd.), Roman Mithraism: The Evidence of the small Finds, Bruxelles 2004, p. 179-181.
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Des « mystères » à Hiérapolis de Phrygie ? divinités chthoniennes. Les fouilles les plus récentes, effectuées dans la partie nord du sanctuaire, ont fourni des données significatives concernant un parcours initiatique réservé toutefois à un nombre plus restreint d’individus par rapport à celui des participants aux rites du theatron et aux bains purificatoires. Le contexte apparaît dans un état de conservation extraordinaire, grâce à un remplissage de terrain et de blocs effectué par les chrétiens au vie siècle afin d’oblitérer toute trace de l’ancien lieu de culte païen. À cette époque finale de la vie du sanctuaire apparaît correspondre un témoignage littéraire de grand intérêt, conservé dans la bibliothèque de Photius (Bibliotheca, codex 242, Vita Isidori, § 131). Damascius, philosophe néoplatonicien qui vécut au début du vie siècle, dernier scholarque de l’Académie d’Athènes avant qu’elle ne soit supprimée, décrit sa visite au Ploutonion de Hiérapolis et sa descente (katabasis) à la grotte des Enfers ; dans le même texte il fait référence aux initiés (tetelesmenoi) à qui, comme aux prêtres de Cybèle, il était permis de descendre indemnes jusque dans la partie la plus profonde de l’antre. Τοῖς δὲ τετελεσμένοις, φησί, δυνατὸν ἦν κατιόντας καὶ εἰς αὐτὸν τὸν μυχὸν ἀβλαβῶς διάγειν. Λέγει δ’ ὁ συγγραφεὺς ὡς αὐτός τε καὶ Δῶρος ὁ φιλόσοφος, ὑπὸ προθυμίας ἐκνικηθέντες, κατέβησάν τε καὶ ἀπαθεῖς κακῶν ἀνέβησαν. Λέγει δ’ ὁ συγγραφεὺς ὅτι « Τότε τῇ Ἱεραπόλει ἐγκαθευδήσας ἐδόκουν ὄναρ ὁ Ἄττης γενέσθαι, καί μοι ἐπιτελεῖσθαι παρὰ τῆς μητρὸς τῶν θεῶν τὴν τῶν Ἱλαρίων καλουμένων ἑορτήν· ὅπερ ἐδήλου τὴν ἐξ Ἅιδου γεγονυῖαν ἡμῶν σωτηρίαν ». Mais, dit-il, il était possible aux initiés de descendre aussi dans la partie la plus interne et d’y rester sans subir de dommages. L’auteur ajoute que lui-même et le philosophe Doros, gagnés par le désir (d’essayer), descendirent et remontèrent sans avoir souffert aucun dommage. L’auteur dit aussi « Je m’étais endormi à Hiérapolis et j’eus un rêve dans lequel j’étais Attis, et à l’instigation de la Mère des dieux, je célébrais la fête appelée les Hilaria, ce qui signifiait notre libération de l’Hadès ».
Les deux éléments essentiels de ce témoignage littéraire (katabasis et sommeil de l’incubation) trouvent une correspondance extraordinaire dans la réalité archéologique36. Un parcours spécifique conduit en effet à deux pièces (O et N), situées le long de la zone nord du
36. F. D’Andria, « The Ploutonion of Hierapolis in light of recent research (20132017) », p. 119-122.
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Francesco D’Andria
Fig. 5. Hiérapolis. Ploutonion, pièce O construite sur la faille. Archives de la Mission archéologique italienne à Hiérapolis ©.
Ploutonion ; les deux pièces englobent le parcours de la faille sismique dans leur construction (fig. 6). Par un escalier étroit on descend à l’intérieur de la première pièce, après avoir franchi, d’un petit saut, l’ouverture de la fracture sismique dans la roche (fig. 5) ; par cette action on entre symboliquement dans une nouvelle dimension caractérisée par l’obscurité, percée par la lumière des torches, et par la fracture de la roche où l’on peut entendre s’écouler l’eau thermale et sentir l’odeur âcre des gaz. Celui qui vivait cette expérience éprouvait une émotion très forte, qui activait des dynamiques complexes de réaction psychique, amplifiées par les expériences qui avaient certainement précédé la katabasis (jeûnes, bains de purification, prières, sacrifices, offrandes en argent, comme en témoigne la présence du thesauros à l’intérieur du sacellum d’Hadès, situé sous la statue du dieu). Sur le bord de la faille se trouvait un pilastre de travertin qui devait probablement soutenir une statuette de Pluton, à en juger aussi par le petit autel de marbre situé à côté du pilastre, et portant une inscription de dédicace à Pluton de la part de Megaloklès fils d’Ariston, kata suntagèn,
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Des « mystères » à Hiérapolis de Phrygie ?
Fig. 6. Hiérapolis. Plan du Ploutonion : les différentes nuances de gris indiquent les trois « degrés d’initiation » possibles, culminant dans les pièces O, N (à gauche). Archives de la Mission archéologique italienne à Hiérapolis ©.
selon un ordre du dieu37 (fig. 5). Le terme suntagè est utilisé dans les contextes oraculaires et peut se référer aux indications du dieu durant les rites d’incubation qui devaient se dérouler dans l’étroite pièce N, que l’on peut considérer comme étant l’abaton. Toutefois, avant d’y accéder, les initiés devaient accomplir une série de libations, versées à l’intérieur du chasma gès ; ces actions rituelles sont attestées par les nombreux fragments de coupes en argile accumulées dans un coin de la pièce. Sur le fond de l’une d’elles est gravée la liste des noms de ceux qui avaient accompli l’acte rituel38. Le parcours des fidèles continuait enfin dans l’abaton, la dernière pièce du parcours, caractérisée par un plafond très bas, par la présence de la roche affleurante, laissée intacte, et par la fracture sismique
37. F. D’Andria, « The Ploutonion of Hierapolis in light of recent research (20132017) », p. 121, fig. 40. 38. F. Guizzi, M. Nocita, « Novità epigrafiche da Hierapolis di Frigia (2013-2014) », Scienze dell’Antichità 21, 1 (2015), p. 40-41, fig. 8.
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Francesco D’Andria où se manifestaient les mêmes phénomènes de l’écoulement de l’eau thermale et de l’émission des gaz : l’ensemble donnait au lieu l’aspect d’un antron, c’est-à-dire d’une grotte naturelle bien qu’en partie construite. Sur les deux côtés étaient disposés les lits construits en maçonnerie, avec un bord relevé qui servait d’oreiller. Arrivés dans cette pièce dans un état de fort choc émotionnel et d’altération psychique, les fidèles étaient prêts à effectuer le rite de l’incubation, qui se déroulait dans une pièce fermée hermétiquement, comme le montrent les gonds de la porte d’entrée en bois39. Cette expérience devait correspondre au dernier degré de l’initiation mystérique, réservée à ceux qui avaient franchi les deux premiers degrés40. Sur la base des données archéologiques, nous pouvons penser, à titre d’hypothèse, que les degrés de l’initiation s’articulaient en ces trois niveaux (fig. 6) : 1. Accès au sanctuaire pour les bains rituels dans les vasques d’eau thermale dans un but thérapeutique et purificatoire. 2. Participation, à l’intérieur du theatron où pouvaient prendre place environ huit cents personnes, aux actions scéniques (danses et performances théâtrales), aux sacrifices des taureaux, aux exhibitions des eunuques galloi ; de la cavea les spectateurs pouvaient observer aussi le phénomène des oiseaux portés à l’entrée de la grotte et suffoqués par les exhalaisons. 3. Katabasis dans l’antre des enfers (pièce O) et pratiques d’incubation (pièce N), réservées à un nombre plus restreint de personnes qui avaient franchi les autres degrés de l’initiation. Le Ploutonion aux IIe et IIIe siècles ap. J.-C. À l’intérieur du sanctuaire, certaines zones remplissaient des fonctions spécifiques où se manifestait le prestige des classes dominantes de la ville et des personnages qui avaient adhéré aux pratiques rituelles
39. F. D’Andria, « The Ploutonion of Hierapolis in light of recent research (2013-2017) », p. 123 ; sur les pratiques de l’incubation dans le monde antique, voir G. H. Renberg, Where dreams may come: incubation sanctuaries in the Greco-Roman world (Religions in the Graeco-Roman World 184), Leyde 2017, qui constitue l’ouvrage de référence pour l’étude du phénomène ; aux pages 533-538, l’auteur fait référence aussi à Hiérapolis et en examine la documentation littéraire et archéologique sans avoir pu tenir compte des découvertes au Ploutonion, postérieures à sa publication. 40. Sur l’impact que la descente à l’intérieur des grottes produit dans la psychologie collective et sur les phénomènes religieux liés à ces manifestations naturelles, Y. Ustinova, Caves and the ancient Greek mind: descending underground in the search for ultimate truth, Oxford 2009.
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Des « mystères » à Hiérapolis de Phrygie ? liées au culte des divinités infernales41. Dans l’espace sacré, le côté sud du Portique ionique, qui possède deux nefs, à la différence du côté est qui n’en a qu’une, jouait un rôle particulier (fig. 6). En effet, il devait contenir une série de bases de statues avec des inscriptions se référant à des personnages importants de la ville ainsi qu’à l’ordo senatorius. Parmi celles-ci, on peut signaler la dédicace d’une statue à Publius Afranius Flavianus, fils homonyme du proconsul d’Asie de 130/131, indiqué comme herôos42. Il s’agit, comme dans les autres inscriptions, de jeunes gens de familles sénatoriales qui avaient accompagné leurs pères en Asie durant leur proconsulat et qui étaient morts dans la province43. La référence aux jeunes défunts héroïsés, probablement liés aux pratiques de l’initiation, dans le sanctuaire des divinités infernales, ne constitue pas une simple coïncidence44. Durant l’époque impériale moyenne, le sanctuaire montre des signes de fréquentation intense, avec des interventions de restauration des structures, comme celle enregistrée sur une des colonnes du Portique ionique où sont cités les travaux de réfection du naos, soutenus par Marcus Aurelius Alexandros, fils d’Apollonius, prêtre des dieux epiphanestatoi (les plus manifestes, célèbres), Pluton, Koré et Zeus Sabazios45 (fig. 7). À cette époque on assiste à une articulation crois-
41. J. N. Bremmer (« Imperial Mysteries », p. 29), dans sa discussion sur la participation aux Imperial mysteries dans les villes de l’Asie Mineure, souligne les facteurs suivants : implication des classes sociales élevées, célébrations nocturnes, chant d’hymnes. 42. F. Guizzi, M. Nocita, « Novità epigrafiche da Hierapolis di Frigia (2015) », Scienze dell’Antichità 22, 1 (2016), p. 20-22, fig. 3. 43. Du Ploutonion provient aussi une base avec dédicace à Caius Julius Julianus (T. Ritti, Storia Hierapolis, p. 493-494, fig. 8) ; il se pourrait qu’ait la même provenance la base en marbre avec dédicace à Marcus Valerius Asiaticus Catullus Messalinus, fils du proconsul d’Asie Marcus Valerius Asiaticus, remployée dans le Nymphée voisin du sanctuaire d’Apollon (A. Filippini, « Base di statua per il defunto M. Valerius Asiaticus Catullus Messalinus, figlio del proconsole d’Asia M. Valerius Asiaticus », dans T. Ismaelli [éd.], Il Tempio A nel Santuario di Apollo. Architettura, decorazione e contesto, Istanbul 2017 [Hierapolis di Frigia X], p. 491-502, fig. 16-18). 44. F. D’Andria, « The Ploutonion of Hierapolis in light of recent research (20132017) », p. 115. 45. F. Guizzi, M. Nocita, « Novità epigrafiche da Hierapolis di Frigia (2013-2014) », p. 33-35 ; F. D’Andria, « The Ploutonion of Hierapolis in light of recent research (2013-2017) », p. 126, fig. 44 ; Clément d’Alexandrie (Protreptique II, 16, 1-3) évoque les mystères de Sabazios, liés à l’union de Zeus, sous forme de serpent, à KoréPherephatta (F. Massa, « La notion de “mystères” au iie siècle de notre ère. Regards
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Francesco D’Andria
Fig. 7. Hiérapolis. Ploutonion, dédicace de Marcus Aurelius Alexandros gravée sur une des colonnes du Portique ionique. Archives de la Mission archéologique italienne à Hiérapolis ©.
Fig. 8. Hiérapolis. Ploutonion, tympan en marbre avec buste d’homme barbu. Archives de la Mission archéologique italienne à Hiérapolis ©.
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Des « mystères » à Hiérapolis de Phrygie ? sante du culte avec l’introduction d’une divinité phrygienne comme Zeus Sabazios46 ; en son honneur se déroulaient les rituels qui portaient à l’enthousiasmos et à l’exaltation mystique, selon des modalités qui, dans ces régions de l’Anatolie, sont étroitement liées aux manifestations du culte plus ancien de Cybèle47. Un important relief en marbre avec des sculptures et des éléments architectoniques a été trouvé dans le terrain de remplissage, et remployé dans les structures de l’époque byzantine. Celui-ci peut se rapporter à des personnages, tels que Marcus Aurelius Alexandros, qui revêtaient le rôle de prêtres des divinités infernales, dans leurs connexions avec les cultes phrygiens48. Il s’agit d’un tympan, avec la partie finale supérieure curviligne, où est campé le buste d’un personnage, couvert seulement du pan de l’himation sur l’épaule gauche, avec des caractéristiques – comme celle du visage barbu – qui font penser à une figure de philosophe (fig. 8). Sur la base d’une analyse stylistique, le buste peut être daté entre le iie et le iiie siècle apr. J.-C. Il présente une intéressante particularité par rapport aux portraits de ce type : il a la tête ornée d’une couronne dans laquelle il est possible de reconnaître les feuilles à cinq lobes caractéristiques du peuplier blanc, le populus alba que les Anciens reliaient à la nymphe Leuké, aimée d’Hadès et transformée en cette plante après sa mort49 (fig. 9). Avec les
païens et Christian turn », Mètis N.S. 14 [2016], p. 123). À la dimension chthonienne font également référence les deux serpents en marbre qui devaient flanquer la statue de culte colossale d’Hadès-Sérapis, conservée dans le Ploutonion, voir F. D’Andria, « Sculpture in the context of the Ploutonion in Hierapolis », p. 93-94, fig. 8. 46. À des pratiques d’initiation aux mystères de Sabazios fait référence une inscription de Philomelion (Akșehir-Yalvaç), Ramsay, Phrygia 127, citée par J. N. Bremmer, « Imperial Mysteries », p. 21. 47. À côté de ces divinités, le culte de Némésis est également attesté dans le Ploutonion par deux inscriptions gravées sur de petits autels. 48. F. D’Andria, « Sculpture in the context of the Ploutonion in Hierapolis », p. 92, fig. 7 ; ce relief était lui aussi remployé dans le mur de soutènement G, datant de la phase médio-byzantine ; dans cette première présentation de la sculpture j’avais attribué les feuilles de la couronne, non sans quelque incertitude, à la plante du platane, reliant le personnage représenté au culte d’Esculape et aux pratiques de guérison, attestées dans le sanctuaire hiérapolitain d’Hadès-Sérapis. 49. Servius, Commentarii in Vergilii eclogas 7.61 : « Leuce, Oceani filia, inter nymphas pulcherrima fuit. hanc Pluton adamavit et ad inferos rapuit. quae postquam apud eum completo vitae suae tempore mortua est, Pluton tam in amoris, quam in memoriae solacium in Elysiis piorum campis leucen nasci arborem iussit, ex qua, sicut dictum est, Hercules se, revertens ab inferis, coronavit ».
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Francesco D’Andria rameaux du populus alba on couronnait les initiés aux mystères infernaux, comme Hercule qui utilisa les rameaux de cet arbre pour orner sa tête après sa victoire sur Cerbère, indiquant ainsi que les initiés ne doivent pas craindre l’entrée dans l’Hadès50. Le buste retrouvé dans le Ploutonion devrait donc représenter un personnage lié à cette dimension, qui doit avoir rempli, comme Marcus Aurelius Alexandros, une fonction très importante à l’intérieur du sanctuaire. Même si, de fait, les relations entre la notion de mystère et d’initiation dans la documentation de Hiérapolis n’ont pas encore été clarifiées, surtout par rapport au modèle éleusinien, ces éléments portent à la conclusion qu’à l’intérieur du Ploutonion se déroulaient des pratiques d’initiation aux divinités infernales, où la présence de l’eau, provenant des profondeurs de la terre, jouait un rôle central dans les rites de la purification et de la guérison (fig. 10). Toutefois l’expérience religieuse vécue à l’intérieur du Ploutonion continua à se développer, sous d’autres formes, même après l’affirmation du christianisme. Alors que l’on détruisait l’ancien sanctuaire d’Hadès, se développa sur la colline orientale de la ville le pôle chrétien du culte de l’apôtre Philippe. Dans l’église construite à côté de la tombe vénérée, l’eau continua à jouer un rôle central dans les activités de purification et de guérison51. Cependant un système de conduites en terre cuite portait l’eau pure et potable des sources du haut plateau jusqu’à la nef centrale de l’église : l’opposition avec les eaux thermales provenant des profondeurs des Enfers était évidente et certainement, dans la propagande
50. J. N. Bremmer, Initiation, p 74 ; les initiés aux mystères dionysiaques étaient eux aussi couronnés de rameaux de peuplier blanc, arbre possédant de fortes valeurs chthoniennes. 51. Pour le système complexe de circulation des eaux dans l’église du Sépulcre de St. Philippe, point d’arrivée d’un aqueduc de l’époque byzantine, voir M. P. Caggia, « L’acqua dell’Apostolo Filippo a Hierapolis di Frigia », dans G. Cuscito (éd.), Cura aquarum. Adduzione e distribuzione dell’acqua nell’Antichità, Atti 48° Settimana di Studi aquileiesi, Aquileia (10-12 maggio 2017), Trieste 2018, p. 439-456 ; des vasques pour immersions rituelles sont présentes dans la nef centrale, à côté de la tombe de l’Apôtre, et constituent un cas exceptionnel de rituels de guérison par l’eau : F. D’Andria, « “Hierapolis alma Philippum”. Nuovi scavi, ricerche e restauri nel santuario dell’Apostolo », Rendiconti Pontificia Accademia Archeologia 89 (2017), p. 155-156, dans la fig. 22, le dessin de Remo Rachini illustre l’immersion des fidèles dans les vasques.
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Des « mystères » à Hiérapolis de Phrygie ?
Fig. 9. Dessin reconstruisant le buste, avec couronne de feuilles de peuplier blanc (à droite). Archives de la Mission archéologique italienne à Hiérapolis ©.
Fig. 10. Hiérapolis. Ploutonion, entrée à la Porte des Enfers : sur l’architrave inscription avec dédicace à Pluton et à Koré. Archives de la Mission archéologique italienne à Hiérapolis ©.
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Francesco D’Andria chrétienne – comme on peut le déduire des Actes de Philippe52 –, ce contraste entre le haut et le bas, entre le pur et l’enfer, entre les cultes païens et le christianisme, doit avoir joué un rôle significatif.
52. Pour le commentaire de ce texte apocryphe relatif à l’apôtre Philippe, élaboré probablement à Hiérapolis entre le ive et le début du ve siècle, voir F. Amsler, F. Bovon, B. Bouvier, Actes de l’Apôtre Philippe, Turnhout 1996. La mise à jour des problématiques historiques relatives aux Acta dans U. Huttner, Early Christianity in the Lycus Valley, p. 355-371.
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LES CULTES ISIAQUES AU IIe SIÈCLE DE NOTRE ÈRE : ENTRE « ÉGYPTIANISATION » ET « MYSTÉRISATION » Beatriz Pañeda Murcia Universidad Carlos III de Madrid École Pratique des Hautes Études – PSL
d
ans la lignée de travaux récents qui ont conduit une réflexion cri-
tique sur la vision moderne des mystères antiques1, cette étude explore à nouveaux frais la problématique concernant la nature et le contenu des mystères isiaques2, à partir d’une approche croisée de deux lignes d’investigation qui se sont développées en parallèle ces dernières années : la recherche sur la réception de l’Égypte et les « égyptianismes » dans l’Antiquité gréco-romaine – une thématique en vogue dans le domaine des études isiaques –, et l’enquête sur les mystères antiques menée par le groupe de recherche sur « Les cultes
1. Cette recherche a été conduite dans le cadre du projet « HAR2014-52531-P : Oriental Religions in Spain » (2014-2018), piloté par Jaime Alvar Ezquerra et financé par le ministère d’Économie, Industrie et Compétitivité du gouvernement espagnol. Je remercie vivement les organisateurs du colloque dont est issu cet ouvrage, Nicole Belayche, Francesco Massa et Philippe Hoffmann, pour m’avoir invitée à participer à cette enrichissante rencontre, et à Jaime Alvar, Nicole Belayche et Valentino Gasparini pour la relecture de ce travail et leurs précieuses suggestions. 2. J’emploie l’adjectif « isiaque » pour faire référence à tout ce qui concerne les cultes d’Isis et des divinités de son cercle dans la Méditerranée hellénistique et romaine, suivant M. Malaise, Pour une terminologie et une analyse des cultes isiaques, Bruxelles 2005 (Mémoires de la Classe des Lettres, coll. in 8°, 3e série, 35). Je réserve le qualificatif d’« égyptien » pour désigner des phénomènes propres à l’Égypte pharaonique et gréco-romaine. Sur le domaine des études isiaques, je renvoie à L. Bricault, r. Veymiers (éd.), Bibliotheca Isiaca, 3 vol., Bordeaux 2008, 2011, 2014, quatrième volume à paraître. 10.1484/M.BEHE-EB.5.125921
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Beatriz Pañeda Murcia à mystères (mystêria, teletai, orgia, etc.) et leurs acteurs spécialisés » dirigé par Nicole Belayche et Francesco Massa3, auxquels on doit cet ouvrage collectif. Le croisement de ces deux regards et de leurs résultats, nouveaux et significatifs, met en évidence que la notion de mystères isiaques communément acceptée dans la littérature savante est erronée, tant elle est fondée sur des présupposés historiographiques et sur des représentations antiques de l’Égypte et de ses dieux qui ne correspondent pas à la réalité historique des cultes de la gens Isiaca. Dans cet esprit, je vise ici à, d’abord, déconstruire la vision traditionnelle des mystères isiaques comme étant des mystères initiatiques à la grecque, créés à l’époque hellénistique ou romaine sur le modèle d’Éleusis, pour reprendre ensuite l’enquête sur ce phénomène religieux à sa base, en interrogeant les sources sans a priori, afin de proposer une notion alternative de ces mystères, plus proche de la réalité cultuelle. Je partirai donc de quelques observations sur les difficultés et les incohérences de la conception des mystères isiaques que l’on trouve dans l’historiographie. Puis j’examinerai toutes les sources écrites – littéraires et épigraphiques – qui témoignent d’une possible composante mystérique dans les cultes de la gens Isiaca, soit parce qu’elles contiennent des termes à connotation mystérique4, soit parce qu’elles font référence aux éléments que l’on considère généralement comme propres aux mystères5. Étant donné que la plupart de ces documents datent du Haut-Empire, on pourra ainsi tester l’hypothèse d’un possible « tournant mystérique » en milieu isiaque au iie siècle de notre ère et, tout particulièrement, de son éventuelle relation avec l’égyptianisation qu’expérimentent les cultes isiaques durant ce siècle. La mise en parallèle de ces deux aspects, mystérisation et égyptianisation, nous permettra enfin de constater que la dimension mystérique
3. Dans le cadre du laboratoire AnHiMA – UMR 8210 (2014-2018). 4. Sur ce lexique, voir N. Belayche, F. Massa, « Quelques balises introductives : lexique et historiographie », Mètis N.S. 14 (2016), p. 7-19, et l’introduction à ce volume, p. 12-16. 5. Je n’enquêterai pas sur les sources iconographiques isiaques où l’on peut reconnaître un élément mystérique, notamment la ciste mystique, sur lesquelles on consultera avec profit l’étude de R. Veymiers, « Les mystères isiaques et leurs expressions figurées. Des exégèses modernes aux allusions antiques », dans n. Belayche, F. Massa (éd.), Mystery Cults in Visual Representation in Graeco-Roman Antiquity, Leyde – Boston 2021 (RGRW 194), p. 123-168.
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Les cultes isiaques au IIe siècle de notre ère des cultes isiaques relève, dans une grande mesure, de la réception et de l’appropriation de conceptions et de pratiques propres à la religion égyptienne, adaptées aux usages locaux des communautés cultuelles. Les mystères isiaques : état des lieux et nouvelles perspectives Il est communément admis que les cultes de la gens Isiaca dans le monde gréco-romain sont des cultes à mystères au sens grec du terme, c’est-à-dire comportant des cérémonies d’initiation au cours desquelles l’individu recevait une révélation lui permettant d’accéder à une expérience religieuse qui n’était pas à la portée de tous, à l’instar de ce qui se déroulait dans les mystêria d’Éleusis6. On suppose d’ailleurs que ceux-ci ont joué un rôle matriciel dans la création 6. L’idée se répète dans les études les plus approfondies sur les mystères isiaques : M. Malaise, Les conditions de pénétration et de diffusion des cultes égyptiens en Italie, Leyde 1972 (EPRO 22), p. 144-151, 230-238 ; F. Dunand, Le culte d’Isis dans le bassin oriental de la Méditerranée, III, Leyde 1973 (EPRO 26.3), p. 243-286 ; Ead., « Les mystères égyptiens aux époques hellénistique et romaine », dans F. Dunand et al. (éd.), Mystères et Syncrétismes, Paris 1975 (Études d’Histoire des Religions 2), p. 11-62 ; M. Malaise, « Contenu et effets de l’initiation isiaque », L’Antiquité Classique 50 (1981), p. 483-498 ; U. Bianchi, « Iside dea misterica. Quando? », dans G. Piccaluga (éd.), Perennitas. Studi in onore di Angelo Brelich, Rome 1980, p. 9-36 ; m. Malaise, « Les caractéristiques et la question des antécédents de l’initiation isiaque », dans H. Limet, J. Ries (éd.), Les Rites d’initiation, Actes du colloque de Liège et de Louvain-la-Neuve (20-21 novembre 1984), Louvain-la-Neuve 1986 (Homo religiosus 13), p. 353-376 ; W. Burkert, Ancient Mystery Cults, Cambridge (MA) – Londres 1987 ; P. Scarpi, Le religioni dei misteri, vol. II : Samotracia, Andania, Iside, Cibele e Attis, Rome – Milan 2002 ; J. Alvar Ezquerra, Romanising Oriental Gods : Myth, Salvation, and Ethics in the Cults of Cybele, Isis, and Mithras, Leyde – Boston 2008 (RGRW 165) ; H. Bowden, Mystery Cults of the Ancient World, Princeton – Londres 2010 ; L. Bricault, Les cultes isiaques dans le monde gréco-romain, documents réunis, Paris 2013, p. 428-442 ; l. Beaurin, « Honorer Isis. Les cérémonies isiaques dans les cités de l’Empire romain occidental », Thèse, Université de Lille-Charlesde-Gaulle, 2013, p. 271-312 ; J. N. Bremmer, Initiation into the Mysteries of the Ancient World, Berlin – Boston 2014 (Münchner Vorlesungen zu Antiken Welten 1), p. 110-125 ; J. Steinhauer, « Osiris mystes und Isis orgia. Gab es “Mysterien” der ägyptischen Gottheiten? », dans F. Quack, Ch. Witschel (éd.), Entangled Worlds : Religious Confluences between East and West in the Roman Empire. The Cults of Isis, Mithras, and Jupiter Dolichenus, Tübingen 2017 (Orientalische Religionen in der Antike 22), p. 47-78. Dans le cadre du projet de recherche qui a donné lieu à cet ouvrage, voir les approches nouvelles de R. Veymiers, « Les mystères isiaques », et F. Massa, « Le mythe fait-il le mystère ? Interprétations chrétiennes des mystères égyptiens (iie-ive siècles) », Revue de l’histoire des religions 234.4 (2018), p. 701-722.
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Beatriz Pañeda Murcia de telles cérémonies, qui seraient donc des pratiques grecques adaptées aux récits mythiques et aux formes rituelles de racine égyptienne des cultes isiaques7. Conformément à cette idée, les éléments définissant les mystères d’Isis et des divinités de son cercle sont ceux que l’on considère comme communs à tous les cultes traditionnellement englobés dans la catégorie de « mystères antiques » : une initiation individuelle et volontaire, généralement nocturne, qui constitue le rituel central des mystères, sinon les mystères en eux-mêmes ; une révélation d’origine divine émotionnellement frappante, qui provoque un changement d’esprit et qui, pour la plupart des chercheurs, consisterait en la transmission d’un hieros logos portant sur la véritable signification des mythes, des objets sacrés gardés dans la ciste mystique, de certains gestes rituels et de certaines cérémonies8 ; le secret qui sépare l’initié du profane ou l’interdit de divulgation de l’expérience initiatique ; enfin, une promesse de salut dans ce monde, qui du moins dans le cas isiaque, trouvait son épanouissement dans l’au-delà. Tous ces aspects généraux se retrouvent dans l’initiation de Lucius décrite par Apulée au livre XI de ses Métamorphoses, le seul témoignage explicite d’un 7. Sur le rôle matriciel attribué aux mystères d’Éleusis, voir N. Belayche, F. Massa, « Quelques balises introductives » ; F. Massa, « La notion de “mystères” au iie siècle de notre ère : regards païens et Christian turn », Mètis 14 (2016), p. 109-132, et l’introduction à cet ouvrage. 8. Quelques savants ont dernièrement mis en cause l’idée que la révélation initiatique consistait en la transmission d’un hieros logos, au motif qu’elle semble provenir majoritairement de textes philosophiques. À sa place, ils suggèrent que l’initiation consistait seulement en une expérience personnelle de nature mystique, une rencontre intime avec le divin émotionnellement frappante et transformatrice, mais ne comportant pas d’enseignement théologique ; ce seraient les émotions mêmes provoquées par les rituels initiatiques qui produiraient le savoir de l’initiation. Cette hypothèse est particulièrement bien formulée, depuis une approche cognitiviste, par H. Bowden, Mystery Cults, p. 156-180. Sur l’impact émotionnel de l’initiation, voir A. Chaniotis, « Emotional Community Through Ritual : Initiates, Citizens and Pilgrims as Emotional Communities in the Greek World », dans a. Chaniotis (éd.), Ritual Dynamics in the Ancient Mediterranean : Agency, Emotion, Gender, Representation, Stuttgart 2011 (HABES 49), p. 264-290 ; Id., « Staging and Feeling the Presence of God : Emotion and Theatricality in Religious Celebrations in the Roman East », dans L. Bricault, C. Bonnet (éd.), Panthée. Religious transformations in the GraecoRoman Empire, Leyde – Boston 2013 (RGRW 177), p. 131-144 ; P. Martzavou, « Isis Aretalogies, Initiations and Emotions. The Isis Aretalogies as a Source for the Study of Emotions », dans A. Chaniotis (éd.), Unveiling Emotions. Sources and Methods for the Study of Emotions in the Greek World, Stuttgart 2012 (HABES 52), p. 267-291.
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Les cultes isiaques au IIe siècle de notre ère rituel initiatique dans les cultes isiaques, sur lequel la recherche s’est concentrée jusqu’à présent. Ce récit atteste aussi d’un autre élément plus spécifique au culte d’Isis que l’on inclut généralement dans la définition de ses mystères : l’engagement personnel et régulier de l’initié dans le service cultuel, exigé par la déesse en contrepartie des bienfaits accordés lors de son initiation. Tout particulièrement, l’auteur de Madaure présente l’initiation de Lucius comme une mort volontaire et une renaissance à une nouvelle vie heureuse, placée sous la protection d’Isis9. Ceci a conduit la plupart des chercheurs à avancer que la cérémonie initiatique isiaque comportait un décès et une résurrection métaphoriques de l’initié, expérience qui aurait été ritualisée et physiquement représentée, peut-être moyennant l’enterrement symbolique de l’individu dans une crypte10. Elle supposerait une « osirianisation » du dévot, qui deviendrait un nouvel Osiris en subissant la même destinée que le dieu, et obtiendrait par ce biais le salut procuré par la déesse. Et cette « osirianisation » serait une appropriation de la tradition religieuse de l’Égypte pharaonique, dans laquelle le mort était sauvé par son identification à Osiris. Pourtant, dans les mystères isiaques du monde gréco-romain, l’identification au dieu se faisait sur le vivant et non sur le défunt, à travers le rituel initiatique. C’est la nouveauté essentielle de ces mystères : avec l’initiation, le dévot abandonnait son ancienne existence et commençait une nouvelle vie heureuse dans ce monde, qui anticipait sa destinée bienheureuse dans l’au-delà. En effet, si l’existence généralisée de perspectives eschatologiques dans tous les cultes à mystères a été mise en cause11, dans le cas particulier des cultes isiaques, il est généralement admis que l’espoir d’une immortalité outre-tombe jouait sans doute un rôle central dans les mystères, du fait qu’elle était une appropriation des croyances eschatologiques de la religion égyptienne12. 9. Apulée, Métamorphoses XI, 21, 6 : « nam et inferum claustra et salutis tutelam in deae manu posita, ipsamque traditionem ad instar uoluntariae mortis et precariae salutis celebrari » ; 21, 7 : « voluntariae mortis ; renatos ad nouae reponere rursus salutis curricula ». 10. F. Dunand, « Les mystères égyptiens », p. 21, 58 ; M. Malaise « Contenu et effets », p. 492-493 ; J. alvar Ezquerra, Romanising Oriental Gods, p. 218, 340 ; H. Bowden, Mystery Cults, p. 161 ; L. Beaurin, « Honorer Isis », p. 290-293 ; L. Bricault, Les cultes isiaques, p. 434 ; F. Dunand, « Culte d’Isis », p. 52. 11. W. Burkert, Ancient Mystery Cults, p. 15-27 ; R. L. Gordon, « Mysteries », Oxford Classical Dictionary, Oxford – New York 19993, p. 1017-1018. 12. Voir par exemple F. Dunand, « Les mystères égyptiens », p. 61-62 ; L. Bricault,
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Beatriz Pañeda Murcia Car les dieux du pays du Nil, à la différence des divinités grecques et romaines, étaient des puissances supérieures au destin pouvant délivrer les hommes de celui-ci et leur accorder une vie bienheureuse post-mortem. Mais, si ces espoirs eschatologiques sont enracinés dans la tradition religieuse égyptienne, les mystères isiaques dans leur ensemble ne le sont pas. C’est au moins l’avis partagé des savants pour lesquels ces mystères, définis par leur forme initiatique, étaient bel et bien différents des rituels osiriens célébrés dans l’Égypte pharaonique et tardive que, selon Hérodote, « les Égyptiens appelaient mystêria »13. C’étaient des représentations mimées de la passion (pathos) d’Osiris, célébrées publiquement pendant la nuit près du lac contigu au sanctuaire d’Athéna (Neith) à Saïs au mois de Khoïak (décembre)14. Contrairement à celles-ci, les mystères isiaques seraient des cérémonies d’initiation dont la célébration était indépendante des fêtes publiques et des rituels ordinaires du culte. Ils auraient été une création15 hellénistique ou romaine, faite sur le modèle éleusinien, ce qui permettrait
Les cultes isiaques, p. 430-431. L’appropriation des espoirs eschatologiques égyptiens par les dévots isiaques est cependant indépendante de toute dimension mystérique, comme l’ont démontré les études suivantes : G. Sfameni Gasparro, « The Hellenistic Face of Isis : Cosmic and Saviour Goddess », dans L. Bricault, M. J. Versluys, P. G. P. Meyboom, Nile into Tiber. Egypt in the Roman World. Proceedings of the IIIrd International Conference of Isis Studies, Leiden, May 11-14 2005, Leyde – Boston 2007 (RGRW 159), p. 40-72 ; Ead., « Après Lux perpetua de Franz Cumont : quelle eschatologie dans les “cultes orientaux” à mystères ? », dans L. Bricault, C. Bonnet (éd.), Panthée. Religious transformations in the Graeco-Roman Empire, p. 146-167, part. 161-163 ; V. Gasparini, « “I will not be thirsty. My lips will not be dry”. Individual strategies of re-constructing the afterlife in the Isiac cults », dans K. Waldner, R. L. Gordon, W. Spickermann (éd.), Burial Rituals, Ideas of Afterlife, and the Individual in the Hellenistic World and the Roman Empire, Stuttgart 2016 (Potsdamer Altertumswissenschaftliche Beiträge 57), p. 125-150. 13. Hérodote II, 171 : Ἐν δὲ τῇ λίμνῃ ταύτῃ τὰ δείκηλα τῶν παθέων αὐτοῦ νυκτὸς ποιεῦσι, τὰ καλέουσι μυστήρια Αἰγύπτιοι. 14. Sur ces fêtes, voir É. Chassinat, Le mystère d’Osiris au mois de Khoiak, 2 vol., Le Caire 1966-1968 ; L. Coulon, « Osiris chez Hérodote ? », dans L. Coulon, P. Giovannelli-Jouanna, Fl. K. Clauzet (éd.), Hérodote et l’Égypte. Regards croisés sur le Livre II de l’Enquête d’Hérodote, Lyon 2013 (Collection de la Maison de l’Orient méditerranéen ancien. Série littéraire et philosophique 51), p. 167-190. 15. Le terme « création » est souvent utilisé dans l’historiographie pour renvoyer à l’introduction de rites initiatiques de type grec dans les cultes isiaques et dénote un projet délibéré de « mystérisation » ; voir par exemple J. N. Bremmer, Initiation, p. 116.
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Les cultes isiaques au IIe siècle de notre ère justement d’expliquer pourquoi c’est Isis, au lieu d’Osiris, qui apparaît dans nos sources comme la divinité des mystères par excellence : ce serait grâce à son interpretatio en Déméter qu’elle serait devenue une déesse à mystères16. Osiris, rapproché de Dionysos dans le jeu de traductions culturelles croisées des dieux, rejoint parfois la déesse, occupant ainsi la place de son compagnon gréco-égyptien Sarapis, qui, à une exception près, semble être écarté du cadre des célébrations mystériques. Les circonstances dans lesquelles aurait eu lieu la création des mystères ne sont cependant pas aisées à déceler, car les possibles témoignages d’une composante mystérique sont minces et d’interprétation douteuse avant le iie siècle de notre ère, moment où l’on considère qu’elle est déjà intégrée dans les cultes isiaques. En effet, une communis opinio de la littérature académique considère que c’est au iie siècle – qui coïncide avec la présence maximale des divinités isiaques dans la Méditerranée – que ces mystères se sont consolidés et ont atteint leur apogée17. Concernant leur création, la plupart des savants la font remonter à l’époque hellénistique : certains la mettent en rapport avec l’intervention du hiérophante Timothée l’Eumolpide dans l’invention de Sarapis18, tandis que les plus nombreux la consi-
16. F. Dunand, « Signification et limites de l’hellénisation d’Isis », dans E. Leospo, D. Taverna (éd.), La Grande Dea tra passato e presente : forme di cultura e di sincretismo relative alla dea madre dall’antichità a oggi. Atti del convegno di studi 14-15 maggio 1999, Torino, Archivio di Stato, Turin 2000 (Tropi isiaci I), p. 7-15 ; M. Malaise, « Le problème de l’hellénisation d’Isis », dans L. Bricault (éd.), De Memphis à Rome. Actes du Ier Colloque international sur les études isiaques. Poitiers-Futuroscope, 8-10 avril 1999, Leyde – Boston – Cologne 2000 (RGRW 140), p. 1-19 ; G. Sfameni Gasparro, « The Hellenistic Face of Isis ». 17. On reconnaît trois phases de « diffusion » des cultes isiaques dans la Méditerranée hellénistique et romaine, la troisième s’amorçant dans le dernier tiers du ier siècle avec la promotion d’Isis et Sarapis par la dynastie flavienne. Voir L. Bricault, Atlas de la diffusion des cultes isiaques (iVe s. av. J.-C.-iVe s. apr. J.-C.), Paris 2001 ; Id., « La diffusion isiaque : une esquisse », dans R. Bol, D. Kreikenbom (éd.), Sepulkral- und Votivdenkmäler östlicher Mittelmeergebiete (7.Jh.v.Chr.-1.Jh.n.Chr.). Kulturbegegnungen im Spannungsfeld von Akzeptanz und Resistenz. Internationales Symposium Johannes Gutenberg-Universität Mainz, 1.-3. November 2001, Paderborn 2004, p. 548-556. 18. La venue de l’Eumolpide en Égypte pour l’invention du dieu aurait été aussi l’occasion de faire d’Isis une déesse plus grecque ; dans le contexte de cette « hellénisation » elle serait devenue une déesse de mystères. S. Pfeiffer, « The god Serapis, his cult, and the beginnings of the ruler cult in Ptolemaic Egypt », dans
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Beatriz Pañeda Murcia dèrent comme le produit des processus de réception et d’appropriation de la gens Isiaca dans la Méditerranée orientale19. Mais on envisage aussi la possibilité d’une datation d’époque impériale, notamment à la fin du ier ou au début du iie siècle de notre ère20. Plusieurs aspects de cette construction historiographique des mystères isiaques ont été récemment mis en question dans le cadre de la reconsidération générale sur les mystères menée par le groupe de recherche que dirigent Nicole Belayche et Francesco Massa. En effet, leur enquête a mis en évidence qu’il n’existe pas une catégorie univoque de « mystères gréco-romains » ou « au sens grec du terme », définie principalement par la forme initiatique des cultes et par l’impact émotionnel de l’initiation sur l’individu21. Cette notion est l’héritage moderne d’un modèle mystérique qui se met en place au iie siècle de notre ère, dans le contexte d’un changement du discours sur les mystères et de leur interprétation par les anciens, sans doute affecté, voire impulsé, par la croissante utilisation de la terminologie mystérique en milieu chrétien. Ce modèle est fondé sur l’exemple d’Éleusis, qui est devenu le paradigme et le référent pour la représentation littéraire des autres mystères, tant chez les auteurs païens que chez les chrétiens22. Selon toute vraisemblance, c’est à ces derniers que l’on doit la construction du modèle, car c’est dans leurs écrits polémiques qu’il
P. McKechnie, P. Guillame (éd.), Ptolemy II Philadelphus and his world, Leyde – Boston 2008 (Mnemosyne Suppl. 300), p. 387-408, part. 392 ; V. Gasparini, R. L. Gordon, « Egyptianism. Appropriating “Egypt” in the “Isiac Cults” of the Graeco-Roman World », Acta Antiqua Academiae Scientiarum Hungaricae 58 (2018), p. 571-606, part. 579. 19. Voir dernièrement G. Woolf, « Isis and the Evolution of Religions », dans L. Bricault, M. J. Versluys (éd.), Power, Politics and the Cults of Isis, Proceedings of the Vth International Conference of Isis Studies, Boulogne-sur-Mer, October 13-15, 2011, Leyde – Boston 2014 (RGRW 180), p. 62-92, part. 76-77 ; M. J. Versluys, « Orientalising Roman Gods », dans L. Bricault, C. Bonnet (éd.), Panthée. Religious transformations in the Graeco-Roman Empire, p. 235-259, part. 254 ; R. Veymiers, « Les mystères isiaques ». 20. J. N. Bremmer, Initiation, p. 113. 21. N. Belayche, F. Massa, « Quelques balises introductives ». De même, T. J. Wellman, « Ancient Mysteria and Modern Mystery Cults », Religion and Theology 12, 3/4 (2005), p. 308-348 ; R. L. Gordon, « On the problems of initiation », Journal of Roman Archaeology 29 (2016), p. 720-725. 22. F. Massa, « La notion de “mystères” » ; N. Belayche, F. Massa, « Quelques balises introductives » ; F. Massa, « Le mythe fait-il le mystère ? », p. 704-705 ; Id., « ÉleusisRome aller/retour. Mobilités religieuses autour des mystères éleusiniens à l’époque
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Les cultes isiaques au IIe siècle de notre ère est pour la première fois appliqué à un ensemble de cultes divers, qui inclut les mystères grecs (Éleusis, Samothrace, Dionysos, etc.) et les cultes dits « orientaux » (Cybèle et Attis, la gens Isiaca, Mithra), donnant ainsi lieu à la notion large et totalisante de « mystères païens ». La conviction que les mystêria d’Éleusis ont joué un rôle de matrice pour les autres cultes à mystères, et tout particulièrement pour les isiaques, relève de cette catégorie construite, plutôt que de la réalité historique. À cette importante conclusion s’ajoutent les constats de deux études récentes qui ont traité la question des rapports entre Isis et Déméter dans la pratique religieuse, particulièrement dans la région de l’Attique et à Délos, où les cultes isiaques étaient bien implantés depuis la haute époque hellénistique. Ces enquêtes ont révélé qu’aucun document littéraire ni épigraphique ne témoigne d’un rapprochement ou d’une identification d’Isis et de Déméter dans le domaine cultuel, pas plus que de l’existence de mystères isiaques durant les périodes hellénistique et romaine23. Ceci nous invite à mettre en cause la conviction historiographique selon laquelle l’interpretatio d’Isis en Déméter, attestée dans le cadre d’interactions culturelles gréco-égyptiennes, aurait favorisé l’introduction de rites initiatiques de type éleusinien dans les cultes isiaques. De plus, il faut bien tenir compte du fait qu’il n’existe pas d’attestation de la célébration des mystères de Déméter hors d’Éleusis. Il paraît donc peu logique de considérer que là où ils étaient célébrés, les mystères isiaques étaient configurés selon le modèle éleusinien, car cette idée ne rend pas compte des multiples axes de « diffusion » de la gens Isiaca, des agents variés impliqués dans ces processus, et de l’agency des communautés et des individus qui adoptaient et réinterprétaient leur culte. Ces constats nous conduisent à abandonner l’idée que les mystères isiaques furent créés à l’époque gréco-romaine moyennant l’introduction de cérémonies initiatiques dans les cultes de la gens Isiaca, façonnées selon le modèle éleusinien et qui constituaient en elles-mêmes
impériale », dans B. Amiri (éd.), Migrations et mobilité religieuse. Espaces, contacts, dynamiques et interférences, Besançon 2020, p. 271-293. 23. E. Muñiz Grijalvo, « The Egyptian Cults in Roman Athens », dans C. Bonnet, V. Pirenne-Delforge, D. Praet (éd.), Les « religions orientales » dans le monde grec et romain : cent ans après Cumont (1906-2006), Bruxelles – Rome 2009, p. 325-341 ; E. Matricon-Thomas, « Recherches sur les cultes orientaux à Athènes, du ve siècle avant J.-C. au ive siècle après J.-C. », 2 vol., II, Thèse de l’université Jean Monnet, Saint-Étienne 2011, p. 315.
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Beatriz Pañeda Murcia l’acte central, sinon la totalité des mystères. D’autres formes mystériques, non initiatiques, sont possibles. De fait, des recherches récentes ont déjà démontré que le caractère initiatique ne se retrouve pas dans toutes les cérémonies appelées mystêria dans les sources antiques, comme c’est le cas des mystères de l’Artémis d’Éphèse24. Aussi, doit-on envisager la possibilité que les mystères isiaques ne consistaient pas en l’expérience individuelle et transformatrice décrite par Apulée, et qu’ils étaient peut-être davantage enracinés dans la tradition religieuse égyptienne qu’on ne l’a envisagé. Il s’avère donc nécessaire d’interroger la problématique des mystères isiaques à nouveaux frais et, pour ce faire, il convient de prendre en considération le changement de paradigme qui s’est produit dans le cadre des études isiaques au cours des quinze dernières années environ, à savoir le dépassement de la notion de « diffusion » qui a longtemps guidé la recherche. On a effectivement abandonné l’approche top-down traditionnelle (i.e. l’image de divinités égyptiennes se diffusant du cœur nilotique à une périphérie), en faveur d’un point de vue bottom-up qui met l’accent sur les processus de réception et sur les diverses stratégies d’appropriation et de réinvention des manifestations religieuses dans les contextes locaux. Dans cette perspective, on a adopté l’idée d’une « création religieuse continue » selon laquelle les cultes isiaques, reçus et appropriés de manière différente selon les époques, les lieux et les contextes socio-culturels, sont constamment réinterprétés et réinventés par les dévots, qui deviennent par-là même les auteurs d’un processus créatif dans lequel convergent des éléments globaux et des spécificités locales25. On souligne ainsi le dynamisme du religieux et l’hétérogénéité des honneurs rituels rendus aux dieux isiaques dans la Méditerranée ancienne.
24. N. Belayche, « Les hiérophantes marqueurs des “mystères” ? Le cas de l’Artémis éphésienne », Mètis N.S. 14 (2016), p. 49-74. 25. J. Alvar Ezquerra, Romanising Oriental Gods, p. 296 ; V. Gasparini, « Les cultes isiaques et les pouvoirs locaux en Italie », dans L. Bricault, M. J. Versluys, Power, Politics and the Cults of Isis, p. 260-299, part. 287-288 ; G. Sfameni Gasparro, « Il culto di Iside nel mondo ellenistico-romano tra “diffusione” e “creazione” continua. Per un nuovo modello interpretativo », Mare Internum 8 (2016), p. 13-20 ; Ead., « Identités religieuses isiaques : pour la définition d’une catégorie historico-religieuse », dans V. Gasparini, R. Veymiers (éd.), Individuals and Materials in the Greco-Roman Cults of Isis : Agents, Images and Practices. Proceedings of the VIth Conference of Isis Studies (Erfurt, May 6-8 – Liège, September 23-24, 2013), II, Leyde – Boston 2018 (RGRW 187), p. 74-107, part. 87 et 106-107. Cette idée correspond aussi à l’approche
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Les cultes isiaques au IIe siècle de notre ère L’implantation des cultes isiaques dans les communautés grécoromaines, auparavant étudiée comme un phénomène religieux isolé, a donc été recontextualisée dans le cadre beaucoup plus large des dynamiques d’interaction culturelles croisées entre l’Égypte, la Grèce et Rome, ainsi que dans le domaine de la réception et l’appropriation de l’Égypte comme concept culturel, dans la Méditerranée hellénistique et romaine26. C’est dans ce dernier champ de recherche que se sont développées les notions d’« égyptianisme » et d’« égyptianisation ». La première dénote des idées et des regards sur l’Égypte, propres à des contextes spécifiques – temporels, géographiques et socio-culturels – et dépendants des intérêts et des buts particuliers des agents qui participent à leurs appropriations. De son côté, l’« égyptianisation » (tout comme le verbe « égyptianiser ») conceptualise l’élaboration d’une altérité « égyptienne » et les processus d’inclusion de cette altérité construite dans la culture propre27. Autrement dit, elle exprime l’adoption et l’intégration d’éléments, réels ou imaginés, associés à l’« autre » égyptien dans un contexte socio-culturel et une sphère d’activité donnés. Sans doute, dans l’Antiquité hellénistique et romaine, les divinités isiaques et leurs cultes véhiculaient des regards sur l’Égypte et sa religion qui, avec la réception de la gens Isiaca dans toute la Méditerranée, furent appropriés et réélaborés dans des sphères diverses comme la littérature, la philosophie, la politique et l’idéologie impériales, et
de la Lived Ancient Religion, appliquée à l’étude des cultes isiaques par V. Gasparini, R. L. Gordon, « Egyptianism ». 26. M. J. Versluys, « Understanding Egypt in Egypt and Beyond », dans L. Bricault, M. J. Versluys (éd.), Isis on the Nile. IVth Egyptian Gods in Hellenistic and Roman Egypt. Proceedings of the International Conference of Isis Studies, Liège, November 27-29 2008, Leyde – Boston 2010 (RGRW 171), p. 7-36 ; I. S. Moyer, Egypt and the Limits of Hellenism, Cambridge (MA) 2011 ; M. J. Versluys, « Making meaning with Egypt : Hadrian, Antinous and Rome’s cultural renaissance », dans L. Bricault, M. J. Versluys (éd.), Egyptian gods in the Hellenistic and Roman Mediterranean : Image and reality between local and global. Proceedings of the IInd International PhD workshop on Isis studies, Leiden University, January 26-2011, Caltanissetta 2012 (Mythos Suppl. 3), p. 25-39 ; Id., « Orientalising Roman Gods » ; Id., « Egypt as part of the Roman koine : Mnemohistory and the Iseum Campense in Rome », dans S. Nagel, J. F. Quack, Ch. Witschel (éd.), Entangled Worlds, p. 274293 ; V. Gasparini, R. L. Gordon, « Egyptianism ». 27. Cf. G. Baumann, « Grammars of Identity/Alterity : A Structural Approach », dans G. Baumann, A. Gingrich (éd.), Grammars of Identity/Alterity : A Structural Approach, New York – Oxford 2006 [20041], p. 18-50.
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Beatriz Pañeda Murcia l’activité cultuelle isiaque elle-même28. Concernant ces deux derniers domaines, on constate une égyptianisation des cultes isiaques en milieu romain à partir de l’époque flavienne, indubitablement en lien avec le patronage impérial d’Isis et Sarapis et avec l’appropriation de l’imaginaire égyptien par les Flaviens accédant au pouvoir, puis par Hadrien dans la construction de son empire universel29. L’origine égyptienne des divinités, ainsi que l’exotisme et l’étrangeté de leurs cultes, furent alors accentués moyennant l’introduction d’éléments matériels et de pratiques associés à l’« Égypte », qu’ils soient appropriés à partir de la tradition égyptienne ou inventés30. De ce fait, les cultes isiaques au iie siècle de notre ère apparaissaient plus « égyptiens » que jamais, mais étaient-ils aussi plus mystériques qu’auparavant ? Les acquis de la recherche sur la réception de l’Égypte dans le monde gréco-romain n’ont pas été vraiment appliqués dans l’enquête sur les mystères isiaques, alors que les notions d’« égyptianisme » et d’« égyptianisation » s’avèrent deux outils de travail fondamentaux à ce sujet. Car en vérité, notre vision des mystères d’Isis et Osiris n’est pas seulement tributaire de la catégorie chrétienne des « mystères païens », mais elle est aussi biaisée par des égyptianismes, notamment par une représentation de l’Égypte qui était très répandue dans
28. Ces appropriations de l’Égypte à travers des cultes isiaques ont été récemment analysées par Richard L. Gordon et Valentino Gasparini, qui proposent de les synthétiser en neuf « conceptions of Egyptianist enterprise » : V. Gasparini, R. L. Gordon, « Egyptianism ». 29. Sur le rôle joué par l’Égypte et ses dieux dans l’accès au pouvoir et la légitimation de la dynastie flavienne, ainsi que dans la politique d’Hadrien, on consultera les synthèses récentes de L. Bricault, V. Gasparini, « I Flavi, Roma e il culto di Isis », dans C. Bonnet, E. Sanzi (éd.), Roma, la città degli dèi. La capitale dell’Impero come laboratorio religioso, Rome 2018 (Studi Superiori 117), p. 121-136, et E. Muñiz Grijalvo, « Adriano y la religión egipcia. Perspectivas pasadas y presentes », dans M. Romero Recio, (éd.), El legado de los emperadores hispanos, Sevilla 2019, p. 81-95. 30. Les savants ont depuis longtemps signalé l’aspect remarquablement exotique et « égyptianisant » que présentent les cultes isiaques en milieu romain, davantage qu’en Grèce. Voir dernièrement M. J. Versluys, « Orientalising Roman Gods », p. 255 ; V. Gasparini, R. L. Gordon, « Egyptianism », p. 584 ; A. Alvar Nuño, J. Alvar Ezquerra, C. Martínez Maza, « Total Sensory Experience in Isiac Cults : Mimesis, Alterity and Identity », dans A. Alvar Nuño, J. Alvar Ezquerra, G. Woolf (éd.), Sensorium : Sensory Perceptions in Roman Polytheism, Leyde – Boston, à paraître.
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Les cultes isiaques au IIe siècle de notre ère l’Antiquité classique et qui fut reçue à travers l’histoire et spécialement réinterprétée dans le Siècle des Lumières : le regard du pays du Nil comme le territoire de l’origine des mystères divins. Égyptianismes et mystères dans les sources littéraires Depuis les temps archaïques, l’Égypte se présentait aux yeux des Grecs comme le berceau de l’humanité et de la civilisation, donc comme le lieu d’origine du langage, de l’écriture, des lois et de la religion, comme le dépôt d’une sagesse cosmologique ancestrale et exclusive, non dévoilée, préservée en secret par les prêtres. Pour les auteurs gréco-romains, ces derniers incarnaient le stéréotype du « sage oriental », distingué par son expertise rituelle et ses profondes connaissances sur le cosmos et ses dieux31. On leur attribuait l’invention du « chiffrage » des vérités religieuses et théologiques, de l’alètheia peri tôn theôn selon l’expression de Plutarque32, un chiffrage qui passait par l’écriture hiéroglyphique. En effet, les hiéroglyphes n’étaient pas seulement conçus comme un système de communication, mais aussi et surtout comme un moyen de codification d’une sagesse ésotérique et divine. Ils constituaient un système d’écriture sacrée, destiné aux usages religieux et seulement compris par les prêtres, qui se différenciait ainsi de l’écriture démotique, liée à la sphère publique et aux usages profanes. Comme l’a démontré Jan Assmann, la distinction entre ces deux systèmes d’écriture est déjà établie chez Hérodote et donna lieu, chez les auteurs anciens d’abord, puis chez les intellectuels 31. Chr. Froidefond, Le mirage égyptien dans la littérature grecque d’Homère à Aristote, Aix-en-Provence 1971 ; commentaire de Chr. Froidefond à Plutarque, Isis et Osiris. Texte établi et traduit par Chr. Froidefond, Paris 1988 ; F. Chamoux, « L’Égypte d’après Diodore de Sicile », dans J. Leclant (éd.), Entre Égypte et Grèce. Actes du 5e colloque de la Villa Kérylos à Beaulieu-sur-Mer du 6 au 9 octobre 1994, Paris 1995 (Cahiers de la Villa Kérylos 5), p. 37-50, part. 39-40 ; D. Frankfurter, Religion in Roman Egypt. Assimilation and Resistance, Princeton 1998, p. 198-237 ; Id., « The Consequences of Hellenism in Late Antique Egypt : Religious Worlds and Actors », Archiv für Religionsgeschichte 2 (2000), p. 162-194 ; I. S. Moyer, Egypt and the Limits of Hellenism, p. 42-83 ; J. Assmann, « Egyptian Mysteries and Secret Societies in the Age of Enlightenment », dans Id., From Akhenaten to Moses : Ancient Egypt and Religious Change, Le Caire – New York 2014, p. 95-112 = « Egyptian Mysteries and Secret Societies in the Age of Enlightenment. A “mnemo-historical” study », Aegyptiaca. Journal of the History of Reception of Ancient Egypt 1 (2017), p. 4-25. 32. Plutarque, Isis et Osiris 1 [351 E].
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Beatriz Pañeda Murcia du Siècle des Lumières, à l’idée d’une division profonde de la religion ou de la culture et de la société égyptiennes, car on leur attribuait un faciès ésotérique, mystérieux, restreint à la communauté sacerdotale et non dévoilé au reste du peuple, qui pour sa part participait aux manifestations culturelles et religieuses publiques, tels les mythes, créés comme la face visible des connaissances sacrées33. Aussi la religion égyptienne était-elle considérée comme une source de vérités sur l’univers et les dieux et, du fait du silence qui entourait ces savoirs et de leur transmission via des textes hiéroglyphiques, elle se présentait comme entièrement énigmatique, exigeant un déchiffrement. Par là, la religion égyptienne était tout naturellement mystérique et ses prêtres, qui maîtrisaient l’écriture hiéroglyphique et avaient le privilège d’accéder au monde des dieux à des degrés divers, étaient des initiés34. Ainsi, pour les auteurs grecs et romains, la terre de l’origine de la religion était aussi tout logiquement la terre de l’origine des mystères. Et ces mystères égyptiens se rapportaient d’ailleurs principalement à la théologie et aux rituels du culte d’Osiris et Isis, sans doute parce que c’étaient les divinités les plus importantes dans l’Égypte tardive et gréco-romaine, et les dieux égyptiens les plus connus et honorés dans toute la Méditerranée35.
33. J. Assmann, « Egyptian Mysteries » (2017), p. 12-14 ; Id., Religio Duplex. How the Enlightenment Reinvented Egyptian Religion, Londres 2014 [20101]. Voir aussi le commentaire de Chr. Froidefond à Plutarque, Isis et Osiris, p. 75-80. 34. L’idée que la religion égyptienne est entièrement mystérique apparaît spécialement élaborée chez Plutarque, Isis et Osiris, 9 et 10 [354 B-355 A]. Le service sacerdotal égyptien imposait certainement l’acquisition d’un savoir spécialisé, qui passait principalement par la maîtrise de l’écriture hiéroglyphique, support des « paroles des dieux ». L’acquisition graduelle des rudiments de l’écriture hiéroglyphique est d’ailleurs présentée par les auteurs de l’époque impériale comme une initiation, car elle implique le passage du profane (le démotique) au sacré. Voir L. Coulon, « Le clergé à l’époque pharaonique ; organisation, recrutement et statut », dans L. Coulon, P.-L. Gatier (éd.), Le clergé dans les sociétés antiques : statut et recrutement, Paris 2018, p. 35-58 ; Y. Volokhine, « Prêtres et temples en Égypte gréco-romaine », ibid., p. 59-76. 35. On notera chez Sarapis, né d’un bricolage religieux gréco-égyptien orchestré par les Ptolémées, le manque de tradition religieuse égyptienne et de ses connotations mystériques. Sur ce dieu, voir Ph. Borgeaud, Y. Volokhine, « La formation de la légende de Sarapis : une approche transculturelle », Archiv für Religionsgeschichte 2 (2000), p. 37-76 ; N. Belayche, « Le possible “corps” des dieux : retour sur Sarapis », dans F. Prescendi, Y. Volokhine (éd.), Dans le laboratoire de l’historien des religions. Mélanges offerts à Philippe Borgeaud, Genève 2011 (Religions en Perspective 24), p. 227-250.
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Les cultes isiaques au IIe siècle de notre ère De même, l’antériorité, voire la supériorité, de l’Égypte par rapport à la Grèce menait les Grecs à établir des liens de filiation et d’assimilation entre les institutions et usages égyptiens et les leurs propres. Par exemple, Hérodote était certainement soucieux de tisser des liens généalogiques entre les dieux égyptiens et leurs cultes et ceux des Grecs, et il affirma que les mystères grecs avaient une origine égyptienne36. En effet, il soutenait que les doctrines et les prescriptions cultuelles du pythagorisme, de l’orphisme et des mystères dionysiaques avaient été empruntées au peuple égyptien par des personnages légendaires des Hellènes, et que c’était donc à travers ces manifestations philosophiques et religieuses que la sagesse du pays du Nil avait imprégné la morale, la philosophie et la science grecques de son époque37. Ce « mirage égyptien », selon l’expression heureuse de Christian Froidefond, émerge certainement dans la littérature ancienne avec Hérodote et Hécatée d’Abdère et y demeure bien présent jusqu’à la fin de l’Antiquité, faisant l’objet de multiples appropriations dans des contextes socio-culturels divers et avec différentes intentions38. Et c’est ce « mirage » qui se trouve à l’origine de l’emploi du lexique mystérique en rapport avec Isis et Osiris chez nombre d’auteurs anciens, polythéistes autant que chrétiens, qui désignent avec cette terminologie des rituels propres à la tradition religieuse égyptienne. Tel est le cas de Diodore de Sicile qui, dans le premier livre de sa Bibliothèque historique (c. 30 avant notre ère) consacré à l’Égypte, utilise ce lexique pour se référer à des pratiques religieuses égyptiennes, notamment aux rituels secrets commémorant la passion d’Osiris que seuls les prêtres pouvaient accomplir, ainsi qu’aux doctrines sacrées préservées en secret par le clergé39. Ainsi, dans sa lecture évhémériste de l’Égypte, de ses mythes et de ses dieux, selon laquelle Osiris et Isis 36. Dans le même esprit s’inscrit son affirmation sur l’origine égyptienne des onomata divins, qui a fait l’objet d’un long débat historiographique. Voir W. Burkert, « Herodot über die Namen der Götter : Polytheismus als historisches Problem », dans W. Rösler (éd.), Kleine Schriften VII, Tragica et Historica, Göttingen 2007 (Hypomnemata Suppl. 2, 7), p. 161-172 [1re éd. Museum Helveticum 42, 2 (1985), p. 121-132]. 37. Hérodote II, 49 ; 81 ; 123 ; Chr. Froidefond, Le mirage égyptien, p. 188-189. 38. Chr. Froidefond, Le mirage égyptien ; V. Gasparini, R. L. Gordon, « Egyptianism ». 39. Diodore de Sicile, Bibliothèque historique I, 21 ; 27 ; 86. Voir F. Chamoux, « L’Égypte d’après Diodore de Sicile ». Sur l’auteur et son ouvrage en général, voir I. Sulimani, Diodorus’ mythistory and the pagan mission. Historiography and cultureheroes in the first pentad of the Bibliotheke, Leyde – Boston 2011 (Mnemosyne
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Beatriz Pañeda Murcia furent des rois humains civilisateurs divinisés après leur mort, l’auteur attribue à Isis et à Hermès/Thot l’instauration des teletai en l’honneur d’Osiris après son décès et son apothéose, et affirme que ces dieux « introduisirent beaucoup de choses en secret » (πολλὰ μυστικῶς εἰσηγήσασθαι) dans le culte osirien40. Ceux-ci furent les premiers mystères, auxquels s’ajoutèrent peu après les cérémonies établies en l’honneur d’Isis. Les mystères grecs dérivent d’eux car Orphée, qui visita l’Égypte, et le roi athénien Érechthée, lui-même d’origine égyptienne, empruntèrent les rituels secrets et les rites orgiastiques de ce couple divin et les introduisirent en Grèce, le premier dans l’orphisme et le culte de Dionysos, le deuxième dans les cultes d’Éleusis41. Les liens généalogiques entre les mystères égyptiens et les mystères grecs déjà tissés par Hérodote s’avèrent donc plus élaborés et réaffirmés dans le récit de Diodore. Pareillement, le « mirage égyptien » réapparaît dans le milieu du moyen-platonisme dans le célèbre traité de Plutarque De Iside et Osiride (c. 120 de notre ère), qui offre une exégèse allégorique des mythes et des rites égyptiens d’Isis et Osiris42. Or, selon la judicieuse hypothèse de Daniel S. Richter, Plutarque reprend cette vision sur l’Égypte pour la réfuter, dans le but de renégocier le statut dérivatif ou secondaire de la sagesse et de la religion grecques par rapport à celles du peuple égyptien. Le philosophe de Chéronée était peu disposé à
Suppl. 331) ; C. E. Muntz, Diodorus Siculus and the world of the late Roman Republic, New York 2017. 40. Diodore de Sicile, Bibliothèque historique I, 20, 6 : τούτους δὲ καὶ τελετὰς καταδεῖξαι καὶ πολλὰ μυστικῶς εἰσηγήσασθαι, μεγαλύνοντας τοῦ θεοῦ τὴν δύναμιν. À comparer avec Plutarque, Isis et Osiris 27 [361 D-E], commenté ci-dessous. 41. Cette idée est répétée maintes fois dans la Bibliothèque historique. Elle est peutêtre exprimée le plus clairement dans I, 94, 6-7 : Ὀρφέα μὲν γὰρ τῶν μυστικῶν τελετῶν τὰ πλεῖστα καὶ τὰ περὶ τὴν ἑαυτοῦ πλάνην ὀργιαζόμενα καὶ τὴν τῶν ἐν ᾅδου μυθοποιίαν ἀπενέγκασθαι. τὴν μὲν γὰρ Ὀσίριδος τελετὴν τῇ Διονύσου τὴν αὐτὴν εἶναι, τὴν δὲ τῆς Ἴσιδος τῇ τῆς Δήμητρος ὁμοιοτάτην ὑπάρχειν, τῶν ὀνομάτων μόνων ἐνηλλαγμένων· 42. Sur l’abondante bibliographie suscitée par cet ouvrage, voir en particulier les éditions commentées : J. Gwyn Griffiths, Plutarch’s De Iside et Osiride. Edited with an introduction, translation and commentary by J. Gwyn Griffiths, Cardiff 1970 ; Plutarque, Isis et Osiris. Texte établi et traduit par Chr. Froidefond, Paris 1988 ; et le récent ouvrage collectif M. Erler, M. A. Stadler (éd.), Platonismus und spätägyptische Religion : Plutarch und die Ägyptenrezeption in der römischen Kaiserzeit, Berlin 2017 (Beiträge zur Altertumskunde 364). Voir aussi les références données dans les notes suivantes.
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Les cultes isiaques au IIe siècle de notre ère accepter cette idée et son intention en écrivant le De Iside et Osiride était de revendiquer la priorité et la supériorité de la philosophie grecque sur la religion du pays du Nil43. Dans cette perspective, Plutarque admet que la religion égyptienne renferme des mystères divins qu’il conçoit comme des dépôts de la vérité primordiale et universelle portant sur le cosmos et les dieux ; cette sagesse y est préservée chiffrée dans les langages mythologique et rituel et sous l’interdit du silence imposé aux prêtres. C’est la vérité ancestrale que la philosophie vise à découvrir. Ainsi, philosophie et mystères – notamment la religion égyptienne, entièrement mystérique, mais aussi les mystères grecs – sont, pour lui, deux voies d’accès aux arcanes cosmologiques et théologiques. Cependant, les seconds demeurent, en dernier ressort, dépendants de la première, car la seule pratique des rituels mystériques ne permet pas d’atteindre une telle sagesse ; celle-ci n’est accessible qu’à travers la raison. Il faut donc une réflexion ou exégèse philosophique du mythe et du culte pour affranchir cette vérité des langages mythologique et rituel dans lesquels elle est exprimée. De ce fait, la philosophie, d’origine grecque, apparaît supérieure à la religion44. Dans ce discours, Plutarque emploie le lexique mystérique comme Diodore de Sicile, pour désigner les rituels propres au culte égyptien d’Isis et Osiris et les doctrines secrètes préservées par les prêtres. Il ne s’intéresse pas aux honneurs rendus à ce couple divin hors d’Égypte, soit aux pratiques religieuses isiaques, qu’il n’évoque que rarement dans son traité et à des fins comparatistes45. Aussi s’avère-t-il problématique de considérer ce texte comme une source pour l’étude des mystères isiaques dans le monde gréco-romain, surtout sans tenir compte de l’égyptianisme et des intentions et de la pensée de son auteur.
43. D. S. Richter, « Plutarch on Isis and Osiris : Text, Cult, and Cultural Appropriation », Transactions of the American Philological Association 131 (2001), p. 191-216. 44. J. Hani, La religion égyptienne dans la pensée de Plutarque, Paris 1976 ; commentaire de Chr. Froidefond à Plutarque, Isis et Osiris ; D. S. Richter, « Plutarch on Isis and Osiris » ; P. Van Nuffelen, « Mystical Silence as a Philosophical and Rhetorical Tool in Plutarch », Hermathena 182 (2007), p. 9-39. 45. Nombre de savants ont insisté sur les amples connaissances de Plutarque sur la religion de l’Égypte gréco-romaine et même des périodes précédentes, qui font de son traité une source importante pour l’égyptologie. Voir J. Gwyn Griffiths, Plutarch’s De Iside et Osiride, p. 47-48 ; J. Hani, La religion égyptienne ; Chr. Froidefond dans Plutarque, Isis et Osiris, p. 30, 99, 148 ; D. S. Richter, « Plutarch on Isis and Osiris », p. 192, 199 et n. 27.
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Beatriz Pañeda Murcia Sur cette base, il convient de s’arrêter sur un passage que l’on a souvent lu comme témoignant de l’existence de cérémonies d’initiation dans les cultes isiaques et de la célébration de drames sacrés pendant celles-ci : ἡ δὲ τιμωρὸς Ὀσίριδος ἀδελφὴ καὶ γυνὴ τὴν Τυφώνος σβέσασα καὶ καταπαύσασα μανίαν καὶ λύσσαν οὐ περιεῖδε τοὺς ἄθλους καὶ τοὺς ἀγῶνας, οὓς ἀνέτλη, καὶ πλάνας αὑτῆς καὶ πολλὰ μὲν ἔργα σοφίας, πολλὰ δ’ ἀνδρείας ἀμνηστίαν ὑπολαβοῦσαν καὶ σιωπήν, ἀλλὰ ταῖς ἁγιωτάταις ἀναμείξασα τελεταῖς εἰκόνας καὶ ὑπονοίας καὶ μιμήματα τῶν τότε παθημάτων, εὐσεβείας ὁμοῦ δίδαγμα καὶ παραμύθιον ἀνδράσι καὶ γυναιξὶν ὑπὸ συμφορῶν ἐχομένοις ὁμοίων καθωσίωσεν. Comment celle qui vengea Osiris, sa sœur et épouse, lorsqu’elle eut éteint et refréné la folle rage de Typhon, ne voulut pas admettre que les combats et les luttes endurés par elle, que ses courses errantes et tant d’actes de sagesse, tant d’actes de vaillance fussent la proie de l’oubli et du silence, et incorpora dans les rites les plus sacrés des images, des symboles et des représentations de ses épreuves d’alors, consacrant en eux une leçon en même temps qu’un exemple de courage pour les hommes et les femmes qu’accableraient les mêmes malheurs46.
Cet extrait s’inscrit dans le cadre d’une interprétation évhémériste des mythes d’Isis et Osiris et il est sans doute comparable au récit de Diodore de Sicile sur l’instauration de rituels en l’honneur du dieu mort par Isis et Hermès/Thot. Les deux passages correspondent à un registre mythologique et relèvent d’une représentation de l’histoire et de la religion égyptiennes qui ne rend pas compte des realia rituels des cultes isiaques dans la Méditerranée gréco-romaine. En outre, le large champ sémantique que recouvre le terme teletê n’impose pas la traduction « initiation » sans qu’un autre élément du contexte ne suggère cette signification. Compte tenu du cadre égyptien dans lequel s’inscrivent ici les agiôtatai teletai47, autant que de l’absence de rituels d’initiation pour les dévots dans la tradition religieuse de l’Égypte, il faudrait plutôt considérer que, si les mimêmata instaurés par Isis
46. Plutarque, Isis et Osiris 27 [361 D-E] (trad. Chr. Froidefond). Ce passage a été largement interprété comme une preuve de l’existence de mystères initiatiques isiaques : J. Gwyn Griffiths, Plutarch’s De Iside, p. 390-391 ; F. Dunand, « Les mystères égyptiens », p. 44 ; M. Malaise, « Contenu et effets », p. 486-488 ; U. Bianchi, « Iside dea misterica », p. 28-32 ; R. Veymiers, « Les mystères isiaques ». 47. Sur l’enracinement égyptien de ces rites voir J. Hani, La religion égyptienne, p. 344-347.
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Les cultes isiaques au IIe siècle de notre ère se rapportent effectivement à une réalité rituelle, ce ne sont pas des drames sacrés ayant lieu lors de l’initiation isiaque, mais des représentations dramatisées de la passion d’Osiris qui se déroulaient dans les temples égyptiens lors des fêtes de Khoïak, celles qu’Hérodote appelait mystêria. On notera qu’Hérodote comme Plutarque indiquent que ces dramatisations reproduisaient le pathos des dieux : notamment la passion d’Osiris chez l’historien d’Halicarnasse et les souffrances d’Isis chez le philosophe de Chéronée. Or, dans l’imaginaire grec depuis l’époque classique, les mystères sont réputés baigner dans une atmosphère émotionnelle pathétique, relevant tant des mythes divins que des rituels accomplis par les acteurs du culte. De même, les « courses errantes » des divinités et leur mise en scène rituelle étaient bien caractéristiques des mystêria éleusiniens48. Aussi peut-on considérer que l’identification de ces éléments ou d’autres semblables dans les pratiques de la religion égyptienne aurait favorisé, chez les auteurs hellénophones, l’emploi du lexique grec à connotation mystérique pour désigner ce type de pratiques, et aurait peut-être renforcé l’image gréco-romaine de l’Égypte comme terre de l’origine des mystères49. Par ailleurs, la réception et l’appropriation des cérémonies osiriennes de Khoïak en Grèce et à Rome donnèrent lieu aux fêtes de l’inventio Osiridis ou Isia, célébrées fin octobre-début novembre, et dont l’élément central était aussi la dramatisation de la quête d’Isis et
48. Sur les émotions « pathétiques des dévots » déclenchées lors de l’expérience initiatique dans les mystères grecs, on citera le célèbre passage d’Aristote τοὺς τελουμένους οὐ μαθεῖν τι δεῖν ἀλλὰ παθεῖν καὶ διατεθῆναι (Fr. 15 Rose). Voir Ph. Borgeaud, « Rites et émotions. Considérations sur les mystères », dans J. Scheid (éd.), Rites et croyances dans les religions du monde romain, Vandœuvres-Genève 2007 (Entretiens sur l’Antiquité classique 53), p. 189-222. 49. Certains savants ont noté qu’en désignant du terme de mystêria les cérémonies osiriennes du mois de Khoïak, Hérodote ou ses informateurs ont opéré une interpretatio Graeca de ces célébrations, ce qui n’aurait pas été possible sans l’existence d’éléments similaires ou communs à celles-ci et aux mystêria grecs, tels les drames sacrés, les souffrances des divinités et l’impératif du silence. Voir U. Bianchi, « Iside dea misterica », p. 13 ; G. Sfameni Gasparro, « Misteri e culti orientali : un problema storico-religioso », dans C. Bonnet, J. Rüpke, P. Scarpi (éd.), Religions orientales – culti misterici : Neue Perspektiven – nouvelles perspectives – prospettive nuove, Stuttgart 2006 (Potsdamer Altertumswissenschaftliche Beiträge 16), p. 181-210, part. 188-189 ; F. Massa, « Le mythe fait-il le mystère ? », p. 705.
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Beatriz Pañeda Murcia la mort et renaissance de son compagnon50. Or, leur appropriation les modifia substantiellement, car les fêtes gréco-romaines étaient interprétées et célébrées différemment de celles de la vallée du Nil. Dans ces dernières, l’accent était mis sur la régénération d’Osiris plutôt que sur sa mort, comme le suggèrent, par exemple, les images cultuelles du sexe du dieu dressé et l’absence de lamentations par les acteurs du culte, alors que les Isia se caractérisaient justement par ces lamentations et mettaient en avant la « disparition » du dieu. Comme l’a remarqué Jaime Alvar, il est possible que ce changement de signification relève en partie de la différence de calendrier entre le cycle agricole de l’Égypte et celui de la côte nord de la Méditerranée, car tandis qu’en Égypte les fêtes osiriennes coïncidaient avec les premiers fruits de l’année, au nord de la Méditerranée elles avaient lieu au début de la saison du froid et au moment de l’absence de récoltes51. Devant ce constat, on pourrait suggérer que, si pour Plutarque, à la différence d’Hérodote, les souffrances d’Isis sont l’aspect central des drames sacrés égyptiens, plutôt que la mort et la régénération d’Osiris, c’est parce qu’il a interprété les cérémonies osiriennes de l’Égypte selon ses propres références, soit les fêtes des Isia qu’il connaissait dans sa Grèce natale. En matière de vocabulaire, l’analyse du lexique mystérique employé par Diodore de Sicile et par Plutarque révèle que le mot qu’ils utilisent le plus souvent est teletê, qui sert à désigner tant les
50. Sur le festival de l’inventio Osiridis, voir J. Alvar Ezquerra, Romanising Oriental Gods, p. 300-303. Que les cérémonies osiriennes du mois de Khoïak soient à l’origine de ces fêtes gréco-romaines est communément admis par l’historiographie ; voir V. Gasparini, « Isis and Osiris : Demonology vs. Henotheism », Numen 58 (2011), p. 697-728, part. 710-711, avec bibliographie antérieure. La question de la mise en scène de drames sacrés dans les cultes isiaques a été traitée en détail par V. Gasparini, « Staging Religion. Cultic Performances in (and around) the Temple of Isis in Pompeii », dans n. Cusumano, V. Gasparini, A. Mastrocinque, J. Rüpke (éd.), Memory and Religious Experience in the Greco-Roman World, Stuttgart 2013 (PAwB 45), p. 185-211 ; K. Kleibl, « An Audience in Search of a Theatre. The Staging of the Divine in the Sanctuaries of Graeco-Egyptian Gods », dans s. Nagel, J. F. Quack, Ch. Witschel (éd.), Entangled Worlds, p. 353-371 ; V. Gasparini, « Les acteurs sur scène. Théâtre et théâtralisation dans les cultes isiaques », dans v. Gasparini, R. Veymiers (éd.), Individuals and Materials, p. 714-746. 51. J. Alvar Ezquerra, Romanising Oriental Gods, p. 303. Je remercie aussi Nicole Belayche de m’avoir éclairée sur la différence substantielle entre les festivités égyptiennes de Khoïak et les Isia gréco-romaines.
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Les cultes isiaques au IIe siècle de notre ère cérémonies égyptiennes en l’honneur d’Osiris et d’Isis52 que des rituels appartenant aux mystères grecs d’Orphée, d’Éleusis, de Dionysos et de Samothrace. Chez ces auteurs, c’est un terme technique pour désigner un rituel d’une nature particulière, mais que nous peinons à déceler. Quelle qu’elle soit, il paraît clair que teletê ne signifie pas en soi un rituel secret, comme le démontrent les allusions de Diodore à des teletai célébrées publiquement (φανερῶς) en Crète, opposées aux teletai célébrées en secret (ἐν ἀπορρήτῳ) ou aux teletai mystikoi de la Grèce continentale53. Par conséquent, il faudrait se garder de traduire systématiquement ce terme par « cérémonie secrète » ou « rituel d’initiation ». Enfin, teletê n’est pas synonyme de mystêria, nom qui semble désigner une séquence rituelle plus large, englobant même des teletai54.
52. Teletê désignant des cérémonies égyptiennes en l’honneur d’Osiris et d’Isis : Diodore de Sicile, Bibliothèque historique I, 20, 6-7 ; 23, 2-3 ; 88, 2-3 ; 96, 4-5 ; Plutarque, Isis et Osiris 25 [360 F] (mention générale des mythes et des rites grecs et égyptiens) ; 27 [361 D-E]. 53. Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, V, 77, 3-4 : τήν τε γὰρ παρ᾿ Ἀθηναίοις ἐν Ἐλευσῖνι γινομένην τελετήν, ἐπιφανεστάτην σχεδὸν οὖσαν ἁπασῶν, καὶ τὴν ἐν Σαμοθρᾴκῃ καὶ τὴν ἐν Θρᾴκῃ ἐν τοῖς Κίκοσιν, ὅθεν ὁ καταδείξας Ὀρφεὺς ἦν, μυστικῶς παραδίδοσθαι, κατὰ δὲ τὴν Κρήτην ἐν Κνωσῷ νόμιμον ἐξ ἀρχαίων εἶναι φανερῶς τὰς τελετὰς ταύτας πᾶσι παραδίδοσθαι, καὶ τὰ παρὰ τοῖς ἄλλοις ἐν ἀπορρήτῳ παραδιδόμενα παρ᾿ αὐτοῖς μηδένα κρύπτειν τῶν βουλομένων τὰ τοιαῦτα γινώσκειν. Voir aussi I, 20, 6 (Isis et Hermès instaurent des rites et des éléments secrets en l’honneur d’Osiris : τούτους δὲ καὶ τελετὰς καταδεῖξαι καὶ πολλὰ μυστικῶς εἰσηγήσασθαι) ; I, 96, 4-5 (concernant Orphée et les mystères grecs : τῶν μυστικῶν τελετῶν) ; III, 55, 9 (à Samothrace : ἐν ἀπορρήτῳ κατὰ τὴν τελετὴν παραδίδοσθαι) ; III, 65, 6 (à propos du culte grec de Dionysos : τὰς ἐν τοῖς μυστηρίοις παραδεδομένας τελετάς) ; V, 48, 4 (sur les dieux de Samothrace : τὴν τῶν μυστηρίων τελετήν) ; V, 49, 5 (de même à Samothrace : καὶ τὰ μὲν κατὰ μέρος τῆς τελετῆς ἐν ἀπορρήτοις τηρούμενα μόνοις παραδίδοται τοῖς μυηθεῖσι). 54. Aux références de la note précédente, s’ajoutent les passages où les termes mystêria et teletê sont juxtaposés pour désigner des cérémonies du culte de Dionysos, d’Éleusis et des dieux de Samothrace : Diodore de Sicile, Bibliothèque historique I, 22, 7 (ἔν τε τοῖς μυστηρίοις καὶ ταῖς τοῦ θεοῦ τούτου τελεταῖς τε καὶ θυσίαις) ; I, 23, 2-3 (τὰς τελετὰς καὶ τὰ μυστήρια) ; I, 29, 2-5 ([Erechthée] καταδεῖξαι τὰς τελετὰς τῆς Δήμητρος ἐν Ἐλευσῖνι καὶ τὰ μυστήρια ποιῆσαι) ; III, 63, 2 (τὰ μυστήρια καὶ τελετὰς καὶ βακχείας) ; III, 64, 7 (καταδεῖξαι δὲ καὶ τὰ περὶ τὰς τελετὰς καὶ μεταδοῦναι τῶν μυστηρίων) ; III, 65, 2 (τὰς δὲ τελετὰς καὶ τὰ μυστήρια) ; V, 64, 4 et 7 (τελετὰς καὶ μυστήρια).
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Beatriz Pañeda Murcia Des dérivés d’orgia apparaissent aussi à plusieurs reprises chez Diodore55, également pour désigner des cérémonies égyptiennes et grecques. Quant aux dérivés de myeô, on lit en une occasion chez Diodore la forme passive myeisthai pour exprimer l’initiation des prêtres égyptiens aux secrets d’Osiris56, et mystêriôdês chez Plutarque faisant référence aux enseignements secrets des prêtres égyptiens que Pythagore aurait copiés57. Ni l’un ni l’autre n’utilisent le substantif mystêria pour désigner les cérémonies célébrées en l’honneur d’Osiris et Isis en Égypte, tandis que chez Diodore, le terme renvoie maintes fois aux cultes à mystères grecs d’Éleusis, d’Orphée, de Dionysos et de Samothrace58. Enfin, il est important de signaler que chez Plutarque, l’usage de la terminologie mystérique pour désigner des aspects de la religion égyptienne est combiné avec un autre mode d’emploi de ce lexique. En effet, comme il est habituel chez les philosophes depuis Platon, l’auteur utilise des mots mystériques dans un sens métaphorique, pour décrire l’expérience de la connaissance philosophique59. Dans ce sens, il affirme par exemple que « le raisonnement tiré de la philosophie » peut faire office de « mystagogue », de véritable guide d’initiation aux récits et aux actes inhérents à la religion égyptienne60. De brèves mentions sur l’origine égyptienne des mystères se trouvent aussi chez le philosophe médio-platonicien Numénius d’Apamée, pour qui les conceptions de Platon s’accordaient aux rituels (τὰς τελετάς), aux enseignements (τὰ δόγματα) et aux fondations cultuelles (τάς τε ἱδρύσεις συντελουμένας) des nations sages, dont les Égyptiens61. Chez Apulée, c’est la sagesse ancestrale (prisca doctrina) des Égyptiens qui leur permet, avec les Éthiopiens, d’honorer Isis par son
55. Diodore, I, 96, 4-5 ; III, 65, 6 ; III, 74, 3. 56. Diodore, I, 88, 2-3. 57. Plutarque, Isis et Osiris 10 [354 E]. De même, l’adjectif mystikos apparaît dans Isis et Osiris 21 [359 C] ; 25 [360 F]. 58. Diodore de Sicile, Bibliothèque historique III, 55, 9 ; 62, 8 ; 63, 2 ; 64, 7 ; 65, 2 ; 65, 6 ; 74, 1-3 ; IV, 6, 4 ; 25, 1-3 ; 43, 1 ; V, 77, 3-4 ; 48, 4-5 ; 49, 5 ; 64, 4 ; 64, 7 ; 75, 4 ; XX, 110. 59. F. Massa, « La notion de “mystères” », p. 112-113, et la contribution d’A. Timotin dans ce volume, p. 279. 60. Plutarque, Isis et Osiris 68 [378 A-B] ; F. Massa, « La notion de “mystères” », p. 116, et la contribution de M. Bonazzi dans ce volume, p. 267. 61. Numénius, fr. 1 des Places.
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Les cultes isiaques au IIe siècle de notre ère vrai nom62. Il s’agit d’une référence explicite au « mirage égyptien » qui imprègne sans doute le livre XI des Métamorphoses. Les dernières études sur ce récit réfutent l’interprétation excessivement littérale que les historiens des religions en ont faite traditionnellement comme témoignage des mystères isiaques, signalant que cette lecture ne tient pas compte des licences créatives propres à toute œuvre de fiction63. En effet, Apulée ne nous offre pas une description fidèle et détaillée de la réalité des cultes d’Isis et Osiris, mais une représentation de ceux-ci, qu’il s’approprie, adapte et recrée par et pour la trame narrative64. L’égyptianisation du culte joue un rôle central dans cette représentation. Afin de créer une atmosphère plus fabuleuse qui attire l’intérêt de ses lecteurs, Apulée accentue l’exotisme et l’étrangeté du culte en soulignant des aspects qui, à ses yeux, sont proprement égyptiens – comme l’habit rituel des isiaques et le prêtre au crâne rasé et vêtu de lin65, des images divines qu’il qualifie explicitement d’égyptiennes66, des comportements rituels telles la privation de certains aliments et l’abstinence de rapports sexuels, ou la consultation de livres en écriture hiéroglyphique et hiératique lors de la procédure initiatique67. De même, il y a lieu de penser que cette égyptianisation affecte la 62. Apulée, Métamorphoses XI, 5, 3 ; comparer avec XI, 5, 5 : aeterna… religione. Déjà dans le prologue, Apulée fait référence à l’Égypte au sujet des origines de l’écriture et de la sagesse ancienne (I, 1, 1 papyrus Aegyptian… Nilotici calami). 63. On consultera avec profit l’édition classique de J. Gwyn Griffiths, Apuleius of Madauros. The Isis Book (Metamorphoses, Book XI), Leyde 1975 (EPRO 39), et la plus récente de W. H. Keulen et al., Apuleius Madaurensis Metamorphoses. Book XI. The Isis Book. Text, Introduction and Commentary, Leyde – Boston 2015. 64. Ce n’est pas le lieu pour citer les nombreuses études sur les mystères isiaques qui se sont fondées essentiellement sur le livre XI, souvent considéré comme un récit autobiographique. Sur ce point de vue, voir la synthèse de J. Alvar Ezquerra, Romanising Oriental Gods, p. 218-221. Voir aussi les mises au point critiques sur l’interprétation du texte de W. H. Keulen et al., Apuleius Madaurensis Metamorphoses, p. 8 ; R. Veymiers, « Les mystères isiaques ». 65. Sur l’image stéréotypée des prêtres isiaques dans les sources littéraires, voir L. Beaurin, « L’apparence des isiaques : la réalité des stéréotypes littéraires », dans V. Gasparini, R. Veymiers (éd.), Individuals and Materials, p. 283-321. 66. Plusieurs éléments, comme des reliefs et des peintures, sont explicitement identifiés comme « égyptiens » dans plusieurs passages des Métamorphoses et connotés positivement (XI, 11, 4 ; XI, 16, 6). 67. Apulée, Métamorphoses XI, 22, 8. Cette atmosphère « égyptianisante » a été récemment soulignée par W. H. Keulen et al., Apuleius Madaurensis Metamorphoses, p. 41 et n. 163 et 164 ; R. Veymiers, « Les mystères isiaques ». Voir aussi la note suivante.
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Beatriz Pañeda Murcia dimension mystérique du culte : la centralité de l’initiation, son déroulement étalé dans le temps, et les effets et les émotions qu’elle provoque sont vraisemblablement surdimensionnés dans la narration68. En effet, si, à l’instar de ses contemporains, Apulée conçoit la religion du pays du Nil comme mystérique, l’accentuation des traits égyptiens de celle-ci (ou perçus comme tels) implique de souligner ses aspects mystériques, et même de lui attribuer des éléments considérés comme tels du point de vue des mystères grecs. À cet égard, certains savants soutiennent que la description de la nuit initiatique de Lucius est modelée sur le paradigme des mystêria d’Éleusis, auxquels Apulée aurait emprunté la formule allusive et cryptée qui exprime l’expérience mystique de l’initié69 : Accessi confinium mortis et calcato Proserpinae limine per omnia uectus elementa remeaui, nocte media uidi solem candido coruscantem lumine, deos inferos et deos superos accessi coram et adoraui de proxumo. J’ai approché des limites de la mort ; j’ai foulé le seuil de Proserpine, et j’en suis revenu porté à travers tous les éléments ; en pleine nuit, j’ai vu le soleil briller d’une lumière étincelante ; j’ai approché les dieux d’en bas et les dieux d’en haut, je les ai vus face à face et les ai adorés de près70.
68. Voir E. Finkelpearl, « Egyptian Religion in Met. 11 and Plutarch’s Dio : Culture, Philosophy, and the Ineffable », dans W. H. Keulen, U. Egelhaaf-Gaiser (éd.), Aspects of Apuleius’ Golden Ass. Volume III : The Isis Book. A Collection of Original Papers, Leyde – Boston 2012, p. 183-201, part. 193-194 : « It also looks as if Apuleius’ narrator “orientalizes” Egypt a bit and exploits this exoticism and unfamiliarity of Egypt in order to express something about the unknowability of the divine. » Selon l’analyse littéraire de W. H. Keulen, l’exaltation des émotions provoquées par l’expérience initiatique est surtout une ressource narrative : W. H. Keulen et al., Apuleius Madaurensis Metamorphoses, p. 51-53. 69. J. N. Bremmer, Initiation, p. 121 ; J. Steinhauer, « Osiris mystes und Isis orgia », p. 65. Par contre, les savants égyptologues reconnaissent un arrière-plan égyptien dans la cérémonie, rapportant le voyage de Lucius à la course nocturne du Soleil qui, traversant la Douat, s’identifie à Osiris, avant de renaître le matin : voir, par exemple, M. Malaise, « Contenu et effets », p. 491-492 ; J. Bergman, « Per omnia vectus elementa remeavi. Réflexions sur l’arrière-plan égyptien du voyage de salut d’un myste isiaque », dans U. Bianchi, M. J. Vermaseren (éd.), La soteriologia dei culti orientali nell’Impero Romano, Leyde 1982 (EPRO 92), p. 671-708 ; L. Bricault, Les cultes isiaques, p. 432-437. 70. Apulée, Métamorphoses XI, 23, 7 (trad. P. Vallette, CUF).
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Les cultes isiaques au IIe siècle de notre ère Cette formule ne ferait donc pas référence à une initiation réelle et spécifique au culte d’Isis, mais elle refléterait une vision générique de l’expérience initiatique construite sur la matrice d’Éleusis. Ce serait donc un exemple du modèle mystérique éleusinien qui s’installe dans la littérature du iie siècle de notre ère. Combiné aux stratégies d’égyptianisation, ce modèle participerait de la représentation apuléienne des cultes isiaques comme des « cultes à mystères ». En ce qui concerne le lexique latin, on notera que la terminologie religieuse d’Apulée est diversifiée, mais assez pauvre en mots à connotation mystérique. Pour commencer par les désignations des pratiques, les deux seuls termes employés pour nommer le culte d’Isis dans son ensemble sont sacra et religio71 ; sacra désigne aussi les objets sacrés. Le mot teleta, translittéré du grec, désigne le rituel d’initiation accompli par Lucius durant la nuit choisie par la déesse, ainsi que les deux autres initiations qu’il vit postérieurement à Rome72. Ainsi, face au large champ sémantique qu’il recouvre dans les textes grecs, il est investi dans ce récit d’un sens précis. Enfin, orgia apparaît une fois faisant référence à des rituels nocturnes73. On remarquera l’absence du terme mystêria et des dérivés de myêo, ainsi que de la traduction latine de mystêria : initia74. Pourtant, le verbe initio est utilisé pour se référer aux actes d’« être initié » (initiari) et d’« initier » (initiare)75, et son participe parfait passif (initiat-us/a/i/ae) est employé comme un adjectif accompagné d’un complément circonstanciel pour faire référence aux initiés. Ceux-ci reçoivent, à vrai dire, des appellations diverses : turbae sacris divinis initiatae (Métamorphoses XI, 10), sanctae huic militiae (XI,
71. Sacra : Apulée, Métamorphoses III, 5 et IV, 29 (sacra Veneris) ; X, 25 (Proserpinae sacra) ; XI, 10 ; 16 ; 19 ; 21 ; 22-24 ; 26-30 (sacra d’Isis). Religio est employé par Apulée tout au long du roman (par exemple, XI, 11 ; XI, 15 ; obsequio religionis nostrae ; XI, 19 : religionis obsequium ; XI, 21 : magna religionis committi silentia ; 21 : arcana purissimae religionis secreta ; XI, 28 : germanae religionis). 72. On compte 6 occurrences : Apulée, Métamorphoses XI, 22, 8 (quae forent ad usum teletae necessario praeparanda) ; 24, 5 (teletae legitima consummatio) ; 26, 4 (rursus teletae, rursus sacrorum commonet) ; 27, 3 (d’Isis et d’Osiris) ; 29, 1 (tertiam quoque teletam sustinere) ; 30, 1. Voir aussi l’introduction à ce volume, p. 13-15. 73. Apulée, Métamorphoses XI, 28 : principalis dei nocturnis orgiis illustratus (Lucius est illuminé par les orgia nocturnes d’Osiris). 74. Apulée n’emploie le terme mystêria que deux fois dans l’ensemble de ses œuvres : Apologie, 55, 8 ; Le démon de Socrate, 14. 75. Apulée, Métamorphoses XI, 10 ; 17 ; 19 ; 21 ; 26 ; 27 ; 29.
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Beatriz Pañeda Murcia 15), religiosi (XI, 13, 16 et 20), religiosa cohorte (XI, 23), qui venerandis penetralibus pridem fuerant initiati (XI, 1776), sacratus/sacrati (XI, 24 et 27) et sacris imbutum (XI, 27)77. Ce sont les dévots qui, ayant été appelés en rêve par Isis ou Osiris, sont autorisés à entrer dans leurs temples et leur rendent un service cultuel. Ceux qui ne sont pas initiés sont nommés irreligiosi (XI, 15) ou profani (XI, 16, 22 et 23), tout spécialement lorsqu’ils sont opposés aux religiosi ou sacrati dans le récit, ou avec le générique cultores (XI, 19, 21 et 30). Il faut attendre les écrits chrétiens pour voir employé le terme mystêria en rapport avec les cultes d’Isis et de ses compagnons. Par exemple, Hippolyte de Rome nous apprend que le groupe hérétique des Naassènes considérait le peuple égyptien comme la deuxième nation la plus ancienne du monde après les Phrygiens, et lui attribuait le prestige d’être le premier à instaurer les mystêria et les orgia de tous les dieux, y compris ceux d’Isis78. Face à cette brève référence à la pensée naassène, l’image des mystères isiaques forgée par l’orthodoxie chrétienne se détache de l’idée de l’Égypte comme terre d’origine des mystères pour se fonder sur des bases nouvelles. En effet, comme on l’a déjà vu, l’unité de la catégorie de « mystères païens » créée par les apologistes chrétiens est construite en rapprochant les cultes divers du modèle mystérique d’Éleusis. Francesco Massa a récemment démontré que ce rapprochement est fondé sur deux éléments censés être partagés par tous les cultes concernés : en premier lieu, des mythes qui expriment les passions (pathê) et les émotions des dieux, portant sur des funérailles, des deuils et des lamentations, et deuxièmement, l’idée que les rites mystériques consistent essentiellement en l’imitation de ces mythes par les acteurs du culte79. C’est sans doute une vision réductrice et déformante
76. Voir ibid., III, 15 : sacris pluribus initiatus (se référant à Lucius). 77. Religiosus, -a, -um est employé comme adjectif tout au long du roman, mais aussi comme substantif dans le livre XI : 13 (religiosi venerantur) ; 16 (tam religiosi quam profani) ; 20 (religiosi primam nuntiantes horam). Par contre, le participe parfait passif initiat-us/a/i/ae n’apparaît que comme adjectif qualifiant un nom, accompagné d’un complément circonstanciel indiquant le lieu ou la chose à laquelle les individus ont été initiés, voir XI, 27 : sacris imbutum. 78. Hippolyte de Rome, Réfutation de toutes les hérésies V, 7, 22-23 ; Ph. Borgeaud, « Mystères et interférences : de Jan Bremmer aux Naassènes », Mètis N.S. 14 (2016), p. 95-108 ; V. Gasparini, R. L. Gordon, « Egyptianism », p. 586. 79. Athénagore (175-180 de notre ère) est le premier à inclure les cultes isiaques dans la catégorie des mystères : Supplique au sujet des chrétiens 32. Voir Minucius Felix,
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Les cultes isiaques au IIe siècle de notre ère de la réalité rituelle qui répond à des fins polémiques, mais en contexte isiaque, elle n’est pas sans rappeler les dramatisations du pathos d’Osiris et de la quête d’Isis qui se déroulaient publiquement lors de l’inventio Osiridis. Aussi, les apologistes chrétiens semblent-ils faire de certaines cérémonies publiques le cœur des mystères païens, dont les isiaques. Car il faut souligner qu’il n’y a aucune trace dans la documentation isiaque de la célébration de ces drames sacrés en secret, dans un possible rituel d’initiation, contrairement à ce qui a été amplement soutenu dans l’historiographie80. En somme, ces sources littéraires ne se rapportent pas toutes aux realia rituels isiaques, mais expriment des représentations sur l’Égypte et ses dieux dont l’historiographie moderne a hérité. En effet, notre vision des mystères isiaques reste encore largement tributaire de ces conceptions, dont il faut donc s’affranchir pour déceler ce qu’il y avait vraiment de mystérique dans ces cultes. Et cette enquête ne peut être effectuée que sur la base des sources de la pratique religieuse. Les mystères dans la pratique religieuse Les documents épigraphiques, archéologiques et iconographiques que l’on peut considérer comme des témoignages d’une composante mystérique dans les cultes isiaques sont très rares, divers dans leur nature et géographiquement dispersés, ce qui ne rend certainement pas aisée la recherche sur cette dimension cultuelle isiaque. Tout d’abord, on notera que les rares occurrences de la terminologie mystérique dans l’épigraphie isiaque comprennent des désignations de pratiques ou des aspects du culte, et peut-être aussi de groupes de dévots, ainsi que des épithètes cultuelles des dieux. En effet, un premier groupe de témoignages est formé par des épiclèses à connotation mystérique, notamment celles de mystês et orgia sous lesquelles Osiris et Isis sont invoqués respectivement dans deux dédicaces
Octavius 22, 1 ; Firmicus Maternus, L’erreur des religions païennes II, 3. F. Massa, « La notion de “mystères” » ; Id., « Le mythe fait-il le mystère ? ». 80. Nombre de savants soutiennent que la mise en scène d’épisodes mythiques lors de l’initiation isiaque servait à transmettre aux initiés un savoir théologique sur le sens caché des mythes et de certaines cérémonies. Voir par exemple F. Dunand, Le culte d’Isis, p. 248-249 ; Ead., « Les mystères égyptiens », p. 46-50 ; M. Malaise, « Contenu et effets », p. 487-488 ; R. Veymiers, « Les mystères isiaques ». Voir aussi ci-dessus, note 50.
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Beatriz Pañeda Murcia provenant de leur sanctuaire à Thessalonique81, et celles de teleia et mystis que la déesse myriônyma se voit attribuer dans la litanie d’Oxyrhynchos82. La dédicace thessalonicienne à Osiris Mystês, offerte par un certain Démétrios en l’honneur de ses parents, semble dater de la deuxième moitié du iie siècle avant notre ère, ce qui en fait le document épigraphique le plus ancien relatif à une possible existence de mystères isiaques83. L’épiclèse que porte le dieu dans ce texte est communément traduite par « initié » ou « initiateur » et, selon certains savants, elle dériverait de la désignation de ses adorateurs. De ce fait, on la considère généralement comme la preuve qu’Osiris présidait à des rituels d’initiation dans son sanctuaire de Thessalonique84. On interprète de manière similaire la mention d’Isis Orgia dans une inscription provenant de ce même lieu de culte, qui commémore la restauration d’une statue de la déesse ainsi épiclésée au iie siècle de notre ère85. En attribuant à orgia le même sens que celui donné à mystês, on a soutenu qu’Isis Orgia était aussi la maîtresse de l’initiation, ou encore, la
81. RICIS 113/0505 et 113/0552. Au sujet des cultes isiaques à Thessalonique, voir C. Steimle, « Das Heiligtum der ägyptischen Götter in Thessaloniki und die Vereine in seinem Umfeld », dans C. Bonnet, J. Rüpke, P. Scarpi (éd.), Religions orientales – culti misterici, p. 27-38 ; Id., Religion im römischen Thessaloniki : Sakraltopographie, Kult und Gesellschaft 168 v. Chr.-324 n. Chr., Tübingen 2008 (Studien und Texte zu Antike und Christentum, 47), p. 79-131 ; H. Koerster, « Egyptian Religion in Thessalonike : Regulation for the Cult », dans L. Nasrallah, C. Bakirtzis, S. J. Friesen (éd.), From Roman to Early Christian Thessalonike : Studies in Religion and Archaeology, Cambridge (MA) 2010, p. 133-150 ; P. Martzavou, « Les cultes isiaques et les Italiens entre Délos, Thessalonique et l’Eubée », Pallas 8, 4 (2010), p. 181-205 ; J. Steinhauer, « Osiris mystes und Isis orgia », p. 61-62. 82. P. Oxy. XI 1380, l. 32-33 et 111. 83. RICIS 113/0505 : Ὀσείριδι μύστει (vac.) Ἀλέξανδρον Δημητρίου καὶ Νίκαιαν / Χαριξένου Δημήτριος τοὺς αὐτοῦ γονεῖς. L’inscription est accompagnée d’un bas-relief représentant une scène sacrificielle dont les acteurs sont, selon toute vraisemblance, le dédicant et ses parents. La scène ne présente aucune particularité renvoyant à l’épiclèse osirienne, dont le sens reste incertain ; voir R. Veymiers, « Les mystères isiaques ». 84. F. Dunand, « Les mystères égyptiens », p. 13 ; H. Koerster, « Egyptian Religion in Thessalonike », p. 141. Selon R. Veymiers, « Les mystères isiaques », cette vocation initiatique du dieu pourrait avoir son origine dans son rapprochement avec Dionysos, qui selon Pausanias (VIII, 54, 5) portait près de Tégée la même épiclèse. 85. RICIS 113/0552 : Εἶσιν ∙ Ὀργί/αν ∙ Γ(άϊος) ∙ Φολουί/νιος ∙ Οὐῆρος / ὁ ἱερεὺς ∙ ἐπι/ σκευάσας / ἐκ τῶν / ἰδί (vac.) ων / ἀνέθηκεν.
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Les cultes isiaques au IIe siècle de notre ère responsable de l’introduction du rituel initiatique dans le culte, si l’on rapproche l’épiclèse d’une lecture peu précise des passages de Diodore de Sicile et de Plutarque commentés plus haut86. Ces interprétations sont en réalité discutables. Tout d’abord comme on l’a noté, les dérivés de mystêria et orgia recouvrent un champ sémantique très large, servant à désigner tout type d’expérience du divin au-delà de l’initiation, ce qui nous empêche de les envisager systématiquement comme des références directes à celle-ci. Ils n’attestent donc pas de la célébration d’initiations mystériques dans ledit Sarapieion de Thessalonique. Ensuite, on ne devrait pas tenir pour acquis que ces épiclèses dérivent des realia rituels et s’y rapportent, car il est possible qu’elles relèvent plutôt de réflexions théologiques ou d’épisodes du mythe. Dans ce sens, on pourrait avancer l’hypothèse que mystês et orgia se rapportent au récit mythique de la passion d’Osiris et de la quête d’Isis, commémoré et en quelque sorte mis en scène lors des fêtes du dieu célébrées en Égypte et qui semble avoir aussi joué un rôle central dans le culte thessalonicien. En effet, la documentation épigraphique provenant du sanctuaire isiaque de Thessalonique, l’un des plus anciens du monde méditerranéen, montre un remarquable attachement du culte aux mythes et pratiques égyptiens. Les appropriations de ces derniers sont particulièrement manifestes dans certains documents qui concernent, tout spécialement, la destinée d’Osiris, comme la dédicace d’un espace de culte pour son coffre, commémorée par un poème composé par un certain Damaios, qui fait allusion au périple d’Osiris et à l’allégresse ressentie par Isis lorsque le périple est fini. Cette composition semble bien se rapporter à des cérémonies célébrées sur place, inspirées des rites osiriens égyptiens de Khoïak87. La prééminence d’Osiris face à Sarapis comme partenaire d’Isis est déjà en elle-même significative du lien entre le culte et la tradition égyptienne. Fort de ces constats, on pourrait envisager que l’épiclèse de mystês fait référence au mystère du dieu, mort et né à nouveau par l’intermédiaire d’Isis et dont les rites
86. Elle est maîtresse de l’initiation selon L. Bricault dans le commentaire à RICIS 113/0552. 87. RICIS 113/0506, c. 120 av. J.-C. Le rapport entre ce texte et le festival de Khoïak a été dernièrement noté par V. Gasparini, « Isis and Osiris », p. 710-711. D’autres inscriptions découvertes dans les sanctuaires témoignent de l’appropriation de pratiques et d’usages égyptiens, la réception de visions, de rêves ou d’ordres divins par les dévots (par exemple, RICIS 113/0513, 113/0531, 113/0570).
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Beatriz Pañeda Murcia égyptiens étaient entourés par le secret, alors qu’orgia renvoie peutêtre aux émotions de la déesse en deuil. Des aspects propres à la tradition religieuse égyptienne seraient ainsi exprimés en langue grecque par le biais de termes à connotation mystérique. Il y a lieu de se demander si tel n’est pas aussi le cas, dans les arétalogies grecques d’Isis, des références à la myêsis que la déesse institue pour les hommes, et aux écrits sacrés qu’elle crée pour ses mystai en compagnie d’Hermès/Thot88. Un long débat historiographique entoure l’attribution d’un arrière-plan égyptien ou grec à ces bienfaits divins, comme à d’autres aspects de la nature d’Isis qui sont développés dans ces textes89. Le vers ἐγὼ μυήσεις ἀνθρώποις ἀνέδειξα se retrouve dans les arétalogies de Kymè (la version la plus complète préservée), Telmessos, Thessalonique, Ios et Cassandréia, qui suivent le même modèle, alors qu’il est absent de celles de Maronée et d’Andros90. En revanche,
88. Le corpus arétalogique isiaque est à présent constitué de sept textes épigraphiques et d’un passage de Diodore de Sicile (Bibliothèque historique I, 27, 3-4). Les références aux inscriptions sont données dans les notes suivantes. L’étude la plus récente de l’ensemble de ces documents, avec édition et traduction en espagnol, est E. Muñiz Grijalvo, Himnos a Isis, Traducción y estudio preliminar de Elena Muñiz Grijalvo, Madrid 2006. 89. Une synthèse sur ce débat et sur l’abondante bibliographie qu’il a générée se trouve dans J. Dieleman, I. S. Moyer, « Egyptian Literature », dans J. J. Clauss, M. Cuypers (éd.), A Companion to Hellenistic Literature, New York 2010, p. 429-447, part. 443445. On reconnaît à présent un caractère composite à cette littérature arétalogique, qui repose largement sur une origine égyptienne mais est enrichie par l’introduction d’éléments grecs. Pour une approche plus détaillée, on consultera les dernières études sur la question : J. F. Quack, « “Ich bin Isis, die Herrin der Beiden Länder”. Versuch zum demotischen Hintergrund der memphitischen Isisaretalogie », dans S. Meyer (éd.), Egypt – Temple of the Whole World. Studies in Honour of Jan Assmann, Leyde 2003 (Numen Book Series 97), p. 319-365 ; T. M. Dousa, « Imagining Isis : On Some Continuities and Discontinuities in the Image of Isis in Greek Hymns and Demotic Texts », dans K. Ryholt (éd.), Acts of the Seventh International Conference of Demotic Studies. Copenhagen, 23-27 August 1999, Copenhague 2002 (Carsten Niebuhr Institute of Near Eastern Studies 27), p. 149-184 ; G. Sfameni Gasparro, « The Hellenistic Face of Isis » ; P. Martzavou, « Isis Aretalogies » ; I. Moyer, « The Memphite Self-revelations of Isis and Egyptian Religion in the Hellenistic and Roman Aegean », Religion in the Roman Empire 3 (2017), p. 318-343. 90. RICIS 302/0204, l. 22 (Kymè, fin du ier ou début du iie siècle de notre ère) ; 306/0201 (Telmessos, fin de l’époque hellénistique ; le texte est fragmentaire, mais correspond au même modèle que celui de Kymè) ; 113/0545, l. 22 (Thessalonique, ier-iie siècles de notre ère) ; 202/1101, l. 22 (Ios, iie siècle de notre ère) ; RICIS Suppl. 113/1201
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Les cultes isiaques au IIe siècle de notre ère toutes les arétalogies semblent contenir le thème de l’invention de l’écriture, dans sa double dimension sacrée et profane (τὰ ἱερὰ καὶ τὰ δημόσια γράμματα)91. Or, ce double aspect correspond sans doute à la distinction entre les systèmes d’écriture hiéroglyphique et démotique qui est présente chez les auteurs gréco-romains depuis Hérodote. Les textes de Maronée et d’Andros précisent, en outre, que l’écriture sacrée est destinée aux mystai92. Si l’on interprète cette référence dans le cadre de la tradition égyptienne, ces mystai ne peuvent être que les prêtres, les seuls capables de lire les signes hiéroglyphiques sacrés codifiant les vérités cosmologiques, et alors les seuls initiés aux savoirs divins. Le reste des textes arétalogiques ne fait pas allusion aux destinataires de l’écriture sacrée, mais la myêsis qui y est évoquée pourrait renvoyer pareillement à un savoir spécial et réservé, révélé par Isis aux hommes et préservé dans les temples93. La déesse apparaît ainsi comme la maîtresse de la sagesse secrète de la « Maison de la Vie » des temples égyptiens, en compagnie d’Hermès/Thot qui est aussi maître des signes hiéroglyphiques et de cette institution94. À mon sens, ces références à connotation mystérique se rapportent davantage à la tradition religieuse égyptienne qu’à des allusions aux mystères initiatiques grecs, dont Isis serait présentée comme la créatrice en vertu de son rapprochement avec Déméter et, précisément, pour en faire une divinité plus « grecque »95. En admettant que les arétalogies suivent toutes le modèle d’un original composé dans l’Égypte
= SEG LVIII, 583 (Cassandréia, peut-être iie siècle de notre ère ; le passage relatif à la myêsis n’est pas préservé en raison de l’état fragmentaire de l’inscription). 91. RICIS 302/0204, 3b-3c. = l. 5-8 (Kymè) ; 202/1101, l. 3b-3c (Ios) ; RICIS Suppl. 113/1201 = SEG LVIII, 583, l. 6-7 (Cassandréia). La référence à l’invention de l’écriture n’est pas préservée dans le fragment de Thessalonique (RICIS 113/0545). 92. RICIS 114/0202, l. 22-24 (Maronée, c. 120 avant notre ère) : αὕτη μεθ’ Ἑρμοῦ γράμμαθ’ εὗρεν / καὶ τῶν γραμμάτων ἃ μὲν ἱερὰ τοῖς μύσταις, ἃ δὲ δημόσια / τοῖς πᾶσιν ; 202/1801, l. 10-12 (Andros, ier siècle avant notre ère) : Δειφαλέω δ’ Ἑρμᾶνος ἀπόκρυφα σύνβολα δέλτων / εὑρομένα γραφίδεσσι κατέξυσα, ταῖσι χάραξα / φρικαλέον μύσταις ἱερὸν λόγον. 93. Cette lecture fut déjà proposée par J. Bergman, Ich bin Isis. Studien zum Memphitischen Hintergrund der griechischen Isisaretalogien, Uppsala 1968 ; suivi par J. Steinhauer, « Osiris mystes und Isis orgia », p. 56. 94. C’est notamment l’interprétation de G. Capriotti Vittozzi, « The Flavians : Pharaonic Kingship between Egypt and Rome », dans L. Bricault, M. J. Versluys (éd.), Power, Politics and the Cults of Isis, p. 237-259, part. 257. 95. Certains savants, en traduisant myêsis par « initiation », ont interprété cette mention comme un trait grec emprunté au culte de Déméter. Ce serait donc en vertu
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Beatriz Pañeda Murcia ptolémaïque, plus spécialement à Memphis si l’on croit la référence explicite fournie par le texte de Kymè, il me semble improbable que l’auteur (ou les auteurs) de cet hymne ai(en)t eu en tête des rituels d’initiation et des groupes d’initiés propres aux mystères grecs, tels ceux d’Éleusis. L’interprétation selon laquelle la myêsis et les mystai font allusion à une sagesse ancestrale réservée aux prêtres « initiés » paraît mieux s’accorder à la fois avec la distinction entre l’écriture hiéroglyphique et l’écriture démotique, avec l’ensemble des bienfaits et des aspects de la personnalité d’Isis qui sont exaltés dans l’hymne et, dans une grande mesure, ancrés dans les conceptions égyptiennes, et enfin avec le contexte de composition du texte original. Que le terme myêsis soit la désignation de la première étape de l’initiation éleusinienne n’implique pas qu’il revête le même sens initiatique dans les arétalogies isiaques, car le lexique mystérique grec pouvait être employé pour désigner des phénomènes religieux étrangers, de nature différente (quoique comparable) aux mystères grecs. Il paraît donc probable que deux termes grecs à connotation mystérique aient été employés pour exprimer des aspects propres à la religion du pays du Nil. Or, il est également vraisemblable que, pour un public grec, ou mieux, plus familiarisé avec la culture religieuse grecque qu’avec l’égyptienne, myêsis et mystai se soient chargés d’une autre signification, évoquant les mystères grecs par excellence, ceux d’Éleusis96. Autrement dit, chaque individu aurait interprété les arétalogies selon ses propres références. Le texte de Maronée paraît témoigner de cette diversité des interprétations et des connotations éleusiniennes que pourrait revêtir le lexique mystérique qui y est employé97. Dédié à Isis à la suite d’une guérison miraculeuse qu’elle a réalisée, l’hymne dévie du texte-type dans son style de rédaction en adoptant le modèle grec de l’enkomion (rédigé en prose et aux deuxième et troisième personnes). Son contenu
de son rapprochement avec Déméter qu’Isis serait devenue une divinité de mystères. Voir ci-dessus, note 16. 96. E. Muñiz Grijalvo, Himnos a Isis, p. 83. 97. Sur l’arétalogie de Maronée, voir spécifiquement Y. Grandjean, Une nouvelle arétalogie d’Isis à Maronée, Leyde 1975 (EPRO 49) ; P. Martzavou, « “Isis” et “Athènes” : épigraphie, espace et pouvoir à la basse époque hellénistique », dans L. Bricault, M. J. Versluys (éd), Power, Politics and the Cults of Isis, p. 163-191, part. 184-190.
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Les cultes isiaques au IIe siècle de notre ère également diffère des autres arétalogies du fait que l’auteur opère une interpretatio Graeca d’Isis, qui est clairement identifiée à Déméter dans un contexte éleusinien : σοὶ πρὸς κατοίκησιν / Αἴγυπτος ἐστέρχθη. σὺ μάλιστα τῆς Ἑλλάδος ἐτίμησας τὰς / Ἀθήνας· κεῖθι γὰρ πρῶτον τοὺς καρποὺς ἐξέφηνας· Τριπτόλε/μος δὲ τοὺς ἱεροὺς δράκοντάς σου καταζεύξας ἁρματοφο/ ρούμενος εἰς πάντας Ἕλληνας διέδωκε τὸ σπέρμα· τοιγαροῦν / τῆς μὲν Ἑλλάδος ἰδεῖν σπεύδομεν τὰς Ἀθήνας, τῶν δ’ Ἀθη/νῶν Ἐλευσῖνα, τῆς μὲν Εὐρώπης νομίζοντες τὴν πόλιν, τῆς / δὲ πόλεως τὸ ἱερὸν κόσμον. L’Égypte t’a plu comme lieu de séjour ; de la Grèce tu as surtout honoré Athènes ; c’est là en effet que pour la première fois tu as révélé les fruits de la terre. Triptolème, après avoir mis sous le joug tes serpents sacrés, distribua, emporté sur son char, la semence à tous les Grecs ; voilà pourquoi nous avons à cœur d’aller voir, dans la Grèce Athènes, et dans Athènes Éleusis, en estimant que la cité est la parure de l’Europe, et que le sanctuaire est la parure de la cité98.
Pourtant, cette interpretatio ne nous permet pas d’affirmer que des mystères d’Isis étaient célébrés en Grèce dès l’époque hellénistique suivant des formes assez proches du rituel éleusinien99. L’hymne évoque le culte d’Éleusis et ne se rapporte pas aux honneurs rituels accordés à Isis dans la localité de Maronée. À vrai dire, quelle que soit l’interprétation que les acteurs cultuels aient faite des références mystériques dans les arétalogies, les allusions à la révélation divine de la myêsis et à la création des écrits sacrés pour les mystai se situent sur un plan mythique, tout comme le reste des exploits attribués à Isis ; elles ne se rapportent donc pas aux pratiques religieuses des communautés cultuelles qui chantaient ces hymnes. Aussi ces extraits ne témoignent-ils pas eux-mêmes de la célébration de mystères initiatiques par ces communautés100. Certes, on ne peut pas écarter la possibilité qu’ils aient inspiré l’introduction de cérémonies initiatiques ou de pratiques réservées et non dévoilées
98. RICIS 114/0202, l. 34-41. Voir aussi la contribution de N. Belayche dans ce volume, p. 25. 99. C’est l’interprétation de Y. Grandjean, Une nouvelle arétalogie, p. 104, qui a été suivie par nombre de savants. 100. Comme l’a judicieusement noté F. Dunand, « Les mystères égyptiens », p. 14, 17, 30 ; pareillement, U. Bianchi, « Iside dea misterica ». Pour une opinion contraire, voir dernièrement P. Martzavou, « Isis Aretalogies ».
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Beatriz Pañeda Murcia dans les cultes locaux, mais aucun autre document provenant des mêmes lieux cultuels que les arétalogies ne témoigne d’une telle composante mystérique. Pareillement, les rares documents du corpus isiaque qui mentionnent des mystai ne suffisent pas à prouver la célébration de mystères dans leurs communautés respectives. Certes, deux associations cultuelles de mystai sont attestées épigraphiquement en Asie Mineure vers le milieu du iie siècle de notre ère en lien avec des acteurs religieux isiaques. Cependant, leur appartenance au culte de la gens Isiaca est loin d’être assurée et, surtout, leur simple mention ne permet pas de conclure qu’ils regroupaient des dévots ayant expérimenté un rituel initiatique émotionnellement frappant et en quelque sorte transformateur, similaire à celui décrit par Apulée. À Tralles, l’une de ces associations de mystai rend hommage à Ioulios Amyntianos, prêtre d’Isis et Sarapis et membre de l’assemblée panhellénique créée par Hadrien en 131/132101. Que le prêtre soit isiaque n’implique pas que les mystai, qui n’indiquent leur rattachement à aucune divinité, le soient aussi. De même, deux autres inscriptions de Tralles mentionnent des mystai sans précision de leur adhésion cultuelle, dont l’une est une inscription honorifique dressée par ce groupe religieux à son évergète Ti. Claudius Glyptus, néocore de l’empereur et prêtre de Zeus102. Rien n’autorise à penser que ces mystai jouaient un rôle particulier dans les cultes desservis par cet agent rituel, comme cela paraît être aussi le cas de ceux honorant Ioulios Amynthianos. Le deuxième témoignage anatolien est une stèle funéraire en marbre du milieu du iie siècle de notre ère, trouvée remployée à Pruse en Bithynie103. Elle est divisée en deux panneaux. Sur le panneau supérieur, entre les bustes sculptés de Sarapis et Isis, on lit la dédicace 101. RICIS 303/1301 (après 132 de notre ère) : Ἰούλιον / Ἀμυντι/ανὸν ἱε/ρέα Εἴσι/δος καὶ Σαρ{α}άπι/δος. Οἱ / μύσται / τὸν Πανέλληνα. J. Steinhauer, « Osiris mystes und Isis orgia », p. 59, et R. Veymiers, « Les mystères isiaques », mettent justement en question l’appartenance de ce groupe cultuel aux cultes isiaques que d’autres auteurs ont considérée comme probable ; contra, par exemple, F. Dunand, Le culte d’Isis, p. 79, et L. Bricault, commentaire à RICIS 303/1301. 102. I.Tralleis 74 et 168. 103. RICIS 308/0401. Entre les bustes sculptés : Οἱ μύσται / Ἑρμῖ. Sur le panneau inférieur : Λουκίῳ Ἰουλίῳ Φρούγει εὐχαριστο[ῦ]σιν / οἱ μύσται [[ὑπὲρ Ποτάμωνος Σωστράτου τῆς εἰς ἑαυτὸν εὐεργεσίας]]. /Σαράπιδι καὶ Εἴσιδι εὐχαριστήριον / οἱ περὶ Λεωνίδην Ἑρμησιλάου ἱερέα / μύσται καὶ δεκατισταί, suit la liste des noms.
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Les cultes isiaques au IIe siècle de notre ère « Les mystai, à Hermès ». L’inscription gravée sur le panneau inférieur commémore l’hommage qu’ils rendent à un de leurs bienfaiteurs, ainsi que les honneurs qu’ils accordent à Sarapis et Isis en compagnie des décatistes et d’un prêtre. Pour quelques savants, cet acte conjoint avec le collège des décatistes, dont le caractère isiaque ne fait pas de doute, suggère que la communauté de mystai est aussi attachée au culte de la gens Isiaca104. Cependant, il est également possible que les deux associations se soient réunies exceptionnellement dans le but d’offrir cette dédicace, de telle manière que leur adhésion isiaque est loin d’être certaine. De même, la dédicace des mystai à Hermès laisse entrevoir une réalité plus complexe. Quel que soit le culte auquel ces deux associations de mystai appartenaient, le fait que leurs membres aient été vraiment des initiés aux mystères demeure incertain. En effet, il est probable que leur désignation réponde plutôt au phénomène d’inflation et de « banalisation » du lexique mystérique qu’on observe au iie siècle, en particulier dans la Méditerranée orientale. Comme l’a démontré Anne-Françoise Jaccottet dans son étude sur les associations dionysiaques, le terme mystês est presque absent du contexte associatif jusqu’aux premières années de notre ère, alors qu’il se généralise et même se banalise à l’époque impériale. Le phénomène n’est pas propre au milieu dionysiaque, il concerne toutes les associations religieuses d’une époque et d’une zone géographique données : mystês semble remplacer l’ancienne dénomination de thiasitai en Asie Mineure et dans les territoires environnants où celle-ci était répandue105. Il y avait donc des
104. F. Dunand, Le culte d’Isis, p. 106 ; J. N. Bremmer, Initiation, p. 114 ; Ph. Harland, Greco-Roman Associations : texts, translations, and commentary. 2. North Coast of the Black Sea, Asia Minor, Berlin – New York 2014 (Beiheft zur Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 204), p. 70. Pour cette inscription en particulier, R. Veymiers, « Les mystères isiaques », accepte la possible appartenance isiaque des mystai. Sur les décatistes, voir récemment I. Arnaoutoglou, « Koinon Isiastan Sarapiastan. Isiac cult associations in the eastern Mediterranean », dans V. Gasparini, R. Veymiers (éd.), Individuals and Materials, p. 248-279, part. 256-257, 272-273. 105. A.-F. Jaccottet, « Un dieu, plusieurs mystères ? Les différents visages des mystères dionysiaques », dans C. Bonnet, J. Rüpke, P. Scarpi (éd.), Religions orientales culti misterici, p. 219-230, part. 220 et 227. De même, sur cette « banalisation » du lexique mystérique, N. Belayche, « L’évolution des formes rituelles : hymnes et mystêria », dans L. Bricault, C. Bonnet (éd.), Panthée. Religious transformations in the Graeco-Roman Empire, p. 17-40 ; Ph. Borgeaud, « Les mystères », ibid., p. 131144, part. 143-144.
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Beatriz Pañeda Murcia mystai sans mystères au sens initiatique qu’on leur a traditionnellement donné106. Aussi, l’emploi du nom mystês dans les deux inscriptions isiaques micrasiates pourrait-il bien répondre à des usages lexicaux des cadres associatifs de la région, plutôt qu’à une réalité propre aux cultes isiaques, que ces mystai y appartiennent effectivement ou non. Le terme mystês est également attesté à Rome, apparemment en rapport avec les cultes isiaques, mais dans un contexte à nouveau problématique. Il apparaît dans des graffitis gravés sur les parois de l’une des pièces (IV) mises au jour sur l’Aventin, au nord-ouest de la basilique Santa Sabina, qui a été interprétée comme le local d’un conventicule isiaque au sein de la maison d’un affranchi de Marc Aurèle107. Deux de ces graffitis évoquent des mystai (Mystes Dei et Mystes Amphio sis felix), tandis que d’autres invoquent Isis (te, Isi, te salus ad tuos)108, qui est d’ailleurs représentée sur une fresque sous la forme d’une statue dotée d’une cornucopia à laquelle rendent hommage deux dévotes. D’autres graffitis, dont le rapport avec la dévotion isiaque n’est pas clair, sont entremêlés avec ces allusions et ils ne paraissent pas former un texte cohérent. Ils sont plutôt des mentions individuelles contenant des salutations, des prières, des souhaits de bonne santé, et même des plaisanteries au sein d’un groupe d’individus109. Il se peut que cette pièce n’ait
106. Voir U. Bianchi, « Iside dea misterica. Quando? », p. 12-13. Ce savant refusait déjà l’idée que les mentions de myêsis, mystês, mystis suffisent en elles-mêmes à prouver l’existence de groupes d’initiés, institués sur une initiation individuelle orientée vers l’établissement d’une relation personnelle et directe avec la divinité et impliquant un espoir de salut dans l’au-delà. 107. F. M. D. Darsy, Recherches archéologiques à Sainte-Sabine sur l’Aventin : géologie, topographie, sanctuaires archaïques, culte isiaque, ensemble architectural paléochrétien, Rome 1968 (Monumenti di antichità cristiana II, Serie 9), p. 30-55 ; M. Malaise, Inventaire préliminaire des documents égyptiens découverts en Italie, Leyde 1972 (EPRO 21), p. 225-227 ; H. Solin, « Sui graffiti del santuario isiaco sotto S. Sabina », dans U. Bianchi, M. J. Vermaseren (éd.), La soteriologia dei culti orientali nell’Impero Romano. Atti del Colloquio Internazionale, Roma, 24-28 Settembre 1979, Leyde 1982 (EPRO 92), p. 132-138 ; R. Volpe, « I graffiti isiaci nell’area di S. Sabina a Roma », ibid., p. 145-155 ; M. J. Versluys, Aegyptiaca Romana. Nilotic Scenes and the Roman View of Egypt, Leyde – Boston 2002 (RGRW 114), p. 365-366 ; M. Swetnam-Burland, « Material Evidence and the Isiac Cults : Art and Experience in the Sanctuary », dans V. Gasparini, R. Veymiers (éd.), Individuals and Materials, p. 584-608, part. 590-593. 108. RICIS 501/0127 b et k (mystes) et f (Isis). 109. Comme le remarque justement J. Steinhauer, « Osiris mystes und Isis orgia »,
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Les cultes isiaques au IIe siècle de notre ère pas été un lieu de réunion réservé à une association isiaque, d’autant que l’appartenance des mystai au culte d’Isis n’est pas assurée. Et même si c’était le cas, leur simple mention ne nous renseigne en rien sur les rituels qui pouvaient y avoir lieu et ne nous permet nullement de parler d’un culte initiatique. Par ailleurs, certains savants ont rapproché du terme mystês le syntagme latin sacrorum (Isidis) et lui ont accordé un sens initiatique, en le traduisant par « ayant fait partie des mystères d’Isis »110. C’est la désignation cultuelle sous laquelle se présentent quatorze dévots isiaques d’Italie, dix femmes et quatre hommes, dans leurs inscriptions, funéraires et votives, que l’on date entre la première moitié du ier siècle de notre ère et le milieu du iie siècle111. D’autres auteurs, en revanche, refusent d’y voir des initiés112. Assurément, tout ce que l’on peut inférer de cette dénomination est que les individus ainsi appelés étaient engagés dans le service cultuel de façon régulière, sans qu’on puisse dire s’ils avaient subi ou non un rituel d’initiation individuel et en quelque sorte transformateur. Mais, l’une de ces inscriptions contient un autre terme à connotation mystérique qui pourrait aller dans ce sens. À Forum Popilii, Fullonia Tertulla, sacrorum Isidis, offre au sacerdos de la déesse et sévir augustal, C. Telegennius Speratus, un lieu pour sa sépulture, celles de « ses initiés (telestinis eius) » (traduction communément acceptée) et de leurs descendants113. Le terme d’origine grecque telestini est un hapax et rappelle l’emploi de teleta au livre XI des Métamorphoses pour désigner le rituel d’initiation de Lucius, ce qui semble appuyer le sens initiatique qu’on lui accorde. p. 58-59. 110. L. Bricault dans le RICIS ; Id., Les cultes isiaques, p. 442-444, no 145c. ; G. Mabel Portantier, « La devoción a Isis entre las mujeres : una perspectiva epigráfica », Argos 34, 1 (2011), p. 71-95, part. 79-81. 111. RICIS 501/0165, /0185, /0166, /0168, /0188, /0189, /0190, provenant toutes de Rome ; RICIS Suppl. III 501/0227 (Rome) ; RICIS 505/0301 (Brindisi), 506/0101 (Reggio di Calabria), 512/0602 (Modène), 512/0201 (Forlimpopoli), 513/0201 (Bene Vagienna), 515/0812 (Vérone). 112. L. Vidman, Isis und Sarapis bei den Griechen und Römern. Epigraphische Studien zur Verbreitung und zu den Trägern des ägyptischen Kultes, Berlin 1970 (Religionsgeschichtliche Versuche und Vorarbeiten 29), p. 89 ; M. Malaise, Les conditions de pénétration, p. 145, note 3, qui soutient que sacrorum (Isidis) désignait des fidèles occupant une position subalterne à celle des mystai ; Sh. K. Heyob, The Cult of Isis among Women in the Graeco-Roman World, Leyde 1975 (EPRO 51), p. 107-108. R. Veymiers, « Les mystères isiaques », résume le débat sur la question. 113. RICIS 512/0201, datant peut-être du ier siècle de notre ère.
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Beatriz Pañeda Murcia De plus, l’utilisation du pronom possessif eius exprime un étroit rapport entre le prêtre et ces telestini. On a donc vu ici une évidence du lien qui s’établit entre le prêtre « mystagogue » et l’initié lors de la procédure initiatique – semblable au lien entre le prêtre Mithra et Lucius dans le récit d’Apulée –, et, en conséquence, une preuve du rôle du prêtre comme médiateur que l’on pourrait considérer comme une particularité des cultes à mystères114. Il a aussi été suggéré que Fullonia Tertulla devait au prêtre son initiation et que son geste traduisait une reconnaissance envers un événement marquant de son existence115. Cette interprétation est certes vraisemblable, mais on ne peut pas en écarter d’autres, comme la possibilité que telestini soit un synonyme, sous une forme plurielle, de sacrorum Isidis, se référant à des desservants cultuels qui se trouvaient sous l’autorité du prêtre, mais qui n’avaient peut-être pas vécu d’expérience initiatique transformatrice116. Quoi qu’il en soit, il convient donc de rester prudent et de ne pas faire de généralisations à partir de ce témoignage unique. Par ailleurs, des gens dévoués au service d’Isis et affichant publiquement leur identité isiaque par leurs vêtements rituels et leurs comportements, sont bien attestés dans les sources écrites et iconographiques, indépendamment de toute désignation à connotation mystérique. C’est le cas des acteurs du culte représentés avec une allure isiaque (voire quelques-uns accompagnés de cistes mystiques) sur leurs monuments funéraires, provenant de l’Attique et d’Italie et datés entre le ier siècle avant notre ère et le ive siècle de notre ère117. Ils sont 114. S. Estienne, « Images et culte : pratiques “romaines”/influences “orientales” ? », dans C. Bonnet, J. Rüpke, P. Scarpi (éd.), Religions orientales - culti misterici, p. 147158, part. 155-156 ; L. Bricault, « Les prêtres isiaques du monde romain », dans V. Gasparini, R. Veymiers (éd.), Individuals and Materials, p. 155-197, part. 192. 115. L. Bricault, « Les prêtres isiaques », p. 192. 116. J. Steinhauer, « Osiris mystes und Isis orgia », p. 58, envisage qu’ils soient des desservants cultuels n’ayant pas accompli un rituel d’initiation. 117. E. Walters, Attic Grave Reliefs that Represent Women in the Dress of Isis, Princeton 1988 (Hesperia Suppl. 22) ; J. Eingartner, Isis und ihre Dienerinnen in der Kunst der römischen Kaiserzeit, Leyde – New York – Copenhague – Cologne 1991 (Mnemosyne Suppl. 115) ; M. Malaise, « À propos de l‘iconographie “canonique” d‘Isis et des femmes vouées à son culte », Kernos 5 (1992), p. 329-361 ; E. Walters, « Predominance of Women in the Cult of Isis in Roman Athens : Funerary Monuments from the Agora Excavations and Athens », dans L. Bricault (éd.), De Memphis à Rome. Actes du Ier Colloque international sur les études isiaques. PoitiersFuturoscope, 8-10 avril 1999, Leyde – Boston – Cologne 2000 (RGRW 140), p. 63-89 ; P. Martzavou, « Priests and Priestly Roles », p. 69-72 ; L. Bricault, Les cultes
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Les cultes isiaques au IIe siècle de notre ère identifiables aux religiosi ou sacrati d’Apulée, et comparables à l’ami de l’édile romain Volusius qu’en raison de ses atours isiaques, Appien nous présente comme un orgiastês d’Isis118. On pourrait les considérer comme des initiés, mais aussi les identifier aux membres des nombreuses associations religieuses isiaques connues dans toute la Méditerranée, qui étaient préposés à des tâches cultuelles plus ou moins régulières. La question qui se pose alors est de savoir si ces acteurs du culte, comme les prêtres, devaient accomplir un quelconque rituel initiatique afin d’être en mesure d’exercer leurs rôles rituels. À la lumière de la documentation de la pratique religieuse, ce sont l’engagement régulier dans le service du culte et la manifestation publique de l’identité isiaque qui se révèlent comme les caractéristiques principales des acteurs cultuels que l’on pourrait appeler « initiés », plutôt que l’expérience mystique d’un rituel initiatique, qui n’est jamais attestée par les inscriptions. Cela ressort spécialement d’une épigramme funéraire conservée au musée de Bursa en Bithynie, et datée de la fin du ier siècle avant notre ère. Elle célèbre l’heureuse destinée du défunt Méniketès dans l’au-delà : οὐ δνοφερὰν Ἀχέροντος ἔβαν νεκυο/στόλον οἶμον / Μηνικέτης, μακάρων / δ’ ἔδραμον εἰς λιμένας· /δέμνια γὰρ λινόπε̣/π̣λα θεᾶς ἄρρητα βεβήλοις / Αἰγύπτου τρα/φεροῖς δώμασιν ἁρμοσάμαν· / τιμήεις δὲ βρο/τοῖσι θανών, ξένε, τὰν ἐπίσαμον / φάμαν Ἰσ̣ια̣/κ̣ῶν μάρτυρ’ ἐπεσπ̣ασάμαν· / πατρὶ δὲ κῦδος / ἔθηκα Μενεσθέϊ, τρισσὰ λελοιπὼς / τέκνα· / τὺ δὲ στείχοις τάνδε ὁδὸν ἀβλαβέως· Je n’ai pas foulé le sombre chemin funèbre qui mène à l’Achéron, moi Mèniketès, mais j’ai couru aux ports des Bienheureux. Car j’ai préparé les couches en draps de lin de la déesse, interdites aux profanes, pour les demeures opulentes de l’Égypte. Et honoré par les mortels après ma mort, ô étranger, j’ai gagné l’éclatante renommée
isiaques, p. 442-445 ; L. Bricault, « Les prêtres isiaques », p. 167-175 ; M. Malaise, R. Veymiers, « Les dévotes isiaques et les atours de leur déesse », dans V. Gasparini, R. Veymiers (éd.), Individuals and Materials, p. 470-508. Sur les représentations de la ciste dans l’iconographie isiaque, voir R. Veymiers, « Les mystères isiaques ». 118. Appien, Guerres civiles VI, 47 : Οὐολούσιος δὲ ἀγορανομῶν προεγράφη καὶ φίλον ὀργιαστὴν τῆς Ἴσιδος ἔχων ᾔτησε τὴν στολὴν καὶ τὰς ὀθόνας ἐνέδυ τὰς ποδήρεις καὶ τὴν τοῦ κυνὸς κεφαλὴν ἐπέθετο καὶ διῆλθεν οὕτως ὀργιάζων αὐτῷ σχήματι ἐς Πομπήιον. Cf. Valère Maxime, Les faits et dits mémorables VII, 3, 8.
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Beatriz Pañeda Murcia des isiaques, en gage (de mes actes). J’ai fait l’honneur de mon père Menestheus, en laissant trois enfants. Puisses-tu, toi aussi, parcourir cette route sans dommage !119.
Le secret qui sépare l’initié du profane, un engagement auprès d’Isis en tant que desservant du culte, une communauté restreinte de dévots nommés d’après la déesse (Isiaci), et une destinée heureuse post mortem : on a là des éléments traditionnellement regardés comme caractéristiques des mystères, sans que le lexique mystérique soit utilisé et sans qu’il y ait de référence à une cérémonie d’initiation. Or, Mèniketès est sans doute un initié, dans la mesure où il a accès à des parties du sanctuaire interdites aux profanes pour l’accomplissement de tâches cultuelles également réservées (ἄρρητα βεβήλοις). On ignore quel était l’usage rituel précis des lits qu’il préparait, mais ils étaient certainement destinés à une cérémonie restreinte, inaccessible à la masse de dévots participant aux fêtes publiques de la déesse. Quelques savants y reconnaissent une cérémonie d’initiation120, mais cette interprétation ne s’impose pas, car les rituels célébrés en secret dans les demeures divines ne sont pas nécessairement des rituels d’initiation. Dans le cadre d’une double dimension, publique et réservée, des fêtes isiaques, on pourrait penser différemment à la célébration intime d’un banquet auprès de la divinité121.
119. RICIS Suppl. I 308/1201. L’inscription est constituée de deux fragments réunis par R. W. V. Catling, N. Kanavou, « The Gravestone of Meniketes Son of Menestheus : IPrusa 1028 and 1054 », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 163 (2007), p. 103-117. Sa provenance exacte est incertaine, mais on l’attribue à la région de la Bithynie ou à la Mysie du nord. Deux bas-reliefs sculptés au-dessus de l’épigramme figurent des scènes familiales, dont l’une dans un banquet funéraire. Voir L. Bricault, Les cultes isiaques, p. 442-444 ; Ph. A. Harland, Greco-Roman Associations 2, p. 65-66, no 102 ; V. Gasparini, « “I will not be thirsty” » ; R. Veymiers, « Introduction : Agents, Images, Practices », dans V. Gasparini, R. Veymiers (éd.), Individuals and Materials, p. 1-60, part. 1-3 ; Id., « Les mystères isiaques ». 120. W. Burkert, Ancient Mystery Cults, p. 107 ; R. Veymiers, « Introduction », p. 2-3. 121. La célébration de banquets auprès de la divinité est une tradition bien connue en Égypte, où les invitations à « dîner à la table de Sarapis » sont attestées par la documentation papyrologique. Voir J. G. Milne, « The Kline of Sarapis », The Journal of Egyptian Archaeology 11 (1925), p. 6-9 ; L. Koenen, « Ein Einladung zur Kline des Sarapis », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 1 (1967), p. 121-126 ; K. Chan-Hie, « The Papyrus invitation », Journal of Biblical Literature 94 (1975), p. 391-402. On pourrait aussi penser à une théoxénie à la grecque.
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Les cultes isiaques au IIe siècle de notre ère De surcroît, on notera que ce que le texte célèbre comme le moyen qui assure à Mèniketès une vie bienheureuse après la mort, accordée par Isis, c’est avant tout son engagement régulier dans le service cultuel. Il se peut que son adhésion au culte en tant que desservant de la déesse ait exigé un apprentissage et l’accomplissement de certains rituels, mais peut-être ne les jugeait-on pas assez importants pour les mettre en avant dans l’épitaphe. À vrai dire, si l’initiation était une cérémonie transformatrice et centrale dans les cultes isiaques, on s’attendrait à en trouver des allusions dans les inscriptions, à l’instar, par exemple, du taurobole métroaque122. Une autre inscription funéraire, provenant de Mégalopolis et datée entre le iie et le iiie siècles, exprime également la certitude d’un destin heureux dans l’au-delà pour une desservante cultuelle isiaque123. Il s’agit de l’épigramme funéraire de Dionysia, qui célèbre qu’à l’âge de quinze ans, elle fut appelée par Isis elle-même à son service et parée par la déesse des vêtements isiaques. L’épitaphe rappelle ensuite sa mort merveilleuse, advenue près de l’autel, lors de l’exercice de ses fonctions religieuses, quand elle avait soixante ans. Isis fit alors, « d’une manière sainte, venir à elle sa sainte servante », qui « s’en fut comme un astre, comme si, saintement, elle partait rejoindre les demidieux ». Ces vers suggèrent que Dionysia a atteint la béatitude outretombe en vertu de son engagement à vie dans le culte de la déesse. De plus, la référence aux habits rituels dont elle fut revêtue au début de son service, marqueurs de son identité sacerdotale, nous permet de relier Dionysia aux reliefs funéraires de femmes portant la tenue
122. Sur le taurobole, voir la contribution de F. Van Haeperen dans cet ouvrage, p. 331. 123. RICIS 102/1702 : τὴν πᾶσιν θαυμαστὰ βίον κυκλ̣οτέρμονα σεμ[ν]ὸν / λείπουσαν ζωῆς τύνβος ὅδ’ ἀνφιέπει· / ἢν δ’ ὄνομα ζητῇς, Διονυσία, ἣν μακαρίζει. / πᾶς ὁ γνοὺς θείας ἃς ἔλαβεν χάριτας / ἡνίκα γὰρ λυκάβαντας ἔθ’ ἡλικίης δεκαπέντε / ἔσχεν, παντοκράτωρ λάτριν ἑὴν ἔθετο / Εἶσις, ταῖς δ’ ἰίαις κόσμησεν στολίσιν· / ἑξήκοντα δ’ ἐτῶν ὅτε δὴ χρόνον ἡ λάτρις ἔσχεν̣, / τὴν ὁσίην ὁσίως στείλαθ’ ἑὴν πρόπολον· / λουτρὸν γὰρ φαίδρυνε καλὸν χρόα· πλεξαμένη δὲ / τοὺς ἱεροὺς πλοκάμους ἴλλ̣αθ’ ὑγραῖς σταγόσιν· / βωμὸν δ’ ὡς προσιοῦσ’ εὐχὰς θέτο, σεμνὴ ἅπασιν / ἄστρ’ ἔβα, ὡς ἀνόσως ᾤχετ’ ἐς ἡμιθέους. / Διονυσία / χαῖρε. Voir les commentaires de F. Dunand, « Sur une inscription isiaque de Mégalopolis », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 1 (1967), p. 219-224, et A. Henrichs, « Textkritisches zur Isisinschrift von Megalopolis », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 3 (1968), p. 109-110.
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Beatriz Pañeda Murcia d’Isis124. Certainement, l’exhibition publique et permanente de l’identité isiaque sur les monuments funéraires peut avoir été motivée par la croyance que le service cultuel donnait l’immortalité. Les éléments relevant d’une dimension mystérique présents dans ces deux stèles funéraires réapparaissent dans une source littéraire relative aux cultes isiaques, qui a été cependant très peu utilisée dans la recherche sur la problématique des mystères, sans doute parce qu’elle porte sur une fête publique125. Il s’agit de la description que livre Pausanias de la fête biannuelle d’Isis à Tithorée (en Phocide) : À quarante stades du temple d’Esculape, se trouvent l’enceinte et le sanctuaire d’Isis, qui est le plus saint de tous ceux que les Grecs ont consacrés à cette déesse égyptienne. Les Tithoréens ne sont point dans l’usage d’habiter les environs de ce sanctuaire, et il n’est permis à personne d’y entrer, si ce n’est à ceux que, par un choix particulier, la déesse appelle par des songes. Les dieux infernaux qu’on honore dans les villes au-dessus du Méandre en font de même ; ils avertissent par des songes ceux qu’ils veulent bien admettre dans leur sanctuaire. On tient deux fois par an, dans le pays des Tithoréens, une fête en l’honneur de la déesse, une au printemps et une en automne. Le troisième jour avant la fête, à chacune de ces époques, ceux à qui il est permis d’entrer dans le sanctuaire, le purifient d’une certaine manière secrète […]. La piété exige que, pour brûler les victimes, on les jette dans le sanctuaire où l’on a élevé un bûcher ; auparavant, il faut les lier avec des bandelettes de lin ou de byssus : cette manière de les arranger est égyptienne […]. On raconte qu’un homme, non de ceux qui peuvent entrer dans le sanctuaire, mais un profane, fut un jour assez curieux et assez téméraire pour y pénétrer lorsque le bûcher commençait à brûler ; tout lui parut rempli de spectres ; il retourna bien à Tithorée, mais il rendit l’âme après avoir raconté ce qu’il avait vu. Un Phénicien m’a rapporté quelque chose de semblable. On célèbre en Égypte une fête en l’honneur d’Isis, à l’époque où l’on dit qu’elle pleure Osiris, с’est alors que le Nil commence à monter, et beaucoup de gens 124. M. Malaise, R. Veymiers, « Les dévotes isiaques », p. 491 ; P. Martzavou, « What is an Isiac Priest in the Greek World? », dans V. Gasparini, R. Veymiers (éd.), Individuals and Materials, p. 127-154, part. 147 ; G. Sfameni Gasparro, « Identités religieuses isiaques : pour la définition d’une catégorie historico-religieuse », ibid., p. 74-107, part. 81, note 30. 125. À ma connaissance, cette source n’a été analysée en détail par rapport au problème des mystères que dans l’étude de U. Egelhaaf-Gaiser, « Exklusives Mysterium oder inszeniertes Wissen ? Die ägyptischen Kulte in der Darstellung des Pausanias », Byzas 1 (2005), p. 259-280.
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Les cultes isiaques au IIe siècle de notre ère du pays assurent que ce sont les larmes de la déesse qui font que le fleuve enfle et arrose les terres. Il me dit donc que le Romain qui gouvernait alors l’Égypte, ayant gagné quelqu’un à prix d’argent, l’envoya dans le sanctuaire d’Isis à Coptos ; cet homme en revint bien, mais, lorsqu’il eut rendu compte de ce qu’il avait vu, il mourut sur-lechamp. C’est donc avec vérité qu’Homère prétend qu’il n’est jamais avantageux à l’espèce humaine de voir les dieux d’une manière manifeste126.
Le secret entoure ce qui arrive à l’intérieur du sanctuaire, qui est explicitement désigné sous le terme technique d’adyton, se référant à l’inaccessibilité, fût-elle conditionnelle, qui caractérise un lieu de culte127. Le sanctuaire est donc représenté sous le coup d’un secret,
126. Pausanias, Description de la Grèce X, 32, 13-18 (trad. adaptée à partir de l‘édition de M. Clavier [Paris 1821]) : Τοῦ δὲ Ἀσκληπιοῦ περὶ τεσσαράκοντα ἀπέχει σταδίους περίβολος καὶ ἄδυτον ἱερὸν Ἴσιδος, ἁγιώτατον ὁπόσα Ἕλληνες θεῷ τῇ Αἰγυπτίᾳ πεποίηνται· οὔτε γὰρ περιοικεῖν ἐνταῦθα οἱ Τιθορεεῖς νομίζουσιν οὔτε ἔσοδος ἐς τὸ ἄδυτον ἄλλοις γε ἢ ἐκείνοις ἐστὶν οὓς ἂν αὐτὴ προτιμήσασα ἡ Ἶσις καλέσῃ σφᾶς δι᾿ ἐνυπνίων. τὸ δὲ αὐτὸ καὶ ἐν ταῖς ὑπὲρ Μαιάνδρου πόλεσι θεοὶ ποιοῦσιν οἱ καταχθόνιοι· οὓς γὰρ ἂν ἐς τὰ ἄδυτα ἐσιέναι θελήσωσιν, ἀποστέλλουσιν αὐτοῖς ὀνειράτων ὄψεις. ἐν δὲ τῇ Τιθορέων καὶ δὶς ἑκάστου τοῦ ἔτους τῇ Ἴσιδι πανήγυριν ἄγουσι, τὴν μὲν τῷ ἦρι, τὴν δὲ μετοπωρινήν· τρίτῃ δὲ ἡμέρᾳ πρότερον κατὰ ἑκατέραν τῶν πανηγύρεων, ὅσοις ἐστὶν ἐσελθεῖν ἄδεια, τὸ ἄδυτον ἐκκαθαίρουσι τρόπον τινὰ ἀπόρρητον […]. οἰσὶ δὲ ἐς τὴν θυσίαν οὐ νομίζουσιν οὐδὲ ὑσὶ χρῆσθαι καὶ αἰξίν. ὅσοις μὲν δὴ καθαγίσασι τὰ ἱερεῖα ἐς τὸ ἄδυτον ἀποστεῖλαι… πεποιημένους ἀρχήν, καθελίξαι δεῖ σφᾶς τὰ ἱερεῖα λίνου τελαμῶσιν ἢ βύσσου· τρόπος δὲ τῆς σκευασίας ἐστὶν ὁ Αἰγύπτιος. […] καί φασί ποτε ἄνθρωπον οὐ τῶν καταβαινόντων ἐς τὸ ἄδυτον, βέβηλον δέ, ἡνίκα ἤρχετο ἡ πυρὰ καίεσθαι, τηνικαῦτα ἐσελθεῖν ἐς τὸ ἄδυτον ὑπὸ πολυπραγμοσύνης τε καὶ τόλμης· καί οἱ πάντα ἀνάπλεα εἰδώλων φαίνεσθαι, καὶ ἀναστρέψαι μὲν αὐτὸν ἐς τὴν Τιθορέαν, διηγησάμενον δὲ ἃ ἐθεάσατο ἀφεῖναι τὴν ψυχήν. ἐοικότα δὲ ἀνδρὸς ἤκουσα Φοίνικος, ἄγειν τῇ Ἴσιδι Αἰγυπτίους τὴν ἑορτήν, ὅτε αὐτὴν τὸν Ὄσιριν πενθεῖν λέγουσι· τηνικαῦτα δὲ καὶ ὁ Νεῖλος ἀναβαίνειν σφίσιν ἄρχεται, καὶ τῶν ἐπιχωρίων πολλοῖς ἐστιν εἰρημένα ὡς τὰ αὔξοντα τὸν ποταμὸν καὶ ἄρδειν τὰς ἀρούρας ποιοῦντα δάκρυά ἐστι τῆς Ἴσιδος. τότε οὖν τὸν Ῥωμαῖον, ὃς ἐπετέτραπτο Αἴγυπτον, ἄνδρα ἔφη χρήμασιν ἀναπείσαντα ἐς τὸ ἄδυτον καταπέμψαι τῆς Ἴσιδος τὸ ἐν Κόπτῳ· καὶ ὁ ἐσπεμφθεὶς ἀνέστρεψε μὲν ἐκ τοὺ ἀδύτου, διηγησάμενον δὲ ὁπόσα ἐθεάσατο καὶ τοῦτον αὐτίκα ἐπυνθανόμην τελευτῆσαι. τὸ ἔπος οὖν ἀληθεύειν ἔοικε τὸ Ὁμήρου, σὺν οὐδενὶ αἰσίῳ τοὺς θεοὺς τῷ γένει τῶν ἀνθρώπων ἐναργῶς ὁρᾶσθαι. 127. V. Pirenne-Delforge, « Le lexique des lieux de culte dans la Périégèse de Pausanias », Archiv für Religionsgeschichte 10 (2008), p. 143-178, part. 171. Pausanias utilise adyton pour nommer le sanctuaire de diverses et nombreuses divinités : Athéna à Pellène (VII, 27, 2), Apollon à Delphes (X, 24, 5-7), le héros Trophonios à Lébadée (IV, 16, 7), Palaimon sur l’Isthme (II, 2, 1), Dionysos à Amphikleia (X, 33, 2), les
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Beatriz Pañeda Murcia d’un interdit, et sa purification était également accomplie d’une certaine manière non révélée (τρόπον τινὰ ἀπόρρητον). De plus, il semble avoir été édifié au niveau du sous-sol, étant donné que pour y pénétrer on devait y descendre, comme l’indiquent les verbes katabainô et katapempô. On a voulu reconnaître une structure similaire, secrète et demi-enterrée, dans le mégaron que mentionnent plusieurs inscriptions provenant de différents lieux de culte isiaque128. Mais quoique ce terme soit parfois synonyme d’adyton, il peut aussi désigner un lieu de culte sans restriction d’accès, et les documents isiaques ne précisent pas la forme ni la fonction de cette construction. On n’a pas non plus identifié de vestige archéologique qui pourrait correspondre à cette structure dans les sanctuaires dont proviennent les inscriptions, de sorte que la nature des édifices ainsi nommés demeure incertaine. Pausanias précise d’ailleurs que l’accès à l’adyton était restreint aux dévots choisis par Isis, auxquels elle apparaissait en rêve – un phénomène dont Apulée rend bien compte dans les Métamorphoses (avec un ton satirique, en faisant se manifester la déesse à plusieurs reprises). C’est peut-être aussi en songe que Dionysia, l’isiaque de Mégalopolis, reçut l’appel de la déesse, même si son épitaphe ne précise pas le moyen de cette communication. On pourrait rapporter ces références aux abondantes dédicaces faites par des acteurs cultuels isiaques à la suite de songes et de mandats divins, exprimées par des expressions formulaires telles que κατ’ ἐνύπνιον, κατ’ ὄναρ, κατ’ ὄνειρον, καθ’ ὅραμα, κατ’ ἐπιταγήν, κατὰ κέλευσιν, κατὰ πρόσταγμα, κατὰ χρηματισμόν, ex viso/visu, ex imperio, ex iusso/iussu, ex praecepto, ex monitu129. Hélas, le carac-
theoi katachthonioi des cités sur le Méandre en Asie Mineure. Au total, 23 occurrences pour 8 lieux différents. Voir M. B. Hollinshead, « “Adyton”, “Opisthodomos”, and the Inner Room of the Greek Temple », Hesperia 68 (1999), p. 189-218. 128. RICIS 202/0252 (Délos, 126/5 avant notre ère) ; RICIS Suppl. II 202/0439 (Délos, iie siècle avant notre ère ?) ; RICIS 503/1221 (Portus, fin du iie-début du iiie siècle de notre ère) ; 503/1222 (Portus, iie-iiie siècles). Sur l’interprétation du terme mégaron en contexte isiaque, voir L. Beaurin, Honorer Isis, p. 274-277 ; P. Martzavou, « What is an Isiac Priest in the Greek World », dans V. Gasparini, R. Veymiers (éd.), Individuals and Materials, p. 127-154, part. 141-142. Voir aussi W. Van Andringa, « Archéologie des Isea : sur la difficile reconnaissance des pratiques isiaques », ibid., p. 571-583, au sujet des vestiges archéologiques des sanctuaires isiaques et des problèmes de leur interprétation. 129. On compte plus de 120 inscriptions isiaques grecques et latines contenant l’une de
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Les cultes isiaques au IIe siècle de notre ère tère formulaire de la vaste majorité de ces textes rend opaque tant le contenu que les circonstances dans lesquelles les songes et les ordres furent reçus, et les dédicants tendent à souligner davantage le commandement que le moyen de communication, qui, outre les rêves, pouvait être une épiphanie ou un mode de divination130. En tout cas, il est certain que les divinités isiaques communiquaient avec leurs dévots, et ce, parfois pour leur demander des services, comme la fondation de lieux de culte ou l’accomplissement de tâches rituelles131. Or, les appels divins au service du culte n’étaient pas exclusifs des cultes isiaques, tout comme le secret et les restrictions d’accès à des sanctuaires n’étaient pas des traits uniques des cultes à mystères. Pausanias lui-même indique que les adyta des theoi katachthonioi des cités au-dessus du Méandre, la région dont il était originaire, étaient frappés d’interdits concernant leur accès132, de même que l’alsos d’Artémis Soteira à Pellène, par exemple, dans lequel ne pouvaient pénétrer que les prêtres133. Pareillement, la statue d’Héra dans l’alsos de la
ces expressions. Elles ont été récemment étudiées par E. Fassa, « Divine Commands, Authority, and Cult : Imperative Dedications to the Egyptian Gods », Opuscula 9 (2016), p. 59-70 et G. H. Renberg, « Dreams and Other Divine Communications from the Isiac Gods in the Greek and Latin Epigraphical Record », dans V. Gasparini, R. Veymiers (éd.), Individuals and Materials, p. 649-671. 130. Sur la pratique divinatoire dans les cultes isiaques, voir G. H. Renberg, Where Dreams May Come : Incubation Sanctuaries in the Greco-Roman World, I, Leyde – Boston 2017 (RGRW 184.1), p. 329-393. 131. Les commandements divins ont sans doute joué un rôle important dans la fondation de lieux de culte de Sarapis ; voir W. Bubelis, G. H. Renberg, « The Epistolary Rhetoric of Zoilos of Aspendos and the Early Cult of Sarapis : Re-Reading P. Cair. Zen. I 59034 », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 177 (2011), p. 169-200 ; I. S. Moyer, Egypt and the Limits of Hellenism, p. 165-175 ; G. H. Renberg, « Dreams and Other Divine Communications », p. 650, n. 3 et p. 652-654. Un onirocrite crétois installé à Memphis offrait ses services aux pèlerins à la suite d’un commandement du dieu (I.Egypte métriques 112), et à Érétrie, un prêtre de Sarapis a peut-être exercé cette fonction après avoir reçu un oracle (RICIS 104/0103, iie siècle avant notre ère ; l’interprétation du texte est douteuse). 132. Selon Strabon, cette région accueillait au moins quatre sanctuaires voués à Pluton et à Korè sous le nom de Ploutônion et/ou de Charônion : Strabon, Géographie XII, 8, 17 et XIV, 1, 44 (Acharaka) ; XIV, 1, 45 (Leimôn) ; XIII, 4, 14 (Hiérapolis) ; XII, 8, 17 et XIV, 1, 11 (Thymbria). Voir V. Pirenne-Delforge, Retour à la source : Pausanias et la religion grecque, Liège 2008 (Kernos suppl. 20), p. 261. Voir aussi la contribution de F. D’Andria dans ce volume, p. 103. 133. Pausanias, Description de la Grèce VII, 27, 3.
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Beatriz Pañeda Murcia déesse à Aigion n’était visible que par la prêtresse134. On notera donc qu’indépendamment de toute dimension mystérique, l’interdit frappait les espaces et les objets les plus sacrés de certains lieux de culte, ainsi que les pratiques qui s’y déroulaient, inaccessibles au public. En milieu isiaque, les restrictions d’accès aux temples, ou à leur partie la plus sainte, pouvaient résulter de l’adoption et de l’adaptation locales des limitations propres aux sanctuaires en Égypte. Celles-ci opéraient sur plusieurs niveaux, comme l’atteste la longue inscription hiéroglyphique qui fut gravée sur les colonnes de la salle hypostyle du temple de Chnoum à Esna135 : des limitations d’entrée aux cours des sanctuaires se combinent avec des régulations conditionnant la pénétration dans l’intérieur des temples, différentes selon le degré de sacralité de chacune des chambres, et des exigences de pureté pour la participation dans les processions, comme la privation de vin et l’abstinence de rapports sexuels pendant un temps déterminé. L’accès au temple était strictement réservé aux personnes jouissant du statut sacerdotal et seuls ceux occupant le rang supérieur de prophète pouvaient pénétrer dans la partie intime du sanctuaire, le « Grand Siège », où était conservée la statue cultuelle de la divinité136. Ces mesures furent vraisemblablement adoptées et adaptées hors d’Égypte à des degrés divers selon les contextes locaux, et c’est d’elles que dépendait en grande partie l’existence d’initiés. Car ceux-ci étaient les acteurs religieux, occupant une charge rituelle officielle ou non, qui avaient le privilège d’accéder aux parties intimes du temple pour participer aux activités cultuelles, ayant accompli au préalable des mises en condition rituelles qui commençaient par une purification consistant en une abstinence sexuelle et une privation de viande et de vin durant un certain temps avant et pendant le service. Il paraît donc que, dans les sanctuaires isiaques du monde gréco-romain, les dévots initiés ont assumé les fonctions qui, en Égypte, étaient remplies par
134. Ibid. VII, 23, 9. Pausanias fait allusion au secret qui entoure des lieux sacrés, des rituels et des récits mythiques appartenant à des cultes variés qui ne sont pas toujours mystériques : des rituels secrets ou ineffables (ex. II, 12, 1 ; II, 17, 1), des images gardées en aporrêtô dans des lieux sacrés (ex. II, 7, 5-6 ; II, 13, 4), des logoi secrets révélés pendant les cérémonies religieuses (ex. II, 17, 4 ; II, 29, 8). 135. Traduction anglaise et commentaire dans J. Alvar, Romanising Oriental Gods, p. 309-312. 136. L. Coulon, « Le clergé à l’époque pharaonique », p. 41 ; Y. Volokhine, « Prêtres et temples », p. 72-73.
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Les cultes isiaques au IIe siècle de notre ère le nombreux clergé de chaque sanctuaire, complètement dévoué au service des dieux. Aussi l’existence d’adorateurs engagés régulièrement dans le culte était-elle plus ou moins nécessaire en fonction du degré où les rites égyptiens, et notamment ceux du culte journalier qui exigeaient un service continu, furent appropriés et réinterprétés dans chaque lieu de culte isiaque. La violation de ces exigences de pureté et des restrictions d’accès aux temples entraînait des conséquences. Ainsi, Pausanias relate l’imprudence d’un profane (bebêlos, le terme employé aussi dans la stèle de Mèniketès) qui osa entrer dans le sanctuaire lors d’une célébration rituelle, comme un autre dans l’adyton d’Isis à Coptos. Les deux hommes qui pénétrèrent dans ces adyta, une fois sortis et après avoir raconté ce qu’ils avaient vu dedans, trouvèrent la mort. C’est le châtiment divin qui leur fut imposé pour violer tant les restrictions d’accès que l’interdit de divulguer ce qui se passait à l’intérieur des sanctuaires. Il est probable que des récits de ce type circulaient dans l’Antiquité pour exhorter les acteurs isiaques à respecter les normes cultuelles137. En somme, la description de la fête isiaque de Tithorée qu’offre le Périégète met en scène des aspects à connotation mystérique, telles les restrictions d’accès à l’adyton ou lieu de culte isiaque, le secret qui sépare les initiés, qui sont ceux que la déesse appelle en songe, et leur engagement dans le service cultuel, qui incluait des tâches accomplies en secret à l’intérieur du temple, comme c’est le cas ici pour son nettoyage ou sa purification. On remarquera que tous ces éléments se mettent en place dans le contexte d’une fête publique, qui paraît ainsi avoir une double dimension, avec des actes rituels ouverts à tous les assistants et d’autres réservés aux desservants cultuels138. Cette réalité est tout à fait comparable à la manière dont le culte était célébré dans les sanctuaires égyptiens, avec des célébrations ouvertes au public et d’autres restreintes au clergé. Ainsi, tout comme les inscriptions
137. J. Alvar, Romanising Oriental Gods, p. 311. 138. De même, les mystères d’Éleusis inscrivent l’initiation individuelle et des pratiques réservées aux initiés dans le cadre d’une célébration publique, comme le notent N. Belayche, F. Massa, « Quelques balises introductives », p. 12. Cette intégration de l’individuel et du collectif dans les mystêria éleusiniens a été récemment étudiée par I. Patera, « Individuals in the Eleusinian Mysteries : choices and actions », dans M. Fuchs et al. (éd.), Religious Individualisation : Historical Dimensions and Comparative Perspectives, II, Berlin – Boston 2019, p. 669-694.
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Beatriz Pañeda Murcia analysées précédemment, cet extrait de Pausanias indique que des aspects à connotation mystérique pouvaient être présents dans les cérémonies ordinaires ou annuelles isiaques, sans qu’on puisse les restreindre à un rituel d’initiation dont il n’y a pas de trace dans la documentation de la pratique religieuse. Pour clore l’analyse de cette documentation, il reste à s’attarder sur une dernière inscription qui, tout en faisant explicitement allusion à des mystêria, ne peut pas être retenue comme une preuve de la célébration de mystères initiatiques en milieu isiaque. Il s’agit d’une dédicace provenant du sanctuaire rupestre bien singulier de Panóias en Lusitanie, lieu de culte d’origine pré-romaine mais refondé entre la fin du iie et le début du iiie siècle de notre ère par l’auteur même de la dédicace, le sénateur Gaius C. Calpurnius Rufinus, possiblement originaire de la Pamphylie. L’inscription dit : Ὑψίστῳ Σερά/πιδι σὺν καὶ Κό/ρᾳ καὶ μυστα/ρίοις. G(aius) C(---) Calp(urnius)/ Rufinus u(ir) c(larissimus)139. Rufinus était peut-être un haut officier impérial chargé d’une mission temporaire dans la région, mais on ignore ses motivations pour cette fondation autant que les raisons du choix du lieu et des dieux honorés. Plusieurs inscriptions gravées sur les rochers du sanctuaire révèlent en fait que d’autres divinités y cohabitaient avec Sarapis et Korè, formant sans doute un ensemble original. Si l’une de ces dédicaces est adressée à Sarapis, Isis, tous les dieux et toutes les déesses, une autre invoque tous les numina des Lapiteae, la communauté indigène locale140. Des dieux gréco-romains et des dieux locaux étaient donc honorés dans un culte conjoint, qui apparemment comprenait des mystères.
139. Dernière lecture de cette inscription donnée par V. Gasparini, « Renewing the past : Rufinus’ appropriation of the sacred site of Panóias (Vila Real, Portugal) », dans V. Gasparini et al. (éd.), Lived Religion in the Ancient Mediterranean World. Approaching Religious Transformations from Archaeology, History and Classics, Berlin – Boston 2020, p. 319-350, part. 331 et 335, à partir de l’édition de M. J. Correia Santos, H. Pires, O. Sousa, « Nuevas lecturas de las inscripciones del santuario de Panóias (Vila Real, Portugal) », Sylloge Epigraphica Barcinonensis 12 (2014), p. 197224, part. 213 (voir ci-dessous, note 141). Sur le sanctuaire, voir J. Alvar Ezquerra, Los cultos egipcios en Hispania, Besançon 2012, no 192 et V. Gasparini, « Renewing the past ». 140. L’érosion des rochers inscrits a donné lieu à plusieurs restitutions différentes des textes depuis le xviiie siècle, mais des nouvelles lectures relativement fiables ont été récemment obtenues grâce à l’analyse des inscriptions au moyen d’un nouveau logiciel pour filtrer des données tridimensionnelles, le « Modèle de Résidu
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Les cultes isiaques au IIe siècle de notre ère Du sanctuaire on conserve quatre rochers de granit travaillés avec des cavités et d’autres aménagements destinés à des activités rituelles, appartenant à trois phases différentes de la vie du sanctuaire, dont la troisième correspond à la fondation de Rufinus. L’une des cinq inscriptions préservées contient des instructions pour accomplir des rituels, qui amalgamaient des traditions religieuses différentes. Les victimes étaient immolées sur un premier rocher aujourd’hui disparu. Ensuite, leurs viscères étaient brûlés dans les cavités quadrangulaires du rocher où sont gravées les quatre inscriptions et le sang était versé dans les creux d’à côté. L’originalité de la combination de divinités honorées s’accorde donc avec l’originalité de la procédure rituelle, et aucun vestige ne suggère la célébration sur place de rituels initiatiques de type grec. La mention des mystères dans l’inscription reproduite ci-dessus a été interprétée par rapport à Korè, comme une allusion aux cérémonies éleusiniennes, dont au moins certains aspects auraient été adaptés et implantés à Panóias141. Cependant, cette mention pourrait différemment relever d’une stratégie rhétorique employée par Rufinus pour justifier et exalter sa fondation cultuelle. En effet, la dédicace à Hypsistos Sarapis et Korè est la seule inscription bilingue, les autres étant écrites en latin. Sarapis semble avoir eu une position de prééminence dans le culte, du fait qu’il est nommé en premier lieu dans deux dédicaces et une fois loué comme hypsistos, épiclèse qui l’élève au-dessus des autres dieux. Comme le suggère Valentino Gasparini, l’intention de Rufinus en désignant le dieu de cette manière était peutêtre double : d’une part, justifier son intervention sur la tradition religieuse locale en fondant un nouveau culte ; d’autre part, établir une communication privilégiée et intime avec le dieu au moment rituel de la dédicace. Puisque le grec pouvait être considéré comme un code plus effectif pour communiquer avec des dieux grecs, l’usage de cette langue dans la dédicace pourrait également répondre à la volonté de connecter de manière plus étroite et effective avec Sarapis et Koré, dans ce cas perçus comme des dieux grecs142. Mais en même temps, le choix du grec pourrait être dû au souhait du fondateur de présenter
Morphologique » (MRM). Voir M. J. Correia Santos, H. Pires, O. Sousa, « Nuevas lecturas ». Cf. J. Alvar Ezquerra, Los cultos egipcios, nos 193-197, avec des versions de lecture antérieures. 141. V. Gasparini, « Renewing the past », p. 335. 142. Ibid., p. 343-344. Cf. J. Alvar Ezquerra, Los cultos egipcios, no 196.
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Beatriz Pañeda Murcia le nouveau culte comme étant ou comme comprenant des mystêria, ce qui le rendrait prestigieux. Car à la fin du iie ou au début du iiie siècle, le lexique mystérique s’était généralisé dans la Méditerranée, et notamment en Asie Mineure, d’où provenait peut-être Calpurnius Rufinus, et dans certains contextes semble avoir revêtu une connotation de prestige ou d’exclusivité, de sorte que présenter une nouvelle fondation cultuelle sous le nom de « mystères » pouvait bien servir à lui donner du prestige et à la légitimer. On est donc loin d’une forme mystérique initiatique conçue sur le modèle éléusinien143. Conclusions En guise de conclusion, on insistera sur le fait que la notion moderne des mystères isiaques est héritière de deux représentations qui se mettent en place dans les écrits littéraires, philosophiques et polémiques des auteurs anciens : d’une part, la vision de l’Égypte comme la terre de l’origine de la religion et des mystères, ceux-ci étant compris comme la codification d’une sagesse ancestrale de révélation divine qui n’est accessible qu’à un groupe restreint d’initiés ; d’autre part, le modèle mystérique éleusinien qui fonde la catégorie uniforme de « mystères païens » élaborée par les apologistes chrétiens au iie siècle de notre ère. Il est impératif de s’affranchir de ces représentations pour déceler ce qu’il pourrait y avoir de mystérique dans les cultes isiaques. En effet, l’idée qu’ils comportaient des mystères centrés sur une initiation individuelle et volontaire, créée sur le modèle de celle d’Éleusis, ne résiste pas à l’examen des sources. Cette image ne se dégage que du récit d’Apulée, dont il ne faut pas oublier la nature romanesque et qui, selon toute vraisemblance, était influencé par les égyptianismes et le discours sur les mystères en vogue de son temps. Il faudrait donc l’interpréter d’une façon moins littérale et sans doute l’analyser parallèlement aux documents de la pratique religieuse. Cet examen comparatif suggère, de fait, que l’initiation ne constituait pas un rituel central dans les cultes de la gens Isiaca. Surtout, les mystères isiaques ne se réduisaient pas à l’initiation des dévots, puisque les éléments à connotation mystérique que l’on trouve dans les inscriptions – comme le 143. Ce sens initiatique est, cependant, celui que l’on a généralement donné à ce témoignage. Voir J. Alvar Ezquerra, Los cultos egipcios, nos 192 et 196, avec bibliographie antérieure.
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Les cultes isiaques au IIe siècle de notre ère secret qui préserve les activités se déroulant dans la partie la plus intérieure des temples et qui sépare l’initié du profane – apparaissent dans le contexte des fêtes annuelles et dans le culte ordinaire. Comme en Égypte, la pratique religieuse semble donc avoir comporté une dimension publique, ouverte à tous les dévots, et une autre réservée, avec des gestes et des tâches rituels accomplis à l’intérieur des temples par les desservants cultuels. Les sources disponibles ne nous permettent pas d’affirmer que les mystères constituaient une cérémonie spécifique et indépendante au sein des cultes isiaques. Au contraire, la composante mystérique semble avoir été plus fluide, moins délimitée, traversant diverses cérémonies et autres moments rituels. Les « mystères » isiaques ne sont donc pas des pratiques rituelles grecques, particulièrement éleusiniennes, introduites et adaptées aux mythes et aux rites de la gens Isiaca, mais ils sont le produit hétérogène de la réception de conceptions et de pratiques égyptiennes et de leur appropriation et adaptation aux usages locaux, qui apparemment présentaient des similitudes avec les mystêria grecs, permettant de les présenter sous une image de mystère. Par conséquent, il n’y a pas un seul lieu, moment ou contexte où les mystères isiaques auraient été inventés ; au contraire, ils résultent de multiples processus de création et re-création religieuses. Bien entendu, il n’est pas exclu que lors de ces processus variés de réception et réinvention locales, des gestes et objets rituels présents dans les mystères grecs aient été introduits en milieu isiaque, constituant des transferts ponctuels, peut-être favorisés par l’interpretatio d’Isis en Déméter. Je pense notamment à l’usage de la ciste mystique, bien attestée iconographiquement en milieu isiaque, comme dans les cultes éleusinien, dionysiaque ou métroaque, et à la révélation des objets sacrés qu’elle suggère144. Par ailleurs, la documentation de la pratique religieuse ne témoigne pas d’un « tournant mystérique » affectant les croyances et les rituels des cultes isiaques au iie siècle de notre ère – un moment où leur origine égyptienne est soulignée, surtout dans la dimension matérielle des sanctuaires. Les rares références à des aspects mystériques apparaissent dans les sources dès l’époque hellénistique et ne prolifèrent pas à la période impériale. À vrai dire, si les divinités isiaques participent d’« un tournant mystérique », c’est dans la sphère discursive, 144. Sur les images de ciste mystique, notamment isiaque, voir N. Belayche, F. Massa (éd.), Mystery Cults in Visual Representation in Graeco-Roman Antiquity, Leyde – Boston 2021 (RGRW 194), p. 154-217, 154-168 pour les images isiaques.
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Beatriz Pañeda Murcia dans la mesure où, premièrement, la vision de la religion égyptienne comme toute entière mystérique est retravaillée dans le cadre de la Seconde Sophistique et, deuxièmement, les auteurs chrétiens s’approprient aussi les cultes isiaques pour construire leur catégorie univoque de mystères. C’est essentiellement à partir de ces approches philosophiques allégorisantes et polémiques que le lexique mystérique est employé en lien avec les divinités égyptiennes, notamment avec Isis et Osiris, plus que Sarapis, du fait qu’ils sont les premiers à incarner la tradition religieuse « énigmatique » ou « mystérique » du pays du Nil. Quant aux initiés, c’étaient des dévots qui, apparemment à la suite d’un appel divin, s’engageaient dans le service cultuel, sinon à vie, au moins pendant une longue période, et avaient donc le privilège d’accéder aux espaces les plus sacrés du sanctuaire, interdits aux profanes, pour accomplir des tâches rituelles. Ils pouvaient vraisemblablement être membres d’une association cultuelle isiaque, et leur identité était publiquement manifestée par leurs vêtements cultuels et leurs comportements, du moins à certains moments du calendrier religieux isiaque. On ignore si leur premier accès à la partie la plus intime du sanctuaire faisait suite à un enseignement, s’il était ritualisé, et si oui comment, et s’il supposait véritablement un changement d’esprit pour les initiés et à quel degré. Les sources restent muettes à ce sujet. On sait, en revanche, que ces desservants étaient inférieurs aux prêtres ou à d’autres agents rituels occupant une charge civique et officielle, qui étaient cependant aussi des initiés du fait qu’ils pouvaient pénétrer dans le temple. Ces constats pourraient inviter à avancer l’hypothèse que l’existence d’initiés, ou mieux, la prolifération du phénomène associatif en milieu isiaque, était due à une organisation différente du culte dans la Méditerranée gréco-romaine par rapport à l’organisation en Égypte : en l’absence d’un clergé nombreux exclusivement consacré au service des divinités, hors du pays du Nil les dévots semblent avoir assumé les fonctions propres aux prêtres égyptiens, de telle manière que les savoirs théologiques et les pratiques qui, en Égypte, étaient restreintes au clergé, sont devenus ailleurs accessibles à une communauté cultuelle plus large, mais en même temps restreinte, celle des initiés. Dans ce sens, on pourrait considérer, avec Paraskevi Martzavou, que les dévots isiaques ont expérimenté une sorte de « sacerdotisation »145. Quoi qu’il en soit, l’importante dimension du phénomène associatif
145. P. Martzavou, « Priests and Priestly Roles », p. 81-82.
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Les cultes isiaques au IIe siècle de notre ère dans les cultes isiaques et l’allure caractéristique des acteurs religieux s’avèrent être des traits distinctifs de ces cultes, qui les distinguaient des manifestations religieuses civiques grecques et romaines. Le rôle joué par les émotions apparaît également comme un marqueur de leur étrangeté, puisqu’il est un aspect que les auteurs païens comme chrétiens soulignent et stéréotypent. Tout particulièrement, la passion d’Osiris et les émotions de deuil d’Isis représentées dans des drames sacrés sont l’élément choisi, exagéré et réinterprété par les polémistes chrétiens pour faire rentrer les cultes isiaques dans la catégorie de « mystères païens ». Il s’avère donc nécessaire de tenir compte de cet aspect émotionnel et de la théâtralisation rituelle à laquelle il est étroitement lié – au même titre que le secret, la distinction entre l’initié et le profane, l’engagement cultuel, et l’espoir d’une vie heureuse post mortem – comme autant d’éléments qui distinguent les cultes isiaques d’autres manifestations religieuses et permettent de les inclure dans une catégorie étique de « cultes à mystères ». En effet, il convient de rappeler que l’absence quasi totale de lexique mystérique dans la documentation épigraphique indique que les acteurs religieux ne percevaient pas les cultes isiaques comme étant des mystêria, semblables d’une manière ou d’une autre aux mystères d’Éleusis ou de Dionysos, pour lesquels les sources témoignent d’un usage courant de cette terminologie, même si elles ne révèlent pas le contenu rituel des mystères. Par conséquent, ce n’est essentiellement que depuis une perspective étique que l’on peut parler de « mystères » isiaques, ce qui exige d’ailleurs que l’on définisse ce que l’on entend par ces mystères. Dans ce sens, on pourrait suivre Philippe Borgeaud dans sa suggestion de construire une catégorie étique à la fois semi-empirique et opératoire, ni historiquement ni culturellement déterminée, plus englobante que celle de « cultes à mystères », et qu’il propose d’établir justement sur le fondement des émotions. Il suggère un concept de cultes à la fois pratique et fluide de type émotionnel ou étrange, où les aspects orgiastiques et les émotions occupent une place importante et jouent un rôle différent de celui qu’ils ont dans les manifestations religieuses traditionnelles grecques et romaines146. Cette idée n’est pas éloignée de la notion de cultes à mystères proposée par Jennifer Larson (dans le chapitre qui suit) depuis une approche cognitiviste, qui se fonde sur l’existence de trois éléments religieux :
146. Ph. Borgeaud, « Rites et émotions », p. 189-222.
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Beatriz Pañeda Murcia l’adhésion volontaire au culte, le secret, et un special agent ritual, à savoir un rituel où les dévots « mentally represent the deity as performing an action of which they are the objects: giving, showing or telling them something, conferring a new state upon them, entering their bodies, or the like »147. Ce type de rituel entraîne normalement de hauts niveaux de stimulation et d’excitation sensorielles et émotionnelles, ce qui rejoint la notion de Borgeaud. En milieu isiaque, l’adhésion à des associations religieuses et la participation au culte étaient volontaires et on a bien constaté que la pratique rituelle était frappée par des interdits et par le secret. De même, on pourrait songer à des aspects correspondant à un agent ritual, comme les appels divins au service cultuel au travers de songes ou d’épiphanies. Réexaminer toutes les cérémonies isiaques depuis l’approche cognitiviste proposée par Larson pourrait probablement nous aider, dans le futur, à dévoiler les mystères qu’Isis et ses divins compagnons cachaient aux hommes.
147. J. Larson, infra p. 184.
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THE COGNITIVE ANATOMY OF A MYSTERY CULT Jennifer Larson Kent State University (USA)
c
oGnitive theory attempts to explain the fundamental structures of the human mind and show how they shape our perceptions, thoughts and emotions. Scholars have recognized many significant patterns of religious belief and behavior without the need to invoke cognitive theory. However, the recognition of a pattern does not explain its presence. Cognitive perspectives have the potential to shed light on how patterns emerge, why they persist, and how they change over time. To the extent that sociological and culture-specific explanations are invoked, we need to compare them with cognitive ones and give weight to the findings at each level of analysis. Also, it is helpful to test our inductive identification of cultural patterns against independent models: ones which do not derive from our own data. There is no scholarly consensus on the definition of a mystery cult, and the category has been questioned.1 Since the semantic range of mysteric vocabulary such as mustēria, teletē, orgia, and bakchos may have shifted substantially over centuries and in multicultural contexts, I want to ask which rituals are included or excluded if we attempt an etic definition rather than one based on ancient terminology.2 For the purpose of this investigation, I propose that there is a distinctive
1. Questioned: e.g. in R. Gordon, “The problems of initiation”, Journal of Roman Archaeology 29 (2016), p. 720-725. 2. While analysis of emic terminologies is essential, semantic broadening (e.g. mustikos) and narrowing (e.g. teletē) over time limits the usefulness of a strictly terminological approach to defining mysteries. For terminology, see A. Motte, V. Pirenne-Delforge, “Le mot et les rites. Aperçu des significations de ὄργια et de 10.1484/M.BEHE-EB.5.125922
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Jennifer Larson ‘mysteric’ cult type which is elective; offers worshipers at least one special agent ritual; and imposes an obligation of secrecy upon those who participate in the ritual. Elective Cults By ‘elective,’ I mean that worshipers are self-selected, such that participation is regarded as a supplement to the cults determined by one’s social identity.3 The more inclusive cults of this type have a corollary lack of restrictions on who can elect to participate, such as women, slaves, or non-Greeks. High inclusiveness and the resulting diversity of members, as well as group size in the hundreds, are inversely related to group cohesion: participants in large, radically inclusive rituals have less in common with each other, do not necessarily maintain contact after the key ritual, and (I suggest) focus more on their relationship with the god than that with the group.4 Conversely, elec-
quelques dérivés”, Kernos 5 (1992), p. 119-140; F. Schuddeboom, Greek religious terminology: Telete & orgia, Leiden 2009. 3. On elective cults, see S. Price, Religions of the ancient Greeks, Cambridge 1999, p. 108-125. Elective cults are chosen as “useful supplements” rather than corrections or alternatives to an existing set of beliefs and practices. A. D. Nock (Conversion. The old and the new in religion from Alexander the Great to Augustine of Hippo, Oxford 1933, p. 7) calls this “adhesion” and I cite the term without implying that adhesion is somehow inferior to conversion. Compare W. Burkert (Ancient mystery cults, Cambridge [MA] 1987, p. 14-15, 17-19) on mysteries as “useful supplements” and B. Bøgh (“Beyond Nock: From adhesion to conversion in the mystery cults”, History of Religions 54.3 [2015], p. 260-287), who argues for a more expansive definition of conversion. 4. On group cohesion see A. Carron, L. Brawley, “Cohesion: Conceptual and measurement issues”, Small Group Research 31.1 (2000), p. 89-106; K. Dion, “Group cohesion: From ‘field of forces’ to multidimensional constructs”, Group Dynamics: Theory, Research and Practice 4.1 (2000), p. 7-26. S. Johnston observes (“Mysteries”, in S. Johnston [ed.], Religions of the ancient world: A guide, Cambridge [MA] 2004, p. 107-109) that mysteries generally focused more on the individual than on group membership, and that initiates had low levels of obligation to the group, but she emphasizes the individual’s “identity as a member of the cult” and the resulting privilege as key elements. A letter in Plato’s corpus (Epistles 7.333e) speaks of the friendship which results from tou xenizein, muein and epopteuein, but the emphasis is on individual relationship, not group identity or self-definition. On group size, group differentiation and their relationship to cohesion, see M. Hogg, “Intragroup processes, group structure and social identity”, in W. Robinson (ed.), Social groups & identities: Developing the legacy of Henri Tajfel, Oxford 1996, p. 76-79. M. Hogg, D. Abrams
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The Cognitive Anatomy of a Mystery Cult tive cults with lower inclusivity or smaller size are expected to exhibit stronger group cohesion, for example in forming an organizational structure, interacting regularly, or completing tasks like making a group dedication.5 In this case, the group competes with the god as the focus of attention, for to the degree that the group coheres, interactions with other members will claim a share of the individual’s attention in competition with the deity.6 Special Agent Ritual ‘Special agent ritual’ is a term coined by Robert McCauley and E. Thomas Lawson, whose ritual form theory proposes a cognitive distinction between special patient and special agent rituals, based on the action roles of the deity and worshipers. In a special patient ritual, the worshiper(s) act on the god; in a special agent ritual, the worshiper(s) are acted upon, while the god is either the proximate or the ultimate
(Social identifications: A social psychology of intergroup relations and group processes, London 1998, p. 103-104) cite literature showing that “an emotionally charged or salient intercategory boundary (e.g. class, ethnicity)” reduces cohesion. According to a much-cited article by R. Dunbar (“Neocortex size as a constraint on group size in primates”, Journal of Human Evolution 22.6 [1992], p. 469-493), a group size larger than approximately 150 forms a cognitive obstacle to cohesion. 5. High-arousal dysphoria and secrecy bind together “small, exclusive communities of ritual participants” in H. Whitehouse’s imagistic mode, while creating intolerance of out-groups; see his Modes of religiosity: A cognitive theory of religious transmission, Walnut Creek (CA) 2004 and H. Whitehouse, “Ritual, cognition and evolution”, in R. Sun (ed.), Grounding social sciences in cognitive sciences, Cambridge (MA) 2012, p. 272. This type of ritual is adaptive when groups need to confront high-risk situations. Despite many scholarly characterizations of Greco-Roman mysteries as imagistic, only a few rites (e.g. the Mithraic mysteries) clearly match Whitehouse’s model of imagistic ritual in terms of group size, cohesion, use of strong dysphoria, and other factors. 6. Many scholars emphasize the importance of group experience in Dionysiac cult, but “group” is not defined. Does it mean a large crowd which meets for an intense experience (as in a modern, drug-enhanced “rave”) but fragments afterwards, or a smaller group with organization and frequent interaction? This may speak against the conventional wisdom that the term bakchos indicates a profound focus on and/or identification with the god. The epigraphic corpus gathered by A.-F. Jaccottet (Choisir Dionysos: les associations dionysiaques ou la face cachée du dionysisme, Kilchberg [Zurich] 2003, vol. 1, p. 12) attests Dionysiac groups with cohesion strong enough to meet repeatedly, keep records and memorialize their activities.
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Jennifer Larson agent.7 The theory predicts that rituals will gravitate toward one of these two poles or ‘attractor positions,’ which differ in frequency of performance, intensity of sensory stimulation, level of emotion, and other variables. A mysteric cult, of course, could include many rituals in which worshipers make offerings to the gods, but to meet my definition, it must include at least one ritual in which worshipers mentally represent the deity as performing an action of which they are the objects: giving, showing or telling them something, conferring a new state upon them, entering their bodies, or the like. Not every special agent ritual involves secrecy. Incubation with Asclepius, for example, is both elective and a special agent ritual, but the ritual details are not normally considered secret (aporrhēta).8 Again, not every special agent ritual is elective, although the two are strongly correlated. Zeus Lykaios presided over a secret ritual in which one participant supposedly ate of human flesh and was transformed into a wolf for ten years (Plato, Republic 565d; Pausanias 8, 2.6). This ritual, which belongs to the imagistic, dysphoric type described by Harvey Whitehouse, was surely restricted to a small subset of Arcadian males, and must have been required rather than chosen. Accordingly, my definition excludes most age-class rites de passage.9
7. R. McCauley, E. Lawson, Bringing ritual to mind. Psychological foundations of cultural forms, Cambridge 2002. They also write of “special instrument rituals” in which the god’s closest connection to the ritual lies in an instrument. For further discussion in relation to Greek religion, see J. Larson, Understanding Greek religion: A cognitive approach, London 2016, p. 195-198, 219-229. 8. While hieroi logoi are typically considered secret, the Hieroi Logoi of Aelius Aristides, focusing on Asclepian healing, are “the exception that proves the rule” (A. Henrichs, “Hieroi logoi and hierai bibloi: The [un]written margins of the sacred in ancient Greece”, Harvard Studies in Classical Philology 101 [2003], p. 230, 240 with note 115). In the Epidaurian iamata (L. LiDonnici, The Epidaurian miracle inscriptions: Text, translation and commentary, Atlanta 1995, no. 11), a skeptical man is punished after peeping over a wall into the sacred area, but the god punishes his disbelief more than the learning of any unauthorized secrets. 9. Some scholars (e.g. F. Graf, Nordionische Kulte. Religionsgeschichtliche und epigraphische Untersuchungen zu den Kulten von Chios, Erythrai, Klazomenai und Phokaia, Rome 1985, p. 274-277) have traced the origin of mysteries to Archaic clan-based rites de passage. The archetypal Greek mystery deities, however, are not Artemis and Apollo, the gods most often associated with age-class rites, but Demeter and Dionysos. Greek age-class rites are not elective, but are phenomenologically similar to mysteries in cases where they carry an obligation of secrecy and involve a change from one state to another.
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The Cognitive Anatomy of a Mystery Cult How to make a deity active: paradosis and trance In applying ritual form theory, I note that the Greek rituals commonly called mysteries use two main strategies to construct the the deity as active and the worshiper as passive.10 In trance rituals involving percussive music which induces an altered mental state, such as those of Dionysus and Meter, the active role of the god and the passive role of the worshiper is explicitly described in our sources. In non-trance mysteric rituals, such as the climactic ritual in the Eleusinian Mysteries, explicit description of the deities acting directly upon the worshipers is absent. We do not hear, for example that Demeter and Kore possess the initiates. Yet it is clear that the status of the initiates has changed, and their role as recipients of an action is clear from the passive participles used to name them (for example, tetelesmenoi).11 In this conceptual model, the proximate agents are the persons conducting the rite, but the ultimate agents are the goddesses, for only someone already initiated can conduct the rite, passing down the secret content. This requirement implies a causal chain of paradosis reaching back to the founding deity, whose action is recapitulated by previous recipients of the rite.12 Such a model includes a myth of the deity’s original action in teaching or bestowing the rite, as in Demeter’s teaching of her rite to the people at Eleusis, related in the second Homeric Hymn. These two cognitive models of trance and paradosis are not mutually exclusive, and can be combined in one ritual (for example, Dionysus establishing his teletai in the Bacchae), but in terms of action roles and causal attribution, there is an important cognitive distinction between them.13 In the cases of paradosis where trance is absent, 10. A third way for a god to become active, which I leave unexplored in this chapter, is epiphany. Although epiphanies could be spontaneous, as in the famous story of Pheidippides and Pan (Herodotus 6, 105-106), they could also occur within the boundaries of the ritual through various methods, such as the revelation of a normallyhidden cult image. See the contribution of N. Belayche in this volume, p. 40 ss. 11. On the passive aspect of initiation and the use of passive participles to describe those who have undergone the ritual (bebaccheumenoi, tetelesmenoi, tauroboliati, etc.), see S. Johnston, “Mysteries”, p. 105. In the usual terminology, the ritual personnel telein someone to the deity, whose name is placed in the dative case. The passive teleisthai with the dative is used when those undergoing the ritual are the grammatical subjects, while the passive participle describes those who have undergone the ritual. 12. On the aetiological nature and/or divine origin of many hieroi logoi relating to mysteries see A. Henrichs, “Hieroi logoi and hierai bibloi”, p. 237-239. 13. Combined: Euripides, Bacchae 21-2 (katastēsas emas teletas) and 470 (didōsin
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Jennifer Larson simply being shown an object or hearing what has been handed down from the origin of the cult may be insufficient to constitute a wellformed mysteric rite, that is to say, one with an active role for the deity. After all, people participating in alimentary sacrifice at a festival may also be shown sacred objects and hear stories of the divine action which founded the cult. In order to increase the worshiper’s subjective perception of being acted upon, therefore, mysteric rites using paradosis relied on heightened sensory stimulation and manipulation of the emotions (including fear but not extreme horror or pain), plus the reception of secrets.14 This was the model at Eleusis and Samothrace. Greek trance rituals were special agent rituals in which an altered mental state, induced through percussive music and vigorous dancing, supported the perception of being acted on by a god.15 But according to my definition, these were mystery rituals only if they were also elective and included an obligation of secrecy. It is not clear that all Greek trance rituals had secret elements; they may sometimes have functioned without an obligation of secrecy in a manner analogous to incubation for healing. In fact, healing was one of the key motivations for undertaking trance rituals, which Aristotle describes (Πολιτικά, Politics, 8, 1342a 1 ss.) as having an immediate therapeutic effect. According to Ivan Linforth, the Corybantic rites, notable for their use of trance, had no element of secrecy.16 More generally, the nature and role of trance itself was not considered secret but openly discussed and described. A secret element was often supplied through concealed sacred objects which were revealed to the participants at a climactic orgia). See also A. Henrichs, “Hieroi logoi and hierai bibloi”, p. 239, citing Plutarch, De Iside et Osiride 2, 351F (hē theos… paradidōsi tois teloumenois); Diodorus Siculus, 3, 55.9 (paradosis of secret genealogy in Samothrace); Pausanias 9, 25.5-9 (Demeter’s establishment of the Kabeiric mysteries at Thebes). Athenaeus, Deipnosophists 240d (= 2.12) defines a teletē as a large festival with mystikē paradosis. 14. W. Burkert, Ancient mystery cults, p. 9, 137, collects examples of words which denote sacred rites juxtaposed with words denoting secrecy (e.g. arrhētos teletē). The root mus- seems to be connected by folk etymology with this idea as well, and the word mustikos has the connotation of something kept from sight (Strabo 10, 3.9 contrasts it with phaneros). 15. G. Rouget, Music and trance: A theory of the relations between music and possession, tr. B. Biebuyck, Chicago 1985, p. 187-226 (on the Greeks), 322-326 (on the interplay between neurophysiological aspects of music-related trance and cultural ones). A key element is the use of music culturally recognized as distinctive to each deity and to the trance state. 16. Corybantism: I. Linforth, The Corybantic rites in Plato, Berkeley 1946, p. 157.
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The Cognitive Anatomy of a Mystery Cult moment. Adding this form of paradosis to an elective trance cult would produce a mystery. Additionally, my definition excludes those trance cults in which participation was expected based on gender and social status. For example, if all a city’s married women were expected to participate in a maenadic festival (and participants were thus pre-determined rather than self-selected), such a ritual was not elective and thus not mysteric, even if it included a secret element.17 Secrecy Secrecy has been much-studied from a social perspective, in terms of how those with individual access to secrets or membership in a group with shared secrets have increased power, because secret information, regardless of its actual content, is a commodity which some possess and others do not.18 In non-mysteric cults secrecy is tied to exclusivity, and exclusive knowledge, such as a priest’s knowledge of secret sacrifices, confers power. Many non-mysteric Greek cults involved aporrhēta which were narrowly restricted to priestly personnel or other individuals with mediating roles.19 Admittedly, it is 17. Dionysiac trance rituals, including those of a maenadic character, may not have been as gender-segregated as we assume based on literary sources. Even in the Bacchae, Euripides navigates a distinction between maenads and the self-selected men who also experience mania, reducing the exclusivity of the rite (although certain elements remain forbidden to males). Still, the god wishes everyone to participate (Euripides, Bacchae 208-209) and masculine gender is used to describe those participating in the teletai (72-82). Compare the participation of King Scyles in Herodotus 4, 79. 18. See T. Luhrmann (“The magic of secrecy”, Ethos 17.2 [1989], p. 131-165), citing a central point of G. Simmel (“The secret and the secret society”, in K. H. Wolff [ed., tr.], The sociology of Georg Simmel, Glencoe [IL] 1950, p. 332-333). For reviews of anthropological literature on secrecy, see G. Herdt, “Secret societies and secret collectives”, Oceania 60.4 (1990), p. 360-381. For secrecy in mysteries, see also S. Blakely, “Toward an archaeology of secrecy: power, paradox, and the Great Gods of Samothrace”, Archeological Papers of the American Anthropological Association 21.1 (2012), p. 49-71, and S. Ribichini, “Covered by silence: Hidden texts and secret rites in the ancient mystery cults”, in G. Colesanti, L. Lulli (ed.), Submerged literature in ancient Greek culture, Vol. 2: Case studies, Berlin 2016, p. 161-176. 19. W. Burkert (“Der geheime Reiz des Verborgenen: antike Mysterienkulte”, in H. Kippenberg, G. G. Stroumsa [ed.], Secrecy and concealment, Leiden 1995, p. 82) observes that secrecy is not the distinguishing feature of these cults, as it is for the mystery cults. Examples: as the wife of the Athenian basileus, Neaira ethue ta arrhēta hiera on behalf of the polis and conducted many ancestral rites which were aporrhēta ([Demosthenes] 59, 73); the outrage is that although a xenē, she was able
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Jennifer Larson sometimes difficult to distinguish between exclusive knowledge (that which is not to be shared) and exclusive access (such that one could tell outsiders what one has seen without impiety), but I take aporrhētos and arrhētos to denote some degree of stricture on the sharing of information, an obligation of secrecy. Gender-segregated, non-elective rituals like the Thesmophoria, meanwhile, located women’s mediating power with the Two Goddesses not only in their femaleness, but also in exclusive ritual knowledge which men were forced to respect.20 Secrecy in mystery cults during the Classical Greek period, however, does not seem to have worked in the way I have just described, because the prototype mysteries were not merely elective but unusually, even radically, inclusive.21 The social value of secret information is
to learn what should have been restricted. Secret burial places of heroes: Sophocles, Oedipus at Colonus 1526-1532, 1754-1765 (location of Oedipus’ tomb restricted to Theseus and his eldest male descendants); Plutarch De Pythiae oraculis 407F (hēroōn aporrhētoi thēkai); Pausanias 2, 29.8 (tomb of Aiakos on Aigina is legomenon en aporrhētōi); Plutarch De genio Socratis 578B (location of Dirke’s tomb at Thebes limited to hipparchoi). Compare the remarks of J. N. Bremmer (“Religious secrets and secrecy in Classical Greece”, in Secrecy and concealment above in this note, p. 61-78) on “polis talismans”. Pausanias provides several examples of secret rites: 2, 12.1 (aporrhēta for the winds in four pits at Titane), 2, 17.1 (special water tōn thusiōn es tas aporrhētous at Argive Heraion), 2, 38.2-3 (logos tōn aporrhētōn in the teletē of Hera), 3, 20.3 (thusiai performed en aporrhētōi for Dionysos only by women at Bryseai), 8, 18.7 (Melampos said to cure with thusiais aporrhētois, a mythic example but possibly the model for actual rituals), 8, 38.7 (sacrifice en aporrhētōi to Lykaian Zeus), 9, 35.3 (teletē for the Charites, kept aporrhēton from the many at Athens), 10, 32.14 (Tithorea, purification method is aporrhēton). 20. E. Stehle (“Thesmophoria and Eleusinian Mysteries: The fascination of women’s secret ritual”, in M. Parca, A. Tzanetou [ed.], Finding Persephone: Women’s rituals in the ancient Mediterranean, Bloomington 2007, p. 173) reconstructs the Thesmophoria as containing what I would call a special agent ritual: after receiving offerings, the goddess in turn becomes active by transforming the bailed-up contents of the chasms into a precious gift for the people. Stehle’s description (p. 178) also highlights the festival’s role in generating intimacy with the goddess. 21. De facto financial barriers existed for initiation of slaves and the very poor, yet mystery cults of the Classical period lacked the formal restrictions (of citizenship, gender, class, family, etc.) characteristic of special patient rituals in civic cult. W. Burkert (“Der geheime Reiz des Verborgenen: antike Mysterienkulte”, p. 85) writes that in the inclusiveness of the Eleusinian mysteries there was a paradox, for “no group can be defined that is constituted by secrecy and profits from it” (my translation). On the Eleusinian Mysteries being opened during the Archaic period to all Greeks, male or female, slave or free (Herodotus 8, 6.5) and in Athenian propaganda, to the ‘whole world’, see R. Parker, Athenian religion: A history, Oxford 1996, p. 97-101, and Id.,
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The Cognitive Anatomy of a Mystery Cult inversely related to the number of people who have access, and at least in theory, most people had access to these cults. As the chorus in Sophocles’ Antigone (1119-20) says, the vale of Eleusinian Deo was ‘all-welcoming’ (pagkoinos), while the fee-for-service model of the itinerant initiator implies a lack of predetermined constraints on access.22 To clarify, I do not mean to claim that secrecy in radically inclusive mysteric cults had no social value at all. The use of ‘passwords,’ tokens and hieroi logoi in mysteries had the potential to re-activate a bond when fellow initiates lost contact after the ritual. This dynamic is exploited by Greek authors who allude to secrets which only initiated readers will recognize.23 Then too, secrecy surely strengthened the cohesion of smaller groups, but the benefits of belonging to a group are common to many cults and do not, in and of themselves, point to enhanced power in relation to the community as a whole. How did secrecy work in mysteric cults? We are still left with the paradox of ‘secrets’ which are open-access, and therefore ought to have lower value in comparison to the secrets of exclusive, non-elective rituals, especially those linked with measurable political and social privilege. Therefore, the question becomes, how did secrecy work in highly inclusive mystery cults such as Eleusis, where it was so weakly correlated with measurable privilege and mediating power? Cognitive theory can help answer this question, because it addresses the mental dynamics of secrecy rather than the self-definition of a group, or the social benefit to those with access. Secrets are what cognitivists call salient and compelling: they capture attention and produce emotional and physiological arousal. The
Polytheism and society at Athens, Oxford 2005, p. 331, 342. Specifically excluded were children (except for the “child from the hearth”), murderers and non-Greek speakers. For Samothrace see N. Dimitrova, Theoroi and initiates in Samothrace: The epigraphical evidence, Hesperia Supplement 37, Athens 2008, p. 245 (no restrictions on gender, ethnicity or social status). For more exclusive mysteries, attested in the Hellenistic and Roman periods but perhaps reflecting early practices, see F. Graf, “Lesser mysteries – not less mysterious”, in M. Cosmopoulos (ed.), Greek mysteries: The archaeology and ritual of ancient Greek secret cults, London 2003, p. 256. 22. On “public secrecy” see G. Jones, “Secrecy”, Annual Review of Anthropology 43 (2014), p. 55. 23. W. Burkert (“Le secret public et les mystères dits privés”, Ktema 23 [1998], p. 377) emphasizes the role of secrecy in forming a community.
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Jennifer Larson reasons for this have to do with our evolutionary background as social animals. We automatically interpret information which is being withheld as information worth having, and we have a natural disposition to attend to it. Economists speak of a parallel phenomenon with regard to commodities, called the scarcity bias: anything in short supply will seem more valuable. Cognitivists have studied our particular attraction to information that is relevant to social relationships. Our inexhaustible thirst for social information is manifested in pan-human behaviors like gossip.24 These evolved dispositions explain why our interest in secrets persists whether or not we realize a benefit from being privy to secret information. Learning one disappointing secret does not erase the disposition to learn new secrets, nor does the low social value of learning pseudo-secrets to which many others have access. This is why the use of the word ‘secret’ by advertisers and clickbait writers works so well: consumers readily ignore the obvious contradiction that the secret is being offered to everyone. Therefore, advertising a secret will add value to any elective cult.25 Effects of secrecy in special agent rituals But secrecy has other effects in addition to simple attraction of interest. Above all, secrecy enhances special agent rituals by increasing the initiate’s subjective perception of being acted upon. This has to do with the way we mentally represent interpersonal sharing of secrets, rather than with their psychological appeal. When I tell or show you something secret, your action role is that of recipient. If I also require you to keep the secret, my action creates a lasting relationship of intimacy between us. Recall that in a special agent ritual, the god is represented as the agent, whether proximate or ultimate. From this perspective, the initiate is entrusted with information belonging to the god, who will know whether the secret is kept. Such a requirement
24. Scarcity bias: L. Mittone, L. Savadori, “The Scarcity Bias”, Applied Psychology 58.3 (2009), p. 453-468. Gossip: R. Dunbar, “Gossip in evolutionary perspective”, Review of General Psychology 8.2 (2004), p. 100-110. 25. Secrecy as advertisement: thus S. Johnston, “Mysteries”, p. 108-109.
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The Cognitive Anatomy of a Mystery Cult will also increase the subjective perception of the difference in one’s state before and after the ritual; one’s life has indeed changed by the creation of a new and permanent obligation.26 Thus, the secret element in mystery cults can be said to function in three significant ways: first, it stimulates interest in elective cults by activating an intuition of exclusivity, regardless of the reality; second, it reinforces the action sequence of the ritual by placing the initiate in a receptive role; and third, the ongoing requirement not to divulge information generates the intuition of a lasting intimacy with the deity.27 Additionally, maintaining secrecy is effortful, and increases the cognitive load of participating in the cult.28 As we will see, an increased cognitive load is a characteristic feature of mysteric cults. Aporrhēta, teletai and orgia in non-mysteric cults From what I have just said about secrecy, it follows that any special patient (i.e. passive god) ritual with an obligation of secrecy will function at least minimally as a special agent ritual for that individual who is learning the deity’s secrets for the first time. From our etic perspective, this too is a kind of initiation. Just like mysteries, highly exclusive special patient rituals with a requirement of secrecy are called aporrhēta, teletai and orgia.29 They tend to involve service to
26. D. MacGillavry, “Rethinking secrecy in religion: Cognition and the intimacy of secrecy”, Method and Theory in the Study of Religion (2017), p. 7 (increased cognitive load of secret-keeping), 13-15 (intimacy with deity). According to J. Lane and D. Wegner (“The cognitive consequences of secrecy”, Journal of Personality and Social Psychology 69.2 [1995], p. 237-253), possessing secret information will cause an individual to think about that information more often, which will enhance memory for that information. On the impact of secrecy on the individual and the significance of before/after, see G. Herdt, “Secret societies and secret collectives”, p. 369. Mutual sharing of secrets with the god(s) at Samothrace (if the reports are accurate) would enhance the effect of intimacy: Plutarch, Apophthegmata Lacōnica 217C-D, 229D, 236D; W. Burkert, “Le secret public et les mystères dits privés”, p. 378. 27. Reinforcement of the action sequence appears to be less crucial for trance rituals, where the expected action roles are so clearly described in our sources. However, we also hear that there are “many narthex-bearers but few bakchoi” (Plato, Phaedo 69c-d) which suggests that not everyone was equally susceptible to the trance state. 28. For the extra cognitive effort expended by Eleusinian initiates in maintaining secrecy, see J. Larson, Understanding Greek religion, p. 268-276. 29. Orgia: e.g. Aristophanes, Thesmophoriazousai 938 (Thesmophoria are semna orgia), Plutarch, Life of Alcibiades 32.1-2 (Plynteria are orgia aporrhēta). Orgia may
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Jennifer Larson a god or goddess, whereby a priestly individual or a designated group acts in a mediating role on behalf of the entire community. Handling of talismanic objects, care of certain cult statues, and activities performed in a god’s holiest inner sanctum fall into this category. The points of phenomenological and terminological similarity between these two types of secret ritual (special patient and special agent) raises the question of whether secret special patient rituals could be converted into mysteries by adding a narrative of the deity as ultimate agent, and by making participation elective. I believe that the answer to this question is yes, but there would have to be strong motivation for the guardians to open up the ritual, trading their exclusive access for a hierophantic role. One such motivation might be the desire to generate revenue by charging a fee. Conversely, mysteric rituals could evolve into special patient rituals characterized principally by sacrifice and other offerings to the deity, with the deity’s active role attenuated or absent. We would expect to find such a change accompanied by greater exclusivity and stronger group cohesion; reduced secrecy might also occur. In the inscription of the Iobacchoi, for example, I find neither an indication of special agent ritual (despite the name of the group) nor a requirement of secrecy, but I do see signs of exclusivity and high cohesion.30 Were the secret elements distinctive? Were the secret acts, myths and objects in mystery rituals significantly different from the acts, myths and objects employed in cults with no requirement of secrecy? The ancient sources suggest that mysteries involved a high incidence of themes and motifs which could be associated with secrecy if found in daily life, such as sexual behavior and forms of violence associated with shame (flogging, castration, dismemberment).31 If this is correct, presenting these themes and motifs in ritual would simulate the psychological features of learning a
also refer to non-secret rites, as in Aeschylus, Septem contra Thebas 179 (orgia of the polis). For aporrhēta, see note 19 above. 30. Iobacchoi: Athens, Inscriptiones Graecae II² 1368 = F. Sokolowski, Lois sacrées des cités grecques, Paris 1969, no. 51, 164/165 ce. 31. Sexuality and violent themes in mysteries: see W. Burkert, Ancient mystery cults, p. 95-96, 104-108; compare Herodotus 2, 51 (erect phalli feature in the hieros logos of Samothrace).
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The Cognitive Anatomy of a Mystery Cult sensational secret. The designation of such information as a hieros logos marks it as the god’s own secret, which is being shared with the initiate.32 Although by no means unique to mysteric rituals, such motifs exploit the human thirst for social information. In evolutionary terms, the most valuable social information is the sexual and reproductive status of other individuals, making such topics as pregnancy, birth, intercourse, rape, and incest intrinsically compelling.33 Walter Burkert judged that the secrets in mysteries were insignificant, or perhaps arrhētos only in the sense of being impossible to describe.34 Other modern commentators have claimed that the so-called secrets were no secrets at all, and known to everyone.35 Jan Bremmer’s opinion that the secrets were too holy to speak of is closer to my view that they were regarded as the deity’s secrets.36 However, from Herodotus to 32. Hieros often carries the connotation of divine ownership. I suggest that the logos “belongs” to the god, and the god is represented as its original source. Compare A. Motte, “Silence et secret dans les mystères d’Éleusis”, in J. Ries (ed.), Les rites d’initiation. Actes du colloque de Liège et de Louvain-La-Neuve 20-21 novembre 1984, Louvain-la-Neuve 1986, p. 325-326: secrecy at Eleusis results from “la volonté expresse de la déesse” who revealed the rites, together with their ineffable nature. According to Diodorus Siculus 4, 74, after hearing the immortals converse freely, Tantalus divulged aporrhēta about them, that is, their secrets. 33. Compare W. Burkert, “Der geheime Reiz des Verborgenen: antike Mysterienkulte”, p. 81, on the biological roots of secrecy and its relationship to sexual selection and pair bonding and (p. 97-100) on the frequent presence of goddesses in mystery cults. The special role of goddesses may have to do with the greater importance of female sexual status in regard to reproduction and paternity; the Eleusinian, Kabeiric and Samothracian mysteries are known to feature information about parentage and sexual partners. In contrast, the gold tablets of the “geographic” type in the Bacchic/Orphic mysteries provide concrete instructions for gaining access to a better afterlife. Here, the information mimics non-sexual insider information, such as a treasure map or a military password. 34. W. Burkert, Ancient mystery cults, p. 9, suggests that the secret cannot really be betrayed, because “told in public it would appear insignificant”. Compare T. Luhrmann, “The magic of secrecy”, p. 147, on modern witches’ assertion that their mysteries are experiential. 35. No secrets at all: e.g. L. Martin, “Secrecy in Hellenistic religious communities”, in H. Kippenberg, G. Stroumsa (ed.), Secrecy and concealment, Leiden 1995, p. 109. This view seems to derive from E. Rohde (Psyche: The cults of souls and the belief in immortality among the Greeks, tr. W. Hillis, London 1950 [18941], p. 222) and is still influential among scholars who de-emphasize the role of knowledge and secrecy in favor of emotional experience and drama. 36. J. N. Bremmer, “Religious secrets and secrecy in Classical Greece”, p. 72, and Id., Initiation, p. 18.
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Jennifer Larson Pausanias, initiates allude to specific narrative or visual details which they decline to repeat to the uninitiated. This tells us that at least some secrets of this type clearly could be shared or withheld, and they were not ineffable or too holy to discuss with other initiates. Discretion, not silence, was the requirement.37 Other cognitive features of mysteric cults Another common element of mysteric cults, which I have chosen not to include in my definition, is the explicit claim that the ritual confers some salvific benefit on the individual, whether in this life or the next. (I want to leave open the possibility that in some cases, the benefits to be realized from initiation may have been less focused on salvation from death, or less explicitly described.) From a cognitive perspective, there is a substantial difference between this-worldly and otherworldly benefits. First, a form of salvation such as protection from shipwreck is mentally represented in intuitive, concrete ways, such as a mental image of sailing in a storm or being plucked half-drowned from the water. The promise of a blessed afterlife is necessarily more reflective, and symbolic in Dan Sperber’s sense: half-understood.38 Second, it is possible to represent shipwreck protection as an individualized benefit without regard to other people, similar to the protection offered by an amulet. Very simple afterlife concepts, which envision dead people as conscious beings residing in their tombs, are similarly concrete and individual, but they seem far from the promises made to initiates. Instead, a blessed afterlife like that described in the gold tablets depends on a universalizing concept which addresses the individual’s fate in the context of all humans, some of whom fare better and some worse. Although the underworld can be imagined as a place, it cannot be fully individualized. Did the earliest version of the Eleusinian mysteries already promise élite status in the underworld? Or did it confer expectations of this-worldly ‘blessedness,’ prosperity and feelings of wellbeing, related to the experience of intimacy with the goddesses? The emergence of universalizing
37. Compare Diogenes Laertius, Vitae Philosophorum 2, 101: the hierophant Eurycleides, asked who is impious in regard to the Mysteries, replies, “those who reveal them to non-initiates”. 38. For Sperber’s theory of symbolic thought see D. Sperber, Rethinking symbolism, tr. Alice Morton, Cambridge 1975, discussed in J. Larson, Understanding Greek religion, p. 80-84.
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The Cognitive Anatomy of a Mystery Cult afterlife claims at Eleusis is a distinctive doctrinal development, which seems conceptually related to the expanded inclusivity observed during the Classical period.39 Mysteric rituals and explicit doctrines of benefit Explicit doctrines about salvific benefits and blessed status are a feature distinctive of the mysteric cult type, but otherwise unusual in early Greek religion. Most special patient rituals (comprising the vast majority of Greek rituals) could function quite well even if the worshipers expended minimal reflection on their meaning. Such rituals are predicated on deeply ingrained intuitions about social interaction, such as the inference of reciprocity which functions in gift-exchange systems: do ut des works even if expectations are left vague and implicit. Special agent rituals, on the other hand, call for the god to become active within the boundaries of the ritual, through an immediate demonstration of power, a paradosis, or both. The god’s action would seem to be unintelligible as ‘action’ without at least some explicit framing by the participants in the ritual.40 Likewise, some framing of the receptive role is also necessary in special agent rituals. Trance is often represented as a form of possession, either beneficial (as in therapeutic cults) or dangerous (as in some descriptions of Dionysiac ‘madness’). In mysteric cults, conceptualizing the god as active seems to have favored the emergence not only of explicit paradoseis, but also explicit doctrines about the result of the ritual action. Despite the initiate’s passive role, mysteric cults which offer salvific benefits require more mental effort by the participants, if they are to understand their own transformation. By ‘more mental effort’ I do not necessarily speak of grappling with esoteric meaning (although this could be part of such a process), but of the need to attribute action and result explicitly when an invisible divine agent’s ‘activity’ cannot be directly observed. These considerations may explain why neither children nor non-Greek speakers were typically initiated at Eleusis.
39. Concrete vs. universalizing: compare J. Z. Smith’s distinction (Drudgery divine: On the comparison of early Christianities and the religions of late antiquity, Chicago 1990, p. 121) between locative and utopian forms of salvation. 40. For preparatory framing at Eleusis, see J. Larson, Understanding Greek religion, p. 268-276 with bibliography.
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Jennifer Larson Mysteric rites also appear to rely more on effortful metarepresentation than other kinds of Greek ritual. Metarepresentation is the second-order (rather than direct) manipulation of knowledge, that is, representations about representations.41 The designation of information as ‘secret’ is itself a form of metarepresentation, but many mysteries expanded the secrecy from simple and concrete objects shown (deiknumena) to narratives (hieroi logoi). Some cults seem to have involved an allegory alluding to seasonal cycles or processes (Kore = Grain). Others revealed the gods’ secret names or offered revised versions of traditional myths (Demeter = Brimo; Dionysus’ mother is not Semele but Persephone). All three of these strategies can be advertised as the sharing of secret knowledge precisely because they involve an extra layer of representation, a kind of decoding.42 We might hypothesize that the increased cognitive load of mysteric rituals contributed to intuitions of exclusivity and thus value, or that the effort was justified by promises of rewards.43 While educated élites
41. Metarepresentation is the mental tool that enables reflective cognition. For example, “The dog is friendly” involves not only the concept “dog” but also a representation about it. Metarepresentational tasks vary in difficulty; for example, “Henry is afraid that his parents believe that his dog is vicious” involves three levels of metarepresentation. For approaches to metarepresentation, see the papers in D. Sperber (ed.), Metarepresentations: A multidisciplinary perspective, Oxford 2000. 42. On metarepresentation and secrecy see E. Asprem, “Reverse-engineering ‘esotericism’: how to prepare a complex cultural concept for the cognitive science of religion”, Religion 46.2 (2016), p. 173-175. Compare Plutarch, Essay on the life and poetry of Homer 92: that which is said enigmatically (di’ huponoias) is thought attractive, whereas that which is said openly (phanerōs legomenon) may be valued less. F. Barth (Ritual and knowledge among the Baktaman of New Guinea, New Haven 1975, p. 219) describes the multiple levels of metarepresentation which are employed at successive stages of initiation in a Baktaman men’s society. Knowledge with a very high cognitive load creates its own ‘secrecy’ due to the difficulty of access. This is also true of simpler content which has been vested with authority, like the Christian gospels, because their very importance generates the expectation of occult meanings and a need for interpretation. See F. Kermode, The genesis of secrecy. On the interpretation of narrative, Cambridge (MA) 1979, p. 143-145; T. Luhrmann, “The magic of secrecy”, p. 138-139. 43. The “effort heuristic” is a rule of thumb according to which people judge the value or worth of something by the perceived amount of effort put into it. See D. Wirtz, J. Kruger, W. Altermatt, L. Van Boven, “The effort heuristic”, Journal of Experimental Social Psychology 40 (2004), p. 91-98.
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The Cognitive Anatomy of a Mystery Cult might develop sophisticated theologies tied to such cults, there would be selection pressures against any cults requiring mastery of truly esoteric or abstruse content. The value of an etic definition of mysteric cult To conclude, it is probable that many rituals described as mustēria, orgia or teletai in antiquity do not fit my definition, but are phenomenologically similar enough to explain the use of the shared terminology. My purpose in proposing an etic definition independent of local terminology is not to exclude such cults from our broader understanding of the category of mysteries, but to provide a baseline or standard against which diachronic and geographical trends in ritual form can be mapped. What non-mysteric rituals in the Greek repertoire (for example, the Thesmophoria or age-class rites de passage) are structurally most similar to mysteries? Did mysteric rituals change over time through the weakening of one of my three criteria? Did they undergo changes in inclusiveness, group cohesion, or cognitive load? Were non-mysteric rituals ever revised to become full-fledged mysteries? The construction and discussion of this definition has served as a heuristic device which I hope will generate new approaches to our topic, the most enduring of scholarly mysteries.
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– II –
Une « mystérisation » dans les savoirs et la littérature du IIe siècle ?
GALIEN HIÉROPHANTE ET LES MYSTÈRES DE LA MÉDECINE Antoine Pietrobelli Université de Reims
G
alien,
ce grand inconnu de l’Antiquité, apparaît souvent comme un penseur provocant et clivant par les positions qu’il adopte. Il a ainsi défendu la primauté scientifique de la médecine sur la philosophie en dénonçant la vanité et l’inutilité des débats métaphysiques des philosophes sur le cosmos ou sur l’âme. Sur des questions comme la création du monde ou l’essence de l’âme, Galien estime que les différents philosophes se sont prononcés sans prouver leurs dires et il s’est déclaré lui-même agnostique sur de tels sujets1. Pour lui, la médecine est une science supérieure à la philosophie, parce que l’expérience permet de fonder ce savoir sur des faits observés et vérifiables. Sur les mystères aussi, l’attitude de Galien peut sembler provocante. Par deux fois, il décrit ses recherches anatomiques sur le vivant et son enseignement médical comme une initiation équivalente, sinon supérieure, à celle que recevaient les mystes lors des cérémonies d’Éleusis et de Samothrace. Voici les deux passages où Galien exprime cette position iconoclaste : Maintenant, prête-moi plus d’attention que si, admis aux mystères d’Éleusis, de Samothrace ou de quelque autre sainte cérémonie, tu étais entièrement absorbé par les actions et les paroles des
1. Sur Galien et les controverses des philosophes, voir R. Chiaradonna, « Galeno e le dispute dei filosofi: la generazione del cosmo », Medicina nei Secoli 29.3 (2017), p. 861-878. Sur l’agnosticisme de Galien, voir A. Pietrobelli « Galien agnostique : un texte caviardé par la tradition », Revue des études grecques 126 (2013), p. 103-135. 10.1484/M.BEHE-EB.5.125923
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Antoine Pietrobelli hiérophantes. Et considère que cette initiation n’est pas inférieure aux précédentes et qu’elle peut aussi bien révéler la sagesse, la prévoyance et la puissance du créateur des êtres vivants. Considère aussi que cette initiation que je tiens dans la main, c’est moi qui l’ai faite le premier. Aucun anatomiste ne connaissait un seul de ces nerfs, ni une seule des particularités que j’ai signalées dans la structure du larynx. […] Tourne-toi donc toi-même, si ce n’est pas déjà fait, vers ce qu’il y a de plus vénérable, montre-toi un auditeur digne de ce qui va être dit et suis la parole qui décrit les mystères merveilleux de la nature2.
Ce traité sur l’utilité des parties n’est donc pas seulement utile au médecin, mais plus encore au philosophe qu’au médecin : au philosophe qui tient à posséder la science de la nature entière. Et il faut que tous les hommes, à ce que je pense, soient initiés à ces mystères euxmêmes qui ne ressemblent en rien aux fêtes d’Éleusis et de Samothrace. Car ces fêtes révèlent confusément ce qu’elles sont destinées à enseigner, tandis que les œuvres de la nature sont évidentes dans tous les êtres vivants. Car ce n’est certes pas dans l’homme seul que tu découvriras cet art dont je viens de parler, mais quel que soit l’être vivant que tu veux disséquer, il te révélera pareillement la sagesse et l’art du créateur. Et plus cet être sera petit, plus grand sera l’émerveillement qu’il suscite, comme cela arrive pour les miniatures que les créateurs sculptent sur des petits objets3. 2. Galien, Sur l’utilité des parties du corps VII, 14 (Kühn III, 575-76 ; tr. Daremberg, t. I, p. 502-503, un peu modifiée) : Πρόσσχες τοίνυν ἤδη μοι τὸν νοῦν μᾶλλον, ἢ εἴ ποτε μυούμενος Ἐλευσίνια καὶ Σαμοθρᾴκια καὶ ἄλλην τινὰ τελετὴν ἁγίαν ὅλος ἦσθα πρὸς τοῖς δρωμένοις τε καὶ λεγομένοις ὑπὸ τῶν ἱεροφαντῶν, μηδέν τι χείρω νομίσας ταύτην ἐκείνων εἶναι τὴν τελετήν, μηδ’ ἧττον ἐνδείξασθαι δυναμένην ἢ σοφίαν ἢ πρόνοιαν ἢ δύναμιν τοῦ τῶν ζῴων δημιουργοῦ, καὶ μάλισθ’ ὅτι τὴν τελετὴν ταύτην, ἣν νῦν μεταχειρίζομαι, πρῶτος ἁπάντων ἐξεῦρον. Οὐδεὶς γοῦν τῶν ἀνατομικῶν οὔτε τούτων τι τῶν νεύρων ἐγίγνωσκεν οὔτε τῶν ἔμπροσθεν εἰρημένων ἐν τῇ κατασκευῇ τοῦ λάρυγγος. […] Ἐπιστρέψας οὖν καὶ σὺ σαυτόν, εἰ καὶ μὴ πρόσθεν, ἀλλὰ νῦν γοῦν ἐπὶ τὸ σεμνότερον ἄξιός τε τῶν λεχθησομένων ἀκροατὴς γενόμενος ἀκολούθει τῷ λόγῳ θαυμαστὰ τῆς φύσεως ἐξηγουμένῳ μυστήρια. 3. Galien, Sur l’utilité des parties du corps XVII, I (Kühn IV, 361 ; tr. Daremberg modifiée) : Οὔκουν ἰατρῷ μόνον ἡ περὶ χρείας μορίων ἐστὶ πραγματεία χρησίμη, πολὺ δὲ μᾶλλον ἰατροῦ φιλοσόφῳ τῆς ὅλης φύσεως ἐπιστήμην κτήσασθαι σπεύδοντι, καὶ κατ’ αὐτὴν χρὴ τελεῖσθαι τὴν τελετὴν ἅπαντας [γάρ], ὡς οἶμαι, καὶ κατ’ ἔθνος καὶ κατ’ ἀριθμὸν ἀνθρώπους, ὅσοι τιμῶσι θεούς, οὐδὲν ὅμοιον ἔχουσαν Ἐλευσινίοις τε καὶ Σαμοθρᾳκίοις ὀργίοις. Ἀμυδρὰ μὲν γὰρ ἐκεῖνα πρὸς ἔνδειξιν ὧν σπεύδει διδάσκειν· ἐναργῆ δὲ τὰ τῆς φύσεώς ἐστι κατὰ πάντα τὰ ζῷα. Μὴ γὰρ δὴ κατ’ ἄνθρωπον ὑπολάβῃς μόνον εἶναι τοσαύτην τέχνην, ὅσην ὁ πρόσθεν ἐξηγήσατο λόγος, ἀλλ’ ὅτιπερ ἂν ἀνατεμεῖν ἐθέλῃς ἕτερον ζῷον, ἴσην ἐνδείξεταί σοι σοφίαν τε ἅμα
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Galien hiérophante et les mystères de la médecine À trois reprises dans son traité Sur l’utilité des parties du corps4, Galien compare ses enquêtes anatomiques et ses dissections aux mystères d’Éleusis et de Samothrace. Il prétend que l’enseignement de la médecine constitue une initiation supérieure à celle que procurent ces mystères, parce que cette discipline permet d’appréhender plus clairement la sagesse, la prévoyance, la puissance et enfin l’art du créateur des êtres vivants. Galien assigne ainsi aux mystères une fonction qui n’est traditionnellement pas recensée par les historiens qui se sont intéressés aux cultes mystériques. Et c’est cette proposition étonnante de Galien que je me propose d’interroger dans cette brève étude. Le corpus galénique n’a pas été exploité comme source dans la bibliographie sur les mystères. Il est vrai que ce témoignage du iie siècle ne donne aucune information nouvelle sur ces rituels mystérieux. Toutefois dans le cadre de ce colloque consacré à la réception ou à l’imaginaire des mystères au iie siècle, le témoignage de Galien peut avoir quelque intérêt. Quel sens peut bien avoir cette thèse galénique selon laquelle la médecine délivrerait une initiation supérieure à celles des cultes à mystères ? S’agit-il d’une simple métaphore ? Galien utilise-t-il seulement le vocabulaire des mystères pour donner une emphase et une solennité à son propos ? Ce geste ne serait-il qu’une forme de promotion de son art ? Il faut brièvement rappeler que le traité galénique Sur l’utilité des parties du corps fut composé dans le cadre de dissections anatomiques réalisées en public à Rome devant le cercle lettré du consul Boethus. Ce cercle de philoi ou d’amici comprenait des philosophes, des médecins, des rhéteurs et des hommes politiques. En arrivant à Rome pour son premier séjour entre 162 et 166, Galien fit sensation dans ce cénacle péripatéticien passionné par l’étude du vivant, en disséquant sous leurs yeux des porcs, des singes ou des chèvres pour remettre en cause certains éléments de la biologie d’Aristote. De même que ce traité adopte la pensée téléologique d’Aristote, chaque découverte anatomique révélant la sagesse et la prévoyance du démiurge, de même, on peut songer que Galien renvoie aux mystères parce que son auditoire avait été initié à Éleusis ou Samothrace. Le traité de Galien
καὶ τέχνην τοῦ δημιουργοῦ· καὶ ὅσῳ γ’ ἂν ᾖ μικρότερον, τοσούτῳ μεῖζον παρέξει τὸ θαῦμα, καθάπερ ὅσα διαγλύφουσιν ἐν μικραῖς οὐσίαις οἱ δημιουργοί. 4. Voir aussi Galien, Sur l’utilité des parties du corps XII, 6 (Kühn IV, 20). Sur ces trois passages, voir C. Petit, Galien de Pergame ou la rhétorique de la Providence. Médecine, littérature et pouvoir à Rome, Leyde – Boston 2018, p. 180-186.
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Antoine Pietrobelli s’adresse avant tout à un cercle d’aristocrates gréco-romains qui formaient l’élite impériale. S’il utilise cette métaphore pour promouvoir l’étude de sa discipline, c’est bien parce qu’elle avait des résonances chez ses contemporains. On peut également se demander si Galien savait de quoi il parlait quand il invoquait les mystères et s’il avait été initié à Éleusis, à Samothrace ou dans l’un des autres sanctuaires du monde méditerranéen. Galien peut-il nous aider à mieux comprendre les mystères ou, à tout le moins, l’emprise des mystères à son époque ? Et la médecine elle-même a-t-elle des choses à nous dire sur les mystères ? Je vais d’abord collecter quelques références sur les mystères dans le corpus de Galien pour montrer qu’il connaissait les mystères d’Éleusis et qu’il y avait probablement été initié. Dans un second temps, je voudrais montrer comment Galien utilise le vocabulaire mystérique pour décrire son enseignement médical avant de revenir en dernier lieu sur ce lien qu’il établit entre les mystères merveilleux de la nature d’une part et les mystères religieux d’Éleusis et de Samothrace d’autre part. Galien et Éleusis Galien donne plusieurs informations sur les mystèria. Dans son traité sur la Préservation de la santé, il rappelle que c’est le nom d’un mois à Athènes, mois que l’on appelle septembre à Rome et Hyperbérétaios à Pergame, sa ville natale5. Il sait donc bien que les mystères d’Éleusis se déroulaient durant la seconde moitié du mois de septembre, à la veille des semailles d’automne. Plus étonnant est le fait que dans un passage du Sur la composition des médicaments selon les lieux, il invoque d’abord son dieu personnel l’Asclépios de Pergame6 puis l’Artémis d’Éphèse, l’Apollon de Delphes et enfin le feu d’Éleusis7. Ces invocations ne sont peut-être qu’un trait de langage
5. Galien, Préservation de la santé (Kühn VI, 287) : […] ὅστις καιρὸς ἐν Ῥώμῃ μὲν ὁ καλούμενος μήν ἐστι Σεπτέμβριος, ἐν Περγάμῳ δὲ παρ’ ἡμῖν Ὑπερβερεταῖος, Ἀθήνησι δὲ μυστήρια. 6. Sur les liens que Galien entretient avec Asclépios, voir A. Pietrobelli, « Galen’s Religious Itineraries », Religion in the Roman Empire 3 (2017), p. 221-241. 7. Galien, Sur la composition des médicaments selon les lieux (Kühn XIII, 272) : μὰ τὸν ἐν Περγάμῳ Ἀσκληπιόν, μὰ τὴν ἐν Ἐφέσῳ Ἄρτεμιν, μὰ τὸν ἐν Δελφοῖς Ἀπόλλωνα, μὰ τὸ ἐν Ἐλευσῖνι πῦρ. Galien évoque à plusieurs reprises Apollon Pythios dans son
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Galien hiérophante et les mystères de la médecine ou une façon de parler, mais on pourrait aussi les interpréter comme une énumération du panthéon personnel de Galien et donc comme un témoignage sur son initiation à Éleusis. Dans la littérature grecque numérisée dans le Thesaurus Linguae Graecae, Galien est le seul à employer cette expression « par le feu d’Éleusis » (μὰ τὸ ἐν Ἐλευσῖνι πῦρ). Toutefois son contemporain Ælius Aristide dans sa Déploration sur le saccage d’Éleusis fait lui aussi une invocation à ce feu d’Éleusis (Eleusinios, Or. 22, 11 : ὦ πῦρ οἷον ὥφθης Ἐλευσῖνι). Ce qu’il y a de sûr c’est que Galien est passé par Éleusis lors d’un voyage qu’il effectuait avec un ami de Gortyne8 entre Corinthe et Athènes ; il dit avoir emprunté la route côtière et traversé Mégare et Éleusis : Quand nous arrivâmes à Corinthe, il décida d’envoyer par mer, de Kenkhrées jusqu’à Athènes, tous ses bagages et ses serviteurs, sauf deux d’entre eux, tandis que nous poursuivions le voyage à pied par Mégare, après avoir loué un véhicule. Nous avions traversé Éleusis et nous nous trouvions du côté de la plaine de Thria lorsqu’il interrogea les serviteurs qui le suivaient au sujet d’un bagage9.
Un autre témoignage10 indique qu’il connaissait bien la topographie de l’Attique : dans une comparaison, il se réfère à la route qui va d’Athènes à Éleusis dans l’idée qu’il n’y a qu’une seule route reliant les deux cités. De ces maigres indices, il est difficile de déduire que Galien était l’un des initiés d’Éleusis. Toutefois le fait qu’il se mette en scène en hiérophante et qu’il utilise le vocabulaire des mystères pour décrire
corpus, ainsi que l’Artémis d’Éphèse, cité voisine de Pergame où se déroulaient aussi des mystères ; voir G. M. Rogers, The Mysteries of Artemis of Ephesos: Cult, Polis and Change in the Graeco-Roman world, New Heaven – London 2012 et N. Belayche, « Les hiérophantes marqueurs des “mystères” ? Le cas de l’Artémis éphésienne », Mètis N.S. 14 (2016), p. 49-74. 8. Galien, Du diagnostic et du traitement des passions propres à l’âme de chacun (Kühn V, 18-19 ; tr. V. Barras et al., p. 15). 9. Galien, Du diagnostic et du traitement des passions propres à l’âme de chacun (Kühn V, 18-19 ; tr. V. Barras et al., p. 15) : Γενομένοις οὖν ἡμῖν ἐν Κορίνθῳ πάντα μὲν ἔδοξε τὰ σκεύη καὶ τοὺς οἰκέτας ἀπὸ Κεγχρεῶν εἰς Ἀθήνας ἐκπέμψαι κατὰ πλοῦν ἐκτὸς δυεῖν, αὐτὸν δ’ ὄχημα μισθωσάμενον πεζῇ διὰ Μεγάρων πορεύεσθαι. Καὶ δὴ διελθόντων ἡμῶν Ἐλευσῖνα καὶ κατὰ τὸ Θριάσιον ὄντων ἤρετο τοὺς ἑπομένους οἰκέτας αὐτῷ περί τινος σκεύους. 10. Galien, Commentaire aux Articulations d’Hippocrate (Kühn XVIIIA, 320-321).
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Antoine Pietrobelli son corpus de textes devant ses contemporains pourrait laisser penser qu’il savait de quoi il parlait. L’empereur Marc Aurèle qui recruta Galien à la cour en 169 pour prendre soin de la santé du jeune Commode, fut initié aux mystères éleusiniens en même temps que son fils en 17611, quand Galien était à leur service. Le médecin aurait peut-être passé pour un charlatan, en utilisant la référence aux mystères devant les mystes de son temps, s’il n’avait pas lui-même été initié à l’un d’entre eux. Pour comparer ses découvertes anatomiques aux révélations des mystères devant un public d’initiés, il avait dû vivre luimême de telles expériences. Afin d’abonder en ce sens, on peut encore rapporter une tradition selon laquelle Hippocrate, le modèle de Galien, avait été initié aux mystères d’Éleusis lors de son passage à Athènes12. Il ne faut pas perdre de vue que la médecine grecque, toute rationnelle qu’elle soit, avait comme toutes les activités des anciens un cadre et une dimension religieuse. Galien était lui-même un thérapeute d’Asclépios, ce qui signifie qu’il passa du temps dans le sanctuaire de Pergame à prendre part au culte du dieu13. Galien hiérophante La mention des mystères ne se fait pas seulement à propos des vérités dévoilées par les expériences anatomiques de Galien. Quand il parle de ses discours et de ses écrits, il utilise aussi la référence mystérique : En effet, aucun de mes auditeurs n’est aussi insupportable pour moi que celui qui ne comprend pas mes paroles, car de ceux qui m’ont compris, je n’en connais pas un qui, éloigné de moi, accuse la nature d’inhabilité. De même donc que pour les discours qu’on tient dans les mystères, les prêtres ordonnent aux profanes de fermer les portes sur leurs oreilles ; de même aussi, moi, qui initie mes semblables non pas à des rites tracés par la main de l’homme, mais aux mystères les plus vrais, j’ordonne aux personnes qui ne sont pas initiées à la méthode
11. Suite à un vœu fait lors de la guerre contre les Marcomans, il aurait demandé à Hérode Atticus d’être le mystagogue de son initiation ; voir Philostrate, Vie des sophistes II, 1 (563) et M.-H. Quet, La « crise » de l’Empire romain de Marc Aurèle à Constantin. Mutations, continuités, ruptures, Paris 2006, p. 241. Voir la contribution de Nicole Belayche dans ce volume, p. 35, n. 52. 12. Pseudo-Soranos, Vie d’Hippocrate 10 (éd. Ilberg, CMG, Berlin 1927, 177, 2). 13. A. Pietrobelli, « Galen’s Religious Itineraries ».
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Galien hiérophante et les mystères de la médecine démonstrative de fermer les portes de leurs oreilles ; car des ânes apprendraient plutôt à jouer de la lyre que ces hommes à comprendre la vérité de ce que j’enseigne ici. Et bien que je sache que très peu de personnes seront attentives à mes paroles, je n’ai pas hésité, par égard pour ce petit nombre, à faire entendre même à des profanes des paroles mystérieuses14.
Ce texte est riche d’informations. Notons d’abord les quelques renseignements relatifs à une forme de rituel. Il évoque des hiérophantes ordonnant aux profanes de fermer les portes de leurs oreilles et on les imagine appliquer leurs mains de chaque côté de la tête15. Il décrit aussi les gestes accomplis par les hiérophantes comme des « rites humains » (ἀνθρωπίνοις νομοθετήμασιν). Il revendique, quant à lui, une initiation aux véritables mystères et il conçoit ses écrits comme des μυστικοὶ λόγοι, qui ne s’adressent pas aux non-initiés. Comme les mystères, ses écrits ont un caractère secret et ésotérique, ils ne sont pas destinés à tous, mais à un petit nombre. On retrouve ici une conception et une forme d’organisation sociale du savoir qui remonte au moins à l’école de Pythagore. À la fin du passage, on perçoit également une allusion à l’idée que la divulgation du savoir mystérique est interdite et réservée uniquement aux mystes. Ce qu’il y a d’intéressant, c’est que Galien établit une équivalence entre l’initiation dans la méthode démonstrative des philosophes et des géomètres et les rites d’initiation des mystères16. Il 14. Galien, Sur l’utilité des parties du corps XII, 6 (Kühn IV, 20-21 ; tr. Daremberg, II, 14-15) : Οὐδεὶς γὰρ οὕτως ἀκροατὴς ἐμοὶ βαρύς, ὡς ὁ μὴ παρακολουθῶν τοῖς λεγομένοις, ἐπεὶ τῶν γε συνιέντων οὐκ οἶδ’ εἴ τις ἀπηλλάγη πόθ’ ἡμῶν εἴς τι κατεγνωκὼς ἀτεχνίαν τῆς φύσεως. Ὥσπερ οὖν τοῖς ὠσὶν ἐπιθέσθαι θύρας τοὺς βεβήλους κελεύουσιν ἐν τοῖς μυστικοῖς λόγοις, οὕτω κἀγὼ νῦν οὐκ ἀνθρωπίνοις νομοθετήμασιν, ἀλλ’ αὐτοῖς τοῖς ἀληθεστάτοις τελῶν μυστηρίοις ἐπιθέσθαι θύρας κελεύω τοῖς ὠσὶ τοὺς ἀποδεικτικῆς μεθόδου βεβήλους. Ὄνοι γὰρ ἂν θᾶττον λύρας ἢ ἐκεῖνοι τῆς ἀληθείας τῶν ἐνταυθοῖ λεγομένων αἴσθοιντο. Καὶ μέντοι καὶ γιγνώσκων ὀλίγους παντάπασιν ἔσεσθαι τοὺς ἀκολουθήσοντας τοῖς λεγομένοις ὅμως οὐκ ὤκνησα δι’ ἐκείνους ἐκφέρειν καὶ τοῖς ἀμυήτοις λόγους μυστικούς. 15. Cette formule, d’origine orphique, se trouve dans le Banquet de Platon (en 218b) quand Alcibiade somme les profanes et les frustres de refermer sur leurs oreilles des portes épaisses. Sur l’utilisation de cette expression par les contemporains de Galien comme Ælius Aristide, Denys d’Halicarnasse et Lucien, voir C. Petit, Galien de Pergame, p. 184. Cf. aussi infra, les contributions de Ch. Delattre, p. 355 et n. 13, et de Ph. Hoffmann, p. 502 et n. 35 p. 502-503. 16. Dans son Art médical (c. 37) et dans Sur l’ordre de ses propres livres (c. I et II), il conseille aux étudiants de se former dans la méthode de démonstration en lisant son
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Antoine Pietrobelli s’inscrit en cela dans la lignée de philosophes platoniciens tels que son maître Albinus, dont il a pu suivre les cours à Smyrne, ou Théon de la même cité, qui assignaient à l’étude des sciences mathématiques et géométriques un effet cathartique et initiatique17. Ce prérequis mathématique et logique que Galien exige de ses lecteurs revient souvent dans le corpus : ils doivent s’être formés à la logique et à l’art de la démonstration avant d’en venir à la médecine. Dans son traité Sur les simples, il énonce cette même idée avec, de nouveau, un renvoi aux mystères : Ainsi tous ceux qui sont sensés, je sais qu’ils seront persuadés et s’ils se préoccupent pleinement de la réflexion ici présente, ils liront l’ensemble de ce traité depuis le début. Mais ceux qui sont plus curieux que studieux ne seront pas persuadés par le propos et il n’y a peutêtre rien d’étonnant à cela, c’est un peu comme si des gens non initiés avaient l’audace de lire des livres de mystères. Or les auteurs de ces livres ne les écrivent pas pour les profanes et je n’écris pas cet ouvrage pour ceux qui n’ont pas encore été entraînés dans les connaissances de base18.
L’allusion à des « livres de mystères » (μυστηρίων βίβλοι), dont l’existence a parfois été réfutée par les spécialistes, sert à souligner le niveau du lectorat visé par Galien. Dans son corpus monumental, Galien est sans cesse préoccupé par le haut niveau d’éducation de son public : il écrit pour des pepaideumenoi ayant reçu l’enkyklios paideia des Grecs. Comme dans l’école de Pythagore et plus tard chez les
ouvrage Sur la démonstration, avant d’en venir à la médecine proprement dite. Chez Galien, comme chez les platoniciens, l’exercice de la géométrie est une activité divine et, paradoxalement, cette pratique de la rationalité intellectuelle est l’expression même de la part divine de l’homme ; voir par exemple Galien, Sur l’utilité des parties du corps X, 14 (III, 837-838 K) et H. von Staden, « Galen’s daimon: reflections on “irrational” and “rational” », dans N. Palmieri (éd.), Rationnel et irrationnel dans la médecine ancienne et médiévale. Aspects historiques, scientifiques et culturels, SaintÉtienne 2003, p. 15-43. 17. Voir la contribution d’Andrei Timotin dans ce volume, p. 279-298. 18. Galien, Sur les simples VII, prol. (Kühn XII, 1-2) : Ὅσοι μὲν οὖν σώφρονές εἰσιν οἶδ’ ὅτι πεισθήσονται, καὶ εἴπερ ὅλως πεφροντίκασι τῆς προκειμένης θεωρίας, ἀπὸ τῆς ἀρχῆς ἀναλέξονται τὴν ὅλην πραγματείαν· ὅσοι δὲ περίεργοι μᾶλλον ἢ φιλομαθεῖς ὑπάρχουσιν, ἀπειθήσουσι τῇ προσρήσει, καὶ οὐδὲν ἴσως θαυμαστόν, εἴ γε καὶ μυστηρίων βίβλους ἐτόλμησαν ἔνιοι τῶν ἀμυήτων ἀναγινώσκειν. Ἀλλ’ οὔτ’ ἐκείνας ἔγραψαν οἱ γράψαντες τοῖς βεβήλοις οὔτ’ ἐγὼ ταῦτα τοῖς μήπω περὶ τὰ πρῶτα γεγυμνασμένοις.
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Galien hiérophante et les mystères de la médecine néoplatoniciens, Galien établit une hiérarchie entre ses différents auditeurs/lecteurs et il détermine un ordre de lecture pour ses différents livres. La lecture de son corpus dans un ordre bien défini constitue une propédeutique à l’acquisition de la vérité. Cette dimension initiatique du corpus apparaît aussi dans ses Conseils pour un enfant épileptique : J’hésitais par conséquent à t’écrire ces conseils, car dans mon désir de t’être pleinement agréable, je m’attendais à éprouver ce qu’aurait aussi éprouvé Phidias si, après avoir sculpté la statue d’Athéna, il avait été contraint d’en façonner séparément un doigt, puis un bras, un pied, un nez et une oreille, et chacune de ses parties. Pour ma part, en effet, je pense que c’est un peu comme une statue que j’ai exposé la méthode thérapeutique en de très nombreux livres, de manière que non seulement elle ne puisse pas être utile aux profanes, mais pas même aux premiers venus des médecins19.
Dans ce passage, Galien rappelle qu’il s’adresse délibérément à un public d’initiés et non au premier venu. Il explique avoir disséminé lui-même sa méthode thérapeutique dans une multitude de livres afin de rendre ce savoir plus inaccessible et secret. La comparaison avec la statue d’Athéna de Phidias invite aussi à percevoir la valeur religieuse du corpus et des écrits de Galien. Comme je l’ai montré par ailleurs20, le corpus galénique prend parfois des accents votifs. Le Sur l’utilité des parties du corps se donne par exemple comme un hymne en l’honneur du démiurge. Grâce à son réseau d’amis, Galien a aussi fait placer des exemplaires de ses livres dans les bibliothèques publiques de l’empire21. Il a offert ses livres de médecine à ces établissements publics qui étaient toujours placés sous la tutelle d’une divinité et le plus souvent mitoyens des temples. Ce don de livres est un acte liturgique,
19. Galien, Conseils pour un enfant épileptique (Kühn XI, 359) : Ταῦτά τοι καὶ γράφειν ὤκνουν τὰς ὑποθήκας καίτοι πάνυ χαρίζεσθαί σοι προηιρημένος, ὅμοιόν τι πείσεσθαι προσδοκῶν οἷον ἂν ἔπαθε καὶ Φειδίας, εἰ μετὰ τὸ τῆς Ἀθηνᾶς ἄγαλμα πλάττειν ἠναγκάζετο δάκτυλον μὲν ἰδίαι, ἰδίαι δ’ αὖ βραχίονα καὶ πόδα καὶ ῥῖνα καὶ οὖς ἕκαστόν τε τῶν ἄλλων μορίων. ἐμοὶ γὰρ οἷον ἄγαλμά τι γεγράφθαι νομίζω τὴν θεραπευτικὴν μέθοδον ἐν ὑπομνήμασι πλείοσιν οὐχ ὅπως ἰδιώτας ὠφελεῖν δυναμένην ἀλλ’ οὐδὲ τοὺς ἐπιτυχόντας τῶν ἰατρῶν ; la traduction du passage est de V. BoudonMillot, Galien de Pergame. Un médecin grec à Rome, Paris 2012, p. 281. 20. A. Pietrobelli, « Galen’s Religious Itineraries ». 21. Galien, Ne pas se chagriner 21.
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Antoine Pietrobelli c’est-à-dire un acte de service public destiné à la santé de ses contemporains et plus largement au salut de l’humanité, le don pieux d’un riche Romain à la collectivité. On le voit, Galien est pleinement tributaire du vocabulaire religieux des mystères pour évoquer sa propre recherche anatomique tout comme son œuvre écrite ou son enseignement. Je voudrais continuer à explorer cet imaginaire des mystères chez Galien, en abordant le récit qu’il fait de sa découverte de la systole, une des données permettant d’analyser le pouls. Les mystères du corps humain Rappelons que Galien a écrit seize livres sur le pouls, que ces livres ont servi de référence pendant des siècles et que cette théorie galénique est toujours en vigueur dans la médecine traditionnelle unani de l’Inde. Dans son traité Sur le diagnostic par le pouls, il raconte comment après plusieurs années d’expérience, il a enfin pu percevoir par le sens du toucher le mouvement d’abord imperceptible de la systole dans son alternance avec la diastole : Pendant plusieurs années, ce fut quasiment la seule chose que je savais et, parmi les choses plus avancées, seul le discernement du pouls vigoureux m’était connu, tandis que tout le reste m’était encore inconnu. Je végétais de nombreuses années dans une incertitude profonde, sans toutefois abandonner la recherche ; je poursuivais avec toujours plus de persévérance, si bien qu’un jour je pus percevoir une systole claire par le toucher. En m’entraînant encore davantage à partir de là, ce ne fut plus seulement une perception confuse mais le discernement de la systole devint pour moi tout aussi manifeste que celui de la diastole. À partir de là, je ne suis pas en mesure de dire la rapidité avec laquelle j’acquis le discernement du reste, car tout en découle et m’apparut clairement du reste, comme si une lumière éclatante avait soudain brillé dans les ténèbres22.
22. Galien, Sur le diagnostic par le pouls I, 1 (Kühn VIII, 771-772) : Μόνον δὲ σχεδὸν τοῦθ’ ἡμῖν ἐν πολλοῖς ἔτεσιν ἔγνωστο, κᾀπὶ τῶν ἐφεξῆς ἕν, ἡ τοῦ σφοδροῦ σφυγμοῦ διάγνωσις, τῶν δ’ ἄλλων οὐδὲν οὐδέπω γνώριμον ἦν, ἀλλ’ ἐν βαθείᾳ τινὶ κυλινδομένοις ἀπορίᾳ συχνῶν ἐτῶν, οὐ μὴν ἀφισταμένοις γε τῆς ζητήσεως, ἀλλ’ ἀεὶ καὶ μᾶλλον λιπαρῶς ἐγκειμένοις ἐφαντάσθη ποτὲ συστολὴ σαφὴς τῇ ἁφῇ. Τοὐντεῦθεν ἀσκοῦσιν ἐπὶ πλέον οὐ φάντασμα ἔτι ἀμυδρόν, ἀλλ’ ἐναργὴς ἡ διάγνωσις αὐτῆς οὐδὲν ἧττον τῆς διαστολῆς ἐγίνετο. Ἐπὶ ταύτῃ δ’ εἰπεῖν οὔτ’ ἔχω τὸ τάχος τῆς τῶν ἄλλων
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Galien hiérophante et les mystères de la médecine Un peu plus loin, il écrit encore : En effet, je ne percevais pas l’artère durant sa contraction et il s’en est fallu de peu que je me résigne à ce qu’elle ne soit pas perceptible si un jour, après une constante pratique, un flambeau pour ainsi dire s’était allumé et avait brillé pour me montrer en plein jour la vérité. À partir de ce moment-là, je n’eus plus besoin d’autres témoins ni juges, mais je me suis suffi à moi-même23.
Galien utilise la métaphore de la lumière et du feu dans l’obscurité pour décrire la première fois qu’il a reconnu une systole, c’est-à-dire le moment de contraction du pouls qui alterne avec la diastole. Cette perception est décrite comme une illumination avec les termes religieux de l’apparition et de l’épiphanie (ἐναργής, ἐναργῶς). Comme lors de la cérémonie des mystères, le dévoilement de la vérité grâce à une perception sensorielle est associé à la lumière du feu dans l’obscurité. Le « feu indicible » de l’hymne à Déméter (§ 14) avait une importance toute particulière lors du rituel éleusinien, ainsi que les torches24 comme l’indiquent les documents figurés. À la lumière des flambeaux, les hiérophantes dévoilaient les phasmata, un épi de blé et la statue de la déesse Déméter. De cette époptie naît une métanoia ou conversion du regard : à partir de cette perception de la systole, tout s’enchaîne et tout devient clair pour Galien. Ce qu’il faut toutefois remarquer, c’est qu’il utilise la métaphore de la lumière et du feu non pour décrire une vision ou une hallucination, mais à propos d’une perception tactile. Il qualifie encore cette connaissance par la perception sensorielle d’incommunicable : Adressons-nous donc désormais à cet unique homme qui est amoureux de la vérité, qu’un tel homme existe aujourd’hui et qu’il existe dans le futur, en lui disant d’abord qu’il n’est pas même impossible de
διαγνώσεως, ἐπιῤῥεῖ γὰρ ἅπαντα, καὶ σαφῶς λοιπὸν ἐφαίνετο καθάπερ ἐν σκότῳ λαμπροῦ φωτὸς ἀθρόως ἐκλάμψαντος. 23. Galien, Sur le diagnostic par le pouls I, 3 (Kühn VIII, 788-789) : Οὐ γὰρ ᾐσθανόμην τῆς συστελλομένης τῆς ἀρτηρίας καὶ ὀλίγου δεῖν ἀπέστην ὡς οὐκ αἰσθητῆς αὐτῆς, εἰ μή μοί ποτε καθάπερ ἐκ παρατρίψεως πυκνῆς πῦρ ἐξαφθὲν καὶ λάμψαν ἐναργῶς ἔδειξε τὸ ἀληθές, ὥστε μηκέτι ἑτέρων δεῖσθαι μαρτύρων καὶ κριτῶν, ἀλλ’ αὐτὸν ἱκανὸν ἐμαυτῷ γενέσθαι. 24. Voir Lactance, Epitomé des Institutions 18 (23), 7 : et (Proserpina) inventa ritus omnis gratulatione ac taedarum iactatione finitur ; sur ce point, voir J. N. Bremmer, Initiation into the Mysteries of the Ancient World, Berlin 2014, p. 7-8.
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Antoine Pietrobelli communiquer par des mots de nombreuses expériences de la perception sensorielle et ensuite que, même si cela était impossible, il ne faudrait pas que notre zèle soit condamné pour cette raison25.
Pour dire cette découverte de la systole après une longue expérience et plusieurs degrés d’initiation, il recourt à un autre trait des mystères qui est le caractère indicible et ineffable d’une vérité perçue par l’expérience des sens. Dans son traité Sur les simples, Galien esquisse une nouvelle théorie pour quantifier le degré des qualités (chaud, froid, sec, humide) propres à chaque substance ou médicament. Il élabore un système complexe dans lequel le sens du goût permet de déterminer si telle substance a une action échauffante ou refroidissante et si cette action se situe au premier, au deuxième, au troisième ou au quatrième degré. Il s’appuie sur la classification des goûts initiée par le Timée de Platon (65c-66c) : l’amer, le piquant, le salé, l’astringent, l’âpre, l’aigre, le doux et le gras. Ces différentes saveurs sont les indices des qualités des médicaments : le doux et le salé sont chauds mais pas brûlants, le piquant est en revanche très caustique ; l’astringent est froid, tandis que l’aigre est un peu moins froid26. À propos de cette autre théorie fondée sur la perception sensorielle, il écrit : « j’ai essayé autant que j’ai pu de rendre compte par les mots de choses inexprimables (δυσερμήνευτα πράγματα) »27. Comme dans le cas des mystères, la connaissance médicale passe par une expérience sensorielle qui est de l’ordre de l’indicible. Ce savoir est difficilement transposable en langage humain. La science médicale de Galien, et plus largement celle des anciens, se construit donc à partir d’une hypersensibilité, en l’occurrence du toucher et du goût, car ces perceptions sensorielles permettent de percer le mystère des rouages secrets du vivant.
25. Galien, Sur le diagnostic par le pouls I, 1 (Kühn VIII, 773-774) : Λέγωμεν οὖν ἤδη πρὸς τοῦτον τὸν ἕνα τὸν τῆς ἀληθείας ἐρατήν, ὅστις πότ’ ἂν ἢ νῦν ᾖ τοιοῦτος ἢ αὖθις γενήσεται, πρῶτον μέν, ὡς οὐδ’ ἀδύνατόν ἐστι λόγῳ πολλὰ τῶν τῆς αἰσθήσεως ἑρμηνεῦσαι παθῶν, ἔπειτα δ’, ὅτι κᾂν ἀδύνατον ᾖ, οὐ χρὴ τούτου γ’ ἕνεκα τῆς ἡμετέρας σπουδῆς καταγινώσκειν. 26. Galien, Sur les simples V, 26 (Kühn XI, 785). Sur cette question des goûts et des qualités, voir A. Pietrobelli, « Des aliments aux éléments : la température du goût chez Seth et Galien », dans F. Lauritzen (éd.), Filosofia e medicina bizantina da Oriente a Occidente : la custodia di Venezia, Berlin (Byzantinisches Archiv), à paraître. 27. Galien, Sur les simples I, 39 (Kühn XI, 454).
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Galien hiérophante et les mystères de la médecine Les secrets de la nature Dans un dernier temps, je voudrais revenir sur la proposition énoncée par Galien dans les deux textes cités en introduction : la médecine constitue une initiation supérieure à celle que procurent les mystères, parce qu’elle permet d’appréhender plus clairement la sagesse, la prévoyance, la puissance et l’art du créateur des êtres vivants. Tandis que les mystères donnent une connaissance confuse du divin, l’étude anatomique et la découverte, par la médecine, des œuvres merveilleuses de la nature sont évidentes (enargè), comme le sont les apparitions divines. Le savoir médical est décrit comme un moyen d’accéder au divin, comme un instrument de la connaissance divine, au même titre que les rituels des mystères. Ce lien entre les mystères et la science du vivant est ancien puisqu’il apparaît dans le texte hippocratique de la Loi qui est traditionnellement daté du ve siècle avant notre ère : « Mais les choses sacrées ne se révèlent qu’aux hommes sacrés ; et il est interdit de les communiquer aux profanes, tant qu’ils n’ont pas été initiés aux mystères de la science »28. Dans l’un de ses plus beaux livres intitulé Le Voile d’Isis, Pierre Hadot29 a mis en évidence le lien que les Anciens établissaient de longue date entre les secrets de la nature et les secrets divins. Pour illustrer cette idée, il cite successivement Cicéron et Sénèque. Cicéron prend l’exemple de l’anatomiste qui dévoile au grand jour les secrets du corps humain, tandis que Sénèque compare les secrets de la nature aux mystères d’Éleusis : Cicéron : Tout cela, Lucullus, reste caché, voilé et enveloppé d’épaisses ténèbres en sorte qu’aucune vue de l’esprit humain n’est assez puissante pour pénétrer le ciel ou entrer dans la terre. Nous savons que nous avons un corps, nous ignorons la place exacte qu’y occupent nos organes et les fonctions propres de chacun d’entre eux. C’est pourquoi les médecins […] ont fait des dissections afin de voir cette situation des organes. Mais, disent les médecins empiriques, les organes n’en sont pas mieux connus, car il est possible que, mis à découvert, privés de leurs enveloppes, ils se modifient30.
28. Hippocrate, Loi 5. 29. P. Hadot, Le Voile d’Isis. Essai sur l’histoire de l’idée de Nature, Paris 2004. 30. Cicéron, Lucullus 39, 122 (éd. Nisard ; tr. P. Hadot, p. 48-49) : Latent ista omnia
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Antoine Pietrobelli Sénèque : Bien d’autres êtres apparentés à la divinité suprême et mis en possession d’une puissance voisine de la sienne, nous restent inconnus, ou peut-être, merveille plus grande, remplissent à la fois nos yeux et leur échappent. Sont-ils si subtils que la vue humaine ne peut les percevoir ? Ou leur majesté s’est-elle cachée dans une retraite trop sacrée pour l’homme et régissent-ils de là leur domaine, c’est-à-dire euxmêmes, inaccessibles à tout, sauf à l’esprit ? Ce qu’est ce principe sans lequel rien n’est, nous ne pouvons le savoir. Et nous nous étonnons de mal connaître des parcelles de feu, quand ce qu’il y a de plus grand dans le monde, Dieu, nous échappe ! Que d’animaux nous ne connaissons que d’aujourd’hui ! Que d’objets dont notre siècle même n’a aucune idée ! La génération qui vient saura beaucoup de choses qui nous sont inconnues. Bien des découvertes réservées aux siècles futurs, à des âges où tout souvenir de nous se sera effacé. Le monde serait une pauvre petite chose, si tous les temps à venir n’y trouvaient matière à leur recherche. Certains cultes ne sont enseignés que par étapes. Éleusis tient en réserve des révélations pour des fidèles qui y reviendront. La nature ne livre pas non plus ses mystères d’un seul coup. Nous nous croyons des initiés ; elle nous arrête à l’entrée. La connaissance de ses secrets ne s’ouvre pas indistinctement, ni à tout le monde. Ils sont soustraits, enfermés dans le sanctuaire le plus intime. Il en est parmi eux que notre âge contemplera ; d’autres que nos successeurs réussiront à voir31.
Luculle crassis occultata et circumfusa tenebris, ut nulla acies humani ingenii tanta sit, quae penetrare in caelum, terram intrare possit. Corpora nostra non novimus, qui sint situs partium, quam vim quaeque pars habeat ignoramus ; itaque medici ipsi […] aperuerunt ut viderentur, nec eo tamen aiunt empirici notiora esse illa, quia possit fieri ut patefacta et detecta mutentur. 31. Sénèque, Questions naturelles VII, 30, 4-6 (éd. et tr. P. Oltramare, CUF, 1961, p. 333-334) : Multa praeterea cognata numini summo et uicinam sortita potentiam obscura sunt aut fortasse, quod magis mireris, oculos nostros et implent et effugiunt, siue illis tanta subtilitas est quantam consequi acies humana non possit, siue in sanctiore secessu maiestas tanta delituit et regnum suum, id est se, regit, nec ulli dat aditum nisi animo. Quid sit hoc sine quo nihil est scire non possumus, et miramur si quos igniculos parum nouimus, cum maxima pars mundi, deus, lateat ! Quam multa animalia hoc primum cognouimus saeculo, quam multa negotia ne hoc quidem ! Multa uenientis aeui populus ignota nobis sciet ; multa saeculis tunc futuris cum memoria nostri exoleuerit reseruantur. Pusilla res mundus est, nisi in illo quod quaerat omnis mundus habeat. Nom semel quaedam sacra traduntur : Eleusin servat quod ostendat revisentibus ; rerum natura sacra sua non semel tradit. Initiatos nos credimus, in uestibulo eius haeremus. Illa arcana non promiscue nec omnibus patent ; reducta et
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Galien hiérophante et les mystères de la médecine Les textes de Galien, Cicéron et Sénèque sont tendus vers un idéal de progrès. Il est surprenant que Cicéron prenne l’exemple de l’anatomiste pour évoquer les secrets de la nature et que Sénèque associe la connaissance de la nature à celle des mystères éleusiniens. Selon ces deux prédécesseurs de Galien, la médecine et le savoir ont pour vocation de dévoiler les secrets invisibles de la nature et de révéler les mystères divins qui s’y cachent. Or on sait que les mystères d’Éleusis contenaient un enseignement secret sur la nature. Ce savoir divin était en lien avec les céréales, la fertilité agricole, le monde souterrain et les saisons. On y montrait un phallus et on évoquait la naissance d’un enfant, mais le culte célébrait surtout l’arrivée des grains de céréales et leur personnification divine. Varron nous dit encore que les mystères de Samothrace délivraient un enseignement sur les grands dieux que sont le ciel et la terre32. L’enseignement divin des mystères était donc en rapport avec des phénomènes naturels et biologiques dont l’art médical s’efforçait aussi de rendre compte. C’est en partant de ce postulat des mystères divins de la nature que Galien peut prétendre concurrencer les mystères d’Éleusis et de Samothrace. Le médecin philosophe est donc un bel exemple de la mystérisation du savoir qui s’opère au iie siècle. Quand il décrit ses recherches sur le corps humain et le vivant, il les hisse au rang de mystères. Il conçoit son enseignement comme une initiation progressive et secrète et il assigne à son corpus une vocation liturgique. Il présente ses découvertes sur le pouls comme une illumination et il insiste sur le caractère indicible de cette expérience sensorielle. On pourrait dire que tout son rapport au savoir est façonné par le paradigme des mystères. Galien est en cela l’héritier d’une longue tradition scolaire qui remonte au moins à Pythagore et à Platon, mais il parle aussi en homme de son temps, pour le public de son temps. Il se peut que l’adoption du vocabulaire mystérique pour décrire la connaissance médicale ou philosophique ne soit pas qu’une simple métaphore, mais qu’elle témoigne au contraire de manière diffuse et voilée d’une expérience vécue par des intellectuels païens qui transposaient dans d’autres domaines ce qu’ils avaient pu vivre à Éleusis ou à Samothrace. Il n’y a aucune preuve explicite de l’initiation de interiore sacrario clausa sunt, ex quibus aliud haec aetas, aliud quae post nos subibit aspiciet. 32. Varron, De la langue latine V, 58. Voir la contribution de S. Blakely dans ce volume, p. 55-102.
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Antoine Pietrobelli Galien et la référence aux mystères n’est peut-être chez lui qu’une mise en scène rhétorique. Mais si Galien parle en connaissance de cause, il apporte, comme d’autres initiés contemporains, un témoignage sur l’importance et la vivacité des cultes à mystères au iie siècle tout comme une autre étincelle dans l’obscurité qui voile la pratique de ces cultes.
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MAPPING MEDICINE ONTO MYSTERIES IN AELIUS ARISTIDES’ HIEROI LOGOI Georgia Petridou University of Liverpool (United Kingdom)
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study calls for a reconsideration of the infused with mystery imagery and terminology narratives in the Hieroi Logoi (henceforth HL), and argues that a close and careful re-examination of this rich material may yield valuable information not only regarding Aristides’ conception of the Pergamene cult in the Imperial Era, but also of the way medical art (technē iatrikē) was conceptualised by other members of the socio-political elite in the second century ce.1 If placed in its proper socio-cultural context, I maintain, Aristides’ propensity to recast Asclepius’ healing cult in terms of a mystery cult of the highest order can reveal deeper more meaningful conceptual links between Imperial mystery cults and healing cults.2 In fact, the ubiquity his
1. I am indebted to Nicole Belayche, Francesco Massa, and Philippe Hoffmann for organising the conference, in which a version of this paper was presented, and for their pertinent comments on the first draft of this article. I am also grateful to Paul Scade for reading this piece closely and ironing out its linguistic infelicities. 2. Having said that, I would like to clarify that I do not necessarily take the cult of Asclepius at the Pergamene Asclepieion to be a mystery cult with formal initiation, a hieros logos, and inbuilt mechanisms of inclusion and exclusion; what I argue here is not that the cult of Asclepius at Pergamum was a mystery cult, but that – and this is far more important for the purposes of the “Lived Ancient Religion” (LAR) project which lies emphasis on individual appropriation of religious traditions, practices and knowledge – it was lived by Aristides as such. K. Clinton (“Stages of Initiation in the Eleusinian and Samothracian Mysteries”, in M. B. Cosmopoulos [ed.], Greek Mysteries. The Archaeology and Ritual of Ancient Greek Secret Cults, London 2003, p. 50-78, at p. 55) offers a basic definition of what a mystic cult is: “A mystery 10.1484/M.BEHE-EB.5.125924
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Georgia Petridou of mystery language and its powerful relational dynamic with medical terminology and situational contexts points towards an important relational matching between the two. Effectively, what is achieved here is a relational mapping of the latter (medicine) onto the first (mysteries).3 Inspired by Holyoak, Gentner, and Kokinov’s earlier work on the place of analogy in human cognition,4 this paper argues that
cult (1) presupposes mystai…, (2) normally requires that they undergo a death-like experience or at least an experience of suffering, and (3) holds a promise of prosperity in this life and usually also in the afterlife”. On hieros logos as an integral element of mystery cult see W. Burkert, Ancient Mystery Cults, Cambridge [MA] 1987, p. 72-77; A. Henrichs, “Hieroi Logoi and hierai bibloi: The (Un)written Margins of the Sacred in Ancient Greece”, Harvard Studies in Classical Philology 101 (2003), p. 207-266; F. Graf and S. I. Johnston, Ritual Texts for the Afterlife: Orpheus and the Bacchic Gold Tablets, London – New York 20132, p. 174-184; A.-J. Festugière, Personal religion among the Greeks, Berkeley 1954, p. 88; A. Petsalis-Diomidis, Truly Beyond Wonders, Aelius Aristides and the Cult of Asclepius, Oxford 2010, p. 125, and J. Downie, At the Limits of Art. A Literary Study of Aelius Aristides’ Hieroi Logoi, Oxford 2013, p. 147-54. 3. More on this, in section 3 below. 4. As K. J. Holyoak, D. Gentner and B. N. Kokinov (“The place of analogy in cognition”, in D. Gentner, K. J. Holyoak, B. N. Kokinov [ed.], The Analogical Mind: Perspectives from Cognitive Science, Cambridge (MA) – London 2001, p. 1-19) state p. 2: “analogy, in its most general sense, is this ability to think about relational patterns”. On analogy and its central role in human cognition, see D. Hofstadter, “Epilogue: Analogy at the Core of Cognition”, in D. Gentner, K. J. Holyoak, B. N. Kokinov (ed.), The Analogical Mind, p. 499-538. In their introduction to their influential Analogical Mind, Holyoak, Gentner and Kokinov provide a simple example of relational matching, which draws on multiconstraint theory: Aaron is 2 year-old boy, who whenever has a minor accident and hurts, says to his mum: “kiss it to make it better”. His mum does kiss his arm and Aaron feels better. One day, Aaron’s mum has a minor accident on her arm and hurts. Aaron decides to match himself to his mum, her sense of pain to his, and kisses her arm, to make it better. On that occasion, young Aaron mapped his mum’s accident to his own experience of pain and subsequent relief and recast himself as the all-mighty healer, who could venture to relieve his mum of her physical pain by kissing her wounded arm. This mapping process of the less familiar situation (target analog) onto the more familiar one (source analog), as K. J. Holyoak, D. Gentner, B. N. Kokinov, “The place of analogy in cognition” argue, lies at the heart of human cognition. Aaron, the architect of the relational matching between his earlier experience of pain and relief is driven by: a) the basic similarity between the two events, their structural parallels, and their purpose (i.e. what the analogy strives to achieve), in this case provide a better understanding of Aaron’s mum new situation, in which she is no longer the strong and all-mighty adult. Instead, she finds herself in a position of needing and wanting relief herself. Cf. also Larson’s chapter in this volume, where an extensive analysis of “the Cognitive Anatomy of
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Mapping Medicine onto Mysteries in Aelius Aristides’ Hieroi Logoi we can indeed talk about a “mysteric turn” in the so-called Second Sophistic precisely because the source analog (the more familiar situation) of the mystery cults becomes the structural parallel of the target analog (the new situation, in this case medicine and healing cults in the second century) in many prominent men of letters in the Imperial era, such as Aelius Aristides, Marcus Aurelius, Apuleius, Lucian, Galen, etc.5 However, as it would soon become apparent, thinking in cognitive terms alone does not do justice to our material. Hence, in terms of methodology, I also turn to the concept of the ‘lived body in pain’, a line of thought that stems from the ‘Lived Ancient Religion’ analytical framework. In fact, it is a combination of the two that I regard as the most helpful overall analytical framework for Aristides’ Hieroi Logoi. The ‘lived’ body is a concept I have borrowed from Meredith McGuire, a sociologist of religion whose work has contributed greatly to the conceptualization of the ‘Lived Ancient Religion’ approach.6 McGuire uses this term to express the idea of the material body as both the vehicle for perceiving and interpreting social reality and the only means of anchoring human experience in reality.7 McGuire’s
a Mystery Cult” is offered. Indeed, this paper follows suit from my earlier attempts to re-evaluate the prevalent Foucauldian view of second-century society’s extreme preoccupation with the care of the body and the control of its functions, and offer instead a more “Lived Ancient Religion” – friendly perception of the body in the Imperial Era. The “Lived Ancient Religion” – friendly perception of the body is that of a body that is individually experienced and religiously expressed. Some of this work was encapsulated in a special volume of the Religion in the Roman Empire journal that came out in 2017 and was entitled Embodying Religion: Lived Ancient Religion and Medicine. 5. For an informative analysis of the mysteric allusions in Marcus Aurelius, see Pià-Comella’s contribution in this volume, p. 243-265. On Galen’s use of mystery terminology, see Pietrobelli’s contribution in this volume, p. 201-216. 6. J. Rüpke, “Lived Ancient Religion: Questioning ‘Cults’ and ‘Polis Religion’”, Mythos 5 (2012), p. 191-204; Id., On Roman Religion, Ithaca (NY) 2016; Id., Pantheon: A New History of Roman Religion, Princeton (NJ) 2018. Cf. also the introduction in R. Raja, J. Rüpke (ed.), A Companion to the Archaeology of Religion in the Ancient World, Chichester – Malden (MA) – Oxford 2015, as well as J. Albrecht et al., “Religion in the Making: The Lived Ancient Religion Approach”, Religion 48 (2018), p. 1-26. 7. M. B. McGuire, “Religion and the Body: Rematerializing the Human Body in the Social Sciences of Religion”, Journal for the Scientific Study of Religion 29.3 (1990), p. 283-296, esp. 284.
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Georgia Petridou ‘lived’ body is ‘both a biological and cultural product, simultaneously physical and symbolic, existing always in a specific social and environmental context in which the body is both an active agent and yet shaped by each social moment and its history’. The ‘lived’ body is fundamentally different from the body as an object of observation (especially in clinical practice). The experience of the ‘lived’ body is unique and uniquely experienced by each individual – because individuals are uniquely embodied – and yet shared, communicated, and mediated (directly or indirectly, successfully or not) via common cultural symbols (e.g. language), shared social roles, and social expectations.8 According to McGuire, understanding the idiosyncrasies of the ‘lived’ body is fundamental to our understanding of the individual’s conception of pain, illness, and suffering in general. It also helps us to understand the difficulties involved in expressing and evaluating bodily discomfort, pain, and physical or mental disability across cultures, social groups, and even individuals who do not share the same cultural parameters, views on illness, or clinical training in diagnosis and the alleviation of pain. Mysteries and Medicine in a Cognitive Context Although underlining the close correlations of medicine and religion in the HL is by no means my thematic novelty, it is important to note here that, with a few notable exceptions,9 the majority of the scholars, who worked on Aristides have shied away from exploring these correlations 8. M. B. McGuire, “Religion and the Body”, p. 285 and passim. 9. E.g. H. King, “Chronic pain and the creation of narrative”, in J. I. Porter (ed.), Constructions of the Classical Body, Michigan 1999, p. 269-286; L. Pernot, “Les Discours sacrés d’Ælius Aristide entre médecine, religion et rhétorique”, Atti dell’Accademia Pontaniana 51 (2002), p. 369-383; Id., “The Rhetoric of Religion”, Rhetorica 24.3 (2006), p. 235-254; L. Pernot, G. Abbamonte, M. Lamagna (ed.), Ælius Aristide écrivain, Turnhout 2016 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses 19); A. Petsalis-Diomidis, Truly Beyond Wonders and D. King, Experiencing Pain in Imperial Greek Culture, Oxford 2018. I. Israelowich, Society, Medicine and Religion in the Sacred Tales of Aelius Aristides, Leiden 2012, for instance, applies William James’ principles on religious signification of painful or traumatic events in the HL, and simply concludes that “the medical theme in the Sacred Tales is subject to an overall religious meta-narrative”. However, the book considers neither how nor why mystery terminology and imagery frames Aristides’ illness experience in the Hieroi Logoi. At the end of the day, the reader leaves with no clearer ideas as to why medicine is conceptualised as a mystery cult in the six books of the Hieroi Logoi.
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Mapping Medicine onto Mysteries in Aelius Aristides’ Hieroi Logoi in depth. One of the main reasons behind such reluctance is Charles Behr’s opinion on the matter, which dominated scholarly discourse for a long time. Behr denounced any meaningful connections between the Pergamene cult of Asclepius and the mysteries: “There was none of the secrecy or paraphernalia of the mystery religion, whose terms are only employed metaphorically (emphasis mine) in Aristides’ accounts of the cult of Asclepius”.10 Behr’s denouncing any meaningful connections between the Pergamene cult of Asclepius and the mysteries has been equally influential in deterring scholars from looking closer into the intricate ways mysteric initiations and illness are linked in the Hieroi Logoi. While conceding to the numerous difficulties entailed in extrapolating genuine pathos and religious fervour from extremely elaborate and self-conscious narratives, I think it is extremely hard for any student of Graeco-Roman religious beliefs and practises to miss the Pergamene cult’s esoteric features, at least as it is delineated in the Hieroi Logoi, namely features the cult shared with contemporary and well-known mysteric cults with distinct healing component(s), such as the popular mystēria of Demeter and Korē in Eleusis, the mysteries of Isis and Sarapis (or, to be more precise, with the interpretatio Graeca of these mysteries), and the mysteries of Cybelē or the Mother of the gods.11
10. C. A. Behr, Aelius Aristides and the Sacred Tales, Amsterdam 1968, p. 34, n. 57. 11. On the eschatological and esoteric aspects of these cults, see F. E. Brenk, “A Gleaming Ray: Blessed Afterlife in the Mysteries”, Illinois Classical Studies 18 (1993), p. 147-164. On the Eleusinian mysteries in Imperial times, see the introduction to this volume, and N. Belayche’s contribution above, p. 7-22 and 25-53. Cf. also K. Clinton, “The Eleusinian Mysteries: Roman Initiates and Benefactors, Second Century BC to AD”, Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II 18.2 (1989), p. 1499-1539; A. Galimberti, “Hadrian, Eleusis and the Christian apologetics”, in M. Rizzi (ed.), Hadrian and the Christians, Berlin – New York 2010, p. 71-84; and N. Belayche, F. Massa, “Les ‘cultes à mystères’. Quelques balises introductives : lexique et historiographie”, in N. Belayche, F. Massa (ed.), Les “mystères”. Questionner une catégorie, Mètis N.S. 14 (2016), p. 7-19. Cf. also N. Belayche, “L’évolution des formes rituelles : hymnes et mystèria”, in L. Bricault, C. Bonnet (ed.), Panthée. Religious Transformations in the Graeco-Roman Empire, Brill 2013 (Religions in the Graeco-Roman World 177), p. 17-40 and N. Belayche, “Nomen ostendit (Macrobe). Rites et images. Les supports des noms de Janus”, in N. Belayche, Y. Lehmann (ed.), Religions de Rome. Dans le sillage de Robert Schilling, Turnhout 2017, p. 67-83 ; and F. Massa, “La notion de ‘mystères’ au iie siècle de notre ère : regards païens et Christian turn”, Mètis N.S. 14 (2016), p. 109-132 and F. Massa, “‘Mysteries’ and ‘heresies’ between practices and notions”, Religion in the Roman Empire 4.2 (2018),
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Georgia Petridou More importantly, I do wonder whether we actually impede ourselves if we think exclusively in terms of metaphors, and whether it might be preferable to abandon metaphor and dig deep into analogy, which lies at the core of human cognition. Thus, we might be better equipped to provide an answer to the extremely significant question Bremmer asks: “Why would ancient authors call certain rituals mustēria, if there was nothing in them that reminded the participants of those old and established mysteries that had become authoritative for every new founder of mysteries, those of Eleusis and Samothrace?”12 In fact, taking my cue from Holyoak, Gentner, and Kokinov’s work on the place of analogy in human cognition,13 and the multiconstraint theory,14 I argue that it is worth spending some more time unravelling the mapping process itself, i.e. how medicine and healing cults in the Antonine period, in general, and in the Hieroi Logoi, in particular, end up being mapped onto mystery cults. To be sure, the common denominator (‘basic similarity’, to put it in terms of the multiconstraint theory) between the two situational contexts of healing and mystery initiation is the individual, who finds themselves in need of a more intimate and perhaps more meaningful relationship with the divine. Nonetheless, the mapping process is driven by the following structural parallels,15 which drive this relational matching and link together the seemingly
p. 275-288. On the rite of taurobolium and the mysteries of the Mother of the Gods in the Antonine era, see F. Van Haeperen in this volume, p. 331-350. 12. J. N. Bremmer, “Imperial Mysteries”, Mètis N.S. 14 (2016), p. 21-34, esp. 22, then proceeds with answering the question by postulating “a family resemble between the established and the new mysteries”, thus employing the cognitive metaphor of “family resemblances” borrows the terminus technicus from C. Ginzburg, “Family Resemblances and Family Trees: Two Cognitive Metaphors”, Critical Inquiry 30 (2004), p. 537-556; Ginzburg, in turn, has borrowed the concept of family resemblance (Familienähnlichkeit) from Ludwig Wittgenstein’s posthumously published book, Philosophical Investigations, Oxford 2003 (20012). On the mysteries in Samothrace in the Imperial era, see S. Blakely in this volume, p. 55-102. 13. “Analogy, in its most general sense, is this ability to think about relational patterns”, as K. J. Holyoak, D. Gentner, B. N. Kokinov, (“The place of analogy in cognition”, p. 2) state in the introduction to their volume. On analogy and its central role in human cognition, see D. Hofstadter, “Epilogue: Analogy at the Core of Cognition”. 14. K. J. Holyoak, P. Thagard, “The Analogical Mind”, American Psychologist 52 (1997), p. 35-44. 15. The multiconstraint theory postulates that 3 basic types of constraints influence the architect of the analogy: basic similarity, structural parallels, and purpose (i.e. what the analogy is meant to achieve).
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Mapping Medicine onto Mysteries in Aelius Aristides’ Hieroi Logoi disparate worlds of medicine and mystery cults: a) suffering (physical and/or mental anguish alike, since the Greek term pathos/pathein can signify both); b) liminality or interstitiality (i.e. the sense of being in between, in between functional and non-functional state, and often in cases of terminal illness, between life and death); c) the ineffability of things experienced (in mystery cults and the lived experience of pain in illness); d) the transformative power of pathos and pain; e) the structural similarities between prediction and prognosis (i.e. the common oracular aspect in secular medicine and mystery cults with healing components, such as the cult of Neos Asclepios Glykon); and, finally, f) epiphany (the privileged and much sought after relationship of being in the proximity of the divine).16 Out of these commonalities, the structural parallels that drive the relational matching of mysteries onto medicine in a cognitive context, suffering (pathos/pathein) deserves our close attention. Suffering, both physical and mental, and pain in particular, is the tertium comparationis between medicine and mysteries. Suffering is one of the main driving forces behind the cultural conception of illness as initiation into mysteries of the highest order. This sort of cultural conception runs through the entirely of the Hieroi Logoi. In particular, Aristides appears to conceptualise illness in general and his two-year period of incubation (145147 ce) at the Pergamene Asclepieion in particular – a period which he refers to as the καθέδρα – as a dangerous and, at times, extremely painful initiatory process into a mystery cult of the type that had been extremely popular in the Imperial era.17 The perception of extreme physical pain and anguish as an initiation rite may not make immediate sense to the clinician, or indeed the patient, of the twenty-first century. However, this view of pain did resonate with the ‘lived’ bodies of members of the socio-political elite in the Antonine period. This resonance is manifested 16. More on divine epiphany in the introduction to G. Petridou, Divine Epiphany in Greek Literature and Culture, Oxford 2015. 17. Kathedra: Or. 48.70; 49.44 (Keil). On the word’s playful, but no less meaningful, semantic oscillation between “inertia” and “professorial seat”, see also C. A. Behr, Aelius Aristides and the Sacred Tales, p. 26 and C. A. Behr, Aelius Aristides: The Complete Works II, Leiden 1981-1986, p. 432, n. 115; and J. Downie, At the Limits of Art. On the popularity of the mystery cults in the Imperial era, see P. Van Nuffelen, “Words of Truth: Mystical Silence as a Philosophical and Rhetorical Tool in Plutarch”, Hermathena 182 (2007), p. 9-39; Id., Rethinking the Gods. Philosophical Readings of Religion in the Post-Hellenistic Period, Cambridge 2011; Id., “Galen, divination, and the status of medicine”, Classical Quarterly 63 (2014), p. 337-352.
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Georgia Petridou clearly in the pairing of medical and mystery terminology and imagery in some of the most emblematic narratives of the time, such as Lucian’s Alexander the Pseudo-Prophet and Podagra.18 In fact, this conception was rather common in authors of the second century ce.19 This premise is further buttressed by reference to recent advances in medical anthropology,20 anthropology of pain,21 and the medical humanities,22 which place additional emphasis on the portrayal of bodily suffering and pain in terms of life-altering religious experiences. The anthropologist Jason Throop puts it very eloquently: In anthropology, the sacred has long been viewed as a unique register of human existence that is at times intimately associated with human suffering in its various forms and manifestations. Often enfolded within such orientations to the potential sacredness of human suffering are associated moral experiences and ethical concerns. Whether understood in the context of painful rituals of initiation, in the light of pain-induced transformations in consciousness, in the context of particular salvational orientations to loss, illness, human finitude, and death, or in the tendency to view suffering as a means of sacrificing
18. M. P. de Hoz, “Lucian’s Podagra, Asclepius and Galen. The Popularisation of Medicine in the Second Century AD”, in L. A. Guichard, J. L. García Alonso, M. P. de Hoz (ed.), The Alexandrian Tradition. Interactions between Science, Religion, and Literature, Frankfurt am Main 2014, p. 175-210; G. Petridou, “What is divine about medicine? Mysteric imagery and bodily knowledge in the Second Sophistic”, Religion in the Roman Empire 3.2 (2017), p. 242-263; Ead., “Demeter as an ophthalmologist? Eye-shaped votives and the cults of Demeter and Kore”, in J. Draycott, E.-J. Graham (ed.), Bodies of Evidence: Ancient Anatomical Votives Past, Present and Future, London 2017, p. 95-111 ; Ead., “Laughing Matters: Chronic Pain and Bodily Fragmentation in Lucian’s Podagra”, Illinois Classical Studies 43.2 (2018), p. 488-506. 19. Raising awareness of this culture-specific cognitive process is a sine qua non for our understanding of the ‘lived’ body in that era. More on this issue in G. Petridou, “‘The ‘Lived Body’ in Pain. Illness and Initiation in Lucian’s Podagra and Aelius Aristides’ Hieroi Logoi”, in V. Gasparini, M. Patzelt, R. Raja, A-K. Rieger, J. Rüpke, E. Urciuoli (ed.), Lived Religion in the Ancient Mediterranean World, Berlin 2020, p. 237-259. 20. E.g. L. E. Sullivan, “Body Works: Knowledge of the Body in the Study of Religion”, History of Religions 30 (2008), p. 86-99. 21. E.g. J. C. Throop, Suffering and Sentiment: Exploring the Vicissitudes of Experience and Pain in Yap, Berkeley 2010. At the risk of sounding too simplistic, anthropology of pain is the cross-cultural and comparative study of the experience of pain in human communities. 22. G. Petridou, Ch. Thumiger (ed.), Homo Patiens: Approaches to the Patient in the Ancient World, Leiden 2016.
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Mapping Medicine onto Mysteries in Aelius Aristides’ Hieroi Logoi one’s own desires for the benefit of one’s ancestors, spirits, or deities, the link between suffering and the sacred has been well documented in anthropology…23
Nonetheless, this modern anthropological methodological framework does only partially explain the propensity of second century ce authors, such as Aelius Aristides and Lucian, to conceptualise illness in terms of initiation, and illness-induced pain, as a facilitator (an operative mystagōgos of sorts) to the all-important process of initiation (myēsis). The other important factor that prompts the conceptual analogy between illness and initiation, between sacred and suffering, is the ineffability of pain, and pain’s ontological dualism. Although for biomedicine pain is a more or less unvarying procedure,24 recent studies in anthropology of pain have proved that the ways we conceive, communicate and control pain are always culture specific.25 In other words, the neurophysiology of pain may remain the same, but the pain’s cultural elaboration (idioms, categories, experience) is extremely diverse.26 The ways we experience, communicate and respond to pain depend very much on our personal experiences and our experiences of observing other pain sufferers in our immediate or wider social environment.27 Here we turn again to Jason Throop, who puts it very aptly: “pain itself may be transformed through the particular meanings, values, ideals, and expectations that we bring to bear in
23. J. C. Throop, “Sacred Suffering: A Phenomenological Anthropological Perspective”, in K. Ram, C. Houston, M. Jackson (ed.), Phenomenology in Anthropology: A Sense of Perspective, Indiana 2015, p. 68-89, quotation 68. Emphasis is mine. 24. On the anatomy and physiology of pain, see S. Van Rysewyk, Meanings of Pain, New York 2016. 25. See M. Moore Free, “Cross-Cultural Conceptions of Pain and Pain Control”, Baylor University Medical Centre Proceedings 15.2 (2002), p. 143-145; J. C. Throop, Suffering and Sentiment and Id., “Sacred Suffering”. Cf. also N. I. Eisenberger, “The Neural Bases of Social Pain: Evidence for Shared Representations with Physical Pain”, Psychosomatic Medicine 74.2 (2012), p. 126-135 and G. Duncan, “The Meanings of ‘Pain’ in Historical, Social, and Political Context”, The Monist 100 (2017), p. 514531, for historical surveys of changing attitudes to pain over time. 26. N. I. Eisenberger, “The Neural Bases of Social Pain”. 27. See the informative and still very relevant discussion in the introduction of M.-J. Good Delvecchio et al. (ed.), Pain as Human Experience: An Anthropological Perspective, Berkeley 1992.
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Georgia Petridou dealing with the existential possibilities and limitations that it evokes. As much as pain is a foundational aspect of our existence as humans, it is variegated in its forms of manifestation and significance”.28 To take an example from Aristides’ Hieroi Logoi, the perception of extreme physical pain and anguish as an initiation rite may not make immediate sense to the clinician, or indeed the patient, of the twenty-first century. However, this view of pain did resonate with the ‘lived’ bodies of members of the socio-political elite in the Antonine period. This resonance is manifested clearly in the pairing of medical and mystery terminology and imagery in some of the most emblematic narratives of the time, such as Aristides’ Hieroi Logoi and Lucian’s Alexander the Pseudo-Prophet.29 In order to showcase Aristides’s conceptualization of illness and healing as initiation and the Pergamene cult of Asclepius as a mystery cult in particular and the general esoteric discourse that underpins the entirety of the Hieroi Logoi, my forthcoming monograph on the topic looks closely at a number of passages from the six books of the Hieroi Logoi and related orations, which flag out the following commonalities between mystery and healing cults and between mystic initiation and medical knowledge: – the distinct mysteric ambiance of the title of his work Hieroi Logoi (‘Sacred Discourses’) in e.g: Or. 42.4 and 10; Or. 48.9-10; – the exclusiveness of the therapeutic experience at the Asclepieion of Pergamum and elsewhere, as well as the unique privileges (esp. increased agency and symbolic capital)30 conferred upon Aristides as a patient by being treated by divine (as opposed to earthly) medical and religious professionals (Or. 47.71-72; Or. 48.5-7, 19-23, 28-34, Or. 51.49-50, etc.); – the portrayal of Aristides’ fellow sufferers/patients as fellow mystae e.g. in Or. 23.115-118; 28. J. C. Throop, Suffering and Sentiment, introduction. 29. J. N. Bremmer, “Lucian on Peregrinus and Alexander of Abonuteichos”; M. P. de Hoz, “Lucian’s Podagra”; G. Petridou, “What is divine about medicine?”; G. Petridou, “Demeter as an ophthalmologist?”; G. Petridou, “Laughing Matters”; G. Petridou, “The ‘Lived Body’ in Pain”. I have borrowed the concept of “resonance” from the socio-anthropologist H. Rosa. More on the definition of “resonance” in H. Rosa, Resonance. A Sociology of the Relationship to the World, Bridgewater (NJ) 2019. 30. On Aristides’ religiosity as an expression of “religion as participation in divine benefits”, as L. T. Johnson, Among the Gentiles: Greco-Roman Religion and Christianity, New Haven – London 2009, p. 50, calls it.
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Mapping Medicine onto Mysteries in Aelius Aristides’ Hieroi Logoi – the recasting of his bouts of illness in terms of a dangerous but worthwhile initiatory process, that through recurring suffering and extreme near-death experiences, opens up for Aristides the channel of direct and intense communication with the divine (e.g. Or. 47.69; Or. 48.3839, etc.); – the secrecy and Aristides’ insistence on the ineffability (arrhēton, arrhēta, amythētos, amythēta, syntactical structures that explicitly state his reluctance to share information or experiences revealed to him by healing deities) of the medicinal mysteries he experiences at the temple of Asclepius and other healing temples (e.g. in Or. 47.72; Or. 48. 22-28, etc.); – how inextricably intertwined divine epiphany and Aristides’ physical and psychological recovery really are (e.g. in Or. 47.71-72; 48. 22-23, etc.); – the epiphany of the healing deity, the mystic union of Aristides and his god, or more generally the high degree of his physical and emotional proximity (note the ubiquity of syggeneia and cognates) with the divine (e.g. in Or. 47.71-72; Or. 50.50-52, etc.); – the high emotional impact of the visions is either compared to or completely recast in terms of the emotional experiences of the mystae (phrikē; ekplēxis; euthymia, phobos, elpis, agōnia, chara, etc., as in Or. 48.23, 28-34, esp. 29; Or. 49.48; etc.). In the same work I argue that, in all likelihood, in conceptualizing illness as initiation, Aristides draws upon previous bodily knowledge acquired through intense initiatory experiences, quite possibly from his own initiation in Eleusis.31 More specifically, Aristides taps into his previous experience of initiatory rites to describe his relationship with his body at a time of crisis. Illness is thus conceptualized and described as sharing physical boundaries with both life and death, as being in between the two states. Illness is recast as the liminal period that disrupts healthy 31. Although we cannot claim with any certainty that Aristides was indeed an initiand, this seems very likely to have been the case given the increased and renewed popularity of the Eleusinian mysteria in the Imperial era, Aristides’ visit to Eleusis, as well as his emotional attachment to the city and the mysteries as expressed in his Eleusinios (Oration 22 Keil). On the Eleusinian Mysteries in Imperial times, see Clinton, “The Eleusinian Mysteries”; E. Muñiz Grijalvo, “Elites and Religious Changes in Roman Athens”, Numen 54 (2005), p. 255-282; and A. Galimberti, “Hadrian, Eleusis and the Christian apologetics”. The most comprehensive discussion of Or. 22 and Aristides’ relationship to Eleusis remains A. Humbel, Aelius Aristeides. Klage über Eleusis (Oratio 22): Lesetext, Űbersetzung und Kommentar, Wien 1994, p. 19-37.
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Georgia Petridou life with the community, segregates the sufferer, and prepares them by means of excruciating physical pain and/or mental anguish (the medical equivalent of the Eleusinian pathos?) for their reintegration into common health life. The latter is achieved by the resolution of the medical crisis brought upon by the epiphany of Asclepius and other healing deities like Isis, Sarapis and the Mother of the gods.32 To showcase the relational matching of medicine and mysteries, of healing and mystery cults, this paper samples three of these passages, which take the reader through a gradual progression of looser relational matching of the source analog of Eleusinian mysteries onto the target analog of medicinal mysteries in Pergamum to more concrete conceptual identification between the two in the third and final passage. The demarcation line between source and target analogs is more obvious in the first passage (simile), but becomes far more difficult and laboured in the second one (metaphor). More significantly, in the third passage this demarcation line between the two analogues of mysteries and medicine disappears completely and the two semantic areas appear to have been merged into a new conceptual creation. Mapping Medicine onto Mysteries in the Hieroi Logoi: Simile, Metaphor or a New Concept? The first passage is a fascinating extract from the second book of the Hieroi Logoi (48.26-28 Keil), which is dated by Behr to the spring of 146 ce and naturally belongs to Aristides’ years in the cathedra. This narrative is of significance to us partly because it exemplifies nicely the concept of illness as a near-death experience – which in turn opens up channels of direct communication with the divine and secures effective treatment by the divine healer. There is, however, an important twist. Here our Mysian patient is not simply said to be at the threshold of death in a figurative sort of speech. His actual death is predicted by the god to be imminent on the third day: ἔφη χρῆναι τελευτᾶν εἰς τρίτην ἡμέραν. To avoid it, Aristides must engage in offering sacrifices outside the city in honour of some type of chthonic deities, who remained unnamed, throw coins in the river, return to the sanctuary of Asclepius to embark on elaborate sacrifices in honour of the god and
32. On the mysteries of Isis and Sarapis in the Imperial era, see the contribution of B. Pañeda Murcia in this volume, p. 127-180.
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Mapping Medicine onto Mysteries in Aelius Aristides’ Hieroi Logoi dedicate to him some craters. As if these were not enough, Aristides is asked to proceed with some form of partial mutilation of his body, which, in a typically revisionist way, he interprets as symbolic. Aristid. Or. 48.26-28 Keil: ἔφη χρῆναι τελευτᾶν εἰς τρίτην ἡμέραν, καὶ ταῦτα ἀναγκαίως ἔχειν, καὶ ἅμα σύμβολα ἔδωκε, καὶ ὁποῖ’ ἄττα ἔσται τὰ τῆς ἐπιούσης ἡμέρας, καὶ γὰρ τὸν ἀέρα ὁποῖος καὶ τὸν ἡνίοχον ὅπου φανήσοιτο καὶ ἄλλα ἔδωκε σύμβολα τῆς ἀληθείας· 27 ἀλλὰ δεῖν οὕτω ποιεῖν, πρῶτον μὲν ἀναβάντα ἐπὶ τὸ ζεῦγος ἐλθεῖν ἐπὶ τὸν ποταμὸν τὸν διὰ τῆς πόλεως ῥέοντα, γενόμενον δὲ οὗ ἐστιν ἤδη ἔξω τῆς πόλεως ἱερὰ δρᾶσαι ἐπιβόθρια, οὕτω γὰρ αὐτὰ προσεῖπεν, ἔδει δὲ ἄρα βόθρους ὀρύξαντα ἐπ’ αὐτῶν δρᾶσαι τὰ ἱερὰ οἷστισι δὴ καὶ ἔδει θεῶν· ἔπειτα ἀναστρέφοντα λαβόντα κέρματα διαβαίνειν τε τὸν ποταμὸν καὶ ἀπορρίπτειν, καὶ ἕτερ’ ἄττα, οἶμαι, πρὸς τούτοις ἐκέλευσε. μετὰ δὲ ταῦτα ἐλθόντα εἰς τὸ ἱερὸν θῦσαι τῷ Ἀσκληπιῷ τέλεια καὶ στῆσαι κρατῆρας ἱεροὺς καὶ νεῖμαι μοίρας ἱερὰς ἅπασι τοῖς συμφοιτηταῖς· δεῖν δὲ καὶ τοῦ σώματος αὐτοῦ παρατέμνειν ὑπὲρ σωτηρίας τοῦ παντός. 28 ἀλλὰ γὰρ εἶναι τοῦτο ἐργῶδες, τοῦτο μὲν καὶ δὴ παριέναι μοι, ἀντὶ δὲ τούτου τὸν δακτύλιον ὃν ἐφόρουν περιελόμενον ἀναθεῖναι τῷ Τελεσφόρῳ, τὸ γὰρ αὐτὸ ποιεῖν ὥσπερ ἂν εἰ τὸν δάκτυλον αὐτὸν προείμην, ἐπιγράψαι δὲ εἰς τὴν σφενδόνην τοῦ δακτυλίου, Κρόνου παῖ· He said that it was fated that I die on the third day, and that this was inevitable. And at the same time, he gave me tokens (symbola) about certain events on the following day, and the state of weather, and where the constellation of the Charioteer would appear, and he gave me other tokens (symbola) of his truthfulness. (27) But he said it was necessary to do the following. First having got into a wagon, to go to the river which flows through the city, and when I was at the place where it is outside the city, to make sacrifices “at the trench” – for so he called them. It was necessary to dig a trench and to make sacrifices in it to whomsoever of the gods it was necessary. Next upon turning back to take some small coins, to cross the river and cast them away. And he ordered some things, I think, in addition to this. After this to go to the Temple and make a full sacrifice to Asclepius, and to have sacred bowls set up, and to distribute the sacred portions of the sacrifice to all my fellow pilgrims. Also it was necessary to cut off some part of my body for the sake of the well-being of the whole. (28) But since this was difficult, he remitted for me. Instead of this, he ordered me to remove the ring which I wore and dedicate it to Telesphorus – for this had the same effect, as if I should give up my finger – and to inscribe on the band of the ring, “O son of Cronus”. And if I did this, I would be saved. (trans. Behr) 229
Georgia Petridou The result of this complex ritual sequence of events, in which Aristides engages in the hope to postpone his imminent death is remarkable: these ritual actions are said to have restored the harmony (harmonia) of both Aristides’ sōma and psychē.33 Notice the schema etymologicum used to lay more emphasis on the notion of harmony, ‘the joining together’, ‘the fine tuning’ of his previously fragmented sōma. In his own words, this is how Aristides felt after having undergone this rather unconventional treatment (28): Aristid. Or. 48.28: τὸ δὴ μετὰ τοῦτο ἔξεστιν εἰκάζειν ὅπως διεκείμεθα, καὶ ὁποίαν τινὰ ἁρμονίαν πάλιν ἡμᾶς ἡρμόσατο ὁ θεός. σχεδὸν γὰρ ὥσπερ ἐν τελετῇ περὶ πάντα ταῦτα διήγομεν, παρεστώσης ἅμα τῷ φόβῳ τῆς ἀγαθῆς ἐλπίδος. After this it is impossible to imagine our condition, and into what kind of harmony the God again brought us. For we engaged in all this, almost as if in an initiation ritual, since there was good hope together with fear.
The paradoxical co-existence of contradictory emotional responses, such as that of fear and hope, along with the mention of teletē keeps us in the ambiance of initiatory rites. Lucius in Apuleius’ Metamorphoses (11.7) has analogous mixed reactions to Isis’ epiphany: “With mingled emotions of fear and joy I arose, very much in sweat, utterly amazed by so clear presence of the powerful goddess” (pauore et gaudio ac dein sudore nimio permixtus exurgo summeque miratus deae potentis tam claram praesentiam).34 However and unlike Lucius,
33. The concept of harmonia was undoubtedly drawn from the world of music and found a wide application and popularity in the Greek philosophical thought and culture from the Archaic and Classical periods to the Imperial era and beyond. Cf. here M. L. West, Ancient Greek Music, Oxford 1992, p. 234: “The health of the body or of the soul could be explained as dependent on proper ‘attunement’, on harmonic relationships ultimately reducible to numbers. The whole cosmos, the planetary and stellar spheres with their orderly revolutions, could be seen as a vast musical instrument with each component attuned according to the same scheme of ratios as obtains in our mortal music.” 34. Transl. Walsh. Cf. also Stobaeus 4.52.49 = Plutarch fr. 178: “At first there is wandering, and wearisome roaming, and fearful travelling through darkness with no end to be found. Then, just before the consummation, there is every sort of terror, shuddering and trembling and perspiring and amazement” (πλάναι τὰ πρῶτα καὶ περιδρομαὶ κοπώδεις καὶ διὰ σκότους τινὲς ὕποπτοι πορεῖαι καὶ ἀτέλεστοι, εἶτα πρὸ τοῦ τέλους αὐτοῦ τὰ δεινὰ πάντα, φρίκη καὶ τρόμος καὶ ἱδρὼς καὶ θάμβος).
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Mapping Medicine onto Mysteries in Aelius Aristides’ Hieroi Logoi Aristides, in this particular occasion, marks his mixed emotional reactions to Asclepius’ therapeutic intervention as a simile: σχεδὸν γὰρ ὥσπερ ἐν τελετῇ,35 another form of analogical mapping, which, nonetheless, keeps a clearer distance between source (mystery cults) and target (Aristides’ conception of the Asclepian system of therapeutics) analogue than metaphor, which seems to require a one-to-one mapping of the first to the latter. In fact, there is also a good number of narratives in the HL, wherein the emotional impact of Asclepius’ epiphany is described in such a way, that the demarcation line between figurative and non-figurative speech is particularly difficult to set. This is clearly the case in the healing episode Aristides narrates next in chapters 29-35 of his second book of the HL, which dates to the winter of 146 ce. Aristides has just narrated the double vision he shared with the neokoros (one of the temple wardens) Philadelphos, in which the god has urged him to drink wormwood or Artemisia Absinthium, one of the medicinal substances that appear often in medical authors, from the Hippocratic doctors to Aretaeus and Alexander of Tralles.36 Aristides’ ecstatic joy at the manifest presence of Asclepius is unbridled. The god appears to be not only in clear sight, but also almost within reach. In this passage, the orator maps closely the emotional impact of his healing vision to the animated and often contradictory psychosomatic reactions initiates to mystery cults were said to have experienced: […] κἀπὶ τούτοις ἦν τὸ ἀψίνθιον ὅντινα δὴ τρόπον δηλωθέν, ἐδηλώθη δὲ ὡς ἐναργέστατα, ὥσπερ οὖν καὶ μυρία ἕτερα ἐναργῆ τὴν παρουσίαν εἶχε τοῦ θεοῦ. 32 καὶ γὰρ οἷον ἅπτεσθαι δοκεῖν ἦν καὶ διαισθάνεσθαι ὅτι αὐτὸς ἥκοι καὶ μέσως ἔχειν ὕπνου καὶ ἐγρηγόρσεως καὶ βούλεσθαι ἐκβλέπειν, καὶ ἀγωνιᾶν μὴ προαπαλλαγείη, καὶ ὦτα παραβεβληκέναι καὶ ἀκούειν, τὰ μὲν ὡς ὄναρ, τὰ δὲ ὡς ὕπαρ, καὶ τρίχες ὀρθαὶ καὶ δάκρυα σὺν χαρᾷ καὶ γνώμης ὄγκος ἀνεπαχθής, καὶ τίς ἀνθρώπων ταῦτά γ’ ἐνδείξασθαι λόγῳ δυνατός; εἰ δέ τις τῶν τετελεσμένων ἐστί, σύνοιδέ τε καὶ γνωρίζει.
35. A.-J. Festugière (Personal religion among the Greeks, Berkeley 1954, p. 170, n. 27) is, like C. A. Behr (Aelius Aristides and the Sacred Tales), consumed with the desire to disprove any allusion to a genuinely mysteric aspect of the Asclepian cult. 36. Hippocrates, De Morbis 3.11, De mulierum affectibus 1.74; Xenophon, Anabasis 1.5.1; Theophrastus, Historia plantarum 1.12.1; Dioscorides 3.23; Aretaeus, De curatione diuturnorum morborum libri duo 1.13; Alexander Tralles 1.10.; cf. also Pseudo-Dioscorides 3.24.
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Georgia Petridou […] and after this there was wormwood, made clear in some way. It [sc. the remedy] was revealed in the clearest way possible, just as countless other things also made the presence of the god manifest. For I seemed almost to touch him and to perceive that he himself had come, and to be halfway between sleep and waking and want to get the power of vision and to be anxious lest he depart beforehand, and to have turned my ears to listen, sometimes as in a dream, sometimes as in a waking vision, and my hair was standing on end and tears of joy, and the weight of knowledge was no burden – what man could even set these things into words? But if he is one of the initiates, then he knows and understands.
This passage is revealing of the new level to which Aristides takes traditional elements such as therapeutic epiphanies and prescriptive dreams.37 It also exemplifies Aristides’ tendency to conceptualise and portray his astheneia as opening up a channel of encountering directly the god. Moreover, in the same extract from the second book of the HL Aristides’ treatment by the god is depicted as a kind of intimate and close contact with the divine, which we know that took place at some climactic point of the mysteric initiatory rites.38 Asclepius is not simply said to have made his presence manifest (ἐναργῆ τὴν παρουσίαν εἶχε
37. On dreams as diagnostic tools in secular medical practice, see A. M. Holowchak, “Interpreting Dreams for Corrective Regiment: Diagnostic Dreams in Greco-Roman Medicine”, Journal of Medicine and Allied Sciences 56.4 (2001), p. 382-399; S. M. Oberhelman (ed.), Dreams, Healing, and Medicine in Greece: From Antiquity to the Present, Burlington 2013; G. Petridou, “Asclepius the Physician, Asclepius theos sotēr: Epiphanies as diagnostic and therapeutic tools”, in D. Michaelides (ed.), Medicine and Healing in the Ancient Mediterranean, Oxford – Philadelphia 2014, p. 297-308; and more recently G. H. Renberg, Where Dreams May Come, Leiden – Boston 2017 (RGRW 184). 38. Participation in the sacred rites opens up a channel of intimate communication with the divine, which in the Iliadic world is a given for the heroes; by contrast, in the mundane world of the everyday man or woman such a path of close interaction with the divine is only accessible through ritual, and otherwise unattainable. Simultaneously, participation in the sacred rites opens up divine vistas that have the power to grant blessedness to their spectators, perhaps allowing them to see the gods as they really are: both very similar and very different to them. More on this topic in G. Petridou, “‘Blessed is he, who has seen’… the power of ritual viewing and ritual framing in Eleusis”, in S. Blundell, D. Cairns, N. Rabinowitz (ed.), Vision and Viewing in Ancient Greece, Texas 2013 (Helios 40.1-2), p. 309-341.
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Mapping Medicine onto Mysteries in Aelius Aristides’ Hieroi Logoi τοῦ θεοῦ), the narrator forces his audience to notice that the incumbant Aristides can almost touch his god, who is wholly perceivable (καὶ γὰρ οἷον ἅπτεσθαι δοκεῖν ἦν καὶ διαισθάνεσθαι ὅτι αὐτὸς ἥκοι). This intimate contact with the divine healer – common to other healing cults with distinct mysteric aspects, such as that of Neos Asklepios Glykon – bears resemblance to the direct divine epiphany granted only to a mystēs. At the same time, by marking his contact as tangible, Aristides maps the intimate physical interaction between himself and his divine physician to the kind of physical proximity with the divine only acquired via mystic initiation. Aristides’ full of pathos exposé of the events, which speaks volumes about the mortal’s agony over his limited sensory reception of the wondrous divine presence (καὶ ἀγωνιᾶν μὴ προαπαλλαγείη, καὶ ὦτα παραβεβληκέναι καὶ ἀκούειν) seems to serve no other purpose apart from emphasizing further his closeness to the divine figure. Moreover, Aristides’ vivid description of his psychosomatic reactions, which include the simultaneous presence of joy and sorrow, goose bumps, and the feeling that the knowledge imparted by the god’s epiphany is not burdensome, they all bring to mind the intense emotional reactions of initiates of mystery cults. However, the most explicit reference to the world of the mystery cults comes with the rhetorical question that closes the section: καὶ τίς ἀνθρώπων ταῦτά γ’ ἐνδείξασθαι λόγῳ δυνατός; Emphasizing the limitations of human language to convey the intensity of mystic experience is a topos in literary sources that account for religious experience.39 In attempting to give a vivid and accurate description of his encounter with the solemn and radiant figure of Isis, Lucius is faced with analogous problems: human language is deemed inadequate to describe the beauty of the gods, and presumably also the intensity involved in their brief, but heavily-charged interactions.40 39. See S. Montiglio, Silence in the Land of Logos, Princeton 2000, p. 116-37, and P. Van Nuffelen, “Words of Truth”, p. 9-39. On secrecy and concealment in the religious history of the Mediterranean, see H. G. Kippenberg, G. G. Stroumsa (ed.), Secrecy and Concealment. Studies in the History of Mediterranean and Near Eastern Religions, Leiden 1995. 40. Compare here how similar are Lucius’ complaints regarding his inability to report appropriately on Isis’ epiphany (Apuleius, Metamorphoses 11.3) with Aristides’ constant lament in regards to his powerlessness to communicate fully his own miraculous contact with Asclepius in the passage discussed: Necdum satis conixeram, et ecce pelago medio uenerandos diis etiam uultus attollens emergit diuina facies; ac dehinc paulatim toto
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Georgia Petridou This brief survey of the close conceptual mapping of medicine onto mystery cults in the HL by discussing an incredible narrative, in which the boundaries between the source and the target analogue are no longer visible, there appears to be concrete conceptual identification between the two. Aristid. Or. 49.47-48: γενομένης δὲ τῆς περὶ Ζώσιμον συμφορᾶς — ἃ γὰρ μελλούσης προεῖπε καὶ παρεμυθήσατο ὁ θεὸς παρίημι — ἀλλ’ ἐπειδὴ ἐγένετο καὶ χαλεπῶς εἶχον ἀπὸ τῆς λύπης, ἐδόκει41 μοι σμίλην τιν’ ἔχων ὁ Σάραπις, ὥσπερ κάθηται τῷ σχήματι, περιτέμνειν μου τὰ κύκλῳ τοῦ προσώπου ὑπ’ αὐτό πως τὸ † ὁρίζηλον, οἷον λύματ’ ἀφαιρῶν καὶ καθαίρων, καὶ μεταβάλλων εἰς τὸ προσῆκον. ὥστε καὶ ὕστερον ὄψις μοι γίγνεται παρὰ τῶν χθονίων θεῶν, εἰ τὸ σφόδρα οὕτω λυπεῖσθαι ἐπὶ τοῖς τελευτῶσιν ἀνείην, συνοίσειν μοι ἐπὶ τὸ βέλτιον. 48 πολὺ δέ τι τούτων φρικωδέστερον εἶχε τὰ χρόνῳ ὕστερον φανθέντα, ἐν οἷς αἵ τε δὴ κλίμακες ἦσαν αἱ τὸ ὑπὸ γῆς τε καὶ ὑπὲρ γῆς ἀφορίζουσαι, καὶ τὸ ἑκατέρωθι κράτος τοῦ θεοῦ, καὶ ἕτερα ἔκπληξιν θαυμαστὴν φέροντα, καὶ οὐδὲ ῥητὰ ἴσως εἰς ἅπαντας, ὥστε ἀσμένῳ μοι φανῆναι ˂τὰ˃ σύμβολα [τοῦ Ἀσκληπιοῦ] κεφάλαιον δ’ ἦν περὶ τῆς τοῦ θεοῦ δυνάμεως ὅτι καὶ χωρὶς ὀχημάτων καὶ χωρὶς σωμάτων ὁ Σάραπις οἷός τ’ εἴη κομίζειν ἀνθρώπους ὅπη βούλοιτο. τοιαῦτα ἦν τὰ τῆς τελετῆς· καὶ ἀνέστην οὐ ῥᾴδιος γνωρίσαι. (47) When Zosimos’ misfortune occurred ―for I omit the things the god predicted when it was going to happen and how he consoled me― but when it happened and I was distraught with grief, I dreamed that Sarapis, in the shape of his seated statues, took some sort of lancet, and made a circular incision around my face… as if he were removing impurities, purifying it, and changing it to its befitting state. So even later, I had a vision from the chthonic gods, that if I were to give up
corpore perlucidum simulacrum excusso pelago ante me constitisse uisum est. Eius mirandam speciem ad uos etiam referre conitar, si tamen mihi disserendi tribuerit facultatem paupertas oris humani uel ipsum numen eius dapsilem copiam elocutilis facundiae subministrauerit (“But scarcely had I closed my eyes when suddenly from the midst of the sea a divine figure arose, revealing features worthy of veneration even by the gods. Then gradually the gleaming form seemed to stand before me in full figure as she shook off the sea-water. I shall try to acquaint you too with the detail of her wondrous appearance, if only the poverty of human speech grants me powers of description, or the deity herself endows me with a rich feast of eloquent utterance”) transl. Walsh. 41. The dream-vision is introduced by the verb δοκεῖν, whose use in a wide range of authors and generic contexts is so regular and uncomplicated that it is quite adequate to simply translate as “he dreamt” rather than “it seemed to him / he thought that he dreamt…”.
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Mapping Medicine onto Mysteries in Aelius Aristides’ Hieroi Logoi my strong grief for the dead it would confer a benefit to me. (48) However, what was revealed to me much later was much more frightening than these things, for there were both ladders, which demarcated the region above and beneath the earth, and the supremacy of the god on either side, and there were other things, which caused a marvellous bewilderment, and cannot perhaps be told to everyone; hence, the symbola of Asclepius were revealed to me to my delight. And the most significant point was about the power of the god, that both without vehicles and without bodies Sarapis was able to carry men wherever he wishes. Such were the initiatory rites, and I got up disorientated (lit. unable to recognise).
This passage is dated by Behr to 149 ce, a year after the death of Aristides’ beloved foster father Zosimus. As I have discussed elsewhere,42 Asclepius had been involved actively in Zosimus’ illness and temporary recovery by predicting his death and by instructing Aristides on how to prevent it, or, to put it more accurately, how to postpone it, since Zosimus disregarded Aristides’ instructions and succumbed to his illness in 148. This extract shows amply enough that Aristides had a keen interest in the afterlife and was preoccupied with the fate of the soul after the death of the physical body. This interest may have resurfaced because of the death of his foster father Zosimus – eschatological interests often come to the fore when one is faced with the loss of a loved one – but it seems unlikely to have been exclusively triggered by this event. The increased popularity in the Antonine period of philosophical works which centred on the dualism of body versus soul, such as Plato’s Timaeus and Phaedrus, may also have contributed significantly to that end.43 Although chapter 48 focuses exclusively on Sarapis’ oneiric intervention in assisting him with his grief over Zosimus’ death (λύπη… λυπεῖσθαι), Aristides deliberately alludes also to Asclepius’ involvement via praeteritio: ἃ γὰρ μελλούσης προεῖπε καὶ παρεμυθήσατο ὁ
42.G. Petridou, “Aelius Aristides as informed patient”, in G. Petridou, Ch. Thumiger (ed.), Homo Patiens, p. 451-470. 43. In the fourth book of the HL (Or. 50.56), for instance, Aristides alludes to and comments on Plato’s Timaeus 34a. On possible Platonic influences in these passages, see C. A. Behr, Aelius Aristides and the Sacred Tales, p. 54, n. 50. On the popularity of Phaedrus see M. Trapp, “Plato’s Phaedrus in Second-Century Greek Literature”, in D. A. Russell (ed.), Antonine Literature, Oxford 1990, p. 141-173, esp. 152-153 and 166-168.
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Georgia Petridou θεὸς παρίημι. The main reason the narrative does not go into greater detail about Asclepius’ intervention is because we are given all the graphic details of Asclepius’ attempt to save Zosimus in the first book of the HL (Oration 47.70-72).44 Sarapis’ involvement in soothing Aristides’ pain for the death of Zosimus takes the form of a strange ritual that involved, as far as we can tell from the corrupted text,45 an incision around Aristides’ face with a σμίλη (‘surgeon’s knife’ or ‘lancet’) as if removing impurities, thus purging or purifying him (οἷον λύματ’ ἀφαιρῶν καὶ καθαίρων), and reinstating his appearance to its fitting state. Σμιλή is a term that operates in the intersections of the medical and the sacred (as is καθαίρω), since it can denote both a sculptor’s chisel and a surgeon’s lancet.46 Behr emends the corrupted text as follows: περιτέμνειν μου τὰ κύκλῳ τοῦ προσώπου πως ῥίζῃ ὑπ᾿ αυτὸ τὸ οὖλον. He then substitutes πρόσωπον with ἀκροβυστία, and reads allusions to circumcision, which in his view was a desideratum for Aristides but was forbidden by the Roman law for everyone except Jews and Egyptian priests. The verb περιτέμνειν usually takes some noun like τὰ αἰδοία or τὴν σάρκαν, and can mean ‘to circumcise’ although it can also simply mean ‘to curtail’, ‘to cut around’, which I think is more likely the case here. 47 The meaning of the text is that Sarapis
44. G. Petridou, “Aelius Aristides as informed patient”. 45. A new edition of Aristides’ HL is currently in preparation under the supervision of L. Pernot: Ælius Aristide. Discours Sacrés. Panégyrique sur l’eau de Pergame (orr. XLVII-LIII), Paris (CUF). 46. Knife for cutting or carving: Ar. Th.779, Pl. Rep. 353a, Babr. 98.13; engraving tool, sculptor’s chisel: AP 7.429. on smilē as a medical instrument and its uses, see L. J. Bliquez, The Tools of Asclepius. Surgical Instruments in Greek and Roman Times, Leiden 2014, p. 28: “The surgical literature of the Roman Empire features the technical term smilē (σμίλη), and numerous examples survive in surgical kits of the period. We do once find smilē in the Hippocratic Corpus (De Morbis 2.36 P) but, like machaira/is, smilē was merely a general term in Hippocrates’ time”. 47. C. A. Behr, Aelius Aristides: The Complete Works II, 1978, p. 19, “to circumcise”: e.g.: Herodotus 2.104, Cassius Dio 79.11.2; “to curtail”, “to cut around”: Herodotus 4.64; Hesiod, Opera et Dies 570; [Aristotle], De mirabilibus auscultationibus 835a19. On the social attitudes to Gentiles in Early Christianity, see J. S. McLaren, D. C. Sim (ed.), Attitudes to Gentiles in Ancient Judaism and Early Christianity, London 2013. On circumcision and other practices of bodily modification in the Bible, see F. Stavrakopoulou, “Making Bodies: On Body Modification and Religious”, Hebrew Bible and Ancient Israel 4.3 (2013), p. 453-457. On body modification in Classical Greece, see M. Lee, “Body Modification in Classical Greece”, in T. Fögen, M. M. Lee
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Mapping Medicine onto Mysteries in Aelius Aristides’ Hieroi Logoi shaves Aristides’ face, thus relieving him, perhaps, of some untidy and dirty facial hair, since changes in appearance of this sort were one of the most conspicuous symbols of mourning, and perhaps even pollution, that resulted from Aristides’ familial relationship with the dead.48 This interpretation is further supported by the subsequent dreamvision, sent by the chthonic gods, which Aristides interprets as admonishing him to relinquish his grief over Zosimus’ death. Additional support can be found in the even more frightful vision, featuring ladders (Oration 49.48) which demarcated the things above and below the surface of the earth (ἐν οἷς αἵ τε δὴ κλίμακες ἦσαν αἱ τὸ ὑπὸ γῆς τε καὶ ὑπὲρ γῆς ἀφορίζουσαι, καὶ τὸ ἑκατέρωθι κράτος τοῦ θεοῦ). This vision is said to have brought along another wondrous surprise (ἑτέραν ἔκπληξιν θαυμαστὴν), which is not deemed fit for the eyes and the ears of the general public but is evidently meant for a more exclusive audience (καὶ οὐδὲ ῥητὰ ἴσως εἰς ἅπαντας). Aristides interprets this cryptic vision as evidence of Sarapis’ power to transfer people wherever he wishes without vehicles and without bodies (χωρὶς ὀχημάτων καὶ χωρὶς σωμάτων). The emphasis on the emotional responses of phrikē (φρικωδέστερον) and ekplēxis are also evocative of the initiands’ emotional reactions in some of the most popular mystery cults of the Roman Empire, namely the mysteries of Demeter and Kore at Eleusis.49
(ed.), Bodies and Boundaries in Graeco-Roman Antiquity, Berlin 2009, p. 155-180. Lee rightly argues that permanent body transformation was not favoured by the Greeks because it was synonymous with the “barbarians”. Instead, more moderate forms of temporary bodily modification were deemed more acceptable. 48. On dirty and untidy appearance as symbols of mourning and pollution in the Roman Empire, see J. Lennon, Pollution and Religion in Ancient Rome, Cambridge 2014, p. 137-142. Cf. also J. Pollini, From Republic to Empire. Rhetoric, Religion and Power in the Visual Culture of Ancient Rome, Oklahoma 2012, p. 168: “The beard of mourning was a stubbly beard covering the entire lower part of the face, indicating that the person with such facial hair was too grief-stricken to care about his personal appearance.” 49. Bacchic mysteries: Celsus ap. Origen, Contra Celsum 4. 10; Eleusis: W. Burkert, (Homo necans, Berkeley 1983, p. 317, n. 64) and Graf and Johnston (Ritual Texts for the Afterlife, p. 134, n. 34); mysteries of Sabazius: Idomeneus, Fragmente der griechischen Historiker 338 F 2. On psychological ordeal as an integral part of the initiation in both the mysteries of Dionysus and Sabazius, see R. Turcan, The Cults of the Roman Empire, transl. A. Neville, Oxford 1997, p. 308-311. On phrikē as a strong emotional response to fear and anxiety especially in sacred contexts, see D. Cairns, “The Horror and the Pity: Phrike as a Tragic Emotion”, Psychoanalytic Inquiry 34 (2015), p. 75-94.
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Georgia Petridou All in all, it is, I think, extremely hard for any student of the history of religions to deny the possibility that here we are, in fact, dealing not with a metaphorical use but with Aristides’ appropriation of an actual initiation into a mysteric cult. The initiatory rites are presided over by both Sarapis and Asclepius (if one is willing to ignore Keil’s delenda)50 and take place in one of Aristides’ dream visions, perhaps a vision not very dissimilar to the one reported by another individual in Sopater’s Divisions of Questions (Διαίρεσις Ζητημάτων 114 Waltz).51 The individual in Sopater’s rhetorical exercise was said to have had an extremely detailed dream in which he had been initiated into the Great Mysteries of Eleusis. The reader is constantly under the impression that the references to the ineffability of the spectacles seen52 and the emotional responses felt go far beyond the realm of figurative speech and betray a real bafflement and confusion, not only over the (in)ability of language as a semiotic system to convey any true religious sentiment53 but also over the (un)suitability of the audience to receive the message. ‘Is it not true that the mysteries were “unspeakable”, arrheta, not just in the sense of artificial secrecy utilized to arouse curiosity, but in the sense that what was central and decisive was not accessible to verbalisation?’, asked Walter Burkert.54 Perhaps the strongest indication that what Aristides described in chapters 47 and 48 is much more than an individualized take on initiatory language and imagery lies in the final sentence of the passage, where Aristides presents himself as the traditionally disorientated
50. On Aristides and his works used as sources for the mystery cult of Sarapis, see J. Fotopoulos, Food offered to Idols in Roman Corinth: a social-rhetorical reconsideration of 1 Corinthians 8:1-11:1, Tübingen 2003, p. 95-97. 51. Cf. Sopatros, Rhetores Graeci VIII 114 (Waltz). This is how Sopater summarises the hypothesis of the speech: Νόμος τὸν ἐξειπόντα τὰ μυστήρια τεθνάναι· ὄναρ τις θεασάμενος τὴν τελετὴν ἤρετο τινα τῶν μεμυημένων, εἰ ταῦτα εἴη, ἅπερ ἑώρακεν· ἐπένευσε καὶ κρίνεται ἀσεβείας. This parallel may be of some importance if the author of this rhetorical speech (in all likelihood written as problēma, that is a rhetorical exercise) is the same Sopater who wrote the Scholia and the Prolegomena to Aristides’ works. The identification of the two is still a matter of debate. 52. Notice the emphatic repetition of ἀμύθητα (Or. 49.46) and καὶ οὐδὲ ῥητὰ ἴσως εἰς ἅπαντας (Or. 49.48). The first pertains to some form of divine light that was sent to him by Isis, while the second to visions of Sarapis and the chthonic gods. 53. Cf. L. Pernot, “The Rhetoric of Religion”. 54. W. Burkert, Ancient Mystery Cults, p. 69.
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Mapping Medicine onto Mysteries in Aelius Aristides’ Hieroi Logoi initiand who has abandoned his old identity, and is now on his way to acquire a new enlightened one: καὶ ἀνέστην οὐ ῥᾴδιος γνωρίσαι. In a similar vein, the initiand who dreamed of his initiation into the mystēria of Demeter and Kore in Eleusis in profound detail in Sopater’s Diairesis Zētēmatōn, says that he came out of the initiatory chambers feeling like a stranger to himself: ἐπ᾿ ἐμαυτῷ ξενιζόμενος.55 These are typical reactions to the dramatic psychological and somatic ordeal, often combined with prolonged sensory deprivation, which most commonly takes place in the course of an initiation ritual, and they coincide with Aristides’ emotional response to his oneiric initiation.56 In the same vein, one must understand the emphasis laid on the term σύμβολα. The symbola, the visual ‘tokens’ of the initiation (as opposed to the synthēma, the acoustic reminder which functioned as a password of sorts) would differ from one mystery initiation to another, but their presence was rather conspicuous in a large number of the attested mystery cults.57 But if the vision exclusively concerned Sarapis, why did Aristides report that he received gladly the symbola of Asclepius (ὥστε ἀσμένῳ μοι φανῆναι ‹τὰ› σύμβολα [τοῦ Ἀσκληπιοῦ])? The easy way to go about this problem is to follow Keil in deleting the genitive on the basis that the whole vision concerns Sarapis: τοῦ Ἀσκληπιοῦ seclusi, de Serapide solo agitur, Keil notes ad loc. However, Asclepius seemed to be in the habit of providing Aristides with decipherable signs, often referred to as symbola, such as at Oration 48.26 discussed above: καὶ ἄλλα γὰρ ἔδωκεν σύμβολα ἀληθείας. The fact that this structure appears at least twice in the HL in conjunction with Asclepius makes it, I think, harder to emend the text by simply deleting the genitive possessive tou Asklepiou in Oration 49.48. Moreover, Keil’s emendation is indicative of the circularity of the argument discussed above, an argument that is based on 55. Sopatros, Rhetores Graeci VIII, 114f. (Waltz). 56. Cf. M. Eliade, Birth and Rebirth: The Religious Meanings of Initiation in Human Culture, New York 1958, p. 163-179. 57. E.g., τῆς τελετῆς τὰ σύμβολα in Orphic-Dionysiac cultic context: Clemens, Protrepticus 2. 18 = Orphica Fragmenta 34. On symbola in the context of mystery cults in general and in regard to Eleusis in particular, see C. Riedweg, Mysterienterminologie bei Platon, Philon, und Klemens von Alexandrien, Berlin 1987, p. 82-84. On symbola in Bacchic initiatory rites see Graf and Johnston, Ritual Texts for the Afterlife, p. 140 and 151-154 and J. N. Bremmer, Initiation into the Ancient Mystery Cults, Berlin 2014, p. 91, 127, with further bibliography. Cf. also Proclus, In Platonis Rempublicam commentarii II 108, p. 17-30 (Kroll).
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Georgia Petridou the erroneous assumption that the spheres of influence of Asclepius and Sarapis can and should be defined with clinical precision and that, above all, they should be kept apart. In this esoteric account, Sarapis and Asclepius, Aristides’ principal sotēres theoi, embark on a joint enterprise to persuade him that his beloved Zosimus may have died but that his soul, deprived of its ochēma, its vehicle (a synonym for sōma),58 is safe in the hands of the gods. Conclusion: Mysteries and the Muddy language of Medicine “The language of medicine can be as clear as mud”. V. S. Periyakoil59
Τὰ δὲ ἱερὰ ἐόντα πρήγματα ἱεροῖσιν ἀνθρώποισι δείκνυται· βεβήλοισι δέ, οὐ θέμις, πρὶν ἢ τελεσθῶσιν ὀργίοισιν ἐπιστήμης Those things which are sacred, are revealed to sacred persons; and it is not lawful to give access to the profane, until they have been initiated in the mysteries of the knowledge. Hippocrates, Lex 5.1
To bring the threads together, this paper called for a re-evaluation of the use of mysteric language and imagery in the Hieroi Logoi, and argued that this exercise can reveal the deeper cognitive process that brings together two quite diverse semantic fields, that of medicine and that of mystic initiation. Nonetheless, one cannot rely exclusively on this and needs to take into consideration: a) the time-honoured tradition of framing the imparting of powerful and often dangerous knowledge in terms of revealing mysteries of the highest order;60 b) the conspicuous, but largely unacknowledged iatric aspects of well-established and time-resistant mysteries, such as that of the two Goddesses in Eleusis;61 c) the ubiquity and the flexibility of the Imperial healing cults and their readiness to respond to the needs of members of the socio-political elite to accumulate symbolic capital;62 and d)
58. Cf. σῶμα… ψυχῆς λεπτὸν ὄχημα: Oracula Chaldaica fragment 120.1, as preserved in Hierocles, In aureum carmen 26.4. 59. V. S. Periyakoil, « Using metaphors in medicine », Journal of Palliative Medicine 11.6 (2008), p. 842-844. 60. This tradition is, in fact, as old as the Hippocratic Lex (see the motto to this section). 61. G. Petridou, “Demeter as an ophthalmologist?”. 62. E. Muñiz Grijalvo, “Elites and Religious Changes in Roman Athens”.
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Mapping Medicine onto Mysteries in Aelius Aristides’ Hieroi Logoi the tradition of mapping rhetoric and rhetorical skill onto the cognitive field of mystery cults, as seen with conspicuous orators such as Cicero, Dio of Prusa, Theon of Smyrna, among several others.63 However, Aristides’ use of mystery imagery (in all likelihood Eleusinian) is very different from other orators of the Second sophistic, such as Dio of Prusa, Plutarch, Epictetus, Lucian, Galen, and Maximus of Tyre. The difference is both quantitative and qualitative. Aristides employs more references to mystery terminology and imagery than his contemporaries, recasts both illness and rhetoric in terms of initiatory rites and even ascribes ethical superiority to communities such as the Athenians who pioneered the foundation of these mystery cults.64 In the three Platonic orations (To Plato: In Defense of Oratory, Or. 2 K.; To Plato: In Defense of the Four, Or. 3 K.; The Third Platonic Discourse: To Capito, Or. 4 K.), oratory is portrayed as a mystery cult. To be sure, as Riedweg (1987) and Kirchner (2005) have pithily shown, Aristides was not alone in re-presenting rhetorical knowledge and performative skill (ars dicendi) as advancing stages in an initiatory ceremony. The pairing of mystery language with rhetoric can already be observed in Cicero’s De Oratore, although there is it easier to see how the semantic association in that case is heavy with ironic overtones. An analogous use of mystery terminology is to be found in Quintilian, who ironically calls himself a hierophant of rhetorical epilogues in Institutio Oratoria 5.14.27 and describes the Roman advocates of Atticism which whom Cicero was also related as a type of esoteric association, which regarded rhetoric as a mysterium (12.10.14).65 By contrast, Dionysius of Halicarnassus (De Compositione Verborum 25) recasts Demosthenes’ rhetorical prowess in terms of knowledge acquired in mystery (quite possibly Orphic) rites. In a similar vein, specialised knowledge that transmitted in a familial context or within closed professional circles was also described in terms of knowledge acquired in the course of initiatory rites, knowledge that had to be safeguarded and kept away from the eyes and the ears of the bebēloi in Galen (De usu partium 12.6 [IV.20 Kühn]) and Eusebius (De Laudibus Constantini 4).66
63. See A. Timotin’s contribution in this volume, p. 279-298. 64. E.g. Oration 1.167ff. with A. Humbel, Aelius Aristeides, p. 19. 65. R. Kirchner, “Die Mysterien der Rhetorik. Zur Mysterienmetapher in rhetoriktheorischer Texten”, Rheinisches Museum 148 (2005), p. 165-180, 172-173. 66. On Galen’s use of mystery terminology, see A. Pietrobelli’s contribution in this volume, p. 201-216.
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Georgia Petridou The use of mystery-cult related imagery and terminology in Aristides, nonetheless, has a deeper double effect on both Aristides’ self-representation and the construction of Aristides’ esoteric discourse in regards to the therapeutic experience in Pergamum: a) on the one hand, it draws attention to the fact that the relationship between this privileged patient and his divine physician is so close that can only be paralleled with and compared to a direct mortal-immortal encounter, which was thought to be the hallmark of initiatory rites into mystery cults; b) on the other hand, it utilises the partial inclusion/ partial exclusion mechanism, which have been long embedded in the mystery cult practices and discourses, and creates a sophisticated but, nonetheless, hard to miss barrier between Aristides’ ideal audience – perhaps the kind of audience who truly surrenders themselves to his mystagogic rhetoric – and the less than perfect audience who stand deprived of the divine benefits of mystic initiation, and thus, effectively, deprived of the intellectual capacity to fully grasp the meaning of his words. Above all, Aristides’ use of mystery-cult related imagery and terminology leaves us the modern readers wondering as to whether using mystic discourse was the only way to conceptualise and convey effectively the multifaceted and polyvalent impact the Asclepian system of therapeutics had on his erudite patients, both in terms of physical healing and emotional fulfilment. In fact, I am willing to go even further and claim that the conceptual mapping of medical terminology and experience onto mysteric language and imagery, and experience may well be the only fool-proof way to clarify the muddy waters of emotional expression in the field of medicine.
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“MYSTERY” IN IMPERIAL STOICISM? Jordi Pià-Comella Université Sorbonne-Nouvelle CERAM (ED 173) Institut Universitaire de France1
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he reference to the mysteries is probably one of the most problematic Stoic images. Chrysippus and Cleanthes compare their theology with the final revelation of the Eleusinian mysteries, meaning that it represents the culmination of their philosophy.2 But at the same time, they only apply this image to Stoic theology, whereas Plato used it to describe the whole philosophy.3 In fact, the metaphor of the
1. I would like to thank Dr. Bilal Badat, Dr. Manlio Fossati, and Prof. Thomas Bénatouïl for proofreading my paper. 2. Plutarch, On Stoic Self-Contradictions 1035 B: εἶτα τούτων δεῖν τάττεσθαι πρῶτα μὲν τὰ λογικὰ δεύτερα δὲ τὰ ἠθικὰ τρίτα δὲ τὰ φυσικά· τῶν δὲ φυσικῶν ἔσχατος εἶναι ὁ περὶ τῶν θεῶν λόγος· διὸ καὶ τελετὰς προσηγόρευσαν τὰς τούτου παραδόσεις (“Then logic must be put first, ethics second, and the physics third; and theology must be the last of physical teachings, which is why its transmissions have also been called teletai)”. Stoicorum Veterum Fragmenta I, 538 = Epiphanius, Against Heresies III, 2, 9: Κλεάνθης … τοὺς θεοὺς μυστικὰ σχήματα ἔλεγεν εἶναι καὶ κλήσεις ἱεραὶ καὶ δᾳδοῦχον ἔφασκεν εἶναι τὸν ἥλιον καὶ τὸν κόσμον μύστας καὶ τοὺς κατόχους τῶν θείων τελεστὰς ἔλεγε (“Cleanthes says that the gods are mystical figures and sacred denominations, he claims that the sun is the carrier of the torch, that the cosmos is a mystery, and he refers to those inspired by divine matters as initiates)”. On these images, see P. Boyancé, Études sur le Songe de Scipion, Limoges, p. 117; ch. Jedan, Stoic Virtues: Chrysippus and the Religious Character of Stoic Virtue, London – New York 2009, p. 103-109; F. casadesús, “The Transformations of the Initiation Language of Mystery Religions into Philosophical Terminology”, in m. J. MartínVelasco, M. J. García Blanco (ed.), Greek Philosophy and Mystery Cults, Newcastle upon Tyne 2016, p. 1-26. 3. Plato, Phaedrus 248c-250e; Symposium 209e-210a. 10.1484/M.BEHE-EB.5.125925
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Jordi Pià-Comella mysteries as well the idea of a better life after death implies a knowledge inaccessible to human reason, which ostensibly contradicts the Stoic rationalism and the theory of soul that claims that only the wise can survive until world conflagration. Similarly, from Seneca and Cornutus to Epictetus and Marcus Aurelius, the mystery vocabulary is almost absent: Imperial Stoics generally use the image of the mysteries at the introduction or conclusion of a chapter, and in this case, they only allude to the Eleusinian rites, considering that the other mystery cults are superstitions that exacerbate passions and alienate people. Therefore, at first sight, it may seem that the reference to the mysteries is very marginal in Stoic philosophy. So, we might be tempted to think that Imperial stoicism doesn’t participate to the second century mysteric turn. In this paper, I would like to revise this first impression and show that at least for Seneca, Cornutus, and Epictetus, the image of the mysteries plays a key role in promoting Stoic philosophy. First, in Natural Questions and Moral Letters, Seneca uses the religious image to celebrate Stoic theology and praise philosophy. Then, in his Greek Theology, Cornutus connects the etymology of the mysteries to the notions of intellectual research and philosophy. Through the reference to the mysteries, Cornutus aims to promote philosophical enquiry. Finally, Epictetus extends the religious image to the philosopher’s teaching: by comparing him to a hierophant, he presents his profession as a real vocation to serve God. So, the key role of mysteric images in promoting Stoic philosophy raises the following questions. First, do they mitigate the Stoic dogmatism or are they totally rationalised? Second, since the metaphor of the mysteries gives a religious dimension to Epictetus’s philosophy, does it resonate with the metaphysical and religious aspirations of the Imperial time? Is this image used in a polemical way since, practically in the same period, the Platonists Plutarch and Apuleius straighten the links between philosophy and religion? The Eleusinian mysteries: a metaphor of Seneca’s theology Seneca’s allusions to the mysteries are very punctual in his philosophical works, in contrast with his tragedies that allude more abundantly to them. For Seneca considers that emotions and mysteric
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“Mystery” in Imperial Stoicism? experiences are an impediment to the search of wisdom.4 However, he uses the metaphor of the Eleusinian cults in strategic passages of the Natural Questions and the Letters. So, are these images intended to give a portion of mystery in Stoic theology? And what kind of mystery is it, since, according to the Stoic doctrine, mystery is not intrinsic to divine essence? Rationalising the image of the Eleusinian mysteries in Natural Questions and Moral Letters As they are written at the end of Seneca’s life, and addressed to the same recipient, Lucilius, Natural Questions and Moral Letters are closely interrelated.5 In Natural Questions, Seneca analyses some etiological issues like the celestial fires, the earthquakes or the comets, which are related to natural philosophy, whereas the Letters mainly focus on moral philosophy. Lucilius is invited to make connections between the two areas: for the exploration of natural phenomena is meant to help him to reach the moral perfection of the wise; and, inversely, his soul will become wise only when it returns to its source, that is to say, by contemplating divine realities and the universe. First, Seneca uses the image of the mysteries in two key passages of the Natural Questions: the conclusion of the Book 7 on the comets, where he reflects on the unveiled secrets of nature, and the preface to
4. Seneca, Hercules Furens 299, 838; Phaedra 838; Troades 842; Oedipus 429. Concerning the Greek and Latin terminology of the mysteries see: W. Burkert, Ancient Mystery Cults, Cambridge (MA) – London 1987, p. 3-14; n. Belayche, F. Massa, “Quelques balises introductives: lexique et historiographie”, in N. Belayche, F. Massa (ed.), “Les mystères”. Questionner une catégorie, Mètis N.S. 14 (2016), p. 7-9. 5. On Seneca’s images of the mysteries, see: C. Codoñer, La physique de Sénèque: Ordonnance et structure des “Naturales Quaestiones”, ANRW II 36, 3 (1989), p. 17791822; S. Citroni Marchetti, Plinio il Vecchio e la tradizione del moralismo romano, Pise 1991, p. 145-148; P. Parroni, “Le Naturales quaestiones fra scienza e morale”, in P. Parroni (ed.), Seneca e il suo tempo, Rome – Salerno 2000, p. 433-444; P. Hadot, Le voile d’Isis. Essai sur l’histoire de l’idée de nature, Paris 2004, p. 48-56, p. 178-183; B. Inwood, “God and Human Knowledge in Seneca’s Natural Questions”, in D. Frede, A. Laks, Traditions of Theology: Studies in Hellenistic Theology, its background and aftermath (Philosophia Antiqua), Leiden 2002, p. 119-157; M. Armisen-Marchetti, “La philosophie selon Sénèque : apprentissage ou révélation?”, in A. N. Pena (ed.), Révélation et apprentissage dans les textes grecs et latins, Lisbonne 2012, p. 29-44; G. Williams, The Cosmic Viewpoint. A Study of Seneca’s Natural Questions, Oxford 2012, p. 171, 270.
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Jordi Pià-Comella Book 1. In this preface, Seneca introduces the study of the igneous meteorites and defines the purpose of the entire work. Before analysing these passages, it is worth reminding that: – The word ‘question’ – enquiry – indicates that, in contrast with Fabianus or Pliny the Elder, Seneca’s project only focuses on the problematic aspects of nature, more precisely, on the invisible causes of the natural phenomena, and not on the whole nature.6 – Hine and Codoñer have convincingly argued that the original order was: 3, 4a, 4b, 5, 6, 7, 1, 2.7 The treatise read in the order indicated has a discernible thematic progression: after the preface to Book 3 of Natural Questions, Seneca studies the different natural phenomena, from the earth to the sky. Consequently, the preface to Book 1, devoted to the description of the fires, prolongs the conclusion of Book 7 on comets. Let’s now analyse Seneca’s references to the mysteries. The Roman author compares the Eleusinian mysteries to Stoic theology at the conclusion of Book 7 in Natural Questions, and in letter 90: Quam multa animalia hoc primum cognouimus saeculo, quam multa ne hoc quidem! Multa uenientis aeui populus ignota nobis sciet; multa saeculis tunc futuris cum memoria nostri exoleuerit reseruantur. Pusilla res mundus est, nisi in illo quod quaerat omnis aetas habeat. Non semel quaedam sacra traduntur: Eleusin seruat quod ostendat reuisentibus; rerum natura sacra sua non semel tradit. Initiatos nos credimus, in uestibulo eius haeremus. Illa arcana non promiscue nec omnibus patent; reducta et interiore sacrario clausa sunt, ex quibus aliud haec aetas, aliud quae post nos subibit aspiciet.8
6. C. Codoñer, La physique de Sénèque, p. 1780-1781; H. M. Hine, Lucius Annaeus Seneca. Natural Questions, Chicago – London 2010, p. 1, who reminds us that: “there is no extended treatment of cosmology, astronomy, or biology, for example, all of which might be expected in a work on nature”. 7. H. M. Hine (ed.), L. Annaeus Seneca Naturalium Quaestionum Libros, Stuttgart – Leipzig 1996; Lucius Annaeus Seneca. Natural Questions; C. Codoñer, La physique de Sénèque, p. 1800. 8. Seneca, Natural Questions, 7, 30, 5-6: “How many animals we have discovered for the first time in this generation, how many not even in this one! The people of a future age will know much that is unknown to us; much is being kept for the generations to come after memory of us had faded away. The world is a paltry thing unless it contains something for every age to discover. Some holy secrets are not passed on all at once: Eleusis keeps things to reveal to those who come back; nature does not pass on all its holy secrets at once. Do we think we have been initiated? We are struck in the entrance hall. Those mysteries are not revealed indiscriminately or to everyone: they are kept
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“Mystery” in Imperial Stoicism? In this text, Seneca describes physics as a long initiation similar to the Eleusinian mysteries,9 whose culmination would be the final revelation or ἐποπτεία. In fact, for the Stoics, the biggest secret of nature consists of the interaction of all causes in the world, and in the action of the first cause: God. For Seneca, the image does not suggest that God is transcendent and His nature is not accessible to human reason. Instead, it symbolises the serious work that still needs to be done by human beings. The image underlies the very modern idea that physics is progressively discovered by successive generations. Thanks to this religious image, Seneca exhorts his readers to work hard and increase their knowledge on physics. Moreover, according to Inwood, through this image, Seneca praises an epistemic humility: “When the evidence concerning a set of phenomena is weak, the conclusions must be weak. And for Seneca such humility is also an act of piety since the author displays a kind of reverence before the greatness of divine nature”.10 Seneca alludes again to the Eleusinian mysteries in letter 90: …totius naturae notitiam ac suae tradit. Quid sint di qualesque declarat, quid inferi, quid lares et genii, quid in secundam numinum formam animae perpetitae, ubi consistant, quid agant, quid possint, quid uelint. Haec eius initiamenta sunt, per quae non municipale sacrum, sed ingens deorum omnium templum, mundus ipse reseratur, cuius uera simulacra uerasque facies cernendas mentibus protulit: nam ad spectacula tam magna hebes uisus est.11
back, locked up in the inner sanctuary, and our generation will see something, but the one that comes after us will see something else” (Hine’s stranslation). 9. On the mysteries of Eleusis see P. Boyancé, “Sur les mystères d’Éleusis”, Revue des études grecques 75 (1962), p. 460-482; F. Graf, Eleusis und die orphische Dichtung Athens in vorhellenisticher Zeit, Berlin 1974. 10. A few lines before (Natural Questions 7, 30, 1), Seneca mentions that “Aristotle has said excellently that we never need greater humility that when the gods are under discussion” (Egregie Aristoteles ait numquam nos uerecundiores esse debere quam cum de diis agitur); he also compares the world to a temple (“Si intramus templa compositi”). See b. Inwood, “God and Human Knowledge”, p. 146-147. 11. Seneca, Moral Letters 90, 28: “[wisdom] imparts to us a conception of nature as a whole and a conception of itself. It reveals the identity and attributes of the gods, including the spirits of the underworld, the household deities, and the tutelary spirits, and also those long-lasting souls that have come to join the second rank of deities, together with their location, activities, powers, and intentions. When we become devotees of wisdom, we are given access not to some local shrine but to the mighty temple of all the gods, the vault of heaven itself, whose phenomena are brought before
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Jordi Pià-Comella There are striking similarities between this text and a fragment of Cleanthes: Κλεάνθης τὸ ἀγαθὸν καὶ καλὸν λέγει εἶναι τὰς ἡδονάς, καὶ ἄνθρωπον ἐκάλει μόνην τὴν ψυχήν, καὶ τοὺς θεοὺς μυστικὰ σχήματα ἔλεγεν εἶναι καὶ κλήσεις ἱεραὶ καὶ δᾳδοῦχον ἔφασκεν εἶναι τὸν ἥλιον καὶ τὸν κόσμον μύστας καὶ τοὺς κατόχους τῶν θείων τελεστὰς ἔλεγε.12
In both texts, physics and theology are compared to a mystery rite during which the initiated are introduced in a temple – the world – and can contemplate the real representations of God: the uera simulacra uerasque facies. In letter 90, the hapax: initiamenta, highlights the esoteric nature of theology. But this time, in contrast with the Natural Questions, the author opposes the mysteries to Stoic theology instead of comparing each other. For the cult of Demeter is described as a local rite – the rite of the small city, according to the Stoic cosmopolitanism –, which is insignificant compared to the only and true temple: the whole universe. Moreover, Seneca uses the image of the mysteries in a key passage of the Book. First, in paragraphs 28 and 29 of letter 90, the author describes the content of the three parts of philosophy: physics, ethics and logic. Second, letter 90 aims to reject the Posidonian claim that philosophers invented the arts in the Golden Age: Seneca does not approve Posidonius’ position partly because in his opinion the arts that he ascribes to philosophy are trivial. The metaphor of the mysteries gives philosophy a sacred dimension that makes impossible any similarity between it and the arts. Through this image, Seneca hierarchizes knowledge and he defines theology as the culmination of all human activities. Similarly, in the preface to Book 1 of Natural Questions, in order to show the superiority of theology over moral philosophy, Seneca uses the metaphor of the mysteries but in a very general and allusive way, without referring explicitly to the Eleusinian rites:
the mind’s eye as they really are; for ordinary vision is inadequate to register so vast spectacle” (m. Graver’s and A. A. Long’s translation, Letters on Ethics: To Lucilius, Chicago 2015). 12. Stoicorum Veterum Fragmenta 1, 538 = Epiphanius, Against Heresies 3, 2, 9: “Cleanthes says that the gods are mystical figures and sacred denominations, he claims that the sun is the carrier of the torch, that the cosmos is a mystery, and he refers to those inspired by divine matters as initiates”. See also the contribution of M. Bonazzi in this volume, p. 267-278.
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“Mystery” in Imperial Stoicism? Equidem tunc rerum naturae gratias ago cum illam non ab hac parte uideo qua publica est, sed cum secretiora eius intraui, cum disco quae uniuersi materia sit, quis auctor aut custos, quid sit deus, totus in se tendat an et ad nos aliquando respiciat, faciat cotidie aliquid an semel fecerit, pars mundi sit an mundus, liceat illi hodieque decernere et ex lege fatorum aliquid derogare an maiestatis deminutio sit et confessio erroris muntanda fecisse… necesse est eadem placere ei cui nisi optima placere non possunt. Nec ob hoc minus liber est ac potens; ipse est enim necessitas sua. Nisi ad haec admitterer, non fuerat nasci.13
Seneca extends the metaphor of the Eleusinian mysteries mentioned in the conclusion of Book 7. He uses the same vocabulary as in Letter 90 and he compares the exploration of divine realities to the journey of the soul: the soul, once freed from the body, can clearly contemplate the original source, that is to say divine realities.14 In fact, in both passages, the vocabulary of Platonic eschatology reminds one of Seneca’s Consolation to Marcia and Cicero’s ‘Dream of Scipio’15. However, in contrast with Cicero’s De Republica, here the
13. Natural Questions 1, preface 3: “I myself give thanks to nature whenever I see her not in her public aspect, but when I have entered her more remote regions, when I am learning what the material of the universe is, who is its creator or guardian, what god is, whether he is totally focused on himself or sometimes takes notice of us too, whether he creates something every day or has created once and for all, whether he is part of the world or the world itself, whether even today he may make decisions and amend part of the law of fate, or whether it would be an impairment of his greatness and an admission of error to have made something that needed alteration. But the same course must necessarily seem right to him to whom only the best course can seem right, nor does that make him less free or powerful; for he himself is his own necessity. If I were not allowed access to these questions, it would not have been worth being born.” 14. See, for instance, Natural Questions 1, preface 12-13: “Cum illa tetigit, alitur, crescit, ac uelut uinculis liberatus, in originem redit… Tunc contemnit domicilii prioris angustias”. 15. Seneca uses the topics of the soul freed from its chains (Natural Questions, 1, preface 12: “uinculis liberatus”), of the contempt for the body, of the limitations of its mortal dwelling (ibid. 13: “Tunc contemnit domicilii prioris angustias”). There is a similar expression in “The Dream of Scipio” (22): “Quantis in augustiis”. Concerning the parallels between letter 90 and “The Dream of Scipio”, see P. Boyancé, Études sur le Songe de Scipion, p. 116. On the reminiscences of “The Dream of Scipio” in Seneca’s Consolation to Marcia and Natural Questions: M. Armisen-Marchetti, “Échos du ‘Songe de Scipion’ chez Sénèque. La géographie de la Consolation à Marcia 26.6 et des Questions naturelles Praef. I, 8-13”, in G. Hinojo Andrés, J. C. Fernandez, Munus Quaesitum Meritis, Homenaje a Carmen Codoñer, Salamanca 2007, p. 71-79.
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Jordi Pià-Comella soul’s flight from the body does not mean that there is a transcendent world; it simply implies that the soul is purged of its passions and it discovers the invisible causes that give life to the natural phenomena. Furthermore, whereas the topic of eschatology was central in the Consolation to Marcia, here Seneca stresses rather the idea – so important in his Natural Questions – that physics is based on a permanent search for truth. Therefore, the metaphors of the mysteries used in the introduction and the conclusion of the Natural Questions are not at all marginal. Seneca borrows from the Eleusinian cult the idea of a progressive initiation. Moreover, the image of the mysteries plays a key rhetorical role in promoting Stoic theology and philosophy: it gives a sacred and emotional value to the scientific enquiry. By using an image that is familiar and popular in his time, Seneca tries to touch the heart of his readers who, in his opinion, don’t care about physics. So, despite the very limited and controlled use of the image, the reference to Eleusinian rite in Seneca’s works resonates with the increasing interest for mystery cults in the two first centuries AD. Yet, Seneca gives it a new meaning: through this image, he encourages his readers not to establish a mysteric relationship with God but rather to make unwise people aware of their ignorance of divine realities and to deepen their knowledge on this matter. Discreet references to mystery cults in Moral Letters to Lucilius Besides these explicit references, we can speculate that in Seneca’s correspondence there are some allusions to mystery cults which are more discreet and implicit. I would like to show that in Seneca’s Letters the image of the mysteries has an existential dimension; it punctuates Seneca’s spiritual path to accept serenely death: iam hinc altius aliquid sublimiusque meditare: aliquando naturae tibi arcana retegentur, discutietur ista caligo et lux undique clara percutiet. Imaginare tecum quantus ille sit fulgor tot sideribus inter se lumen miscentibus. Nulla serenum umbra turbabit; aequaliter splendebit omne caeli latus: dies et nox aeris infimi uices sunt. Tunc in tenebris uixisse te dices cum totam lucem et totus aspexeris, quam nunc per angustissimas oculorum uias obscure intueris, et tamen
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“Mystery” in Imperial Stoicism? admiraris illam iam procul: quid tibi uidebitur diuina lux cum illam suo loco uideris? Haec cogitatio nihil sordidum animo subsidere sinit, nihil humile, nihil crudele.16
At first sight, the images of darkness and light seem simply to describe the discovery of truth without any allusion to the mysteries. In fact, there is a striking parallel between this text and the beginning of the preface to Book 1 and the Book 7. For instance, in these three texts we can find similar topics: – the elevation of the soul (letter 102, 28: altius aliquid sublimiusque meditare; Natural Questions 1, preface 1: altior). – the disclosure of hidden truths: arcana (Natural Questions 7, preface 30, 5), which is symbolised by the contemplation of the true light17 after fog has disappeared.18 Consequently, in this passage, Seneca alludes to the image of the mysteries not in an explicit, but in a more allusive way. Yet, in contrast with Natural Questions, in letter 102, the topic of the disclosure 16. Moral Letters 102, 28-29: “As much as you can, withdraw from it now and from all pleasure except that which is linked to the necessities of embodied life. Estrange yourself even now from the body, and contemplate something higher and more sublime. In due course, nature’s secrets will be revealed to you, the present fog will disappear, and a clear light will fall upon you from every side. Picture to yourself the magnitude of that brilliance when so many stars combine their light. No shadow will disturb this serenity. Every side of the sky will be equally luminous. The interchange of day and night belongs to the lower atmosphere. After you have gazed with your entire being on the fullness of light, you will admit that you have lived in the dark. Now you see it dimly through those narrow openings that are your eyes, but already you wonder at it from afar. How will the divine light look to you when you see it in its own region? These thoughts allow nothing paltry, trivial, or degrading to settle in the mind”. 17. Moral Letters 102, 28: “lux undique clara percutiet… totam lucem… lux”. 18. Moral Letters 102, 28: “discutietur ista caligo”; Natural Questions 1, preface 2: “altera multo supra hanc caliginem in qua uolutamur excedit, et e tenebris ereptos illo perducit, unde lucet”. The word caligo is already used in letters 79 (12) and 89 (1-2) and associated to the mysteries: “est sic nobis aspicienda quemadmodum mundi secreta cernuntur. Sapientis quidem animus totam molem eius amplectitur nec minus illam uelociter obit quam caelum acies nostra; nobis autem, quibus perrumpenda caligo est et quorum uisus in proximo deficit, singula quaeque ostendi facilius possunt uniuersi nondum capacibus… (we must view [philosophy] in the same way as one studies the secrets of nature. To be sure, the intellect of the wise embraces the entire mass of philosophy and surveys it as rapidly as our eye surveys the sky. For us, on the other hand, whose range of vision is limited by the mists we have to peer through, particular details are easier to register, since we are not yet capable of grasping the whole)”.
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Jordi Pià-Comella of hidden truths does refer to the immortality of the soul and not to the study of nature. Shall we think that Seneca is using this image to celebrate the afterlife? Not at all since a few lines before this passage, in the beginning of letter 102, Seneca qualifies the immortality of soul as a “pleasant dream” (iucundum somnium): Quomodo molestus est iucundum somnium uidenti qui excitat (aufert enim uoluptatem etiam si falsam, effectum tamen uerae habentem) sic epistula tua mihi fecit iniuriam; reuocauit enim me cogitationi aptae traditum et iturum, si licuisset, ulterius. Iuuabat de aeternitate animarum quaerere, immo mehercules credere; praebebam enim me facilem opinionibus magnorum uirorum rem gratissimam promittentium magis quam probantium. Dabam me spei tantae, iam eram fastidio mihi, iam reliquias aetatis infractae contemnebam in immensum illud tempus et in possessionem omnis aeui transiturus, cum subito experrectus sum epistula tua accepta et tam bellum somnium perdidi.19
Seneca calls this dream a cogitatio, that is to say a speculation produced by human mind, and not a revelation.20 Moreover, he claims that on the survival of the soul after death, men “gave greater promises than proofs (opinionibus magnorum uirorum rem gratissimam promittentium magis quam probantium)”. So, Seneca thinks that he “was surrendering himself to an illusory hope”.21 In fact, the immortality of the soul is for him a sort of consolation addressed this time not to Marcia or Helvia, but to himself.
19. Moral Letters 102, 1-2: “It’s annoying to be aroused from a pleasant dream – for the pleasure one loses, even though it’s imaginary, has a genuine effect – and your letter has done me a similarly bad turn: it interrupted me when I was absorbed in the kind of musing that I find congenial and would have prolonged if given the chance. I was taking delight in an inquiry into the soul’s immortality; more than that, I was ready to believe in it. I was sympathizing with the opinions of those great men who endorse this most pleasing state of affairs, though they hardly manage to prove it. I was surrendering myself to this mighty hope. Already I was beginning to hate my present existence; already I was fed up with the remnants of my feeble life. I had the prospect of passing over into that boundless time and possession of eternity – when suddenly I was awakened by the arrival of your letter, and lost this lovely dream”. 20. See, for instance, letter 58, 15. On the Roman notion of revelation: n. Lévi, La révélation finale à Rome: Cicéron, Ovide, Apulée. Étude sur le « Songe de Scipion », le discours de Pythagore et la théophanie d’Isis, Paris 2014. 21. L. Bocciolini Palagi, “Seneca e il sogno escatologico”, Studi Italiani di Filologia Classica 51 (1979), p. 155-168, and A. Setaioli, “Seneca e l’oltretomba”, Paideia 52 (1997), p. 321-367. In letter 58 (25), Seneca claims that “we should sometimes relax
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“Mystery” in Imperial Stoicism? Consequently, the discreet and allusive references to the mysteries in letter 102 show that Seneca deals with the Stoic theory of the soul in a very personal way. For he is not speaking simply as a philosopher who exposes the doctrine of the soul, but also as a human being expressing his doubts and aspirations, and as a Roman thinker since his meditation on death is highly inspired by Cicero’s and Cato’s conception of the soul.22 Finally, in the following lines as well as in the conclusion of the letter, Seneca mentions another kind of life after death: the posthumous celebrity of men, which is one of the major issues of Seneca’s correspondence.23 Besides, in his Questions, especially at the end of Book 7, Seneca says that there will come a day when the efforts of a longer stretch of human history will bring to light some of the mysteries.24 According to my analyses of the documentary evidence, the image of the mysteries has a particular resonance in these last two works marked both by the awareness of human finitude and the promise of the final revelation. This image is likely to express Seneca’s desire to overcome his mortal condition by achieving posthumous immortality and to embrace in a single and final instant, the past, the present and the future, following the example of God and the wise. The Eleusinian mysteries and the notion of ζήτησις in Cornutus’s Theology One might be inclined to think that Stoic allegory is likely to provide some insight into the relation between mystery cults and philosophy. For Stoic allegory implies that the myths express hidden truths that will be ‘revealed’ by the reader after a long and accurate
our mind and refresh them with some amusement (animum aliquando debemus relaxare et quibusdam oblectamentis reficere)”. 22. See l. Bocciolini Palagi, “Seneca e il sogno escatologico”. 23. Moral Letters 102, 3-5; 30. At the end of the letter (30) Seneca says that men benefit from virtuous men even if they are dead. 24. Natural Questions 7, 30, 5: “Quam multa animalia hoc primum cognouimus saeculo, quam multa ne hoc quidem! Multa uenientis aeui populus ignota nobis sciet; multa saeculis tunc futuris cum memoria nostri exoleuerit reseruantur” (“How many animals we have discovered for the first time in this generation, how many not even in this one! The people of a future age will know much that is unknown to us; much is being kept for the generations to come after memory of us has faded away”).
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Jordi Pià-Comella enquiry. For instance, according to Porphyry, Chaeremon of Alexandria applied Stoic allegory to the Egyptian myths.25 Unfortunately, all Chaeremon’s works are lost: later authors are the only source of information. However, the Greek Theology written by L. Annaeus Cornutus, a Stoic philosopher contemporary with Seneca, could give some clue on this matter. In his treatise, Cornutus provides an account of ancient mythology in the light of Stoic physics and ethics.26 Unfortunately, our expectations are once again dashed since there are only two allusions to the Eleusinian cult in chapter 28 on Demeter. Nevertheless, I would like to show that if we connect these two allusions to other passages of Cornutus’s Greek Theology, we realize that the reference to the Eleusinian mysteries plays a key role in promoting philosophy as a permanent search for truth. Moreover, like Seneca, Cornutus supports the idea that the mystery is not inherent to divine nature but is created by the ignorance of the unwise man, who is unable to understand the whole essence of the gods in its entirety. First, it is worth reminding that Cornutus’ Greek Theology is a compendium of Stoic allegories, probably addressed to a young reader.27 As Cornutus indicates at the conclusion of the book, the treatise is intended to transmit Stoic theology in “abbreviated form”. It is rather a summary of Stoic allegories, which does not mean that the book is simply an introductory work to Stoic physics, since the author rather assumes a good knowledge of Stoic physics.28 25. See, for instance, Test. 9 (= Porphyry, Contra Christianos) and Test. 12 (= Tzetzes, Exegesis of the Iliad I, 193) in P. W. Van der Horst, Chaeremon, Egyptian Priest and Stoic Philosopher: The fragments collected and translated with explanatory notes, Leiden 1984. On Chaeremon see also T. Dorandi, “Chairémon d’Alexandrie”, in R. Goulet (éd.), Dictionnaire des philosophes antiques, II, Paris 1994, p. 284-297. 26. There are three recent editions of Cornutus’ Greek Theology: I. Ramelli, Anneo Cornuto, Compendio di teologia greca, Milan 2003; F. Berdozzo, “Text, Übersetzung und Anmerkungen”, in H.-G. Nesselrath (ed.), Cornutus: Die griechischen Götter. Ein Überlick über Namen, Bilder und Deutungen, Tübingen 2009, p. 29-138; G. BoysStones, L. Annaeus Cornutus: Greek Theology, Fragments, and Testimonia, Atlanta 2019. 27. The addressee is called παιδίον (Comp., 1, 1, 1), παῖ (Comp., 17, 28, 12; 22, 41, 20), or τέκνον (Comp., 32, 65, 1). See G. W. Most, “Cornutus and Stoic Allegoresis: A Preliminary Report”, ANRW II 36, 3 (1989), p. 2014-2065; J. Pià-Comella, Une piété de la raison. Philosophie et religion dans le stoïcisme impérial, Turnhout 2014, p. 212-213. 28. Comp. 35, 75, 20-76, 9: Οὕτω δ’ ἂν ἤδη καὶ τἆλλα τῶν μυθικῶς παραδεδόσθαι
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“Mystery” in Imperial Stoicism? For instance, in his Greek Theology, Cornutus very frequently lists several alternative etymologies, without indicating a preference for one and he often presents them as hypotheses. In fact, as I showed in my book: Une piété de la raison, Cornutus’ exegetical method cannot be reduced to a simple catalogue of allegories but it is part of a Socratic pedagogical strategy intended to invite the reader to establish subtle connections between the different myths and elaborate his own interpretation of them.29 In other words, Cornutus’ treatise is more a work in progress that needs to be completed by the reader. As G.W. Most has shown, this compendium of Stoic allegories also aims to help the young reader improve himself: for instance, Cornutus often praises the process of maturation, hard work and moral improvement.30 Consequently, the allegory of the Eleusinian cult at the end of the chapter on Demeter has to be read in light of this very specific pedagogical context: μυστήρια δ’ ἄγειν ἤρξαντο αὐτῇ φιλοσοφοῦντες, ἅμα τῇ εὑρέσει τῶν πρὸς τὸν βίον χρησίμων καὶ τῇ πανηγύρει χαίροντες ὡς μαρτυρίῳ χρώμενοι τοῦ πεπαῦσθαι μαχομένους αὐτοὺς ἀλλήλοις περὶ τῶν ἀναγκαίων μυσιᾶν τε, ὅ ἐστι κεκορῆσθαι· πιθανὸν γὰρ ἐντεῦθεν ὠνομάσθαι τὰ μυστήρια, ὅθεν καὶ μυσία παρά τισιν ἡ Δημήτηρ, ἢ ἀπὸ τοῦ μώσεως δεῖσθαι τὰ δυσξύμβλητόν τι ἔχοντα.31
περὶ θεῶν δοκούντων ἀναγαγεῖν ἐπὶ τὰ παραδεδειγμένα στοιχεῖα, ὦ παῖ, δύναιο… διὰ πλειόνων δὲ καὶ ἐξεργαστικώτερον εἴρηται τοῖς πρεσβυτέροις φιλοσόφοις, ἐμοῦ νῦν ἐπιτετμημένως αὐτὰ παραδοῦναί σοι βουληθέντος (“In the same way, my child, you will now also be able to refer the rest of what, “in mythical form, the tradition has been pleased to pass down about the gods to the elements that have been set out… It has all been said at greater length and in more detail by earlier philosophers, but I wanted now to pass it on to you in abbreviated form”). G. Boys-Stones’ translation. 29. J. Pià-Comella, Une piété de la raison. See also: J. Pià-Comella, “De la Nature des dieux de Cicéron à l’Abrégé de Cornutus: une nouvelle représentation des élites?”, Camenae 10 (2012), p. 1-27. 30. G. W. Most, “Cornutus and Stoic Allegoresis”, p. 2032-2033. 31. Comp. 28, 56, 22-57, 5: “It was with philosophical intent that they began to celebrate the ‘mysteries’ for her, rejoicing at the same time in the discovery of things beneficial for life, and in a festival which they used to bear witness to the fact that they had stopped fighting with each other over the necessities and were replete, that is, satiated. It is plausible that this is why the ‘mysteries’ are so named, and this is why some people know Demeter as a ‘Mysian’ – or else because matters which are to some extent difficult to understand need investigation”.
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Jordi Pià-Comella Apparently, Cornutus is not really interested either in the Eleusinian mysteries or in their eschatological and cultic aspects. First, the allegory of the Eleusinian mysteries is here very short and situated at the end of chapter 28. Besides, there are only two other allusions to the mysteries: in the same chapter, a few lines before, Cornutus explains the name “Eleusinian” and, in chapter 30 he mentions the Dionysus’ ὄργια.32 Second, Cornutus gives a very materialistic interpretation of the myth: he says that the name “mysteries” (μυστήρια) symbolizes that men are “replete” (μυσιᾶν). There is not any allusion to the survival of the soul after death or the mysteric revelations, which is very much in line with the general interpretation that the author gives of the myth of Demeter: for instance, the abduction of Persephone is simply interpreted as the metaphor of the disappearance of the seeds under the earth.33 Nevertheless, we can notice that Cornutus considers the Eleusinian mysteries as a philosophical activity. He associates them with the verb φιλοσοφεῖν, which is used again at the conclusion of the book, precisely when Cornutus defines the project of his whole treatise. At the end of the Greek Theology, Cornutus says that the Ancients were capable of understanding the nature of the world and ready to express their “philosophical account of it in symbols and enigmas”: these last two words are closely linked to the allegorical praxis in ancient world.34 In fact, the exegesis of the Eleusinian cult at the end of chapter 28 and the conclusion of the book are based on a very specific conception of primitive wisdom. According to G. Boys-Stones, whereas the Ancient Stoics hold that the first human beings expressed truths naively without understanding their real meaning, Cornutus maintains that they were clever and capable of understanding divine nature.35 In this respect, Cornutus’ position is, for instance, very different from Seneca’s, who partly despises allegory.36
32. Comp. 28, 54, 10-11; 30, 59, 21-24. 33. Comp. 28, 54, 12-55, 2. 34. Comp. 35, 75, 5. 35. G. Boys-Stones, “The Stoics’ Two Types of Allegory”, in G. Boys-Stones (ed.) Metaphor, Allegory and the Classical Tradition: Ancient Thought and Modern Revisions, Oxford 2003, p. 189-216. 36. Seneca, De Breuitate uitae 5, 16, 5; Moral Letters 88, 5. On this subject see A. Setaioli, “Stoic and Epicurean Interpretations in Servius’s Commentary on Vergil”, in S. Casali, F. Stock (ed.), Servio: stratificazioni esegetiche e modelli culturali, Brussels 2008, p. 159-178.
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“Mystery” in Imperial Stoicism? Furthermore, in my opinion, the references to the Eleusinian mysteries aim to promote the notions of philosophical enquiry and human discoveries, which are major topics in Cornutus’ Greek Theology. First, Cornutus associates the adjective “Mysian” (μυσία) to the word μῶσις. He uses this word once before, when in chapter 14 he presents the Muses as the symbol of philosophy, of Greek παιδεία, and, more generally, of human enquiry (ζήτησις): Λέγεται δ’ ἐκ Μνημοσύνης γεννῆσαι τὰς Μούσας ὁ Ζεύς, ἐπειδὴ καὶ τῶν κατὰ παιδείαν μαθημάτων αὐτὸς εἰσηγητὴς ἐγένετο, ἃ διὰ μελέτης καὶ κατοχῆς ἀναλαμβάνεσθαι πέφυκε ὡς ἀναγκαιότατα πρὸς τὸ εὖ ζῆν ὄντα καλοῦνται δὲ Μοῦσαι ἀπὸ τῆς μώσεως, τουτέστι ζητήσεως, καθὸ εἴρηται ‘ὦ πονηρέ, μὴ τὰ μαλακὰ μῶσο, μὴ τὰ σκλήρ’ ἔχῃς’. […] λέγονται δὲ παρά τισι καὶ δύο μόναι εἶναι, παρ’ οἷς δὲ τρεῖς, παρ’ οἷς δὲ τέτταρες, παρ’ οἷς δὲ ἑπτά· τρεῖς μὲν διὰ τὴν προειρημένην τῆς τριάδος τελειότητα ἢ καὶ διὰ τὸ τρία γένη σκεμμάτων εἶναι, δι’ ὧν ὁ κατὰ φιλοσοφίαν λόγος συμπληροῦται.37
The Muses are the symbol of Stoic philosophy since the three kinds of investigation mentioned by the author are physics, logic and ethics, which reminds one of the traditional Stoic division of knowledge. Besides, chapters 14 and 28 end with the idea that any enquiry requires endeavour and hard work. Consequently, the connection between the allegory of the Muses in chapter 14 and the exegesis of the Eleusinian cults invites us to read the entire myth of Demeter as the symbol of intellectual enquiry and human discoveries. In fact, the reference to the mysteries is part of the broader project of the book that consists in praising human discoveries in all their forms: the invention of agriculture and arts, education and philosophy. This is obvious in the allegory of the Eleusinian cults when Cornutus says that men celebrated the mysteries: “rejoicing at the same time in the discovery of things beneficial for life”. Similarly, a few lines
37. Comp. 14, 14, 2-9: “Zeus is said to have been father of the Muses by Mnemosyne, since he was the author of those curricular subjects which are acquired through hard work and retention; they are the things most necessary for a good life. They are called ‘Muses’ (Μούσας) from seeking (ἀπὸ τῆς μώσεως), that is, searching (ζητήσεως), in the sense of the line: ‘O wretch! Don’t seek (μῶσο) the soft, don’t hold the hard.’ […] But some say that there are only two, some three, some four, others seven. Three, because of the perfection of the triad, which has been mentioned, or because there are three kinds of investigation which make up a philosophical account of the world (ὁ κατὰ φιλοσοφίαν λόγος).”
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Jordi Pià-Comella before, Cornutus explains that Demeter is called “Eleusinian” from the fact that “human progress to a truly human life began there”,38 since the mysteries of Eleusis mark the beginning of human civilisation. Furthermore, Cornutus implicitly encourages his recipient to go beyond the agricultural interpretation of the myth and read it as the encrypted symbol not only of human discoveries but also of philosophical search. For instance, the topic of enquiry is a key notion of chapter 28.39 In the same chapter, dedicated to Isis’s search for and the rediscovery of Osiris, Cornutus uses the abstract term: ζήτησις, which in the Greek Theology is usually linked to speculative enquiry and human inventions:40 ἐκ δὲ Μαίας ἔφασαν γεγεννῆσθαι Διῒ τὸν Ἑρμῆν ὑποδηλοῦντες πάλιν διὰ τούτου θεωρίας καὶ ζητήσεως γέννημα εἶναι τὸν λόγον· καὶ γὰρ αἱ μαιούμεναι τὰς γυναῖκας ἐντεῦθεν εἴρηνται μαῖαι τῷ ὡσὰν ἐξ ἐρεύνης προάγειν εἰς φῶς τὰ βρέφη.41
38. Comp. 28, 54, 10-12: ἐκλήθη καὶ ἡ Δημήτηρ Ἐλευσινία ἀπὸ τῆς αὐτόθι πρῶτον ἐλεύσεως γενομένης τοῖς ἀνθρώποις εἰς ἀνθρώπινον ὄντως βίον. 39. At the beginning of the chapter (28, 52, 11) Cornutus says: διὰ δὲ τὸ μητρὸς τρόπον φύειν τε καὶ τρέφειν πάντα Δήμητραν οἱονεὶ γῆν μητέρα οὖσαν ἢ Δηὼ μητέρα τῷ καὶ αὐτὴν καὶ τὰ ἐπ’ αὐτῆς ἀφθόνως ἐφεῖσθαι τοῖς ἀνθρώποις δατεῖσθαι καὶ δαίνυσθαι ἢ ἐπ’ αὐτῆς δήειν, ὅ ἐστιν εὑρίσκειν, ἃ ἐπιζητοῦσι (“Since it gives birth to everything and nourishes it like a mother [μητρὸς τρόπον], the ancients called it ‘Demeter’ [Δήμητραν], as if were Earth Mother [γῆν μητέρα] or else Mother Deo [Δηὼ μητέρα] because the earth and the things on it ungrudgingly produce what men can divide among themselves and feast on [δατεῖσθαι καὶ δαίνυσθαι], or because on it they meet with [δήειν], that is, find, what they most especially seek”). 40. 28, 54, 12-21: ἁρπάσαι δ’ ὁ Ἅιδης τὴν θυγατέρα τῆς Δήμητρος ἐμυθεύθη διὰ τὸν γινόμενον ἐπὶ χρόνον τινα τῶν σπερμάτων κατὰ γῆς ἀφανισμόν. προσεπλάσθη δ’ ἡ κατήφεια τῆς θεοῦ καὶ ἡ διὰ τοῦ κόσμου ζήτησις. τοιοῦτον γάρ τι καὶ παρ’ Αἰγυπτίοις ὁ ζητούμενος καὶ ἀνευρισκόμενος ὑπὸ τῆς Ἴσιδος Ὄσιρις ἐμφαίνει καὶ παρὰ Φοίνιξιν ὁ ἀνὰ μέρος παρ’ ἓξ μῆνας ὑπὲρ γῆν τε καὶ ὑπὸ γῆν γινόμενος Ἄδωνις, ἀπὸ τοῦ ἁδεῖν τοῖς ἀνθρώποις οὕτως ὠνομασμένου τοῦ Δημητριακοῦ καρποῦ (“There is a myth that Hades kidnapped the daughter of Demeter because of the disappearance of the seeds under the earth for a certain time. The dejection of the goddess and her search throughout the cosmos are fictional additions. Among the Egyptians, Osiris who is sought and rediscovered by Isis suggests the same sort of thing, and among the Phoenicians there is Adonis, who is alternately above the ground and below the ground for six-month periods – Demeter’s produce being thus called ‘Adonis’ from the fact that people enjoy [ἁδεῖν] it”). 41. 16, 23, 7-11: “They said that Hermes was born to Zeus from ‘Maia’ (Μαίας), again suggesting through this that reason is the offspring of contemplation and inquiry; (θεωρίας καὶ ζητήσεως). Those who help women deliver (αἱ μαιούμεναι τὰς γυναῖκας)
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“Mystery” in Imperial Stoicism? In this passage, the association between the childbirth and the theoretical enquiry reminds the reader of Socrates and his maieutic method. In this regard, it may be worth saying that in his Satires Persius qualifies Cornutus’ pedagogy as an example of real Socratic childbirth, which suggests interpreting the allegory of Hermes and, more generally Cornutus’ allegories of the myths, as a maieutic method addressed to the young reader of the book.42 Furthermore, the author mentions again the topic of the childbirth at the end of the chapter 19 on Hephaestus linking it to the notions of ζήτησις and human craftsmanship: λέγεται δὲ ὁ Ἥφαιστος μαιώσασθαι τὸν Δία, ὅτε ὤδινεν τὴν Ἀθηνᾶν, καὶ διελὼν αὐτοῦ τὴν κεφαλὴν ἐκθορεῖν ἐκείνην ποιῆσαι· τὸ γὰρ πῦρ, ᾧ χρῶνται αἱ τέχναι, συνεργὸν πρὸς τὴν ἀπόδειξιν τῆς φυσικῆς τῶν ἀνθρώπων ἀγχινοίας γενόμενον ὥσπερ κεκρυμμένην αὐτὴν εἰς φῶς προήγαγε· τοὺς δὲ ζητοῦντάς τι ὡς προσευρέσθαι κύειν αὐτὸ καὶ ὠδίνειν φαμέν.43
Concerning the myth of Persephone and Adonis, Cornutus refers to some “hidden seeds”44 (κρύπτεται) in terms reminiscent of the vocabulary of allegory. Consequently, the lexical network linking the notion of search (εὕρεσις, ζήτησις) to the adjective “Mysian” (μυσία) and to the Eleusinian mysteries encourages the reader to go beyond the simple agricultural exegesis of the myth of Demeter and interpret her, her daughter and her mysteries as symbols of human enquiry, and also as symbols of the allegorical exegesis. This hypothesis could be confirmed by a passage from the Satires in which Persius praises his master and his Socratic pedagogical method with these words: “cultivator of the young, sowing Cleanthes’ Stoic corn in their purged ears (cultor enim iuuenum purgatas inseris aures/ fruge Cleanthea)”.45
are thus called midwives (μαῖαι) because, as in the case of inquiry (ἐξ ἐρεύνης), they bring something to light - the fetus”. 42. Persius, Satires 5, 36-40. See J. Pià-Comella, “De la Nature des dieux de Cicéron”. 43. Comp. 19, 34, 21-35, 7: “It is said that Hephaestus stood midwife to Zeus, when he was giving birth to Athena, and that he cut open his head and made her leap out. For the fire which craftsmen use helps to demonstrate the natural ingenuity of men, as if leading it out into the light when it had been hidden before – and we say that those looking to discover something ‘conceive’ it and ‘bring it to birth’”. 44. Comp. 28, 55, 1-3: “the teeth of ploughshare, by which seed gets covered in earth (ὑφ’ οὗ κατὰ γῆς κρύπτεται τὸ σπέρμα)”. 45. Persius, Satires 5, 63-64.
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Jordi Pià-Comella So Cornutus’ students are likely to recognize a possible association between the myth of Demeter described as a philosophical activity and the discovery of truth. Consequently, the allusion to the Eleusinian mysteries at the end of the chapter is far from anecdotal: it encourages the reader to make connections between the different myths in a pedagogical perspective and beyond. For as he says at the end of his book, Cornutus wants to teach his reader the real piety. What sort of piety? The philosophical one, which consists in relating the myths to each other and rereading them accurately, according to the Ciceronian definition of religio, which in his opinion derives from relegere:46 for Cicero and Cornutus, the genuinely pious men are those who in contrast with the superstitious people, understand the real nature of the gods thanks to the long and rigorous analysis of the myths.47 Epictetus’s ‘monstrance’ versus Marcus Aurelius’ silence Following Cornutus’ and Seneca’s example, Epictetus mentions only three times the mysteries without any reference to the notion of transcendence. However, in the twenty-first chapter of Book 3 of the Discourses, he makes a very original use of the image by applying it to the philosopher’s life and profession. First, in the fourth chapter of Book 1, Epictetus opposes the cult of Triptolemus to the cult that Chrysippus and God should deserve for having revealed the truth.48 The Stoic philosopher is shocked that people ‘established shrines and altars, because he gave us as food the fruits of cultivation’ whereas to Chrysippus and God who have “discovered, and brought to light… the truth which deals, not with mere life, but with a good life”, nobody set up an altar in their honour.49
46. Cicero, De Natura Deorum 2, 71-72. 47. Cornutus, Greek Theology 35, 75, 19-76, 17. 48. Epictetus, Discourses 1, 4, 30-32. 49. Ibid., 31: τῷ δὲ τὴν ἀλήθειαν εὑρόντι καὶ φωτίσαντι καὶ εἰς πάντας ἀνθρώπους ἐξενεγκόντι, οὐ τὴν περὶ τὸ ζῆν, ἀλλὰ τὴν πρὸς τὸ εὖ ζῆν, τίς ὑμῶν ἐπὶ τούτῳ βωμὸν ἱδρύσατο ἢ ναὸν ἢ ἄγαλμα ἀνέθηκεν ἢ τὸν θεὸν ἐπὶ τούτῳ προσκυνεῖ; (“But to him who has discovered, and brought to light, and imparted to all men the truth which deals, not with mere life, but with a good life, – who among you has for that set up an altar in his honour, or dedicated a temple or a statue, or bows down to God in gratitude for him?”).
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“Mystery” in Imperial Stoicism? However, in the first chapter of Book 4, instead of opposing religion and philosophy, Epictetus compares human life to a festival and a mysteric initiation that we have to leave when it comes to an end.50 This image is simply a classical and usual topos: philosophers and writers in the ancient world describe life as a festival encouraging thus people to accept death with serenity and joy.51 Like Seneca, Epictetus oscillates between the rejection and the legitimation of the metaphor of the mysteries, which shows how difficult it is for a Stoic philosopher to integrate this metaphor into his rationalist doctrine. This attitude can also be explained by the fact that the Epictetus’s main philosophical models are Diogenes and Socrates, who adopted very different directions concerning religion: whereas Diogenes derides some religious rites, Socrates is presented by Plato and Xenophon as a model of piety. However, in twenty-first chapter of Book 3, Epictetus alludes to the Eleusinian mysteries in a very original way: What else are you doing, man, but vulgarizing the Mysteries (τὰ μυστήρια), and saying: There is a chapel at Eleusis (οἴκημά ἐστι καὶ ἐν ̓Ελευσῖνι); see, there is one here too. There is a hierophant there; I too will make a hierophant (ἐγὼ ποιήσω ἱεροφάντην) […] Most impious man (ἀσεβέστατε), is there no difference? Are the same acts helpful, if they are performed at the wrong place and at the wrong time? Nay, but a man ought to come also with a sacrifice, and with prayers (μετὰ θυσίας δὲ καὶ μετ’ εὐχῶν), and after a preliminary purification (προηγνευκότα), and with his mind predisposed to the idea that he will approaching holy rites, and holy rites of great antiquity (ἱεροῖς παλαιοῖς). Only thus do the Mysteries (τὰ μυστήρια) become helpful, only thus do we arrive at the impression that all these things were established by men of old time for the purpose of education and for the amendment of our life. But you are publishing the Mysteries abroad and vulgarizing them, out of time, out of place, without sacrifices, without purification (ἄνευ θυμάτων, ἄνευ ἁγνείας); you do not have the dress which the hierophant ought to wear, you do not have the proper head of hair, nor head-band, nor voice, nor age; you have not kept yourself pure as he has, but you have picked up only the words a sacred force all by themselves?52
50. Epictetus, Discourses 4, 1, 106. 51. On this topos see P. P. Fuentes González, Les diatribes de Télés. Introduction, texte revu, traduction et commentaire des fragments, Paris 1998, p. 242, n. 2. 52. Epictetus, Discourses 3, 21, 15-16.
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Jordi Pià-Comella This passage offers the richest religious vocabulary found in the Discourses. In fact, by comparing the philosopher’s teaching to the revelations of the Eleusinian cult, Epictetus aims to highlight the sacred and solemn nature of philosophy and to denounce the venal use that some people make of it. Like the mysteries, philosophy has its own rites and hierophant: the philosopher. Through this comparison, Epictetus reminds the reader that it’s not enough for the philosopher to spread his teaching: he has to practise himself all the principles he formulates in order to be a model for the other men. His activity should be considered as a divine mission. Epictetus develops this last idea at the beginning of the chapter on the Cynics: in this passage, he claims that not everyone can be a philosopher: every single man who wants to become a Cynic should first consult God.53 Furthermore, the Eleusinian image has a very specific function: it puts the philosopher under the spotlight and it stages him. This theatrical way to promote the philosopher could be inspired by the religious and philosophical aspirations of his time. For instance, N. Belayche stresses on the importance of the “monstrance”, on the theatrical dimension that some mystery cults and hymns had in the first and second centuries AD.54 According to the French scholar, this kind of ‘monstrance’ takes place in some ceremonies called “mysteries”, which are reserved to a very selected audience. Epictetus uses the image to show that philosophical vocation is the hardest, the most sacred and important human activity. Similarly, in the sixteenth chapter of Book 1, he stages himself as a sort of “cosmic” priest who, on behalf of all humanity, celebrates the best gift that God gave us: reason.55 Moreover, this religious presentation of philosophy has some striking parallel with the Middle Platonism: for instance, Plutarch and Apuleius compare the Platonic βίος φιλοσοφικός to the religion and to the mysteries.56 However, in contrast with the Middle Platonists, in his
53. Epictetus, Discourses 3, 22, 1-2. 54. N. Belayche, “L’évolution des formes rituelles : hymnes et mystèria”, in L. Bricault, C. Bonnet (éd.), Panthée. Religious transformations in the Graeco-Roman Empire, Leiden 2013, p. 17-40. 55. On this passage see J. Pià-Comella, “Prière et ‘appropriation’ des dogmes dans le stoïcisme impérial romain”, Revue de philologie, de littérature et d’histoire anciennes 90.1 (2016), p. 139-164, esp. 153-158. 56. For Plutarch, see the contribution of M. Bonazzi in this volume, p. 267-278.
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“Mystery” in Imperial Stoicism? description of philosophy, Epictetus eliminates any reference to irrationality or transcendence from his description of philosophy. In fact, for the Stoic philosopher, the revelations consist in showing the real good: our faculty of judgment (προαίρεσις). Consequently, in the twenty-first chapter of Book 3, Epictetus reshapes the Stoic image of the mysteries in order to have a real impact on his audience. Through this reshaping, he stages the philosopher in a very theatrical way that can be connected with the ‘monstrance’ of some rites in the first two centuries AD. In contrast with this lyric and generous use of the image Marcus Aurelius never applies the metaphor of the mysteries to philosophy in his Meditations, which could seem quite surprising since he is the only Roman Stoic to be initiated into the Eleusinian rites. Besides, in a letter to Fronto, he claims that the mysteries are a way to communicate with the gods.57 How can we explain this silence? One might plausibly argue that Marcus Aurelius is prohibited to reveal the Eleusinian rites; however, Cicero, who had also been initiated to them, compares philosophy to the Eleusinian rites. In fact, as P. Hadot said, the Meditations are intended to help Marcus Aurelius eradicate his passions so that no place is left for any emotion that could divert him from this philosophical therapy.58 Marcus Aurelius’s silence on the mysteries shows once again how problematic could be the inclusion of the mysteries into the Stoic doctrine. Nevertheless, his writing style is often enigmatic; besides, the author explores continuously the Stoic principles: he writes and rewrites as if for him there were still something unfathomable, ineffable and secret in divine nature, as if this divine nature could only be understood by him step by step, like an initiation to mystery cults. Conclusion: mystery, the ‘other side’ of stoicism? Seneca and Epictetus use the Stoic image of the mysteries as a powerful rhetorical device. Seneca applies this image to theology in two programmatic passages of the Natural Questions: the conclusion
57. At most, he once talks about the “mystery of death” (Meditations 4, 4). 58. P. Hadot, La citadelle intérieure. Introduction aux Pensées de Marc Aurèle, Paris 1992 (Paris 20052).
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Jordi Pià-Comella of Book 7, devoted to the description of the comets, and the preface to Book 1, where he defines philosophy as the most important human activity. Epictetus goes even further by extending this image to the philosopher’s life, considered as a divine mission. Better than any other religious image, the reference to the mysteries aims to stage Epictetus’ βίος φιλοσοφικός in a theatrical way. In this regard, Epictetus seems to be inspired by the religious sensibility of his time. On the one hand, Plutarch and, later, Apuleius use the same image to stress on the religious dimension of Platonism. On the other hand, this theatrical way to present the philosopher is in part reminiscent of the ‘monstrance’ of some mysteries in the two first centuries AD. Cornutus also uses the image for pedagogical purposes. Like Seneca, in the Greek Theology he associates the mysteries with the key philosophical notion of enquiry in order to mitigate the systematic and dogmatic aspect of the Stoic doctrine that was fiercely criticised by its rivals. Seneca and Cornutus promote the idea of a constant research of truth. However, in contrast with Epictetus and Seneca, Cornutus considers the Eleusinian mysteries not simply a persuasive image but also a philosophical activity. In his opinion, like the myths, the Eleusinian mysteries reveal a hidden and secret knowledge on the nature of the gods. Therefore, we can say that Seneca, Cornutus and Epictetus contribute to the Stoic appropriation of the mystery rites in the Imperial Age but in a very discreet and specific way. For they reject any reference to transcendence or irrationality: God appears mysterious not because of his nature but due to the limits of the reason of non-wise men. Similarly, in Marcus Aurelius’ Meditations, the enigmatic style is reminiscent of the progressive revelations of the mysteric initiation: however, in the case of the Imperial Stoics, the revealed truths are the principles of their doctrine. Therefore, the use of Eleusinian images made by Stoic philosophers of the Imperial Age such as Seneca, Cornutus, and Epictetus gives us a more complex and less clear-cut view of Stoic rationalism. Imperial Stoics do not reject the emotions and they mitigate the dogmatism of their philosophy by promoting the idea that nature is mysterious and requires a long and patient enquiry.
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“Mystery” in Imperial Stoicism? Similarly, in Seneca’s writings, the references to Cybele and Isis and their relation to the Stoic ethics are very ambivalent.59 According to R. Turcan, in the De vita beata Seneca condemns the rite of Isis in Rome but at the same time he imitates its rhythm and musicality in order to seduce his reader.60 Besides, in a previous paper I tried to show that whereas Seneca condemns the superstition as a result of false judgment on the gods, in letter 108 he refers positively to the Galls in order to promote the philosophical life. Seneca is aware that the Stoic principle of ἀπάθεια will be inefficient for ordinary people, and that he will not be able to convert them unless he uses emotions.61 In other words, we can suggest that in physics as well as in ethics, the mysteries are the ‘other side’ of stoicism that gives us a richer and subtler perception of Stoic reason.
59. Ph. Borgeaud, “Rites et émotions. Considérations sur les mystères”, in J. Scheid (éd.), Rites et croyances dans les religions du monde romain, Vandœuvres – Geneva 2007, p. 189-222. 60. R. Turcan, Sénèque et les religions orientales, Bruxelles 1967, p. 56-58. 61. J. Pià-Comella, “Le traitement ambigu de la superstitio dans les Lettres à Lucilius de Sénèque”, Maia 69.2 (2017), p. 386-400. On the Imperial Stoic use of emotions, see M. Graver, Stoicism and Emotion, Chicago – London 2007.
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PLUTARCH AND THE MYSTERIES OF PHILOSOPHY Mauro Bonazzi Universiteit Utrecht (Netherlands)
1.
i
is often repeated that Greek philosophers began to investigate theological issues and to show a concern for religious practices only in the Imperial centuries, in consequence of the renewed interest for Plato’s philosophy. Widespread however as it is, this statement is misleading. As a matter of fact, the interaction between religion, theology and philosophy was already important during the Hellenistic age, as the case of the Stoics clearly proves. The contribution Platonists made was rather to be found in the emphasis on transcendence. Whereas for the Stoics the supreme God and the divine entities are part of our world, for the Platonists it is rather the distance from our world that characterizes the first God, usually identified with the Demiurge of Plato’s Timaeus. On this specific issue the debate between the two schools was particularly intense. The starting point coincides, however: philosophy’s task is to help us understand the divine order of the universe. Philosophy and theology, in other words, are not in contrast; the problem, therefore, is how to combine and reconcile religious traditions on the one side and philosophical doctrines on the other. With regard to this problem, Plutarch of Chaeronea is probably the most interesting thinker among the Early Imperial Platonists, insofar as he enables us to better understand the affinities and divergences between the two schools and the two epochs. In his case, personal engagement goes along with doctrinal discussions. Plutarch, as is well known, was Apollo’s priest in Delphi;1 he was certainly initiated to the mysteries of t
1. An seni republica gerenda sit 792F; cf. 785C. 10.1484/M.BEHE-EB.5.125926
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Mauro Bonazzi Dionysus2 and perhaps also to those of Isis and Osiris;3 given his personal commitment, it is not surprising that an important part of his speculation was devoted to the religious traditions. And not only the Greek ones; Egyptian myths, Iranian religion, or Mithraism were also objects of his sympathetic investigation (he was also interested in the Hebrew traditions, but with less enthousiasm).4 Scholars have debated how to account for the compatibility between these apparently diverging interests, a religious personal commitment and his Platonist allegiance. Over the years, the most widespread explanation was that he gradually moved towards religion in his mature years, whereas he had espoused a more rationalistic (that is: philosophical) attitude in his youth.5 It is however now widely accepted that the contraposition between philosophy on the one side and theology and religion on the other does not faithfully describe the intellectual world of the Early Imperial centuries.6 Plutarch is an interesting case, precisely because he is not committed to such divisions. For him, as I will try to show in the present paper, philosophy is important because it can best unveil the original truth of the religious traditions. Here lays its superiority, and it is in this context that one can best appreciate his interpretation of the mystery traditions as a privileged locus of truth which need to be interpreted by philosophy. 2. In Plutarch the reference to the mysteries is often employed as a description of and introduction to philosophy:7 2. Consolatio ad uxorem 611D. 3. De Iside et Osiride 364E. 4. See for instance De superstitione 166A and 169C; De Iside et Osiride 363C-D; Quaestiones convivales IV 6, 671C-D and 669B-672C; Amatorius 771C. 5. See the overview of scholarship by F. Brenk, “An imperial heritage. The religious spirit of Plutarch of Chaeronea”, ANRW II 36, 1 (1987), p. 256-262. 6. With regard to Plutarch, see W. Burkert, “Plutarco: religiosità personale e teologia filosofica in Plutarco”, in I. Gallo (ed.), Plutarco e la religione, Napoli 1996, p. 11-28 and, more recently, P. Van Nuffelen, Rethinking the Gods. Philosophical Readings of Religion in the Post-Hellenistic Period, Cambridge 2011, p. 48-71 and R. Hirsch-Luipold, “Religion and Myth”, in M. Beck (ed.), A Companion to Plutarch, Oxford 2014, p. 163-176 with further bibliography. 7. For a general introduction, see G. Roskam, “‘And a great silence filled the temple…’: Plutarch on the connections between mystery cults and philosophy”, in A. Pérez Jiménez, F. Casadesús Bordoy (ed.), Estudios sobre Plutarco: misticismo y religiones mistéricas en la obra de Plutarco, Madrid 2001, p. 221-232.
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Plutarch and the Mysteries of Philosophy Just as persons who are being initiated into the Mysteries throng together at the outset amid tumult and shouting, and jostle against one another, but when the holy rites are being performed and disclosed the people are immediately attentive in awe and silence, so too at the beginning of philosophy; about its portals also you will see great tumult and talking and boldness, as some boorishly and violently try to jostle their way towards the repute it bestows; but he who succeded in getting inside, and has seen a great light, as though a shrine were opened, adopts another bearing of silence and amazement, and ‘humble and orderly attends upon’ [Plat. Laws 716a] reason as upon a god. (Quomodo qui suos in virtute sentiat profectus 81D-E, transl. Babbitt; see also De tranquillitate animi 477D).
Interestingly, this identification between philosophy and the mysteries was already present in the Hellenistic Stoa, as Jaap Mansfeld remarked in an influential paper:8 Chrysippus says that the discourses about the things divine (περὶ τῶν θείων λόγους) are appropiately called initiations (τελετάς). For these should be the last to be taught, to crown all the others (ἐπὶ πᾶσιν; the reference is to the other logoi, that is to the other parts of philosophy), when the soul has found its stability and confirmation and is capable of keeping silent. (Etymologicum Magnum s.v. τελετή = SVF II 1008).
Another text, from the On the Stoics’ contradictions, confirms that Plutarch was well aware of the Stoic use of the mystery traditions: Now I believe in the first place, conformably with the correct statements of the ancients, that the philosopher’s speculations are of three kinds, logical, ethical, and physical; then that of these the logical must be put first, the ethical second, and the physical third; and that of physical speculations theology must be last, which is why its transmission has been called ‘confirmation’ (τελετάς). (Chrysippus SVF II 42 = Plutarch, De Stoicorum repugnantiis 1035A-B, transl. Cherniss).9
8. J. Mansfeld, “Providence and the Destruction of the Universe in Early Stoic Thought. With some remarks on the ‘Mysteries of Philosophy’”, in M. J. Vermaseren (ed.), Studies in Hellenistic Religions, Leiden 1979, p. 129-188: 134 (reprinted in Id., Studies in Later Greek Philosophy and Gnosticism, London 1989, p. 239-261). As for the Stoics of the Imperial centuries see J. Pià-Comella in this volume, p. 243-265. 9. For other relevant Middle Platonist parallels, see for instance Clement of Alexandria,
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Mauro Bonazzi As this second quotation shows, the reference to the mysteries was used by the Stoics with regard to the classification of the different disciplines which constitute philosophy.10 The Stoics were proud of their perfect system; given their emphasis on the divine dimension, it was predictable that theology, as represented by the mysteries, was the culmination of the philosophical curriculum. This is all too known, and it is also known that Middle Platonists tried to reshape Plato’s philosophy into a system, which was meant to compete with and overcome the Stoic one.11 Their special emphasis on divine transcendence explains in which sense. The Platonist criticism – Plutarch is eloquent on this point – was that the Stoics were not able to properly account for the divine role and position. As a matter of fact, and contrary to what they were claiming, they were reducing theology to physics. Deeply interested in the mystery tradition, the Stoics advanced several allegorico-physical interpretations with the goal of explaining away the apparent absurdities of the myths belonging to these traditions.12 But the result of their exegesis lead to a subordinate position of the theological truth, as was already clear to the Hellenistic adversaries (see for instance the Epicurean Cotta in Cicero’s De natura deorum I, 119: “… mysteries when interpreted and rationalized prove to have more to do with natural science than with theology”) and even more to Plutarch: One should take the greatest heed and care not unconsciouly to reduce and resolve the divine to terms of winds, fluxes, sowings, ploughings, terrestrial occurrences, like those who explain Dionysus as wine and Hephaestus as flame. Persephone is called somewhere by Cleanthes ‘the wind that rushes through the crops and dies away’ [SVF I 547] […] Such people differ in no way from those who regard sails, ropes and anchor as the steersman, and warp and woof as the weaver […], but they
Stromata I, 28, 2 and Theo of Smyrna, Expositio rerum mathematicarum ad legendum Platonem 14-15 Hiller. 10. See Cicero, De finibus bonorum et malorum III, 74. 11. On this issue, see M. Bonazzi, “Il posto dell’etica nel sistema del platonismo”, in C. Pietsch (ed.), Ethik des antiken Platonismus. Der platonische Weg zum Glück in Systematik, Entstehung und historischem Kontext, Stuttgart 2013, p. 25-33. This is not the place to discuss Aristotelian influence, which also played a role in the development of Platonism; for an interesting overview, see now M. Perkams, “Die Ursprünge des spätantiken philosophischen Curriculums im kaiserzeitlichen Aristotelismus”, Elenchos 36 (2015), p. 149-163. 12. See for instance W. Burkert, Ancient Mystery Cults, Cambridge (MA) 1987, p. 78-80.
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Plutarch and the Mysteries of Philosophy are spreading dreadful and atheistic teachings in that they transfer the names of the gods to imperceptible and inanimate objects and to natural products that are of necessity destroyed by men who need and use them. (De Iside et Osiride 377E, transl. Gwyn Griffiths; see also 367C).
As it turns out, the Stoic allegorico-physical interpretations, insofar as they reduce theology to physics, far from explaining the religious phenomenon, lead towards impiety and atheism, explicitly or implicitly. Conversely, Platonist dualism, with its emphasis on divine transcendence, insofar as it resisted such a flattening, paved the way for a different solution of the problem, and to a different kind of classification of the philosophical disciplines. For Platonists, the philosophical discourse cannot culminate in physics, which deals with the sensible universe and cannot properly account for what is not reducible to the material elements – the reference is obviously God, the first and most important principle. After physics there must be something else, which is investigated by theology; and insofar as physics and theology do not coincide anymore, it is clear that it is the latter which is the most important. The philosophical curriculum must be accordingly reorganized; a proper space for theology as distinct from physics must therefore be found: He [Cleombrotus] was getting together a history to serve as a basis for a philosophy that had as its end and aim theology, as he himself named it. (De defectu oraculorum 410B, transl. Babbit)13.
It is in this context that the references to the mysteries become important. Like for the Stoics, also for Plutarch the mysteries are meant to express the theological truth in its highest sense. One interesting testimony comes from the Life of Alexander, when Plutarch reports that Aristotle taught Alexander not only ethics and politics, but also “those secret and more profound teachings which philosophers designate by the special terms ‘acroamatic’ and ‘epoptic’ (ἀκροαματικὰς καὶ ἐποπτικάς; Vita Alex. 7.5)”. As Riccardo Chiaradonna has recently argued, this is one of the first references to the Aristotelian Metaphysics in Antiquity;14 what 13. On the role of Cleombrotus in the De defectu and his relation to Plutarch, see D. Babut, “Le rôle de Cléombrote dans le De defectu oraculorum et le problème de la ‘démonologie’ de Plutarque”, dans Id., Parerga. Choix d’articles de Daniel Babut, Lyon 1994, p. 531-548. 14. R. Chiaradonna, “Théologie et époptique aristotéliciennes dans le médioplatonisme :
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Mauro Bonazzi is important for the sake of the present paper is that it virtually implies, at the end of the philosophical curriculum, that metaphysics is identical to theology as represented by the mystery tradition (see also De Iside et Osiride 382D, below). The reason for the importance of these traditions is explained in the following two texts:15 [Of the nature of the demons] there are, in many places, sacrifices, ceremonies, and legends which preserve and jealously guard vestiges and tokens embodied here and there in their fabric. Regarding the rites of the mysteries, in which it is possible to gain the clearest reflections and adumbrations of the truth about demons, ‘let my lips be piously sealed’, as Herodotus says. (De defectu oraculorum 417B-C, transl. Babbit; see also Quaestiones Graecae 293C-D). Ancient natural science (παλαιὰ φυσιολογία) among both the Greeks and foreign nations, took the form of a scientific account hidden in mythology, veiled for the most part in riddles and hints, or of a theology such as it is found in mystery ceremonies (μυστηριώδης θεολογία): in it what is spoken is less clear to the masses than what it is unsaid, and what is unsaid gives cause for more speculation than what is said. This is evident from the Orphic poems and the accounts given by Phrygians and Egyptians. But nothing does more to reveal what was in the mind of the ancients than the rites of initiation and the ritual act that are performed in religious services with symbolic intent. (Plut. fr. 157, On the Festival of Images at Plataea, transl. Sandbach).
Religion is a complex phenomenon, made of different ceremonies, rituals and myths, in Greece and elsewhere.16 According to Plutarch, however, all these traditions point in the same direction, towards an original truth which was once revealed and which is best preserved in the mysteries. In both passages, mysteries are identified as a privileged la réception de Métaphysique Λ”, in F. Baghdassiaran, G. Guyomarc’h (ed.), Réceptions de la théologie aristotélicienne. D’Aristote à Michel d’Éphèse, Louvain 2017, p. 143157. Chiaradonna also underlines the parallels between this text and the doxography of the De Iside, and suggests Eudorus of Alexandria as a possible influence. 15. Very useful on this is P. Van Nuffelen, “Word of Truth: Mystical Silence as a Philosophical and Rhetorical Tool in Plutarch”, Hermatena 182 (2007), p. 9-39, esp. 17-21. 16. See also De facie quae in orbe lunae apparet 942D; for a detailed analysis of the important fr. 157 see G. Boys-Stones, Post-Hellenistic Philosophy. A study of its development from the Stoics to Origen, Oxford 2001, p. 108-111 and P. Van Nuffelen, Rethinking the Gods, p. 50-55.
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Plutarch and the Mysteries of Philosophy locus of truth, and their superiority derives from their antiquity. “Mysteries are not only loci of truth, they are loci of primordial truth: they preserve in the best possible way the wisdom of the ancients”.17 But this ancient truth has been refracted in several different forms and discourses, often unclear, over the centuries, with the result of a growing uncertainty about its content. The problem is not only the complexity of the religious phenomenon in general; not less complex is also, more specifically, the mystery tradition. The task, therefore, is to preserve, retrieve, and explain the truth of these religious mysteric traditions, without trivializing them, as the Stoics did. The Stoics correctly endorsed the view that philosophy aims at unveiling the ancient divine wisdom, but they reduced this truth to a physical doctrine. The opposite is the case for Platonism, which consequently emerges as the only possible tool to make order in the confusion of the religious and mysteric traditions by showing that their apparent multiplicity hides a basic unity: Therefore in these matters above all we should take as a guide into the mysteries the understanding which philosophy gives and reflect devoutly on everything said and enacted. πρὸς ταῦτα λόγον ἐκ φιλοσοφίας μυσταγωγὸν ἀναλαβόντας ὁσίως διανοεῖσθαι τῶν λεγομένων καὶ δρωμένων. (De Iside et Osiride 378A, transl. Gwyn Griffiths; see also 352C).
What is remarkable in this passage is that it also promotes a subordination of the mystery tradition to philosophy – like the Stoics but in a different way, far from any physical reductionism. The truth of the mysteries is the same as that at which philosophy aims, and it is a transcendent one. But the last word belongs to philosophy, which has the task of purifying the ancient truth from all the accretions which have obscured it. In this sense philosophy is the mystagogue, the guide. Not surprisingly, at the very beginning of this treatise, the most important one on the relation between philosophy and mysteries, Plutarch also gives an explanation for the former’s superiority. Since intelligence and knowledge are what is most distinctive of God, it is evident that philosophy is the discipline that can best retrieve the primordial truth of the religious and mysteric traditions: All blessing, Clea, should be sought of the gods by the intelligent, and especially pray that in our search we may receive direct from them an
17. P. Van Nuffelen, “Words of Truth”, p. 18.
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Mauro Bonazzi understanding of their own nature, as far as that is possible to men; for nothing greater is attainable by man, and nothing nobler can be granted by God, than truth. […]. For this reason the longing for truth, particularly the truth about the gods, is a yearning after divinity, since it involves in its training and intellectual pursuit an acquirement of sacred lore which constitutes a holier task than all ceremonial purification and temple service, a task which is supremely welcome to this goddess whom you worship as one who is exceptionally wise and devoted to wisdom. (De Iside et Osiride 351C-F, transl. Gwyn Griffiths).
“Philosophy is put forward as the necessary tool to understand religion”; it is in other words “the prerequisite of truthful worship”.18 If this is clear, a final qualification is needed: of course, it is no so much matter of philosophy in general, but of Plato’s philosophy more specifically. It is Plato’s philosophy, as it is reconstructed by Plutarch (and other Platonists), that leads us to a proper understanding of the ancient wisdom. In other words, what Plutarch promotes, in the De Iside and elsewhere, is a platonization of the mysteries. Indeed, the vicissitudes of Isis and Osiris are an exemplary case. Apparently bizarre and full of obscure details, their history becomes fully understandable once it is explained by the philosophical guide, which shows that their primordial truth corresponds to the first and most important Platonist doctrine, that is the dualism between the sensible and the intelligible world:19 Therefore, this ancient opinion (δόξα) has come down from theologians and lawgivers to poets and philosophers, being of unknown origin, but awarded strong and tenacious belief, and spread not in speech alone nor in reports, but also in mystery cults (τελεταῖς) and sacrifices, both of barbarians and Greeks, namely that the universe is not suspended on its own without intellect and reason and guidance, not that there is one reason which rules and directs it as it were with rudders and curbing reins, but many powers and a mixture of evil and good. (De Iside et Osiride 369B, transl. Gwyn Griffiths; see also Quaestiones convivales 8.718C-D).
Even more eloquent is the following passage: The robes of Isis are variegated in colour (for her essential power concerns the material, which becomes everything and receives everything – light and darkness, day and night, fire and water, life and
18. P. Van Nuffelen, Rethinking the Gods, p. 60. 19. See for instance W. Burkert, Ancien Mystery Cults, p. 84-85.
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Plutarch and the Mysteries of Philosophy death, beginning and end); the robes of Osiris, however, has nothing dark or variegated about it, but is of one simple colour, the colour of light; for the origin of things is unadulterated and the primal element which is spiritually intelligible is unmixed. […] For the things which are perceptible and near at hand are in use and afford many revelations and glimpses of themselves as they are variously interchanged at various times. But the understanding of what is spiritually intelligible and pure and holy, having shone through the soul like lightning, affords only one chance to touch and to behold it. For this reason both Plato [Symp. 201a] and Aristotle call this branch of philosophy that concerned with the highest mysteries (ἐποπτικὸν τοῦτο τὸ μέρος τῆς φιλοσοφίας καλοῦσιν), in that those who have passed beyond these conjectural, confused and widely varied matters spring up by force of reason to that primal, simple and immaterial element; and having directly grasped the pure truth attached to it, they believe that they hold the ultimate end (οἷον ἐν τελετῇ τέλος ἔχειν φιλοσοφίας νομίζουσι) of philosophy in the manner of a mystic revelation. (De Iside et Osiride 382C-E, transl. Gwyn Griffiths).
Far from opposing theology and religion to philosophy, Plutarch has successfully appropriated the mystery tradition to his Platonist philosophy by showing their mutual convergence. Platonism, therefore, becomes the real mysteries, insofar as it is the only discipline that best accounts for the divine, which is what matters most. Here lays its superiority, both with regard to Stoicism, which was not capable of preserving the primordial truth of the mysteries, and to the mystery tradition itself, which advanced such truths obscurely.20 3. There is another testimony which deserves some attention in order to understand the reasons for Plutarch’s interest in the mystery tradition. In a fragment from a lost dialogue On the soul, two interlocutors, Patrocleas and Timon, the first airing Epicurean ideas, the latter a committed Platonist, discuss the immortality of the soul by referring to the etymologies and meanings of many Greek words.21 Predictably,
20. A similar strategy can also be detected in Numenius of Apamea’s fr. 1 des Places, see M. Bonazzi, “Numenio, il platonismo e le tradizioni orientali”, Chora. Revue d’études anciennes et médiévales hors-série (2015), p. 225-245. 21. For a presentation of this text I refer to M. Bonazzi, “Plutarque et l’immortalité de
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Mauro Bonazzi the first argues against and the latter in favour of the immortality of the soul. As the controversy makes clear, however, it is not a matter of mere school debates. By referring to etymologies and meanings of terms, both interlocutors want to prove that their doctrine, and not the other one, best corresponds to the Greek usage. At stake is, in other words, the need to establish which of the two philosophies best expresses the authentic Greek tradition. Predictably, the Platonist will prevail: Greek linguistic uses clearly confirm that the belief in the immortality of the soul was deeply engrained in the Greek mind. Leaving aside the validity of this claim, what is interesting for us now is the reference to the mystery tradition. In favour of his thesis Timon also underlines the closeness between teleutan and teleisthai: And so the verbs teleutan (die) and teleisthai (be initiated), and the actions they denote, have a similarity. In the beginning there is straying and wandering, the weariness of running this way and that, and nervous journeys through darkness that reach no goal, and then immediately before the consummation every possible terror, shivering and trembling and sweating and amazement. But after this a marvelous light meets the wanderer, and open country and meadow lands welcome him; and in that place there are voices and dancing and the solemn majesty of sacred music and holy visions. And amidst these, he walks at large in new freedom, now perfect and fully initiated, celebrating the sacred rites, a garland upon his head, and converses with pure and holy men; he surveys the uninitiated, unpurified mob here on earth, the mob of living men who, herded together in the mirk and deep mire, trample one another down and in their fear of death cling the ills, since they disbelieve the blessings in the other world. (fr. 178, On the soul, transl. Sandbach). διὸ καὶ τὸ ῥῆμα τῷ ῥήματι καὶ τὸ ἔργον τῷ ἔργῳ τοῦ τελευτᾶν καὶ τελεῖσθαι προσέοικε. πλάναι τὰ πρῶτα καὶ περιδρομαὶ κοπώδεις καὶ διὰ σκότους τινὲς ὕποπτοι πορεῖαι καὶ ἀτέλεστοι, εἶτα πρὸ τοῦ τέλους αὐτοῦ τὰ δεινὰ πάντα, φρίκη καὶ τρόμος καὶ ἱδρὼς καὶ θάμβος· ἐκ δὲ τούτου φῶς τι θαυμάσιον ἀπήντησεν καὶ τόποι καθαροὶ καὶ λειμῶνες ἐδέξαντο, φωνὰς καὶ χωρείας καὶ σεμνότητας ἀκουσμάτων ἱερῶν καὶ φασμάτων ἁγίων ἔχοντες· ἐν αἷς ὁ παντελὴς ἤδη καὶ μεμυημένος ἐλεύθερος γεγονὼς καὶ ἄφετος περιιὼν ἐστεφανωμένος ὀργιάζει καὶ σύνεστιν ὁσίοις καὶ καθαροῖς ἀνδράσι, τὸν ἀμύητον ἐνταῦθα τῶν
l’âme”, in A. Giavatto, X. Brouillette (ed.), Les dialogues platoniciens chez Plutarque. Stratégies et méthodes exégétiques, Louvain 2010, p. 75-89.
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Plutarch and the Mysteries of Philosophy ζώντων καὶ ἀκάθαρον ἐφορῶν ὄχλον ἐν βορβόρῳ πολλῷ καὶ ὁμίχλῃ πατούμενον ὑφ᾽ ἑαυτοῦ καὶ συνελαυνόμενον, φόβῳ δὲ θανάτου τοῖς κακοῖς ἀπιστίᾳ τῶν ἐκεῖ ἀγαθῶν ἐμμένοντα.
Over the years, historians of Greek religion have repeatedly debated on this text trying to establish which tradition Plutarch was referring to – whether Eleusis22 or the Orphic rites23. It is a false problem. Plutarch’s reference is in all probability Plato’s dialogues. Not only the general presentation but many specific details clearly point to the Phaedrus’ description of the journey of souls in the intelligible world, from the description of the experiences of the initiates (ὁ δὲ ἀρτιτελής… πρῶτον μὲν ἔφριξε [Plut.: φρίκη] καί τι τῶν τότε ὑπῆλθεν αὐτὸν δειμάτων… ἐκ τῆς φρίκης μεταβολή τε καὶ ἱδρὼς καὶ θερμότης ἀήθης λαμβάνει, 251a1-b1), to the emphasis on light (250b3, 250c4: ἐν αὐγῇ καθαρᾷ; 250d1), the pure places (250c4-5: ἐν αὐγῇ καθαρᾷ, καθαροὶ ὄντες), the meadows (248c1: λειμών). Similarly, the description of the crowd of the uninitiated, who push and hit clearly echoes a famous passage of the dialogue: The other souls follow after, all yearning for the upper region but unable to reach it, and are carried round beneath, trampling upon and colliding with one another, each striving to pass its neighbour. So there is the greatest confusion and sweat of rivalry. αἱ δὲ ἄλλαι γλιχόμεναι μὲν ἅπασαι τοῦ ἄνω ἕπονται, ἀδυνατοῦσαι δέ, ὑποβρύχιαι συμπεριφέρονται, πατούσαι ἀλλήλας καὶ ἐπιβάλλουσαι, ἑτέρα πρὸ τῆς ἑτέρας πειρωμένη γενέσθαι. θόρυβος οὖν καὶ ἅμιλλα καὶ ἱδρὼς ἔσχατος γίγνεται. (Phaedrus 248a-b; transl. Fowler).
Plutarch depends in all evidence on the Phaedrus; this text does not have any direct or exclusive link to the concrete initiations, but is built after Plato’s philosophical interpretation24. As Walter Burkert correctly 22. G. E. Mylonas, Eleusis and the Eleusinian Mysteries, London – Princeton 1961, p. 155-156. 23. Cfr. G. E. Mylonas, Eleusis, p. 265; P. Kingsley, Ancient Philosophy, Mystery and the Magic. Empedocles and the Pythagorean Tradition, Oxford 1995, p. 118120. More in general see J. N. Bremmer, “Imperial Mysteries”, Mètis N.S. 14 (2016), p. 21-34. 24. U. Bianchi, “Eleusis, Stob. IV, p. 1089 H. et Plat. Phaedr., 248 A-B”, in P. Gros, J.-P. Morel (ed.), Mélanges de philosophie, de littérature et d’histoire ancienne offerts à Pierre Boyancé, Rome 1974, p. 74; see also F. Graf, Eleusis und die orphische Dichtung Athens in vorhellenistischer Zeit, Berlin – New York 1974, p. 132 and following.
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Mauro Bonazzi remarked, this fragment constitutes a “most impressive” case of a tendency which is widespread among other writers of this period. Plato’s text “has become the basic text of mysticism in the true sense”.25 As it is well known, Plato often used the mysteric parallel in order to present his philosophy and the impact it has on the lives of those who follow his teaching26; Plutarch uses Plato and in so doing successfully appropriates the mystery tradition to the Platonist interpretation. It is not matter anymore of two parallel traditions, as it was for Plato, but of one and the same experience, with Plato’s philosophy leading the way. Philosophy, that is real initiation, explains that we must not fear death because it is thanks to it that the soul will be finally free to live its own life realizing all its possibilities. In other words, it is true that the belief in the immortality of the soul is engrained in the Greek world; but until it remains at the level of a simple belief (doxa: the negative shade of term must not be undervalued for a Platonist) it cannot defeat the fear of the death. Only philosophy (that is Plato’s philosophy) can solve the problem by unmasking the error of those who fear it and by revealing the vanity of life which is nothing but constriction (bia) et entrave (demas). The relation between initiation and death becomes therefore clear: conversion to philosophy saves us from the miseries of this life and prepares for the real existence. The opaque truth of the mysteries needs the help of philosophy to become intelligible. And this is what explains and confirms the centrality of Plato’s philosophy, which is not only the synthesis but also and especially the summit of the most profound truths of the Greek tradition. As for Plutarch, it is interesting to remark that he stands out among his colleagues for his more acute awareness of the historical importance of Platonism. Unlike most of the other Platonists known to us he does not limit himself to school debates only, but tries to defend the importance of Plato’s philosophy for a broader audience. His appropriation of the mystery traditions depends on this attempt – a belief of Plato as the best champion of the Greek tradition which will probably appear controversial to many contemporary readers but in favour of which he argued with great ingenuity.
25. W. Burkert, Ancient Mystery Cults, p. 91. 26. See C. Riedweg, Mysterienterminologie bei Platon, Philon und Clemens von Alexandrien, Berlin – New York 1987.
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THÉON DE SMYRNE ET LA TRANSPOSITION PLATONICIENNE DES MYSTÈRES ÉLEUSINIENS
Andrei Timotin Académie roumaine (IESEE) / Université de Bucarest (Roumanie)
a
priori rien ne prédisposait Théon de Smyrne à faire une place aux cultes à mystères dans ses travaux à contenu philosophique et mathématique1. Théon est un philosophe platonicien, dont l’activité se situe au début du iie siècle de notre ère à Smyrne, important centre culturel2, où fonctionnaient une école de rhétorique et une école de philosophie platonicienne où enseignait Albinus et à laquelle Théon lui-même peut être rattaché. Un buste du « philosophe platonicien Théon », acheté au xviie siècle à Smyrne et qui se trouve actuellement au Musée du Capitole, lui fut semble-t-il dédié par son fils3. Théon est l’auteur d’un écrit intitulé Sur ce qui est utile en mathématiques pour la lecture de Platon (ci-après Expositio)4, la seule de ses œuvres qui
1. Sur Théon de Smyrne la meilleure introduction actuellement est l’article de F. M. Petrucci, « Théon de Smyrne », dans R. Goulet (éd.), Dictionnaire des philosophes antiques, VI, Paris 2016, p. 1016-1027 (notice traduite de l’italien par R. Goulet). Voir aussi H. Dörrie, M. Baltes, Der Platonismus in der Antike, III : Der Platonismus im 2. und 3. Jahrhundert nach Christus, Stuttgart 1993, p. 268-269, 340-341 et les introductions des deux traductions, italienne et française, de son seul ouvrage conservé, citées infra, n. 4. 2. Voir C. J. Cadoux, Ancient Smyrna. A History of the City from the Earliest Times to 324 A.D., Oxford 1938, p. 228-272 ; C. Franco, Elio Aristide e Smirne, Rome 2005 (Atti della Accademia Nazionale dei Lincei 152). 3. Voir H. Stuart Jones, The Sculptures of the Museo Capitolino, Oxford 1912, p. 229, no 25, pl. 57 ; J. Lang, « [Théon de Smyrne] Iconographie », dans Dictionnaire des philosophes antiques, VI, p. 1027-1028 (notice traduite de l’allemand par R. Goulet). 4. Theonis Smyrnaei Expositio rerum mathematicarum ad legendum Platonem utilium, edidit E. Hiller, Leipzig 1878 ; Teone di Smirne, Expositio rerum mathematicarum ad legendum Platonem utilium. Introduzione, traduzione, commento di F. M. Petrucci, Sankt Augustin 2012 (Studies in Ancient Philosophy 11), avec de nombreuses 10.1484/M.BEHE-EB.5.125927
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Andrei Timotin ait été conservée, qui traite des sciences mathématiques comme une étape préliminaire pour la compréhension de la philosophie de Platon. Dans la tradition byzantine et à la Renaissance, il fut essentiellement considéré comme un mathématicien5. Le recours constant à Platon en tant qu’autorité philosophique, le contenu doctrinal de l’œuvre, ainsi que l’importance du Timée et de l’Épinomis dans sa structure nous permettent de rattacher son auteur au médio-platonisme6. L’Expositio peut en effet être regardée comme une œuvre d’exégèse médio-platonicienne dont l’objectif est de démontrer l’existence d’un ordre mathématique intrinsèque dans la structure ontologique de l’univers. Sa date de rédaction ne peut pas être antérieure au premier quart du iie siècle car parmi les auteurs cités par Théon se rangent Thrasylle et Adraste, ce dernier étant encore en activité dans la première moitié du iie siècle7. Dans la partie introductive du traité, Théon développe la conception platonicienne, exposée dans le livre II de la République et dans l’Épinomis, selon laquelle l’apprentissage des sciences mathématiques est nécessaire pour la pratique de la philosophie et de la vertu, afin d’élaborer sur cette base un programme d’enseignement de la philosophie platonicienne ayant comme fondement l’étude des sciences mathématiques, dans l’ordre exposé par Platon dans la République (521c-531c)8. C’est dans ce contexte que Théon introduit une comparaison entre l’initiation à la philosophie platonicienne et l’initiation aux mystères. Le passage, depuis longtemps connu9, n’a pourtant pas fait l’objet d’une étude approfondie : corrections proposées à l’édition d’Hiller (p. 63-101) ; Théon de Smyrne, Lire Platon. Le recours au savoir scientifique : arithmétique, musique, astronomie, texte présenté, annoté et traduit du grec par J. Delattre Biencourt, préface de L. Brisson, Toulouse 2010. 5. Voir Teone di Smirne, Expositio, p. 15-17 ; F. M. Petrucci, « Théon de Smyrne », p. 1024-1027. 6. Voir F. M. Petrucci, « Riargomentare il platonismo: l’esegesi di Platone nell’Expositio di Teone di Smirne », Elenchos 30 (2009), p. 293-328 ; Théon de Smyrne, Lire Platon, p. 32-45 ; Teone di Smirne, Expositio, p. 10-15, 19-21, 44-62 ; F. M. Petrucci, « Théon de Smyrne », p. 1018-1020. 7. Sur la datation de l’Expositio, voir Teone di Smirne, Expositio, p. 10 ; F. M. Petrucci, « Théon de Smyrne », p. 1019. 8. On notera que Théon de Smyrne a aussi rédigé des ὑπομνήματα à la République de Platon, aujourd’hui perdus (cf. Expositio, p. 146, 3-4 Hiller) ; voir H. Dörrie, M. Baltes, Der Platonismus in der Antike, t. III, p. 204-205 ; F. M. Petrucci, « Théon de Smyrne », p. 1023-1024. 9. Voir par exemple I. Hadot, Arts libéraux et philosophie dans la pensée antique.
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Théon de Smyrne et les mystères éleusiniens On pourrait encore dire que la philosophie est l’initiation à une τελετή qui est vraie et à la révélation des mystères (μυστήρια) véritables. Or il y a cinq parties de l’initiation. La première est la purification (καθαρμός). Car il n’est pas possible de communiquer les mystères à tous ceux qui le désirent, mais il est des aspirants à qui il est ordonné de s’écarter, comme ceux qui n’ont pas les mains pures et dont la parole est incompréhensible. Et ceux mêmes qui ne sont pas écartés, il faut qu’ils soient soumis à une certaine purification. Après la purification vient la tradition (παράδοσις) de la τελετή. En troisième lieu vient ce que l’on appelle époptie. En quatrième lieu vient ce qui à vrai dire est l’achèvement de l’époptie, le fait de ceindre la tête (ἀνάδεσις) et l’imposition des couronnes, afin que celui qui a reçu les doctrines puisse les transmettre à son tour à d’autres, en accédant soit à la dignité de dadouque, soit à celle de hiérophante, soit à quelque autre sacerdoce. En cinquième lieu vient ce qui résulte de tout cela : le bonheur (εὐδαιμονία) d’être ami des dieux et de vivre dans leur compagnie. Conformément à ce modèle, la tradition des doctrines platoniciennes commence par une certaine purification, par exemple l’exercice depuis l’enfance dans les sciences mathématiques qu’il sied d’étudier. Car Empédocle dit [fr. B 143 DK = Arist., Poétique 21, 1457b13] qu’il faut « se laver, en puisant à cinq sources avec de l’airain indestructible ». Quant à Platon, il dit qu’il faut faire cette purification à l’aide de cinq sciences mathématiques : ce sont l’arithmétique, la géométrie, la stéréométrie, la musique, l’astronomie. À la τελετή ressemble la tradition des θεωρήματα de la philosophie : logiques, politiques et physiques. Il appelle époptie l’étude qui se rapporte aux intelligibles, aux êtres véritables et aux idées. Quant au fait de ceindre la tête et au couronnement, il faut penser que c’est le fait pour l’adepte de devenir capable, à partir de ce qu’il a appris, d’établir fermement les autres dans la même contemplation (θεωρία). Mais le cinquième degré et le plus parfait serait le bonheur qui résulte de tout cela, et, selon Platon lui-même, la ressemblance à Dieu autant que cela est possible10. (trad. I. Hadot modifiée)
Contribution à l’histoire de l’éducation et de la culture dans l’Antiquité, 2e édition revue et augmentée, Paris 2005 [19841], p. 71-72 ; Ch. Riedweg, Mysterienterminologie bei Platon, Philon und Klemens von Alexandria, Berlin – New York 1987 (Untersuchungen zur antiken Literatur und Geschichte 26), p. 125-127 ; J. Pépin, « L’initié et le philosophe », dans S. Matton (éd.), La Pureté : quête d’absolu au péril de l’humain, Paris 1993, p. 106-109 ; H. Dörrie, M. Baltes, Der Platonismus in der Antike, IV : Die philosophische Lehre des Platonismus, Stuttgart 1996, p. 250-253. 10. Théon de Smyrne, Expositio rerum mathematicarum ad legendum Platonem utilium, p. 14, 18 - 16, 2, éd. Hiller : καὶ γὰρ αὖ τὴν φιλοσοφίαν μύησιν φαίη τις
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Andrei Timotin Ce texte établit un rapport d’analogie entre les parties de la philosophie platonicienne et les degrés de l’initiation aux mystères, en l’occurrence aux mystères d’Éleusis, comme on peut le déduire à la fois de la mention des trois degrés – καθαρμός, παράδοσις, ἐποπτεία – généralement associés au culte éleusinien11, et de la mention des sacerdoces éleusiniens, le hiérophante et le dadouque12.
ἂν ἀληθοῦς τελετῆς καὶ τῶν ὄντων ὡς ἀληθῶς μυστηρίων παράδοσιν. μυήσεως δὲ μέρη πέντε. τὸ μὲν προηγούμενον καθαρμός. οὔτε γὰρ ἅπασι τοῖς βουλομένοις μετουσία μυστηρίων ἐστίν, ἀλλ’ εἰσὶν οὓς αὐτῶν εἴργεσθαι προαγορεύεται, οἷον τοὺς χεῖρας μὴ καθαρὰς καὶ φωνὴν ἀξύνετον ἔχοντας, καὶ αὐτοὺς δὲ τοὺς μὴ εἰργομένους ἀνάγκη καθαρμοῦ τινος πρότερον τυχεῖν. μετὰ δὲ τὴν κάθαρσιν δευτέρα ἐστὶν ἡ τῆς τελετῆς παράδοσις. Τρίτη δὲ ἐπονομαζομένη ἐποπτεία. τετάρτη δέ, ὃ δὴ καὶ τέλος τῆς ἐποπτείας, ἀνάδεσις καὶ στεμμάτων ἐπίθεσις, ὥστε καὶ ἑτέροις, ἅς τις παρέλαβε τελετάς, παραδοῦναι δύνασθαι, δᾳδουχίας τυχόντα ἢ ἱεροφαντίας ἤ τινος ἄλλης ἱερωσύνης. πέμπτη δὲ ἡ ἐξ αὐτῶν περιγενομένη κατὰ τὸ θεοφιλὲς καὶ θεοῖς συνδίαιτον εὐδαιμονία. κατὰ ταὐτὰ δὴ καὶ ἡ τῶν Πλατωνικῶν λόγων παράδοσις τὸ μὲν πρῶτον ἔχει καθαρμόν τινα, οἷον τὴν ἐν τοῖς προσήκουσι μαθήμασιν ἐκ παίδων συγγυμνασίαν. ὁ μὲν γὰρ Ἐμπεδοκλῆς κρηνάων ἀπὸ πέντ’ ἀνιμῶντά φησιν ἀτειρέι χαλκῷ δεῖν ἀπορρύπτεσθαι. ὁ δὲ Πλάτων ἀπὸ πέντε μαθημάτων δεῖν φησι ποιεῖσθαι τὴν κάθαρσιν. ταῦτα δ’ ἐστὶν ἀριθμητική, γεωμετρία, στερεομετρία, μουσική, ἀστρονομία. τῇ δὲ τελετῇ ἔοικεν ἡ τῶν κατὰ φιλοσοφίαν θεωρημάτων παράδοσις, τῶν τε λογικῶν καὶ πολιτικῶν καὶ φυσικῶν. ἐποπτείαν δὲ ὀνομάζει τὴν περὶ τὰ νοητὰ καὶ τὰ ὄντως ὄντα καὶ τὰ τῶν ἰδεῶν πραγματείαν. ἀνάδεσιν δὲ καὶ κατάστεψιν ἡγητέον τὸ ἐξ ὧν αὐτός τις κατέμαθεν οἷόν τε γενέσθαι καὶ ἑτέρους εἰς τὴν αὐτὴν θεωρίαν καταστῆσαι. πέμπτον δ’ ἂν εἴη καὶ τελεώτατον ἡ ἐκ τούτων περιγενομένη εὐδαιμονία καὶ κατ’ αὐτὸν τὸν Πλάτωνα ὁμοίωσις θεῷ κατὰ τὸ δυνατόν. 11. Voir K. Dowden, « Grades in the Eleusinian Mysteries », Revue de l’histoire des religions 197.4 (1980), p. 409-427 ; K. Clinton, « Stages of Initiation in the Eleusinian and Samothracian Mysteries », dans M. B. Cosmopoulos (éd.), Greek Mysteries. The Archaeology and Ritual of Ancient Greek Secret Cults, Londres – New York 2003, p. 50-78, en particulier 50-62 ; Id., « Preliminary Initiation in the Eleusinian Mysteria », dans A. P. Matthaiou, I. Polinskaya (éd.), Mikros hieromnêmôn. Meletes eis mnêmên Michael H. Jameson, Athènes 2008, p. 25-34. La purification est en général associée à l’initiation préliminaire (μύησις), accomplie avant les mystêria ; cf. Platon, Phédon 69 c ; Clément d’Alexandrie, Stromate V, 70, 7-71, 1 ; Ælius Aristide, Discours XXII, 7. Sur προκαθαίρειν et παράδοσις à propos de l’initiation aux mystères, voir Clément, Stromate VII, 27, 6 ; cf. C. Riedweg, Mysterienterminologie, p. 7. Sur παράδοσις à propos des Petits Mystères, voir les références réunies ibid., p. 6-7. 12. Voir K. Clinton, The Sacred Officials of the Eleusinian Mysteries, Philadelphia 1974 (Transactions of the American Philosophical Society, N.S. 64.2), p. 10-47 (sur le hiérophante) et 47-68 (sur le dadouque) ; Id., Eleusis. The Inscriptions on Stone. Documents of the Sanctuary of the Two Goddesses and Public Documents of the Deme, II. Commentary, Athènes 2008 (The Archaeological Society at Athens Library 259),
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Théon de Smyrne et les mystères éleusiniens Ce rapport peut être représenté selon le schéma suivant13 : Initiation aux mystères éleusiniens
Initiation à la philosophie platonicienne
καθαρμός
καθαρμός par l’étude des cinq sciences mathématiques (arithmétique, géométrie, stéréométrie, musique et astronomie) [cf. Rép. 521c-531c]
ἡ τῆς τελετῆς παράδοσις
ἡ τῶν κατὰ φιλοσοφίαν θεωρημάτων παράδοσις (logique, politique, physique)
ἐποπτεία
περὶ τὰ νοητὰ πραγματεία (la dialectique platonicienne) [cf. Rép. 532b-535a]
ἀνάδεσις καὶ στεμμάτων ἐπίθεσις
transmission de la θεωρία [cf. Rép. 535a-536d]
εὐδαιμονία (θεοῖς συνδιαίτησις)
εὐδαιμονία (ὁμοίωσις θεῷ) [cf. Rép. 540b-c]
Ce texte est digne d’intérêt à plusieurs titres. Tout d’abord, il présente une structure de l’initiation éleusinienne en cinq étapes qui n’est pas attestée dans d’autres sources. Théon emprunte en effet les trois premières étapes au rituel éleusinien, lequel comportait une purification et une initiation et qui s’achevait par une cérémonie, ἐποπτεία, ayant lieu une année après l’initiation, pendant laquelle des objets sacrés (ἱερά) étaient montrés aux initiés14. À ces trois étapes le philosophe platonicien rajoute de manière artificielle deux autres pour
p. 15-16. Hors contexte éleusinien, le titre de hiérophante n’impliquait pourtant pas les mêmes réalités cultuelles, comme le montre N. Belayche pour le hiérophante de l’Artémis éphésienne ; voir son article « Les hiérophantes marqueurs des “mystères” ? Le cas de l’Artémis éphésienne », Mètis N.S. 14 (2016), p. 49-74. 13. Ce schéma est différent, mais compatible avec ceux proposés par I. Hadot, Arts libéraux, p. 72, et par H. Dörrie, M. Baltes, Der Platonismus in der Antike, t. IV, p. 251. 14. Pour une présentation générale des étapes de l’initiation éleusinienne, voir récemment J. N. Bremmer, Initiation into the Mysteries of the Ancient World, Berlin – Boston 2014 (Münchener Vorlesungen zu Antiken Welten 1), p. 1-20. Sur les ἱερά en particulier, voir Ch. Berchet, « À la recherche des objets sacrés d’Éleusis. Langage et mystères », dans Ch. Delattre (éd.), Objets sacrés, objets magiques de l’Antiquité au Moyen Âge, Paris 2007, p. 23-51.
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Andrei Timotin des raisons qui relèvent de la nécessité de créer une analogie entre les degrés du rituel éleusinien et les degrés du programme d’enseignement philosophique. La structure de ce programme repose sur le parcours pédagogique ébauché dans le livre VII de la République (521c-540c), où les sciences mathématiques (arithmétique, géométrie, stéréométrie, musique et astronomie) – les mêmes que chez Théon – sont présentées comme une étape préliminaire dans la formation du philosophe (521c-531c), et sont envisagées comme le prélude de la dialectique (532b-535a), dont le but est la connaissance du bien et par là même le bonheur (εὐδαιμονία), ainsi que l’assimilation à Dieu (ὁμοίωσις θεῷ), l’idéal platonicien par excellence15. Selon le parcours pédagogique ébauché par Platon dans la République, le philosophe, après être parvenu à la contemplation des Formes intelligibles, assimilée à l’époptie mystérique16, doit modeler les citoyens sur l’idéal divin et contribuer à la formation de futurs philosophes (535a-536d)17. De même, selon le programme de Théon, la dialectique, le sommet des sciences, doit, une fois acquise, être transmise par l’enseignement. Au terme du parcours pédagogique présenté dans le livre VII de la République, les philosophes, après avoir contemplé les Formes et formé d’autres citoyens sur leur propre modèle, vont après la mort dans les îles des Bienheureux pour jouir du bonheur éternel ; ils sont honorés par l’État platonicien par des monuments et des cérémonies publiques « comme on le fait pour les êtres démoniques, si toutefois la Pythie y donne son consentement, et sinon, comme à des êtres humains à la fois bienheureux et divins » (540c)18. 15. Cf. Platon, République 500b-d, 613a-b ; Théétète 176b ; Alcinoos, Didaskalikos 28 ; Clément d’Alexandrie, Stromate II, 100, 3. L’ouvrage de référence sur ce thème reste H. Merki, ῾Ομοίωσις Θεῷ. Von der platonischen Angleichung an Gott zur Gottähnlichkeit bei Gregor von Nyssa, Fribourg 1952 (Paradosis. Beiträge zur Geschichte der altchristlichen Literatur und Theologie 7). Cf. aussi H. Dörrie, M. Baltes, Der Platonismus in der Antike, IV, p. 234. 16. Pour la comparaison entre la contemplation des Formes intelligibles et l’époptie mystérique, voir Platon, Banquet 209e-210a et Phèdre 250c ; cf. C. Riedweg, Mysterienterminologie, p. 2-3 et 22-23. 17. Cf. Platon, République VII, 500d-501b ; cf. 519c ; 540b. Voir aussi Banquet 212b, où l’epopteia (209e-212a) est suivie par le portrait d’un Socrate éducateur, capable de conduire les autres à la contemplation à l’aide d’Érôs ; cf. H. Dörrie, M. Baltes, Der Platonismus in der Antike, IV, p. 251, n. 3. 18. Platon, République VII, 540b-c : οὕτως ἄλλους ἀεὶ παιδεύσαντας τοιούτους, ἀντικαταλιπόντας τῆς πόλεως φύλακας, εἰς μακάρων νήσους ἀπιόντας οἰκεῖν. μνημεῖα δ’ αὐτοῖς καὶ θυσίας τὴν πόλιν δημοσίᾳ ποιεῖν, ἐὰν καὶ ἡ Πυθία συναναιρῇ,
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Théon de Smyrne et les mystères éleusiniens De manière analogue, l’accomplissement du parcours établi par Théon donne au philosophe l’accès au bonheur et le conduit à l’assimilation à Dieu. Symétriquement, l’initiation éleusinienne s’achève, chez Théon, par deux étapes supplémentaires (la quatrième et la cinquième), qui ne concernent plus l’ensemble des initiés, mais le corps sacerdotal, l’homologue du philosophe. La mention du hiérophante et du dadouque dans ce contexte rend évident le fait que les deux dernières étapes ne sont pas accessibles à tous les époptes, mais uniquement aux familles sacrées, les Eumolpides et les Kerykes, dans lesquelles les hiérophantes et les dadouques se recrutaient jusqu’à la fin de l’Antiquité19. La quatrième étape correspond en effet à la cérémonie d’installation du hiérophante, alors que la dernière concerne le sort qui lui est réservé après la mort. Lors de la cérémonie d’installation, l’hiérophante recevait les insignes du pouvoir sacerdotal (στέμματα) : le bandeau (στρόφιον) qui lui ceint la tête et lui retient la chevelure et la couronne de myrte20. C’est à cette opération que doit faire allusion la mention de l’ἀνάδεσις et de l’ἐπίθεσις dans le texte de Théon. En ce qui concerne la dernière étape, elle correspond, dans le schéma de Théon, au bonheur réservé au hiérophante, qui jouit de l’amitié des dieux et de leur compagnie. Le prêtre éleusinien a pu en effet être décrit comme un serviteur privilégié des dieux, lesquels l’accueillent après la mort en leur société et lui assurent une place d’honneur dans les îles des Bienheureux21. C’est aussi, dans un langage emprunté aux mystères, le bonheur auquel Socrate aspire dans le Phédon (69c), ὡς δαίμοσιν, εἰ δὲ μή, ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις. « Quand ils auront éduqué d’autres hommes de cette manière, en les rendant tels qu’eux-mêmes, qu’ils leur abandonnent alors le rôle de gardiens de la cité et qu’ils partent de leur côté résider dans les îles des Bienheureux. La cité leur dédiera des monuments et leur offrira des sacrifices publics, comme on le fait pour les êtres démoniques, si toutefois la Pythie y donne son consentement, et sinon, comme à des êtres humains à la fois bienheureux et divins » (trad. G. Leroux). 19. Les transgressions de cette coutume ne semblent pas être antérieures au ive siècle de notre ère (voir Ælius Aristide, Discours I, 4) ; cf. K. Clinton, The Sacred Officials, p. 10 (sur le hiérophante) et 47 (sur le dadouque). 20. Cf. P. Foucart, Les mystères d’Éleusis, Paris 1914, p. 176 ; K. Clinton, The Sacred Officials, p. 32-35 et 45. 21. Cf. P. Foucart, Les mystères d’Éleusis, p. 186, n. 4 ; B. Gladigow, « Zum Makarismos des Weisen », Hermes 95.4 (1967), p. 404-433 ; P. Lévêque, « ῎Ολβιος et la félicité des initiés », dans L. Hadermann-Misguich, G. Raepsaet (éd.), Rayonnement grec. Hommages à Charles Delvoye, Bruxelles 1982, p. 113-126.
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Andrei Timotin d’habiter avec les dieux (μετὰ θεῶν οἰκεῖν), à l’instar des initiés22. Dans l’Épinomis 977d, le bonheur est conditionné, comme chez Théon, par l’apprentissage des sciences mathématiques ; c’est en effet en pratiquant ces sciences que l’on devient sage, et par là même, heureux. On notera aussi que dans l’Épinomis 973c, la καλὴ ἐλπίς des initiés dans ces matières est une expression empruntée aux mystères23, qu’on retrouve aussi dans les dialogues platoniciens authentiques (République VI, 496e ; cf. Phédon 114d). On voit à quel point la référence de Théon au bonheur posthume réservé au clergé éleusinien est filtrée par la transposition platonicienne du vocabulaire mystérique.
22. Platon, Phédon 69c : καὶ κινδυνεύουσι καὶ οἱ τὰς τελετὰς ἡμῖν οὗτοι καταστήσαντες οὐ φαῦλοί τινες εἶναι, ἀλλὰ τῷ ὄντι πάλαι αἰνίττεσθαι ὅτι ὃς ἂν ἀμύητος καὶ ἀτέλεστος εἰς Ἅιδου ἀφίκηται ἐν βορβόρῳ κείσεται, ὁ δὲ κεκαθαρμένος τε καὶ τετελεσμένος ἐκεῖσε ἀφικόμενος μετὰ θεῶν οἰκήσει. « Aussi il se pourrait que ceux qui ont établi à notre intention les rites initiatiques ne soient pas, de fait, des gens négligeables ; mais qu’en réalité, et depuis longtemps, ce soit là le sens de leur sentence énigmatique : quiconque arrive dans l’Hadès sans avoir été admis aux Mystères et initié sera couché dans le bourbier ; mais celui qui aura été purifié et initié partagera, une fois arrivé là-bas, la demeure des dieux » (trad. M. Dixsaut) ; cf. ibid., 81a ; République II, 363d ; VII, 519c. 23. [Platon], Épinomis 973c : οὔ φημι εἶναι δυνατὸν ἀνθρώποις μακαρίοις τε καὶ εὐδαίμοσιν γενέσθαι πλὴν ὀλίγων ‒ μέχριπερ ἂν ζῶμεν τοῦτο διορίζομαι· καλὴ δὲ ἐλπὶς τελευτήσαντι τυχεῖν ἁπάντων ὧν ἕνεκά τις προθυμοῖτ’ ἂν ζῶν τε ὡς κάλλιστ’ ἂν ζῆν κατὰ δύναμιν καὶ τελευτήσας τελευτῆς τοιαύτης τυχεῖν. « Je déclare qu’il n’est pas possible aux hommes, exception faite d’un petit nombre, de trouver la félicité et le bonheur, déclaration que je limite à la durée de cette vie. Mais pour celui qui meurt il y a le bel espoir d’obtenir tout ce en vue de quoi il a déployé ses efforts durant sa vie, efforts pour mener l’existence la plus convenable dont il soit capable, et pour avoir, au moment de mourir, une fin pareille à ce que fut sa vie » (trad. L. Brisson) ; cf. ibid. 986d ; 992b-c. Sur les καλαὶ ἐλπίδες des initiés, voir Hymne homérique à Déméter 480-482 ; Sophocle, fr. 753 Nauck ; Isocrate, Panégyrique (IV), 28 ; Cicéron, De legibus II, 14, 36 ; Ælius Aristide, Discours XXII, 10 ; cf. P. Foucart, Les mystères d’Éleusis, p. 362-365 ; F. Cumont, Lux perpetua, Paris 1949, p. 240 et 401-405. Voir aussi K. Clinton, « The Eleusinian Mysteries: Roman Initiates and Benefactors, Second Century B.C. to A.D. 267 », dans Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II 18, 2, Berlin – New York 1989, p. 1509-1513, sur l’inscription d’époque romaine à Éleusis en l’honneur du dieu Aiôn. Dans le commentaire de cette inscription, K. Clinton se réfère au texte d’Isocrate en le mettant utilement en relation avec la phraséologie mystérique du Banquet.
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Théon de Smyrne et les mystères éleusiniens Cette transposition est articulée essentiellement dans deux dialogues, le Banquet et le Phèdre, où Platon développe une analogie entre l’époptie mystérique et la contemplation des Formes intelligibles24. Dans le Banquet, la dernière partie de l’entretien de Diotime avec Socrate (209e-212a), présentée comme une révélation des « mystères d’Érôs » que la prêtresse de Mantinée dévoile à Socrate25, expose les degrés de l’initiation philosophique – à travers laquelle l’âme est amenée progressivement du monde sensible vers l’univers intelligible pour aboutir à la contemplation de la Beauté intelligible – dans un vocabulaire imprégné de références aux mystères éleusiniens26. Dans le Phèdre (249c-250d), ce vocabulaire est également utilisé pour décrire la réminiscence des Formes intelligibles, assimilées aux objets sacrés (ἱερά) que le hiérophante d’Éleusis montre aux initiés27. Dans 24. Ce sujet a été bien examiné dans un certain nombre d’études. Les plus importantes sont : É. des Places, « Platon et la langue des mystères », Annales de la Faculté des Lettres d’Aix 38 (1964), p. 9-23 [repris dans Id., Études platoniciennes 1929-1979, Leyde 1981, p. 83-98] ; G. J. de Vries, « Mystery Terminology in Aristophanes and Plato », Mnemosyne s. IV, 26 (1973), p. 1-8 ; W. Burkert, Ancient Mystery Cults, Cambridge (MA) – Londres 1987, p. 92-93 ; C. Riedweg, Mysterienterminologie, p. 1-69 ; M. L. Morgan, Platonic Piety. Philosophy and Ritual in Fourth-Century Athens, New Haven – Londres 1990, p. 80-99 ; A. Motte, « Le pèlerinage initiatique de la parole. Une lecture du Phèdre de Platon », Methexis 8 (1995), p. 33-48 ; Ch. Schefer, « Rhetoric as Part of an Initiation into the Mysteries. A New Interpretation of the Platonic Phaedrus », dans A. N. Michelini (éd.), Plato as Author. The Rhetoric of Philosophy, Leyde – Boston 2003 (Cincinnati Classical Studies, N.S. 8), p. 175196 ; D. Dewincklear, « Philosophie et initiation dans l’œuvre de Platon », Revue de philosophie ancienne 28.1 (2010), p. 29-65 ; M. R. Gómez Iglesias, « The Echoes of Eleusis: Love and Initiation in the Platonic Philosophy », dans M. J. Martín-Velasco, M. J. García Blanco (éd.), Greek Philosophy and Mystery Cults, Newcastle upon Tyne 2016, p. 61-102. 25. Platon, Banquet, 209e-210a : Ταῦτα μὲν οὖν τὰ ἐρωτικὰ ἴσως, ὦ Σώκρατες, κἂν σὺ μυηθείης. τὰ δὲ τέλεα καὶ ἐποπτικά, ὧν ἕνεκα καὶ ταῦτα ἔστιν, ἐάν τις ὀρθῶς μετίῃ, οὐκ οἶδ’ εἰ οἷός τ’ ἂν εἴης. « Voilà sans doute, Socrate, en ce qui concerne les mystères relatifs à l’Érôs, les choses auxquelles tu peux toi aussi être initié. Mais la révélation suprême et la contemplation, qui en sont également le terme quand on suit la bonne voie, je ne sais si elles sont à ta portée » (trad. L. Brisson). 26. Voir notamment C. Riedweg, Mysterienterminologie, p. 2-29, avec les nuances apportées par L. Brisson, Le Banquet, traduction inédite, introduction et notes, 3e édition, corrigée et mise à jour, Paris 2004 [19981], p. 65-71, et par Ch. Rowe, Il Symposio di Platone. Cinque lezioni sul dialogo con un ulteriore contributo sul Fedone, Sankt Augustin 1998, p. 45-57. Mais voir déjà É. des Places, « Platon et la langue des mystères », p. 17-18 [91-92]. 27. Cf. C. Riedweg, Mysterienterminologie, p. 30-69 ; É. des Places, « Platon et la
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Andrei Timotin un autre passage du même dialogue (244a-245c), voué à une fortune remarquable dans la tradition médio- et néoplatonicienne, Platon établit également un rapport étroit, bien qu’asymétrique entre philosophie (dialectique), d’une part, et divination, initiation aux mystères et poésie, de l’autre, en tant que formes de la folie (μανία) divine ; parmi ces quatre formes, seule la première est censée conduire à la connaissance véritable, ferme et démontrable, des réalités intelligibles, alors que les trois autres relèvent du domaine de l’opinion juste, inaptes à rendre compte et à enseigner ce à quoi elles donnent accès28. Ce texte important nous permet de comprendre que dans la relation établie par Platon entre la démarche philosophique et l’initiation aux mystères, les deux termes ne se trouvent pas sur le même plan. L’initiation éleusinienne ne peut être, dans ce contexte, qu’une image sensible de l’initiation idéale, philosophique, laquelle mène à la connaissance des Formes intelligibles et au véritable bonheur. L’analogie entre philosophie et mystères, fondée sur cet ensemble de textes, devient à partir du iie siècle de notre ère monnaie courante dans les textes philosophiques29, sur le fond de la généralisation de l’usage du lexique mystérique pour désigner toute forme de σοφία, langue des mystères », p. 18-20 [92-94]. 28. Voir à ce propos L. Brisson, « Du bon usage du dérèglement », dans J.-P. Vernant (éd.), Divination et rationalité, Paris 1974, p. 220-246. 29. Cf. Philon, Quod deus sit immutabilis 61 ; Plutarque, Sur Isis et Osiris 382 D ; Sur la disparition des oracles 422 C ; Propos de table 718 C-D ; De facie in orbe lunae 943 C, etc. Voir É. Bréhier, Les idées philosophiques et religieuses de Philon d’Alexandrie, Paris 1907, p. 242-249 ; P. Boyancé, « Sur les mystères d’Éleusis », Revue des études grecques 75 (1962), p. 460-482, ici 462-473 ; H. Dörrie, « Philosophie und Mysterium. Zur Legitimation des Sprechens und Verstehens auf zwei Ebenen durch Platon », dans Verbum et Signum 2 [= Beiträge zur mediävistischen Bedeutungsforschung. Studien zur Semantik und Sinntradition im Mittelalter, hrsg. H. Fromm, W. Harms, U. Ruberg], 1975, p. 9-24 ; Id., « Mysterien (in Kult und Religion) und Philosophie », dans M. J. Vermaseren (éd.), Die orientalischen Religionen im Römerreich, Leyde 1981, p. 341-362 ; C. Riedweg, Mysterienterminologie, p. 70-115 ; L. Brisson, Introduction à la philosophie du mythe, I : Sauver les mythes, Paris 1996, p. 88-100 ; G. Roskam, « “And a great silence filled the temple…” Plutarch on the connections between mystery cults and philosophy », dans A. Pérez Jiménez, F. Casadesús Bordoy (éd.), Estudios sobre Plutarco: misticismo y religions mystéricas en la obra de Plutarco, Actas del VII simposio español sobre Plutarco (Palma de Mallorca, 2-4 de noviembre de 2000), Madrid – Málaga 2001, p. 221-232 ; Ph. Borgeaud, « Rites et émotions. Considérations sur les mystères », dans J. Scheid (éd.), Rites et croyances dans les religions du monde romain. Huit exposés suivis de discussions, VandœuvresGenève 2007 (Entretiens sur l’Antiquité classique 53), p. 189-222.
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Théon de Smyrne et les mystères éleusiniens dont témoignent par exemple la Seconde Sophistique30, les textes scientifiques31, ainsi que la littérature chrétienne de l’époque32, sous l’influence, en bonne partie, des textes platoniciens, devenus un patrimoine commun des pepaideumenoi de l’Empire. À cette inflation de la phraséologie mystérique a pu également contribuer un certain éleusinisme attesté à Rome à partir de la période julio-claudienne, qui culmine à l’époque d’Hadrien, lorsque le sanctuaire d’Éleusis connaît 30. Voir C. Riedweg, « Die Mysterien von Eleusis in rhetorisch geprägten Texten des 2./3. Jahrhunderts nach Christus », Illinois Classical Studies 13.1 (1988), p. 1-7 ; A. Humbel, Ailios Aristeides, Klage über Eleusis (Oratio 22), Lesetext, Übersetzung und Kommentar, Vienne 1994, p. 147-189 ; R. Kirchner, « Die Mysterien der Rhetorik. Zur Mysterienmetapher in rhetoriktheoretischen Texten », Rheinisches Museum für Philologie, N.F. 148.2 (2005), p. 165-180. 31. La terminologie mystérique est par exemple très présente chez Galien (voir A. Humbel, Ailios Aristeides, p. 180-183, et la contribution d’A. Pietrobelli dans ce volume, p. 201-216), ainsi que dans les textes astrologiques ; voir F. Cumont, L’Égypte des astrologues, Bruxelles 1937, p. 154 ; T. S. Barton, Ancient Astrology, Londres – New York 1994, p. 59 et 136-137. Selon Vettius Valens, astrologue grec du iie siècle, l’étude de l’astrologie revêt, effectivement, le caractère d’une initiation mystérique requérant la κάθαρσις des débutants et la préservation du secret ; voir récemment A. Pérez-Jiménez, « Una apropiación oportuna : textos astrológicos griegos y vocabulario de los cultos mistéricos y místicos », dans E. Calderón Dorda, S. Perea Yébenes (éd.), Estudios sobre el vocabulario religioso griego, Madrid – Salamanca 2016, p. 131-158. Je remercie Florian Audureau d’avoir attiré mon attention sur cet article et sur cet aspect de l’œuvre de Vettius Valens qui mériterait, sans aucun doute, une recherche plus approfondie. 32. En particulier chez Clément d’Alexandrie ; voir par exemple Protreptique XII, 118-123 ; Stromates I, 28, 176-177 ; V, 11, 70, 7-71, 2 ; cf. C. Riedweg, Mysterienterminologie, p. 116-158 ; Th. Lechner, « Rhetorik und Ritual. Platonische Mysterienanalogien im Protreptikos des Clemens von Alexandrien », dans F. R. Prostmeier (éd.), Frühchristentum und Kultur, Fribourg 2007, p. 183-222. En général sur l’usage du vocabulaire mystérique par les Pères de l’Église, voir J. Daniélou, Platonisme et théologie mystique. Essai sur la doctrine spirituelle de saint Grégoire de Nysse, Paris 1944, p. 189-200 ; J. D. B. Hamilton, « The Church and the Language of Mystery. The First Four Centuries », Ephemerides Theologicae Lovanienses 53.4 (1977), p. 479-494 ; G. Sfameni Gasparro, « La terminologia misterica nel linguaggio della rivelazione in Origene », dans C. Moreschini, G. Menestrina (éd.), Lingua e teologia nel cristianesimo greco, Atti del convegno tenuto a Trento l’11-12 dicembre 1997, Brescia 1999, p. 125-181 ; F. Massa, « La notion de “mystères” au iie siècle de notre ère : regards païens et Christian turn », Mètis N.S. 14 (2016), p. 109-132 ; Id., « Les “mystères” chez Eusèbe de Césarée : entre débat philosophique et polémique religieuse », dans A. Le Boulluec, L. G. Soares Santoprete, A. Timotin (éd.), Exégèse, révélation et formation des dogmes dans l’Antiquité tardive, Paris 2020 (Études Augustiniennes, Série Antiquité 208), p. 173-195.
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Andrei Timotin une nouvelle époque de gloire et de prospérité33. Ce grand philhellène, fondateur du Panhellénion, est responsable d’un certain nombre de nouveaux édifices à Éleusis (dont notamment un pont et deux arches, copies de l’arche d’Hadrien à Athènes) ; selon un biographe impérial du ive siècle, il avait promu à Rome un culte semblable au culte éleusinien, ce qui a pu attirer les réactions de son ami Épictète sur l’inimitabilité des mystères34. Sous son règne, Éleusis devient véritablement un centre du monde hellène et cette position ne s’affaiblira pas avant le pillage du sanctuaire par les Costoboques en 170 ou 171. En même temps, au iie siècle, l’analogie entre philosophie et mystères se développe et se précise dans un contexte social et intellectuel précis, en relation avec l’organisation d’un programme d’études platonicien, qui prend son point d’appui sur le parcours pédagogique ébauché par Platon dans le livre VII de la République (521c-540c). Or ce parcours était décrit par Platon à l’aide de deux métaphores : la conversion des prisonniers de la caverne et l’initiation éleusinienne35. L’initiation aux mystères était donc intrinsèquement liée pour les platoniciens à la description du processus d’enseignement philosophique, ce qui explique le développement de cette analogie dans les 33. Cf. P. Foucart, « Les empereurs romains initiés à Éleusis », Revue de philologie, de littérature et d’histoire anciennes 17 (1893), p. 197-207 ; M. Guarducci, « Adriano e i culti misterici della Grecia », Bulletino del Museo dell’Impero Romano 12 (1941), p. 149-158 ; Ch. Picard, « L’éleusinisme à Rome au temps de la dynastie julioclaudienne », Revue des études latines 28 (1950), p. 77-80 ; L. J. Alderink, « The Eleusinian Mysteries in Roman Imperial Times », dans Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, II 18, 2, Berlin – New York 1989, p. 1457-1498 ; K. Clinton, « The Eleusinian Mysteries », p. 1499-1539, en particulier p. 1516-1525 ; Id., « Hadrian’s Contribution to the Renaissance of Eleusis », Bulletin Supplement (University of London. Institute of Classical Studies), vol. 55 [= The Greek Renaissance in the Roman Empire: Papers from the Tenth British Museum Classical Colloquium, éd. S. Walker, A. Cameron], 1989, p. 56-68 ; F. Massa, « Éleusis-Rome aller/retour. Mobilités religieuses autour des mystères éleusiniens à l’époque impériale », B. Amiri (éd.), Migrations et mobilité religieuse. Espaces, contacts, dynamiques et interférences, Besançon 2020, p. 271-293, ainsi que la contribution de Nicole Belayche dans ce volume, en particulier la partie consacrée aux « initiations impériales au iie siècle », p. 32-38. 34. Voir Aurelius Victor, Livre des Césars XIV, 2-4 ; Épictète III, 21, 13-16 ; cf. K. Clinton, « The Eleusinian Mysteries », p. 1522 ; F. Massa, « Éleusis-Rome aller/ retour », p. 282-283 ; J. Pià-Comella dans ce volume p. 261 ss. 35. P. Hadot, « Les divisions des parties de la philosophie dans l’Antiquité », Museum Helveticum 36 (1979), p. 201-223 [repris dans Id., Études de philosophie ancienne, Paris 1998, p. 125-158], en particulier p. 215 [142].
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Théon de Smyrne et les mystères éleusiniens textes illustrant la pensée pédagogique des médio-platoniciens. Théon n’est en effet qu’un maillon d’une série d’auteurs qui s’appliquent de manières différentes à l’utiliser et à la développer. On la retrouve en effet, comme on le verra, sous la plume d’Alcinoos et d’Albinus, l’activité de ce dernier se déroulant, comme celle de Théon, à Smyrne. La comparaison entre la philosophie platonicienne et l’initiation aux mystères établie et développée par les philosophes médioet néoplatoniciens doit, donc, être située, en suivant la perspective ouverte par les travaux de Pierre et Ilsetraut Hadot36, dans une perspective pédagogique, en relation avec un programme précis d’études orienté par l’idée de progrès spirituel. Ce programme, qui débute par l’étude des mathématiques, associée à une purification préliminaire, et s’achève par la dialectique, assimilée à l’ἐποπτεία mystérique37, connaît sa première attestation précisément chez Théon. Le cycle préparatoire, qui consiste dans l’étude des sciences mathématiques, est attesté aussi chez le néopythagoricien Nicomaque de Gérasa, dans son Introduction à l’arithmétique (I, 3, éd. Hoche)38. Il comporte quatre sciences chez Nicomaque (arithmétique, géométrie, musique et astronomie), la stéréométrie étant comprise dans la géométrie, et cinq sciences chez Théon, où, comme chez Platon, la stéréométrie est comptée à part. Chez Nicomaque, comme chez Théon, l’étude des sciences mathématiques est considérée comme une préparation nécessaire à l’étude des réalités intelligibles : Évidemment, c’est à des échelles et à des ponts que ressemblent ces connaissances [i.e. les connaissances mathématiques], qui font passer notre pensée des réalités sensibles et opinables aux réalités intelligibles et épistémoniques, et des réalités qui nous sont habituelles et
36. P. Hadot, « Les divisions », p. 213-221 [139-149] ; I. Hadot, Arts libéraux, p. 73-80. 37. Cette assimilation devient courante à partir de Plutarque (voir Sur Isis et Osiris 382D ; Sur la disparition des oracles 422C ; Propos de table 718C-D). Cf. P. Hadot, « La métaphysique de Porphyre », dans Porphyre. Huit exposés suivis de discussions, Vandœuvres-Genève 1965 (Entretiens sur l’Antiquité classique 12), p. 127-163 [repris dans Id., Plotin, Porphyre. Études néoplatoniciennes, Paris 1999, p. 317-353], ici 127-129 [317-319] ; Id., « Les divisions », p. 219 [147]. 38. Nicomachi Geraseni Pythagorei introductionis arithmeticae libri II, edidit R. Hoche, Leipzig 1866 ; Nicomaque de Gérase, Introduction arithmétique. Introduction, traduction, notes, index par J. Bertier, Paris 1978 (Histoire des doctrines de l’Antiquité classique 2). Cf. I. Hadot, Arts libéraux, p. 71 et 79-80. Sur Nicomaque, voir l’article de B. Centrone, « Nicomaque de Gérasa », dans le Dictionnaire des philosophes antiques, IV, Paris 2005, p. 686-690.
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Andrei Timotin familières dès l’enfance, matérielles et corporelles, à celles dont on n’a pas l’habitude et qui sont d’une autre race que les sensations, plus parentes de nos propres âmes par l’immatérialité et l’éternité, et avant tout de par l’aptitude à l’intellection qui est en elles39. (trad. Janine Bertier)
Nicomaque évoque à ce propos (I, 3, 5-7, éd. Hoche) les mêmes textes que Théon : le livre VII de la République et l’Épinomis. Mais alors que Nicomaque ne traite que de mathématiques, Théon mentionne aussi la philosophie dans ses trois parties conventionnelles : logique, politique (= éthique), physique40. La théologie-dialectique, associée à l’ἐποπτεία mystérique, apparaît comme le couronnement de tout ce qui précède. On retrouve ce système d’enseignement, dans un contexte où les références au culte éleusinien ne sont pas absentes, chez Alcinoos, auteur médio-platonicien dont nous est parvenu un compendium de la philosophie platonicienne, assez caractéristique du platonisme d’école des deux premiers siècles de notre ère41. Dans son exposé de la philosophie platonicienne, Alcinoos n’embrasse pas le point de vue pédagogique de Théon, mais est préoccupé de fournir une division complète des matières42. Comme Théon, Alcinoos associe la philosophie à une τελετή, et définit l’assimilation à Dieu comme un parcours anagogique qui comporte plusieurs étapes dont certaines sont analogues, voire parfois identiques, à celles avancées par Théon : les sciences mathématiques (ici au nombre de quatre, comme chez Nicomaque, et dans un
39. Nicomaque de Gérasa, Introduction à l’arithmétique I, 3, 6, éd. R. Hoche : δῆλον γάρ, ὅτι κλίμαξί τισι καὶ γεφύραις ἔοικε ταῦτα τὰ μαθήματα διαβιβάζοντα τὴν διάνοιαν ἡμῶν ἀπὸ τῶν αἰσθητῶν καὶ δοξαστῶν ἐπὶ τὰ νοητὰ καὶ ἐπιστημονικὰ καὶ ἀπὸ τῶν συντρόφων ἡμῖν καὶ ἐκ βρεφῶν ὄντων συνήθων ὑλικῶν καὶ σωματικῶν ἐπὶ τὰ ἀσυνήθη τε καὶ ἑτερόφυλα πρὸς τὰς αἰσθήσεις, τῇ δὲ ἀυλίᾳ καὶ ἀιδιότητι συγγενέστερα ταῖς ἡμετέραις ψυχαῖς καὶ πολὺ πρότερον τῷ ἐν αὐταῖς νοητικῷ. 40. Sur cette tripartition de la philosophie antique, voir P. Boyancé, « Cicéron et les parties de la philosophie », Revue des études latines 49 (1971), p. 127-154 ; P. Hadot, « Les divisions », p. 201-203 [125-128] ; H. Dörrie, M. Baltes, Der Platonismus in der Antike, t. IV, p. 205-231. 41. Alcinoos, Enseignement des doctrines de Platon. Introduction, texte établi et commenté par J. Whittaker, et traduit par P. Louis, Paris 1990 (CUF). L’éditeur du texte a montré que le Didaskalikos ne peut pas être attribué, comme on le faisait généralement, à Albinus, qui enseignait au iie siècle à Smyrne et qui est l’auteur d’un Prologue à la lecture de Platon dont il sera question un peu plus loin. 42. Sur le rapport entre les deux conceptions, voir I. Hadot, Arts libéraux, p. 73-80.
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Théon de Smyrne et les mystères éleusiniens ordre différent), associées à une purification (προκαθάρσια) de l’âme et à une initiation préliminaire (προτέλεια) ; l’étude de la tradition doctrinale (θεωρημάτων παράδοσις) ; et, dernière étape du parcours, l’assimilation à Dieu (ὁμοίωσις θεῷ). Voici le texte en question : En conséquence de tout cela, Platon proposait comme fin (de la vie humaine) l’assimilation à Dieu dans la mesure du possible. […] Nous parviendrons à devenir semblables à Dieu d’abord si nous possédons une nature qui convient, des mœurs, une éducation, une manière de vivre conforme à la loi, si surtout nous faisons usage de la raison, de l’étude et de la tradition des doctrines, de manière à nous tenir éloignés de la multitude des affaires humaines et d’être toujours tendus vers les intelligibles. L’initiation et la purification préliminaires du démon qui est en nous, s’il doit être initié aux enseignements les plus élevés, doivent s’accomplir grâce à la musique, l’arithmétique, l’astronomie et la géométrie, tandis que nous prendrons soin aussi du corps par la gymnastique qui rendra les corps bien exercés en vue de la guerre et de la paix43. (trad. Pierre Louis)
Ce texte nous permet de dresser un schéma qui présente certaines affinités avec le texte de Théon : προτέλεια καὶ προκαθάρσια (les mathématiques) θεωρημάτων παράδοσις ὁμοίωσις θεῷ
43. Alcinoos, Didaskalikos 28, p. 56, 19-20 et p. 57, 3-14, éd. J. Whittaker : Οἷς πᾶσιν ἀκόλουθον τέλος ἐξέθετο ὁμοίωσιν θεῷ κατὰ τὸ δυνατόν. […] Ἐφικοίμεθα δ’ ἂν τοῦ γενέσθαι ὅμοιοι θεῷ φύσει τε χρησάμενοι τῇ προσηκούσῃ, ἔθεσί τε καὶ ἀγωγῇ καὶ ἀσκήσει τῇ κατὰ νόμον, καὶ τὸ κυριώτατον λόγῳ καὶ διδασκαλίᾳ καὶ θεωρημάτων παραδόσει, ὥστε ἐξίστασθαι μὲν τὰ πολλὰ τῶν ἀνθρωπίνων πραγμάτων, ἀεὶ δὲ εἶναι πρὸς τοῖς νοητοῖς. Προτέλεια δὲ καὶ προκαθάρσια τοῦ ἐν ἡμῖν δαίμονος, εἰ μέλλει τὰ μείζονα μυεῖσθαι μαθήματα, εἴη ἂν τὰ διὰ μουσικῆς καὶ ἀριθμητικῆς τε καὶ ἀστρονομίας καὶ γεωμετρίας, συνεπιμελουμένων ἡμῶν καὶ τοῦ σωμάτος διὰ γυμναστικῆς, ἥτις καὶ πρὸς πόλεμον καὶ πρὸς εἰρήνην εὔθετα τὰ σώματα παρασκευάσει.
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Andrei Timotin L’idée selon laquelle l’étude des cinq sciences mathématiques représente une purification et une initiation préliminaire dans le cadre du programme platonicien d’études, associé à une initiation aux mystères, apparaît, à la lumière des textes de Théon et d’Alcinoos, comme un topos de la pédagogie platonicienne au iie siècle. On trouve une ébauche de cette idée chez Plutarque, dans un passage de ses Propos de table44, où la science mathématique et en premier lieu la géométrie est explicitement envisagée comme une étape préliminaire, avec un rôle purificateur, d’un parcours qui doit mener progressivement à la contemplation de la nature intelligible et éternelle, qui est le τέλος de la philosophie, tout comme l’ἐποπτεία est le τέλος de l’initiation aux mystères : T’imagines-tu, Diogénianos, que cette parole [i.e. la parole selon laquelle « Dieu ne cessait de faire de la géométrie »] recèle des vérités supérieures et absconses, au lieu de signifier simplement ce qu’il [i.e. Platon] a maintes fois dit et écrit, lorsqu’il célébrait dans la géométrie une matière qui nous arrache à la sensation à laquelle nous sommes attachés pour nous tourner vers la nature intelligible et éternelle, dont la contemplation est la fin dernière de la philosophie, comme la vision est celle de l’initiation aux mystères ? 45 (trad. Françoise Frazier, Jean Sirinelli).
La deuxième et la troisième étapes de ce parcours anagogique, associées par Théon respectivement à la παράδοσις et à l’ἐποπτεία, commencent, elles aussi, à s’articuler à cette époque autour des mêmes disciplines. Le schéma fondamental éthique‒physique‒époptique sera en effet le noyau du programme d’études philosophiques de la fin du ier siècle de notre ère jusqu’à la fin de l’Antiquité. En ce qui concerne le contenu concret de ce programme, on sait qu’à partir d’une époque qu’on peut situer au ier siècle de notre ère, l’enseignement philosophique consistait en bonne partie dans la lecture commentée des fondateurs de l’école46. Une première ébauche de ce
44. Plutarque, Œuvres morales, t. IX, 3e partie, Propos de table, livres VII-IX, texte établi et traduit par F. Frazier et J. Sirinelli, Paris 2003 [19961], CUF. 45. Plutarque, Propos de table VIII, 2, 718C-D, éd. F. Frazier et J. Sirinelli : ὦ Διογενιανέ, τῶν περιττῶν τι καὶ δυσθεωρήτων αἰνίττεσθαι τὸν λόγον, οὐχ ὅπερ αὐτὸς εἴρηκε καὶ γέγραφεν πολλάκις, ὑμνῶν γεωμετρίαν ὡς ἀποσπῶσαν ἡμᾶς προσισχομένους τῇ αἰσθήσει καὶ ἀποστρέφουσαν ἐπὶ τὴν νοητὴν καὶ ἀίδιον φύσιν, ἧς θέα τέλος ἐστὶ φιλοσοφίας οἷον ἐποπτεία τελετῆς. 46. Voir P. Hadot, « Les divisions », p. 220 [148].
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Théon de Smyrne et les mystères éleusiniens programme d’études, structuré par un certain ordre de lecture des dialogues de Platon, se trouve chez Albinus, dans son Εἰσαγωγὴ εἰς τοὺς Πλάτωνος διαλόγους47. Il est remarquable dans ce contexte que le programme de lecture des dialogues platoniciens proposé par Albinus comporte, comme chez Théon, cinq étapes, à chacune d’entre elles correspondant une classe spéciale de dialogues48. Les deux programmes débutent par une purification de l’âme et chacun d’entre eux comporte une étape réservée à l’acquisition des doctrines platoniciennes censée conduire à la ressemblance à Dieu. Voici le texte d’Albinus : Il faut d’abord purifier les fausses opinions de l’imagination, car les médecins ne s’imaginent pas que le corps puisse profiter de la nourriture avant qu’on ne l’ait purgé de ce qui fait obstacle en lui. Après cette purification, il faut éveiller et exciter les pensées naturelles et aussi les purifier et les rendre distinctes comme principes. Ensuite, une fois l’âme ainsi préparée, il faut introduire en elle ses dogmes propres selon lesquels elle sera parfaite : ce sont les dogmes physiques, théologiques, éthiques et politiques. Afin que les dogmes demeurent sans faute dans l’âme, il faudra les lier par la considération de la cause afin d’atteindre sûrement le but fixé. Ensuite, il faut s’assurer la sécurité contre la tromperie, de peur que, séduits par quelque sophiste, nous ne tournions nos dispositions au mal49. (trad. René Le Corre)
47. Éd. K. F. Hermann, Platonis dialogi secundum Thrasylli tetralogias dispositi, VI, Leipzig 1873, p. 147-151 ; traduction française par R. Le Corre, « Le Prologue d’Albinus », Revue philosophique de la France et de l’étranger 146 (1956), p. 28-38. Sur Albinus, voir l’article de J. Whittaker, « Albinos », dans Dictionnaire des philosophes antiques, I, Paris 1989, p. 96-97. 48. Sur ce programme et le rapport entre Théon et Albinus, voir H. Tarrant, Thrasyllan Platonism, Ithaca (NY) 1993, p. 98-103, selon lequel la source commune de Théon et d’Albinus serait Thrasylle, le philosophe de cour de Tibère. Cette hypothèse est suggestive, mais le programme de lecture des dialogues platoniciens établi par Albinus ne s’accorde pas avec les tétralogies attribuées à Thrasylle. 49. Albinus, Introduction à l’œuvre de Platon 6, 5-18, éd. K. F. Hermann : δεῖ πρῶτον μὲν ἐκκαθᾶραι τὰς ψευδεῖς δόξας τῶν ὑπολήψεων. οὐδὲ γὰρ οἱ ἰατροὶ νενομίκασι, πρότερον τῆς προσφερομένης τροφῆς ἀπολαῦσαι τὸ σῶμα δύνασθαι, εἰ μὴ τὰ ἐμποδίζοντα ἐν τούτῳ τις ἐκβάλλει. μετὰ δὲ τὸ ἐκκαθᾶραι ἐπεγείρειν καὶ προκαλεῖσθαι δεῖ τὰς φυσικὰς ἐννοίας, καὶ ταύτας ἐκκαθαίρειν καὶ εὐκρινεῖς ἀποφαίνειν ὡς ἀρχάς. ἐπὶ τούτοις ὡς προκατεσκευασμένης τῆς ψυχῆς δεῖ αὐτῇ τὰ οἰκεῖα ἐμποιεῖν δόγματα, καθ’ ἃ τελειοῦται, ταῦτα δέ ἐστι φυσικὰ καὶ θεολογικὰ καὶ τὰ ἠθικὰ καὶ πολιτικά. ἵνα δὲ τὰ δόγματα μένῃ ἐν τῇ ψυχῇ ἀναπόδραστα, δεήσει αὐτὰ δεθῆναι τῷ τῆς αἰτίας λογισμῷ, ἵνα τις βεβαίως ἔχηται τοῦ προκειμένου σκοποῦ. ἐπὶ τούτοις δεῖ πεπορίσθαι
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Andrei Timotin Ce passage nous permet de remarquer que le programme d’Albinus correspond, comme chez Théon, à une progression inspirée par la République de Platon ; dans le livre VII de la République la présentation des sciences aptes à former le philosophe (521c-531c) est suivie en effet par la dialectique, le couronnement des sciences (532b535a), ensuite par la manière de choisir les futurs philosophes, en faisant attention à la fermeté de leurs opinions (535a-536d), pour finir avec la mise en garde contre les dangers de la dialectique mal pratiquée (par les sophistes) (537e-539d) ; ce qui correspond de manière rigoureuse aux deux dernières étapes du programme d’Albinus, lequel peut être représenté selon le schéma suivant : ἐκκαθαίρειν (purification des fausses opinions) = lecture des dialogues peirastiques ἐκκαθαίρειν (purification des pensées naturelles) = lecture des dialogues maïeutiques acquisition des δόγματα (physiques, théologiques, éthiques et politiques) conduisant à l’ὁμοίωσις θεῷ = lecture des dialogues hyphégétiques fixation des δόγματα [cf. Rép. 535a-536d] = lecture des dialogues logiques sécurisation des δόγματα contre la sophistique [cf. Rép. 537e-539d] = lecture des dialogues zététiques
On peut ainsi remarquer chez Albinus, comme chez Théon, une certaine préoccupation à faire coïncider le parcours pédagogique ébauché dans le livre VII de la République avec un programme complet d’enseignement platonicien. Chez Albinus, ce programme est structuré à partir d’un ordre de lecture des dialogues qui fait défaut chez Théon, absence qui peut s’expliquer par la nature particulière de son ouvrage. En même temps, la comparaison explicite du parcours pédagogique platonicien avec l’initiation éleusinienne ne se retrouve pas chez Albinus, bien que sa structure générale, analogue à celle fournie par
τὸ ἀπαραλόγιστον, ἵνα μὴ ὑπό τινος σοφιστοῦ παρενεχθέντες τρέψωμεν ἐπὶ τὰ χείρω τὴν ἑαυτῶν ἕξιν.
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Théon de Smyrne et les mystères éleusiniens Théon, puisse être décelée dans l’arrière-plan de son programme : à la purification initiale succède l’acquisition des δόγματα conduisant à l’ὁμοίωσις θεῷ ; en particulier les δόγματα théologiques auxquels correspondent les dialogues théologiques : le Banquet, le Phèdre et le Parménide. Dans les deux premiers dialogues on trouve les passages où Platon développe l’analogie entre l’époptie mystérique et la contemplation des Formes intelligibles. Sur la base de cette lecture croisée des passages du Banquet et du Phèdre interprétés à la lumière du livre VII de la République, on a pu définir un parcours pédagogique platonicien, fondé sur un programme de lecture des dialogues, permettant une analogie systématique avec l’initiation éleusinienne. On peut alors voir dans le schéma de Théon une version simplifiée de ce parcours, dont la hiérarchie des dialogues – inutile pour son objectif, lequel correspond à la première étape, préparatoire, du parcours – est absente. En même temps, Théon prête plus d’importance qu’Albinus à l’analogie du parcours pédagogique platonicien avec le rite éleusinien qu’il envisage sous la forme d’une correspondance systématique entre leurs degrés respectifs. Que les deux auteurs puissent être associés à l’école platonicienne de la ville de Smyrne ne relève peut-être pas du hasard. Dans la même ville s’installe aussi, à partir de 145, Ælius Aristide50, dont l’œuvre témoigne d’un intérêt tout particulier pour le culte éleusinien, qui contraste avec les références stéréotypées aux mystères qu’on retrouve, en général, chez les auteurs de la Seconde Sophistique51. Cet intérêt surgit non seulement de son discours consacré au sanctuaire d’Éleusis52, dont il déplore la destruction par les tribus venues du nord, mais aussi d’autres discours, comme le Panathénaïque. La cité d’Athènes, en tant que patronne des mystères éleusiniens, y est évoquée en effet comme mystagogue et purificateur de l’humanité
50. Voir C. Franco, Elio Aristide e Smirne, p. 345-584. 51. Voir C. Riedweg, « Die Mysterien von Eleusis » ; A. Humbel, Aelius Aristeides, p. 19-37 et 147-189. 52. Ælius Aristide, Discours XXII (Ἐλευσίνιος). Sur ce discours, voir A. Humbel, Aelius Aristeides ; C. Franco, « Le Discours pour Éleusis d’Ælius Aristide (or. 22) : entre histoire et rhétorique », dans L. Pernot, G. Abbamonte, M. Lamagna (éd.), Ælius Aristide écrivain, Turnhout 2016 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses 19), p. 147-165.
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Andrei Timotin et comme « guide de la παιδεία et de toute la σοφία »53, expression qui nous rappelle qu’Aristide est aussi le concitoyen d’Albinus et de Théon.
53. Ælius Aristide, Discours I (Παναθηναϊκός), 330, p. 276, éd. M. Trapp (Aelius Aristides, Orations, vol. I, edited and translated by M. Trapp, Harvard 2017 [Loeb Classical Library 533]) : πρότερον μὲν οὖν τοὺς καταφεύγοντας ἐφ’ ὑμᾶς τῶν Ἑλλήνων διεσώζετε, νυνὶ δ’ ἀτεχνῶς πάντας ἀνθρώπους καὶ πάντα γένη τῇ καλλίστῃ τῶν εὐεργεσιῶν ἀνέχετε, ἡγεμόνες παιδείας καὶ σοφίας ἁπάσης γιγνόμενοι καὶ πάντας ἁπανταχοῦ καθαίροντες. τῇ μὲν γὰρ τῶν Ἐλευσινίων τελετῇ τοῖς εἰσαφικνουμένοις ἐξηγηταὶ τῶν ἱερῶν καὶ μυσταγωγοὶ κέκλησθε, διὰ παντὸς δὲ τοῦ χρόνου πᾶσιν ἀνθρώποις τῶν εἰς τὸ μέσον εἰσφορῶν ἱερῶν ἐξηγηταὶ καὶ διδάσκαλοι καθεστήκατε. « Jadis vous [i.e. les Athéniens] avez sauvé ceux des Hellènes qui ont trouvé refuge chez vous ; maintenant, c’est tout simplement la race humaine tout entière et tous les peuples que vous soutenez par le meilleur des bienfaits, car en tant que guides de la culture et de toutes les formes de sagesse, vous purifiez tous les hommes partout dans le monde. Vous êtes appelés des interprètes des rites sacrés et des mystagogues de ceux venus s’initier aux mystères d’Éleusis, mais pour tout le monde et depuis toujours vous avez été instaurés comme des maîtres et des interprètes de ces rites sacrés que vous avez apportés au bénéfice de tous » (traduction personnelle). Sur l’hellénocentrisme des discours d’Ælius Aristide, voir J. Goeken, Ælius Aristide et la rhétorique de l’hymne en prose, Turnhout 2012 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses 15), p. 216-230. Il y avait une tradition, dont Ælius Aristide fait état, selon laquelle Smyrne avait été fondée par Thésée, le roi mythique d’Athènes (cf. Aelius Aristides, Orations, I, p. 277, n. 235) ; cette tradition ne pouvait que légitimer l’appropriation de l’hellénisme athénien et, en particulier, de l’héritage éleusinien par les intellectuels installés à Smyrne au iie siècle, Ælius Aristide tout d’abord, mais aussi les platoniciens Albinus et Théon.
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LES MYSTÈRES DANS LES HYMNES ORPHIQUES : CONTINUITÉ OU RUPTURE ? Anne-France Morand Université Laval (Québec, Canada)
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arce qu’ils mentionnent des mystères et se réclament d’Orphée, mais que les références explicites à une vie future des âmes initiées sont étonnamment absentes des demandes adressées aux dieux, les Hymnes orphiques constituent un champ d’exploration privilégié du « tournant mystérique »1. Ces demandes, une des parties constitutives de ces textes, seraient pourtant l’endroit où l’on pourrait s’attendre à trouver des allusions à un heureux avenir dans l’au-delà. À propos des Hymnes orphiques, Francis Vian affirmait :
La confrérie dont le poète se fait le porte-parole ne s’intéresse ni à la mort ni à l’outre-tombe, comme l’observe justement Paul Veyne : « rien dans nos Hymnes n’évoque l’au-delà, une immortalité de l’âme,
1. J’aimerais remercier les organisateurs de ce colloque, N. Belayche, F. Massa et Ph. Hoffmann. Ma reconnaissance va aussi à M. Voyer, F. Brenk, G. Agosti, J.-M. Roessli, P. Torracinta et Th. Petit qui ont aimablement répondu à mes questions et relu mon texte. Sur le « tournant mystérique », voir N. Belayche et F. Massa, « Quelques balises introductives. Lexique et historiographie », Mètis N.S. 14 (2016), p. 7-19 ; J. N. Bremmer, Initiation into the Mysteries of the Ancient World, Berlin – Boston 2014. Sur la question de l’orphisme à l’époque impériale, voir L. Brisson, « Orphée et l’Orphisme à l’époque impériale. Témoignages et interprétations philosophiques, de Plutarque à Jamblique », Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II 31,1 (1990), p. 2867-2931 (repris dans Orphée et l’orphisme dans l’Antiquité gréco-romaine, Aldershot 1995, IV) et A. Bernabé, « The Gods in Later Orphism », dans J. N. Bremmer et A. Erskine (éd.), The Gods of Ancient Greece. Identities and Transformations, Édimbourg 2010, p. 422441. A.-F. Morand, Études sur les Hymnes orphiques (Religions in the Graeco-Roman World 143), Leyde – Boston – Cologne 2001, p. 212-216. 10.1484/M.BEHE-EB.5.125928
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Anne-France Morand une inquiétude pour ce qu’il advient de nous après la mort : à les lire, la mort est un sommeil éternel et le mieux qu’elle puisse faire est de venir le plus tard possible et de nous laisser une heureuse vieillesse. Les seuls soucis de ces hymnes portent sur ce monde-ci… »2.
Veyne ajoute : « sur la réalité la plus crue ; ce que nos initiés demandent aux dieux, ce sont les bienfaits les plus matériels »3. Cet article se propose de questionner ces affirmations. Après quelques considérations sur certaines particularités des Hymnes, notamment leur caractère allusif et leur fonction, nous tenterons de saisir la cohérence des références aux mystères dans ce corpus. Ces derniers seront surtout envisagés en lien avec Dionysos et Perséphone. Ces écrits seront ensuite mis en parallèle avec des textes littéraires et avec les lamelles d’or orphiques. L’objectif est de rendre compte de la signification du vocabulaire des mystères, puis de déterminer si une promesse relative à l’au-delà y est présente. Présentation des Hymnes orphiques Transmis dans des manuscrits relativement tardifs, les Hymnes orphiques sont un des rares textes cohérents et complets placés sous le nom d’Orphée4. Ils proviennent d’Asie Mineure, peut-être de Pergame, et sont généralement datés du iie ou du iiie siècle après J.-C.5. Deux théories à propos des Hymnes orphiques ont été démenties par les découvertes papyrologiques et épigraphiques : la première envisageait ces textes comme un exercice purement littéraire6 ; et la seconde que ces œuvres n’avaient « d’orphique que le nom »7. S’ils mettent en
2. F. Vian, « Notes critiques et exégétiques aux Hymnes orphiques », Revue des études anciennes 106 (2004), p. 137. 3. Toute la citation de Veyne se trouve dans P. Veyne et P. Charvet, La prière. Les hymnes d’Orphée, Paris 1995, p. 12-13. 4. Les manuscrits les plus anciens datent du xve siècle. W. quandt, Orphei hymni, Berlin 1955 [19411], p. 33*. 5. M. L. West, The Orphic Poems, Oxford 1983, p. 28-29. 6. C. A. Lobeck, Aglaophamus, Königsberg 1829. Critiqué par A. Dieterich, De hymnis orphicis, Marburg 1891, dans R. Wünsch (éd.), Albrecht Dieterich. Kleine Schriften, Leipzig 1911, p. 78-86 ; A.-F. Morand, Études sur les Hymnes orphiques, p. 36 ; F. Graf, « Serious singing: the Orphic Hymns as Religious Texts », Kernos 22 (2009), p. 169-170. 7. H. D. Saffrey, Proclus, Hymnes et prières, Paris 1994, p. 6 ; J. Harrison, Prolegomena to the Study of Greek Religion, Cambridge 1922 [19031], p. 625 ; sur le caractère orphique
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Les mystères dans les Hymnes orphiques relation croyances, rituels, mystères et une hiérarchie religieuse, ces écrits placés sous le nom d’Orphée sont toutefois plus allusifs que narratifs. Des zones d’ombre demeurent, en particulier lorsque la version du mythe proposée par les Hymnes est sans parallèle. En outre, les savants ne s’accordent ni sur la signification de l’orphisme à cette époque, ni sur celle du contenu des mystères. Après un prologue et un hymne dédié à Hécate (hymne 1), le corpus d’hymnes suit deux logiques, un ordre allant de la naissance, avec l’hymne 2 à (Artémis) Prothyraia, à la Mort dans l’hymne 87, et un ordre qui débute avec les divinités primordiales, selon la logique cosmogonique8. L’ensemble est d’un style plutôt uniforme, ce qui suggère un rédacteur unique ou du moins une unité de pensée du groupe9. Les chants sont relativement courts ce qui caractérise les hymnes orphiques selon Pausanias10. Le dieu qui est au cœur de la collection est Dionysos, préfiguré par Protogonos (hymne 6). La triple naissance de cette divinité, destinataire de huit textes complets, est mise en lien avec les mystères du groupe.
de ces textes, J. Rudhardt, « Quelques réflexions sur les hymnes orphiques », dans Ph. Borgeaud (éd.), Orphisme et Orphée, en l’honneur de Jean Rudhardt, Genève 1991 (Recherches et Rencontres 3), p. 263 ; G. Ricciardelli, Inni orfici, Milan 2012 [20001], p. xiv-xxvii ; A.-F. Morand, Études sur les Hymnes orphiques, p. 153-199. 8. Sur les liens étroits entre le prologue et le texte, voir G. Ricciardelli, « Inni orfici: il proemio e la silloge », Bolletino dei Classici 16 (1995), p. 63-68 ; A.-F. Morand, « The narrative techniques of the Orphic Hymns », dans A. Faulkner et O. Hodkinson (éd.), Hymnic Narrative and the Narratology of Greek Hymns, Leyde – Boston 2015, p. 209223. Contra O. Kern, « Das Prooimion des orphischen Hymnenbuches », Hermes 75 (1940), p. 25 ; M. L. West, « Notes on the Orphic Hymns », Classical Quarterly 62 (1968), p. 288. Sur l’ordre des hymnes, voir C. Petersen, « Über den Ursprung der unter Orpheus Name vorhandenen Hymnen », Philologus 27 (1868), p. 387 et suiv. ; A.-F. Morand, « The narrative techniques of the Orphic Hymns », p. 211-214. 9. M. L. West, The Orphic Poems, p. 28, souligne l’unité du style et considère que la collection a probablement été composée par un seul auteur ; G. Ricciardelli, Inni orfici, p. xxxi, pense également que le style est uniforme, mais ajoute que les hymnes 59, 55 et 38 diffèrent quelque peu. J. Rudhardt, Opera inedita. Essai sur la religion grecque. Recherches sur les Hymnes orphiques (Kernos Suppl. 19), Liège 2008, p. 174, considère que le style est homogène, mais il a des doutes sur la question de l’attribution de la collection à un seul auteur ; le prologue et quelques hymnes le font hésiter. Lors de ma soutenance de thèse, Peter Parsons avait fait observer que l’hymne à Apollon 34 différait des autres. Il me semble cependant que, de manière générale, les similitudes l’emportent sur les différences. 10. Pausanias IX, 30, 12 : « Les hymnes sont très courts et ils ne sont pas très nombreux, comme le sait toute personne qui s’est occupée de ces poèmes. »
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Anne-France Morand Le caractère allusif des Hymnes : l’exemple de l’hymne à Perséphone La lecture d’un hymne dédié à Perséphone, une autre déesse centrale des Hymnes, fait ressortir le caractère paratactique et allusif du corpus. Comme l’écrivait Jean Rudhardt, « la parataxe des épithètes et des appositions peut dissimuler une sorte de syntaxe. Les mots juxtaposés peuvent entretenir les uns avec les autres des rapports subtils que n’indique clairement aucun signe grammatical, comme font entre eux les éléments d’un mot composé »11. Il est ainsi possible de reconstruire certains liens qui sont établis par des jeux de sonorités, des étymologies, des rapprochements de mots au fil de la succession des épithètes et des noms. Les césures dans le mètre et les renvois entre les différents hymnes fournissent des indices supplémentaires. Ces réseaux d’allusions sont un élément essentiel pour saisir les mystères en arrière-fond de ces textes. 29 Ὕμνος Περσεφόνης Φερσεφόνη, θύγατερ μεγάλου Διός, ἐλθέ μάκαιρα, μουνογένεια θεά, κεχαρισμένα δ’ ἱερὰ δέξαι, Πλούτωνος πολύτιμε δάμαρ, κεδνή, βιοδῶτι· ἣ κατέχεις Ἀίδαο πύλας ὑπὸ κεύθεα γαίης, Πραξιδίκη, ἐρατοπλόκαμε, Δηοῦς θάλος ἁγνόν. Εὐμενίδων γενέτειρα, ὑποχθονίων βασίλεια, ἣν Ζεὺς ἀρρήτοισι γοναῖς τεκνώσατο κούρην, μῆτερ ἐριβρεμέτου πολυμόρφου Εὐβουλῆος, Ὡρῶν συμπαίκτειρα, φαεσφόρε, ἀγλαόμορφε, σεμνή, παντοκράτειρα, κόρη καρποῖσι βρύουσα, εὐφεγγής, κερόεσσα, μόνη θνητοῖσι ποθεινή, εἰαρινή, λειμωνιάσιν χαίρουσα πνοῇσιν, ἱερὸν ἐκφαίνουσα δέμας βλαστοῖς χλοοκάρποις, ἁρπαγιμαῖα λέχη μετοπωρινὰ νυμφευθεῖσα, ζωή καὶ θάνατος μούνη θνητοῖς πολυμόχθοις, Φερσεφόνη· φέρβεις γὰρ ἀεὶ καὶ πάντα φονεύεις. κλῦθι, μάκαιρα θεά, καρποὺς δ’ ἀνάπεμπ’ ἀπὸ γαίης Εἰρήνῃ θάλλουσα καὶ ἠπιοχείρῳ Ὑγείᾳ καὶ βίῳ εὐόλβῳ λιπαρὸν γῆρας κατάγοντι πρὸς σὸν χῶρον, ἄνασσα, καὶ εὐδύνατον Πλούτωνα.
11. J. Rudhardt, Opera inedita, p. 248.
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Les mystères dans les Hymnes orphiques 29 Hymne à Perséphone. Pherséphone, fille du grand Zeus, viens bienheureuse Déesse et unique enfant, reçois ces offrandes agréables. Épouse révérée de Pluton, dévouée, source de vie Toi qui tiens les portes de l’Hadès dans les profondeurs de la terre, Praxidiké, aux jolies boucles, pur rejeton de Déo, Mère des Euménides, reine du monde souterrain Jeune femme engendrée par Zeus dans une union indicible, Mère du retentissant Eubouleus aux nombreuses formes, Compagne de jeu des Heures, porte-lumière aux belles formes, Vénérable, toute-puissante, jeune fille aux fruits luxuriants, Éclatante, cornue, seule regrettée par les mortels, Printanière, toi qui aimes les souffles des prairies, Toi qui révèles ton corps sacré par des pousses aux fruits verdoyants, Enlevée, mariée dans des couches automnales, Toi seule es vie et mort pour les mortels aux nombreuses peines, Pherséphone : car sans cesse tu nourris et tues toutes choses Écoute, déesse bienheureuse, fais pousser les fruits de la terre Toi par qui fleurissent la Paix, la Santé à la main apaisante et la vie prospère amenant une douce vieillesse Dans ton séjour, reine, et auprès du puissant Pluton12.
L’hymne à Perséphone, cette déesse étroitement associée aux saisons et à la nature, explicite son nom : Phersé(Φερσε)-phone(φόνη), elle qui nourrit (φέρ-) et tue (φόν-) [v. 16], elle qui est de surcroît à la fois « vie et mort » [v. 15]. Le texte tisse également des liens avec d’autres hymnes en particulier avec celui qui est adressé à Déméter éleusinienne (40) : le μουνογενής, πολύτεκνε θεά, « toi qui n’as été mère qu’une fois, déesse aux nombreux enfants » (40, 16), fait écho au μουνογένεια θεά, du vers 2. L’hymne dédié à Perséphone, avec les mots Πλούτωνος πολύτιμε (29, 3) et le nom final Πλούτωνα (29, 20), fait implicitement référence à la richesse, tout comme, dans l’hymne à Déméter éleusinienne, les expressions πλουτοδότειρα θεά, « déesse donneuse de richesse » (40, 3), Πλοῦτον πολύολβον, « Richesse florissante » (40, 20), annoncés par allitération avec πολύτεκνε… πολυπότνια (40, 16), πολυάνθεμοι (40, 17), évoquent le nom de Pluton. Ce dernier est d’ailleurs qualifié de « dispensateur de richesses » dans l’hymne qui lui est
12. Les Hymnes orphiques sont cités dans l’édition de G. Ricciardelli et les traductions sont d’Hervé Genoud et de moi-même.
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Anne-France Morand consacré, Πλούτων, πλουτοδοτῶν, placé de manière anaphorique, au début des vers 4 et 513. Les Hymnes orphiques comportent ainsi un riche réseau d’allusions entre les différents textes. Pour ce qui est de Perséphone, son enlèvement automnal perpétré par Pluton est plus développé dans l’hymne 18 : ἁγνοπόλου Δημήτερος ὅς ποτε παῖδα νυμφεύσας λειμῶνος ἀποσπάδα καὶ διὰ πόντου τετρώροις ἵπποισιν ὑπ’ Ἀτθίδος ἤγαγες ἄντρον δήμου Ἐλευσῖνος, τόθι περ πύλαι εἴσ’ Ἀίδαο. Toi qui, un jour, ayant épousé la fille de la pure Déméter, L’arrachas d’une prairie et à travers la mer L’emmenas sur un quadrige sous l’Attique, dans une grotte Du dème d’Éleusis, là où sont les portes de l’Hadès14.
Cette version du mythe est plus proche de celle d’un papyrus orphique de Berlin du iie siècle av. J.-C. que du récit de l’Hymne homérique à Déméter ; dans la version orphique qui implique une quête de Déméter jusque dans les Enfers, l’enlèvement est localisé dans le temps et l’espace15. Un autre mythe orphique évoqué dans l’hymne à Perséphone révèle, notamment par la répétition des termes, l’importance considérable qu’y prend le caractère secret et indicible du mythe : cette déesse est reine du monde souterrain, une jeune femme née d’une union indicible et mère d’Eubouleus, retentissant et aux nombreuses formes. Eubouleus, de bon conseil (Εὐβουλεῦ, πολύβουλε 30, 6), naquit lui aussi d’une union indicible (ἀρρήτοις λέκτροισι 30,7), celle de Zeus et de Perséphone. Ce Dionysos ἄρρητος (30, 6) qui est nocturne (νυκτέρι᾽ Εὐβουλεῦ 52, 4) est aussi mystère indicible, trois fois né (52, 5), chthonien, qui dort auprès de Perséphone durant le temps triétérique (53, 1-4)16. Eubouleus,
13. Le même rapprochement se trouve dans Platon, Cratyle 403a. 14. Hymnes orphiques 18,12-15. 15. Voir aussi Hymnes orphiques 41, 3-8, hymne à Mère Antaia qui est une autre Déméter, et le P. Berol. 44, A. Bernabé, Poetae Epici Graeci. Testimonia et Fragmenta, Munich – Leipzig – Berlin – New York 2004-2007 (= OF Bernabé), fr. 383 et 386397 ; et A. I. Jiménez San Cristóbal, « The rape of Persephone in a Berlin Papyrus », Les Études Classiques 83 (2015), p. 237-260. 16. Sur ce Dionysos infernal, voir J.-M. Moret, « Les départs des Enfers dans l’imagerie apulienne », Revue archéologique (1993), p. 293-351 ; S. I. Johnston et T. McNiven, « Dionysos and the Underworld in Toledo », Museum Helveticum 53 (1996), p. 25-36. Sur la période triétérique en lien avec Dionysos, voir dans les Hymnes orphiques 30, 5,
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Les mystères dans les Hymnes orphiques qui séjourne dans les Enfers, est lui aussi mis en lien avec les mythes des trois naissances du dieu17, le temps triétérique, l’union indicible de Zeus et de Perséphone, ainsi qu’avec les mystères du groupe. De manière générale, l’hymne, contrairement à la description amusante composée par Martin West – « We get a picture of cheerful and inexpensive dabbling in religion by a literary-minded burgher and his friends »18 –, a des résonances plutôt sinistres, comme l’a bien montré Fritz Graf19. Le choix du nom Pherséphone, qui se rapproche de Pheréphatta, a une nuance terrifiante, comme le confirme le Cratyle de Platon : « Φερρέφαττα » δέ· πολλοὶ μὲν καὶ τοῦτο φοβοῦνται τὸ ὄνομα […] καὶ γὰρ μεταβάλλοντες σκοποῦνται τὴν « Φερσεφόνην », καὶ δεινὸν αὐτοῖς φαίνεται. Pherréphatta : beaucoup en redoutent le nom […] Car en le changeant, ils considèrent la forme “Pherséphone” qui leur semble terrible20.
La demande de l’hymne qui requiert de faire pousser les fruits de la terre, d’apporter paix et santé et surtout une douce vieillesse (29,
à Dionysos ; 44, 7 à Sémélé ; 53, 1-5 à Amphiétès ; 54, 3-4 à Silène ; Euripide, Bacchantes 133 ; J. Roux, Euripide, Les Bacchantes, Paris 1970-1972, p. 289 (pour les références dans les inscriptions) ; chez Plutarque, Propos de table IV, 6, 671D, sur des preuves qui ne peuvent être révélées qu’à ceux qui ont été initiés aux mystères triétériques, εἰς τὴν τριετηρικὴν παντέλειαν. Diodore, Bibliothèque historique IV, 3, 2 (sur les sacrifices triétérides pour Dionysos, τὰς τριετηρίδας θυσίας Διονύσῳ). Sur le réveil de Dionysos, voir 53, 1-5, à Amphiétès ; Plutarque, Isis et Osiris 364F-365A (sons des trompettes et réveil de Dionysos Liknitès par les Thyades) ; sur un orgue hydraulique utilisé à Rhodes pour réveiller le Dionysos, S. Saridakis, F. Hiller von Gaertingen, Jahreshefte des Österreichischen Archäologischen Institutes in Wien ; discuté par J.-M. Moret, « Les départs des Enfers dans l’imagerie apulienne », p. 302. OF Bernabé, fr. 350. S. Lebreton, « Les épiclèses dans les Hymnes orphiques : l’exemple de Dionysos » dans R. Bouchon, P. Brillet-Dubois et N. Le Meur-Weissman (éd.), Hymnes de la Grèce antique : approches littéraires et historiques, Lyon 2013, p. 201-218. 17. Sur Dionysos Eubouleus, voir les lamelles orphiques, F. Graf et S. I. Johnston, Ritual Texts for the Afterlife, Londres 2013 [20071], no 5, 2 (= OF Bernabé, fr. 488) ; 6, 2 (= OF Bernabé, fr. 490) ; 7, 2 (= OF Bernabé, fr. 489) ; 9, 2 (= OF Bernabé, fr. 491) ; P. Gurob I, 18 (= OF Bernabé, fr. 578) ; Plutarque, Propos de table 7, 9 (714C) ; A.-F. Jaccottet, Choisir Dionysos, Kilchberg (Zurich) 2003, II, no 161, p. 267268 ; Macrobe, Saturnales I, 18, 12. G. Ricciardelli, Inni orfici, p. 354-355 (ad Hymn. orph. 30, 6) ; A.-F. Morand, Études sur les Hymnes orphiques, p. 165-168. Sur Dionysos τρίγονον 30, 2, τριετῆ 30, 5 à Dionysos ; τριφυές 52, 5 à (Dionysos) Triétérique. 18. M. L. West, The Orphic Poems, p. 29. 19. F. Graf, « Serious singing », p. 174-182. 20. Platon, Cratyle 404c-d.
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Anne-France Morand 17-19) semble bien s’accorder avec l’idée de mystères donnant des avantages dans la vie terrestre. Avant de conclure sur cette question, il convient cependant de considérer de près le vocabulaire des mystères. Le vocabulaire lié aux mystères dans les Hymnes orphiques : insistance sur le caractère secret Un riche vocabulaire lié aux mystères, avec des mots comme μυστήριον, τελετή, ὄργιον et d’autres encore, figure dans les Hymnes. Il convient d’en explorer les sens pour déterminer s’ils sont proches des significations de ces mots dans le roman d’Achille Tatius, chez qui ils ont des acceptions plutôt prosaïques, ou si les termes ont un contenu mystique et, le cas échéant, quelles en sont les implications21. Le mot μυστήριον, ou plutôt sa forme plurielle μυστήρια, apparaît à deux reprises dans les Hymnes : tout d’abord, dans l’hymne dédié à Sémélé (44), qui fait allusion à sa douleur au moment de l’enfantement de Dionysos, coïncidant aussi avec la mort de Sémélé sous la foudre de Zeus. Cette dernière, rendue immortelle, obtient des parts d’honneurs, des timai auprès de Perséphone22. La célébration, tous les deux ans (τριετηρίδας ὥρας), de la naissance douloureuse de Bacchos, « d’une table sacrée et de purs mystères » (εὐίερόν τε τράπεζαν ἰδὲ μυστήριά θ’ ἁγνά)23, est aussi évoquée. La table sacrée a été rapprochée de divers textes et rituels. Ainsi, Hésychius met-il en lien le nom de Sémélé et une table, de manière parallèle à l’hymne24. Un passage de Plutarque 21. Achille Tatius, Le roman de Leucippé et Clitophon II, 11, τὰ μυστήρια, « les mystères de la pourpre » se réfèrent à la compréhension des propriétés colorantes de cette matière ; en II, 14, 7, l’expression désigne le phénomène de l’eau mêlée au feu ; en I, 18, 3, des amours étranges ; en III, 16, 3, il s’agit de l’intérieur du ventre de Leucippé qui est consommé par des brigands lors d’un étrange mystère ; III, 16, 4 ; en IV, 8, 3 les mystères révélés sont que Leucippé est vierge et n’a reçu que des baisers. Les mystères d’Aphrodite, V, 15, 6 désignent l’union sexuelle, tout comme les mystères d’Érôs, V, 26, 3 ; V, 16, 3 ; V, 27, 4 ; VIII, 12, 4 ; en V, 25, 6 l’amour d’une femme ; le silence des mystères religieux est évoqué en I, 10, 5 ; V, 23, 6 pour une situation où l’on ne comprend rien. Voir infra la contribution de R. Brethes, p. 379400. On pourrait s’attendre à trouver des références aux mêmes types de réalités prosaïques chez Galien, mais ce n’est pas le cas, voir n. 52. 22. Les manuscrits comportent cependant des variantes au vers 44, 5-6. Voir J. Rudhardt, « Les deux mères de Dionysos, Perséphone et Sémélé, dans les Hymnes orphiques », Revue de l’histoire des religions 219 (2002), p. 483-501. 23. Hymnes orphiques 44, 9. 24. Sur la table de Sémélé, voir Ch. Goudineau, « ΙΕΡΑΙ ΤΡΑΠΕΖΑΙ », Mélanges
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Les mystères dans les Hymnes orphiques explique que la table ne saurait demeurer vide, car elle est sacrée (ἱερόν) puisqu’elle est une imitation (μίμημα) de la terre (ἐμοὶ… ἐδόκει καὶ μίμημα τῆς γῆς ἡ τράπεζ᾽ εἶναι), également nommée par certains Hestia25. L’offrande dans le titre de l’hymne orphique 26, adressé à la Terre, indique toutes sortes de graines (πᾶν σπέρμα) qui pourraient avoir été déposées sur une table, mais ceci demeure spéculatif du fait du caractère allusif des Hymnes. Dans l’hymne à Sémélé, la table est mise en corrélation avec les purs mystères. Or la notion de pureté revient fréquemment dans les Hymnes, notamment dans les listes de qualificatifs de divers dieux. Elle désigne ainsi Dionysos, Εὔιον ἁγνόν, « pur Évios » (30, 4), et Βακχήιον ἁγνόν (53, 4). Seul l’hymne 83, dans lequel Océan est appelé θεῶν ἅγισμα μέγιστον, « la plus grande puissance purifiante des dieux » (83, 6), se réfère clairement à l’élément purifiant, en l’occurrence la force de l’eau. Dans les autres contextes, comme lorsque ce terme qualifie « les vallons purs d’Éleusis » (40, 6), il est difficile de saisir en quoi consiste cette notion. L’idée de pureté entoure les unions de Zeus Chthonios avec sa fille (41, 7) qui sont désignées au moyen d’une série de termes religieux26 : dans des contextes liés à la naissance de Dionysos, elles sont qualifiées de sacrées (λέκτροις ἱεροῖς 71, 3), d’indicibles (ἀρρήτοις λέκτροισι 30, 7) et de pures (ἁγίων λέκτρων 41, 7). Robert Parker émet même l’hypothèse que c’est l’imprécision même des concepts qui leur confère une puissance évocatrice : « [i]t is perhaps the very imprecision of the concepts involved that makes ‘purity’ and ‘purification’ the potent religious metaphors that they are »27. En plus de la force des mots, l’hymne à Sémélé met en relation de manière allusive, purification, mythe, rituel et initiation. Même si le rituel évoqué nous échappe malheureusement en partie, un contexte infernal est évident du fait de la présence de Dionysos auprès de Perséphone, ainsi que la période
d’archéologie et d’histoire 79 (1967), p. 77-134 ; D. Gill, Greek Cult Tables, New York – Londres 1991, p. 29-30. Sur la table sacrée, voir A.-F. Morand, Études sur les Hymnes orphiques, p. 143-144 ; G. Ricciardelli, Inni orfici, p. 408-409. Hésychius, s.v. « σεμέλη » ; F. Graf, « Serious singing », p. 172. 25. Plutarque, Propos de table VII, 7 (704B). Dans les Hymnes orphiques, la Terre (hymne 26), qui est rapprochée de la Mère des dieux (hymne 27), elle-même qualifiée d’épouse de Kronos et d’Hestia, dans un rapprochement qui est très semblable à ce qui figure dans le papyrus de Derveni qui identifie Déméter, Rhéa, la Terre, la Mère, Hestia et Déio. 26. Le vers 41, 7 insiste particulièrement puisqu’il contient les termes ἁγίων et ἁγνοῦ. 27. R. Parker, Miasma. Pollution and Purification in Early Greek Religion, Oxford 1983, p. 283 ; sur le lien entre Dionysos et la purification, voir p. 286-307.
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Anne-France Morand triétérique dont il a déjà été question28. Dans cet hymne, comme dans celui qui est adressé à Triétérique, la particularité de Dionysos d’être issu de deux mères, διμάτωρ (52, 9), est mise en évidence. La prière demande à Sémélé de se montrer douce envers les mystes. Dans l’hymne 79, il est dit de Thémis, cette divinité rattachée à la sphère oraculaire delphique, que c’est elle « qui a révélé aux mortels les pures cérémonies (τελετὰς ἁγίας) », en célébrant le seigneur lors des nuits bachiques, et que c’est d’elle que proviennent « les parts d’honneur des bienheureux et les purs mystères », τιμαὶ μακάρων μυστήριά θ᾽ἁγνά29. La demande de l’hymne prie la déesse de venir joyeuse aux rites de celui qui pratique les initiations (μυστιπόλου)30. Ce texte déploie ainsi un riche vocabulaire lié au sacré qui lie les différentes sphères. L’oracle semble de plus jouer un rôle dans la révélation des mystères de Dionysos. Le mot ὄργιον apparaît à deux reprises dans le contexte des poèmes adressés à Dionysos et son cortège. Dans l’hymne à Triétérique, le dieu est appelé « mystère indicible », ὄργιον ἄρρητον (52, 5)31 : μηροτρεφής, Λικνίτης, μυστιπόλων τελετάρχα, νυκτέρι’, Εὐβουλεῦ, μιτρηφόρε, θυρσοτινάκτα, ὄργιον ἄρρητον, τριφυές, κρύφιον Διὸς ἔρνος, Πρωτόγον’, Ἠρικεπαῖε, θεῶν πάτερ ἠδὲ καὶ υἱέ, Nourri dans la cuisse [de Zeus], Liknitès, guide de ceux qui pratiquent les initiations, Eubouleus nocturne, toi qui portes la mitre et agites le thyrse, Mystère indicible, aux trois natures, progéniture cachée de Zeus, Protogonos, Éricépaios, père et fils des dieux32.
Le dieu est ainsi lui-même à la fois mystère indicible, celui qui initie et le chef de divers rites et cortèges.
28. Il faut noter toutefois que Plutarque, Questions grecques 12 (293D), discute un récit connu des Thyades et il met les dromena publics en lien avec Sémélé. 29. Hymnes orphiques 79, 8-10 à Thémis. Voir J. Rudhardt, Thémis et les Hôrai, Genève 1999, p. 56-57. 30. Hymnes orphiques 79, 12. Je ne suis pas le texte de G. Ricciardelli, mais celui de P. Maas qui corrige le texte en μυστιπόλου (ou μυστιπόλων). 31. Le contexte de l’hymne indique que ὄργιον ἄρρητον se réfère à un rituel en lien avec les mystères. A.-F. Morand, Études sur les Hymnes orphiques, p. 145-146. Thémis « a révélé (ἀνέφηνας) aux mortels les pures cérémonies (τελετὰς ἁγίας) » 79, 8. 32. Hymnes orphiques 52, 3-6.
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Les mystères dans les Hymnes orphiques Dans la fumigation à Silène satyre et aux Bacchantes, le précepteur de Dionysos, cet initiateur du thiase pastoral (θιάσου νομίου τελετάρχα 54, 4), est convié : ἐπὶ πάνθειον τελετὴν… σὺν Βάκχαις Λήναια τελεσφόρα σεμνὰ προπέμπων, ὄργια νυκτιφαῆ τελεταῖς ἁγίαις ἀναφαίνων, εὐάζων, φιλόθυρσε, γαληνιόων θιάσοισιν. à une cérémonie pour tous les dieux… avec les Bacchantes, produisant le vénérable accomplissement des Lénéennes en révélant les mystères nocturnes par de pures cérémonies criant l’évohé, aimant le thyrse, serein avec les thiases33.
Le terme ὄργιον est très probablement lié à la révélation d’objets, à titre de symboles, comme c’est le cas dans le papyrus de Gurob34. Ainsi l’orgiophante (ὀργιοφάντης) pratiquerait des initiations en révélant des objets dionysiaques35. Dans ce texte, où il est également question de la période triétérique, les mots liés au son tele- reviennent fréquemment : τελετάρχα (54, 4), τελετήν (54, 7), τελεσφόρα (54, 9), τελεταῖς (54, 10). En somme, malgré leur caractère paratactique, les Hymnes construisent une sorte de récit par le biais des allusions et mettent en lien rituels, mythes et membres de la hiérarchie du groupe religieux36. Les aspects liés aux mystères, à des éléments qui ne sauraient être dits, à des unions entre les dieux et à la présence de Dionysos auprès de
33. Hymnes orphiques 54, 7-10. Pour les parallèles iconographiques concernant Silène, à Sarrîn, Néa Paphos et sur la tenture dionysiaque de la fondation Abegg, voir J. Balty, « Notes d’iconographie dionysiaque : la mosaïque de Sarrîn (Osrhoène) », Mélanges de l’École française de Rome 103 (1991), p. 24 et suiv. 34. P. Gurob 1, 23b (= OF Bernabé, fr. 578), A.-F. Morand, Études sur les Hymnes orphiques, p. 276-282. 35. Ὀργιοφάντης se trouve dans les Hymnes orphiques 6, 11 à Protogonos et 31, 5 aux Courètes. 36. Pour une étude plus exhaustive de la hiérarchie religieuse, μύστης, νεομύστης, μύστης νεοφάντης et βουκόλος, voir A. Henrichs, « Greek Maenadism from Olympias to Messalina », Harvard Studies in Classical Philology 82 (1978), p. 121-160 ; A.-F. Morand, Études sur les Hymnes orphiques, p. 232-287 ; A.-F. Jaccottet, Choisir Dionysos.
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Anne-France Morand Perséphone sont mis en avant. Le caractère secret y est proclamé. Le réseau d’allusions et de recours à des termes liés aux mystères comporte ainsi un contenu mystique. Le lien entre les mystères et la promesse de l’au-delà dans des textes parallèles Avant de se pencher à nouveau sur la question des promesses de l’au-delà, il est utile de convoquer quelques textes de manière à expliciter certains éléments qui ne figurent dans les Hymnes orphiques que sous forme d’allusions. Certains textes sont en lien avec les mystères dionysiaques et d’autres se trouvent dans des contextes plus étroitement liés à Orphée. Le traité Sur les délais de la justice divine de Plutarque rapporte le récit de l’homme de Soles, Thespesios, qui tomba et fut considéré comme mort ; son âme quitta son corps, puis revint, lui permettant ainsi de raconter les horribles châtiments qu’il avait vus. Il décrit aussi un gouffre semblable aux antres bachiques, avec de la verdure et sentant très bon ; les âmes qui s’y trouvent ne sont que rires, joie et plaisir. C’est par là que Dionysos aurait ramené Sémélé pour monter vers les dieux. Cet endroit est appelé Léthé37. Or, il y avait à Delphes des mystères (μυστικὸν λόγον) liés à l’ascension de Sémélé et que les Thyiades connaissaient38. Ce texte est digne de figurer en parallèle aux Hymnes orphiques du fait des mystères de Dionysos et de Sémélé. Un autre témoignage est aussi notable : Himérius, l’orateur du ive siècle ap. J.-C., dans une monodie au sujet de son fils mort, Rufinus, consacré (ἱερόν) à Dionysos et dont la chevelure était destinée au dieu39, livre de précieuses informations40. Les liens étroits avec le dieu et la présence du fils parmi les immortels impliquent à mon avis que
37. Plutarque, Sur les délais de la justice divine 27 (565E-566A). Voir F. Frazier, « Quand Plutarque actualise le mythe d’Er », dans L. van der Stockt, F. Titchener, H. G. Ingenkamp, A. Pérez Jiménez, Gods, Daimones, Rituals, Myths and History of Religions in Plutarch’s Works. Studies Devoted to Professor Frederick E. Brenk, Logan (Utah) 2010, p. 193-219. 38. Plutarque, Questions grecques 12 (293D). F. Frazier, « Quand Plutarque actualise le mythe d’Er », p. 207. 39. Himérius, Déclamations et Discours 8, 7 (l. 56 et suiv.) ; voir aussi 8, 18 (l. 160 et suiv.). 40. Himérius, Déclamations et Discours 8, 18 (l. 160 et suiv.).
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Les mystères dans les Hymnes orphiques Rufinus a été initié41. Son père l’imagine dans la mort devenu immortel (ἀθάνατος), en haut42, dansant avec les dieux, jouant avec Érôs, célébrant avec Hyménaios, prophétisant avec Bacchus et inspiré avec Trophonios43. Pour ce qui est de l’expression διὰ τοῦ πατρὸς ἀθάνατος, il convient de ne pas trancher la question de la localisation de l’immortalité puisque le grec ne le fait pas44. La formule évoque d’ailleurs ce qui se trouve dans les lamelles d’or orphiques45. Il convient toutefois de souligner qu’Himérius n’est pas absolument certain de la présence de son fils auprès des dieux, comme l’indique le εἰ δυνατόν46. La référence à Érôs et Hyménaios fait clairement écho aux passages où il est question du mariage de Rufinus qui n’a jamais eu lieu. Pour les prophéties de Bacchus, un extrait des Bacchantes souligne déjà cet aspect : « ce dieu est un prophète (μάντις) », mis en lien avec le
41. Le terme ἱερός implique « un lien implicite » qui unit l’homme à un dieu. J. Rudhardt, Notions fondamentales de la pensée religieuse, Paris 19922 [1958], p. 24 ; voir aussi Id., Opera inedita, p. 115-116 ; en revanche, la traduction d’homme initié, proposée par LSJ s.v. « ἱερός » pour Aristophane, Grenouilles 652, va trop loin. K. Dover, Aristophanes, Frogs, Oxford 1997, p. 155 ad 652, traduit « there is something supernatural about him » ou « he’s under divine protection » ; un excellent parallèle se trouve également dans une lamelle d’or orphique, F. Graf et S. I. Johnston, Ritual Texts for the Afterlife, no 30, p. 40 (= OF 496 n Bernabé) : Εὐαγὴς καὶ ἱερὰ Διονύσου Βαχχίου εἰμί, « je suis pure et consacrée à Dionysos Bacchios ». 42. Dans le récit de Thespesios, l’âme plonge d’abord, puis monte et voit partout. Plutarque, Sur les délais de la justice divine 23 (563E-F). 43. Himérius, Déclamations et Discours 8, 23 (l. 207 et suiv.) : σὺ μὲν οὖν, ὦ παιδίον, πάντως ἐκεῖσε πεπόρευσαι, ἔνθα ὁ δαίμων ἡγήσατο· ἔσῃ δέ, εἰ δυνατόν, διὰ τοῦ πατρὸς ἀθάνατος, κἂν εἶτα μάλιστα ἄνω που μετὰ θεῶν ἀθύρων καὶ ἐκεῖ κατοπτεύοις τὰ σύμπαντα, μετ’ Ἔρωτος παίζων, μεθ’ Ὑμεναίου κωμάζων, μετὰ Βάκχου μαντεύων, μετὰ Τροφωνίου θεοφορούμενος. La correction Βράγχου de l’édition de référence par A. Colonna, est fondée sur une fausse lecture Βράγχου au lieu de βάκχου, comme l’explique R. Turcan, « Deux notes dionysiaques », Mélanges de l’École française de Rome 79.1 (1967), p. 148-149. R. J. Penella, Man and the word: the orations of Himerius, Berkeley 2007, p. 33, n. 48, adopte aussi ce texte. 44. Pace, « you will be immortal [here on earth] through your father’s efforts », R. J. Penella, Man and the word: the orations of Himerius, p. 32 45. F. Graf et S. I. Johnston, Ritual Texts for the Afterlife, no 3, p. 8 (= OF 487 Bernabé) : θεὸς ἐγένου ἐξ ἀνθρώπου ; no 5, p. 12 (= OF 488 Bernabé) : θεὸς δ᾽ἔσῃ ἀντὶ βροτοῖο ; no 6, p. 14 (= OF 490 Bernabé) : γένος… ὄλβιον ; no 9, p 18 (= OF 491 Bernabé) : δῖα γεγῶσα ; no 26, p. 36 (= OF 485-486 Bernabé) : νῦν ἔθανες καὶ νῦν ἐγένου ; no 29, p. 40 (= OF 484 Bernabé) : γένος οὐράνιον. 46. Parallèlement, le εἰ δυνατόν atténue l’affirmation concernant l’immortalité de Rufinus.
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Anne-France Morand délire bacchique (μανιῶδες), comme le note Robert Turcan47. Trophonios n’est pas forcément convoqué uniquement pour ses prérogatives oraculaires, car il est également lié aux Enfers et aux mystères48. La mention de ceux qui sont trois fois heureux, τῶν τρισευδαιμόνων49, fait songer au trois fois fortuné, τρισόλβιε, des lamelles orphiques50. L’intérêt de ce passage est que le père s’adresse à Dionysos pour lui reprocher de n’avoir pas préservé la vie de Rufinus, mais qu’il imagine ce dernier vivant immortel parmi les dieux et que ces deux idées ne lui paraissent pas contradictoires. L’initiation, qui me semble fort probable dans ce contexte, implique des promesses dans l’au-delà. Enfin, le texte le plus souvent invoqué en matière de mystères tardifs se situe dans la Consolation à sa femme, où Plutarque s’adresse à son épouse au sujet de leur jeune enfant morte récemment. Se fondant sur leur connaissance commune (ἃ σύνισμεν) « des symboles mystériques des célébrations de rites en lien avec Dionysos » (τὰ μυστικὰ σύμβολα τῶν περὶ τὸν Διόνυσον ὀργιασμῶν), il affirme que l’âme, qui est immortelle, est délivrée par la mort51. L’initiation aux mystères implique dans ce contexte des promesses relatives à l’au-delà. D’autres textes évoquent la figure d’Orphée ou se rattachent à l’orphisme. Ainsi, le début de l’hymne à Dionysos d’Ælius Aristide sépare sa propre entreprise, celle de l’hymne en prose, et « les hymnes et discours parfaits (τελέους) sur Dionysos », à propos desquels il dit : laissons-les à Orphée et Musée, ainsi qu’aux anciens législateurs, et de notre côté, pour signaler en quelque sorte (ὡσπερεὶ συμβόλου χάριν) que nous ne faisons pas partie des non-initiés, adressons-nous au dieu de notre langage mesuré52.
47. Euripide, Bacchantes 298-301, cité par R. Turcan, « Deux notes dionysiaques », p. 149. Dans cet article et dans R. Turcan, Les sarcophages romains à représentations dionysiaques, Paris 1966, l’iconographie est discutée de manière approfondie. Voir aussi W. A Daszewski, Dionysos der Erlöser, Mayence 1985. 48. P. Bonnechere, Trophonios de Lébadée, Leyde – Boston 2003 (Religions in the Graeco-Roman World 150). 49. Himérius, Déclamations et Discours 8, 1 (l. 8). 50. F. Graf et S. I. Johnston, Ritual Texts for the Afterlife, no 26, p. 36 (= OF 485-486 Bernabé). Le mot τρισόλβιοι est mis en relation avec les mystères dans un fragment de Sophocle cité par Plutarque, Comment lire les poètes 21F. 51. Plutarque, Consolation à sa femme 611D. 52. Ælius Aristide, Hymne à Dionysos XLI, texte et traduction de J. Goeken, Ælius Aristide et la rhétorique de l’hymne en prose, Turnhout 2012, p. 464 et suiv. Voir aussi la notice, p. 453 et suiv. Chez Aristide, l’initiation aux mystères est beaucoup utilisée
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Les mystères dans les Hymnes orphiques Même si les mots « le discours parfait » sont ironiques et jouent probablement sur le sens de la racine tele-, cette ouverture sépare les hymnes d’Orphée d’autres types de textes ; Aristide s’empresse d’ailleurs de montrer qu’il est au fait des initiations. La pertinence de ce passage, dans le cadre de cette enquête, réside en ce que, pour Aristide, les textes placés sous le nom d’Orphée ont des caractéristiques communes. Il convient donc de se pencher sur les écrits placés spécifiquement sous le nom d’Orphée ou étroitement associés à certaines notions trouvées dans ces écrits. Ce faisant, il faut garder en mémoire d’une part, qu’il ne s’agit pas d’un mouvement centralisé, mais que d’autre part, la fortune de certains textes comme les Bacchantes ont probablement exercé un rôle cristallisant sur le plan littéraire de même que sur le plan des rituels et des croyances liés à Dionysos53. Ce dernier élément rendrait compte d’une certaine cohérence. Une autre tradition s’est développée autour du nom d’Orphée, mais elle n’est pas étrangère à celle entourant Dionysos, puisqu’il est la divinité centrale de l’orphisme. Au livre III de la Bibliothèque historique, Diodore rapporte diverses traditions liées à Dionysos54. En particulier, il explique la raison pour comme image en lien avec la rhétorique, mais elle se réfère aussi à des pratiques et rituels spécifiques. J. Downie, « Portrait d’un rhéteur : Ælius Aristide comme initié mystique et athlète dans les Discours sacrés » dans Th. Schmidt, P. Fleury (éd.), Regards sur la Seconde Sophistique et son époque, Toronto – Buffalo – Londres 2011, p. 81-82. Voir dans ce volume la contribution de G. Petridou, p. 217-242. Galien recourt également aux mystères de manière imagée. Dans le traité De l’utilité des parties du corps VII,14 [Helmreich] (cf. III 576-577 Kühn), Galien, au sujet de l’anatomie du larynx, se réfère à l’expérience des initiés de Samothrace et d’Éleusis pour exprimer son admiration envers la perfection de l’œuvre du démiurge des êtres vivants. Dans un autre passage du même traité, XII, 6, 20-21 (cf. IV, 20-21 Kühn), il ordonne à ceux qui ne sont pas formés à la méthode démonstrative de se mettre des portes sur les oreilles, comme lors des mystères. Voir aussi le début du papyrus de Derveni et Aristide, Pour les Quatre III, 50. Les scholies commentent ce passage ainsi : ἐκ τοῦ εἰπεῖν βεβήλων, καὶ πύλας ἐπιθέσθαι τοῖς ὠσί, παρεικάζει τοὺς λόγους μυστηρίοις. ἔστι δὲ κήρυγμα μυστικόν, τὸ θύρας δ’ ἐπίθεσθε βέβηλοι· ὥς που καὶ Ὀρφεὺς δηλοῖ „Φθέγξομαι οἷς θέμις ἐστί· θύρας δ’ ἐπίθεσθε βέβηλοι.“ ἀκολούθως δὲ εἶπε καὶ τῶν ἱερῶν, ἤτοι τῶν λόγων, τηρήσας τὴν τροπήν. A Oxon. ἐπειδὴ μυστηρίοις παρέβαλε τοὺς λόγους, ἀκολούθως ὡς ἐν μυστηρίοις ἐπήγαγε τὰς πύλας. ἔστι δὲ κήρυγμα μυστικὸν τὸ θύρας δ’ ἐπίθεσθε βέβηλοι BD. Voir aussi dans ce volume la contribution d’A. Pietrobelli, p. 201-216, spéc. p. 206-207 et n. 14-15. 53. F. Massa, « La promotion des Bacchantes d’Euripide chez les Pères de l’Église », Cahiers Gustave Glotz 21 (2010), p. 419-434, montre bien à quel point ce texte était lu. 54. Diodore, Bibliothèque historique III, 62, 1 et suiv.
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Anne-France Morand laquelle le dieu est nommé « aux deux mères », διμήτορα55 ; il relate aussi la mise à mort de Dionysos par les Titans56, et il évoque les révélations des poèmes orphiques, ainsi que les cérémonies d’initiation (τελετάς) qui ne sauraient être présentées aux non-initiés57. Il fournit également des explications sur les trois Dionysos, le premier né en Inde, le second fils de Zeus et de Perséphone, et le troisième fils de Zeus et de Sémélé58. Pour terminer, les lamelles d’or orphiques constituent un document fondamental de notre dossier, car elles impliquent une vie des initiés dans l’au-delà, une vie après la mort et une félicité triple59. Sur le plan chronologique, si la plupart des tablettes ont des dates situées entre le ve siècle et le ier siècle av. J.-C., la découverte d’un texte du iie ou iiie siècle ap. J.-C., qui comporte les mêmes formules que les textes plus anciens, apporte un parallèle intéressant aux Hymnes orphiques : dans cette inscription, le fait que Cecilia Secundina soit qualifiée de divine (δῖα) prouve que les personnes qui étaient enterrées avec les lamelles avaient foi en un sort favorable dans l’au-delà60. Conclusion Il nous reste à reconsidérer le problème de l’absence de promesse liée à l’au-delà dans les Hymnes. En lisant l’hymne à Perséphone, nous avons pu constater qu’il n’y avait pas de trace d’une joyeuse insouciance que certains savants ont perçue dans ces textes. À l’inverse, c’est plutôt des peurs face à la présence divine qui s’y reflètent.
55. Diodore, Bibliothèque historique III, 62, 5. Voir Hymnes orphiques : διμάτωρ, 50, 1 (à Lysios Lénaios) et 52, 9 (à Triétérique). 56. Diodore, Bibliothèque historique III, 62, 6. Voir aussi Plutarque, Sur l’usage de la viande I, 7 (996B-C). Une inscription de Smyrne nomme les Titans, des interdits et des mystes. G. Petzl, Die Inschriften von Smyrna, Bonn 1982-1987, II, 1 p. 227-231. A.-F. Jaccottet, Choisir Dionysos, no 126, p. 220 et suiv. 57. Diodore, Bibliothèque historique III, 62, 8. 58. Diodore, Bibliothèque historique III, 63, 1-64, 7. 59. Comme beaucoup de chercheurs, je considère que ces textes sont orphiques ; mon opinion se fonde notamment sur la lamelle F. Graf et S. I. Johnston, Ritual Texts for the Afterlife, no 4, p. 10 (= OF 492 Bernabé), qui contient des noms typiquement orphiques. 60. F. Graf et S. I. Johnston, Ritual Texts for the Afterlife, no 9, p. 18 (= OF 491 Bernabé) « Cecilia Secundina, devenue divine en conformité à la loi » (νόμῳ δῖα γεγῶσα).
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Les mystères dans les Hymnes orphiques Dans plusieurs demandes, la divinité est priée de se montrer bienveillante, précisément parce qu’elle pourrait ne pas l’être61. Si, d’un côté, les prières finales demandent souvent la simple présence du dieu, le développement des Hymnes met fortement l’accent sur les aspects indicibles du mythe, en particulier les unions de certains dieux. Le vocabulaire des mystères est de plus mis en lien avec des divinités présentes dans les Enfers, en particulier Perséphone et Dionysos. Les Hymnes, puisqu’ils ne s’adressent pas exclusivement à un public d’initiés, ne peuvent pas faire état du contenu des mystères ; en revanche, ces textes proclament le caractère secret de certains éléments. Le vocabulaire des mystères se réfère donc à des mythes spécifiques et à des croyances liées à l’au-delà. Ces aspects du mythe sont également relatés dans l’iconographie et dans des écrits parallèles. L’exemple d’Himérius prouve qu’il est possible de concilier des demandes de longue vie sur la terre avec l’espoir d’un au-delà auprès des dieux. Il en va tout autrement d’Achille Tatius qui est probablement contemporain des Hymnes orphiques. Plus tard, Nonnos de Panopolis utilisera le vocabulaire des mystères de manière poétique, avec peu de références à l’au-delà, ce qui prouve l’utilité de considérer ces mots dans leur contexte chez les différents auteurs. Si l’enquête menée dans cet article n’aboutit pas à la conclusion d’une présence d’un « tournant mystérique » dans les Hymnes orphiques, on ne peut exclure qu’un tel changement se soit produit par ailleurs.
61. Voir par exemple l’hymne à Mère Antaia (41) et F. Graf, « Serious singing », p. 169-182.
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ON THE TERM “MYSTERY” IN THE CLASSICAL RABBINIC LITERATURE1 Geoffrey Herman EPHE, PSL, LEM – UMR 8584
t
his paper is concerned with the occurrence and employment in the
classical rabbinic literature of the term mistērīn/ mistōrīn (מסתירין / מסתורין/ מסטורין/ )מסטיריןand its cognates, a loanword in rabbinic Hebrew from the Greek μυστήριον.2 I shall not be addressing more broadly the impact of mystical tradition in Judaism. Furthermore, while there is much said in rabbinic tradition about various religious practices of pagans, and some of these practices have been associated by scholars with mystery cults,3 I shall not address these topics here since the appearance of the actual term mistērīn in rabbinic literature is never related to such practices. When used not as a common term (see below) but with the specific technical religious meaning of some
1. It is a pleasure to thank the organizers of this colloquium, Nicole Belayche, Philippe Hoffmann, and Francesco Massa. I thank, too, my friend, Ronny Shweke, with whom I have discussed the questions addressed in this paper. 2. See S. Krauss, Griechische und Lateinische Lehnwörter im Talmud, Midrasch und Targum, Teil II, Hildesheim 1964 (digital reprint of Berlin 1899), p. 346; M. Sokoloff, A Dictionary of Jewish Palestinian Aramaic of the Byzantine Period, Ramat Gan 20032, s.v. מיסטרין, p. 306. 3. See, for example, S. Lieberman, Hellenism in Jewish Palestine, New York 1962, p. 119; and E. Friedheim, Rabbinisme et Paganisme en Palestine romaine, Étude historique des Realia talmudiques (ie-iVe siècles), Leiden – Boston 2006, p. 75-78. On attempts to compare Judaism itself with mystery cults, or to describe it as one, see further below. 10.1484/M.BEHE-EB.5.125929
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Geoffrey Herman secret divine knowledge, the term mistērīn appears in rabbinic literature as something possessed exclusively by the Jews and pertaining to the Jews’ God. The term appears in fewer than a couple of dozen separate traditions in classical rabbinic literature, but the distribution is uneven. It features solely in non-legal material, typically of a homiletical nature, and it is not found in the earlier strata of rabbinic literature - the Tannaitic sources usually dated to the second and third centuries ce. The employment of this term also did not extend much beyond the Roman sphere of influence: it is not attested in the Babylonian Talmud or in other Jewish magical artifacts from Babylonia. It is found most often in the Palestinian rabbinic literature with the sense of a ‘secret’ or a ‘hidden matter’. For example, in the Jerusalem Talmud, Shabbat 12:4 (13d) (Geniza fragment) we find the following: Rabbi Ḥiyya the son of Abba said: The men of the East are very cunning. When one of them wishes to send to his friend a confidential matter (mila de-mistērīn)4 he writes it in a solution of gallnut and the recipient of the letter pours over it untanned ink which settles on the writing.5
The final redaction of the Jerusalem Talmud was in the late fourth century,6 and we find here a late third century rabbi7 employing the term as a synonym for concealment or secrecy. This is comparable to the way the term is used in Genesis Rabba, where, on the biblical verse, “for we are to destroy this place” (Gen. 19:13), we find the following interpretation:
4. According to MS Leiden: מילה דמסטריקון. Cf. y. Git 44b where MS Leiden reads a phrase כתב מסטיריןbut in the geniza testimony: כתב מיסטיריקון. 5. כד חד מינהון בעי משלחה מילה דמיסטרין לחבריה.א"ר חייא בר בא אילין בני מדינחא ערומין סגין הוא כתב במי מילין וההן דמקבל כתבייא הוא שופך דיו שאין בה עפץ והוא קולט מקום הכתב. 6. For brief discussion see G. Stemberger, Introduction to the Talmud and Midrash, Translated and edited, M. Bockmuehl, Edinburgh 19962, p. 170-171. 7. See Ch. Albeck, Introduction to the Talmud Babli and Yerushalmi, Tel-Aviv 19873, p. 236-7 [Hebrew].
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On the Term “Mystery” in the Classical Rabbinic Literature Rabbi Levi in the name of Rabbi Naḥman:8 Since the ministering angels revealed the mistērīn of the Holy One, blessed be He, they were removed from their places for 138 years.9
The angels come to Lot and declare God’s intention to destroy the city of Sodom. Their behaviour is deemed in rabbinic exegesis to be improper and they are punished, a reading drawing support from the fact that the next appearance of angels, which is in the Book of Genesis, is the account of Jacob’s ladder, 138 years later. The angels are apparently condemned for two faults: firstly, they declared that they – and not God – intend to destroy Sodom; and secondly, they revealed the divine future plan, or God’s mistērīn. The tradent here is a third century ce Palestinian rabbi, R. Levi.10 The midrashic composition Genesis Rabba is viewed as a relatively early midrashic composition, typically reflecting teachings from the third to the fifth centuries ce.11 This sense of mistērīn is further imposed on the term through the impact of the fortuitously phonetically similar Semitic verbal root STR, which has the semantic field, particularly in Biblical Hebrew, of describing something buried, or hidden. Indeed, early on, Isaac Casaubon, in his De sacrosancta eucharistia, had actually proposed that the Greek term mystērion derived from the Hebrew.12 Such an etymology is readily rejected, but in view of the phonetic similarity it does stand to reason that the ancient Jews in a popular sense understood the term in their use, mistērīn – to be etymologically related to the Semitic root rather than as originating in Greek, and this is suggested by how they used it.
8. Some versions have here Samuel b. Naḥman, which seems more suitable chronologically. On the date of the latter see Albeck, Introduction, 266. 9. Genesis Rabba 50:9, Theodor-Albeck edition, 524 + parallels: כי משחיתים אנחנו את ר' לוי בשם רב נחמן מלאכי השרת על ידי שגילו מסטורין של הקב"ה נדחו ממחיצתן מאה,המקום הזה ושלשים ושמונה שנה. 10. Albeck, Introduction, 256. 11. For brief discussion on the date of Genesis Rabba, see Stemberger, Introduction, 279-280. 12. See J. Z. Smith, Drudgery Divine: On the Comparison of Early Christianities and the Religions of Late Antiquity, Chicago 1990, p. 56, and see ibid. n. 7 for discussion of the etymology of Greek mystērion.
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Geoffrey Herman I A somewhat different usage of mistērīn, however, is implied in a few other sources. In fact, some scholars have argued on the basis of these sources that ancient (rabbinic) Judaism might have been perceived or portrayed as a mystery cult, or of having embraced some of the characteristics of ancient pagan mystery cults. Jakob Petuchowski, in particular,13 imagined rabbinic Judaism employing the imagery prevalent at the time in the Hellenistic-Roman world. With respect to the term mistērīn he evoked four rabbinic sources. One addresses participation in the Passover ritual. Circumcision is described as a mystery in another. A third relates to Moses’ slaying of the Egyptian by evoking the name of God, which is portrayed as a mystery; and finally, the Mishna is described as a mystery. I shall present and consider briefly the first three sources together. The fourth requires a more detailed discussion that will come afterwards. 1. Exodus Rabba 15:52 “No stranger shall eat from it” (Exodus 12:43). It is to fulfil that which is said, “he tells his words to Jacob; his statutes and laws to Israel, he did not do as much to every nation” (Psalms 147:19). The Holy One, blessed is He, said to them: Another nation will not know it; and no other will know this mistērīn apart from you yourselves. In this world, when Israel ate the Passover sacrifice they consumed it in a rush, as it is said… but in the world to come “for you shall not come out in a rush (Isaiah 52:12).”14
2. Leviticus Rabba (32:4, Margulies edition, p. 745*) “And he slayed the Egyptian and he hid him in the sand” (Exodus 2:12). How did he kill him? R. Isaac said: he killed him with his fist… R. Levi said: With the mistērīn of Israel he killed him, as it is said, “and the number of the Israelites shall be as the sand of the sea” (Hosea 2, 1).15
13. J. Petuchowski, “Judaism as ‘Mystery’ – The Hidden Agenda?” Hebrew Union College Annual 52 (1981), p. 141-152. 14. לקיים מה שנא‘ ”מגיד דבריו ליעקב חקיו ומשפטיו לישראל לא עשה כן לכל.“כל בן נכר לא יאכל בו בעה'ז כשאכלו. ואל ידע מסתורין זו אלא אתם לעצמיכם. אומה אחרת אל תדע בו. אמ‘ להם הקב'ה.“גוי “ ע'ש ”כי בחפזון יצאת ממצרים.‘ שנא‘ ”וככה תאכלו אותו“ וכו.ישראל את הפסח אכלו אותו בחפזון אבל לעתיד לבוא ”כי לא בחפזון תצאו.‘”וגו. 15. כד"א והיה מספר בני, ר' יצחק אמ' באגרוף … ר' לוי אמ' במיסטורין שלישראל הרגו.במה הרגו ישראל כחול הים.
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On the Term “Mystery” in the Classical Rabbinic Literature 3. Tanḥuma Leviticus 19 (Cambridge University Library, Add. 1212) “And I shall make a covenant between me and between you” (Gen 17:2). That which the verse says “the Lord’s secret is (reserved) for those who fear him, and he will shew them his covenant” (Psalms 25:14). What is the secret that he revealed to those who fear him? That is circumcision, since the Holy One blessed is He only revealed the mistērīn of circumcision to Abraham.16
Petuchowski suggested that participation in the Passover ritual, permitted only to the circumcised, was perceived as an initiation rite for the convert in the manner of the mystery cult practices. According to the Tanḥuma circumcision, which can be considered to be an initiation ritual that distinguishes Jews from Gentiles, is actually described as a mystery. With Moses’ slaying of the Egyptian, while it is not altogether explicit what is referred to here by the “mistērīn of Israel”, other rabbinic sources state that Moses killed the Egyptian by evoking the Divine name, and it has been suggested that this is the sense here. Petuchowski was perhaps encouraged by the attention these ideas had already received. It was particularly the major thesis of Erwin Goodenough that had drawn attention. Goodenough had indeed “regarded mainstream Judaism as profoundly Hellenized, to the point of being essentially a peculiar type of Graeco-Roman mystery religion.”17 But Goodenough had examined a different resource. He had sought to associate mystery cults with what was understood as expressions of non-rabbinic Judaism.18 Although Goodenough’s ideas had been broadly criticised and rejected, the actual term for mystery employed in rabbinic texts still invited investigation.19
16. זו.זהו סוד שגילה ליראיו- אי.“זש'ה ”סוד י'י ליריאיו ובריתו להודיעם.“ואתנה בריתי ביני וביניך שלא גילה הקב'ה מסטירין של מלה אלא לאברהם.המילה. 17. S. Schwartz, “Historiography on the Jews of the ‘Talmudic Period’ (70-640 ce),” in M. Goodman, J. Cohen and D. Sorkin (ed.), The Oxford Handbook of Jewish Studies, Oxford 2002, p. 99. 18. For some early responses to his theories, see J. Neusner, “Notes on Goodenough’s Jewish Symbols,” Conservative Judaism 17 (1963), p. 72-92; M. Smith, “Goodenough’s Jewish Symbolism in Retrospect,” Journal of Biblical Literature 86 (1967), p. 53-68. For a valuable overview of the question before, during and for a few decades after Goodenough, see G. Lease, “Jewish Mystery Cults since Goodenough,” ANRW II 20, 2 (1987), p. 858-880. 19. Petuchowski was not au courant with the state of the field. To be precise, although published in 1981, the latest item to be cited in his footnotes dates to 1962 and of E. R. Goodenough he cites only his major work, By Light, Light, The Mystic Gospel
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Geoffrey Herman Petuchowksi, himself, did not imagine that Judaism was regarded as a mystery cult – as this was understood at the time he was writing, but he maintained that within the atmosphere of the Hellenistic-Roman world, the Rabbis employed some of the prevalent terminology in the course of their “competition for the salvation of souls”. II Perhaps the most intriguing source in this regard is the fourth one, mentioned above, which relates to the Mishna explicitly as a mystery. This source, which compounds a number of issues, is attested in a couple of midrashic compositions, Tanḥuma and Pesiqta Rabbati, which were redacted relatively late, in comparison with the other sources cited above, but it offers the teaching in the name of R. Judah b. Shalom, who is a fourth century rabbi. Here it is:20 R. Judah b. Shalom said: When the Holy One told Moses ‘write down’ (Ex. 34:27), Moses asked that the Mishna, too, be in writing. But since the Holy One, blessed be He, foresaw that a time would come when the nations of the world would translate the Torah and read it in Greek and then say ‘we are Israel’, and now the scales are balanced!21 The
of Hellenistic Judaism, New Haven, published in 1935, and not his Jewish Symbols in the Greco-Roman Period, I-XIII, Princeton (NJ) 1953-1968. For a more recent effort to engage in Goodenough’s thesis, albeit with significant differences, see the discussion in J. Costa, “Qu’est-ce que le ‘Judaïsme synagogal’ ?”, Judaïsme ancien, Ancient Judaism 3 (2015), p. 63-218. 20. Tanḥuma, Leviticus, Ki tisa, 34 9, presented here according to Cambridge University Library, Add. 1212. See too, Tanhuma Vayera, 5; Pesiqta Rabbati (Ramash edition, 14b). The Hebrew text is as follows: אמר ר' יהודה בר שלום כשאמר הק' למשה כתב לך ולפי שצפה הקב'ה שאומות העולם עתידין לתרגם את התורה ולהיות,בקש משה שתהא המשנה בכתב קורין בה יוונית והן אומרין אנו ישראל ועד עכשיו המאזנים מצויין ]מעויין[ אמ' הקב'ה לאומות אתם אומרים שאתם בני איני יודע אלא מי שמסטרין שלי אצלו הן בני ואי זו זו זו המשנה שניתנה על פה. 21. One scholar to deal with this source, Marc Bregman, emphasized that in an early manuscript, we have a different reading for one key word. The scales are not ‘balanced’ ( )מעויןbut ‘available’ ()מצוין. A minor graphical variant would explain the emergence of these two possibilities – two orthographically similar letters, עand – צ one produces the word ‘balanced’ the other – ‘found’ or ‘available’. The implication of this variant would be that there is no real tension, no anxiety – God is not uncertain, and he sets about to demonstrate what he knows already. Bregman’s preference, however, has not been embraced by subsequent scholars. Countering it is the argument that from a textual perspective it would seem to be the easy option, a simple reading of a somewhat rarer expression, and the term ‘balanced’ is in fact attested
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On the Term “Mystery” in the Classical Rabbinic Literature Holy One blessed is He will then say to the nations, you contend that you are my children. That may be, but only those who possess my mistērīn are my children – and what is that? the Mishna, which is given orally.
We can imagine a trial and the true children of God are the ones able to provide the spoken expressions of the relationship between God and his ‘children,’ the intimate testimony, the oral teachings, that accompany the written Law. Although Christians are not mentioned explicitly in this source, there can be little doubt that this source contends with the supersessionist Christian claim to be the true ‘children of God’, an assertion that could only be contemplated after their access to the Torah through its translation into Greek. It wishes to tell us that it was all a part of the Divine plan. This crisis with Christianity was foreseen and the assertion that Christianity is the true Israel can be refuted. But before we consider the reference here to mistērīn, there is a textual issue that we need to attend to. Marc Hirshman has recently proposed replacing the term mistērīn in this text with another Greek loan, σημαντήριον, a seal.22 This would require a minor emendation of the text. According to this proposal, the Mishna is to be understood as the seal of the Torah – without which one cannot access the Torah. Such a hypothesis, although attractive on account of certain thematic parallels, is a little problematic within the context of this source, as a whole, which, I believe is fully comprehensible without this correction. It need not however delay us, since it falls in the face of the definitive and consistent textual evidence that has here only the form mistērīn.
elsewhere and so is not altogether surprising here. Furthermore, the ‘available’ reading is exceptional against the evidence of the other manuscripts of this and other rabbinic anthologies that quote this tradition. The scales then, remain ‘balanced.’ The drama of momentary uncertainty with the Divine in identifying the ‘true Israel’ is merely rhetorical, and is not truly problematic from a theological perspective. For the lively scholarly debate over this reading see M. Bregman, “The Scales are Not Even,” Tarbiz 53 (1984), p. 289-292; M. A. Friedman, “‘And So far the Scales are Balanced’,” Tarbiz 54 (1984), p. 147-149 [Hebrew]; M. Bregman, “Toward a Textcritical Approach to the Tanhuma-Yelamdenu Midrashim,” Tarbiz 54 (1985), p. 289292 [Hebrew]; Friedman, “Kir Yad,” Te’uda 7 (1991), p. 187-189 [Hebrew]. 22. M. Hirshman, A Rivalry of Genius. Jewish and Christian Biblical Interpretation in Late Antiquity, Albany 1996, p. 18.
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Geoffrey Herman Pagan and Christian contexts In what cultural context was such an argument voiced? In an important discussion of this source, Saul Lieberman compared the perception of the Mishna, as presented in this rabbinic source, with the “secret hermetic logos concerning the regeneration and the rule of silence.” Both were not to be published. Even as he recognised this rabbinic tradition as polemicizing against Christians, he had not sought to compare the use of the term mistērīn here with Christian contemporary sources. Lieberman, in fact, footnoted only one scholarly publication in his discussion of this topic, an article by AndréJean Festugière, “Le ‘logos’ Hermétique d’enseignement.”23 This would suggest that the terms of reference that Lieberman had in mind were Neoplatonic and pagan rather than Christian. Later scholars, however, have preferred a Christian context. Hillel Newman recently compared this statement with a comment cited by Epiphanius in his Panarion, who seems to speak of a Jewish tradition concerning the existence of a Mishna (δευτέρωσις) from the time of Moses.24 Marc Bregman had earlier compared this Tanḥuma source with a statement found in the writings of Hilary of Poitiers, who flourished in the mid-fourth century.25 The latter asserted that Moses had communicated apart from the Old Testament, certain secret mysteries [mysteria] of the law to 70 elders. This enabled their translation from the Hebrew to be more reliable than later renditions. Conceptually, Bregman saw here something strikingly similar to the rabbinic source we have looked at. Bregman emphasized the chronological correspondence between these two sources, too, even if he did not argue for a direct relationship. The similarities are indeed interesting. Secret knowledge is transmitted orally alongside the written version of the Torah for many generations. It is also important to highlight the differences here. The Christian source argues for one “written” Torah translation to be superior to the others in circulation, on the basis of an earlier secret 23. S. Lieberman, Hellenism in Jewish Palestine, p. 208, n. 43. 24. Panarion, ed. Holl2 [GCS 33, 9, 4, p. 459-460]. Cf. J. N. Epstein, Introduction to Tannaitic Literature: Mishna, Tosephta and Halakhic Midrashim, Tel-Aviv 1957, p. 17, who takes this term to refer to the Book of Deuteronomy. 25. M. Bregman, “Mishnah and LXX as Mystery: An Example of Jewish-Christian Polemic in the Byzantine Period,” in L. I. Levine (ed.), Continuity and Renewal: Jews and Judaism in Byzantine-Christian Palestine, Jerusalem 2004, p. 333-342.
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On the Term “Mystery” in the Classical Rabbinic Literature transmission process. This can be best understood in the context of an internal polemical debate within Christianity. In contrast, the Jewish claim is for an oral tradition quite distinct from the written Torah, that is still available. What the comparison with Hilary of Poitiers does confirm, I believe, is the validity of probing the Christian context for viewing the use of the term mistērīn in these later rabbinic sources. This seems evident in the two sources we already mentioned referring to the Passover and circumcision as mysteries. They would seem to parallel Christianity’s embracement of the term mystery for baptism and the sacraments. There is also a certain chronological correspondence: both of the rabbinic sources, on circumcision and on the Passover, feature in midrashim dated to the era when Rome had become Christian: Exodus Rabba and Tanḥuma. The use of mystērīn in the Tanḥuma also seems to have a Christian parallel. It highlights the special relationship between teachers and students, which, in my mind, evokes the catechism mystery and features here as an alternative to its frequent use in this Christian context. And yet, while the claims of Christianity are central to the objectives of this source, its formulation of the issues suggests it is also grappling with additional concerns. It would seem, in fact, that this midrashic tradition contains inner-Jewish polemic. Inner-Jewish context If the rabbinic traditions, the “Oral Law,” were still very much transmitted and studied orally in this period, for example,26 why has this source singled out the Mishna as the one work of rabbinic literature
26. While the oral atmosphere is pervasive in this literature, it has long been debated whether alongside the oral practice there also existed private copies of these works that could be referred to where necessary. Scholars have scoured the sources, Jewish and non-Jewish, for hints of written copies of rabbinic teachings, and in particular, of the Mishna. Saul Lieberman, in his Hellenism in Jewish Palestine, first published in 1950, for instance, alongside other major scholars of his time maintained that private copies of the Mishna were available for reference even if they were not authoritative. This has been questioned by Yaakov Sussmann who concludes that throughout this period, in both Palestine and Babylonia, rabbinic tradition was transmitted, quite literally, orally, and there is no compelling evidence to question this. See Y. Sussmann, Oral Law – Taken Literally, the Power of the Top of a Yod, Jerusalem 2019 [Hebrew].
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Geoffrey Herman that is transmitted orally?27 Furthermore, why is the translation of the Torah attributed to the “nations of the world”? The Septuagint was translated by Jews centuries before Christianity, as is well known.28 Besides, elsewhere, rabbinic literature poses no problem with reading or using the Torah in Greek. In the amoraic period, certainly, acceptable Greek translations were in use, such as Aquila, and even cited with approval in rabbinic literature,29 but this point is associated here with the trouble foreseen for Israel. The full message of this Tanḥuma passage, and the shift in perception it reflects, can be better appreciated, I believe, when compared with the following source in the Jerusalem Talmud, as follows:30 “I wrote for them the many things of my Law, but they regarded them as something foreign” (Hos 8:12). If I had written down the greater part of my Law would they (i.e. the Jews) not have been accounted as strangers? What would then be the difference between them and the nations? These produce their books and the others produce their books; these produce their diphtheria and the others produce their diphtheria!31
This passage treats the biblical verse as having God inform us that the “greater part” of the Law has not been written down so as to distinguish between the Jews and the “strangers,” that is the Gentiles.
27. One can note that the Greek term used in patristic sources for the Mishna, δευτέρωσις, might have been understood more broadly as encompassing the entire gamut of Oral tradition, however, this is probably not the sense here. For the patristic use see H. I. Newman, “A Patristic Perspective on Rabbinic Literature,” in M. Kahana, V. Noam, M. Kister, D. Rosenthal (ed.), The Classic Rabbinic Literature of Eretz Israel. Introductions and Studies, II, Jerusalem 2018, (p. 681-704) p. 685686 [Hebrew]. 28. On Jewish accounts of the Septuagint translation see recently, M. Simon-Shoshan, “The Tasks of the Translators: The Rabbis, the Septuagint, and the Cultural Politics of Translation,” Prooftexts 27.1 (2007), p. 1-39, and for references to earlier scholarship; for his discussion of this source see p. 26-28. 29. For a recent study that relates to Aquila in rabbinic literature see J. R. Labendz, “Aquila’s Bible Translation in Late Antiquity: Jewish and Christian Perspectives,” Harvard Theological Review 102.3 (2009), p. 353-88. 30. Peah 2, 6 (17a) = Hagigah 1, 8, (76d), (MS Leiden, Academy edition, col. 89). 31. אילולא כתבתי לך רובי תורתי לא כמו זר,'אכתוב לו רובי תורתי כמו זר נחשבו'… אמ' ר' אבין אילו מוציאין דפתריהן ואלו, אילו מוציאין ספריהן ואלו מוציאין ספריהן,נחשבו? מה בינן לאומות מוציאין דפתריהן. The latter phrase “they produce their books etc.” has the ring of a stock phrase evoking legal disputes.
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On the Term “Mystery” in the Classical Rabbinic Literature Now while this passage is thematically similar to the one cited earlier, it is not an exact parallel. Notably, each one appeals to a different scriptural verse. Yet, the thematic similarity invites us to compare and contrast them. The Jerusalem Talmud here does not refer to Greek, or language, at all, nor does it mention the term mystērīn; and the explicit assertion that Israel is God’s children is not here. It also speaks generally about ‘oral Torah’ but does not mention the Mishna specifically.32 I would suggest that the differences between these two rabbinic traditions, the Jerusalem Talmud from the late third or early fourth century, and the Tanḥuma from the middle of the fourth century but seemingly reflecting a much later redaction, exhibit changes in the concerns of Jewish society in the interim. The issues at stake are no less internal than external. It is evidently important for the Tanḥuma homilist to associate the Greek version of the Torah – and it doesn’t matter to him which Greek version – with Christianity. By implication, Jews read the Torah in Hebrew. Greek was for others. Dispute over the status of the Greek translation of the Torah and its use in synagogue settings was an internal Jewish matter. It was the focus of disagreement within the Jewish communities, as attested by Justinian’s novella 146, dated 553 ce (notwithstanding the fact that the precise background to this novella has been the subject of ongoing debate among scholars).33 The oral transmission is treated in the Tanḥuma source as a divine ordinance of the highest order. It is not an expression of recognition 32. There is explicit reference to the Mishna a little further on in the Jerusalem Talmud, however, this does not determine how to read this source. 33. For the text see A. Linder, The Jews in Roman Imperial Legislation, Jerusalem 1987, p. 402-411. It is remarkable how the preamble of this novella, while emphasizing the non-Divine origins of the Mishna, which was not “handed down from above by the prophets, but it is an invention of men in their chatter, exclusively of early origin and having in it nothing of the divine” (Linder, The Jews in Roman Imperial Legislation, p. 409); and observing the preference for the Septuagint version in Greek, highlighting its inspired nature, responds precisely to the assertions of this rabbinic source. For debate over the background to this novella see among more recent studies, for example, L. Rutgers, “Justinian’s Novella 146: Between Jews and Christians,” in R. Kalmin and S. Schwartz (ed.), Jewish Culture and Society under the Christian Roman Empire, Leuven 2003, p. 385-407, who argues that the Jewish petition was fabricated by Justinian. See, too, W. Smelik, “Justinian’s Novella 146 and Contemporary Judaism,” in T. M. Law and A. Salvesen (ed.), Greek Scripture and the Rabbis, Leuven 2012 (Contributions to Biblical Exegesis and Theology 66), p. 141-167, who argues for the fundamental reliability of its assertion as responding to a Jewish appeal.
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Geoffrey Herman for having oral traditions but an injunction. In the Greco-Roman cultural environment there would presumably have been pressure to put this legal codex into writing, internal (Jewish) pressure. While there must have been compromises in many aspects of maintaining the Oral Law oral, a special effort is urged for the Mishna, such that would be more of a challenge for the entire rabbinic oral corpus. This tradition is emphatic then that it should remain oral, and such a striking pedagogical practice is endowed here with divine support. This argument would seem less surprising when found in a homiletical anthology of the Tanḥuma genre, for while the Tanḥuma can include earlier material, it is regarded as a composition redacted later than most of the others we have cited.34 III The data indicates, then, that the term mystērīn makes an appearance in rabbinic sources only from the third century, at the earliest. It is most commonly employed as a synonym for a secret or for information kept in secret with no perceptible connection to pagan mysteries. The significance of the term would, however, appear to have undergone a minor transformation. Chronologically, this change features in rabbinic sources that roughly parallel the emergence of Christianity as the ruling religion of the Roman empire, namely, the fourth century, or is attested in undated midrashic collections generally ascribed to the period when Christianity was dominant. It now seems to have a socio-religious polemical sense, featuring in places where there is a wish to emphasize a distinction between Jews and others – presumably Christians. In light of the growing use of this term by Christians in this period, one could posit that the impact of Christianity would therefore seem to have served as the catalyst for the shift in the use and significance of the term in rabbinic sources. In this sense, then, the rabbinic sources, too, attest to a “mysteric turn.”
34. For discussion on the date of the Tanḥuma see Stemberger, Introduction, p. 305-306.
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– III –
Des effets de la « mystérisation » ?
MYSTÈRES PHRYGIENS ET TAUROBOLES AU IIe SIÈCLE Françoise Van Haeperen Université catholique de Louvain (Belgique)
i
pourrait sembler téméraire de proposer une réflexion sur les mystères phrygiens et les tauroboles au iie siècle. La formule même « mystères phrygiens » est moderne et désigne les mystères liés au culte de la Mère des dieux : ceux-ci ne sont cependant guère présents dans la documentation antique : seules quelques mentions ou allusions semblent se référer à des mystères ou à des initiations, mais faut-il s’en étonner s’il s’agissait de cérémonies secrètes, « réservées » ou « non dévoilées »1 ? Malgré la rareté de la documentation, les mystères occupent une place de choix dans les études consacrées à Mater Magna et à son parèdre Attis, qu’ils soient ou non identifiés au taurobole, sacrifice particulier d’un taureau dont les testicules faisaient l’objet de l
1. Voir la définition proposée par N. Belayche, F. Massa, « Quelques balises introductives : lexique et historiographie », Mètis N.S. 14 (2016), p. 8. Les considérations qui suivent se basent largement sur les études que j’ai déjà consacrées – totalement ou partiellement – à ces thématiques : F. Van Haeperen, « Prêtre(sse)s, tauroboles et mystères phrygiens », dans S. Estienne, V. Huet, F. Lissarague, F. Prost (éd.), Figures de dieux. Construire le divin en images, Rennes 2015, p. 99-118 ; F. Van Haeperen, Étrangère et ancestrale, la Mère des dieux dans le monde romain, Paris 2019 (Les Conférences de l’École pratique des hautes études) ; F. Van Haeperen, « The Cista, a Hallmark of Mater Magna’s Mysteries in the Roman World? », dans N. Belayche, F. Massa (éd.), Mystery Cults in Visual Representation in GraecoRoman Antiquity, Leyde 2021 (RGRW 194), p. 194-217. Abréviation : CCCA = M. J. Vermaseren, Corpus Cultus Cybelae Attidisque, 7 vol., Leyde 1977-1989 (EPRO 50). 10.1484/M.BEHE-EB.5.125930
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Françoise Van Haeperen manipulations. La définition même de ces mystères est cependant loin de faire l’unanimité parmi les chercheurs. Rappelons les principales lignes de force qui traversent leurs reconstitutions, avant d’envisager les documents antiques qui pourraient nous renseigner sur ces cérémonies – en nous concentrant sur la documentation issue du iie siècle, tout en nous autorisant des incursions en amont et en aval de cet arc temporel. Aperçu historiographique La plupart des chercheurs s’accordent sur l’existence de mystères liés au culte de Mater Magna, le plus petit commun dénominateur de leurs reconstitutions étant basé sur les synthèmata ou symbola, les mots de passe des mystères transmis par Clément d’Alexandrie au début du iiie siècle et par Firmicus Maternus au ive siècle2 : « j’ai mangé dans le tambourin ; j’ai bu à la cymbale ». Les mystères phrygiens3 auraient ainsi inclus un repas, réel selon les uns, symbolique selon les autres4, que les savants du début du xxe siècle n’ont pas hésité à rapprocher de la communion chrétienne, tout comme le faisait déjà Firmicus Maternus5. Clément évoque en outre un passage sous un
2. Pour les références, voir infra. H. Hepding, Attis, seine Mythen und sein Kult, Giessen 1903, p. 177-200 (part. p. 184-187) ; F. Cumont, Les religions orientales dans le paganisme romain, éd. C. Bonnet, F. Van Haeperen, Turin 2006 (Bibliotheca Cumontiana. Scripta Maiora 1), p. 101-103 ; H. Graillot, Le culte de Cybèle, mère des dieux, Paris 1912 (BEFAR 107), p. 174-187 (part. p. 180-182) ; J. Alvar, Romanising Oriental Gods. Myth, Salvation and Ethics in the Cults of Cybele, Isis and Mithras, Leyde 2008 (Religions in the Graeco-Roman World 165), p. 276-282 (part. p. 279) ; G. Sfameni Gasparro, Soteriology and mystic aspects in the cult of Cybele and Attis, Leyde 1985 (EPRO 103), p. 64-83 (surtout p. 77-81). 3. La formule même « mystères phrygiens » est moderne et n’a pas d’équivalent dans les textes anciens, sauf peut-être chez Denys d’Halicarnasse, dans un passage qui n’est pas retenu par les savants comme se rapportant à des mystères (voir F. Van Haeperen, Étrangère et ancestrale, p. 109-111). 4. Il s’agit d’un repas réel pour F. Cumont et H. Graillot (qui suivent Firmicus Maternus, Erreur des religions profanes, 18, 2) ; d’un repas symbolique pour d’autres, tel P. Boyancé (« Sur les mystères phrygiens : “J’ai mangé dans le tympanon, j’ai bu dans la cymbale” », Revue des études anciennes 37 [1935], p. 161-164). 5. C’est notamment le cas de H. Hepding, F. Cumont et H. Graillot.
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Mystères phrygiens et tauroboles au IIe siècle pastos, ce terme pouvant désigner un voile, un lit (ou une chambre) nuptial(e). Certains savants ont dès lors supposé que ce repas était suivi d’une hiérogamie unissant l’initié à la déesse6. Dès le début du xxe siècle, plusieurs chercheurs ont rapproché ces mystères phrygiens du rite du taurobole, dont l’attestation épigraphique datée la plus ancienne remontait alors à 1607. Le taurobole, considéré comme un rite d’initiation, a ainsi été interprété, sur la base d’un passage de l’auteur chrétien Prudence, comme une sorte de douche de sang jaillissant du sacrifice d’un taureau, qui inondait le myste descendu dans une fosse. Cette interprétation connut un grand succès jusque dans les années 1980-1990, y compris dans le volume pourtant novateur de Walter Burkert sur les Cultes à mystères dans l’Antiquité8. Dans les années 1990, deux études indépendantes l’une de l’autre ont profondément modifié notre perception du taurobole. Philippe Borgeaud et Neil McLynn ont prouvé que le texte de Prudence ne pouvait être utilisé comme une source fiable pour décrire ce rite que d’ailleurs nulle part l’auteur chrétien n’appelle taurobole ou ne lie à Mater Magna ou à son parèdre9. Loin de la douche de sang se déversant sur le dévot qui s’y soumet10, le taurobole apparaît, jusqu’à l’époque tardive, comme le sacrifice d’un taureau dont les testicules font l’objet d’un traitement particulier11. Contrairement à l’opinion admise depuis les études de Jeremy Rutter et de Robert Duthoy, le taurobole tel qu’il est pratiqué dans le culte de Mater Magna n’aurait donc pas connu une évolution radicale entre sa date d’apparition et le ive siècle12. Si le taurobole n’est généralement plus considéré comme une sorte de baptême sanglant, il fait cependant l’objet d’interprétations contrastées. Certains lui dénient toute composante mystérique
6. Voir par exemple H. Graillot et, plus récemment, J. Alvar (infra n. 19). 7. H. Hepding, F. Cumont, H. Graillot. 8. W. Burkert, Les cultes à mystères dans l’Antiquité, Paris 1992, p. 96. 9. Ph. Borgeaud, La Mère des dieux. De Cybèle à la Vierge Marie, Paris 1996, p. 156168 ; N. McLynn, « The Fourth-Century “Taurobolium” », Phoenix 50 (1996), p. 312330. Leurs interprétations sont reçues par J. Alvar (Romanising Oriental Gods, p. 261275) et A. Cameron (the Last Pagans of Rome, Oxford 2011, p. 159-163). 10. Prudence, Peristephanon 1006-1050. 11. Voir infra. 12. R. Duthoy, The Taurobolium. Its Evolution and Terminology, Leyde 1969 (EPRO 10) ; J. Rutter, « The Three Phases of the Taurobolium », Poenix 22 (1968), p. 226-248.
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Françoise Van Haeperen – du moins aux iie et iiie siècle13 –, là où d’autres l’interprètent, au moins partiellement, comme un rite mystérique, sur la base notamment du vocabulaire qui lui est associé, au ive siècle, dans les sources littéraires et surtout épigraphiques14. Certains y voient un sacrifice à vocation commémorative, rappelant le geste d’Attis, jeune amant de la déesse, qui s’émascule frappé de folie par celle-ci à la suite de son infidélité15, ou soulignent que les mystères phrygiens apparaissent comme intimement liés au mythe d’Attis16. Depuis Henri Graillot, plusieurs considèrent aussi que le taurobole, en tant que pratique mystérique, constitue un rite de substitution à l’autocastration des galles – dévots particuliers de la déesse (à ne pas confondre avec des prêtres) qui s’automutilaient à l’imitation d’Attis17. L’autocastration des galles représenterait ainsi la forme suprême d’initiation. L’autocastration des galles, une forme suprême d’initiation ? Commençons par examiner cette idée largement répandue dans l’historiographie, qui n’est pas sans incidence sur l’interprétation du taurobole. D’après H. Graillot, « les Galles sont des mystes qui ont reçu l’initiation majeure. Ils ont atteint le plus haut degré de l’échelle mystique. La consécration suprême est ici l’éviration, véritable sacrement de l’ordre » 18. Ces mots témoignent de la lecture profondément christianisante de leur auteur, pour qui le taurobole représentait le baptême et le banquet initiatique, l’eucharistie. Beaucoup plus récemment, Jaime
13. G. Sfameni Gasparro, « Misteri e culti orientali: un problema storico-religioso », dans C. Bonnet, J. Rüpke, P. Scarpi (éd.), Religions orientales – culti misterici. Neue Perspektiven – Nouvelles perspectives – Prospettive nuove, Stuttgart 2006 (Potsdamer Altertumswissenschaftliche Beiträge 16), p. 201-202. 14. Ph. Borgeaud, La Mère des dieux, p. 164-165 ; F. Van Haeperen, « Prêtre(sse) s, tauroboles et mystères phrygiens », p. 99-118 et F. Van Haeperen, Étrangère et ancestrale, p. 112-119, 135-140. 15. J. Alvar, Romanising Oriental Gods, p. 275-276. 16. C’est le cas de Ph. Borgeaud et de J. Alvar. 17. Ph. Borgeaud, La Mère des dieux, p. 164-165. Sur les galles, voir références infra. 18. H. Graillot, Le culte de Cybèle, p. 293-294. « Nul sacrifice », poursuit le savant français, « n’apaise mieux la divinité ; on disait qu’il était pour Cybèle, en deuil d’Attis, la plus douce des consolations. Il est pour le myste la plus complète des expiations. Rien n’égale sa vertu ; car il confère la chasteté perpétuelle, qui est l’état de perfection ».
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Mystères phrygiens et tauroboles au IIe siècle Alvar a lui aussi lié la castration au processus d’initiation : celle-ci, accomplie par les dévots les plus engagés, aurait pris place après la hiérogamie dont il admet l’existence19. Interpréter en ces termes l’autocastration des galles pose cependant problème. Les nombreux textes antiques s’y rapportant ne l’évoquent pas en termes d’initiation ou de mystères. Les rares mentions qui pourraient éventuellement être comprises en ce sens sont chrétiennes et polémiques. Ainsi, vers le milieu du iie siècle, l’apologiste Justin mentionne rapidement, entre autres turpitudes, que « certains vont jusqu’à prostituer leurs propres enfants et leurs épouses, d’autres se font mutiler manifestement à des fins de débauche, et ils font remonter l’origine de ces mystères (ta mustèria) à la Mère des dieux »20. Le terme mystère ne semble pas désigner ici des rites réservés, non dévoilés, mais plutôt des pratiques condamnables qui trouvent éventuellement leur racine dans le mythe. Plus tard, dans la seconde moitié du iiie siècle, Arnobe, s’interrogeant sur la signification des rites pratiqués autour du pin – il s’agit selon toute vraisemblance de la cérémonie de l’arbor intrat du 22 mars, durant laquelle un pin était porté en procession pour rappeler la mort d’Attis sous cet arbre –, les interprète non pas comme des cérémonies divines, mais, en suivant les livres de ses adversaires, comme une représentation de tristes entreprises (imaginem tristium gestorum)21. Ou, poursuit-il, « s’il y a une autre raison que l’obscurité du mystère (mysterii obscuritas) empêche de comprendre, elle doit aussi résider dans l’infamie d’une quelconque obscénité. Qui en effet pourrait croire qu’il y a quelque chose d’honnête dans cette action qu’initient les vils galles et qu’accomplissent ces efféminés ». Ici aussi, l’auteur paraît mettre en rapport les mystères avec les pratiques des galles, qui ne sont toutefois pas explicitement identifiées à leur castration (au contraire, au début du passage Arnobe évoque leur autoflagellation au moment des fêtes de mars). Selon Paulin de Nole (début ve siècle) enfin, les païens « honorent les
19. J. Alvar, Romanising Oriental Gods, p. 274, 280-281 (il refuse toutefois de voir dans le taurobole un rite de substitution à la castration, tout comme précédemment G. Sfameni Gasparro, Soteriology and mystic aspects, p. 116). 20. Justin, Apologie I, 27, 4 (trad. Ch. Munier, Sources chrétiennes 2006). 21. Arnobe, Contre les gentils 5, 17.
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Françoise Van Haeperen testicules coupés et appellent mystères de la Mère la honte misérable d’un vice répugnant »22. Cette brève allusion ne permet pas de juger si leur auteur pense aux galles ou plutôt à Attis. La coloration hautement polémique de ces trois textes empêche de les utiliser comme preuves du caractère initiatique de l’autocastration des galles – dont il n’est question nulle part ailleurs. En attirant cette pratique dans le champ lexical des mystères, sans toutefois l’identifier explicitement avec une forme d’initiation, les trois auteurs chrétiens visaient plutôt à noircir encore davantage les autres cérémonies qualifiées de mystères. En outre, les galles, contrairement à une opinion diffusée, n’étaient pas des prêtres23. Il s’agissait de pauvres hères, objets de railleries et de mépris. Il est donc invraisemblable que leur geste d’autocastration ait pu servir de modèle à quelque rite que ce soit ou ait été perçu comme une forme suprême d’initiation, du moins par les dévots des dieux. On comprend mieux en revanche que des polémistes chrétiens se soient saisis de cette pratique et des représentations mentales nombreuses qu’elle véhiculait pour s’attaquer au culte de Mater Magna et l’aient englobée dans la sphère lexicale des mystères, pour mieux les stigmatiser. On ne peut pas davantage suivre les savants selon qui les parties génitales des galles étaient conservées dans des cistes, au sein des sanctuaires métroaques24 – rappelons que la ciste est un panier en osier fermé par un couvercle, contenant les objets sacrés dévoilés dans certains mystères25. Que des cistes aient recueilli les testicules des galles semble fort peu vraisemblable, compte tenu du mépris dont ces derniers 22. Paulin de Nole, Carmen, 19, 181-183. 23. Voir F. Van Haeperen, « Les acteurs du culte de Magna Mater à Rome et dans les provinces occidentales de l’Empire », dans St. Benoist, A. Daguet-Gagey, Chr. Hoët-van Cauwenberghe (éd.), Figures d’Empire, fragments de mémoire. Pouvoirs et identités dans le monde romain impérial (iie s. av. n.è.-Vie s. de n.è.), Lille 2011, p. 467-484 et F. Van Haeperen, Étrangère et ancestrale, p. 26-44. 24. H. Graillot, Le culte de Cybèle, p. 297 ; J. Alvar, Romanising Oriental Gods, p. 261 ; J. Blänsdorf, « The defixiones from the sanctuary of Isis and Mater Magna in Mainz », dans R. Gordon, Fr. M. Simón (éd.), Magical Practice in the Latin West, Leyde 2010 (Religions in the Graeco-Roman World 168), p. 148 ; R. Gordon, « “Ut tu me uindices”: Mater Magna and Attis in some new Latin curse-texts », dans A. Mastrocinque, C. Giuffrè Scibona (éd.), Demeter, Isis, Vesta, and Cybele. Studies in Greek and Roman Religion in Honour of Giulia Sfameni Gasparro, Stuttgart 2012, p. 207. 25. Voir les contributions d’A.-F. Jaccottet, R. Veymiers et F. Van Haeperen, dans N. Belayche et F. Massa (éd.), Mystery Cults in Visual Representation, p. 123-217.
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Mystères phrygiens et tauroboles au IIe siècle faisaient l’objet. Il est d’ailleurs significatif que les seuls textes qui évoquent des cistes dans un contexte métroaque, les tablettes de malédiction de Mayence, donnent des galles une image extrêmement négative : il est en effet demandé à la Mère des dieux que la personne maudite soit punie à l’instar des galles qui « se coupent et se tranchent le sexe », ou encore « comme les galles ou les bellonaires se sont coupés ou blessés, ainsi la fidélité, la renommée, la capacité doivent lui être coupées. Comme ceux-ci n’appartiennent plus aux hommes, celui-ci ne doit pas non plus leur appartenir »26. On imagine difficilement que les organes retranchés aient été, dans un tel contexte, conservés dans des cistes. La ciste en contexte métroaque, un marqueur mystérique largement ignoré Jusqu’à la découverte des tablettes de malédiction de Mayence (datables entre 70 et 130), la ciste n’apparaissait pas dans les sources écrites portant sur le culte de Mater Magna et de son parèdre. Un de ces textes commence par une prière solennelle à Attis, dans laquelle figurent notamment les cistae penetrales27. D’après l’adjectif, celles-ci sont conservées dans la partie la plus reculée du temple. Toujours au pluriel, des cistes, qualifiées de dissimulées, dorées et sacrées (caecae, aureae et sacrae), apparaissent dans une autre de ces malédictions, dont le texte est hélas fragmentaire28. Manifestement, les auteurs de ces textes connaissaient la présence de ces cistes et les percevaient comme faisant partie du « saint des saints » du sanctuaire. Or une ciste est figurée sur quelques représentations liées à un contexte métroaque, notamment sur des peintures ou reliefs datables entre la seconde moitié du ie siècle et le début du iiie siècle. Ces témoignages n’ont guère été utilisés dans les études sur les mystères phrygiens. D’une analyse attentive de ceux-ci, que j’ai menée récemment, émergent les éléments suivants29. Parmi les représentations de cistes métroaques, les portraits funéraires occupent une place non négligeable : des prêtres et prêtresses
26. Année Épigraphique [AE] 2005, 1123, 1124, 1126. J. Blänsdorf, « The defixiones ». 27. J. Blänsdorf, « The defixiones », p. 148 et texte no 2 en appendice (AE 2004, 1026). 28. J. Blänsdorf, « The defixiones », p. 183-185, texte no 17 (AE 2005, 1124). 29. Pour une analyse détaillée, voir F. Van Haeperen, « The Cista », dans N. Belayche et F. Massa (éd.), Mystery Cults in Visual Representation, p. 194-217.
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Françoise Van Haeperen choisissent de se faire représenter accompagnés, notamment, d’une ciste, ou, pour l’une d’entre eux de faire figurer sur une des faces de son monument la procession d’une ciste. Autrement dit, la ciste est un des éléments qui contribuent à leur autoreprésentation. En admettant que celle-ci fasse référence à l’aspect mystérique du culte, on peut dès lors supposer que prêtres, prêtresses et archigalles jouaient un rôle dans ces mystères. Une telle hypothèse peut certes sembler triviale, mais il n’en reste pas moins utile de la formuler explicitement, dans la mesure où les sources écrites relatives aux mystères de ce culte ne font aucune mention de ces desservants. Ce n’est donc pas seulement la comparaison avec d’autres cultes dits à mystères qui permet de supposer que les prêtres de Mater Magna détenaient une fonction dans des cérémonies de type mystérique liées à ce culte. Une certaine cohérence se dégage des contextes iconographiques métroaques faisant appel à une ciste. Celle-ci peut être associée, de manière directe ou indirecte, à différents éléments. Il s’agit d’instruments de musique typiques du culte (cymbalum, tympanum, syrinx) mais aussi du pin, qui peut être représenté entier ou sous la forme de rameaux. En outre, on trouve parfois des roseaux ou des animaux, tels que le coq ou le lion. Des divinités sont parfois présentes, soit sous forme de statue ou de buste, soit figurées sur un ornement porté par un acteur : outre Attis et Mater Magna sont parfois figurés Mercure ou une divinité barbue. Quant au pedum, la houlette de berger, il renvoie aussi à la figure d’Attis. La ciste métroaque apparaît donc en relation avec des éléments qui font référence au mythe d’Attis : le dieu lui-même, représenté directement ou par le biais d’un de ses attributs ; le pin au pied duquel le pâtre s’émascula ; les roseaux généralement considérés comme se rapportant au bord du cours d’eau où il fut exposé bébé30. Les instruments de musique peuvent faire allusion au culte de Mater Magna, dans lequel ils jouaient une part importante. Il faut toutefois noter que ceux-ci apparaissent dans quelques scènes qui évoquent les moments précédant ou suivant la castration d’Attis, mais aussi, fréquemment dans l’iconographie des autels tauroboliques (tout comme le pin où ils sont parfois suspendus). De prime abord, les éléments qui constituent l’environnement iconographique de la ciste ne semblent donc guère se référer à des
30. Mais voir F. Van Haeperen, Étrangère et ancestrale, p. 95-96.
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Mystères phrygiens et tauroboles au IIe siècle mystères, à moins que ceux-ci ne soient liés au mythe d’Attis. À moins de considérer que certains de ces éléments, tympanum et cymbalum par exemple, évoquent les synthèmata ou mots de passe secrets livrés par Clément d’Alexandrie et Firmicus Maternus. Symbola des mystères phrygiens, cymbales et tambourins Les passages de ces deux auteurs sont toujours cités dans les études sur les mystères de Mater Magna, parfois sans grande précaution. Il faut pourtant garder à l’esprit que leur propos est polémique et, plus profondément, que leurs auteurs contribuent avant tout à « façonner les contours d’une nouvelle catégorie religieuse où se mêlent le secret, l’initiation, l’enseignement allégorique, la connaissance de doctrines secrètes, les formules initiatiques »31. Ces passages doivent être davantage que par le passé envisagés à l’aune de ce constat dressé par Francesco Massa. Clément d’Alexandrie consacre tout un chapitre du Protreptique aux mystères, qu’il envisage de manière ordonnée, afin de dénoncer l’« imposture » que ceux-ci révèlent. Par le vocabulaire utilisé, il les attire dans la sphère de la superstition ou de la magie, afin de les disqualifier davantage aux yeux de son lecteur. Après avoir proposé une étymologie dépréciative des termes orgia et mystèria, il envisage l’origine de ces mystères – les récits mythiques constituant pour lui « la base de ces pratiques rituelles »32. Il aborde ensuite les cultes liés à Aphrodite (II, 14, 2) puis s’intéresse à Déo qui est identifiée par lui à Déméter (II, 15, 1-3) : Les mystères de Déo sont-ils autre chose que l’union amoureuse de Zeus avec sa mère Déméter, et le ressentiment de (je ne sais comment dire maintenant : sa mère ou sa femme ?), disons : de Déo, qui fit précisément donner à celle-ci, paraît-il, le nom de Brimô, les supplications de Zeus, et la coupe de fiel, et l’extraction du cœur, et l’œuvre infâme ? Ce sont les mêmes rites qu’accomplissent les Phrygiens en l’honneur d’Attis, de Cybèle et des Corybantes. Et on a redit à satiété comment Zeus, après avoir arraché au bélier ses deux testicules, les prit et les jeta au beau milieu du sein de Déo, acquittant mensongèrement la peine de sa violence impudique, comme s’il s’était mutilé luimême ! Faut-il de surcroît, présenter les symboles de cette initiation ?
31. F. Massa, « La notion de “mystères” au iie siècle de notre ère. Regards païens et Christian turn », Mètis N.S. 14 (2016), p. 127 et passim pour ce qui suit. 32. Ibid., p. 121-123.
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Françoise Van Haeperen Je sais qu’ils feront rire, même si vous n’en avez pas envie, à l’énoncé de ces preuves : « J’ai mangé dans le tambourin ; j’ai bu à la cymbale ; j’ai porté les vases sacrés (cernus) ; j’ai pénétré derrière le pastos (rideau du lit nuptial) »33.
Clément présente donc comme étant identiques, ou plutôt similaires, les mystères de Déo et les cultes célébrés par les Phrygiens, pour Attis, Cybèle et les Corybantes34. Ainsi, a montré Fr. Massa, « c’est par de telles analogies que Clément, dans une perspective propre aux auteurs chrétiens, fait entrer dans une seule et même catégorie religieuse des pratiques qui, dans la réalité rituelle, étaient assez disparates »35. L’enchevêtrement entre mystères de Déo et cérémonies d’Attis, de Cybèle et des Corybantes dans l’extrait de Clément est donc volontaire et doit être pris en compte dans l’interprétation (cet emmêlement n’est pas le produit d’une pensée confuse ou mal exprimée, comme on aurait pu le croire). L’interprétation séduisante du taurobole, développée par Ph. Borgeaud sur la base de ce passage doit dès lors être considérée avec une certaine prudence36 : certes la castration d’un animal et la manipulation de ses testicules jouent un rôle fondamental dans le mythe rapporté par Clément, mais ce récit concerne Déo, du moins d’après ce dernier37. Ce mythe ne peut, sur la seule foi du père de l’Église, être étendu aux mystères phrygiens, même si d’autres éléments indiquent que la castration d’un taureau revêtait un rôle important dans la cérémonie du taurobole – nous y reviendrons. Et c’est peut-être en raison
33. Clément d’Alexandrie, Protreptique II, 15, 1-3 (trad. C. Mondésert, 1976). 34. De manière similaire, Arnobe (Contre les gentils 5, 20-21), avant de relater le mythe du double mariage de Jupiter avec d’une part Cérès, présentée comme la mère du dieu, et, d’autre part, sa fille Proserpine, précise que ce récit est lié aux « mystères par lesquels la Phrygie a été initiée, ainsi que toute sa gens ». À la fin du récit toutefois, Arnobe relie le mythe avec les mystères de Sabazius (voir G. Sfameni Gasparro, Soteriology and mystic aspects, p. 78). On observe donc ici aussi un enchevêtrement, vraisemblablement volontaire, entre différents cultes et mystères. 35. F. Massa, « La notion de “mystères” au iie siècle de notre ère », p. 123. Voir déjà à propos de ce passage G. Sfameni Gasparro, « Misteri e culti orientali », p. 201. 36. Ph. Borgeaud, La Mère des dieux, p. 162. 37. Selon G. Sfameni Gasparro (Soteriology and mystic aspects, p. 78), le mythe de Déo rapporté par Clément n’a pas de lien avec Éleusis mais évoque plutôt des cercles orphiques.
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Mystères phrygiens et tauroboles au IIe siècle de l’importance de la castration (d’Attis dans le mythe ; de l’animal dans le rite du taurobole) que Clément met sur le même pied mythe de Déo et mystères phrygiens. Dans quelle mesure alors le mot de passe de l’initiation phrygienne (symbola tès museôs), que fournit Clément, concerne-t-il les mystères de Déo ou le rite phrygien ? S’agit-il du reflet de mots prononcés lors de ces mystères ou de sa construction tendant à présenter une image relativement homogène de ces pratiques38 ? Ce passage de l’Alexandrin n’aurait sans doute guère été jugé digne de confiance, si Firmicus Maternus n’avait livré deux formules comparables, la première en latin, la seconde en grec, en les appliquant clairement à des mystères phrygiens39 : J’ai mangé de ce qui est dans le tambourin, j’ai bu de ce qui est dans la cymbale et j’ai appris à fond les mystères de la religion, ce qui en grec se dit : J’ai mangé en prenant dans le tympanon, j’ai bu à la cymbale, je suis devenu myste d’Attis40.
L’étroite proximité entre les formules des mystères phrygiens que transmettent ces deux auteurs a logiquement induit les Modernes à considérer qu’elles reflétaient plutôt fidèlement les mots qu’était amené à prononcer un myste de la déesse. Gardons cependant à l’esprit que ces formules pourraient aussi avoir été remodelées par ces auteurs ou par leurs sources. Quant au contexte dans lequel les mots de passe étaient prononcés, il semble, du moins chez Firmicus Maternus, servir de signe de reconnaissance entre mystes et leur donner accès à une partie réservée du temple (templo in interiores partes). Mais ces mots de passe se réfèrent aussi chez lui à une pratique, comme la suite de son texte l’indique clairement : il y avait, selon lui, un repas, qu’il interprète comme une imitation diabolique de l’eucharistie. Relevons en outre la présence, chez Clément, d’un pastos et d’un cernos. Le premier terme peut signifier, outre « chambre » ou « lit nuptial », « voile » ou « couverture brodée ». Il ne permet donc guère, à lui seul, de fantasmer sur des hiérogamies mystiques, dont on n’a nulle
38. F. Massa, « La notion de “mystères” au iie siècle de notre ère », p. 124-125. 39. L’usage du grec pour la formule pourrait être révélateur du fait que celle-ci était prononcée en grec – on sait que les hymnes de Mater Magna étaient, à Rome, chantés en grec (Servius, Commentaire aux Géorgiques 2, 394). 40. Firmicus Maternus, Erreur des religions profanes 18, 1.
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Françoise Van Haeperen trace ailleurs. Quant au cernos, il désigne un vase ou récipient rituel41. Des cerni et des porteuses de cernos sont aussi attestés dans les inscriptions tauroboliques, ce qui plaide en faveur de l’usage de cette formule dans un contexte métroaque42. Soulignons enfin que ces mystères sont présentés de manière globale par Clément, comme s’ils se déroulaient de la même manière dans tous les sanctuaires de Mater Magna, à travers l’empire, tandis que Firmicus les rattache sans plus de précision à un « certain temple ». Sans doute faut-il voir, de part et d’autre, une volonté d’uniformiser une pratique, afin d’en faire une cible unique, unifiée, et de mieux la stigmatiser. Derrière ce constat se cache une question rarement posée, à propos des mystères de la Mère des dieux dans le monde romain : à supposer que ceux-ci aient existé, de quelle manière étaient-ils organisés ? Il ne s’agissait pas de mystères liés à un seul sanctuaire, tels ceux d’Éleusis ; pas plus ne s’agissait-il de mystères dévoilés par des agents cultuels itinérants ; ils ne semblent pas davantage avoir correspondu à des mystères organisés au sein d’associations, tels les mystères de Mithra. Faudrait-il alors supposer des mystères liés à chaque sanctuaire public de la déesse ? S’agirait-il de mystères qui auraient été créés ou remodelés à Rome, dans le contexte du culte public de la déesse, à un moment et sous une forme qu’il resterait à préciser, et qui, de là, auraient essaimé ou auraient été imités dans les cités de type romain ? Une pratique cultuelle romaine, partie intégrante du culte de Mater Magna et bien éloignée à première vue de l’image que nous nous faisons a priori des mystères, pourrait rentrer dans un tel schéma : celle du taurobole. Le taurobole, un rite mystérique apparu au IIe siècle ? La pratique du taurobole dans le culte de Mater Magna est généralement considérée comme une innovation apparue sous le règne d’Antonin le Pieux43. En effet, un autel de Lyon en a longtemps constitué
41. On trouve aussi dans les textes la forme latinisée cernus. 42. Cernos : à Mactar, AE 1955, 49 (CCCA V, 81) et CCCA V, 79-80 ; à Utique, AE 1961, 201 (CCCA V, 114). Cernophora : CIL X, 1803 (CCCA IV, 15), à Pouzzoles ; CIL II, 179 (CCCA V, 184), à Lisbonne. 43. Je ne m’intéresserai pas ici aux rares exemples de tauroboles attestés hors du culte de Mater Magna.
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Mystères phrygiens et tauroboles au IIe siècle le témoignage daté le plus ancien, en 16044. Toutefois, une inscription de Bénévent publiée en 1994 permet de faire remonter de plusieurs décennies la date d’apparition de cette pratique, soit sous le règne de Domitien, soit sous celui de Trajan45. La mention d’une cernophore, porteuse de cernos, dans une dédicace à Mater Magna de Lusitanie datée de 108, apporte un élément supplémentaire en faveur d’une datation plus haute pour l’apparition du taurobole46. En effet, le cernos est un vase rituel évoqué à quelques reprises dans des textes tauroboliques47. Peut-être l’introduction du taurobole remonte-t-elle dès lors aux réformes apportées par l’empereur Claude au culte de la Mère des dieux (avec notamment l’introduction de la dendrophorie). La pratique du taurobole, à laquelle il faut ajouter celle du criobole, fait partie intégrante du culte de Mater Magna, comme l’atteste largement l’épigraphie, à Rome, en Italie et dans les provinces surtout occidentales. Avant d’examiner dans quelle mesure ce rite aurait revêtu une dimension mystérique, présentons-le brièvement. Il s’agit du sacrifice d’un taureau ou, dans le cas du criobole, d’un bélier, dont les testicules (uires) font l’objet de manipulations48. Les testicules sont prélevés, reçus, transférés ou transmis, voire consacrés49, avant d’être enfouis50. Ces actes, qui ne sont pas rappelés systématiquement sur les autels commémorant les tauroboles, ne sont pas davantage explicités : les testicules sont-ils prélevés sur l’animal vivant ou mort ? Que signifie leur consécration ? Où et selon quelle procédure a lieu leur enfouissement ? Il est possible que les uires de l’animal aient été transportés dans le cernus : ce récipient, sa porteuse ou un segment rituel portant son nom, apparaissent en effet dans quelques inscriptions tauroboliques. Certains disent avoir reçu le cernus et le criobole51 ou avoir accompli les rites des cerni, criobole et taurobole52. Une autre
44. CIL XIII, 1751. 45. S. Adamo Muscettola, « I Flavi tra Iside e Cibele », La Parola del Passato 49 (1994), p. 96-99. Datation confirmée par G. Camodeca, dans Epigraphic Database Rome (EDR102290 ; entre 70 et 130). 46. CIL II, 179 (Lisbonne). 47. Voir références supra. 48. R. Duthoy, The Taurobolium ; Ph. Borgeaud, La Mère des dieux, p. 156-161. Voir par exemple CIL XIII, 1751 (CCCA V, 386). 49. CIL XIII, 522, 525 (ILA Lect. 13, 14 ; CCCA V, 240, 243), à Lectoure. 50. CIL XII, 1567 (CCCA V, 363 ; ILN 7, 10), à Die. 51. CCCA V, 114 (AE 1961, 201). 52. CCCA V, 79 (CIL VIII, 23400), à Mactar ; CIL VIII, 23401 (CCCA V, 80).
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Françoise Van Haeperen a reçu le taurobole et le criobole cerno, par le cernus, transmis par le prêtre53. Ainsi, le taurobole même peut être l’objet de verbes désignant une réception, une transmission ou un transfert, tels que suscipere, accipere, percipere, tradere, mouere54. Notons en passant que le verbe tradere est utilisé dans le cadre d’autres cultes considérés comme mystériques, tel celui de Mithra55. Le taurobole présente un caractère tout à fait particulier. Il est surprenant qu’un taureau soit immolé pour une déesse, plus encore qu’il soit châtré et que ses testicules soient manipulés. Cette cérémonie aurait-elle, d’une manière ou d’une autre, un lien avec le mythe d’Attis ? Une telle hypothèse, nous le verrons, semble appuyée par l’iconographie de certains autels tauroboliques56. La célébration, parfois qualifiée de sacrum, dure, au moins dans certains cas, plusieurs jours et peut revêtir un caractère nocturne57. Plusieurs inscriptions précisent qu’elle commence à telle date et s’achève tel jour58. Aucune date ne semble privilégiée pour l’exécution d’un taurobole : il n’est pas lié à une fête ou à une date précise du calendrier59. La cérémonie semble en outre supposer l’érection d’un autel qui en commémore la célébration. Cet autel peut être élevé sur terrain public, attribué par un décret des décurions. Un taurobole peut être accompli par un homme ou par une femme (ce qui montre bien qu’il ne peut s’agir d’un rite de substitution à la castration, quoi qu’on ait écrit à ce propos). Certains sont célébrés par une communauté civique60, au nom d’une cité ou même d’une province61. D’autres sont faits par ou au nom d’une association62 ou enfin par des individus agissant à titre 53. CIL VI, 508 (CCCA III, 235). Voir N. McLynn, « The Fourth-Century “Taurobolium” », p. 322. 54. Il faut toutefois relever que, plus généralement, on trouve une mention beaucoup plus simple, du genre taurobolium fecit. 55. CIL VI, 749-753 (inscriptions provenant du mithraeum de Saint-Sylvestre à Rome). 56. Remarquons aussi que, selon Arnobe (Contre les gentils 5, 7), la déesse avait enseveli les testicules d’Attis après sa mort. 57. CIL XIII, 1753 et 1754. 58. Voir par exemple CIL XIII, 1751 (avec la mention d’un mesonyctium), 1753, 1754 ; CIL XII, 1782 (CCCA V, 369). 59. R. Duthoy, The Taurobolium, p. 70. 60. Voir par exemple CIL XII, 4321 (Narbonne) ; CIL XIII, 511 (CCCA, V, 229), à Lectoure. 61. CIL XII, 4323. 62. Voir le taurobole de Valence, cité ci-dessus.
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Mystères phrygiens et tauroboles au IIe siècle privé63. Parmi les dédicants de tauroboles, on trouve de nombreux prêtres et prêtresses de la déesse, ainsi que des dendrophores64. Le formulaire de trois autels laisse penser que des prêtres ont accompli ce sacrifice, peu après leur accès au sacerdoce, voire que leur entrée en fonction ait impliqué la célébration de ce rite65. Ceci semble logique si ceux-ci étaient garants de son bon déroulement, d’autant plus si le taurobole correspondait, totalement ou partiellement, à une cérémonie mystérique : il fallait y être initié pour pouvoir ensuite en assurer le déroulement. Un grand nombre de ces tauroboles, publics et privés, sont effectués pro salute imperatoris, pour le salut de l’empereur et, éventuellement, de la maison impériale (iie-iiie siècles). Au salut de l’empereur est parfois associé celui de la colonie. Plusieurs textes du ive siècle, principalement épigraphiques, de Rome pour la majorité, commémorent le taurobole accompli en utilisant un champ lexical mystérique66. Sont ainsi mentionnés des synthèmata secrets, des symbola ou teletai, des mystes et un individu ayant accompli ou guidé des rites mystériques, ou encore des « sangs mystériques »67. Au ive siècle du moins, certains semblent donc avoir conçu le taurobole (et le criobole) comme une cérémonie revêtant une dimension mystérique. Était-ce déjà le cas auparavant et notamment au iie siècle ? Il n’est pas aisé de répondre à la question. La mention d’un mesonyctium dans l’inscription de Lyon de 160 pourrait aller en ce sens. Ce « milieu de la nuit » est généralement interprété comme une veillée nocturne, qui pourrait être liée à l’accomplissement de rites secrets ou mystériques. Mais il s’agit là d’une mention unique. Le fait que la célébration du taurobole puisse durer plusieurs jours (commencée tel jour, accomplie tel jour) est également compatible avec la célébration de rites nocturnes ou secrets.
63. C’est notamment le cas des tauroboles tardifs de Rome. 64. R. Duthoy, The Taurobolium, no 10, 49, 52, 53, 55, 56, 57, 58, 60, 61, 72, 73, 77, 80, 92. 65. Voir par exemple CIL IX, 1540 et VIII, 23400. F. Van Haeperen, « Prêtre(sse)s, tauroboles et mystères phrygiens », p. 107. 66. Textes présentés in F. Van Haeperen, Étrangère et ancestrale, p. 135-140. CIL VI, 509, 511, 1179, 30780 (= CCCA III, 236, 243, 246, 237) ; CCCA II, 389, 390. 67. CIL VI, 30780 (en grec).
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Françoise Van Haeperen Remarquons en outre que l’iconographie des tauroboles, y compris des plus anciens, n’est guère éloignée de ce que j’ai appelé « l’environnement iconographique » de la ciste. Les autels tauroboliques figurés portent presque tous une représentation partielle ou totale d’un taureau ou d’un bélier68 – et ce, du iie au ive siècle69. Au taureau ou au bélier sont fréquemment associés, dès le iie siècle, des instruments de musique typiques du culte de Mater Magna (tympanum ; cymbalum ; flûtes ou syrinx) ou d’autres éléments caractéristiques, dont certains directement liés à Attis (pedum, bonnet phrygien, pin). Il est possible que ces autels provenant de Gaule s’inspirent d’exemples romains ou italiens, mais aucun autel orné provenant de la péninsule italique ne date de cette période. En revanche, l’iconographie d’un des côtés de l’autel funéraire d’une prêtresse, conservé à Cambridge, se révèle très proche, avec sa représentation d’un pin auquel sont suspendus une paire de cymbales, un tympanum et une double flûte70. Reste à se demander dans quelle mesure cette iconographie est en rapport avec le rite du taurobole voire avec une dimension mystérique qu’il aurait revêtue. Le lien entre iconographie et rite est assez évident tant qu’il s’agit du taureau ou du bélier. Comment en revanche interpréter la présence du pin et des instruments de musique (dès le iie siècle) ? Le pin fait vraisemblablement allusion à la mort d’Attis sous cet arbre, à la suite de sa castration (le taurobole supposait aussi une castration de la victime sacrificielle). Les instruments de musique étaient présents lors de la cérémonie du taurobole à laquelle participaient des musiciens. Ne pourraient-ils pas faire non seulement allusion à l’environnement sonore de la cérémonie mais aussi aux mots de passe transmis par Clément d’Alexandrie et Firmicus Maternus ? Le lien que suggérait Ph. Borgeaud entre le taurobole et le passage de Clément d’Alexandrie cité précédemment demeure en effet évocateur : la castration
68. Sur la base du catalogue de R. Duthoy (The Taurobolium), seules deux exceptions ont été relevées (no 15 et 19 où seuls des instruments de musique et des torches sont figurés). 69. L’association du bélier au taureau est très fréquente dans l’iconographie de ces autels, même quand l’inscription ne mentionne qu’un taurobole (et non un criobole). Voir les no suivants du catalogue de R. Duthoy, The Taurobolium : 11, 24, 25, 81, 84, 85, 86, 91, 93, 95, 96, 101, 104, 107, 108, 118, 125, 126, 127, 128, 129, 132 et CCCA V, 415. 70. F. Van Haeperen, « The Cista ».
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Mystères phrygiens et tauroboles au IIe siècle d’un animal est au centre de la cérémonie, tout comme au cœur du mythe rapporté par le père de l’Église avant qu’il ne livre les mots de passe des mystères phrygiens. Ces mots de passe peuvent sembler assez éloignés du mythe et du rite, mais ils mentionnent des objets – tympanum, cymbales et cernos – qui apparaissent dans un contexte taurobolique. Il faut cependant reconnaître que d’autres instruments peuvent aussi figurer dans ces représentations (syrinx et flûtes). Quant au voile présent sur des autels tauroboliques tardifs d’Athènes mais peut-être aussi de Périgueux, faut-il le mettre en rapport avec le pastos mentionné par Clément ? Quant aux torches, qui font leur apparition au ive siècle dans l’iconographie taurobolique, feraient-elles allusion à une dimension mystérique71 et au fait que la cérémonie se déroulait, ou pouvait se dérouler, durant la nuit, et ce dès le iie siècle72 ? Relevons en outre que Mercure est présent, par le biais du caducée, sur plusieurs autels tauroboliques de Gaule73 et qu’il est invoqué sur un autel taurobolique de Rome74. Or, à en croire Julien, Hermès était invoqué par les initiés, en tant que dieu qui allume les torches pour Attis le sage75. Au-delà de ces constats et suggestions, force est aussi de reconnaître, avec les savants pour qui le taurobole n’est pas un mystère, que cette cérémonie était également marquée d’une forte visibilité : elle
71. Remarquons en outre que plusieurs desservants de la déesse se font représenter portant des torches (voir un prêtre d’Ostie) ou entourés de torches (c’est le cas de l’archigalle de Tusculum [F. Van Haeperen, « Rappresentazioni dei ministri della Mater Magna a Roma e nelle provincie occidentali dell’Impero », dans F. Fontana, E. Murgia (éd.), Sacrum facere. Atti del IV Seminario di Archeologia del Sacro, Trieste 2018 (Polymnia. Studi di Archeologia 9), p. 241-262] et, semble-t-il, de celui de Capoue [CIL X, 3810 ; EDR077660]). 72. CIL XIII, 1751 (Lyon, en 160). 73. CCCA V, 359-361. 74. CIL VI, 499 (CCCA III, 328). Mercure est également présent sur des représentations de desservants de la déesse (à Ostie, devant la statue de la Mère des dieux devant laquelle sacrifie le prêtre ; à Rome, sur le pectoral de la statue connue sous le nom de « galle de Montfaucon » qui représente plutôt une prêtresse : Mercure y figure aux côtés de la déesse ; voir F. Van Haeperen, « Rappresentazioni dei ministri della Mater Magna a Roma », p. 250, 252). 75. On notera que les torches semblent fréquemment employées dans les mystères, notamment à Éleusis. Voir L. Palaiokrassa, « Beleuchtungsgeräte », dans ThesCRA V Personnel of cult. Cult instruments, Los Angeles 2005, p. 364-365.
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Françoise Van Haeperen pouvait être accomplie à titre public, au nom d’une res publica, correspondre à un acte de loyauté vis-à-vis de l’empereur et être rappelée par un autel élevé sur sol public. Le taurobole apparaît donc à travers nos sources sous des facettes apparemment contradictoires : soit comme un rite célébré à titre public pour le salut de l’empereur ou de la communauté civique, soit comme une cérémonie pouvant faire l’objet d’une interprétation mystérique. Comment rendre compte de cette distorsion apparente ? On pourrait évidemment répondre en invoquant une évolution du rite qui aurait acquis des caractéristiques de type mystérique au ive siècle, comme l’a notamment proposé G. Sfameni Gasparro76. À moins qu’il n’ait alors été présenté par certains sous l’habillage d’un arc lexical mystérique, sans que les aspects réservés ou non dévoilés aient réellement constitué une partie importante de la cérémonie. L’extension de sens des termes mystêria ou teletê aurait ainsi rendu possible leur application à une cérémonie qui ne correspond pas à la définition minimaliste que nous retenions pour les mystères. Une autre hypothèse me semble également envisageable. À l’instar des mystères d’Éleusis77, la cérémonie du taurobole n’aurait-elle pas pu revêtir à la fois une dimension publique ou collective et une dimension mystérique ou à tout le moins davantage réservée ? Ne pourrait-on pas suggérer que le taurobole ait comporté un volet public, ou du moins une partie visible, mais aussi un aspect privé, ou réservé aux initiés ? Le récit par Apulée de l’initiation de Lucius aux mystères d’Isis à Corinthe constitue en tout cas un parallèle intéressant. L’initiation proprement dite est précédée, quelques jours auparavant, d’instructions données, les unes en secret, les autres au grand jour78. Le jour même, avant d’être revêtu d’une robe de lin et d’être conduit dans la partie la plus retirée du sanctuaire, Lucius est honoré de présents par
76. G. Sfameni Gasparro, Misteri e teologie. Per la storia dei culti mistici e misterici nel mondo antico, Cosenza 2003, p. 327 ; G. Sfameni Gasparro, « Misteri e culti orientali », p. 202. N. McLynn (« The Fourth-Century “Taurobolium” ») a montré que le taurobole n’avait pas connu d’évolution radicale au ive siècle. 77. L.-M. L’Hommé-Wéry, « Les Mystères d’Éleusis entre privé et public », dans V. Dasen, M. Piérart (éd.), Idia kai dèmosia. Les cadres « privés » et « publics » de la religion grecque antique, Liège 2005, p. 159-175. Voir aussi, de manière plus large, W. Burkert, « Le secret public et les mystères dits privés », Ktema 23 (1998), p. 375-381. 78. Apulée, Métamorphoses 11, 23, 2.
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Mystères phrygiens et tauroboles au IIe siècle une foule de gens, avant que les profanes ne soient éloignés79. Après la nuit d’initiation qu’Apulée ne fait qu’évoquer par allusions, Lucius est exposé aux regards de tous. Le taurobole aurait également pu comporter ces deux dimensions. D’abord, le sacrifice du taureau, célébré au grand jour, éventuellement pour le salut de l’empereur ou de la cité, et ce parfois à frais publics (notons que le sacrifice d’un tel animal suppose de l’espace et peut difficilement être réalisé dans une pièce fermée aux regards ou aux tréfonds d’un sanctuaire – si on admet que les cérémonies mystériques s’y déroulaient). Ce sacrifice aurait ensuite été suivi d’une cérémonie réservée aux initiés. Le traitement réservé aux testicules de l’animal sacrifié aurait eu lieu sans doute partiellement au vu de tous (il est évoqué de manière claire dans les inscriptions), mais également lors d’une cérémonie réservée (éventuellement avec une effusion de sang, à laquelle font allusion une inscription, Firmicus Maternus et le Carmen contra paganos)80. Ces mystères auraient également comporté un repas auquel semblent se référer les formules transmises par les auteurs chrétiens. Peut-être le mythe d’Attis aurait-il également joué un rôle dans la partie réservée de la cérémonie81. Au terme des mystères, les organes du taureau étaient alors enfouis et l’autel commémorant le sacrifice érigé – parfois, en un lieu public, accordé par décret des décurions, et parfois, semble-t-il, sur le lieu même de l’ensevelissement des uires82. Cette dernière partie de la cérémonie du taurobolium semble donc avoir été revêtue d’une certaine publicité.
79. Apulée, Métamorphoses 11, 23, 4. 80. N. McLynn, « The Fourth-Century “Taurobolium” », p. 318-319, 322. L’inscription tardive (CIL VI, 30780) émanant de deux tauroboliés qui évoquent les sangs mystiques de la cérémonie du taurobole et du criobole est le seul témoignage épigraphique au sang versé qui semble avoir provoqué la répulsion des auteurs chrétiens. On ne peut préciser si cette cérémonie impliquant le sang était liée au sacrifice du taureau ou à la « transmission » qui s’ensuivait. 81. Peut-être pourrait-on songer à une performance autour d’Attis, dans la veine de ce que suggère Strabon (Géographie XIV, 1, 20) à propos de l’Artémis d’Éphèse. Ces mystères semblent avoir englobé une représentation, par les Courètes, du mythe de la naissance d’Apollon et d’Artémis. 82. CCCA V, 363 (30 septembre 245) et vraisemblablement aussi CIL VI, 30780 (CCCA III, 237), selon l’interprétation de N. McLynn (« The Fourth-Century “Taurobolium” », p. 322 et n. 38).
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Françoise Van Haeperen *** Quoi qu’il en soit de ces hypothèses, c’est sans doute notre perception moderne des mystères, en partie ancrée dans les constructions forgées par les auteurs chrétiens antiques qu’il convient aussi de revisiter. Ainsi, la dimension transformante (la metanoia), considérée comme un trait constitutif des mystères, notamment par W. Burkert, n’apparaît pas dans les sources que nous avons envisagées. Si mystères phrygiens il y a eu – ce que semblent indiquer les représentations de cistes dès le iie siècle83 –, ce serait autour d’une cérémonie réservée et non dévoilée à laquelle feraient allusion les mots de passe transmis par Clément d’Alexandrie et Firmicus Maternus et qui pourrait correspondre à la face non visible du rituel taurobolique, si du moins on admet qu’y fasse allusion une série d’éléments pouvant être retenus comme indices : la veillée nocturne mentionnée dans une inscription du iie siècle, la durée de la cérémonie sur plusieurs jours et le vocabulaire à connotation mystérique du ive siècle.
83. Et peut-être déjà dès la seconde moitié du ie siècle, si on admet qu’une ciste est représentée dans la fresque de Pompéi représentant une procession de Mater Magna (F. Van Haeperen, « The Cista »).
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MYTHOGRAPHIE ET MYSTÉRIOGRAPHIE FRAGMENTS DE DISCOURS DANS ET AUTOUR DES MYSTÈRES Charles Delattre Université de Lille, CNRS
Statements about a people’s religious beliefs must always be treated with the greatest caution, for we are then dealing with what neither European nor native can directly observe, with conceptions, images, words, which require for understanding a thorough knowledge of a people’s language and also an awareness of the entire system of ideas of which any particular belief is part, for it may be meaningless when divorced from the set of beliefs and practices to which it belongs. E. Evans-Pritchard, Theories of Primitive Religion, Oxford 1965, p. 7.
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proposant l’hypothèse d’un « tournant mystérique » au iie siècle de notre ère, Nicole Belayche et Francesco Massa nous invitent à aborder la question des mystères sous l’angle de la référence, et ce dans un double sens. D’un côté, il s’agit d’envisager en synchronie les pratiques mystériques, c’est-à-dire l’ensemble des activités cultuelles documentées que l’on rassemble sous la désignation, désormais aussi traditionnelle que malaisée, de « cultes à mystères »1 : lorsque l’on évoque par exemple la monumentalisation du site d’Éleusis à cette n
1. J’utiliserai faute de mieux cette expression et celles qui lui sont associées tout en reprenant à mon compte les mises en garde développées par N. Belayche et F. Massa, « Quelques balises introductives. Lexique et historiographie », Mètis N.S. 14 (2016), p. 7-19. 10.1484/M.BEHE-EB.5.125931
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Charles Delattre époque, qui pourrait témoigner d’une intensification des pratiques cultuelles, on vise le référent (historique, religieux, sociologique) que le terme « cultes à mystères » identifie de façon globale dans le discours contemporain. De l’autre côté, on peut interroger la référence même aux mystères dans des corpus textuels, et traiter donc les pratiques mystériques non comme référent, mais comme instrument de discours. Ces deux stratégies exigent de nombreuses précautions, comme le souligne l’admonestation d’E. Evans-Pritchard donnée en épigraphe. Ni mythes ni mystères Évoquer les cultes mystériques dans le cadre d’un discours pose de façon aiguë un problème supplémentaire, celui de savoir ce qui pouvait ou devait se dire ou non en relation avec ces mêmes cultes, une difficulté que l’on ramène souvent à la détermination du sens des arrêta ou aporrêta que les auteurs anciens mentionnent de façon répétée quand il est question des « mystères ». On sait qu’il convient d’interpréter ces termes en deux sens complémentaires2 : la distance imposée par toute observation, que souligne E. Evans-Pritchard, est redoublée soit par « l’interdiction de dire » – ce qui suppose des instances de régulation, externes ou intériorisées qui imposent le secret –, soit par « l’impossibilité à dire » l’expérience mystérique – en raison du caractère si personnel de l’expérience qu’elle en devient intransmissible et non communicable. Mais le sens d’arrêta ou d’aporrêta est également travaillé par une dernière ambiguïté qui contribue à compliquer le tableau des traductions possibles : « dire » peut prendre des formes multiples, à l’intérieur et à l’extérieur du rituel, depuis l’ostension3
2. Ce point a été fermement rappelé par Ph. Hoffmann lors des échanges au cours du premier jour du colloque dont ce volume est issu. 3. Dans la théorie sémiotique, l’ostension est le plus élémentaire des actes de signification, où l’objet est désigné, présenté et non représenté par un signe, et joue ainsi par lui-même le rôle d’un signe de représentation (voir U. Eco, A Theory of Semiotics, Bloomington 1979, p. 224-225). Quoique non verbalisée dans sa version la plus simple, l’ostension produit malgré tout un sens et participe ainsi à un « dire » potentiel.
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Mythographie et mystériographie jusqu’aux formes multiples de discours (énigmes, listes et catalogues, récits, etc.) qui visent à rendre compte de ce qui s’est déroulé pendant la célébration ou de ce qui conditionne cette même célébration4. En bref, il faut absolument renoncer, pour interpréter ce que peuvent être les discours couverts par ces arrêta / aporrêta, à la notion unificatrice de « mythe », tout comme les participants au programme de recherche établi par Nicole Belayche et Francesco Massa ont rejeté la catégorie générale de « culte à mystères » : l’une et l’autre sont pareillement trop amples et, partant, inadéquates pour appréhender en finesse les phénomènes observables dans le champ des différentes pratiques cultuelles mystériques. Ce point est particulièrement important si l’on veut utiliser le corpus mythographique d’époque impériale5, comme c’est mon intention dans le cadre de cette étude, pour en analyser les références aux mystères. On prendra garde en particulier à deux faits : d’une part, les récits que le corpus propose ne sont qu’une solution parmi toutes celles qu’offrent les possibilités du discours, antique ou moderne, pour parler des cultes mystériques ; d’autre part, les récits de ce corpus ne véhiculent pas des données brutes à prendre au pied de la lettre, mais articulent des segments d’énoncé afin de s’inscrire dans des débats propres à leur époque et de proposer éventuellement des solutions nouvelles à des apories. Ces récits sont à lire comme des expérimentations exégétiques à rattacher à la littérature de commentaire, non comme des anthologies documentaires6.
4. C’est cette diversité que prend en compte F. Massa, « Écrire pour Dionysos. La présence de textes écrits dans les rituels dionysiaques », Revue de l’Histoire des Religions 230.2 (2013), p. 209-232 : F. Massa examine de façon très problématisée à la fois les usages de l’écrit dans la réalité bachique et les références à cet écrit. 5. J’entends ici ce corpus au sens traditionnel, tel qu’il a été rassemblé par A. Westermann dans son édition ΜΥΘΟΓΡΑΦΟΙ. Scriptores poeticae historiae Graeci (Brunswick 1843), sans prendre en compte les élargissements possibles aux pratiques mythographiques mises en valeur par les chercheurs des réseaux Polymnia ou NARGAMM dans d’autres ensembles textuels. 6. Cette réévaluation du corpus mythographique est l’un des résultats des travaux menés en Europe dans le cadre du réseau Polymnia. Voir par exemple l’introduction des éditeurs G. Besson, J. Fabre-Serris, Fr. Graziani, J.-Y. Tilliette et A. Zucker, dans Lire les mythes. Formes, usages et visées des pratiques mythographiques de l’Antiquité à la Renaissance, Villeneuve d’Ascq 2016, p. 12 : « D’une façon ou d’une autre, les mythographes interprètent toujours, voire déforment intentionnellement les éléments mythologiques qu’ils ont trouvés chez des auteurs antérieurs, eux-mêmes poètes, historiens, philosophes ou mythographes ».
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Charles Delattre En faisant allusion aux cultes mystériques, les auteurs du corpus mythographique ne nous fourniront donc sans doute pas les informations que nous souhaiterions, puisqu’ils règlent leur discours en fonction de stratégies qui leur sont propres, et qui n’ont que très peu à voir avec nos propres objectifs de recherche ou de lecture. Certains auteurs de ce corpus, comme le ps. Apollodore7, réunissent un matériau extrait essentiellement du cycle épique archaïque et des œuvres tragiques athéniennes du ve siècle pour en proposer une compilation raisonnée et organisée en une structure généalogique arborescente. D’autres, comme Antoninus Liberalis8, se livrent à une entreprise complexe de recomposition en prose pour laquelle ils mobilisent des données d’origines multiples (œuvres poétiques, historiographie) et construisent des stratégies de lecture diversifiées9. Certains même, comme le ps. Plutarque du Sur les fleuves10, poussent l’inventivité mythographique à ses limites en inventant tous les éléments d’une anecdote, y compris ses principaux personnages11. Mais dans tous les cas, rien de ce qui
7. Rappelons qu’il est convenu d’appeler « ps. Apollodore » l’auteur de la Bibliothèque : les manuscrits le désignent comme Apollodore d’Athènes et Photius comme Apollodore le Grammairien, visant ainsi sans doute l’auteur, au iie siècle avant notre ère, d’une étude sur le Catalogue des vaisseaux de l’Iliade. Cependant cette attribution est généralement rejetée, le texte de la Bibliothèque datant vraisemblablement du iie ou iiie siècle de notre ère. Mais il n’est pas impossible bien sûr que l’auteur du texte se soit lui-même appelé Apollodore, favorisant ainsi la confusion avec son illustre homonyme. 8. Nous ignorons tout de cet auteur, dont le nom est indiqué par l’unique manuscrit qui a transmis son texte (Palatinus Graecus 398, de la fin du ixe siècle). 9. La reconnaissance modulée des sources est à mon sens ce qui fait la spécificité du texte d’Antoninus Liberalis par rapport à d’autres pratiques mythographiques. Sur les différents pactes de lecture proposés par cet auteur, voir Ch. Delattre, « Duplications, réécritures et intertextualité chez Antoninus Liberalis. Céphale, Procris et le renard de Teumesse », Polymnia 4 (2019) : [https://polymnia-revue.univ-lille3.fr/index.php/ numero-4-2019], consulté le 5 février 2020. 10. L’attribution à Plutarque est faite par l’unique manuscrit du Sur les fleuves, à savoir le Palatinus Graecus 398, qui a également transmis le texte d’Antoninus Liberalis (voir n. 8), mais, comme le note en grec un lecteur en marge de la première page de l’énoncé, il y a loin du style du texte à celui de Plutarque. Des parallèles stylistiques et formels permettent d’attribuer au même auteur et le Sur les fleuves et des Parallèles mineurs, également rattachés au corpus plutarquéen, d’où la désignation générale de cet auteur comme un ps. Plutarque. On le distinguera cependant d’autres ps. Plutarque, par exemple l’auteur du De musica. 11. Le corpus mythographique offre encore d’autres orientations, comme chez Palaiphatos ou Héraclite dit le Paradoxographe, qui rapportent des anecdotes issues de
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Mythographie et mystériographie pouvait concerner directement les pratiques mystériques n’a été sélectionné pour se retrouver dans leur énoncé, et même les noms associés à ces pratiques, qu’il s’agisse de Iacchos et de Bromios, caractéristiques du contexte éleusinien, ou de Zagreus, sont absents du corpus. L’exploration mythologique menée par les mythographes s’inscrit donc dans un cadre qui exclut l’intégration de développements narratifs comportant des éléments relevant des « mystères ». Malgré tout, le monde des cultes mystériques n’est pas un inconnu complet dans ce paysage, et on peut retrouver un reflet du nexus religieux que constituent certaines pratiques cultuelles mystériques derrière quelques mentions12. La langue grecque contribue elle-même à diffracter une partie de ce reflet : un rhéteur comme Denys d’Halicarnasse, qui n’a normalement que faire dans son exégèse rhétorique de la sphère cultuelle, qu’elle soit mystérique ou non, en importe pourtant des termes caractéristiques pour dire par métaphore sa propre activité, au moment d’aborder la difficile question des rapports entre poésie et prose, et cite même des passages du premier vers des Diathèkai orphiques13 : Il faut essayer maintenant, sur ce sujet-là aussi, d’indiquer mon point de vue. Mais nous touchons là quasiment à des mystères qu’il n’est pas possible de communiquer à la foule ; aussi ne serait-il nullement discourtois d’inviter les « seuls initiés » à venir participer à ces rites du langage et de conseiller « aux profanes » de « fermer la porte de leurs oreilles ».
Pour nous cantonner au corpus mythographique, dans un premier temps, nous proposerons une recension des données accessibles, pour
la tradition littéraire, en les présentant comme relevant d’un savoir commun et en en signalant ce qu’ils tiennent pour des invraisemblances. Comme il n’est pas question des cultes à mystères dans leurs énoncés, nous n’en ferons pas davantage mention ici. 12. Il n’est pas question de prétendre ici que certains des mythographes ont été initiés : l’ignorance quasi complète où nous sommes concernant ne serait-ce que leur identité ferait de cette hypothèse une pure fantaisie. 13. Denys d’Halicarnasse, Composition stylistique 25.5 : Πειρατέον δὴ καὶ περὶ τούτων λέγειν ἃ φρονῶ. μυστηρίοις μὲν οὖν ἔοικεν ἤδη ταῦτα καὶ οὐκ εἰς πολλοὺς οἷά τε ἐστὶν ἐκφέρεσθαι, ὥστ’ οὐκ ἂν εἴην φορτικός, εἰ παρακαλοίην ‘οἷς θέμις ἐστὶν’ ἥκειν ἐπὶ τὰς τελετὰς τοῦ λόγου, ‘θύρας δ’ ἐπιθέσθαι’ λέγοιμι ταῖς ἀκοαῖς τοὺς ‘βεβήλους’ (cf. fr. 245-247 Kern, ainsi que fr. 334 Kern). Nous reprenons la traduction de G. Aujac et de M. Lebel dans la CUF, et nous soulignons les expressions renvoyant aux cultes mystériques.
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Charles Delattre donner un aperçu positif de ce reflet et en montrer différentes perceptions possibles, en accord avec la posture auctoriale propre à chaque mythographe. Dans un deuxième temps, nous voudrions interroger la façon d’être de ce reflet, son mode d’existence, et la relation problématique que peut entretenir une mise en forme narrative sous forme écrite avec les caractéristiques spécifiques du dire et du non-dire dans le cadre des cultes à mystères, c’est-à-dire la notion moderne de secret. « Mystères » ou « célébration(s) » chez Antoninus Liberalis S’il n’existe dans le corpus mythographique aucun récit, aucune liste, aucune réflexion se rapportant au contenu d’un culte mystérique, qu’il s’agisse de l’expérience sensible des initiés ou des éventuelles connaissances qui y étaient dispensées, on rencontre ici et là le terme μυστήρια ou τελετή. Chez Antoninus Liberalis, auteur d’une anthologie de Métamorphoses composée sans doute au iie siècle de notre ère, les deux termes se rencontrent dans le contexte d’un récit consacré à des jeunes filles, les Minyades (§10.1-2). Ces filles de Minyas d’Orchomène faisaient preuve d’un amour très exagéré pour le travail au point de critiquer sévèrement les femmes « qui abandonnaient la ville pour s’en aller faire les bacchantes dans les montagnes » (ἐκλιποῦσαι τὴν πόλιν ἐν τοῖς ὄρεσιν ἐβάκχευον). Dionysos prit l’apparence d’une jeune fille pour leur conseiller de « ne pas manquer aux célébrations ou mystères du dieu » (μὴ ἐκλείπειν τελετὰς ἢ μυστήρια τοῦ θεοῦ), mais elles refusèrent ce conseil et furent donc transformées l’une en chauve-souris, la deuxième en une chouette et la dernière en hibou. On reconnaît sans difficulté dans cette anecdote ce qui sert de cadre général à l’intrigue des Bacchantes d’Euripide, à savoir la question de l’instauration du culte dionysiaque et le motif de la reconnaissance de Dionysos comme divinité, dont le refus obstiné fait courir le risque d’un châtiment exemplaire. Dans la stratégie narrative propre à Antoninus Liberalis, l’abandon de la cité pour les montagnes où les femmes font les bacchantes (ἐκλιποῦσαι τὴν πόλιν ἐν τοῖς ὄρεσιν ἐβάκχευον), mentionné dès le début de la notice, sert d’indice pour instaurer un contrat de lecture intertextuel, par lequel le lecteur est invité à se remémorer spécifiquement le canevas de la tragédie d’Euripide, et ceci est renforcé par la répétition des mêmes termes dans la suite du texte pour qualifier la nouvelle attitude des Minyades (καταλιποῦσαι δὲ τὰ οἰκεῖα τοῦ πατρὸς ἐβάκχευον ἐν τοῖς ὄρεσι). Mais le rapport aux Bacchantes 356
Mythographie et mystériographie d’Euripide est indirect, ou tout au moins enrichi par un intermédiaire : l’ensemble de l’énoncé joue en variation par rapport à une version particulièrement développée que l’on trouve chez Ovide (Métamorphoses 4, 1-415), qui se lit elle-même comme une réécriture partielle, directe ou indirecte, de l’histoire de Penthée dans les Bacchantes14. L’apparente simplicité du récit constitue en soi un choix : Antoninus Liberalis cantonne son anecdote au passé en ne faisant que mention de Dionysos, tandis que Plutarque la rapporte à la célébration des Agrionies d’Orchomène et aménage ainsi un volet étiologique entre passé mythico-historique (Minyades) et présent de la célébration (Agrionies)15. La notice d’Antoninus Liberalis constitue un ensemble refermé sur lui-même et autonome, et son équilibre interne dépend partiellement du contraste qu’Antoninus Liberalis aménage tant avec Ovide qu’avec Euripide. Trois termes sont utilisés par Antoninus Liberalis pour décrire l’activité cultuelle en rapport avec Dionysos : βακχεύω renvoie à ce que font les femmes dans les montagnes, et définit un statut (« bacchantes ») autant qu’il désigne une activité (« faire la bacchante », « célébrer le culte dionysiaque ») ; τελετή qualifie le culte nouveau du dieu, qui est envisagé ici comme une réunion à laquelle il ne saurait être question de manquer ; μυστήρια, enfin, glose τελετή. Aucun de ces termes n’est nouveau ni original. Cependant leur répartition, avec βακχεύω et τελετή au premier plan et μυστήρια en commentaire, correspond aux caractérisques lexicales des Bacchantes : dans cette pièce, l’emploi de la famille lexicale composée sur le radical βακχ- est massif, puisqu’on en dénombre 42 occurrences sur un total de 1390 vers, soit une mention tous les 30 vers environ, avec bien sûr des regroupements. Cette accumulation lexicale ne tient pas seulement au sujet de la pièce : l’emploi de termes d’une grande banalité linguistique, comme le substantif « bacchante » (βάκχη, 8 occurrences), l’adjectif « bacchant » (βακχεῖος, 7 occurrences) ou les verbes « être bacchant » (βακχεύω, βακχᾶν, βακχιάζω et leurs composés, 10 occurrences) s’accompagne d’un recours à des termes plus rares (βακχεύσιμος, v. 298 ; πρόβακχος, v. 413 ; ἀβάκχευτος, v. 472), qui disséminent le radical βακχ- à la
14. Voir la n. 9. Quoique proche, la version donnée par Élien, Histoire variée 3, 42 ne se donne pas à lire avec le même pacte de lecture. 15. Quaestiones Graecae 38, 299 E-F. On ne peut savoir si le rapport que Plutarque établit est une construction personnelle ou une donnée partagée par les participants aux Agrionies.
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Charles Delattre fois dans différents niveaux stylistiques et dans les parties chantées aussi bien que parlées, et donc dans l’ensemble de la tragédie. De son côté, le radical τελ- est bien attesté également, quoiqu’il soit d’un emploi plus mesuré dans la pièce : on en trouve 5 occurrences, toujours pour désigner le culte du dieu, que le locuteur soit Dionysos lui-même (v. 20-22), le chœur (v. 74), Penthée dans son soliloque (v. 237-238 ; 259-260) ou en dialogue avec Dionysos (v. 465-466). En revanche μυστήρια, qui est bien attesté à l’époque classique pour le culte d’Éleusis, n’est jamais utilisé à la même époque pour se référer aux rituels dionysiaques, que ce soit dans la pièce d’Euripide ou ailleurs. Le choix d’Antoninus Liberalis de privilégier βακχεύω et τελετή marque donc une sorte de rupture avec l’extension du terme μυστήρια que l’on constate à son époque et pourrait être le signe d’un archaïsme, voire d’un accord intentionnel avec les usages lexicaux d’Euripide. On notera que, de son côté, Ovide fait un choix différent en associant les génériques festum et sacra à un emprunt direct au grec, orgia, qui n’est justement un calque ni de τελετή, ni de μυστήρια16. Le redoublement « célébrations ou mystères du dieu » (τελετὰς ἢ μυστήρια τοῦ θεοῦ) est-il significatif ici ? On pourrait en douter, si l’on considère des expressions antiques comme « héros et demidieux » (ἥρωες καὶ ἡμίθεοι)17, ou des expressions modernes comme « contes et légendes », où deux termes proches dans leurs emplois concourent à la désignation d’un même référent. On connaît même de
16. Orgia : Métamorphoses 4, 1 ; festum : Métamorphoses 4, 4 ; 33 ; 390 ; sacra : Métamorphoses 4, 32 ; 37 (voir aussi sacrilegos : Métamorphoses 4, 23). Le glossaire du grammairien Charisius (Ars grammatica 37, 10) glose justement orgia par Διονύσου μυστήρια, mais Servius (Commentaire à l’Énéide de Virgile 4, 302), qui reconnaît cette équivalence, souligne que les orgia grecs désignent en fait tous les cultes (sacra omnia, sicut apud Latinos caeremoniae dicuntur). Cet hellénisme n’est pas propre à Ovide : on le trouve déjà chez Plaute, puis Catulle et Virgile. 17. Par exemple Diodore, 4, 1, 1 ; 4, 1, 4 ; 4, 1, 5 ; 4, 85, 7 ; 5, 49, 6 ; 17, 1, 4 ; Philon d’Alexandrie, De congressu eruditionis gratia 16 ; Dion Chrysostome, Discours 2, 8 ; 31, 16 ; 33, 2 ; 69, 1 ; Flavius Josèphe, Bellum Judaicum 2, 156 ; Ælius Aristide, Eis Poseidona [XLVI], 29 Keil (p. 41, 1 Dindorf = p. 24, 22 Jebb) ; Porphyre, De abstinentia 1, 22 ; Ménandre, Diairesis, p. 353, 13-14 Spengel ; Argonautiques Orphiques 51. Pour cette expression et ses dérivés, voir Ch. Delattre, « Ἡμίθεος en question. L’homme, le héros et le demi-dieu », Revue des études grecques 120 (2007), p. 492-493.
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Mythographie et mystériographie nombreux exemples de μυστήρια associé à τελετή à l’époque impériale et tardo-antique, le plus souvent dans des énumérations18, mais aussi sous la forme simple que présente Antoninus Liberalis19. Mais on peut également envisager qu’Antoninus Liberalis introduise par la glose μυστήρια un commentaire discret visant à colorer son emploi de τελετή. En effet, quoique le référent des deux termes soit identique, d’autres occurrences du corpus mythographique d’époque impériale montrent que leur contexte d’utilisation oriente différemment l’interprétation à donner aux deux termes. Étiologies de cultes mystériques chez le ps. Apollodore Dans la Bibliothèque du ps. Apollodore, par exemple, composée sans doute au iie ou au iiie siècle de notre ère, le terme τελετή est utilisé, comme chez Antoninus Liberalis, en rapport avec Dionysos (Bibl. 2.26 = 2.2.2). Les filles de l’argien Prœtos, tout comme les filles de Minyas chez Antoninus Liberalis, ont été « frappées de folie » (ἐμάνησαν) pour avoir refusé « d’accueillir les célébrations de Dionysos » (τὰς Διονύσου τελετὰς οὐ κατεδέχοντο)20. Comme chez 18. Par exemple Diodore, 1, 22, 7 (ἔν τε τοῖς μυστηρίοις καὶ ταῖς τοῦ θεοῦ τούτου τελεταῖς τε καὶ θυσίαις) ; Thémistios, Discours 349b (καὶ μυστήρια καὶ πανηγύρεις καὶ τελετάς) ; Sapientia Salomonis 14, 23 (ἢ γὰρ τεκνοφόνους τελετὰς ἢ κρύφια μυστήρια ἢ ἐμμανεῖς ἐξάλλων θεσμῶν κώμους ἄγοντες) ; Eusèbe, Préparation évangélique 2, 2, 63 (τὰς ἐν τοῖς ἀδύτοις τελετὰς καὶ τὰ ἀπόρρητα μυστήρια) ; 10, 1, 3 (τὴν περὶ πλειόνων θεῶν δόξαν τά τε μυστήρια καὶ τὰς τελετὰς καὶ προσέτι τὰς ἱστορίας καὶ τὰς μυθικὰς περὶ θεῶν διηγήσεις) ; 10, 4, 4 (μυστήρια καὶ τελετὰς ξοάνων τε ἱδρύσεις καὶ ὕμνους ᾠδάς τε καὶ ἐπῳδάς) ; ps. Nonnos, In iV orationes Gregorii Nazianzeni commentarii 39, 17 Nimmo Smith (θρησκεύειν καὶ θεραπεύειν θεὸν καὶ τελετὰς τελεῖν καὶ μυστήρια συγκροτεῖν). 19. Plutarque, De Malignitate Hérodoti 857 C (μυστήρια δὲ καὶ τὰς περὶ Δήμητρα τελετάς) ; Flavius Josèphe, Contre Apion 2, 189 (μυστήρια καὶ τελετάς). Diodore semble apprécier ce redoublement : 1, 23, 3 (τὰς τελετὰς καὶ τὰ μυστήρια) ; 1, 29, 2 (τὰς τελετὰς τῆς Δήμητρος ἐν Ἐλευσῖνι καὶ τὰ μυστήρια) ; 3, 63, 2 (τὸν τὰ μυστήρια καὶ τελετὰς καὶ βακχείας εἰσηγησάμενον) ; 3, 65, 2 (τὰς δὲ τελετὰς καὶ τὰ μυστήρια) ; 5, 64, 4 (τάς τε ἐπῳδὰς καὶ τελετὰς καὶ μυστήρια ; τελετὰς καὶ μυστήρια). En 5, 77, 3, il propose une formule subordonnée, et non coordonnée : τὰς περὶ τὰ μυστήρια τελετάς. 20. L’anecdote ne constitue pas une notice autonome, comme chez Antoninus Liberalis, puisqu’elle est insérée dans le déploiement de la généalogie argienne qui organise l’ensemble du 2e livre de la Bibliothèque du ps. Apollodore. Le motif de la folie (et de l’errance, introduite dans la suite du texte) renvoie aux malheurs de l’ancêtre commune Io, exposés en 2, 1, 3 = 2, 5-9. L’anecdote elle-même est rapportée à Hésiode par ps. Apollodore (voir Catalogue des Femmes, fr. 131 Merkelbach et West) et distinguée
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Charles Delattre Antoninus Liberalis, les « célébrations » (τελεταί) désignent sans surprise un ensemble de comportements et d’actions religieuses visant à honorer le dieu. Reconnaître le dieu pour tel passe par le respect et l’observance du rituel qui lui est associé21. Un deuxième passage de la Bibliothèque (3, 33 = 3, 5, 1) précise l’étiologie de ce complexe rituel en le mettant en rapport avec les actions de Dionysos lui-même22. « Frappé de folie par Héra » (Ἥρας μανίαν αὐτῷ ἐμβαλούσης) après avoir découvert la vigne, Dionysos erre en Égypte et en Syrie, et parvient enfin à Cybéla en Phrygie, où il est « purifié par Rhéa » (καθαρθεὶς ὑπὸ Ῥέας). Il apprend d’elle « les célébrations » (τὰς τελετὰς ἐκμαθών), « adopte sa robe longue » (λαβὼν παρ᾿ ἐκείνης τὴν στολήν) et traverse ensuite la Thrace. L’énoncé construit par le ps. Apollodore construit visiblement une figure composite de Dionysos : sa propre folie renvoie à celle dont il frappe ceux qui le méprisent, et ses errances articulent différents espaces – le Proche-Orient, l’Égypte, la Thrace, la Phrygie – auxquels il est diversement associé. Il est remarquable en particulier que, dans la stratégie explicative du ps. Apollodore, les célébrations dionysiaques résultent de l’appropriation par le dieu d’un culte phrygien plus ancien : Dionysos n’est pas l’inventeur de son propre culte, mais le successeur d’une divinité plus ancienne, Rhéa, tout comme Apollon prend la suite de Thémis ou de Gaia à Delphes23. Il n’est cependant pas défini dans l’énoncé seulement comme le destinataire de ce culte : soumis d’abord à une purification dont on comprend qu’elle le guérit de sa folie, Dionysos prend ensuite connaissance des célébrations, avant de recevoir
d’une version impliquant Héra qui remonterait, toujours d’après l’auteur, à Acousilaos (fr. 28 Fowler). 21. Il n’est pas impossible que les τελεταί refusées par les Prœtides fassent jeu de mots avec l’expression ὡς ἐτελειώθησαν, « quand les jeunes filles devinrent adultes ». 22. Οn notera que cette étiologie explique rétroactivement ce que sont les τελεταί dans l’épisode des Prœtides, signe que la Bibliothèque ne les tient pas pour une notion centrale qui mériterait un développement à lui seul dans l’une des premières parties de l’ouvrage. C’est tout le contraire de Diodore, qui organise une histoire des premiers temps – telle en tout cas qu’elle serait racontée par les Égyptiens (1, 9, 1-10, 1) – où Osiris assume l’identité (1, 15, 6) et les actions civilisatrices de Dionysos (1, 15, 8 ; 1, 17, 1sq.), y compris la fondation de cultes mystériques (1, 20, 6 ; 1, 22, 6-7). 23. La stratégie onomastique du ps. Apollodore est facile ici à identifier : le nom hellénisé de la divinité phrygienne apparaît de façon transparente dans le toponyme qui lui est associé, Cybéla, tandis que son nom grec, Rhéa, la renvoie à la génération de Thémis.
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Mythographie et mystériographie de la déesse (mais le texte dit plutôt qu’il « prend », λαβών) un habit distinctif. Il subit ainsi une série de transformations qui font penser à celles du futur initié. L’emploi du verbe « apprendre » (ἐκμαθών) souligne toutefois une modalité particulière de ce culte : il n’est pas question dans le texte de révélation ou d’initiation, seulement d’un apprentissage. Le complexe rituel désigné comme τελετή est ici complété par deux précisions importantes : ce rituel est associé à une divinité spécifique (Rhéa, puis Dionysos) ; objet d’enseignement, il est envisagé comme un tout susceptible d’être transmis24. Chez le même ps. Apollodore, les occurrences du terme μυστήρια invitent à déceler d’autres connotations en rapport avec le complexe rituel associé à Dionysos. La Bibliothèque fournit en effet, avant le passage sur Dionysos, une première étiologie du culte, en l’associant cette fois-ci à Orphée, dans un court paragraphe du premier livre (Bibl. 1, 14-15 = 1, 3, 2). Il ne faut pas supposer que l’apparition de cette étiologie avant celle liée à Dionysos lui garantit une prééminence, ou voir dans la coprésence de ces deux étiologies concurrentes une incohérence : la Bibliothèque regroupe une grande masse d’informations dans des structures généalogiques complexes, qui à la fois servent à indexer ces informations et parfois en réorientent partiellement le sens25. Le traité ne prétend pas proposer un tableau général et cohérent d’une mythologie devenue panthéon inamovible. Orphée lui-même n’apparaît qu’au détour d’une liste, celle des Muses, elle-même intégrée dans une énumération des enfants que Zeus a engendrés de ses différentes unions divines. En quelques lignes à semblance biographique, sont rapportées l’activité d’Orphée (il chante en s’accompagnant à la cithare et fait se mouvoir pierres et arbres), l’histoire d’Eurydice (sa mort et l’échec d’Orphée à la ramener des Enfers), le fait « qu’Orphée a inventé les mystères de Dionysos » (εὗρε δὲ Ὀρφεὺς καὶ τὰ Διονύσου μυστήρια), son assassinat par des Ménades et ses funérailles en Piérie. L’emploi du verbe εὑρίσκω pour identifier l’origine des « mystères » est ici remarquable si on le compare à ce qui est raconté de Dionysos par le même ps. Apollodore : tandis que le dieu reçoit d’une
24. Pour une formation similaire, voir par exemple Diodore, 1, 22, 7. 25. Nous laissons ici de côté le texte grec de l’Épitomé, qui résume les livres perdus de la Bibliothèque, mais qui est recomposé à partir de deux abrégés divergents, l’un conservé dans le Vaticanus Graecus 950, l’autre dans le Sabbaiticus Hierosolymitanus 366.
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Charles Delattre divinité, comme un élève ou un apprenti, un ensemble de prescriptions rituelles déjà ordonnées, Orphée « découvre » des mystères de Dionysos. On pourrait croire que l’auteur articule ainsi deux épisodes d’une même fondation, la transmission divine d’un complexe rituel d’une divinité à l’autre, et l’intégration de ces rituels dans les pratiques humaines par un héros qui les « trouve » déjà organisés. On sait bien cependant que le verbe εὑρίσκω, comme le latin invenio, renvoie aussi bien à la catégorie de la « découverte » qu’à celle de l’innovation technique. Hermès « trouve » ainsi une tortue, dont il retravaille la carapace, mais il « découvre » de cette façon la lyre et le plectre26. La fondation des mystères par Orphée fait apparaître dans le champ de l’expérience humaine un objet nouveau qui est aussi un acquis pour la postérité. Elle est le résultat d’une expertise qui insère Orphée dans la liste des grands découvreurs, dont Dédale bien sûr27, mais aussi Dionysos, « inventeur » de la vigne28. Par ailleurs, la succession rapide des mentions dans le paragraphe invite à supposer des liens et des échos entre elles, même si l’énoncé se borne à les juxtaposer par un système connectif simple fondé sur l’usage répété de la même particule de liaison (δέ). Ainsi, la capacité d’Orphée à « mouvoir les pierres et les arbres » (ἐκίνει λίθους τε καὶ δένδρα) devient-elle capacité à émouvoir et « persuader » (ἔπεισεν) le dieu des Enfers de rendre Eurydice ; la comparaison implicite entre la mort d’Orphée, « mis en pièces par les Ménades » (διασπασθεὶς ὑπὸ τῶν μαινάδων), et le diasparagmos dionysiaque, est renforcée par la mention des « mystères de Dionysos » (τὰ Διονύσου μυστήρια) dans la phrase précédente ; enfin la localisation de la sépulture d’Orphée en Piérie (τέθαπται περὶ τὴν Πιερίαν) n’est pas seulement une mention géographique banale permettant de rattacher toute l’histoire d’Orphée au nord du monde grec et à la Thrace (ce que permettait déjà le nom de son père, Œagre, en début de paragraphe), ou une simple allusion aux liens que les Muses – Orphée est donné comme fils de
26. καὶ εὑρίσκει πρὸ τοῦ ἄντρου νεμομένην χελώνην. ταύτην ἐκκαθάρας, εἰς τὸ κύτος χορδὰς ἐντείνας ἐξ ὧν ἔθυσε βοῶν καὶ ἐργασάμενος λύραν εὗρε καὶ πλῆκτρον : « il trouve devant l’antre une tortue en train de paître. Il la vida, tendit sur la carapace des cordes faites avec les boyaux des vaches sacrifiées et, grâce à ce travail, il inventa la lyre et aussi le plectre » (traduction modifiée de J.-Cl. Carrière et B. Massonie, Besançon 1991). 27. ps. Apollodore 3, 214 = 3, 15, 8 : πρῶτος ἀγαλμάτων εὑρετής. 28. 3, 33 = 3, 5, 1 : Διόνυσος δὲ εὑρετὴς ἀμπέλου γενόμενος.
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Mythographie et mystériographie Calliope – entretiennent avec cette région depuis au moins Hésiode29, mais aussi le point final d’un développement qui débouche sur le traitement d’un nouvel individu, Piéros de Magnésie, donné pour amant de Clio à la phrase suivante (Κλειὼ δὲ Πιέρου τοῦ Μάγνητος ἠράσθη). Les segments d’énoncé ne sont pas isolés les uns des autres, mais reliés à la fois par un enchaînement syntaxique manifesté par la particule de liaison δέ, par une cohérence logique qui est celle de la progression biographique (caractérisation générale d’Orphée ; épisode d’Eurydice ; invention des mystères de Dionysos ; mort d’Orphée), et par un tissu d’échos qui font que chaque micro-épisode reprend, réarticule et met en valeur un détail de l’épisode précédent. Si l’on adopte ce mode de lecture, les mystères de Dionysos sont la conséquence implicite de l’aventure d’Orphée aux Enfers, et introduisent également le motif de la sépulture, qui dans l’énoncé précède la mise à mort d’Orphée, c’està-dire s’instaurent dans un rapport avec le monde funéraire. Il se trouve que le lien implicite entre culte mystérique et monde funéraire se retrouve dans un dernier passage d’Apollodore, au sein de la geste d’Héraclès au livre II de la Bibliothèque (2, 122 = 2, 25, 12)30. Sur le point de se rendre aux Enfers pour chercher Cerbère, le héros passe d’abord par Éleusis, où il souhaite se faire initier (μυηθῆναι) par Eumolpos. Il y subit d’abord une « purification » (ἡγνισμένος), nécessaire étant donné qu’il a « versé le sang des Centaures » (τὸν Κενταύρων φόνον), avant l’initiation elle-même. Ce passage est tout à fait remarquable, tout d’abord parce qu’il emploie un verbe pour dire le processus d’intégration dans le culte, et non le culte lui-même. Si μυηθῆναι désigne bien ici l’initiation au sens de première participation, cela colore dans la phrase suivante les « mystères » (μυστήρια) : ils ne sont pas définis comme un complexe cultuel ordonné, envisagé en un tout de l’extérieur, comme pouvait l’être τελετή dans les occurrences précédentes, mais comme un système potentiellement ouvert et accessible aux individus. Ceci est confirmé par les précisions apportées par le ps. Apollodore, seul de tous les mythographes à introduire des modalités précises concernant le culte : on remarquera par exemple le recours à l’expression « voir les mystères » (ἰδεῖν τὰ μυστήρια), unique en son genre dans tout le corpus mythographique. 29. Hésiode, Théogonie 53 : « leur mère leur donna naissance en Piérie, après s’être unie à leur père le Cronide » (τὰς ἐν Πιερίῃ Κρονίδῃ τέκε πατρὶ μιγεῖσα). 30. Le rattachement d’Héraclès à la lignée argienne justifie la localisation de sa geste dans le livre II.
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Charles Delattre L’insistance sur le processus de purification (indiqué deux fois grâce au verbe ἁγνίζω) souligne de son côté la complexité des modalités de participation, un point renforcé par une incise qui pose problème aux éditeurs dans ses détails, mais qui établit clairement des règles d’accès auxquelles il convient de se soumettre31. Chez le ps. Apollodore, donc, l’emploi de τελεταί d’un côté, de μυστήρια de l’autre, correspond à des orientations spécifiques du contexte, qui distinguent d’un côté l’ensemble rituel ordonné comme un tout, de l’autre les pratiques rituelles conditionnées par des règles d’accès. Si le référent est le même, la distinction sémantique entre τελεταί et μυστήρια souligne une légère modulation dans la définition du référent. Mais il faut bien reconnaître que les motifs qui poussent à choisir l’un ou l’autre terme restent ténus. Plus décisives sans doute sont les restrictions que l’auteur introduit dans son propos et ce qu’il passe sous silence : il n’est question chez le ps. Apollodore que de Dionysos dans un cas, et d’Éleusis de l’autre, à l’exclusion de tout autre culte mystérique. La diversité des pratiques mystériques et la variabilité de leur rattachement social ou topographique sont donc ramenées à deux modèles majeurs, celui d’un culte vagant (Dionysos) et celui d’un sanctuaire enraciné dans le terroir attique (Éleusis) ; les structures associatives n’ont aucune place dans cette dichotomie. Même des points jugés importants par d’autres auteurs ne sont pas retenus par le ps. Apollodore : il n’existe par exemple aucune précision sur la fondation du sanctuaire d’Éleusis32, même dans le récit consacré aux errances de Déméter, suite à l’enlèvement de Perséphone33. Il est
31. ἦν δὲ οὐκ ἐξὸν ξένοις τότε μυεῖσθαι, ἐπειδήπερ θετὸς (ou θέστιος) Πυλίου παῖς γενόμενος ἐμυεῖτο : « il n’était pas permis alors aux étrangers de recevoir l’initiation, mais puisqu’Héraclès devint le fils adoptif de Pylios il fut initié ». 32. On pourra comparer de ce point de vue les choix opérés par le ps. Apollodore à ceux de Pausanias (5, 1, 3-4, 6), qui détaille l’organisation en plusieurs étapes des rituels d’Olympie, où Pélops, Héraclès et les Héraclides jouent des rôles diversifiés. Pausanias reprend ici, directement ou indirectement, une disposition déjà attestée par Pindare dans les Olympiques 1, 2, 3 et 10, comme l’a bien vu J. Jouanna, « Mythe et rite. La fondation des jeux olympiques chez Pindare », Ktema 27 (2002), p. 105118. Ce point a été repris et amplifié dans la thèse inédite de P. Cuvelier, Le mythe de Pélops et d’Hippodamie en Grèce ancienne. Cultes, images, discours, Université de Poitiers 2012, t. I, p. 26-35. 33. ps. Apollodore, Bibliothèque 1, 5, 1-3 = 1, 29-34. Le passage s’insère dans le développement généalogique consacré à Zeus et ses frères : sont envisagées les unes après les autres les unions, maritales et extra-conjugales, de chacun de ces trois dieux.
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Mythographie et mystériographie pourtant bien question d’Éleusis, à la fois comme toponyme et comme système cultuel particulier, dans les différentes étapes de l’énoncé, avec l’insertion de détails qui renvoient aux pratiques cultuelles locales : lorsque Déméter recherche sa fille, elle est équipée de « flambeaux » (μετὰ λαμπάδων) ; son arrivée à Éleusis permet d’évoquer avec précision un rocher (« le Rocher sans ris », Ἀγέλαστον πέτραν) et un puits (« le Puits des belles danses », τὸ Καλλίχορον φρέαρ). Pourtant, l’étiologie rituelle construite en ce point à partir de l’évocation du personnage de Iambé pointe curieusement vers des Thesmophories, non vers le rituel mystérique en lui-même34. De même, la conséquence du passage de Déméter par Éleusis est l’octroi du blé aux hommes, par l’entremise de Triptolème, et non la fondation d’un culte. On aurait pu penser que les éléments cultuels introduits par le ps. Apollodore dans son texte pointaient vers la réalité des pratiques locales, qu’il en ait trouvé la mention dans des commentaires ou qu’il en ait fait l’expérience personnelle, mais il faut renoncer à cette hypothèse : l’allusion au « Rocher sans ris » et au « Puits des belles danses » ne fait que reprendre deux mentions de l’Hymne homérique à Déméter (v. 200 : ἀγέλαστος ; v. 271 : Καλλιχόρου). Entre le sanctuaire d’Éleusis tel qu’aurait pu le connaître l’auteur et son énoncé se dresse la barrière de la référence culturelle, le massif de l’hymne homérique qui organise le récit sur Déméter et la désignation d’Éleusis. Ce n’est pas le monde des dadouques et des hiérophantes tel que nous le font connaître les inscriptions d’époque impériale qui transparaît derrière le texte du ps. Apollodore, mais celui d’un récit autorisé, figé et rebattu, que transmet la tradition du commentaire sur les œuvres du passé. Réorientation des « mystères » chez le ps. Plutarque La situation est un peu différente dans le Sur les fleuves du ps. Plutarque. En effet, les emplois de μυστήρια dans ce texte ressemblent à ceux envisagés précédemment, à condition de prendre en compte un déplacement sémantique ainsi qu’une extension dans la liste des divinités envisagées. Ce traité, moins connu que les précédents, date vraisemblablement aussi de l’époque impériale, et se caractérise comme les autres textes par son accumulation de données dans un cadre 34. ps. Apollodore, Bibliothèque 1, 5, 1 = 1, 20 : « c’est pour cette raison que l’on dit que les femmes lancent des moqueries aux thesmophories » (διὰ τοῦτο ἐν τοῖς θεσμοφορίοις τὰς γυναῖκας σκώπτειν λέγουσιν).
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Charles Delattre extrêmement construit, voire répétitif, et sa capacité à innover – cet auteur a même été régulièrement taxé de mensonge dans la bibliographie moderne35. L’un des récits contenus dans le traité développe le motif de la négligence manifestée envers le culte d’une divinité, qui s’en trouve offensée et se venge : c’est très exactement le motif que nous avons déjà rencontré chez Antoninus Liberalis avec les Minyades et chez le ps. Apollodore avec les Prœtides. Dans le Sur les fleuves, il s’agit d’un certain Sagaris, qui tenait pour négligeables les mystères de la Mère des dieux et qui maltraitait ses prêtres, et qui fut par conséquent frappé de folie, à la suite de quoi il se jeta dans le fleuve Xérobatès auquel il donna son nouveau nom36. Un deuxième récit joue sur la même structure, mais en l’inversant partiellement : c’est parce que Lilaios, pourtant défini comme « excessivement pieux » (δεισιδαίμων), honorait exclusivement Séléné, dont il célébrait les mystères, qu’il fut puni par les autres dieux. Dans ce deuxième cas, l’offense aux dieux ne vient pas de l’impiété du personnage, mais d’une piété trop manifeste et mal orientée, conformément à un schéma narratif qui remonte au moins à l’Hippolyte d’Euripide37. 35. Pour une appréciation générale des données et des différents pactes de lecture qu’elles autorisent, voir Ch. Delattre, « Lectures et usages du Sur les fleuves du pseudoPlutarque », dans A. Zucker, J. Fabre-Serris et al. (éd.), Lire les mythes, p. 143-160. 36. ps. Plutarque, Sur les fleuves 12, 1 : Σάγαρις, Μύγδονος καὶ Ἀλεξιρρόης παῖς, τὰ μυστήρια τῆς μητρὸς τῶν θεῶν ἐξουθενίζων, τοὺς ἱερεῖς καὶ Γάλλους αὐτῆς ὕβρισεν. Ἡ δὲ μισοπονήρως ἐνεγκοῦσα τὴν πρᾶξιν τῷ προειρημένῳ μανίαν ἐνέσκηψεν. Ὁ δὲ τῶν φρονίμων λογισμῶν ἐκστὰς ἑαυτὸν ἔβαλεν εἰς ποταμὸν Ξηροβάτην, ὃς ἀπ᾿ αὐτοῦ Σάγαρις μετωνομάσθη (« Sagaris était un fils de Mygdon et d’Alexirhoé qui ne faisait aucun cas des mystères de la Mère des dieux et qui fit violence à ses prêtres et ses Galles. La déesse prit la chose avec intransigeance et frappa ce même Sagaris de folie. Dépossédé de son bon sens et de sa raison, il se jeta dans le fleuve Xérobatès, qui prit de lui son nouveau nom de Sagaris ») (traduction de Ch. Delattre dans ps. Plutarque, Nommer le monde, Villeneuve d’Ascq 2011, ad locum). 37. ps. Plutarque, Sur les fleuves 25, 4 : Παράκειται δ᾿ αὐτῷ ὄρος, Λίλαιον προσαγορευόμενον ἀπὸ Λιλαίου ποιμένος. Οὗτος γὰρ δεισιδαίμων ὑπάρχων καὶ μόνην σεβόμενος τὴν Σελήνην, νυκτὸς βαθείας ἐξετέλει τὰ μυστήρια τῆς προειρημένης. Βαρέως δὲ οἱ λοιποὶ θεοὶ [τὴν] ἀτιμίαν φέροντες, ἔπεμψαν αὐτῷ δύο λέοντας ὑπερμεγέθεις · ὑφ᾿ ὧν διασπαραχθεὶς τὸν βίον ἐξέλιπε. Σελήνη δὲ τὸν εὐεργέτην μετέβαλεν εἰς ὁμώνυμον ὄρος (« Ce Lilaios manifestait beaucoup de respect envers la divinité mais ne vénérait que la Lune, et il célébrait les mystères de cette même Lune en pleine nuit. Les autres dieux prirent très mal l’offense et envoyèrent contre lui deux lions gigantesques qui le mirent en pièces. Il mourut donc, mais la Lune transforma cet homme qui avait bien agi envers elle en la montagne qui porte son nom ») (traduction de Ch. Delattre dans ps. Plutarque, Nommer le monde, ad locum).
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Mythographie et mystériographie L’originalité du Sur les fleuves réside en fait ailleurs : si le ps. Plutarque, comme les autres auteurs du corpus mythographique, met en relation des « mystères » avec Dionysos (§25, 1) et avec la déesse phrygienne (§10, 5 ; 12, 1 ; 13, 1), il nomme également d’autres divinités, Séléné (§25, 4), comme on vient de le voir, Hécate (§5, 2), Aphrodite (§7, 2), et les dieux (§13, 4). À la différence de ce qu’on a vu chez le ps. Apollodore, le terme μυστήρια n’est associé à aucun détail qui permettrait d’orienter son sémantisme. Bien plus, à l’exception des anecdotes concernant Sagaris et Lilaios, tous les récits font intervenir le terme dans le cadre d’une expression à valeur temporelle qui dessine le cadre de chaque intrigue particulière. C’est « pendant la célébration des mystères d’Hécate, au point du jour » que l’on trouve un jonc appelé leucophylle38 ; c’est « pendant la célébration des mystères d’Aphrodite » que Pactole agressa sa sœur39 ; c’est « pendant que se déroulent les mystères de la déesse » qu’on risque de devenir fou si on tombe sur la pierre appelée couteau40 ; c’est « pendant qu’étaient célébrés les mystères de Rhéa » que Scamandros fut frappé de folie41 ; c’est « pendant la célébration des mystères des dieux » que naît la pierre appelée kruphios42 ; c’est enfin « un jour où les habitants du pays célébraient les mystères de Dionysos » qu’Indos agressa la canéphore Damasalcis43. Dans tous ces cas, les « mystères » servent de repère temporel. Tantôt leur mention concourt à la définition d’une profanation particulièrement grave, comme un cas d’inceste (§7, 2) ou le viol d’une canéphore (§25, 1), tantôt ils définissent seulement l’occasion, le moment où se manifeste la volonté de la divinité (§5, 2 ; 10, 5 ; 13, 1 ; 13, 4). Dans toutes ces occurrences, les « mystères » sont envisagés comme un tout refermé sur lui-même, un ensemble cultuel clos, sans que soient envisagées par exemple les conditions d’accès au culte. Cet emploi rapproche dès lors μυστήρια des connotations associées à τελετή chez le ps. Apollodore, ce que confirme d’ailleurs la récurrence du verbe τελεῖν (ou ἐπιτελεῖν) pour dire leur célébration (§10, 5 ; 13, 1 ; 25, 1).
38. §5, 2 : τοῖς μυστηρίοις τῆς Ἑκάτης περὶ τὸν ὄρθρον. 39. §7, 2 : ἐν τοῖς Ἀφροδίτης μυστηρίοις. 40. §10, 5 : τῶν μυστηρίων ἐπιτελουμένων τῆς θεᾶς. 41. §13, 1 : τῶν τῆς Ῥέας μυστηρίων τελουμένων. 42. §13, 4 : τοῖς μυστηρίοις τῶν θεῶν. 43. §25, 1 : τῶν τοῦ Διονύσου μυστηρίων τελουμένων.
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Charles Delattre Le ps. Plutarque ne reprend donc pas à son compte la distinction établie entre τελετή et μυστήρια par le ps. Apollodore. Cela incite à voir dans cette distinction l’exploitation personnelle d’une potentialité sémantique que seul le contexte rend sensible, non la mise en application d’une définition différenciée acceptée par tous. Comme l’a rappelé récemment A.-F. Jaccottet44, à la suite de N. Belayche45, il est difficile d’opposer unilatéralement μυστήρια à d’autres termes désignant les pratiques mystériques (ὄργια, τελετή, etc.) et d’identifier, particulièrement à l’époque impériale, leur sémantisme de façon absolue, en nous référant aux catégories modernes de « cultes à mystères » et d’« initiation » : ce n’est pas que ces termes soient désormais indifférenciés, mais leur champ d’application se modifie en fonction des évolutions sociales et religieuses qui transforment l’expérimentation du religieux au iie siècle de notre ère et orientent les célébrations rituelles dites par exemple « mystères » vers des « moments cérémoniels réservés à des happy few »46. Dans le cas du ps. Plutarque, la multiplication dans le Sur les fleuves des divinités associées aux μυστήρια pourrait confirmer l’extension, ou plutôt le déplacement au iie siècle de la notion de « mystères », puisque cette désignation s’applique non seulement au culte de la déesse phrygienne, mais aussi à l’ensemble des dieux, comme semble l’indiquer le §13, 4. Sans s’identifier absolument à tous les hiera, les « mystères » s’adressent à des destinataires divins variés, dont le culte n’a pas de connotation mystérique ou initiatique particulière, mais possède une intensité indéniable : toute offense aux dieux qui se déroule dans le cadre de ces rites reçoit un châtiment redoutable. C’est là en tout cas un effet du texte, mais son référent reste problématique : le Sur les fleuves est en effet une construction très particulière, qui fonctionne au niveau de l’énoncé en vase clos, en multipliant les autocitations, les reprises, les reformulations et les jeux de miroir en interne. Le fait même que les expressions où se retrouve le terme
44. A.-F. Jaccottet, « Les mystères dionysiaques pour penser les mystères antiques ? », Mètis N.S. 14. (2016), p. 75-94, et particulièrement p. 87-89. 45. N. Belayche, « L’évolution des formes rituelles. Hymnes et mystèria », dans L. Bricault, C. Bonnet (éd.), Panthée. Religious Transformations in the GraecoRoman Empire, Leyde – Boston 2013 (Religions in the Graeco-Roman World 117), p. 17-40. 46. La formule est de N. Belayche, « L’évolution des formes rituelles. Hymnes et mystèria », p. 39.
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Mythographie et mystériographie μυστήρια soient toutes des locutions à valeur temporelles fondées sur deux schémas répétitifs (groupe prépositionnel ou génitif absolu) devrait inciter à la prudence : comme d’autres formules propres au Sur les fleuves47, celles impliquant μυστήρια se développent par réplication dans le cadre de l’énoncé, et renvoient de façon idiosyncratique au monde personnel de l’auteur, mais pas forcément à une réalité extérieure précise. Il est par exemple notable que Séléné, déesse dont on ne connaît aucun culte civique dans l’Antiquité, soit ici la destinataire de mystères. Sans doute faut-il distinguer en fait deux sous-ensembles dans les divinités mentionnées par le ps. Plutarque : d’un côté, Dionysos et la déesse phrygienne qu’il appelle tantôt Rhéa, tantôt la Mère des dieux, dont on a constaté la présence dans l’énoncé du ps. Apollodore ; de l’autre, des divinités dont Thomas Galoppin montre qu’elles sont mentionnées dans les Papyri Graecae magicae en association avec le terme μυστήρια48, le lien avec le monde « magique » étant corroboré par l’intégration dans le texte du ps. Plutarque de plantes et de pierres aux pouvoirs extraordinaires49. Un récit secret bien dissimulé ? C’est donc un bilan en demi-teinte que le corpus mythographique permet de dresser : nos auteurs n’ignorent pas l’existence des cultes mystériques, mais ce qu’ils en disent de précis témoigne d’une construction propre à une stratégie auctoriale qui ne nous éclaire pas sur ce qui se passe à l’extérieur du corpus, voire de chaque texte particulier. Les mentions de pratiques mystériques apparaissent au détour de l’énoncé, sans être développées pour elles-mêmes : ces mentions supposent chez les lecteurs une connaissance suffisante de ce que sont les cultes mystériques, et chaque auteur juge visiblement inutile, dans le cadre de son propos, de les explorer davantage, tout comme
47. Voir Ch. Delattre, « Lectures et usages du Sur les fleuves du pseudo-Plutarque », p. 144. 48. Voir 4, 2441-2621 (Séléné), en particulier 4, 2477 (τὰ ἱερὰ μυστήρια) et 2588 (τὸ σόν, θεά, μυστήριον μέγιστον) ; 36, 295-311 (Aphrodite), ainsi que l’analyse de T. Galoppin dans ce volume, p. 435-461. 49. Ni ces pierres ni ces plantes ne font cependant partie du répertoire habituel de la pharmacopée ou des lapidaires relevant des pratiques « magiques », et elles ont été visiblement inventées (ou « fabriquées ») par l’auteur : voir ps. Plutarque, Nommer le monde, p. 38-40.
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Charles Delattre il omet d’en rapporter les traits saillants ou des détails qui pourraient intéresser son public. Ainsi, les cultes mystériques ne sont tout simplement pas un enjeu. Comme l’a montré l’exemple de Denys d’Halicarnasse, la référence aux mystères ne pose pas en soi de problème, il est possible de les évoquer, d’y faire allusion, d’en intégrer des éléments dans un contexte nouveau. Mais en parler sur le mode du récit, en prenant pour objet les mystères eux-mêmes, voilà une option qui ne fait pas son chemin dans le corpus que j’ai traité : la mythographie ne devient jamais mystériographie. Cette absence de développement sur le mode du récit doit être corrélée à la nature même du corpus mythographique : le fait que les auteurs construisent leur énoncé au cœur d’une tradition littéraire, sur des enjeux d’abord poétiques et exégétiques, explique en partie la relative indifférence dont ils semblent faire preuve à l’égard du contenu du complexe mystérique. Leur propos n’est pas de consigner des données culturelles et religieuses sous forme de manuels, mais de proposer des traités aux enjeux divers, qui touchent à la transmission et à la critique de la tradition littéraire, à la revendication identitaire du passé et à la rivalité poétique50. Mais il n’en demeure pas moins que, dans le cas du ps. Apollodore, quelque chose a fait son chemin jusque dans son énoncé. En ce qui concerne Éleusis, la célébrité du sanctuaire, et à l’arrière-plan l’existence même de l’Hymne homérique à
50. J’adopte ici une définition radicale qui me semble correspondre aux textes conservés dans le corpus mythographique transmis par voie manuscrite. La définition d’un « manuel », c’est-à-dire d’un ouvrage de référence qui comporte l’ensemble des données jugées canoniques, me paraît inadéquate pour rendre compte de la diversité des pratiques mythographiques et de l’inventivité propre à chaque auteur. Cela ne signifie pas pour autant que certains de ces textes, comme la Bibliothèque du ps. Apollodore ou les Fables d’Hygin à l’époque moderne, n’ont pas pu servir à un moment ou à un autre de manuel de référence ; cette lecture particulière fige cependant les données rassemblées et retravaillées par les auteurs, amoindrit le rôle de ces mêmes auteurs et contribue à fixer les cadres d’un canon mythologique dont l’existence me semble discutable. Je n’adopte ainsi ni les présupposés de A. Cameron, Greek Mythography in the Roman World, Oxford 2004, ni ceux de C. Meliadò, « Mythography », dans F. Montanari, St. Matthaios, A. Rengakos (éd.), Brill’s Companion to Ancient Greek Scholarship, I : History. Disciplinary Profiles, Leyde 2015, p. 1057-1089, et je privilégie une approche plus souple des pratiques mythographiques, que l’on peut rassembler aujourd’hui en corpus, mais dont on ne peut faire ni un type, ni un genre. Voir Ch. Delattre, « Pentaméron mythographique. Les Grecs ont-ils écrit leurs mythes ? », Lalies 33 (2013), p. 80-110 pour une confrontation entre genre mythographique moderne et pratiques mythographiques antiques.
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Mythographie et mystériographie Déméter comme texte connu et commenté, assurent l’intégration d’allusions précises, même si elles restent décalées par rapport aux enjeux de l’epopteia ; et si l’on reprend les différents passages touchant au monde dionysiaque, la construction du récit autour d’Orphée met en avant des thèmes, en particulier le rapport au monde des morts, que l’on identifie par ailleurs comme pouvant relever du complexe orphique et/ou dionysiaque. Il n’y a donc ni indifférence généralisée des mythographes, ni reprise banale de thèmes connus de tous, mais approche distanciée ; les mythographes ne sont pas frappés de mutisme sur le sujet, simplement ils ne délivrent pas le grand récit que certains attendaient. Il faut noter toutefois que leur attitude, pour frustrante qu’elle soit pour nous, correspond en fait aux pratiques discursives antiques, car elle complète le buissonnement des allusions, mentions, évocations où l’on reconnaît des éléments propres aux différents complexes mystériques, sans que l’on trouve jamais le récit organisé et définitif qui mettrait en ordre ces différents éléments. Pour expliquer justement l’absence dans nos sources de grand récit unificateur, on a invoqué parfois le secret de l’initiation : si nous n’avons que des bribes concernant le cœur de l’initiation, c’est qu’un bœuf pèserait sur la langue des initiés, qui en étaient réduits à laisser échapper en petits morceaux ce qu’il leur était interdit de révéler en bloc. Mais il faut reconnaître que si ce secret concernait un hieros logos, un récit dont la connaissance fondait le statut de l’initié, il était inefficace pour empêcher la diffusion des pièces principales de ce récit, au point que les modernes peuvent s’autoriser de ces mêmes bribes éparses pour reconstituer un hieros logos cohérent et complet. Ainsi, pour ne prendre en compte que les détails concernant la mise à mort de Zagreus, on constate qu’O. Kern recensait en 1922 dans ses Orphicorum Fragmenta un nombre conséquent de témoins, bien antérieurs au commentaire de Proclus sur le Timée de Platon qui fondait l’assise de son fragment 210 (= Proclus, In Tim., t. II, p. 145, 18 ss. et p. 197, 24 ss. Diehl), et il est suivi sans hésitation par A. Bernabé dans sa compilation de 200351.
51. Le nom de Zagreus est rapporté par Alcméon, fr. 3 Bernabé ; Eschyle, fr. 228 Radt ; Euripide, fr. 472 Nauck2 ; Callimaque, fr. 643 Pfeiffer ; Euphorion, fr. 13 De Cuenca = 14 Van Groningen. Diodore, 5, 75, 4, évoque la filiation de Zagreus, et Lucien, Danse, 39, son démembrement.
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Charles Delattre Un célèbre passage du De esu carnium de Plutarque évoque même sans ambiguïté, « concernant Dionysos, les souffrances de son démembrement, l’attentat des Titans à son égard, la punition et le foudroiement de ceux qui goûtèrent au sang de son meurtre »52. Certes, Plutarque ne livre aucune circonstance précise, aucun détail propre à éclairer l’intrigue d’un récit, mais celle-ci, quoique réduite au minimum, peut être clairement déduite de son texte : les différents syntagmes fonctionnent comme des titres partiels (« souffrances », « attentat », « punition ») qui segmentent les étapes d’une possible narration, et apportent des éléments complémentaires qui permettent de restituer en particulier l’identité des acteurs et les actions principales dans un ordre logique (les Titans font souffrir Dionysos, le démembrent, goûtent de son sang53, et sont foudroyés en punition). L’emploi du terme μεμυθευμένα pour qualifier cet ensemble discursif est intrigant : Plutarque veut-il dire que les éléments qu’il rapporte ont été « mis en forme de récit », ce qui ferait de sa source le hieros logos tant attendu ? C’est ce que pourrait confirmer l’emploi de μῦθος dans le syntagme suivant, si l’on ne prend pas garde au fait que ce μῦθος 52. Plutarque, De esu carnium 996 C = Orphica fragmenta, fr. 331 Kern : τὰ γὰρ δὴ περὶ τὸν Διόνυσον μεμυθευμένα πάθη τοῦ διαμελισμοῦ καὶ τὰ Τιτάνων ἐπ᾿ αὐτὸν τολμήματα γευσαμένων τε τοῦ φόνου κολάσεις τε τούτων καὶ κεραυνώσεις… Plus généralement, Orphica fragmenta, fr. 318 et 320 s’articulent autour de ces éléments. Ce passage présente un enjeu de taille pour le débat autour de l’existence d’un mythe des Titans et de Dionysos qui a opposé R. Edmonds et L. Brisson à A. Bernabé (R. Edmonds, « Tearing apart the Zagreus myth. A few disparaging remarks on Orphism and Original Sin », Classical Antiquity 18 [1999], p. 35-73) ; L. Brisson, « Le corps dionysiaque. L’anthropogonie décrite dans le Commentaire sur le Phédon de Platon [1. §3-6] attribué à Olympiodore est-elle orphique ? », dans M.-O. GouletCazé, G. Madec, D. O’Brien [éd.], Σοφίης μαιήτορες, « Chercheurs de sagesse », Hommage à Jean Pépin, Paris 1992, p. 481-499, repris dans Orphée et l’Orphisme dans l’Antiquité gréco-romaine, Aldershot 1995, chap. vii ; A. Bernabé, « La toile de Pénélope. A-t-il existé un mythe orphique sur Dionysos et les Titans ? », Revue de l’histoire des religions 219 [2002], p. 401-433). Comme les lignes qui suivent le montrent, nous refusons d’examiner si un mythe existe ou non en soi et déplaçons la question en évoquant la possibilité d’un récit « en creux », à construire. 53. Comme le note S. Georgoudi, « Sacrificing to Dionysos. Regular and Particular Rituals », dans R. Schlesier (éd.), A Different God? Dionysos and Ancient Polytheism, Berlin 2011, p. 52, cette donnée se retrouve seulement chez Firmicus Maternus, De errore profanarum religionum 6, 3 = Orphica fragmenta, fr. 214 Kern et Olympiodore, In Platonis Phaedonem Commentarium 61c = Orphica fragmenta, fr. 220 Kern. Cependant M. Herrero de Jáuregui, Orphism and Christianity in Late Antiquity, Berlin 2010 (Sozomena 7), p. 356, la considère comme essentielle.
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Mythographie et mystériographie s’oppose en fait dans le même paragraphe à un λόγος qui est attribué à Empédocle et qui n’est pas proprement un récit, mais une « doctrine », comme le comprennent aussi bien W. C. Helmbol