Les connecteurs contenant des prépositions en français: Profils sémantiques et pragmatiques en synchronie et diachronie 9783110301304, 9783110300680

This study undertakes a systematic analysis of French prepositional connectors. It explains the tendency of prepositions

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Les connecteurs contenant des prépositions en français: Profils sémantiques et pragmatiques en synchronie et diachronie
 9783110301304, 9783110300680

Table of contents :
Remerciements
Registre des abréviations
Table des matières
0 Introduction
1 Le concept de connecteur: paramètres de description
2 Prépositions: paramètres descriptifs et modèle sémantique
3 Méthode et conception du corpus
4 Modèle pragmatique et sémantique des connecteurs prépositionnels
5 Les prépositions formatrices de connecteurs dans le corpus synchronique
6 Relation entre les connecteurs prépositionnels et le corpus synchronique
7 De la préposition au connecteur: changements sémantiques et fonctionnels
8 Conclusions et perspectives
9 Annexe
Bibliographie

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BEIHEFTE ZUR ZEITSCHRIFT FÜR ROMANISCHE PHILOLOGIE BEGRÜNDET VON GUSTAV GRÖBER HERAUSGEGEBEN VON GÜNTER HOLTUS UND WOLFGANG SCHWEICKARD Band 376

Hélène Stoye

Les connecteurs contenant des prépositions en français Profils sémantiques et pragmatiques en synchronie et diachronie

De Gruyter

Les connecteurs contenant des prépositions en français. Profils sémantiques et pragmatiques en synchronie et diachronie. Dissertation an der Universität Kassel Fachbereich 02 Geistes- und Kulturwissenschaften Hélène Stoye, Disputation: 09.05.2012

ISBN 978-3-11-030068-0 e-ISBN 978-3-11-030130-4 ISSN 0084-5396 Library of Congress Cataloging-in-Publication Data A CIP catalogue record for this book is available from the Library of Congress. Bibliografische Information der Deutschen Nationalbibliothek Die Deutsche Nationalbibliothek verzeichnet diese Publikation in der Deutschen Nationalbibliografie; detaillierte bibliografische Daten sind im Internet über http://dnb.dnb.de abrufbar. © 2013 Walter de Gruyter GmbH, Berlin/Boston Gesamtherstellung: Hubert & Co. GmbH & Co. KG, Göttingen ∞ Gedruckt auf säurefreiem Papier Printed in Germany www.degruyter.com

Remerciements

Le présent ouvrage est le fruit de trois années de travail intense mené à bien grâce au soutien de nombreuses personnes que je tiens à remercier. Ma gratitude va en premier lieu à ma directrice de thèse Prof. Dr. Angela Schrott (Kassel) pour avoir encadré mon travail dans un dialogue ouvert et exigeant, et pour ses précieux conseils qui ont conféré à mon ouvrage la profondeur diachronique dont il avait besoin. Sa perspicacité, sa franchise, ses encouragements, et la lecture de mes textes ont contribué à l’amélioration et l’aboutissement de mes travaux. J’adresse un remerciement particulier à ma co-directrice de thèse Prof. Dr. Christiane Maaß (Hildesheim) qui, en 2003, a éveillé mon intérêt pour la linguistique dans un cours sur l’analyse linguistique de textes, et qui m’a encouragée à le poursuivre dans un projet aujourd’hui devenu cet ouvrage. Au-delà de nos discussions sur les connecteurs et les déictiques, et de ses conseils pragmatiques, sa disponibilité permanente combien réconfortante m’ont permis de mener à bien cette entreprise. Un hasard voulait que le Collège des Sciences Humaines de l’université de Kassel (Geistes- und Kulturwissenschaftliches Promotionskolleg, GeKKo) soit réanimé sous la tutelle de Prof. Dr. Angela Schrott et de Prof. Dr. Daniel Göske l’année où j’ai commencé mes travaux de recherche à l’université de Kassel. Les réunions des jeunes scientifiques du GeKKo à Hofgeismar m’ont permis de présenter mon projet et d’en discuter les résultats à différents stades. J’en remercie tous les membres ainsi que les professeurs présents, et en particulier Prof. Dr. Vilmos Ágel pour avoir enrichi mon travail de sa facette jonctive. Je remercie également la fraction romaniste de la Faculté des Sciences Humaines de l’université de Kassel Dorothea Kadenbach, Daniela Szyska et Dr. Johanna Wolf pour leur soutien dans bien des domaines. Je souhaite également exprimer ma gratitude à Prof. Klaus Hölker (Hanovre) pour ses observations perspicaces et ses critiques constructives dont a profité mon travail lors de nos échanges. Je remercie Prof. Dr. Ulrich Detges et Dr. Paul Gévaudan pour m’avoir permis de présenter une partie de mon projet au Deutscher Romanistentag à Bonn en 2009. Je remercie également Prof. Dr. Thomas Kotschi et Professeur Jean-Claude Anscombre pour leurs précieux conseils lors de la discussion de mon projet à Bonn. Je remercie Prof. Dr. Jana Gohrisch (Hanovre), Prof. Dr. Klaus Bayer (Hanovre) et Prof. Dr. Lidia Becker (Hanovre) pour leurs conseils en vue de la soutenance de ma thèse. Ma gratitude va également au curatorium du fond Otto-Braun pour la bourse de deux ans qu’il m’a accordé et grâce à laquelle j’ai pu me concentrer sur mes

recherches. Je remercie également le programme STIBET du DAAD pour son soutien financier dans la phase terminale de mon travail. Je souhaite exprimer ma gratitude envers Günter Holtus et Wolfgang Schweickard pour avoir accepté de publier mes recherches dans les « Beihefte zur Zeitschrift für romanische Philologie ». Mes remerciements vont aussi à mes amies Marie-Hélène et Anne-Laure Lecelier ainsi qu’à Elisabeth Brionne pour leur soutien rédactionnel et à Ina Stolle pour son écoute et son appui tout au long de mes recherches. Enfin, un grand merci à ma famille et à mes amis pour leurs encouragements constants, leur bienveillance, et leur compréhension, et à mon époux, Nils Stoye, pour sa patience, son aide infaillible lorsque mon ordinateur me jouait des tours, et pour toujours avoir cru en moi.

VI

Registre des abréviations

TAG DES CONNECTEURS

{C}

connecteur prépositionnel

TAGSET DES DIMENSIONS PREPOSITIONNELLES

PG PNL PT PS

préposition grammaticale préposition non-localisante préposition localisante temporelle préposition localisante spatiale

TAGSET DES CATEGORIES FONCTIONNELLES

{RS} {RSA} {RA} {ES} {ESA} {EA} {IS} {ISA} {IA}

représentation structurante représentation structurante argumentative représentation argumentative explicitation structurante explicitation structurante argumentative explicitation argumentative interaction structurante interaction structurante argumentative interaction argumentative

TAGSET DES CATEGORIES SEMANTIQUES LOCALISANTES

{ACT} {ADD} {ANT} {ARR} {DEB} {POS} {SIM}

actualisation addition antériorité point d’arrivée point de départ postériorité simultanéité

TAGSET DES CATEGORIES SEMANTIQUES NON-LOCALISANTES

{CAU} {COND} {CONS} {FIN} {OPP}

cause condition conséquence finalité opposition

TAGSET DES INTERPRETATIONS PRAGMA-SEMANTIQUES

{comp} {conc} {deduc} {deseq} {evit} {ill} {motiv} {preu} {prom} {resp} {result} {ret jug}

compensation conclusion déduction déséquilibre éviter illustration motivation preuve promouvoir responsabilité résultat retournement de jugement

TAGSET DES PROCEDURES

{act} {ampli} {comment} {conf} {imp} {interpel} {prop} {rect} {ref} {soula} {turn}

actualisation amplification commentaire confirmation impatience interpellation proposition rectification reformulation soulagement turn

CATEGORIES SEMANTIQUES DES ELEMENTS SUPPLEMENTAIRES

AUTRE ADV CONJ GN PREP V

autre adverbe conjonction groupe nominal préposition verbe

CATEGORIES SEMANTIQUES DES ELEMENTS SUPPLEMENTAIRES

DEIC LOC META SCALA

VIII

déictique localisante métacommunicative scalaire

SIGLES DES CORPUS EN SYNCHRONIE

Le Monde Sciences Sénat Oral C-Oral-Rom

corpus de texte de presse (www.lemonde.fr) corpus de différents articles scientifiques débat au Sénat français (www.senat.fr) dialogues et conversations oraux informels du C-Oral-Rom autres exemples issus du C-Oral-Rom

CORPUS DIACHRONIQUE

La Chanson de Roland Coutumes de Beauvaisis La Farce de Maistre Pathelin La Deffence et illustration de la langue françoyse L’Avare Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences

(Maistre Pathelin) (La Deffence)

(Discours de la Méthode)

IX

Table des matières

0

Introduction ......................................................................................................... 1

1 1.1 1.2 1.3 1.4

Le concept de connecteur : paramètres de description ........................................ 5 Caractéristiques morphosyntaxiques ................................................................... 7 Les paramètres sémantiques de description ...................................................... 39 Les connecteurs sous la loupe pragmatique ...................................................... 64 Conclusion ........................................................................................................ 79

2 2.1 2.2 2.3 2.4

Prépositions : paramètres descriptifs et modèle sémantique ............................. 81 Prépositions : critères définitoires et détermination de l’inventaire .................. 81 Genèse des prépositions en français : perspective diachronique et étymologie .... 94 Les propriétés sémantiques et pragmatiques des prépositions ......................... 101 Conclusion ...................................................................................................... 128

3 3.1 3.2 3.3 3.4

Méthode et conception du corpus .................................................................... 131 Les connecteurs prépositionnels : une approche « corpus-driven » ................ 131 Les parties du corpus synchronique ................................................................ 137 Le concept tradition discursive ....................................................................... 144 Conclusion ...................................................................................................... 163

4 4.1 4.2 4.3 4.4 4.5 4.6

Modèle pragmatique et sémantique des connecteurs prépositionnels ............. 165 Les catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels ....................... 167 Les actions : représentation, explicitation et interaction ................................. 170 Les techniques : structuration, argumentation et structuration-argumentation 180 Les connecteurs prépositionnels : composante dénominative et transparence 202 Catégorisation sémantique des connecteurs prépositionnels ........................... 208 Conclusion ...................................................................................................... 223

5 Les prépositions formatrices de connecteurs dans le corpus synchronique ..... 227 5.1 Les dimensions prépositionnelles et les éléments formateurs de connecteurs . 228 5.2 Les prépositions grammaticales : formation de connecteurs polyvalents ...................................................................................................... 233 5.3 Le profil des connecteurs contenant une préposition non-localisante ............. 237 5.4 Le profil des connecteurs contenant une préposition temporelle ..................... 241 5.5 Le profil des connecteurs contenant une préposition spatiale ......................... 245 5.6 Hypothèses quant aux restrictions de formation de connecteurs prépositionnels 249 5.7 Conclusion ...................................................................................................... 257

6 6.1 6.2 6.3 6.4

Relation entre les connecteurs prépositionnels et le corpus synchronique ...... 259 Les connecteurs prépositionnels dans le corpus Le Monde ............................. 260 Les connecteurs prépositionnels dans le corpus Sciences ............................... 280 Les connecteurs prépositionnels dans le corpus Sénat .................................... 310 Les connecteurs prépositionnels dans le corpus Oral ..................................... 338

7 7.1 7.2 7.3

De la préposition au connecteur : changements sémantiques et fonctionnels . 363 Introduction : significations diaphanes à l’exemple de alors (que) ................. 363 Le corpus diachronique ................................................................................... 366 Parce que et pour cela (que) : formes et fonctions de la cause et de la conséquence en diachronie ............................................................................. 372 7.4 Pourtant et cependant ..................................................................................... 398 7.5 Connecteurs prépositionnels : grammaticalisation, réanalyse et (inter)subjectivation ........................................................................................ 413 7.6 Conclusion ...................................................................................................... 429

8

Conclusions et perspectives ............................................................................ 431

9 9.1 9.2 9.3 9.4

Annexe ............................................................................................................ 451 Inventaire des connecteurs contenant une préposition grammaticale .............. 451 Inventaire des connecteurs contenant une préposition non-localisante ........... 454 Inventaire des connecteurs contenant une préposition temporelle .................. 456 Inventaire des connecteurs contenant une préposition spatiale ....................... 457

Bibliographie ......................................................................................................... 459

XII

0 Introduction

Les connecteurs parce que, pourtant, après que etc. ont un point commun : tous contiennent des prépositions. Le présent travail propose d’étudier les prépositions en tant qu’éléments formateurs de connecteurs, phénomène, jusqu’à présent, traité de manière non systématique par la recherche en linguistique. Il est étonnant que les prépositions puissent, en combinaison avec d’autres éléments, connecter des phrases car dans leur fonction typique, elles introduisent des structures exclusivement nonphrastiques. Effet, tandis que la fonction typique de la préposition, comme tête d’un syntagme prépositionnel, réside en l’introduction d’un groupe nominal (il regarde par la fenêtre), les connecteurs effectuent des relations interphrastiques (Il pleure parce qu’il s’est fait mal). Deux questions centrales résultent de cette observation. D’une part, il faut s’interroger sur les raisons pour lesquelles des expressions déjà existantes, en l’occurrence des syntagmes prépositionnels, intègrent le paradigme des connecteurs, alors que celui-ci dispose déjà d’une diversité de formes connectives. D’autre part, nous nous interrogerons sur l’apport sémantico-pragmatique des connecteurs prépositionnels dans les textes. En partant de cette problématique, l’objectif du présent travail est d’atteindre une théorisation des profils sémantiques et pragmatiques des connecteurs contenant des prépositions en synchronie avec l’implication d’une rétrospective diachronique ciblée. En résumé, le présent travail montre que les prépositions sont des éléments privilégiés quant à la formation de connecteurs car, en combinaison avec des éléments expressifs, elles introduisent et mettent en relation des points de vue. Une première analyse (Stoye 2010) a montré que les prépositions forment fréquemment des connecteurs avec des éléments spécifiques. En effet, dans le cadre de la recherche sur les connecteurs et les déictiques en fonction non-indexicale (cf. Maaß/Schrott 2010b), une étude de corpus a mis en lumière que les prépositions formant des connecteurs ont essentiellement une affinité avec des éléments expressifs : les déictiques (discursifs) (cf. Stoye 2010). Le présent travail est donc le fruit d’un dialogue entre trois domaines de recherche en linguistique : la recherche sur les prépositions, les théories des connecteurs et des déictiques. Cette combinaison de domaines de recherche présente un double intérêt. Elle répond d’une part au desideratum actuel de la recherche sur les prépositions qui porte sur les emplois atypiques de ce groupe de mots,1 et répond, d’autre part, à celui de la recherche sur les connecteurs qui focalise son attention sur l’émergence de nouvelles formes connectives et qui, au-delà, cherche à expliquer les nouveaux emplois d’expressions déjà existantes (cf. Maaß/Schrott 2010b ; Wienen 2006).

––––––– 1

Cf. Ilinski (2003).

L’approche adoptée par le présent travail se distingue des études précédentes, dans la mesure où les études prolifiques vouées aux connecteurs depuis les années 1980 sont essentiellement de nature sémantique. Ces études traditionnelles proposent une description des connecteurs dans la langue : elles sont essentiellement focalisées sur la potentialité ou l’incapacité des connecteurs à remplir certaines fonctions. Fréquemment, elles se basent sur des exemples construits et, plus rarement, sur des textes authentiques, et sont majoritairement ancrées dans la synchronie.2 Notre approche, en revanche, se distingue de ces études traditionnelles car, outre l’analyse sémantique des connecteurs contenant des prépositions, nous montrons, par une étude qualitative et quantitative, que les emplois de formes connectives sont spécifiques aux genres textuels et aux traditions discursives. Pour ce faire, les connecteurs prépositionnels détectés dans les textes authentiques sont systématiquement annotés de catégories sémantiques et pragmatiques. Ces catégories sont issues d’une évidence de corpus et organisées en un modèle descriptif. De cette manière, nous dévoilons les modes d’emploi gérant l’usage des connecteurs contenant des prépositions selon le genre textuel considéré. En effet, comme le mentionne la citation de Roland Barthes au début de l’introduction, d’autres contraintes que les restrictions linguistiques gèrent la connexion entre les énoncés. Outre les restrictions cognitives évoquées par Roland Barthes, nous invoquerons les contraintes discursives. Nous partons en effet du principe que des règles non-linguistiques mais traditionnelles jouent un rôle prépondérant quant à la gestion des emplois des connecteurs dans le discours. Cette prémisse laisse transparaître le discours comme l’espace privilégié pour l’analyse des connecteurs. L’objectif du présent travail est donc de déceler et de formuler les normes discursives gérant l’adéquation des emplois de connecteurs dans un genre textuel. Dans ce cadre, la perspective diachronique ponctuelle et ciblée adoptée par l’étude s’avère fructueuse. Elle permet d’une part, de retracer les changements syntaxiques, sémantiques et pragmatiques parcourus par les syntagmes prépositionnels et, d’autre part, de dévoiler les changements de traditions d’emplois des connecteurs prépositionnels. Afin de saisir les profils sémantiques et pragmatiques des connecteurs contenant des prépositions dans les différents genres textuels en synchronie et en diachronie, l’ouvrage s’articule en sept parties. Le premier chapitre est voué au concept connecteur. Les paramètres syntaxiques, sémantiques et pragmatiques issus de la recherche y sont discutés dans trois sousparties. Dans ce cadre, les propriétés typiques de la connexion sont présentées, et le concept de connecteurs est comparé aux phénomènes cohésifs voisins : les marqueurs discursifs et les déictiques discursifs. L’objectif de ce premier chapitre est de déterminer les propriétés des entités considérées comme connecteurs et de formuler une définition du concept de connecteur valable pour la suite du travail. Cette définition a pour but d’identifier les connecteurs prépositionnels dans les corpus. D’autre part, ce chapitre permet de tirer les premières conséquences quant à la conception d’un modèle adéquat à la description des connecteurs contenant des prépositions dans les corpus.

––––––– 2

Voir en particulier les travaux de Ducrot (1980) et Ducrot/Anscombre (1983).

2

Le second chapitre se penche sur l’élément prépositionnel des connecteurs et comporte trois objectifs principaux. Le premier est de fixer l’inventaire des prépositions valable pour l’analyse de corpus. Pour ce faire, nous aborderons les propriétés syntaxiques typiques et atypiques des prépositions et discuterons les modèles de classifications courants. Ensuite, l’émergence des prépositions dans les langues romanes ainsi que les différents types morphologiques des prépositions contemporaines seront mis en relation avec leur productivité à former des connecteurs. Le second objectif est d’élaborer un modèle de classification sémantique adéquat à l’annotation des prépositions contenues dans les connecteurs du corpus. Pour ce faire, les avantages et les limites des classifications de référence seront présentés de manière nuancée. Enfin, la dernière partie s’interroge sur le rôle de la préposition comme élément formateur de connecteurs. Dans cette optique, nous aborderons dans un premier temps les propriétés syntaxiques et sémantiques des prépositions en français contemporain afin d’en extraire leur fonction typique et de discerner les apports sémantiques des prépositions. Sur la base ces informations sémanticosyntaxiques, la théorie de la déictique discursive (Maaß 2010a) précisera le rôle des prépositions dans les connecteurs comme élément de l’élateur. Le troisième chapitre est voué à la méthode d’analyse. D’abord, nous justifierons le choix des corpus et la méthode d’analyse et présenterons les corpus considérés. Ensuite, nous introduirons le concept de tradition discursive, un savoir gérant les configurations textuelles au niveau du discours, et justifierons l’importance et l’apport de ce concept pour l’analyse des connecteurs contenant des prépositions dans les textes. La conception du texte comme un tissu (du latin : TEXERE) noué (du latin : CONNECTERE) par des liens complexes, laisse transparaître les traditions discursives comme le fil rouge de notre analyse empirique. Dans le quatrième chapitre, nous présentons le modèle sémantique et pragmatique des connecteurs contenant des prépositions. Ce modèle basé sur une évidence de corpus est issu de la mise en relation étroite des résultats de l’étude de corpus avec ceux du premier chapitre concernant le concept de connecteur. Le modèle développé dans le présent travail décrit, par la combinaison systématique de paramètres, avec précision les emplois des connecteurs contenant des prépositions dans les textes. Le cinquième chapitre porte sur les prépositions formatrices de connecteurs détectés dans le corpus synchronique. Ce chapitre a pour objectif de proposer une vue d’ensemble nuancée de la productivité des prépositions quant à la formation de connecteurs. Pour ce faire, les connecteurs détectés dans les corpus sont classifiés selon les quatre dimensions prépositionnelles. Ensuite, les éléments avec lesquels les prépositions forment des connecteurs sont classifiés selon des critères syntaxiques et sémantiques. Le résultat central de ce chapitre est que les prépositions favorisent les éléments expressifs afin de former des connecteurs. Dans la troisième partie, les profils pragmatiques et les valeurs sémantiques des connecteurs sont mis en relation avec leurs dimensions prépositionnelles. De cette manière, la convergence entre les dimensions prépositionnelles et le déploiement de leur éventail fonctionnel et sémantique sera mise en évidence. Enfin, dans la dernière partie, nous formulerons des hypothèses relatives aux restrictions gérant l’aptitude des prépositions à former des connecteurs. Le sixième chapitre présente de manière détaillée les résultats de l’analyse de corpus en synchronie. L’objectif de ce chapitre est de révéler les règles discursives 3

gérant les emplois des connecteurs contenant des prépositions dans chacun des genres textuels considérés. Pour ce faire, les propriétés spécifiques des genres textuels seront présentées. Ensuite, les catégories fonctionnelles puis sémantiques des connecteurs prépositionnels seront évaluées et analysées dans chacun des corpus. Sur la base de ces résultats, pour chacun des corpus, les emplois récurrents d’une forme, d’une fonction ou d’une valeur sémantique, tels que l’expression de l’opposition, de l’addition et de la causalité dans le corpus Le Monde ou l’emploi du connecteur prépositionnel par exemple dans la partie de corpus Sciences-ALSIC seront présentés de manière détaillée. De cette manière, nous montrerons que les connecteurs prépositionnels sont des éléments constitutifs des traditions discursives formatrices des genres textuels. Le septième et dernier chapitre adopte une perspective diachronique. L’objectif de ce chapitre est d’approfondir les résultats de l’analyse en synchronie par une étude ciblée de connecteurs prépositionnels représentatifs en diachronie. Dans l’introduction, nous abordons, à l’exemple du connecteur alors, le gain apporté par la perspective diachronique quant à la description des emplois des connecteurs en synchronie. Ensuite, les textes du corpus historique seront présentés et mis en relation avec ceux du corpus synchronique. Le corps du chapitre est consacré à l’analyse de deux groupes de connecteurs, parce que et pour cela (que) d’un côté, et cependant et pourtant de l’autre. Sur la base des résultats livrés par l’étude de corpus en synchronie, nous proposons de préciser leurs profils fonctionnels et sémantiques par une analyse syntaxique et pragma-sémantique dans les textes historiques. Dans la dernière partie du chapitre, les résultats des études de corpus en synchronie et en diachronie sont mis en relation avec les théories traitant des changements linguistiques (grammaticalisation, réanalyse et (inter)subjectivation). Cette démarche autorise ainsi une théorisation du « cheminement » des syntagmes prépositionnels au paradigme des connecteurs. Chaque chapitre est clos par un épilogue qui récapitule les résultats essentiels. Cet agencement a été choisi afin de rendre compte du caractère déductif dynamique de notre recherche.

4

1 Le concept de connecteur : paramètres de description

Ce chapitre a pour objectif de déterminer la définition du terme connecteur valable pour l’analyse des connecteurs prépositionnels dans les corpus. Pour ce faire, une présentation détaillée de chaque école de recherche sur les connecteurs n’est pas nécessaire et, une telle entreprise dépasserait le cadre du présent travail.1 En revanche, nous proposons d’extraire du discours scientifique les paramètres syntaxiques, sémantiques et pragmatiques centraux en mesure de saisir de manière précise et nuancée les emplois des connecteurs prépositionnels dans les textes. Ainsi, le premier chapitre aboutit à une définition conceptualisant les connecteurs, sur la base de leur fonction syntaxique, sémantique et pragmatique, comme des éléments qui effectuent des relations entre des événements ou des états de choses (jonctions), des éléments textuels (déictiques discursifs et connecteurs argumentatifs) et des interventions (marqueurs discursifs). Les résultats conceptuels et terminologiques du premier chapitre jouent un rôle central pour la suite du présent travail car ils confluent aux résultats de l’analyse de corpus pour élaborer un modèle sémantique et pragmatique apte à décrire les connecteurs prépositionnels dans les corpus.2 En linguistique, la recherche sur les connecteurs est un domaine récurrent. En effet, depuis les années 1980 les sciences du langage s’intéressent intensément au matériel linguistique cohésif.3 Cet engouement est étroitement lié à l’essor de la linguistique textuelle4 et pragmatique. Ces disciplines marquent un changement de

––––––– 1

2 3 4

Pour cela nous renvoyons aux présentations récemment effectuées par Wienen (2006), Schröpf (2009) et Atayan (2006). Voir 4 Modèle pragmatique et sémantique pour les connecteurs prépositionnels. Voir Ducrot (1980) ; Ducrot/Anscombre (1983) ; Roulet et al. (1985) ; Nølke (1993). Voir le volume sur la linguistique textuelle du HSK (2000, 16.1) pour une vue d’ensemble des aspects traités par cette discipline tels que la genèse de la linguistique textuelle, les approches structuralistes, pragmatiques et cognitives, la problématisation de la typologisation des textes etc. Pour un compte rendu de la recherche sur la linguistique textuelle dans le domaine linguistique romane, voir en particulier l’article de Pérennec (2000, 145ss.). Dans le même volume, le phénomène de connexion est discuté dans les articles de Rickheit/Schade (2000, 275ss.) et de Fabricius-Hansen (2000, 331ss.). Stede (2007, 19ss.) présente les travaux pionniers dans le domaine de la linguistique textuelle : Harweg (1968) entreprend la classification de différents types de pronoms et leurs fonctions dans les textes, Weinrich (1964) conteste dans son étude sur les temps le statut de la phrase comme objet principal en linguistique, ce qu’il réaffirme de manière conséquente dans sa Textgrammatik der deutschen Sprache (32005) et Hartmann (1968) analyse les différentes fonctions des textes. Selon Hartmann, le locuteur ne s’exprime ni par des mots, ni par des phrases mais

paradigme : ce n’est plus la phrase qui est l’objet central de la recherche, mais le texte. Or, le texte n’est pas appréhendé comme une « simple » addition linéaire de phrases, mais il est considéré comme un signe complexe. À l’image du liage des différentes trames d’un tissu, la matière textuelle née de relations étroites prises en charge par divers moyens cohésifs. Pour reprendre les termes d’Aristote dans la Métaphysique, « la totalité est plus que la somme des parties ». C’est dans ce cadre que les chercheurs dirigent leur attention vers le matériel linguistique employé pour la mise en relation des différentes parties de textes et de discours. Les moyens cohésifs d’un texte sont variés : la cohésion lexicale, l’ellipse, les temps et les modes, certaines figures rhétoriques (par ex. les structures syntaxiques parallèles), l’anaphore, les déictiques discursifs et, le moyen de cohésion par excellence : les connecteurs. Le centre d’intérêt de la recherche sur les connecteurs s’est cependant déplacé ces dix dernières années.5 Au départ, les études portaient essentiellement sur la description sémantique de connecteurs déterminés, tels que car, parce que ou puisque, et tentaient de délimiter leurs fonctions de manière contrastive (cf. Groupe λ-1 1975). Dans ce cadre, les travaux de Ducrot jouent un rôle précurseur. En effet, dans les mots du Discours (Ducrot 1980), les connecteurs analysés dans la langue, considérée comme fondamentalement argumentative, se voient attribués une fonction d’instruction : les connecteurs indiquent explicitement qu’un argument plaide en faveur d’une thèse. Plus récemment, la recherche distingue trois domaines fondamentaux à l’analyse sémantique et fonctionnelle des connecteurs :  l’explication de la relation entre l’asyndète et la connexion explicite ;  le niveau d’opération des connecteurs ;  la présence de diverses formes connectives au sein d’une même classe sémantique (opposition, conséquence, causalité) (cf. Wienen 2006, 175). En outre, avec l’essor de la recherche sur la grammaticalisation,6 viennent s’ajouter à ces trois domaines, un intérêt particulier concernant :  l’émergence de nouvelles formes connectives ;  les différents emplois d’une même forme (polyfonctionnalité) ;  le chevauchement (layering) de différents emplois en synchronie et diachronie (cf. Wienen 2006, 175). Ainsi, le desideratum de la recherche actuelle sur les connecteurs réside en l’analyse et la description de nouvelles formes connectives et de leurs diversités d’emplois. C’est dans ce cadre de recherche que s’inscrit le présent travail, car le passage d’un syntagme prépositionnel, dont la fonction principale est de spécifier un état de chose, à un connecteur, dont la fonction est de lier des parties de textes, implique un changement fonctionnel. Jusqu’à présent, force est cependant de constater que les

––––––– 5

6

par des phrases constituées de mots dans des textes, d’où le texte constitue l’objet primaire de la recherche en linguistique. Voir également Adamzik (2004). Pour une vue d’ensemble de la recherche sur les connecteurs voir Wienen (2006) et Atayan (2006). Voir la partie 1.3.2 Un connecteur, différents niveaux de liage.

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connecteurs prépositionnels n’ont fait l’objet d’analyses ciblées. En conséquence, le premier chapitre porte moins sur les connecteurs prépositionnels en particulier, mais propose d’éclairer les propriétés syntaxiques, sémantiques et pragmatiques communes et centrales aux connecteurs. Afin d’atteindre cet objectif, le présent chapitre s’articule en trois grandes parties. Premièrement, la discussion des caractéristiques morphosyntaxiques délimite les emplois des connecteurs considérés dans le présent travail par rapport à d’autres moyens cohésifs. Dans la seconde partie, la présentation des caractéristiques sémantiques typiques aux connecteurs a pour but de préciser la différence entre l’asyndète et la connexion explicite et d’évaluer des alternatives de classification sémantique récurrentes. Enfin, dans la dernière partie, nous aborderons les propriétés pragmatiques des connecteurs : la conceptualisation instructionnelle des connecteurs, les différentes entités mises en relation par les connecteurs et leur rôle dans l’orchestration de points de vue. Nous sommes conscients du fait que la séparation des domaines syntaxiques, sémantiques et pragmatiques peut paraître artificielle, d’où les chevauchements entre les différents domaines au cours de ce chapitre. Cependant, nous sommes convaincus qu’un tel « artifice » présente l’avantage d’extraire de manière ciblée les caractéristiques spécifiques des connecteurs, garantissant ainsi une analyse précise et nuancée des connecteurs prépositionnels dans les corpus. La conclusion du chapitre consiste en un résumé des résultats principaux. De plus, les conséquences concernant l’élaboration du modèle descriptif des connecteurs prépositionnels y seront présentées.

1.1 Caractéristiques morphosyntaxiques 1.1.1 Les connecteurs : les formes d’une fonction de connexité Ce chapitre traite les relations entre les classes de mots, les classes fonctionnelles et celle des connecteurs. En raison de l’hétérogénéité du statut syntaxique des expressions appartenant au paradigme des connecteurs, nous montrons que leur point commun réside en leur fonction textuelle de connexité. L’objectif de cette partie est donc d’une part de déterminer les formes prises en considération dans le présent travail et d’autre part de préciser la fonction qu’elles exercent. Concernant la terminologie, notons d’ores et déjà qu’avec le terme non-marqué de connecteur nous désignons les éléments connectifs dont l’élaboration de la définition syntaxique est le but de cette partie. Les expressions connecteurs contenant des prépositions et connecteurs prépositionnels désignent l’objet de notre étude et sont employées comme synonymes. Au niveau morphosyntaxique, il est courant de lire au sujet des connecteurs qu’ils ne forment pas de classe homogène (cf. Stede 2007), ou bien encore que le problème posé par les connecteurs est qu’ils ne correspondent pas à des classes de mots déterminées, mais qu’ils regroupent des éléments hétérogènes issus de différentes classes ou d’expressions complexes (cf. Wienen 2006, 170). Si cette hétérogénéité est concevable au niveau des classes de mots, elle l’est moins au niveau fonctionnel. En effet, définie selon le critère fonctionnel de connexité, la classe des connecteurs est plutôt homogène. Avec Moeschler/Reboul (1994), les connecteurs peuvent être définis comme le matériel linguistique remplissant la fonction de connexité : 7

« On appelle connexité les relations linguistiquement marquées entre énoncés. Un exemple classique de connexité transphrastique (ou inter-énoncés) peut être donné par les connecteurs pragmatiques, comme mais, et, car, donc, quand même, pourtant, cependant, aussi, or, en fait, d’ailleurs, etc. Un connecteur pragmatique est un mot grammatical (conjonction, adverbe, locution) dont la fonction est d’une part de relier des segments de discours (les énoncés), et d’autre part de contribuer à la constitution d’unités discursives complexes à partir d’unités discursives simples » (Moeschler/Reboul 1994, 465). Dans cette citation, la fonction de connexité est attribuée aux connecteurs qualifiés de pragmatiques. Ce qualificatif renvoie aux connecteurs déclenchant des inférences7 et semble exclure d’autres types de connecteurs non explicitement nommés. Toutefois, nous retiendrons que la fonction de liage d’éléments discursifs simples pour former des entités complexes peut être considérée comme centrale et commune aux connecteurs et servira de définition de travail déterminant l’inventaire des connecteurs prépositionnels. De plus, cette définition implique que les connecteurs forment une classe fonctionnelle devant être distinguée des classes de mots. Cependant, dans la littérature, l’inventaire des connecteurs, du moins en partie, est fréquemment déterminé en termes de classe de mots. Ainsi, Moeschler et Reboul (1994, 465) subordonnent, dans la citation précédente, les conjonctions et les adverbes à la classe fonctionnelle des connecteurs.8 Cette classification a toutefois des limites car tous les connecteurs ne sont pas réductibles à des classes de mots. En effet, Moeschler et Reboul évoquent des « locutions », de même Gil (1995, 77) intègre des expressions adverbiales et des syntagmes prépositionnels au paradigme des connecteurs.9 Ainsi appréhendés, les connecteurs forment une classe fonctionnelle ouverte. De plus, dans l’ouvrage de référence des connecteurs allemands, le Handbuch der deutschen Konnektoren (désormais HdK), Pasch et al. (2003, 335) nomment les catégories suivantes : les conjonctions coordonnantes et subordonnantes, les adverbes et les expressions adverbiales ainsi que certaines locutions complexes ou « phraséologies »10 qui ne sont pas toujours lexicalisées. En conséquence, pour intégrer le paradigme des connecteurs, la condition ne consiste pas en une entrée dans le dictionnaire mais en la réalisation de la fonction de liage interphrastique (cf. Wienen 2006, 171ss.). Cette condition a une conséquence centrale pour l’analyse de corpus du présent travail. En effet, étant donné que les unités connectives ne sont pas toutes lexicalisées, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas nécessairement une entrée dans le dictionnaire, une approche corpus-

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Les différents éléments liés et les niveaux de liage seront thématisés dans la partie 1.3.2 Un connecteur, différents niveaux de liage. La classification alternative de la théorie des jonctions sera présentée dans la partie 1.1.3 Les connecteurs : degrés d’intégration, fonctions syntaxiques et discursives. Dans le cadre de l’analyse des connecteurs adverbiaux, Gil (1995, 8) inclut des syntagmes prépositionnels tels que por eso en espagnol et pour cela en français au paradigme des connecteurs. Pour un résumé de la recherche concernant les connecteurs à structure phrastique voir Wienen (2006, 199ss.).

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driven s’impose (cf. Tognini-Bonelli 2001).11 Sans vouloir trop anticiper, cette approche consiste en une lecture et annotation manuelle du corpus sans discrimination de formes préalable. En conséquence, c’est au corpus que revient de fixer l’inventaire formel des connecteurs contenant des prépositions. La recherche en linguistique porte également une attention particulière à la structure interne de connecteurs comme pour cela, et a, jusqu’à présent, souligné le rôle des pronoms comme éléments formateurs de connecteurs.12 Dans Stoye (2012, 186), nous avons complété cette perspective en montrant que nombreux sont les connecteurs contenant des prépositions. En conséquence, dans le présent travail, les connecteurs sont considérés comme une classe ouverte en raison de leur définition fonctionnelle. Cette classe ouverte se trouve restreinte en raison de la composante prépositionnelle de notre objet de recherche. La répartition de connecteurs contenant des prépositions selon leur statut syntaxique permet d’obtenir l’image suivante : connecteurs contenant des prépositions

conjonctions

coordinations -

adverbiaux

subordinations après que, parce que

adverbes cependant, pourtant

phraséologies c'est pourquoi pour cette raison

expression adverbiales après tout, dès lors

Figure 1 : statut syntaxique des connecteurs contenant des prépositions

Cette classification montre que les classes de mots (conjonctions de coordination, conjonction de subordinations et adverbes) ne suffisent pas à décrire l’ensemble de l’inventaire des connecteurs prépositionnels. C’est pourquoi nous avons eu recours à d’autres classes fonctionnelles (expressions adverbiales et phraséologies). Par ailleurs, cette classification rend compte de la diversité formelle et syntaxique des connecteurs contenant une préposition. La catégorie des conjonctions de coordination mise à part, les prépositions sont présentes dans toutes les autres catégories syntaxiques distinguées : conjonctions de subordination,13 adverbes, adverbiales et phraséologies. Ce large éventail formel et syntaxique témoigne de la productivité des prépositions quant à la formation de connecteurs. En effet, d’après cette figure,

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Pour une présentation de l’approche « corpus-driven » voir le chapitre 3.1 Les connecteurs prépositionnels : une approche « corpus-driven ». Voir le volume de Schrott/Maaß (2010a) et, en particulier, l’article de Ferraresi (2010). Voir Le Draoulec (2006) pour une distinction entre conjonctions de subordination et connecteurs temporels basée sur le déclenchement de présuppositions.

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une préposition peut former un connecteur à partir du complétif que pour former une conjonction de subordination (après que, parce que), elle peut former des adverbes avec un démonstratif déictique (cependant) ou un adverbe de quantité (pourtant), elle peut former des expressions adverbiales avec des adverbes quantitatifs (après tout) ou un adverbe déictique ancré dans la dimension temporelle (dès lors). Une distinction doit cependant être effectuée au niveau de la portée syntaxique des connecteurs. Alors que la portée des conjonctions de subordination est fixée par leur catégorie grammaticale, elles connectent des phrases, les adverbes et expressions adverbiales ont d’abord pour fonction de modifier un verbe ou une phrase : les adverbes et les adverbiales n’ont pas uniquement une fonction connective. Ces entités sont donc polyfonctionnelles. Afin de spécifier la polyfonctionnalité des entités connectives, considérons dans un premier temps l’inventaire de critères syntaxiques permettant de délimiter et de préciser le concept de connecteur. Dans une approche essentiellement syntaxique, le HdK (2003) décrit et classifie environ 350 connecteurs allemands. La production de cohésion étant une propriété universelle, le HdK (2003) est un outil en mesure de livrer des éléments de réponse quant à la description syntaxique des connecteurs français. Selon le HdK (2003), cinq propriétés centrales (en allemand Merkmal, d’où la majuscule M en début de ligne) d’ordre morphologique, syntaxique et sémantique, délimitent la classe des connecteurs. Ci-dessous, l’élément x symbolise un connecteur : (M1) (M2) (M3) (M4) (M5)

x ne porte pas de marque flexionnelle x ne donne pas de cas à son entourage syntaxique la signification de x est une relation à deux places/arguments les arguments de la signification de x ont une structure propositionnelle les expressions pour les arguments de la signification de x doivent être des structures phrastiques. (HdK 2003, 331 ; traduction H.S.)

Toutes les propriétés énoncées par le HdK (2003) ne sont pas systématiquement significatives pour les connecteurs français, c’est pourquoi un examen s’impose. D’après le premier critère, la forme d’un connecteur est invariable, tel est le cas des prépositions, conjonctions et des adverbes. Néanmoins, les connecteurs phraséologiques contenant des prépositions comme c’est la raison pour laquelle vs. ce sont les raisons pour lesquelles quant à eux, présentent des variations au niveau de l’élément introducteur ainsi qu’au niveau des éléments métadiscursifs (cf. Wienen 2006 ; Maaß 2010a). Ce critère n’est donc pas discriminatoire quant à la détermination de l’inventaire des connecteurs prépositionnels. La seconde propriété ne concerne pas ou plus la langue française dans la mesure où la flexion casuelle ne fait plus partie de la syntaxe du français contemporain. Cette propriété n’est donc pas pertinente pour notre objet de recherche. La troisième propriété, selon laquelle un connecteur lie sémantiquement deux expressions qu’elles soient syntaxiquement complexes ou simples, est importante car elle permet de distinguer la fonction de connecteur de celle des adverbes à une place tels que apparemment, heureusement ou peut-être. Alors que l’adverbe se réfère à un état de chose sans le mettre en relation avec un second, les connecteurs caractérisent la relation entre les états de choses 10

(HdK 2003, 2 ; 493).14 Nous reviendrons en détail sur ce point dans la partie 1.1.3.1 Expression adverbiale ou connecteur ? Enfin, les deux derniers critères M4 et M5 se réfèrent respectivement à la structure propositionnelle et à la structure phrastique des deux connectes. Ils excluent ainsi les prépositions simples et les locutions prépositives (en tant que classe de mots) du paradigme des connecteurs car, dans leur fonction typique, elles introduisent des groupes nominaux (le cadeau pour ma cousine). Force est cependant de constater que certaines définitions « larges »15 intègrent les prépositions à la classe des connecteurs dans la mesure où elles sont considérées comme des mots de relation, ou bien encore, parce qu’elles peuvent introduire un syntagme nominal à valeur propositionnelle (cf. Touratier 2001, 4 ; Stede 2007, 168 ; Raible 1992 ; Ágel 2010).16 En français, les deux prépositions parfois intégrées à la classe des connecteurs sont malgré et en dépit de, marquant toutes deux la concession.17 Dans l’approche sémantico-syntaxique de la théorie des jonctions, il est légitime d’intégrer les prépositions au paradigme des connecteurs (cf. Ágel 2010). Cependant, dans l’optique du présent travail, cette intégration n’est pas pertinente car notre objectif est de montrer avec quels éléments les prépositions sont en mesure d’établir une liaison inter-phrastique. Pour conclure, la présente étude se focalise sur les expressions connectives dont la préposition est un des éléments constitutifs. En raison des critères M4 et M5, les prépositions simples (malgré) ou complexes (en dépit de) sont exclues du paradigme des connecteurs prépositionnels. La condition suffisante quant à la considération d’une unité comme un connecteur consiste en sa faculté d’introduire une proposition ayant une forme phrastique.

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Stede (2007, 169) indique que certaines expressions adverbiales ont deux arguments sémantiques, mais que, contrairement aux conjonctions, elles n’ont pas obligatoirement deux arguments syntaxiques. En effet, le groupe des connecteurs composés des adverbes pronominaux contient, au niveau morphologique, une composante déictique telle que da- en allemand (dadurch ‘par-là’, deswegen ‘c’est pourquoi’). Au premier abord, il s’agirait de connecteurs à une place. Cependant, la composante déictique renvoie aux connectes de référence si bien que, par l’opération anaphorique, la condition des deux places est remplie (cf. Maaß/Schrott 2010b ; Wienen 2006). Cf. Touratier (2001, 2). Selon Stede (2007, 168), bien que les prépositions en allemand ne respectent pas le paramètre M2 dans la mesure où elles donnent un cas à leur entourage, nach + dativ nach der Konferenz, trinken wir einen Kaffee ‘après la conférence, nous boirons un café’, elles doivent être malgré tout considérées comme des connecteurs, car elles respectent les critères M3–M5. La structure propositionnelle des arguments serait liée à la tendance nominalisante de l’allemand. De même, Raible (1992) et Ágel (2010) intègrent les prépositions à la classe des jonctions. Voir Grote (2003, 85) qui a repris le test de Knott (1996) afin de démontrer que les groupes prépositionnels allemands sont des connecteurs. Pour l’anglais, Knott (1996, 78) a effectué des tests à la surface du texte afin d’extraire la relation entre deux éléments à valeur phrastique. Voir également Grabski/Stede (2006) pour la fonction des prépositions comme « Adjunkt ». La condition pour ce type d’emploi est que l’argument interne au syntagme prépositionnel désigne un événement ou un état. Pour une analyse de la préposition malgré et de la locution prépositive en dépit de comme marque de la concession voir Morel (1996, 66ss.).

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1.1.2 Une fonction, différents degrés d’intégration La partie précédente a montré que les connecteurs sont des formes exerçant une relation de liage entre des entités textuelles. Cette fonction de connexité réalisée par les connecteurs présente cependant des différences au niveau de l’intensité de l’intégration des connectes. La force intégrative des connecteurs a été intensivement discutée dans le cadre de l’approche sémantico-syntaxique de la théorie des jonctions de Raible (1992) pour les langues romanes, et lors de son développement ultérieur par Ágel (2010) et Ágel/Diegelmann (2010) pour l’allemand. Dans l’optique de la description sémantique et pragmatique des connecteurs prépositionnels, la distinction des degrés d’intégration est d’un grand intérêt car, comme nous montrerons dans la partie suivante (1.1.3 Les connecteurs : degrés d’intégration, fonctions syntaxiques et discursives), elle se répercute de manière décisive au niveau des fonctions discursives des connecteurs. Pour cette raison, nous présentons les éléments centraux de la théorie des jonctions contribuant à notre recherche. Dans une approche sémantico-syntaxique et onomasiologique, Raible (1992, 28) désigne par le terme « Junktion » ‘jonction’ la « Verbindung von satzwertigen Einheiten » ‘la connexion de deux unités à valeur phrastique’. La jonction se réfère alors à la production de connexité, l’élément exécutant cette fonction est appelé joncteur. Raible (1992, 32ss.) définit les jonctions comme des dimensions universelles de la représentation langagière de relation de contenu entre deux faits ‘Sachverhalt’.18 Ainsi, des entités phrastiques se succédant sur l’axe linaire sont mises en relation afin de former des entités plus grandes (Raible 1992, 30). En partant des propriétés structurelles des langues romanes, l’auteur établit une graduation des techniques d’intégration subordonnée à la dimension des jonctions sur une échelle aux pôles agrégatif et intégratif.19 Sur ce continuum, Raible (1992) ordonne huit techniques subordonnées à la dimension des jonctions : « agrégation

I juxtaposition de phrases sans jonctions II jonction par reprise III phrases principales connectées explicitement IV connexion par une conjonction de subordination V constructions gérondives et participiales VI groupe prépositionnel VII préposition ‘simple’ ou morphème casuel Intégration VIII rôle actantiel » (d’après Raible 1992 ; représentation de Tophinke 2009, 167 ; traduction H.S.) Force est de constater que nombreuses sont les techniques de jonctions réalisées par d’autres éléments que des connecteurs : la juxtaposition, la jonction par reprise (par exemple un pronom anaphorique), les constructions gérondives et participiales, les groupes prépositionnels et les prépositions simples et, enfin, les rôles actantiels sont

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Le présent travail renonce à une distinction signifiante entre faits et événements ; aussi, à moins qu’une distinction soit expressément formulée, ces deux termes sont employés comme des synonymes. Pour un résumé de la théorie des jonctions voir Ágel (2010) ; Ágel/Diegelmann (2010) ; Tophinke (2009, 166ss.) ; Obrist (2006, 387ss.).

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des techniques jonctives ne requérant pas l’emploi de connecteurs selon notre définition dans la partie 1.1.1 Les connecteurs : les formes d’une fonction de connexité. Autrement dit, seuls les niveaux III (la connexion explicite de phrases principales) et IV (connexion par une conjonction de subordination) correspondent à notre définition. La dimension des jonctions comprend donc un inventaire de techniques très diverses au sein duquel les connecteurs ne sont que des techniques parmi d’autres. Pour cette raison, il est indispensable d’envisager le développement de la théorie par Ágel (2010),20 mieux adaptée quant à la description spécifique des connecteurs, et des connecteurs prépositionnels en particulier. Avant d’aborder ce point, illustrons la réalisation concrète des jonctions aux niveaux III et IV, car elles correspondent à notre définition de la connexion, tout en les comparant à la juxtaposition : (1) Pierre ne va pas à l’école. Il est malade. (2) Pierre ne va pas à l’école. En effet il est malade. (3) Pierre ne va pas à l’école parce qu’il est malade. (d’après Raible 1992, 14ss. ; traduction et mise en relief H.S.)21 Dans l’exemple (1), la technique de jonction est agrégative, la relation entre les deux entités est réalisée par une simple juxtaposition des énoncés. La déduction du type de relation sémantique est mise sous la responsabilité du lecteur. Dans l’exemple (2), la relation entre les deux entités est explicitement marquée par le connecteur prépositionnel « en effet ». Ici, la relation grammaticalement est plus stable et l’ordre des propositions est fixe (Raible 1992, 15). L’interprétation sémantique de la relation revient cependant au lecteur (cf. Ágel 2010). La technique de jonction au niveau III est plus intégrative que celle du premier exemple. Enfin, dans l’exemple (3), l’intégration est plus forte encore car le connecteur subordonne une phrase à une autre : la phrase introduite par le connecteur devient une partie, elle est intégrée à la principale (Raible 1992, 16). Cette technique intégrative confère à la phrase subordonnée une autonomie de position : Parce qu’il est malade, Pierre ne va pas à l’école (Raible 1992, 16). Au niveau sémantique, le type de relation est clairement exprimé par le connecteur parce que (cf. Ágel 2010). En effet, comme le note Tophinke (2009, 166), la théorie des jonctions part du principe d’une correspondance entre la force de l’intégration des états de choses mis en relation et la dépendance des constructions syntaxiques. Le concept de jonction tient donc compte du statut des relations sémantiques et, est en ce sens au service de la sémantique (cf. Ágel/Diegelmann 2010, 353). Les termes agrégation et intégration ne se réfèrent donc pas seulement à la manière et au degré de cohésion mais également à leur apport sémantique (valeur ajoutée). Aussi, en reprenant la métaphore proposée par

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Voir aussi Ágel/Diegelmann (2010) ; Ágel (2012). Dans l’original (Raible 1992), pour le premier niveau, la juxtaposition, l’exemple cité est « Peter ist krank. Er geht nicht in die Schule » (Raible 1992, 14) ; pour le niveau III, la connexion explicite de phrases, l’exemple est « Peter geht nicht in die Schule. Er ist nämlich krank » (Raible 1992, 15) ; enfin les exemples cités pour le niveau IV sont: « Weil er krank ist, geht Peter nicht in die Schule » et « Peter geht nicht in die Schule, weil er krank ist ».

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Breindl/Waßner (2006, 46), Ágel (2010) conçoit-il les joncteurs comme un « balisage » facilitant l’interprétation sémantique des textes. Plus récemment, les études d’Ágel (2010) et d’Ágel/Diegelmann (2010) développent la théorie des jonctions afin d’éclairer les structures jonctionnelles contemporaines et historiques de l’allemand.22 Pour ce faire, elles partent des résultats gagnées sur les connecteurs par le HdK (2003) et les combinent au concept de jonction institué par Raible (1992).23 Selon Ágel (2010), l’avantage lié au concept des jonctions, en comparaison à la classification proposée par le HdK en connecteurs intégrés et non-intégrés, réside en l’instauration d’une échelle dont les pôles sont l’agrégation et l’intégration. Sur cette échelle, les différentes techniques cohésives peuvent être positionnées selon leur degré de cohésion.24 En effet, pour Ágel (2010), les techniques de jonctions ne correspondent ni à des classes de mots, ni à des classes de connecteurs, mais à des options syntaxiques de jonctions liées à une langue particulière. Dans sa théorie des jonctions, Ágel (2010, 906) distingue deux grandes catégories : les techniques présyntaxiques (juxtaposition et parajonction) et les jonctions explicites. Ces dernières sont subdivisées en quatre classes : la coordination, la subordination, l’incorporation et l’unification. La localisation des classes agrégatives présyntaxiques et des jonctions explicites sur l’axe agrégatif-intégratif est représentée par le schéma ci-dessous :

juxtaposition

parajonction (marqueur discursif)

jonction explicite coordination

présyntaxique

subordination

incorporation

unification

syntaxique agrégatif

intégratif

Figure 2 : classes des parajonctions et des jonctions explicites (d’après Ágel 2010, 356 ; traduction H.S.)

Dans son modèle, Ágel (2010) exclut les éléments présyntaxiques, c’est-à-dire les juxtapositions et les parajonctions, de la classe des jonctions explicites. En effet, selon l’auteur, la technique la plus agrégative, la juxtaposition, n’est pas explicite car, comme l’illustre l’exemple (1), elle est réalisée sans joncteur (cf. Raible 1992 ; Wegener 2001, 89 ; Ágel 2010). De même, les parajoncteurs, qui dans l’analyse du discours ou de la conversation sont mieux connus sous le terme de marqueurs discursifs, sont exclus des techniques explicites de jonction car ils n’établiraient pas de relation entre deux connectes mais organiseraient le discours (Ágel 2010). En effet,

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Ágel (2010) et Ágel/Diegelmann (2010) présentent une opérationnalisation du modèle des jonctions de montrer l’intensité jonctionnelle d’un texte. Ágel (2010) développe la théorie de Raible (1992) pour décrire les jonctions de l’allemand dans le cadre des variations linguistiques conceptuelles, c’est-à-dire l’étude est focalisée sur les points communs et les différences entre la langue de proximité et de distance. Voir également Lehmann (1988) ; Fabricius-Hansen (1992) ; Wegener (2001) pour une modalisation syntaxique des connecteurs sur une échelle dont les pôles sont l’intégration et l’agrégation.

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pour Ágel (2010, 905), les parajoncteurs, ou marqueurs discursifs, sont subordonnées – dans le sens de la théorie de la langue de proximité et de distance – aux paramètres du temps et de la situation et fonctionnent comme des signes discursifs temporels/situationnels de proximité ou de distance. Toutefois, la fluidité de la frontière entre jonction et parajonction a récemment été soulignée (cf. Auer/Günthner 2005 ; Gülich 2006). Ce point sera d’une importance primordiale quant à la description de notre objet d’étude.25 Pour chacune des classes de jonction, Ágel (2010, 909ss.) distingue un inventaire spécifique de techniques basées sur des critères syntaxiques comme le positionnement de la jonction dans la structure phrastique. Ces techniques permettent de distinguer les emplois de joncteurs d’une même classe sur le continuum agrégatifintégratif. Une présentation détaillée de chacune des techniques dépasserait le cadre du présent travail, mais une attribution des connecteurs prépositionnels aux classes des jonctions permet d’affiner les différences de leurs profils syntaxiques et pragmatiques. Pour cette raison, les propriétés centrales aux quatre classes de jonctions explicites sont ici évoquées. Les quatre classes peuvent être respectivement illustrées par les exemples suivants : coordination :

Peter geht nicht zur Schule. Er ist nämlich krank. Pierre ne va pas à l’école. En effet, il est malade. subordination : Weil Peter krank ist, geht er nicht zur Schule. Pierre ne va pas à l’école, parce qu’il est malade. incorporation : Wegen seiner Erkrankung kann Peter nicht zur Schule gehen. En raison de sa maladie, Pierre ne va pas à l’école. unification : Seine Erkrankung ist der Grund dafür, dass Peter nicht zur Schule gehen kann. Pierre est malade, c’est la raison pour laquelle il ne peut pas aller à l’école. (Ágel 2010, 906 ; traduction H.S.) Afin de distinguer ces quatre classes, Ágel (2010, 907) invoque deux critères classificatoires : le premier porte sur le nombre de connectes régis par le joncteur, celui-ci peut varier de zéro à deux, le second porte sur la qualité verbale ou nominale des connectes intégrés par le joncteur. Notons que dans le présent travail, le terme connecte est employé pour designer d’un point de vue syntaxique les éléments mis en relation par le connecteur. D’après le premier critère, plus le joncteur régit de connectes, plus les connectes sont intégrés par la jonction. L’application de ce critère aux quatre classes de jonctions explicites renvoie l’image suivante : les joncteurs coordonnants ne régissent pas de connectes (Pierre ne va pas à l’école. En effet, il est malade.) ; les joncteurs subordonnants (Pierre ne va pas à l’école, parce qu’il est malade.) et incorporants (En raison de sa maladie, Pierre ne va pas à l’école.) régissent respectivement un connecte, et l’unification régit deux connectes (Pierre est malade, c’est la raison pour laquelle il ne peut pas aller à l’école.).

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Nous abordons ce point en détail dans la partie 1.1.3 Les connecteurs : degrés d’intégration, fonctions syntaxiques et discursives.

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Selon Ágel/Diegelmann (2010, 357), les joncteurs unifiants ont la spécificité d’être des expressions prédicatives de type c’est la raison pour laquelle. La classe des subordinations et des incorporations, qui toutes deux régissent un seul connecte, se distinguent par la qualité des connectes qu’elles régissent. De fait, alors que le connecte de la subordination est verbal, et est de ce fait relativement autonome, le connecte de l’incorporation consiste en une représentation événementielle nominale, et est syntaxiquement totalement dépendant de l’autre connecte. Le critère qualitatif des connectes (verbaux ou nominaux) de l’unification ne joue pas de rôle quant à la distinction de cette classe par rapport aux autres. L’unification se distingue des autres classes par la qualité prédicative même du joncteur qui par la prédication unit les deux connectes (cf. Ágel 2010). D’après Ágel, bien que les joncteurs de la classe unifiante soient peu grammaticalisés,26 ils confèrent par le truchement du prédicat une intégration maximale aux connectes. La comparaison avec un échantillon de connecteurs prépositionnels montre que ces derniers sont représentés dans toutes les classes de jonction : unification (c’est pour cela, c’est pourquoi), subordination (parce que, après que) et coordination (pourtant, alors). Les connecteurs prépositionnels présentent donc différents degrés d’intégration et de grammaticalisation. Force est de constater que les connecteurs prépositionnels appartenant à la classe des jonctions d’unification contiennent en français, outre le présentatif c’est (c’est la raison pour laquelle ; c’est pour cela que), un élément déictique, comme dans pour cette raison, après cela etc. Les expressions comme pour cette raison, pour cela peuvent être employés sans présentatif : le présentatif n’est donc pas indispensable. La question qui se pose est alors de savoir si l’intégration totale des connectes est primairement prise en charge par la force cohésive des deux entités – préposition et déictique ou relatif – formant le connecteur. Aussi nous interrogerons-nous, dans le cadre de ce travail, sur la répartition de la prise en charge cohésive dans les connecteurs prépositionnels de ce type (cf. Wienen 2006, 159).27 Nous l’avons évoqué, l’avantage des classes de jonctions développées par Ágel (2010), à la différence du modèle proposé par Raible (1992), est de fonder un ins-

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Pour reprendre les termes de Gülich (2006, 29), « grammaticalisation est un concept très controversé », Lehmann (2005, 1) déplore d’ailleurs que le concept grammaticalisation englobe des phénomènes linguistiques hétérogènes et distincts, si bien que les emplois abusifs ont fait perdre au terme ses contours définis. Dans le présent travail, le concept et la théorie de la grammaticalisation seront évoqués à plusieurs endroits : 1.3.2 Un connecteur, différents niveaux de liage, 2.3.4 La thèse localiste, 7.5 Connecteurs prépositionnels : grammaticalisation, réanalyse et (inter)subjectivation. Pour une vue d’ensemble voir Hopper/Traugott (22003) ; Molnár (2002) ; Giacalone Ramat/Hopper (1998). Pour une discussion du concept de grammaticalisation et une délimitation par rapport au phénomène de réanalyse voir Detges (1999) et Neumann-Holzschuh (1999). Pour une présentation des concepts de grammaticalisation et d’(inter)subjectivation voir Davidse/Vandelanotte/Cuyckens (2010). Pour une discussion des concepts grammaticalisation et réanalyse dans les langues romanes voir Detges/Waltereit (2002). Et, dans le présent ouvrage voir le chapitre 7 De la préposition au connecteur : changements sémantiques et fonctionnels et, en particulier, 7.5 Connecteurs prépositionnels : grammaticalisation, réanalyse et (inter)subjectivation. Voir la partie 7.3.4 Le chiasme de la portée de pour cela (que).

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trument spécifique à la description des connecteurs comme formes réalisant une jonction. Les classes distinguées par Ágel permettront donc de saisir l’éventail fonctionnel des connecteurs prépositionnels dans les textes. Cependant, nous avons montré qu’en raison de leur complément, les prépositions, seules, ne font pas parti du paradigme des connecteurs selon la définition que nous en avons donné dans le chapitre précédent. En effet, comme nous le verrons en détail dans la partie 2.1.2 Les prépositions : entre propriétés typiques et comportements atypiques, la fonction typique des prépositions réside en l’introduction d’un groupe nominal. Les prépositions, dans leur fonction typique, peuvent donc être localisées au niveau de la classe des jonctions d’incorporation. Ce constat a deux conséquences : premièrement, la classe de l’incorporation et les éléments appartenant à cette classe ne seront pas considérés comme des connecteurs dans le présent travail. Deuxièmement, ce constat a un avantage considérable pour la présente analyse car la localisation des prépositions au niveau de la classe des incorporations permettra de suivre le mouvement des syntagmes prépositionnels sur le continuum agrégatif-intégratif. Les quatre classes de jonctions, auxquelles nous ajouterons les parajonctions, ordonnées sur l’axe intégratif-agrégatif fondent donc un instrument descriptif central quant à l’analyse du passage des syntagmes prépositionnels au paradigme des connecteurs. Par ailleurs, diverses études focalisées sur les connecteurs pronominaux déictiques ont déjà montré que nombreux sont ces connecteurs qui contiennent des prépositions (cf. Hölker 2010a ; Ferraresi 2010 ; Wienen 2006 ; Gil 1995). Un changement de perspective sur les résultats gagnés par ces études permet de constater que les prépositions, qui introduisent des déictiques, correspondent à des syntagmes prépositionnels en fonction connective (cf. Stoye 2010). Illustrons ce point à l’aide de deux exemples : (4) Le parti publia son nouveau programme. Selon/D’après celui-ci, il n’y aura pas d’augmentation d’impôt dans le futur proche. (5) Le parti publia son nouveau programme. Après cela les syndicats ont tout de suite pris la parole. (d’après Stede 2007, 169 ; mise en relief HS) Dans l’exemple (4), la préposition simple selon, ou la préposition complexe d’après donnent des informations sur la relation à établir28 et introduisent le déictique celuici. Ce déictique renvoie au groupe nominal son nouveau programme. Ici, la fonction de connecteur n’est pas activée car la préposition a, par le truchement du déictique, un syntagme nominal dans sa portée. Selon/D’après celui-ci sont donc des expressions en fonction adverbiale et les prépositions appartiennent à la classe des jonctions d’incorporation. Dans l’exemple (5), en revanche, cela ne fait plus référence à un groupe nominal mais à une proposition qui englobe l’événement « Le parti publia son nouveau programme ». Après cela peut être remplacé par un connecteur temporel tel que ensuite ou par un connecteur causal comme en conséquence ou c’est pourquoi. Alors que dans le premier exemple le déictique celui-ci rend saillant un groupe nominal, dans le second, c’est une proposition, une partie de texte contenant un verbe fini, que le déictique rend saillant.

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Voir Maaß (2010a, 77ss.) et, dans le présent travail, voir la partie 2.3.5.3 Les prépositions comme éléments non-déictiques de l’élateur.

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En conséquence, les prépositions à la tête d’un syntagme prépositionnel en fonction adverbiale doivent être considérées, de manière typique, comme appartenant à la classe des jonctions d’incorporation. A partir de cet emploi appartenant à la classe des jonctions d’incorporation, les syntagmes prépositionnels peuvent déployer une fonction de connecteurs. On peut donc considérer que les connecteurs prépositionnels « proviennent » de syntagmes prépositionnels.29 Le modèle proposé par Ágel est un outil permettant de localiser la « nouvelle » fonction de connecteur à partir de l’« ancien » syntagme prépositionnel sur le continuum agrégatif-intégratif.30 En d’autres termes, en raison de la fonction typique de la préposition comme introductrice de groupes nominaux, la classe d’incorporation peut être considérée comme le point de départ à partir duquel découle la fonction de connecteur prépositionnel. Dans le présent travail, grâce au modèle d’Ágel (2010), nous serons en mesure de montrer comment un syntagme prépositionnel appartenant à la classe des incorporations ou plutôt formant un syntagme incorporé se déplace en tant qu’unité (par exemple après cela) sur le continuum agrégatif-intégratif. En conclusion, malgré la proéminence de l’aspect syntaxique dans le modèle d’Ágel (2010) et d’Ágel/Diegelmann (2010) qui réside en la distinction de techniques intégratives et la description de leurs usages dans les textes, relayant ainsi à l’arrière-plan l’aspect sémantico-pragmatique situé au centre de notre analyse, cette approche présente l’avantage considérable pour notre étude de localiser la préposition à la tête du syntagme prépositionnel dans la classe des jonctions d’intégration situé sur le continuum agrégatif-intégratif. De plus, à la base de ce modèle nous serons en mesure de décrire le déplacement des syntagmes prépositionnels devenus connecteurs selon le degré d’intégration de leurs connectes, nous permettant ainsi de préciser leurs fonctions discursives. 1.1.3 Les connecteurs : degrés d’intégration, fonctions syntaxiques et discursives La partie précédente a montré que les expressions adverbiales, dont les syntagmes prépositionnels, n’ont pas exclusivement une fonction de connexion.31 Aussi dans cette partie, considérons-nous les phénomènes « voisins » à la connexion, en portant une attention particulière aux fonctions que peuvent remplir les syntagmes prépositionnels. Cette focalisation, montrera que la description précise et nuancée des profils pragmatiques des connecteurs prépositionnels nécessite la prise en compte de fonctions souvent considérées comme périphériques à celle des connecteurs. En conséquence, cette partie de chapitre justifie la définition large de connecteur pour laquelle opte le présent travail.

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Voir Gross (1996) pour une analyse des expressions figées en français. Le déplacement du syntagme prépositionnel sur le continuum agrégatif-intégratif est traité dans le chapitre 7 De la préposition au connecteur : changements sémantiques et fonctionnels et en particulier dans la partie 7.5 Connecteurs prépositionnels : grammaticalisation, réanalyse et (inter)subjectivation. Voir également la partie 2.1.2 Les prépositions : entre propriétés typiques et comportements atypiques.

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1.1.3.1

Expression adverbiale ou connecteur ?

À la différence des conjonctions, dont la fonction connective interphrastique est réglée de manière catégorielle (cf. Hölker 2010a), la fonction de base des adverbes et des expressions adverbiales réside en la modification d’un verbe ou d’une phrase (cf. Gross 1990 ; Nølke 1990). Le fait que les adverbes puissent revêtir la fonction de connecteur a été interprété comme un processus de grammaticalisation : « Not all languages use adverbs; fewer yet use them polysemously in the way we discuss below […], but if they do, there is an overwhelming tendency for them to develop from clause-internal or ‹predicate adverbs› to sentential adverbs, and ultimately to discourse markers or ‹connecting adverbs› […] » (Traugott/Dasher 2002, 153) Les adverbes et les adverbiales remplissent donc d’autres fonctions que celle de la connexité. Dans le cadre de notre étude, et plus précisément dans l’optique de l’annotation du corpus, la question centrale est de distinguer et de préciser les différents emplois des adverbes (adverbes prédicatifs, de phrases et connecteurs) évoqués ci-dessus par Traugott et Dasher. Au-delà, il s’agit de montrer que les adverbes temporels, dont le statut connectif est dans certaines approches mis en question,32 doivent être pris en considération dans le présent travail. Dans une optique plus lointaine, la question est de savoir comment le passage de l’adverbe au connecteur peut-il être décrit de manière précise et empiriquement intelligible.33 La difficulté de distinguer les fonctions des adverbes a été signalée par Wienen (2006, 195). Elle évoque que la plupart des études portant sur des adverbes spécifiques illustrent chacune des fonctions avec des exemples, tout en indiquant également des cas et des contextes ambigus, où l’emploi ne peut être décrit de manière univoque. Précisons ici le terme contexte. Dans le présent travail, en référence à Catford (1965), une distinction sera effectuée entre le contexte et le cotexte. Le terme cotexte, issu de la linguistique textuelle, désignera un contexte linguistique interne au texte c’est-à-dire qu’il fera référence à une partie du texte précédente ou suivante. Le cotexte est distingué du contexte, ce dernier faisant référence à l’environnement externe au texte (cf. Bußmann 32002, 383). Dans Stoye (2010), pour l’expression adverbiale par-là composée de la préposition par et de l’adverbe déictique là, nous avons décelé quatre fonctions distinctes sur la base d’une analyse de corpus en synchronie. L’expression adverbiale par-là connaît des emplois comme adverbe de lieu : (6) en plus lui il s’est trompé &euh / il a pas compris où c’était &l'a [/] &l'a [/] # et où avait eu lieu l’accident // # et &euh # il est parti sur une fausse route // je lui ai dit / mais c’est pas du tout par-là (C-Oral-Rom)

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Les paramètres de classification sémantique sont discutés dans la partie 1.2.2 Modèles de classification sémantique. La question du passage des adverbes et des expressions adverbiales au paradigme des connecteurs est traitée de manière détaillée dans le chapitre 7 De la préposition au connecteur : changements sémantiques et fonctionnels.

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Dans cet exemple, l’adverbiale de lieu par-là est employée comme un déictique situationnel ayant une incidence sur le groupe verbal :34 la préposition par et le déictique de lieu distal là indiquent un lieu localisé dans le monde extralinguistique. Le sens de l’expression est compositionnel étant donné que les sens localisants de la préposition et du déictique sont transparents. L’emploi de par-là est ici prédicatif, par-là étant dans le régime du présentatif c’est. (7) *c’est pas du tout Le test de suppression en (7) montre que l’adverbiale par-là n’est pas supprimable, elle est donc ancrée dans la structure syntaxique de la phrase. Dans l’exemple (8), en revanche par-là fait référence à une partie de texte située dans son cotexte de gauche : (8) […] je dirais / que d’une certaine façon / # la haute montagne / se mérite // # oh non / elle n’est pas réservée / à une élite / […]/non je veux dire / par-là / qu’elle se mérite / et qu’il faut / # apprendre/ à la respecter. (C-Oral-Rom) Le test de suppression en (9) montre que cette occurrence de par-là peut être supprimée : (9) je veux dire qu’elle se mérite L’expression adverbiale est faiblement intégrée à la structure syntaxique de la phrase, comme le soulignent d’ailleurs les pauses encadrant l’expression. De plus, le sens de l’expression est compositionnel car la préposition par et le déictique là contribuent respectivement à la formation du sens de l’expression par-là (cf. Gross 1996, 10). Pour reprendre les termes de Gross (1996, 10), dans cet exemple, le sens de l’expression par-là est « le produit de celui des éléments composants » : chacun des éléments composant l’expression par-là prend en charge une fonction distincte. De plus, la paraphrase de par-là avec l’expression en disant cela dans laquelle « cela » a toujours une fonction déictique, témoigne de la compositionnalité de l’expression par-là. Dans l’exemple (8), il ne s’agit cependant plus d’une référence sur le mode situationnel mais d’un emploi sur le mode déictique discursif (cf. Maaß 2010a).35 De fait, l’expression adverbiale confère au thème évoqué plus haut dans le texte « la haute montagne se mérite » une saillance qu’il n’avait pas auparavant. Avec Maaß (2010a, 16), le terme saillance peut être défini comme la propriété des déictiques qui rend les éléments, auxquels ils se réfèrent, cognitivement accessibles en les plaçant dans le focus d’attention des allocutaires. Dans ce cas, par-là renvoie à une partie du texte situé dans son cotexte de gauche. Par-là a une fonction cataphorique. La fonction et le sens de par-là dépendent des paramètres temporels et situationnels de la situation d’énonciation, il s’agit donc d’une parajonction. De plus, par-là peut également être employé comme hedge (cf. Lakoff 1972 ; Prince 1982) :

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Voir Maaß (2010a, 48ss.) pour une discussion concernant les différents modes d’emplois des déictiques. Voir la partie 2.3.6.1 Dimensions vs. domaines.

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(10) […] et c’est des [/] des requins qui doivent faire un mètre vingt un mètre cinquante par-là // # c’est pas agressifs du tout (C-Oral-Rom) Selon la classification de Prince (1982, 93), par-là est employé dans cet exemple comme un approximateur. Il marque l’approximation et, plus précisément, il s’agit d’un rounder ‘arrondisseur’ dans la mesure où il effectue une approximation de concept scalaire tel que la quantité ou le temps.36 Dans cet exemple en effet, par-là se réfère à l’approximation d’une mesure et peut être remplacé par environ ou à peu près. D’ailleurs, dans le corpus C-Oral-Rom, une occurrence de par-là présente une accumulation avec l’adverbiale synonyme à peu près : (11) […] et là la première chose qu’on a fait on est descendu / # et puis on est arrivé au fond on [/] on était sur un fond de trente mètres par-là à peu près. (C-Oral-Rom) Dans les exemples (10) et (11), le sens de l’expression par-là n’est plus compositionnelle. Par-là forme une unité de sens indiquant une approximation. De même, par-là n’est pas une constituante de phrase et est moins intégré dans la structure syntaxique de la phrase que dans son emploi comme adverbiale de lieu. Par-là est intégré dans la situation d’énonciation, il fonctionne comme une parajonction. Enfin, par-là peut être employé comme un connecteur de phrase exprimant une conséquence ou une conclusion. Contrairement aux autres exemples, l’exemple (12) est issu d’un ouvrage scientifique. Dans cet extrait, l’auteur démontre que la sociologie doit être considérée comme une science naturelle : (12) La sociologie devra commencer par l’étude des conditions géométriques, numériques, astronomiques, physiques et chimiques, au milieu desquelles la population du globe en général ou chaque groupe particulier se meut nécessairement. Par-là elle se rattache à la météorologie, à la climatologie, à la géographie, […]. (http://durkheim.uchicago.edu/Texts/1886b.html /27.10.2009) Dans cet exemple, par-là est placé en début de phrase, emplacement souvent privilégié par les connecteurs. Au niveau sémantique, par-là lie des énoncés pour introduire une conclusion : la sociologie, partageant les mêmes domaines de recherches que la géométrie, la physique et la chimie, peut être considérée comme voisine de ces sciences naturelles. Autre indice, par-là peut être substitué par le connecteur conclusif conventionnel donc. Ce test est un instrument important permettant par la substitution d’une expression moins conventionnalisée ou polyfonctionnelle (par-là) par un connecteur conventionnalisé (donc) de déterminer la fonction de l’expression et de mettre en évidence sa valeur connective (voir : 1.2.3.1 Test de commutation). En conclusion, les occurrences d’adverbiales qui de lient des énoncés seront considérées comme des connecteurs. Une étude représentative et éclairante pour notre objet de recherche a été effectuée par Borillo (2002). Cette étude sur les « connecteurs temporels et structuration

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Voir Mihatsch (2010a) pour une analyse des formes déictiques exprimant l’approximation, et Mihatsch (2010b) pour une étude des marqueurs approximatifs dans les langues romanes.

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du discours » à l’exemple de aussitôt présente deux avantages : d’une part, elle compare et délimite les différentes fonctions des adverbes, et d’autre part elle analyse de manière spécifique les adverbes temporels appartenant au paradigme des connecteurs. Borillo (2002, 240ss.) distingue deux types d’adverbes : les adverbes intégrés,37 les adverbes de phrase,38 dont les adverbes conjonctifs39 sont conceptualisés comme un sous-type. Comme dans l’exemple (13), les adverbes intégrés ont dans leur portée des « constituantes plus ou moins complexes et participent à la construction du sens référentiel » (Borillo 2002, 240) : (13) Elle lui glisse dans la main trois billets qu’il fait disparaître aussitôt d’un geste de prestigitateur. (Borillo 2002, 241) (= adverbe intégré) Dans l’exemple (13), l’adverbe aussitôt modifie le verbe disparaître. Borillo (2002, 240) distingue alors trois types d’emplois : les adverbes intégrés modifiant un adjectif, un adverbe ou un verbe et pouvant fonctionner comme des adverbes « extraprédicatifs » c’est-à-dire qu’ils ont une incidence sur la relation sujet-prédicat (cf. Guimier 1996, 35). Les adverbes de phrase, en revanche, ne dépendent pas des verbes, mais régissent une phrase dans sa globalité (cf. Borillo 2002, 241). Dans ce cadre, deux types de connecteurs peuvent être distingués : les adverbes disjonctifs et les adverbes conjonctifs. Comme Borillo, notre attention portera exclusivement sur cette seconde catégorie, car elle regroupe les adverbes liant deux phrases ou énoncés formant ainsi un fragment de texte à l’intérieur du discours (cf. Borillo 2002, 241).40 La spécificité des adverbes conjonctifs est que leur interprétation nécessite la prise en compte d’un énoncé antérieur (Borillo 2002, 241). Cette référence au cotexte de gauche peut être signalisée par un démonstratif, un article défini ou un lexème particulier comme à ce propos, sur ce, à l’inverse, dès lors, par ailleurs, d’un autre côté (ibid.). Constatons ici que les six connecteurs cités par Borillo contiennent une préposition introductrice : à, sur, dès, par et de, d’où l’importance de thématiser les adverbes connectifs. Ces adverbes expriment des liens sémanticologiques divers : consécutif, reformulatif, adversatif, concessif, oppositif,41 mais aussi temporel (Borillo 2002, 241). Borillo, divise ce dernier type de relation en deux groupes : les adverbes temporels et les adverbes temporels de type anaphorique. Les premiers tels que d’abord, puis, alors, enfin, finalement etc. « […] expriment avant tout l’enchaînement temporel de phrases qui se trouvent ainsi structurées à l’intérieur d’un même discours (sachant que, par ailleurs, cette notion d’ordre ne peut être que temporelle » (Borillo 2002, 241)

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Pour une étude des adverbes dits « intégrés », « adjoints » et « endophrastiques » voir respectivement Molinier (2000, 41) ; Quirk/Greenbaum (1973, 208) ; Guimier (1996, 6). Cf. Quirk/Greenbaum (1973, 208–210) et Molinier (2000, 44ss.) pour les tests syntaxiques permettant de distinguer les adverbes intégrés des adverbes de phrases. Cf. Hobbs (1979) ; Sanders et al. (1992). Cette définition est similaire et conciliable à celle proposée par Moeschler/Reboul (1994, 465), voir la partie 1.1.1 Les connecteurs : les formes d’une fonction de connexité. Cf. Guimier (1996) ; Molinier (2000) ; Rossari (2000).

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Les adverbes temporels marquent l’enchaînement temporel des énoncés et structurent le discours (Borillo 2002, 241). Il s’agit donc de marqueurs discursifs (voir la partie 1.2.3.3 Les connecteurs et les marqueurs discursifs). Le second groupe, les adverbes temporels de type anaphorique, englobe des expressions tels que auparavant, préalablement, un peu plus tard, bientôt après, le lendemain, par la suite, tout de suite, aussitôt, dans la foulée ainsi que tous les adverbes de succession immédiate (cf. Borillo 2002, 241s.) « […] expriment eux aussi un ordre temporel : ils fixent temporellement une éventualité décrite dans le segment de texte où ils se trouvent, en la rapportant à un repère explicite, ou susceptible d’être calculé, fourni par le segment qui précède. Ils ont donc une fonction et un sens qui les rend très proches des purs connecteurs que sont puis, alors ou ensuite » (Borillo 2002, 242) Ces adverbes anaphoriques ont la propriété d’exercer un renvoi à un repère temporel qui n’est pas identique au moment de parole (cf. Borillo 2002, 241). En résumé, la distinction entre les deux types de connecteurs peut être formulée comme suit : tandis que les adverbes temporels signalisent une successivité « plutôt » discursive, les seconds (les adverbes temporels de type anaphorique) indiquent une succession « plutôt » événementielle. De plus, Borillo montre à l’exemple d’aussitôt que les adverbes sont des entités potentiellement polyfonctionnelles. Aussitôt est un adverbe temporel anaphorique, qui peut être employé soit comme un adverbe intégré, exemple (13), soit comme un adverbe conjonctif. Pour ce dernier cas, deux types d’emplois doivent être distingués : l’adverbe conjonctif peut indiquer une simple relation de Narration, comme dans l’exemple (14), ou, il marque une relation de consécution, exemple (15) (Borillo 2002, 239) : (14) Il entr’ouvrit les yeux. Il les referma aussitôt, craignant d’être pris en faute. (Borillo 2002, 244) (= relation du discours de Narration) (15) Il se leva pour demander la parole. Aussitôt le silence se rétablit. (Borillo 2002, 245) (= relation du discours consécutive) La relation de Narration42 signifie que le connecteur « marque un enchaînement temporel de deux éventualités, en les rapportant à une même thématique à l’intérieur d’un fragment de discours » (Borillo 2002, 244). En (14), la relation de Narration présente un enchaînement temporel de deux événements qui se réfèrent à un même thème au sein du segment discursif (cf. Borillo 2002, 244). Dans l’exemple (15), en revanche, aussitôt indique que le second événement résulte du premier et qu’il est une réaction par rapport à celui-ci. Selon Borillo, cette fonction est soulignée par l’emplacement topologique du connecteur en début de la seconde phrase, position signalisant selon l’auteur une plus grande dépendance entre les deux événements :43

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Cf. Lascarides/Asher 1993. Borillo (2000, 254) énumère, pour aussitôt employé comme connecteur, également les propriétés suivantes : son positionnement en début de phrase, l’exclusion de modification par l’adverbe préposé presque ainsi que par d’autres connecteurs le précédent – exception

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« Dans certaines circonstances, et en particulier dans les configurations où en tant que connecteur, il est placé en tête de la deuxième phrase [P1, aussitôt P2], une dépendance plus forte qu’une relation de Narration peut lier les deux éventualités, e1 et e2. Si des facteurs sémantiques et pragmatiques orientent dans ce même sens, l’éventualité e2 peut être comprise comme résultant de e1 ou plus précisément comme se produisant par une sorte de réaction à e1 » (Borillo 2002, 244). Cette dernière relation est caractérise de consécutive. Ce terme souligne que la dépendance entre les deux événements mis en relation est moins forte que celle exprimée par un connecteur de conséquence44 ou de cause à effet (cf. Borillo 2002, 244s.). Avec Gerecht (1987, 69), la relation « consécutive » peut être précisée par le qualificatif argumentatif. En effet, pour le connecteur contenant la préposition alors, Gerecht distingue trois fonctions qu’elle illustre avec les exemples suivants : (16) Nous sommes sortis du cinéma. Il pleuvait alors sur Nantes. (17) Pierre arrive alors je pars. (18) Alors aujourd’hui, je vais vous parler de la Pologne. (Gerecht 1987, 69) Dans chacun des exemples, les occurrences d’alors sont perçues comme un connecteur phrastique qui relie deux énoncés sur le mode p alors q. Dans l’exemple (16), le connecteur exprime la concomitance temporelle : « il pleuvait sur Nantes est relié à l’énoncé p : nous sommes sortis du cinéma sur le plan de la concomitance temporelle » (Gerecht 1987, 69). Dans cet emploi alors peut être paraphrasé par l’adverbiale temporelle à ce moment-là. Cette fonction est qualifiée par Maaß/Schrott (2010b) de déictique temporelle. Ces auteurs illustrent cette fonction avec l’exemple suivant : (19) Et après les élections présidentielles et législatives de 2007, quel sera son rôle (scil. De François Hollande) ? Il a annoncé qu’il céderait alors sa place de premier secrétaire. (in : LE MONDE) (Maaß/Schrott 2010b, 16) Constatons que, dans cette fonction, alors peut être remplacé par ensuite ou après cela, fonction considérée comme connective par Borillo (2002) et Ferraresi (2010). Elle est en effet équivalente à la relation de Narration évoquée plus haut par Borillo. Dans l’exemple (16), Gerecht considère l’emploi d’alors comme argumentatif : « le départ de l’énonciateur de q est en relation de consécutivité avec l’arrivée de Pierre » (Gerecht 1987, 69). Notons que dans ce cas, alors pourrait être remplacé par le connecteur argumentatif conventionnel donc. Cet emploi est équivalent à la relation consécutive évoquée par Borillo. Le connecteur, structure les événements repré-

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faite de et. Toutefois, l’auteure pondère la restriction de positionnement : aussitôt placé après le verbe peut également présenter un statut de connecteur dans la mesure où il renforce une relation de narration qui est déjà instaurée par le verbe. De plus, Borillo (2002, 254) est d’avis que les deux fonctions peuvent être concomitantes. Cf. Hybertie 1996.

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sentés (succession ou simultanéité), et leur confère au-delà une orientation argumentative. Nous concluons que l’emploi de « consécution » allie la structuration à l’argumentation. Cependant, l’emploi argumentatif d’alors que traitent Maaß/Schrott (2011, 16) est d’un autre type que l’emploi consécutif. L’exemple que livrent les auteurs est en effet le suivant : (20) Dans le cas d’un disque ou d’un domaine convexe, on peut montrer que λ est réduit à un seul point ; alors un seul vortex apparaît à HC1 (Sylvia Serfaty, Sur l’équation de Ginzburg-Landau avec champ magnétique, in EQUATIONS). (Maaß/Schrott 2010b, 16) Dans cet extrait d’un article scientifique de spécialité mathématique, alors introduit une conclusion. En d’autres termes, il ne s’agit plus comme dans les exemples (8) et (10) de Borillo et de Gerecht d’une relation de consécution au niveau de la représentation événementielle, mais d’une orientation argumentative au niveau du raisonnement. Enfin, dans le dernier exemple (18) cité par Gerecht, alors est considéré comme un « connecteur discursif » – c’est-à-dire comme une parajonction ou un marqueur de discours – dont la fonction est de « relier des énonciations d’un ou de plusieurs locuteurs » (Gerecht 1987, 69). Cet emploi correspond à celui du premier groupe des connecteurs temporels évoqué par Borillo qui agit sur la structuration du discours. Dans ce cas, nous considérerons alors comme un connecteur holophrastique : il est l’énoncé p et lie en même temps cet énoncé à l’énoncé suivant q. Dans ce cas la valeur ajoutée peut être considérée comme procédurale, c’est-à-dire comme une consigne adressée aux partenaires de conversation (cf. Gülich 2006, 16ss.).45 En effet, Maaß/Schrott (2010b, 16) distinguent, pour alors employé comme marqueurs discursifs, trois procédures distinctes : la marque du début d’un nouveau turn, c’està-dire la prise de parole, sa remise et, enfin, l’introduction d’une nouvelle pensée ou une hésitation (ibid.). De plus, les auteurs indiquent que dans cet emploi, alors apparaît fréquemment en accumulation avec d’autres marqueurs et peut être paraphrasé par bon. En suivant Gerecht (1982) et Maaß/Schrott (2010b), alors est employé comme connecteur phrastique car il lie des énoncés qui se distinguent d’une part au niveau de l’intégration syntaxique des connectes, ainsi qu’aux niveaux pragmatique et sémantique. Résumons les quatre fonctions détectées : 1. alors est un connecteur d’événements : il apporte une valeur ajoutée temporelle paraphrasable par ensuite. 2. alors est un connecteur d’événements : il apporte une valeur ajoutée temporelle et consécutive (paraphrasable par ensuite et donc). 3. alors est un connecteur de raisonnement : il apporte une valeur ajoutée argumentative conclusive au niveau du raisonnement (paraphrasable par donc). 4. alors est un connecteur d’intervention : il apporte une valeur ajoutée procédurale (paraphrasable par bon).

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La valeur procédurale des connecteurs et marqueurs discursifs est traitée dans la partie 1.1.3.3 Les connecteurs et les marqueurs discursifs.

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Les études des connecteurs proposées par Borillo (2002), Gerecht (1982) et Maaß/Schrott (2010b) sont donc d’une importance centrale pour le présent travail car elles montrent d’une part que les emplois connectifs temporels doivent être intégrés à l’éventail fonctionnel des connecteurs prépositionnels et, d’autre part, elles impliquent que trois types de connecteurs temporels doivent être distingués :  les connecteurs (temporels) discursifs dont la fonction est de structurer le discours ;  les connecteurs temporels événementiels dont la fonction est essentiellement narrative et réside en la structuration des événements ;  les connecteurs temporels événementiels que nous nommerons de structuration argumentative, dont la fonction est de structurer les événements tout en impliquant une relation argumentative. Ce résultat a deux conséquences cruciales quant à la conceptualisation du modèle présenté dans le chapitre 4 Modèle pragmatique et sémantique des connecteurs prépositionnels. Premièrement, notre modèle devra tenir compte des connecteurs temporels employés pour réaliser une structuration de la matière discursive, des emplois structurant la narration des événements (relations de Narration), mais aussi des emplois dits de consécutivité unissant à la fois la relation structurée temporelle de succession et la relation argumentative logique de résultat, présentant par exemple un événement comme une origine dont découle le second. Deuxièmement, étant donné que les connecteurs prépositionnels peuvent effectuer un liage au niveau événementiel et au niveau textuel, la conceptualisation des connecteurs pour laquelle nous optons doit tenir compte de ces deux types de connexité. En conséquence, le concept de connecteur dans le présent travail englobe les jonctions et les parajonctions car ces dernières lient des éléments textuels dépendant de paramètres temporels et situationnels discursifs. Cette définition large de connecteur est originale car elle englobe deux catégories – jonction et parajonction/marqueur discursif – couramment délimitées par la recherche (cf. Ágel 2010 ; Ágel/Diegelmann 2010). Notre définition de connecteur implique que nous nous penchions désormais sur les parajonctions qui, en tant qu’éléments liés aux paramètres temporels et situationnels de l’énonciation, englobent deux types de phénomènes : les marqueurs discursifs et les déictiques discursifs. 1.1.3.2

Les connecteurs et les déictiques discursifs

Dans cette partie, nous montrons que, pour dresser l’inventaire des connecteurs prépositionnels sur la base de notre corpus, il est essentiel de considérer la fonction déictique discursive. En effet, les connecteurs contenant un déictique discursif intègrent, par le renvoie déictique, un des deux connectes aux connecteurs et réalisent ainsi une forte connexion des deux segments textuels. De plus, comme nous le verrons dans la partie 2.3.5.3 Les prépositions comme éléments non-déictiques de l’élateur, la théorie de la deixis discursive livre des éléments de réponse essentiels permettant d’élucider la question du rôle des prépositions dans les connecteurs. Le phénomène de la deixis discursive et sa théorie représentent donc un gain de connaissance essentiel pour notre travail. Pour cette raison, nous en faisons la présentation dans ce chapitre.

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Dans Stoye (2010), nous avons montré l’importance de la théorie de la deixis discursive quant à la description des connecteurs prépositionnels, car les prépositions forment fréquemment des connecteurs avec des éléments déictiques.46 De même, dans notre corpus, comme l’illustre l’exemple (21) issu de la partie Sénat, nombreux sont les connecteurs prépositionnels contenant des éléments déictiques.47 (21) MME ALIMA BOUMEDIENE-THIERY : C’est la raison pour laquelle {C} {EA} {PNL} {CONS} {conc} je vous demande de voter contre cette motion de renvoi à la commission. (Sénat) Dans l’exemple (21), avec le connecteur prépositionnel c’est la raison pour laquelle, la locutrice réalise une connexion entre la partie du cotexte antérieur, désignée de raison,48 et la partie de son cotexte de droite. En même temps, et c’est en ce sens que l’expression est considérée comme un déictique discursif, c’est la raison pour laquelle, effectue un renvoi à une partie du texte précédent désignée et englobé par le substantif raison. Afin de préciser l’intersection fonctionnelle de la connexion et de la deixis discursive, et les raisons pour lesquelles certains connecteurs prépositionnels peuvent également être considérés comme des déictiques discursifs, nous invoquerons l’étude centrale effectuée par Maaß (2010a) sur la deixis discursive en français. En effet, Maaß (2010a, 103) indique que les connecteurs et les déictiques discursifs présentent un chevauchement fonctionnel essentiellement située au niveau de l’encapsulation (‘Inkapsulation’) qui est un sous-type des formations complexes (‘Komplexbildungen’).49 Avant d’aborder ce point, une brève présentation du phénomène de la deixis (discursive) et de la catégorisation développée par Maaß doit être effectuée afin de souligner la spécificité du renvoi discursif auquel correspondent les connecteurs. Indépendamment du mode indexical avec lequel ils opèrent,50 les déictiques ont pour fonction de rendre des éléments référents saillants, c’est-à-dire de les rendre

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Cf. Wienen (2006) pour l’étude des connecteurs clivés en espagnol et en français tels que la raison pour laquelle et pour cela et en particulier la partie 2.1.4 Zu Deixis und Anapher bei Spaltadverbialen. Pour le traitement des éléments sémantiques avec lesquels les prépositions forment des connecteurs voir la partie 5.1 Les dimensions prépositionnelles et les éléments formateurs de connecteurs. La composante métadiscursive dans les connecteurs prépositionnels fait l’objet d’une discussion détaillée dans la partie 4.4.1 La composante dénominative. Pour des raisons d’économie de place, nous nous sommes abstenus de reproduire le connecte de gauche. Pour un compte rendu de la théorie de la deixis discursive de Maaß (2010) voir Kleiber (2012). Voir Maaß (2010a, 48ss.). Maaß distingue les dimensions déictiques des modes de monstration. Les dimensions déictiques structurent les unités du lexique en catégories sémantiques. Dans ce cadre, cinq dimensions peuvent être distinguées : la dimension locale, temporelle, personnelle, objectale et modale. Les quatre modes de monstration correspondent à la fonction des déictiques : la deixis situationnelle, am Phantasma, discursive et l’anaphorique.

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cognitivement accessibles. La production de saillance est un processus interactionnel qui permet l’identification de référents qui, auparavant, n’étaient pas cognitivement accessibles pour les allocutaires. Ce processus d’identification de référent s’inscrit dans la situation de communication qui implique le locuteur et l’allocutaire et peut être en ce sens considéré comme pragmatique (Maaß/Schrott à paraître). En outre, par la production de saillance, les déictiques augmentent l’expressivité des expressions dans lesquelles ils apparaissent.51 Les déictiques discursifs ont la spécificité d’effectuer un renvoi par rapport à leur origo discursive. L’origo est le centre déictique à partir duquel la référence du déictique est calculée : il s’agit de l’ego-hic-nunc du renvoi (cf. Maaß 2010a, 10). Un déictique discursif est donc un moyen linguistique interne au texte (ce qui le distingue des gestes déictiques physiques indexicaux) dont le référent est textuel/discursif. À la différence de l’anaphore, il contribue non seulement à la continuité textuelle par une reprise d’un groupe nominal, mais il confère au référent une saillance qu’il n’avait pas auparavant. Le déictique instaure donc une nouvelle focalisation sur une partie du texte. En conséquence, avec Maaß (2010a, 7), les déictiques discursifs peuvent être définis comme producteurs de saillance dans le discours. Maaß (2010a) indique que la distinction entre les déictiques discursifs et les connecteurs ne peut s’effectuer que de manière graduelle. Aussi, selon l’auteure, le chevauchement fonctionnel des connecteurs et des déictiques discursifs concerne essentiellement les renvois de type encapsulation, qui, dans le modèle catégoriel de Maaß (2010a, 103), est l’un des trois types déictiques discursifs. En effet, sur la base d’un corpus en français contemporain, Maaß (2010a) distingue pour le mode de renvoi déictique discursif trois types et trois fonctions. Dans la partie 2.3.5.2 Les prépositions et les types déictiques discursifs de notre travail, nous analyserons le rôle des prépositions dans chacun ces types déictiques. Dans ce chapitre, nous présentons le modèle développé par Maaß (2010a) en portant une attention particulière au type de l’encapsulation. Les trois types de renvois déictiques distingués sont les suivants : 1. la détermination de position (‘Positionsbestimmung’) ; 2. les formations complexes (‘Komplexbildung’) contenant l’encapsulation (‘Inkapsulation’) et l’énumération (‘Aufzählung’) ; 3. l’actualisation du discours (‘Diskursaktualisierung’).

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Cf. Koch/Oesterreicher (1996, 85ss.).

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La figure 3 visualise la répartition des types de références déictiques : types des références déictiques discursives

référence à une partie du discours

détermination de position

actualisation discursive

formations complexes

(a) encapsulation

(b) énummération

Figure 3 : types de référence déictique discursive (d’après Maaß 2010a, 80 ; traduction H.S.)

La détermination de position renvoie à un endroit du discours actuel ou à des parties du discours situées soit avant, soit après l’occurrence du déictique discursif. Les déictiques discursifs appartenant à ce type sont souvent issus de la dimension temporelle comme ce matin ou maintenant (cf. Maaß 2010a, 205). Nous le montrerons dans la partie 2.3.5.2 Les prépositions et les types déictiques discursifs, les syntagmes prépositionnels effectuent ce type de renvoi. Le type formations complexes est réparti en deux catégories : l’encapsulation et l’énumération. Les encapsulations, telles que c’est décevant ou cela signifie, comprennent par exemple un nom et un déterminant qui englobent une partie du discours précédent ou, plus rarement, suivant. C’est dans ce type déictique discursif que Maaß (2010a, 103ss.) localise essentiellement le chevauchement fonctionnel avec les connecteurs. En effet, en référence à l’étude de Fabricius-Hansen (2001, 332) trois types de connecteurs peuvent être distingués : les connecteurs grammaticaux, lexicaux et phrastiques. Tandis que les connecteurs grammaticaux comprennent les conjonctions et les subjonctions dont les propriétés sont une position stable et un degré de grammaticalisation élevé, la classe des connecteurs lexicaux ne se distingue que faiblement des connecteurs phrastiques et forment un continuum avec l’encapsulation (cf. Maaß 2010a, 104). En conséquence, dans l’exemple (21) précédemment cité, l’expression c’est la raison pour laquelle a une double fonction. D’une part, la partie déictique c’est la raison rend saillante une partie du texte située dans le cotexte antérieur et l’englobe (l’encapsule) en la nommant de raison. Il s’agit de la fonction déictique discursive de type encapsulation. D’autre part, l’expression c’est la raison pour laquelle effectue une connexion entre deux parties du texte (des phrases, au niveau syntaxique, et, des propositions, au niveau sémantique) : la première correspond à la partie du discours rendue saillante par c’est la raison et l’autre 29

suit immédiatement l’occurrence de c’est la raison pour laquelle. Nous concluons qu’en raison de la mise en relation de deux parties de textes, de phrases, de propositions, correspondant ainsi à la définition de la connexité présentée dans la partie 1.1.1 Les connecteurs : les formes d’une fonction de connexité, les expressions telles que c’est la raison pour laquelle doivent être considérées comme des connecteurs ayant une composante déictique discursive. Le second type subordonné aux formations complexes est l’énumération. Les énumérations sont des expressions telles que les cinq motifs syntaxiques suivants. Ces expressions annoncent la propriété quantitative du référent textuel (cf. Maaß 2010a, 198). Comme nous le verrons dans la partie 2.3.5.2 Les prépositions et les types déictiques discursifs, certaines expressions contenant des prépositions telles que d’abord, ensuite, enfin etc. sont subordonnées à ce type de renvoi textuel. Avec Borillo (2002), ces entités nommées adverbes conjonctifs ou adverbes temporels (opérant au niveau du discours) peuvent être considérées comme des connecteurs.52 Avec l’actualisation du discours, la totalité du discours actuel ou une partie du texte dans lequel se trouve le déictique discursif devient référent. Ce type de déictique peut être réalisé par un syntagme prépositionnel, par exemple dans cet article qui se réfère à la totalité de l’article scientifique (cf. Maaß 2010a, 212ss.).53 Comme dans l’exemple (21), le type formation complexe dont fait partie l’encapsulation apparaît le plus fréquemment avec la fonction d’étai argumentatif (‘Argumentationsstützung’) (cf. Maaß 2010a, 236ss.). De fait, dans le modèle de la deixis discursive, les trois types précédemment évoqués sont couplés de trois fonctions organisées de manière hiérarchique selon leur degré de complexité (cf. Maaß 2010a, 217ss.). Afin de préciser la fonction des connecteurs prépositionnels à composante déictique discursive, présentons brièvement chacune d’entre elles : 1. le garant de la compréhension (‘Verständnissicherung’) ; 2. la structuration du référent (‘Referentenstrukturierung’) ; 3. l’étai argumentatif (‘Argumentationsstützung’). La figure 4 résume les trois fonctions des références déictiques discursives : fonctions des références déictiques discursives

(1) garant de compréhension

(2) structuration de référent

(3) étai argumentatif

Figure 4 : fonction des référence déictique discursive (Maaß 2010a, 84 ; traduction H.S.)

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Voir la partie 1.1.3.1 Expression adverbiale ou connecteur ? Le statut connectif des syntagmes prépositionnels ordonnés à ce type de renvoi sera thématisé dans la partie 2.3.5.2 Les prépositions et les types déictiques discursifs.

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1. Le garant de la compréhension peut être considéré comme le mode génuine de la deixis discursive. En employant un déictique discursif, le locuteur produit de la saillance afin d’assurer l’accessibilité du référent à l’allocutaire (cf. Maaß 2010a, 84s.) 2. Au niveau de la structuration du référent vient s’ajouter à la fonction de garant de la compréhension, une structuration interne du référent discursif. Cette structuration indique le nombre de parties composant le référent, sans que cette détermination soit essentiellement argumentative (cf. Maaß 2010a, 85s.). 3. L’étai argumentatif est la fonction déictique discursive la plus complexe. Par les renvois argumentatifs le locuteur produit de la saillance et présente une justification adressée à l’interlocuteur (cf. Maaß 2010a, 85s.). Maaß (2010a, 86s.) note que la fonction argumentative ne comprend pas nécessairement de composante structurante de référent. A partir de cette liste de fonctions, deux points doivent être abordés. Premièrement, et il s’agit d’un constat essentiel relatif à l’élaboration du modèle décrivant les connecteurs prépositionnels dans les corpus,54 les trois fonctions présentées ci-dessus correspondent en fait à quatre fonctions distinctes. En effet, la présentation des fonctions montre que le garant de la compréhension est valable pour tous les déictiques discursifs, les deux autres fonctions en revanche, apparaissent soit seule, soit en combinaison. En conséquence, les quatre fonctions suivantes doivent être distinguées :    

garant de la compréhension garant de la compréhension + structuration du référent garant de la compréhension + structuration du référent + étai argumentatif garant de la compréhension + étai argumentatif

Ce constat a une répercussion centrale quant à la conceptualisation du modèle présenté au chapitre 4, et légitime la distinction de trois techniques (structurante, structurante-argumentative et argumentative) avec lesquelles opèrent les connecteurs prépositionnels.55 Deuxièmement, c’est avec la fonction d’étai argumentatif que l’encapsulation apparaît dans l’exemple (21) car, dans l’énoncé, c’est la raison pour laquelle peut être paraphrasé par le connecteur argumentatif conventionnel donc introduisant la conclusion. Enfin, avec Borillo (2002), c’est la fonction de structuration du référent qui est attribuées aux adverbes conjonctifs ou aux adverbes temporels (Borillo 2002) dans la mesure où ces connecteurs organisent la matière textuelle. Sur la base de ces trois types et de ces trois fonctions, la différence et la similitude entre les déictiques discursifs et les connecteurs peuvent être précisées. Avec Maaß (2010a, 104), la différence centrale entre ces deux moyens cohésifs se situe essentiellement au niveau de la typicité de leurs propriétés syntaxiques respectives. Tandis que les encapsulateurs font partie de la proposition, les connecteurs lient des propositions indépendantes. Cette différence est visualisée de la manière suivante :

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Le modèle pragma-sémantique descriptif des connecteurs prépositionnels est présenté dans le chapitre 4 Modèle pragmatique et sémantique des connecteurs prépositionnels. Voir la partie 4.3 Les techniques : structuration, argumentation et structuration-argumentation.

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Connecteur : p connecteur q Encapsulateur : p,p1, p2, q, introduit par un encapsulateur (Maaß 2010a, 105) Aussi, en reprenant la terminologie proposée par Francis (1986), les propositions p,p1, p2 forment un membre X et l’encapsulateur fait partie de ce membre. Les connecteurs, en revanche, seraient situés entre deux propositions autonomes (cf. Maaß 2010a, 105). Dans ce cadre, une pondération doit être entreprise car, comme nous l’avons montré dans la partie 1.1.2 Une fonction, différents degrés d’intégration, l’autonomie des propositions ou des connectes mis en relation par les connecteurs varient sur le pôle agrégatif-intégratif selon la classe de jonctions dans lequel s’inscrit l’emploi du connecteur en question (cf. Ágel 2010 ; Ágel/Diegelmann 2010). Illustrons ce point par un exemple issu du corpus Sénat : (22) MME MARIE-HELENE DES ESGAULX, rapporteur : […] Il reste à trancher des questions de fond, comme le périmètre exact des entreprises concernées ou les sanctions attachées au respect des dispositions adoptées. Et, compte tenu de l’ampleur du sujet abordé, un travail important est à mener. Dans ces conditions, il y a lieu, en termes d’efficacité, d'éviter des navettes inutiles. (Sénat) Dans cet exemple, le syntagme prépositionnel dans ces conditions est une instruction à l’allocutaire de chercher dans le cotexte précédent des éléments (propositions) considérés comme des conditions, c’est-à-dire des circonstances pertinentes, qu’il rend saillantes. En raison de cette fonction de production de saillance par un renvoi à une partie du discours, dans ces conditions est un déictique discursif. Dans notre exemple, le référent auquel renvoie dans ces conditions est complexe : il correspond aux deux phrases situées dans le cotexte de gauche de dans ces conditions. L’essentiel de leur contenu peut être réduit à « il reste à trancher des questions de fond » et à « un travail important est à mener ». Dans ces conditions englobe (encapsule) et rend saillant cette partie de texte complexe située dans son cotexte de gauche. Dans la perspective de la théorie de la deixis discursive, dans ces conditions est un déictique discursif de type encapsulation. Cependant, dans la perspective du présent travail force est de constater que dans ces conditions effectue, outre ce renvoie déictique discursif, une connexion entre deux parties de texte : p (Il reste à trancher des questions de fond + un travail important est à mener) et q (il y a lieu, en termes d'efficacité, d'éviter des navettes inutiles). De plus, dans ces conditions ne rend pas seulement le référent saillant (les circonstances pertinentes), mais il contribue au sens de l’énoncé en y apportant une valeur sémantique ajoutée que nous nommerons conséquence.56 En effet, dans cet exemple, le syntagme prépositionnel dans ces conditions peut être remplacé par le connecteur de conséquence conventionnel donc. Dans ces conditions est donc un connecteur prépositionnel à composante déictique discursive de type de l’encapsulation. En conséquence, dans le présent travail, les syntagmes prépositionnels comme dans ces conditions seront considérés en raison de leur contribution au sens textuel et du liage interphrastique qu’ils effectuent comme des connecteurs prépositionnels.

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Voir la partie 4.5.3.3 La conséquence : résultat, déduction, conclusion.

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Concernant le degré d’intégration vs. d’autonomie des connecteurs prépositionnels à composante déictique de type encapsulation, nous avons montré que ces connecteurs ne sont pas situés entre les connectes. Au contraire, en raison de leur composante déictique discursive englobante, ces connecteurs sont fortement intégrés aux propositions. Or, la classe de jonction désignant les emplois des connecteurs intégrés aux connectes phrastiques est l’unification. On peut donc conclure que les connecteurs prépositionnels à composante déictique textuelle de type de l’encapsulation appartiennent à la classe des jonctions d’unification. Certes, dans le cadre de la théorie des jonctions, ce résultat doit être perçu comme une hypothèse qu’il faudra considérer et analyser en détail dans une approche sémantico-syntaxiques. Toutefois, dans le cadre du présent travail focalisé sur les profils sémantiques et pragmatiques des connecteurs prépositionnels, les expressions comme dans ces conditions seront considérées comme des joncteurs d’unification en raison de leur composante déictique discursive de type encapsulation et, en raison des propriétés de ce type. Ce constat se trouve en outre renforcé par le fait que les expressions de type encapsulation tout comme les expressions appartenant aux jonctions d’unification sont considérées comme moins grammaticalisées que ne le sont les coordinations ou les subjonctions (cf. Ágel/Diegelmann 2010, 358). Enfin, le point commun entre les connecteurs et les déictiques discursifs se situe au niveau sémantique. Les connecteurs relient des propositions et, sont comme les déictiques discursifs des éléments producteurs de cohésion et de cohérence, tout comme, d’ailleurs, les anaphores et les marqueurs discursifs (cf. Maaß 2010a, 104). En conclusion, force est de constater que certaines expressions, et en particulier certains syntagmes prépositionnels, cumulent les fonctions de connecteur et de déictique discursif. Ces expressions seront considérées dans le présent travail comme des connecteurs prépositionnels. Dans la perspective de la deixis discursive, l’élément déictique du connecteur rend un élément du texte saillant, le référent, qui, dans la perspective de la connexion, correspond à l’un des deux connectes mis en relation par le connecteur. Dans le cadre du présent travail, en raison de l’encapsulation du connecte – ou référent – par le déictique, ces connecteurs contenant un élément déictique discursif seront considérés comme des connecteurs correspondant à la classe des jonctions d’unification. 1.1.3.3

Les connecteurs et les marqueurs discursifs

Généralement, les connecteurs sont délimités par rapport aux marqueurs discursifs (cf. Maaß/Schrott 2010b). Comme nous le verrons au cours de cette partie, cette délimitation réside essentiellement en une opposition graduelle de critères syntaxiques, sémantiques et phonologiques (prosodiques). Afin de rendre compte de l’ampleur de la fonction de connexité des connecteurs prépositionnels dans les textes, il nous semble cependant pertinent d’élargir le terme de connecteur à celui de marqueurs discursifs. Aussi s’agira-t-il ici de mettre en lumière les différences tout en soulignant les points communs des deux phénomènes évoqués. Maaß/Schrott (2010b, 12ss.) rappellent que la distinction entre les phénomènes de marqueurs discursifs et de connecteurs connaît, suivant le but de la recherche, des

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approches de portées différentes ainsi que des hiérarchisations variables.57 Aussi ces variations mèneraient-elle à l’émergence d’un chevauchement de domaines plus ou moins grands entre les deux concepts (ibidem). La différence essentielle entre les connecteurs et les marqueurs réside en ce que les premiers sont, en principe, plus fortement intégrés que ne le sont les marqueurs discursifs dans la structure syntaxique de la phrase et la sémantique des énoncés. Aussi, dans le cadre de la théorie des jonctions, Ágel (2010) et Ágel/Diegelmann (2010) confèrent aux parajoncteurs, équivalent des marqueurs discursifs, une valeur présyntaxique. La différence entre les expressions parajoncteur et marqueur discursif est liée aux perspectives adoptées. Dans la théorie des jonctions, les éléments appartenant à la classe des parajonctions sont essentiellement définis par leur statut syntaxique agrégatif présyntaxique. En revanche, dans les approches linguistiques textuelles (cf. Adam 1989 ; 2006), l’analyse du discours (cf. Maaß 2010a) et de la conversation (cf. Gülich/Mondada 2008 ; Gülich 2006), le terme marqueur discursif souligne la fonction de structuration du textuelle réalisée par les marqueurs et leur apport procédural dans l’interaction. Ce sont donc des aspects pragma-sémantiques qui se situent au centre de l’attention de ces approches. Les termes parajonction et marqueur discursif font donc référence aux mêmes éléments avec une focalisation respectivement sur leurs propriétés syntaxiques ou sémantico-pragmatiques. Ces propriétés doivent être désormais abordées. Au niveau syntaxique, les parajonctions (ou marqueurs discursifs) se distinguent des connecteurs au sens étroit par leur degré d’intégration. En effet, tandis que les connecteurs font partie des unités illocutionnaires, et sont ainsi localisés à l’intérieur de ces unités, les marqueurs de discours ont, quant à eux, la fonction de délimiter les unités illocutionnaires les unes par rapport aux autres et de les mettre en rapport (Schrott/Maaß 2010). Cette fonction souligne que, malgré leur technique de liage agrégative, les marqueurs discursifs contribuent à connecter les énoncés tout en se situant entre lesdites unités. De même, force est de constater que la classe des conjonctions intègre, elle aussi, faiblement les connectes.58 Dans le cas des conjonctions, les joncteurs sont en effet situés entre les connectes mis en relation. Il est donc nécessaire de conceptualiser le lien entre parajonction (ou marqueur discursif) et jonction (ou connecteur au sens étroit) comme un continuum. De plus, cette spécificité parasyntaxique se reflète au niveau topologique. Auer/Günthner (2005) indiquent que les marqueurs discursifs reçoivent un emplacement plutôt périphérique au début ou à la fin d’un énoncé. Aussi Schegloff (1982) parle-t-il de « […] things that come between sentences » (cf. Gülich 2006, 18). Le critère de l’emplacement périphérique ne serait cependant pas valable de la même manière pour tous les marqueurs. En effet, au niveau des classes de mots, les adverbes seraient plus touchés par le positionnement périphérique que ne le seraient les conjonctions de coordination (Auer/Günthner 2005, 338s.). Leur emploi en tant que marqueur de discours sous-tendrait alors principalement des critères pragmatiques et

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Voir Maaß (2010a, 124ss.) pour une vue d’ensemble concernant la discussion de la délimitation des marqueurs du discours et des connecteurs de phrases dans la recherche. Voir également Detges (2007, 419ss.) pour la délimitation des marqueurs discursifs par rapport aux particules modales. Cf. 1.1.2 Une fonction, différents degrés d’intégration.

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fonctionnels ainsi que prosodiques (Auer/Günthner 2005, 338s.). Dans l’exemple (23) issu du corpus Le Monde, deux adverbes contenant respectivement les prépositions de (d’abord) et en (ensuite) sont employés en début d’énoncé. (23) Dans ce domaine, toutefois, il est trop tôt pour crier victoire. D’abord parce qu’en un an, le chômage des jeunes est celui qui a le plus augmenté (+ 28 % en données brutes et + 28,9 % en données corrigées). Ensuite parce que les difficultés sont probablement encore devant eux : plusieurs centaines de milliers de jeunes sortis du système scolaire vont se présenter sur le marché du travail à l’automne. (Le Monde) Dans cet exemple, le journaliste indique que face à la conjoncture actuelle, il ne faut pas se réjouir trop vite. Les adverbes d’abord et ensuite marquent le début de deux éléments textuels, de deux raisons (deux indices) qui plaident pour une mise en garde. Ces indices introduits par le connecteur causal conventionnel parce que sont hiérarchiquement structurés et annoncés par les adverbes (classes de mots) d’abord et ensuite. Par leur emplacement périphérique en début de phrase, les adverbes d’abord et ensuite balisent explicitement le commencement de deux éléments textuels en relation hiérarchique l’un par rapport à l’autre, dans le sens où d’abord introduit le premier élément et ensuite le second. D’abord et ensuite sont des marqueurs discursifs, car ils structurent la matière textuelle. Dans cet exemple, d’abord et ensuite prennent en charge la structuration hiérarchique explicite des causes introduites par le connecteur causal conventionnel parce que. Nous les considérons de plus comme des connecteurs prépositionnels, dans la mesure où ils mettent en relation des parties de textes les unes par rapport aux autres. Auer/Günthner (2005, 338) remarquent que le changement positionnel à la périphérie de l’énoncé serait accompagné d’un changement sémantique plus ou moins grand. Ainsi, une conjonction de coordination employée comme marqueur n’aurait pas sa fonction conventionnelle de liage de deux connectes, mais elle pourrait présenter un emploi isolé sans connectes apparents (cf. Auer/Günthner 2005, 338). En raison de cette absence de « connectes apparents », nous partons du principe que dans ces emplois les connectes sont potentiels. Les caractéristiques évoquées valent non seulement pour les adverbes, les conjonctions de coordination mais aussi pour les conjonctions de subordination telles que « weil » en allemand ‘parce que’ employées en tant que marqueurs (Auer/Günthner 2005, 338). Avec cette fonction, les conjonctions de subordination ne liraient plus des énoncés, mais prendraient une fonction organisatrice du discours dans la conversation (Auer/Günthner 2005, 338). Dans l’exemple suivant, le connecteur prépositionnel parce que connaît un positionnement périphérique typique des marqueurs discursifs en début d’énoncé. (24)

*EDO : à _T1 // *SAN : oui oui // *EDO : et on (n’) a jamais déménagé // # *SAN : parce que c'est une grosse entreprise dans une ville comme ça / tu me parlais un petit peu des Normands tout à devanture), constate que certaines sont employées comme affixe et d’autre non.17 Dans ce cadre, l’auteur ne formule pas d’hypothèses concernant les contraintes conditionnant le rôle des prépositions dans la formation des mots. Dans la présente étude, en revanche, nous nous interrogerons sur les restrictions qui favorisent ou obstruent l’emploi de prépositions lors de la formation de connecteur.18 De plus, certaines prépositions sont en mesure de violer une règle majeure en introduisant un complément implicite.19 (58) Ensuite il y a la technique du décor et de l’émaillage / # &euh mais ça c’est autre chose / # c’est plus le travail de la terre c’est / # enfin ça va avec (Oral) Dans l’exemple (58) la préposition avec n’a pas de complément direct mais le syntagme prépositionnel « fait référence » à un élément situé dans son cotexte de gauche « le travail de la terre ». Afin d’expliquer l’emploi de prépositions sans complément explicite, deux hypothèses principales ont été proposées.20 La première conçoit l’absence du complément comme une ellipse ; la seconde prétend que le complément introduit par la préposition correspond à un pronom nul. Les différentes hypothèses concernant l’usage de la préposition employée sans compléments explicites peuvent être résumées dans la figure suivante :

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Cf. Lang (1991, 155) : les prépositions depuis, dès, jusque, parmi, pendant, selon et vers ne jouent pas de rôle dans la formation de mots. Devant, derrière, dans et avec sont rares et exercent une fonction par des variantes (dans vs. intra : intramusculaire). Après, hors et sans apparaissent uniquement dans des compositions (sans-travail). Les préfixes savants para-, intra- « dans », extra- « hors » et pro- « pour » sont exclusivement employés pour la nominalisation d’adjectifs (prosoviétique). Les prépositions fréquemment employées dans la formation des mots en tant qu’élément compositionnel ou dérivationnel sont à, avant, contre, de, en, entre, par, pour, sous et sur. Les restrictions concernant les prépositions comme éléments formateurs de connecteurs seront thématisées dans la partie 5.6 Hypothèses quant aux restrictions de formation de connecteurs prépositionnels. Voir Melis (2003, 19–24) ; Ilinski (2003, 263ss.) ; Adler (2005). Adler (2007a) ; (2007b) pour l’analyse des prépositions employées avec un complément implicite. Cf. Stoye (2009) pour une représentation détaillée des différentes hypothèses.

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prépositions employées sans compléments

I. hypothèse de l'ellipse

préposition + ellipse du complément

II. hypothèse: préposition + pronom nul

recatégorisation de la préposition comme adverbe

Figure 5 : hypothèse concernant l’emploi des prépositions sans complément

La première hypothèse peut être subdivisée en deux sous hypothèses distinctes. Selon l’hypothèse de la préposition employée avec une ellipse du complément, la préposition reste membre de cette partie du discours.21 La seconde sous-hypothèse en revanche interprète l’emploi sans complément comme une recatégorisation de la préposition en un adverbe.22 Les problèmes posés par ces deux sous-hypothèses sont d’ordres syntaxiques et sémantico-pragmatiques : les prépositions employées sans compléments peuvent faire référence à des éléments textuels comprenant une forme verbale conjuguée. Or, cette propriété ne correspond pas de la définition des prépositions car, comme nous l’avons vu auparavant, elles refusent les compléments comprenant un verbe fini. Le problème posé par la deuxième soushypothèse est qu’elle ne règle pas la question du complément, qui, pour la cohésion et la cohérence de l’énoncé est indispensable. La seconde hypothèse, qui postule la présence d’un pronom nul, semble la plus adéquate,23 car elle est en mesure d’expliquer pourquoi les prépositions avec le pronom nul peuvent faire référence à une séquence contenant un verbe conjugué, ou à un complément se trouvant dans la réalité extralinguistique. En effet, le pronom nul est conceptualisé comme un élément déictique qui permet de faire référence à une partie du discours et fonctionne ainsi comme un déictique discursif. Dans ce cas, le pronom nul renvoie soit à une partie du cotexte antérieur, il est alors anadéictique, soit à une partie du cotexte postérieur, il est alors catadéictique, ou bien encore il peut indiquer un élément situé dans la réalité extralinguistique. Aussi, en suivant Cervoni

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Cf. Le Bon Usage (142008, 1483), Gross (1994, 218) et Ilinski (2003, 263ss.). Cf. Frei (1993, 218), Wagner/Pichon (1962, 443) et Le Goffic (2000, 424). Cf. Zribi-Hertz (1984, 62).

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(1991, 240), repoussons-nous l’hypothèse que certaines prépositions puissent être employées de manière déictique : « Il n’existe pas de préposition que l’on puisse qualifier de ‹déictique› c’est-àdire impliquant nécessairement une certaine forme de lien référentiel avec un élément ou plusieurs éléments combinés du cadre énonciatif (locuteur, allocutaire, temps de l’énonciation, lieu de l’énonciation). » (Cervoni 1991, 240) En conséquence les prépositions nécessitent, selon nous, un complément permettant d’effectuer le renvoi. Enfin, cette hypothèse témoigne de l’affinité des prépositions avec les déictiques, dans la mesure où le démonstratif évident et à la fois trop concret devient implicite. Par ailleurs, dans Stoye (2009, 378), nous avons montré que les locuteurs emploient la préposition avec un pronom nul dans des buts stratégiques discursifs tels que pour des raisons économique ou éthiques.24 Par ailleurs, dans une perspective psychomécanique guillaumienne, Ilinski (2003) s’est penché sur trois emplois atypiques de la préposition.25 L’un d’entre eux, l’emploi de la préposition sans complément explicite, vient d’être évoqué, nous n’y reviendrons donc pas. Les deux autres cas atypiques étudiés sont la tmèse chez la préposition et les combinaisons de prépositions. Dans le cas de la tmèse, Ilinski montre que la restriction selon laquelle la préposition doit être directement suivie de son régime, n’est pas toujours respectée car un élément peut être intercalé entre la préposition et son complément. Ce procédé rhétorique, appelé tmèse, permet de mettre un élément, le complément de la préposition, en relief. Reprenons un exemple cité par Ilinski : (59) Ce sont donc trois services très distincts qui surveillent, contrôlent et réglementent notre alimentation avec, tout d’abord, la Direction générale de la Santé. (TF1, le 22/06/99, journal de 20 h) (cité d’après Ilinski 2003, 390) Dans cet exemple, tout d’abord, qui est intercalé entre la préposition avec et son complément la Direction générale de la Santé, structure l’énumération des parties d’un tout évoqué auparavant dans le cotexte de gauche (cf. Ilinski 2003, 390). Dans le cadre de son analyse, Ilinski (2003, 402) constate que les éléments intercalés sont certes de natures diverses, mais il s’agirait essentiellement d’énonciatifs, comme tout d’abord, ou d’expressions modales. Les compléments de la préposition seraient principalement des infinitifs et des expressions à nature scalaire. Quant aux prépositions, elles participeraient de manière inégale à la tmèse : certaines sont plus rares voire absentes de ce type de construction (chez, dès et en), d’autres, comme avec, pour, sans, depuis, sont relativement fréquentes (cf. Ilinski 2003, 402). Dans une étude récente, Maaß (2011) montre que la tmèse chez la préposition est moins contrainte que jusqu’à présent admis. A la différence du corpus de textes essentiellement littéraires employé par Ilinski (2002), Maaß (2011) analyse la tmèse de la

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Voir également les études d’Adler (2005 ; 2007a ; 2007b et 2012) concernant l’usage de la préposition employée dans avec un complément implicite. Le compte rendu d’Hölker (2009) propose un résumé critique de la thèse développée par Ilinski (2003).

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préposition dans un corpus ouvert de textes contemporains écrits (Google), et fermé de textes oraux (C-Oral-Rom). Son étude montre qu’il n’y aurait pas de restrictions essentielles concernant la préposition employée. En d’autres termes, les prépositions tolérant la tmèse sont plus nombreuses que jusqu’à présent prétendu. Maaß (2011) signalise en revanche que les contraintes toucheraient principalement la portée de la préposition et l’élément intercalé entre la préposition et son complément. En effet, Maaß (2011, 164) montre que les prépositions dont la portée est restreinte (à un pronom ou un adjectif simple par exemple) ne favorisent pas la tmèse. En revanche, une portée syntaxique plus étendue de la préposition (par exemple à un adjectif modifié par un adverbe) favoriserait la tmèse. La seconde contrainte concerne l’élément intercalé : il s’agirait, tel qu’Ilinski l’avait suggéré, essentiellement de marqueurs et de particules focalisantes (Maaß 2011, 164s.). Dans ce cadre, Maaß (2011) fait le constat intéressant que ces éléments intercalés ne sont pas conventionnellement marqueurs ou particules focalisantes, mais, à côté de la préposition, ils développeraient de telles fonctions discursives. Ce résultat est d’une importance centrale car il souligne l’affinité syntagmatique mais aussi discursive des prépositions avec les marqueurs discursifs et les particules focalisantes. Ilinski (2003) montre également que certaines prépositions peuvent apparaître en collocation avec une autre préposition. La structure générale de ce type de construction peut être présentée de manière suivante : « préposition + syntagme prépositionnel » (Ilinski 2003, 144). Deux types de combinaison peuvent être distingués : les combinaisons paradigmatiques (Ilinski 2003, 146ss.) et les combinaisons non paradigmatiques (Ilinski 2003, 164ss.). La combinaison paradigmatique présente la structure préposition 1 + [préposition 2 + syntagme nominal] (cf. Ilinski 2003, 144). (60) Je devais revoir Alissa dès avant la fin de l’année. (André Gide, La porte étroite, 117 ; cité d’après Ilinski 2003, 150) Dans l’exemple (60) dès est la préposition 1 ayant pour régime avant la préposition 2 et la fin de l’année, le syntagme nominal. Dans le cadre des combinaisons paradigmatiques des prépositions, il est intéressant de noter l’absence des prépositions dites notionnelles « […] dans tous les exemples les prépositions en question sont employées au sens spatial ou temporel » (Ilinski 2003, 164). En d’autres termes, la première préposition localise la relation exprimée par la seconde. Les combinaisons non paradigmatiques présentent une autre structure : [préposition 1 + préposition 2] + syntagme nominal (Ilinski 2003, 164). Les combinaisons appartenant à cette catégorie sont d’après, de par, d’avec, d’entre et jusqu’à. (61) D’après ses livres j’imaginais Bergotte comme un vieillard faible et déçu. (Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, 112, cité d’après Ilinski 2003, 165) Dans le cas des combinaisons non paradigmatiques, le lien de coalescence entre les deux prépositions est plus fort qu’il ne l’était pour les combinaisons paradigmatiques. En effet, la particularité des combinaisons non paradigmatiques réside en son caractère holistique : le sens de l’expression n’est pas compositionnel. Force est de constater qu’Ilinski ne thématise pas la combinaison des prépositions par et contre dans le connecteur prépositionnel par contre.

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Les travaux récents, comme celui d’Ilinski (2003), marquent un changement de paradigme dans la recherche sur les prépositions focalisé sur des emplois atypiques des prépositions. Il ne s’agit cependant pas de remettre en question les propriétés syntaxiques typiques des prépositions, mais d’élargir l’horizon d’étude à des phénomènes jusqu’à présent délaissés ou considérés comme périphériques. C’est dans ce cadre de recherche que vient s’inscrire le présent travail. Aussi afin de compléter l’éventail fonctionnel des emplois des prépositions, il est pertinent de se pencher sur la question du rôle joué par les prépositions dans la formation de connecteurs. 2.1.3 Propriétés morphologiques en synchronie L’analyse des connecteurs prépositionnels implique la détermination de l’inventaire des prépositions considéré dans le présent travail. Cette démarche est d’autant plus nécessaire que les prépositions forment une classe de mots très hétérogène. Diewald (1997, 65) évoque d’ailleurs la « verblüffende Ungleichheit der Mitglieder dieser Wortart », ‘l’ahurissante disparité des membres de cette classe de mots’. De plus, leur classement s’effectue souvent sur la base de critères divers (syntaxiques, formels, sémantiques et historiques). Enfin, selon la grammaire considérée, les listes varient. En effet, la classe des prépositions peut comporter des éléments primaires ou secondaires, simples ou complexes.26 Aussi, afin de motiver le choix de l’inventaire des prépositions pris en considération dans le présent travail, discuterons-nous deux catégorisations courantes. Diewald (1997, 66ss.) distingue pour l’allemand deux grands types de prépositions : les prépositions primaires et les prépositions secondaires. Tandis que les premières sont toujours monolexématiques, les prépositions secondaires sont soit monolexématiques, soit polylexématiques (Diewald 1997, 66ss.). De même, dans Le Bon Usage (142008), outre les prépositions simples, qui chez Diewald (1997) correspondent aux prépositions primaires, deux autres types sont distingués : « Une préposition peut être composée de plusieurs mots : Depuis. – Si les mots sont séparés dans l’écriture, on parle de locutions prépositive (ou prépositionnelle) : À cause de. » (Le Bon Usage 142008, 1319 ; mise en relief dans le texte original) Les prépositions primaires, telles que à, de, pour en français, forment une classe fermée. Elles expriment des fonctions adverbiales de base, des relations instrumentales, locales et temporelles (Diewald 1997, 65).27 La classification de Diewald suggère qu’il y aurait une correspondance entre le type morphologique et la sémantique des prépositions (voir chapitre 2.2 Genèse des prépositions en français : perspective diachronique et étymologique).

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Cf. Lindqvist (1994, 2s.) et Heinemann (2001, 9s.). Les prépositions primaires de l’allemand sont : an, auf, aus, bei, durch, für, gegen, in, nach, neben, ohne, über, um, von, vor, während, wegen et zu (Diewald 1997, 66). Cependant, cette caractéristique sémantique n’est pas univoque car für ‘pour’ et wegen ‘à cause de’ ne se soumettent pas aux trois catégories sémantiques proposées pour les prépositions primaires et correspondraient plutôt aux catégories sémantiques des prépositions secondaires. Cf. Lehmann (1995, 94).

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Les prépositions secondaires, c’est-à-dire les prépositions composées (monolexématiques) et les locutions prépositives (polylexématiques), forment une classe ouverte à laquelle viennent s’ajouter continuellement de nouvelles formes (Diewald 1997, 65). Diewald note que les prépositions secondaires monolexématiques, telles que bezüglich ou hinsichtlich ‘concernant’, expriment des relations adverbiales complexes comme l’opposition et la causalité (Diewald 1997, 66).28 En français contemporain, nombreuses sont les prépositions monolexématiques qui proviennent d’autres classes de mots et en particulier de participes présents concernant, durant, moyennant, pendant, nonobstant, mais également d’adjectif comme sauf. Récemment, de nouveaux éléments provenant de dérivations nominales, intègrent le paradigme des prépositions : une fille style soit belle et tais-toi, un film genre James Bond (cf. Melis 2003, 123ss.). Ces candidats peuvent cependant être considérés comme des membres plus périphériques.29 Le Bon Usage (142008, 1319), en revanche, distingue les prépositions composées et les locutions prépositives sur un critère orthographique et morphologique : les mots des locutions prépositives sont « séparés par l’écriture », les prépositions composées quant à elles contiendraient une préposition simple. En effet, dans l’exemple cité par Le Bon Usage, les locuteurs contemporains pourraient reconnaître dans depuis la préposition primaire de et l’adverbe puis.30 Ici la décomposition serait accessible de par la transparence des éléments formant la préposition composée. Qu’en est-il cependant lorsque les éléments constitutifs de la préposition sont opaques ? Doit-on toujours considérer les combinaisons de plusieurs prépositions comme dans devant> de + avant ; avant > AB ‘à partir de’ + ANTE ‘avant, devant’ et les combinaisons de prépositions avec d’autres éléments tels que les adverbes (depuis > de + puis) comme des prépositions complexes ? En d’autres termes, la catégorisation des prépositions monolexématiques en catégorie primaire et secondaire, qui implique un paramètre historiqueétymologique, n’est pas pertinente dans l’optique synchronique de notre étude. D’ailleurs, comme nous le verrons plus bas, Le Bon Usage ne tient pas compte de cette distinction lors de la présentation de l’inventaire des prépositions les plus courantes du français contemporain. Les prépositions secondaires polylexématiques ou locutions prépositives – comme à cause de – sont des constructions libres comprenant un nom relationnel en combinaison avec une ou plusieurs prépositions primaires exprimant des relations non grammaticalisées (Diewald 1997, 66s.). Melis (2003, 109) définit la locution prépositive « comme une suite de mots formant une unité qui remplit en tant que telle la fonction d’une préposition » et dont au moins un des éléments est une prépo-

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Lehmann (1995, 929) indique que la structure des groupes prépositionnels formés à partir de ces prépositions secondaires monolexématiques allemandes est quasi identique à celles introduites par des prépositions simples à la différence que le groupe prépositionnel est au génitif ou introduit par von (cf. Diewald 1997, 66). Cf. Lindqvist (1994, 5) : Plus un signe se trouve à la périphérie d’une classe de mots, plus il est proche du centre d’une autre classe de mots. Puis est en français contemporain un adverbe, Rheinfelder (21976, 321) en revanche, classe le morphème dans la catégorie des prépositions de l’ancien français. Employé comme préposition, puis introduisait un syntagme nominal et avait le sens de la préposition « après ».

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sition (cf. Melis 2003, 107).31 Gross (1986) et Borillo (1998) estiment le nombre de locutions prépositives françaises entre trois à quatre cents.32 L’inventaire des locutions prépositives est non seulement caractérisé par son ampleur mais aussi par l’hétérogénéité formelle et sémantique des locutions.33 En effet, les locutions présentent des différences au niveau du degré de figement syntagmatique et paradigmatique34 et de coalescence (cf. Melis 2003, 109ss.). De même, sur le plan sémantique, les locutions prépositives ne remplissent pas toujours le critère de non-compositionnalité, ce qui remet en question le critère de coalescence, et par là, leur appartenance à la classe des locutions prépositives. De plus, il faut noter qu’au niveau sémantique, de nombreuses locutions sont plus spécialisées que ne le sont les prépositions simples (cf. Melis 2003, 112s.). Melis résume le comportement des locutions prépositives comme suit : « […] il convient d’admettre qu’il existe une zone dans laquelle se situent des suites plus ou moins figées et plus ou moins opaques qui entretiennent des relations plus ou moins systématiques avec les prépositions simples. » (Melis 2003, 115) En général, les prépositions primaires ont peu de traits sémantiques, elles sont la plupart du temps monosyllabiques et autorisent des réductions phonétiques lors d’une articulation rapide. En revanche, les prépositions secondaires sont souvent plurisyllabiques et non phonologiquement réductibles. Au niveau sémantique, les prépositions secondaires expriment une grande diversité de relation qui peut être perçue comme la trace de leur origine lexicale.35 Dans ce cadre, Melis (2003, 112) constate que les prépositions primaires ont une fréquence d’emploi plus haute due à la non spécificité de leur sens ; tandis que les prépositions secondaires polylexématiques sont plus spécifiques en raison de leur composante autosémantique. Les pré-

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Pour une analyse détaillée de l’unité des locutions prépositives cf. Gross (1986) ; (1996) ; Borillo (1998) ; Adler (2001) ; (2008) ; Melis (2003). Concernant les listes des locutions prépositives voir également Gaatone (1976, 28ss.) ; Lang (1991, 46ss.) ; Raible 1992. Pour une analyse des prépositions dans une perspective générative voir Gabriel (2000, 198ss.). Melis (2003, 108) distingue cinq structures : les structures comportant un nom (face à, à côté de), les structures comportant une forme verbale (à partir de, pour ce qui est de), les structures comportant un adjectif (proche de, le long de), les structures comportant un adverbe (lors de, antérieurement à) et les structures comportant une préposition (d’après, visà-vis). De plus, la productivité de ces types de prépositions est elle-même inégale (cf. Melis 2003, 109). Cette typologie ne permet pas de distinguer les locutions prépositives des agencements libres (cf. Melis 2003, 109 ; Adler 2001 ; 2008). Concernant la notion d’unité, des paramètres permettent de tester le figement syntaxique des locutions prépositives : « la non-conformité de la structure avec les régularités ordinaires de la syntaxe », « l’impossibilité d’introduire des expansions dans la suite », « l’impossibilité de remplacer les composantes de la locution par des termes appartenant au même paradigme » et « le blocage de certaines propriétés transformationnelles » (Melis 2003, 110ss.). La signification du lexique de source ne serait plus ostensible, c’est-à-dire la faculté référentielle extralinguistique des éléments s’est effacée (Diewald 1997, 66ss.).

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positions secondaires monolexématiques se distinguent des polylexématiques par le paramètre d’intégrité ou du poids paradigmatique36 aussi bien au niveau phonologique qu’au niveau sémantique. La discussion a montré qu’en raison du paramètre historique-étymologique, la classification tripartite n’est pas pertinente pour l’étude des connecteurs prépositionnels dont le point de départ se situe en français contemporain. La discussion précédente montre cependant qu’un autre critère doit être avancé afin de déterminer l’inventaire des prépositions pour la présente étude. Dans ce cadre, nous adhérons à la proposition de Riegel/Pellat/Rioul (32008, 369) qui, sur un la base d’un paramètre exclusivement lexical, distingue deux types de prépositions :37 « Comme tous les mots ou morphèmes grammaticaux, elles constituent un paradigme synchroniquement clos à l’intérieur duquel s’opposent des formes simples ou complexes (les locutions prépositionnelles), primaires ou empruntées par conversion à d’autres catégories » (Riegel/Pellat/Rioul 32008, 369 ; mise en relief H.S.) Bien que Riegel/Pellat/Rioul (32008, 369) évoquent la distinction entre les prépositions primaires et secondaires, le paramètre formel permet clairement de différencier deux types de prépositions dans la synchronie : les prépositions monolexématiques ou polylexématiques. Étant donné que les locutions prépositives sont toujours formées de prépositions monolexématiques, ces dernières peuvent être considérées comme les entités élémentaires à l’analyse des prépositions dans les connecteurs. Pour cette raison, la présente étude porte sur l’inventaire des prépositions monolexématiques livré par Le Bon Usage (142008, 1319). Cet inventaire confirme le choix notre classification sur la base d’un critère formel car il ne tient pas compte de la distinction précédemment effectuée entre prépositions primaires et secondaires, tandis qu’une distinction stricte est effectuée entre les prépositions monolexématiques et les locutions prépositives. La liste des prépositions monolexématique livrée par Le Bon Usage est la suivante : « à, après, avant, avec, chez, concernant, contre, dans, de, depuis, derrière, dès, devant, durant, en, entre, envers, excepté,38 hormis, hors, jusque, malgré, moyennant, nonobstant, outre, par, parmi, pendant, pour, sans, sauf, selon, sous, suivant, sur, touchant, vers, via » (Le Bon Usage 142008, 1319) L’inventaire des prépositions proposé par Le Bon Usage est l’un des plus complets et regroupe ainsi les principales prépositions du français contemporain. En conclu-

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Voir le chapitre 7.5.1 Les connecteurs prépositionnels : des unités appartenant à la grammaire. De même, Melis (2003, 105) dans son étude consacrée aux prépositions, distingue au niveau morphologique deux types de prépositions, les prépositions simples et les locutions prépositives. Pour distinguer ces deux types de prépositions Melis invoque le fait que les prépositions simples apparaissent au locuteur comme inanalysables. Excepté n’est pas répertorié par Le Bon Usage (142008, 1319). Cependant, il s’agit d’une préposition courante du français contemporain (cf. Melis 2003 18s., 23, 106). Pour des raisons d’exhaustivité, elle a été ajoutée l’inventaire.

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sion, la présente étude prend en considération l’inventaire des prépositions monolexématiques les plus courantes du français contemporain proposé par Le Bon Usage.

2.2 Genèse des prépositions en français : perspective diachronique et étymologie La partie précédente a certes montré que le critère étymologique est peu pertinent quant à la délimitation de l’inventaire des prépositions en français contemporain, cependant il est en mesure de révéler des propriétés sémantiques des prépositions importantes pour la formation de connecteurs. C’est pourquoi nous aborderons dans cette partie, les caractéristiques morphologiques et sémantiques des prépositions sous le critère étymologique ainsi que la thèse de la grammaticalisation. Ensuite, la genèse des prépositions sera considérée dans la perspective du concept d’expressivité (cf. Koch/Oesterreicher 1996). Enfin, une micro-étude basée sur l’inventaire des prépositions monolexématiques du français contemporain permettra d’émettre une hypothèse concernant la formation de connecteurs en fonction du type de la préposition considérée. 2.2.1 Propriétés morphologiques, sémantiques et la thèse de la grammaticalisation Le chapitre 2.1.3 Propriétés morphologiques en synchronie a montré que les prépositions simples du français contemporain forment un groupe morphologiquement hétérogène. Cette disparité morphologique repose en grande partie sur l’origine des prépositions. La majeure partie de l’inventaire actuel des prépositions simples était déjà établi en ancien français ; certaines d’entre elles connaissaient également ou premièrement un emploi en tant qu’adverbe. Aussi avec Rheinfelder (21976, 319), deux grands types de prépositions peuvent être distingués : les prépositions provenant du latin et les nouvelles prépositions (issues de compositions ou de dérivations). La figure 6 donne une vue d’ensemble des différents types de prépositions en ancien français selon leur origine morphologique :

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prépositions en ancien français

prépositions issues du latin classique

nouvelles prépositions

composition

préposition + préposition préposition + substantif préposition + pronom préposition + adverbe

dérivation

a) issues de substantifs ; b) issues d’adjectifs ; c) issues de participes ; d) issues d’adverbes

Figure 6 : type morphologique des prépositions en ancien français (d’après Rheinfelder 21976, 319)

Pour l’ancien français, Rheinfelder (21976, 319) distingue dans un premier temps les prépositions provenant du latin classique des nouvelles prépositions formées en ancien français. Ces dernières peuvent être formées soit par la composition de deux prépositions, d’une préposition et d’un substantif, d’une préposition et d’un pronom et d’une préposition et d’un adverbe ; soit elles sont issues d’autres catégories de mots : de substantifs, d’adjectifs, de participes ou d’adverbes. A cet endroit deux questions se posent : quel a été le type morphologique le plus productif et quels sont les types de prépositions les plus représentés dans les connecteurs ? Avant de répondre à ces deux questions, il faut constater que la distinction entreprise par Rheinfelder, entre les prépositions provenant du latin et les prépositions issues de l’ancien français, est fréquemment complétée de caractéristiques syntaxiques et sémantiques. En effet, Spang-Hanssen (1963, 14) reprend cette bipartition dans une optique sémantique. Les prépositions dites sémantiquement « incolores » correspondraient en effet aux prépositions provenant du latin, tandis que les prépositions sémantiquement pleines seraient identifiables aux prépositions formées en ancien français. De plus, Spang-Hanssen (1963, 20) ajoute une caractéristique syntaxique à l’exemple de il avait le goût du théâtre / il avait le goût pour le théâtre. Les prépositions les plus colorées sémantiquement (pour) marqueraient la décomposition, tandis que les prépositions incolores (de) marqueraient la cohésion. De même, Cadiot (1997, 31) affirme que les prépositions incolores occasionnent une meilleur cohésion avec le régime, tandis que les prépositions sémantiques actualisent plus 95

fortement le référent de leur régime (voir Cadiot 1997, 31). Au niveau sémantique, Lindqvist (1994) mentionne que les prépositions primaires peuvent être employées dans différents domaines sémantiques et parle de la « semantische Vielwertigkeit », la ‘plurivaleur sémantique’ des prépositions primaires. Selon l’approche de la grammaticalisation, les prépositions primaires, en raison de la non spécificité et du haut degré d’abstraction de leurs traits sémantiques, seraient adaptées à exprimer des relations grammaticales mais aussi à exprimer un grand nombre de relations ancrées dans des domaines sémantiques abstraits (cf. Diewald 1997, 70). L’emploi des prépositions dans leur fonction purement grammaticale serait considéré comme le point final d’une échelle d’emplois au niveau des significations lexicales. Il y aurait donc une certaine corrélation entre l’ancienneté, l’origine des prépositions et leur contenu sémantique. 2.2.2 Du cas à la préposition : augmentation d’expressivité L’étude effectuée par Geisler (1982) sur l’évolution typologique du latin au nouveau français confirme la position de Spang-Hanssen (1963). En partant de l’indo germanique, Geisler (1982, 29–40) segmente l’apparition des prépositions en quatre phases distinctes.39 La première phase englobe le passage de l’indo-germanique au latin ancien. Dans cette phase une hiérarchisation du système casuel partant du sujet a lieu : plus le cas est situé en bas de la hiérarchie casuelle, plus la composante sémantique est importante. La seconde phase correspond au passage du latin ancien au latin classique. Les cas connaissaient une si grande surcharge fonctionnelle que certaines de leurs fonctions sont déléguées à des adverbes et à des prépositions de lieu. Ce déplacement fonctionnel se produit d’abord en bas de la hiérarchie casuelle, où se situent les cas les plus concrets, c’est-à-dire les cas faisant référence au domaine local.40 Ces adverbes et prépositions avaient alors une fonction essentiellement explicative : ils étaient employés de manière complémentaire et s’ajoutaient aux cas. Puis, peu à peu, les cas, dont la fonction sémantique était abstraite et grammaticale, deviennent redondants.41 Lors de la troisième phase située au niveau du latin classique, les prépositions par désémantisation s’introduisent dans le domaine sémantique abstrait et commencent à remplacer les cas. Le reste du système casuel n’indique plus que des fonctions grammaticales. La quatrième phase englobe le

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Pour une discussion de la disparition de la flexion casuelle en faveur de constructions périphrastiques voir : Mair (1992, 319). Mair (1992) distingue deux causes pour ce changement. Premièrement, la cause phonétique implique une coïncidence sonore (homophonie mais aussi homonymie) de nombreuses terminaisons casuelles menant à une surcharge fonctionnelle. Deuxièmement, le remplacement des cas aurait été favorisé par la confusion fonctionnelle des cas en latin tardif. En effet, à cette époque, les différences fonctionnelles entre le génitif et le datif, l’accusatif et l’ablatif s’effacent. Cf. Geisler (1982, 32). L’auteur indique qu’un fort regroupement de relations sémantiques au sein de peu de catégories casuelles aurait eu lieu en indo-germanique. Des huit cas existant en indo-germanique, il n’y en a plus que cinq en latin. En même temps, le système casuel s’est trouvé hiérarchisé. Le sujet est la catégorie proéminente qui confère l’ordre au sein de la phrase. Le système casuel présente la hiérarchie suivante : nominatif, accusatif, génitif, datif, ablatif, (vocatif). Cf. Mair (1992, 321).

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passage du latin aux langues romanes. Avec l’émergence des prépositions s’est développée la tendance de formuler des expressions de manière analytique. Les cas restants sont de plus en plus marqués en fonction du changement de type de langue ; leur fonction est prise en charge par les relations entre les suites de mots et si cela ne suffit pas, elle peut être explicitée par une préposition. En ancien français, les restes casuels étaient le cas régime et le cas objet (Geisler 1982, 39).42 La première phase correspond à la motivation occasionnant le changement linguistique.43 Dans leur article « Sprachwandel und expressive Mündlichkeit », Koch/Oesterreicher (1996, 69) traitent les changements linguistiques dans la variété orale. Les auteurs notent cependant que la participation émotionnelle peut également jouer un rôle dans les variétés écrites. La distinction entre les variétés écrites et orales ne se situe pas au centre de ce chapitre, en revanche, nous nous intéresserons au concept d’expressivité. Selon les auteurs, les innovations concernant les signes linguistiques sont motivées de manière sémantique et pragmatique. Cette motivation peut être ramenée à un unique paramètre communicatif consistant en une forte participation émotionnelle que les auteurs appellent l’oralité expressive (expressive Mündlichkeit) (Koch/Oesterreicher 1996, 68).44 Comme nous l’avons vu ci-dessus, dans un premier temps, les prépositions ont une fonction d’amplificateur, elles explicitent le sens des cas ; c’est pourquoi elles peuvent être considérées comme des éléments expressifs. Dans la mesure où les prépositions sont, au départ, des éléments tautologiques qui soulignent la relation exprimée, elles peuvent être considérées, dans la catégorisation proposée par Koch/Oesterreicher (1996, 72), comme des éléments linguistiques transportant occasionnellement l’émotion : « [d]es éléments linguistiques et formations qui transportent occasionnellement l’émotion (emplois de mots métaphoriques, métonymiques et/ou hyperboliques, figure >rhétorique< comme la tautologie, la répétition) » (Koch/Oesterreicher 1996, 72 ; traduction H.S.)45 Selon Koch/Oesterreicher (1996, 72), les éléments linguistiques exprimant exclusivement l’émotion ne sont pas mis en place de manière consciente et sont déjà conventionnalisés. Les éléments linguistiques transportant occasionnellement l’émotion

––––––– 42

43

44

45

Les deux dernières phases ont été traitées dans le cadre de la théorie de la grammaticalisation par Heine/Claudi/Hünnemeyer (1991) et seront thématisées dans la partie 2.3.4.3 La thèse de la grammaticalisation. Cf. Mair (1992, 320) : « Es spricht vieles dafür, dass auch der Ersatz der lat. Kasus durch Präpositionalphrasen eine Fall von Dissoziation darstellt, also auf die Wirkung des expressiven Prinzips zurückgeht […] ». Koch/Oesterreicher (1996, 68) notent que dans la plupart des ouvrages, les innovations sont qualifiées par les expressions suivantes : >expressifaffectif>, >drastiqueamplifiantexplicitant< (Koch/Oesterreicher 1996, 68 ; traduction H.S). Koch/Oesterreicher (1996, 72) distinguent deux autres phénomènes indiquant une émotion : les phénomènes qui marquent exclusivement l’émotion (les sons témoignant de l’affection, les réactions physiologiques, certains signes non-verbaux etc.) et les véritables signes d’émotion (les actes de langage comme le « reproche », la « plainte », les « compliments » etc. ; certaines interjections, les formations de mots et phraséologies qui nomment des émotions).

97

en revanche sont le point de départ d’innovations. Dans ce cas, trois phases peuvent être distinguées, soit X l’expression ancienne et Y l’expression innovatrice : «(a) la formation orale-expressive de Y selon le besoin spontané du locuteur, les décisions du locuteur pour cette forme reposent sur le processus de la main invisible. (b) le processus d’innovation d’une langue spécifique par lexicalisation/grammaticalisation de cette construction Y dans au moins une variété de la langue considérée ; >concurrence< de l’innovation Y avec un élément quasi synonyme déjà existant X, perte successive d’expressivité de Y (c) le remplacement de l’élément déjà existant X par l’innovation Y » (Koch/Oesterreicher 1996, 78 ; traduction H.S.) La mise en rapport des étapes du développement des prépositions dans les langues romanes décrites par Geisler (1982) et celles du changement linguistique mentionnées par Koch/Oesterreicher (1996) montre que le remplacement des cas par les prépositions peut être interprété comme une augmentation d’expressivité. De même, en français contemporain, la spécification de rapports par des locutions prépositives (comme à l’égard de) ou des nouvelles prépositions comme genre et type témoigne de la volonté expressive du locuteur (cf. Melis 2003, 112s.). Ainsi, l’évolution des cas aux prépositions laisse percevoir trois caractéristiques centrales :  le mode d’expression analytique correspondrait à un désir d’augmentation d’expressivité ;  les cas les plus concrets, exprimant des relations spatiales, ont d’abord été pris en charge par des prépositions ;  l’élargissement du sens des prépositions s’effectue du domaine spatial aux domaines plus abstraits. Dans la partie suivante, les types morphologiques distingués par Rheinfelder sont mis en rapport avec les prépositions simples actuelles du français contemporain et leur faculté à former des connecteurs. 2.2.3 Types morphologiques et leur faculté à former des connecteurs Voyons à présent quels types morphologiques de prépositions sont particulièrement fréquents dans l’inventaire des prépositions simples du français contemporain. Pour ce faire, les prépositions simples du français contemporain ont été classifiées d’après les types morphologiques distingués par Rheinfelder (21976, 316ss.). En français contemporain onze prépositions sont issues de prépositions latines :  à, contre, de, en, entre, outre, par, pour, selon, sur et vers. Dix prépositions sont des compositions formées en anciens français :     98

quatre préposition + adverbe : après, dans, derrière, jusque trois préposition + préposition : avant, devant, envers deux préposition + pronom : avec, dès une préposition + substantif : parmi

Douze prépositions proviennent de dérivations :  quatre prépositions dérivées d’un substantif : chez, hormis, hors, sans  six prépositions dérivées d’un participe : concernant, durant, excepté, nonobstant, pendant, suivant  une préposition dérivée d’un adjectif : sauf  une préposition dérivée d’un adverbe : sous Viennent s’ajouter quatre prépositions appartenant à l’inventaire des prépositions simples du français contemporain, non recensées par Rheinfelder (21976, 316ss.) :     

depuis : préposition + adverbe (vers 1135) malgré : adjectif + nom commun (vers 1165) moyennant : issue d’un participe (vers 1377) touchant : issue d’un participe (vers 1250) via : emprunt au latin (à partir du 19ème siècle)

Le tableau 8 résume le nombre absolu de la fréquence de productivité de chacun des types de prépositions : type

ancienne prép. + prép. + prép. + prép. adjectif + issues de

morphologique

prép.

préposi- substan- pronom tion

tif

3

1

+

issues

substantif substantifs d’adjec-

adver-

tifs

be nombre absolu

12

2

5

issues issues de

d’ad-

partici- verbes pes

1

4

1

8

1

de préposition

Tableau 8 : productivité des types morphologiques

Ces résultats exprimés en pourcentage peuvent être visualisés par le graphique (1) :

35 % 30 % 25 % 20 % 15 % 10 %

préposition

5% 0%

Graphique 1 : préposition et origine morphologique

99

Le graphique 1 met en évidence que le type de préposition le plus représenté en français contemporain est celui qui est composé des prépositions issues du latin (31,6 %). Les prépositions issues de participes – nous n’avons pas fait de distinction entre le participe présent et le participe passé qui ne concerne cependant qu’excepté – est au deuxième rang avec (21,1 %). Les prépositions composées de deux prépositions, d’une seconde préposition ou d’un adverbe ainsi que les prépositions issues de substantifs ne représentent que 10,5 % des prépositions du français contemporain. Les prépositions composées d’un pronom (5,3 %), d’un substantif (2,6 %), composées d’un adjectif ou d’un substantif (2,6 %), issues d’un adjectif (2,6 %) et d’un adverbe (2,6 %) peuvent être considérées en raison de leur faible fréquence comme des types périphériques. A l’exemple des conjonctions de subordination, considérons à présent les prépositions d’après leur aptitude à former des connecteurs. Huit des prépositions issues de prépositions latines forment des conjonctions de subordination :  à ce que, de ce que, en ce que, outre que, parce que, pour que, selon que, sur ce que. Sept des nouvelles prépositions formées en ancien français issues de compositions forment une conjonction de coordination :    

une préposition + préposition : avant (que) deux prépositions + pronom : avec (ce que), dès (que) trois prépositions + adverbe : après (que), depuis (que), jusqu’à (ce que) un adjectif + nom commun : malgré que46

Dix prépositions issues de dérivations en ancien français rentrent dans la formation de conjonctions de subordination :  trois prépositions dérivées d’un substantif : hormis (que), hors (que), sans (que)  une préposition dérivée d’un adjectif : sauf que  six prépositions dérivées d’un participe : durant que, excepté que, moyennant que, nonobstant que, pendant que, suivant que Le tableau 9 résume les données exprimées en nombre absolu de connecteurs pour chaque type morphologique de prépositions : type

ancienne prép. + prép. + prép. prép. + adjectif + issues de

morpholo- préposi- préposi- substangique

tion

tion

tif

+

issues

issues de issues

adverbe substantif substantifs d’adjectifs participes d’ad-

pro-

verbes

nom nombre

8

1

0

2

3

1

3

1

6

0

absolu de connecteur

Tableau 9 : type morphologique et formation de prépositions

––––––– 46

Selon Le Bon Usage (142008, 1150s.), les emplois de la conjonction malgré que ne sont plus reservés au langage populaire.

100

Le graphique 2 propose une comparaison du type morphologique des prépositions et de leur faculté à former un connecteur, en l’occurrence une conjonction de subordination, et visualise les résultats exprimés en pourcentage :

35 % 30 % 25 % 20 % 15 % 10 % 5% 0%

préposition connecteur

Graphique 2 : préposition, origine morphologique et connecteur

A partir de ce graphique, deux remarques peuvent être formulées. Premièrement, deux types morphologiques sont exclus : la composition préposition + substantif (parmi) ainsi que la recatégorisation des prépositions issues d’un adverbe (sous) ne sont pas formatrices de connecteurs. Ce constat doit cependant être pondéré. En effet, ces deux types morphologiques ne sont pas particulièrement productifs lors de la formation de nouvelles prépositions, ils ne recensent respectivement qu’une seule préposition par catégorie. En conséquence, les types morphologiques préposition + substantif et préposition issue d’un adverbe peuvent être considérés comme des types prépositionnels périphériques. Il faut également constater que certains types morphologiques présentent une nette tendance à former des connecteurs. Les deux types les plus productifs sont les prépositions issues d’anciennes prépositions latines et les prépositions dérivées de participes.

2.3 Les propriétés sémantiques et pragmatiques des prépositions La mise en rapport des caractéristiques morphologiques des prépositions avec leur faculté à former des connecteurs a documenté certaines tendances manifestes : les prépositions provenant du latin et les prépositions issues de participes sont les prépositions les plus fréquentes et, à l’exemple des conjonctions de subordination, elles sont également les plus fréquentes à avoir donné naissance à ce type de connecteurs. L’objectif du présent chapitre est de donner un aperçu de différentes classifications

101

sémantiques des prépositions afin d’établir une classification sémantique adéquate de l’inventaire des prépositions simples du français contemporain.47 L’appartenance des prépositions à la classe de mots synsémantiques suggère que les mots de cette classe présentent une grande abstraction sémantique. Ce point de vue est partagé par la grammaire traditionnelle dans la mesure où elle considère les prépositions comme des morphèmes grammaticaux sémantiquement faibles. Pour autant, les prépositions ne sont pas dépourvues de sens. Dans ce cadre, la littérature scientifique documente deux desiderata : la catégorisation sémantique de ces entités d’un côté, et la description sémantique couplée de l’organisation du sens des prépositions de l’autre côté. Ainsi, l’objectif de ce chapitre est de présenter des types de catégorisation et de description récurrents afin de développer un modèle sémantique adéquat à la description des prépositions en tant qu’éléments formateurs de connecteurs. La classification sémantique des prépositions implique la détermination d’un sens central pour chacune des prépositions considérées. Or, comme l’a montré Spang-Hanssen (1963) pour les « prépositions incolores », les prépositions connaissent une large distribution d’emplois, ce qui mène à une diversité sémantique pour une seule et même préposition. Ainsi se pose la question de l’unité du sens des prépositions.48 Dans un premier temps, différentes classifications sémantiques seront présentées. Ensuite, nous éclairerons le rôle du cotexte quant à la détermination du sens des prépositions. La troisième partie sera consacrée à la thèse monosémique de la description du sens des prépositions. Dans la quatrième partie, la thèse localiste cognitive et les instruments qu’elle a développés seront présentés ainsi que le point de vue de la thèse de la grammaticalisation. La cinquième partie se penchera sur la description des prépositions et des syntagmes prépositionnels dans la théorie cognitive des espaces mentaux. Dans ce cadre, le rôle des prépositions dans la formation de déictiques (discursifs) sera thématisé. Enfin, le chapitre conclura avec la présentation d’un modèle classificatoire des prépositions simples en français contemporain en vue d’analyser des connecteurs prépositionnels du corpus. 2.3.1 Dénomination et classification sémantique Dans la littérature, diverses classifications sémantiques des prépositions sont proposées. Souvent, le titre de l’ouvrage révèle déjà qu’une certaine classification sémantique préalable a été effectuée et que l’étude se focalise sur un groupe sémantique exclusif de prépositions, les autres groupes étant tenus à l’écart.49 Une liste non exhaustive des différents qualificatifs attribués aux prépositions rend compte du flou classificatoire : vides, incolores, pleines, colorées, lexicales, notionnelles, abstraites, topologiques, locatives, spatiales, directionnelles, statiques, non locatives, de zo-

––––––– 47

48 49

La discussion des différents types de description et de catégorisations sémantiques des prépositions, proposée dans ce chapitre, ne se veut pas exhaustive ; une telle exhaustivité dépasserait en effet le cadre de cet ouvrage. En revanche, il est nécessaire de donner les lignes directrices des différents types de description et de classification afin d’ériger un modèle classificatoire adéquat pour la suite de l’analyse. Voir Melis (2003, 90ss.). Cf. Cadiot (1997, 36).

102

nage, de discernement. Ces classifications semblent présenter une certaine constante opposant des prépositions moins sémantiques à des prépositions plus sémantiques. Melis (2003, 45) reprend cette bipartition en affirmant qu’en général les chercheurs distinguent deux types d’emploi : les emplois spatiaux et les emplois non-spatiaux. Ces derniers emplois regrouperaient les emplois temporels et d’autres emplois dits plus abstraits. Cette classification, opérant au niveau du langage, sépare les usages spatiaux des emplois temporels. Or, au niveau cognitif, les prépositions de ces deux classes servent à identifier, à situer, à localiser une cible dans un domaine soit spatial, soit temporel. La proximité du domaine spatial et temporel peut être mise en lumière à l’exemple des prépositions avant et après.50 Étymologiquement, ces deux prépositions sont issues du domaine spatial ; en français contemporain, elles sont typiquement employées dans le domaine de la localisation temporelle.51 Pour cette raison, il semble judicieux d’unir, dans un premier temps, les prépositions spatiales et les prépositions temporelles dans une classe sémantique supérieure dite de localisation. En tenant compte de critères morphosyntaxiques et sémantiques, Cadiot (1997, 36) indique que « l’idée d’une partition des prépositions en trois groupes est ancienne ». Bien que Cadiot critique cette tripartition sémantique en raison de l’hétérogénéité des critères définitoires et classificatoires, il répartit les prépositions d’après leur intensité de « coloration », en d’autres termes, selon leur degré de concrétisme. Cette tripartition organise les prépositions sur l’axe d’un continuum ayant comme extrémité d’un côté un pôle incolore, et de l’autre côté un pôle coloré : «‹incolores›, ‹vides de sens›, ‹abstraites›, ‹faibles› ou ‹synsémantiques› (de, à et vraisemblablement en) ; colorées, pleines de sens, fortes, auto-sémantiques. Elles servent le plus souvent et pour ainsi dire primitivement à repérer dans l’espace (par exemple : contre, parmi, vers) ; plus ou moins intermédiaires, ‹mixtes› : elles auraient à la fois un sens concret spatial, mais beaucoup d’usages étendus à d’autres domaines. Elles servent aussi, bien que marginalement, en la valence figée : par, pour, avec, peut-être également dans, sur, voire sous » (Cadiot 1997, 36) Dans la classification présentée par Cadiot (1997), il est intéressant de constater que l’ensemble de l’inventaire des prépositions simples du français contemporain n’est pas systématiquement ordonné à l’une des trois classes. Pour chacune des classes, quelques prépositions, les plus représentatives vraisemblablement, sont nommées. Aussi, de nombreuses prépositions ne sont pas classifiées. En outre, la troisième classe apparaît comme une classe « fourre-tout » rassemblant des prépositions telles que sur et sous qui, intuitivement, semblent plutôt appartenir à la dimension locale.

––––––– 50

51

Cf. Berthonneau (1993b, 41ss.) pour une analyse cognitive des prépositions avant/après, prépositions originairement locales employées comme prépositions temporelles et cf. Anscombre (1993, 111ss.) pour une étude des prépositions sur/sous à l’origine spatiales et leurs emplois dans la localisation temporelle. Heine/Claudi/Hünnemeyer (1991, 257) indiquent qu’il en est de même pour les prépositions anglaises after et before.

103

Franckel/Paillard (2007, 7), dans la Grammaire des prépositions, réunissent les emplois locatifs et temporels, considérés comme plus concrets, dans une même classe sémantique. En tout, les auteurs distinguent deux classes de prépositions. La première classe est dite de « zonage/division ». Elle regroupe les prépositions : entre, sur, sous, dans, avant et après. Il s’agit de prépositions qui, intuitivement, ont un lien plus ou moins direct avec l’espace (Franckel/Paillard 2007, 7). Les auteurs définissent le concept de zonage comme suit : « [il] signifie que la préposition associe au terme qui la suit (désormais noté Y) un domaine sur lequel elle distingue une ou des ‘zone(s)’. Chacune de ces prépositions structure et ‘divise’ à sa façon le domaine sur lequel elle configure une zone particulière » (Franckel/Paillard 2007, 7s. ; mise en relief dans l’original) La deuxième classe est qualifiée de « discernement » et contient les prépositions par, pour, en, avec, contre. Ces prépositions ne sont plus localisantes, mais ne sont pas pour autant dépourvues de « coloration sémantique ». Selon ces auteurs, discernement « […] signifie que Y attribue des propriétés non définitoires au terme X mis en relation à Y par la préposition, et, plus précisément, constitue un mode d’appréhension de X » (Franckel/Paillard 2007, 8 ; mise en relief dans l’original). La classe de discernement est illustrée par les exemples suivants : (62) Il nage contre le courant. (Franckel/Paillard 2007, 8 ; mise en relief dans l’original) Dans cet exemple, contre ne marquerait pas, selon les auteurs, de relation spatiale, mais la préposition indiquerait que le sens de la nage est appréhendé à travers celui du courant. Contre indiquerait une orientation inverse. (63) Jean est grand pour un jockey. (Franckel/Paillard 2007, 8 ; mise en relief dans l’original) La préposition pour signalise que la grandeur standard d’un jockey constitue la grandeur de référence relativement à laquelle est appréhendée la taille de Jean. Résumons que les classifications présentées ci-dessus portent sur une sélection de quelques prépositions et ne permettent pas de saisir l’ensemble de l’inventaire prépositionnel. Schwarze (1988, 263), en revanche, propose un modèle de la classification pour les prépositions italiennes qui peut être appliqué à l’ensemble de notre inventaire. Dans un premier temps, deux types de prépositions sont distinguées sur la base de critères lexicaux : les prépositions grammaticales et les prépositions lexicales.52 Ainsi di, a et da sont des prépositions dites grammaticales dont la fonction est de marquer le datif et le génitif, le lien d’un complément infinitif avec un verbe conju-

––––––– 52

Cf. Rauh (1993) pour une distinction entre les prépositions lexicales et les prépositions non-lexicales en anglais.

104

gué ainsi que d’introduire une phrase nominale modifiant un autre groupe nominal. Schwarze mentionne également que les prépositions lexicales peuvent être employées comme des prépositions purement grammaticales et spécifie que ces emplois concernent les prépositions con et su. Remarquons qu’il en est de même en français parler avec quelqu’un, compter sur quelqu’un. Reprenons ici la représentation classificatoire de Schwarze :

prépositions

prépositions grammaticales di, a, de

prépositions lexicales

préspositions localisantes

orientées dietro

non orientées in

prépositions non-localisantes

concomitantes con

causales per

Graphique 3 : les classes lexicales des prépositions italiennes (Schwarze 1988, 264 ; traduction H.S.)

Quant aux prépositions lexicales, Schwarze admet qu’elles établissent un éventail de relations sémantiques, mais considère que l’on peut différencier, dans un premier temps, les prépositions localisantes (in ‘dans’, ‘dietro ‘derrière’), des prépositions non-localisantes qui peuvent exprimer différentes relations abstraites telles que la concomitance (con ‘avec’, sanza ‘sans’) ou la causalité (per ‘par’, a causa di, ‘à cause de’). Les prépositions dite localisantes donnent des informations concernant l’endroit où se trouve un objet (l’objet localisé), la situation d’un événement ou d’un état. Cette information est donnée par un objet (l’objet localisant) qui est régi syntaxiquement par la préposition et qui est sémantiquement son argument. La localisation peut se référer à l’espace, au temps ou à d’autres données cognitivement constituées comme un espace. Presque toutes les prépositions peuvent se référer à ces différents domaines et peu de prépositions sont spécialisées à un seul domaine (cf. Schwarze 1988, 265).

105

Les propriétés sémantiques des prépositions localisantes peuvent être précisées. Dans ce cadre, Schwarz (1988, 265ss.) distingue les prépositions orientées et les prépositions non-orientées. Une préposition est dite orientée si son interprétation dépend soit du lieu d’un observateur, soit d’une orientation analogue au corps humain à l’objet localisé. Les prépositions exprimant une orientation vers l’avant sont davanti ‘devant’, dietro ‘derrière’, di fronte a, di faccia a, dirimpetto a ‘en face de’. Les prépositions exprimant une orientation latérale sont : accanto a, a fianco di ‘à côté de’, a destra di ‘à droite de’, a sinistra di ‘à droite de’. Les prépositions exprimant une orientation verticale sont in cima a ‘au-dessus de’, sopra, su ‘sur’, al di sopra ‘au-delà de’, sotto ‘sous’, al di sotto ‘au-dessous de’. A la différence des prépositions orientées, l’interprétation des prépositions localisantes non-orientées ne nécessite pas la fixation d’un point de référence. La relation est établie entre un objet localisant et l’objet localisé. Schwarze (1988, 267ss.) distingue à cet égard quatre types de relations de bases : -

la relation de contenant (all’interno di ‘à l’intérieur de’, entro ‘entre’, in ‘dans’, in mezzo ‘au milieu de’) la relation de proximité (in vicino a ‘à côté de’, preso ‘près de’, lungo ‘le long de’) la relation de direction (verso ‘contre’, da ‘de’) la relation de suite concerne un petit nombre de prépositions caractérisant une suite temporelle, numérique ou hiérarchique (dopo ‘après’, da ‘ depuis’, fino a ‘jusqu’à’, prima di ‘avant’)

L’avantage de cette catégorisation réside en sa faculté à englober intégralement les différents types sémantiques de prépositions. Pour cette raison, nous instrumentaliserons la classification effectuée par Schwarze afin de catégoriser l’inventaire des prépositions considérées dans ce travail. 2.3.2 Détermination du sens d’une préposition : mise en jeu de facteurs externes La spécificité sémantique des prépositions est liée à leur sensitivité contextuelle : « le contexte intervient de manière cruciale dans la construction de l’interprétation, au point qu’il est difficile de déterminer l’apport propre de la préposition » (Melis 2003, 45). Ainsi, dans la perspective d’une sémantique du prototype, Bartning (1993) distingue trois cas d’interprétations pour la préposition de. Le sens de la préposition peut être déterminé soit par le cotexte :53 le livre de Jean « le livre qui appartient à Jean », soit par le contexte discursif :54 C’est cette photographie qui est au plus près de celle qui n’a pas été faite de la jeune fille du bac (Duras, L’Amant I, 21). Dans le deuxième exemple, « la jeune fille du bac » fait référence à une description cotextuelle antérieure de la jeune fille qui se trouve sur le bateau. Enfin, le sens

––––––– 53

54

Selon Bartning (1993, 165) l’emploi de la préposition entre un N1 multirelationnel dénotant un objet concret « le livre » et un N2 dénotant une personne « Jean » est un cas où la préposition exprime la relation prototypique de possédé (N1) /possesseur (N2). Bartning (1993, 165) appelle cette relation le cas « discursif ».

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de la préposition peut être déterminé par un contexte incluant le savoir encyclopédique :55 la maison de l’architecte – « la maison pour laquelle l’architecte a fait les plans » (cf. Bartning 1993, 166, 169). Le rôle syntaxique de la préposition doit être également pris en compte, car dans un énoncé, il peut déterminer le sens de la préposition (cf. Cadiot 1997, 143). La préposition avec peut exprimer des relations très différentes : une relation comitative (Paul se promène avec son chien), relation instrumentale (Marc coupe l’arbre avec une scie), une relation de partie/tout (L’arbre pousse avec ses racines une pierre tombale) ou de manière (Il attendait avec patience) (cf. Cadiot 1997, 143). Cependant, lorsque la préposition avec se trouve dans la portée d’un verbe, la préposition marque la réciprocité : « […] dans le champ rectionnel, avec est le marqueur type de la propriété sémantique de réciprocité ressentie comme inhérente au verbe » (Cadiot 1997, 143). Les verbes suivants, ayant dans leur champ rectionnel la préposition avec, expriment effectivement la réciprocité : correspondre avec, s’entendre avec, coucher avec, s’entretenir avec, rimer avec, traiter avec (cf. Cadiot 1997, 143). Nous pouvons donc résumer que la détermination du sens d’une préposition s’effectue sur la base de paramètres hétérogènes d’ordre sémantique, pragmatique et syntaxique. En conséquence, il est nécessaire de s’interroger sur la conceptualisation du sens des prépositions : y aurait-il un sens commun à tous les emplois d’une préposition (approche monosémique) ou faut-il discerner différents sens liés les uns aux autres (approche localiste). Afin de répondre à cette question, nous considèrerons les travaux de recherche conceptualisant un sens abstrait commun à tous les emplois d’une préposition, 56 puis l’approche localiste qui réduit les divers emplois à un sens concret localisant. 2.3.3 Un sens unique pour les prépositions Brøndal (1950) intègre l’analyse des prépositions dans une vaste étude consacrée aux mots de relation. Dans une perspective structuraliste, l’auteur prône l’unité et l’invariabilité de la signification des mots au niveau de la langue en tant que système (Brøndal 1950, 21ss. ; 122). Dans le chapitre III de la Théorie des prépositions, l’auteur décrit un raisonnement inductif selon lequel, par l’observation d’emplois distincts des prépositions nommés réel, idéel, logique ou mathématique, une signification abstraite unique peut être atteinte (Brøndal 1950, 2327).57 Le point central de

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57

D’après Bartning (1993, 165) il s’agit d’un cas « pragmatique ». Heinemann (2001, 37ss.) donne un résumé détaillé des différentes approches monosémiques ; voir également Melis (2003, 90ss.). D’après Brøndal (1950, 23ss.), pour atteindre une définition unique et abstraite d’une préposition, ses types d’emploi doivent être déduits de ses emplois les plus courants. Les emplois courants se distinguent les uns des autres par leur « forme de représentation ou intuition ». Cette forme peut être « réelle », « idéelle », « logique » ou « mathématique ». À partir de ces formes de représentation, des types d’emploi peuvent être déduits. Et enfin, les types d’emploi permettent d’établir la définition de la préposition considérée.

107

la théorie développée par Brøndal est le suivant : une préposition n’apparaît jamais dans sa signification de base unique qui est abstraite.58 De même, selon Hjelmslev (1972), qui considère les prépositions comme des morphèmes appartenant à la classe des cas, les prépositions auraient une signification unique dans la langue, tandis qu’au niveau de la parole, elles connaîtraient différents emplois.59 Également ancré dans la tradition structuraliste, le travail de Lang (1991) distingue deux types de significations : la Redebedeutung ‘signification dans la parole’ et la Sprachbedeutung ‘signification dans la langue’. La Redebedeutung correspond à un emploi particulier de la préposition, à une occurrence de la préposition. Le nombre de Redebedeutung est infiniment grand, les dictionnaires énumèrent les classes de Redebedeutungen qui sont données immédiatement par le texte. La description des Redebedeutungen est en conséquence une tâche infinie (Lang 1991, 227). La Sprachbedeutung quant à elle n’est pas donnée immédiatement par le texte, elle n’est pas vague mais précise. Définir la Sprachbedeutung est une tâche finie. Une Sprachbedeutung postule qu’une préposition dans le système de la langue n’a qu’une seule signification (cf. Lang 1991, 227). Dans sa classification des Redebedeutungen des prépositions françaises Lang (1991, 249) différencie quatre domaines d’emploi : les emplois locatifs (« räumliche »), les emplois temporels (« zeitliche »), les emplois proportionnants (« proportionierende ») et les autres emplois (« andere Verwendungen »). Dans cette classification d’emplois, les locatifs sont considérés comme primaires : la signification de base est le résultat d’une abstraction de ces emplois locatifs et non une abstraction appliquée à la diversité des emplois (cf. Heinemann 2001, 39). De même, les analyses sémiques ancrées dans la tradition structuraliste conceptualisent la sémantique des prépositions comme une structure de traits généralisables (cf. Heinemann, 2001, 40). Dans ce cadre théorique, l’étude centrale de Bennett (1975) portant sur les prépositions anglaises, tente d’établir une signification globale, non spécifique au contexte, en mesure de décrire différents emplois par un ensemble de traits.60 Le problème apporté par cette analyse sémique est l’apparition inadéquate de relation synonymique entre les prépositions (Heinemann 2001, 40).61 Cadiot (1997) propose de définir les prépositions dites abstraites, en l’occurrence à et de et de manière plus périphérique avec et pour, en se détournant de catégories sémantiques empiriques telles que contenant/contenu ; qualification/ quantification ; propriété/état etc. : « … notre objectif est de montrer qu’on atteint à un niveau de généralité et d’abstraction pertinent qu’en convoquant une catégorisation notionnelle plus abstraite : l’opposition intension vs. extension » (Cadiot 1997, 43)

––––––– 58

59 60 61

Pour un compte rendu détaillé de la théorie de Brøndal ainsi que des travaux structuralistes (Hjelmslev, Irmen et Pottier) centraux à la description des prépositions voir Lang (1991, 171ss.). Cf. Lang (1991, 182) ; Heinemann (2001, 39). Voir Hawkins (1985). Pour un résumé des travaux de Bennett (1975) et de Hawkins (1985) voir Heinemann (2001, 40).

108

L’analyse proposée par Cadiot se consacre aux emplois des prépositions à et de en contextes binominaux présentant donc la structure syntaxique N1 à/ de N2 comme verre à pied vs. verre de vin. Le tableau 10 résume les descriptions sémantiques proposées par Cadiot (1997) respectivement pour les prépositions de et à: N1 de N2

N1 à N2

quantité ● N1 détermine N2 par une forme de quantification ● traitement extensionnel du syntagme nominal ● suppose la présence d’un contenu ● accès au contenu par le contenant

qualité ● N2 détermine N1 par une forme de qualification ● niveau intensionnel : propriétés matérielles, routines fonctionnelles ● ne se réfère jamais au contenu mais au contenant ● hyponymie

● point de vue externe sur le corps (mal de gorge)

● relation inaliénable

● inhérence (un livre de 50€) : le prix est en quelque sorte incorporé au livre, le prix est une partie du livre (50€ de livres)

● attribution (un livre à 50€) : à construit une sorte d’échelle implicite des prix permettant de hiérarchiser les objets (les livres)

● sens plus notionnel, plus abstrait (mal de dents)

● garde un sens de localisation spatial (mal aux dents)

Tableau 10 : propriétés sémantiques des prépositions à et de (d’après Cadiot 1997, 43ss.)

Cadiot renvoie le sens des prépositions à et de aux catégories abstraites d’intention (propriété inaliénable) et d’extension (propriété externe). Ces notions peuvent être éclairées à l’aide de deux exemples : (64) Jean est un ami de Paul. (Cadiot 1997, 60) (65) Jean est un ami à Paul. (Cadiot 1997, 60) Dans l’exemple (64), de marque l’extension : en employant de le locuteur indique que Jean fait partie d’ensemble, d’une catégorie [les amis de Paul] (Cadiot 1997, 60). En revanche, dans l’exemple (65), le locuteur soutient que Jean a la propriété inhérente d’être ami de Paul et que c’est cette propriété qui lui assure l’appartenance à un ensemble ; la préposition à en tant qu’opérateur intensionnel reçoit une traduction extensionnelle (Cadiot 1997, 62). En d’autres termes, la préposition à construit une référence extensionnelle par le biais d’une référence intensionnelle. Elle mobilise au moins une partie de la composante non relationnelle, intensionnelle, attributive des propriétés des groupes nominaux qu’elle lie (Cadiot 1997, 62). En ce sens la référence extensionnel de la préposition à est indirecte. Cadiot (1997, 63) résume les différentes propriétés de de et à comme suit : « L’occurrence de de vise à incorporer dans la représentation suscitée par N1 le domaine de spécification référentielle que permet de fixer N2. A l’inverse, à maintient l’extériorité des propriétés spécifiantes construites à partir du domaine de N2 » (Cadiot 1997, 63) 109

Dans son étude, Cadiot (1997) propose des catégories abstraites mais intelligibles afin de qualifier les sens des prépositions abstraites à et de à partir de leur fonction typique employée en tant que jonction d’incorporation d’un GN1 à GN2. La discussion portant sur les études monosémiques montre qu’elles sont certes en mesure d’aboutir à une signification unique généralisante. Cependant, en raison du haut degré d’abstraction des significations formulées, ces descriptions sémantiques s’avèrent peu maniable dans l’optique de notre analyse de corpus. 2.3.4 La thèse localiste Les emplois des prépositions sont fréquemment décrits dans une approche localiste. Selon cette approche, l’usage des prépositions peut être renvoyé à un emploi spatial considéré comme primaire, à partir duquel découlent d’autres emplois considérés comme dérivés ou secondaires. Dans ce cadre, deux approches étroitement liées peuvent être distinguées : l’approche cognitive non linguistique au sens étroit et la thèse linguistique de la grammaticalisation. La thèse cognitive est une théorie pluridisciplinaire :62 elle porte sur la faculté des êtres humains à appréhender leur environnement. La thèse de la grammaticalisation, qui opte pour une perspective principalement diachronique, a pour objectif d’éclairer les liens (conceptuels et cognitifs) entre différents emplois de prépositions. En ce sens, elle part du principe que la diversité des emplois des prépositions s’est historiquement développée à partir d’un emploi spatial. 2.3.4.1

La thèse cognitive

D’un point de vue linguistique, la perspective cognitive propose une description polysémique des prépositions. L’approche cognitive n’est plus une théorie de catégorisation, mais d’organisation sémantique des lexèmes. Au premier plan se situent les relations entre les différentes significations (cf. Kleiber 1991, 124 ; Heinemann 2001, 23). Les différentes significations sont liées par des relations métaphoriques, métonymiques ou une ressemblance de famille. En ce sens, Bartning (1993) montre comment les différents sens de la préposition grammaticale de sont liés les uns aux autres par une ressemblance de famille basée sur la notion cognitive conceptuelle d’origine. Cadiot 1997) considère la ressemblance de famille comme une approche horizontale qui « rassemble les divers emplois, sans toutefois établir de superstructure unifiante » (Melis 2003, 90). Cependant, dans la tradition cognitiviste, la primauté revient au sens issu du domaine locatif :

––––––– 62

Maaß (2010a, 25ss.) note que ces deux dernières décennies, l’approche cognitive a développé son influence dans tous les domaines de la linguistique. Cependant, l’approche ellemême ne représente pas une théorie linguistique au sens étroit. En effet, elle s’intéresse essentiellement aux processus d’appréhension et de conceptualisation par le cerveau humain. Ces processus se répercutant sur l’emploi de la langue, des correspondances profitables avec les théories linguistiques ont été établies. Dans les années 1970, des psychologues, tels que Miller/Johnson-Laird (1976), ont développé des théories linguistiques basées sur le concept du « localisme ». Maaß (2010a, 25) mentionne que toutes les théories cognitives ne sont cependant pas localistes, ainsi la théorie des espaces mentaux développée par Fauconnier (1984) ne se base pas sur un postulat spatial primaire.

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« Il est communément admis que les prépositions les plus fréquentes et les plus typiques sont avant tout les prépositions de lieu et de nombreux auteurs posent en outre que leurs autres emplois sont, d’une manière ou d’une autre liés à leur emploi locatif » (Melis 2003, 54). Aussi, la position centrale accordée aux prépositions dans l’approche de la grammaire cognitive s’explique par le fait que les prépositions, comme expressions spatiales, sont considérées comme des expressions représentatives de la nature du sens linguistique : « The centrality that prepositions have gained within the framework of Cognitive Grammar relies on the fact that prepositions as spatial expressions are highly representative of the nature of linguistic meaning […]. The essential point is that all conceptualization, that is all mental experience, is ultimately based on physical experience gained from out physical functioning in a spatial environment. […] In this view, all abstract concepts are metaphorizations and metonymies of semantically concrete spatial predications » (Zelinsky-Wibbelt 1993b, 5). L’approche cognitive part de la prémisse que toutes les conceptualisations abstraites sont basées sur des expériences physiques. Dans cette perspective, les autres sens seraient dérivés du sens spatial des prépositions : « Meaning extension proceeds from a prior meaning which is projected onto increasingly abstract senses in various cognitive domains » (Zelinsky-Wibbelt 1993b, 19). Le sens central et primaire des prépositions serait d’origine spatiale et ceci serait dû au fait que les êtres humains expriment primairement des relations entre les objets physiques qui les entourent (cf. Heine/Claudi/Hünnemeyer 1991). Les autres types de relations, plus abstraits, seraient déduits des relations spatiales par des procédés métaphoriques et métonymiques. Quant à la description des prépositions, ce postulat a donné naissance à de nombreuses études témoignant de la suprématie du domaine spatial (cf. Heinemann 2001). Afin d’illustrer les résultats importants de la thèse cognitiviste, présentons ici des études représentatives.63 Dirven (1993) analyse douze prépositions anglaises, qui, à partir de leur sens spatial ont développé des extensions sémantiques. Les conceptualisations spatiales basiques se projetteraient dans des domaines conceptuels comme le temps, l’état, le moyen ou la manière, la circonstance, la cause ou la raison. Dirven (1993, 76) part du principe que les prépositions n’empruntent pas toutes le même chemin d’extension sémantique. De son analyse sémantique systématique découlent deux conclusions. D’un côté les prépositions dénotant une localisation plus vague ou plus générale sont plus aptes à développer des extensions métaphoriques. A l’inverse, une préposition dénotant une location spécialisée ou ayant un sens à polarité négative – tel est le cas de sous en français – est moins apte à développer des extensions métaphoriques (Dirven 1992, 85). Dans ce cadre, Dirven (1992, 74) considère at comme

––––––– 63

Voir également les études de Berthonneau (1993a) et d’Anscombre (1993) traitant du passage d’un sens local à un sens spatial respectivement pour les prépositions avant/après et sur/sous.

111

la préposition la plus neutre au sens spatial car elle marque un lieu comme point d’orientation pour une trajectoire non définie, sans précision des qualités proximales et de l’orientation de cette trajectoire (Dirven 1992, 74). En résumé, le sens vague d’une préposition repose sur les critères sémantiques de l’indication d’un point d’orientation sans spécification des qualités de sa trajectoire, un contact physique entre la cible et le site ou une séparation du site et de la cible (Dirven 1992, 74). À l’inverse, les caractéristiques de pluridimensionnalité, de statisme, de dynamisme, de directionnalité et de polarité négative témoigneraient d’une relation spatiale plus spécifique (Dirven 1992, 76).64 L’analyse de Dirven dévoile certes les liens entre les divers domaines d’emploi à partir du domaine spatial, toutefois elle est restreinte à un inventaire de prépositions prédéterminé, susceptible de présenter des emplois spatiaux. En effet, comme nous le verrons dans la partie 2.3.6 Classification sémantique des prépositions simples toutes les prépositions n’ont pas d’emplois réductibles au domaine spatial. Le gain effectif de cette analyse pour le présent travail consiste bien plus en la mise en lumière de paramètres descriptifs permettant de préciser le degré de spécialisation d’une préposition, paramètres auxquels nous aurons recours au chapitre 5.6 lors de la formulation d’hypothèses concernant les restrictions de formations de connecteurs. 2.3.4.2

Instruments cognitifs : le site et la cible

Dans les parties précédentes, les termes site, cible et domaines ont été évoqués sans être précisés. Aussi ce chapitre a-t-il pour objectif de préciser ces instruments centraux aux descriptions sémantiques des prépositions, auxquels nous aurons recours lors de l’analyse des connecteurs contenant des prépositions. Dans la grammaire cognitive de tradition localiste, les deux entités liées par la préposition reçoivent une dénomination faisant référence à leur rôle sémantique dans la phrase. Suite aux travaux effectués par Vandeloise (1986), on distingue l’élément localisateur, le site et l’élément localisé, la cible (cf. Melis 2003, 56). (66) […] il y a des gens qui travaillent en Corse / autrement ça (ne) fonctionnerait pas / hein &euh # pas seulement les [/] les [/] les marins sur les bateaux / &euh mais / # les [/] &euh il y a [/] il y a toutes sortes de professions en Corse (C-Oral-Rom). La préposition sur appartient ici à la classe des jonctions d’incorporation qui intègre le GN2 les bateaux au GN1 les marins. La représentation formelle du syntagme prépositionnel sur les bateaux employé comme complément du nom les marins est la suivante : [les marins] [sur [les bateaux]] GN2 GN1

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Dirven (1992, 85ss.) conclut l’analyse des douze prépositions anglaises par une classification selon leur spécificité sémantique. Leur localisation sur un continuum vague vs. spécifique livre l’image suivante : at, on et in ont des sens les plus vagues ; suivent les prépositions by, with ; through et about. Enfin, les prépositions under, from, off et out of seraient les plus spécialisées.

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D’un point de vue sémantique, le GN1, les marins, est appelé cible, c’est-à-dire l’élément qui doit être localisé par rapport à un autre, appelé site, qui correspond ici au GN2 les bateaux. De même, Langacker (1995), dans son article sur la grammaire cognitive, décrit le profil des participants à la relation instaurée par la préposition en employant les termes trajector et landmark. Le premier correspond à la cible, le second au site. La caractérisation des deux participants diffère cependant de celle proposée par Vandeloise (1986). En effet, Langacker ne considère plus uniquement les caractéristiques sémantiques des éléments, mais il accentue le rôle de la préposition dans l’instauration d’une mise en perspective entre les deux participants liés : « Many expressions are analysed as profiling relationships. Thus before profiles a relationship of temporal antecedence between two schematically conceived events. […] Expressions that profile relationships manifest another kind of prominence in how they portray their participants. One participant, termed the trajector, is generally singled out as the primary figure within the profiles relation (in the case of arrive, for instance, the trajector is the mover). If a second participant is also singled out for focal prominence, it is called the landmark (analysed as the secondary figure). Observe that before and after evoke the same conceptual content and profile the same relationship (there is no referential distinction between them). Their semantic contrast resides in whether the later event is focused as a landmark for purposes of temporally locating the earlier event (the trajector), or conversely » (Langacker 1995, 109) Les expressions qui encodent des relations, telles que les prépositions, auraient la fonction de façonner, de hiérarchiser les éléments, les participants, qu’elles relient. Autrement dit, les prépositions jouent un rôle par rapport à l’image qu’elles donnent aux participants N1 et N2. (67) *EST : et [/] &euh et [/] et [/] et je vais [/] &euh je vais essayer de voir &euh on peut y aller / ouais / si tu y vas / # on se retrouve là-bas quoi // # *STE : ouais // # &euh donc avant ton rendez-vous / par exemple ? # (COral-Rom) Dans l’extrait de dialogue (67) entre EST et STE, l’énoncé contenant la préposition peut être reconstruit sous la forme « on se retrouve là-bas avant ton rendez-vous ». Dans ce cas, la préposition avant incorpore un GN2 « ton rendez-vous » à un groupe verbal « on se retrouve (là-bas) ». La représentation formelle du syntagme prépositionnel « avant ton rendez-vous » employé comme complément circonstanciel de temps est la suivante : [on se retrouve là-bas] [[avant] [ton rendez-vous]] cible site Dans cet exemple, le site, le syntagme prépositionnel « avant ton rendez-vous », fonctionne comme le landmark qui fixe la trajectoire de la cible « on se retrouve làbas ». Dans le dialogue entre les deux amies, la complémentation circonstancielle permet à STE de (re)situer le cadre temporel dans lequel le rendez-vous aura lieu. 113

D’après Langacker (1995, 109), les antonymes tels que avant vs. après – sur vs. sous – expriment le même contenu conceptuel et produisent des relations identiques. Selon lui, il n’y a pas de distinction référentielle entre les deux mises en relation. Le contraste sémantique entre les deux prépositions réside en une focalisation sur l’événement antérieur ou sur celui qui suit.65 Zelinsky-Wibbelt (1993b, 3) formule cette mise en perspective des informations avec les termes foreground ‘premier plan’ et background ‘arrière-plan’. Ainsi, dans une langue particulière, la même scène peut être présentée de différentes manières, selon le focus pour lequel a opté le locuteur (Zelinsky-Wibbelt 1993b, 3). Le trajector, la cible correspondrait, en tant qu’élément du premier plan, à la nouvelle information introduite dans la situation du discours. La relation émise par la préposition implique la trajectoire de localisation par rapport à un arrière-plan présupposé comme connu, le landmark, le site.66 Celuici correspond à l’information ancienne ou donnée dans la situation de discours (Zelinsky-Wibbelt 1993b, 9). Outre la mise en perspective des éléments de la situation, le site et la cible ont des caractéristiques localisantes qui leur sont propres. a) le site Melis (2003, 56) mentionne que le site comporte des propriétés localisantes inhérentes : « L’expression servant de site doit donc être dotée de propriétés spatiales, qui facilitent son repérage et autorisent son exploitation dans la relation de localisation » (Melis 2003, 56). Dans ce cadre, le site est soumis à de strictes contraintes. En effet, seuls trois types d’expressions semblent remplir ces conditions : 1. les groupes nominaux comportant un nom doté de propriétés spatiales ; 2. les groupes qui renvoient à une activité se déroulant nécessairement en un lieu ; 3. les groupes nominaux indiquant la distance. (cf. Melis 2003, 56) Selon ces caractéristiques, trois types de groupes nominaux sont particulièrement adaptés à prendre le rôle de site : les noms de lieu et les noms d’objets et de personnes (Il habite dans le sud de la France), les noms de proportions d’espace se référant à des parties spécifiques d’objets déjà localisés (le haut de l’arbre, le pied de la montagne), les expressions évoquant une activité associable à un lieu (Dominique va au mariage de Julie) (cf. Melis 2003, 57). De plus, selon Vandeloise (1986, 25 ss.), le site doit être plus facilement accessible cognitivement que la cible. b) la cible Le participant localisé présente de toutes autres qualités que le participant localisant. Premièrement, au niveau linguistique, Melis (2003, 58) constate que la réalisation formelle de la cible n’est pas restreinte à un simple groupe nominal, mais il s’agirait plutôt d’« une portion plus vaste de l’énoncé » (Melis 2003, 58).

––––––– 65

66

Voir Vandeloise (1986) pour les restrictions fonctionnelles cognitives contraignant les emplois entre le site et la cible. Le rôle de thématisant de la préposition pour est traité par Cadiot/Fradin (1990).

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(68) La balle a touché la victime à l’épaule. (Melis 2003, 58) Ici, la cible n’est pas restreinte à la balle mais c’est plutôt « le lieu de l’impact de la balle » (Melis 2003, 5) qui est localisé. « La détermination de la cible passe dès lors par la structure syntaxique ; elle est le lieu associé à la situation qu’évoque la structure sur laquelle porte, en termes syntaxiques, les sites » (Melis 2003, 58). Le second point distinctif concerne les contraintes lexico-grammaticales imposées par le verbe. (69)

Les enfants mangent à l’école. (Melis 2003, 58)

En effet, dans l’exemple (69) si le syntagme prépositionnel « à l’école » fonctionne comme le site localisant, la cible « les enfants mangent », elle n’est pas ancrée dans le domaine spatial. « Foncièrement, la cible est donc une entité complexe, spatio-temporelle, qui est construite par la syntaxe et elle est, de ce fait, dépourvue de propriétés spatiales intrinsèques ; elle doit donc être localisée » (Melis 2003, 58). A la différence du site, la cible ne possède donc pas de propriétés spatiales inhérentes. Le site en revanche en possède car il est l’élément localisateur. Concluons que la conception des participants introduits par la préposition en termes de cible et site n’est pas limitée à des relations ancrées dans le domaine spatial. Au contraire, la distinction des entités site et cible permet d’éclairer la mise en perspective des informations introduites dans le discours. 2.3.4.3

La thèse de la grammaticalisation

Dans la perspective de la théorie de la grammaticalisation, le sens spatial est considéré comme point de départ pour le développement d’autres sens, quant à eux considérés comme plus abstraits (Diewald 1997, 70ss.). Diewald montre que cette description du sens des prépositions peut s’accorder à la théorie de la grammaticalisation présentée par Heine/Claudi/Hünnemeyer (1991). Les trois auteurs proposent deux critères principaux relatifs à la grammaticalisation des fonctions casuelles (Heine/Claudi/Hünnemeyer 1991, 256). Le premier critère concerne la distinction entre l’espace et le non-espace : « […] of all case functions, spatial functions are the least grammaticalized and received the highest ratings as the ‹genuine› function of the prepositions concerned » (Heine/Claudi/Hünnemeyer 1991, 256). Ainsi, les prépositions exprimant des relations spatiales sont les moins grammaticalisées (Heine/Claudi/Hünnemeyer 1991, 256).67 Comme nous l’avons vu dans le cha-

––––––– 67

D’après Heine/Claudi/Hünnemeyer (1991, 156), la fonction spatiale est la moins grammaticalisée. La relation locale peut être d’ordre statique « X est préposition Y » ou directionnelle « X bouge préposition Y » (cf. Heine/Claudi/Hünnemeyer 1991, 258). La théorie localiste part principe que les relations locales ne sont pas marquées et que de nombreuses re-

115

pitre concernant l’origine des prépositions, on compte aujourd’hui 11 prépositions typiquement locales au total, 3 d’entre elles sont d’anciennes prépositions latines (contre, entre, sur), elles devraient donc être davantage grammaticalisées, 8 sont des prépositions plus récentes, formées à partir de l’ancien français (chez, dans, derrière, devant, hors, jusque, parmi, sous) – elles devraient donc être moins grammaticalisées. Cette répartition des prépositions spatiales correspondrait donc au critère nommé par Heine/Claudi/Hünnemeyer (1991). Cependant, force est de constater que la plupart des nouvelles prépositions (après, avant, avec, concernant, depuis, dès, durant, envers, excepté, hormis, malgré, moyennant, nonobstant, pendant, sans, sauf, suivant, touchant), 19 au total, ne présentent pas de sens typiquement local, certaines d’entre elles eurent un sens spatial, mais celui-ci n’est plus central aujourd’hui. Il faut donc s’interroger sur la centralité et la primauté du sens local pour les prépositions simples de notre inventaire en français contemporain. À ce sujet, Heine/Claudi/Hünnemeyer (1991, 257) mentionnent qu’une unité linguistique peut perdre son sens locatif, tel que l’illustre l’exemple des prépositions anglaises after et before d’abord ancrées dans le domaine local et à présent situées dans le domaine temporel. Hiérarchisé sur une échelle d’abstraction, le prochain sens assumerait le rôle de la fonction la plus centrale. En outre, Heine/Claudi/Hünnemeyer (1991, 258) notent que l’ancrage spatial ne suffit pas à représenter tous les domaines sémantiques des prépositions. Par exemple, les prépositions mit ‘avec’ et für ‘pour’, en allemand comme en français, sont exemptes de signification locale (cf. Diewald 1997, 71). Pour cette raison, les auteurs invoquent, à côté du paramètre local, un second critère : l’anthropocentrisme. Le critère anthropocentrique rend compte du degré d’implication des partenaires humains dans la relation. Les relations émises par les prépositions impliquant fortement les sujets humains sont alors considérées comme originelle et moins grammaticalisées (cf. Heine/Claudi/Hünnemeyer 1991, 257). Le tableau 11 résume la classification qui ressort de l’application du critère anthropocentrique : classification des relations sémantiques exprimées par les prépositions selon le critère anthropocentrique groupe 1 : moins grammaticalisé

groupe 2 : plus grammaticalisé que le groupe 1

groupe 3 : plus grammaticalisé que le groupe 2

fonctions fortement associées à des participants humains

fonctions moins associées à des participants humains. Elles requièrent un agent humain, mais n’ont pas de compléments humains

fonctions non associées à l’espace, mais pouvant impliquer un agent humain

fonctions : bénéfactive, comitative

fonctions : but, instrument

fonctions : raison, cause, condition, manière

Tableau 11 : classification des relations sémantiques exprimées par les prépositions selon le critère anthropocentrique (d’après Heine/Claudi/Hünnemeyer 1991, 257s.)

––––––– lations grammaticales sont structurées par analogie aux relations locales (cf. Lyons 1977, 322ss.). D’après la thèse localise, les autres domaines de significations de la préposition sont dérivées et doivent pouvoir s’ordonner sur une échelle de complexité croissante. Et la fonction grammaticale forme le point d’arrivée (Diewald 1995, 70s.).

116

Cette classification rend compte de la conceptualisation de la grammaticalisation comme un continuum dont les pôles sont - grammaticalisé ou + grammaticalisé. Ainsi, le groupe situé à gauche est moins grammaticalisé que le groupe situé dans la colonne centrale du tableau. Le groupe situé à droite est, quant à lui, plus grammaticalisé que les deux groupes précédents. Les trois auteurs ajoutent que l’application combinée des deux critères – spatial et anthropomorphique – représente aussi bien la base du degré de grammaticalisation par les linguistes que la base de jugement de la signification d’origine par les locuteurs natifs. Le domaine donateur non marqué peut être transposé à d’autres domaines objectifs par différentes chaînes métaphoriques. Heine/Claudi/Hünnemeyer (1991, 257) nomment quelques directions de transfert typiques partant de la fonction casuelle sémantique d’origine vers des significations plus abstraites et dérivées. La figure 7 représente la relation entre les domaines donateurs et les domaines cibles : domaine donateur

domaine cible

comitatif



instrument, moyen, condition manière

locatif



temps, cause, condition, moyen, liaison de phrases subordonnées

Figure 7 : domaine donateur vs. domaine cible

Il semblerait donc adéquat de distinguer quatre types de prépositions selon leur ancrage dans le domaine spatial : (i)

les treize prépositions actuellement ancrées dans le domaine spatial : chez, contre, dans, derrière, devant, entre, hors, jusque, parmi, sous, sur, vers, via (ii) les sept prépositions ayant eu un ancrage dans le domaine spatial mais ayant à présent un ancrage dans un autre domaine (temporel ou non localisant) : à, après, avant, de, en, outre, par (iii) les six prépositions issues de compositions ou de dérivations, dont le lexème avait un ancrage dans le domaine spatial : envers (vers : direction), hormis (à l’extérieur de, milieu), nonobstant, pendant (pendre), suivant (suivre), touchant (toucher) (iv) les douze prépositions ne présentant pas d’ancrage spatial : avec, concernant, depuis, dès, durant, excepté, malgré, moyennant, pour, sans, sauf, selon L’intérêt porté aux prépositions locales réside en ce qu’elles sont considérées comme les plus concrètes et les plus typiques – comme nous l’avons vu dans le chapitre sur l’étymologie, le premier domaine sémantique pris en charge par les prépositions était le domaine local.68 Cependant, l’analyse de l’inventaire actuel des prépositions simples en français contemporain montre que les sens typiques de nom-

––––––– 68

Voir 2.2 Genèse des prépositions en français : perspective diachronique et étymologie.

117

breuses prépositions ne sont plus ou pas ancrés dans le domaine spatial : douze prépositions ont un sens ancré dans le domaine spatial, 11 prépositions ont un sens ancré dans un autre domaine que le domaine spatial et présentent un emploi spatial secondaire et dix-huit prépositions ne présentent pas d’emplois spatiaux. Il est donc étonnant que la recherche ne se soit pas penchée sur ces prépositions non-spatiales. Si les prépositions spatiales sont les plus récentes – du moins pour la plupart – et sont en conséquence moins grammaticalisées, force est également de constater que nombreuses sont les prépositions ancrées dans le domaine non-localisant. Afin de décrire l’organisation sémantique des prépositions, il sera donc indispensable d’envisager un modèle tenant compte de quatre grandes catégories de prépositions : grammaticales, spatiales, temporelles et non-localisantes. 2.3.5 Les prépositions dans les connecteurs 2.3.5.1

La préposition comme introducteur d’espace mental

La théorie des espaces mentaux développée par Fauconnier (1984 ; 1985 [1994] ; 2007) est en mesure de spécifier la fonction relationnelle des prépositions.69 Les espaces mentaux sont des constructions cognitives situées dans les têtes des partenaires de communication et naissent lors d’une interaction linguistique. Les espaces mentaux peuvent être enrichis et reliés les uns aux autres. Ils contiennent des éléments de la situation d’énonciation actuelle et sont structurés par des frames – et des modèles cognitifs (ICM).70 Par exemple, un espace mental dans lequel Juliette achète un café dans un coffee shop contient des éléments individuels ancrés dans le frame des transactions commerciales (Fauconnier 2007, 352). Les espaces mentaux sont construits à partir de domaines. Quelques-uns de ces domaines conceptuels sont manger et dormir, acheter et vendre, les conversations sociales, etc. Les espaces mentaux sont reliés les uns aux autres par des fonctions pragmatiques, appelées connecteurs. Le terme connecteur est ambigu : il ne se réfère pas au concept présenté dans le premier chapitre de cet ouvrage. En effet, avec le terme connecteur, Fauconnier désigne principalement des relations d’identité et d’analogie, telle que la relation pragmatique unissant un auteur à une œuvre (Fauconnier 1982, 351). (70) Platon est sur l’étagère de gauche. (Fauconnier 1984, 16) Dans cet exemple, le connecteur est une fonction pragmatique d’identification auteur/œuvre. Cette relation d’identification mène le lecteur par l’activation du frame « étagère », l’ouverture d’un espace mental, dans lequel il n’est pas fait référence à la personne Platon, mais à l’œuvre. L’ouverture de l’espace mental, permettant l’identification de l’auteur à l’œuvre, est prise en charge par un introducteur : « On appellera introducteurs les expressions qui établissent un nouvel espace ou qui renvoient à un espace déjà introduit dans le discours » (Fauconnier 1984, 32s.).

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La présentation de la théorie des espaces mentaux est en grande partie basée sur le résumé de Maaß (2010a, 35ss.). L’acronyme ICM correspond à « Idealized Cognitive Models ». Cf. Maaß (2010a, 35) : Fauconnier se réfère à Fillmore (1982), Lakoff (1982) et Sweetser (1987). Dernièrement, le concept de ICM a été développé dans la grammaire cognitive de Langacker.

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Dans la théorie des espaces mentaux, les syntagmes prépositionnels sont conceptualisés comme des introducteurs d’espaces mentaux : « A space builder is a grammatical expression that either opens a new space or shifts focus to an existing space. Space builders take on a variety of grammatical forms, such as prepositional phrases, adverbials, subject-verb complexes, conjunctions + clause. Examples include in 1929, in that story, actually, in reality, in Susan’s opinion, Susan believes, Max hopes, and if it rains » (Fauconnier 2007, 371). Au niveau syntaxique, les introducteurs d’espaces « space builders » peuvent être des syntagmes prépositionnels ou des expressions adverbiales. Or ces dernières sont souvent formées de prépositions. Au niveau sémantique, certains introducteurs sont aptes à ouvrir un espace spatial à Paris ou temporel au printemps, tandis que d’autres, tel que peut-être, peuvent ouvrir des espaces modaux. Les espaces sont dépendants d’un espace de départ appelé base space et les child spaces peuvent dépendre d’un parent espace. Fauconnier part du principe d’un reality space dans lequel se trouvent le locuteur et l’interlocuteur au moment du discours actuel. Dans ce cadre, Fauconnier souligne que l’espace réel ne correspond pas à la réalité objective, mais à une représentation mentale (Fauconnier 1984, 29). (71) Dans le dessin de Luc, une sorcière chevauche une licorne. (Fauconnier 1984, 35) Aussi, dans cet exemple, le syntagme prépositionnel « dans le dessin de Luc » fonctionne comme l’introducteur d’un espace parent que Fauconnier appelle espace M. L’espace parent est reliée à la base, l’espace R, ici la réalité du locuteur. La fonction pragmatique quant à elle est basée sur un connecteur d’image. En ce sens, les prépositions du type selon, suivant etc. ouvriraient des espaces mentaux de croyances d’un certain locuteur. La préposition concernant, ouvrirait un nouvel espace permettant d’effectuer un focus sur un aspect d’un espace mentale déjà introduit précédemment. Aussi peut-on conclure ici que les prépositions sont des éléments introducteurs d’espaces mentaux par prédilection. Les espaces sont déterminés par la préposition et les éléments lexicaux du syntagme prépositionnel. L’espace mental peut être spatial, comme dans sur l’étagère de gauche qui est une localisation spatiale, tandis que le syntagme dans le dessin de Luc introduit un espace mental d’image (Fauconnier 1984, 29). En conséquence, les prépositions, en l’occurrence, les prépositions spatiales, sont en mesure d’ouvrir différents types d’espaces mentaux. 2.3.5.2

Les prépositions et les types déictiques discursifs

La partie précédente a montré que les syntagmes prépositionnels peuvent être employés comme des introducteurs d’espace mentaux. Récemment, la théorie des espaces mentaux de Fauconnier (1984 ; 21994 [1985]) a été instrumentalisée par Maaß (2010a) pour éclairer le fonctionnement des déictiques discursifs.71 En tant que

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La théorie des espaces mentaux a été employée dans le cadre de la description de référence discursive par Rehbein (2007) et Oakley (2009). L’instrumentalisation de cette théorie a

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mode de référence, les expressions déictiques discursives ouvrent un nouvel espace mental dans le discours actuel, et fonctionnent comme des instructions adressées au lecteur ou à l’interlocuteur (cf. Maaß 2010a, 36). Dans ce cadre, il est intéressant de remarquer que les prépositions jouent un rôle récurrent lors de l’introduction d’un nouvel espace mental dans le discours actuel. En effet, les prépositions et leurs syntagmes prépositionnels sont présents dans les trois types déictiques discursifs distingués par Maaß (2010a) : l’actualisation discursive, la détermination de position et la formation de complexes. Afin de préciser le rôle des prépositions dans les connecteurs, abordons la fonction des prépositions dans ces trois types de déictiques discursifs. a) Les syntagmes prépositionnels et l’actualisation discursive Dans le cas du type référentiel de l’actualisation discursive, la référence déictique discursive, fonctionne comme une instruction adressée à l’interlocuteur d’ouvrir un espace mental contenant la totalité du discours précédent à partir duquel ensuite d’autres références peuvent être effectuées (cf. Maaß 2010a, 179ss.). Maaß (2010a, 179ss.) illustre ce type de référence avec les exemples dans cet article, dans ce débat, dans ce chapitre, après ce débat, expressions déictiques discursives qui ouvrent un espace de référence à l’intérieur du texte que le lecteur tient dans ses mains (Maaß 2010a, 205). Constatons que les prépositions contenues dans les syntagmes prépositionnels introducteurs d’espaces mentaux de type actualisation discursive ont une valeur essentiellement localisante spatiale (dans) ou temporelle (après). Par ailleurs, le renvoi, par sa propriété globalisante, peut être considéré comme ponctuel. En conséquence, les syntagmes prépositionnels appartenant au type d’actualisation discursive ne seront pas pris en considération lors de l’analyse de corpus, car ces emplois sont périphériques au centre fonctionnel des connecteurs dont l’emploi typique consiste en une mise en relation entre deux entités textuelles. b) Les syntagmes prépositionnels et la détermination de position Avec les déictiques discursifs de type détermination de position, le locuteur fait référence à des endroits du discours actuel ou à des parties du discours ou du texte se situant avant ou après l’occurrence du déictique discursif. Le type de détermination de position, à la différence des formations complexes, effectue un renvoi à des référents distaux par rapport à l’origo (Maaß 2010a, 205). Aussi, dans un énoncé, le déictique discursif ce dernier effectue un renvoi focalisé sur le dernier élément d’une suite de référents possibles (cf. Maaß 2010a, 205). Les locutions de type détermination de position contiennent des éléments déictiques souvent ancrés dans la

––––––– l’avantage de mettre en évidence que la deixis discursive n’est pas un mode référentiel dérivé de la deixis situationnelle mais fonde un mode de référence à part entière (cf. Maaß 2010a, 35ss.). Par ailleurs, cette théorie est en mesure de mettre en évidence la différence entre la fonction déictique discursive et l’anaphore (cf. Maaß 2010a, 40s.). Les déictiques discursifs sont des space builders : les moyens déictiques sont employés dans des locutions qui créent de nouveaux espaces mentaux, tandis que la déictique situationnelle produit un grounding dans un espace réel (espace R). Le terme grounding provient de la théorie des grounding situationnels de Langacker (1993 ; 2002a ; 2002b). Un grounding est un ancrage dans la situation d’énonciation actuelle qui peut être pris en charge par des déictiques au sens large, des marques temporelles ou des expressions modales (cf. Maaß 2010a, 36).

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dimension temporelle tels que l’emploi déictique discursif de temps, des adverbes temporels comme maintenant, et des noms à référence temporelle tel que ce matin (Maaß 2010a, 205). Ces éléments déictiques peuvent être introduits par des prépositions comme dans les exemples (72) et (73) où les syntagmes prépositionnels sont jusqu’à la fin et sur ce dernier point. (72) A partir de maintenant {TP} {FV} et jusqu’à la fin {TP} {FV} de ce texte {TP} {FV} n = 2 ; ainsi P1(h) et P2(h) sont deux opérateurs pseudodifférentiels autoadjoints qui commutent sur X (Science-Mathématique) (cité d’après Maaß 2010a, 207)72 Dans l’exemple (72), le syntagme prépositionnel jusqu’à la fin encode l’ampleur du référent par rapport à l’origo maintenant. Il s’agit d’une référence distale car la limite finale du référent est éloignée de l’origo (cf. Maaß 2010a, 207). Dans l’exemple (73), les parties potentielles du référent ne sont pas numérotées : (73) Sur les vingt-neuf projets de loi mentionnés par la souveraine, huit se rapportent à la sécurité au sens large, qu’ils concernent la justice, la police, l’immigration, ou la lutte contre le terrorisme. Sur ce dernier point {TP} {FV} (?? sur le troisième point), M. Blair promet « une action renforcée », sans autre précision. (Le Monde) (cité d’après Maaß 2010a, 207) Par le test de commutation du syntagme prépositionnel sur ce dernier point vs. sur le troisième point, Maaß (2010, 209) rend compte du fait que le second renvoi obligerait l’allocutaire à compter les parties de référents, procédé peu praticable quand les référents ne sont pas numérotés. En revanche, sur ce dernier point, par son renvoi au dernier élément de l’énumération, permet d’identifier le référent sans dépense cognitive excessive. Il s’agit de la référence couramment effectuée par la détermination de position. De même que l’exemple (72), l’exemple (73) est un représentant d’une combinaison fréquente de type et de fonction : la détermination de position et la garantie de compréhension. Dans le cadre de notre recherche, il est central de mentionner que le type détermination de position renvoie à un référent ponctuel qui n’a pas de valeur propositionnelle (cf. Maaß 2010a, 205). Or, selon la définition des connecteurs élaborée dans le premier chapitre, il s’agit de la condition suffisante pour qu’une entité soit considérée comme un connecteur prépositionnel. Pour ces raisons, les syntagmes prépositionnels de type détermination de position ne seront pas pris en considération dans le paradigme des connecteurs prépositionnels. c) Les syntagmes prépositionnels comme formation complexe Le rôle des syntagmes prépositionnels dans le type de formation complexe a été évoqué dans le chapitre 1.1.3.2 Les connecteurs et les déictiques discursifs. En effet, ce chapitre a abordé la formation de complexes avec un focus particulier sur le chevauchement des connecteurs avec le sous-type d’encapsulation. Pour cette raison, nous ne reviendrons pas sur ce point ici. En revanche, une attention particulière sera

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Les abréviations {TP} {FV} font respectivement référence au type détermination de position et à la fonction garantie de compréhension.

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portée au sous-type énumération. Les déictiques discursifs correspondant au type de l’énumération sont par exemples les expressions telles que les cinq motifs suivants ou sur trois points. Ces expressions annoncent un référent composé de plusieurs éléments de même nature et de statut identique (Maaß 2010a, 200). Ainsi, Frédéric (1986, 105) parle d’« homofonctionnalité des constituants de la série », et Damamme (1981, 20) de la « valeur fonctionnelle indubitablement identique des membres de l’énumération ». L’énumération a la spécificité de donner une structure interne à son référent. Le référent peut présenter une structure complexe, il est alors composé de parties de référents. Si les expressions, qui annoncent un référent composé de plusieurs éléments, effectuent un renvoi ponctuel, alors elles n’ont pas la fonction de connecteur définie dans le chapitre premier. En revanche, lorsque les expressions structurent des parties de référents complexes, les connecteurs prépositionnels entrent en jeu. Ces connecteurs structurant lient des parties du texte et sont alors des parajonctions ou des marqueurs énumératifs, pour reprendre les termes d’Adam (2006), responsables de l’intégration linéaire.73 Maaß (2010a, 202) présente l’inventaire des moyens linguistiques de ces marqueurs énumératifs et mentionne qu’ils peuvent en partie être combinés les uns aux autres. Ici, seuls les exemples de connecteurs prépositionnels ont été retenus : tout d’abord – ensuite – enfin d’une part – d’autre part (d’après Maaß 2010a, 202 ; mise en relief H.S.) Les adverbes de phrases tout d’abord, ensuite, enfin ont pour fonction de permettre à l’interlocuteur de suivre la structure d’un exposé. Le référent débute à proximité de l’origo et la première partie du référent est introduite par tout d’abord. La deuxième partie suit immédiatement la première et est introduite relativement à celle-ci par ensuite. Dans ce cadre, l’adverbe relativement souligne que les emplois des parajonctions sous-entendent une mise en relation d’un élément par rapport à un autre et sont en ce sens des moyens pleinement relationnels, c’est-à-dire des connecteurs. La troisième partie est introduite par enfin et est la plus éloignée de l’origo (par exemple ces trois points). Enfin indique, de plus, à l’interlocuteur que l’énumération est achevée (Maaß 2010a, 202s.). Le type des déictiques discursifs de formations complexes ou plus précisément ses deux sous-types, l’encapsulation et l’énumération (lorsqu’il s’agit de la structuration du référent complexe), seront pris en compte dans le paradigme des connecteurs prépositionnels dans la mesure où ils réalisent un liage entre des parties discursives. En conclusion, les prépositions et les syntagmes prépositionnels sont des introducteurs d’espace mentaux dans le discours actuel. Étant donné que les types déictiques discursifs d’actualisation de discours et de détermination de position effectuent un renvoi plutôt ponctuel, ils ne seront pas considérés comme des connecteurs prépositionnels. En revanche, la formation de complexe (l’encapsulation et l’énumération) sera quant à elle considérée comme connecteurs prépositionnels dans la mesure où elle lie des parties discursives les unes aux autres. Il serait par ailleurs

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Pour une discussion des marqueurs de l’introduction linéaire voir Auchlin (1981, 97).

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intéressant d’approfondir l’étude du rôle des prépositions dans les expressions déictiques discursives de type de la détermination de position et de l’actualisation discursive. A première vue, il semblerait que ces types de renvois déictiques soient un domaine de prédilection des prépositions localisantes spatiales et temporelles, tandis que le type formation de complexe semble favoriser des prépositions plus abstraites. 2.3.5.3

Les prépositions comme éléments non-déictiques de l’élateur

Dans les parties précédentes, nous avons montré que les prépositions, comme tête d’un syntagme prépositionnel, introduisent des espaces mentaux. Certains de ces espaces ont la particularité d’effectuer des renvois à l’intérieur du discours. Ces renvois ont été catégorisés par la théorie des déictiques discursifs (Maaß 2010a) en trois types (l’actualisation discursive, la détermination de position et l’encapsulation) dont les prépositions sont des éléments constitutifs. Nous avons signalé, malgré la fluidité des frontières entre les emplois jonctifs et les parajonctifs évoquée au chapitre 1.1.3 Les connecteurs : degrés d’intégration, fonctions syntaxiques et discursives, que tous les types déictiques discursifs, en raison de leurs renvois ponctuels (actualisation du discours et détermination de la position), ne peuvent être considérés comme des connecteurs au sens large. Néanmoins, force est constater que la préposition, qui entre dans la formation de ces trois renvois déictiques discursifs, est un élément non-déictique. La question qui se pose désormais est de savoir quel est l’apport sémantique et pragmatique des prépositions dans les déictiques discursifs en particulier, et, de manière plus générale, dans les connecteurs (jonctions et parajonctions). Afin de répondre à cette question centrale, nous invoquons à nouveau la théorie des déictiques discursifs développée par Maaß (2010a) car elle propose une catégorie qui, nous semble-t-il, est en mesure de décrire et de préciser le rôle des prépositions dans les connecteurs. En effet, dans le cadre de cette théorie les éléments déictiques discursifs dans lesquels les prépositions apparaissent ont été englobés sous le terme d’élateur (Elator) (cf. Maaß 2010a, 77ss.). Le terme élateur provient du latin efferre qui signifie ‘mettre en avant’, faire ressortir’ (cf. Kleiber 2012). En suivant Maaß (2010a, 77), l’élateur est une catégorie abstraite qui englobe les éléments verbaux et non verbaux réalisant un processus déictique au niveau de l’inventaire. La catégorie de l’élateur concerne tous les modes déictiques qu’ils soient discursif, situationnel, am Phantasma (Bühler 1934), ou anaphorique (Maaß 2010a, 77). L’élateur comprend trois informations : a) l’information lexicale concernant la nature du référent et le domaine de renvoi ; b) le positionnement par rapport à l’origo avec des moyens déictiques ; c) le positionnement par rapport à l’origo avec des moyens non-déictiques. (cf. Maaß 2010a, 78). Le premier groupe est formé d’éléments linguistiques déictiques et contient, par exemple, des adverbes temporels et locatifs, des emplois de temps déictique etc. Le groupe, central à l’étude des prépositions formatrices de connecteurs, comprend les moyens verbaux non-déictiques. Ce groupe, dans lequel s’inscrivent les prépositions et les syntagmes prépositionnels non-déictiques, livre des informations concernant le

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domaine de renvoi et la nature du référent. On peut émettre l’hypothèse que, selon la qualité lexicale de la préposition, celle-ci joue un rôle plus ou moins significatif quant à la livraison de ces informations. En d’autres termes, plus la préposition sera abstraite, plus son rôle se limitera à l’introduction d’un espace mental ; l’élément supplémentaire avec lequel elle forme le connecteur prendra dans ce cas en charge les informations indexicales spécifiques. En revanche, plus la préposition a des qualités lexicales, plus elle fournira d’informations concernant le domaine et la nature du référent. Si l’on transpose ces données à la fonction de connexité réalisée par les jonctions prépositionnels, alors on peut admettre que les prépositions et le syntagme prépositionnel devenus connecteurs livrent des informations d’une part sur le domaine de la relation effectuée entre les entités textuelles et d’autre part sur la nature d’un ou des connectes mis en relation. Enfin, le troisième groupe contient les éléments non-verbaux de l’élateur et englobe les gestes indexicaux, les intonations ou les signes de ponctuation (cf. Maaß 2010a, 79). Ainsi, la préposition en tant qu’introducteur d’un espace mental est un élément non-déictique74 de l’élateur. Au niveau des déictiques discursifs de type actualisation du discours et détermination de position, la préposition livre des informations lexicales sur le domaine de renvoi et la nature du référent. Dans les connecteurs, les prépositions livrent, selon leur contenu lexical, des informations sur le domaine de la relation et sur la nature du/des connectes mis en relation. On peut donc conclure que dans les connecteurs, la préposition, introduit un espace mental, par rapport à un autre, et livre des informations quant au domaine et la nature de la relation établie entre ces espaces. 2.3.6 Classification sémantique des prépositions simples en français contemporain 2.3.6.1

Dimensions vs. domaines

Le modèle classificatoire des prépositions italiennes élaboré par Schwarze (1988, 264)75 constitue la base de la classification des prépositions simples du français contemporain dans le présent travail. Avant d’évoquer les modifications entreprises à ce modèle, une question centrale doit être posée : de quelle nature seront les entités classifiées ? Dans le chapitre 2.3.5 Les prépositions dans les connecteurs, la fonction des prépositions dans le syntagme prépositionnel a été éclairée par la théorie des espaces mentaux et la théorie des déictiques. Dans ce cadre, nous avons montré d’une part que le rôle de la préposition (dans les syntagmes prépositionnels, dans les déictiques discursifs et dans les connecteurs) peut être conceptualisé comme un introducteur d’un espace mental et d’autre part que la préposition est un moyen lexical apportant des informations concernant le domaine de référence et/ou de liage et la nature du référent et/ou des connectes. De ce fait, la théorie des déictiques mise en relation avec celle des prépositions présente un apport considérable qui, selon nous, peut être développé au niveau de la classification sémantique des prépositions.

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75

Dans la partie 2.1.2 Les prépositions : entre propriétés typiques et comportements atypiques, nous avons montré avec Cervoni (1991) que les prépositions sont des éléments non déictiques. Voir la partie 2.3.1 Dénomination et classification sémantique.

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Dans le cadre de la théorie des déictiques, une distinction est effectuée entre la dimension et le mode (cf. Maaß 2010a, 48), distinction qui selon nous peut être d’un intérêt central quant à la catégorisation sémantique des prépositions. Pour cette raison, nous proposons, dans un premier temps, d’évoquer les propriétés centrales attribuées aux deux concepts. Dans la théorie des déictiques, les dimensions structurent l’inventaire déictique, c’est-à-dire les unités du lexique selon des critères sémantiques. Par exemple, les déictiques locatifs appartiennent à la dimension locale. Dans ce cadre, cinq dimensions déictiques peuvent être distinguées : la dimension locale, temporelle, personnelle, objectale et modale (Maaß 2010a, 48). Le mode indexical, en revanche, est une catégorie fonctionnelle qui désigne la fonction de renvoi indexical. Maaß (2010a, 54ss.) distingue quatre modes indexicaux avec lesquels l’inventaire déictique subordonné aux dimensions peut effectuer un renvoi déictique : -

la deixis situationnelle fait référence à un objet physique visible ; la deixis am Phantasma fait référence à un objet imaginaire ; la deixis discursive fait référence à un objet du discours ; l’anaphore est une référence indirecte à une ancre qui à son tour possède un référent (Maaß 2010a, 57).

Les modes déictiques se distinguent les uns des autres selon le mode d’accessibilité des référents (Maaß 2010a, 57). Ainsi, une unité lexicale appartenant à la dimension locale peut avoir, selon le mode indexical impliqué, une fonction temporelle. Le mode indexical confère aux déictiques des différentes dimensions une fonction déictique (Maaß 2010a, 57). En ce sens, il semble favorable de distinguer pour les prépositions d’une part, l’inventaire des unités du lexique structuré en dimension selon des critères sémantiques et, d’autre part, les fonctions correspondant aux domaines d’emploi. Aussi, afin de classifier les unités lexicales, nous reprendrons le terme dimension. Cependant, à la différence des déictiques, le mode indexical ne peut être attribué aux prépositions. Nous avons en effet montré que les prépositions ne sont pas des entités indexicales en soi, mais qui, en tant qu’entités non-déictiques de l’élateur (dans le cas des déictiques discursifs) ou du connecteur (parajonctions, jonctions), transmettent des informations lexicales (domaines de relation et nature des connectes) permettant de positionner les éléments discursifs liées. Aussi, au niveau des emplois, considérons-nous que la préposition détermine à partir de sa dimension le domaine de relation et la nature du référent. Avec le terme domaine, nous ne désignons pas le renvoi endophorique ou exophorique (cf. Maaß 2010a, 15ss.), mais le domaine cognitif (cf. Langacker 1995, 108)76 qui détermine la fonction des prépositions subor-

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Ainsi, en référence à Langacker (1995, 108), nous reprendrons le terme de domaine que nous adapterons aux caractéristiques sémantiques des prépositions. « The content supporting an element’s semantic characterization can be limited or of indefinite expanse, and ranges from being richly detailed to being so schematic that it is almost vacuous. This content comprises a set of cognitive domains, each pertaining to a different facet of the element’s semantic value. Any kind of conceptualization is capable of being invoked in this capacity, from the basic experience of time, space, color, taste, etc. through concepts of

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données aux différentes dimensions. En conséquence, la catégorisation des prépositions sur la base du modèle proposé par Schwarze (1988) n’a pas pour objet la catégorisation des fonctions (domaines d’emploi) mais des dimensions des prépositions simples du français contemporain comme unités du lexique selon des critères linguistiques. Aussi, la classification de l’inventaire des prépositions simples en français contemporain représente une heuristique pour la présente étude. Pour ce faire, nous partirons du sens considéré comme « intuitivement » typique des prépositions en français contemporain indépendamment de leur étymologie. La catégorisation des prépositions simples du français devra répondre à une restriction : une préposition n’apparaitra que dans une seule dimension. La classification des prépositions est effectuée sur la base des données des dictionnaires de référence TLFi et LGR. À cet endroit, il nous semble important de souligner que la catégorisation des prépositions ne constitue pas la finalité du présent travail, mais il s’agit d’un moyen heuristique conçu comme une étape qui permettra d’effectuer l’analyse des connecteurs prépositionnels dans le corpus. 2.3.6.2

Classification dimensionnelle des prépositions simples

La classification dimensionnelle des prépositions simples s’inspire du modèle proposé par Schwarze (1988, 264) pour les prépositions italiennes. Cependant, deux modifications seront entreprises : la première porte sur la distinction des souscatégories, la seconde touche l’organisation interne du modèle. La première modification consiste en une rectification des sous-catégories. La catégorisation de Schwarze semble subordonner les prépositions en domaines d’emploi puisqu’une préposition peut apparaître dans plusieurs catégories. Il en va de même avec les sous-catégories, bien qu’ici une certaine hétérogénéité transparaisse. Tandis que les sous-catégories des prépositions localisantes portent sur la granularité des prépositions c’est-à-dire l’encodement de traits sémantiques quant à leur orientation, les prépositions non-localisantes sont spécifiées selon des critères liés à leurs domaines d’emploi : la causalité et la concomitance. Aussi, la classification dimensionnelle pour laquelle optera le présent travail ne tiendra pas compte de ces sous-catégories. De plus, nous avons émis l’hypothèse que les prépositions localisantes jouent un rôle plutôt périphérique dans la formation de connecteurs prépositionnels. Elles semblent en revanche fortement impliquées dans le processus déictique discursif comme élément de l’élateur dans des types permettant le renvoi sélectif à un point du discours (détermination de position) ou englobant l’ensemble du discours (actualisation du discours). En raison du rôle périphérique des prépositions localisantes, leur spécificité granulaire ne sera pas précisée dans le modèle. La seconde modification consiste en une restructuration des dimensions du modèle. La discussion des thèses localistes a montré que, dans une perspective syn-

––––––– progressively greater complexity, to knowledge systems of essentially unlimited scope. As facets of its characterization, for example, the chess term rook evokes the basic domain of space (to specify its shape, as well as the board’s layout), the simple concept of a straight line (pertaining to its movement), numerous more elaborate concepts (e.g. the notion of capturing), and a large body of knowledge regarding the rules, objectives, and strategies of the game » (Langacker 1995, 108).

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chronique, une réduction des prépositions à une origine locale est peu avantageuse et qu’en synchronie, toutes les prépositions ne peuvent être réduites à un sens spatial. Toutefois, il est indéniable que ces dimensions ont au niveau conceptuel des affinités avec certains domaines. Aussi, en référence aux thèses localistes, l’organisation des domaines suivante peut être proposée pour les prépositions simples du français contemporain : SPATIAL >TEMPOREL > NON LOCALISANT > GRAMMATICAL Cette « chaîne » de domaine ne veut pas suggérer que le domine spatial est le point de départ obligatoire pour l’évolution vers d’autres domaines, mais tente de visualiser la proximité conceptuelle des domaines considérés. L’inventaire des prépositions simples sera organisé à l’image de ces domaines conceptuels en quatre dimensions en partant des prépositions les plus grammaticales vers les prépositions les plus lexicales :    

préposition grammaticale préposition lexicale non-localisante préposition lexicale localisante temporelle préposition lexicale localisante spatiale

La figure et la catégorisation ci-dessous résultent de l’application des modifications évoquées : prépositions simples

grammaticales

lexicales

non-localisantes

localisantes

temporelles

spatiales

Figure 8 : dimension prépositionnelle

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Afin de classifier les prépositions simples, nous nous baserons sur un critère classificatoire et une restriction. La classification des prépositions en ne tient pas compte de leur évolution diachronique mais se base sur le sens considéré comme le plus typique en français contemporain (à cet égard, le dictionnaire est un outil indispensable). La restriction est qu’une préposition ne peut apparaître qu’une fois dans la classification. En tenant compte de ces deux critères, la répartition des 38 prépositions simples dans les quatre dimensions est la suivante :  trois prépositions grammaticales : à, de, en77  quinze prépositions appartenant à la dimension non-localisante : avec, concernant, envers, excepté, hormis, malgré, moyennant, nonobstant, par, pour, sans, sauf, selon, suivant, touchant  six prépositions appartenant à la dimension localisante-temporelle : après, avant, depuis, dès, durant, pendant  quatorze prépositions appartenant à la dimension localisante-spatiale : chez, contre, dans, derrière, devant, entre, hors, jusque, outre, parmi, sous, sur, vers, via Dans le corpus, les prépositions contenues par les connecteurs seront annotées avec les tags correspondant aux quatre dimensions évoquées :  les prépositions subordonnées à la dimension grammaticale seront appelées prépositions grammaticales et recevrons le tag PG ;  les prépositions subordonnées à la dimension non-localisante seront appelées prépositions non-localisantes et recevrons le tag PNL ;  les prépositions subordonnées à la dimension localisante temporelle seront appelées prépositions temporelles et recevrons le tag PT ;  les prépositions subordonnées à la dimension localisante spatiale seront appelées prépositions spatiales et recevrons le tag PS. Ces quatre dimensions forment la base de l’annotation des connecteurs prépositionnels dans le corpus en synchronie.

2.4 Conclusion Le chapitre « prépositions : paramètres de description et modèle sémantique » avait pour but de déterminer l’inventaire des prépositions ainsi que d’élaborer une classification de cet inventaire valable pour le présent travail. Aussi, l’inventaire des prépositions comprend les 38 prépositions simples courantes du français contemporain. Alors que la plupart des classifications et des études sémantiques portent sur un emploi ou domaine choisi de certaines prépositions, le présent travail opte pour un modèle en mesure de classifier la totalité de l’inventaire afin de garantir l’annotation des prépositions entrant dans la formation de connecteurs dans le corpus. Pour ce

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La préposition en a été subordonnée à la dimension grammaticale car elle est obligatoire lors de la formation du gérondif.

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faire, les résultats de la théorie des déictiques ont été instrumentalisés afin d’effectuer une distinction entre une catégorisation de l’inventaire en dimensions et des fonctions en domaines. Par ailleurs, le dialogue entre le modèle proposé par Schwarze (1988) et les résultats des approches localistes a permis d’articuler les dimensions internes au modèle de manière cohérente. Par ailleurs, la détermination fonctionnelle des syntagmes prépositionnels par la théorie cognitive non-localiste en tant qu’introducteurs d’espaces mentaux et leur instrumentalisation dans le cadre de la théorie des déictiques, ont précisé le rôle de la préposition au sein du syntagme comme l’élément lexical de l’élateur responsable de l’attribution de domaines. Sur la base de ce résultat, des hypothèses ont été formulées quant à la distribution des dimensions des prépositions par rapport aux différents types de renvoi déictique discursif. Tandis que les prépositions localisantes semblent être principalement actives dans les types de l’actualisation discursive et la détermination de position, les prépositions grammaticales et non-localisantes semblent jouer un rôle prépondérant dans le type de formation de complexes, aussi bien dans les encapsulations que dans les énumérations au niveau de la structuration et articulation de référents complexes. Concluons que, dans le cadre de la recherche sur les prépositions, la présente étude se distingue d’autres travaux car elle n’est pas limitée à un seul domaine d’emploi, mais elle rend compte de la totalité de l’inventaire en proposant une classification des prépositions selon leurs dimensions. Cette étape de classification est nécessaire afin de déterminer l’apport sémantique des prépositions lors de la formation de connecteurs.

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3 Méthode et conception du corpus

Dans le troisième chapitre, nous présentons et justifions la méthode choisie afin de garantir une description précise des connecteurs prépositionnels dans les textes. Dans la première partie, la constitution des corpus en synchronie et diachronie sera abordée. En effet, le corpus synchronique fonde le point de départ de la présente étude, mais son implémentation par la perspective diachronique dans le chapitre 7 permettra d’approfondir les résultats concernant les emplois centraux des connecteurs prépositionnels détectés dans le corpus contemporain. Dans ce cadre, nous aborderons la méthode employée quant au traitement des connecteurs dans les corpus : nous justifierons l’approche contextualiste, « corpus-driven », et présenterons la technique d’annotation. Ensuite, nous évoquerons les caractéristiques spécifiques et démarcatives des quatre parties du corpus synchronique. Dans la troisième partie, nous aborderons la conceptualisation des genres textuels et thématiserons la relation entre genre textuel et tradition discursive. Cette dernière expression centrale à notre étude désigne, dans la linguistique romane, les règles de forme et de fond gérant les modèles textuels (cf. Koch 1997 ; 2008 ; Lebsanft 2005 ; Schrott 2006). Dans le cadre de cette dernière partie, nous montrerons l’apport de ce concept quant à la description des connecteurs prépositionnels dans les genres textuels considérés.

3.1 Les connecteurs prépositionnels : une approche « corpus-driven » Dans le présent travail, la description sémantique et pragmatique des connecteurs prépositionnels est basée sur une analyse de corpus. Généralement, dans le cadre de la linguistique de corpus deux types d’approches méthodologiques sont distinguées : une recherche à orientation « déductive » appelée « corpus-based » et l’approche à orientation « inductive » nommée « corpus-driven » (cf. Tognini-Bonelli 2001 ; Lemnitzer/Zinsmeister 2006 ; Bubenhofer 2009).1 Dans le cadre de la première approche, le corpus est instrumentalisé pour soutenir des hypothèses, vérifier ou corriger des assertions théoriques préexistantes (cf. Lemnitzer/Zinsmeister 2006, 19).2 En revanche, l’approche « corpus-driven » est contextualiste :3 le corpus est

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Pour une analyse des approches « corpus-based » et « corpus-driven » et de leurs apports respectifs voir l’ouvrage de Bubenhofer (2009). Lemnitzer/Zinsmeister (2006, 37) nomment cette approche méthodique korpusgestützter Ansatz, « appuyée sur corpus ». Lemnitzer/Zinsmeister (2006, 30) indiquent que le contextualisme est une orientation de la linguistique dont les connaissances sont uniquement basées sur l’analyse de l’emploi de la

alors la source primaire de connaissance, il sert de base empirique à partir de laquelle les linguistes extraient des données ou des phénomènes linguistiques (cf. Tognini-Bonelli 2001, 84ss. ; Bubenhofer 2009, 149ss. ; Lemnitzer/Zinsmeister 2006, 19). L’approche « corpus-driven » permet d’une part de détecter des structures, des modèles plus ou moins discrets dans le discours, et, d’autre part de construire des catégories qui ne doivent pas nécessairement concorder avec des systèmes de catégories linguistiques déjà existantes (Bubenhofer 2009, 103). 4 Pour ces raisons, l’approche « corpus-driven » est adéquate à notre entreprise car, rappelons-le, l’objectif du présent travail est de dévoiler et de formuler les règles discursives gérant les emplois des connecteurs dans les différents genres textuels. En conséquence, dans le présent travail, les catégories sémantiques et pragmatiques descriptives se basent sur une évidence de corpus. Conformément à l’approche « corpus-driven », la totalité des connecteurs prépositionnels détectée dans le corpus en synchronie est annotée de manière systématique, sans choix ou restriction préalable de certaines formes (Tognini-Bonelli 2001, 84s.). Notre modèle pragma-sémantique et l’organisation de son système d’annotations seront présentés de manière détaillée dans le chapitre 4 Modèle pragmatique et sémantique des connecteurs prépositionnels. Cependant, afin de garantir l’intelligibilité et la transparence de la méthode employée dans le présent travail, nous évoquons d’ores et déjà les annotations à l’aide d’exemples issus de notre corpus synchronique. Les connecteurs prépositionnels détectés dans le corpus synchronique sont pourvus d’annotations ordonnées de manière systématique. Pour les connecteurs prépositionnels appartenant à la classe des jonctions, l’ordre des annotations est le suivant : connecteur, fonction pragmatique, dimension prépositionnelle, valeur sémantique et l’annotation optionnelle de l’interprétation pragma-sémantique. Pour les marqueurs discursifs au sens étroit, l’ordre des annotations est le suivant : connecteur, fonction pragmatique, dimension prépositionnelle et procédure. Les annotations, qui correspondent aux abréviations de catégories, sont situées entre les parenthèses {_}; le signe « _ » est à un « garde place » auquel nous aurons recours lors de la présentation du modèle au chapitre 4. Pour la liste exhaustive des annotations, nous renvoyons aux pages VII et VIII au début de cet ouvrage. Comme le suggère les deux énumérations précédentes, le nombre d’annotations varie entre quatre à six. Cette variation témoigne de la flexibilité du modèle développé. Concernant les type

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4

langue sans exclusion de donnée. La base matérielle, le corpus, est analysée de manière exhaustive. Selon les auteurs, l’apport le plus significatif du contextualisme pour la linguistique de corpus moderne réside en l’analyse de relation de mots tels que les collocations (cooccurrence factuelle de mots) et les colligations (couples de mots dont le lien entre les catégories est d’ordre syntaxique). Dans l’approche contextualiste, l’analyse de corpus aurait ainsi permis des progrès conséquents dans le domaine de la lexicographie, de la lexicologie, de l’enseignement des langues et serait également la base des recherches linguistiques critiques. Tognini-Bonelli (2001, 66) : « In this case, however, corpus evidence is brought in as an extra bonus rather than as a determining factor with respect to the analysis, which is still carried out according to pre-existing categories ; although it is used to refine such categories, it is never really in a position to challenge them as there is no claim made that they arise directly from the data ».

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de lectures, deux cas principaux peuvent être distingués : dans le cas de lectures simples, nous avons recours à quatre catégories d’annotations, dans le cas de lectures complexes, il peut y avoir jusqu’à six tags. Dans l’exemple (74), le connecteur prépositionnel depuis que a été annoté de quatre tags : (74) Depuis que {C} {RS} {PT} {DEB} je suis né, le PLD est au pouvoir, assène ce natif de la région de Nagoya, dans le centre du Japon. (Le Monde)  {C} indique que l’unité annotée est un connecteur prépositionnel. La délimitation des unités annotées de ce tag a été évoquée au chapitre premier.  {RS} est l’annotation fonctionnelle. Elle indique ici que le connecteur a une fonction de représentation structurante. Les annotations des fonctions seront thématisées dans le chapitre 4.1 Les catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels.  {PT} est l’annotation de la dimension prépositionnelle de la préposition contenue dans le connecteur. Ici, il s’agit d’une préposition temporelle. Les annotations concernant les dimensions des prépositions ont été évoquées au chapitre 2.3.6 Classification sémantique des prépositions simples en français contemporain.  {DEB} est l’annotation de la valeur sémantique du connecteur prépositionnel. Ici, elle correspond au terme début. Les annotations des valeurs sémantiques seront évoquées au chapitre 4.5 Catégorisation sémantique des connecteurs prépositionnels. Dans l’exemple suivant, le connecteur prépositionnel depuis que a été pourvu de six tags. En effet, dans cet exemple, depuis que connecte deux événements successifs, dont le premier n’est pas seulement le point départ, mais peut être également considéré comme la cause du second événement : (75) Depuis que {C} {RSA} {PT} {DEB} {CAU} {resp} M. Sarkozy s'est entretenu avec le président chinois Hu Jintao en avril 2009 à Londres, suivi de la visite à Pékin de François Fillon en décembre, la relation francochinoise a été relancée. (Le Monde)  {C} : est l’annotation pour le connecteur prépositionnel ;  {RSA} : est l’annotation de la fonction représentation structurante-argumentative ;  {PT} : indique la dimension prépositionnelle temporelle ;  {DEB} : indique la valeur sémantique localisante de début ;  {CAU} : indique la valeur sémantique non-localisante de cause ;  {resp} : indique l’interprétation pragma-sémantique de responsabilité. Dans l’exemple (75), depuis que associe une valeur localisante temporelle (début) à une valeur non-localisante (cause), d’où les deux annotations sémantiques {DEB} {CAU}. L’annotation de l’interprétation pragma-sémantique {resp} découle de la fonction pragmatique {RSA} associée aux valeurs sémantiques {DEB} {CAU}. Ici, l’interprétation pragma-sémantique signalise que l’événement des entretiens et des visites des hommes politiques français et chinois sont responsables de la reprise des 133

relations franco-chinoises. L’émergence d’interprétations pragma-sémantiques peut être représentée de la manière suivante : {FONCTION} + {VALEUR(S) SEMANTIQUE(S)} = {interprétation pragmasémantique}5 La différence entre les annotations en lettres majuscules et les annotations en lettres minuscules s’explique par le fait que les majuscules désignent des catégories principales tandis que les minuscules désignent des catégories subsidiaires découlant d’autres catégories. Ici, l’interprétation pragma-sémantique {resp} découle de l’interaction entre la fonction {RSA} et les valeurs sémantiques {DEB} {CAU} et indique que le connecteur prépositionnel depuis que impute au premier événement dont il marque le début, une part de responsabilité pour l’événement qui suit. De plus, notre modèle tient compte d’une autre catégorie essentiellement pragmatique : les procédures. Les procédures sont des instructions au caractère essentiellement pragmatique typiques des parajonctions (marqueurs discursifs et déictiques discursifs). Au niveau des annotations, nous avons souligné le caractère essentiellement pragmatique de cette catégorie par l’absence de tags de catégorie sémantique. Toutefois, à la différence de la position des « mots vides » défendue par Auer/Günthner (2005),6 nous attribuons aux connecteurs prépositionnels, en raison de leur poids syntagmatique, une valeur certes essentiellement pragmatique mais qui découle d’une valeur sémantique sous-jacente. (76) *EMA : paramètres / essayer de les mettre à plat &euh // # puis comparer quoi // prendre des exemples qui existent // enfin {C} {IS} {PG} {ref} des communautés (Oral) Dans l’exemple (76), le connecteur prépositionnel enfin, a été annoté de quatre tags :    

{C} indique qu’il s’agit d’un connecteur prépositionnel ; {IS} indique que la fonction du connecteur est interactive-structurante ; {PG} indique que la dimension de la préposition est grammaticale ; {ref} indique qu’il s’agit d’une procédure de reformulation.

Dans cet exemple, le connecteur prépositionnel enfin appartient, en raison de sa fonction {IS}, à la classe des parajonctions, ou plus précisément à celle des marqueurs discursifs. Avec cette fonction, enfin indique à l’interlocuteur que le contenu informatif de l’expression située dans son cotexte de gauche « des exemples » est défectueux et qu’il doit être précisé, c’est-à-dire reformulé. En reprenant l’explication livrée par Kotschi (1992, 367s.) pour le connecteur c’est-à-dire dans le

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6

Les interprétations pragma-sémantiques sont essentiellement déclenchées par les valeurs sémantiques non-localisantes et seront évoquées dans la partie 4.5.3 Les catégories sémantiques non-localisantes. Voir la partie 1.1.3.2 Les connecteurs et les déictiques discursifs pour une présentation de la position défendue par Auer/Günthner (2005) concernant la valeur sémantique des marqueurs discursifs.

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cadre de la théorie de la polyphonie,7 le locuteur, dans l’exemple (76), indique par l’emploi du connecteur enfin qu’il considère le point-de-vue à la charge de l’énonciateur E1 comme insuffisamment précis et claire. Ce constat déclenche un besoin de précision. L’expression plus précise « des communautés », c’est-à-dire le point de vue d’E2, est introduit par enfin. Cette brève présentation des annotations ne permet certes pas de saisir la globalité du modèle sur lequel repose leur organisation ; ce point fera l’objet du chapitre 4. Cependant, elle a permis d’évoquer les catégories considérées dans le présent travail ainsi que leur application systématisée aux connecteurs prépositionnels dans les corpus. Cette application systématique des annotations nous permettra de dévoiler des corrélations entre les formes employées, les fonctions, les valeurs sémantiques, les interprétations pragma-sémantiques et les procédures ainsi que l’ampleur de leur répartition dans chacun des corpus.8 Ainsi, par la généralisation des observations faites sur les données linguistiques authentiques, nous formulerons des règles d’emploi gérant l’usage des connecteurs prépositionnels dans les genres textuels (cf. Bubenhofer 2009, 102). Dans le présent travail, l’accès aux corpus et leur analyse sont liés à trois couples de concepts instrumentalisés de manière complémentaire mais dont le degré d’importance doit être pondéré : -

approche synchronique et diachronique analyse qualitative et quantitative genre textuel et tradition discursive

L’étude empirique des connecteurs prépositionnels est effectuée en synchronie et diachronie.9 Cependant, l’accent porte sur l’analyse empirique des connecteurs prépositionnels dans un corpus synchronique contemporain composé de différents genres textuels : -

un corpus de textes du quotidien Le Monde : Le Monde un corpus comprenant des articles de revues scientifiques de différentes disciplines (médecine, mathématiques, linguistique/didactique) : Sciences un corpus composé de comptes rendus intégraux de débats parlementaires au Sénat : Sénat un corpus contenant des dialogues et conversations informels et privés issus du C-Oral-Rom :10 Oral

Ce choix de textes oraux et écrits est motivé par la volonté de rendre compte du rôle des connecteurs prépositionnels dans des genres textuels aussi diverses que possible. La présentation des parties de corpus et leur rapport seront abordés dans le chapitre

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L’analyse de c’est-à-dire dans le cadre de la théorie de la polyphonie effectuée par Kotschi (1992) est présentée dans la partie 1.3.3 Les connecteurs et la théorie de la polyphonie. Le procédé choisi dans le présent travail s’oriente à celui de Maaß (2010a) pour l’étude des déictiques discursifs. Voir le volume de Pusch/Kabatek/Raible (2005) pour une discussion méthodique de la linguistique de corpus dans les langues romanes en diachronie. Cf. Cresti/Moneglia (2005).

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3.2 Les parties du corpus . L’analyse en synchronie constitue le point de départ et la partie principale de notre étude, à partir de laquelle nous entreprenons une rétrospective diachronique. L’approche méthodique du présent travail réside en l’instrumentalisation de la diachronie pour éclairer les emplois de connecteurs prépositionnels en français contemporain. Dans le présent travail, la diachronie est donc au service de la synchronie. L’analyse en diachronie n’est pas empreinte d’exhaustivité. Au contraire, elle propose à partir d’un corpus restreint d’approfondir exemplairement l’analyse de connecteurs choisis. L’analyse en diachronie est donc essentiellement qualitative. La configuration des textes historiques sera thématisé dans la partie 7.2 Le corpus diachron, nous nous contenterons ici de nommer les textes considérés. Le corpus diachronique est composé de six textes appartenant à trois grandes périodes historiques de la langue française et ancrés dans divers genres et traditions textuels. Pour l’ancien français seront considérés : -

La Chanson de Roland (vers 1095) ; Le premier chapitre des Coutumes de Beauvaisis de Philippe de Beaumanoir (1283) ;

pour le moyen français et le français de la Renaissance : -

La Farce de Maistre Pathelin (1465) ; La Deffence et illustration de la langue françoyse de Joachim Du Bellay (1549) ;

pour le français moderne : -

L’Avare de Molière (1668) ; Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences de René Descartes (1663) ;

L’étude en synchronie constitue la partie principale du présent travail et allie une évaluation quantitative à une évaluation qualitative (cf. Lemnitzer/Zinsmeister 2006, 11). L’étude quantitative résidera en la formulation de tendances permettant de préciser et de légitimer l’analyse qualitative détaillée de certaines formes ou emplois de connecteurs prépositionnels dans les textes. Au niveau méthodique, nous avons opté pour une annotation manuelle des corpus pour deux raisons : premièrement, en raison de la polyfonctionnalité des unités considérées (les connecteurs prépositionnels vs. adverbes et adverbiales)11 (cf. Maaß 2010a, 110ss.) et deuxièmement en raison des fonctions pragma-sémantiques des connecteurs prépositionnels. En effet, le matériel linguistique polysémique et polyfonctionnel analysé prend sa fonction en contexte et nécessite ainsi une annotation manuelle qui ne peut être assurée que pour une quantité surmontable d’occurrences. En raison de cette restriction quantitative, légitimée par l’objectif du présent travail, le test statistique de signifiance n’est pas pertinent quant à la description de catégorie fonctionnelle sémantico-pragmatique

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Cf. Borillo (2002) ; voir également la partie 1.1.3 Les connecteurs : degrés d’intégration, fonctions syntaxiques et discursives.

136

nuancée. En conséquence, les résultats quantitatifs résident en l’expression de tendances dont la valeur représentative autorisera la formulation de règles gérant les emplois des connecteurs prépositionnels dans les textes. Le travail intensif et l’annotation systématique du corpus synchronique permettent d’évaluer automatiquement les données. Une fois les données primaires des corpus annotées de tag, les corpus seront évalués par le programme de concordance AntConc 3.2.0w du programmateur Laurence Anthony de la School of Science and Engineering de la Waseda University (Japon) (http://www.Antlab.sci.waseda.ac.jp/). Ce programme s’avère adéquat à l’analyse des connecteurs prépositionnels en contexte, car il est en mesure de livrer les tags recherchés, d’établir des listes de fréquences selon les catégories fonctionnelles et sémantiques annotées, et de mettre en évidence leur cooccurrence.12 De plus, le contexte dans lequel lune occurrence d’un connecteur apparaît peut être consulté (cf. Maaß 2010a, 111s.).

3.2 Les parties du corpus synchronique Dans le but de constituer un corpus représentatif, le corpus synchronique est composé de différents genres textuels. Lemnitzer/Zinsmeister (2006, 52) indiquent en effet que la formation d’un corpus équilibré se réfère essentiellement à son organisation en « Textsorte ». Nous avons traduit ce terme issu de la linguistique textuelle allemande par « genre textuel », expression que nous emploierons désormais dans le présent travail. Dans le cadre de la linguistique textuelle, la catégorisation des textes est une tâche centrale ouvrant de nombreuses questions méthodologiques (cf. Raible 1996), que nous ne pourrons cependant pas aborder en détail dans le présent travail. En effet, l’objectif de notre étude ne consiste pas en l’élaboration de critères permettant d’atteindre une classification des textes, mais la catégorisation des textes est une étape intermédiaire, nécessaire à l’étude des connecteurs prépositionnels dans les corpus. Pour cette raison, nous nous contenterons sur la base de l’article édifiant de Raible (1996) de présenter deux possibilités centrales de catégorisations en genres textuels tout en évoquant leurs limites. Afin de répondre à la question concernant les méthodes employées pour typiser les textes, Raible (1996) distingue deux approches : la première réside en la détermination de traits inhérents au texte (Raible 1996, 59ss.), la seconde, développée par l’auteur, met en évidence les dimensions sous-jacentes aux dénominations de genre. La première catégorisation de textes fait référence à la terminologie fixée par Isenberg (1978), selon lequel les Textsorten renvoient à un classement courant des textes dans une société, tel qu’il serait effectué dans la langue quotidienne. Les genres

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Cf. Lemnitzer/Zinsmeister (2006, 30) : le contextualisme conçoit une collocation comme une occurrence factuelle de deux ou plusieurs mots quelconques ou d’unités lexicales. Dans le cadre du contextualisme, il n’y a pas d’évaluation normative concernant l’exactitude ou la grammaticalité de ces relations de mots. Firth (1968) et quelques-uns de ses adhérents emploient le terme de collocation afin de désigner l’habitualité de cooccurrences, c’est-à-dire l’apparition de groupes de mots répétée dans les textes considérés.

137

textuels se réfèrent alors à un faisceau de propriétés communes à un groupe de textes (cf. Heinemann 2000). Dans ce cadre, le desideratum de la recherche en linguistique textuelle est de déterminer et de systématiser des traits valables pour une classification en genres textuels homogènes. Toutefois, force est de constater qu’il n’y a pas de consensus concernant les traits permettant de classifier les textes (cf. Obrist 2006). En outre, d’après Raible (1996), cette sémantique de traits permet certes l’obtention de « belles » classifications dont l’apport informatif est cependant restreint. La seconde méthode réside en la classification de textes selon des critères propres à la conscience « bewußtseinseigene Kriterien », c’est-à-dire des critères auxquels les hommes ont recours intuitivement lors de leur interaction avec les textes. Dans ce cadre, les textes sont des signes complexes, conceptualisés comme des modèles (Raible 1996, 63) : tous les textes sont des exemplaires de genres quels qu’ils soient. La question qui se pose est alors de savoir en quelle mesure ces exemplaires de textes ressemblent à d’autres et se distinguent d’autres textes. Pour ce faire, Raible (1996, 65) invoque le principe de raccourci selon lequel des signes simples tels que « dissertation » ou « éditorial » désignent des signes complexes. Ainsi, il distingue sept dimensions qui éclairent les régularités gérant la dénomination de texte par des désignations de genres : la situation de communication entre émetteur et récepteur, l’objet du texte, la structuration du texte, la relation entre le texte et la réalité, le médium, la manière de représentation, les types d’actes de langage et, enfin l’intertextualité (Raible 1996, 65ss.). Raible (1996, 72) définit ainsi les genres textuels comme des genres communicatifs, des modèles normatifs dynamiques plus ou moins précis (Raible 1996, 72). De même, dans l’optique de l’étude de phénomènes linguistiques dans les corpus, Stede (2007, 36s.), comme Raible (1996), considère les critères internes (niveau graphique, longueur du texte, signaux d’articulation, formule d’ouverture et de fermeture, le choix de mots, le thème et le développement thématique) et des critères externes au texte (la fonction communicative textuelle, le médium, la direction de communication immédiate ou intermédiaire, le domaine d’action privée ou officielle etc.) comme des directives permettant de grouper les textes.13 A partir de ces critères, la fréquence et la répartition des phénomènes linguistiques peuvent être analysées dans les divers genres textuels. En conséquence, dans le présent travail, en référence à Raible (1996) et Stede (2007), les genres textuels sont conceptualisés comme des modèles dont la désignation des genres s’effectue sur la base de critère internes et externes au texte. Sur la base des critères distingués par Nogué Serrano (2005) et Maaß (2010a), les propriétés des corpus ont été résumées dans le tableau 12. Malgré sa forme plutôt structuraliste – rappelant les catégorisations du premier type évoquées plus haut – ce tableau présente l’avantage certain de récapituler de manière claire les régularités, les propriétés typiques, et les différences centrales des genres textuels qui forme le corpus synchronique, propriétés auxquels nous nous référerons lors de la description des emplois des connecteurs prépositionnels dans les différents genres textuels :

––––––– 13

De même, Lemnitzer/Zinsmeister (2006, 52) indiquent que des critères externes doivent être pris en compte tels que le nombre de participants, le degré d’oralité vs. d’écriture, le degré de spontanéité et le type de situation (formelle vs. informelle).

138

Sciences

Sénat

Oral

genre textuel

corpus

articles de presse

Le Monde

articles scientifiques

débats parlementaires

discussions privées

total

nombre de textes

250

30

2

40

322

nombre de locuteurs / auteurs

206

60

96

74

436

nombre de mots

143 077

113 650

169 814

82 631

509 172

médium

écrit

écrit

oral

oral

2x écrit 2x oral

distance et proximité

distance

distance

distance

proximité

3x distance 1x prox.

degré de spécialisation

moyen

haut

moyen

faible

1x élevé 2x moyen 1x faible

dialogue / monologue

monologue

monologue

dialogue

dialogue

2x monologue 2x dialogue

degré de planification

haut

haut

haut à moyen

faible

2x haut 1x haut à moyen 1x faible

Tableau 12 : propriétés des corpus en synchronie14

Le tableau 12 donne une vue d’ensemble des propriétés centrales des corpus analysées : les genres textuels, le nombre de textes, le nombre d’auteurs ou de locuteurs, le nombre de mots, le type de médium (oral ou écrit), la conception (proximale ou distale), le degré de spécialisation et le type de conversation (dialogue ou monologue) ainsi que le degré de planification. Cette représentation montre que les corpus couvrent un large éventail de propriétés et présentent des traits complémentaires. Aussi, en raison de la diversité et de la complémentarité des propriétés des corpus, le choix des textes est adéquat à éclairer les fonctions des connecteurs prépositionnels dans des genres textuels et des domaines de communications très différents. Dans les quatre parties suivantes, les propriétés de chacun des corpus seront présentées. Étant donné que la constitution de notre corpus en synchronie s’oriente à celle de Maaß (2010a), pour l’étude des déictiques discursifs, le compte rendu des propriétés des corpus suivra en grande partie la présentation proposée par cet auteur.15

––––––– 14

15

Nogué Serrano (2005) a proposé cette trame de présentation des corpus en genre textuel, qui a été reprise par Maaß (2010a). Cf. Maaß (2010a, 109ss.).

139

3.2.1 Le corpus Le Monde16 Le corpus Le Monde est constitué d’articles de presse issus de l’édition en ligne www.lemonde.fr. La plupart des articles du corpus Le Monde sont également parus sur papier. Ce corpus ne comprend ni commentaires, ni interviews, et se limite aux textes informatifs et comptes rendu issus de rubriques centrales au journal.17 Le journal Le Monde se démarque d’autres journaux francophones par sa distribution internationale et son exigence journalistique. Le journal est accessible dans 120 pays avec un tirage de 400 000 exemplaires. Il est consulté quotidiennement par plus de deux millions de lecteurs.18 L’accessibilité de son édition en ligne depuis décembre 1995 fait de ce journal un des pionniers des journaux francophones sur internet (cf. Maaß 2010a, 112). Pour le mois de janvier 2010, 5,2 millions de lecteurs ont été recensés qui ont consulté 46,7 millions de fois le site et 148 millions de pages.19 Les 250 articles du corpus Le Monde sont parus entre le 26.08.2009 et le 18.05. 2010. 158 articles sont signés par 108 auteurs différents. Pour 98 des articles, les auteurs ne sont pas nommés explicitement ; dans ce cas, des identités distinctes ont été présupposées. Onze articles ont été rédigés par des coauteurs. Les auteurs qui apparaissent à plusieurs reprises n’ont été recensés qu’une seule fois. De l’addition de ces données découle une somme de 206 scripteurs. Les textes du journal Le Monde sont de médium écrit et de conception distale. Ils présentent un degré de planification élevé. Bien qu’ils puissent contenir des citations au style direct, les articles sont essentiellement monologiques au niveau formel étant donné que les textes dialogiques comme les interviews ont été exclus. 3.2.2 Le corpus Sciences20 Le corpus Sciences s’articule en trois parties comprenant respectivement dix articles scientifiques : Chirurgie, ALSIC et Mathématique. Dans sa totalité, le corpus Sciences contient 113 650 mots : les parties Chirurgie (34 000 mots) et Mathématique (33 000 mots) ont une ampleur similaire. La partie de corpus ALSIC est la plus importante avec 49 000 mots. Les trente textes ont été rédigés par 60 auteurs distincts, avec la possibilité cependant, qu’un article ait été rédigé par plusieurs auteurs à la fois. La variation du nombre d’auteurs impliqués à la rédaction des articles est liée à la discipline considérée. Les dix articles du corpus Mathématique ont été écrits par douze auteurs, seuls deux articles ont été rédigés par deux scripteurs. Dans la partie de corpus ALSIC, les articles ont été écrits par seize auteurs au total dont sept des dix articles par des auteurs uniques, deux ont été produits par deux auteurs et un article par cinq auteurs. Pour le corpus Chirurgie, 36 auteurs ont été registrés. La

––––––– 16

17 18

19 20

La présentation du corpus Le Monde se base sur les données recueillies par Maaß (2010a, 112ss.). Voir la partie 6.1.1 Les « articles de presse » et le corpus Le Monde. Les données proviennent du dossier Portrait d’un quotidien http://www.lombardmedia.lu/pdf/FR/LeMonde_comment.pdf et (2009) accessible à la page http://medias.lemonde.fr/medias/pdf_obj/200912.pdf (consulté le 23.08.2011). Voir http://www.lemonde.fr/web/article/o,I-o@2-3386,36-26I39I,o.html. Cf. Maaß (2010a, 114ss.).

140

plupart des articles sont des productions communes à plusieurs auteurs : seuls deux des articles ont été produits par des auteurs uniques. Les groupes peuvent contenir jusqu’à cinq coauteurs. Les textes appartiennent au médium écrit et à conception distale et présentent un haut degré de planification. a) La partie de corpus Chirurgie La partie de corpus Chirurgie comprend six articles de la revue Chirurgie de la main de l’année 2006 et quatre articles de la revue Annales de chirurgie des années 2005 et 2006. Les deux articles sont parus chez Elsevier France. Leur accessibilité en ligne est payante. La revue Chirurgie de la main (http : France.elsevier.com/direct/CHIMAI) paraît depuis 1981, et est issue de la fusion de deux revues Annales de Chirurgie de la main et du membre supérieur et de La main. Cette revue est citée dans l’index des banques de données internationales de référence et s’adresse aux chirurgiens ainsi qu’aux micro- et neurochirurgiens. La revue Annales de Chirurgie (http://France.elsevier.com/direct/ANNCHI) paraît depuis 1743 et, est publiée par l’Académie nationale de chirurgie, l’Association française de chirurgie, l’Association francophone de chirurgie endocrinienne, la Société de chirurgie de Lyon, la Société française de chirurgie digestive et la Société française de chirurgie laparoscopique. Dans cette revue, les chirurgiens de différentes spécialités présentent leurs expériences avec des traitements et méthodes opératoires. En ce sens la revue peut être considérée comme « pluridisciplinaire ». D’après les éditeurs, la revue s’adresse aux chirurgiens d’hôpitaux généraux, aux Centres Hospitaliers Universitaires et aux chirurgiens en professions libérales. b) La partie de corpus ALSIC La partie de corpus ALSIC contient dix articles parus en 2005 du journal en ligne Apprentissage des langues et systèmes d’information et de communication (ALSIC). Le journal peut être librement consulté en ligne à l’adresse http://alsic.u-strasb.fr/ Alsic.html. La revue est interdisciplinaire et comprend des articles provenant des disciplines de la didactique des langues, de la linguistique appliquée, de la psycholinguistique, de la pédagogie et informatique. Les articles théoriques, mais également pratiques, s’adressent aux scientifiques comme aux enseignants. c) La partie de corpus Mathématique La partie de corpus Mathématique comprend dix articles du périodique Journées équations aux dérivées partielles des années 1996–2003. La conférence annuelle du même nom a lieu en juin à Saint-Jean-de-Monts. Les actes sont publiés électroniquement ainsi qu’en version papier. A partir de l’année 1974, les actes peuvent être librement consultés sur internet à l’adresse http://www.numdam.org/numdambin/feuilleter?j=JEDP&sl=o. Ces articles s’adressent aux mathématiciens. 3.2.3 Le corpus Sénat21 Le corpus Sénat comprend deux transcriptions définitives et complètes, appelées comptes rendus intégraux, de deux cessions de débats qui ont eu lieu au Sénat fran-

––––––– 21

Cf. Maaß (2010a, 115ss.).

141

çais le 23.03.2010 et le 29.04.2010. Les séances du Sénat se produisent dans une salle ouverte au public avec 400 places dont une partie d’entre elles est réservée aux journalistes accrédités. Les sénateurs prennent place autour de la tribune de l’orateur située au centre de l’hémicycle. Le président du Sénat, ainsi que les sénateurs ayant la fonction de « secrétaires du Sénat », s’assoient derrière la tribune de l’orateur. Les sténographes, les fonctionnaires de comptes rendus, qui se relayent toutes les trois minutes, prennent place devant la tribune située face aux sénateurs ; l’orateur se situe donc derrière eux. Ce positionnement des sténographes est nécessaire afin qu’ils puissent prendre note des interjections.22 La publication des comptes rendus intégraux parlementaires dans le Journal officiel est inscrite dans la constitution française (article 33, paragraphe 1). Ces derniers sont accessibles en ligne 48 heures après les séances respectives à l’adresse http://www.senat.fr.23 Avec 143 077 mots, Sénat est le plus grand corpus. Les 96 locuteurs sont repartis de la manière suivante : dans la session du 23.03.2010, 63 locuteurs ont été distingués, et dans celle du 29.04.2010, 32 locuteurs ont été recensés. La variation du degré de planification qualifié de moyen à élevé, est due à l’élaboration préalable des débats. A première vue, les débats sont réalisés par le médium oral. Cependant, il est essentiel de mentionner que les textes sont préparés à l’écrit. Nous reviendrons de manière détaillée sur ce point ainsi que sur les propriétés du corpus Sénat lors de la présentation des résultats de l’analyse des connecteurs prépositionnels dans la partie 6.3.1 Les « débats parlementaires » et le corpus Sénat. 3.2.4 Le corpus Oral24 Le corpus Oral comprend la partie française dialogique proximale du corpus C-OralRom (Cresti/Moneglia 2005). Dans son ensemble, ce corpus englobe des enregistrements et des transcriptions de quatre langues romanes : français, italien, portugais et espagnol. Ces enregistrements et transcriptions sont disponibles sur un DVD accompagné d’un ouvrage qui présente le projet ainsi que ces possibilités d’emplois. Pour chacune des langues, la transcription comprend 300 000 mots. Au début de chacune des transcriptions, les métadonnées donnent des informations concernant le nombre de partenaires de communication, leur âge, leur niveau d’éducation et leur origine régionale. Les textes transcrits sont organisés selon des critères diphasiques et les propriétés de la situation de communication. L’articulation des parties de corpus, qui est identique pour chacune des langues, a été résumée dans la figure 9 :

––––––– 22

23

24

Voir le chapitre 6.3.1 Les « débats parlementaires » et le corpus Sénat et en particulier la partie 6.3.3 Sénat, les interpellations et le rôle des connecteurs prépositionnels. Cf. Maaß (2010a, 116) : avant d’être publiés, les comptes rendus sommaires sont mis à la disposition du public, ils permettent de suivre simultanément l’évolution des débats en cours. Quelques heures après la fin de la séance, ils sont relayés par les comptes rendus analytiques, une version plus courte que les comptes rendus intégraux mais plus complète que les précédents. Cf. Maaß (2010a, 116ss.).

142

corpus fr., it., port. esp.

informel

formel

famille /privé

publique

telephone

monologue

monologue

machine /homme

dialogue

dialogue

conversation privée

conversation

conversation

média

contexte naturel

Figure 9 : articulation des parties de corpus dans le C-Oral-Rom25

Dans la figure, les parties pertinentes du C-Oral-Rom pour le corpus Oral du présent travail ont été mises en italique. Elles comprennent les textes dialogiques et conversationnels du domaine « informe », « famille/privé ». Ce choix est, d’une part, motivé par la volonté d’assurer une comparaison quantitative relative entre chacune des parties de corpus. D’autre part, ce choix a été effectué en raison de la variance et de la complémentarité des genres textuels visées pour la totalité du corpus. De fait, l’intégration des parties exclusivement informelles et proximales à l’ensemble du corpus synchronique permettra d’effectuer un contraste avec les textes de débat public, formels et distaux du corpus Sénat. De plus, la considération de la partie dialogique et conversationnelle du corpus Oral permettra d’atteindre, avec le corpus Sénat, un équilibre au niveau du paramètre des locuteurs, assurant ainsi la complémentarité des corpus monologiques et conversationnels pour la globalité du corpus. En somme, avec 82 631 mots, le corpus Oral est constitué de 40 textes de médium oral et de conception proximale de la partie française du C-Oral-Rom produits par 74 locuteurs distincts. En résumé, nous avons justifié dans cette partie l’option d’une articulation de corpus en genres textuels, car ce concept permet de classifier les textes en grandeurs textuelles maniables. Cette étape, nécessaire à la formation d’un corpus équilibré, garantie la représentativité des résultats issus de l’analyse empirique. Cependant, l’objectif du présent travail dépasse la mise en évidence de la répartition des connecteurs prépositionnels dans les genres textuels. En effet, grâce à la détection de corrélations entre connecteurs et genres textuels, nous proposons éclairer

––––––– 25

Cette représentation de l’articulation des parties de corpus du C-Oral-Rom provient de Maaß (2010a, 117).

143

les emplois des connecteurs prépositionnels, c’est-à-dire de montrer l’adéquation de formes, de fonctions, et de valeurs sémantiques, selon les co(n)textes. Or, cette entreprise nécessite une entité plus fine que celle des genres textuels, capable de rendre compte des normes gérant les emplois du matériel linguistique. Un tel concept a été développé dans la linguistique romane et sera thématisé dans la partie suivante. 3.3

Le concept tradition discursive

L’objectif de ce chapitre est de justifier l’introduction du concept de tradition discursive, d’en définir la portée pour le présent travail et de montrer son apport quant à l’analyse des connecteurs prépositionnels dans les corpus. Le chapitre 3.1 Les connecteurs prépositionnels : une approche « corpus-driven a montré que l’avantage du concept genre textuel réside en sa maniabilité pour la classification des textes, étape essentielle quant à la formation d’un corpus équilibré.26 Cependant, l’objectif de notre analyse est double : il s’agit d’une part de documenter la répartition des différentes classes sémantiques et fonctions des connecteurs prépositionnels dans chacun des corpus, et, d’autre part, de formuler des règles gérant les emplois de connecteurs prépositionnels à partir des tendances gagnées lors de l’évaluation des résultats issus de l’analyse des corpus. En d’autres termes, nous nous interrogerons sur les règles discursives gérant l’emploi des connecteurs prépositionnels dans les genres textuels. Or, un tel objectif nécessite une conceptualisation des textes plus fine que celle des genres textuels (cf. Schrott 2006). Avec Schrott (2006), les traditions discursives permettent de conceptualiser les genres textuels comme des grandeurs composites comportant des entités plus fines, appelées traditions discursives. Les traditions discursives peuvent être perçues comme des faisceaux de règles formatrices de genres textuels qui transparaissent au niveau du discours (cf. Schrott 2006). Un des objectifs de l’analyse de corpus sera, à partir des traditions discursives formant un genre textuel, de trouver et de formuler celles qui sont déterminantes pour l’emploi des connecteurs prépositionnels en synchronie (chapitre 6 Relation entre les connecteurs prépositionnels et le corpus) et de montrer par une étude diachronique (chapitre 7 De la préposition au connecteur : changements sémantiques et fonctionnels) leur dynamisme ou leur constance. Par ailleurs, le terme tradition, qui peut être défini comme une « action, façon de transmettre un savoir, abstrait ou concret, de génération en génération par la parole, par l’écrit ou par l’exemple » (TLFi), détient une composante historique, qui permettra rendre compte de l’histoire des emplois des connecteurs prépositionnels.27 Dans le sens où le concept de tradition discursive tient compte de l’historicité des emplois, il concilie la perspective synchronique à la perspective diachronique, et constitue en quelque sorte le fil rouge de l’analyse des connecteurs prépositionnels basée sur corpus.

––––––– 26

27

La constitution d’un corpus doit tenir compte du critère central de représentativité : le corpus doit être formé de façon équilibrée en rendant compte de différents genres textuels (cf. Lemnitzer/Zinsmeister 2006, 52). Voir le chapitre 7 De la préposition au connecteur : changements sémantiques et fonctionnels.

144

Toutefois, cet avantage méthodique est marqué par une vive discussion théorique dans la recherche en linguistique romane. A la différence de genre textuel, le concept de tradition discursive a la particularité et l’atout d’être inclus dans un modèle théorique de représentation du langage : le modèle du langage de Coseriu (1980 ; 2007a) présenté dans Einführung in die Textlinguistik. L’expression synonymique alors employée est celle de « tradition textuelle », c’est cependant l’expression tradition discursive qui s’est établie. Dans le discours scientifique de la linguistique romane, le concept et son intégration, au sein dudit modèle, sont discutés. Pour cette raison, les parties suivantes auront pour but de préciser le concept de traditions discursives dans le présent travail. Pour ce faire, dans un premier temps, le modèle des compétences langagières de Coseriu sera présenté. Ensuite la discussion concernant la localisation des traditions discursives au sein dudit modèle sera exposée. Dans ce cadre, les interprétations du modèle développées par Koch (1997 ; 2008) d’un côté, et celle proposée par Lebsanft (2005) et Schrott (2006) de l’autre seront abordées ; leur présentation permettra de justifier l’adoption d’un des deux modèles. Une attention particulière sera vouée à l’organisation des propriétés des connecteurs prépositionnels dans ledit modèle. Enfin, la troisième partie sera consacrée à l’apport des traditions discursives quant à la description des changements linguistiques. 3.3.1 Les traditions discursives dans le modèle des compétences langagières 3.3.1.1

Le modèle des compétences langagières d’après Coseriu

Le terme traditions discursives est issu du modèle linguistique théorique des compétences linguistiques de Coseriu (1980 ; 2007a).28 Bien qu’elles n’y soient pas nommées explicitement, les traditions discursives se situent à l’intersection du point de vue du savoir et du niveau individuel et correspondent au savoir expressif.29 En effet, dans sa linguistique intégrale, Coseriu divise le langage en trois niveaux distincts : le niveau universel, historique et individuel.30

––––––– 28

29

30

L’expression tradition discursive est principalement liée aux réflexions et à la marque terminologique de Coseriu (1988/2007a), Schlieben-Lange (1983), Koch (1997 ; 2008), Oesterreicher (1997 ; 2001), dans le volume édité par Aschenberg/Wilhelm (2003), ainsi que Lebsanft (2005), Schrott/Völker (2005) et Schrott (2006). La présentation du modèle coserien se base principalement sur Coseriu (1988 ; 2007b) et son exposé dans Schrott (2006). Dans le Tableau 13, la traduction en français des termes originaux allemands est placée entre parenthèses.

145

Ebene (niveau)

Gesichtspunkt (point de vue) Tätigkeit : energeia (‘activité’)

Wissen : dynamis (‘savoir’)

Produkt : Ergon (‘produit’)

universelle Ebene (‘niveau universel’)

Sprechen im allgemeinen (‘langage en général’)

elokutionelles Wissen (‘savoir élocutif’)

Totalität der Äußerungen (‘totalité des énoncés’)

historische Ebene (‘niveau historique’)

konkrete Einzelsprache (‘langue particulière concrète’)

idiomatisches Wissen (‘savoir idiomatique’)

(abstrakte Einzelsprache)31 (‘langue spécifique abstraite’)

individuelle Ebene (‘niveau individuel’)

Diskurs (‘discours’)

expressives Wissen (‘savoir expressif’)

Text (‘texte’)

Tableau 13 : niveaux et points de vue du langage (d’après Coseriu 2007a, 75 ; mise en relief H.S.)

Dans son modèle des compétences linguistiques, Coseriu distingue deux dimensions : la dimension verticale correspondant aux niveaux universel, historique et individuel, et, la dimension horizontale contenant les points de vue de l’activité, du savoir et du produit. Dans la colonne de gauche du tableau 13, le niveau universel se réfère aux propriétés du langage en général, le niveau historique concerne les langues particulières (le français, l’espagnol, l’italien, l’allemand, l’anglais etc.), enfin, le niveau individuel fait référence à l’emploi de la parole par un individu dans une situation de communication concrète.32 A l’horizontal, les points de vue sont également subdivisés en trois dimensions : l’energeia fait référence au langage comme une activité de création allant au-delà de ce qui existe déjà, la dynamis est le savoir à la base de l’activité langagière, et enfin, l’ergon correspond au produit de l’activité. Avant de thématiser le rôle des traditions discursives pour l’emploi des connecteurs prépositionnels dans les textes, prenons l’exemple du courriel, afin d’éclairer les différents niveaux et points de vue : (77) Von : X QSDF [mailto:[email protected]] Gesendet : Freitag, 4. Dezember 2009 21:00 An : A Betreff : salut! Je suis allée chez le libraire, il ne connaissait pas ce livre (on a roulé sur la terre) et il ne l’avait donc pas en stock, (mais il connaissait l'auteur), je l’ai

––––––– 31 32

Les parenthèses à cet endroit sont dans l’original. Ce sont les différentes interprétations du terme individuel, « unique » pour Koch (1997 ; 2008) et « non-chorique » pour Lebsanft (2005) et Schrott (2006), qui se répercutent sur l’intégration des traditions discursives dans le modèle.

146

commandé quand même. Sinon j’ai regardé les polos aux nouvelles galeries : pas terribles ☹ ! Voilà, demain je travaille toute la journée, ça ne m’enchante pas! bizous a+ 33 Dans ce courriel, on reconnaît facilement les trois niveaux de langage évoqués dans le modèle de Coseriu. Au niveau universel, il s’agit de l’emploi cohérent de signes dans le but de communiquer. Les signes employés sont ancrés dans une langue particulière concrète, en l’occurrence le français, et relève du savoir idiomatique (lexique, syntaxe) de cette langue. Au niveau individuel, le discours est ancré dans une situation concrète où un individu interagit avec un interlocuteur. Ainsi décrits, les trois niveaux peuvent mettre en lumière certaines propriétés de l’exemple (77). Or, le locuteur possède un savoir, il connaît les propriétés spécifiques au courriel, à partir desquelles il se dirige lors de sa rédaction. De même, ce savoir sur la configuration d’un courriel façonne l’attente du récepteur. Au-delà de la distinction des niveaux, l’éclairage de la spécificité du courriel nécessite l’entrée en jeux de différents points de vue. La production d’un discours implique que le locuteur, en tant qu’individu, suive des normes correspondant à un savoir sur le façonnement du discours : les traditions discursives. Du point de vue du produit, le courriel ci-dessus, est certes une entité unique. Du point de vue du savoir discursif, en revanche, le courriel répond à des traditions qui ne sont pas uniquement valables pour l’exemple (77), mais qui concernent des textes similaires. A chaque niveau du modèle des compétences langagières est associée une dimension sémiotico-sémantique sous-jacente (Coseriu 1988/2007a, 79). En effet, le langage au niveau universel permet d’effectuer des références, de désigner des objets extralinguistiques, ce qui correspond à la dimension de Bezeichnung ‘désignation’. Au niveau individuel, la langue particulière en tant que système contient la dimension de Bedeutung ‘signification’. Enfin, le niveau individuel se trouve le Sinn ‘sens’. Le sens, en tant que dimension individuelle, se situe au niveau des textes : il est le contenu linguistique particulier où confluent la désignation et la signification, tout en les dépassant. En effet, le sens correspond, dans le discours, aux attitudes, aux intentions ou aux acceptations du locuteur (Coseriu 1988/2007a, 79 ; cf. Schrott 2006). Le sens naît donc au cours de l’interprétation d’un énoncé. La dimension sémiotico-sémantique est importante car elle permet de rendre compte du fait que le sens, situé au niveau individuel du texte ou du discours, est le confluent des complexes du savoir et des différents niveaux (cf. Schrott 2006). Le texte porteur de sens est le confluent de la désignation (au niveau référentiel et donc universel) et de la signification (au niveau sémantique et donc des langues particulières). Les connecteurs prépositionnels qui, dans la langue particulière, ont une signification, contribuent, par leur emploi dans les textes et l’apport de cette signification, à la constitution du sens d’un texte. Le texte est donc le produit empirique à partir duquel l’étude des connecteurs prépositionnels doit être effectuée. L’ancrage des traditions discursives dans le modèle des compétences linguistiques, permet de

––––––– 33

Ce courriel est un exemple authentique. Le nom et l’adresse de l’expéditeur et du destinataire ont été effacés.

147

décrire avec précision des aspects universaux, idiomatiques et traditionnels discursifs des connecteurs prépositionnels. 3.3.1.2

Réinterprétation du modèle des compétences

Koch (1997 ; 2008) interprète le produit au niveau individuel comme une occurrence unique. Pour cette raison, l’auteur considère que ce niveau ne peut être ni porteur ni générateur de norme. Par ailleurs, Koch (1997, 43ss. ; 2008, 54ss.) et Oesterreicher (1997, 19ss.) indiquent qu’au niveau historique, deux dimensions doivent être distinguées : celle des langues particulières et celle des traditions discursives (cf. Wilhelm 2001, 468). A l’exemple de la « Berliner Schnauze », désignant un parler berlinois brusque et peu aimable, Koch (1997, 44) montre que certaines manières comportementales communicatives se reflètent dans le discours, et peuvent former des traditions discursives. D’après lui, ces traditions ne seraient cependant pas identiques aux traditions des langues particulières, dans la mesure où elles ne sont ni portées ni transmises par une communauté linguistique mais par une communauté culturelle. De plus, ces traditions ne touchent pas directement l’aspect linguistique des langues, bien plus elles se réfèrent aux genres textuels, aux genres littéraires, aux styles, aux genres rhétoriques, aux formes de discours et aux actes de langage.34 L’élément central et démarcatif de l’interprétation proposée par Koch (1997, 46 ; 2005, 237 ; 2008, 54ss.) est que ces traditions ne correspondraient pas à un savoir situé au niveau du discours, ce dernier étant individuel et unique, serait uniquement le lieu d’application (et non le lieu de création et de négociation) des règles et des traditions. Ainsi, le modèle de Koch se distingue de celui de Coseriu par la localisation des traditions textuelles et discursives non pas au niveau individuel, mais au niveau historique. Afin de distinguer le niveau historique des traditions discursives de celui des langues particulières, Koch entreprend un dédoublement du niveau historique. L’auteur souligne ainsi que le savoir idiomatique au niveau historique des langues particulières est porté par une communauté linguistique, tandis que le niveau historique des traditions discursives correspond à un savoir culturel. Cette distinction est matérialisée par une modification profonde du modèle des compétences linguistiques de Coseriu représentée dans le tableau 14 :35

––––––– 34

35

Frank-Job (2003, 21) indique que les traditions discursives produisent outre leurs fonctions concrètes, des fonctions de communications, la construction d’un sens du monde collectif et d’un stock de savoir. Ainsi les traditions discursives correspondraient à un savoir de règles non-spécifiques à une langue particulière, mais spécifique à une communauté culturelle. La traduction en français du texte original est placée entre parenthèses.

148

Ebene (niveau)

Bereich (domaine)

Normtyp (type de norme)

Regeltyp (type de règle)

universal (‘universel’)

Sprechtätigkeit (‘activité de parler’)

–36

Sprechregeln (‘règles de l’activité linguistique)

historisch (‘historique’)

Einzelsprache (‘langue particulière’)

Sprachnormen (‘normes linguistiques’)

Sprachregeln (‘règles de langue’)

historisch (‘historique’)

Diskurstradition (‘tradition discursive’)

Diskursnormen (‘normes discursives’)

Diskursregeln (‘règles discours’)

individual/aktuell (‘individuel’/‘actuel’)

Diskurs (‘discours’)





de

Tableau 14 : les compétences langagières d’après Koch (1997, 45 ; traduction H.S)

De manière succincte, le remaniement entrepris par Koch a engendrée trois modifications : la réduction des trois points de vue (energeia, dynamis, ergon), la restructuration partielle des complexes de savoir et le dédoublement du niveau historique.37 Dans le cadre du présent travail, nous thématiserons le statut historique du texte/du discours, car au niveau de l’ergon, il s’agit d’une propriété centrale à partir de laquelle nous effectuons l’analyse et la description des connecteurs prépositionnels. Par le dédoublement du niveau historique, Koch (1997) souligne d’une part le statut historique des traditions discursives et, d’autre part, la ‘deshistorisation’ du texte.38 Le produit du niveau individuel, le texte, est alors conçu comme une réalisation unique à un certain moment de l’histoire, mais il ne présenterait en soi ni changements historiques, ni historicité. Cette interprétation du niveau individuel est critiquée par Lebsanft (2005, 31). Ce dernier considère l’action individuelle de la parole comme le lieu où, à l’égard des autres (principe d’altérité), le locuteur suit des règles préexistantes, et propose la reprise de nouvelles règles. Ainsi, tandis que Koch conçoit le niveau individuel comme l’endroit d’application des règles et des normes, Lebsanft (2005, 31) conçoit le niveau individuel certes comme un espace non-chorique mais comme le lieu de l’agencement et de négociation de la reprise de nouvelles normes.39 En d’autres

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38

39

Koch (1997, 45) renvoie à cet endroit aux notes trois et quatre de son texte. Cette restructuration a donné cours à une vive discussion dans la recherche en linguistique romane dont l’exposé dépasserait cependant le cadre du présent travail. Pour une discussion détaillée de cette restructuration voir Lebsanft (2005, 31ss.) et Schrott (2006). Koch se réfère à Wittgenstein (1953, § 199): « Es kann nicht ein einziges Mal nur ein Mensch einer Regel gefolgt sein ». La différence centrale entre les deux modèles repose sur une compréhension différente d’individuel, tandis que Koch le conçoit comme une occurrence unique, Coseriu, Lebsanft et Schrott perçoivent le niveau individuel comme un espace non-chorique. Le niveau individuel, ainsi conçu, permettrait par l’analyse du discours une reconstitution des normes en questions (cf. Schrott 2006).

149

termes, le texte, le discours est le lieu où les règles d’emploi des connecteurs prépositionnels prennent vie. Nous opterons pour cette conception du discours comme lieu de négociation de règles car elle permet de décrire et de saisir les règles d’emploi des connecteurs dans les différents genres textuels pris en considération. Ce point sera développé dans la partie suivante. 3.3.2 Les types de savoirs et les connecteurs prépositionnels La partie 3.3.1.2 Réinterprétation du modèle des compétences a montré que la détermination de la spécificité du courriel, et plus généralement d’un genre textuel, nécessite la mise en jeu de différents niveaux et de différents savoirs. Le tableau 15 résume les propriétés démarcatives des différents types de savoir : savoir élocutif

général et universel

non-linguistique mais relatif à la langue

savoir idiomatique

historique

linguistique

savoir expressif

historique

non-linguistique, mais relatif à la langue

Tableau 15 : les types de savoir et leurs caractéristiques (selon Schrott 2006, 18 ; traduction H.S.)

La présentation des propriétés des savoirs dans les sous-parties suivantes, nous permettra de tirer des conclusions quant à l’analyse des connecteurs prépositionnels dans le corpus. a) le savoir élocutif Le savoir élocutif se situe au niveau universel. Il est donc valable dans le langage indépendamment des langues particulières. Schrott (2006, 15, 16), en suivant Coseriu, distingue quatre paramètres universaux faisant partie du savoir élocutif : l’altérité,40 la sémanticité ou référentialité,41 le principe général de la pensée42 et le principe et les règles de l’interaction.43 Les paramètres évoqués concernent d’une manière ou d’une autre les connecteurs (prépositionnels), mais il semblerait que le dernier point soit particulièrement intéressant quant à la description des emplois des connecteurs dans les textes. Pour cette raison, nous présenterons brièvement chacun des paramètres en nous attardant de manière plus détaillée sur le dernier. L’altérité désigne l’orientation constante du langage vers les autres comme récepteurs du langage. Selon Coseriu, l’altérité signifie que l’on parle comme les autres, afin de pouvoir parler pour les autres et dans le but d’être compris par les autres (Coseriu 1988, 77, 192s.). Dans cette optique, les connecteurs prépositionnels sont des moyens cohésifs employés par le locuteur afin de rendre son discours cohé-

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41

42 43

Le terme Alterität ‘altérité’ provient de la théorique des compétences langagières de Coseriu (1988, 77, 192s.). Cf. Coseriu (1988, 77, 95s., 192s., 121, 123, 125s.); Coseriu (2003, 16); Schlieben-Lange (1983, 15, 104, 106). Coseriu (1988, 77, 95s. ; 31994, 47ss. ; 2000, 90). Grice (1975) ; Ehlich (1991, 128).

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rent pour l’allocutaire. Quant aux choix des connecteurs prépositionnels, en raison du paramètre d’altérité, nous pouvons émettre l’hypothèse d’une préférence de certaines communautés discursives pour des formes, valeurs sémantiques déterminées. La sémanticité, ou référentialité, permet d’établir une relation entre le langage et les concepts extralinguistiques. Dans cette perspective, les connecteurs (prépositionnels) sont des signes linguistiques liés au concept de cohésion : ces entités produisent de la cohésion dans le langage. Le principe général de la pensée permet au locuteur de reconnaître une parole comme sensée ou insensée, claire ou confuse. La connaissance des choses est une faculté permettant de juger du sens des énoncés, de ce qui est présupposé dans la communication, sans être dit explicitement. Les connecteurs prépositionnels, comme signes cohésifs, indiquent à l’allocutaire qu’un lien considéré comme sensé existe entre les éléments linguistiques mis en relation : les connecteurs sont des instructions limitant les possibilités d’interprétation.44 Les principes et les règles de l’interaction correspondent aux principes généraux de la communication comme les a formulés Grice (1979) dans son principe de coopération.45 En fait, le principe de coopération et les maximes, formulés par Grice, peuvent être configurés de différentes manières selon les cultures et peuvent ainsi se modifier dans l’histoire. En effet, Lebsanft (2005, 28), en se référant à Heringer (1994, 48), soutient la thèse de l’universalité des maximes de conversation, mais conçoit que des différences interculturelles existent quant aux modalités de leurs réalisations.46 D’après Lebsanft (2005, 34), il est possible de tracer l’histoire de la formulation des maximes de conversations et du stock de savoir leur étant lié de différentes manières : par la description des constantes et des changements de la pratique communicative, par la description de la pratique communicative à partir des changements des traditions textuelles dans lesquelles un phénomène joue un rôle central, par l’analyse de pratiques anciennes sur l’arrière-plan de pratiques actuelles. De cette manière le linguiste peut déterminer (reconstruire), par contraste, les régularités d’une maxime pour son temps (cf. Schrott 1999). Pour Lebsanft (2005, 27), les principes de communication sont une partie du savoir universel qui se répercutent au niveau du discours.47 Pour l’analyse des connecteurs prépositionnels, cela signifie que les connecteurs sont au service du principe général de cohérence et de cohésion, mais que leur mode

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La conceptualisation des connecteurs comme valeurs ajoutées dirigeant l’interprétation d’un énoncé a été évoquée dans la partie 1.2.1 Asyndète vs. connexion explicite ou pourquoi lier de manière explicite ? Le principe de coopération et la théorie des maximes de conversation de Grice ont été présentés dans la partie 1.2.1 Asyndète vs. connexion explicite ou pourquoi lier de manière explicite ? Lebsanft (2005, 28) indique que les différentes conditions d’exécution sont liées à une sorte d’interculturalité diachronique. Selon Lebsanft (2005, 29), il est nécessaire de distinguer la validité normative des maximes de leur opérativité. En effet, il est incontestable que les normes rhétoriques sont différemment jugées, soignées, et transmises. Elles ont donc leur propre histoire. Si le niveau de la parole est mis de manière conséquente en relation avec les maximes de conversation, alors il sera possible de dépister et de retracer l’histoire de la forme de réalisation des maximes de conversations.

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de réalisation dans le discours varie selon la communauté discursive dans laquelle le genre textuel est employé. Aussi, en reprenant les maximes de Grice (1975), dans une perspective du savoir élocutif, les connecteurs se voient attribués les fonctions suivantes :  En suivant la maxime de quantité, « que votre contribution contienne autant d’informations, mais pas plus qu’il n’est requis », le locuteur emploie des signes cohésifs (des connecteurs prépositionnels) qui représentent un coût de formulation supplémentaire quant à la formation de liens plus ou moins directs entre des éléments de la communication. Le déclenchement d’implicatures peut épargner la formulation explicite d’informations, appartenant à l’arrière-plan commun, par le locuteur.  La maxime de qualité, « que votre contribution soit véridique », concerne un emploi plus spécifique des connecteurs : le locuteur en employant certains connecteurs peut prouver et justifier la véracité des propos tenus.  En suivant la maxime de relation, « parlez à propos », le locuteur a recours des signes cohésifs, les connecteurs, afin d’organiser ces propos de manière cohérente. Les connecteurs témoignent donc de la cohérence des interventions produites par les locuteurs. Les connecteurs montrent que le locuteur s’exprime de manière cohésive et cohérente.  En suivant la maxime de modalité, « soyez clair, soyez bref et soyez méthodique », le locuteur, indique avec des connecteurs qu’il organise son discours de manière méthodique. Les connecteurs explicitent les relations et contribuent ainsi à la clarté du texte. De plus, sous l’expression des principes de l’interaction, Schrott (2006) intègre également la rhétorique quotidienne de Stempel (1994, 324). Selon ce principe, les interlocuteurs s’impliquent de manière personnelle et subjective dans le discours.48 Par la rhétorique quotidienne, le locuteur veut mettre en scène sa subjectivité de manière esthétique et attirante dans le but de recevoir des appréciations positives (attention et reconnaissance) de la part de ses interlocuteurs, appréciations qu’un locuteur ne peut demander directement à son auditoire. La construction d’une identité sociale positive est un besoin de base, commun à tous les locuteurs. Tout comme le principe de coopération de Grice, la construction de l’identité positive peut être marquée de différentes manières selon les cultures. Dans le cadre du présent travail, nous nous interrogerons sur la réalisation, l’organisation, la hiérarchisation des principes généraux (maximes) évoqués cidessus par les connecteurs prépositionnels dans chacun des genres textuels pris en compte ainsi que sur leur constance ou variation en diachronie (cf. Lebsanft 2005).

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Schrott (2006) indique que le concept de rhétorique quotidienne de Stempel rappelle la « face » de Goffman (1967, 5, 7ss.) : « the positive social value a person effectively claims for himself by the line others assume he has taken during a particular contact ». L’aspect central que le locuteur veut non seulement préserver sa propre face de dommages mais également celle des autres. Le concept de Goffman prédit qu’il faut éviter l’atteinte, le froissement des autres et qu’il est nécessaire de renforcer la personnalité des autres, afin que la communication se déroule de manière coopérative et effective.

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L’analyse des connecteurs prépositionnels dans les textes aura donc pour but de mettre en lumière la configuration culturelle (quantitative et hiérarchique) de ces règles au niveau du discours. Les principes présentés ci-dessus montrent que le savoir élocutif est en rapport avec l’emploi de la langue sans être de nature strictement linguistique. Le savoir élocutif n’est donc pas un objet de recherche réservé aux sciences du langage, mais il porte un caractère interdisciplinaire. Au-delà de la linguistique, il touche les disciplines telles que l’anthropologie ou l’histoire sociale traitant des actions de l’homme locuteur (Schrott 2006, 16). Le niveau universel de l’activité linguistique est donc lié aux capacités fondamentales cognitives et sémiotiques-communicatives, qui, cependant, ne sont pas fondées historiquement. En ce sens, le savoir élocutif n’est pas, par définition, assujetti aux changements historiques, ce qui implique qu’il y ait des règles stables et universelles du langage (Schrott 2006, 16). La réalisation concrète du savoir élocutif s’effectue donc dans le discours d’une langue particulière. En d’autres termes, la réalisation de ces principes stables s’accomplit au travers du savoir idiomatique dans le savoir expressif. b) Le savoir idiomatique La majorité des études concernant les prépositions et les connecteurs en français se trouvent au niveau du savoir idiomatique. Dans le modèle des compétences langagières, le savoir idiomatique est situé au niveau historique. Il correspond au savoir des locuteurs sur la langue qui s’est constituée historiquement. Ce savoir est formateur de communautés linguistiques historiques (Coseriu 1988, 81). Une communauté linguistique peut appartenir aussi bien au présent qu’au passé, dans le sens où une langue peut ne plus être parlée. Le savoir idiomatique comprend les règles et l’inventaire syntaxique, lexical et sémantique d’une langue particulière. Aussi, le savoir idiomatique est-il le seul des trois complexes de savoir revenant en sa totalité à la discipline de la linguistique. Traditionnellement, la recherche analyse les entités cohésives au niveau idiomatique en s’interrogeant sur les significations des connecteurs dans une langue particulière. Dans le cadre du présent travail, cependant, l’étude des connecteurs prépositionnels n’est pas limitée à la description de la signification des connecteurs prépositionnels dans une langue particulière, mais s’interroge sur la contribution de la signification des connecteurs quant à la formation du sens des textes ainsi que sur les règles gérants les emplois des connecteurs au niveau discursif. Ces deux aspects correspondent au savoir expressif. c) Le savoir expressif Le savoir expressif est responsable de l’organisation du langage dans des situations précises et de la conception des textes. Ce savoir assure la structuration et l’agencement du discours et peut être perçu comme un « mode d’emploi » relatif à la formation des textes dans des situations concrètes du langage individuel. Il fonctionne comme un savoir sur les « modèles textuels » permettant aux locuteurs de produire des textes adéquats et à l’interlocuteur de les réceptionner sur l’arrière-plan de modèles de textes exemplaires. Le savoir expressif contient des conventions concernant aussi bien le contenu que la forme ; il ne s’agit donc pas d’un savoir exclusivement linguistique. Au niveau individuel, le savoir expressif est lié à quatre paramètres : le locuteur, le destinataire, l’objet de la parole, et la situation. Ces entités sont à leur tour liées à 153

des normes d’après lesquelles le langage individuel est dirigé et jugé. Ces normes peuvent être générales (comme la maxime de parler de manière simple avec les enfants), mais elles peuvent être très spécifiques et détaillées (les règles gérant la formation d’un sonnet). Ainsi, dans un contexte amical, le choix d’un connecteur peut être motivé par le désir d’argumenter de manière discrète en évitant la verbalisation explicite d’éléments gênants (cf. Ducrot 2003, 5ss.). Dans l’exemple (78), le locuteur SYL met deux événements en relation de simultanéité par l’emploi du connecteur prépositionnel pendant que : (78) *SYL : et moi je galérais comme un malade / donc à soulever toutes ces tables tout seul / # pendant que *CHR : dans la salle // et on [/] on admirait // # on admirait l’homme en action (Oral) Dans cet exemple,49 l’emploi de pendant que permet à SYL, par l’implicature oppositive qui peut être paraphrasé par je travaillais pendant que/alors que/tandis que ces demoiselles se reposaient, l’émission d’un reproche discret (vous auriez pu m’aider), sans que le destinataire du reproche ne perde la face (cf. Goffman 1967/1982). En employant le connecteur prépositionnel pendant que, SYL négocie l’acceptation du reproche par son auditoire. En effet, le reproche implicite est accepté dans la mesure où CHR ne le remet en question, mais, l’accepte et justifie la passivité reprochée par un compliment (l’admiration de l’homme en action). Le savoir expressif est donc un savoir culturel appliqué à la langue, dans la mesure où il guide la sélection de moyens linguistiques et dirige la formation de textes, mais il ne s’agit pas d’un savoir primairement linguistique.50 Ainsi pour l’analyse des connecteurs prépositionnels, la question se pose de savoir quelles sont les traditions discursives configurant les emplois des connecteurs dans les genres textuels analysés. L’étude du produit discursif (le texte) aura pour but de mettre en lumière, pour chacun des corpus, les traditions discursives qui gèrent les emplois de connecteurs prépositionnels. 3.3.3 Les traditions et les communautés discursives Dans son modèle, Schrott (2006) maintient l’organisation du modèle des compétences langagières de Coseriu et plaide en faveur de l’intégration des traditions discursives au niveau du savoir expressif. L’image qui ressort de cette intégration est la suivante :51

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51

Nous approfondissons ici l’analyse de l’exemple (78) déjà cité dans la partie 1.2.3.2 Polysémie et les indicateurs de lecture. Le savoir expressif est un savoir culturel, qui, au-delà de l’observation linguistique, nécessite une approche interdisciplinaire et doit être intégré dans une théorie générale des traditions culturelles (Schrott 2006 ; Wilhelm 2003). La traduction en français des termes originaux est placée entre parenthèses.

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Ebene (‘niveau’)

Gesichtspunkt (point de vue) Tätigkeit : energeia (‘activité’)

Wissen : dynamis (‘savoir’)

Produkt : ergon (‘produit’)

universelle Ebene (‘niveau universel’)

Sprechen im Allgemeinen (‘langage en général’)

Regel und Prinzipien des Sprechens (‘règles et principes du langage’)



historische Ebene (‘niveau historique’)

Einzelsprache (‘langue particulière’)

einzelsprachliche Traditionen (‘traditions des langues particulières’)



individuelle Ebene (‘niveau individuel’)

Diskurs (‘discours’)

Diskurstraditionen (‘traditions discursives’)

Text (‘texte’)

Tableau 16 : modèle des compétences du langage d’après Schrott (2006 ; traduction H.S.)

Etant donné que Schrott maintient la répartition des points de vue et des niveaux tels qu’ils ont été présentés dans la partie 3.3.1.1 Le modèle des compétences langagières d’après Coseriu, nous n’y reviendrons pas ici. En revanche, nous nous pencherons sur les deux changements fondamentaux effectués par Schrott (2006) : la suppression des produits aux niveaux universel et historique et l’intégration de la terminologie « tradition discursive » au niveau du savoir individuel. Premièrement, les produits aux niveaux universel et historique, considérés comme peu opérationnels, ont été supprimés. Cette suppression a pour conséquence la mise en valeur du statut particulier du texte en tant que seule matière empiriquement accessible (cf. Schrott 2006). Schrott (2006) souligne que l’ergon au niveau individuel est le produit d’une activité passée, effectuée par un locuteur. Le texte est donc le témoin concret, matériel, d’activités et de savoirs. Dans une perspective pragmatique historique, Schrott (2006, 15) indique que le texte, étant le seul témoin d’une activité du locuteur encapsulée dans le passé, est le point de cristallisation de l’ensemble des composants du savoir élocutif, idiomatique et textuel. En raison de la spécificité de son étude pragmatique historique, Schrott (2006) souligne l’importance du texte comme seul témoignage linguistique historique d’une époque lointaine, ce qui pour le présent travail forme le point de départ pour l’analyse de corpus. La conception du texte (ergon), comme un témoignage d’activités et de savoirs distincts du locuteur, dans le passé, est également valable pour la synchronie. Bien sûr, la synchronie peut avoir et, a recours à d’autres méthodes.52 Cependant, la conceptualisation du texte comme ergon dans un modèle des compétences linguistiques, permet de percevoir le texte comme une matière concrète, tangible, où confluent la

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Concernant les approches méthodiques de la pragmatique historique et la distinction entre pragmatique historique et synchronique voir Schrott (2006). Voir également Pusch/Kabatek/Raible (2005, 2ss.).

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dénomination et la signification en un sens, les règles (linguistiques) et les traditions (discursives) et cela, indifféremment de la genèse de la matière textuelle. En ce sens, le texte, comme confluent de traditions discursives, tel qu’il a été défini par Coseriu et son adaptation par Schrott, constitue le point de départ de notre analyse des connecteurs prépositionnels en synchronie et en diachronie. Le second changement capital consiste en l’intégration de la terminologie de « traditions discursives » au niveau individuel en tant que savoir partagé par une communauté, non pas linguistique, mais culturelle. Les traditions discursives correspondent à un savoir portant les marques de l’histoire au niveau individuel, dans le sens de non-chorique. En effet, Schrott (2006) considère les traditions discursives (ou textuelles) comme synonyme du savoir expressif, dans la mesure, où dans les deux cas, il s’agit d’un savoir appliqué à l’emploi de la langue, en tant que guide de la sélection des moyens linguistiques et de la formation de textes. En ce sens, les traditions discursives consistent en un savoir de nature non-linguistique, mais en un savoir qui se répercute au niveau linguistique. Afin d’illustrer ce point, reprenons l’exemple du courriel : (79) -----Ursprüngliche Nachricht----Von : Y [mailto:[email protected]] Gesendet : Dienstag, 26. Januar 2010 14:55 Betreff : Re : AW : Mittwoch Mir passt das auch gut, 18:15 vor Edeka! :-) Freu mich und bis morgen! LG Y53 La spécificité des courriels ne peut être saisie, ni par le savoir élocutif, ni par le savoir idiomatique : le courriel (79) était rédigé en français, tandis que (77) est écrit en allemand. La spécificité des courriels dépend des « compétences textuelles » lié au médium et à l’habitude communicative des « messages brefs » (cf. Coseriu 2007a, 74). Dans nos exemples, ce sont des textes employés par une communauté culturelle délimitée qui emploie les courriels afin de communiquer de manière brève et rapide. Les individus n’ayant pas d’accès à un ordinateur et à un tel programme ou ne disposant pas des connaissances requises à la rédaction d’un courriel se situent en revanche, à l’extérieur de cette communauté. Les deux courriels, malgré les différences linguistiques, supposent un même savoir expressif concernant l’élaboration des textes. Au niveau formel, on note la particularité de la mise en page standardisée, les smileys et les abréviations ; les courriels ont également la propriété d’être, la plupart du temps, relativement brefs. Le modèle du genre textuel des messages courts et rapides est généré par la maxime de quantité et la norme culturelle de la prégnance. Pour les courriels, la tradition discursive prépondérante, que l’on peut nommer « brevitas », dicte aux actants de configurer leur message de manière brève. Ce savoir expressif est une compétence discursive, commune à un groupe culturel au-delà des frontières linguistiques. L’ancrage des traditions discursives au niveau du savoir expressif apporte trois avantages. Premièrement, les traditions discursives sont localisées de manière univoque en tant que savoir. Ce savoir est une configuration de normes, de traditions,

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Ce courriel est un exemple authentique. Le nom et l’adresse de la personne ont été effacés.

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opposées aux règles et aux principes du niveau général-universel.54 Deuxièmement, et cela justifie le choix terminologique, l’intégration de l’expression des traditions discursives au modèle des compétences linguistiques – contrairement à l’expression savoir expressif – souligne, par le terme tradition, la dimension historique du savoir expressif. Dans le prolongement de la tradition coserienne, Schrott (2006) intègre au modèle les traditions discursives en distinguant des deux types d’historicité : celle des langues particulières et celle des traditions discursives (cf. Lebsanft 2005). Enfin, par l’ancrage des traditions au niveau discursif, l’étude du discours nous livre des informations sur ces traditions : leurs configurations dans les textes et leur manière d’action. Les traditions discursives touchent l’histoire de la production et la réception d’un genre textuel, l’histoire des transformations que subit le texte par le discours en tant qu’activité,55 et l’histoire des instructions pour l’organisation de la parole dans les textes et à l’aide desquelles des objectifs peuvent être remplis et des problèmes communicatifs résolus.56 Évoquons ici l’exemple des articles de presse informatifs. Au début du 20ème siècle, les articles journalistiques suivaient encore l’ordre naturel des événements. De nos jours, ce principe n’étant plus compatible avec les objectifs communicatifs économiques, le modèle discursif des articles a été modifié : l’article doit éveiller l’attention du locuteur, le besoin d’avoir plus d’informations, et l’importance des informations doit perdre de l’importance au fil du texte etc. (cf. Koch 1997, 64s.). Les conditions de communications (l’invention de l’imprimerie, les courriers électroniques) et les objectifs communicatifs changent et entraînent des modifications au niveau des traditions discursives. Ces traditions discursives sont donc marquées par une dynamique historique.57

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Ainsi la distinction complexe entre règles et normes proposées par Koch (1997) n’est pas nécessaire. Voir l’étude d’Albrecht (2003) concernant l’influence des traditions discursives dans les traductions comme déclencheurs potentiels de changements linguistiques. Voir Frank-Job (2003) pour une étude des traditions discursives lors de la transcription des textes en langues romanes à l’écrit. Voir Schrott (2006, 26) pour une comparaison des différentes versions d’un texte. Blank (1997, 368) interprète les nombreux types d’innovation comme une atteinte ‘Verletzung’ des maximes, qui peut être « guérie » en prenant en considération le principe de coopération par les implicatures conversationnelles. Voir également Lebsanft (2005, 25) : selon lui le principe de coopération est universel, dans le sens où toute communication présuppose la coopération des acteurs lors de l’interaction. Les maximes de conversation sont liées au principe de coopération, mais à la différence de ce dernier, la forme et la validité normative varient selon la communauté culturelle observée. Les maximes sont jugées de manières distinctes, soignées, et transmises et en ce sens elles ont leur propre histoire. Le statut et les fonctions des maximes de conversations touchent les compétences linguistiques comme un savoir élocutif, idiomatique et expressif. Le rôle des connecteurs prépositionnels dans la tradition journalistique et la tradition narrative sera thématisé dans les chapitres 6.1 Les connecteurs prépositionnels dans le corpus Le Monde et 7 De la préposition au connecteur : changements sémantiques et fonctionnels.

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En tant que « genre », les traditions discursives constituent des modèles que la parole doit suivre, mais elles ont, en tant que « traditions », un espace libre de réalisation dans lequel peuvent s’effectuer des changements historiques (Schrott 2006, 26). Chaque actualisation d’un genre textuel dans le discours, chaque nouvelle mise en scène d’un texte comprend un espace pour les variations et les changements, si bien que les genres textuels sont des entités changeantes (Schrott 2006, 26s.). Avec Koch (1997, 59ss.), le dynamisme (variation et changement) des traditions discursives – dans la synchronie comme dans la diachronie – peut être éclairé par les concepts de « ressemblance de famille » et de « prototypicalité ».58 De manière plus générale, la différence centrale entre les traditions idiomatiques et les traditions discursives réside en leur nature linguistique vs. non-linguistique : tandis que les règles idiomatiques sont de nature linguistique, les traditions discursives sont des normes de nature non-linguistiques. Ces dernières sont toutefois liées au langage dans la mesure où elles ont un impact sur l’agencement des moyens linguistique au niveau du discours. Aussi, en suivant Schrott (2006, 21), les différences entre les niveaux linguistique (historique) et discursif (individuel) concernent cinq dimensions : 1. 2. 3. 4. 5.

la communauté l’apprentissage le locuteur le savoir l’historicité

Ces différences sont résumées sous forme tabulaire : dimension niveau communauté

linguistique

discursif

langue formatrice de communauté

la préexistence d’une communauté culturelle motive l’emploi de certaines traditions discursives

activité de la communauté dans l’histoire

activité des individus

apprentissage locuteur savoir

contraint

optionnel

emprise

choix

évidence de la transmission du savoir

transmission non évidente du savoir par routine

historicité

historicité primaire

historicité secondaire

Tableau 17 : différences entre le niveau linguistique et le niveau discursif (d’après Schrott 2006)

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Koch (1997, 60ss.) distingue quatre changements de traditions discursives : différenciation, mélange de traditions, convergence et disparition de traditions discursives. Sur les changements linguistiques au sein des traditions discursives voir la partie 3.3.5 Traditions discursives et changements linguistiques.

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Évoquons les cinq différences centrales entre le niveau linguistique et discursif en tant compte des cinq dimensions. 1.) Concernant la dimension de la communauté, la norme linguistique est formatrice de communauté, tandis que la communauté discursive est préexistante et motive elle-même l’emploi de certains textes. Cette différence peut être illustrée par deux exemples édifiants et couramment cités : l’emploi d’un langage simple adapté aux enfants et l’emploi de textes religieux par les prêtres. Ce n’est pas l’emploi d’un langage simple qui forme la communauté des enfants. Au contraire, on emploie un langage simple parce que les enfants forment une communauté discursive pour laquelle un tel langage est adapté. De même, les prêtres emploient des textes religieux parce qu’ils sont prêtres et non l’inverse. Ces textes religieux ne sont pas limités à une communauté linguistique, mais sont communs à la communauté culturelle religieuse chrétienne (cf. Coseriu 1988, 86). Ainsi, tandis que la communauté culturelle, discursive, emploie des textes spécifiques à ses besoins au-delà des frontières linguistiques, la réalisation du discours a lieu, quant à elle, dans une langue particulière contrainte. Ainsi, dans la perspective de la langue particulière dont elle dépend, la communauté culturelle est plus restreinte que ne l’est la communauté linguistique. Du point de vue des langues particulières, les traditions discursives ont un domaine de validité plus limité (cf. Albrecht 2003, 44) : la communauté discursive des prêtres italiens est plus restreinte que la communauté linguistique italienne. De plus, les communautés linguistiques peuvent être historiquement actives, alors que la particularité de la communauté discursive est marquée par l’individualisme de ses membres. Schrott (2006) ajoute que les communautés discursives, comme celles des conteurs ou des prêtres, sont moins signifiantes en tant que communauté que ne le serait une communauté linguistique.59 Ainsi, si certains prêtres ou conteurs deviennent des personnes historiques, ils le seraient en tant qu’individu, car la communauté discursive n’agit pas historiquement en tant que telle (cf. Schrott 2006). 2.) La différence relative à la dimension de l’apprentissage indique, qu’au niveau de la langue, le locuteur ne choisit pas la langue particulière avec laquelle il s’exprime. L’apprentissage d’une langue est déterminé par l’environnement du locuteur (langue/s du/des pays où l’on vit, avec le/lesquels le locuteur est en contact, parents etc.), alors que l’emploi d’une tradition discursive est optionnelle. Son apprentissage est motivé par des affinités, des intérêts, des besoins de l’actant. 3.) La dimension de l’apprentissage contraint de la langue particulière a un impact sur la dimension du locuteur. Par son emprise, la langue historique monopolise ce dernier complètement et pour toujours. En revanche, l’emploi de traditions discursives reste un choix qui est motivé et varie selon le contexte et la situation de communication. 4.) La transmission du savoir linguistique est évidente car elle s’effectue de génération en génération. En revanche, la transmission du savoir discursif est arbitraire. En effet, le savoir discursif doit d’abord s’établir par l’apprentissage de techniques routinières pour ensuite être transmis. 5.) La distinction entre l’historicité des langues particulières et celle des traditions discursives a déjà été évoquée plus haut. Mentionnons ici que l’historicité

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Voir Lebsanft (2005) ; Koch (2008).

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linguistique est primaire dans le sens où les langues ont, par leur nature, un caractère historique et sont soumises aux changements historiques. Les traditions discursives, quant à elles, ont une historicité secondaire car, il faut d’abord que le discours forme une tradition discursive pour qu’il y ait une historicité. L’impact des langues particulières et des traditions discursives sur les différentes dimensions peut être précisé pour les locuteurs et les actants. Schrott (2006, 34) introduit le terme actant qui est plus général que le terme locuteur. L’actant est l’homme parlant qui maîtrise les règles et les traditions du langage et qui est membre de différentes communautés. La communication, qu’elle soit perçue du point de vue des locuteurs ou des actants, ne peut avoir lieu hors d’un cadre linguistique et discursif. La différence la plus frappante est d’ordre quantitatif : la communauté linguistique formée par les actants est plus « grande » que chacune des communautés discursives auxquelles ils appartiennent. A l’inverse, les communautés discursives auxquelles appartiennent les actants sont plus « petites » que leurs communautés linguistiques. Une autre différence quantitative concerne le nombre de langues spécifiques maîtrisées par les locuteurs et le nombre de traditions discursives pratiquées par les actants : le nombre de langues spécifiques maîtrisées est plus restreint, tandis que l’actant est porteur de plusieurs, voire de nombreuses traditions discursives. 3.3.4 Du rapport entre les traditions discursives et les connecteurs prépositionnels Au début du chapitre 3.1 Les connecteurs prépositionnels : une approche « corpusdriven, nous avons montré que les genres textuels sont des entités maniables quant à la formation représentative du corpus, mais qu’elles restent imprécises quant à la description des normes et traditions qui gèrent les emplois des connecteurs prépositionnels dans le discours. Désormais, le rapport entre les genres textuels et les traditions discursives dans le présent travail peut être précisé. Du point de vue de leur consistance, les traditions discursives peuvent être comprises comme les composantes de genres textuels (cf. Schrott 2006, 20 ; Schrott/Maaß 2010, 3.1.).60 Les parties précédentes ont montré que les traditions discursives consistent en « une compétence textuelle », c’est-à-dire un savoir sur les modèles textuels. Ce sont des instructions quant à l’agencement convenable des textes et des paroles par rapport à une situation de communication concrète. Plus précisément, deux qualités d’autonomie peuvent être distinguées pour les traditions discursives. Elles peuvent, en tant que routine de la parole, détenir une grande autonomie, et peuvent, en ce sens, figurer seules. Tel est le cas des formules de salutation, comme bonjour, qui forment une unité fermée et indépendante. Cependant, ces traditions discursives sont la plupart du temps, une partie d’un ensemble plus grand et fonctionnent comme des composantes constitutives de genres textuels (Schrott 2006). Si l’on comprend le genre textuel comme une configuration de traditions discursives, alors la complexité d’un genre textuel est marquée par une configuration de traditions discursives particulièrement dense et raffinée (cf. Schrott 2006, 20s. ; Schrott/Maaß 2010, 4). Dans le cadre de notre travail, il s’agira donc pour chacun des genres textuels du corpus synchronique (articles de presses, articles

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Concernant l’organisation des traditions discursives et des genres textuels voir Schrott (2006, 22).

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scientifiques de spécialité, discours parlementaire et communications informelles privées) et du corpus historique (La Chanson de Roland, les Coutumes de Beauvaisis, La Farce de Maistre Pathelin, le Discours de la Méthode, L’Avare, La Deffence de la langue françoyse) de formuler dans les chapitres 6 et 7 les règle de configuration des traditions discursives gérant les emplois des connecteurs dans les genres textuels. Le tableau 18 résume les différents savoirs impliqués lors de l’emploi des connecteurs : connecteur

activité (energeia)

savoir (dynamis)

universel historique

langage en général

cohésion/cohérence



langue particulière concrète

sémantique des connecteurs en français



individuel

discours

emploi des connecteurs : (règles traditions discursives) gérant l’emploi des connecteurs dans les genres textuels

texte

niveau

point de vue

produit (ergon)

Tableau 18 : les connecteurs prépositionnels dans le modèle du langage

D’après ce tableau, au niveau universel, les connecteurs (prépositionnels) sont, en tant que moyens producteurs de cohésion et de cohérence, relatifs au savoir élocutif. Au niveau du savoir historique, notre tâche sera de décrire la sémantique des connecteurs prépositionnels dans la langue française en synchronie mais également en diachronie. Au niveau du savoir discursif, nous mettrons en lumière les dépendances des connecteurs prépositionnels aux genres textuels ainsi que leurs fonctions pragmatiques. En d’autres termes, nous formulerons des règles portant sur l’adéquation de l’emploi de certaines formes selon les (con)textes. 3.3.5 Traditions discursives et changements linguistiques Dans la partie 3.3.2 Les types de savoirs et les connecteurs prépositionnels, nous avons montré que les traditions discursives sont subordonnées aux langues particulières. Sur la base de l’inventaire linguistique (lexème, syntaxe) d’une langue particulière, les actants choisissent les éléments et les façonnent conformément à une tradition discursive. En conséquence, et il s’agit d’un critère central, le choix et l’emploi des connecteurs peuvent être constitutifs d’un genre textuel en tant que complexe de traditions discursives. En d’autres termes, suivant les genres textuels choisis, certains connecteurs prépositionnels sont « ressentis » comme plus ou moins bien appropriés.61 Or, la production et la réception de la parole individuelle ne con-

––––––– 61

Afin de distinguer les éléments linguistiques des normes discursives, Wilhelm (2003, 228) reprend les deux critères évaluatifs déjà proposés par Coseriu (1988) : l’évaluation cor-

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sistent pas en une « simple » application des traditions et des règles, mais cette parole individuelle peut être le point de départ d’innovations et de variations. En effet, dans l’acte individuel de communication, le locuteur peut modifier les règles et les traditions préexistantes, et peut soumettre à son partenaire la reprise de nouvelles règles. Ainsi, le discours, en tant que processus, est non seulement l’endroit du prolongement (héritage) de règles linguistiques et discursives, mais, il est également le lieu où se produisent de nouveaux agencements d’éléments provenant de l’inventaire d’une langue particulière. C’est pourquoi, le discours doit être considéré comme le lieu des innovations (cf. Lebsanft 2005), le lieu donc où les traditions d’emploi sont transmises mais peuvent également être modifiée. Avec Koch (2005), le changement au niveau des traditions discursives peut être précisé. En effet, Koch (2005) introduit deux termes spécifiques qui décrivent de manière précise les changements linguistiques et traditionnels : le regulatum est la composante interne de chaque règle qui dirige le fait linguistique et le regulans désigne la condition qui gère l’emploi d’un élément linguistique. Cette distinction peut être illustrée à l’exemple de l’agencement des questions en français. Dans le domaine distal (= regulans), il est convenable d’employer la forme interrogative de l’inversion (= regulatum), par exemple Auriez-vous la gentillesse de nous envoyer votre dossier ? (Koch 2005, 232). Koch (2005) précise la répercussion de ces deux règles en invoquant la distinction effectuée par Gabelentz (1981 [1972], 141) entre l’histoire interne et l’histoire externe d’une langue particulière.62 Au niveau de l’histoire interne de la langue, les changements des regulata (règles internes) sont décrits.63 En revanche, au niveau de l’histoire externe de la langue, les conditions historiques et historico-culturelles sont invoquées afin de décrire la naissance, le changement et la disparition de regulantia.64

–––––––

62

63

64

recte, « Korrektheit », d’un élément s’effectue aux niveaux des langues particulières dans la grammaire, le critère de l’évaluation convenable, « Angemessenheit », juge l’emploi d’un élément et appartient aux règles de validités dans des situations de communication spécifique (les traditions discursives). Pour les connecteurs prépositionnels, le premier critère fait référence à l’emploi d’une forme selon les règles syntaxiques et sémantique, le second fait référence à la pertinence de l’emploi d’une forme cohésive selon la situation de communication. Depuis Gabelentz (1981 [1972], 141) on distingue l’histoire interne et l’histoire externe des langues particulière. L’histoire interne concerne les faits linguistiques (changements phonétiques, grammaticaux, lexicaux), tandis que l’histoire externe concerne les événements politico-historiques, économiques, culturels, religieux etc. propres à un territoire déterminé. Cf. Schrott (2006, 21). Aschenberg (2003, 6) indique que les propriétés inhérentes aux textes sont, entre autres, la standardisation d’aspects conceptuel et médial (réalisation phonique ou graphique), l’envergure textuelle, la disposition thématique, l’introduction et la clôture du discours, les procédés linguistiques de l’organisation des macro- et micro structures, la construction d’illocutions discursives. Plus le texte est standardisé, plus il serait facile de trouver des modèles et motifs standardisés. L’analyse des traditions discursives doit avoir recours aux informations livrées par le contexte historique réel. En ce sens il est nécessaire d’intégrer des événements historiques et culturels, tels que les changements d’époques marqués par un nouveau médium – comme la découverte de l’imprimerie, l’invention des courriels – afin d’expliquer l’avènement et les changements de traditions discursives (cf. Aschenberg 2003, 8). C’est pourquoi

162

Ainsi, Koch (2005) distingue deux types de changements linguistiques : le premier réside en la modification de faits linguistiques au sein d’une variété donnée, le second touche les marques variationnelles d’un fait linguistique à l’intérieur d’une variété (Koch 2005, 234s.). Le point commun entre ces deux changements est leur répercussion au sein d’une variété. Leur différence réside en leur champ d’application : tandis que le premier touche directement l’objet linguistique, le second opère sur les conditions d’emploi d’un objet linguistique. C’est sur ce second type de changement que nous nous interrogerons dans le chapitre 7. Un changement linguistique peut atteindre, à partir de la création d’un nouveau regulatum, dans une certaine variété et par la propagation de ses regulantia, la totalité des espaces de variété des langues particulières. Mais un changement linguistique, par la création d’un nouveau regulatum dans une certaine tradition discursive et la propagation des regulantia, peuvent tout aussi bien s’effectuer au niveau des traditions discursives, dans la mesure où les regulantia s’ouvrent à toujours plus de traditions discursives. Koch (2005) signale que des mélanges entre les deux scénarios sont concevables. Le point d’arrivée maximal d’un processus de changement – indépendamment de son ancrage dans une rame variationnelle d’une langue particulière ou d’une tradition discursive – est un état dans lequel le regulans englobe la totalité de la langue particulière historique. Nous pouvons émettre l’hypothèse que lorsque l’innovation connaît un degré maximal de propagation, il est, ex post, délicat de décider si l’innovation s’est propagée par la variété, ou seulement par quelques traditions discursives. La distinction entre les deux types est certainement plus évidente quand l’innovation reste implantée soit dans certaines variétés, soit dans certaines traditions discursives. En ce sens, les traditions discursives, qui sélectionnent les éléments linguistiques pour la constitution du texte, agissent comme des régulateurs : les traditions discursives seraient des regulans qui d’un regulatum – le savoir linguistique – choisissent certains éléments (Schrott 2006, 24 ; Koch 2002, 3). Ainsi, les traditions discursives et les genres textuels forment les articulations par le biais desquelles le changement linguistique peut être mis en rapport aux changements sociaux, et permettent d’établir un lien entre l’histoire interne et l’histoire externe d’une langue (cf. Schrott 2006).

3.4 Conclusion L’objectif du présent chapitre était de présenter et de justifier la méthode employée pour l’analyse et la description des profils sémantiques et pragmatiques des connecteurs prépositionnels dans les textes. Dans la première partie, les trois couples terminologiques sur lesquels repose l’analyse ont été présentés et leur signification pour la présente étude a été pondérée. La partie principale de l’étude s’effectue dans un

––––––– le desideratum de saisir des traditions discursives nécessite en outre la coopération d’autre disciplines telles que les lettres, la musicologie, la rhétorique, l’histoire culturelle, la diplomatie, l’histoire, l’histoire économique, l’histoire du droit, l’histoire de l’Église etc. (cf. Koch 1997, 56).

163

corpus synchronique en français contemporain. La rétrospective diachronique qualitative aura pour but d’éclairer les emplois de connecteurs choisis qui témoignent de la continuité ou de changements de normes (regulans). Tandis que l’étude en synchronie combine une évaluation qualitative et quantitative, l’analyse en diachronie est, en raison de son caractère exemplaire, essentiellement qualitative et garantira ainsi une analyse fine et nuancée des connecteurs étudiés. Enfin, alors que la classification des textes en genres textuels permet d’obtenir un corpus équilibré et représentatif, leur conceptualisation en traditions discursives permet de décrire les normes (regulans) gérant les emplois des connecteurs dans les genres textuels. L’analyse empirique des connecteurs prépositionnels est de type « corpusdriven » : la théorie des connecteurs prépositionnels dans le présent travail est développée à partir d’une évidence de corpus. Pour ce faire, au niveau synchronique, quatre genres textuels aux propriétés complémentaires sont considérés afin d’éclairer de manière nuancée les fonctions des connecteurs prépositionnels. L’analyse fondée des conditions d’emploi des connecteurs prépositionnels dans les textes nécessite cependant un concept plus pointu que celui des genres textuels. Ainsi, nous avons invoqué le concept de tradition discursive, présenté de manière détaillée et contrastée dans la partie 3.3 Le concept de tradition discursive. Dans ce cadre, nous avons indiqué les possibilités de description des connecteurs prépositionnels. Ainsi, les traditions discursives, qui correspondent au savoir expressif sur la configuration des genres textuels, gèrent l’adéquation de l’emploi de certains connecteurs en fonction du genre textuel dans lequel l’actant agit. Le savoir expressif est, de plus, le confluent des savoirs élocutif et idiomatique. Au niveau élocutif, les connecteurs prépositionnels répondent aux exigences de la règle générale de cohésion et de cohérence du langage. Au niveau idiomatique, les langues particulières disposent d’un inventaire de connecteurs (prépositionnels) réalisant la règle générale de cohésion. Ces règles gèrent l’acceptabilité des emplois des connecteurs. Au niveau expressif, en revanche, les normes (regulans) gèrent la pertinence et l’efficacité des emplois des connecteurs prépositionnels dans le discours. L’objectif du présent travail sera d’extraire et de formuler, pour chaque genre textuel, les conditions d’emploi ou règles discursives (regulans) qui gèrent l’adéquation et l’efficacité des connecteurs prépositionnels. Le concept tradition discursive contient, de plus, une composante historique. Une tradition discursive représente un savoir dynamique et modifiable qui intègre l’aspect historique au niveau individuel du texte. L’historicité des traditions discursives implique, par sa consistance dynamique, des changements au sein des traditions. Ces changements touchent le regulans, c’est-à-dire les conditions d’emploi d’une règle. Dans ce cadre, il sera particulièrement intéressant d’étudier l’interaction de traditions discursives sur le matériel linguistique, mais également, l’emploi des moyens linguistiques en réponse aux exigences des traditions discursives. Il s’agira donc de rendre compte des conditions d’emploi des connecteurs, de leur changement par rapport aux genres textuels et de leurs fins communicatives. Les traditions discursives en tant que savoir sur la production et la réception des textes se concrétisent dans les textes. Ainsi, le texte, en tant que confluent des savoirs élocutif, idiomatique et traditionnel discursif, s’impose – telle la pierre au sculpteur – comme matière privilégiée du chercheur en linguistique.

164

4 Modèle pragmatique et sémantique des connecteurs prépositionnels

L’objectif de ce chapitre est de présenter et de légitimer les catégories (et les annotations correspondantes) et leur organisation en un modèle apte à décrire les connecteurs prépositionnels sur l’arrière-plan des informations gagnées dans le premier chapitre. En effet, l’annotation des connecteurs prépositionnels dans les corpus pose deux difficultés : la séparation des catégories sémantiques et pragmatiques, et l’absence d’annotations sémantiques et pragmatiques spécifiques à notre objet de recherche.1 Le second obstacle nous a contraints à développer une annotation basée sur l’évidence de corpus afin de décrire avec précision les connecteurs prépositionnels. La séparation des catégories sémantiques et pragmatiques, quant à elle, s’avère délicate pour des catégories fonctionnelles discursives telles que celles des connecteurs prépositionnels car elles reçoivent leur fonction dans un co(n)texte et peuvent être polyfonctionnelles. Par exemple, la relation temporelle exprimée par certains connecteurs – telle que l’antériorité – peut être couplée de celle de la causalité (cf. Schmidhauser 1995). Une première démarche prévoyait une annotation des données primaires par des catégories pragma-sémantiques. Cet essai a avorté car il ne rendait pas compte de la réalité du corpus : les catégories trop vagues effaçaient d’une part la spécificité sémantique des connecteurs (simultanéité, début, antériorité) et ne permettaient pas, d’autre part, de distinguer les fonctions centrales de jonction et de parajonction. Pour cette raison, l’analyse des connecteurs prépositionnels dans le corpus synchronique s’effectue en deux temps et consiste en la détermination de fonction pragmatique et de valeur sémantique. Cette dichotomie est certes artificielle mais elle permet d’obtenir une description fine et tranchante des unités cohésives observées. Dans ce cadre, les catégories développées sont centrées sur le locuteur. La fonction exercée par un connecteur prépositionnel est conceptualisée comme une action réalisée par le moyen d’une technique. Au niveau terminologique, évoquons dores et déjà que le terme technique est intentionnel, c’est-à-dire qu’il est conceptualisé comme un moyen employé par le locuteur afin de produire une relation. Afin de

––––––– 1

Cf. Lemnitzer/Zinsmeister (2006, 85ss.). Les auteurs mentionnent trois niveaux d’annotation sémantique et leurs programmes respectifs : le niveau des mots (les programmes TIGER et TüBA-D/Z) ou des séquences de mots comme l’annotation d’un syntagme prépositionnel selon sa valeur locale ou temporelle (Penn Treebank), le niveau des lectures (cette annotation n’est cependant pas encore standardisée et se trouve encore dans une phase d’essai) et le niveau des frames sémantiques (le projet SALSA de Saarbrücken annote les annotations syntaxiques de la banque en arbre de TIGER avec des frames sémantiques).

garantir l’intelligibilité du modèle, ses huit composantes (fonction pragmatique : action, technique ; valeur sémantique : localisante, non-localisante ; interprétation pragma-sémantique et procédure) ont été visualisées dans le graphique ci-dessous :

2 action

3 technique

1 fonction pragmatique 8 procédure 7 interprétation pragmaticosémantique

4 valeur sémantique

5 localisante

6 non-localisante

Figure 10 : Modèle pragma-sémantique des connecteurs prépositionnels

Les parties du présent chapitre thématisent chacune des composantes du modèle selon leur « centre de gravité » pragmatique ou sémantique. Ainsi, dans une première partie, le focus portera sur les catégories pragmatiques du modèle : (1) fonction pragmatique, (2) action, (3) technique et (8) procédures.2 La seconde partie donnera une vue d’ensemble des catégories sémantiques : (4) valeurs sémantiques, (5) catégories localisantes et (6) non-localisantes et (7) les interprétations pragma-sémantiques.

––––––– 2

Les chiffres placés entre parenthèses font référence à la numérotation des catégories dans la Figure 10 : Modèle pragma-sémantique des connecteurs prépositionnels.

166

4.1 Les catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels La conception du modèle permettant de décrire des connecteurs prépositionnels est basée sur deux observations issues de l’analyse de corpus. Premièrement, comme l’avait d’ailleurs annoncé la présentation des paramètres de description des connecteurs dans le chapitre premier, l’analyse de corpus montre que, pour saisir l’éventail sémantique et pragmatique des connecteurs prépositionnels, la séparation stricte entre jonctions et parajonctions n’est pas pertinente.3 En effet, certains connecteurs considérés primairement comme des jonctions peuvent, dans certains contextes, être employés comme des parajonctions. Ainsi, dans l’exemple (80), le connecteur contenant une préposition non-localisante parce que est employé au début d’un turn afin de simuler un acte de justification de prise de parole : (80) *MAR : eh ouais / la nuit / c’est fait pour aller au Sunset / # quoi // *SOP : hhh %exp: rires (hhh) alors {C} {IS} {PG} {interpel} donc / *ANT : *MAR : oh non / moi j’ai rien à dire // *SOP : < parce que {C} {ISA} {PNL} {CAU} {turn} > alors {C} {IS} {PG} {act} (Oral) De même, certains connecteurs contenant par exemple des prépositions temporelles fonctionnent au niveau syntaxique comme des jonctions appartenant à la classe des subordinations. Au niveau syntaxique, elles sont fortement intégratives, au niveau pragma-sémantique en revanche, elles ordonnent, tels des marqueurs discursifs, des éléments sur l’axe temporel de la narration. (81) Le prince Nayef, vice-ministre de l’intérieur, ne souffre que de blessures superficielles après qu’ {C} {RSA} {PT} {ANT} {CAU} {resp} un kamikaze qui avait pu l’approcher a fait exploser la charge qu’il portait sur lui. (Le Monde) La fonction d’un connecteur ne peut donc être déterminée selon la forme analysée mais elle doit être fixée par l’emploi du connecteur en contexte (cf. Tognini-Bonelli 2001). La deuxième remarque concerne la conception des fonctions des connecteurs prépositionnels. Sur la base de l’étude de corpus, il semble pertinent de combiner les modèles permettant de décrire les jonctions et les parajonctions. Cette mise en relation sous-entend la présence de points communs. En effet, les jonctions et parajonctions semblent effectuer des actions qui leurs sont communes : ces actions sont la représentation d’événements ou de faits, l’explicitation de la technique au niveau de

––––––– 3

Voir les parties 1.2.4 Les connecteurs et les marqueurs discursifs pour une délimitation des concepts de connecteurs (jonctions) et marqueurs discursifs (parajonctions) et 1.3.2 Un connecteur, différents niveaux de liage pour la distinction des emplois des marqueurs discursifs à partir du modèle proposé par Traugott/Dasher (2002).

167

la matière textuelle et l’interaction agissant aux niveaux des actes de langage. Si ces actions sont communes aux jonctions et aux parajonctions, leurs réalisations se distinguent en revanche au niveau des techniques : tandis que les actions effectuées par les parajonctions sont réalisées avec une technique structurante, les actions réalisées par les jonctions tendent à employer une technique argumentative. La figure 11 représente les fonctions organisées selon les actions et techniques des connecteurs prépositionnels : profil pragmatique des connecteurs contenant des prépositions action

technique structurante

argumentative

interaction

{IS}

{ISA}

{IA}

explicitation

{ES}

{ESA}

{EA}

représentation

{RS}

{RSA}

{RA}

Figure 11 : modèle fonctionnel des connecteurs prépositionnels

Dans le cadre de ce travail, les fonctions des connecteurs prépositionnels seront conceptualisées comme des entités complexes comprenant une action et une technique. Dans les corpus, le tag {C} signalise que l’expression précédente appartient au paradigme des connecteurs prépositionnels. Après l’identification du connecteur suit le tag de sa fonction pragmatique. Dans ce cadre, l’analyse de corpus nous a permis de distinguer neuf possibilités. Ces tags notés entre parenthèses correspondent aux initiales de l’action et de la technique en présence :         

{RS} : {RSA} : {RA} : {ES} : {ESA} : {EA} : {IS} : {ISA} : {IA} :

représentation structurante représentation structurante argumentative représentation argumentative explicitation structurante explicitation structurante argumentative explicitation argumentative interaction structurante interaction structurante argumentative interaction argumentative

Les actions de représentation, d’explicitation et d’interaction sont toujours couplées d’une technique qui peut être simple ou complexe. La technique complexe associe la structuration (technique typique des parajonctions) à l’argumentation (technique typique des jonctions) et marque ainsi le passage de la jonction à la parajonction ou de la parajonction à la jonction. Aussi, l’organisation des fonctions en classe de jonctions et de parajonction peut être visualisée par la figure 12 : parajonction parajonction

{IS}

{ISA}

{IA}

{ES}

{ESA}

{EA}

{RS}

{RSA}

{RA}

jonction

jonction

Figure 12 : fonction des connecteurs prépositionnels en jonctions et parajonctions

168

La technique typique des parajonctions est la structuration tandis que les jonctions sont typiquement argumentatives. Au niveau des actions, la représentation et l’interaction peuvent être considérées, pour des raisons pragma-sémantiques et syntaxiques, comme situées à l’intersection entre les deux classes. En effet, dans l’exemple (80), la structuration des événements (fonction typique des marqueurs discursifs) est, par la subordination, fortement intégrative (fonction typique des jonctions). En conséquence, les connecteurs prépositionnels employés avec les fonctions {RS} {ES} et {IS} sont des représentants plutôt typiques de la classe des parajonctions et, les connecteurs prépositionnels employés avec les fonctions {RA} {EA} et {IA} sont des représentants plutôt typiques de la classe des jonctions. Les autres fonctions en revanche présentent un rattachement aux deux classes en raison de la technique hybride structurante argumentative {_SA}. De plus, une intersection des deux classes a lieu au niveau des fonctions {RS} et {IA}. En effet, les connecteurs en fonction de représentation structurante, {RS}, doivent être, en raison de leur technique structurante, considérés comme des parajonctions (cf. Adam, 2006, 118ss.). Ainsi, dans l’exemple (82), le connecteur prépositionnel ensuite réalise une représentation structurée des événements : (82) MM. Nétanyahou et Mitchell ont estimé « nécessaire de commencer des négociations constructives entre Israël et les Palestiniens pour avancer vers un accord de paix régional ». Ils ont ensuite {C} {RS} {PG} {POS} appelé « toutes les parties à prendre les mesures permettant de faire progresser la paix ». (Le Monde) Ici, ensuite structure la succession de deux événements sur la ligne horizontale du temps : « ils ont estimé nécessaire » et « ils ont appelé ». De même, dans l’exemple (83), le connecteur avant que réalise une structuration événementielle : (83) Elle n’aurait sans doute pas tenu les mêmes propos avant que {C} {RS} {PT} {POS} Tony Blair soit élu en 1997. (Le Monde) Certes, d’un point de vue syntaxique avant que appartient à la classe des conjonctions de subordination, cependant dans l’optique pragma-sémantique du présent travail, le connecteur prépositionnel avant que, en raison de sa fonction de représentation structurante, se situe à l’intersection des parajonctions et des jonctions. De même, le connecteur parce que, qui dans ses emplois conventionnels est une conjonction de subordination, se situe en fonction {IA} à l’intersection des catégories jonction et parajonction. En effet, en fonction d’interaction argumentative, le connecteur parce que peut réaliser une procédure de commentaire : (84) *EST : *DEL : *EST : / parce que {C} {IA} {PNL} {comment} moi mes parents ont un appart &euh # à Cannes / (Oral) Dans l’exemple (84), EST et DEL parlent d’une amie qui recherchait un logement à Cannes. DEL explique que cette amie a trouvé un hébergement précaire. EST réagi alors aux propos de DEL en distant « c’est bête tu aurais dû me le dire avant ». Avec le connecteur prépositionnel parce que EST introduit un commentaire portant sur 169

son intervention et témoigne ainsi de la cohérence de ses propos. Ce commentaire peut être glosé par « je te dis ça parce que mes parents ont un appartement à Cannes ». Ainsi employés, les connecteurs se situent au niveau pragma-sémantique à l’intersection des jonctions et des parajonctions car, ils réalisent au moyen d’une technique argumentative (jonction) une valeur procédurale (parajonction) dont l’interprétation dépend de la situation d’énonciation. En conséquence, les fonctions des connecteurs prépositionnels situées à l’intersection des classes des jonctions et parajonctions sont {RS}, {RSA}, {ESA}, {ISA} et {IA}. Les fonctions nucléaires des deux classes sont pour les jonctions {RA} et {EA} et pour les parajonctions {ES} et {IS}. Nous reviendrons à plusieurs reprises sur ce point au cours de ce chapitre et du chapitre 4. Notons que comme toutes figures schématiques, cet organigramme fonctionnel fonde une représentation rigide simplifiée de la réalité linguistique. Aussi, cette organisation modulaire des fonctions des connecteurs prépositionnels sera considérée comme une orientation pour l’annotation du corpus. En ce sens, chacune des fonctions comprenant une action et une technique est conceptualisée comme comprenant un nucleus fonctionnel typique laissant place à des emplois plus périphériques. C’est pourquoi la partie suivante sera vouée à la présentation de représentants typiques de chacune des fonctions afin d’assurer l’intelligibilité du modèle proposé pour la description des connecteurs prépositionnels. Une dernière remarque doit être faite avant d’effectuer cette présentation. En effet, les deux éléments de la fonction sont indissociables lors de la description des connecteurs prépositionnels en contexte, d’où leur annotation commune. Cependant, dans le prochain chapitre, une séparation artificielle sera entreprise afin de présenter chacune des composantes fonctionnelles avec plus de clarté.

4.2 Les actions : représentation, explicitation et interaction La catégorie des actions correspond au numéro (2) de la figure 10. La recherche sur les connecteurs (jonctions)4 considère couramment que, d’un point de vue pragmatique, les connecteurs peuvent opérer sur trois niveaux : propositionnel, épistémique et illocutoire.5 Concernant les marqueurs discursifs (parajonctions), Traugott/Dasher (2002) distinguent également trois niveaux : propositionnel, textuel et (inter)subjectif. A première vue, cette tripartition des emplois des parajonctions et des jonctions semble plutôt ancrée dans une perspective diachronique. Cependant, la recherche a mis en lumière que ces trois types d’emploi peuvent également être distingués dans une perspective synchronique (cf. Maaß/ Schrott 2010b ; Stoye 2010 ; Degand/Fagard 2008). Lorsqu’une même forme remplit différentes fonctions en synchronie, on parle alors de polyfonctionnalité. En raison de la réalité de corpus, le présent modèle se propose d’associer ces deux groupes de niveaux : celui concernant les emplois des jonctions, et celui concernant les emplois des parajonctions. Les catégories évoquées – propositionnelle, épisté-

––––––– 4 5

Voir le chapitre 1.1.2 Une fonction, différents degrés d’intégration. Voir la partie 1.3.2 Un connecteur, différents niveaux de liage.

170

mique/textuelle et illocutoire/intersubjective – sont certes des entités abstraites et à première vue difficilement applicables à l’analyse d’un corpus. Cependant, elles se sont avérées utiles quant à la détermination de différents types d’emploi d’un même connecteur. Aussi, malgré les distinctions sensibles entre ces trois niveaux, ceux-ci ne doivent pas être réfutés ou ignorés car ils permettent saisir la distinction centrale entre jonction et parajonction.6 Toutefois, en raison de l’étude de corpus, les catégories abstraites couramment employées seront abandonnées au profit de catégories pragmatiques orientées vers les actions effectuées et les techniques employées par le locuteur en utilisant un connecteur prépositionnel. Ce sont donc les actions réalisées par le locuteur, comme actant d’une tradition discursive, qui se situent au centre de ce modèle. Une particularité de ces catégories d’actions réside en leur pertinence aussi bien quant à la description des jonctions que des parajonctions. Dans le présent travail, la catégorisation des connecteurs prépositionnels ne s’effectue pas sur la base de systèmes descriptifs distincts, mais sur un seul et unique modèle regroupant la classe des jonctions et des parajonctions. À l’image de la fonction textuelle dominante (Brinker 2001, 95), nous sommes partis du principe d’une fonction connective dominante afin d’attribuer une fonction aux connecteurs prépositionnels. 4.2.1 L’action de représentation : description événementielle Les connecteurs prépositionnels peuvent être employés par le locuteur afin de décrire et de représenter une situation, des événements, des faits. L’action de représentation peut être aussi bien employée avec une technique argumentative, une technique complexe ou structurante comme dans l’exemple suivant : (85) MM. Nétanyahou et Mitchell ont estimé « nécessaire de commencer des négociations constructives entre Israël et les Palestiniens pour avancer vers un accord de paix régional ». Ils ont ensuite {C} {PG} {RS} {POS} appelé « toutes les parties à prendre les mesures permettant de faire progresser la paix ». (Le Monde) Dans l’exemple (85), le connecteur prépositionnel ensuite est employé par le locuteur afin de structurer la représentation des événements sur l’axe temporel : ensuite indique qu’aux négociations suivront des mesures de paix. L’action de représentation est définie dans le présent travail comme la mise en relation d’événements ou de faits. Cette action peut donc correspondre au niveau propositionnel de l’emploi des connecteurs. Fréquemment, le niveau propositionnel est considéré comme factuel ou objectif ; cela signifie que le locuteur ne laisse peu ou pas de traces de son point de vue.7 Dans leur étude concernant les connecteurs causaux parce que et car, Degand/Fagard (2008) distinguent cinq degrés d’implication du locuteur lors de la mise en relation causale : relation causale non volitive, causale volitive, causale mentale, causale épistémique, causale interactionnelle.8 Selon les auteurs, le locuteur ne serait pas impliqué dans la mise en relation objective et factuelle du premier degré.

––––––– 6 7 8

Voir la partie 1.1.2 Une fonction, différents degrés d’intégration. Cf. Degand/Pander Maat (2003) ; Pander Maat/Degand (2001) ; Rossari/Jayez (1996). Voir la partie 1.3.2 Un connecteur, différents niveaux de liage.

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Or, la représentation est une action qui, en tant que telle, est effectuée par un agent, le locuteur. Si l’individualité et la subjectivité du locuteur ne se situent pas au premier plan, la présence du locuteur ne peut être niée. Donc, l’action de représentation sous-entend la présence du locuteur en tant qu’observateur, traducteur ou scribe de faits relatés. Aussi, l’action de représentation inclut-elle la catégorie de mise en relation volitive évoquée par Degand/Fagard (2008) impliquant un protagoniste conscient qui réalise un acte volontaire. Au centre de l’activité de représentation se situe la perception d’événements (au sens large) et leur mise en rapport par le locuteur. Le rôle du locuteur peut alors être défini comme celui d’un observateur et interprète qui guide, par l’emploi des connecteurs et de leur valeur ajoutée, l’interprétation des événements. Pour reprendre les termes de Hölker (1988), lors de l’action de représentation, le locuteur parle essentiellement d’une situation (Situationüber), le signe présente alors majoritairement une fonction de symbole. En revanche, les deux actions qui seront présentées dans les parties suivantes correspondent chez Hölker (1988) aux catégories des particules qui agissent dans la situation dans laquelle on parle (Situationin). 4.2.2 L’action d’explicitation : instrumentalisation de la matière textuelle Le terme explicitation, emprunté ici, se réfère aux emplois métacommunicatifs,9 non nécessairement transparent, des connecteurs prépositionnels. Avec l’action d’explicitation, le locuteur agit sur la matière textuelle au moyen de techniques structurante ou argumentative. Le locuteur travaille et agit sur la matière textuelle en lui conférant soit une structure, soit une valeur argumentative. Autrement dit, le locuteur rend, par l’emploi d’un connecteur, la structure de la matière textuelle intelligible – d’où le terme explicitation – pour l’interlocuteur, car il structure la matière textuelle de manière explicite. De même, le locuteur rend son raisonnement intelligible car il explicite sa valeur argumentative pour l’interlocuteur. Au niveau de l’action d’explicitation, la technique c’est-à-dire la structuration ou l’argumentation joue un rôle primordial. La catégorie explicitation employée avec les techniques de structuration ou d’argumentation ou avec la technique complexe structurante argumentative ont en commun l’action du locuteur sur la matière textuelle. Soit le texte est conçu comme une matière sécable que l’on peut articuler (technique structurante), soit il est conçu comme une matière qui peut être instrumentalisée en un argument, contre-argument ou conclusion. En ce sens, l’action d’explicitation correspond au niveau textuel (parajonction) et épistémique (jonction). Dans la mesure où le locuteur articule et instrumentalise les parties du texte, le connecteur peut être perçu comme une instruction adressée à l’interlocuteur l’incitant à traiter la matière textuelle comme un début, une suite ou une fin (technique structurante), ou comme un argument, un contre-argument ou une conclusion (technique argumentative). Dans le cadre de l’action d’explicitation, les fonctions récurrentes distinguées par Bühler (1934) et Jakobson (1960), et évoquées par Hölker (1988, 6ss.), sont d’ordre métalinguistique (pour les parajonctions) et d’appel ou conative (pour les jonctions).10

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Voir la partie 4.2 Les actions : représentation, explicitation et interaction. Voir la partie 1.3.2 Un connecteur, différents niveaux de liage.

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En effet, quand le locuteur explicite la technique structurante, alors il organise et hiérarchise la matière textuelle et les éléments du discours : il impose une structure au texte tout en guidant le locuteur. (86) M. FRANÇOIS ZOCCHETTO. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise ce matin nous permet d’aborder trois questions : tout d’abord {C} {ES} {PG} {DEB}, celle du cumul des mandats sociaux dans les entreprises ; ensuite {C} {ES} {PG} {POS}, celle du cumul de fonctions dans des entreprises publiques et dans des entreprises privées ; enfin {C} {ES} {PG} {ARR}, celle de la place des femmes dans la gestion ou la direction des entreprises. (Sénat) Dans l’exemple (86), les connecteurs prépositionnels tout d’abord, ensuite et enfin remplissent la fonction d’explicitation structurante en conférant au texte, en l’occurrence aux questions traitées par le discours de M. Zocchetto, une structure hiérarchique. En effectuant cette action, le locuteur prend alors le rôle d’un organisateur. La fonction communicative qui découle de la combinaison de l’activité d’explicitation et du mode de structuration peut être considérée comme métacommunicative qui, pour reprendre les termes de Maaß (2010a, 220ss.), assure la compréhension du discours. Quand le locuteur agit sur la matière textuelle avec la technique argumentative, il s’agit de l’argumentation au sens étroit.11 Ce ne sont plus des événements que le locuteur présente avec une technique argumentative, mais il confère à la matière textuelle le rôle d’un argument ou contre-argument qui fonctionne comme une preuve en vue d’une conclusion consistant en un jugement, un verdict ou un pronostique. Pour reprendre la classification de Degand/Fagard (2008, 122s.), cette action comprend les catégories de la cause mentale et de la cause épistémique.12 La cause mentale réside en une justification d’un état d’esprit et la cause épistémique est une preuve en faveur d’une conclusion. Ces deux types de causalité sont englobés dans la catégorie action d’explicitation avec la technique argumentative. En effet, dans les deux cas, le locuteur est un investigateur à la recherche de preuves, de symptômes – d’arguments, de contre-arguments – lui permettant de tirer des conclusions, d’émettre un diagnostic ou une hypothèse. Ici, ce qui est central, c’est la volonté du locuteur de créer des vérités, des hypothèses, d’émettre un jugement. (87) *SOP : d’ailleurs {C} {ESA} {PG} {ADD} / c’est pas un skin / parce qu’ {C} {EA} {PNL} {CAU} {preu} ils sont jamais seuls // # *ANT : // (Oral) Dans l’exemple (87), SOP appuie son jugement « c’est pas un skin » sur un argument introduit par parce que : « ils ne sont jamais seuls ». L’argument « ils ne sont jamais seuls » peut être interprété comme une preuve, un symptôme, un indice pour

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Cf. Rezat (2009, 471) ; Breindl (2004, 20) ; Morel (1996, 14ss.). Voir la partie 1.3.2 Un connecteur, différents niveaux de liage.

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le diagnostic « c’est pas un skin ». Ce jugement est explicitement acquiescé par l’interlocuteur ANT « ouais // c’est vrai ». De même, dans l’exemple (88) issu du corpus Sciences, l’auteur de l’article didactique formule ses attentes envers un manuel d’apprentissage d’anglais : (88) […] au vu des documents proposés par Harrap’s et English for Dummies, on pourrait s’attendre à ce qu’ils visent un public adulte qui décide de reprendre l’étude de l’anglais dans un but professionnel. Ils abordent, en effet {C} {EA} {PG} {CAU} {preu}, des thèmes introduisant les voyages d’affaires et le monde du travail. (Sciences) Les attentes formulées dans le cotexte de gauche sont étayées par des indices introduits par en effet. L’énoncé peut être glosé par « on pourrait s’attendre à ce qu’ils visent un public adulte, la preuve ils abordent les thèmes des voyages d’affaires et le monde du travail ». En effet introduit des preuves, des arguments qui viennent étayer l’hypothèse précédemment énoncée. A l’image des indicateurs proposés par Breindl et Waßner (2005) pour les lectures sémantiques,13 certains éléments situés dans le cotexte des connecteurs prépositionnels peuvent favoriser la fonction {EA} : le verbe être témoignant de l’assignation de qualité, les verbes et marqueurs modaux témoignant des croyances des actants comme sembler, paraître etc., le conditionnel, ou certains lexèmes comme s’attendre à ce que dans l’exemple (85).14 En ce sens, les événements, les faits présentés ne sont plus primairement perçus en tant que tels, mais sont interprétés comme des preuves, des indices15 ou pour reprendre le terme de Bühler (1934) comme des signaux.16 Le point commun des actions de représentation et d’explicitation est la détention d’une valeur sémantique. Ces valeurs sémantiques et leurs diverses interprétations seront thématisées dans le chapitre 4.5 Catégorisation sémantique des connecteurs prépositionnels. L’action d’interaction en revanche ne dispose plus de valeur sémantique mais elle correspond à une procédure, d’où le nom d’interaction. Les actions d’explicitation et d’interaction agissent cependant toutes deux dans la situation dans laquelle le locuteur parle (Situationin).

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16

Voir la partie 1.2.3.3 Polysémie et liens sémantiques. Wienen (2006, 275ss.) assigne une valeur épistémique aux constructions connectives clivées employées avec un verbum dicendi ou cogitandi. Les termes d’indices et de preuves ont été empruntés à la tradition rhétorique voir Göttert (31998, 33ss.) et Eggs (1994). Voir la partie 1.3.2 Un connecteur, différents niveaux de liage.

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4.2.3 L’action d’interaction :17 caractère dialogique L’analyse de corpus documente une dernière action qui consiste en une interaction. Dans le cadre de la présentation du modèle de la parole proximale et distale, Ágel/Hennig (2007b, 193s.) mentionnent que le terme interaction connaît différents emplois correspondant à divers interprétations. Ágel/Hennig (ibid., 194) optent pour une définition étroite selon laquelle l’interaction est une action commune des partenaires de communication lors de la formation linguistique du processus de communication. Dans le cadre de la linguistique interactionnelle de l’analyse conversationnelle ethnométhodologique, en revanche, le terme connaît une interprétation large et se réfère aux interactions sociales en général.18 Nous employons le terme d’interaction dans son sens ethnométhodologique car, comme nous le verrons, il permet de saisir la variété des procédures réalisées par les connecteurs prépositionnels. En employant des connecteurs prépositionnels lors d’une interaction, le locuteur agit sur des actes de langage. Cette catégorie d’action peut être identifiée au troisième niveau pragmatique, le niveau illocutoire distingué par Sweetser (1990, 78ss.). D’après Degand/Fagard (2008), lors de la relation causale interactionnelle, le locuteur apparaît principalement comme locuteur effectif19 qui justifie moins le contenu propositionnel et plus l’acte assertif ou interrogatif. Si la formulation, « le locuteur n’est pas impliqué en tant que personne pensante » employée par Degand/Fagard (2008, 123), est problématique (comment une personne non-pensante pourrait-elle justifier ses dires ?), la définition de la cause interactive, proposée par les auteurs, présente l’avantage d’être nuancée. En effet, elle souligne que ce sont les actes de langage qui se situent ici au premier plan, relayant ainsi le contenu propositionnel à l’arrière-plan.20 L’exemple cité par les auteurs est le suivant : (89) Tu peux me donner ton âge, parce qu’il me le faut pour l’enquête. Cet exemple peut être glosé par « tu peux me donner ton âge ? Je te demande cela parce qu’il me le faut pour l’enquête ». Dans ce cas de figure, le locuteur commente son acte de demande : il est commentateur. Nous justifions le terme d’interaction, dans la mesure où le commentaire peut être conçu comme une réaction du locuteur par rapport à la détection d’une faille dans le discours qu’il comble de manière ré-

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20

L’expression action interactive doit être délimitée par rapport à l’expression de relation interactive employée par Roulet (2006). Tandis que Roulet (2006, 120) emploie l’adjectif interactif/interactive pour désigner la relation qui porte « sur un constituant de l’intervention et une information en mémoire discursive », l’action d’interactivité porte ici sur l’interaction entre les êtres et entre les actes de langage, qui est plus intuitive, comme l’admet Roulet lui-même. Cf. Selting/Couper-Kuhlen (2000) ; Gülich/Mondada (2008). D’après Ducrot (1984, 193ss.) le sujet parlant est l’être empirique. Il est le producteur effectif de l’énonciation (de l’articulation de l’énoncé). La théorie de la polyphonie est traitée dans la partie de chapitre 1.3.3 Les connecteurs et la théorie de la polyphonie. Voir l’analyse de l’opérateur et du connecteur parce que proposée par Moeschler (1996) également thématisée dans la partie 1.3.2 Un connecteur, différents niveaux de liage.

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troactive. Cette réaction anticipée peut être représentée comme un dialogue entre deux protagonistes A et B dialogique :21 -

A : Tu peux me donner ton âge ? B : Pourquoi tu me demandes cela ? A : Je te demande cela, parce qu’il me le faut pour l’enquête.

Le caractère dialogique parfois implicite de l’emploi d’un connecteur dans le but d’éviter ou, au contraire, de provoquer (par exemple alors ?) une action, justifie donc le terme interaction. Au-delà du commentaire de ses propos, le locuteur apporte un argument en faveur de sa requête. Il y a donc également ici une fonction d’appel qui ne réside pas primairement en une adhésion ou désapprobation des jugements émis par le locuteur, mais préméditant l’intervention du partenaire de conversation. Le locuteur introduit avec parce que un argument dont l’objectif est de promouvoir la coopération de l’interlocuteur. En d’autres termes, le locuteur négocie avec parce que la coopération de l’interlocuteur. La réalisation concrète de cette coopération peut consister en une réaction par une prise de parole directe, par exemple le partenaire accepte ou n’accepte pas de répondre à la requête. Par ailleurs, l’introduction d’une justification d’un acte de parole avec parce que est un moyen économique : l’interlocuteur n’a pas besoin de prendre la parole pour poser la question de compréhension car le locuteur anticipe cette interrogation en justifiant son intervention. De même, l’exemple (90) documente un emploi du connecteur parce que usité afin de commenter et donc d’assurer la pertinence de l’acte assertif situé dans le cotexte à gauche du connecteur prépositionnel : (90) *CHA : / son copain / # et &euh samedi / # &euh _P1 / parce que {C} {IA} {PNL} {comment} le copain de ma sœur s’appelle _P1 voulait se trouver un manteau // #donc on a fait tous les magasins à Rochefort / &euh la zone commerciale de La Rochelle // # (Oral) Dans cet exemple, CHA raconte son weekend à son amie MAR. Elle énumère les personnes présentes et nomme un prénom, ici représenté par l’abréviation P1. Après coup, CHA suppose que MAR n’est pas en mesure d’identifier le référent du prénom en question, et anticipe la demande potentielle de MAR qui peut être glosée par Mais qui est P1, puisque tu parles de P1 ? Afin de contrecarrer le manque de cohérence suspecté, CHA introduit avec parce que une information supplémentaire qui pourrait être paraphrasée par « je parle de P1, parce que P1 est le nom du copain de ma sœur ». En introduisant cette information avec le connecteur parce que, CHA assure l’intelligibilité de ses propos, de son intervention pour l’interlocuteur sans qu’il ait besoin de poser la question qui est P1 ? Par le processus d’anticipation, le connecteur parce que est proche d’un connecteur d’autocorrection anticipée. Dans la catégorisation fonctionnelle effectuée par Kotschi (1992, 367ss.), il peut être comparé à c’est-à-dire, employé comme un connecteur de reformulation indiquant que le locuteur se présente comme un énonciateur qui constitue sa contribution linguistique de manière insuffisamment claire. Ici, parce que indique que l’information P1 est

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Cf. Detges/Waltereit (2007, 73ss.).

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équivalente au copain de ma sœur.22 En outre, parce que, employé comme connecteur introduisant un commentaire sur l’acte d’énonciation – d’où la marque procédurale {comment} – rend compte du processus dynamique de formation discursive.23 Le locuteur réagit comme s’il avait détecté une faille qu’il tente de combler de manière rétroactive. Dans ce but, il signale rétroactivement que l’acte de langage est pertinent dans la situation d’énonciation. Lors de l’interaction, le locuteur agit auprès d’interventions (actes de langage) précédentes ou futures. En employant des connecteurs, le locuteur invite l’interlocuteur à suivre le fil de ses idées, ou l’incite à réagir. Lors de cette action, la valeur sémantique des connecteurs n’est plus au premier plan, mais c’est une valeur procédurale qui prend le dessus.24 C’est pourquoi, au niveau de l’interaction, les valeurs sémantiques ont été remplacées par des valeurs procédurales. L’information procédurale est souvent opposée à une valeur propositionnelle ou conceptuelle (cf. Sperber/Wilson, 1986). Elle peut être définie comme une information supplémentaire (ou valeur ajoutée) que livre le locuteur lorsqu’il soupçonne que son interlocuteur peut avoir des difficultés à construire un contexte adéquat (cf. Schröpf 2009, 51ss.). Dans le corpus synchronique, onze valeurs procédurales ont pu être détectées : l’actualisation du contact {act}, l’amplification {ampli}, le commentaire {comment}, la confirmation {conf}, l’impatience {imp}, l’interpellation {interpel}, la prise de parole {turn}, la proposition {prop}, la rectification {rect}, la reformulation {ref} et le soulagement {soula}. Une présentation détaillée de chacune de ces procédures serait peu pertinente dans le cadre de ce chapitre, pour cela nous renvoyons à l’analyse des connecteurs prépositionnels dans les corpus.25 Toutefois, afin de préciser les propriétés centrales des procédures réalisées par les connecteurs prépositionnels, nous focalisons notre attention sur un éventail représentatif de sept exemples : le turn, l’interpellation, la confirmation, la reformulation, la rectification, l’impatience et la proposition. Dans le cadre d’une interaction, les connecteurs prépositionnels marquant le contact entre les locuteurs jouent un rôle central et réalisent trois procédures distinctes : la marque d’une prise de parole ou le début d’un turn {turn}, le maintien ou l’actualisation du contact {act}, et l’interpellation de l’allocutaire {interpel}. Par exemple en (91), ANT marque explicitement sa prise de parole avec le connecteur contenant une préposition grammaticale alors : (91) *ANT : < alors {C} {IS} {PG} {turn} mais> moi en fait {C} {IA} {PG} {conf} [/] parce que {C} {RA} {PNL} {CAU} {resp} quand même / # j’ai quand même une certaine conscience hhh scolaire // (Oral) Alors produit un lien, qui peut être fictif, entre des propos précédents et l’intervention de ANT. Par ailleurs, l’actualisation de contact peut être interprétée comme une marque d’hésitation ou comme un changement thématique (cf. Maaß/Schrott 2010b, 16ss.).

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Voir la partie 1.3.3 Les connecteurs et la théorie de la polyphonie. Voir l’analyse discursive de cependant proposée par Mellet/Monte (2008, 233ss.). Voir la partie 1.3.4 Les connecteurs et les marqueurs discursifs. Voir en particulier la partie 6.4.2.1 Les actions dans le corpus Oral.

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Par la procédure d’interpellation, le locuteur souligne et marque la fin de l’acte de donation du droit de parole (turn-giving). Il indique à son partenaire que c’est désormais à lui de prendre la parole et/ou de répondre à la question posée. Dans ce cas, le connecteur alors peut être employé seul et peut être alors considéré comme un backchannel (cf. Maaß/Schrott 2010b). Dans l’exemple (92), alors est placé à l’extrémité droite de l’intervention de NAT qui consiste en un acte interrogatif à intonation montante. (92) *NAT : et qu’est-ce que tu as acheté d’autre alors {C} {IS} {PG} {interpel} ? *MAI : et ben on a acheté &euh la table avec les quatre chaises / # septcent balles // # (Oral) Ici, alors indique que l’intervention de NAT est close et invite le partenaire de conversation à prendre la parole à son tour, ce que MAI effectue en répondant à la question posée. La procédure de confirmation, notée {conf}, consiste soit en une demande de confirmation du locuteur auprès de son partenaire, soit en une confirmation des propos de l’allocutaire par le locuteur actuel, ou bien encore le locuteur confirme lui-même ses propres dires (cf. Métrich/Faucher/Courdier 21993, T.4, 185). (93) *SOP : donc [/] donc c’est nickel quoi // c’est [/] tu as des fleurs de partout // du gazon de partout // et c’est hyper joyeux en fait {C} {IA} {PG} {conf} // # si tu [/] les gens ils y vont pour &euh pour &euh # se promener pour &euh [/] pour &euh # être [/] je sais pas // ça doit être pour eux [/] ils doivent être [/] se sentir en paix // j’en sais rien // je sais pas // # (Oral) Dans l’exemple (93), SOP confirme ses propos en employant un connecteur contenant une préposition grammaticale en fait. La reformulation et la rectification peuvent être conceptualisées comme deux procédures proches l’une de l’autre. Il semblerait que la reformulation implique une rectification, tandis qu’une rectification n’est pas toujours accompagnée d’une reformulation. Kotschi (1992, 367s.) exprime la différence entre la reformulation et la correction prototypique (ou en nos termes la rectification) pour le connecteur c’està-dire comme suit : lors d’une reformulation, le point de vue pris en charge par E1 est encore valable, mais moins précis que le point de vue de E2 ; lors d’une correction, en revanche, le point de vue défendu par E1 n’est plus valable pour la suite du discours. En ce sens, la reformulation peut être considérée comme un cas particulier de la rectification. (94) *MAR : ouais // apparemment / dans le sud de la France / enfin {C} {IS} {PG} {ref} ici quoi / # sur Aix Marseille / (Oral) Dans l’exemple (94), MAR conçoit le point de vue de l’énonciateur E1 « dans le sud de la France » comme trop vague. Aussi, par l’emploi du connecteur prépositionnel enfin, elle introduit le point de vue plus précis pris en charge par E2 « sur Aix Marseille ». Il s’agit d’une procédure de reformulation.

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(95) *DEL : // *CHR : enfin {C} {ISA} {PG} {rect} / moi je suis passé juste une fois // (Oral) Dans l’exemple (95), en revanche, enfin n’introduit pas une reformulation de l’énoncé précédent mais émet une pondération par une rectification de la valeur de vérité du point de vue présenté par l’énonciateur E1. Enfin réalise ici une procédure de rectification, l’énoncé précédent n’est plus valable pour la suite du discours. La procédure d’impatience correspond à une fonction émotive,26 dans la mesure où elle marque un affect du locuteur lié à l’évaluation d’événements. (96) Après plusieurs jours d’incertitudes, le chef de l’opposition conservatrice en Pologne, Jaroslaw Kaczynski, a enfin {C} {PG} {IS} {ARR} {imp} levé le voile sur ses ambitions. (Le Monde) Dans l’exemple (96) issu du corpus Le Monde, le connecteur prépositionnel enfin signale, en indiquant que les événements produits étaient attendus depuis longtemps, l’impatience non pas de Jaroslaw Kaczynski, mais de l’énonciateur qui correspond au locuteur c’est-à-dire le journaliste. Dans ce cas, l’emploi du connecteur prépositionnel enfin peut être considéré comme un moyen discret permettant au locuteur de présenter le point de vue d’un énonciateur.27 La proposition consiste en un acte de suggestion de solution par le locuteur en vue de résoudre un problème existant ou potentiel. Le connecteur prépositionnel favorisé par les locuteurs en vue d’introduire une proposition est par exemple. Tel est le cas dans l’exemple (97) issu du corpus Sciences-Mathématiques : (97) On remarque que la définition des opérateurs d’onde dépend du choix du facteur cohérent g. En fait {C} {IA} {PG} {conf} on pourrait retrancher à g un élément de L² (IR³ , dk) (par exemple {C} {ISA} {PNL} {prop} en tronquant g dans {|k| ≤ ϵ}) et obtenir d’autres opérateurs d’onde. (Sciences) Dans l’exemple (97), le connecteur prépositionnel par exemple introduit une proposition de solution quant à un problème lié au facteur cohérent g. La procédure de proposition est en outre soulignée par l’emploi du conditionnel présent « pourrait ». De même dans l’exemple (98) issu du corpus Sciences-ALSIC, par exemple réalise une procédure de proposition : (98) Le cas de Teentalk est comparable. Pourquoi ne pas avoir profité des interviews pour sensibiliser les apprenants aux similitudes et aux différences qui existent entre les systèmes scolaires français et canadien ([Duchiron03a] : 164). On aurait pu, par exemple {C} {ISA} {PNL} {prop}, approfondir la notion de « bullying », terme dont la charge

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27

Voir la présentation des fonctions du langage dans la partie 1.3.2 Un connecteur, différents niveaux de liage. La distinction entre les concepts locuteur et énonciateur a été abordée dans la partie 1.3.3 Les connecteurs et la théorie de la polyphonie.

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culturelle est bien connue. Bon nombre de manuels d’anglais y consacrent d’ailleurs {C} {ESA} {PG} {ADD} une unité. (Sciences) Ici, le connecteur par exemple introduit une proposition en vue d’améliorer le manuel didactique des langues étrangères Teentalk. Cette proposition est soulignée par le conditionnel passé « on aurait pu ». Retenons que l’interaction se distingue des autres actions effectuées par les connecteurs prépositionnels par sa valeur procédurale qui réside en un échange dynamique dialogique plus ou moins explicite en vue d’assurer la cohésion discursive ou afin d’émettre différents points de vue. Cette partie a été vouée aux actions, la première composante de la fonction complexe des connecteurs prépositionnels. Les actions réalisées par les connecteurs prépositionnels ne sont cependant qu’une partie de leur fonction. Le présent modèle ne se propose pas seulement de considérer différents niveaux de liage conceptualisés comme des actions, il propose en outre de réunir les catégories des jonctions et parajonctions. Comme nous l’avons déjà évoqué, le point commun entre les parajonctions et les jonctions est le type d’actions exécutées, la différence, quant à elle, concerne les techniques de l’exécution des actions. C’est sur ces différentes techniques que portera la prochaine partie.

4.3 Les techniques : structuration, argumentation et structurationargumentation Dans notre modèle, les parajonctions et les jonctions connectent des éléments événementiels, la matière textuelle ou des actes de langage avec trois techniques différentes. Les techniques correspondent à la catégorie (3) de la figure 10. Par le terme technique, nous comprenons un procédé employé par le locuteur pour produire une relation. Dans notre modèle orienté sur les actions effectuées par le locuteur lors de l’emploi d’un connecteur, le terme technique est particulièrement adéquat, car il rend compte de l’intentionnalité communicative de la relation réalisée. Sur la base de l’étude de corpus, deux techniques simples ont pu être distinguées pour les connecteurs prépositionnels : une technique structurante et une technique argumentative. Aussi, tandis que les parajonctions tendent plutôt à connecter les éléments discursifs avec une technique structurante, notée {_S}, les jonctions opèrent plutôt avec une technique argumentative, notée {_A}.28 Aussi la technique définit-elle le statut de l’action exercée par le locuteur en employant le connecteur. Ces deux techniques simples feront l’objet des deux sous-chapitres suivants. 4.3.1 La technique structurante La technique de structuration {_S} permet au locuteur d’ordonner les éléments mis en relation par l’action : elle organise des événements ou des faits {RS}, la matière

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Pour une présentation des propriétés typiques des parajonctions (ou marqueurs discursifs) voir les parties 1.1.3.2 Les connecteurs et les déictiques discursifs et 1.1.3.3 Les connecteurs et les marqueurs discursifs.

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textuelle {ES} et les interactions {IS}. Les trois parties suivantes sont vouées à chacune de ces fonctions. 4.3.1.1

La représentation par structuration

Les occurrences de connecteurs annotées {RS} indiquent que le locuteur agit avec la technique de structuration sur la situation dont il parle (Situationüber) : 29 le locuteur exerce une représentation structurante. Aussi, dans l’exemple (99), le connecteur prépositionnel ensuite structure la représentation successive de deux événements : la consultation de documents puis leur destruction. (99) Et quand les riches Américains se déplacent en Suisse, en moyenne tous les six mois, les documents qu’ils consultent sont ensuite {C} {RS} {PG} {POS} passés à la broyeuse. (Le Monde) Avec Givón (1983b), trois types de continuité dans les textes peuvent être distingués : la continuité des objets, la continuité thématique et la continuité des événements. La continuité des événements contribuant à la continuité du texte, nous pouvons en déduire que la continuité des événementielle contribue à la cohésion et à la cohérence d’un texte. Les relations temporelles peuvent être prises en charge par différentes marques linguistiques : (i)

des unités lexicales et surtout des connecteurs (pendant que, en conséquence, juste avant) ; (ii) des marques syntaxiques de temps et d’aspects (événements achevés ou non, perfectifs) ; (iii) des types d’action inhérente aux verbes (par exemple les verbes duratifs tels que pleuvoir et les verbes ponctuels tels que exploser) (cf. Stede 2007, 93).30 L’énumération de ces éléments linguistiques laisse entrevoir que si les connecteurs sont des unités privilégiées quant à la marque de relation temporelle, leur interprétation sémantique sera enrichie ou pourra varier selon la valeur des autres marques linguistiques (temps, aspects, action) (cf. Schmidhauser 1995, 191ss.). 4.3.1.2

Le travail de la matière textuelle par structuration

Au niveau du travail de la matière textuelle (action), la technique employée joue un rôle prépondérant. En effet, cette fonction marquée par le tag {ES} est indépendante du cadre événementiel et se trouve sous la responsabilité du locuteur. En d’autres termes, l’explicitation reflète la technique de structuration qui s’applique à la matière textuelle. Par la fonction {ES}, le locuteur rend la structure de la matière textuelle intelligible pour l’interlocuteur en l’organisant de manière explicite. La struc-

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Cf. le concept de la Situationüber selon Hölker (1988, 5ss.) et voir dans le présent ouvrage la partie 1.3.2 Un connecteur, différents niveaux de liage. Stede (2007, 93) indique que la plupart du temps le type d’action inhérente aux verbes n’est pas lexicalisé, elle doit donc être déterminée d’après le contexte.

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turation de la matière textuelle comprend les énumérations (par exemple la trilogie d’abord, ensuite, enfin) et autres procédés similaires qui travaillent le texte en le structurant (comme d’un côté, de l’autre). Certains auteurs, tel qu’Adam (1989), distinguent également la structuration employée avec l’action de représentation, qu’ils considèrent comme un procédé chronologique ou d’explicitation : « L’énumération (de parties, de propriétés ou d’actions) est une des opérations descriptives les plus élémentaires. Dans tous les cas, il s’agit de développer linéairement un ensemble de propositions dont l’organisation n’est à l’origine ni causale (argumentation), ni chronologique (narration ou injonction-instruction de la recette ou de la notice de montage) » (Adam 1989, 66) Cette citation d’Adam conforte par ailleurs la délimitation entre les techniques de structuration et d’argumentation, car l’énumération se distingue des éléments d’origine causale, c’est-à-dire présentant une orientation argumentative. Une approche de la structuration de la matière exclusivement textuelle ou discursive se trouve dans la catégorisation typologique des déictiques discursifs (cf. Maaß 2010a).31 En effet, dans la partie 2.3.5.2 Les prépositions et les types déictiques discursifs nous avons vu que certains connecteurs prépositionnels correspondent au type déictique discursif de l’énumération (« Aufzählung ») (Maaß 2010a, 198) qui structure la matière textuelle. Une propriété des connecteurs structurant la matière textuelle est de déterminer le niveau hiérarchique de chacun des éléments introduits. De plus, avec Fløttum (1993), l’énumération peut être considérée comme transcendante au flux linéaire du texte et marquant la structure hiérarchique des informations (cf. Maaß 2010a, 199). En effet, les connecteurs prépositionnels structurent la matière textuelle en lui conférant une structure hiérarchique : une suite (ayant un ordre chronologique, d’où parfois le chevauchement avec l’action de représentation), un degré d’importance, un degré de priorité, une mise en relief d’un élément d’une classe par rapport aux autres. Dans l’exemple (100) issu du corpus Sciences, le connecteur enfin structure la matière textuelle : (100) Enfin {C} {ES} {PG} {ARR}, concernant la description, nous sommes en mesure de rajouter quelques commentaires sur la structure syntaxique des motifs extraits. (Sciences) Dans cet extrait issu d’un article scientifique, la fonction dominante d’enfin ne réside pas en la structuration d’événements mais permet aux auteurs d’agir sur la matière textuelle en la structurant. Enfin indique que ce qui suit est l’ultime séquence discursive traitée dans le chapitre « les commentaires sur la structure syntaxique ». De fait, quelques lignes plus loin, dans ce texte scientifique, commence un nouveau chapitre (le chapitre 5). Pour les connecteurs prépositionnels corrélatifs d’une part – d’autre part, la hiérarchisation des éléments ne semble pas se situer au premier plan de leur fonction

––––––– 31

Pour une représentation des différents types et fonctions des déictiques discursifs et leur rapport avec les connecteurs prépositionnels voir les parties 1.1.3.2 Les connecteurs et les déictiques discursifs et 2.3.5.2 Les prépositions et les types déictiques discursifs.

182

communicative.32 Svensson (2010) décrit les fonctions textuelles des marqueurs corrélatifs (notés MC) comme suit : « La fonction textuelle des MC est double ; il s’agit d’une fonction textuelle de préparation et une fonction textuelle de délimitation » (Svensson 2010, 25) Aussi, dans l’exemple (101), les expressions corrélatives telles que d’une part – d’autre part mettent en relation deux points de vue contrastés pris en charge par deux énonciateurs distincts : (101) Le Gouvernement veut nous imposer une méthode qu’il ne respecte pas lui-même ! Il est difficile de ne pas être surpris : d’un côté {C} {ESA} {PG} {ADD} on nous dit d’attendre une réforme globale de la procédure pénale, et, de l’autre {C} {ESA} {PG} {ADD}, le Gouvernement modifie, par petites touches, le code de procédure pénale par ci par là. (Sénat) La fonction textuelle de préparation consiste en l’annonce d’une suite comprenant au moins deux unités corrélées. Les marqueurs corrélatifs de préparation ont la spécificité d’annoncer que les parties du texte forment un ensemble et doivent être considérées l’une par rapport à l’autre (Svensson 2010, 25). La fonction de délimitation réside en la marque d’une frontière des deux constituants textuels. Svensson (2010, 23ss.) détecte trois variantes topologiques possibles. La marque de la corrélation peut se trouver soit à gauche ou à droite des éléments introduits, soit dans une position intermédiaire. « En fait, souvent placés à gauche de chaque unité corrélée, les éléments marquent clairement la limite initiale de chacune. Lorsque les éléments sont placés à droite, c’est évidemment la limite finale des unités corrélées qui est marquée. Dans les cas où ils occupent une position intermédiaire dans les unités corrélées, leur liaison respective à une unité chacune contribue également à leur délimitation » (ibid., 27) La valeur sémantique de ces marqueurs varie selon les connexes mis en relation, mais elle peut de manière générale être considérée comme additive (cf. Svensson 2010, 28ss.). Pour les corrélatifs d’une part – d’autre part et d’un côté – de l’autre les valeurs sémantiques sont l’addition (conjonction) et le contraste (cf. ibid., 110ss., 149ss.). Tandis que la valeur sémantique d’une part – d’autre part est plutôt additive, celle de d’un côté – de l’autre est plutôt contrastive. Résumons pour la fonction d’explicitation structurante que l’annonce explicite des parties de référents facilite leur hiérarchisation et leur délimitation pour l’interlocuteur.

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Pour un résumé détaillé de la recherche concernant les marqueurs corrélatifs voir l’étude comparative de Svensson (2010).

183

4.3.1.3

Interagir par structuration

Les connecteurs prépositionnels peuvent être employés afin de structurer une interaction. Dans la partie 4.2.3 L’action d’interaction : caractère dialogique, le focus portait sur le concept d’interaction indépendamment de la technique employée. La présente partie en revanche souligne le rôle de la technique structurante quant à la réalisation des procédures telles que le turn noté {turn}, l’interpellation notée {interpel} ou l’actualisation du contact notée {act}. Dans cette partie de chapitre nous nous situons donc au niveau de la catégorie (8) procédure de la figure 10. Afin de rendre compte des différentes procédures réalisées par les connecteurs en fonction interaction structurante, nous aurons recours à l’approche ethnométhodologique de l’analyse de la conversation.33 Cette approche, essentiellement focalisée sur le développement séquentiel des conversations, s’avère efficace quant à la description des procédures effectuées par les connecteurs prépositionnels lors d’interactions avec la technique structurante. Ainsi, à la lumière de l’analyse de la conversation trois grands types de procédures avec une technique structurante ont été détectés dans les corpus : les procédures réglant la distribution du droit de parole, les procédures effectuant des réparations et les procédures organisant la conversation. Les trois sous-parties suivantes sont dédiées à la présentation de ces procédures réalisées par les connecteurs prépositionnels. a) La distribution du droit de parole Certains connecteurs prépositionnels indiquent une prise de parole lors d’une interaction : le turn.34 L’alternance systématique des locuteurs, appelée par Sacks « machinery », est la base de l’organisation interactive. Le terme machinery accentue l’aspect formel de l’organisation. Le turn est une activité effectuée non pas par un locuteur (actif) et un auditeur (passif) mais par des participants qui s’investissent activement dans la conversation (Dausendschön-Gay/Krafft 2000, 19). Le système des changements de locuteurs contient deux composantes : la première concerne la construction de contribution linguistique, le turn, l’autre la répartition du droit de parole. Le connecteur prépositionnel couramment employé pour marquer la constitution d’un nouveau turn est alors. (102) *JUL : // elle a pas connu // # ah et puis ben là / # ben tu vois où habite ma collègue ? c’est une blague // # *MAR : dans un petit patelin où il y a une église ? *JUL : ouais // # *MAR : alors {C} {IS} {PG} {turn} au fait {C} {IS} {PG} {act} ta voiture ? # (Oral) Dans l’exemple (102), MAR et JUL s’entretiennent sur un premier sujet : le lieu où habite la collègue de JUL. Puis, suite à l’acquiescement de JUL avec « ouais »,

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Nous nous référerons ici essentiellement à Gülich/Mondada 2008. Gülich/Mondada (2008, 36) donnent un aperçu des points centraux du concept turn-taking développé par Sacks/Schegloff/Jefferson (1978). À partir de transcriptions détaillées d’enregistrements Sacks/Schegloff/Jefferson (1978) ont analysé la coordination de conversations et ont décrit sa « très simple systématique ».

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MAR marque avec alors le début d’un nouveau turn accompagné d’un changement thématique. (103) *SAN : mais vous accueillez vous-mêmes les [/] les enfants ici ? # *EDO : alors {C} {IS} {PG} {turn} &euh le plus possible / ouais / on essaye / # on fait des démonstrations de magie // (Oral) Dans l’exemple (103), SAN pose une question au partenaire de conversation EDO qui marque le début de sa réponse, c’est-à-dire la prise de parole, par alors. La deuxième composante du modèle de l’organisation est la répartition du droit à la parole (turn-allocational component). Sacks/Schegloff/Jefferson (1974/1978) distinguent trois options. Premièrement, lorsque l’endroit de transition est approprié, le locuteur peut déterminer le prochain locuteur, en l’interpellant directement ou en lui posant une question. Deuxièmement, si le locuteur ne détermine pas son successeur explicitement, un locuteur peut alors lui-même prendre la parole. Dans le troisième cas de figure, le locuteur peut lui-même reprendre le turn. Dans notre modèle, de manière générale, l’incitation à prendre le droit de parole a été englobée sous le terme interpellation et l’annotation correspondante est {interpel}. Dans ce cas, l’emploi de connecteur prépositionnel est souvent employé dans un acte d’interrogation comme le montrent les exemples suivants : (104) *EUL : alors {C} {IS} {PG} {interpel} vous / vous êtes né où ? # ici à Bayonne ? # (Oral) (105) *MON : < alors {C} {IS} {PG} {interpel} raconte ton après-midi> # (Oral) Le connecteur privilégié indiquant une interpellation est le connecteur alors. Cependant, ici également, d’autres connecteurs prépositionnels, comme par exemple, peuvent être employés pour marquer la prise de parole. (106) *PAU : par exemple {C} {ISA} {PNL} {interpel} là / pour le sac / # après comment vous avez fait ? vous êtes obligée de commander un autre sac pour la cliente ? (Oral) (107) *PAU : ça vous est jamais arrivé < par exemple {C} {ISA} {PNL} {interpel} > *VEN : // touchons du // (Oral) Dans ces deux extraits, le connecteur prépositionnel par exemple permet d’interpeller l’interlocuteur sur la base de son intervention précédente englobée avec le terme exemple. De cette manière, le locuteur incite l’interlocuteur à développer et justifier ses propos antérieurs. Pour inciter son allocutaire à prendre la parole, le locuteur peut avoir recours à divers procédés courants. Il peut explicitement nommer la personne ou recourir à une tag question. La plupart du temps, ce dernier procédé est réalisé avec une intonation montante hein/n’est-ce pas/ ; de cette manière le locuteur fait appel à l’attention de l’interlocuteur et/ou indique qu’une réaction de sa part est attendue. (Mondada/Gülich 2008, 42). Parce que, par exemple et alors peuvent également remplir cette fonction. 185

b) Les réparations Le terme réparation fait référence à toutes les sortes de perturbations qui surviennent lors du processus de production et de compréhension.35 Afin de remédier à ces perturbations, les locuteurs disposent d’un éventail de mécanismes autocorrectifs permettant d’organiser l’usage du langage lors de l’interaction sociale (Schegloff/Jefferson/Sacks 1977, 381). Les réparations sont généralement reconnues en linguistique comme une caractéristique du langage spontané (cf. Koch/Oesterreicher 1990, 61ss.). Dans notre corpus contemporain, deux types de réparations ont été distingués : les rectifications {rect} et les reformulations {ref}.36 La procédure de réparation peut être observée lors de retards, d’hésitations, de ratés, de précisions, d’interruptions, de nouveaux départs, de changements de construction, de répétitions, ou de complémentations d’énoncés considérés par le locuteur comme déficitaires (cf. Gülich/Mondada 2008, 59). Dans leur première hypothèse Schegloff/Jefferson/Sacks (1977, 363) concevaient le concept réparation comme le remplacement d’un élément incorrect par une entité correcte. Or, contrairement à cette première hypothèse, les réparations ne se limitent pas à un tel remplacement mais englobent des procédés différents permettant aux locuteurs de retravailler un élément identifié comme gênant dans l’interaction (cf. Gülich/Mondada 2008, 60). Ainsi, la réparation ne consiste pas en l’éviction d’éléments incorrects, mais en l’amélioration d’entités perçues nécessitant une réparation. Une séquence de réparation typique comprend quatre parties constitutives : -

l’indentification de la source de dérangement (l’élément nécessitant la réparation), l’initiation de la réparation, l’accomplissement de la réparation la ratification de la réparation (cf. ibid., 61)

L’initiation et la réparation peuvent être effectuées soit par le locuteur qui a produit la source de dérangement, il s’agit alors d’une réparation par soi-même, soit par l’allocutaire, il s’agit alors d’une réparation étrangère.37 Les recherches de Schegloff/Jefferson/Sacks (1977) montrent que les locuteurs favorisent une réparation rapide de la source de dérangement dans le même turn. Gülich/Mondada (2008, 66) indiquent que les séquences de réparations peuvent intervenir dans différents types d’interaction et permettent de résoudre différents types de problèmes.38 Souvent, le processus de formulation est interrompu, cela se transcrit par des réparations (ralentissement, interruption, nouveau départ, changement de construction) et des complémentations et des reformulations. Tous ces phénomènes, considérés comme typiques de la langue spontanée, peuvent être interprétés comme typiques du travail de

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38

Cf. Schegloff/Jefferson/Sacks 1977 ; Gülich/Mondada (2008, 59). Voir la partie 4.2.3 L’action d’interaction : caractère dialogique. Jefferson (1983) distingue à l’exemple des corrections étrangères, l’intégration des séquences de réparations internes au cours de discussion (embedded correction) et les corrections externes (exposed correction) (cf. Gülich/Mondada 2000, 65). Voir Gülich/Kotschi (1987 ; 1995 ; 1996a) pour une étude du processus de réparation dans une approche de la production de textes et du procès de formulation.

186

formulation lors du processus de production (Gülich/Mondada 2008, 68 ; cf. Gülich/Kotschi 1996). c) L’organisation de séquence : continuité et contact Certains connecteurs prépositionnels ont la fonction phatique de marquer la continuité du contact et de l’échange. Dans le corpus contemporain, cette procédure interactive a été annotée par le tag {act}. En fonction de leur processus de formation, les conversations ont une structure émergente qui consiste en une suite temporelle d’énoncés. Cet ordre séquentiel est la base sur laquelle les locuteurs produisent leurs contributions et comprennent celles de leurs partenaires. La séquentialité serait donc centrale pour la compréhension de l’interaction (Gülich/Mondada 2008, 50). Toutefois, Gülich/Mondada (ibid.) avertissent que la structure temporelle des conversations ne doit pas être comprise comme une suite linéaire de turns, mais les relations entre chaque énoncé sont complexes et se développent de manière prospective et rétrospective. Ainsi, tous les énoncés sont connectés au turn précédent et portent des marques de son traitement par le partenaire de conversation. En même temps, l’énoncé agit sur le turn suivant en émettant des conditions et des attentes normatives relatives à la cohérence et à la cohésion d’une suite adéquate (cf. ibid.). Dans le corpus, lorsque l’actualisation est présente au niveau de l’action interactive, celle-ci signale le maintien (actualisation) du contact avec l’allocutaire, mais aussi le maintien du turn (l’actualisation de l’acte de parole). Cet emploi est privilégié lors d’interactions orales plutôt spontanées entre les partenaires de conversations, ou lors d’une séquence monologique inscrite dans un contexte dialogique. Ainsi, en employant un connecteur prépositionnel réalisant une procédure d’actualisation, le locuteur capte l’attention de l’auditoire, marque le maintien du droit de parole et signale la continuité (cohérence et cohésion) de ces propos. Dans l’exemple (108), le locuteur indique par le connecteur prépositionnel alors qu’il actualise et conserve le droit de parole : (108) *BET : […] le paranoïaque / le [/] l’obsessionnel il va [/] # on va donner l’exemple / # l’exemple bateau / il ne peut pas prendre le bus // # alors {C} {IS} {PG} {act} au début {C} {ES} {PG} {DEB} c’est que le bus / # tu vois / il peut le prendre accompagné // # mais il peut pas le prendre seul // # donc après même accompagné / il peut plus le prendre // # (Oral) Dans l’exemple ci-dessus, le locuteur BET emploie alors afin de signaler à son allocutaire que ce qui suit topologiquement est en rapport avec ce qui précède, bien qu’il s’agisse d’une nouvelle pensée, en l’occurrence l’explication de l’« exemple bateau ». Par l’emploi d’alors, le locuteur actualise le droit de parole et témoigne ainsi de la cohésion et de la cohérence de ses propos. (109) *STE : alors {C} {IS} {PG} {turn} ce week-end / moi qu’est-ce que j’ai fait ? j’ai &euh [/] # alors {C} {IS} {PG} {act} j’ai fait ma fiche de lecture / # bien sûr // (Oral) De même, dans l’exemple (109), alors suit une hésitation (euh) et marque, outre la continuité du discours (le turn de STE), une actualisation thématique, c’est-à-dire la réponse à la question posée. 187

En conclusion, les connecteurs prépositionnels en fonction {IS} lient des interventions tout en marquant leurs limites topologiques respectives. Par l’emploi d’un connecteur prépositionnel réalisant la procédure actualisante, le locuteur indique que, malgré les interruptions du flux oratoire liées au discours proximal, un lien existe entre les interventions situées dans le contexte de gauche et le contexte de droite du connecteur prépositionnel. Les connecteurs prépositionnels témoignent du fait, par leur force cohésive, que le locuteur s’exprime à juste titre. 4.3.2 La technique argumentative Cette partie a pour objectif de légitimer la conceptualisation de la catégorie argumentation du modèle comme une technique de réalisation d’action exercée par les connecteurs prépositionnels. De fait, l’argumentation est fréquemment décrite comme une action orientée ou une fonction de texte (cf. Maaß 2010a, 223). Elle correspond par exemple à la fonction d’appel chez Bühler (1934) et Brinker (2001) pour les signes linguistiques ou les textes, et à la fonction conative chez Jakobson (1960). L’argumentation connaît par ailleurs différentes interprétations selon la focalisation des approches philosophiques ou linguistiques.39 De manière générale, l’argumentation peut être définie comme un moyen linguistique complexe visant la clarification consensuelle d’avis controverses.40 Dans la rhétorique, convaincre est ancré dans la langue quotidienne et repose en un étaiement crédible et efficace d’arguments dans un système d’avis dominants (les topos) (cf. Atayan 2006, 7ss.). Dans le cadre de l’argumentation dans la langue, Anscombre/Ducrot (1983, 163) définissent l’argumentation comme suit : « Lorsque nous parlons d’argumentation, nous nous référons toujours à des discours comportant au moins deux énoncés, E1 et E2 dont l’un est donné pour autoriser, justifier ou imposer l’autre ; le premier est l’argument, le second la conclusion ». D’un point de vue linguistique deux éléments constitutifs d’une séquence argumentative peuvent être distingués : l’argument et la conclusion. La conclusion peut être implicite, mais elle doit être facilement déductible. Atayan (2006, 41) propose dans ce cadre une définition de l’argumentation minimale composée de deux actes communicatifs pouvant être complexes. La plupart du temps, ces actes sont réalisés à la surface du texte et une relation d’appui préméditée entre eux peut être interprétée. Ainsi, l’argumentation prototypique est visible à la surface du texte mais n’exclut pas d’autres formes d’argumentation (ibid.). L’objet de notre recherche étant l’analyse des connecteurs contenant des prépositions, nous nous concentrerons sur les moyens détectables à la surface textuelle. Dans ce cadre, nous considérons la

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L’objectif de cette partie n’est pas de donner un compte-rendu détaillé des différentes théories traitant l’argumentation, pour cela nous renvoyons au travail d’Atayan (2006), qui propose un exposé des différentes approches philosophiques et linguistiques. Dans la logique formelle, les conclusions sont de type analytique : la forme de base est le syllogisme Aristotélicien dans lequel une conséquence provient obligatoirement des formes linguistiques et des deux arguments, les prémisses, considérées comme vraies (cf. Atayan 2006, 26ss.).

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présence de moyens linguistiques explicites par rapport à l’asyndète comme une mise en relief de la configuration argumentative.41 Force est cependant de constater que la verbalisation de toutes les relations avec une technique aussi bien argumentative que structurante alourdirait le texte, elle irait à l’encontre de la maxime de quantité gricienne et nuirait à la clarté du discours. D’où l’emploi de connecteur peut être conçu comme une stratégie de mise en relief rendant certaines relations choisies détectables à la surface du texte. La maxime de clarté semble diriger les emplois des connecteurs ; elle est comparable à une marche sur une corde raide située entre la maxime de quantité d’un côté et la maxime de relation de l’autre. Concernant la réalisation linguistique des configurations argumentatives, Atayan (2006, 43) distingue deux procédés prototypiques : les éléments méta-argumentatifs et les connecteurs argumentatifs. Le procédé méta-argumentatif consiste en la dénomination d’un segment linguistique, par exemple avec le mot argument. Ce procédé dénominatif favorise l’interprétation dudit segment comme un argument dans le cadre d’une configuration argumentative. Atayan (ibid.) asserte – sans appuyer ses propos par des tendances quantitatives – que la fréquence des moyens métaargumentatifs employés dans les textes serait plutôt faible. Cependant, l’étude effectuée par Maaß (2010a, 220) sur des éléments métacommunicatifs, les déictiques discursifs, montre que la fonction argumentative est la plus fréquente (55,8 %).42 De même, certains connecteurs prépositionnels, comme en conclusion (4 tokens), pour cette raison (17 tokens), en conséquence (28 tokens), au contraire (42 tokens), confèrent une orientation argumentative à une partie de texte en la nommant explicitement. La présente étude doit donc tenir compte du procédé méta-argumentatif car il fait partie de l’éventail fonctionnel argumentatif des connecteurs prépositionnels. 43 Dans la note 78, Atayan (2006, 44) mentionne que la faible fréquence de marques méta-argumentatives pourrait être liée à des stratégies communicatives et argumentatives. Aussi la présentation transparente des actes de langage par le locuteur faciliterait-elle la mise en question de son argumentation par des partenaires de communication. En d’autres termes, les locuteurs favoriseraient l’opacité à la clarté afin de « protéger » leur argumentation. Cependant, nous sommes d’avis que cette hypothèse ne peut être acceptée dans sa globalité. Selon nous, il est en effet nécessaire de s’interroger sur l’affinité de l’emploi d’expressions transparentes dans les genres textuels. Lors de la présentation des résultats de l’analyse de corpus, mous montrerons en effet que certains paramètres situationnels exigent une plus grande transparence de la marque des arguments et des conclusions que d’autres.44

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Voir la partie 1.2.1 Asyndète vs. connexion explicite ou pourquoi lier de manière explicite ? Pour un exposé de la théorie des déictiques discursifs voir la partie 1.1.3.2 Les connecteurs et les déictiques discursifs dans le présent ouvrage. Dans la partie 4.4 Les connecteurs prépositionnels : composante dénominative et transparence, nous reviendrons en détail sur la spécificité métacommunicative des connecteurs prépositionnel. L’analyse de corpus a en effet révélé que les connecteurs prépositionnels à composante métacommunicative ou métadiscursive sont particulièrement fréquents dans le corpus Sénat. Dans la partie 6.3.1 Les « débats parlementaires » et le corpus Sénat, nous mettons en

189

Par ailleurs, l’assertion d’Atayan (2006, 44) selon laquelle l’emploi d’expressions méta-argumentatives ne constitue pas une condition suffisante pour considérer des actes de langage comme des argumentations45 est d’une importance centrale quant à la conceptualisation de l’argumentation comme une technique dans notre modèle de description des connecteurs prépositionnels. Nous reviendrons ci-dessous sur ce point. Le second des deux procédés prototypiques quant à la réalisation linguistique de la structure argumentative serait, contrairement au premier, très répandu. Ce procédé consiste en l’emploi de connecteurs argumentatifs.46 Atayan (2006, 45) cite l’exemple suivant dans lequel le connecteur car peut être interprété comme argumentatif : (110) C’est maintenant qu’entre en jeu le début du développement de vos pouvoirs psychiques. Il faudra approfondir vos techniques de médiation et de développer tous vos pouvoirs psychiques. Il est probable que vous ne réussissez pas à faire bouger un objet, mais c’est tout à fait normal car c’est le cas de 95 % des sorciers débutants. Le simple fait de vous concentrer sur l’objet sera suffisant à développer votre capacité psychique. (Suchsequenz bei www.google.de « objet, mais c’est tout à fait normal car » ; Atayan 2006, 45) De même que pour le matériel méta-argumentatif, Atayan (2006, 45) mentionne que l’emploi de connecteur argumentatif n’est pas une condition suffisante pour l’interprétation d’une séquence comme une argumentation. D’après l’auteur, l’emploi de connecteurs argumentatifs favoriserait seulement une telle interprétation argumentative. En d’autres termes, il y aurait des connecteurs dits argumentatifs dont la fonction ne serait pas argumentative au sens strict, c’est-à-dire définie comme un processus concret de persuasion (cf. ibid., 213). Se pose alors la question centrale de savoir comment considérer les autres emplois des connecteurs dits argumentatifs qui n’ont pas d’interprétation argumentative en tant que processus concret de persuasion. Nous sommes face à un paradoxe qui réside en ce que des connecteurs dits argumentatifs ne participeraient pas à établir une relation argumentative au sens strict du terme. Ce problème méthodique et théorique est thématisé par Atayan (ibid., 209) au sujet de la coordination argumentative : la décision d'interpréter une certaine séquence comme une coordination argumentative dépend à la fois de la performance interprétative du chercheur et du concept théorique de l'argumentation à la base de la recherche. Aussi, l’étude d’Atayan consiste uniquement en la déter-

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relation de manière détaillée l’emploi de ces connecteurs prépositionnels métadiscursif avec le genre textuel des « débats parlementaire ». En effet, Atayan (2006, 44) indique qu’il n’y a a priori pas plus de raison de prêter fois à un locuteur s’il caractérise ses actions linguistiques lui-même. Mais il considère que l’emploi d’expressions méta-argumentatives favorise l’interprétation argumentative. Atayan (2006, 44) ne s’engage pas dans la discussion concernant la définition de connecteur, mais constate un grand consensus dans la recherche quant à la reconnaissance de certaines unités linguistiques comme marqueurs argumentatifs relativement spécialisés (cf. Roulet et al. 1985, 167ss.).

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mination de relations argumentatives sans déterminer les autres emplois des connecteurs dits argumentatifs. De même, les analyses onomasiologiques portant sur une classe sémantique telle que la cause, la concession ou la conséquence, présentent une difficulté similaire. En effet, avec Moeschler (1989, 75ss.) et Morel (1996, 19), la relation concessive peut être définie en termes d’argument orienté vers une conclusion non-réalisée, laissant place à une autre conclusion. À partir de cette définition, trois types d’emploi sont couramment discernés : Morel (1996) et Rezat (2009, 470s.) distinguent la concession logique qui agit au niveau propositionnel, la concession argumentative qui agit au niveau épistémique, et la concession rectificative qui agit au niveau illocutoire.47 Au niveau propositionnel, les éléments mis en relation sont des faits. Dans ce cas, la relation qui a lieu est présentée comme inhabituelle. Au niveau épistémique, un contre-argument éventuel est concédé, il s’agit en ce sens de l'anticipation d’une contre-cause formulée comme une objection (cf. Zifonun/Hoffmann/Strecker 1997, 2315) ; ce cas de figure correspond à une relation argumentative de persuasion. Au niveau illocutoire, le locuteur effectue une réflexion sur l’acte précédent pour restreindre l’ampleur de la conclusion issue de cet acte. Les trois types de concessions peuvent être récapitulés dans un tableau de la manière suivante : niveau de liage

type de concession

illocutoire

rectificative

épistémique

argumentative

propositionnel

logique

Tableau 19 : relation entre les niveaux de liage et les types de concession

Ainsi, seul le niveau épistémique serait argumentatif au sens étroit, car seul celuici présente une confrontation évaluative de points de vue, d’avis, aboutissant à un accord ou à un compromis (cf. Rezat 2010, 472). Or, si l’argumentation est définie comme un argument dirigé vers une conclusion, alors tous les types de concessions présentent une configuration argumentative (cf. Morel 1996, 6ss.). Cette configuration argumentative est, dans le cadre du présent travail, conceptualisée comme une technique commune à tous les types de concession en particulier, et aux valeurs sémantiques non-localisantes des connecteurs prépositionnels en général.48 En conclusion, dans la perspective de notre modèle, la distinction entre les trois types de concessions discernés dans la littérature ne s’effectue pas au niveau de la technique argumentative mais au niveau de l’action réalisée : une représentation inhabituelle d’événements qui indique un déséquilibre entre une norme et des faits hors normes, une confrontation d’opinions distincts en vue d’un accord ou d’un compromis, ou la rectification d’une intervention précédente. Afin de préciser cette conceptualisation de l’argumentation comme technique employée pour réaliser une

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Voir la partie 1.3.2 Un connecteur, différents niveaux de liage. Pour la présentation des valeurs non-localisantes et localisantes des connecteurs prépositionnels voir le chapitre 4.5 Catégorisation sémantique des connecteurs prépositionnels.

191

action de représentation événementielle, de traitement de la matière textuelle, et de configuration de l’interaction, nous traitons la technique argumentative dans les trois parties suivantes selon les actions réalisées par les locuteurs en employant des connecteurs prépositionnels. 4.3.2.1

L’argumentation au service de la représentation événementielle

Dans le but d’affiner la description des connecteurs prépositionnels dans le corpus, ces derniers ont été annotés de catégories relatives à leur interprétation pragmasémantique. Les catégories pragma-sémantiques correspondent au point numéro 7 de la figure 10 Figure 10 : Modèle pragma-sémantique des connecteurs prépositionnels. L’analyse du corpus contemporain documente pour les connecteurs prépositionnels réalisant une représentation avec la technique argumentative les interprétations pragma-sémantiques suivantes : -

attribuer une responsabilité {resp}, par exemple avec parce que présenter une motivation {motiv} par exemple avec parce que mettre un déséquilibre ou un contraste en évidence {deseq} par exemple avec pendant que indiquer une compensation {comp} par exemple avec en revanche promouvoir certains événements {prom} par exemple avec afin que éviter certains événements {evit} par exemple avec pour que

Ces interprétations pragma-sémantiques seront ponctuellement présentées selon leur pertinence lors de l’analyse de corpus. Nous nous contenterons ici de présenter un exemple illustrant un emploi typique de représentation évènementielle avec la technique argumentative. Dans l’extrait (111) du corpus Le Monde, le locuteur fait part de deux événements observés : M. Frêche se représente pour les élections et il a été exclu du PS. (111) Malgré ses 72 ans et une santé chancelante, le président de la région Languedoc-Roussillon, élu en 2004 sur une liste de la gauche unie, compte se représenter alors qu’ {C} {RA} {PG} {OPP} {deseq} il a été exclu du PS en 2007, à la suite de ses propos controversés sur les harkis et le nombre de Noirs dans l’équipe de France de football. Martine Aubry se dit déterminée à ne pas tolérer l’investiture de Georges Frêche, en dépit des nombreux soutiens dont il dispose. (Le Monde) La mise en relation oppositive de ces deux événements par le connecteur prépositionnel alors que noté {C}, contenant une préposition grammaticale noté {PG}, employé en fonction de représentation argumentative {RA}, dont la valeur sémantique est oppositive {OPP},49 met en évidence un déséquilibre {deseq} entre la norme en vigueur dans la communauté politique et le fait présenté déviant de cette

––––––– 49

Pour la description des valeurs sémantiques des connecteurs prépositionnels voir le chapitre 4.5 Catégorisation sémantique des connecteurs prépositionnels et pour un exposé de la valeur sémantique d’opposition voir en particulier la partie 4.5.3.5 L’opposition : déséquilibre, retournement de jugement.

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norme. Comme le montre cet exemple, l’annotation systématique des connecteurs avec des catégories pragma-sémantiques présente l’avantage de préciser les fonctions des connecteurs prépositionnels, sur le fond de leur valeur sémantique, dans les corpus. 4.3.2.2

L’argumentation au service du travail de la matière discursive

Avant d’évoquer les interprétations pragma-sémantiques (numéro 7 de la figure 10 Figure 10) trouvées dans le corpus pour les connecteurs prépositionnels en fonction d’explication argumentative, rappelons d’abord que l’action d’explicitation réalisée avec la technique argumentative consiste en la défense ou la réfutation de points de vue. Dans ce cas, c’est la matière discursive qui est instrumentalisée comme argument par le locuteur avec la technique argumentative afin d’imposer ou de réfuter des opinions. En effet, d’après Eggs (1994, 16ss.), dans une approche rhétorique, nous pouvons considérer qu’une séquence argumentative plaide pour ou contre une thèse notée « T ». Aussi, toujours en suivant Eggs (ibid.), pour les connecteurs prépositionnels en fonction {EA}, trois types d’argument et d’argumentation peuvent être distingués selon l’objet négocié : -

l’argument épistémique approuve ou met en cause un certain fait (T est le cas / T n’est pas le cas) l’argument déontique conseille ou déconseille de faire certaines actions (Il faut faire T / Il ne faut pas faire T) l’argument éthique/esthétique évalue ce qui est bon ou mauvais/beau ou laid (T est bon (beau) / T est mauvais [laid]). (cf. Eggs 1994, 16)

Le point commun entre ces trois types d’argumentation est que le locuteur essaie d’influencer l’interlocuteur qui, après la lecture ou la diction, doit croire ce qu’avant il ne croyait pas, ou ce dont il croyait le contraire (cf. Eggs 1994, 16). Sur le fond de cette définition de l’argumentation comme un argument pour ou contre une thèse, qui dans notre modèle correspond à l’explicitation argumentative, nous avons trouvé, pour les connecteurs prépositionnels dans les corpus, deux interprétations pragma-sémantiques : -

un apport de preuve : {preu} un retournement de jugement : {ret jug}

Illustrons ces deux interprétations pragma-sémantiques en fonction d’explicitation argumentative respectivement avec un exemple. (112) *MAR : / par jour ou par [/] dans la semaine // # et un jour j’ai vu qu’en vitrine / il y avait un Rétina 1A / # qui était un peu moins perfectionné parce que {C} {EA} {PNL} {CAU} {preu} / # celui qu’il avait lui / le Rétina # 2A / # était un appareil à télémètre / # tandis que le Rétina 1A / n’était pas à télémètre // il fallait calculer la distance &euh # faut &euh # comme ça là / juger au pifomètre comme on dit // # (Oral) Dans l’exemple (112), issu du corpus Oral, le connecteur prépositionnel parce que introduit un argument, une preuve notée {preu}, étayant la thèse défendue par

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MAR : l’appareil photo était un peu moins perfectionné. Cette argument, à valeur de preuve, apporté afin d’étayer la thèse est : il n’avait pas de télémètre. (113) MME CATHERINE TROENDLE : […] Cependant {C} {EA} {PT} {OPP} {ret jug}, et malgré les arguments avancés par M. le rapporteur, je continue de penser que le volontariat doit être privilégié. (Sénat) Dans l’exemple (113), lors du débat concernant la protection des données numériques privées, Mme Troendlé coordonne avec le connecteur prépositionnel cependant deux points de vue pris en charge par des énonciateurs E1 et E2. Le point de vue de l’énonciateur E1 correspond aux arguments apportés par le sénateur M. Amoudry, qui est en faveur d’une loi de protection des données privées, tandis que le point de vue de l’énonciateur E2 correspond à celui de Mme Troendlé, qui est favorable à un traitement plus libéral. La considération du point de vue adverse permet à la sénatrice de négocier l’acceptabilité de son propre point de vue (cf. Stoye 2013). Ainsi, nous considérons les connecteurs qui introduisent les arguments en faveur d’une thèse comme des introducteurs de preuves {preu} et les connecteurs qui introduisent des contre-arguments comme des indicateurs de retournement de jugement {ret jug}. 4.3.2.3

L’argumentation au service de l’interaction

Contrairement aux deux parties précédentes, nous quittons dans ce sous-chapitre la catégorie des interprétations pragma-sémantiques (numéro 7 de la figure 10) pour nous consacrer aux procédures (numéro 8 de la figure 10) réalisées par les connecteurs prépositionnels lorsqu’ils configurent une interaction par le biais de la technique argumentative. Dans les corpus, quand les connecteurs prépositionnels configurent une interaction avec la technique argumentative, trois procédures ont été détectées : -

le commentaire {comment} par exemple en effet la rectification {rect} par exemple cependant la confirmation {conf} par exemple de fait

Certaines de ces procédures ont été thématisées au cours de la partie 4.2.3 L’action d’interaction : caractère dialogique. Cependant, la différence entre les connecteurs prépositionnels en fonction d’interaction structurante {IS} et en fonction d’interaction argumentative {IA} réside en ce que la première, {IS}, met l’accent sur la délimitation topologique des actes de langage les uns par rapport aux autres, tandis que la seconde, {IA}, souligne la propriété dynamique des procédures de réévaluation et de commentaire (cf. Gülich 1986b ; Kotschi 1986).50 Illustrons la fonction d’interaction argumentative avec un exemple :

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Voir l’actualisation des fonctions {IS}, {IA} et {ISA} dans la partie 6.4.2 Profils pragmatiques des connecteurs prépositionnels dans le corpus Oral.

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(114) *VAL : # voilà / toi quand tu parles de truc idéal [/] mais ton truc à toi / c’est quoi ? # parce que {C} {IA} {PNL} {comment} tu en penses quoi de l’amour est-il une denrée périssable ? # (Oral) Dans l’exemple (114), le connecteur parce que introduit le commentaire d’un acte interrogatif précédent et renforce ainsi l’invitation adressée au partenaire de communication à répondre. La discussion du concept marqueurs discursifs au chapitre 1.1.3.2 Les connecteurs et les déictiques discursifs a mis en lumière l’attribution d’une valeur principalement structurante aux parajonctions. Cependant, en raison de la spécificité sémantique (localisante vs. non-localisante) de notre objet d’étude, il nous semble essentiel de maintenir la distinction entre les techniques structurante {_S} et argumentative {_A} au niveau de l’action d’interaction. En effet, cette distinction présente trois avantages. D’abord, la technique argumentative indique l’origine non-structurante des connecteurs prépositionnels. De plus, celle-ci se réfère moins à la démarcation topologique mais plus au caractère dynamique de l’interaction. Enfin, le mouvement argumentatif des connecteurs prépositionnels en fonction d’interaction argumentative ne disparaît pas : les procédures de commentaire, de reformulation etc. peuvent avoir une valeur argumentative négociant et incitant l’interlocuteur à réagir. Pour ces raisons, il nous semble essentiel de distinguer les parajonctions en fonction d’interaction argumentative {IA} de celles en fonction d’interaction structurante {IS}. Au-delà de cette distinction, le corpus montre cependant que, dans certains cas, les connecteurs prépositionnels peuvent combiner les techniques argumentative et structurante. Cette technique hybride, c’est-à-dire structurante et argumentative, fera l’objet de la partie suivante. 4.3.3 La technique hybride : structuration et argumentation L’analyse de corpus a mis en lumière que les actions – représentation, explicitation ou interaction – peuvent être structurées par des connecteurs tout en leur conférant une orientation argumentative. Cette technique complexe peut être qualifiée d’hybride dans la mesure où elle fonctionne comme une charnière entre la structuration et l’argumentation et vice-versa. Cette technique que nous qualifions d’hybride a déjà été évoquée, plus ou moins implicitement, pour les connecteurs coordonnants (cf. Atayan 2006, 213), pour les marqueurs corrélatifs (cf. Svensson 2010, 31), mais aussi pour les marqueurs de reformulation c’est-à-dire (cf. Kotschi 1992, 367ss.).51 Tous ces marqueurs sont communément considérés comme des marqueurs discursifs qui, dans certains contextes, peuvent agir au niveau de l’argumentation. De même, sur la base de la distinction de l’argumentation définie comme une propriété inhérente au langage ou comme le processus concret de persuasion, Atayan considère que certains marqueurs discursifs (parajonctions) opèrent comme des indicateurs d’argumentation coordonnée (jonctions) :

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Voir la partie 1.3.3 Les connecteurs et la théorie de la polyphonie pour un exposé de l’étude de Kotschi (1992) ; voir la partie 4.3.1.2 Le travail de la matière textuelle par structuration pour une brève présentation de l’étude de Svensson (2010).

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« Falls also die engere Definition der Argumentation (nicht als grundlegende Eigenschaft der Sprache, sondern als konkretes persuasives Verfahren) angenommen wird, so erscheint (et) même als ein nicht spezifischer Marker der koordinierten Argumentation. Damit werden aber die Differenzierungsmöglichkeiten im Vergleich zu (zumindest intuitiv) offensichtlich weniger spezialisierten Markern, die ebenfalls koordinierte Argumentationen signalisieren können, wie z.B. Gliederungs- oder Aufzählungssignale, deutlich reduziert » (Atayan 2006, 213) Résumons l’idée centrale exposée par Atayan en nos termes : le fait que les parajonctions puissent agir avec une technique argumentative sur la matière textuelle, peut avoir pour conséquence un affaiblissement de la distinction entre la classe des parajonctions (marqueurs de structurations du texte) et des jonctions (connecteurs de l’orientation argumentative du texte). Ce constat souligne selon nous la nécessité de considérer la technique hybride structurante argumentative dans notre modèle des connecteurs prépositionnels. Mais, au-delà du flou frontalier évoqué par Atayan, nous sommes d’avis que la différence entre les deux classes (jonctions et parajonctions), réside en leur degré de spécialisation : tandis que les jonctions sont spécialisées dans la technique argumentative, les parajonctions emploient typiquement la technique structurante. En conséquence, les parajonctions employées avec la technique argumentative se distinguent des jonctions au niveau de leur spécificité. (115) Parents et enseignants contestent l’opportunité d’une telle sanction. André Gaucher, président local de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), estime qu’elle « touche au portefeuille des familles qui ont le plus de difficultés, notamment les familles monoparentales ». En outre {C} {ESA} {PG} {ADD}, souligne-t-il, l’école doit s’interroger sur ses propres responsabilités : « Elle ne met pas les moyens suffisants pour éviter que l'enfant ne perde pied. » Un argument relayé par l’opposition socialiste : « Il faut plus d’accompagnement humain dans les établissements scolaires », déclare Marie-Louise Gourdon, conseiller général PS, enseignante. Or, on assiste à des suppressions de postes. (Le Monde) Dans l’exemple (115) issu du corpus Le Monde, le journaliste juge le comportement des parents et des enseignants face à une réforme de contestataire. Ce jugement est étayé par deux arguments : le premier – il touche les familles en difficulté – n’est pas introduit explicitement par un connecteur ; le second en revanche – l’école à des responsabilités – est explicitement introduit par le connecteur prépositionnel en outre qui indique que les deux énoncés – à sa gauche et à sa droite – sont des arguments co-orientés (cf. Atayan 2006, 272ss.). (116) M. FRANÇOIS ZOCCHETTO : […] À ceux qui trouveraient cela un peu répétitif, je répondrai d’emblée, au risque de les surprendre, que ces initiatives successives se justifient. D’abord {C} {ESA} {PG} {DEB}, elles concernent un sujet majeur pour les libertés publiques et la sécurité. Ensuite {C} {ESA} {PG} {POS}, le régime actuel de la garde à vue, chacun en convient, ne peut plus être maintenu – c'était la conclusion de notre premier débat. Je ne rappellerai pas les chiffres ni les circonstances de certaines gardes à vue excessives. Enfin {C} {ESA} {PG} {ARR}, la

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recherche du régime de garde à vue le plus adapté passe par la présentation et l’étude de toutes les options possibles de la réforme. L’échange et le débat sont les meilleurs moyens de progresser dans cette voie. (Sénat) Dans cet exemple, M. Zocchetto livre des arguments, des preuves, en faveur de sa conclusion « les initiatives successives sont justifiées ». Les arguments sont introduits par des connecteurs prépositionnels (parajonctions) ou marqueurs de l’organisation textuelle d’abord, ensuite, enfin. Dans cet exemple, les trois connecteurs marquent non seulement l’articulation du texte, mais ils introduisent également les arguments de manière explicite : ils agissent donc sur la matière textuelle – action d’explicitation – avec la technique complexe de structuration et d’argumentation. De plus, l’analyse de corpus a mis en évidence que la technique hybride n’est pas réservée à l’action d’explicitation. Au niveau de l’action de représentation, la structuration des événements peut être couplée d’une orientation argumentative : (117) Depuis que {C} {RSA} {PT} {DEB} {CAU} {resp} M. Sarkozy s’est entretenu avec le président chinois Hu Jintao en avril 2009 à Londres, suivi de la visite à Pékin de François Fillon en décembre, la relation franco-chinoise a été relancée. (Le Monde) Dans l’exemple (117), le connecteur depuis que structure la représentation des événements (« M. Sarkozy s’est entretenu » et « la relation franco-chinoise a été relancée ») de manière iconique sur l’axe temporel en introduisant explicitement un élément marquant le début. Mais au-delà, la représentation structurée des événements autorise une interprétation causale qui implique l’entrée en jeu de la technique argumentative. Dans ce cas, l’entretien de M. Sarkozy avec le président chinois Hu Jintao peut être interprété comme la cause, comme responsable de l’embrayage des relations franco-chinoises. Ici, la relation causale n’est pas explicite mais est implicite ou sous-entendue (cf. Ducrot 1969 ; cf. Schmidhauser 1995, 195). En effet, la causalité ne fait pas partie du sens de base conventionnel de depuis que, mais il s’agit d’une valeur sémantique conversationnelle qui est déclenchée par une implicature (cf. Hölker 1988, 147ss.).52 De même dans, l’extrait suivant issu du quotidien Le Monde, le connecteur pendant que, contenant une préposition temporelle, structure la représentation de deux événements : (118) Pendant que {C} {RSA} {PT} {SIM} {OPP} {deseq} les Gardiens de la révolution iranienne se livrent à des manœuvres militaires dans les eaux du Golfe, affirmant avoir testé avec succès cinq missiles, en réponse aux « menaces nucléaires » des Etats-Unis, Téhéran mène une offensive diplomatique désespérée pour éviter que le Conseil de sécurité des Nations unies adopte contre lui un nouveau train de sanctions. (Le Monde)

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Voir la partie 1.2.1 Asyndète vs. connexion explicite ou pourquoi lier de manière explicite ? pour une distinction du sens conventionnel et conversationnel. Par ailleurs, les différents types de sens distingués par Hölker (1988) seront thématisés dans la partie 4.4 Les connecteurs prépositionnels : composante dénominative et transparence.

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Dans cet exemple, pendant que instaure une relation de simultanéité entre deux événements avec la technique de structuration : « se livrent à des manœuvres militaires » et « mène une offensive diplomatique ». De plus, on détecte une opposition entre les deux événements mis en relation, liée à certains indicateurs situés dans le cotexte, ou plus précisément, dans les connectes de pendant que : militaires vs. Diplomatique.53 A l’instar de depuis que, la technique argumentative n’est pas conventionnelle au connecteur pendant que, mais elle est déclenchée par une implicature conversationnelle (cf. Detges 1999, 35).54 Enfin, la technique hybride est également active lors de la réalisation d’une interaction par les connecteurs prépositionnels. Cette technique hybride témoigne aussi bien du passage d’un connecteur appartenant à la classe des parajonctions vers la classe des jonctions que l’inverse. Ainsi dans l’exemple suivant, la parajonction par exemple est employée avec la technique argumentative : (119)

M. JEAN-PIERRE GODEFROY […] La nouvelle stratégie doit pouvoir s’appuyer sur des actions concrètes. Je pense, par exemple {C} {ISA} {PNL} {ADD} {prop}, à l’adoption d’un agenda de recherche axé sur la sécurité énergétique, les transports, le changement climatique, ou encore sur la santé et le vieillissement. (Sénat)

Dans l’exemple (119), la parajonction, à l’origine illustrative, par exemple est employée comme une procédure de proposition notée {prop} qui vient étayer la nécessité introduite par le verbe modal « devoir ». De même, l’analyse de corpus a documenté que les connecteurs prépositionnels ancrés dans la classe de jonctions peuvent se déplacer vers la classe des parajonctions. Aussi, dans le corpus oral de proximité (Oral), le connecteur parce que peut être employé pour feindre un acte justificatif octroyant ainsi au locuteur le droit de prise de parole : (120) *SOP : ben oui // mais ils sont moins nombreux donc / &euh obligatoirement / ils se sentent moins forts // # *ANT : mh *SOP : c’est ça ? *ANT : mh *SOP : parce que {C} {ISA} {PNL} {CAU} {turn} / &euh [/] # &euh à Leipzig / là où elle habitait ma sœur / il y avait [/] il y a [/] &euh # en mai là / il y a le truc d’Hitler / il y a &euh # l’avènement au pouvoir là // il y a un truc // tu as une histoire comme ça / ou l’anniversaire de je sais pas quoi // # (Oral)

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Pour une délimitation des concepts opposition et concession voir Stoye (2013). Pour une discussion des concepts adversativité et concession dans une approche logique voir Nølke/Gettrup (1984). Voir également dans ce chapitre la partie 4.5.3.5 L’opposition : déséquilibre, retournement de jugement. Pour une présentation des différentes lectures de pendant que en comparaison à während voir 1.2.3.2 Polysémie et les indicateurs de lecture.

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Dans l’exemple (120), le connecteur parce que ne revêt pas sa valeur causale habituelle, mais il feint un acte justificatif permettant à SOP de prendre la parole. Ainsi en employant un connecteur conventionnellement causal, SOP fait comme si elle justifiait la prise de parole par la technique argumentative. Il ne s’agit cependant pas d’une « véritable » justification mais, d’une procédure permettant de marquer la prise de parole {turn} en employant la technique structurante. De même dans l’exemple (121), parce que marque le début d’un nouveau turn : (121) *EDO : ouais mais &euh bon voilà quoi // # mais c’est &m [/] moi j’aime bien // # puis j’aime bien &euh [/] j’aime [/] je préfère bosser dans un magasin comme ça / que [/] # que dans un autre magasin / comme ce qui a en face // *SAN : // *EDO : voyez // # l’immobilier blanc et gris quoi // *SAN : oui // oui // oui // *EDO : bon &euh // # *SAN : parce que {C} {ISA} {PNL} {turn} là / le contact doit être facile / non / avec les gens &euh / // (Oral) Au début de l’exemple (121), le partenaire de conversation SAN accompagne le turn55 d’EDO par de brefs segments linguistiques confirmatifs, « oui », témoignant de son attention à la contribution d’EDO. En effet, pendant la formation d’un turn, les partenaires de la conversation analysent celui-ci simultanément afin de déterminer le moment où ils peuvent prendre la parole : il s’agit des « transition relevance places », des endroits de transition appropriés (cf. Mondada 1999 ; 2000 ; Relieu 1999). Dans cette optique, les locuteurs s’orientent aux moments où le turn est potentiellement terminé et un changement de parole peut avoir lieu. Ainsi, dans l’exemple (121), SAN interprète la marque d’hésitation « bon &euh » d’EDO comme un endroit potentiel de transition approprié à une prise de parole et exécute cette procédure par le connecteur parce que lui permettant à la fois de feindre un acte de justification de prise de parole et de renouer au point de vue précédemment énoncé par EDO « je préfère bosser dans un magasin comme ça ». Le turn n’étant pas une grandeur préétablie, les actants qui le produisent peuvent marquer sa fin potentielle par un indicateur. (122) *CHR : &euh à l’appartement ? # que au début {C} {RS} {PG} {DEB} / bon moi je venais de quitter &euh Stéphane // donc j’avais dit &euh bon ça serait bien que # tu t’installes pas tout de suite // # mais en fait {C} {ISA} {PG} {rect} en fin de compte / il était tout le temps à la maison // # il dormait &euh tous les soirs // et puis un soir j’ai dit non quand même là

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Dans les travaux en linguistique interactionnelle tous les signaux tel que mh sont considérés comme des feedback ou backchannel. Voir Settekorn (1997) pour une approche rhétorique et Laforest (1992) pour une approche sociolinguistique. Ce point de vue est critiqué par l’analyse conversationnelle car l’indentification de ces interjections à des backchannel pose la question théorique centrale controversée de savoir si les backchannels constituent des turns ou non (cf. Gülich/Mondada 2008, 44).

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# cette nuit chacun de son côté // et puis finalement on a été malheureux comme des pierres chacun de notre côté // et # [/] et hhh on s’est rendu compte que bé non // il fallait qu’on vive ensemble quoi // *SYL : parce que {C} {ISA} {PNL} {turn} au tout début *CHR : *SYL : donc elle vivait toute seule // # et moi je prenais [/] j’habitais chez mes parents hhh // (Oral) Ainsi, dans l’exemple (122), CHR clôt explicitement son exposé avec le marqueur conclusif quoi (cf. Hölker 1988 ; 2010). Le partenaire de conversation SYL quant à lui perçoit la fin du droit de parole de CHR et prend son tour de parole avec parce que. De même que les connecteurs prépositionnels alors et par exemple,56 parce que peut également être employé dans un acte interrogatif afin d’interpeler l’allocutaire. Dans l’exemple (123), deux amies philosophent sur l’« amour » et s’interrogent sur son organisation dans la vie en couple, sans le détruire. (123) *VAL : < parce que {C} {ISA} {PNL} {interpel} ça fait peur non> ? *CHA : non mais c’est pas le planifier // (Oral) Au niveau global de la discussion, VAL défend la thèse que planifier l’amour, c’est le tuer. CHA, défend la thèse inverse. Dans l’extrait (123), VAL marque le début de son turn en l’introduisant avec parce que, ce qui lui permet, outre une légitimation factice de la prise de parole, d’apporter un argument en faveur de sa thèse « ça fait peur ». Par ailleurs, certains énoncés peuvent être le résultat d’une production collective57 comme dans l’exemple suivant : (124) *SAN : et ça se transmet de génération en génération / parce que {C} {ISA} {PNL} {CAU} {interpel} ces gens / ils ont quelles [/] *EDO : ben ouais / parce que {C} {EA} {PNL} {CAU} {resp} moi / enfin {C} {IS} {PG} {rect} si je connais le mot Bosche / c’est bien pour [/] parce qu’ {C} {EA} {PNL} {CAU} {resp} on me l’a dit hein // # (Oral) Dans l’extrait (124), SAN émet l’hypothèse que l’antipathie de certains Français envers les Allemands est un phénomène culturel héréditaire qui « se transmet de génération en génération », cette hypothèse doit être confirmée ou réfutée par l’interlocuteur. En employant parce que, SAN interpelle son allocutaire tout en

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Voir la partie 4.3.1.3 Interagir par structuration. Sacks/Schegloff/Jefferson (1978) indiquent que dans certains contextes le format du changement de locuteur est défini d’une manière spécifique (cf. Gülich/Mondada 2008, 42). Voir également la partie 6.3.3 Sénat, les interpellations et le rôle des connecteurs prépositionnels : lors des débats parlementaires, la distribution du droit de parole est formalisée et est confiée au président de la séance. Cependant, même dans le cadre formel des débats parlementaires, des prises de paroles non planifiées ont lieu, elles sont appelées « interpellations ». Dans ce cadre, les connecteurs prépositionnels peuvent jouer un rôle cohésif important.

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formulant une simulation de réponse qui, en fait, s’avère être une interrogation. De cette manière SAN incite son partenaire EDO à terminer la production de l’énoncé. On parle alors de production collective (« joint productions ou collaborative utterances ») lorsqu’une des unités de constructions est produite par deux locuteurs distincts (Sacks 1992).58 De même dans l’exemple (125), MAR complète les propos tenus par CHA en introduisant sa contribution par pourtant : (125) *CHA : ce qui fait que voilà // une année est passée presque / et &euh donc là / ils étaient là ce week-end / et je suis rentrée en train à La Rochelle // # putain c’était chiant le train // # un cauchemar // # *MAR : ah ouais ? # *CHA : ah ouais le train était // *MAR : < pourtant {C} {ISA} {PNL} {rect} ça va vite non> ? (Oral) Dans cet exemple, les points de vue identifiables pris en charge par E1 « putain c’était chiant le train » et E2 « pourtant ça va vite » peuvent être attribués respectivement à CHA et MAR. En employant pourtant, MAR complète les propos tenus par CHA tout en les contrecarrant. Plus encore, elle met en doute la valeur de vérité de cette assertion en proposant un contre-argument ça va vite censé désamorcer le point de vue de E1. Il s’agit du pourtant dit de dénégation permettant d’exprimer un doute ou un refus fréquemment employé dans des dialogues ou monologues à structure dialogique (cf. Anscombre 1989, 71s.). Une procédure de complémentation réside en ce qu’une unité discursive commencée par l’un des participants soit terminée par un autre locuteur (Gülich/Mondada 2008, 46). Gülich/Mondada (ibid.) indiquent que certaines forment typiques favorisent la production d’énoncés collectifs : certaines formes de la subordination – comme c’est le cas avec parce que dans l’exemple (124) – la projection d’une opposition avec mais, dans l’exemple (125) réalisée avec pourtant, et les phrases relatives.59 La coproduction d’énoncés peut être a lieu dans des buts distincts : les participants peuvent exprimer leur accord ou empathie par rapport à un savoir commun ; elle peut participer à la constitution de certains rôles et à l’évolution de certains thèmes communs ou concurrents (Mondada 1995b ; 1999).

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Voir Jeanneret (1999) ; (2001) pour la coénonciation en français, voir Gülich (1986a) au sujet de l’achèvement interactif et Müller (1995) pour les complémentations syntaxiques. Gülich/Mondada (2008, 46) indiquent que la complétude ne constitue pas une propriété inhérente au turn mais elle est une grandeur qui dépend de la production des partenaires. Sacks (1992, 144) et cf. Jeanneret (1999, 187), montrent qu’un premier locuteur peut considérer un turn comme complet et le marquer en conséquence, le second locuteur peut, malgré cette marque finale, introduire une partie de manière rétroactive, faisant comme si le turn était incomplet. La complémentation peut également être présentée ou interprétée comme une aide face à une difficulté manifestée par le premier locuteur (Gülich/Mondada 2008, 46 ; cf. Gülich 1986a).

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4.4 Les connecteurs prépositionnels : composante dénominative et transparence 4.4.1 La composante dénominative Le but de cette partie est de souligner une propriété commune à certains connecteurs prépositionnels indépendamment de la technique (structurante, argumentative ou hybride) de mise en relation. Le point commun de certains connecteurs prépositionnels est de contenir une composante dénominative c’est-à-dire une composante donnant une instruction explicite quant au traitement de l’entité discursive qui les précède ou les succède.60 Dans la liste non exhaustive suivante des connecteurs prépositionnels, les éléments dénominatifs sont notés en italique : au contraire, à condition que, à l’opposé, au début, au départ, à la fin, au total, c’est la raison pour laquelle, en conclusion, en conséquence, enfin, en résumé, ensuite, par conséquent, par exemple, pour conclure, pour cette raison. Ces connecteurs prépositionnels ont la spécificité de comprendre une composante dénominative qui peut être prise en charge par des substantifs tels que début, fin, conséquence ou raison ou par un verbe, par exemple conclure, qui nomment la partie du texte précédente ou suivante.61 La spécificité dénominative des expressions a déjà été abordée sous diverses perspectives. Dans le cadre de l’approche déictique discursive, Maaß (2010a, 66s.) distingue les expressions métalinguistiques des expressions métacommunicatives. Les expressions métalinguistiques feraient référence à la forme linguistique au sens étroit (cf. Bredel 2007) tels que « Paris » a cinq lettres, tandis que les expressions métacommunicatives renvoient à l’emploi communicatif de la langue (cf. Lenz 1997, 79). Cette distinction permet à Maaß (2010a, 66ss.) de préciser que les déictiques discursifs sont rarement métalinguistiques mais sont la plupart du temps métacommunicatifs.62 Dans la description des connecteurs pragmatiques du français contemporain, Roulet et al. (1985, 85ss.) considèrent avec le terme de « marqueur métadiscursif » les expressions telles que je voudrais vous demander quelque chose, j’ai une question à vous poser etc.63 Il s’agit d’énoncés qui « […] constituent en fait une indication anticipée de la fonction, dans le discours, de l’intervention qu’ils introduisent […] » (ibid., 85). Ces marqueurs métadiscursifs ont la particularité de cumuler les fonctions d’annonce, et de spécifications illocutoires spécifiques (ibid., 87). Si la fonction illocutoire spécifique des connecteurs prépositionnels – de par l’absence d’un sujet parlant linguistiquement réalisé – est moins forte que celle des expressions considérées par Roulet et al. (1985), les connecteurs prépositionnels possèdent

––––––– 60 61

62

63

Cf. Maaß (2010a, 66ss.). Voir le chapitre 4 pour une analyse des éléments auxquels s’associent les prépositions pour former des connecteurs. Dans ce cadre, Maaß (2010a, 67) critique la terminologie employée par Lyons (1977). Celui-ci distingue la deixis discursive métalinguistique et métacommunicative en nommant la première « pure textual deixis », la seconde « impure textual deixis ». Maaß voit en la dénomination péjorative « impure » une nette préférence de Lyons (1977) pour le type de référence métalinguistique « pure » alors que ces renvois ne correspondent pas au cas régulier mais à l’exception. Cf. Schegloff (1980).

202

clairement une fonction d’annonce, dans la mesure où ils nomment ce qui suit. Ainsi, les connecteurs prépositionnels évoqués dans ce chapitre peuvent être considérés comme ayant une composante d’annonce métacommunicative qui annonce de manière explicite l’élément introduit ou repris. Les connecteurs prépositionnels ayant une annonce métacommunicative tels que au départ, au début, ensuite sont habituellement considérés comme des marqueurs responsables de l’organisation du discours ou d’événements (cf. Adam 1989). Aussi, le point commun de ces expressions serait d’agir sur les événements représentés ou sur la matière textuelle avec une technique structurante. Dans l’exemple (126), les connecteurs d’abord et ensuite effectuent une structuration en hiérarchisant la matière textuelle : (126) En juillet, ce sont d’abord {C} {ES} {PG} {DEB} les seniors (50 ans et plus) qui ont souffert de la détérioration du marché du travail. Ils étaient 606 000 inscrits à Pôle emploi fin juillet (+ 1,7 %). Viennent ensuite {C} {ES} {PG} {POS} les 25–49 ans : le nombre des demandeurs d’emploi dans cette tranche d’âge s’est accru de 1,1 % pour dépasser les 2,4 millions. (Le Monde) Le connecteur prépositionnel ensuite porte, selon notre modèle, la fonction d’explicitation structurante {ES} : il agit donc avec une technique structurante. Cependant, si cela est valable pour les connecteurs au début, au départ, à la fin etc., d’autres connecteurs tels qu’au contraire, à condition que ou en conséquence agissent avec une technique argumentative car ils émettent une relation entre un argument et une conclusion. En effet, dans l’exemple (127), le connecteur en conséquence marque de manière explicite l’aboutissement d’un raisonnement : (127) MME SYLVIE DESMARESCAUX : La mesure que vous proposez présenterait l’inconvénient majeur d’accroître fortement le coût des stages, madame Pasquet. Elle découragerait leur pratique et aggraverait finalement la pénurie actuelle. Ce n’est pas notre objectif. En conséquence {C} {EA} {PG} {CONS} {conc}, l’avis de la commission est défavorable. (Sénat) Dans cet extrait du corpus Sénat, Mme Desmarescaux indique explicitement avec le connecteur en conséquence que le connexe de droite est à traiter comme une conclusion « avis […] défavorable » qui découle des arguments « accroître le coût des stages », « découragerait », « aggraverait » présentés en amont. Le connecteur prépositionnel à composante métadiscursive en conséquence n’est pas, selon nous, « primairement » topologique, c’est-à-dire qu’il n’agit pas de manière notable avec la technique structurante, mais il indique essentiellement l’introduction de la conclusion d’un raisonnement. Ainsi, dans le présent travail, les connecteurs prépositionnels ayant une composante métacommunicative, comme en conséquence, agissent essentiellement avec une technique argumentative. La particularité des connecteurs prépositionnels considérés dans cette section est qu’ils permettent soit de situer des entités topologiquement les unes par rapport aux autres, soit de les traiter comme des (contre-) arguments ou conclusions en nommant comme telle un des éléments mise en relation. Ces connecteurs prépositionnels déterminent par la dénomination le traitement d’une entité textuelle. Dans l’exemple

203

(126), ensuite annonce que l’élément textuel qu’il introduit suivra l’élément précédent : ce connecteur prépositionnel agit sur la matière textuelle, il a une fonction d’explicitation structurante {ES}. Dans l’exemple (127), en conséquence revêt la fonction d’explicitation argumentative {EA} car il s’agit d’une instruction conférant une orientation argumentative à la matière textuelle. Cependant, comme nous l’avons vu dans la partie 4.3.2 La technique argumentative {_A}, tous les connecteurs dont la technique est argumentative ne défendent pas nécessairement une thèse, c’est-à-dire qu’ils n’établissent pas de relations argumentatives au sens étroit du terme en fonction d’explicitation argumentative {EA} (cf. Atayan 2006, 209). Aussi, un connecteur prépositionnel peut contenir une composante dénominative sans agir dans son ensemble sur la matière textuelle : ensuite ou au début peuvent agir principalement sur la situation dont le locuteur parle (Situationüber). Dans ce cas, ils lient des événements et la représentation structurante {RS} est leur fonction dominante. De même, la valeur méta-argumentative par la nomination d’une partie de texte n’est pas une condition suffisante quant à l’attribution de la fonction {EA} à un connecteur prépositionnel (cf. ibid., 43). Ainsi, dans l’exemple (128) issu du corpus Le Monde, le connecteur prépositionnel au contraire annonce explicitement que l’entité suivante est opposée à l’entité précédente : (128) Et quand les grandes font maigre, les petites nouvelles de la télévision numérique terrestre (TNT) veulent, au contraire {C} {RA} {PG} {OPP} {deseq}, célébrer leur bonne fortune. (Le Monde) Dans cet extrait, au contraire ne lie pas les points de vue de deux énonciateurs défendant des thèses distinctes, mais il lie deux faits observés, « les grandes font maigre », « les petites […] veulent célébrer leur bonne fortune ». Le connecteur au contraire a ici une fonction de représentation argumentative. Pour cette raison, il nous semble nécessaire de distinguer la composante dénominative pour les actions de représentation et d’explicitation. Notons par ailleurs que le tag {ESA} ne peut être attribué automatiquement aux connecteurs prépositionnels contenant une composante dénominative, car toutes les relations argumentatives ne peuvent être ramenées à des valeurs sémantiques localisantes. Si l’on peut par exemple concevoir que la conclusion représente une arrivée au niveau de la structuration du texte, tel n’est pas le cas pour la plupart des connecteurs agissant avec une technique argumentative, comme au contraire qui exprime l’opposition. Il s’agit là d’une limite du présent modèle sémantique et pragmatique qui n’est pas en mesure de rendre compte de la composante dénominative inhérente à certains connecteurs prépositionnels. C’est pourquoi il a nous a semblé judicieux de thématiser cette composante dénominative dans ce chapitre spécifique, afin de mettre en lumière les particularités communicatives des certains connecteurs prépositionnels. La partie suivante traite la relation entre l’annonce exécutée par la composante dénominative des connecteurs prépositionnels et leurs valeurs sémantiques. Dans ce cadre, nous verrons que le concept de transparence peut préciser le rapport entre la composante dénominative et la valeur sémantique du connecteur.

204

4.4.2 Transparence et mode communicatif La composante dénominative, par l’annonce explicite de l’élément qui suit ou qui précède confère aux connecteurs, dans lesquels elle se trouve, un haut degré de transparence.64 Avec Hölker (1988, 146), un marqueur peut être considéré comme transparent, par rapport à ce qu’il marque, s’il le marque clairement. Dans ce cadre, Hölker (ibid.) conçoit la clarté comme un concept graduel et distingue trois degré de transparence : haut, moyen, faible. Ainsi, plus précisément présente un haut degré de transparence car sa signification correspond à son sens littéral (‘wörtliche Bedeutung’). En revanche, à savoir ne présente plus de rapport direct entre son sens littéral et la signification de son marqueur : à savoir marque que ce qui suit est une retouche particulière de ce qui le précède. Relativement à son sens de base (‘Grundbedeutung’), à savoir présente un degré de transparence moyen. Le sens reformulatif de à savoir est conventionnel mais ne correspond pas à son sens littéral. L’expression non employée comme marqueur correctif présente un faible degré de transparence, car son sens de base n’est pas de marquer des corrections de contenu, mais une négation. En conséquence, non présente une transparence faible relativement à son sens cotextuel « correction de contenu ». Le concept de transparence des marqueurs peut être précisé dans le cadre d’une théorie des implicatures conversationnelles griciennes.65 Hölker (1988, 147ss.) établit une correspondance entre les trois degrés de transparence évoqués et les modes communicatifs. degré de transparence

mode communicatif

haute transparence

communication explicite

moyenne transparence

communication implicite conventionnelle

faible transparence

communication implicite conversationnelle généralisée

Tableau 20 : degré de transparence et mode communicatif

La description des connecteurs marquant une fonction illocutoire selon les divers modes communicatifs, montre, dans le cadre d’une communication explicite, que les marqueurs employés nomment directement la fonction illocutoire. En d’autres termes, le locuteur verbalise expressément la fonction illocutoire de l’expression.66 En français moderne par exemple, le connecteur prépositionnel à cause que était employé afin d’introduire une cause en la nommant explicitement.67 Dans le Discours de la Méthode, Descartes emploie le connecteur prépositionnel à cause que à

––––––– 64

65

66

67

Voir Schwenter/Traugott (2000) pour une définition du concept de transparence dans une perspective pragma-historique. Cf. Hölker (1988, 147ss.). Dans le présent ouvrage voir la partie 1.2.1 Asyndète vs. connexion explicite ou pourquoi lier de manière explicite ? Cf. les « marqueurs dénominatifs d’acte illocutoire » de Roulet (1980). Les marqueurs de ce type sont des formules performatives de type « je te demande si… ». Le connecteur à cause que est analysé dans la partie 7.3 Parce que et pour cela (que) : formes et fonctions de la cause et de la conséquence en diachronie.

205

trente-cinq reprises. Ainsi, dans l’exemple (129), à cause que introduit la cause justifiant le traitement intensif de l’âme dans le Discours de la Méthode : (129) Au reste, je me suis ici un peu étendu sur le sujet de l’âme à cause qu’il est des plus importants […] (Discours de la Méthode, 166) En raison de la transparence sémantique par rapport à la relation effectuée, le connecteur prépositionnel à cause que réalise une communication de mode explicite. La communication conventionnelle implicite est prise en charge par des marqueurs qui indiquent, ou suggèrent, une fonction illocutionnaire. Dans ce cas, le locuteur donne à comprendre qu’une expression a une certaine fonction illocutionnaire en employant des unités dont le sens conventionnel détermine ce qui est implicite. Aussi, le connecteur prépositionnel parce que, introduisant la cause, n’exprime pas explicitement la relation causale, mais sa valeur sémantique causale est conventionnelle.68 Le connecteur parce que est donc moins transparent envers la relation causale que ne l’était le connecteur à cause que. Le type de communication implicite conversationnelle généralisée correspond aux marqueurs qui autorisent une certaine fonction illocutionnaire. Ici, le locuteur donne à comprendre qu’une expression a une certaine fonction illocutionnaire, ou sous-entend cette fonction. Dans ce cas, il emploie des unités qui prennent un sens supplémentaire – une certaine fonction illocutionnaire – seulement dans certains co(n)textes.69 Ainsi, le connecteur parce que en fonction d’interaction argumentative {IA} ou d’interaction structurante argumentative {ISA} a un faible degré de transparence par rapport à sa valeur procédurale de commentaire ou de turn.70 La communication implicite conversationnelle spécialisée/particularisée est caractérisée par un manque absolu de marque envers la fonction illocutionnaire préméditée. Dans ce cas, la fonction illocutionnaire de l’expression est totalement dépendante du co(n)texte. Elle n’est pas marquée. Par exemple, l’expression Il pleut peut être employée dans un certain contexte pour inviter quelqu’un à rester chez lui ou à prendre son parapluie (Hölker 1988, 147ss.). Les différents types de communications et les types de marqueurs peuvent être résumés dans le tableau cidessous :

––––––– 68

69

70

Hölker (1988) nomme le marqueur certes comme représentant de la communication conventionnelle. Roulet (1980) nomme ces marqueurs « marqueurs indicatifs d’acte illocutoire ». Hölker (1988) considère le marqueur pouvez-vous comme une tentative de donner un ordre. Roulet (1980) nomme ces marqueurs « marqueurs potentiels d’acte illocutoire ». Pour une description du connecteur parce que en fonction d’interaction argumentative et d’interaction structurante argumentative voir respectivement les parties 4.3.2.3 L’argumentation au service de l’interaction et 4.3.3 La technique hybride : structuration et argumentation.

206

type de communication

communication explicite

communication conventionnelle implicite

communication implicite conversationnelle généralisée

communication implicite conversationnelle spécialisée/particularisée

type de marqueurs

les marqueurs nomment directement la fonction illocutionnaire

les marqueurs indiquent (suggèrent) une fonction illocutionnaire

les marqueurs autorisent une certaine fonction illocutionnaire

manque absolu de marque

dénomination d’après Roulet (1980)

marqueurs dénominatifs d’acte illocutoire

marqueurs indicatifs d’acte illocutoire

marqueurs potentiels d’acte illocutoire



exemples cités par Hölker (1988)

Je te demande si

Certes

Pouvez-vous

Il pleut

Tableau 21 : les différents types de communications et leurs marqueurs (d’après Hölker 1988, 147ss.)

De même, pour les connecteurs indiquant une conséquence, différents degrés de transparence peuvent être distingués. Ainsi, donc serait moins transparent que il s’ensuit que, j’en conclus que, on peut en inférer que. En effet, tandis que l’inférence fait partie du sens littéral des trois dernières expressions, donc ne présente pas de rapport direct entre son sens littéral et la signification du marqueur (Hölker 1988, 149). Ainsi, la distinction des connecteurs selon les différents types de communication a l’avantage de montrer que le locuteur dispose d’un inventaire de moyens linguistiques lui permettant de marquer une relation avec un degré de clarté plus ou moins élevé. Notons cependant que tous les connecteurs contenant une expression dénominative ne possèdent pas nécessairement un haut degré de transparence. Le connecteur dans ces conditions nomme certes explicitement la partie du texte en amont « conditions », cependant au niveau de sa globalité, le connecteur prépositionnel n’émet pas de relation sémantique de condition, mais de conséquence. (130) Il reste à trancher des questions de fond, comme le périmètre exact des entreprises concernées ou les sanctions attachées au respect des dispositions adoptées. Et, compte tenu de l’ampleur du sujet abordé, un travail important est à mener. Dans ces conditions {C} {EA} {PS} {CONS} {conc}, il y a lieu, en termes d’efficacité, d’éviter des navettes inutiles. (Sénat) Dans cet exemple, la valeur sémantique littérale de la composante dénominative – la condition – ne corrèle pas avec la valeur sémantique globale du connecteur prépositionnel car dans ces conditions exprime une conséquence. Une composante dénominative explicite n’est donc pas toujours synonyme d’un degré de transparence élevé 207

par rapport à la relation émise. En conséquence, il est nécessaire de distinguer les concepts de dénomination et de transparence. Concluons qu’en suivant Hölker (1988), le concept de transparence dans le cadre de la théorie des implicatures conventionnelles et conversationnelles griciennes, permet de préciser la valeur communicative des connecteurs prépositionnels. Notons toutefois que ce concept – et cela certainement plus encore dans une perspective diachronique – pose la question de savoir pour qui la relation émise par le connecteur est transparente. Aussi, peut-on se demander si la transparence est un concept du linguiste historien ou une réalité du locuteur (cf. Maaß/Schrott 2010b, 10). Malgré cette difficulté, le concept graduel de transparence présente l’avantage de préciser les stratégies poursuivies par les locuteurs en employant des connecteurs prépositionnels.

4.5 Catégorisation sémantique des connecteurs prépositionnels 4.5.1 Catégories et annotations Dans cette partie, nous traitons les catégories sémantiques des connecteurs prépositionnels et leurs annotations dans le corpus synchronique. Relativement à la figure 10, nous nous situons au niveau (4) valeur sémantique. Selon notre modèle, ces valeurs sémantiques concernent les connecteurs réalisant une action de représentation ou d’explicitation. Nous l’avons déjà évoqué, la distinction des actions est relative au rôle du locuteur lors de la mise en relation : tandis que le locuteur parle d’une situation (Situationüber) lors d’une représentation, il parle et agit dans la situation (Situationin) lors d’une explicitation, mais aussi lors d’une interaction (cf. Hölker 1988, 5ss.). Cependant, contrairement aux connecteurs employés en action d’interaction qui réalisent une procédure, les connecteurs prépositionnels en action de représentation ou d’explicitation ont une valeur sémantique.71 Au niveau théorique et méthodologique, la partie 1.2.2 Modèles de classification sémantique a mis en évidence l’absence de consensus concernant la classification du sens des connecteurs. Pour cette raison, les catégories descriptives du présent travail ne sont pas calquées sur un modèle préexistant, mais elles se sont cristallisées au cours de l’analyse du corpus. En d’autres termes, la catégorisation des valeurs sémantiques des connecteurs prépositionnels est basée sur une évidence de corpus.72 De cette manière, douze catégories ont été extraites et rendent compte des différentes valeurs sémantiques des connecteurs prépositionnels de manière précise et tranchante. Comme nous le verrons au cours de la présentation des résultats de l’étude de corpus en synchronie, notre modèle présente en outre l’avantage de rendre compte de lectures complexes.73 Le tableau 22 visualise les sept catégories localisantes et le ta-

––––––– 71 72

73

Cf. Hölker (1988, 5ss.) et la partie 1.3.2 Un connecteur, différents niveaux de liage. Cf. Lemnitzer/Zinsmeister (2006, 54ss.) pour la présentation du concept évidence de corpus. Cette méthode correspond à l’approche corpus-driven présentée au sous-chapitre 3.1 Les connecteurs prépositionnels : une approche « corpus-driven. Concernant les doubles lectures, voir les résultats de l’analyse du corpus Le Monde dans la partie 6.1.3.4 Les doubles lectures et la causalité dans le corpus Le Monde.

208

bleau 23 les cinq catégories non-localisantes ainsi que leurs annotations respectives suivant leur ordre alphabétique : catégorie sémantique localisante

tag

actualisation

{ACT}

addition

{ADD}

antériorité

{ANT}

point d’arrivée

{ARR}

point de départ

{DEB}

postériorité

{POS}

simultanéité

{SIM}

Tableau 22 : catégorie sémantique localisante catégorie sémantique non-localisante

tag

cause

{CAU}

condition

{COND}

conséquence

{CONS}

finalité

{FIN}

opposition

{OPP}

cause

{CAU}

condition

{COND}

Tableau 23 : catégorie sémantique non-localisante

A partir des douze catégories sémantiques, deux types de catégories ont été distingués : les catégories localisantes qui ordonnent un élément du discours (événement, partie de texte ou acte de langage) et, aussi différentes soient-elles, les catégories non-localisantes qui établissent une relation entre un argument et une conclusion. Ces valeurs sémantiques se reflètent au niveau des techniques : les catégories sémantiques localisantes sont essentiellement subordonnées à la technique de structuration, et les catégories non-localisantes à la technique argumentative. Les catégories employées pour la détermination des relations sémantiques exprimées par les connecteurs servent d’heuristique et seront précisées dans la partie suivante. 4.5.2 Les catégories sémantiques localisantes Cette partie concernant les catégories sémantiques localisantes traite le niveau (5) valeur sémantique localisante de la figure 10. Dans le corpus, sept catégories sémantiques localisantes ont été détectée : l’actualisation {ACT}, l’addition {ADD}, l’antériorité {ANT}, l’arrivée {ARR}, le début {DEB}, la postériorité {POS} et la simultanéité {SIM}. Les connecteurs, dont la valeur sémantique est localisante, spécifient la position de l’élément introduit sur un axe linéaire ou hiérarchique par rapport à un ou plusieurs éléments. Étant donné que la plupart de ces valeurs sémantiques sont intuitivement claires, leur présentation détaillée dans cette partie n’est pas nécessaire. En revanche leur importance hiérarchique et leur rôle seront thématisés dans chacune des parties de corpus analy209

sées. Ici, nous focalisons notre attention sur deux catégories charnières : l’actualisation et l’addition. En effet, dans notre modèle, l’actualisation a été conceptualisée aussi bien comme une valeur sémantique que comme une procédure.74 Dans le corpus, la valeur sémantique d’actualisation en fonction de représentation structurante {RS} et d’explicitation structurante {ES} est réalisée par des connecteurs prépositionnels contenant des éléments déictiques tels que à l’heure actuelle, pour l’heure ou pour l’instant.75 Tandis que la fonction de représentation structurante {RS} correspond à un emploi déictique en mode situationnel, la fonction d’explicitation structurante {ES} correspond au mode déictique discursif (cf. Maaß 2010a, 49ss.). Maaß (ibid., 212) indique que les modes ne sont pas toujours univoques. Ainsi, l’adverbe temporel aujourd’hui peut être employé à la fois sur le mode situationnel que déictique discursif. Un token d’aujourd’hui peut, dans une même occurrence, aussi bien faire référence à une séance en cours (mode déictique situationnel) qu’à la partie du débat actuel (mode déictique discursif) (ibid.). Les expressions actualisantes en mode situationnel et déictique discursif ont la particularité de n’être ni cata- ni anadéictiques, et d’annuler l’opposition entre la deixis de proximité et de distance (ibid.). Dans l’approche déictique discursive, le renvoi actualisant englobe la totalité du discours, c’est-à-dire que la partie d’un texte dans lequel se situe le token du déictique discursif actualisant devient référent : comme il en est le cas avec les expressions telles que dans cet article ou dans ce chapitre (cf. ibid.). L’analyse de corpus a mis en évidence que les connecteurs prépositionnels à valeur sémantique actualisante contrastent, par l’introduction d’un nouvel espace mental76 à partir d’un espace mental situé dans le passé, les faits actuels par rapport aux faits antérieurs de manière discrète (si bien qu’il ne semble pas pertinent de les traiter comme des oppositions). Ainsi dans l’exemple (131), le connecteur prépositionnel pour l’instant introduit un nouvel espace mental en structurant la représentation événementielle : (131) Au même moment {C} {RS} {PG} {SIM}, la coalition menée par les Etats-Unis tente de forcer le commandement intermédiaire à venir s'asseoir à la table des négociations. Pour l’instant {C} {RS} {PNL} {ACT}, aucun progrès n’a été enregistré, ni du côté afghan, ni du côté américain. (Le Monde) Dans cet exemple, pour l’instant introduit un fait actuel qui consiste en un bilan effectué par rapport à un événement antérieur, en l’occurrence l’invitation aux négociations. De même, dans l’exemple (132) issu du corpus Sciences, le connecteur

––––––– 74

75 76

La valeur procédurale d’actualisation a été thématisée dans la partie 4.3.1.3 Interagir par structuration. La procédure d’actualisation peut être résumée comme la marque d’un contact entre les partenaires de conversation. Voir la partie 2.3.5.1 La préposition comme introducteur d’espace mental. Pour un exposé de la théorie des espaces mentaux de Fauconnier (1984 ; 1985 [1994] ; 2007) et son instrumentalisation pour la théorisation des connecteurs prépositionnels voir la partie 2.3.5.1 La préposition comme introducteur d’espace mental dans le présent ouvrage.

210

prépositionnel dans ce cas est également un déictique discursif qui introduit un espace nouvel mental : (132) Un groupe autonome se passe ainsi le plus possible de l’aide d’un tuteur ou d'un enseignant pour sa gestion ; dans ce cas {C} {ES} {PS} {ACT}, le tuteur peut concentrer ses interventions sur les aspects pédagogiques et cognitifs. (Sciences) Ici, dans ce cas actualise l’autonomie du groupe apprenant mentionnée en amont pour introduire un espace nouvel mental concernant le rôle du tuteur. La seconde valeur sémantique charnière est l’addition : elle situe entre les catégories localisantes et non-localisantes.77 En effet, l’addition permet aussi bien d’organiser le texte (catégorie localisante) que d’ajouter un argument (catégorie non-localisante) (cf. Riegel/Pellat/Rioul 32008, 621).78 Il nous semble cependant pertinent d’intégrer l’addition aux catégories sémantiques structurantes car, comme Atayan (2006, 213) l’a remarqué, certaines parajonctions peuvent également introduire un argument coordonné de manière moins spécifique.79 Pour cette raison, il nous semble favorable d’intégrer l’addition aux catégories structurantes. Les connecteurs prépositionnels à valeur sémantique d’addition en technique structurante, mettent des éléments en relation tout en les hiérarchisant ou, dans le cas des constructions corrélatives, segmentent deux aspects en les mettant au même niveau.80 En outre, l’addition a la particularité d’opérer avec la technique complexe structurante argumentative. Dans ce cas, l’élément introduit par le connecteur est instrumentalisé comme un argument et permet d’étayer la thèse défendue par le locuteur. 4.5.3 Les catégories sémantiques non-localisantes Les valeurs sémantiques non-localisantes traitées dans cette partie se situent au niveau (6) de la figure 10. Dans le corpus en synchronie, cinq valeurs sémantiques non localisantes ont été détectées : la cause {CAUS}, la condition {COND}, la conséquence {CONS}, la finalité {FIN} et l’opposition {OPP}. L’analyse de corpus a montré que ces valeurs sémantiques occasionnent diverses interprétations pragmasémantiques selon la fonction pragmatique du connecteur. Les interprétations pragma-sémantiques qui décrivent le token d’un connecteur prépositionnel correspondent au niveau (7) de la figure 10 et seront thématisées lors de la présentation de leurs catégories sémantiques respectives.

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78 79

80

Pour une analyse exemplaire de la valeur sémantique d’addition voir la partie 6.1.3.2 La réalisation de l’addition dans le corpus Le Monde et 6.3.5 Profils sémantiques des connecteurs prépositionnels dans le corpus Sénat. Voir la partie 1.3.2 Un connecteur, différents niveaux de liage. Pour un exposé détaillé concernant le chevauchement des techniques structurante et argumentative voir la partie 4.3.3 La technique hybride : structuration et argumentation. Pour une présentation des marqueurs corrélatifs voir l’étude de Svensson (2010) et la partie 4.3.1.2 Le travail de la matière textuelle par structuration dans le présent ouvrage.

211

4.5.3.1

La cause : responsabilité, motivation, preuve

Dans le présent travail, la valeur sémantique cause a été annotée avec le tag {CAUS}. A partir de l’analyse de corpus, il nous a semblé pertinent de distinguer deux types de relations parfois englobées sous le terme « causal » : la cause et la conséquence. Selon les approches, cette distinction n’est pas toujours envisagée car, d’un point de vue conceptuel, la cause et la conséquence sont proches l’une de l’autre (cf. Frohning 2007, 23). La différence entre les deux relations est liée au point de vue à partir duquel la relation est présentée : « Si l’on part du fait F1 origine et que l’on envisage la conséquence F2 qui en résulte, on va de la cause vers la conséquence F2 qui en résulte, on va de la cause vers la conséquence et on retient une construction consécutive. En revanche, si l’on part de l’effet F2 et que l’on remonte à la cause F1, on adoptera une tournure causale » (Nazarenko 2000, 16). Anscombre (1983, 60) conçoit également que les relations causales puissent être introduites de deux façons différentes, qu’il précise en termes d’actes illocutoires : « [… ] on peut présenter des faits F comme étant à l’origine d’autres faits G, ou bien présenter des faits G comme étant des conséquences d’autres faits F. Nous parlerons dans le premier cas d’un acte illocutoire d’expliquer, dans le second cas d’un acte illocutoire de consécuter. Les usages habituels de parce que et car consistent en un accomplissement d’un acte d’expliquer, alors que ceux de d’où, de sorte que, par conséquent réalisent un acte de consécuter ». La mise en relation causale résiderait donc en un acte illocutoire explicatif, tandis que la relation de conséquence serait un acte de consécution. Sur la base de l’étude de corpus, deux grands types de causalité ont été détectés : la causalité entre les événements au niveau de la fonction de représentation argumentative {RA} et la causalité entre des énoncés au niveau de la fonction d’explicitation argumentative {EA}. Un connecteur prépositionnel avec une valeur sémantique causale en fonction de représentation argumentative {RA} peut être interprété soit comme une attribution de responsabilité {resp}, soit comme une présentation de motif {motif}. Ces deux interprétations correspondent à la cause dite factuelle qui consiste en une relation entre les faits. Elle correspond chez Degand/Fagard (2008) à la causalité objective, volitive et, en partie, à la causalité mentale, quoi que cette dernière se trouve au seuil de la causalité épistémique pour reprendre les termes des deux auteurs. Dans le cadre du présent travail, nous avons opté pour la réunion de ces catégories proposées par Degand et Fagard car l’épreuve de corpus a montré que ces catégories trop fines étaient difficilement discernables. Aussi distinguons-nous, comme le propose Anscombre (1983, 60), deux cas pour la relation causale en fonction de représentation argumentative {RA} : l’attribution de responsabilité et l’attribution d’un motif : « […] la cause du langage ordinaire est plus liée – y compris étymologiquement – à la responsabilité et au motif invoqué qu’à l’observation de régularités entre les objets. […] que l’on présente les causes ou les conséquences, ce sur quoi est mis l’accent d’importance, ce qui porte la responsabilité des événements, c’est la cause, ou du moins ce qui est présenté comme tel » (Anscombre 1983, 60).

212

Illustrons les interprétations pragma-sémantiques de responsabilité et de motivation avec deux exemples : (133) *MAR : […] /&euh # j’ai fait un crédit / parce que {C} {RA} {PNL} {CAU} {resp} c’était un appareil très très cher (Oral) Dans cet exemple, le connecteur prépositionnel parce que est employé en fonction de représentation argumentative {RA} et introduit une cause notée {CAU}. En employant ce connecteur, le locuteur indique explicitement qu’il renvoie la responsabilité de l’emprunt, notée {resp}, au prix élevé de l’appareil acheté. (134) *MAR : chose que # je n’ai plus fait après / parce que {C} {RA} {PNL} {CAU} {motiv} ça me plaisait pas // # (Oral) Dans l’exemple (134), le connecteur prépositionnel parce que introduit le motif, la motivation notée {motiv}, ayant suscité la décision du photographe d’abandonner la photographie de groupes ou de familles. Toutefois, à la différence d’Anscombre (1983, 60) nous distinguons un second type de causalité dite inférentielle ou de raisonnement (cf. Nazarenko 2000). Elle correspond à la cause épistémique et, en partie, à la cause mentale évoquée par Degand/Fagard (2008). Dans ce cas, le connecteur prépositionnel introduit une preuve et se trouve en fonction d’explicitation argumentative {EA} : c’est-à-dire qu’en employant le connecteur, le locuteur explicite l’argumentation inhérente à la matière textuelle et la rend intelligible pour l’allocutaire. Ainsi, dans l’exemple suivant, issu du corpus Sciences, l’auteur emploie le connecteur prépositionnel en effet en fonction d’explicitation argumentative {EA}, à valeur sémantique causale {CAU}, et dont l’interprétation pragma-sémantique est la preuve {preu}: (135) L’objectif civilisationnel, qui est censé occuper une place aussi importante que l’objectif conceptuel et l’objectif communicationnel, tend à être négligé voire même ignoré dans certains didacticiels. En effet {C} {EA} {PG} {CAU} {preu}, dans le cas de Real English, on peut se poser la question de savoir pourquoi les concepteurs ont choisi des clips vidéo de chansons qui ont connu un énorme succès en Australie sans les exploiter et approfondir leurs paroles, le contexte dans lequel elles sont parues, etc. (Sciences) Dans cet exemple, l’auteur de l’article, qui a analysé un manuel didacticiel, émet un jugement concernant l’objectif civilisationnel de l’ouvrage en question : cet objectif « tend à être négligé ». Dans l’énoncé suivant, le locuteur prouve la pertinence de son jugement en introduisant des arguments de manière explicite avec le connecteur en effet : les paroles et leur contexte n’ont pas été exploités de manière adéquate. 4.5.3.2

La condition

Dans le présent travail, la valeur sémantique de condition a été annotée avec le tag {COND}. L’analyse de corpus a montré que la condition est exprimée par divers connecteurs prépositionnels tels que à condition que, selon que, dans les cas où.

213

Dans l’exemple (136), extrait du corpus Le Monde, le connecteur prépositionnel transparent81 à condition que marque la condition : (136) Angela Merkel incarne la nouvelle « Dame de fer », n’acceptant d’aider les pays en difficulté qu’à condition qu’ {C} {RA} {PG} {COND} ils se plient à une discipline toute germanique (Le Monde) Dans cet exemple, à condition que introduit la condition nécessaire que doivent satisfaire les pays européens afin de recevoir de l’aide de la part de l’Allemagne. Au niveau conceptuel, la condition est proche de la cause et de la concession (cf. Nazarenko 2000 ; Rezat 2009, 472). En partant des relations causales, Nazarenko (2000, 34) distingue deux types de conditions : la condition contrefactuelle et la condition hypothétique. La condition contrefactuelle peut être décrite de la manière suivante : « Dire que F1 est la cause de F2 signifie également que F2 ne devrait pas avoir ou n’aura pas lieu si F1 ne se réalise pas. Ce qui revient à traduire l’énoncé causal en énoncé contrefactuel, de type ‹Si non-P1, alors non-P2› » (Nazarenko (2000, 36). Ainsi dans l’énoncé s’il était riche, il s’habillerait mieux, la protase est présentée comme irréelle. La condition hypothétique en revanche peut être définie comme suit : « […] si le fait F1 est donné comme la cause de F2, il est naturel d’y voir une condition de la réalisation de F2. En effet, poser F1 est la cause de F2, c’est identifier F1 comme un facteur déterminant de la réalisation de F2 » (Nazarenko 2000, 34). Le fait F1 n’est pas le seul facteur nécessaire, mais c’est le fait qui est mis en relief par rapport aux autres. Nazarenko (2000, 35) illustre la condition hypothétique avec l’exemple suivant : (137) De nombreux maires font valoir que leurs efforts pour attirer de nouvelles entreprises sont réduits à zéro si, chaque année, de nouvelles dispositions fiscales sont mises en place. Ainsi, d’après les deux définitions proposées, l’exemple (136) correspondrait à la condition hypothétique. Étant donné que la valeur sémantique de condition est faiblement prise en charge par les connecteurs prépositionnels, nous traiterons leurs interprétations de manière ponctuelle selon leur signifiance pour le corpus considéré. 4.5.3.3

La conséquence : résultat, déduction, conclusion

Dans le présent travail, la valeur sémantique de conséquence a été annotée avec le tag {CONS}. Pour cette valeur, trois interprétations pragma-sémantiques des connecteurs prépositionnels ont été détectées dans le corpus synchronique. En fonction

––––––– 81

Pour un exposé du concept transparence voir la partie 4.4.2 Transparence et mode communicatif dans le présent ouvrage.

214

de représentation argumentative {RA}, la conséquence introduite par le connecteur peut être interprétée comme un résultat d’une cause-origine noté {result}.82 En fonction d’explicitation argumentative {EA}, la conséquence correspond à l’aboutissement d’un raisonnement et est interprétée soit comme une conclusion notée {conc}, soit comme une déduction notée {deduc}. Le terme conclusion83 se réfère au processus de raisonnement en général tandis que le terme déduction est réservé au raisonnement mathématique. En effet, en raison de la spécificité du discours de la spécialité mathématique dans le corpus Sciences-Mathématique, il nous a semblé favorable d’introduire le terme déduction afin de rendre compte le raisonnement déductif mathématique.84 Avec Hybertie (1996, 2), deux types de marqueurs de conséquence peuvent être distingués : les marqueurs de consécution factuelle et les marqueurs de raisonnement. Tandis que Hybertie (1996) sous-entend que les marqueurs de conséquence seraient spécialisés dans un type de relation, nous sommes d’avis qu’un même connecteur peut être employé afin d’établir des relations aussi bien factuelles que de raisonnement. Le point commun entre ces deux types de consécution est qu’ils lient deux énoncés se référant à des événements ou faits successifs (cf. ibid., 4). En suivant Hybertie (1996), la différence se situerait au niveau de la construction du lien en question : au niveau empirique ou réflexif. Dans le cas de la marque de consécution factuelle, il s’agit d’« une relation de cause à conséquence entre des faits donnés dans l’expérience du sujet parlant » (Hybertie 1996, 3). L’auteur illustre le cas de la conséquence factuelle par l’exemple suivant : (138) Il est parti depuis longtemps, si bien que le jardin est plein de mauvaises herbes. Comme le montre cet exemple, l’ordre discursif est iconique, c’est-à-dire qu’il est « […] orienté du fait cause vers le fait conséquence » (Hybertie 1996, 3). Dans notre modèle, la relation de conséquence factuelle correspond à la fonction de représentation argumentative {RA}, son interprétation pragma-sémantique est le résultat, marquée par l’annotation {result}. De même, l’exemple (139) illustre le cas d’un connecteur prépositionnel en fonction de représentation argumentative dont l’interprétation pragma-sémantique correspond à la catégorie résultat. (139) Dans la version française, présentée à Vallauris le 6 mars, harki est devenu « collaborateur », un terme qui fait clairement référence à la période de l’Occupation de la France par les nazis. D’où {C} {RA} {PG} {CONS}

––––––– 82

83

84

Voir Ottmers (1996, 93ss.) pour une présentation des différentes règles déductives des topoï de la logique quotidienne selon les types de relations causales dans une approche rhétorique de l’argumentation. Dans le Dictionnaire de linguistique Dubois et al. (2004, 354) caractérisent, la conclusion comme synonyme en rhétorique de péroraison : « […] la péroraison est la conclusion du discours, rassemblant les preuves et faisant appel aux sentiments de l’auditoire, à sa pitié ou à sa colère » (Dubois et al. 2004, 355). Cf. Maaß (2010a, 266ss. ; 2010b), voir dans cet ouvrage la partie 6.2.7 Mathématique.

215

{result} une polémique qui a surgi dans les premiers jours de l’exposition. (Le Monde) Dans l’exemple (135) issu du corpus Le Monde, le connecteur prépositionnel d’où introduit une conséquence au niveau de la représentation des événements : la transmission d’une vidéo de l’artiste Zineb Sedira a pour résultat le déclanchement d’une polémique concernant le terme « collaborateur » lorsqu’il est employé pour faire référence aux harkis. Dans le cas de la consécution de raisonnement, le connecteur indique la trace d’un raisonnement qui consiste – au sens étroit – en une inférence (cf. Hybertie 1996) : « […] c’est-à-dire une opération de pensée qui, partant d’un fait donné dans une expérience du sujet parlant, aboutit à poser l’existence d’un autre fait non donné dans son expérience » (ibid., 3). La spécificité de cette relation de conséquence est de pouvoir être présentée selon deux ordres différents. Hybertie (1996, 3) illustre cette propriété avec les exemples suivants : (140) Le jardin est plein de mauvaises herbes, donc il est parti depuis longtemps. (141) Il est parti depuis longtemps, donc le jardin doit être plein de mauvaises herbes. L’inférence consiste en une opération de pensée permettant d’envisager ou de déduire l’existence d’un fait à partir d’un autre considéré comme un argument (un indice ou une preuve) livré par l’expérience du sujet (cf. Hybertie 1996, 136). Aussi dans l’exemple (140), l’ordre non-iconique impose une l’interprétation inférentielle, tandis que l’ordre iconique de cause-conséquence en (141) autorise une interprétation de consécution factuelle (cf. Hybertie 1996, 3). Ainsi, la conséquence factuelle impose une restriction d’iconicité à la représentation linguistique des faits allant de la cause à la conséquence ; pour la conséquence de raisonnement en revanche, l’ordre des propositions peut varier (cf. Hybertie 1996, 4). D’après la définition du concept livrée par Hybertie, la conséquence de raisonnement (inférentielle) peut être considérée comme une implémentation de la conséquence factuelle : elle se développe à partir d’un fait situé dans l’expérience du sujet qui se trouve instrumentalisé dans le discours comme une preuve, un indice ou un symptôme permettant de tirer une conclusion. Ainsi, la distinction entre la conséquence factuelle et de raisonnement relève du statut des entités mises en relation par le connecteur : soit le connecteur lie des événements en fonction de représentation argumentative {RA}, soit le connecteur instrumentalise les événements, les faits en arguments permettant d’effectuer une déduction, dans ce cas il s’agit de la fonction d’explicitation argumentative {EA} de notre modèle. Toutefois, comme Hybertie, nous optons pour une conception large de raisonnement. En conséquence, un connecteur prépositionnel marque une conclusion de raisonnement à partir du moment où il a met en relation différents moments d’un raisonnement, qu’il s’agisse ou non d’une inférence (cf. Hybertie 1996, 5).

216

4.5.3.4

La finalité : promouvoir, éviter

Dans le présent travail, la valeur sémantique de finalité a été annotée avec le tag {FIN}. Dans le corpus les connecteurs prépositionnels à valeur finale sont employés en fonction de représentation argumentative {RA} et connaissent deux interprétations : une finalité visant à promouvoir un procès notée {prom}85 et une finalité visant à éviter un procès notée {evit}.86 Dans l’exemple (142), le connecteur prépositionnel pour que, dont la valeur sémantique est la finalité {FIN}, a une interprétation pragma-sémantique de promotion {prom} : (142) La France, qui milite pour que {C} {RA} {PNL} {FIN} {prom} le poste revienne à son actuel ambassadeur à Washington, Pierre Vimont, souhaite une structure pyramidale, a confirmé le ministre français Bernard Kouchner. (Le Monde) Pour que indique que l’événement militer est exécuté dans le but de promouvoir un autre événement qui consiste en ce que Pierre Vimont reçoive le poste de « secrétaire général exécutif ». En revanche, dans l’exemple (143), le même connecteur prépositionnel pour que revêt une interprétation pragma-sémantique d’évitement : (143) Le fait qu’elle soit aborigène n’est même pas mentionné. Finalement, ce didacticiel australien semble tout faire pour que {C} {RA} {PNL} {FIN} {evit} l’on ne sache pas qu’il est australien. (Sciences) Cette interprétation d’évitement est due au connecte négatif de droite introduit par le connecteur prépositionnel. La négativité du connecte réside fréquemment en une négation syntaxique. Par ailleurs, dans le corpus Oral, la variante proximale pour pas que a été détectée : (144) *VEN : / vu un sac / # bon moi je leur dis toujours / bon vous le voyez / vous rentrez et je vous le mets de côté // c’est vrai / j’essaie de pas avoir deux modèles pareils / pour pas que {C} {RA} {PNL} {FIN} {evit} les clients aient la même chose &euh sur le village // # c’est vrai # quand vous vous promenez vous avez quelqu’un à côté qui a le même sac que vous / # (Oral) Conceptuellement, la finalité est proche de la causalité et de la conséquence.87 C’est d’ailleurs en rapport à ces deux notions que la finalité est souvent définie. En effet, Brunot (1965, 848) note « une adaptation à la finalité de locutions marquant d’autres rapports ».88 Le point commun entre les énoncés finaux et les énoncés consécutifs consiste en leur propriété à présenter l’effet à partir de la cause (cf. Nazarenko 2000, 30) :

––––––– 85 86 87

88

Nazarenko (2000, 29) parle de « but positif ». Nazarenko (2000, 29ss.) parle de « but négatif ». La notion de finalité ou de but est souvent traitée dans comme une dépendance de la cause ou de la conséquence comme le montrent les travaux de Hybertie (1996) et Nazarenko (2000). Cité d’après Hybertie (1996, 103).

217

« Sur le plan conceptuel, la cause semble plus proche de la conséquence que du but, qui est un type particulier de conséquence. Le but, c’est ce que l’on cherche à atteindre ou à obtenir, c’est la conséquence visée » (ibid., 26). La spécificité de la finalité par rapport à la conséquence et la cause réside en la notion de visée. Dans ce cadre, Nazarenko (2000, 26) distingue deux critères spécifiques à la finalité. Tandis que pour la cause, les effets (conséquences) sont réalisés, pour la finalité, la réalisation des effets est secondaire ; ce qui importe c’est son statut de point de mire. Au niveau grammatical, le procès introduit par le connecteur final (par exemple pour que) est exprimé par le subjonctif ce qui souligne que l’objectif n’est pas atteint, mais visé Hybertie (1996, 107). « Il est, en fait, présenté comme non actualisé par rapport à un moment choisi comme repère, celui de la réalisation intentionnelle du processus de cause » (ibid., 107s.). Le second critère porte sur la nature du fait cause. En effet, la relation de finalité implique la présence d’un « sujet humain ou du moins doué de raison » (Nazarenko 2000, 27). Hybertie (1996, 107) parle en ce sens d’intentionnalité. Aussi, le subjonctif de la subordonnée permet-il de construire un point de vue subjectif ; ce qui distingue la finalité de la conséquence (ibid.). Ce point de vue est celui de l’énonciateur pour la consécution, tandis que c’est celui de l’agent du procès P1 pour la finalité. Dans la relation de finalité, la source du point de vue est soit le sujet dans l’énoncé (Il parle de façon que tout le monde puisse l’entendre ; ibid., 106), soit le complément d’agent non exprimé (Le filtre fut disposé de manière que l’eau tombât goutte à goutte ; ibid.). Sur le plan linguistique, le but et la cause sont très proches et peuvent se confondre. Nazarenko renvoie la proximité linguistique à leur proximité conceptuelle. En reprenant la terminologie de Degand/Fagard (2008), la finalité est volitive, c’est-à-dire qu’elle constitue des représentations d’intention et correspond donc à la fonction de représentation argumentative {RA} de notre modèle. 4.5.3.5

L’opposition : déséquilibre, retournement de jugement

Dans le présent travail, la valeur sémantique d’opposition des connecteurs prépositionnels a été annotée avec le tag {OPP}. Pour cette valeur sémantique, l’analyse de corpus nous a permis de détecter trois interprétations pragma-sémantiques : un déséquilibre entre deux faits noté {deseq}, la compensation d’un état de chose par rapport à un autre notée {comp} ou bien encore le retournement de jugement noté {ret jug}. Une présentation plus détaillée de chacune de ces interprétations sera exécutée selon leur signifiance lors de la présentation des résultats de chacune des parties de corpus.89 Etant donné que l’opposition connaît des conceptualisations d’ampleur variable, le focus de ce chapitre porte sur la détermination du concept pour le présent travail.90 Pour ce faire, illustrons dans un premier temps la valeur sémantique d’opposition avec un exemple :

––––––– 89

90

Voir en particulier la partie 6.1.3.1 La réalisation de l’opposition dans le corpus Le Monde dans le présent ouvrage. Voir également Stoye (2013).

218

(145) Alors que {C} {RA} {PG} {OPP} {deseq} dans d’autres pays, ce genre d’affaires ne susciterait que l’indifférence, elles font les grands titres des journaux allemands. (Le Monde) Dans l’exemple (145), le connecteur prépositionnel alors que en fonction de représentation argumentative {RA} exprime une relation d’opposition {OPP}, dont l’interprétation pragma-sémantique est la marque d’un déséquilibre {deseq} entre deux événements : la réaction agitée de la presse allemande face à un dîner coûteux organisé par Angela Merkel et la réaction présumée indifférente dans d’autres pays. Le connecteur prépositionnel alors que est employé par le locuteur pour souligner la relation sémantique anti-implicative entre indifférence et font les grands titres. Le contraste réside entre les réactions de la presse selon le pays considéré. Dans l’exemple (146), les expressions liées par pourtant ne contiennent pas d’expressions lexicales s’opposant de manière anti-implicative : (146) M. JEAN-MARIE BOCKEL : […] Madame Borvo Cohen-Seat, vous jugez insuffisante la concertation menée dans le cadre de la réforme de la procédure pénale. Pourtant {C} {EA} {PNL} {OPP} {ret jug}, près de quarante organisations, syndicats, associations y participent ! Et même les organisations de magistrats qui disent s’être retirées de la concertation ont fait des propositions ! Ces propositions, ces remarques, nous les prenons en compte, à quelque moment qu’elles nous aient été transmises. (Sénat) Dans cet extrait l’opposition se situe au niveau implicite : l’énumération des organisations participantes peut être considérée comme un argument déclenchant la conclusion implicite : « donc les concertations sont suffisantes ». Cette conclusion implicite s’oppose à l’avis défendu par Mme Borvo Cohen-Seat (vous jugez insuffisante). L’interprétation de cette relation d’opposition instaurée par pourtant réside en un retournement de jugement {ret jug} car le point de vue pris en charge par l’énonciateur E2, qui peut être attribué à M. Bockel, s’oppose à celui de E1, identifié à Mme Borvo-Cohen-Seat. Les connecteurs prépositionnels qui articulent des points de vue pris en charge par des énonciateurs défendant des thèses distinctes indiquent un retournement de jugement. Il s’agit donc d’emploi en fonction d’explicitation argumentative {EA}. Aussi, dans Stoye (2013), nous avons considéré l’opposition comme un terme polysémique désignant deux types de référents. D’un côté, comme hypéronyme, l’opposition se réfère à la fois aux relations de contraste91 et aux relations conces-

––––––– 91

Nous favorisons ici le terme contraste à celui d’adversativité tel qu’il a été défini par Nølke/Gettrup (1984). Les auteurs opposent les concepts adversativité et concession sur la base des critères dichotomiques proposés par Blumenthal (1980) : l’aspect paradigmatique ou syntagmatique ; la symétrie vs. l’asymétrie et la matérialité vs. la forme logique de la relation. Dans Stoye (2013), nous avons montré que le critère paradigmatique n’est pas en mesure de couvrir les emplois des connecteurs dont l’opposition est déjà marquée lexicalement dans le cotexte. Aussi avons-nous constaté que souvent, il s’agit d’une relation de contre-implication. Le terme contraste fait donc référence à des emplois

219

sives, de l’autre côté, comme méronyme, le terme désigne une opposition implicite inhérente à la concession. Dans ce cas, il se réfère à la partie du tout concessif. La délimitation conceptuelle et l’organisation terminologique de l’opposition est représenté par la figure 13 : opposition (hypéronyme)

contraste

concession

opposition (méronyme) Figure 13 : délimitation conceptuelle et terminologique de l’opposition

Le terme opposition est à la fois hypéronyme de contraste et de concession, et méronyme désignant partie du tout concessif, c’est-à-dire l’opposition implicite entre une des propositions explicites et une des propositions implicites. Le terme contraste désigne une relation anti-implicative présente dans le cotexte du connecteur d’opposition. Le terme concession désigne en revanche les relations d’opposition implicite. Dans l’exemple (145), l’opposition est déjà présente dans les connectes liés par alors que : les expressions « indifférence » et « faire les grands titres » s’opposent. En revanche, dans l’exemple (146), la relation concessive n’est plus marquée lexicalement dans le cotexte du connecteur. La différence entre la relation de concession et la relation de contraste est en partie liée à la marque lexicale ou non de l’opposition dans les connectes mis en relation par le connecteur prépositionnel. Dans notre modèle, l’annotation {OPP} désigne l’hypéronyme, c’est-à-dire que d’un point de vue conceptuel, il englobe les relations de contraste explicite entre les événements mis en relation et la relation concessive qui consiste en une relation d’opposition implicite. Dans le chapitre 1.3.2 Un connecteur, différents niveaux de liage, nous avons vu que la concession peut à son tour être subdivisée selon le type d’éléments mis en relation. Sur la base des travaux de Sweetser (1990), Rezat (2009) montre que la concession logique lie des faits au niveau propositionnel, la concession argumentative lie des points de vue au niveau épistémique et la concession rectification lie des

––––––– de connecteurs pour lesquels l’opposition est déjà lexicalement marquée dans les connectes.

220

actes de langage au niveau illocutoire (cf. Mellet 1996). Dans notre modèle, les connecteurs prépositionnels oppositifs, employés en fonction de représentation argumentative {RA}, lient des faits et des événements comme dans l’exemple (145), tandis qu’en fonction d’explicitation argumentative {EA}, les connecteurs prépositionnels d’opposition confrontent des avis, des arguments comme dans l’exemple (146). Selon notre classification, en fonction d’interaction argumentative {IA}, les connecteurs à valeur sémantique oppositive peuvent réaliser une procédure de rectification {rect}.92 Cependant, étant donné qu’en fonction d’interaction argumentative {IA} les valeurs des connecteurs ont été conceptualisées comme des procédures, elles n’ont pas été annotées du tag {OPP} et ne seront pas thématisées dans le cadre de ce chapitre. Aussi, la figure 14 résume-t-elle la répartition des différents types d’oppositions selon les fonctions distinguées pour les connecteurs prépositionnels appartenant à la catégorie sémantique oppositive : opposition

{RA}

contraste

{EA}

concession logique

concession argumentative

Figure 14 : annotation de l’opposition dans le corpus

En fonction de représentation argumentative {RA}, l’opposition réside en une observation et une mise en évidence des différences entre les faits et événements mis en relation. Ces événements mis en relation sont observés à partir de différentes perspectives. Aussi, dans l’exemple (145), c’est la perspective géographique à partir de laquelle les événements ont été observés qui varie. En revanche, en fonction d’explicitation argumentative {EA}, dans l’exemple (146), l’opposition produite par le connecteur prépositionnel réside en une confrontation de points de vue qui ne sont plus des perspectives observationnelles mais des avis ou jugements (des défenses de thèses). Dans l’exemple (146), la relation pouvait être considérée comme un contraste mettant en évidence un déséquilibre entre des faits, dans l’exemple (147), en re-

––––––– 92

Pour un exposé détaillé des procédures en fonction d’interaction argumentative voir en particulier la partie 6.4.2.1 Les actions dans le corpus Oral.

221

vanche, il s’agit d’une compensation, notée {comp}, correspondant à la concession dite de type logique : (147) D’année en année, ce patrimoine contemporain s’est enrichi, jusqu’à compter aujourd’hui une centaine de pièces. En 2008, les habitants de Nicey-sur-Aire ont par exemple {C} {ESA} {PNL} {ADD} {preu} hérité d’une pince à linge. Plutôt modeste ? Pourtant {C} {RA} {PNL} {OPP} {comp} ils en prennent le plus grand soin. (Le Monde) Dans cet extrait, le connecteur prépositionnel pourtant met deux événements en relation d’opposition : un événement plutôt positif « ils en prennent […] soin » est opposé à une qualité plutôt négative « modeste ». La relation d’opposition est relative à un comportement attendu qui n’a pas lieu « ils n’en prennent pas soin » et un comportement inhabituel qui lui est réalisé « ils en prennent soin ». L’opposition sous-jacente est donc d’ordre normatif. Le lexème « pince à linge », comme instrument employé pour étendre le linge, ouvre un frame93 de la vie quotidienne associé aux tâches ménagères. Par sa matière (souvent en bois ou en plastique), sa qualité utilitaire ainsi que par sa haute fréquence de distribution, la pince à linge peut être considérée dans notre communauté culturelle comme un objet désuet de valeur pécuniaire et esthétique. En employant pourtant, le locuteur responsable de l’agencement linguistique établit une opposition entre l’intérêt normalement suscité par une pince à linge et l’attention portée à l’objet par les habitants de Nicey-sur-Aire. En d’autres termes, la concession logique au niveau propositionnel met en scène des comportements, des faits, des événements présentés par des énonciateurs et opposés à des normes. Il s’agit d’une confrontation entre un cas particulier et les normes d’une société. Cet emploi de pourtant laisse transparaître les valeurs, les normes en vigueur dans une société.94 Étant donné que les connecteurs prépositionnels ayant une valeur sémantique d’opposition mettent en scène différents points de vue, leurs fonctions peuvent être précisées par la théorie de la théorie de la polyphonie développée par Ducrot (1980 ; 1984).95 De manière générale, lorsqu’un un locuteur L produit un énoncé de la forme A connecteur {OPP} B ou A connecteur {OPP} B, il présente deux perspectives, deux points de vue différents attribués à deux énonciateurs distincts, E1 et E2.96 En fonction de représentation argumentative {RA}, les points de vue mis en relation correspondent à différentes perspectives, par exemple géographique, comme dans l’exemple (145), ou à une confrontation entre une norme sous-entendue et des faits hors-normes réalisés, exemple (147). En fonction d’explicitation argumentative

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95

96

Le terme frame est défini dans la partie 1.2.1 Asyndète vs. connexion explicite ou pourquoi lier de manière explicite ? Dans la catégorisation d’Anscombre (1983), cet emploi correspond donc au pourtant de surprise qui est une sous-catégorie du pourtant de réfutation. La description des connecteurs dans la théorie de la polyphonie est traité dans la partie 1.3.3 Les connecteurs et la théorie de la polyphonie. Anscombre (1983 ; 1985 ; 2002) effectue une distinction plus détaillée des énonciateurs jouant un rôle dans la concession en distinguant cinq énonciateurs.

222

{EA}, en revanche, les points de vue opposés consistent en des thèses distinctes comme dans l’exemple (146).97 Retenons que les connecteurs prépositionnels, appartenant à la classe sémantique d’opposition, mettent en relation différents points de vue attribués à des énonciateurs distincts. Tandis que les points de vue mis en relation avec la fonction de représentation argumentative {RA} consistent en des perspectives différentes ou une norme implicite non-réalisée à laquelle s’oppose des faits réalisés, avec la fonction d’explicitation argumentative {EA}, les connecteurs prépositionnels lient des thèses, des jugements opposés.

4.6 Conclusion Ce chapitre est voué à la présentation de notre théorie des connecteurs prépositionnels développée à partir de l’analyse de corpus. Notre modèle pragma-sémantique composé de huit catégories principales, et de leurs sous-catégories respectives, est en mesure de décrire les types et les tokens des connecteurs prépositionnels. Ces catégories, auxquelles nous faisons référence dans cette conclusion, sont récapitulées dans la figure 15. Dans le but de décrire les types et le tokens des connecteurs prépositionnels avec précision, le modèle opte pour une séparation des catégories pragmatiques (1)98 et sémantiques (2), mais prévoit leur réunion au niveau des procédures (8) et des interprétations pragma-sémantiques (7). Au niveau des catégories pragmatiques, le modèle présente deux avantages : d’une part, il est en mesure de rendre compte de la continuité fonctionnelle des jonctions et des parajonctions, et, d’autre part, il décrit de manière précise les types et les tokens des connecteurs prépositionnels. Aussi, ce modèle décrit-il avec neuf fonctions (1) l’éventail fonctionnel des connecteurs prépositionnels détecté dans le corpus en synchronie. Dans ce cadre, nous avons conceptualisé la fonction d’un connecteur prépositionnel comme une entité complexe associant une catégorie d’action (2) à une catégorie de technique (3). La conceptualisation de ces catégories se distingue de celle d’autres modèles dans la mesure où, généralement, les trois niveaux pragmatiques discernés reposent sur des critères abstraits (propositionnel, épistémique et acte de langage).99 Le présent travail en revanche se propose de déterminer les emplois des connecteurs selon l’action dominante – représentation, explicitation et interaction – réalisée par les locuteurs en employant un connecteur prépositionnel. Ces trois actions sont toujours exercées avec une technique (3) qui peut être simple – soit structurante, soit argumentative – ou complexe – structurante argumentative.

––––––– 97

98

99

D’après Moeschler (1989, 56), l’opposition implicite directe est une caractéristique de la concession causale – c’est-à-dire de type logique – et réside en une relation indépendante du contexte, mais dépendante de la structure « mondaine ». La concession argumentative quant à elle relèverait plutôt d’une opposition indirecte et présenterait une dépendance au contexte. Les chiffres placés entre parenthèses font référence à la numérotation des catégories de la figure 10 : Modèle pragma-sémantique des connecteurs prépositionnels. Cf. la partie 1.3.2 Un connecteur, différents niveaux de liage dans le présent ouvrage.

223

Pour plus de clarté, les actions et les techniques ont été abordées séparément dans ce chapitre. Cependant, les interférences survenues lors de leurs présentations respectives témoignent du fait que les deux composantes fonctionnelles sont interdépendantes comme le sont les deux côtés d’une feuille de papier. Le modèle décrit en outre la valeur sémantique des connecteurs prépositionnels (4). Celle-ci peut être localisante (5) ou non-localisante (6). La combinaison de ces catégories pour décrire les connecteurs prépositionnels au niveau des tokens témoigne de la flexibilité du modèle. En effet, le modèle est en mesure de rendre compte de l’occurrence particulière, du token d’un connecteur. La catégorie des interprétations pragma-sémantiques (11) résultent de l’union d’une fonction et d’une valeur sémantique. Les procédures (8), quant à elles, saisissent la composante des connecteurs contribuant moins à la valeur de vérité d’un énoncé mais agissant comme des instructions adressées aux partenaires de et dans la conversation. Les limites du modèle ont été détectées au niveau de la composante dénominative inhérente à certains connecteurs prépositionnels100 ainsi qu’au niveau du figement de la représentation modulaire. En effet, un modèle est toujours une construction synthétisante qui ne rend pas compte de la singularité de certains cas. Cependant, en raison des catégories sémantiques et pragmatiques restreintes et précises développées sur la base de l’analyse de corpus, de leur justification en dialogue avec la recherche sur les connecteurs et de leur application systématique dans les corpus, il nous est possible de décrire les connecteurs prépositionnels avec précision. Aussi, dans un premier temps, formulerons-nous des tendances concernant l’affinité des dimensions prépositionnelles quant à la formation de connecteurs selon leurs profils pragmatiques et sémantiques.101 Et, dans un deuxième temps, l’application systématique de ces catégories sous la forme d’annotation, nous permettra de formuler des tendances concernant les valeurs sémantiques et les fonctions pragmatiques des connecteurs prépositionnels dans les genres textuels du corpus synchronique.102 Ainsi, l’application systématique des annotations permet de dresser un portrait affiné des profils pragmatiques et sémantiques des connecteurs prépositionnels dans les corpus.

––––––– 100

101 102

Voir la partie 4.4 Les connecteurs prépositionnels : composante dénominative et transparence. Voir le chapitre 4 Modèle pragmatique et sémantique des connecteurs prépositionnels. Voir le chapitre 6 Relation entre les connecteurs prépositionnels et le corpus.

224

• représentation • explicitation • interaction

• structuration • argumenation • structuration-argumentation

2 action

• représentation structurée • représentation structuréeargumentative • représentation argumentative • explicitation structurée • explicitation structurée argumentative • explicitation argumentative • interaction structurée • interaction structuréeargumenative • interaction argumentative

3 technique

1 fonction pragmatique

8 procédure 7 interprétation pragmaticosémantique

4 valeur sémantique

5 localisante • actualsation • addition • antériorité • point d‘arivée • point de départ • postériorité • simultanéité

• actualisation • amplification • commentaire • confiramtion • impatience • interpellation • proposition • rectification • reformulation • soulagement • turn

6 non-localisante • cause • condition • conséquence • finalité • opposition

• compensation • conclusion • déduction • désequilibre • éviter • illustration • motivation • preuve • promouvoir • responsabilité • résultat • retournement de jugement

Figure 15 : catégories et sous-catégories du modèle pragma-sémantique

225

5 Les prépositions formatrices de connecteurs dans le corpus synchronique

La fonction du cinquième chapitre est de donner une vue d’ensemble des prépositions entrant dans la formation de connecteurs sur la base des résultats gagnés lors de l’étude des quatre corpus synchroniques. Pour ce faire, ce chapitre exploite les résultats obtenus des quatre chapitres précédents, et en particulier, la définition de connecteur,1 les quatre dimensions prépositionnelles grammaticales, non-localisante, temporelle et spatiale,2 la démarche méthodique3 ainsi que les catégories d’annotations fonctionnelles et sémantiques.4 En ce sens, le cinquième chapitre fait confluer les réflexions théoriques, méthodologiques avec l’analyse empirique dans le but d’éclairer la compositionnalité des connecteurs prépositionnels (préposition + élément[s]) et, en particulier l’élément prépositionnel formateur de connecteur.5 De cette manière, nous montrerons, d’une part, que les prépositions forment essentiellement des connecteurs avec des éléments expressifs et, d’autre part, que la productivité des dimensions prépositionnelles doit être nuancées car toutes ne contribuent pas à la formation de connecteurs avec la même intensité. En effet, notre analyse montre que les dimensions plus abstraites (grammaticale et non-localisante) sont plus productives (au niveau du type) et plus fréquente (au niveau des tokens) que ne le sont les dimensions localisantes. Pour atteindre ces résultats, les trois démarches suivantes sont nécessaires : dans un premier temps, nous comparerons, pour l’ensemble du corpus, la productivité des quatre dimensions prépositionnelles ainsi que leur affinité à former des connecteurs avec des éléments linguistiques dont nous effectuerons une classification syntaxique et sémantique. Ensuite, quatre sous-parties seront vouées aux quatre dimensions prépositionnelles relativement à leur productivité au niveau des types et des tokens ainsi qu’aux profils pragmatiques et aux valeurs sémantiques des connecteurs qu’elles forment. Enfin, dans la dernière partie du chapitre, nous formulerons des hypothèses concernant les prépositions « absentes » à la formation des connecteurs.

––––––– 1 2 3 4 5

Cf. le chapitre 1 Le concept de « connecteur » : paramètres de description. Cf. le chapitre 2 Prépositions : paramètres descriptifs et modèle sémantique. Cf. le chapitre 3 Méthode et conception du corpus. Cf. le chapitre 4 Modèle pragmatique et sémantique des connecteurs prépositionnels. Aussi, le présent chapitre se distingue-t-il du suivant (chapitre 6 Relation entre les connecteurs prépositionnels et le corpus), également voué à la présentation des résultats empiriques mais focalisé sur le rôle des connecteurs prépositionnels de manière globale dans les divers genres textuels considérés.

5.1 Les dimensions prépositionnelles et les éléments formateurs de connecteurs Dans les quatre corpus réunis, 5066 connecteurs prépositionnels ont été détectés. Le tableau 24 donne une vue d’ensemble des connecteurs selon la dimension de la préposition contenue par le connecteur (en valeur absolue) et le graphique 4 représente la répartition des connecteurs en pourcentage selon la dimension de la préposition : préposition

connecteur (valeur absolue)

{PG}

3102

{PNL}

1373

{PT}

322

{PS}

269

6,4

5,3 {PG}

{PNL}

27,1 {PT}

61,2 {PS}

Tableau 24 : répartition des dimensions des prépositions dans les connecteurs

La répartition des connecteurs en fonction de la dimension des prépositions est la suivante : -

61,2 % des connecteurs prépositionnels contiennent une préposition grammaticale 27,1 % des connecteurs prépositionnels contiennent une préposition nonlocalisante 6,4 % des connecteurs prépositionnels contiennent une préposition temporelle 5,3 % des connecteurs prépositionnels contiennent une préposition spatiale

Cette répartition présente une corroboration entre le degré grammaticale de la préposition et la fréquence de ses occurrences dans les connecteurs. En d’autres termes, plus la préposition est grammaticale, plus les connecteurs qu’elles forment sont fréquents dans le corpus, en revanche, les connecteurs contenant une préposition concrète (spatiale ou temporelle) sont moins fréquents dans le corpus. Dans la totalité du corpus synchronique, 146 types de connecteurs contenant des prépositions ont été détectés. Dans ce cadre, les prépositions grammaticales {PG} sont les plus productives, elles forment 79 types ; suivent les prépositions nonlocalisantes {PNL} avec 37 types. Les prépositions localisantes sont les moins productives : pour les prépositions temporelles {PT}, 13 types ont été détectés dans le 228

corpus et pour les prépositions spatiales {PS}, 17 types ont été recensés. Pour conclure, comme au niveau des tokens, au niveau des types, les prépositions abstraites (grammaticales et non-localisantes) sont plus productives que ne le sont les prépositions plus concrètes (temporelles et spatiales). Il faut cependant remarquer que les prépositions spatiales sont légèrement plus productives que ne le sont les prépositions de la dimension temporelle. Par ailleurs, la préposition ne forme pas de connecteur à elle seule mais nécessite au moins un élément supplémentaire. D’un point de vue syntaxique, cinq types d’éléments récurrents peuvent être distingués : les conjonctions, les adverbes, les groupes nominaux, les verbes et les prépositions. conjonction

adverbe

groupe nominal

verbe

préposition

{PG}

12

10

65

2

2

{PNL}

13

6

21

2

1

{PT}

6

7

1





{PS}

2

5

10



2

total

33

28

97

4

5

Tableau 25 : dimension prépositionnelle et catégorie syntaxique des éléments supplémentaires

La catégorie conjonction regroupe le complétif que, la conjonction si ainsi que des groupes complexes contenant une conjonction. La catégorie groupe nominal englobe les substantifs et les pronoms. Les éléments ont été classifiés selon le type de base du connecteur. Un élément peut entrer dans plusieurs catégories.6 La somme des résultats montre que les groupes nominaux, avec 97 occurrences, sont les éléments favorisés par les prépositions quant à la formation de connecteurs, suivent les conjonctions (33 occurrences) et les adverbes (28 occurrences) ; les infinitifs et les prépositions sont avec respectivement 5 occurrences des éléments plutôt périphériques. Ces résultats ont été représentés dans le graphique 4. Ce dernier donne un aperçu approximatif exprimé en pourcentage de chacune des catégories syntaxiques distinguées selon la dimension de la préposition.

––––––– 6

Pour l’inventaire des connecteurs selon la dimension de la préposition et les catégories syntaxiques et sémantiques de l’élément supplémentaire voir 9 Annexe.

229

100%

2,2

2,3

2,2

4,7

7,1

48,8

50,0

10,5

90% 80% 70% 60%

52,6

71,4

préposition verbe groupe nominal

50% 40%

adverbe

14,0

conjonction

30% 20%

11,0

10%

13,2

42,9

26,3

30,2 10,5

0%

{PG}

{PNL}

{PT}

{PS}

Graphique 4 : dimension prépositionnelle et catégorie syntaxique des éléments supplémentaires

Il est frappant que les prépositions grammaticales {PG} forment des connecteurs avec des groupes nominaux tels que au total, enfin, d’un côté (71,4 % des cas), avec des conjonctions (13 %) telles que en ce que, elles même contiennent fréquemment des groupes nominaux tels que de façon à ce que ou de sorte que, et des adverbes (environ 11 %) comme au-delà, de même, avec 2,2 %, les verbes (à savoir, c’est-àdire) et les prépositions jouent un rôle périphérique. De même que les prépositions grammaticales {PG}, les prépositions nonlocalisantes {PNL} s’unissent prioritairement à des groupes nominaux (48,8 % des cas) afin de former des connecteurs comme par conséquent, par exemple, pour ces raisons. Les conjonctions, comme que dans pour que, selon que, suivant que, représentent 30,2 % des éléments supplémentaires, mais les conjonctions peuvent également accompagner un groupe nominal (pour cette raison que). Les adverbes (malgré tout) représentent environ 14 % et les verbes, avec 4,7 % (pour ce faire), ne semblent pas jouer de rôle important dans la formation de connecteurs avec les prépositions non-localisantes. Les prépositions temporelles {PT} s’unissent fréquemment aux adverbes (environ 50 % des cas) afin de former des connecteurs tels que avant tout, après tout, dès lors et aux conjonctions dans 42,9 % des cas (avant que, après que, dès que etc.). En revanche, les groupes nominaux et pronoms (cependant) jouent, avec environ 7,1 %, un rôle périphérique. Les prépositions spatiales {PS} sont majoritairement employées avec des groupes nominaux (52,6 % des cas) tels que dans ce but, dans un premier temps, jusqu’à présent, suivent les adverbes (26,3 %) et les conjonctions (10,5 %). 230

Le tableau 26 résume les différents éléments sémantiques employés selon les quatre dimensions prépositionnelles : élément supplémentaire

localisant

scalaire / quantitatif

déictique

métacommunicatif

autres

{PG}

36

14

12

33

1

{PNL}

5

5

13

13

8

{PT}

3

2

6



5

{PS}

8

1

9

6

1

total

52

22

40

52

15

Tableau 26 : dimension prépositionnelle et valeur sémantique des éléments supplémentaires

Les éléments liés aux prépositions ont été classifiés de manière heuristique en quatre catégories : les éléments localisants, les éléments marquant une scalarité ou une quantité, les déictiques, les éléments métacommunicatifs et, la catégorie nommée « autres » permet de classifier les éléments tels que le complétif dont l’apport sémantique « neutre » ne rentre pas dans les catégories précédemment évoquées. Étant donné que les catégories ne sont pas exclusives, les éléments considérés peuvent apparaître dans plusieurs catégories à la fois. Le tableau montre que les éléments favorisés par les prépositions sont essentiellement localisants (52 occurrences), métacommunicatifs (52 occurrences) et déictiques (40 occurrences). La scalarité (22 occurrences) et les autres valeurs sémantiques (15 occurrences) jouent cependant un rôle non négligeable. Le rôle de ces quatre catégories sémantiques peut être précisé avec la théorie de l’oralité expressive.7 En effet, Koch/Oesterreicher (1996, 73s.) distinguent cinq centres thématiques productifs d’unités expressives : 1. 2. 3. 4. 5.

les primaires à la vie : manger, boire, dormir, le corps etc. ; les sentiments et les appréciations : l’amour, la haine, la joie, la peur etc. ; les intensités et les quantités marquant la propriété et le fait ; les esquisses d’actions, l’espoir (la modalité) ; l’orientation du regard dans l’espace, le temps et les partenaires de conversation : la deixis locale, temporelle et personnelle.

La comparaison de cette liste avec celle des éléments favorisés par les prépositions quant à la formation de connecteurs montre que les prépositions ont une affinité particulière avec les éléments des classes 3, 4 et 5, à savoir :  3. les intensités et les quantités : des adverbes quantitatifs ou scalaire, dont la fonction d’évaluer, de hiérarchiser des éléments ;  4. les esquisses d’actions : des substantifs dont la fonction est métacommunicative ou certificative d’un processus abstrait ;  5. l’orientation du regard dans l’espace, le temps et les partenaires de conversation : des éléments localisant dont la fonction est d’orienter l’interlocuteur

––––––– 7

Cf. Koch/Oesterreicher (1996).

231

dans le texte et, les déictiques dont la fonction est de rendre saillant un élément textuel. Les éléments avec lesquels les prépositions forment des connecteurs ont donc la spécificité d’être expressifs. En conséquence, la préposition est un élément privilégié quant à la formation de connecteur car elle opère comme un introducteur d’espace mental tout en y intégrant des éléments expressifs. Le graphique 5 visualise les résultats en pourcentage pour chacune des dimensions prépositionnelles selon la catégorie sémantique des éléments avec lesquels elles forment des connecteurs :

1,0

4,0

100%

18,2

90% 80%

31,3

34,4

70%

24,0

29,5

autres

60% 12,5 50%

37,5

36,0

déictique

14,6

40%

métacommunicative

scalarité/quantité

29,5

30%

4,0

élément localisant

12,5

20% 37,5

11,4

32,0 18,8

10%

11,4

0% {PG}

{PNL}

{PT}

{PS}

Graphique 5 : dimension prépositionnelle et valeur sémantique des éléments supplémentaires

L’image qui en ressort est la suivante : les prépositions grammaticales {PG} forment préférentiellement, dans 37,5 % des cas, des connecteurs avec des éléments localisants (au final, d’où, enfin etc.) et des éléments métacommunicatifs (34,4 %) (à savoir, de cette manière, en conclusion etc.). Les éléments scalaires représentent 14,6 % (au point que, de plus, en tout cas etc.) et les déictiques 12,5 % des cas (en ce sens, au-delà, à cette fin etc.). Les autres éléments jouent avec 1 % un rôle périphérique. Les prépositions non-localisantes {PNL} forment dans 29,5 % des cas des connecteurs avec des déictiques (malgré cela, pour ces raisons, c’est pour cela que etc.) 232

et des éléments métacommunicatifs (par conséquent, par exemple, pour ces raisons etc.). Les autres éléments, exprimant par exemple la condition, tels que dans hormis si, sauf si, jouent également un rôle important (18,2 %). Les éléments localisants (par ailleurs, par-là, par la suite) et les éléments quantitatifs (malgré tout, pour autant, pourtant etc.) représentent respectivement 11,4 %. Les prépositions temporelles {PT} forment leurs connecteurs préférentiellement avec des éléments déictiques (cependant, dès lors, désormais etc.) (37,5 % des cas), avec d’autres éléments (31,3 %) (après que, avant que, pendant que etc.), suivent les éléments localisants avec 18,8 % (depuis lors, dès lors, dès lors que) et les éléments quantitatifs (après tout, avant tout) avec 12,5 %. L’hypothèse peut être émise que les prépositions temporelles s’unissent fréquemment au complétif dont la valeur sémantique est considérée comme « neutre » car elles-mêmes ont des traits sémantiques concrets déterminant non seulement le domaine de relation, mais livrant également des informations concernant la nature des connectes, en l’occurrence une valeur événementielle. Les prépositions spatiales {PS} forment préférentiellement des connecteurs avec des éléments déictiques (environ 36 %) tels que dans ce but, dans ces perspectives, jusqu’ici etc., des éléments métacommunicatifs (24 %) tels que dans ce cas, dans ces conditions, dans le cas où, avec des éléments localisant tels que dans le même temps, jusqu’à présent, jusque-là etc. (environ 32 %). Les éléments autres (outre que) ainsi que les éléments quantitatifs tels que surtout ne représentent que 4 % des cas. Les quatre sous parties suivantes sont dédiées à l’étude détaillée des connecteurs en fonction des prépositions qu’ils contiennent. L’organisation de l’étude suivra l’ordre décroissant de la fréquence des prépositions dans les connecteurs.

5.2 Les prépositions grammaticales : formation de connecteurs polyvalents Dans le corpus synchronique, les connecteurs contenant des prépositions grammaticales sont les plus fréquents avec 3102 occurrences, soit 61,2 % de la totalité des connecteurs prépositionnels. Les trois prépositions de la dimension grammaticale à, de, en entrent dans la formation de connecteurs. 5.2.1 Les connecteurs contenant une préposition grammaticale : type, token Les prépositions grammaticales entrent dans la formation de 79 connecteurs différents (types).8 Le tableau 27 donne une vue d’ensemble de la répartition des connecteurs formés à partir d’une préposition grammaticale au niveau des types et des tokens :

––––––– 8

Voir : 9 Annexe.

233

préposition

type (valeur absolue)

token (valeur absolue)

en

27

1418

à

27

1028

de

25

656

total

79

3102

Tableau 27 : préposition grammaticale type et token

A et en sont avec 27 types les prépositions les plus productives, suivies de de avec 25 types. Au niveau des tokens, les connecteurs formés de la préposition en (1410 tokens) sont les plus fréquents, suivis de à (1028 tokens) et enfin de de (56 tokens). Les quatre connecteurs les plus fréquents formés à partir de la préposition à sont alors avec 509 tokens, alors que avec 179 tokens, c’est-à-dire avec 132 tokens et au contraire avec 42 tokens. Les quatre types les plus fréquents formés à partir de la préposition en sont enfin avec 418 tokens, en effet avec 258 tokens, en fait avec 218 tokens et ensuite avec 104 tokens. Enfin les connecteurs les plus fréquents formés à partir de la préposition de sont d’ailleurs avec 171 tokens, d’abord avec 127 tokens, de plus avec 58 tokens d’autre part avec 52 tokens et son corrélatif d’une part avec 46 tokens. 5.2.2 Les connecteurs contenant une préposition grammaticale : profil pragmatique L’éventail fonctionnel des connecteurs contenant des prépositions grammaticales couvre les neuf catégories pragmatiques9 distinguées pour les connecteurs prépositionnels. Les fonctions des connecteurs contenant une préposition grammaticale sont résumées dans le tableau 28 : catégorie fonctionnelle

valeur absolue

pourcentage

{ESA}

667

21,5 %

{IS}

532

17,2 %

{ES}

413

13,3 %

{IA}

392

12,6 %

{RA}

278

9%

{EA}

264

catégorie fonctionnelle

8,5 %

valeur absolue

pourcentage

{RS}

218

7%

{ISA}

203

6,5 %

{RSA}

135

4,4 %

Tableau 28 : les catégories fonctionnelles des connecteurs contenant une préposition grammaticale

––––––– 9

Pour une présentation des catégories pragmatiques des connecteurs prépositionnels voir la partie 4.1 Les catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels.

234

Étant donné que les prépositions grammaticales forment des connecteurs présentant un éventail fonctionnel déployé, elles peuvent être considérées comme polyvalentes. La fonction la plus répandue est complexe : il s’agit de l’explicitation structurante argumentative {ESA} avec 21,5 %. Les fonctions simples d’interaction structurante {IS} (17,2 %), d’explicitation structurante {ES} (13,3 %) et d’interaction argumentative {IA} (12,6 %) jouent également un rôle important. Les connecteurs formés à partir de prépositions grammaticales présupposent en raison de ces fonctions un degré assez élevé d’implication des actants. En deçà des 10 % se trouvent les fonctions simples de représentation argumentative {RA} (9 %), d’explicitation argumentative {EA} (8,5 %), de représentation structurante {RS} (7 %), ainsi que les deux fonctions complexes d’interaction structurante argumentative {ISA} (6,5 %) et de représentation structurante argumentative {RSA} avec (4,4 %). Afin de préciser le profil pragmatique des connecteurs contenant une préposition grammaticale, les actions et les techniques formatrices des fonctions seront présentées séparément. a) Les actions Le tableau 29 résume la répartition des prépositions grammaticales selon l’action du connecteur dans lequel elles apparaissent : action

valeur absolue

pourcentage

{E_}

1344

43,3 %

{I_}

1127

36,3 %

{R_}

631

20,3 %

Tableau 29 : les actions des connecteurs contenant une préposition grammaticale

Les prépositions grammaticales entrent principalement, avec 43,3 %, dans la formation de connecteurs dont l’action est l’explicitation. Avec 36,3 %, ces connecteurs réalisent une interaction et avec 20,3 %, une représentation. Les prépositions grammaticales s’unissent donc principalement avec des groupes nominaux et des adverbes qui, au niveau sémantique livrent des informations métacommunicatives ou localisantes afin d’agir sur le discours. b) Les techniques Le tableau 30 représente la répartition des prépositions grammaticales selon la technique du connecteur dans lequel elles apparaissent : technique

valeur absolue

pourcentage

{_S}

1164

37,5 %

{_SA}

1005

32,4 %

{_A}

934

30,1 %

Tableau 30 : les techniques des connecteurs contenant une préposition grammaticale

La technique employée par les connecteurs contenant une préposition grammaticale pour réaliser les actions est, dans 37,5 % des cas, structurante, dans 32,4 % complexe structurante et argumentative et dans 30,1 % argumentative. La répartition des techniques employées par les connecteurs contenant une préposition grammaticale est donc relativement équilibrée. 235

La valeur sémantique des connecteurs prépositionnels exerçant une action de représentation et d’explicitation peut être précisée. 5.2.3 Les connecteurs contenant une préposition grammaticale : profil sémantique Le tableau 31 donne une vue d’ensemble des valeurs sémantiques simples des prépositions grammaticales. Dans le corpus, onze des douze catégories sémantiques simples ont été détectées pour les connecteurs contenant une préposition grammaticale : catégorie sémantique

valeur absolue

pourcentage

{PG} {ADD}

601

19,4 %

{PG} {OPP}

199

6,4 %

{PG} {CAU}

182

5,9 %

{PG} {DEB}

174

5,6 %

{PG} {ARR}

138

4,4 %

{PG} {POS}

117

3,8 %

{PG} {CONS}

95

3,1 %

{PG} {FIN}

55

1,8 %

{PG} {ANT}

51

1,6 %

{PG} {ACT}

27

0,9 %

{PG} {SIM}

25

0,8 %

Tableau 31 : les catégories sémantiques des connecteurs contenant une préposition grammaticale

Les prépositions grammaticales forment aussi bien des connecteurs à valeur sémantique localisante que non-localisante : les catégories les plus fréquentes sont l’addition avec 19,4 % et l’opposition avec 6,4 % ; la cause représente 5,9 %, et le début 5,6 %. Les autres catégories se situent en deçà des 5 %. Les connecteurs contenant des prépositions grammaticales présentent dans 10 % des cas l’accumulation de deux sens. catégorie sémantique

valeur absolue

pourcentage

{PG} {ACT} {CONS}

150

4,8 %

{PG} {SIM} {OPP}

63

2%

{PG} {ADD} {CAU}

41

1,3 %

{PG} {POS} {CONS}

22

0,7 %

{PG} {ARR} {CONS}

17

0,5 %

{PG} {SIM} {CAU}

12

0,4 %

{PG} {ACT} {POS}

3

0,1 %

{PG} {ANT} {OPP}

3

0,1 %

Tableau 32 : les combinaisons doubles des catégories sémantiques des connecteurs contenant une préposition grammaticale

Ainsi, le sens actualisation peut être couplé d’une valeur de conséquence (4,8 %), la valeur de simultanéité peut être accompagnée d’une valeur d’opposition (2 %), 236

l’addition d’une valeur de cause (1,3 %), la postériorité peut être couplée d’une valeur de conséquence (0,7 %), l’arrivée d’une valeur de conséquence (0,5 %), la simultanéité d’une valeur causale (0,4 %), l’actualité d’une valeur de postériorité (0,1 %) et l’antériorité d’une valeur d’opposition (0,1 %). Les lectures doubles ont en commun l’association d’une valeur localisante – actualité, simultanéité, addition, postériorité, et arrivée – à des valeurs principalement non-localisantes : la conséquence, l’opposition et la cause. Seule la valeur d’actualité avec trois occurrences est couplée à une autre valeur localisante, la postériorité.

5.3 Le profil des connecteurs contenant une préposition non-localisante 5.3.1 Les connecteurs contenant une préposition non-localisante : type et token Le tableau 33 donne une vue d’ensemble des connecteurs (types) contenant une préposition non-localisantes détectés dans le corpus en synchronie : préposition

type

token

par

8

901

pour

14

410

sans

2

35

sauf

2

11

malgré

3

8

selon

1

5

hormis

2

2

suivant

1

1

total

33

1373

Tableau 33 : type et token des connecteurs contenant une préposition non-localisante

Dans le corpus, huit des seize prépositions non-localisantes entrent dans la formation de 33 types : pour, par, malgré, sans, sauf, hormis, selon et suivant. La productivité de ces prépositions est très variable aussi bien au niveau des types que des tokens. Pour est la préposition la plus productive avec 14 types, elle est suivie de par avec 7 types puis de malgré avec 3 types. Les prépositions moins productives de connecteurs sont sans, sauf et hormis avec respectivement 2 types, et selon et suivant avec respectivement 1 type. Au niveau des tokens, par est la préposition non-localisante entrant le plus fréquemment dans la formation de connecteurs. Les cinq connecteurs les plus fréquents formés à partir de par sont : parce que (522 tokens), par exemple (187 tokens), par ailleurs (115 tokens), par conséquent (34 tokens), par contre (23 tokens). Les connecteurs les plus fréquents formés à partir de la préposition pour sont : pour que (94 tokens), pourtant (86 tokens), c’est pourquoi et ses variations (76 tokens), (c’est) pour ces raisons et ses variations (50 tokens) et pour ça que et ses variations (16 tokens). Sans entre dans la formation de deux connecteurs sans quoi représenté par une occurrence dans le corpus et le connecteur nettement plus employé sans que avec 34 occurrences. Les connecteurs formés des prépositions selon (selon que : 5 tokens), hormis (hormis le fait que : 1 token ; hormis si : 1 token) et suivant (suivant 237

que : 1 token) présentent une faible fréquence si bien que leur rôle dans le corpus en synchronie peut être considéré comme marginal. 5.3.2 Les connecteurs contenant une préposition non-localisante : profil pragmatique Le tableau 34 résume les fonctions des connecteurs contenant des prépositions nonlocalisantes : catégorie fonctionnelle

valeur absolue

pourcentage

{RA}

514

37,4 %

{EA}

415

30,2 %

{ESA}

167

12,2 %

{ES}

120

8,7 %

{IA}

78

5,7 %

{ISA}

51

3,7 %

{RS}

19

1,4 %

{RSA}

6

0,4 %

{IS}

3

0,2 %

total

1373

100 %

Tableau 34 : les catégories fonctionnelles des connecteurs contenant une préposition non-localisante

Les connecteurs contenant des prépositions non-localisantes recouvrent les neuf catégories fonctionnelles de notre modèle :10 la représentation argumentative {RA} avec 37,4 %, l’explicitation argumentative {EA} avec 30,2 %, l’explicitation structurante argumentative {ESA} avec 12,2 %, l’explicitation structurante {ES} avec 8,7 %, l’interaction argumentative {IA} avec 5,7 %, l’interaction structurante argumentative {ISA} avec 3,7 %, la représentation structurante {RS} avec 1,4 %, la représentation structurante argumentative {RSA} avec 0,4 % et l’interaction structurante {IS} avec 0,2 %. Afin de donner un aperçu plus précis du profil pragmatique des connecteurs formés à partir d’une préposition non-localisante, les actions et les techniques des connecteurs vont être présentées séparément. a) Les actions des connecteurs contenant des prépositions non-localisantes action

valeur absolue

pourcentage

{E_}

702

51,1 %

{R_}

539

39,3 %

{I_}

132

9,6 %

Tableau 35 : les actions des connecteurs contenant une préposition non-localisante

Les connecteurs contenant une préposition non-localisante sont, avec 51,1 %, principalement employés avec l’action d’explicitation {E_}. Ces connecteurs travaillent

––––––– 10

Voir la partie 4.1 Les catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels.

238

la matière textuelle en tant que partie constitutive de texte ou comme argument. L’action de représentation {R_} est également fréquente avec 39,3 %. Comparée aux deux autres actions, l’interaction {I_} joue avec 9,6 % un rôle plus restreint. Les prépositions non-localisantes s’unissent donc avec des groupes nominaux, d’autres prépositions et adverbes ayant une valeur essentiellement métacommunicative, déictique, scalaire ou localisante afin de travailler la matière textuelle ou de représenter des événements. A la différence des connecteurs contenant une préposition grammaticale {PG}, les connecteurs contenant une préposition non-localisante {PNL} agissent moins au niveau de l’interaction. b) Les techniques des connecteurs contenant une préposition non-localisante technique

valeur absolue

pourcentage

{_A}

1007

73,3 %

{_SA}

224

16,3 %

{_S}

142

10,3 %

Tableau 36 : les techniques des connecteurs contenant une préposition non-localisante

La technique la plus fréquemment employée par les connecteurs contenant une préposition non-localisante {PNL} est l’argumentation {_A} (73,3 %), suit la technique hybride {_SA} : structuration et argumentation (16,3 %). Enfin, la structuration {_S} ne présente que 10,3 % des tokens des connecteurs contenant des prépositions non-localisantes. Il semblerait que les prépositions non-localisantes imposent, de par leur ancrage dimensionnel, une plus grande restriction quant aux techniques employées que ne le faisaient les prépositions grammaticales. Les valeurs sémantiques des connecteurs contenant une préposition non-localisante en action de représentation et d’explicitation peuvent être précisées. 5.3.3 Les connecteurs contenant une préposition non-localisante : profil sémantique Dans l’ensemble du corpus synchronique, les connecteurs contenant une préposition non-localisante couvrent neuf des douze catégories sémantiques distinguées dans notre modèle.11 Le tableau 37 donne une vue d’ensemble des valeurs sémantiques des connecteurs contenant des prépositions non-localisantes détectés dans le corpus synchronique :

––––––– 11

Voir les parties 4.5.2 Les catégories sémantiques localisantes et 4.5.3 Les catégories sémantiques non-localisantes.

239

catégorie sémantique

valeur absolue

pourcentage

{PNL} {CAU}

428

31,2 %

{PNL} {ADD}

280

20,4 %

{PNL} {CONS}

210

15,3 %

{PNL} {OPP}

187

13,6 %

{PNL} {FIN}

91

6,6 %

{PNL} {ACT}

15

1,1 %

{PNL} {POS}

7

0,5 %

{PNL} {COND}

10

0,7 %

{PNL} {ARR}

1

0,1 %

Tableau 37 : les catégories sémantiques simples des connecteurs contenant une préposition non-localisante

Cinq des neuf catégories sont non-localisantes : la cause, la conséquence, l’opposition, la finalité et la condition. Les quatre autres catégories sont localisantes : l’addition, l’actualité, la postériorité et l’arrivée. La relation la plus fréquente avec 31,2 % est d’ordre causale, le connecteur de prédilection exprimant cette relation est parce que. L’addition exprimée par le connecteur par exemple représente 20,4 % des relations. 15,3 % des connecteurs, tels que c’est pourquoi, par conséquent, c’est la raison pour laquelle, verbalisent une relation de conséquence. 13,6 % des connecteurs expriment une opposition et 6,6 % une finalité. L’actualisation (1,1 %), la condition (0,7 %), la postériorité (0,5 %) et l’arrivée (0,1 %) jouent un rôle mineur. En raison de leur très faible fréquence, les relations localisantes, hormis l’addition, exprimées par les connecteurs contenant des prépositions non-localisantes peuvent être considérées comme périphériques. En ce sens, les relations sémantiques exprimées par les connecteurs avec une préposition non-localisante sont principalement non-localisantes ou additives. En conséquence, les prépositions non-localisantes semblent jouer un rôle restrictif quant à la sélection des éléments avec lesquels elles forment des connecteurs ce qui se répercute sur l’éventail des relations sémantiques de ces connecteurs dans le corpus. Dans de rares emplois, les connecteurs contenant des prépositions non-localisantes présentent des lectures doubles, résumées dans le tableau 38 : valeur sémantique double

valeur absolue

pourcentage

{PNL} {OPP} {CONS}

6

0,4 %

{PNL} {POS} {CONS}

6

0,4 %

Tableau 38 : les combinaisons doubles des catégories sémantiques des connecteurs contenant une préposition non-localisante

Les sens d’opposition et de postériorité peuvent être couplés d’une valeur de conséquence. L’analyse quantitative montre cependant que ces doubles lectures ont un caractère peu représentatif car elles représentent moins d’un pourcent des occurrences.

240

5.4 Le profil des connecteurs contenant une préposition temporelle 5.4.1 Les connecteurs contenant une préposition temporelle : type et token Dans le corpus synchronique, cinq des six prépositions temporelles – après, avant, pendant, depuis et dès – entrent dans la formation de 13 connecteurs différents :12 préposition

type

token

dès

4

144

pendant

2

114

avant

3

32

depuis

2

23

après

2

9

total

13

322

Tableau 39 : type et token des connecteurs contenant une préposition temporelle

Dès et avant sont les prépositions les plus productives au niveau des types avec respectivement 4 et 3 types. Pour les autres prépositions – pendant, depuis et après – deux types ont pu être détectés dans le corpus synchronique. Au niveau des tokens, les connecteurs formés de dès (144 tokens) sont les plus fréquents, suivent les connecteurs formés de pendant (114 tokens). Les connecteurs formés des prépositions avant (32 tokens), depuis (23 tokens) et d’après (9 tokens) sont plus rares. Les connecteurs les plus fréquents formés à partir de prépositions temporelles sont : cependant13 (108 tokens), désormais (79 tokens), avant que (19 tokens), depuis que (18 tokens) et après que (8 tokens). 5.4.2 Les connecteurs contenant une préposition temporelle : profil pragmatique La représentation tabulaire des fonctions des connecteurs contenant des prépositions temporelles montre qu’ils couvrent huit des neuf catégories pragmatiques distinguées dans notre modèle :14

––––––– 12 13

14

Le connecteur durant que n’est pas présent dans notre corpus. La prise en compte de cependant dans le paradigme des connecteurs prépositionnels est justifiée dans la partie 7.4.2 « Cependant : de la simultanéité à la concession. Voir la partie 4.1 Les catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels.

241

catégorie fonctionnelle

valeur absolue

pourcentage

{RSA} {PT}

110

34,2 %

{RS} {PT}

76

23,6 %

{RA} {PT}

53

16,5 %

{EA} {PT}

33

10,2 %

{IA} {PT}

22

6,8 %

{ESA} {PT}

18

5,6 %

{ES} {PT}

9

2,8 %

{ISA} {PT}

1

0,3 %

{IS} {PT}





Tableau 40 : les catégories fonctionnelles des connecteurs contenant une préposition temporelle

Les trois premières fonctions remplies par les connecteurs contenant une préposition temporelle {PT} sont :{RSA} avec 34,2 %, {RS} avec 23,6 %, {RA} avec 16,5 %. Elles ont en commun d’exercer une action de représentation. En outre, force est de constater que la fonction la plus fréquemment effectuée par les connecteurs contenant une préposition temporelle réside en une fonction complexe alliant la structuration à l’argumentation. En périphérie se situent les fonctions d’explicitation argumentative {EA} avec 10,2 %, d’interaction argumentative {IA} avec 6,8 %, et d’explicitation structurante argumentative {ESA} avec 5,6 %. Les fonctions les plus rarement exercées par les connecteurs contenant une préposition temporelle sont l’explicitation structurante {ES} avec 2,8 % des occurrences et l’interaction structurante argumentative {ISA} avec 0,3 %. a) Les actions des connecteurs contenant une préposition temporelle Le tableau 41 résume la répartition des actions exercées par les connecteurs contenant une préposition temporelle : action

valeur absolue

pourcentage

{R_}

239

74,2 %

{E_}

60

18,6 %

{I_}

23

7,1 %

Tableau 41 : les actions des connecteurs contenant une préposition temporelle

En employant des connecteurs contenant des prépositions temporelles, les locuteurs desservent principalement l’action de représentation {R_} (74,2 %). Les actions d’explicitation {E_} et d’interaction {I_} représentent respectivement 18,6 % et 7,1 %. La dimension « concrète » temporelle des prépositions semble avoir une répercussion quant à l’action réalisée par le connecteur. En effet, la dimension localisante temporelle semble particulièrement bien adaptée à la formation de connecteurs exerçant une action de représentation.

242

b) Les techniques des connecteurs contenant une préposition temporelle Le tableau 42 résume la répartition des techniques employées pour la réalisation d’une action par les connecteurs contenant une préposition temporelle : technique

token

pourcentage

{_SA}

129

40,1 %

{_A}

108

33,5 %

{_S}

85

26,4 %

Tableau 42 : les techniques des connecteurs contenant une préposition temporelle

Étant donné que les prépositions temporelles sont ancrées dans la dimension localisante,15 nous aurions pu nous attendre à ce que la structuration {_S} soit la technique la plus fréquente aux connecteurs qu’elles forment. Cependant, l’analyse de corpus révèle que connecteurs contenant une préposition temporelle agissent avec la technique la plus fréquente est complexe, {_SA}, soit structurante argumentative avec 40,1 %, la seconde technique du classement est argumentative {_A} avec 33,5 %, la dernière technique du classement est structurante {_S} avec 26,4 %. En conclusion, les connecteurs contenant des prépositions temporelles sont spécialisés dans la représentation mais n’emploient pas primairement une technique structurante. Les valeurs sémantiques pour les actions de représentation et d’explication peuvent être précisées. 5.4.3 Les connecteurs contenant une préposition temporelle : profil sémantique Les connecteurs contenant une préposition temporelle présentent dans leurs emplois une propriété sémantique qui leur est spécifique : dans 62 % de leurs emplois, ils présentent une accumulation de catégorie. Dans 44 % d’entre eux, ils présentent deux catégories, 19 % d’entre eux trois catégories. De fait, la catégorie la plus fréquente de début apparait avec 53 % des occurrences le plus souvent avec un voire deux autres valeurs sémantiques. Ainsi début n’apparait seul que dans 1,9 % des cas, dans 36 % des occurrences début est accompagné d’une seconde catégorie et dans 19 % de ses occurrences, il est accompagné de deux autres catégories. Avant de présenter les doubles et triples lectures en détail, le tableau 43 résume les valeurs sémantiques simples des connecteurs contenant une {PT} :

––––––– 15

Voir la partie 2.3.6 Classification sémantique des prépositions simples en français contemporain.

243

catégorie sémantique

valeur absolue

pourcentage

{PT} {OPP}

86

26,7 %

{PT} {DEB}

6

1,9 %

{PT} {POS}

6

1,9 %

{PT} {ANT}

6

1,9 %

{PT} {ADD}

7

2,2 %

{PT} {SIM}

3

0,9 %

{PT} {ACT}

2

0,6 %

Tableau 43 : les catégories sémantiques des connecteurs contenant une préposition temporelle

La valeur sémantique des prépositions temporelles la plus fréquente est ancrée dans le domaine non-localisant : 26,7 % des connecteurs contenant des prépositions temporelles expriment une opposition. En revanche, les valeurs localisantes sont moins fréquentes : la postériorité et l’antériorité représentent respectivement 1,9 % des valeurs sémantiques des connecteurs contenant une préposition temporelle. L’addition représente 2,2 % des occurrences, la simultanéité 0,9 % et l’actualité représente 0,6 % des valeurs sémantiques. Nous l’avons déjà évoqué plus haut les connecteurs contenant des prépositions temporelles ont la particularité d’accumuler dans 44 % de leurs occurrences, plusieurs valeurs sémantiques. La combinaison des catégories sémantiques témoignant de ces doubles lectures sont résumées dans le tableau 44 : catégorie sémantique

valeur absolue

pourcentage

{PT} {DEB} {ACT}

57

17,7 %

{PT} {DEB} {CAU}

35

10,9 %

{PT} {DEB} {COND}

10

3,1 %

{PT} {POS} {FIN}

5

1,6 %

{PT} {ANT} {CAU}

5

1,6 %

{PT} {SIM} {OPP}

3

0,9 %

{PT} {ANT} {COND}

1

0,3 %

{PT} {ANT} {FIN}

1

0,3 %

{PT} {DEB} {CONS}

1

0,3 %

{PT} {OPP} {SIM}

1

0,3 %

{PT} {POS} {OPP}

1

0,3 %

Tableau 44 : les combinaisons doubles des catégories sémantiques des connecteurs contenant une préposition temporelle

Les cumulations les plus représentatives sont le début et l’actualisation avec 17,7 %, le début et la cause avec 10,9 % et, le début et la condition avec 3,1 %. Les autres combinaisons telles que la postériorité et la finalité, l’antériorité et la cause etc. présentent une fréquence inférieure à deux pourcents. Dans 19 % des cas, les connecteurs contenant une préposition temporelle présentent une triple lecture. Le tableau suivant donne une vue d’ensemble des combinaisons détectées dans le corpus en synchronie :

244

catégorie sémantique

valeur absolue

pourcentage

{PT} {DEB} {ACT} {CONS}

47

14,6 %

{PT} {DEB} {COND} {CAU}

14

4,3 %

{PT} {ANT} {COND} {CAU}

1

0,3 %

{PT} {DEB} {POS} {CONS}

1

0,3 %

Tableau 45 : les combinaisons triples des catégories sémantiques des connecteurs avec une préposition temporelle

La triple lecture la plus représentative avec 14,6 % consiste en la combinaison début-actualité-conséquence ({DEB} {ACT} {CONS}). La seconde lecture complexe est représentée par la combinaison des catégories début-condition-cause ({DEB} {COND} {CAU}) avec 4,3 %. Les autres combinaisons (antériorité-condition-cause {ANT} {COND} {CAU} et début-postériorité-conséquence {DEB} {POS} {CONS}) se situent au-dessous d’un pourcent. Il est essentiel de noter que le point commun entre ces combinaisons réside en l’association de catégories localisantes et de catégories non-localisantes.

5.5 Le profil des connecteurs contenant une préposition spatiale 5.5.1 Les connecteurs contenant une préposition spatiale : type, token Dans le corpus synchronique, les connecteurs contenant des prépositions spatiales sont les moins fréquents avec 269 tokens. Seules quatre des quatorze prépositions spatiales entrent dans la formation de connecteurs : dans, jusque, outre et sur.16 Le tableau 46 donne une vue d’ensemble de la répartition des prépositions spatiales au niveau des types et des tokens : préposition

type

token

sur

1

129

dans

9

92

jusque

6

47

outre

1

1

total

17

269

Tableau 46 : type et token des connecteurs contenant une préposition spatiale

Les prépositions spatiales entrent dans la formation de 17 connecteurs différents. Au niveau des types, dans et jusque sont les plus productives avec respectivement 9 et 6 connecteurs. Les quatre types les plus fréquents de la préposition dans sont dans ce cas, dans la mesure où, dans le même temps et dans ces conditions. Les types les plus fréquents de la préposition jusque sont : jusqu’à présent, jusqu’ici, jusque-là et jusqu’alors. La préposition sur n’est représentée que dans un connecteur surtout,

––––––– 16

Dans le connecteur par contre la dimension prépositionnelle non-localisante {PNL} a été attribuée à la préposition par en raison de son rôle introducteur.

245

mais son type présente le plus grand nombre de tokens (129 tokens). La préposition outre ne présente qu’un type avec un seul token : outre que. 5.5.2 Les connecteurs contenant une préposition spatiale : profil pragmatique Le tableau 47 donne une vue d’ensemble des fonctions exercées par les connecteurs contenant des prépositions spatiales. catégorie fonctionnelle

valeur absolue

pourcentage

{ESA} {PS}

94

34,9 %

{ES} {PS}

67

24,9 %

{RS} {PS}

55

20,4 %

{EA} {PS}

35

13 %

{RA} {PS}

10

3,7 %

{RSA} {PS}

8

3%

Tableau 47 : les catégories fonctionnelles des connecteurs contenant une préposition spatiale

Les connecteurs contenant des prépositions spatiales {PS} présentent l’éventail pragmatique le plus restreint : seules six des neuf fonctions de notre modèle17 sont couvertes par les connecteurs contenant des prépositions spatiales. La catégorie la plus représentative est l’explicitation structurante argumentative {ESA} avec 34,9 %, suivie de la catégorie d’explicitation structurante {ES} avec 24,9 %, puis de la représentation structurante {RS} avec 20,4 %. Les fonctions les moins fréquentes pour les connecteurs contenant une préposition spatiale sont l’explicitation argumentative {EA} avec 13 % et les fonctions de représentation argumentative {RA} et de représentation structurante argumentative {RSA} avec respectivement 3,7 % et 3 %. L’analyse de corpus n’a pu documenter l’action d’interaction pour les connecteurs contenant une préposition structurante dont la spécificité est la forte implication des interlocuteurs dans la mise en relation. a) Les actions des connecteurs contenant une préposition spatiale Le tableau 48 représente la répartition des actions exercées par les connecteurs contenant une préposition spatiale : action

valeur absolue

pourcentage

{E_}

196

72,9 %

{R_}

73

27,1 %

{I_}





Tableau 48 : les actions des connecteurs contenant une préposition spatiale

Ce tableau permet de constater que deux des trois actions ont été détectées dans le corpus pour les connecteurs contenant une préposition spatiale : l’interaction {_I} est absente dans le corpus pour les connecteurs contenant des prépositions spatiales,

––––––– 17

Voir la partie 4.1 Les catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels.

246

alors qu’elle était représentée pour les connecteurs contenant une préposition temporelle.18 Par ailleurs, à la différence des connecteurs contenant une préposition temporelle, les connecteurs contenant une préposition spatiale n’exercent pas primairement une action de représentation mais d’explicitation. En effet, l’explicitation {_E} représente 72,9 % tandis que la représentation ne représente que 27,1 % {_R} des actions réalisées par les connecteurs contenant une préposition spatiale. En conséquence, les prépositions temporelles et les prépositions spatiales entrent dans la formation de connecteurs dont les profils pragmatiques sont clairement différents. b) Les techniques des connecteurs contenant une préposition spatiale La représentation tabulaire suivante documente la répartition des techniques employées pour la réalisation des actions par les connecteurs contenant une préposition spatiale : technique

valeur absolue

pourcentage

{_S}

122

45,4 %

{_SA}

102

37,9 %

{_A}

45

16,7 %

Tableau 49 : les techniques des connecteurs contenant une préposition spatiale

Le classement des techniques des connecteurs contenant une préposition spatiale présente un autre profil que celui des connecteurs contenant des prépositions temporelles. En effet, à la différence des connecteurs contenant des prépositions temporelles, les connecteurs avec des prépositions spatiales emploient primairement une technique structurante {_S} avec 45,4 %. Cette technique est suivie de la technique complexe structurante argumentative {_SA} avec 37,9 %. Enfin, la technique argumentative {_A} joue en comparaison un rôle plutôt périphérique avec 16,78 %. L’ancrage des prépositions spatiales dans la dimension localisante19 semble jouer un rôle plus déterminant quant à l’emploi de la technique structurante qu’il ne l’était pour les connecteurs contenant une préposition temporelle. Ainsi, les prépositions spatiales en combinaison avec des déictiques (36 %) et/ou des éléments localisants (32 %)20 forment des connecteurs principalement employés pour structurer le texte et moins fréquemment pour structurer les événements. Ce constat conforte en outre la sous-catégorisation de la dimension localisante en une dimension temporelle et spatiale.21 Enfin, les fonctions exercées par les connecteurs contenant une préposition spatiale peuvent être spécifiées.

––––––– 18

19

20

21

Voir la partie 5.4.2 Les connecteurs contenant une préposition temporelle : profil pragmatique. Voir la partie 2.3.6 Classification sémantique des prépositions simples en français contemporain. Voir la partie 5.1 Les dimensions prépositionnelles et les éléments formateurs de connecteurs. Voir la partie 2.3.6 Classification sémantique des prépositions simples en français contemporain.

247

5.5.3 Les connecteurs contenant une préposition spatiale : profil sémantique Dans le corpus, les connecteurs contenant une préposition spatiale peuvent présenter une valeur sémantique simple ou complexe. Le tableau 50 résume les catégories sémantiques simples des connecteurs contenant une préposition spatiale : catégorie sémantique

valeur absolue

pourcentage

{PS} {ADD}

130

48,3 %

{PS} {CONS}

20

7,4 %

{PS} {CAU}

18

6,7 %

{PS} {ACT}

16

5,6 %

{PS} {SIM}

10

3,7 %

{PS} {DEB}

8

3%

{PS} {COND}

7

2,6 %

{PS} {POS}

1

0,4 %

Tableau 50 : les catégories sémantiques simples des connecteurs contenant une préposition spatiale

II est intéressant de constater que si environ 60 % des connecteurs contenant une préposition spatiale ont une valeur localisante : addition (48,3 %), actualisation (5,6 %), simultanéité (3,7 %), début (3 %) et postériorité (2,6 %). Dans environ 16 % de leurs emplois, ils ont une valeur non-localisante : les connecteurs peuvent exprimer la conséquence (7,4 %), la cause (6,7 %) ou la condition (2,6 %). Dans environ 20 % des cas, les connecteurs contenant une préposition spatiale présentent une lecture complexe : catégorie sémantique

valeur absolue

pourcentage

{PS} {ARR} {ACT}

45

14 %

{PS} {SIM} {OPP}

6

1,9 %

{PS} {ACT} {CONS}

3

0,9 %

{PS} {COND} {CAU}

3

0,9 %

{PS} {ARR} {COND}

2

0,6 %

Tableau 51 : les combinaisons doubles des catégories sémantiques des connecteurs avec une {PS}

L’arrivée représente un cas particulier dans la mesure où cette valeur n’apparaît jamais seule : la catégorie arrivée est dans 14 % des cas associée à l’actualisation ({ARR} {ACT}). La simultanéité est associée dans 1,9 % des cas à une opposition ({SIM} {OPP}), dans 0,9 % des cas, l’actualisation est couplée à une conséquence ({ACT} {CONS}), et la condition à la cause ({COND} {CAU}). Enfin, dans 0,6 % des cas l’arrivée est associée à la condition ({ARR} {COND}). La description des lectures complexes par les catégories sémantiques montre que les connecteurs contenant une préposition spatiale se distinguent clairement de ceux contenant une préposition temporelle non seulement au niveau de leurs profils pragmatiques, mais aussi au niveau de leurs profils sémantiques. La combinaison de lecture apparaît alors comme une spécificité sémantique des connecteurs contenant une préposition temporelle. 248

5.6 Hypothèses quant aux restrictions de formation de connecteurs prépositionnels L’analyse du corpus synchronique montre que les dimensions prépositionnelles présentent différents degrés de productivité quant à la formation de connecteurs. Toutes les prépositions ancrées dans la dimension grammaticale et temporelle sont formatrices de connecteurs.22 Cependant, les prépositions ancrées dans la dimension grammaticale sont les plus productives au niveau des types et des tokens.23 Par ailleurs, les prépositions temporelles se démarquent des prépositions spatiales également ancrées dans la dimension localisante. En effet, si toutes les prépositions temporelles sont aptes à former des connecteurs, seule six des quatorze prépositions localisantes entrent dans la formation de connecteurs. Dans le corpus, cinq (contre, dans, sur, outre et jusque) des six prépositions qui entrent dans la formation de connecteur ont été détectées : le corpus ne documente pas l’emploi de hors dans le connecteur hors que. En outre, les prépositions chez, derrière, devant, entre, parmi, sous, vers et via ne sembleraient pas jouer de rôle dans la formation de connecteurs. Quant aux prépositions appartenant à la dimension non-localisante, l’analyse de corpus montre que la majorité d’entre elles, douze des quinze prépositions, forme des connecteurs. Toutefois, l’analyse montre également que seules huit d’entre elles sont représentées dans le corpus, les connecteurs contenant les prépositions avec (avec ça que), excepté (excepté que), moyennant (moyennant que) et nonobstant (nonobstant que) n’ont pu être documentés. Enfin, trois prépositions de la dimension non-localisante n’entrent pas dans la formation de connecteurs : concernant, envers et touchant. Au début de ce chapitre, nous avons montré sur la base de l’analyse de corpus que plus les prépositions sont grammaticales ou abstraites, plus les connecteurs contenant ces prépositions sont fréquents, et, à l’inverse, plus les prépositions sont concrètes, plus les connecteurs les contenant sont rares.24 Désormais, force est de constater au niveau de l’inventaire que les prépositions grammaticales et temporelles forment des connecteurs « sans restriction », tandis que les prépositions nonlocalisantes et spatiales semblent connaître certaines restrictions quant à la formation de connecteurs. Ainsi, le but de ce chapitre est de formuler des hypothèses quant aux restrictions sémantiques qui obstruent la formation de connecteurs. 5.6.1 Les prépositions localisantes de dimension spatiale La littérature livre déjà certaines hypothèses concernant les restrictions des prépositions spatiales quant à la formation de connecteurs et spécifiquement concernant la formation de conjonctions de subordination (cf. Amiot 2002 ; Muller 2002).

––––––– 22

23

24

Notons à cet égard que le connecteur durant que n’a pu être détecté dans le corpus. Vraisemblablement, durant que présente des emplois plus restreints que son concurrent pendant que en raison de sa valeur sémantique durative plus marquée, c’est-à-dire en raison de la transparence du verbe durer dont la préposition est dérivée. Voir les parties 5.2 Les prépositions grammaticales : formation de connecteurs polyvalents et 5.4 Le profil des connecteurs contenant une préposition temporelle. Voir la partie 5.1 Les dimensions prépositionnelles et les éléments formateurs de connecteurs.

249

Sur la base de critères syntaxiques, Amiot (2002) entreprend une classification des prépositions en distinguant deux types : les « prépositions régies » et les « prépositions circonstancielles ». La préposition régie est dépendante de l’élément qui constitue son contexte gauche : un verbe, un adjectif ou un nom relationnel. Elle introduit des arguments du verbe (Elle compte toujours sur les autres pour résoudre ses problèmes), de l’adjectif (Ils étaient fiers de son succès) ou du nom (Pierre est le frère d’Alice) (Amiot 2002, 297). Dans ce cas, la préposition est toujours un élément relationnel à deux places, elle est fortement liée à son contexte gauche par un terme recteur qui la régit et la sélectionne. Les prépositions régies seraient à, de, sur, sous, contre, en, entre, dans et en. Ici, la préposition peut être considérée comme moins libre (cf. Amiot 2002, 297). Constatons à cet endroit que les prépositions régies distinguées par Amiot correspondent dans notre modèle aux prépositions de dimension grammaticale (à, de, en) et spatiale (sur, sous, contre, entre, dans).25 Les prépositions dites « circonstancielles », en revanche, ne dépendent pas syntaxiquement d’un élément précis du contexte. En ce sens, elles peuvent considérées comme plus autonomes que les précédentes (cf. Amiot 2002, 197). Ces prépositions introduisent ce qui est traditionnellement considéré comme un complément circonstanciel de temps (Avant son départ, Marie a tenu à terminer tout son travail en cours.) ou d’« éventualité rejetée » (Sans son téléphone portable, elle se sent perdue.) (cf. Amiot 2002, 297s.). La préposition établit cette fois une relation avec l’ensemble de la phrase. Étant donné qu’elle n’est pas liée à un élément particulier dans son cotexte de gauche, la préposition semblerait fonctionner davantage comme un élément à une place (cf. Amiot 2002, 298). Les prépositions qui assument préférentiellement ce type d’emploi sont sans, avant, après, pour, dès, etc. (cf. Amiot 2002, 298s.).26 Constatons à cet endroit que les exemples de prépositions dites « circonstancielles » livrés par Amiot (2002, 298s.) correspondent dans notre modèle aux prépositions de dimension non-localisante (sans, pour) et temporelle (avant, après, dès).27 Chacune de ces classes présentent deux propriétés complémentaires. Certaines prépositions régies peuvent donner naissance à de vrais préfixes, sur (surdoué), sous (sous-effectif), contre (contre-exemple), en (enterrer) et entre, mais ne sont pas employées (directement) comme conjonction de subordination (cf. Amiot 2002, 298). En revanche, les prépositions dites « circonstancielles » n’assument pas de véritables emplois préfixaux,28 mais elles entrent dans la composition de locutions conjonctives directes (cf. Amiot 2002, 299) :

––––––– 25

26 27

28

Voir la partie 2.3.6 Classification sémantique des prépositions simples en français contemporain. Amiot (2002, 298) remarque qu’il a beaucoup d’autres prépositions circonstancielles. Voir la partie 2.3.6 Classification sémantique des prépositions simples en français contemporain. Pour les prépositions circonstancielles deux cas de figures peuvent être distingués. Certaines ne peuvent être employées comme affixe (dès, avec et vers), d’autres entrent dans la formation de mot, mais ne peuvent être considérées comme de « vrais » suffixes : avant (avant-guerre), après (après-Ceausescu), sans (sans-papier). La perspective diachronique montre que certaines d’entre-elles, par et pour, ont été employées comme des suffixes mais ne sont plus productives (cf. Amiot 2002, 298).

250

1. avant que, après que, sans que, pour que, dès que etc. 2. *sous que, *contre que, *en que, *entre que etc. Pour qu’elles puissent introduire une complétive, les prépositions régies nécessitent la présence du pronom ce ou du groupe nominal le fait.29 Amiot conclut qu’il y aurait une distribution complémentaire entre les prépositions régies et les prépositions circonstancielles : les premières fonctionnent comme de vrais préfixes mais ne peuvent être employées directement avec le complétif que, les secondes ne peuvent être employées comme de vrais préfixes, mais forment directement des locutions conjonctives (Amiot 2002, 300). Afin de généraliser ses résultats, Amiot (2002, 301) propose de spécifier les distinctions fonctionnelles des prépositions régies et circonstancielles en terme d’autonomie. Ainsi, le préfixe est un élément moins autonome que ne l’est la préposition régie car en tant que préfixe, la préposition est « encapsulée » à l’intérieur du mot (Amiot 2002, 301). Dans l’optique de notre étude, l’analyse proposée par Amiot est intéressante car elle montre que les prépositions circonstancielles plus autonomes, qui correspondent aux prépositions temporelles et non-localisantes de notre modèle, peuvent former directement des conjonctions, les prépositions régies, qui correspondent aux prépositions grammaticales et spatiales, en revanche ne sont pas en mesure de former directement ce type de connecteurs car elles sont plus dépendantes d’autres éléments situés dans leur cotexte. Certaines prépositions spatiales seraient donc syntaxiquement dépendantes de leur cotexte et ne pourraient en conséquence atteindre l’autonomie nécessaire pour former des conjonctions de subordination.30 Au niveau sémantique, pour les conjonctions de subordination, l’argument récurrent évoqué est que les prépositions spatiales n’accepteraient pas le complétif que car elles sont primairement locatives (cf. Muller 2002, 93ss.). Constatons par ailleurs que la restriction formulée par Muller (2002) corrobore avec la thèse de la grammaticalisation considérant les prépositions ancrées dans la dimension spatiale comme les plus concrètes et permettant, en termes cognitivistes, la localisation spatiale d’une cible par rapport à un site. La concrétude de la dimension spatiale étant un argument récurrent, nous nous interrogerons sur les critères permettant de décrire les prépositions ancrées dans la dimension spatiale. De cette manière, nous formulerons des hypothèses concernant les critères favorisant ou obstruant la formation de connecteurs. La structuration de l’espace par les prépositions spatiales a été décrite par des approches géométriques et topologiques selon trois critères (cf. Vandeloise 1986, 110ss. ; Melis 2003, 59) :31

––––––– 29

30

31

Amiot (2002, 299) cite à cet endroit l’exemple de Togeby : « Nombre de trouvères s’excusent de ne pas parler clairement sur ce qu’ils ne sont pas nés en France ». Le degré d’intégration des prépositions aux syntagmes prépositionnels est traité dans la partie 1.1.2 Une fonction, différents degrés d’intégration. Voir Leech (1969) ; Bennett (1968) ; Miller/Johnson-Laird (1976) pour une approche logique des prépositions. Voir Bierwisch (1968) ; Hawkins (1985) ; Clark (1968) pour une approche géométrique.

251

-

la granularité le système de coordonnées la distance entre objets mis en rapport

La granularité se réfère au nombre de dimensions mises en œuvre pour structurer l’espace. Ainsi, la préposition dans permettrait de situer des objets dans un espace à trois dimensions, tandis que sur localiserait un élément dans un espace à deux dimensions, une surface. Le système de coordonnées désigne le repérage d’un élément par rapport à un point de référence. Ainsi, on distingue les prépositions axées sur le plan vertical comme au-dessus, l’axe latéral comme à côté de, ou l’axe frontal devant. Sur pourrait être interprété à partir de la combinaison de l’axe vertical et du plan horizontal (cf. Melis 2003, 60). En effet, sur peut aussi bien localiser un objet sur le plan vertical (sur la table) que sur l’axe horizontal (sur le mur) (cf. Vandeloise 1986, 89ss.).32 Enfin, la distance fait référence à l’éloignement entre deux points mis en relation. Deux possibilités sont alors distinguées : la coïncidence désigne l’absence de distance entre les deux points considérés, la non-coïncidence désigne une distance positive entre les deux points coordonnés. De plus, avec Dirven (1993, 85) une distance ou polarité négative peut être considérée pour les prépositions sous et derrière.33 Lorsque les deux points coordonnés sont séparés par une distance positive, on parle de préposition projective (cf. Borillo 1998). (148) La carte est au dessus de la table. (Melis 2003, 60) Dans cet exemple, la distance entre la carte et la table est positive parce que la carte occupe une position plus élevée que le site, la table. La localisation ainsi obtenue est dite projective, car elle s’effectue de manière indirecte (Melis 2003, 60) : il n’y a pas de coïncidence entre le site et la cible. Borillo (1998) considère la localisation comme directe lorsqu’il y a une coïncidence entre le site et la cible.34 Deux types de localisation directe sont distingués : le contact, exemple (149) et l’inclusion, exemple (150) (Melis 2003, 61) : (149) La carte est sur la table. (150) La carte est dans le tiroir. Les prépositions appartenant typiquement à la catégorie des prépositions topologiques seraient : sur, dans, chez dans la mesure où elles présentent deux à trois dimensions et une contiguïté soit par contact effectif ou potentiel comme pour sur, soit une contiguïté par inclusion de la cible pour dans et chez. A la différence de dans, le

––––––– 32

33 34

Vandeloise (1986) défend, quant à la description sémantique des prépositions, la thèse de la primauté des critères fonctionnels : les critères fonctionnels de sur seraient le contact, la surface et le support, relation que Vandeloise (1986, 209ss.) nomme de manière concise porteur/porté. La relation émise par dans peut être résumée par la relation de contenant/contenu. Voir la partie 2.3.4.1 La thèse cognitive. Les prépositions impliquant une localisation directe sont appelées par Borillo (1998) prépositions topologiques.

252

site introduit par chez est, en raison de son origine étymologique (lat. in casa ‘dans la maison’, anc. fr. en chiese > chez)35, conceptualisé comme un domicile appartenant à une personne humaine, dans ce cadre la maison est le contenant typique. La préposition chez est donc plus spécialisée que la préposition dans. Les prépositions typiquement non-topologiques sont sous et contre. Sous est l’exemple type de la préposition projective. Elle ne présente pas de relation de contiguïté, sauf exception, la position s’effectue de la cible par rapport au site sur le plan horizontal (Melis 2003, 63 ; Leeman 1997 ; 1999). Contre est une préposition projective d’orientation de la cible vers le site, ne privilégiant aucune portion de l’espace (cf. Melis 2003, 63). Vers est une préposition plutôt dynamique qui désigne un but approximatif, elle ne contribue pas à la spécification d’une localisation statique, mais de la trajectoire que prend l’objet localisé (cf. Kaufmann 1989, 128s. ; Wunderlich/Herweg 1991). Ces prépositions dites directionnelles sont rares en français, car dans cette langue c’est souvent le verbe qui indique la trajectoire (cf. Schwarze 2002, 121). Les propriétés des prépositions de la dimension spatiale dans le tableau 52 :

––––––– 35

Cf. Rheinfelder (21976, 340).

253

préposition

granularité

système de coordonnées

distance

particularité

chez

3 dimensions



inclusion

domicile, maison comme contenant type

contre

2 dimensions

verticalité

contiguïté

dynamisme

dans

3 dimensions



inclusion



derrière

2–3 dimensions

frontalité

distance négative



devant

2–3 dimensions

frontalité

distance positive



entre

2–3 dimensions

verticalité

inclusion entre deux bornes



hors

2–3 dimensions



distance positive

dépassement

jusque

1 dimension



distance positive

but / limite

outre

1 dimension

horizontalité

distance positive

dépassement

parmi

3 dimensions



inclusion



sous

2 dimensions

verticalité

distance négative

absence de contact

sur

2 dimensions

horizontalité / verticalité

contiguïté distance positive

hiérarchie

vers

1 dimension

horizontalité

distance positive

but, approximatif, dynamisme

via

1 dimension

horizontalité

distance positive

étape, dynamisme

Tableau 52 : propriétés des prépositions spatiales

Le tableau récapitulatif montre qu’il n’y aurait pas de critères décisifs obstruant la formation de connecteur. Il semblerait plutôt que certains traits sémantiques spécifiques restreignent la potentialité des prépositions spatiales à former des connecteurs. Ainsi, la polarité négative (derrière, sous), la valeur dynamique (vers, via), la spécificité du site (chez), la frontalité (devant, derrière) semblent former un faisceau de propriétés sémantiques moins favorable à la formation de connecteurs. Toutes les prépositions spatiales qui forment des connecteurs – dans, jusque, outre, hors, jusque, contre et sur – expriment une distance positive. Alors que outre et hors marquent un dépassement ne nécessitant pas de contact avec le site, les prépositions contre, sur, jusqu’à signalent une relation de contiguïté (au moins potentielle) et dans le cas de dans une relation contiguë par inclusion. D’ailleurs, Anscombre (1993) montre pour la préposition sur, en reprenant les critères développés par Vandeloise (1986) de porteur/porté, qu’il existe une continuité entre le sur em254

ployé dans le domaine spatial et le sur employé dans le domaine temporel. La notion de contact est dans la représentation sémantique prototypique la caractéristique centrale de sur. « Le sur temporel exige la connexité (directe ou indirecte) de la même façon que le sur spatial requiert le contact (direct ou indirect) » (Anscombre 1993, 141). On peut ici émettre l’hypothèse que la coorientation des arguments marqués par les connecteurs additionnels surtout et de surcroît est liée à la notion de contiguïté, propriété prototypique de sur. De plus, il semblerait que la notion de scalarité impliquée par sur joue un rôle décisif. Ainsi, sur, dans les connecteurs, ordonnerait une suite d’arguments coorientés sur une échelle hiérarchique, indiquant ainsi que l’argument qu’il introduit est plus important que les précédents (cf. Anscombre 1996, 254ss.). La valeur scalaire ne touche pas seulement la préposition sur mais elle est également commune aux prépositions sur, outre, hors, jusque36 marquant une hiérarchisation dans le cas de sur, un dépassement dans le cas de hors, et une limite dans les cas de jusque. Ainsi, nous formulerons l’hypothèse que la spécialisation par focalisation sur un trait sémantique comme la distance positive, une valeur scalaire, la contiguïté ou l’exclusion, favorise la formation de connecteurs. Ces assertions n’ont toutefois qu’une valeur hypothétique qu’il faudrait préciser dans le cadre d’une étude approfondie. 5.6.2 Les prépositions de la dimension non-localisante Trois prépositions ancrées dans la dimension non-localisante concernant, envers et touchant ne sont pas des éléments constitutifs des connecteurs. Pour ces prépositions, deux types de restrictions peuvent être distinguées : trois restrictions sémantiques et une restriction discursive. Les restrictions sémantiques portent d’une part sur leur caractère concret ainsi que sur le caractère transparent du lexème à l’origine de la préposition et d’autre part sur la valeur sémantique de mise en relation. Envers et toucher ont en commun un lexème d’origine ayant une composante sémantique spatiale dynamique : envers contient la préposition spatiale vers et touchant provient de « toucher » qui désigne une activité physique de mise en rapport. Ces prépositions semblent être, de par leur origine spatiale dynamique, trop concrètes pour entrer dans la composition de connecteur. La transparence de l’élément lexical d’origine dont est dérivée la préposition semble également jouer un rôle quant à l’obstruction de la formation de connecteurs. Cette restriction concerne les prépositions issues des participes présents touchant et concernant. Touchant est le participe présent du verbe toucher, et concernant le participe présent de concerner. Les deux verbes faisant partie du vocabulaire actif du français contemporain, leur origine peut être considérée comme transparente pour les locuteurs francophones. Au point de vue de sa valeur sémantique, le verbe concerner « indique qu’il existe un rapport entre le sujet et l’objet » (TLFi), cette valeur sémantique identique pour la préposition concernant qui signifie « être relatif à », « avoir rapport à ». Néanmoins, il faut noter une nette différence entre la signification du verbe toucher (formation onomatopéique de toc), verbe qui dans La Chanson

––––––– 36

Voir Adler/Asnes (2010, 223ss.).

255

de Roland (1080) signifiait « entrer en contact avec une personne ou avec quelque chose, par l’intermédiaire d’un objet ou avec la main […] » (DHLF) et la signification de la préposition touchant « relativement à, au sujet de » (TLFi) qui, elle, s’est éloignée du sens du verbe. Les prépositions touchant et concernant présentent une grande similitude sémantique, quasi-synonymique : concernant signifie « mettre en rapport », et touchant « au sujet de ». Dans LGR, concernant est d’ailleurs considéré comme synonyme de touchant. Concernant connaît une locution prépositive issue du même verbe en ce qui concerne. Ce qui n’est pas mentionné dans la littérature c’est que si la préposition touchant est désuète, la locution prépositive en ce qui touche, qui découle du même verbe, elle, est bien active (une recherche sur Google documente 11 600 occurrences). (151) Et il est précisé que tout reste à faire en France en ce qui touche spécifiquement la fraude scientifique. Maintenant, que veut dire ce tout … (http://forums.futura-sciences.com/ethique-sciences/200949-fraudescience.html/ (21.11.08) La spécificité de la relation établit par concernant et touchant réside en l’élaboration d’un rapport pertinent entre des groupes nominaux situés dans le cotexte gauche et droit de la préposition : (152) *EST : oui bonjour / je suis mademoiselle _P1 / j’ai reçu un fax de votre part hier / # &euh concernant &euh des [/] &euh # une livraison de pauses / de collation pour des pauses // # (C-Oral-Rom) Dans cet exemple issu du C-Oral-Rom, la préposition concernant émet une relation entre GN1 « un fax » et GN2, « une livraison ». Les deux substantifs, à la différence des noms relationnels tels que dans la main de la fille (cf. Bartning 1993, 168s.), ne sont pas liés par des relations sémantiques évidentes. La plupart des termes reliés par la préposition concernant appartiennent à des champs sémantiques différents sans relation apparente. C’est donc à la préposition d’établir une connexion entre GN1 et GN2, qui n’était pas pertinente et évidente jusqu’alors. Au niveau pragmatique, il faut en outre constater que GN2 est une information ancienne, le thème de l’énoncé, tandis que le GN1 est la nouvelle information, le rhème de l’énoncé. Enfin, une dernière restriction semble résider en l’emploi de certaines prépositions dans des traditions discursives spécifiques. Aussi, à la différence de concernant employé actuellement dans le langage courant, la préposition touchant est considérée comme vieillie ou littéraire (LGR). Ainsi l’origine spatiale, la transparence du lexème d’origine, la valeur de mise en rapport et la marque diaphasique peuvent être considérées comme des restrictions qui empêchent les prépositions non-localisante à former des connecteurs.

256

5.7 Conclusion Le but de ce chapitre était de dresser un portrait des connecteurs prépositionnels en fonction de la dimension de la préposition qu’ils contiennent pour l’ensemble des quatre corpus contemporains. L’analyse de corpus a mis la productivité de certaines dimensions prépositionnelles au niveau des types et de la fréquence d’emploi des formes en évidence. Ainsi, au niveau des tokens, les prépositions grammaticales suivies des prépositions non-localisantes sont les plus fréquentes dans le corpus synchronique. Les connecteurs contenant des prépositions appartenant à la dimension localisante, qu’elle soit temporelle ou spatiale, sont plus rares. Au niveau des types les prépositions grammaticales sont les plus productives, suivies des prépositions non-localisantes, spatiales et temporelles. L’analyse des éléments avec lesquels les prépositions forment des connecteurs selon des catégories syntaxiques (conjonction, adverbe, groupe nominal, infinitif et préposition) et sémantiques (élément localisant, scalaire, déictique et autre) montre que les éléments syntaxiques favorisés sont d’abord des groupes nominaux, des conjonctions puis des adverbes. Au niveau sémantique, les partenaires privilégiés des prépositions quant à la formation de connecteurs sont les éléments localisants, les éléments métacommunicatifs et les déictiques. Au niveau sémantique, la théorie de l’oralité expressive de Koch/Oesterreicher (1996) nous a permis de généraliser ces résultats dans la mesure où les expressions avec lesquelles les prépositions forment des connecteurs peuvent être considérées comme des éléments expressifs. A partir de ce constat, nous avons tiré la conclusion centrale que les prépositions opèrent comme des introducteurs d’espace mentaux en y insérant des éléments expressifs. L’analyse des connecteurs en fonction de la dimension de la préposition qu’ils contiennent a mis des différences pragmatiques et sémantiques importantes en évidence. Aussi les connecteurs qui contiennent une préposition appartenant à la dimension grammaticale et non-localisante présentent un éventail pragmatique déployé car elles couvrent les neuf catégories pragmatiques distinguées par notre modèle. Les connecteurs contenant des prépositions temporelles recouvrent huit des neuf fonctions. Enfin, les connecteurs contenant des prépositions spatiales qui couvrent six des neuf fonctions, ont en revanche un éventail fonctionnel plus restreint. Les prépositions grammaticales disposent d’un profil pragmatique équilibré : chacune des actions et des techniques apparaissant de manière quasi équivalente ; l’action la plus fréquente est toutefois l’explicitation. Les connecteurs contenant des prépositions non-localisantes sont plus sélectifs et réalisent principalement une action d’explicitation, suivie de la représentation ; l’interaction joue un rôle mineur. Les connecteurs contenant des prépositions non-localisantes réalisent les actions avec chacune des techniques. Cependant, l’analyse documente une nette affinité pour la technique argumentative, la technique complexe et la technique structurante sont moins fréquentes pour ces connecteurs. Les connecteurs contenant des prépositions temporelles sont spécialisés dans la réalisation de l’action de représentation. L’action d’explicitation et surtout celle d’interaction jouent un rôle plutôt périphérique. Les techniques employées présentent un dégradé allant de la technique complexe vers la technique structurante, l’argumentation se trouvant entre ces deux 257

extrémités. Les connecteurs contenant des prépositions spatiales sont les plus sélectifs au niveau des actions : l’explicitation est nettement favorisée, la représentation est relayée au deuxième plan et l’interaction n’est pas documentée par l’analyse de corpus. Les techniques employées pour la réalisation des actions sont la structuration et la technique structurante argumentative, la technique argumentative est moins fréquente que les deux précédentes. Les connecteurs contenant des prépositions temporelles et spatiales se distinguent donc clairement au niveau fonctionnel. Il est par ailleurs intéressant de noter que les prépositions spatiales, les plus concrètes, réalisent préférentiellement une explicitation. Au niveau sémantique, les prépositions grammaticales présentent aussi bien des valeurs simples (localisantes et non-localisantes) que doubles. Les connecteurs contenant des prépositions non-localisantes présentent un éventail de valeurs sémantiques plus restreint que celui des connecteurs avec des prépositions grammaticales. De même, les lectures doubles sont plutôt rares. Une particularité sémantique des connecteurs contenant des prépositions non-localisantes réside en ce qu’ils expriment principalement des relations non-localisantes. La préposition comme partie de l’élateur a donc une influence quant à la détermination de la relation instaurée. Les connecteurs contenant des prépositions temporelles présentent un éventail sémantique plutôt restreint avec sept des douze valeurs simples. La valeur oppositive mise à part, ces connecteurs sont plutôt ancrés dans le domaine localisant. La spécificité des connecteurs contenant des prépositions temporelles réside en ce qu’ils expriment fréquemment des lectures complexes doubles ou triples. Les connecteurs contenant des prépositions spatiales favorisent, au niveau sémantique, l’expression de relations localisantes ; ils présentent également des lectures doubles, qui cependant sont moins fréquentes qu’elles ne le sont pour les connecteurs contenant des prépositions temporelles. Les prépositions grammaticales et temporelles sont toutes en mesure de former des connecteurs, même si l’étude de corpus n’a pu en documenter tous les types. En revanche, les inventaires des prépositions spatiales et non-localisantes connaissent quelques exceptions. Dans ce cadre, des hypothèses concernant les restrictions obstruant la formation de connecteurs ont été formulées. Pour les prépositions de ces deux dimensions, il semblerait qu’un ancrage exclusivement spatial, la transparence du lexème d’origine et la spécialisation d’emploi (par exemple quant à la sélection du site ou dans une variété discursive), limitent la formation de connecteurs. Pour conclure, l’analyse de corpus montre la tendance suivante : plus la préposition est concrète, plus le domaine d’action des connecteurs qui la contient est restreint, plus la préposition est abstraite, plus l’éventail pragmatique est déployé. En revanche, le degré de concrétude de la préposition n’a pas nécessairement d’influence sur son domaine d’action : les connecteurs contenant des prépositions temporelles sont certes préférentiellement employés dans le domaine de représentation ce qui n’est pas le cas pour les prépositions spatiales dont les connecteurs favorisent l’explicitation. Néanmoins, la préposition vectrice exerce selon son appartenance dimensionnelle des restrictions quant au choix de l’élément supplémentaire ainsi qu’au niveau des valeurs sémantiques et pragmatiques des connecteurs. La préposition joue donc le rôle d’un indicateur de valeur sémantique et de domaine qui peuvent varier selon l’élément avec lequel elle forme le connecteur.

258

6 Relation entre les connecteurs prépositionnels et le corpus synchronique

Ce chapitre est voué à la présentation détaillée des résultats de l’analyse de corpus. Pour ce faire, chaque partie de corpus est traitée dans un chapitre spécifique dont l’articulation interne est la suivante : dans un premier temps, les caractéristiques centrales des genres textuels considérés seront exposées afin de formuler des hypothèses relatives aux emplois des connecteurs prépositionnels dans ces textes.1 De plus, la présentation du genre textuel, en tant que faisceau de traditions discursives,2 est une étape nécessaire qui, dans les parties de chapitre vouées aux profils pragmatiques et sémantiques des connecteurs, nous permettra de formuler des règles d’emploi précises. En effet, la partie suivante est vouée à l’analyse des profils pragmatiques des connecteurs prépositionnels. Celle-ci comprend trois étapes : d’abord, les fonctions des connecteurs seront présentées dans leur globalité,3 puis, les fonctions étant des entités complexes, chacune de ses composantes sera abordée individuellement : les actions4 et les techniques5 seront éclairées séparément dans le but d’affiner et de préciser le profil pragmatique des connecteurs dans les corpus. Enfin, l’analyse des valeurs sémantiques représentées dans les corpus permettra d’esquisser le profil sémantique des connecteurs prépositionnels dans les différents genres textuels. L’objectif de ce chapitre étant de mettre en lumière la spécificité des emplois des connecteurs prépositionnels dans les différents genres textuels, les emplois caractéristiques à chacun des corpus seront présentés de manière exemplaire. Pour cette raison, les chapitres présentent des variations internes spécifiques. Avant d’aborder dans les parties qui suivront les études des connecteurs prépositionnels dans les corpus particuliers, le tableau 53 donne une vue d’ensemble de la répartition des fonctions pragmatiques et le tableau 54 résume les catégories sémantiques selon les quatre corpus considérés. Ces deux tableaux, qui permettent déjà de visualiser des différences d’emploi des connecteurs prépositionnels selon les corpus, fondent la base de référence pour des comparaisons directes à laquelle nous aurons recours dans chacune des parties suivantes.

––––––– 1

2 3

4 5

La présentation des genres textuels s’oriente principalement à celle proposée par Maaß (2010a, 250ss.) qui effectue son analyse des déictiques discursifs sur la base des mêmes genres textuels que dans le présent travail. Voir la partie 3.3 Le concept tradition discursive ». La conceptualisation des fonctions des connecteurs prépositionnels est traitée dans la partie 4.1 Les catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels. Voir la partie 4.2 Les actions : représentation, explicitation et interaction. Voir la partie 4.3 Les techniques : structuration, argumentation et structuration-argumentation.

catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels pour 10 000 mots corpus

mots

Le

143 077

connecteurs {RS} {RSA} {RA}

{ES} {ESA} {EA} {IS} {ISA} {IA}

783

11,7

7,1

15,3

5,8

7,3

3

1,3

0,6

2,5

Sciences 113 650

833

2,8

2,5

10,6

15,2

26,4

7,8

2,6

2,4

2,9

Sénat

169 814

1824

5,7

6,1

17,2

18,6

23,4

25

2,9

1

7,5

Oral

82 631

1626

8,7

3,3

27

4,5

17,1

23,1

53,1

24,4

35,6

total

509 172

5066

28,9

18,9

70,1

44,1

74,3

58,9

59,9

28,5

48,6

99,5

7,2

4,7

17,5

11

18,6

14,7

15

7,1

12,1

Monde

moyenne

Tableau 53 : les catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels dans les corpus catégories sémantiques des connecteurs prépositionnels pour 10 000 mots corpus

mots

Le

143 077

{ACT} {ADD} {ANT} {ARR} {DEB} {POS} {SIM} {CAU} {COND} {CONS} {FIN} {OPP} 6,5

10,8

2,4

4,3

6,8

2,5

4,5

Sciences

113 650

14,6

23,9

0,3

3,3

3,7

2,3

Sénat

169 814

5,8

28

1,5

5,8

9,5

4,6

Oral

82 631

1,3

19,2

0,2

0,5

5,7

Total

509 172

28,2

82

4,5

13,8

25,7

7,1

20,5

1,1

3,4

6,4

7,2

0,6

3,2

3,2

12,4

0,2

5,2

1,1

18,5

1,4

7,1

2,1

14,4

1,8

17,4

4,4

14,4

3,6

2,4

50,3

0,0

3,4

2,2

7,5

13

9,3

77,1

3,5

42,5

11,2

41,5

3,3

2,3

19,3

0,9

10,6

2,8

10,4

Monde

moyenne

Tableau 54 : les catégories sémantiques des connecteurs prépositionnels dans les corpus

L’évaluation fréquentielle des catégories fonctionnelles et sémantiques ainsi que leur interprétation qualitative pour chacun des corpus, nous permettra d’esquisser le profil sémantique et pragmatique des connecteurs prépositionnels selon les différents genres textuels. Aussi, la partie suivante est-elle dédiée aux résultats concrets de l’analyse du corpus Le Monde. Les trois chapitres qui suivront, quant à eux, seront voués aux résultats des trois autres corpus : Sciences, Sénat et Oral.

6.1 Les connecteurs prépositionnels dans le corpus Le Monde 6.1.1 Les « articles de presse » et le corpus Le Monde La langue de la presse est caractérisée par d’importantes différences internes. Cellesci sont liées d’une part au type de journal considéré et, d’autre part, aux différents genres contenus dans un même journal.6 Huber (2007, 147) distingue cinq paramètres pouvant avoir une répercussion sur la conception linguistique d’un journal : le public auquel s’adresse le journal (feuille boulevardière ou magasine politique), la fréquence de publication (quotidien ou hebdomadaire), le périmètre de diffusion (régional ou national), les rubriques contenues (sport ou économie) et les genres textuels (le commentaire ou la météorologie).7

––––––– 6

7

Cet exposé est basé sur la caractérisation du genre textuel journalistique proposé par Maaß (2010a, 250ss.). Voir également Grosse/Seibold (1996b, 32).

260

Schmitt (2004) distingue, dans son étude comparative portant sur les quotidiens allemands et français, de grandes différences entre les journaux qu’elle localise sur un continuum dont Le Monde et le FAZ d’un côté, et France soir et Bild de l’autre, forment les extrêmes. Dans le même ordre d’idée, Schröder (1984, 341) souligne la richesse des textes du journal Le Monde qui présente une claire orientation à la langue de niveau soutenu. De même, Bohnacker (1996, 147ss.) dresse le portrait du journal Le Monde en le qualifiant de journal sérieux : « Le quotidien Le Monde est considéré comme le journal le ‘plus complet’ et le mieux informé de la presse française ». Ainsi, en raison de son appartenance à la langue de niveau soutenu et de son degré de planification élevé lié au médium écrit, le journal Le Monde est un représentant de la langue de conception distale.8 En outre, les textes journalistiques sont typiquement caractérisés par différents types de références intertextuelles. En effet, le genre textuel journalistique du domaine de communication des articles de journaux comprend de nombreuses souscatégories qui elles-mêmes sont très différentes : textes informatifs, interviews, commentaires, critiques, gloses, portraits, articles du domaine des feuilletons et annonces publicitaires (cf. Rößler 1999). Dans son analyse, Rößler (1999) considère ces différents genres textuels sans effectuer de distinctions internes. Maaß (2010a, 251) critique cette procédure car l’hétérogénéité des genres textuels entrave une analyse quantitative visant à établir une correspondance entre l’emploi de certaines formes et un genre textuel spécifique. De même, dans le présent travail, notre intention de formuler des tendances quant à la distribution des connecteurs prépositionnels dans divers genres textuels présuppose l’homogénéité des parties de corpus considérées. C’est pourquoi une distinction interne des genres textuels journalistiques s’impose. Pour ce faire, Bohnacker (1996, 160) propose d’abord de distinguer deux critères structurant les textes journalistiques : les rubriques et les genres journalistiques. Les rubriques entreprennent une structuration des textes permettant aux lecteurs de sélectionner les textes selon leurs centres d’intérêt (ibid., 162). Avec ce critère, les textes sont classifiés selon leurs contenus et les objets traités (cf. Huber 2007, 165). Tandis que Bohnacker énumère dans les années 1990 sept rubriques distinctes, on décompte aujourd’hui cinq rubriques principales – actualité, débats, sport, loisirs, pratiques – rubriques qui à leur tour sont sous-spécifiées. Ainsi, pour la rubrique actualité, 12 sous-rubriques distinctes peuvent être recensées : international, planète, politique, société, économie, bourse, technologie, médias, sport, éducation, carnets et webdocumentaires.9 En suivant Huber (2007), les textes choisis pour la formation du corpus Le Monde ont été extraits des cinq premières rubriques centrales : international, planète, politique, société et économie. Cette restriction du choix des rubriques est en outre motivée par la seconde classification en genre textuel. Avec Bohnacker (1996, 63) trois genres journalistiques peuvent être distingués « selon leur intention dominante » :

––––––– 8

9

Voir la présentation des parties du corpus synchronique dans les parties de chapitre 3.2 Les parties du corpus synchronique et 3.2.1 Le corpus Le Monde. Huber (2007, 165) compare différents classements de textes en rubriques et signale qu’il n’y a pas de consigne rigide concernant leur répartition.

261

« – les textes à dominante informative : leur but principal est de transmettre des informations, des faits, en faisant abstention de tout commentaire personnel (prototype nouvelle) – les textes qui transmettent une opinion de façon persuasive : il s’agit là surtout du commentaire journalistique, ainsi que de la critique (d’un film, d’un livre, d’une pièce de théâtre) – les textes à dominante prescriptive instructive10 (des recettes, des modes d’emplois) » (Bohnacker 1996, 163) Au-delà, Schröder (1984, 70) distingue un quatrième genre textuel : le genre « bicentré » c’est-à-dire les interviews. Cependant, le contingent de textes informatifs étant élevé dans le journal Le Monde (cf. Schröder 1984, 325 ; Bohnacker 1996, 164), il peut être considéré comme le genre typique des textes de presse. Aussi Bohnacker tire-t-elle la conclusion suivante : « Cela veut dire que la plupart des contributions se donnent pour objectif principal de présenter des faits, d’informer le lecteur d’une manière précise et équilibrée, en considérant des questions de base (qui, quoi, quand, comment, où, pourquoi), et avec l’intention d’aider le lecteur à s’orienter sans le manipuler » (Bohnacker 1996, 164). En conséquence, en raison de leur caractère typique et en vue d’assurer l’homogénéité du corpus de textes journalistiques, seuls les articles informatifs ont été retenus dans la formation du corpus Le Monde. Par ailleurs, Maaß (2010a, 252) mentionne que les textes informatifs peuvent être à nouveaux sous-catégorisés en information (Nachricht) et comptes rendu (Bericht).11 D’après Rath (1996, 31), l’information est une forme de représentation journalistique qui postule une certaine exigence de vérité aussi bien de la perspective du rédacteur que du lecteur. Le compte rendu est une catégorie très proche des informations car cette forme de représentation est orientée vers les faits, mais s’en distingue par son contenu de propriétés subjectives. Le dernier type de texte informatif distingué par Rath (1996, 32) est le commentaire qui correspond à un éditorial ou une prise de position. Le commentaire qui présente un avis prononcé ne sera donc pas pris en compte dans notre corpus. En revanche, le corpus Le Monde comprend

––––––– 10

11

Grosse/Seibold (1996b, 50ss.) distinguent les textes prescriptifs (recette, mode d’emploi) des textes contenant des conseils dont la fonction est d’influencer le comportement sans avoir de caractère obligatoire : conseils de jardinage, vacances etc. et l’horoscope. Schmitt (2004, 85ss.) distingue pour les articles de presse onze genres textuels qui peuvent être attribués à trois catégories de textes : 1) les textes informatifs : les informations, l’entrefilet, les faits-divers, le compte rendu, le reportage et l’interview ; 2) les textes orientés vers l’opinion : les commentaires, la glose et la critique ; 3) les textes orientés vers le contact : les titres et les sous-titres d’illustration. Voir aussi Grosse/Seibold (1996b, 37ss.) : Pour les articles de presse informatifs, Grosse et Seibold distinguent huit genres textuels principaux : l’entrefilet (hard news), les faits divers (soft news), la brève (ou télex), les « blocs-notes », le récit, le reportage, l’interview paraphrasé (mais également la mouture, la biographie journalistique) et la météorologie.

262

aussi bien des textes de presse informatifs que des comptes rendus étant donné que la frontière entre les deux genres textuels est fluide. Suite à la présentation des caractéristiques des textes de presse informatifs, une hypothèse peut être formulée quant aux emplois des connecteurs prépositionnels dans ce genre textuel. En effet, l’objectif des textes informatifs étant d’informer les lecteurs de manière, autant que possible, objective sur des faits et des événements, on peut s’attendre à ce que l’emploi récurrent des connecteurs prépositionnels assure la représentation structurante des événements. Par ailleurs, Schmitt (2004, 81) relève, au niveau syntaxique, les caractéristiques communes au langage de la presse : le style nominal, les expressions comprimées, l’accumulation de construction prépositionnelles et la tendance à l’hypotaxe.12 En raison de ces caractéristiques syntaxiques, et, en particulier, en raison de la préférence pour les constructions hypotaxiques, l’hypothèse d’une faible présence de connecteurs prépositionnels dans le corpus Le Monde peut être d’ores et déjà formulée. Bien que le genre textuel interview ne fasse pas partie de notre corpus, il faut cependant constater que les articles informatifs contiennent des parties de discours directs sous la forme de citations (cf. Maaß 2010a, 253). Rath (1996, 52ss.), qui analyse les citations dans des articles de journaux, discerne trois fonctions : (i) un procédé pour présenter un avis, (ii) une preuve pour étayer une critique, procédé qui, malgré l’exigence d’objectivité, donne au journaliste l’occasion d’exprimer sa propre estimation des personnes ou des faits et (iii) un procédé pour caractériser et évaluer le locuteur.13 Maaß (2010a, 252) propose une fonction supplémentaire : (iv) les énonciateurs sont introduits comme des experts qui instruisent et renseignent le journaliste et les lecteurs. L’énonciateur est alors le garant de la valeur de vérité des propos tenus tandis que le journaliste se retire d’une certaine façon de ses responsabilités envers la garantie des contenus relatés. Dans le cadre du présent travail, le constat que le genre textuel de la presse informative puisse contenir des citations directes est important car cela explique pourquoi ces textes peuvent contenir des emplois de connecteurs prépositionnels ancrés dans le discours oral proximal.14 Ainsi dans l’exemple (153), alors est employé comme une parajonction réalisant une procédure d’interpellation, typique pour le discours oral proximal : (153) « La Russie a régressé vers une politique étrangère tsariste, impérialiste, brutale, reflétant de l'antisémitisme et du nationalisme », décrit en juin 2007 un diplomate français devant le numéro trois du département d’Etat, William Burns. Et de mentionner cet épisode où un élu de la Douma lança à un officiel français : « Alors {C} {IS} {PG} {interpel}, vous avez élu le juif Sarkozy ! » (Le Monde)

––––––– 12 13

14

Cf. Müller (1975, 152). Ici énonciateur est employé dans le sens de Ducrot (1980, 1984) comme l’être du discours responsable du contenu, voir la partie 1.3.3 Les connecteurs et la théorie de la polyphonie. Les emplois de alors dans la langue de proximité sont traités dans la partie 6.4.2.1 Les actions dans le corpus Oral. Voir également la partie 1.1.3.1 Expression adverbiale ou connecteur ?

263

Les caractéristiques du genre textuel journalistique informatif désormais présentées, la partie suivante présente les résultats de l’analyse du profil pragmatique des connecteurs prépositionnels dans le corpus Le Monde. 6.1.2 Profils pragmatiques des connecteurs prépositionnels dans le corpus Le Monde Le tableau suivant présente la répartition des fonctions des connecteurs prépositionnels pour 10 000 mots dans le corpus Le Monde. catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels pour 10 000 mots corpus

mots

connec- {RS}

{RSA} {RA}

{ES}

{ESA} {EA}

{IS}

{ISA} {IA}

11,7

7,1

15,3

5,8

7,3

3

1,3

0,6

2,6

7,2

4,7

17,5

11

18,6

14,7

15

7,1

12,2

teurs Le

143 077 54,7

Monde moyenne

99,5

Tableau 55 : les catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels dans le corpus Le Monde

Le corpus Le Monde contient 783 connecteurs soit 54,7 connecteurs pour 10 000 mots et se situe ainsi en dessous de la moyenne des connecteurs contenus dans la totalité des corpus. Des quatre corpus, Le Monde est le corpus contenant le moins de connecteurs prépositionnels et confirme l’assertion de Schmitt (2004, 81) concernant la préférence du langage de la presse pour les techniques de jonction agrégative (asyndète). Le graphique circulaire suivant permet de visualiser la répartition des neuf fonctions pragmatiques exprimées en pourcentage.

{EA} 5,5%

{RS} 21,3%

{IS} {ISA} {IA} 2,4% 1,1% 4,7%

{ESA} 13,4%

{RSA} 12,9% {ES} 10,6%

{RA} 28,0%

Graphique 6 : les catégories fonctionnelles dans le corpus Le Monde

264

Ce graphique nous permet déjà de prendre position par rapport à nos hypothèses formulées lors de la présentation du genre textuel journalistique.15 Premièrement, l’hypothèse concernant l’action réalisée – la représentation des faits – s’avère confirmée, elle représente 62,2 % des actions. En revanche, l’hypothèse relative à la technique de l’étayement argumentatif a un rôle plus important que nous ne l’avions attendu. En effet, la fonction la plus fréquente est {RA} – la représentation argumentative des événements et des états de chose – avec 28 %. La fonction de représentation structurante {RS} suit directement avec 21,3 %. Nous nous étions effectivement attendus à ce que la fonction de structuration des événements {RS} soit la plus fréquente que celle de représentation argumentative. Il est donc intéressant de constater que la technique argumentative dans les textes de la presse informative joue un rôle plus important que jusqu’à présent admis.16 En effet, selon la norme, les textes informatifs journalistiques semblent proscrire l’expression de jugements : « Dans les vrais entrefilets, on ne détecte presque aucun élément qui exprime une opinion. … Ce genre ne sert donc qu’à l’information événementielle … » (cf. Grosse/Seibold 1996b, 38). Cependant, les résultats documentent que la représentation des événements n’exclus pas une mise en relation avec une technique argumentative.17 En effet, dans l’extrait (154), le connecteur prépositionnel alors que lie deux états de chose au moyen de la technique argumentative : (154) Les barèmes de loyers autorisés sont en outre {C} {ESA} {PG} {ADD} trop élevés, de 11 et 25 euros le m2 par mois, alors que {C} {RA} {PG} {OPP} {deseq} la solvabilité des locataires se situe entre 6 et 13 euros. (Le Monde) Dans cet extrait du corpus Le Monde, le journaliste, par la misse en relation deux états de chose avec le connecteur alors que – le loyer situé entre 11 et 25 euros le m2 par mois et la solvabilité des locataires estimée entre 6 à 13 euros – pointe du doigt un contraste que nous saisissons avec la catégorie sémantique de l’opposition {OPP}, et qui, au point de vue pragma-sémantique équivaut à l’expression d’un déséquilibre {deseq}.18 La troisième fonction du classement est l’explicitation structurante argumentative {ESA} avec 13,4 %. Elle est suivie de la fonction de représentation structurante argumentative {RSA} avec 12,9 % et de l’explicitation structurante {ES} avec 10,6 %. Le rôle marginal de la structuration de la matière textuel {ES} rejoint les résultats de l’analyse effectuée par Maaß (2010a, 263) pour les déictiques du dis-

––––––– 15 16 17

18

Voir la partie 6.1.1 Les « articles de presse » et le corpus Le Monde. Voir la partie 6.1.1 Les « articles de presse » et le corpus Le Monde. Rezat (2009) montre que les connecteurs concessifs peuvent lier des événements. Voir également la partie 1.3.2 Un connecteur, différents niveaux de liage. La conceptualisation de la catégorie sémantique d’opposition et ses interprétations pragmasémantiques sont présentées dans la partie 4.5.3.5 L’opposition : déséquilibre, retournement de jugement.

265

cours. En effet, l’auteur constate qu’en règle générale les articles de journaux ne contiennent pas de structure réflexive. Les textes journalistiques sont narratifs, relativement courts et présentent une articulation textuelle interne sommaire et peu détaillée. De plus, Maaß (2010a, 263) signale que les parties de texte sont rarement introduites par des sous-titres. Si sous-titre il y a, il s’agit alors de courtes citations extraites du texte à venir et dont la fonction n’est pas de résumer le contenu principal de cette partie, mais plutôt d’éveiller l’intérêt du lecteur pour l’inciter à poursuivre sa lecture. En outre, la faible fréquence de la fonction d’explicitation structurante dans le corpus Le Monde (en comparaison aux corpus Sciences et Sénat)19 est certainement due au fait que les articles de presse informatifs disposent d’une structure standardisée qui consiste en une spécification progressive.20 La fonction d’explicitation argumentative {EA} avec 5,5 % ainsi que les fonctions dont l’action est l’interaction présentent une faible fréquence mais ne sont cependant pas exclues du genre textuel des articles de presse informatifs : l’interaction argumentative {IA} représente 4,7 %, l’interaction structurante {IS} 2,4 % et l’interaction structurante argumentative {ISA} 1,1 %. 6.1.2.1

Les actions dans le corpus Le Monde

Le graphique 7 représente la répartition des trois actions (la représentation {R_}, l’explicitation {E_} et l’interaction {I_}) dans le corpus Le Monde.

––––––– 19

20

Voir les parties 6.2.2 Profils pragmatiques des connecteurs dans le corpus Sciences et 6.3.4 Profils pragmatiques des connecteurs prépositionnels dans le corpus Sénat. Cf. Grosse/Seibold (1996b, 38) : « L’entrefilet possède un type caractéristique de macrostructure, celui de la spécification progressive. Cette macrostructure est merveilleusement adaptée à la lecture rapide d’une nouvelle ‘chaude’ : le titre en tant que première ‘fourche de sélection’ informe déjà le lecteur sur le sujet. Le chapeau ou lead donne les informations essentielles d’une nouvelle, le qui, le quoi (l’action, le quand, le où, le pourquoi, et éventuellement le comment. Après la lecture du chapeau, le lecteur possède déjà les informations ‘indispensables’ sur l’événement, mais il ne connait pas les détails. Il les trouvera dans le corpus de l’article, classés selon leur importance. Les détails les plus importants sont mis au début, les détails périphériques sont relégués dans les parties postérieures ».

266

{I} 8,3%

{E} 29,5%

{R} 62,2%

Graphique 7 : les actions dans le corpus Le Monde

La représentation {R_} est avec 62,2 % l’action la plus fréquente dans le corpus Le Monde. Cette action reflète effectivement le desideratum du genre textuel des articles de presse informatifs évoqué par Bohnacker (1996), c’est-à-dire la présentation de faits et informer le lecteur. Ainsi, le journaliste emploie des connecteurs qui permettent d’atteindre cet objectif. Dans le classement, la seconde action la plus représentée est l’explicitation {E_} avec 29,5 %. Dans le corpus Le Monde, cette action a un profil sémantique bien spécifique. En effet, comme nous l’avons évoqué dans le chapitre précédent, les connecteurs prépositionnels ne réalisent pas d’explicitation structurée contrastée, mais dans la plupart des cas (188 occurrences), l’explicitation structurante de la matière textuelle réside en une addition qui, par ailleurs, peut coopérer avec la technique argumentative.21 L’explicitation argumentative quant à elle ne représente qu’une minorité avec 3 %. La plupart du temps, c’est une cause qui est exprimée dans 26 cas, une opposition dans 9 cas et plus rarement une conséquence (6 cas). L’extrait (155) illustre l’emploi d’un connecteur prépositionnel réalisant une action d’explicitation : (155) En matière de décrochage scolaire, la situation nationale n’est pas brillante. 11,8 % des 18–24 ans quittent en effet {C} {EA} {PG} {CAU} {preu} le système scolaire avant la fin de l’enseignement secondaire, plaçant ainsi la France en quinzième position sur vingt-sept. (Le Monde) Dans cet exemple, l’auteur émet dans le premier énoncé un jugement relatif à la situation des échecs scolaires en France qu’il qualifie de « pas brillante ». Avec en effet le narrateur étaie cette évaluation négative par des chiffres qui fonctionnent comme des pièces à conviction.

––––––– 21

Voir la partie 6.1.3.2 La réalisation de l’addition dans le corpus Le Monde.

267

La dernière action du classement est l’interaction qui représente 8,3 %. La majeure partie de cette action se trouve réalisée avec la technique argumentative dans 4,7 % des cas. Les procédures effectuées avec cette fonction sont : la confirmation (19 occurrences), la rectification (13 occurrences) et le commentaire (5 occurrences). L’interaction avec la technique structurante {IS} représente 2,4 % : elle réalise une procédure de reformulation (10 occurrences), d’impatience (7 occurrences), d’interpellation (1 occurrence) et de proposition (1 occurrence). Enfin, la fonction d’interaction structurante argumentative {ISA} joue un rôle également marginale, elle ne représente que 1,1 % des fonctions et réalise des procédures de reformulation (8 occurrences) ainsi qu’une interpellation. 6.1.2.2

Les techniques dans le corpus Le Monde

Les trois techniques employées dans le corpus Le Monde et leur répartition sont récapitulées dans le graphique suivant :

{S} 34,4%

{A} 38,2%

{SA} 27,5%

Graphique 8 : les techniques dans le corpus Le Monde

Dans le corpus Le Monde, les techniques présentent une répartition relativement équilibrée. La plus fréquente est l’argumentation {_A} avec 38,2 %, suit la structuration {_S} avec 34,4 % et, enfin, la technique complexe structurante argumentative {_SA} avec 27,5 %. Ce résultat est surprenant car il dévie de notre hypothèse de départ selon laquelle les relations argumentatives joueraient un moindre rôle dans les articles de presse informatifs. Dans son analyse de corpus, Maaß (2010a, 263) mentionne que la fonction la plus fréquente remplie par les déictiques discursifs est la compréhension avec 59,1 %. La fonction argumentative avec 36,5 % est la seconde fonction la plus fréquente, elle est suivie de la fonction de structuration du référent avec 4,4 %. Maaß (2010, 263) conclut que les textes du corpus Le Monde ne contiennent pas de structures argumentatives marquées. L’analyse des connecteurs 268

prépositionnels en revanche dégage un profil argumentatif assez prononcé. Certes, ce profil se distingue de celui du corpus Sénat pour lequel la technique argumentative se situe principalement au niveau de l’explicitation avec 23,3 %.22 Cependant, force est de constater que la technique argumentative joue un rôle central quant à la représentation des événements. L’étude des relations sémantiques aura donc pour but de préciser la fonction de représentation argumentative des connecteurs prépositionnels dans le corpus Le Monde. 6.1.3 Profils sémantiques des connecteurs prépositionnels dans le corpus Le Monde Le tableau 56 donne une vue d’ensemble des catégories sémantiques détectées pour les connecteurs prépositionnels dans le corpus Le Monde : catégories sémantiques des connecteurs prépositionnels pour 10 000 mots corpus

mots

{ACT} {ADD} {ANT} {ARR} {DEB} {POS} {SIM} {CAU} {COND} {CONS} {FIN} {OPP}

Le Monde 143 077

6,5

10,8

2,4

4,3

6,8

2,5

4,5

7,2

0,6

3,2

3,2

12,4

moyenne des corpus

7,1

20,5

1,1

3,4

6,4

3,3

2,3

19,3

0,9

10,6

2,8

10,4

Tableau 56 : les catégories sémantiques des connecteurs prépositionnels dans le corpus Le Monde

Dans le corpus Le Monde, la classe sémantique la plus fréquente est l’opposition (12,4 pour 10 000 mots), suivie de l’addition (10,8 pour 10 000 mots), puis de la causalité (7,2 pour 10 000 mots). Malgré leur faible fréquence force est cependant de constater que les catégories localisantes telles que l’arrivée (4,3 pour 10 000 mots), le début (6,8 pour 10 000 mots) et la simultanéité (4,5 pour 10 000 mots) et l’antériorité (2,4 pour 10 000 mots) se situent, dans le corpus Le Monde, au-dessus des moyennes respectives enregistrées pour la totalité des corpus. Dans les parties suivantes, les caractéristiques des trois classes sémantiques des connecteurs prépositionnels les plus représentatives dans le corpus Le Monde seront présentées. 6.1.3.1

La réalisation de l’opposition dans le corpus Le Monde

Avec 12,4 occurrences pour 10 000 mots, l’opposition est la classe sémantique la plus fréquente dans le corpus Le Monde. Les principaux connecteurs réalisant la relation d’opposition dans ce corpus sont cependant (32 tokens), pourtant (31 tokens), en revanche (23 tokens), alors que (66 tokens), en réalité (6 tokens), au contraire (7 tokens), sans que (10 tokens), pour autant (4 tokens) et sauf que (4 tokens). Cette liste des connecteurs prépositionnels montre que cependant et alors que sont les plus fréquents (98 occurrences), tandis que les huit autres connecteurs réunis (pourtant, en revanche, alors que, en réalité, au contraire, sans que, pour autant et sauf que) ne représentent que 85 occurrences. Il est intéressant de constater que les deux connecteurs les plus fréquents – alors et cependant – ont une origine temporelle :23 lors ‘heure’, ‘moment’ dans alors (cf. TLFi ; Diez) et pendant ex-

––––––– 22 23

Voir la partie 6.3.4.1 Les actions dans le corpus Sénat. Voir la partie 4.4.2 Transparence et mode communicatif.

269

prime la simultanéité dans cependant.24 Une comparaison avec l’emploi de bien que dans le corpus Le Monde s’avère révélatrice. En effet, ce connecteur d’opposition (ou de concession logique) souvent cité n’intervient que six fois. Cela souligne la préférence d’emploi de connecteurs à profil sémantique temporel « diaphane » dans le corpus Le Monde. En raison de la présence supérieure à la moyenne des connecteurs temporels, ou d’origine temporelle, dans le corpus Le Monde, l’hypothèse peut être formulée qu’il s’agit d’un « conservatisme de tradition culturelle » (cf. Koch 1997, 64).25 Dans son article « Diskurstraditionen : zu ihrem sprachtheoretischen Status und ihrer Dynamik », Koch (1997) indique à l’exemple d’un article informatif portant sur l’assassinat de Franz-Ferdinand et de son épouse à Sarajevo, qu’au début du 20ème siècle les articles de journaux suivaient l’ordo naturalis des événements. Les événements étaient rapportés de manière iconique selon l’ordre linéaire de leur déroulement. Or, ce type d’article narratif a disparu en raison du changement des buts communicatifs devenus plus économiques. Aussi, Koch (1997, 65) distingue-til deux critères centraux relatifs aux articles journalistiques contemporains. Premièrement, l’article doit éveiller chez le lecteur le besoin d’avoir plus d’informations – il doit fonctionner comme un stimulus incitant à l’achat. Deuxièmement, l’importance des informations doit perdre de l’importance au fil du texte. A la place des hard news, les journaux actuels favorisent les lead news : ce concept journalistique ne respecte pas l’ordre naturel des événements et impose la présentation des événements considérés comme importants au début du texte.26 Dans notre corpus, si la tradition de la présentation événementielle linéaire et iconique en tant que telle ne joue plus un rôle central, on peut se demander si la tradition de la représentation événementielle est perpétuée par l’emploi de connecteurs dont l’origine est temporelle. En ce sens, l’emploi de connecteurs temporels serait une réalisation sousjacente de la continuité de la traditionnelle discursive de la structuration événementielle dans les articles de presse informatifs. Par ailleurs, on peut s’interroger sur les emplois de connecteurs temporels – ou à origine temporelle – dans le corpus Le Monde comme moyen linguistique permettant la production de relations argumentatives implicites. En effet, dans le corpus Le Monde l’opposition est principalement employée afin de mettre en évidence une différence, un déséquilibre, entre des faits réalisés et des normes en vigueur dans une communauté culturelle. En employant les connecteurs alors que ou cependant, le journaliste se présente comme un observateur relatant et mettant en relation des événements avec une technique argumentative. Qu’ils soient d’origine temporelle ou non, les connecteurs d’opposition réalisent essentiellement une représentation (203

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26

Pour une analyse diachronique détaillée des connecteurs prépositionnels alors et cependant voir respectivement les parties 7.1 Introduction : significations diaphanes à l’exemple de alors et 7.4.2 Cependant : de la simultanéité à la concession. Voir Koch (1997, 64) : Le « conservatisme de traditions culturelles » signifie que de nouvelles traditions culturelles et discursives conservent certaines composantes de traditions discursives anciennes même si celles-ci sont dysfonctionnelles au point de vue de leur but communicatif. Voir également le chapitre 3.3 Le concept tradition discursive. Pour la distinction entre l’entrefilet « hard news » et les faits divers « soft news » voir Grosse/Seibold (1996b, 37ss.). Dans le présent ouvrage, voir également la partie 6.1.1 Les « articles de presse » et le corpus Le Monde.

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occurrences) et seulement avec 9 occurrences l’explicitation. Ainsi, dans l’exemple (156), le connecteur prépositionnel alors que présente une fonction de représentation argumentative : (156) Un mois avant la désignation des candidats socialistes aux élections régionales de mars 2010, le Parti socialiste est de nouveau confronté au cas Frêche. Malgré ses 72 ans et une santé chancelante, le président de la région Languedoc-Roussillon, élu en 2004 sur une liste de la gauche unie, compte se représenter alors qu’ {C} {RA} {PG} {OPP} {deseq} il a été exclu du PS en 2007, à la suite de ses propos controversés sur les harkis et le nombre de Noirs dans l’équipe de France de football. (Le Monde) Dans cet extrait, il est question de l’exclusion de Mr. Frêche, président de la région Languedoc-Roussillon, de son parti politique, le PS. L’événement de l’exclusion de Mr. Frêche du PS fonctionne, selon les normes en vigueur dans notre société, comme un argument en faveur de la non-candidature de cette personne aux élections de 2010. Or, c’est le contraire qui se produit, Mr. Frêche compte se représenter. Il y a donc un décalage, un déséquilibre {deseq} entre les relations normalement attendues et les événements réalisés dans cette situation particulière. Ainsi, les connecteurs d’opposition, outre la mise en évidence de différences entre des faits, sousentendent et permettent de détecter les normes en vigueur dans une communauté culturelle. Dans l’exemple (157), la relation oppositive introduite par en revanche ne consiste pas en la mise en évidence d’un déséquilibre mais d’une compensation {comp} : (157) Afin de ne pas perturber leur fonctionnement, la circulaire exclut « les établissements de santé du champ des centres de vaccination. » En revanche {C} {RA} {PG} {OPP} {comp}, les professionnels de santé travaillant dans le système hospitalier seront vaccinés dans le cadre d’un dispositif organisé selon le même cahier des charges au sein de leur établissement. (Le Monde) Dans un premier temps, l’auteur présente les établissements exempts de la vaccination, puis, dans un deuxième temps, il évoque les exceptions. Le journaliste ne donne pas son opinion sur la situation, il n’exprime pas de jugement étique envers la circulaire excluant les établissements de santé de la vaccination, mais par l’opposition il présente deux aspects contrastés.27 Dans le corpus Le Monde, l’opposition peut recevoir les interprétations pragmasémantiques suivantes : l’expression d’un déséquilibre (106 occurrences), d’une compensation (34 occurrences), d’une limite (14 occurrences) et de différences (2

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Une interprétation déviante est proposée par Eggs (1994, 38) qui considère que le deuxième argument est le plus fort. Selon moi cette interprétation, qui correspondrait dans notre modèle à la fonction {EA}, est moins pertinente pour cet exemple, car il semble que ce soit la présentation de deux aspects d’un même fait qui soit déterminant. Le premier élément, l’exclusion des établissements est d’ailleurs justifiée « afin de ne pas perturber leur fonctionnement ». La compensation prend ici une valeur plutôt neutre.

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occurrences). Cette comparaison des différentes interprétations du sens opposition montre que les connecteurs prépositionnels en fonction de représentation argumentative {RA} représentent un moyen linguistique discret28 à la disposition du locuteur l’autorisant à mettre en évidence un déséquilibre entre des événements réalisés et une norme. Le narrateur n’émet certes pas d’opinion directe mais pointe du doigt des dysfonctionnements dans un système normatif. Autre particularité du corpus Le Monde, le sens d’opposition y est fréquemment occasionné par une double lecture. Dans ce cadre, l’accumulation {SIM} {OPP} représente 36 cas, l’antériorité et la postériorité ne représente respectivement qu’une occurrence. Dans l’exemple suivant, le connecteur prépositionnel alors que marque la simultanéité et l’opposition : (158) M. Sarkozy veut enfin {C} {ES} {PG} {ARR} aborder, au G20, la régulation des matières premières, notamment agricoles. Alors que {C} {RSA} {PG} {SIM} {OPP} {deseq} les agriculteurs français sont confrontés à une chute de leurs revenus, il veut s’appuyer sur les pays à forte paysannerie comme l’Inde et la Turquie, où il pense se rendre. (Le Monde) Ainsi, dans cet exemple, alors que met deux événements en relation de simultanéité « les agriculteurs français sont confrontés à une chute de leurs revenus » et Nicolas Sarkozy « veut s’appuyer sur les pays à forte paysannerie comme l’Inde et la Turquie ». Cette relation de simultanéité est accompagnée d’une lecture oppositive qui réside en la mise en évidence d’un déséquilibre {deseq} entre les investissements prévus par Nicolas Sarkozy dans l’agriculture de pays étrangers et la situation de détresse dans laquelle se trouvent les agriculteurs français. De même, le connecteur pendant que, qui contient une préposition de dimension temporelle, peut combiner la valeur sémantique de simultanéité à celle d’opposition :29 (159) Pendant que {C} {RSA} {PT} {SIM} {OPP} {deseq} les Gardiens de la révolution iranienne se livrent à des manœuvres militaires dans les eaux du Golfe, affirmant avoir testé avec succès cinq missiles, en réponse aux « menaces nucléaires » des Etats-Unis, Téhéran mène une offensive diplomatique désespérée pour éviter que le Conseil de sécurité des Nations unies adopte contre lui un nouveau train de sanctions. (Le Monde) Dans l’exemple (159), pendant que instaure une relation de contiguïté entre deux événements : « les Gardiens de la révolution iranienne se livrent à des manœuvres militaires » et « Téhéran mène une offensive diplomatique » tout en exprimant une opposition qui est en outre soulignée par des indices situés dans le cotexte : « miliaires » vs. « diplomatique ». Le narrateur, plus que déceler une différence entre

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Selon Diewald (1997, 59), plus les domaines cognitifs pris en compte sont concrets, c’està-dire un objet aux frontières nettes, plus le passage est clairement perçu comme un dépassement ponctuel de limites. Pour une présentation des différentes lectures du connecteur pendant que voir la partie 1.2.3.2 Polysémie et les indicateurs de lecture.

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deux tactiques politiques, suggère un déséquilibre accentué par l’adjectif « désespérée ». En conclusion, dans le corpus Le Monde, les connecteurs prépositionnels d’origine temporelle sont instrumentalisés afin de réaliser une structuration des événements couplée d’une argumentation qui peut être qualifiée de discrète. 6.1.3.2

La réalisation de l’addition dans le corpus Le Monde

L’addition est la seconde catégorie sémantique la plus fréquente dans le corpus Le Monde. Cependant, en comparaison aux autres corpus, elle se situe bien en dessous de la moyenne générale (10,8 pour 10 000 mots vs. 20,5 pour 10 000 mots). Dans le corpus Le Monde, l’addition est, dans 55 cas, structurante {ES} et, avec 98 occurrences, structurante argumentative {ESA}. Les principaux connecteurs ayant une valeur sémantique additive sont par ailleurs (32 tokens), surtout (31 tokens), d’ailleurs (24 tokens), par exemple (12 tokens), en outre (12 tokens), en particulier (11 tokens), de l’autre (6 tokens), d’un côté (6 tokens), en l’occurrence (3 tokens), et au-delà (2 tokens). L’addition avec la fonction d’explicitation de la structure permet de hiérarchiser et d’énumérer les éléments du texte. Aussi, dans l’exemple (160), les actions entreprises par les services de police sont énumérées et articulées avec le connecteur par ailleurs : (160) Pendant plusieurs heures, alors que {C} {RS} {PG} {SIM} les équipes de déminage travaillaient sur les lieux, les autorités ont évoqué tour à tour la découverte d’un véhicule piégé et celle de matériaux servant à fabriquer une bombe. La police enquête par ailleurs {C} {ES} {PNL} {ADD} sur des témoignages affirmant qu’un homme a été vu s’enfuyant du véhicule. Les plaques d’immatriculation de celui-ci seraient fausses. (Le Monde) Dans l’exemple (161), le connecteur surtout est pris en charge par l’énonciateur Sunita Narain : (161) Quelques initiatives ont eu lieu, notamment à Bangalore, pour sortir les recycleurs du secteur informel, mais elles restent marginales. « La filière emploie surtout {C} {ESA} {PS} {ADD} des travailleurs pauvres, peu qualifiés. Le gouvernement est réticent à imposer des normes strictes, car des milliers d’emplois pourraient être sacrifiés », explique Sunita Narain. (Le Monde) Dans cet exemple, le connecteur prépositionnel surtout signale l’introduction d’un argument supplémentaire « des travailleurs pauvres, peu qualifiés » en faveur du jugement émis par le journaliste « les initiatives restent marginales ». Ainsi, dans son usage en fonction structurante argumentative, le connecteur surtout met en évidence une assertion d’avis, ce qui correspond au premier emploi des citations directes évoqué par Rath (1996, 52).30 De même, dans l’exemple (162), surtout met en relation deux arguments coorientés :

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Voir la partie 6.1.1 Les « articles de presse » et le corpus Le Monde.

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(162) Diffusées par un anonyme sur Internet, les images de la scène – recueillies par les journalistes reporters d’image de l’agence Reuters TV – avaient reçu un large écho et valu le surnom de « ninja » à son auteur, alors {C} {RS} {PG} {ANT} non identifié. Elles avaient surtout {C} {ESA} {PS} {ADD} suscité une polémique relayée par le leader du Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon, et le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, sur la possible infiltration de policiers perturbateurs pour créer des incidents dans les manifestations et discréditer le mouvement de protestation. (Le Monde) Surtout introduit ici un élément « suscité une polémique » qui renchérit et étaie le jugement « avoir reçu un large écho ». L’addition, dans le corpus Le Monde, est au service de l’énumération en introduisant un élément supplémentaire. En conclusion, l’addition est le moyen favorisé par les textes informatifs journalistiques quant à l’introduction d’un nouvel élément, sans spécifier la structuration interne du texte. 6.1.3.3

La réalisation de la causalité dans le corpus Le Monde

La causalité est la troisième catégorie sémantique la plus fréquente dans le corpus Le Monde. Cependant, l’expression de la relation causale dans ce corpus se situe avec 7,2 occurrences pour 10 000 mots en deçà de la moyenne générale de 19,3 occurrences pour 10 000 mots. Au niveau des interprétations pragma-sémantiques, l’expression de la cause indique dans 53 cas une responsabilité et dans 11 cas une motivation. Les connecteurs employés pour l’expression de la cause sont parce que (37 tokens), alors que (26 tokens), en effet (13 tokens), depuis que (11 tokens), dès que et après que respectivement avec 4 tokens et de fait (2 tokens), dès lors que (1 token). Parce que est essentiellement employé en fonction de représentation argumentative {RA} (28 occurrences) et n’apparaît que 9 fois en fonction d’explicitation argumentative {EA} (9 occurrences). Ce connecteur réalise donc principalement une représentation argumentative des événements comme dans l’exemple (163) : (163) « La région, attractive et dynamique, bénéficie d’une démographie tonique. Il y a beaucoup de jeunes dans les Pays de la Loire », relève-t-il. Et si les courbes augmentent si fortement, c’est parce que {C} {RA} {PNL} {CAU} {resp} la région recourt beaucoup à l’intérim des jeunes, très exposés en cas de crise. (Le Monde) Dans cet exemple, parce que introduit l’origine responsable {resp} de l’augmentation des courbes témoignant du taux d’occupation des jeunes. Dans l’exemple (164), parce que introduit le motif occasionnant la privation de la voiture de fonction de Mme Dati : (164) Le 14 mars, soir du premier tour des régionales, Mme Dati, député européen et maire du 7e arrondissement de Paris, avait été privée de voiture de fonction et d’escorte policière, officieusement parce que {C} {RA} {PNL} {CAU} {motiv} son intervention sur les plateaux télé avait déplu au chef de l’Etat. (Le Monde) 274

Dans cet extrait, parce que signalise que l’acte confiscation de la voiture de fonction a été motivé {motiv} par l’intervention de Mme Dati lors d’un débat télévisé. Le connecteur parce que présente de le corpus Le Monde un profil polyfonctionnel car il est employé aussi bien avec la fonction de représentation argumentative {RA} qu’avec la fonction d’explicitation argumentative {EA}, même si celle-ci est plus rare. En revanche, le connecteur en effet (14 tokens) dont le sens est également causal, n’exerce que la fonction d’explicitation argumentative {EA}. Le connecteur en effet introduit, dans le corpus Le Monde, des pièces à conviction plaidant pour une conclusion comme dans l’exemple (165), (165) « Nous avons beaucoup de chance d’avoir évité ce qui aurait pu être un évènement très meurtrier », a déclaré le maire de la ville, Michael Bloomberg. « La brigade de déminage a confirmé que le véhicule suspect contenait en effet {C} {EA} {PG} {CAU} {preu} un engin explosif », at-il indiqué. (Le Monde). Ainsi, dans cet extrait, le jugement « aurait pu être un évènement très meurtrier » est étayé par un argument, une preuve {preu}, introduit par en effet qui correspond à « contenait un engin explosif ». Cette partie de chapitre était vouée au valeur sémantique simple des connecteurs prépositionnels du corpus Le Monde. Nous avons vu que l’opposition, l’addition et la causalité sont des valeurs récurrentes. De plus, dans le cadre du traitement des connecteurs alors que et pendant que marquant l’opposition, nous avons déjà mentionné que les lectures doubles jouent un rôle important dans ce corpus. Pour cette raison, la partie suivante sera consacrée aux rôles des doubles lectures contenant une causalité dans le corpus Le Monde. 6.1.3.4

Les doubles lectures et la causalité dans le corpus Le Monde

Dans le corpus Le Monde, les doubles lectures partant d’un sens temporel semblent jouer un rôle central quant à l’expression de relations causales discrètes, c’est-à-dire non-conventionnelles mais conversationnelles. L’exemple (166) illustre ce type de lecture temporelle et causale : (166) Il s’agit du premier attentat visant directement un membre de la famille royale saoudienne depuis que {C} {RSA} {PT} {DEB} {CAU} {resp} des partisans d’Al-Qaida ont déclenché, en 2003, une campagne de violences contre la monarchie. (Le Monde) Dans cet extrait, la « campagne de violences » des partisans d’Al-Qaïda contre la monarchie peut être considérée comme le point de départ {DEB} en tant qu’origine et donc la cause {CAU} des attentats contre un membre de la famille royale saoudienne. Il semblerait qu’il y est une proximité conceptuelle entre le point de départ, l’origine, et la cause qui autorise une interprétation causale. Schmidhauser (1995, 196) mentionne que dans de nombreux dictionnaires et grammaires, le connecteur temporel danach ‘ensuite’ n’est jamais décrit comme un adverbe exprimant la cause, mais toujours comme un adverbe temporel. Pourtant, tout comme depuis que, danach peut exprimer une relation causale. L’objectif de l’auteur n’est pas d’attribuer aux connecteurs temporels tels que danach une signifi275

cation de base causale, mais de montrer comment certains connecteurs temporels lient dans certains cotextes des propositions de sorte qu’elles ne peuvent plus être interprétées de manière strictement temporelle. L’interprétation causale dépend d’un côté, de l’élément linguistique temporel, et, de l’autre, du contenu concret des propositions ou partie de proposition, c’est-à-dire de la facticité mondaine (cf. ibid., 197). Ainsi, Schmidhauser constate qu’une interprétation causale de l’énoncé suivant est impossible : (167) Les deux bateaux hissèrent les voiles. Ensuite ils coulèrent. (ibid. ; traduction H.S.) Nous atténuerons la portée de cette déclaration en disant qu’une interprétation causale est en raison de nos connaissances sur la facticité mondaine est difficilement concevable (cf. Anscombre 2002). Schmidhauser (1995, 197) conclut que les éléments linguistiques temporels n’ont pas de sens causal inhérent, mais qu’ils mettent à disposition un potentiel de sens second potentiel. La réalisation concrète de ce sens potentiel dépend des données et des possibilités extralinguistiques. En d’autres termes, elle dépend de sa réception par une communauté linguistique et culturelle. Les connecteurs ancrés dans le domaine temporel alliant la représentation d’événements et d’états de chose à l’expression d’une relation causale, donc argumentative, est implicite.31 Selon la classification du degré de transparence littéral, conventionnel et conversationnel proposée par Hölker (1988),32 les sens implicites correspondent à une lecture conversationnelle dont le degré de transparence est un faible. Ainsi, d’après le principe post hoc ergo propter hoc, 16 occurrences de lectures doubles ont pu être détectées. Elles sont réalisées par les connecteurs depuis que (11 tokens), dès que (4 tokens), dès lors que (1 token). Ainsi dans l’exemple suivant le connecteur prépositionnel depuis que exprime outre la marque d’un début {DEB}, la cause {CAU} : (168) La chancelière chrétienne-démocrate Angela Merkel est la cible de critiques depuis qu’ {C} {RSA} {PT} {DEB} {CAU} {resp} une chaîne de télévision publique a révélé, lundi 24 août, qu’elle avait donné, en avril 2008, une réception à l’occasion du soixantième anniversaire du patron de la Deutsche Bank, Josef Ackermann, à la chancellerie et aux frais du contribuable. (Le Monde) De même, le connecteur après que est employé quatre fois dans le corpus Le Monde avec un sens temporel d’antériorité et un sens conversationnel causal : (169) Le prince Nayef, vice-ministre de l’intérieur, ne souffre que de blessures superficielles après qu’ {C} {RSA} {PT} {ANT} {CAU} {resp} un kamikaze qui avait pu l’approcher a fait exploser la charge qu’il portait sur lui. (Le Monde)

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Cf. Schmidhauser (1995, 196). Un résumé du modèle de Hölker (1988) est présenté dans la partie 4.4.2 Transparence et mode communicatif.

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Schmidhauser (1995, 214ss.) discute le statut causal de connecteurs temporels tels que nachdem ‘après que’ en réaction à l’étude de Herweg (1990). Ce dernier affirme en effet, que l’énoncé de la subordonnée ne contient pas d’information sémantique témoignant de son influence sur l’état contenu dans la principale. L’exemple objet de la discussion est le suivant : (170) Après que Marie a appelé, Hans était heureux. (Schmidhauser 1995, 216 ; traduction H.S.) Schmidhauser (1995, 217) admet que nachdem n’a pas d’implication sémantique sur l’état décrit dans la principale car les implications sont liées aux signes et que leur sens second ne peut être ni nié, ni corrigé. Les implicatures en revanche peuvent être niées.33 Ainsi, dans l’exemple cité ci-dessus, on peut comprendre que l’état d’être heureux a été occasionné par l’appel téléphonique. Schmidhauser (ibid.) est d’avis que dans la communication « normale », ou disons plutôt authentique, une négation explicite de l’inférence pragmatique est nécessaire sans quoi l’implicature conversationnelle est valable. Avec Schmidhauser nous pouvons donc conclure qu’un allocutaire tendra à interpréter un énoncé tel que (166) non seulement comme une suite d’événements, mais aussi comme une relation causale. Dans le corpus Le Monde, les emplois de connecteurs prépositionnels temporels semblent exploiter de manière stratégique ce sens potentiel : les connecteurs par leur sens conventionnel temporel respectent la règle d’objectivité en vigueur dans le discours journalistique informatif – la représentation sans jugement des faits – et par les implicatures conversationnelles, ils agissent avec la technique argumentative exprimant par exemple une relation de causalité par l’attribution de responsabilité. Un emploi d’alors que qui dans 26 cas, allie la simultanéité et la causalité est particulièrement surprenant. Il semblerait que jusqu’à présent cet emploi d’alors que n’ait pas encore été recensé (LGR registre une lecture temporelle vieillie et une lecture adversative). En outre, si l’association des sens de simultanéité et d’opposition se produit en français, l’accumulation de la simultanéité et de la cause semble être plus rare ; dans les corpus ici étudiés, elle a uniquement été détectée chez ce connecteur. Illustrons ces propos avec un exemple : (171) Dans ce contexte, le second candidat est effectivement un Allemand, le président actuel de la Bundesbank, Axel Weber, âgé de 53 ans. Il semble délicat de refuser qu’un Allemand préside l’institution de Francfort alors que {C} {RSA} {PG} {SIM} {CAU} {resp} les règles de l’euro ont été allègrement violées, comme l’a montré la crise grecque et que la chancelière Angela Merkel a fini par accepter de voler au secours d’Athènes contre l’avis de l’opinion publique et des responsables politiques allemands. (Le Monde) Dans cet exemple, la cause pour l’approbation de l’investiture du poste de président par Axel Weber est introduite par alors que : les règles de l’euro ont été violées et Angela Merkel a accepté de secourir Athènes. Ici, l’énoncé peut aussi bien être glosé

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Voir la partie 1.2.1 Asyndète vs. connexion explicite ou pourquoi lier de manière explicite ?

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par au moment où qui souligne l’interprétation temporelle de simultanéité ou parce que qui, quant à lui, met l’accent sur la relation causale. (172) Les autorités britanniques ont levé les restrictions de vol dans les aéroports londoniens et les aéroports d’Amsterdam et de Rotterdam ont rouvert lundi 17 mai, alors que {C} {RSA} {PG} {SIM} {CAU} {resp} le nuage de cendres volcaniques venu d’Islande semblait changer de direction. (Le Monde) De même, dans cet extrait, le changement de direction du nuage de cendres volcaniques est présenté comme l’origine de la levée des restrictions de vol et peut être glosé par Les autorités britanniques ont levé les restrictions de vol dans les aéroports londoniens (…) parce que le nuage de cendres volcanique semblait changer de direction. Dans l’extrait suivant, l’arrestation des trafiquants iraniens a pu se produire en raison du naufrage de leur bateau. (173) A propos de sept trafiquants iraniens de haschisch capturés dans le Golfe quelques semaines plus tôt par la marine américaine alors que {C} {RSA} {PG} {SIM} {CAU} {resp} leur bateau faisait naufrage, le princeministre « sourit largement », et dit : « Dieu voulait les punir et vous les avez sauvés. » (Le Monde) Il semblerait que ce soit grâce à sa sémantique de chevauchement temporel que le connecteur alors que développe, par des implicatures, un sens conversationnel de causalité. Si ce « cheminement » de la simultanéité vers la causalité ne semble pas être répandu en français contemporain, il est en revanche attesté dans d’autres langues. Traugott/König (1991, 195ss.) montrent que le connecteur since, ayant une sémantique de chevauchement temporel, pouvait occasionner des implicatures causales : « With regard to the development of the causal meaning of siÞÞan, the following hypothesis can be made. An originally conversational implicature arising in the context of communication of temporal sequence came to be associated with siÞÞan ‘from the time that’ and then came to be a conventional implicature pointing to or indexing cause » (Traugott/König 1991, 211). Il s’agit donc d’un changement de ce qui est dit à ce qui est implicite : « from what is said to what is meant » (Diewald 1997, 56). Cependant, tandis que since est devenu un connecteur polysémique, il n’en est pas le cas pour alors que et pour les connecteurs accumulant les techniques de structuration et d’argumentation, c’est-à-dire dont la sémantique est à la fois localisante et non-localisante. Un cas très proche de celui d’alors que est l’évolution de l’anglais while. En effet, ce connecteur avait comme alors un sens temporel de simultanéité (anglais ancien Þa hwile Þe ‘at the time that’) et avait développé un sens adversatif, comme alors que, par des implicatures conversationnelles (Traugott/König 1991, 201). Autour du 12ème siècle, while développa un sens causal (ibid., 85), comme alors que dans les exemples (167, 168, 169), qui ne s’est cependant établi ; en anglais contemporain, seul le sens adversatif est attesté. 278

Pour l’allemand, Diewald (1997, 56) constate une évolution de weil ‘parce que’ similaire à celle de while. La conjonction weil provient du syntagme de l’ancien haut-allemand dia wîla (unz) ‘le temps (jusque), aussi longtemps (que)’, qui contient le démonstratif dia, l’accusatif singulier du féminin wîla ‘partie de temps indéterminée’, ‘moment’ et la préposition ou conjonction unz. Diewald (ibid., 57) mentionne que le sens causal apparaît déjà au 14ème siècle et prédomine à partir du 15ème siècle. Le sens temporel d’origine quant à lui reste présent jusqu’au début du 20ème siècle. En allemand contemporain en revanche, le sens temporel a disparu. En raison des réductions phonologiques et sémantiques, de la décatégorisation et de l’acquisition d’une fonction grammaticale, l’auteur renvoie le changement du syntagme en une conjonction à un processus de grammaticalisation. Pour les connecteurs adversatifs et causaux, Traugott et König (1991, 74ss.) proposent les phrases de grammaticalisation suivantes :34 chevauchement temporel > voisinage abstrait (adversatif ou causal) (Diewald 1997, 58 ; traduction H.S.) Selon Diewald (1997, 58), les développements parallèles des connecteurs since, while, weil – liste à laquelle vient s’ajouter alors que – sont des indices indiquant que les implicatures conversationnelles ne sont pas des apparitions singulières mais que des principes cognitifs communs aux langues sont actifs. Cet emploi du connecteur alors que est d’autant plus intéressant qu’il semble être spécifique au genre textuel des articles de presse informatifs. Ainsi, l’analyse du connecteur alors que témoigne de la nécessité d’adopter une perspective diachronique afin de mettre en évidence certains emplois en synchronie.35 6.1.4 Epilogue Le corpus Le Monde contient, en comparaison aux autres corpus analysés dans le présent travail, peu de connecteurs prépositionnels. Cette faible présence peut être imputée d’une part à la structure standardisée des articles de presse informatifs, qui de ce fait, nécessitent moins l’explicitation nuancée de leur structure textuelle et, d’autre part, à la primauté de l’action de représentation des événements. La faible présence de connecteurs peut être, en outre, attribuée à la norme discursive d’objectivité qui impose l’absence d’opinion, de jugement, de point de vue propre au journaliste. La présence de connecteurs traduisant toujours la présence d’un observateur et de son point de vue sur les événements et états de choses mis en relation, les emplois des connecteurs dans le corpus Le Monde peuvent être considérés comme une transgression à la règle d’objectivité en vigueur dans le discours journalistique informatif. Par conséquent, l’emploi de connecteurs se situant dans une tension entre les règles de clarté, de structuration textuelle normées et standardisées, et de prohibi-

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35

La question du rôle du processus de grammaticalisation dans le cas des connecteurs prépositionnels en français est traitée au chapitre 7 De la préposition au connecteur : changements sémantiques et fonctionnels. Voir le chapitre 7 De la préposition au connecteur : changements sémantiques et fonctionnels.

279

tion d’opinion, le scripteur se voit contraint de faire intervenir des connecteurs en tenant compte de ces restrictions quantitatives et qualitatives et donc de mobiliser des connecteurs sélectionnés et discrets quant à l’expression de points de vue. Dans le corpus Le Monde, les connecteurs prépositionnels exerçant une représentation des événements avec les techniques simples argumentative et structurante prédominent. La technique structurante s’applique principalement à la représentation des événements traités. Au niveau du texte, la structuration interne est peu détaillée parce qu’elle est fortement normée par le genre textuel. La structuration textuelle se révèle assez uniforme et réside essentiellement en une énumération additive. Au niveau des techniques, l’argumentation domine. Ce résultat est surprenant car, selon la tradition discursive d’objectivité en vigueur dans les articles de presse informatifs, le journaliste ne doit pas laisser transparaître son opinion dans ses textes. Certes, le scripteur évite les connecteurs méta-argumentatifs transparents tels que c’est la raison pour laquelle. Toutefois les restrictions quant à la proscription des opinions semblent favoriser l’emploi de connecteurs prépositionnels potentiellement argumentatifs qui, par l’association de valeurs sémantiques structurantes et non-structurantes, mettent des événements en relation avec la technique argumentative de manière discrète. Ainsi, l’auteur contraste des événements et pointe du doigt des déséquilibres ou des défaillances d’un système politique ou social. De même, la relation de causalité est non seulement réalisée par le connecteur parce que dont le sens causal est conventionnel mais non transparent, mais aussi par des connecteurs temporels.

6.2 Les connecteurs prépositionnels dans le corpus Sciences 6.2.1 Les « articles scientifiques » et le corpus Sciences Le corpus Sciences contient des articles appartenant aux langues de spécialité scientifique médicale, linguistique/didactique et mathématique. Un desideratum de la recherche sur les langues de spécialité réside en leur organisation et leur classification en genres textuels. Couramment, trois types d’articulations des textes de spécialités sont distingués. Les deux premières se basent sur un modèle d’inventaire de la linguistique systématique, la dernière part d’un modèle contextuel pragmalinguistique (cf. Roelcke 32010, 29ss.). La première, appelée articulation horizontale, consiste en la répartition des matières spécifiques dans des grands domaines tels que les sciences, la technique et l’économie (cf. Steger 1989 ; Kalverkämper 1988).36 Ainsi, au niveau horizontal, les textes composant le corpus Sciences correspondent aux langues de spécialité scientifique. La seconde, appelée articulation verticale, tient compte des niveaux communicatifs relatifs à chacune des matières et part du principe que chaque matière détient

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Roelcke (32010, 30ss.) : L’articulation horizontale résulte plutôt de réflexions relatives à l’histoire ou à la systématique des diverses disciplines que de réflexions linguistiques ; d’où l’absence de comparaison linguistique entre les différentes disciplines. Voir également Tinnefeld (1993, 34ss.) et Maaß (2010b).

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différents domaines de communication.37 Avec Ischreyt (1965) et Hahn (1980), trois niveaux d’abstraction linguistique et de spécialisation peuvent être distingués. La langue théorique (ou scientifique) correspond au niveau d’abstraction le plus élevé, elle est employée dans la recherche entre les spécialistes et est principalement réalisée par le médium écrit. La langue de spécialité quotidienne correspond à un niveau d’abstraction technique et linguistique moyen, elle est employée lors de la communication immédiate entre des spécialistes mais aussi avec certains autres partenaires de communication et est souvent réalisée par le médium oral. Enfin, la langue de spécialité de « distribution » (ou d’« atelier ») présente un faible degré d’abstraction, elle concerne principalement les langues techniques (artisanat ou agriculture) et se trouve employée dans la production, l’administration et la vente, elle peut être aussi bien réalisée par le médium oral qu’écrit (cf. Roelcke 32010, 34ss.). Concernant le nivellement des parties distinctes du corpus Sciences au niveau de l’articulation verticale, force est de constater que les articles du corpus Chirurgie se distinguent des deux autres parties de corpus – ALSIC et Mathématique – car ils traitent des opérations chirurgicales, des instruments et des manipulations nécessaires à leurs exécutions et exposent leurs résultats. En ce sens, le corpus Chirurgie contient des propriétés se situant aux trois niveaux présentés ci-dessus. En revanche, les parties de corpus ALSIC et Mathématique se situent au niveau le plus élevé. Cette distinction au niveau vertical a des répercutions quant à la catégorisation des parties de corpus en genres textuels que nous aborderons dans le paragraphe suivant. Les langues de spécialité peuvent être classifiées en genres textuels selon leur emploi dans la communication de spécialité et sur la base de points communs formels et fonctionnels (Roelcke 32010, 40ss.). Avec Gläser (1990, 29), le genre textuel de spécialité peut être définie comme « […] un motif de construction pour le traitement mental et linguistique d’un fait spécifique à une discipline, déterminé par rapport au degré de spécialisation des normes communicatives et dont l’emprunt peut varier selon les langues particulières »38 (Gläser 1990, 29 ; traduction H.S.). A partir de cette définition, Roelcke (32010, 41) relève trois aspects conceptionnels concernant la linguistique des genres textuels : 1. Les différents genres textuels de spécialités présentent différents degrés d’abstraction (ce qui dépend de leur articulation au niveau vertical).

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38

Roelcke (32010, 34ss.) signale qu’une approche de la recherche actuelle concerne l’analyse de processus et stratégies permettant le transfert de savoir et de compétences entre les experts et les novices par exemple entre un médecin et un patient. Dans ce cadre, voir également les travaux récents de Gülich et en particulier Gülich/Lindemann/Schöndienst (2010) ; Gülich/Lindemann (2010), Gülich (2010). Dans l’original : « Die Fachtextsorte ist ein Bildungsmuster für die geistig-sprachliche Verarbeitung eines tätigkeitsspezifischen Sachverhalts, das in Abhängigkeit vom Spezialisierungsgrad von kommunikativen Normen bestimmt ist, die einzelsprachlich unterschiedlich ausgeprägt sein können » (Gläser 1990, 29).

281

2. Les genres textuels de spécialité sous-tendent les traditions d’une communauté linguistique et dépendent ainsi fortement des langues particulières et de la communauté culturelle en question. 3. Les genres textuels doivent être considérés comme des modèles dynamiques : il s’agit moins d’un ordre fixe que d’un modèle de critères linguistiques et extralinguistiques plus ou moins contraignant. En suivant Gläser (1998, 482), les articles scientifiques du corpus Sciences, sont des représentants du genre textuel « articles de revues académiques-scientifiques de communication de spécialité interne ».39 Aussi, selon le premier point, la différence entre les parties du corpus constatée au niveau vertical a des répercutions quant à la détermination de leur degré prototypique. En effet, en raison de son profil « artisanal » le corpus Chirurgie n’est pas un représentant prototypique du genre des articles scientifiques de spécialité, mais il s’agit d’un membre plutôt périphérique (cf. Maaß 2010a, 271). Les textes du corpus Mathématique et ALSIC en revanche peuvent être considérés comme des représentants prototypiques car ils présentent un niveau théorique élevé et consistent en un discours métalinguistique entre des spécialistes (cf. Kretzenbacher 1998). En conséquence, dans le cadre de notre étude, le corpus Sciences est adéquat à l’analyse des emplois des connecteurs prépositionnels car ses parties reflètent le « dégradé de typicité » du genre textuel des articles de spécialité scientifique. Le genre textuel articles de spécialité scientifique est caractérisé par une restriction quantitative contraignant les auteurs à exposer de manière compacte des aspects choisis portant sur thème déterminé (Maaß 2010a, 269). A cet égard, Hutz (1997, 77) mentionne que les articles scientifiques présentent, en raison de la faible redondance du contenu, un accès plus difficile que les monographies et présupposent des connaissances approfondies partagées par la communauté de spécialistes. Par ailleurs, Maaß (2010a, 268) indique que le genre textuel articles de spécialité scientifique fait fréquemment l’objet d’analyses parce que ces unités textuelles peu volumineuses se prêtent aisément aux évaluations quantitatives sans présenter le danger de décrire des idiolectes. Outre la catégorisation en genre textuel, la recherche a porté une attention particulière aux caractéristiques linguistiques et discursives de la langue de spécialité scientifique.40 La considération de ces caractéristiques, nous permettra de formuler

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40

Traduction H.S.; dans l’original : « akademisch-wissenschaftlicher Zeitschriftenaufsatz der fachinternen Kommunikation » (Gläser 1998, 482). Cf. Roelcke (32010) aborde de manière détaillée les questions centrales concernant les langues de spécialité en allemand : l’organisation et la classification des langues de spécialité, le vocabulaire, la grammaire, la normativité (approche prescriptive) et la structure interne des textes, l’histoire des langues de spécialité. Thielmann (2009, 25ss.) trace les contours principaux de l’évolution de la recherche sur les langues de spécialité scientifique. Dans son étude comparative portant sur l’organisation des langues de spécialité française et allemande concernant les actes de congrès, Sachtleber (1993, 16ss.) donne une vue d’ensemble de l’évolution des langues de spécialité française. Sachtleber (1993, 18) discute en outre l’influence du français dans le développement des langues de spécialité allemandes. Tinnefeld (1993) analyse la langue de spécialité juridique et administrative en

282

des hypothèses concernant les emplois des connecteurs spécifiques au corpus Sciences. Aussi, sur la base de critères réunis par Heinemann (2000, 704), Maaß (2010a, 266) propose une liste de caractéristiques linguistiques centrales41 aux textes de spécialité scientifique qui peuvent être résumées en trois points essentiels : la situation de communication, la spécificité formelle du texte, et les particularités linguistiques. Les textes de spécialité présentent des propriétés textuelles qui confèrent à la communication un degré de spécificité élevé. Ces particularités discursives sont détectables au niveau de la macro- et de la microstructure du discours. La cohérence et la cohésion du discours sont détectables à la superficie du texte et permettent de déterminer et de délimiter les unités textuelles macrostructurelles : le plan d’édification des textes, les pierres de construction du texte (notes, citations, renvois, « abstracts »), les commentaires métalinguistiques, la convention typographique, les éléments non verbaux (graphique ou illustration et, pour la communication orale, les mimiques et la gestique) (cf. Roelcke 32010, 93ss.). Au niveau de la microstructure des textes de spécialité la production de cohérence et cohésion est fournie par l’articulation thème-rhème, les constructions questions-réponses et les divers moyens de déduction, les procédés d’isotopie et les connecteurs (cf. Roelcke 32010, 102). Maaß (2010a ; 2010b) note cependant que la validité de ces critères doit être différenciée car les spécialités entre elles présentent d’importantes variations internes, d’où la nécessité de décrire chaque spécialité séparément. Les différences centrales portent sur le choix de la langue,42 le format de publication (monographie ou article),43 et le figement de la macrostructure textuelle.44 En suivant Maaß (2010a), ces

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42

43

français contemporain ; son étude porte essentiellement sur la syntaxe du « journal officiel ». Maaß (cf. 2010a, 266) relève les points suivants : une relation aux problèmes scientifiques et leur solution, une représentation à caractère d’expertise, une orientation primaire aux scientifiques comme partenaires de communication, le paratexte comme présignal (avantpropos, remarque, bibliographie, registre), l’introduction thématique et les signaux conclusifs comme signaux textuels, la structuration univoque des textes (titre principal et soustitres), communauté de code spécialisé (maîtrise d’un vaste lexique spécialisé et standard), grande fréquence d’expression nominales, citations fréquentes comme arguments d’autorité, les informations importantes sont exprimées dans un style nominal (densité des informations, style nominal, déverbalisation, désémantisation des verbes, expressions nominales complexes), haute fréquence de constructions passives et infinitives, maximes stratégiques : interdiction d’employer la première personne du singulier, interdiction narrative, interdiction d’employer des métaphores. Maaß (cf. 2010a, 268) note la progression constante de l’anglais dans l’univers discursif scientifique, en particulier pour les spécialités dans le domaine médical et des sciences naturelles. Elle mentionne que cette tendance a souvent été discutée (Carli 2006 ; Calaresu 2006 ; Ammon 2006), parfois même de manière polémique (Schrammen 2003). Elle souligne cependant que dans le domaine médical, les articles en français jouent un rôle important, d’où l’intérêt de décrire le présent corpus Chirurgie. Cf. Maaß (2010a, 269) constate que les sciences naturelles, en raison de la concurrence ardue entre les collègues effectuant des recherches sur des thèmes similaires, favorisent

283

différences concernent principalement la catégorisation des disciplines en sciences naturelles et sciences humaines. Ainsi, dans le domaine des sciences naturelles, l’anglais est en progression constante, le format favorisé est l’article et le respect de plans stricts est très marqué. Les disciplines des sciences humaines, en revanche, sont moins concernées par ces tendances (cf. Maaß 2010a, 270). L’analyse formelle et comparative de la macrostructure des textes des parties du corpus Sciences effectuée par Maaß (2010a, 270) permet de constater la tendance suivante : tandis que les articles du corpus Chirurgie présentent un profil formel plutôt homogène – avec d’infimes variations – quant au respect du plan (titres organisant chaque partie : Résumé, Abstract en anglais, Introduction, Méthodes, Résultats, Discussion et Conclusion), les corpus Mathématiques et Sciences présentent de plus grandes variations macrostructurelles internes. Une autre caractéristique de la langue de spécialité scientifique concerne la situation de communication et la nature du message : « … Le texte de spécialité s’adresse à qui possède des connaissances approfondies dans un domaine restreint » (Lapierre 1998, 114). Étant donné que les actants de l’univers discursif des langues de spécialité abordent des problèmes scientifiques, développent et proposent des solutions à ces problèmes, ils nécessitent et emploient des moyens linguistiques spécifiques à leur besoin. Aussi, la langue de spécialité scientifique présente un degré élevé de spécialisation. Dans le cadre de ce travail, nous proposons de mettre en lumière comment les connecteurs permettent aux actants de mener à bien leur projet. La langue de spécialité suit trois règles discursives centrales : l’objectivité, la précision et la concision (Lapierre 1998, 114). Ces normes ont une répercussion sur la formation linguistique du discours de la langue de spécialité. Cependant, en raison de l’histoire interne de la recherche sur les langues de spécialité, tous les domaines linguistiques n’ont pas été éclairés avec la même intensité. En effet, jusque dans les années 1970, la recherche en langue de spécialité portait essentiellement sur la terminologie spécifique employée. Cette perspective lexicale mena quasiment à l’assimilation des langues de spécialité à l’emploi d’un vocabulaire spécifique (cf. Roelcke 32010, 55). Il est vrai que les langues de spécialité sont caractérisées par un besoin dénominatif spécifique élevé, d’où par exemple la fréquence importante de noms composés et de dérivations (cf. Roelcke 32010, 82ss. ; Maaß 2010b). Maaß (2010b) considère d’ailleurs que le domaine lexical fonde le point commun principal entre les différentes langues de spécialité. Au-delà du domaine lexical, avec l’essor de la linguistique textuelle, l’intérêt porté aux langues de spécialité s’est élargi à l’étude d’aspects syntaxiques, fonctionnels, pragmatiques, communicatifs, sociaux-culturels et intertextuels (cf. Maaß 2010a, 268).45 Les recherches effectuées montrent que la particularité de la gram-

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45

l’article scientifique qui permet de publier les résultats rapidement. Dans le domaine des sciences humaines, en revanche, les monographies jouent un rôle central. Les sciences naturelles présentent une articulation des parties de texte assez stricte ; cette tendance semble concerne particulièrement l’espace anglo-américain (cf. Hutz 1997, 77 ; Gläser 1998, 483). Maaß (2010a, 268) note que ces dix dernières années, un intérêt particulier a été porté à l’aspect sémiotique de la communication spécialisée (images spécialisées, système de

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maire des langues de spécialité, en comparaison à la langue commune, réside moins en des différences qualitatives que quantitatives (cf. Roelcke 32010, 78). Ces différences quantitatives concernent la sélection de modèles grammaticaux et à leur fréquence d’emploi faible ou élevée voire même exclusive. Néanmoins, malgré cette ouverture à d’autres terrains de recherche, les études concernant la grammaire restent minoritaires (cf. Roelcke 32010, 78). En conséquence, la présente étude propose de contribuer à la description grammaticale des articles de spécialité scientifique en analysant le choix de formes connectives, leurs fonctions dans les textes, leur valeur sémantique ainsi que leur contribution à la constitution de modèle textuel. Dans ce cadre, la recherche a d’ores et déjà montré que la grammaire des langues de spécialités est contrainte par certaines règles discursives : un rapport adéquat à la réalité et la suite logique des énoncés (clarté), le rapport adéquat au récepteur, l’efficacité de la présentation (économie) et l’objectivité (anonymat) (cf. Roelcke 3 2010, 79). Le respect de ces règles a donc une répercussion sur le choix des moyens linguistiques employés : « la présence de certains traits lexicaux, (termes n’appartenant pas à la langue commune), syntaxiques (voix passive, emploi restreint des pronoms et des temps), pragmatiques » (Lapierre 1998, 114). La norme d’objectivité centrale au discours scientifique peut être illustrée par l’exemple récurrent de la prohibition du pronom personnel je. Toutefois, Graefen (1997, 200) montre que l’exclusion de je dans le discours scientifique dépend de la discipline considérée (cf. Maaß 2010a, 267).46 De même, Roelcke (32010, 90) pondère la portée de cette convention « impersonnelle » et constate que l’interdiction de je et la favorisation de l’anonymat dans le discours scientifique est une spécificité de la tradition discursive scientifique européenne. En conséquence, il s’agira dans le présent travail de montrer en quelle règle discursive génèrent l’emploi des connecteurs prépositionnels et dans le chapitre 7 en quelle mesure celles-ci peuvent varier selon l’époque considérée. D’autres caractéristiques au niveau syntaxique sont les constructions de phrases analytiques (haute fréquence de constructions passives47 et de constructions ré-

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47

signes) (cf. Kalverkämper 1998, 48) comme à la communication scientifique orale (cf. Bamford 2004). De même, Lapierre (1993, 114s.), qui compare les introductions de deux textes scientifiques d’un même auteur, Jacques Monod, constate une nette variation de l’emploi du pronom personnel je en fonction de la discipline considérée. Tandis que dans Recherches sur la croissance des cultures bactériennes, Monod n’emploie le pronom je qu’une seule fois et favorise le pronom on, dans la préface de l’ouvrage philosophique, Le hasard et la nécessité, l’emploi de je est en revanche très fréquent. Dans le corpus Sciences, le pronom personnel je n’apparaît qu’une seule fois ; nous et notre présentent respectivement 239 et 73 occurrences. Ces pronoms et adjectifs font référence à une communauté d’auteurs (pluralis auctoris) et sont aussi bien employés dans des articles rédigés par plusieurs personnes que ceux écrits par un unique auteur (cf. Maaß 2010a, 267). L’étude de Lapierre (1998) porte sur l’emploi du participe passé dans des constructions impersonnelles et passives dans les langues de spécialité en français : « La forme en -é se

285

flexives), la dominance de phrases déclaratives, de phrases conditionnelles, finales et relatives, ainsi qu’une haute complexité des phrases (grande fréquence d’épithète et de constructions prépositives) (cf. Roelcke 32010, 86ss.). Maaß (2010a, 267) mentionne également la dominance du style nominal.48 Les caractéristiques nommées peuvent être considérées sous une perspective fonctionnelle. Ainsi la fréquence des énoncés déclaratifs, relatifs, épithètes, prépositifs optimalisent et favorisent la clarté du texte (cf. Roelcke 32010, 86ss.). L’emploi du génitif, de compositions et de dérivations peut être renvoyé à l’exigence économique de l’article de spécialité scientifique. La dominance de phrases conditionnelles et finales signalise une augmentation de l’explicitation par des connexions logiques (cf. ibid.). Ces caractéristiques lexicales et grammaticales mènent Lapierre à formuler une différence centrale entre le discours littéraire et le discours scientifique : « Alors que le texte littéraire se prête, par vocation, à de multiples interprétations, le texte scientifique se veut monosémique, ses termes biunivoques. L’idéal en littérature, c’est la plurivalence ; en science, la transparence » (Lapierre 1998, 113). Si l’on conçoit que chaque tradition discursive hiérarchise, sur la base d’un inventaire, des règles discursives, alors les règles de clarté et d’objectivité, c’est-à-dire l’élimination d’ambiguïtés et de particularismes subjectifs, se situent en haut cette hiérarchie de normes, normes que les actants s’engagent à respecter lorsqu’ils agissent dans la communauté discursive scientifique. En conséquence, la primauté des règles discursives de clarté et d’objectivité doivent avoir des répercutions quant à l’emploi des connecteurs prépositionnels dans le corpus Sciences en général, et cela outre le particularisme de chacune des disciplines scientifiques. Par ailleurs, concernant l’emploi des connecteurs, l’hypothèse peut d’ores et déjà être formulée que les règles de clarté et d’objectivité entrent en compétition. En effet, dans le chapitre premier les connecteurs ont été définis comme des unités qui marquent de manière explicite, donc clairement, des relations entre les propositions. Les connecteurs dans les textes sont donc au service de la règle de clarté. De l’autre côté, nous avons également montré que l’emploi de connecteurs témoigne toujours de la présence d’un sujet responsable de la mise en relation, d’où l’aspect subjectif des emplois de connecteurs. C’est pourquoi, en raison du rôle central des règles d’objectivité et de clarté dans le discours scientifique, il est particulièrement intéressant d’analyser comment les actants emploient les connecteurs prépositionnels afin de satisfaire ces deux règles. Dans ce contexte, Thielmann (2009) a récemment traité le rôle joué par les connecteurs et les modèles textuels dans le discours de spécialité scientifique allemande

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48

joint également à être dans les temps de la voix passive et, en plus de créer des réseaux textuels, elle contribue alors, indirectement, à l’impersonnalité du texte puisqu’elle permet de mettre le résultat plutôt que l’agent en relief, ou même d’effacer entièrement l’agent » (Lapierre 1998, 157). Hölker (2006, 206) analyse le procédé de nominalisation de verbes dont la fonction est centrale lors de la production et de la réception des textes de spécialité. Selon Halliday (1993, 71), le style nominal entrave, pour les lecteurs, l’accès aux textes de spécialité.

286

et anglais. Dans son étude comparative qui se base sur l’analyse d’un corpus composé d’articles scientifiques dans le domaine des sciences naturelles, humaines et sociales,49 Thielmann (2009) s’interroge sur l’existence de différences systématiques détectables au niveau des articles scientifiques concernant les moyens de présentation et de traitement du savoir employés par les auteurs, et leur mise à disposition pour les lecteurs (Thielmann 2009, 44). Les résultats de l’analyse documentent une différence au niveau de l’élaboration et du traitement du savoir en fonction de la langue particulière. La communication scientifique allemande serait dominée par une représentation herméneutique du savoir dont la structure serait essentiellement justificative : le cheminement vers le nouveau savoir se produit de manière argumentative-explicative (cf. ibid., 315). L’anglais, en revanche, aurait une structure linéaire qui guiderait le lecteur dans le savoir ; la réalisation de cette structure linéaire irait de pair avec un consensus concernant le large savoir progressif (cf. ibid.). Cette conception du traitement du savoir se reflèterait au niveau de l’emploi des connecteurs causaux prototypiques de l’anglais because et de l’allemand weil ‘parce que’. Thielmann (ibid.) mentionne que les deux conjonctions sémantiquement très proches, présentent une typicité d’emploi qui leur est propre dans le cadre du traitement des connaissances scientifiques. Ainsi, dans le cadre d’une conception herméneutique du savoir scientifique et de sa genèse, weil serait un introducteur de compréhension « verstehensanleitend ». Because, en revanche, serait un connecteur inductif « rückführend » en raison de la conception principalement antagoniste du processus de connaissance scientifique. Dans ce cadre, le nouveau savoir s’impose par des stratégies de conviction, se profilant par rapport à un adversaire scientifique (Thielmann 2009, 316). L’analyse effectuée par Thielmann (2009) montre que l’emploi de connecteurs quasi synonymes, dans des langues particulières distinctes, ne renvoie pas à la même tradition discursive argumentative. Par ailleurs, sur l’arrière-plan de ces résultats, on peut s’attendre à ce que la catégorie de causalité en fonction explicitation argumentative réalisée soit prépondérante dans le corpus Sciences. Dans cette partie nous avons évoqué les caractéristiques centrales de la langue de spécialité scientifique tout en signalant les différences au niveau des disciplines considérées. Les sous-parties suivantes seront dédiées à la présentation des profils pragmatiques puis sémantiques des connecteurs propositionnels dans le corpus Sciences. En raison de différences internes prononcées, une attention particulière sera portée aux trois parties du corpus. 6.2.2 Profils pragmatiques des connecteurs dans le corpus Sciences Le tableau 57 donne une vue d’ensemble des fonctions des connecteurs prépositionnels dans le corpus Sciences :

––––––– 49

Les disciplines considérées par Thielmann (2009) sont pour les sciences humaines : l’histoire de l’antiquité, la linguistique, la musique, la philosophie, l’histoire des sciences, et pour les sciences sociales : la didactique et la psychologie, et pour les sciences naturelles : la médecine, la science des matériaux, l’écologie et la phonétique.

287

fonctions des connecteurs prépositionnels pour 10 000 mots corpus

mots

connecteurs {RS} {RSA} {RA}

{ES} {ESA} {EA}

{IS}

{ISA}

Sciences 113 650

73,3

3,8

3,4

14,5

20,8

36,1

10,7

3,5

3,2

{IA} 4

moyenne

99,5

7,2

4,7

17,5

11

18,6

14,7

15

7,1

12,2

Tableau 57 : les catégories fonctionnelles des connecteurs contenant des prépositions dans le corpus Sciences

Le corpus Sciences contient 833 connecteurs, soit une moyenne de 73,3 connecteurs prépositionnels pour 10 000 mots. Il se situe ainsi au-dessous de la moyenne de l’ensemble des corpus qui est de 99,5 pour 10 000 mots. Après le corpus Le Monde, il s’agit du second corpus contenant le moins de connecteurs prépositionnels. Par conséquent, Sénat et Oral sont les deux corpus ayant la plus grande fréquence de connecteurs prépositionnels. La faible présence des connecteurs dans le corpus Sciences semble témoigner de la primauté des règles d’objectivité et d’économie sur la règle de clarté dans les articles scientifiques. Le graphique circulaire ci-dessous représente la distribution des fonctions des connecteurs prépositionnels exprimée en pourcentage dans le corpus Sciences :

{EA} 10,7%

{IS} 3,5%

{ISA} 3,2%

{IA} {RS} {RSA} 4,0% 3,8% 3,4%

{RA} 14,5%

{ES} 20,8%

{ESA} 36,1%

Graphique 9 : fonctions des connecteurs prépositionnels dans le corpus Sciences

La fonction la plus fréquente est l’explicitation structurante argumentative {ESA} avec 36,1 %, suivie de l’explicitation structurante {ES} avec 20,8 %. La fonction d’explicitation structurante en particulier lorsqu’elle a une orientation argumentative, joue donc un rôle central dans le corpus Sciences. Ces deux fonctions témoignent du fait que les connecteurs prépositionnels contribuent à l’accomplissement de la règle de clarté dans les textes scientifiques. La fonction d’explicitation structurante argumentative {ESA} est principalement prise en charge par les connecteurs alors (123 tokens), par exemple (46 tokens), de plus (30 tokens), en particulier (20 tokens), en outre (12 tokens), surtout (12 tokens), d’ailleurs (8 tokens) et par ailleurs 288

(6 tokens). La fonction d’explicitation structurante argumentative {ESA} est prise en charge par le connecteur alors qui combine la valeur sémantique d’actualisation à la conséquence. Tous les autres connecteurs quant à eux, présentent une valeur sémantique d’addition : ils ajoutent un élément en lui confèrent une orientation argumentative. La fonction de représentation argumentative {RA} se situe avec 14,5 % au-delà de la fonction d’explicitation argumentative {EA} (10,7 %). La fonction de représentation argumentative est associée aux valeurs sémantiques d’opposition (62 occurrences), de conséquence (32 occurrences), de finalité (15 occurrences), de condition (3 occurrences) et de cause (9 occurrences). La fonction de représentation argumentative est, comme dans le corpus Le Monde, primairement employée afin de mettre en évidence des contrastes entre les états de chose : déséquilibre (23 occurrences), compensation (19 occurrences), différence (12 occurrences) et limite (9 occurrences) sont les interprétations détectées. La fonction de représentation argumentative avec la sémantique d’opposition a donc un éventail d’interprétation plus large dans le corpus Sciences que dans le corpus Le Monde. En outre, dans le corpus Sciences, la fonction de représentation argumentative {RA} a la particularité de verbaliser une justification méthodique. La justification méthodique apparaît avec différentes valeurs sémantiques : la conséquence (33 occurrences), l’accent porte alors sur les actions résultant du choix méthodique, la finalité (15 occurrences), indique l’intention poursuivie par le chercheur et la cause (10 occurrences), le chercheur motive dans ce cas ses décisions. Aussi dans l’exemple suivant les connecteurs parce que et à cette fin sont employés par les locuteurs respectivement afin de motiver le choix d’un thème d’étude et les conséquences méthodiques qui en découle : (174) Ces compétences morphosyntaxiques ont été choisies parce qu’ {C} {RA} {PNL} {CAU} {motiv} elles nous semblaient correspondre à des compétences langagières minimales. À cette fin {C} {RA} {PG} {CONS} {result}, nous avons calculé pour chaque point morphosyntaxique une figure qui rassemble l’ensemble des patrons correspondants. (Sciences-ALSIC) La fonction de représentation argumentative dans Sciences est principalement réalisée avec les sens d’opposition, de conséquence et de finalité et semble d’ores et déjà indiquer que la cause dans ce corpus joue un rôle moins déterminant que ne l’a suggéré l’analyse onomasiologique effectuée par Thielmann (2009). En raison de leur faible fréquence, les autres fonctions – l’interaction argumentative {IA} 4 %, la représentation structurante {RS} 3,8 %, la représentation structurante argumentative {RSA} 3,4 %, l’interaction structurante {IS} 3,5 % et l’interaction structurante argumentative {ISA} 3,2 % – peuvent être considérées comme périphériques. 6.2.2.1

Les actions dans le corpus Sciences

Le graphique 10 représente la répartition des actions exprimées en pourcentage dans le corpus Sciences :

289

{I} 10,7%

{R} 21,7%

{E} 67,6%

Graphique 10 : les actions dans le corpus Sciences

Au niveau des actions réalisées par les connecteurs prépositionnels, les corpus Sciences et Le Monde présentent une nette différence. Tandis que dans le corpus Le Monde les connecteurs réalisent essentiellement une représentation des événements, dans Sciences, les connecteurs prépositionnels rendent le traitement de la matière textuelle explicite et intelligible. En effet, l’action d’explicitation {E_} représente presque un tiers de la totalité des actions réalisées dans le corpus Sciences. Les actions de représentation {R_} et d’interaction {I_} se partagent le dernier tiers de manière inégale avec respectivement 21,7 % et 10,7 %. Les fonctions réalisées par l’action de représentation ont été abordées dans la partie précédente : la représentation est principalement employée avec la technique argumentative. L’action dans cette fonction peut être brièvement résumée comme suit : elle met en évidence un déséquilibre – un problème – que le chercheur se propose de résoudre ; elle sert la justification d’un choix d’objet d’étude ainsi que la présentation des choix méthodiques afin de résoudre ce problème. L’action d’interaction {I_} qui, par son caractère dialogique, est plutôt ancrée dans le langage proximal, n’est cependant pas absente du corpus Sciences. Elle représente effectivement 10,7 % des actions. En fonction d’interaction argumentative {IA} (4 %), l’interaction réalise différentes procédures : la rectification (16 occurrences), la confirmation (14 occurrences) et la reformulation (3 occurrences). En fonction d’interaction structurante {IS}, elle occasionne 28 procédures reformulatives et une procédure marquant l’impatience. Enfin, en fonction d’interaction structurante argumentative {ISA} (3,2 %), qui est la moins fréquente, elle réalise une procédure de reformulation (15 occurrences), de proposition (10 occurrences) et d’interpellation (2 occurrences). De manière générale, en raison de la prépondérance de l’explicitation {E_}, on peut conclure que les emplois des connecteurs prépositionnels dans le corpus

290

Sciences témoignent du fait que le discours scientifique réside en un travail inhérent à la langue.50 6.2.2.2

Les techniques dans le corpus Sciences

La répartition des techniques exprimées en pourcentage dans le corpus Sciences est visualisée dans le graphique 11 : {S} 28,1%

{A} 29,2%

{SA} 42,7% Graphique 11 : les techniques dans le corpus Sciences

Au niveau du classement des techniques, le corpus Sciences se distingue fortement du corpus Le Monde. Tandis que dans le corpus Le Monde, la répartition des techniques était relativement équilibrée, dans le corpus Sciences, on note une large préférence pour la technique complexe structurante argumentative {_SA} avec 42,7 % ; les techniques argumentative {_A} et structurante {_S}, quant à elles, se partagent la seconde moitié de manière équilibrée avec respectivement 29,2 % et 28,1 %. L’emploi préférentiel des connecteurs prépositionnels avec la technique complexe de structuration et d’argumentation peut être interprété comme un témoignage de l’exigence d’économie de la tradition discursive formatrice du genre articles de spécialité scientifique. En conclusion, l’analyse du corpus Sciences documente la récurrence de la fonction d’explicitation structurante argumentative {ESA}. Cette fonction centrale aux articles scientifiques de spécialité reflète les règles discursives en vigueur dans ce discours. En d’autres termes, l’explicitation des relations dans le texte assure l’intelligibilité du raisonnement du chercheur pour la communauté discursive scientifique et la technique hybride structurante argumentative {_SA} répond à la restriction économique inhérente au genre articles de spécialité scientifique.

––––––– 50

Cf. Maaß (2010a, 273ss. ; 2010b).

291

6.2.3 Profils sémantiques des connecteurs prépositionnels dans le corpus Sciences Le tableau 58 donne une vue d’ensemble des résultats des différentes valeurs sémantiques des connecteurs prépositionnels dans le corpus Sciences : catégories sémantiques des connecteurs prépositionnels pour 10 000 mots corpus

mots

{ACT} {ADD} {ANT} {ARR} {DEB} {POS} {SIM} {CAU} {COND} {CONS} {FIN} {OPP}

Sciences 113 650

14,6

23,9

0,3

3,3

3,7

2,3

0,2

5,2

1,1

18,5

1,4

7,1

moyenne des

7,1

20,5

1,1

3,4

6,4

3,3

2,3

19,3

0,9

10,6

2,8

10,4

corpus

Tableau 58 : les catégories sémantiques des connecteurs prépositionnels dans le corpus Sciences

Avant de commenter ces résultats, rappelons que l’étude onomasiologique effectuée par Thielmann (2009)51 porte sur la conception des relations causale dans les textes scientifiques. Aussi, la relation causale a été analysée à partir des connecteurs denn, da, weil, nämlich pour l’allemand et for, as, since, because pour l’anglais. Dans le présent travail, en revanche, le focus porte sur les relations exprimées par les connecteurs prépositionnels. Cette perspective présente l’avantage d’éclairer l’éventail des relations sémantiques des connecteurs prépositionnels sans restriction préalable. De cette manière, nous pouvons monter que, pour l’ensemble des articles scientifiques du corpus Sciences, la relation causale, telle qu’elle a été analysée par Thielmann, ne concerne que 5,1 des connecteurs prépositionnels pour 10 000 mots. Ainsi, dans l’ensemble du classement des catégories sémantiques, elle se trouve en cinquième position : 1. 2. 3. 4. 5.

addition (23,9 pour 10 000 mots) conséquence (18,5 pour 10 000 mots) actualisation (14,6 pour 10 000 mots) opposition (7,1 pour 10 000 mots) cause (5,2 pour 10 000 mots)

Constatons pour l’ensemble du corpus Sciences que la plupart des catégories sémantiques représentées sont non-localisantes. La catégorie addition, qui se situe au niveau conceptuel et cognitif au seuil entre les deux catégories (non-localisante et localisante), est la plus fréquente. Les catégories actualisation, addition et conséquence se situent au-dessus de la moyenne de la totalité des corpus. Les autres catégories dont l’opposition et la cause se situent en deçà de la moyenne de la totalité des corpus. D’après ces tendances, on peut conclure que la relation causale semble jouer un rôle plutôt périphérique dans les textes scientifiques en comparaison aux relations d’actualisation, d’addition et de conséquence. Il serait donc intéressant d’élargir l’analyse portant sur les textes scientifiques effectuée par Thielmann (2009) à d’autres catégories sémantiques. En effet, même l’élargissement de notre analyse à d’autres connecteurs (qui ne contiennent pas de prépositions) considérés comme marquant typiquement la cause

––––––– 51

Voir la partie 6.2.1 Les « articles scientifiques » et le corpus Sciences.

292

témoigne de leur faible fréquence : pour la totalité du corpus, les connecteurs car (45 tokens), puisque (23 tokens) étant donné que (2 tokens), ne présentent respectivement que 3,9 tokens pour 10 000 mots ; 2 tokens pour 10 000 mots et 0,2 token pour 10 000 mots. Ainsi, même en tenant compte de ces trois connecteurs (non prépositionnels), la cause ne représenterait qu’une fréquence de 11,2 pour 10 000 dans le corpus Sciences et serait placée, au lieu de la cinquième, à la quatrième position du le classement général. Dans le corpus Sciences, les connecteurs les plus représentés sont alors (146 tokens), par exemple (95 tokens) et en effet (45 tokens). Le connecteur causal parce que ne présente que 13 occurrences. La spécificité du connecteur alors, dans le corpus Sciences, consiste en un couplage des catégories d’actualisation et de conséquence ; par exemple exprime l’addition et en effet la cause. Le profil du connecteur alors sera présenté en détail lors de la discussion de la partie de corpus Mathématique pour laquelle il joue un rôle central.52 De manière générale, il faut constater au niveau pragmatique, un net ancrage des connecteurs prépositionnels dans l’exercice de l’action d’explicitation. Les résultats de ce chapitre rendent compte des emplois des connecteurs prépositionnels du genre textuel « articles de revues académiques-scientifiques de communication de spécialité interne », en faisant abstraction du particularisme des spécialités. Cependant, Maaß (2010a, 274) indique que les parties de corpus présentent des différences considérables relatives aux emplois des déictiques discursifs et autres phénomènes linguistiques (cf. Maaß 2010b). Des différences marquantes, au niveau de l’emploi des connecteurs prépositionnels selon la spécialité considérée, peuvent donc également être attendues. Un groupement des parties de corpus, tel qu’il a été effectué précédemment, efface ces différences et mène à un nivellement des résultats à 73,3 connecteurs prépositionnels pour 10 000 mots qui se trouve en deçà de la moyenne des corpus (108 connecteurs pour 10 000 mots). Selon Maaß (2010a, 274), il est en conséquence problématique de vouloir relever des propriétés communes à des langues de spécialités scientifiques diverses. C’est pourquoi la partie suivante sera dédiée à la présentation des catégories fonctionnelles (actions et techniques) et sémantiques des connecteurs prépositionnels internes à chacune des parties des corpus de spécialité scientifique. 6.2.4 Les différences internes du corpus Sciences Le tableau 59 présente la répartition des catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels selon les trois parties du corpus Sciences :

––––––– 52

Voir la partie 6.2.7.3 Les emplois de alors dans le corpus Mathématique.

293

corpus mots

connecteurs

catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels pour 10 000 mots

token

{RS} {RSA} {RA} {ES} {ESA} {EA} {IS} {ISA} {IA}

pour 10 000 mots

Chirurgie

34 309

92

26,8

2

0,6

4,7

4,1

1,2

0,0

1,7

ALSIC

46 348 424

91,5

5,2

4,7

17,5 23,1 18,8 11,4

6,7

5,8

3,5

3,2

4,1

Mathématiqu

32 993 317

96,1

0,3

1,2

7,3

5,5

2,7

3,6

2,4

113 65 833

73,3

2,8

2,5

10,6 15,2 26,5

7,8

2,6

2,4

2,9

99,5

7,2

4,7

17,5

18,6 14,7

15

7,1

12,2

13

60

e moyenne Sciences

0

moyenne des corpus

11

Tableau 59 : les catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels dans les parties du corpus Sciences

Le nombre de connecteurs prépositionnels contenu dans les trois parties de Sciences documente les différences internes de ce corpus. En effet, si les corpus ALSIC avec un nombre absolu de 424 connecteurs, soit 91,5 connecteurs pour 10 000 mots et Mathématique avec un nombre absolu de 317 connecteurs, soit 96,1 connecteurs pour 10 000 mots sont proches de la moyenne des corpus (108 pour 10 000 mots), Chirurgie comprend nettement moins de connecteurs : un nombre absolu de 92 connecteurs, soit 26,8 pour 10 000 mots. Cette différence se poursuit au niveau de la diversité des relations sémantiques exprimées par les connecteurs prépositionnels dans les parties de corpus. catégories sémantiques des connecteurs prépositionnels pour 10 000 mots corpus

mots

{ACT} {ADD} {ANT} {ARR} {DEB} {POS} {SIM} {CAU} {COND} {CONS} {FIN} {OPP}

Chirurgie

34 309

1,7

10,8

0,3

0,9

1,2

1,2

0,0

1,7

0,0

4,4

0,0

3,8

ALSIC

46 348

6,5

33,0

0,2

4,5

4,7

3,7

0,4

10,6

0,0

11,0

2,8

11,9

Mathé-

32 993

39,4

24,6

0,3

3,9

4,8

1,5

0,0

1,2

3,9

43,6

0,9

3,9

113 650

14,6

23,9

0,3

3,3

3,7

2,3

0,2

5,2

1,1

18,5

1,4

7,1

moyenne des corpus

7,1

20,5

1,1

3,4

6,4

3,3

2,3

19,3

0,9

10,6

2,8

10,4

matique Sciences

Tableau 60 : les catégories sémantiques des connecteurs prépositionnels dans les parties du corpus Sciences

Chacun des sous-chapitres suivants sont dédiés à la présentation des fonctions des connecteurs prépositionnels dans les parties du corpus Sciences : Chirurgie, ALSIC et Mathématique. 6.2.5 Chirurgie 6.2.5.1

Profils pragmatiques des connecteurs prépositionnels dans le corpus Chirurgie

Le tableau 61 donne une vue d’ensemble des fonctions des connecteurs prépositionnels dans la partie de corpus Chirurgie :

294

catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels pour 10 000 mots corpus

mots

connecteurs

{RS}

{RSA}

{RA}

{ES}

{ESA}

{EA}

{IS}

{ISA}

{IA}

Chirurgie

34 309

92

2

0,6

4,7

6,7

5,8

4,1

1,2



1,7

moyenne

113 650

73,3

2,8

2,5

10,6

15,2

26,5

7,8

2,6

2,4

2,9

moyenne des corpus

99,5

7,2

4,7

17,5

11

18,6

14,7

15

7,1

12,2

Sciences

Tableau 61 : les catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels dans le corpus Chirurgie

Au niveau pragmatique, huit des neuf fonctions sont représentées dans le corpus Chirurgie : la fonction d’interaction structurante argumentative {ISA} est absente ; il s’agit de la fonction qui, dans la totalité du corpus Sciences, était la moins fréquente. A la différence des fonctions pour la totalité du corpus Sciences, l’explicitation structurante argumentative {ESA} n’est pas la plus fréquente dans le corpus Chirurgie (avec 5,8 occurrences pour 10 000 mots), elle est la seconde du classement derrière l’explicitation structurante {ES} (6,7 pour 10 000 mots). La troisième fonction du classement est la représentation argumentative {RA} avec 4,7 occurrences pour 10 000 mots. L’explicitation argumentative {EA} est, avec 4,1 occurrences pour 10 000 mots, la quatrième du classement. Les autres fonctions peuvent être considérées, en raison de leur faible fréquence, comme périphériques : la représentation structurante {RS} (2 occurrences pour 10 000 mots), la représentation structurante argumentative {RSA} (0,6 occurrences pour 10 000 mots), et les fonctions contenant une interaction ({IA} avec 1,7 et {IS} avec 1,2 occurrences pour 10 000 mots). Le tableau suivant montre la répartition des actions pour le corpus Chirurgie : action pour 10 000 mots {R_}

{E_}

{I_}

7,3

16,6

2,9

Tableau 62 : les actions des connecteurs prépositionnels dans le corpus Chirurgie

Conformément à la tendance détectée pour l’ensemble du corpus Sciences, l’action d’explicitation est la plus fréquente (16,6 occurrences pour 10 000 mots) dans le corpus Chirurgie : elle rend principalement compte de la structure du texte. La seconde action la plus fréquente est la représentation (7,3 occurrences pour 10 000 mots). Cette action est essentiellement réalisée avec la technique argumentative (4,7 pour 10 000 mots), suivie de la structuration (2 occurrences pour 10 000 mots). Enfin, la représentation avec la technique complexe de structurationargumentative est la plus faible avec seulement 0,6 occurrences pour 10 000 mots. La représentation est donc principalement réalisée au moyen de la technique argumentative. Cette action apparaît avec deux catégories sémantiques : l’opposition (11 occurrences) et la conséquence (5 occurrences). Aussi, dans l’exemple suivant, le connecteur en revanche met en relation deux faits divergents, observés par le chercheur dans la littérature : 295

(175) Elle est de 52 jours pour Foucher [9]. En revanche {C} {RA} {PG} {OPP} {deseq}, elle est de 180 jours pour Salom [10], ce délai étant expliqué par la survenue de beaucoup de complications. (SciencesChirurgie) De même que dans la totalité du corpus Sciences, l’interaction peut être considérée avec 2,9 occurrences pour 10 000 mots comme périphérique dans le corpus Chirurgie. Les procédures effectuées par les connecteurs prépositionnels sont alors la reformulation (4 occurrences), la rectification (4 occurrences) et la confirmation (2 occurrences). Le tableau suivant présente la répartition des techniques dans le corpus Chirurgie : technique pour 10 000 mots {_S}

{_SA}

{_A}

9,9

6,4

10,5

Tableau 63 : les techniques des connecteurs prépositionnels dans le corpus Chirurgie

Au niveau des techniques, dans le corpus Chirurgie, les techniques simples sont les plus fréquentes : l’argumentation {_A} avec 10,5 occurrences pour 10 000 mots et la structuration {_S} avec 9,9 occurrences pour 10 000 mots. Contrairement à l’ensemble du corpus Sciences, ce n’est donc pas la technique hybride structurante argumentative {_SA} (6,4 pour 10 000 mots dans le corpus Chirurgie) qui domine. Dans les articles de Chirurgie, Maaß (2010a, 269) caractérise la structure syntaxique des phrases de remarquablement simple et pauvre en moyens cohésifs. Les méthodes opératoires et les traitements de maladies particulières thématisés y seraient présentés avec des phrases courtes sans structure argumentative. Aussi Maaß (2010a, 269, 273) constate-t-elle une faible fonction argumentative des déictiques discursifs. Quand ils sont employés dans cette partie de corpus, les déictiques discursifs prendraient essentiellement en charge la structuration de texte. La fonction d’énumération consisterait en l’articulation des critères choisis, des complications ou de la suite des expériences médicales, et non pas l’articulation de membres argumentatifs. Sur ce point, les connecteurs prépositionnels employés dans le corpus Chirurgie se distinguent des déictiques discursifs analysés par Maaß (2010a). En effet, la technique d’argumentation (10,3 occurrences pour 10 000 mots) est égale, voire même légèrement supérieure, à la technique de structuration (9,9 occurrences pour 10 000 mots). La combinaison des techniques structurante argumentative {_SA}, nous l’avons déjà évoqué, est plus faible (6,4 occurrences pour 10 000 mots). La réalisation concrète de ces techniques sera traitée dans le chapitre consacré aux fonctions centrales des connecteurs prépositionnels dans le corpus Chirurgie.53

––––––– 53

Voir la partie 6.2.5.3 La réalisation des fonctions de l’explication structurante et de l’explicitation structurante argumentative dans le corpus Chirurgie.

296

6.2.5.2

Profils sémantiques des connecteurs prépositionnels dans le corpus Chirurgie

Le tableau ci-dessous donne une vue d’ensemble des différentes catégories sémantiques relevées pour les connecteurs prépositionnels dans le corpus Chirurgie : catégories sémantiques des connecteurs prépositionnels pour 10 000 mots corpus

mots

{ACT} {ADD} {ANT} {ARR} {DEB} {POS} {SIM} {CAU} {COND} {CONS} {FIN} {OPP}

Chirurgie 34 309

1,7

10,8

0,3

0,9

1,2

1,2



1,7



4,4



Sciences 113 650

14,6

23,9

0,3

3,3

3,7

2,3

0,2

5,2

1,1

18,5

1,4

3,8 7,1

moyenne des corpus

7,1

20,5

1,1

3,4

6,4

3,3

2,3

19,3

0,9

10,6

2,8

10,4

Tableau 64 : les catégories sémantiques des connecteurs prépositionnels dans le corpus Chirurgie

Chirurgie est le corpus comprenant le moins de connecteurs prépositionnels. En conséquence, la fréquence des catégories sémantiques se situe en deçà de la moyenne du corpus Sciences ainsi que de l’ensemble des corpus. La diversité des relations sémantiques est, de même, la plus restreinte du corpus Sciences : 9 des 12 catégories sont réalisées : la simultanéité, la condition et la finalité sont absentes de cette partie de corpus. Ce résultat corrobore avec l’étude effectuée par Maaß (2010a, 273). En effet, l’auteur constate que le corpus Chirurgie contient moins d’indications déictiques discursives que les autres corpus. Comme Maaß (2010a, 273), nous pouvons conclure que les textes de la partie de corpus Chirurgie présentent une structure superficielle peu cohésive. Maaß ajoute que dans le corpus Chirurgie, les auteurs présentent certains procédés opératoires et les complications survenues lors des interventions dans des phrases simples contenant peu de moyens cohésifs comme les connecteurs et les déictiques de discours. Cette mise en jeu minimale a donc des répercutions au niveau sémantique. La catégorie sémantique la plus fréquente est l’addition avec 10,8 occurrences pour 10 000 mots. Les deux connecteurs les plus fréquents sont surtout avec 10 occurrences et en particulier avec 9 occurrences.54 Ces deux connecteurs ont en commun de structurer une énumération en mettant en relief un élément apparentant à une classe contenant plusieurs éléments sans que les autres éléments soient nécessairement nommés explicitement (cf. Anscombre 1996, 254ss.). En outre, à la différence des autres connecteurs opérant avec une technique structurante, les connecteurs additifs, bien qu’ils mettent un représentant d’une classe en relief, ne précisent pas sa position dans l’énumération. Ces connecteurs sont en ce sens vague ou sousdéterminé. 6.2.5.3

La réalisation des fonctions de l’explication structurante et de l’explicitation structurante argumentative dans le corpus Chirurgie

En raison de la faible fréquence des connecteurs prépositionnels dans le corpus Chirurgie, il pertinent d’opter pour la présentation des catégories fonctionnelles les

––––––– 54

Pour une étude comparative des emplois argumentatifs de surtout et particulièrement voir Anscombre (1996, 254).

297

plus fréquentes : l’explicitation structurante {ES} (6,7 pour 10 000 mots) et l’explicitation structurante argumentative {ESA} (5,8 pour 10 000 mots). Aussi, dans les deux exemples suivants, (et) enfin permet d’introduire le dernier membre d’une énumération et réalise ainsi la fonction d’explicitation avec la technique de structuration. (176) Les résultats ont été évalués avec un recul variant de deux mois à huit ans. Nos critères d’évaluation sont l’allongement obtenu, les pinces pollicidigitales et palmodigitales, l’ouverture commissurale, l’opposition pour les allongements du pouce et enfin {C} {ES} {PG} {ARR} l’aspect cosmétique du segment digital allongé. (Sciences-Chirurgie) (177) Les échecs auront pour causes : l’absence de visualisation d’une lésion, l’incapacité d’atteindre une structure intra-articulaire pour sa palpation diagnostique ou son traitement d’excision ou de réparation, ou bien un abord incorrect qui peut produire un dommage de la surface articulaire ou la rupture des instruments ; enfin {C} {ES} {PG} {ARR}, les raisons d’échecs peuvent être trouvées dans la phase de rééducation, qui est souvent le complément fondamental de l’acte chirurgical. (SciencesChirurgie) Dans ces deux extraits, enfin accomplit une hiérarchisation des éléments présentés et indique en même temps qu’après la dénomination de l’élément qui lui succède, l’énumération est close. Dans l’exemple (176), les éléments cités avant l’occurrence d’enfin sont intégrés de manière agrégative par une asyndète : la délimitation des membres est marquée par une virgule. Dans l’exemple (177) en revanche, les techniques de liage des éléments sont variées : virgule, ou bien et un point-virgule suivi de enfin. Il est donc intéressant de constater que dans ces deux exemples, enfin se distingue des autres moyens (ponctuations ou autres connecteurs) structurant les membres de l’énumération par la détermination de position du référent qu’il introduit. Aussi peut-on s’interroger sur la fonction démarcative de enfin en fonction d’explicitation structurante {ES}. L’hypothèse peut être formulée que les locuteurs en employant enfin suivent deux stratégies discursives : d’un côté enfin met en relief le dernier membre de l’énumération en suivant une règle discursive qui prédit de nommer l’élément le plus important à la fin de l’énumération ; de l’autre côté enfin indique la délimitation de l’énumération c’est-à-dire le point d’arrivée de celle-ci et réalise en ce sens la règle de clarté. Par ailleurs, il faut constater qu’enfin (3 tokens) et d’abord (2 tokens) sont les seuls énumératifs structurants qui ont une autre valeur sémantique que l’addition, et qui accomplissent l’action d’explicitation avec la technique de structuration. Aussi dans l’exemple (178) d’abord introduit le premier élément et marque au niveau de la matière textuelle le commencement de l’énumération d’« une série d’événements » : (178) Dans le cas où le diagnostic clinique reste incertain, il sera opportun d’avertir le patient sur la finalité d’un diagnostic arthroscopique qui pourra être même simplement d’exclusion ; pour ce qui concerne la phase peropératoire, on peut identifier une série d’événements qui peuvent être

298

des raisons d’échec ou de complication. D’abord {C} {ES} {PG} {DEB}, l’approche et les manœuvres peropératoires, la position du membre, l’application du garrot, le temps d’ischémie, le système de traction, la force de traction peuvent être en cause. (Sciences-Chirurgie) Deux occurrences du structurant intermédiaire ensuite sont documentées dans le corpus Chirurgie. A la différence du structurant de la matière textuelle enfin dans les exemples (176) et (177), ensuite réalise la structuration des événements et des faits comme l’illustre l’exemple suivant : (179) Elles ont amené immanquablement à la formation de névromes qui ont été ensuite {C} {RS} {PG} {POS} opérés. (Sciences-Chirurgie) Ainsi d’abord et enfin effectuent une mise en relief du premier ou du dernier élément énuméré et délimitent l’énumération en marquant soit son commencement, soit sa clôture. Notons que, dans le corpus, ces connecteurs ne sont pas employés dans la même séquence énumérative : le locuteur choisit de mettre en relief soit le début, soit la fin de son énumération. Ce placement ciblé des connecteurs prépositionnels en fonction d’explicitation structurante semble témoigner d’une contrainte économique. En outre, un emploi abusif de moyens cohésifs à la surface du texte peut être contreproductif dans la mesure où ils peuvent alourdir le texte et de ce fait en entraver la compréhension. Dans les exemples (180), (181) et (182), l’addition exprimée par surtout et en particulier explicite la structuration hiérarchique du texte tout en lui conférant une orientation argumentative : (180) Plusieurs travaux récents ont démontré l’intérêt diagnostique de l’imagerie par résonance magnétique (IRM), en particulier {C} {ESA} {PG} {ADD} dans le cadre des récidives de tumeurs glomiques [19–21]. (Sciences-Chirurgie) (181) Le doppler permet la mise en évidence d’un hypersignalintralésionnel en réglage de flux lent. L’échographie procure une imagerie de haute résolution, un examen dynamique en temps réel ainsi que des incidences illimitées. Son avantage par rapport aux autres examens radiologiques et en particulier {C} {ESA} {PG} {ADD} l’IRM est sa grande disponibilité, sa réalisation rapide et son faible coût. (Sciences-Chirurgie) (182) Après traitement endoscopique une surveillance trimestrielle doit être effectuée, les risques de récidive étant surtout {C} {ESA} {PS} {ADD} à craindre durant la première année d’évolution. (Sciences-Chirurgie) Dans ces exemples, l’élément textuel introduit par le connecteur prépositionnel est instrumentalisé comme un argument (une preuve) étayant la thèse avancée.

299

6.2.6 ALSIC 6.2.6.1

Profils pragmatiques des connecteurs prépositionnels dans le corpus ALSIC

La représentation tabulaire ci-dessous donne une vue d’ensemble des différentes catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels dans la partie de corpus ALSIC : catégories fonctionnelles des connecteurs contenant des prépositions pour 10 000 mots corpus

mots

ALSIC

46 348

connecteurs {RS} {RSA} {RA} {ES} {ESA} {EA} 423

5,2

4,7

17,5

23,1

18,8

11,4

{IS} {ISA} {IA} 3,5

3,2

4,1

moyenne

113 650

73,3

2,8

2,5

10,6

15,2

26,5

7,8

2,6

2,4

2,9

99,5

7,2

4,7

17,5

11

18,6

14,7

15,0

7,1

12,2

Sciences moyenne des corpus

Tableau 65 : les catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels dans le corpus ALSIC

Dans la partie de corpus ALSIC, l’explicitation structurante {ES} est, comme dans le corpus Chirurgie, avec 23,1 occurrences pour 10 000 mots, la fonction la plus fréquente. La fonction d’explicitation structurante se situe dans ALSIC au-dessus de la moyenne du corpus Sciences (23,1 vs. 15,2 occurrences pour 10 000 mots). La seconde fonction du classement est l’explicitation structurante argumentative {ESA} avec 18,8 occurrences pour 10 000 mots, suit la représentation argumentative {RA} avec 17,5 occurrences pour 10 000 mots. La fonction d’explicitation argumentative {EA} est avec 11,4 occurrences pour 10 000 mots la quatrième du classement. Les fonctions de représentation argumentative {RA} et d’explicitation {EA} se situent au-dessus de leurs moyennes respectives dans le corpus Sciences. La fonction d’explicitation structurante argumentative {ESA}, en revanche, se trouve en dessous de cette moyenne. Les fonctions centrales au corpus ALSIC sont donc l’explicitation structurante {ES}, l’explicitation structurante argumentative {ESA}, la représentation argumentative {RA} et l’explicitation argumentative {EA}. Les autres fonctions comprenant les actions de représentation (la représentation structurante {RS} [5,2 pour 10 000 mots], la représentation structurante argumentative {RSA} [4,7 pour 10 000 mots]) et d’interaction (l’interaction argumentative {IA} [4,1 pour 10 000 mots], l’interaction structurante {IS} [3,5 pour 10 000 mots] et l’interaction structurante argumentative {ISA} [3,2 pour 10 000 mots]) jouent un rôle périphérique. Les connecteurs prépositionnels employés dans ALSIC et Chirurgie présentent en ce sens un profil pragmatique qualitatif similaire. Le tableau 66 récapitule la répartition des actions dans le corpus ALSIC : action pour 10 000 mots {R_}

{E_}

{I_}

27,4

53,3

10,8

Tableau 66 : les actions dans le corpus ALSIC

300

L’action principale dans le corpus ALSIC est l’explicitation (53,3 pour 10 000 mots). Cette action est essentiellement effectuée avec la technique de structuration (23,1 pour 10 000 mots), puis avec la technique hybride (18,8 pour 10 000 mots). La seconde action est la représentation (27,4 pour 10 000 mots). Cette action consiste essentiellement en l’expression d’une opposition (41 pour 10 000 mots), conséquence (28 pour 10 000 mots), actualisation (13 pour 10 000 mots), postériorité (11 pour 10 000 mots) et cause (9 pour 10 000 mots). La dernière du classement est l’interaction (10,8 pour 10 000 mots). Elle consiste en 22 reformulations, 11 confirmations, 8 propositions 7 rectifications et deux interpellations. Le tableau 67 résume la distribution des techniques dans le corpus ALSIC. technique pour 10 000 mots {_S}

{_SA}

{_A}

31,7

26,8

33,0

Tableau 67 : les techniques dans le corpus ALSIC

La répartition des techniques dans le corpus ALSIC est relativement équilibrée : l’argumentation représente 33 des fonctions pour 10 000 mots, la structuration 31,7 pour 10 000 mots et la technique hybride 26,68 des fonctions pour 10 000 mots. 6.2.6.2

Profils sémantiques des connecteurs prépositionnels dans le corpus ALSIC

Les catégories sémantiques des connecteurs prépositionnels dans le corpus ALSIC sont résumées dans le tableau 68 : catégories sémantiques des connecteurs prépositionnels pour 10 000 mots corpus

mots

ALSIC

46 348

{ACT} {ADD} {ANT} {ARR} {DEB} {POS} {SIM} {CAU} {COND} {CONS} {FIN} {OPP} 6,5

33

0,2

4,5

4,7

3,7

0,4

10,6



11

2,8

Sciences 113 650

14,6

23,9

0,3

3,3

3,7

2,3

0,2

5,2

1,1

18,5

1,4

11,9 7,1

moyenne des

7,1

20,5

1,1

3,4

6,4

3,3

2,3

19,3

0,9

10,6

2,8

10,4

corpus

Tableau 68 : les catégories sémantiques dans le corpus ALSIC

Dans le corpus ALSIC, onze des douze catégories sémantiques sont représentées. Seule la condition n’est pas exprimée par les connecteurs prépositionnels dans le corpus ALSIC. Les quatre catégories sémantiques les plus fréquentes sont l’addition (33 pour 10 000 mots), l’opposition (11,9 pour 10 000 mots), la conséquence (11 pour 10 000 mots) et la cause (10,6 pour 10 000 mots). L’addition est d’ailleurs supérieure à la moyenne du corpus Sciences (33 vs. 20,5 pour 10 000 mots). Le connecteur le plus représenté exprimant l’addition est par exemple (70 tokens), suivi d’une part (10 tokens), d’autre part (11 tokens), d’ailleurs (9 tokens) et en particulier (7 tokens). Les connecteurs les plus représentés exprimant l’opposition sont alors que (11 tokens), cependant (12 tokens), pourtant (9 tokens) et en revanche (7 tokens). Les principaux connecteurs exprimant une relation de conséquence sont alors (15 tokens), de ce fait (5 tokens) et par conséquent (6 tokens). Enfin, les connecteurs exprimant la cause sont en effet (28 tokens), parce que (9 301

tokens) et dans la mesure où (4 tokens). Remarquons que, l’addition mise à part, les catégories sémantiques présentes dans le corpus ALSIC appartiennent principalement se situent au niveau des catégories non-localisantes de notre modèle sémantique.55 6.2.6.3

Les emplois de par exemple dans le corpus ALSIC

L’analyse du connecteur par exemple dans ALSIC est intéressante pour plusieurs raisons. D’abord, par exemple est le connecteur le plus fréquent (70 occurrences) dans cette partie de corpus. De plus, comme Adam (2006, 121) l’indique, l’importance des marqueurs d’illustration et d’exemplification, comme membre de la classe des organisateurs textuels, est trop souvent négligée. Enfin, dans le corpus ALSIC différents types d’emploi du connecteur par exemple ont pu être détectés. Adam (2006) tient compte des marqueurs d’illustration et d’exemplification dans sa classification des marqueurs textuels et définit leur fonction comme suit : « Leur fonction est d’introduire des exemples en donnant à l’énoncé un statut d’illustration d’une assertion principale. Le marqueur signale qu’un élément seulement a été retenu dans un ensemble » (Adam 2006, 121). Cette fonction illustrative est, avec 34 occurrences, la plus fréquente dans le corpus ALSIC. Le connecteur par exemple permet en effet au locuteur d’exercer une explicitation avec la technique de structuration. Par exemple ajoute alors une information supplémentaire qu’il nomme explicitement en indiquant qu’il s’agit d’une illustration. Dans les deux extraits suivants, issus d’articles didactiques, par exemple introduit un élément illustratif favorisant la compréhension des idées développées : (183) Deuxièmement, on observera si le nom dérivé a une valeur prédicative (il exprime un procès ou une action) ou s'il est concret. Par exemple {C} {ES} {PNL} {ADD} {ill}, construction dans la construction de ces établissements sera considéré comme prédicatif, alors que {C} {RA} {PG} {OPP} {deseq} dans cette construction est impressionnante, il est un nom concret […]. (Sciences-ALSIC) (184) L’étape d’apprentissage « J’écoute et j’oublie » correspond aux conditions rencontrées lors de l’apparition de premiers laboratoires de langue : l’apprenant répète simplement le modèle entendu, l’ensemble des phrases modèles étant organisé en séquences portant sur l’acquisition d’un trait particulier de prononciation (par exemple {C} {ES} {PNL} {ADD} {ill} le e muet en français ou la consonne th en anglais). (Sciences-ALSIC) En employant par exemple, le locuteur semble attacher une grande importance à la maxime de clarté et cela de deux manières. En effet, par exemple présente au niveau sémantique un haut degré de transparence56 car le sens du connecteur correspond à la relation qu’il établit. De plus, par exemple en illustrant – c’est-à-dire en éclairant

––––––– 55 56

Voir la partie 4.5 Catégorisation sémantique des connecteurs prépositionnels. Pour la notion de transparence voir la partie 4.4 Les connecteurs prépositionnels : composante dénominative et transparence.

302

– l’élément situé dans son cotexte de gauche garantit la bonne compréhension du contenu et du développement des idées. Il ne s’agit cependant pas du seul emploi de par exemple détecté dans la partie de corpus ALSIC. En effet, dans certains contextes, la technique argumentative vient s’ajouter à la technique de structuration. Ainsi, dans 25 de ses emplois, par exemple ajoute un élément dont la fonction est d’étayer, de prouver la validité de l’assertion située dans son cotexte de gauche. D’ailleurs, dans la rhétorique aristotélicienne, l’exemple est nommé, à côté du syllogisme, comme un moyen de persuasion essentiel : « J’appelle enthymème le syllogisme rhétorique et exemple (parádeigma) l’introduction (epagogé) rhétorique. En effet, tous produisent des preuves en démontrant ou par des exemples ou par des enthymèmes et, à côté de ceux-là, il n’y a pas d’autres procédés » (Rhétorique I, 2 – 1356b 4). Plus précisément, Aristote distingue deux types d’exemples : les premiers se basent sur des faits réels et, les autres sur des faits fictifs (fables et apologues). Les textes scientifiques, dont la propriété essentielle réside en un discours épistémique, font l’usage d’exemples « de faits » ;57 tel est le cas des exemples (185) et (186) : (185) Elles ne sont pas capables de classer ces combinaisons suivant une typologie. Par exemple {C} {ESA} {PNL} {ADD} {preu}, des séquences aussi diverses que to result in, quite possible et so as to apparaîtront toutes dans une liste sans aucune information discriminatoire supplémentaire et sans aucune mise en relation des UP sémantiquement ou autrement proches. (Sciences-ALSIC) (186) Les exercices étiquetés « Writing » sensibilisent l’apprenant à la structuration d’un message écrit. On lui donne le début et la fin d’un courrier électronique, par exemple {C} {ESA} {PNL} {ADD} {preu}, et c’est à lui de retrouver l’ordre des autres éléments qui lui sont proposés. (Sciences-ALSIC) Dans ces deux extraits du corpus ALSIC, les auteurs effectuent une évaluation de matériels pédagogiques. Les assertions ou jugements « elles ne sont pas capables » ou « les exercices sensibilisent l’apprenant » sont des arguments respectivement contre et pour le matériel pédagogique analysé. Le premier extrait pointe du doigt les limites du matériel en question, tandis que le second en présente les avantages. Par exemple introduit alors la preuve étayant les jugements dépréciant ou favorisant une thèse. Ainsi employé, par exemple est proche des emplois de surtout avec la

––––––– 57

Cf. Céard (2006, 141). L’analyse de Céard porte sur les exemples employés comme preuves dans les textes scientifiques à la fin de la renaissance. Dans ces textes, l’exemple factuel, est un moyen couramment employé comme preuve. Les exemples ont alors deux fonctions : d’un côté ils permettent d’appliquer des préceptes généraux (ce qui correspond à la fonction d’illustration dans le présent travail) ; et, de l’autre côté, les exemples permettent de confirmer, de prouver la validité des lois ou des préceptes généraux et fonctionnent dans ce cas comme des moyens d’inductifs (cf. Céard 2006, 143).

303

fonction {ESA}. En effet, comme Adam (2006) l’indique, les marqueurs d’exemplification signalent que, dans un ensemble, un élément seulement a été retenu. De même, Anscombre (1996) mentionne que dans un énoncé de type P1 surtout P2, P2 est une sous-classe de P1. D’où, surtout et par exemple ont en commun l’introduction par mise en relief d’un élément d’une classe composée de plusieurs membres. Néanmoins, surtout et par exemple présentent des différences démarcatives. Dans son cotexte de gauche, surtout nomme au moins un membre appartenant à la classe considérée. Par exemple, au contraire, introduit un argument étayant la thèse située dans son cotexte de gauche.58 En outre, selon Anscombre (1996), surtout dévaloriserait l(es) élément(s) situé(s) dans son cotexte de gauche. Avec le connecteur par exemple, en revanche, une telle (d)évaluation n’a pas lieu. En effet, par exemple est exempt de valeur scalaire. En ce sens, nous préférerons souligner l’efficacité hiérarchisante de surtout de manière positive en disant que ce connecteur met en relief le membre de la classe qu’il introduit explicitement. Cette fonction hiérarchisante de surtout est, selon nous, en partie prise en charge par la préposition sur qui érige une échelle et localise l’élément introduit au-dessus des autres membres de la classe considérée. En comparaison, par exemple, par sa sémantique non-scalaire, est plus discret. La stratégie discursive poursuivie par le locuteur, en employant par exemple, est une autre. En effet, par l’usage de par exemple le scripteur sous-entend qu’il dispose d’une classe contenant plusieurs membres, c’est-à-dire une panoplie de pièces à conviction, et qu’il lui suffit de choisir un des éléments de cette classe. Le locuteur introduit avec par exemple un élément représentatif pour la classe considérée. L’avantage stratégique de par exemple en fonction d’explicitation structurante argumentative {ESA} consiste en la nomination d’une preuve parmi d’autres. Autrement dit, la force argumentative de par exemple réside en l’existence d’autres représentants, sous-entendus donc non nommés, qui auraient la faculté, d’après le locuteur, de fonctionner comme des arguments. En raison de la situation de communication distale, et de médium écrit du corpus ALSIC, l’allocutaire n’a pas la possibilité de demander au locuteur de justifier ces propos et se voit donc contraint de croire en l’existence d’autres arguments du même type que celui qui a été explicitement nommé. Le troisième emploi de par exemple (8 occurrences) est réalisé lors d’une action d’interaction qui consiste en une proposition du locuteur notée {prop}. Dans les exemples (187), (188), (189) et (190) par exemple introduit une solution c’est-à-dire une proposition d’amélioration à un problème ou à une difficulté : (187) Le cas de Teentalk est comparable. Pourquoi ne pas avoir profité des interviews pour sensibiliser les apprenants aux similitudes et aux différences qui existent entre les systèmes scolaires français et canadien ([Duchiron03a] : 164). On aurait pu, par exemple {C} {ISA} {PNL} {prop}, approfondir la notion de « bullying », terme dont la charge culturelle est bien connue. Bon nombre de manuels d'anglais y consacrent d'ailleurs {C} {ESA} {PG} {ADD} une unité. (Sciences-ALSIC)

––––––– 58

Voir Atayan (2006, 243ss.) pour une étude de l’argumentation coordonnée portant sur la classe des conjonctions (et)-surtout.

304

(188) Par ailleurs {C} {ES} {PNL} {ADD}, à moyen terme, d’autres fonctionnalités plus avancées de NooJ, en particulier {C} {ESA} {PG} {ADD} les transformations syntaxiques, pourraient aussi être exploitées comme démonstrateurs d'opérations linguistiques [Buvetnd]. Par exemple {C} {ISA} {PNL} {prop}, dans le cas des déverbaux, l’étudiant pourrait jouer avec une série de transformations permettant de classer la construction à laquelle il a affaire. (Sciences-ALSIC) (189) Pour repérer les noms déverbaux, l’étudiant peut exploiter un corpus plus large à sa disposition (NooJ permet d’ouvrir simultanément plusieurs corpus) en essayant de retrouver le verbe à l’origine de la dérivation, à partir de la troncation. Par exemple {C} {ISA} {PNL} {prop}, l’étudiant est confronté au mot investissement dans le corpus d'étude. (SciencesALSIC) (190) On peut demander à l’étudiant d'extraire les occurrences des noms déverbaux se terminant par une suite de morphèmes, dans un corpus de petite taille choisi par l'enseignant, par exemple {C} {ISA} {PNL} {prop} un article de presse simple. (Sciences-ALSIC) L’interprétation de par exemple de proposition semble être favorisée par l’emploi du conditionnel comme le montrent les énoncés (187) et (188). Dans l’exemple (187), le conditionnel passé on aurait pu, présente la proposition, en vue d’une amélioration, comme un reproche. Dans les exemples (189) et (190), locuteur propose, avec l’indicatif, des actions pédagogiques. 6.2.7 Mathématique 6.2.7.1

Profils pragmatiques des connecteurs prépositionnels dans le corpus Mathématique

Le tableau 69 résume les catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels dans le corpus Mathématique : catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels pour 10 000 mots corpus

mots

connecteurs

{RS}

{RSA}

{RA}

{ES}

{ESA}

{EA}

{IS}

{ISA}

{IA}

Mathématique

32 993

317

0,3

1,2

7,3

13

60

5,5

2,7

3,6

2,4

moyenne

113 650

73,3

2,8

2,5

10,6

15,2

26,5

7,8

2,6

2,4

2,9

108

7,2

4,7

17,5

11

18,6

14,7

15

7,1

12,2

Sciences moyenne des corpus

Tableau 69 : les catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels dans le corpus Mathématique

Dans le corpus Mathématique, toutes les fonctions pragmatiques ont été détectées. La fonction la plus fréquente est l’explicitation structurante argumentative {ESA} avec 60 occurrences pour 10 000 mots. Cette fonction est d’ailleurs bien au-dessus de la moyenne du corpus Sciences (26,5 occurrences pour 10 000 mots) et de tous les corpus en général (18,6 occurrences pour 10 000 mots). Maaß (2010a, 274) ob305

serve un résultat similaire pour les déictiques discursifs : le type positionnement et la fonction argumentative représentent le plus grand contingent de la combinaison type-fonction des déictiques discursifs du corpus Mathématique. Maaß (2010a, 273s.) impute cette particularité au fait que les articles de spécialité mathématique ne peuvent, à la différence d’autres textes scientifiques, faire référence ni à des états de choses, ni à des événements externes. La structuration de la représentation est centrale à la compréhension du raisonnement et à sa stratégie de légitimation. Les raisonnements contenus dans les textes de Mathématique se greffent sur des équations et des démonstrations déjà attestées ; ils les emploient comme des preuves sur laquelle se base l’argumentation. Les énoncés déjà prouvés doivent être explicitement formulés dans le texte et leur légitimité doit être justifiée pour la démonstration ultérieure. Une fois les prémices présentées dans le texte, des conséquences peuvent être tirées, mais afin que leur légitimité soit transparente et intelligible pour le lecteur, le locuteur se réfère toujours à chacune des démarches précédentes (cf. Maaß 2010a, 274). Les trois connecteurs prépositionnels qui remplissent cette fonction sont : alors, par exemple et de plus. De plus combine dans 22 cas les techniques de structuration et d’argumentation, dans un cas, seule la technique de structuration a été détectée. Par exemple est employé 24 fois dans le corpus Mathématique. Il associe dans 21 des cas la technique de structuration à la technique d’argumentation. Dans deux cas seulement, il exprime une proposition et dans un cas une illustration. Le connecteur le plus fréquemment employé dans le corpus Mathématique est alors avec 124 occurrences.59 Le tableau 70 rend compte de la distribution des actions dans le corpus ALSIC. action pour 10 000 mots {-R}

{-E}

{-I}

8,8

78,5

8,8

Tableau 70 : les actions dans le corpus ALSIC

La distribution des actions exercées dans le corpus Mathématique montre la dominance de l’explicitation avec (78,5 occurrences pour 10 000 mots). Les actions de représentation et d’interaction sont équivalentes avec respectivement 8,8 occurrences pour 10 000 mots, et peuvent, en raison de leur faible fréquence, être considérées comme jouant un rôle périphérique dans le corpus Mathématique. La prépondérance des connecteurs prépositionnels employés avec l’action d’explicitation témoigne de l’abstraction du discours mathématique qui développe une argumentation inhérente à la langue. Le tableau 71 présente la distribution des techniques dans le corpus Mathématique :

––––––– 59

En raison de sa forte fréquence dans le corpus Mathématique, le connecteur alors sera décrit de manière détaillée dans la partie 6.2.7.3 Les emplois de alors dans le corpus Mathématique.

306

technique pour 10 000 mots {_S}

{_SA}

{_A}

16,1

64,9

15,2

Tableau 71 : les techniques dans le corpus ALSIC

La technique complexe structurante argumentative {_SA} est la plus représentée avec 64,9 occurrences pour 10 000 mots. Les techniques simples structurante {_S} et argumentative {_A} représentent une fréquence équivalente avec respectivement 16,1 et 15,2 occurrences pour 10 000 mots. La technique complexe reflète le processus démonstratif progressif étroit où chaque résultat doit être actualisé au cours du texte pour ensuite donner lieu à de nouvelles conclusions. 6.2.7.2

Profils sémantiques des connecteurs prépositionnels dans le corpus Mathématique

Le tableau 72 donne une vue d’ensemble des catégories sémantiques dans le corpus Mathématique : catégories sémantiques des connecteurs prépositionnels pour 10 000 mots corpus

mots

{ACT} {ADD} {ANT} {ARR} {DEB} {POS} {SIM} {CAU} {COND} {CONS} {FIN}

{OPP}

Mathématique 32 993

39,4

24,6

0,3

3,9

4,8

1,5



1,2

3,9

43,6

0,9

Sciences

14,6

23,9

0,2

3,2

3,6

2,3

0,1

5,1

1,1

18,5

1,4

7,1

7,1

20,5

1,1

3,4

6,4

3,3

2,3

19,3

0,9

10,6

2,8

10,4

113 650

moyenne des corpus

3,9

Tableau 72 : les catégories sémantiques des connecteurs prépositionnels dans le corpus Mathématique

Dans la partie de corpus Mathématique, 11 des 12 catégories sémantiques ont pu être détectées. Seule la catégorie simultanéité n’est pas représentée. Le classement des fréquences sémantiques présente une autre image que celle des parties de corpus Chirurgie et ALSIC. Tandis que dans Chirurgie et ALSIC, l’addition jouait un rôle prépondérant, dans le corpus Mathématique, la conséquence (43,6 tokens pour 10 000 mots) et l’actualisation (39,4 tokens pour 10 000 mots) sont les deux catégories les plus fréquentes. L’addition avec 24,6 occurrences pour 10 000 mots se situe dans ce corpus en troisième position du classement. Notons cependant, que dans cette partie de corpus, l’actualisation et la conséquence sont deux catégories presque toujours concomitantes : dans 125 cas la conséquence et l’actualisation apparaissent ensemble ; dans 18 cas, la conséquence apparaît seule et l’actualisation dans seulement quatre cas. En outre, constatons que la catégorie de conséquence est quatre fois plus élevée dans le corpus Mathématique que dans la moyenne des corpus. De même, l’actualisation est 5 fois plus élevée que celle relevée dans la moyenne des corpus. Aussi, les connecteurs prépositionnels employés dans le corpus Mathématique présentent-t-ils un profil sémantique spécifique qui les distingue clairement des deux autres parties du corpus Sciences. Les connecteurs prépositionnels les plus fréquents dans le corpus Mathématique sont alors (124 occurrences) qui dans 123 cas unis l’actualisation à la conséquence. Le second connecteur est par exemple avec 24 occurrences, suivi de de plus avec 23 307

occurrences. Alors étant le connecteur prépositionnel le plus fréquent, ses emplois seront présentés dans la partie suivante. 6.2.7.3

Les emplois de alors dans le corpus Mathématique

Dans le corpus Mathématique, alors (124 occurrences) est le connecteur le plus fréquent. A la différence de par exemple dans le corpus ALSIC, alors présente un profil sémantique et pragmatique constant dans le corpus Mathématique. En effet, au niveau des catégories sémantiques alors présente un sens complexe alliant l’actualisation à la conséquence et unit par conséquent la technique de structuration à l’argumentation. A la différence de cette homogénéité au niveau des catégories sémantiques, deux types d’emploi du connecteur alors ont été détectés au niveau pragmatique. Dans 35 cas, alors est employé pour présenter les conséquences et les résultats d’une démarche méthodique. Dans 88 cas, alors permet de tirer des conclusions d’une démonstration afin de prouver une existence. Quand il introduit le résultat d’une démarche méthodique, alors a la particularité d’ancrer l’actualisation dans le texte. Alors fonctionne comme maintenant et indique l’endroit précis du texte dans lequel il se trouve. La conséquence quant à elle se situe à un autre niveau, elle découle des actions précédentes et introduit les démarches méthodiques à suivre. Cette interprétation méthodique du connecteur alors est confortée par les verbes d’actions situés dans le cotexte d’alors : poser, vérifier, utiliser, poursuivre, multiplier, inverser, effectuer, construire et chercher. Ce qui suit alors est une conséquence au niveau du raisonnement qui découle des démarches précédente : (191) Une fois un tel n fixé, on peut montrer que l’espace des solutions microlocales de (1) est de dimension 1, ce qui implique la simplicité asymptotique des valeurs propres au voisinage de o. On peut alors {C} {ESA} {PG} {ACT} {CONS} {result} construire des fonctions propres comme au 3.1 par recollement de solutions microlocales sur la Lagrangienne singulière Ao, et obtenir un cocycle de Bohr-Sommerfeld dont la trivialité est la condition nécessaire et suffisante pour l’existence de fonctions propres globales. (Sciences-Mathématique) Dans l’exemple (191), les différentes étapes méthodiques de la démarche démonstrative sont énumérées. Elles peuvent être glosées de la manière suivante : « d’abord fixer un n, ensuite montrer ». L’action suivante « on peut construire » est introduite par alors qui implique que la construction découle et est la conséquence des démarches précédentes. La particularité d’alors, qui le distingue d’autres connecteurs « méthodiques », est qu’il marque simultanément une actualisation et une conséquence dans le texte. Alors actualise au niveau de la matière textuelle est correspond en ce sens à l’action d’explicitation {E_}. De même, dans les exemples (192) et (193) alors introduit la poursuite consécutive d’un raisonnement : (192) Remarquons que la présence du terme elliptique permet ainsi d’obtenir la régularité Sobolev minimale pour les données initiales. Notre étude se poursuit alors {C} {ESA} {PG} {ACT} {CONS} {result} par la recherche d'un développement de u6 aux ordres supérieurs. (SciencesMathématique) 308

(193) On dispose de deux estimations sur A qui sont duales de (3.4) et (3.5) |Λƒ ( )| ( , ; ) ≤ |ƒ | ( , ; ) , | Λƒ ( )|

( , ;

)

≤ |ƒ |

( , ;

)

.

On cherche alors {C} {ESA} {PG} {ACT} {CONS} {result} à trouver une solution de = ( ) − Λ( + ). (Sciences-Mathématique) Dans la plupart des cas cependant – 88 occurrences – alors introduit une déduction mathématique, notée {deduc} : alors est employé comme connecteur déductif intégré à la formule mathématique. Dans ces emplois, alors ne peut plus être glosé par maintenant, mais par donc. Avec cette fonction, les verbes fréquemment employés dans son cotexte sont : exister, être, obtenir, vérifier. Aussi, dans les deux exemples (194) et (195) alors introduit la déduction c’est-à-dire l’existence et la validité d’une nouvelle équation : ) e . (194) Soit ( ) = e e ( Alors {C} {ESA} {PG} {ACT} {CONS} {deduc} ( ) =: ± () − , → ( ) =: ± . ( ) − → é ± é pé (Sciences-Mathématique)

.

, (IR (195) Théorème 2.2 ∈ (0, ) ( , ℎ, ) ∈ ( ∩ + )) (0) = (0), (1 + ƒ (L,t)= > 0 [ℎ( ) − ( )] ∈ (IR+)). Alors {C} {ESA} {PG} {ACT} {CONS} {deduc} il existe > 0 | ( ) − ƒ (x,0)| ( , ) ≤ ( ) vérifiée alors {C} {ESA} {PG} {ACT} {CONS} {deduc} on peut prendre T=+∞ dans le théorème 2.1. (Sciences-Mathématique)

Dans le corpus Mathématique, le connecteur alors joue un rôle prépondérant. Deux types d’emploi ont pu être détectés. Le premier emploi se réfère aux réflexions méthodiques et se situe au niveau textuel par la sémantique d’actualisation, le second, est un emploi visant un gain de connaissances. Le point commun entre ces deux emplois est la valeur d’actualisation : ce qui est introduit par alors est « une mise à jour ». Cette mise à jour est liée à la chaîne de cause, conséquence. Le corpus Mathématique présente une cohésion étroite entre les différentes démarches méthodiques et démarches de raisonnement visant à un accroissement des connaissances. 6.2.8 Epilogue L’analyse des parties du corpus Sciences a mis en lumière les particularités spécifiques au niveau des formes des connecteurs prépositionnels employés, des catégories sémantiques et fonctionnelles. Au-delà du particularisme typique pour les langues de spécialité, l’analyse a dévoilée les points communs quant à l’emploi des connecteurs prépositionnels dans la globalité du corpus Sciences. Au point de vue sémantique, la relation de cause ne joue pas un rôle dominant. La plupart du temps, c’est l’addition qui est la première catégorie sémantique dans le 309

classement. En outre, Le point commun entre les trois parties de corpus Chirurgie, ALSIC et Mathématique est le nucléus fonctionnel comprenant les trois catégories suivantes : la représentation argumentative {RA}, l’explicitation structurante {ES} et l’explicitation structurante argumentative {ESA}. Les fonctions d’explicitation structurante {ES} et d’explicitation structurante argumentative {ESA} sont dans Sciences, largement supérieures à la moyenne de tous les corpus : l’explicitation structurante {ES} représente 15,2 occurrences pour 10 000 mots dans le corpus Sciences vs. 11 dans la totalité des corpus. De même, la fonction d’explicitation structurante argumentative {ESA} représente 26,5 occurrences pour 10 000 mots dans le corpus Sciences et 18,6 occurrences pour 10 000 mots dans la totalité des corpus. La représentation argumentative {RA}, en revanche, bien qu’elle soit centrale au corpus Sciences, se situe en deçà de la moyenne des corpus (10,6 vs. 15,5 pour 10 000 mots). Avec les connecteurs prépositionnels en fonction de représentation argumentative, le locuteur met en évidence des différences entre les faits observés et motive ses décisions et choix méthodiques. Avec la fonction d’explicitation structurante {ES}, les connecteurs prépositionnels articulent les parties du texte. Enfin, avec la fonction d’explicitation structurante argumentative {ESA}, les connecteurs prépositionnels ajoutent de manière économique (en alliant les techniques de structuration et d’argumentation) des arguments. Ces trois fonctions semblent former le nucléus commun des connecteurs prépositionnels employés dans les textes scientifiques.

6.3 Les connecteurs prépositionnels dans le corpus Sénat 6.3.1 Les « débats parlementaires » et le corpus Sénat Le genre textuel des débats parlementaires a déjà fait l’objet d’analyses linguistiques.60 Les communications parlementaires peuvent être considérées comme une catégorie du discours politique. Dans ce cadre, Eppler (2003, 14) indique que la langue politique doit toujours satisfaire différentes exigences à la fois. Aussi caractérise-t-il la différence entre la langue scientifique et la langue politique comme suit : la langue scientifique doit être précise et intelligible pour les autres scientifiques, tandis que le politicien doit être compétent dans son domaine de spécialité – le droit fiscale par exemple – et doit être reconnu comme sérieux par les spécialistes de ce domaine. Au-delà, le politicien doit atteindre un grand nombre de citoyens et les informer de manière intelligible (ibid.). La différence entre le discours politique et le discours scientifique concerne la spécificité des actants de chacune des communautés discursives. Tandis que le discours scientifique a une réception spécifique restreinte, le discours politique a une réception aussi bien spécifique que non spécifique. Ce dernier perçoit donc une réception plus large que le discours scientifique. Eppler (2003, 14) conclut que le politicien ne peut employer une langue de spécialité qui exclut les autres. Pour ces

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Burkhardt (2003 ; 2004) propose une bibliographie détaillé de la littérature allemande sur ce thème. Pour le français voir Hanewinkel (1993) ; Eggs (1992) ; Tinnefeld (1993).

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raisons, le discours parlementaire présente un degré de spécialisation élevé à moyen.61 Une autre particularité du discours parlementaire est son ancrage intermédiaire au niveau médial et conceptionnel. Le discours parlementaire est en effet réalisé par le médium oral tout en étant ancré dans la conception distale. Le discours parlementaire présente une structure dialogique qui contient des caractéristiques de la communication orale telles que les marques de contacts et d’acquiescement et de changements de turns non planifiés.62 Les débats parlementaires sont réalisés oralement et présentent des caractéristiques typiques de la communication orale, surtout au niveau du Setting (cf. Bazzanella 2005) : les partenaires de communication sont coprésents, ils disposent d’un même contexte d’énonciation et peuvent employer des moyens paralinguistiques, tels que les mimiques et la gestique pendant l’allocution qui a été rédigée auparavant, si bien que la communication présente un haut degré d’interaction. Ces caractéristiques plaident pour l’ancrage des débats parlementaires au niveau de la conception orale (cf. Maaß 2010a, 286). Maaß (2010a, 286) signale cependant que le discours parlementaire est loin d’être spontané. Les députés sont des orateurs professionnels qui tiennent un discours public, fortement réglementé (ordre du jour, droit de parole, réglementation quant à la longueur du turn). La formalisation est également liée au fait que les discours et les rapports sont écrits et exposés plus ou moins librement. Même les échanges spontanés sous-tendent certaines règles (Maaß 2010a, 289) : le degré de convention et d’institutionnalisation est élevé (cf. Bazzanella 2005), tout comme la fixation thématique et le degré de planification. De même, Burkhardt (2003, 277) considère les débats parlementaires comme une forme de la langue institutionnalisée qui présente des réglementations et des conventions spécifiques. Burkhardt (2003, 283) nomme différents actes de langage présents dans la communication parlementaire : assertion, question, question rhétorique, ordre, inculpation, annonce, promesse, menace etc. Selon lui, dans la communication parlementaire, certaines formes d’actions spécifiques telles que « la distribution de la parole » (Burkhardt 2003, 283) et « la requête » (Burkhardt 2003, 284) se sont institutionnalisées. Le président exerce en effet des actions spécifiques telles que l’ouverture et la fermeture de la séance, l’appel et la lecture de l’ordre du jour, l’annonce des pauses et de la levée de la cession, la communication de l’ordre du jour de la prochaine séance et de son contenu. Burkhardt (2003, 284) nomme ces actions des actes de langage constitutifs de débat et distingue trois catégories : -

les actes de langage structurant le débat (ouverture et fermeture d’un débat sur un ordre du jour) les animations organisant le débat (demande, répartition de la prise de parole, demande au droit de poser une question)

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Voir le tableau récapitulatif des propriétés des corpus dans le chapitre 3.2 Les parties du corpus synchronique. Voir la partie 6.3.3 Sénat, les interpellations et le rôle des connecteurs prépositionnels.

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les mesures autoritaires (remise à l’ordre, réprimande, suppression du droit de parole, exclusion de la séance).

Le rôle du président de la séance réside principalement en l’annonce des thèmes traités : (196) M. LE PRESIDENT : L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative aux règles de cumul et d’incompatibilité des mandats sociaux dans les sociétés anonymes et à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils et de distribuer le droit de parole (Sénat) Dans l’exemple (196), le thème annoncé explicitement concerne « la proposition de loi relative aux règles de cumul et d’incompatibilité des mandats sociaux ». Une autre tâche centrale du président de la séance est la répartition du droit de parole. Dans les trois extrait suivants, le président donne le droit de parole de manière explicite par la formule spécifique standardisée (tradition discursive) : la parole est à : (197) M. LE PRESIDENT : La parole est à M. le rapporteur. (Sénat) (198) M. LE PRESIDENT : La parole est à M. Jacques Mézard. (Sénat) (199) M. LE PRESIDENT : La parole est à Mme Colette Giudicelli. (Sénat) Cette répartition systématique du droit de parole laisse supposer des conséquences quant à la présence de connecteurs dont la fonction est de marquer la prise d’un turn. En effet, dans le discours oral de proximité, les connecteurs peuvent être employés comme des indicateurs de prise de parole.63 En revanche, étant donné que dans la situation de communication parlementaire, le droit de parole est attribué de manière standardisée, on peut s’attendre à ce qu’il y ait peu ou pas de connecteurs exerçant cette fonction. En outre, les règles qui dirigent l’interaction sont en grande partie fixées à l’écriture et les autres sont explicitement nommées pendant le débat (Maaß 2010a, 287). Maaß mentionne que, dans son corpus Sénat, le temps de parole accordé aux partis politiques peut être nommé explicitement par le président du Sénat. Une telle réglementation quantitative du temps de parole ne semble pas toujours nécessaire, elle apparaît deux fois dans notre corpus : lors d’une demande de renvoi à la commission et lors d’une interaction question-réponse entre les sénateurs et les membres du gouvernement (200) : (200) M. LE PRESIDENT : […] Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement. (Sénat) Ces critères témoignent de l’ancrage conceptuel distal du discours parlementaire.

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Voir la partie 4.2.3 L’action d’interaction : caractère dialogique.

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Une partie des discours est rédigée à l’écrit et est lue, ce qui se manifeste au niveau de l’emploi de la langue. Klein (1991, 241) indique que les manuscrits sont souvent rédigés par les collaborateurs des sénateurs et qu’il s’agit, en général, d’un statut hybride entre le discours-manuscrit achevé et le protocole de la séance. Par ailleurs, le manuscrit du discours est souvent mis à la disposition des journalistes présents au préalable, ce qui leur permet de suivre le débat tout en lisant la version écrite. Maaß (2010a, 287) conclut que les textes du corpus Sénat ne sont pas conceptuellement oraux. 6.3.2 La production de comptes rendus de séances plénières Lors de la présentation de son corpus Sénat, Maaß (2010a, 288) évoque différentes limites liées à l’authenticité des comptes rendus des séances plénières. Dans cette partie, les points principaux sont présentés et commentés. La sténographie des comptes rendus compris dans le corpus Sénat, a normalement lieu pendant les débats. Aussi, l’exactitude des transcriptions et le traitement des marques non verbales et paralinguistiques dans la situation de discours (applaudissements, rires, perturbations) peuvent être mis en question. Maaß (2010a, 288) mentionne que les protocoles ne sont pas des transcriptions linguistiques scientifiques, si bien que l’étude de phénomènes spécifiquement oraux, tel que l’emploi de marqueurs de discours serait obstruée. Cette limite doit être prise en compte car la structuration de l’interaction fait partie de l’éventail fonctionnel des connecteurs prépositionnels ; on pourrait donc s’attendre à ce que les fonctions contenant une interaction ({IS(A)}) soient peu représentées dans cette partie de corpus. Cependant, le choix conscient des comptes rendus du corpus Sénat est légitime en raison de son profil spécifique alliant la considération d’interactions spontanées à une orientation forte vers une norme linguistique « idéalisée », propriétés qui peuvent être considérées comme typiques du discours parlementaire au Sénat. Souvent, pour les sténographes, la saisie complète des propos n’est pas réalisable, tel est le cas lorsque les parlementaires s’interrompent mutuellement. Par ailleurs, le sténographe intervient au niveau du texte en l’ajustant à la norme écrite : il corrige la syntaxe des phrases non conformes à la règle, les rugosités stylistiques, les lapsus etc. Au-delà, il vérifie les noms propres, les citations et les chiffres cités (cf. Burkhardt 2003, 272).64 A cela s’ajoute la visualisation des comptes rendus des discours par les orateurs eux-mêmes avant la publication du texte définitif ; les sénateurs ont alors la possibilité d’apporter des corrections, celles-ci seraient toutefois limitées (cf. Maaß 2010a, 289).65 Ainsi Maaß (ibid.) conclut que les interventions appliquées aux comptes rendus des textes parlementaires sont substantielles et qu’elles influencent de nombreux phénomènes syntaxiques. Malgré et en raison de ces limites, nous considérons les comptes rendus du Sénat adéquats à la formation de notre corpus et d’un grand intérêt quant à l’analyse des

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Heinze (1979) mentionne que les corrections au niveau de la syntaxe sont plus élevées que celles au niveau du lexique. Rostock (1981b, 66) qui lui-même est sténographe, enregistre des changements concernant le choix des mots, au niveau du style ou sémantique, et les corrections de fautes. Cf. Olschewski (2000); Burkhardt (2003, 492ss.).

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connecteurs prépositionnels. En effet, si les comptes rendus ont été épurés d’erreurs grammaticales ou de prononciation, les retransmissions des séances au Sénat témoignent de l’éloquence et de l’aisance oratoire dont font preuve les sénateurs qui, en grande partie, lisent leurs textes rédigés. Par conséquent, on peut admettre que les techniques de corrections typiques du langage oral proximal66 y sont moins fréquentes qu’elles ne le sont dans une situation de communication familière non formelle.67 Surtout, la proscription des « impuretés » doit être, selon nous, perçue comme une propriété inhérente à cette tradition discursive, qui réside en une exigence de stylisation textuelle consciente orientée vers un modèle normatif idéalisé. En ce sens, les comptes rendus du Sénat sont particulièrement bien adaptés à l’étude du langage distal de médium oral formalisé, présentant un haut degré de planification et d’élaboration. De ce point de vue, les comptes rendus du Sénat forment un corpus adéquat à l’analyse de connecteurs prépositionnels dans des textes formalisés d’un degré de spécification moyen à élevé, de médium oral et de conception distale. 6.3.3 Sénat, les interpellations et le rôle des connecteurs prépositionnels 6.3.3.1

Les interpellations et leur transcription dans les comptes rendus parlementaires

Maaß (2010a, 289ss.) mentionne que les interpellations jouent un rôle central dans la recherche linguistique portant sur les comptes rendus de séance parlementaire.68 Cette partie se base sur la présentation proposée par Maaß (ibid.) et en reprend les points principaux sous la perspective de l’objet de recherche du présent travail : l’accent portera donc sur le rôle des connecteurs prépositionnels lors de ces interactions directes. Les interpellations sont des contributions verbales de personnes qui n’ont pas été invitées à prendre la parole par le gestionnaire de la communication. Dans le langage courant, ces actions sont qualifiées par l’expression couper la parole. A la différence d’une conversation non formalisée, les interpellations, dans le discours parlementaire, ne permettent pas de prendre le droit de parole (cf. Burkhardt 2004, 146). La considération des interpellations dans le discours parlementaire est intéressante dans la mesure où elles témoignent du caractère dialogique et spontané des textes parlementaires sinon fortement formalisés (cf. ibid., 147ss.). Burkhardt (2004, 146) voue une monographie à l’étude des « Zwischenruf » ‘interpellations’ dans le discours parlementaire allemand et traite la forte fréquence de « Mehrfachadressierung » ‘polydestination’ des interpellations lors des séances plénières. Selon lui, les interpellations s’adressent non seulement aux membres du parlement et au public situé à l’intérieur de la salle, mais aussi aux personnes qui regardent la transmission télévisée (ibid.). Selon Burkhardt (2004, 147 ; 2001, 279) le public interne et externe influencerait les contenus et la présentation des débats, et

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Voir la partie 4.2.3 L’action d’interaction : caractère dialogique. Voir les résultats du corpus Oral dans la partie 6.4 Les connecteurs prépositionnels dans le corpus Oral. Cf. Tinnefeld (1993, 66).

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aurait promu le développement d’une conscience médiatique chez les parlementaires. Dans ce cadre, Burkhardt (2002, 279 ; 2004, 146ss.) dénonce le manque de discussions sérieuses lors des débats parlementaires. Maaß (2010a, 290) pondère ce jugement en indiquant qu’il est moins valable pour les débats au Sénat qu’au Bundestag ou à l’Assemblée nationale. En effet, les sénateurs ont, outre leur orientation politique, une appartenance régionale. Cette double dépendance peut aboutir à la défense d’intérêts communs, au-delà des frontières entre les partis politiques (cf. Maaß 2010a, 290). Au niveau du fond, le travail parlementaire est consacré à la discussion, délibération et négociation de propositions de loi, travail durant lequel des requêtes concrètes et ciblées sont présentées, discutées et votées (cf. Maaß 2010a, 290). Bien que les comptes rendus du Sénat ne soient pas des transcriptions linguistiques scientifiques, nous l’avons déjà évoqué, ils présentent néanmoins l’avantage de fixer par écrit les interventions non planifiées, sous la condition qu’elles soient perçues par le sténographe. Ainsi, les comptes rendus du Sénat prennent note des interpellations, des rires et mécontentements qui sont assignés explicitement à leur auteur ou, au moins, à une fraction politique (cf. Maaß 2010a, 290 ; cf. Tinnefeld 1993, 288). Les textes des comptes rendus sont de conception distale, mais présentent des caractéristiques typiques du médium oral et/ou de conception proximale. En conséquence, les comptes rendus du Sénat restituent un discours suffisamment détaillé pour l’objectif de notre analyse. La partie suivante se propose de donner une vue détaillée du rôle des connecteurs prépositionnels lors des interpellations dans le corpus Sénat. 6.3.3.2

Les connecteurs prépositionnels dans les interpellations du corpus Sénat

La partie précédente a évoqué le rôle central des interpellations pour l’étude linguistique du discours parlementaire. Lors de ces interpellations, les locuteurs emploient fréquemment des connecteurs contenant des prépositions. La description ciblée des connecteurs prépositionnels dans les interpellations a pour but de mettre en lumière les stratégies discursives poursuivies par les locuteurs. En effet, dans sa monographie, Burkhardt (2004, 166ss.) propose différentes typologies des interpellations.69 L’une d’entre elles, centrale pour la présente étude, considère les interpellations comme un moyen de production de cohérence textuelle (ibid., 275ss.). Aussi, l’auteur mentionne-t-il que, comme toutes formes d’énoncés politiques, les interpellations prennent position par rapport à des personnes ou à des actes de langage. Or, la cohérence concernerait uniquement la seconde possibilité.

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Burkhardt (2004, 166ss.) propose une typologie des interpellations à différents niveaux : au niveau des techniques (complémentation simple, pseudo-complémentation de phrase, début de phrase avec das (al.) ‘ça’ (fr.), jeux de mots, insistance par répétition), au niveau de la syntaxe (une phrase, deux phrases, plus de deux phrases), au niveau des moyens de cohérence (reprise lexicale, reprise lexicale partielle, reprise pronominale globale, connexion sémantique, vague connexion au contenu, connexion propositionnelle, connexion antonymique, connexion contextuelle, provocation (présupposition et mot provoquant) et, au niveau des actes de langage (Memoranda, Affirmativa, Erotetika, Direktiva, Dissentiva, Evaluativa).

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Dans ce cadre, Burkhardt (ibid.) distingue trois types de relations entre l’interpellation et l’énoncé d’un locuteur : au niveau de l’illocution (par exemple une réponse à une question qu’elle soit authentique ou rhétorique), au niveau de la structure syntaxique de l’énoncé, ou enfin, au niveau de la proposition de l’énoncé du locuteur. Employés dans des interpellations, les connecteurs prépositionnels, éléments cohésifs par excellence, interrompent le flux discursif du locuteur officiel et obstruent donc la cohérence du discours de la personne interrompue. Dans les interpellations, plus que de produire de la cohérence, les connecteurs prépositionnels feignent la cohérence et la continuité du texte planifié par le locuteur officiel : ils peuvent en effet poursuivre le but communicatif (im)posé par les locuteurs officiels, dans ce cas le principe de coopération est préservé, ou ils peuvent le dévier, et s’opposer ainsi au principe de coopération. Par ailleurs, tandis que l’étude de Burkhardt (2004) ne porte son attention qu’aux interpellations elles-mêmes, la présente analyse propose d’élargir cette perspective au cotexte suivant l’interpellation. De cette manière, nous distinguons deux types d’emploi : les connecteurs prépositionnels peuvent soit faire partie de l’interpellation elle-même, soit ils introduisent l’énoncé qui succède immédiatement à l’interpellation. Les connecteurs intégrés à l’interpellation introduisent une prise de position par rapport à l’énoncé précédent. Ainsi dans les exemples (201) et (202), au contraire marque une distanciation par rapport à l’acte assertif précédent et le rectifie (201) M. JEAN-PIERRE MICHEL : [….] Monsieur le rapporteur, je trouve également vos propos tout à fait contradictoires. Vous convenez que le régime actuel ne peut plus être laissé en l’état, mais vous considérez qu’il faut malgré tout {C} {RA} {PNL} {OPP} {deseq} le maintenir pour réfléchir encore ! Sur cette question, votre embarras est manifeste, et la longueur de votre intervention en témoigne. M. FRANÇOIS ZOCCHETTO : rapporteur. Ah, non, au contraire {C} {IA} {PG} {rect} ! C’était pour tenter d’être complet ! (Sénat) (202) M. BERNARD KOUCHNER : [….] Tel est le monde que nous voulons, et telle est la position que la France ira défendre dans quelques semaines à New York. Enfin {C} {ES} {PG} {ARR}, ce n’est pas parce que {C} {EA} {PNL} {CAU} {preu} nous avons repris notre place au sein de l’OTAN – mais pas, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, au sein du comité des plans nucléaires – que nous avons perdu toute autonomie… M. DIDIER BOULAUD : Si ! M. BERNARD KOUCHNER : … et toute capacité d'initiative en matière de sécurité européenne. M. DIDIER BOULAUD : Si ! M. BERNARD KOUCHNER : ministre. Mais non, bien au contraire {C} {IA} {PG} {rect} ! Je peux prendre l’exemple de l’Afghanistan. (Sénat) Dans la typologie de Burkhardt (2004, 358), ces emplois du connecteur au contraire correspondent à la classe des Dissentiva : il s’agit de moyens verbaux permettant le 316

rejet explicite des contenus assertés. Dans l’exemple (203), l’interpellation consiste en un emploi holophrastique du connecteur en effet : (203) M. CHRISTIAN COINTAT : rapporteur. La commission est favorable à cet amendement, qui améliore la rédaction du texte. M. JEAN-MARIE BOCKEL : secrétaire d’État. En effet {C} {ISA} {PG} {conf} ! M. LE PRESIDENT : Quel est l’avis du Gouvernement ? (Sénat) La fonction du connecteur en effet est à la fois de marquer la prise de parole et la production d’un turn.70 Dans ce turn le connecteur confirme l’avis favorable de la commission à l’égard d’un amendement. Cet usage correspond à la classe des Affirmativa, dans la typologie des actes de langage proposée par Burkhardt (2004, 341).71 Dans l’extrait (204), le sénateur Jean-Pierre Godefroy, se réfère à l’acte de parole précédent en introduisant ses propos avec alors : (204) MME SYLVIE DESMARESCAUX : [….] En décembre dernier, l’IGAS a été chargée d’évaluer l’incidence de la réglementation des stages, ce qui suppose, au-delà de la question de la gratification, d’engager aussi une réflexion sur l’organisation du cursus pédagogique des étudiants travailleurs sociaux. Après un point d’étape prévu pour mai, l’IGAS devrait remettre son rapport définitif en juillet prochain. M. JEAN-PIERRE GODEFROY : Alors {C} {ISA} {PG} {interpel}, attendons ! (Sénat) Le sénateur introduit avec alors une conséquence qui consiste en un acte directif – comme en témoigne l’impératif attendons – découlant des propos du locuteur qu’il interrompt. Dans la typologie de Burkhardt (2004, 350) cet emploi correspond à la classe des Direktiva dans la mesure où il s’agit d’une revendication. En outre, alors, dans l’exemple (204), peut être considéré comme une technique de pseudo-achèvement de phrase (Burkhardt 2004, 233ss.). Cette stratégie, détectée par l’analyse conversationnelle, est employée par l’allocutaire dans le discours quotidien lorsqu’il manifeste sa compréhension ou son acquiescement anticipé (cf. Henne/Rehbock 4 2001, 21). Selon le principe de coopération, l’interpellant achève normalement la phrase commencée par le locuteur officiel de manière à ce que son sens corresponde au sens planifié par ce dernier (cf. Burkhardt 2004, 233ss.). Burkhardt (2004, 233ss.) indique que les interpellations parlementaires de type « achèvement de phrases » sont des moyens de complémentation syntaxique ou de clôture de phrases. Cependant, lors d’une interpellation, la fin ne corresponde pas toujours à celle qui était envisagée par le locuteur officiel. Du point de vue de la théorie des actions, cette technique est particulièrement efficace dans le but d’ajouter des informations cri-

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Koch/Oesterreicher (1990, 89) considèrent les expressions holophrastiques comme des moyens situées au niveau du pôle proximal. Selon eux, ces expressions constituent le modèle de verbalisation le plus éloigné du pôle de l’intégration syntaxique. Dans la typologie de Burkhardt (2004, 341), les Affirmativa sont des expressions qui – comme « bravo », « très bien », « exactement » – expriment l’approbation.

317

tiques, des objections et des consentements comprenant une contre-attaque (cf. Burkhardt 2004, 233). Dans l’exemple (205), le sénateur M. Yung détient officiellement le droit de parole et présente un projet de loi relatif à la limitation et en partie également à l’interdiction du cumul des mandats dans les conseils d’administration. Ces postes étant souvent réservés à une certaine élite masculine issue d’un milieu social et culturel favorisé, M. Yung espère ainsi promouvoir la féminisation des conseils d’administration. (205) M. RICHARD YUNG : … Qu’on me permette simplement, sur ce point, de me réjouir de voir que, en France, le mouvement est manifestement amorcé puisque Mme Chirac a rejoint le conseil d’administration de LVMH et Mme Woerth, celui d’Hermès. Néanmoins, j’ai envie de dire : Français, encore un petit effort ! (Sourires.) MME NICOLE BORVO COHEN-SEAT : Surtout {C} {ESA} {PS} {ADD} quand ce sont des femmes de ministres qui entrent dans les conseils d’administration ! (Sénat) Dans cet extrait, le sénateur constate une augmentation de la présence féminine dans certaines entreprises, amélioration qu’il prouve par la nomination explicite de Mme Chirac et Mme Woerth. Mme Borvo Cohen-Seat, sénatrice appartenant à la fraction communiste, intervient alors en « greffant » son interpellation avec le connecteur surtout à l’énoncé de Mr. Yung qui était en fait achevé. Par cet usage du connecteur surtout, Mme. Borvo Cohen-Seat appuie son énoncé de manière forte à celui de son collègue, dans la mesure où surtout présuppose toujours la nomination d’au moins un argument coorienté dans le cotexte de gauche. Rappelons que selon la thèse d’Anscombre (1996, 254s.), l’argument précédent surtout est alors dévalorisé. Dans le chapitre 1.2.2 Modèles de classification sémantique, nous nous étions distancés de cette terminologie dépréciative. Cependant, la description proposée par Anscombre reflète précisément l’action effectuée par cet emploi de surtout par la sénatrice : elle exprime à première vue, avec la coorientation imposée par surtout, son approbation. Cette approbation est alors accompagnée d’un retraitement dévalorisant de l’argument précédent. L’événement dont se félicite M. Yung « le mouvement de féminisation est manifestement amorcé » se trouve donc dévalorisé. Surtout indique que les personnes ici nommées sont certes des femmes, mais elles appartiennent à la classe sociale élitaire auparavant évoquée et critiquée par M. Yung. Cet emploi de surtout dans l’interpellation conjoint alors une approbation à la contre-attaque et occasionne une lecture ironique (approbation et distanciation) par rapport au propos tenu par M. Yung. Les arguments ne sont qu’à première vue coorientés. Avec surtout, Mme Borvo Cohen-Seat rappelle un point central à l’argumentation de M. Yung, que ce dernier semble avoir entre-temps oublié : l’appartenance des membres des conseils d’administration à une classe sociale élitaire. De fait, au point de vue de la typologie des actes de langage de Burkhardt (2004, 310ss.), l’acte exécuté par Mme Borvo Cohen-Seat peut être ordonné à la classe des Memoranda, dont la fonction est de remémorer au public un argument ou un événement important, qui d’après l’interpellateur a été oublié par le locuteur officiel. En effet, la sénatrice, conformément à la définition des Memoranda, remémore au publique un argument auparavant évoqué par Mr. Yung. Les autres caractéristiques des Memoranda sont, à 318

l’image de l’énoncé de Borvo Cohen-Seat, la brièveté,72 la dérision, voire même l’ironie ou une critique plus ou moins explicite (ibid., 310). Le dernier type d’emploi des connecteurs prépositionnels dans les interpellations correspond en effet aux Memoranda. Dans ce cas, l’interpellateur remémore un argument oublié par le locuteur. Cependant, à la différence de l’exemple précédent, l’interpellateur justifie des propos énoncés auparavant et tournés en dérision par le locuteur actuel. Dans l’exemple (206), le locuteur actuel et officiel, Mr. Mézard, se réfère aux propos du locuteur précédent, Mr Novelli, qu’il tourne en dérision. L’interpellateur Mr Novelli interrompt le locuteur officiel avec le connecteur c’est pourquoi pour justifier explicitement ses propos : (206) M. JACQUES MEZARD : Ça se discute, monsieur le président de la commission des lois ! Nous savions qu’il existait des niches fiscales très controversées, cependant {C} {RA} {PT} {OPP} {deseq} incluses dans les lois de finances ; nous constatons qu'il existe des niches d’assurances à hauteur de plusieurs milliards d’euros. Monsieur le secrétaire d’État, vous nous avez parlé de fantasmes, et même de « trésor de Monte-Cristo ». Mais la différence, c’est que ce dernier a été retrouvé, alors que {C} {RA} {PG} {OPP} {deseq} nous sommes ici à la recherche de quelques trésors ! M. HERVE NOVELLI : secrétaire d’État. C’est pourquoi {C} {EA} {PNL} {OPP} {conc} j’ai parlé de « fantasmes » ! (Sourires.) (Sénat) Outre ces emplois où les connecteurs prépositionnels sont inhérents à l’interpellation, leur usage peut marquer la reprise de parole du locuteur officiel suite à une interpellation. Après l’usurpation du droit de parole par un interpellateur, le locuteur officiel a deux possibilités : il peut soit réagir à l’intervention spontanée de l’interlocuteur, soit ignorer cette intervention. Notons, qu’il semblerait que le second cas soit plus fréquent.73 L’exemple (207) illustre le premier cas de figure : (207) M. BERNARD KOUCHNER : C’est nous, les premiers, qui avons réagi positivement aux propositions du président Medvedev sur la sécurité en Europe. C’est encore nous qui avons conduit l’Europe à réagir lors de la plus grande crise militaire que nous ayons connue ces dernières années, en Géorgie. M. DIDIER BOULAUD : On en voit le résultat ! M. BERNARD KOUCHNER : En tout cas {C} {ISA} {PG} {rect}, c’est mieux que de n’avoir rien fait ! Ceux qui devaient nous servir d’exemple n’ont rien fait ! (Sénat) Dans l’exemple (207), Bernard Kouchner, à l’époque ministre des affaires étrangères et européennes, se voit interpellé par le sénateur M. Boulaud. Ce dernier met en doute les actions effectuées par le ministre (« C’est nous, les premiers, qui avons

––––––– 72

73

Cf. Burkhardt (2004, 310) : les Memoranda peuvent d’ailleurs comporter une voire plusieurs ellipses et présenter une forme assertive ou interrogative. Certes cette hypothèse ne peut être approfondie dans le cadre de ce travail, mais il serait intéressant de vouer une étude ciblée aux contributions suivant une interpellation.

319

réagi », « C’est encore nous qui avons introduit ») tout en sous-entendant des résultats médiocres voire contreproductifs. Le ministre, en introduisant ses propos avec en tout cas, prend directement position par rapport à l’assertion de son interlocuteur et en rectifie la portée : en tout cas indique que les mesures entreprises ne sont pas optimales, mais qu’elles témoignent d’un engagement actif. Cependant, le traitement le plus fréquent consiste en une stratégie d’ignorance des interpellations par le locuteur officiel. Lors de la réalisation de cette stratégie, le locuteur emploie les connecteurs prépositionnels comme indicateurs de la poursuite consciente et conséquente de la trame de son discours. Les connecteurs prépositionnels sont alors des indicateurs de la continuité discursive. Ainsi dans l’exemple (208), la sénatrice Mme Boumediene-Thiery, membre du parti socialiste, est interrompue par M. Hyest, sénateur appartenant au parti de l’UMP : (208) M. JEAN-JACQUES HYEST : Victimes, victimes … Il n’y a pas que des innocents en garde à vue ! (Sénat) MME ALIMA BOUMEDIENE-THIERY : C’est la raison pour laquelle {C} {EA} {PNL} {CONS} {conc} je vous demande de voter contre cette motion de renvoi à la commission. (Sénat) Dans cet extrait, Mme Boumediene-Thiery, sénatrice d’Ile-de-France, plaide pour une modification et un assouplissement des modalités des gardes à vue en faveur des détenus. La sénatrice, membre du parti socialiste, est interrompue par M. Hyest qui apporte un contre-argument en faveur de la thèse répressive. En ce sens l’acte de langage exercé par M. Hyest appartient, dans la typologie proposée par Burkhardt, à la classe des Dissentiva. Suite à cette interpellation, la sénatrice a deux possibilités : elle peut soit prendre position par rapport aux propos de son collègue, soit les ignorer et poursuivre son discours. En choisissant de poursuivre sciemment la trame de son discours avec le connecteur c’est pourquoi, la sénatrice marque la continuité de son développement. En effet, elle tire une conclusion déontique74 (elle est contre la mention de renvoi) qui découle du reste de son argumentation et ignore ainsi la prise de parole de M. Hyest. De même, dans les deux exemples suivant les locuteurs officiels Mme Des Esgaulx en (209) et Mme Morano en (210), choisissent de poursuivre leur discours en ignorant l’interpellation de leurs confrères respectifs et marquent la continuité de leur discours par les connecteurs structurant la matière textuelle par ailleurs et enfin. (209) MME MARIE-HELENE DES ESGAULX : … Il est certain que, au sein des sociétés relevant du CAC 40, 22 % des mandataires sociaux concentrent 43 % des droits de vote du fait du cumul. MME NICOLE BRICQ : C'est l’« endogamie » ! MME MARIE-HELENE DES ESGAULX : Par ailleurs {C} {ES} {PNL} {ADD}, la proposition de loi prohibe le cumul des fonctions de président du conseil d’administration, directeur général, membre du directoire ou président du conseil de surveillance dans une entreprise privée avec les mêmes fonctions dans une entreprise du secteur public. (Sénat)

––––––– 74

Cf. Eggs (1994, 16).

320

(210) MME NICOLE BRICQ : Ce n’est pas un nouveau seuil ! MME NADINE MORANO : secrétaire d’État. Enfin {C} {ES} {PG} {ARR}, est introduite une sanction nouvelle qui touche à la rémunération des administrateurs concernés. (Sénat) Par l’ignorance préméditée et marquée des interpellations, les sénateurs signalisent de manière implicite que les arguments en faveur de la thèse défendue ont été clairement démontrés. Une intervention supplémentaire envers les propos de leurs confrères intervenants s’avère superflue. Par cette stratégie discursive, le locuteur donne de lui une image souveraine par rapport à sa propre argumentation ou démonstration et relègue l’intervention de son confrère au second plan.75 Aussi, la construction de l’image de soi dans le discours n’est pas un processus unilatéral. Au contraire, dans une situation de communication telle que celle des débats parlementaires, elle se forme également lors de l’interaction avec les allocutaires, en l’occurrence avec les interpellateurs : « La fonction de l’image de soi et de l’autre qui se construit dans un discours se manifeste pleinement dans cette perspective interactionnelle. Dire que les partenaires interagissent, c’est supposer que l’image de soi construite dans et par le discours participe de l’influence mutuelle qu’ils exercent l’un sur l’autre » (Amossy 1999, 12) Ainsi par le traitement des interpellations, le locuteur officiel peut affirmer et consolider son éthos. De plus, en employant des connecteurs producteurs de cohésion tels que c’est la raison pour laquelle, par ailleurs et enfin, le locuteur rappelle à l’interpellateur qu’il doit, selon la maxime de relation, parler à propos. Aussi le locuteur outre la consolidation de son ethos, influence l’ethos discursif de l’interpellateur. 6.3.4 Profils pragmatiques des connecteurs prépositionnels dans le corpus Sénat Le tableau 73 donne une vue d’ensemble de la répartition des catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels dans le corpus Sénat. catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels pour 10 000 mots corpus mots Sénat

connecteurs {RS} {RSA} {RA}

169 814 1824

moyenne

99,5

{ES} {ESA} {EA}

{IS}

{ISA}

5,7

6,1

17,2

18,6

23,4

25

2,9

1

{IA} 7,5

7,2

4,7

17,5

11

18,6

14,7

15

7,1

12,2

Tableau 73 : les catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels dans le corpus Sénat

––––––– 75

La valeur de l’ethos et les moyens de sa construction dans le discours ont été traité dans l’ouvrage de Amossy/Adam (1999) L’image de soi dans le discours. Aussi les auteurs soulignent-t-ils que l’ethos est en grande partie responsable du succès de l’argumentation « Les Anciens désignaient par le terme d’ethos la construction d’une image de soi destinée à garantir le succès de l’entreprise oratoire » (Amossy 1999, 10).

321

Le corpus Sénat contient 1824 connecteurs soit une moyenne de 107,4 connecteurs prépositionnels pour 10 000 mots. Il se situe à un niveau égal à la moyenne de l’ensemble des corpus qui est de 99,5 connecteurs pour 10 000 mots. Après le corpus Oral, Sénat est le deuxième corpus contenant le plus de connecteurs. Le graphique circulaire représente la distribution des fonctions des connecteurs prépositionnels exprimées en pourcentage dans le corpus Sénat :

{IS} 2,7%

{ISA} 0,9%

{EA} 23,3%

{IA} 7,0%

{RS} 5,3%

{RSA} 5,7%

{RA} 16,0%

{ES} 17,3% {ESA} 21,8%

Graphique 12 : les fonctions des connecteurs prépositionnels dans le corpus Sénat

La répartition des fonctions dans le corpus Sénat indique une forte influence de l’action d’explicitation. En effet, la distribution quantitative montre que les trois fonctions les plus fréquentes contiennent toutes l’action d’explicitation. Les trois fonctions principales sont : l’explicitation argumentative {EA} avec 23,3 %, l’explicitation structurante argumentative {ESA} avec 21,8 % et l’explicitation structurante {ES} avec 17,3 %. Le plus souvent, la fonction d’explicitation argumentative {EA} apparaît avec les valeurs sémantiques de cause (164 occurrences), de conséquence (162 occurrences) et d’opposition (81 occurrences). La condition joue un moindre rôle avec 2 occurrences. Aussi la fonction d’explicitation argumentative {EA} témoigne-t-elle du fait que les sénateurs en employant les connecteurs prépositionnels apportent des preuves (cause) nécessaires à un jugement (conséquence) ou à un retournement de jugement (opposition). Dans l’exemple (211), la sénatrice, Mme André, traite la question du quota féminin dans les entreprises françaises : (211) MME MICHELE ANDRE : … Nous avons donc fait le choix d’une contrainte juridique ferme, à l’instar du dispositif norvégien, car c’est le choix de l’efficacité. Je vous rappelle en effet {C} {EA} {PG} {CAU} 322

{preu} que, là où la proposition de loi de l’Assemblée nationale ne concerne que les sociétés cotées, soit près de 700 entreprises, le texte que nous examinons aujourd’hui s’adresse à toutes les sociétés anonymes qui emploient au moins 250 salariés et réalisent un chiffre d’affaires d’au moins 30 millions d’euros. J’estime par conséquent {C} {EA} {PNL} {CONS} {conc}, madame le rapporteur, qu’il serait bien dommage de renvoyer la présente proposition de loi à la commission, […]. (Sénat) Dans cet extrait, Mme André, en employant en effet, introduit une preuve étayant le jugement « c’est le choix de l’efficacité ». La preuve de l’efficacité réside en la confrontation de la proposition de loi de l’assemblée nationale qui ne touche que « 700 entreprises » tandis que la proposition de loi défendue par Mme André présente l’avantage d’être exhaustif envers « toutes les sociétés anonymes ». Une fois le jugement de l’efficacité (avantage par rapport à la loi proposée par l’Assemblée nationale) étayé par un argument, la sénatrice tire une conclusion dont elle explicite l’introduction par le connecteur transparent par conséquent. La conclusion peut alors être glosée par « il est donc nécessaire de voter en faveur de la présente proposition ». Les catégories sémantiques qui apparaissent avec la fonction contenant la technique complexe d’explicitation structurante argumentative {ESA} sont ; l’addition (342 occurrences), le début (23 occurrences), l’arrivée (20 occurrences), la postériorité (11 occurrences) et l’actualisation avec 4 occurrences. Constatons que la fonction d’explicitation structurante argumentative {ESA} favorise les valeurs sémantiques moins déterminantes ou plus vagues quant au positionnement du référent dans le texte. En effet, c’est la catégorie addition, dont la particularité est de ne pas préciser l’emplacement du réfèrent dans la structure du texte, qui est favorisée pour réaliser la fonction d’explicitation structurante argumentative {ESA}. En comparaison, les catégories sémantiques telles que le début, l’arrivée, la postériorité et l’actualisation apparaissent plus rarement en combinaison avec cette fonction. La fonction d’explicitation structurante {ES}, en revanche, présente un autre profil. En effet, alors que la fonction d’explicitation structurante argumentative {ESA} est principalement réalisée par des connecteurs dont le sens est additif (342 connecteurs additifs contre 58 connecteurs spécifiant le positionnement du référent textuel), la fonction d’explicitation structurante {ES}, quant à elle, apparaît avec la catégorie d’addition dans 132 cas, et 202 fois avec une catégorie sémantique déterminant la position du référent textuel. Les catégories sémantiques permettant de déterminer l’articulation hiérarchique des éléments textuels sont les suivantes : le début (69 cas), l’arrivée (62 cas), l’actualisation (37 cas), la postériorité (31 cas) et la simultanéité (3 cas). Cette répartition des tâches entre les valeurs sémantiques déterminant le positionnement des entités textuelles et l’addition, plus vague quant à cette détermination, souligne le caractère intermédiaire de l’addition entre les classes sémantiques localisantes et non-localisantes d’où la fluctuation de l’addition au niveau des techniques de structuration et d’argumentation. La quatrième fonction du classement est la représentation argumentative {RA} avec 16 % ; elle est suivie de l’interaction argumentative {IA} avec 7 %. Les classes sémantiques accompagnant la fonction de représentation argumentative {RA} sont

323

l’opposition avec 129 occurrences, la finalité avec 74 occurrences, la conséquence avec 54 occurrences, la cause avec 18 occurrences et la condition 13 occurrences. Les connecteurs en fonction de représentation argumentative {RA} avec la valeur sémantique d’opposition expriment un déséquilibre (97 cas), une compensation (26 cas), une exception (3 cas), un avantage (1 cas), une différence (1 cas) ou une limite (1 cas). A l’image des corpus Le Monde et Sciences, dans le corpus Sénat les connecteurs prépositionnels en fonction de représentation argumentative {RA} indiquent avec l’opposition majoritairement un déséquilibre entre des faits. Cependant, tandis que dans le corpus Le Monde, la finalité des connecteurs employés est « seulement » de détecter et verbaliser ces déséquilibres, dans les corpus Sciences et Sénat, la détection des déséquilibres constitue le point de départ d’une réflexion, d’une discussion dont le but est la suppression du déséquilibre en question par une proposition de solution. Dans le corpus Sciences, il s’agit de proposer des solutions permettant de résoudre des problèmes épistémiques et, dans le corpus Sénat, il s’agit de supprimer des inégalités sociales ou des injustices. L’interaction argumentative {IA} est la cinquième fonction du classement, et sera la dernière à être présentée de manière détaillée dans cette partie. En effet, les autres fonctions, la représentation structurante argumentative {RSA} (5,6 %), la représentation structurante {RS} (5,3 %), l’interaction structurante {IS} (2,7 %) et l’interaction structurante argumentative {ISA} (0,9 %) jouent en raison de leur faible présence un rôle périphérique dans le corpus Sénat. L’interaction argumentative {IA} réalise trois procédures dans le corpus Sénat : la confirmation (63 occurrences), la rectification (54 occurrences), la reformulation (11 occurrences). La confirmation, qui est la procédure la plus fréquemment exercée par la fonction d’interaction argumentative, est réalisée par les connecteurs en effet (49 occurrences), de fait (10 occurrences), de toute façon (5 occurrences), en tout cas (4 occurrences). Dans Les Invariables Difficiles, Métrich/Faucher/Courdier (2002) adoptent une perspective translative. Les auteurs partent d’expressions allemandes (selon le sous-titre : particules, connecteurs, interjections et autres « mots de la communication ») pour proposer ensuite des équivalents français. Dans ce cadre, les connecteurs réalisant la fonction d’interaction argumentative {IA} avec la procédure de confirmation tels qu’en effet, de fait etc. peuvent être considérés comme équivalents aux connecteurs allemands tatsächlich et in der Tat, connecteurs qualifiés de « concurrents » par les auteurs. La fonction de tatsächlich est caractérisée de la manière suivante : « Fonction : marque la réalité, l’effectivité du contenu évoqué dans l’énoncé où il figure, le plus souvent pour confirmer une idée (hypothèse, inférence etc.) explicitement ou implicitement présente dans le contexte amont, mais parfois aussi pour l’infirmer en lui opposant le fait considéré comme le seul ‘vrai’ » (Métrich/Faucher/Courdier 2002, t. IV, 184 ; mise en relief H.S.). Au sujet de la fonction du connecteur in der Tat, les auteurs tiennent les propos suivants : « Fonction : marque la réalité du fait relaté dans l’énoncé, que ce soit pour confirmer une idée explicitement ou implicitement présente dans le contexte amont 324

ou simplement pour renforcer l’affirmation de ce fait » (Métrich/Faucher/Courdier 2002, t. IV, 184 ; mise en relief H.S.). Le point commun entre les propriétés, présentées ci-dessus, et les connecteurs prépositionnels en fonction d’interaction argumentative {IA} consiste en une stratégie de confirmation. Cependant, l’interaction argumentative {IA}, à la différence de ces définitions fonctionnelles, ne confirme pas le « fait », mais c’est le bien-fondé de l’intervention (acte de langage) du locuteur ou de l’allocutaire que confirment en effet ou de fait en fonction d’interaction argumentative {IA}. Dans l’exemple (212), en effet introduit une confirmation soulignant le bien-fondé des propos tenus précédemment : (212) M. FRANÇOIS ZOCCHETTO : … Une autre disposition, très importante, a été proposée par le Gouvernement : les aveux recueillis en dehors de la présence de l’avocat ne pourraient suffire à justifier une condamnation. En effet {C} {IA} {PG} {conf}, au-delà du problème de la garde à vue, nous devons aussi lutter contre la culture de l’aveu. (Sénat) Dans l’exemple (212), M. Zocchetto juge la proposition de loi concernant les aveux lors de la garde à vue de « très importante ». En introduisant le second énoncé par en effet, M. Zocchetto n’apporte pas de preuve témoignant de l’importance de la proposition, mais il réitère et réaffirme l’importance de la proposition en disant qu’il est nécessaire de « lutter contre la culture de l’aveu ». Par sa propriété réitérative, la confirmation présente une similitude avec la procédure de reformulation. Cependant l’aspect central de la procédure de confirmation, à la différence de celle de reformulation, réside en l’accentuation du bien-fondé de l’intervention. Dans l’exemple (213), Mme Marie-Hélène Des Esgaulx emploie en effet non pas pour confirmer le bien-fondé de ses propos, mais ceux d’une collègue, Mme Bricq : (213) MME MARIE-HELENE DES ESGAULX : … La proposition de loi de Mme Bricq fixe un objectif de 40 % de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance. Compte tenu des règles de composition des conseils d’administration et de surveillance, il était en effet {C} {IA} {PG} {conf} difficile de prévoir une stricte parité ; je partage votre point de vue, madame Bricq. (Sénat) Avec les connecteurs tels qu’en effet et de fait en fonction d’interaction argumentative {IA}, le locuteur met l’accent sur le bien-fondé de sa propre intervention ou de l’intervention d’une autre personne. Ces usages des connecteurs prépositionnels en fonction d’interaction argumentative {IA} avec la procédure de confirmation peuvent être glosés par « l’intervention est adéquate ». Ces emplois confirmatifs des connecteurs prépositionnels entrent dans la formation de l’ethos des locuteurs et des allocutaires dans le discours. En confirmant le bien fondé de ses propres propos le locuteur renvoie une image souveraine de lui-même, ou confère cette image positive à un allocutaire en confirmant la légitimité de son intervention. Le bon dosage de la fréquence d’emploi de connecteurs dans les textes peut être comparé à une marche sur une corde raide : des emplois insuffisants pourraient 325

mener à un manque de clarté ; de même, un emploi abusif pourrait alourdir le texte et en troubler ainsi la limpidité. Concernant l’ethos du locuteur, des emplois insuffisants pourraient transmettre une image désordonnée, incohérent, tandis qu’un usage excessif pourrait transmettre une image de soi outrecuidante. 6.3.4.1

Les actions dans le corpus Sénat

La distribution des actions réalisées dans le corpus Sénat est visualisée dans le graphique 13 :

{I} 10,6%

{R} 27,0%

{E} 62,4%

Graphique 13 : les actions dans le corpus Sénat

Les actions exprimées en pourcentage présentent une forte similarité entre le discours scientifique et le discours parlementaire. La différence entre les corpus Sciences et Sénat réside en ce que la fréquence d’emploi des connecteurs prépositionnels est plus élevée dans le corpus Sénat que dans Sciences. L’action majoritairement dans le corpus Sénat est l’explicitation {E_} avec 62,4 %. La seconde action est la représentation {R_} avec 27 % et, enfin, l’interaction {I_} avec 10,6 %. Dans ce cadre, nous formulons l’hypothèse que la forte présence des connecteurs dans le corpus Sénat en général, ainsi que la supériorité de l’explicitation par rapport aux autres actions en particulier, est due au clivage discursif et culturel spécifique au discours parlementaire : d’une part entre les paramètres de la situation de communication externes au texte et les propriétés inhérentes au texte et, d’autre part, entre l’élaboration préalable du texte et son articulation durant la séance parlementaire. Nous sommes donc d’avis que l’éclairage des emplois spécifiques des connecteurs dans le corpus Sénat nécessite la distinction de paramètres propres au contexte et ceux inhérents au texte. Dans le corpus Sénat, le texte est un produit dichotomique 326

qui consiste en une élaboration (rédigée) préalable et une production (orale) (cf. Maaß 2010a, 286ss.).76 Le clivage, entre l’élaboration écrite du texte et sa production orale, peut être précisé par les cinq paramètres développés par Ágel/Hennig (2007b)77 sur la base du modèle conceptuel et médial de Koch/Oesterreicher (1990) : les rôles, le temps, la situation, le code et le médium. Ces paramètres vont être présentés ci-dessous et mis en relation avec le corpus Sénat. Le paramètre des rôles se réfère aux possibilités de distribution des rôles entre les partenaires de communication locuteurs-interlocuteurs (cf. Ágel/Hennig 2007b, 193ss.). Une allocution parlementaire en tant qu’unité élaborée, fixe les rôles de manière stricte : scripteur, lecteur. De même, le discours parlementaire, nous l’avons évoqué, est fortement formalisé. Il n’autorise qu’une interaction directe spontanée entre les partenaires de communication sous la forme d’interpellations.78 En raison de cette interaction limitée, le paramètre des rôles dans le corpus Sénat peut être localisé à proximité du pôle distal. Le paramètre du temps décrit les processus proximaux et distaux relatifs à la production et de la réception du texte (cf. Ágel/Hennig 2007b, 197). L’élaboration de discours parlementaires qui a lieu avant la séance plénière, est moins dépendante de contraintes temporelles. En ce sens, elle se situe à proximité du pôle distal. La réception des discours et de leur contenu pendant les débats parlementaires, en revanche, a lieu simultanément à leur articulation. Elle est donc plus fortement dépendante du paramètre temporel. Les allocutaires peuvent difficilement revenir sur les contenus énoncés – à moins qu’ils n’en fassent la demande explicite, ce qui, dans le corpus, n’a pas lieu. En d’autres termes, les allocutaires se voient contraints de traiter les informations (relation entre des états de choses complexes) transmises par le locuteur simultanément à leur énonciation afin de pouvoir fonder leur opinion et réagir (par une interpellation ou un vote) aux propos tenus. En ce sens, la réception du discours est liée au paramètre du temps et doit être considéré comme proximale. Le paramètre de la situation décrit les différences entre la communication proximale et distale qui découlent de l’imbrication ou de l’autonomie du texte par rapport à la situation de communication. Le paramètre situationnel correspond pour la proximité, à la possibilité de faire référence à un contexte local et temporel commun,

––––––– 76 77

78

Voir la partie 6.3.1 Les « débats parlementaires » et le corpus Sénat. La critique générale formulée par Ágel/Hennig (2007b, 182s.) à l’égard du modèle proposé par Koch/Oesterreicher porte sur l’hétérogénéité de la modélisation de chacune des conditions de communication et des stratégies de communication proximale et distale. Le modèle de Ágel/Hennig (2007b) se propose de mettre en relation systématique les propriétés d’une langue particulière se manifestant au niveau empirique, et les conditions de communication qui mènent à ces propriétés. Le modèle propose de déduire des propriétés d’une langue particulière à partir des conditions de communication. Afin d’atteindre ces propriétés intuitivement attribuées aux pôles distal et proximal, les auteurs formulent dans un premier temps des universaux comme arrière-plan sur lequel se cristallisent les paramètres historiques et culturels de la formation discursive distale et proximale. En d’autres termes, les paramètres historiques-culturels exercent une influence au niveau individuel du discours sur l’arrière-plan des paramètres universaux (cf. ibid., 180). Voir la partie 6.3.3 Sénat, les interpellations et le rôle des connecteurs prépositionnels

327

et pour la distance, aux différents procédés permettant de compenser le clivage local et temporel (cf. Ágel/Hennig 2007, 200ss.). La conception du discours parlementaire est indépendante du paramètre situationnel : les scripteurs sont seuls face aux textes. En revanche, lors de sa production effective, le discours parlementaire est réalisé dans une situation de communication de proximité physique des partenaires de communication (communication face-to-face) ; il s’agit d’un paramètre proche du pôle proximal. Cependant l’espace spatio-temporel commun présente une dimension particulière : en raison du déroulement spécifique des séances au Sénat et des actions discursives typiques portant sur le travail des textes d’amendement, l’espace spatiotemporel présente une dimension principalement textuelle. De cette caractéristique découle une haute fréquence d’emploi de déictiques discursifs, tels que le texte suivant ou est ainsi libellé dans ce corpus (cf. Maaß 2010a, 292ss.). On peut ainsi conclure la situation d’élaboration est distale, tandis que la situation de prononciation du discours, dont la spécificité réside en un espace textuel commun, est proximale. Le paramètre du code concerne les moyens linguistiques et extra linguistiques. La communication distale est spécialisée car seul le code verbal est à sa disposition. La communication proximale, en revanche, dispose aussi bien du code verbal que d’éléments non verbaux comme les gestes et les mimiques (cf. Ágel/Hennig 2007, 201ss.). En raison la rédaction préalable des discours parlementaire, le code peut être considéré de distal lors de l’élaboration du texte ; il est en revanche proximal lors de sa prononciation. En effet, comme le montre l’étude de Maaß (2010a, 300ss.), Sénat est le corpus comportant le plus de déictiques discursifs en fonction de structuration du référent (par exemple premièrement, deuxièmement, à la suite de l’intervention du Premier ministre, après les mots, la fin du premier alinéa). Par l’emploi des déictiques discursifs, les locuteurs se réfèrent au discours ou aux parties de discours d’un locuteur précédent. Pour cette raison le code est de conception proximale lors de la prononciation du discours. L’importance accordée par Ágel/Hennig (2007) au paramètre du médium est particulièrement intéressante et originale. En effet, plus qu’une affinité entre le pôle proximal et le médium oral, le pôle distal et le médium écrit, les auteurs revendiquent une relation d’exclusion : l’écriture médiale serait totalement distale et à l’inverse l’oralité médiale serait totalement proximale. Ágel et Hennig (2007, 206ss.) illustrent leur assertion par l’exemple des chats qui, au niveau conceptuel, sont plus proximaux que d’autres formes de discours de médium écrit. Néanmoins, malgré ces indicateurs proximaux, le médium écrit influencerait de manière non négligeable la formation du discours. L’étude d’un corpus de tweets français (Mathias/Braukmeier/Stoye à paraître) renvoie une image similaire : nombreuses sont les stratégies de verbalisation proximales. Cependant, l’analyse montre que le médium écrit détermine le cadre des actions discursives, les conditions et les possibilités de verbalisation.79 De même, le médium des discours des parlementaires est écrit lors

––––––– 79

Par exemple, en raison du médium écrit, les tweets ne reflètent quasiment pas de particularités diatopiques car leur réalisation est particulièrement ancrée au niveau phonologique. En conséquence, la réalisation de variantes phonologiques est contrecarrée par le médium écrit et concurrencée par la règle d’économie fixe et standardisée (les tweets sont limités à 140 signes) ainsi que par l’ethos émanant des utilisateurs. (cf. Mathias/Braukmeier/Stoye à paraître).

328

de sa planification, le médium de réalisation lors des séances plénières est en revanche oral. On peut présumer que le clivage médial, lors de l’élaboration et de la prononciation du texte, joue un rôle déterminant quant aux stratégies discursives et aux emplois des connecteurs prépositionnels dans ce corpus. On peut donc s’attendre à ce que les locuteurs rendent les relations entre les parties du texte explicites et transparentes. Les différents statuts du texte selon les cinq paramètres sont visualisés dans le tableau 74 : paramètre contexte

texte

élaboration du texte

production articulée du texte

rôles

distal

+/– distal

temps

distal

proximal

situation

distal

proximal

code

distal

proximal

médium

distal

proximal

Tableau 74 : paramètres proximaux et distaux du corpus Sénat

Le tableau récapitulatif indique que le clivage concerne moins la différence entre les paramètres contextuels et textuels que la fracture entre les phases d’élaboration et de réalisation effective du texte. Ce clivage entre les paramètres d’élaboration et de production effective a des conséquences quant aux stratégies de verbalisation de raisonnements complexes. En conséquence, nous pouvons présumer que les stratégies de verbalisation, déjà évoquées par Eppler (2003), ne concernent pas uniquement la communauté des actants impliquée dans la communication. Ce dernier, rappelons-le, considérait que le degré de spécialisation du discours politique devait, en raison du principe de coopération, faire preuve de précision et de spécificité pour les spécialistes et de modération pour les « laïques ».80 Étant donné que les stratégies de verbalisations sont, en grande partie, appliquées au texte lors de son élaboration, c’est-à-dire avant et hors du débat parlementaire, la fréquence élevée des connecteurs en action d’explicitation témoigne d’un investissement coûteux de formulation en vue de garantir la bonne compréhension du texte. Les scripteurs/locuteurs emploient donc de manière prospective des connecteurs prépositionnels afin de rendre le traitement de raisonnements complexes intelligible pour les allocutaires. Les connecteurs usités sont adaptés, au préalable, au médium oral de la communication lors des séances parlementaires, permettant ainsi de palier le clivage médial. La fréquence des connecteurs prépositionnels avec l’action d’explicitation dans le corpus Sénat témoigne de la volonté des locuteurs d’assurer intelligibilité du texte et des raisonnements. La marque explicite des relations entre les parties de texte est donc une stratégie discursive propre au discours parlementaire garantissant l’intelligibilité d’un texte conceptuellement distal et écrit lors de son élaboration, de conception plutôt proximale et orale lors de son articulation. Ce sont les textes prononcés et discutés qui sont au centre de l’action parlementaire. Avec l’action d’explicitation, les sénateurs

––––––– 80

Voir la partie 6.3.1 Les « débats parlementaires » et le corpus Sénat.

329

agissent sur les parties du texte en les structurant ou leur conférant une orientation argumentative de manière explicite. 6.3.4.2

Les techniques dans le corpus Sénat

La répartition des techniques employées par les connecteurs prépositionnels dans le corpus Sénat est visualisée dans le graphique 14 :

{S} 25,3% {A} 46,3%

{SA} 28,4%

Graphique 14 : les techniques dans le corpus Sénat

Si la distribution des actions entre les corpus Sciences et Sénat est quasiment équivalente, la répartition des techniques employées présente une nette différence. Sciences privilégie la technique hybride structurante argumentative {_SA} (42,7 %) vraisemblablement pour des raisons économiques. Le corpus Sénat, en revanche, favorise des stratégies de verbalisation coûteuses vraisemblablement en raison du clivage entre l’élaboration écrite de contenus complexes et leur présentation orale. Dans ce cadre, la technique argumentative simple {_A} est favorisée avec 46,3 %, la technique complexe {_SA} et la structuration représentent {_S} respectivement 28,4 % et 25,3 %. La technique structurante {_S} (25,3 %), principalement employée avec l’action d’explicitation (17,3 %), souligne la centralité de la règle discursive de clarté recommandant aux actants l’emploi de connecteurs dans le discours parlementaire. A cet égard, la marque des extrémités d’un raisonnement par les connecteurs prépositionnels semble particulièrement importante. En effet, les catégories sémantiques début et arrivée représentent respectivement 69 et 62 occurrences. Les étapes intermédiaires, en revanche, ne semblent pas nécessiter de spécification quant au positionnement du référent textuel : la catégorie addition représente 132 occurrences, et les connecteurs spécifiant le positionnement du référent 71 occurrences. De même, Maaß (2010a, 299) constate, quant à l’emploi des déictiques discursifs, un coût de formulation élevé 330

relative à la désignation des parties de référents. En conséquence, la présence d’énumérations fréquentes contenues dans le corpus Sénat peut être imputée au degré de planification élevé. Au-delà, le degré de planification élevé à l’écrit semble aller de pair avec une augmentation de la complexité syntaxique. Ainsi l’allocutaire, qui n’a pas le texte écrit sous les yeux lors de sa prononciation, peut facilement « perdre le fil » du raisonnement, ce qui est moins le cas, lorsqu’il s’agit d’un texte écrit, le lecteur peut « faire des retours en arrière » et les énumérations peuvent être signalées par des moyens graphiques. Ainsi, les locuteurs, dans Sénat, acceptent d’effectuer un plus grand effort de formulation afin d’assurer aux allocutaires l’intelligibilité du raisonnement ainsi que la bonne identification des référents discursifs. En conséquence, dans le corpus Sénat, la règle d’économie joue un rôle plutôt périphérique. La prépondérance de la technique argumentative dans le corpus Sénat peut également être précisée. Maaß (2010a, 302) attribue la forte présence des déictiques discursifs en fonction argumentative à la constitution du genre textuel des discours parlementaires : « le corpus est dialogique, (envers la situation de communication) oral et a le caractère d’un débat » (Maaß 2010a, 302 ; traduction H.S.). Par ailleurs, en suivant Eppler (2003, 14ss.), qui distingue quatre caractéristiques du discours politique, la technique argumentative employée dans le discours parlementaire peut être spécifiée : a) b) c) d)

l’esquive dans l’abstraction la dissimulation de responsabilité la dominance d’expressions évaluatives la moralisation

Tandis que la dissimulation de responsabilité et la dominance d’expressions évaluatives (le discours a une connotation morale et évaluative) sont principalement réalisées au niveau des lexèmes (cf. Eppler 2003, 15), l’esquive dans l’abstraction et la moralisation peuvent expliquer l’emploi préférentiel des connecteurs prépositionnels avec la technique argumentative. L’esquive dans l’abstraction peut être perçue comme une sorte de refuge permettant au politicien de concilier des bribes de vérités à son discours. En effet, d’un côté le discours politique doit être clair, accessible à tous, compréhensible pour tous, et éloquent de manière à ce que les idées transmises restent dans la mémoire des auditeurs. De l’autre côté, le politicien ne doit pas s’engager de manière définitive, car les circonstances qui suivront sont encore incertaines. Aussi, à la différence du scientifique, le politicien n’est pas à la recherche de « la » vérité mais il justifie ses attentes et ses décisions (Eppler 2003, 14ss.). L’esquive dans l’abstraction, telle qu’elle est définie par Eppler, correspond plutôt aux connecteurs prépositionnels en fonction de représentation argumentative {RA} dont la propriété est de lier faits et des événements – considérés comme reconnus et acceptés – afin de mettre en évidence des déséquilibres (122 cas) ; de renvoyer la responsabilité à d’autres personnes ou partis politiques (31 cas), et de motivent leurs actions (motivation 10 occurrences et promouvoir 60 occurrences). Ainsi, dans l’extrait suivant, Mme Bricq traite la question de la présence des femmes dans les services d’administration et met en relation deux faits reconnus – ce qu’elle souligne explicitement pour le second fait avec l’expression « on le sait » :

331

(214) MME NICOLE BRICQ : [...] C’est ainsi que la banque Natixis vient juste de nommer une femme à son conseil d’administration : elle est la seule femme parmi les quinze administrateurs que compte celui-ci. Quant au conseil d’administration du Crédit Agricole, sur vingt et un membres, il compte trois femmes. Les femmes, on le sait, sont pourtant {C} {RA} {PNL} {OPP} {deseq} très nombreuses dans les actions bancaires, y compris dans l’encadrement ! (Sénat) Dans cet exemple, Mme Bricq évoque d’abord la faible présence des femmes dans les conseils d’administration des banques, puis elle introduit le fait que les femmes sont « très nombreuses dans les actions bancaires ». En connectant ces faits avec pourtant, la sénatrice pointe du doigt un déséquilibre : « il y a peu de femmes dans les services d’administration » et « nombreuses sont les femmes en mesure d’exercer ces positions ». Avec pourtant, la sénatrice met un déséquilibre en évidence, et ouvre ainsi le débat sur la nécessité d’une action législative ayant pour but de remédier à cette injustice. Par ailleurs, dans le corpus Sénat, les parlementaires emploient la finalité moins pour mettre en évidence ce qui doit être évité (15 cas seulement) que pour accentuer ce qui doit être promu (60 cas). De cette manière les actants motivent leurs actes. (215) M. DOMINIQUE DE LEGGE : [...] Plutôt que de chercher à définir ce qu’est un contrat tombé en déshérence, nous nous sommes attachés à faire en sorte que {C} {RA} {PG} {FIN} {prom} chaque contrat finisse par trouver son bénéficiaire. (Sénat) Dans cet exemple, l’action promue « chaque contrat trouve son bénéficiaire » permet au locuteur de se démarquer de ses concurrents, qui eux cherchent à définir le contrat tombé en déshérence. Dans l’extrait suivant, la secrétaire d’État chargée de la prospective et du développement de l’économie numérique, Mme Kosciusko-Morizet, répond à la question de M. Foucaud concernant la possibilité d’une révision de la loi dite de modernisation de la diffusion audiovisuelle parce que la population de certaines communes de Haute-Normandie subit des nuisances de réception des programmes télévisés dues au passage en mode numérique. M. Foucaud a rappelé la solution proposée : « L’État … recommande aux municipalités concernées d'investir à hauteur de 100 000 euros dans des émetteurs complémentaires, dont les frais de fonctionnement s'élèveront annuellement à 50 000 euros » et conclut qu’« une telle dépense est inenvisageable ». Voici un extrait de la réponse de la secrétaire d’État : (216) MME NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET : … Pour répondre concrètement à votre intervention, non, nous ne recommandons pas aux communes d’investir dans des émetteurs numérisés, car ce n’est pas rentable. En revanche {C} {RA} {PG} {OPP} {comp}, oui, le fonds « parabole » s’adresse à tous les Français sans condition de ressources. Par conséquent {C} {RA} {PNL} {CONS} {result}, si un Français qui recevait la télévision par son antenne râteau ne reçoit pas le numérique parce que {C} {RA} {PNL} {CAU} {resp} l’émetteur n’est pas numérisé, sa parabole sera financée par le fonds d’aide, quelle que soit sa situation financière. (Sénat)

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En présentant les faits coordonnés avec en revanche, la secrétaire d’État propose un compromis. Avec si, elle conçoit la possibilité que le compromis proposé ne fonctionne pas dans tous les cas. Cependant, Mme Kosciusko-Morizet n’attribue pas le dysfonctionnement du compromis à la qualité de la loi en question, mais elle impute explicitement avec parce que la responsabilité de ce disfonctionnement aux moyens techniques « parce que l’émetteur n’est pas numérisé ». Le résultat découlant de ce cas de figure hypothétique est une nouvelle proposition de solution présentée comme la conséquence logique au problème qui peut être glosé par « si un Français ne reçoit pas le numérique, alors qu’il devrait, par conséquent sa parabole sera financée par le fonds d’aide ». En appliquant la technique argumentative avec l’action de représentation, la secrétaire d’État renvoie la responsabilité aux faits sans mettre en question le bien-fondé de la loi. Enfin, Eppler (2003, 17) attribue au discours politique une valeur morale : le parlement délibère de questions concernant la légitimité de mesures législatives, par exemple la question de l’équité d’une réforme fiscale pour les citoyens.81 En ce sens, nous considérons que le discours politique a une composante éthique. Dans l’extrait (217), Mme Boumediene-Thiery prend position par rapport à la question éthique concernant la mise en garde à vue : (217) MME ALIMA BOUMEDIENE-THIERY : [...] J’évoquerai tout d’abord {C} {ES} {PG} {DEB} l’utilisation abusive de la garde à vue. Supposée être une mesure grave, cette procédure est devenue un outil de gestion sécuritaire qui alimente, de manière artificielle, les statistiques de performance des actions de la police. C’est pourquoi {C} {EA} {PNL} {CONS} {conc} nous vous proposons de la limiter aux infractions punies d’au moins cinq ans d’emprisonnement. (Sénat) La sénatrice, en raison des abus de spoliation de liberté, introduit comme conclusion avec c’est pourquoi une proposition qu’elle considérée comme appropriée et conciliable avec les droits de l’homme et les valeurs éthiques en vigueur dans une société de droit. Le raisonnement est clos par un jugement : la sentence envers l’amendement ou le projet de loi. Dans le corpus Sénat, cette sentence concluant un discours ou un raisonnement est fréquemment introduite par c’est pourquoi : (218) M. Hervé Novelli : [...] C’est pourquoi {C} {EA} {PNL} {CONS} {conc} le Gouvernement sera favorable au texte issu des travaux de cette dernière. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.) (Sénat) (219) M. DOMINIQUE DE LEGGE : [...] C’est pourquoi {C} {EA} {PNL} {CONS} {conc} j’émets un avis défavorable sur le sous-amendement et un avis favorable sur l’amendement. (Sénat)

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Eppler (2003, 17) ajoute que le débat parlementaire est moral même si derrière certains arguments moraux se cachent des intérêts.

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Nous ajouterons aux caractéristiques énumérées par Eppler, un objectif déontique inhérent au discours parlementaire auquel les connecteurs prépositionnels contribuent. En effet, le discours parlementaire consiste en des raisonnements argumentatifs dont le but est d’amener les allocutaires à accomplir un acte concret : une prise de position concrétisé par un vote en faveur ou contre une proposition. En ce sens, le discours parlementaire peut être considéré comme déontique (cf. Eggs 1994, 16ss.).82 Eggs (ibid., 16) considère d’ailleurs que les deux types d’argumentations, éthique et déontique, sont étroitement liés. En effet, l’auteur part d’une opposition entre l’argumentation épistémique d’un côté et l’argumentation éthicoesthétique/déontique de l’autre : « Comme le dernier l’éthico-esthétique/déontique se rapporte à des systèmes de valeurs, nous l’appellerons, pour simplifier notre texte, le normatif » (ibid.). Dans le corpus Sénat, les invitations à prendre positions sont fréquemment exprimées de manière transparente par des énoncés performatifs tels que « je vous demande » ou « nous vous invitons » et sont introduites par des connecteurs dont la forme complexe témoigne du coût élevé de formulation :83 (220) MME ALIMA BOUMEDIENE-THIERY : C’est la raison pour laquelle {C} {EA} {PNL} {CONS} {conc} je vous demande de voter contre cette motion de renvoi à la commission. (Sénat) (221) MME ALIMA BOUMEDIENE-THIERY : […] Cette révolution juridique est au cœur de notre proposition de loi. C’est aussi la raison pour laquelle {C} {EA} {PNL} {CONS} {conc} nous vous invitons, chers collègues, à faire preuve de courage politique en adoptant aujourd’hui cette proposition de loi. (Sénat) (222) Mme Nicole Borvo Cohen-Seat : […] Pour toutes ces raisons {C} {EA} {PNL} {CONS} {conc}, mes chers collègues, je vous demande de renoncer à voter la motion tendant au renvoi à la commission de la proposition de loi et de débattre des conditions de la garde à vue, en prenant nos responsabilités de législateurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) (Sénat) Dans le corpus Sénat, la catégorie sémantique de conséquence est principalement réalisée par des connecteurs contenant les prépositions non-localisantes pour et par, et dont le degré de transparence est élevé :84 c’est pourquoi (57 tokens),

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Eggs (1994, 17) évoque un continuum entre le domaine éthico-esthétique et le domaine déontique. Cf. Wienen (2006, 324ss.) pour l’analyse comparative en synchronie de constructions attributives clivées de type « c’est pour cela que » en français, espagnol et allemand dans un corpus composé de textes littéraires et d’articles de presse. Fischer (2007) émet l’hypothèse d’un lien entre la complexité syntaxique et la transparence sémantique à l’exemple de l’anglais et de l’allemand.

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c’est la raison pour laquelle (27 tokens), par conséquent (20 tokens), pour cette raison (14 tokens), pour conclure (1 token) et pour ces motifs (1 token). Ces moyens coûteux quant à leur formulation introduisent fréquemment la conclusion finale dans laquelle se trouve formulé le jugement pour ou contre un amendement.85 Wienen (2006, 274ss.) constate par ailleurs que les éléments auxquels renvoient les connecteurs en construction clivée, tels c’est la raison pour laquelle ou c’est pour cela que, ne se situent pas toujours dans le cotexte antérieur immédiat du connecteur. Le connecte de gauche adéquat doit être recherché dans le cotexte précédent, il n’est pas toujours ponctuel mais peu selon la portée et la distance du renvoi, faire référence à un long passage textuel (cf. Wienen 2006, 275). Dans ce cadre, signalons que les connecteurs tels que c’est pourquoi, c’est la raison pour laquelle et (c’est) pour cette raison présentent l’avantage de rendre saillant, par la présence d’un élément déictique, les entités du développement situées en amont nécessaires à la justification de la prise de position et à l’exposition d’un jugement. Ces connecteurs employés en fonction d’explicitation argumentative {EA} avec la valeur sémantique de conséquence intègrent l’interlocuteur dans la recherche des éléments textuels adéquats à former les arguments dont découle la conclusion. En d’autres termes, ces connecteurs présupposent que les éléments textuels adéquats à la justification de la conclusion ont été nommés dans le cotexte précédent. Dans ce cadre, les résultats de l’étude du corpus Sénat se distinguent de ceux de l’analyse effectuée par Wienen (2006, 274ss.). En reprenant la stratification pragmatique des emplois de connecteurs proposée par (Sweetser 1990, 81), Wienen (2006, 274ss.) constate que seuls des événements « réels » peuvent être mis en relation directe par les connecteurs en construction clivée de type c’est pour cette raison.86 Nous pouvons émettre l’hypothèse que ce résultat est vraisemblablement lié aux genres textuels constituant le corpus analysé par Wienen (2006). En effet, son corpus contient des textes littéraires et des articles de presse.87 Or, comme nous l’avons montré, pour les articles de presse informatifs, les connecteurs employés exercent essentiellement une action de représentation de faits et d’événements liée à la tradition discursive journalistique objective et informative.88 L’emploi spécialisé des

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Cf. Maaß (2010a, 302) : l’emploi d’expressions complexes avec la fonction argumentative peut être renvoyé au caractère public des débats parlementaires, pour lesquels les arguments sont marqués de manière transparente. Wienen (2006, 275ss.) indique que les emplois des connecteurs en construction clivée ont recours à un verbum dicendi ou cogitandi pour agir sur le domaine épistémique ou conversationnel. Cf. Wienen (2006, 323). Wienen effectue son analyse sur la Base textuelle FRANTEXT pour la période 1950 à 2000 et le Monde diplomatique entre 1980–2000. A la différence du corpus Le Monde, Wienen, pour son corpus d’articles de presse, n’effectue pas de distinction interne selon les genres textuels informatifs ou commentaires. Pour une distinction des différents genres textuels dans le domaine des articles de presse voir la partie 6.1.1 Les « articles de presse » et le corpus Le Monde. Voir la partie 6.1.2 Profils pragmatiques des connecteurs prépositionnels dans le corpus Le Monde.

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connecteurs dans le liage événementiel est donc typique pour ce genre textuel. Dans le corpus Sénat, les connecteurs réalisant une représentation événementielle, signalent essentiellement de problèmes factuels et l’imputation de responsabilités. Mais, au centre des débats parlementaires se trouve surtout une discussion éthicodéontique dont le but est de démontrer par des arguments en quoi une loi ou un amendement etc. est légitime. Nous pouvons conclure que le débat politique présente un autre usage de la technique d’argumentation que celui du discours scientifique. Dans le discours scientifique, l’argumentation vise essentiellement à un gain de connaissance et de vérité (épistémique). Dans le corpus Sénat, en revanche, les connecteurs prépositionnels sont employés dans le but de convaincre les parlementaires à adopter ou refuser des lois (déontique) pour des raisons d’équité morale, sociale etc. (éthique). Dans ce cadre, les connecteurs contribuent de manière décisive à l’élaboration du discours déontique et éthique parlementaire. 6.3.5 Profils sémantiques des connecteurs prépositionnels dans le corpus Sénat Les résultats de l’analyse sémantique des connecteurs contenant des prépositions dans le corpus Sénat sont résumés dans le tableau suivant : catégories sémantiques des connecteurs prépositionnels pour 10 000 mots corpus mots

{ACT} {ADD} {ANT} {ARR} {DEB} {POS} {SIM} {CAU} {COND} {CONS} {FIN} {OPP}

Sénat 169 814

5,8

moyenne des corpus 7,1

28

1,5

5,8

9,5

4,6

2,1

14,4

1,8

17,4

4,4

14,4

20,5

1,1

3,4

6,4

3,3

2,3

19,3

0,9

10,6

2,8

10,4

Tableau 75 : les catégories sémantiques des connecteurs prépositionnels dans le corpus Sénat

Dans le corpus Sénat, les classes sémantiques les plus représentées sont l’addition (28 pour 10 000 mots), la conséquence (17,4 pour 10 000 mots), l’opposition (14,4 pour 10 000 mots) et la cause (14,4 pour 10 000 mots). Au niveau de ces catégories, seule l’addition est localisante, la conséquence, l’opposition et la cause en revanche sont non-localisantes. L’addition, la conséquence et l’opposition se situent d’ailleurs au-dessus de leur moyenne respective dans la totalité des corpus. L’addition apparaît en fonction d’explicitation structurante argumentative {ESA} avec 20,1 pour 10 000 mots et en fonction d’explicitation structurante {ES} avec 7,8 pour 10 000 mots. Cette distribution témoigne du profil fortement argumentatif du discours parlementaire. Les connecteurs les plus fréquemment employés afin d’exprimer une relation additive sont d’ailleurs (98 tokens) par ailleurs (69 tokens) et de plus (24 tokens). La conséquence est principalement réalisée avec la fonction d’explicitation argumentative {EA} (9,9 pour 10 000 mots), suivie de la fonction de représentation argumentative {RA} (3,2 pour 10 000 mots) et plus marginalement par les fonctions complexes d’explicitation structurante argumentative {ESA} (0,8 pour 10 000 mots) et de représentation structurante argumentative {RSA} (1,5 pour 10 000 mots) Les connecteurs prépositionnels fréquemment employés pour marquer une relation de conséquence sont c’est pourquoi (64 tokens), c’est la raison pour laquelle (28 tokens) et pour ces raisons (16 tokens). La conséquence réalisée avec la fonction

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d’explicitation argumentative {EA} introduit un jugement en se référant au raisonnement dans le cotexte de gauche.89 L’opposition avec la fonction de représentation argumentative {RA} (7,5 pour 10 000 mots), est suivie de l’explicitation argumentative {EA} (4,8 pour 10 000 mots) et enfin de la représentation structurante argumentative {RSA} (1,8 pour 10 000 mots). Il est intéressant de constater que l’opposition est plus fréquente au niveau de la représentation des événements qu’au niveau du discours. Nous l’avons évoqué dans la partie 4.5.3 Les valeurs sémantiques non-localisantes, l’opposition avec la fonction de représentation argumentative {RA} met en évidence une différence, une compensation ou un déséquilibre. Dans le corpus Sénat l’expression d’une différence représente 6 cas, la compensation 27 cas, et le déséquilibre 128 cas. Les connecteurs qui établissent une relation d’opposition signalent donc principalement un déséquilibre entre les faits observés. Les connecteurs les plus fréquemment employés pour l’expression de l’opposition sont alors (même) que (57 tokens), cependant (49 tokens), pourtant (41 tokens), en revanche (34 tokens) et pour autant (34 tokens). La réalisation de la cause se produit principalement avec la fonction d’explicitation argumentative {EA} (10,4 pour 10 000 mots), marginalement avec les fonctions d’explicitation structurante argumentative {ESA} (1,4 pour 10 000 mots), de représentation structurante argumentative {RSA} (1,3 pour 10 000 mots) et de représentation argumentative {RA} (1,1 pour 10 000 mots). L’étude de corpus montre que les trois connecteurs fréquemment employés afin d’exprimer la relation de cause sont en effet (182 tokens), parce que (52 tokens) et dès lors que (20 tokens). Tandis que parce que peut aussi bien lier au niveau des états de choses en fonction {RA} (18 occurrences) qu’au niveau du texte en fonction {EA} (31 occurrences) et, en effet aussi bien au niveau du texte en fonction {EA} (130 occurrences) que de l’interaction en fonction {IA} (21 occurrences) et {ISA} (3 occurrences), dès lors que est exclusivement employé pour lier des états de choses, des faits et cumule trois catégories sémantiques : le début, la condition et la cause. Aussi, dans l’exemple (223), l’élément introduit par dès lors que est à la fois la condition pour le premier connecte, mais aussi sa cause : (223) MME NADINE MORANO : [...] Il n’est aucunement justifié d’empêcher un dirigeant de droit privé d’une entreprise publique d’exercer une autre fonction dans une entreprise privée dès lors que {C} {RSA} {PT} {DEB} {COND} {CAU} {resp} cette seconde action ne nuit pas à l’exercice de ses fonctions dans le cadre de la direction de l’entreprise publique. (Sénat) Dans le corpus Sénat, la cause permet principalement d’apporter une preuve (161 occurrences) afin de démontrer le bien-fondé de certains jugements ou décision. Dans l’extrait suivant, la conclusion « il y a urgence » est étayée par un argument, une preuve, introduit par parce que :

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Les emplois des connecteurs marquant la conséquence sont abordées de manière détaillée dans la partie 6.3.4.2 Les techniques dans le corpus Sénat.

337

(224) MME ALIMA BOUMEDIENE-THIERY : […] Lorsqu’il y a privation de liberté, enfermement, il y a urgence parce que {C} {EA} {PNL} {CAU} {preu} c’est la dignité humaine qui est touchée ! (Sénat) Ce dernier exemple résume le profil des connecteurs prépositionnel employés dans le corpus Sénat : convaincre que le point de vue défendu par le locuteur est juste pour la communauté. 6.3.6 Epilogue L’analyse du corpus Sénat a documenté la spécificité des emplois des connecteurs prépositionnels, ce qui les distingue de leurs usages dans les deux autres corpus jusqu’à présent étudiés. En raison de la fréquence des connecteurs et de leurs emplois réalisant l’action d’explicitation, nous avons émis l’hypothèse que les connecteurs prépositionnels servent essentiellement la règle de clarté. Cette tendance est soulignée par la fréquence de connecteurs, qui, de par leur forme prédicative ou dénominative, présentent un degré élevé de transparence. La clarté des formes connectives étant liée à un coût de formulation élevé, la règle d’économie semble jouer un rôle mineur dans le corps Sénat. L’argumentation est la technique centrale employée par les connecteurs dans le corpus Sénat. A la différence du corpus Sciences qui présentait une argumentation de type épistémique, l’argumentation dans le corpus Sénat a été caractérisée d’éthico-déontique dans la mesure où les sénateurs agissent dans un discours « manichéen » cherchant à convaincre du bien ou du mal des propositions et des points de vue discutés, et plaident en faveur de la réalisation d’actions concrètes : leur adoption ou rejet. Au niveau sémantique, outre l’addition qui est la classe la plus fréquente, point commun avec Le Monde et Sciences, la conséquence joue, de manière démarcative, un rôle récurrent dans le corpus Sénat. Les connecteurs à valeur sémantique de conséquence mettent des faits en relation, mais ils introduisent essentiellement des conclusions issues d’un raisonnement antérieur. Ces conclusions résident en des jugements (pour ou contre une motion de renvoi, un amendement) ou des appels à l’action (demande de voter pour ou contre une motion de renvoi ou un amendement).

6.4 Les connecteurs prépositionnels dans le corpus Oral 6.4.1 L’oralité et les connecteurs prépositionnels Oral est, en raison des cinq paramètres90 de la libre distribution des rôles, du liage au temps, de la situation de communication comme lieu de référence commun, de la complémentarité du code verbal et non verbal et du médium oral, un corpus comprenant des textes d’oralité conceptionnelle proximale et médiale.

––––––– 90

Voir la présentation des cinq paramètres selon Ágel/Hennig (2007b) dans la partie 6.3.4.2 Les techniques dans le corpus Sénat.

338

La langue parlée, pour laquelle l’intérêt s’est accru avec l’émergence de la linguistique textuelle et pragmatique dans les années 1960, est devenue une discipline autonome. Concernant l’étude du français parlé, deux centres d’intérêts se sont cristallisés en France et en Allemagne. En France s’est établie, autour de Claire Blanche-Benveniste, une école centrée sur l’étude de la syntaxe textuelle.91 En Allemagne, en revanche, la perspective adoptée est dirigée sur les fonctions communicatives de certaines formes comme les signaux d’articulation (Gliederungssignalen) (cf. Gülich 1970).92 Afin de saisir les différences entre le code parlé et le code écrit, Ludwig Söll (1974) a introduit une précision terminologique avec les termes médium et conception. Suivant cette distinction, la langue peut être réalisée par un médium soit oral, soit écrit, et, au niveau de la conception, elle peut présenter un caractère plutôt oral ou plutôt écrit. Dans les années 80, afin de remédier au flou terminologique, Koch/Oesterreicher (1985)93 ont introduit les termes proximité et distance qui font respectivement référence à l’oralité et à l’écriture conceptionnelle. La proximité et la distance constituent en outre un continuum de paramètres tels le caractère privé, l’affectivité, la proximité physique et la spontanéité. Ces paramètres conditionnent des stratégies de verbalisation telles que le degré de planification, le caractère éphémère, le degré d’intégration syntaxique etc. Une élaboration du modèle du continuum de proximité et de distance a été proposée par Ágel/Hennig (2007) dont les traits principaux ont été présentés dans la partie 6.3.4.1 Les actions dans le corpus Sénat.94 Le langage proximal se distingue du langage distal à différents niveaux. Les propriétés universelles de la conception orale et leur réalisation concrète dans les langues romanes ont été traitées par Koch/Oesterreicher (1990). Au niveau lexical (1990, 102ss.), les auteurs relèvent la tendance aux itérations de lexèmes sur l’axe syntagmatique (les mots dits passe-partout) ainsi qu’une faible différenciation sur

––––––– 91

92

93 94

Citons par exemple Le français parlé. Edition et transcription (Blanche-Benveniste/Jeanjean 1987), Le français parlé. Etudes grammaticales (Blanche-Benveniste/Bilger/Rouget/van den Eynde 1990) ou Approches de la langue parlée en français (Blanche-Benveniste 2000). Maiworm (2003) propose un exposé détaillé de la recherche sur le français parlé depuis les années quarante et présente les premiers corpus en français parlé. Koch/Oesterreicher (1985 ; 1990 ; 1994 ; 2008). Dans son chapitre concernant le corpus Oral, Maaß (2010a, 308) présente également l’approche de Bazzanella (1994 ; 2005) qui propose une classification alternative afin de décrire l’oralité en distinguant les propriétés de la situation d’énonciation et les particularités linguistiques. En résumé, Bazzanella (1994, 15) distingue trois macro-traits de l’imbrication situationnelle de la langue qui agissent à leur tour sur la forme de la langue employée : 1) le moyen phonique-acoustique, qui correspond à la propriété du médium de l’oralité et de l’écriture chez Koch et Oesterreicher (1990, 2) le contexte extralinguistique commun (la plupart du temps il s’agit de la coprésence des partenaire de communication qui favorise l’emploi de moyens non-verbaux et de déictiques) ; 3) la situation du locuteur et du partenaire de communication dans une situation de communication commune (possibilité d’interaction entre le locuteur et l’allocutaire et changement de locuteur fréquente, moyens phatiques, feedback, référence à un savoir commun).

339

l’axe paradigmatique.95 D’autres caractéristiques sont la réalisation de références floues et l’emploi de déictiques comme procédé économique et expressif ainsi que l’emploi d’expression affective témoignant des émotions du locuteur. Bien que la description des connecteurs prépositionnels dans le corpus Oral concerne moins le domaine lexical que le domaine syntaxique, la liste des universaux proximaux laisse escompter, sur l’axe paradigmatique, peu de variations au niveau des formes connectives et donc la récurrence des emplois de certaines formes, voire des itérations sur l’axe syntagmatique. Le domaine syntaxique est, quant à lui, caractérisé par une faible congruence, des anacoluthes, des phrases non achevées, une suite thème-rhème marquée96 et, au niveau du liage des phrases, une préférence pour la parataxe (Koch/Oesterreicher 1990, 82ss.). La condition de communication proximale implique au niveau syntaxique une formulation moins coûteuse avec un temps de planification plus restreint ainsi qu’une prospective et rétrospective limitées (Koch/Oesterreicher 1990, 83). En ce sens, Koch et Oesterreicher (1990) parlent de la tolérance du langage proximal envers les règles syntaxiques qui portent non seulement sur les phénomènes de congruence mais aussi sur différents types de relations syntaxiques : anacoluthe, complémentation (Nachtrag), rétrécissement (Engführung), phrases incomplètes etc. Un point central concernant l’emploi des connecteurs porte sur la complexité syntaxique des énoncés. Koch et Oesterreicher (1990, 96) mentionnent que l’hypotaxe compte parmi les procédés syntaxiques les plus complexes, nécessitant une planification intensive. Alors que la parataxe enchaîne, aligne des phrases de même rang au niveau du discours, les procédés hypotaxiques imbriquent des phrases subordonnées dans un cadre syntaxique hiérarchiquement plus élevé. La structure phrastique, au caractère intégratif prononcé, obtenue présuppose un degré de planification élevé lors de la formulation du discours. Le caractère agrégatif de la parataxe, en revanche, est favorisé par le langage proximal spontané qui dispose d’un degré de planification restreint. En conséquence, l’accumulation de structures paratactiques n’est pas surprenante dans le discours proximal (Koch/Oesterreicher 1990, 96). Le discours distal quant à lui favoriserait l’hypotaxe, qui, cependant, n’est pas exclue du discours proximal (Koch/Oesterreicher 1990, 98). Une condition centrale quant à la réalisation de construction hypotaxique est l’orientation au principe de formulation proximal linéaire BASE ^ DEVELOPPEMENT (Koch/Oesterreicher 1990, 99). Ainsi, des constructions hypotaxiques se trouvent par exemple réalisées lors du positionnement de la subordonnée en position clivée. Koch et Oesterreicher (1990, 100) constatent que cette structure se limite à certains types sémantiques (phrases conditionnelles, temporelles et causales) dont la suite « subordonnée + principale » reflète une relation logico-sémantique (condition-conséquence ; temps-état ; cadre causal-état/événement) qui peut être considérée comme iconique. Une des formes paratactiques privilégiée citée par Koch/Oesterreicher, est la conjonction passe-partout « que », répandue en italien « che » et espagnol « que », mais plus rare en français :

––––––– 95 96

De même, Müller (1975, 75) signale une faible variance lexicale pour le discours proximal. Söll (1974, 58) évoque la haute fréquence de phrases marquées, de mise en relief de différents types, et de structure « thème–rhème ».

340

(225) A …il a été éjecté de sa voiture par le choc qu’il y a eu là. A que ça a ouvert la portière par le choc des trottoirs. … (Koch/Oesterreicher 1990, 99) La conjonction que présente la structure linaire standard BASE ^ EVOLUTION et, est en ce sens adaptée aux conditions de planification du discours proximal (Koch/Oesterreicher 1990, 99). Aussi les auteurs commentent-ils le statut syntaxique de la conjonction que comme se situant dans une « zone grise » bienvenue pour les formulations du langage proximal entre l’hypotaxe et la parataxe. L’évocation de la « zone grise » conforte la conception de notre modèle qui prévoit la présence d’emplois intermédiaires situés entre les deux classes. Au niveau syntaxique, on peut donc s’attendre à ce que les connecteurs prépositionnels employés soient proches du pôle agrégatif et plus éloigné du pôle intégratif, ou en d’autres termes qu’ils appartiennent plutôt à la classe des parajonctions qu’à celle des jonctions. 6.4.2 Profils pragmatiques des connecteurs prépositionnels dans le corpus Oral La répartition des catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels dans le corpus Oral est résumée dans le tableau 76 : corpus

connecteurs

catégories fonctionnelles des connecteurs des prépositionnels pour 10 000 mots {RS}

{RSA}

{RA}

{ES}

{ESA}

{EA}

{IS}

{ISA}

{IA}

Oral

196,8

8,7

3,3

27

4,5

17,1

23,1

53,1

24,4

35,6

moyenne

99,5

7,2

4,7

17,5

11

18,6

14,7

15

7,1

12,2

Tableau 76 : les catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels dans le corpus Oral

Au point de vue quantitatif, Oral est avec 1626 connecteurs soit 196,8 connecteurs pour 10 000 mots, le corpus contenant le plus de connecteurs prépositionnels. Les résultats de l’étude de corpus montrent que les deux corpus médialement oraux et dialogiques présentent plus de connecteurs prépositionnels que les corpus médialement écrits et monologiques. En conséquence, les connecteurs prépositionnels présentent un ancrage dans le discours oral proximal. Les résultats de l’évaluation des fonctions du corpus Oral exprimés en pourcentage sont visualisés dans le graphique 15 :

341

{IA} 18,1%

{RS} 4,4%

{RSA} 1,7%

{RA} 13,7% {ES} 2,3%

{ISA} 12,4%

{ESA} 8,7%

{EA} 11,7% {IS} 27,0%

Graphique 15 : les fonctions des connecteurs contenant des prépositions dans le corpus Oral

Quantitativement, les trois fonctions les plus répandues dans le corpus Oral sont l’interaction structurante {IS} (27 %), l’interaction argumentative {IA} (18,1 %) et la représentation argumentative {RA} (13,7 %) ; elles sont suivies de l’interaction structurante argumentative {ISA} (12,4 %) et de l’explicitation argumentative {EA} (11,7 %). Toutes ces fonctions se situent au-dessus de la moyenne des fonctions documentées dans la totalité des corpus. En revanche, en raison de leur faible fréquence, les quatre fonctions explicitant ou représentant la structure (argumentative) du texte ou des événements {ESA} (8,7 %), {RS} (4,4 %), {ES} (2,3 %) et {RSA} (1,7 %) présentent un caractère périphérique dans le corpus Oral. Dans ce genre textuel, force est de constater la prépondérance des fonctions (jonction-parajonction) intermédiaires des connecteurs prépositionnels qui se situent essentiellement au niveau de l’interaction : l’interaction structurante argumentative {ISA} avec 12,4 % et l’interaction argumentative {IA} avec 18,1 %. Ces résultats signifient que des connecteurs conventionnellement employés comme des jonctions, se trouvent, dans ce corpus, employés conversationnellement employés comme des parajonctions. L’emploi conversationnel des connecteurs prépositionnels dans le discours oral de proximité confirme l’importance de la « zone grise » évoquée par Koch/Oesterreicher (1990).97 Le point commun entre les deux fonctions les plus fréquemment employées est l’action d’interaction : les connecteurs s’adressent aux partenaires de conversation et l’intègrent de manière active lors de la mise en relation. La fonction prépondérante consiste en une structuration de l’interaction, les deux principaux connecteurs pre-

––––––– 97

Voir la partie 6.4.1 L’oralité et les connecteurs prépositionnels.

342

nant en charge cette fonction sont enfin (208 tokens) et alors (182 tokens). Pour l’interaction structurante {IS}, huit procédures ont été distinguées : la rectification (166 occurrences), l’actualisation (120 occurrences), la reformulation (82 occurrences), le turn (39 occurrences), l’interpellation (28 occurrences), la proposition (2 occurrences), l’amplification (1 occurrence) et le soulagement (1 occurrence). Le connecteur enfin signalise principalement à l’interlocuteur que le locuteur rectifie la planification syntaxique (anacoluthe) ou reformule les contenus précédemment énoncés. Quant au connecteur alors, il est essentiellement employé pour actualiser le discours et le lien avec le partenaire pendant le turn. Quand le turn d’un locuteur est assez long, alors peut être employé de manière itérative ce qui confirme l’emploi répétitif du matériel linguistique sur l’axe syntagmatique.98 L’interaction argumentative {IA} (18,1 %) est la troisième du classement.99 Les connecteurs en fonction d’interaction augmentative réalisent des procédures de confirmation (186 occurrences), de commentaire (63 occurrences) et de rectification (41occurrences). Les connecteurs les plus fréquents en fonction d’interaction argumentative sont en fait avec 191 occurrences et parce que avec 65 occurrences. La troisième fonction ne comprend plus l’interaction, mais elle agit au niveau des événements. En effet, la fonction de représentation argumentative {RA} (13,7 %) exprime la cause (153 occurrences), l’opposition (45 occurrences), la finalité (18 occurrences), et enfin la conséquence (8 occurrences). La représentation argumentative est principalement prise en charge par les connecteurs parce que (152 tokens), alors que (18 tokens) et par contre (15 tokens). L’interaction structurante argumentative {ISA} (12,4 %) est principalement prise en charge par les connecteurs alors (98 tokens), enfin (57 tokens) et parce que (27 tokens). L’analyse de corpus documente que les connecteurs prépositionnels employés en fonction d’interaction structurante argumentative effectuent cinq procédures : l’actualisation (85 occurrences), la rectification (40 occurrences), la reformulation (27 occurrences), le turn (28 occurrences), l’interpellation (18 occurrences) et la confirmation (2 occurrences). Les connecteurs les plus fréquents sont enfin (208 tokens), alors (182 tokens) et c’est-à-dire (45 tokens). Les interprétations pragma-sémantiques des connecteurs en fonction d’explicitation argumentative {EA} (11,7 %) sont dans 172 cas des preuves (catégorie sémantique de cause), dans 16 cas des conclusions (catégorie sémantique de conséquence), et dans 3 cas des retournements de jugement (catégorie sémantique d’opposition). L’explicitation de la matière textuelle avec la technique argumentative est principalement prise en charge par les connecteurs parce que (172 tokens) et c’est pour ça que (11 tokens). Les fonctions à caractère périphérique contenant une explicitation {ESA} (8,7 %) et {ES} (2,3 %) se trouvent en deçà de leur moyenne totale respective. La fonction de représentation structurante {RS} (4,4 %) quant à elle se situe légèrement

––––––– 98 99

Voir la partie 6.4.1 L’oralité et les connecteurs prépositionnels. La présentation détaillée de la fonction d’interaction argumentative dans la partie 6.4.2 Les profils pragmatiques dans le corpus Oral permettra de préciser la différence de cette fonction par rapport aux fonctions d’interaction structurante et d’interaction structurante argumentative évoquée au chapitre 4 Modèle pragmatique et sémantique pour les connecteurs prépositionnels.

343

au-dessus de la moyenne. Cette fonction qui est employée pour structurer des séquences narratives des conversations,100 est prise en charge par des connecteurs tels que ensuite (19 tokens) au départ (10 tokens), pour l’instant (9 tokens), en même temps (6 tokens). Il est intéressant de constater que, la fonction d’explicitation structurante argumentative {ESA}, qui était centrale aux corpus Sénat (23,4 pour 10 000 mots) et Sciences (26,4 pour 10 000 mots) joue un rôle périphérique dans le corps Oral (17,1 pour 10 000 mots). Elle est principalement prise en charge par les connecteurs d’ailleurs (45 occurrences), en plus (39 occurrences) et par exemple (30 occurrences). Les fonctions d’explicitation structurante {ES} (2,1 %) et de représentation structurante argumentative {RSA} (1,7 %) sont très faiblement représentées. Rappelons que la fonction {RSA} (12,9 %) jouait un rôle particulier dans le corpus Le Monde et {ES} dans les corpus Sciences (20,2 %) et Sénat (18,3 %). L’explicitation structurante {ES} apparaît la plupart du temps avec la catégorie sémantique d’addition (26 occurrences) réalisée par les connecteurs surtout, d’ailleurs, d’un autre côté, d’une part, et plus rarement avec la catégorie début (9 occurrences) réalisée par d’abord, au début et au départ et la catégorie postériorité (2 occurrences) marquée par ensuite. Les classes sémantiques les plus fréquemment employées avec en fonction de représentation structurante argumentative {RSA} sont les compositions début-cause (12 occurrences) réalisées avec les connecteurs dès que et depuis que et simultanéité-opposition (10 occurrences) réalisées avec les connecteurs en même temps et pendant que. 6.4.2.1

Les actions dans le corpus Oral

Le graphique 16 visualise la répartition des différentes actions réalisées dans le corpus Oral :

––––––– 100

Gülich/Mondada (2008, 108ss.) insistent sur le rôle joué par les moyens extralinguistiques (mimique, gestique, regard) afin de captiver l’attention de l’allocutaire lors de la conversation. Les moyens linguistiques de structuration qui en outre ordonnent les événements rapportés, réalisent donc la maxime Gricienne de manière « soyez ordonné ».

344

{R} 19,9%

{I} 57,4%

{E} 22,6%

Graphique 16 : les actions dans le corpus Oral

L’interaction {I_} est, avec 57,4 %, l’action la plus fréquente dans le corpus Oral. De plus, elle est trois fois plus haute que la moyenne de la totalité des corpus. L’explicitation {E_} 22,6 % et la représentation 19,9 % jouent un rôle quantitativement quasi similaire dans le corpus Oral. Étant donné que l’interaction est l’action la plus fréquente dans le corpus Oral, et démarque celui-ci des autres corpus, cette action et les fonctions, dont elle est une constituante, seront présentées de manière détaillée. L’interaction est présente dans trois fonctions distinctes qui occasionnent différentes procédures. Les procédures réalisées ont été évoquées dans le chapitre précédent et sont récapitulées dans le tableau ci-dessous selon la fonction dont elle est constituante :

345

fonction

{IS}

{ISA}

{IA}

procédures dans toutes les catégories (valeur absolue)

rectification (166)

rectification (40)

rectification (41)

procédures dans deux catégories (valeur absolue)

actualisation (120) ; reformulation (82) ; turn (39) ; interpellation (28)

actualisation (85) ; reformulation (27) ; turn (28) ; interpellation (18) ; confirmation (2)

confirmation (186)

procédures dans une catégorie (valeur absolue)

proposition (2) ; amplification (1) ; soulagement (1)101

commentaire (63)

Tableau 77 : les procédures réalisées par les connecteurs prépositionnels dans le corpus Oral

Ainsi l’interaction structurante {IS} présente avec 8 procédures distinctes l’éventail procédural le plus déployé, elle est suivie de l’interaction structurante argumentative {ISA} avec 6 procédures, puis l’interaction argumentative {IA} avec 3 procédures. Ces trois fonctions contenant une interaction, ont une procédure commune : la rectification. La rectification peut donc structurer, structurer et argumenter ou argumenter. La question qui se pose désormais est de savoir comment préciser les différentes manifestations – recensées dans tous les corpus et principalement dans le corpus Oral – de l’interaction aussi avec les techniques de structuration, d’argumentation et de structuration argumentation ? En effet, en règle générale, les connecteurs prépositionnels qui exercent une interaction – dans la littérature les marqueurs discursifs (ou parajonctions) – ont une fonction de structuration de la conversation.102 En conséquence, l’interaction serait essentiellement réalisée avec la technique de structuration ; cette assertion est confortée par le résultat quantitatif de la présente étude, dans la mesure où l’interaction structurante {IS} est la fonction la plus fréquente avec 27 %. Cependant, comme le montre l’analyse de corpus, outre la technique de structuration {_S} les deux autres techniques (argumentative et structurante argumentative) sont employées de manière non négligeable. Dans le corpus Oral, la technique des connecteurs prépositionnels employé avec l’interaction est la structurante {_S}. D’un point de vue topologique, les connecteurs prépositionnels employés en fonction d’interaction structurante {IS} sont fréquemment placés dans la périphérie – au début ou à la fin – d’un énoncé ou d’un turn.103 La marque structurelle de l’énoncé ou du turn réside en une information primaire adressée à l’allocutaire sur les extrémités et limites formelles de cet énoncé. Le discours de médium écrit, quant à lui dispose d’un inventaire différencié de signes

––––––– 101

102

103

En raison de leur faible fréquence, les procédures d’amplification et de soulagement et de ne seront pas présentées de manière détaillée. Pour une vue d’ensemble concernant les fonctions des marqueurs discursifs voir Gülich/Mondada (2008, 95ss.), Gülich (2006, 11ss.) et Auchlin (1981) : « les marqueurs de la structuration de la conversation ». Cf. Auer/Günthner (2005) ; Ágel (2010) ; Hölker (1988) ; Gülich/Mondada (2008).

346

de ponctuation permettant la délimitation d’unités syntaxiques et d’unités de sens, d’où le faible rôle de l’interaction avec la technique de structuration dans les corpus de médium écrit :104 « La ponctuation est le système de signes graphiques qui contribuent à l’organisation d’un texte écrit et qui apportent des indications prosodiques, marquent des rapports syntaxiques ou véhiculent des informations sémantiques »105 (Riegel/Pellat/Rioul 32008, 83) Ces signes ne font cependant pas partie du catalogue linguistique dont dispose les actants dans le discours oral. Tandis que le code écrit peut introduire une reformulation au moyen de deux points,106 le code oral nécessite un moyen linguistique audible par exemple enfin ou encore c’est-à-dire. Ceci explique l’importance et l’abondance des connecteurs prépositionnels en fonction d’interaction structurante {IS} dans le corpus Oral. En d’autres termes, dans le discours oral de proximité, les actants nécessitent d’autres moyens linguistiques que dans le discours écrit, afin de signaler les limites de leur énoncé ou d’un turn. Pour ce faire, les actants ont recours à des moyens audibles. Nous ne considérerons cependant pas les connecteurs prépositionnels en fonction d’interaction structurante comme des calques de signes de ponctuation, ou à l’inverse, les signes de ponctuation comme les calques des connecteurs en fonction d’interaction structurante. Mais, d’après nous, il s’agit respectivement de marques propres aux discours de médium écrit et oral, qui ont, des fonctions syntaxiques, sémantiques et pragmatiques spécifiques. Par exemple, dans le corpus Oral, outre la marque d’une extrémité, les connecteurs prépositionnels peuvent marquer le maintien et l’actualisation du droit de parole (ce qui correspond à la procédure actualisation {act}). De plus, ces connecteurs livrent des informations à l’allocutaire quant au traitement des actes de langage qui suivent : l’intervention qui suit le connecteur est une reformulation, une rectification, une actualisation etc.. En ce sens, ces connecteurs prépositionnels en fonction d’interaction structurante peuvent être comparés à la didascalie des textes écrits de pièces de théâtre qui donnent entre autres des indications concernant la prise de parole de tel ou tel personnage. Par ailleurs, à l’image de leurs positions topologiques marquées en début ou en fin d’énoncé, ces connecteurs ont une fonction qui peut être caractérisée de topologique, car ils signalent les frontières d’un énoncé ou mettent en évidence que l’action commencée n’est pas achevée : les connecteurs employés lors de l’interaction introduisent, invitent et congédient.

––––––– 104

105 106

Rappelons la répartition quantitative de la fonction d’interaction structurante {IS} dans ces corpus : Le Monde 2,4 % ; Sciences 3,3 % ; et Sénat 2,8 %. Cet énoncé est mis en relief dans l’original. « Les deux points ont un rôle à la fois démarcatif et énonciatif. Tout en remplaçant, selon les cas la virgule ou le point-virgule, ils sont des ‘signes de rapport’ qui introduisent un terme entretenant un rapport sémantique ou énonciatif avec ce qui précède ». Pour les deux points, les auteurs distinguent les fonctions suivantes : ils introduisent une citation ou un discours rapporté ; ils annoncent une énumération ou des exemples, et, dans un discours didactique en particulier ; ils « manifestent un rapport logique qui dépend du contexte, c’est-à-dire du rapport entre les termes qu’ils séparent ; ce peut être la cause, l’explication, la conséquence, l’opposition, la restriction, etc. […] » (Riegel/Pellat/Rioul 32008, 92).

347

Les connecteurs prépositionnels avec la technique de structuration agissent aussi bien sur leur cotexte de gauche, par exemple lors d’une rectification de ce qui vient d’être dit, que sur le cotexte de droite, par exemple, lors de prise de parole ou d’interpellation. Dans l’exemple (226), ALE invite son partenaire de communication à prendre la parole avec le connecteur alors ; cette procédure a été annotée avec le tag {interpel} : (226) *ALE : alors {C} {IS} {PG} {interpel} / *CHA : alors {C} {IS} {PG} {turn} [/] # alors {C} {IS} {PG} {act} l’amour est-il une denrée périssable ? hhh (Oral) Ici, les deux occurrences d’alors se situent en début d’énoncé. Dans la contribution d’ALE alors est employé de manière holophrastique. Cet emploi a été interprété comme un backchannel, c’est-à-dire une incitation à prendre la parole (cf. Maaß/Schrott 2010b, 16ss.). Lors de sa première occurrence alors est employé par ALE afin d’inciter CHA à prendre la parole. A son tour CHA marque le début de son turn par un alignement linguistique sur l’intervention d’ALE en employant alors. Le partenaire de communication « aligne », c’est-à-dire il calque son intervention en prenant la parole avec le même connecteur prépositionnel. De même qu’en (226), dans les exemples (227) et (228) alors est placé en début d’énoncé : (227) *ALE : // (Oral) (228) *MON : # (Oral) Comme le montre ces deux extraits du corpus Oral, l’interpellation réalisé avec alors ne se limite pas toujours aux emplois holophrastiques du connecteur, mais la réaction attendue peut être précisée. Dans l’exemple (227), le locuteur renforce avec « vas-y » qu’il attend le début d’une action ; dans l’exemple (228), le locuteur précise avec « raconte » que son attente consiste en une narration. A la différence des énoncés précédents, dans les exemples (229) et (230), alors se situe topologiquement en fin d’énoncé et l’acte de langage est interrogatif : (229) *MAI : et vous vous avez fait quoi ce week-end alors {C} {IS} {PG} {interpel} ? # (Oral) (230) *NAT : et qu’est-ce que tu as acheté d’autre alors {C} {IS} {PG} {interpel} ? (Oral) Dans les énoncés (229) et (230), la précision de l’action attendue est située dans le cotexte de gauche du connecteur alors. Il s’agit respectivement de la narration du week-end précédent et de l’énumération des achats. En employant alors, le locuteur incite et indique à l’allocutaire que c’est à lui de prendre la parole en lui transmettant ce droit de manière explicite. Alors par sa position topologique à l’extrémité d’un segment articule les interactions : il est le « ligament » entre les contributions produites par différents locuteurs. Le connecteur enfin peut indiquer au partenaire de conversation que l’énoncé commencé est un « faux départ » et initie de cette manière un nouveau départ. Dans 348

l’exemple (231), enfin signale une correction marquant un changement de planification syntaxique (cf. Koch/Oesterreicher 1990, 85) : (231) *VAL : // mais tu crois pas que là / il y a une certaine habitude / qui enfin {C} {IS} {PG} {rect} / dans l’&en [/] dans la vie de couple au quotidien ... (Oral) Dans cet extrait, le locuteur VAL au lieu de poursuivre ses propos avec une relative introduite par qui, marque le changement de planification syntaxique avec enfin et favorise pour la suite de son intervention un groupe prépositionnel « dans la vie de couple au quotidien ». Dans l’exemple (232), MAR reconsidère le premier énoncé par le truchement d’enfin : (232) *MAR : ouais // apparemment / dans le sud de la France / enfin {C} {IS} {PG} {ref} ici quoi / # sur Aix Marseille (Oral) Après avoir vaguement localisé un événement « dans le sud de la France », MAR reconsidère son intervention : la jugeant imprécise, elle spécifie alors les lieux en question « sur Aix, Marseille ». Avec Kotschi (1992, 367), cet emploi d’enfin peut être considéré comme reformulatif car le contenu pris en charge par E1 est considérée par le locuteur L comme insuffisamment clair.107 L’opacité de l’énoncé déclenche de manière rétroactive l’emploi d’enfin qui introduit le point de vue de E2 qui consiste en une reformulation de l’énoncé précédent. Dans l’exemple donné par Kotschi (1992, 367) (ces iris comme ça qui sont rhizomateux, enfin avec une sorte de gros tubercule) la procédure de reformulation consiste en despécification (mouvement inductif), dans l’exemple (232), en revanche, il s’agit du mouvement inverse allant du général au particulier (mouvement déductif). Avec Koch/Oesterreicher (1990, 85) la procédure de reformulation réalisée par enfin dans l’exemple (232) peut être précisée. Au niveau syntaxique, il ne s’agit pas du procédé de supplémentation (Nachtrag) mais d’un rétrécissement (Engführung). La supplémentation est un procédé syntaxique proximal autorisant un changement de planification qui touche non pas la construction mais la suite linéaire des constituants : il s’agit d’un ajout d’information rétroactif. En revanche, le procédé de rétrécissement dont il est question ici, ne réside pas en l’ajout rétroactif d’un constituant, mais en un dédoublement du même constituant, ici un syntagme prépositionnel. Le rétrécissement permet l’apport d’une précision sémantique. Dans la relation méronymique qui unit le sud de la France à Aix-en-Provence et Marseille, les deux villes sont des indications géographiques plus précises que ne l’était le sud de la France. Ce procédé syntaxique de rétrécissement initié par la parajonction enfin correspond au niveau pragmatique-textuel à l’emploi reformulatif des connecteurs prépositionnels. La structuration n’est cependant pas la seule technique qui assume la réalisation de l’interaction, car tous les connecteurs exerçant une interaction ne se situent pas nécessairement à l’une des extrémités des énoncés connectés. Aussi, avec la technique argumentative, les connecteurs prépositionnels en action d’interaction mar-

––––––– 107

Voir la présentation de l’analyse de c’est-à-dire effectuée par Kotschi (1992) dans la partie 1.3.3 Les connecteurs et la théorie de la polyphonie.

349

quent-ils la « trace d’une élaboration discursive en cours ».108 Avec la technique argumentative, la primauté ne résidant pas en une délimitation topologique, mais en une instruction de réinterprétation et de reconsidération de l’acte de langage effectué précédemment par le locuteur. Aussi, deux idées essentielles de l’analyse effectuée par Mellet et Monte (2008, 233s.) sur cependant employé comme une « trace d’une élaboration discursive en cours » peuvent être reprises afin de préciser le rôle des connecteurs prépositionnels en fonction d’interaction argumentative, qui, jusqu’à présent avait était considéré avec Rezat (2009, 471) et Degand/Fagard (2008) comme un acte de réflexion sur l’acte précédent.109 Avec Mellet et Monte (2008, 233), nous considérons que les connecteurs prépositionnels en fonction d’interaction argumentative {IA} font naitre un nouveau point de vue sur la situation impliquant une orientation argumentative, ce qui, en nos termes, correspond à la technique argumentative {_A}, et respecte de la linéarité du discours (Mellet/Monte 2008, 234).110 Ce dernier point est, rappelons-le central, à la conception du discours oral :111 « La structure de la phrase accompagne cette progression discursive quelque peu tâtonnante, ce dire en construction confronté à des arguments contraires ; le fil du discours et le fil de la pensée se déroulent en parallèle, de manière extrêmement linéaire, comme si la projection préalable au niveau de ‘l’à-dire’ n’avait pas anticipé la possibilité des points de vue contradictoires » (Mellet/Monte 2008, 234). En fonction d’interaction argumentative, les connecteurs, à la différence des connecteurs en fonction interaction structurante, agissent essentiellement sur leur cotexte gauche : ils signalent une réflexion par rapport à l’acte précédent, témoignent du processus de formulation dynamique, confèrent aux énoncés une orientation argumentative et indiquent au partenaire de la conversation comment l’acte précédent doit être interprété. Tandis que cependant, est particulièrement fréquent dans le discours distal,112 dans le corpus Oral le connecteur rectificateur proximal en fonction d’interaction argumentative {IA} est en fait. Il est d’ailleurs souvent accompagné d’une négation explicite. En fait indique au partenaire de conversation que le locuteur du discours actuel se distancie des propos jusqu’à présent énoncés. Cette distanciation peut être soulignée par une négation dans le cotexte de gauche de en fait. Dans son cotexte de droite, en fait introduit est la nouvelle version, c’est-à-dire l’intervention que les

––––––– 108 109 110

111

112

Cf. Mellet/Monte (2008, 233). Voir la partie 1.3.2 Un connecteur, différents niveaux de liage. Cf. Mellet/Monte (2008, 235s.) : « Dans ce type d’emploi, cependant accompagne non pas un énoncé descriptif dénotatif, mais un énoncé dont le prédicat commente la structure discursive et les actes illocutoires qui la constituent : il articule les étapes du dire autant que celles du dit ». Nous l’avons évoqué lors de la présentation du corpus Oral, la suite linéaire BASE ^ DEVELOPPEMENT est une propriété centrale au discours proximal (cf. Koch/Oesterreicher 1990, 98). Cf. Mellet/Monte (200, 236). Voir la partie 7.4 Pourtant et cependant dans le présent ouvrage.

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partenaires de communication doivent à présent considérer comme valable pour la continuité de la conversation. Dans l’exemple (233), en fait peut être commuté par cependant. (233) *EMI : je sais pas / je crois que il y a un calendrier # avec des prénoms &euh authentiques / authentiques entre guillemets / # c’est-à-dire {C} {IS} {PG} {ref} d’origine chrétienne // #en fait {C} {IA} {PG} {rect} on s’est aperçu déjà / # sous la révolution française / que # ces [/] ces saints étaient de faux # saints / et c’était des noms païens // (Oral) L’énoncé glosé par cependant est alors : « Il y a un calendrier avec des noms authentiques cependant on s’est aperçu que c’était de faux saints ». En fait signale à l’interlocuteur que le locuteur se distancie de son intervention précédente. La reconsidération de l’intervention précédente marquée par les connecteurs prépositionnels en fonction d’interaction argumentative {IA} ne consiste pas uniquement en une distanciation par rapport à l’acte précédent, mais peut résider en un commentaire portant sur l’intervention située dans le cotexte de gauche. (234) *VAL : # voilà / toi quand tu parles de truc idéal [/] mais ton truc à toi / c’est quoi ? #parce que {C} {IA} {PNL} {comment} tu en penses quoi de l’amour est-il une denrée périssable ? # (Oral) Aussi, dans l’exemple (234), VAL commente la question qui est posée afin de justifier l’acte d’interrogation auprès du partenaire de communication, l’incitant ainsi à prendre la parole à son tour et à répondre à la question posée. (235) […] ça peut pas redevenir de la poudre quoi / &c’[/] &c’[/] ça peut pas redevenir les minéraux que c’était avant / c’est devenu un [/] # une matière &euh [/] une autre matière // # donc il y a eu transformation de matière // # et &euh voilà ben ça ressemble à de [/] # à [/] à du verre quoi / c’est &euh # voilà // # *EMA : donc en fait {C} {IA} {PG} {conf} on peut dire que &euh ce métier est à la fois très # terrien / proche de la terre / donc # &euh concret # (Oral) Dans l’exemple (235), avec en fait, EMA synthétise de manière confirmative les propos tenus par son partenaire de conversation tout en l’incitant à spécifier son assertion. Enfin, les connecteurs prépositionnels remplissent la fonction complexe d’interaction structurante argumentative. Dans ce cas, la rectification peut structurer le discours dans la mesure où elle donne des informations concernant les limites de l’acte et confère en même temps une orientation argumentative à l’énoncé. L’exemple suivant illustre l’emploi d’alors comme connecteur prépositionnel introduisant une actualisation : (236) *MAI : non j’ai pas fait / ça mais en fait {C} {IA} {PG} {rect} non / mais en fait {C} {IA} {PG} {conf} tu appuies sur le bouton / # il y a le gaz tu entends ça fait pschitt comme ça donc ça vient / # tu mets l’allumette ça 351

s’allume tout normalement / # et dès que {C} {RSA} {PT} {DEB} {CAU} {resp}tu lâches le bouton / # ça [/] ça s’éteint # tu vois ? # *NAT : *MAI : de sécurité / il doit avoir ci ... (Oral) Dans l’exemple (236), MAI dépeint le fonctionnement défectueux de sa gazinière. La description des indices (on entend le gaz arriver, la gazinière s’allume quand on appuie sur le bouton, puis elle s’éteint quand on le relâche) permet à MAI de tirer la conclusion « on s’est dit qu’il doit y avoir un cran de sécurité ». Au-delà, MAI actualise son discours par rapport à l’intervention confirmatrice de son allocutaire NAT « ah » incité par « tu vois ? ». Ainsi, en employant alors MAI maintient le contact avec son allocutaire, et tout en actualisant ses propos, elle tire des conséquences relatives aux propos tenus précédemment. Dans l’exemple (237), le connecteur enfin introduit une reformulation : (237) *SOP : ça [/] a évolué // # et sur Marseille / ils ont commencé sur Marseille en fait {C} {IA} {PG} {conf} / # au « Poste à Galène » / au &euh &Caf [/] à « l’Espace Julien » / # tout ça / le [/] le Shoogun&euh # pff je crois qu’ils en ont fait au Trolley // enfin {C} {ISA} {PG} {ref} ça [/] il y a eu plein d’endroits différents // (Oral) Dans cet extrait, SOP présente la carrière musicale de deux de ses amis en énumérant les différents endroits où ils se sont produits sur scène « Poste à Galène », « l’Espace Julien », « le Shoogun », le « Trolley ». Après la pause, SOP emploi enfin pour marquer la reformulation cette énumération et tire une conclusion concise résumant l’énonciation précédente « il y a eu plein d’endroits différents ». Enfin peut également combiner techniques de structuration et d’argumentation pour réaliser une rectification : (238) *DEL : // *CHR : enfin{C} {ISA} {PG} {rect} / moi je suis passé juste une fois // (Oral) Dans l’exemple (238), enfin marque le début d’une nouvelle pensée, d’où la technique de structuration, tout en rectifiant la portée de l’assertion précédente. L’évaluation de DEL, Villeneuve-Loubet est un endroit sympathique, est d’abord confirmée par son allocutaire, mais ce dernier rectifie après coup la portée de son jugement avec enfin « je suis passé juste une fois ». Le locuteur CHR, en employant enfin indique à son interlocuteur qu’il a reconsidéré son assertion et qu’après toute bonne considération, il choisit de la pondérer de manière rétroactive. Dans ces emplois, enfin peut être remplacé par cependant, ceci dit ou tout bien considéré (« ça a l’air sympa, cependant/ceci dit/tout bien considéré je suis passé juste une fois »). De même, dans l’exemple (239), enfin marque une procédure de rectification : (239) *DAV : comme [/] même en France / quand tu changes de ville / et que tu sais que tu vas vivre pour quelques années / dans une autre ville / et quand tu arrives / les quelques premiers mois / c’est [/] # c’est un peu l’euphorie quoi // # enfin {C} {ISA} {PG} {rect} il y en a certains / qui le vivent mal 352

mais # moi je le vis trop bien // c’est le meilleur moment dans une ville // # c’est quand je la connais pas // # (Oral) Dans cet extrait, DAV asserte l’état d’euphorie dans lequel lors de l’emménagement dans une nouvelle ville, puis avec enfin il rectifie la portée de sa contribution. Pour le corpus Oral, il est intéressant de constater que la rectification est principalement réalisée par le connecteur enfin (200 cas) ; en comparaison, en fait avec 38 occurrences et les autres connecteurs – en tout cas (4 occurrences), c’est-à-dire (2 occurrences) et pourtant (2 occurrences) – ne réalisent cette procédure que de manière marginale. Dans le corpus Sénat, la rectification est avec 55 cas la seconde procédure la plus fréquente après la confirmation. Elle est principalement réalisée par les connecteurs au contraire (26 occurrences) et cependant (12 occurrences). Les connecteurs en fait (5 occurrences), en tout cas (5 occurrences), pourtant (2 occurrences) peuvent être considérés dans ce corpus comme marginaux quant à l’expression de la rectification. Cette comparaison des corpus Oral et Sénat met en lumière que selon les corpus, différentes formes linguistiques sont préférentiellement employées pour réaliser une même procédure, en l’occurrence la rectification. Pour conclure, les différentes fonctions contenant une interaction peuvent être résumées comme suit :  l’interaction structurante {IS} = indique l’extrémité d’une intervention  l’interaction argumentative {IA} = indique l’élaboration discursive en cours  l’interaction structurante argumentative {ISA} = indique une extrémité et le travail de formulation Quant aux autres actions, l’explicitation (44,4 pour 10 000 mots) et la représentation (39,1 pour 10 000 mots), elles sont quasiment trois fois moins représentées dans le corpus Oral que l’action d’interaction (112,7 pour 10 000 mots). D’ailleurs, la réalisation de l’explicitation est moins présente dans le corpus Oral que dans la moyenne de la totalité des corpus. La réalisation de l’action d’explicitation se produit principalement avec la technique argumentative. Elle représente 11,8 % et exprime la cause (173 occurrences), la conséquence (16 occurrences) et l’opposition (3 occurrences). Les connecteurs en action d’explicitation introduisent une preuve (argument) permettant de prouver la véracité de ce qui est affirmé. L’action d’explicitation est ensuite réalisée avec la technique complexe structurante argumentative (8,7 %). L’explicitation structurante argumentative {ESA} est nettement inférieure dans le corpus Oral que dans les autres corpus. Dans le corpus Oral, elle réalise une addition (133 occurrences), un début (6 occurrences), une postériorité (1 occurrence), une arrivée (1 occurrence). L’explicitation avec la technique structurante joue un rôle marginal dans le corpus Oral (2,1 %). Les valeurs sémantiques des connecteurs prépositionnels sont alors l’addition (26 occurrence), le début (9 occurrences) et la postériorité (2 occurrences). Comme nous l’avions évoqué pour le corpus Sénat, il semblerait que l’explicitation de la structure interne du texte aille de pair avec l’élaboration préalable du texte, condition qui dans le discours oral de proximité n’est pas donnée.

353

6.4.2.2

Les techniques dans le corpus Oral

La répartition des techniques employées dans le corpus Oral est visualisée dans le graphique 17 :

{S} 33,6% {A} 43,7%

{SA} 22,7%

Graphique 17 : les techniques dans le corpus Oral

Dans le corpus Oral, le profil pragmatique des connecteurs prépositionnels est avec 43,7 % nettement argumentatif. Ce résultat rejoint celui de Maaß (2010a, 321) qui pour les déictiques du discours employés dans le même corpus, a décelé l’étaiement argumentatif (75,9 %) comme principale fonction. L’argumentation permet de renvoyer des responsabilités aux événements, défendre des points de vue, et revenir sur des interventions précédentes. La structuration est, avec 33,6 %, la seconde technique la plus fréquente dans le corpus Oral. Cette technique permet essentiellement de délimiter les actes de langage les uns par rapport aux autres. Les emplois des connecteurs prépositionnels avec la technique de structuration se distinguent de ceux du corpus Le Monde qui opèrent principalement au niveau de la représentation des événements ou des états de choses et, des emplois dans le corpus Sénat, où la structuration assure la compréhension du discours. Dans le corpus Oral, la structuration orchestre les interventions des participants à la conversation. Enfin, la structuration argumentation {_SA} est dans le corpus Oral,, comme dans le corpus Le Monde (27,5 %), la technique la moins représentée, avec 22,7 cas pour 10 000 mots. 6.4.3 Profils sémantiques des connecteurs dans le corpus Oral La répartition des différentes catégories sémantiques dans le corpus Oral est résumée dans le tableau 78 :

354

catégories sémantiques des connecteurs prépositionnels pour 10 000 mots corpus mots Oral

82 631

moyenne des corpus

{ACT} {ADD} {ANT} {ARR} {DEB} {POS} {SIM} {CAU} {COND} {CONS} {FIN} {OPP} 1,3

19,2

0,2

0,5

5,7

3,6

2,4

50,3

-

3,4

2,2

7,5

7,1

20,5

1,1

3,4

6,4

3,3

2,3

19,3

0,9

10,6

2,8

10,4

Tableau 78 : les catégories sémantiques des connecteurs prépositionnels dans le corpus Oral

Onze des douze catégories sémantiques sont représentées dans le corpus Oral. La condition, la catégorie en moyenne la plus faible dans l’ensemble des corpus avec 0,9 occurrence pour 10 000 mots n’a pu être détectée dans le corpus Oral. A la différence de Sciences et de Sénat pour lesquels la catégorie d’addition était située en première place du classement, Oral, comme le corpus Le Monde, présente un autre ordre : 1. cause (50,3 pour 10 000 mots) 2. addition (19,2 pour 10 000 mots) 3. opposition (7,5 pour 10 000 mots) Seule la cause (50,3 pour 10 000 mots) se situe au-dessus de la moyenne totale des corpus (19,3 pour 10 000 mots). L’opposition et l’addition sont proches de la moyenne générale de leur catégorie respective : 7,5 vs. 10,4 pour 10 000 mots pour l’opposition et 19 vs. 20,5 pour 10 000 mots pour l’addition. Les autres catégories, hormis la postériorité (3,6 vs. 3,3 pour 10 000 mots), se situent en deçà de leur moyenne respective dans la totalité des corpus et peuvent être considérées comme périphériques. Rappelons que dans son analyse d’articles scientifiques, Thielmann (2009) partait du principe de la primauté de la relation causale.113 Cette acceptation a été pondérée par l’analyse du corpus Sciences qui a documenté un rôle plutôt périphérique de la cause en lui attribuant la cinquième place du classement sémantique derrière l’addition, la conséquence, l’actualisation et l’opposition.114 En revanche, dans le corpus Oral, la cause joue un rôle déterminant en se situant avec les 50,3 occurrences pour 10 000 mots, deux fois au-dessus de la moyenne générale de sa catégorie (19,3 occurrences pour 10 000 mots). En raison de sa haute fréquence, il semble donc intéressant de considérer de manière détaillée la réalisation de la cause par les connecteurs prépositionnels dans le corpus Oral. Dans ce cadre nous éclairerons également le rôle central du connecteur prépositionnel causal par excellence parce que (418 occurrences). 6.4.4 La réalisation de la cause dans le corpus Oral Les connecteurs prépositionnels exprimant la cause sont parce que (325 tokens), dès que (17 tokens), depuis que (2 tokens), pour que (1 token). Ces connecteurs ne se distinguent pas seulement de manière quantitative, mais également par rapport à la

––––––– 113 114

Voir la partie 6.2.1 Les « articles scientifiques » et le corpus Sciences. Voir la partie 6.2.3 Profils sémantiques des connecteurs prépositionnels dans le corpus Sciences.

355

qualité des relations qu’ils produisent : parce que le connecteur le plus fréquent présente en effet un profil polyfonctionnel. L’analyse de corpus montre que les connecteurs dès que et depuis que, ayant un sens causal, ont toujours une fonction complexe associant la technique structurante et argumentative. Dans tous les cas où ces deux connecteurs expriment la cause, ils marquent primairement le début d’un événement ou d’un état de chose. Ainsi dans l’extrait (240), dès que marque simultanément le début {DEB} et la cause {CAU} : (240) *EST : ouais // # et ça me gonfle // moi dès que {C} {RSA} {PT} {DEB} {CAU} {resp} il commence à faire chaud comme ça / j’y vais plus (Oral) En employant dès que, EST marque le début d’un nouvel état de choses « il commence à faire chaud » auquel elle confère en même temps la responsabilité {resp} pour l’absence de ses visites. Cet énoncé peut être glosé par « je n’y vais plus parce qu’il fait chaud ». De même dans l’exemple suivant depuis que marque le début et la cause : (241) *PAT : et &euh c’est vrai qu’à partir de Dresde / on rayonne pas mal &euh en Pologne ou en République Tchèque // # on fait de la [/] on fait de la randonnée &euh # *MAR : // # *PAT : ça m’a [/] depuis qu’ {C} {RSA} {PT} {DEB} {CAU} {resp} il est là-bas / c’est vrai que ça m’a permis un peu (Oral) Dans cet extrait PAT explique que la domiciliation d’un ami à Dresde fonde le point de départ temporel occasionnant des visites dans les alentours. Cet énoncé pourrait être glosé par : « parce qu’il habite là-bas, ça nous permet de découvrir ». Toutefois, parce que est le connecteur qui exprime la cause le plus fréquemment dans le corpus Oral. Dans 108 cas, parce que employé en fonction de représentation argumentative {RA} : dans 77 cas, il marque une responsabilité et, dans 31 cas une motivation. Dans l’exemple suivant, parce que en fonction de représentation argumentative {RA} marque la motivation {motiv} : (242) *ANT : en France c’est vrai que le cimetière / c’est # *SOP : ouais # *ANT : austère // # *SOP : là / c’est pas du tout &euh non # et &euh pour en revenir à ton truc de goth là / # donc moi j’ai [/] j’ai visité ça // et j’ai pris des photos pour [/] &euh pour &euh [/] pour montrer à mes parents et tout // pour leur [/] enfin {C} {IS} {PG} {rect} + # et il y avait deux Goths donc qui se baladaient dans le cimetière et tout // et j’ai pris [/] et je les ai pris en photo / parce que {C} {RA} {PNL} {CAU} {motiv} ça faisait # assez mystique quoi // c’était pas mal // # (Oral) ANT et SOP comparent la conception des cimetières en France à celle d’autres pays. Dans ce cadre, SOP raconte que lors de la visite d’un cimetière, elle avait rencontré des Gothiques qu’elle a photographiés. La motivation pour son acte « prendre des photos » est renvoyée explicitent par le connecteur parce que à l’aspect mystique de la situation. Dans l’exemple suivant, parce que marque la responsabilité : 356

(243) *EST : en voiture de chez toi ? #non mais c'est n’importe quoi // # *DEL : là / en ce moment / ouais / je la prends //j’en ai marre / il fait chaud / *EST : *CHR : côté / hhh %exp : rires (hhh) *DEL : ouais // *CHR : tu es à cinq cent mètres / *DEL : je sais / mais parce que {C} {RA} {PNL} {CAU} {resp} il fait hyper chaud et &euh [/] et &euh hhh *EST : elle est excellente // *CHR : *DEL : *CHR : / *EST : / tu habites à moins de cinq cent mètres de la fac /

*DEL : cent mètres / quand même // # *EST : il y a combien ? # trois cent quarante # hhh %exp : rires (hhh) cinq // *DEL : non / non / je la prends parce que {C} {RA} {PNL} {CAU} {resp} # faut que je fasse un peu tourner ma voiture / # *CHR : il faut que tu fasses tourner tes jambes aussi // # (Oral) Dans cet extrait, DEL avoue qu’elle emprunte sa voiture pour se rendre à l’université qui se situe à quelques mètres de chez elle. Ces amis ne comprennent pas son comportement puisqu’en raison de la petite distance à parcourir, DEL pourrait très bien se rendre à l’université à pied : CHR rétorque en effet « tu es à côté ». DEL, pour justifier son comportement « prendre la voiture » tente d’attribuer la responsabilité de ses actes à une autre origine qu’à elle-même. Son comportement ne serait pas volitif mais contraint. La première tentative réside en l’attribution de la responsabilité à la chaleur « parce qu’il fait chaud ». Cette explication causale ne satisfaisant pas ses interlocuteurs : « tu es à cinq cent mètres même pas », DEL se voit contrainte de trouver un nouveau responsable pour son comportement « faire tourner la voiture ». A l’image de la première, cette relation n’est pas acceptée par les interlocuteurs qui répondent de manière ironique « il faut que tu fasses tourner tes jambes aussi » et renvoient ainsi la responsabilité à DEL. De même, dans l’exemple (244), parce que marque la responsabilité : (244) *MAR : [/] on pouvait pas photographier // mais je l’ai su / j’avais fini mes photos // # et à moment donné / il y a eu un coup de vent / l’appareil photo / tout est tombé par terre / parce que {C} {RA} {PNL} {CAU} {resp} le pied / #était trop léger / et l’appareil trop lourd //(Oral) Ici, MAR ne rend pas le vent explicitement responsable pour la chute de son matériel photographique, mais il impute la responsabilité à une propriété inhérente du matériel employé. Par l’emploi des connecteurs prépositionnels, les locuteurs construisent des esquisses de représentation du monde : c’est-à-dire des relations entre des événements 357

dans leurs discours. Que ces relations soient acceptées ou non, elles livrent des informations concernant le point de vue du locuteur sur sa perception du lien entre les faits et les événements. Les connecteurs sont en ce sens des indicateurs de subjectivité. La discussion des exemples authentiques suggère la proximité conceptuelle des notions de motivation et de responsabilité, dans la mesure où ces deux interprétations pragma-sémantiques concernent la cause. Ces différentes interprétations du connecteur parce que employé en fonction de représentation argumentative {RA} dans des énoncés tels que A parce que B ou Parce que B, A, peuvent être précisées :115  B peut être présenté comme responsable des événements et des faits en A afin de désinculper A (cf. Anscombre1983). B est alors présenté comme étant l’origine responsable de la conséquence A ; A est détaché de ses responsabilités. Cette interprétation a été marquée avec l’annotation {resp} pour responsabilité et correspond aux exemples (240) et (241).116  B est présenté comme l’origine en tant que motif de A. A n’est pas imputé de manière obligatoire à B. Il semble résider une relation de choix entre A et B que le locuteur tend de justifier. B est le motif, noté {resp}, la raison d’agir, et correspond aux exemples (239).117 Ainsi, les catégories responsabilité et motivation correspondraient respectivement aux catégories non volitive et volitive mentionnées par Degand/Fagard (2008). Les auteurs distinguent ces deux catégories selon le degré d’implication d’un sujet, d’un être discursif (qui peut correspondre au locuteur mais pas uniquement).118 Tandis qu’au niveau non volitif les auteurs laissent entendre que les propositions mises en relation dans l’énoncé sont quasi exemptes de sujets (les auteurs illustrent leurs propos d’un exemple sans sujet animé : le match est annulé parce que le terrain est trempé), au niveau volitif au contraire, le sujet correspond à un être pensant et actif capable de décision. Si cette explication recouvre une partie des emplois non volitifs de parce que, elle ne permet pas de saisir de nombreux autres cas présents dans le corpus. En effet, dans la plupart des énoncés, les locuteurs mettent en scène des sujets pensants, qui cependant renvoient leur responsabilité à B et se présentent comme des êtres non volitifs, dans la mesure où c’est B qui est responsable de leurs actes. Ainsi, tandis que Degand/Fagard (2008) considèrent les catégories non volitive et volitive comme deux niveaux distincts d’implication du sujet dans l’énoncé, nous réaffirmons la pertinence de localiser les interprétations de responsabilité et de motivation au niveau de la catégorie de représentation argumentative {RA}, car ces

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116 117 118

Härtl (2001, 118) présente une conception de relation causale ordonnée par rapport à leur objectif global. Les concepts de causalité intrinsèque et extrinsèque peuvent être mis en relation avec les concepts philosophique de Wirkkausalität ‘causalité d’incidence’ (qui correspond à la causalité extrinsèque aux événements) et Zweckkausalität ‘causalité de but’ (qui correspond à la causalité intrinsèque). Cf. Härtl (2001, 118) considère cette relation causale comme intrinsèque à la cause. Cf. Härtl (2001, 118) considère cette relation comme extrinsèque à la cause. Voir les parties 4.2.1 L’action de représentation : description événementielle et 4.5.3.1 La cause : responsabilité, motivation, preuve.

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deux interprétations pragma-sémantiques sont liées à des relations causales événementielles. Plus fréquemment, le connecteur parce que est également employé avec la fonction d’explicitation argumentative {EA} (172 occurrences), dans ce cas, il apporte la preuve à un jugement ou à une hypothèse. Le locuteur est alors en quête de vérité. (245) *STE : / apparemment ça marche bien //parce que {C} {EA} {PNL} {CAU} {preu} des voyages / ils en vendent quand même pas // (Oral) Ainsi dans l’exemple (245), STE fait une hypothèse concernant le commerce des voyages de dernière minute : « apparemment ça marche bien ». Afin d’appuyer son hypothèse, il introduit avec parce que un argument, une preuve « ils ne vendent pas mal de voyage ». De même, dans l’exemple suivant, parce que, employé en fonction d’explicitation argumentative, introduit une preuve : (246) *PER : oh bien // # bien même si [/] même si les musulmans sont majoritaires les catholiques quand même ils ont [/] # ils ont leur poids et &euh / # ils ont leur pouvoir aussi énormément // # je sais plus le pourcentage &euh de musulmans et de catholiques mais bon # je sais plus du tout mais le pape avait quand même eu un accueil assez chaleureux hein / # mais bon et quand même il était assez méfiant parce que {C} {EA} {PNL} {CAU} {preu} / # même en Afrique il a amené sa papamobile et &euh pour &euh # (Oral) Dans cet extrait, PER fait le récit d’une visite du pape Jean-Paul II en Afrique. Ce dernier reçut un accueil chaleureux. Avec « mais bon » PER introduit un contreargument « il était assez méfiant ». Afin d’étayer ce nouveau jugement concernant l’attitude du pape, le locuteur apporte une preuve introduite par parce que : « il a amené sa papamobile ». Ainsi la papamobile est considérée par le locuteur comme une pièce à conviction autorisant le jugement « il était méfiant ». Outre ces deux emplois marqués du sens causal avec l’annotation sémantique {CAU}, parce que est également employé lors d’interactions avec les fonctions d’interaction argumentative {IA} (65 occurrences) et d’interaction structurante argumentative {ISA} (29 occurrences). Les différentes procédures décelées sont, pour la fonction d’interaction argumentative {IA}, le commentaire (63 occurrences), pour la fonction d’interaction structurante argumentative {ISA}, le turn (22 occurrences), l’interpellation (4 occurrences) et l’actualisation (1 occurrence). Le commentaire peut s’effectuer sur la propre intervention du locuteur : (247) *ABU : de faire du [/] # ce [/] ce que j’appelle du copinage // # voilà ce que j’appelle le copinage parce que {C} {IA} {PNL} {comment} # mon travail c’est de m'entendre # (Oral) Dans l’exemple (247) ABU commente avec parce que sa propre intervention tout en justifiant l’emploi du mot « copinage » pour qualifier les relations de travail « diplomatico-hypocrites » avec les médias. Dans l’exemple suivant, parce que introduit un commentaire : 359

(248) *PER : et sinon ils faisaient aussi des tissus avec &euh [/] &a [/] avec le portrait du président // # *CAT : mh // *PER : # ça faisait beaucoup de [/] # de renouvellement // #

*CAT : il change souvent ? (Oral) *CAT : mh // (Oral) Dans cet extrait, PER explique que dans certains pays africains, des tissus à l’effigie des présidents sont produits et qu’ils doivent être assez fréquemment actualisés. CAT introduit avec parce que un commentaire portant sur l’intervention de PER. Ce commentaire pourrait être glosé par « tu dis qu’il y a des renouvellements d’impression parce que les présidents changent souvent ». Le commentaire des propos de PER est proche d’une déduction, cependant CAT ne marque pas son intervention avec un connecteur conclusif mais avec le connecteur de cause parce que qui introduit un commentaire tout en proposant une cause possible ainsi qu’une demande de confirmer son hypothèse, ce que fait CAT avec « mh, mh ». Enfin, en fonction d’interaction structurante argumentative {ISA}, parce que introduit la prise de parole d’un locuteur qui n’avait pas la parole jusqu’à présent.119 Cet emploi de parce que peut être glosé par « je prends la parole parce que ce que j’ai à dire est en rapport à ce qui a été dit précédemment ». Dans l’extrait de dialogue (249), EDO raconte certains aspects biographiques et en l’occurrence le lieu où il est né et habite : (249) *EDO : à _T1 // *SAN : oui oui // *EDO : et on (n’) a jamais déménagé // # *SAN : parce que {C} {ISA} {PNL} {turn} c’est une grosse entreprise dans une ville comme ça / tu me parlais un petit peu des Normands tout à / (Oral) SAN prend la parole avec parce que et marque, de cette manière, la légitimité de la prise de parole, bien que ce qui suit ne soit pas en lien direct avec les propos imminents de EDO. De même, dans l’exemple (250), SYL prend la parole avec parce que et indique de cette manière que ces propos sont en rapport avec l’intervention de CHR :

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Pour une présentation détaillée de l’emploi de parce que en fonction d’interaction structurante argumentative {ISA}, nous renvoyons à la partie 4.3.3 La technique hybride.

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(250) *CHR : &euh à l’appartement ? # que au début {C} {RS} {PG} {DEB} / bon moi je venais de quitter &euh Stéphane // donc j’avais dit &euh bon ça serait bien que # tu t’installes pas tout de suite // # mais en fait {C} {ISA} {PG} {rect} en fin de compte / il était tout le temps à la maison // # il dormait &euh tous les soirs // et puis un soir j’ai dit non quand même là # cette nuit chacun de son côté // et puis finalement on a été malheureux comme des pierres chacun de notre côté // et # [/] et hhh on s'est rendu compte que bé non // il fallait qu'on vive ensemble quoi // *SYL : parce que {C} {ISA} {PNL} {turn} au tout début *CHR : *SYL : donc elle vivait toute seule // # et moi je prenais [/] j’habitais chez mes parents hhh // (Oral) Avec 418 occurrences dans le corpus Oral, le connecteur parce que présente une affinité avec le discours oral dialogique proximal. Il peut être également considéré comme le pendant de en effet (182 occurrences) dans le discours oral dialogique distal (Sénat) dans lequel en effet exprime la cause en fonction d’explicitation argumentative {EA} mais également le commentaire avec la fonction d’interaction argumentative {IA}. En comparaison aux deux autres connecteurs causaux puisque (27 occurrences) et car (1 occurrence), quantitativement plus marginaux dans le corpus Oral, parce que apparaît comme le connecteur privilégié pour l’expression de relations sémantiques causales réalisées avec différentes fonctions. Parce que est donc un connecteur polyfonctionnel. Pour conclure, l’hypothèse peut être formulée que le discours proximal oral, caractérisé par l’emploi d’un inventaire de formes restreintes,120 favorise parce que en raison de son profil pragmatique polyfonctionnel. 6.4.5 Epilogue Notre analyse a montré que la spécificité du profil pragmatique des connecteurs prépositionnels dans le corpus Oral réside en la prépondérance de l’action d’interaction. L’usage quantitatif et qualitatif des connecteurs prépositionnels avec l’interaction témoigne de la volonté des interlocuteurs de rendre leurs contributions cohérentes. C’est pourquoi, la norme centrale qui génère les emplois des connecteurs prépositionnels peut être formulée en termes griciens comme la règle de relation qui dicte aux partenaires de communication de « parler à propos ». Aussi, en employant des connecteurs prépositionnels en fonction d’interaction structurante {IS}, d’interaction structurante argumentative {ISA} et d’interaction argumentative {IA}, les locuteurs signalent à leurs interlocuteurs que leurs interventions sont en rapport à ce qui a été mentionné précédemment. Les connecteurs prépositionnels en fonction d’interaction structurante {IS}, d’interaction structurante argumentative {ISA} et d’interaction argumentative {IA} créent une continuité entre les contributions soit en les limitant les unes par rapport aux autres, soit en prenant directement appui sur celles-ci. Pour ce faire, les partenaires de conversation ont recours à des connecteurs prépositionnels dont la fonction conventionnelle se situe au niveau de la classe des

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Voir la partie 6.4.1 L’oralité et les connecteurs prépositionnels.

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jonctions, mais qui, dans le cadre conversationnelle, développent des emplois fonctionnels typiques aux parajonctions. En effet, l’analyse de parce que a montré que le cadre conversationnel dialogique, incite les interlocuteurs à dépasser les emplois de forme-fonction liées aux catégories grammaticales. En ce sens, l’oralité dialogique est le lieu où des ressources linguistiques conventionnelles comme parce que sont employées par les locuteurs afin de répondre à leurs besoins communicatifs au-delà des frontière liées aux classes syntaxiques. Ces résultats coïncident avec le concept de la grammaire interactionnelle de la conversation proposé par Gülich et Mondada (2008).

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7 De la préposition au connecteur : changements sémantiques et fonctionnels

7.1 Introduction : significations diaphanes à l’exemple de alors (que) L’étude en synchronie a montré que la perspective diachronique est en mesure d’éclairer certains emplois de connecteurs prépositionnels devenus opaques. En d’autres termes, l’analyse diachronique peut dévoiler les propriétés de connecteurs qui transparaissent de manière diaphane dans certains usages en français contemporain. En ce sens, l’objectif de ce chapitre est d’affiner et de préciser la description des profils sémantiques et pragmatiques de connecteurs prépositionnels choisis dans une perspective diachronique. Avant d’effectuer l’analyse des connecteurs parce que, pour cela (que), pourtant et cependant, nous illustrerons le potentiel et la pertinence de l’analyse diachronique des connecteurs prépositionnels à l’exemple de alors (que). En effet, l’analyse d’alors que dans le corpus Le Monde, documente un emploi alliant la simultanéité à la causalité.1 Si cet emploi de alors que ne semble avoir été recensé auparavant, la perspective diachronique a mis en évidence qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé, mais que les expressions d’origine temporelle marquant la simultanéité, comme alors, peuvent développer, par des implicatures conversationnelles, de nouveaux sens dans les textes, tels que l’opposition et la causalité. Par ailleurs, l’analyse synchronique a mis en lumière l’éventail fonctionnel et sémantique particulièrement déployé de alors (que). Les sept des neuf fonctions avec lesquelles le connecteur alors (que) apparaît, sont résumées dans la figure 16 :2 parajonction

{IS} – {RS}

{ISA} {ESA} {RSA} jonction

parajonction – {EA} {RA}

jonction

Figure 16 : la répartition des emplois d’alors entre jonctions et parajonctions

Comme l’indique le tableau, le connecteur alors (que) remplit les fonctions de représentation structurante {RS}, de représentation structurante argumentative {RSA}, de représentation argumentative {RA}, d’explicitation structurante argumentative

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Voir la partie 6.1.3.4 Les doubles lectures et la causalité dans le corpus Le Monde. Les fonctions de notre modèle sont présentées dans la partie 4.1 Les catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels.

{ESA}, d’explicitation argumentative {EA}, d’interaction structurante {IS} et d’interaction structurante argumentative {ISA}. Alors est donc aussi bien employé comme jonction que comme parajonction. De même, au niveau sémantique, ce connecteur apparaît dans le corpus synchronique avec six valeurs sémantiques aussi bien ancrées dans le domaine localisant que dans le domaine non-localisant : l’antériorité, la simultanéité, l’actualisation pour le domaine localisant et, la conséquence, l’opposition et la cause, pour le domaine non-localisant. Ces valeurs sémantiques peuvent en partie être combinées. Maaß et Schrott (2010, 16ss.) ont thématisé les différents emplois d’alors en mettant l’accent sur sa double fonction déictique et non déictique.3 Nous retraçons ici brièvement les différents emplois documentés par notre étude de corpus. Alors temporel peut renvoyer de manière anadéictique à un référent dans son cotexte de gauche et introduire de manière catadéictique une suite dans son cotexte de droit. Dans ce cas, alors peut être glosé par suite à cela, ensuite : (251) Quant à la fin des travaux de restructuration pour l'ensemble du site ‒ aujourd’hui impossible à chiffrer et désespoir de tous les ministres successifs qui ont eu la responsabilité du dossier ‒, on la voit mal intervenir en 2016, comme le laissaient espérer les dernières prévisions jetées au vent. Restera alors {C} {RSA} {PG} {POS} {CONS} {result} à tirer les leçons des procédures engendrées par l’amiante, des rapports de la Cour des comptes, des déconvenues architecturales, et de la difficulté française à concevoir cet urbanisme universitaire qu'on appelle campus. (Le Monde) Dans cet exemple, alors, employé en fonction de représentation structurante argumentative {RSA}, indique une suite, une conséquence due aux événements évoqués précédemment. En fonction d’explicitation structurante argumentative {ESA}, alors est fréquemment employé dans le corpus Sciences-Mathématique dans des formules, pour introduire les conclusions tout en indiquant que les résultats présentés découlent d’une actualisation des données précédentes. Dans ce cas, alors peut être paraphrasé par donc : (252) On en déduit que si à est une « ligne polygonale fermée » définie par une suite de points Ã0, Ã1,…Ãℓ=Ã0 dans ∑(h)∩U, avec Ã0, ∈ L0, alors {C} {ESA} {PG} {ACT} {CONS} {deduc} le développement de ces points produit une ligne polygonale toujours fermée dont les sommets sont des points du réseau hℤ2. (Sciences-Mathématique) En employant le connecteur alors avec l’interaction {I_}, le locuteur réalise différentes procédures : le turn, dans l’exemple (253), l’actualisation du lien avec l’interlocuteur, dans l’exemple (254) et une interpellation, dans l’exemple (255) : (253) *MAR : alors {C} {IS} {PG} {turn} au fait {C} {IS} {PG} {act} ta voiture ? # (Oral)

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Les résultats de l’étude effectuée par Maaß/Schrott (2010b) sont résumés dans la partie 1.1.3 Les connecteurs : degrés d’intégration, fonctions syntaxiques et discursives.

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(254) *JUL : ouais mais tu vois / il est pas revenu après // # il est pas revenu après // alors {C} {ISA} {PG} {act} je me dis merde / ... (Oral) (255) *ALE : / tu peux l’imaginer à peu près // # l’amour que tu vas porter à ta femme // tu le conçois comment alors {C} {ISA} {PG} {interpel} ? comme # idéal &euh [/] idéal comme &euh [/] comme au premier jour &euh # (Oral) Selon nous, l’étymologie du lexème alors est en mesure de livrer le point commun aux divers emplois, valeurs sémantiques et procédures de ce connecteur prépositionnel. En effet, à l’origine alors est composé de la préposition à et du déictique lors ‘heure’ ; alors signifiait ‘à ce moment-là’ (DHLF 1998, 2, 2055 ; Diez 1853, 243, TLFi).4 Le référent de cette heure est déterminé en fonction du référent du déictique. Employé de manière déictique, à cette heure peut se référer à un événement du passé, situé dans son cotexte de gauche, tout en mentionnant ses conséquences dans le cotexte de droite. Or, le point commun des diverses valeurs sémantiques et procédures semble être la valeur d’actualisation, qui peut être considérée comme la signification de base du connecteur alors. La préposition grammaticale à introduit un espace mental et, l’élément déictique lors détermine le domaine temporel. Selon le référent de lors et les temps employés dans les énoncés, la détermination mise en relation varie : actualisation de la conséquence, opposition (due à la simultanéité incluse dans à cette heure) ou la cause. Ainsi, pour les emplois en fonction d’interaction structurante {IS} et d’interaction structurante argumentative {ISA} pour lesquels la maxime de relation joue un rôle central, la fonction de alors peut être glosée par « ce que j’ai à dire actuellement est pertinent, alors/donc avec alors je prends la parole ou je continue mon récit maintenant ». Alors actualise l’acte de prise de parole (un turn), le contact avec l’interlocuteur (dans ce cadre il peut marquer une hésitation) ou le développement thématique. La signification d’actualisation ne se trouve pas au premier plan sémantique d’alors mais elle permet de rendre compte du développement d’autres valeurs sémantiques dans les textes. Revenons à la valeur sémantique causale de alors que détectée dans le corpus Le Monde. Dans la partie 6.1.3.4 Les doubles lectures et la causalité dans le corpus Le Monde, nous avons montré que le genre textuel des articles de presses informatifs favorise les emplois des connecteurs qui mettent en relation des événements avec la technique structurante argumentative. Nous avons émis l’hypothèse que la tradition discursive d’objectivité joue un rôle prépondérant dans ce genre textuel. La règle discursive (regulans) qui gère l’emploi des connecteurs dans ces textes peut être formulée de la manière suivante : « favorise l’emploi de connecteurs à origine temporelle afin de représenter les événements ». En raison des traditions discursives fondatrices des articles de presse informatifs, il n’est pas surprenant qu’un connecteur prépositionnel dont la signification est d’origine temporelle soit préféré à un

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Selon Diez (1853, 243) alors serait issu du latin ad illam horam ‘à cette heure-là’. Le TLFi critique cette étymologie latine et en particulier l’emploi du déictique.

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connecteur, comme parce que, dont la valeur sémantique est conventionnellement causale. Le discours est bel et bien le lieu où les actants produisent des innovations.5 La théorie fréquemment invoquée pour éclairer de tels changements sémantiques et pragmatiques dans une perspective non singulière mais universelle est la, ou devrait-on plutôt dire, sont les théories de grammaticalisation.6 Avant d’évoquer ce cadre théorique, nous présenterons dans un premier temps le corpus diachronique à partir duquel sera effectuée l’analyse de connecteurs choisis : parce que et pour cela (que) d’un côté, pourtant et cependant de l’autre. Dans ce cadre, nous évoquerons le rôle des traditions discursives comme entités gérant les emplois des connecteurs prépositionnels dans le discours. Enfin, dans le cadre de la description des changements sémantiques et fonctionnels des connecteurs prépositionnels, nous évoquerons les avantages et les limites de l’appareil descriptif mis en place par la thèse de grammaticalisation.

7.2 Le corpus diachronique L’étude effectuée en synchronie au chapitre 6, sera approfondie par la perspective diachronique qui permettra de dévoiler la continuité et/ou les changements de traditions d’emploi des connecteurs prépositionnels dans les textes. Dans le cadre du présent ouvrage, le chapitre 7 représente donc un approfondissement ponctuel et ciblé de la perspective synchronique. L’objectif du septième chapitre qui ne consiste pas en une analyse en largueur, mais en un forage ponctuel de la matière textuelle, impose deux exigences relatives à la composition du corpus. Premièrement, en raison de la profondeur ciblée des analyses, l’envergure du corpus est sciemment restreinte et comprend des textes représentatifs des trois périodes centrales du français. D’autre part, l’objectif du dévoilage de la continuité et/ou des différences de traditions d’emploi des connecteurs prépositionnels implique la mise en évidence de points communs entre les textes du corpus diachronique et ceux contenus par le corpus synchronique. Aussi, dans cette partie, montrerons-nous que la composition du corpus satisfait ces deux exigences. Pour ce faire, dans un premier temps, les six textes considérés seront ordonnés à une période historique du français. Ensuite, la présentation ciblée des genres textuels et des traditions discursives constituant les genres textuels, ainsi que le traitement de points structurels et thématiques pertinents, permettra d’extraire deux propriétés essentielles et complémentaires aux textes : la fictionnalité et la non-fictionnalité. Cette étape centrale nous permettra enfin de mettre en relation les textes du corpus diachronique avec ceux du corpus synchronique. Avant d’évoquer la périodisation des textes, rappelons que le présent chapitre n’a pas la prétention de retracer de manière exhaustive toutes les étapes de l’évolution historique des connecteurs prépositionnels, mais l’objectif plus modeste de ce cha-

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Voir la partie 3.3 Le concept tradition discursive, et en particulier la partie 3.3.5 Traditions discursives et changements linguistiques. Le concept « grammaticalisation » est très controversé : cf. Gülich (2006, 29) ; Detges/Waltereit 2002 ; Mihatsch 2006 ; Grosse 2006 ; Waltereit 2006 ; Schrott/Maaß 2010.

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pitre consiste en la mise en relief des étapes centrales de l’évolution syntaxique, sémantique et pragmatique des connecteurs choisis. Pour ce faire, nous avons recours à un corpus diachronique composé de six textes appartenant à trois grandes périodes historiques internes à la langue française :7  pour l’ancien français : La Chanson de Roland (vers 1095) Coutumes de Beauvaisis de Philippe de Beaumanoir (1283) ;  pour le moyen français et le français de la Renaissance : La Farce de Maistre Pathelin (vers 1465)8 La Deffence et illustration de la langue françoyse de Joachim du Bellay (1549)  pour le français moderne : L’Avare de Molière (1668) Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences de René Descartes (1663) Sur le plan horizontal chronologique, ces six textes couvrent donc les trois périodes centrales de l’histoire du français. Notons ici que, lors de la description syntaxique et sémantique des connecteurs prépositionnels, nous compenserons les lacunes potentielles qui pourraient être occasionnées par l’envergure restreinte de notre corpus en invoquant des expertises externes. Outre cette répartition chronologique, les textes du corpus historique appartiennent à des genres textuels et des traditions discursives très différentes. Les six textes considérés représentent divers genres textuels sont constitués de différentes traditions discursives. En conséquence, le corpus diachronique comprend des genres textuels qui représentent des traditions langagières distinctes et qui contiennent des traditions discursives d’ampleur différentes et/ou un éventail plus ou moins spécialisé de traditions discursives. En effet, La Chanson de Roland, La Farce de Maistre Pathelin et L’Avare reproduisent de manière différente la langue du quotidien relativement aux traditions discursives formatrices de trois genres textuels centraux à chacune des époques la chanson de geste (pour l’ancien fran-

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Le travail avec les textes anciens nécessite une prise de conscience quant à leur condition de transmission. En effet, les textes aujourd’hui à notre disposition, proviennent de manuscrits, de duplicatas plus ou moins déviants, produits dans des lieux et dans des périodes différentes. Ce point à deux conséquences. Cela signifie d’abord, que les textes doivent être rendus lisibles afin d’être imprimés. Les textes sont lus par les paléographes qui les transcrivent en orthographie moderne. Deuxièmement, les textes médiévaux ne sont pas aussi fixes que les textes modernes. L’histoire de leur transmission fait partie intégrante de leur interprétation. D’où la nécessité d’employer des éditions scientifiques qui effectuent une lecture critique en se référant aux autres lectures contenues dans les autres textes (cf. Schrott 2006). Voir également le volume de Gleßgen/Lebsanft (1997) au sujet de la philologie ancienne et de la philologie nouvelle. Outre la prise en compte des conditions de transmission des textes, un autre point important réside en leur recontextualisation par rapport à l’histoire externe, effectuée ici par une périodisation et la présentation des caractéristiques centrales de chacune des époques (cf. Schrott 2006).

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çais), la farce (pour le moyen français) et la comédie (pour le français moderne). Ces trois textes ne reflètent ni des dialogues, ni des interactions authentiques, mais ils doivent être considérés comme des textes littéraires modélisant des dialogues qui peuvent être considérés comme des adaptations mimétiques d’interactions inventées et construites par les auteurs dans leurs textes (cf. Schrott 2006, 199). La Chanson de Roland appartient au genre textuel des chansons de geste.9 Le terme chanson fait référence aux textes héroïques du Moyen-Âge qui étaient prononcées à la gloire d’un héros par un jongleur accompagné d’une vièle. Le médium oral jouait donc un rôle central quant à la présentation et la transmission de ce genre textuel. Au niveau du fond, les chansons traitent des thèmes religieux tout en les liant à des thèmes féodaux et belliqueux. La spécificité de ce genre textuel réside en l’association d’une exigence de vérité historique à une tendance de représentation idéalisée. En d’autres termes, il s’agit de représentation littéraire pour l’identification effective de normes juridiques, morales et chrétiennes. La forme de la strophe est la laisse : elle lie, par des assonances, un nombre irrégulier de vers, la plupart du temps des décasyllabes (Grimm 41994, 13ss.). Les idées centrales de La Chanson de Roland sont les problèmes politiques, juridiques, religieux et moraux de la société féodale de l’époque (Klare 1998, 56). La Farce de Maistre Pathelin est un texte particulièrement représentatif de la littérature de la fin du Moyen-Âge dans la mesure où le théâtre est, à côté de la lyrique, l’innovation littéraire du Moyen-Âge tardif. Cette innovation littéraire va de pair avec l’émergence de troupes d’acteurs professionnels et le changement du paysage urbain avec l’apparition de théâtres dont la scène pouvait être observée sous différentes perspectives, et où s’unissaient textes, gestes, et musique. Au Moyen-Âge tardif, deux grands types de genres théâtraux peuvent être distingués : les mystères ou les moralités ont une intention religieuse ou didactique, et les sottises ou les farces introduisent une nouvelle thématique laïque et profane ayant pour but la stylisation comique et le divertissement. C’est dans cette seconde tradition que s’inscrit La Farce de Maistre Pathelin. Le point commun entre les deux genres évoqués est une composante érotique voire obscène caractéristique pour cette époque. Au niveau formel, La Farce de Maistre Pathelin présente une longueur atypique avec ses 1 600 vers. La pièce ne comprend ni de répartition en actes, ni en scènes, cependant trois suites scéniques, respectivement de 500 vers, sont identifiables. Sa longueur peu conventionnelle est peut-être due au fait qu’il s’agissait au départ de trois petites farces qui ont été fusionnées pour n’en former plus qu’une (cf. Grimm 41994, 96ss.). L’Avare est une comédie satire de Molière en cinq actes (cf. Grimm 41999, 162ss.). Le genre de la comédie satire s’inscrit dans la tradition des farces du Moyen-Âge (cf. Grimm 41999, 162s.). Au niveau formel, la particularité de cette comédie réside en sa rédaction en prose au lieu du vers. Au niveau du fond, la pièce de théâtre L’Avare a un point commun avec La Farce, comme le titre le laisse entendre, elle est en effet tissée autour de thème financier. Dans ce cadre, différents

––––––– 9

Cf. Menéndez Pidal (1960, 3ss., 85ss.) pour une discussion de l’origine et de la nature de la chanson de geste et pour une présentation des versions et textes conservés. Dans le présent travail nous employons la version d’Oxford.

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types d’interactions, de stratégies et d’actes communicatifs sont déployés. Au centre de cette pièce se situent les interactions quotidiennes entre un père cupide et ses enfants et autres personnages : le déploiement de stratégies de négociation autour de l’avarice d’Harpagon, la comparaison d’alternatives permettant aux personnages d’atteindre leurs fins, la manigance d’intrigues visant la manipulation et la défense d’intérêts. Enfin, avec Schrott (2006, 199), le texte littéraire fictionnel peut être considéré comme un médium central à la transmission de normes. Ainsi, grâce au mimétisme des normes en vigueur dans une communauté, nous aboutirons par l’étude de ces textes à des conclusions concernant les normes conversationnelles de chacune des époques représentées. Les textes fictionnels représentent donc un large éventail du langage quotidien, c’est-à-dire des situations de communications différentes et divers types d’action. La particularité de ces textes fictionnels résident en ce qu’ils ne sont pas limités par les frontières de certains domaines spécialisés tels que le droit, la poétique ou la philosophie. Ceci est en revanche le cas pour les trois autres textes de notre corpus diachronique. En effet, les Coutumes de Beauvaisis, La Deffence et le Discours de la méthode appartiennent respectivement aux langues de spécialité du droit, de la poétique et de la philosophie. En conséquence, ces textes représentent une partie bien définie du budget langagier. Aussi, dans le cadre de ces textes, l’agencement du matériel linguistique est lié à des situations de communication particulières et qui répondent à des objectifs déterminés. En effet, les Coutumes ont pour but de définir les lois contraignantes réglant le comportement humain en communauté. L’œuvre Coutumes de Beauvaisis est un recueil juridique de textes rédigés par le juriste Philippe de Beaumanoir (1283) à la demande du compte Robert de Clermont, le sixième fils de Saint-Louis.10 Les Coutumes de Beauvaisis se distinguent des autres recueils juridiques de l’époque par sa clarté, son bon sens et son orientation à la réalité (cf. Peralba 2000). Les Coutumes sont caractérisées par une attitude personnelle influencée par l’esprit chevaleresque et la pratique administrative de l’époque.11 L’objectif de Philippe de Beaumanoir est de fixer les droits coutumiers par écrit et de les systématiser afin de les rendre comparables au droit canonique et au droit romain (cf. Signori 2007, 129).12 Au niveau linguistique, la fixation à l’écrit comporte un important travail de création lexicale, de nombreux mots savants sont empruntés au latin (spéculation, limitation, existence, évidence, attribution) et entrent ainsi dans la langue française (Perret 32008,

––––––– 10

11 12

Depuis 1240 les rois de France veulent freiner la propagation du droit canonique et promeuvent la fixation écrite des droits oraux. Le titre original, « Li livres des coustumes et des usages de Beauvoisins », a été donné au texte par le scripteur lui-même (cf. Peralba 2000, 3). Onze manuscrits médiévaux ont été conservés (cf. Signori 2007, 128). Au niveau thématique, les Coutumes traitent environ 2 000 questions différentes : le droit de succession, le droit féodal, le droit des biens conjugaux ainsi que les questions de tutelles, d’entretien des chemins, du poids et des mesures, des vols, des dettes etc. (cf. Signori 2007, 129). Pour être recensé dans les Coutumes, Beaumanoir explique dans son traité qu’un usage doit présenter deux propriétés : il doit être valable dans toute la région et avoir un « grand âge » (Beaumanoir 1899, vol. 1, 346 ; cf. Signori 2007, 129).

369

45). En raison de la grande ampleur de l’œuvre, le présent travail se concentrera sur l’étude du premier chapitre traitant des baillis. La Deffence élabore une poétique, c’est-à-dire un faisceau de règles de référence à partir desquelles les auteurs de l’époque doivent se diriger. La Deffence est en effet un manifeste de l’humanisme français édifié en langue populaire. Contrairement au titre du texte, il ne s’agit pas d’une œuvre défensive mais offensive, de l’éloge, du soin, de l’enrichissement et de l’élaboration de la langue française (cf. Klare 1998, 111). L’auteur de La Deffence est certes Du Bellay, mais l’œuvre correspond aux idées communes de Ronsard et aux autres membres de la Pléiade. Le manifeste est à la fois une réplique à l’Art poétique (1548) de Sébillet, mais peut être considéré comme une poétique normative. Le titre est consciemment organisé comme un diptyque : défense d’un côté et illustration de l’autre.13 En ce sens, il s’agit d’une argumentation ambivalente qui valorise d’un côté la langue française comme équivalente, voire supérieure aux langues classiques et à l’italien, et qui, de l’autre côté, la présente comme dépendante des trésors de ces langues.14 Ainsi, Du Bellay prône la valorisation de la langue française au niveau de l’administration, des lettres et de la poésie. Le Discours de la méthode de René Descartes, quant à lui, élabore les règles d’un système scientifique. Le Discours est la première œuvre scientifique-philosophique rédigée en français. Le but de cette œuvre est de présenter une méthode permettant de rechercher et d’atteindre des connaissances et une vérité sans contradiction. L’auteur part du principe universel de l’esprit humain et de sa faculté à reconnaître la vérité. Cette faculté doit être guidée par une méthode afin d’atteindre de nouvelles connaissances. Le chemin méthodique consiste en une négation totale des préjugés et en un doute systématique. La mise en doute systématique a pour résultat la certitude d’un sujet conscient de son existence : l’axiome « je pense donc je suis ». A partir de cet axiome, Descartes met en question le savoir traditionnel ainsi que les autorités sur lesquelles il repose. De plus, l’auteur fixe l’individu comme l’instance de recherche de vérité. Ainsi, la raison des hommes est l’instrument de recherche de vérité commun aux hommes indépendamment des conditions sociales (cf. Bréhier 71996). Le Discours a d’abord été publié anonymement en 1637. De plus, suite à la condamnation de Galilée, Descartes n’a pris garde de rédiger ses connaissances et la mise en question de la philosophie classique sous la forme d’un compte rendu de réflexions personnelles. Descartes fonde une nouvelle philosophie dans le but de concilier la métaphysique traditionnelle avec les intérêts des sciences naturelles fondées sur la raison et les méthodes. Le rationalisme de Descartes ouvre la marche pour la philosophie du siècle des

––––––– 13

14

Dans la première partie (12 chapitres), la langue française est défendue par rapport aux langues classiques : le grec et le latin. Dans la seconde partie (12 chapitres), Du Bellay proscrit les genres moyenâgeux, dont les marotiques et les lyoners usaient encore, en faveur des formes antiques et italiennes. La Deffence présente une forte intertextualité : Du Bellay reprend en partie des passages du dialogue de Sperone Speroni Dialogo della lingua (1542) qui, dans la question de la langue italienne Questione della lingua, se porte en faveur de l’équivalence de l’italien par rapport au latin. Dans la pratique, le français s’est établi comme langue de la littérature et de l’administration. Cependant, Du Bellay ressent le besoin de prendre le français en défense par rapport au latin (cf. Klare 1998, 94).

370

Lumières, la pensée systématique et les méthodes empiriques des sciences modernes (cf. Grimm 41999 ; Poser 2003 ; Prechtl 2000). En résumé, cet exposé des propriétés des six textes considérés dans le corpus diachronique a montré que les trois textes fictionnels (La Chanson de Roland, La Farce de Maistre Pathelin et L’Avare) représentent des interactions entre des personnes, qui peuvent être racontées ou reproduites de manière mimétique dans des dialogues et des narrations. En revanche, les trois autres textes (Coutumes de Beauvaisis, La Deffence et illustration de la langue françoyse, Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences) emploient un budget linguistique spécifique à une spécialité juridique, poétique et philosophique. Les propriétés centrales aux six textes du corpus diachronique sont récapitulées dans le tableau 79 :

période

ancien français (900–1300)

français moyen / Renaissance (1300–1500)

français moderne (1500–1900) à l’exemple du français classique (XVIIe siècle)

La Chanson de

La Farce de Maistre

L’Avare (1668),

Roland (1095)

Pathelin (1465)

Molière

texte fictionnel langue du quotidien (narration et dialogue) non-fictionnel langue spécifique (parlementaire et scientifique)

Coutumes de Beauvaisis (1283), Philippe de Beaumanoir

La Deffence, et illustration de la

Discours de la

langue francoyse

méthode (1663),

(1549),

René Descartes

Joachim Du Bellay

Tableau 79 : le corpus diachronique

Ainsi, par leurs propriétés, les trois des textes fictionnels et les trois textes non-fictionnels ouvrent l’accès à un large éventail de tradition langagière, d’actes de langage, de stratégie de communication déjà présente dans le corpus en synchronie. En effet, les six textes du corpus diachronique peuvent être mis en relation avec les parties du corpus en français contemporain. La Chanson de Roland est composée d’une tradition discursive narrative et dialogique. La tradition discursive narrative est également contenue dans le corpus Le Monde dans lequel la représentation d’événements joue un rôle central. Les textes La Chanson de Roland, La Farce de Maistre Pathelin (1465) et L’Avare représentent des traditions discursives dialogique et orale. Il s’agit d’une oralité feinte et stylisée mais elle peut néanmoins être mise en relation avec les stratégies employées dans le discours oral, spontané et proximal du corpus Oral. Les Coutumes de Beauvaisis représentent la tradition discursive juridique et peuvent être mise en relation avec le discours parlementaire du corpus Sénat. La Deffence est à la fois un texte de spécialité scientifique (métalinguistique) et un plaidoyer pour la langue française et peut être considéré comme situé à l’intersection du discours parlementaire (corpus Sénat) et du discours scientifique (corpus Sciences). Le Discours de la Méthode est le représentant des textes scientifiques et peut être mis en relation avec le corpus Sciences.

371

Dans cette partie, nous avons montrés que les textes du corpus diachronique représentent différents genres textuels et différentes traditions, mais qu’ils être mis en relation avec les genres textuels du corpus synchronique. En conséquence, le corpus diachronique est adéquat à l’analyse détaillée de connecteurs prépositionnels choisis.

7.3 Parce que et pour cela (que) : formes et fonctions de la cause et de la conséquence en diachronie 7.3.1 Profils pragma-sémantiques : points communs et différences en synchronie La perspective diachronique offre deux alternatives. Une des approches consiste en l’analyse d’une forme ancienne et la reconstitution de son évolution jusqu’à nos jours, tel est le cheminement adopté par Hölker (2010a) dans son analyse du connecteur prépositionnel latin per hoc. Dans notre travail, en revanche, nous adoptons le cheminement inverse : le point de départ de notre analyse diachronique est le résultat livré par l’étude en synchronie. Les profils pragma-sémantiques de certains connecteurs méritent d’être éclairés de manière exemplaire à la lumière du passé. Pour ce faire, les connecteurs parce que et pour cela (que) ont été choisis pour trois raisons qualitatives essentielles. D’abord, en français contemporain, parce que et pour cela (que) expriment la même relation de justification de deux points de vue distincts : avec parce que le focus porte sur la cause, avec pour cela (que) sur la conséquence. Aussi, selon Anscombre (1983, 60), ces deux perspectives corrèlent avec deux actes de langage distincts : la présentation de la cause correspondrait à l’acte illocutoire d’« expliquer », tandis que la présentation de la conséquence correspondrait à l’acte illocutoire de « consécuter ».15 De plus, parce que et pour cela (que) présentent une similitude au niveau des éléments constitutifs des connecteurs. Premièrement, en français contemporain, les prépositions pour et par ont respectivement des valeurs sémantiques complémentaires bénéfactive et agentive (cf. Cadiot 1997, 221ss.).16 La dimension des prépositions contenues dans chacun des connecteurs est donc non-localisante.17 Ensuite, les deux connecteurs contiennent un déictique appartenant à la dimension objectale ce et cela. Et enfin, ces connecteurs contiennent un complétif. Tandis que le complétif que est un élément constant du connecteur parce que, il est facultatif chez pour cela (que), d’où le placement de que entre parenthèses.

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17

Voir la partie 4.5.3.1 La cause : responsabilité, motivation, preuve. Cf. Cadiot (1997, 221ss.) pour une comparaison des prépositions pour et par en français contemporain. Les prépositions ont des propriétés sémantiques communes : par et pour peuvent introduire un topique. En revanche, tandis que par ne déclenche pas de supposé (Laguiole est connu par ses (*les) couteaux), la préposition pour renvoie à une valeur référentielle construite au préalable (Laguiole est connu pour ses/les couteaux). La production et l’interprétation des énoncés avec la préposition pour sollicitent chez les protagonistes des savoirs supposés. Pour une justification de la classification des prépositions simples du français en dimensions prépositionnelles voir la partie 2.3.6 Classification sémantique des prépositions simples en français contemporain.

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Pour ces deux raisons, une comparaison entre les deux connecteurs s’avère intéressante. Par ailleurs, en raison de l’objectif de ce chapitre qui réside en l’éclairage des profils pragmatique et sémantique des connecteurs parce que et pour cela (que) et en raison du syncrétisme de leurs formes en diachronie, nous avons sciemment choisi de ne pas nous limiter à l’analyse stricte de ces deux formes. Au contraire, afin d’apporter des éléments de réponse pertinents concernant les différences de profils sur la base de notre corpus, nous avons élargi l’analyse à des formes « voisines » contenant les prépositions pour et par ou leurs ancêtres. En d’autres termes, nous sommes d’avis que la considération de formes à la fois distinctes mais proches de parce que et pour cela (que) dans la diachronie livre des éléments de réponse clé quant à l’éclairage des profils pragma-sémantiques de parce que et pour cela (que) dans la synchronie. Dans le même ordre d’idée, en français contemporain, si la cause exprimée par le connecteur parce que est constante, la conséquence exprimée par la préposition pour peut être réalisée par différentes formes : c’est pourquoi, c’est la raison pour laquelle, pour cette raison. Comme le suggère le tableau 80, la sélection de pour cela (que) ne repose pas sur un critère quantitatif, mais c’est pour des raisons qualitatives que cette forme a été choisie comme représentative des connecteurs de conséquence formés à partir de la préposition pour. En effet, comme le documentent les textes anciens, c’est la forme pur/por ço « pour ça » qui semble être la plus répandue, d’où le choix méthodique de considérer cette forme. La répartition des connecteurs consécutifs formés à partir de pour et le connecteur causal parce que dans les différentes parties du corpus synchronique est récapitulée dans le tableau 80 : Le Monde parce que (c’est) pourquoi la raison pour laquelle pour cette raison pour cela (que)

Sciences

(38 tokens) 2,7

(13 tokens) 1,1

pour 10 000 mots –

Sénat

Oral

(52 tokens) 3,1

(419 tokens) 24,6

pour 10 000 mots

pour 10 000 mots

pour 10 000 mots

(10 tokens) 0,9

(64 tokens) 3,8

(2 tokens) 0,2

pour 10 000 mots

pour 10 000 mots

pour 10 000 mots

(1 token) 0,07

(1 token) 0,09

(28 tokens) 1,6



pour 10 000 mots

pour 10 000 mots

pour 10 000 mots





(47 tokens) 2,8



pour 10 000 mots (1 token) 0,07 pour 10 000 mots



(4 tokens) 0,2

(5 tokens) 0,6

pour 10 000 mots

pour 10 000 mots

Tableau 80 : parce que, pour cela (que) et autres connecteurs consécutifs contenant la préposition pour dans les corpus en synchronie

Dans les corpus écrits, parce que représente 3,8 occurrences pour 10 000 mots (2,7 occurrences pour 10 000 mots dans Le Monde et 1,1 pour 10 000 mots dans Sciences), dans les corpus oraux en revanche, il présente 27,7 occurrences pour 10 000 mots (3,1 occurrences pour 10 000 mots dans Sénat et 24,6 dans Oral). Le connecteur c’est pourquoi présente 0,9 occurrences dans le corpus Sciences, il n’apparaît pas dans Le Monde. Dans les corpus écrits cependant, il représente 4 occurrences pour 10 000 mots (3,8 occurrences pour 10 000 mots dans Sénat et 0,2 dans Oral). La tendance est similaire pour le connecteur plus rare la raison pour

373

laquelle, qui, dans les corpus écrits n’est présent qu’avec une seule occurrence dans les corpus Le Monde et Science. Dans le corpus Sénat, il présente 1,6 occurrence pour 10 000 mots (soit 28 occurrences). Il en va de même pour le connecteur pour cette raison qui, avec 2,8 occurrences pour 10 000 mots, est essentiellement fréquent dans le corpus Sénat. Le connecteur consécutif pour cela (que) est attesté avec une occurrence dans le corpus Le Monde, 4 occurrences dans le corpus Sénat et 5 occurrences dans le corpus Oral. Le connecteur pour cela (que) est relativement rare mais présente une affinité avec le médium oral. En conclusion, l’analyse de corpus montre que ces connecteurs ont tendance à être plus fréquemment employés dans le discours de médium oral que dans le discours de médium écrit. Si ces connecteurs ont des points communs, leur fréquence d’emploi se distingue au niveau conceptionnel du continuum distal proximal. Le connecteur parce que est présent dans tous les corpus avec une fréquence oscillante : ses emplois sont principalement fréquents dans le discours oral de proximité (corpus Oral). En revanche, les connecteurs de conséquence pour cette raison et c’est pourquoi sont particulièrement présents dans le corpus oral distal Sénat. Une autre différence distingue les connecteurs : parce que, c’est pourquoi, pour cela (que) présentent un faible degré de transparence par rapport à l’expression de la cause ou de la conséquence qu’ils expriment, la raison pour laquelle, en revanche, présente un degré de transparence élevé.18 Au niveau pragmatique, les connecteurs de conséquence remplissent uniquement les fonctions de représentation argumentative RA et d’explicitation argumentative EA, tandis que le connecteur parce que a développé un large éventail fonctionnel : représentation argumentative RA, explicitation argumentative EA, interaction argumentative IA et interaction structurante argumentative ISA. Se pose alors la question de savoir comment les différents profils sémantiques et pragmatiques se sont cristallisés au cours de l’histoire des connecteurs en question. Afin de répondre à cette question, les éléments composants les connecteurs seront présentés, ensuite leurs emplois dans les textes historiques seront analysés. Enfin, nous nous interrogerons sur l’exploitation des connecteurs dans les différentes traditions discursives. 7.3.2 Parce que et pour cela (que) : des histoires étroitement liées Les connecteurs parce que et pour cela (que) ont des histoires qui s’entrecoupent. Leurs intersections peuvent être attribuées à la proximité conceptuelle de leurs valeurs sémantiques et à la ressemblance morphologique des prépositions qui les composent.19 Nous l’avons évoqué dans la partie précédente, au niveau morphologique, les deux connecteurs comportent une préposition non-localisante, un élément déic-

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19

Le concept transparence défini par Hölker (1988) est traité dans la partie 4.4.2 Transparence et mode communicatif. Cf. DHLF (1998, vol. 2, 2885) : « Dès le IXe s. pour assume un rôle explicatif dans pro o (881), por ço (v. 1080) ‘c’est pourquoi’ por qe, porquet ‘parce que’ (937ss.), pur que (v. 1050), por ce que (1080), toutes formes archaïques de pour ce que encore vivantes au XVIIe siècle […] ».

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tique ce ou cela, et peuvent comporter le complétif que ou le pronom quoi (c’est pourquoi). La préposition par, par également en ancien français, vient du latin per. Pour, por en ancien français, est issu de la préposition latine pro.20 Le FEW (1959, vol. 9, 401) mentionne que la plupart des langues romanes n’ont conservé qu’une seule des prépositions pro ou per : le français, qui a maintenu les deux prépositions, est une exception. En ancien français, ces deux prépositions avaient un sens local par « au travers de » et pour « en avant, devant » et des sens non-localisants, instrumental pour par ;21 causal, consécutif, instrumental ‘au moyen de’, concessif ‘malgré’ pour la préposition pour.22 Les prépositions présentent donc des similitudes au niveau sémantique et morphologique, ce qui mène d’ailleurs à des ambiguïtés dans les textes en français ancien : « En ancien français, il est difficile de distinguer par ce que, por ce que, parce que et porce que : les scribes ne font pas toujours la différence […] les scribes laissant toute latitude à l’éditeur du texte pour l’interprétation » (Degand/Fagard 2008, 130). Plus qu’une confusion des scripteurs, il est fort probable qu’à cette époque règne un syncrétisme des formes qui ait été différentié ultérieurement. Par ailleurs, dans leur étude portant sur parce que, Degand/ Fagard (2008, 130ss.) relèvent que la cause n’est pas le seul sens de la conjonction, mais elle peut exprimer le but ou le moyen. Dans notre corpus, l’ambiguïté entre pour et par n’est pas limitée aux textes en ancien français, pour ce que23 est employé dans le sens de parce que dans les textes en français moderne, d’où l’intérêt d’observer ces connecteurs en parallèle. Un autre point commun des prépositions par et pour dans les connecteurs en français contemporain est leur emploi avec des déictiques. Tandis que par est employé avec le pronom ce, pour est aussi bien employé avec un déterminant cette (raison) qu’avec des pronoms ça, cela. Le pronom démonstratif ce dans parce que est en ancien français ço et vient du latin hoc (cf. Lausberg 1963, 167).24 Ça est la forme réduite de cela. Cela est composé du pronom démonstratif ce et de l’adverbe local là. Ce vient de l’ancien français cist déjà attesté au IXe siècle et du latin *ecce istum (‘regarde là’ + ‘cela’) (cf. Maaß 2010a, 162). Là est un adverbe local depuis le XIe siècle en français et vient du latin ILLAC. Les deux parties de cela sont donc déictiques par leur étymologie et en raison de leurs fonctions actuelles en français contemporain (cf. Maaß 2010a,

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Cf. DHLF (1998, vol. 2, 2884) : Avant de devenir pour (XIIIe siècle), la préposition est apparue sous la forme por (881) et pur (v. 1050). Elle est issue de la métathèse du r, et a peut-être influencé per « par » de pro (842, Serments de Strasbourg), « représentant du latin pro, déjà attesté sous la forme por- comme préverbe ». Cf. FEW (1958, vol. 8, 211) et Rheinfelder (21976, 320) : la préposition en ancien français par prend en grande partie la fonction de l’ablatif absolu du latin classique. Cf. FEW (1958, vol. 9, 399) et Rheinfelder (21976, 324). Le Bon Usage (142008, 1941) mentionne que pour ce que est encore usité dans la langue littéraire et, depuis peu, dans certains textes écrits. Cf. Soutet (1992, 93) pour un exposé détaillé du système des démonstratifs en ancien et en moyen français.

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162). En outre, le point commun entre les déictiques ça et ce est leur appartenance à la dimension déictique objectale (cf. Maaß 2010a, 145).25 En revanche, les deux déictiques se distinguent au niveau de l’envergure de la portée de leur renvoi : tandis que ce est un déictique proximal, cela est un déictique distal.26 On peut émettre l’hypothèse que cette différence sémantique des déictiques pourrait expliquer pourquoi, en français contemporain, la portée de parce que se réfère toujours à l’énoncé suivant et produit une cohésion entre les connexes situés dans son cotexte immédiat. En revanche, c’est pour cela ou pour cette raison peuvent faire référence à une large partie du texte précédent (cf. Wienen 2006, 274). Combettes (2006), dont l’étude porte sur les connecteurs temporels à base prépositionnelle tels que dès (ce) que dans une perspective diachronique, focalise son attention sur l’alternance que/ce que. L’auteur avance l’hypothèse que le démonstratif ce introduit un repère temporel en accentuant les limites du procès. Ainsi, tandis que les connecteurs contenant un déictique présentent des emplois essentiellement temporels, les connecteurs prépositionnels de type dès que, après que etc. pourraient prendre en charge d’autres relations telles que la causalité. Selon la thèse de la grammaticalisation concernant la sémantique des prépositions,27 les prépositions par et pour, en raison de leur dimension non-localisante sont considérées comme plus abstraites que les prépositions temporelles et semblent nécessiter la présence d’un déictique afin de développer leur fonction de connecteur de cause ou de conséquence. Le dernier élément contenu par les connecteurs parce que et pour cela (que) en français contemporain, est le complétif que. Notons toutefois qu’il est facultatif dans les expressions pour cela (que) et pour cette raison (que) employées sans le présentatif.28 En français moderne comme en ancien et moyen français, que est un mot polyfonctionnel.29 En ancien et moyen français que employé comme

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Dans le mode déictique discursif, le référent est un objet discursif (cf. Maaß 2010a). Dans des expressions déictiques : ça fait partie d’une encapsulation (Inkapsulation). Une encapsulation est un processus déictique discursif par lequel les parties précédentes ou plus rarement les parties suivantes sont englobées comme référent par une expression déictique discursive. Les encapsulateurs peuvent être des structures nominales avec un déterminateur démonstratif « cette raison ». Voir la partie 1.1.3.2 Les connecteurs et les déictiques discursifs dans le présent ouvrage. Maaß/Schrott (2010b, 11) indiquent que les déictiques appartenant aux dimensions distales et objectales entrent fréquemment dans la formation de connecteurs. Cf. Heine/Claudi/Hünnemeyer (1991, 256). L’application de la thèse de la grammaticalisation aux prépositions, proposée par Heine/Claudi/Hünnemeyer (1991), est traitée dans la partie 2.3.4.3 La thèse de la grammaticalisation. En français moderne, dans les constructions avec les prépositions, que est considéré comme complétif ou « connecteur pur », dans la mesure où « […] il est dépourvu de fonction dans la subordonnée et non anaphorique : que est ici pur connecteur, outil de nominalisation d’une structure de phrase dont il ne fait pas partie » (Le Goffic 2000, 539). La particularité de l’antécédent est de se situer à gauche du complétif et sa valeur est particulièrement nette lors qu’elle est introduite par un démonstratif : ce N que P, où on a clairement « P est le N en question ». Soutet (1992, 59ss.) propose une étude de la forme que et de ses différentes fonctions en ancien et en moyen français. Soutet (1992, 60) indique que les grammaires synchroniques tendent à préférer l’interprétation homonymique.

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« […] [conjonction] sert à nominaliser une phrase, autrement dit à lui permettre de fonctionner comme un nom provisoire, non pas un nom de langue mais un nom du discours. Que est alors un strict outil d’enchâssement syntaxique, de soi dénué d’une valeur lexicalement glosable (ce qui ne signifie pas qu’il n’ait pas de valeur sémantique » (Soutet 1992, 65). Par ailleurs, la conjonction que est fréquemment employée en ancien français avec le pronom ce qui a souvent la fonction d’un sujet. Ce est alors cataphorique et peut apparaître directement avant la conjonction donnant la forme « ce que » qui peut être glosée par « le fait que » (cf. Soutet 1992, 66).30 Enfin, le connecteur prépositionnel pourquoi contient le pronom relatif quoi qui, à côté de la forme atone que, est la forme tonique provenant du latin quid (neutre du pronom interrogatif, relatif et indéfini quis). Les pronoms interrogatifs et relatifs ont les mêmes racines latines, ils sont très proches les uns des autres et proviennent de phrases interrogatives (Rheinfelder 21976, 163). Ainsi, quoi était primairement un pronom interrogatif qui a ensuite développé la fonction d’un pronom relatif. Il apparaît d’abord sous la forme quei (1080), et ensuite quoi (v. 1175) (cf. DHLF 1998, vol. 3, 3048). En résumé, les connecteurs parce que et pour cela (que) présentent une relation causale (au sens large du terme) de deux points de vue différents, et prennent en charge les fonctions de la forme por ço en ancien français. Pour ces raisons, nous proposons d’étudier les fonctions de la forme por ço et ses variantes dans les textes de notre corpus historique. Dans les sous-parties suivantes, les formes du français contemporain parce que et pour cela (que) seront considérées de manière générique. Cela signifie pour l’analyse de corpus que l’étude ne sera pas limitée à ces deux formes, mais d’autres formes, contenant le même élément prépositionnel, détectées dans le corpus historique seront considérées. 7.3.3 Parce que : intégration renforcée du connecte de droite L’objectif de ce chapitre est de dégager, à partir de l’étude du corpus diachronique, les propriétés sémantiques et fonctionnelles centrales à l’expression « parce que ». En ancien français, por ço que est l’une des variantes formelles introduite par la préposition exprimant la cause. L’analyse de corpus indique que, déjà en ancien français, por ço que liait des phrases : (256) – Sire, dist Guenes, ço ad tut fait Rollant : Ne l’amerai a trestut mun vivant, Ne Oliver, por ço qu’il est si cumpainz (La Chanson de Roland I, 124) Dans l’exemple (256), issu de La Chanson de Roland, Ganelon dit à Charles qu’il n’aimera ni Roland, ni Olivier parce que ce dernier est le compagnon de Roland. Ici,

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Cf. (Soutet 1992, 68ss.) : en ancien français, que pouvait introduire des conjonctives circonstancielles exprimant la conséquence, la cause et le temps. Que introduisant un circonstanciel de cause est en recul en moyen français (Soutet 1993, 90). En tant qu’adverbe, que est concurrencé par comme et pourquoi (Soutet 1992, 90).

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por ço que a dans sa portée de droite une phrase « il est si cumpainz ». Ce constat est intéressant car la fonction typique d’une préposition réside en l’introduction d’un complément nominal. Cependant déjà en ancien français, la forme por ço que peut être considérée comme une expression figée connective dont la fonction n’est pas d’introduire un complément nominal, mais une phrase.31 On aurait pu s’attendre à ce que l’expression por ço que soit en ancien français encore « transparente ».32 Dans ce cas, ço renverrait à un référent considéré comme moyen permettant d’atteindre un but. Or, ici, c’est la cause qui est exprimé par por ço que et non le moyen : por ço que peut être glosé par le connecteur car. En ce sens, por ço que peut être considéré comme une entité figée. L’analyse de por ço que comme unité figée est certainement favorisée par le modèle des conjonctions complexes déjà existant en latin tardif et en latin vulgaire. En effet, les conjonctions causales quod/quia deviennent en latin tardif et en latin vulgaire des conjonctions complétives, correspondant au que complétif en français contemporain (cf. Kiesler 2006, 73).33 Avec la naissance des conjonctions complétives, de nouvelles conjonctions causales complexes émergent pro eo quod, per id quod, per hoc quid et la forme reconstruite per/*por hoc quid, qui, en ancien français, a donné naissance à por ço que (parce que) (Kiesler 2006, 77). De même, Hölker (2010a), dont l’analyse retrace l’évolution de l’expression latine PER HOC et ses résultats dans les langues romanes, montre qu’en latin le syntagme prépositionnel est devenu connecteur de phrase. (257) (Flumen) per hanc urbem (fluit) (Hölker 2010a, 163) L’exemple (257) illustre l’emploi de per et hoc dans un syntagme prépositionnel : per, conformément à sa fonction de préposition, introduit un groupe nominal per hanc (urbem) qui modifie le verbe (fluit) ; l’expression per hoc a donc une fonction adverbiale. Cet emploi correspond à l’emploi « traditionnel » de la préposition, dans la mesure où la préposition à dans sa portée un élément nominal. Le résultat est alors un syntagme prépositionnel. Dans ce cas, la fonction du déictique hoc peut être considérée comme anaphorique,34 car il renvoie au substantif (urbem) (cf. Hölker 2010a, 164). Par ailleurs, dans ces emplois, Hölker attribue au déictique une valeur exclusivement descriptive : l’expression permet de caractériser la situation dont on parle.35 En latin tardif, l’expression per hoc élargit sa portée syntaxique et ne se réfère plus à un substantif (urbem), mais à une phrase ou à un élément phrastique. Reprenons l’exemple cité par Hölker (2010a, 164) :

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Cf. Hölker (2010a). Voir la partie 4.4.2 Transparence et mode communicatif. Kiesler (2006, 73) : en latin tardif quod, « parce que », devient une « conjonction universelle » permettant d’introduire des complétives, mais également des subordonnées finales, consécutives, comparatives et temporelles. Elle correspond au que polyvalent dans les langues romanes qui peut introduire différents types de subordonnées. Cf. Maaß (2010a, 90ss.) pour une distinction entre la fonction anaphorique et la deixis discursive. La distinction effectuée par Hölker (1988) entre la situation dont on parle et dans laquelle on parle, a été abordée dans la partie 1.3.2 Un connecteur, différents niveaux de liage.

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(258) Nam cum tres sint speculutiuae partes, naturalis, in motu inabstracta […], mathematica, sine motu inabstracta (haec enim formas corporum speculatur sine materia ac per hoc sine motu, quae forae cium in materia sint, ab his separari non possunt), theologica, sine motu abstracta […] (Boethius, De trinitate 2,2 ; cité d’après Hölker 2010a, 164). (Parce qu’il y a en effet trois domaines de la science spéculative, la physique qui n’est pas abstraite et qui traite des mouvements […], les mathématiques qui ne sont pas abstraites et qui ne traitent pas des mouvements (car elle analyse les formes des corps sans matière, et c’est pourquoi, sans considérer les mouvements, les formes qui, parce qu’elles sont liées à la matière, ne peuvent être séparées des corps), la théologie, qui est abstraite, ne s’occupe pas des mouvements […]) (d’après Hölker 2010a, 164 ; traduction H.S.). Dans cet exemple, per hoc n’introduit plus un substantif, mais une phrase, ici sous la forme elliptique sine motu (cf. Hölker 2010a, 165). Dans ce cas, l’expression prépositionnelle per hoc peut être considérée comme un connecteur, car il lie des structures phrastiques, des connectes. Il correspond alors à un connecteur conclusif qui peut être paraphrasé par c’est pourquoi ou donc. De plus, dans ce type d’emploi, hoc n’est plus un anaphorique, mais un déictique discursif ou textuel, car il fait référence à une partie du texte située dans son cotexte de gauche (cf. ibid.). En d’autres termes, hoc peut être perçu comme une instruction ordonnant au lecteur de chercher le référent dans le cotexte de gauche lui permettant de tirer la dite conclusion (cf. ibid.). Le connecteur per hoc supplée alors les connecteurs du latin classique tels que igitur, itaque, ergo et per haec (cf. ibid., 164). Per hoc, n’est cependant pas un cas isolé. Déjà en latin tardif, certaines expressions, à l’origine des syntagmes prépositionnels, prennent la fonction d’un connecteur. De même, Lehmann (1995b, 1263) constate dans les langues romanes, la haute fréquence de prépositions complexes et de conjonctions subordonnantes complexes formées à partir de préposition telles que parce que et après que. Il renvoie cette production au modèle et à un chemin de grammaticalisation. Ainsi, le développement de la fonction connective des syntagmes prépositionnels en français coïncide avec l’évolution de syntagmes prépositionnels en latin. Il n’est donc pas surprenant que por ço que soit employé pour lier des phrases. Sur le fond de ces résultat, somment expliquer désormais l’envergure de l’éventail fonctionnel déployé par le connecteur parce que en français contemporain ? Pour répondre à cette question il est nécessaire de préciser la description de la portée du connecteur por ço que. Dans l’exemple (256) , por ço que introduit un verbe fini et peut donc être considéré comme une conjonction de subordination. Or, les conjonctions ont la particularité de fixer les connectes de façon catégorielle, ou en d’autres termes, l’identification des deux connectes mis en relation s’effectue par la portée syntaxique de la conjonction (Hölker 2010a, 177). Donc, dans l’exemple (256), la portée syntaxique du connecteur por ço que, qui appartient à la classe des conjonctions, règle l’identification des connectes « Ne l’amerai a trestut mun vivant, Ne Oliver » et « il est si cumpainz ». Au-delà, ce constat concernant la portée syntaxique de la conjonction a des conséquences considérables quant à la fonction du déictique dans le connecteur prépositionnel. En effet, Hölker (ibid.) montre, pour la 379

conjonction de coordination pero issue de per hoc, que la déicticité (ou l’indexicalité) du pronom déictique ne joue plus de rôle. Sa fonction est totalement prise en charge par la propriété syntaxique de la conjonction. Toutefois, à la différence de pero, l’élément déictique ço, dans por ço que en ancien français, comme ce en français contemporain dans parce que, est encore identifiable. Dans la recherche, le rôle du déictique dans la formation de conjonctions subordination, comme à ce que, et parce que, est interprété de différentes manières (cf. Stoye 2010, 191). Le pronom ce, dans la conjonction, est souvent paraphrasé par le fait (que) (cf. Le Goffic 1993, 437). Pour Wilmet (21998, 264), ce sert de « tampon » aux conjonctions de ce que, jusqu’ ce que et parce que. D’après Le Bon Usage (142008, 1446) : « Ce phénomène est ancien, et il était plus général encore : l’introduction de ce permettait aux propositions d’avoir les fonctions d’un nom et a eu pour résultat de transformer les prépositions en conjonctions » (Le Bon Usage 142008, 1446). Muller (2002, 95) constate que les prépositions les plus courantes ont besoin du pronom ce pour former des conjonctions de subordination (à ce que, de ce que, en ce que) et distingue deux hypothèses concernant l’emploi de ce. La première impute la responsabilité au complétif qui serait tendanciellement « défectueux ».36 Selon cette hypothèse, toutes les complétives comporteraient une forme déictique. Lorsque le déictique n’est pas réalisé explicitement, les conjonctions de subordination auraient une forme ce (que) implicite. La seconde hypothèse renvoie la présence de ce aux propriétés intrinsèques des prépositions.37 En effet, certaines d’entre elles, les prépositions « orphelines », introduisent un complément nul ou implicite (cf. Stoye 2009). Rappelons à cet endroit la distinction faite par Amiot (2002) entre les prépositions « régies » et les prépositions « circonstancielles ».38 Tandis que les prépositions circonstancielles tendent à former des connecteurs directement avec le complétif que, les prépositions régies nécessitent l’usage du démonstratif ce. Les prépositions régies, dont la propriété est de se trouver dans la portée syntaxique d’un verbe, par exemple passer par, seraient liées à leur contexte gauche par le terme recteur qui les régit et sélectionne. Aussi, telle est notre hypothèse, ço dans por ço que renforce le liage et l’intégration du connecte de droite. Cette intégration linéaire renforcée peut être représenté de la manière simplifiée comme suit : Ne l’amerai a trestut mun vivant, Ne Oliver, por ço qu’il est si cumpainz En effet, si ço ne nomme plus l’objet de référence de manière explicite, il intègre fortement le connecte de droite dans la portée du connecteur por ço que, car ce, dans

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La thèse du complétif défectif est défendue par Huot (1981) et Gross (1975). Voir la partie 2.1.2 Les prépositions : entre propriétés typiques et comportements atypiques. La distinction entre les prépositions régies et les prépositions circonstancielles est discutée dans la partie 5.6 Hypothèses quant aux restrictions de formation de connecteurs prépositionnels.

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parce que, est catadéictique (cf. Soutet 1992, 66).39 Employé comme catadéictique, ce introduit de manière anticipée un nouvel élément qui n’est pas encore discernable dans le champ de perception du locuteur et correspond, dans le mode déictique situationnel, à une référence du type « regarde ici ! » (cf. Maaß 2010a, 88). Dans por ço que cependant, ço ne fait pas référence à un élément extralinguistique ancré dans la situation contextuelle, mais à un élément linguistique situé dans le cotexte. Ço indique que son référent textuel intervient immédiatement après son occurrence dans le cotexte de droite. De cette manière, ço conditionne l’attention de l’allocutaire et averti le partenaire de communication qu’un élément jusqu’à présent non visible va apparaître (cf. Maaß 2010a, 88). De plus, l’emploi cataphorique de déictiques discursifs est un moyen rhétorique qui présuppose la connaissance de situations prototypiques (cf. ibid.). Dans le cas de por ço que, la typicité de la situation causale réside en une relation d’implication selon laquelle la cause est toujours suivie d’une conséquence et que la conséquence est toujours précédée d’une cause. En résumé, por ço que est un connecteur a valeur consécutive dont la portée syntaxique est catégorielle. Le catadéictique ço est alors implicitement indexical : il n’effectue pas de renvoi déictique direct au conséquent, mais renforce l’intégration du connecte de droite. En raison de la prototypicité des relations causales le connecte à gauche de por ço que est interprété comme une conséquence. Pour ces raisons, il semblerait que le connecteur parce que réalise, dans ces emplois les plus courants, des relations non iconiques de type CONSÉQUENCE parce que CAUSE. Dans l’exemple (259), extrait du Discours de la Méthode, cependant le connecteur prépositionnel pource que introduit la cause de manière iconique (parce que CAUSE, CONSÉQUENCE) : (259) J’ai été nourri aux lettres dès mon enfance ; et, pource qu’on me persuadait que par leur moyen on pouvait acquérir une connaissance claire et assurée de tout ce qui est utile à la vie, j’avais un extrême désir de les apprendre. (Discours de la Méthode, 127s.) Dans cet exemple, le premier connecte de pource que est complexe : il contient d’une part la conviction que les lettres permettent d’atteindre des connaissances et d’autre part que ses connaissances sont nécessaires pour mener sa vie à bien. De manière iconique pource que confère au premier connecte une valeur de cause ayant pour conséquence le désir d’études. En conséquence, la caractéristique centrale du connecteur prépositionnel parce que est la fixation de ses connectes par sa portée catégoriale.40 Notre hypothèse est que la portée catégoriale du connecteur a des répercutions quant à l’implication de l’allocutaire, actif lors du processus d’identification des connectes mis en relation. L’interlocuteur, soutenu par la portée syntaxique standardisée et la sémantique causale conventionnelle du connecteur, interprète « automatiquement » le connecte situé immédiatement à la droite de parce que comme la cause, et impute ainsi à l’autre connecte une valeur de conséquence (peu importe si celui-ci précède ou succède à

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Voir la partie 7.3.2 Parce que et pour cela (que) : des histoires étroitement liées. Cette propriété distingue parce que de pour cela (que). Voir la partie 7.3.4 Le chiasme de la portée de pour cela (que).

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parce que). Ainsi, au niveau syntaxique, la fixation catégorielle de la portée du connecteur parce que et, au niveau sémantique, la typicité de la relation CONSÉQUENCE parce que CAUSE, ou parce que CAUSE, CONSÉQUENCE soutiennent l’interlocuteur lors de l’identification des connectes. La stabilité de ce profil sémantique et fonctionnel conventionnel de parce que contribue, selon nous, au déploiement d’implicatures conversationnelles comme le commentaire « je dis X parce que » (fonction d’interaction argumentative {IA} dans notre modèle), ou la prise de parole (fonction d’interaction structurante argumentative {ISA} dans notre modèle).41 7.3.4 Le chiasme de la portée de pour cela (que) L’objectif de ce chapitre est de mettre en lumière les propriétés syntaxiques, sémantiques et fonctionnelles centrales des connecteurs de type pour cela (que) dans le corpus diachronique. En ancien français, la préposition por ou pur, en cooccurrence avec le déterminant déictique ço, introduit une phrase. Dans l’exemple suivant issu de La Chanson de Roland, pur ço connecte deux phrases : (260) Durs unt les quirs ensement cume fer : Pur ço n’unt soign de elme ne d’osberc (La Chanson de Roland I, 239) Dans cet exemple pur ço peut être paraphrasé par c’est pour cela que ou c’est pourquoi. L’expression pur ço a dans sa portée une phrase qui peut être glosée par « ils n’ont besoin ni de casques, ni de haubert », et ço a pour référent « Durs unt les quirs ensement cume fer ». Le référent de ço et la portée de pur ço ayant respectivement un référent phrastique et une portée phrastique, pur ço peut être considéré comme un connecteur et les énoncés phrastiques qu’il joint comme ses deux connectes. Pour la locution latine per hoc, Hölker (2010a, 164) montre que l’introduction d’une structure phrastique marque le passage et la réanalyse42 du syntagme prépositionnel, dont la structure formelle est [[per] hoc], en une locution figée [per hoc]. Aussi, en ancien français, la forme pur ço et ses variantes peuvent être considérées comme des expressions figées dont la fonction n’est plus d’introduire un complément nominal mais une phrase.43 La structure de l’exemple (260) peut être formalisée de la manière suivante : (261) [[Durs unt les quirs ensement cume fer] [pur ço] [n’unt soign de elme ne d’osberc]] La formalisation de l’énoncé montre non seulement que pur ço introduit une phrase dans sa portée de droite, et que, ço renvoie à une phrase dans sa portée de gauche.

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Les emplois du connecteur parce que en fonction d’interaction argumentative et d’interaction structurante argumentative sont traités de manière détaillée dans la partie 6.4.2.1 Les actions dans le corpus Oral. Voir la partie 7.5.2 Les connecteurs prépositionnels : une histoire de réanalyse. Cf. Hölker (2010a).

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En suivant Hölker (2010a, 164), la référence propositionnelle du déictique n’a plus de valeur anaphorique, mais une valeur déictique discursive. Dans ce cas, ço donne à l’allocutaire l’instruction de rechercher le premier connecte de la relation se situant avant sa propre occurrence dans l’énoncé (cf. ibid., 176). Ço dans pur ço est un déictique discursif car il fait référence à une partie du texte précédent (cf. ibid., 165). L’élément déictique dans pur ço permet d’identifier le référent en le rendant saillant par une encapsulation (cf. ibid., 167).44 L’encapsulation est un type de référence déictique textuel qui consiste en la récapitulation (par englobement) d’une partie du discours précédent (Maaß 2010a, 183). Reste à définir le rôle de la préposition dans l’expression complexe. Selon Hölker (2010a, 165), per, dans per hoc, indique que l’énoncé introduit est une justification. Par ailleurs, d’un point de vue syntaxique, la préposition est un élément fortement cohésif car, dans ses emplois typiques (introduction d’un groupe nominal), elle appartient à la classe des jonctions d’incorporation :45 elle régit le connecte de droite et l’intègre au connecte de gauche. La structure de l’incorporation peut être représentée de la manière suivante : [La boulangerie est fermée [[pour] travaux]] (cf. Ágel 2010, 907). Pour est la jonction qui régit le substantif travaux et qui intègre le connecte dont elle fait partit au connecte de gauche la boulangerie est fermée. Malgré le figement46 et le traitement holistique qui permet à pur ço de lier syntaxiquement deux phrases, pur ço semble conserver une structure interne propre au syntagme prépositionnel d’origine (une incorporation), aussi bien au niveau syntaxique qu’au niveau sémantique. En raison du syntagme prépositionnel d’origine appartenant à la classe des jonctions d’incorporation, on peut émettre l’hypothèse que l’expression pur ço présente la structure suivante : [[pur] ço]. En conséquence, la représentation formelle de l’énoncé (262) serait la suivante : (262) [[[Durs unt les quirs ensement cume fer] [[[pur] ço]] [n’unt soign de elme ne d’osberc]]] Au niveau interne, la structure de pur ço présente les caractéristiques d’une incorporation. Cependant, à la différence de l’unification considérée par Ágel (2010), l’ancien français ne contient pas d’élément prédicatif comme le présentatif « c’est ». L’unification n’ayant pas d’élément prédicatif, nous concluons que c’est au connecteur pur ço que revient la réalisation de l’unification. Syntaxiquement, pur ço est une entité complexe qui régit deux connectes et les intègrent fortement l’un à l’autre. Notre hypothèse est que cette forte intégration est due à la complexité interne du connecteur, dont le liage peut être représenté sous la

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Voir chapitre 1.1.3.2 Les connecteurs et les déictiques discursifs. Cf. Ágel (2010, 906ss.) : avec Ágel, deux types emplois syntaxiques des prépositions peuvent être distingués. Les emplois où les prépositions introduisent un groupe nominal, ce qui correspond à la classe des jonctions d’incorporation et les emplois où les prépositions introduisent un infinitif verbal correspondant à la classe des subordinations. La différence entre ces deux classes est que les prépositions en emploi « incorporant » intègre plus fortement leurs connectes que les prépositions en emploi « subordonnant ». Dans les deux cas cependant, la préposition régit un connecte – nominal ou verbal – et est donc proche du pôle intégratif. Pour une discussion détaillée de la notion de figement voir Gross (1996).

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forme d’un chiasme. De manière simplifiée, le liage « chiastique » de pur ço peut être formalisé comme suit : [[pur] ço]

Durs unt les quirs ensement cume fer

n’unt soign de elme ne d’osberc

Alors que ço, élément situé à droite dans le connecteur, effectue une intégration du cotexte de gauche par une encapsulation, pur, élément situé à gauche dans le connecteur, introduit un espace mental en donnant des informations sur le domaine de référence et la nature du référent de ço. Avec ço dans sa portée, pur intègre le connecte de gauche au connecte de droite. Ainsi, la particularité du connecteur pur ço réside en sa complexité interne et la stratification des relations syntaxiques et sémantiques qui en dépendent. Notre hypothèse est que la complexité syntaxique du connecteur pur ço a un impact au niveau de la transparence sémantique du connecteur.47 Afin d’éclairer cet aspect, nous optons pour l’explication d’un exemple contemporain construit. Normalement, dans un énoncé A pour B, tel que fermé pour travaux ou il est apprécié pour son dévouement, la préposition pour indique que l’état de chose en A dépend de celui en B.48 L’énoncé « A dépend de B » (la fermeture est présentée comme la conséquence des travaux) peut être glosé de différentes manières : B conditionne A (les travaux sont la cause de la fermeture) ; A est la conséquence de B et B est la cause de A ; ou bien encore, pour l’exprimer en termes cognitifs avec des notions localisantes, A est la « cible », et B le « site ».49 En revanche, dans l’énoncé A pur ço B, c’est l’inverse qui se produit : B, la conséquence, est déclenché par A, la cause. Dans le connecteur [[pur] ço], la préposition pur confère à ço une orientation causale en raison de sa sémantique. En tant que déictique discursif, ço encapsule l’énoncé A, le connecte de gauche, et lui confère une valeur causale. C’est donc par le truchement du déictique ço que A reçoit une interprétation causale normalement attribuée au connecte B. La cause étant imputée au connecte de gauche, le connecte de droite, B, est interprété comme une cause. La cause étant conférée à A, B est la conséquence.50 Ainsi, la valeur ajoutée consécutive du connecteur pur ço ne revient

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Cf. Fischer (2007). Cf. Cadiot (1991) ; Melis (2003, 74ss.). Voir la partie 2.3.4.2 Instruments cognitifs : le site, la cible. Le sens consécutif, inférentiel de per hoc vient de son sens causal. En latin (cum ou propterea), comme dans d’autres langues (deshalb, aus diesem Grund) il y a des expressions qui expriment aussi bien la cause que la justification. Cela est lié au fait que nommer une relation origine-effet peut être vu comme la prémisse d’une justification prototypique (Hölker 2010a, 166). D’après Hölker (2010a), la relation exprimée par per hoc relève d’une implicature, car le locuteur avec per hoc (justificatif) ne dit pas que la relation correspondante a

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pas seulement à la préposition pur, mais ço encapsule le contenu de l’énoncé précédent et l’ajoute à la signification de base de pur. En résumé, le fonctionnement du connecteur pur ço est complexe, car il opère en plusieurs étapes : pur ço forme une unité, un connecteur qui permet l’unification des connectes. Par ailleurs, pur et ço agissent séparément au sein de la même unité ; ço fait explicitement référence à l’élément linguistique placé avant le connecteur et l’intègre à la valeur ajoutée globale du connecteur prise en charge par pur en tant que vecteur sémantique conférant à l’encapsulation une orientation argumentative. Notre dernière remarque concerne la portée du déictique ço et ses conséquences quant à l’implication du partenaire de conversation lors de l’interprétation de la relation consécutive. Dans pur ço que, l’ampleur du référent anadéictique de ço varie : ço peut faire référence à la phrase ou à une partie de texte située dans son cotexte de gauche. A la différence de pur ço que, la portée de ço, dans pur ço, n’est pas déterminée de manière catégorielle mais positionnelle (cf. Hölker 2010a, 165).51 Tandis que pur ço que lie les énoncés qui l’entourent ou qui se suivent immédiatement, pur ço peut faire référence à une large partie de texte située dans son cotexte de gauche. Dans la partie précédente, nous avons conclu l’étude de por ço que, en émettant l’hypothèse que la fixation catégorielle syntaxique des connectes, ainsi que la conventionnalisation de la relation causale qu’il exprime, lui confère une certaine flexibilité positionnelle, et favorise le développement de certaines implicatures conversationnelles. Le cas de pur ço est différent. Sa portée n’est pas catégorielle mais positionnelle : c’est sa position dans le texte qui détermine sa portée syntaxique et sémantique. Ce résultat concernant la portée positionnelle de pur ço a un impact quant à l’implication de l’allocutaire lors de l’interprétation de la relation consécutive. Pur ço signale l’existence d’un lien de consécution entre ce à quoi se réfère ço et ce qui suit pur ço. C’est alors au partenaire de conversation que revient la tâche de déterminer le cotexte justificatif adéquat, ou, en d’autres termes, le partenaire de conversation (re)construit le connecte de gauche de pur ço. Avec Hölker (2010a, 165), cet emploi de por ço correspond à une implicature conversationnelle.52 Dans ce cadre, notre hypothèse est que l’allocutaire ayant déjà la charge de rechercher le référent adéquat de ço, c’est-à-dire la cause dans le cotexte de gauche, ne peut être « encombré » d’une tâche supplémentaire qui consisterait en un travail d’interprétation d’implicatures conversationnelles. En d’autres termes, l’implication du locuteur lors de la détermination du référent causal, « freine » le développement d’implicatures conversationnelles de pur ço. Pour cette raison, selon nous, dans le corpus synchronique, le connecteur pour cela (que) présente un profil pragmatique plus restreint ou plus spécialisé que celui du connecteur parce que.

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lieu. Per hoc, avec ce sens, ne se réfère pas à la situation dont on parle, et ne contribue pas à sa valeur de vérité. Voir la partie 7.3.3 Parce que : intégration renforcée du connecte de droite. Voir la partie 4.4.2 Transparence et mode communicatif.

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7.3.5 Parce que et pour cela (que) : entre explication et justification Les propriétés syntaxiques des connecteurs por ce que et pur ço, traitées dans les deux parties précédentes, ont un impact sur leurs profils pragmatiques respectifs. La constante se situe au niveau sémantique, por ce que exprime la cause, pur ço, la conséquence. La différence se situe au niveau de leurs profils pragmatiques. 7.3.5.1

Pour cela (que)

Au niveau pragma-sémantique, Hölker (2010a, 163ss.) note pour per hoc, le passage d’une expression référentielle descriptive (avec la valeur de par comme ‘au travers’, ‘au moyen de’) décrivant la situation dont on parle, à une expression logicoargumentative agissant sur la situation dans laquelle on parle (situation d’énonciation) (cf. Hölker 1988).53 Lors d’emploi justificatif, per hoc n’aurait plus un sens relatif à la situation dont on parle, mais en rapport à la situation dans laquelle on parle (Hölker 2010a, 163ss.).54 En ce sens, Hölker (2010a, 167) considère que per hoc ne contribue plus de manière essentiellement à la valeur de vérité des énoncés. En faisant référence à Frege (1966), Hölker (2010a, 167) signale qu’à côté de leur fonction métadiscursive, les connecteurs contribuent à la valeur de vérité des énoncés par une valeur sémantique similaire à celle de la conjonction et. Pour Hölker (2010a), le changement de la portée syntaxique du déictique anaphorique, dont le référent est un groupe nominal, en un déictique discursif, dont la portée syntaxique est phrastique, va de pair avec un changement pragmasémantique : en tant que déictique discursif, hoc ne se réfère plus à une éventualité, mais il effectue une référence métadiscursive (cf. ibid., 165). L’expression per haec verba (par/à ces mots), ensuite supplée par per haec, puis remplacée par per hoc, reçoit également une valeur référentielle descriptive (cf. ibid., 164) : (263) Coniti per haec non modo Cherusci, sed conterminae gentes (…). (Tacitus, Annales 1, 60) (Par cela (par ces mots), pas seulement les chérusques furent incités à la révolte mais également les peuples voisins.) (exemple cité d’après Hölker 2010a, 164 ; traduction allemand > français H.S.). En suivant la remarque de Frege (1966, 59s.), il semble pertinent de distinguer deux niveaux d’emploi pour l’expression per haec : la référence du déictique discursif d’une part et la valeur référentielle (qui correspond à la fonction de représentation argumentative RA dans notre modèle) ou d’explicitation argumentative (fonction EA) d’autre part. En effet, Hölker (2010a) n’évoque pas qu’au niveau descriptif de la situation dont on parle, l’expression per haec (par ces mots) introduit une structure phrastique qui implique une relation consécutive des événements : une relation d’origine (cause) à effet (conséquence). Dans l’exemple (263), ce sont les

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54

La distinction effectuée par Hölker (1988) entre la situation dont on parle et la situation dans laquelle on parle est traité de manière détaillée dans la partie 1.3.2 Un connecteur, différents niveaux de liage. Cf. Traugott/Dasher (2002) ; Traugott (2010) ; voir également la partie 1.3.2 Un connecteur, différents niveaux de liage dans le présent ouvrage.

386

mots, au sens littéral du terme, qui sont présentés comme origine, c’est-à-dire responsables de la conséquence : les mots prononcés déclenchent la réaction des chérusques et des peuples voisins. La relation ne vise pas l’élaboration d’un jugement ou de nouvelles connaissances (épistémologiques), tel est le cas de la fonction d’explicitation argumentative, mais elle réalise une représentation d’événements en imputant aux mots prononcés la responsabilité de la conséquence qui en découle.55 De même, dans La Chanson de Roland, les mots sont présentés comme l’origine dont découlent un effet, une conséquence. Dans l’exemple (264), l’expression « a icest mot » indique que les propos tenus par Roland sont représentés comme l’origine d’une conséquence événementielle : (264) Respunt li quens : « Kar li aluns aider! » A icest mot l’unt Francs recumencet. (La Chanson de Roland I, 177) Dans l’exemple (264), a icest mot signale que les mots prononcés par Roland, qui peuvent être paraphrasé par allons les aider, ont pour conséquence, la reprise du combat par les Francs. Ici, a icest mot n’a pas la fonction d’une explicitation argumentative justificative inférentielle de type argument (cause) > conclusion (conséquence) (annotation EA dans notre modèle),56 mais a icest mot a une fonction de représentation événementielle : origine (cause) > effet (conséquence) (annotation RA dans notre modèle). Bien que la fonction de a icest mot soit la représentation argumentative, force est de constater que l’expression contient un élément déictique discursif. En effet, a icest mot renvoie à un référent textuel situé dans le cotexte précédent « Kar li aluns aider! » auquel le déictique confère une saillance, c’est-àdire une accessibilité cognitive, qu’ils n’avaient pas auparavant (cf. Maaß 2010a, 16ss.). L’implémentation de la perspective des connecteurs, qui est la nôtre, avec celle des déictiques (cf. Maaß 2010a) montre que l’expression a icest mot présente un chevauchement entre la lecture événementielle et la textuelle.57 L’observation de cette expression sous la loupe de la théorie des déictiques (cf. Maaß 2010a) montre que la fonction de représentation argumentative RA du connecteur correspondrait plutôt au mode déictique situationnel. La propriété d’un déictique en mode situationnel est de faire référence à un objet physique visible (Maaß 2010a, 57) ; dans ce cas, le déictique fait référence à la réalisation articulatoire, phonétiquement mesurable des mots prononcés. En revanche, la lecture du connecteur en fonction d’explicitation argumentative EA correspond au mode déictique discursif, c’est-àdire à un objet du discours (cf. Maaß 2010a, 57), qui se trouve ici encapsulé dans un complexe.58 Nous sommes d’avis que le chevauchement des deux lectures est lié à la contiguïté des concepts (représentation et explicitation) invoqués et peut être repré-

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57 58

Voir la partie 4.5.3.1 La cause : responsabilité, motivation, preuve. Pour la présentation des fonctions du modèle issues de l’évidence de corpus en synchronie voir la partie 4.1 Les catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels ainsi que les parties 4.2 Les actions : représentation, explicitation et interaction et 4.3 Les techniques : structuration, argumentation et structuration-argumentation. Voir la partie 1.2.3.2 Polysémie et les indicateurs de lecture. Le chevauchement des modes déictique discursif et déictique situationnel est traité par Maaß (2010a, 58ss.)

387

senté sous la forme du schéma figure-fond visualisant le renversement de la relation métonymique :59 cause > conséquence dit (origine > effet) voulu dire (argument > conclusion)

pour cela (que)

RA

représentation

figure

fond

fond

figure

explicitation

EA

Figure 17 : pour cela (que) entre représentation et explicitation

Rappelons que les deux éléments distingués dans ce schéma, le fond et la figure correspondent au dit « gesagt » et au voulu dire « gemeint » (cf. Waltereit 2004, 129). Dans certains contextes d’emploi non conforme, la figure (ici, l’explicitation argumentative) relaye le fond (ici, la représentation argumentative) à l’arrière-plan. L’explicitation argumentative se situe alors au premier plan. Avec Waltereit (2004, 129) le renversement figure-fond est considéré comme une forme de métonymie (cf. Detges 1999 ; Diewald 1997). Dans le cas de la représentation argumentative RA, le locuteur parle du contenu de la situation, il parle de la situation (cf. Hölker 1988) : les événements (a icest mot) sont représentés comme l’origine du déclenchement d’autres événements (l’unt Francs recumencet). En revanche, dans le cas d’une explicitation argumentative EA, le locuteur fait partie de la situation d’énonciation, il parle dans la situation d’énonciation (cf. Hölker 1988) ; le locuteur est donc contenu par la situation. Dans ce cas, la situation est le contenant dans lequel le locuteur agit et parle : le locuteur agit sur le texte, il travaille la matière textuelle en lui conférant une valeur d’argument (cause) et de conclusion (conséquence). La relation est alors argumentative au sens étroit du terme.60 Pour ces raison, nous sommes d’avis que la fonction de représentation argumentative RA décrit mieux l’emploi de a icest mot dans l’exemple (264), cependant force est de constater que la relation métonymique de contenant/contenu qui lie les deux fonctions est discrète (cf. Diewald 1997, 59).61 Concluons que la relation cause > conséquence correspond à différentes actions exercée par le connecteur prépositionnel. Ces relations sont détectables pour les connecteurs prépositionnels contenant un déictique discursif faisant référence à une partie du texte. Ces deux interprétations sont contiguës, liées par une relation métonymique et se distinguent l’une de l’autre par l’action dominante située au premier plan. L’extrait de La Chanson de Roland (265), déjà cité en (260), suit la tradition discursive narrative :

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61

Voir la partie 1.2.3.3 Polysémie et liens sémantiques. Pour le traitement des différents types de cause voir la partie 4.5.3.1 La cause : responsabilité, motivation, preuve. Pour un exposé détaillé de la représentation des liens entre les différentes lectures voir la partie 1.2.3.3 Polysémie et liens sémantiques.

388

(265) Durs unt les quirs ensement cume fer : Pur ço n’unt soign de elme ne d’osberc (La Chanson de Roland I, 239) Le connecteur de conséquence pur ço met des événements, des faits en relation. Dans cet extrait, deux faits observés « leur peau est aussi dure que le fer » et « ils ne portent ni casque, ni haubert » sont mis en relation de contiguïté. La relation de contiguïté peut être paraphrasée par la conjonction et. Par ailleurs, la description des états correspond à une relation origine (cause) > effet (conséquence). Dans cet extrait ço se réfère à l’état ou plutôt à la propriété des soldats « leur peau est aussi dure que le fer ». D’après nous, ce sont les partenaires de conversation (le locuteur et l’interlocuteur) qui jouent un rôle central quant à l’élaboration de relations entre les propositions. La théorie qui rend compte de l’implication du locuteur et de l’interlocuteur dans la grammaire en tant que sujet est la théorie de la subjectivisation.62 Aussi, le rôle du locuteur doit-il être précisé. Dans l’exemple (265), le locuteur est un narrateur : il observe et relate des faits dont il constate une certaine contiguïté. En effet, avec pur ço, le narrateur présente les fait ils n’ont besoin ni de casques, ni de hauberts comme la conséquence logique émanant de la force des personnages. En ce sens, la représentation effectuée par le locuteur procure aux personnages un caractère héroïque. Ici, le narrateur propose une description de la situation dont il parle. Par l’emploi du connecteur prépositionnel, le narrateur rend le monde événementiel cohérent. Quant au déictique ço, il est une instruction adressée à l’interlocuteur. Ço indique à l’interlocuteur de rechercher un référent adéquat dans le texte, qui autorise une relation de conséquence (« ils n’ont ni casques, ni de hauberts »). L’acceptabilité de la relation dépend des normes en vigueur dans la communauté culturelle et discursive dans laquelle le locuteur agit (cf. Anscombre 2002 ; Moeschler 1989, 46). Enfin, avec por ço, le narrateur introduit sous la forme d’une conséquence logique, une information supplémentaire qui permet de caractériser l’aspect physique des protagonistes, procédé explicatif central dans la tradition discursive narrative. L’exemple (266), issu de la Farce de maître Pathelin s’inscrit dans une tradition discursive dialogique : (266) LE DRAPPIER. Mais comment parle il proprement Picart ? Dont vient tel coquardie ? GUILLEMETTE. Sa mere fust de Picardie, Pour ce le parle maintenant. (Maistre Pathelin, 46) Le drapier après avoir « vendu » l’étole à Pathelin se rend chez celui-ci pour recevoir son argent. Il trouve alors ce dernier délirant et comprend que Pathelin s’exprime désormais en Picard. Le drapier, surpris, interroge Guillemette sur

––––––– 62

La théorie de la (inter)subjectivation est thématisée dans les parties 1.3.2 Un connecteur, différents niveaux de liage et 7.5 Connecteurs prépositionnels : grammaticalisation, réanalyse et (inter)subjectivation.

389

l’origine ces connaissances linguistiques. L’épouse répond que Pathelin maîtrise le Picard en raison de l’origine picarde de sa mère. Suite à sa réponse, Guillemette marque de manière explicite avec pour ce que sa contribution répond à la question posée. En d’autres termes, avec pour ce, Guillemette indique au drapier qu’elle a répondu à sa question et que le thème est clos. En revanche, dans les textes monologiques des Coutumes de Beauvaisis et de La Deffence, le même connecteur consécutif est employé d’une autre manière. Dans l’extrait (267), issu du premier chapitre des Coutumes, l’auteur évoque la générosité, la sixième vertu des baillis : (267) […] il devient autres que bons, ne ne li chaut dont avoirs li viegne, mes qu’il puist sa fole largece maintenir. Et pour ce doit li sages baillis sa largece maintenir atempreement, et fere aumosnes, en ses sougiès et en ses bons voisins honourer, et en soi courtoisement et honestement maintenir et netement. (Coutumes de Beauvaisis, 21) Dans cet extrait, après avoir présenté les méfaits d’une générosité excessive, Beaumanoir introduit avec pour ce la conclusion issue du raisonnement précédent. Le connecteur pour ce introduit un énoncé injonctif, comme en témoigne le modal « doit ». De cette manière, l’auteur incite les baillis à pondérer leur générosité envers leurs sujets. Il s’agit donc, comme dans le corpus Sénat, d’un discours éthicodéontique.63 La Deffence présente un emploi similaire du connecteur cela est une grande rayson pourquoy : (268) Donques les langues ne sont nées d’elles mesmes en façon d’herbes, racines & arbres : les unes infirmes et debiles en leurs espéces : les autres saines et robustes, et plus aptes à porter le faiz des conceptions humaines : mais toute leur vertu est née au monde du vouloir et arbitre des mortelz. Cela (ce me semble) est une grande rayson pourquoy on ne doit ainsi louer une langue et blamer l’autre […]. (La Deffence, 46s.) Dans cet extrait, le connecteur cela est une grande rayson pourquoy réalise, comme dans l’exemple précédent, une relation argumentative qui réside en l’introduction d’une conclusion. Cependant, le connecteur prépositionnel cela est une grande rayson pourquoy nomme explicitement l’élément textuel situé dans le cotexte de gauche, c’est-à dire la raison dont découle la conclusion introduite par le connecteur. A la différence de pour ce dans l’exemple (267), cela est une grande rayson pourquoy contient un élément métadiscursif qui lui confère un degré de transparence élevé. Le connecteur opère donc sur un mode de communication plus explicite que

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Cf. Peralba (2000, 3) : « La procédure utilisée par le Parlement n’est pas apparue ex nihilo. Dès le XIIIe siècle des juristes œuvrant dans le domaine royal ou des régions voisines ont composé des recueils désignés par le terme de ‘coutumiers’. Ces recueils présentent quelques points communs avec les styles. Bien qu’ils soient assez éloignés des traités de procédure élaborés à partir des textes de droit romain ou ordines judiciarii, ils semblent en avoir subi l’influence dans la forme. Le style de du Breuil présente quant à lui des traits communs aux deux genres, mais conserve une originalité ».

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pour ce dans l’exemple (267).64 Malgré cette différence, le connecteur cela est une grande rayson pourquoy introduit, dans l’exemple (268), une conclusion qui réside en une obligation, une nécessité et un devoir, comme en témoigne d’ailleurs l’emploi explicite du verbe devoir « on ne doit pas louer une langue et blâmer l’autre ». En suivant Eggs (1994, 16), il s’agit d’un jugement déontique. La conclusion est issue du raisonnement précédent qui peut être glosé par « les langues sont des constructions humaines », qui, selon du Bellay, est un argument de taille (une grande rayson) (cf. ibid.). La subjectivité du point de vue est d’ailleurs soulignée par le contenu de la parenthèse « ce me semble ». Dans ces deux exemples, la relation de conséquence n’est plus de type origine (cause) à effet (conséquence). Mais, en employant pour ce ou c’est une grande raison pour laquelle, le locuteur donne son point de vue et évalue une situation. Il met en relation des arguments qui déclenchent des conclusions. Dans ce cas, l’interlocuteur ne cherche plus l’origine de la conséquence introduite mais l’argument permettant de tirer la conclusion introduite par le connecteur. 7.3.5.2

Parce que

Dans notre corpus historique, parce que présente également différentes fonctions selon le genre textuel dans lequel il est employé. Dans les Coutumes et le Discours, parce que introduit la cause comme l’origine responsable de certains effets. Le locuteur est observateur de faits qu’il met en relation. Ainsi, dans l’extrait (269) issu des Coutumes, l’auteur expose la seconde vertu des baillis, l’amour envers Dieu qu’il compare à l’amour des serfs envers leurs seigneurs : (269) Le seconde vertus si est, que li baillis doit avoir, qu’il doit très durement amer Dieu nostre pere et nostre sauveur, et, pour l’amor de Dieu, sainte Eglise ; et non pas de l’amour que li aucun des sers ont à leur seigneurs, qu’il ne les aiment fors que pour ce qu’il les criement et doutent, mes d’amour entiere […] (Les Coutumes de Beauvaisis, 16s.) Ainsi, les serfs aiment leurs seigneurs par ce qu’ils les craignent. Dans l’exemple, pour ce que introduit le moyen qui engendre l’amour des serfs : la crainte. Le moyen (la crainte) est ici représenté par le connecteur comme l’origine responsable de l’amour des serfs envers leurs seigneurs. De même, dans l’exemple (270), Beaumanoir introduit une cause de manière non-iconique, avec le connecteur pour ce que : (270) Et souvent avient que les simples gent qui ont bonnes quereles et loiaus, lessent perdre leur quereles pour ce qu’il ne les osent maintenir par devant teus baillis pour leur felonie, pour doute de plus perdre. (Les Coutumes de Beauvaisis, 18)

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Voir la partie 4.4.2 Transparence et mode communicatif.

391

Dans cet extrait, la cause est présentée comme l’origine (ils ont peur de perdre plus encore) responsable de la conséquence (les gens simples perdent leurs plaintes devant la justice). En conclusion, dans ces deux exemples, Beaumanoir établit avec le connecteur pour ce que une relation causale entre deux états de chose afin de rendre cohérent le monde événementiel de son temps. Les connecteurs prépositionnels employés dans l’œuvre de Descartes présentent un profil particulier car le connecteur pour ce que introduit souvent la cause de manière iconique. La subordonnée est alors placée devant la principale : (271) J’ai été nourri aux lettres dès mon enfance ; et, pource qu’on me persuadait que par leur moyen on pouvait acquérir une connaissance claire et assurée de tout ce qui est utile à la vie, j’avais un extrême désir de les apprendre. (Le Discours de la Méthode, 128s.) (272) […] mais pource qu’alors je désirais vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensai qu’il fallait que je fisse tout le contraire, et que je rejetasse comme absolument faux tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s’il ne resterait point après cela quelque chose en ma créance qui fût entièrement indubitable. (Le Discours de la Méthode, 147) Ces deux extraits témoignent de la recherche d’explication rétrospective logique factuelle. En d’autres termes, Descartes est à la recherche de liens logiques entre les événements : il nomme des causes (origines) et leurs conséquences (effets). Les liens logiques représentés suivent l’ordre chronologique des événements comme en témoigne, dans l’exemple (271), l’expression temporelle dès mon enfance, et dans l’exemple (272), après cela. La représentation iconique des événements souligne le caractère narratif et autobiographique de la Méthode.65 En effet, dans l’œuvre de Descartes, les connecteurs employés en fonctions de représentation argumentative {RA} peuvent être considérés comme une stratégie de précaution due aux répressions envers les nouvelles pensées philosophiques de l’époque qui remettent en question l’ordre et les méthodes jusqu’à présent établies. De fait, il est couramment admis que Descartes ait sciemment formé son discours de manière narrative et autobiographique afin d’échapper à la censure.66 Un autre connecteur à valeur sémantique causale scande le Discours de Descartes : à cause que. Dans la mesure où il nomme explicitement la cause, ce connecteur présente un mode de communication transparent.67 D’un point de vue quantitatif, à cause que est, avec 35 occurrences, plus fréquent dans le Discours que pource que (17 occurrences) et parce que (2 occurrences). Souvent employé de manière non-iconique, à cause que étaye une conclusion (un jugement). Tel est le cas dans l’exemple suivant issu du Discours :

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Voir la partie 7.2 Le corpus diachronique. Voir la partie 7.2 Le corpus diachronique. Voir la partie 4.4.2 Transparence et mode communicatif.

392

(273) Et encore qu’il y en ait peut-être d’aussi bien sensés parmi les Perses ou les Chinois que parmi nous, il me semblait que le plus utile était de me régler selon ceux avec lesquels j’aurais à vivre ; et que, pour savoir quelles étaient véritablement leurs opinions, je devais plutôt prendre garde à ce qu’ils pratiquaient qu’à ce qu’ils disaient, non seulement à cause qu’en la corruption de nos mœurs il y a peu de gens qui veuillent dire tout ce qu’ils croient, mais aussi à cause que plusieurs l’ignorent eux-mêmes ; car l’action de la pensée par laquelle on croit une chose étant différente de celle par laquelle on connaît qu’on la croit, elles sont souvent l’une sans l’autre. (Le Discours de la Méthode, 141) Dans l’exemple (273), à cause que étaye le jugement concernant la cohabitation avec des peuples étrangers : les actes sont plus importants que les paroles. Ce jugement est étayé après coup (de manière non-iconique) par deux emplois du connecteur à cause que : la corruption (censure) force les personnes à ne pas dire ce qu’elles pensent vraiment et, il y a une différence entre croire et savoir ce qu’on croit. De même, dans l’exemple (274), les connecteurs pour ce que et à cause que introduisent des arguments en vue de justifier un jugement de manière rétroactive : (274) […] la veine artérieuse, qui a été ainsi mal nommée, pour ce que c’est en effet une artère, laquelle, prenant son origine du cœur, se divise, après en être sortie, en plusieurs branches qui vont se répandre partout dans les poumons : […] l’artère veineuse, qui a été aussi mal nommée, à cause qu’elle n’est autre chose qu’une veine, laquelle vient des poumons, où elle est divisée en plusieurs branches entrelacées avec celles de la veine artérieuse, et celles de ce conduit qu’on nomme le sifflet, par où entre l’air de la respiration […]. (Le Discours de la Méthode, 158) En conclusion, dans le Discours de la Méthode, les connecteurs prépositionnels pour ce que et à cause que expriment la cause. Pour ce que est préférentiellement employé de manière iconique et à cause que de manière non-iconique. Employés de manière iconique, ils prennent la plupart du temps une fonction de représentation argumentative. Dans le cadre de la tradition discursive narrative, cette fonction représente les événements et explique le lien entre une origine et les effets qui en découlent. Le connecteur transparent à cause que favorise un emploi non-iconique, qui est plus rare avec pour ce que. L’emploi non-iconique correspond fréquemment à la fonction d’explicitation argumentative. Dans ce cas, le connecteur introduit un argument qui étaye une conclusion (une thèse, un jugement). Déjà dans La Chanson de Roland, por ço que étaye un jugement par l’introduction d’un argument. Dans l’exemple (275), le connecteur por ço que n’apparaît plus dans une séquence narrative,68 mais dans une tradition discursive dialogique :

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Cf. l’exemple (256) dans la partie 7.3.3 Parce que : intégration renforcée du connecte de droite.

393

(275) – Sire, dist Guenes, ço ad tut fait Rollant : ne l’amerai a trestut mun vivant, ne Oliver, por ço qu’est si cumpainz (La Chanson de Roland I, 124) En effet, La Chanson de Roland qui appartient au genre des chansons de geste, contient un faisceau de traditions discursives dont la narration et le dialogue. Aussi, dans l’exemple ci-dessus, Ganelon dit à Charles qu’il n’aime ni Roland ni Olivier et justifie son point de vue avec por ço que. Enfin, dans La Deffence, un dernier type d’usage a été détecté. Dans l’exemple (276), Du Bellay préconise l’enrichissement de la langue française par l’étude des auteurs anciens. En même temps, il exhorte les auteurs contemporains à croire que l’imitation des auteurs de référence serait une entreprise facile : (276) Mais entende celuy qui voudra immiter, que ce n’est chose facile de bien suyvre les vertuz d’un bon aucteur, et quasi comme se transformer en luy, veu que la Nature mesmes aux choses qui paroissent tressemblables, n’a sceu tant faire, que par quelque notte & difference elles ne puissent estre discernées. Je dy cecy, pour ce qu’il y en a beaucoup en toutes langues, qui sans penetrer aux plus cachées & interieures parties de l’aucteur qu’ilz se sont proposé, s’adaptent seulement au premier regard, et s’amusant à la beauté des motz, perdent la force des choses. (Du Bellay, La Deffence, 104) Dans cet extrait de La Deffence, Du Bellay s’adresse directement à ses contemporains, comme en témoigne l’expression injonctive placée au début de la première phrase « mais entende celuy qui ». En commençant la seconde phrase par l’expression métadiscursive « je dy cecy » suivie du connecteur causal « pour ce que », Du Bellay légitime de manière explicite le bien-fondé ses propos et commente ses propres dires. En introduisant de manière explicite le commentaire justificatif, qui peut être brièvement glosé par certains écrivains se contentent de copier superficiellement les auteurs de référence, par « Je dy cecy, pour ce que », du Bellay anticipe une intervention potentielle de ses lecteurs (pourquoi dites-vous tout cela ?) relative à la légitimité des avertissements exprimés. En conséquence, par la simulation de la structure dialogique justificative, cet emploi du connecteur pour ce que correspond à la fonction interactive-argumentative de notre modèle.69 Il faut toutefois mentionner que dans cet exemple, la relation entre les propos tenus présente un haut degré de transparence car elle est réalisée de manière explicite par je dy cecy. Dans le corpus Oral, en revanche, parce que établit une relation entre les actes par des implicatures conversationnelles.70 Autre différence, dans le corpus en synchronie, les emplois de parce que en fonction d’interaction argumentative sont principalement fréquents dans le corpus Oral, c’est-à-dire dans le discours oral proximal. Comme l’a montré l’évaluation du corpus Sénat, dans le discours de conception distale, les commentaires d’actes de langage implicites sont principale-

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70

Voir les parties 4.3.2.3 L’argumentation au service de l’interaction et 6.4.2.1 Les actions dans le corpus Oral. Voir la partie 4.4.2 Transparence et mode communicatif.

394

ment réalisés par le connecteur en effet.71 La relation entre les propos, qui correspond à une implicature conversationnelle généralisée,72 intègre fortement l’interlocuteur dans la solution de cette implicature. En conséquence, le discours tenu par Du Bellay se distingue du discours monologique des articles scientifiques de spécialité car il présente un caractère fortement dialogique. Nous avons déjà évoqué l’emploi de l’expression interpellatrice « entende celuy qui », ce caractère dialogique se maintient dans la suite du discours par l’interpellation « Je t’amonneste » (La Deffence, 106) mais également par des exclamations : « ò toy, qui desires l’accroissement de ta langue, et veux exceller en icelle » (La Deffence, 106, 107) ; « ò grande liberalité! » (La Deffence, 107) ainsi que des questions rhétoriques : « Mais si Virgile & Ciceron se feussent contentez d’immiter ceux de leur Langue, qu’auront les Latins outre Ennie ou Lucrece, outre Crasse ou Antoyne? » (La Deffence, 108). Ces trois éléments (interpellations, exclamations et questions rhétoriques) confèrent au texte écrit monologique de La Deffence un profil dialogique, caractère souligné par l’emploi interactif de pour ce que. En conclusion, l’analyse de parce que dans le corpus diachronique montre que le connecteur a un profil pragmatique polyfonctionnel. En effet, parce que réalise les trois actions distinguées dans notre modèle : il effectue une représentation avec la technique argumentative, il travaille la matière textuelle comme un argument visant à justifier une conclusion (explicitation avec la technique argumentative), et il réalise une interaction argumentative en introduisant un commentaire relatif aux propos tenus par le locuteur/l’auteur. 7.3.5.3

Epilogue

Les différents profils pragma-sémantiques de parce que et de pour cela (que) dans le corpus synchronique fondent le point de départ de l’étude diachronique. L’objectif de ce chapitre était de livrer, par une rétrospective diachronique, des éléments de réponses concernant ces différences pragma-sémantiques. Plus précisément, nous nous sommes interrogés sur les raisons pour lesquels le connecteur parce que dispose d’un éventail fonctionnel plus déployé que pour cela (que). Dans cette optique, l’analyse diachronique ne s’est pas strictement restreinte aux formes parce que et pour cela (que), mais d’autres connecteurs similaires contenant les prépositions par et pour ainsi que leurs « ancêtres » ont été considérés. De cette manière, de précieux éléments de réponse, dont il faudra certes approfondir l’analyse, ont été obtenus. Dans cette partie, nous proposons de récapituler les principaux résultats de notre analyse. L’analyse diachronique a montré que les différences d’emploi de pour cela (que) et parce que peuvent être imputées à leurs propriétés syntaxiques et sémantiques distinctes. Tandis que la préposition pour dans pour cela (que) introduit une forme déictique en fonction déictique, il semblerait que le déictique ce, introduit par la préposition par dans parce que, n’ait plus cette fonction indexicale. De fait, le ce

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72

Voir la partie 6.3.4 Profils pragmatiques des connecteurs prépositionnels dans le corpus Sénat. Les différents types de communication distingués par Hölker (1988, 147ss.) sont résumés dans le présent ouvrage dans la partie 4.4.2 Transparence et mode communicatif.

395

catadéictique dans parce que, renforce plutôt l’intégration du connecte de droite déjà dans la portée de que. Parce que effectue une intégration linéaire renforcée du connecte de droite, tandis que pour cela (que), intègre fortement ses connectes « en dessinant un chiasme ». En raison de leurs différences intégratives, les connecteurs parce que et pour cela (que) peuvent être subordonnés à deux classes de jonctions distinctes (cf. Ágel 2010). La classification des emplois de par, pour et des connecteurs parce que et pour cela (que) dans le modèle des jonctions explicites est visualisée dans le tableau ci-dessous :

juxtaposition

parajonction (marqueur discursif) parce que

jonction explicite coordination

subordination

incorporation

unification

parce que

par, pour

pour cela (que)

fonctions :

fonction : {IA}

{RA} et

fonctions :

{EA}

{RA} et {EA}

présyntaxique

syntaxique agrégatif

intégratif

Tableau 81 : parce que et pour cela (que) dans le modèle des jonctions explicites (cf. Ágel 2010, 356)

Sur le continuum agrégatif-intégratif, les prépositions par et pour ont été ordonnées à la classe des jonctions d’incorporation. A partir de cette classe, les expressions prépositionnels parce que et pour cela (que) ont emprunté deux « chemins » opposés : parce que, conventionnellement employé comme subjonction, s’est dirigé vers le pôle agrégatif, tandis que pour cela (que), employé comme jonction d’unification, s’est orienté vers le pôle intégratif. La classe des jonctions d’unification, dont font partie les emplois de pour cela (que), est la plus proche du pôle intégratif, et est considérée comme la moins grammaticalisée.73 La classe des subjonctions (parce que), en revanche, se situe à proximité du pôle agrégatif et se trouve directement placée avant les classes des jonctions de coordinations et des parajonctions. Cette localisation basée sur le degré d’intégration des connectes a des répercussions capitales sur les profils pragma-sémantiques des deux connecteurs. Si, au niveau sémantique, pour cela (que) forme une unité exprimant la conséquence, au niveau syntaxique la séparation des tâches cohésives entre pour et cela permet d’intégrer fortement les connectes de gauche et de droite par une unification. L’unification est due aux portées respectives des éléments du connecteur qui intègrent leurs connectes « en dessinant chiasme » : pour intègre le connecte de droite, et cela le connecte de gauche. Cela renvoie à une partie du texte située à gauche de l’occurrence du connecteur. En conséquence, sa portée à gauche n’est donc pas déterminée de manière catégorielle, mais positionnelle. La tâche de l’interlocuteur est alors de résoudre l’instruction donnée par cela, c’est-à-dire rechercher dans le

––––––– 73

Cf. Ágel (2010) et voir la partie 1.1.2 Une fonction, différents degrés d’intégration.

396

cotexte de gauche du connecteur un référent adéquat à exprimer la cause permettant d’atteindre la conclusion introduite par pour cela (que). Parce que, en revanche, en tant que subordination, a une portée syntaxique déterminée par sa catégorie : dans le cas d’une relation non-iconique, parce que indique que le connecte dans sa portée immédiate à droite est la cause et, le connecte situé à sa gauche est la conséquence, ou, dans le cas d’une relation iconique, la cause introduite par parce que est succédée du connecte exprimant la conséquence. En raison de l’opacité fonctionnelle des éléments qui le composent et de la conventionalité de sa signification causale, parce que présente déjà dans le corpus diachronique trois fonctions différentes : il réalise la fonction de représentation argumentative {RA}, d’explicitation argumentative {EA} et présente des emplois qui déclenchent des implicatures conversationnelles résidant en des procédures de commentaires d’actes de langage (fonction d’interaction argumentative {IA} dans notre modèle). En ce sens, parce que est un connecteur polyfonctionnel qui présente des emplois propres à la classe des parajonctions ou marqueurs discursifs. Dans les séquences considérées comme narratives, parce que et pour cela (que) mettent en relation des événements observés par le narrateur (fonction de représentation argumentative {RA}). Souvent, lorsque le narrateur relate des événements, la perspective adoptée est une rétrospection. Dans ce cas, le narrateur établit une cohérence événementielle. En revanche, dans les plaidoyers ou des séquences dialogiques, parce que et pour cela (que) connectent des arguments qui permettent de tirer des conclusions ou apportent une preuve pour justifier un jugement. Ces emplois en fonction d’explicitation argumentative {EA} témoignent du fait que la tradition discursive dialogique favorise par son dynamisme la justification d’un raisonnement. La causalité en fonction d’explicitation argumentative {EA} se distingue de la causalité en fonction de représentation argumentative {RA} dans la mesure où elle est ancrée dans la situation d’énonciation, c’est-à-dire dans la situation dans laquelle le locuteur parle et agit. Aussi, pour reprendre les termes de Degand/Fagard (2008, 123) : « […] la causalité épistémique est ‘immédiate’, elle se situe dans le hic et nunc de la situation causale. Pour être valide, la ou les prémisses doivent être partagées par l’interlocuteur ». La causalité en fonction d’explicitation argumentative {EA} est donc subjective, car elle présente les convictions du locuteur et, elle est intersubjective, car l’interlocuteur doit adhérer aux prémisses proposées par le locuteur. A la différence de pour cela (que), parce que, a développé, en plus des emplois précédemment évoqués, un emploi justifiant le bien-fondé des propos tenus. Dans la Deffence, le commentaire des actes de langage est explicité avec un verbum dicendi « je dis cela parce que ». En français contemporain, cette fonction de commentaire propre à parce que est particulièrement exploitée dans les textes proximaux dialogiques de médium oral (corpus Oral). Elle témoigne du caractère dialogique de la conversation où le locuteur justifie ses actes de langage pour assurer la cohésion du texte et sa bonne compréhension, dans le cas d’une procédure de commentaire, ou incite l’interlocuteur à réagir, dans le cas d’une procédure d’interpellation. Dans le

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corpus synchronique, la procédure de commentaire, très importante dans les plaidoyers du corpus Sénat, est principalement prise en charge par le connecteur en effet. Dans les textes historiques considérés, en revanche, parce que, en fonction d’interaction argumentative avec une procédure de commentaire, est employé dans des textes monologiques auxquels il confère le caractère d’un plaidoyer déontique. En effet, dans la Deffence, parce que commente les propos tenus afin de garantir la bonne compréhension du texte et témoigne de l’aspect dynamique du raisonnement. Cet emploi de parce que confère un caractère expressif et dialogique au discours tenu par Du Bellay. Ce discours, scandé d’exclamations et de questions rhétoriques, s’adressent ostensiblement aux allocutaires intégrés à la formation du discours par des interpellations. En conclusion, l’analyse de parce que et pour cela (que) dans le corpus diachronique a montré que les connecteurs présentent déjà des profils polyfonctionnels qui leurs sont propres.

7.4 Pourtant et cependant 7.4.1 Différents profils et différentes histoires Dans le corpus synchronique, cependant et pourtant présentent des profils sémantiques et pragmatiques similaires. Au niveau sémantique, ils expriment tous deux une opposition. Cette relation peut être exprimée avec la fonction de représentation argumentative (concession logique ou factuelle), la fonction d’explicitation argumentative (concession argumentative au sens strict), ou l’interaction argumentative (procédure de rectification). Les résultats de l’analyse de corpus en synchronie sont résumés dans le tableau 82 : connecteur

Le Monde

Sciences

Sénat

cependant

corpus

(32 tokens) 2,2 pour 10 000 mots

(27 tokens) 2,4 pour 10 000 mots

(49 tokens) 2,9 pour 10 000 mots



Oral

pourtant

(31 tokens) 2,2 pour 10 000 mots

(10 tokens) 0,9 pour 10 000 mots

(41 tokens) 2,4 pour 10 000 mots

(4 tokens) 0,5 pour 10 000 mots

Tableau 82 : répartition des connecteurs cependant et pourtant dans les corpus en synchronie

Les deux connecteurs sont moins employés dans le discours proximal et présentent une affinité pour le discours distal. Tandis que dans les corpus Le Monde et Sénat, cependant et pourtant présentent une fréquence quasi identique, une différence est détectable au niveau du corpus Sciences : cependant avec 2,4 occurrences pour 10 000 mots y est plus fréquent que pourtant (0,9 occurrences pour 10 000 mots). Le but de ce chapitre est, avec la perspective diachronique, de proposer des éléments de réponses quant à la distribution des connecteurs cependant et pourtant dans les parties du corpus synchronique. Si les connecteurs cependant et pourtant ont aujourd’hui un sens très proche l’un de l’autre et peuvent être commutés dans de nombreux contextes, la perspective historique révèle que cela n’a pas toujours était le

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cas,74 d’où l’intérêt d’approfondir l’analyse synchronique par une rétrospective diachronique. En ancien français, la concession était exprimée par les connecteurs neporquant, neporuec, nequedent, neportant, nonportant (cf. Marchello-Nizia 2007, § 15).75 C’est durant le 13ème et XIVe siècle que cependant et pourtant viennent s’ajouter au paradigme des connecteurs concessifs en développant de manière secondaire l’expression d’opposition (cf. ibid.). L’analyse des éléments composant les connecteurs met en lumière des différences au niveau de leurs profils expressifs. Aussi, ce chapitre propose-t-il d’éclairer les étapes centrales de l’évolution des deux connecteurs et de leurs emplois dans les différents genres textuels et traditions discursives. 7.4.2 Cependant : de la simultanéité à la concession Le connecteur cependant contient deux entités : le pronom déictique ce et le participe présent pendant. Comme pur ço et por ço que, cependant est formé à partir du pronom déictique ce qui augmente l’expressivité de l’expression par la production de saillance.76 Ce est employé ici comme un anadéictique discursif car il rend une partie du discours saillante. Le second élément est le participe présent pendant. En raison de son origine participiale, l’intégration de cependant au paradigme des connecteurs prépositionnels doit être justifiée. Le connecteur cependant a été sciemment intégré au paradigme des connecteurs prépositionnels pour plusieurs raisons. D’abord, comme le montre Marchello-Nizia (2007), l’histoire de la préposition pendant et du connecteur cependant est étroitement liée, tous deux naissent du même lexème, le participe présent du verbe pendre.77 Donc la description du connecteur cependant est inaliénable à celle de la préposition pendant.78 Par ailleurs, le participe présent forme couramment des prépositions : nonobstant, moyennant, suivant, durant, concernant sont effectivement des prépositions issues de participes présents (cf. Mélis 2003, 106). D’ailleurs, la variation positionnelle de la préposition durant en postposition témoigne encore de son origine verbale (durant une semaine vs. une semaine durant).79 Pour ces raisons, nous estimons qu’il est pertinent d’intégrer cependant au paradigme des connecteurs prépositionnels.

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Les profils diachroniques de cependant et pourtant présentés dans ce chapitre reprennent les résultats d’une étude précédente en cours de publication (Stoye, à paraître). Cf. Soutet (1992, 32ss.). Voir la partie 7.3.2 Parce que et pour cela (que) : des histoires étroitement liées. Marchello-Nizia (2007, 4) constate, en se basant sur les données du Tobler/Lommatzsch, qu’au XIIIe siècle cependant ainsi que la préposition pendant ne sont pas encore « grammaticalisés » : « Si le nom pendant figure dans le dictionnaire de l’ancien français de Tobler & Lommatzsch, ce n’est ni le cas de la préposition pendant, ni de l’adverbe cependant, qui se sont grammaticalisés après le XIIIe siècle ». Voir également Le Goffic (2000, 541) : « Dans les ‘complétives indirectes’, que, ne pouvant suivre directement certaines prépositions, est appuyé sur le pronom démonstratif ce, qu’on retrouve une nouvelle fois comme antécédent de que : […] ‘cependant que’, ‘pendant ce que P’ ». Cf. Mélis (2003, 23).

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Déjà en latin classique, le verbe PENDERE ‘pendre’ connaît un sens concret qui décrit un état physique « pendre » et également un sens abstrait qui signifie « être dépendant de », « être indécis », « être incertain » (cf. Marchello-Nizia 2007, § 22). En suivant la classification sémantique proposée par Vendler (1957), pendre appartient à la classe des verbes qui exprime le statisme et la durée (cf. Vendler 1957, 147 ; cf. Hölker 2001, 56ss.). D’après nous, il est particulièrement intéressant de constater que pendre, employé pour décrire une situation précaire ou un état transitoire incertain, apparaît dans la Digesta Justiniani, texte de la tradition discursive juridique (cf. Marchello-Nizia 2007, § 24). En effet, les emplois de (ce)pendant sont ancrés dans une longue tradition discursive du domaine juridique comme en témoigne encore la formules litispendance employée, issu de l’expression juridique du bas latin à l’ablatif absolu lite pendente (DHLF 1998, vol. 2, 2641), ou comme l’illustre cet exemple issu du corpus Le Monde : (277) Le porte-parole du ministère de la justice a précisé que la décision de la Suisse est « pendante » : elle sera d’abord {C} {RS} {PG} {DEB} notifiée à Polanski et « cette décision ne sera pas exécutoire, Polanski pourra faire appel. » (Le Monde) Dans cet exemple, à l’image de son sens latin, « pendante » est un adjectif qui qualifie le statut indécis et précaire de la décision de justice. C’est également dans la tradition discursive juridique, et plus précisément dans les Coutumes de Beauvaisis de Philippe de Beaumanoir, qu’apparaît le premier emploi attesté de cependant au XIIIe siècle : (278) Voirs est, ‒ quant aucuns tient en bail et li creancier a qui les detes sont deues par la reson du bail donnent respit ou font nouveaus marchiés ou nouveles convenances de leur detes et en ce pendant l’oirs vient en aage, ‒ se li creancier vuelent l’oir poursuir, il n’en est pas en tel cas tenus a respondre. Ains convient qu’il en poursievent celui qui tint le bail (Philippe de Beaumanoir, Coutumes de Beauvaisis, 1283, éd. Salmon, t. I, p. 257) (cité d’après Marchello-Nizia 2007, § 16). Jusqu’au XIIIe siècle, le droit médiéval était enseigné en latin. Mais à partir de cette époque, certains textes juridiques, comme les Coutumes, sont rédigés en langue vernaculaire (cf. Chaurand 1999, 115). Or, la rédaction de tels textes présuppose un langage juridique spécifique, que le français emprunte à la langue latine, d’où la naissance par analogie d’expressions calquées sur celles du latin. Aussi, Bork (2006, 1588) indique que les locutions issues de constructions absolues avec un substantif et un participe augmentent au XIIIe siècle ainsi qu’en moyen français, et culmine au XVIe siècle. De cette manière naissent de nombreuses prépositions : sauf, malgré (XIIe siècle), excepté (XIIIe siècle), moyennant, pendant (XVe siècle) dans des expressions telles que le plaît pendant qui correspond au latin judicio pendente et, déjà au XIIIe, dans ce pendant. Dans son étude sémasiologique en diachronie, Baldinger (1954) analyse les possibilités de traduire l’allemand « während » ‘pendant’ en français et segmente

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l’évolution sémantique de pendant en cinq phases.80 La distinction entre ces cinq étapes repose sur un trait distinctif : le type sémantique du groupe nominal introduit par pendant (cf. Baldinger 1954, 326s.) : > « litigieux, pas encore décidé (procès, objet d’un dilemme) » > « litigieux, pas encore décidé (guerre, séparation d’un procès) »81 > « en instance, pas encore conclu (enquête) » > « pas encore expiré (rendez-vous, délai) »82 > « pendant »83 (Baldinger 1954, 326s.; traduction H.S.). Baldinger (1954, 321) indique que pendant, dans cependant au début du XIVe siècle, se référait à un délai. Cette période correspond au passage du procès « pendant » au sens de simultanéité.84 En conséquence, dans l’extrait (278) des Coutumes de Beauvaisis, ce pendant n’a pas encore le sens moderne de pendant, mais exprime un délai qui peut être paraphrasé par « quand un bail a été conclu [...] et si avant la fin du délai de ce bail, l’héritier devient majeur et que les créanciers veulent le poursuivre, l’héritier n’est pas tenu de répondre ». Ce pendant exprime une dépendance entre la validité d’une circonstance juridique et la majorité de l’héritier. Les faits relatés présentent toutefois une certaine contiguïté : il y a un chevauchement temporel entre la validité du contrat et la minorité de l’héritier, mais le délai (la date butoir) de la validité du contrat se situe au premier plan. Dans ces premiers emplois en ancien français, cependant peut être considéré comme un nouveau regulatum au départ spécialisé dans la tradition discursive juridique.85 L’expression est donc ancrée dans le domaine distal et ouvre son regulans à d’autres traditions et genres textuels, dans lesquels il développe de nouvelles inter-

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Les trois premières phases étaient déjà atteintes en latin moyen, quand pendant fut intégré à l’ancien français au XIIIe siècle. La quatrième phase est atteinte au XIVe siècle et s’étend jusqu’au XVe siècle. La distinction entre les deux dernières phases réside en l’exclusion de la notion de délai dans la quatrième phase, et son intégration, dans la cinquième phase, dans la portée sémantique de pendant. La distinction entre la seconde phase et la troisième phase réside en la concrétisation de l’objet. D’après Baldinger (1954, 326), l’importance de cette phase est que pendant est employé avec des expressions se référant à des dates et au temps, telles que jour, mois, temps. Ainsi pendant se rapprocherait du champ sémantique de durant, mais à la différence de durant, qui souligne la durée, pendant met l’accent sur le délai. C’est à cette phase que la notion de délai disparaît. Cf. Baldinger (1954, 321) : « cependant bezieht sich auf den Termin, die Frist und entspricht somit der Entwicklungsstufe von pendant, die ebenfalls zu Beginn des 14 Jhs. erreicht wird und den Übergang bildet zwischen der Ausgangsbed. ‘hängig’ (vom Prozess) und ‘während’ ». Les concepts regulatum et regulans sont traités dans la partie la partie 3.3.5 Traditions discursives et changements linguistiques.

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prétations, mais il conserve une affinité pour le domaine distal.86 Dans son analyse sémasiologique du concept travailler, Koch (2005, 231ss.) constate que ouvrer et œuvrer subissent un changement de regulans. De fait, travailler, ancré dans le domaine proximal, élargit son regulans au domaine distal et repousse ouvrer et œuvrer qui perdent leurs emplois dans le domaine distal sans contrepartie. En référence à Labov (1994, 78, 155ss.), Koch (2005) considère le continuum distal-proximal comme une échelle dont le domaine proximal serait la base, et le domaine distal le sommet. A partir de cette échelle, Koch (2005) constate que le changement connu par travailler est un « change from below », c’est-à-dire un changement d’une tradition discursive ancrée dans le domaine proximal (situé en bas de l’échelle) à des traditions discursives ancrées dans le domaine distal (situé en haut de l’échelle). Aussi, en suivant Koch, contrairement au changement venu « du bas » pour le verbe « travailler », cependant présente un changement de regulans venu « du haut ». En effet, cependant a ouvert son regulans, une tradition discursive spécialisée dans le domaine juridique à d’autres traditions discursives qui restent toutefois tendanciellement ancrées dans le domaine distal. Ainsi, dans le cas de cependant, l’innovation et sa propagation se situent au niveau des règles du discours : il s’agit de l’intégration d’une innovation à d’autres traditions discursives (cf. Koch 2005, 246). En effet, dans l’exemple (279), cependant est n’est plus employé dans la tradition discursive juridique, mais dans un discours scientifique : (279) Et en toutes les neuf années suivantes je ne fis autre chose que rouler ça et là dans le monde, tâchant d’y être spectateur plutôt qu’acteur en toutes les comédies qui s’y jouent ; et, faisant particulièrement réflexion en chaque matière sur ce qui la pouvait rendre suspecte et nous donner occasion de nous méprendre, je déracinais cependant de mon esprit toutes les erreurs qui s’y étaient pu glisser auparavant. (Discours de la méthode, 145) Dans cet extrait rétrospectif, issu du Discours de la méthode, le liage réalisé par cependant peut être glosé par pendant que Descartes réfléchissait, il découvrit les erreurs qui s’étaient glissées dans son esprit. Ici, cependant ne signale plus un délai mais la dépendance temporelle de deux événements : le temps de réflexion et la découverte des erreurs. La valeur sémantique temporelle est en outre soulignée par de nombreux indicateurs temporels comme l’expression « les neufs années suivantes », le participe présent faisant qui exprime également la simultanéité et l’adverbe de temps auparavant. La lecture temporelle implique la compositionnalité de l’expression : pendant prend en charge l’introduction de l’élément dépendant c’està-dire le connecte de droite, tandis que ce prend en charge l’intégration de l’élément porteur, le connecte de gauche. Plus précisément, le déictique ce indique ce à quoi la découverte des erreurs est dépendante, c’est-à-dire la réflexion, et pendant introduit l’élément dépendant, c’est-à-dire la découverte des erreurs. Par ailleurs, la mise en relation de simultanéité de deux événements présuppose la présence d’un observateur qui constate et verbalise la contiguïté des événements

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Cf. Oesterreicher (1997, 29ss.). Et voir la partie 3.3.5 Traditions discursives et changements linguistiques dans le présent ouvrage.

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observés. Ainsi, la verbalisation d’une relation entre des événements observés implique le point de vue d’un sujet, le locuteur. Ici, le point de vue du locuteur ne consiste pas en un étai argumentatif (pour ou contre une thèse), mais en l’observation et la mise en relation explicite d’événements. Le sujet parle d’une situation (Situationüber).87 Dans notre modèle, il s’agit d’un emploi en fonction de représentation structurante {RS}. En conclusion, l’exemple (279) montre que cependant a ouvert son regulans à d’autres traditions discursives qui restent néanmoins ancrées dans le domaine distal. Autre différence par rapport aux Coutumes, cependant dans cet extrait du Discours de la méthode n’est plus employé pour exprimer un délai (une date butoir), mais il lie deux événements simultanés, en l’occurrence la réflexion sur la matière trompeuse et l’éradication d’erreurs. L’analyse effectuée par Marchello-Nizia (2007) confirme notre interprétation temporelle de cependant. En effet, en suivant l’auteur, il semblerait que ce soit le sens temporel de simultanéité qui ait déclenché des implicatures conversationnelles autorisant une interprétation concessive. Marchello-Nizia (ibid., § 37) indique une phase de chevauchement des sens temporel et oppositif à la fin du XVe siècle : (280) « ils avoient tant fait envers luy qu’il ne feroit que demy guet, c’est assavoir depuis la mynuyt jusques au matin seulement, et que si ce pendant il vouloit venir parler a elle, elle orroit voluntiers ses devises. » (Cent nouvelles nouvelles, 1460, éd. Sweetser, 389) (cité d’après Marchello-Nizia 2007, § 37) Dans cet exemple, le narrateur connecte avec ce pendant deux propositions, deux événements : « il fera le guet pendant la moitié de la nuit » et « s’il veut lui parler, elle écoutera volontiers ses propos ». Cependant indique une relation de contiguïté entre les deux événements. Outre la marque de simultanéité, une interprétation de dépendance transparaît entre les événements. Afin d’éclairer ce point, il est intéressant de considérer le « pendant » de cependant, le connecteur pendant que. En effet, ce connecteur contenant la préposition pendant présente en français contemporain des emplois dans lesquels les valeurs sémantiques de dépendance et de délai, évoquées plus haut, sont toujours latentes. Ces sens diaphanes transparaissent par exemple dans le proverbe il faut battre le fer pendant qu’il est encore chaud. Ici, la simultanéité consiste en un chevauchement d’une action « battre le fer » et d’un état « est encore chaud ». Par ailleurs, l’état « être encore chaud » peut être considéré comme la condition nécessaire permettant de « battre le fer » : le métal une fois refroidi n’est plus malléable. Le connecte de gauche, l’action « battre le fer » dépend du connecte de droite introduit par pendant que, en l’occurrence « être chaud ». Pendant que introduit, tel était son sens en ancien français, un délai ou plutôt un élément support, un cadre dont dépend la validité du contenu de la principale. A l’inverse, l’élément de la principale dépend cognitivement de l’élément support. Cette relation de dépendance entre les deux événements se traduit dans les emplois temporels par une mise en perspective des actions. L’élément introduit par pendant

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Voir la partie 1.3.2 Un connecteur, différents niveaux de liage pour une distinction de la situation dont on parle et de la situation dans laquelle on parle.

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que n’est plus la condition pour la réalisation de l’événement de la principale, mais son support, son cadre, ou arrière-plan. Revenons à l’exemple (280). Dans cet extrait, les événements introduits par ce pendant connaissent à première vue une interprétation inverse : ce fait référence à l’élément support, l’arrière-plan situé dans son cotexte de gauche ; l’état précaire ou instable correspond au connecte de droite introduit par pendant. Ce pendant indique que les deux événements peuvent (potentiellement) avoir lieu simultanément, mais ne bénéficient pas du même statut : le premier « le temps de la garde » fonctionne comme le cadre temporel dont dépend le second, « la discussion », introduit par pendant. Ce pendant exprime donc une dépendance temporelle entre un événement cadre et un événement dépendant de ce cadre. Il s’agit d’une relation inverse à celle mise en place par pendant que. La concomitance des événements implique toutefois une situation de juxtaposition particulière, car, au niveau propositionnel, la réalisation du second événement impose une reconsidération du premier : une conversation entre le guet et la dame implique que le guet quitte son poste. Par conséquent, ce n’est plus le second élément qui dépend du premier, mais le premier du second (comme pour pendant que), car la réalisation du second événement implique une restriction du premier. Cette réinterprétation au niveau événementiel a des conséquences au niveau de la structuration des informations : la seconde information a un impact sur la première, et lui confère un statut précaire. La seconde information n’annule pas la première mais impose une restriction de sa validité. L’information introduite par cependant impose une rectification de la portée de la première intervention. La relation concessive dans l’exemple (280), ne réside donc pas en une « simple » concomitance d’événements mais en une stratégie discursive complexe impliquant le locuteur et l’interlocuteur quant à la solution d’une implicature conversationnelle. En effet, en raison du principe (universel) de coopération, l’allocutaire part du principe que le locuteur présente des informations cohérentes. La mise en relation de deux événements qui s’excluent, mais qui temporellement sont simultanés, ne respecte pas le principe de coopération. De par une stratégie discursive « locuteur-allocutaire », cependant indique que les informations liées, doivent être traitées selon différents degrés d’importance. L’information introduite par cependant impose un retraitement de la première information. La stratégie discursive alors employée correspond à une métonymie qui, par un effet de balancement, met le focus sur l’implicature de rectification auparavant situé à l’arrière-plan, et relaie ainsi la signification de simultanéité à l’arrière-plan.88 Dans l’extrait (281) issu de L’Avare, Frosine flatte Harpagon en lui disant qu’il est encore très jeune, et souhaite ainsi lui suggérer qu’il pourrait séduire la jeune Mariane sans difficulté : (281) FROSINE. – Comment ? vous n’avez de votre vie été si jeune que vous êtes ; et je vois des gens de vingt-cinq ans qui sont plus vieux que vous. HARPAGON. – Cependant, Frosine, j’en ai soixante bien comptés. (L’Avare, 539).

––––––– 88

Voir l’analyse de Waltereit (2004) pour le changement linguistique métonymique de quand-même. Voir également le chapitre 1.2.3.3 Polysémie et liens sémantiques.

404

Dans les termes de la théorie de la polyphonie, le point de vue défendu par Mariane correspond à un E1 « vous êtes si jeune ». Par l’emploi de cependant, Harpagon introduit le point de vue de E2 qui peut être glosé par « j’ai soixante ans, donc je ne suis pas/plus si jeune ». Le point de vue de E2 se positionne par rapport à celui de E1 et défend implicitement la thèse inverse. Ou plus exactement, il réajuste le point de vue de E1. Cependant effectue donc un retournement de jugement et correspond à la fonction d’explicitation argumentative {EA} dans notre modèle. Plus précisément, nous considérons cet emploi de cependant en fonction d’explicitation argumentative {EA} de « réajustement épistémique », car le point de vue défendu par E1 n’est pas directement contredit, mais sa valeur de vérité est pondérée par le point de vue pris en charge par E2. En revanche, dans la séquence monologique (282) issue de L’Avare, cependant a une fonction qui se rapproche de celle de l’exemple (280) : (282) HARPAGON. – [...] Pour vous, ma fille, vous aurez l’œil sur ce que l’on desservira, et prendrez garde qu’il ne s’en fasse aucun dégât. Cela sied bien aux filles. Mais cependant préparez-vous à bien recevoir ma maîtresse qui vous doit venir visiter, et vous mener avec elle à la foire. Entendez-vous ce que je vous dis ? (L’Avare, 546) Dans cet exemple, l’avare, Harpagon, confie à sa fille Elise deux tâches distinctes et liées par mais cependant : la surveillance des domestiques, d’un côté, et l’accueil de la maîtresse de Harpagon, de l’autre. Les instruments de la théorie de la polyphonie peuvent également préciser cet emploi de cependant. L’ordre de superviser les domestiques est le point de vue de E1 qui peut être identifié à Harpagon en tant que maître de maison. Le second, l’ordre d’accueillir la maîtresse, est pris en charge par E2, et peut être attribué à Harpagon en tant qu’amant. La relation de dépendance mise en place par cependant entre les deux actes de langage et les ordres consiste en une reconsidération, une rectification du premier ordre, du premier point de vue pris en charge par E1. L’énoncé de Harpagon pourrait être glosé par « Elise, il faut que tu supervises les domestiques, enfin, il faut également que tu reçoives ma maîtresse ». Il s’agit d’un emploi de cependant rectificatif en fonction d’interaction argumentative {IA}. 7.4.3 Epilogue L’analyse diachronique documente l’émergence des emplois de cependant dans la tradition discursive juridique ainsi qu’un élargissement du regulans à d’autres traditions discursives tels que les dialogues et les narrations littéraires ou les monologues scientifiques. Le changement de regulans (de la tradition juridique à d’autres traditions discursives dans le domaine distal) et les changements sémantiques (délai > simultanéité > opposition) connus par cependant peuvent être caractérisés comme une « déspécialisation », c’est-à-dire une ouverture à d’autres traditions et genres textuels. Autrement dit, l’élargissement du regulans va de pair avec une « déspécialisation » pragma-sémantique de cependant. En effet, en ancien français, cependant établit une relation spécifique dans le domaine juridique qui consiste en la marque d’un délai gérant deux états de chose. La focalisation sur le trait de contiguïté inhérente à la signification de délai ouvre la possibilité d’emploi de cependant à d’autres 405

traditions discursives. La valeur sémantique de simultanéité conventionnalisée laisse place à une nouvelle implicature : cependant marque l’opposition. L’analyse du choix restreint des textes historiques ne permet pas de noter de succession chronologique entre la lecture de retournement de jugement pour la fonction d’explicitation argumentative {EA} et la procédure de rectification pour la fonction d’interaction argumentative {IA}. En revanche, il semblerait que les fonctions de cependant dépendent des traditions discursives dans lesquelles il est employé. Ainsi, la tradition monologique narrative semble favoriser la fonction de représentation argumentative éclairant le contraste entre les faits mis en relation. La tradition discursive dialogique en revanche, exacerbe la fonction de retournement de jugement. Dans ce cas, cependant est comparable à une didascalie mettant en scène deux énonciateurs, E1 et E2, qui peuvent être identifiés à des personnes empiriques distinctes dont les points de vue sont contrastés. Cependant introduit alors le point de vue de E2, qui entreprend un réajustement épistémique du point de vue pris en charge par E1. La tradition discursive monologique scientifique ou littéraire favorise les emplois de cependant comme connecteur de reconsidération d’une intervention précédente. Dans ce cas, E1 et E2 peuvent être identifiés à une seule et même personne empirique dans la situation d’énonciation. Les points de vue correspondent alors aux rôles que cette personne empirique attribue aux énonciateurs (cf. Kotschi 1992, 365ss.).89 Enfin, le regulans gère la constante des emplois de cependant au niveau du discours distal. En effet, l’innovation venue « du haut » s’ouvre à d’autres traditions discursives, mais reste ancrée au domaine distal. De même, l’analyse quantitative du corpus synchronique documente une affinité de cependant au discours distal. Plus précisément, dans la tradition discursive journalistique et informative narrative du corpus Le Monde, la représentation argumentative {RA} est la fonction la plus fréquente (28 occurrences) tandis que les deux autres fonctions jouent un rôle plutôt périphérique ({EA} : 1 occurrence ; {IA} : 3 occurrences). Dans la tradition discursive dialogique du corpus Sénat, la fonction d’explicitation argumentative {EA} (23 occurrences) est prépondérante ; toutefois les autres fonctions, la représentation argumentative {RA} (12 occurrences) et l’interaction argumentative {IA} (14 occurrences), jouent un rôle non négligeable. Dans le corpus Sciences, comme dans le corpus Le Monde, la fonction de représentation argumentative {RA} (13 occurrences) prévaut sur la fonction d’explicitation argumentative {EA} (9 occurrences) et l’interaction argumentative {IA} (5 occurrences). La prépondérance de la fonction de représentation argumentative {RA} de cependant dans le corpus de tradition journalistique et scientifique semble répondre aux exigences d’objectivité de ces traditions discursives monologiques : la tradition discursive narrative consiste en une représentation contrastée de faits ou de résultats. En conclusion, si les origines de cependant et des entités composant le connecteur peuvent être considérées comme non transparentes pour les locuteurs francophones, elles transparaissent de manière diaphane au niveau du regulans qui régit l’ancrage des emplois de cependant dans le discours distal, qu’il soit de médium oral ou écrit.

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Voir la partie 1.3.3 Les connecteurs et la théorie de la polyphonie.

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7.4.4 Pourtant : de la cause à la concession Le connecteur pourtant contient également deux composantes distinctes : la préposition pour et l’adverbe tant. La préposition pour a déjà été thématisée à plusieurs reprises dans ce chapitre.90 C’est pourquoi nous nous contenterons de rappeler quelques points importants. En ancien et moyen français, la préposition por pouvait exprimer une relation conclusive en relation avec un élément supplémentaire tel que le déictique ce, par exemple por ce, ou causale, par exemple por ce que. De même, avec l’adverbe tant, la préposition pour pouvait prendre un sens causal comparable aux emplois de parce que en français moderne. De fait, dans l’exemple (283), la présence du roi d’Angleterre est présentée par pour tant comme la cause occasionnant la venue des seigneurs : (283) En la ville de Malignes vinrent biaucop de signeurs, pour tant que li rois d’engleterre i estoit. (Froissart, Chronique ev. 1400, 293) (exemple cité d’après Marchello-Nizia 2008, 7) Pourtant, comme pur ço, pouvait également introduire une conséquence. Aussi, dans l’exemple (284), l’amour porté à la dulcinée est présenté comme la conséquence logique émanant de sa beauté : (284) Dez que venant au jour vous parustes si belle, Je vous cheri pourtant et peut estre plus qu’elle. (Schélandre 1608) (exemple cité d’après Gaudin/Salvan/Mellet 2008, 101) Le lexème tant peut aussi bien être employé comme superlatif ‘très’ que comme comparatif ‘autant que’. Selon Gaudin/Salvan/Mellet (2008, 99), en raison de l’analogie de (pour) tant au latin PER TANTUM, la lecture superlative « pour une si grande, si importante cause » est la plus vraisemblable. Les auteurs illustrent cette lecture causale par un extrait issu de Pantagruel : (285) A quoy resondit Pantagruel : Mon amy, je n’entends poinct ce baragoin. Pourtant si vous voulez qu’on vous entende, parlez aultre languaige (Rabelais) (exemple cité d’après Gaudin/Salvan/Mellet 2008, 99) Dans l’exemple (285), la langue incompréhensible employée par le partenaire de conversation, qui est évaluée de manière péjorative par le terme baragouin, est considérée par le locuteur comme une « si grande cause » qu’elle mène Pantagruel à tirer la conséquence suivante : il exige que son interlocuteur emploie une langue assurant une compréhension mutuelle. Aussi, tandis que le moyen expressif dans cependant était le déictique ce, dans pourtant c’est le superlatif tant qui prend en charge l’augmentation d’expressivité. La comparaison entre le superlatif tant et le déictique ce laisse désormais apparaître ce dernier comme un moyen plus discret quant à la verbalisation de l’affectivité du locuteur envers la situation évaluée. Les moyens linguistiques exprimant une quantité ou une intensité, comme des instruments témoignant de l’augmentation de

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Voir le chapitre 7.3.2 Parce que et pour cela (que) : des histoires étroitement liées.

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l’expressivité, ont déjà été thématisés à l’exemple typique de beaucoup.91 Dans ce cadre, Marchello-Nizia (2006, 182) mentionne que les expressions de quantité et d’intensité témoignent de la subjectivité du locuteur : « Ce sont en effet par nature, sémantiquement, des évaluatifs, requérant donc nécessairement l’appréciation du locuteur. Et parmi eux, les marqueurs d’intensité ou de quantification de haut degré positif se révèlent en outre être très facilement l’objet d’une emphatisation » (Marchello-Nizia 2006, 182). Ainsi, les marqueurs de quantité et d’intensité contribuent à l’augmenter l’expressivité d’une expression car elles transmettent l’évaluation du locuteur envers la situation considérée. Par conséquent, l’expression quantitative tant est le témoignage d’une appréciation émise par le locuteur envers les faits observés et mis en relation. Dans l’exemple (285), le sujet évalue la constellation événementielle observée. Dans Stoye (à paraître), nous émettons l’hypothèse que l’intégration de la négation à la sémantique de pourtant déclenche la mise en place de différents points de vue. En effet, dans la théorie de la polyphonie, la négation est le cas typique de l’orchestration de plusieurs voix : le point de vue nié d’un énonciateur E2 présuppose un point de vue d’un énonciateur E1 qui asserte le contraire (cf. Ducrot 1984, 216ss.).92 Marchello-Nizia (2008, 8) indique que pourtant apparaît fréquemment au XIVe siècle dans des contextes négatifs où il marquait l’invalidité de la cause avec le sens « ce n’est pas pour cela que ». Cet emploi de pourtant dans des contextes négatifs est similaire aux emplois de pour autant en français contemporain, qui lui, en revanche, exige encore un contexte négatif.93 Avec Ducrot (1984) les emplois de pourtant dans des contextes négatifs peuvent être décrits de la manière suivante : « Elle [la solution] consiste à dire que pour autant a la même valeur sémantique que de ce fait, pour cette raison, ou encore (si l’on veut prendre en considération la notion de degré liée à autant) cela suffit à faire conclure. Pour autant apparaît ainsi comme un connecteur de consécution (et non plus d’opposition), mais la conclusion qu’il introduit est celle d’un énonciateur auquel le locuteur s’oppose : sa polarité négative ne consiste pas en une restriction combinatoire qui imposerait de lui associer seulement un énoncé négatif ; elle tient à la mise en scène par le locuteur d’un énonciateur E1 dont le locuteur se distancie, et qui accomplit un mouvement conclusif refusé par un énonciateur E2, auquel le locuteur s’assimile. En généralisant cette idée, je proposerai de considérer les expressions à polarité négative comme les marques d’un point de vue rejeté, d’un point de vue que le locuteur déclare inadmissible au moment même où il met en scène l’énonciateur qui le soutient » (Ducrot 1984, 220).

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Voir l’analyse de Koch/Oesterreicher (1996, 80ss.) et de Marchello-Nizia (2006). Cf. Ducrot (1984, 217) : le locuteur de « Pierre n’est pas intelligent », en s’assimilant à l’énonciateur E2 du refus, s’oppose non pas à un locuteur, mais à un énonciateur E1 qu’il met en scène dans son discours, non assimilable à l’auteur d’un discours effectif. Cf. Anscombre (1983).

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En conséquence, dans des contextes négatifs, les connectes liés par pourtant correspondent à deux points de vue défendus par deux énonciateurs distincts. Le locuteur effectif s’identifierait au point de vue défendu par E2, s’opposant ainsi au point de vue défendu par E1. Dans la Deffence, neuf des douze occurrences de pourtant apparaissent dans un contexte négatif. La négation porte sur l’origine ou la cause considérée comme élément déclenchant typiquement une certaine conséquence. Dans ce cas, la lecture causale niée et la lecture oppositive sont possibles. (286) Je ne voy pourtant qu’on doyve estimer une langue plus excellente que l’autre, seulement pour estre plus difficile […]. (Deffence, 158) Dans l’exemple (286), l’avis de Du Bellay, en tant que locuteur, correspond au point de vue défendu par E2 qui peut être paraphrasé par : « le niveau de difficulté d’une langue n’est pas une raison suffisante et valable pour la juger comme qualitativement supérieure ». Ce point de vue présuppose la présence d’un énonciateur E1 adhérant au point de vue opposé, c’est-à-dire « la difficulté d’une langue justifie son prestige ou sa supériorité par rapport à d’autres langues ». Dans le contexte culturel de la Querelle qui oppose les Anciens aux Modernes, à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle, le point de vue de E2, défendu par Du Bellay, peut être identifié à celui des auteurs modernes. Ces derniers soutiennent la qualité du français comme langue dans la littérature et l’administration, et s’opposent au point de vue défendu par E1 qui peut être attribué aux Anciens en tant que détracteurs des langues modernes et défenseurs des langues classiques. Selon nous, en français contemporain, la négation n’aurait pas totalement disparu. Certes, elle n’est pas syntaxiquement réalisée mais, telle est notre hypothèse, la négation explicite de la cause non valable aurait été intégrée à la signification de pourtant.94 La négation de la cause n’est plus réalisée de manière explicite, mais de manière implicite. L’implicature conversationnelle d’opposition se serait donc trouvée conventionnalisée par des emplois fréquents de pourtant en contexte négatif avec le sens « ce n’est pas une raison suffisante pour laquelle… ». Il s’agit donc d’un effet de renversement premier plan/arrière-plan dans lequel la fréquence

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Anscombre (1983, 81) pose la question de savoir d’où vient l’opposition dans l’énoncé : « Le jour est serein, et pourtant sa clarté m’est toujours obscure » ? Afin de répondre à cette question, l’auteur invoque la valeur causale de pourtant : « D’où provient cette valeur d’opposition ? Certainement pas d’une opposition banale entre les deux propositions reliées par le connecteur : un simple mais n’aurait alors fait l’affaire s’il s’était agi de signaler que la sérénité du jour inclinait vers certaines conclusions auxquelles s’opposait l’obscurité ressentie par le locuteur. Si l’opposition que manifeste cet énoncé semble plus ‘directe’, c’est parce que pourtant que [sic] y est à comprendre avec valeur causale. C’est parce que sa clarté m’est toujours obscure est présenté comme une conséquence de Le jour est serein que la Loi d’Absurdité peut jouer : présenter G comme conséquence de F alors que F et G sont antinomiques, c’est faire ressortir le caractère contradictoire de cette coexistence. La valeur d’opposition provient donc de la mise ne branle de la Loi d’Absurdité au travers d’un pourtant causal. L’étonnement est signalé non par l’opposition entre les deux faits exprimés par les propositions – ces faits sont opposés avec ou sans pourtant – mais par la relation causale que le locuteur feint de voir entre ces deux faits. »

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d’emploi semble jouer un rôle déterminant. Ce point de vue est partagé par le « usage-based model » :95 « In the usage-based model, properties of the use of utterances in communication also determine the representation of grammatical units in a speaker’s mind. In particular, two usage-based properties are assumed to affect grammatical representation : the frequency of occurrence of particular grammatical forms and structures, and the meaning of the words and construction of use » (Croft/Cruse 2004, 292). En conséquence, ce serait la routinisation des emplois de la forme pourtant avec une signification causale dans des structures négatives qui aurait favorisé la lexicalisation de la négation. La négation, qui occasionne l’opposition entre une cause et une conséquence implicite, est devenue la partie du tout concessif. Ainsi, dans l’extrait suivant, issu de L’Avare, pourtant n’apparaît plus dans un contexte négatif, mais de lie des énoncés dont l’orientation argumentative s’oppose : (287) CLÉANTE. – À vous en parler franchement, je ne l’ai pas trouvée ici ce que je l’avais crue. Son air est de franche coquette ; sa taille est assez gauche, sa beauté très médiocre, et son esprit des plus communs. Ne croyez pas que ce soit, mon père, pour vous en dégoûter ; car belle-mère pour belle-mère, j’aime autant celle-là qu’une autre. HARPAGON. – Tu lui disais tantôt pourtant... CLÉANTE. – Je lui ai dit quelques douceurs en votre nom, mais c’était pour vous plaire. (L’Avare, 562) Dans cet exemple, Cléante livre à son père Harpagon quatre arguments s’opposant à son mariage avec Mariane : Mariane serait très coquette, maladroite, d’une beauté et d’une intelligence moyenne. Ces arguments fonctionnent comme une raison pour laquelle Harpagon doit changer son point de vue à l’égard des qualités de Mariane en tant qu’épouse potentielle. Malgré ces qualités désavantageuses, Harpagon n’accepte pas le portrait de Mariane dépeint par son fils. En effet, avec pourtant, Harpagon interrompt Cléante et pointe du doigt une incohérence dans le discours de son fils. En effet, auparavant, dans la quatrième scène du premier acte, Harpagon avait demandé à son fils d’estimer la personnalité de Mariane : (288) HARPAGON. – Comment, mon fils, trouvez-vous cette fille ?

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Ce modèle cognitiviste est opposé aux modèles traditionnels structuralistes et générativistes : « In the structuralist and generative models, only the structure of the grammatical forms determines their representation in a speaker’s mind. For example, the traditional models make a sharp distinction between regular and irregular word forms. Regular inflected word forms, such as the English plural form boy-s, are derived by a highly general rule forming the plural from the singular, because the structural relationship between boy and boys, namely addition of -s. allows this possibility. Irregular word forms, such as the plural from feet, do not have a straightforward structural relationship linking the singular and the plural. Since they cannot be derived by a general rule, irregular plural word forms are therefore listed in the lexicon » (Croft/Cruse 2004, 292).

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CLÉANTE. – Une fort charmante personne. HARPAGON. – Sa physionomie ? CLÉANTE. – Toute honnête, et pleine d’esprit. HARPAGON. – Son air, et sa manière ? CLÉANTE. – Admirables, sans doute. (L’Avare, 527) Les compliments exprimés par Cléante à l’égard de Mariane – elle est charmante, honnête, pleine d’esprit et admirable – ne sont pas compatibles avec les propos tenus actuellement par Cléante. Harpagon, en employant pourtant, indique une incohérence des nouveaux propos tenus par Cléante par rapport aux propos tenus auparavant. Aussi, cet emploi de pourtant correspond-il au pourtant de dénégation d’Anscombre (1983, 72ss.) qui, dans une relation p pourtant q, s'attaque à p. Anscombre caractérise cet emploi de pourtant comme suit : « En usage dialogal, il peut être combiné avec des expressions de refus ou de doute extrême comme : Ce n’est pas possible, Tu es sûr ?, Tu parles !, Tu dois te tromper, ça doit être faux, Ça m’étonnerait ! En usage monologal, il est fréquemment paraphrasable par Tu me dis que p : j’en doute, car q. Remarquons que le caractère de dénégation de pourtant2 fait qu’il est très fréquent en dialogue ou dans des monologues qui sont en fait dialogiques » (Anscombre 1983, 71s.). Ainsi employé, pourtant a une fonction d’interaction argumentative {IA} : il introduit la réaction d’un énonciateur E2 par rapport à une intervention précédente prise en charge par un énonciateur E1, en l’occurrence Cléante. Par ailleurs, Anscombre (1983, 81) explique les emplois oppositifs de pourtant en invoquant la Loi d’Absurdité qui consiste en une mise en relief du caractère contradictoire de la coexistence de deux événements. Appliquée à notre exemple, la Loi d’Absurdité fait référence à l’incohérence détectée par Harpagon et qui oblige Cléante à reconstruire la cohérence de son discours. En effet, dans cette scène Cléante remet en cause la sincérité des compliments précédemment énoncés dont la fonction était de plaire à Harpagon. Les points de vue paradoxaux peuvent être glosés par : Mariane est une femme formidable (E1), Mariane est une femme exécrable (E2). Reste à savoir comment ces deux points de vue peuvent être défendus par la même personne physique : Cléante. Afin de répondre à cette question, nous proposons de préciser les points de vue en termes déictiques. Notre hypothèse est que les points de vue se distinguent au niveau de leur origo, c’est-à-dire des trois coordonnées déictiques : ego, hic et nunc. Lorsque le paramètre ego varie au niveau des énonciateurs E1 et E2, dans ce cas, ce sont les points de vue de personnes distinctes qui s’opposent.96 Avec hic, les points de vue varient selon les perspectives spatiales adoptées.97 Enfin, avec nunc les points de vue varient selon l’ancrage temporel des énonciateurs. Dans notre exemple, les

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Voir à titre d’exemple (281) dans la partie 7.4.2 Cependant : de la simultanéité à la concession. Voir à titre d’exemple (145) Alors que {C} {RA} {PG} {OPP} {deseq} dans d’autres pays, ce genre d’affaires ne susciterait que l’indifférence, elles font les grands titres des journaux allemands. (Le Monde) dans le partie 4.5.3.5 L’opposition : déséquilibre, retournement de jugement.

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points de vue contradictoires sont pris en charge par deux énonciateurs qui correspondent à la même personne physique. Du point de vue du paramètre ego, les énonciateurs E1 et E2 correspondent tous deux à la même personne empirique : Cléante. La coordonnée hic ne joue donc pas de rôle déterminant dans relation oppositive. En revanche, c’est le changement de l’origo temporelle – et ce qu’il implique au niveau des savoirs – qui semble jouer un rôle central quant à l’explication de l’émergence des différents points de vue dans l’exemple (287). Dans l’acte premier, lorsque Cléante loue les vertus de Mariane, il ne sait pas encore que son père a l’intention de l’épouser. Entre temps, Cléante apprend le dessein d’Harpagon et change son point de vue qu’il expose désormais dans la troisième scène du quatrième acte afin d’influencer Harpagon. En employant pourtant, Harpagon orchestre les points de vue E1 et E2 tous deux correspondant à des propos tenus par Cléante. Pourtant marque ici la surprise du père envers le discours incohérent de son fils. 7.4.5 Epilogue L’analyse diachronique documente une évolution sémantique plus importante pour les connecteurs cependant et pourtant qu’elle ne l’a été pour les connecteurs parce que et pour cela (que). Le connecteur cependant est passé du domaine temporel au domaine oppositif, tandis que pourtant est passé de la cause à l’opposition. Les deux connecteurs expriment une opposition mais leur point de départ est distinct : il est concret pour cependant (le temps), tandis que pourtant est resté dans le domaine abstrait (la cause). L’analyse diachronique a par ailleurs montré que les deux connecteurs connaissent une subjectivation, ou, en d’autres termes, ils présentent l’évaluation d’un sujet. Il semblerait que la structure polyphonique de ces connecteurs prépositionnels se soit développée à partir de l’introduction de la subjectivité du locuteur dans la mise en relation. La subjectivation est favorisée par l’alliance de pour et pendant à des éléments expressifs qui présentent toutefois des différences au niveau de l’intensité de l’évaluation. Le pronom déictique ce dans cependant est plus neutre et donc plus discret que ne l’est tant dans pourtant qui, lui, laisse transparaître une forte évaluation du sujet qui établit la relation. Cette différence évaluative a des répercussions au niveau de l’emploi des connecteurs dans la tradition discursive scientifique. Alors que cependant, en raison de son origine et de la discrétion de l’élément expressif, est adéquat à exprimer une relation concessive dans les textes scientifiques, pourtant qui est plus fortement évaluatif y est moins fréquent. En revanche pourtant est particulièrement adéquat à mettre en évidence une relation de déséquilibre entre les événements. De plus, dans les discours dialogiques, pourtant est en mesure d’introduire un point de vue s’opposant directement à celui présenté précédemment. L’analyse diachronique suggère que les emplois de pourtant et de cependant sont des indices de la subjectivité du locuteur quant à la configuration des informations mises en relation. Par la configuration des voix mises en scène, les connecteurs cependant et pourtant introduisent dans les monologues, typiques du discours distal, des points de vue contrastés. Ils configurent les voix d’énonciateurs distincts de manière indirecte, car c’est à l’interlocuteur que revient la tâche d’identifier les points de vue mis en relation ainsi que leurs énonciateurs respectifs.

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L’agencement des voix est une stratégie ingénieuse permettant de réfuter (avec pourtant) ou de pondérer (avec cependant) des points de vue sans porter atteinte à la face de E1.

7.5 Connecteurs prépositionnels : grammaticalisation, réanalyse et (inter)subjectivation Dans cette partie, les résultats obtenus par l’étude diachronique sont considérés dans le cadre des théories centrales qui décrivent les changements linguistiques : la grammaticalisation, la réanalyse et la (inter)subjectivation. L’objectif de ce chapitre est de préciser les changements et les variations sémantiques et fonctionnels des connecteurs prépositionnels. Pour ce faire, dans la première sous-partie, nous comparerons les résultats obtenus dans les parties précédentes aux critères de grammaticalisation selon Lehmann (1982/1995). Dans la seconde partie, nous montrerons que le concept de « réanalyse » est en mesure de saisir de manière précise l’emploi connectif de syntagmes prépositionnels aussi bien dans la diachronie que dans la synchronie (cf. Heine/Claudi/Hünnemeyer 1991 ; Lang/Neumann-Holzschuh 1999). Enfin, dans la dernière partie, nous aborderons les changements fonctionnels des syntagmes prépositionnels dans une perspective cognitive en invoquant la théorie de la (inter)subjectivation (cf. Traugott/Dasher 2002 ; Traugott 2010). Sur la base des résultats de l’analyse diachronique et synchronique, nous verrons que le mécanisme cognitif de (inter)subjectivation n’est pas seulement le déclencheur d’une réanalyse (cf. Marchello-Nizia 2006), mais le moteur central au développement de différentes fonctions. 7.5.1 Les connecteurs prépositionnels : des unités appartenant à la grammaire Le changement fonctionnel d’un syntagme prépositionnel en un connecteur a souvent été décrit par la théorie de la grammaticalisation. Avant d’être une théorie, comme l’indique le suffixe -ation, la grammaticalisation décrit un processus, un changement linguistique. Meillet (1912) emploie le terme grammaticalisation pour la première fois et désigne avec celui-ci « l’attribution du caractère grammatical à un mot jadis autonome » (Meillet 1912, 131). Aussi, le processus de grammaticalisation présuppose-t-il une catégorisation des unités linguistiques en deux classes : des mots autonomes lexicaux et des mots non-autonomes grammaticaux. Une telle classification n’est pas sans poser de problèmes dans les langues naturelles. C’est pourquoi la théorie de la grammaticalisation prévoit un continuum distinguant différents degrés du concept de grammaticalité (cf. Hölker 2010a, 179). Deux types de catégorisation peuvent être distingués : l’une est basée sur les parties du discours et l’autre sur l’autonomie sémantique des expressions considérées. Hopper/Traugott (22003, 4) optent pour une classification traditionnelle des parties du discours : les mots subordonnés aux catégories syntaxiques ouvertes telles que les noms, les verbes et les adverbes appartiennent à la catégorie des mots lexicaux, tandis que les mots grammaticaux, les prépositions, les conjonctions et les démonstratifs, forment des catégories fermées. Lehmann (1995b, 1252) propose une classification selon les propriétés sémantiques des unités observées et distingue avec 413

Marty (1908, 205ss.) les « Autosemantika » ‘autosémantiques’ des « Synsemantika » ‘synsémantiques’.98 Cette distinction est résumée dans le tableau ci-dessous : autosémantique

synsémantique

Des signes ayant une signification majoritairement caractérisée par des traits lexicaux sémantiques.

Les signes n’ayant pas de traits sémantiques lexicaux.

Les signes étant souvent associés à des désignas.

Les signes n’étant jamais associés à des désignas extralinguistiques.

Les signes pouvant faire l’objet d’une encyclopédie.

Les signes ne faisant pas l’objet d’une encyclopédie.

Les signes pouvant faire référence en soi.

Les signes qualifiant des aspects d’expressions référentielles, mais ne pouvant eux-mêmes faire référence.

Les signes ayant une certaine autonomie sémantique.

Les signes prenant leur signification dans le système de la langue. Les signes sémantiquement non autonomes.

Tableau 83 : propriétés des signes autosémantiques vs. synsémantiques (d’après Lehmann 1995b, 1252)

L’énumération des propriétés sémantiques permet de constater que les autosémantiques correspondent aux mots lexicaux et les synsémantiques aux mots grammaticaux. L’analyse en diachronie a démontré qu’avant d’être interprétés comme des connecteurs, certains syntagmes prépositionnels avaient une fonction adverbiale modifiant un verbe ou une phrase. En tant qu’expression adverbiale, pourtant et cependant ont une valeur référentielle et agissent sur la situation dont on parle et dans laquelle on parle. En ce sens, les syntagmes prépositionnels peuvent être considérés comme des expressions complexes, autosémantiques, proches du pôle lexical. En revanche, lors de leur emploi en tant que connecteurs, les expressions prennent leur fonction dans le co(n)texte dans lequel elles sont employées. Les connecteurs sont donc des synsémantiques et font partie du domaine grammatical. Ainsi défini, le passage d’un syntagme prépositionnel en un connecteur appartenant à la grammaire peut être considéré comme une grammaticalisation. D’après la théorie de la grammaticalisation, les mots grammaticaux se développeraient fréquemment, lors du processus de grammaticalisation, à partir de mots lexicaux (cf. Lehmann 1995b). Detges (1999, 31) considère la grammaticalisation du point de vue de son résultat et indique que des mots pleinement lexème avec un sens conceptuel, la plupart du temps concret, deviennent des unités autonomes avec un sens déictique ou grammatical relationnel. Cette interprétation du phénomène de grammaticalisation met l’accent sur la grammaticalisation de lexèmes autonomes et

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Chez Marty (1908, 205ss.) ces termes ont une signification quelque peu différente dans la mesure où les « Autosemantika » sont des expressions à capacité référentielle (syntagmes nominaux et phrases), tandis que les « Synsemantika » regroupent toutes les autres expressions (par exemple les formes casuelles).

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permet de décrire les cas typiques de changement de verbes lexicaux en auxiliaires tel que l’emploi d’avoir en tant qu’auxiliaire formateur du passé composé ou l’emploi d’aller dans le futur périphrastique.99 Dans la mesure où les connecteurs prépositionnels présentent une structure formelle interne complexe dont l’un des éléments, la préposition, fait déjà partie du domaine grammatical, leur entrée dans la grammaire ne correspond pas à ce type de grammaticalisation. En effet, les connecteurs prépositionnels peuvent présenter une structure « préposition + substantif » intégrant un lexème conceptuellement concret métacommunicatif comme en conclusion, mais également d’autres structures compositionnelles : préposition + adverbe (souvent des déictiques), préposition + syntagme nominal. Hopper/Traugott (22003) considèrent le changement fonctionnel d’expressions complexes comme suit : « Frequently it can be shown that function words have their origins in content words. When a content word assumes the grammatical characteristics of a function word, the form is said to be ‘grammaticalized’. Quite often what is grammaticalized is not a single content word but an entire construction that includes that word, as for example Old English pa hwile pe ‘that time that’ > hwile ‘while’ (a temporal connective) » (Hopper/Traugott 22003, 4). Le processus de grammaticalisation ne toucherait donc pas seulement des lexèmes autonomes qui deviendraient grammaticaux, mais aussi des constructions complexes. Force est de constater que l’exemple ci-dessus livré par Hopper et Traugott indique que cette interprétation de la grammaticalisation est liée à des changements morphosyntaxiques internes importants. En effet, la recherche sur la grammaticalisation, qui décrit les changements linguistiques ayant comme résultat des unités (plus) grammaticales, a développé des instruments descriptifs permettant de distinguer différents degrés de grammaticalisation, conceptualisant ainsi le phénomène de grammaticalisation comme un continuum dont les extrémités sont un pôle lexical et un pôle grammatical. Dans ce cadre, une des thèses centrale à cette théorie est que le processus de grammaticalisation est unidirectionnel. Dans ce cadre, différents modèles ont été développés (cf. Marchello-Nizia 2006, 13ss. ; Auer/Günthner 2005, 348ss.). Leur présentation détaillée ne peut être effectuée ici et ne serait pas pertinente dans le cadre du présent travail. En revanche, nous aborderons les paramètres typiques et centraux au phénomène de grammaticalisation qui permettent d’appréhender le passage d’un syntagme prépositionnel à un connecteur. Dans ce cadre, le modèle et les paramètres de grammaticalisation développés par Lehmann (1982/1995) peuvent être considérés comme la base commune à la re-

––––––– 99

Pour une description du changement fonctionnel de l’auxiliaire avoir voir Hopper/Traugott (22003, 9). Pour une description du changement fonctionnel du verbe aller employé dans la construction du futur périphrastique voir Detges (1999). Detges décrit le changement fonctionnel d’aller comme une métonymie en suivant la définition proposée par Blank (1997) selon lequel la métonymie est une relation sémantique qui repose sur une relation associative de contiguïté des désignats des signes linguistiques. Le frame du verbe français aller contient deux éléments centraux : l’agent d’un mouvement et le but vers lequel se meut l’agent. Detges (1999) distingue deux étapes distinctes quant à la grammaticalisation du verbe aller : 1) le sens de aller change sa sémantique de « aller vers » à « avoir l’intention de faire quelque chose » 2) le sens d’intention devient un marqueur de futur.

415

cherche décrivant les processus de grammaticalisation (cf. Auer/Günthner 2005, 349).100 L’esquisse des traits principaux et des paramètres centraux de sa théorie permettra de les comparer aux résultats issus de l’analyse des connecteurs prépositionnels.101 Nous l’avons déjà évoqué, la thèse principale de Lehmann est que les signes lexicaux sont autonomes, tandis que les signes grammaticaux sont dépendants. Lehmann définit le concept d’autonomie avec trois critères : -

le poids, c’est-à-dire la différenciation avec d’autres signes ; la cohésion, c’est-à-dire la liaison avec d’autres signes ; la variabilité, c’est-à-dire la possibilité de commutation avec d’autres signes.

Chacun de ces critères d’autonomie est considéré selon les axes de relation paradigmatique et syntagmatique, si bien que six paramètres peuvent être distingués (Lehmann 1995b, 1253) : paradigmatique

syntagmatique

poids

intégrité

portée structurelle

cohésion

paradigmaticité

étroitesse de l’enchainement

variabilité

choix

liberté de positionnement

Tableau 84 : les paramètres de grammaticalisation (Lehmann 1995b, 1253), représentation d’après Di Meola (2000, 6) ; traduction H.S.

De manière générale, lors du procès de grammaticalisation, le poids et la variabilité des signes autonomes diminuent et la cohésion entre les signes augmente. Cidessous, les six paramètres du processus de grammaticalisation, en commençant par l’axe paradigmatique et en poursuivant par l’axe syntagmatique, seront présentés et comparés aux résultats de l’analyse des connecteurs prépositionnels : a) l’intégrité Lors du processus de grammaticalisation d’érosion, une réduction des traits phonologiques et/ou sémantiques a lieu. Le sens lexical de départ « pâlit » (bleaching) et devient souvent plus abstrait et plus général. La distribution du signe linguistique s’élargit (généralisation), ce dernier peut être employé dans de plus nombreux contextes. Au niveau phonologique et morphologique, le phénomène de l’érosion ne joue pas de rôle central pour les connecteurs prépositionnels en français. Au niveau formel, il n’y a pas de changement profond visible. Les connecteurs pourtant et cependant forment des unités formelles et le démonstratif ce a était agglutiné à la préposition par (cf. Marchello-Nizia 2006, 40). Par ailleurs, seul le connecteur parce que présente une tendance dans le discours oral proximal à élider le /ə/ de ce. L’unité

––––––– 100

101

Lehmann (1982/1995) a développé et affiné son modèle dans les articles suivants : cf. Lehmann (1985 ; 1986 ; 1989a ; 1989b ; 1992 ; 1993 ; 2002). Lehmann (1995b) propose un résumé des aspects centraux du modèle Lehmann (1982/1995). Dans le présent travail, les numéros de pages cités se réfèrent à Lehmann (1995b). Pour ce faire, nous reprenons les points essentiels de la présentation du modèle de Lehmann proposée par Di Meola (2000).

416

connective peut, comme pourtant et cependant, avoir une unité formelle comme résultat, mais ce n’est pas toujours cas : parce que et pour cela (que) présentent toujours un caractère formel composite. De plus, les changements sémantiques (bleaching) ne touchent pas les connecteurs de la même manière. L’histoire de cependant a montré que son regulans part d’une tradition discursive spécialisée dans le domaine juridique pour s’ouvrir à d’autres traditions discursives. Cet élargissement va de pair avec un changement sémantique allant d’une signification concrète à une signification abstraite qui peut être représentée de la manière suivante : pendre (état physique) > limite (délai) > simultanéité > opposition (concession). Le changement sémantique est différent pour les autres connecteurs. En effet, pourtant présente certes un changement sémantique, le point de départ n’est cependant pas un sens concret, mais un sens déjà abstrait : cause > opposition (concession). De même, parce que et pour cela (que) ont, dès l’ancien français, des sens déjà abstraits (cause ou conséquence). Force est cependant de constater que les sens et les fonctions des connecteurs varient selon le co(n)texte et deviennent plus pragmatique.102 b) la cohésion paradigmatique Un signe autonome appartient à une classe ouverte et n’a pas de relations étroites avec les autres signes. Par le processus de paradigmaticalisation, le signe s’inscrit dans un paradigme formel et sémantique fortement intégratif. Le signe a une relation précise par rapport aux autres signes. Les paradigmes sont, typiquement, des classes fermées. Dans une approche fonctionnelle, il est délicat de décrire la classe des connecteurs comme une classe fermée car des expressions complexes, tels que les connecteurs prépositionnels comme in conseguenza di ciò, pour cette raison ou por este motivo ont une fonction de connecteurs (Maaß/Schrott 2010b, 9).103 Il semble donc favorable de considérer la classe des connecteurs comme ouverte. c) la variabilité paradigmatique Un signe autonome est librement choisi par rapport aux intentions communicatives du locuteur. Le processus de grammaticalisation d’obligation réduit les possibilités de choix (cf. Di Meola 2000, 8s.). Concernant le paramètre d’obligation, des différences internes sont remarquables selon l’intégration syntaxique du connecteur observé (cf. Auer/Günthner 2005, 350). En d’autres termes, l’obligation dépend du degré d’intégration syntaxique du connecteur dans la structure de la phrase et varie selon la classification de l’emploi du connecteur dans la classe des jonctions. De plus, Auer/Günthner (2005, 350) montrent que les marqueurs de discours ne sont pas obligatoires. Ainsi, employé comme jonction subordonnante, parce que est obligatoire ; en revanche, employé en fonction d’interaction structurante argumentative {ISA} pour marquer un turn ou une interpellation, parce que n’est plus obligatoire. De même, cependant et pourtant en tant que jonction de coordination sont moins obligatoires que ne l’est parce que.

––––––– 102

103

Cf. Dostie (2004) pour une comparaison de la thèse de la pragmaticalisation avec la théorie de la grammaticalisation. Voir la partie 1.1.1 Les connecteurs : les formes d’une fonction de connexité.

417

d) la portée structurelle Un signe autonome peut se référer à des syntagmes de complexité diverse. Par le processus de grammaticalisation, la portée structurelle diminue. Di Meola (2000, 9) signale que, dans la littérature, ce paramètre a donné lieu à des discussions controverses. En effet, les conjonctions de subordination qui proviennent de pronoms (angl. that < that ; al. dass > das) ainsi que les prépositions qui donnent naissance à des conjonctions (angl. since, al. seit) sont des contre-exemples dans la mesure où leur portée syntaxique s’élargit (cf. Traugott/Heine 1991, 6 ; cf. Diewald 1997, 23 ; cf. Auer/Günthner 2005, 348ss.). De même pour les connecteurs prépositionnels, le paramètre du rétrécissement de la portée structurelle n’est pas valable. Au contraire, l’élargissement de la portée est le critère central marquant de manière significative le passage du syntagme prépositionnel au connecteur prépositionnel. e) l’enchaînement étroit (cohésion syntagmatique) Dans la chaîne syntagmatique, les signes autonomes sont juxtaposés et présentent des liens phonologiques minimaux avec les signes voisins. Par le processus de grammaticalisation de coalescence, le liage avec les signes voisins se renforce. Les frontières entre les signes s’affaiblissent ou s’effacent (cf. Di Meola 2000, 9s.). Lors du passage du syntagme prépositionnel au connecteur, la coalescence augmente entre les éléments formateurs de l’expression qui devient plus figée. Cependant, les prépositions formatrices de syntagmes prépositionnels peuvent être ordonnées de manière typique à la classe des jonctions d’incorporation (cf. Ágel 2010 ; Ágel/Diegelmann 2010).104 A partir de ce positionnement sur l’axe agrégatifintégratif, le syntagme prépositionnel réanalysé comme connecteur peut prendre deux directions. Soit il est employé comme jonction unifiante ([c’est] pour cela [que]) et se dirige vers le pôle intégratif, soit il est employé comme une conjonction (parce que), une coordination (cependant, pourtant) ou une parajonction (parce que, cependant, pourtant) et se dirige vers le pôle agrégatif : parajonction < coordination < subordination < incorporation > unification Suite à la réinterprétation du syntagme prépositionnel en connecteur, l’augmentation de coalescence avec les autres signes ne concerne donc que le cas de l’unification ([c’est] pour cela [que]). Les autres emplois des connecteurs prépositionnels (parce que, cependant et pourtant), en revanche, se dirigent vers le pôle agrégatif. f) le positionnement libre (variabilité syntagmatique) Les signes autonomes peuvent être, dans les limités topologiques, librement positionnés. Par le processus de fixation, les signes tendent à prendre un emplacement fixe dans la phrase. Pour les connecteurs, les possibilités de leur emplacement varient selon la classe et l’emploi du connecteur. En effet, nous avons vu que, sur l’axe syntagmatique, pour cela (que) employé comme jonction appartient à la classe des jonctions incorporatives, dont la portée est déterminée par son emplacement dans l’énoncé (entre les deux connectes), tandis que les autres connecteurs, parce que en

––––––– 104

Voir la partie 1.1.2 Une fonction, différents degrés d’intégration.

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tant que jonction de subordination et cependant et pourtant en tant qu’adverbes ou jonction coordonnante, peuvent présenter des variations quant à leur emplacement dans les énoncés (cf. Auer/Günthner 2005). Force est donc de constater que la plupart des paramètres indicateurs d’une grammaticalisation, tels qu’ils ont été définis par Lehmann, ne sont pas en mesure de décrire la spécificité de la réinterprétation d’un syntagme prépositionnel en un connecteur. En ce sens, ces résultats coïncident avec ceux de Auer/Günthner (2005, 350). En effet, Auer/Günthner (2005, 351ss.), dont l’analyse porte sur les marqueurs discursifs allemands, considèrent les paramètres de la grammaticalisation proposés par Lehmann comme inadéquats pour décrire l’émergence de marqueurs discursifs dont la propriété n’est pas la perte mais le gain d’autonomie. D’après les auteurs, les paramètres proposés par Lehmann (1995b) permettraient essentiellement de décrire la naissance de nouvelles marques morphologiques, telles que les marques du temps, de l’aspect, des personnes, etc. Par ailleurs, Auer/Günthner (2005, 352) critiquent également l’ampleur du concept de grammaticalisation proposé par Traugott pour décrire les marqueurs discursifs (1995a ; 1995b ; 2003 ; Tabor/Traugott 1998 ; Hopper 1991). Le concept de Traugott, qui repose sur des critères de recatégorisation syntaxique, d’augmentation du degré d’abstraction et de non-référentialité, ne permet plus selon Auer/Günther de délimiter la grammaticalisation par rapport à d’autres phénomènes linguistiques. En conséquence, les auteurs proposent de conceptualiser la grammaire comme un ensemble de formes ouvertes dont le « vide » sémantique favoriserait le développement d’une valeur indexicale, leur conférant la possibilité de s’adapter à différent contextes (Auer/Günthner 2005, 353ss.). De même, dans son analyse du connecteur prépositionnel espagnol de hecho ‘de fait’, Fanego (2010, 197ss.) constate l’absence de changement formel permettant de conclure que l'emploi comme adverbe de phrase corresponde à un stade ancien dans le processus de grammaticalisation. En revanche, Fanego conçoit le passage de de hecho en tant qu’adverbe de phrase en un marqueur du discours comme une subjectivation.105

––––––– 105

Fanego (2010) pose la question de la correspondance entre l’évidence formelle avec les changements pragmatiques et sémantiques de l’adverbe de manière de hecho. De hecho s’est développé de manière analogue à l’adverbial anglais in fact et plus particulièrement indeed : il a d’abord été employé comme adverbial de phrase, dans ce cas il pouvait soit être employé comme adversatif afin de rejeter une position, soit comme confirmatif en tant que signal d’accord. La lecture confirmative de de hecho est la source la plus vraisemblable de son emploi le plus élaboré comme marqueur discursif. Il est couramment admis que le passage de l’adverbe de manière à l’adverbe de phrase est accompagné de changements formels phonologiques et morphologiques, « [...] a special intonation contour was used for the sentence adverbial which appeared in positions not normally occupied by VP-adverbs (e.g. clause initially) and it lost the syntactic behavior associated with manner adverbs such as the possibility to be the focus of clefts and to be coordinated with another manner adverbial » (Davidse/Vandelnotte/Cuyckens 2010, 7). Fanego n’a pas trouvé de correspondances formelles claires pour le changement de l’adverbe de phrase en marqueur discursif : tous deux ne se distinguent pas par l’intonation et partagent la même position syntaxique (initiale, médiale ou finale) dans le même contexte de discours. Fanego conclut qu’il n’y a pas de preuves permettant de considérer l’emploi adverbial de de hecho comme une étape

419

Par conséquent, le nucléus commun des connecteurs prépositionnels réside premièrement en la conservation phonologique et, en grande partie, formelle des éléments constitutifs du syntagme prépositionnel de départ ; deuxièmement, au niveau du paramètre du poids syntagmatique, le passage du syntagme prépositionnel en un connecteur signifie toujours un élargissement de sa portée syntaxique. Cette évolution ne correspond pas à celle décrite par les paramètres typiques du processus de grammaticalisation défini par Lehmann. Les connecteurs prépositionnels entrent dans la grammaire, mais semblent emprunter une autre voie que celle de la grammaticalisation. 7.5.2 Les connecteurs prépositionnels : une histoire de réanalyse La partie précédente a montré qu’au niveau phonologique et formel, les connecteurs prépositionnels ne subissent ni réduction, ni érosion et que l’obligation varie selon la classe et l’emploi du connecteur. Pour ces raisons, le passage d’un syntagme prépositionnel au paradigme de connecteur ne peut être considéré comme une grammaticalisation, tout du moins telle qu’elle a été définie par Lehmann (1982/1995). Cependant, la recherche en linguistique dispose d’un autre concept apte à décrire les changements fonctionnels : la réanalyse. Lang/Neumann-Holzschuh (1999) ont thématisé les points communs et les différences entre le processus de grammaticalisation et le processus de réanalyse. D’après les auteurs, la différence décisive entre le processus de grammaticalisation et le processus de réanalyse est que, pour le premier, l’objet résultant de la grammaticalisation est un autre que l’objet de départ, tandis que pour le second, l’objet d’arrivée (l’objet ayant été réanalysé) est le même que l’objet de départ. De même, Langacker (1977) considère la réanalyse : « […] as change in the structure of an expression or class of expressions that does not involve any immediate or intrinsic modification of its surface manifestation » (Langacker 1977, 58). Diewald (1997, 34) perçoit la réanalyse comme une réorganisation de la structure des constituants ; le chamboulement n’impliquerait cependant pas de changement formel. Dans ce cadre, Heine/Claudi/Hünnemeyer (1991, 216) parlent d’un « boundary shift » qu’ils formalisent de la manière suivante : (A,B) C → A, (B,C) A gauche de la flèche, les éléments A et B forment ensemble, une constituante, qui, avec C donne une structure complexe. A droite de la flèche se trouve la restructuration au sein de laquelle B et C forment une nouvelle constituante. Le concept de réanalyse, défini comme une restructuration syntaxique n’impliquant pas nécessairement de changement formel, correspond au changement typique du syntagme prépositionnel [[pour] tant] en un connecteur [pourtant]. Aussi, le changement typique d’un syntagme prépositionnel en un connecteur consiste en une

––––––– antérieure à son emploi comme marqueur discursif dans le processus de grammaticalisation.

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réanalyse de la structure du syntagme complexe en une unité, sans modification essentielle de son apparence formelle.106 De même, Harris/Campbell (1995, 63) conçoivent le changement d’un verbe en une préposition comme une réanalyse. Et, König/Kortmann (1992) interprètent les prépositions déverbales, par exemple fr. pendant, angl. according to comme une « categorial reanalysis ». En conséquence, le changement fonctionnel d’un syntagme prépositionnel en un connecteur peut être considéré comme une réanalyse. Par ailleurs, la réanalyse du syntagme prépositionnel comme connecteur prépositionnel d’unification (pour cela (que), de subordination (parce que), de coordination (pourtant et cependant) ou comme parajonction (pourtant et cependant et parce que en fonction d’interaction argumentative) va de pair avec un élargissement de la portée de la nouvelle unité. Le cadre théorique de la réanalyse est en mesure de décrire les constructions de type préposition + déictique + conjonction (parce que, pour cela que) et préposition + quantitatif (pourtant) dans la diachronie. A l’exemple du syntagme prépositionnel en conclusion, nous montrerons que la réanalyse est également apte à décrire la polyfonctionnalité d’expressions prépositionnelles en synchronie. Pour ce faire, nous suivrons la démarche démonstrative de Detges (1999) concernant l’évolution du verbe aller (lexème de déplacement > marqueur de futur périphrastique). On peut alors admettre que le substantif conclusion comprend dans son frame107 deux éléments centraux :  le résultat, le produit de l’action de la clôture  l’action de clore, de terminer un procès : il marque la fin d’une action108 Au niveau syntaxique, en conclusion peut, en tant que syntagme prépositionnel, fonctionner comme un adverbe intégré (cf. Borillo 2002, 240 ; Molinier 2000, 41).109 Dans l’exemple (289), en conclusion se réfère aux résultats du rapport d’information : (289) M. CHRISTIAN COINTAT … Comme tout « veilleur vigilant » se transforme tôt ou tard en acteur, les auteurs de ce rapport d’information prennent les devants et présentent en conclusion quinze propositions. (Sénat) Dans cet exemple, le produit/le résultat se situe au premier plan. En effet, le test de commutation avec les connecteurs donc ou c’est pourquoi est étrange :

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107

108

109

De même, Hölker (2010a, 179) impute la possibilité d’une réinterprétation de la structure d’un syntagme complexe à une ambiguïté syntaxique par exemple l’interprétation d’un syntagme prépositionnel comme une expression adverbiale (jonction d’unification) modifiant un verbe, puis comme un adverbe de phrase ou une conjonction (classe des coordinations). Le terme frame est défini dans la partie 1.2.1 Asyndète vs. connexion explicite ou pourquoi lier de manière explicite ? Selon la catégorisation de Vendler (1957, 146), conclure peut être considéré comme un verbe d’accomplissement car il se réfère à un processus et à un résultat. Voir la partie 1.1.3.1 Expression adverbiale ou connecteur ?

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(290) ?les auteurs de ce rapport d’information prennent les devants et présentent donc quinze propositions. (291) ?les auteurs de ce rapport d’information prennent les devants et c’est pourquoi ils présentent quinze propositions. En revanche, les paraphrases avec les groupes nominaux « une conclusion », « un résultat » sont plus satisfaisantes : (292) les auteurs de ce rapport d’information prennent les devants et présentent une conclusion/un résultat de quinze propositions. Ainsi, la paraphrase avec les groupes nominaux une conclusion, un résultat met l’accent sur le produit final comme résultat, tandis que la paraphrase avec donc et c’est pourquoi met le processus de raisonnement conclusif en relief. Dans l’exemple (289), en conclusion a une fonction adverbiale à valeur descriptive référentielle : l’expression se réfère de la conclusion présentée dans le rapport des auteurs. D’ailleurs, le contenu de la conclusion est spécifié, il s’agit de quinze propositions. L’adverbiale en conclusion dans l’exemple (289) décrit la situation dont le locuteur parle. En conclusion se réfère donc au contenu de la situation décrite. Dans l’extrait (293), en conclusion a une position topologique périphérique et introduit une phrase : (293) M. FRANÇOIS ZOCCHETTO : ... en utilisant le travail accompli par Mme Bricq, Mme André et M. Yung. En conclusion {C} {ESA} {PG} {ARR} {CONS} {conc}, je formule le souhait que, à la faveur de la transmission au Sénat de la proposition de loi Copé-Zimmermann, l’adoption de la motion de renvoi à la commission, que le groupe de l’Union centriste va voter, ... (Sénat) Dans cet exemple, en conclusion peut être remplacé par donc et c’est pourquoi comme en témoigne le test de commutation : (294) M. FRANÇOIS ZOCCHETTO : ... en utilisant le travail accompli par Mme Bricq, Mme André et M. Yung. Donc/c’est pourquoi, je formule le souhait que, à la faveur de la transmission au Sénat de la proposition de loi Copé-Zimmermann, l’adoption de la motion de renvoi à la commission, que le groupe de l’Union centriste va voter, ... (Sénat) En conséquence, dans l’extrait (293) du corpus Sénat, en conclusion annonce à la fois la partie du texte qui suit, et le résultat d’un processus déductif qui découle du raisonnement effectué par le locuteur. M. Zocchetto ne décrit pas les événements contenus par une situation (Situationüber), mais il parle et agit dans la situation d’énonciation (Situationin). C’est donc le résultat d’un raisonnement déductif qui se situe au premier plan ici. Avec en conclusion, le locuteur parle soit du contenu d’une situation, la situation est alors le contenu dont on parle ; soit le locuteur parle dans une situation, la situation est alors le contenant dans lequel le locuteur agit, c’est-à-dire le discours. Ainsi décrits, les emplois de en conclusion sont liés par une relation métonymique de

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contenu (la situation dont on parle) / contenant (la situation dans laquelle on parle). La métonymie est une relation sémantique qui repose sur une relation associative de contiguïté entre les désignés des signes linguistiques (cf. Detges 1999).110 La contiguïté de ces désignés est d’abord une relation extralinguistique (dans nos exemples : produit/résultat final vs. processus déductif). Les désignés sont des frames organisés en relation conceptuelle stable. La métonymie désigne le déplacement de la signification d’un signe de telle sorte qu’à la place du désigné jusqu’à présent attesté, un autre désigné apparaît. Avec Blank (1997), le mouvement métonymique peut être considéré comme un mouvement qui se produit à l’intérieur d’un même frame. En ce sens, il s’agit d’une relation discrète (cf. Detges 1999). En effet, Diewald (1997, 59) indique que plus les domaines mis en relation sont abstraits, c’est-à-dire avec des limites diffuses, moins le passage d’un domaine à un autre peut être perçu comme un dépassement ponctuel d’une limite. D’où les variations métonymiques peuvent être considérées comme discrètes. Dans le cadre de ce travail, la relation métonymique de contenu (Situationüber) / contenant (Situationin) peut décrire le rapport liant les différentes fonctions des connecteurs de manière générale. La raison pour laquelle la délimitation de la fonction dominante est, dans certains cas équivoque, est due au fait que ces fonctions sont liées par un lien étroit qui implique une variation fonctionnelle discrète.111 Les différents emplois d’en conclusion peuvent être décrits de la manière suivante : le premier emploi unit le sens de résultat final (le locuteur se réfère au résultat final dans la situation dont il parle) à la partie de texte finale (locuteur annonce la partie de texte dans la situation dans laquelle il parle) ; le second réunit la partie de texte finale au raisonnement déductif. Chacun de ces emplois correspond à un effet de basculement et peut être visualisés par les tableaux suivants : 

Résultat final / produit (fonction adverbiale) > la partie du texte comme résultat final (fonction d’explicitation structurante ES)

en conclusion situation dont on parle

action du locuteur Je désigne le produit,

résultat final

partie finale du texte ES

figure

fond

fond

figure

le résultat final situation dans laquelle

J’annonce la partie de

on parle

texte finale

Figure 18 : en conclusion, emploi adverbial vs. connecteur en fonction ES

––––––– 110 111

Voir la partie 1.2.3.3 Polysémie et liens sémantiques. En suivant la démonstration de Detges (1999), il semblerait que la signification de base conventionnalisée ne disparaisse pas, mais elle occasionne un renforcement pragmatique permettant le développement de nouvelles fonctions et s’oppose ainsi à la thèse des « signes vides » défendue par Auer/Günthner (2005, 353). Il semblerait que les différentes fonctions des connecteurs prépositionnels soient organisées de manière hiérarchique selon un effet de premier (figure) et d’arrière-plan (fond).

423



la partie du texte comme résultat final (fonction d’explicitation structurante ES) > déduction (processus argumentatif intellectuel abstrait) (ESA fonction d’explicitation structurante argumentative)

en conclusion

action du locuteur

situation dans laquelle

J’annonce la partie de

on parle

texte finale

situation dans laquelle

J’annonce le résultat

on parle

d’un raisonnement

partie finale du texte ES

déduction ESA

figure

fond

fond

figure

argumentatif

Figure 19 : en conclusion, emploi en fonction ES vs. ESA

Avec Detges (1999), deux niveaux du changement doivent être distingués : 1. le niveau cognitif : il s’agit du pont conceptuel du changement linguistique (cf. Blank 1997, 225), ici la relation métonymique. 2. le niveau pragmatique : il s’agit de la direction avec laquelle le pont est traversé. La direction est fixée par le besoin communicatif du locuteur d’attester, d’authentifier un acte abstrait, intersubjectif de raisonnement en ayant recours à un concept concret comme le résultat final (cf. Detges 1999). Comme Detges, nous ne considérons pas que la perte de traits sémantiques soit décisive pour le développement de nouvelles fonctions, mais les différents emplois émergent de la mise en relief de certains éléments contenus dans un frame au dépend des autres. Il y aurait donc une hiérarchisation des contenus flexibles qui varie selon les co(n)textes, selon les besoins communicatifs des locuteurs. Les liens entre ces contenus sont étroits, d’où la discrétion des différences entre les fonctions. Le développement de nouvelles fonctions ne signifie pas que les fonctions précédentes disparaissent. Au contraire, comme le montre l’analyse diachronique, les différentes fonctions d’une même forme cohabitent : les connecteurs prépositionnels sont polyfonctionnels. Au niveau syntaxique, la réanalyse des syntagmes prépositionnels en connecteurs prépositionnel met en lumière l’intégration de ces unités au domaine de la grammaire. Par ailleurs, la réinterprétation d’un syntagme prépositionnel comme connecteur n’apparaît pas comme un processus immotivé mais au contraire, les locuteurs suivent des stratégies discursives adaptées à leur besoin communicatif afin d’authentifier un acte abstrait. Force est cependant de constater que la réanalyse des syntagmes prépositionnels en connecteurs, comme des unités appartenant à la grammaire, ne marque pas la fin de leur évolution sémantique et pragmatique. L’étude diachronique comme l’analyse synchronique montrent qu’un même connecteur prépositionnel peu présenter plusieurs fonctions. Par exemple, dans le corpus Oral que parce que n’est pas seulement employé comme une subjonction mais également comme une parajonction, fonction servant la maxime de relation, centrale quant aux emplois de connecteurs dans le discours oral informel. Les locuteurs emploient donc des connecteurs prépositionnels déterminés afin de répondre aux exigences et aux contraintes de la tradi-

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tion discursive dans laquelle ils agissent. Certaines approches interprètent les différents emplois d’une même forme comme un prolongement du processus de grammaticalisation :112 « Cependant, il y a une différence entre les marqueurs et de nombreux autres moyens de structuration : Issus de catégories grammaticales diverses (adverbe, conjonction, interjection, etc.) ils ont subi un processus de grammaticalisation et se sont stabilisés. Ils sont donc passés des structures émergentes aux structures grammaticales stables et forment une nouvelle catégorie. De tels processus de grammaticalisation continuent de se développer, et l’analyse conversationnelle peut contribuer à leur description. C’est par exemple le cas de certaines conjonctions allemandes comme ‘weil’, ‘obwohl’ ou ‘wobei’, qui normalement introduisent des subordonnées, où le verbe fini est placé à la fin. Or, des analyses empiriques de corpus oraux allemands montrent qu’il y a une tendance croissante à utiliser ces ‘conjonctions’ avec le verbe fini en deuxième position, comme dans une principale. On explique ce phénomène par un changement de catégorie grammaticale : des conjonctions comme ‘weil’, ‘obwohl’ ou ‘wobei’ sont en train de passer à la catégorie des marqueurs discursifs. Ainsi les résultats obtenus par l’analyse empirique de données conversationnelles peuvent être interprétés dans un cadre théorique différent, à savoir celui d’une théorie de la grammaticalisation. » (Gülich 2006, 29) Dans cette citation, il est particulièrement intéressant de constater que Gülich conçoit les emplois des connecteurs appartenant à la classe des jonctions (connecteurs au sens étroit) non pas comme une étape finale, mais comme une phase dont peuvent émerger des emplois comme parajonctions (marqueurs discursifs). Au niveau catégoriel, nous avons cependant montré que le concept de réanalyse décrit mieux le passage d’un syntagme prépositionnel au paradigme des connecteurs. Au niveau cognitif, en revanche, nous sommes d’avis que la cohabitation de fonctions contenant une action la représentation, d’explicitation ou d’interaction peut être expliquée par le concept de (inter)subjectivation. En effet, l’émergence de nouveaux connecteurs ou de différentes fonctions n’est pas liée au besoin des locuteurs de former de nouvelles formes grammaticales, mais répond à un besoin expressif lié aux exigences et aux restrictions des traditions discursives. Ainsi, dans l’optique de notre travail basé sur la description des emplois des connecteurs prépositionnels dans les textes, force est de constater que les locuteurs choisissent, dans le réservoir de possibilités mis à disposition par une langue particulière, des éléments linguistiques leur permettant d’agir dans une tradition discursive déterminée de manière adéquate et expressive. Aussi, le chapitre suivant se propose-t-il de mettre le concept de (inter)subjectivation en relation aux résultats relatifs aux emplois des connecteurs prépositionnels dans les corpus.

––––––– 112

Cf. Traugott (2003, 639). Pour une discussion critique voir Auer/Günthner (2005, 352ss.)

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7.5.3 Connecteurs prépositionnels entre expressivité et (inter)subjectivation Les analyses en diachronie et en synchronie documentent les variations fonctionnelles d’une même forme. En suivant Degand/Fagard (2008), ces emplois se distinguent au niveau du degré d’implication et du rôle que revêt le locuteur lors de la production de relation, rôles que nous avons appelés : observateur, acteur et commentateur. Le locuteur agit dans une tradition discursive et peut mettre en relation des événements contenus dans une situation dont il parle. Dans ce cas, il est observateur et traducteur de faits. Il ouvre à l’allocutaire une fenêtre sur le contenu de la situation qu’il décrit en interprétant et verbalisant des relations entre des faits (action de représentation). Lorsque le locuteur agit dans la situation dans laquelle il parle, il est acteur et agit dans le discours (action d’explicitation) ; il n’ouvre plus une fenêtre à l’allocutaire sur une situation événementielle, mais il implique l’allocutaire dans la situation en l’orientant dans le discours par des marques topologiques et/ou en cherchant à le convaincre. Lorsque le locuteur agit dans la situation dans laquelle il parle, il peut également commenter des interventions, des actes de langage, il est alors commentateur et peut s’adresser directement à l’allocutaire en l’invitant à agir et réagir (action d’interaction). Aussi, les emplois des connecteurs prépositionnels témoignent-ils de l’implication du locuteur et de l’interlocuteur dans la grammaire. L’implication du locuteur et de l’interlocuteur dans la grammaire a été décrite par le concept de (inter)subjectivation.113 Certes, le terme (inter)subjectivation connaît des définitions d’ampleur différente, la constante est cependant relative à la volonté du locuteur d’élaborer son discours de manière expressive par l’intégration du sujet – le locuteur et l’interlocuteur – dans la grammaire.114 Dans cette partie, les résultats de l’analyse des connecteurs prépositionnels en synchronie et diachronie sont mis en relation avec la théorie de (inter)subjectivation. Or, certains les linguistes considèrent le processus de subjectivation comme le point de départ, l’embrayeur d’un processus de grammaticalisation.115 D’après Langacker (1999), le terme subjectivation saisit le passage d’une unité relativement objective à une conception subjective dans le processus de grammaticalisation. De même, Marchello-Nizia (2006) intitule le sixième chapitre de son ouvrage Grammaticalisation et changement linguistique comme suit : « La subjectivation à l’origine du processus de grammaticalisation : une étape limitée ». En effet, selon Marchello-Nizia, la phase de subjectivation correspondrait à la première phase de la grammaticalisation, située au début d’un changement linguistique qui mène le locuteur « à introduire dans son discours une formulation plus frappante » (Marchello-Nizia 2006, 197) : « La subjectivation est l’une des forces qui mettent en mouvement le processus de changement, mais cette phase se situerait au tout début d’une grammaticalisation, et seulement en cette phase initiale, constituant en quelque sorte les prémices du phénomène ».

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114 115

Une discussion des différentes approches et interprétations du concept de subjectification se trouve chez Marchello-Nizia (2006, 26ss.). Voir la partie 1.3.2 Un connecteur, différents niveaux de liage. Cf. Marchello-Nizia (2006) pour une présentation de la recherche concernant la subjectification et Traugott (2010).

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Cependant, notre étude de corpus montre que la subjectivité ne semble pas seulement être l’embrayeur de la réanalyse du syntagme prépositionnel en un connecteur, mais elle serait le moteur motivant les différents emplois des connecteurs prépositionnels en synchronie et en diachronie. Aussi, selon notre hypothèse, il semble profitable de distinguer deux concepts : la subjectivation et l’expressivité. Avec Koch/Oesterreicher (1996, 68s.), l’expressivité est définie comme une « forte implication émotionnelle » du locuteur ; en d’autres termes, l’expressivité porte sur l’emploi d’éléments témoignant de l’affect du locuteur. Aussi, Lüdtke (1980) et Keller (1994) ont formulé l’hypothèse d’une hyper-maxime gérant les interactions langagières « Talk in such a way that you are noticed » (Keller 1994, 101 ; cf. Marchello-Nizia 2006, 25). Avec le temps, des emplois routiniers peuvent cependant atténuer la force expressive d’un élément linguistique, comme le montre l’étude de beaucoup (cf. Marchello-Nizia 2006),116 si bien que l’expression ne permet plus au locuteur de « se faire remarquer ».117 Toutefois, d’après nous, si la force expressive d’une expression peut s’affaiblir par l’usage, la qualité subjective de l’expression employée par le locuteur est une constante. Aussi, l’emploi de beaucoup est toujours évaluatif et donc subjectif : beaucoup laisse transparaître l’appréciation quantitative du locuteur envers la situation décrite. En conséquence, il semblerait que la phase de « subjectivation limitée », évoquée par Marchello-Nizia, se réfère à la période durant laquelle une expression est ressentie comme plus expressive que d’autres.118 Dans ce contexte, il est important de considérer les résultats obtenus dans la partie 5.1 Les dimensions prépositionnelles et les éléments formateurs de connecteurs. Ce chapitre a en effet dévoilé que, d’un point de vue sémantique, les éléments avec lesquels les prépositions forment des connecteurs peuvent être mis en relation avec trois centres thématiques productifs d’unités expressives distingués par Koch/Oesterreicher (1996). La comparaison de cette liste avec celle des éléments favorisés par les prépositions quant à la formation de connecteurs a montré que les prépositions ont une affinité avec les centres thématiques suivants :  les intensités et les quantités : des adverbes quantitatifs ou scalaire, dont la fonction est de donner une évaluation (pourtant, surtout) ;  les esquisses d’actions : des substantifs dont la fonction est métacommunicative ou certificative d’un processus abstrait (par exemple, en conséquence, en conclusion).  l’orientation du regard dans l’espace, le temps et les partenaires de conversation : des éléments localisants dont la fonction est d’orienter l’interlocuteur dans le texte et les déictiques dont la fonction est de rendre un élément textuel saillant (cependant, pour cela [que]).

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117 118

Voir également l’analyse du verbe travailler proposée par Koch (2005). Cet auteur distingue par ailleurs deux phases relatives au changement linguistique : une phase d’innovation et une phase de propagation. Chacune de ces phases sont caractérisées par des stratégies distinctes. Voir l’analyse de quand même effectuée par Waltereit (2004). Koch (2005) et Koch/Oesterreicher (1996) indiquent que ces expressions expressives viennent souvent du la conception proximale.

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Cette mise en relation nous permet de conclure que la préposition est un élément privilégié quant à la formation de connecteur car elle opère comme un introducteur d’espace mental y intégrant des éléments expressifs qui témoignent de la subjectivité du locuteur. Or, nous l’avons évoqué, la force expressive de ces éléments peut, par la routine de leurs emplois, être éphémère (cf. Koch 2005), l’inter-/subjectivité en revanche reste. L’emploi d’une unité expressive n’est cependant pas toujours accompagné du processus de grammaticalisation. En effet, selon Davidse/Vandelanotte/Cuyckens (2010, 6) et Traugott (2010), les processus de grammaticalisation et de subjectivation peuvent aller de pair, mais ne sont pas des processus identiques : « (Inter)subjectifiaction often involves grammaticalization, but they are different types of changes which may occur independently of each other. Thus, cases of lexical subjectification are not accompanied by grammaticalization, as illustrated by the use of a speaker-evaluation such as pig for an impolite, slobbering eater. The non-subjective and subjective uses of pig are equally lexical. There can also be grammaticalization without subjectification : we can think here of the development of certain prepositions such as to into an infinitive-marker and by into a marker of the passive » (Davidse/Vandelanotte/Cuyckens 2010, 6) Il y aurait donc des subjectivations sans grammaticalisation dans le cas d’emplois métaphoriques de lexèmes tel que l’emploi du terme cochon pour désigner le comportement d’une personne, mais également des grammaticalisations sans subjectivation dans le cas de certains marqueurs grammaticaux. En conséquence, nous considérons l’emploi d’unités expressives comme le début d’une subjectivation, mais nous ne concevons pas la subjectivité comme une étape limitée, exclusivement située au début du processus de grammaticalisation, ou dans le cas des connecteurs prépositionnels, de réanalyse.119 Selon nous, ce serait alors la conventionnalisation de nouvelles paires formes / contenus qui favorise le développement de nouveaux emplois (inter)subjectifs (cf. Traugott 2010). D’un point de vue diachronie, l’évolution subie par cependant et pourtant peut être considérée comme un changement linguistique par une subjectivation car la sémantique des nouvelles formes uni verbales cependant et pourtant s’est modifiée (délai > simultanéité > oppositif pour cependant ; causal > oppositif pour pourtant) en intégrant les points de vue d’énonciateurs distincts. Les changements formels sont accompagnés de changements sémantiques et pragmatiques. Au niveau pragmatique, en synchronie comme en diachronie, cependant et pourtant peuvent être employés pour représenter des événements. Dans ce cas, les événements sont soit mis en relation de contraste, soit ils sont opposés à une norme en vigueur dans une communauté culturelle. L’opposition au niveau de l’explicitation confronte des points de vue défendus par des énonciateurs distincts : dans ce cas, c’est le point de vue défendu par E2 qui est le plus fort. Enfin, au niveau de l’interaction, cependant rend compte du dynamisme de la formulation en indiquant une reconsidération de l’intervention précédente tandis que pourtant, en interaction, indique une opposition directe de E2 envers le point de vue défendu par E1.

––––––– 119

Voir la partie 7.5.2 Les connecteurs prépositionnels : une histoire de réanalyse.

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Pour les connecteurs parce que et pour cela (que), l’analyse diachronique a documenté que, dès leur emploi en ancien français, ils forment des unités exprimant la cause et la conséquence. La différence est que ce dans parce que n’est plus indexical tandis que cela dans pour cela (que) joue un rôle quant à l’identification du référent causal dans le contexte de gauche. Tandis que la signification de parce que comme connecteur causal est conventionnelle, celle de pour cela (que) est conversationnelle, car sa valeur consécutive dépend de son cotexte et du travail interprétatif de l’interlocuteur. Aussi, en raison de son sens causal conventionnalisé dont la portée syntaxique est définie, parce que peut être employé comme commentateur d’intervention ou connecteur marquant une prise de parole. Les éléments constitutifs de cependant, pourtant et parce que peuvent être considérés comme opaques. Ils forment une « nouvelle » paire forme-sens conventionnalisée exprimant une opposition ou une cause. Selon nous, la convention stable de la paire forme-sens favorise le déploiement d’emplois variés, sans que la paire forme-sens conventionnelle disparaisse. En effet, en synchronie, le connecteur prépositionnel parce que est employé comme jonction de subordination et parajonction. De même, cependant et pourtant fonctionnent comme des jonctions d’opposition mais également comme des parajonctions marquant la rectification. En conclusion, la subjectivation décrit non seulement le processus de réanalyse du syntagme prépositionnel en un connecteur dans une perspective cognitive, mais également le développement de fonctions qui impliquent le point de vue du locuteur et de l’interlocuteur lors de l’interprétation de nouvelles implicatures. En d’autres termes, le concept de subjectivation décrit, d’un point de vue cognitif, les variations fonctionnelles des connecteurs prépositionnels.

7.6 Conclusion Le septième chapitre avait pour objectif, par une analyse diachronique, d’affiner et de préciser la description des profils sémantiques et pragmatiques de connecteurs prépositionnels choisis : parce que et pour cela (que) d’un côté, cependant et pourtant de l’autre. Dans un premier temps, l’analyse diachronique documente des différences sémantiques et fonctionnelles. Ainsi, dès l’ancien français, les expressions parce que et pour cela (que) sont employées, en analogie à des expressions latines, comme des connecteurs aux valeurs sémantiques causale ou consécutive. Cependant et pourtant, en revanche, présentent une étape de figement et d’agglutination par réanalyse qui va de pair avec un retraitement sémantique. Avant d’exprimer une opposition, cependant avait une valeur sémantique temporelle de simultanéité, et pourtant une valeur sémantique causale. Au niveau des emplois, une même forme présente différentes fonctions selon les traditions discursives considérées. En effet, l’analyse diachronique documente le rôle central des traditions discursives quant à l’emploi de certaines formes et de certaines fonctions. Ainsi, cependant, issu de la tradition discursive distale juridique présente, par son regulans, un ancrage, toujours actuel, dans les textes de conception distale. De manière plus générale, dans la tradition discursive narrative les connecteurs, essentiellement employés

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en fonction de représentation argumentative, servent à établir une cohérence événementielle, ou mettent des déséquilibres en évidence. Dans la tradition discursive dialogique, les connecteurs considérés introduisent des arguments pour légitimer un point de vue, justifier un acte de langage, ou à l’inverse, introduire des jugements. L’analyse diachronique montre donc que les connecteurs prépositionnels sont polyfonctionnels. Au niveau syntaxique, nous avons décrit le passage de la préposition employée dans un syntagme prépositionnel (jonction d’incorporation) au connecteur (jonction d’unification, subordination, coordination, parajonction) comme une réanalyse. En effet, la comparaison de nos résultats avec les critères de grammaticalisation proposés par Lehmann (1995b) montre que ces derniers ne décrivent pas les changements fonctionnels des syntagmes prépositionnels de manière pertinente. La réanalyse, qui décrit la restructuration d’une expression, en revanche, saisit la différence centrale entre l’emploi comme jonction d’incorporation et les emplois en tant que connecteurs prépositionnels, c’est-à-dire l’élargissement de la portée connective à des structures phrastiques, propositions, parties de textes et actes de langage. En ce sens, nous considérons que c’est la réanalyse qui intègre les syntagmes prépositionnels au paradigme des connecteurs. Enfin, dans la dernière partie du chapitre, nous nous sommes interrogés sur les motifs relatifs aux variations et changements fonctionnels des connecteurs prépositionnels. En invoquant le concept cognitif de (inter)subjectivation, nous avons montré que les prépositions, en tant qu’introducteurs d’espaces mentaux, s’allient à des éléments expressifs pour former des connecteurs qui introduisent le point de vue d’un sujet soit dans la situation dont il parle, soit dans la situation dans laquelle il agit. Dans le présent travail, le phénomène de subjectivation n’est pas conçu comme un simple embrayeur d’une phase « préparatoire » à la réanalyse, mais nous avons montré qu’il est le moteur des variations d’emploi des connecteurs prépositionnels en diachronie et en synchronie. En conclusion, la subjectivation décrit, d’un point de vue cognitif, les variations fonctionnelles des connecteurs prépositionnels, c’est-àdire leur polyfonctionnalité.

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8 Conclusions et perspectives

Le but du présent travail était de décrire et de systématiser les profils sémantiques et pragmatiques des connecteurs prépositionnels employés dans différents genres textuels en synchronie et diachronie. Cet objectif va de pair avec la question de savoir pourquoi de « nouveaux » éléments linguistiques, à l’origine des syntagmes prépositionnels intègrent le paradigme des connecteurs ? Aussi, outre la description sémantique des connecteurs prépositionnels dans une langue particulière, en l’occurrence le français, notre étude s’interroge sur les règles discursives gérant l’adéquation des emplois des connecteurs selon les genres textuels. Ces normes discursives correspondent au savoir expressif, non-linguistique, ayant cependant des répercussions sur le choix des moyens linguistiques d’une langue particulière employés dans le discours. L’objectif de la description des profils sémantiques et pragmatique des connecteurs prépositionnels et l’éclairage des modèles d’emploi inhérents aux genres textuels ont légitimés l’approche empirique « corpus-driven ». Dans ce cadre, les connecteurs prépositionnels ont été analysés sans restriction de formes préalables dans quatre corpus synchroniques : Le Monde, Sciences, Sénat et Oral. L’analyse des connecteurs dans ces corpus, dont les propriétés sont complémentaires, a permis d’éclairer les profils sémantiques et pragmatiques des connecteurs prépositionnels dans des genres textuels très différents et livre ainsi une moyenne du potentiel d’emploi de ces connecteurs. Sur la base de ce corpus, et en dialogue avec la littérature, nous avons développé un modèle descriptif de catégories pragmatiques et sémantiques permettant de saisir de manière systématique et précise les fonctions et le sens des connecteurs prépositionnels aussi bien au niveau des types et que des tokens. En raison de la polyfonctionnalité des entités cohésives annoncée dans la littérature et confirmée par l’analyse de corpus, le présent travail a opté pour une définition large du terme connecteur. De cette manière, nous avons rendu compte de la diversité des emplois des connecteurs prépositionnels dans les textes. Par l’implémentation de la théorie des jonctions (cf. Ágel 2010 ; Ágel/Diegelmann 2010 ; Ágel 2012), nous avons défini les connecteurs prépositionnels comme des formes ayant la fonction d’une jonction (connecteur au sens étroit) ou d’une parajonction (marqueur discursif), c’est-à-dire comme des entités cohésives plus ou moins autonomes de leur cotexte ou contexte, situées à la surface du texte et réalisant une liaison entre deux connectes phrastiques. Les 146 types et 5066 tokens des connecteurs prépositionnels, documentés par l’analyse de corpus en synchronie, témoignent de la productivité des prépositions quant à la formation de connecteurs. En outre, l’évaluation quantitative a, par la formulation de tendance, dévoilé le noyau fonctionnel typique des connecteurs prépositionnels employés dans les diffé-

rents genres textuels, mais aussi l’affinité de certaines formes pour une tradition discursive déterminée. En ce sens, l’analyse de corpus a montré que les connecteurs prépositionnels contribuent de manière essentielle à la production de cohésion à la surface du texte par des techniques de structuration et/ou d’argumentation. Par ailleurs, les traditions du savoir expressif, comme héritage transmis de génération en génération, contiennent une composante historique. Pour cette raison, il est pertinent d’approfondir la perspective synchronique par une analyse ponctuelle de connecteurs choisis en diachronie. Pour ce faire, six textes, ancrés dans trois périodes historiques internes à la langue française, ont été pris en considération : La Chanson de Roland (vers 1095), les Coutumes de Beauvaisis (1283), La Farce de Maistre Pathelin (1465), La Deffence et illustration de la langue francoyse (1549), L’Avare (1668) et le Discours de la méthode (1663). Ces textes ont été choisis en raison de leurs points communs avec les genres textuels considérés dans l’étude synchronique. En ce sens, l’analyse diachronique complète et vérifie les résultats de l’analyse synchronique. A partir de ces six textes historiques, les changements et les variations sémantiques et fonctionnels des syntagmes prépositionnels intégrant le paradigme des connecteurs, ainsi que la constance ou fluctuation de traditions d’emploi ont été décrits. Bien que la synchronie soit le point de départ de la présente étude, la perspective diachronique complète la description des profils sémantiques et pragmatiques par une analyse ciblée de connecteurs choisis pour des raisons qualitatives : pour cela (que) et parce que d’un côté, et cependant et pourtant de l’autre côté. En résumé, l’analyse diachronique confirme notre définition de connecteur – comme jonction et parajonction – ainsi que la conceptualisation du modèle descriptif développé à partir de l’étude synchronique. D’un point de vue global, la présente étude montre que les connecteurs prépositionnels sont des éléments essentiels aux traditions discursives constitutives des genres textuels. Suite à ce résumé général du phénomène des connecteurs prépositionnels, abordons désormais les résultats concrets de chacun des chapitres. Dans le premier chapitre, les paramètres et options définitoires du phénomène connecteur ont été discutés. Sur la base de critères syntaxiques, sémantiques et pragmatiques, la définition de connecteur valable pour le travail a été déterminée. Dans le cadre notre approche linguistique textuelle, nous avons opté pour une définition large du concept connecteur qui englobe les emplois de formes appartenant aussi bien à la classe des jonctions (connecteurs au sens étroit) qu’à celle des parajonctions (marqueurs discursifs). En effet, l’approche syntaxique définit les connecteurs comme des éléments linguistiques liant des phrases ou des parties de textes : les connectes. En ce sens, les connecteurs participent à la cohésion textuelle en remplissant une fonction de connexité observable à la superficie du texte. En outre, la théorie des jonctions (Ágel 2010 ; Ágel/Diegelmann 2010 ; Ágel 2012) montre qu’au niveau syntaxique, les connecteurs intègrent leurs connectes avec une intensité variable. Le degré d’intégration varie selon le type (phrastique et non phrastique) et selon le nombre de connectes régis par le joncteur, c’est-à-dire le connecteur. En conséquence, les connecteurs sont des formes plus ou moins dépendantes de leur connectes. De l’intégration graduelle réalisée par les connecteurs découlent quatre classes de jonctions explicites et la classe des parajonctions localisées sur le continuum agrégatif-intégratif : 432

[+ agrégatif] parajonction, coordination, subordination, incorporation, unification [+ intégratif] La théorie des jonctions représente un apport central à la présente étude, car elle permet de localiser les prépositions, selon leur emploi typique comme tête d’un groupe nominal, au niveau de la classe des jonctions d’incorporation, classe située à proximité du pôle intégratif. À partir de ce point, il est possible d’observer sur le continuum agrégatif-intégratif, le déplacement effectué par le syntagme prépositionnel lors de son emploi comme connecteur. Outre cet avantage, la discussion entre la théorie des jonctions et la recherche sur les connecteurs, marqueurs et déictiques discursifs, a mis en question la pertinence du clivage entre les emplois des connecteurs prépositionnels ordonnés aux classes des jonctions (connecteurs au sens étroit) et, ceux s’inscrivant dans la classe des parajonctions (marqueurs discursifs). Dans ce cadre, nous avons montré que le concept parajonction peut aussi bien se référer aux marqueurs discursifs qu’à certaines fonctions de déictiques discursifs (par exemple l’énumération ; cf. Maaß 2010a), car ces deux phénomènes ont en commun l’exercice d’une fonction cohésive par rapport aux paramètres de la situation d’énonciation. La différence entre les jonctions et les parajonctions réside en ce que les premières sont plus dépendantes de leur cotexte linguistique, tandis que les secondes présentent une plus grande autonomie par rapport au cotexte mais une plus grande dépendance au contexte, c’est-à-dire à la situation d’énonciation. Le compte rendu de la recherche sur les entités cohésives ayant mis en évidence que les expressions productrices de connecteurs sont des entités polysémiques et polyfonctionnelles, nous avons donc opté pour une définition large du terme connecteur englobant les emplois comme jonction et parajonction afin de rendre compte de l’éventail fonctionnel et de la palette sémantique des connecteurs prépositionnels dans les textes. Au niveau sémantique, il est couramment admis que les connecteurs contribuent au sens du texte. Cette propriété sémantique nous a permis de délimiter la connexion explicite par rapport à l’asyndète ou juxtaposition. Ainsi, les connecteurs prépositionnels sont non seulement producteurs de cohésion, mais ils contribuent également à la cohérence textuelle et donc à la formation du sens du texte. Le compte rendu de la recherche a cependant documenté l’absence de consensus concernant la classification des valeurs sémantiques des connecteurs. Celles-ci varient en effet selon la perspective adoptée. Pour cette raison, la classification des valeurs sémantiques des connecteurs prépositionnels dans le présent travail est basée sur l’évidence de corpus. La discussion des propriétés pragmatiques a révélé la distinction courante de trois types ou niveaux d’emploi pour les jonctions (propositionnel, épistémique et illocutoire) et pour les parajonctions (propositionnel, textuel, intersubjectif). Le parallèle entre ces deux classifications de niveaux a confirmé la pertinence d’englober les emplois jonctifs et parajonctifs des connecteurs prépositionnels dans un même modèle. Cet aspect intégral du modèle a été nuancé par l’exigence de rendre compte des deux classes d’emploi – jonctions et parajonctions – ainsi que de la « zone grise » des emplois intermédiaires. Ainsi les connecteurs, dans notre approche linguistique textuelle, ont été définis comme des formes exerçant une fonction de connexion jonctive ou parajonctive entre des connectes. Sur la base de cette

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définition, les connecteurs contenant des prépositions ont été systématiquement annotés dans les corpus avec tag {C}. Dans le second chapitre, l’inventaire des prépositions considéré dans le présent travail a été délimité. Sur la base de critères essentiellement morphologiques, l’inventaire a été fixé aux trente-huit prépositions simples du français contemporain. Le second chapitre avait, en outre, pour tâche centrale de proposer une classification sémantique applicable l’ensemble de cet inventaire. Ainsi, notre étude se distingue ainsi des autres approches abordées dans le compte rendu de la recherche, la plupart d’entre elles étant fréquemment vouées à un groupe restreint de prépositions sélectionnées sur des critères morphosyntaxiques ou sémantiques qui présupposent une classification préexistante. Souvent, les études sémantiques des prépositions, qu’elles s’inscrivent dans une approche cognitive ou dans la théorie de la grammaticalisation, reposent sur le primat localiste. Notre étude, en revanche, se distingue de ces approches en proposant une classification sémantique applicable à la totalité de l’inventaire des prépositions simples du français contemporain. Pour ce faire, nous avons eu recours à la distinction entre les domaines d’emplois (variables) et les dimensions lexicales (relativement stables) couramment effectuée dans la recherche sur les déictiques (cf. Maaß 2010a). Sur la base des catégories sémantiques proposées par Schwarze (1988) pour les prépositions italiennes, cette distinction a permis de classifier les prépositions simples de l’inventaire en quatre dimensions organisées selon leur proximité conceptuelle : les prépositions grammaticales {PG}, les prépositions non-localisantes {PNL}, les prépositions localisantes temporelles {PT} et les prépositions localisantes spatiales {PS}. Les tags ({PG}, {PNL}, {PT}, {PS}) ont été appliqués de manière systématique aux connecteurs prépositionnels dans les textes. Au niveau de la classification de l’inventaire en dimension, une contrainte restreint l’apparition d’une préposition dans une dimension. Ce procédé garantit la maniabilité de l’annotation des prépositions contenues dans les connecteurs des corpus, et permet de mettre la dimension de la préposition en relation avec les catégories sémantiques et pragmatiques des connecteurs qu’elle forme (cf. chapitre 5 Les prépositions formatrices de connecteurs dans le corpus synchronique). De cette manière le type du connecteur a pu être décrit avec précision. Avec la théorie cognitiviste, non-localiste, des espaces mentaux (Fauconnier 1984 ; 1985/1994) les syntagmes prépositionnels ont été décrits comme des introducteurs d’espaces mentaux. D’après cette théorie, les syntagmes prépositionnels ont la propriété d’introduire des espaces mentaux qui prennent toujours appui sur un autre espace dont ils dépendent. En d’autres termes, les syntagmes prépositionnels introduisent et lient des espaces mentaux. L’instrumentalisation des espaces mentaux par la théorie de la deixis discursive (Maaß 2010a) a apporté un élément de réponse central à la question de la productivité des prépositions comme éléments formateurs de connecteurs. En effet, au niveau de la catégorie de l’élateur, qui désigne, sur le plan de l’inventaire, les éléments prenant en charge la mise en relief du référent, les prépositions apportent, en tant qu’éléments non-déictiques, des informations concernant le domaine de la relation et, selon leur contenu lexical, la nature du référent. Pour les connecteurs prépositionnels cela signifie que la préposition livre des informations relatives au domaine de la relation et à la nature des connectes. L’analyse suggère que plus la dimension de la préposition est abstraite ou grammati434

cale, plus l’apport sémantique est pris en charge par les éléments lexicaux avec lesquels elles forment le connecteur. Le rôle de la préposition « se limite » alors à l’introduction et à l’indication du domaine du nouvel espace mental. En revanche, plus la préposition est lexicale, plus elle détermine, outre le domaine, la nature des connectes mis en relation. En outre, une différence, interne aux dimensions prépositionnelles, a pu être constatée. Il semblerait que les prépositions localisantes soient principalement fréquentes dans les types déictiques discursifs de l’actualisation et de la détermination de position ; les prépositions grammaticales et non-localisantes, en revanche, joueraient un rôle prépondérant dans la formation complexe. Ces dernières sont donc fréquentes dans les encapsulations et dans les énumérations au niveau de la structuration et de l’articulation de référents complexes. Ces résultats soulignent la continuité entre les connecteurs (au sens étroit) et les déictiques discursifs et confirment la pertinence d’englober les emplois jonctifs et parajonctifs des connecteurs prépositionnels dans un même modèle. Le troisième chapitre est dédié à la justification et à la présentation de la méthode d’analyse employée pour la description des profils sémantiques et pragmatiques des connecteurs prépositionnels. Cette méthode se base sur trois couples terminologiques : l’analyse est effectuée en synchronie et diachronie, elle est quantitative et qualitative et considère les genres textuels et les traditions discursives (cf. Schrott 2006). Le rôle joué par ces termes complémentaires a cependant été pondéré. En effet, tandis que l’analyse en synchronie est aussi bien qualitative que quantitative, son approfondissement en diachronie est essentiellement qualitatif. Dans la troisième partie du chapitre, les concepts genre textuel et tradition discursive ont été définis et délimités afin d’assurer une analyse précise des emplois des connecteurs prépositionnels dans les corpus. Ces deux termes centraux à notre étude représentent deux grandeurs distinctes : tandis que le concept genre textuel a été favorisé, en raison de sa maniabilité, pour la formation du corpus en synchronie, le concept traditions discursives a permis d’affiner la description des emplois des connecteurs dans ces genres textuels et fonde la grandeur de comparaison pour la formation du corpus en diachronie. En synchronie, la constitution du corpus en quatre genres textuels permet d’obtenir un corpus équilibré et représentatif (cf. Lemnitzer/Zinsmeister 2006). Un tableau récapitulatif a montré que les corpus présentent des propriétés complémentaires livrant ainsi une coupe transversale de propriétés textuelles. L’évaluation du corpus synchronique est de type « corpus-driven » (Tognini-Bonelli 2001, 84s.) : la totalité des connecteurs prépositionnels a été annotée, sans sélection ou restriction préalable de certaines formes, d’où la légitimité de l’annotation manuelle. En effet, dans un premier temps, les connecteurs prépositionnels ont été annotés de tags manuellement. Ensuite, les annotations ont été évaluées de manière quantitative à l’aide d’un programme de concordance (AntConc 3.2.0w). La description des fonctions et des valeurs sémantiques des connecteurs prépositionnels a donc été intégrée à une analyse quantitative. De cette manière, pour chacun des corpus, nous avons documenté l’ampleur des formes employées, de leurs fonctions et de leurs valeurs sémantiques. L’organisation du corpus synchronique en genres textuels a, par ailleurs, permis de dévoiler les traditions discursives gérant les emplois des connecteurs prépositionnels. 435

Les textes historiques du corpus diachronique, quant à eux, ont été choisis en raison de leur correspondance avec les genres textuels et les traditions discursives des parties du corpus synchronique. Leurs propriétés ont été thématisés de manière plus détaillée dans le septième chapitre (7 De la préposition au connecteur : changements sémantiques et fonctionnels). La partie principale du troisième chapitre est consacré à la discussion du concept tradition discursive. Le terme tradition discursive désigne le confluent d’un savoir à la fois élocutif, individuel et historique. La tension entre historicité et individualité et, en particulier, les différentes interprétations du terme individualité ont occasionné, dans la recherche en linguistique romane, une vive discussion concernant la conceptualisation des traditions discursives et leur intégration dans le modèle des compétences langagières de Coseriu (1988/22007). D’abord, en vue de légitimer et de préciser le concept tradition discursive employé dans le présent travail, le modèle de Coseriu, sa restructuration par Koch (1997 ; 2008) et l’examen de ces modifications par Schrott (2006) et Lebsanft (2005), ont été exposés. Dans ce cadre, nous avons justifié notre adhésion au concept tradition discursive proposé par Schrott (2006). Celui-ci s’inscrit dans la tradition coserienne, et est défini comme un savoir traditionnel (historique) employé de manière individuelle (non-chorique) par les actants d’une communauté culturelle/discursive au niveau du discours. Ensuite, les propriétés des traditions discursives ont été thématisées afin de montrer leur apport quant à la description des connecteurs prépositionnels dans les textes. Dans ce cadre, des concepts centraux tels que ceux de locuteur et d’actant, de communauté linguistique et de communauté discursive ont été définis et comparés. Enfin, les implications respectives des traditions discursives et des langues particulières dans les changements discursifs et linguistiques ont été discutées. Ces réflexions aboutissent d’une part dans la hiérarchisation de traditions discursives pour chacun des genres textuels considérés, et d’autre part, dans la formulation de règles/normes discursives centrales à chacun des genres textuels (chapitre 6 Relation entre les connecteurs prépositionnels et le corpus et au chapitre 7 De la préposition au connecteur : changements sémantiques et fonctionnels). Le quatrième chapitre est dédié à la présentation et à la justification du modèle pragmatique et sémantique développé sur la base de l’évidence de corpus. Sa légitimité a été étayée par les résultats de la recherche sur les connecteurs et, en particulier, les résultats gagnés dans le premier chapitre. Afin de décrire les connecteurs prépositionnels de manière précise, le modèle distingue deux catégories : les catégories pragmatiques et les catégories sémantiques. Ces instruments permettent de saisir les fonctions et les valeurs sémantiques des tokens tout en assurant l’accès au niveau du type. La continuité déjà évoquée entre jonctions et parajonctions s’est vue confirmée par l’analyse de corpus. Pour cette raison, les fonctions ont été conceptualisées comme des entités complexes combinant deux paramètres : une action et une technique. La réunion des jonctions et parajonctions au sein d’un même modèle implique une base commune. Cette base est assurée par les trois types d’actions effectuées par les locuteurs lors de l’emploi d’un connecteur prépositionnel : la représentation, l’explicitation et l’interaction. Le modèle développé dans le présent travail, orienté

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sur les partenaires de communication, considère que lors d’une représentation, le locuteur est primairement observateur d’événements, de faits, entre lesquels il élabore des relations par un connecteur. Dans ce cas, le connecteur prépositionnel agit sur la représentation des faits, d’événements. Lorsqu’il effectue une explicitation, le locuteur agit sur la matière textuelle ; la technique employée joue alors un rôle primordial quant à la relation établie entre les connectes. Lors d’une interaction, le locuteur est commentateur d’interventions ; il agit sur ses propres contributions ou celles des interlocuteurs ; celles-ci peuvent être effectives ou potentielles. Ces trois actions fondent la base catégorielle commune aux jonctions et aux parajonctions. Cependant la description précise des connecteurs prépositionnels impose également la considération d’un paramètre distinctif : les techniques. Tandis que les actions effectuées par les parajonctions sont réalisées avec une technique structurante, les jonctions réalisent des actions avec une technique argumentative. La technique hybride ou complexe structurante argumentative est en mesure de rendre compte de la « zone grise » (cf. Koch/Oesterreicher 1990), c’est-àdire du caractère polyfonctionnel para-/jonctif des connecteurs prépositionnels. De même, au niveau des fonctions (action + technique), la représentation structurante et l’interaction argumentative ont être considérées pour des raisons pragmasémantiques et syntaxiques comme situées à l’intersection entre les classes jonctives et parajonctives. En conséquence, les fonctions nucléaires des deux classes ont été spécifiées : pour les jonctions ce sont la représentation argumentative {RA} et l’explicitation argumentative {EA}, et pour les parajonctions, l’explicitation structurante {ES} et à l’interaction structurante {IS}. Le modèle fonctionnel consiste donc, d’une part, en l’union de paramètres formateurs de catégories aptes à décrire les fonctions de jonctions et de parajonctions de manière à la fois globale et distinctive, tout en rendant compte des zones de chevauchement, et, d’autre part, en la conception de catégories basées sur la distinction d’actions effectuées par le locuteur impliquant le ou les interlocuteur(s). En ce sens, le modèle développé dans le présent travail se distingue des trois niveaux abstraits et peu maniables considérés dans la recherche sur les connecteurs et les marqueurs : propositionnel, épistémique et acte de langage pour les jonctions et, propositionnel, textuel et (inter)subjectif pour les parajonctions. De plus, la présente étude propose de déterminer les emplois des connecteurs prépositionnels selon leur fonction dominante, composée d’une catégorie d’action (représentation, explicitation et interaction) réalisée avec une technique simple (structurante ou argumentative) ou complexe (structurante argumentative). L’analyse de corpus montre que le modèle, avec ses neuf fonctions, est un instrument efficace quant à la description des profils pragmatiques des connecteurs dans les textes. Dans la section 4.5 Catégorisation sémantique des connecteurs prépositionnels, douze catégories sémantiques ont été distinguées sur la base de l’évidence de corpus. Cet inventaire restreint de catégories combinables est apte à saisir de manière précise et tranchante les valeurs sémantiques des connecteurs employés. Toutes les catégories fonctionnelles ne sont cependant pas couplées d’une annotation correspondant à une catégorie sémantique. En effet, tandis que les connecteurs employés en action de représentation (situation dont on parle) ou d’explicitation (situation dans laquelle on parle) sont pourvus d’une valeur sémantique, les connecteurs prépositionnels exerçant une interaction se voient attribués une valeur procédurale. 437

L’organisation des catégories sémantiques en classe localisante et non-localisante permet, en outre, d’établir une correspondance avec les techniques structurante et argumentative. Enfin, l’analyse de corpus a révélé que les connecteurs prépositionnels employés dans les textes, présentent fréquemment des lectures complexes. Afin de rendre compte de cette spécificité, les tokens à lecture complexe ont été annotés de deux, voire de trois tags, reflétant l’entrée en jeu de plusieurs valeurs sémantiques. Le cinquième chapitre se focalise sur l’élément prépositionnel du connecteur. L’objectif du chapitre était de donner une vue d’ensemble des prépositions contenues dans les connecteurs détectés lors de l’analyse de corpus en français contemporain. L’évaluation systématique des annotations a permis de contraster la productivité des prépositions selon leur ancrage dimensionnel. Au niveau des types, les prépositions grammaticales sont les plus productives, suivies des prépositions non-localisantes, spatiales et temporelles. Autrement dit, les prépositions plus abstraites ou moins sémantiques sont plus productives que ne le sont les prépositions ayant une valeur sémantique plus concrète. Au niveau des prépositions localisantes, les prépositions spatiales sont cependant plus productives que ne le sont les prépositions temporelles. L’analyse des tokens présente une image similaire. Dans les corpus, les connecteurs contenant des prépositions grammaticales sont les plus fréquents, suivent les connecteurs contenant des prépositions non-localisantes. Les connecteurs contenant des prépositions appartenant à la dimension localisante, qu’elles soient temporelles ou spatiales, sont plus rares. Ensuite, les éléments avec lesquels les prépositions forment des connecteurs ont été classifiés selon des critères syntaxiques (conjonction, adverbe, groupe nominal, verbe et préposition) et sémantiques (élément métalinguistique, localisant, scalaire, déictique et autre). L’image qui ressort de l’analyse est la suivante : les prépositions grammaticales favorisent clairement les groupes nominaux, les prépositions nonlocalisantes ont une affinité avec les groupes nominaux et les conjonctions, les prépositions temporelles forment essentiellement des connecteurs avec des adverbes ou des conjonctions, enfin, les prépositions spatiales favorisent les groupes nominaux. Au niveau des catégories sémantiques, les prépositions grammaticales privilégient les groupes nominaux dont la valeur est localisante ou métacommunicative, les prépositions non-localisantes ont une affinité avec les expressions métacommunicatives et les déictiques, les prépositions temporelles avec les déictiques, et enfin, les prépositions spatiales favorisent les déictiques et des éléments localisants. De manière générale, les éléments syntaxiques privilégiés par les prépositions sont tout d’abord les groupes nominaux, ensuite les conjonctions, puis les adverbes. Au niveau sémantique, les prépositions forment des connecteurs préférentiellement avec des éléments métacommunicatifs, localisants, et des déictiques. De plus, l’analyse documente des différences frappantes au niveau des profils sémantiques et pragmatiques des connecteurs en fonction de la dimension de la préposition qu’ils contiennent. Les connecteurs contenant des prépositions de dimension grammaticale et non-localisante présentent, avec neuf fonctions, l’éventail fonctionnel le plus déployé. Les connecteurs contenant une préposition localisante

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en revanche présentent un éventail plus restreint : les connecteurs, dont la préposition est de dimension temporelle, recouvrent huit des neuf catégories fonctionnelles, et, pour les connecteurs avec une préposition spatiale, six des neuf fonctions ont été détectées dans le corpus synchronique. Au niveau sémantique, les connecteurs contenant une préposition grammaticale présentent aussi bien des valeurs simples, localisantes et non-localisantes, que doubles. Les connecteurs contenant une préposition non-localisante présentent une palette de valeurs sémantiques plus restreinte, et les lectures doubles sont plus rares. La particularité de ces connecteurs réside en l’expression de relations principalement argumentatives. Les connecteurs contenant une préposition temporelle présentent, avec sept des douze catégories, une palette de valeurs sémantiques plutôt restreinte. Hormis la catégorie opposition, ces connecteurs sont plutôt ancrés dans le domaine localisant. Les connecteurs contenant une préposition temporelle présentent fréquemment des lectures complexes doubles ou triples, associant ainsi des valeurs localisantes à des valeurs non-localisantes. Les connecteurs contenant une préposition spatiale expriment, conformément à leur dimension, des relations localisantes ; ils présentent également des lectures doubles, mais celles-ci sont moins fréquentes qu’elles ne l’étaient pour les connecteurs dont la préposition est de dimension temporelle. Ces résultats confirment que la préposition, comme partie de l’élateur, contribue à la détermination de la relation instaurée. Concernant la productivité des dimensions prépositionnelles, bien que l’analyse de corpus ne documente pas tous les types, les prépositions grammaticales et temporelles sont toutes en mesure de former des connecteurs. L’inventaire des prépositions spatiales et non-localisantes, en revanche, connaît quelques exceptions. Dans ce cadre, des hypothèses relatives aux restrictions obstruant la formation de connecteurs ont été formulées : pour les prépositions de ces deux dimensions, il semblerait qu’un ancrage exclusivement spatial, la transparence du lexème d’origine (spatiale) et la spécialisation d’emploi (par exemple, au niveau de la sélection du site ou dans une variété) limitent la formation de connecteurs. En résumé, l’analyse de corpus synchronique documente la tendance suivante : plus la préposition est concrète, plus la diversité des fonctions exercées par les connecteurs qui la contiennent est restreinte, en revanche, plus la préposition est abstraite, plus l’éventail pragmatique de ses connecteurs est déployé. Cependant, le degré de concrétude de la préposition n’a pas nécessairement d’influence sur le domaine d’action des connecteurs : les connecteurs contenant une préposition temporelle sont certes préférentiellement employés avec la catégorie de représentation, mais les connecteurs, dont la préposition est de dimension spatiale, favorisent les relations d’explicitation. Néanmoins, la préposition vectrice a, en raison de son appartenance dimensionnelle, une influence au niveau de la sélection de l’élément supplémentaire, et des profils sémantiques et pragmatiques des connecteurs qu’elle forme. La préposition livre donc des informations relatives à la nature de la relation entre les connectes. Le sixième chapitre (Relation entre les connecteurs prépositionnels et le corpus) expose de manière détaillée les résultats de l’analyse du corpus synchronique. L’objectif de ce chapitre était d’une part, de décrire l’empreinte textuelle spécifique

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des connecteurs prépositionnels, et, d’autre part, de formuler des hypothèses quant aux règles traditionnelles discursives gérant leurs emplois. Les parties de ce chapitre sont respectivement vouées aux quatre parties de corpus et présentent une articulation interne similaire. Dans un premier temps, les propriétés des genres textuels analysés ont été abordées. Ensuite, les profils fonctionnels et sémantiques des connecteurs prépositionnels ont été présentés. Enfin, les emplois de connecteurs prépositionnels, centraux au genre textuel considéré, ont été examinés de manière détaillée. L’ordre de présentation des résultats de l’analyse de corpus s’est orienté à la fréquence croissante des connecteurs prépositionnels dans chacun des genres textuels. L’évaluation du corpus Le Monde ouvre la présentation des résultats, suivent les corpus Sciences, Sénat et Oral. Ce classement montre que les connecteurs prépositionnels sont moins fréquents dans les corpus de médium écrit qu’ils ne le sont dans les corpus de médium oral, et cela, indépendamment de leur conception distale ou proximale. Le corpus d’articles de presse informatifs, Le Monde, contient plus petite fréquence de connecteurs prépositionnels. Étant donné que la présence d’un connecteur traduit toujours le point de vue d’un observateur sur les événements ou états de choses mis en relation, nous avons émis l’hypothèse que la faible fréquence de connecteurs prépositionnels dans ce corpus est régie par la règle discursive d’objectivité. Au niveau des fonctions, dans Le Monde, toutes ont été détectées. Les trois fonctions dominantes sont la représentation argumentative, la représentation structurante et l’explicitation structurante. La prépondérance de la fonction de représentation argumentative peut paraître surprenante dans une tradition discursive objectiveinformative. C’est pourquoi, dans un premier temps, cet emploi a été interprété comme une transgression de la règle d’objectivité. Cependant, les actants semblent tenir compte de cette règle en mobilisant fréquemment des connecteurs prépositionnels d’origine temporelle. De cette manière les locuteurs introduisent un point de vue de manière discrète. Cette tendance se trouve renforcée par l’emploi marquant de doubles lectures en fonction de représentation structurante argumentative {RSA}, qui, au niveau sémantique associent une catégorie sémantique localisante à une catégorie non-localisante. Dans ce cas, les connecteurs tels que avant que ou après que confèrent, outre une localisation temporelle, une orientation argumentative, par exemple causale, aux événements relatés. Dans le corpus Le Monde, la catégorie sémantique prépondérante est l’opposition. Dans ce cas, les connecteurs prépositionnels mettent le déséquilibre d’un système politique ou des injustices sociales en évidence. La relation de causalité, quant à elle, est essentiellement réalisée avec parce que, connecteur dont le sens causal est conventionnel mais non transparent. La fonction de représentation structurante permet d’organiser les événements et les faits relatés, s’inscrivant ainsi dans la norme objective de la tradition journalistique informative. Les textes de la presse informative étant fortement normés au niveau de l’organisation, l’exécution de la fonction d’explicitation structurante est peu contrastée. Elle est essentiellement prise en charge par des connecteurs appartenant à la catégorie de l’addition tels que par ailleurs, surtout et d’ailleurs. Dans le corpus des articles scientifiques de spécialité Sciences, nous nous attendions, en raison de la règle de clarté centrale à la tradition discursive scientifique, à trouver une fréquence de connecteurs prépositionnels située au-delà de la moyenne des corpus. Les résultats de l’analyse se situent cependant légèrement en deçà de 440

cette moyenne. Par ailleurs, l’évaluation documente de nettes différences entre les parties de corpus. Les parties de corpus Mathématique et ALSIC ont un nombre de connecteurs prépositionnels quasi égal à la moyenne, tandis que le corpus Chirurgie présente une fréquence bien en deçà. Cette différence se poursuit au niveau des catégories fonctionnelles et sémantiques. Dans le corpus Mathématique, la fonction « économique » d’explicitation structurante argumentative est privilégiée. Dans les corpus ALSIC et Chirurgie, les connecteurs prépositionnels sont essentiellement employés avec la fonction d’explicitation structurante. Au niveau sémantique, la cooccurrence des catégories de conséquence et d’actualisation est récurrente dans le corpus Mathématique. Les doubles lectures assurent l’actualisation des résultats découlant d’opérations ou de résultats précédents. Dans le corpus ALSIC, l’addition prévaut sur l’opposition, et enfin, dans le corpus Chirurgie, l’addition est la catégorie la plus fréquente. En raison de leur faible fréquence, les autres catégories peuvent être considérées comme périphériques. Malgré ces différences internes, l’évaluation quantitative a dévoilé un nucléus commun de trois fonctions :  l’explicitation structurante argumentative {ESA} ;  l’explicitation structurante {ES} ;  la représentation argumentative {RA}. Avec la fonction d’explicitation structurante argumentative {ESA}, les connecteurs prépositionnels ajoutent de manière économique, par la combinaison de deux techniques, des arguments ou/et actualisent des conclusions. Les connecteurs prépositionnels en fonction d’explicitation structurante {ES} répondent à la règle de clarté en articulant la matière textuelle de manière explicite. Les connecteurs prépositionnels en fonction de représentation argumentative {RA} pointent du doigt des différences, confrontent les faits observés, et motivent des choix méthodiques. Dans le corpus Sciences, la propriété de la technique argumentative peut être précisée : avec l’action d’explicitation, elle est employée dans un but épistémique. En d’autres termes, dans le corpus Sciences, le locuteur cherche à convaincre la communauté scientifique de la validité de son raisonnement essentiellement par l’addition d’arguments et par l’actualisation de conclusions. Par ailleurs, pour toutes les parties de ce corpus, l’évaluation a montré que la catégorie de causalité joue un rôle moins central que généralement admis (cf. Thielmann 2009). L’addition et la conséquence y sont, en revanche, les catégories sémantiques prépondérantes. Dans le corpus Sciences, le raisonnement est donc plus déductif qu’inductif, ce qui le distingue du Discours de la Méthode, considéré dans le corpus historique. L’évaluation du corpus Sénat a donné cours à une discussion du statut des débats parlementaire sur le continuum proximal-distal ainsi que de leur ancrage dans le médium oral et écrit. Malgré « l’épuration » des comptes rendus de particules typiques du discours oral, les interpellations témoignent du caractère spontané du discours parlementaire sinon formalisé. L’analyse des interpellations montrent que les connecteurs prépositionnels, employés avec l’action d’interaction ou d’explicitation, jouent un rôle stratégique central. L’élargissement de l’analyse au cotexte suivant l’interpellation a permis de distinguer deux types formels d’emploi : soit les connecteurs prépositionnels introduisent l’interpellation, soit ils la suivent immédiatement. Lorsqu’ils introduisent une interpellation, les connecteurs préposi-

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tionnels permettent aux locuteurs de certifier la pertinence de leur prise de parole. Dans ce cas, les connecteurs se rapportent directement à l’intervention qu’ils interrompent ou complètent. De cette manière, les locuteurs légitiment le bienfondé de leur intervention, et prennent position par rapport à la contribution précédente. En revanche, lorsque le connecteur prépositionnel suit une interpellation, le locuteur « officiel » prend soit position par rapport à l’interpellation précédente, soit il marque, par l’emploi du connecteur, qu’il ignore sciemment l’interpellation en poursuivant le cours de son raisonnement. Les connecteurs prépositionnels apparaissent comme des candidats privilégiés quant à la réalisation de ces stratégies basées sur la règle discursive de pertinence dictant aux actants d’authentifier le bien-fondé de leurs interventions. Dans le corpus Sénat, la fréquence des connecteurs prépositionnels est égale à la moyenne des corpus. Les trois fonctions récurrentes sont l’explicitation argumentative, suivie de l’explicitation structurante argumentative, et enfin, de l’explicitation structurante. En conséquence, dans le corpus Sénat, l’action d’explicitation joue un rôle important et témoigne de la prépondérance de la règle de clarté gérant les emplois des connecteurs prépositionnels qui travaillent la matière textuelle. La fréquence des connecteurs prépositionnels à composante métadiscursive, dont le degré de transparence est élevé (par exemple : c’est la raison pour laquelle), souligne ce constat. Dans le corpus Sciences, la règle économique jouait un rôle important quant aux emplois des connecteurs. Dans le corpus Sénat, en revanche, la réalisation de la règle de clarté est liée à un coût de formulation élevé comme en témoigne la fréquence et la qualité transparente des formes connectives employées. Dans ce corpus la règle de clarté prévaut sur la règle économique. Au niveau des techniques, l’argumentation domine. Celle-ci se distingue toutefois de l’argumentation épistémique du corpus Sciences. En effet, dans le corpus Sénat, l’argumentation a été caractérisée d’éthico-déontique, car les locuteurs agissent dans le discours pour convaincre leurs interlocuteurs du bon sens ou du non-sens des propositions et des points de vue discutés. Par ailleurs, les locuteurs plaident en faveur de la réalisation d’actions concrètes : l’adoption ou le rejet de propositions de loi et d’amendements par un vote. Dans le corpus Sénat, de même que dans les corpus de médium écrit et de conception distale Le Monde et Sciences, la catégorie sémantique d’addition joue un rôle prépondérant. Toutefois, le corpus Sénat se distingue des autres corpus par la fréquence élevée de la catégorie conséquence. Les connecteurs prépositionnels appartenant à cette catégorie introduisent les conclusions issues d’un raisonnement antérieur. Ces conclusions explicitement marquées sont des jugements éthicodéontiques qui consistent soit en l’adhésion ou refus d’une thèse, soit en des appels à l’action. Le corpus Oral présente le nombre le plus élevé de connecteurs prépositionnels. La distinction entre les emplois jonctifs, parajonctifs et intermédiaires a permis de dresser un portrait plus nuancé : 45,2 % des emplois se situent dans la « zone grise », les usages appartenant à la classe des parajonctions représentent 29,2 %, et 25,6 % des connecteurs sont employés comme des jonctions. La « zone grise », qui touche essentiellement la fonction d’interaction argumentative, témoigne du fait que les connecteurs prépositionnels conventionnellement employés comme des jonctions sont, dans le corpus Oral, employés comme des parajonctions. 442

La fonction la plus fréquente est l’interaction structurante {IS}, suivie de l’interaction argumentative {IA} et de la représentation argumentative {RA}. L’interaction structurante argumentative {ISA} joue également un rôle non négligeable au sein de ce corpus. Cette liste montre que l’interaction est l’action récurrente dans le discours oral dialogique spontané. Aussi, dans cette partie, les trois fonctions, déjà abordées dans le chapitre 4.1 Les catégories fonctionnelles des connecteurs prépositionnels, ont pu être précisées :  en fonction d’interaction structurante {IS}, le connecteur prépositionnel signale une extrémité de l’intervention ;  en fonction d’interaction argumentative {IA}, le connecteur prépositionnel témoigne de l’élaboration discursive en cours ;  en fonction d’interaction structurante argumentative {ISA}, le connecteur prépositionnel signale une extrémité de l’intervention tout en authentifiant le travail de formulation. Ces fonctions, ayant en commun l’action d’interaction, reflètent le besoin des locuteurs de rendre leurs interactions cohésives et cohérentes. C’est pourquoi, la règle centrale qui gère les emplois des connecteurs prépositionnels peut être formulée en termes griciens comme la « maxime de relation » dictant aux locuteurs de « parler à propos ». Afin de satisfaire cette règle centrale au discours oral proximal, les interactants ont recours à des moyens linguistiques qui, dans le cas des connecteurs prépositionnels, sont dotés de fonctions et de sens conventionnels. Ainsi, le connecteur parce que, dont l’usage conventionnel appartient à la classe des jonctions de subordination, est employé, dans le corpus Oral, comme une parajonction marquant un commentaire ou légitimant une prise de parole. Ce procédé témoigne du maniement économique du matériel linguistique, typique pour le discours oral dialogique de proximité. En effet, l’analyse détaillée du connecteur prépositionnel parce que a montré que le discours oral dialogique proximal ne se limite pas aux emplois conventionnels de forme-fonction respectant les limites des parties du discours. Au contraire, les formes grammaticales, comme parce que, constituent un réservoir de moyens auxquels les locuteurs ont recours afin de pallier les contraintes de l’interaction en temps réel. Ce résultat s’inscrit dans la conception de la grammaire interactionnelle de la conversation proposée par Gülich et Mondada (2008). Au niveau des techniques, le profil des connecteurs dans le corpus Oral est avec 47,9 % nettement argumentatif. Les deux autres techniques se répartissent de manière équilibrée. Au niveau sémantique, le corpus Oral se distingue clairement de Sciences et de Sénat : la cause est la catégorie prépondérante, suivie de l’addition et de l’opposition. En résumé, l’analyse du corpus synchronique a montré que les profils sémantiques et pragmatiques des connecteurs prépositionnels varient selon les genres textuels. Plus précisément, ils répondent aux exigences respectives des traditions discursives formatrices de ces genres textuels. Les traditions conditionnent d’une part, la fréquence d’emploi des connecteurs prépositionnels et, d’autre part, les fonctions et valeurs sémantiques dominantes. Les connecteurs prépositionnels sont donc des éléments linguistiques appartenant à une langue particulière que les locuteurs agencent dans leur discours afin de s’exprimer de manière individuelle (non-

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chorique) mais altruiste. En d’autres termes, conformément aux exigences de la tradition dans laquelle ils agissent, les locuteurs choisissent et agencent les connecteurs pour être compris, mais aussi, pour être accepté par les autres membres de la communauté discursive. Les connecteurs sont donc des éléments constitutifs de traditions discursives. Le septième et dernier chapitre opte pour une perspective diachronique. L’objectif de ce chapitre était d’une part, de retracer les étapes de changements syntaxiques, sémantiques et pragmatiques centrales à l’évolution de connecteurs prépositionnels choisis, et, d’autre part, d’inscrire les résultats de l’analyse synchronique et diachronique dans le cadre plus général des théories traitant des changements linguistiques et de la polyfonctionnalité. Pour ce faire, dans l’introduction, l’apport de la perspective diachronique quant à l’éclairage d’emplois opaques a été légitimé. À l’exemple du connecteur alors, nous avons montré qu’un emploi peut transparaître de manière diaphane dans certaines traditions discursives. En effet, dans la tradition discursive journalistique informative, ce connecteur a développé un emploi alliant la catégorie sémantique d’opposition à celle de causalité. Ensuite, les six textes historiques ont été présentés et mis en relation avec les traditions discursives inhérentes aux genres textuels du corpus synchronique. Le corps du chapitre s’articule en deux parties : deux groupes de connecteurs prépositionnels, parce que et pour cela (que) d’un côté, pourtant et cependant de l’autre, ont été analysés à partir des résultats obtenus lors de l’étude en synchronie. L’analyse contrastive de parce que et pour cela (que) montre que, dès l’ancien français, les expressions prépositionnelles, en analogie aux expressions latines, sont employées comme des connecteurs. De plus, l’histoire des deux connecteurs prépositionnels est marquée par la constance des valeurs sémantiques complémentaires de cause et de conséquence. Au niveau pragmatique, en revanche, les connecteurs réalisent différentes actions de liage. Le résultat central de cette analyse est que les différents emplois d’un même connecteur, c’est-à-dire sa polyfonctionnalité – semblent moins liés à son évolution dans le temps, mais aux traditions discursives constitutives des genres textuels. L’histoire de ces connecteurs prépositionnels est moins caractérisée par des changements fonctionnels, que par un éventail de fonctions qui cohabitent les unes à côté des autres. Ainsi, dans les séquences de traditions narratives, parce que et pour cela (que) mettent en relation des événements et des faits observés par le locuteur. Dans les plaidoyers et les séquences dialogiques, les connecteurs introduisent soit des preuves légitimant un jugement, soit des conclusions déduites d’un raisonnement situé dans le cotexte de gauche du connecteur. De ce résultat, nous avons conclu que la tradition discursive dialogique favorise, par son dynamisme, la fonction d’explicitation argumentative. De plus, à l’image de son profil en synchronie, le connecteur parce que présente dans le corpus diachronique un emploi qui lui est propre et le distingue de pour cela (que). En effet, dans La Deffence, parce que est employé comme connecteur introduisant le commentaire d’un propos précédent. En français contemporain, cette procédure de commentaire est particulièrement fréquente dans les textes proximaux de médium oral (corpus Oral) et témoigne du caractère dynamique et

444

spontané de la tradition discursive dialogique où les locuteurs analysent, reconsidèrent et retraitent leurs interventions. L’inégalité de l’éventail fonctionnel déployé par pour cela (que) et parce que a été imputée à leurs différences syntaxique, sémantique et pragmatique. L’analyse a en effet montré que cela, dans pour cela (que), est un déictique en fonction indexicale, ce qui n’est plus le cas de ce dans parce que. Le ce catadéictique dans parce que semble uniquement renforcer l’intégration du connecte de droite, déjà dans la portée du complétif. De ce fait, nous avons émis l’hypothèse que l’opacité fonctionnelle et sémantique des éléments qui composent parce que et son sens causal conventionnel ont favorisé le développement d’implicatures conversationnelles comme celle du commentaire d’intervention. L’analyse des connecteurs d’opposition cependant et pourtant, dans le corpus diachronique, narre une toute autre histoire. Tandis que l’histoire sémantique et fonctionnelle des connecteurs parce que et pour cela (que) est marquée par sa constance, celle de cependant et de pourtant est remplie de péripéties. L’évolution de l’expression adverbiale cependant est particulièrement intéressante, car l’analyse diachronique documente l’émergence des emplois de cependant en ancien français, en analogie à ses emplois en latin, dans la tradition discursive juridique. La particularité de l’évolution de cependant réside en un élargissement du regulans spécifique à la tradition discursive distale juridique à d’autres traditions discursives telles que celle des dialogues et de la narration littéraires ou des monologues scientifiques. Ce regulans, gérant les emplois de cependant dans le domaine distal, est toujours actif comme en a témoigné l’évaluation du corpus synchronique. Avec l’élargissement de son regulans à d’autres traditions discursives, la valeur sémantique de cependant devient moins spécifique et donc plus générale : partant de l’expression de délai dans les textes juridiques, cependant exprime ensuite la simultanéité, pour ensuite arriver à l’expression d’une opposition. De plus, ce changement sémantique est marqué par l’intégration du sujet/des sujets dans la mise en relation : cependant, qui indiquait la présence d’un observateur constatant la simultanéité de deux événements, devient un connecteur polyphonique, metteur en scène de deux points de vue pris en charge par des énonciateurs distincts. Les différentes fonctions de cependant, basées sur l’expression d’une opposition, peuvent être précisées selon les propriétés des énonciateurs orchestrés. Ainsi, lorsque les points de vue pris en charge par les énonciateurs correspondent à différentes perspectives locale ou temporelles, l’opposition consiste en l’expression d’un contraste ou d’un déséquilibre au niveau de la représentation argumentative des événements. En revanche, lorsque les énonciateurs correspondent à des locuteurs distincts prenant en charge des points de vue qui résident en des thèses, il s’agit alors d’un retournement de jugement, et l’opposition se situe au niveau de l’explicitation argumentative. Enfin, lorsque les énonciateurs, dans la situation d’énonciation, correspondent à un seul et même locuteur, les énonciateurs se voient attribués par cependant des rôles distincts (maître de maison vs. amant pour Harpagon dans L’Avare). Le connecteur effectue alors une rectification, et l’opposition se situe au niveau de l’interaction argumentative. A l’image des connecteurs pour cela (que) et parce que, il semble que les fonctions de cependant varient selon la tradition discursive. Ainsi, dans une narration, cependant exprime essentiellement un contraste ou un déséquilibre. Dans un plaidoyer ou un dialogue, le connecteur marque un retournement de jugement. Et, dans les traditions

445

monologiques, l’usage de cependant impose une reconsidération et une correction de l’intervention précédente. Pourtant est, quant à lui, passé du domaine causal au domaine oppositionnel. L’analyse de ses composantes montre que la particularité de pourtant réside en sa valeur expressive évaluative conférée par l’expression quantitative ou scalaire de tant. Comparé au déictique producteur de saillance ce, l’élément expressif de cependant, le superlatif tant confère au connecteur pourtant un profil plus expressif. La composante évaluative-subjective a des répercutions quant à l’usage de pourtant dans la tradition discursive scientifique en français contemporain pour laquelle la règle d’objectivité est essentielle. De plus, l’histoire de pourtant a révélé que le connecteur était fréquemment employé dans des contextes négatifs avec une négation syntaxiquement réalisée, avant que celle-ci, telle est notre hypothèse, ait été intégrée à son sens conventionnel. La considération de la négation, sous la loupe de la théorie de la polyphonie, montre qu’il s’agit du moyen linguistique par excellence mettant en scène différents points de vue pris en charge par des énonciateurs distincts. Nous sommes d’avis qu’avec la conventionnalisation de la négation dans le sens de pourtant, le connecteur devient polyphonique. Son profil réside en la mise en scène d’énonciateurs qui prennent en charge la représentation d’événements, de normes et de thèses, ou, dans la tradition discursive dialogique, d’actes de langage. Dans la dernière partie du septième chapitre, les résultats de l’analyse synchronique et diachronique ont été comparés aux critères de grammaticalisation, de réanalyse, et de (inter)subjectivation. Dans ce cadre, nous avons montré que les critères de grammaticalisation, tels qu’ils ont été définis par Lehmann (1995b), ne sont pas en mesure de rendre compte des propriétés centrales des syntagmes prépositionnels employés comme connecteur. En effet, trois propriétés capitales doivent être considérées :  l’absence de réduction formelle, mais une restructuration par un figement et/ou une agglutination des éléments ;  l’augmentation de la portée syntaxique ;  la forte cohésion des éléments au sein de l’expression, mais différents degrés d’intégration des éléments du co(n)texte. De fait, les prépositions introduisant un groupe nominal ont été localisé sur le continuum agrégatif-intégratif au niveau des jonctions d’intégration. Or, pour les connecteurs prépositionnels considérés dans l’analyse diachronique, seul pour cela (que) se dirige, en tant que jonction unificative, vers le pôle intégratif. Les autres connecteurs, en revanche, se déplacent de l’incorporation vers le pôle agrégatif : parce que peut être employé comme subordination ou parajonction, pourtant et cependant comme coordination ou parajonction : parajonction < coordination < subordination < incorporation > unification Pour ces raisons, il est pertinent de considérer l’intégration d’un syntagme prépositionnel au paradigme des connecteurs comme une réanalyse : les syntagmes prépositionnels employés comme connecteurs connaissent une restructuration de leurs composantes sans changement formel profond. Selon nous, la réanalyse décrit l’emploi de syntagmes prépositionnels comme connecteurs. Ce résultat a été ensuite recontex-

446

tualisé dans une perspective pragmatique afin de rendre compte des stratégies discursives motivant l’emploi « connectoriel » de syntagmes prépositionnels. L’emploi « connectoriel » de syntagmes prépositionnels par les locuteurs n’est pas motivé par le besoin de produire de nouvelles expressions grammaticales (cf. Detges 1999). Elle témoigne bien plus d’un besoin expressif des locuteurs. Dans ce cadre, nous avons entrepris la distinction entre deux concepts : l’expressivité et la subjectivité. L’expressivité désigne une « forte implication émotionnelle » du locuteur (Koch/Oesterreicher 1996, 68s.), tandis que les termes subjectivité et la subjectivation font respectivement références à la présence et au processus d’intégration du/des sujet(s) dans le discours. Cette distinction a dévoilé le fait que les prépositions forment essentiellement des connecteurs avec des éléments expressifs :  des adverbes quantitatifs ou scalaires, dont la fonction est de donner une évaluation (pourtant, surtout)  des déictiques, dont la fonction est de rendre un élément textuel saillant (cependant, pour cela [que])  des substantifs, dont la fonction métacommunicative certifie un processus abstrait (par exemple, en conséquence, en conclusion) La réanalyse des syntagmes prépositionnels ne rend pas compte de leurs différentes fonctions en tant que connecteurs, c’est pourquoi nous nous sommes distancés de la théorie de la (inter)subjectivation considérée comme une phase limitée, prémisse d’une grammaticalisation (cf. Marchello-Nizia 2006). En effet, sur la base des résultats livrés par la présente étude, force est de constater que les syntagmes prépositionnels intégrés aux paradigmes des connecteurs, peuvent présenter différents emplois – en synchronie comme en diachronie – pour lesquels le processus de (inter)subjectivité joue un rôle moteur. Pour conclure, sur la base de ce résumé des résultats obtenus par la présente étude, nous souhaitons répondre de manière ciblée à la question centrale, posée au début du travail, concernant les raisons qui motivent l’intégration de syntagmes prépositionnels, au paradigme des connecteurs. La présente étude a montré que la préposition, en tant qu’élément non déictique de l’élateur, livre des informations concernant le domaine et la nature de la relation et des connectes, elle introduit un nouvel espace mental avec un élément expressif témoignant de l’implication subjective du locuteur qui donne son point de vue soit sur le contenu de la situation dont il parle, soit en l’intégrant à la situation d’énonciation dans laquelle il agit. C’est pourquoi la préposition est un élément privilégié quant à la formation de connecteurs. Ces résultats peuvent contribuer aux recherches dans différents : la recherche sur les connecteurs, les déictiques en fonction indexicale et non-indexicale, les prépositions, et les traditions discursives. En effet :  la présente étude a démontré la productivité des prépositions dans la formation de connecteurs, objet de recherche auparavant traité de manière ponctuelle et périphérique ;  la distinction entre domaine d’emploi et dimension, nous a permis d’établir une classification dimensionnelle des prépositions simples en français contemporain ; 447

 à partir de l’évidence de corpus en synchronie, et en dialogue avec la recherche sur les connecteurs (au sens large du terme), nous avons élaboré un modèle apte à décrire le profil sémantique et pragmatique des connecteurs dans les textes authentiques de conception proximale et distale ;  par la formulation de tendances, la corrélation entre les formes, les catégories fonctionnelles, et les catégories sémantiques, nous avons démontré le rôle constitutif des connecteurs prépositionnels dans les traditions discursives formatrices de genres textuels ;  la rétrospective, c’est-à-dire l’instrumentalisation de la perspective diachronique au service de la synchronie, s’est avérée une approche de recherche fructueuse permettant d’éclairer des emplois devenus opaques qui transparaissent de manière diaphane dans les textes contemporains. Cette rétrospective peut être considérée comme un instrument essentiel pour la recherche sur les connecteurs en synchronie ;  l’analyse synchronique, comme l’analyse diachronique, a montré que la polyfonctionnalité est une constante des connecteurs prépositionnels. Ces résultats peuvent être complétés par d’autres études focalisées sur le contenu prépositionnel des connecteurs, optant pour une perspective essentiellement diachronique et/ou effectuée dans d’autres genres textuels et/ou d’autres langues particulières. En effet, le rôle des prépositions dans la formation de connecteurs n’est pas réservé au français, il est répandu dans d’autres langues romanes, en italien (perciò, perché, insomma), en espagnol (por eso, sin embargo, porque), ainsi que dans d’autres langues indo-européennes telles que l’allemand (dafür, deswegen, aus diesem Grund) ou l’anglais (for this reason, in conclusion, after all). Ces analyses potentielles pourraient confluer dans une perspective comparative des langues qui, à son tour, autoriserait une problématisation dans le cadre théorique et pratique de la traduction (cf. Atayan 2006 ; Wienen 2006). Par ailleurs, cette analyse peut apporter une contribution aux recherches en linguistique textuelle, et, en particulier, dans le domaine de la réalisation de l’argumentation et de la structuration selon les traditions constituantes des genres textuels. De plus, les résultats de la présente étude pourraient être exploités par la didactique des langues (étrangères) pour laquelle la formation de compétences textuelles – conception et compréhension – est fondamentale. Au niveau de la conception des textes, la présente étude apporte des résultats concernant l’adéquation de formes et de traditions discursives.1 Au niveau de la compréhension textuelle, la présente étude peut apporter une contribution particulière pour les techniques de lecture skimming (technique de saisie globale du texte) et scanning (technique de focalisation orientée par des questions précises) (cf. Rühl 2006). Dans ce cadre, la définition large, pour laquelle le présent travail a opté, considérant les connecteurs employés comme jonctions et parajonctions, ouvre une nouvelle perspective dans le domaine de la formation de la compréhension auditive. En effet, la présente étude a montré que les parajonctions comme les jonctions ne sont pas des éléments explétifs, mais, bien au contraire, elles contribuent de manière déterminante à la production du

––––––– 1

Voir la thèse de Langlotz prochainement à paraître: Junktion und Schreibentwicklung. Eine empirische Untersuchung narrativer und argumentativer Schülertexte der Sekundarstufe I.

448

sens des textes par l’apport d’une valeur ajoutée qu’elle soit sémantique ou procédurale. Ainsi, les procédures structurantes et/ou argumentatives centrales à la cohésion et à la cohérence de la communication face-to-face impliquent les partenaires de communication aussi bien lors de la production que du traitement des interventions. Ces perspectives montrent que l’analyse des connecteurs prépositionnels dans les textes ouvre de nouvelles possibilités et champs d’étude en linguistique dans le domaine de la comparaison des langues et de la traduction, de la linguistique textuelle et de la didactique des langues étrangères. Pour conclure, contextualisons le phénomène (para)jonctif dans sa fonction de producteur de sens. Toujours dans un contexte linguistique, l’écrivain Victor Hugo, a saisi de manière éloquente la quintessence du phénomène jonctif : L’idée sans le mot serait une abstraction ; le mot sans l’idée serait un bruit ; leur jonction est leur vie. (Hugo, Post-Scriptum de ma vie, 1901, 25) Pour reprendre cette image, en joignant des éléments avec les connecteurs prépositionnels, les actants procurent de la cohérence à leurs esquisses du monde événementiel, à leurs raisonnements ainsi qu’à leurs interactions par les techniques argumentative et/ou structurante. C’est avec cette pensée que, désormais, j’achève ce travail. Le temps qui m’était accordé s’est en effet écoulé. C’est pourquoi, maintenant, il me faut m’arrêter. Et pourtant …

449

9 Annexe

9.1 Inventaire des connecteurs contenant une préposition grammaticale Étant donné que les trois prépositions ancrée dans la dimension grammaticale, à, de et en, présentent de nombreux types, les connecteurs ont été répartis, pour plus de clarté, dans trois tableau distincts selon la préposition considérée. 9.1.1 Inventaire des connecteurs contenant la préposition à Les différents types et tokens des connecteurs contenant la préposition à, détectés dans le corpus en synchronie, et la catégorisation syntaxique et sémantique des éléments avec lesquels cette préposition forme des connecteurs sont récapitulés dans le tableau 85 : les connecteurs contenant la préposition à

connecteur token

élément supplémentaire

type

catégorie syntaxique

catégorie sémantique

1.

7

à ce stade

GN

DEIC + LOC

2.

1

à ce titre

GN

DEIC + META

3.

2

à cette fin

GN

DEIC + LOC

4.

4

à condition que

GN + CONJ

META

5.

10

à l’heure actuelle

GN

DEIC + LOC

6.

2

à l’inverse

GN

META

7.

1

à l’opposé

GN

META

8.

3

à la fin

GN

LOC

9.

1

à la même époque

GN

LOC

10.

6

à présent

GN

LOC

11.

21

à savoir

V

META

12.

34

afin que

GN + CONJ

AUTRE

13.

509

alors

ADV

LOC

14.

179

alors que

ADV + CONJ

LOC

15.

42

au contraire

GN

META

16.

4

au début

GN

LOC

17.

13

au demeurant

GN

LOC

18.

16

au départ

GN

LOC

les connecteurs contenant la préposition à

connecteur token

élément supplémentaire

type

catégorie syntaxique

catégorie sémantique

19.

2

au fait

GN

META

20.

3

au final

GN

LOC

21.

1

au même moment

GN

LOC

22.

7

au point que

GN + CONJ

SCALA

23.

2

au préalable

GN

LOC

24.

12

au total

GN

META

25.

3

au-delà

ADV

DEIC + LOC

26.

11

auparavant

PREP

LOC

27.

132

c’est-à-dire

V

DEIC+ META

total

1028

Tableau 85 : inventaire des connecteurs contenant la préposition à

9.1.2 Inventaire des connecteurs contenant la préposition de Les différents types et tokens des connecteurs contenant la préposition de, détectés dans le corpus en synchronie, et la catégorisation syntaxique et sémantique des éléments avec lesquels cette préposition forme des connecteurs sont récapitulés dans le tableau 86 : les connecteurs contenant la préposition de

connecteurs token

élément supplémentaire

type

catégorie syntaxique

catégorie sémantique

1.

127

d’abord

GN

LOC

2.

171

d’ailleurs

ADV

LOC

3.

52

d’autre part

GN

LOC

4.

5

d’un autre côté

GN

LOC

5.

43

d’autant que

ADV + CONJ

SCALA

6.

17

d’où

ADV

LOC

7.

10

d’un côté

GN

LOC

8.

46

d’une part

GN

LOC

9.

12

de ce fait

GN

DEIC META

+

10.

1

de cette manière

GN

DEIC META

+

11.

1

de façon à ce que

GN + CONJ

DEIC META

+

12.

15

de fait

GN

META

13.

8

de l’autre

GN

LOC

14.

2

de l’autre côté

GN

LOC

15.

2

de la même façon

GN

META SCALA

452

+

les connecteurs contenant la préposition de

connecteurs token

élément supplémentaire

type

catégorie syntaxique

catégorie sémantique

1.

1

de la même manière

GN

META SCLA

2.

1

de la sorte

GN

META

3.

21

de même

ADV

SCALA

4.

6

de même que

ADV + CONJ

SCALA

5.

58

de plus

ADV

SCALA

6.

9

de sortes que

GN + CONJ

META

7.

8

de surcroît

GN

SCALA

8.

34

de toute façon

GN

SCALA META

9.

1

du fait que

GN + CONJ

META

10.

5

du reste

GN

LOC

total

+

+

656

Tableau 86 : inventaire des connecteurs contenant la préposition de

9.1.3 Inventaire des connecteurs contenant la préposition en Les différents types et tokens des connecteurs contenant la préposition en, détectés dans le corpus en synchronie, et la catégorisation syntaxique et sémantique des éléments avec lesquels cette préposition forme des connecteurs sont récapitulés dans le tableau 87 : les connecteurs contenant la préposition en

connecteur token

élément supplémentaire

type

catégorie syntaxique

catégorie sémantique

1.

1

en ce que

GN + CONJ

DEIC

2.

4

en ce sens

GN

DEIC META

3.

2

en cela

GN

DEIC

4.

4

en conclusion

GN

META

5.

28

en conséquence

GN

META

6.

3

en deuxième lieu

GN

LOC

7.

258

en effet

GN

META

8.

218

en fait

GN

META

9.

18

en l’occurrence

GN

META

10.

21

en même temps

GN

LOC SCALA

+

11.

4

en même temps que

GN + CONJ

LOC SCALA

+

12.

61

en outre

PREP

LOC SCALA

+

453

+

les connecteurs contenant la préposition en

connecteur token

élément supplémentaire

type

catégorie syntaxique

catégorie sémantique

13.

71

en particulier

GN

META SCALA

14.

40

en plus

ADV

SCALA

15.

17

en premier lieu

GN

LOC

16.

1

en quatrième lieu

GN

LOC

17.

19

en réalité

GN

META

18.

2

en résumé

GN

META

19.

68

en revanche

GN

META

20.

11

en second lieu

GN

LOC

21.

2

en somme

GN

META

22.

12

en sortes que

GN + CONJ

META

23.

26

en tout cas

GN

META SCALA

24.

4

en troisième lieu

GN

LOC

25.

1

en un mot

GN

META

26.

418

enfin

GN

LOC

27.

104

ensuite

GN

LOC

total

+

+

1418

Tableau 87 : inventaire des connecteurs contenant la préposition en

9.2 Inventaire des connecteurs contenant une préposition non-localisante Les différents types et tokens des connecteurs contenant une préposition nonlocalisante, détectés dans le corpus en synchronie, et la catégorisation syntaxique et sémantique des éléments avec lesquels la préposition forme des connecteurs sont récapitulés dans le tableau 88 :

454

les connecteurs contenant une préposition nonlocalisante

connecteur token

élément supplémentaire type

catégorie syntaxique

catégorie sémantique

1.

1

hormis le fait que

GN + CONJ

META

2.

1

hormis si

CONJ

AUTRE

3.

3

malgré cela

GN

DEIC

4.

4

malgré tout

ADV

SCALA

5.

1

malgré tout ça

GN

SCALA + DEIC

6.

115

par ailleurs

ADV

LOC

7.

34

par conséquent

GN

META

8.

23

par contre

PREP

META

9.

187

par exemple

GN

META

10.

6

par là

ADV

DEIC + LOC

11.

13

par la suite

GN

LOC

12.

1

par voie de conséquence

GN

META

13.

522

parce que

GN + CONJ

DEIC

14.

41

pour autant

ADV

SCALA

15.

4

pour ça

GN

DEIC

16.

16

pour ça que

GN + CONJ

DEIC

17.

9

pour ce faire

GN + V

DEIC

18.

11

pour cela

GN

DEIC

19.

1

pour ces motifs

GN

DEIC + META

20.

17

pour ces raisons

GN

DEIC + META

21.

2

pour cette raison que

GN + CONJ

DEIC + META

22.

5

pour conclure

V

META

23.

5

pour l’heure

GN

LOC

24.

10

pour l’instant

GN

LOC

25.

30

c’est la raison pour laquelle

GN

DEIC + META

26.

1

pour les raisons que

GN + CONJ

DEIC + META

27.

1

pour peu que

ADV + CONJ

SCALA

28.

94

pour que

CONJ

AUTRE

29.

1

pour réelles qu’ (elles soient)

CONJ

AUTRE

30.

76

pourquoi

GN

META

31.

86

pourtant

ADV

SCALA

32.

34

sans que

CONJ

AUTRE

33.

1

sans quoi

GN

META

455

les connecteurs contenant une préposition nonlocalisante

connecteur

élément supplémentaire

token

type

catégorie syntaxique

catégorie sémantique

34.

8

sauf que

CONJ

AUTRE

35.

3

sauf si

CONJ

AUTRE

36.

5

selon que

CONJ

AUTRE

37.

1

suivant que

CONJ

AUTRE

total

1373

Tableau 88 : inventaire des connecteurs contenant une préposition non-localisante

9.3 Inventaire des connecteurs contenant une préposition temporelle Les différents types et tokens des connecteurs contenant une préposition temporelle, détectés dans le corpus en synchronie, et la catégorisation syntaxique et sémantique des éléments avec lesquels la préposition forme des connecteurs sont récapitulés dans le tableau 89 : les connecteurs contenant une préposition temporelle

connecteur token

élément supplémentaire

type

catégorie syntaxique

catégorie sémantique

1.

8

après que

CONJ

AUTRE

2.

1

après tout

ADV

SCALA

3.

19

avant que

CONJ

AUTRE

4.

8

avant tout

ADV

SCALA

5.

108

cependant

GN

DEIC

6.

5

depuis lors

ADV

DEIC + LOC

7.

18

depuis que

CONJ

AUTRE

8.

19

dès lors

ADV

DEIC + LOC

9.

22

dès lors que

ADV + CONJ

DEIC + LOC

10.

24

dès que

CONJ

AUTRE

11.

79

désormais

ADV

DEIC

12.

5

dorénavant

ADV

DEIC

13.

6

pendant que

CONJ

AUTRE

total

322

Tableau 89 : inventaire des connecteurs contenant une préposition temporelle

456

9.4 Inventaire des connecteurs contenant une préposition spatiale Les différents types et tokens des connecteurs contenant une préposition spatiale, détectés dans le corpus en synchronie, et la catégorisation syntaxique et sémantique des éléments avec lesquels la préposition forme des connecteurs sont récapitulés dans le tableau 90 : les connecteurs contenant une préposition spatiale

total

connecteur token

élément supplémentaire(s) type

catégorie syntaxique

catégorie sémantique

1.

2

dans ce but

GN

DEIC META

+

2.

22

dans ce cas

GN

DEIC META

+

3.

11

dans ces conditions

GN

DEIC META

+

4.

4

dans cette perspective

GN

DEIC META

+

5.

21

dans la mesure où

GN

META

6.

7

dans le cas où

GN

META

7.

16

dans le même temps

GN

LOC

8.

1

dans la suite

GN

LOC

9.

8

dans un premier temps

GN

LOC

10.

2

jusqu’à ce que

CONJ

DEIC

11.

1

jusqu’à maintenant

ADV

DEIC + LOC

12.

17

jusqu’à présent

GN

LOC

13.

4

jusqu’alors

ADV

DEIC + LOC

14.

15

jusqu’ici

ADV

DEIC + LOC

15.

8

jusque-là

ADV

DEIC +LOC

16.

1

outre que

CONJ

AUTRE

17.

129

surtout

ADV

SCALA

269

Tableau 90 : inventaire des connecteurs contenant une préposition spatiale

457

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