L'envie, une stratégie - Quand l'enthousiasme stimule la performance de l'entreprise 9782100723751

L’envie est un puissant remède contre le défaitisme et le repli sur soi. Un antidote au pessimisme trop largement répand

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L'envie, une stratégie - Quand l'enthousiasme stimule la performance de l'entreprise
 9782100723751

Table of contents :
Remerciements
Préface
Avant-propos
1 L'envie, un puissant générateur d'engagement
2 Au nom de la performance, les entreprises détruisent l'envie qui fait la performance
3 Osons une stratégie de l'envie
Conclusion : Dans l'entreprise, à l'école, dans les médias et en politique, façonnons un monde débordant d'envie
Table des matières

Citation preview

. , envie,, .

une strateg1e Quand l'enthousiasme stimule la performance de l'entreprise

Olivier BAS

Préface de Yannick Bolloré

DUNOD

Couverture : Création de Bertrand Georgeon et Berangère Roqueplo Le pictogramme qui figure ci-contre d'enseignement supérieur, provoquant une baisse brutale des achats de livres et de mérite une explication. Son objet est revues, au point que la possibilité même pour d'alerter le lecteur sur la menace que les auteurs de créer des oeuvres représente pour l'avenir de l'écrit, particulièrement dans le domaine DANGER nouvelles et de les faire éditer cor­ de l'édition technique et universi­ rectement est aujourd'hui menacée. taire, le développement massif du Nous rappelons donc que toute photocopillage. reproduction, partielle ou totale, Le Code de la propriété intellecde la présente publication est tuelle du 1 e, juillet 1992 interdit LE PHOTOCOPILLAGE interdite sans autorisation de l'auteur, de son éditeur ou du en effet expressément la photoco- TUE LE LIVRE Centre français d'exploitation du pie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or, cette pratique droit de copie (CFC, 20, rue des s'est généralisée dans les établissements Grands-Augustins, 75006 Paris).

@)

© Dunod, Paris, 2015 5 rue Laromiguière, 75005 Paris www.dunod.com ISBN: 978-2-10-072375-1 Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article ° ° L. 122-5, 2 et 3 a), d'une part, que les« copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective» et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constitue­ rait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À Tom, Betty, future poupette, et Céline qui décuplent mon envie de vivre.

Remerciements

D

ans cet ouvrage, plusieurs dirigeants ont accepté de donner leur point de vue sur cette question de l'en­ vie dans l'entreprise. Ils n'ont pas répondu favora­ blement par hasard, ils l'ont fait d'abord parce qu'ils sont sensibles aux sujets. Ils l'ont fait aussi car ils savent l'impor­ tance des hommes et des femmes dans la réussite de leur entreprise.

Merci à Antoine Frérot (Veolia Environnement), à Denis Olivennes (Lagardère Active), à Frédéric Lavenir (CNP Assurances), à Stéphane Richard (Orange), à Thierry Blandinières (lnVivo) et à Benjamin Barbé, jeune entre­ preneur, cofondateur de la start-up Pandasuite, pour leurs témoignages éclairés qui m'ont inspiré. Merci à Yannick Bolloré et à Jacques Séguéla pour leurs encouragements et leurs conseils. Ils ont tous deux cette propension vivifiante à entreprendre avec optimisme. Merci à Stéphane Fouks pour sa confiance qui m'a permis de mettre en pratique, dans les plus grandes entre­ prises, mes idées sur l'envie. Merci aussi à Robert Zuili. Son puissant modèle sur les émotions et sa joie de vivre m'ont beaucoup aidé.

Préface

J

e suis très heureux qu'Olivier Bas ait enfin écrit le récit de la passion qui l'anime. Une passion qui transmet de l'énergie positive et de l'envie !

Quand il m'a proposé de le préfacer,je me suis immédia­ tement remémoré notre première rencontre, il y a cinq ans, à mon arrivée chez Havas, lorsque je rencontrai les princi­ paux talents du groupe (ie préfère l'usage du mot« talents» à celui de l'expression « ressources humaines» ...). Je me rappelle très bien avoir été séduit par Olivier Bas. Séduit par l'homme tout d'abord ! Vous devez vous figurer un quadra à l'accent du Sud, charmeur et charisma­ tique,qui sait vous nourrir de sa passion tout en vous faisant passer un agréable moment en l'écoutant. Séduit aussi par son expertise. Olivier Bas est certaine­ ment l'un des meilleurs experts de sa génération dans ce qu'il convient d'appeler « la communication de mobili­ sation». Cette forme d'expression est clé dans la réussite d'une entreprise. Séduit également par la facilité d'exécution de son approche. Dès que j'ai eu la responsabilité de diriger Havas, j'ai réalisé à quel point stimuler l'envie de nos IX

L'envie, une stratégie

16 000 collaborateurs à travers le monde nous permettrait de devenir plus attractifs pour nos talents et pour nos clients. Dans un groupe de communication comme Havas, nos collaborateurs sont notre seul actif. Pas de machines, d'usines ou de brevets, simplement des femmes et des hommes qui viennent le matin et repartent le soir ! Havas dispose de grands talents. Je suis convaincu que notre capacité à décupler leur envie crée un cercle vertueux de succès pour eux et pour l'entreprise. C'est également un puissant avantage compétitif par rapport à nos concurrents et une valeur ajoutée pour nos clients. Vous lirez dans ce livre des exemples édifiants des effets produits par une stratégie de l'envie. Je suis certain que nous nous reconnaîtrons tous dans ces exemples. Je souhaite que le livre d'Olivier Bas vous procure, comme à moi, l'envie de mettre en place une stratégie de l'envie au sein de votre entreprise ! Yannick BOLLORÉ Président directeur général de Havas

X

Avant-propos

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1 m'aura fallu vingt ans pour écrire ce livre. Vingt ans à conseiller les entreprises sur les questions de manage­ ment, de communication et de changement. Vingt années pendant lesquelles j'ai vu les mêmes causes produire les mêmes effets, avec au fil du temps des causes de plus en plus destructrices et des effets de plus en plus dévastateurs. Comment a-t-on pu faire de certaines entreprises un lieu de coercition où les salariés sont parfois niés en tant qu'êtres humains pour n'être que des compétences, des ressources et, in fine, des variables d'ajustement? Comment est-il possible que l'entreprise qui, pour moi, est un lieu de cohésion sociale, de réalisation personnelle et, j'ose le dire, de plaisir, soit devenue un lieu d'isolement et de mal-être, parfois même de souffrance? Comment ou plutôt pourquoi? Les entreprises, à trop vouloir analyser, rationaliser, maîtriser la complexité du monde économique pour élaborer des stratégies gagnantes, sont passées à côté d'une évidence : rien de grand ne se bâtit sans envie, rien de durable non plus. Bien sûr, tout décideur sait que l'engagement des sala­ riés est indispensable à la réussite de son entreprise, mais cet engagement a été réduit à une question de« motivation».

L'envie, une stratégie

La somme des motivations ne crée pas d'envie collective. Depuis plus de vingt ans,au nom de la performance,l'envie des salariés est détruite sous la pression de la financiari­ sation et de la mondialisation de l'économie. Longtemps, le management intermédiaire et la communication ont joué un rôle d'amortisseur. Aujourd'hui, ces amortisseurs ne fonctionnent plus ; pire,ils accentuent le phénomène. Et les patrons, en ignorant la maxime de Paul Valéry, « la raison règne, les émotions gouvernent », accélèrent eux aussi cette destruction de l'envie. Dans une économie mondialisée, les entreprises s'em­ ploient à investir toutes leurs énergies dans la recherche de performance mais elles en ont oublié son plus formi­ dable générateur : l'envie. Quelle entreprise a aujourd'hui construit une véritable « stratégie de l'envie» ? Comment les dirigeants peuvent-ils regénérer l'envie des salariés ? Comment la communication peut-elle contribuer à susciter de l'enthousiasme ? Comment aider les mana­ gers à fabriquer de l'optimisme ? Comment les directions des ressources humaines doivent-elles repenser certaines de leurs pratiques pour réveiller l'envie de bonheur qui sommeille en toute entreprise ? C'est notre responsabilité collective de nous poser ces questions essentielles.

2

l L'envie, . , , un puissant generateur d'engagement

L'envie, un p uissant générate ur d'engagement

L

a France est dans le top 20 des pays où il fait bon vivre. Elle est classée au 7e rang mondial en termes de bien­ être matériel. C'est l'un des plus beaux pays du monde par ses paysages, sa richesse culturelle et sa gastrono­ mie. 85 millions de personnes en sont convaincues, elles le visitent chaque année. Nous vivons une époque formi­ dable où le progrès technologique nous permet d'accéder au savoir et d'être connectés au monde en quelques clics. Le progrès scientifique permet à ceux qu'on aime de vivre plus longtemps et en meilleure santé. Le progrès technique nous facilite la vie et améliore nos conditions de travail. En France, 17 000 brevets sont déposés chaque année classant notre pays au 2 e rang européen. Dans cinq ans, presque 25 % de notre production d'énergie sera renouvelable. Nous vivons dans un pays démocratique où les médias sont libres. Nous n'avons pas connu la guerre depuis plus de 50 ans, et l'équipe de France de football nous fait à nouveau vibrer. Pourtant, les visages que nous croisons dans la rue sont rare­ ment souriants, les sentiments chaleureux et la sympathie ne s'expriment pas beaucoup, l'air du temps est morose. Le Français aurait-il une carence en optimisme ? Chaque année, presque 10 % des livres édités sont consacrés aux sciences humaines et au développement personnel. Plus d'une dizaine de titres en kiosque (Bonheur, Clés, Psychologie Magazine, Psycho, Happinez . . .) traitent de ces sujets, avec une diffusion de plus d'un million d'exemplaires et des ventes en progression de plus de 80 % . Les Français veulent comprendre ce qui ne tourne pas rond. Ils sont perdus et cherchent à trouver en eux-mêmes les réponses pour apai­ ser leurs tourments et pacifier leurs relations. 5

L'envie, une stratégie

L'entreprise est le miroir grossissant de ces états d'âme. Elle est à la fois le lieu qui aggrave insidieusement ce mal-être et l'endroit où il s'exprime, provoquant des effets amplifica­ teurs. Le monde du travail est devenu apathique, l'énergie y est plus rare, les émotions plus négatives, le dynamisme plus ralenti. Nous souffrons d'un déficit d'envie. Comment retrouver cette envie essentielle, ce désir de réussir qui donne à un collectif l'énergie de s'engager et lui procure la fierté du succès?

l'envie et le désir, des « obiets » obscurs ? À celui qui passe son temps à dire« j'ai envie de», on rétorque souvent qu'il est un égoïste. L'envie n'a pas très bonne réputa­ tion. Ce terme est souvent assimilé au mot « envieux» à connotation péjorative. Pourtant, avoir envie, n'est-ce pas aussi irréfutablement la preuve que l'on est en vie? Mais qu'est-ce que l'envie, le désir? J'ai d'abord consulté le dictionnaire. « L'envie» y est définie comme le désir soudain de posséder ou de faire quelque chose. J'ai donc cher­ ché la définition du mot « désir ». Il est défini comme « un souhait, un vœu, une appétence». J'ai regardé sur Internet, Google m'a proposé d'étendre ma recherche avec le diction­ naire sexuel en ligne, rien de très éclairant. J'ai poursuivi avec les synonymes. Ils en disent long sur le sens impli­ cite d'un mot. J'ai été surpris du nombre de synonymes à connotation négative comme « concupiscence», « convoi­ tise», « cupidité», « tentation» ou encore « caprice». 6

L'envie, un p uissant générate ur d'engagement

Mais c'est avec l'étymologie que le mot« désir» a pris un sens plus précis. Il vient du latin desiderium, desiderare qui signifient« le désir de quelque chose que l'on a eu ou connu et qui fait défaut» ; ou encore « regretter la perte de» (notion voisine de la« nostalgie» ). Les Augures qui, comme chacun sait, parlaient latin, employaient conside­ rare pour dire « contempler un astre» et desiderare pour « regretter l'absence d'astre». Il est frappant de constater que le terme « désir» est, dans la plupart des disciplines (philosophie, psychanalyse, psychologie), influencé par son sens latin. Il y est traité comme une tentation, une pulsion, un mouvement instinc­ tif qui traduit chez l'Homme la prise de conscience d'une incomplétude et d'une frustration. Platon, dans Le Banquet, affirme : « On ne désire que ce dont on manque. » Depuis Platon, le désir est rangé du côté de l'irrationnel. C'est un état de manque qui nuit à la liberté et qui aliène. Il éloigne de l'autonomie et de la rationalité. Beaucoup de penseurs ont donc cherché à se détacher du désir ou à le maîtriser. Il s'agit pour eux de dominer le désir, de restreindre son emprise. Bertrand Russell 1 affirmait que l'envie était la plus importante des causes de malheur moral. L'envie, selon lui, est un ressen­ timent et une frustration face au bonheur d'autrui ou à ses avantages. On reconnaît l'ancrage du désir et de l'envie mais on ne l'accepte pas comme une réalité digne de la nature humaine au même titre que la raison. 1. Mathématicien, philosophe, homme politique et moraliste britannique considéré comme l'un des plus importants philosophes du xxe siècle.

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L'envie, une stratégie

La psychanalyse quant à elle, de Freud à Lacan, dévelop­ pe l'idée d'un désir (inconscient) lié à un état de manque. C'est dans sa théorie du rêve (L 'Interprétation des rêves, 1900) que Freud définit le plus précisément ce qu'il entend par « désir». Sa démonstration est fondée sur ce qu'il appelle« l'expérience de satisfaction» : la perception d'un objet (ou d'un sujet) capable de satisfaire un besoin crée une « image mnésique» (trace restée dans la mémoire). Cette image est associée à l'excitation résultant du besoin. Dès que ce besoin surgit à nouveau et qu'il n'est pas possible de le satisfaire, il se produit une tension qui cherche à réin­ vestir cette image mnésique. C'est cette tension que Freud nomme« désir». Lacan s'est attaché à remettre au premier plan de la théo­ rie analytique la notion de « désir» découverte par Freud. C'est ainsi qu'il a distingué la notion de « désir» de la notion de « besoin» avec laquelle elle est souvent confon­ due. Le besoin vise un objet précis et s'en satisfait. De la perte de cet objet naîtra la formation d'un désir, une repré­ sentation imaginaire de l'objet perdu. La psychologie, pour sa part, appréhende le désir comme une réponse à un manque, tout en y intégrant une fonction symbolique. D'un point de vue psychologique, le désir est une tendance consciente qui s'accompagne de la représen­ tation du but à atteindre et de la volonté de mettre en œuvre des moyens pour y parvenir. La différence entre le besoin et le désir? Le besoin se définit par sa fonctionnalité, son adéquation à une finalité. L'objet du désir représente quelque chose d'autre que lui8

L'envie, un p uissant générate ur d'engagement

même. Il y a dans le désir une dimension symbolique puis­ sante. L'objet est désiré parce qu'il faut« être cet objet». C'est cette distinction que les publicitaires ont largement investie en s'employant à susciter le besoin de posséder tel ou tel objet pour sa fonctionnalité mais aussi à activer le désir en montrant des personnes ou des situations idéales auxquelles chacun veut s'identifier à travers la consomma­ tion de l'objet. En revanche, les théories du management ont peu investi le champ du désir et de l'envie au travail. Il existe peu d'ouvrages sur le sujet, si ce n'est pour traiter du désir dans ses dimensions négatives comme la jalousie ou la convoitise. Il est temps de redonner au désir et à l'envie une place de choix dans la réflexion sur l'efficacité du management des entreprises et, au-delà, sur leur performance. Réinvestissons cette notion avec une approche différente, une définition plus positive. L'envie est un désir qui inspire la volonté d'agir et alimente le besoin de s'engager. L'envie est donc un puis­ sant moteur pour l'action, un moteur dont le carburant est constitué des émotions. Mais ce qui sous-tend cette volonté, ce n'est pas la réduction d'un état de manque, mais plutôt la recherche d'un épanouissement. Une forme de sérénité qui est, en termes d'émotion, la manifestation la plus forte et la plus pérenne de la joie. J'aime à penser que Spinoza était un grand théoricien de l'envie. Il expliquait que les facteurs qui augmentent 9

L'envie, une stratégie

notre puissance d'exister, notre conatus (corps et esprit), provoquent inévitablement en nous un affect de joie. Et inversement, tout facteur les réduisant déclenche imman­ quablement de la tristesse.

L'envie est au cœur du mécanisme complexe de l'engagement La crise que nous traversons est révélatrice des convictions réelles des entreprises en matière de ressources humaines. Il ne suffit pas, en période de croissance où les talents se font rares et les enjeux de fidélisation vitaux, d' affümer l'atten­ tion que l'on porte aux hommes et aux femmes. Il s'agit de continuer à être attentif à l'humain même quand le marché du travail inverse le rapport de force.

Au commencement était l'humain Essayons de répondre à cette question simple : Qu'est-ce qui est le plus déterminant pour la réussite d'une entre­ prise? Sa stratégie? Sa capacité d'innovation? Son orga­ nisation? Sa puissance commerciale? . . . La stratégie est pensée par des hommes et des femmes et sa réussite dépend en grande partie de la manière dont ils l'exécutent. L'innovation dépend de l'inventivité d'hommes et de femmes. Une organisation n'est pas bonne ou mauvaise dans l'absolu, c'est son fonctionnement qui est plus ou moins efficace et cela dépend en grande partie de la manière dont les hommes et les femmes y travaillent ensemble. Les 10

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courbes de vente d'une entreprise résultent du position­ nement produit défini par les équipes marketing et de la force de frappe des équipes commerciales. On peut multi­ plier les exemples, le constat est identique. Le facteur le plus déterminant pour la réussite d'une entreprise est celui qui est à l'origine de tous les autres : les hommes et les femmes. Bien sûr leurs compétences et leurs talents, mais aussi la manière dont ils les mobilisent (ou pas) au service de l'entreprise qui les emploie. L'énergie que les équipes investissent pour faire avancer les projets sur lesquels ils travaillent, la volonté de chaque collaborateur de ne rien lâcher et de trouver des solutions, l'état d'esprit combatif dont les salariés font preuve pour surmonter les difficul­ tés . . . en un mot, l'engagement. Malheureusement, le mal-être des salariés est aujourd'hui un constat largement partagé dont témoignent de multiples indicateurs : maladies, burn-out, passivité ou attentisme au travail. En 20 1 3, l'absentéisme a coûté 8,8 milliards d'euros aux entreprises. Un indicateur avancé d'un malaise social. Ce mal-être grandissant entraîne un désengagement des salariés vis-à-vis de leur travail et de leur entreprise. Chaque jour, dans les entreprises, le cercle vicieux « mal-être - désengagement - contre-performance», fait son œuvre et produit des effets dévastateurs, détruisant encore plus de valeurs économiques et humaines. Pourtant, le facteur humain est la clé de la réussite dans une économie du savoir et du service. Les pays émergents sont devenus l'usine du monde et la désindustrialisation de notre pays est là pour nous rappeler cette inéluctable vérité. 11

L'envie, une stratégie

Notre économie se dématérialise. L'industrie du savoir et les activités de service sont nos sources premières de crois­ sance et de richesse. Cette économie-là est moins « consommatrice» de main-d'œuvre mais en revanche, elle a besoin de mobiliser plus d'intelligence et d'inventivité. Pour la vieille économie et les entreprises industrielles qui la composent, la survie passe aussi par une amélioration permanente de la qualité et une optimisation de leur productivité. Là encore, les sala­ riés sont fortement sollicités pour faire preuve d'initiative au service de cette efficience vitale. Même les tenants d'une approche purement économique sont capables d'entendre cet argument : plus un facteur de production (le travail) est cher (le coût du travail) plus il est essentiel de libérer tout le potentiel de ce facteur. Les chiffres du chômage le prouvent, notre économie détruit des emplois, ou tout au moins n'en crée plus suffisam­ ment. Cette destruction est conjoncturellement plus forte en période de récession, mais c'est une tendance structurelle. Notre économie du savoir et du service a besoin quantita­ tivement de moins de « facteurs humains» et en même temps, elle n'en a jamais eu autant besoin d ' un point de vue qualitatif. C'est pour cela que la capacité des entreprises à mobiliser les énergies est une des sources de performance dans la durée. La question pour beaucoup d'entreprises est de créer ou de recréer les conditions de cet engagement. Depuis une dizaine d'années, les baromètres, les études et les enquêtes 12

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sur le sujet se multiplient, évaluant des notions aussi diverses que • Le rapport au travail, à travers le phénomène de blurring (effacement progressif entre le temps profes­ sionnel et le temps personnel), l'équilibre entre vie pro­ fessionnelle et vie privée ou encore le rôle joué par le travail dans la construction identitaire et les processus de socialisation. • Le bien-être et la qualité de vie au travail, abordés principalement sous l'angle des risques psychosociaux. Ces risques survenant lorsqu'il y a un déséquilibre entre la perception qu'une personne a des contraintes que lui impose son travail (quantité, intensité et caractère morcelé) et sa perception de sa latitude décisionnelle (marge de manœuvre, moyens mis à disposition, possibilité d'utili­ ser ses compétences). Ce déséquilibre peut être atténué ou renforcé en fonction du soutien social (aide de son manager et de ses collègues) dont il bénéficie. • La motivation au travail, jaugée à travers de multiples facteurs comme la rétribution financière (rémunération fixe et variable, avantages), la qualité du management (recon­ naissance du professionnalisme et considération), les poli­ tiques de ressources humaines (promotion et perspectives de carrière, formation pour favoriser le développement des compétences) ou encore l'activité exercée (intérêt des missions, niveau de responsabilité dans le poste). La multitude de ces analyses (et des plans d'actions qui en découlent) ne détermine pas clairement les liens de causes à effet entre l'ensemble de ces éléments. Il apparaît évident que si les entreprises veulent favoriser 13

L'envie, une stratégie

l'engagement, elles doivent mettre de l'ordre dans toutes ces dimensions et identifier avec précision les causes racines sur lesquelles elles doivent prioritairement ag1r, parce qu'elles sont la source de l'engagement. Les choses sont peut-être plus simples qu'il n'y paraît.

L'envie est plus qu'une somme de motivations L'engagement (implication ou mobilisation) est une résul­ tante d'autres choses, on n'est jamais engagé sans raison. L'engagement est donc un résultat. Mais de quoi? Du rapport que les salariés entretiennent avec leur travail et leur entreprise? Je ne le crois pas. Je pense au contraire que ce rapport découle de l'engagement. Plus je choisis en conscience mon niveau d'engagement dans mon travail, plus mon rapport avec lui est serein. Les risques psychosociaux qui mesurent le bien-être et la qualité de vie au travail constituent-ils un facteur d'enga­ gement? Oui. Mais ces risques empêchent ou détruisent l'engagement. Le trop-plein de stress et les troubles psycho­ logiques qui en résultent, annihilent toute volition. La motivation pour sa part constitue un facteur qui alimente l'engagement. Mais la motivation n'est pas le seul facteur qui crée ou alimente l'engagement. Il en existe un second, tout aussi primordial : l'ENVIE.

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L'envie, un p uissant générate ur d'engagement

Performance dans le travail

Compétences

Cond itionne le ra pport a u trava i l

Engagement

Stress

Motivation

RPS

FACTE U RS DESTRUCTE U RS

FACTEURS CR ÉATE URS

La dynamique de l'engagement L'engagement résulte donc de deux facteurs complé­ mentaires. D'une part, la motivation fondée sur la recherche individuelle et raisonnée d'un équilibre entre les efforts accomplis et les gains (la satisfaction d'un besoin) obtenus en récompense de ces efforts. D'autre part, l'envie qui demeure, elle, un continent immergé, une terra incognita. Les théories de la motivation sont légions et elles ont toutes (ou presque) un point commun, elles sont fondées sur la notion de besoins. Un besoin qui, selon H. Murray, est « un état de tension insatisfaisant lié à une nécessité biolo­ gique, psychologique ou sociologique existentielle qui pousse l 'individu à rechercher un état d 'équilibre plus satisfaisant par l 'atteinte d 'un objet satisfacteur ». 15

L'envie, une stratégie

Au début du siècle, les hommes, pense-t-on, sont mus par l'appât du gain, c'est le temps de l'organisation taylorien­ ne du travail où l'ouvrier exécute des tâches répétitives lui permettant de produire plus et de gagner plus, puisqu'il est payé en fonction de ses rendements. Après guerre, selon E. Mayo, les hommes sont mus par le besoin de relations humaines. Ses expériences, aujourd'hui fortement remises en cause 1 , démontrent que les rendements ne dépendent pas des conditions financières et matériel­ les de travail mais de facteurs humains (considération, reconnaissance, qualité des relations, etc.). Dans les années 1970, les hommes sont mus par le besoin de responsabilité et d'autonomie. Le management par les objectifs est alors inventé par Peter Druker. Dans les années 1980, les hommes sont mus par la volonté de participer, d'être impliqués. C'est le temps des projets d'entreprise participatifs promus par Alex Mucchielli. Dans les années 1990, la motivation est expliquée par la rationalité économique qui consiste, pour un salarié, à maximiser son pouvoir d'achat tout en réduisant le risque de perte de son emploi. Il en est ainsi, à chaque période sa théorie sur les besoins, souvent en phase avec l'air du temps, les tendances écono­ miques et les croyances sociales du moment.

1 . Salvatore Maugeri, Théories de la motivation au travail, 2 e édition, Dunod, 20 1 3 .

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L'envie, un p uissant générate ur d'engagement

Les théories sur l'envie ne sont pas légion. Pourtant l'envie est un facteur capital pour générer de l'engage­ ment : 1. L'envie est entretenue par un désir puissant de réussite et d'utilité (nous le verrons ultérieurement) qui alimente fortement l'engagement. 2. L'envie est nourrie par les émotions positives qui ont un effet bénéfique sur notre état mental et physique, venant contrecarrer les effets néfastes des risques psychosociaux (RPS). 3. L'envie est un élan qui prend sa force et sa dynamique dans le collectif. Ce faisant, l'envie vient atténuer les conséquences négatives des dispositifs individuels de motivation, sur l'esprit d'équipe et la cohésion.

Les émotions sont l'oxygène de l'envie Tout être humain ressent une centaine d'émotions par jour, petites et grandes, traumatisantes, bloquantes ou vivi­ fiantes. On pense encore que chaque salarié laisse à l'entrée de son entreprise ses émotions, pour les récupérer le soir après sa journée de travail. Il est grand temps de remettre les émotions au cœur de nos modèles de management. Les émotions sont l'oxygène de l'envie mais elles peuvent également en être un frein. La plus belle des émotions est la joie que nous éprouvons quand nous avons réussi et qui nous rend fier de ce que nous avons accompli, nous donnant la volonté d'agir à nouveau. 17

L'envie, une stratégie

Mais les émotions ne sont pas toujours aussi positi­ ves et peuvent également constituer des obstacles. Nous pouvons connaître la peur de ne pas y arriver. Si ma peur est trop forte, vais-je oser aller de l'avant? Si je ressens de la colère, celle d'avoir été dupé, d'être manipulé, mon envie se trouve instantanément coupée nette dans son élan. La tristesse apparaît dès lors que tout a été essayé, mais que rien n'y fait, au point de se replier sur soi . . . Joie, peur, colère, tristesse . . . voilà les quatre émotions primaires 1 qu'il nous faut considérer comme étant l'oxygène de nos envies.

• Rel ati o n s profes s i o n n e l les te nd ues et a ntago n i stes • D i scou rs d 'entrepri se pess i m i stes et a n x i ogènes

• C hocs émoti o n n e l s négatifs • Peu r-colère-tri stesse

• Comporte ments m a lve i l la n ts • Pa ro les négatives

Le cercle vicieux des émotions négatives 1 . Les recherches de Robert Zuili sur les mécanismes émotionnels l ' ont amené à i soler ces quatre émotions et à les considérer comme fonda­ mentales, alors que d' autres courants de pensée évoquent également la surprise et le dégoût. Voir Robert Zuili, Découvrez votre émotion dominante, InterÉditions, 2008.

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L'envie, un p uissant générate ur d'engagement

Il y a deux manières de gérer nos émotions. D'abord à travers un mécanisme de régulation des émotions négatives qui consiste à les nommer et à en identifier l'origine. Quand celles-ci sont efficacement régulées, elles perdent leur dimension inconfortable et contribuent à alimenter le cycle de l'envie. Si nous éprouvons régulièrement et majo­ ritairement des émotions négatives et que nous n'arrivons pas à les réguler, le désir se raréfie et notre envie disparaît.

• Relati o n s profes s i o n n e l les a pa i sées et véh icu les de cohésion • D i scou rs d ' entreprise engageant

• Com portements a j ustés • Pa roles et actes répa rate u rs

• Relations profes s i o n n e l les tend ues et a ntag o n i stes • D i scou rs d ' entreprise pess i m iste et a n x i ogène

Le rôle clé de la régu lation

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L'envie, une stratégie

Ensuite, il nous faut ressentir des émotions positives car pour être durable, le désir doit se nourrir de ressentis agréables comme la satisfaction et la fierté. C'est à cette condition que nous osons et entreprenons, pour éprouver durablement du plaisir et alimenter le cercle vertueux de l'envie. Les quatre émotions dominantes sont sources de bien­ être ou d'inconfort. Une seule est positive, la joie, alors que les trois autres (colère, peur et tristesse) sont à résonance négative. Négative ne veut pas dire inutile, seulement désa­ gréable à ressentir. Mais l'univers des émotions positives est beaucoup plus florissant que ne le laissent à penser les seules émotions dominantes. La palette des émotions à valence positive est variée : contentement, engouement, joie, exaltation mais aussi décontraction, satisfaction, fierté. Toutes ces émotions doivent être pleinement considé­ rées pour créer de l'envie. Mais qu'est-ce qu'une émotion? Le langage commun est riche d'expressions hautes en couleur pour décrire nos états émotionnels : « avoir une peur bleue», « être dans une colère noire», « rire jaune», « voir la vie en rose», « être rouge de honte», etc. La raison en est simple, les couleurs ont le pouvoir de nous faire éprouver des sensations diffé­ rentes ; elles ont une incidence sur nos humeurs. Au-delà de ce joli nuancier, le sens commun associe implicitement les émotions aux sensations que nous éprouvons, au point de les confondre avec elles. La réalité est autre, l'émotion est un phénomène plus complexe. À l'origine de toute émotion, il y a une percep­ tion cognitive (mon manager est injuste, il ne me respecte 20

L'envie, un p uissant générate ur d'engagement

pas) . C'est cette perception qui engendre une réaction biolo­ gique (augmentation du rythme cardiaque lorsque je rentre dans son bureau) et comportementale (j 'ai le visage fermé chaque fois que je le croise). La conscience de cette percep­

tion et le ressenti de ces réactions nous font identifier l'émo­ tion que nous éprouvons (je ressens de la colère) . Enfin, cette émotion va entraîner une tendance à l'action (je voudrais lui dire ses quatre vérités) .

Il y a donc à la source de nos émotions des représenta­ tions conscientes d'une réalité. Pourtant, on a longtemps opposé cognition et émotion allant même jusqu'à créer une hiérarchie entre les deux. Les recherches en sciences affectives montrent que cette opposition n'est pas justifiée. Bien au contraire, il existe une relation de cause à effet. Ainsi, le mécanisme cognitif de la perception interprète les événements auxquels nous sommes confrontés (des recherches récentes en neurosciences désignent l'amygdale comme étant le centre d'évaluation de la pertinence des événements). Si ces événements sont perçus comme perti­ nents affectivement, c'est-à-dire ayant une incidence positive ou négative sur nos croyances fondamentales ou sur les buts que nous poursuivons, alors ils déclenchent une émotion 1 • Ainsi les émotions apparaissent dans deux types de situation : celles qui mettent à mal (ou à bien) nos objectifs et celles qui mettent à mal (ou à bien) nos valeurs. l . David Sanders, « Vers une définition de l ' émotion », in Cerveau et Psycho, n ° 56.

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L'envie , une stratég i e

Ces deux types de situations, nous les rencontrons en permanence dans notre vie professionnelle. Le travail est un moyen de se réaliser personnellement (but), c'est aussi un « objet » dans lequel nous projetons un grand nombre de nos valeurs personnelles. L'entreprise est quant à elle un lieu de progression professionnelle (but) et c'est aussi un lieu de confrontation de valeurs. Le monde de l'entreprise et du travail est donc très naturellement un espace où les individus éprouvent des émotions, de toute nature et de toute intensité.

Le partage des émotions crée du lien Plusieurs chercheurs en psychologie et psychologie sociale (Keltner, Haidt, Frijda ...) ont démontré dans différentes études 1 que l'expression des émotions contribue à résoudre certains problèmes de la vie en société et qu'elles sont impor­ tantes dans la régulation des relations interpersonnelles. Les expressions émotionnelles d'un individu vont induire des réponses émotionnelles chez les autres. La manière dont nous exprimons nos émotions constitue autant d'informa­ tions qui renseignent l'autre sur la situation et lui permettent éventuellement de réajuster,en réponse,ses propres compor­ tements. Ces réponses sont des éléments centraux d'interaction qui permettent de créer (ou de détruire) du lien en attisant une tension ou en l'apaisant, en réconciliant ou en oppo1 . M. Mikol zj czak, J. Quoidbach, I. Kotsou, D . Nelis, Les compétences émotionnelles, Dunod, 20 1 4 .

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L'envie, un p uissant générate ur d'engagement

sant. Les émotions sont donc un facteur régulateur primor­ dial des relations au sein de l'entreprise. Les expressions de nos émotions sont autant d'informa­ tions permettant de réguler les relations. Mais plus encore, le fait d'éprouver des émotions positives a un effet sur la création de lien. De nombreux travaux emp1nques ont montré que les individus en état émotionnel positif prennent davantage en compte le point de vue d'autrui. Ils sont plus sociables,plus coopératifs, plus généreux et plus aptes à la négociation. Ouverts aux besoins d'autrui, aux projets de leurs proches, ils paraissent naturellement disposés à servir leur commu­ nauté. L'expression et le partage des émotions renforcent donc la cohésion sociale. Les travaux d'étude de Bernard Rimé 1 , docteur en psychologie et professeur à l'université de Louvain,démontrent,statistiques à l'appui,que les personnes ayant vécu un événement émotionnel majeur manifestent un besoin parfois insatiable de parler et de reparler de cet événement. Cette étude démontre que lorsqu'un individu vit une émotion, il la partage dans plus de 80 % des cas avec plusieurs personnes et à plusieurs reprises. Ces autres personnes relatent à leur tour l'événement autour d'eux. Ces partages successifs entraînent une véritable propagation des expériences émotionnelles dans l'entourage social. Cette contagion serait dépendante de différents facteurs l'identité de celui qui a vécu l'épisode émotionnel, le destin 1. Bernard Rimé, Le partage social des émotions, Puf, 2009.

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L'envie, une stratégie

commun des inter-actants par rapport à l'événement et la dimension de nouveauté ou d'inattendu. Les réactions qui se manifestent face à l'expression d'une expérience émotionnelle, sont également variables selon les types d'émotions véhiculées. D'un côté, la souffrance et la douleur rencontrent des réticences chez les auditeurs qui se montreraient moins disponibles à l'écoute et à la propaga­ tion, alors que la joie et le bonheur se propageraient avec une grande facilité. Ce partage des émotions joue un rôle fondamental dans la cohésion sociale. Il aurait également une action positive sur la création de sens collectif et contribuerait à l'intégra­ tion sociale. Ainsi le partage des émotions renforce le senti­ ment d'unité, ravive les liens sociaux et permet d'entretenir les croyances communes à travers une mémoire collective.

L'humeur oriente nos perceptions et nos comportements À l'origine d'une émotion il y a la perception d'un événe­ ment et son interprétation comme ayant ou non une perti­ nence affective. Les émotions sont donc le fruit d'une perception mais celle-ci est souvent partielle ou distordue. Cette déforma­ tion de la réalité comme l'a montré Burns, professeur à Standford, correspond à des processus de distorsion cogni­ tive différents. Trois d'entre eux sont particulièrement actifs dans les phénomènes de construction de la perception • La sur-généralisation, qui amène à partir d'un évé­ nement à en tirer une vérité générale, alors même que, 24

L'envie, un p uissant générate ur d'engagement

comme le dit l'adage : « Généraliser, c 'est commencer à se tromper. » • Le raisonnement émotionnel, qui amène à penser que ce que nous ressentons est la réalité : « Je ressens de la colè re, donc cela prouve que je suis traité injuste­ ment. » • La sur-interprétation hâtive qui consiste à tirer des conclusions définitives en l'absence de preuves suffi­ santes : « Mon manager ne nous a pas parlé d 'un projet important lors de notre dernière réunion d 'équipe, c 'est que les choses doivent mal se passer. » Par ailleurs, les émotions enclenchent un phénomène d'attention sélective. L'émotion agit ainsi comme une torche attentionnelle 1 , orientant notre attention sur certaines choses en les mettant en avant et, au contraire, laissant d'autres choses dans l'ombre en détournant notre attention. Lorsqu'un individu est dans un état émotionnel négatif il aura tendance à focaliser son attention sur les éléments négatifs d'une situation ou d'une relation tandis que s'il éprouve des émotions positives son attention sera orientée sur les aspects positifs de cette même situation ou relation. Ce sont des perceptions partielles, voire distordues de la réalité, qui sont à l'origine de nos émotions (processus de distorsion cognitive) et ces émotions orientent notre attention (principe de la torche attentionnelle) et donc notre perception. De nombreuses expériences l'attestent. Après avoir subi une« induction d'humeur» (en étant soumis par exemple à 1 . M. Mikolzjczak, J. Quoidbach, I. Kotsou, D. Nelis, op. cit.

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L'envie, une stratégie

des images ou à des discours), les participants chez qui on a généré des émotions positives décrivent leur entourage amical ou professionnel de manière favorable et bienveillante. Ceux qui ont été soumis à des stimulations émotionnelles négatives ont tendance à être plus critiques et moins indulgents. D'autres expériences ont démontré que l'influence de l'état émotionnel est amplifiée lorsque les choses sont floues ou ambiguës. Dans l'une d'elles, on induisait un état négatif chez la moitié des participants puis on demandait à tous les participants d'écouter et de retranscrire simultané­ ment une liste de mots homophones, c'est-à-dire ayant la même prononciation mais un sens différent (par exemple cent et sang). Les participants, dont l'état émotionnel était négatif, interprétaient beaucoup plus fréquemment les mots dans leur sens négatif. Qui n'a pas été ému par un bébé nous souriant, provo­ quant très souvent l'envie de lui sourire nous aussi et de le prendre dans nos bras pour le câliner. Ce que nous avons tous ressenti, c'est l'effet positif que peut avoir sur nos comportements une émotion positive. De nombreux travaux menés par des chercheurs en psychologie sociale attestent que les sensations positives ont une incidence positive sur de nombreux aspects de notre vie. Alice M. Isen (professeur de psychologie et de marketing à l'Université Comell à New York) a réalisé de nombreuses expériences qui démontrent que les émotions positives favo­ risent la créativité et incitent à s'engager dans des activités 26

L'envie, un p uissant générate ur d'engagement

qui font progresser nos compétences et améliorent nos perfor­ mances, notamment dans la résolution de problèmes. Une étude réalisée par David G. Myers (professeur de psychologie au Hope Collège dans le Michigan) démontre que plus les gens sont heureux plus leur réseau amical est étendu (40 % des gens qui se disent heureux ont plus de cinq amis proches, alors que la moyenne est bien inférieure à 5). Plus remarquable encore, des chercheurs de la prestigieuse Harvard Medical School, ont récemment prouvé que le bonheur se répandait dans les réseaux sociaux comme un virus. Nico Henri Frijda et Batja Mesquita, deux chercheurs en psychologie, ont pour leur part démontré le lien qui existait entre les émotions positives, comme la joie et le bonheur, et la propension des individus à explorer leur environnement. Il en est ainsi, la joie stimule notre cerveau, alors que la tristesse l'englue. Les états émotionnels négatifs ont souvent des effets particulièrement dangereux sur les attitudes et les compor­ tements des individus. La répétition d'émotions négatives sur lesquelles un individu considère ne pas avoir de prise, provoque chez lui une « impuissance acquise». L'individu pense alors qu'il n'a aucun contrôle sur la situation et que toutes les tenta­ tives de solution sont vaines. Il adopte une attitude passive et ne cherche plus à trouver des solutions aux problèmes rencontrés. Pour certains, ces situations entraîneront la recherche d'un bouc émissaire afin de pouvoir projeter/reje­ ter sur leur entourage la responsabilité de leur propre état. 27

L'envie, une stratégie

Retrait social, repli sur soi, expression de son désarroi, agressivité, conflit sont les formes les plus répandues et les plus nocives de ces états émotionnels négatifs. Pour peu qu'on veuille bien s'y intéresser, la littérature regorge d'études, de recherches, d'expériences qui apportent indubitablement la preuve que les émotions négatives ont des conséquences néfastes sur la manière dont les individus perçoivent le monde qui les entoure et interagit avec eux. A contrario, preuve est faite que les émotions positives sont non seulement agréables à vivre mais aussi et surtout, qu'elles améliorent de nombreux aspects de notre vie. Elles nous donnent de l'énergie, renforcent notre confiance en nous, nous poussent à aller vers les autres pour établir des relations constructives, elles améliorent notre efficacité, elles ont enfin une incidence sur notre santé mentale et même physique. Comment est-il possible, alors que ces phénomènes sont connus et prouvés, de ne pas prendre en compte les émotions dans nos pratiques de communication et de management? Un discours flou, dont le contenu a une polarité émotion­ nelle négative, induit irrémédiablement des perceptions pessimistes ayant des conséquences néfastes sur l'envie des équipes à s'engager. Un management dont les comportements sont généra­ teurs d'émotions négatives ou qui ne tient pas compte de l'état émotionnel de son équipe, entraîne des tensions rela­ tionnelles peu propices à l'efficacité collective. Ce sont nos expériences affectives qui façonnent nos attitudes et conditionnent nos comportements avec une règle de base : l'efficacité dans notre travail (créativité, produc-

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L'envie, un p uissant générate ur d'engagement

tivité . . . ) et dans nos relations professionnelles (bienveil­ lance, collaboration . . . ) est con-élée à notre état émotionnel. L'entreprise continue à être un monde de rationalité où les émotions n'ont pas de place. La peur, le décourage­ ment et la tristesse y sont perçus comme des fragilités. Pourtant certains auteurs n'hésitent pas à affirmer que la mauvaise gestion des émotions est responsable de 30 % d' improductivité 1 .

Senti m e n t d e d a nger, de perte ( buts) et d ' i n j u stice (va l e u r)

Émotions négatives (peur, colère et tristesse) Repl i s u r soi et c ra i nte

DÉSENGAGEMENT -S i tuati o n s [ p rofess i o n n el les ENGAGEMENT

Perception I n terprétati on d e l a situation en termes d ' i n c i d ences s u r n o s buts et n o s va l e u rs

----=- ---�

C onta g i o n c o l lective e t dési r

Senti m e n t d e réussite, de fierté ( buts) et d ' uti l ité (va l e u r)

Émotions positives (contentement, joie et sérénité*) * 3 niveaux d'intensité de la joie.

Le processus de destruction/ construction de l 'engagement 1 . Elisabeth Couzon, Développer son intelligence émotionnelle, Ixelles Éditions, 2009.

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L'envie, une stratégie

Les émotions influent sur nos capacités d'action et notre manière d'appréhender le monde qui nous entoure. Elles sont contagieuses et jouent un rôle essentiel dans les rela­ tions sociales. Lorsqu'elles sont positives,elles ont donc un effet bénéfique. Mais pour que cela soit possible, il est indispen­ sable que notre balance émotionnelle, la proportion des émotions positives par rapport aux négatives, soit optimale. Christophe André, médecin psychiatre, nous le rappelle dans son ouvrage Et n 'oublie pas d 'être heureux 1 • Il y décrit des travaux de recherche qui ont permis d'identifier que le ratio journalier doit être de trois émotions positives pour une émotion négative. Chacun peut s'interroger sur son ratio personnel. Pour ma part, je suis persuadé que le compte n'y est pas pour une majorité d'êtres humains. J'en suis convaincu, un regain d'optimisme dans une entreprise crée une énergie collective,une envie,qui aura à coup sûr un effet favorable sur des dimensions comme la qualité du service client, la capacité au changement, l'inventivité pour trouver des solutions, l'efficacité de la coopération dans les équipes,autant de choses qui ont des effets indéniables sur le succès ou l' insuccès d'une entreprise.

1 . Christophe André, Et n 'oublie pas d 'être heureux : abécédaire de psychologie positive, Odile Jacob, 20 1 4.

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2 Au nom de la performa nce, les entrepri ses détru isent l 'envi e q u i fa it la perform a nce

Au nom de la performance, les entreprises détruisent l'envie . . .

T

outes les stratégies se ressemblent et peuvent se résu­ mer ainsi : « Réaliser une croissance rentable sur des marchés mondialisés et pour cela, créer de la valeur par l 'innovation et la qualité des produits et des services, sources de satisfaction des clients. » Quels que soient les secteurs d'activité, les marchés ou les entreprises, ce qui fait la différence, ce sont les millions de personnes qui exécutent ces stratégies et qui les mettent en vie. Ce qui fait la différence entre les entreprises qui s'en sortent et celles qui sont à la peine, ce sont les hommes et les femmes qui y travaillent. Il y a Djamel, 28 ans, heureux d'avoir décroché un CDI après trois ans de stages et de CDD. Il travaille avec beau­ coup d'implication dans une SSII. Il y a Marie-Christine, 42 ans, cadre dans l'assurance, qui s'implique depuis plus de 1 5 ans dans son entreprise, parfois au détriment de sa vie de famille. Il y a Miguel, 5 2 ans, chef de chantier respecté pour son professionnalisme, qui est passé au travers de plusieurs plans de restructuration et qui fait figure de rescapé. Il y a Antoine, 36 ans, chef de produit dans l'in­ dustrie agroalimentaire, qui attend la promotion promise par son manager pour le récompenser de son engagement et de ses bons résultats. Il y a Zora, caissière et maintenant hôtesse de caisse dans la grande distribution, qui a du mal à joindre les deux bouts mais qui aime son travail parce qu'il lui permet d'oublier un peu ses problèmes familiaux. Il y a Djamel, Marie-Christine, Miguel, Antoine et Zorah et tous les autres qui quotidiennement font leur travail avec, selon les jours, plus ou moins d'enthousiasme, plus ou 33

L'envie, une stratégie

moins d'engagement, plus ou moins de réussite mais sans lesquels aucune entreprise ne pourrait innover, produire, vendre, en un mot prospérer. Les entreprises oublient parfois une évidence : seul un salarié satisfait peut satisfaire un client, seul un collabo­ rateur dont on reconnaît la valeur peut créer de la valeur. Pour que les services de recherche et développement inventent, que les producteurs soient productifs en qualité, que les commerciaux fidélisent les clients, que les mana­ gers animent leurs équipes et finalement que tous donnent le meilleur, il faut une chose simple : de l'envie. L'obsession d'une entreprise devrait être de créer et d'entretenir cette envie. Ce devrait être son premier objectif, son seul indicateur de réussite, car c'est l'envie d'affronter, de se surpasser, de se challenger, qui fait la performance. Malheureusement les choses se déroulent rarement ainsi !

d es entreprises d evient L'environnement . ' anx1ogene Ni comprise, ni maitrisée, la mondialisation fait peur Le débat sur la mondialisation fait fureur. Il occupe tous les discours, qu'ils soient politiques ou économiques. La mondialisation fait naître les polémiques les plus diverses et divise de manière radicale. Pourtant l'émergence d'une 34

Au nom de la performance, les entreprises détruisent l'envie . . .

économie mondiale liée à la création des États-nations a démarré au xv e siècle. Les bases de cette expansion écono­ mique ont été les grandes villes portuaires comme Venise, Amsterdam ou Londres. C'est à partir de là qu'a commencé le commerce lointain, au-delà des frontières. Cette première période a duré jusque dans les années 1960. La mondialisation était internationale, fondée sur les échanges commerciaux entre des États-nations spécialisés, en fonction de leurs ressources naturelles ou de la maîtrise de savoir-faire spécifiques. À partir des années 1960 et jusque dans les années 1990, les firmes nationales, d'abord américaines et anglo­ saxonnes puis européennes et japonaises, deviennent les acteurs centraux d'une mondialisation devenue multinatio­ nale. Ce n'est plus seulement le commerce qui est mondial, ce sont les marchés qui se sont mondialisés sous l'impul­ sion des entreprises industrielles qui réalisent des investis­ sements directs à l'étranger et déplacent certaines de leurs activités hors de leur pays d'origine. L'impératif de compétitivité est au cœur de cette deuxième étape de la mondialisation car il a entraîné une exacerbation de la concurrence entre les entreprises pour la défense ou la conquête de positions sur le « marché­ monde » . Pour améliorer leur compétitivité dans la concur­ rence mondiale, les entreprises cherchent alors à minimiser leurs coûts de main-d' œuvre, de matières premières, de logistique ou encore de fiscalité, donnant lieu à des mouve­ ments de délocalisation. 35

L'envie, une stratégie

Depuis les années 1990, la mondialisation a pris une autre forme, une autre voie, celle de la prédominance de la dimension financière ou plus exactement de la rentabilité financière mesurée par le rendement des capitaux investis (ROE). Alors que précédemment, les mouvements de capi­ taux étaient largement conditionnés par les besoins de finan­ cement des entreprises, ils s'inscrivent aujourd'hui dans une logique de recherche de gains plus spéculatifs, parfois créateurs de ces fameuses bulles qui en éclatant ont créé des ondes de choc dont nous subissons encore aujourd'hui les effets dévastateurs. La place prépondérante des opérations spéculatives est illustrée par les mouvements de capitaux sur le marché des changes. Sur le trillion de dollars et demi de transac­ tions, 5 % servent à financer les flux d'importations/expor­ tations, ou l'implantation des entreprises à l'étranger. Les autres 95 % constituent des mouvements d' aller-retour très rapides visant à profiter des variations anticipées des taux de change 1 • Avec l'émergence d'une dimension financière omnipré­ sente et sa déconnexion avec les besoins de financement de l'économie réelle, nous sommes entrés depuis 25 ans dans l'ère de la globalisation. Une globalisation rendue encore plus menaçante par la fin de la séparation entre banques de dépôt et banque d'investissement, par la titrisation qui permet de trans1 . Charles Albert Michalet, Qu 'est-ce que la mondialisation ?, La Découverte, 2004.

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Au nom de la performance, les entreprises détruisent l'envie . . .

former des créances parfois douteuses en titres placés sur les marchés et par la désintermédiation qui fait de chaque opérateur non bancaire disposant de liquidité, un préteur en puissance. En un demi-siècle, les règles qui régissent l'écono­ mie mondiale ont connu un bouleversement extrêmement complexe que seuls les experts savent décrypter. Il n'y a pas si longtemps,il était simple d'expliquer aux salariés les règles économiques et financières qui régis­ saient le business de leur entreprise. Je me souviens avoir conçu pour les ouvriers de l'usine Renault de Billancourt, un module pédagogique pour qu'ils comprennent les mécanismes économiques avec lesquels leur usine devait composer. C'était en 1 989, depuis l'usine n'existe plus et je serais bien incapable aujourd'hui de refaire le même exercice. Pour les salariés,y complis les cadres,l'impression qu'ils n'ont plus aucune plise sur les résultats économiques de leur entreprise est de plus en plus forte. Et cette impression est chaque jour renforcée par ce qu'ils lisent dans les médias.

Mais il y a pire que ça !

Quand l'action des dirigeants paraît injuste, la colère s'installe Depuis de nombreuses années, les fondements de la straté­ gie des entreprises ont été modélisés par le Boston Consulting Group selon un schéma étudié dans toutes les 37

L'envie, une stratégie

grandes écoles de commerce et qui permet de classer les produits d'une entreprise en quatre catégories • les produits « vaches à lait» dont la rentabilité est satisfaisante mais le potentiel de croissance limité ; • les produits « stars» qui allient croissance et rentabi­ lité forte ; • les produits présentant un « dilemme» pour le futur car ils ont un potentiel à confirmer ; • et enfin les produits« poids morts». La responsabilité du management de l'entreprise consis­ tait à supprimer les« poids morts», à couvrir une partie des coûts fixes grâce aux produits « vaches à lait» et à utiliser le cash flow généré par les produits « stars» pour financer les développements futurs des produits« dilemmes». Pour être performant, ce modèle de management devait s'inscrire dans la durée pour laisser le temps aux« produits dilemmes» de réaliser leur potentiel. Il était fondé sur un niveau de rentabilité jugé acceptable. La sacro-sainte création de valeur est passée par là. Elle constitue le fondement de la nouvelle corpo­ rate gouvernance dont les principaux bénéficiaires sont d'abord les actionnaires, c'est-à-dire en grande partie les épargnants individuels et les investisseurs institutionnels. Leurs fonds gérés par des institutions financières sont placés pour partie en actions et obligations de sociétés industrielles (on estime que 40 % du capital social des entreprises du CAC 40 sont détenus par des investisseurs institutionnels anglo-saxons 1 ) . Ces prises de participation 1 . Charles Albert Michalet, op. cit.

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Au nom de la performance, les entreprises détruisent l'envie . . .

sont des investissements de portefeuille et, à ce titre, leur liquidité (la possibilité de vendre sans perte) et leur profi­ tabilité importent beaucoup. C'est pour cela que les investisseurs suivent de très près les performances des entreprises dans lesquelles ils ont investi, attendant impatiemment les résultats trimes­ triels et interrogeant régulièrement leurs dirigeants pour comprendre leur stratégie future. Ils veulent savoir si les titres doivent être conservés ou s'il est préférable de les liquider. Et ces décisions peuvent être lourdes de conséquence pour les dirigeants car en cas de vente, les cours de la société baissent dangereusement transformant l'entreprise en une proie potentielle pour d'éventuelles OPA hostiles. Ce qui a aussi comme conséquence de réduire une partie de la rémunération future des dirigeants à travers leurs stock­ options.

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La croyance largement partagée est que le seuil psychologique en deçà duquel le mouvement de retrait des investisseurs s'amorce est de 15 % de ROE. C'est ce seuil qui a modifié les pratiques des dirigeants. D'abord, couper dans les actifs de l'entreprise pour ne garder que ceux qui offrent la rentabilité la plus forte et qui constituent ce qu'il est communément appelé le « cœur de métier». En fait, ce qui leur confère ce statut de « cœur de métier», n'est pas lié à l'histoire de l'entreprise, à son métier d'origine, à sa culture, ni même à son savoir-faire. « Le cœur à ses raisons que la raison ignore », et cette raison s'appelle « rentabilité». 39

L'envie, une stratégie

Ensuite, parce que la concurrence est de plus en plus forte et les actions des concurrents de plus en plus rapides, les stratégies de croissance internes sont souvent considé­ rées comme non efficaces car elles prennent trop de temps avant de produire des résultats. Il est préférable d'accroître sa part de marché par des opérations externes de fusion­ acquisition en mettant la main sur un concurrent plus vulnérable. Le travail de rationalisation peut alors commen­ cer. Les recherches de synergies et de réduction de coûts conduisent à faire un inventaire des actifs (usines,centres de recherche,réseaux de distribution ...) dont il faut se séparer pour permettre de créer encore plus de valeur. Les seules annonces de ces programmes auront un effet positif auprès des investisseurs car elles sont un gage de la détermi­ nation à créer de la valeur. Enfin, la recherche de rentabilité à court terme a une incidence non négligeable sur les arbitrages réalisés. La modernisation de certains équipements jugés non suffi­ samment stratégiques, le lancement de nouveaux produits dont le succès n'est pas considéré comme assez certain, l'accompagnement d'équipe dont la mission n'est pas assez contributrice à la performance, conduisent à prendre des décisions dans une logique de rationalisation à court terme. Pour un dirigeant,le risque majeur est de ne plus prendre de risques à long terme en privilégiant les investissements de performance au détriment des investissements à poten­ tiel. En rabotant leurs ambitions pour l'avenir, les dirigeants réduisent les chances de succès de leur entreprise dans le futur. 40

Au nom de la performan ce, les entreprises détr uisent l'envie . . .

G l o ba l i sati o n d e l 'éco n o m i e monde

C'est difficile,

Déc i s i o n s orientées profits à court terme C'est i n j u ste, les d i rigea nts n e défendent pas l es i n térêts de l ' entreprise

Renta b i l ité nécessa i re à l a pére n n ité de l ' entre prise

C réation de va l e u r pour les action n a i res

Com péti tion sur l e m a rc h é mond ial C o m m e rce i n ternati o n a l

éco n o m i q u e d e s d éc i s i o n s à l o n g terme

Déc i s i o n s d i ctées pa r les m a rc hés fi n a n c i ers C 'est a ngoissa nt, les d i rigea nts sont sou m i s a u x d i ktats de la f" n a nce

mais je com prends la position des d i rigea nts Rech erche de rendement spécu latif

L'incidence de la mondia lisation sur le cli mat émotion nel des sala riés

Les managers n'ont plus le temps de créer du lien Cas d'en trep rise Nous sommes e n 2 00 1 , les entre p rises Case et New H o l land vie n nent de fus i o n ne r . Pou r con stru i re u ne cu ltu re managériale com m u ne , la d i rection des Ressou rces h u ma i ne s me demande de mettre e n p lace u n p rog ra m me de formation a u leade rsh i p . Des g rou pes d'u ne douza i ne de manage rs sont con stitués et chaq ue se mai ne l'u n de ces g rou pes se retrouve dan s la sal le ave ugle d'u n g rand h ôte l parisien pou r u ne formation de deux j o u rs . Au p rog ramme : la pe rformance managériale .

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L'envie, u ne stratégie

C haq ue foi s , je déma rre la ses s i o n par u ne q uestion s im p le : « À q uoi passez-vou s votre tem p s » ? Pou r y répond re le p l u s objectivement poss i ble, les manage rs p rése nts sont i nvités à consu lte r leu r age nda pou r identifier à q uoi ils ont occu pé leu r temps lors d u moi s qui vient de s'éco u ler. Et c haq ue fois, le même résu ltat éd ifia nt : re ndez-vous à l 'extérie u r, réu n ions entre experts pou r analyser un p roblème, partici pation à des g rou pes p rojets , reportings avec son N + 1 , analyse des tableaux de bord pou r su ivre les résu ltats . Ces manage rs passe nt p l u s de 8 0 % de le u r tem p s l o i n de leu r éq u i pe et tro uve nt ce la n o rma l .

Presque 1 0 ans plus tard, cette expérience est vérifiée par les statistiques : les managers ne passent plus que 10 % de leur temps à manager leur équipe (étude Syntec 2009). En prenant en compte le nombre moyen de collaborateurs managés, cela représente 20 minutes seulement par semaine et par collaborateur. Certes, de quoi se dire l'essentiel, mais pas de préserver l'essentiel : la qualité des relations. Mais alors que font-ils de leur temps?

On a réinventé les contremaitres . . . en col blanc Les contremaîtres sont des commis à gage dont l 'état diffère peu de celui des ouvriers. Ce sont des machines passives faites pour recevoir l 'ordre et aller distribuer dans les ateliers soumis à leur inspection ; jamais de vues, jamais d 'idées. Souvent ils sont placés dans une manufacture de manière à ne voir qu 'un très petit coin du tableau . . . » «

Extrait d' une requête présentée au roi par les fabricants de draps de Louviers, 1 785.

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Au nom de la performance, les entreprises détruisent l'envie . . .

65 % des managers passent plus d'un tiers de leur temps à effectuer des tâches de reporting (étude Cegos 20 1 1 ), une forme de néo-taylorisme, version moderne du contremaître des manufactures. Une folie qui contribue à un stress permanent qui est pourtant l'ennemi de la performance. Car la mesure de la performance génère du stress, alors même que, comme le démontrent les travaux du professeur Éric Gosselin (cher­ cheur et professeur de psychologie du travail), le stress altère la performance dans 75 % des cas. Au nom de la performance,on détruit la performance. Une part non négligeable de ces reportings serait d'ail­ leurs fausse. Certains managers préfèrent mentir en esti­ mant les chiffres. Cette dérive est la conséquence d'une crainte chez les dirigeants, celle de ne plus arriver à contrô­ ler une situation économique et financière de plus en plus complexe. Il n'est pas rare dans les grandes entreprises de dénom­ brer des centaines de reportings différents, au point que dans certaines d'entre elles, les managers y sont affublés du doux nom de « fromagers » parce que, comme le disent leurs équipes : « Ils passent leur temps à faire des caniem­ berts. » Les entreprises ont transformé leurs managers en super-contrôleurs de gestion, car pour piloter des entre­ prises gigantesques et complexes, les dirigeants ont besoin de maîtriser de plus en plus de paramètres. L'encadrement passe alors une grande partie de son temps à effectuer des opérations de contrôle des standards, de vérification de l'application des procédures et de reporting des chiffres. 43

L'envie, u ne stratégie

Cette mesure effrénée est souvent assurée à partir de trois catégories d'indicateurs : • les indicateurs financiers qui permettent à la fois de mesurer la performance financière mais également la maîtrise des coûts ; • les indicateurs de volume (nombre d' actes par unités de temps) qui tendent à s'imposer même dans les acti­ vités les plus éloignées du modèle de la production industrielle ; • les indicateurs issus des résultats d'enquêtes de satisfaction auprès de la clientèle, qui érigent les perceptions comme des références objectives. Les « KPI » sont partout, au point que ce qui n'est pas mesurable n'a pas d'existence. Pourtant, ce n'est pas le contrôle qui fait la performance. Au mieux, il la mesure. À force de dire « combien ça va » à ses collaborateurs chaque matin, on ne leur donne pas l'envie d'aller . . . de l'avant.

La « mesurite aiguë » altère les capacités relationnelles Cas d'en trep rise E n ma i 2 000, F ra n ce Té léco m rach ète Ora nge pou r c rée r u n géa n t de la té lé p h o n ie e n E u rope . E n déce m b re 2 002 , Lou i s-Pie rre We nes y est n o m m é d i recte u r des ac hats et de l 'amé l i oration de la pe rfo rmance . Tro i s ans p l u s tard , i l s u pervise le p la n « Next » , pou r mode rn i se r l 'o p é rate u r, avant d ' être c ha rgé, e n 2 006, des opérati o n s e n F ra nce et de la tra n sfo rmation d u g rou pe .

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Au nom de la performan ce, les entreprises détr uisent l'envie . . .

La g ra n de opérati o n q u i vi se à « O ra ng i se r » F ra n ce Té lécom et dé p o u s s ié re r l 'e n tre p ri se p u b l i q ue et ses 1 00 000 foncti o n na i res, est en ma rc he . Pa rmi les n om b reux chantiers i n itiés, ce l u i des va leu rs est ce rta i neme nt le p l u s révé late u r . Lou i s-Pie rre We nes est à la ma nœuvre et son obsession de l ' i n d icate u r et d u rep ortin g va fa i re des ravages . Pou r s 'assu re r de la mise e n œuvre des nouve l les valeu rs, i l exige q ue des i nd icate u rs soient m i s e n place et s u ivis rég u l i è reme nt. Mais q uand ces valeu rs consistent par exemple à être friendly et q ue p l u s ie u rs i n d icate u rs mes u rent la genti l lesse des salariés, on mesu re, c'est le cas de le d i re, l 'a bs u rd ité de la situation . Abs u rd ité an nonc iatrice du d rame soc i a l q u i emporta l 'entrep ri se trois ans p l u s tard ? \.

Cas d'en trep rise E n 2 009, e n p le i n o u raga n Ke rviel, la d i recti o n des Ressou rces h umai ne s de la Société Gé né rale déc i de q ue les ma nage rs de l 'e ntre p rise d o ive n t être, au-de l à de leu rs rés u l tats, éva l ués sur la man i ère dont i l s ma nage n t le u r éq u i pe . Un réfé re n tie l des comporteme nts exem p la i re s est a l o rs éta b l i avec à la clé u ne i dée louable : le rés u l tat ne peut pas être obte n u de n ' importe q ue l le ma n i è re et la fi n ne sau ra i t j u stifier tou s les m oye n s . Seu l em ent vo i l à, d a n s u n e en treprise a u ss i sérieu se, ce q u i ne se mes u re pas n 'exi ste pas . Les man agers se voie nt a l ors remettre un outi l d 'éva l uatio n où c haque compo rteme nt d o i t être « sco ré », q ua n ti fié, occas i o n na n t des d i sc u s s i o n s san s fi n e ntre éva l ué e t éva l uate u r s u r l e s n otes à d o n ne r à te l ou te l ma nage r . Les dé bats se foca l i se n t s u r l ' i nd icate u r de mes u re de la pe rforman ce compo rteme n tale, fa i sant o u b l ie r l 'esse n tie l : l e compo rteme nt l u i-même e t ses conséq uences s u r les re latio n s au se i n des é q u i pes .

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L'envie, une stratégie

Ces deux cas ne sont malheureusement pas atypiques,ils sont dans la norme de ce qui se pratique dans bon nombre d'entreprises. Le dogme de la mesure, du contrôle, de l'in­ dicateur de performance est partout. Pourtant, une autre voie est possible.

Cas d'en trep rise l nVivo est une e n tre p r i se peu con n ue d u g ra n d p u b l i c . D i rigée pa r Th ie rry B la n d i n i è re s , e l le re p rése n te p re s q u e 6 m i l l ia rd s d 'e u ros de c h i ffre d 'affa i re s et e m p l o ie 6 0 0 0 p e rso n nes da n s u ne d iza i ne de pays co m m e le Vietna m o u le B rés i l . Leade r fra n ça i s des coo p é rative s ag ricoles, ses activités s o n t reg ro u p ée s a u to u r d e tro i s p ô le s . So n pôle Ag ric u l tu re est l e p re m ie r se m e n c i e r e n F ra n ce , i l exp o rte et stocke à trave rs le m o n d e , des m i l l i o n s de to n ne s de cé réa les, et p ro p o se des so l u ti o n s p o u r a mé l i o re r le re n d e m e n t d e s exp l o i tati o n s ag ricoles nota m me n t à trave rs l a « b ig d a ta ag ricole » . Son 2 e p ô le s ' occ u pe de sa n té et de n u tr i ti o n a n i ma le . Son p ô le d i stri b u ti o n et ag roa l i m e n ta i re , le p l u s con n u du g ra n d p u b l i c , possède nota m me n t le réseau « Ga m me Ve rt » . Com me to ute e n tre p r i se , l nVivo d o i t s 'ada pter aux nouve l les contra i n tes de ses marc h és . C o n sc ie n t q ue la tra n sfo rmati o n c u ltu re l le d e l 'e ntre p rise e s t u ne d e s c l és d e s a mode rn i sati o n , u ne part i m po rta nte des éq u i pes a été re nouve lée et l 'e n tre p ri se a acc ue i l l i e n tro i s ans des m a nage rs venant de Pfize r, Ma rs , BMW, PSA, M i das, B ri ti s h Petro le u m , Cap Ge m i n i , E lectrol ux, Cas i no, etc . Mai s le n o m b re de p l us e n p l u s i m p o rta nt de ces n ouveaux manage rs q u i occ u pe n t des postes à res p o n sab i l ité, c rée p rog ressivement le se nti ment d ' u n p lafo n d de ve rre pour les a n c ie n s .

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Tou s les n ouveaux manage rs q u i ont i n tég ré l n Vivo, reconnai sse n t q u ' u ne de le u r m otivati on a été de fu i r la d ictatu re des résu ltats fi nan c ie rs à cou rt te rme et les reportings permanents . Ma i s cond ition nés p a r des a n n ées de p rati q ue , le u rs modes de ma nage ment vie nne n t heu rte r la c u ltu re paterna l i ste de l nVivo . Patrice Ga l l ier, le d i recte u r généra l de l 'époq u e, dema nde à Sébastie n G raff, son D R H , de lance r u n c ha n tier q u i v i se à con stru i re u n nouveau m od è le de ma nage me n t, baptisé « la pe rformance se l on l nVivo » . Pou r i n itier ce chantier, u n a u d i t est réa l i sé e n 2 0 1 1 . San s concess i o n , i l met e n év idence les pa1 radoxes d ' u n manage me nt parfo i s sc h izo p h rène . Pou r ces de ux catégories de manage rs, les a n c i e n s q u i ba ig nent dan s l a c u ltu re paterna l i ste d e l 'e n tre p ri se dep u i s des d éce n n ies e t les no uveaux, i s s u s d 'e n tre p r i ses ma nagées par la pe rforma nce à cou rt te rme , la d i ffére n ce fon damentale se trouve da n s le ra p po rt q u ' i ls e ntretie n ne n t au te m p s, aux rés u l tats et aux autres . Les p re m ie rs , persuadés q ue l 'e n tre p ri se est e n core là p o u r l o ngte m p s , i n scrive n t leu r acti o n da n s l a d u rée e t la i s se n t d u te m p s a u te m p s a l o rs q ue l e s seconds s o n t obsédés pa r le res pect du ti m i ng et le fa i t d 'atte i n d re dan s les déla i s le u rs ob jecti fs . Les « a n c i e n s » ma nage rs ag i sse nt com me des a rti sa n s trava i l la n t s u r des p i èces u n i q ue s . C e q u i les motive c 'est l 'a m o u r du trava i l b ie n fa it et le goût de la pe rfecti on . Les n o uveaux ont le se n s des p riorités et sont conva i n c u s q u ' u n effo rt est i n uti le s ' i l ne permet pas d e p rod u i re l e rés u l tat atte n d u . Ap rès des a n n ées passées dan s l 'e ntre p rise , les « manage rs mai so n » e n tretie n ne n t avec leu rs éq u i pe s des re latio n s très p roc hes, parfo i s h o u l e u ses, to u jo u rs affectives , trop parfo i s . Les a utres o n t p l u s d e d i sta n ce affective avec l e s éq u i pes, i l s

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L'envie, une stratégie

pe n se n t q ue ce q u i est i m porta n t, c 'est de les fa i re p rog resse r e t p o u r cela le u r fixe r des ob jecti fs e t le u r fa i re d u feed-back. U n c h oc de c u ltu re sa lvate u r pou r les u n s , dange re u x p o u r l e s autres . Face à ce constat sans a p pe l , Sébastien Graff décide, a p rès trois ans de cohabitation parfois d i ffic i le, q ue le tem p s de la réconcil iation est ven u . Il p rononce lors d ' u n sém i na i re des cad res d i rigeants du g rou pe un d i scou rs sous le s ig ne de « et » . « Pour moi, leur dit-il, rien de tout cela n e s 'oppose, tout est une question de curseur, de dosage. Notre devoir est à la fois de préserver notre ADN, fruit de notre histoire, et de nous pro;eter résolument dans le futur. Nous devons faire la syn thèse de ces deux cultures en in ven tant ensemble un managemen t du 3 e type pour une entreprise résolumen t moderne. Un style de managemen t qui donne du sens à la performance, qui concilie résultat économ ique et progrès social, qui réconcilie les ob;ectifs individuels et les solidarités collectives . Mais bâtir ensemble un nouveau style de m an agemen t, ne veut pas dire produire une norme visant à standardiser nos comportements. C 'est un appel à notre sens des responsabilités et à notre grande conscience professionn elle. » Et au-de l à de ce d i scou rs, c 'est la man iè re d ' i n stal le r cette nouve l le c u ltu re q u i fut n ovatrice . Tou t d 'abord , a u c u ne éc h éance à cou rt te rme ne fu t défi n ie pou r le dép loiement de ce nouveau modèle de ma nage ment, « il fallait laisser le temps à fa graine de pousser » com me a i maient à le d i re ce rta i n s manage rs . Auc u ne formatio n p rofessée par des ti e rs exte rnes à l 'e n tre p r i se ma i s des séa nces de co-déve l o p pe me n t où c haq ue manage r ve na it échange r, pa rtage r des bon nes p rati q ues, trouve r so l i da i re me n t des so l u ti o n s pour p rog resse r . Auc u n coac h i ng i n d ivi d ue l ma i s des b i n ômes d e manage rs ré u n i ssant c haq ue fo i s u n a n c i e n et u n no uvea u . Des b i n ô mes

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pour s'aider mutue l le ment et o ù , g râce à un effet mi ro i r, c hacun a p p rena i t de l 'autre . Auc une éval uati on par son N + 1 ma i s des autoéva l uations où c haq ue manage r, a p rès s ' être inte r rogé sur ses p rati q ues, vena it les d i scute r avec son c hef, dont la p ostu re n'éta i t pas ce l le d ' un superv i se u r ma i s d ' un rég ulate u r .

Pourquoi la communication ne forge-t-elle plus d e convictions communes ? Sauver les managers de la folie gestionnaire, leur redonner du temps pour qu'ils développent leur capacité d'entraîne­ ment plus que leur périmètre de contrôle. Les qualités managériales appréciées par les salariés sont l'écoute, le parler vrai, la capacité à instaurer une relation de confiance. Or quand on interroge ces mêmes salariés sur les raisons pour lesquelles ils jugent leur entreprise perfor­ mante, seulement 6 % d'entre eux répondent que c'est grâce au management (étude BVA 20 1 2). Ce qui est attendu de la part du management c'est moins de contrôle et plus de relation. Les salariés ne veulent pas plus de communication sur l'entreprise, ils veulent plus de communication avec leur manager.

Maîtriser /'information est devenu une obsession Mais la communication n'est pas l'information. Trop souvent, les entreprises confondent les deux. Elles ne 49

L'envie, une stratégie

comprennent pas que, dans un acte de communication, c'est bien plus que de l'information qui s'échange. Ce qui est à l'œuvre quand des êtres humains communiquent, c'est à la fois un échange d'idées qui les rend plus intelligents et l'affirmation de convictions qui engage et donne du sens. Aujourd'hui, grâce ou à cause de la puissance du Web, tout va vite, trop vite parfois. Une information en chasse une autre et sa « durée de vie » est de plus en plus courte. Gilles Finchelstein décrit très bien ce phénomène L'information est plus que jamais entrée dans l 'urgence . . . On a moins le temps de vérifier, on commet souvent des approximations et parfois des erreurs - la liste des faits ou des images erronés est longue. Mais cette accélération ne s 'arrête pas là . . . Elle a aussi une influence sur son contenu et sa consommation même. Le contenu ? Il est plus compact : de la même manière que l 'on a les fast-foods, on a aussi les fast­ news . . . La question est de savoir si tout cela - et notamment Internet - emporte également des conséquences sur notre manière de consommer l 'information. "Is Google making us stupid ? ", tel était le titre d'un article du Britannique Nicholas Carr qui expliquait que quelqu 'un ou quelque chose, avait remodelé ses neurones. » 1 «

Face à ces flux rapides et ce déversement d'informations, les salariés-internautes victimes « d'infobésité» ont du mal à faire le tri, à identifier ce qui est important et ce qui ne l'est pas, à faire la différence entre une actualité éphémère, sans lendemain, et l'annonce d'événements importants qui vont durablement impacter leur entreprise.

1 . Gilles Finchelstein, La dictature de l 'urgence, Fayard, 20 1 1 .

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Obsédées par la bataille de la vitesse, la nécessité d'oc­ cuper le terrain pour faire taire les rumeurs, faire face à tout ce qui se raconte sur la Toile, les entreprises n'ont de cesse de« maîtriser» l'information. Les entreprises produisent des éléments de langage « prêts-à-diffuser », des Q&A « prêts-à-utiliser», des kits de communication « prêts-à-l'emploi». Sans même s'en rendre compte, elles produisent du« prêt-à-penser». À vouloir gagner la bataille de la vitesse, l'entreprise perd celle de l'intelligence. Parallèlement, la consommation passive de l'informa­ tion n'est plus de mise. Car le Web, plus qu' une révolution technologique, est avant tout une révolution des comporte­ ments face à l'information. Toutes les entreprises le savent autant qu'elles le redoutent et, dans un pas de deux indécis, veulent libérer l'expression tout en continuant à la contrôler, faire de leurs managers des agents de propagandes tout en leur deman­ dant de dialoguer avec leurs équipes. C'est sur ce paradoxe que se bâtissent beaucoup de stra­ tégies de communication interne. Des stratégies qui veulent favoriser les remontées d'informations du terrain et les filtrer, donner la parole aux salariés et la censurer, permettre à chacun de donner son avis sur l'intranet et modérer les propos mis en ligne, laisser s'exprimer les vraies questions et ne retenir que celles qui permettent à la direction géné­ rale de faire passer son message. 51

L'envie, u ne stratég i e

On peut alors imaginer les dommages collatéraux que cela produit sur les salariés qui, ne retrouvant jamais vrai­ ment leurs propos, finissent par ravaler leurs opinions et leurs questions pour s'enfermer dans le silence. Un mutisme destructeur puisqu'il interdit, dans les situations les plus pesantes, de mettre des mots sur les maux. Cela ne produit rien de bien, jamais. Au mieux, lorsque l'entreprise se porte bien, ce bâillon génère un silence offi­ ciel alors,tout se murmure ailleurs,entre portes et couloirs, pour devenir rumeur, source d'interrogation et amplifica­ teur de confusion. Mais dans les cas où l'entreprise va mal, où l'inquié­ tude sur son avenir est réelle, où chacun a besoin d'être réassuré, dans ces cas-là, les conséquences peuvent être très graves. Empêcher la parole ou plus exactement ne pas donner de légitimité institutionnelle à la parole indivi­ duelle, ce n'est pas uniquement une interdiction de parler, c'est la négation de la personne, le déni de son inquiétude. Et l'on sait les conséquences émotionnelles de ce genre de refus, sur des hommes et des femmes déjà fragilisés psychologiquement.

Les communicants sont devenus des fabricants de « prêt-à-penser » Cas d'en trep rise Le 2 9 avri l 2 005 , Ca rlos Ghosn succède à Lou i s Schweitzer, e n ta nt q u e PDG de Ren a u l t, a p rès un passage réussi a u pays d u Solei l-Leva nt o u , e n m o i n s d e tro i s a n s (2 000-2 003 ) ,

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Au nom de la performan ce, les e ntreprises détr uisent l'envie . . .

i l a tra n sformé le constructe u r japona i s a u bord de la fa i l l ite e n u n des g rou pes automo b i les les p l u s re nta b les a u mo n de, avec u ne ma rge opérati o n ne l le de p l u s de 1 1 % . I l lance a l o rs u n p la n d e re lance bapt i sé « Rena u lt Contrat 2009 » q u i pou rs u it tro i s g ra n des amb it i o n s : ve n d re 800 000 vé h ic u les s u p p léme nta i res avec u n p la n-p rod u it de 26 nouveaux modèle s, réa l i se r u ne ma rge o p é rat i o n ne l le de 6 % (contre 2, 6 % a u dé b ut d u p la n ) et e n fi n p lace r la n ouve l le Lag u na pa rmi le top 3 du ma rc hé e u ro pée n e n te rmes d e q ua l ité ; s i g na nt a i n s i l e retou r d e Renau lt da n s le haut de gamme a p rès l 'éc hec de la Ve l Sat i s et de I' Avantime . Ces ob ject i fs sont déc l i nés da n s les d i ffé re ntes d i rect i o n s de Re nau lt avec des i nd icate u rs pe rmetta nt de mes u re r le n iveau de pe rformance à atte i n d re . A u se i n de l 'e ntre p ri se, ce p la n la i sse d u b itat i f u n g ra n d n ombre de manage rs q u i pe n se nt q ue l e s objecti fs sont tro p amb itieux et donc i natte ig na b les . Ma i s le style de manageme nt imposé pa r Ca rlos Ghosn, fa it d 'a uto rité dan s l a re lat i o n et d 'a b négat ion dan s l 'e ngageme nt, lai s se peu de p lace a u d ia l og ue . D 'a i l le u rs comme il a i me à le ré péte r chaque fo i s q u ' i l s 'exp rime deva nt ses cad res : « Ce ne sont pas des objectifs mais des en g ag emen ts . » Carlos Ghosn uti l i se a l o rs toutes les occa s i o n s de p ri se de parole devant ses cad res pou r mo b i l i se r les éq u i pe s et réaffi rme r ses amb it i on s . Dé but 2 006, 900 jeu nes manage rs recrutés de p u i s moi n s de 1 8 mo i s, sont ré u n i s au Pala i s des cong rès de Ve rsa i l le s pou r le sém i na i re « V i s i o n » q u i con c l u t leu r parcou rs d ' i ntég rat i o n . Pou r p ré pa re r l ' i nte rve ntion de c l ôt u re de Ca rlos G h os n, u ne méthode de d ia l og ue u n pe u pa rtic u l ière est m i se e n p lace . Carlos Ghosn so u ha ite con naître avant son i nte rve ntion les q ue st i o n s de la sal le . U ne remo ntée d ' i n fo rmati on du te rra i n pou r la i sse r s 'exp rime r les q uest i o n s est m i se e n p lace ma i s se u les so nt rete n ues l e s q uest i o n s j ugées p e rti nentes . Les

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L'envie, u ne stratégie

q uesti o n s sont d i stri b u ées à des q uesti o n n e u rs dés ig n és d 'ava n ce avec pou r m i s s i o n de pose r « sponta néme n t » les q uesti o n s sé lecti o n n ées . L'exe rcice est te l lement délicat, fu nambu lesq ue même , q u ' i l met tout le monde mal à l 'a i se , y com p ri s ceux q u i sont chargés de son exécution . Ai n s i , p l utôt q ue d 'ouvri r le dé bat et d 'e n tame r les d i sc u s s i o n s , Ca rlos G h o s n p réfè re déclame r s a vé rité . C e rtes , sa pa ro le a e ncore de la va le u r a u p rès des sa la riés parce q u ' i l s l u i accorde nt la lég i tim ité de « ce l u i q u i sa it » . E n même temp s, i l s ne le c roient pas com p l èteme n t car i l s'exp rime da n s u n reg i stre o ù le natu re l a peu d e p lace e t o ù le d ia l og ue est sous contrôle . Pou rq u o i donc o rga n i se r u n show où tou t est écrit à l 'avan ce, pou rq u o i p rivi lég ie r u ne p ri se de parole froide q u i re nforce le se ntime n t de d i sta n ce dan s les p ropos et d ' é l o ig neme n t dan s l a p ostu re ? Da n s des contextes d i ffi c i les, ce n 'est pas la p réc i s i o n d u d i scou rs q u i tou c he les sa lariés, c 'est l a convicti on q ue l 'on partage et l 'e ntho u s iasme q ue l'on tra n smet. A i n s i ces 900 jeu nes ma nage rs, fo rces vives de l 'e ntre p rise , ass i s comme d e vu lga i res s pectate u rs , i ng u rg i te n t l e d i scou rs d u c hef san s pouvo i r vé rita b leme nt s'ap p ro p rier ses paroles . Ma i s le p l u s i nc roya b le est le mot d ' o rd re de la fi n : « C 'est à vou s ma i nte nant d 'a l le r po rte r le message à vos éq u i pes » . Pe u t-on être le re la i s d' u n message a u q ue l o n ne c ro i t pas totaleme nt ? Q u ' à ce la ne tie n ne , to ut est p révu p u i sq u ' à la so rtie , o n remettra à c haq ue jeu ne manage r u n « kit perroq uet » i névita b leme nt consti tué d ' u n slide-show q u i re p re n d mot pou r mot ce q u i le u r a été d i t et d ' u n a rg ume n ta i re q u i ré p o n d aux q uesti o n s i nve ntées pa r l e s comm u n ica n ts , d e s q uesti o n s q ue l e s salariés ne s e pose n t pas vra ime nt.

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Au nom de la performan ce , les e ntreprises détruisent l'envie . . .

Les p l us d isci p l i nés ré pète nt san s conv ict i o n à leur éq u i pe le même d i scours q ue ce l u i q u ' i l s ont s u b i et fi n i sse nt leur i nte rve nt ion par cette p h rase p rotectrice q u i fe rme tout dé bat : « Vous n 'avez pas de q uest i o n s ? » Quant aux m o i n s courage ux, à moi n s q u' i l n e s'ag i sse des p l us mal i n s , i l s p h otoc o p i e nt avec a p p l ication les documents et les d i stri bue nt ensuite à leurs col laborateurs . Dé b ut 2 007, les me i l l e u r s ré s u ltat s de Re n a u lt se fo nt to u j o u r s atte n d re , le manageme nt i nte rmé d ia i re e st de p l us en p l us d u b itat i f sur la pe rt i ne n ce de ce p la n et les s u i c i de s de p l us ie u rs sa l a r i é s a u Tec h n oce n t re , fi n 2 006 dé but 2 00 7 , té m o i g n e nt de la p re s s i o n qui p è se sur les . , e q u 1 pe s . U n a n p l us ta rd , i l a p p a raît év i de nt q ue l ' o b ject i f d 'atte i n d re 6 % de ma rge o p é rat i o n ne l le e n 2 009 ne se ra pas atte i nt , e n p a rt i c u l i e r à cause des e ffets de la c r i se fi na n c i è re s u r l 'éco n o m ie . I l e st a l o rs déc i d é de revo i r le p la n- p rod u it et de p ré pa re r u n p la n de re st r uct u rat i o n p o u r la re ntrée 2 0 0 8 .

Les managers, contrairement à ce qu'affirment les entre­ prises, ne sont pas des relais naturels de communication et il y a au moins une bonne raison à cela. Il est impossible pour un manager, qui a fondé sa légitimité professionnelle sur son expertise, sa position de « sachant » par rapport à ses équipiers, d'accepter une situation dans laquelle il pour­ rait être mis en défaut. Comment peut-on aller dialoguer avec ses équipes, lorsque soi-même on a été privé de dialogue? Comment répondre aux questions que ne manqueront pas de poser ses collaborateurs, lorsque l'on a la tête farcie de ses propres interrogations restées sans réponse? 55

L'envie, une stratégie

En voulant maîtriser coûte que coûte l' information, les entreprises se trompent de combat. Elles craignent les formes ouvertes de discussion, pensant qu'elles sont poten­ tiellement sources de polémiques et que la polémique engendre inévitablement la protestation. Leur raisonnement est d'une logique implacable. Puisque la situation est difficile, les managers vont expri­ mer leur mécontentement et le mécontentement de certains va contaminer les autres, au point que progressivement les esprits vont s' échauffer,les revendications s' exprimer et au final, le désordre s'installer. Or cette logique est particuliè­ rement absurde car elle repose sur un postulat erroné. Ce n' est pas du dialogue que naît le désordre mais de l'absence de dialogue parce que progressivement,il se transforme en contestation. Il est absurde de penser qu'un bon manager est avant tout discipliné et que son rôle est de relayer mécaniquement, dans un alignement où aucune tête ne doit dépasser, les informations de la direction générale.

Les politiques RH fabriquent de moins en moins de collectif La fonction Ressources humaines n' a pas échappé au diktat de la rationalisation : recherche de productivité, multipli­ cation des processus et procédures pour gagner en effica­ cité et mise en place d'indicateurs pour accéder au rang de « fonction sérieuse». Les politiques RH qui en découlent, 56

Au nom de la performance, les entreprises détruisent l'envie . . .

donnent parfois l'impression que la fonction a perdu le sens de son rôle social.

L'esprit d'équipe, une vue de l'esprit ? Selon l'indicateur des valeurs corporate publié en 20 12 par l'agence Wellcom qui étudiait les valeurs affichées par 4 000 entreprises européennes, les entreprises françaises ont pour deuxième valeur la plus fréquemment affichée « l'esprit d'équipe». Alors même que la valeur « l'esprit d'équipe» n'arrive qu'au dixième rang pour les entreprises étrangères. De fait, on n'a jamais autant revendiqué, valorisé et « marquété» l'esprit d'équipe, jusqu'à le transformer, comme l'a fait la Société Générale, en un sujet publicitaire. À croire que cette revendication est un aveu d'impuissance. Cela répond à une spécificité française : les Français sont réputés avoir du mal à travailler ensemble, et ce dès l'école. Transparency International relève que 25 % des salariés français avouent s'approprier fréquemment le travail de leur collègue contre 9 % au niveau mondial. Une blague anglaise bien connue dans le milieu du rugby raconte qu'il suffit de marquer le premier essai contre les Français, ils passent ensuite le reste du match à s'en rejeter la faute les uns sur les autres et ne s'occupent plus du résul­ tat final. Ce phénomène culturel est largement entretenu par certaines politiques RH soucieuses de maintenir la motiva­ tion individuelle par plus d'objectifs, de performance et de résultats individuels. 57

L'envie, une stratégie

Il y a une grande confusion entre deux notions finalement très distinctes : l'individu et la personne. Des faux amis. Les salariés projettent derrière cette notion d'indivi­ dualisation des dimensions très différentes de celles de leur employeur. Alors que leurs attentes passent par plus d'écoute de leurs besoins, de respect de leur personne, de prise en compte de leur singularité, leur entreprise répond par plus d'objectifs et de résultats individuels. Le décalage est grand. Ce que tout salarié recherche dans son travail c'est, entre autre, d'être considéré comme une personne, une reven­ dication qui s'est amplifiée avec la génération Y. Pour l'entreprise, ce qui est primordial, c'est l'unicité, non pas l'unicité qui considère chacun comme un être unique mais comme un « élément » identifiable dont la contribution est quantifiable. D'un côté les individus aspirent à être une partie d'un collectif, à la condition que cette appartenance soit compa­ tible avec leur souhait d'être considéré comme une personne dans le respect de sa spécificité. De l'autre, les entreprises font du collectif un espace de normalisation et de cohé­ rence, forcément limitant pour les individus. Les entreprises, dans leur course à la performance, sont en permanence à la recherche d'une meilleure productivité. Une des façons de l'obtenir est de faire de chaque collabo­ rateur un contributeur identifiable dont la valeur ajoutée est quantifiable par son manager. Il faut donc pouvoir mesurer ses performances unitaires, fixer des objectifs individuels, mettre en place des systèmes de contrôle et d'évaluation et

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Au nom de la performance, les entreprises détruisent l'envie . . .

pour verrouiller le tout, indexer une partie de la rémunéra­ tion sur ces résultats. Le manager devient alors comptable de ces performances au point de transformer l'entretien annuel en une séance de« mesurite aiguë». Et comme si cela ne suffisait pas, on prône l'esprit de compétition, la saine émulation qui fait de chaque sala­ rié un petit champion en puissance. Faire plus que ses objectifs, plus que les limites que l'on s'était fixées, plus que les autres. La force d'un collectif ne se fonde pas sur l'agrégation de performances individuelles. On le constate tous les dimanches dans les plus grands stades européens. Bien sûr, les entreprises sont conscientes des risques d'une trop grande individualisation, elles revendiquent alors avec enthousiasme« l'esprit d'équipe ». Pour maintenir cet esprit d'équipe, elles organisent des séminaires d'incentive où l'on invite, à grands frais, d'anciennes stars du sport. Ils viennent expliquer les vertus de la compétition pour fédérer une équipe et le dépassement de soi au nom du collectif mais ils oublient de dire que les sportifs sont avant tout animés par une passion, celle du sport qu'ils ont choisi. Il est rare de voir un contrôleur de gestion galvanisé par la maîtrise des coûts ou un informati­ cien prêt à dépasser ses limites pour les nouvelles fonction­ nalités d'un progiciel. Force est de constater que dans beaucoup d'entreprises, l'esprit d'équipe est mis à mal. Une raison simple l'ex­ plique. On ne construit pas un collectif à coup d'événe­ ments managériaux. Team building, coaching d'équipe, 59

L'envie, une stratégie

raids et sports à sensation ne peuvent suffire à faire émer­ ger un esprit d'équipe, surtout quand dans leur quotidien de travail, beaucoup de salariés se sentent parfois seuls face aux difficultés. La plupart des approches du management se veulent rationnelles en s'appuyant sur des règles de fonctionne­ ment collectives, des méthodes collaboratives ou encore des principes de travail coopératifs. Elles oublient l'es­ sentiel, la dimension affective des échanges sociaux dans laquelle la fierté, la gratitude, le sentiment de justice sont essentiels.

La marque employeur, un empilement d'histoires individuelles Inventé dans les années 1990 en Angleterre, le concept a véritablement décollé en France lors du redéman·age de l'emploi en 1995 après les années de crise. Les entreprises ont alors recommencé à vanter leurs qualités pour attirer les talents. Baromètre Trendence, clas­ sement Universum des employeurs idéaux, Great place to work, label Top employeur. . . les classements destinés à mesurer l'image employeur des entreprises se sont multi­ pliés depuis 1 0 ans. Le fait que le discours employeur des entreprises appartienne au domaine de la communication grand public est en soi une avancée. Au nom de la marque employeur, les entreprises ont multiplié, parfois anarchiquement, les initiatives : sponso­ ring d'événements sportifs étudiants, serious game, chaires 60

Au nom de la performance, les entreprises détruisent l'envie . . .

d'entreprises, opération « vis ma vie», graduate programs et master class, sans toujours y traduire des promesses RH claires. À force de développer une approche marketing visant à packager quelques initiatives et à mettre en scène quelques preuves bien choisies, les entreprises ont abouti à une unifor­ misation du discours : être innovant, citoyen, respectueux de la diversité et bien sûr centré sur l'homme. Voilà les attributs revendiqués par la majorité des entreprises. Mais la marque employeur n'est pas une externalité positive qu'on exhibe pour attirer les talents, elle vient de l'intérieur. Elle est la « substantifique moelle» qui traduit l'essence humaine de l'entreprise à travers sa politique RH, son style de management et plus largement sa culture. Elle est la promesse de ce que sera la vie dans l'entreprise, au-delà de ses actes de production. Mais promettre une vie meilleure aux candidats s'avère très risqué si cette promesse est déconnectée de la réalité vécue par les salariés. L'avènement des réseaux sociaux et l'exigence de transparence qu'ils imposent ont obligé les entreprises à sortir du discours officiel et à prendre une « posture conversationnelle» en laissant parler leurs sala­ riés. Mais elles ont habilement créé des leurres, en dévoi­ lant des morceaux de vie, des témoignages qui ne sont finalement représentatifs que de situations individuelles. La transparence n'a pas de vertu si elle ne permet pas d'aborder les vrais sujets. Pis encore, en renvoyant une image fragmentée, en mettant en scène des dimensions très personnalisées (incarnées disent les communicants) de la politique de ressources humaines, le discours employeur 61

L'envie, une stratégie

a contribué à propager un sentiment de futilité auprès des salariés. Ils en attendent plus, désireux qu'ils sont de comprendre le véritable modèle social de leur entreprise et à travers lui le sens qu'elle donne à la notion de commu­ nauté professionnelle.

Au nom du client, on détruit l'amour du métier Le travail est une manière de donner du sens à sa vie. Un travail épanouissant est un savant mélange entre des acti­ vités intéressantes dans lesquelles on prend du plaisir, des activités qui nous font nous sentir utiles et qui sont en harmonie avec nos valeurs personnelles. Nous avons besoin de sentir que nous apportons notre pierre,même modeste,à la construction du monde dans lequel nous vivons et notre activité professionnelle peut y contribuer. Par son travail, chaque salarié prétend donc apporter sa contribution singulière à la construction d'un projet commun. À travers l'exercice de son métier, il affirme des valeurs. Il travaille aussi pour lui et pas uniquement pour l'entreprise, il se fait plaisir. « Les journées particulières» organisées tous les deux ans par le groupe LVMH, sont un bel exemple de cette envie communicative générée par l'amour du métier. En ouvrant au grand public les portes de ses ateliers, cet événement permet à l'interne de partager avec les visiteurs,qui ne seront peut-être jamais des clients,sa fie11é du« bel ouvrage». 62

Au nom de la performance, les entreprises détruisent l'envie . . .

Qualité perçue, qualité déçue « Faire du bon travail» et« faire ce qu'on aime» sont des priorités de vie au travail pour les salariés français comme le monte l'étude menée en octobre 20 13 par le CSA sur la qualité de vie au travail (ces deux items sont jugés priori­ taires avec une note de 8,7 et 8,5 sur 10). Derrière ces deux affirmations (faire du bon travail et faire ce qu'on aime), il y a une revendication : celle d'exercer fièrement un métier et d'appartenir à un collectif d'experts, qui partage des valeurs professionnelles. Un système de valeurs porté par des individus recherchant une reconnais­ sance à la fois symbolique (par les pairs) et institutionnelle (par la hiérarchie). Aujourd'hui, comme l'explique Philippe Davezies (enseignant chercheur en médecine et santé au travail à l'Université Claude Bernard Lyon 1) : Pour répondre aux impératifs de marché, le terme qualité tel qu 'il est promu par l 'entreprise n 'a pas la même significa­ tion pour les salariés qui considèrent qu 'un travail de qualité est non seulement conforme aux règles du métier mais qu 'il porte également la marque personnelle de son auteur. » «

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Dans cette perspective, l'excellence pour l'entreprise consiste à faire, non pas le mieux possible, mais le juste nécessaire pour la satisfaction du client. Celui qui fait plus que la qualité nécessitée par les règles du marché gaspille des ressources. La qualité perçue est l'ennemi de la qualité absolue et il n'est pas besoin d'être psychologue du travail pour comprendre les maux que génère l'impression de devoir bâcler son travail. 63

L'envie, une stratégie

À cette conception opposée de la qualité, s'ajoutent les démarches d'optimisation dont la forme la plus répandue est la standardisation, caractérisée par la formalisation de processus qui vise à cadrer l'activité. Ainsi prolifèrent les protocoles, procédures, gammes qui définissent des points de passage obligés avec pour objectif de garantir la confor­ mité des actes professionnels à ces normes. Pourtant, les métiers où les interactions sont importantes (notamment les métiers de service), sont confrontés à une nécessaire improvisation. Chaque interaction (la vente, la relation client, le conseil, le renseignement. . . ) nécessite une adaptation à la demande (la fourniture d'une solution adaptée). L'expérience devient une part importante de la compétence puisqu'elle permet de reconnaître des simili­ tudes dans les situations, pour faciliter l'adaptation et acquérir de l'aisance (avoir du métier). Le plus surprenant est certainement l'application de ces principes aux démarches de qualité de service. Il y a souvent un mélange entre qualité de service et esprit de service. La qualité du service est une conséquence de l'esprit de service. Alors plutôt que de consacrer la majorité de leur temps à quantifier via des normes qualité, à mesu­ rer via des enquêtes de satisfaction et à contrôler via des indicateurs qualité, il est préférable que les entreprises qui souhaitent améliorer leur qualité de service consacrent aussi de l'énergie à entretenir l'esprit de service chez les collaborateurs qui sont face au client. Il ne peut pas y avoir d'esprit de service sans le désir d'être bienveillant et l'envie de faire plaisir. La gestion des émotions est alors 64

Au nom de la performance, les entreprises détruisent l'envie . . .

capitale dans la confrontation entre salariés et clients. Ce qui se joue à chaque contact, dans chaque relation, c'est la capacité des salariés à être serviable, c'est-à-dire à faire preuve de cordialité, de courtoisie, de gentillesse. Pour cela, il leur faut faire bonne figure en maîtrisant des charges émotionnelles fortes. La relation de service, avec ses exigences de co-construction entre le salarié-producteur et le client­ consommateur, est susceptible d'augmenter l'intérêt du travail, de lui donner un sens générateur d'envie. Mais pour cela, deux conditions doivent être réunies. Le front office ne doit pas être exclusivement le lieu d' applica­ tion de normes et réduire les actes professionnels à une succession de modes opératoires. Le salarié ne doit pas être soumis, sans y être préparé, à des situations de tension exacerbée.

Sois autonome mais applique la règle La perception de la normalisation grandissante de leurs actes professionnels, met à mal les valeurs et les buts que les salariés projettent dans l'exercice de leur métier. Cela provoque chez eux le sentiment d'une perte de liberté. Alors même que la situation appelle de l'engagement, le professionnel se trouve incité à se conduire comme un rouage et à renoncer à son libre arbitre. Dans le même temps, parce que la vie ne peut se programmer et que l'aléa en fait partie, il est invité à prendre des initiatives. Appliquer la règle et prendre des initiatives, voilà le dilemme auquel sont confrontés de nombreux professionnels. 65

L'envie, une stratégie

Personne n'y échappe. L'initiative et l'autonomie sont réclamées partout dans l'entreprise, du manager au chauf­ feur livreur. Une injonction paradoxale qui ressemble à un « je t ' or­ donne d 'être spontané » .

Le chauffeur livreur doit se conformer aux modes opéra­ toires (plan de tournée, procédure en cas d'absence du client, règles concernant les encaissements, etc.) définis par l'entreprise qui l'emploie. Lorsqu'il est confronté à une situation qu'aucune règle n'a prévue, il est en droit de se demander pourquoi il devrait compenser la défaillance de son entreprise qui n'a pas pensé à établir une règle pour cette situation. Après tout, est-ce que l'entreprise se subs­ titue à lui lorsque, face à une situation inattendue, il ne sait pas comment faire? Non. Il doit se débrouiller tout seul. C'est un peu comme s'il devait corriger les erreurs de son employeur (inventer une manière de faire que son entreprise n'a pas prévue) alors que celui-ci n'est pas toujours prêt à lui pardonner ses erreurs lorsqu'il ne sait pas comment faire. Chercher l'erreur ! Comment avoir envie de prendre ses responsabilités quand le partage des responsabilités semble si déséquilibré? Il y a une confusion autour de cette notion d'autonomie. La plupart des entreprises encouragent leurs managers à déléguer et pour joindre les actes aux recommandations, elles distillent les règles d'une délégation réussie. D'abord, être clair sur la tâche à accomplir et l'objectif à atteindre ; ensuite, ne pas abandonner son collaborateur à son triste 66

Au nom de la performance, les entreprises détruisent l'envie . . .

sort, le soutenir, l'aider en cas de besoin ; enfin, contrô­ ler in fine que le travail a bien été accompli et évaluer de manière constructive comment les choses se sont passées. La répétition des actes de délégation doit conduire au déve­ loppement de l'autonomie. Mais l'autonomie est un état, l'initiative un acte. Pour autant qu'il soit capable d'auto­ nomie, un collaborateur ne fera preuve d'initiative et d'in­ ventivité que s'il décide spontanément d'entreprendre. Et cette spontanéité n'est la conséquence d'aucune règle, d'aucune méthode. Elle est le fruit de son envie. Voilà ce à quoi des millions de salariés sont confron­ tés. Un environnement économique anxiogène qu'ils ne comprennent plus. Des dirigeants dont les prises de déci­ sion renforcent chez eux l'idée qu'ils ne sont plus une pièce maîtresse de cette partie d'échec mondial, simple­ ment des pions soumis à une mécanique implacable. Des entreprises dont le double discours vante à outrance les vertus de l'individualisation des performances et, dans le même temps, fait la promotion de l'esprit d'équipe. Des managers accaparés par des tâches de contrôle et de super­ vision et qui ne consacrent que des miettes de leur temps à leurs équipes. Un temps qui justement s' accélère et où la dictature de l'urgence nous gave d'informations qui ne font plus sens. Un métier que chacun voudrait pouvoir exercer, si ce n'est avec passion, au moins avec intérêt, en y mettant un peu de lui-même, mais que la standardisation a réduit à une série de gestes normés au nom de la qualité et du client. Je ne crois pas, malheureusement, que ce long inven­ taire soit une exagération, une caricature. Certes, chaque 67

L'envie, une stratégie

entreprise n'est pas confrontée à l'ensemble de ces phénomènes au même moment. Bien sûr, on ne peut pas réduire toutes les entreprises à cela, car elles sont plus que cela. Mais je suis certain d'une chose, c'est que cette situa­ tion ne peut générer qu'une forme de pessimisme chez une grande partie des salariés, un climat émotionnel lourd et pesant qui rend difficile, et dans certains cas impossible, toute forme d'envie collective. Maintenant on fait quoi?

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3 Osons une stratégie de l'envie

Osons une stratégie de l'envie

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ans la culture anglo-saxonne, les salariés pragma­ tiques vivent le lien avec leur entreprise comme un contrat, un engagement mutuel fondé sur des contre­ parties objectives. Les Européens et tout particulièrement les salariés de l'Europe méridionale, vivent le lien avec leur entreprise de manière plus affective, l'envisageant comme un lien communautaire. Une communauté qui, au fil du temps, s'est étiolée.

Les nouvelles règles qui régissent une économie finan­ ciarisée ont mis à mal le rapport entre actionnaires, diri­ geants et salariés au point de rendre difficile toute référence à une communauté d'intérêts équitable. Une équité dans la répartition de la richesse chahutée par des rapports de forces qui au mieux la maintiennent en équilibre instable, au pire en font un sujet de lutte. La mondialisation des marchés a, quant à elle, créé une rupture entre les entreprises et leurs employés, tant leur rapport à l'espace et au temps sont différents. D'abord parce que le temps de la carrière n'est plus continu. Les salariés le savent, ils devront changer plusieurs fois d' em­ ployeur, pour leur progression professionnelle mais aussi parce que leur emploi peut disparaître pour laisser place au chômage. Ensuite, parce que encore beaucoup de sala­ riés sont fondamentalement attachés à leur territoire, à leur implantation locale, fruit d'une histoire de vie. Les entre­ prises, elles, sont transnationales, sans frontières, implan­ tées là où provisoirement elles y ont intérêt, jusqu'à ce que cet intérêt se déplace, au gré des réglementations et des marchés.

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L'envie, une stratégie

Une double rupture qui interdit de se projeter dans une communauté de destins. L'entreprise serait-elle une communauté de valeurs ? Il y a aujourd'hui dans les entreprises un malaise palpable autour de cette notion. La valeur s'y entend de deux façons très différentes : la création de valeur qui renvoie à l'accumu­ lation des profits et à l'augmentation du cours de Bourse et les valeurs qui sont l'ensemble des croyances profondes d'un individu ou d'un groupe et qui guident leurs choix de vie. Conscient que le management des hommes et des femmes doit s'appuyer sur autre chose que la précision des règles et la formalisation des procédures,beaucoup d'entre­ prises se sont lancées dans un management par les valeurs sans en mesurer les limites et les risques. Les chartes des valeurs, les incantations sur leurs supposés bienfaits pour l'esprit d'équipe, l'évaluation des comportements mana­ gériaux au regard de ces mêmes valeurs, sont devenus les oripeaux d'une nouvelle religion. Très souvent,derrière les valeurs promues par l'entreprise, il y a une volonté de créer une culture commune,de donner un sens à l'action. Peut-être,mais un collectif est composé d'une somme d'individus qui ont tous, fruit de leur éducation et de leur histoire, des valeurs bien à eux,une éthique personnelle. Une enquête de 201 2 de la Fondation de Dublin (Fith working condition survey) révèle que la proportion des salariés dont le travail comporte, selon eux, des tâches en forte contradiction avec leurs valeurs personnelles,est plus élevée en France que dans la moyenne des 27 pays de l'Union européenne. Et ce n'est rien comparé aux 37 % de DRH qui reconnaissent qu'ils agissent parfois contre leur éthique (étude Cegos, juin 2012). 72

Osons une stratégie de l'envie

Ce sont ces valeurs personnelles qui, lorsqu'elles sont mises à mal, provoquent des chocs émotionnels. La culpabilité ou la colère de devoir réaliser un acte professionnel contraire à ses valeurs, peut déclencher de véritables souffrances éthiques. La communauté de destins n'est plus. La communauté d'intérêts est mise à mal. La communauté de valeurs est un rmrage. Pourtant, tous les matins, des millions de salariés vont au travail et in fine y passent une grande partie de leur vie. Alors pourquoi ne pas faire de l'entreprise une commu­ nauté de désirs, qui dureront le temps de l'union mais désirs qui leur feront vivre une expérience professionnel­ lement satisfaisante et personnellement épanouissante? Bâtir une stratégie de l'envie, c'est investir tous les champs de la communication et du management pour faire émer­ ger dans chaque entreprise une communauté de désirs. Une communauté nourrie par la fierté de ce que l'on accomplit ensemble, par la satisfaction d' œuvrer à un projet utile, par le plaisir de construire des liens de qualité avec ceux qui partagent le même quotidien professionnel.

Une nouvelle priorité pour les patrons : générer de l'envie La question de la rémunération des dirigeants fait régulière­ ment l'objet de débats polémiques. Honteusement trop payés accusent certains, rémunérés à la hauteur de leur responsa­ bilité affirment les autres. Des rémunérations qui peuvent 73

L'envie, une stratégie

apparaître disproportionnées lorsqu'elles sont exprimées en nombre de Smic, tout à fait acceptables lorsqu'elles sont comparées à celles des stars du PSG. La rémunération de certains patrons apparaît parfois déconnectée des résultats de leur entreprise, alors même que la rémunération à la performance est une des pierres angulaires du management moderne. Le débat sous-jacent est alors celui de la répartition de la richesse produite. Mais ce débat pour autant qu'il soit sain, n'est pas de nature à traiter la question essentielle de la création de richesse, car avant de s'interroger sur la distribution d'une quelconque richesse, il faut se demander quelles sont les raisons qui conduisent ou non à sa production. La vraie question n'est pas « est-ce que la situation des patrons est enviable? » mais plutôt « la mission des patrons n'est-elle pas de donner envie? » . Le rôle d'un dirigeant est de générer cette envie. Ce devrait être son premier objectif, son seul indicateur de performance, car, j'en suis sûr, tous les autres résultats en découlent. Les patrons sont souvent très intelligents, d'une logique et d'une rationalité implacables, mais c'est à l'œuvre et à la manœuvre dans le management de leur entreprise qu'ils révèlent leur potentiel de création (ou de destruction) de l'envie.

Affirmer une finalité plus désirable 89 % des salariés français estiment que les entreprises recherchent uniquement la performance financière (sondage 20 1 1 , reconnaissance et performance - IFOP).

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Osons une stratégie de l'envie

Et s'ils avaient raison? Tout semble indiquer que les décisions prises par les dirigeants sont plus souvent dictées par la volonté de créer de la valeur à court terme que de la richesse sur le long terme, comme si le profit était une finalité et le progrès une conséquence. C'est un fait, l'entreprise est un acteur économique. En produisant et en redistribuant la richesse, elle est même un acteur économique central, celui qui aujourd'hui façonne l'économie mondiale. Mais elle est bien plus que cela. Son action a des conséquences sociétales, environnemen­ tales, culturelles et parfois même des incidences sur des questions géopolitiques. L'entreprise est aussi un lieu de vie, un lieu de socialisation, d'intégration, d'éducation, d'innovation. Il y a deux façons de prendre en compte cette réalité. La première consiste à considérer que l'entreprise est avant tout un agent économique. Les résultantes (sociétales et environnementales) de son activité sont des externalités qu'il est nécessaire de maîtriser afin qu'elles ne viennent pas, sous la pression de l'opinion, du politique ou des médias, perturber le bon déroulement de sa stratégie busi­ ness. Une stratégie qui repose avant tout sur des ambitions économiques (être le leader dans sa catégorie, faire de la croissance, améliorer sa rentabilité, etc.). Il existe une autre façon de penser l'action d'une entre­ prise en considérant que l'économique n'est pas le seul fondement de sa mission. Que sa vocation est supérieure, 75

L'envie, une stratégie

qu' elle œuvre au service d ' un style de vie, d' une certaine idée du bien commun et du progrès social. Je ne suis pas un doux rêveur et pourtant je suis convaincu qu'il est grand temps pour les entreprises de réconcilier, sincèrement, impératifs économiques et bienfait social en se posant une question cruciale : est-ce que l' entreprise a des projets ou est-ce que l' entreprise est un projet ? Toute entreprise a des ambitions (ce qu' elle veut réussir) et des objectifs (qu' elle veut atteindre). Mais dans sa forme la plus actuelle, la stratégie d' une entreprise est surtout une manière d' optimiser ses ressources, de définir ses plans d' action, d' orienter ses activités, d' organiser ses façons de faire pour atteindre des résultats financiers. Le projet d' une entreprise est tout autre. C' est sa raison d' être, la manière dont elle répond à la question : pourquoi entreprendre ? Pour servir quelle finalité ? Les objectifs et les résultats ne constituent que des repères ou des jalons.

Toute entreprise est u n projet Le regard qu' une entreprise porte sur le monde dit son origina­ lité et justifie son existence : la manière dont elle entend être utile à la société. Une stratégie de montée en gamme comme celle du Club Med ou du groupe Vivarte, ne saurait constituer un projet, tout au plus une démarche marketing. Vouloir se démar­ quer de la concurrence par l' excellence de ses produits et la qualité de ses services est une promesse faite par de nombreuses entreprises aux consommateurs, en aucune 76

Osons une stratégie de l'envie

manière une déclaration d'utilité sociale. Dans le même registre, une stratégie low cost associée à une recherche de profit ne paraît pas de nature à contribuer au progrès social. L'exemple de Ryanair qui contraint ses clients à voler dans des conditions parfois rocambolesques et qui s'appuie sur une forme de dumping social, relève plus d' un positionne­ ment marché que d'une évolution sociétale. Il n'y a que trois façons de considérer son travail. La première est de le voir comme une obligation purement alimentaire. La seconde est de le penser comme une étape dans un plan de carrière. La troisième est de le vivre comme une mission utile. Plus un individu perçoit son travail comme utile, plus il sera satisfait et stimulé. Pour les salariés qui œuvrent à des tâches qui n'ont pas, en elles-mêmes, une valeur utilitaire forte, il est indispen­ sable d'avoir le sentiment d'œuvrer dans une entreprise dont la finalité n'est pas uniquement de faire de la crois­ sance rentable.

L'entreprise

A

Ambitions

PROFIT

Effet aléatoire

PROGRÈS

Vocation sociétale

PROGRÈS

Effet induit

PROFIT

u n e stra tég ie

L'entreprise

EST

u n pro j et

Le proiet

vs la stratégie 77

L'envie, une stratégie

Dans leur livre Refonder l 'entreprise', Armand Hatchuel et Blanche Segrestin pointent du doigt, avec une grande perti­ nence, les maux dont souffre l'entreprise. Ils y expliquent que l'entreprise née à la fin du XIXe siècle, incarnait « l 'inventi­ vité technique, un collectif de travail, un espace de négocia­ tions sociales ». Cette logique de progrès s'est brisée dans les années 1980 : le profit des actionnaires est alors devenu la raison d'être de l'entreprise. « Cette doctrine a déstabilisé la mission des dirigeants, les règles de gestion, sacrifié l 'inté­ rêt des salariés en cédant le contrôle aux actionnaires. » Ils prônent en réponse à cette situation, une nouvelle concep­ tion de l'entreprise qui vise à « reconstituer une communauté d 'innovation et à jeter les bases d 'un "contrat d 'entreprise " orienté vers une pluralité de buts : la création de richesses, le progrès social, la préservation de l 'environnement. » Il est urgent, disent-ils, de « réinventer l 'entreprise, pour qu 'elle redevienne ce qu 'elle n 'aurait jamais dû cesser d 'être : une dynamique de solidarité et de création collective. » Certains chefs d'entreprise ont fait entendre depuis quelques années cette voix d'un retour au sens. Déjà en 1972, Antoine Riboud affirmait : « L 'entreprise doit être profitable car c 'est le seul moyen pour elle de financer les investissements, la recherche, la formation. . . Mais le système ne tient pas s 'il a pour seul objectif la maximisation du profit. . . » Plus récemment, c'est ce que prônait Antoine Frérot, PDG de Veolia Environnement : Aucune activité économique ne saurait perdurer si elle ne répondait pas aux appels pressants que lui adresse son époque. «

1 . A. Hatchuel et B . Segrestin, Refonder l 'entreprise, Seuil, 20 1 2.

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Osons une stratégie de l'envie

Plus qu 'hier, on attend qu 'elle s 'intéresse à d'autres enjeux que la seule création de valeur. C 'est parce qu 'une entreprise est utile qu 'elle prospère et non l 'inverse. Et c 'est en demeu­ rant utile qu 'elle demeurera prospère » (in Revue civique, septembre 2012).

Mais Antoine Frérot va plus loin en expliquant qu'à la dictature des actionnaires, a succédé une autre dictature, celle des clients. Des clients qui, à l'instar des actionnaires, veulent à leur tour s' accaparer toute la valeur créée en impo­ sant un diktat du prix sans se soucier de ses effets nocifs sur le progrès. La seule façon selon lui de sortir de cette lutte pour le partage de la valeur est de constituer une gouvernance tripartite salarié/actionnaire/client où le dirigeant serait garant du partage équilibré de la valeur. Un équilibre qui, au-delà de préserver les intérêts de chaque partie prenante, serait générateur de progrès pour tous. Denis Olivennes, directeur général de Lagardère Active, affirme pour sa part Certains pensent peut- être que l 'on a inventé le progrès pour justifier le profit. La réalité c 'est qu 'une grande majo­ rité de patrons ne se lève pas le matin avec comme seule obsession leur RESOP. Comme tout être humain, ils ont besoin de projets, l 'envie de bâtir. La difficulté des diri­ geants, la mienne aussi, c 'est que nous ne pouvons pas dissocier ces deux dimensions. Le projet génère le profit qui finance le projet. Lorsque l 'entreprise est en croissance tout le monde comprend cette spirale vertueuse. Cette évidence devient moins audible lorsque l 'entreprise traverse une période troublée, alors qu 'elle est pourtant toujours aussi vraie. » «

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L'envie, une stratégie

La France fait valoir depuis quelques années sa spécifi­ cité culturelle avec la recherche d'un retour au sens reven­ diqué par certains chefs d'entreprise. « Le Collectif » qui regroupe plusieurs patrons et qui

prône le développement de l'entrepreneuriat social pour créer à la fois de la richesse à long terme et du progrès social, ou encore « Entreprise et Progrès » dont le président Vincent Prolongeau (DG de PepsiCo) témoigne régulière­ ment de son souhait d'une entreprise plus solidaire, tournée vers le « fraternalisme », en sont autant d'exemples. Mais les patrons français ne sont pas les seuls. Dans son livre Delivering Happiness, Tony Hsiech, CEO de Zappos (entreprise de vente de chaussures par corres­ pondance), exprime cette même idée iconoclaste L'ingrédient du succès pour une entreprise est d 'avoir une vision qu 'elle place au-dessus des bénéfices ou du fait de devenir n ° 1. En faisant cela, les entreprises génèrent plus de profits à long terme. Cela semble un peu bizarre et contraire au bon sens mais se concentrer sur une mission supérieure, dans notre cas "délivrer du bonheur", constitue un excellent business mode!. » «

Des « patrons h i rondel les » an noncent le pri ntemps Dans la lignée de son père, Franck Riboud affirme que la mission de Danone est d'apporter la santé au plus grand nombre par l'alimentation, n'hésitant pas à vendre des actifs rentables comme l'entreprise Kronembourg parce qu'elle ne contribue pas à cette mission. Lorsqu'il passe le relais 80

Osons une stratégie de l'envie

à la tête de Danone en septembre 20 14, il déclare dans une interview accordée au Figaro Nous devons penser le Danone que nous voulons construire pour les 20 ou 30 ans à venir. Quel est notre nouveau rêve ? Pour moi, Danone sera une entreprise qui aura réfléchi aux grands enjeux de l 'alimentation dans le monde de demain et parfaitement en phase avec les enjeux économiques, sociaux et écologique. » «

Je ne suis pas sûr que Nestlé ou Unilever aient la même conception de leur rôle. Peut-être que cette bienveillance à l'égard du monde est pour un chef d'entreprise le résultat de son éducation. Les résultats financiers ne peuvent fonder un projet, tout au plus une stratégie. Prétendre sans ambiguïté : « Renault doit être le constructeur automobile généraliste européen le plus rentable » est ambitieux en termes de business mais aucun business plan ne peut tenir lieu de projet. Pourtant, dans la majorité des entreprises, le business plan est le moteur de l'action managériale faisant progressi­ vement perdre le sens de toute action. Il est devenu la réfé­ rence et aucune activité managériale n'y échappe. Beaucoup d'entreprises ont le même pseudo-projet : faire du profit et, pour y parvenir, la même stratégie de croissance rentable. Pour se donner bonne conscience, les dirigeants, aidés par leur conseil, formulent une vision. Celle-ci, souvent produite à l'occasion d'un séminaire « au vert», fait ensuite l'objet d'une communication intensive. Une « externalité 81

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positive » censée justifier le business plan. Rarement une intention forte qui oriente et inspire un projet. Denis Olivennes,paraphrasant un célèbre slogan de 1968, affirme : « Personne ne tombe amoureux d 'un taux de rentabi­ lité, pas plus les dirigeants que les managers ou les équipes. » Que penser du projet de « réenchanter les hypermar­ chés » d'un Lars Olofsson ? Fondé sur une posture mépri­ sante pour le métier du commerce et la volonté d'instaurer des rapports d'obéissance où toute forme de dialogue critique était bannie, ce projet n'a finalement enchanté personne. Comparé à Georges Plassat, certes parfois rude au premier contact, mais profondément respectueux des hommes et dont la volonté est de bâtir un projet qui redonne de la fierté et de l'envie aux commerçants de la grande distribution. Que dire d'un Didier Lombard porteur d'une vision sur les technologies de la communication mais qui a fait preuve d'une forme d'autisme sur tous les sujets humains et sociaux au point que les suicides lui apparaîtront comme une mode. Comparé à son successeur, Stéphane Richard, qui décide de co-construire avec son management, un projet stratégique collectif et humain,allant jusqu'à indexer une partie du bonus des cadres dirigeants sur des indicateurs sociaux. On pouITait prendre beaucoup d'autres exemples comme celui d'Antoine Frérot conduisant avec détermination une trans­ formation sans précédent qui bouscule Veolia Environnement mais qui le fait en affirmant sa croyance dans les hommes et son amour pour l'entreprise. Un projet stratégique qui pense le temps long et ne veut pas sacrifier les équipes aux exigences financières de certains actionnaires. Avec comme consé82

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quence plusieurs tentatives de putsch pour le débarquer. La dernière emmenée par certains actionnaires peu convaincus par la stratégie choisie par Antoine Frérot pour redresser le groupe, et ne digérant pas son refus d'une restructuration dure, à base de licenciements, estimant qu'elle aurait été le moyen le plus rapide de redresser le cours de Bourse. Ou encore Thien-y Blandinières, peu connu du grand public. Le directeur général d'InVivo a reçu en 2008 le prix de l'entre­ preneur de l'année, décerné par le magazine Entreprendre, pour avoir redressé Delpeyrat en multipliant son chiffre d'affaires par sept et en exportant la gastronomie du Sud-Ouest dans le monde entier. Il doit son étonnante capacité à faire de « l'or avec du plomb» à une conviction simple : tout être humain aspire à avoir des rêves pour demain et en même temps à vivre pleinement aujourd'hui. Il a fait de cette croyance personnelle le fondement de son modèle de management. Le principe est élémentaire : le rêve n'est pas de promettre aux équipes de devenir leaders mais de participer à une quête, car c'est dans la quête que le collectif se réalise, pas dans le résultat. Une aventure humaine où pour lui, l'ennemi n'est pas la concur­ rence mais l'ennui. Cette croyance, il l'a mise en application en co-construisant avec ses cadres dirigeants le projet « 2025 by InVivo». Un projet qui affirme « la volonté de créer de l 'utilité et de la richesse », un projet « humain, enthousiaste et collectif où chacun trouvera de l 'envie » .

Quelle que soit la situation économique de leur entreprise, qu'est-ce qui fait la différence entre un patron qui génère de l'envie et celui qui l'inhibe? Les dirigeants qui détruisent l'envie sont ceux qui cèdent très souvent au diktat du court terme, l'œil rivé sur les trimestriels. Un business plan leur fait 83

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office de projet et lorsqu'on leur demande quelle est leur ambi­ tion, ils égrainent des chiffres-Graal. Ils sont convaincus que la finalité d'une entreprise est de faire du profit. Ils croient que la pe1formance est affaire d'organisation et de processus. Ils ont, sur l'importance des hommes et des femmes, un discours convenu mais considèrent souvent les ressources humaines comme une variable d'ajustement. Les autres ont un rapport au temps plus équilibré, conci­ liant le temps court de la réaction et le temps long de la projection. Une mise en perspective d'autant plus indis­ pensable qu'ils ont une vision pour leur entreprise. Ils sont convaincus que les bons résultats ne sont que la consé­ quence d'un projet collectif dans lequel l'humain est un actif prépondérant et son désir un moteur. Un projet dont la finalité est d'abord le progrès écono­ mique et social, reléguant les résultats financiers à leur juste place, celle d'une conséquence nécessaire. Les dirigeants qui donnent envie, savent que leur pouvoir ne réside pas dans leur capacité à contraindre les autres d'exécuter leur volonté mais dans la capacité que cela leur confère de donner de la volonté aux autres. Sereins vis-à-vis de leur autorité, au point que ce ne soit pas un sujet de démonstration pour eux. Ils ne cherchent pas à avoir raison contre les autres. Ils préfèrent toujours une décision partagée à une décision imposée car, pour eux, une décision imposée a de grandes chances d'être mal exécutée, devenant une mauvaise décision.

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Ils ne veulent pas tout savoir,tout contrôler,tout décider car ils font confiance a priori à leurs collaborateurs et ce faisant, ils leur donnent cette confiance en eux indispen­ sable à la prise de risque. Tout être humain a le désir de contribuer à un projet qui réveille chez lui l'amour du métier, de participer à une aventure humaine qui réactive le sentiment d'utilité, lui faisant éprouver de la fierté,du plaisir et le désir de réussir, générateur d'envie. Envie d'affronter,envie de se surpasser,envie de donner le meilleur de soi-même,c'est la somme des envies qui fait la performance et en conséquence les résultats d'une entre­ prise,jamais l'inverse. Changeons de paradigme : la finalité d' une entreprise n'est pas le profit mais le progrès. Si l'on pouvait incul­ quer ce principe basique à tous les dirigeants, le monde de l'entreprise tournerait dans le bon sens.

Produire du discours enthousiasmant Aujourd'hui, les discours de nombreux patrons accélèrent cette destruction de l'envie' (par« discours», j'entends l'en­ semble de leurs prises de parole). Souvent, dans un registre anxiogène, ils invitent à prendre conscience de la « gravité de la situation » et de l'intensité des « combats à mener » . Ils brandissent la menace « d 'un environnement hostile » et avertissent des l . L' analyse qui suit a été réalisée à partir d'une trentaine de discours de dirigeants .

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« dangers de l 'immobilisme ». Ils expriment leurs ambi­ tions en termes d'indicateurs financiers, faisant de l'EBI­ TDA ou du CAPEX leur Graal. Ils égrainent « la nécessité de l 'effort » , « le nécessaire sacrifice » sans garantie de succès, exhortant les troupes à « l 'obligation de la perfor­ mance pour s 'en sortir » et « rester vivant ». Et dans un dernier souffle, ils déclament un « je sais que je peux comp­ ter sur vous » faisant peser un poids encore plus lourd sur les épaules de leurs salariés. À y regarder de plus près, les styles des discours peuvent être différents mais leurs structures restent simi­ laires. Elles sont construites sur un triptyque qui fait froid dans le dos : 1. La menace d'un environnement hostile, les risques liés à un monde en pleine mutation. 2. L'adaptation/le changement pour éviter des conséquences dangereuses, parfois mortelles. 3. La nécessité de l'effort (mobilisation) et des efforts (sacrifices). Le vocabulaire est toujours concret, inspiré d'une pensée rationnelle ( « résultats opérationnels », « processus », « exécution », « objectifs », « planification » . . . ) accen­ tuée par une contrainte d'urgence ( « rapidité », « vitesse », « réactivité » . . . ) et la pression qui va avec. Prendre la parole pour susciter de l'envie, nécessite de se poser trois questions : Quels sont les sentiments que je veux raviver? Quelle est la nature de la contribution que je veux enclencher? Quel est le destin que je veux proposer? 86

Osons une stratégie de l'envie

Préférer les sou ri res a ux l a rmes J'ai étudié plus en détail certains discours de dirigeants. Il apparaît clairement qu'une majorité d'entre eux active la gamme des émotions négatives (peur, tristesse et colère) ; leur influence néfaste sur l'envie de ceux qui les écoutent. D'autres, heureusement, ont un pouvoir d'exaltation.

■ Le d i scou rs de la peu r Le discours de la peur alimente le sentiment de danger. C'est le plus répandu. C'est un discours alarmiste et anxiogène qui n'a de cesse de maintenir les salariés sur le qui-vive. Il dit en substance que rien n'est acquis, que le chemin est semé d'embûches et que le moindre relâchement peut être fatal. Exem p le L' analyse des discours de Carlos Ghosn montre à quel point il est dans ce registre : « Renault n 'est pas en crise mais reste fragile. Cette fragilité peut conduire à une situation dangereuse et donc inacceptable ». Lorsqu' il affirme que « les salariés sont au cœur du déploiement de la stratégie », c' est d' une stratégie « tournée vers la rentabilité » dont il s ' agit, une stratégie qui nécessite selon lui « une implication totale » où « il n 'y a pas de demi-mesure ». Son ambition pour Renault est de l ' ordre du devoir absolu, un devoir qui s' i mpose à tous (les expressions « il faut », « nous devons » sont très fréquentes) . Il s ' agit de vaincre ou de mourir et c' est la peur au ventre que chaque salarié part au front, animé par des obj ectifs qui sont autant d' engagements auxquels nul ne peut se soustraire.

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L'envie , une stratég i e

■ Le d iscou rs de la tristesse Fondé sur une forme de fatalisme, il est plus rare. Il est souvent produit en réponse à une situation d'échec vécue par l'entreprise. C 'est un discours implicitement défai­ tiste et nostalgique, qui exprime une forme de désen­ chantement. Il dit « nous sommes face à des menaces qui nous dépassent et risquent d 'affecter notre position » (sous-entendu notre grandeur passée). Exem p le Peu courant, ce discours était celui de l ' ancien PDG de France Télécom, Michel Bon. Dans ses discours, l' opérateur qu ' il dirigeait était le j ouet de contraintes extérieures (État ou marché) sur lesquelles il avait peu de prise. Les problèmes de France Télécom ? La consé­ quence de circonstances extérieures qu' il ne maîtrisait pas ' .

Ces deux types de discours ont une polarité négative très forte. Le discours de peur provoque parfois un sursaut d'en­ gagement, une réaction de survie, qui peut donner à croire qu'une dynamique s'enclenche. Il n'en est rien. Ce discours, dans la durée, a comme seul effet de provoquer craintes, inquiétudes et finalement anxiétés, destructrices de désir.

■ Le d i scou rs de la colère

Le discours de la colère dénonce l'injustice. Il est souvent celui des patrons qui dirigent des entreprises challengers sur leur marché. C'est un discours contestataire et exas­ péré qui prône le combat. Il est toujours construit selon 1 . Voir Nathalie Brion et Jean Brousse, Mots pour maux : le discours des patrons français, Descartes & Cie, 2003 .

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la même mécanique narrative : l'environnement nous est hostile car nous dérangeons l'ordre établi, les rentes de situation, les positions dominantes des concu1Tents. Nous devons nous battre pour faire entendre une voix différente. Exem p le L' archétype de ces discours est celui tenu par Xavier Niel qui, s ' adres­ sant aux consommateurs, dénonce : « Vous avez été une vache à lait, vous devez dire à votre opérateur que cela doit cesser. . . nous vous laissons le choix des armes » ; allant jusqu ' à affirmer « ça nous a vraiment scandalisés, plus vous êtes pauvres, plus on vous arnaque ».

Les salariés se sentent, dans un premier temps, investis d'une mission réparatrice, partie prenante d'un projet qui doit permettre de rétablir une forme de justice et d'équité. Avec le temps,ils s'aperçoivent souvent que le projet de leur entreprise se transforme lorsque celle-ci consacre son énergie à défendre à son tour ses positions acquises,allant jusqu'à oublier la noblesse de son combat originel. L'objet de leur colère peut alors se déplacer jusqu'à se retourner contre leur propre entreprise.

■ Le d i scou rs de la

joie {de l'exa ltation )

Il s'appuie sur le sentiment de fierté de ce qui a été accom­ pli et la sensation que la réussite est à portée de main. C'est un discours optimiste et inspirant qui propose un dessein (destin) commun. Dans ce type de discours, qui n'est malheureusement pas le plus fréquent, le monde est fait d'opportunités que l'entreprise,grâce à ses atouts,peut saisir et transformer en autant de succès. Des succès au service d'un projet qui donne un sens à l'action et préserve le collectif. 89

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Exem p le Les prises de parole de Stéphane Richard s'inscrivent totalement dans ce registre : « Ma première priorité est de donner du sens et de partager avec les salariés une vision de l 'avenir. . . Les salariés d 'Orange attendent aussi de leur PDG une capacité d 'entraînement. Ils attendent qu 'il ait de la bienveillance et du discernement. C 'est-à­ dire la capacité à ne pas appliquer une règle brutale et aveugle qui s 'impose pour des raisons financières mais de tenir compte chaque jour de la réalité humaine de l 'entrep rise. »

Soumises à ces discours positifs et vivifiants, les équipes regonflées ont envie de s'investir. I m pulsion .ü.

Effet .... CT

La COLÈRE Discours contestataire et exaspéré qui prône le combat. « L 'environnement nous est hostile car nous dérangeons l'ordre établi, les rentes de situations, les pos itions dom inan tes des concurren ts . »

La JOI E Discours optimiste et inspirant qui propose un dessein {destin) commun. « Le monde est fait d'opportunités, nous saurons les transformer en un pro;et qui donne un sens à notre action collective. »

La PEUR Discours alarmiste et anxiogène qui maintient les salariés sur le qui-vive. « Rien n 'est acquis, le chem in est semé d'embûches et le moindre relâchement peut nous être fatal. »

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La TRISTESSE Discours implicitement défaitiste et nostalgique, qui exprime une forme de désenchantement. « Nous sommes face à des menaces qui risquent d'affecter notre position (sous-entendu notre grandeur passée) . »

... Effet LT

I n h i bition

Discours déc li na nt la ga mme des émotions

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Aucun patron n'est une caricature de lui-même. Un diri­ geant n'est pas enfermé dans un seul de ces registres et son discours est pluriel. Carlos Ghosn a, en petit comité, des paroles exaltantes ; Xavier Niel n'est pas condamné à la colère à vie et Stéphane Richard, au contraire, exprime de saines colères lorsqu'il s'agit de défendre son entreprise. Le discours dominant des patrons est peut-être simple­ ment la résultante de leur propre émotion dominante. Et si la crainte de l'échec qu'éprouve peut-être un Carlos Ghosn, programmé, par son éducation et son brillant parcours, pour réussir, était potentiellement l'origine inconsciente de ses discours déstabilisants? Si l' exaspération et la volonté d'en découdre avec l'ordre établi d'un Xavier Niel, provenaient d'une volonté de revanche contre l'establishment alimentée par des études écourtées ou l'injustice de mises en examen jugées arbitraire? Si la décontraction et l'enthousiasme d'un Stéphane Richard provenaient d'un parcours profes­ sionnel accompli, d'une réussite financière sécurisante et d'une harmonie sentimentale retrouvée?

Une autre voie (voix) est possi ble Un jour, alors que je lui parlais de la dépression et de la souffrance que je côtoyais dans certaines entreprises, un ami psychiatre, peu connaisseur du monde des affaires, m'a rétorqué : « Il suffirait que les patrons du CA C 40 suivent tous une bonne psychanalyse et ça réglerait les problèmes de mal-être dans les entreprises. » Au-delà d'une croyance excessive dans le pouvoir de sa discipline, j' ai trouvé cette remarque pleine de bon sens. 91

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C'est en comparant la structure type des discours étudiés avec le modèle développé par Robert Zuili 1 , que l'on mesure leur portée négative sur l'envie de ceux qui y sont exposés. Ce modèle dit des Champs Lexicaux Émotionnels (CLE©) trouve son origine dans l'utilisation d'un test scientifique, intitulé EmoView (édité par les ECPA, groupe Pearson, 20 1 1) qui permet l'objectivation de foyers de bien-être et de mal-être. À partir des travaux de recherche de l'auteur, trois composantes ont pu être mises en évidence. Elles correspondent aux trois niveaux de régulation émotionnelle que peut mobiliser un individu.

■ Le 1 er n iveau, le RÉEL Le réel renvoie à ce qui est de l'ordre du mesurable et du tangible. Il se fonde sur le principe de la preuve et des résul­ tats accessibles par la raison. Il se réfère à des certitudes qui permettent de différencier l'explicite de l'implicite. Le hasard n'y a pas sa place et les sentiments non plus. Il s'inscrit dans une logique rationnelle qui se conjugue au présent ou au passé. Il rassure sur la contribution concrète que chacun apporte (ou a apportée).

■ Le 2 n iveau, ! ' IMAGI NAI RE e

L'imaginaire fait référence à un idéal de développement potentiellement réalisable. Ce n' est donc pas une utopie. 1 . Voir Robert Zuili, Découvrez votre émotion dominante, InterEditions, 2008 ; et Les clefs de nos émotions, Mango, 20 1 4.

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Cet imaginaire se nourrit d'une vision, voire d'une intuition pour une entreprise ; c'est une perspective d'avenir dont l'enjeu est de proposer un projet stratégique qui fasse rêver et engage l'entreprise dans la préservation ou l'enrichisse­ ment de sa mission fondamentale. Il détermine l'avenir, se conjugue au futur.

■ Le 3 e n iveau, le SYMBOLIQU E Le symbolique est le niveau qui donne du sens. Il se nourrit de signes qui seront interprétés par chacun, à sa façon, en fonction de sa capacité de représentation et de son système de référence. Pour une entreprise, il s'agit des symboles culturels qui forment des références communes et cohé­ rentes : mythe, rituel, valeurs, récit initiatique permettant de tisser des liens affectifs entre l'entreprise et les groupes sociaux qui la composent. Il se fonde sur ce qui est de l'ordre du sentiment. Ce modèle permet de déterminer l'équilibre des champs lexicaux émotionnels utilisés dans une communication orale ou écrite. En effet, toute surexploitation d'un champ lexical émotionnel par rapport à un autre, déséquilibre le message et réduit son impact. Il en résulte une dégradation du signal et une interprétation qui peut produire l'effet inverse de celui escompté. Chaque fois que je suis en relation avec des patrons et que je le peux, je leur fais passer le test du modèle CLE@ . Il consiste à proposer une liste d'une soixantaine 93

L'envie, une stratégie

de mots et à leur demander d'en choisir douze parce qu'ils les considèrent comme faisant partie de leur vocabulaire ou parce qu'ils ont pour eux une résonance particulière. Bingo ! Sur la vingtaine de fois où j'ai pratiqué cet exer­ cice, 18 fois les mots rangés dans la catégorie du réel ont été largement plébiscités par mes interlocuteurs au détri­ ment des mots appartenant aux catégories de l'imaginaire et du symbolique. Pourtant, seule une utilisation équilibrée de ces trois champs, stimule fortement l'envie. Les patrons sont convaincus que lorsque leur entre­ prise traverse une période difficile, leur discours doit être hyperréaliste et centré sur l'immédiateté de leurs décisions et de leurs actions. Un peu comme si la meil­ leure manière de faire entrer quelqu'un dans un long tunnel, glacial et humide, était de lui dire le nombre de kilomètres à parcourir, la température ambiante et le taux d'hydrométrie, oubliant de raconter la seule chose qui peut l'inciter à y pénétrer : la clarté au bout du tunnel et la solidarité rassurante de ceux qui vont s'y engager avec lui. C 'est vrai, analyse Denis Olivennes, dans mes prises de parole, lorsque je suis, en tant que dirigeant, confronté à des difficultés, mon premier réflexe est de dire les choses sans détour, d 'être le plus objectif possible dans ma manière de décrire la situation. Je le fais car je considère que j 'ai une obligation de vérité. Je devrais certainement parler plus de quelque chose auquel je crois profondément : la lumière au bout du chemin. » «

Une autre voie (voix) est possible, celle d'un discours enthousiasmant qui stimule le désir et donc l'envie. Un 94

Osons une stratégie de l'envie

discours qui investit l'ensemble des champs lexicaux émotionnels. Le champ du symbolique d'abord, celui de la métaphore qui donne du sens et permet à chacun en fonc­ tion de sa sensibilité de s'approprier les défis auxquels l'entreprise est confrontée en les sublimant. C'est le registre des sentiments qu'on réveille avec des mots comme communauté, plaisir, espoir, fierté. Le champ du réel ensuite, mais un réel qui rassure chacun sur la valeur de sa contribution lui permettant de se positionner et de comprendre comment il peut œuvrer à un projet collec­ tif. Porté par un vocabulaire mobilisateur comme enga­ gement, certitude, utilité, durable . . . L'imaginaire enfin, celui du rêve accessible qui rend optimiste pour l'avenir et permet de se projeter aux noms d'une mission, d'unfittur, d'un idéal, d'une vision. . . Un discours qui dans sa forme la plus sincère, transcende alors un business plan en un projet collectif. Car, pour paraphraser Antoine de Saint-Exupéry, inci­ ter l'équipage à s'embarquer à la conquête du monde sur un océan déchaîné n'est possible qu'en réveillant chez chacun des marins le désir de la mer et le rêve du voyage. Certainement pas en vantant le tonnage du navire ou la précision de son plan de route.

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L'envie, une stratégie

Perception d e la situation com m e aya n t u n e i ncidence positive s u r les buts et les va leurs

(ÉMOTION POSITIVE)

1

IMAGINAIRE Proposer u n rêve access i ble q u i ren d opti m i ste pou r l 'ave n i r

RÉEL / Rassurer s u r l a contribution concrète q u e c h a c u n a p porte à u n projet uti le /

SYMBOLIQUE / Sti m u ler les se nti ments en réve i l l a n t le d és i r de vivre � col lectivement u n e aventure _.....--

La progression d'un discours qui stimule l 'envie

De nombreux discours de dirigeants sont donc, par leur structure narrative et leur vocabulaire, inadaptés à la production des émotions positives qui fondent l'envie. Nous l'avons vu, leurs paroles, pour être enthousias­ mantes, doivent investir l'ensemble des champs lexicaux émotionnels que sont le symbolique, le réel et l' ima­ ginaire. Une règle de trois qui stimule les sentiments, rassure sur la contribution et révèle une vision du monde engageante. 96

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Mais un discours, aussi enthousiasmant soit-il, n'a aucune chance d'être entendu s'il est couvert par le brouha­ ha médiatique. C'est l'une des limites auxquelles sont confrontés les patrons qui essaient de faire entendre cette autre voix. Les paroles polémiques, les propos colériques, les discours alarmistes trouvent souvent un meilleur écho dans les médias. Ils sont plus porteurs,plus vendeurs aussi. À cela, il faut ajouter que les discours trop optimistes sont taxés de démagogie comme s'ils masquaient des intentions peu louables, comme s' il était impossible de porter un regard positif sur l'entreprise. Chaque prise de parole qui stimule l' envie est confrontée à la concurrence des critiques sceptiques et à la défiance des observateurs. Le salarié est pris entre deux feux, entre deux émotions. D'un côté, il est heureux de pouvoir entendre des mots encourageants ; de l'autre, il est bouleversé par toutes ces incriminations. Pour émerger, les paroles positives doivent être crédibles, mais cette crédibilité ne repose pas sur l'autorité ou la puis­ sance qu'incarne le locuteur. Elle repose sur sa personnalité bienveillante. Les patrons qui donnent envie ont une vision moderne parce qu'humaniste de l'entreprise, et sont dotés d'une grande intelligence émotionnelle.C' est dans leurs croyances et dans leur attitude, pas dans leurs raisonnements, qu' ils révèlent leur potentiel de création de l'envie.

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Un nouveau paradigme pour la communication : l'empathie Les recherches sur l'empathie ont connu un regain d'intérêt depuis une dizaine d'années, à la suite de la découverte des neurones-mrro1r. Des neurophysiologistes italiens ont démontré que notre cerveau est prédisposé à entrer en « résonance » avec nos semblables. L'état émotionnel des autres active chez nous des parties du réseau neuronal, nous faisant éprouver peu ou prou des émotions en miroir de celles ressenties par autrui. Mais l'empathie, ce n'est pas seulement ressentir émotionnellement ce que ressentent les autres. C'est aussi être en capacité de se représenter leurs états mentaux. Se mettre à la place des autres, ressentir et penser comme eux, deux facettes essentielles de l'empathie, l'une émotion­ nelle, l'autre cognitive. Un atavisme biologique et une capacité intellectuelle, voilà le secret pour que les salariés soient prédisposés à servir les clients. Encore faudrait-il que certaines condi­ tions soient réunies.

Réconcilier plaisir des salariés et satisfaction des clients Le client est au centre de nos préoccupations. » J'ai entendu cette phrase un nombre incalculable de fois. Pourtant, je ne suis pas sûr que les clients soient le centre des préoccupations de madame Michu. Madame Michu est «

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assistante à l'agence commerciale de Tarbes, elle est depuis 20 ans consciencieuse et travailleuse, prête à faire des efforts pour mieux servir les clients, mais au centre de ses préoccupations, et c'est humain, il y a . . . Madame Michu et ceux qui lui sont vraiment chers. Produire un discours positif en promettant aux clients des services utiles et une relation bienveillante et, en paral­ lèle, parce que l'entreprise vit des changements profonds pour y parvenir, tenir un discours d'une rationalité froide en interne, peut s'avérer être une injonction paradoxale aux effets dévastateurs. C'est malheureusement les cas des entreprises qui décident, souvent à juste raison, de se transformer pour s'adapter aux nouvelles exigences de leurs clientèles et aux nouvelles règles du jeu concurrentielles.

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En toute bonne foi, un discours à double détente s'installe alors. En substance il dit « nous allons (les salariés) faire des efforts pour vous rendre (à vous clients) la vie meil­ leure » . Mais derrière la promesse légitime, se dessinent parfois des changements douloureux.

Cas d'entrep rise Sodexo est u n géa nt fra n ça i s de la resta u rat i o n col lective et des se rvices aux e ntre p r i ses, rép uté pou r son e ngageme nt e n tant q u 'em p l oye u r re sponsa b le , soucieux d u b ie n-être d e ses éq u i pes, i l s'est e ngagé dan s u ne mutat i o n rad icale de son business mode/.

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L'envie, une stratégie

En 2 0 1 3, Sodexo déc i de d 'a ba n d o nne r son posit i o n neme nt de p restata i re de se rvice de restau rat i o n col lective p o u r afficher u ne g rande a m b ition pou r ses c l ients : deve n i r la p l us g ra n de e nt re p r i se de serv ices déd i ée à la q ua l ité de v ie . Le d i scou rs q u ' i l ad resse a l o rs à l 'exte rne rés o n ne com me la p romesse d ' un m onde me i l leur, affi rmant q u e sa m i ss i o n est désorma i s d 'assoc ier déve l o p pe ment et bo n he u r en ve i l lant a u b ien-être des i n d ivid u s . Mai s une te l le p romesse nécess ite q ue l e se rvice soit re n d u avec l a m ê me q ua l ité et l a même rég u larité, dan s tou s les pays où Sodexo est p résent . U n p ro jet de tra n sformation s 'e ngage et les p re m i è res p résentati ons en i nte rne, à valeur pédagog i q ue espè re-t-on, con s i ste nt à exp l i q ue r a u manage ment q ue la com p étitiv ité et l 'exce l le nce o pé rationne l le nécess ite nt à la fo i s une opti m i sat ion des coûts et u ne standard i sati o n des se rvice s s u r d e s seg ments g l o baux (sic) . Ce c h oc des d i scou rs, ce rtes h o n n ête, n 'e n fut pas mo i n s, dans un p re m ie r te m p s, pertu rba nt .

Le cl ient au centre, le sa larié au cœu r Le discours n'est jamais que l'expression d' une croyance et cette croyance est : « Le client est au centre des préoccupa­ tions des salariés. » On aura beau répéter,répéter et répéter encore cette phrase,elle n'en deviendra pas pour autant une vérité. Comme le chantait Serge Gainsbourg : « Tu es belle vue de l 'extérieur mais je sais ce qui se passe à l 'intérieur. » Faire peur à ses collaborateurs pour faire rêver les clients, ne me paraît pas être la meilleure façon de réconcilier envie des salariés et satisfaction des consommateurs. 1 00

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Une anecdote me vient à l'esprit. C'était lors d'un sémi­ naire de cadres dirigeants que j'animais dans un bel hôtel paré de cinq étoiles. Le repas était prévu dans la salle à manger, à l'intérieur, mais le soleil avait décidé de nous sourire. Après une matinée chargée, nous avons tous eu naturellement envie de déjeuner sur la terrasse pour nous détendre. Sauf que ce n'était pas prévu ainsi, que les tables n'étaient pas dressées et que cela perturbait visiblement le service. Voyant que notre demande ne s'exécutait pas aussi rapidement que notre timing serré l'imposait, l'un des participants au séminaire adressa une injonction aux deux jeunes serveuses qui officiaient ce jour-là : « Le service est déplorable, c 'est inadmissible pour un établissement comme le vôtre. » La voix du client eut comme seul effet de noircir un peu plus le regard des serveuses et d'assombrir l'ambiance. Heureusement un autre des participants arriva à la rescousse et prononça, pour donner de l'élan aux jeunes filles, cette phrase magique : « Je sais que ce n 'était pas prévu mais vous allez nous fabriquer un petit moment de bonheur en nous permettant de déjeuner sur la terrasse. » Les tables furent dressées en un temps record. Pour réconcilier satisfaction du client et plaisir des sala­ riés, la réponse est dans ce que Xavier Querat-Hement 1 appelle la symétrie des attentions et qu'il décrit comme la réciprocité entre l'excellence de la relation avec le client et l'excellence des relations internes. Un principe qui connaît un certain écho depuis la publication en 20 10 du livre à succès de Vineet Nayar, 1 . Xavier Q uerat-Hement, L 'esprit de service, Lexitis édition, 20 1 4 .

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Employees First, Customers Second: Turning Conventional Management Upside Down. Des entreprises telles que La Poste ou la SNCF s'en sont imprégnées pour nourrir leurs démarches de service et développer la culture client. Un principe avéré selon des recherches menées par B. Schneider et D. Bowen qui ont apporté la preuve de la corrélation statistique positive qui existe entre le bien-être des équipes et la satisfaction des clients : Notre recherche met en lumière le fait que les managers soucieux de la qualité de service doivent créer deux climats/ cultures étroitement liés : une culture de service et une atten­ tion au bien-être des équipes. (. . .) Les équipes doivent sentir que leurs propres besoins ont été traités au sein de l 'organisa­ tion avant de pouvoir libérer leur enthousiasme vis-à-vis des besoins des clients. » «

Il y a quelques années (de nombreuses, devrais-je dire), alors que j'étais un jeune consultant, j'ai réalisé un diagnostic des relations managériales dans un hôpital. Ce que j'y avais découvert était pour moi une révélation. En fait, il s'agissait d'une évidence. J'avais constaté et caractérisé que la qualité des relations entre les personnels soignants et les patients, était proportionnelle à la qualité des relations qu'entretenaient les chefs de services avec les infirmières et les aides soignantes. À cela une raison élémentaire, l'état d'humeur fait office de the1mostat. Quand le thermostat est déréglé, l'ambiance de travail est glaciale ou bien s'échauffe. Le mécanisme est simple. Il fonctionne comme un vase communiquant par lequel les émotions négatives ou positives se propagent de l'équipe jusqu'au client et inversement du client à l'équipe. 102

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Mais qui est responsable du bon fonctionnement du thermostat? Bien évidemment, le management a un rôle important de régulateur à jouer. La fonction RH doit, elle aussi, être partie prenante en étant, en quelque sorte, garante de la symétrie des attentions (je reviendrai sur ces deux points dans les chapitres suivants). La communication a pour sa part une fonction essen­ tielle, celle de l'empathie. La plupart des entreprises s'emploient à développer à travers leur discours de marque une communication qui tente de concilier les besoins et les aspirations des consommateurs : • Les besoins fondamentaux d'utilité réelle. Une utilité fondée sur la bienveillance portée aux clients à travers la qualité d'un produit et l'attention d'un service. • L'aspiration du citoyen à voir les marques et leur produit œuvrer sincèrement à contribuer à un monde meilleur, éthique et responsable. Les résultats 20 14 du baromètre du bien-être durable d'Ipsos montrent que les marques et les entreprises sont en progression (en particulier chez les 18-24 ans) sur ces sujets. Au-delà du contrat de base, on assiste en effet à une montée en puissance de nouvelles dimensions : être perçue comme une marque humaine (+8), attentionnée (+ 7), respectueuse (+5), sincère (+5), sympathique (+5). C'est parce que la communication des entreprises cherche à se mettre à la place des consommateurs-citoyens qu'elle est 103

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empathique. Mais la communication dans l'entreprise l'est beaucoup moins car elle n'arrive pas toujours à se mettre à la place de ses salariés, qui eux sont incités à se mettre à la place des clients. Le discours interne, surtout en période de changement, s'adresse à la raison en argumentant sur« la nécessité du pourquoi» et« l'explication du comment». Et c'est avec cela que l'on voudrait galvaniser les foules ? L'empathie ne peut pas non plus se résumer à la posture d'écoute, revendiquée et pratiquée par les entreprises. Baromètre, enquête de climat, évaluation de la communi­ cation interne, sont les moyens fréquemment utilisés pour sonder les salariés. Mais à y regarder de plus près et bien que ces mesures soient utiles, c'est l'exploitation de leurs résultats qui pose question. Il y a,semble-t-il,une distorsion entre les intentions affi­ chées et les actions produites. Lorsque l'on sonde les consom­ mateurs,c'est avec l'intention de modifier,substantiellement parfois, les offres et les services qui leur sont proposés, jusqu'à transformer la stratégie marketing de l'entreprise. L'écoute des salariés ne vise pas à se mettre à la place des salariés pour ressentir ce qu'ils ressentent et, en réponse, ajuster si nécessaire les changements voulus par l'entreprise pour conduire sa stratégie. Il s'agit d'un exer­ cice plus orienté qui consiste à identifier ce que les sala­ riés ne comprennent pas ou n'acceptent pas, pour mieux les convaincre qu'ils ont tort de penser ce qu'ils pensent. Un exercice qui débouche plus souvent sur une modifica­ tion des messages qu'on leur adresse que sur une inflexion des décisions qui les touchent. 104

Osons une stratégie de l'envie

C ' est à l ' ampleur de l' écart, entre attention et persua­ sion, que l ' on mesure vraiment l ' empathie.

Le cercle vertueux de l'attention réciproque Il y a un déséquilibre car la communication ne traite pas le consommateur et le salarié sur un pied d ' égalité . Au premier on tient la promesse d' un monde plus atten­ tionné, au second on annonce un monde d ' efforts et de sacrifices . Les marques veulent être aimées de leurs clients mais elles ne sont pas toujours aimantes de leurs collaborateurs. Elles veulent que leurs clients soient fidèles mais ne font pas touj ours preuve d' une grande fidélité à l ' égard de leurs salariés. Il ne faut pas s ' étonner si les équipes, qui assistent en spectateur à ces déclarations d' amour, éprouvent la tris­ tesse ou la colère de celui qui se sent délai ssé ou trompé. Pourquoi auraient-elles envie de s ' occuper de celui (le client) qu' elles considèrent comme le bien-aimé exclusif de leur entreprise. Le principe de la symétrie des attentions oblige une symétrie des communications . Si l' on promet au client qu' il sera roi, il faut parler aux salariés comme à une prin­ cesse. Pourtant, lorsque l' on compare les promesses faites aux clients avec ce que l ' on exige des salariés pour les satis­ faire, le déséquilibre est flagrant. Et dans certains cas, constitue un véritable discours paradoxal. Lorsque les 105

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entreprises promettent à leurs clients des services person­ nalisés et dans le même temps, organisent la standardisa­ tion des processus métier qui délivre ce service, il y a une contradiction qui provoque chez les salariés de l'exaspéra­ tion. L'exemple des centres d'appel où il est demandé aux téléconseillers de respecter scrupuleusement un script pour traiter les demandes des clients est symptomatique. Et que dire de la promesse « nous sommes toujours disponibles pour vous » au regard de l'exigence de rapidité, qui conduit à chronométrer chaque entretien téléphonique pour contrô­ ler les rendements. La liste des promesses paradoxales est longue, comme « la qualité n 'a pas de prix pour nous » alors que pour réduire les coûts, les entreprises se lancent dans des programmes drastiques d'amélioration de leur productivité. Mais la promesse client la plus dissymétrique est certai­ nement : « Nous sommes toujours à votre écoute. » La communication que les entreprises instaurent avec leurs salariés, c'est 90 % de persuasion et 10 % d'écoute, une écoute flottante qui a parfois du mal à se transformer en réponses ou en réactions. La symétrie des communications n'est pas une commu­ nication où chacune des deux parties s'adresse à l'autre sans réciprocité. Régulièrement dans leur communication, les entreprises mettent en scène leurs salariés interpel­ lant le client pour exprimer leurs engagements et affirmer « nous sommes mobilisés pour vous servir». À l'inverse, dans la communication interne, la voix du client s'adresse directement aux salariés pour leur dire « voilà ce que nous attendons de vous ». Une communication profondément 106

Osons une stratégie de l'envie

asymétrique dans laquelle le client dit « je veux » et le sala­ rié « je dois » . Le rapport d'attention est déséquilibré, il ressemble à un rapport de force défavorable aux salariés. Répo n se a pportée a ux a s p i rations de l 'a u tre Clients « je veux »

Communication bienveillante

I ntérêt porté a ux beso i n s d e l ' a utre

Communication empathique

Salariés « je dois » Communication injonctive

Communication attentive

La communication asymétrique Parce que le client est libre de partir, il faut le retenir en lui promettant ce qu'il désire. Le salarié, lui, désire rester alors on ne lui promet rien mais on le prévient, s'il n'est pas capable de retenir le client, alors c'est lui qui devra partir. 107

L'envie, une stratégie

Et si nous inversions l'ordre des choses. Pourquoi ne pas promettre (et offrir) un monde meil­ leur au salarié pour lui donner envie d'être encore plus présent, encore plus engagé et ainsi transmettre cette envie au client. Plutôt que de faire entendre aux salariés une voix qui leur dit « je souhaite », « je réclame », « j 'ordonne », une voix qui déclare « ton travail est de satisfaire mes attentes » , pourquoi ne pas leur faire entendre une autre musique. Les paroles de clients heureux (et il y en a beaucoup) qui disent « merci » , « bravo », « vous êtes formidables », « on sait que ce n 'est pas toujours facile et que vous faites des efforts pour nous » . Le client est un salarié comme les autres et lorsqu'il ne consomme pas, il produit des services ou des biens de consommation. Il sait donc mieux que quiconque les efforts à fournir pour assurer la qualité qu' il exige. Certes, il est parfois victime de schizophrénie, un peu à l'image de cet automobiliste pressé circulant à bord de son véhi­ cule, deux vélos arrimés sur le toit, et qui peste contre les cyclistes parce qu'ils l'obligent à ralentir. Le client est parfois mécontent du salarié dont le service laisse, selon lui, à désirer et lorsqu'il redevient salarié, il fustige le client qu'il juge trop exigeant. Une communication symétrique est la base pour les réconcilier, en remplaçant ce lien implicite de subordina­ tion pour lui substituer une relation d'attention réciproque. Une attention où les revendications des clients seraient remplacées par des encouragements auxquels les salariés répondraient alors par un surcroît d'envie. 108

Osons une stratégie de l'envie

Entrer sincèrement en communication La communication des entreprises est devenue une arme de persuasion massive. Pourtant la communication n'est pas l'art de la persuasion, c'est l'art et la manière d'être ensemble pour faire des choses ensemble 1 • La fonction de la communication n'est pas de faire taire toute forme de contradiction, sa finalité n'est pas de clore le débat mais au contraire de le promouvoir. Pour les entreprises, communiquer signifie trop souvent« diffuser un message», « faire des promesses», « faire valoir son point de vue», le même but avec des formes différentes selon les époques. Dans les années 1980, la communication d'entreprise est incantation. C'est le temps béni de la croissance. Après deux chocs pétroliers, l'économie retrouve des couleurs, les patrons sont les figures emblématiques d'un monde en mouvement. C'est le temps des projets d'entreprise toujours accompagnés d'un discours enchanteur. Une invitation à partir à la conquête, résumée dans cette phrase incanta­ toire : « Ensemble pour gagner demain. » Dans les années 1990, la crise est de retour et avec elle l'économie est mise à rude épreuve, entraînant son lot de déci­ sions douloureuses et d'efforts à fournir. La communication devient pédagogique, elle doit expliquer la situation pour en faire comprendre les conséquences. Elle est didactique dans sa forme, pas toujours instructive dans son contenu. l . L' étymologie du mot communication signifie « mettre en commun » puis « être en relation » .

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L'envie, une stratégie

Le début des années 2000 marque, avec le scandale Enron et l'affaire Vivendi, l'obligation d'une communication transparente. Une transparence dont la vertu sera, croit-on, de rendre impossible la dissimulation des mauvais résul­ tats des entreprises et, dans certains cas, de leurs pratiques douteuses, voire illicites. La communication doit être transpa­ rente, obligeant les entreprises à devenir des maisons de verre pour laisser apparaître leurs attraits comme leurs failles. Du « pa rler à » a u « pa rler avec » Par son exigence de vérité absolue, la communication transpa­ rente porte en elle son impossibilité. Peut-on imaginer un monde où chacun, personne physique ou personne morale, devrait tout dire, où chacun exprimerait ce qu'il pense, sur tous les sujets, y compris les plus intimes. Dans ce monde­ là, les couples se sépareraient, les familles se déchireraient, les équipes se détesteraient et les entreprises ressemble­ raient à une grande émission de téléréalité. Mais la téléréa­ lité n'est pas la sincérité. En prônant comme référence la transparence, c'est-à-dire la nudité, les entreprises se sont senties épiées, comme si leurs actes devaient être disséqués, pour s'assurer qu'ils ne cachent rien d'inavouable. Et la toute-puissance des réseaux sociaux est venue accélérer ce phénomène. Au moment où j'écris ce livre, plus de 500 millions de tweets sont échangés par jour, la blogosphère représente plus de 150 millions de blogs. En France, il y a près de 400 000 blogs disponibles sur la Toile et plus d'un quart des Français lisent un blog au moins une fois par semaine et 1 10

Osons une stratégie de l'envie

largement plus d'un tiers les consultent une fois par mois. Avec le « Net», le temps des sources autorisées qui diffu­ saient un discours de masse, formaté, est révolu. Au-delà de recevoir une information spécifique, chacun veut pouvoir donner son point de vue, faire valoir sa propre opinion. Et dans ce maelstrom digital, les entreprises sont le plus souvent au banc des accusés. Qualité des produits, condi­ tions de travail, rémunération des dirigeants, les sujets ne manquent pas pour les pointer du doigt. Cette dénonciation des pratiques douteuses et des manquements à l'éthique est salutaire. Mais les contre-pouvoirs ne sont pas à l'abri d'un abus de pouvoir et la recherche du scoop à tout prix, de l'information qui fera le buzz entraîne parfois des débordements, des mises en cause arbitraires et hasardeuses. Les bloggeurs, les twitos et les habitués des fo1ums Internet, n'ont pas l'obligation de se conformer à la charte éthique des journalistes et leur préoccupation n'est pas toujours d'établir la vérité, plutôt de clamer leurs vérités, fussent-elles extrêmement subjectives. La suspicion érigée en vertu a rendu impossible la confiance sans laquelle aucune relation constructive n'est possible. Sur la défensive, beaucoup d'entreprises qui n'ont pour­ tant rien à se reprocher, développent une forme de paranoïa. Elles n'osent plus exposer le moindre sujet sensible de peur qu'il ne se transforme en sujet polémique pour finir en plai­ doyer à charge. C'est le dogme de la transparence qui a tué la transparence. Mais le plus inquiétant est que l'on a confondu transparence 111

L'envie, une stratégie

et sincérité, désaccord et opposition. Et cette confusion s'est répandue jusqu'au cœur des entreprises, polluant progressi­ vement la communication en leur sein. Ne pouvons-nous pas concevoir que quelqu'un qui n'est pas d'accord avec nous,ne soit pas forcément contre nous. La divergence de point de vue est constitutive du libre arbitre, elle est vertueuse si elle est sincère. Ce qui est insupportable ce n'est pas la divergence des opinions,c'est la mauvaise foi,la manipulation,le mensonge. Chaque fois qu'une opinion sincère,mais contraire à l'opi­ nion dominante est exprimée,il faut s'en réjouir et l'accueil­ lir en se demandant ce qui la motive. C'est la condition pour progresser collectivement que d'entendre ces signaux faibles. Ce n'est pas le dialogue qui détériore le climat émotion­ nel d'une entreprise, c'est l'absence de dialogue. Les critiques, les objections, les reproches ne sont souvent que l'expression d'émotions négatives, et le couvercle que l'on pose dessus étouffe l'envie. Les directions de la Communication doivent encourager toutes les formes de débats pour que se régulent les opinions et se partagent les émotions qui créent du lien. La communication est un puissant levier d'envie, mais à une seule condition, substituer aux « parler à » les « parlons-nous » . Pour cela, acceptons une idée simple : la fonction première d'un manager n'est pas d'être une courroie de transmission qui relaie sagement des messages et remonte avec discipline des informations. La valeur ajoutée d'un manager est de favoriser une communication sincère qui lui permet de faire valoir, dans 1 12

Osons u n e stratég ie de l'envie

le dialogue, sa propre conviction. Il est castrateur de confi­ ner les managers dans un rôle de répétiteur car pour être convaincant, il faut qu'ils soient convaincus. Cette convic­ tion ne se décrète pas. Elle se fabrique, avec eux. Il faut d'abord leur permettre d'exprimer ce qu'ils ressentent face aux discours de leurs dirigeants, ce qui les inquiète ou ce qu'ils trouvent injuste afin de dépasser leur peur et leur colère. Il faut ensuite réactiver leur désir, en les laissant exprimer ce qui leur donne de l'espoir, ce qui leur procure du plaisir. Alors et seulement alors, ils peuvent se réapproprier le discours. Il faut ensuite accepter qu'ils traduisent et donc qu'ils trahissent un peu la forme du message et parfois même son contenu. Ce qui est important ce n'est pas la précision froide du message mais l'enthousiasme avec lequel on le partage.

Si l' i ntention est bon ne,

la com m u n ication l'est aussi

Cas d'en trep rise Début 2 006 , l a Mon d i a le, compag n i e d ' assu ra nce d i rigée pa r Patrick Peugeot réu n it à Rou ba ix 45 0 m a n ag e rs pou r l a ncer son nouvea u pla n stratég i q u e . Patrick Peug eot, h o m m e d e d i a l og ue, d o n t l e ma nagement est fondé s u r la confi a nce accordée à ses éq u i pes et les m a rges de m a nœuvre q u ' i l leur l a i sse, don n e ca rte b l a n c h e à sa d i rectrice de l a com m u n ication pou r org a n i ser un sém i n a i re d ' a ppropri ati o n d u p ro j et stratég i q u e .

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L'envie, u ne stratégie

Pou r y pa rve n i r, l ' idée est s im p le mai s osée . Pas de p lé n i è re i nte rm i nable, pas de d i scou rs-fle uves ma i s d u dé bat, de la con frontati on et de la cop rod uctio n . Acte 1 : ap rès u ne p rése n tati o n cou rte d u p rojet q ue les manage rs ont découve rt en d éta i l ava n t le sém i na i re e n l i sant u n docume n t d e p rése n tatio n com p let, u n dé bat est o rga n i s é . Les ma nage rs ass i s pa r g ro u pes de 1 0 auto u r de 45 ta bles rondes, échange nt d 'abord e n tre e u x et p rod u i se n t l e s q uesti o n s q u i , comme le d it la consigne d e trava i l , « n e d oive n t p a s reste r san s rép o n se » . La ce nta i ne d e q uesti o n s s o n t reg ro u pées par thémati q ue . Tou s l e s su jets sont a bordés sa n s tabou , de la cohés io n du comex aux p oss i b les conséq uences soc iales e n cas d 'échec du p ro jet. Pe ndant p l u s de deux he u res, les p ri n c i pa les q uesti o n s sont passées e n revue . B ie n sûr les d i rigea nts sont e n charge d 'y a p p o rte r des ré p o n ses, ma i s les parti c i p a n ts e ux-mêmes peuve n t, s ' i l s le sou haite n t, a p p o rte r des com p léme n ts . S u rtout, a p rès c haq ue séq ue nce de dé bat, i l est dema ndé aux parti c i pants d ' éval ue r la q ua l i té des écha nges e n b ra n d i ssa n t des smi leys ve rts , ora nge ou rou ge s . La sa nctio n es t d i recte s i l e s dé bats so n t de coto n , les carto n s rouges fle u ri sse n t, dan s le cas contra i re , c 'est le ve rt q u i dom i ne . Acte 2 : L'a p rès-m i d i est dan s la même ve i ne avec comme o bjecti f de pe rmettre aux ma nage rs de re laye r le p ro jet a u p rès des éq u i pes, ma i s cette fo i s-c i , p o i n t de kit de comm u n i cati o n p rêt à l 'emp l o i . Ce sont les manage rs e u x­ mêmes q u i doive n t p rod u i re le u r p ro p re d isco u rs . Des ate l iers pendant lesq uels les ma nage rs do ive n t d 'abord se mettre à la p lace de leu rs col laborate u rs p o u r imag i n e r les q uesti o n s q u ' i l s le u r pose ront s u r le p ro jet. C e n 'est q u 'e n s u ite q u ' i l s p rod u i se n t leu r d i scou rs avec u n maître mot : ré pond re san s langue d e boi s . Et pou r s ' e n ass u re r, i ls sim u le n t e n tre e u x d e s dé bats avec des sa lariés . Ce q u i est p rod u it au fi nal est parti c u l i è reme nt ada pté à c haq ue éq u i pe , à c haq ue s ituatio n p rofessi o n ne l le et s u rto ut

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Osons une stratégie de l'envie

d ' une inte l l igence rema rq ua b le . N o rmal q ua n d on sa it q ue 450 ce rveaux sont forcément p l u s p u i s sants q ue q uatre ou c inq , fu ssent-i l s s u périe u rs . Pou r Patrick Pe ugeot, l ' important est de fa i re d e c haq ue manage r un p romote u r, conva incant parce q ue convainc u . Ma i s ce la n 'est poss i b le q u 'en insta u rant une re lat i on d 'ad u lte à ad u lte dans laq uel le on ne considère pas le manage r comme un ambassade u r d i sc i p l iné . Un perroq uet q u i rép ète ce q u 'on l u i demande de d i re . En une j o u rnée , ce q u i a été p rod u i t est b ien p l u s q ue d u d i scou rs, c 'est d e l a conviction col lective . Une force de coh é s i on q u i permet à c haque manage r de ne pas être un porte-vo ix obé i s sant ma i s un parti san inte l l igent.

Quand les entreprises traversent des périodes écono­ miquement et socialement difficiles, leur réflexe premier est de réduire les temps d'expression car le temps est prioritairement consacré à l'action. Elles suppriment ainsi toutes les occasions de rencontres et d'échanges qui maintiennent la cohésion alors qu'elles devraient les encourager. Il ne s'agit pas d'être dispendieux dans la forme des rencontres, seulement exigeant dans le contenu qu'elles abordent et dans la posture de dialogue qu'elles nécessitent. Ce dont a besoin un individu pour retrouver l'envie, lorsqu'il traverse une période de doute ou qu'il est confronté à des incertitudes, c'est justement de sentir qu'il appartient à une communauté, une communauté où les choses sont dites, où l'on se parle. Parce que la parole permet à chacun de se sentir moins seul. 1 15

L'envie, une stratégie

Pour faire de la communication un générateur d'envie, il faut à nouveau encourager toutes les formes ouvertes de discussion. Des échanges intellectuellement honnêtes qui permettent d'exprimer ses contrariétés, ses craintes, ses inquiétudes et réguler ainsi la part d' émotion qui se cache dans toute opinion. C'est en cela que le débat est apaisant. Mais le débat est plus que cela. Conva i ncre, c'est va i ncre avec Un collectif n'est pas le lieu de la pensée unique et de l'en­ tente parfaite. On peut ne pas être d'accord sur tout, cela ne nous empêche en rien d'entreprendre ensemble. Pourquoi consacrons-nous autant d'énergie à vouloir convaincre les autres que nous avons raison si ce n'est pour faire taire nos propres doutes? Pourquoi cherchons-nous à construire une pensée cohérente si ce n'est pour nous rassu­ rer sur nos propres désordres mentaux? Pourquoi vouloir imposer aux autres nos idées si ce n'est pour nous persuader que notre pensée est juste? À un collaborateur qui me reprochait mes certitudes étouffantes, je me souviens avoir répondu que ce n'était que des convictions. La différence est essentielle. Une certitude ne se partage pas, elle s'impose. Toute remise en cause est perçue comme un acte d'insubordination qui implique que soit organisée immédiatement une contre-attaque pour préserver l'inté­ grité de cette certitude. 1 16

Osons une stratégie de l'envie

Les certitudes péremptoires sont à l'origine des spirales dépressives les plus fortes. Face à une certitude qui ne laisse pas la place au débat et à la contre-proposition, il ne reste que le dénigrement, la parole négative qui ne propose rien et veut tout détruire. Une conviction est une opinion que l'on affiche et qui nous donne de l'énergie pour agir. C'est une croyance que l'on s'est forgée avec l'expérience mais qui, confrontée à une autre expérience, une autre croyance, peut se bonifier et s'infléchir parfois. J'ai rencontré beaucoup d'entrepreneurs. Ils ont souvent le défaut de leur qualité. Ils sont tellement passionnés par leur projet qu'ils sont parfois ce1iains d'avoir raison. Benjamin Barbe est un jeune entrepreneur trentenaire qui, après avoir participé à la création de Melty ( 1 er site d'information pour les 1 8-30 ans), a cofondé Pandasuite, une start-up qui développe et commercialise une solution innovante pour créer et publier des applications sur Apple Store ou Android. Comme tout jeune entrepreneur, Benjamin est lui aussi passionné par ce qu'il fait et, comme il le dit lui-même, créer son entreprise c'est « 0 % de regret et 1 00 % d 'intensité ». Mais ce qui m'a intéressé lorsque je l'ai rencontré, au-delà de la passion qui l'anime, c'est sa conception du manage­ ment. Une conception fondée sur une idée simple : dans une équipe, tout le monde doit pouvoir exprimer librement ce qu'il pense, ce qu'il ressent, ce à quoi il croit pour nour­ rir les autres de ses idées. Et lorsque plusieurs idées contra­ dictoires s'expriment, il ne s'agit pas de vouloir imposer la sienne pour faire valoir son ego mais chercher absolument à comprendre ce qui motive celles des autres. Car c'est dans 1 17

L'envie, une stratégie

ces intentions différentes que se cache souvent une nouvelle idée encore plus riche que les autres. Ne pas chercher à se mettre en avant, seulement à aller de l'avant. C'est en confrontant, avec respect pour celles des autres, nos convictions, que l'on crée du lien. Des liens qui favo­ risent l'émergence, si ce n'est de l'accord parfait, au moins de terrain d'entente. Seuls les échanges sincères le permettent. Lorsque l'on communique, influencer est inévitable, mani­ puler ne l'est pas. À travers nos convictions, il est normal que nous influencions ; mais pour imposer nos certitudes, nous sommes parfois prêts à tout, jusqu'à la manipulation. Et quand ces convictions convergent parfaitement cela délivre une fantastique promesse de mouvement. C'est un principe élémentaire de mécanique physique. Lorsque deux forces d'égale intensité sont opposées, beaucoup d'énergie est dépensée pour un mouvement égal à zéro. Quand ces deux mêmes forces sont vectorisées dans le même sens, la puissance du mouvement est multipliée par deux. Deux convictions qui s'opposent se neutralisent, quand elles s'unissent, elles décuplent l'envie. Dans son livre intitulé Il faut sauver la communication, Dominique Wolton explique que le communicant est celui qui sait que les uns et les autres pensent différemment, qui organise la cohabitation des points de vue et fait de la diplo­ matie pour permettre cette cohabitation et l' équilibre qui va avec. La communication dans les entreprises a pendant long­ temps était considérée comme un expédient, une manière de 1 l8

Osons une stratégie de l'envie

contourner momentanément une difficulté sans la résoudre, une façon de justifier ou de dédouaner à moindre frais. Elle a acquis progressivement un autre statut, celle d'une disci­ pline majeure pour servir la nécessité absolue de persuader les salariés et parfois même de les manipuler quand il s'agit de manœuvrer de façon occulte. Cette communication est vaine, dérivé de vanitas qui veut dire « vide » . La communication a une autre qualité, celle d'alimenter chacun des idées des autres, celles de démultiplier les facul­ tés de conception, de compréhension et d'adaptation d'un collectif. J'aime à penser que convaincre signifie vaincre avec. C'est bien sûr étymologiquement faux mais c'est pour moi humainement vrai.

Une aptitude nouvelle pour les managers : fabriquer de l'optimisme « L 'esprit est naturellement programmé pour le pessimisme. Il sait mieux voir ce qu 'il n 'a pas pu obtenir et ce qui lui manque que ce qu 'il réussit (. . . ) et les pessimistes ne parlent pas de bons moments tant ils craignent qu 'ils ne soient sans lendemain. » C'est ainsi que le professeur Michel Lejoyeux entame son dernier ouvrage intitulé Réveillez vos désirs 1 • Nous serions donc tous des pessimistes en puissance et notre penchant naturel serait de voir le verre à moitié vide, même quand il est plein. 1 . Pr Michel Lejoyeux, Réveillez vos désirs, Plon, 20 1 4.

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L'envie, une stratégie

Les managers sont des êtres humains comme les autres mais des hommes et des femmes qui ont davantage de raisons que les autres de se laisser aller au pessimisme ambiant tant ils sont au carrefour de toutes les morosités. Coincés entre le défaitisme de leur équipe et le discours peu enthousiasmant de leur patron, ils baignent dans la sinistrose. Si le pessimisme est d'humeur et l'optimisme de volonté comme le prétendait Alain, la question qu'il nous faut nous poser est : comment donner aux managers la volonté (et les moyens qui vont avec) de transformer les humeurs noires ou rouges de leurs collaborateurs ? Comment les aider à réguler les états émotionnels de leurs équipes sans verser dans la positive attitude béate ? Comment les aider à lutter contre la perte d'envie de leurs équipiers ? Comment leur permettre d'être des fabricants d'optimisme ? Entre le monde des « Bisounours » et celui du pessi­ misme, il y a pour les managers une troisième voie, celle de l'envie. Dans le monde des pessimistes les problèmes sont une fatalité. Dans celui des Bisounours, il n'y a pas de problème, puisqu'on les cache sous la table car « tout va très bien madame la marquise » . Lorsqu'on a envie, on pose les difficultés sur la table, considérant qu'elles sont la propriété de tous et que chacun doit mobiliser son énergie pour les surpasser.

Transformer les difficultés en défis stimulants Un challenge réussi est-il une menace à laquelle on a survécu ou une opportunité que l'on a su bonifier? 1 20

Osons une stratégie de l'envie

Churchill connaissait la réponse. « Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l 'op­ portunité dans chaque difficulté . . . » , disait-il. Il y a souvent entre ce qui nous apparaît comme une menace ou ce que nous considérons comme un défi un simple écart de perception. Un écart de perception qui se manifeste lorsque l'obstacle surgit ou lorsque l'on peine face à lui. Dans les deux cas, les managers jouent un rôle prépon­ dérant. Ils peuvent transformer cette difficulté en quelque chose de stimulant ou au contraire en faire un problème pesant pour le moral de leurs troupes. Toutes les équipes dans l'exercice de leurs rmss1ons, dans la progression vers leurs objectifs, sont confrontées à des obstacles, à des situations plus ou moins inattendues. Des moments où les choses ne se passent pas comme prévu. L'émotion est le fruit d'une perception de ces situations. Si la perception est négative (mise à mal du but) l'émo­ tion éprouvée sera nuisible et la capacité d' action en sera d'autant diminuée. Si la perception est positive (bénéfice attendu du but), l'émotion le sera aussi, décuplant notre volonté de nous engager dans la résolution du problème. La manière dont l'équipe évalue initialement la situation est donc déterminante dans sa capacité à la gérer. Ainsi pour une équipe marketing, le lancement d'un nouveau produit peut être perçu comme une menace ou comme un défi. Ceux ou celles qui l'évalueront comme une menace, auront tendance à se focaliser sur les pertes potentielles inhérentes à ce lancement (pertes de part de 121

L'envie, une stratégie

marché, pertes financières, pertes de crédibilité de la direc­ tion marketing). A contrario, ceux qui la percevront comme un défi auront conscience des risques mais se focaliseront sur les gains potentiels. Une situation jugée menaçante augmente la peur et donc le stress (tant au niveau biolo­ gique que psychologique). La perception d'un défi le dimi­ nue, augmentant en conséquence les chances de succès. Les sportifs de haut niveau connaissent parfaitement ce mécanisme qui accroît ou diminue leurs chances de victoire.

Bien nommer les choses La manière dont un manager parle d'une situation à son équipe est déterminante car sa communication a le pouvoir de modifier leur perception. Comme le disait Albert Camus « mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde» et bien les nommer, c'est augmenter notre capa­ cité à partir à l'assaut de ce monde. Très souvent un manager connaît son équipe. Il sait déceler très tôt ce que ressentent ses équipiers mais lorsque ce ressenti est négatif, il commet souvent des maladresses, notamment lorsqu'il essaie de positiver en minimisant les difficultés (ce n 'est pas grave) . Ces tentatives sont contre-productives car lorsqu'un collectif éprouve un sentiment de danger, il est victime de« justification émotionnelle» (si nous avons peur c'est qu'il doit y avoir une bonne raison) et perçoit toute mini­ misation comme un déni insupportable de son état émotion­ nel. De la même façon, un encouragement maladroit (faites un effort et nous allons y arriver) a un effet culpabilisant car il assimile la crainte à une faiblesse de volonté. 1 22

Osons une stratégie de l'envie

Ces réconforts ou ces encouragements n'entraînent donc aucune modification de la perception, laissant l'obstacle menaçant en travers de la route. Pour modifier cette perception et transformer le danger qui menace en un défi stimulant pour l'équipe, le manager doit développer une autre forme de communication. En premier lieu, il doit être clair car plus il présente les choses de manière floue ou ambiguë, plus il renforce l'hu­ meur négative de son équipe. C'est pourtant ce que font bon nombre de managers qui pensent, à tort, que face à une situation difficile, leurs propos ne doivent pas être trop précis, pour ne pas rajouter de l'inquiétude à l'inquiétude. Tenir un discours généralisant et abstrait c'est proposer à ses interlocuteurs un grand trou noir dans lequel ils s'em­ presseront de projeter toutes leurs angoisses. Le plus important est de mettre en perspective la situa­ tion, de la regarder à la fois en référence au passé et au futur car nos prédictions sont très largement basées sur nos souvenirs. Nous avons cette grande capacité à nous projeter au regard de nos expériences. La première façon de mettre en perspective consiste à comparer la situation présente à une situation analogue (ou ayant des similitudes) dont l'équipe a su triompher dans le passé. La seconde réside dans la recherche des points positifs, en mettant en avant les avantages, à plus ou moins long terme, que l'équipe retirera de ce succès. Ainsi elle prendra de la hauteur vis-à-vis de l'événement et ne jugera pas la 1 23

L'envie, une stratégie

situation bonne ou mauvaise en soi mais pourra en imaginer les bénéfices futurs. La tension est constitutive des challenges importants. S'il n'y a pas de tensions c'est que personne n'a mesuré les enjeux de ce qu'on est en train de faire. Mais il y a deux types de tensions. Celles extrêmement constructives liées au but à atteindre. Celles beaucoup plus destructrices qui peuvent dégrader la qualité des relations. La menace et le sentiment de danger réveillent chez chaque collaborateur de l'inquié­ tude, jusqu'à la peur pour certains. Ces émotions entraînent le plus souvent du repli sur soi peu propice à la solidarité dont justement le collectif a besoin pour faire face à la situation. Pour s'assurer définitivement que l'équipe surmontera cette situation difficile qui la perturbe, le manager doit encourager l'expression de leurs émotions. Parler, contrairement à ce que l'on peut penser, n'a pas en soi un effet bénéfique, mais parta­ ger ce que l'on ressent augmente la probabilité d'être rassuré parce que cela renforce les liens dans l'équipe et restaure le sentiment d'appartenance à un collectif protecteur. Se rappeler le meilleur du passé pour se projeter dans le meilleur du futur, tout en renforçant les liens sécurisants, il n'en faut pas plus pour changer le regard porté sur une situation, la faisant basculer d'une menace que l'on redoute à un défi que l'on a envie de relever. « Nous allons y arriver car nous sommes unis, nous l 'avons déjà fait et nous avons tous beaucoup à y gagner. » Voilà donc en substance comment la référence à un passé victorieux et les perspectives d'un futur bénéfique deviennent une prophétie auto-réalisatrice. 1 24

Osons une stratégie de l'envie

Mais il aITive parfois que l'équipe, qui s'était engagée avec enthousiasme dans un projet, perde peu à peu espoir jusqu'à sombrer. Et lorsque ce processus de découragement se reproduit à plusieurs reprises, c'est une forme de résigna­ tion qui s'installe durablement. Comment lutter contre ce qui peut, au fil du temps, appa­ raître comme une fatalité? D'abord en comprenant ce qui est à l'œuvre dans ce type de mécanisme dépressif.

Les mots i ncitent à ag i r ou à hésiter Lorsqu'une équipe rencontre un obstacle dans la progression vers le but qui lui a été assigné, la perception de cet obstacle (menace ou défi) est déterminante pour la suite. Si l'équipe vit cette situation comme un challenge, son engagement et ses effo11s seront accrus et sa combativité en sera renforcée. Mais si sa progression est ralentie, si le succès apparaît incer­ tain, le risque d'échec se profile et avec lui, des émotions négatives qui affaiblissent la combativité de l'équipe (peur de ne pas y a1Tiver, colère contre cet échec injuste). Lorsque rien ne vient rompre cette spirale défaitiste, les efforts se raréfient, la dépression s'installe et le sentiment d'impuissance fini par bloquer toutes les énergies, jusqu'à l'échec. Si le projet était important pour le rayonnement de l'équipe, la tristesse s'installe, s'il était utile à son dévelop­ pement c'est la frustration. Là encore, les managers ont un rôle déterminant. Ils doivent intervenir au moment où la« torche attentionnelle » de l'équipe commence à se focaliser sur les éléments 1 25

L'envie, une stratégie

négatifs qui la confortent dans l'idée que« tout est perdu», « qu'on n'y arrivera pas». Pour se préserver d'une trop grande désillusion, l'équipe s'auto-persuadera que « ce n'est pas grave, que l'on fera mieux la prochaine fois». Au milieu du gué, le manager a parfois tendance à proférer des injonctions (il faut que nous réussissions, nous devons y arriver) alors qu'il est plus efficace de valoriser le but qui est à portée de main. Obstacle d a n s la prog ress ion de ! ' ÉQU I P E

MANAGER

-.:.::::::::::: Perception



ME NAC E

DÉFI

ENVIE

DIFFICULTÉS RESSENTIES

-.:.:::::::::::

MANAGER

Perception

1

l

ÉCH EC

SUCCÈS

Réorienter l 'attention de son équipe

1 26

Osons une stratégie de l'envie

Face à une difficulté, le rôle du manager est de réorienter le système cognitif de son équipe. Les mots qu'il emploie pour le faire sont importants car ils ont le pouvoir d'activer ou de désactiver l'envie. Ses mots invitent à agir ou incitent à hésiter. Devant un obstacle, la phrase « Ne soyez pas inquiets la situation est complexe mais nous allons trouver des explica­ tions. Nous allons l 'affronter pour essayer de la maîtriser », a de forte chance de générer de l'inertie parce qu'elle inquiète. Formulée différemment, « Soyons confiants, nous sommes confrontés à une situation complexe et nous allons trouver des solutions pour la maîtriser », elle devient encourageante. Au-delà des mots, ce sont les expressions négatives qui induisent de la méfiance ou de l'inquiétude. La raison est simple : notre cerveau ne peut enregistrer une information négative qu'en se représentant d'abord l'information posi­ tive pour ensuite la nier. Lorsque l'on veut que quelqu'un « extirpe » de son cerveau une pensée nuisible, on lui dit souvent « ne pense pas à tes problèmes » , ce qui a pour effet qu'il y pense aussitôt. Dire à son équipe « n 'ayez pas peur » provoque immé­ diatement la perception de la peur. Les formulations néga­ tives provoquent l'inverse de ce qu'elles recherchent. Annoncer « nous ne courons aucun danger » revient en fait à l'évoquer. Mieux vaut dire « nous sommes en sécurité » . Les choses deviennent ce qu 'on les nomme et les choses ainsi nommées finissent par exister. » 1 Il n'existe «

l . Françoise Kourilsky-Belliard, Du désir au plaisir de changer, 5 e édition, Dunod, 20 1 4 .

1 27

L'envie, une stratégie

aucune réalité universelle qui s'imposerait à tous dans sa vérité première. Il y a autant de réalité que de manière d'in­ terpréter ce que nous vivons. Ce sont des constructions mentales. Et les mots ont le pouvoir d'influencer ces constructions. Les mots hésitants, négatifs, angoissants, dessinent un noir chemin pour celui qui les écoute. Les mots bienveillants, positifs, optimistes, éclairent sa route. C'est un cercle vicieux ou vertueux qui s'enclenche alors. Pour que les managers prononcent ces mots lumineux, ils ne doivent pas eux-mêmes être pollués par la noirceur des choses.

Manager par le plaisir Le discours sur la nécessité vitale d'agir en urgence est une gigantesque tromperie. Il nous fait croire que le temps va nous échapper et notre vie avec si nous ne sommes pas capables de nous mettre dans son sillage. Le credo « courir vite ou mourir » est un leurre. Aucun marathonien ne peut faire toute sa course au rythme d'un sprinter. « Le temps gagné jamais ne l 'est, le temps perdu l 'est à jamais», nous dit le poète Robert Malet. Il nous faut pour vivre pleinement des moments heureux nous réapproprier notre temps et ne laisser personne nous duper en nous faisant croire que le meilleur est à venir. Tout autour de nous, nous invite à ne pas vivre pleine­ ment notre présent. Nos parents qui, lorsque nous étions 1 28

Osons une stratégie de l'envie

enfants, nous promettaient des noëls plein de cadeaux, à condition d'être sage dès maintenant. Nos professeurs qui nous encourageaient à bien travailler pour réussir notre vie professionnelle future. Nos managers qui nous incitent à nous mobiliser aujourd'hui pour progresser dans notre carrière. Jusqu'aux retraités qui assurent à leurs amis toujours en activité, que le bonheur d'une retraite bien méritée est pour bientôt.

Savou rer les petites victoi res d u quotidien La capacité à profiter ici et maintenant des expériences positives que nous vivons est une condition de notre bonheur. Nous avons malheureusement perdu cette capacité à savourer l'instant présent tant nous sommes convaincus qu'il nous faut faire vite tout ce que nous faisons. Pourtant notre quotidien professionnel est plein de ces petites victoires qui procurent du plaisir si nous savons y prêter attention : la joie de trouver une solution à un problème complexe, la satisfaction d'une discussion enrichissante entre experts, la fierté d'une réunion où nous contribuons à faire progresser un projet, le plaisir d'une idée nouvelle qui a été adoptée par l' équipe. Prendre quelques minutes par jour pour apprécier ces fragments de bonheur nous permettrait à coup sûr d'augmenter signifi­ cativement notre capacité à avoir envie. Pourquoi ne pas inventer une pratique managériale nouvelle, une pratique toute simple qui consisterait à inciter chaque collaborateur en fin de journée à se remémorer pour 1 29

L'envie, une stratégie

les apprécier, les moments agréables qu'il vient de vivre. Cela aurait, j'en suis certain, une influence positive sur son humeur. Cela serait une bouffée revigorante pour sa journée du lendemain. Un dimanche matin, avachi sur mon canapé, je regardais Télé Foot. C'est une émission essentielle mais qui, avouons­ le, traite de sujets superficiels. Ce jour-là, j'y ai entendu une interview de Gérard Houllier. Pour les néophytes, Gérard Houllier est un entraîneur français qui a notamment entraîné Liverpool et l'Olympique lyonnais et qui fut égale­ ment sélectionneur de l'équipe de France. Il racontait que la plupart des entraîneurs, pardon des « coachs», ont pour habitude de faire visionner à leurs attaquants des dizaines de fois les vidéos de leurs buts manqués pour qu'ils identifient leurs en-eurs et les con-igent. Lui utilise une méthode diffé­ rente, il leur fait visionner avant chaque match leurs plus beaux buts. Leur faire savourer leurs gestes victorieux pour leur donner envie de les reproduire. Voilà un bel exemple de management par le désir. Une approche différente que Gérard Houllier a peut-être développée lorsqu'il était insti­ tuteur et animateur à l'École Normale. Il y a un autre mécanisme pour réveiller en nous ce désir : voyager mentalement dans le temps. Pour y parve­ nir, les managers ont, entre leurs mains, un fantastique outil d'animation qu'ils n'utilisent que rarement : la mémoire. Encourager la verbalisation du plaisir lié aux succès passés permet d'ancrer dans la mémoire collective les émotions positives. Celles des réussites dont on est fiers et qui alimentent le cycle de l'envie. C'est une pratique mana1 30

Osons une stratégie de l'envie

gériale peu courante, elle est pourtant d'une grande simpli­ cité. Il suffit de se mettre autour d'une table et de parler ensemble de ce que l'équipe a réussi. Uniquement de cela, en lieu et place de la traditionnelle revue de problèmes.

Cas d'en trep rise J 'a i vécu une expé rience partic u l i è re ment g rati fiante l o rs d ' un sé m ina i re des cad res d i rigeants d u g ro u pe C N P Assurance s . J 'accom pagna i s l 'entre p r i se de p u i s p l us d ' un an dans sa transformat i on . Avec l 'a rrivée de F rédé ric Laven i r son nouveau d i recte ur géné ral , C N P Assurances s 'éta it d 'abord doté d ' une nouve l le stratég ie . Dans un deuxième te m p s , une o rgan i sat ion p l us orientée c l ient ava it été m i se en p lace . Le tro i sième volet de cette transformati on p o rta it sur l 'évol ution de sa culture . F rédé ric Laveni r, anc ien DRH d u g roupe B N P Pari bas, savait b ien q u ' une organi sation auss i pertinente soit-e l le , ne pouvait fonctionne r q u' à la cond ition q ue les éq ui pes et tout particul ièrement le manage ment aient envie de s'y investi r et d 'y col labore r . Instaure r une nouve l le culture ne s ignifiait pas pour lui, jete r aux o rties l 'anc ienne , bien au contra i re . I l s ' ag issa it de révéle r ce q u i fai sa it son efficac ité, d ' identi fie r dans I' ADN de l 'entre p ri se tout ce q u i pouvait la bonifier. Et C N P Ass u rances avait de be l les q ual ités : la conscience p rofessionne l le , la fie rté d u métier et l 'attache ment à l 'entre p rise . Des q ua l ités m i ses à mal par un défaut d 'opti m i s me et de c royance en so i , par un penchant à voi r ce q u i ne va pas, à parler des problèmes p l us q ue des réuss ite s . Pendant une journée , l o rs d e c e se m ma i re , nous avons p rati q ué avec le top manage ment une sorte de « cathars i s pos itive » , une déc harge é m otionne l le dont l e but éta it d e se re mé m o re r les s uccès et les s ituat i ons où les éq ui pes ava i ent é p rouvé la satisfacti on d u trava i l b ien fa it . La méth ode était s i m p le , c haq ue manage r était inv ité à raconte r une

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L'envie, u ne stratégie

expe r i e nce de trava i l col laborati f bénéfi q ue a u cou rs de laq uel le u n p ro b l ème ava i t été s u rmo nté , u ne so l uti o n trouvée , u n p rog rès réa l i sé . Souve n t les narrate u rs i nte rpe l laie n t u n a utre manage r p rése nt da n s la sal le , pou r l e reme rc ie r de son a i de , pou r le fé l i c ite r de sa contr i b u ti o n . Pou r tou s les manage rs p résents , s'ente n d re parler avec engouement de leu rs victoi res o rd i na i res l e u r avait fait p ren d re con science q u ' i l s fai saient tou s les j o u rs des petites choses extraord i na i res . Cela avait re nfo rcé le u r estime d u « nous » . Ce q ue F rédéric Lave n i r le u r a d i t e n conc l u s io n est ve n u re n fo rce r cette im p ression « Ces exemples, très nombreux, de succès et de travail coopératif réuss i, donnent la mesure de ce que nous sommes capables de faire et de la con fiance que nous devons avoir en nous-mêmes . If est vital que n ous abandon n ions cette vis ion autocritique. Ce qui est certain, à travers /es expériences que vous avez vécues et racon tées, à travers la dynamique de ce groupe c 'est que nous sommes en train de libérer notre énergie positive. Elfe va m ultiplier par cinq ou par dix une capacité d'innovation, de développement et d'efficacité impression nante. » J 'a i été s i ncèreme nt « b l u ffé » d u rés u l tat q u i a dépassé toutes mes e s pé ra n ce s . À la fi n de la j o u rnée , les parti c i pa n ts étaient p l u s joye ux, he u reux d 'être e n semble , consc ie n ts de le u r fo rce co l lective . Je s u i s au jou rd ' h u i e ncore reco n na i ssant à F rédé ric Lave n i r d 'avo i r acce pté de me ner cette expé rie nce peu ha b i tue l le dan s ce type de rassemb leme nt. E l le m'a a p porté la p reuve q u ' i l s u ffit de po rte r un rega rd d i ffé re n t s u r s o n trava i l pou r l e vivre a u treme nt.

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Osons une stratégie de l'envie

Se remémorer les réussites dont on est fier Pour ancrer dans la mémoire collective les réussites dont on est vraiment fier, celles qui nous donnent du baume au cœur et renouvellent nos envies, il ne s'agit pas unique­ ment de réaliser un inventaire. L'exercice consiste aussi à identifier derrière chaque succès la nature et l'inten­ sité du plaisir que l'on a éprouvé et de l'effort que l'on a mobilisé. ln te nsité de I'effort mob ilisé



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La matrice du plaisir professionnel

Pour faire durer le plaisir, les entreprises auraient intérêt à recueillir ces réussites du quotidien, à les promouvoir, à les célébrer. Les communicants ne manquent pas de moments et de moyens pour cela. Ils pourraient ainsi • Éditer chaque année un album des réussites car la force du livre, c'est qu'il laisse une trace dans la durée, 1 33

L'envie, une stratégie

au-delà des urgences du quotidien. Il raconte les grands succès collectifs et met en vie des aventures humaines, créant une relation intime avec chaque lecteur. Comme un album plein de souvenirs émouvants, il fait résonner en chacun l'envie de participer à cette belle histoire. • Les mettre en scène lors des séminaires et des conventions, au-delà des discours mobilisateurs, pour qu'ils soient des concentrés d'émotions, une empreinte positive. Se remémorer les réussites, célébrer ce dont on est fier renforce et nourrit les liens qui unissent le collectif et donne à chacun l'envie de s'engager. • Les propager grâce au digital pour amplifier le plai­ sir de partager des expériences positives. C'est aussi là que se nouent, à distance, des relations de proche en proche, des liens qui unissent et fondent des communautés. Le digi­ tal est un puissant catalyseur d'émotions collectives, où chacun nourrit et se nourrit d'échanges, amicaux, curieux, joviaux, amusés, ludiques qui entrent en résonance et réin­ ventent l'envie de contribuer. Le rapport que nous entretenons au temps est un amplifi­ cateur émotionnel. Pressés,accaparés par une course contre la montre nous ne savons plus apprécier notre présent. Nous oublions nos réussites passées, obnubilés que nous sommes par la construction d'un avenir incertain. Et tout dans l'entreprise nous pousse à perpétuer cette frénésie du lendemain. Pourtant, il nous suffirait de réapprendre à nous inscrire dans la durée. N'est-ce pas la qualité première d'un mana-

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Osons une stratégie de l 'envie

ger que de permettre à son équipe d'apprivoiser cet embal­ lement pour mieux profiter de tous les moments gratifiants : les petites joies du quotidien comme les succès savoureux du passé. Tous les managers devraient méditer cette phrase de Sénèque : « Le plus grand obstacle à la vie (à l'envie) est l 'attente qui espère demain et néglige aujourd 'hui. »

Cas d'entrep rise I l y a une vi ngtai ne d 'années, j ' i ntervena i s fréq uemment dan s l e m i l ie u ind u striel pou r mettre e n p lace des p rog rammes de manageme nt visue l . U ne méthode de manageme nt d 'orig i ne japonai se q u i pe rmet de vi sua l i se r s u r le l ieu de p roduction aussi bien les poi nts d 'attention (sécu rité mac h i ne , mode opé ratoi re à res pecte r . . . ) q ue les poi nts de p rog rès ( i n d i cations s u r les re ndeme nts, p roblèmes q ua l ité, etc . ) . J 'avai s l ' habitude de démarre r mes i nte rventions par u n tou r de te rra in et q ue l q ues e ntretiens avec des age nts de maîtrise et des opérate urs, pou r éva l uer leu r niveau de maturité face à ce type de déma rche . Souve nt, j 'obse rva i s q ue ce rta i n s d 'entre eux bricola ient leu rs p ro p res panneaux pou r y afficher des info rmations à parti r desq ue l s i l s a n ima ie nt leurs éq u i pes . Le p l us s u rp re nant q ue j 'a i eu à découvri r, était u n « système » mis e n p lace par u n c hef d ' éq u i pe dans l ' u s i ne de l a F rançai se d e Mécan i q ue à Douvri n dan s le Nord . I l s 'ag i ssa it d ' u n pan n eau s u r leq uel les opérate u rs étaient i nvités à ven i r col ler des Post-it . C haque mati n e n p re na nt leu r poste, i ls affichaient leu r « h ume u r d u j o u r » , symbol i sée par u n smi ley p l u s ou mo i n s sou riant et le b riefing de dé but de poste permettait de partage r l 'état émotionnel de l 'éq u i pe afi n q ue c hacun sac he dan s q ue l état d ' h umeu r était s o n col lèg ue . Ai n s i i l s pouvaient a j u ster e n conséq uence leu rs comporteme nts, assurant u ne me i l le u re e nte nte dans l ' éq u i pe . C haq ue so i r, les o p é rate u rs ve naie nt affi c h e r le u r « pet it bon heu r de la journée », i l s y déc riva ient en q ue l q ues mots

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L'envie, u n e stratég ie

ce q u ' i ls ava i ent a p p réc ié ou fa it d e bien d a n s leur jou rnée et l e c h a ngement d ' éq u i pe éta it l 'occas i o n de les com mente r . J ' ava i s trouvé cette prati q u e p l e i n e de bon ne i n tention et s u rtout d 'enthou s i a s m e . E l l e ava it d ' a i l le u rs u n effet très bénéfi q u e s u r le mora l de l ' éq u i pe et s u r son efficacité . Lo rsque j ' a i d e m a n d é à son i n itiate u r d 'où ven a i t cette idée, sa répon se fut s u rpre n a n te : « Je fais ça avec les mômes que j 'en traîne tous les week-en ds, je me suis dit que ça pourra it marcher avec mes gars . »

Les mots des managers ont le pouvoir de transformer la perception défaitiste que leurs équipiers ont du monde qui les entoure. Leurs manières d'être et de faire peuvent être des actes réparateurs, des actes qui protègent les équipes des turpitudes de leur environnement. Leurs agissements ont un pouvoir exceptionnel, presque magique : celui de fabriquer de l'optimisme. Stéphane Richard a cette concep­ tion du management que je crois vraie : « La plus grande faiblesse d 'un manager c 'est d 'avoir peur, peur de l 'autre, peur de l 'inconnu, car il la démultiplie en la transmettant à ses équipes. » Cette addition d'anxiété ne produit qu'un résultat : le pess1rmsme.

Un regard neuf pour les DRH : le bon côté des choses Je me pose souvent une question simple mais redoutable : à quoi servent vraiment les directions des Ressources 1 36

Osons une stratégie de l'envie

humaines ? À entretenir le capital humain pour préserver sa valeur ? À maintenir la force de travail en bon état de marche ? À créer les conditions pour que l'exploitation des ressources humaines n'épuise pas définitivement la ressource ? J'ose une réponse très personnelle. Et si la gestion des ressources humaines était l'art de la révélation : aider chacun à révéler son potentiel, révéler à un collectif ce qui l'unit, révéler l'envie de bonheur qui sommeille en chaque entreprise. Une envie de bonheur qui passe par la recherche du bien­ être. Une quête difficile mais revendiquée car, comme le dit Frédéric Lavenir, « le simple geste de l 'attention est réparateur et même si prôner le bien-être dans l 'entreprise est un acte risqué car incertain, il vaut mieux générer des attentes que des frustrations » .

Réveiller l'envie de bonheur qui sommeille en foute entreprise .-::: §

Je n'ai jamais vu,dans aucun leadership modèle,les notions, d'enthousiasme, de plaisir et de joie. Depuis quelques années,la fonction RH a fait des progrès dans sa capacité à prévoir et anticiper les compétences dont l'entreprise aura besoin. La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) est aujourd'hui éprouvée. Il s'agit d'identifier comment, sous l'impul­ sion des changements technologiques et des évolutions marchés,les métiers se transforment,d'autres disparaissent et de nouveaux émergent. Une fois réalisée la photographie 1 37

L'envie, une stratégie

de ces besoins futurs, la mesure des écarts avec l' exis­ tant permet de mettre en place des plans de formation, des programmes de recrutement, ou des dispositifs de mobilités pour acquérir ou développer les compétences dont l'entre­ prise aura besoin. Une méthodologie bien rodée.

U n leadersh i p modèle de l'enthousiasme Les compétences managériales sont bien évidemment prises en compte dans cette approche. Mais de quelles compé­ tences managériales s'agit-il? Il y a bien sûr les compétences fondamentales, celles qui sont exigées depuis toujours chez un manager dans l'ani­ mation de son équipe : sa capacité à soutenir, développer et accompagner ses collaborateurs ; à être un relais d'infor­ mation à communiquer ; à décider, à faire des choix, à fixer des priorités ; sa capacité enfin à mobiliser, motiver, main­ tenir un esprit d'équipe. Il y a aussi de nouvelles compétences, liées aux nouvelles formes d'organisation (manager en matricielle, fonction­ ner de manière transversale, travailler en mode projet), aux impératifs de changement ( conduire et accompagner le changement, voir le changement comme une opportu­ nité), à la complexité de l'environnement (penser système, travailler en réseau), à la montée en puissance de la RSE (sens de l'éthique, management par les valeurs). Depuis peu émergent timidement les notions de compé­ tences émotionnelles. Des compétences avec lesquelles les managers (pas plus que les DRH d'ailleurs) ne sont pas à l'aise et que d'ailleurs personne ne leur a demandé de 1 38

Osons une stratégie de l'envie

maîtriser. Ceux qui ont eu la possibilité d'être coachés ou de suivre des formations de développement personnel y ont été confrontés. Pour les autres il s'agit d'un domaine trop intime ou pas assez sérieux pour qu'ils s'y intéressent vraiment. Ces démarches posent une nouvelle hypothèse : les mana­ gers doivent comprendre et gérer leurs émotions, décrypter et réguler celles de leurs équipes,non pas pour manager par les émotions mais pour manager les émotions. C'est une avancée sur le chemin de l'envie mais ce n'est pas suffisant. Je rêve qu'un jour les DRH aillent beaucoup plus loin et inventent un référentiel de l'enthousiasme. Une prescription bienveillante qui inviterait les managers à déceler dans chaque situation professionnelle les sources de satisfaction : savourer dans leur travail les petits bonheurs du quotidien, éprouver un sentiment de fierté chaque fois qu'ils réussissent une tâche, être contents de trouver des solutions aux problèmes de leurs équipes,vouloir découvrir les qualités de leurs collaborateurs et de leurs collègues,s'autoriser à consacrer un peu plus de temps que nécessaire aux événements agréables, cultiver leur estime de soi en se remémorant régulièrement tous leurs succès . . . La liste est longue de ces actes d'auto-bienfaisance qui à coup sûr autoriseraient les managers à jeter sur eux-mêmes un regard plus bienveillant, à apprécier ce qu'ils font, à voir tout simplement les choses du bon côté. Après 25 ans de pratiques professionnelles et plus de 200 entreprises grandes ou petites avec lesquelles j'ai travaillé, je n'ai toujours pas trouvé un tel référentiel. J'ose le dire, chaque fois que j'ai tenté une prescription qui y ressemble je n'ai pas rencontré d'écho favorable. 1 39

L'envie, une stratégie

C'est pourtant selon moi une base essentielle. Aucun manager ne peut prodiguer de l'enthousiasme s'il est désen­ chanté. Comment pourrait-il faire partager une envie qu'il n'a pas? Je le pense et l'écris, arrêtons de produire des référentiels normatifs qui contraignent, obligent, encadrent. Produisons des « préférentiels » qui donnent un avantage estimable aux managers, être des inducteurs d'optimisme. Faisons-leur confiance une bonne fois pour toutes en accep­ tant cette vérité : un manager enthousiaste crée beaucoup plus d'engagement qu'un manager raisonnable.

Mu ltipl ier les i nducteu rs d'optim ismes Je rêve de cela mais je ne rêve pas que de cela. Je rêve aussi que les DRH se fixent une ambition démesurée : réveiller l'envie de bonheur qui sommeille en toute entreprise. La recherche du bonheur est une quête universelle et intemporelle. Il y a plus de 2 500 ans les philosophes grecs élaboraient une sagesse permettant d'accéder au bonheur. Mais un désaccord profond existait déjà entre les partisans de deux conceptions très différentes du bonheur. Les hédonistes posaient le plaisir comme le bien suprême, et le but de la vie comme la quête incessante de ce plaisir. Les philosophes eudémonistes concevaient le bonheur comme la recherche d'une existence accomplie. Ils ne rejetaient pas le plaisir, mais le considéraient comme une conséquence du bien. Les recherches en psychologies positives, éclairent les débats de la philosophie antique en démontrant que le bonheur résulte de la présence conjointe du bien-être (facette émotionnelle à court terme) et du sens (facette cognitive à 1 40

Osons une stratégie de l'envie

long terme) auquel s'ajouterait la qualité des liens que nous construisons dans nos relations interpersonnelles. Sens que l'on projette dans son travail, qualité des rela­ tions et émotions positives sont donc la recette du bonheur professionnel. Ces ingrédients existent dans l'entreprise, parfois en gestation, souvent engourdis. Ils n'attendent qu'une chose : être réveillés.

BONHEUR AU TRAVAIL

=

SENS + RELATION + BIEN-ÊTRE Un trava i l uti le qui donne d u sens à sa vie p rofess i o n n e l l e

La q u a l ité des relati o n s i nterperso n n e l les avec ses col lèg ues et son c h ef

Des é m oti o n s positives q u i favori sent l e b i e n-être

l'équation du bon heu r a u trava i l

Je rêve aussi que soit enseigné dans tous les cursus de formation au management un principe nouveau, la formule du management par l'envie. Cette équation existe, la voici : ENVIE = EMC 2 L'envie d'une équipe est égale à !'Enthousiasme de son Manager et à sa Capacité à la Communiquer. Une belle équation qui produit de l'énergie. 141

L'envie, une stratégie

Une équation que chaque manager serait convié à résoudre avec l'aide d'autres managers, dans la bonne humeur. Car pour un manager, communiquer son enthousiasme c'est aider son équipe à affronter l'adversité qu'elle côtoie. Être enthousiaste, ce n'est pas avoir la garantie que son équipe ne rencontrera jamais de problème mais c'est pouvoir s'appuyer sur la conviction que, quoi qu'il arrive, elle surmontera les difficultés et en tirera des enseignements utiles pour le futur. Je rêve également que les DRH décident de remplacer les enquêtes de climat social par un baromètre de l'envie qui mesure tout à la fois le climat émotionnel des équipes et leur niveau d'optimisme (confiance dans l'avenir de l'en­ treprise et dans leur situation personnelle). Un baromètre qui permettrait de calculer un indice du bonheur. Je rêve qu'avant chaque réunion d'équipe où des sujets essentiels vont être abordés ; avant chaque séminaire important où des décisions capitales pour l'entreprise vont être prises, les participants soient soumis à un inducteur d'humeur positif. Un petit film qui leur donnerait l'envie non pas d'affronter leur point de vue pour avoir raison mais de confronter leurs idées pour trouver les meilleures solu­ tions. Quelques images qui dévoileraient toutes les bonnes raisons d'y croire comme celles d'être fier. Je rêve encore que les DRH se posent en garant de la symétrie des attentions entre les clients et les salariés et que chaque fois qu'une innovation client est mise sur le marché, une innovation sociale soit mise en place dans l'entreprise. 1 42

Osons une stratégie de l'envie

Je rêve enfin que les DRH (et avec eux les directeurs de la Communication) recommandent à leur direction générale d'oser une stratégie de l'envie. Toutes ces pratiques sont autant d'inducteurs d'opti­ misme et qui mieux que les DRH peuvent en être les grands ordonnateurs ?

Fonder le « vivre ensemble » sur la réciprocité plus que sur la contrepartie Les politiques de ressources humaines ne peuvent pas uniquement être dictées par la recherche d'un équilibre raisonné entre ce qui est concédé aux salariés et la contre­ partie que l'on exige d'eux. Elles doivent être inspirées aussi par la logique du don et du contre-don. Un acte social qui suppose que le bien-être de chaque individu passe par le bien-être des autres. Substituant à la valeur matérielle de l'échange sa valeur de sociabilité : la réciprocité qui consacre cette aptitude généreuse à vivre ensemble. Cette logique du don/contre-don a été modélisée par Marcel Mauss considéré comme le père de l'anthropologie française. Moins connus que ceux de Claude Lévi-Strauss, ses travaux sont pourtant tout aussi révolutionnaires. Dans son essai sur le don daté de 1924 1 , il décrit comment l'échange traduit la manière dont les sous-groupes sont imbriqués et comment il est une matérialisation 1 . Marcel Mauss, Essai sur le don : forme et raison de l 'échange dans les sociétés archaïques, nouvelle édition, Puf, 20 1 2.

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L'envie, une stratégie

des relations sociales. Des échanges qui portent principa­ lement sur des biens symboliques plus que matériels. Pour lui, l'économique n'a de sens que comme une traduction du social. Les échanges primitifs sont profondément différents dans leur nature de ceux de la société de marché, très éloignée de la logique de l'homo œconomicus si chère au modèle économique néoclassique. La raison profonde du don vise davantage à« être qu'à avoir». Le don est le départ d'une relation de réciprocité mais le contre-don est différé dans le temps. Le temps est nécessaire pour exécuter toute contre-prestation, rendre sur le moment reviendrait à refuser le don et à le réduire à un simple troc. Ce laps de temps nécessaire est celui de la dette qui maintient le lien social actif. Rendre immédiate­ ment signifierait qu'on se dérobe au poids de la dette, qu'on redoute de ne pas pouvoir l'assumer, qu'on tente d'y échap­ per. Comme si l'on renonçait à l'établissement du lien social par crainte de ne pouvoir être assez généreux à son tour. Je te donne et tu me rends. Nous sommes quittes, rien ne nous unit plus. Je te donne et tu me rendras, plus tard, quand j'en aurai besoin. Je le sais et j'ai confiance. Quand tu me rendras, tu me donneras et mon tour sera venu de te devoir. Ainsi se fonde la réciprocité qui unit et fonde toute communauté. La théorie du don/contre-don de Marcel Mauss permet de restituer la dimension affective des échanges sociaux où entrent en jeu la fierté, la sympathie ou la gratitude. C'est cette dimension affective des échanges qui permet 1 44

Osons une stratégie de l'envie

la coopération car il ne peut y avoir de collaboration sans sentiment. Les travaux de Norbert Alter 1 sur la coopération font directement référence à cette théorie du don. Il indique que la compétence collective repose sur le principe de « réci­ procité élargie » : les collègues échangent pour créer des liens, plus que pour faire circuler des biens. Ces travaux éclairent également un paradoxe : le management s'évertue à mobiliser les salariés alors qu'il s'agit de tirer partie de leur volonté de donner. Il ne s'agit pas de magnifier le don altruiste qui n'attend rien en retour mais plutôt d'encourager le don symbolique qui se nourrit d'un don en retour pour fonder une relation sociale faite de réciprocité. Les choses échangées peuvent être de nature très diffé­ rentes puisqu'elles concernent aussi bien de l'information, des compétences, des marques de sympathie, des alliances, des coups de mains, etc. Autant d'éléments constitutifs de la vie en entreprise. Par ces dons à la fois émotifs et ration­ nels, les donateurs recherchent un bénéfice intangible : créer de la confiance, ressentir de la fierté, acquérir une forme de prestige source de satisfaction. C'est aussi pour eux le moyen de s'associer à un tout et ainsi d'éprouver le sentiment d'exister. Un sentiment qui prend corps grâce aux émotions éprouvées de manière répétée à l'occasion de ces échanges sociaux. l . Norbert Alter, Donner et prendre : la coopération en entreprise, La Découverte, 20 1 0.

1 45

L'envie, une stratégie

I n novateur social ou busi ness pa rtner ? Les politiques de reconnaissance des entreprises sont fondées sur des contreparties programmées. Un donnant­ donnant qui a tué l'esprit du don et du contre-don. En répondant aux logiques individualistes par des politiques majoritairement contractuelles, les DRH institutionnalisent l'égoïsme et le chacun pour soi. C'est parce que le don/contre-don est finalement un principe fondateur de toute société humaine que se déve­ loppent à nouveau dans l'entreprise d'autres types de dons. Des dons affinitaires où la relation d'échange se propage dans des groupes choisis,indépendamment de toute volonté d'intégration à l'entreprise, en dehors des normes institu­ tionnelles. Ce sont les communautés qui se développent à grande vitesse grâce aux réseaux sociaux d'entreprises ou aux messageries instantanées. Des communautés largement plébiscitées par les géné­ rations Y et auxquelles les générations X participent acti­ vement elles aussi,tant le besoin de réciprocité gratuite est fort. L'entreprise tire un grand parti de ces comportements. Parce que le travail se réalise dans un univers de recom­ position permanente, ces dons/contre-dons viennent pallier les insuffisances de l'organisation (carence d'information, cloisonnement, surcharge ponctuelle de travail). Ainsi, l'entreprise bénéficie de bien plus que ce qui est prévu dans le contrat et par extension dans les fiches de postes. 1 46

Osons une stratégie de l'envie

Mais les DRH« oublient» de valoriser ces dons/contre­ dons comme des références, tant ils sont maladroits avec des approches dont ils devraient être les promoteurs. Il y a plusieurs raisons à cela. La première ne vient pas de leur méconnaissance ou de leur désintérêt pour le sujet. Pour preuve le livre de Robert Alter a reçu en 2009 le prix du stylo d'or décerné par l' As­ sociation nationale de directeurs de ressources humaines et l'année suivante le prix du livre RH de l'année. Il provient d'un étonnant décalage entre leur capacité à réfléchir l'innovation sociale et les difficultés qu'ils rencontrent à les mettre en œuvre. Leurs « collègues» membre des Comex, ont sur eux une influence néfaste. Celles du court terme et de l'efficience immédiate qui confine trop souvent le DRH dans la position d'un vulgaire business partner, d'un prestataire de services dont l'objec­ tif est de satisfaire le client interne. Un client interne qui ne mesure jamais les dégâts à long terme de ses choix« court­ termistes». La seconde et qu'ils minimisent le fait que les salariés, au-delà des biens, ont besoin de lien. Ils sont condition­ nés par le rapport de force qui les unit avec les partenaires sociaux et par cette implacable méthode de la négociation donnant-donnant. Le dialogue social, en étant principalement le terrain où s'opposent les défenseurs de l'exigence économique et les partisans du tout social, est devenu le lieu de la défiance. Chaque partie en présence, en s'appuyant sur le droit, fait 1 47

L'envie, une stratégie

valoir la légitimité de sa position ou la non-recevabilité de celle de ses interlocuteurs. Ce qui en résulte, c'est un plus petit dénominateur commun laissant aux managers le soin de maintenir le lien qui fonde le bien commun. Réinventer le dialogue social, c'est en faire le lieu où chacun accepterait la logique de l'autre. La défense des acquis sociaux passerait par la préservation des intérêts économiques de l'entreprise et la performance produc­ tive garantirait le bien-être social, faisant du DRH et des partenaires sociaux le « ET » qui réconcilie économique et social.

1 48

Conclusion Dans l'entreprise, à l'éco le, dans les médias et en po litique, faconnons un mo n de dé bordant d'envie

Conc l u s ion

L

'envie est un puissant remède contre l'immobilisme et le repli sur soi. Un antidote aux désengagements trop largement répandus.

Osez une stratégie de l'envie, c'est revisiter les fonda­ mentaux du management de l'entreprise pour recréer une communauté de désirs. Il appartient d'abord aux patrons d'insuffler un autre état d'esprit et, pour cela, penser l'entreprise comme un projet dont les finalités sont bien supérieures à la recherche du profit. Une finalité plus désirable parce que porteuse d'une autre vision de son utilité : le progrès. Il appartient aussi aux patrons d'abandonner cette conviction erronée qui consiste à penser que pour mobiliser, il faut alerter et brandir la menace, seule condition selon eux pour main­ tenir leurs salariés sur le qui-vive. Il leur faut se réconci­ lier avec les émotions, les leurs souvent, celles de leurs collaborateurs toujours, pour prodiguer sans relâche une parole enthousiasmante, qui active le sentiment de fierté et rassure chacun sur l'utilité de sa contribution à un projet désiré. Il est temps aussi que la communication s'émancipe de la toute puissance de l'urgence qui fait d'elle, insidieuse­ ment, une fonction qui produit, à grand renfort d'éléments de langage et de cascading, du« prêt-à-penser». Une fonc­ tion qui, n'ayant pas su revisiter avec honnêteté le sacro­ saint principe de transparence, en a fait le cache misère de l'hypocrisie ambiante. Une communication empathique qui considère sur un pied d'égalité le client et le salarié, et qui fait de la sincérité le préalable à l' émergence de 151

L'envie, une stratégie

ces terrains d'entente sans lesquels aucune action collec­ tive n'est possible. Empathie et sincérité, deux puissants activateurs de confiance, sources de contentement et d'harmonie. Il est salvateur que les managers ne soient plus consi­ dérés comme des contrôleurs, mesurant sans relâche tout ce qui peut l'être, oubliant qu'il leur faut consacrer plus d'énergie à générer la performance qu'à l'évaluer. Des managers à nouveau soucieux de l'essentiel : l'envie de leurs équipes. Une envie qui passe par un changement radi­ cal d'attitude (d'aptitude ?). Transformer les difficultés en défis stimulants, se remémorer les succès pour entretenir la fierté,multiplier les expériences positives, autant d'actes managériaux nouveaux qu'il leur faut désormais promou­ voir pour devenir des inducteurs d'optimisme. Il est vital enfin que les directions des ressources humaines embrassent une nouvelle mission. Celle de révéler la part de bonheur qui sommeille en toute entreprise en multipliant les initiatives bienveillantes, en substituant aux référentiels de compétences un référentiel d'auto-bienfaisance, en faisant de la réciprocité, cette aptitude généreuse à vivre ensemble, le ferment des politiques de ressources humaines. Toutes ces dimensions sont essentielles à la création d'un véritable et puissant écho-système de l'envie. Oui, il est plus que temps mais il est encore temps de se rappe­ ler ce principe simple et évident que nous avons oublié, conditionnés que nous sommes par l'omnipotence de la pensée rationnelle, la réussite est d'abord une affaire d'ENVIE. 1 52

w

0,

......

(

Rôle des ressources humaines

Rôle des communicants

Rôle des managers

Rôle des dirigeants

DÉFIS STIMULANTS (opportunités vs menaces)

CAPACITÉ À VIVRE ENSEMBLE (réciprocité vs contrepartie)

UTILE (progrès vs profit) �

PROJET

APTITUDE COLLECTIVE AU BONHEUR (inducteurs d'optimismes vs référentiel normatif)

FIERTÉ DE RÉUSSIR (moments gratifiants vs problèmes récurrents)

DISCOURS ENTHOUSIASMANTS (paroles exaltantes vs anxiogènes)

X

L'écho-système de l'envie

SINCERITÉ DES ÉCHANGES (convictions partagées vs persuasion massive)

Fort

Moyen

Faible

ABSENCE d'ENVIE collective

ensemble

PLAISIR de travailler

1

COMMUNICATION EMPATHIQUE (bienveillance salariés vs attention clients)



C V,

:::::l n

n 0

L'envie, une stratégie

Cette envie qui fait de plus en plus défaut dans l'entre­ prise, nous en sommes malheureusement sevrés dans bien des situations sociales. À l'école d'abord, dans les médias et aussi (je devrais dire surtout) dans la vie politique. Mais ce n'est pas une fatalité.

L' Éducation nationa le est une mach i ne à produ i re du dé fa iti sme. Pourtant, les enseignants peuvent réactiver l'espoi r de m i l l ions d'élèves En 40 ans, c'est une dizaine de grandes réformes qui a été initiée par les ministres de !'Éducation nationale succes­ sifs. Réforme d'organisation, de programme, de rythme. Beaucoup de réformes pour finalement peu de résultats. Selon le programme PISA I de comparaison des systèmes éducatifs nationaux, les résultats du système éducatif fran­ çais sont moyens par rapport aux autres États membres de l'OCDE, et régressent en matière de lutte contre les inéga­ lités sociales. En 20 14,une étude menée par le ministère de !'Éducation sur des cohortes d'élèves montre que le niveau en français et en mathématiques des élèves a encore chuté. Peut-être que la seule réforme qui aurait pu produire des effets n'a jamais été entreprise. Cette réforme est celle qui consiste à inciter les enseignants à porter un regard nouveau sur leur attitude en tant qu'éducateurs, à reconsi­ dérer leur pratique, à s'interroger sur leurs comportements pédagogiques. 1 . Program for International Student Assessment : études menées par l ' OCDE visant à la mesure des performances des systèmes éducatifs .

1 54

Conc l u s ion

Selon l'économiste Claudia Senik, être français réduit de 20 % la probabilité de se déclarer « très heureux». Elle a démontré que les habitants de pays à l'indice de développe­ ment humain (IDH) comparable au nôtre, s'accordent une note de bonheur entre 8,3 (Danemark) et 7,7 (Belgique), les Français ronchonnent à 7 ,2. Selon elle, cette aigreur se joue dès l'enfance. Le système scolaire pourrait ainsi jouer un rôle central dans ce pessimisme national. Élitiste, obsédé par les classements et les disciplines nobles, il engendrerait une image négative chez beaucoup d'élèves faiblement ou moyennement performants. Une image d'eux-mêmes qui les suivrait toute leur vie. Les enseignants se posent-ils assez cette question essen­ tielle : lorsque l'on enseigne, qu'est-ce que l'on transmet? Si l'enseignement se résume à transmettre des connais­ sances, un savoir constitué, n'est-il pas plus efficace d'uti­ liser un livre, un tutoriel ou un didacticiel? Si l'enseignant n'a que son savoir à offrir, il n'est pas certain que sa valeur ajoutée soit plus forte que celle d'une machine bien programmée. Sa valeur ajoutée peut être bien supérieure à celle de la machine, à condition que l'enseignant investisse dans ce qui est essentiel pour son élève : la considération qu'il lui porte et l'empathie à son égard. On apprend bien d'un professeur qu'on aime et on l'aime par ce qu'il nous apporte. Beaucoup de ce qui fait la réussite d'un apprentissage et donc d'un élève, se joue dans la qualité de la relation interpersonnelle, dans les émotions qui s'échangent entre l'enseignant et ses élèves. Être un bon 1 55

L'envie, une stratégie

professeur est une question de générosité, de cette envie essentielle de transmettre du plaisir et d'encourager toute forme d' effort, de louer les succès et les progrès des uns et des autres. On a tous en mémoire cet enseignant qui nous a fait croire en nous, nous a transmis bien plus que son savoir, son enthousiasme dans notre capacité à grandir. Et ce n' est pas être nostalgique que de dire cela, car il y a encore aujourd' hui des milliers de professeurs fantastiques qui, parce qu' ils sont optimistes et bienveillants,arrivent encore, malgré les difficultés, à transmettre de l' envie. Il existe aussi malheureusement des enseignants qui font preuve à l' égard de leurs élèves d' un élitisme malveillant, ne s'inté­ ressant qu' aux bons élèves,ceux qui leur renvoient l'image qu' ils sont de bons professeurs. C' est à la fois rassurant et inquiétant. L' avenir de millions d' élèves dépend en partie de l' hu­ meur des enseignants. De leur capacité à regarder positive­ ment leurs élèves, à croire en la part de talent qui se cache en eux. Un des facteurs importants dans la réussite scolaire d' une classe est le climat émotionnel que les enseignants sont capables de créer, et qui affecte les comportements et les performances des élèves. Des études estiment qu' un grand nombre d' enseignants renoncent à leur métier après les cinq premières années, en invoquant comme principale cause la charge émotionnelle de leur pratique. Malgré leurs compétences profession­ nelles, un pourcentage considérable d' enseignants aban­ donne donc la profession. Qu' en est-il de ceux qui décident 1 56

Conc l u s ion

de poursuivre malgré tout? Beaucoup s'usent. Ils maîtrisent de mieux en mieux leur discipline mais le lien qui les lie à leurs élèves se dégrade, leurs qualités humaines s'étiolent. Ils sont moins aidants, plus contrôlants. Quand je suis allé à l 'école, ils m 'ont demandé ce que je voulais faire quand je serai grand. J'ai répondu heureux. Ils m 'ont dit que je n 'avais pas compris la question, j 'ai répondu qu 'ils n 'avaient pas compris la vie. » «

Voilà les paroles d'une chanson de John Lenon que ces enseignants devraient écouter en boucle. Pessimistes sur le niveau de leur classe, ils ne croient plus autant en leurs élèves et leurs élèves croient alors de moins en moins en eux-mêmes. Une spirale sombre s'en­ clenche, chacun voit dans le regard de l'autre l'échec. Et cette école dépressive produit du défaitisme. Les méd ias braquent leu rs projecteu rs s u r la noi rceu r d u monde . Pou rta nt, les jou rna l istes ont le pouvo i r de nous montrer u ne société p l u s réjou i ssa nte Avec le digital, l'information est devenue un produit étrange. Existe-t-il dans notre société de consommation un autre bien ou service qui soit la réponse à un besoin fondamental et en même temps considéré comme gratuit? À ma connaissance, il n'y a que l'air et l'eau (que nous avons finalement accepté de payer, conscients qu'elle pouvait disparaître sous sa forme potable). Pourtant, il nous semble évident de lancer une requête via Google pour se tenir au courant de l'actualité, savoir ce qui se passe ici et 1 57

L'envie, une stratégie

ailleurs. 57 % des Français accèdent à l'information depuis leur tablette ou leur smartphone, un smartphone que nous regardons 150 fois par jour soit en moyenne toutes les 6,5 minutes. Une recherche gratuite en apparence, mais que nous payons en réalité le prix fort, celui de notre liberté digitale. Mais ce n' est pas tout. À la gratuité s' ajoute la rapi­ dité. La durée moyenne d' attention d' un internaute est de 2,8 secondes. Mais surtout, la date limite de consomma­ tion d' une information est de quelques heures. Les twits ont remplacé les dépêches et les internautes traquent « les news qui font le buzz » . Il n' y a guère que les événements exceptionnels qui ont une durée de vie de quelques jours. C' est contre la gratuité et l' éphémère que doivent se battre les médias pour survivre. Il leur faut pour vendre, pour capter les audiences, produire du sensationnel car contrairement à ce que dit le proverbe,on attire les mouches avec du vinaigre. Les journalistes doivent s'intéresser à l' exceptionnel, à l' extraordinaire, à l' anormal. Quotidiennement, ils doivent offrir de l' extra-quotidien. Scoop, révélation, controverse, mise à l' index, mise au pilori, tout ce qui peut susciter l' at­ tention, faire du bruit, stimuler l' opinion est utilisé. Dans cette bataille pour l' audience, la saine fonction critique des journalistes s' est transformée progressivement en une fonction polémique. La maxime de Beaumarchais, « sans la liberté de blâmer, il n 'est point d 'éloge flatteur », 1 58

Conc l u s ion

ne doit pas faire oublier que sans éloge flatteur, les blâmes à répétition ressemblent à un acharnement. Les journalistes ont une responsabilité immense et je ne suis pas sûr que tous la mesurent pleinement. Le quatrième pouvoir détient un pouvoir supérieur : il façonne le réel. Ce que l'on nomme l'opinion publique n'est rien d'autre que la pensée sociale. Une pensée qui s'exprime dans les conversations quotidiennes, les rumeurs, la passion des foules. Stéréotypes et croyances s'élaborent pendant ces interactions sociales. Mais pour se nourrir, elles ont besoin d'un catalyseur et ce catalyseur, ce ne sont plus les idées en tant que telles mais les sentiments qu'elles génèrent. Notre société hyper-médiatisée déverse une profu­ sion vertigineuse d'informations, d'images, d'opinions, de pensées au point que personne ne sait plus ce qui se dit vrai­ ment. Chaque idée diffusée est immédiatement remplacée par une autre, à son tour balayée, jusqu'à la prochaine, qui disparaît aussitôt. Aucun sens n'émerge, aucune significa­ tion ne se dessine, aucune représentation commune de la réalité ne se construit. Sur le fond, tout passe. La seule trace qui subsiste est la forme avec laquelle est énoncé ce brou­ haha. « La forme est le fond qui remonte à la surface », disait Paul Valéry. Aujourd'hui, la forme a définitivement coulé le fond. Plus personne ne retient rien, si ce n'est la forme avec laquelle les choses sont dites. Et cette forme est celle de la polémique, de l'outrance négative, du pessimisme cynique. La pluralité prolifique des médias « classiques» et des médias sociaux a irrémédiablement (et c'est heureux) inter1 59

L'envie, une stratégie

dit toute forme de propagande qui dicterait une idée domi­ nante. La nouvelle propagande n'est plus celle des idées mais celles des émotions négatives. Une propagande qui persuade insidieusement chacun de nous, que le monde n'est que noir­ ceur, que tout y est désenchantement, malveillance et sinis­ trose, fabricant ainsi une grille de lecture alarmiste de la réalité, une construction mentale défaitiste qui étouffe nos envies. Car les individus que nous sommes ne sont pas ration­ nels mais rationalisants. Nous cherchons une justification a posteriori à nos actes. Si nous sommes individuellement si peu heureux, nous n'y sommes pour rien. La preuve, pensons-nous, le monde est malheur. Plongés en permanence dans un bain d'opinions néga­ tives, nous avons perdu notre capacité de discernement. Le monde est malheur car nous n'avons plus la capacité à le voir autrement, ni l'envie de le rêver différemment.

Les pol itiques nous racontent des h isto i res pour nous fa i re croi re en eux. I l s devra ient s'employer à nous fa i re croi re en nous Les médias le savent, la politique ne fait plus recette. Il faut, pour maintenir l'attention, du sang et des larmes, du concen­ tré de polémique, des successions de controverses. Un condensé de cruauté, phrases assassines et petits meurtres entre amis, imposé par des formats de plus en plus courts et la vitesse avec laquelle tout tombe dans l'oubli. En acceptant le temps court que leur imposent les médias, les politiques acceptent aussi que leur parole soit saccadée, 1 60

Conc l u s ion

« en réponse à», rarement« en projection de». Il n'y a que lors des élections présidentielles, une fois tous les cinq ans, que le temps est donné à l'expression des idées. Mais le miroir est déformant. Il s'agit d'une compétition où chacun, parce qu'il a choisi son camp, écoute sans objectivité, réagit plus qu'il ne réfléchit. Les hommes politiques n'ont alors de cesse, obsédés par leur élection plus que par leur projet, de briller par la forme. Phrases chocs, démonstrations simplistes, emphase sont les armes de leurs combats formels. Les hommes et les femmes politiques sont comme des papillons pris dans les feux des médias. Ils sont attirés, fascinés même, pensant pouvoir jouer avec la lumière, la maîtriser pour exister. Aidés par leur conseil en communi­ cation, ils pensent pouvoir raconter leur histoire, racon­ ter des histoires. Au fond d'eux, ils croient détenir l'arme secrète : le story telling. Plus besoin de vision, de projet, de sens à leur action. Ils sont les héros d'une histoire qui doit être simple au point de se raconter en quelques minutes (le pitch). Une histoire dont ils doivent choisir soigneuse­ ment le méchant (l'opposant) et pour laquelle ils doivent être armés d'un pouvoir rassurant (l'adjuvant). Lors de l'élection présidentielle de 20 1 2, Hollande avait désigné son « méchant» : la finance vorace et pour la combattre, un adjuvant surprenant : sa normalité. Le combat de David contre Goliath sous l'œil d'un peuple qui aime s'émouvoir pour les combats désespérés. Les hommes politiques se mettent en scène avec fréné­ sie, multipliant les propos, les déclarations. Ils segmen­ tent leurs paroles pour adresser des messages ciblés. Ils ne parlent plus à la Nation mais répondent aux sondages 161

L'envie, une stratégie

d'opinions. Une multitude de réponses fragmentées pour satisfaire une nuée d'intérêts privés, la forme moderne du clientélisme antique. Point de grand dessein, pas d' appel au sens, à la grande œuvre qu'il faut bâtir ensemble. Seulement des bagarres de quartier dans lesquelles personne ne reconnaît cette dimen­ sion supérieure qui pourrait un instant lui faire oublier sa petite personne. Qui aurait envie de s'oublier pour un niveau de dette à 3 %. Et quand ces discours sont prononcés par des hommes (majoritairement) qui sont occupés à manœuvrer pour leur propre compte, comment s'étonner que personne n'ait envie de les suivre? Qui voudrait faire des efforts pour des personnages qui ne paient pas leurs impôts, trichent sur leur déclaration de patrimoine, mentent les yeux dans les yeux et la main sur le cœur ? La cause politique ne donne plus l' impression qu' elle est au service de la chose publique. Pour que la (communication) politique redonne envie aux Français de se mobiliser,il faudrait des paroles sincères et inspirées. Des discours qui ravivent le sentiment d' unité, réactivent chez chacun le désir de contribuer à un projet qui soit bien plus que la somme d'intérêts particuliers. Un projet qui ne soit pas une succession de promesses faites tour à tour aux artisans,aux commerçants,aux agricul­ teurs, aux personnes âgées, aux enseignants, aux salariés, aux familles,aux écologistes,aux Français d' outre-mer,aux homosexuels, aux handicapés, aux jeunes, aux étudiants, aux chômeurs, aux étrangers, aux syndicats, aux militaires. 1 62

Conc l u s ion

Un tel projet, parce qu'il dit à chacun ce qu'il veut entendre et lui fait croire qu'une force supérieure s'occupe de tout,est à la fois déresponsabilisant et démobilisateur. Ce dont les Français ont besoin, c'est d'un projet qui leur donne envie de croire en eux, qui leur transmette la confiance dont ils ont besoin pour changer leur propre vie, qui leur dise vous êtes les acteurs de votre destinée. Une promesse pleine d'énergie positive qui tende à chaque Français un miroir dans lequel il découvre avec fierté sa propre image. Les hommes politiques qui se rêvent en hommes providentiels déclarent : « Nous allons tout faire pour vous. » Ils ont tort. La seule grande idée politique est celle qui donne envie à chacun de changer sa vie, en lui soufflant à l'oreille : « Vous devez le faire pour vous. »

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Table des matières Rem e rc i e m e nts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VII Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . IX Ava nt-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 L'envie, u n puissa nt générateu r d 'engagement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 L'envie et le désir, des « obiets » obscurs ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 L'envie est au cœur du mécanisme complexe de l'engagement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . l 0 • Au com m encement éta it l ' h u m a i n . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 • L'e nvi e est p l u s q u'u n e som m e d e m otivations . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 · Les emo ; t·ions son t I'oxygene d e I'envie · . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 • Le pa rta g e des émotio n s c rée d u l ien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 • L'h u m e u r oriente nos perceptions et nos comportements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24 2 Au nom de la perform a nce, les entreprises détruisent l 'envie qui fa it la performa nce . . . . . . . . . 3 1 L'environnement des entreprises devient anxiogène . . . . . . . . . . . . . . . 34 • Ni comprise, ni m aîtrisée, l a mond i a l i sation fa it peur . . . 34 • Q u a n d l 'action des d i rigea nts pa raît i n j u ste, la colère s'i n sta l l e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 Les managers n'ont plus le temps de créer du lien . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 • O n a réi nve nté les contre maîtres . . . en col b l a n c . . . . . . . . . . . . 42 • La « mesu rite a ig u ë » a l tère les capacités re lation n e l l e s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44

Pourq uoi la communication ne forg e-t-elle . . p 1 us d e conv1ct1ons communes .,. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 • Maîtriser l ' i n fo rmation est deve n u u ne o bsession . . . . . . . . . . . 49 • Les com m u n ica nts sont deve n u s des fab ricants de « p rêt-à-pe n se r » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 Les politi q ues RH fabri q uent de moins en moins de collectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56 • L'esp rit d 'éq u i pe, u ne vue de l 'e s p rit ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 • La marq ue e m p loyeu r, un e m p i le me nt d ' h i sto i re s i n d iv i d ue l les . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60 Au nom du client, on détruit l'amour du métier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62 • Q ua l ité pe rçue, q ua l ité d éçue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62 • Sois a uton o me mais a p p l i q ue la règ le . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65

3 0sons

une strateg1e #



· . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 d e I'envie

Une nouvelle priorité pour les patrons : , , d e I'envie · . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73 g enerer • Affi rme r u ne final ité p l u s d é s i ra b le . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74 • Prod u i re d u d i scou rs e nthousias ma nt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85 Un nouveau paradi g me pour la communication : l'empathie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 • Réconc i l ie r p la i s i r des sa lariés et sat i sfact ion des c l ients . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 • E ntre r sincère m e nt e n com m u n ication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109 Une aptitude nouvelle pour les mana g ers : fabri q uer de l'optimisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 9 • Tran sformer les d i ffic u ltés e n défis st i m u la nts . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 20 • Manage r par le p la i s i r . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 28 Un reg ard neuf pour les DRH : le bon côté des choses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 36 • Réve i l le r l 'envie de bon he u r q u i som me i l l e e n toute e ntre p rise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 37 • Fo nder le « vivre e n se m ble » s u r la réc i p rocité p l u s q ue s u r la cont re p a rtie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143

Concl usion : Dans l'entreprise, à l'école, dans les médias et en politi q ue, façonnons un monde débordant d'envie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149

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