Les anges sont-ils nés en Mésopotamie ?: Une étude comparative entre les génies du Proche-Orient antique et les anges de la Bible 9782296081291, 2296081290

La Bible nous présente différents types d'anges qu'il n'est pas toujours facile d'identifier. Ces êt

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Les anges sont-ils nés en Mésopotamie ?: Une étude comparative entre les génies du Proche-Orient antique et les anges de la Bible
 9782296081291, 2296081290

Table of contents :
Table des matières
Notes préliminaires
Avant-propos
l
Origine et nature des génies et des
anges
II
Apparence des génies et des anges
III
Fonctions des génies et des anges
Conclusion
Table des figures
Bibliographie
Index

Citation preview

LES ANGES SONT-ILS NÉS EN MÉSOPOTAMIE?

Religions et Spiritualité Collection dirigée par Richard Moreau La collection Religions et Spiritualité rassemble divers types d'ouvrages: des études et des débats sur les grandes questions fondamentales qui se posent à l'homme, des biographies, des textes inédits ou des réimpressions de livres anciens ou méconnus. La collection est ouverte à toutes les grandes religions et au dialogue inter-religieux. Dernières

parutions

Gérard LECLERC, La guerre des Ecritures. Fondamentalismes et larcité à l'heure de la mondialisation, 2009. Paul WINNINGER, Pour une Eglise juste et durable, Célibat libre et appel à la prêtrise, 2009. Bruno BÉRARD, Initiation à la métaphysique, 2008. Yona DUREAU et Monique BURGADA (dir.), Culture européenne et kabbale, 2008. André THA YSE, Accomplir l'Écriture. Jésus de Nazareth: un enseignement nouveau, 2008. Guy DUPUIGRENET DESROUSSILES, Jeanne d'Arc contre Jeanne d'Arc, 2008. Marie-Thérèze LASSABE-BERNARD, Les houttériens, 2008. Daniel S. LARANGE, La Parole de Dieu en Bohême et Moravie. La tradition de la prédication dans l'Unité des Frères de Jan Hus à Jan Amos Comenus, 2008. Eugène VASSAUX, Eglises réformées d'Europe francophone, 2008. Régis MOREAU, Dans les cercles de Jésus. Enquête et nouvelles interprétations sur le maître et ses disciples, 2008. Pierre LA VIGNE, Comment je suis encore chrétien, 2008. Michel MENDEZ, La messe de l'ancien rite des Gaules, 2008. Yona DUREAU et Monique BURGADA, Culture européenne et kabbale, 2008. Pierre DOMEYNE, Michel Servet (1511-1553). Au risque de se perdre, 2008. lean-Paul MOREAU, Les avatars du protestantisme aux EtatsUnis de 1607 à 2007, 2008. Francis LAPIERRE, Les Rédacteurs selon saint Jean, 2008.

AURÉLIEN LE MAILLOT

LES ANGES SONT-ILS NÉS EN MÉSOPOTAMIE? Une étude comparative entre les génies du Proche-Orient antique et les anges de la Bible

L' Harmattan

IIlustrations de couverture: A gauche:

DÉTAIL DU PANNEAU CENTRAL DU TRIPTYQUE DE L'ANNONCIATION,

Rogier van der Weyden, vers 1440, 86 x 92 cm, Paris, Musée du Louvre. A droite:

GÉNIE ANTHROPOMORPHE TÉTRAPTÈRE,

bas-relief,

vers 717-706

avo l-

C., palais de Sargon II, Khorsabad, plâtre, H. 305 cm, Paris, Musée du Louvre, AO 19865. Photos, dessins et cartes: Aurélien Le Maillot.

@

L'Harmattan, 2009 5-7, rue de l'Ecole polytechnique; 75005

http://www.librairieharmattan.com [email protected] harmattan I @wanadoo.fr

ISBN: 978-2-296-08129-1 EAN

: 9782296081291

Paris

Notes préliminaires

La transcription Tous les termes utilisés dans cet ouvrage ont été transcrits en caractères romains. Selon la convention en vigueur chez les assyriologues, les termes sumériens sont transcrits en lettres capitales, et les termes akkadiens en italique. Les autres termes étrangers (latins, grecs, hébreux, arabes...) sont eux aussi transcrits en italique selon l'usage. Cette règle ne concernera pas les noms propres. Tous les termes étrangers conservent la même transcription dans cet ouvrage, à l'exception de ceux contenus dans les traductions. Par respect pour le travail des traducteurs, nous avons voulu conserver la transcription d'origine. On ne s'étonnera donc pas qu'un terme soit orthographié de manière différente dans une traduction et dans le corps de texte de cette étude.

La prononciation Voici un bref aperçu des règles de prononciation du sumérien et de l'akkadien: - il n'y a pas de e muet - la lettre u se prononce ou (Pazuzu se prononce donc "Pazauzau") - toutes les consonnes sont dures (Ningirsu se dira "Nineguirsau", et non "Nainjirsu") - l'accent circonflexe et l'accent "plat" (ii) souligne un allongement de la voyelle

5

- les accents aigus ou graves n'ont aucune incidence sur la prononciation - la lettre s se prononce ch (Assur se dira "Achour", et non "Assur" comme dans le début du mot "assurance") - la lettre ~ se prononce ts (Assuma~irpal donc "Achournatsirpal") -

la lettre

t:se prononce

se prononce

comme notre t normal

la lettre h se prononce pratiquement espagnole

comme la jota

Les abréviations La liste qui suit recense utilisées dans cet ouvrage: col. : colonne( s) éd. : éditeur scientifique H. : hauteur fig. : figure(s) ill. : illustration(s) I. : ligne(s) L. : longueur La. : largeur p. :page pl. : planchees) pp. : pages tab. : tablette(s) vers. : verSIOn

les abréviations

couramment

Dt. : Deutéronome Ex. : Exode Ez. : Ezéchiel Gn. : Genèse Ha. : Habaquq Is. : Isaïe Jb. : Job Jg. : Livre des Juges Jas. : Livre de Josué Jr. : Jérémie Lm. : Lamentations 2 M. : Deuxième Livre Maccabées Nb. : Nombres Ps. : Psaumes 1 R. : Premier Livre Rois 2 R. : Deuxième Livre Rois 1 S. : Premier Livre Samuel

Ancien Testament Am. : Amos 1 Ch. : Premier Livre des Chroniques 2 Ch. : Deuxième Livre des Chroniques Dn. : Daniel

6

des

des des de

2 S. : Deuxième Samuel Tb. : Tobie Zao : Zacharie

Livre de

Hé. : Epître de saint Paul aux Hébreux Jude: Epître de saint Jude Lc. : Evangile selon saint Luc Mt. : Evangile selon saint Matthieu

Nouveau Testament Ap. : Apocalypse 2 Co. : Deuxième Epître de saint Paul aux Corinthiens Col. : Epître de saint Paul aux Colossiens Ep. : Epître de saint Paul aux Ephésiens

Ecrits apocryphes 3 Ba. : Apocalypse grecque de Baruch 1 Hén. : Livre d'Hénoch 2 Hén. : Livre des Secrets d'Hénoch

7

Table des matières

Notes préliminaires

5

Avant-propos

Il

I) Origine et nature des génies et des anges 1) Origine étymologique et textuelle A) La terminologie sumérienne et akkadienne B) Les divinités proche-orientales dans les textes bibliques.. C) L'étymologie des termes ange, chérubin et séraphin.. D) Le terme .djinn E) Les transmissions directes des textes F) Les étapes des transmissions indirectes 2) Origine mythologique 3) La nature des génies et des anges A) Le caractère divin des génies et des anges B) Le rang des génies et des anges C) La matérialité du corps 4) Les génies et les anges déchus 5) L'individualisation des génies et des anges

19 19 19 20 23 27 27 31 32 37 37 40 41 45 47

II) Apparence des génies et des anges 1) Le pouvoir d'invisibilité 2) L'éclat corporel 3) Les ailes 4) L'apparence corporelle A) Les apparences hybrides a) Les génies. b) Les chérubins c) Les séraphins

51 51 51 54 59 59 59 70 85

9

B) Les apparences anthropomorphes a) Les génies b) Les chérubins c) Les séraphins d) Les anges

87 87 88 90 91

III) Fonctions des génies et des anges 1) Au service des grands dieux.. 2) Messager et intermédiaire 3) Protecteur de l'homme 4) Gardien de temple et de palais 5) Gardien de l'arbre de vie 6) Assesseur de trône 7) Messager de la mort 8) Soldat de l'armée divine 9) Membre du culte divin 10) Hiérarchie divine

95 95 104 116 130 144 152 156 158 163 165

Conclusion

171

Table des figures

179

Annexes

181

Bibliographie

185

Index

211

10

Avant-propos

Au centre encore, apparaissaient quatre animaux, dont l'aspect avait une ressemblance humaine. Chacun d'eux avait quatre faces, et chacun avait quatre ailes. Leurs pieds étaient droits, et la plante de leurs pieds était comme celle du pied d'un veau (...). Ils avaient des mains d'homme sous les ailes à leurs quatre côtés (...). Quant à la figure de leurs faces, ils avaient tous une face d'homme, tous quatre une face de lion à droite, tous quatre une face de bœuf à gauche, et tous quatre une face d'aigle. Ez. I, 5-10. Ce passage d'Ezéchiel dans lequel le prophète décrit sa vision de chérubins monstrueux n'a cessé d'exalter l'imagination des artistes tout au long du Moyen Age, et tout particulièrement les enlumineurs. Cette vision est celle qui a donné le tétramorphe, figure bien connue des quatre évangélistes. Et pourtant, les hommes du Moyen Age ignoraient que cette image trouve son origine au Proche-Orient, dans l'iconographie des génies hybrides dont Ezéchiel s'est inspiré et qu'il a découverts lors de sa déportation à Babylone. Mais aujourd'hui encore, combien de visiteurs savent, lorsqu'ils contemplent les quatre évangélistes représentés avec leurs symboles sur le tympan d'une église, qu'ils ont sous les yeux l'aboutissement d'un modèle iconographique né quatre mille ans plus tôt en Mésopotamie?

11

Depuis les premières fouilles archéologiques au Prochehistoriens et Orient au XIXème siècle, les archéologues, philologues ont en effet démontré que nombre de récits et de concepts bibliques s'inspirent ou dérivent de la mythologie et de la culture proche-orientales, et plus précisément mésopotamiennes. Ainsi, dès 1872, George Smith démontra que le récit de la Genèse narrant le Déluge n'est en fait qu'une des différentes versions d'un mythe mésopotamien que l'on trouve dans Le Poème d'Atrahasîs et L'Epopée de Gilgamd. Le modèle de l'ange de l'Ancien Testament, que l'on retrouve à la fois dans le judaïsme, le christianisme et l'islam, s'inscrit également dans cet héritage. Certaines divinités secondaires, génies - et même parfois démons! de Mésopotamie et des régions limitrophes sont de toute évidence des prototypes angéliques, à tel point qu'il est permis de se poser la question suivante: les anges sont-ils nés en Mésopotamie? Les assyriologues ont depuis longtemps déjà l'intuition que la figure de l'ange doit beaucoup à ces génies et consorts mésopotamiens. Dans les ouvrages scientifiques émergent bien souvent des remarques et des interrogations sur le rattachement de l'ange à telle divinité ou image qui font immanquablement songer aux serviteurs divins de la Bible. Et ce à juste titre car, rappelons-le, la Bible est née au Proche-Orient; on y trouve ainsi un enchevêtrement d'éléments issus de civilisations et de cultures différentes que philologues et historiens des religions ne cessent de tenter d'identifier et de démêler. La Bible est issue de ce melting-pot foisonnant, et les ramifications des sources inspiratrices de ces écrits saints se retrouvent bien loin dans le

temps

-

l'espace

nous parlons de textes écrits sur un millénaire! -

vaste Proche-Orient

peine à dévoiler

les nombreuses

-

et

dont la science commence

à

civilisations.

Aucune étude n'a encore véritablement fait la synthèse des connaissances actuelles sur la question. C'est aussi l'occasion de tenter de différencier ce qui tient réellement de la filiation entre le génie et l'ange, c'est-à-dire ce qui est véritablement un legs proche-oriental, et ce qui ne relève que d'une analogie 12

religieuse sans élément de cause à effet. Car, après tout, n'oublions pas que similitude ne signifie pas connexion. Il faut pour cela tenter de reconstituer l'évolution des modèles. Sans cela, nous tomberions dans la facilité, le raccourci déductif, celui-là même qui fait affirmer à certains pseudo-scientifiques que pyramides égyptiennes et précolombiennes ont forcément pour base commune une même civilisation. Laquelle? Les lecteurs d'histoires à sensation auront reconnu l'un des écueils

récurrents - que l'on trouve encore aujourd'hui dans des papiers douteux! - s'affirmant pourtant comme argument de l'existence de l'Atlantide. C'est oublier que l'homme, le même en tout lieu et tout temps, apporte le plus souvent la même réponse à un même problème: comment se rapprocher le plus près possible des dieux? En s'élevant vers les cieux par de hautes constructions, bien sûr... Voilà pourquoi la tâche proposée, bien que passionnante, n'est pas aisée. Gardons-nous de voir ce que nous voulons trouver. Aussi bien au niveau du concept que de la forme, les indices de cette filiation se trouvent sous de multiples formes. Il peut s'agir d'un objet, d'une image, d'une légende, ou même de la sonorité d'un mot ou de son sens. Nombreux sont les emprunts bibliques aux mythes proche-orientaux, et en particulier mésopotamiens. Nombreuses aussi sont les images

mésopotamiennes

-

gravées dans la pierre - que l'ont retrouve -

cette fois écrite, et donc pensées - dans les textes saints. C'est pourquoi les sources de cette étude sont à la fois matérielles et textuelles. Car, après tout, c'est bien l'évolution d'un modèle iconographique et textuel que nous essayons de retracer. De plus, beaucoup d'êtres hybrides ou de génies sont d'abord connus par leurs représentations iconographiques avant de l'être par les textes, notamment au nrme millénaire avo J.-c. où ces derniers sont plus rares. Ce n'est donc que par la confrontation de ces deux types de sources que nous pourrons être à même de comprendre la véritable nature de ces êtres. Les objets présentés dans le cadre de cette étude sont pour la plupart mésopotamiens, parfois syriens ou cananéens, et tous proche-orientaux. Les textes quant à eux sont essentiellement 13

ceux des mythes mésopotamiens et de l'Ancien et du Nouveau Testament, ainsi que quelques textes apocryphes intertestamentaires. Afin de préciser au mieux l'évolution du génie vers l'ange, nous nous sommes aussi permis quelques références au Coran et aux écrits du zoroastrisme, bien que ceux-ci soient tout à fait minoritaires dans cette étude. Les recherches proposées ici s'inscrivent dans une trame chronologique qui s'étend du début du même millénaire avo J.e., époque des premiers écrits sumériens et du développement des premiers êtres hybrides, jusqu'aux premiers siècles de notre ère, époque correspondant à l'achèvement de la rédaction de la Bible'. La présente étude concerne la zone géographique où les modèles iconographiques des êtres hybrides, des génies et des prototypes des anges se sont développés. Cette étude est certes très centrée sur la Mésopotamie, mais la zone concernée comprend également l'Elam, l'Anatolie, la région syrienne et cananéenne, et aussi, dans une moindre mesure, l'Egypte et Chypre. Ce travail induit donc une étude comparative entre les deux types d'êtres que sont les génies et les anges. Nous tâcherons de présenter les parallèles entre ces deux types, d'en dégager, lorsque cela est possible, ce qui a été transmis (directement ou indirectement) ou non, et d'établir les contextes d'élaboration et de diffusion des modèles. Il s'agit d'établir, dans la mesure du possible, les influences cultuelles subies et modifiées par les auteurs des différents livres de la Bible. L'image et le concept de l'ange se sont créés et se sont développés dans un contexte d'échanges culturels intenses. Ce n'est que par la restitution de ce contexte que nous pourrons espérer comprendre comment s'est constitué ce modèle iconographique et textuel.

I

Nous nous sommes néanmoins pemis quelques incartades dans les périodes de

l'Antiquité tardive et du Moyen Age, notamment dans les études l'iconographie, atïn de montrer l'évolution des modèles étudiés.

14

relatives

à

Au sujet de l'étude des divinités secondaires mésopotamiennes, ou plus largement proche-orientales, précisons dès maintenant que l'étude portera aussi bien sur les génies que les démons car, à l'origine, ces deux types d'êtres étaient confondus. Par définition, et de manière générale, lorsque nous emploierons le terme génie, nous désignerons une divinité mineure bénéfique2. Par opposition, le terme démon désignera une divinité mineure maléfique3. Lorsque nous emploierons les termes divinité mineure, divinité inférieure ou divinité secondaire, nous désignerons un dieu ou une déesse occupant un rang peu élevé dans le panthéon mésopotamien, sans précision du caractère bon ou mauvais de la divinité. Ces recherches se développent selon trois axes majeurs. L'étude de la filiation et de l'évolution des modèles du génie mésopotamien et de l'ange biblique présuppose tout d'abord de définir ces deux concepts. Une analyse approfondie de l'origine et de la nature de ces figures permet de discerner la manière dont ces créatures sont perçues et comprises. On considérera deux types d'origine: l'origine étymologique, et l'origine mythologique. L'aspect étymologique permet de mieux comprendre le concept qui se trouve derrière le mot, et d'éclairer certains aspects de l'être nommé. L'aspect mythologique quant à lui nous documente sur la création des modèles. La nature des génies et des anges quant à elle permet de les situer par rapport aux hommes et aux divinités supérieures. On notera également la figure particulière de l'être déchu de son rang, figure bien connue dans la Bible, moins peut-être en ce qui concerne les mythes mésopotamiens, qui se retrouve étonnamment dans ces deux corpus textuels. De même, les cas de génies et d'anges qui se différencient de leurs

2

Par extension, le terme génie est parfois utilisé dans le sens subtilement "divinité mineure non foncièrement maléfique". Il nous est arrivé dans d'employer ce terme avec cette définition, mais le contexte permet toujours entre les deux sens. 3 En revanche, le terme démon ne souffre aucune équivoque. Un démon maléfique.

15

différent de cette étude de trancher est toujours

pairs par certains éléments individualisants constituent, sous certains aspects, un lien évident entre génies et anges. La deuxième partie de cet ouvrage se focalisera plus particulièrement sur l'image (pensée ou matérialisée), c'est-àdire l'aspect des génies et des anges. L'étude et la comparaison des différentes figures, en contexte, est l'étape qui pennet de faire émerger les filiations possibles entre ces modèles iconographiques. Certains caractéristiques particulières sont récurrentes aussi bien chez les génies que chez les anges; le pouvoir d'invisibilité, l'éclat corporel, les ailes dont sont dotés certains individus, sont autant d'éléments en commun chez ces êtres. Plus particulièrement, les différentes apparences corporelles (parfois fort convergentes! ) sont révélatrices de concepts proches, et parfois empruntés. On distinguera deux groupes les apparences hybrides, et les apparences anthropomorphes. Enfin, le legs des génies prend aussi la forme de fonctions transmises à leurs descendants bibliques. Parmi les fonctions communes aux génies et aux anges, il convient d'opérer un "tri" entre ce qui relève de la transmission, et ce qui n'est qu'une similitude sans lien entre ces figures. Ainsi, génies et anges composent une véritable cour composée de différents serviteurs divins réunis autour de leurs dieux respectifs. Les figures les plus connues sont celles du messager, du protecteur de l'homme, du gardien - de lieux ou de bâtiments, mais aussi de l'arbre de vie, motif que l'on retrouve au Proche-Orient mais aussi dans la Bible - , de l'assesseur de trône, du messager de la mort, du soldat divin et enfin du membre du culte divin. On remarquera pour terminer que ces figures divines s'inscrivent dans une hiérarchie qui ordonne, de façon plus ou moins structurée, les différents types de génies et d'anges. Ce travail de synthèse - avec également quelques propositions nouvelles qui pourront peut-être être retenues par les autres chercheurs - pourra servir d'ouvrage d'appoint pour qui étudie les génies et êtres hybrides mésopotamiens ou les anges. Mais aussi, nous l'espérons, intéresser l'amateur d'histoire, d'art et d'archéologie, curieux d'apprendre les origines, parfois fort méconnues, des éléments fondateurs de 16

notre civilisation occidentale dont la Bible est l'une des bases fondatrices.

17

l

Origine et nature des génies et des anges 1) Origine étymologique et textuelle A) La terminologie sumérienne

et akkadienne

En sumérien, les deux idéogrammes UDUG (en akkadien utukku) et LAMA (en akkadien lamassu), qui désignent une entité proche du daimon grec, expriment une entité non différenciée]. La différence entre génie, puissance surnaturelle bienveillante, et démon, être mauvais, n'apparaît qu'à l'époque akkadienne. L'idéogramme KAL a quant à lui un sens similaire. Le terme daimon renvoie à un type de divinité bonne ou mauvaise2. Le terme a pris plus tard d'autres sens tels que destin ou génie. Plus communément, le terme désignait des divinités secondaires de rang intermédiaire entre les hommes et les grands dieux. Le terme a pris une connotation négative durant la période intertestamentaire, alors que la littérature juive était véritablement découverte par les rédacteurs grecs. Ce déplacement de sens aurait pour origine d'une part la période de l'exil (Vlème siècle avo J.-c.), et d'autre part le dualisme zoroastrien qui oppose le bien au mal.

J LEIBOYICl, Marcel, 1971, pp. 103-104; JOANNÈS, Francis, 2001b, p. 226 ; VILLARD, Pierre, 2001, p. 347. 2 RILEY, Greg, J., 1995a, col. 445-446 el 450.

19

Le terme sumérien MASKIN et le terme akkadien riibisu désignent des êtres surnaturels souvent traduits en français par démons, alors que là encore ils peuvent désigner des êtres bons ou mauvais, même si le plus souvent ils étaient nuisibles3. En réalité, notre mot français n'a pas d'équivalent en sumérien ou en akkadien. C'est pourquoi la comparaison du génie et de l'ange se doit d'étudier aussi bien les divinités secondaires bénéfiques que maléfiques. Il existe enfin différents autres termes qui pouvaient servir à désigner les démons, notamment UDUG ou utukku, et GIDIM ou e temmu qui signifient plutôt jantôme4. Ce dernier terme est d'ailleurs passé en hébreu sous la forme timî.

B) Les divinités bibliques

proche-orientales

dans les textes

Les démons babyloniens se retrouvent à travers toute l'Asie de l'Ouest, ainsi qu'en Grèce et dans les démonologies juive et chrétienné. Par exemple, la démone Lamastu existe chez les Grecs sous le nom de Lamia (et partage aussi de nombreuses caractéristiques avec la Gorgone grecque, ce qui pourrait là encore révéler un emprunt à la culture mésopotamienne: chacune des démones tient généralement des serpents dans chaque main et est entourée de lions et d'un cheval ou d'un âne). Son nom a donné celui des lamies (toujours chez les Grecs), des êtres féminins malfaisants dont Gellô, l'une d'entre elles, se retrouve aujourd'hui encore chez les chrétiens roumains. L'origine de ces dernières provient peut-être du gallû babylonien, à qui la démone Gellô devrait d'ailleurs son nom. La plupart des démons que nous trouvons dans la religion hébraïque proviennent donc de Babylonie.

3 RACHET, Guy, 1999c, p. 133 ; JOANNÈS, Francis, 2001b, p. 226 ; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003c, p. 63. 4 LANGDON, S., 1934, p. 51. 5 LANGDON, S., 1934, pp. 49,52 et 55; BURKERT, Walter, 1992, p. 83 ; RILEY, Greg J., 1995a, col. 448.

20

Ainsi, les sëdu, dont nous reparlerons par la suite, sont mentionnés à plusieurs reprises dans l'Ancien Testament6. Par exemple, à Ps. CVI, 37, et à Dt. XXXII, 17, les Cananéens sacrifient aux sëdu. Sëdu a été traduit par daimon dans la Septante, et par idole ou démon dans diverses traductions françaises. De même, le lahmu, attesté dans la littérature sumérienne, akkadienne, babylonienne, néo-assyrienne et mari ote (notamment dans le texte mythologique de L'Epopée de la Création, aussi connu sous le nom de Enûma EliS), apparaît, selon les traductions, dans Jg. V, 87. II y aurait de plus des liens entre le lahmu et le lhm de l'Ancien Testament. On retrouve aussi l'heptade des démons babyloniens à Dt. XXVIII, 228. Humbaba serait aussi présent sous la forme d'Hobab le Kenite9. Cependant, ses fonctions seraient différentes. Baal Zebub quant à lui apparaît quatre fois dans l'Ancien Testament, à 2 R. I, 2 ; I, 3 ; I, 6 ; I, 16. Zebub signifiant mouche en hébreu, nous avons donc là un "seigneur des mouches"lO. Dans le Nouveau Testament, il devient Beelzebub ou Belzebuth. La forme originelle de cette divinité pourrait être Baal Zebul qui signifie le seigneur de la grande maison. Le nom pourrait aussi venir de la racine ZBL connue en akkadien et en arabique et qui signifie prince. Le nom signifierait donc le prince Baal, Baal étant un dieu de l'orage sémitique et notamment cananéen 11. Baal (ou bël) signifie le Seigneur et désigne parfois certaines divinités comme par exemple Marduk appelé Bël à Babylone ou le dieu de l'orage Addu que l'on retrouve à Ugarit. Resep, qui apparaît à Ha. III, 5, est le nom d'un dieu connu des Sémites occidentaux dès le nèmemillénaire. Le nom de cette 6 LANGDON, s., 1934, p. 52; DHORME, Edouard, ]937, p. 245; OPPENHEIM, Léa, 1970, p. 210; RILEY, Greg J., 1995a, col. 448. 7 HErDER, George C, 1995, col. 937-938. Le terme remplace alors l'expression "nouveaux dieux". 8 RILEY, Greg J., ] 995a, col. 448. 9 VANDER TOORN, Karel, 1995, col. 819. JOHERRMANN, Wolfgang, 1995, col. 293-295. Il MOSCATI, Sabatino, ]955, p. ] 12.

21

di vini té est attesté dans les textes ugaritiques, phéniciens et araméens sous la forme rsp, en éblaïte par le mot rasâp, en akkadien par le mot rasâp, et en égyptien sous la forme rSp(W)12. Le nom originel pourrait être akkadien, mais cette divinité est attestée dans de nombreuses civilisations: en Palestine, en Egypte, à Ebla dès le nfme millénaire, ainsi qu'à Ugarit, chez les Araméens et chez les Phéniciens. Son insertion dans la Bible pourrait être issue de la démonisation d'un dieu cananéen soumis à Yahvé. De plus, d'après une tablette retrouvée à Ras-Shamra, Resep serait identifié à Nergal dont le culte est attesté en Palestine à la période hellénistique13. Deux divinités maléfiques lui sont parfois associées: Deber et Qe~eb. Deber serait un démon d'origine mésopotamienne. Il est mentionné avec Resep à Ha. III, 5. Il est de plus cité dans un texte ugaritiquel4. Qe~eb quant à lui est mentionné quatre fois dans l'Ancien Testament. Le démon apparaît aussi dans des textes ugaritiquesl5. Le démon de midi, que l'on trouve par exemple à Ps. XCI, 6, trouve ses origines dans la croyance proche-orientale d'un démon auquel on attribuait les symptômes dus à la chaleur de midi 16. Enfin, nous retrouvons Lilith, démone proche-orientale, à Is. XXXIV,15. Nous voyons ainsi que de nombreux démons mésopotamiens se retrouvent dans les textes bibliques. Quant aux dieux étrangers aux Hébreux, ils sont transformés en démons dans la Bible. Il convient maintenant d'étudier les êtres angéliques dans la Bible et voir si, comme pour les quelques démons cités plus haut, nous pouvons les rattacher à des concepts mésopotamiens. 12 DEL OLMO LETE, Gregorio, 1995. col. 439 ; XELLA, Paolo, 1995, col. 1324-1325 et 1330; RACHET, Guy, 199ge, p. 328. 13 MA YANI, Zacharie, 1956, p. 224 ; CASSIN, Elena, 1968, p. 8 ; WYATT, Nicholas, 1995, col. 1270. 14DEL OLMO LETE. Gregorio. 1995, col. 438. 15WYATT, Nicholas, 1995, col. 1269. 16RILEY, Greg J., 1995b, col. 448 et 1072.

22

C) L'étymologie séraphin

des

termes

ange,

chérubin

et

Comme nous le verrons par la suite, il existe plusieurs types d'anges. En réalité, la plupart ne sont que des concepts ou des fonctions transformés par la suite en catégories d'anges qui n'ont été mises en ordre et hiérarchisées qu'au Vrme siècle ap. J.-c. par le Pseudo-Denys l'Aréopagite dans son ouvrage Hiérarchie céleste17. C'est pourquoi l'étude des différentes origines étymologiques ne concernera que l'ange, le chérubin et le séraphin. Le terme ange vient du latin angelus, qui vient lui-même du grec aggelos signifiant messager18. Il désigne un être divin qui joue les intermédiaires entre les hommes et Dieu. Le terme apparaît cent soixante-quinze fois dans le Nouveau Testament. Ce terme grec traduit l'hébreu mal' ak signifiant aussi messager. Mais si les termes français, latin et grec renvoient uniquement à un être divin, le terme hébreu désigne quant à lui un messager la plupart du temps humain mais qui parfois peut être un envoyé divin de Dieu (ce terme apparaît plus de deux cents fois dans l'Ancien Testament, mais seule une petite partie de ces occurrences renvoie à un être angélique). Au Proche-Orient, les messagers divins sont aussi désignés par des termes qui renvoient à des messagers humains: KINGIA ou SUKKAL en sumérien, mar sipri en akkadien, wpwty en égyptien, gtm ou ml' ak en ugaritique, mal' ak en éthiopien. La filiation de l'ange avec les êtres divins du Proche-Orient par l'étymologie seule est donc difficile et insuffisante. Il n'en est pas de même pour le chérubin et le séraphin.

17 Pour la question de la hiérarchie des anges et le classement du Pseudo-Denys l'Aréopagite, voir p. 167 et suivantes. 18 MEIER, Samuel A., 1995a, col. 81-82 ; VAN HENTEN, Jan Wil1em, 1995a, col. 90 ; GIORGI, Rosa, 2004, p. 282.

23

Le terme chérubin apparaît quatre-vingt-onze fois dans l'Ancien Testamentl9, Il vient du latin cherub (terme identique en grec), lui-même provenant de l'hébreu kerûb (au pluriel kerûbîm) qui dériverait de l'akkadien kâribu ou karubu. Ce terme akkadien, que l'on traduit le plus souvent par orant ou en prière (ou également qui bénit), désigne un génie gardien ou intercesseur. Cependant, pour R. de Vaux, la parenté sémitique entre kerûb et kâribu ne signifie pas pour autant que le nom et la représentation des chérubins soient directement venus de Mésopotamie en Israëeo. Selon lui, il serait plus vraisemblable que le nom ait été emprunté à une langue du groupe ouestsémitique. Quoi qu'il en soit, le kâribu était vraisemblablement représenté sous la forme d'un être hybride dont l'image ne nous est pas parvenue, ou que nous n'avons pu identifier (par exemple si les textes emploient d'autres termes pour le désigner). Le kâribu appartient à la même classe que le Zamassu dont nous reparlerons et avait pour rôle de protéger l'entrée des sanctuaires. Les différentes statues retrouvées aux portes des palais et des temples peuvent laisser penser que cet être était sans doute un animal imposant et vraisemblablement ailé. Nous savons aussi que le kâribu pouvait recouvrir les aspects les plus variés car, par extension, les divinités qui introduisaient les orants auprès des grands dieux tels que les sëdu et les Zamassu étaient aussi qualifiés de dieux kâribu21. Les termes dieu kâribu apparaissent dans une chronique babylonienne: La 25éme(?) année (du règne) de Nabû-mukïn. 23 ( ap Zz'22, Ze roz,' on 0 b serva que Ze genze' quz se ' '

19DHORME, P. et VINCENT, L. H., 1926a, pp. 328 et 334 ; DHORME, Edouard, 1951, p. 677 ; CORSWANT, Willy, 1956a, p. 78 ; DE VAUX, Roland, 1967, p. 235 ; LEIBOYICI, Marcel, 1971, p. 105; METTINGER, Tryggve N. D., 1995a, col. 362-363 ; GIORGI, Rosa, 2004, p. 305. 20 DE V AUX, Roland, 1967, p. 235. 21 DHORME, P. et VINCENT, L. H., 1926a, p. 335 ; DHORME, Edouard, 1951, p. 678 ; CORSWANT, Willy, 1956a, p. 78. 22 979-944 avo J.-c. 23LÜtéralement "le dieu kâribu".

24

tient) à droite de la porte de la cella [. . 74 b ougealC

}

Nous voyons bien ici la fonction de gardien du kâribu, fonction analogue au sedu ou au lamassu comme nous le verrons25. Mais nous n'avons pas d'indice sur son apparence. Le terme kerûb peut aussi être rapproché du terme akkadien kuribu (pluriel kuribi). Un texte d'Assarhaddon (680-669 avo J.e.) cite ces dieux: Les portes en bois de cyprès, dont l'odeur est bonne, d'une incrustation d'or je revêtis et j'en consolidai les battants. La demeure d'Assur, mon seigneur, je recouvris d'or. Des dieux la-hme, des dieux ku-ri-bi en vermeil, de part et d'autre je dressai. A l'intérieur du naos d'Assur, mon seigneur, des statues d'or et du produit de , . . 27 26 l '0 cean ,a ' d rOlte et a gauc h e, Je d ressaz. /

'

Les dieux lahmu et kuribu étant placés aux mêmes endroits que le kâribu, celui-ci serait donc en quelque sorte l'ancêtre du kuribu selon P. Dhorme et L. H. Vincent. Kuribu serait en fait un diminutif de kâribu28. Ils en déduisent que le kâribu pouvait lui aussi être associé au lahmu. Ce dernier est habituellement associé au dieu Enki29. Son image est très certainement celle d'un homme chevelu30, ce qui diffère très nettement des

'4 GLASSNER, Jean-Jacques, 25Voir p. 134 et suivantes.

1993, p. 234.

26

Désigne certainement la nacre. 27 DHORME, P. et VINCENT, L. H., 1926a, p. 338 ; DHORME, Edouard, 1951, pp. 681682. Voir aussi BORGER, Riekele, Die lnschrifien Asarhaddons Konigs von Assyrien, Archiv für Orientforschung Beiheft, n09, Graz, 1956. 28 DHORME, P. et VINCENT, L. H., 1926a, pp. 338-339. 29 WIGGERMANN, F. A. M., 1983, p. 95 ; LAMBERT, W. G., 1985, pp. 189 et 191 ; CAVIGNEAUX,Antoine, 1993, p. 85 ; GREEN, Anthony, 1997, p. 248; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003j, p. 115. 30 PARROT, André, 1960, p. 186, fig. 223. Ce génie apparaît exceptionnellement sous une forme hybride dans le Gottertypentext : il possède alors un corps humain, une queue de lion et des serres d'oiseau (voir LAMBERT, W. G., ]985, p. 198).

25

animaux colossaux que l'on trouve habituellement aux entrées des temples et des palais. Le chérubin a été rapproché du sphinx, c'est-à-dire du lion ailé à tête humaine, car ils partagent les mêmes fonctions: gardien de l'arbre sacré, ou plus simplement gardien, et assesseur ou supporteur de trône3l. Ces points seront développés ultérieurement au chapitre III. Séraphin vient de l'hébreu siiriip que l'on peut traduire par brûler, ou par extension celui qui brûle ou être de feu, c'est-àdire un être qui détruit par le feu32. Il est aussi parfois traduit par serpent brûlant. Le terme apparaît trois fois dans le Pentateuque (Nb. XXI, 6 ; XXI, 8 et Dt. VIII, 15) et quatre fois dans Is. (VI, 2 ; VI, 6 ; XIV, 29 ; XXX, 6).

Fig. 1 : URIEUS DE LA COURONNE DE RAMSÈS II. Bas-relief,

31

DE

vers 1275 avo J.-C., petit temple bâti par Ramsès calcaire peint, Paris, Musée du Louvre, B 14.

11, Abydos,

VAUX,Roland, 1967, p. 235; METTINGER, Tryggve N. D., 1995a, col. 362 et 363.

32 ROQUES, René in PSEUDO-DENYS L'ARÉOPAGlfE, 1970, pp. LI et LI! ; METTINGER, Tryggve, N. D., 1995b, col. 1402-1403; KEEL, Othmar et UEHLINGER,Christoph, 2001, p. 269 ; GIORGI, Rosa, 2004, p. 30 I ; LAURANT, Sophie, 2005, p. 51.

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Le séraphin pourrait en fait provenir de l'urœus égyptien (fig. 1). En effet, siiriip en hébreu désignait aussi le cobra à col noir. Cet animal, du nom scientifique de naja nigricollis, crachait un venin brûlant dans les yeux de sa proie, d'où le nom de siiriip. Or l'urœus égyptien est, d'un point de vue zoologique, un cobra à col noir. Cet animal est en effet devenu un symbole protecteur en Egypte dès le même millénaire avo J.-c. L'urœus était connu en Palestine depuis la période Hyksôs jusqu'à la fin de l'âge du Bronze (XVmême_X~me siècle avo J.-C.), notamment sur des scarabées et des sceaux. Le séraphin a donc été rapproché de l'urœus. D) Le terme djinn Les anges existent aussi dans le Coran. Mais les Musulmans croient aussi en des génies appelés djinn qui sont des intermédiaires entre Allah et les hommes33. Ce terme est probablement d'origine arabe et dérive d'une racine signifiant couvrir, cacher. Djinn désigne un collectif, djinni l'individuel, même si dans la langue française nous utilisons djinn pour désigner un seul être. Comparativement au séraphin, dont le nom pourrait à l'origine désigner le cobra à col noir, il est intéressant de noter que le terme djinni était aussi le nom d'un serpent noir. En outre, le nom' âmir, qui peut désigner un djinn, renvoie aussi à un serpent.

E) Les transmissions

directes des textes

La filiation étymologique entre certains termes sumériens, akkadiens et hébreux34 s'explique par la transmission de textes ou de mythes entre différentes civilisations. C'est d'ailleurs ce fait qui explique la plupart des similitudes mythologiques (voir sous-chapitre suivant). Nous savons par exemple que la cosmogonie hébraïque est issue des mythes sumériens, mais il est bien difficile de dater le 33TRITTON. Arthur Stanley, 1934, pp. 715 et 717 ; SFAR, Mondher, 34

1998, p. 103.

Chronologiquement dans eet ordre. Le passage direct entre termes sumériens et

hébreux est néanmoins

peu probable.

27

phénomène et d'en préciser les circonstances. Ces mythes importés en Palestine s'y sont développés avant d'être remis en contact avec leur source grâce aux conquêtes assyriennes et babyloniennes3s. Ainsi, les récits de la création de la Genèse ont peu de rapports directs avec la Babylonie (à l'exception peutêtre de Gn. I), mais on peut néanmoins trouver dans l'Ancien Testament des réminiscences de certains concepts babyloniens, peut-être transmis pour certains par les Araméens ou les Cananéens36. C'est le cas par exemple à Is. XXVII, l, lorsque Yahvé tue Léviathan, le dragon de la mer, puis le dragon Rahab (Is. LI, 9). Selon H. W. F. Saggs, nous avons là des allusions au combat opposant Marduk à Tiamat tiré de L'Epopée de la Création, tab. IV, 1. 93-104. En effet, ce mythe, peut-être d'origine amorrite, serait né à Mari et à Alep au XVmème siècle avo J.-c. où le combat entre le dieu de l'orage (l'équivalent dans le mythe babylonien de Marduk) et la mer (Tiamat) est déjà avérë7. A l'époque kassite, ce thème est attesté à Ugarit, ainsi qu'en Babylonie dans L'Epopée de la Création. Enfin, on retrouve ce mythe en Palestine par l'intermédiaire des textes bibliques déjà mentionnés. Citons aussi le combat entre Utu et l'être hybride qu'est le mushussu qui, selon S. Langdon, se retrouverait à lb. XXVI, 1338. La présence de certains mythes ou textes mésopotamiens est avérée en Palestine (ainsi que certains traités de divination et d'astrologie). C'est par exemple le cas de L'Epopée de Gilgamd au IIème millénaire avo J._c.39 Le mythe de Gilgames, tout comme L'Epopée de la Création, aurait même pu être traduit en araméen. Le mythe de L'Epopée de Gilgamd s'est d'ailleurs beaucoup diffusé puisque, outre la Palestine, on le retrouve en Syrie et en Asie Mineure chez les Hittites et les Hurrites.

35 LOISY, Alfred. 1901, p. 40 ; BORDREUIL, Pierre et BRIQUEL-CHATONNET, Françoise, 2000, pp. 83-84 et 354-355. 36 SAGGS, H. W. F., 1998, p. 234 37 DURAND, Jean-Marie, 1993, pp. 42-43 et 50. 38 LANGDON, S., 1934, p. 47. Cependant, aucun élément probant ne permet véritablement ce rapprochement. 39BOTTÉRO, Jean, 1992a, p. 260; BOTTÉRO, Jean, 1994b, pp. 92 et 265.

28

Les Cananéens ont reçu des influences de nombreuses provenances: Syrie, Palestine, Babylonie, Assyrie, Egypte4o. Les Cananéens adoraient même certaines divinités égyptiennes et babyloniennes. Ninurta par exemple avait un temple près de Jérusalem avant son occupation par les Hébreux, et un autre à Byblos en Phénicie du Nord41. IStar était adorée à Beth-Shân. Le culte de Tammuz quant à lui était établi à Byblos. La religion sumérienne était ainsi connue en Canaan avant 2000 avo J.-c., et les cultes de divinités sumériennes établies bien avant la colonisation finale par les Hébreux, vraisemblablement présents et sédentarisés depuis peut-être le xmème siècle avo J.C.42Enfin, notons qu'il s'est en plus opéré un syncrétisme entre les divinités cananéennes, mésopotamiennes et grecques43. Les cas de déplacements de populations ont aussi favorisé les transmissions. Nous pouvons citer plusieurs cas. Tout d'abord, Sargon II (721-705 avo J.-c.) fit venir à Samarie des colons vaincus (2 R. XVII, 24). Il y eut aussi des déplacements de populations mésopotamiennes et iraniennes vers Canaan sous Assarhaddon et Assurbanipal. Ces colons venaient pour la plupart de Babylone, d'Uruk, d'Elam et de Suse44. Nabuchodonosor II (604-562 avo J.-c.) quant à lui prit Jérusalem en 597 et 587 avo J.-c. Il organisa des déportations d'Hébreux vers Babylone en 597 avo J.-c. (2 R. XXIV, 14-16 et Jr. LII, 28-30), en 587 avo J.-C. (2 R. XXV, Il et Jr. LII, 2830)45 et en 582 avo J.-c. (Jr. LII, 28-30). Ces mélanges ethniques confrontèrent la religion hébraïque aux cultes mésopotamiens. Ces faits s'inscrivent dans l'époque de rédaction des textes de la Bible. En effet, la Bible est une compilation de livres disparates dont on admet généralement qu'ils ont été composés

40 MOSCATI, Sabatino, 1955, pp. 110 et 113. 4J LANGDON, S., 1934, pp. 49-50. 42 FINKELSTEIN, Israël et SILBERMAN, Neil Asher, 2002, pp. 125, 161, 175 et 176 ; DEVER, William G., 2005, p. 170. 43 MOSCAT!, Sabatino, 1955, p. ] 13; BOTTÉRO, Jean, 1992a, p. 72. 44 PARROT, André, 1955, p. 63 ; BORDREUIL, PielTe et BRIQUEL-CHATONNET, Françoise, 2000, pp. 342-345 et 373-374. 45JOANNÈS, Francis, 2000, p. 88.

29

à partir de la fin du vnème siècle avo J.-c. (annexe 3)46. A. Lemaire et J. Bottéro fixent néanmoins une datation plus haute (le début du Xlème siècle avo J.-c.). La mise en ordre et en recueil des principaux écrits de l'Ancien Testament n'a eu lieu que dans la première moitié du IVème siècle avo J.-C. Ces confrontations de populations n'ont donc pu qu'influencer ces rédactions. Voilà pourquoi, entre autres, le concept de Satan, qui apparaît parmi la cour céleste dans le livre de Job (I, 6) dont la datation n'est pas fixée, serait venu directement des Babyloniens sans passer par la religion perse d'après S. Langdon47. Pour les mêmes raisons, J. B. Pritchard a comparé Ez, I, 428 au texte assyrien Une Vision du Monde infernal48. En effet, les deux narrateurs ont chacun la vision d'êtres hybrides. Cependant, la comparaison est parfois difficile et source d'erreur. Ainsi, lorsque A. H. Layard découvrit à Ninive des bas-reliefs représentant des génies à tête d'aigle, il identifia ces êtres au dieu Nisroc dont il est fait mention à 2 R. XIX, 36-37, bien qu'il n'existe pas à notre connaissance de dieu mésopotamien portant ce nom: Alors Sanchérib49, roi d'Assyrie, leva son camp, partit et s'en retourna,. et il resta à Ninive. Or, comme il était prosterné dans la maison de Nisroc, son dieu, Adrammélec et Scharetser, ses fils, le frappèrent avec l'épée, et s'enfuirent au pays d'Ararat. Et Esar Haddon50, , / 51 I son fiI'l s, regna a sa pace.

46 BOTTÉRO, Jean, 1992a, p. 19 ; BOTTÉRO, Jean, 1994b, p. 218 ; FINKELSTEIN,Israël et SILBERMAN,Neil Asher, 2002, pp. 13 et 415-417. 47 LANGDON, S., 1934, p. 45. 48 GARNET, Henri, 1964, p. 164; PRITCHARD, James B., 1969a, p. 684 (pp. 94-97 pour le texte). 49 Sennacherib. 50Assarhaddon. 5] Les textes de l'Ancien et du Nouveau Testament sont issus de la traduction de Louis Segond, à J'exception des livres deutérocanoniques suivants qui sont issus de la traduction de Isaac Lemaistre de Sacy: Tobie, Premier Livre des Maccabées et Daniel.

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Cependant, son erreur est compréhensible: en effet, à cette époque, les textes du Proche-Orient n'ont pas encore été déchiffrés. A. H. Layard ne disposait donc que des sources bibliques et grecques. Outre les transmissions mésopotamiennes, une autre influence importante est celle du zoroastrisme. La vie de Zoroastre est mal connue. Il aurait vécu vers 600 avo J.-c., en Médie ou en Chorasmie. Zoroastre établit un dieu unique, Ahura Mazdâ, au détriment des autres divinités iraniennes éliminées dans la nouvelle religion qu'il instaura52. A partir de 539 avo J.-c., l'empire achéménide englobe la Judée et la Babylonie où une partie des Judéens ont été exilés53. Les Hébreux furent alors en contact permanent avec les Perses. Ils empruntèrent au zoroastrisme diverses doctrines comme la foi en l'immortalité de l'âme, la résurrection du corps, la récompense et le châtiment futur54. Mais surtout, l'angélologie et la démonologie juives s'inspirèrent des Amesha Spenta qui sont des attributs divins personnifiés d'Ahura Mazdâ. Les Amesha Spenta, dont le nom signifie Saints Immortels55, sont des êtres célestes (parfois d'ailleurs traduits par archanges par analogie avec le concept angélologique juif et chrétien), les satellites d'Ahura Mazdâ. Ces êtres apparaissent dans l'Avesta, les écrits saints zoroastriens. Cette influence dans l'angélologie se retrouve jusque dans le Coran où les anges Hârût et Mârût pourraient trouver leur origine dans les "archanges" zoroastriens Haurvatât et Ameretât56.

F) Les étapes des transmissions

indirectes

En ce qui concerne la transmission des mythes mésopotamiens, J. Bottéro affirme que nous ne pouvons savoir si ceux-ci se sont propagés de Babylone en Israël à travers des

52 MARGUERON, Jean-Claude

et PFIRSCH. Luc, 1996, p. 361. "BORDREUIL. Pierre et BRIQUEL-CHATONNET, Françoise, 2000, p. 378. 54 MASANI, R. P., 1939, pp. 19 et 23 ; Du BREUIL, Paul, 1982, p. 36. 55 SODERBLOM,Nathan, 1925, p. 370. 56DUMÉZIL, Georges, 1945, p. 168.

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stations intermédiaires, ou bien directementS7. Etablir une telle transmission est en effet particulièrement difficile. Cependant, dans le cas d'une transmission indirecte, celle-ci a pu se faire par l'intermédiaire de la Syrie et de la Phénicie. En outre, au nème millénaire, les mythes mésopotamiens influencèrent la religion indo-iranienne. Or, la religion hindoue inspira à son tour la Grèces8. La Mésopotamie influença donc indirectement le monde grec à cette époque, même si peu d'éléments au final sont conservés dans les mythes grecs. Il existerait aussi des liens entre certains mythes grecs et des mythes hurrites, tel Kumarbi découpant et mangeant le phallus d'Anu qui n'est pas sans rappeler Kronos faisant de même avec Ouranos. La version grecque pourrait même provenir d'une version pré-hurrite. Dès la fin du rxème siècle avo J.-c., les Grecs sont en contacts directs avec les Assyriens par les comptoirs grecques et notamment eubéens établis en Syrie du Nords9. Les échanges, notamment au niveau culturel, sont alors plus importants. Cela explique certaines similitudes ou filiations entre les mythes mésopotamiens et grecs. Ainsi, dans l'Wade, Homère fait dire à Héra qu'Okéanos et Téthys représentent le couple primordial, mais qu'ils sont cependant séparés. Ce couple correspond au couple Apsû-Tiamat de L'Epopée de la Création, aussi bien mythologiquement qu'étymologiquement. Enfin, de Grèce, certains concepts ou mythes ont pu intégrer la sphère palestinienne60.

2) Origine mythologique Les génies et les démons mésopotamiens ont des origines mythologiques diverses. D'après G. Leick, les démons auraient une origine plus ancienne que les dieux61. Néanmoins, on considère en général 57 BOTTÉRO, Jean, 1992a, pp. 259-260. 58 KIRK, Geoffrey Stephen, 1970, pp. 209, 214-215 et 219. 59 BURKERT, Walter, 2001, pp. Il et21-22. 60 KIRK, Geoffrey Stephen, 1970, p. 219. 61 LEICK, Gwendolyn, 1991b, p. 30.

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que ces derniers sont leurs ancêtres. Les démons seraient aussi en nombre supérieur par rapport aux génies62. On peut classer les démons selon deux grandes catégories. La première regroupe les descendants des anciens dieux mauvais que Marduk dut combattre, c'est-à-dire Tiamat et ses alliés63. Ce sont parfois aussi les descendants de grands dieux encore vénérés. Les descendants de Tiamat sont généralement des démons car, dans L'Epopée de la Création, elle a elle-même donné naissance à toute une série d'êtres hybrides démoniaques: Dragons-géants, Léviathans, Hydres, Dragons-formidables, Monstres-marins, Lions-colossaux, Molosses-enragés, Hommes-scorpions, Monstres-agressifs, Hommes-poissons et Bisons-gigantesques64... On dit aussi qu'elle a allaité les démons65. Il faut aussi inclure dans cette catégorie les démons du mythe de Bérose (vers le rvème_mèmesiècle avo J.-c.). En effet, il nous est parvenu un texte de cet auteur décrivant la naissance spontanée d'êtres hybrides et de démons: Il Y eut un temps où tout était ténèbres et eau, et dans ce milieu s'engendrèrent spontanément des animaux monstrueux et des figures singulières; des hommes à deux ailes, et quelques-uns avec quatre, à deux faces, à deux têtes, l'une d'homme et l'autre de femme, sur un seul corps, avec les deux sexes en même temps; des hommes avec des jambes et des cornes de chèvres, ou des pieds de cheval; d'autres avec les membres postérieurs d'un cheval et les membres antérieurs d'un homme, semblables aux hippocentaures. Il y avait aussi de taureaux à tête humaine, des chiens à quatre corps et à queue de poisson, des chevaux à tête de chien, 62 CONTENAU, Georges, 1950, p. 260. 63 CONTENAU, Georges, 1922a, p. 58 ; CONTENAU, Georges, 1950, p. 260 ; CONTENAU, Georges, 1951, p. 88. 64 BOTTÉRO, Jean et KRAMER, Samuel Noah, 1989, p. 610. 65 CASSIN, Elena, 1986, p. 94.

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des hommes également à tête de chien, des animaux à tête et à corps de cheval et à queue de poisson, d'autres quadrupèdes où toutes les formes animales étaient confondues, des poissons, des reptiles, des serpents, et toutes sortes de monstres merveilleux, présentant la plus grande variété dans leurs formes, dont on voit les images dans les peintures du temple de B e Los.66 Une fiemme nommee 0 maraca 67 présidait à cette création; elle porte dans la langue des Chaldéens le nom de Thauath68, qui . 69 slgn/jle:.r, l a mer. A

/

Thalath correspond à Tiamat, entité primordiale composée d'eau salée. Tiamat est donc la souveraine et la mère des êtres hybrides, c'est-à-dire des démons. La seconde catégorie comprend les démons liés au monde des morts, c'est-à-dire les êtres venant des enfers ou qui sont la progéniture de grandes divinités infernales 70. Ces démons peuvent être issus de Nergal, de Bël et d'Ereskigal, d'Anu et d'une déesse infernale (ou dans les versions sumériennes d'An, dieu du ciel, et de Ki, déesse de la terre), ou encore d'Ea et de Damkina. Ce dernier couple étant bienveillant, on justifie leur descendance mauvaise en qualifiant les démons engendrés de "bile d'Ea". Ces liens avec les dieux souligneraient leur proximité avec les forces élémentaires. 66 Temple de Bel-Marduk à Babylone. Malheureusement, les peintures citées ne sont pas parvenues jusqu'à nous. 67 Omorka selon la traduction de S. M. Burstein (BURSTEIN, Stanley Mayer. 1978, p. 14). 68 Thalath chez S. M. Burstein. 69 LOISY, Alfred, 1901, p. 9 (et p. 10 pour l'identification de Thalath avec Tiamat). Tiré d'EusÈBE DE CÈSARÉE, Chronique, XIX, lOO-III. Malgré l'ancienneté de l'ouvrage d'A. Loisy, l'ensemble de la traduction est de qualité et justifie sa sélection ici Seuls quelques noms propres de divinités s'orthographieraient aujourd'hui de manière légèrement différente, selon les conventions de transcription actuelles (voir les deux notes précédentes). 70 LANGDON, S., 1934, p. 49; CONTENAU, Georges, 1947a, p. 85 ; CONTENAU, Georges, 1947b, p. 1913 ; CONTENAU, Georges, 1950, p. 260; CONTENAU, Georges, 1951, p. 88; LEIBOYICI, Marcel, 1971, p. 88; JOANNÈS, Francis, 2001b, p. 225.

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A ces êtres s'ajoute un autre type de démons, les e femmu. Les e femmu sont les esprits des morts insatisfaits de leur vie, qui ont connu une mort violente, ont subi un tort, n'ont pas reçu 71 de sépulture ou les honneurs funèbres . .. Les raisons de revenir pour l'esprit d'un mort sont innombrables. Ils ont une fonne immatérielle et fantomatique. Le terme sumérien GIDIM correspondant à l'akkadien e femmu est attesté depuis environ 2500 avo J.-c. Ce tenne se différencie de UDUG qui désigne un démon lui aussi insaisissable mais qui n'est pas un ancien humain. Néanmoins, les deux types d'êtres sont souvent décrits ensemble, comme si les e temmu se confondaient avec les utukku (UDUG). Ces esprits pouvaient revenir et faire du tort aux vivants (parfois même sur ordre d'une divinité supérieure), c'est-à-dire leur apparaître et les tourmenter, les épouvanter, les posséder, les rendre malades, voire les torturer psychologiquement et physiquement, mais aussi, bien que plus rarement, leur venir en aide en intercédant pour eux auprès de divinités supérieures, ou encore en les libérant de maux divers. Les textes abordent cependant beaucoup plus discrètement les origines mythologiques des génies. Nous pouvons cependant affirmer qu'ils sont eux aussi issus des grands dieux, puisque dans Le Poème d'Atrahasîs, tab. I, col. I, I. 5-7, les dieux inférieurs, à qui les grands dieux imposent les corvées, sont tout comme eux les enfants d'Anu : 72

.

73

C ar Ies gran d s A nunna k u , aux Igzgu , imposaient une corvée septuple! Leur père à tous, Anu, était leur roi ;74

71 CONTENAU, Georges, 1950, p. 262 ; BOTTÉRO, Jean, 1980, pp. 28 et 39-41 ; BOTTÉRO, Jean, 1983, pp. 162-165 et 169-173 ; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003f, pp. 88-89; JOANNÈS, Francis, 2005, pp. 81-82 et 84. 72Grands dieux. 73 Dieux inférieurs. 74 BOTTÈRO, Jean et KRAMER, Samuel Noah, 1989, p. 530.

35

C'est d'ailleurs la révolte des Igigi qui sera à l'origine de la création de l'homme. Les démons de la Bible, à l'instar des démons mésopotamiens, auraient une ascendance divine. Certains démons sont issus de couples composés d'anges et de femmes75. C'est le cas par exemple des géants (ou nephilim) de Gn. VI, 12; VI, 4 et 1 Hén. 7_976. Pour S. Langdon, les démons sont les enfants de Dieu77. Ce concept aurait justement pour origine l'ascendance divine des démons mésopotamiens. Mais il ne précise pas s'ils sont créés directement par Dieu, ou bien s'ils ne sont que les fils d'êtres créés par Dieu, comme c'est le cas pour les géants. On peut cependant remarquer que les démons qui sont d'anciens anges déchus ont bien été directement créés par Dieu. Nous abordons le cas particulier de l'ange déchu un peu plus loin dans ce chapitre, p. 45. Enfin, l'origine des anges n'a rien de complexe. Les anges sont des êtres créés par Dieu78. Ils ne doivent leur existence qu'à sa seule volonté et ne peuvent être créés d'une autre façon. Ainsi, à Ps. CXLVrn, 5: Qu'il/9 louent le nom de l'Eternel! commandé, et ils ont été créés.

Car il a

De même, à Col. I, 16, on nous dit de nouveau que les anges ont été créés par Dieu:

75 RILEY, Greg J., 1995a, col. 452. 76 ATAÇ, Mehmet-Ali, 2004, p. 8. La Bible ne dit à aucun moment que Jes anges ayant enfanté les géants sont des êtres déchus. Cependant, de très nombreux commentateurs des textes bibliques les ont interprétés comme tels. Leur progéniture est aussi considérée comme des êtres néfastes. Leur attitude mauvaise serait la cause de la décision de Dieu de détruire les hommes par Je déluge. 77 LANGDON, S., 1934, p. 55. 78 DUCHET-SUCHAUX, Gaston et PASTOUREAU,Michel, 1994a, p. 25. 79

Désigne les anges. 36

Car en lui ont été créées toutes les choses qui sont dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles, Trônes, Dignités, Dominations, Autorités8o. Tout a été créé par lui et pour lui. Ainsi, à l'exception des e temmu, qui sont plus proches des fantômes que des démons, les génies, les démons et les anges sont tous issus de divinités.

3) La nature des génies et des anges A) Le caractère divin des génies et des anges Comme nous venons de le voir, les anges sont créés par Dieu. Ils sont donc d'essence divine. De même, dans l'islam, les djinn sont de nature angélique8!, et donc divine. Les génies mésopotamiens sont eux aussi de nature divine. Trois arguments vont dans ce sens. Premièrement, comme nous l'avons vu précédemment, les génies et les démons ont eux aussi une ascendance divine, puisqu'ils sont les enfants des dieux82. Leurs parents divins leur transmettent ce caractère, même si les génies et les démons ne sont que des divinités mineures83. Ils sont donc dotés tout comme eux de capacités surhumaines: puissance, intelligence, immortalité4. . .

so La même liste se trouve à Ep. 1,21 où les trônes sont remplacés par les puissances. Notons que les types d'anges divergent fortement selon les traductions (même remarque pour Ep. l, 21). Seuls les trônes et les dominations (et les puissances pour Ep. 1,21) ont été retenus en tant qu'ordres angéliques dans la hiérarchie du Pseudo-Denys ]'Aréopagite. Pour les différents types d'anges, voir p. 167 et sui vantes. 81 SFAR, Mondher, 1998, p. JO!. 82 CONTENAU, Georges, 1947a, p. 85. 83GREEN, Anthony, 1997, p. 262. 84BOTTÉRO, Jean, 1998, p. 137.

37

Fig.2 : LAMASSU, TAUREAUAILÉ ANDROCÉPHALE. Haut et bas-relief, vers 717-706 avo J.-C., palais de Sargon II, Khorsabad, albâtre, H. 420 cm, Paris, Musée du Louvre, AO 19859.

En outre, la tiare à cornes, qui caractérise les êtres divins, est aussi portée par les génies85. C'est le cas par exemple des taureaux ailés androcéphales des palais néo-assyriens (fig. 2). Ils portent d'ailleurs parfois une tiare à plusieurs cornes, ce qui prouve que malgré leur rang de divinités mineures, ceux-ci ont néanmoins une certaine importance. La tiare avec plusieurs paires de cornes n'est donc pas exclusivement réservé aux grands dieux, mais aussi aux génies86.

85 BABELON, Ernest. 1906, p. 36 ; CONTENAU, Georges, 1922a, p. 100; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003e, p. 86. 86 Cependant, à l'époque d'Akkad, certains rois portent pour la première fois cette tiare: ils se considèrent alors comme des dieux vivants. La première image connue d'être humain portant cette tiare se trouve sur la stèle de Narâm-Sîn.

38

Enfin, grammaticalement, DINGIR est un substantif (en akkadien ilum) qui signifie divinité sans distinction de sexe87. Mais il peut aussi être employé comme déterminatif sous la forme graphique d'une étoile et caractériser les êtres divins. Or, le nom des démons est précédé de cet idéogramme. De plus, les idéogrammes UDUG et GIDIM qui désignent les démons portent un caractère divin. En effet, UDUG est rendu par "deux tiers" de l'idéogramme INANNA/IStar et GIDIM par "un tiers" d'INANNAlIStar88. Cela signifie que les démons ou les génies sont de nature divine comme la déesse IStar, mais aussi qu'ils sont inférieurs aux dieux. Abordons enfin le cas plus particulier de l'être semi-divino Il s'agit d'un être dont le caractère n'est divin qu'en partie seulement (dans le monde grec, nous parlerions de héros). Dans la Bible, il s'agit par exemple des géants dont nous avons déjà parlé, et qui sont les fils d'anges (totalement divins) et de femmes (humaines). Un parallèle peut-être fait avec GilgameS, être divin seulement aux deux tiers (L'Epopée de GilgameS, tab. X, col. VI, 1. 1-2). De même, Utnapistim (personnage que l'on trouve aussi dans L'Epopée de Gilgames), qui est humain à l'origine, devient par la suite immortel et acquiert donc un caractère semi-divin89. Ces deux personnages (ainsi que Humbaba, qui lui est pourtant un être totalement divin dans la mythologie mésopotamienne) sont cités en tant que géants dans Le Livre des Géants retrouvé à Qumrân90. Ce livre devait à l'origine faire partie du Livre d'Hénoch. La présence de ces noms est peut-être due à une version anatolienne de L'Epopée de GilgameS découverte à Bogazkoy et qui date du milieu du deuxième millénaire avant J.-c. Gilgames y est décrit comme un géant haut de 5 coudées (soit environ 5 m).

87 BOTTÉRO, Jean, 1998, p. 137 ; SAGGS, H. W. F., 1998, p. 112 ; GLASSNER, JeanJacques, 2005, p. 183. 88 LEIBOYICI, Marcel, 1971, p. 87. 89 ATAÇ, Mehmet-Ali, 2004, p. 19. 90ANNUS, Amar, 2002, p. 129; ATAÇ, Mehmet-Ali, 2004, p. 8.

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B) Le rang des génies et des anges Les démons et les génies mésopotamiens sont des divinités mineures, c'est-à-dire qu'ils se situent à un rang inférieur aux grands dieux91. Ils sont placés au bas de l'échelle des divinités, tout comme le dieu personnel (sauf dans les cas où celui-ci est un grand dieu). Les démons et les génies sont moins puissants que les dieux, mais plus que les hommes. Ils sont donc à un rang intermédiaire entre les dieux et les hommes. Mais si les génies et les démons sont tous des divinités mineures, les divinités secondaires ne sont peut-être pas forcément toutes des génies ou des démons. Il n'est pas possible de trancher la question dans la mesure ou il n'est pas toujours précisé dans les textes si les divinités secondaires sont des génies, des démons, ou bien ni l'un ni l'autre. Nous ne pouvons donc savoir s'il faut comprendre (à l'époque où génie et démon sont différenciés) deux ou trois catégories de divinités inférieures. Par conséquent, cette étude concernera toute divinité secondaire, qu'il soit avéré qu'elle soit un génie ou un démon ou pas. Toujours au sujet du rang de ces êtres, certaines divinités secondaires se situent entre les démons et les divinités supérieures. Il s'agit en général d'enfants de grands dieux. C'est le cas par exemple de Lamastu, fille d'Anu, de Pazuzu, fils d'Hanbu, ou de Namtar, fils d'Enlil92. On retrouve degré inférieur. entre l'homme l'ange semblent divine94.

9]

une conception similaire dans l'islam, mais à un Ainsi, l'hinn est un type de djinn intermédiaire et les autres djinn93. En revanche, le djinn et occuper une place similaire dans la hiérarchie

CASSIN,Elena, 1986, p. 95 ; LEICK,Gwendolyn, 1991b. p. 31 ; BOTTÉRO,Jean,

1994b, p. 155 ; Roux, Georges, 1995, p. 112 ; GREEN, Anthony, 1997, p. 262 ; BOTTÉRO, Jean, 1998, p. 137; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003c, p. 63. 92JOANNÉS, Francis, 200 I b, p. 225. 93 TRITTON, Arthur Stanley, 1934, p. 715. 94 SFAR, Mondher, 1998, pp. 106-108.

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Quant aux anges, ceux-ci sont des intermédiaires entre les hommes et Dieu95. Cette position intermédiaire est liée au rôle de messager de l'ange qui sera abordé dans la troisième partie de ce travail. On peut ainsi synthétiser ces éléments par le schéma suivant qui met sur le même plan des concepts de cultures différentes. Grands dieux mésopotarniens/DieuJ Allah

Lamastu, Pazuzu, Namtar...

Génies, anges, démons, djinn

Hinn

Hommes Schéma

1 : HOMMES ET DIVINITÉS.

C) La matérialité du corps Les anges sont par essence immatériels. Ils échappent à la condition chamelle car ils ne sont qu'esprits96. Cependant, lorsqu'ils apparaissent, ils ont bien un corpS97. De même, on les voit parfois boire et manger (par exemple, à Gn. XVIIT, 8), ce qui paraît inconciliable avec leur essence spirituelle. Mais on nous dit à Tb. XII, 19 que ce n'est qu'une illusion98 : 95 LANDSBERGER,Franz, 1947, pp. 232 et 247. 96CAQUOT, André, 1971, p. 136. 97 Voir chapitre II, 4, B, d, p. 91. 98 MEIER, Samuel A., 1995a, col. 86.

41

Il vous a paru que je buvais et que je mangeais avec vous,. mais, pour moi, je me nourris d'une viande invisible et d'un breuvage qui ne peut être vu des hommes. Une autre allusion se trouve au Livre des luges (Xli, 16). Cette attestation est plus ancienne que celle de Tobie, livre d'époque hellénistique. On peut ainsi penser que leur corps n'est qu'illusion, tout comme leur consommation de nourriture. De même, dans l'islam, on estime parfois que les djinn n'ont pas de COrpS99.

Concernant les génies, d'après L. Oppenheim, certains ne seraient qu'une manifestation extérieure "traduisant , /. . .,,100 p Ius I experzence d u mOl . C e Ia sous-ten d raIt un caractere ' spirituel que matériel. Ainsi, l'ilu représenterait un don spirituel qui renvoie à l'élément divin que l'on trouve chez l'homme, l'istaru serait sa destinée, la lamassu serait ses caractéristiques individuelles et enfin le sëdu serait son élan vital. De l'avis général, les démons et les génies ont bien un corps, bien que celui-ci fonctionne différemment de celui des hommes et des dieux. Alors que les hommes et les dieux ont du sang dans les veines, les démons ont du poison dans le corps que l'on appelle imtulOl. Ainsi, le roi Narâm-Sîn (2254-2218 avo I.-C.), devant faire face aux guerriers d'Anubanini qui semaient la terreur et dont on disait qu'ils étaient peut-être des démons, ordonna qu'on les blesse afin de déterminer s'ils étaient humains et s'il était donc possible de les combattre: [le con]voquai un éclaireur de l'armée et (lui) donnai mes instructions. [le lui remis] une [dague et] une épingle. "Frappe-(les) avec la 99 TRITTON, Arthur Stanley, 1934, p. 716. 100OPPENHEIM, Léa, 1970, p. 215. 101CASSIN, Elena, 1986, p. 95.

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dague! Pique-(les) avec l'épingle! [Si du sang en sort], ce sont des hommes comme nous. [Si aucun sang n'en sort], ce sont des esprits (mauvais), des messagers de la Mort, [des mon]stres, des démons malveillants, des créatures d'Enlil". L'éclaireur revint et fit son rapport: "Je (les) ai frappés avec la [dague] ; je (les) ai piqués avec l'épingle et du sang en est . ,,102 sor t l. Enfin, les êtres divins mineurs semblent liés par essence au feu. Ainsi, la nature des anges semble avoir "quelque affinité,,103 avec cet élément. A Ex. III, 2, l'ange apparaît dans une flamme: L'ange de l'Eternel .lui apparut dans une flamme de feu, au milieu d'un buisson. Moïse regarda; et voici, le buisson était tout en feu, et le buisson ne se consumait point. De même, àJg. XIII, 20: Comme la flamme montait de dessus l'autel vers le ciel, l'ange de l'Eternel monta dans la flamme de l'autel. A cette vue, Manoach et sa femme tombèrent la face contre terre. Dans l'islam, les djinn quant à eux étaient créés à partir d'une flamme ou de fumée104. En ce qui concerne les génies mésopotamiens, leur nature ne semble pas associée au feu, au contraire des anges et des djinn. En revanche, on a pu démontrer que Nergal serait naturellement

102

La Légende de Kutha, L 63-71. Traduction Joan Goodnick, 1997, p. 315. 103CAQUOT,André,1971,p.122. ]04 TRITTON, Arthur Stanley, 1934, p. 716.

43

française réalisée d'après WESTENHOLZ,

"brûlant". En effet, d'après des textes ugaritiques, Nergal serait identique à ReSeplOS.Or, d'après Dt. XXXII, 24, : Ils seront consumés par la famine, mangés par Reshep. Resep est donc de nature "brûlante". Son nom signifie d'ailleurs celui qui brûle. Si l'on s'en tient aux textes d'Ugarit (nous n'avons malheureusement pas d'autres textes évoquant ce fait), Nergal, tout comme Resep, serait donc brûlant. En outre, le terme rasubbatu, qui désigne l'éclat de Nergal, a été rapproché de Resep. C'est donc cet éclat qui serait brûlant chez Nergal. Or, les génies et les démons dégagent aussi un éclat106. Ces derniers dégagent donc peut-être aussi de la chaleur, voire des flammes. L'idée de feu, qui à l'origine n'était pas associée aux génies ou aux démons, a donc pu le devenir avec le temps.

Fig. 3 ; FIGURE

INSCRITE DANS UN DISQUE AILÉ.

Peinture émaillée sur briques, début du IXèmesiècle avo J.-c., palais de Tukultî-Ninurta II, Assur, H. 28 cm, Londres, British Museum, 115706.

De plus, d'après P. R. S. Moorey, la figure humaine inscrite dans un disque ailé de l'époque achéménide serait un génie car 105CASSIN, Elena, 1968, p. 8 (même référence pour la traduction XELLA, Paolo, 1995, col. 1325. 106 Voir p. 51 et suivantes.

44

de DI. XXXTI, 24) ;

celui -ci porterait une tiare 107.Rappelons que cette figure par le passé n'avait jamais représenté une divinité mineure, mais toujours un grand dieu (Assur par exemple). Or, une peinture émaillée retrouvée dans le palais de Tukultî-Ninurta II (890-884 avo J.-c.) à Assur (fig. 3) représente un disque ailé qui a la particularité d'être enflammé. Avec le temps, cette figure (l'image d'un homme dans un disque de feu ailé que les contemporains comprenaient comme un génie) a donc bien pu donner naissance à un concept liant le génie à une idée de feu.

4) Les génies et les anges déchus La figure de l'ange déchu est bien connue. En premier lieu, les anges qui ont enfanté les géants à Gn. VI,I-2 et VI, 4 sont considérés par de nombreux commentateurs bibliques comme des anges pervertis, et donc déchus, même si la Bible ne fait pas mention de cette déchéancelO8. En revanche, la Bible précise bien que Satan et les anges qui le suivirent dans sa révolte contre Dieu furent déchuslO9. Is. XIV, 12-15 mentionne cela, bien que Satan ne soit jamais nommé: Te voilà tombé du ciel, Astre brillant, fils de l'aurore! Tu es abattu à terre, Toi, le vainqueur des nations! Tu disais en ton cœur: "Je monterai au ciel, J'élèverai mon trône au-dessus des étoiles de Dieu; Je m'assiérai sur la montagne de l'assemblée, à l'extrémité du septentrion; Je monterai sur le sommet des nues, Je serai semblable au Très Haut." Mais tu as été précipité dans le séjour des morts, dans les profondeurs de la fosse.

!O7MOOREY, Peter Roger Stuart, 1978, p. 147. Cependant, qu'il s'agit à cette époque d'Ahura Mazdâ. !O8 Voir note 76 p. 36. !O9GIORGI, Rosa, 2004, p. 236.

45

on considère généralement

On retrouve aussi les anges déchus dans des textes plus tardifs, comme àAp. XII, 7-9: Et il Y eut guerre dans le ciel. Michel et ses anges combattirent contre le Dragon. Et le Dragon et ses anges combattirent, mais ils ne furent pas les plus forts, et leur place ne fut plus trouvée dans le ciel. Et il fut précipité, le grand Dragon, le Serpent antique, appelé le Diable et Satan, celui qui séduit toute la terre, il fut précipité sur la terre, et ses anges furent précipités avec lui. Ou bien au 1 Hén. X, 9-13, texte apocryphe. Ainsi, les anges déchus deviennent en général des démons. Nous l'avons vu, c'est le cas par exemple de SatanllO. Dans les mythes mésopotamiens, il existe aussi des cas de divinités déchues. Le plus connu est celui de Lamastu. Lamastu, la fille du dieu du ciel Anu, est une déesse de haut rang. Lorsqu'elle exige de la viande de nourrisson pour son dîner, son père, qui en a assez de son "esprit mauvais", l'expulse définitivement des cieux!!!. La déesse, précipitée sur terre, devient alors une démone. Nous retrouvons ici les éléments les plus anciens de l'archétype de "l'ange déchu". En outre, dans L'Epopée de Gilgames, Enkidu est en quelque sorte "déchu" de sa condition d'être divin. En effet, Enkidu est créé par Enki, et est donc divin. Son nom signifie d'ailleurs en sumérien Enki l'a crééll2. De plus, son nom est précédé dans les textes du déterminatif divin DINGIR. Mais lorsqu'il couche avec la prostituée Samhat, il souille son corps de dieu: il devient alors mortel, et donc perd une partie de son caractère divin. Tout comme les anges qui se sont unis à des

110CAQUOT, André, ]97], p. ]43. 111LElBOYICI, Marcel, 1971, p. 92 ; MICHEL, Cécile, 2001b, p. 459. 112ATAÇ, Mehmet-Ali, 2004, pp. 17-18.

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femmes mortelles, originelle.

il ne peut plus retrouver

5) L'individualisation

sa condition

des génies et des anges

Contrairement aux dieux, les génies et les démons babyloniens n'ont la plupart du temps pas de nom ni de personnalitél13. Ils ne sont pas individualisés. Même les dieux personnels sont bien souvent anonymes. Des termes génériques désignent des groupes de démons ou de génies, comme les utukku lemnutu (expression qui signifie littéralement méchants démons) pour les démons, ou les lamassu pour les génies. Cependant, certaines divinités secondaires ont parfois des noms, voire de véritables personnalités. Ainsi, on connaît parfois les noms des divinités personnelles quand elles sont celles des roisl14. De même, certains démons possèdent des noms propres, et même une personnalité. C'est le cas par exemple de Pazuzu et . d e L amastu qUI sont d es noms propres. Ils C ltons d e meme Namtar, le vizir d'Ereskigal, qui deviendra par la suite le démon de la mort, ou Saman, dieu secondaire de Lagas, qui devient à l'époque paléo-babylonienne Samâna, démon attaquant les enfants. Cependant, au nème millénaire avo J.-c., beaucoup de divinités secondaires ont été absorbées par les divinités supérieures, leurs noms ne devenant plus alors que les épithètes des grands dieux 116.Ce phénomène est à l'image de Marduk qui, à la même époque, assimile les attributs des autres grands dieux 117. A

V'

113DESHAYES, Jean, 1969, p. 261 ; LElBOYICI, Marcel, 1971, p. 88 ; GARELLl, Paul et LEMAIRE, André, 1974, p. 169 ; RACHET, Guy, 1999c, p. 134 ; JOANNÈS, Francis, 2001b, pp. 225-226. Il" LAMBERT, W. G., 1971, p. 543. 115GARELLl, Paul et LEMAIRE, André, 1974, p. 169; RACHET, Guy, 1999d, p. 314 ; JOANNÈS, Francis, 2001b, pp. 225-226; MICHEL, Céci1e, 2001a, p. 637. 116LAMBERT, W. G., 1971, p. 545. 117MARGUERON, Jean-Claude et PFlRSCH, Luc, 1996, p. 292 ; JOANNÈS, Francis, 2001d, p.494.

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Dans le zoroastrisme, les Amesha Spenta sont des êtres divins personnifiés. Ainsi, Vohu Mana (qui signifie La Bonne Pensée) est le gardien du ciel, celui qui accompagne les fidèles après leur mort, et le maître des animaux domestiques; Asha (L'Ordre) est le génie du feu; Khshathra (La Puissance), le seigneur des métaux; Armaïti (La Piété), la divinité de la terre; enfin, Haurvatât (L'Intégrité) et Ameretât (La Non-Mort) sont les génies des eaux, des plantes, de la fertilité et de l'abondance118. De même, toujours dans le zoroastrisme, les Yazata (êtres proches des Amesha Spenta signifiant les AdorablesII9) sont eux aussi individualisés: Rashnou Razishtâ est la parfaite justice; Daênâ est la loi ou la foi; Sraosha est l'obéissance; Tshistâ, la compréhension; Tshinvat, le gardien des morts. Arshtât et Zamyât quant à eux ont pour rôle de peser les âmes, et Rashnou porte la balance 120. Comme les génies et les démons mésopotamiens, les anges sont la plupart du temps anonymes et sans personnalité. Mais il existe néanmoins quelques exceptions. Les premiers noms propres d'anges apparaissent dans Daniell2l. Ce livre est daté du IIèmesiècle avo J.-c. On trouve l'ange Gabriel mentionné à Dn. VIII, 16 et IX, 21. Mickaël apparaît à Dn. X, 13 ; X, 21 ; XII, 1. Tobie (V, 17 ; XII, 15) cite Raphaël. Gabriel, Mickaël et Raphaël sont les seuls noms d'anges mentionnés dans l'Ancien Testament. Beaucoup de textes apocryphes mentionnent d'autres anges. Par exemple, à 1 Hén. I, 20, une liste énumère sept noms, dont certains non mentionnés dans la Bible: Gabriel, Mickaël, Raphaël, Uriel, Raguel, Sarie! et Remiel. A 1 Hén. IX, 1, on liste quatre noms d'archanges: Gabriel, Mickaël, Sariel et Raphaël, auxquels s'ajoute parfois Uriel selon les versions. Dans les textes, Sariel est parfois remplacé par Uriel ou Phanuel. Les noms des anges 1i8

SODERBLOM.Nathan, 1925, p. 373 ; DUMÉZiL, Georges, 1992, p. 216. 1i9MASANl, R. P., 1939, p. 69. 120SODERBLOM,Nathan, 1925, p. 377. 121CAQUOT, André, 1971, p. 133; COLLINS, John J., 1995, col. MO; VAN HENTEN, Jan Willem, 1995a, col. 94 ; VAN HENTEN, Jan Willem, 1995b, col. 152.

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apparurent lors du retour des juifs exilés à Babylone au Vlème siècle avo J.-c.. Certaines figures d'anges auraient même des modèles babyloniens. Ainsi, A. Caquot rapproche l'ange scribe de Ez. IX, 2 de NaM. De même, Mickaël pourrait avoir été à l'origine vénéré en Babylonie122. Quoi qu'il en soit, les noms d'anges (et les individualisations) apparaissent dans les livres tardifs de la Bible et dans les textes intertestamentaires. Les anges sont donc déjà à l'époque hellénistique le résultat d'une évolution mythologique ou religieuse, ce qui induit une certaine ancienneté de ces modèles. A cette même époque, les noms des anges se multiplientJ23. Ces noms se terminent tous par El, le dieu cananéen identifié à Yahvé dans l'Ancien Testament. La caractérisation des anges, notamment par l'attribution d'un nom, ne semble avoir lieu que pour les archanges124. En effet, Mickaël, Gabriel et Raphaël sont considérés comme des archanges, même s'ils sont seulement appelés "anges" dans la Bible. Ainsi, Gabriel et Raphaël sont des anges promus archanges par les évangiles apocryphes. Cependant, on peut se demander si les noms ont été attribués parce que ces êtres étaient des archanges, ou bien si leur promotion d'archanges est due au fait qu'ils étaient déjà individualisés, notamment parce qu'ils possédaient des noms. Ces anges ont été individualisés grâce aux actions importantes qu'ils ont accomplies, ou par les missions de premier ordre qui leurs sont confiées. Dans Daniel, Gabriel est l'ange qui explique prophétie et vision125. En revanche, dans le Nouveau Testament, il est l'ange de l'Annonciation (comme par exemple à Le. l, 19). Son nom pourrait signifier homme de Dieu, Dieu est mon héros ou Dieu est mon guerrier. Miekaël quant à lui signifie qui est comme 122DAVIDSON. Gustav, 2005, pp. 350-351. Le fait est possible mais, malheureusement, l'auteur ne précise pas ses sources sur ce point précis. La plus grande prudence est donc de rigueur sur cette origine mésopotamienne. 121COLLINS, John J., 1995, col. 641. 124DUCHET-SUCHAUX, Gaston et PASTOUREAU, Michel, 1994b, p. 45 ; GIORGI, Rosa, 2004, pp. 360 et 368. 125COLLINS, John J., 1995, col. 640.

49

Dieul26.

D'après M. Mach, son nom pourrait venir de la divinité

cananéenne Mikal (cependant, comme dit plus haut, Mickaël proviendrait de Babylonie d'après G. Davidson). Il est le gardien d'Israël à Dn. X, 13 et X, 21, ainsi qu'à XII, 1 où nous avons le texte suivant: En ce temps-là, se lèvera Michel, le grand chef, le défenseur des enfants de ton peuple; et ce sera une époque de détresse, telle qu'il n 'yen a point eu de semblable depuis que les nations existent jusqu'à cette époque. En ce temps-là, ceux de ton peuple qui seront trouvés inscrits dans le Livre seront sauvés. Enfin, Raphaël, dont le nom signifie Dieu soigne, chasse les démonsl27, comme à Tb. VITI, 3 : Alors l'ange Raphaël prit le démon, et l'alla lier dans le désert de la Haute Egypte. Chez les Musulmans, notons que les djinn n'étaient pas ou peu individualisés128. En revanche, quelques anges possédant un nom sont mentionnés dans le Coran: Gabriel est cité trois fois (Il, 91 ; Il, 92 et LXVI, 4), et Mickaël une fois (II, 92).

126MACH, Michael, 1995a, col. 1065. 127MACH, Michael, ] 995b, col. ]299. 128TRITTON, Arthur Stanley, ]934, p. 717.

50

II

Apparence des génies et des anges 1) Le pouvoir d'invisibilité Les démons et les génies mésopotamiens avaient la faculté de se dissimuler à l'œil humain. Ils pouvaient devenir invisibles 1. Les anges ont aussi cette faculté. En revanche, d'après A. Caquot, les anges seraient naturellement invisibles, au contraire des êtres divins mésopotamiens qui étaient ordinairement visibles. Les anges peuvent, selon leur volonté, apparaître aux hommes2. Nous avons donc ici un concept inverse de celui des démons et des génies mésopotamiens. Enfin, les djinn aussi pouvaient être invisibles. Tout comme les anges, ils seraient eux aussi normalement invisibles, et n'apparaîtraient que parce qu'ils le désirene.

2) L'éclat corporel Des dieux mésopotamiens se dégagent une vive lueur que l'on nomme "splendeur" ou "éclat"4. Cette "splendeur", propre aux dieux, se retrouve parfois chez les rois. Elle est désignée dans les textes par NIGAL en sumérien ou namrirrû en akkadien. Namrirrû est un substantif qui dérive de la racine 1 BABELON, Ernest, 1906, p. 33; MOSCAT!, Sabatino, 1971, p. 88 ; JOANNÈS, Francis, 2001b, p. 225. 2 CAQUOT, André, 1971, p. 135. 3 TRITTON, Arthur Stanley, 1934, p. 718. 4 CASSIN, Elena, 1968, pp. 2-6 et 23.

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1955, p. 62; LEIBOVICI, Marcel,

NMR qui signifie être lumineux ou briller. On trouve aussi parfois les termes akkadiens puluhtu, birbirrû, sarûru, salummatu ou melammu. Les démons et les génies dégagent aussi cette splendeurs. Ainsi, dans L'Epopée de Gilgamd, ce dernier rencontre des hommes-scorpions gardiens des enfers qui dégagent une telle lueur. De même, le lahmu, les démons que Marduk combattit ou Humbaba possèdent cette splendeur. Ce dernier en particulier possède sept pulhâtim, c'est-à-dire un septuple éclat. Celui-ci lui permet d'éclairer la forêt et de la surveiller. Cette splendeur peut être différemment localisée6. Elle peut provenir de l'ensemble du corps, ou bien seulement d'une partie bien précise. Du mème au 1ermillénaire avo J.-c., sur les sceaux-cylindres sumériens, akkadiens ou babyloniens, la splendeur se dégage de tout le corps (ce que M. CaBinet-Guérin appelle le "nimbe de corps", par opposition au nimbe localisé au niveau de la tête). Mais les êtres divins présentent parfois une lueur qui se dégage uniquement de la tête, lueur que l'on appelle "nimbe". Ainsi, dans L'Epopée de la Création, tab. I, 1. 67-69, Ea saisit Apsû, lui retire son turban et enlève son melammu : Ea détacha le bandeau-frontal d'Apsû et ôta sa couronne; Il confisqua son Eclat-surnaturel et s'en revêtit lui-même; Puis, l'ayant terrassé, il le mit-à-mort. Le terme melammu désigne un éclat venant de la tête. Le terme est souvent associé aux verbes nasû qui signifie porter, apâru qui signifie coiffer dans le sens de placer sur la tête, ou ka~ru qui signifie lier ou ceindre. L'association à ce dernier terme incite E. Cassin à penser que le melammu pouvait être 5 CASSIN, Elena, 1968, pp. 4-5, 22-23, 54 et 65 ; LElBOYICI, Marcel, 1971, p. 88 ; JOANNÈS, Francis, 200 Ib, p. 225. 6 COLLINET-GUÉRIN, Marthe, 1961, pp. 72 et 176 ; CASSIN, Elena, 1968, pp. 6, 23-24 et 133; LElBOYICI, Marcel, 1971, p. 88 ; BOTTÉRO, Jean et KRAMER, Samuel Noah, 1989, p. 607 pour le passage cité.

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conçu comme un objet matériel qui pouvait se lier autour de la tête du dieu, comme une couronne, et d'où se dégageait une sorte de splendeur. La notion de splendeur dans l'iconographie mésopotamienne

perdure jusqu'au ref millénaire avoJ.-c. Elle se retrouve ensuite

chez les Grecs et chez les Hébreux. En Syrie, entre le même et le Vême siècle ap. J.-c., les influences grecques, mais aussi romaines, modifient le nimbe pour donner un modèle qui annonce le nimbe chrétien. Les anges dégagent eux aussi une lumière surnaturelle7. Ainsi, Dn. X, 5-6 décrit la brillance d'un ange: Je levai les yeux, je regardai, et voici, il y avait un homme vêtu de lin, et ayant sur les reins une ceinture d'or d'Uphaz. Son corps était comme de chrysolithe, son visage brillait comme l'éclair, ses yeux étaient comme des flammes de feu, ses bras et ses pieds ressemblaient à de l'airain poli, et le son de sa voix était comme le bruit d'une multitude. De même, 2 Co. XI, 14 nous dit ceci: Et cela n'est pas étonnant, puisque Satan luimême se déguise en ange de lumière. Mais les anges sont aussi représentés nimbés, et ce dès les premiers siècles de notre ère dans les représentations romaines8. Nous observons donc un écart entre les écrits bibliques qui mentionnent une lumière qui provient de tout le corps, et les représentations qui concentrent cette lumière autour de la tête.

7 CAQUOT, André, 1971, p. 135 ; v AN HENTEN, Jan Wil1em, 1995a, col. 93. 8 DUCHET-SUCHAUX, Gaston et PASTOUREAU, Michel, ]994a, p. 25 ; DUCHETSUCHAUX, Gaston et PASTOUREAU,Michel, ]994b, p. 46.

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3) Les ailes Au Proche-Orient, les génies n'ont pas toujours eu des ailes. En effet, ce n'est que vers la seconde moitié du nème millénaire que les génies en sont dotés9. Ces êtres nouvellement ailés donneront naissance aux nombreuses créatures ailées néoassyriennes et néo-babyloniennes. L'ajout des ailes permet de souligner leur fonction de messager. Les génies possèdent le plus souvent deux ailes, mais parfois quatre (illustration de couverture), voire six. A l'origine, les anges (messagers) n'avaient pas non plus d'aileslO. Ainsi, dans l'Ancien Testament, l'ange n'en possède jamais A Gn. XXVIII, 12, Jacob voit des anges utiliser une échelle qui leur permet de rejoindre le ciel: Il eut un songe. Et voici, une échelle était appuyée sur la terre, et son sommet touchait au ciel. Et voici, les anges de Dieu montaient et descendaient par cette échelle. C'est donc qu'ils n'ont pas d'ailes. De plus, à Jg. XIII, 20, l'ange monte au ciel au moyen de flammes: Comme la flamme montait de dessus l'autel vers le ciel, l'ange de l'Eternel monta dans la flamme de l'autel. A cette vue, Manoach et sa femme tombèrent la face contre terre. On prend même souvent l'ange pour un être humain, le qualifiant de "jeune homme" ou de "voyageur". Par exemple, à Tb. V, 5-6, Tobie prend un ange pour un homme:

9 CONTENAU, Georges, 1922a, p. 100 ; WIGGERMANN, F. A. M., 1997, p. 239 ; VILLARD, Pierre, 2001, p. 349. ]0 LANDSBERGER, Franz, 1947, pp. 230-231 ; CAQUOT, André, 1971, p. 122; HALL, James, 1994a, p. 37; FAURE, Philippe, 1995, p. 14; MEIER, Samuel A., 1995a, co1. 84; VAN HENTEN, Jan Willem, 1995a, co1. 93.

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Tobie étant sorti ensuite, trouva un jeune homme fort bien fait, qui était ceint et comme prêt à marcher. Et ne sachant pas que ce fût un ange de Dieu, il le salua et lui dit: "D'où venezvous, mon bon jeune homme?" Cette méprise démontre là encore l'absence d'ailes. Cependant, dans les textes apocryphes comme le Livre d'Hénoch, les anges possèdent toujours des ailes. Iconographiquement, il en va de même. Les images de Yahvé, ainsi que toute image divine, étaient interdites chez les Hébreux. Cependant, avant le mouvement aniconique, certaines images étaient admisesll, comme le démontrent les statues des chérubins dans le Temple de Salomon (1 R. VI, 23-24 et 2 Ch. m, 10-12). Néanmoins, pratiquement aucune image d'ange n'a été retrouvée. La seule représentation connue de l'art hébreu antique a été retrouvée à Dura Europos. Il s'agit d'une peinture murale datant du mème siècle ap. J.-c. 12 Mais cette représentation est exceptionnelle et très tardive. Elle illustre le rêve de Jacob où des anges montent et descendent une échelle. Ces anges n'ont pas d'ailes. Notons ici qu'il faudra attendre bien plus tard pour retrouver des représentations d'anges dans l'iconographie juive. Selon F. Landsberger, les apparitions suivantes se trouveraient dans deux manuscrits13. Le premier est un psautier conservé à la bibliothèque de Parme et datant du xnème siècle ap. J.-c. Il représente des séraphins conduisant à Dieu les rêves de deux hommes endormis. Le second est un manuscrit du British Museum datant du xmème siècle ap. J.-c. qui représente quatre chérubins gardant l'arbre de vie.

Il DICK, Michael B., 1999, p.S. 12LANDSBERGER,Franz, 1947, p. 231. 13 LANDSBERGER, Franz, 1947, pp. 227-228. Reproduction de la représentation du premier manuscrit dans MUNKASCY, Ernst, Illwninated Manuscripts in Italian Libraries, Budapest, fig. 74. Reproduction de celle du second manuscrit dans l'article de F. Landsberger, ill. nO].

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Les premières images chrétiennes d'anges se trouvent dans les catacombes romaines et datent de la fin du IVèmc siècle ap. J._c.J4 A cette époque, les représentations d'anges ne montrent pas d'ailes, et cela pour deux raisons: pour se conformer au texte biblique, et pour se différencier des divinités païennes ailées telles que les Victoiresls. Dans la religion grecque notamment, la déesse de la victoire Nikè, anthropomorphe comme les anges, ressemblait aux anges des Israélites16. Elle avait en outre la même fonction de messager, car elle était envoyée par Zeus aux humains pour apporter la victoire. On retrouve aussi des Victoires chez les Perses. Ce n'est qu'un peu plus tard que les premiers anges ailés apparaissent dans l'iconographie. Le tout premier ange ailé représenté apparaît au IVème siècle ap. J.-c. dans l'abside de l'église Sainte-Pudentienne à Rome. On note également une forte proportion d'anges ailés dans les manuscrits du Vèmesiècle ap. J.-c. Les Victoires ont souvent été considérées comme le modèle qui a fourni les ailes des anges. A l'époque paléo-chrétienne, le paganisme ne constitue plus une menace pour le christianisme, et les figures d'anges ailés peuvent donc coexister à côté des Victoires ou des allégories des vents sans danger. Cet attribut deviendra même fondamental à la nature angélique, mais seulement à partir du Moyen Age où les ailes constituent désormais des éléments indispensables à la figure de l'ange, ce qui n'était pas encore le cas dans Hiérarchie céleste rédigé vers 510 ap. J.-c. par le Pseudo-Denys l'Aréopagite et qui décrit et classe les différents types d'anges. Si les anges n'ont pas été décrits ou représentés dès l'origine avec des ailes, il n'en est pas de même pour les chérubins et les 14LANDSBERGER,Franz, 1947, pp. 229, 231,239 et 242 ; DUCHET-SUCHAUX, Gaston et PASTOUREAU, Michel, 1994a, p. 25 ; HALL, James, 1994a, p. 37 ; FAURE, Philippe, 1995, pp. 14-15 ; GIORGI, Rosa, 2004, p. 282. 15 Cependant, pour J. Hall, la figure tout entière de J'ange dériverait de la Victoire. L'anthropomorphisme des anges serait donc un legs gréco-romain. 16Sur le problème de sexe dans la filiation entre Victoire et ange, voir pp. 92-93.

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séraphins. Ces derniers sont en effet les seuls êtres ailés mentionnés dans la Bible. Dans les récits bibliques, les chérubins sont ailés17. Ainsi, à I R. VI, 23-24, on nous dit que les chérubins du Temple ont deux ailes: Il fit dans le sanctuaire deux chérubins de bois d'olivier sauvage, ayant dix coudées de hauteur. Chacune des deux ailes de l'un des chérubins avait cinq coudées, ce qui faisait dix coudées de l'extrémité d'une de ses ailes à l'extrémité de l'autre. De même, à 2 Ch. III, lü-12 : Il fit dans la maison du lieu très saint deux chérubins sculptés, et on les couvrit d'or. Les ailes des chérubins avaient vingt coudées de longueur. L'aile du premier, longue de cinq coudées, touchait au mur de la maison,. et l'autre aile, longue de cinq coudées, touchait à l'aile du second chérubin. L'aile du second chérubin, longue de cinq coudées, touchait au mur de la maison,. et l'autre aile, longue de cinq coudées, joignait l'aile du premier chérubin. En revanche, dans les visions d'Ezéchiel, les chérubins ont quatre ailes, comme par exemple à Ez. I, 6 : Chacun d'eux avait quatre faces, d'eux avait quatre ailes. Il en est de même à I, Il :

17BARROIS, A.-G., 1953, p. 441; ALBRIGHT, W. F., 1961, p. 95.

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et chacun

Leurs faces et leurs ailes étaient séparées par le haut; deux de leurs ailes étaient jointes l'une à l'autre, et deux couvraient leurs corps. Les descriptions des chérubins dans les visions d'Ezéchiel diffèrent sensiblement de celles des chérubins du Temple que nous trouvons au Premier Livre des Rois et au Deuxième Livre des Chroniques18. Cependant, dans les deux cas, les chérubins sont toujours ailés. Il semble d'ailleurs que dans l'iconographie du haut Moyen Age, le modèle retenu soit l'image des quatre ailes19 bien que, paradoxalement, le corps qui lui est associé dans les écrits d'Ezéchiel est celui d'un hybride qui, lui, n'a pas été retenu. Quant aux séraphins, ceux-ci sont représentés sous la forme d'êtres à six ailes20. En effet, à Is. VI, 2, on les décrit ainsi: Des séraphins se tenaient au-dessus de lui; ils avaient chacun six ailes; deux dont ils se couvraient la face, deux dont ils se couvraient les pieds, et deux dont ils se servaient pour voler. Nous l'avons vu, l'urœus est peut-être à l'origine du séraphin. Au nème millénaire avo J.-c., les Egyptiens ajoutent au cobra protecteur (ou urœus) une paire d'ailes pour mettre en avant sa fonction protectrice21. Au Vnrme siècle avo J.-C., la Judée subit une forte influence égyptienne. Des sceaux scarabées représentent des cobras possédant cette fois deux paires d'ailes. Puis, sous l'influence du texte d'Isaïe décrivant des séraphins dotés de six ailes, les représentations suivront, et les Judéens ajouteront une dernière paire d'ailes.

IS Pour ce point précis, voir chapitre II, 4, A, b, p. 70 et chapitre II, 4, B, b, p. 88. 19DUCHET-SUCHAUX, Gaston et PASTOUREAU,Michel, 1994c, p. 84. 20 LANDSBERGER, Franz, 1947, p. 236 ; DUCHET-SUCHAUX, Gaston et PASTOUREAU, Michel, 1994c, p. 83. 21 METTlNGER, Tryggve N. D., 1995b, co1. 1403; LAURANT, Sophie, 2005, p. 52.

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4) L'apparence

corporelle

Ce point d'étude est le plus important de ce chapitre. Il est aussi le plus ardu car les textes bibliques se contredisent parfois. Le travail sera donc divisé en deux parties: une première exposant les êtres hybrides, et une seconde étudiant les génies et les anges d'apparence humaine.

A) Les apparences hybrides a) Les génies Si les grands dieux mésopotamiens sont le plus souvent anthropomorphes, il n'en est pas de même pour les démons et pour certains génies22. En effet, les démons sont presque toujours des êtres hybrides. Les représentations de démons hybrides se sont surtout développées pendant la seconde moitié du nème millénaire avo J.-c., notamment dans l'art kassite, mitannien et médio. 23. assynen

Briques

.

émaillées,

Fig. 4 : MU!>HUSSU, DRAGON-SERPENT. vnème Vlème siècle avo J.-c., porte d'IStar, Babylone, 105 cm, Musée de Berlin.

H.

22 LAMBERT, W. G., 1971, p. 544 ; GARELLI, Paul et LEMAIRE, André, 1974, p. 169 ; CASSIN, Elena, 1986, p. 94. 23 VILLARD, Pierre, 200 1, p. 349.

59

Les démons et les génies peuvent être une combinaison du corps et des membres de plusieurs animaux différents24, comme par exemple le mushussu, le dragon-serpent (fig. 4), ou bien le suhunnassu, le poisson-chèvre (fig. 5), ou bien encore avoir une apparence totalement anthropomorphe (ou presque, puisqu'ils sont parfois ailés)25.

Ronde-bosse,

Fig. 5 : SUHURMAS5U, POISSON-CHÈVRE. époque néo-assyrienne, Assur, H. 10 cm, L. 15 cm, Paris, Musée du Louvre, AG 10884.

Cependant, le plus souvent, ils sont un mélange entre l'homme et l'animaf6. Dans ce dernier cas, les combinaisons sont très nombreuses et relèvent le plus souvent de trois types.

2" MOSCATI, Sabatino, 1955, p. 62 ; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003g, p. 93 ; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003v, p. 166. Le lIlushu5,ÇUpossède un corps et une tête de serpent cornue, des pattes antérieures de lion et des pattes postérieures d'oiseau (d'après DHORME, P. et VINCENT, L. H., 1926a, p. 343, son corps pourrait aussi être celui d'un fauve, mais recouvert d'écailles). 25 Notons ici que seuls les génies peuvent apparaître sous une te11e forme, comme par exemple les génies bénisseurs ou le lahmu ; le caractère bénéfique semble donc aller de paire avec un aspect humain. 26 VILLARD, Pierre, 2001, p. 349 ; GREEN, Anthony, 1986, p. 27 ; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003a, p. 49 ; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003h, p. 101 ; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003m, p. 119 ; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003n, p. 121 ; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 20030, p. 122; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003p, p. 131 ; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003t, p. 161.

60

Fig. 6 : APKALLU, DÉMON-GRIFFON TENANT UNE SITULE ET UNE POMME DE PIN. Bas-relief,

vers 878-863 Paris,

avo J.-C, palais Musée

d'Assurnasirpalll,

du Louvre,

Nimrud,

calcaire,

AG 19849.

Les êtres hybrides peuvent avoir une tête animale et un corps mélangeant des éléments humains et animaliers, comme par exemple le démon-griffon27 (fig. 6) ou l'ugallu (ou démon-lion28 ; fig. 7) ; une tête humaine 27

Ou apkallu. L'apkallu était représenté sous trois formes différentes: humaine, humaine mais recouverte d'une peau de poisson (BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003, p. 18, fig. 12), et anthropomorphe mais possédant une tête de rapace et des ailes; dans ce dernier cas, ce type d'être est aussi connu sous le nom moderne de démongriffon. Pour les sept sages apkallu, voir BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003d, pp. 82-83 et BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003u, pp. 163-164. En outre, notons que le corps du démon-griffon peut être considéré comme possédant des éléments animaliers, puisqu'il possède des ailes. 28 L'ugallu pouvait avoir un corps totalement anthropomorphe, mais ses jambes étaient aussi parfois celles du lion ou de l'aig1e (GREEN, Anthony, 1988, pp. 167 et 168). Notons que dans le cas de l'ugallu au corps totalement anthropomorphe, nous avons affaire à un type d'être hybride assez rare: une tête anima1e et un corps humain sans aucun élément animal, pas même des ailes.

61

et un corps entièrement animal, comme le sphinx (fig. 8) ou le lamas su (taureau ailé androcéphale ; fig. 2) ;

Ronde-bosse,

Fig.7: UGALLU. vers 717-706 avo J.-C., palais de Sargon Il, Khorsabad, argiJe crue, H. 21,5 cm, Paris, Musée du Louvre, N 8287.

ou enfin une tête humaine et un corps mi-humain mi-animal, comme le girtablullû (homme-scorpion; fig. 9), le kulullû (homme-poisson; fig. 10), l'urmahlullû (au lion-centaure; fig. Il), le kusarikku (homme-taureau; fig. 12) ou l'uridimmu (homme-lion; fig. 13). Les animaux entrant dans la composition de ces corps hybrides sont très variés. Nous trouvons le lion, le taureau, l'aigle, et même parfois la chèvre, le poisson, le chien, le scorpion ou le serpent.

62

Fig. 8 : SPHINX DANSUNDÉCORDE FLEURSDE LOTUS. Marqueterie, IXème siècle avo J.-c., palais d'Achab, Samarie, ivoire, H. 8,7 cm, Jérusalem, Musée Rockefeller, 33.2572.

Quelques rares textes parvenus jusqu'à nous décrivent des groupes d'êtres hybrides. L'un des plus anciens est le Gottertypentext qui pourrait dater de l'époque médiobabylonienne (l595-début du 1er millénaire avo J._c.)29. Les descriptions des divinités mineures hybrides diffèrent dans l'ensemble de ce que l'on connaît en matière de représentations iconographiques, à l'exception peut-être du kulullû décrit à l'image habituelle de l'homme-poisson connue en Mésopotamie3o.

29 LAMBERT, W. G., 1985, pp. 196-197. Pour une traduction de ce texte, voir KOCHER, E, "Der babylonische Gbttertypentext", in Mitteilungen des Instituts fur Orientfàrschung, volume 1,1953, pp. 57-107. 30DANREY, Virginie, 2004c, p. 119.

63

Fig. 9 : GIRTABLULLÛ, HOMME-SCORPION. Bas-relief, vers 878-863 avo J.-c., palais d'Assumasirpa]

Il, Nimrud, calcaire,

H. 218 cm, L. 83 cm, Paris, Musée du Louvre, AO ]9850.

Une Vision du Monde infernal, un texte daté du vnème siècle avo J.-C. et provenant d'Assur, relate la vision de la cour d'Ereskigal par un prince assyrien du nom de Kummaju (qui pourrait en fait être Assurbanipal)3! : Et voici que Koummâ, s'étant endormi, voit une vision nocturne. Dans son rêve (, dit-il) : "Mo[i (?), ... de ce lieu] où j'étais détenu, je contemplais la redoutable splendeur... 31 LABAT, René, CAQUOT, André, SZNYCER, Maurice et VIEYRA, Maurice, (pp. 95-96 pour le passage cité) : WIGGERMANN,F. A. M., 1997, p. 224.

64

1970, p. 94

Fig. 10 : KULULLÛ, HOMME-POISSON. Bas-relief,

vers 717-706 avo J .-C., palais de Sargon 11, Khorsabad, H. 25,5 cm, Paris, Musée du Louvre, AO 19890.

calcaire,

Je vis Namtar, le messager des Enfers, qui crée les règles. Un homme se tenait devant lui, dont il tenait la chevelure de sa main gauche, (cependant que), de sa droite, [il étreignait} un glaive. Namtartou32, la concubine, avait une tête de kouribou, les mains et les pieds d'un homme. La . M art 33 avaIt. une tete d e d ragon, d es mazns d'homme, des pieds [d'oiseau (?)}. Le méchant Shêdou34 avait la tête et les pieds d'un homme, il était coiffé d'une tiare, ses pieds étaient ceux de l'oiseau A-CI (et), de son pied gauche, il foulait au sol un crocodile. Allouhappou avait la tête d'un lion, quatre mains et des pieds humains. Suppôt-du-Maps avait une tête d'oiseau, ses ailes étaient déployées, il volait en tous sens, ses mains et ses pieds étaient ceux des hommes. ~

32

Aussi parfois 33 Littéralement 34 Littéralement 3S Littéralement

appelée

Husbisa

(LAMBERT,

Mûtu. Sedu-Iemnu. Mukîl-rês-Iemutti.

65

W. G., 1975,

p. 522.).

Emporte- vite36, le batelier de l'Au-delà, avait la tête de l'oiseau Anzou, quatre mains, et les pieds [d'un homme (?)]. Le Spectre37 avait une tête de bœuf, quatre mains et des pieds d'homme; le méchant OutoukkoU38, la tête d'un lion, les mains et les pieds de l'oiseau Anzou. Shoulak, (semblable à) un lion normal, était dressé sur ses pieds de derrière.

Fig. Il : URMAHLULLÛ, Bas-relief,

LION-CENTAURE.

vers 645, paJais d'AssurbanipaJ,

Ninive,

calcaire,

H. 147 cm.

Mamft avait la tête d'une chèvre, les mains et les pieds des hommes. Nedou, le portier des Enfers, avait une tête de lion, des mains d'homme et des pattes d'oiseau. Tout-Mal39 avait deux têtes, dont l'une de lion, et l'autre de [...]. [...]ra40 avait trois pattes antérieures d'oiseau, une, postérieure, de bœ~if ; il avait une terrifiante aura lumineuse. De deux dieux, dont je ne sais pas le nom, l'un avait la tête, les mains, les pieds de l'oiseau Anzou, et de sa gauche, [il tenait] les marins de ...] ; le second 36

37

Littéralement

Humut-tabal.

Littéralement

Etemmu. 38 Littéralement Utukku-Iemnu. 39 Littéralement Mimma-Iemnu. 40 Muhra selon LIVINGSTONE,

Alasdair,

1989,

66

pp. 71-72.

avait une tête d'homme, il était coiffé d'une tiare, de sa main droite il tenait une masse, et de sa

gauche, devant lui

[.oo].

En tout quinze dieux se

trouvaient là : je les vis, je [les] suppliai. Un homme, dont le corps était noir comme du bitume, dont le visage ressemblait à celui de l'oiseau Anzou, était vêtu d'un manteau rouge; de sa main gauche, il portait un arc, de sa droite il tenait une épée, (et) de son pied gauche il foulait au sol un serpent.

Fig. 12 : KUSARIKKU, HOMME-TAUREAU,ET DÉESSELAMA. Bas-relief, vers 1170-1151 av. J.-c., sanctuaire du temple d'Insusinak, Suse, argile cuite, H. 137 cm, Paris, Musée du Louvre, Sb 2732 et Sb 2733.

Ces divinités secondaires sont assez difficiles à rattacher à des représentations connues. Les descriptions de Namtar, Namtartu, Sedu-Iemnu, Mimma-Iemnu et du deuxième dieu anonyme sont trop incomplètes pour permettre une identification 41

iconographique41.

Au sujet de Namtartu, pas possible.

Celles

de Mûtu,

Etemmu,

il aurait fallu pouvoir identifier la tête du kuribu, ce qui n'est

67

Mamît, Muhra et Sulak42 semblent quant à elles ne correspondre à aucune image connue de divinité secondaire néo-assyrienne. En revanche, l'apparence de Mukîl-rês-Iemutti semble être celle du démon-griffon. Quant à Alluhappu, Humu-ç-tabaI43, Utukku-Iemnu44, Nedu et le premîer et le troisième dieu anonyme, ceux-ci semblent avoir l'apparence de l'ugallu. Remarquons cependant que Alluhappu et Humu-ç-tabal possèdent quatre mains, ce qui ne correspond à aucune représentation connue de l'ugallu (ou de toute autre divinité).

Fig. 13 : URIDIMMU, HOMME-LION. Bas-relief (aujourd'hui perdu), vers 645, palais d'Assurbanipal, calcaire.

42

Ninive,

Sulak semble avoir l'apparence d'un lion quelconque, ce qui ne correspond à aucun démon néo-assyrien connu. 43 Humut-tabal (ainsi que le premier dieu anonyme) possède la tête d'Anzû, c'est-à-dire une tête de lion. Anzû est en effet représenté sous la forme d'un aigle léontocéphale (il semble néanmoins posséder dans certains textes une tête d'aigle). 44 Au sujet d'Utukku-Iemnu et du premier dieu anonyme qui possèdent les mains et les pieds d'Anzû : ce dernier possède des serres au bout de ses membres postérieurs, et des mains au bout de ses membres antérieurs, mais uniquement dans les textes (il ne possède pas de membres antérieurs dans les représentations connues).

68

Au sujet de ces descriptions qui ne trouvent d'écho ni dans les représentations de l'époque, ni dans celles antérieures à l'époque néo-assyrienne (911-612 avo I.-C.), notons qu'il s'agit ici du récit d'un rêve (bien que l'on donne à celui-ci la valeur d'une vision) et non d'un récit mythologique fixé par le clergé.

Fig. 14 ; TAUREAU

ANDROCÉPHALE AVEC UN AIGLE LÉONTOCÉPHALE SUR LE DOS.

Bas-relief, vers 2400-2250 avo J.-c., temple de Ninhursag, Tell Obeid, calcaire, H. 14 cm, L. 14 cm, Philadelphie, Museum of Archaeology and Anthropology, B 15606.

Enfin, le texte de Bérose45 pose lui aussi des problèmes d'identifications des êtres hybrides décrits. Seuls sont connus en Mésopotamie les hommes diptères ou tétraptères (qui peuvent être rapprochés des génies anthropomorphes ailés que l'on trouve par exemple dans les palais néo-assyriens ; illustration de couverture), les taureaux androcéphales (fig. 14) que l'on retrouve en Mésopotamie dès le Dynastique Archaïque I (29002800 avo I.-C.), ainsi que les hommes à tête de chien, bien que ces derniers soient très rares en Mésopotamie. 45 Voir pp. 33-34.

69

Précisons enfin que les démons seraient considérés comme des êtres imparfaits selon G. Contenau46, certainement car leur corps hybride, qui n'est qu'un assemblage des différents êtres qui existent déjà dans la nature, s'éloigne de l'unité et de l'homogénéité du corps de l'homme ou de l'animal.

b) Les chérubins A l'instar des démons mésopotamiens, certains êtres angéliques bibliques sont parfois décrits comme des êtres hybrides. C'est le cas des chérubins. Cependant, identifier avec certitude leur apparence est très difficile car les différentes descriptions qu'en fait la Bible se contredisent. Nous l'avons déjà dit, nous pouvons identifier deux types de descriptions des chérubins dans la Bible: celles du Premier Livre des Rois et du Deuxième Livre des Chroniques, qui décrivent les chérubins du Temple, et celles d'Ezéchiel. Le présent sous-chapitre consacré à l'apparence hybride des chérubins sera consacré à ce dernier livre. Si les descriptions du Premier Livre des Rois et du Deuxième Livre des Chroniques ne se contredisent pratiquement pas, puisque d'une part les textes en parlent peu, et que d'autre part l'apparence de ces statues n'a pas dû connaître d'évolution majeure, il n'en est pas de même des visions d'Ezéchiel, plus longues, qui sont une compilation de visions peut-être différentes les unes des autres. Tout d'abord, la question du nombre de faces de chaque chérubin pose problème47. En effet, d'après Ez. XLI, 18-19, les chérubins ont en même temps une face humaine et une face léonine: (...) Chaque chérubin avait deux visages, une face d'homme tournée d'un côté vers la palme, et

46 CONTENAU, Georges, 1927, p. 383. 47 BABELON, Ernest, 1906, p. 224 ; PARROT, André, 1954, p. 48 ; CORSWANT, Willy, 1956a, p. 78 ; PARROT, André, 1956, pp. lOI et 106.

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une face de lion tournée de l'autre côté vers l'autre palme (...). Cependant, à Ez. I, 6, les chérubins possèdent quatre visages: Chacun d'eux avait quatre faces, avait quatre ailes.

et chacun

Puis plus loin, à Ez. I, 10 : Quant à la figure de leurs faces, ils avaient tous une face d'homme, tous quatre une face de lion à droite, tous quatre une face de bœuf à gauche, et tous quatre une face d 'aigle. 48 Il Y a donc une contradiction quant au nombre de faces. Mais cette contradiction apparente peut avoir plusieurs explications. D'abord, il faut prendre en compte le problème des réécritures. Les textes ont été remaniés au cours du temps, et les auteurs n'ont pas toujours fait preuve de scrupule quant à la cohérence de l'ensemble du récit. De plus, les chérubins peuvent peut-être avoir des apparences corporelles différentes. Si les chérubins qu'Ezéchiel voit au début de sa vision (chapitre I) et ceux du Temple (chapitre XLI) n'ont pas le même nombre de faces, c'est peut-être parce qu'il existe plusieurs types de chérubins. Le concept de chérubin serait donc une notion assez large qui peut englober des êtres d'apparence différente. De plus, le chérubin a peut-être la faculté de modifier son corps. Enfin, comme dit précédemment, ces visions ont pu différer sensiblement les unes des autres. Ezéchiel aurait donc fait une synthèse d'éléments en apparence contradictoires. Concernant l'apparence à deux faces, on trouve quelques êtres proche-orientaux qui pourraient s'en approcher.

48

C'est cette image (reprise par la suite à Ap. IV, 6-8) qui a donné le tétramorphe qui attribue aux quatre évangélistes des symboles animaliers ou humains: l'homme pour saint Matthieu, le lion pour saint Marc, le taureau pour saint Luc et l'aigle pour saint Jean. Voirpp. 137-138.

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Fig. 15: SCÈNE DE PRÉSENTATIONÀ ENKIPAR ISIMU. Sceau-cylindre, époque akkadienne, marbre, H. 3,6 cm, L. 2,6 cm, Paris, Musée du Louvre, MNB 1905.

Tout d'abord, nous trouvons parfois dans l'iconographie mésopotamienne des divinités à deux faces. Par exemple, Isimu, le vizir d'Enki, possède deux visages49 (fig. 15). Cette divinité secondaire est attestée du Dynastique Archaïque III (2600-2334 avo I.-C.) à l'époque néo-assyrienne. Cependant, après la période kassite (1595-1155 avo I.-C.), il ne possède plus qu'un seul visage. On trouve en tout trois divinités secondaires qui font partie du personnel d'Enki et qui sont connues sous le nom de "double-visage". De même, dans L'Epopée de la Création, tab.!, 1. 95-98, Marduk est décrit comme un être bicéphale possédant une double paire d'yeux et une double paire d'oreilles, ce qui renforce sa vigilanceso : Quatre sont ses yeux, et quatre ses oreilles. Lorsqu'il remue les lèvres, le Feu flamboie! Quatre oreilles lui ont poussé, et ses yeux, en pareil nombre, inspectent l'Univers! 49 BABELON, Ernest, 1906, p. 45 : DHORME, P. et VINCENT, L. H., 1926a, p. 348 ; PARROT, André, 1956, p. 101 ; LAMBERT, W. G., 1980e, p. 179; WIGGERMANN, F. A. M., 1997, p. 236. 50CASSIN, Elena, 1986, p. 91 ; BOTTÉRO, Jean et KRAMER, Samuel Noah, 1989, pp. 608 pour le passage cité.

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Cependant, à la différence des autres divinités citées, Marduk est un grand dieu et non pas une divinité secondaire. De plus, cette description de Marduk possédant de toute évidence deux visages, voire deux têtes, ne trouve aucun écho dans l'iconographie mésopotamienne. Cependant, une statue d'un dieu possédant quatre faces pourrait bien le représenter51. Enfin, un autre dieu bifrons apparaît parfois entre un grand dieu et un ou plusieurs fidèles, notamment sur les sceaux-cylindres syro-hittites52. Il sert d'intermédiaire entre le dieu et les fidèles. Cette divinité pourrait symboliser la vigilance. Grâce à ses deux visages, il relie les personnages de ses deux regards et transmet les questions et les réponses. Cependant, dans tous ces exemples, les divinités ont toujours deux faces humaines, et non une face d'homme et une face de lion comme le chérubin.

Fig. 16 : LION À TÊTES D'HOMME ET DE LION. Bas-relief, IXèmesiècle avo l-C., Karkemis, basalte, H. 130 cm, Musée d'Ankara. 51

Voirpp. 74-75. 52 CONTENAU. Georges,

I922b, pp. 69 et 113 ; DHORME, P. et VINCENT, L. H., 1926a, p. 348 ; CONTENAU, Georges, 1931a, p. 627.

73

F. Landsberger a rapproché cette vision d'un bas-relief retrouvé à Tell Halafs3. Ce bas-relief, daté entre le XIèmeet le IXème siècle avo J.-c., représente un être hybride ailé à corps d'homme possédant deux têtes de lion. Cependant, la vision d'Ezéchiel décrivait une tête de lion et une tête d'homme. A. Parrot quant à lui a comparé cette figure avec une dalle sculptée retrouvée à KarkemisS4 et datée du IXème siècle avo J.C. (fig. 16). Le bas-relief représente un hybride ailé à corps de lion possédant à la fois une tête de lion et une tête humaine. Les deux faces sont donc bien ici celles du lion et celle de l'homme comme le chérubin, mais l'hybride possède deux têtes, et non simplement deux visages. A propos de cette dalle, ainsi que d'une seconde présentant une figure assez similaire retrouvée à Sendjirli et que l'on peut supposer dater du début du le' millénaire avo J._c.ss, P. Dhorme et L. H. Vincent y ont vu pour chacun des bas-reliefs un lamassu et un kâribu juxtaposés, c'est-à-dire un être combinant la forme et la fonction du génie protecteur (lamassu) et du génie intercesseur (kâribu)s6. Il y aurait ainsi un corps pour deux têtes, de la même façon qu'un couple de génies identiques est parfois représenté par un seul corps surmonté de deux têtes. A propos de la seconde dalle, M. von Luschan a parlé de "première image réelle et authentique du kerûb de la Bible", bien que P. Dhorme et L. H. Vincent tiennent à préciser que cette thèse est selon eux sujette à caution. Quoi qu'il en soit, les êtres de ces deux objets sont jusque-là ceux présentant le plus de ressemblance avec la vision de Ez. XLI, 18-19. Enfin, à propos des descriptions de chérubins à quatre faces, les parallèles avec l'iconographie proche-orientale sont un peu plus difficiles. En effet, les personnages possédant une quadruple face sont extrêmement rares. Nous pouvons néanmoins citer la statuette retrouvée à Ishchali et daté d'environ 1700 avo J.-C. qui représente un dieu présentant 53 LANDSBERGER,Franz, 1947, p. 233, ill. 4. 54 PARROT, André, 1956, p. 107. 55 HUMANN, Carl, 1898. 56 DHORME, P. et VrNCENT, L. H., 1926a, p. 357.

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quatre faces57, ainsi que celle d'une déesse à quatre faces assise datée du XIXème siècle58, bien que, au contraire de la vision d'Ezéchiel, les faces sont toutes humaines dans les deux cas. La première statuette pourrait en outre représenter, d'après T. Jacobsen, le dieu Marduk. Cependant, dans L'Epopée de la Création, tab. l, 1. 95-98, Marduk est décrit comme un être bicéphale 59 et non tétracéphale. De plus, cette description de Marduk dans L'Epopée de la Création est exceptionnelle. T. Jacobsen suppose d'ailleurs à juste titre qu'il puisse aussi s'agir d'une autre divinité. En effet, il est permis d'envisager que cette statuette puisse représenter Tispak, le grand dieu de la ville d'Esnunna à laquelle appartenait Ishchali au début du nème millénaire avo J.-c., époque de datation de cette statuette. Tispak, divinité dont la représentation est encore incertaine, pourrait ainsi avoir été représenté avec quatre visages. S'il est difficile de trouver des divinités à plusieurs visages avec lesquelles comparer les chérubins, nous pouvons néanmoins trouver dans les taureaux ailés androcéphales une synthèse des éléments des faces des chérubins d'Ezéchiel : on retrouve en effet l'homme, le lion, l'aigle et le taureau dans ces hybrides gardiens des palais néo-assyriens. Si les faces tiennent de quatre êtres différents, le corps et les membres semblent en revanche n'appartenir qu'à deux types d'êtres: l'homme et le veau ou taureau 60. Ainsi, nous savons que le chérubin possède des caractéristiques humaines. On nous dit à Ez. I, 5 : Au centre encore, apparaissaient quatre animaux, dont l'aspect avait une ressemblance humaine.

57 PARROT, André, 1956, pp. 101-102; JACOBSEN, Thorki1d, 1976, p. 166. 58 PARROT, André, 1960, p. 285, fig. 352. 59Voir p. 72. 60 BABELON, Ernest, 1906, p. 224 ; DHORME, P. et VINCENT, L. H., 1926a, p. 330 ; DHORME, P. et VINCENT, L. H., 1926b, p. 491 ; DHORME, Edouard, 195], p. 673 ; CORSWANT, Willy, 1956a, p. 78 ; DE VAUX, Roland, ]967, p. 233.

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Cependant, il est difficile de savoir ce qu'il faut comprendre par l'expression "ressemblance humaine". Cela désigne-t-il uniquement le visage, ou bien aussi les membres ou le corps? Quelques autres passages nous donnent des indices supplémentaires. Ainsi, Ez. I, 8 indique la présence de mains: Ils avaient des mains d'homme sous les ailes à leurs quatre côtés (... J. De même, à Ez. X, 8 : On voyait aux chérubins d'homme sous leurs ailes.

une forme de main

Des chérubins dotés de mains sont encore cités à Ez. X, 7, 12 et 2l. Ainsi, les chérubins possèdent au moins une face semblable à l'homme, des mains, et peut-être même d'autres membres humains, ce dont nous ne pouvons être sûr du fait de l'imprécision des différentes descriptions. De plus, d'après R. de Vaux, la comparaison du roi de Tyr au chérubin gardant l'Eden à Ez. XXVIll, 14-16 confirmerait l'aspect partiellement humain de l'être angélique. Le chérubin tient aussi du veau ou du taureau quant à son apparence générale. Ainsi, à Ez. I, 7, celui-ci possède des sabots: Leurs pieds étaient droits, et la plante de leurs pieds était comme celle du pied d'un veau, ils étincelaient comme de l'airain poli. De plus, nous l'avons vu, à Ez. I, 10, on nous dit que chaque chérubin a une face d'homme, une face de lion, une face de bœuf et une face d'aigle. Or, à Ez. X, 14, ses faces sont décrites avec une légère variante: Chacun avait quatre faces; la face du premier était une face de chérubin, la face du second une

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face d'homme, celle du troisième une face de lion, et celle du quatrième une face d'aigle. Ici, le chérubin remplace le bœuf. Par extrapolation, nous pouvons en déduire que le chérubin avait une forme générale bovine, ce qui corrobore le fait qu'à Ez. I, 7 on lui attribue des sabots. De même, Ezéchiel emploie le terme hayyôt en parlant des chérubins. Ce terme désigne des animaux dans un sens qui les oppose à l'homme, des animaux sauvages par opposition aux animaux domestiques, et la plupart du temps de gros animaux. Les chérubins seraient donc de gros quadrupèdes, ce qui encore une fois va dans le sens de l'aspect général bovin. Ainsi, le chérubin biblique est un être hybride tétraptère dont le corps et les membres sont empruntés à l'homme et au bœuf, et qui possède un visage d'homme et une face de lion, auxquels parfois s'ajoutent celle du bœuf et celle de l'aigle. Comme nous l'avons dit précédemment, un seul être proche-oriental combine ces différents animaux: le taureau ailé androcéphale babylonien ou néo-assyrien (fig. 2). C'est d'ailleurs de cette combinaison que naîtra le tétramorphe chrétien61. La forme générale bovine et les parties animales du corps conduisaient déjà il y a un siècle E. Babelon à rapprocher le chérubin du taureau ailé androcéphalé2. Ce motif dériverait luimême de l'iconographie sumérienne63 (fig. 14). La vision d'Ezéchiel mélangerait l'aspect des chérubins du Temple64, dont nous ne savons presque rien si ce n'est qu'ils sont ailés, et des éléments mésopotamiens et peut-être assyriens65. En effet, en 597 avo J.-c., Ezéchiel fut déporté de Jérusalem en Babylonie. La route empruntée pour relier les deux villes est inconnue, mais l'un des trajets possibles est celui représenté sur la figure 17. Ezéchiel aurait pu passer par les palais assyriens détruits par les Babyloniens et les Mèdes où certains taureaux ailés 61 PARROT, André, 1956, p. 103. Pour le tétramorphe, voir pp. 137-138. 62 BABELON, Emest, 1906, p. 224. 63 HUOT, Jean-Louis, 1997, p. 275. M Voir p. 57. 65 PARROT, André, 1950, p. 120; PARROT, André, 1953, p. 65; PARROT, André, 1956, pp. 101 et 103; DE V AUX, Roland, 1967, p 233; AMBLARD, Paule, 2005, p. 62.

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androcéphales étaient encore intacts. Les chérubins d'Ezéchiel pourraient donc s'inspirer des taureaux ailés androcéphales de Khorsabad, Ninive ou Nimrud. Ces êtres hybrides étaient parfois considérés comme des kâribu66 car ils gardaient eux aussi les entrées des temples et des palais. Le lien entre le kâribu et le chérubin n'est peut-être par conséquent pas seulement étymologique, mais aussi iconographique. Cependant, dans la mesure où la Haute Mésopotamie était en partie détenue par les Mèdes sous le règne de Nabuchodonosor II, il est tout à fait possible d'envisager que le convoi de déportés n'ait pu passer par l'Assyrie, mais plutôt par la Syrie dans les anciens royaumes araméen et néo-hittite où des êtres très proches des taureaux ailés androcéphales néo-assyriens étaient visibles (et évoquons ici une possible parenté artistique et mythologique entre ces animaux fabuleux et les modèles néo-assyriens). Les taureaux ailés androcéphales étaient appelés lamassu, puis à l'époque néo-assyrienne aladlammû67. Ils ont un corps de taureaux dont les flancs et l'arrière-train peuvent être partiellement couverts de bouclettes68. La plupart possèdent des pattes de taureau, mais quelques-uns ont des pattes de lion69. Les taureaux de Khorsabad et ceux de Nimrud possèdent cinq pattes afin qu'on voie toujours quatre pattes, qu'on les regarde de face ou de profil (fig. 2). En revanche, les taureaux de Ninive n'en ont tous que quatre. Leur queue et leurs genoux sont parfois couverts de boucles. Leur poitrail est celui du lion: il est généralement recouvert de la même toison bouclée. Deux larges ailes composées de deux ou trois rangées de plumes naissent au-dessus des pattes antérieures. L'être hybride possède une tête humaine dont les oreilles sont parfois celles du taureau, ainsi qu'une barbe longue et bouclée. La tête est surmontée d'une tiare ovoïde ou cylindrique à plusieurs rangées de cornes 66

Voir p. 24. 67 BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003k, p. IlS. 68 MADHLOOM, T. A., 1970. pp. 95-96 ; DANREY, Virginie, 2004b, pp. 312, 320-321, 325 et 332. Ces derniers sont parfois considérés comme des sphinx: corps soit bien celui du taureau, et non du lion. 69

79

il semble pourtant que le

qui souligne son caractère divin. Quelques rares taureaux, uniquement à Nimrud, possèdent des éléments empruntés au poisson: une queue de poisson gravée sous le ventre et une tête de poisson au niveau de la coiffure. Un élément vient appuyer la thèse de l'emprunt assyrien. A Ez. I, 26-28, le premier chapitre s'achève par cette description: Au-dessus du ciel qui était sur leurs têtes, il y avait quelque chose de semblable à une pierre de saphir, en forme de trône; et sur cette forme de trône apparaissait comme une figure d'homme placé dessus en haut. Je vis encore comme de l'airain poli, comme du feu, audedans duquel était cet homme, et qui rayonnait tout autour; depuis la forme de ses reins jusqu'en haut, et depuis la forme de ses reins jusqu'en bas, je vis comme du feu, et comme une lumière éclatante, dont il était environné. Tel l'aspect de l'arc qui est dans la nue en un jour de pluie, ainsi était l'aspect de cette lumière éclatante, qui l'entourait: c'était une image de la gloire de l'Eternel. A cette vue, je tombai sur ma face, et j'entendis la voix de quelqu'un qui parlait. A. Parrot a rapproché ce passage d'une peinture assyrienne retrouvée à Assur et datée du rxème siècle avo J.-c. (fig. 3)70. Au-dessus de personnages dont il ne reste plus que les têtes, un personnage masculin se dégage d'un ciel bleu. Cet être d'apparence humaine se trouve dans un cercle de flammes et brandit un arc. Il s'agit du dieu Assur représenté dans un disque ailé, un motif très répandu dans l'art assyrien. D'après A. Parrot, il suffit de remplacer Yahvé dans la vision d'Ezéchiel par Assur pour obtenir la description de cette peinture assyrienne. En outre, ce même motif pourrait expliquer le passage d'Ez. I, 16 : 70

PARROT, André,

1956, p. 106.

80

A leur aspect et à leur structure, ces roues semblaient être en chrysolithe, et toutes les quatre avaient la même forme; leur aspect et leur structure étaient tels que chaque roue paraissait être au milieu d'une autre roue. Selon A. H. Layard, le motif de la roue au milieu d'une autre roue pourrait avoir été emprunté au disque ailé71, bien que celui-ci ne représente pas exactement deux cercles inscrits l'un dans l'autre. Enfin, un sceau, dont nous ne connaissons ni la provenance ni la datation, montrerait l'image que se faisaient les Hébreux des chérubins. Il représente un génie anthropomorphe doté de quatre ailes au-dessus d'un taureau ailé androcéphale (fig. 18).

Fig.

18 : LAMASSU

ET GÉNIES

ANTHROPOMORPHES

AILÉS.

Sceau.

On y décèle les styles assyrien, martien et phénicien. O. Keel et C. Uehlinger supposent que ce sceau était anépigraphe à 71

LAYARD,Austen Henry, 1854. p. 465.

81

l'origine, puis un Judéen aurait ajouté son nom ultérieurement, sans que l'on puisse dater cette inscription72. D'après eux, le propriétaire judéen aurait interprété la représentation de ce sceau en se référant à Ps. XVllI, Il : Il était monté sur un chérubin, et il volait, Il planait sur les ailes du vent. Le taureau ailé androcéphale de ce sceau aurait donc été interprété comme étant un chérubin. Mais le chérubin a aussi été rapproché d'un autre hybride, le sphinx73. En effet, nous l'avons dit, cet animal mythique pourrait être à l'origine du chérubin notamment par ses fonctions de gardien, notamment de l'arbre de vie, et d'assesseur de trône. Ces fonctions seront étudiées dans le chapitre suivant. Le sphinx est un être hybride ailé à corps de lion et tête humaine (fig. 8). Il apparaît au llIème millénaire avo I.-C. en Mésopotamie dans la glyptique et en Egypte dans la statuaire. Son apparition en Egypte serait antérieure à celle de la Mésopotamie. A l'époque de la rvème dynastie (2625-2510 avo I.-C.), des ailes lui sont ajoutées mais elles sont collées au corps. Vers 1800 avo J.-c., en Syrie, les ailes sont dorénavant déployées. A cette époque, on le retrouve sur des sceauxcylindres syriens, ainsi que sur la peinture de l'Investiture de Mari (fig. 19). Au cours de la seconde moitié du nème millénaire, le modèle du sphinx se diversifie et les représentations se multiplient. Le modèle se répand sur une vaste zone. Il est modifié en Syrie, puis revient en Egypte, se diffuse à Chypre, en Crète, chez les Mitanniens et chez les Hittites. Le motif est notamment très présent sur les sceauxcylindres et les ivoires syro-palestiniens (fig. 8), ainsi que dans la glyptique mitannienne.

72 KEEL, Othmar et UEHLINGER,Christoph, 2001, p. 330. 73 ALBRIGHT, W. F., 1961, p. 95; DE V AUX, Roland, 1967, pp. 235-236 ; METTlNGER, Tryggve N. D., 1995a, col. 362 et 363.

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Fig. J9 : PEINTURE DE L'INVESTITURE. Fresque, première moitié du xvrnème siècle avo J.-c., cour 106, palais de Zimrî-Lîm, Mari, H. J75 cm, L. 250 cm, Paris, Musée du Louvre, AO J9826.

Un graffiti qui serait l'image d'un chérubin biblique, peutêtre contemporain de Salomon (vers 970-931 avo J.-c.), a été retrouvé dans les anciennes carrières de Jérusalem appelées "carrières royales..74. Il s'agit d'un être hybride ailé à corps de lion et tête humaine. Ces carrières sont peut-être celles qui ont fourni les pierres utilisées pour la construction du Temple de Salomon, et le graffiti a donc pu être inspiré par les chérubins qui s'y trouvaient. En outre, dans les synagogues de Palestine, les lions étaient souvent présents. Ils avaient pour fonction de garder et de protéger le Saint des Saints7s. Ainsi, dans la synagogue de Beth-Alpha datée du Vrème siècle ap. J.-c., des lions sont représentés au sol. Les chérubins étant aussi des gardiens, puisqu'ils protègent l'Arche, des attributs léonins ont donc pu leur être transmis. 74 DHORME, P. et VINCENT, L. H., 192Gb, p. 489 ; DE V AUX, Roland, 1967, pp. 253-254 (pl. Ill, a et b pOUTl'illustration). 75 CASSIN, Elena, 1987, p. 1G2.

83

Il nous faut aussi évoquer la possibilité de l'emprunt à un autre hybride: le griffon. En effet, dans la peinture de l'Investiture retrouvée à Mari, A. Parrot a comparé au chérubin le sphinx, mais aussi le griffon. Nous aborderons aussi le démon-griffon, un être hybride proche du griffon et qui possède la même fonction de gardien de l'arbre sacré.

Marqueterie,

époque

Fig. 20 : GRIFFON. néo-assyrienne, Nimrud,

ivoire,

H. 19 cm.

Le griffon est un être hybride ailé à corps de lion et à tête d'aigle76 (fig. 20). D'après T. Madhloum, le griffon et le démongriffon seraient tous deux d'origine syrienne, puis le modèle se serait diffusé dans les arts égéen, phénicien, mitannien et assyrien. En revanche, d'après A. Dessenne, le griffon serait né en Egypte, puis serait passé en Syrie avant de rejoindre la Crète. H. Frankfort confirme lui aussi que le griffon crétois dérive du griffon syrien. Cependant, d'après R. Labat, ce serait les Elarnites qui auraient inventé le griffon, puis celui-ci se 76 MADHLOUM, Tariq, 1964, p. 57 ; DE V AUX, Roland, 1967, p. 238 ; LABAT, René, 1975, p. 413 ; DELPLACE, Christiane, 1980, pp. 3 et 6 ; HUXLEY, Margaret, 2000, p. 131.

84

serait diffusé en Egypte. En revanche, selon J. Pilecki, le griffon serait apparu simultanément dans trois endroits différents: l'Egypte, la Mésopotamie et Mycènes. Enfin, selon C. Delplace, le griffon serait né simultanément en Egypte et en Elam, vers la fin du rvème millénaire avo J.-C., puis se serait diffusé au début du nème millénaire en Syrie, en Palestine, en Anatolie, à Chypre, en Crète et à Mycènes. Cependant, au niveau de l'apparence, il n'existe à notre connaissance que peu de lien entre le chérubin et le griffon. Nous privilégions donc l'emprunt de la fonction de gardien de l'arbre sacré77 plutôt que de l'apparence du griffon. Enfin, quelques autres hybrides ont été envisagés comme des origines possibles du chérubin. P. Amblard l'a ainsi comparé aux fils d'Horus qui veillent sur les quatre points cardinaux78. Ils ont chacun une face différente, mais leurs têtes sont celle de l'homme, du faucon, du chien et du singe. F. Landsberger quant à lui envisage que le chérubin puisse avoir la même origine que le séraphin, c'est-à-dire l'urœus79. Cependant, il est le seul à notre connaissance à faire ce rapprochement pour le chérubin. Quant à P. Dhorme et L. H. Vincent, ils voient dans un graffiti daté du nème ou mème siècle ap. J.-c. et provenant d'une communauté juive d'Arabie une possible représentation des chérubins et de l'Arche d'Alliance80. Les chérubins ont ici une apparence hybride difficile à décrire compte tenu du mauvais état de conservation de l'artefact. c) Les séraphins Il existe un autre cas d'ange hybride: le séraphin. Le séraphin n'est pratiquement pas décrit dans la Bible. Tout ce que nous savons, c'est qu'il possède six ailes et des pieds (Is. VI, 2), ainsi que des mains:

77

Voir chapitre !II, 5, p. 144.

78 AMBLARD, Paule, 2005, p. 62. 79 LANDSBERGER, Franz, 1947, p. 237. 80 DHORME, P. et VINCENT, L. H., 1926b,

p. 494, fig. 10.

85

Mais l'un des séraphins vola vers moi, tenant à la main une pierre ardente, qu'il avait prise sur . 81 I 'aute I avec d es pzncettes. Le corps cependant n'est pas décrit. Néanmoins, le séraphin est en général perçu à l'origine comme un serpent ailé avec des attributs humains82. Le terme hébreu siiriip est d'ailleurs traduit, selon les passages et les traductions, par serpent, cobra, dragon ou bien simplement par séraphin. Comme nous l'avons vu précédemment, le séraphin a peut-être pour origine l'urœus égyptien. Il aurait donc gardé son apparence de serpent (ailé) dans les écrits bibliques, comme tend à le confirmer Nb. XXI, 6-9. Le séraphin a de plus été comparé au serpent d'airain qui se trouve dans le Temple de Salomon. A 2 R. XVIII, 4, on nous dit qu'Ezéchias fit détruire cette statue car elle était idolâtrée: Il fit statues, serpent enfants parfums

disparaître les hauts lieux, brisa les abattit les idoles, et mit en pièces le d'airain que Moïse avait fait, car les d'Israël avaient jusqu'alors brûlé des devant lui: on l'appelait Nehuschtan.

Ce serpent semble être un véritable serpent, c'est-à-dire non ailé. En revanche, à Nb. XXI, 8-9, il est appelé "serpent brûlant", c'est-à-dire séraphin: L'Eternel dit à Moïse: "Fais-toi un serpent brûlant, et place-le sur une perche; quiconque aura été mordu, et le regardera, conservera la vie." Moïse fit un serpent d'airain, et le plaça sur une perche; et quiconque avait été mordu par un serpent, et regardait le serpent d'airain, conservait la vie.

81/S. VI, 6. 82METTfNGER, Tryggve N. D., 1995b, col. 1402.

86

B) Les apparences anthropomorphes a) Les génies Les divinités secondaires peuvent aussi avoir une apparence anthropomorphe. C'est ainsi le cas de certains génies mésopotamiens. Pour A. Green, un génie est une divinité secondaire anthropomorphe, parfois ailéé3. En réalité, comme nous venons de le voir, le génie n'a pas forcément toujours une apparence humaine, mais cela montre à quel point le type du génie anthropomorphe est présent dans l'art mésopotamien, et comme il marque aujourd'hui encore les esprits. Les génies anthropomorphes sont, dans le panthéon mésopotamien, d'une classe supérieure aux démons hybrides84, certainement car leur corps fait plus preuve d'homogénéités. Ils sont souvent représentés vêtus d'une courte tunique, nu-tête ou portant la tiare à cornes, et parfois munis d'une voire deux paires d'ailes. On retrouve aussi les génies anthropomorphes en Syrie et en Egypte. Certains génies retrouvés en Mésopotamie ont d'ailleurs vraisemblablement subi une influence égyptienne, notamment à l'époque kassite. Ils sont aussi très fréquents dans l'art néo-assyrien. Cette figure se trouve aussi à la même époque en Urartu86. De même, chez les Perses, les génies ont une apparence humaine. Ainsi, un bas-relief de Pasargades datant du VIème siècle avo J.-c. représente un génie anthropomorphe87. Le caractère anthropomorphe des dieux n'est venu qu'avec le temps et n'était pas avéré à l'origine. Aux temps préhistoriques, les hommes n'imaginaient pas les éléments et entités surnaturels sous des formes anthropomorphes mais plutôt sous la forme de 83 GREEN, Anthony, 1997, p. 247. 84 CONTENAU, Georges, 1927, p. 383. 85Voir p. 70. 86 PIOTROVSKY, Boris B., 1969, fig. 103 et 105. Notons que cet objet reprend l'image de l'être anthropomorphe inscrit dans un disque ailé (fig. 3). L'innovation du motif en Urartu réside dans la forme: il s'agit d'une ronde-bosse. En Mésopotamie et en Iran, cette figure n'est attestée qu'en bas-relief ou en peinture. 87 PARROT, André, 1969, p. 192, fig. 241.

87

phénomènes naturels tels que l'eau, le vent, le soleil, le ciel, la lune, les animaux sauvages88... Plus tard, cette conception évolua pour donner les divinités anthropomorphes.

b) Les chérubins L'apparence hybride des chérubins des visions d'Ezéchiel a peu à peu perdu ses attributs animaux et laissé place à une apparence totalement anthropomorphe, exception faite des ailes. Mais cette évolution n'a eu lieu que très progressivement, et cette apparence humaine n'est attestée que dans la littérature hellénistique tardive89.

Fig. 21 : STÈLE REPRÉSENTANT DES DIVINITÉS ANTHROPOMORPHES ET HYBRIDES. IIIème dynastie d'Ur, Suse, calcaire, H. 36 cm, Paris, Musée du Bas-relief, Louvre,

Sb Il.

Cependant, à l'origine, tout concept d'aspect humain n'a pas forcément été exclu. Ainsi, d'après P. Dhorme et L. H. Vincent, une stèle retrouvée à Suse et datant du milieu ou de la seconde 88 SAGGS, H. W. F., 1998, pp. 50-51. 89 LANDSBERGER,Franz, 1947, p. 241.

88

moitié du IIèmemillénaire pourrait représenter des lahmu et des kâribu anthropomorphes (fig. 21)90 Les mêmes génies anthropomorphes se trouveraient sur un bas-relief de Sippar daté de la première moitié du IXèmesiècle avo J._C.91Or, comme nous l'avons vu, le chérubin pourrait trouver l'origine de son nom dans le kâribu. Cependant, P. Dhorme et L. H. Vincent ne donnent aucune explication sur l'identification des divinités; la forme anthropomorphe du kâribu, bien que possible, n'est donc pas prouvée. Dans le Premier Livre des Rois (VI, 23-26 ; VIII, 6) et le Deuxième Livre des Chroniques (III, 10-12), les descriptions des chérubins du Temple ne fournissent que peu d'informations. On ne nous renseigne que sur leur taille, les matériaux dont ils sont faits (bois et plaquage d'or) et leurs ailes. Or, on ne précise pas qu'ils ont un corps hybride. On peut donc penser que les chérubins sont anthropomorphes. Le chérubin a donc été rapproché de divinités égyptiennes anthropomorphes qui protègent de leurs ailes des êtres ou l'arbre de vie, tout comme les chérubins protègent de leurs ailes l'Arche d'Alliance92, comme par exemple à 1 R. VIII, 6 : Les sacrificateurs portèrent l'arche de l'alliance de l'Eternel à sa place, dans le sanctuaire de la maison, dans le lieu très saint, sous les ailes des chérubins. Des descriptions similaires quant à la protection des ailes des chérubins se trouvent à Ex. XXV, 20 et Ex. XXXVII, 9. Des statues de chérubins protègent donc déjà l'Arche avant la construction du Temple de Salomon.

90 DHORME, P. et VINCENT, L. H., I926a, pp. 350-352 ; DHORME, P. et VINCENT, L. H., 1926b, p. 483. Néanmoins, i] faut à notre sens observer la plus grande prudence quant à ces deux identifications difficiles et réfutables. 91 LEICK, Gwendolyn, 1991, fig. 26. 92 DHORME, P. et VINCENT, L. H., 1926b, p. 486; LANDSBERGER,Franz, 1947, pp. 235 et 238; PARROT, André, 1954, p. 24 ; CORSWANT, Willy, 1956a, p. 78.

89

A. Parrot a ainsi comparé le chérubin au motif des divinités égyptiennes protégeant de leurs ailes le petit Horus. W. Corswant précise de plus que la déesse Nephtys était connue en Palestine ainsi qu'en Syrie. Ces figures de divinités anthropomorphes ailées, très souvent féminines, se trouveraient peut-être dans la Bible, à Zao V, 9, où deux personnages d'apparence similaire sont décrits. Ce motif de génies aux ailes protectrices se trouve notamment sur des monuments postérieurs aux conquêtes égyptiennes en Syrie depuis la xvrnème dynastie (1552-1314 ou 1295 avo J.-c.). A cette époque, l'iconographie égyptienne subit une certaine influence synenne. Selon W. Corswant, le chérubin était à l'origine un être anthropomorphe qui s'est développé et transformé pour donner l'hybride décrit par Ezéchiel. Cependant, comme nous l'avons vu, il est plus que probable que cet être angélique eut une apparence hybride dès son apparition. Nous ne suivrons donc pas W. Corswant sur ce point.

c) Les séraphins Si dans un premier temps le séraphin a pu être conçu comme un serpent ailé, voire ensuite comme un être mi-serpent mihumain93, il a ensuite été considéré comme un être anthropomorphe ailé. La figure de cet être s'est en effet peu à peu humanisée (le stade mi-homme mi-serpent s'inscrit d'ailleurs dans cette évolution) ; elle s'est vue attribuer des bras et des jambes, et le tenne sarap n'a bientôt plus désigné un cobra mais un ange tel que nous le concevons habituellement aujourd'hui, c'est-à-dire un être angélique anthropomorphe94. Le fait que Is. VI, 6 décrive le séraphin comme un être possédant des mains a conduit F. Landsberger à supposer que, dans ce passage, celui-ci soit déjà conçu comme ayant un corps humain95. Il a de plus rapproché le séraphin d'un bas-relief

93

Voir chapitre II, 4, A, c, p. 85. 9' LAURANT, Sophie, 2005, p. 52. 95 LANDSBERGER,Franz, 1947, p. 237.

90

retrouvé à Tell Halaf et daté du IXèmc siècle avo J.-c. qui représente une divinité anthropomorphe possédant six ailes et tenant un serpent dans chaque main96. Comme les séraphins de Is. VI, 2, seulement deux de ses six ailes lui servent à voler. Selon F. Landsberger, le séraphin serait donc un être anthropomorphe; le mot siiriip désignerait uniquement ses attributs, c'est-à-dire les serpents.

d) Les anges Les anges (messagers) aussi ont une apparence humaine97, mais à la différence des chérubins et des séraphins, celle-ci l'est dès l'origine. D'ailleurs, le terme mal' iik qui désigne aussi bien un être humain qu'un ange introduit une certaine confusion concernant certains personnages. L'ange ressemble ainsi à un homme à Gn. XIX, 5 ; XXXII, 24-25 ; Jg. Xli, 6 et Tb. V, 5-6. De même, à Dn. Vli, 15, l'ange Gabriel qui explique à Daniel sa vision a l'apparence d'un homme: Tandis que moi, Daniel, j'avais cette vision et que je cherchais à la comprendre, voici, quelqu'un qui avait l'apparence d'un homme se tenait devant moi. Et àDn. X, 18: Alors celui qui avait l'apparence d'un homme me toucha de nouveau, et me fortifia. On pourra aussi mentionner, cette fois dans le Nouveau Testament, Le. XXIV, 4 et Hé. Xli, 2. Comme ces exemples le montrent, l'ange a une apparence masculine. A Gn. VI, 2, les anges s'unissent même aux femmes. 96MOORTGAT, Anton, 1955, pl. 95, fig. A. 97 CAQUOT, André, 1971, pp. 122 et 135 ; CASSIN, Elena, 1987, p. 45 ; HALL, James, 1994a, p. 37 ; COLLINS, John J., 1995, col. 640 ; FAURE, Philippe, 1995, p. 14; MEIER, Samuel A., 1995a, col. 87 ; v AN HENTEN, Jan Wil1em, 1995a, col. 93 ; GIORGI, Rosa, 2004, p. 289.

91

(...) les fils de Dieu98 virent que les filles des hommes étaient belles; et ils en prirent pour femmes parmi toutes celles qu'ils choisirent. En outre, nous l'avons déjà dit, c'est dans les catacombes romaines que les premières représentations chrétiennes d'anges apparaissent à la fin du IVème siècle ap. J.-c. Le décalage chronologique entre les textes bibliques et les images est donc considérable. Cependant, conformément à la Bible, ces anges représentent de jeunes hommes. Ils portent même parfois la barbe. De même, concernant les chérubins, leur nom kerûb les désignerait comme des êtres uniquement masculins99. Nous avons déjà vu que les ailes des anges sont peut-être dues aux Victoires grecques et romaineslOo. Leur apparence pourrait également trouver son origine dans ce type de . . ,A sous 1a larme fiIgures 101. C es V lct01res sont representees " d etres " humains jeunes, ce qui a pu être repris pour les angesl02. Cependant, cette filiation serait contestable car les Victoires grecques ou romaines sont féminines, alors que les anges ont une apparence masculinelO3. La figure de l'ange pourrait aussi dériver des deux femmes ailées que l'on trouve à Zao V, 9104: Je levai les yeux et je regardai, et voici, deux femmes parurent. Le vent soufflait dans leurs ailes; elles avaient des ailes comme celles de la cigogne. Elles enlevèrent l'épha entre la terre et le ciel. Ces figures contrediraient la thèse selon laquelle la filiation entre les Victoires et les anges ne serait pas possible du fait de 98 L'expression désigne les anges. 99 DE V AUX, Roland, 1967. p. 253. 100

Voir p. 56.

J01

Voir également note 15 p. 56. J02 Mais cette transmission n'aurait abouti qu'au m,n" siècle après J.-C. au plus tôt (LANDSBERGER, Franz, 1947, p. 242). J03 DUCHET-SUCHAUX, Gaston et PASTOUREAU, J04 LANDSBERGER, Franz, 1947, p. 238.

92

Michel,

1994a,

p. 25.

la différence de sexe entre ces deux types d'êtres. En effet, d'après F. Landsberger, ces figures angéliques féminines résulteraient de l'influence des Victoires grecques et romaines. Toujours d'après F. Landsberger, ce passage de la vision de Zacharie anticiperait le motif de deux anges transportant quelque chose entre eux, motif d'origine grecque dont le basrelief d'un sarcophage daté du rrme siècle ap. J.-c. en donne un exemple105. En effet, dès la fin du IVème siècle avo J.-c., les Juifs de Palestine et ceux de la Diaspora furent en contact avec la culture grecque. D'ailleurs, d'après R. Giorgi, l'ange emprunterait surtout à la Victoire ses attitudes et ses attributs, plutôt que son apparence106. Quoi qu'il en soit, il semble bien que l'image de l'ange apparaisse dans un contexte gréco-romain, donc assez éloigné et différent du monde oriental.

105 LANDSBERGER, Franz, 1947, ill. 6. 106GIORGI, Rosa, 2004, p. 280.

93

III

Fonctions des génies et des anges

1) Au service des grands dieux Dès la fin du Dynastique Archaïque III, les grands dieux mésopotamiens sont entourés d'une multitude de divinités qui leur sont subordonnées, les servent et les secondene. Toutes ces divinités secondaires forment une cour céleste qui gravite autour du dieu supérieur. Cette cour est à l'image de celles des rois mésopotamiens. Elle se compose bien sûr de la famille du grand dieu, mais aussi de ses officiers, de fonctionnaires et de domestiques parfois très variés et nombreux. Ainsi, par exemple, nous savons d'après une inscription de Gudei (vers 2120 avo I.-C.) que le dieu Ningirsu compte dans son entourage deux généraux, Kursunaburuam et Lugalkurdub ; un maître des cérémonies, Igalima, qui n'est autre que son fils; un intendant, SulSagana, un autre de ses fils; un conseiller, Lugalsisa ; Sugan-segbar est son camérier; Kindazi s'occupe du lit et des ablutions; Ensignun est commissaire; Enlulim est en charge des troupeaux; Usumgal-kalama et Lugal-igihus sont des musiciens; Gisbar'é est le responsable du cadastre; Lamaenkud-gu'édena s'occupe des livraisons de poissons et de roseaux; Dimgal-abzu est héraut; enfin, l'inscription nous 1 DHORME, P. et VINCENT, L. H., 1926a, p. 345 ; BOTTÉRO, Jean, 1952, pp. 64 et 77 ; LAMBERT, W. G., 1971, p. 545 ; GARELLI, Paul et LEMAIRE, André, 1974, p. 169 ; BOTTÉRO, Jean et KRAMER, Samuel Noah, 1989, p. 63 ; VILLARD, Pierre, 2001, p. 348 ; GLASSNER,Jean-Jacques, 2005, p. 197. 2 JACOBSEN, Thorkild, 1976, pp. 81-82 ; LAMBERT, W. G., 1990b, p. 147; GLASSNER, Jean-Jacques,

1997, p. 420; GLASSNER, Jean-Jacques,

95

2005, p. 197.

informe du nom des gardes: Lugal-ennun-urukuga et Aga'usdaggana. D'après J. Bottéro, on aurait attribué de telles fonctions à des divinités secondaires afin de pouvoir les intégrer au panthéon3. En effet, ces dieux n'ont jamais eu accès au pouvoir. Il en résulte que leur est attribuée toute une multitude de fonctions extrêmement variées, des plus prestigieuses (ministre, vizir, intendant...) aux plus subalternes (concierge, partier...). En outre, ces dieux sont souvent mal connus; on ne les trouve que dans des listes de noms divins ou de courts passages mythologiques. On peut ainsi penser que dans les cas des divinités les moins connues et en charge des tâches les moins prestigieuses (les cas les plus nombreux), ces personnages divins ont uniquement été créés pour la fonction qu'ils occupent, et non le contraire. Quelques-unes de ces divinités ont néanmoins des fonctions importantes. Par exemple, Nuska est le "chef de l'assemblée"4. Certains dieux secondaires ont des fonctions militaires ou policières. Ainsi, Lulal est le capitaine d'Inanna dans La Descente d'!nanna aux Enfers, 1. 327-330. ISum est le capitaine de l'armée d'Erra dans Le Poème d'Erra, tab. I, 1. 4-5 et 9-12. Dans L'Epopée de la Création, tab. I, 1. 148 -152, Qingu mène l'armée de Tiamat. Kirurur et Ninkirurur sont des officiers de la cour de Ninurta. Certains démons ou divinités étaient des policiers ou des justiciers des grands dieux. Enfin, les sëdu et les lamassu composaient l'escorte de certains dieux, telle IStar souvent précédée d'un sëdu, suivie par un lamassu et encadrée de chaque côté par deux autres lamassu. D'autres divinités, en revanche, sont cantonnées à des rôles de domestiques5. Elles peuvent être en charge des loisirs et du bien-être des dieux, comme le manucure, le coiffeur ou le 3 BOTTÉRO, Jean, 1952, pp. 64 et 77. "CONTENAU, Georges, 1951, p. 164; MOSCATI, Sabatino, 1955, p. 62; LAMBERT, W. G., 1980g, p. 607 ; BOTTÉRO, Jean et KRAMER, Samuel Noah, 1989, pp. 117, 288, 6] I et 681-682. 5 CONTENAU, Georges, 1947a, p. 142; BOTTÉRO, Jean, 1952, p. 64 ; BOTTÉRO, Jean et KRAMER, Samuel Noah, ]989, p. 288 ; GLASSNER, Jean-Jacques, ]997, p. 420 ; JOANNÈS, Francis, 200]d, p. 494.

96

ménestrel Sara, serviteurs d'Inanna dans La Descente d'!nanna aux Enfers, I. 317-321, ou bien Bububu, le bouffon d'Enlil. D'autres sont chargées du service de table, comme les maîtres queux d'Anu, les sommeliers d'Enlil ou d'Ereskigal, ou bien les serviteurs de Marduk préposés à la tablée: Minâ-ikul-bêlî qui s'occupe de sa nourriture, Minâ-isti-bêlî qui est chargé de la boisson, Nâdin-mê-qâti, chargé de verser l'eau pour les mains, et Mukîl-mê-balâ~i, le porteur d'eau-de-vie. Enfin, certaines divinités secondaires s'occupent de l'entretien et du fonctionnement du palais6, tels les grands palefreniers ou le jardinier d'Anu, Igisigsig, le porte-trône d'Enlil, Nibu, ou les gardiens de portes que l'on rencontre fréquemment dans les récits mésopotamiens. En effet, de nombreuses divinités assurent cette fonction. Ainsi, Kalkal et sa femme Nimintabba sont les portiers du sanctuaire d'Enlil, l'Ekur, situé à Nippur ; Igihegal et Kahegal sont les gardiens à la cour d'Enki ; Igigungun est le gardien des portes du sanctuaire de Gula, l'Egalmah, à Isin ; enfin, citons encore Iglulim, un portier cité dans le texte An : Anum (col. I, I. 338). Une divinité commande les serviteurs: Ninsubur7. Son nom signifie Dame (ou Seigneur) des Domestiques. Selon les textes sumériens, la divinité est de sexe féminin. Mais à l'époque akkadienne (2334-2200 avo J.-c.), elle devient masculine. D'après E. Chiéra, les Babyloniens croyaient en l'existence d'une île où habitaient quelques divinités subalternes8. On peut supposer que si ces divinités ne résidaient pas à la cour des dieux qu'elles servaient, c'est que leurs fonctions ne les obligeaient pas à une présence permanente. Celles-ci ne devaient donc pas être liées à une activité journalière, mais plutôt occasionnelle. 6 CONTENAU, Georges, 1947a, p. 142; LAMBERT, W. G., 1980a, p. 44; LAMBERT, W. G., 1980b, p. 44; LAMBERT, W. G., 1980e, p. 44; LAMBERT, W. G., 1980d, p. 44; LAMBERT, W. G., 1980f, p. 323; BOTTÉRO, Jean et KRAMER, Samuel Noah, 1989, pp. 532 et 579. 7 WIGGERMANN, F. A. M., 2001, pp. 490-491. De plus, le dieu Ninsubur (et non la déesse) semble avoir été assimilé à Papsukkal. 8 CHIÉRA, Edward, 1940, p. 160. Malheureusement, E. Chiéra ne précise pas quel texte fait référence à cette île.

97

Si les royaumes célestes des différentes divinités fonctionnent comme les royaumes terrestres, il en est exactement de même pour le royaume infernal. La reine des enfers, Ereskigal, réside avec son époux Nergal dans un palais appelé Ganzir. La cour royale se compose notamment d'un scribe, Gdtinana ; d'un majordome, Ningiszida ; d'un administrateur, Pabilsag ; d'un bourreau, Bibbu ; enfin, Namtar remplit les fonctions de vizir et messager d'EreskigaI9. En outre, des démons, les gallû, sont chargés d'entraîner les hommes aux enfers. Ce sont eux qui ont capturé Dumuzi dans La Descente d'[nanna aux Enfers, 1. 332-334 et 338-34210. Les portiers sont les membres du royaume infernal qui apparaissent le plus souvent dans les mythes Il. Selon les récits, divers noms apparaissent: Neti ou Nedu ; Pêtû dans La Descente d'[nanna aux Enfers, 1. 72-79, ainsi que dans le texte relatant la vision des enfers d'un prince assyrien (voir paragraphe suivant) ; Foudroye ur, Sbire, Espion, Pourchas, Asthme, Haut-mal, Vertige, Attaque, Somnambulisme, Fièvre et Infection dans une version de Nergal et Ereskigal (vers. A, 1. 67-73) ; Kisar, Endasurimma, Enuruulla, Endukuga, Endusuba et Ennugigi dans une autre version de ce même mythe (vers. B, col. III, 1. 41-48). Enfin, dans Enlil et Ninlil, 1. 65-67, le portier des enfers est cité mais pas nommé. De plus, le texte assyrien Une Vision du Monde infernal cite et décrit les êtres hybrides qui composent la cour d'Erdkigal12. Cependant, cette liste est vraisemblablement non exhaustive. De plus, elle est issue d'un rêve, et non d'un texte mythologique: il y a donc peut-être certaines différences entre la cour "rêvée" et celle fixée par le clergé assyrien.

9 LABAT, René, CAQUOT, André, SZNYCER, Maurice et VIEYRA, Maurice, BIENKOWSKI,Piotr et MILLARD, Alan, 2000, p. 308. JO LEICK, Gwendolyn, 1991c, p. 67 ; JOANNÈS, Francis, 2001 b, p. 225.

1970, p. 96 ;

" LABAT,

1970, p. 95 ;

René,

CAQUOT, André,

SZNYCER,

Maurice

et VIEYRA, Maurice,

BOTTÉRO, Jean et KRAMER, Samuel Noah, 1989, pp. 108, 279, 440 et 447 ; WIGGERMANN, F. A. M., 1997, p. 224; BIENKOWSKI, Piotr et MILLARD, Alan, 2000, p. 308. 12 Voir p. 64 et suivantes.

98

Panni les divinités qui secondent les grands dieux, il en est une qui possède une certaine importance: il s'agit du vizir. Les traductions varient pour désigner ce haut personnage de la cour divine: vizir, page, conseiller, assistant... Son rôle est de seconder la divinité et éventuellement de commander les autres serviteurs divins afin qu'ils agissent selon la volonté de la divinité supérieure. Le dieu secondaire cumule différentes fonctions. Il est d'abord le conseiller de la divinité supérieure13. Ainsi, dans L'Epopée de la Création, tab. I, I. 47-50, c'est sur les conseils de Mummu qu'Apsû décide de détruire les jeunes dieux. De même, Lugalsisa est le conseiller de Ningirsu. Mais le rôle de conseiller n'est pas toujours une fonction réservée au second du grand dieu. Ainsi, dans le texte An : Anum, Anu possède à la fois un grand vizir et des conseillers. Le second du dieu doit aussi parfois exécuter lui-même les ordres du grand dieul4. Dans Le Poème d'Agusaya, tab. II, col. I, I. 1-13, IStar envoie son page Ninsubur exécuter lui-même les missions. Il mène aussi parfois l'armée du grand dieu. Namtar commande ainsi les démons infernaux. De même, dans Le Poème d'Erra, tab. I, I. 4-5 et 9-12, le page d'Erra, ISum, a aussi le rôle de capitaine de son armée. Le dieu peut aussi être chargé de relier le dieu à ses fidèles ou avec les autres dieux. Ainsi, ISum, conseiller de Nergal, a aussi le rôle d'intercesseur15. De même, Namtar est le messager d'Ereskigal dans Nergal et Ereskigal, vers. A, I. 1-11. Namtar y a d'ailleurs un rôle très important puisque Ereskigal le délègue auprès des grands dieux. Elle va même jusqu'à dire qu'elle aurait pu aller voir elle-même les grands dieux, tandis qu'elle

13BOTTÉRO, Jean, 1952, p. 64 ; CASSIN, Elena, 1968, p. 30 ; LAMBERT, W. G., 1990c, p. 151. 14CONTENAU, Georges, 1947a, p. 94 ; BOTTÉRO, Jean et KRAMER, Samuel Noah, 1989, pp. 211, 212 et 681. 15LABAT, René, CAQUOT, André, SZNYCER, Maurice et VIEYRA, Maurice, 1970, p. 96 ; BOTTÉRO, Jean et KRAMER, Samuel Noah, 1989, p. 438 (et p. 447 pour le passage cité). On trouvera certainement curieux qu'lSum serve à la fois Erra et Nerga1. En réalité, ces deux divinités, à l'origine différenciées, étaient si proches qu'elles furent rapidement confondues.

99

aurait laissé temporairement I. 34-39) :

le trône à Namtar (vers. B, col. m,

Ereskigal ouvrit alors la bouche, prit la parole et adressa ces mots à Namtar: "Mon Namtar, sans ambitionner le Pouvoir-souverain, tu aurais dû monter sur (mon) trône royal et gouverner la "Vaste-Terre" (infernale), et moi, j'eusse mieux fait de grimper (, à ta place,) au ciel d'Anu, mon père, prendre part au repas qu'il offrait et boire la bière qu'il présentait! Pratiquement toutes les grandes divinités possèdent un vizir ou un assistant principal16. Ainsi, dans L'Epopée de la Création, tab. I, I. 29-32, nous apprenons que Mummu est le page d'Apsû, et Kaka le page d'Ansar (tab. m, I. 1-4). Dans Le Poème d'Atrahasfs, tab. I, col. II, I. 86, Nuska est Ie page d'Enlil. Ninsubur est l'assistante d'Inanna dans La Descente d'Inanna aux Enfers, I. 26-32, ainsi que dans Inanna et Enki, tab. II, col. I, 1. 29-32. Dans ce même texte, 1. 36-38, le page d'Enki est lsimu. Enfin, NaM est le vizir de Marduk, Papsukkalle vizir des grands dieux, les hommes-scorpions sont les assistants de Samas et le démon-lion ugallu l'assistant de Nergal. Il arrive parfois que des vizirs changent de maîtres, ou bien qu'ils soient remplacés par d'autres17. Par exemple, le mushussu, le dragon-serpent, est à l'origine l'assistant du dieu Ninazu, puis au Dynastique Archaïque m ou à l'époque akkadienne il sert Tispak au royaume d'Esnunna et Ningiszida à Lagas. Lorsque Hammurabi conquiert Esnunna, il devient le serviteur de Marduk et de son fils NaM. Enfin, après la conquête de Babylone par Sennacherib (704-681 avo J.-C.), il est associé au dieu Assur en Assyrie. Quant à lnanna, son vizir est Ninsubur dans La Descente d'Inanna aux Enfers, 1. 26-32, alors que dans

16BOTTÉRO, Jean et KRAMER, Samuel Noah, 1989, pp. 238, 277, 322, 532, 605 et 618 ; GREEN, Anthony, 1997, pp. 250.251 ; WIGGERMANN, F. A. M., 2001, p. 497. 17 GREEN, Anthony, 1997, p. 259 ; WIGGERMANN, F. A. M., 2001, pp. 491 et 493 ; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003v, p. 166.

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une autre version, elle est secondée par Papsukka1. Ninsubur change d'ailleurs de maître, puisqu'il sert par la suite An. Enfin, notons que le vizir est parfois de même nature que son maître, ce qui est un moyen de les rapprocher. Ainsi, le vizir du dieu du feu Gibil est Nablum, dont le nom signifie 18 fi amme . Il faut se référer aux textes afin de trouver l'origine de ces serviteurs divinsl9. Dans le texte Enki et Ninmah, 1. 9-11, ainsi que dans Le Poème d'Atrahasfs, tab. I, col. I, 1. 17-20, il est dit qu'à l'origine, les Igigi, c'est-à-dire les divinités de second rang, servaient les Anunnaki, les divinités supérieures: Tous (?) se mirent au travail: ceux de deuxième rang s'occupant aux corvées. Ils creusaient des canaux, amoncelaient la terre [... ] Et ils moulaient le grain: mais ils se complaignaient de leur sort! Puis, lasses de ces corvées, elles furent remplacées par les hommes. Cependant, dans les mythes, un certain nombre de divinités secondaires continuèrent de servir leurs maîtres, notamment celles occupant un haut rang dans la cour divine. On peut remarquer que, parmi les êtres hybrides servant les grands dieux, on trouve deux sortes de serviteurs20. Les premiers sont associés à leurs maîtres car ils partagent un rôle, un champ d'action ou une nature semblable. Il en est ainsi pour le kusarikku, l'homme-taureau, souvent associé à Dtu ; le dragon-lion (lion ailé possédant un arrière-train de rapace) d'ISkur ; ou encore le mushussu qui accompagne originellement Ninazu. Le second type rassemble les êtres devenus les serviteurs de ceux qui les ont vaincus. Ainsi, le démon-lion

18HEIMPEL, W., 2001, p. 5. 19 BOTTÉRO, Jean et KRAMER, Samuel Noah, 1989, pp. 189 et 530 (le passage cité est extrait de El1ki et Nil1/1lalz, 1. 9-11, in BOTTÉRO, Jean et KRAMER, Samuel Noah, 1989, p.189). 20 WIGGERMANN, F. A. M., 1997, p. 227; LOMBARD, Pierre, 1999, p. 120.

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ugallu a été battu par Utu avant de devenir son serviteur dans certains textes mésopotamiens. Quant aux démons, ils étaient conçus à l'origine comme les exécuteurs des châtiments décrétés par les grands dieux21. Ainsi, dans Le Poème d'AtrahasÎs, tab. III, col. VII, I. 3-4, le démon Pasittu a été créé uniquement pour limiter la population humaine. En effet, certaines divinités n'ont été créées que pour les besoins de missions particulières. Ce n'est qu'au 1er millénaire avo J.-c. que les démons devinrent autonomes. Dans le zoroastrisme, à l'instar du christianisme (voir paragraphes suivants), les archanges zoroastriens, les Amesha Spenta, sont les fonctionnaires supérieurs du dieu suprême Ahura Mazdâ22. A chaque entité est donc attribuée une fonction bien spécifique. Dans la Bible, les démons sont parfois utilisés par Yahvé pour frapper les hommes de calamités diverses: famine, peste, mort23... Ainsi, à Ha. III, 5, Deber et Resep, traduits tous les deux par peste, accompagnent Yahvé sur terre pour propager la mort. D'après G. deI Olmo Lete, le passage d'Habaquq s'inspirerait de la tradition mésopotamienne selon laquelle Marduk était accompagné de Deber et Resep. Le démon Qe-t;eb, qui signifie destruction, est quant à lui est parfois utilisé en même temps que Deber et Resep. Les anges24 quant à eux ont pour fonction unique de servir Dieu25. De manière générale, ils exécutent la volonté divine. Ainsi, l'ange de Yahvé est un personnage céleste qui intervient souvent dans l'Ancien Testament et qui exécute les sentences

21 GARELLI, Paul et LEMAIRE, André, 1974, p. 169; RILEY, Greg J., 1995a, col. 447 ; JOANNÈS, Francis, 2001b, p. 225. 22 DUMÉZIL, Georges, 1992, pp. 209 et 215. 23 CAQUOT, André, 1971, p. 118 ; DEL OLMO LETE, Gregorio, 1995, col. 439 ; RILEY, Greg J., 1995a, col. 448 et 450 ; XELLA, Paolo, 1995, col. 1328 ; WYATT, Nicholas, 1995, col. 1269. 24 Nous entendons par là toutes les classes d'anges. 25 DHORME,P. et VINCENT,L. H., 1926b, p. 481 ; CAQUOT,André, 1971, pp. 122,137 et 140; MEIER,Samuel A., 1995b, col. 98.

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divines. Les anges peuvent même être les agents de la colère divine. Ainsi, à 2 S. XXIV, 16 : Comme l'ange étendait la main sur Jérusalem pour la détruire, l'Eternel se repentit de ce mal, et il dit à l'ange qui faisait périr le peuple: "Assez! Retire maintenant ta main." L'ange de l'Eternel était près de l'aire d'Aravna, le Jébusien. L'ange de Yahvé a aussi parfois le rôle de représentant de Dieu, s'exprimant à la première personne comme si l'interlocuteur avait Dieu lui-même devant lui. C'est le personnage céleste biblique qui se rapproche le plus du vizir divin mésopotamien. En revanche, nous ignorons si ce personnage est toujours le même, ou bien si différents anges endossent ce rôle. D'autres anges ont aussi pour fonction de représenter Dieu sur la terre. Ainsi, selon P. Dhorme et L. H. Vincent, les chérubins sont les ministres de Dieu sur terre. C'est pourquoi c'est un chérubin qui garde l'entrée du paradis terrestre. Les anges ont aussi pour fonction d'exécuter la sentence du Jugement Dernier, comme il l'est précisé dans l'Apocalypse (VIII, 6-13 ; IX, 1 ; IX, 13-15) 26. Pour cela, ils observent les actions des hommes qu'ils rapportent à Dieu. A partir du IIIèmesiècle avo J.-c., les anges se manifestent de plus en plus et leurs fonctions se diversifient27. Leurs autres fonctions seront développées dans les sous-chapitres suivants. Enfin, les anges composent une véritable cour céleste28. Il y est fait allusion à Jb. l, 6 ; XXXVIII, 7 et PS, LXXXIX, 7. La cour de Yahvé serait un héritage des polythéismes mésopotamien et sémitique dans lesquels les dieux sont organisés en assemblée ou en cour autour d'un chef des dieux. Cette conception de Yahvé entouré d'anges qui exécutent sa 26CAQUOT, André, 1971, p. 137; VANHENTEN, Jan WilIem, 1995a, col. 94. 27 VAN HENTEN, Jan WilIem, 1995a, col. 92. 28 DUSSAUD, René, 1937, p. 109 ; BOTTÉRO, Jean, 1992a, p. 220 ; BORDREUIL, Pierre et BRIQUEL-CHATONNET,Françoise, 2000, p. 354.

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volonté serait aussi une tentative pour évincer les autres divinités proche-orientales. Le système d'organisation des panthéons polythéistes est alors adapté au monothéisme hébraïque, et ces "autres dieux" sont alors relégués au rang d'anges serviteurs, voire de démons soumis. Le monothéisme des Hébreux essaie ainsi d'éviter la concurrence du polythéisme et permet d'intégrer les divinités étrangères. Ainsi, à Ps. LXXXII, 1, il est fait allusion à ces divinités: Dieu se tient dans l'assemblée de Dieu,. Il juge au milieu des dieux. D'après les textes qui mentionnent cette cour, à savoir essentiellement les livres de Job et des Psaumes, nous pouvons en déduire que la conception de cour céleste s'est développée après l'exil, au Vlème siècle avo J.-c., et vraisemblablement sous des influences babyloniennes et ouest-sémitiques.

2) Messager et intermédiaire Les grands dieux mésopotamiens communiquent entre eux ou avec les hommes par l'intermédiaire de génies messagers29. Ces génies sont parfois aussi leur propre vizir. De plus, on retrouve bien souvent dans les textes les mêmes divinités dans les rôles de messagers. Ainsi, Papsukkal est souvent l'envoyé des grands dieux. Nuska quant à lui transmet les messages d'Enlil dans Le Mariage de Sud, 1. 27-30. Le génie Kakka30 est le messager d'Anu dans Nergal et EreSkigal, vers. B, col. I, 1. 13, ainsi que dans L'Epopée de la Création, tab1. III, 1. 1-4, tandis que dans Le Mythe d'Adapa, fragment B, 1. 8-11, c'est Illabrat qui transmet les messages d'Anu. On retrouve d'ailleurs

29

LOISY, Alfred, 1901, p. 23; LANGDON, S., 1934, p. 52; CONTENAU, Georges, 1951, p. 164; LABAT, René, CAQUOT, André, SZNYCER, Maurice et VIEYRA, Maurice, 1970, p. 291 ; BOTTÉRO, Jean et KRAMER, Samuel Noah, 1989, p. IIG et 442 ; MEIER, Samuel A., 1995a, col. 82 et 88 ; MEIER, Samuel A., 1995b, col. 97. 30 Identique à Kaka (cf. p. 100) ?

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le nom de Kakka dans une inscription de Sennacherib3I. Enfin, les sëdu seraient les messagers de Nergal. Le concept de génies messagers ne constitue pas l'exclusivité de la religion mésopotamienne, puisqu'on le retrouve dans les autres civilisations proche-orientales, et plus largement tout autour du bassin méditerranéen32. Ainsi, à Ugarit, les messagers de Baal sont Gapnu et Ugaru, tandis que ceux d'Athirat sont Qadish et Amrar. Quant à Anat, qui est pourtant une déesse supérieure et pas une divinité mineure comme celles que nous venons de citer, celle-ci assume elle aussi le rôle de messagère des dieux. Les génies messagers permettent notamment de relier différents mondes entre eux. Par exemple, dans Nergal et Erdkigal, vers. A, I. 2-6, il est dit que le royaume du ciel et celui des enfers ne peuvent être reliés par les grands dieux, bien que Nergal descende par la suite aux enfers33 (de même, Inanna dans La descente d'Inanna aux Enfers) : Les dieux expédièrent un courrier à la sœur Erdkigal : Nous autres, nous ne pouvons descendre auprès de toi, et toi, tu ne peux monter jusqu'à nous. Dépêche-nous quelqu'un prendre ta part du festin p4 Dans la mesure où au moins deux divinités ont pu descendre aux enfers (Nergal et Inanna), nous pouvons supposer que le contact est parfois possible. J. Bottéro compare cette impossibilité de rencontre entre EreSkigal et les autres dieux aux êtres humains: les morts ne peuvent remonter pour participer aux banquets, et les vivants ne peuvent descendre aux enfers3s. L'impossibilité de ce cas précis est donc peut-être liée

3]

L'inscription de Sennacherib mentionnant Kakka est disponible dans MEISSNER, B. et ROST, P., Bauinschrifien Sanheribs, Leipzig, 1893, 108. 32 DUSSAUD, René, 1937, p. 103 ; BARROIS, A.-G., 1953, p. 326; DUCHET-SUCHAUX, Gaston et PASTOUREAU,Michel, 1994a, p. 25; MEIER, Samuel A., 1995b, col. 97. 33 MEIER, Samuel A., 1995a, col. 83. 34BOTTÉRO, Jean et KRAMER, Samuel Noah, 1989, p. 438. 35BOTTÉRO, Jean et KRAMER, Samuel Noah, 1989, p. 456.

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au banquet: pour des agapes, les dieux ne peuvent quitter leurs domaines respectifs, ce qui les rend dépendants de leurs messagers. EreSkigal envoie donc Namtar (qui endosse le rôle de messager en plus de diverses autres fonctions) qui, lui, possède la capacité de relier les deux royaumes36. Dans la version de Sultan Tepe, il rejoint le royaume du ciel grâce à un escalier. S. A. Meier a rapproché cet escalier de l'arc-en-ciel utilisé par la déesse messagère Iris chez les Grecs. Namtar quant à lui a été rapproché d'Hermès, époux d'Iris et dieu des communications. Les génies messagers relient aussi le monde des dieux à celui des hommes. Ainsi, dans les ruines du sanctuaire situé au nord-ouest de la ziggurat d'Ur et dans le temple de Dublal-makh ont été retrouvés les fragments d'une stèle calcaire mesurant 1,60 m sur 4,90 m de haut et sur laquelle est représenté UrNammu (2112-2095 avo I.-C.), debout, en attitude de prière37. On y distingue un génie anthropomorphe qui descend du ciel et répand sur la terre l'eau d'un vase qu'il tient entre les mains. Les eaux jaillissantes renvoient à la fertilité. Des représentations similaires plus anciennes datant du Dynastique Archaïque l se trouvent sur un bassin du temple de Ningirsu à Tello38. Le génie pourrait symboliser le nuage pluvieux ou bien représenter Enki. Quoi qu'il en soit, Ur-Nammu, qui a fait faire les travaux de terrassement pour les canaux, attribue aux dieux le pouvoir de l'eau qui rend la terre fertile. L'analogie entre les anges bibliques est telle que L. Woolley a qualifié cette scène de "plus ancienne représentation artistique d'un ange". Les génies permettent aussi aux hommes d'entrer en contact avec les grands dieux et d'intercéder en leur faveur. De nombreuses scènes, notamment dans la glyptique, représentent un ou plusieurs génies introduisant un fidèle auprès d'un grand

36CONTENAU, Georges, 1947a, p. 94; MEIER, Samuel A., 1995a, col. 83; MEIER, Samuel A., 1995b, col. 97. 37 WOOLLEY, Leonard, 1957, pp. 96 et 98 ; HALLO, William H., 2005, pp. 147-148. 38BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003, p. 139, fig. 114.

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dieu trônant (fig. 22)39. Ces scènes ont été particulièrement en vogue à l'époque de la mème dynastie d'Ur (2112-2004 avo J.C.). On retrouve aussi ces scènes dans la glyptique syro-hittite. A l'époque paléo-babylonienne (1763-1595 avo J.-c.), les scènes d'intercession et d'introduction diminuent, puis disparaissent complètement.

Fig. 22 : INTRODUCTIONET INTERCESSIONASSURÉESPAR DEUXDÉESSES LAMA. Sceau-cyJindre, époque d'Ur-Nammu, serpentine, H. 28 cm, Londres, British Museum, ANE 89126.

Dans ces représentations, les divinités secondaires qui accompagnent le fidèle sont presque toujours des déesses4o. Il existe deux types de divinités: celle qui se trouve entre le grand dieu et le fidèle et qui lui présente ce dernier, et la divinité qui intercède pour lui en levant les mains. Ainsi, dans l'un de ses rêves, Nabonide (556-539 avo J.-c.) est introduit auprès de Marduk par son fils Nabû, puis Tasmëtu, l'épouse de Nabû, intercède auprès du grand dieu41. Les kâribu, qui ont parfois la

39 CONTENAU, Georges, 1922b, p. 84; PARROT, André, 1957. p. 23; W1GGERMANN,F. A. M., 2001, p. 497. La figure 22 représente un sceau-cylindre qui a la pm1icularité de présenter une introduction et une intercession non pas auprès d'un dieu mais d'un homme, le roi Ur-Nammu, ce qui est relativement rare. La mise en scène est cependant exactement la même que dans les cas de présentation à des grands dieux. 40 PARROT, André, 1962, p. 28. 41JOANNÈS, Francis, 2000, p. 99.

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fonction de gardien42, introduisent aussi le fidèle ou intercèdent pour lui auprès des grands dieux. L'intercession est aussi souvent confiée aux épouses des grands dieux car elles sont l'image de la matemité43. Ainsi, Tasmetu, que nous avons déjà citée, intercède auprès de Nabû ; Aya auprès de son mari Samas ; Ningal auprès de Sîn ; et IStar auprès de Tammuz. Dans la plupart des cas, la déesse mineure qui intercède est une déesse LAMA (en akkadien lamassu)44. C'est une déesse protectrice qui a aussi le rôle d'intercesseur (fig. 22). Cette divinité anthropomorphe féminine a pour parèdre le sëdu. Son apparence a été identifiée notamment grâce à une terre cuite sur laquelle figure une inscription avec le nom de la déesse45. Elle porte une tiare comportant le plus souvent une seule rangée de cornes. Elle porte les cheveux longs et une robe plissée mais jamais le kaunakès. Durant le règne de Sulgi (2094-2047 avo J.C), roi de la nfme dynastie d'Ur, la robe plissée est remplacée par la robe à volants, elle couvre désormais les deux épaules (alors qu'à l'époque de Gudea, une épaule est découverte) et la tiare porte plusieurs rangées de cornes. 46 Le terme LAMA remonte jusqu'à l'époque de Fara (première moitié du mème millénaire avo J.-C), mais il n'est attesté dans un contexte démon al agi que qu'à partir de la fre dynastie d'Isin (2017-1794 avo J.-C). En effet, à l'origine, la divinité LAMA a pu être un individu démoniaque car on la trouve citée dans des listes de démons. Les mentions de la déesse LAMA sont rares avant la mème dynastie d'Ur, mais pas inexistantes. Ainsi, quelques tablettes présargoniques retrouvées à Tello citent des déesses LAMA faisant partie du panthéon organisé autour de Ningirsu et de Bau. Le roi de Lagas Ur-Nanse (vers 2520 avo l-C) cite aussi la réalisation "' Voir pp. 132-133. 43 CASSIN, Elena, 1986, p. 93; JOANNÈS, Francis, 2000, p. 126. 44 SPYCKET, Agnès, 1960, pp. 74 et 80-81 ; SPYCKET, Agnès, 1983, p. 453; LEICK, Gwendolyn, 1991d, p. 109; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003k, p. IlS. 45 Pour cette inscription, voir page suivante. Pour l'illustration de cette figure, voir BECKER, Andrea, 1993, pl. 45. 46 SPYCKET, Agnès, 1960, pp. 74-75; LEIBOYICI, Marcel, 1971, p. 103; FOXYOG, D., HEIMPEL, W. et KILMER, A. D., 1983, p. 447.

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d'une statue de LAMA. Toujours à Lagas, le roi Urukagina (début du XXIVème siècle avo J.-c.) cite la construction d'un temple pour sa déesse LAMA favorable. Nous savons aussi qu'Ur-Bau (début du XXnème siècle avo J.-c.) a voué pour sa vie un vase en pierre à une déesse LAMA. Le rôle principal de la déesse LAMA est d'intercéder auprès du grand dieu en faveur du fidèle. Sur une stèle retrouvée à Uruk47 et datée de la fin du xrvème ou du début du Xmème siècle avo J.-c., une inscription confirme le rôle d'intercesseur de la déessé8 : (Sir?-ban) a dressé pour toujours sur un socle une déesse Lama, être éminent, et à la dame de IfEanna49, sa dame, illfa donnée. Ici, la déesse LAMA est chargée d'intercéder auprès d'Inanna en faveur de l'auteur de la dédicace. Cette intercession se fait toujours en levant un ou deux bras. Même si on trouve quelques prototypes à l'époque d'Akkad, bien qu'à cette époque aucun texte ne mentionne la déesse, ce geste apparaît véritablement sous le règne de Gudea dans la glyptique et les reliefs, et devient très fréquent sous la nrme dynastie d'Ur. On trouve aussi parfois une déesse LAMA miniature qui le plus souvent s'ajoute à la déesse LAMA déjà présente dans la scèneso. Cette petite déesse se trouve alors devant la divinité supérieure et lève un ou deux bras en signe d'intercession, exactement comme son double de plus grande taille. Afin d'intercéder en sa faveur, la déesse peut assister le fidèle à la libation ou transmettre les offrandes et les prières au grand dieus1. Ainsi la mère du gendre d'Ur-Bau fit inscrire sur une statuette la dédicace suivante: 47 Voir note 45 p. 108. 48 SPYCKET, Agnès, 1960, pp. 73 et 80-81 (p. 73 pour l'inscription) 1983, p. 453 ; AMIET, PielTe, 1986, p. 145. 49

; SPYCKET, Agnès,

Temple d'Inanna à Uruk.

50COLLON, Dominique, 2005, p. 115, fig. 500. 51 SPYCKET, Agnès, 1960, pp. 75, 77 et 81 (p. 75 pour l'inscription) Otto, 1997, p. 199.

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; EDZARD, Dietz

Lorsque la déesse lama introduite dans le parvis de statue, auprès de l'oreille placé, ma prière puisse-t-elle

du tar-s{r-s{r52 fut la déesse Bau, cette de ma dame il53 a lui dire.

Toujours sous Gudea apparaissent les scènes d'introduction où une déesse LAMA est placée entre la divinité supérieure et le fidèle qu'elle tient par la main54. Cette déesse LAMA introduit le fidèle mais n'intercède pas. Ce rôle est assuré par une autre déesse LAMA qui se tient derrière le fidèle et qui lève les mains. Ces déesses ne sont que rarement représentées ensemble (fig. 22). Il semble qu'à l'époque d'Hammurabi, le sedu (tout comme son acolyte le lamassufLAMA) ait aussi pour rôle d'intercéder favorablement auprès des dieux, comme le démontre un passage du Code d'Hammurabi XXV, 48 : Puissent le Bon Génie55, la Protectrice56, les dieux qui entrent dans l'Esagil, la Brique de l'Esagil favoriser chaque jour ma renommée devant Marduk, mon maître, et Zarpanîtum, ma souveraine f57. La divinité Ninsubur commande aux LAMA58. Cependant, cette thèse est contredite par une inscription retrouvée sur un clou de fondation et due au roi de Larsa, Rîm-Sîn (1822-1763 avo J.-c.). En effet, cette inscription précise que les LAMA obéissent à la déesse Nanâ59 :

52Temp]e de Bau. s; Renvoie au gendre d'Ur-Bau, Nammahni. 5" SPYCKET, Agnès, 1960, p. 81. 55 Littéralement .{eda. 56Littéralement lamassu. 57 FINET, André, ]973, p. 137. 58WIGGERMANN, F. A. M., 2001, pp. 497-498. 59 La présente traduction a été réalisée d'après celles de SPYCKET, Agnès, 1960, p. 78 et FRAYNE, Douglas R., ]990, p.275.

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Que Nanâ, la reine des déesses LAMA, se réjouisse d'eux, et demande pour eux au dieu An et à la déesse Inanna une royauté joyeuse, un règne heureux (et) une déesse LAMA qui (les) protège. La divinité commandant aux LAMA peut donc varier selon le contexte. La déesse LAMA et les scènes de présentation et d'intercession deviennent très rares après l'époque paléobabylonienne, même si elles apparaissent occasionnellement aux époques kassite, néo-assyrienne et néo-babylonienne (612539 avo J._c.).60 Les scènes avec les LAMA anthropomorphes subsistent durant le nème millénaire avo J.-c. au Proche-Orient, notamment en Cappadoce, au Mitanni, en Syrie et en Phénicie. A l'époque médio-assyrienne (1365-1077 avo J.-C.), la divinité LAMA n'est plus représentée sous les traits d'une déesse anthropomorphe mais par un taureau ailé androcéphale dont le rôle est désormais de garder les portes des palais et des temples61. A l'époque néo-assyrienne, le taureau ailé androcéphale est désormais appelé aladlammû. En Babylonie et en Assyrie, à l'époque néo-assyrienne, le taureau ailé androcéphale coexiste avec la déesse LAMA anthropomorphe. Le kâribu a aussi pour fonction de prier et d'intercéder en faveur des hommes auprès des grands dieux. Outre le fait que son nom renvoie à sa fonction62, une inscription du roi de Suse Tepti-ahar63 prouve bien que cette divinité possède un rôle d'intercesseur : La nuit, viendront les quatre femmes qui sont de garde à la construction. Elles ne s'installeront point dans la..., et d'or elles ne... 60 SPYCKET. Agnès, ]960, p. 84 ; SPYCKET, Agnès, ]983, p. 455 ; BLACK, Jeremy et GREEN. Anthony, 2003k, p. ] 15. 61 SPYCKET, Agnès, 1960, p. 80 ; SPYCKET, Agnès, 1983, p. 455 ; LEICK, Gwendolyn, 199]d, p. 109; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003k, p. 1 ]5. 62 Voir p. 24. 63 Dernier roi de la dynastie des Kidinuides (1455-1405 avoJ.-c.).

III

pas leurs seins. Que dans l'étage supérieur, pour invoquer, elles entrent et qu'elles prient aux pieds des la-ma-az-za-a-ti et des ka-ri-ba-a-ti f64. Ces femmes prient aux pieds des lamassâti (les femelles des lamassu65) et des kâribâti (femelles des kâribu) afin que ces divinités transmettent leurs prières aux dieux supérieurs. Notons que ces divinités prient elles aussi (c'est-à-dire transmettent le message de l'homme à son dieu), comme l'indique une inscription datée de la vingt-neuvième année du règne du roi Ammiditana (1683-1647 avo J.-c.) qui, cette fois, mentionne une lamassatu seule: Année où le roi Ammi-ditana construisit en or étincelant et en pierre précieuse des déesses lamas tu de belle taille, qui prient pour sa vie, et il les introduisit près de la déesse Ninni-nin-galrus-ki-a, qui élève sa royauté.66 Un second texte de Tepti-ahar kâribâti priant seules:

mentionne

cette fois des

Tepti-afJar, roi de Suse, sa statue et (celle de) ses servantes qu'il aime, et les orantes (ka-ri-bati) qui prient (i-ka-ar-ra-ba) pour lui et pour ses servantes qu'il aime, (et aussi) une construction de clôture il a fait et au dieu Shoushinak, son . . 67 seIgneur, I 1 a d onne. '

64 DHORME. Edouard. 1951, p. 680. Cette inscription qui présente des couples d'intercesseurs composés des kâribâti et des [a!/lassâli a conduit P. Dhorme et L. H. Vincent à en déduire que les mâles, les kâribu et [a/l!assu, composaient eux aussi des couples. même si, à notre connaissance, aucune inscription retrouvée ne les mentionne (voir DHORME, P. et VINCENT, L. H., 1926a. pp. 336-337). 65 DHORME, P. et VINCENT, L. H., 1926a, pp. 337-338. 66 DHORME, Edouard, 1951. p. 680. E. Dhorme remplace [a!/lassalu par [a!/laslu. 67 DHORME, P. et VINCENT, L. H., 1926a, p. 336; DHORME, Edouard, 1951, pp. 679680.

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Dans le zoroastrisme, les Amesha Spenta permettent de relier le divin situé au Ciel et les hommes de la terrés. En outre, Sraosha (qui est un Yazata) a d'ailleurs le rôle d'intermédiaire entre les hommes et Ahura Mazdâ69. Les anges sont avant tout les messagers de Dieu, "messager" étant la traduction du mot hébreu mal' ilk qui désigne un type d'ange7o. Avant l'exil du VIème siècle avo J.-c., les hommes recevaient dans la plupart des cas leurs messages directement de Dieu 71. Notons que ce ne sont pas tous les hommes qui reçoivent la parole divine, mais seulement les prophètes. Le Livre des Juges fait néanmoins exception à cette correspondance directe. A XIII, 2-3 et 24, un ange annonce la naissance de Samson: Il Y avait un homme de Tsorea, de la famille des Danites, et qui s'appelait Manoach. Sa femme était stérile, et n'enfantait pas. Un ange de l'Eternel apparut à la femme, et lui dit: "Voici, tu es stérile, et tu n'as point d'enfants; tu deviendras enceinte, et tu enfanteras un fils. La femme enfanta un fils, et lui donna le nom de Samson. L'enfant grandit, et l'Eternel le bénit. Et à VI, 11-16, un ange annonce à Gédéon sa future victoire sur les Madianites. Mais après l'exil, l'ange en tant qu'intermédiaire est nécessaire pour que l'homme puisse entrer en contact avec Dieu72. A cette même époque, le phénomène prophétique 68

Du BREUIL,Paul, 1982, p. 35.

69 SODERBLOM, Nathan, 1925, p. 378. 70 CAQUOT, André, 1971, p. 121 ; DUCHET-SUCHAUX, Gaston et PASTOUREAU,Michel, 1994a, p. 25 ; MEIER, Samuel A., 1995a, col. 83. Pour les autres types d'anges, voir p. 167 et suivantes. 7i CAQUOT, André, 1971, pp. 118 et 120; MEIER, Samuel A., 1995a, col. 84. 72 PARROT, André, 1957, p. 24 ; DUCHET-SUCHAUX, Gaston et PASTOUREAU, Michel, 1994b, p. 46 ; COLLINS, John J., 1995, col. 641.

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diminue. Ces deux faits sont donc peut-être liés. Ce rôle d'intermédiaire est souvent assuré par les archanges qui peuvent eux aussi se faire les messagers de Dieu. Ainsi, Gabriel73 annonce la naissance de Jean le Baptiste à Lc. I, 11-13 : Alors un ange du Seigneur apparut à Zacharie, et se tint debout à droite de l'autel des parfums. Zacharie fut troublé en le voyant, et la frayeur s'empara de lui. Mais l'ange lui dit: "Ne crains point, Zacharie.. car ta prière a été exaucée. Ta femme Elizabeth t'enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jean. A Le. I, 26-31, Gabriel naissance de Jésus:

annonce

cette fois à Marie la

Au sixième mois, l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, appelée Nazareth, auprès d'une vierge fiancée à un homme de la maison de David, nommé Joseph. Le nom de la vierge était Marie. L'ange entra chez elle, et dit: "Je te salue, toi à qui une grâce a été faite.. le Seigneur est avec toi." Troublée par cette parole, Marie se demandait ce que pouvait signifier une telle salutation. L'ange lui dit: "Ne crains point, Marie.. car tu as trouvé grâce devant Dieu. Et voici, tu deviendras enceinte, et tu enfanteras un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus.

n Dans les extraits de l'Evangile selon saint Luc qui suivent, Gabriel est qualifié d'ange et non d'archange. En effet, ce sont les évangiles apocryphes qui l'élèvent à ce rang. Cependant, par la suite, c'est ce "grade" qu'on retiendra pour qualifier Gabriel (voir GIORGI, Rosa, 2004, p. 360).

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Parfois, le rôle des anges n'est pas simplement de délivrer un message, mais d'interpréter la parole de Dieu74. Ils ont un rôle herméneutique, tout comme Hermès chez les Grecs. Ainsi, la fonction première de Gabriel est de révéler la parole divine. A Za. IV, 5-6, un ange explique la parole de Dieu: L'ange qui parlait avec moi me répondit: "Ne sais-tu pas ce que signifient ces choses ?" Je dis: "Non, mon seigneur". Alors il reprit et me dit: "C'est ici la parole que l'Eternel adresse à Zorobabel: Ce n'est ni par la puissance ni par la force, mais c'est par mon esprit, dit l'Eternel des armées. De même, à 3 Ba. XI, 7, l'archange comme l'interprète des révélations:

Phanuel est décrit

Et l'archistratège Michel dit: "Je te salue aussi, notre frère, toi qui es l'interprète des révélations auprès de ceux qui passent dans la vertu toute leur vie. " Enfin, si les anges délivrent aux hommes les messages de Dieu, ils peuvent aussi délivrer ceux des hommes, et même intercéder en leur faveur75. Ainsi, les anges apportent à Dieu les réponses des hommes, mais aussi leurs prières. A Tb. Xll, 12 et 15, sept anges sont chargés de les transmettre à Dieu: Lorsque vous étiez à prier Dieu avec larmes, et que vous ensevelissiez les morts, que vous quittiez pour cela votre dîner, et que vous cachiez les morts dans votre maison durant le jour, pour les ensevelir durant la nuit, moi j'ai présenté vos prières au Seigneur. 74RIAUD, Jean, 1987, p. 1161 pour la traduction de 3 Ba. XI, 7; COLLINS, John J., 1995, col. 641 ; MEIER, Samuel A., 1995a, col. 86 ; VAN HENTEN, Jan Willem, 1995b, col. 152. 75COLLINS, John J., 1995, col. 641 ; MEIER, Samuel A., 1995a, col. 86 et 107.

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Car je suis l'ange Raphaël, l'un des sept qui sommes toujours présents devant le Seigneur. Ils intercèdent aussi parfois en faveur des hommes, comme à lb. XXXIII, 22-24 : Son âme s'approche de la fosse, et sa vie des messagers de la mort. Mais s'il se trouve pour lui un ange intercesseur, un d'entre les mille qui annoncent à l'homme la voie qu'il doit suivre, Dieu a compassion de lui et dit à l'ange: "Délivre-le, afin qu'il ne descende pas dans la fosse; J'ai trouvé une rançon [" Ou bien encore à 1 Hén. IX, 1-3, où Gabriel, Raphaël, Uriel et Mickaël intercèdent auprès de Dieu pour la terre.

3) Protecteur de ['homme En Mésopotamie, plusieurs divinités ont pour rôle de protéger les mortels. Ces divinités vont en général par deux. Un couple parfois invoqué est celui formé par l'UDUG (en akkadien utukku) et le LAMA (en akkadien lamassu)76. L'UDUG est le mâle, et le LAMA la femelle. Cette dernière est anthropomorphe. Elle apparaît fréquemment dans la glyptique, dans des scènes où elle introduit l'individu auprès d'une divinité supérieure, ou bien intercède en sa faveur77. Mais la déesse LAMA peut aussi protéger le fidèle. Ainsi, une lettre adressée à Zimrî-LÎm (1775-1762 avo J._C.78) nous apprend que celui-ci était protégé par une déesse LAMA: 76 SPYCKET. Agnès, 1960, pp. 76-79 (p. 79 pour la lettre adressée à Zimlî-Lîm) ; LEIBOYICI, Marcel, 1971, p. 103 (même référence pour l'invocation de Gudea) ; FOXYOG, D., HEIMPEL, W. et KILMER, A. D., 1983, p. 447; SPYCKET, Agnès, 1983, pp. 454-455 ; VILLARD, Pierre, 2001, p. 347 ; DURAND, Jean-Marie, 2002, pp. 232-236 ; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003k, p. Ils ; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003w, p. 179. 77 Voir p. 108 et sui vantes. 78CHARPIN, Dominique et ZIEGLER, Nele, 2003, p. 262.

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La lama de mon seigneur, certes, nous protège et l'expédition de mon seigneur est sauve. De plus, à partir de l'époque paléo-babylonienne, les déesses LAMA sont toujours mentionnées au pluriel. En effet, les divinités allaient souvent par paires et encadraient des statues représentant les rois. Ce fait n'est pas nouveau puisque c'était déjà le cas à Ur. Ces statues de LAMA étaient appelées LAMALUGAL et étaient destinées à protéger les statues des rois. Ainsi, les rois paléo-babyloniens Samsu-iluna (1749-1712 avo J.-c.) et Ammiditana offrirent chacun à Samas, dans l'Ebabbar79, une statue les représentant en prière accompagnée de statues de LAMA en or. Samsu-iluna en fit de même pour Marduk, dans l'Esagil80. Ces statues qui représentaient des divinités ne devaient souffrir aucune imperfection, comme le démontrent certains textes des archives de Mari qui concernent des lamassatum se trouvant dans la cour du Palmier. L'association du LAMA et de l'UDUG apparaît dans une invocation de Gudea : Son bon UDUG alla devant lui, son bon LAMA se tint derrière lui. De plus, A. Spycket a vu dans le décor d'un temple d'Insusinak situé à Suse et datant du xnème siècle la représentation des divinités LAMA et UDUG. Le décor en briques moulées représente une déesse LAMA près d'un homme-taureau qui serait donc l'UDUG (fig. 12). Ces divinités mineures sont généralement favorables, mais un texte de l'époque d'Isin parle d'un "méchant UDUG" et d'un "méchant LAMA". Seul le contexte permettrait de déterminer si ces divinités sont méchantes par nature, ou bien si elles se sont détournées du fidèle pour une raison bien précise (même si celle-ci n'est pas forcément mentionnée ou connue). 79

Temple de Samas.

80 Temple

de Marduk

à Babylone.

117

Un autre couple protecteur est celui composé du sedu (en sumérien ALAD) et du lamassu81. Le sedu est le mâle du couple, et le lamas su la femelle, exactement comme dans le couple UDUG/LAMA. Le sedu est associé à la puissance de procréatÏon de l'individu, tout comme le genius latin à l'époque romaine. Ce couple est notamment invoqué dans le Code d'Hammurabi, XXV, 4882. Enfin, précisons que si le lamassu est pratiquement toujours favorable, le sedu en revanche peut parfois être néfaste pour l'homme. C'est ce concept de mauvais sedu qui a été conservé chez les Hébreux, comme par exemple à Dt. XXXII, 17 : Ils ont sacrifié à des idoles83 qui ne sont pas Dieu, à des dieux qu'ils ne connaissaient point, nouveaux, venus depuis peu, et que vos pères n'avaient pas craints. On retrouve la même évocation à Ps. CVI, 37. Les sedu sont considérés comme mauvais certainement car ils concurrencent Yahvé. En outre, l'idéogramme sumérien KAL, qui désignait aussi bien le sedu que le lamassu, mais qui pouvait aussi se lÏre ALAD, a été emprunté par les Hittites84. L'idéogramme se lisait alors LAMA (ou peut-être KAL) et désignait une divinité protectrice, vraisemblablement la même qu'en Mésopotamie. L'introduction de cet idéogramme en Anatolie est probablement due aux Hurrites. En outre, la divinité LAMA s'est aussi diffusée en Syrie. On y retrouve d'ailleurs plus tard, en Palmyrène, des génies appelés ginnayê qui ont le rôle de 81 DHORME, Edouard, 1937, p. 245 ; CONTENAU, Georges, 1947a, p. 80 ; DHORME, Edouard, 195], p. 678 ; SPYCKET, Agnès, 1960, p. 78 ; OPPENHEIM, Léo, 1970, pp. 209210; LEIBOVICI, Marcel, 1971, p. 103; FOXYOG, D., HEIMPEL, W. et KILMER, A. D., 1983, p. 447 ; VILLARD, Pierre, 2001, p. 347 ; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003k, p. l15. 82 Pour le passage du code, voir p. 110. 83 Littéralement .\:ëdîm. 84 CAVAIGNAC, Eugène, 1950, p. 74 ; SPYCKET, Agnès, 1960, p. 74 ; LEIBOVICI, Marcel, 1971, pp. 103 et 104; LAROCHE, E., 1983, p. 455; LEICK, GwendoJyn, 1991d, p. 109-] 10; LEICK, Gwendo]yn, 1991e, p. ]41.

118

protecteurs8S. Le panthéon de Palmyre ayant une forte tendance au syncrétisme, le concept de génie protecteur vient peut-être de Mésopotamie. Les Mésopotamiens se protégeaient aussi des démons en portant des amulettes représentant des divinités bénéfiques86. Ainsi, on a retrouvé des amulettes apotropaïques représentant le dieu Papsukkal, les jumeaux divins Lugal-irra et Meslamta-ea, ou encore les sept sages (ou apkallu). En outre, les sceauxcylindres représentant des génies protecteurs ont pu aussi servir d'amulettes. Outre les diverses divinités protectrices que l'on trouve au Proche-Orient, il existe pour chaque homme un dieu personnel qui veille sur lui87. Le dieu personnel se nomme ilu, la déesse personnelle istaru. Ce dieu est responsable de la santé, du bienêtre et de la réussite de l'individu. Lorsqu'un homme est en bonne santé, c'est qu'un bon génie a pris possession de son corps (exactement comme les cas de possession par les démons, mais avec un résultat bénéfique pour l'homme). Ce dieu personnel joue aussi le rôle d'intermédiaire entre l'individu et les dieux supérieurs. Ces divinités sont généralement anonymes et n'ont qu'une position subalterne et intermédiaire dans le panthéon, mais certains individus de haut rang, notamment les rois, ont parfois de grandes divinités pour dieux personnels. Ainsi, le roi d'Uruk Utu-hegal (XXnème siècle avo J.-c.) avait pour protecteurs Dumuzi et Gilgames (qui n'est pas un dieu à l'origine, mais un ancien roi d'Uruk divinisé par la suite). Les rois de la mème dynastie d'Ur se considéraient comme les frères de Gilgames et vouaient un culte à son père Lugalbanda. Enfin, Marduk était le dieu personnel de Nabuchodonosor lef (1l26-1105 avo J.-c.). 85 STARCKY, lean, 1952, p. 85. 86 GARELLI, Paul, DURAND, lean-Marie, GONNET, Hatice et BRENIQUET, Catherine, 1969, p. 257 ; VILLARD, PierTe, 2001, p. 348. 87 SODERBLOM, Nathan, 1925, p. 95; DAVID, M., 1949, pp. 48 et 50; OPPENHEIM, Léa, 1970, pp. 208-209 ; FOXVOG, D., HEIMPEL, W. et KILMER, A. D., 1983, p. 450 ; Roux, Georges, 1995, pp. 112 et 489 ; VAN DER TOORN, Karel, 1995, col. 819 ; WEISBERG, Daniel, 1995, p. 82 ; XELLA, Paolo, 1995, col. 1326 ; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003s, p. 148.

119

Notons ici que ces exemples de grands dieux protecteurs personnels des rois ont tous une connotation politique. Ainsi, Utu-hegal et les rois d'Ur ont pour protecteurs des dieux qui les rattachent à la mythologie et à la dynastie d'Uruk (dont la dynastie d'Ur se rattache) et qui les légitiment, et Nabuchodonosor est fidèle au chef du panthéon de Babylone. Certains autres dieux personnels de hauts personnages sont un peu moins connus ou situés à un rang inférieur, mais sont néanmoins importants en comparaison des divinités personnelles des gens du peuple, divinités dont la plupart du temps nous ne connaissons même pas le nom. Ainsi, Sargon d'Akkad et ses successeurs avaient tous pour dieu personnel Ilaba. On peut ainsi le considérer comme un dieu familial ou dynastique. Gudea quant à lui adressa la déesse Gatumdug à ses parents. D'après les textes égyptiens, Resep était le protecteur personnel d'Aménophis II (1450-1425 avo J.-C.) lors de ses campagnes militaires. En Assyrie, Humbaba, accompagné des dieux élamites Yabnu et Naprusu, était le garde du corps de Sennacherib. Enfin, la déesse LAMA avait parfois le rôle de divinité protectrice personnelle. On retrouve de nombreux exemples de dieux personnels sur les sceaux-cylindres de la mème dynastie d'Ur, dans les scènes d'introduction de l'individu auprès d'une divinité supérieure. Ils servent alors d'intermédiaires entre les hommes et les dieux. La conception du dieu personnel perdure jusqu'à l'époque néobabylonienne. Le dieu protecteur chasse les démons qui pourraient nuire à l'individu88. Mais si jamais l'homme commet une faute grave, son dieu personnel peut se détourner de lui (d'après A. Spycket, il pourrait même parfois devenir malveillant). L'homme est alors sans défense face aux démons. Les fautes commises envers les dieux aident donc les démons à prendre possession des hommes. La seule solution est alors la prière qui permet à celui qui a fauté de se réconcilier son dieu protecteur. Dans un texte qui a été rapproché du Job de la Bible, un homme accablé 88 DAVID, M., 1949, pp. 48-49 ; MOSCATI, Sabatino, 1960, p. 79.

120

1955, p. 63 ; SPYCKET, Agnès,

par son dieu retrouve la santé. Le démon qui le possédait est alors chassé, et de nouveau des génies protecteurs l'accompagnent: Le démon-maladie enveloppant, qui avait déployé toutes grandes ses ailes, il le repoussa; le mal qui l'avait frappé comme un..., il le dissipa; le mauvais sort qui pour lui avait été décrété selon sa décision, il le détourna. Il transforma en joie les souffrances de l'homme, plaça auprès de lui les génies bienfaisants comme gardes et comme tuteurs, donna... des , anges

89

, . 90 a l aspect graCIeUx.

Lorsque le fidèle souffre, c'est qu'il subit le courroux divin. Le problème pour l'homme mésopotamien est que même si celui-ci suit scrupuleusement les règles religieuses et cultuelles, une divinité peut se fâcher contre lui sans qu'il en connaisse la raison91. La sanction divine peut s'expliquer par une faute que l'homme aurait commise envers son dieu (à différencier du péché, notion biblique qui induit une intentionnalité et qui est pratiquement absente en Mésopotamie) ; si selon lui il n'a pourtant pas commis de faute, alors c'est qu'il ne s'en souvient pas, qu'il a fauté sans le savoir, ou bien que l'un de ses proches ou quelqu'un avec qui il aurait été en contact a fauté. Vers la fin du ntme millénaire avo J.-C., le texte sumérien du Juste souffrant92 apporte cette réponse nouvelle: l'origine du mal qui accable n'a pas forcément à être connue des hommes. La réponse est réservée aux dieux. Par opposition au dieu personnel, il existait un démon personnel qui décidait de s'attacher à un homme en particulier 89 Que ce soit dans l'ouvrage de F. Michaeli ou celui de S. N. Kramer (voir note suivante), il n'est pas précisé quel terme akkadien a été traduit par anges. 90 MICHAEL!, Frank, 1961, p. 114. La traduction du texte provient de KRAMER, Samuel Noah, L'Histoire commence à Sumer (p. ]48 pour les éditions Flammarion, 1994). 91 BOTTÉRO, Jean, 1992b, pp. 296-297; BOTTÉRO, Jean, 2004, pp. 204, 207, 208 et 213. 92

La version la plus connue est une version akkadienne, Ludlul bël nemeqi, Je louerai le

seigneur de sagesse, et date de la fin du ]]'"'' millénaire avo J.-c. Mes remerciements vont à Brigitte Lion qui a bien voulu me transmettre cette référence.

121

et de lui nuire93. En effet, divers démons pouvaient accompagner l'individu. Si l'homme pieux et honnête était récompensé par la protection de génies tels que Muk1l-rêsdamiqti (qui signifie Celui qui Offre de Bonnes Choses) ou Rabi~-damiqti

(qui signifie Le Bon Démon), l'homme qui a

fauté était suivi par Mukîl-rês-Iemutti (Celui qui Soutient le Mal) ou par Rabi~-lemutti (Le Mauvais Démon). Bien que de nature mauvaise, certains démons pouvaient être eux aussi favorables à l'homme en repoussant les autres démons94, mais seulement si ce dernier savait se les concilier.

Fig. 23 : PAZUZU. Ronde-bosse,

première moitié du rer mil1énaire avo J.-C., bronze, H. 15 cm, L. 8,6 cm, La. 5,6 cm, Paris, Musée du Louvre, MNB 467.

93 OPPENHEIM, Léo, 1970, p. 213 ; JOANNÈS, Francis, 2001b, p. 226. 9" Ces divinités secondaires restent néanmoins des démons. Malgré le fait qu'elles puissent occasionnellement être favorables à J'homme, elles restent toujours foncièrement mauvaises. Leur caractère maléfique n'étant donc pas remis en cause, on ne peut leur attribuer le qualificatif de génie qui, rappelons-le, possède une connotation positive et bienveillante.

122

Ainsi, le démon Pazuzu repoussait la démone Lamastu95. Pazuzu est le fils du dieu des enfers Hanbu. Il est le chef des démons et le propagateur des épidémies. Pazuzu est un être hybride ailé possédant un corps humain recouvert d'écailles, une tête léonine ou canine, des serres au bout des jambes, une queue de scorpion et un pénis se terminant par une tête de serpent (fig. 23). Son image pourrait venir du démon à tête de lion que l'on trouve dans la glyptique paléo-babylonienne puis, plus tard, dans les représentations néo-assyriennes. En revanche, d'après T. Howard-Carter, l'homme-scorpion serait à l'origine du démon Pazuzu. Quoi qu'il en soit, son image est présente dans des représentations néo-assyriennes et néo-babyloniennes. Pazuzu n'est pas connu auparavant.

Fig. 24 : PLAQUE DESENFERS. Ronde-bosse, fin vmème - début vnème siècle avo J.-c., cuivre et bronze, H. 13,8 cm, L. 8,8 cm, La. 2,5 cm, Paris, Musée du Louvre, AO 22205.

95 MOOREY, Peter Roger Stuart, 1965, pp. 35 et 38; LEIBOYICI,Marcel, 1971, pp. 95-96 ; GREEN, Anthony, 1985, p. 75 ; GREEN, Anthony, 1997, p. 253 ; RACHET, Guy, 1999d, p. 3]4 ; MICHEL, Cécile, 2001a, pp. 637-638 ; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 20031, p. 116; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003r, pp. 147-148.

123

Les Mésopotamiens se protégeaient donc de Lamastu en portant autour du cou des amulettes apotropaïques représentant Pazuzu (ce qui est notamment recommandé aux parturientes et aux jeunes mères, les victimes habituelles de la démone), ou bien en les accrochant dans les maisons ou en les plaçant dans les fondations (fig. 23). Pazuzu obligeait alors Lamastu à se retirer des malades et à retourner en enfer. Plusieurs plaques représentent d'ailleurs un exorcisme où Pazuzu intervient pour chasser Lamastu (fig. 24). En outre, Pazuzu protégeait aussi du vent d'ouest. Les représentations de Humbaba avaient aussi une valeur apotropaïque96. Ce personnage divin apparaît dans Gilgamd et la forêt des Cèdres et dans L'Epopée de Gilgames. C'est un démon anthropomorphe ventru aux jambes arquées qui est toujours représenté grimaçant97. Son apparence l'a fait rapprocher du dieu égyptien Bès. Humbaba peut soit chasser d'autres démons, soit les empêcher de quitter les enfers. Une formule de protection demande ainsi à Tammuz de faire intervenir Humbaba pour qu'il chasse le démon qui tourmente le possédé: Au puissant Humbaba, le démon qui ne pardonne pas, confie-le, qu'il soit séparé de moi. Les artefacts de protection ont le plus souvent la forme d'une tête de Humbaba (fig. 25). Son visage est celui d'un homme, mais recouvert de stries. En revanche, dans les textes, son visage est celui d'un lion. Il y a donc un décalage net entre les textes et l'iconographie. On retrouve sa tête sur des amulettes, ou bien sur des sceaux-cylindres dès la 1ère dynastie babylonienne (1894-1595 avo I.-C.).

96

THUREAU-DANGIN. François, 1925, p. 26 (même référence pour le passage cité) ; LEIBOYICI, Marcel, 197], p. 102; JOANNÈS, Francis, 2001c, pp. 396-397. 97 PARROT, André, 1960, p. 302, fig. 369.

124

Amulette,

vnème

-

Fig. 25 : TÊTE DE HUMBABA. vrème siècle avo J.-c., argile, H. 7,5 cm, Londres, Museum, 116624.

British

Les représentations d'autres démons plus rares peuvent aussi avoir de tels effets98. Ainsi, le serpent à cornes possède une valeur apotropaïque. On le retrouve d'ailleurs sur les kudurrus kassites. De même, une statue du démon Mukîl-rês-Iemutti dit ceCI: Qu'il arrête les pas mauvais de ses frères. De manière semblable, le personnage aux longs cheveux ou lahmu, considéré généralement comme un démon car souvent associé à des divinités secondaires, remplit un rôle protecteur lorsqu'il est représenté sur des sceaux à l'époque akkadienne. Enfin, des figurines apotropaïques, mêlant parfois bons génies et démons néfastes, constituent bien souvent des dépôts de fondation, sous les maisons99. On retrouve ces figurines servant à repousser les démons en Assyrie et en Babylonie dans

la première moitié du rer millénaire avoJ.-c. 98 LEIBOVICI, Marcel, 1971, p. 96 pour le passage cité; GREEN, Anthony, et 258. 99 GREEN, Anthony, 1983, p. 87 ; VILLARD, PielTe, 2001, p. 347.

125

1997, pp. 248

Ainsi, on a retrouvé à Assur un rituel destiné à chasser les démons. Celui-ci indique qu'il faut placer sous les maisons les objets suivants: des figurines représentant les sept sages ou apkallu représentés sous leurs trois formeslOO ; des statuettes d'ugallu, le démon-lion (fig. 7) ; des figurines d'argile du lahmu ; de l'homme-taureau; de serpents; du mushussu, le dragonserpent; du suhurmassu, poisson-chèvre (fig. 5) ; du kulullû, l'homme-poisson; de l'urmahlullû, le lion-centaure; enfin, le rituel indique qu'il faut aussi placer des statuettes de chiens. On trouve aussi parfois dans ces dépôts d'autres démons ou génies comme l'homme-scorpion ou girtablullû, ou bien des génies anthropomorphes portant la tiare (fig. 26).

Ronde-bosse,

100

Fig. 26 : GÉNIE ANTHROPOMORPHE. vers 717-706 avo J.-c., palais de Sargon II, Khorsabad, argile crue, H. 22 cm, Paris, Musée du Louvre, N 8281.

Voir note 27 p. 61.

126

Enfin, certains dépôts s'accompagnent de la représentation d'un dieu mineur tenant un clou de fondation (fig. 27). Sur une pierre retrouvée à Suse et contemporaine de Puzur-Insusinak (fin du mème millénaire avo J.-c.), le génie tenant le clou est accompagné d'un lion et d'une déesse LAMA (fig. 28). Le génie au clou renvoie donc à l'acte de fondation, la déesse LAMA à la protection et le lion à son rôle de gardien lOI.

Ronde-bosse,

Fig. 27 : GÉNIE AUCLOU. vers 2150 avo J.-c., Tello, cuivre, Paris, Musée du Louvre, AO 311.

101HUOT, Jean-Louis,

2004a,

p. 193.

127

Fig. 28 : GALET DE PUZUR-INSUSINAK. Bas-rehef, fin du mème millénaire av. J.-c., Suse, calcaire, H. 57 cm, Paris, Musée du Louvre, Sb 6 et Sb 177.

Les Fravashi du zoroastrisme sont eux aussi des génies dont le rôle est de protéger les hommeslOZ. Ce sont les esprits des ancêtres qui veillent sur leurs descendants. D'après E. O. James, les Fravashi sont des prototypes d'anges. II est en effet possible que la croyance en ces êtres, mêlée à celle des génies protecteurs grecs ou romains, ait donné le modèle de l'ange gardien biblique. En effet, chez les Grecs, les réussites et les échecs de chaque individu étaient liés à deux divinités qui accompagnaient l'homme, Eudaimonia et Kakadaimonial03. Chez les Romains, chaque homme avait un genius qui veillait sur lui, et chaque femme était protégée par une juno104. Un genius pouvait aussi 102 SODERBLOM, Nathan, 1925, p. 382 ; JAMES, Edwin Oliver, 1960, p. 223 ; DUCHESNE-GUILLEMIN,Jacques, j 962, p. 265 ; Du BREUIL, Paul, 1982, p. 48. 103OPPENHEIM, Léa, 1970, p. 213. 104SODERBLOM, Nathan, 1925, p. 481; LANDSBERGER,Franz, 1947, p. 240.

128

avoir en charge une communauté entière, à l'image de certains anges gardiens des nations et des peuples, tel Mickaël, gardien de la nation juive. Les anges de la Bible aident et guident les hommes lOS.Un ange conduit le serviteur d'Abraham à Rebecca à Gn. XXIV, 40 : Et il m'a répondu: "L'Eternel, devant marché, enverra son ange avec toi, réussir ton voyage,. et tu prendras pour une femme de la famille et de la maison père.

qui j'ai et fera mon fils de mon

Il est aussi fait mention de cet ange à Gn. XXIV, 7. Un autre ange joue le rôle d'éclaireur lorsque le peuple d'Israël traverse le désert à Ex. XIV, 19 : L'ange de Dieu, qui allait devant le camp d'Israël, partit et alla derrière eux,. et la colonne de nuée qui les précédait, partit et se tint derrière eux. Les anges protègent aussi les hommes. Ainsi, ils protègent les voyageurs à Ps. XCI, 11-12 : Car il ordonnera à ses anges de te garder dans toutes tes voies,. Ils te porteront sur les mains, de peur que ton pied ne heurte contre une pzerre. A l'instar des génies mésopotamiens, les anges assument aussi le rôle de protecteurs individuels. C'est ce qu'on appelle l'ange gardien. Un ange particulier protège ainsi l'homme de sa naissance à sa mort, comme par exemple à Mt. XVIII, 10 : 105RIEMSCHNEIDER,Margarete, 1955, p. 70; CAQUOT, André, 1971, p. 122; DUCHETSUCHAUX, Gaston et PASTOUREAU, Miche], 1994a, p. 25 ; MEIER, Samuel A., 1995a, col. 86 ; G10RGI, Rosa, 2004, pp. 332 et 359.

129

Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits; car je vous dis que leurs anges dans les cieux voient continuellement la face de mon Père qui est dans les cieux. Enfin, dans l'islam, le djinn a le double rôle de bon génie et de démon néfastelO6. Il peut parfois venir en aide à l'homme, ou bien au contraire prendre possession de lui. 4) Gardien de temple et de palais Les génies du Proche-Orient ont bien souvent pour rôle de garder les temples, les palais et les maisons, mais aussi plus largement les quartiers, les villes et les lieux sacrés. Certaines divinités sont seules pour garder ces lieuxlO? Par exemple, dans L'Epopée de Gilgames, Humbaba est le seul gardien de la forêt des cèdres. De même, les divinités qui ont en charge un quartier ou une partie d'une ville sont en général les seuls gardiens de leur zone. Ainsi, Lugal-ennun-urukuga, dont le nom signifie Gardien du Quartier d'Urukug, a en charge la zone du temple de Girsu. Quant à la divinité Kidudu, celle-ci protège les remparts de la ville d'Assur. La déesse Ninegalla (en akkadien Bëlet-ekallim) est la protectrice des palaislO8. Son nom signifie Dame du Palais. Elle garantit la souveraineté du roi et assure la prospérité économique du palais. On la retrouve dans toutes les cités sumériennes importantes à l'époque néo-sumérienne, dans le palais de Mari, au XVrnème siècle avo J.-c., où se trouve un temple qui lui est dédié, puis chez les Hittites et les Hurrites à l'époque de l'Ancien Royaume hittite (1650-1465 avo J.-c.).

106

TRITTON,

Arthur Stanley, 1934, p. 722.

107 LACKENBACHER,Sylvie, 1990, p. 135 ; LAMBERT, W. G., 1990a, p. 138; VAN DER TOORN, Karel, 1995, col. 818. 108BEHRENS, H. et KLEIN, J., 2001, pp. 342 et 347.

130

Enfin, chez les Hittites, un dieu du passage gardait les portes. C'est de cette divinité que dériverait le dieu Janus chez . . . 109 1es R omams, 1e d leu aux d eux vIsages. La plupart du temps, les gardiens sont donc deux pour protéger les entrées. Il en est ainsi des deux types de gardiens les plus répandus au Proche-Orient, les lions et les sphinx 110. En Egypte, les rois apprivoisaient les lions. Le rôle de gardien fut ensuite transmis au sphinx. On les trouve le plus souvent par paires: dans les Textes des Pyramides, deux lions gardent les portes de l'Au-Delà. Des sphinx se trouvaient aussi devant le temple funéraire de Khephren (environ 2650-2600 avo J.-c.) à Gizeh. Dans le conte de Sinouhé, celui-ci se prosterne entre les sphinx de la porte de Senousrit Ief (1970-1936 ou 1928 avo J.-c.). Enfin, du Nouvel Empire (1552-1069 avo J.-c.) à l'époque ptolémaïque (304-30 avo J.-c.), des sphinx bordent les allées conduisant aux temples. Les sphinx sont aussi présents en Syrie. Ainsi, Amenemhat ill (1850-1800 avo J.-c.) fit placer deux sphinx à l'entrée du temple de Baal à Ugarit. A Tell Halaf, au Xlème siècle avo J.-C., la porte du temple était encadrée par deux sphinx. On y trouva aussi des statues et des orthostates d'influence mitannienne. De même, au Villème siècle avo J.-c., un sphinx gardait le palais de Sendjirli. On retrouve les lions et les sphinx gardiens chez les Hittites. Ainsi, à Hattusa, la capitale du royaume hittite, l'enceinte datée du !tme millénaire possédait trois portes ornées de reliefs: la porte du Roi, la porte des Lions et la porte du Sphinx. La porte d'Alaça Hüyük comportait également des sphinx. La présence aux portes de lions et de sphinx est le reflet d'influences levantines. D'après E. Cavaignac, les sphinx hittites du XIItme siècle sont dus à des artistes venus d'Egypte.

/09 MASSON. Emilia, 1989, p. 81. 110DUPONT-SOMMER, André, 1949, p. 105 ; CAVAIGNAC, Eugène, 1950, p. 65 ; DE V AUX, Roland, 1967, pp. 237-238 ; MACQUEEN, J.-G., 1985, pp. 86 et 93; HUOT, jeanLouis, THALMANN, Jean-Paul et V ALBELLE, Dominique, 1990, p. 163 ; LACKENBACHER,Sylvie, 1990, pp. 116-118 ; AMlET, Pierre, 2003, p. 89.

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Les palais néo-assyriens comportaient aussi à une époque des lions et des sphinx gardiens. Nous savons par exemple qu'Assuma:;;irpal II (883-859 avo J.-c.) remplaça les lions qui gardaient les portes du temple de Ninurta à Nimrud par des êtres hybrides. Sennacherib introduisit des sphinges à l'image de celles de Syrie du Nord. Certains de ses gardiens étaient faits dans la même pierre utilisée habituellement pour fabriquer les amulettes aux propriétés magiques. Assarhaddon précise d'ailleurs que les sphinges taillées dans cette pierre ont des vertus apotropaïques. D'autres couples de génies ont pour fonction de garder les entrées. Dans la mythologie mésopotamienne, on trouve de nombreux couples de portiers célesteslll. Ainsi, Dumuzi et Giszida gardent la porte d'Anu dans Le Mythe d'Adapa, fragment B, 1. 17-20, et des hommes-scorpions gardent l'accès aux enfers dans L'Epopée de Gilgamd, tab1. IX, col. II, 1. 1-9. Il existe aussi des gardiens de portes jumeaux ou considérés comme tels: Lugal-irra et Meslamta-ea, Lulal et La-tarak, Kittu et Mïsaru, Girru et Nuska, et enfin Gilgames et Enkidu. Ce concept de gémellité se retrouve dans le Temple de Salomon. Les deux colonnes qui se trouvaient devant la porte monumentale de l'est s'appelaient Yâkîn (qui signifie Puisse Dieu Faire Tenir) et Boaz (qui signifie En Force) et correspondaient peut-être à Kittu et Mïsaru, les portiers de Samas. Ces deux génies étaient une sorte d'allégories divines dont les noms signifient Justice et Equité, les deux qualités traditionnellement attribuées au roi. Ces deux colonnes sont peut-être la transposition aniconique chez les Hébreux des génies gardiens mésopotamiens. Cependant, à la même époque, on trouvait pourtant des représentations des chérubins dans le Temple. Le kâribu quant à lui est peut-être le génie gardien le plus répandu dans les textes et les inscriptions. On le trouve

111DHORME, P. et VINCENT, L. H., 1926a, p. 354; CLUZAN, Sophie, 2005, pp. 295-296.

132

généralement à l'entrée des templesll2. Ainsi, un texte précise qu'un kâribu posté normalement à la droite de la porte d'un sanctuaire a été vu en train de marcherl13. Le kâribu n'est vraisemblablement pas solitaire. En effet, le fait d'avoir précisé que le texte parle du génie situé à droite de la porte peut laisser entendre qu'il se trouve un autre kâribu situé à gauche. D'autant plus que, la plupart du temps, ce sont des paires de génies, et non des génies solitaires, qui gardent les entrées des temples ou des palais (voir paragraphes suivants). Cependant, le kâribu peut parfois garder seul l'entrée d'une pièce. Ainsi, dans l'EsagieI4, l'accès à la pièce où se trouvait la statue de Marduk était commandé par un kâribu. Le couple composé du lahmu et du kuribu est un couple de gardiens de portes que l'on retrouve aussi parfois dans les

textesllS. Ils encadraient notamment l'entrée du temple d'Assur reconstruit par Assarhaddon et repoussaient les mauvais démons. Un texte de ce roi mentionne d'ailleurs ces divinitésll6. D'après E. Babelon, le kuribu aurait l'apparence d'un taureau ailé androcéphale. Le couple composé de l'UDUG et du LAMA, que nous avons déjà vu en tant que couple protecteur, surveille aussi les entrées des temples et des palaisll7. La divinité LAMA, parfois mentionnée en relation avec des portes, était aussi quelquefois la seule gardienne de la maison, du temple ou de la citéll8. Ainsi, il y avait une déesse LAMA qui protégeait les cités d'Uruk, Assur et Babylone. Certaines déesses LAMA avaient parfois en charge des zones bien spécifiques, comme le LAMA GU-EDIN qui était le garde-pêche de la plaine sous Gudea.

112PARROT, André, 1946, p. 193 ; LEIBOYICI, Marcel, 1971, p. 105; 2000, p J29. 113Voir pp. 24~25. Il' Temple de Marduk à Babylone. 115BABELON, Ernest, 1906, p. 93; LEIBOYICJ,Marcel, 1971, p. 105. 116Voir p. 25. 117LEIBOYICI, Marcel, 1971, p. 103 ; FOXYOG, D., HEIMPEL, W. 1983, p. 447. 118SPYCKET, Agnès, 1960, pp. 76 et 79 ; LEIBOYICl, Marcel, 1971, D., HEIMPEL, W. et KILMER, A. D., 1983, p. 451 ; DANREY, Virginie,

133

JOANNÈS, Francis,

et KILMER, A. D., p. 105 ; FOXYOG, 2004b, p. 337.

Un couple de gardiens qui revient très fréquemment est celui formé par le sedu (ALAD)et le lamassu (LAMA)119. Tous deux gardaient les portes des temples et des palais assyriens et repoussaient les mauvais démons. Dans ses annales narrant ses campagnes militaires en Elam, Assurbanipal précise que le temple de Suse et les autres temples élamites sont gardés par des sedu et des lamassu. La question est de savoir si ce sont bien là des génies gardiens de porte comme en Assyrie, et si ce sont les mêmes génies, ou bien si nous n'avons là qu'une interprétation d'Assurbanipal qui compare ce qu'il voit en Susiane avec ce qu'il connaît en Assyrie en se référant à la conception assyrienne du divin et du religieux. Quoi qu'il en soit, Assurbanipal explique comment, pour détruire ces temples, il fit d'abord enlever ces gardiens avant de pouvoir commencer la destruction des bâtiments. Cet acte démontre donc l'efficacité de ces génies en tant que protecteurs, puisqu'il n'est pas possible de porter atteinte aux bâtiments tant qu'ils sont présents. Les textes ne décrivent pas l'apparence des sedu et des lamassu, mais il est possible qu'elle ait pris la forme de taureaux (fig. 2) ou de lionsl20 ailés androcéphales, comme ceux que l'on trouve aux jambages des portes dans les palais néo-assyriens. En outre, aux époques médio-babylonienne et néo-assyrienne, l'expression KALKAL désignait un dieu portier. Or, l'idéogramme sumérien KAL désigne aussi bien le sedu que le lamassu. Ce dieu portier est donc peut-être un mélange du sedu et du lamassu. Enfin, il est aussi parfois fait mention dans les textes sumériens des "cinquante LAHAMA de l'ABZU"I2l. Ils gardaient les portes de la cité d'Eridu, ainsi que les temples de 122 à Girsu. Cependant, nous l'Ekur à Nippur et de l'Eninnu ignorons quelle apparence ils pouvaient bien avoir. 119 BABELON, Ernest, 1906, p. 93 ; DHORME, Edouard, 1937, p. 245 ; CONTENAU, Georges, 1947a, p. 80; SPYCKET, Agnès, 1960, p. 74; ARNAUD, Daniel, 1970, p. 201 ; FOXYOG; LEIBOYICl, Marcel, 1971, pp. 103 et 104; LABAT, René, 1975, p. 413 ; D., HEIMPEL, W. et KILMER, A. D., 1983, p. 447 ; CASSIN, Elena, 1986, pp. 99 et 100 ; VILLARD, Pierre, 2001, p. 347 ; DANREY, Virginie, 2004b, pp. 333 et 337. 120Lion ou taureau à pattes de lion? Voir p. 79 et, dans cette même page, la note 69. 121LAMBERT, W. G., 1983, p. 431 ; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003i, p. 114. m Temple de Ningirsu.

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Le lamassu a parfois le rôle de gardien sans qu'il ne soit associé au seduI23. Il est alors seul ou accompagné d'un autre lamassu. Les soutiens architecturaux que les statues de lamassu représentent ne sont pas nécessaires au niveau de l'architectonique. Par conséquent, leur présence révèle une valeur idéologique, en l'occurrence une fonction de gardien. Les paires de taureaux androcéphales se trouvent essentiellement aux portes des palais et des temples néo-assyriens, même si l'on retrouve aussi ces lamassu aux portes des temples babyloniens. Ainsi, Agum II (Xvtme siècle avo J.-c.) fit représenter des lamassu aux portes du temple de Marduk à Babylone. Nabonide fit de même à son époque à la porte d'un temple non identifié. Ainsi, plus d'une centaine de taureaux ailés androcéphales a été retrouvée dans les palais et temples néo-assyriens. A Assur, des fragments de la tête d'un taureau androcéphale ont été mis au jour dans le "vieux palais" daté du rtme millénaire avo J.-c. et situé entre les temples et la ziggurat d'Enlil-Assur. Ces fragments remonteraient à l'époque de

Tiglath-phalazar ref (1114-1076 avoJ.-C.) et constitueraient les plus anciens vestiges connus de ces hybrides. Dans

le palais

d'Assurna~irpal

II, situé à Nimrud,

se

trouvaient plusieurs taureaux ailés androcéphales. Ils étaient pour la plupart placés aux entrées (porte b entre les salles B et F, porte f entre la salle F et la cour Y, et porte e entre la salle S et la cour Y ; les autres taureaux ailés androcéphales étaient disposés le long des murs, près des portes c et O. A Khorsabad, les taureaux ailés androcéphales se trouvent à la fois dans le palais de Sargon II et aux portes des enceintes de la ville. Le rempart extérieur comportait sept portes dont trois (les portes l, 3 et 6) étaient encadrées de taureaux ailés androcéphales. Située au Nord-Ouest, l'enceinte intérieure 123LOISY, Alfred, 1901, p. 8 ; BABELON, Ernest, 1906, p. 93; PARROT, André, 1957, p. 118 ; CERAM, C. W., 1958, p. 239 ; HUOT, Jean-Louis, 1989, p. 205 ; VILLARD, Pierre, 2001, p. 348 ; AMIET, Pierre, 2003, pp. 59 et 109 ; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003b, p. 51 ; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003e, p. 88 ; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003k, p. 115 ; DANREY, Virginie, 2004a, pp. 133-137 ; DANREY, Virginie, 2004b, pp. 309-341 ; HUOT, Jean-Louis, 2004b, p. 42.

135

comportait deux portes (la porte A et la porte B), chacune gardée par des taureaux ailés androcéphales, avec à l'arrière de ceux-ci des génies ailés. Dans le palais situé à cheval sur la partie sud-est de l'enceinte extérieure (palais F), une paire de taureaux ailés androcéphales gardait la porte de la salle du trône. Enfin, les porte du palais de Sargon II étaient elles aussi gardées par des taureaux ailés androcéphales (portes M, celle située entre la salle 98 et la cour XV, C", C, C', celle située entre les salles VII et 24, celle située entre les salles VII et 27, E", E"', E', E, b, V, F, 1, M, d et c). En tout, vingt-six paires de taureaux ailés androcéphales ont été retrouvées dans ce palais. A Ninive, on a mis au jour sur l'enceinte et dans le palais de Sennacherib quarante-trois exemplaires de ces hybrides. La porte de Nergal, sur le rempart, était gardée par deux taureaux ailés androcéphales associés à des génies ailés tenant chacun un cône et un panier. Quant au palais de Sennacherib, des taureaux ailés androcéphales en gardaient là encore les portes (portes a, b et c de la cour H, portes d et e de la salle I, portes a, d, g et k de la salle VI, portes I et h de la salle XIX, portes I et b des salles XXIX et XXXIV, portes a, b et c de la façade ouest du palais et porte a de la zone LX). Enfin, on trouve également ces êtres hybrides dans le palais de Tell Hajaja, situé au nord de la Syrie, dans la vallée du Khabur, à environ 40 km au sud d'Hasseke. L'ensemble du complexe daterait du IXême siècle avo J.-c. La porte est de la salle d'audience notamment était gardée par des taureaux ailés androcéphales. Cet hybride est une création assyrienne qui utilise des éléments mésopotamiens. De la même dynastie d'Ur jusqu'à la fin de l'époque kassite, les termes LAMA et lamassu désignaient une divinité anthropomorphe féminine. A l'époque néo-assyrienne, les mêmes termes désignent des taureaux ailés androcéphales, sans que l'on sache pourquoi ni comment le sens de ces termes s'est ainsi déplacé. Néanmoins, on peut noter un engouement au début du le' millénaire avo J.-c. pour les formes hybrides inspirées du répertoire babylonien. Le taureau ailé androcéphale fait alors partie des figures mi-homme mi-taureau souvent associées à la déesse LAMA. 136

A partir du Uèmemillénaire avo J.-c., le terme lamassu se distingue de lamassatu qui désigne un esprit protecteur féminin. D'après F. Landsberger, le terme lamas su serait déjà féminin. Lamassatu serait en réalité un diminutif de lamassu qui désignerait un être asexué. Un texte décrit aussi le lamassu . 124 comme un etre h ermap hr 0 d Ite . Le seul terme qui ne laisse aucune ambiguïté quant à son sens exact est le mot aladlammû. Ce terme désigne effectivement les taureaux ailés androcéphales des palais néoassyriens. Cette certitude s'appuie sur le fait que les textes comportant ce terme s'accompagnent de descriptions. L'origine de ce terme provient de l'association dans les textes des mots ALAD et LAMMA (ou LAMA) qui s'écrivent chacun avec l'idéogramme KAL. D'après F. Landsberger, ces termes, qui désignent le sedu et le lamassu en akkadien, se seraient associés pour donner le mot aladlammû qui serait ainsi un dérivé du sumérien. Cependant, peut-être par extension, il semblerait que ce terme ait pu aussi occasionnellement désigner des figures divines anthropomorphes ou des sphinx. D'après J. Black et A. Green, l'aladlammû aurait pour parèdre féminine l'apsasû, alors que pour P. Villard ce terme renverrait uniquement aux lions ailés mâles ou femelles. Avant l'époque néo-assyrienne et l'élaboration du motif du taureau ailé androcéphale, certaines figures mêlent déjà des attributs humains et bovins. Les taureaux androcéphales sumériens (fig. 14) seraient ainsi les ancêtres des lamassu néoassyriens. On retrouve aussi cette figure en Syrie. Ces taureaux n'ont parfois pas encore la tête de l'homme mais déjà sa barbe125. Au Dynastique Archaïque III, le taureau androcéphale affronte souvent l'homme-taureau qui assume le rôle d'atlante ou de gardien. L'aigle léontocéphale est parfois perché sur le dos du taureau androcéphale (fig. 14), annonçant ainsi la combinaison du lamassu néo-assyrien composé du taureau, du ~

124Pour ce texte. voir LEICHTY, E., The Omen Series iiumma iz.bu, TCS 4, New York, 1970, pl. 4,1. 125. 125Pour l'illustration de cette figure, HUOT, Jean-Louis, 1989, p. 186.

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lion, de l'aigle et de l'homme. Cette image est aussi la plus ancienne conjonction des éléments du tétramorphe chrétien. Les plus anciennes représentations de taureaux ailés androcéphales datent de la première moitié du nème millénaire avo J.-c. Un taureau ailé androcéphale retrouvé sur une stèle à Ebla et datant d'environ 1800 avo J.-c. pourrait être un prototype du motif de cet hybride126. Il possède un corps de taureau et une tête humaine, mais aussi une patte de lion, une patte de taureau, une patte d'aigle et une jambe d'homme. D'après J.-L. Huot, cette image annonce le tétramorphe d'Ezéchiel. Le taureau ailé androcéphale se trouve aussi sur les fresques du palais de Mari datées du xvrnème siècle avo J._c.m On trouve aussi ce modèle sur des plaques en terre cuite et sur des sceaux-cylindres à l'époque médio-assyrienne où il apparaît entre deux figures humaines. On retrouve d'ailleurs une scène similaire dans la glyptique du 1er millénaire avo J.-c. où un taureau ailé androcéphale est souvent représenté entre deux personnages qui le combattent. Le taureau ailé androcéphale de la glyptique change de rôle au vrnème siècle avo J.-c. où il devient le support de figures apotropaïques. A l'époque néo-assyrienne, le modèle est traduit dans la sculpture monumentale. La tradition des animaux gardiens de portes provient de Syrie du Nord et d'Anatolie. Les rois néoassyriens, qui connaissaient la production hittite grâce aux expéditions qu'ils menaient dans ces régions pour s'approvisionner en bois, ont donc pu s'inspirer de leurs modèles. On a ainsi retrouvé quelques sculptures d'inspiration hittite, notamment un lion retrouvé dans le palais d'Assuma~irpal n à Nirnrud qui possède cinq pattes et une inscription sous le ventre, à l'image de certains taureaux ailés androcéphales néo-assyriens. Les taureaux ailés androcéphales gardiens des palais néoassyriens sont aussi présents sous forme de fresques dans le palais de Til Barsip (fig. 29). Dans le couloir XXI, deux de ces

126 Pour l'illustration de cette figure, HUOT, Jean-Louis, 127PARROT, André, 1960, p. 282, fig. 348 (A).

138

2004b, p. 41.

hybrides s'affrontent dans une frise peinte. La date de réalisation de ces fresques se situerait entre 850 et 722 avo J.-c.

Fresque,

Fig. 29 : TAUREAU AILÉ ANDROCÉPHALE PEINT. lXème_VIlIème siècle avo J.-C., palais de Til Barsip, L. 200 cm, Paris, Musée du Louvre, AG 25067 B.

On trouve aussi ce motif dans les objets en métal d'Urartu, de Mannaï et du Luristan à la fin de l'époque néo-assyrienne. Le modèle provient directement d'Assyrie mais n'a plus qu'un sens purement décoratif. On trouve ainsi des taureaux ailés androcéphales dans les objets en bronze de Toprakkale datés entre la fin du vmème siècle avo J.-c. et le début du vrème, ou sur les objets en or et en argent du trésor de Ziwiyé datés entre le rxème et le vrrme siècle avo J.-c. où ils sont parfois accompagnés de génies anthropomorphes. Le motif du taureau androcéphale disparaît au vrrme siècle avo J.-c. à partir du règne d'Assurbanipal. La disparition de ces êtres hybrides à cette époque est peut-être liée au manque de gros blocs de pierre. Quant à ces successeurs, ils n'ont certainement pu se lancer dans de gros travaux, dans un contexte de fin de règne et dans un laps de temps assez court (une vingtaine d'année avant la fin de l'empire néo-assyrien). Néanmoins, le motif réapparaît un siècle plus tard dans l'art

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perse qui reprend certains motifs mésopotamiens. L'animal hybride conserve sa fonction de gardien de portes, comme par exemple à l'entrée monumentale F de Pasargades ou à "la porte de toutes les nations" à Persépolis. Les taureaux ailés androcéphales sont parfois associés dans les palais néo-assyriens à des génies ailés anthropomorphes128 (illustration de couverture). Ils apparaissent au IXème siècle avo J.-c. sur les murs des temples et des palais, notamment dans le palais nord-ouest de Ninive. Ces génies combattent parfois des hybrides ou participant à des scènes cultuelles, parfois en association avec l'arbre de vie129. Mais ces génies gardent d'abord les pièces des palais en chassant les mauvais démons. On les trouve parfois sur les murs, comme dans le palais nordouest de Ninive, ou parfois aux portes et aux entrées, comme dans les palais sud-ouest et nord. En Assyrie, les types de génies les plus courants sont les démons-lions ou ugallu, les démons-griffons (fig. 6) appelés apkallu et les génies ailés anthropomorphes qui possèdent effectivement une tête humaine, par opposition aux deux premiers types. Cependant, à l'époque de Sennacherib, une cour construite pour le temple dédié à Assur dans la cité éponyme était décorée de sculptures en bronze de différents hybrides sensés garder les entrées 130. On y trouvait des hommestaureaux, des hommes-scorpions, des hommes-poissons, des poissons-chèvres et des chiens sauvages. Les trois premiers types d'hybrides assumaient en plus la fonction de porteurs du disque solaire. Les sculptures de cette cour n'ont pas été retrouvées mais sont néanmoins mentionnées dans un texte de Sennacheribl3l. L'homme-taureau n'a hérité de la fonction de gardien qu'à l'époque akkadienne. Les hommes-scorpions quant à eux ont déjà la fonction de gardiens dans L'Epopée de 128MADHLOUM, Tariq, 1964, p. 57 ; FRANKFORT, Henri, 1969, p. 77 ; AMIET, Pierre, 2003, p. J 10; DANREY, Virginie, 2004b, p. 333; ORNAN, Tallay, 2004, pp. 83-84 et 87. 129Voir p. 145 et suivantes. 130HUXLEY, Margaret, 2000, pp. 109, 120 et 122. 131 KAH II 124,1. 17-21. Voir FRAHM, Eckart, ElllleitulI/{ In die Sanherlb Inschriftell, Archiv für Orientforschung Beiheft, n026, Graz, 1997.

140

Gilgames, tabI. IX, col. II, I. 1-9. L'homme-scorpion est ainsi devenu un protecteur de porte. Enfin, des hommes-poissons sont également attestés comme gardiens d'entrées dans les temples ou les palais. Dans la Bible, ce sont essentiellement les chérubins qui ont la fonction de gardien. A. Loisy les considère comme les gardiens du chemin menant à l'arbre de vie plutôt que comme les gardiens de l'arbre ou des portes du paradis132. Il est vrai que littéralement, c'est bien le rôle des chérubins à Gn. ill, 24. Dans ce cas, les chérubins sont donc les gardiens d'un lieu sacré. Par analogie de fonction, A. Loisy les rapproche donc des taureaux ailés androcéphales gardiens des temples et des palais néoassyriens, ainsi que des hommes-scorpions du mythe de L'Epopée de Gilgames (tab. IX, col. II, I. 1-9). En effet, ces hommes-scorpions sont les gardiens de la porte du passage qu'emprunte chaque jour le dieu du Soleil Utu. A. Loisy renforce sa théorie par le fait qu'il y a une assonance entre le nom hébreu des scorpions, 'aqrabbim, et celui des chérubins, kerûbfm, qui donne avec l'article hakkerûbfm. Selon lui, cette assonance aurait pu faciliter, voire occasionner la transformation des scorpions en chérubins. Cependant, nous préférons à cette thèse sur l'origine étymologique du kerûbfm celle faisant dériver ce terme de celui de kâribu133. Les chérubins assurant le rôle de gardien ont été représentés sur différents supports. Tout d'abord, on les trouve sur des pièces de tisSU134,comme par exemple dans le tabernacle, c'està-dire la tente sous laquelle l'Arche d'Alliance était conservée avant qu'elle n'intègre le Temple de Salomon. Des chérubins étaient en effet représentés sur les tentures, comme il est précisé à Ex. XXVI, 1 :

132

Lorsy, Alfred, 1901, p. 194.

133 Voir p. 24. 134 CROSS, Frank Eleanor,

2004,

M. Jr., 1961,

p. 219

; DE VAUX, Roland,

p. 221.

141

1967,

p. 242;

GURALNICK,

Tu feras le tabernacle de dix tapis de fin lin retors, et d'étoffes teintes en bleu, en pourpre et en cramoisi; tu y représenteras des chérubins artistement travaillés. La même description est faite à Ex. XXXVI, 8. Des chérubins se trouvaient aussi sur le voile qui séparait le Saint (ou hêkal) du Saint des Saints (ou debir), comme le décrit Ex. XXVI, 31 : Tu feras un voile bleu, pourpre et cramoisi, et de fin lin retors; il sera artistement travaillé, et l'on y représentera des chérubins. On trouve un passage similaire à Ex. XXXVI, 35. Ces chérubins représentés sur des pièces de tissu ont été comparés par R. de Vaux à des sphinx représentés sur la robe brodée d'une statuette retrouvée à Helmiyeh et datée de la seconde moitié du IIèmemillénairel3S. De même, selon F. M. Ir. Cross, les chérubins du tabernacle étaient des sphinx. Mais ils ne sont pas non plus sans rappeler les broderies qui se trouvent sur les vêtements

d'Assurna~irpal

II, de ses hauts fonctionnaires

et

même de génies qui sont représentés sur les murs de la chambre G du palais nord-ouest à Nimrud. Ces broderies représentent des génies ailés anthropomorphes à tête d'homme ou d'aigle, ainsi que quelques sphinx et griffons (parfois modifiés dans les dessins de A. H. Layard136), dans des scènes similaires à celles des sculptures murales du palais. Les chérubins étaient aussi présents sous forme de statues137. Ainsi, on nous dit à Ex. XXV, 18-20 et XXXVII, 7-9 que le propitiatoire, la plaque en or située au-dessus de l'Arche, comporte un chérubin aux ailes déployées à chaque extrémité:

135

DE VAUX, Roland, 1967, pl. I, 2. 136BARTL, Peter Y., 2005, pp. 20, 22, 23 et 24. 137BABELON, Ernest, 1906, p. 224 ; LANDSBERGER, Franz, 1947, p. 233 ; PARROT,

André, 1954, pp. 22.24 ; DUCHET.SUCHAUX, Gaston et PASTOUREAU,Michel, p.83.

142

1994c,

Il fit deux chérubins d'or; il les fit d'or battu, aux deux extrémités du propitiatoire, un chérubin à l'une des extrémités, et un chérubin à l'autre extrémité; il fit les chérubins sortant du propitiatoire à ses deux extrémités. Les chérubins étendaient les ailes par-dessus, couvrant de leurs ailes le propitiatoire, et se regardant l'un l'autre; les chérubins avaient la ... 138 fiace tournee vers Ie propltzatOlre. /

Lorsque Salomon fit construire le Temple, l'organisation du tabernacle fut respectée. A Ez. XLI, 16-18 ; XLI, 20 ; XLI, 25 et à I R. VI, 29-35, le hêkal est couvert d'un placage de bois orné de chérubins qui gardent la pièce. Après cette pièce se trouvait le debir où se trouvait l'Arche d'Alliance. Là encore, des statues de chérubins avaient le rôle de gardiens. En effet, deux chérubins se trouvaient au-dessus de l'Arche qu'ils protégeaient de leurs ailes, comme cela nous est décrit à I R. VIII, 6-7 : Les sacrificateurs portèrent l'arche de l'alliance de l'Eternel à sa place, dans le sanctuaire de la maison, dans le lieu très saint, sous les ailes des chérubins. Car les chérubins avaient les ailes étendues sur la place de l'arche, et ils couvraient l'arche et ses barres par-dessus. Les chérubins se tenaient debout, comme l'indique le 2 Ch. III,13: Les ailes de ces chérubins, déployées, avaient vingt coudées. Ils étaient debout sur leurs pieds, la face tournée vers la maison.

138

Ex. XXXVII,

7-9.

143

On retrouve la mention des ailes déployées à ] R. VI, 27 : Salomon plaça les chérubins au milieu de la maison, dans l'intérieur. Leurs ailes étaient déployées: l'aile du premier touchait à l'un des murs, et l'aile du second touchait à l'autre mur; et leurs autres ailes se rencontraient par l'extrémité au milieu de la maison. Nous pouvons d'ailleurs apprécier dimensions colossales des statues.

dans ce passage

les

Enfin, les chérubins étaient présents sur des supports cultuels139. On a ainsi retrouvé à Gézer une maquette en terre cuite datée entre le XXème et le XVnrme siècle avo J.-c. et représentant un petit sanctuaire devant lequel deux génies anthropomorphes gardaient l'entrée 140. Ceux-ci ont été rapprochés des chérubins. En outre, sur des supports cultuels cananéens destinés à recevoir des coupes et datés de la seconde moitié du nème millénaire avo J.-C., des lions et des sphinx étaient représentés 141. D'après O. Keel et C. Uehlinger, les lions et les sphinx, superposés par paires, tenaient le rôle de gardiens. Ils assimilent ainsi les sphinx aux chérubins du Temple. L'association du lion et du sphinx (ou chérubin) se retrouve aussi en Syrie et en Phénicie. 5) Gardien de ['arbre de vie L'arbre de vie est un motif iconographique très répandu au Proche-Orient antique. Il s'agit d'un arbre, parfois stylisé, 142 genera lement entoure d e creatures. S e Ion Ies epoques, ce son t /

/

/

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/

139 DHORME, P. et VINCENT, L. H., 1926b, p. 484 ; KEEL, Othmar et UEHLINGER, Christoph, 2001, pp. 158 et 160. 140DHORME, P. et VINCENT, L. H., 1926b, p. 485, fig. 4. 141

KEEL,Othmar et UEHLlNGER, Christoph, 2001, p. 162, fig. 184.

142CONTENAU, Georges, 1931 b, p. 1183 ; CONTENAU, Georges, 1950, p. 82 ; KEPINSKI, Christine, 1979, p. 136; PORTER, Barbara Nevling, 1993, p. 129; ORNAN, Ta11ay, 2004, p.84.

144

parfois de simples animaux qui broutent ses feuilles, parfois des hommes qui se tiennent tout près, parfois encore des sphinx, des griffons ou des génies. L'iconographie des personnages par rapport à l'arbre peut varier: ils peuvent être simplement juxtaposés près du végétal sans qu'il n'y ait la moindre action; ils peuvent toucher ou tenir l'arbre; le soulever; cueillir ou, dans le cas d'animaux, brouter ses feuilles; chasser; adorer l'arbre; le bénir; ou bien parfois encore on trouve un homme sur un char à proximité, ou plusieurs sujets en file. Mais, dans le cas des génies, les actions les plus récurrentes sont le culte ou la fertilisation. Les génies tiennent souvent d'une main un seau et de l'autre un objet conique qui pourrait être une pomme de pin, même si parfois ils ne font que monter la garde. On retrouve de telles scènes notamment dans les reliefs des palais néo-assyriens (fig. 6), ainsi que sur les sceaux-cylindres du IXèmeau vrrme siècle avo J.-c. Ces scènes de cuIte auxquelles s'adonnent les génies sont assez difficiles à comprendre. Plusieurs thèses ont ainsi été proposées afin de les expliquerl43. Les génies pourraient procéder à un rite de pollinisation de l'arbre de vie. L'arbre représenté est un palmier-dattier. Or, cet arbre est dioïque, c'est-à-dire qu'il est soit mâle, soit femelle; il ne peut donc produire à la fois des gamètes mâles et des gamètes femelles. Pour qu'il puisse donner des fruits, il faut que le pollen des fleurs de l'arbre mâle soit en contact avec les fleurs de l'arbre femelle. B. N. Porter a rapproché ce type de scène d'une technique de fertilisation du Proche-Orient. Celle-ci consiste à secouer des fleurs mâles au-dessus de fleurs femelles, puis on arrose les fleurs femelles afin de fixer le pollen mâle. Parfois, la technique consiste à attacher ensemble des groupes de fleurs mâles et femelles. Le palmier-dattier étant l'une des ressources importantes de la Mésopotamie, les sculpteurs ont donc pu représenter l'acte qui apportait richesse et vie.

'43 CONTENAU, Georges, 1931 b, p. 1183 ; CONTENAU, Georges, 1950, p. 82 ; CONTENAU. Georges, 1952, p. 147; PORTER, Barbara Nevling, 1993, pp. 132 et 134 ; RACHET, Guy, 1999a, p. 52 ; ORNAN, Tallay, 2004, p. 87.

145

En revanche, pour G. Contenau, le génie n'asperge pas l'arbre de pollen mais d'eau. En effet, il remarque que ce geste perd son sens dans le cas où des génies exécutent cette action en direction du roi. Il y voit plutôt une aspersion d'eau lustrale, l'objet conique servant de goupillon. De plus, dans certaines églises de la région de Mardin, au Kurdistan actuel, c'est-à-dire au Nord de l'ancienne Assyrie, le prêtre utilise une pomme de cèdre à la place d'un goupillon pour les aspersions d'eau lustrale. G. Contenau rapproche donc ce fait de l'iconographie des génies tenant une pomme de cèdre (ou de pin). En effet, les Assyriens pratiquaient les aspersions d'eau prise à l'embouchure du Tigre et de l'Euphrate. C. J. Gadd quant à lui voit dans les génies aspergeant aussi bien l'arbre de vie que le roi une action consistant à tirer de l'arbre une "vertu magique" pour la transférer au roi. Ce geste pourrait aussi être un rite de protection, de purification ou de bénédiction. G. Contenau a aussi vu dans ce motif l'adoration d'une divinité. L'arbre de vie serait alors un "dieu-arbre" auquel les génies rendent un culte. Notons enfin que si les ivoires de Megiddo et d'Arslan-Ta~ ont repris le motif de l'arbre sacré, celui-ci n'est plus qu'un élément décoratif sans signification 144. Ce sont parfois le griffon et le démon-griffon qui entourent l'arbre sacré145 (fig. 6). On retrouve ces deux êtres hybrides associés à l'arbre de vie en Assyrie à l'époque médioassyrienne. Le griffon, que l'on retrouve sur les sceauxcylindres de cette époque, dériverait des sceaux mitanniens. On peut aussi penser que ce motif, attesté à Mari, a pu aussi provenir de cette ville. En revanche, dans la Babylonie de cette époque, on ne retrouve ni le griffon, ni le démon-griffon. L'association de griffons à l'arbre de vie se retrouve en outre dans la peinture de l'Investiture (fig. 19) retrouvée à Mari et datée le plus souvent de l'époque de ZimrÎ-LÎm (1775-1762 avo

144 145

BARROIS, A.-G., 1939, p. 498. MADHLOUM, Tariq, 1964, p. 57;

GREEN, Anthony,

146

1997,

p. 252.

J._c.)146. Notons que d'après J.-c. Margueron, la peinture serait plus ancienne d'une quarantaine d'années et daterait du règne de Yahdun-Lîm (1810-1794 avo J.-C.). Cette représentation a notamment été rapprochée de certains éléments bibliques. En effet, A. Parrot la compare avec le paradis terrestre de la Bible. L'organisation de cette peinture est symétrique et semble représenter deux fois la même scène. Ainsi, de chaque, une déesse tient un vase d'où s'écoulent quatre flots jaillissants qui pourraient figurer les quatre fleuves de l'Eden. Les deux grands arbres de la peinture pourraient être l'arbre de vie et l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Enfin, le sphinx, le griffon et le taureau à bosse qui gardent l'un des arbres seraient les chérubins bibliques. O. Keel et C. Uehlinger ont d'ailleurs aussi vu dans des griffons représentés sur un sceau-cylindre cananéen des chérubins, bien qu'ils observent la même assimilation avec le sphinx et le taureau ailé androcéphale147. Cependant, selon M.- T. Barrelet, la peinture représenterait un temple, celui d'Istar. Les animaux composites ne seraient alors que les éléments d'une peinture murale décorant et encadrant la porte principale du temple. On retrouverait donc les génies dans leur rôle de gardiens de porte. Ce sont en effet les chérubins qui ont le rôle de gardien de l'arbre de vie dans la Bible. Ce sont eux qui gardent l'entrée de l'Eden à Gn. III, 24 : C'est ainsi qu'il chassa Adam; et il mit à l'orient du jardin d'Eden les chérubins qui agitent une épée flamboyante, pour garder le chemin de l'arbre de vie. De plus, ils sont souvent associés à la végétation. Ainsi, ils sont représentés sur les murs et les portes du Temple de 146BARRELET, Marie-Thérèse, 1950, p. 24 ; PARROT, André, 1957, p. 10; PARROT, André, 1974, p. 120 ; MARGUERON, Jean-Claude, 1990, p. 124 ; KEEL, Othmar et UEHLINGER, Christoph, 2001, p. 63 ; CHARPIN, Dominique et ZIEGLER, Nele, 2003, p. 262 pour la datation du règne de Zimrî-Lim. 147Voirpp. 81-82 et 144.

147

Salomon en même temps que des palmes et des fleurs à I R. VI, 29 : Il fit sculpter sur tout le pourtour des murs de la maison, à l'intérieur et à l'extérieur, des chérubins, des palmes et des fleurs épanouies. D'autres descriptions des chérubins et des palmes du Temple se trouvent à I R. VI, 28-35. Des descriptions similaires se trouvent aussi dans les visions d'Ezéchiel (Ez. XLI, 16-18 ; XLI, 20 ; XLI, 25). Les anges pourraient garder non pas un mais plusieurs arbresl48. En effet, la Bible fait aussi mention d'un second arbre dans le paradis terrestre, celui de la connaissance du bien et du mal (Gn. II, 9). De plus, à 2 Hén. VIII, 1-6, des anges gardent différents arbres nourriciers. G. A. Barton émet l'hypothèse que l'arbre de vie serait en fait un palmier-dattier, et l'arbre de la connaissance du bien et du mal une vigne. A. Loisy quant à lui envisage qu'il n'y avait pas deux arbres en Eden à l'origine, mais un seul. L'un des deux arbres ne serait qu'une "addition rédactionnelle" . Signalons enfin que le motif de l'arbre de vie associé au sphinx-chérubin se retrouve aussi en Arabie du Sud au nème siècle av. J. -c. 149. Puisque les chérubins ont pour tâche d'interdire l'accès à l'arbre de vie à l'homme, ceux-ci sont armés d'une "épée flamboyante" (Gn. III, 24)150. D'après P. Dhorme et L. H. Vincent, il ne faudrait pas concevoir dans ce passage un seul type de gardiens, mais deux: les chérubins et l'épée, considérée alors comme un gardien à part entière. C'est pourquoi ils ont rapproché le chérubin et l'épée du kâribu et du lamassul51, deux 148LOISY, Alfred, 1901, p. 75; JAMES, Edwin Oliver, 1966, pp. 75 et 77. 149CLEVELAND,Ray L., 1963, p. 56, fig. l. 150DHORME, P. et VINCENT, L. H., 1926b, pp. 481-482. 151P. Dhorme et L. H. Vincent remplacent parfois le terme lamassu par lalzmu. Les deux chercheurs semblent considérer ces deux tennes comme interchangeables, voire assimilables (DHORME, P. et VINCENT, L. H., 1926b, pp. 482-484.). Cependant, nous réfutons cette assimilation: Je lamassu et le lalunu sont de toute évidence deux divinités différentes.

148

génies qui gardent les entrées en Mésopotamie. Le kâribu serait donc le chérubin (en hébreu kerûb), et le lamassu l'épée. En outre, l'épée flamboyante a été rapprochée du foudre de Tiglathphalazar 1er.Sur ce foudre se trouve l'inscription suivante: Je fis un foudre de cuivre, j'écrivis dessus le butin que j'avais fait (...), ainsi que la défense d'occuper cette cité et d'en rebâtir les murs. Je construisis en cet endroit une maison de briques, et j'y mis ce foudre de cuivre. Cette inscription démontre que le foudre a la même fonction que l'épée du chérubin: défendre l'accès à une zone interdite. En revanche, la fonction du lamassu diffère sensiblement. Celui-ci n'empêche pas l'accès à l'homme, mais seulement aux esprits néfastes et aux démons. Il a d'abord un rôle apotropaïque avant celui de gardien. De plus, même si l'aspect du lamassu ne nous est pas encore connu (à l'exception peut-être des lamassu des palais néo-assyriens), les textes n'en parlent pas comme d'une épée ou d'une arme. Cependant, P. Dhorme et L. H. Vincent réfutent cet argument en évoquant un fait bien connu en Mésopotamie: les symboles des dieux qui se substituent à ceux auxquels ils renvoient. Ils qualifient d'ailleurs ce phénomène "d'abréviation iconographique". Le rapprochement entre le lamassu et l'épée serait donc plausible d'après eux. La conception biblique de l'épée considérée comme divinité secondaire peut aussi être rapprochée du dieu-épée du relief de Yasili-Kaïa daté de la seconde moitié du nème millénaire avo I.C.l52, et surtout du dieu-épée Sarur qui accompagne Ninurta dans Ninurta et les Pierres et Le Retour de Ninurta à Nippur1S3. Ce dieu est une arme personnifiée. Il est ainsi qualifié "d'Annemagique" dans Ninurta et les Pierres (tab. I, 1. 23 ; tab. ID, 1. 21, tab. V, 1. 225 ; tab. VI, 1. 263). De plus, il semble bien posséder la forme d'une arme blanche. Tout d'abord, Sarur 152AKURGAL, Ekrem, 1978, p. 316, fig. 156. 153BOTTÉRO, Jean et KRAMER, Samuel Noah, 1989, pp. 341, 344, 345, 348, 350, 370 et 382.

149

signifie Fauche-milliers. Sa forme générale semble bien aussi être celle d'une arme dans Le Retour de Ninurta à Nippur, puisque Ninurta porte Sarur comme telle (1. 129). Ce dieu possède une tête de lion (tab. III, 1. 109)154ainsi que des ailes (tab. III, 1. 110-112). En outre, la divinité semble aussi posséder des jambes et des mains (tab. V, 1. 225). Ces derniers éléments semblent contradictoires avec la forme générale d'épée. En effet, représenter une telle divinité par les indications de ce texte semble peu aisée: nous avons là une divinité en forme d'arme, mais possédant une tête de lion, des ailes, des jambes et, vraisemblablement, des bras. Il n'est cependant pas étonnant qu'apparaissent ici ou là certaines contradictions dans des textes réécrits (et parfois réinterprétés) de très nombreuses fois, et ce sur plusieurs siècles. Notons enfin qu'à notre connaissance, aucune image figurée mésopotamienne retrouvée jusque-là ne semble représenter un dieu-épée. Il est probable que la fonction de gardien de l'arbre de vie assumée par les chérubins ait été empruntée au sphinx155. Il est possible que le sphinx ait lui-même emprunté cette fonction au griffon car celui-ci est plus souvent le gardien de l'arbre que le sphinx sur les sceaux-cylindres syriens et mitanniens. Cet emprunt de fonction a d'ailleurs conduit à assimiler le sphinx au chérubin. Le motif du sphinx gardien de l'arbre de vie est apparu vers 1500 avo J.-c. en Syrie et dans le Mitanni mais s'est surtout diffusé à partir de la Syrie. Dans la deuxième moitié du nème millénaire avo J.-c., on retrouve le thème à Chypre, en Egypte et en Palestine, le modèle étant plus courant dans cette zone au début du le' millénaire avo J.-c. Sa diffusion vers le monde méditerranéen à l'ouest de la Syrie (c'est-à-dire de Chypre aux Baléares) s'est certainement faite par des influences phéniciennes.

n est aussi fait mention d'une "gueule béante" tab. II, I. 79 (voir BOTTÉRO, Jean et KRAMER,Samuel Noah, 1989, p. 343). 155 DE v AUX, Roland, 1967, p. 238-241. 154

150

A 1 R. VI, 29-35, les chérubins alternent avec des palmes et des fleurs. A 1 R. VI, 18, on cite aussi des coloquintes dans le décor. Cette plante s'est substituée à Jérusalem au lotus égyptienlS6. Or, en Egypte, le sphinx est souvent représenté en lien avec des palmes ou le lotus (fig. 8). De même, à 1 R. XXII, 39, on nous dit qu'un palais qu'Achab avait fait construire à Samarie était décoré d'ivoire : Le reste des actions d'Achab, tout ce qu'il a fait, la maison d'ivoire qu'il construisit, et toutes les villes qu'il a bâties, cela n'est-il pas écrit dans le livre des Chroniques des rois d'lsraël ? La même référence se trouve à Am. III, 15 : Je renverserai les maisons d'hiver et les maisons d'été; Les palais d'ivoire périront, les maisons des grands disparaîtront, dit l'Eternel. Il est ainsi possible que les chérubins du Temple de Salomon décrits à 1 R. VI, 29-35, ainsi que ceux de la vision d'Ezéchiel (Ez. XLI, 16-18 et XLI, 20), aient été sculptés dans de l'ivoire. Or, de nombreuses plaquettes d'ivoire de Megiddo, Arslan-Ta~ et Samarie représentent des sphinx (fig. 8)157. En outre, sur les bases roulantes des bassins du Temple étaient gravés des bœufs, des lions, des chérubins et des palmes, ainsi que le décrit 1 R. VII, 28-30 : Voici en quoi consistaient ces bases. Elles étaient formées de panneaux, liés aux coins par des montants. Sur les panneaux qui étaient entre les montants il y avait des lions, des bœufs et des chérubins; et sur les montants, au-dessus comme au-dessous des lions et des bœufs, il y avait des ornements qui pendaient en festons. 156 BABELON. Ernest, 1906, p. 224. 157 BARROIS, A.-G., 1953, p. 440.

151

Chaque base avait quatre roues d'airain avec des essieux d'airain,. et aux quatre angles étaient des consoles de fonte, au-dessous du bassin, et au delà des festons. Et 1 R. VII, 36 : 1l grava sur les plaques des appuis, et sur les panneaux, des chérubins, des lions et des palmes, selon les espaces libres, et des guirlandes tout autour. Ces bases ont été comparées à celle retrouvée à Larnaka et datée du xmème siècle avo J.-C. sur laquelle sont représentés des . 158 sp h lllX . Tous ces éléments

ont conduit

à l'assimilation

du sphinx

au

, . . 159 c h em b III . E n outre, Ia f onctIOn d assesseur d e trone permet aussi une telle identification. /

~

6) Assesseur de trône Au Proche-Orient, les génies étaient fréquemment associés aux trônes royaux 160.Ainsi, à Ninive, un relief du palais sudouest représente le roi assis sur un trône dont les montants sont supportés par des génies anthropomorphesl61. Un autre relief, retrouvé à Maltaï, situé au Nord de Ninive, représente un trône dont les montants sont cette fois supportés par des hommesscorpions162. Enfin, un trône dédié à Assur par Assurbanipal était orné de lamassu.

158

DE V AUX, Ro]and, 1967, p. 242 ; BUSINK, Th. A., ]970, pp. 338-339. 159AMIET, Pierre, ]977, p. 230; KEEL, Othmar et UEHLINGER, Christoph, 200], pp. 63, 23] et 249. ]60 DE V AUX, Roland, ] 967, p. 235 ; HUXLEY, Margaret, 2000, p. 126; ORNAN, Tallay, 2004, p. 85. 16] BARNETT, R. D., ]975, pl. 77. ]62 Notons que sur ce relief sont représentés les deux types d'hommes-scorpions connus: celui de la figure 9, et un deuxième type qui lui ne possède ni le torse ni les bras de l'homme. Cette image est la seule à notre connaissance à réunir ces deux figures (voir HUXLEY, Margaret, 2000, p. ]26, fig. ]3 pour l'illustration de ce relief).

152

A partir de la seconde moitié du mème millénaire avo J.-e. en Mésopotamie, on associe au roi certains animaux comme le bœuf ou le serpent, mais surtout le lionl63. Par la suite, le lion peut être aussi associé aux dieux. Ainsi, une statue retrouvée à Karkemis représente un dieu trônant supporté par deux lions tenus au niveau du cou par un démon-griffonl64. De même, la ronde-bosse retrouvée à Sendjirli et datée du IXèmesiècle avo J.e. représente elle aussi un dieu soutenu par deux lions16s. Le motif du roi assis sur un trône accosté de lions se retrouve d'ailleurs dans la Bible, notamment dans la description du trône de Salomon (1 R. X, 18-20 et 2 Ch. IX, 17-19) dont l'iconographie a été rapprochée des plaquettes d'ivoire sculptées retrouvées à Samarie et à Megiddo (fig. 8). En Egypte, à partir de la fin de la mème dynastie (2700-2625 avo J.-e.), le lion puis le sphinx deviennent les images symboliques de Pharaon 166. Plusieurs trônes datant de la XVmème dynastie (1552-1314 ou 1295 avo J.-e.) sont flanqués de sphinx. On retrouve ainsi une scène représentant un sphinx piétinant les ennemis de Pharaon sur un trône de Thoutmès IV (1425-1405 avo J.-e.) et sur plusieurs trônes d'Aménophis m (1405-1380 avo J.-C.). Le trône de Toutankhamon (1352-1343 avo J.-e.) quant à lui est supporté par des lions, et les accoudoirs sont soutenus par des serpents ailés. Mais il semble que ce soit en Palestine et en Syrie, à la fin du nème millénaire avo J.-e., que les sphinx assument pour la première fois le rôle d'assesseurs de trônel67. Les ivoires de Megiddo en sont un exemple. Ce thème se serait diffusé à partir de la Syrie. On retrouve ainsi l'image d'un roi assis sur un trône flanqué de sphinx sur plusieurs artefacts de Syrie, de Palestine et du Libanl68.

163CORSWANT, Wi1ly, 1956b, p. 305 ; PARROT, André, ] 956, p. ]04 ; CASSIN, Elena, 1987,p.167. 164AKURGAL, Ekrem, 1961, p1. 109. 165AKURGAL, Ekrem, 1961, p1. 127. 166DUSSAUD, René, ]937, p. 40 ; DE VAUX, Roland, 1967, pp. 237 et 242. 167

DE

Tryggve N. D., 1995a, co1. VAUX,Roland, ] 967, pp. 238, 246-249 ; METTINGER,

363 ; KEEL, Othmar et UEHLINGER,Christoph, 200 l, p. 70. 168 Voir MATOÏAN, Valérie (éd.), ] 998, p. 73 pour J'illustration de cette figure.

153

On retrouve aussi les sphinx assesseurs de trône à l'époque perse (à partir du vrme siècle avo J.-c.), puis dans les zones phéniciennes telles que Carthage, Chypre, la Sicile, les Baléares ou le Maroc. On retrouve de nombreuses représentations de divinités puniques assises entre des sphinx. A Carthage, dès le VIème siècle avo J.-c., des statuettes représentent un dieu assis sur un trône flanqué de sphinx. Le thème perdure jusqu'aux époques grecque et romaine. On citera par exemple la statue de Vénus Héliopolitaine, retrouvée à Baalbek, qui représente la déesse assise sur un trône flanqué de sphinges, ou bien un autel provenant d'Antioche sur lequel est sculptée la déesse Atargatis assise entre deux sphinx 169. Dans la Bible, les chérubins et les séraphins sont en connexion avec le trône de Dieul7O. Ainsi, à Is. VI, 1-2, les séraphins se tiennent au-dessus du trône. A 1 Hén. LXXI, 7, les chérubins et les séraphins ont pour fonction de garder le trône divin. Le thème du trône flanqué de sphinx a été rapproché des textes bibliques décrivant Yahvé siégeant sur ou entre les chérubinsl71. Cette image de Yahvé est décrite pour la première fois à 1 S. N, 4 : Le peuple envoya à Silo, d'où l'on apporta l'arche de l'alliance de l'Eternel des armées qui siège entre les chérubins. La mention de Yahvé siégeant sur ou entre les chérubins se trouve également à 2 S. VI, 2 ; 2 R. XIX, 15 ; 1 Ch. XIII, 6 ; Ps. LXXX, 1 ; XCIX, 1 et Is. XXXVII, 16. En outre, Ez. X, 1 décrit un trône situé au-dessus de chérubins: 169 La statue de Vénus Héliopo1itaine est conseTYée au Musée de l'Orient Ancien, à Istanbul, l'autel d'Antioche au Musée du Louvre. 170DUCHET-SUCHAUX, Gaston et PASTOUREAU, Michel, 1994c, p. 83 ; METTINGER, Tryggve N. D., 1995b, col. 1403-1404. 171PARROT, André, 1956, p. 104; ALBRIGHT, W. F., 1961, p. 95; DE VAUX, Roland, 1967, pp. 231-232, 235, 242, 250, 256 et 259; METTINGER, Tryggve N. D., 1995a, col. 365; METTINGER, Tryggve N. D., 1997, pp. 195 et 203.

154

Je regardai, et voici, sur le ciel qui était audessus de la tête des chérubins, il y avait comme une pierre de saphir; on voyait au-dessus d'eux quelque chose de semblable à une forme de trône. Une description similaire se trouve à Ez. I, 26. L'expression" Yahvé siégeant sur les chérubins" ou d'autres expressions approchantes sont souvent liées à l'Arche d'Alliance, comme à 1 S. IV, 4 ; 2 S. VI, 2 et 1 Ch. XIII, 6. Cela s'explique par le fait que l'Arche constitue en réalité le marchepied du trône. Elle est d'ailleurs littéralement appelée ainsi à Ps. XCIX, 5 : Exaltez l'Eternel, notre Dieu, et prosternezvous devant son marchepied! Il est saint! Le terme est aussi employé à 1 Ch. XXVIII, 2 ; Ps. CXXXil, 7 et Lm. il, 1. L'Arche faisant office de marchepied et les chérubins faisant office de siège constituent ensemble le trône de Yahvé. Celui-ci n'est jamais représenté mais est néanmoins toujours présent172. D'après R. de Vaux, cette image a pu s'inspirer des modèles des voisins d'Israël, notamment Canaan. En effet, c'est à Silo que l'on trouve pour la première fois l'image de Yahvé siégeant sur les chérubins, comme il est mentionné à 1 S. IV, 4. C'est aussi à Silo que pour la première fois l'Arche fut placée dans un sanctuaire construit. Les Israélites ont pu utiliser un temple cananéen où l'on vénérait le dieu Sabaot, ce qui expliquerait la mention "Yahvé Sabaot" que l'on trouve dans certaines traductions du Premier Livre de Samuel (IV, 4) et du Deuxième Livre de Samuel (VI, 2). Ce dieu Sabaot a pu être représenté en train de siéger sur un trône supporté par des sphinx. Les chérubins pourraient donc être à l'origine des sphinx, ou bien en dériver. 172

DESHA YES, Jean,

1969, p. 292.

155

En outre, les trônes de Yahvé sont toujours vides car il était interdit de représenter Yahvé. Ces trônes ont donc été rapprochés de trônes vides flanqués de sphinx retrouvés en Phénicie et en Palestine173. Enfin, dans la vision d'Ezéchiel, les chérubins supportent un trône-char (Ez. J, 15-21 ; X, 2 ; X, 6 ; X, 9-19). La fonction des chérubins diffère donc ici très légèrement, puisqu'ils ne supportent plus un simple trône mais un trône mobile. 7) Messager

de la mort

En Mésopotamie, Namtar (ou Namtaru en akkadien174) est parfois considéré comme le démon de la mort. Son nom, qui signifie destin (car l'homme est destiné à mourir), n'est pas encore attesté dans la littérature du mème millénaire. Namtar est un démon infernal, vizir d'Ereskigal175. On le considère parfois comme un simple démon, mais parfois il est décrit comme une divinité intermédiaire entre les démons et les divinités supérieures. Dans ce dernier cas, il est même invité par Enki à la table des grands dieux pour célébrer la création de l'homme, tout comme d'autres divinités secondaires. Namtar est parfois décrit comme une divinité psychopompe, notamment dans Une Vision du Monde infernal, où d'une main il tient un homme par sa chevelure, et de l'autre un glaive176. Une telle description a conduit M. Leibovici à qualifier Namtar

17]

Il Y a là un paradoxe: si le trône est vide à cause de l'interdiction de représenter le divin, dans ce cas comment expliquer la présence des sphinx-chérubins? Nous pourrions en déduire que cet interdit ne s'applique pas aux anges. Or, J'aniconisme semble bien également toucher ces êtres divins puisque pratiquement aucune image d'ange n'a été retrouvée chez les Hébreux durant de l'Antiquité (voir p. 55). Certains trônes portaient aussi des stèles, le plus souvent aniconiques. D'après T. N. D. Mettinger, il s'agirait là de représentations divines. De plus, le premier Temple a pu contenir une statue de Yahvé siégeant sur un trône (voir NIEHR, Herbert, 1997, pp. 7395). 174OPPENHEIM, Léa, 1970, p. 212 ; LEIBOVICI, Marcel, 1971, p. 91 ; RACHET, Guy, 1999b, p. 60; JOANNÈS, Francis, 2001b, p. 225; KLEIN, 1., 2001, pp. 142-144; BLACK, Jeremy et GREEN, Anthony, 2003q, p. 134. 175 Voir pp. 99-100. 176Pour le passage de ce texte qui décrit Namtar ainsi, voir p. 64 et suivantes.

156

de "messager de la mort" et à le rapprocher de l'Ange de la Mort dans les traditions juive et chrétienne. En outre, deux autres divinités sont parfois aussi considérées comme des démons de la mort. Ainsi, Mûtu, dont le nom signifie mort, est un messager d'Ereskigal177. Il est attesté dans le groupe des démons-maladies attaquant l'homme. Au r" millénaire avo J.-c., on trouve dans l'Esagil, le temple de Marduk à Babylone, une chapelle occupée par le dieu Mûtu. Mais il ne serait en fait qu'un instrument du dieu de la justice servant à punir les criminels. La mort Mûtu ne frappe donc pas n'importe qui, au contraire de Namtar. Quant à Asag (en akkadien Asakku), lui aussi est parfois considéré comme un démon de la mort car il peut la provoquer, ainsi que douleur et maladie178. Il accompagne d'ailleurs souvent Namtar, parfois Anzû. D'après G. Leick, son apparence pourrait être celle d'un serpent à sept têtes, mais J. van Dijk réfute cette thèse sans pour autant fixer son apparence. Dans le zoroastrisme existe une entité psychopompe, Sraosha. Cet "ange" accompagne le mort durant trois jours avant que celui-ci passe le pont Chinvat, dernière étape de la mort du Zoroastrien179. De même, dans la Bible, les âmes des morts doivent être conduites à Dieul80. Selon Jude I, 9, Mickaël est décrit comme un ange psychopompe : Or, l'archange Michel, lorsqu'il contestait avec le diable et lui disputait le corps de Moïse, n'osa pas porter contre lui un jugement injurieux, mais il dit: "Que le Seigneur te réprime!"

177

LEIBOVICI. Marcel, 1971, p. 91 ; WIGGERMANN, F A. M., 1997, p. 233; JOANNÈS, Francis, 2001e, p. 539. 178VAN D1JK, J., 1983, p. 20; LEICK, Gwendolyn, 1991a, p. 13; RACHET, Guy, 1999b, pp.59.60. 179Du BREUIL, Paul, 1982, p. 48. 180MACH, Michael, 1995a, col. 1069 ; VAN HENTEN, Jan Willem, 1995b, col. 152.

157

Cependant, à 1 Hén. IX, 1-3, Mickaël n'est pas le seul archange à conduire les âmes jusqu'au tribunal di vin. Cette fonction est aussi assurée par les archanges Uriel, Raphaël, Sarie! et Gabriel. La fonction d'ange psychopompe semble donc se développer dans les écrits intertestamentaires et dans le Nouveau Testament. En effet, l'Ancien Testament aborde peu le devenir de l'homme après la mort. Cette fonction est donc, dans la Bible, relativement tardive.

8) Soldat de l'armée divine Si les génies se battent très souvent, que ce soit dans l'iconographie ou dans les mythes, ils sont rarement décrits comme formant une armée véritablement organisée. Malgré cela, les mythes font parfois allusion à des organisations plus ou moins militairesl81. Cependant, il n'est pas toujours facile de savoir si ces formations guerrières divines sont temporaires ou permanentes. Ainsi, dans Le Poème d'Erra, tab. I, 1. 23-44, Erra possède un groupe armé composé des Sept, des dieux guerriers à sa solde. Ce groupe militaire semble permanent et structuré, puisque les Sept semblent n'avoir pour seule activité que la guerre, et n'agir qu'autour d'Erra. Dans L'Epopée de la Création, tab. I, 1. 127-132, Tiamat s'entoure de dieux qui, comme elle, ne supportent plus le bruit du nouveau-né Marduk. Pour les besoins de la guerre qu'ils préparent, elle donne aussi naissance à différents êtres hybrides (tab. I, 1. 133-146)182. L'armée formée est donc ici circonstancielle, puisque l'association n'est pas permanente, et les êtres hybrides créés uniquement pour l'occasion. Cependant, sans pouvoir parler de structure, le groupe guerrier a à sa tête un meneur: Qingu (tab. I, 1. 148-152). Enfin, dans Ninurta et les Pierres, Ninurta affronte Asakku et son armée, mais on ne sait si celle-ci est

181CONTENAU, Georges, 1950, p. 265 ; PARROT, André, 1957, p. 108; BOTTÉRO, Jean et KRAMER, Samuel Noah, 1989, pp. 610-61 1,681-683 et 708-709. 182Voirp. 33.

158

créée exclusivement pour la révolte ou bien si elle a un caractère régulier. De plus, selon G. Contenau, l'ensemble des étoiles forme "l'armée d'Anu". Mais chaque étoile représentant un dieu, il faut peut-être y voir une métaphore du panthéon dominé par Anu, du temps de sa toute-puissance, plutôt qu'une véritable organisation militaire. Cependant, la correspondance de chaque dieu à une étoile serait peut-être à l'origine de "l'armée des cieux" biblique. En outre, les Fravashi, sorte de génies zoroastriens, sont parfois décrits comme des cavaliers armés qui protègent le ciel183. Les anges de la Bible assurent eux aussi un rôle militaire184. Ainsi, dans le Règlement de la Guerre de Qumrân, les soldats inscrivent sur les boucliers des tours les noms des anges Mickaël, Gabriel, Sarie! et Raphaël (IX, 14-16). Les anges peuvent combattre seuls, tels Mickaël, Gabriel, Raphaël et Uriel punissant les anges déchus à I Hén. X, 54, ou l'ange tuant les Assyriens à 2 Ch. XXXII, 21 : Alors l'Eternel envoya un ange, qui extermina dans le camp du roi d'Assyrie tous les vaillants hommes, les princes et les chefs. Et le roi confus retourna dans son pays. (...) Le même passage se trouve à 2 R. XIX, 35. Ils peuvent aussi combattre aux côtés des hommes, comme lorsque des anges viennent en aide aux Juifs à 2 M. X, 29-30 :

183

Du BREUIL, Paul, ]982, pp. 48-49. Pour les Fravashi, voir p. 128. 184DUPONT-SOMMER, André, 1950, p. 89 ; CAQUOT, André, ]971, p. 124 ; AUNE, David E., ]995, col. ]45 ; COLLINS, John J., ]995, col. 64]-642 ; MACH, Michael, ]995a, col. 1068; MEIER, Samuel A., 1995a, col. 84; VAN HENTEN, Jan WilJem, 1995a, col. 91 ; VAN HENTEN, Jan WilJem, 1995b, col. 151 ; KEEL, Othmar et UEHLlNGER, Christoph, 2001, pp. 337 et 360 ; GIORGI, Rosa, 2004, p. 327.

159

Mais, lorsque le combat était opiniâtre de part et d'autre, les ennemis virent paraître du ciel cinq hommesl8S sur des chevaux ayant des freins d'or qui les rendaient éclatants, et servant de guides aux Juifs. Deux d'entre eux, marchant aux deux côtés de Maccabée, le couvraient de leurs armes, afin qu'il ne pût être blessé; les autres lançaient des traits et des foudres contre les ennemis, qui, frappés d'aveuglement et mis en désordre, tombaient morts devant eux. Nous voyons en outre dans cet exemple que les anges sont équipés comme des soldats humains: ils possèdent des chevaux et des armes. A 2 R. VI, 15-17, l'armée divine possède même des chars: Le serviteur de l'homme de Dieu se leva de bon matin et sortit; et voici, une troupe entourait la ville, avec des chevaux et des chars. Et le serviteur dit à l'homme de Dieu: "Ah! Mon seigneur, comment ferons-nous?" Il répondit: "Ne crains point, car ceux qui sont avec nous sont en plus grand nombre que ceux qui sont avec eux." Elisée pria, et dit: "Eternel, ouvre ses yeux, pour qu'il voie." Et l'Eternel ouvrit les yeux du serviteur, qui vit la montagne pleine de chevaux et de chars de feul86 autour d'Elisée. Ces anges à qui sont confiées des fonctions militaires sont organisés selon une hiérarchie de type martial. On peut ainsi parler de véritable organisation militaire. Cette organisation serait peut-être calquée à partir de l'organisation militaire des Israélites.

185Ces êtres qui ont une apparence humaine et qui descendent anges. 186Ces chevaux et ces chars de feu sont ceux des anges.

160

du ciel sont en réalité des

Certains textes mentionnent exemple à 1 R. XXII, 19 :

ainsi" l'armée des cieux". Par

Et Michée dit : "Ecoute donc la parole de l'Eternel! J'ai vu l'Eternel assis sur son trône, et toute l'armée des cieux se tenant auprès de lui, à sa droite et à sa gauche. Ce passage se répète pratiquement à l'identique à 2 Ch. XVill,18. Chez les Israélites, les anges étaient assimilés aux astres. A l'âge du Fer II C (720-587 avo J.-c.), le culte de "l'armée des cieux" prit la forme d'un culte astral. Cette conception a ensuite donné naissance à un culte rendu à des statuettes de chevaux et de cavaliers. Ce culte pourrait être mis en relation avec Zao I, 810, où sont décrits des cavaliers qualifiés par O. Keel et C. Uehlinger de "police montée de Yahvé" : Je regardai pendant la nuit, et voici, un homme monté sur un cheval roux, et se tenait parmi des myrtes dans un lieu ombragé; il y avait derrière lui des chevaux roux, fauves, et blancs. Je dis: "Qui sont ces chevaux, mon seigneur ?" Et l'ange qui parlait avec moi me dit: "Je te ferai voir qui sont ces chevaux." L'homme qui se tenait parmi les myrtes prit la parole et dit: "Ce sont ceux que l'Eternel a envoyés pour parcourir

la terre. " Ces cavaliers seraient donc les héritiers de "l'armée du ciel" que l'on trouve dans les textes antérieurs à l'exil du VIèmesiècle avo J.-c. Ces anges semblent évoluer au sein d'un camp évoqué à Gn. XXXII, 1-2 : Jacob poursuivit son chemin; et des anges de Dieu le rencontrèrent. En les voyant, Jacob dit:

161

"Cest le camp de Dieu l" Et il donna à ce lieu le nom de Mahanai"ln. De même, à los. V, 15, il est aussi fait allusion à ce camp. Ces anges sont en outre dirigés par des officiers angéliques. Ainsi, à los. V, 13-14, un ange se présente à Josué comme le commandant de l'armée céleste: Comme losué était près de Jéricho, il leva les yeux, et regar d a. 11" vOICI, un h omme 187 se tenazt. debout devant lui, son épée nue dans la main. Il alla vers lui, et lui dit: "Es-tu des nôtres ou de nos ennemis ?" Il répondit: "Non, mais je suis le chef de l'armée de l'Eternel, j'arrive maintenant. " Josué tomba le visage contre terre, se prosterna, et lui dit: "Qu'est-ce que mon seigneur dit à son serviteur?" Il existe différents types d'officiers angéliques: les dominations qui portent souvent une épée et un casque, les principautés qui ont le rôle de commandants, et les archanges qui sont considérés comme les guerriers de l'armée. Mickaël fait partie de cette dernière classe, bien qu'il soit le chef de l'armée du ciel. En outre, d'après 1 Hén. VI, 8, les principautés commandent chacun dix anges. Enfin, Satan possède aussi sa propre armée de démons, contre laquelle se battent notamment les archangesi88. Cette armée qu'il dirige lui-même se compose d'officiers de différents rangs qui lui sont subordonnés. Ainsi, à Ép. VI, 12, ses différents officiers sont nommés: Car nous n'avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les Dominations, contre les Autorités, contre les Princes de ce monde de

187

Cet être d'apparence humaine est en réalité un ange. 188DUCHET-SUCHAUX, Gaston et PASTOUREAU,Michel, 1994b, p. 46 ; RiLEY, Greg J., 1995a, col. 454.

162

ténèbres, contre les esprits méchants dans les lieux célestes. Notons que les différents officiers du Diable calqués sur les différentes classes angéliques.

semblent

9) Membre du culte divin Les génies préposés au culte des grands dieux ne sont guère souvent mentionnés, même s'ils existent bel et bien dans la religion mésopotamienne. Les déesses LAMA sont certainement les divinités du culte les plus souvent mentionnées. Elles sont notamment en charge de conduire les prières des hommes aux grands dieux. La déesse Lama (le terme renverrait ici au nom propre d'une divinité bien précise, et non pas seulement à un terme générique) serait, dans certains textes sumériens, le vizir de Babal89. Ces divinités relient les hommes aux dieux par les prières qu'elles transmettent à ces derniers. C'est pourquoi, pour l'étude spécifique de ces êtres, nous renvoyons au chapitre ill, 2, p. 104 et suivantes. Si les déesses LAMA sont les plus connues par les textes et par l'iconographie, les divinités kâribu sont pourtant par définition les divinités en charge de la prière190. Cependant, notons tout de même qu'il y a une certaine ambiguïté quant au terme kâribu. En effet, il n'est pas certain que ce terme renvoie à une divinité particulière; il pourrait en effet n'être qu'un terme générique, désignant alors différentes divinités en soulignant leur fonction d'orants et d'intercesseurs, comme il semble que ce soit parfois le cas dans certains textes. Dans les textes ne sont mentionnées qu'un petit nombre de divinités en charge du culte, autres que celles chargées des prières. Cependant, on citera néanmoins Ninsar, qui a le rôle de sacrificateur à l'Ekur, le temple d'Enlil à Nippur ; Kusug, qui est le grand prêtre d'Anu ; Ninmada, qui est son orante; enfin, 189FOXYOG, D., HEIMPEL, W. et KILMER, A. D., 1983, p. 450. 190De même, pour l'étude de ces divinités, voir pp. 111-112.

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Nidaba, toujours dans l'entourage d'Anu, qui est "La Dame du Pur Trésor des Destins" 191. En revanche, chez les anges, nous sommes bien mieux documentés sur les êtres préposés au culte divin. Les anges résident en général au ciel, près du trône de Dieu, où ils l'adorent, c'est-à-dire qu'ils lui rendent un culte, notamment en assurant la liturgie autour de son trône192. Assurer la liturgie est ainsi la fonction des puissances. Plus simplement, les anges prient aussi Dieu. C'est le cas par exemple des archanges Phanuel, Raphaël, Mickaël et Gabriel à i Hén. XL, 3-9. De même, prier Dieu est l'une des fonctions des séraphins. Ce rôle n'est pas partagé par tous les anges, puisque les chérubins n'assurent pas cette fonction. Ils le louent ou le bénissent aussi. Ainsi, Ps. CXL VIII, 2 Y fait-il allusion: Louez-le, vous tous ses anges! toutes ses armées!

Louez-le, vous

De même, à Ps. CIII, 20 : Bénissez l'Eternel, vous ses anges, qui êtes puissants en force, et qui exécutez ses ordres, en obéissant à la voix de sa parole! Enfin, les anges chantent aussi la gloire de Dieu. Ainsi, à is. VI, 2-3 : Des séraphins se tenaient au-dessus de lui (...). Ils criaient l'un à l'autre, et disaient: "Saint,

191CONTENAU, Georges, 1947a, p. 142. 192 LANDSBERGER, Franz, 1947, p. 237 ; CAQUOT, André, 1971, pp. 130 et 139 ; DUCHET-SUCHAUX, Gaston et PASTOUREAU,Michel, 1994a, p. 25 ; BETZ, Hans-Dieter, 1995a, col. 232 ; MElER, Samuel A., 1995a, col. 84 ; METTINGER, Tryggve N. D., 1995b, col. 1402 ; VAN HENTEN, Jan Willem, 1995a, col. 93 ; VAN HENTEN, Jan Willem, 1995b, col. 152 ; GIORGI, Rosa, 2004, p. 330.

164

saint, saint est l'Eternel des armées! terre est pleine de sa gloire!" JO) Hiérarchie

Toute la

divine

La hiérarchisation des divinités est souvent liée à leurs fonctions, c'est pourquoi ce sujet s'intègre dans la troisième partie de cette étude. Les dieux mésopotamiens, aussi bien les divinités supérieures que les dieux secondaires, sont hiérarchisés193. Les grands dieux sont parfois regroupés en triades. Mais les dieux sont surtout liés par des rapports numériques. En effet, à chaque dieu est attribué un nombre, ce qui permet de les hiérarchiser. Ce système daterait du III"memillénaire avo J.-c. Deux systèmes se chevauchent: un système décimal, et un système sexagésimal. Ainsi, à Anu, dieu suprême, est attribué le nombre 60, le plus grand nombre de la hiérarchie (mais Anu est aussi parfois 3600) ; Ningirsu et Ellil sont 50 ; 40 est attribué à Ea, que l'on appelle aussi sanabi qui signifie deux tiers (Ea vaut les deux tiers d'Anu, puisque 40 est égal aux deux tiers de 60) ; Sîn est 30 ; Samas est 20 ; à IStar est attribué le nombre 15 ; Marduk est 10 ; enfin, Adad est 6. Notons ici que Marduk est certainement un ajout à la liste d'origine. En effet, son nom n'apparaît presque pas dans les textes du même millénaire. Quant aux divinités secondaires, elles se définissent parfois par référence à leur maître. Il en est ainsi des génies de la garde d'Istar: leurs noms se composent du signe d'IStar et d'un signe exprimant un rapport numérique. Ainsi, ces génies sont "un tiers" ou "deux tiers d'IStar", c'est-à-dire 5 ou 10 puisque le nombre d'Istar est 15. L'éclat divin pourrait être lié à ce nombre. En effet, Marduk, à qui est attribué le nombre 10, possède dix melammu, c'est-àdire dix éclatsl94. 193SOOERBLOM, Nathan, 1925, p. 88 ; CONTENAU, Georges, 1950, pp. 260 et 265 ; BOTTÉRO, Jean, 1952, p. 60 ; DESHAYES, Jean, 1969, p. 250 ; GARELLl, Paul et LEMAIRE, André, 1974, p. 168 ; BOTTÉRO, Jean et KRAMER, Samuel Noah, 1989, p. 673 ; JOANNÈS, Francis, 2000, pp. 126-127. 194CASSIN, Elena, 1968, p. 55.

165

En outre, toujours au sujet de Marduk, son nombre semble aussi lié à ses différents noms195. Cette divinité possède à l'origine dix noms, puis on lui en attribue quarante supplémentaires. Ainsi, dans L'Epopée de la Création, tab. VI, 1. 120-122, Marduk possède cinquante noms. Ce nombre s'expliquerait par le cumul de sa propre valeur (l0) et de celle de son père Ea (40). Cette somme (l0 + 40) correspond de plus avec un passage de L'Epopée de la Création (tab. I, 1. 103-104) décrivant Marduk possédant l'éclat de dix dieux (voir paragraphe précédent), auquel s'ajoutent les cinquante "rayonnements terrifiques" de son père. Le nombre de cornes de la tiare des dieux est lui aussi un coefficient de puissancel96. Ainsi, les taureaux ailés androcéphales possèdent bien souvent des tiares à plusieurs cornes (fig. 2), ce qui les place au-dessus des autres divinités secondaires 197. Enfin, parmi les divinités secondaires, certaines sont placées au-dessus des autres par leurs fonctions. Certains génies ont par exemple des rôles d'officiers ou de commandants. Par exemple, Ninsubur obéit à Inanna mais a sous ses ordres les autres servantes divines de la grande déessel98. De même, dans le zoroastrisme, les Amesha Spenta sont les subordonnés immédiats d'Ahura Mazdâ199. Eux-mêmes sont considérés comme supérieurs aux Yazata. Ainsi, d'après Masani, la distinction entre les Amesha Spenta et les Yazata 195BOTTÉRO, Jean et KRAMER, Samuel Noah, 1989, pp. 609, 644, et 672-673. 196BOTTÉRO, Jean, 1994a, p. 114. 197On pourra s'étonner de trouver des représentations de divinités secondaires dont la tiare possède plus de cornes que celle d'un grand dieu, alors que ce dernier leur est supérieur. En réalité, il semble que ce système de hiérarchisation ne fonctionne qu'au sein d'un même contexte (même lieu, même époque). Comparer deux représentations de divinités non contemporaines ou très éloignées n'a donc pas de sens. Ajoutons de plus que représenter un grand dieu avec une seule paire de cornes est aussi une sorte de "raccourci" : les comes sont là pour indiquer le caractère divin du personnage; représenter plusieurs paires de cornes est peut-être inutile dans le contexte paI1iculier de la représentation (on insiste alors sur le caractère divin, et non sur sa puissance), ou peut aussi poser des problèmes techniques de réalisation (surcharge iconographique au niveau de la tiare par exemple). 198WIGGERMANN, F. A. M., 2001, p. 496. Voir pp. 97 et 100. 199MASANI, R. P., 1939. p. 69; DUMÉZIL. Georges. 1945, p. la.

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serait la même qu'entre les archanges et les anges. Enfin, les daeva sont considérés comme des divinités inférieures2oo. A l'origine, les types d'anges autres que celui appelé mal' ak en hébreu (équivalant à la dernière catégorie dans la hiérarchie du Pseudo-Denys l'Aréopagite) sont des êtres non angéliques intermédiaires entre les hommes et Dieu. Ce n'est que plus tard qu'on les a considérés comme des catégories d'anges201. Le premier classement des différents types d'anges daterait au plus tôt du ref siècle ap. J._c.202 Dans Hiérarchie céleste, rédigé vers 510 ap. J.-c., le Pseudo-Denys l'Aréopagite203 classe les anges en trois triades204. Par ordre d'importance, la première triade se compose des séraphins, des chérubins et des trônes. La deuxième comprend les dominations, les vertus et les puissances. Enfin, la troisième triade compte les principautés, les archanges et les anges (messagers). La nature et les fonctions des anges de chaque triade sont liées à leur place hiérarchique. La première triade se caractérise par sa proximité immédiate avec Dieu205. Les anges qui en font partie entourent Dieu et font preuve d'une adoration perpétuelle. Séraphin signifie celui qui brûle. Chérubin quant à lui signifierait masse de connaissance ou effusion de sagesse. Quant aux trônes (en grec thronoi), ils reçoivent et portent Dieu. Ils sont la personnification du trône de Dieu. Ils seraient aussi des miroirs sur lesquels se reflète le jugement de Dieu. Dans la Bible, le terme trône n'est mentionné qu'une seule fois avec le sens d'être angélique, à Col. r, 16. Ils sont aussi cités dans un récit apocryphe, 2 Hén. XX, 1.

200

Du BREUIL, Paul, 1982, p. 29. 201LANDSBERGER,Franz, 1947, pp. 232 et 247. 202AUNE, David E., 1995, col. 148. 203Cet auteur du V'n" et VI'n" siècles ap. J .-c. a rédigé différents ouvrages sous le nom du premier évêque d'Athènes, Denys l'Aréopagite, qui vécut au l'' siècle ap. l-C. Le préfixe "pseudo" lui a été ajouté postérieurement pour l'en différencier. 204ROQUES, René in PSEUDO-DENYSL'ARÉoPAGITE, 1970, pp. XLVIII-XLIX. 205ROQUES, René in PSEUDO-DENYS L'ARÉOPAGITE, 1970, pp. XLIX et LI-LII ; HALL, James, 1994b, pp. 44 et 45 ; DE lONGE, Marinus, 1995, col. 1628, 1630 et 1631 ; GIORGI, Rosa, 2004, p. 295.

167

La deuxième triade est plus éloignée de Dieu que la première206. La volonté ou les ordres de Dieu lui parviennent donc par l'intermédiaire de cette dernière. Son rôle est de régir les étoiles et les éléments. Les dominations doivent leur nom au fait qu'elles tendent à ressembler à Dieu, leur maître (en grec kuriotêtes, en latin domini, c'est-à-dire maître). Elles sont totalement tournées vers Dieu et sont émancipées des bassesses de notre monde. Les dominations sont citées deux fois dans le Nouveau Testament, à Ep. I, 21 et à Col. I, 16, ainsi qu'à 1 Hén. LXI, 10, et 2 Hén. XX, 1. Les vertus quant à elles imitent la vertu divine. Leur nom (en grec dynamis) désigne un pouvoir supérieur aux autres anges, ainsi que la délégation du pouvoir de Dieu. Elles reçoivent la lumière divine et la transmettent aux hommes. Enfin, les puissances (en grec exousiai) imitent le Principe divin. Leur rôle est lié à la liturgie. La dernière triade se compose d'anges qui sont en contact avec les hommes207. Le rôle des principautés est de protéger les royaumes de la terre. Leur nom, en grec archai, en latin principia, leur donne un rang supérieur aux simples anges. Les principautés ont donc un rôle de commandement à l'image de Dieu. Le terme peut désigner des anges, mais aussi des hommes, d'où parfois une certaine confusion208. Les archanges commandent aussi aux anges. Les archanges avaient également la fonction de messagers, ainsi qu'une fonction tutélaire. Le terme (archaggeloi en grec, archangeli en latin) ne figure pas dans l'Ancien Testament, mais seulement au Nouveau. D'après C. 206ROQUES, René in PSEUDO-DENYS L'ARÉOPAGITE, 1970, pp. UV-LV; HALL, James, 1994b, pp. 44 et 45 ; BETZ, Hans-Dieter, 1995a, col. 232 ; BETZ, Hans-Dieter, 1995b, col. 510; VAN DER HORST, Pieter W., 1995, col. 498; GIORGI, Rosa, 2004, p. 295. 207 ROQUES, René in PSEUDO-DENYS L'ARÉOPAGITE, 1970, pp. LV-LVI; DUCHETSUCHAUX, Gaston et PASTOUREAU,Michel, 1994b, p. 45 ; HALL, James, 1994b, pp. 44 et 45 ; AUNE, David E., 1995, col. 144 et 146 ; COLLINS, John J., 1995, col. 641 ; MACH, Michael, 1995a, col. 1067 ; VAN HENTEN, Jan Willem, 1995b, col. 150 ; GIORGI, Rosa, 2004, p. 295. 208 A cette confusion s'en ajoute une seconde: les principautés se confondent parfois avec les puissances et les vertus.

168

Fontinoy, l'archange pourrait être d'origine perse. En revanche, d'après W. Bousset et H. Gressmann, il résulterait d'une influence babylonienne. Malgré leur statut, certains archanges sont de haut rang. Ainsi, à 2 Hén. XXIV, 1, Gabriel est assis sur la main droite de Dieu, et à 1 Hén. XL, 9, il est considéré comme étant au-dessus de tous les autres êtres angéliques. Mickaël quant à lui est le chef des anges, par exemple à 1 Hén. XXIV, 6. Enfin, les anges ont un rôle d'annonceurs et de messagers. Comme nous l'avons déjà vu, cette dernière fonction est la mission première de l'ange car son nom hébreu signifie messager. Enfin, dans l'islam, les djinn étaient sous les ordres de supérieurs de même nature qualifiés de chefs ou de princes209.

209

TRITTON, Arthur

Stanley,

1934, p. 717.

169

Conclusion

La question centrale de cette recherche - et qui a d'ailleurs donné son titre à ce livre - était de savoir si la figure de l'ange dérivait ou non de celle du génie mésopotamien, ou plus généralement proche-oriental. Répondons donc franchement à la question: oui, l'ange de la Bible a hérité de nombreux traits proche-orientaux. Mais entre les héritages avérés, les suspicions de liens entre modèles, et les simples ressemblances sans connexion, il convient de faire une synthèse de la question. Avant tout, il apparaît que les génies et les anges ont une conception similaire. Il est par conséquent possible d'en déduire une même définition. Ces deux types d'êtres sont de nature divine, puisqu'ils descendent ou ont été créés par un ou des dieux supérieurs. Cependant, ce sont là des divinités secondaires, inférieures à leurs ascendants ou leur créateur, et qui ont un rang intermédiaire entre les hommes et les grandes divinités. Leur rang est d'ailleurs soumis à la volonté de ceux qui sont au-dessus d'eux, car les génies comme les anges peuvent être déchus et chassés des cieux. Enfin, que ce soit dans les écrits mésopotamiens ou bibliques, quelques rares divinités secondaires se différencient en possédant un nom propre et une véritable personnalité. Nul doute que le concept de divinité subalterne, que nous venons de définir, est une création proche-orientale qui s'est diffusée dans tout le bassin méditerranéen. C'est ce concept qui est à l'origine du modèle de l'ange, avec, bien entendu, une adaptation à l'originalité de la religion hébraïque: le 171

monothéisme. L'ange est soumis à Dieu plus encore que le génie à son maître, puisqu'il ne sert qu'un seul dieu; le panthéon angélique est simplifié, les différences entre les anges (de formes, de fonctions, de personnalités) atténuées, le bestiaire di vin (bénéfique ou maléfique) restreint: il faut se concentrer sur le Texte et ses fondements, sur la foi plutôt que sur le folklore, mais aussi éviter l'adoration d'autres dieux; enfin, la notion de divinité inférieure est aussi un très bon moyen, pour le monothéisme hébreu naissant, d'incorporer les divinités concurrentes de Yahvé. Au sujet des modèles iconographiques, de très nombreux points communs ont été mis en évidences. Ces modèles relèvent de deux types: les apparences hybrides et les apparences anthropomorphes. Cependant, quelle que soit l'apparence des génies et des anges, nous observons certaines constantes. En premier lieu, la capacité de se rendre invisible. De même, du corps se dégage toujours une lumière divine. Sur ces points particuliers, il est bien difficile de dire si nous avons ici un héritage proche-oriental transmis aux anges. Le caractère di vin qui transcende le corps, par la lumière divine qui émerge de la chair, ou par l'absence d'image (autre effet du divin sur la matière: là encore, la divinité joue avec la lumière), est une constante dans bien des civilisations et ne révèle pas forcément une transmission. Néanmoins, la notion de splendeur a pu être transmise aux anges par l'intermédiaire d'un modèle particulier, celui du nimbe. Il semble également que les génies et les anges soient tous dépourvus d'ailes à l'origine puis, dans un second temps, en sont presque tous dotés. Cependant, nous pensons que ces deux développements, bien que similaires, ne sont pas liés. Il est plus vraisemblable qu'un même raisonnement soit la cause d'une même évolution: ces créatures se sont vues dotées d'ailes en raison de leurs caractères céleste et messager. Notons tout de même qu'au sujet des anges, il est possible que les Victoires aient joué un rôle dans l'adjonction de cet élément, même si cette thèse est parfois réfutée.

172

Quant aux différentes apparences corporelles, extrêmement variées chez les génies, celles-ci ne sauraient faire l'objet d'un recensement de ce qui ne correspond pas à une transmission avérée chez les anges: la tâche serait fastidieuse et sans intérêt. Nous reviendrons néanmoins sur les images corporelles divines lorsque nous ferons le bilan de l'héritage proche-oriental des anges. Néanmoins, nous souhaitons tout de même attirer l'attention sur une idée reçue très diffusée dans les ouvrages non-scientifiques: en l'état actuel des recherches, nous n'avons aucun élément permettant d'envisager que la figure du génie anthropomorphe ailé (dont le représentant le plus connu est très certainement le génie des palais néo-assyriens) ait transmis son image à l'ange biblique. Le concept s'est certainement transmis, de manière indirecte, à l'être angélique, mais certainement pas le modèle iconographique. L'apparence anthropomorphe de l'ange n'est probablement pas due à la transmission d'une image, mais plutôt à la conception d'une cour divine effacée devant Dieu. Il n'y a pas la place pour des divinités subalternes qui se distingueraient (dans le cas présent, par l'apparence), au risque de devenir compétitrices de Yahvé. Les génies et les anges font en outre partie d'une structure très organisée. En premier lieu, ils évoluent autour d'une divinité supérieure qu'ils servent. Cette organisation est une véritable cour divine. Chez les Mésopotamiens, celle-ci est imaginée à l'image des cours royales: on retrouve chez les membres de cette société les mêmes fonctions que sur terre, des plus prestigieuses comme le vizir, aux plus subalternes comme les portiers, les coiffeurs ou même les manucures. Chez les Hébreux, la cour de Yahvé ne comporte pas de tels corps de métiers. En revanche, elle est bien pensée à l'image de la royauté: un être supérieur règne au-dessus d'êtres subalternes à son service. Dans les deux cas, l'organisation est copiée sur celle des hommes. Il n'y a donc pas emprunt des anges aux génies. Dans le cas de la cour divine mésopotamienne, on n'a fait que transposer des êtres divins à une structure absolument identique à celle des hommes; la cour de Yahvé s'éloigne en revanche un peu plus des cours royales, 173

mais le concept du pouvoir absolu d'une entité sur toutes les autres est conservé. De même, la hiérarchisation des génies et celle des anges ne sont vraisemblablement pas non plus liées. Dans les deux cas, le rapport instauré entre les divinités secondaires (et même supérieures chez les Mésopotamiens) est dû à une même volonté d'organisation et de rationalisation du panthéon qui s'est progressivement établi sur des périodes très longues. Parmi les fonctions assurées par les divinités subalternes mésopotamiennes et bibliques, certaines ont été transmises aux anges par les génies; d'autres en revanche ne leur sont pas imputables. Parmi celles-ci figure la divinité psychopompe. Que ce soit dans les textes mésopotamiens ou bibliques, la mort n'est pas une fin en soi. Les Mésopotamiens croyaient en effet en un endroit où les esprits résidaient après la mort physique. Cependant, la conception mésopotamienne de l'après-vie est tout autre que celle de la Bible, car l'esprit s'enferme dans un état morne ou apathique qui ne correspond ni aux tourments des Enfers bibliques, ni à la félicité du paradis céleste. La croyance à l'existence de cet endroit a conduit selon le même raisonnement à concevoir un moyen d'y mener l'esprit. Sans qu'il n'y ait forcément transmission d'un archétype mésopotamien, le moyen imaginé a été le même: un être divin guidant l'esprit vers son dernier lieu. Les armées divines que l'on trouve parfois dans les mythes mésopotamiens et dans l'Ancien Testament ne semblent pas liées entre elles. De plus, les groupes militaires divins mésopotamiens sont le plus souvent décrits dans les textes comme des rassemblements guerriers occasionnels, au contraire de "l'armée du ciel", beaucoup mieux structurée, qui officie sous les ordres de Yahvé. On notera, à l'instar de la cour céleste de Dieu, que l'armée du ciel est calquée sur le modèle terrestre. Quant au service du culte, génies et anges ne sont là encore pas en connexion. Dans les deux cas, c'est la volonté de renforcer la dévotion et le pouvoir spirituel du dieu qui est à l'origine d'une conception similaire. Le dieu dispose de deux 174

types de cultes qui lui sont dédiés: le culte terrestre assuré par les hommes, et le culte céleste effectué par des entités divines à son servIce. En revanche, certaines fonctions sont de toute évidence des emprunts au monde proche-oriental. On retrouve ainsi des prototypes d'anges messagers dans de nombreuses civilisations. Ce concept s'est beaucoup diffusé puisqu'on retrouve des êtres ayant la fonction de messagers ou d'intermédiaires entre l'homme et son dieu dans tout le bassin méditerranéen. Le modèle le plus ancien est bien le génie mésopotamien. L'autre grande fonction des anges, à savoir la protection de l'homme par ceux que l'on appelle communément les "anges gardiens", se retrouve chez les génies mésopotamiens, mais aussi chez les Zoroastriens, les Grecs et les Romains. Le concept a pu se développer et se diffuser à travers ces civilisations avant de donner le modèle anthropomorphe que nous connaissons. Là encore, le modèle le plus ancien est mésopotamien. Ce concept s'est très certainement diffusé de concert avec la figure de la divinité subalterne messagère. Le rôle de gardien des anges est de toute évidence une fonction héritée des génies ou des hybrides du Proche-Orient. Le lion puis le sphinx jouaient déjà ce rôle en Egypte, et même en Assyrie. Le sphinx est vraisemblablement à l'origine de la fonction de gardien du chérubin sur le tabernacle, puis dans le Temple de Salomon. Le taureau ailé androcéphale, qui tout comme le sphinx a inspiré le modèle iconographique du chérubin, a lui aussi probablement transmis son rôle de gardien à cet ange. De même, la fonction de gardien de l'arbre de vie du chérubin proviendrait des génies du Proche-Orient. C'était notamment la fonction du sphinx, et avant lui du griffon. D'ailleurs, on retrouverait peut-être dans la peinture de l'Investiture de Mari le prototype du jardin d'Eden dont les deux arbres sont gardés notamment par un sphinx et un griffon. Enfin, les anges associés au trône divin, et notamment les chérubins, dérivent encore une fois des sphinx. En effet, les sphinx soutenaient les trônes en Egypte, en Syrie et en Palestine. 175

Maintenant que nous voyons plus clair dans les éléments mésopotallÙens ou proche-orientaux repris ou non par les anges, essayons à présent de voir quelles sont les figures dont nous sommes capable de retracer l'évolution. L'ange en tant que catégorie doit son nom hébreu à sa fonction de messager. Comme nous l'avons dit, cette fonction est un héritage proche-oriental. Son apparence anthropomorphe ainsi que ses ailes pourraient provenir de modèles grecs ou romains, les Victoires. Quant au chérubin, son nom semble provenir de celui du génie kâribu dont on ne connaît pas la forme mais dont le nom pouvait qualifier par extension différentes sortes de génies. Le terme kâribu serait donc passé en hébreu sous la forme kerûbfm. Son apparence semble être multiple. Les visions d'Ezéchiel s'inspirent vraisemblablement des taureaux ailés androcéphales (parfois considérés comme des dieux kâribu) qu'Ezéchiel a vus lors de sa déportation à Babylone au Vrme siècle avo J.-c., auxquels s'ajoutent le modèle mésopotamien d'un être hybride à plusieurs faces. Les quatre ailes dont il dispose pourraient aussi provenir de génies dont certains sont effectivement munis. En revanche, les chérubins du Temple renvoient plutôt à l'image du sphinx. Le fait qu'à l'image des chérubins, les sphinx soient souvent les assesseurs des trônes, notamment en Egypte, nous incite à penser que ceux-ci avaient l'apparence du sphinx dans le Temple de Salomon. De même, le fait que la fonction de gardien de l'arbre de vie ait vraisemblablement été empruntée par le chérubin au sphinx, comme le démontrent les plaquettes de Samarie et de Megiddo ou encore la peinture de l'Investiture, abonde dans ce sens. Enfin, le graffiti représentant un sphinx retrouvé dans les "carrières royales" de Jérusalem est un argument de plus pour cette thèse. Le chérubin possède donc un nom d'origine akkadienne et une image et des fonctions héritées d'êtres mésopotamiens et égyptiens. Enfin, le nom du séraphin provient de l'urœus égyptien qui était représenté par un cobra à col noir appelé en hébreu siiriip, exactement comme le séraphin. Tout comme le chérubin, ses 176

ailes proviennent orientaux.

vraisemblablement

de modèles

proche-

Pour terminer, nous voudrions attirer l'attention sur deux éléments majeurs qui émergent de cette étude. Tout d'abord, nous n'insisterons jamais assez sur l'importance du contexte dans l'élaboration et la diffusion des modèles. Les figures angéliques que nous venons d'étudier ont connu une longue élaboration, se sont diffusées et ont évolué sous des influences multiples dans une région particulièrement riche et dynamique en matière d'iconographie. Des modèles le plus souvent mésopotamiens ou égyptiens ont pénétré la sphère syro-palestinienne, puis ont été modifiés par des courants phéniciens, grecs ou même romains pour au final donner les figures d'anges que nous connaissons aujourd'hui. Nous observons d'ailleurs à l'époque hellénistique une multiplication des anges dans les écrits. Durant cette période où les cultures babylonienne et grecque sont en contact étroit, le thème par exemple de l'ange déchu est très présent dans les récits. De même, le thème de l'ange psychopompe semble apparaître à cette époque. Remarquons enfin que ces figures continuent à évoluer par la suite, puisque au Moyen Age et à la Renaissance apparaissent des figures modifiées ou même nouvelles, à l'instar des putti - ces petits angelots bien potelés - de l'époque moderne. Enfin, il apparaît très clairement que l'exil des Hébreux au Vlèmesiècle avo J.-C. a constitué un tournant dans la conception du divin et de sa manifestation, et notamment en ce qui concerne l'angélologie. Ainsi, avant la déportation à Babylone, Yahvé s'adresse le plus souvent directement à l'homme par le prophète. En revanche, après l'exil, ce sont les anges qui transmettent le message de Dieu. En outre, leur forme préexilique est humaine, alors que par la suite ils adoptent une apparence hybride, notamment avec Ezéchiel. Enfin, les premiers noms propres d'anges apparaissent aussi lors de ce retour. La confrontation à l'iconographie et aux mythes mésopotamiens, mais aussi au zoroastrisme, a influencé et modifié de manière profonde les modèles angéliques. Il en 177

résulta une nouvelle façon de concevoir l'ange qui évolua dans ses aspects et ses fonctions pour donner les nombreux modèles que le Pseudo-Denys l'Aréopagite classa au début du Vlèmc siècle de notre ère.

178

Table des figures Fig. 1 :

Urœus de la couronne

de Ramsès

II

Fig. 2 : Lamassu, taureau ailé androcéphale Fig. 3 : Figure inscrite dans un disque ailé Fig.4 : Mushussu, dragon-serpent.. Fig.5 : Suhurmassu, poisson-chèvre Fig. 6 : Apkallu, démon-griffon tenant une situle et une pomme de pin Fig.7 : Ugallu Fig.8 : Sphinx dans un décor de fleurs de lotus Fig. 9 : Girtablullû, homme-scorpion Fig. 10 : Kulullû, homme-poisson Fig. Il : Urmahlullû, lion-centaure Fig. 12: Kusarikku, homme:taureau, et déesse LAMA Fig. 13 : Uridimmu, homme-lion Fig. 14: Taureau androcéphale avec un aigle léontocéphale sur le dos ... Fig. 15 : Scène de présentation à EnId par Isimu Fig. 16 : Lion à têtes d'homme et de lion Fig. 17 : Trajets possibles de l'exil des Judéens à Babylone Fig. 18: Lamassu et génies anthropomorphes ailés Fig. 19 : Peinture de l'Investiture Fig. 20 : Griffon Fig. 21 : Stèle représentant des divinités anthropomorphes et hybrides ... ... Fig. 22 : Introduction et intercession assurées par deux déesses LAMA Fig. 23 : Pazuzu Fig. 24 : Plaque des enfers 179

26

38 .4 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 72 73 78 81 83 84 88 107 122 123

Fig. Fig. Fig. Fig. Fig.

25 26 27 28 29

: Tête de Humbaba : Génie anthropomorphe : Génie au clou : Galet de Puzur-Insusinak : Taureau ailé androcéphale peint...

Schéma 1 : Hommes et divinités

180

125 126 127 128 139 41

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