L'Entree d'Alexandre Le Grand Sur La Scene Europeenne: Theatre Et Opera (Fin Du Xve-Xixe Siecle) (Alexander Redivivus) (French Edition) 9782503569819, 2503569811

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L'Entree d'Alexandre Le Grand Sur La Scene Europeenne: Theatre Et Opera (Fin Du Xve-Xixe Siecle) (Alexander Redivivus) (French Edition)
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L’ENTRÉE D’ALEXANDRE LE GRAND SUR LA SCÈNE EUROPÉENNE

ALEXANDER REDIVIVUS Collection dirigée par Catherine Gaullier-Bougassas Margaret Bridges Corinne Jouanno Jean-Yves Tilliette

L’entrée d’Alexandre le Grand sur la scène européenne Théâtre et opéra (fin du XVe-XIXe siècle) Sous la direction de Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas

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Cet ouvrage s’inscrit dans le programme de recherches que mène Catherine Gaullier-Bougassas dans le cadre de l’Institut universitaire de France sur la réception européenne de la figure d’Alexandre le Grand.

© 2017, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher.

ISBN 978-2-503-56981-9 eISBN 978-2-503-56982-6 DOI 10.1484/M.AR-EB.5.111883 D/2017/0095/115 Printed on acid-free paper

Les renaissances d’Alexandre le Grand au théâtre et à l’opéra Mais Alexandre, couvoiteux de lire et d’aprendre, aprint par l’exposicion d’Aristote le livre de Homere intitulé Ylias, que Alexandre appelloit le Voyaige de la discipline militaire, lequel livre, comme dit Onesecrite, Alexandre tenoit par nuit dessoubz son chevet avec sa dague. Et comme es plus haultz lieux il n’eust point de livres, il envoya Arpale afin d’en avoir, lequel lui aporta les livres de Philiste, pluseurs tragedies d’Euripedes, de Sophocles et de Eschile ensemble les lais de Teleste et de Polixene. Il aprenoit et recitoit pluseurs vers et chançons et non seulement tragedies et comedies, mais aussi de pluseurs poetes hystoriens1.

Selon la légende, se recueillant sur le tombeau d’Achille, Alexandre aurait regretté de n’avoir pas eu un Homère pour célébrer sa gloire : « O te beatum Achillem, fertur saepe dixisse, qui Homero praedicatore celebraris2 ! » Aurait-il pu aussi déplorer qu’aucun dramaturge n’ait mis en scène son personnage, lui qui selon Plutarque appréciait les tragédies ? La question reste bien entendu ouverte. Quant à son goût pour l’épopée, sans doute plus à même de servir sa glorification que la tragédie, il n’étonne guère. Au reste, durant toute l’Antiquité tardive, son souvenir n’a de fait inspiré ni épopée ni pièce de théâtre. Si le Moyen Âge donne ensuite naissance à des épopées qui retracent sa destinée – en premier lieu l’Alexandreis de Gautier de Châtillon, au rayonnement européen –, le théâtre y reste encore un territoire littéraire en dehors de ses conquêtes, ou presque. On ne voit guère, dans le domaine français, que 1. Vasque de Lucène, Faicts et Gestes d’Alexandre le Grand, éd. C. Gaullier-Bougassas, à paraître, livre I, ch. VII et ch. VI. Vasque de Lucène adapte ici la traduction latine de la Vie d’Alexandre de Plutarque par Guarino da Verona. Pour le passage correspondant à la première citation dans la Vie d’Alexandre de Plutarque, voir Plutarque, Les Vies des hommes illustres, traduction de Jacques Amyot éditée par G. Walter, Paris, 1951, t. 2, p. 331. Plus loin, parmi d’autres citations, après l’assassinat de Philippe par Pausanias, Alexandre cite des vers de la Médée d’Euripide selon Plutarque (trad. Jacques Amyot, op. cit., p. 334 ; Vasque de Lucène, op. cit., livre I, ch. 10). 2. Julius Valère, Res gestae Alexandri Macedonis, I, 42, trad. française J.-P. Callu, Roman d’Alexandre, Turnhout, 2010, p. 101 : « Que tu es heureux, Achille, répéta-t-il, à ce qu’on dit, d’avoir Homère pour te célébrer dans ses chants ! » L’anecdote se lit déjà dans le Pro Archia de Cicéron, X. L’entrée d’Alexandre le Grand sur la scène européenne éd. Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas Turnhout, 2017, (Alexander Redivivus, 9) p. 05-42 © F H G

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la pièce de Georges Chastelain, Les épitaphes d’Hector et d’Achille, écrite en 14543. Même à la cour de Bourgogne, où travaille Georges Chastelain et où la geste d’Alexandre suscite l’écriture de plusieurs récits, le conquérant macédonien n’apparaît que dans cette œuvre dramatique somme toute mineure, qui, en outre, ne lui est pas entièrement consacrée. Le XIIe Dialogue des morts de Lucien, diffusé à travers la traduction latine de Giovanni Aurispa, a certes aussi été transformé en représentation théâtrale pour René d’Anjou, à Naples, lors des fêtes du 28 février 1441, mais le texte ne nous est pas parvenu4. Pour la composition des premières pièces de théâtre à son sujet, en langues allemande et française, il faut vraiment attendre les années 1550 puis 1570, avec Hans Sachs puis Jacques de La Taille, avant que les œuvres ne deviennent plus nombreuses aux siècles suivants. Les dramaturges des xvie et xviie siècles n’avaient donc pas à leur disposition des précédents antiques ou médiévaux qu’ils auraient pu exploiter. Au xviiie siècle, Delisle de Sales, auteur de trois pièces autour d’Alexandre5, aura beau prétendre, pour se donner une caution, qu’il traduit des œuvres dramatiques grecques d’un poète antique de Sybaris, il brode alors sur le topos de la fiction du manuscrit retrouvé. Bien que, en Europe occidentale, la mutation des représentations de l’Antiquité entre le xve et le xvie siècle, selon la césure traditionnellement établie entre Moyen Âge et Renaissance pour la littérature française, n’ait pas été aussi brutale qu’on le suppose souvent, les fictions du Roman d’Alexandre du Pseudo-Callisthène ont peu à peu été oubliées avec le retour aux historiens latins et grecs, et le plus spectaculaire renouvellement dans les formes d’expression est alors sans conteste l’invention de représentations dramatiques d’Alexandre et de son entourage. Or la création d’un théâtre puis d’un opéra sur Alexandre et le développement de ces écritures dramatiques en Europe n’ont été que très peu étudiés, si l’on excepte quelques pièces connues. Une liste d’œuvres françaises et italiennes se lit dans l’ouvrage de Chantal Grell et Christian Michel, mais l’introduction annonce d’emblée qu’elles « ont été volontairement mises à l’écart », car « décevantes et fort ennuyeuses6 ». Considérant à partir de ce 3. Georges Chastelain, Œuvres, éd. K. de Lettenhove, 8 t., Bruxelles, 1863-1866 ; Genève, 1971, t. 6, p. 167-202. 4. O. Margolis, « Cipriano de’ Mari’s Lucianic Speech for René of Anjou (St-Dié, MS 37) : Humanism and Diplomay in Genoa and Beyond », Renaissance Studies, 27 (2013), p. 219-235. Ce dialogue de Lucien a par ailleurs suscité l’écriture à la cour de Bourgogne de deux débats, le Débat d’honneur de Jean Miélot et les Trois Grands de Sébastien Mamerot. 5. Voir plus loin notre répertoire des pièces françaises, infra, p. 352-355. 6. L’école des princes ou Alexandre disgracié, Paris, 1988, p. 46 et pour la liste p. 217-220.



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jugement de valeur qu’elles n’apportent rien à la connaissance de la réception d’Alexandre, l’étude prend pour objet des textes historiques et didactiques français du xviie siècle, puis des représentations picturales du Macédonien, afin d’examiner l’exploitation politique qu’ils reflètent. Les œuvres dramatiques sont pourtant bien plus nombreuses et plus bien dignes d’intérêt qu’il n’est dit. Non seulement elles participent parfois elles aussi à l’exploitation politique du personnage et elles entretiennent des liens intertextuels avec les traductions des historiens antiques qui voient le jour, mais elles témoignent d’une créativité certaine dans leurs réinventions dramaturgiques du personnage. Elles constituent en outre un pan important de la réception de la figure d’Alexandre le Grand. Après les xvie et xviie siècles, si les pièces de théâtre qui s’écrivent encore sont moins souvent représentées, de très nombreux opéras contribuent à façonner pendant plusieurs siècles les représentations du conquérant en Europe occidentale, tandis dans le monde hellénique le théâtre d’ombres s’approprie le personnage antique comme figure de sauveur pour toute une communauté. Une étude manque ainsi sur les réinventions d’Alexandre et de son entourage en héros dramatiques et lyriques. Quelles facettes du portrait du conquérant, héritées ou inventées, les théâtres et les opéras européens privilégientils ? Comment se construisent-elles, selon quels ressorts dramatiques ? Quels liens entretiennent-elles avec les connaissances et les textes historiques, avec le renouvellement des représentations de l’Antiquité et des usages de l’antique qui voient le jour au fil des siècles ? En Europe occidentale, l’inventivité des dramaturges naît de la lecture des textes historiques, elle se nourrit de l’histoire, recomposée, réinterprétée, souvent mise en fiction. Quand les auteurs invoquent des sources, ce sont en effet presque toujours les récits des historiens antiques, avant tout Justin, Quinte-Curce et Plutarque. Très rares sont ceux qui s’inspirent d’œuvres spécifiquement médiévales : nous ne pouvons citer que le Perceforest pour l’auteur anglais de Clyomon and Clamydes, le Lai d’Aristote d’Henri de Valenciennes pour son adaptation allemande par Hans Sachs au xvie siècle, puis ses adaptations françaises, en 1780 et 1878, dans deux opéras comiques, Aristote amoureux ou le philosophe bridé de Pierre-Antoine-Augustin de Piis et Le char de Paul Arène et Alphonse Daudet. Quant aux adaptations du Roman d’Alexandre du Pseudo-Callisthène, si nombreuses et fécondes dans les siècles précédents, elles n’influencent plus que très rarement la création littéraire en Europe occidentale à partir du xvie siècle : pour le théâtre, les seuls exemples que nous ayons trouvés sont la tragédie de Hans Sachs et, bien plus tardif, l’opéra Alexander d’Emanuel Schikaneder. En revanche, toujours très

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diffusées dans le monde hellénique, elles contribuent, au xixe siècle, à l’essor d’une forme d’expression dramatique très spécifique, le théâtre d’ombres grec. En Europe occidentale, la composition des premières pièces de théâtre, plus exactement des premières tragédies, succède ainsi aux traductions humanistes de Quinte-Curce, de Justin et de Plutarque. Les auteurs médiévaux n’ignoraient pas les historiens latins d’Alexandre, mais beaucoup d’entre eux se sont approprié d’abord et avant tout les dérivés latins du Roman d’Alexandre du Pseudo-Callisthène, dont ils ont diffusé et amplifié les fictions, en imaginant même souvent de nouvelles aventures inédites7. Au xve siècle, en France, l’auteur de la première traduction française de Quinte-Curce, Vasque de Lucène, réagit contre toutes les affabulations inspirées de ce récit grec fondateur et leur oppose la vérité de l’historien latin. Avec Plutarque, dont les traductions commencent en Italie au xve siècle et que Jacques Amyot traduit en français pour François Ier, c’est Quinte-Curce qui jouira de la plus grande diffusion dans l’Europe latine, au moins jusqu’au xviiie siècle, lorsque de nouvelles analyses historiques voient le jour, comme Pierre Briant l’a récemment étudié8 : ce sont notamment, en France, les travaux du baron de Sainte-Croix et son Examen critique des anciens historiens d’Alexandre, écrit après la mise au concours de ce sujet par l’Académie des Inscriptions et des Belles-Lettres en 1769, publié en 1775 et réédité en 1804. Mais cette réflexion historiographique du xviiie siècle et la mise à distance du personnage antique qu’elle suscite n’exercent pas d’influence sur les représentations dramatiques et lyriques d’Alexandre. Même si quelques œuvres critiques à l’encontre du conquérant sont composées, ce sont toujours les récits de Quinte-Curce et de Plutarque que les dramaturges exploitent comme matrices principales. Or, à partir des traductions de ces historiens latins qui revendiquent le vrai et qui sont largement reconnues comme dignes de foi jusqu’au xviiie siècle, ils ont créé de nouvelles fictions, inventé des faits et des personnages imaginaires. À partir du xvie siècle, les écritures dramaturgiques ont ainsi relancé un processus de « fictionnalisation » que les auteurs des traductions humanistes avaient précisément cherché à arrêter après les libertés médiévales. Les préfaces insistent pourtant souvent sur l’historicité des pièces, même quand elles trahissent la vérité reconnue comme telle à l’époque de l’écriture, en créant de nouveaux personnages, particulièrement autour des intrigues et 7. Voir notre La fascination pour Alexandre le Grand dans les littératures européennes (xe-xvie siècle). Réinventions d’un mythe, dir. C. Gaullier-Bougassas, 4 t., Turnhout, 2014. 8. P. Briant, Alexandre des Lumières. Fragments d’histoire européenne, Paris, 2012.



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du portrait d’un Alexandre amoureux, quasiment absent des œuvres médiévales. L’exemple sans doute le plus connu est l’Alexandre le Grand de Racine. Citons ainsi le début de la deuxième préface que l’auteur écrit pour la première édition collective de ses œuvres en 1675-1676 : Il n’y a guère de Tragédie, où l’Histoire soit plus fidèlement suivie que dans celle-ci. Le sujet en est tiré de plusieurs Auteurs, mais surtout du huitième Livre de Quinte-Curce9.

On sait les critiques de Saint-Évremond, dans sa Dissertation sur le Grand Alexandre, sur la trahison de l’Histoire et du témoignage de Quinte-Curce par Racine, le rabaissement d’Alexandre par l’invention de ses amours et par une idéalisation de Porus à ses dépens : Un faiseur de Romans peut former ses Héros à sa fantaisie ; il importe peu aussi de donner la véritable idée d’un Prince obscur, dont la réputation n’est pas venue jusques à nous ; mais ces grands personnages de l’Antiquité, si célèbres dans leur siècle, et plus connus parmi nous que les vivants même, les Alexandres, les Scipions, les Césars ne doivent jamais perdre leur caractère entre nos mains. […] Surtout, il ne faut pas les défigurer dans la guerre, pour les rendre plus illustres dans l’amour. Nous pouvons leur donner des Maîtresses de notre invention, nous pouvons mêler de la passion avec leur gloire : mais gardons-nous de faire un Antoine d’un Alexandre, et ne ruinons pas les Héros établis par tant de siècles, en faveur de l’amant que nous formons à notre seule fantaisie10.

La polémique autour de la réinvention d’Alexandre en héros romanesque et amoureux, si elle bat son plein après le succès de la pièce de Racine en 1665, sous l’influence notamment des partisans de la tragédie historique, cesse ensuite. L’heure est à la tragédie galante ou, plus précisément, à des formes mixtes où la galanterie se joue sur un fond historique plus ou moins précis. Si la Cléofile de Racine affirmait sa méfiance face à la nouvelle sensibilité d’Alexandre – « On attend peu d’amour d’un Héros tel que vous » (v. 907) –, le renouvellement 9. Voir l’édition de G. Forestier, Racine, Œuvres complètes, t. 1, Théâtre-poésie, Paris, 1999, p. 191. 10. Éd. G. Forestier, op. cit., p. 186, et sa notice sur l’Alexandre, p. 1274-1293. Voir aussi sur ces questions La galanterie des Anciens, éd. N. Grande et C. Nédelec, Littératures classiques, 77 (2012), et notamment M.-G. Lallemand, « Galanterie des conquérants : l’Alexandre de La Calprenède et le Cyrus des Scudéry », p. 99-112, S. Cornic, « L’Astrate de Quinault et l’Alexandre de Racine : deux illustrations divergentes de la galanterie des anciens », p. 129-142 et S. Blondet, « ‘Gardons-nous de faire un Antoine d’un Alexandre’. Galanterie et héroïsme antique sur les scènes parisiennes (1630-1640) », p. 195-211 ; C. Barbafieri, Atrée et Céladon. La galanterie dans le théâtre tragique de la France classique (1634-1702), Rennes, 2006.

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est éclatant avec l’importance sans cesse accrue sur la scène des amours du roi avec Roxane, Statira, voire Thalestris, et aussi, avec Campaspe, de sa victoire sur sa propre passion. La réflexion sur le pouvoir royal, que ce soit pour promouvoir l’absolutisme « éclairé » ou pour le contester, ne disparaît néanmoins pas de toutes les œuvres, mais, dans un grand nombre de pièces de théâtre comme dans les opéras, plus diffusés encore, elle touche avant tout à la glorification de sa clémence. Alexandre prend ainsi vie, avec son entourage, dans des genres dramatiques divers, au fur et à mesure de leur création, et les auteurs l’adaptent avec la plasticité qui caractérise son personnage. Il incarne toujours un prestige dont ils jouent sur des registres divers, pour susciter l’admiration, parfois la pitié, moins souvent l’indignation ou bien le rire, à des fins parodiques. Si, dans les Visionnaires de Desmarets de Saint-Sorlin, l’amoureuse d’Alexandre assure un traitement comique de la fascination pour Alexandre, elle affirme aussi que « qui voudroit annoblir le théâtre français » devrait « assembler tous les faits d’Alexandre » (II, 3). Sans doute est-ce une manifestation de son extravagance, partagée avec deux autres personnages, l’auteur d’une tragédie sur Alexandre, Amidor, et l’interprète possible de son rôle, Artabaze, mais ces détournements comiques de la figure d’Alexandre contribuent tout de même bel et bien à promouvoir le théâtre français, ici la comédie, et plus profondément, ils révèlent le lustre que le personnage communique toujours aux nouveaux espaces littéraires qu’il investit.

Alexandre dans le théâtre européen des xvie et xviie siècles La fascination renouvelée pour Alexandre coïncide avec le regain d’intérêt pour l’histoire et les grandes figures de l’Antiquité, à la Renaissance et au-delà. C’est ainsi qu’au xvie et au xviie siècles naît un premier théâtre sur Alexandre, témoignage d’une nouvelle exploitation esthétique de la figure du conquérant. Les traitements dramatiques et les caractéristiques définitoires du personnage sont tributaires des épisodes qui lui sont associés – historiques ou regardés comme tels, ou au contraire romanesques, greffés sur sa biographie –, ainsi que des genres théâtraux où il intervient.

Les premières tragédies (1550-1630) Dans une première période, qui couvre le xvie siècle et le premier tiers du xviie siècle, jusque vers 1630, le personnage d’Alexandre apparaît souvent



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dans des tragédies, que celles-ci soient allemandes, anglaises ou françaises. Deux épisodes sont privilégiés : la mort de Darius et la mort d’Alexandre. Un tel choix n’a rien d’étonnant à une époque où le théâtre tragique se conçoit essentiellement comme la peinture d’une illustre infortune et des malheurs des Grands, où, comme le résume Jean Mairet, « la tragédie est comme le miroir de la fragilité des choses humaines, d’autant que ces mêmes rois et ces mêmes princes qu’on y voit au commencement si glorieux et si triomphants y servent à la fin de pitoyables preuves des insolences de la fortune11 ». La succession de faits menant à la mort de Darius suit un canevas événementiel en grande partie conforme aux récits des historiens antiques, notamment Quinte-Curce, Plutarque et Justin. Pour ce qui est de la mort d’Alexandre, les dramaturges retiennent unanimement la thèse de l’empoisonnement émise par Plutarque et Justin. L’exploitation de l’hypothèse, dramatiquement efficace, d’un complot meurtrier, permet d’établir un rapprochement entre la mort d’Alexandre et celle de Darius, dont l’assassinat n’a jamais été sujet à caution. La perception d’une analogie entre les morts des deux souverains a mené certains auteurs, soit à traiter au sein d’une même pièce les deux événements – c’est le cas de Hans Sachs dans sa tragédie en sept actes, dotée d’une « structure en candélabre », Von Alexander Magno, dem könig Macedonie, sein geburt, leben und endt12 (1558) –, soit à élaborer des diptyques consacrés aux destins parallèles des deux rois, adversaires loyaux, tous deux assassinés et trahis par des alliés ou par des proches : c’est ainsi qu’en France, le jeune dramaturge Jacques de La Taille écrit deux tragédies intitulées Daire et Alexandre (édition posthume en 157313), et qu’Alexandre Hardy fait publier l’une à la suite de l’autre dans le quatrième volume de son Théâtre (publié en 1626) ses œuvres tragiques La mort de Daire et La mort d’Alexandre14. L’Anglais William Alexander procède dans l’ordre inverse, lorsque, longtemps après avoir écrit sa pièce The Alexandraen Tragedy (1552) qui montre, non la mort d’Alexandre, mais le chaos politique qui l’a suivie, avec les guerres de succession entre ses capitaines, il fait publier The Tragedy

11. J. Mairet, La Silvanire, ou la morte-vive, tragi-comédie pastorale, Paris, F. Targa, 1631, préface, NP. 12. Voir Florent Gabaude, « La tragédie Von Alexandro Magno (1558) de Hans Sachs : présentification de l’histoire et parénèse politique », infra, p. 89-109. 13. Louise Frappier, « Portrait du prince sur la scène humaniste : Alexandre dans les tragédies de Jacques de La Taille », infra, p. 75-87. 14. Thiphaine Karsenti, « ‘Ce Lion devenu cruel de magnanime’ : les ambiguïtés du modèle héroïque dans La mort d’Alexandre d’Alexandre Hardy », infra, p. 111-123.

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of Darius15 (1603). Le jésuite français Pierre Mousson n’évoque pour sa part que la mort de Darius dans sa tragédie néo-latine intitulée Darius proditus16 (1621), écrite pour des scènes de collèges. Les tragédies concernant la mort de Darius présentent celui-ci dans la position peu enviable d’un monarque militairement vaincu, dépossédé de sa puissance et de sa gloire, et éloigné de sa famille, tombée aux mains d’Alexandre. Souffrant, lucide et résigné face à un destin qui l’accable, Darius est trahi et tué par les traîtres Bessus et Nabarzane, ses satrapes, qui espèrent une récompense de la part d’Alexandre. Mais leur calcul sordide échoue. Les pièces consacrées à la mort de Darius mettent en effet l’accent sur la grandeur morale de son loyal adversaire Alexandre, qui, loin de s’acharner sur Darius, traite avec bienveillance ses captives (la mère, la femme et les filles du vaincu), et choisit de châtier de la façon la plus dure qui soit ses assassins, selon le vœu du défunt roi dont un soldat macédonien, Polystrate, lui a rapporté les dernières paroles. Par exemple, la dernière intervention du chœur à la fin de la tragédie Daire de Jacques de La Taille célèbre, outre la grandeur d’Alexandre, sa vertu, qui le rend digne de « régir l’Univers ». La mort d’Alexandre donne également lieu, quant à elle, à maints effets tragiques : le fait que le jeune conquérant, doté d’une stature et d’une gloire inégalées, à la tête d’un immense empire, soit frappé précisément au faîte de sa puissance, démontre la fragilité de son pouvoir et l’effondrement de son invincibilité prétendue. Sans pour autant accorder la moindre dignité aux conjurés (Antipater et ses fils) qui parviennent à éliminer Alexandre, les auteurs mettent en rapport la mort du roi avec différentes fautes, dont elle serait en quelque sorte le châtiment : sont mises en cause l’hybris du conquérant, sa prétention à se proclamer fils de Jupiter et à être vénéré comme un dieu, ses injustices commises précédemment envers Parménion ou Clitus, et ses propensions à la tyrannie. Au début de La mort d’Alexandre de Hardy, par exemple, l’ombre de Parménion reproche au conquérant d’être « rest[é] serf de [s]es passions, / Jusques à dédaigner un Philippe pour père, / [S]’estimant fils du Dieu qui le monde tempère, / Jusques à [s]’enivrer du venin des flatteurs » (I, 1). Sa mort est cependant exemplaire et s’accompagne parfois de prophéties relatives à la dislocation d’un empire qui ne lui survivra pas. Le personnage d’Alexandre dans ces œuvres apparaît tantôt comme un monarque généreux, réagissant de façon juste et exemplaire lors de la mort 15. Voir le répertoire des pièces anglaises, infra, p. 374. 16. Patricia Ehl, « Alexandre le Grand sur la scène jésuite à la fin du xvie et au début du xviie siècle : l’exemple du Darius proditus de Pierre Mousson », infra, p. 45-58.



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de Darius, tantôt comme un tyran réel ou potentiel, lorsque son règne touche à sa fin ; les deux tendances (idéalisation et blâme) coexistent parfois dans une même pièce. Ces traits se retrouvent dans des tragédies historiques se rapportant à d’autres épisodes de la vie du conquérant et représentées à la même époque. Le côté tyrannique, en même temps qu’influençable, du conquérant macédonien est souligné dans The Tragedy of Philotas de Samuel Daniel (publiée en 1607), qui retrace la chute du favori du roi17 en laquelle certains contemporains ont cru reconnaître une transposition de celle du Comte d’Essex. En revanche, dans Timoclée ou la juste Vengeance18, publiée en 1628, Alexandre Hardy se livre à une approche plus diversifiée du héros, en montrant successivement la colère d’Alexandre envers les Thébains, puis son aptitude à la clémence lorsqu’il est face à Timoclée. Cette ambivalence constitutive d’Alexandre, cette oscillation entre le roi généreux et le tyran au tempérament emporté, dépasse largement le cadre des pièces purement tragiques de cette période et se retrouve dans d’autres œuvres. Ce premier groupe de pièces est plutôt homogène : il s’agit toujours de tragédies ancrées dans un contexte historique de conquêtes militaires, et traversées par des questionnements concernant la justice, le pouvoir et les limitations humaines. Dans ces pièces, où l’exercice du pouvoir politique et les menées séditieuses reviennent aux hommes, les femmes, qu’il s’agisse de la mère de Darius ou même de l’épouse d’Alexandre, sont généralement reléguées dans des rôles secondaires à dimension pathétique (la Timoclée d’Alexandre Hardy à cet égard fait exception). La mort et le péril de mort, face auxquels s’affirme la grandeur d’âme des protagonistes, pèsent sur les intrigues. Le ressort amoureux est en revanche absent ou peu marqué.

Autres modes de présence d’Alexandre avant 1630 Hors des œuvres déjà citées, la présence d’Alexandre s’affirme simultanément sous d’autres formes, diverses, sur les théâtres européens. C’est ainsi qu’en Angleterre, sur la scène élisabéthaine, le roi macédonien s’impose comme une référence prestigieuse. Dans un épisode de The Tragical History of Doctor Faustus de Marlowe, le magicien, à la demande de Charles Quint, fait apparaître les ombres d’Alexandre et de sa maîtresse. Par ailleurs, Alexandre intervient, non comme personnage actif, mais à titre d’exemplum dans des 17. Voir le répertoire des pièces anglaises, infra, p. 375-376. 18. Florence de Caigny, « La naissance tragique d’Alexandre le Grand dans la Timoclée d’Alexandre Hardy », infra, p. 59-74.

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pièces de Marlowe (Tamburlaine) et de Shakespeare (Henry V et Hamlet), dans lesquelles la richesse et l’ambivalence de la figure du conquérant font l’objet de divers questionnements19. On le trouve aussi, cette fois comme personnage fictif fort éloigné de toute réalité historique, dans une comédie anonyme inspirée d’un roman médiéval, Clyomon and Clamydes20 (pièce publiée en 1599, mais probablement jouée beaucoup plus tôt), où il fait figure d’arbitre et use de sagesse pour résoudre un conflit opposant deux jeunes chevaliers. Enfin, le motif du conquérant amoureux fait une entrée (discrète) avec la Campaspe21 de John Lyly, publiée en 1584 et inspirée d’un très bref épisode de la vie d’Alexandre rapporté par Pline l’Ancien : c’est une comédie où la thématique de l’amour non partagé du roi se mêle à celles du pouvoir et des tentations de tyrannie. Parallèlement, en Espagne, le théâtre du Siècle d’or du début du xviie siècle s’intéresse aussi, ponctuellement, à Alexandre. Une pièce de Lope de Vega, Las grandezas de Alejandro22 (1604-1608), où se mêlent histoire, légende et libre invention, met en scène diverses étapes de la vie du conquérant, qui contrairement à ses ennemis semble doté de toutes les qualités morales. Elle s’achève sur sa conversion supposée à Jérusalem. Une autre pièce attribuée à cet auteur, La mayor hazaña de Alejandro Magno23 (1614-1618 ?), nouvelle adaptation théâtrale de l’histoire de Campaspe, plus étendue et plus complexe que la Campaspe de Lyly, montre le roi macédonien partagé entre son amour pour une femme et son désir de renommée ; Alexandre s’y affirme comme un roi idéal qu’une généreuse aspiration à se dominer lui-même pousse, en définitive, à combler son rival, le peintre Apelle, en renonçant à Campaspe. Contrairement aux tragédies évoquées précédemment, ces œuvres théâtrales composent un ensemble disparate et relèvent de genres variés. Les pièces dont le roi est le protagoniste tendent souvent à idéaliser son image, ce qui n’exclut pas des éléments de réflexion sur le pouvoir et sur les contradictions inhérentes à son caractère. Les épisodes portés à la scène se rattachent souvent, de près ou de loin, à l’histoire, mais le péril de mort et les malheurs royaux 19. Richard Hillman, « Alexandre le Grand en Angleterre : de la scène aux coulisses », infra, p. 253-265. 20. Elena Koroleva, « L’irréductible Alexandre dans Clyomon and Clamydes : d’un roman médiéval à une comédie élisabéthaine », infra, p. 237-251. 21. Catherine Dumas, « La générosité d’Alexandre : l’épisode de Campaspe (Campaspe de Lyly, Darlo todo y no dar nada de Calderón) », infra, p. 177-190. 22. Voir le répertoire des pièces espagnoles, infra, p. 385. 23. Hélène Tropé, « L’image d’Alexandre le Grand dans La mayor hazaña de Alejandro Magno, comedia attribuée à Lope de Vega », infra, p. 161-175.



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ne sont pas les critères de leur choix. En revanche, l’amour, voire la jalousie, prend une importance accrue dans la composition de certaines des intrigues où les rôles féminins gagnent en ampleur.

Les évolutions après 1630 Alexandre et son entourage féminin en France (1630-1660) Les représentations d’Alexandre dans les spectacles à partir de 1630 sont d’emblée plus nombreuses en France que dans les autres pays européens. La tendance à accorder une place prépondérante à l’amour, au sein des intrigues, est assez générale ; aux côtés du conquérant, les figures féminines, et notamment Roxane et Statira, les deux femmes qui ont été historiquement ses deux épouses, occupent désormais des rôles-clés. Par ailleurs, les genres théâtraux où figure Alexandre tendent à se diversifier. Dans les années 1630-1660, en France, les relations parfois complexes de l’amour et du pouvoir, dans le cœur d’Alexandre et au sein de sa cour, font recette, dans des tragi-comédies ou dans des tragédies dont la fin peut être heureuse. Les épisodes historiques de la vie d’Alexandre sont fortement remaniés, ou même réinventés sur mesure. La tragi-comédie de Desmarets de Saint-Sorlin intitulée Roxane24 (publiée en 1639) met en scène un jeune roi généreux et galant, très épris de Roxane, représentée ici comme sage, vertueuse et belle ; dans cette pièce, Alexandre ne tue Clitus que parce qu’il diffamait la jeune femme, et c’est encore celle-ci qui aide le roi à sortir de l’abattement où l’a plongé son accès de colère meurtrier. La Parthénie25, tragédie de Baltasar Baro, publiée en 1642, met en scène un Alexandre extrêmement passionné : dans cette intrigue fictive, le conquérant est aux prises avec l’amour jaloux, non réciproque et violent, qu’il éprouve pour une princesse captive, digne et courageuse, Parthénie ; revenu de sa violence tyrannique, le souverain se dépasse et renonce à tout droit sur elle. Le roi macédonien apparaît à l’acte IV de la tragi-comédie didactique de Gillet de la Tessonnerie, L’art de régner, ou le sage gouverneur (1645) pour y dominer aussi, cette fois de façon exemplaire, sa passion amoureuse pour la princesse Statira (les faits historiques étant modifiés pour les besoins de la cause).

24. Voir Frank Greiner, « Alexandre revu par Desmarets de Saint-Sorlin : un généreux à la mode galante », infra, p. 205-216. 25. Liliane Picciola, « La Parthénie de Baro : ombres et lumières sur la figure d’Alexandre », infra, p. 217-234.

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L’amour, s’il apparaît comme un ingrédient nécessaire aux intrigues, est parfois le fait d’autres personnages, auxquels le souverain pardonne leurs aveuglements et leurs excès : c’est le cas dans la tragédie de Claude Boyer, Porus ou la générosité d’Alexandre, publiée en 1648, dont l’intrigue s’appuie sur des fondements historiques très romancés. Dans la tragi-comédie de Morel Timoclée ou la générosité d’Alexandre, publiée en 1658, Timoclée – bienséance oblige – échappe au viol et est amoureuse de Prothite. La figure du conquérant a le vent en poupe et enflamme les imaginations ; dans sa comédie Les Visionnaires, publiée dès 1637, Desmarets de Saint-Sorlin raille d’ailleurs le délire amoureux de la jeune Mélisse, lectrice de Plutarque éprise d’Alexandre au point de trouver tout autre homme indigne d’elle. Le roman de La Calprenède, Cassandre (1642-1645), dont l’action se déroule après la mort d’Alexandre et qui narre des aventures amoureuses et romanesques sur fond de rivalités souvent violentes, affectant tant les chefs militaires que les épouses du conquérant, connaît un vif succès, auquel font allusion de façon satirique quelques-unes des scènes de la petite comédie inachevée de Scarron, Le faux Alexandre. Après la publication de Cassandre, d’autres pièces sont jouées, qui mettent en scène les deux veuves Roxane et Statira ; c’est le cas de la tragi-comédie de Magnon Le mariage d’Oroondate et de Statira, ou la conclusion de Cassandre (publiée en 1648) où toutes deux sont éprises du prince Oroondate ; celui-ci aime Statira (« Cassandre »), que sa rivale Roxane persécute. Dans une autre tragédie anonyme, La mort de Roxane, publiée la même année, l’auteur prend le contre-pied de la vision négative de Roxane proposée au long du roman : digne et vertueuse, la première épouse du conquérant est une victime investie de grandeur tragique. Il semble enfin que tous les personnages historiques ayant pu côtoyer Alexandre soient susceptibles de connaître un destin hors de pair. C’est ainsi que dans sa tragédie Darius (1659), Thomas Corneille met en scène le rival d’Alexandre, qu’il pare de toutes les qualités ; celui-ci est un amoureux exemplaire et un jeune homme courageux qui triomphe des complots avant son accession au trône.

La seconde partie du siècle La même tendance à mêler la dimension amoureuse à la dimension politique lorsqu’Alexandre (ou une autre figure qui lui est associée) apparaît dans une pièce peut être observée non seulement en France, mais dans d’autres pays européens, dans la seconde partie du siècle. Ceci se vérifie dans tous les genres théâtraux. La tragédie de Racine, Alexandre le Grand (1666), qui présente la rivalité de Porus avec Taxile (frère de Cléofile, amante d’Alexandre,



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et favorisé à ce titre par le roi macédonien) autour de la reine Axiane, puis la générosité d’Alexandre envers ses vaincus, en est un bon exemple. Dans sa Dissertation sur le Grand Alexandre, Saint-Évremond a d’ailleurs reproché à Racine d’« abaisser » Alexandre en lui prêtant un amour sans doute trop ordinaire, et trop d’ « impatience amoureuse » envers une princesse imaginaire, elle-même peu portée à l’héroïsme, soucieuse surtout de protéger son frère. Racine cependant met en relief la magnanimité du roi et son estime pour Porus. La seconde pièce du jeune dramaturge, celle qui a contribué à le faire connaître, réalise de ce fait une sorte de compromis entre la tragédie galante et la tragédie politico-historique, cette dernière étant il est vrai reléguée au second plan. L’importance, voire la nécessité d’introduire l’amour dans des intrigues historiques est également repérable en Angleterre, où l’on constate par exemple que lorsque John Crown reprend le thème tragique de la mort de Darius, dans sa tragédie Darius, King of Persia26 (1688), il y mêle en effet une seconde intrigue, à savoir l’histoire, également tragique, des amours innocentes et fatales du fils et de la jeune femme de Bessus, tous deux victimes de la perfidie jalouse de leur père et mari – le conquérant macédonien dont la venue est annoncée ne figure pas dans la pièce. En Espagne, les jeux de l’amour et du pouvoir font également recette dans les comedias (au sens très général de « pièce ») où réapparaît le conquérant, dans la seconde moitié du siècle. Lorsque l’histoire d’Alexandre, Apelle et Campaspe, étoffée et agrémentée de péripéties romanesques, est reprise par Calderón dans Darlo todo y no dar nada27 (1657), l’image du roi macédonien est de nouveau ambivalente : certes Alexandre reste digne d’éloges par sa bravoure et sa magnanimité, mais, impatient d’assouvir son désir amoureux, il est finalement tenté par l’abus de pouvoir et il ne parvient à céder Campaspe à son heureux rival, Apelle, que grâce à l’intervention du vieux philosophe Diogène, qui l’incite à la maîtrise de soi. Dans l’action, presque sans fondement historique, de Duelos de amor y lealtad (1680 ?) du même auteur, le conquérant, en revanche, n’est pas lié à l’intrigue amoureuse, mais nous est montré dans le rôle du puissant qui vient arbitrer les conflits dans la troisième journée de la pièce. Une fois qu’il est informé de la vérité des faits, son verdict est juste. Une autre pièce espagnole, intitulée El maestro de Alexandro de 26. Voir le répertoire des pièces anglaises, infra, p. 379-380. 27. Fausta Antonucci et Françoise Gilbert, « Célébration et abaissement d’Alexandre le Grand chez Calderón et Cicognini » et Catherine Dumas, « La générosité d’Alexandre : l’épisode de Campaspe (Campaspe de Lyly, Darlo todo y no dar nada de Calderón) », infra, p. 191-203 et 177-190.

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Zárate (1666), montre le jeune Alexandre, encore sous la coupe de son père et de son maître Aristote, en passe de résister au pouvoir du roi Philippe lorsqu’il persiste à aimer puis parvient à épouser une certaine duchesse Octavia28. Si Alexandre est représenté comme un séducteur, le motif amoureux ne contribue-t-il pas, parfois, à une vision dégradée du conquérant ? Dans The Amazon Queen, or, the Amours of Thalestris to Alexander the Great, tragi-comédie de l’Anglais John Weston29 (1667), la figure inquiétante et ambitieuse de Roxane, celle de l’indépendante Thalestris et celle de la vertueuse Statira, qui gravitent autour du conquérant et de ses favoris, tendent à affaiblir sa stature, dans une intrigue par ailleurs dénuée de dimension politique. En Italie, la tragi-comédie Le glorie e gli amori di Alessandro Magno e di Rossane, de Giacinto Andrea Cicognini30 (publication posthume en 1661), place le conquérant dans une situation qui est loin de lui faire honneur, puisqu’il est finalement identifié comme l’homme qui a violé et rendue enceinte une belle inconnue, à qui il a promis le mariage ; celle-ci s’avère ensuite être, fort opportunément, Roxane, sa bien-aimée. En Espagne, enfin, la vogue burlesque n’épargne pas non plus le conquérant macédonien : mais, plutôt que le personnage d’Alexandre, c’est la totalité du traitement caldéronien de l’épisode de Campaspe dans Darlo todo y no dar nada qui est au cœur de la comedia burlesca de Pedro Lanini Sagredo (1671) du même titre. Cette réécriture parodique, où abondent les jeux de mots et les sous-entendus grivois, souligne le caractère artificiel des situations mises en scène dans la pièce d’origine et tend à rabaisser tous les personnages, depuis le roi, dont le peuple acclame l’ignorance, jusqu’à la belle Campaspe, représentée en train de s’épouiller ou de ronfler. Le motif de la victoire remportée par Alexandre sur lui-même disparaît31. La bigamie d’Alexandre et le roman de La Calprenède inspirent toujours les dramaturges du dernier quart du siècle. Dans les tragédies de l’époque, Roxane, la moins bien née des deux épouses, à laquelle les dramaturges prêtent une ambition dévorante, a bien souvent le mauvais rôle. En Angleterre, dans la tragédie The Rival Queens, or, The Death of Alexander the Great, de Nathaniel Lee32 (1677), les conspirateurs tentent en vain d’attirer Roxane, l’épouse délaissée, enceinte d’Alexandre, dans leur complot : celle-ci refuse, mais va exécuter sa rivale, Statira, dans la chambre conjugale où elle attend son époux, qui la 28. 29. 30. 31. 32.

Ces deux pièces sont présentées dans le répertoire des pièces espagnoles, infra, p. 388-390. Voir le répertoire des pièces anglaises, infra, p. 376-379. Voir Fausta Antonucci et Françoise Gilbert, art. cit., p. 191 et 197-203. Voir le répertoire des pièces espagnoles, infra, p. 389. Voir le répertoire des pièces anglaises, infra, p. 377-378.



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rejoint trop tard, en ayant déjà lui-même bu le poison qui lui sera fatal. Le rôle de Roxane reste plus ambigu et moins ouvertement nuisible dans la tragédie néo-latine Alexander Magnus33, écrite probablement par le Père J. Paillot et jouée en 1688 et 1690 sur des scènes de collèges jésuites (de cette pièce il ne reste malheureusement qu’un résumé en français). Un autre auteur anglais concurrent de N. Lee, John Banks, publie la même année que lui (1677) une tragédie intitulée The Rival Kings, or, The Loves of Oroondates and Statira, qui s’inspire très ouvertement de La Calprenède, mais ne met en scène que Statira. Dans la préface de sa tragédie Statira, le dramaturge français Pradon annonce qu’il prend des distances avec La Calprenède, auquel il préfère Plutarque, Quinte-Curce et Justin. On assiste enfin à une diversification accrue des genres et des modes d’expression scéniques, dans la mesure où la figure d’Alexandre, jusqu’ici strictement cantonnée aux scènes de théâtre, trouve désormais place dans d’autres types de spectacles. En France, le rôle du conquérant macédonien est dansé par Louis XIV dans le prestigieux Ballet royal de la Naissance de Vénus (1665). Le livret d’un Opéra d’Alexandre majoritairement rédigé en français est représenté à Leyde en 1691. En Angleterre, l’ode de John Dryden, Alexander’s Feast, or, The Power of Music : An Ode in Honour of St Cecila’s Day (1697) est mise en musique par Georg Friedrich Haendel, tandis que le livret anonyme d’un « English opera », Alexander the Great, inspiré de la tragédie citée plus haut de N. Lee, The Rival Queens, est mis en musique par Godfrey Finger and Daniel Purcell en 1701. En Italie, le personnage d’Alexandre, qui sera au cœur de si nombreux opéras au siècle suivant, commence à être exploité sur la scène lyrique. La pièce déjà mentionnée de Cicognini concernant les amours d’Alexandre et de Roxane est retravaillée par un auteur non identifié, un an après la mort du dramaturge, pour donner lieu au livret d’un dramma musicale intitulé Gli amori di Alessandro Magno e di Rossane (1651) créé à Venise avec une musique de Francesco Lucio. Cette œuvre sera jouée jusqu’en 1678. Vers la même date, un autre dramma musicale inspiré de l’histoire de Campaspe, Alessandro vincitor di se stesso, de Francesco Sbarra, est joué à Venise avec une musique d’Antonio Cesti. L’expression de l’amour et les contrepoints apportés par les rôles comiques aux situations les plus tendues caractérisent ces œuvres musicales34. 33. Voir Céline Bohnert, « Alexandre et ses femmes : autour de l’Alexander Magnus du P. Paillot (1690) », infra, p. 141-159. 34. Fanny Eouzan, « L’entrée d’Alexandre à Venise : les amours et la gloire (1651-1662) », infra, p. 289-302.

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Alexandre et le théâtre aux xviiie et xixe siècles Aux xviiie et xixe siècles, Alexandre continue à inspirer d’assez nombreux auteurs dramatiques, dans les formes théâtrales déjà pratiquées, telles qu’elles se renouvellent, et dans celles qui s’inventent : tragédie, drame héroïque, drame, comédie, comédie héroïque et comédie-vaudeville. Leur nombre en France reste comparable à celui des siècles précédents, mais la diffusion semble moindre. Quelles continuités et quels renouvellements voient le jour dans les thèmes traités et les images données d’Alexandre ? Les intrigues deviennent beaucoup plus foisonnantes dans les tragédies et les drames héroïques, qui jouent sur la variation dans la reprise de scènes héritées et transforment l’image d’Alexandre selon des ressorts dramatiques nouveaux. Plusieurs manifestent alors son ambivalence avec un sens accru du spectaculaire et de la violence, notamment lors de confrontations avec ses généraux et le philosophe Callisthène, tandis que les comédies mettent à l’honneur le personnage d’un souverain magnanime et juste.

La tragédie Dix tragédies françaises, appelées comme telles par leurs auteurs ou leurs premiers imprimeurs, sont écrites de 1716 à 1847, dont deux durant la première moitié du xixe siècle. Toutes n’ont pas été représentées et le succès de celles qui l’ont été semble avoir été faible. Rares sont leurs auteurs à être encore connus, avec néanmoins quelques exceptions notables : Voltaire, dont l’Olympie a bénéficié d’une large postérité avec ses transpositions à l’opéra, Arthur de Gobineau et la publication posthume de sa tragédie Alexandre le Macédonien. Deux tragédies en langue allemande reprennent aussi son affrontement avec l’empereur perse. L’un des thèmes privilégiés par les tragédies est en effet toujours, comme aux siècles précédents, la mort de Darius. Cet exemple pathétique d’un roi qui, trahi par les siens et animé par le repentir lors de son agonie, reconnaît la grandeur d’Alexandre permet à merveille à la fois d’idéaliser le conquérant macédonien et de convaincre, par l’éveil d’un sentiment de pitié, de l’enseignement politique délivré. Trois tragédies françaises se construisent encore autour de cet épisode, Alexandre et Darius de Goiseau, publiée en 1723 et non représentée, Darius-Codoman de Devineau de Rouvray en 1776 et Darius d’Amédée de Tissot en 1820. Goiseau souligne particulièrement l’opposition entre le mauvais roi oriental qui s’est entêté à refuser les offres de paix et le conquérant magnanime qu’est Alexandre, tout en entrelaçant à l’affrontement



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politique la naissance de l’amour partagé d’Alexandre et de Statira. Amédée de Tissot dresse un portrait moins noir de Darius comme victime du conspirateur impitoyable Bessus dont il a en vain tenté de déjouer le complot et qui finit supplicié par Alexandre. Dans Darius-Codoman, les deux rois se repentent de leurs fautes respectives. Les deux tragédies allemandes, Darius de Joseph Valentin Edlem von Speckner (1775) et Darius und Alexander oder die Verschwörung des Bessus de Peter Friedrich von Uechtritz (1826), célèbrent aussi le châtiment exemplaire des régicides par Alexandre et la transmission légitime de l’empire perse de Darius au Macédonien. Darius reconnaît en effet le vainqueur comme son juste successeur et le digne maître du monde dans la première pièce ; la seconde se clôt sur le mariage avec Statira, qui scelle l’union de l’Europe et de l’Asie. Si aucun auteur n’élabore un nouveau diptyque sur les destins parallèles des deux souverains comme il avait été pratiqué aux siècles précédents, la mort d’Alexandre inspire encore l’écriture de plusieurs tragédies. Les dramaturges se confrontent alors avec la question délicate de ses causes et l’ambivalence marque leur représentation du roi. Victime innocente d’une trahison injuste ou souverain coupable de fautes politiques qui entraînent sa chute, tyran assassiné en châtiment de ses excès et de ses crimes ? La pièce d’Eustache en 1716, celle de 1789 attribuée à Thomas Rousseau et celle de Gobineau en 1847 offrent de grandes divergences dans leurs interprétations. En 1716, dans La promenade de Gentilly à Vincennes ou Talestris, reine des Amazones, Eustache Le Noble dit Baron de Saint-Georges réinvente les causes de la mort d’Alexandre, qui se voit assassiné par Thalestris, jalouse de Statira qu’il voulait épouser, avant que l’empoisonneuse ne réussisse à s’enfuir et reste impunie. Alexandre est victime bien malgré lui de l’aventure qui l’a uni précédemment avec Thalestris. C’est donc une rivalité amoureuse qui met fin à ses jours, et non plus un conflit politique : est-ce pour autant une franche dégradation de l’image du héros ? Sans doute non, car l’ultime image qui est donnée de lui sur son lit de mort montre son amour sincère pour Statira et sa générosité envers Porus. La déloyauté que Thalestris lui reproche n’est en outre jamais présentée comme légitime. La mise en scène du souverain entre deux femmes, accablé par la jalousie et la déloyauté de l’une, s’impose dans les deux tragédies suivantes de Thomas Rousseau et d’Arthur de Gobineau, alors qu’au xviie siècle, juste avant et après sa mort, seul l’affrontement des deux veuves avait été représenté dans quelques pièces. L’assassinat du roi par la main d’une femme, directement ou non, vient désormais dégrader son image et conteste d’autant plus son exemplarité qu’il s’associe à une dénonciation politique, même si les auteurs n’en

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tirent pas la même leçon. Mais tous deux mettent en cause ses manquements et même ses crimes. Dans l’Alexandre le Grand de 178935, tragédie écrite en plein contexte révolutionnaire, on s’attendrait à une nette condamnation de la figure royale. De fait, la pièce, qui s’ouvre sur la révocation d’Antipater à Babylone, manifeste l’orgueil et l’hybris du conquérant, mais le dramaturge insiste encore davantage sur l’habileté avec laquelle des courtisans corrompus manipulent un roi affaibli par ses propres vices et par l’ennui qui le submerge : le coupable confident Oxus et l’intrigante Roxane, pour laquelle il a abandonné son épouse Statira, l’exhortent à adopter la coutume perse de la proskynèse et à se faire proclamer dieu. Malgré les avertissements de sa loyale épouse Statira, Alexandre organise la cérémonie de sa déification au temple, avant d’être empoisonné par Cassandre, le fils d’Antipater, à l’instigation directe de Roxane : il meurt ainsi victime de sa double faute, sa déloyauté conjugale et son impiété. Le coup de théâtre, c’est l’invention non seulement de cette cérémonie du temple, mais aussi des manifestations cosmiques qui s’ensuivent et surtout du repentir inattendu d’Alexandre, qui se confirme lors de son agonie : le roi reconnaît sa faute et se désespère en pensant ses péchés irrémissibles. Le dramaturge cherche-t-il à l’épargner par ce repentir ultime ? Peut-être, mais c’est après avoir entaché son image par la double critique de la vanité démesurée et de la faiblesse coupable face à des manipulateurs impitoyables. En 1847, Gobineau offre une autre représentation tragique de la mort d’Alexandre. À Babylone, le roi affronte la révolte des conjurés Philotas et Clitus, qui lui reprochent la démesure de ses ambitions et sa tyrannie ; il se heurte aussi à la colère de Roxane, qu’il a trahie en voulant épouser Statira : l’adoption des mœurs perses s’accompagne à nouveau d’une infidélité conjugale qui va provoquer sa mort, puisqu’au terme de rebondissements multiples dus aux manœuvres des conjurés, c’est à nouveau une femme, son épouse, qui décide et même ici accomplit le geste fatal, en lui délivrant le poison lors de l’ultime banquet. Alexandre paie alors son orientalisation politique et sa trahison conjugale, ainsi que – faute accablante – le meurtre de Clitus, qu’il commet sur scène, en plein banquet, juste avant de recevoir le poison : dans un déchaînement de violence, il s’écroule alors sur le cadavre de son lieutenant et ami. C’est la fin violente et infamante d’un souverain sanguinaire, que le repentir n’effleure jamais. Loin d’incarner le bon roi face au despote oriental,

35. Voir infra Béatrice Ferrier, « Alexandre le Grand dans la tragédie de la Constituante : du héros tragique au mythe inversé du ‘grand homme’ », p. 125-137.



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il est devenu ce despote oriental, selon une ligne d’interprétation déjà présente chez Quinte-Curce36. Le thème des conjurés avait déjà été exploité comme ressort dramatique par François-Louis de Salignac de La Mothe Fénelon en 1754, mais dans une orientation presque opposée : son Alexandre met en effet en scène la mort des conjurés et non plus celle du roi, puisque ce dernier réussit à déjouer leur complot et à les tuer. Au lieu d’être dénoncé comme un crime, leur assassinat est le juste châtiment de leur tentative de régicide : Alexandre déjoue le sort qui le menaçait et aurait fait de lui un double de Darius. L’accusation de tyrannie qu’ils profèrent contre lui est démentie, dans la pièce elle-même, par sa magnanimité envers Sitalce et la princesse Ophis, dont il est amoureux. Lorsqu’il apprend la vérité sur le complot, il pardonne à cette dernière, reconnaissant qu’il l’a injustement accusée, et la rend à son époux, qu’elle vient de retrouver. La leçon en est tirée par ses propres soins : « Soyez reconnoissans, vous souvenant toujours / Qu’Alexandre vainqueur, sçait dans son rang suprême, / Punir, récompenser, et se vaincre lui-même37. » Sa promesse à Statira d’un avenir meilleur suggère leur futur mariage, qui pourra être célébré quand les Grecs y consentiront, car, dit-il, il n’est pas « leur roi », mais seulement « leur général », et doit se soumettre à leur volonté collective. Nous voilà donc bien loin de l’image d’un tyran qui ne penserait qu’à sa volonté et ses désirs personnels. L’exploitation dramatique d’un complot permet de faire ressortir son exemplarité38. Si ces trois dernières pièces exploitent la contestation d’un ou plusieurs de ses généraux, Alexis Piron, en 1730, choisit, dans sa tragédie Callisthène, d’incarner en la personne de Callisthène l’opposition aux dérives mégalomanes du roi et il consacre sa pièce à la mort du philosophe. Selon les données historiques, ce neveu d’Aristote, qui avait suivi Alexandre dans ses expéditions, s’était opposé à la proskynèse et l’avait payé de sa vie. Le dramaturge réinvente la mort du philosophe, qui n’est plus tué de la main d’Alexandre, mais qui se suicide, en sacrifice. Ce suicide succède à sa confrontation violente tant avec le tyran en lequel s’est mué Alexandre qu’avec le courtisan corrompu Anaxarque, 36. Voir notre répertoire des pièces françaises, p. 341-342, et P. Briant, « Arthur de Gobineau (1816-1882) entre Darius et Alexandre », dans Diwan. Untersuchungen zu Geschichte und Kultur des Nahen Ostens und des östlichen Mittelmeerraumes im Altertum. Festschrift für Josef Wiesehöfer zum 65. Geburtstag, éd. C. Binder, H. Börm et A. Luther, Duisburg, 2016, p. 737-758. 37. Alexandre, tragédie nouvelle, par M. de Fen…., Paris, Prault et Duchesne, 1754, p.  56 : http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k57810644.r=F%C3%A9nelon%2C%20 Fran%C3%A7ois-Louis%20de%20Salignac%20de%20La%20Mothe 38. Sur les pièces qui suivent, nous renvoyons au répertoire des œuvres françaises.

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qui a convaincu le roi de l’emprisonner, lui, le sage philosophe : la pièce se bâtit en effet aussi sur le ressort dramatique de l’influence de mauvais conseillers, et la toute-puissance d’Alexandre n’est que de façade. Un ultime coup de théâtre est néanmoins provoqué par le repentir du roi. Le suicide de Callisthène, après ses derniers appels à la vertu, entraîne les remords d’Alexandre, qui clôt la pièce sur une parole malgré tout ambiguë : « La fin de Callisthène est mortelle à ma gloire. » La prise de conscience de l’autorité du philosophe ne va pas jusqu’à la reconnaissance de la justesse de ses conseils et l’annonce d’une réforme de son propre gouvernement, puisque le roi parle de gloire et non de vertu. Le thème de l’admonestation d’Alexandre par des philosophes, attesté dans l’Antiquité et au Moyen Âge, montrait fréquemment l’acceptation par le roi de la supériorité des sages39. Aux xvie et xviie siècles, c’est Diogène que plusieurs pièces de théâtre lui ont fait affronter scéniquement (Darlo todo y no dar nada de Calderón, Campaspe de John Lyly, Hans Sachs), en donnant alors l’avantage plutôt au Cynique40. La tragédie Alexandre le Grand de 1789 met en scène un autre philosophe, Soter, que de mauvais courtisans tentent en vain d’instrumentaliser pour cautionner la démesure sacrilège du roi : ils échouent car Soter condamne violemment cette dernière et la pièce se termine par le repentir du roi, un repentir semble-t-il sincère mais vain car exprimé sur son lit de mort. Dans Callisthène, la leçon qu’Alexandre vivant tire du suicide du philosophe n’est pas si claire, elle reste est à double entente. Nous retrouverons Callisthène dans le drame héroïque de Delisle de Sales, Alexandre sur les bords de l’Hydaspe, avec, au terme d’une confrontation brutale, une franche soumission du roi au philosophe. Enfin, une tragédie se détourne d’Alexandre pour inventer une nouvelle figure dramatique : Olympie, la fille qu’il aurait eue avec Statira. C’est la tragédie que Voltaire écrit en 1762. De l’entourage qui survit au roi, Voltaire ne met pas en scène la jalousie des deux femmes comme dans les pièces du xviie siècle déjà évoquées et inspirées du roman à succès Cassandre de La Calprenède, mais, sur fond de démantèlement de l’empire avec les guerres des diadoques, il choisit le conflit politique entre Cassandre et Antigone, qu’il entremêle à leur rivalité amoureuse : les deux hommes sont épris d’Olympie, la fille d’Alexandre, que Cassandre a élevée dans l’incognito, après avoir tué Alexandre et, croit-il, Statira. La tragédie laisse éclater un déchaînement de 39. Sur cette question et à propos d’exemples médiévaux anglais, voir M. Otter, « La figure d’Alexandre au Moyen Âge anglais : exemplarité et mémoire historique », dans L’historiographie médiévale d’Alexandre le Grand, éd. C. Gaullier-Bougassas, Turnhout, 2011, p. 217-232. 40. Voir l’article de Catherine Dumas, infra, p. 182-185, 188.



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pathos et de violence, avec la révélation de l’identité d’Olympie et de celle de Statira, qui a survécu à ses blessures et officie lors de la cérémonie du mariage de sa fille avec Cassandre. Les reconnaissances et les confrontations, particulièrement entre la mère et la fille, trouvent leur acmé lors du suicide de Statira sur le champ de bataille, entre Cassandre et Antigone, et de celui d’Olympie qui, refusant de choisir entre les deux hommes, se jette dans le bûcher de sa mère, suivie dans la mort par Cassandre. Avec ce choix du pathos et de la violence, l’intrigue se détourne de l’enseignement politique. Si la pièce a été peu représentée, son art du spectaculaire et l’intensité des émotions ont plus tard séduit des auteurs de livrets d’opéra et plusieurs compositeurs, assurant un large succès sur la scène lyrique, comme nous l’évoquerons plus loin. Alexandre n’y sera pas réintroduit comme personnage, mais le souvenir de sa mort et les conséquences de son meurtre par Cassandre déterminent l’intrigue de cette tragédie fort différente des pièces antérieures : s’affranchissant de la présence sur scène du souverain et continuant librement l’histoire de sa descendance, elle aura une postérité bien supérieure à celle des autres tragédies et drames héroïques des xviiie et xixe siècles.

Le drame et le drame héroïque Au xixe siècle, quelques pièces s’inscrivent en effet aussi dans le genre du drame ou du drame héroïque, selon les termes souvent présents dans leurs premiers imprimés, même si une certaine hésitation générique les entoure parfois. Elles prolongent le portrait dramatique d’un roi tyrannique orientalisé, dénoncé pour son adoption des pratiques politiques et des mœurs perses. Leurs dénouements sont tantôt heureux, avec noces et couronnements dans deux pièces de Delisle de Sales, tantôt plus noirs, notamment ceux des deux drames allemands de 1821 et de 1871, dont le dernier se clôt même sur la mort d’Alexandre, rappelant la tragédie. Avec l’Alexander von Macedonien de Carl Theodor Beil (1821), on retrouve certes l’invention d’un repentir ultime du roi, qui permet de ménager une double interprétation. Les remords d’Alexandre semblent le laver d’une partie de ses fautes et le drame se termine par une célébration. Mais l’affrontement des conjurés s’est soldé peu avant par les meurtres de Philotas et de Clitus, qu’il a lui-même perpétrés. L’Alexander der grosse de Hans Herrig (1871), bien plus sombre, laisse éclater la profonde « décadence » d’Alexandre qui, ivre, tue Clitus pour se faire adorer comme un dieu, avant de sombrer dans une démence mégalomane et de mourir sans gloire. Dans son Olympias, en 1863, Friedrich Marx réinvente les soubresauts dramatiques de la succession

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d’Alexandre, en mettant sur scène un personnage jusqu’ici non exploité, la mère d’Alexandre, Olympias, qui finit assassinée41. En France, l’une des pièces de Jean-Baptiste-Claude Delisle de Sales, Le couronnement d’Alexandre ou la chute de Bagoas, est imprimée en 1788 sous ce titre, dans un volume que l’auteur intitule Théâtre d’un poète de Sybaris. Elle fait suite à ses deux autres pièces sur Alexandre, la comédie Alexandre et Apelle et le drame héroïque Alexandre sur les bords de l’Hydaspe. Son statut générique n’est pas inscrit aussi clairement que pour ces deux premières. Seule une mention indirecte de la préface la présente comme une tragédie en prose, tandis que la page de titre qui l’annonce ne contient aucune mention de genre. Les deux éditions des Œuvres complètes de l’auteur qui paraissent en 1804 et en 1809 changent son titre en Porus et Bagoas, et hésitent entre les deux dénominations de tragédie et de drame héroïque42. Delisle de Sales s’est ainsi attelé à trois reprises à l’écriture dramatique sur Alexandre, avec tout un jeu complexe de variations dans la réécriture. Ces trois pièces, qui n’ont jamais été représentées, se bâtissent toutes à partir et autour de l’histoire de Campaspe et d’Apelle, en l’étoffant progressivement d’un contexte politique qui la rend plus grinçante, avec une critique de la tyrannie d’Alexandre. Alexandre sur les bords de l’Hydaspe associe la rivalité amoureuse du roi et de son peintre à son affrontement avec le philosophe Callisthène. Alexandre s’oppose alors à Callisthène non au sujet de la prosternation, qu’il refuse au début de la pièce, mais à propos de Campaspe : il exile le philosophe, après que ce dernier a cherché à le détourner de la jeune femme. La cruauté du roi se déchaîne quand il comprend qu’Apelle et Campaspe sont amants. Callisthène prononce une nouvelle diatribe contre sa tyrannie ; il s’apprête ensuite à se suicider pour garder sa liberté et propose aux amants de mettre fin eux aussi à leur vie. Mais Alexandre surgit et les arrête : « Je dois un grand spectacle et je vais le donner43. » Il se repent de ses crimes, unit les amants et demande au philosophe de rester à son service pour l’éclairer de sa vertu : « Qu’Alexandre par vous soit l’amour de la Grèce. / Éclairez-le, et surtout, fidèle à votre emploi, / Dites-lui qu’il est homme, et non pas qu’il est Roi44. » 41. Voir Florent Gabaude, répertoire des œuvres allemandes, infra, p. 431-432. 42. Voir notre répertoire, p. 353-354, et sur Delisle de Sales, P. Malandain, Delisle de Sales, philosophe de la nature 1741-1816, Oxford, 1982, 2 t. (t. 1, p. 338-345 sur le Théâtre d’un poète de Sybaris). 43. Jean-Baptiste-Claude Delisle de Sales, Alexandre sur les bords de l’Hydaspe, drame héroïque en trois actes et en vers, dans Théâtre d’un poète de Sybaris, Sybaris et Paris, 1788, t. 2, p. 77-165 (exemplaire de Paris, BnF, Yf213), ici p. 162. 44. Ibidem, p. 165.



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La belle image qui s’impose est ainsi celle de l’alliance du roi et du philosophe, pour un juste gouvernement. Dans Le couronnement d’Alexandre ou la chute de Bagoas, Delisle de Sales s’approprie ensuite un personnage rarement attesté sur la scène dramatique, du moins comme héros de premier plan : un Perse passé au service d’Alexandre, l’eunuque Bagoas, hérité, entre autres, des Histoires de QuinteCurce. Exploitant les fantasmes de l’imaginaire oriental en plein essor au xviiie siècle, Delisle de Sales s’en explique assez longuement dans la préface. Alexandre est représenté en sultan, entouré de son sérail et de l’eunuque. Dans la continuité de la dénonciation de son orientalisation, la pièce dénonce l’influence diabolique de cet eunuque, devenu son mauvais génie. Languissant dans un sentiment de vide et d’ennui, le roi est manipulé par son conseiller diabolique, figure de tentateur qui lui offre les plaisirs les plus pervers. C’est d’abord celui de la déification, qu’il refuse néanmoins, suivant alors les avertissements de son second conseiller, le bon Porus. Mais le drame va se nouer autour de la jeune Campaspe, dont s’est épris Alexandre. C’est Bagoas qui l’a enlevée pour nuire à Porus et pour affaiblir le roi, alors qu’elle est déjà amoureuse de son peintre attitré, Apelle. Découvrant leur amour sans connaître le passé de leur relation, Alexandre se laisse submerger par la colère avant de mieux épargner les amants comme il se doit. Le drame donne alors une intensité spectaculaire à cette histoire de rivalité qui, au xixe siècle, s’incarne sur scène plus souvent dans des comédies et des ballets. Il l’inscrit dans le contexte politique de la décadence orientale d’Alexandre et de sa dérive tyrannique. Les amants allaient être immolés sur l’autel quand un coup de théâtre révèle la vérité. Le pervers Bagoas se suicide alors, après avoir tué sa sœur et complice, pour éviter que le supplice ne devienne le leur. Si la violence est ainsi épargnée à Alexandre, le rétablissement de la justice n’est pas son fait, c’est l’œuvre de Porus et c’est aussi le jeu du « hasard » avec la reconnaissance de Campaspe et de son père, le Brame qui allait la sacrifier. Autrement dit, Alexandre est sauvé malgré lui et toute la culpabilité est reportée sur Bagoas, qui l’a entraîné dans le mal, tirant profit du sentiment de vide qui l’accable au terme de ses conquêtes. Son autorité retrouvée, le roi organise le dénouement heureux, montrant sa magnanimité envers les amants, qu’il marie, envers Porus, qu’il récompense, et célébrant sa propre glorification en roi des rois. Un siècle plus tard et en France, un bref drame, Campaspe de François Mons (1873), est à nouveau consacré à Apelle et Campaspe. Malgré sa brièveté, c’est une pièce violemment critique à l’encontre d’Alexandre, dénonçant sa fausse sagesse, sa fausse générosité et son orgueil sans limite, marque d’une réelle faiblesse. À la suite d’un quiproquo, les amants se croient réunis par la

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volonté d’Alexandre. Le roi veut alors reprendre Campaspe, mais il se heurte à la résistance acharnée des amants, celle de Campaspe qui, dans un discours « féministe », l’accuse de ravaler les femmes au rang d’objets, et celle d’Apelle qui condamne son égoïsme et sa cruauté, et n’hésite pas à brûler le portrait qu’il a réalisé de lui. Apprenant la destruction de ce portrait, Alexandre tombe dans une étrange faiblesse, il implore son peintre de recommencer son œuvre et lui cède en échange, bien à contre-cœur, la jeune femme. La pièce laisse alors éclater la conscience douloureuse qu’il prend de l’imminence de sa mort, de la fragilité de son statut de roi et de sa dépendance à l’égard de l’artiste, qui seul détient les clés de sa gloire.

Comédie, comédie héroïque, comédie-vaudeville, tragédie pour rire Si l’histoire de Campaspe et Apelle devient matière dramatique en anglais, en espagnol et en italien dès le xvie et le xviie siècles, comme nous l’avons indiqué plus haut, en France elle ne prend vie qu’à partir de la fin du xviiie siècle et, excepté ces trois drames du xixe siècle, elle s’incarne principalement dans des comédies et des ballets, ainsi qu’à l’opéra, pour idéaliser bien davantage la magnanimité d’Alexandre et s’achever sur les noces des amants. Ce sont ainsi les « scènes dramatiques » Campaspe ou le triomphe d’Alexandre de Jacques Lablée (1779), la comédie Alexandre et Apelle de Jean-Baptiste-Claude Delisle de Sales (1788) et la comédie héroïque Alexandre et Apelle d’Alexandre de la Ville de Mirmont (1820), qui glorifient Alexandre en mécène, célèbrent l’union du roi et du peintre, et toujours le pouvoir de l’artiste pour immortaliser le roi. Selon un tout autre registre, les données de cette intrigue sont librement transposées dans l’univers de la comédie-vaudeville, en 1852, par Jean-François Alfred Bayard et Henri Dupin, avec leur Alexandre chez Apelles : Campaspe devient Clotilde, la femme d’une moitié d’agent de change, dont le peintre Sénasar réalise le portrait… Cette entrée dans l’univers « bourgeois » vaut travestissement burlesque. Avant qu’elle n’inspire des livrets d’opéra, quelques auteurs de comédie s’approprient aussi une autre histoire, tirée des historiens antiques mais presque totalement absente des pièces du xviie siècle : le rétablissement sur le trône de Sidon de l’héritier légitime, Abdolonime, chassé par un tyran et devenu jardinier. Quand il écrit sa comédie Abdolonime, roi de Sidon en 1725, Fontenelle occulte le rôle d’Alexandre, qui est en revanche bien présent dans la comédie héroïque Abdolonime ou le Roi berger de Jean-Baptiste Collet de Messine (1776) et dans Abdolonimus, aus einem Gärtner König von Sidon de Franz Xaver Jann (1821).



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Bien loin d’être tourné en dérision dans ces comédies, Alexandre y est ainsi idéalisé pour sa magnanimité et sa justice. Peu de pièces exploitent son souvenir pour faire rire, et encore ne s’agit-il pas toujours de rire de lui, mais plutôt de tourner en dérision un personnage qui se prend pour lui, comme Desmarets de Saint-Sorlin l’avait déjà expérimenté dans les Visionnaires, ou bien de parodier l’esthétique tragique. En 1736, Michel Guyot de Merville l’introduit ainsi dans la comédie italienne avec ses Mascarades amoureuses, où Arlequin usurpe l’identité d’un fils d’Alexandre prénommé lui aussi Alexandre, dans l’espoir d’éblouir celle qu’il aime. Plus comique est la tragi-comédie ou tragédie pour rire composée en 1749 par Pierre Rousseau, La mort de Bucéphale. Cette parodie de tragédie, affichée comme telle par l’auteur dans la préface, met en scène une cascade de morts toujours plus grotesques : le « chevalicide » fomenté par le demi-frère du roi Aridée, que la jalousie amoureuse anime, la mort d’Aridée d’un coup de pied du cheval, suivie de la mort du cheval, les deux tentatives de meurtre manquées d’Alexandre, contre Aridée puis, avec un pistolet, contre son médecin, avant qu’il ne meure lui-même de désespoir. Le rire ne se retrouve ensuite que dans de rares œuvres, notamment deux opéras français inspirés d’un récit bref médiéval, le Lai d’Aristote, que nous avons évoqués plus haut. En Angleterre, la veine parodique est exploitée par Colley Cibber, qui reprend la trame de The Rival Queens, or, The Death of Alexander the Great, de Nathaniel Lee, en la transposant dans des milieux marqués par la luxure et l’alcool (1729) et par G. A. Stevens dans The Court of Alexander, An Opera, in Two Acts (1770), qui représente Alexandre et ses hommes comme des soudards.

Alexandre, l’opéra et le ballet aux xviiie et xixe siècles À partir du milieu du xviie siècle, puis surtout au xviiie siècle, la figure d’Alexandre entre en effet dans l’opéra, l’opéra-ballet et le ballet. Les nombreux livrets et les nombreuses mises en musique et parfois en danse vont assurer une transmission de son souvenir bien plus large que ne le fait le théâtre des xviiie et xixe siècles, en l’associant à des esthétiques différentes et en privilégiant des images idéalisées. Plusieurs comédies que nous venons d’évoquer se terminaient d’ailleurs déjà avec des danses et des vaudevilles, des airs chantés.

Ballets, ballets héroïques ou opéras-ballets Le thème des amours d’Alexandre pour Campaspe et de la relation du souverain avec son peintre Apelle inspire quatre ballets français du xviiie siècle :

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celui d’Antoine Houdar de la Motte, Le triomphe des arts (1700), le ballet héroï-pantomime de Jean Georges Noverre, Alexandre et Campaspe de Larisse ou le triomphe d’Alexandre sur soi-même (1773), le ballet héroïque de ClaudeFrançois de Lezay-Marnésia, Apelle et Campaspe, ou l’empire des arts (1800) et celui de Pierre-Gabriel Gardel, Alexandre chez Apelles (1808). Le ballet de Noverre a connu un succès européen45. Le geste magnanime d’Alexandre envers les amants, cet empire sur lui-même et ses passions, est célébré comme un haut fait qui lui donne une gloire aussi éclatante que ses victoires militaires. Les ballets exaltent aussi à leur tour le pouvoir de l’artiste et l’immortalité que seul l’art donne au souverain. Dans cette alliance du roi et de l’artiste, plus encore que la promotion du roi mécène c’est peut-être la célébration de la supériorité de l’artiste qui l’emporte. L’opéra-ballet Alexanders und Roxanen Heyrath de Johann von Besser (1708), le ballet pantomime Les amours d’Alexandre et de Roxane de Christoph Gluck et du chorégraphe Gasparo Angiolini (1764) et le ballet héroïque Alexandre et Roxane de Lauchery (1770) célèbrent son mariage / ses amours avec la princesse orientale. Vénard de la Jonchère crée aussi en 1772 un ballet héroïque sur les amours d’Alexandre et de la reine des Amazones : Alexandre et Thalestris. L’Amazone, éprise du roi, perd ici son pouvoir et doit recourir à l’aide du magicien Aristandre. Ainsi se dépossède-t-elle de son altérité : elle se transforme en une jeune bergère pour séduire le roi. Rien en elle ne menace plus la grandeur du roi et encore moins sa vie, comme c’était le cas dans la tragédie de 1716, La promenade de Gentilly à Vincennes ou Talestris, reine des Amazones : elle joue au contraire un rôle de faire-valoir. Quelques ballets embrassent des sujets plus vastes, incluant les compagnes guerrières d’Alexandre. En 1795, le chorégraphe James Harvey d’Egville réalise un ballet-pantomine, Alexander the Great, or, the Conquest of Persia, qui retrace toute la campagne perse jusqu’au mariage avec Statira. En Italie c’est le genre du ballo eroico qui est plusieurs fois choisi pour mettre en spectacle le triomphe d’Alexandre sur Darius et son mariage avec Statira : citons, notamment, avec la thématique récurrente du triomphe, Il trionfo d’Alessandro o sia La prigionia di Dario de Domenico Ricciardi (1779), Il trionfo di Alessandro ossia la prigionia di Dario de Michele Fabiani (1796) et Il trionfo di Alessandro in Babilonia de Domenico Rossi (1820). Les auteurs italiens réinventent alors l’histoire des noces d’Alexandre à l’aide de nouvelles péripéties qui dramatisent la cérémonie. 45. Sur Noverre, voir A. Fabbricatore, « J. G. Noverre et le mythe d’Apelle. Tableaux vivants et miroirs de la scène », dans Le contre-ut de la Sibylle. Mythe et Opéra. Séminaires 2011-2012, dir. C. Faverzani, Saint-Denis, 2012, p. 209-232.



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Plutôt que de représenter la mort de Darius, c’est autour de sa trahison et de sa tentative d’assassinat d’Alexandre que se noue l’intrigue de Il trionfo di Alessandro ossia la prigionia di Dario : après la victoire des Perses à Issos, Alexandre s’éprend de Rosane, la fille de Darius ; quand l’empereur qu’il vient de capturer accepte de lui donner sa fille, il le libère, mais le jour des noces Darius essaie de l’assassiner. Seule l’intervention de sa fille l’en empêche. Le ballet se termine sur la magnanimité d’Alexandre, qui pardonne au traître. Il trionfo di Alessandro in Babilonia ne représente pas Darius, mais les femmes de sa famille, qui sont prisonnières : sa mère implore la pitié du conquérant, qui s’éprend de sa fille Statira. Le mariage annoncé est cette fois mis en danger par l’arrivée de Thalestris qui séduit Alexandre. Statira, folle de jalousie, tente de tuer le roi, qui, après l’avoir emprisonnée, finit encore par lui pardonner. Quant au ballo eroi-tragico-pantomimo intitulé Alessandro alle porte Caspie de Giacomo Piglia (1817), il s’ouvre bien sur la mort de Darius, en présence d’Alexandre, mais l’objet du spectacle n’est pas la transmission d’une leçon politique et la préparation du châtiment des traîtres ; ce qui importe, c’est la naissance de l’amour du conquérant pour Statira. Le ressort dramatique est ensuite la jalousie de son premier amant, Artabazzo, qui attaque Alexandre puis enlève Statira et l’emporte sur un navire : cette dernière, sauvée par les hommes d’Alexandre au cours d’une tempête, épouse in fine le roi. Le ballet héroïque, ballo eroico ou opéra-ballet, œuvre dramatique qui associe le ballet et l’opéra, appartient déjà aux genres de l’opéra, où les œuvres consacrées à Alexandre et à son entourage se multiplient, avec là aussi un accent sur les intrigues amoureuses et romanesques, et sur la célébration de la clémence royale.

L’opéra À partir du milieu du xviie siècle, puis surtout au xviiie siècle et au xixe siècle, l’opéra – dramma per musica, tragedia lirica, tragicommedia per musica, melodramma lirico, tragédie lyrique, opéra, opéra comique, Singspiel – devient le medium qui assure la plus large diffusion du souvenir d’Alexandre, son rayonnement le plus intense. La figure du Macédonien s’y épanouit d’abord et surtout en Italie, elle s’y trouve aussi dans une bonne part de l’Europe occidentale, à travers les représentations des opéras italiens et la création de nouvelles œuvres lyriques aux livrets français, allemands et anglais. Dans cette audience qui lui est donnée, la fiction l’emporte résolument sur l’Histoire, avec la mise au premier plan de la magnanimité du roi, ainsi que des aventures et des émotions amoureuses, celles d’Alexandre, celles aussi des héros et des héroïnes qui

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l’entourent ou bien lui survivent. Le portrait d’Alexandre y perd ses ambiguïtés pour acquérir la gloire d’un modèle qui illumine le spectacle de sa grandeur d’âme, de sa sensibilité et de sa maîtrise de soi. C’est parfois le théâtre qui fournit les sources d’inspiration aux auteurs des livrets, par exemple la comédie espagnole pour Cicognini, Racine et Boyer pour Metastasio, Voltaire pour Olympie. Plus souvent les librettistes retravaillent librement des scènes déjà très connues, en sélectionnant celles qui idéalisent Alexandre et celles qui développent les intrigues amoureuses. C’est sans conteste dans l’opéra italien que le Macédonien brille de l’éclat le plus intense. Non seulement le nombre d’œuvres lyriques qui imposent sa présence et/ou celle de son entourage depuis la pièce de Cicognini de 1651, évoquée plus haut, est élevé jusqu’au xixe siècle – Fanny Eouzan et Ludovic Piffaut ont répertorié 40 livrets, dans une liste qui n’est peut-être pas exhaustive tellement le corpus est foisonnant46 –, mais aussi beaucoup d’entre elles ont été très représentées sur la scène européenne, avec parfois de nombreuses mises en musique : l’exemple le plus éclatant est donné par les livrets de Metastasio. De surcroît, l’image d’Alexandre s’y avère presque toujours glorieuse : les librettistes célèbrent quasi-unanimement un roi civilisateur, un parangon de la clémence et de la justice, source de bien et de bonheur. L’intrigue amoureuse prend alors très souvent le pas sur la question politique et c’est elle qui fait ressortir la magnanimité d’Alexandre47. De nombreux livrets privilégient ainsi ses noces avec Statira ou Roxane, que la défaite de Darius soit représentée ou non. Ils louent sa sensibilité à l’amour et l’union entre vainqueurs et vaincus dans l’avenir d’une paix et d’un bonheur assurés. Quand la défaite de Darius est représentée, elle n’est généralement pas au cœur des livrets. Qui plus est, sa mort suite à la trahison des siens disparaît là encore presque toujours des intrigues qui, pour beaucoup d’entre elles, se jouent des données connues. Prenons un seul exemple. En 1756, dans La disfatta di Dario, dramma créé à Naples en 1756, avec une musique de Pasquale Cafaro, puis repris à Rome avec une musique de Giovanni Paisiello en 1776, Carlo Diodato Morbilli imagine Darius vivant et prisonnier d’Alexandre : ce dernier, dans sa générosité et pour l’amour de Statira, lui rend sa liberté et son royaume. Plusieurs opéras dissocient les noces d’Alexandre et de Statira des défaites de Darius et ne font pas intervenir ce dernier. Dans la Statira de Pietro 46. Voir F. Eouzan et L. Piffaut, répertoire des opéras, infra, p. 391-419. 47. Sur cet aspect dans les opéras de Cicognini et Sbarra, voir Fanny Eouzan, « L’entrée d’Alexandre à Venise : les amours et la gloire (1651-1661) », infra, p. 289-302.



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Ottoboni, sur une musique d’Alessandro Scarlatti (1690), nous apprenons rapidement que l’intrigue se déroule après la troisième bataille contre Darius, mais la question politique a disparu de l’intrigue. Le mariage avec Statira succède à une série de péripéties sentimentales provoquées par l’amour de Campaspe pour Alexandre. Dans ce livret, le thème du renoncement magnanime à la femme que le roi aime est en effet dissocié de Campaspe pour être reporté sur Statira, éprise du Perse Oronte. Ému par leurs sentiments, Alexandre accepte de vaincre son amour pour Statira, de l’unir à Oronte et de confier au couple son empire, avant qu’in fine Oronte ne refuse d’accepter un tel geste et ne lui « cède » Statira. Dans le livret anonyme L’Euleo festeggiante nel ritorno d’Alessandro Magno dall’Indie (1699), comme dans Alessandro in Susa de Girolamo Frigimelica Roberti (1708), les noces avec Statira sont célébrées au retour de ses campagnes en Inde, à Suse, et dans le second, des manifestations de jalousie de Campaspe, qui aime autant Alessandro qu’Apelle, les précèdent. Dans Talestri innamorata d’Alessandro Magno d’Aurelio Aureli (1693) et Alessandro fra le Amazoni de Grazio Braccioli (1715), c’est la figure enflammée de l’Amazone Thalestris qui fascine les librettistes, même si le deuxième opéra s’achève sur le mariage avec Statira. Si Campaspe, comme nous venons de l’évoquer, est parfois réinventée en une amoureuse d’Alexandre tout aussi passionnée que Thalestris, les livrets qui restent davantage fidèles à l’histoire héritée de Pline prouvent à nouveau la victoire exemplaire d’Alexandre sur lui-même, sur ses sentiments et sa colère. Le titre de la pièce de Sbarra, Alessandro vincitor di se stesso, le souligne déjà en 1651. Les livrets Apelle de Simeone Antonio Sografi en 1793 et Apelle e Campaspe de Gaetano Gioia en 1822 réécrivent à leur tour l’histoire de son renoncement à Campaspe, qu’il unit à Apelle. Cette maîtrise de soi s’exerce aussi souvent au bénéfice des adversaires vaincus, auxquels il accorde son pardon et rend leurs biens. Nous l’avons déjà rappelé pour Darius, mais si ce dernier devient rarement une figure centrale et si les auteurs lui préfèrent, outre Statira, déjà évoquée, les autres femmes de sa famille : la magnanimité d’Alexandre à leur égard est déjà l’objet en 1662 de La magnanimità d’Alessandro de Francesco Sbarra, avec une musique d’Antonio Cesti. Mais son geste sans doute le plus admirable s’exerce au bénéfice de Porus, dans une continuité avec l’Alexandre de Racine et aussi le Porus ou la générosité d’Alexandre de Boyer. Ainsi en est-il dans L’amante eroe de Domenico David en 1691, avec une musique de Marc’Antonio Ziani : Alexandre rend à Poro son royaume et sa femme Berenice, qu’il a préalablement sauvée d’un viol et d’une noyade. Metastasio donne une aura européenne au thème, avec l’écriture de son livret Alessandro nell’Indie, créé à Rome en 1730 sur une musique

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de Leonardo Vinci : c’est sans doute l’opéra sur Alexandre qui a connu le plus large et durable succès. Après sa victoire sur Poro et toute une série de trahisons et de rebondissements dans lesquels le roi indien entraîne son épouse Cleofide, Alexandre finit par lui accorder son pardon et lui rendre sa liberté et ses biens ; il le subjugue par la grandeur de sa vertu au point que Poro se rallie à lui. Bien loin du roi orgueilleux et tyrannique, coupable d’adopter les mœurs orientales, que devient Alexandre dans plusieurs tragédies et drames du xviiie siècle, l’opposition est ici tracée entre d’une part un souverain généreux et pacificateur, et d’autre part l’impulsif et vaniteux Poro : ce contraste permet d’idéaliser le Macédonien davantage encore que n’avait pu le faire la mise en scène de la mort de Darius dans plusieurs tragédies. Ici un avenir radieux est ouvert par un roi qui n’a pas pour seul rôle de châtier les meurtriers d’un roi oriental, mais qui par son exemple initie à la sagesse, « civilise » les mauvais rois orientaux48. Cet opéra de Metastasio est joué dans toute l’Europe et mis en musique par plusieurs dizaines de compositeurs de 1731 jusqu’au xixe siècle : citons, parmi tant d’autres, Johann Christian Bach en 1762, Antonio Sacchini en 176349, Luigi Cherubini en 1784, Giovanni Pacini en 182650. Deux arrangements célèbres sont aussi réalisés en 1731, l’un à Londres sous le titre Poro, re dell’Indie, avec la musique de Georg Friedrich Haendel, et l’autre, la même année à Dresde, sous le titre Cleofide avec la musique de Johann Adolf Hasse. La vertu d’Alexandre entraîne dans la voie de la sagesse d’autres mauvais souverains : le roi de Lybie Orgonte dans Alessandro in Africa de Pietro Scarlatti en 1735 ou le roi des Scythes Oronte dans Alessandro in Persia de Francesco Vanneschi en 1738. En 1679, dans Alessandro Magno in Sidone, Aurelio Aureli imagine déjà la lutte que mène Alexandre contre le roi de Sidon Eumene : il accepte de l’épargner et de lui pardonner à condition qu’il retrouve son épouse et reprenne sa charge de roi, qu’il a toutes deux abandonnées pour son amante Taide. 48. Sur l’importance de ce rôle civilisateur accordé à Alexandre dans les écrits historiques et politiques, aux xviiie et xixe siècles, et particulièrement en lien avec le discours colonial européen, voir les analyses de P. Briant, Alexandre des Lumières. Fragments d’histoire européenne, op. cit., et Alexandre. Exégèse des lieux communs, Paris, 2016. 49. Voir les analyses de Ludovic Piffaut sur le rôle de ténor alors donné à Alexandre, « Le mythe d’Alessandro et le répertoire pour ténor dans l’opéra italien entre 1730 et 1800 », infra, p. 303-313. 50. Voir la liste donnée dans le répertoire des opéras italiens, infra, p. 391-419, et aussi l’article de C. Faverzani, « Métastase au xixe siècle : l’expérience de l’Alessandro nell’Indie de Giovanni Pacini (1824) », Chroniques italiennes, 25/ 83-84 (2009), p. 2-3.



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Le conquérant a plus rarement l’occasion de manifester sa magnanimité à des Macédoniens rebelles, puisque le souvenir des complots perpétrés contre lui tend à s’effacer du répertoire lyrique italien, si l’on excepte Lisimaco riamato da Alessandro de Giacomo Sinibaldi (1682) et La superbia d’Alessandro d’Ortensio Mauro (1690). Le premier livret rappelle la volonté impie qu’il a eue d’imposer à ses hommes la coutume perse de la prosternation, puis met en scène l’opposition de Callisthène et Lisimaco, qu’il jette aux lions, avant de pardonner. Dans le second, Alexandre affronte le complot des Macédoniens mené par Clito, mais finit par lui pardonner et l’opéra se termine par deux mariages. Cet opéra est d’abord mis en musique par Agostino Steffani, puis en 1726 adapté par Paolo Antonio Rolli pour Haendel sous le titre Alessandro et créé à Londres. Dans Alessandro e Timoteo de Gastone Della Torre di Rezzonico (1782), l’intrigue se solde par l’incendie de Persépolis. Elle est inspirée de l’ode du poète anglais John Dryden sur le pouvoir de la musique (1697), Alexander’s Feast or The Power of Music : An Ode in Honour of St Cecila’s Day. L’Alexander’s Feast de Haendel, qui reprend déjà l’ode de Dryden en 1736, montre les effets de la musique et des chants de l’aède Timothy sur Alexandre, qui s’exalte quand celui-ci chante sa propre gloire ou les pouvoirs de Bacchus, s’attriste si l’aède évoque les malheurs de Darius, et qui va jusqu’à brûler Persépolis lorsque le chant l’incite à la vengeance. Mais cette musique antique qui influence tant les humeurs du conquérant n’a qu’une fonction de faire-valoir, car c’est la figure pacifique de sainte Cécile, censée avoir inventé l’orgue et la musique sacrée, qui est finalement glorifiée par contraste. Quant à l’histoire du rétablissement sur son trône d’Abdolonime, le roi de Sidon injustement déshérité, plusieurs opéras s’en emparent pour célébrer à leur tour la justice et la vertu bienfaitrice d’Alexandre, qu’il intervienne directement ou non. Après Abdolomino de Silvio Stampiglia en 1709, Alessandro in Sidone d’Apostolo Zeno et de Pietro Pariati en 1721, c’est surtout Metastasio qui assure la diffusion de cette image idéale sur la scène lyrique européenne. Son Re pastore, créé à Vienne avec une musique de Giovanni Battista Lampugnani, est représenté dans toute l’Europe. Le livret est traduit dans plusieurs langues. En italien, il est aussi arrangé pour être mis en musique à Bologne par Giuseppe Sarti en 1751, à Londres par Johann Adolf Hasse en 1757 et en 1765 par Felice Giardini, à Venise par Baldassare Galuppi en 1768, et à Salzbourg par Wolfgang Amadeus Mozart en 1775. Ainsi les opéras italiens auréolent-ils Alexandre d’une exemplarité parfaite. Ils diffusent largement des images dépourvues d’ambiguïté, celle d’un roi civilisateur idéal, dont les conquêtes assurent la paix et le bien, celle d’un être sensible

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à l’amour et en même temps toujours maître de ses passions, apte à les dominer si la vertu l’exige. La violence ne ressurgit que dans quelques œuvres lyriques, qui, à la suite de tragédies françaises, privilégient les survivants, successeurs, veuves et filles du roi. Plusieurs livrets reprennent au théâtre français, notamment à Pradon, l’affrontement des deux veuves rivales : Le due regine rivali d’Aurelio Aureli, 1708 ; Le regine di Macedonia de Carlo De Pretis, 1708 ; Il trionfo della costanza in Statira, vedova d’Alessandro de Francesco Silvani, 1731. Du livret de la première tragédie lyrique française adaptée de l’Olympie de Voltaire – celui de Charles Brifaut et Joseph Marie Armand Michel Dieulafoy – dérivent plusieurs livrets, surtout celui à succès de sa traduction et adaptation allemande par Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, retraduit ensuite en français et traduit en italien51. Alexandre entre aussi à l’opéra, dans ses différents genres, à travers des livrets écrits en français, en allemand et en anglais, qui sont parfois des adaptations de l’italien, parfois aussi des créations originales. En langue allemande, au tournant du xviie et du xviiie siècle, plusieurs livrets sont ainsi écrits pour exalter le Macédonien. Christian Heinrich Postel adapte le livret d’Aurelio Aureli, Alessandro Magno in Sidone (1679), dans Der Grosse Alexander in Sidon (1688) : Alexandre y lutte toujours avec la même grandeur contre le mauvais roi et mauvais époux Eumene, qu’il ramène dans le droit chemin. Dans Der sich selbst bezwingende Alexander, anonyme (1693), il vainc son amour pour Campaspe, dont il autorise le mariage avec Apelle. En 1692, l’anonyme Der Sieg-reiche Alexander, adaptation du livret français de l’Opéra d’Alexandre de 1691, célèbre une maîtrise similaire, puisqu’il accepte de renoncer à son amour pour Sisygambis. S’inspirant de Racine, Friedrich Christian Bressand consacre en 1693 son Porus à la magnanimité du Macédonien envers Porus. Seul le Diogenes Cynicus (1691) introduit un personnage a priori grinçant, mais de sa lanterne le philosophe Diogène admoneste les amoureux plutôt que de contester le pouvoir d’Alexandre. Un siècle plus tard, en 1791, le dramma per musica bilingue, italien-allemand, Dario / Darius d’Antonio de Filistri da Caramondani met en scène l’affrontement avec Darius et l’entrelace aux amours d’Alexandre et de Statira, et à celles de la sœur d’Alexandre, Arsène, avec un mauvais prince perse, Ochus. L’invention de ces héros secondaires sert des rebondissements qui assurent à Alexandre un triomphe plus complet encore. 51. Nous n’évoquerons pas ici les opéras qui prennent pour héros principaux Darius, Roxane ou Statira avant les guerres de l’empereur perse et d’Alexandre, c’est-à-dire sans faire intervenir le conquérant macédonien : notamment L’incoronazione di Dario de Adriano Morselli, 1684, musique de Domenico Freschi, puis de Vivaldi en 1716 ; La Statira, principessa di Persia de Giovanni Francesco Busenello, 1655, musique de Francesco Cavalli ; Statira de Giuseppe Galuppi, 1703… Voir Fanny Eouzan et Ludovic Piffaut, répertoire des opéras, infra, p. 393, 396, 400-401.



Les renaissances d’Alexandre le Grand au théâtre et à 37 l’opéra

Quant à l’opéra héroïque Alexander d’Emanuel Schikaneder (1801), c’est l’une des très rares œuvres dont l’intrigue semble renouer avec des souvenirs du Roman d’Alexandre du Pseudo-Callisthène grec, puisqu’Alexandre s’y confronte à une reine indienne Kiasa qui rappelle la Candace du roman grec : alors que le conquérant se fait passer pour l’un de ses lieutenants lorsqu’il vient à sa cour et lui propose la paix contre un tribut, elle le démasque à l’aide d’un portrait qu’elle avait préalablement commandé, exactement comme dans l’intrigue du Pseudo-Callisthène. Le dénouement diffère néanmoins de celui de l’œuvre antique : Alexandre épouse en effet la reine indienne52. Le premier livret d’opéra écrit en français est légèrement postérieur au premier livret allemand : c’est l’Opéra d’Alexandre de 1691, représenté à Leyde d’après l’imprimé conservé. Il exalte l’amour d’Alexandre pour la fille de Darius, ici nommée Sisigambis, après la défaite de ce dernier, et s’inspire de l’histoire de Campaspe. Découvrant qu’elle aime le prince perse Orsane, le roi finit en effet par se vaincre lui-même, il épargne Orsane qu’il s’apprêtait à faire supplicier et unit les amants. Les opéras français suivants – nous en avons répertorié dix, sans compter les traductions de livrets italiens – tracent un portrait tout aussi élogieux, et l’on retrouve les trois séquences qui connaissent un très vif succès au xviiie siècle53. La première est la victoire sur soi avec le renoncement volontaire à l’amour pour Campaspe, dans les opéras Apelle et Campaspe de Charles-Albert Demoustier (1797) et Alexandre et Apelle de Jacques Antoine Hippolyte de Guibert (1822). La justice envers l’héritier légitime de Sidon, Adolonime, inspire aussi Le jardinier de Sidon de RogerTimothée Régnard de Pleinchesne, mais, comme il prend sa source dans la comédie de Fontenelle, Alexandre est absent. La troisième est la magnanimité envers Porus, célébrée dans l’opéra Alexandre aux Indes d’Étienne Morel de Chédeville (1783) : Porus refuse d’accepter les offres de paix d’Alexandre, il s’entête dans son orgueil et sa fureur en dépit de l’intervention de sa future épouse Axiane ; cette dernière s’interpose finalement entre les deux guerriers et demande l’arrêt des combats ; bien que Porus refuse toujours de se rendre, Alexandre lui rend sa liberté et son royaume, lui offre même son amitié. In fine l’Indien cède, admirant sa vertu et le reconnaissant comme le juste conquérant du monde. Étienne Morel de Chédeville reprend ainsi le thème qui a fait le succès de la tragédie de Racine et de l’opéra de Metastasio, le contraste entre l’entêtement et l’orgueil de Porus et la grandeur d’Alexandre.

52. Voir Florent Gabaude, répertoire des œuvres allemandes, infra, p. 427-428. 53. Voir notre répertoire, infra, p. 334, 343-344, 350-351, 357-358, 364, 368.

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Deux œuvres lyriques sont composées autour des femmes qui survivent à Alexandre. Nous n’avons conservé que quelques partitions de la musique que Pierre Candeille a composée pour la première vers 1792, Roxane et Statira ou Les veuves d’Alexandre. La seconde en revanche a connu une large postérité européenne : l’Olympie de Voltaire (1762) est transformée en pièce lyrique par Gaspare Spontini, avec un premier livret français de Charles Brifaut et Joseph Marie Armand Michel Dieulafoy en 1819. Ce sont sa traduction et son adaptation en allemand par E. T. A Hoffmann en 1821 qui assurent sa grande diffusion sur la scène lyrique européenne : le livret allemand est ainsi retraduit en français en 1826, traduit en italien en 1885. Enfin, deux opéras comiques français montrent le choix inverse de la dérision et de la bouffonnerie. Si l’opéra comique est un genre lyrique où les dialogues parlés alternent avec les scènes chantées sans que le comique soit un élément obligé, ici les œuvres françaises visent bien le rire. Avec un siècle de décalage l’une par rapport à l’autre, elles redonnent vie à un récit médiéval du xiiie siècle, le Lai d’Aristote d’Henri de Valenciennes54 et à son histoire du chevauchement d’Aristote par la jeune Indienne dont Alexandre s’est épris : le maître austère tente de forcer son élève à renoncer à son amour, ce dernier en informe la jeune femme, qui décide de se venger en séduisant le philosophe et en le contraignant à la chevaucher ; ridiculisé publiquement, Aristote se disqualifie dans son rôle de maître et de conseiller du roi. Si une pièce brève d’Hans Sachs a repris cette intrigue à titre d’exemple moralisant au xvie siècle, elle n’a pas de postérité dramatique connue en France avant le xviiie siècle. Redécouverte par Pierre-Antoine-Augustin de Piis, ce dernier écrit le livret de l’opéra comique Aristote amoureux ou le philosophe bridé en 1780 : le chevauchement médiéval, mime de l’acte sexuel, est transformé en la promenade de la jeune Indienne sur son char, que le philosophe tire comme un cheval, la bride au cou. Dans cet opéra comique, seul Alexandre se moque de son maître, qui se rend et s’excuse, consentant de bonne grâce à leur amour. La pièce se termine par un vaudeville sur les pouvoirs de Vénus qui attèle ses victimes à son char. Paul Arène et Alphonse Daudet reprennent la même thématique en 1878, dans leur opéra comique Le Char : une dédicace au « vieil auteur du Lai d’Aristote » revendique alors l’héritage médiéval. L’histoire est traitée sur le mode du burlesque : la jeune indienne devient une esclave qu’un très jeune Alexandre, dans la cour d’une ferme, aide à étendre le linge, alors qu’il vient de suivre une leçon de calcul en comptant des cailloux sous 54. C. Gaullier-Bougassas, dans la Fascination pour Alexandre le Grand, op. cit., t. 2, p. 871-874 et t. 4, p. 132-134.



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la férule du philosophe. La lubricité d’Aristote est punie par les fouets de la jeune fille, mais l’humiliation n’est pas publique : la jeune femme monnaie son silence en exigeant d’Aristote son affranchissement et son retour dans son pays natal. Une critique politique voilée clôt la pièce. D’après le Journal de Paris du 5  octobre 1783 (numéro 278), une parodie de l’opéra Alexandre aux Indes d’Étienne Morel de Chédeville a été représentée à Paris, aux Variétés Amusantes, en octobre 1783, sous le titre Le pirate en Provence, mais nous n’avons pas retrouvé le livret, qui serait de l’auteur Louis-François Archambault dit Dorvigny. L’opéra anglais avait déjà connu, en 1770, une parodie burlesque de tonalité plus grinçante : The Court of Alexander, An Opera, in Two Acts de G. A. Stevens, qui représente Alexandre et ses hommes comme des soudards : pour avoir dénoncé son alcoolisme, Clytus est assassiné par le roi, mais – coup de théâtre comique – Jupiter descend aussitôt de son char pour le ressusciter. Le sort d’une jeune femme aimée à la fois de Lysimachus et de Porus est joué aux dés, mais le résultat de la partie reste inconnu ! Il s’agit alors bien de rabaisser le héros macédonien, même si la finalité du divertissement est peutêtre davantage de se moquer du registre idéalisant des opéras que de transmettre une leçon politique. Mais il reste que l’auteur joue avec le prestige d’un héros illustre, s’amuse à le dégrader en exploitant la critique souvent formulée par les historiens latins sur ses excès d’alcool et ses crimes, dont le meurtre de Clitus. Les œuvres lyriques comiques, qui semblent par ailleurs peu présentes dans le répertoire italien, restent néanmoins marginales en France et en Grande-Bretagne, même si la veine parodique se retrouve en 1837 dans l’opéra comique de Thomas Dibdin, Alexander the Great ! In Little. A Grand Tragi-comic Operatic Burlesque Spectacle. Elles constituent des exceptions au parcours cohérent des opéras vers la glorification d’Alexandre, roi clément et magnanime, dont les victoires sur soi accompagnent les victoires sur l’Autre. Sur la scène européenne, ce sont les œuvres lyriques qui, à partir de la fin du xviie siècle, transmettent le plus largement le souvenir du roi antique, un souvenir entièrement retravaillé par la fiction et idéalisé, alors que les pièces de théâtre des xviiie et xixe siècles restent le plus souvent confidentielles et même non jouées.

Alexandre et le théâtre d’ombres grec Si, en Europe occidentale, c’est donc l’opéra qui assure à Alexandre ses plus larges succès sur la scène, dans le monde hellénique et à partir du xixe

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siècle, une autre forme d’expression dramatique diffuse auprès d’un public nombreux une image idéalisée d’Alexandre très différente. C’est le théâtre d’ombres qui, d’origine peut-être chinoise ou indienne, apparaît dans l’empire ottoman au xvie siècle sous le nom de Karagöz et, au xixe siècle, se diffuse dans le monde hellénique et se transforme en Karaghiosis grec55. Or ce dernier, loin de s’adresser à un public élitiste, prend vie pour répondre aux aspirations et aux revendications de toute une communauté. Sans doute en contestation de la culture savante, il introduit le personnage d’Alexandre le Grand pour bien signifier son appropriation populaire, et à travers elle celle de l’Antiquité grecque, par une forme d’expression très vivante dans la vie quotidienne. Le théâtre d’ombres idéalise alors Alexandre comme le héros civilisateur qui libère une ville d’un dragon. Ses créateurs retravaillent des réminiscences du roman d’Alexandre du Pseudo-Callisthène, toujours très diffusé dans le monde grec à travers la phyllada, de la geste de Digénis Akritas et de légendes hagiographiques comme celle de saint Georges, tout en exploitant des échos aux héros de la Guerre d’indépendance grecque, pour mieux l’exalter en sauveur. Au terme de ce bref parcours, tout au long de cette ample ligne chronologique qui nous a menées de la fin du xve siècle jusqu’au xixe siècle, nous ne prétendons pas avoir fait le tour des créations dramatiques auxquelles la figure d’Alexandre a donné naissance. D’autres pièces restent à découvrir ou à redécouvrir, particulièrement pour les xviiie et xixe siècles, et nous ne saurions oublier non plus qu’Alexandre a encore été une source d’inspiration au xxe siècle pour des dramaturges, des auteurs d’opéra et des chorégraphes. Ainsi, notre volume ne prétend pas à l’exhaustivité. Les articles ici réunis privilégient souvent des œuvres des xvie et xviie siècles qui pour beaucoup d’entre elles n’avaient été que très peu, ou pas du tout, étudiées et qui parfois restent encore inédites ou sont en cours d’édition par les auteurs mêmes des articles. Le corpus des xviiie et xixe siècles, plus mal connu encore, fait l’objet d’analyses pour l’opéra italien, le théâtre révolutionnaire français et le théâtre d’ombres grec. Nous avons regroupé les dix-huit articles en trois sections. La première, intitulée « Le conquérant, le crime et la mort : Alexandre et la tragédie » réunit six études concernant les apparitions du roi macédonien dans des tragédies du xvie au xviiie siècle, en Allemagne et surtout en France. Centrées sur la mort de Darius ou sur celle d’Alexandre, et dotées d’une dimension politico-historique, ces œuvres jouent fréquemment sur les contrastes entre 55. Voir Constantin Bobas, « Alexandre et le théâtre d’ombres grec : modalités d’une transformation mineure », infra, p. 277-289.



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les aspects les plus sombres des excès liés au pouvoir et une image idéalisée du conquérant, qui apparaît tantôt tyrannique et tantôt généreux, et dans tous les cas fort devant la mort. Nous le voyons ainsi magnanime envers ses adversaires perses dans la tragédie jésuite de Pierre Mousson, puis passant de l’excès à la tempérance dans l’épisode de Timoclée mis en scène par Hardy, faisant figure de guerrier puissant et héroïque chez Jacques de La Taille, mais également capable de démesure et, pour cette raison, victime de complots menant à sa perte dans des pièces décrivant sa mort, celles de Hans Sachs (1561), d’Alexandre Hardy (1626) et de Thomas Rousseau (1789). La seconde section, « Les amours du roi Alexandre : nouveaux ressorts dramatiques », comprend six articles consacrés à des œuvres anglaises (Lyly), espagnoles (Lope de Vega, Calderón), françaises (Desmarets de Saint-Sorlin, Baro, Paillot) et italiennes (Cicognini) des xvie et xviie siècles dont la thématique commune est l’amour du roi envers une femme. Les genres et les tonalités de ces pièces sont variés, on trouve parmi elles des comédies, des comedias, des tragi-comédies et des tragédies. Si le cadre historique est abordé de façon souvent moins rigoureuse que dans les tragédies évoquées précédemment, il ne disparaît pas totalement et l’amour peut interférer avec l’exercice, juste ou brutal, du pouvoir. C’est ainsi que l’ambivalence du souverain se retrouve aussi dans le traitement des passions amoureuses qui lui sont prêtées, et que le personnage, face à des partenaires féminines qui l’aiment ou qui le plus souvent lui résistent, oscille entre une galanterie parfaite et des tentations de violence et de tyrannie. La troisième section, intitulée « Mises en scène et spectacles particuliers : Alexandre, la marge et le centre », inclut six autres articles, dans lesquels nous découvrons des mises en scène particulières d’Alexandre qui sont liées à d’autres types de spectacles, plus différents des modèles antiques renouvelés de la tragédie et de la comédie, et qui offrent au héros une présence tantôt à la marge, tantôt au centre. Il est ainsi cantonné à la marge dans plusieurs œuvres du théâtre élisabéthain où, comme autorité présente sur scène mais à l’arrièreplan, il rend la justice de façon discrète et efficace (Clyomon and Clamydes), ou bien dans lesquelles il apparaît indirectement en tant qu’exemple invoqué : absent de la scène, il est alors métaphoriquement présent dans les coulisses car actif dans les esprits des personnages et des auteurs, image positive ou négative, suscitée dans des situations variées (Doctor Faustus, Love’s Labour’s Lost, Tamburlaine the Great, Henry V, Hamlet). On le retrouve avec d’autres formes de présence paradoxale sur les scènes du théâtre didactique jésuite de l’Empire germanique, à la fin du xviie siècle et au xviiie siècle. Dans le théâtre d’ombre hellénique, il entre aux côtés du héros principal Karaghiosis pour devenir très

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vite une figure essentielle au rôle salvateur. Enfin s’il est une nouvelle forme de spectacle qui lui donne d’emblée et presque toujours une place centrale, c’est l’opéra italien, par ailleurs constant dans l’idéalisation de son personnage. Dans la dernière section du volume, nous avons enfin présenté sous forme de répertoires les textes que nous avons retrouvés et lus au cours de nos recherches, pour les littératures française, italienne, hispanique, anglaise et allemande. Nous n’avons en effet pris la mesure de l’importance de ce corpus qu’en cherchant à établir la liste des œuvres. Leur lecture nous a aussi fait découvrir leur variété, avec tous les renouvellements de l’image d’Alexandre qui accompagnent ses multiples incarnations et réincarnations dramatiques, les nouvelles vies qui l’animent sur scène, selon les inflexions spécifiques des genres dramatiques choisis, leurs esthétiques, les inspirations des auteurs et parfois les désirs des publics. Nous avons conçu ces répertoires comme une première cartographie européenne de l’Alexandre dramatique et lyrique, et comme des outils de travail pour de futures recherches qui sans nul doute les compléteront et les enrichiront. Comme nous l’avons rappelé plus haut, ce corpus dramatique sur Alexandre n’a été que très peu étudié jusqu’à présent, en dehors de quelques œuvres célèbres. Notre ouvrage constitue le premier volume collectif à son sujet et une étude encore partielle, qui appelle d’autres études. Nous espérons qu’il suscitera l’intérêt pour ces rémanences spectaculaires du héros antique et le désir de continuer la recherche à leur sujet. Comme dans les volumes précédents de la collection « Alexander redivivus », l’esprit qui nous a animées a été de chercher à dépasser les frontières entre les langues et entre les littératures européennes, pour mettre en perspective leurs œuvres consacrées à Alexandre, leurs spécificités, leurs différences et leurs interactions. Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas Université de Lille, Institut universitaire de France Université de Lille

Le conquérant, le crime et la mort Alexandre et la tragédie

Alexandre le Grand sur la scène jésuite à la fin du xvie et au début du xviie siècle : l’exemple du Darius proditus de Pierre Mousson Dès les années 1580, sur la scène du collège jésuite de Pont-à-Mousson puis de La Flèche, le public a entendu évoquer en des termes élogieux Alexandre le Grand de la bouche même de son ennemie, la reine perse Statira, à l’agonie, dans une lettre qu’elle adresse à son époux Darius en fuite : Sin te fata aliorsum trahunt metamque hanc imperio Persico, summus ille Mesoromasdes, posuit : tibi unus Alexander succedat. […] Tibi unus Alexander succedat. […] A quo in me matremque meam nihil officii, humanitatis nihil defuit : qui nos eodem quo prosperis rebus loco habuit. Ei dii omnes, gratiam ni reponis, pro summis in nos meritis habebunt. Plura non licet. Vale, mi frater, Dari. [Si les destins t’entraînent dans une autre direction et si le très grand Mesoromasdès a fixé cette fin pour l’empire perse, que seul Alexandre soit amené à te succéder […]. Que seul Alexandre soit amené à te succéder1. […] Parce qu’il n’a manqué à aucun de ses devoirs, ni à aucun témoignage d’humanité à mon égard et à l’égard de ma mère : il nous a traitées comme au temps de notre prospérité. Si tu ne lui rends pas cette faveur, tous les dieux l’estimeront au regard de sa conduite exceptionnelle à notre égard. Il ne m’est pas possible d’en écrire davantage. Porte-toi bien, Darius, mon frère2.]

Ce vibrant hommage rendu à son magnanime ennemi se trouve dans la tragédie néo-latine Darius proditus (Darius trahi), publiée en 1621 à La Flèche. L’auteur en est Pierre Mousson, de son nom latin Petrus Mussonius, père 1. Le texte original contient cette répétition. 2. Les traductions données dans cet article nous sont personnelles. Cette lettre apparaît à la suite du v. 871 dans Darius proditus, elle est entrecoupée par des propos (non reproduits ici) de Darius qui la commente au fur et à mesure qu’il la lit. Statira utilise le titre de frater que prenaient les rois de Perse, mais qui rappelle aussi qu’elle était la sœur de Darius en même temps que son épouse. Voir P. Mussonius, Tragoediae seu diversarum gentium et imperiorum magni principes dati in theatrum collegii regii Henrici magni auctore P. Petro Mussonio, Virdunensi, S. J., Flexiae apud G. Griveau, 1621 ; R. Rieks, Petrus Musssonius, Tragoediae, en collaboration avec K. Geus, Francfort-sur-le-Main, 2000. L’entrée d’Alexandre le Grand sur la scène européenne éd. Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas Turnhout, 2017, (Alexander Redivivus, 9) p. 45-58 © F H G

DOI 10.1484/M.AR-EB.5.113435

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Patricia Ehl

jésuite et professeur de rhétorique. Féru d’histoire antique, il reprend, dans les œuvres de Quinte-Curce et Plutarque, des épisodes symboliques célèbres et valorisants de la « légende » d’Alexandre ; il fait de ce personnage un exemplum pour ses élèves, ou plutôt il s’en sert comme contre-exemple puisqu’il en fait un prince magnanime et vainqueur dans ce recueil consacré à quatre princes déchus. Cette pièce, par son statut de « théâtre pédagogique », témoigne du choix qu’a fait cet enseignant, parmi ses sources possibles, du portrait d’un Alexandre magnanime, à la fois grand conquérant et homme de cœur, qu’il souhaite présenter tant à ses élèves dans un but formateur et édifiant, qu’au public présent lors des représentations. Pour ce faire il met en œuvre quelques stratégies dramaturgiques intéressantes qui concourent au succès que connut cette pièce dont plusieurs représentations sont attestées. Après une brève présentation de la place du théâtre au sein des collèges, notamment jésuites, puis de l’œuvre de Pierre Mousson, nous analyserons le choix des sources effectué par l’enseignant-dramaturge et nous présenterons quelques extraits, de la scène initiale aux dernières volontés de Statira, qui témoigneront de ce portrait d’un Alexandre magnanime. La tragédie Darius proditus a été écrite dans le cadre de ce qui fut longtemps appelé, avec mépris, « théâtre des écoles », ou plus exactement « théâtre des collèges » ou « théâtre pédagogique ». Le principe de cette pratique était simple : un enseignant, le plus souvent le professeur de rhétorique, écrivait des pièces, généralement tragiques, qui étaient ensuite jouées par ses élèves en des cérémonies officielles qui ponctuaient l’année scolaire (remise des diplômes, réception d’un personnage officiel…). Ces représentations étaient ouvertes aux habitants de la cité, qui en étaient souvent très demandeurs et qui se joignaient aux enseignants, aux élèves, à leurs parents et aux visiteurs de marque. Les textes de ces pièces n’étaient écrits qu’en vue de ces représentations ; rares ont été leurs publications ; nous n’avons donc connaissance directe que d’une infime partie de ce corpus le plus souvent rédigé en latin (désigné, par convention, sous l’appellation « néo-latin » puisqu’il est postérieur au Moyen Âge). Divers documents d’archives témoignent néanmoins du nombre de représentations, de la diversité des sujets traités et de l’engouement du public. Le recueil Tragœdiæ seu diversarum gentium et imperiorum magni principes (Tragédies ou les grands princes de divers peuples et royaumes) est une trace précieuse de ces pratiques ; publié à La Flèche en 1621, il rassemble quatre tragédies, écrites très certainement dès les années 1580 et représentées dès lors par des élèves. L’intrigue de ces pièces est empruntée à l’histoire antique, parfois légendaire, comme l’indiquent leurs titres : Pompeius Magnus, Croesus

 Alexandre le Grand sur la scène jésuite à la fin du xvie et au 47 début du xviie siècle

liberatus, Cyrus punitus, Darius proditus (Pompée le Grand, Crésus délivré, Cyrus puni, Darius trahi). Leur auteur, Pierre Mousson3, né entre 1559 et 1561 à Verdun et mort en 1637 à Orléans, fut principalement enseignant de rhétorique dans différents collèges jésuites (Verdun, Dôle, Pont-à-Mousson, La Flèche et Orléans). Visiblement très apprécié au sein de la Compagnie de Jésus ainsi que par ses élèves, il travailla dans les deux collèges les plus emblématiques de « la tradition scénique de la Compagnie4 » : Pont-à-Mousson et La Flèche5. Il écrivit aussi des pièces à sujet religieux, qui ne furent apparemment pas publiées. Darius proditus est la pièce finale de ce recueil qu’elle clôt par des nénies, long éloge funèbre final qui n’est pas utilisé, sous cette forme, ailleurs dans ce corpus. Elle présente le même type de sujet que les trois autres tragédies : un personnage historique, devenu personnage éponyme, appartenant à l’histoire antique païenne, une figure historique importante, à la tête d’un empire, présentée au moment du renversement de son pouvoir et de sa fin tragique. Pierre Mousson semble s’inspirer principalement de deux œuvres : les Histoires de Quinte-Curce, surtout les livres IV, V et VI, et la Vie d’Alexandre de Plutarque6 pour les chapitres 20 à 43, en plus de quelques passages isolés tels que le souvenir du jeune Alexandre domptant Bucéphale sous les yeux ébahis de tous au chapitre 6 ou la maladie du conquérant à la suite d’une baignade dans le fleuve Cydnos7 au chapitre 19. Ces textes offrent à notre dramaturge quelques épisodes historiques qu’il affectionne tant, émaillés d’anecdotes et de discours dont il se sert en les agençant ou en les transformant au gré de sa composition théâtrale, tel l’épisode du nœud gordien. Si notre dramaturge s’est aussi inspiré du livre XVII de la Bibliothèque historique de Diodore de Sicile8, il n’en a pas fait sa source principale ; ce qui s’explique facilement : nombre d’anecdotes qu’il recherchait et qu’il a retenues, sont absentes de l’œuvre de Diodore, tout comme de celle d’Aristobule d’ailleurs. C’est le cas, par exemple, de la lettre que Parménion envoie à 3. Son nom latin Petrus Mussonius est parfois aussi francisé sous la forme Pierre Musson. 4. A. Stegmann, L’héroïsme cornélien, genèse et signification, Paris, 1968, t. 2, p. 22. 5. A. Stegmann, ibidem, p. 39 : le collège de la Flèche fut le lieu d’une « intense publication originale. De 1608 à 1626, quatre jésuites français donnèrent sans interruption des pièces de structure, voire de sujets, purement classiques et par là tout à fait insolites dans la Compagnie ». 6. Plutarque, Vies, IX, Alexandre-César, éd. et trad. R. Flacelière et É. Chambry, Paris, 1975. 7. Cet épisode est placé dans Darius proditus juste avant la bataille de Gaugamèles alors que Plutarque et Diodore le situent juste avant la bataille d’Issos. 8. Diodore, Bibliothèque historique, éd. et trad. P. Goukowsky, Paris, 1976, XVII, 31, 4-6.

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Alexandre qui est souffrant, pour l’avertir de ne pas absorber le remède que lui prépare son médecin, Philippe, qui serait chargé par les Perses de l’empoisonner : Pierre Mousson exploite avec bonheur cette anecdote qui lui permet de jouer sur plusieurs rebondissements scéniques et que ni Diodore ni Aristobule ne mentionnent. Il s’inspire à nouveau des récits de Quinte-Curce (Histoires, III, 6) et de Plutarque (Vie d’Alexandre, XIX). Pierre Mousson fait le même type de choix face à l’Anabase d’Arrien : dans les passages où l’historien rapporte plusieurs traditions autour d’un même événement, notre dramaturge a souvent conservé la version vis-à-vis de laquelle Arrien émet le plus de réserves, mais qui a le mérite d’être l’anecdote la plus riche et de permettre, une fois transcrite pour le théâtre, la mise en place de péripéties qui relancent l’intérêt du spectateur et offrent un déploiement scénique intéressant. L’exemple le plus évident est celui de la maladie d’Alexandre. Arrien la présente comme une conséquence de l’épuisement du chef macédonien, mais il signale que d’autres auteurs y ont vu les conséquences d’un bain (tel Arrien dans l’Anabase, II, 3-4). C’est cette dernière version que retient et utilise dans sa tragédie Pierre Mousson qui choisit aussi les éléments qui valorisent Alexandre ; il ne s’inspire pas non plus de l’aperçu, parfois fort sombre, qu’Orose donne de ce personnage principal dans ses Histoires contre les païens. Darius proditus est donc la réécriture d’une mosaïque de sources, d’une mosaïque d’anecdotes. En voici un résumé très sommaire : l’acte I s’ouvre sur le bonheur d’Alexandre le Grand assistant à la déroute des Perses et à la fuite de Darius, et se remémorant les prédictions qui lui avaient été faites lorsqu’il était enfant. Recevant la soumission de plusieurs cités, il apprend que la famille de Darius a été capturée. En effet, à l’acte II, Sysigambe et Statira, mère et épouse de Darius, s’alarment de leur sort. Mais Alexandre leur témoigne une grande bienveillance et s’attendrit sur la situation d’Ochus et Xerxès, fils de Darius. De son côté (acte III), Darius est désespéré ; il apprend la mort de Statira dont il reçoit une lettre, qu’elle a écrite lors de son agonie et où elle mentionne la bonté d’Alexandre. Mais les ambassadeurs perses ne réussissent pas à conclure un accord avec le Macédonien. Ce dernier, malade, doit faire face, durant l’acte IV, à des mouvements dans ses troupes et à l’avancée des ennemis. Guéri par une potion de son médecin, il mène son armée contre Darius, qui subit à nouveau une défaite et qui, en difficulté, est abandonné (acte V) par Artabaze et mortellement blessé par deux de ses satrapes, Bessus et Nabarzane. Découvert par Polystrate, le roi perse lui donne son anneau et lui confie le soin de sa famille, avant de mourir. Alexandre fait reconnaître

 Alexandre le Grand sur la scène jésuite à la fin du xvie et au 49 début du xviie siècle

son corps par Sysigambe et ses petits-enfants et il ordonne la capture des deux satrapes afin qu’ils soient suppliciés. L’intrigue de Darius proditus repose donc sur les conséquences d’une première défaite perse : sort de la famille de Darius, nouveaux affrontements avec les Perses, mort du roi perse. Le tout se déroule en produisant un portrait très valorisant d’Alexandre plein de magnanimité. Contre-exemple du « héros éponyme » traditionnel, Darius n’est pas le personnage principal de cette pièce qui porte pourtant son nom. Présent dans neuf scènes, il est totalement absent de l’acte I (ce qui symbolise bien la défaite initiale) et il fait piètre figure si on le compare à Alexandre présent dans les deux scènes de l’acte I, et dans dix-neuf scènes sur trente-trois au total. L’acte II est une mise en scène de la bienveillance d’Alexandre : à l’angoisse de la famille de Darius répond la magnanimité du conquérant. L’acte III est en grande partie centré sur le camp perse, à l’inverse de l’acte IV. Enfin, l’acte V voit l’effacement progressif de Darius qui n’est plus qu’un cadavre exposé dans la scène finale. Nous nous proposons à présent d’examiner plusieurs extraits significatifs de cette tragédie empruntés à la scène initiale ainsi qu’à la lettre de Statira mise en dialogue. Au contraire des trois autres tragédies du recueil qui s’ouvrent sur les paroles du personnage éponyme, Darius proditus s’ouvre sur un dialogue, dans le camp macédonien, entre Alexandre et son entourage, Héphestion, Parménion, Perdiccas et Clitus : la défaite de l’ennemi est effective ; Darius est en quelque sorte déjà effacé du pouvoir, ce qui était annoncé par le titre de la pièce est déjà en œuvre. Cette scène d’exposition est la plus longue de ce corpus, avec 189 vers de dialogue, mais cette apparence de dialogue ne doit pas cacher la prédominance verbale d’Alexandre qui prononce près de 150 vers sur 189, dont une très longue tirade (v. 13-127), alors qu’aucun autre personnage n’énonce en tout plus de dix vers dans cette scène. La puissance du chef macédonien est ici d’autant plus éclatante qu’il décrit et annonce tout à la fois la débâcle des Perses et sa propre victoire (vers 1-9). Ce début in medias res s’inscrit donc sous le signe du mouvement, mouvement de fuite de l’adversaire décrit de manière très imagée par des métaphores animales qui ouvrent la pièce : [ALEXANDER.] Inhonesta duro marte superatus ferox Retorsit hostis terga : cesserunt capræ Campo fugaces, pauida diffugit phalanx ; Velut insequentum vulturum turmam, auio Cursu volantes, trepida quas voluit fuga

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Patricia Ehl Vitant columbæ : seque proripiunt leues Victæ per auras. Viuite æternum mei Commilitones, viuite : est victoria, Persas subacto rege debellauimus. (v. 1-9) [[Alexandre] Vaincu en un dur combat, l’intrépide ennemi a tourné le dos dans la honte : les chèvres en fuite ont quitté la plaine, la phalange saisie d’effroi a fui en désordre ; ainsi les colombes, lancées dans une course errante, tentent d’éviter, par une fuite éperdue, la troupe de vautours qui les poursuit et les affole, et, emportées, elles se précipitent dans les airs légers. Compagnons d’armes, vivez éternellement, vivez : nous sommes victorieux, nous avons soumis les Perses par les armes, une fois leur roi assujetti.]

En fait, Darius n’a pas été capturé, mais il subit avec ses hommes, les colombes, la pression guerrière des armées d’Alexandre qui sont les vautours. Cette fuite, décrite avec moquerie et dérision, est d’ailleurs en quelque sorte confirmée sur scène : Darius, personnage éponyme de la pièce, n’apparaît pas ; son nom n’est même pas prononcé ; seule la nationalité de l’ennemi est répétée (Persas au v. 9 ; Persis aux v. 127, 170, 179). C’est le camp adverse qui est à l’honneur. Alexandre célèbre sa propre gloire dans une très longue tirade de 115 vers où lui-même rappelle la prédiction faite par son père, Philippe, lorsqu’il avait réussi à soumettre l’indomptable Bucéphale ; il reproduit les paroles de son père (v. 114-117) et montre en quoi il a réalisé ce qu’il lui prédisait. Par contraste avec cette acmé s’annonce silencieusement la chute de Darius. La suite de la pièce est préparée, d’une part, par l’exhortation d’Alexandre à ses soldats pour achever le combat, piller… et, d’autre part, par l’annonce de l’arrivée d’ambassadeurs que le Macédonien s’apprête à recevoir. Ce dialogue n’est pas que dramatisation, il est aussi information pour le lecteur / spectateur. Cette scène liminaire joue donc pleinement son rôle de scène d’exposition : elle informe le public, lui présente le protagoniste, même si ce n’est pas toujours celui que le titre laisse attendre, l’inscrit dans une dynamique qui mène à la défaite perse. Après ce premier extrait qui met en scène un Alexandre conquérant et victorieux, le suivant fait reconnaître la valeur « humaine » d’Alexandre par ses propres ennemis à travers un processus de réécriture, parfois original, de Pierre Mousson : c’est un texte devenu lettre théâtrale. En effet notre dramaturge reprend des éléments parmi les propos que Tyriotès /Tiréos tenait à Darius pour lui apprendre la mort de Statira, et il en fait une lettre que l’épouse royale aurait écrite à son mari avant de mourir, lettre dont l’introduction de cet article a déjà présenté un extrait.

 Alexandre le Grand sur la scène jésuite à la fin du xvie et au 51 début du xviie siècle

Cette transformation est d’un grand intérêt dramaturgique, car Pierre Mousson, loin de faire lire le texte de cette lettre intégralement par un messager ou par Darius lui-même, met en scène la lecture de cette lettre à travers un dialogue entre Darius et Statira : cette dernière lit sa lettre, fragment par fragment, et son époux répond, réagit, pour ainsi dire « en direct », à ses propos. En fait Darius commente chaque élément que Statira est censée avoir écrit. À l’écrit le texte imprimé se présente comme un dialogue : en caractères romains de taille supérieure alors que le reste du texte est en italique, dans l’édition de 16219. Dans ce dialogue entre les deux époux qui se sentent l’un et l’autre proches de la mort, quand Statira, évoquant les volontés du dieu perse Oromazès (ou Mesoromasdès), affirme que le successeur de Darius doit être Alexandre, le Perse s’indigne. Quand elle réitère son souhait, il s’étonne encore, mais plus posément. Elle explique enfin la bonté d’Alexandre à leur égard (c’est-à-dire à l’égard de Sysigambe, Xerxès, Ochus et d’elle-même), avant de saluer définitivement son époux. Cette lettre10 recèle donc une forte efficacité théâtrale. Elle se veut un écrit ; elle a un caractère solennel, péremptoire, mais elle est, d’une part, oralisée, et, d’autre part, oralisée sur un mode original. Lors de la représentation elle ne peut que plaire aux élèves-acteurs, qui se trouvent là fort loin de la déclamation, et aux spectateurs dont l’intérêt est ainsi maintenu ou ravivé. Elle est en elle-même un événement théâtral. C’est aussi un chant d’adieu mais il refuse le pathétique, avec deux discours qui s’interrompent et s’entrelacent pour mener à une révélation déterminante. Cette mise en dialogue, adieu funèbre, constitue une nouvelle mise en valeur d’Alexandre, de sa magnanimité11. 9. L’édition de R. Rieks utilise un caractère différent et plus petit pour marquer ce contraste (ibidem, p. 348-349). 10. Parmi les sources historiques que Pierre Mousson a utilisées, c’est-à-dire principalement les œuvres de Quinte-Curce et de Plutarque, aucune ne propose ni même n’évoque une telle lettre. Or son intérêt scénique est remarquable : tout d’abord Statira, qui est morte, est présente sur scène pour lire sa lettre, mais sans apparaître comme un spectre revenu des enfers. Ce retour en arrière qui place Statira au moment de l’écriture de sa lettre, c’est-à-dire à un moment où elle était encore en vie, laisse pourtant Darius dans son présent, c’est-à-dire celui de la fuite et du deuil. Plus qu’un dialogue entre monde des vivants et monde des morts, nous avons là un dialogue fictif entre deux temporalités grâce à l’interprétation (au sens théâtral du terme) d’une lettre. Pierre Mousson transforme donc un personnage fort conventionnel (l’épouse éplorée, souffrante, fragile) en un personnage qui va gagner en profondeur et en présence, par la mise en scène de la lecture de cette lettre qui matérialise la présence de l’absente, de la défunte. 11. Cette lettre joue aussi sur le contraste entre la dimension politique des enjeux de cette guerre et l’expression d’une intimité qui se fait jour à travers l’affection réciproque des deux époux qui point dans les formules au vocatif, avec adjectifs possessifs, telles que mi Dari, ô

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Cette lettre a en effet un caractère testamentaire puisque son scripteur n’est plus vivant au moment de sa lecture et qu’elle contient des vœux à réaliser, vœux qui représentent l’issue de la guerre entre Perses et Macédoniens. Elle est donc à la fois événement et avènement : événement parce qu’elle participe de l’annonce du décès de Statira, parce qu’elle est aussi information d’un camp sur l’autre ; avènement d’autre part parce qu’elle apporte dans le camp perse, ou du moins dans ce qu’il en reste à travers ce roi fugitif et ses troupes décimées, une nouvelle image d’Alexandre, l’ennemi, dont apparaissent la grandeur, l’humanité et la magnanimité. Avec cette nouvelle image, c’est aussi l’espoir d’un dénouement « heureux » ou, du moins, moins tragique, qui se profile. Cette lettre participe donc aussi d’un jeu sur le tragique : Darius, par sa fuite et les propositions inacceptables qu’il avait envoyées par lettre à Alexandre, courait à la mort, comme le veut d’ailleurs la tragédie. À l’hybris perse (orgueil, démesure) s’oppose la bienveillante modération macédonienne12. Surgit alors, à travers le témoignage de Statira, l’opportunité d’un dénouement moins sombre avec reddition de Darius et magnanimité d’Alexandre. Et paradoxalement cette lettre noircira le dénouement : alors que mea, ou la répétition des noms des deux protagonistes. Pourtant, et c’est là aussi un paradoxe, cet échange sur le ton de l’intimité porte sur la question de cette guerre, sur l’avenir politique et militaire des royaumes perse et macédonien. De la même façon que le timide personnage féminin de Statira gagne en importance, de la même façon Darius gagne en humanité, en s’attendrissant sur cet ultime témoignage affectueux qui lui vient de son épouse. Le lecteur / spectateur n’est en fait pas mis au contact de la traditionnelle lettre théâtrale qui affirme un amour absolu, prêt à braver le risque de la mort, mais à celui d’un témoignage reçu post mortem qui réaffirme, certes très sobrement, une affection par-delà la mort. Le texte se veut épistolaire puisque nous y trouvons par exemple employé l’imparfait épistolaire qui marquait l’antériorité du moment de la rédaction par rapport au moment de la lecture. À cela s’ajoutent certaines marques affectives, l’absence de réponse de Statira à Darius malgré les apparences du dialogue. Ce choix dramaturgique pose évidemment un problème à la représentation. De plus ce dispositif de lecture d’une lettre introduit, sur un même espace théâtral, deux temporalités et deux spatialités : le temps de l’écriture de la lettre et de l’agonie de Statira et le temps de la réception et de la lecture du message par Darius ; le lieu de « détention » de Statira et le lieu de refuge de Darius, deux lieux qui symbolisent en fait les deux camps entre lesquels le contact va être renoué par l’intermédiaire de cette missive et des souhaits que Statira y émet à propos d’Alexandre. 12. « La contenance (il ‘contient ses humeurs’) est une qualité essentielle chez les Grands de ce monde et notamment chez un roi, qui, contrairement au peuple dont ‘les saillies’ et les emportements sont fréquents et ordinaires, se maîtrise en toutes circonstances (marque d’une magnanimité absolue et d’un caractère au-dessus du commun presque ‘divin’ pourrait-on dire) », S. Chaouche, L’art du comédien. Déclamation et jeu scénique en France à l’âge classique (1629-1680), Paris, 2001, p. 58). Quand Pierre Mousson choisit comme source majeure les Vies de Plutarque, il en assume l’exemplarité, la leçon morale et la déformation historique pour donner une leçon particulière dans cette présentation d’un destin.

 Alexandre le Grand sur la scène jésuite à la fin du xvie et au 53 début du xviie siècle

tout devenait possible par la clémence macédonienne, le destin s’accomplira sous la forme de deux satrapes perses qui finiront par mortellement blesser le Grand Roi. Cette lettre elle-même, si brève soit-elle, contient son propre « coup de théâtre », qui survient à peu près en son milieu quand Statira désigne Alexandre comme seul successeur « acceptable » au règne de Darius13. Cet épisode dramatico-épistolaire est donc probablement une réussite de Pierre Mousson, à la gloire d’Alexandre. Pour ce faire, notre dramaturge n’a retenu, comme raisons de la mort de l’épouse perse, que celles qui permettaient de conserver tout le pathétique à cette scène alors que les historiens ont rassemblé plusieurs traditions très différentes, qui brisent l’image d’une Statira encore toute à son époux, protégée par la bienveillance d’Alexandre14. Le dernier extrait que nous choisissons d’évoquer nous permettra d’envisager la représentation de cette pièce, qui a été jouée à La Flèche15 entre 1606 et 1611, alors que son auteur y enseignait, et peut-être même déjà au collège de Pont-à-Mousson, en 1601, sous le titre Victoire d’Alexandre sur Darius et, en 1618, sous le titre Darius vaincu par Alexandre. Rien n’exclut qu’elle n’ait été jouée à d’autres moments ou en d’autres collèges, puisque ces textes théâtraux circulaient au sein de la Compagnie de Jésus. D’après certains indices, nous estimons que les textes composant les Tragœdiæ seu diversarum gentium et imperiorum magni principes ont été écrits et joués dès les années 1580, mais les traces conservées sont plus tardives.

13. Le ton n’est alors plus à l’attendrissement, mais à la surprise, à l’indignation, au déni, jusqu’à ce que soit donnée la justification d’un tel choix. De ce fait cette lecture / interprétation (au sens théâtral du terme) de la lettre permet un « parcours d’émotions » pour le personnage de Darius : surpris, attristé, attendri, louangeur, puis indigné, interrogateur face à cette vérité inattendue. Ce trouble se traduit d’ailleurs par une syntaxe totalement bouleversée dans les propos de Darius, par des répétitions inattendues de démonstratifs (hoc), alors que nous ne sommes plus face à un texte versifié. Cela peut déclencher des mouvements scéniques (tels des déplacements de Darius qui se rapproche ou au contraire s’éloigne brutalement de Statira), des gestes traduisant les différents sentiments éprouvés. 14. P. Briant, Darius dans l’ombre d’Alexandre, Paris, 2003, p. 418. 15. C. de Rochemonteix indique : « Musson montra à La Flèche la même fécondité poétique qu’à Pont-à-Mousson. Il fit successivement représenter quatre nouvelles tragédies : Pompée, Crésus délivré, Cyrus et Darius puni » (Un collège de jésuites aux xviie et xviiie siècles : le collège Henri IV de La Flèche, 1889, p. 87-88), ce qu’on retrouve dans l’ouvrage de J. Clère, Histoire de l’École de La Flèche, depuis sa fondation par Henri IV jusqu’à sa réorganisation en prytanée militaire impérial, La Flèche, 1853, p. 121-122 : « Arrivé à La Flèche, il fit jouer sur le théâtre de la salle des actes quatre drames historiques : Pompée, Crésus délivré, Cyrus puni et Darius trahi. » R. Rieks, à partir de la carrière de Pierre Mousson, confirme que les quatre tragédies publiées ont été jouées à La Flèche entre 1606 et 1611.

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Plusieurs témoignages concernent une pièce qui doit correspondre au Darius proditus de Pierre Mousson : un écolier, le comte Philippe d’Aremberg, Philippus scholasticus, fit seul les frais des prix, qu’il décerna lui-même sur le théâtre ‘on représenta successivement trois pièces fort goûtées et fort applaudies, Saint Paulin, Oenophile et la Victoire d’Alexandre sur Darius’. Afin d’éviter les murmures et les mutineries du petit peuple, on joua deux jours de suite cette dernière pièce, dont la mise en scène était merveilleuse ; on exposa sur le théâtre les dépouilles enlevées aux Turcs, par un héros lorrain, le duc de Mercœur16. le comte Philippe d’Aremberg, qui étudiait en rhétorique, fit seul la distribution des prix, qu’il décerna lui-même sur le théâtre. On joua une pièce intitulée la Victoire d’Alexandre sur Darius. La mise en scène fut remarquable : les acteurs étaient superbement habillés ; l’or et l’argent brillaient partout ; on tira la grosse artillerie de la place et l’on exposa sur le théâtre, à la vue de tous, pendant les deux jours que dura la représentation, les riches dépouilles enlevées aux Turcs par un héros lorrain, le duc de Mercœur17. Pierre Musson, S.  J., Darius vaincu par Alexandre, tragédie représentée en grande pompe deux jours consécutifs. Les bombardes prêtées par la ville célébraient la victoire du roi de Macédoine. Les dépouilles des Turcs vaincus par le duc de Mercœur, arrangées en trophées, décorèrent la scène pendant les deux jours 161818.

Même si certaines similitudes entre ces représentations sont étonnantes et proviennent assurément d’une confusion, il n’en apparaît pas moins que les moyens mis en œuvre pour certains spectacles étaient exceptionnels. Nous sommes donc loin de déclamations austères et figées, telles qu’on voudrait 16. L. Maggiolo, « Le théâtre classique en Lorraine (1574-1736) : répertoire chronologique et bibliographique » dans Mémoires de l’Académie Stanislas, Nancy, 1886, t. 4, p. 274. Sur le duc de Mercœur, voir Le duc de Mercœur, Les armes et les lettres (1558-1602), dir. E. Buron et B. Méniel, Rennes, 2009. 17. L. Maggiolo, Mémoires sur l’Université de Pont-à-Mousson. Inventaire chronologique et sommaire des pièces de théâtre représentées en Lorraine sur le théâtre de la Compagnie de Jésus de 1582 à 1736. Quatrième mémoire pour servir à l’histoire de Pont-à-Mousson, Paris, Imprimerie impériale, 1866, p. 89. 18. L. Desgraves, Répertoire des programmes des pièces de théâtre jouées dans les Collèges en France (1601-1700), Genève, 1986, p. 134, no 22. Ces indications figuraient dans l’appendice VI à la page 440 de l’Université de Pont-à-Mousson (1572-1768) d’E. Martin, Paris-Nancy, 1891. Sur le rôle de ces grands personnages, voir J. Hennequin, « Théâtre et société dans les pièces de collèges au xviie siècle (1641-1671) d’après vingt-sept programmes de la Province de Champagne des Pères Jésuites », dans Dramaturgie et société. Rapports entre l’œuvre théâtrale et son public aux xvie et xviie siècles, éd. J. Jacquot, Nancy, 1968, t. 2, p. 460.

 Alexandre le Grand sur la scène jésuite à la fin du xvie et au 55 début du xviie siècle

parfois nous faire imaginer ce théâtre. La magnificence des costumes et des décors des pièces représentées dans les collèges jésuites était fréquente et attira parfois la réprobation de la hiérarchie jésuite, qui se vit obligée d’intervenir et de conseiller de moindres frais pour ces représentations19. Attachons-nous davantage à des détails comme les costumes qui éclaireront le quiproquo qui se met en place dans Darius proditus en raison de la tenue portée par Héphestion et qui révèle un autre aspect, toujours valorisant, d’Alexandre : devant la richesse du costume du compagnon d’Alexandre, Sysigambe le confond avec Alexandre et l’implore à propos du sort de sa famille. Héphestion, par ses paroles, dénoue lui-même le quiproquo en en montrant la cause : « Aureae vestis nitor, / Habitusque celsus, decipit visus tuos. Regina, non sum Rex Alexander20. » Le costume de ce personnage devait apparaître comme exceptionnel aux yeux du public pour que la situation soit ainsi élucidée. Le faste de certains détails nous laisse imaginer l’ensemble qui se devait de plaire au public, notamment extérieur au collège, venu assister au spectacle et qui, dans sa diversité, ne se contentait pas toujours que de tels éléments soient évoqués seulement par des mots, suggérés. Ceci semble d’autant plus probable qu’en ce qui concerne les costumes, certains vêtements devenaient signe de reconnaissance tant aux yeux des personnages sur scène qu’aux yeux du public. En outre, l’anecdote choisie se prête parfois parfaitement au jeu scénique et à la complicité du lecteur / spectateur qui, lui, est suffisamment informé pour ne pas partager l’erreur d’un personnage. Ce quiproquo est en lui-même une petite anecdote rapportée par de nombreuses sources (Diodore, Quinte-Curce, Plutarque, Justin, Arrien), mais il offre aussi, par les costumes, les mouvements et les paroles qu’il implique, un jeu scénique riche et animé, avec rappel de répliques connues, telle la formule d’Alexandre, « hic Alexander quoque est » (v. 513, « cet homme est aussi Alexandre »). Pour les élèves, cet épisode fournit un sujet d’édification du type « l’habit ne fait pas le moine », qu’on trouvait déjà en latin sous la

19. S’appuyant sur les archives romaines de la Compagnie, F. de Dainville consacre quelques pages à la « dépense de la scène », qu’il introduit en disant : « Nous ne nous étonnerons pas […] que ces vastes ‘machines’ aient coûté fort cher et suscité, au long du siècle, les protestations réitérées des supérieurs majeurs de la Compagnie de Jésus, contre ‘les trop grands frais’ auxquels donnaient lieu les décors. » (L’éducation des jésuites, xvie-xviiie siècles, éd. M.-M. Compère, Paris, 1978, p. 502) Il évoque « un appareil extraordinaire » (p. 87), « une brillante mise en scène » (p. 89). 20. Darius proditus, v. 500-502 : « L’éclat de ce vêtement couleur d’or et cette fière mise trompent tes yeux. Reine, je ne suis pas Alexandre. »

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formule « barba non facit philosophum21 » et il met à nouveau en valeur la générosité d’Alexandre qui partage sa grandeur avec son ami le plus proche22. D’autre part, ce quiproquo est d’autant plus marqué qu’il s’accompagne de prosternations protocolaires23. Et la bienveillance d’Alexandre s’exprime non seulement dans ses paroles, mais aussi par son geste : il fait se relever la suppliante qui s’est alors tournée vers lui et il assure la famille de Darius de son respect et de sa protection. Il se montre d’ailleurs très attendri par les fils de Statira. Pareil attendrissement se retrouvera dans la scène finale : le pathétique s’y incarne notamment dans les deux fils de Darius, à propos desquels Alexandre s’attendrit jusqu’aux larmes24, en voyant leurs gestes pleins de tendresse enfantine lorsqu’ils découvrent le cadavre de leur père et s’adressent à lui. « Alexander ne lacrymis quidem ipse potuit temperare25. » Il pleure devant le cadavre de Darius, comme César le fera devant la tête de Pompée dans une autre tragédie du même recueil. Moment édifiant où le vainqueur ne peut se réjouir de la mort de son ennemi, mais pleure la mort d’un homme de valeur. Cette pièce nous présente un Alexandre magnanime. Cette magnanimité, cette « qualité dominante du héros dans la morale d’Aristote26 », attribuée notamment au roi de Macédoine en raison de « l’ampleur surhumaine de [ses] desseins27 », trouve habituellement sa place dans le théâtre. Elle est aussi présentée dans le théâtre des jésuites « comme un prélude de la vertu héroïque chrétienne28 ». Tel est certainement l’enseignement qui voulait être transmis aux élèves des collèges jésuites, souvent appelés à de futures fonctions 21. Le proverbe « La barbe ne fait pas le philosophe » venait du grec, on le trouve notamment chez Plutarque. 22. Héphestion passait aussi pour avoir le même âge et la même stature qu’Alexandre, ainsi qu’une grande vaillance au combat. La confusion n’est donc pas dépréciative pour le roi de Macédoine. 23. Darius proditus, v. 499-500 : « Respice afflictas tuis / pedibus iacentes », s’exclame la mère de Darius (« Veille sur celles qui gisent à tes pieds, terrassées de chagrin »). 24. Darius proditus, v. 577-579 : « Quid ? Imperator, ora laverunt tua / Lacrimae fluentes ? Flebilis gemitus tibi / Erupit uni ? » (« Quoi ? Général, les larmes qui coulaient ont baigné ton visage ? Toi seul as laissé échapper un gémissement de tristesse ? ») 25. Extrait de l’argument de l’acte V : Alexandre « en personne ne put même retenir ses larmes ». 26. Plutarque, Vies, IX, Alexandre-César, éd. R. Flacelière et É. Chambry, Paris, 1975, p. 5. 27. Ibidem. 28. M. Fumaroli, « L’héroïsme cornélien et l’éthique de la magnanimité », Héros et orateurs. Rhétorique et dramaturgie cornéliennes, Genève, 1990, p. 331.

 Alexandre le Grand sur la scène jésuite à la fin du xvie et au 57 début du xviie siècle

prestigieuses. On peut néanmoins s’étonner que le personnage n’ait pas été davantage présent sur la scène jésuite. Rares sont en effet les traces de pièces ou de représentations le concernant. Dans les collèges des provinces germaniques, quelques programmes ou quelques feuillets29 laissent deviner la trame de tragédies, d’une part, autour de la trahison de Philotas (en 1734 à Amberg30, en 1738 à Fribourg en Brisgau31, en 1741 à Trèves32…), d’autre part autour de l’affrontement Alexandre-Darius (en 1728 à Cologne33, en 1733 à Aix-la-Chapelle34, en 1749 à Juliers35…) et enfin autour du meurtre de Clitus (en 1702 à Vienne36, en 1720 à Soleure37…). Certains intitulés en l’absence de textes précis ne permettent pas d’en préciser avec certitude le contenu, tels l’Alexander Magnus à Linz en 169238 ou les Alexandri lachrymae (Les larmes d’Alexandre) à Eichstätt39 en 1758. Enfin, des comédies semblent avoir été écrites comme parodies du grand chef macédonien : que penser des douze

29. Voir J.-M. Valentin, Le théâtre des Jésuites dans les pays de langue allemande : répertoire chronologique des pièces représentées et des documents conservés (1555-1773), Stuttgart, 1983-1984. 30. Ibidem., p. 647, notice 4949. La pièce s’intitule Philotas Perduellis Tragoedia Das ist Philotae wider Alexander König in Macedonien verübte Treulosigkeit Einstens entedecket und mit dem Todt abgestraffet. 31. Ibid., p. 679, notice 5224. La pièce s’intitule Alexandri Magni Fortuna. Tragoedia Das ist Alexander der Grosse König in Macedonien Entgehet glücklich der wider Ihn durch den Philotas angesponnenen Zusammen-Verschwörung. Page de titre, argument et liste des personnages sont accessibles en ligne sur le site de la Zentralbibliothek de Zürich à l’URL http://www.e-rara. ch/zuz/content/titleinfo/7939979. 32. Ibid., p. 709, notice 5500. La pièce s’intitule Innocentia sero detecta in Philota Alexandri Magni supremo Duce. Tragoedia. 33. Ibid., p. 606, notice 4622. 34. Ibid., p. 640, notice 4892. La pièce est répertoriée sous le titre Alexander Magnus in Dario Persarum Rege devicto mage pius quam fortis. 35. Ibid., p.  773, notice 6071. La pièce s’intitule Pietas bis victrix duplici coronata lauro. Tragoedia duplex sive Alexander in Darium, Oedipus in Lajum victores pii. 36. Ibid., p. 465, notice 3545. L’auteur de la partition musicale correspondant à cette pièce était Johann Bernhardt Staudt. 37. Ibid., p. 555, notice 4235. Cette pièce est répertoriée sous un titre en allemand, Clitus von Alexander getötet, et sous le titre latin Clitus ab Alexandro magno inter epulas interfectus. 38. Ibid., p. 397, notice 3068. La pièce aurait été représentée à l’occasion d’une cérémonie de remise de prix et l’enseignant-dramaturge serait le Père Julius Salz d’après Josef Fröhler (« Zur Schauspieltätigkeit der Studenten am Linzer Jesuitengymnasium », dans Historisches Jahrbuch der Stadt Linz, 1955, p. 241). 39. Ibid., p. 851, notice 6769.

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scènes représentées à Landshut en 1734 sous l’intitulé Alexander parvulus magno major (Tout petit Alexandre plus grand que le Grand40) ? Patricia Ehl Université de Lorraine HISCANT-MA

40. Ibid., p. 651, notice 4983. La page de titre, l’argument et la progression scène par scène, la liste des acteurs et personnages sont consultables sur le site europeana.eu (URL : ader.digitalesammlungen.de/de/fs1/object/display/bsb10382335_00001.html). Voir plus loin notre article « Présence d’Alexandre sur la scène jésuite à la fin du xviie siècle et au xviiie siècle : titres et programmes de spectacles dans les provinces de Germanie ».

La naissance tragique d’Alexandre le Grand dans la Timoclée d’Alexandre Hardy Poète à gages et figure de proue du théâtre français dans le premier quart du xviie siècle, Alexandre Hardy rassemble une partie de ses pièces en plusieurs volumes à partir de 1624. Dans le cinquième et dernier d’entre eux, paru en 1628, prend place la tragédie Timoclée ou la juste vengeance, qui met en scène le personnage d’Alexandre le Grand. Dans sa carrière, le dramaturge lui consacre en réalité une trilogie puisqu’il compose trois tragédies s’attachant à divers moments de sa vie : Timoclée ou la juste vengeance, La mort de Daire et La mort d’Alexandre. Si l’ordre de publication des pièces ne suit pas chronologiquement le parcours d’Alexandre1, on peut émettre l’hypothèse que Timoclée ait été composée antérieurement aux deux autres : l’absence de division scénique des actes tout comme la présence de chœurs invitent à une telle analyse2. Hardy s’empare dans cette tragédie d’un sujet inédit sur la scène française : le viol et la vengeance de Timoclée, femme illustre et vertueuse, au début du règne personnel d’Alexandre, confronté à la rébellion de Thèbes et d’Athènes. Par son travail sur les sources antiques, l’auteur français construit un personnage de théâtre emblématique des évolutions dramaturgiques de son époque, et dessine en filigrane la figure d’un monarque idéal au travers du parcours tragique de son héros.

Combinaison des sources et parcours d’Alexandre Alexandre Hardy ne mentionne pas ses sources lorsqu’il publie Timoclée dans le tome V de ses œuvres complètes en 1628. Il est toutefois probable qu’il 1. La mort de Daire et La mort d’Alexandre sont parus en 1626, à Rouen, dans le tome IV du Théâtre d’Alexandre Hardy. 2. La datation des pièces d’Alexandre Hardy est particulièrement problématique au regard de l’absence de renseignements pour beaucoup d’entre elles, et les spécialistes sont partagés sur ce point. Selon Lancaster, Timoclée ferait partie des pièces composées entre 1605 et 1615 (H. G. Lancaster, A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, Baltimore, 1940, t. 1, p. 45). Les analyses de S. W. Deierkauf-Holsboer situent Timoclée en 1627 (« Vie d’Alexandre Hardy, Poète du roi : quarante-deux documents inédits », Proceedings of the American Philosophical Society, 91/4 (1947), p. 379). L’entrée d’Alexandre le Grand sur la scène européenne éd. Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas Turnhout, 2017, (Alexander Redivivus, 9) p. 59-74 © F H G

DOI 10.1484/M.AR-EB.5.113436

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ait puisé en partie son sujet chez Plutarque, que le dramaturge cite à propos de la Mort d’Alexandre dans le tome précédent de son théâtre paru en 16263. Les épisodes du viol et de la vengeance de Timoclée, qui tue son agresseur, sont relatés au chapitre 12 de la Vie d’Alexandre et les conséquences du sac de Thèbes sont évoquées au début du chapitre 13. Mais Hardy semble surtout avoir suivi de près le chapitre 24 des Vertus des femmes dans les Œuvres morales4 : entièrement consacré à l’héroïne éponyme dont il célèbre la vertu et le courage5, ce chapitre offre le récit le plus détaillé de l’événement. Cependant, les éléments empruntés ne constituent pas toute la matière de la pièce : les faits concernant Timoclée se trouvent regroupés dans les troisième, quatrième et cinquième actes, l’héroïne étant absente des deux premiers. Bien plus, le viol de la jeune femme n’intervient qu’à la fin du quatrième acte, elle accomplit sa vengeance au début du cinquième acte et ne comparaît devant Alexandre qu’à l’ultime fin de la pièce pour se voir rétablie dans son honneur par ce dernier. Si Plutarque est bien la source matricielle de la tragédie, Hardy a conféré une place plus importante au personnage d’Alexandre qui n’apparaissait qu’au moment de juger l’héroïne : le monarque est en effet présent aux premier, quatrième et cinquième actes. Pour ces ajouts, Hardy s’est sans doute tourné vers la Bibliothèque historique de Diodore de Sicile, qui fut traduite au xvie siècle par Jacques Amyot6 ; aux chapitres 8 à 17 du livre XVII, l’historien grec présente en détail la situation politique d’Athènes et de Thèbes lors de leur opposition à Alexandre et narre avec un réalisme pathétique le pillage de cette ville. Les dialogues entre Démosthène, Phocion et Léonide7 3. « Plutarque & Quinte Curce, d’où ce sujet est puisé, contenteront les curieux qui en desirent sçavoir davantage », Alexandre Hardy, La mort d’Alexandre, dans Le Théâtre d’Alexandre Hardy, Parisien, tome IV, Rouen, 1626, p. 77. 4. Plutarque, Œuvres morales, 259D-260D, éd. et trad. J. Boulogne, t. 4, Paris, 2002, p. 78-80. 5. On retrouve aussi une mention de Timoclée dans le chapitre 48 des Préceptes conjugaux dans les Œuvres morales de Plutarque. Il ne s’agit que d’une simple citation dans une énumération de femmes vertueuses par leur parure. Elle est présentée comme sœur de Théagène, sans autre précision. Voir Plutarque, Œuvres morales, 145E, t. 2, éd. et trad. J. Defrades, J. Hani et R. Klaerr, Paris, 1985, p. 165. 6. Dès 1535, Robert Macault traduisit les trois premiers livres de la Bibliothèque historique de Diodore à partir d’une traduction latine. Jacques Amyot viendra compléter ce travail dès 1554 en proposant une traduction complète depuis le texte grec. 7. Démosthène, Phocion et Léonide sont trois gouverneurs d’Athènes dans la pièce d’Alexandre Hardy. Le premier, adversaire farouche d’Alexandre, s’oppose au deuxième dont il ne partage pas la vision politique plus modérée. Léonide intervient pour tenter de montrer les dangers de la division politique.

La naissance tragique d’Alexandre le Grand dans la Timoclée 61 d’Alexandre Hardy

au deuxième acte trouvent là une partie de leur origine8, tout comme les échanges entre Phoenix et Prothyre, gouverneurs thébains, au troisième acte, et l’évocation du combat au quatrième acte. Les précisions que Diodore de Sicile fournit sur l’attitude d’Alexandre, ainsi que celles relatives à la résistance fière et héroïque des Thébains et aux hésitations d’Athènes, ont pu inspirer les tirades du personnage, notamment au premier acte, même si Hardy développe ce que les interstices de l’Histoire ont pu laisser vacant. Rien ne figure en effet concernant un dialogue entre Parménion, Perdice, Cratère, Antipatre et Alexandre à propos de l’attitude à adopter vis-à-vis de Thèbes et d’Athènes. Il en est de même pour la harangue d’Alexandre à ses troupes avant la bataille au quatrième acte. De prime abord, la pièce de Hardy rassemble des éléments divers dont la présentation offre une succession de tableaux ; celle-ci oblige à s’interroger sur le lien entre l’épisode précis de la vengeance de Timoclée, posé par le titre comme sujet de la pièce, et la liquidation par Alexandre de l’opposition thébaine et athénienne avant qu’il n’entame la conquête de l’Asie. En réalité, Hardy a disposé sa pièce de manière à insérer avec cohérence l’épisode de Timoclée dans la geste d’Alexandre, et ce, en s’appuyant sur certaines données précises des sources. Dans le chapitre 13 de la Vie d’Alexandre, Plutarque mentionne que la colère est à l’origine du pillage de Thèbes. Cette explication figurait déjà dans le chapitre 9 du livre XVII de la Bibliothèque historique de Diodore de Sicile, lorsque l’historien relatait la réaction d’Alexandre face au rejet de sa clémence par les Thébains9. Amyot, dans sa traduction, souligne la démesure de cette colère (ὑπερβάλλουσα ὀργή) : Dequoy Alexandre se sentant picqué au vif, en conceut un despit & un courroux extreme en son cueur, & conclut de faire aux Thebains tout le pis qu’il pourroit, suyvant laquelle deliberation estant griesvement indigné en son courage, il feit approcher ses machines & engins de batterie, & apprester toutes autres choses requises à battre & assaillir villes10.

8. Hardy s’est probablement aussi nourri de la Vie de Phocion et de la Vie de Démosthène de Plutarque. 9. « Ὅθεν ᾿Αλέξανδρος περιαλγὴς γενόμενος εἰς ὑπερβάλλουσαν ὀργὴν προῆλθεν καὶ πάσῃ τιμωρίᾳ τοὺς Θηβαίους μετελθεῖν ἔκρινεν », Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, Livre XVII, IX, 6, édition et traduction P. Goukowsky, Paris, 2002 [1976], t. 12, p. 19 (nous soulignons). 10. Jacques, Amyot, Sept livres des histoires de Diodore de Sicile, nouvellement traduit de grec en françois, A Paris, de l’Imprimerie de Michel de Vascoan, MDLIIII, p. 260 (nous soulignons).

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L’épisode de Timoclée, tel qu’il est inséré dans la pièce, illustre alors la cruauté d’Alexandre : celle-ci s’exerce par l’intermédiaire d’un capitaine qui viole la jeune femme, alors que le monarque a invité les soldats à ne faire preuve d’aucune mansuétude à l’égard des ennemis, quels qu’ils soient. Ainsi Alexandre réplique-t-il à Perdice qui réclame au quatrième acte une grande fermeté : J’enten que le pillage accompagné de flames Donne à Thebes le sort des antiques Pergames, Qu’il n’y ait terme aucun prescrit à butiner Sinon celuy qu’il faut à tout exterminer ; Que sans distinction ny de sexe ny d’âge Un deluge de sang me lave son outrage11.

Peu après, face aux soldats macédoniens, il prononce une harangue les invitant à se livrer à une vengeance sans merci : Bref, tout vous est permis sur ce peuple mutin, Que ma justice fait exemplaire victime. (acte IV, p. 76)

L’absence de distinction de sexe dans les victimes de sa vengeance annonce le viol de Timoclée, qui intervient à la fin du même acte. Ainsi Hardy lie-t-il explicitement le sort de l’héroïne à la destruction de Thèbes. Au travers de ce cas particulier, le dramaturge montre les conséquences de la colère excessive d’un vainqueur, sujet tragique par excellence si l’on se reporte aux définitions de la tragédie qui ont cours en ce début de siècle, notamment dans l’Art poétique français de Laudun d’Aigaliers en 1597 : Les choses ou la matière de la Tragédie sont les commandements des rois, les batailles, les meurtres, violements de filles et de femmes, trahisons, exils, plaintes, pleurs, cris, faussetés, et autres matières semblables12.

L’originalité de Hardy tient peut-être à ce qu’il ne donne pas simplement à voir les désastres des cruautés d’un vainqueur, mais qu’il montre aussi leurs

11. Alexandre Hardy, Timoclée ou la juste Vengeance, dans Le Theatre d’Alexandre Hardy, parisien, tome cinquiesme, contenant Timoclee, ou la juste Vengeance, Elmire, ou l’heureuse Bigamie, La Belle Egyptienne, Lucrece, ou l’Adultere puny, Alcmeon, ou la vengeance Feminine, L’Amour victorieux ou vengé, A Paris, chez François Targa, au premier pilier de la grand’Salle du Palais devant les Consultations, MDCXXVIII, acte IV, p. 70 (notre édition scientifique paraîtra prochainement dans Alexandre Hardy, Théâtre complet, t. 5, Paris, Classiques Garnier). 12. Laudun d’Aigaliers, L’art poétique français, livre V, ch. IV, éd. J.-C. Monferran, Paris, 2000, p. 202.

La naissance tragique d’Alexandre le Grand dans la Timoclée 63 d’Alexandre Hardy

implications sur le monarque lui-même dans son exercice du pouvoir. Au cinquième acte, il fait exprimer à son personnage un profond repentir : Ma propre experience aujourd’huy me l’apprend, Le destin trop cruel en l’ame deplorant D’une ville jadis si superbe de gloire Qu’en ce monceau pierreux reduit nôtre victoire, Sa desolation m’imprime un repentir Qui de l’ame jamais ne sçauroit plus sortir. (acte V, p. 106)

Hardy s’appuie encore une fois sur un passage du chapitre 13 de la Vie d’Alexandre qu’Amyot traduit ainsi : L’on dit bien que certainement il se repentit par plusieurs fois depuis, d’avoir ainsi miserablement exterminé les Thebains, & fut le regret qu’il en eut cause, que depuis il se monstra plus humain envers beaucoup d’autres13[…].

Ce repentir prend la forme de la clémence dont il fait preuve à l’égard de Timoclée, lorsqu’elle lui est amenée, mais concerne aussi Athènes et les Thébains. En ce sens, la pièce montre le parcours d’un jeune roi, impulsif et sujet à la colère, qui se convertit à la tempérance. Le titre s’explique par le rôle joué par Timoclée : victime de la cruauté d’Alexandre mais d’une vertu exceptionnelle, la jeune femme amène le souverain à prendre conscience de la nécessité d’une juste mesure dans l’exercice du pouvoir14. Cette évolution d’Alexandre est rendue possible par le travail que Hardy effectue sur les sources pour construire un personnage singulier qui oscille entre deux modèles dramaturgiques de héros.

13. Les Vies des hommes illustres grecs et romains, comparées l’une avec l’autre par Plutarque de Chæronee, translatees par M. Jacques Amyot Conseiller du Roy, &c par luy reveuës & corrigees en infinis passages, de L’imprimerie de Jacob Stoer, MDXCIIII, 438v. ; l’édition comporte des annotations de Simon Goulart, la première édition datant de 1582/1583. (« […] ὕστερον μέντοι πολλάκις αὐτὸν ἡ Θηβαίων ἀνιᾶσαι συμφορὰ λέγεται καὶ πρᾳότερον οὐκ ὀλίγοις παρασχεῖν », Plutarque, Vie d’Alexandre, 13, dans Plutarque, Les vies parallèles, éd. et trad. R. Flacelière et E. Chambry, Paris, 1975, t. 9, p. 44-45.) 14. Dans son article « Autour du traité de Plutarque Vertus des femmes (Gunaikôn Aretai) », P. Schmitt Pantel souligne que ces femmes « même lorsqu’elles accèdent à la valeur (arétè) chez Plutarque, ne peuvent prétendre à un discours semblable à celui qui est au cœur du Bios consacré au destin des hommes. En effet, les Vies (Bioi) sont en grande partie construites autour de la place jouée par le politique dans la destinée de chaque personnage, or ce domaine reste interdit aux femmes […] » (dans Clio. Histoire, femme et sociétés, 30 (2009), p. 47). Tel n’est pas le cas de la Timoclée d’Alexandre Hardy, qui, par son acte de vengeance héroïque, agit sur le comportement politique futur d’Alexandre.

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Alexandre à la croisée de deux modèles de héros tragique ? Le début de la tragédie nous présente Alexandre comme un jeune roi, héritier de son père : il est en quelque sorte un second Philippe. Agissant sous son égide du vivant de celui-ci, Alexandre se substitue à lui à sa mort. Après avoir célébré l’avènement d’Alexandre comme la venue d’un autre soleil15, le chœur des Macédoniens, à la fin du premier acte, présente la victoire comme assurée en raison de cette renaissance16. Par cette identification au père, Alexandre se voit paré d’emblée des mêmes vertus et qualités que ce dernier : glorieux, favori de la Fortune, courageux et aimant l’honneur. Qualités qui sont autant d’attentes de la part des Macédoniens comme le suggère l’emploi de l’expression « Qui ne peut […]  / Selon l’apparence moins être ». Ces qualités transparaissent dans la bouche d’Alexandre au premier acte lors de son dialogue avec Perdice, Cratère, Antipatre et Parménion : Et si, comme on le tient, la terre a d’autres mondes Qui peuplent opposez ses entrailles profondes, Mon courage veut là monstrer que son pouvoir D’impossible n’a rien qu’il puisse concevoir, Q’en ces braves desseins la Fortune luy cede, Que chez elle un effet ma volonté precede. Or de bons fondements requis à bien bâtir Avisons prevoyants & d’heure à divertir L’orage factieux de ces voisins rebelles Toujours prests d’embrasser toutes choses nouvelles, « Paravant que d’autruy entreprendre le bien, « Le sage veut & doit estre asseuré du sien. (acte I, p. 3)

Au désir de conquêtes militaires pour satisfaire son ambition de gloire et révéler son courage – au-delà même des obstacles de la fortune –, à la fermeté politique face aux ennemis rebelles s’ajoute la prudence. Hardy lui prête en cela des traits de caractère que Plutarque met en évidence notamment dans la Fortune d’Alexandre de ses Œuvres morales. Monarque philosophe – ce à quoi peut 15. Hardy, acte I, p. 21 : « Mais l’eclypse de ce soleil / Un autre nous a fait renaître, / Qui ne peut (soulas nompareil) / Selon l’apparence moins étre : / Qui plein de gloire & de bonheur, / Qui d’une vertu sans seconde / Pour se rendre maître du monde / N’a moins de courage & d’honneur. » 16. Acte I, p. 22 : « Changeons nos cyprés en lauriers, / Puis qu’un Philippes se ranime / Dans le vif portrait genereux / Qui fit dessous ce prince sage / Un chef d’œuvre en l’apprentissage / Et nous rend à jamais heureux. »

La naissance tragique d’Alexandre le Grand dans la Timoclée 65 d’Alexandre Hardy

renvoyer le terme de « sage » dans la citation –, Alexandre y est aussi présenté comme faisant preuve de bravoure (ἀνδρεία17), de courage (ἀνδραγαθία18), de fermeté d’âme (καρτερία19), de magnanimité (μεγαλοψυχία20), de puissance (δύναμις21), d’intelligence (σύνεσις22), de vertu (ἀρετή23). Ce dernier terme regroupe l’ensemble des qualités précédentes auxquelles s’adjoignent la prudence (εὐβουλία24) et la tempérance (exprimée par les termes de σωφροςύνη25, μετριότης26, ἐγκράτεια27). Or, en ce début de pièce, Alexandre est saisi au sortir de l’apprentissage paternel. Hardy nous offre donc la mise à l’épreuve de ces traits de caractère vertueux qu’on lui prête et qu’il semble afficher, et plus particulièrement celui de la tempérance, alors même que Plutarque souligne aussi sa propension naturelle à la colère lorsqu’il recourt à l’adjectif θυμοειδής28 (au sens d’énergique, irascible). Élève d’un illustre père29, il est devenu roi par la force des choses à un âge précoce ; sa jeunesse et sa moindre expérience sont des fragilités ou des défauts – selon que l’on se place du point de vue des Macédoniens ou de leurs ennemis – que le dramaturge exploite pour donner naissance à un personnage à la croisée de deux modèles héroïques. Alexandre a, en effet, conscience de sa situation de novice politique et se tourne pour cela vers ses capitaines plus expérimentés : Nous de qui Jupiter est l’exemple & le pere, Tirons ne plus ne moins un notable secours De ceux dont la valeur n’empesche le discours, Qui piliers d’un Estat ont dans l’experience Appris de l’agrandir la divine science, 17. Plutarque, La fortune d’Alexandre, I, 1 ; I, 11 ; II, 6 ; II, 7. 18. Ibidem, I, 4 ; I, 9. 19. Ibid., I, 1. 20. Ibid., I, 4. 21. Ibid., I, 9. 22. Ibid., I, 4. 23. Ibid., I, 9 ; II, 3 ; II, 5 ; II, 7. 24. Ibid., I, 1. 25. Ibid., I, 1 ; I, 4 ; I, 11 ; II, 6. 26. Ibid., I, 9. 27. Ibid., I, 11 ; II 4 ; II, 12. 28. Ibid., II, 7. 29. Perdice, capitaine d’Alexandre, mentionne au premier acte la présence de ce dernier dans le sillage paternel : « Ce Philippe, l’honneur des Monarques du monde, / Qu’un seul fils en vertus plus qu’humaines seconde, / Trembla victorieux repensant au danger / Où Mars en un clin d’œil fut prêt de le plonger, […] », acte I, p. 6.

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Florence de Caigny Qui capables de tout, qui sages & vaillants, D’un soleil glorieux sont les astres brillants. En telle qualité ma jeunesse reduite A prendre d’un Empire aujourd’huy la conduite, Qui ne peut subsister que parmy les combats, (D’un Monarque guerrier delicieux ébats) S’implore, chers amis, vos suffrages fideles, Conjure à ce besoin la ferveur de vos zeles A m’applanir le nœu de ces difficultez, A dire maintenant tour à tour consultez Quels utiles moyens asseurent ma Couronne Que d’ennemis couverts tout un monde environne, Que la Grece mutine envie à son bonheur […]. (acte I, p. 2)

Cette attitude suggère qu’il n’a pas le sentiment d’avoir acquis l’expérience suffisante pour prendre avec sureté une décision dans la conduite des affaires. En ce sens, il s’apparente à un avatar de héros aristotélicien, ni tout à fait bon, ni tout à fait méchant : il n’est que vertueux en puissance en raison de sa jeunesse impulsive. Or, aux yeux de ses ennemis, cette inexpérience devient un défaut qui conduit à remettre en cause ses capacités de roi, et ses vertus : il n’est qu’un « enfant » présomptueux qui veut dicter sa loi. Et sa jeunesse, associée à l’emportement, n’est que source de folie : on trouve là un qualificatif tragique qui suggère la démesure dans le tempérament et les actions et qui renvoie à un modèle de héros dont l’ethos est tout entier contenu dans son pathos, à l’instar des héros de la tragédie humaniste héritière des « monstres de Sénèque30 ». Démosthène, adversaire juré du père comme du fils, est le plus vindicatif dans ses propos. Il dénonce sa jeunesse : La Grece devenir esclave dessous luy ? Prendre loy d’un enfant ? desirer son appuy ? Le croire Capitaine au sortir d’une école ? Craindre les mouvements de sa jeunesse folle ? (acte II, p. 30)

Il souligne à plusieurs reprises sa violence excessive : il le qualifie de « jeune téméraire », de « monstre », de « fléau » n’aspirant qu’à « un désir de vengeance insatiable », et dénonce « les fureurs de ses premiers efforts » (acte II, p. 26-27). Enfin, alors que les ambassadeurs d’Alexandre viennent réclamer ceux qui le fustigent en paroles, il le compare avec un loup : 30. Expression que nous empruntons au titre de l’ouvrage de Florence Dupont, Les monstres de Sénèque, Paris, 1995.

La naissance tragique d’Alexandre le Grand dans la Timoclée 67 d’Alexandre Hardy Remarquons, citoyens, qu’une pure manie En idee sur nous repaît sa tirannie : Sa cruauté déja proscrit ceux d’entre vous Qui gardent le troupeau de la rage des loups, Sa cruauté déja se choisit pour victimes Ceux de qui les vertus il convertit en crimes, Desordre auquel on doit dessur l’heure pourvoir A peine de tomber captifs sous son pouvoir. (acte III, p. 38-39)

La comparaison épique avec le loup permet à Hardy de souligner dans la bouche de son personnage la fureur qui anime Alexandre. Celui-ci est un « monstre » criminel en puissance et, politiquement, un tyran opprimant la liberté. Le chœur des Athéniens à la fin du deuxième acte reprend les mêmes arguments en le désignant par le terme « d’enfant » (acte III, p. 38-39) ; il associe également l’inexpérience d’Alexandre à une grande violence qui ne respecte rien et qui est redoutée, comme en témoignent les comparaisons épiques avec un « jeune lyon » aux « forces outrageuses31 » ou avec un « torrent » impétueux32 : en cela, il ne serait que le digne héritier d’un père qui ne savait « vaincre ses passions33 ». Une telle vision amène le chœur à remettre en cause ses compétences de monarque et les fondements sur lesquels sa réputation repose : Son peu d’experience à conduire une armee, Son bonheur qui ne gît qu’en la temerité, Sa reputation qui n’est qu’une fumee, Et le Ciel qu’il ne peut n’avoir point irrité ; Presagent dedans peu sa ruïne future, […] (acte III, p. 43)

Même constat dans la bouche de Prothyre, gouverneur thébain, ou dans les propos du chœur des Thébains au troisième acte. Prothyre reprend l’image du loup pour qualifier l’attitude d’Alexandre : alors que le souverain réclame

31. Acte III, p. 44 : « Mais d’un jeune lyon les forces outrageuses / Nous abaissants d’espoir élevent sa fierté. » 32. Acte III, p. 44 : « Chacun craint ce torrent, & le laisse roûler. » Le chœur des Athéniens dénonce l’attitude de ceux qui restent passifs face à Alexandre, par peur devant sa force et sa violence. Partant, Hardy souligne qu’Alexandre est perçu comme redoutable, jouant ainsi sur l’ambiguïté d’un personnage aux vertus héroïques mais possédant en lui une part de violence. 33. Acte III, p. 42 : « Que Philippe receut la juste recompense / Du Prince qui ne sçait vaincre ses passions, / Qui sous ombre du Sceptre aux crimes se dispense, / Et opprime le faix de ses oppressions. »

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par la voix d’un héraut que lui soient livrés Phoenix et Prothyre34, ce dernier se dit prêt à se rendre si cela peut « repaître la faim du loup qui la [la cité de Thèbes] ravage » (acte III, p. 63), loup dont il souligne la « déloyauté », niant ainsi toute vertu de sincérité à Alexandre. Quant au chœur, il refuse « la sujettion d’un enfant » (p. 57) et, face aux exigences d’Alexandre, dénonce les prétentions de sa « folle jeunesse » (p. 63), sa « temerité trop heureuse » à qui il doit sa réputation et le qualifie d’« ambitieux ». Si, dans le camp athénien, Phocion se montre plus nuancé que Démosthène – auquel il s’oppose sur l’attitude à adopter vis-à-vis d’Alexandre –, il n’en demeure pas moins que le gouverneur d’Athènes souligne son caractère emporté qui fait de lui un être redoutable : O persuasions vainement ridicules, Des Cercopes chez nous déguisez en Hercules Proposent l’impossible, à vouloir affronter Un de qui le regard suffit à les domter ; Un de qui de père en fils captive la fortune, Et jamais d’un souhait deux fois ne l’importune ; Un lyonceau sans cesse à la proye beant, Auquel de resister on tâche pour neant : Veu qu’un monde guerrier assiste son courage, Que Nestor de prudence en l’auril de son âge Tout cede, tout succede aux desseins qu’il conçoit, Quiconque veut l’avoir ennemy se deçoit, Un peu d’humilité charme sa violence, L’empéchant de passer jusques à l’insolence Familière aux vainqueurs coup sur coup irritez. (acte II, p. 24-25)

Rappelant la filiation d’Alexandre avec un père favori de la fortune, Phocion souligne certes sa jeunesse fougueuse et susceptible de violence par la comparaison avec le lionceau. Mais il évoque aussi une forme de prudence, lorsqu’il identifie le jeune homme à la figure homérique de Nestor : cette impétuosité naturelle n’est donc pas sans limite et ne va pas jusqu’à l’insolence. En ce sens, le portrait de Phocion se rapproche de l’image que le monarque donne de lui-même au premier acte. Le gouverneur d’Athènes ne gomme pourtant pas une violence qui est latente et pourrait se dévoiler si elle était provoquée : Mon esprit affligé dessur ce soin travaille, Sans découvrir au mal de remede qui vaille : Car d’autant qu’Alexandre abonde en vieux routiers, 34. Ce sont les deux gouverneurs thébains dans la pièce.

La naissance tragique d’Alexandre le Grand dans la Timoclée 69 d’Alexandre Hardy Sa jeunesse qui suit leur conseil volontiers, Jamais ne cessera que Thebes revoltee Ne r’entre sous le joug de sa force indomtee ; Jamais n’écoutera nôtre legation, Qui repugne à sa gloire & à sa passion : Et on divertiroit avec quelque houssine D’un vieil Palais tombant l’effroyable ruine, Plûtôt que de pouvoir le desastre empécher, Qu’à la faim d’un lyon telle proye arracher. (acte II, p. 33)

Ainsi, sans nier sa jeunesse, Phocion lui confère la sagesse de se tourner vers ses conseillers expérimentés, tout en y associant une force hors norme, un désir de gloire et un caractère passionné, trois sources de danger. Ce n’est plus dès lors un lionceau, mais un lion qui tient lieu de comparaison. Quelques vers plus loin, il utilisera l’image du « frelon dangereux » (p. 40) pour convaincre Démosthène du danger potentiel qu’il y aurait à provoquer ce caractère emporté. Dans les trois premiers actes de sa pièce, Hardy place donc son héros en face d’un choix : se laisser guider par sa propension à la colère ou faire preuve de tempérance. Cette situation est le résultat de la construction d’un personnage de monarque qui oscille entre deux modèles dramaturgiques : celui du tyran furieux et celui d’un monarque potentiellement vertueux s’il maîtrise sa nature irascible. C’est par l’expérience de la démesure qu’Alexandre Hardy donne à voir dans les deux derniers actes la conversion de son héros en roi juste et mesuré.

De la sortie tragique de l’ombre paternelle à l’avènement politique La situation politique est inédite pour Alexandre car Athéniens comme Thébains refusent de céder face à une clémence que son père a pourtant expérimentée avec succès par le passé35. Devant ce rejet et cette obstination, qu’il

35. Acte I, p. 4-5 : « La douceur paternelle apres ce coup d’orage / Voulut de ces ingrats captiver le courage, / Mais en vain, ses bienfaits ne cueillirent depuis / Qu’une obstination, qu’un revolte de fruits, / Sa clemence ne fit qu’accroître leur audace : / Et bien que je poursuive, usant de mesme grace, / Ces communes chez qui regne l’ambition, / Matiere disposee à la sedition, / Autre chose n’attend que ses forces reprises, / Pour former contre nous diverses entreprises, / Et presume que l’âge emporte à ma valeur / Qu’à ne rien deferer il ira trop du leur. »

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juge coupables36, Alexandre se voit dans l’obligation d’asseoir son pouvoir par la force, tout en soulignant la nécessité d’une sanction juste : Justes occasions qui demandent nos armes, Qui veulent que tels feux s’éteignent dans les larmes, S’éteignent dans le sang de deux rogues citez, Afin d’en retrancher les troubles suscitez, Afin que la frayeur d’une equitable peine Les autres au devoir à mesme temps rameine, Que delà sans obstacle invincibles guerriers On aille l’Univers épuiser de lauriers. (acte I, p. 5-6)

Mais son impatience, sa recherche immédiate de la gloire et son refus de paraître couard s’il temporise37 le poussent à agir sans retenue et à se venger d’une manière cruelle. Cette impatience, que Hardy emprunte à Diodore de Sicile38, balaie les quelques scrupules qu’Alexandre formule et les mises en garde d’Antipatre et de Perdice. Alors qu’Antipatre a déjà invité Alexandre à faire preuve de modération au premier acte39, Perdice, au quatrième, insiste sur la nécessité de fuir toute source de remords et de repentir40. Il renchérit alors sur les seules exceptions à sa cruauté qu’Alexandre se disait disposé à faire, au nom d’une maxime qu’il ne respectera pas et qui sonne dans la bouche du souverain comme une ironie tragique : Toutesfois en faveur des Muses nous voulons La famille épargner d’un de ses Apollons, 36. Diodore de Sicile précise que les Thébains se ruèrent à l’assaut, « avec plus de courage que de prudence » au chapitre 10 du livre XVII de sa Bibliothèque historique (éd. cit., p. 20). 37. Acte I, p. 12 : « L’incertitude aussi que ce conseil nous donne / Ma gloire à qui la veut butiner abandonne, / Le suivre nous retient à l’ombre casaniers / D’une coüarde peur esclaves prisonniers  […]. » 38. Cette intempérance trouve ses origines chez Diodore de Sicile, Hardy adaptant un détail qui intervient après l’écrasement de Thèbes. Alors que ses capitaines lui conseillent de différer son départ pour l’Asie, le temps d’avoir un héritier, Alexandre refuse. Jacques Amyot insiste sur l’impatience lorsqu’il rend l’expression « δραστικὸς ὢν καὶ πρὸς πᾶσαν πράξεως ἀναβολὴν ἀλλοτρίως διακείμενος » par « luy qui estoit ardent, & ne pouvoit endurer que l’on luy feist remettre ni dilater son entreprise » ( Jacques Amyot, éd. cit., p. 263 recto ; Diodore de Sicile, livre XVII, XVII, 2, éd. cit., p. 27). 39. Acte I, p. 7-8 : « Pratiquons ces moyens plus humains, plus capables / De mettre un repentir en des ames coupables, […]. » 40. Acte IV, p. 71 : « Joint que quelque courroux qui transporte le sage / Il fuit un repentir qui l’attend au passage, / Il donne à ce cheval farouche un rude mors, / Capable d’eviter la peine du remors, / Capable de tenir le lustre de sa gloire / Toûjours en meme état, soit vengeance ou victoire. »

La naissance tragique d’Alexandre le Grand dans la Timoclée 71 d’Alexandre Hardy D’un Pindare qui fut la trompette choisie Au loüanges de ceux que repaît l’ambroisie, Tel cygne éteint encor, auec des chants si dous Qu’ils r’animent les morts, le feu de mon courrous. Chacun de vous aussi pourra si bon luy semble Donner une franchise à ses hôtes ensemble, Sans obmettre quiconque aura d’affection Reprouvé les complots d’une sedition, Quiconque à mon sujet refusa son suffrage A l’unique motif de ce commun naufrage ; Car perdre sans égard coulpable & innocent Trop d’une cruauté brutale se ressent. (acte IV, p. 70, nous soulignons)

L’image d’un monarque mécène et mesuré s’efface pour laisser place dans la suite de l’acte à celle d’un chef de guerre furieux haranguant ses soldats. Alexandre lui-même se présente alors le « foudre en main » (acte IV, p. 68), symbole d’une puissance le mettant sur un pied d’égalité avec Jupiter ; et il ajoute à cette image celle du torrent, comparaison utilisée précédemment par ses ennemis : Quels remparts composez de la matiere méme Que Jupiter choisit pour son trône supréme, Peuvent de nos efforts le foudre soûtenir ? Peuvent de ce torrent la cheute prevenir ? (acte IV, p. 73)

La reprise à son compte de ces deux comparaisons montre de façon effective son entrée dans une démesure qui confine à l’arrogance dans le défi qu’il lance à Jupiter, lorsqu’il assure pouvoir détruire les remparts de Thèbes. Ainsi le jeune Alexandre, monarque inexpérimenté en politique, sort-il de l’héritage paternel de manière tragique. Pourtant, il ne s’agit que d’un état transitoire dont l’expérience lui permet de revenir vers la vertu à la fin de la pièce. Ayant passé outre cette crainte d’une « cruauté brutale », il constate dans le dernier acte les conséquences funestes de sa colère. Celles-ci ont été mises en valeur par les évocations du sac de Thèbes, que Hardy place dans la bouche du chœur des Thébains, et par l’invitation au pillage total de la cité, que formule un Antipatre devenu belliqueux et cruel, à l’instar d’Alexandre. Sources de pathétique pour le spectateur, elles justifient le remords profond qu’exprime ensuite Alexandre par le biais de deux comparaisons. La première évoque la présence d’une « couleuvre » ou d’un « funeste animal » dans une prairie fleurie, la seconde signale la présence d’« épines douloureuses » au milieu des actions humaines heureuses (acte V, p. 106). Ces images, qui symbolisent les difficultés d’un monarque dans l’exercice du pouvoir, transcrivent

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aussi la reconnaissance a posteriori d’une faute. Celle-ci ne se situe pas dans la punition elle-même – cette dernière relève, à ses yeux, de la nécessité politique – mais dans l’excès de sa mise en œuvre, ce dont témoigne l’expression « la fureur d’un courrous équitable » (p. 107). La faute est d’autant plus grave qu’elle touche à l’impiété en raison de l’inhumanité qui caractérise cet excès ; ainsi s’explique l’adresse d’Alexandre aux dieux et plus particulièrement à Bacchus, protecteur de Thèbes, à qui il demande pardon dans une terminologie toute chrétienne, dont relève également le terme « repentir ». Si Perdice l’innocente et le qualifie de magnanime en raison de la reconnaissance de sa cruauté et de la formulation d’un regret, Alexandre expie sa faute dans les faits par le choix de la clémence, tant envers les Athéniens et les Thébains, qu’envers Timoclée dont le procès vient parachever la conversion du jeune monarque impulsif en Alexandre le Grand. Il se positionne en effet en roi-juge, posture récurrente pour un personnage de roi dans une tragédie41. Mais il précise immédiatement à l’héroïne qu’elle trouvera en lui un juge exempt de passions : Dites, mais en trois mots, quel sujet legitime Pourroit justifier un si malheureux crime ? Juge sans passion, vous obtenez de moy Tout ce que l’on sçauroit de l’équité d’un Roy. (acte V, p. 110, nous soulignons)

Il fait ainsi le premier pas vers la tempérance en quittant tout ce qui pourrait relever du pathos belliqueux dont il a fait preuve à l’égard de ses ennemis avant le sac de Thèbes. Mais, en jugeant Timoclée, il ne fait pas tant le procès de son violeur que le sien propre, puisque le capitaine thrace n’a fait qu’exécuter la punition sans merci ni distinction de sexe qu’il a commandée au quatrième acte. Son verdict de clémence vaut expiation de sa faute et manifeste sa conversion à l’humanité et la magnanimité : Allez, chaste Amazone, une palme en la main, Divulguer d’un vainqueur le traitement humain, Qui ne desire plus de semblable victoire, Pleine de repentir plus qu’elle n’est de gloire. (acte V, p. 112)

Cette grandeur d’âme repose sur la reconnaissance du bien-fondé de la tempérance et sur sa mise en œuvre au travers de la clémence. Le personnage d’Alexandre retrouve ainsi l’équilibre entre les différents traits de caractère

41. L’on peut songer ici notamment à la posture d’Agamemnon dans la Troade de Garnier (1579), lorsqu’il juge Hécube, captive des Grecs, qui vient d’aveugler Polymestor, responsable de la mort de son fils Polydore.

La naissance tragique d’Alexandre le Grand dans la Timoclée 73 d’Alexandre Hardy

que Plutarque lui prête dans le chapitre 11 du livre I de la Fortune d’Alexandre et qu’Amyot traduit ainsi : Aussi voit-on és gestes d’Alexandre, que sa vaillance est humaine, & son humanité vaillante, sa liberalité mesnagere, sa cholere facile à appaiser, ses amours temperées, ses passetemps non oyseux, ses travaux non sans addoucissement. Qui est celuy qui a meslé la feste parmy la guerre, les expeditions militaires parmy les jeux ? Qui a entrelassé parmy les sieges des villes, parmy les exploicts d’armes les joyeusetez Bacchanales, les nopces, les chansons nuptiales d’Hymenée ? Qui fut oncques plus ennemy de ceux qui sont font injustice, ne plus gracieux aux affligez ? Qui fut jamais plus aspre aux combattans, ne plus equitable aux suppliants42 ?

Après avoir été un Achille dont on ne pouvait apaiser la colère selon Antipatre43, Alexandre est devenu un Hercule qui emprunte le chemin de la vertu44. À l’issue de la pièce, le personnage de théâtre construit par Hardy a rejoint le héros décrit par Plutarque, par l’expérience tragique du manque de tempérance. Alexandre le Grand est né et le héros issu de cette conversion est prêt à incarner le monarque, conquérant magnanime et civilisateur de la légende, comme en témoignent les vers sur lesquels la pièce s’achève : Nous r’entrons au conseil tenu sur les appréts Requis à visiter & à joindre de prés Un barbare aveuglé dedans son opulence, Dont le Ciel par nos mains veut punir l’insolence, Dont le Ciel par nos mains étouffera l’orgueil, Pour tirer desormais la Grece de son dueil. (acte V, p. 112) 42. Amyot, op. cit., p. 310 v-311 (« ἰδεῖν γοῦν ἔστιν ἐν Ἀλεξάνδρῳ τὸ μὲν πολεμικὸν φιλάνθρωπον, τὸ δὲ πρᾶον ἀνδρῶδες, τὸ δὲ χαριστικὸν οἰκονομικόν, τὸ δὲ θυμικὸν εὐδιάλλακτον, τὸ δ´ ἐρωτικὸν σῶφρον, τὸ δ´ ἀνειμένον οὐκ ἀργόν, τὸ δ´ ἐπίπονον οὐκ ἀπαραμύθητον. τίς ἔμιξε πολέμοις ἑορτάς; τίς δὲ κώμοις στρατείας; τίς δὲ πολιορκίαις καὶ παρατάξεσι βακχείας καὶ γάμους καὶ ὑμεναίους; τίς ἀδικοῦσιν ἐχθρότερος ἢ δυστυχοῦσιν ἡμερώτερος; τίς μαχομένοις βαρύτερος ἢ δεομένοις εὐγνωμονέστερος », Plutarque, Œuvres morales, La fortune d’Alexandre, éd. cit., p. 127). 43. Acte IV, p. 69 : « Il est vray que jadis ma priere inutile / S’efforça d’adoucir le courrous d’un Achille […]. » 44. Dans les comparaisons mythologiques utilisées pour décrire Alexandre, on peut remarquer que l’on passe de la figure d’Achille à celle d’Hercule. Avant la victoire, le chœur des Macédoniens souligne qu’il est déjà devenu un « vif pourtrait » d’Alcide ; le chœur fait ici référence à Hercule, en tant que dompteur de monstres. Il en est de même après la victoire, lorsqu’Antipatre décrit les Thébains comme des « monstres terracez sous nôtre jeune Hercule » (ibid, p. 83). En terrassant les monstres, Hercule est perçu comme un civilisateur, image qu’endosse Alexandre à la fin de la pièce de Hardy ; enfin, la posture d’Alexandre en début de tragédie peut être rapprochée de la figure d’Hercule à la croisée des chemins entre vice et vertu.

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En puisant chez Plutarque et Diodore de Sicile, Hardy compose une pièce dont la disposition cohérente offre à contempler l’accès d’un jeune roi impulsif à une maturité politique fondée sur la vertu de tempérance. Cette trajectoire repose sur la construction d’un personnage à la croisée de deux modèles dramaturgiques : si Alexandre se rapproche dans sa cruauté des héros sénéquiens tels qu’on peut les trouver dans la tragédie humaniste du xvie siècle, il est aussi, à l’ouverture de la pièce, un héros aristotélicien en puissance, ni tout à fait bon, ni tout à fait méchant. Oscillant de l’un à l’autre, le personnage témoigne des évolutions de la tragédie de cette période, où l’influence du dramaturge latin se voit questionnée pour être remise en cause à partir de la fin des années 1620. On sait que Hardy fera alors l’objet d’attaques virulentes de la part d’une jeune garde critiquant l’archaïsme de ses modèles45. Pièce emblématique d’un théâtre qui commence à chercher ses propres règles en interrogeant le modèle majeur sur lequel il s’est appuyé jusqu’à présent, Timoclée offre peut-être aussi l’exemple d’un personnage plus nouveau en fin de pièce : Alexandre le Grand, héros né tragiquement, est alors bien plus digne d’admiration pour son évolution qu’il ne fait l’objet, à l’issue des cinq actes, d’une condamnation digne de susciter la pitié et la crainte. La pièce de Hardy invite ainsi à une méditation sur la pratique du pouvoir dans son rapport parfois nécessaire avec la violence : la garantie contre toute tyrannie inique et sans limite se situe dans la pratique de cette σωφροσύνη mise en avant par Plutarque. Ce faisant, le dramaturge brosse en filigrane le portrait d’un monarque idéal, juste et tempéré dans ses différentes fonctions : chef de guerre valeureux et stratège habile, souverain soucieux de sa gloire mais non orgueilleux, pieux, vertueux, pratiquant la justice et protégeant les arts. Florence de Caigny Université de Paris-Sorbonne CELLF 16-18 45. Dans la préface du tome V de son Théâtre (1628), Hardy rappelle ses positions esthétiques en se plaçant en héritier de Ronsard et de la tragédie humaniste marquée par Sénèque. Il s’en prend avec virulence à Du Ryer et Auvray dont les comédies ont remplacé ses pièces. Sans les citer directement, il qualifie ses adversaires de « petits avortons aveuglés » ou « d’excréments du barreau » (Dotoli, p. 178). Du Ryer et Auvray répliquent par Les lettres à Poliarque et Damon (1628) auxquelles Hardy répond par la Berne des deux Rimeurs de l’Hôtel de Bourgogne, en forme d’apologie contre leurs impostures (1628) où il se place dans le sillage du « bon Sénèque suivi de Garnier » (Dotoli, p. 207). Les critiques s’inscrivent plus largement dans la querelle sur les règles qui fait rage entre 1628 et 1634, elles portent sur les fondements même de l’écriture dramaturgique de Sénèque : style, abondance de sentences, longueur excessive des récits de messagers et des descriptions. Pour plus de précisions, on se reportera à l’ouvrage de G. Dotoli, Temps de préfaces, Paris, 1996 et à nos analyses dans Sénèque le Tragique en France (xvie-xviie siècle), Paris, 2011, p. 461-475.

Portrait du prince sur la scène humaniste : Alexandre dans les tragédies de Jacques de La Taille Les tragédies Daire et Alexandre de Jacques de La Taille sont moins connues et ont fait l’objet de beaucoup moins de commentaires, par la critique savante, que celles de son frère Jean, également auteur de deux tragédies, Saül le Furieux et La famine ou les Gabéonites, ainsi que d’un traité intitulé De l’art de la tragédie, lequel est considéré aujourd’hui comme le plus important ouvrage théorique sur le théâtre écrit en français au cours du xvie siècle1. Pourtant, les pièces de Jacques de La Taille offrent une remarquable cohérence thématique et dramaturgique, dans la mesure où elles représentent toutes deux les circonstances dramatiques de la chute de personnages historiques illustres, Darius et Alexandre le Grand, dont les destins croisés ont donné lieu à de nombreux récits et commentaires depuis l’Antiquité. Les deux pièces, qui forment une sorte de diptyque, ont été rédigées aux alentours de 15612, mais publiées beaucoup plus tardivement, en 1573, par Jean de La Taille. Jacques 1. Daire et Alexandre ont été publiées dans la première édition de la deuxième tragédie de Jean de La Taille, La Famine, ou les / GABEONITES, / Tragedie prise de la Bible, & / suivant celle de Saül. / Ensemble plusieurs autres Oeuvres poëtiques de / IEHAN DE LA TAILLE de Bondaroy gentil- / homme du pays de Beauce, & de feu Iaques de la / Taille son frere, desquels œuvres l’ordre se void en la / prochaine page. / A PARIS. / Par Federic Morel Imprimeur du Roy. / M. D. LXXIII. / Avec Privilege dudit Seigneur. La première édition de Saül le furieux date de 1572, édition dans laquelle on retrouve également son traité théorique De l’art de la tragédie : SAUL LE FURIEUX, / Tragedie prise de la / BIBLE, / Faicte selon l’art & à la mode des / vieux Autheurs Tragiques / PLVS, / Vne Remonstrãce faicte pour le Roy Charles IX. / à tous ses subiects, à fin de les encliner à la paix.  / AVEC  / Hymnes, Cartels, Epitaphes, Anagrammatismes, / & autres Qeuvres d’un mesme autheur. / A PARIS / Par Federic Morel Imprimeur du Roy / M.D.LXXII. / Avec Privilege dudit Seigneur. Sur les premières éditions des tragédies de Jean et de Jacques de La Taille, consulter K. M. Hall et C. N. Smith, « The Early Editions of the Tragedies of Jean de la Taille », Kentucky Romance Quarterly, 20 (1973), p. 73-88. 2. Jacques de La Taille aurait écrit trois autres tragédies (Athamant, Progné, Niobé), que son frère n’a toutefois pas jugé bon de publier. À ce sujet, voir l’épître au lecteur précédant le Recueil des inscriptions, anagrammatismes, et autres œuvres poétiques de Jacques de La Taille, publié dans la première édition de Saül le furieux : « Jean de La Taille de Bondaroy au lecteur » dans Saül le furieux, Paris, Federic Morel, 1572, fol. 72 v-73 r. L’entrée d’Alexandre le Grand sur la scène européenne éd. Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas Turnhout, 2017, (Alexander Redivivus, 9) p. 75-87 © F H G

DOI 10.1484/M.AR-EB.5.113437

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Louise Frappier

meurt en effet peu de temps après avoir écrit ses pièces, foudroyé par la peste à l’âge de vingt ans. La production littéraire de Jacques de La Taille, grand admirateur de Joachim Du Bellay et élève de Dorat3, est peu abondante, mais ses pièces sont parmi les premières tragédies à l’antique à être publiées en français, avec celles de Jacques Grévin4 et d’Étienne Jodelle5. Les premiers théoriciens de la tragédie ayant élaboré une conception du genre reposant sur la mise en scène de la chute d’un personnage de haut rang6, l’histoire d’Alexandre le Grand s’avérait un sujet tout à fait approprié pour qui souhaitait faire revivre ce genre théâtral à la Renaissance, tout comme celle de Darius, d’ailleurs, le roi perse ayant essuyé une défaite qui mènera à la fin de l’empire achéménide et à l’établissement de la domination macédonienne. La mise en scène des morts respectives de Darius et d’Alexandre dans le diptyque de Jacques de La Taille crée un effet de rapprochement dans l’esprit du lecteur, car le traitement tragique des derniers instants des deux monarques met en relief des similitudes : le contraste entre une vie caractérisée par la puissance et une mort lamentable, contraste prétexte à une réflexion moralisante sur le caractère éphémère des biens terrestres et la nécessité, pour les Grands de ce monde, de ne pas s’enorgueillir de leur puissance. À cet égard, les tragédies de Jacques de La Taille s’avèrent très représentatives du corpus tragique humaniste, qui se caractérise par la mise en scène de protagonistes qui sont souvent rois ou chefs d’état : ainsi, Robert Estienne définit la tragédie comme « [u]ne sorte d’ancienne moralité ayant les personnages de grans affaires, comme roys, princes, et autres, et dont l’issue estoit tousjours piteuse7 ». La comparaison avec la moralité inscrit d’emblée le genre dans une perspective didactique : la tragédie propose des exemples de comportement moral et politique dans des situations de crise susceptibles d’amener une réflexion sur l’ethos du souverain.

3. « Et apres qu’il eut ouy par mon conseil ce grand Lecteur en Grec Iean Dorat, il monstra un entendement si subtil, delicat, & tellement aguisé, qu’il comprenoit facillement les Autheurs Grecs & Latins, non seulement les mots, la langue, & l’ecorce, mais l’art, le sens, & la moelle. » (« Jean de La Taille de Bondaroy au lecteur » dans Saül le furieux, fol. 71 r) Voir aussi C. N. Smith, « Introduction », dans Jean de La Taille, Alexandre, Exeter, 1975, p. v. 4. La tragédie César de Jacques Grévin fut publiée en 1561 dans un recueil intitulé Le theatre de Jaques Grevin de Clermont en Beauvaisis, chez Vincent Sertenas et Guillaume Barbé. 5. Cléopâtre captive et Didon se sacrifiant ont été publiées en 1574, dans Les œuvres et meslanges poétiques d’Estienne Jodelle, sieur du Lymodin (premier volume), chez N. Chesmeau et M. Patisson. 6. À ce sujet, voir P. Leblanc, Les écrits théoriques et critiques français des années 1540-1561 sur la tragédie, Paris, 1972. 7. Robert Estienne, Dictionarium Latinogallicum, Paris, 1552, p. 1324.



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Il s’agira donc d’examiner la dimension exemplaire du personnage d’Alexandre dans les deux tragédies, ce dernier apparaissant comme une figure importante tant dans Daire que dans Alexandre. En effet, la tragédie Alexandre constitue, en quelque sorte, la suite de Daire, la mort du roi perse représentant un point tournant dans la vie d’Alexandre, lequel devient, par la suite, le maître du monde. Il nous semble que ces deux tragédies présentent un portrait héroïque en deux temps du roi macédonien : si, dans Daire, le roi perse sert de faire-valoir à Alexandre afin de mettre en relief la puissance guerrière de ce dernier, la tragédie Alexandre donne plutôt à voir la force morale du conquérant macédonien, à l’heure de sa mort. Bien que le personnage d’Alexandre ait connu une fortune littéraire considérable depuis l’Antiquité, on ne peut en dire autant de Darius, que l’on évoque toujours dans « l’ombre » de son célèbre vainqueur8. Le peu que l’on sait de Darius provient en effet de documents relatant d’abord les hauts faits de son adversaire. Il est le dernier grand roi de l’empire achéménide ; son court règne s’étend de 335 à juillet 330, alors qu’il est assassiné par ses proches, à un moment où il tente de reconstituer une armée, après la défaite de Gaugamèles, en octobre 331, contre les troupes d’Alexandre ; c’est en effet sous le règne de Darius qu’Alexandre entreprend, au printemps 334, la conquête des territoires qui constituent l’empire perse. Si l’on ajoute que Darius fut défait une première fois, à Issos, en novembre 333, à la tête de ses armées, se dégage l’image d’un vaincu qui ne put et ne sut résister au conquérant macédonien : « [L]a ‘mémoire perdue’ [de ce] Grand roi tient au fait que son action ne peut être appréhendée qu’à travers des textes consacrés à la figure d’Alexandre, selon un diptyque très déséquilibré, qui ramène Darius au rang de ‘figurant de la geste d’Alexandre’ ou de contre-modèle9. » Les auteurs qui l’évoquent « entendent, d’abord et avant tout, parler d’Alexandre, soit pour le porter aux nues, soit pour en condamner les vices et les excès, et, de toute façon, pour en relater la carrière et les exploits10 ». La tragédie Daire de Jacques de La Taille, qui comporte cinq actes entrecoupés par les chants du chœur, se concentre sur les derniers instants, empreints de tension dramatique et de pathétique, qui précèdent la mort de Daire, en s’inspirant fortement des Histoires de Quinte-Curce, des Vies parallèles de 8. C’est le titre de l’ouvrage que Pierre Briant lui a consacré (Darius dans l’ombre d’Alexandre, Paris, 2003, p. 16) : « [A]ucun auteur de l’Antiquité n’a [en effet] cru utile de faire du dernier Grand roi perse le personnage principal d’un récit ou d’une vie. » 9. P. Payen, « L’ombre des Grecs », Revue de philologie, de littérature et d’histoire anciennes, 78/1 (2004), p. 142. 10. P. Briant, Darius dans l’ombre d’Alexandre, op. cit., p. 16.

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Plutarque (dont une traduction française par Amyot avait été publiée dès 1559) et, surtout, de l’Abrégé des histoires philippiques de Trogue-Pompée de Justin, ouvrage qui fut traduit par Guillaume Michel en 1552. Au début de la pièce, dans un monologue dont on ne trouve toutefois pas trace chez les historiens antiques, le roi déplore sa situation malheureuse, en invitant le lecteur à méditer les aléas de la Fortune et la condition précaire des princes. Dans la scène suivante, Daire, tenté par le découragement, se laisse toutefois convaincre par Artabaze, son second, d’affronter encore une fois les troupes d’Alexandre, bien qu’il concède déjà la victoire à ce dernier. L’acte II révèle l’existence d’un complot fomenté contre le roi par Nabarzane et Bessus (personnages évoqués par Quinte-Curce), lesquels souhaitent tirer profit de l’âme tourmentée du roi pour le destituer. Lorsque Daire apprend l’existence du complot qui le menace, à l’acte III, sa colère cède rapidement la place au pardon devant les remords des traîtres, remords qui s’avéreront toutefois faux, car l’acte suivant met en scène le triomphe des conspirateurs et la destitution de Daire, dorénavant captif. Bien que mis au fait des manœuvres des conspirateurs par Patron, le capitaine des soldats grecs, qui lui offre sa protection, Daire choisit d’affronter la mort, incapable, dit-il, de triompher d’une fortune qui lui est, de toute évidence, si contraire. Tenté par le suicide, il décide toutefois d’attendre, avec passivité, la suite des événements. L’armée, laissée à elle-même, se rallie massivement aux Bactriens menés par Bessus et Nabarzane. L’eunuque Bagoas fait le récit de la capture de Daire et de la défaite de l’armée perse. Le roi a en effet été fait prisonnier et, dénudé et dépouillé de ses attributs, placé sur un char. Au dernier acte, Alexandre, dont l’arrivée sur scène est préparée par le chœur, à la fin de l’acte IV, lequel fait l’éloge de sa bonté, de sa justice et de sa clémence, apprend par la bouche de Polystrate la triste fin du roi, qui est mort, seul, dans les bois. Dans ce passage, pour lequel Jacques de La Taille s’est manifestement inspiré du récit de la mort du roi élaboré par Justin, les dernières paroles de Daire sont pour Alexandre, à qui il demande vengeance pour l’affront qu’il a subi. Après avoir promis de venger le roi, Alexandre manifeste le désir d’offrir à Daire une sépulture digne de ce grand roi. La dernière intervention du chœur, à la fin de la tragédie, exalte la grandeur d’Alexandre ainsi que sa vertu, qui le rend digne de « régir l’Univers11 ». Dans cette tragédie, La Taille présente un portrait en demi-teinte de Daire, en empruntant certes plusieurs éléments aux récits de Quinte-Curce et de 11. Toutes les citations sont tirées de l’édition suivante : Jacques de La Taille, Daire, éd. M. G. Longhi dans La tragédie à l’époque d’Henri II et de Charles IX, Première Série, t. 4, dir. E. Balmas et M. Dassonville, Florence et Paris, 1986, v. 1679.



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Justin, mais en inventant aussi des scènes et des discours qui permettent de représenter le roi sous un jour assez favorable. Le choix de ne mettre en scène que la courte période se situant entre la défaite de Daire à Gaugamèles et sa mort, qui survint le 30 juillet 330 avant J-C., permet au dramaturge de passer sous silence les moments les plus embarrassants de l’existence de Daire, tels que ses nombreuses fuites devant les troupes d’Alexandre, ou encore la mise à mort injuste de son conseiller Charidème (racontée, entre autres, par Quinte-Curce), lequel lui avait suggéré de soudoyer les troupes d’Alexandre, sous peine de perdre la guerre. Il se dégage de la tragédie l’image d’un Daire vertueux, car juste et clément, mais réfractaire au combat et à la guerre, hésitant et faible de caractère. Troublé par ses revers de fortune et empreint d’une humilité qui se manifeste dès le début de la tragédie, Daire peine en effet à prendre des décisions et à affronter l’adversité avec courage, ce dont témoignent quelques passages de la pièce. Dans la deuxième scène de l’acte I, devant la supériorité manifeste d’Alexandre, Daire choisit malgré tout de combattre plutôt que de fuir, mais ce, au terme d’un long débat avec son conseiller Artabaze. Lorsqu’il apprend, à l’acte II, le plan fomenté par les conspirateurs qui cherchent à le déposer, le roi perse, d’abord furieux, se laisse convaincre, à l’acte suivant, par les (fausses) paroles de repentir des traîtres. Constatant par la suite que Bessus est bel et bien en train de le trahir, et placé devant l’avancée inexorable des troupes d’Alexandre, Daire choisit d’aller au-devant de la mort, bien que son ami Artabaze l’exhorte à avoir courage, et, à ne point se laisser aller au désespoir (v. 1047-1048) : « Soyez plus ferme encontre la Fortune, / Que le rocher contre l’onde importune. » À l’acte IV, à la suite de la trahison de ses proches, il refuse d’abandonner son armée pour se placer sous la protection des soldats grecs, acceptant dès lors, avec force lamentations, le sort que lui réservent ses ennemis. Au quatrième acte, Daire révèle à son eunuque son intention de mettre fin à ses jours, mais ce dernier le dissuade de le faire, car, dit-il, c’est bien plutôt le geste d’un homme lâche, de peu de cœur, et qui ne peut endurer son infortune, que celui d’un homme courageux. Au moment d’être fait prisonnier, Daire se résigne et affronte, en larmes, le malheur qui l’accable. Dans sa dédicace au chevalier François de Dangenes, Jean de La Taille souligne le caractère didactique de la tragédie de son frère, en présentant d’emblée Daire comme un « grand Monarque trahi, et bouleversé du haut en bas de son Empire, avec la perte de sa vie et des siens », et dont l’histoire peut permettre […] d’apprendre à supporter plus patiemment (par le malheur d’un plus grand) toutes nos adversités, ensemble toutes les piteuses et sanglantes

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Louise Frappier Tragédies, qu’on a depuis dix ou douze ans jouées sur l’échafaud de France, et durant le commun malheur de nos Guerres civiles, où les uns et les autres avons porté les armes malheureuses, teintes en notre propre sang12.

Dans la tragédie, Daire présente lui-même son destin comme susceptible d’instruire les princes, et ce, dès le premier acte. La première scène est en effet composée en entier d’un monologue du roi perse qui constitue un commentaire sur sa destinée et une exhortation aux chefs d’État à envisager cette destinée comme un exemplum : Celui qui sur le sceptre entièrement se fie, Et qui sa destinée outrecuidé défie, Celui que la Fortune en son heur amadoue, En le faisant grimper au faîte de sa roue, Qui presque adoré, qui enivré d’orgueil, Fait le monde crouler avec un clin d’œil : Celui celui me voit, et que par mon exemple Le pitoyable état des Tyrans il contemple. (v. 1-8)

Celui qui fut le Roi des Rois et qui était redouté de tous est dorénavant banni, en fuite et accablé d’ennuis. Sa situation est l’occasion d’une réflexion sur les revers que la Fortune fait subir aux puissants, et tout particulièrement aux plus orgueilleux d’entre eux. La leçon morale est ainsi énoncée dès le début de la tragédie ; le pouvoir étant par nature éphémère (« Puisqu’il n’y a grandeur qui ne vienne à décroître », v. 33), les plus sages ne le convoiteront pas ou ne s’y attacheront pas outre mesure. Le sage tirera un plaisir des plus mesurés de sa puissance. Le message s’adresse tout particulièrement à Alexandre, que Daire interpelle directement, bien qu’il soit absent de la scène, établissant ainsi un parallèle entre leurs deux destinées (v. 39-40) : « Garde qu’en un moment la Parque ne renverse / Ton Empire naissant, comme celui de Perse. » La deuxième tragédie de La Taille, intitulée Alexandre, mettra justement en scène ce deuxième renversement, occasionné par la chute du conquérant macédonien. La tragédie Daire brosse donc un portrait pathétique du roi perse, dont la destinée, caractérisée par la perte d’un pouvoir et d’une félicité immenses, donne lieu à une méditation sur l’adversité. Cette tragédie propose également un idéal de royauté, lequel n’est toutefois pas incarné par Daire, mais par Alexandre, dont la personnalité énergique, qui domine toute la pièce, offre 12. J. de La Taille, « À François de Dangenes Chevalier, Seigneur de Monlouët, Jean De la Taille de Bondaroy », dans La tragédie à l’époque d’Henri II et de Charles IX, éd. cit., p. 293.



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un contraste saisissant avec celle de Daire13. Dans Daire, Alexandre est en effet présenté comme un être extrêmement combattif, à même de dompter la Fortune. Dans une longue harangue à ses soldats, à l’acte V, il exhorte ses troupes à l’aider à venger l’affront fait au roi perse (v. 1443-1444 et 1519-1520) : « Je ne cesserai point que Besse je n’aborde, / Et que sous moi la terre, en mourant, il ne morde. […] Allons, allons lui faire, ô Princes magnanimes, / Payer les châtiments de ses forfaits et de ses crimes. » Son discours révèle son désir de conquérir le monde (v. 1455-1456) : « Que le fer on revête, / Encor n’avons-nous fait toute notre conquête. » Alexandre se présente comme un guerrier courageux et audacieux qui ne craint « le fer ni la grêle des dards » (v. 1542). Sa renommée est déjà bien établie, comme en témoigne le chœur des soldats perses (v. 1341-1342) : « Le nom d’ALEXANDRE aux alarmes / Nous fait trembler plus que ne font les armes. » Ce chœur accepte toutefois de bon gré de se soumettre au vainqueur, car « [l]equel de nous ignore / La bonté de son cœur, / Et sa justice encore, / Alors qu’il est vainqueur ? / […] / C’est raison qu’on se rende / À un Prince si doux » (v. 1375-1378 et 14071408). Ainsi, Alexandre apparaît comme un modèle de force et de puissance, mais aussi comme un prince juste et clément. Son orgueil et son ambition, qui constituent la dimension plus sombre de sa fougue guerrière, sont toutefois également révélés et ces caractéristiques seront à nouveau soulignées dans Alexandre, la deuxième tragédie de Jacques de La Taille, pour laquelle il a puisé aux mêmes sources que pour Daire. C’est à Justin que La Taille emprunte, en particulier, les circonstances de la mort d’Alexandre. En accord avec le modèle tragique qui se constitue dans les années 1550-1560, La Taille concentre en effet l’action dramatique de sa pièce sur les derniers moments de la vie de son protagoniste. L’action se déroule à Babylone, et la tragédie, divisée en cinq actes, relate d’abord les exploits extraordinaires du personnage, par le biais d’un échange dialogué avec son courtisan Cléon. Ce dernier, en évoquant les conquêtes innombrables d’Alexandre, l’invite à inciter le peuple à célébrer son culte, tel un Dieu sur terre. Toute la scène, qui occupe le premier acte en entier, expose l’ambition incommensurable du conquérant de même que son orgueil, attisé par les propos flatteurs de Cléon. Le second acte révèle de plus le courage et la soif de gloire d’Alexandre, lors d’un dialogue d’abord avec un prophète chaldéen, qui, en lui annonçant sa mort prochaine, le conjure de fuir ce destin funeste, ensuite avec le philosophe Aristarque, qui l’encourage à mépriser ces super­ stitions, sous peine qu’on le traite de lâche, conseil qu’Alexandre s’empressera 13. C. N. Smith, « Introduction », dans Jacques de La Taille, Alexandre, Exeter, 1975, p. xi.

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de suivre. Au troisième acte, les trois fils d’Antipatre, l’un des grands généraux d’Alexandre, fomentent l’assassinat du roi, coupable d’ambition et de tyrannie. « Courage, massacrez le massacreur d’autruy, / Comme aux autres il fait faictes ainsi à luy14 », ainsi Cassandre exhorte-t-il ses frères, tout en soulignant qu’ils connaîtront la gloire en risquant leur vie pour détruire celle d’un tyran. Il reproche à Alexandre ses voluptés et son comportement efféminé, de même que ses prétentions à une origine divine et l’instauration d’un culte de sa personne. À l’acte IV, les conspirateurs apparaissent de nouveau sur scène après avoir administré un poison à Alexandre, en se réjouissant de sa mort prochaine (v. 841-843) : « Maintenant que les Dieux l’ont culbuté d’enhaut, / Qu’il advertisse autruy, que jamais il ne faut / Pour les vaines faveurs du monde s’enorgueillir. » Après leur départ, la longue agonie d’Alexandre occupe toute la scène, laquelle emprunte de manière évidente à celle d’Hercule dans la tragédie Hercule sur l’Œta de Sénèque. Le désespoir s’empare momentanément de lui, de même que la tentation du suicide, mais Sigambre, la mère de Daire, ainsi que Saptine, l’épouse d’Alexandre, l’incitent à surmonter sa souffrance (v. 1012) : « Soyez de vos maux, comme de tout, vainqueur. » Au dernier acte, Alexandre émerge d’un long sommeil durant lequel un songe prémonitoire lui a révélé sa mort prochaine. Dorénavant apaisé, il prédit sa gloire immortelle, de même que le chaos qui succédera à sa disparition, les meurtres de ses successeurs, les séditions, les guerres civiles et la mort des siens. Il annonce ainsi l’effondrement de son empire et la disparition du monde qu’il a construit. Ses derniers instants, qu’il compare à ceux d’Hercule, sont caractérisés par une force d’âme et une sérénité nouvelles. Comme le souligne Christopher Smith, Jacques de La taille offre ainsi, tout comme dans la version de Justin, une interprétation de la mort d’Alexandre qui en fait la conclusion héroïque de sa carrière15. L’acte V se termine sur les propos élogieux de Sigambre (avant qu’elle n’expire) à propos de la générosité d’Alexandre envers les vaincus, et sur les lamentations de Saptine devant l’étendue de son propre malheur. Perdice, fidèle ami d’Alexandre, se fait consolateur en évoquant le destin enviable du roi, dont l’âme reposera dorénavant aux Champs Élysées. Tout au long de la pièce, le chœur des soldats d’Alexandre intervient entre les actes ; après avoir célébré la paix retrouvée, il exprime sa nostalgie du pays natal, en déplorant la mauvaise influence 14. Toutes les citations sont tirées de l’édition suivante : Jacques de La Taille, Alexandre, Exeter, 1975, v. 545-546. 15. C. N. Smith, ibidem, p. xv.



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exercée par Babylone, et se réjouit du départ imminent vers la Macédoine. La mort d’Alexandre, ce roi « si humain et si dous » (v. 1038), vient anéantir ces projets et les soldats craignent pour la survie de l’empire de même que pour leur propre vie. Dans son dernier discours, le chœur, à la fin de la tragédie, se réjouit de la gloire qui accompagnera à tout jamais le nom d’Alexandre. La tragédie Alexandre de Jacques de La Taille montre donc un conquérant qui s’enorgueillit de son immense pouvoir, séduit par la perspective d’être l’objet d’un culte divin, mais qui, devant son impuissance à éviter une mort rien moins que glorieuse et indigne de son courage, acquiert, au prix d’une lutte contre le désespoir et l’attachement aux biens terrestres, une grandeur nouvelle, par l’acceptation résignée de son sort. À l’image d’Hercule, sa capacité à se vaincre lui-même lui assure une gloire immortelle. S’il ne faut pas occulter, dans le concert de voix élogieuses que présente le dénouement, la discordance du discours des conspirateurs à l’acte III, conspirateurs qui l’accusent, entre autres crimes, de tyrannie et de démesure, l’on peut toutefois constater que la tragédie construit une représentation héroïsée d’Alexandre en montrant, littéralement, sa transfiguration exemplaire. L’épreuve d’une mort déshonorante lui révèle la vanité des biens mondains et lui fait renoncer à ses fantasmes de divinisation (v. 921-924) : « Ô Jupiter dy moy, / Reconnois-tu ton fils ? Mais, ô moy fol, pourquoy / L’appelle-je mon pere ? Il n’est, il n’est plus nostre, / Philippe est mon vray pere, et n’en faut chercher d’autre. » De fait, c’est la profonde humanité d’Alexandre que révèle la représentation de sa mort, par l’exhibition de la souffrance physique et psychologique qui accable celui qui, après s’être rendu maître du monde, est réduit à la plus grande impuissance. Elle révèle de même la grandeur du personnage, capable de surmonter, au prix d’un effort herculéen, l’ultime épreuve. Dans Daire et Alexandre, la mise en scène de la mort respective des deux rois crée un effet de rapprochement dans l’esprit du lecteur, car le traitement tragique des derniers instants des deux monarques met en relief des similitudes : le contraste entre une vie caractérisée par la puissance et une mort lamentable, contraste prétexte à une réflexion moralisante sur le caractère éphémère des biens terrestres et la nécessité, pour les Grands de ce monde, de ne pas s’enorgueillir de leur puissance. Mais la destinée des deux monarques, quoique semblable, n’est toutefois pas identique. En fait, tout se passe comme si les deux tragédies de Jacques de La Taille construisaient, en montrant

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l’ascension et la chute du roi macédonien, un portrait héroïque d’Alexandre qui s’appuie sur le concept aristotélicien et stoïcien de « magnanimité16 ». Dans les Seconds Analytiques, Aristote présente la magnanimité comme étant dédoublée en deux espèces distinctes : Je veux dire, par exemple, que si l’on cherchait ce qu’est la magnanimité, il faudrait considérer chez certaines personnes magnanimes que nous connaissons le caractère unique qu’elles ont en tant que telles. Par exemple si Alcibiade, Achille et Ajax sont magnanimes, quel est le caractère unique qui leur est commun ? C’est de ne pas pouvoir tolérer une insulte, ce pour quoi l’un a fait la guerre, l’autre s’est mis en colère, le dernier s’est suicidé. Et il faut faire à nouveau la même chose chez d’autres comme Lysandre ou Socrate. Si donc ils ont comme caractère indifférencié leur indifférence à la fortune, bonne ou mauvaise, prenant ces deux formules je considère ce qu’ont d’identique l’insensibilité au sort et l’incapacité à supporter le déshonneur. S’il n’y a rien, on aura deux espèces de magnanimité17.

Aristote distingue ainsi la grandeur d’âme de Socrate et de Lysandre, qui est une vertu de résistance, une impassibilité devant les vicissitudes de la fortune, de la magnanimité d’Achille, d’Ajax et d’Alcibiade, qui s’avère, quant à elle, une vertu offensive, un courage impétueux, une incapacité à supporter un affront sans vengeance, un sens pointilleux de l’honneur. Dans l’Éthique à Nicomaque, Aristote n’utilise toutefois le terme de magnanimité que dans sa première acception. N’est magnanime, en effet, que « celui qui estime mériter de grandes faveurs et qui en est digne18 ». Or, la plus grande des faveurs est l’honneur, « puisque c’est le principal égard dont les grands se jugent dignes19 ». Le magnanime, puisqu’il est digne des plus grandes faveurs, est donc un homme de bien. La magnanimité suppose même toutes les vertus, car ce sont elles qui, dans le jugement du magnanime, justifient l’honneur auquel il a droit : [Le magnanime] sait qu’il possède en soi la vertu et il sait que l’univers tout entier avec tous les biens qu’il renferme, n’est pas assez pour payer sa vertu. […] être magnanime c’est, parce qu’on a conscience de sa vertu, affirmer, face au monde, sa grandeur d’homme et son droit à la domination de l’univers. […] Que le magnanime possède le monde […], c’est l’ordre normal des 16. Comme le souligne Marc Fumaroli, « [l]e portrait du Magnanime, tel qu’il est tracé dans l’Éthique à Nicomaque, est resté jusqu’en plein xviie siècle la basse continue de l’idée occidentale du héros » (Héros et orateurs. Rhétorique et dramaturgie cornéliennes, Genève, 1996, p. 323). 17. Aristote, Seconds Analytiques, trad. P. Pellegrin, Paris, 2005, p. 313 (II, 13, 97b). 18. Aristote, Éthique à Nicomaque, trad. R. Bodéüs, Paris, 2004, p. 196. 19. Aristote, Éthique à Nicomaque, ibidem, p. 197-198.



Portrait du prince sur la scène humaniste 85 choses, c’est la règle, c’est le droit. Et pourtant, le monde peut se refuser à lui. Le Destin peut lui refuser noblesse et beauté, pouvoir, richesse, honneur […]. Mais c’est en vain que le sort s’acharnera sur lui. Il ne parviendra pas à détruire son bonheur, à troubler sa sérénité20.

Le magnanime aristotélicien s’avère donc capable, à l’image de Socrate, d’atteindre le bonheur malgré les vicissitudes de l’existence. R.-A. Gauthier a bien montré à quel point le stoïcisme réservera une place de choix au concept de magnanimité21. La conception romaine de la magnanimité renouera toutefois avec la dichotomie proposée par Aristote dans les Seconds Analytiques en opposant la magnitudo animi des historiens latins (tels que Salluste et César) à la magnanimitas d’inspiration stoïcienne, défendue par Cicéron : « [l]a magnitudo animi […], c’est la libéralité qui répand à profusion ses bienfaits, c’est la clémence indulgente aux fautes d’autrui, c’est la vaillance guerrière et c’est l’ambition grandiose22 », alors que la magnanimité stoïcienne enseigne « le mépris des choses humaines et exclu[t], par là, le goût de l’action pour ellemême23 ». Dans les Lettres à Lucilius de Sénèque, cette dernière se caractérise par le mépris des biens extérieurs, seule protection contre les coups du sort. Les deux tragédies de Jacques de La Taille semblent avoir été construites de façon à mettre en scène la « magnanimité » d’Alexandre, d’abord, dans Daire, par l’exhibition de l’énergie combative du conquérant, puis, dans Alexandre, par l’acquisition, par le monarque, d’une sagesse nouvelle, à teneur stoïcienne, qui trouve à s’exprimer au moment de sa mort. Si Daire constitue la monstration éclatante des vertus guerrières d’Alexandre, lequel y est révélé comme un chef d’état habile à manier les armes, à diriger des hommes et à gagner des batailles tout autant qu’à punir ses ennemis, la tragédie Alexandre, quant à elle, le montre sous un nouveau jour, conquérant de soi-même par l’acceptation sereine de son destin. Ce faisant, la tragédie offre l’illustration spectaculaire du caractère éphémère des bienfaits de la Fortune que constitue le tracé de la destinée de ce personnage légendaire. En circonscrivant l’action dramatique autour du passage du bonheur au malheur d’un être d’exception, comme le suggère Aristote, La Taille expose au spectateur la nature périssable des biens terrestres, mais il prescrit de même une attitude constante face à l’adversité, une maîtrise de soi exemplaire. La tragédie Alexandre, en se conformant au 20. R.-A. Gauthier, Magnanimité. L’idéal de la grandeur dans la philosophie païenne et dans la théologie chrétienne, Paris, 1951, p. 86 et  88. 21. Ibid., p. 119-164. 22. Ibid., p. 167. 23. Ibid., p. 171.

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modèle tragique élaboré, entre autres, par Marc Antoine Muret24, montre en particulier l’acquisition par le personnage principal, au terme du déroulement de l’action dramatique, d’une exemplarité fondée non plus sur une impressionnante geste guerrière ou sur un idéal chevaleresque, mais sur la conquête de soi à travers l’épreuve de la mort. Les similitudes entre la tragédie Julius Caesar de Muret et Alexandre sont en effet frappantes, les représentations tragiques de César et d’Alexandre s’avérant fort similaires. Les deux pièces montrent la fin d’un grand personnage qui trouve la mort dans une conspiration fomentée contre lui par ses proches. Aussi, plusieurs scènes sont analogues : l’évocation de la puissance et de l’ambition orgueilleuse du protagoniste au premier acte ; la formulation des prophéties qui annoncent la mort prochaine du héros et le refus de ce dernier d’en tenir compte ; la conspiration de l’assassinat par des proches, qui l’accusent de tyrannie ; la mort indigne du héros et sa résignation stoïque devant l’inévitable ; la douleur que cette mort procure aux proches du héros et, finalement, la promesse d’une gloire et d’une vie éternelle. Dans les deux pièces, la mort du protagoniste, des plus déshonorantes pour un guerrier de cette trempe, lui fournit toutefois l’opportunité d’embrasser une sagesse et une humilité nouvelles, qui ouvrent la voie à une renommée éclatante. Le meurtre perpétré contre lui s’avère l’occasion pour ce dernier de conquérir une fermeté d’âme face à l’inconstance de la Fortune, ce qui lui permet d’obtenir, en récompense, une gloire éternelle. La leçon morale que le lecteur ou le spectateur de la Renaissance pouvait tirer de cette représentation tragique des grands Princes de l’Antiquité était on ne peut plus claire. Jean de La Taille la rappelle d’ailleurs dans l’épître dédicatoire qui accompagnait la première édition d’Alexandre, adressée à Henri de Navarre : Sire, aiant longuement debattu en moymesme, à qui j’adresserois la Tragedie de ce Roy Alexandre, j’ay pensé que ne la pourroy mieux vouër, qu’à un Roy qui n’a le cueur moins magnanime qu’Alexandre : principalement à supporter les jeux Tragiques, que Fortune […] jouë piteusement sur le Theatre François […]. Vostre majesté […] sçauroit bien qu’en dire, ayant (possible) eprouvé que Fortune, ou plustot Dieu, s’attaque autant, ou plus, aux grands, qu’aux petits : ainsi que cest Alexandre empoisonné, qui fut le plus grand Monarque du monde, dont les sainctes Lettres ont daigné parler, et dont 24. M.A Muret est l’auteur de la tragédie latine Julius Caesar, publiée en 1553 dans les Juvenilia. Pour une édition critique bilingue de la pièce, voir Marc-Antoine Muret, Juvenilia, éd. V. Leroux, Genève, 2009, p. 54-97.



Portrait du prince sur la scène humaniste 87 mesme Daniel a prophetizé, vous peut faire foy, et vous apprendre à souffrir patiemment les sursaults et deffaveurs que Fortune humaine luy a mesme fait sentir au milieu de ses plaisirs, de son heur, et de son âge. […] Voyez de quelle mort Cæsar, Pompee, Brute, Caton, Daire […] ont finé leurs jours : mais sur tous cestuy-ci […] qui en son malheur s’estimeroit heureux, s’il vous plaisoit, Sire, luy faire tant de faveur, que de le lire, pour y contempler les miseres humaines, les jugements de Dieu, et vous y consoler ; et pour y apprendre […]

Qu’il n’est Grandeur si grande, Estats si bien bastis, Qu’en face fort hideuse ils ne soient convertis25. Louise Frappier Université d’Ottawa

25. Jean de La Taille, « A TRES-ILLUSTRE Prince, Henry de Bourbon, Roy de Navarre, Jehan de La Taille de Bondaroy », dans l’édition d’Alexandre citée, p. 3-4.

La tragédie Von Alexandro Magno (1558) de Hans Sachs : présentification de l’histoire et parénèse politique Hans Sachs est l’auteur de quatre-vingt-deux jeux de carnaval et de près de cent trente drames, à parité entre comédies et tragédies, dont la plupart ont été écrits dans la décennie 1550, une brève période au regard de l’ensemble de sa production littéraire qui s’étend de 1513 à 1573. Le manuscrit autographe de la tragédie d’Alexandre, qui compte parmi les plus amples écrites par l’auteur, se trouve dans le treizième livre de poésies conservé aux archives municipales de Zwickau. La pièce a été publiée pour la première fois en 1561, dans le troisième volume de l’édition in-folio des Œuvres confectionnée par l’auteur1. Sachs est le premier auteur de la Renaissance allemande, avec Jörg Wickram, à populariser le patrimoine littéraire antique2. Les premières traductions des auctores par les humanistes s’adressent en effet à un public nobiliaire et patricien et connaissent une diffusion très restreinte. À partir des années 1530, de nouvelles traductions, dont celle de Hieronymus Boner, visent un public plus large, désigné dans l’avant-propos des traducteurs, sans toutefois vraiment l’atteindre. C’est tout le mérite de Sachs que d’avoir réussi à diffuser ce savoir auprès d’un vaste public. Pour autant, Sachs n’est pas un lettré humaniste même s’il se comporte de facto comme tel. Bien qu’il ait fréquenté l’école de latin, il ne le lisait 1. H. Sachs, Das dritt vnd letzt Buch. Sehr Herrliche Schöne tragedi, Comedi vnd schumpf Spil, Nuremberg, 1561, livre 2, fol. 270 r-284 r. Nous citons d’après l’édition d’A. von Keller et d’E. Goetze, Hans Sachs, Werke, Tübingen, t. 13, 1880, p. 477-529 (KG-Nr. 5257). Il serait intéressant de comparer les deux versions, manuscrite et imprimée, comme cela a été fait pour le drame Sewfriedt de Sachs : H. Weinacht, « Das Motiv vom Hürnen Seyfried, im Nürnberg des 16. Jahrhunderts », dans Hans Sachs und Nürnberg : Bedingungen und Probleme reichsstädtischer Literatur, éd. H. Brunner, Nuremberg, 1976, p. 137-181 ; A. Grafetstätter, Ludus compleatur. Theatralisierungsstrategien epischer Stoffe im spätmittelalterlichen und frühneuzeitlichen Spiel, Wiesbaden, 2013, p. 270-300. 2. H. Kästner, « Antikes Wissen für den ‘gemeinen Mann’. Rezeption und Popularisierung griechisch-römischer Literatur durch Jörg Wickram und Hans Sachs », dans Latein und Nationalsprachen in der Renaissance, éd. B. Guthmüller, Wiesbaden, 1998, p. 345-378. Wickram a retraduit les Métamorphoses d’Ovide (1545) et contribué à la diffusion de la traduction intégrale De viris clarissimis de Plutarque (1541), source majeure des textes de Sachs sur Alexandre. L’entrée d’Alexandre le Grand sur la scène européenne éd. Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas Turnhout, 2017, (Alexander Redivivus, 9) p. 89-109 © F H G

DOI 10.1484/M.AR-EB.5.113438

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vraisemblablement pas dans le texte. Sa bibliothèque, dont il a lui-même dressé scrupuleusement l’inventaire, ne comprend aucun titre dans cette langue. Toutefois, Sachs, comme il l’écrit lui-même, était passionné de lecture : sa connaissance étendue de la culture antique est médiatisée par les nombreuses traductions que je viens d’évoquer, publiées dans la première moitié du xvie siècle. Dans sa bibliothèque3 se trouvent notamment des œuvres d’historiens de l’Antiquité : l’Abrégé des histoires philippiques de Trogue-Pompée de Justin (trad. Boner, 1531), les Vies parallèles de Plutarque (trad. Boner, 1534 et 1541), mais aussi d’auteurs de la Renaissance : le De remediis et les Rerum memorandarum libri de Pétrarque (trad. Peter Stahel et George Spalatin, 1532 et 15414) et, de Boccace, le De claris mulieribus (trad. Heinrich Steinhöwel, 1488) et le De casibus virorum illustrium (trad. Hieronymus Ziegler, 1545). Hans Sachs participe par son œuvre dramatique à la refondation littéraire initiée par la dramaturgie néo-latine de la Renaissance et contribue en outre à la dissémination du patrimoine culturel de l’Antiquité et de la romanité hors du cadre scolaire. Il enrichit la tradition théâtrale autochtone en fondant la comédie et la tragédie vernaculaires5 : c’est lui qui introduit sur le sol germanique les désignations génériques nouvelles de comedi(a) et de tragedi(a). Il emprunte au théâtre humaniste la structure formelle de la tragédie romaine en actes et en scènes, avec dialogues, monologues et récits de messagers. Sa Lucretia (1527) est la première tragédie en langue allemande. Si le support écrit se conforme entièrement aux nouvelles règles dramaturgiques avec le découpage en actes, la présence de didascalies et le cadre paratextuel (argument et liste des personnages, prologue et épilogue), il faudra en revanche attendre le mitan du siècle, comme dans les autres pays d’Europe en dehors de l’Italie, avant que la restauration du théâtre dramatique sur les modèles antiques ne révolutionne la représentation scénique. 3. M.  Sondheim, « Die Bibliothek des Hans Sachs », dans M.  Sondheim, Gesammelte Schriften, Francfort-sur-le-Main, 1927, p.  260-263 ; W.  Milde, « Das Bücherverzeichnis von Hans Sachs », dans 500 Jahre Hans Sachs. Handwerker, Dichter, Stadtbürger, éd. D. Merzbacher, Wiesbaden, 1994, p. 38-55 ; A. Wingen-Trennhaus, « Die Quellen des Hans Sachs. Bibliotheksgeschichtliche Forschungen zum Nürnberg des 16. Jahrhunderts », dans Hans Sachs im Schnittpunkt von Antike und Neuzeit, éd. S. Füssel, Nuremberg, 1995, p. 109-149. 4. Sachs ne connaissait pas la biographie d’Alexandre dans le De viris illustribus de Pétrarque, avec laquelle sa tragédie ne présente certaines similitudes qu’en raison de leur source commune : Justin. 5. K.  A.  Schild, Die Bezeichnungen der deutschen Dramen von den Anfängen bis 1740, Amsterdam, 1968 (1ère édition 1925), p. 19 ; D. Klein, Bildung und Belehrung. Untersuchungen zum Dramenwerk des Hans Sachs, Stuttgart, 1988, p. 113.



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Les sources de la tragedi6 Avant d’écrire son ample tragédie en sept actes Von Alexander Magno, dem könig Macedonie, sein geburt, leben und endt (Alexandre le Grand, le roi de Macédoine, sa naissance, sa vie et sa mort, 1558), Hans Sachs a éprouvé à maintes reprises le thème d’Alexandre dans des genres brefs : chants de maître, poèmes gnomiques et historiae, puis dans un jeu de carnaval (1552) qui confronte le roi à Diogène, Ein spil mit 3 personen : Das gesprech Alexandri Magni mit dem philosopho Diogeni, et dans une comédie (1554) qui l’oppose à Aristote, Persones, die königin, reit den philosophum Aristotelem7. Entre 1535 et 1563, ce ne sont pas moins de quarante-sept poèmes qu’il consacre à la matière d’Alexandre, circonscrits à un ou plusieurs épisodes de la geste. Une historia qui précède de quelques mois la rédaction de la tragédie retrace la vie du roi de Macédoine en un poème épique synthétique de 400 vers. L’ensemble de ces textes témoigne d’une appropriation progressive de la matière nourrie par des sources multiples. Si l’on regroupe ces dernières, le bilan est éloquent. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Sachs puise moins dans la source tardo-médiévale du roman d’Alexandre de Johannes Hartlieb8 que chez les auteurs latins, néo-latins et italiens de la Renaissance récemment traduits en allemand : vingt textes sur les cinquante du corpus sont inspirés des ouvrages 6. W. Abele, Die antiken Quellen des Hans Sachs. Beilage zum Programm der Realanstalt in Cannstatt, t. 1, 1897, t. 2, 1899 ; N. Holzberg, « Möglichkeiten und Grenzen humanistischer Antikerezeption. Willibald Pirckheimer und Hans Sachs als Vermittler klassischer Bildung », Pirckheimer-Jahrbuch, 10 (1995), p. 9-29. 7. Sachs a hésité quant à la désignation générique du Ein spil mit 3 personen : Das gesprech Alexandri Magni mit dem philosopho Diogeni. Dans son Registre autographe de 1560, dans lequel il inventorie toutes ses œuvres, il compte le Künig Alexander mit Diogeni au rang des « fastnacht spil » (« jeux de carnaval »). Dans l’édition imprimée (Das dritt vnd letzt Buch, op. cit.), il le fait figurer parmi les pièces historiques, Comedi et Tragedi, qui constituent le deuxième livre, mais avec l’appellation singulière de « Spil » et en dernière position, après la tragédie d’Alexandre, juste avant le troisième livre qui comprend les jeux de carnaval. Quant à la datation, elle varie elle aussi. Comme le note Goetze (Werke, t. 26, p. 28), il arrive à Sachs de modifier les dates de ses textes. Le Registre atteste que le texte de la pièce se trouvait dans le huitième livre manuscrit – disparu – des poèmes (Spruchgedichtbuch), composé entre le 6 juillet 1552 et le 6 novembre 1553. Toutes les éditions imprimées indiqueront cependant le 30 décembre 1560 comme date de composition (Goetze, Werke, t. 25, p. 408 et t. 26, p. 40 ; Das Handschriftliche Generalregister des Hans Sachs, éd. R. Hahn, Cologne et Vienne, 1986). 8. Dans un cas seulement, pour le chant de maître du 4 juin 1554 intitulé Künig Nectanabus der schwarzkünstner (Le roi magicien Nectanebo, KG-Nr. 4348). Je remercie Niklas Holzberg dont le vaste répertoire – non publié – analytique et indexé des œuvres de Sachs m’a grandement permis d’identifier les textes et les sources.

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déjà cités de Pétrarque et de Boccace, de plusieurs écrits de Plutarque, dont la Vie d’Alexandre, celle de Démosthène et les Moralia (trad. Heinrich Eppendorf, 1534 et 1551), ou d’autres auteurs latins : Justin, Sabellicus (trad. Leonard Brunner, 1535), Flavius Josèphe (Les Antiquités juives, trad. Gaspard Hédion, 1531), Frontin (trad. Marcus Tacius, 1542), Valère Maxime (trad. Peter Selbeth, 1533), Pline (trad. Eppendorf, 1543). Les autres sources sont l’Ancien Testament (Daniel, Ezéchiel) et la littérature allemande de la Renaissance : la Cosmographie de Sebastian Münster (1544), les Gesta Romanorum (1538) et les chroniques allemandes de Hartmann Schedel (1493), de Sebastian Franck (1531) et de Gaspard Hédion (1541). Moins abondantes sont les sources de la tragédie d’Alexandre de 1558. Sachs en mentionne nommément quatre dans le prologue, taisant, selon l’usage de l’époque, les médiations vernaculaires immédiates, moins garantes d’autorité. Il fait le constat dans son prologue que l’histoire d’Alexandre est rapportée par des sources contradictoires : Ein tragedi, so hie beschreiben theten Benandt gschichtschreiber und poeten : Plutarchus und Eusebius, Bocatius und Justinus, Doch einer anderst denn der ander […] (éd. cit., p. 477, v. 9-13) [Une tragédie comme l’ont décrite les historiens et poètes suivants : Plutarque et Eusèbe, Boccace et Justin, mais chacun différemment de l’autre […]]

L’ordre d’énumération des auteurs n’est ni fortuit ni imposé par la rime, tous les noms se terminant par la désinence -us, mais tient à leur importance décroissante quant au volume des emprunts. De fait, la première source de la tragédie est bien la Vie d’Alexandre de Plutarque. Derrière la caution patristique d’Eusèbe se cache le Roman d’Alexandre de Hartlieb auquel ce dernier se réfère sur la page de titre et en conclusion de son adaptation9. Sachs n’a eu recours à cette source que pour l’intrigue autour de Nectanebo et d’Olympias

9. Sur la réception de la geste d’Alexandre par Hartlieb, P. Andersen-Vinilandicus, « Die deutschsprachigen Alexandertexte des Mittelalters und ihre Wirkung mit Fokus auf Johann Hartliebs Prosaroman », dans Die Bedeutung der Rezeptionsliteratur für Bildung und Kultur der frühen Neuzeit (1400-1750), éd. H.-G. Roloff et A. Noe, t. 2, Francfort-sur-le-Main, 2014, p. 65-117 ; les contributions multiples de C. Thierry dans La fascination pour Alexandre le Grand dans les littératures européennes (xe-début xvie siècle). Réinventions d’un mythe, éd. C. GaullierBougassas, Turnhout, 2014, t. 1 à 4.



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dans les deux premiers actes de la pièce10. Même si les romans en prose de langue allemande ont régulièrement inspiré les drames de Sachs (Tristrant, Melusine ou Fortunatus notamment), la source romanesque est ici secondaire. Viennent ensuite Boccace11 et Justin12, mis à contribution pour une dizaine de tirades. Parmi les sources non évoquées par Sachs, il faut citer la chronique de Franck pour au moins trois occurrences. Franck consacre un chapitre à la louange des philosophes qui se réclame de Quinte-Curce et rapporte cette repartie de Callisthène bravant Alexandre : Bist du Got/ so gib vns die untoedtlichkeit/ vnn beweis den menschen guets. Bistu aber ein mensch/ so gedenck allweg wer du bist// vnd leg andere ding hin13. (Franck) [Si tu es Dieu, alors donne-nous l’éternité et témoigne du bien aux hommes. Mais si tu es un homme, souviens-toi constamment qui tu es et oublie le reste.] Und bist ein gott in dieser zeit, So gib uns die untödtlikeit Und thu den menschen alles gut ; Bist du aber auch fleisch und blut, Ein mensch, so gedenck in der frist, Das du ein mensch und tödtlich bist, 10. Les emprunts littéraux à Hartlieb ont été répertoriés par B. Stuplich, Zur Dramentechnik des Hans Sachs, Stuttgart, 1998, p. 290. Ceux à Plutarque sont les suivants, dans H. Boner, Plutarchus Teutsch. VOn dem leben vnd Ritterlichen geschichten/ der aller Durchleüchtigsten Griechen vnd R[oe]mern/ Alexandri Magni/ Julij Cesaris/ C.Marij/ Pyrrhi/ Demetrij/ M.Antonij/ Photionis vnd Catonis Vticensis, Augsburg, 1534 : fol. 12 r – H. Sachs, éd. cit., p. 498, v. 11-33 ; fol. 12 v – p. 499, v. 8-9, 18 ; fol. 13 r-13 v – p. 500, v. 8-11, 21-22, 30-31 ; fol. 17 r – p. 503, v. 4-9, 21-33 ; fol. 17 r – p. 504, v. 7-8 ; fol. 17 r-v – p. 505, v. 5-13, 19-26 ; fol. 19 v – p. 506, v. 2832 ; fol. 19-20 – p. 506-507 (mort de Cleitos) ; fol. 20 r – p. 508, v. 11-18 ; fol. 21 r – p. 510, v. 3-15 (complot des pages) ; fol. 21 r – p. 511, v. 19-34 (conquête de l’Inde) ; fol. 23 v – p. 514-515 (magnanimité d’Alexandre envers Porus) ; fol. 24 r – p. 517, 2-7 (démonstration de Calanus) ; fol. 25 r – p. 518, v. 12-13 ; fol. 26 r – p. 521, v. 9-21 ; fol. 27 v – p. 523, v. 12-26, p. 526, 1-5. 11. G. Boccaccio, H. Steinhöwel, Von den erlychten frouen (Les Femmes illustres, Strasbourg, 1488, fol. 50 et illustration – p. 491, v. 6 ; G. Boccaccio, H. Ziegler, FVrnemmste Historien vnd exempel von widerwertigem Glück…(Nobles histoires et exemples sur les revers de fortune…), Augsbourg, 1545, livre 4, ch. 7, fol. 90 – p. 509 (Callisthène) ; ch. 9, fol. 93 v – p. 502, v. 16 ; ch. 12, fol. 96 – p. 490, v. 15-22 (Pausanias). 12. H. Boner, Des Hochber[ue]mptesten Geschicht schreybers Justini/ warhafftige Hystorien… (Histoires véritables du très célèbre historien Justin…), Augsburg, 1531, livres 11 et 12, fol. 39 vfol. 41 – p. 496, v. 5-6 ; fol. 41 r – p. 497, v. 25-28 ; fol. 42 r – p. 498, v. 13-20 ; fol. 42 v – p. 500, v. 1-14 ; fol. 48 r – p. 524, v. 26-30 ; fol. 48 r – p. 525, v. 14-18. 13. S. Franck, Chronica, Strasbourg, 1531, 1, fol. 115 r ; également fol. 114 v – Sachs, p. 511, 3-5.

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Florent Gabaude Und beraub keim menschen sein leben, Welches du im selb nit kanst geben. (Sachs, p. 509, v. 7-14) [Et si tu es un dieu de notre temps, donne-nous l’éternité et fais aux hommes tout le bien ; mais si tu es aussi de chair et de sang, un être humain, souviens-toi que tu es homme et mortel et n’ôte à quiconque la vie que tu ne peux lui offrir.]

Les châtiments infligés au philosophe Callisthène varient grandement selon les auteurs : Plutarque parle d’écartèlement entre deux arbres selon la coutume perse, Hartlieb de décapitation, l’essorillement est évoqué par Arrien. C’est à Franck également et à Boccace que Sachs emprunte les modalités du supplice de Callisthène : « all seine glider ließ abhawen/ die orn/ naß/ augen/ lefftzen/ händ füß/ und ließ jhn […] in einem vogelhaus umbher tragen […]. Darzuo sperret er ein hundt in das vogelhaus14. » Plutarque et Justin émettent l’hypothèse de l’empoisonnement d’Alexandre. Le poison est si puissant qu’il est conservé dans un « sabot de cheval » : Hartlieb parle de pferd huoff, Boner recourt dans sa traduction de Plutarque au terme ein pferds Klauen, mais c’est celui utilisé dans celle de Justin que Sachs retient, Roßhuff. C’est encore à Justin que Sachs emprunte les dernières paroles du monarque. Ses proches veulent savoir qui doit hériter du trône : « den aller-wirdigsten » (« celui qui le mérite le plus », p. 524, v. 29), répond-il tout en prédisant le déchirement de son empire.

La structure dramatique Aussi grande que soit sa dette envers ses sources, Sachs fait preuve d’un grand discernement, sélectionnant soigneusement, d’une part, les épisodes dramatisables parce que dialogués ou plastiques et repris presque littéralement et, d’autre part, ceux qui servent le mieux son dessein critique. La tragédie est composée en vers iambiques à quatre temps (soit de huit à neuf syllabes) et en rimes suivies, au total 1410 vers qui se répartissent équitablement dans les sept actes. La distribution de la parole sur quelque vingt personnages, dont seuls se détachent le héros éponyme avec un quart du temps de parole et Nectanebo avec un huitième, confère un rythme soutenu à la pièce. L’auteur alterne 14. « Il a fait couper tous ses membres, les oreilles, le nez, les yeux, les lèvres, les mains et les pieds et l’a fait enfermer et transporter dans une cage à oiseaux avec un chien », H. Ziegler, FVrnemmste Historien, op. cit., fol. 115 v – p. 510, v. 27-34 ; Franck, op. cit., fol. 114 v-115 r – p. 510, v. 30-31. 



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habilement dialogues, monologues des personnages principaux (Alexandre, Olympias, Nectanebo) et harangues militaires des chefs de guerre (Alexandre et Porus). Danielle Buschinger a établi que les tragédies en sept actes de Hans Sachs obéissent à une structure en candélabre15, un mixte entre forme linéaire médiévale et forme pyramidale classique16, dans lequel les actes sont couplés deux à deux autour d’un axe médian, l’acte IV, qui, ici, marque l’acmé de la puissance d’Alexandre avec sa victoire sur Darius17. La structure de candélabre – plus que le schéma pyramidal à quatre ou cinq actes – permet d’établir des liens d’analogie et de contraste entre les actes. Le schéma symétrique ABCDC’B’A’ reproduit la forme de la menorah à sept branches du Temple de Jérusalem. Les actes I et VII sont voués à la naissance douteuse et à la fin tragique d’Alexandre par empoisonnement. À l’obscurité de sa conception illégitime répond celle de sa mort, trouble pour l’entourage qui incrimine les excès de table et de boisson. Les actes II et VI confrontent Alexandre à deux devins, respectivement Nectanebo et Calanus, qui lui prédisent sa fin prématurée avant de périr eux-mêmes de mort violente dans l’indifférence du Macédonien. Les actes III et V, enfin, montrent ce dernier entouré de ses proches conseillers, les deux princes Parménion18 et Cleitos, d’abord en 15. D.  Buschinger, « Die Mittelalter-Rezeption bei Hans Sachs », dans D.  Buschinger, Studien zur deutschen Literatur des Mittelalters, Greifswald, 1995, p. 381-383 ; Tristan allemand, Paris, 2013, p. 264 ; « Die Rezeption des Mittelalters bei Hans Sachs. Ein Beispiel : Der Tristanstoff », dans Die Bedeutung der Rezeptionskultur für Bildung und Kultur der Frühen Neuzeit (1400-1750), t. 3, éd. P. H. Andersen-Vinilandicus et B. Lafond-Kettlitz, Berne, 2015, p. 343-363. Voir aussi C. Dietl : « Hans Sachs’ Tristrant : Farce, Tragedy or Serious Doctrine ? », article en ligne : http://www.sitm.info/history/1998-2001/SITM_files/papers/Cora_Dietl. html (dernière consultation : 12/05/2016). 16. Voir G. Freytag, Die Technik des Dramas, Darmstadt, 1982, p. 93-122 (1ère édition 1863). 17. H. Krause, Die Dramen des Hans Sachs. Untersuchungen zu Lehre und Technik, Berlin, 1979, a cherché, le premier, à infirmer l’interprétation jusqu’alors dominante du défaut de composition dramatique des drames de Sachs que l’on imputait à son étroite dépendance des sources. Il postule l’existence d’une structure ternaire de base dans les drames autour d’un axe symétrique médian. Cette thèse, corroborée par des analyses de cas (N. Holzberg, « Die Tragedis und Comedis des Hans Sachs : Forschungssituation – Forschungsperspektiven », dans Hans Sachs und Nürnberg. Bedingungen und Probleme reichsstädtischer Literatur, éd. H. Brunner, G. Hirschmann et F. Schnelbögl, Nuremberg, 1976, p. 124-125), et surtout le postulat d’un acmé dramatique sont récusés par D. Klein (op. cit., p. 123-125), qui perçoit par exemple dans Tristrant plusieurs sommets dramatiques. 18. Sachs introduit très tôt, en vertu du principe de « redondance » (A. Ubersfeld), le personnage-clé de Parménion, fidèle serviteur du roi défunt et loyal envers le jeune monarque (p. 493). Il se comporte pour Sachs en personnage exemplaire, sans zone d’ombre.

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parfaite intelligence avec le roi, puis dans un désaccord profond qui se solde par leur assassinat. Le souverain, naguère confiant dans son destin et magnanime, sombre dans un délire de persécution et de cruauté monstrueuse. Le parallèle entre les deux monarques révèle la similitude de leur comportement, le même excès d’assurance qui empêche de voir la réalité, le même sentiment d’invincibilité. La causalité tragique résulte de cet aveuglement névrotique, de la sous-estimation de la force de l’ennemi. L’un et l’autre taxent leurs généraux sages, loyaux et lucides de pusillanimité. L’acte II sert à l’exposition du héros, grâce notamment à deux monologues, et au nouement de l’intrigue avec la mort de ses deux pères, présomptif et légal. Si l’auteur, malgré son souci de condensation maximale, s’attarde longuement sur la préhistoire du règne, c’est pour mettre en évidence les funestes auspices sous lesquels il se place. À la suite de Hartlieb, Sachs fait d’Alexandre un bâtard, fils de nécromant, et un parricide. Cette situation initiale hypothèque déjà lourdement l’avenir du futur roi. Alexandre est frappé comme Œdipe d’une double malédiction : tuer son père à son insu et périr dans la fleur de l’âge. Alexandre accrédite les prophéties du magicien en croyant couper court à leur réalisation. En tuant celui qui disait devoir périr des mains de son fils pour démontrer l’inanité de cette prédiction, il ne fait que confirmer la véracité de cette dernière, le magicien n’étant autre que le père charnel d’Alexandre qui, déguisé en dragon, s’est fait passer pour Zeus afin d’abuser de sa mère19. La tragédie de Sachs met en œuvre un héros œdipien, mais un héros sans repentir ni rédemption. L’acte III et la première moitié de l’acte IV, qui relèvent de l’action ascendante, campent néanmoins un portrait nuancé du roi, mettant en avant ses qualités de stratège militaire, vainqueur du roi perse Darius, en même temps que son extrême cruauté. L’acte IV, l’acte central, est celui de la confrontation de Darius et d’Alexandre aux batailles d’Issos et d’Arbèles. Au faîte de sa puissance, Alexandre se montre chevaleresque ; il traite avec honneur les vaincus, singulièrement les femmes, et rend à la dépouille de Darius assassiné par les siens les honneurs dus à son rang. Néanmoins, la fin de ce roi, provoquée par son hybris, est le moment charnière de la tragédie et la prémonition du déclin inéluctable d’Alexandre, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Darius est tué par ses conseillers, dont il a méprisé l’avis : tel est selon Aristote le 19. Le roi égyptien Nectanebo est présenté comme le vrai père d’Alexandre dans la source principale de Sachs pour les deux premiers actes, « Eusèbe », en vérité le pseudo-Callisthène à travers Hartlieb. Cette thèse est reprise notamment par Vincent de Beauvais au livre V de son monumental Speculum historiale.



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destin de la monarchie devenue tyrannie, que caractérisent l’absence de prudence (phronesis) et le solipsisme du pouvoir20. Sachs emprunte à Plutarque la repartie célèbre d’Alexandre : – Parmenio : Wenn ich wer Alexander schon, So nemb ich das erbieten on. – Alexander : Und wenn ich wer Parmenio, Nemb ich an die deidung also ; Weil ich aber Alexander bin, Su thu ichs nit. (p. 498, v. 25-28) [– Parménion : Si j’étais Alexandre, j’accepterais cette proposition. – Alexandre : Et si j’étais Parménion, j’accepterais le pacte ; mais parce que je suis Alexandre, je ne le ferai pas.]

Les scènes 5 et 7 en miroir dénoncent l’idolâtrie des deux rois, la vanité de leur foi en leurs dieux respectifs, le dieu perse et le dieu suprême grec Jupiter (p. 499 et p. 500), là où seule la Fortune régit leur destin, comme le dit le conseiller Mazeus (« das umwaltzendt und fliegendt glück », p. 499, v. 27, « la Fortune volage et changeante »). Si Darius est sourd aux mises en garde de ses conseillers, Alexandre et les siens sont encore à l’unisson. C’est, à côté de la Fortune et de la bravoure un gage de réussite, comme Sachs le souligne dans un chant de maître de 1546 consacré à la bataille d’Alexandre contre Darius : « Also durch das gelüeck / Künheit vnd guet ratschlagen / Manch füerst durch die drey stüeck / wirt flüeck / Gesiget oft mit klainer sum21. » Pour Sachs, cette guerre asymétrique du faible au fort, transférée au plan confessionnel, est, comme le combat de David contre Goliath, une raison d’espérer. L’acte comporte une seule ellipse temporelle entre la scène 5 – où Darius III annonce sa décision de former une nouvelle armée – et la scène 6. C’est là que se trouve l’axe symétrique de la pièce, entre les deux batailles, celle d’Issos et celle d’Arbèles ou de Gaugamèles. C’est le moment de la première dissension entre Alexandre et Parménion, qui ne comprend pas que son roi dorme d’un sommeil profond à l’orée de la bataille. Ce sont aussi les premières manifestations d’idolâtrie solaire du monarque, qui signalent le point de retournement 20. Aristote, Éthique à Nicomaque, 1140a-1140b ; voir P. Aubenque, La prudence chez Aristote, Paris, 1993, p. 114. 21. « La fortune, l’audace et les conseils avisés, voilà les trois facteurs qui donnent des ailes et souvent la victoire à maint prince avec un petit nombre de soldats », H. Sachs, Die Feltschlacht Alexanders mit Dario, KG-Nr. 2189, cité par U. Feuerstein, Derhalb stet es so übel Icz fast in allem regiment. Zeitbezug und Zeitkritik in den Meisterliedern des Hans Sachs (1513-1546), Nuremberg, 2001, p. 302.

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de son règne et le prélude à la vénération envers sa propre personne qu’il ne va pas tarder à imposer à ses sujets. Quinte-Curce situe le changement moral d’Alexandre, qui éclatera au grand jour une fois Babylone conquise, après la bataille d’Issos, lorsque son hybris le pousse à se prendre pour un dieu. Lorsqu’il vainc à Arbèles et devient le maître de Babylone, Alexandre donne libre cours à ses passions et est entraîné dans la spirale du rabaissement moral et physique. Dès le prologue, Sachs indique que le basculement du régime s’opère après la chute de l’empire achéménide. Après deux actes consacrés aux batailles sur le théâtre extérieur, l’acte V se déroule exclusivement dans le palais et révèle l’extrême cruauté d’Alexandre envers ses amis les plus proches. Cet acte est dominé par la controverse avec Cleitos puis Callisthène, qui tiennent tête au monarque et y perdent la vie. Il illustre l’hybris immense du roi qui s’érige en Dieu et veut qu’on l’adore. Dès le début de l’acte, Alexandre fait l’expérience de la fissuration du pouvoir au sommet et de la désolidarisation des conseillers. Parménion et Cleitos reprennent à son encontre la même accusation d’orgueil et de mégalomanie que les conseillers de Darius adressaient à leur roi22. Le roi est devenu méfiant, fataliste et imperméable aux objections. Il se montre assoiffé de conquêtes, insatiable, mû par l’égoïsme, irascible, impulsif, et agit contre le bien commun (gemein nutz) et à rebours des enseignements de son maître Aristote. S’ensuivent l’affrontement verbal entre Alexandre et Cleitos et le meurtre de ce dernier, fruit de l’intempérance23, aussitôt amèrement regretté. N’étant plus maître de soi, le roi tente de se suicider et tombe en léthargie. La deuxième partie de l’acte met à nouveau en scène deux conseillers, Héphestion, l’adulateur inconditionnel d’Alexandre, et Callisthène, qui ramène le roi à la raison au moment de sa crise suicidaire24 et refuse ensuite de l’adorer. Le philosophe loue l’enseignement d’Aristote qu’il qualifie de « scharpff und res » (p. 509, v. 32, « précis et tranchant »). Désabusé et résigné, il invoque la prédiction de son maître, le mettant en garde contre la versatilité des puissants : Aristoteles, meister mein, Du hast wargsagt, es ist böß sein Bey grossen herrn eim weissen man, 22. « er hat gehandelt stolzigleich », p. 501, v. 7 ; « Er ist stoltz und hochmütig worn », p. 505, v. 5. 23. Hegel justifie la violence d’Alexandre envers Cleitos par la jalousie et la « rage aveugle » de ce dernier : G. W. F. Hegel, Leçons sur la philosophie de l’histoire, trad. J. Gibelin, Paris, 1946, p. 247 (Vorlesungen über die Philosophie der Geschichte, éd. E. Moldenhauer et K. M. Michel, Francfort-sur-le-Main, 1986, p. 333). 24. Sachs attribue à Callisthène, par simplification, les propos d’Anaxarque.



La tragédie Von Alexandro Magno (1558) de Hans Sachs 99 Der nit hechlen und schmeichlen kann. (p. 511, v. 3-6) [Aristote, mon maître, tu m’as prédit qu’il n’est pas bon d’être un sage auprès des grands seigneurs si l’on ne sait être ni hypocrite ni flatteur.]

Il compare le sage à un jeton (rechenpfennig) qui n’a que la valeur que l’on veut bien lui donner. Les puissants aiment les intellectuels en livrée. Pour le (vrai) philosophe – à la différence des laquais pensants – la sagesse a une valeur intrinsèque, c’est-à-dire, selon la métaphore monétaire, la valeur métallique ; pour le monarque, elle n’a qu’une valeur faciale, telle une monnaie fiduciaire, qui dépend de la confiance et de l’estime du moment. Dans l’économie de la pièce, conformément au schéma de Gustav Freytag, l’acte VI qui relate la conquête de l’Inde et la victoire sur Porus constitue le « moment retardateur » avant la catastrophe, soit le quatrième acte dans les tragédies canoniques. Le roi indien Porus est présenté comme un guerrier exemplaire et un souverain idéal, soucieux du bien commun. Sachs retient cet épisode, moins pour montrer la grandeur d’âme d’Alexandre et son éthique martiale, que pour mettre en avant l’exemplarité de son adversaire, un modèle de « bon gouvernement » auquel il prête sa propre conception de l’exercice du pouvoir politique (« Zu handthabn den gemeinen nutz, / Mein unterthan auch halten schutz », p. 514, v. 7-8, « préserver le bien commun25 et protéger mes sujets »). L’acte VI culmine dans la confrontation d’Alexandre avec le sage Calanus, qui organise une pantomime telle que Plutarque l’a décrite. Le gymnosophiste réduit l’empire d’Alexandre à un cuir de bœuf desséché posé sur le sol, carte grossière qui s’anime : lorsque le sage se déplace d’un côté, la peau se relève à l’autre extrémité. Pour que la peau reste stable, il faut se tenir en son centre. Il s’agit de faire comprendre à Alexandre qu’il a tort de s’éloigner du cœur de son empire et qu’il ferait mieux de renoncer à sa politique de conquêtes26. L’acte VII met en scène l’empoisonnement du roi.

25. Le gmein nutz est un « signifiant vide » ou « flottant » (E. Laclau) qui cristallise les conflits de pouvoir à la fin du Moyen Âge. Voir W. Eberhard, « ‘Gemeiner Nutzen’ als oppositionelle Leitvorstellung im Spätmittelalter », dans Renovatio et Reformatio. Wider das Bild vom ‘finsteren’ Mittelalter, éd. M. Gerwing et G. Ruppert, Münster, 1985, p. 195-214 ; De bon communi. The Discourse and Practice of the Common Good in the European City (13th-16th c.). Discours et pratiques du Bien Commun dans les villes d’Europe (xiiie au xve siècle), éd. É. Lecuppre-Desjardin et A.-L. van Bruaene, Turnhout, 2010. 26. P. 517. Voir H. Boner, Plutarchus Teutsch, op. cit., fol. 24 v ; Plutarque, Vies, t. 9, AlexandreCésar, trad. R. Flacelière et E. Chambry, Paris, 1975, § 65, 6-8, p. 112-113.

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Mise en scène et temporalité27 Aux yeux de ses contempteurs des xixe et xxe siècles, Sachs est trop « ­esclave » de ses sources et cette étroite dépendance obère la qualité de la composition dramatique28. Il semblerait que Sachs ait écrit ses pièces très vite, « en quelques jours » et en quelque sorte « à la chaîne29 ». Néanmoins, on ne peut guère parler d’une adaptation hâtive et servile de sources narratives. Dans la plupart des cas, les thématiques ont fait l’objet d’écrits brefs antérieurs du poète lui-même. Pour ne parler que de la tragédie d’Alexandre, ce ne sont pas moins de cinquante textes rédigés dans l’espace d’une décennie. Ensuite, on n’a pas à faire à un hypotexte unique, mais à une pluralité de sources soigneusement assemblées. Enfin, si l’auteur se met subitement à écrire des drames en grand nombre, ce n’est pas parce qu’il vient de découvrir la dramaturgie humaniste. Preuve en est la rédaction dès 1527, dès le début de sa carrière d’écrivain, d’une première tragédie découpée en actes, Lucretia. S’il n’écrit des drames en nombre qu’après 1550, c’est en raison de l’absence antérieure d’un lieu théâtral propice à leur représentation. Les jeux de carnaval étaient donnés dans des tavernes et chez des particuliers. Ce n’est qu’à partir des années 1550 que les archives municipales mentionnent un lieu officiel dédié aux spectacles théâtraux saisonniers, pendant la période de pré-Carême. Ces lieux autorisent la mise en œuvre d’un authentique espace théâtral avec une scène surélevée et un rapport de frontalité entre la scène et le public, une scénographie moins sommaire – un rideau de fond, des accessoires divers et même des effets spéciaux – que dans les lieux de fortune où les acteurs devaient eux-mêmes créer leur espace scénique au milieu du public avant de pouvoir commencer leur représentation. Le public appartenait pour l’essentiel à la caste des artisans, tout en s’élargissant vers le bas, vers la plèbe et les illettrés. Il est probable que les familles consulaires, l’aristocratie urbaine, n’assistaient pas aux représentations publiques. On ne peut exclure toutefois que fussent données, comme dans les cités italiennes, des représentations privées dans quelques demeures patriciennes30. Les représentations populaires, à destination des habitants ordinaires (gemein Volk), se déroulaient dans l’église Sainte-Marthe ou dans le réfectoire du couvent des Dominicains de Nuremberg. Dans ces salles 27. Sur le temps du théâtre, Peter Pütz, Die Zeit im Drama. Zur Technik der dramatischen Spannung, Göttingen, 1970 ; A. Ubersfeld, L’école du spectateur. Lire le théâtre 2, Paris, 1981, p. 205-240. 28. D. Klein, op. cit., p. 91. 29. « mit großer Routine », ibidem, p. 137. 30. Ibid., p. 99.



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publiques, Hans Sachs dispose d’une scène moins rudimentaire que dans les tavernes, par exemple d’un podium qui permettait à Alexandre de précipiter Nectanebo dans le vide (du haut d’un rocher ou d’une falaise31). De même, une didascalie suggère de simuler l’auto-immolation de Calanus en faisant de la fumée avec de la paille humide « aussen » (p. 518, « à l’extérieur »). Cela suppose un hors-scène situé dans les coulisses32. De tels artifices de mise en scène marquent une évolution sensible par rapport à la scène dépouillée, à même le sol des tavernes, des jeux de carnaval avec leurs « décors parlés ». Contre certains critiques qui font grief à Sachs de ne pas maîtriser le temps et l’espace dramatiques33, il faut souligner au contraire son utilisation des intervalles d’actes pour marquer les ellipses temporelles, le calcul des entrées et sorties des personnages pour les liaisons des scènes sans heurts, l’alternance des actions montrées sur scène et des événements extra-scéniques. Des trois batailles contre Darius, la première est racontée, les deux autres se déroulent sur scène. À l’intérieur des actes, pour garantir la vraisemblance temporelle de la représentation, Sachs resserre l’action autant que possible, prenant ainsi quelques libertés à l’égard de l’histoire telle que ses sources la transmettent (les batailles en Perse). Prolepses et analepses créent une tension dramatique. Et il convient de noter en particulier le rôle structurant des songes34 et des prophéties35. Les considérations d’Artémidor sur le rêve et le rôle de l’interprétation étaient bien connues de l’époque, notamment le constat qu’un songe peut être vrai, celui de Philippe par exemple, ou faux, celui de Darius. Un écrit de Valère Maxime connu de Sachs consacre plusieurs chapitres aux rêves et aux prodiges et cite notamment, en rapport avec Alexandre, celui d’une nuée d’oiseaux qui s’abat sur le sol, présage d’un funeste avenir, ou l’auto-immolation par le feu de Calanus, qui prédit la mort prochaine du roi36. On retrouve dans l’Alexandre de Sachs le schéma traditionnel de la tragédie de la pré-connaissance et du dévoilement, de la connaissance aveugle, celle de l’Œdipe de Sophocle, ou impuissante, celle de Cassandre dans l’Agamemnon d’Eschyle. La prédiction personnelle sur le destin d’Alexandre qui 31. P. 149. Voir A. Glock, Die Bühne des Hans Sachs, Passau, 1903 ; W. F. Michael, Das deutsche Drama der Reformationszeit, Berne, 1989, p. 346. 32. A. Glock, op. cit., p. 25. 33. H. Krause, op. cit., 1976, p. 123-125. 34. Voir les rêves prémonitoires de Philippe (p. 489) et de Darius (p. 494). 35. A. Ubersfeld, op. cit., p. 205-208. 36. Valerius Maximus, Von Gschichten der R[oe]mer vnd aussers Volcks/ Perser/ Medier/ Griechen/ Aphern/ Flem̃ing vnd Teutschen, Strasbourg, 1535, ch. 5, fol. 4 v ; ch. 8, « Von den wundern », fol. 12 r.

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noue l’intrigue se transforme, dans la tirade conclusive du prince, en prophétie historique. La tradition oraculaire de l’Antiquité grecque a été reprise par la littérature prophétique très en vogue dans la première modernité, à commencer par les Centuries de Nostradamus (1503-1566). Les monarques, notamment Frédéric III de Habsbourg puis Maximilien et Charles Quint, s’entourent d’astrologues comme conseillers politiques. On dresse des généthliaques : l’avenir des souverains est inscrit dans son ciel de naissance. Le roi cherche à avoir une connaissance officielle du passé (historiographie de cour) et une maîtrise officielle de l’avenir (charges d’astrologues). La divination augurale est condamnée par l’Église. Les luthériens orthodoxes rejettent également l’astrologie et toutes les formes de magie et de nécromancie. On observe dans le théâtre proto-moderne cette conjonction entre le messianisme politique très actuel et la tradition littéraire et dramatique prophétique qui remonte à l’Antiquité. Le déroulement du drame, balisé par des prophéties, des rêves et des augures, fait certes une large place à l’ironie tragique et à l’inéluctabilité du destin. Il n’exclut pas pour autant la libre volonté ni la responsabilité d’Alexandre : « Ein jeder ist sich selbst der größte Feind » (« Notre pire ennemi, c’est nous-même »), rappelle Sebastian Franck dans ses Paradoxa en prenant Alexandre comme exemple à ne pas suivre37.

Finalité de la tragedi38 Les drames de Sachs poursuivent une triple finalité : récréative en tant que spectacle du temps de carnaval ; didactique : la familiarisation avec le patrimoine culturel européen ; et éthique, par le biais notamment de l’épilogue qui donne les clés d’interprétation au spectateur. Dans les préfaces du premier et du troisième volumes de ses Œuvres, Hans Sachs explique que ses drames

37. Paradoxa ad 140, S. Franck, Paradoxa [1534], Berlin, 1995, p. 235. 38. D. Klein (op. cit.) entend séparer soigneusement le contenu historique, factuel et récréatif de la pièce de sa didactisation morale contenue dans l’épilogue. La non-congruence, voire la contradiction entre ces deux composantes du drame, est également postulée par nombre d’interprètes du Tristrant. Cette hypothèse semble plausible pour les dramatisations par Sachs des romans en prose du xve siècle. Mais dans le cas de la tragedi d’Alexandre, la combinaison des sources et la sélection même des épisodes sont déjà des actes interprétatifs que corrobore et explicite l’épilogue, car le drame ne procède pas d’une source narrative unique ou principale comme maintes autres pièces de théâtre que Sachs a composées dans cette décennie particulièrement productive dans ce domaine générique.



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historiques doivent inciter à la vertu et à se détourner du vice39, « der bösen fußstapffen zu fliehen unnd aber den guten nach zu folgen » (« à fuir les mauvais exemples pour suivre les bons40 »). Avec sa tragédie d’Alexandre, l’auteur croise les sources pour dresser du monarque un portrait ambivalent qui débouche sur une contre-idéalisation du roi conquérant. On a affaire selon Brigitte Stuplich à une compilation souveraine des sources41. Tandis que Sachs emprunte l’essentiel de sa matière au récit de Plutarque – et secondairement de Hartlieb pour les deux premiers actes –, c’est à Justin, Boccace et Franck qu’il doit l’orientation axiologique de son drame. En effet, le récit de Plutarque tient du panégyrique : il enchaîne les anecdotes qui mettent en valeur la personnalité exceptionnelle d’Alexandre. Différente est l’approche historienne de Justin. Plutarque loue la prodigalité d’Alexandre42 – lequel est généreux de nature, sa générosité naturelle n’ayant fait que s’accroître au fil de ses victoires –, sa grande sérénité, son assurance avant le combat, manifestation de son caractère intrépide. Il met également en avant sa tempérance sexuelle, à table et en matière de boisson. Il souligne la fidélité d’Alexandre à son épouse : le vainqueur n’abuse pas de la beauté des captives perses. Sachs reprend quelques éléments du portrait laudatif. Mais il s’en écarte résolument là où Plutarque minore la responsabilité criminelle d’Alexandre, évoquant la possible lâcheté, voire la traîtrise de Parménion au combat, ou disculpe en partie Alexandre en rendant Cleitos responsable de l’ire du roi : le meurtre n’est pas prémédité, il s’agit d’un accident. De même, Plutarque évoque des hypothèses qui dédouanent Alexandre de la culpabilité de la mort de Callisthène. Boccace en revanche consacre un chapitre entier à la louange du philosophe43 qui condamne l’hybris et la folie (torheit, närrisch) d’Alexandre. Boccace loue l’intransigeance et la ligne de conduite inébranlable de Callisthène et ne l’accuse pas d’imprudence pour avoir provoqué le courroux du monarque. La conclusion de Boccace est un appel à la raison contre l’égoïsme, à l’humilité et à la résistance des subalternes. Dans la phrase de transition qui ouvre le chapitre 8, Boccace condamne sans appel l’acte « erbaermlich » (« horrible ») du « Wuetrich/ vnnd Tyrannen » (« fou furieux et tyran ») qu’est Alexandre. Boccace consacre un autre chapitre à la dénonciation de la tyrannie en évoquant par prétérition Nectanebo comme modèle 39. H. Sachs, Werke, op. cit., t. 10, p. 7, l. 20-22. 40. Ibidem, t. 1, p. 4, l. 16-19. 41. B. Stuplich, Zur Dramentechnik des Hans Sachs, op. cit., p. 295. 42. H. Boner, Plutarchus Teutsch, op. cit., fol. 15 v. 43. H. Ziegler, FVrnem̃ste Historien vnd exempel, op. cit., livre 4, ch. 7, fol. 89 r : « Vom Callisthene dem weysen natürlichen Mayster. »

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de nocivité tyrannique44, avant de s’étendre sur le cas de Denis de Syracuse (ch. 4) et de Polycrate de Samos (ch. 6). Particulièrement instructives sont les rares interpolations de Sachs dans les propos de Callisthène (la démonétisation de la parole politique, p. 511), de Porus (la doctrine du bon gouvernement, p. 514) et de Calanus (la menace d’une révolte contre la tyrannie, p. 516). L’action politique selon Sachs doit être fondée en raison. C’est seulement en cela que chacun peut en admettre le bien-fondé, l’universalité qui est celle du « bien commun ». Lorsque la passion l’emporte s’installe la tyrannie. L’adhésion du peuple aux visées du souverain n’est possible que si ce dernier traite ses sujets avec bienveillance et œuvre pour la paix. C’est aussi l’enseignement de Diogène face à Alexandre dans le jeu de carnaval de 155245. Alexandre est confronté à son alter ego, Darius, dont il prend la suite dans l’histoire eschatologique (Maccabées), à son adversaire exemplaire Porus – alors que chez Hartlieb Darius et Porus sont l’un et l’autre présentés comme des exemples d’hybris face à l’exemplarité morale d’Alexandre – et à ses conseillers avisés et prudents qui finissent par se dresser contre la démesure du roi. Pour Sachs, Callisthène et Calanus sont des parangons de sagesse humaniste, deux figures identitaires qu’il oppose au héros mythique46, même si le premier périt pour n’avoir pas su – ou voulu – tenir sa langue, au mépris du conseil d’Aristote. Quoi qu’il en soit, l’un et l’autre meurent en martyrs de la vérité. Hans Sachs loue l’homme de guerre, le génie militaire d’Alexandre, lui accorde des qualités de courtoisie, tait sa luxure mais incrimine son hybris et sa foi aveugle dans la fortuna. Sachs ne place pas Alexandre sub specie Christi, c’est-à-dire qu’au lieu d’adopter dans cette pièce la temporalité linéaire ­eschatologique dominante au siècle de la confessionnalisation, celle du combat entre le Christ et le Démon sur fond de Jugement dernier, il conserve le « régime d’historicité47 » mythique, la conception d’une histoire immuable ou cyclique – illustrée par la roue de Fortune – peuplée de figures paradigmatiques, d’exemples et de contre-exemples de vertus et de vices. Il se démarque des interprétations théologico-politiques d’un Alexandre paré de toutes 44. Ibid., ch. 3, fol. 85 r : « Wider die Tyrannen. » 45. W.  Kühlmann : « Weiser oder Narr ? Zur Topik der Diogenes-Darstellungen in der deutschen Literatur der Frühen Neuzeit, besonders bei Hans Sachs », dans Fortunatus, Melusine, Genovefa. Internationale Erzählstoffe in der deutschen und ungarischen Literatur der Frühen Neuzeit, éd. D. Breuer et G. Tüskés, Berne, 2010, p. 65-67. 46. Voir également les chants de maître de Sachs Calanos philosophus verprent sich selb (1547, KG-Nr. 2223), Calisthenes der warhafft philosophus (1550, KG-Nr. 3401) et Von Callistene, dem weysen natürlichen meister (1558, KG-Nr. 5166). 47. F. Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, 2002.



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les vertus, comme l’un des Neuf Preux48, propagateur du monothéisme et préfigure du Christ ou, a contrario, d’un Alexandre incarnation de l’Antéchrist. Il est intéressant de noter que la série des Neuf Preux est familière aux Nurembergeois car elle appartient au programme iconographique sculpté de la célèbre « Belle fontaine » qui trône au milieu de la place principale de la ville49. Le Macédonien est traditionnellement considéré par l’historiographie chrétienne et impériale comme le sauveur charismatique, annonciateur de la chrétienté – en vertu d’une lecture typologique – et comme le maillon d’une chaîne téléologique et sotériologique. La doctrine de la translatio imperii au Saint Empire romain germanique est une légitimation religieuse de l’histoire universelle qui se fonde sur le livre de Daniel (7), celle des visions nocturnes des quatre animaux : un lion ailé, un ours, un léopard quadricéphale et une bête terrible. Le Moyen Âge a interprété avec saint Jérôme cette vision vétérotestamentaire comme la prédiction du retour parousiaque du Christ au terme de la succession des quatre empires assyro-babylonien, médo-perse, grécomacédonien – Alexandre est le léopard rapide comme l’éclair ; son royaume sera partagé en quatre – et romain, l’État impérial carolingien prolongeant le temps biblique. Dans la tragédie de Sachs en revanche, Alexandre règne sur un empire sans lendemain. Le poète luthérien est en cela fidèle à la seconde vision de Daniel (8, 20-24) – Darius est le bélier et Alexandre le bouc50 – et au livre apocryphe intertestamentaire des Maccabées (I Maccabées 1,1-11). Les campagnes militaires d’Alexandre apparaissent en outre parfois comme le modèle de la guerre sainte contre les infidèles, des croisades contre les Sarrasins et de la guerre navale contre les Turcs. À côté de cela existe une lecture eschatologique d’Alexandre venu punir les pécheurs, analogon de Mehmet le conquérant qui menace la chrétienté au xvie siècle. Sachs n’est pas davantage un adepte de cette anthropologie pessimiste et de cette représentation défendue par Orose du fléau de Dieu pour punir les Perses. Son approche s’inspire en revanche de la philosophie politique aristotélicienne, soucieuse avant tout de la liberté et de la prospérité de la cité républicaine. Pour lui, les conquêtes d’Alexandre signent la fin de l’indépendance des cités-États grecques. Alexandre incarne à ses yeux le régime tyrannique abhorré par les partisans du républicanisme urbain des cités du Bas Moyen Âge. Les villes libres d’Empire et les cités-États 48. Voir Sébastien Mamerot, Le Traictié des Neuf Preues, éd. A. Salamon, Genève, 2016. 49. Les Neuf Preux de la tradition française (les trois héros bibliques, antiques – Hector, Alexandre et César – et chrétiens) figurent, aux côtés des sept princes-électeurs germaniques, dans la partie médiane de la « Belle fontaine » de Nuremberg, érigée en 1385-1396. 50. Voir le chant de maître de Sachs du 17 août 1556 intitulé « Der wider und der ziegenpock » (KG-Nr. 4970).

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italiennes récusent tout pouvoir princier, constituent, qu’elles soient de nature oligarchique ou démocratique, « une forme d’organisation anti-autoritaire du pouvoir51 ». Sachs, porte-voix de la caste des artisans-commerçants, s’accommode, à l’échelle de sa cité de Nuremberg, d’un gouvernement oligarchique et à celle du Saint Empire, d’un gouvernement électif sans tyran. Le pouvoir impérial garantit les chartes de liberté acquises et âprement défendues par les cités médiévales. Quant aux lignages patriciens, ils se doivent de respecter le pouvoir traditionnel des guildes et corporations et des coutumes. À travers cette analyse de la tragédie Von Alexandro Magno, il s’est agi d’abord de mettre au jour la diversité des sources auxquelles Hans Sachs a puisé pour la première dramatisation de la matière d’Alexandre en langue allemande : sources romanesques, qui font la part belle à l’invention, et hagiographiques (Hartlieb et Plutarque), sources historiographiques qui procèdent en partie de QuinteCurce (Justin et Pétrarque) et sources doxographiques qui font d’Alexandre un contre-modèle éthique (Boccace, qui s’inspire d’Orose et de Justin, et Franck). Il importait en outre de souligner la lente maturation de la matière d’Alexandre dans l’œuvre de Sachs, même si la rédaction de la tragédie fut assurément très brève. L’auteur ne s’y est en vérité attelé que lorsqu’une mise en scène fut envisageable. Le théâtre a besoin d’un lieu ; loin de Sachs l’idée d’une « tragédie de salon » (Lesedrama). Toute son œuvre – et pas uniquement sa production dramatique bien sûr, des jeux de carnaval aux comédies et aux tragédies – est tournée vers la diffusion orale et visuelle, à commencer par les chants de maître qui ne pouvaient être imprimés et qui représentent les deux tiers de son œuvre, ainsi que bon nombre de ses poèmes gnomiques (Spruchgedichte) diffusés sous forme de placards, « canards » et autres feuilles volantes illustrées, et destinés à un très large public d’illiterati qui en prenaient connaissance par des lectures publiques ou semi-publiques. J’ai tenu enfin à montrer qu’en dépit de sa dette envers ses sources, Sachs construit un drame singulier, sélectionnant judicieusement les épisodes de la vie d’Alexandre de manière à lancer un appel In tyrannos et, par des interpolations mesurées, faire la pédagogie du bon gouvernement guidé par le courage, la bonne fortune et les conseils avisés. Florent Gabaude Université de Limoges 51. E. Balibar, « La ‘quotidianisation du charisme’ selon Max Weber », Lille, 2004, en ligne : http://stl.recherche.univlille3.fr/seminaires/philosophie/macherey/macherey20042005/balibarcharismecadreprincipal.html (dernière consultation : 12/06/2015).



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Annexe : Argument de la pièce I. 1. Prologue : référence aux sources contradictoires et argument sommaire. 2. Nectanebo et sa cour en Égypte. Sacrifice aux dieux pour les remercier des bienfaits passés. 3. Messager qui annonce l’arrivée imminente de la flotte d’Artaxerxès. 4. Nectanebo veut recourir à la magie. 5. Monologue de Nectanebo. 6. Scène de conjuration. L’esprit à Nectanebo : le roi doit quitter l’Égypte. (Nectanebo se déguise en nécromant et s’enfuit en Macédoine) 7. Olympias et son page Pausanias. Celui-ci recommande Nectanebo à la reine. 8. Dialogue entre Nectanebo et la reine. Le devin lui dit que Philippe se porte bien et qu’elle va enfanter un fils de Jupiter sous l’apparence d’un dragon. 9. Monologue de Nectanebo qui revient sur scène déguisé en dragon. II. 1. Monologue de la reine, dont le fils a 18 ans : prière à Jupiter. 2. Monologue de Nectanebo : Philippe a accepté Alexandre, dont Aristote est chargé de l’éducation. 3. Dialogue Nectanebo-Alexandre. Le devin prédit l’avenir et la mort d’Alexandre, puis sa propre mort des mains de son fils. Alexandre tue son géniteur en traître. 4. Dialogue Philippe-Alexandre. Alexandre va combattre dans le Péloponnèse. 5. Philippe raconte à ses proches un rêve prémonitoire et décide de répudier son épouse pour épouser Cléopâtre. 6. Monologue d’Olympias qui se réjouit des victoires de son fils. 7. Dialogue Olympias-Pausanias qui lui révèle le dessein de Philippe. Le page est résolu à tuer le roi. 8. Pausanias assassine le roi sous les yeux de Parménion. 9. Parménion ordonne de crucifier le meurtrier. 10. Panégyrique du roi défunt par le prince qui exprime son affliction et son deuil éternel. III 1. Alexandre et les princes Parménion et Cleitos. Le nouveau roi annonce sa décision d’envahir la Perse « dans moins d’un mois ». Parménion prône la prudence.

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2. Le roi perse Darius et ses satrapes Pessos et Mazeus. Les conseillers dressent l’état des forces en présence, relatent la bataille du Granique et mettent Darius en garde. Mais Darius est sûr de la victoire qu’un songe lui a prédite. Darius va regrouper ses troupes à Suse. 3. Retour dans le camp d’Alexandre qui a été gravement malade. Le roi ­annonce qu’il va traverser la Syrie et venir à la rencontre de l’ennemi en se plaçant sur la montagne en raison de la supériorité numérique de l’assaillant. IV 1. Les chefs perses se préparent à l’attaque. 2. Assaut fulgurant d’Alexandre qui met l’ennemi en fuite. 3. Dialogue Cleitos-Alexandre. Alexandre demande à ce que l’on veille au bon traitement des captives. 4. Le messager de Darius propose à Alexandre de l’argent et la Mésopotamie. Refus d’Alexandre. 5. Darius annonce à ses conseillers sa décision de lever une nouvelle armée. Le roi en appelle à son Dieu, Mazeus à la Fortune changeante. 6. Parménion dit à Cleitos qu’il faut réveiller le roi car l’ennemi est sur le point d’attaquer. 7. Alexandre survient et explique qu’il a fait un sacrifice au soleil. 8. L’armée perse est décimée. Le satrape Pessos fait part à Mazeus de son projet de se débarrasser de Darius. 9. Assassinat de Darius. 10. Alexandre découvre le roi mourant, le revêt de son manteau et promet de le venger. 11. Pessos, « le prince scélérat », se vante d’avoir tué Darius. Alexandre le condamne à être écartelé entre deux arbres. V 1. Conseil de guerre à Babylone. Perspectives de campagne en Hyrcanie et en Parthie. 2. Dialogue Cleitos-Parménion qui reprochent à Alexandre sa tyrannie, son arrogance et son orientalisation. 3. Le héraut annonce à Parménion que le roi veut le voir. 4. Monologue d’Alexandre qui a pris la décision d’éliminer en secret le prince Parménion. 5. Dialogue Alexandre, Cleitos et Héphestion. Dispute et mort de Cleitos.



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6. Remords d’Alexandre qui veut se suicider. Intervention de Callisthène. Alexandre fait arrêter ce dernier qu’il rend responsable du complot des pages. 7. Alexandre annonce à Héphestion le départ vers l’Asie à travers le désert. VI 1. Alexandre, Casander et Héphestion. L’Inde est conquise. Reste Porus. 2. En Inde sur les rives de l’Hydaspe, où se va dérouler la bataille. Porus se dit prêt à la confrontation. 3. Corps à corps et victoire d’Alexandre qui se montre clément envers son adversaire. 4. Alexandre, Héphestion et Casander. Alexandre veut voir les Brahmanes. On fait venir le sage Calanus. 5. Dialogue Alexandre-Calanus. Prédiction suivie de l’auto-immolation du sage par le feu. 6. Alexandre veut fêter sa victoire. VII. 1. À Babylone. Héphestion est mort. Nearchus et Perdica, deux princes macédoniens, jouent les mauvais augures. Des prodiges et haruspices ­annoncent la mort prochaine d’Alexandre. Le roi sombre dans la mélancolie, les deux princes veulent le distraire. 2. Casander et Jolas, deux jeunes princes menacés par le roi, fomentent son empoisonnement. 3. Alexandre et les princes Nearchus et Perdica. Alexandre veut entendre les histoires merveilleuses que Nearchus s’apprête à lui raconter au retour de son expédition maritime. 4. Le roi boit le vin empoisonné et est pris de spasmes. Il est transporté à l’extérieur. 5. Nearchus et Casander feignent de vouloir le guérir d’une prétendue indigestion. 6. Perdica annonce la mort du roi et le partage de son empire. 7. Épilogue dédié à la détestation du régime tyrannique. Les tyrans périssent sous le coup de la justice immanente, la vengeance de leurs victimes, ou transcendante, la sanction divine de leurs méfaits.

« Ce Lion devenu cruel de magnanime » : les ambiguïtés du modèle héroïque dans La mort d’Alexandre d’Alexandre Hardy Quel envieux démon s’affronte à ma fortune ? Quel fantôme nuiteux mon repos importune ? Que veulent ces pensers chimériques naissans, Qui, l’esprit agité, me partroublent les sens1 ?

Ces interrogations récurrentes et inquiètes constituent les premiers mots du protagoniste dans la tragédie qu’Alexandre Hardy consacre à la mort d’Alexandre de Macédoine autour de 1620. Et on ne peut qu’être frappé du paradoxe flagrant que cette image2 propose : agité par un songe annonciateur de sa fin, le grand conquérant se présente aux spectateurs comme un homme en proie au trouble ; incapable d’identifier la force hostile qui s’attaque à lui – « démon », « fantôme », « pensers chimériques » –, il erre, pour la première fois peut-être, sur des terrains inconnus où il se trouve sans repères. Le choix de la forme renforcée « partroubler » vient alors couronner, à l’apogée de cette succession de questions, l’expression de l’angoisse et l’évocation des sens suggère que l’inquiétude de l’esprit se traduit en manifestations physiques. L’Alexandre qui entre sur le plateau est un corps fragile et vulnérable, très loin de l’image de force que lui associe habituellement la tradition.

1. A. Hardy, La Mort d’Alexandre, tragédie, dans Le théâtre d’Alexandre Hardy, Parisien, tome 4, Rouen, 1626, p. 75-141, acte I, scène 2, v. 57-60, p. 82. Pour les textes dramatiques des xvie et xviie siècles, nous modernisons la graphie, sauf quand il s’agit de maintenir la rime, pour l’œil ou pour l’oreille, la syntaxe ou la métrique. Ici, nous choisissons de conserver « naissans » pour ne pas altérer la rime visuelle partielle avec « sens », et « pensers » car il faudrait accorder l’adjectif « naissant » avec le féminin « pensées », ce qui briserait la rime. Nous maintenons la ponctuation ancienne, sauf quand elle fait manifestement obstacle à la compréhension. 2. On retrouve la même représentation d’un conquérant inquiet au début de la Mort de César de Jacques Grévin, publiée en 1561. Dans un article qu’elle consacre notamment à cette pièce (« L’exemplarité de Jules César dans la tragédie humaniste : Muret, Grévin, Garnier », Tangence, 104 (2014), p. 107-136, p. 121), L. Frappier remarque le paradoxe et l’explique par la concurrence d’une autre tradition, celle de la représentation du tyran : « Il est capable d’éprouver des émotions qui, a priori, sont en contradiction avec son ethos de conquérant invincible, mais en accord avec la représentation traditionnelle du tyran, constamment en proie à la peur. » L’entrée d’Alexandre le Grand sur la scène européenne éd. Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas Turnhout, 2017, (Alexander Redivivus, 9) p. 111-123 © F H G

DOI 10.1484/M.AR-EB.5.113439

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Or on peut mesurer la singularité de cette proposition théâtrale de Hardy en comparant cette entrée en scène avec celle de l’Alexandre de Jacques de La Taille, qui avait composé une tragédie sur le même sujet, publiée de façon posthume en 1573. Voici les premiers vers de la pièce : Après que sous ma main j’ai rendu tributaire Tout ce que le Soleil de sa lumière éclaire, Après tant de combats vaillamment soutenus, Et après tant de maux, nous voici parvenus À la fin sains et saufs jusques en Babylone3.

La pièce de La Taille s’ouvre sur un aboutissement : le grand conquérant s’est rendu maître de l’univers et il parvient au terme de son parcours. Le dialogue qu’il noue ensuite avec Cléon vise tout entier à distinguer la nature exceptionnelle du monarque de celle des autres hommes. Alors que le courtisan lui suggère le repos, le roi se révolte (I, 1, fol. 5) : « Non, non, sache Cléon qu’un Roi ne doit non plus / Se reposer ci-bas, que fait au Ciel Phoebus. » Si l’Alexandre de La Taille est mortel, comme le prouvera la fin de la tragédie, son corps n’en est pas moins doté de qualités supérieures qui manifestent aux yeux de tous sa nature royale et le rapprochent des dieux : CLÉON Mais nous, pauvres mortels, qui pour n’avoir naissance Des Dieux, n’avons aussi, comme vous, la puissance, Nous courbons sous le faix, et notre humanité Ne baste à contenter votre divinité. (I, 1, fol. 5 v)

La mort du roi n’est d’ailleurs pas envisagée comme une disparition du corps, mais comme une assomption : Quand mon esprit divin sera transmis aux cieux, Lors je prendrai repos avec les autres Dieux ; Mais tant que je serai dessus la terre vif, Je poursuivrai mes faits, et ne serai oisif. (I, 1, fol. 5 v)

La Taille va même plus loin encore en faisant de la mort d’Alexandre la preuve paradoxale de sa nature divine : O Père foudroyant, si je suis ton vrai fils, Enlève-moi, de grâce, au ciel, comme tu fis Le vainqueur des Indois, le magnanime Alcide, 3. Jacques de La Taille, Alexandre, tragédie de Jacques de La Taille, du pays de Beauce, Paris, 1573, acte I, scène 1, fol. 5 r, v. 1-5.



« Ce Lion devenu cruel de magnanime » 113 Le mari d’Andromède, et le preux Tindaride. Car qu’est-ce que tu veux, mon Père, que je fasse Désormais vagabond en cette terre basse ? (I, 1, fol. 7 v)

Dans la tragédie de La Taille, Alexandre apparaît donc comme un caractère monolithique, entièrement et incontestablement héroïque, plus proche des demi-dieux mythologiques que des héros tragiques de l’Antiquité. Hardy fait un choix absolument opposé, en exploitant au contraire les ambivalences potentielles de cette figure historique et de ce sujet. Dans cette contribution, nous allons tenter de montrer comment cet auteur à gages, qui travaille pour des troupes de comédiens habitués des scènes urbaines, s’appuie sur les ambiguïtés attachées à la figure d’Alexandre par la tradition historico-morale pour en faire la clef de voûte d’un dispositif tragique efficace, c’est-à-dire susceptible de procurer aux spectateurs d’intenses émotions. Avec Alexandre, Hardy peut en effet à la fois construire un caractère intermédiaire et mettre en jeu des problématiques éthico-politiques contemporaines, autrement dit renforcer le potentiel d’identification du spectateur et soutenir son intérêt. Nous verrons ainsi que cette mise en jeu dramatique de la mort du conquérant, avant tout guidée par le souci d’efficacité théâtrale, est imprégnée d’une anthropologie historique et d’une pensée politique qu’il faut resituer dans leur contexte.

L’ambivalence comme principe dramaturgique L’entrée pathétique d’Alexandre que nous venons d’évoquer ne constitue pas l’ouverture de la pièce. En effet, elle est précédée d’un prologue, prononcé par l’ombre de Parménion, l’une des victimes du monarque, selon un procédé typique de la tragédie humaniste. Dans son monologue, ce fantôme a annoncé la mort à venir du conquérant, en insistant sur le fait qu’elle était à lire comme le châtiment de son orgueil et de son ambition : Monarque de qui l’heur fut égal au courage, Les dieux veulent punir l’intolérable outrage De ton ambition, qui brasier dévorant, Va l’Univers conquis, à leur trône aspirant. […] Tu te rendis le Ciel inflexible dès l’heure, (Las au ressouvenir ombre encore je pleure) Que seigneur absolu de mille nations, Tu restas néanmoins serf de tes passions, Jusques à dédaigner un Philippe pour père,

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Tiphaine Karsenti T’estimant fils du Dieu qui le monde tempère4, Jusques à t’enivrer du venin des flatteurs […] : Dès lors, certes, dès lors tu devins de bon Roi Tyran qui plante aux siens la haine avec l’effroi. (I, 1, v. 1-4, v. 13-19, v. 23-24, p. 79-80)

Dans cette série de griefs, Hardy reprend les lieux communs de la légende noire d’Alexandre tels qu’il a pu les lire dans les deux sources qu’il revendique5 et qui constituent les plus connues à son époque : le Quinte-Curce de Vasque de Lucène et le Plutarque d’Amyot6. L’ombre de Parménion indique, par l’emploi de connecteurs temporels, un moment de rupture dans la vie d’Alexandre à partir duquel son caractère a basculé : d’abord vertueux, le conquérant s’est laissé corrompre une fois maître de l’Asie. Cette version est directement inspirée de Vasque de Lucène, qui présente nettement le retournement moral du bon prince comme une péripétie orchestrée par la fortune : Mais apres que il saisit l’empire des Persans Fortune corrompit sa bonne nature & changea ses bonnes meurs et son courage. Si souilla & ternit tant 4. Au début de son livre VII, Quinte-Curce raconte comment Alexandre, revendiquant une origine divine et voulant être honoré comme un dieu, exigea que lui soit appliquée la proskynèse, pratique perse qui consiste à se prosterner devant le prince : « Si commença a penser par quelle maniere il se pourroit deifier a usurper les honneurs du ciel. Et ne vouloit pas seulement estre appellé filz de Jupiter : mais qu’on le creust fermement tout ainsi que s’il eust peu ainsi maistrier les couraiges ainsi qu’il maistrioit leurs langues. Car il vouloit que les Macedons le saluassent pour luy faire honneur a l’usance des Persans en eulx inclinans jusques a terre. Telles choses desirant Alexandre il ne luy failloit point la mortelle flatterie qui est […] ung mal perpetuel pour tous les roys. Et est leur puissance plustost subvertie par adulation & flaterie que par nul autre adversaire », Quinte-Curse, historiographe ancien et moult renommé. Contenant les belliqueux faictz d’armes, conduictes & astuces de guerre du preux & victorieux roi Alexandre le grant. Translaté de latin en Françoys, & puis nagueres reveu et concordé avec Plutarque, Justin et aultres aucteurs, Paris, Charles Langelier, 1540, trad. Vasque de Lucène, livre VII, ch. XI, fol. 276 v (exemplaire de Paris, BnF, disponible sur le site gallica : http://gallica. bnf.fr/ark :/12148/bpt6k853499d). 5. L’argument de la pièce s’achève sur ces mots (éd. cit., p. 77) : « Plutarque et Quinte-Curce, d’où ce sujet est puisé, contenteront les curieux qui en désirent savoir davantage. » 6. Même si Plutarque fait un portrait élogieux d’Alexandre, il évoque néanmoins sa colère (lors de la bataille du Granique en particulier), sa vantardise et sa faiblesse vis-à-vis des flatteurs : voir Les Vies des hommes illustres, Grecs et Romains, comparées l’une avec l’autre par Plutarque de Chéronée, translatées premièrement de Grec en Français par Maître Jacques Amyot lors Abbé de Bellozane, et depuis en seconde édition revues et corrigées en infinis passages par le même translateur, maintenant Abbé de Sainte Corneille de Compiègne, Conseiller du Roi, et grand Aumônier de France, à l’aide de plusieurs exemplaires vieux, écrits à la main, et aussi du jugement de quelques personnages excellents en savoir, Paris, Michel Vascosan, 1565, fol. 470 r A (« plus par cholere que de sain jugement ») et fol. 472 v K-473 A r.



« Ce Lion devenu cruel de magnanime » 115 de cleres et bonnes vertuz par gourmandise de vin. Et comme il fut vainqueur de tous autres vices, souvent fut vaincu par vin & par courroux. […] Pareillement il devint fier & despit contre les siens non mye comme roi mais comme droit adversaire7.

La colère et l’orgueil d’Alexandre sont en outre explicitement stigmatisés dans le chapitre précédent, intitulé « Des vertus d’Alexandre » : Plus excellent de tous les Roys estoit, & a peine peult-on trouver son pareil s’il avoit dompté yre & orgueil, maulx non vaincuz & usage de vin plus amoderé, car il estoit comptent a entrer en tous perilz : diligent a tous exploitz, feable aux rendus, piteux aux prisonniers, magnificque au [sic] siens & liberal a tout chascun8.

La sensibilité d’Alexandre à la flatterie et sa vanité sont enfin évoquées par Plutarque : [I]l n’avoit faute de grace quelconque, excepté que lors il estoit un peu facheux pour ses vanteries, & tenoit en cela trop du soudard vanteur, qu’il aimoit à racompter ses vaillances : car oultre ce que de luy mesme il se laissoit facilement aller à ceste vanité de braverie, encore se souffroit il mener par le nez, en maniere de parler, aux flatteurs9.

Fidèle à ses sources, Hardy présente donc d’emblée Alexandre comme un héros vertueux mais bientôt corrompu par ses passions, en particulier l’orgueil et la colère. Dès lors, toute la réception de la pièce est modalisée par ce prologue. Bien qu’Alexandre apparaisse, dans beaucoup de ses interventions, conforme au modèle éthique aristocratique – courageux, aspirant à la gloire –, politique – roi soucieux de son peuple et du bien commun –, ou religieux – homme pieux respectant la puissance divine –, le jugement du spectateur n’en est pas moins troublé par le soupçon que cette vertu apparente ne dissimule des vices cachés. Cette impression est par ailleurs soutenue par le discours d’Alexandre lui-même, qui reconnaît avoir été coupable d’erreurs, en particulier lorsqu’il s’est laissé emporter par la colère : J’atteste, Jupiter, ta puissance infinie, Mes desseins ne buter qu’à faire une harmonie Des peuples de la terre unis sous mêmes lois, Et qu’onc la cruauté n’inspira mes explois, 7. Quinte-Curse, op. cit., ch. XI, « Des vices d’Alexandre », fol. 13 v. 8. Quinte-Curse, op. cit., fol. 13 r. 9. Les Vies des hommes illustres, op. cit., fol. 472 v K-473 A r.

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Tiphaine Karsenti Vainqueur aussi clément comme âpre à la victoire, Nulle tache ne peut obscurcir ma mémoire, Tache de violence expresse, que l’erreur N’extorquât ainsi qu’homme à ma juste fureur. (I, 2, v. 137-144, p. 85)

L’ethos d’Alexandre est ainsi absolument conforme au modèle aristotélicien du caractère intermédiaire, qui recommande que le héros tragique tombe dans le malheur non parce qu’il est profondément vicieux, mais parce que, malgré sa vertu, il commet une « faute ». Ainsi, la mort du protagoniste suscite crainte et pitié plutôt qu’indignation ou satisfaction. Mais si l’ambivalence morale d’Alexandre en fait un parfait héros tragique, là ne s’arrête pas le travail de l’ambiguïté dans la pièce de Hardy, car les erreurs reconnues par le conquérant n’épuisent pas les soupçons qui pèsent sur lui. Au deuxième acte en effet, le discours des conjurés vient réactiver la critique de Parménion. Présentant leur crime comme un acte de justice, à la façon des assassins de César, ils accusent Alexandre de tyrannie10 : Nous libérez d’un joug d’horrible servitude. Afin que ses pareils fuyant l’ingratitude, Apprennent à garder les bornes du devoir, Et faire au bien public servir leur grand pouvoir. (II, 1, v. 365-368, p. 95-96)

Adoptant la rhétorique des défenseurs de la liberté, accusant le monarque d’orgueil et évoquant en particulier son désir d’être honoré comme un dieu, Antipater et ses fils font peser sur l’ethos d’Alexandre un doute, que vient encore renforcer le fait que leur crime semble accomplir la volonté divine. En effet, la mort du conquérant est annoncée par une succession de signes, parmi lesquels la prophétie d’un mage. Dans la tirade conclusive, Perdice, fidèle compagnon du monarque, ne peut finalement que constater que sa mort était écrite : Babylone selon l’oracle des devins Devait de ce grand Prince accomplir les destins, Absenté plusieurs fois, sa fatale demeure N’empêche que chez elle, ô désastre, il ne meure. (V, 2, v. 1351-1354, p. 140)

Le discours d’Alexandre est ainsi frappé de soupçon par la construction dramatique qui superpose les points de vue, et cela d’autant plus que dès son entrée en scène le monarque a exhibé la disjonction possible entre son propos, la représentation qu’il donne de lui-même et la vérité de son état. Après avoir

10. Le terme « tyran » est employé au vers 832.



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exposé sur la scène son corps tremblant, le roi se révolte en effet contre cette perception de lui-même et s’exhorte à en avoir une autre : Non, désormais unique en l’empire du monde, N’appréhende qui plus à tes vœux ne seconde, […] Paisible possesseur de la terre asservie, Qui foules à tes pieds les périls et l’envie. (I, 2, v. 61-62 et 65-66, p. 82)

Alexandre appelle ainsi de ses vœux un sentiment de maîtrise et d’invulnérabilité que son courtisan vient soutenir par une construction faite de mots : Seul portrait animé du Monarque suprême, Seul en tes hauts exploits comparable à toi-même, Ton aspect nous influe un désir généreux, Ennemi du repos, de la gloire amoureux. (I, 2, v. 81-84, p. 83)

Entre la présence réelle et les représentations forgées dans les discours, l’écart est patent. La tragédie de Hardy est ainsi traversée par la mise en doute des signes du pouvoir. Cette exploitation du jeu autorisé par le double corps du roi11 installe l’ambivalence en principe structurant et dynamique de la dramaturgie, en même temps qu’elle met en place une crise du modèle politique que le dénouement viendra résoudre.

Alexandre, la fin d’un mythe Face aux fantômes faits de mots, seul s’impose le corps du protagoniste, qui vient opposer sa matérialité indiscutable aux représentations illusoires. Le roi, ce corps symbolique, cette image dotée de qualités héroïques, se voit ainsi, pendant toute la pièce, incarné dans un corps physique, désirant, tremblant ou souffrant. Cette présence du corps se manifeste au cours de la pièce sous deux aspects fondamentaux et complémentaires : l’élan du désir sexuel, la faiblesse de la chair malade. Lorsque, dans la scène  2 de l’acte III, Roxane expose à Alexandre ses craintes et le supplie de quitter Babylone sous la pression des augures, ce dernier se soumet avec les arguments topiques de l’amour courtois. Mais il ajoute aux protestations d’obéissance et de servage l’expression d’une attirance de la chair :

11. Voir E. Kantorowicz, Les deux corps du roi, trad. française J. P. et N. Genêt, Paris, 1989 (1ère éd. 1957).

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Tiphaine Karsenti Approche, qu’un baiser apaise tes douleurs, Et réprime le flux de ces humides pleurs, Derechef, mon désir, je te donne parole, Que cédant quelque chose à ta crainte frivole, Babylone dans peu nos pas n’imprimera, Alors pourras-tu bien croire qu’on t’aimera, Sage d’expérience, alors pourras-tu dire Que l’Empereur du monde est serf de ton empire, Que l’amour en tes yeux triomphe, mais voici Médie qui nous vient divertir ce souci, Son festin préparé n’attend que ma venue, Qu’au sortir, dans le lit je te retrouve nue. (III, 2, v. 807-818, p. 115-116. Nous soulignons)

L’amoureux soumis à sa belle et « l’empereur du monde » laissent ainsi s’exprimer un désir du corps qui se formule de façon brutale et impérieuse, dans une rupture de rythme éloquente avec le discours courtois qui précède. Pendant les deux derniers actes d’autre part, le corps du roi est présent sur la scène alors qu’il a avalé le poison qui éteint peu à peu en lui les fonctions vitales. Son agonie se déroule par étapes, marquées dans le dialogue par des évocations précises de la dégradation physique. Sitôt le poison bu, le corps frissonne : Voilà que néanmoins une syncope étrange À des cris redoublés de torture le range, Son corps frissonne tout. (IV, 1, v. 869-871, p. 119)

Face à son médecin, Alexandre évoque ensuite « un mal désespéré qui trouble [s]a raison, / Qui coule dans [s]es os glaces continues, / Qui montre au point fatal [s]es heures parvenues » (IV, 2, v. 1037-1039, p. 126). Après qu’il s’est échauffé, prêt à combattre pour mourir debout, il tombe et Philippe constate : Dieux, une pâmoison léthargique l’a pris, L’excès du mal occulte assoupit ses esprits. (IV, 2, v. 1068-1069, p. 127)

Puis, s’éveillant pour dire adieu à ses soldats, le roi avoue (V, 1, v. 1106, p. 130) : « Ce corps à ses douleurs ne peut plus résister. » Il doit enfin prévenir Roxane : Ce corps cède aux rigueurs de sa longue torture, Dans peu je dois payer le tribut à nature. (V, 2, v. 1253-1254, p. 136)

La mort, qui s’est d’abord annoncée par une accumulation de présages dans les trois premiers actes, s’approche dans les deux derniers sous la forme d’un mal physique dévorant. Alexandre apparaît ainsi tout au long de la pièce comme



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la victime pitoyable d’un malheur qui le traque, corps mortel et fragile malgré sa puissance symbolique. En mettant en tension ces deux représentations du protagoniste, à la fois puissance d’exception et corps périssable, Hardy invite le public à questionner la construction symbolique qu’est le mythe héroïque. À l’exaltation provoquée par certaines des tirades d’Alexandre se mêle chez le spectateur le sentiment mélancolique de l’ambivalence et de la fragilité des représentations humaines, soutenu par l’effet pathétique provoqué par le corps réel de l’acteur sur la scène. Alexandre est un beau mythe, semble dire Hardy, mais il est une construction illusoire. C’est en ce sens du moins que l’on peut interpréter l’une des répliques du conquérant alors qu’il voit arriver la mort. À Antigone, son courtisan, qui tente de le rassurer en lui rappelant qu’il ne peut mourir puisqu’il est fils de Jupiter, il livre la clef de la plus grande marque d’orgueil dont on l’ait accusé. S’il a laissé croire qu’il était fils d’un dieu, c’était par pur calcul politique, pour asseoir son autorité sur les nations barbares12 : Absurde vanité, impieuse folie Produite des vapeurs d’une mélancolie, Qui dedans mon cerveau ne pénétra jamais, Je ne crus onc amis, ne croirai désormais, Autre qu’humain tirer l’origine mortelle, Les Dieux n’ont avec nous aucune parentelle, Impassibles, exempts de toute infirmité Sans un terme de jours qui vienne limité, Sans corps qui puisse après résout en pourriture Altérer nullement sa première nature, D’esprit seul composés, pur, sublime, parfait. Bien contre ma créance autrefois ai-je fait, Que mille nations barbares subjuguées, Ensemble ne se sont au révolte liguées, Pour m’estimer avoir quelque chose de plus, Ains qu’un Dieu les régit sous ma forme reclus. (IV, 2, v. 941-956, p. 122-123)

En démystifiant son image, Alexandre affirme définitivement sa nature mortelle, que vient confirmer ce corps présent sur la scène, prêt à se réduire « en pourriture ». Et en exposant sur la scène de théâtre l’écart entre le réel et sa représentation, Hardy célèbre la puissance de l’illusion.

12. Cet argument est inspiré du Dialogue des morts de Lucien (trad. Filbert Bretin, Paris, Abel l’Angelier, 1583, p. 101).

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Un nouveau paradigme politique Hardy utilise donc le jeu permis par la figure du grand conquérant providentiel pour construire une dramaturgie dynamique, reposant sur le conflit entre signes et significations, discours et présence, interprétation morale et interprétation politique. Car Alexandre n’est pas seulement un héros, comme Achille, mais il est également un roi, et un bon roi si l’on en croit ses nombreuses déclarations au cours de la pièce. À l’interprétation de sa mort comme châtiment de son orgueil, il oppose d’ailleurs une lecture à la fois fataliste et politique des événements. Le complot dont il est la victime est ce à quoi s’expose inévitablement tout bon gouvernant : Mais or que droiturier un Monarque chemine, Qu’il se moule au portrait de la bonté divine, Qu’il ne soit que clémence, intégrité, douceur, Le révolte pourtant le menace agresseur, Nul bienfait n’apprivoise un monstre si farouche, Nulle peur ne lui met le mors dedans la bouche. Comment le pourrions-nous, si Jupiter ès cieux Son venin tant de fois sentit pernicieux, Attaqué, mal voulu de l’immortelle bande, Bien que sans passion sa prudence commande ? Fortune ses faveurs contrepèse toujours De quelques accidents qui traversent nos jours, Son miel se distribue égal en amertume. (III, 1, v. 721-733, p. 112)

L’ouverture topique de la pièce mettait en place le cadre didactique attendu dans une tragédie portant sur la mort d’un roi : tel un miroir des princes, la pièce allait démontrer aux grands les dangers de l’orgueil. Mais le dénouement décale légèrement le contenu didactique de la morale vers la politique. Une fois que le souverain a expiré se succèdent deux interventions de ses courtisans, Antigone et Perdice, qui n’évoquent à aucun moment la leçon morale annoncée. Le premier reprend les lieux communs de la plainte tragique finale en invitant le public à constater la réversibilité de la fortune. Puis, il pleure la mort du roi en la présentant comme la fin de tout bonheur possible pour le royaume : Épreuve trop cruelle, épreuve trop certaine, Qui, ce Monarque éteint, rend notre attente vaine, Qui nous prive d’un Roi sans pareil désormais, D’un Roi que l’univers renomme à tout jamais, D’un Roi qui dans la tombe emporte nos courages,



« Ce Lion devenu cruel de magnanime » 121 D’un Roi qui de Nestor mérita les trois âges, D’un Roi qu’on ne saurait dignement regretter, Qui fit naître notre heur, et le fit avorter. (V, 2, v. 1337-1344, p. 140)

Ce discours fait de la mort du monarque une fin que traduit bien le mouvement équilibré et symétrique des deux hémistiches du vers final : « Qui fit naître notre heur, et le fit avorter. » Il ne débouche que sur une déploration bloquée en un bégaiement anaphorique, impuissante à dépasser le deuil de ce seul « Roi ». Mais l’atmosphère mélancolique et nostalgique de ce discours funèbre en forme de portrait posthume est rompue par Perdice, qui lui oppose une réaction pragmatique en s’interrogeant sur la continuité politique de la communauté : Or contraints d’endurer tel outrage du sort, Effectuons, prudents, la volonté du mort, La fleur des Macédons au conseil assemblée, Qui n’attende une mer furieuse, troublée, À prévenir l’orage, et en notre union, Éteigne le flambeau d’une fière Enion13. (V, 2, v. 1359-1364, p. 141. Nous soulignons)

En mourant, Alexandre avait en effet refusé de désigner un successeur, préférant déléguer cette décision au vote d’une communauté d’hommes égaux en vertus : Une pluralité de suffragantes voix À telle élection donne tout autre poids. (V, 1, v. 1144-1145, p. 131)

Ses dernières paroles avaient été adressées à ses courtisans pour leur demander d’assurer la paix : Vous amis recevez de mandement dernier Ce que votre devoir ne me saurait nier, Une paix maintenue, une concorde sainte. (V, 2, v. 1299-1301, p. 138)

L’héritage légué par Alexandre n’est pas héroïque, mais il est politique : c’est l’exigence du maintien de la paix, par le biais d’une décision collective prise en assemblée. La tragédie a mis en scène la disjonction entre les deux corps du roi, autrement dit l’imperfection du corps réel, soumis aux désirs et à la démesure – colère et orgueil –, au regard de sa perfection symbolique. À partir de la figure quasi-mythique d’Alexandre, l’auteur a ainsi travaillé à figurer l’écart entre les représentations du pouvoir et sa réalité, et à mettre en 13. Précisons que ces vers sont les derniers de la tragédie.

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évidence l’insuffisance du paradigme de droit divin pour éviter le désordre. Dans son dénouement, la pièce propose alors de renoncer au modèle épique de l’homme providentiel et à la conception théologico-politique qui le soustend, au profit d’une autre façon de penser la souveraineté. C’est Alexandre lui-même qui, parvenu au seuil de la mort, donne toute sa légitimité à cette transition entre deux conceptions du fondement de la puissance politique : au modèle d’un pouvoir autorisé par son fondement divin, s’oppose celui d’une puissance acquise par délégation, à l’issue d’un vote en assemblée, appuyée sur la confiance dans la capacité des hommes à faire ensemble un juste choix14. Dans ce dénouement, Hardy met donc en scène un changement de paradigme politique, organisé par un Alexandre soucieux d’assurer la concorde parmi les siens. La prudence, évoquée par Perdice, renvoie à la valeur aristotélicienne qui s’inscrit dans une éthique et une politique pragmatiques, revendiquées par les théoriciens de la raison d’État qui dominent la pensée politique au tournant des xvie et xviie siècles15. Le dénouement de la tragédie propose ainsi de substituer à une souveraineté soumise à un référent transcendant et absolu, un mode de gouvernement fondé sur un système de valeurs relatif, où chaque jugement est à construire de façon pragmatique et où les bons conseillers auront plus de place que les flatteurs. En représentant la mort d’Alexandre comme un moment de repentance, au cours duquel un roi, qui fut soumis à ses passions – orgueil et colère –, se révèle prudent et rationnel, Hardy construit ainsi une fiction en rapport analogique avec le réel historique. Car les guerres de religion n’ont pris fin que grâce à la substitution d’une logique politique rationnelle à la logique passionnelle et zélée qui animait les chefs ligueurs16. Le trajet du caractère d’Alexandre suit ainsi la même évolution, de la passion à la raison, du désir de conflit au désir de concorde, et il exemplifie une transition amorcée à la fin du règne de Henri IV et consolidée dans les premières années de celui de Louis XIII. Avant que la propagande royale orchestrée par Richelieu ne s’empare de la figure d’Alexandre, et après que les conflits religieux ont remis en cause le modèle mystique médiéval et son unité organique, Hardy représente donc une communauté politique prête à renoncer au fondement ontologique 14. Sur ces aspects idéologiques et leur lien avec la pensée jésuite du pouvoir, voir nos analyses dans l’introduction à La Mort d’Alexandre, A. Hardy, Théâtre complet, t. 4, Paris, à paraître. 15. Sur les doctrines de la raison d’État, voir notamment Miroirs de la raison d’État, Cahiers du CRH, 20 (avril 1998) ; Y.-C. Zarka (dir.), Raison et déraison d’État. Théoriciens et théories de la raison d’État aux xvie et xviie siècles, Paris, 1994. 16. C’est la célèbre thèse développée par R. Kosellec dans Le règne de la critique, Paris, 1979 (1ère édition 1959).



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de la politique, à réinventer sans cesse ses valeurs au contact de la situation réelle et concrète, afin d’assurer une concorde qui n’est plus donnée. La mort d’Alexandre, parce qu’elle confronte la figure mythifiée à l’évidence de ses limites et parce qu’elle représente la fin d’un cycle glorieux, lui permet de mettre en jeu une tension tragique – entre grandeur et décadence, entre idéal et réalité – qui assume une double fonction, à la fois théâtrale et idéologique : tout en assurant le dynamisme de l’action et l’effet pathétique de la pièce, cette dramaturgie du conflit et de la contradiction permet de représenter le changement de paradigme politique en cours. Ce faisant, elle plaide également pour un théâtre qui ne vise pas, à travers la célébration des valeurs communes, une réception unique et homogène, mais qui soit le lieu d’une confrontation des points de vue, s’adressant à une communauté hétérogène de spectateurs qui formeront leur jugement d’après leur expérience du spectacle et non en vertu de principes a priori. Alexandre devient ainsi la figure d’un monde qui s’achève, mais qui lègue son héritage à qui saura s’en saisir et l’adapter aux réalités nouvelles du présent. Tiphaine Karsenti Université Paris-Nanterre

Alexandre le Grand dans la tragédie de la Constituante : du héros tragique au mythe inversé du « grand homme » Comme l’ont établi les travaux de Chantal Grell et de Pierre Briant1, Alexandre le Grand fait l’objet de nombreux écrits historico-politiques au xviiie siècle, principalement issus des Histoires de Quinte-Curce et de la Vie d’Alexandre de Plutarque2, dont les anecdotes et le ton édifiant contribuent à en dresser un portrait contrasté. C’est alors qu’en 1770 le sujet de l’Académie porte sur « les historiens d’Alexandre le Grand », un prix que remporte le baron de Sainte-Croix en rétablissant l’autorité de l’Anabase d’Arrien tout en dénonçant les écrits de Quinte-Curce3. Cette recherche d’une vérité historique affecte-t-elle pour autant les représentations scéniques d’Alexandre ? Du côté du répertoire lyrique français, parmi les opéras, ballets et pantomimes créés entre 1770 et 17924, deux œuvres sont jouées avec succès sur la scène de l’Académie royale de musique : le ballet de Noverre et l’opéra de 1783 de Lefroid de Méreaux intitulé Alexandre aux Indes, dont le livret est directement inspiré de la tragédie de Racine5. Or, Le Mercure de France loue la « magnificence » de ses ballets, décors et costumes, notamment « l’armure de Porus » commentée ainsi : « C’était le tableau de Lebrun, vivant et animé6. » 1. C. Grell, Le dix-huitième siècle et l’Antiquité en France 1680-1789, Oxford, 1995 ; P. Briant, Alexandre des Lumières. Fragments d’histoires européennes, Paris, 2012. 2. C. Grell et C. Michel, L’École des princes ou Alexandre disgracié. Essai sur la mythologie monarchique de la France absolutiste, Paris, 1988, p. 39 ; C. Grell, Le dix-huitième siècle et l’Antiquité en France, op. cit., t. 2, p. 1010. 3. P. Briant, Alexandre des Lumières, op. cit., p. 131. 4. Hormis le succès de l’opéra de Metastasio, on peut relever chronologiquement les pièces suivantes : 1770, ballet héroïque de Lauchery ; 1772, ballet de Jonchère ; 1773, ballet de Noverre ; 1782, drame en musique de Rezzonico (traduction par Du Buisson) ; 1783, opéra de Lefroid de Méreaux ; 1783, parodie de l’opéra de Méreaux ; 1787, pantomime dialoguée de Mayeur de Saint-Paul sur le théâtre des Grands Danseurs du roi ; manuscrit pour l’opéra, Roxane et Statira, 1792, non représenté, ensuite repris par Candeille. 5. Toutefois, le librettiste, Étienne Morel de Chédeville, ne « dégrad[e] » plus le grand Alexandre par l’amour, « moyen que Racine et Métastase ont jugé nécessaire », rappelle le Mercure de France du 6 septembre 1783. 6. Ibidem. L’entrée d’Alexandre le Grand sur la scène européenne éd. Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas Turnhout, 2017, (Alexander Redivivus, 9) p. 125-137 © F H G

DOI 10.1484/M.AR-EB.5.113440

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Les travaux des historiens ne ruinent donc pas le mythe positif notamment transmis par les tableaux de Le Brun : d’une part le personnage fournit le cadre oriental propre à satisfaire le goût du public en faveur de l’exotisme et du retour à l’antique ; d’autre part, il renouvelle les sources mythologiques de l’opéra sous des dehors historiques lointains7. Du côté du théâtre, tragédies ou comédies, nous ne relevons aucun succès de ce genre. Chantal Grell juge même les pièces écrites à son sujet « décevantes et fort ennuyeuses8 ». En l’occurrence, à partir de 1770, seuls deux auteurs dramatiques, par ailleurs peu connus de l’univers théâtral, s’inspirent du personnage d’Alexandre. Le premier, Delisle de Sales décline l’épisode des amours d’Apelle et de Campaspe, en 1788, dans trois pièces destinées à la lecture9, tout en brossant un portrait du conquérant peu avenant, tout particulièrement dans le Couronnement d’Alexandre ou la chute de Bagoas. Rappelons qu’un an auparavant, le tableau de Lagrenée, Fidélité d’un satrape de Darius, explicite la cruauté d’Alexandre10. En 1789, c’est la superstition qui fait l’objet d’Alexandre consulte l’oracle d’Apollon11. Or cette même année, le thème de la superstition est précisément traité dans la seule tragédie de cette fin de siècle qui reprend le récit de Quinte-Curce sur la mort d’Alexandre : Alexandre le grand, parue anonymement12 et non représentée, selon le répertoire très précis de Tissier13 et la mention manuscrite qui figure sur la couverture de l’exemplaire de la bibliothèque de l’Arsenal14.

7. Voir F. d’Artois, « Les spectacles dansés pendant la Révolution et l’Empire », dans Le répertoire de l’Opéra de Paris (1671-2009). Analyse et interprétation, éd. M. Noiray et S. Serre, Paris, 2010, p. 439-483. L’auteure souligne le « médiocre succès des opéras mythologiques » (ibidem, p. 450) mais un « intérêt constant pour l’opéra historique » qui représente 42% des sujets issus de l’Antiquité (ibid., p. 452). Le relevé statistique des spectacles joués à l’Opéra sous la Révolution indique d’ailleurs que les sujets mythologiques ne dominent plus, la moitié des spectacles relevant de sujets historiques si bien que l’histoire antique représente environ un cinquième de l’ensemble du répertoire (ibid., p. 480-481). 8. C. Grell et C. Michel, L’École des princes ou Alexandre disgracié, op. cit., p. 46. 9. Jean-Baptiste-Claude Delisle de Sales, Alexandre et Apelle, comédie en un acte, dans Théâtre d’un poète de Sybaris, Paris, 1788, t. 2, p. 1-75 ; Alexandre sur les bords de l’Hydaspe, drame héroïque en trois actes et en vers, ibidem, t. 2, p. 77-165 ; Le couronnement d’Alexandre ou la chute de Bagoas, ibid., t. 3, p. 185-364. 10. C. Grell, Le dix-huitième siècle et l’Antiquité en France, op. cit., t. 1, p. 631. 11. C. Grell et C. Michel, L’École des princes ou Alexandre disgracié, op. cit., p. 131-132. 12. Alexandre le grand, tragédie en cinq actes et en vers, par M***, Amsterdam, 1789. 13. A. Tissier, Les spectacles à Paris pendant la Révolution : répertoire analytique, chronologique et bibliographique, Genève, 1992-2002. 14. Cote : GD-19406



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Cette pièce éveille la curiosité car il s’agit d’une pièce révolutionnaire, dernièrement attribuée à Thomas Rousseau15 qui vécut entre 1750 et 1800. Cet homme de lettres, traducteur, essayiste et satiriste, est un fervent révolutionnaire, archiviste des jacobins16. Surtout connu pour ses nombreux chants patriotiques, il est par ailleurs un admirateur du théâtre de Voltaire auquel il rend hommage dans une Ode17 en 1778. La tragédie d’Alexandre le Grand, de facture classique, en 5 actes et en vers, s’inscrit dans l’esthétique du théâtre révolutionnaire grâce à son paratexte18, à savoir une Ode finale à l’Assemblée nationale et une dédicace initiale aux femmes qui, le 7 septembre 1789, se sont rendues à l’Assemblée nationale pour offrir « leurs bijoux au besoin de la patrie, comme autrefois les dames romaines dans de grands malheurs de la République19 ». Ces « citoyennes généreuses […] toutes femmes ou filles d’artistes » sont publiquement remerciées : « Les beaux-arts, par ce sacrifice, se sont associés à la liberté naissante20. » Ce double paratexte offre les clefs d’une lecture actualisante de la tragédie : comme l’a déjà montré Jean-Pierre Perchellet21, la tragédie du xviiie siècle est en cela conforme à la tradition où le sujet historique ou antique permet de relire le présent. Toutefois les pièces révolutionnaires font davantage appel à des héros fidèles partisans de la République tels que Brutus, si l’on songe à l’histoire antique22. Quel rôle Alexandre peut-il jouer dans de telles circonstances ? On interrogera plus précisément l’articulation qui s’opère entre la figure d’Alexandre et le contexte révolutionnaire. En d’autres termes, dans quelle mesure la scène révolutionnaire apporterait-elle un éclairage singulier au personnage d’Alexandre ? Nous analyserons donc la construction du personnage d’Alexandre, comme héros tragique, dans l’économie de la pièce pour éclairer l’interprétation 15. Il s’agit d’une attribution récente dans le catalogue de la BnF. La bibliographie de Conlon comme le répertoire de C. D. Brenner maintenaient l’anonymat : P.-M. Conlon, Le siècle des Lumières. Bibliographie chronologique, Genève, 1983-1993 ; C. D. Brenner, A Bibliographical List of Plays in the French Language 1700-1789, New York, 1979 (première édition, 1947). 16. Cardinal Georges Grente (dir.), Dictionnaire des Lettres françaises, Le xviiie siècle, édition revue et mise à jour sous la direction de F. Moureau, Paris, 1995, p. 1170-1171 (1ère édition 1960). 17. T. Rousseau, Les tragédies de M. de Voltaire, ode à leur auteur en 1778, Ferney, 1781. 18. Voir R. Tarin, Le théâtre de la Constituante ou l’école du peuple, Paris, 1998, p. 128-137. 19. Journal de Paris, 9 septembre 1789, p. 1144. 20. Ibidem. 21. J.-P. Perchellet, L’héritage classique. La tragédie entre 1680 et 1814, Paris, 2004, p. 279-312. 22. Martial Poirson précise néanmoins que les pièces révolutionnaires militantes sont très diverses et ne relèvent pas seulement de la tragédie historique à personnage mythique (« Introduction », dans Le théâtre sous la Révolution : politique du répertoire (1789-1799), dir. M. Poirson, Paris, 2008, p. 42-44).

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politique d’un anti-héros au regard des monarques français. Toutefois, il semblerait que ce soit moins Alexandre que l’emblème de sa mort qui engage une réflexion sur le pouvoir en devenir.

Construction de la pièce autour de la volte-face d’Alexandre : un héros tragique De fait, sous l’angle esthétique et générique, Alexandre est construit comme un héros tragique qui court irrévocablement à sa mort malgré une volte-face inattendue à la suite de l’épisode de la proskynèse23. Le sujet ayant déjà été traité par Alexandre Hardy en 162624 dans la Mort d’Alexandre, qui respectait toutefois plus fidèlement l’hypotexte de QuinteCurce – les deux fils d’Antipater étaient complices de la conjuration –, on peut se demander si Thomas Rousseau ne s’inspire pas davantage de la pièce baroque que des sources antiques. En outre, le thème de la superstition d’Alexandre est mentionné entre autres dans le dictionnaire de Bayle et plus spécifiquement à la fin du xviiie siècle, dans l’Histoire ancienne de Condillac en 1775 ou encore dans De la vie d’Alexandre de Quinte-Curce, avec les suppléments de Jean Freinshemius de l’abbé Mignot en 178125. Nul n’ignore la légende de sa naissance fabuleuse développée dans les Vies de Plutarque comme le lui rappelle Roxane (II, 4, éd. cit., p. 23) : « Mais Jupiter Ammon n’est-il pas votre père ? » C’est aussi le sujet de la tragédie de Piron, Callisthène, jouée à la Comédie française en 173026, si ce n’est que seul le philosophe meurt pour avoir voulu dessiller Alexandre. La proskynèse demeure donc un leitmotiv qui illustre et condamne la démesure d’Alexandre, même si Voltaire, dans son article des Questions sur l’Encyclopédie, propose de la contextualiser au 23. L’action se déroule à Babylone le jour du retour d’Antipater, qu’Alexandre a rappelé pour lui retirer ses fonctions de gouverneur de la Macédoine. Alexandre, victorieux, est aveuglé à la fois par son amour pour la perfide courtisane Roxane et par un désir de toute-puissance, celui de se faire adorer comme un dieu. Il s’attire les reproches de son épouse Statira, le mécontentement des Macédoniens, l’insoumission d’Antipater et du sage Soter. La scène de consécration divine, la proskynèse, qui se déroule hors scène, fait office de coup de théâtre car Alexandre, terrorisé par les manifestations de la colère divine, reconnaît ses péchés et rejette Roxane. Roxane se venge en se servant de l’amour que lui porte Cassandre, le fils d’Antipater. Elle le convainc d’obéir à Antipater et d’empoisonner Alexandre que l’on voit se repentir sur son lit de mort. 24. 1626 est la date de publication, celle de composition et de représentation serait aux alentours de 1620. 25. C. Grell et C. Michel, L’École des princes ou Alexandre disgracié, op. cit., p. 204 et 206. 26. Alexis Piron, Callisthène : tragédie, Paris, 1730.



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sein des coutumes perses27, ce que réalise d’ailleurs plus ou moins la tragédie de Thomas Rousseau. Elle repose en effet sur une amplification à partir de deux éléments de la vie d’Alexandre qui justifieraient son empoisonnement : sa superstition et l’adoption des coutumes perses. Le matériau historique est ainsi adapté au genre de la tragédie. C’est assurément aux règles de vraisemblance que doit se conformer le récit de l’empoisonnement rapporté par Quinte-Curce : il est alors simplifié puisque Antipater n’a plus deux fils qui agissent de concert mais un seul qui portera la coupe empoisonnée. Quant à l’unité de lieu et de temps, elle nécessite la présence d’Antipater à Babylone, au détriment de la vérité historique, de sorte qu’il peut ourdir le complot sous les yeux du public. L’unité de temps est de surcroît renforcée puisque la journée doit à la fois consacrer Alexandre au rang des dieux et célébrer son mariage avec Roxane : C’est au temple où je veux signaler mon hommage. Un superbe appareil y frappera vos yeux. Vous m’y verrez jouir des honneurs dus aux dieux, Et les rendre à l’amour ; oui vous viendrez vous-même Partager avec moi la Majesté suprême, Jouir des attributs de ma divinité, Et fouler à vos pieds la faible humanité. (II, 4, p. 26)

L’unité d’action repose sur la conjuration contre Alexandre, conjuration fomentée par un Antipater disgracié et mû par la soif du pouvoir. Mais il tente de légitimer ce complot par le mécontentement des soldats, par les crimes d’Alexandre et par son actuel péché d’orgueil qui consiste à se faire adorer comme les dieux. L’amour, outil encore largement utilisé dans la tragédie du xviiie siècle, bien que décrié, vient servir le complot politique, conformément au topos du héros tout-puissant vaincu, tel Hercule ou Ulysse, grâce à l’invention d’une rivalité amoureuse entre Cassandre et Alexandre. Les personnages principaux, qui correspondent aux personnages historiques, sont construits selon un système binaire plaçant en symétrie les opposants à Alexandre (Roxane et Antipater) et ses adjuvants (Statira et le sage Soter que l’on peut assimiler à Callisthène). La construction de Roxane en courtisane manipulatrice opposée à la fidèle épouse Statira pourrait s’expliquer par le rôle qu’elle aurait joué dans l’assassinat de Statira selon Plutarque28. Mais au-delà des sources antiques, ce parti pris en faveur de Statira correspond à l’évolution de la tragédie qui promeut les valeurs de la famille et de l’amour 27. C. Grell et C. Michel, L’École des princes ou Alexandre disgracié, op. cit., p. 199-200. 28. J. Malye, La véritable histoire d’Alexandre le Grand, Paris, 2009, p. 316.

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conjugal. Les personnages secondaires, personnages fictifs, en l’occurrence les confidents, personnel de la tragédie, permettent quant à eux d’éviter les longs monologues. Mais ce sont les dieux, seuls personnages absents de la scène, qui semblent orchestrer l’action conformément à la tragédie antique. Toute la tragédie est de fait construite autour de la colère divine qui se manifeste entre l’acte III et l’acte IV. Il s’agit d’un coup de théâtre expliquant le portrait double d’Alexandre, fondé sur deux images opposées autour d’un axe central qui fait office de miroir inversé. En effet, l’acte I, dans lequel Alexandre n’apparaît pas, relève de l’exposition avec la mise en place d’une situation de complot. Les actes II et III révèlent le péché d’orgueil d’Alexandre le Grand, conquérant et amoureux. Les actes IV et V mettent en scène le rejet de Roxane par un Alexandre repenti et désormais lucide avant sa mort. Toutefois ce revirement brutal n’empêche pas la conjuration mais, au contraire, l’active : sans le désir de vengeance de Roxane, Cassandre n’aurait pas accompli un geste qu’il refusait à son père. Ainsi, Alexandre apparaît comme le jouet des dieux, victime de l’ironie du sort, du Destin de la tragédie antique. Il est tout à la fois objet de la conjuration (par la manipulation amoureuse) et objet de la superstition. Le revirement d’Alexandre ne participe donc pas d’une prise de conscience rationnelle et objective mais résulte d’une terreur superstitieuse. Il est donc plus agi qu’il n’agit. Les deux interprétations (complot politique et/ou vengeance divine) s’articulent en toute vraisemblance aux yeux du lecteur/spectateur. Selon les codes de la tragédie classique, Alexandre est le jouet des dieux et ne peut échapper au sort que lui réserve la Providence, en lien avec les prophéties bibliques. Selon les codes de la tragédie nationale en cours sur les scènes de la Constituante, seule la superstition d’Alexandre déclenche la mécanique qui le conduit à sa perte. Par cet entrelacement entre motifs antiques et codes de la tragédie, Alexandre apparaît comme une victime, victime de soi, des dieux et des hommes. Il serait en ce sens digne des héros tragiques victimes du Destin, même s’il n’est pas aussi innocent qu’il n’y paraît.

De Louis XIV à Louis XVI : Alexandre, anti-héros de la nation française ? C’est donc sous l’angle de l’histoire nationale qu’il convient d’analyser cette tragédie. La conjuration contre le tyran fait partie des scenarii de



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la tragédie. L’intrigue est d’autant plus justifiée que le règne d’Alexandre a été troublé par plusieurs conspirations, de sorte que le matériau antique est habilement intégré à l’esthétique de la tragédie. Or dans la première moitié du xviiie siècle, la conspiration frappe Darius, ennemi d’Alexandre, dans la tragédie de 1723 de Goiseau29. Dans la seconde moitié du xviiie siècle, elle frappe désormais Alexandre dans la tragédie d’un certain Fénelon30, un capitaine de cavalerie, petit-neveu du « grand Fénelon », archevêque de Cambrai, qui s’exerce en amateur à l’écriture dramatique et propose deux versions d’une tragédie intitulée Alexandre, en 1754 et en 176131, qui s’achèvent par la clémence d’Alexandre. Cette clémence d’Alexandre est un des leitmotive qui ont toujours cours en cette fin du xviiie siècle tant sur la scène lyrique dans l’opéra de Méreaux de 1783, encore joué en 1789, que dans le théâtre de Delisle de Sales. Peu de pièces en revanche s’achèvent par la mort d’Alexandre lui-même comme c’est le cas chez Thomas Rousseau. Sans doute ce choix s’explique-t-il par le répertoire propre au théâtre de la Constituante. Une conjuration contre un roi tyrannique n’a rien de surprenant en ces temps troublés. Mais Alexandre est loin d’apparaître comme un tyran à l’inverse de la tragédie de Piron par exemple. Dès son apparition au début du deuxième acte, il félicite ses généraux Néarque et Léonatos de leur victoire et les charge de reconstruire le tombeau de Cyrus : « La conquête a détruit et je veux réparer », explique-t-il (II, 1, p. 16). Statira lui rappelle sa générosité lors de la défaite de Darius (II, 3, p. 20) ainsi que sa noblesse et son équité à l’égard de ses soldats (II, 3, p. 22). L’image du tyran se reflète seulement par intermittence à travers l’évocation du meurtre de ses amis (II, 3, p. 22) Clitus et Parménion, ou à travers le portrait charge qu’Antipater dresse de lui (III, 6, p. 43). En réalité, l’image qui domine est celle d’un roi victime de sa démesure, un roi qui veut exercer sa toute-puissance à l’instar de Louis XIV, comme l’atteste l’Ode qui assimile Alexandre le Grand à Louis le Grand : Qu’est-ce pour nous la brillante histoire Du règne de Louis-le Grand ? Cessons d’encenser sa mémoire, Il fut despote et conquérant. (Ode, p. 61) 29. [Goiseau], Alexandre et Darius, tragédie, Paris, 1723. 30. Cardinal Georges Grente (dir.), Dictionnaire des Lettres françaises, Le xviiie siècle, op. cit., p. 480. 31. François-Louis de Salignac de La Mothe Fénelon, Alexandre, tragédie nouvelle en 5 actes, Paris, Prault, 1754 et Alexandre, tragédie nouvelle en 5 actes, Paris, Gueffier, 1761.

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À l’inverse, l’Ode rend hommage au bon Louis XVI. L’accusation porte essentiellement sur le fonctionnement d’une monarchie qui reposait sur l’iniquité, sur l’absence de lois et sur l’influence néfaste de la cour. Ce sont en effet les courtisans qui sont accusés de manipuler le tyran, qui l’engagent à suivre ses mauvais penchants, qui entretiennent et encouragent la posture de despote d’Alexandre, ainsi que Statira le dénonce à de multiples reprises : De tous vos ennemis reconnaissez l’ouvrage. Des flatteurs dangereux, vils esclaves des cours, Ont par leur langue impie, empoisonné vos jours. En vain la vérité voulut se faire entendre, Les méchants ont surpris le cœur d’Alexandre. (IV, 3, p. 39)

Il s’agit là d’un motif récurrent dans les tragédies nationales de cette époque telles que les a analysées Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval32. La scène révolutionnaire transforme donc Alexandre en un monarque trompé par sa cour, victime des complots et conspirations d’un entourage plus assoiffé du pouvoir que du bien public, ce qui apparaît également de manière très nette dans le drame héroïque de Delisle de Sales, le Couronnement d’Alexandre ou la chute de Bagoas. Les personnages d’Antipater et de Roxane sont en ce sens construits comme des doubles, véritables archétypes des courtisans manipulateurs dépourvus de sentiments. Certains passages liés à Roxane faisaient aussi allusion à Marie-Antoinette, remarque Christian Michel dans l’École des princes33. La duplicité de Roxane a en effet pu être dictée par la mauvaise presse qu’avait Marie-Antoinette, l’Autrichienne, auprès du public, notamment depuis le scandale de l’affaire du collier survenue en 1785, pour laquelle le cardinal de Rohan est acquitté en 178634. Quoi qu’il en soit, les deux personnages ne sortent pas victorieux. Roxane meurt et le personnage d’Antipater achève la pièce sur une note amère quant à l’exercice futur du pouvoir puisqu’il n’a pas réussi à se faire désigner comme successeur d’Alexandre (V, 10, p. 60) : « Le crime a ses succès […] mais il a ses remords. » En revanche, plus intéressant et plus énigmatique est le personnage de Cassandre, qui selon les sources antiques aurait commandité la mort de Roxane et celle de son enfant. Dans la tragédie de Thomas Rousseau, Cassandre n’a 32. M.-E. Plagnol-Diéval, « Louis XVI et Necker sur la scène de la Constituante », dans Le théâtre sous la Révolution, op. cit., p. 394-409. 33. C. Grell et C. Michel, L’École des princes ou Alexandre disgracié, op. cit., p. 134. 34. J.-C. Martin, La révolte brisée. Femmes dans la Révolution française et l’Empire, Paris, 2008, p. 17-20.



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rien d’un sanguinaire avide de crimes. C’est un personnage qui évolue et qui devient meurtrier malgré lui, manipulé par les mensonges de Roxane qui se sert de son amour pour elle. Il n’est pas non plus assoiffé de pouvoir et refuse de jouer le rôle de traître comme le lui demande son père. Il résiste, en dépit de sa jalousie, en dépit de la rivalité amoureuse, il résiste au nom de la fidélité due au roi, selon un rythme binaire qui ne souffre aucune objection : Je n’obéirai point ; le crime est loin de moi. Alexandre est mon maître, Alexandre est mon roi. (IV, 6, p. 43)

Cassandre agit sous l’effet des intrigues de cour en pensant sauver la vie de Roxane menacée par Alexandre. C’est ainsi qu’il est présenté à l’acte V, rongé par le remords selon la représentation traditionnelle de la tragédie classique, poursuivi par les furies, par les « sanglantes Euménides » (V, 5, p. 55). Cassandre n’est donc pas un Brutus qui lutte au nom de ses convictions politiques et pour le bien du peuple. Si l’on compare Cassandre aux héros des tragédies voltairiennes que Thomas Rousseau affectionne, il ressemble plus à Oreste qu’à Brutus. Cassandre, au même titre qu’Alexandre, est victime d’une situation qu’il ne contrôle pas : il n’agit pas mais réagit à la peur de perdre Roxane. Il ne saurait donc être considéré comme un héros national. Le tyrannicide n’appelle pas à l’identification du public, à l’admiration, mais réclame davantage sa pitié, pitié à laquelle on recourt lorsqu’il est dessillé ou encore lorsque sa bien-aimée se suicide devant lui et qu’il est forcé de lui survivre. Par conséquent, Cassandre n’est autre que le double d’Alexandre, le tyrannicide est le double du despote suscitant les mêmes émotions de la part du public : terreur et pitié. Si la passion d’Alexandre est sa démesure, celle de Cassandre est l’amour inconditionnel qu’il voue à Roxane. En ce sens, aucun des personnages qui contribuent à la mort d’Alexandre (Antipater, Roxane ou Cassandre) ne saurait susciter l’admiration. En 1789, cette tragédie n’encourage pas à la violence contre le corps du Roi au moment d’ailleurs où la garde nationale « apparaît comme un contre-pouvoir essentiellement destiné à contenir les mouvements populaires35 ». Elle dénonce les haines et les réactions violentes hâtives et irréfléchies. Bien qu’Alexandre meure, le pouvoir reste plus ou moins vacant et risque de tomber entre les mains d’un Antipater plus perfide qu’Alexandre. En ce sens, cette pièce engagée dispense un message relativement complexe en mettant sur un pied d’égalité Cassandre et Alexandre.

35. R. Tarin, Le théâtre de la Constituante ou l’école du peuple, op. cit., p. 64.

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La mort d’Alexandre, emblème d’un pouvoir en devenir : pièce didactique ou philosophique ? Peut-être est-ce cette complexité et le manque de clarté du message qui laissent cette pièce dans l’ombre au moment où le théâtre, comme l’indique le titre de René Tarin, doit être une « école du peuple ». Or la tragédie de Thomas Rousseau s’adresse aussi bien à Louis XVI, comme en témoignent les dernières strophes de l’Ode, qu’aux comploteurs de tous bords. Si le style est éminemment didactique avec de nombreuses maximes qui pourraient laisser envisager un message simple et clair, l’adresse multiple ménage des points de vue divers qui laissent pressentir une réflexion complexe sur le régime politique à venir36. Notons à ce propos que Thomas Rousseau a traduit l’Utopie de Thomas More37, dont on retrouve certaines idées telles que la liberté et le bonheur des peuples. Le régime politique idéal serait donc celui que décrète Alexandre en mourant. Conformément aux sources antiques, la tragédie s’achève par l’absence de successeur désigné. Un échange haletant a lieu entre Soter et Alexandre, mimé par les ruptures de rythme, découpant l’alexandrin en trois répliques successives : Soter : Nommez le successeur. Alexandre : Le plus digne. Soter : Il expire. (V, 20, p. 59)

La mort d’Alexandre sur scène est suivie de celle de Statira pour renforcer l’émotion du public avant que Soter ne conclue par cette maxime (V, 20, p. 60) : « Mortels, voilà quel est le terme des grandeurs. » Le propos est à double entente : soit il s’inscrit dans le style traditionnel des moralistes, soit il signifie que Soter approuve la décision d’Alexandre. Seul le bien commun doit déterminer le choix du souverain et du régime. Les dernières paroles

36. Le seul message clairement dispensé est celui qui condamne sans appel les courtisans et qui reprend les stéréotypes moralistes autour des faiblesses des rois. On retrouve également le stéréotype du malheur des grands qui ne doivent pas oublier leurs faiblesses humaines ainsi qu’Alexandre en fait l’amère expérience (IV, 3, p. 39) : « J’avais donc oublié que je n’étais qu’un homme. » On retrouve une maxime équivalente chez Alexandre Hardy (La mort d’Alexandre, dans Théâtre d’Alexandre Hardy, Paris, 1725, t. 2, V, 2, p. 81) : « Même sort à la fin leur est égal à tous. » 37. Thomas More, Tableau du meilleur gouvernement possible, ou L’utopie de Thomas Morus […]. Traduction nouvelle […] par M. T. Rousseau, Paris, 1780.



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d’Alexandre sont ainsi réinterprétées dans le contexte révolutionnaire en fonction de la Constitution qui défend le bien du peuple. Ce régime idéal en cours de construction en 1789 est celui qui, selon l’Épître dédicatoire de la pièce (p. 4), promeut la liberté en l’absence de maître mais en présence d’un « chef » qui fait respecter les « lois », seule manière de lutter contre le despotisme. C’est d’ailleurs Antipater qui dans la pièce incarne le despotisme, raison pour laquelle Alexandre le démet de ses fonctions. Au despote, il oppose une forme de patriarcat et se fait défenseur des opprimés : Vous avez abusé du pouvoir qu’en vos mains, Je remis, pour remplir mes généreux desseins, Pour rendre heureux un peuple, objet de ma tendresse, Vers lequel mes regards se sont tournés sans cesse. D’un pouvoir despotique usurpant tous les droits, Vous avez immolé la justice et les lois. (III, 2, p. 28)

Cela renvoie à l’avant-dernière strophe de l’Ode qui fait rimer le « roi débonnaire » qu’est Louis XVI et le « père » reconnu par le peuple : Sage monarque, heureux Louis XVI […] Philosophe, Roi débonnaire, Ton peuple en toi chérit un père, […] Si le peuple eût donné le trône, Tu régnerais par notre choix. Ta loyauté, tes mœurs austères, Ta douceur, tes vertus sévères, T’élèvent au-dessus de nous. Tu n’aimes que la bienfaisance. (Ode, p. 64)

En ce sens, c’est la légitimité du pouvoir, celle du roi, qui est défendue. Or cette légitimité ne s’acquiert pas par la force mais par la vertu, comme l’expose Statira, par les valeurs de justice et de paix défendues par Soter38. Si le message présente des ambiguïtés, c’est sans doute en raison des contradictions énoncées par les divers personnages : Antipater expose la rébellion naturelle des peuples contre le pouvoir pour justifier son apparent despotisme. De même Alexandre, aveuglé par la démesure dans les trois premiers actes, fomente diverses stratégies sur les conseils d’Oxus, son confident, pour acquérir une légitimité divine, pour se faire adorer des Grecs : il opère pour cela un 38. Notons que Soter ne plébiscite pas la République mais préfère une monarchie bien conduite. Statira, pour sa part, met en garde l’orgueilleux conquérant contre cette volonté de s’élever au rang divin, contre un désir de toute-puissance inadapté la liberté des citoyens grecs (III, 5, p. 31-37).

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chantage odieux auprès d’Antipater et de Soter. La volte-face d’Alexandre contribue donc à brouiller le message politique, du moins aux yeux d’un spectateur distrait ou peu averti. Seuls la fidèle Statira et le sage Soter, figure du philosophe, sont dignes de foi et font figure de porte-parole de l’auteur : ils ne craignent pas de dévoiler au roi la vérité, de lui signifier ses abus, de même que Callisthène dans la tragédie de Piron. L’auteur se place en effet du côté de la vérité. Il invite à lire sa pièce comme une initiative individuelle en faveur de la révolution comme l’indiquent les mises en abyme de l’acte d’écriture à deux reprises. Il récuse « le lâche historien et le chantre timide » au profit des éducateurs qui « instruiront leur siècle et la postérité […]. / Et jamais les tyrans ne pourront effacer / Les traits de vérité qu’ils auront su tracer » (III, 5, p. 36). L’auteur de la tragédie se place donc du côté des philosophes qui ont su dispenser la vérité à Alexandre. Le propos est réitéré dans l’Ode finale où le « je » cette fois se fait entendre en se plaçant du côté de « la vérité » (p. 63). Le rôle de l’écrivain consiste donc à agir sur les événements, à réagir également aux événements contemporains, sans précipitation, avec la distance nécessaire, celle que permet l’histoire antique sans doute, en faisant valoir tous les points de vue qu’autorise le dialogue théâtral, en faisant valoir la vérité, sans craindre de dénoncer la situation auprès des grands. Par conséquent, dans le théâtre de la Constituante, Alexandre n’incarne plus le mythe héroïco-politique tel que le conçoit Philippe Sellier39 ou du moins le détourne-t-il. Certes l’Ode finale invite à une lecture allégorique de la monarchie absolue de Louis XIV ; mais Alexandre, alias Louis le Grand, symbolise désormais le contre-modèle dans un contexte révolutionnaire qui prône la liberté et le bien commun. Ce n’est pas non plus le souci de vérité historique, en dépit de l’essai de Sainte-Croix, qui domine. Certes, la tragédie de Thomas Rousseau s’appuie sur les sources antiques, mais vraisemblablement par l’intermédiaire des multiples textes relais que sont les écrits de vulgarisation et autres pièces dramatiques. En outre ces sources sont absorbées par l’esthétique de la tragédie pour donner à penser l’avenir du régime monarchique dans le respect de la nouvelle Constitution. La tragédie de 1789 déconstruit alors le héros, déconstruit la figure ­héroïque d’Alexandre le Grand, « le Grand » étant une marque de despotisme selon Sainte-Croix, pour aborder une réflexion sur le « grand » homme 39. P. Sellier, Essai sur l’imaginaire classique, « Qu’est-ce qu’un mythe littéraire », Paris, 2005, p. 22.



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susceptible de souder la nation que peut encore devenir Louis XVI. Ce sont donc les erreurs d’Alexandre et, plus généralement, la soif du pouvoir qui sont dénoncées au nom du bonheur des citoyens, au nom de l’altruisme qu’incarnent les femmes de la Révolution. En ce sens, Alexandre pourrait aider à construire, en creux, le mythe du grand homme au moment où, comme le fait remarquer Jean Starobinski, les hommes ont besoin d’une mythologie nationale40. Béatrice Ferrier Université d’Artois

40. J.  Starobinski, Le remède dans le mal. Critique et légitimation de l’artifice à l’âge des Lumières, « Fable et mythologie aux xviie et xviiie siècles », Paris, 1989, p. 233-262.

Les amours du roi Alexandre Nouveaux ressorts dramatiques

Alexandre et ses femmes : autour de l’Alexander Magnus du P. Paillot (1690) Le 2 août 1690 fut donnée au collège Louis-le-Grand la tragédie dont la représentation accompagnait traditionnellement la remise des prix de fin d’année. Le sujet avait été choisi dans l’histoire grecque : les élèves des jésuites incarnaient pour l’occasion Alexandre le Grand, ses généraux et deux de ses épouses, Roxane et Statira. Le texte de cet Alexander Magnus est perdu, comme celui d’une grande partie de la production théâtrale jésuite : les pièces circulaient sous forme manuscrite afin de permettre aux élèves d’apprendre leurs rôles et n’étaient que rarement destinées à la publication. Il reste cependant une trace de l’œuvre. Le programme imprimé, que l’on distribuait à la nombreuse et prestigieuse assemblée accourue pour cet événement mondain autant que scolaire, donne une idée lacunaire mais intéressante de la pièce1. Il en fournit le sujet et les sources, puis la résume en français. Si certains programmes font mention du nom des acteurs, cette information manque dans le programme d’Alexander Magnus. Attribué d’abord au P.  de  Jouvancy2 (1643-1719), Alexander Magnus revient plus probablement au P.  Jean Paillot (1654-1709). La tragédie de fin d’année était composée par le professeur de rhétorique, fonction que le P. Paillot a exercée brièvement au collège Louis-le-Grand de 1689 à 1691, avant d’être nommé recteur à Eu. Au préalable il avait enseigné pendant cinq ans la grammaire et les humanités puis la rhétorique au collège de La Flèche, où Alexander Magnus fut créé en 1688. À Louis-le-Grand, la pièce était accompagnée d’un ballet intitulé Orphée qui sera de nouveau joué à Rennes en 1705. La figure d’Alexandre a été très peu exploitée sur les scènes des collèges. Outre la tragédie qui nous occupe et celle du Père Mousson (1601), étudiée dans ce volume, on n’a pu recenser qu’une tragédie dont le titre est lié à Alexandre. Encore ne s’agit-il peut-être pas du conquérant macédonien : Alexandre ou le parricide puni, représenté à Reims au collège de l’Université

1. On en lira l’intégralité en annexe de notre article. 2. Sur Joseph de Jouvancy, voir Anne Piéjus, « Un spectacle collectif », Archéologie d’un spectacle jésuite, dir. A. Piéjus, XVIIe siècle, 238/1 (2008), p. 9-17 ; eadem, « Jouvancy », Dictionnaire des jésuites, Paris, à paraître. L’entrée d’Alexandre le Grand sur la scène européenne éd. Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas Turnhout, 2017, (Alexander Redivivus, 9) p. 141-159 © F H G

DOI 10.1484/M.AR-EB.5.113441

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le 12 août 16433. Deux ou trois pièces, voilà qui est bien peu au regard des 1500 titres dont Louis Desgraves a établi la liste. L’Alexander Magnus du P. Paillot éclaire de manière particulière la réception de l’histoire d’Alexandre au xviie siècle. De l’histoire autant que de l’image d’Alexandre : si cette tragédie scolaire propose un portrait inédit du souverain en héros cornélien, on y reviendra, son intérêt réside aussi dans la façon dont elle place autour d’Alexandre tout un monde de comparses et de compagnes. Le temps tumultueux qui a suivi immédiatement son règne, ce temps du partage de son empire par les diadoques, avait été exploité par un roman à succès, la Cassandre de La Calprenède (1609-1663). Publié au mitan du siècle (1642-1645), ce roman avait rapidement inspiré les dramaturges en France et au-delà. La pièce du P. Paillot fait partie de ce courant d’imitation, qu’elle infléchit en lui appliquant les principes moraux, rhétoriques et esthétiques propres au théâtre jésuite. Elle a ainsi le mérite d’attirer l’attention sur un imaginaire lié au mythe d’Alexandre plus qu’à sa personne : situé à Babylone dans les temps qui suivent la mort du conquérant, cet imaginaire exploite un goût pour un ailleurs géographique et historique. Alexandre prêtait son prestige à cet imaginaire qui s’était développé en toute liberté suivant les valeurs galantes et romanesques du temps, que Paillot réactive à nouveaux frais. S’il n’est pas possible d’analyser cette pièce, dont le programme n’est que l’ombre portée, on peut en revanche se faire une idée assez précise des principes qui ont présidé à sa rédaction et des influences qui ont pesé sur elle. Composé au carrefour de sources historiques et de textes fictifs, tiraillé entre principes éducatifs et règles dramatiques, entre pédagogie morale et concessions aux plaisirs mondains, cet Alexander se situe au cœur de courants d’inspiration contradictoires. Il est aussi un maillon d’une vaste chaîne d’imitations. Bien modeste au regard d’autres réalisations dramatiques, l’Alexander Magnus du 3. Louis Desgraves, Répertoire des programmes des pièces de théâtre jouées dans les collèges en France (1601-1700), Genève, Droz, 1986, p. 139, no 3. La pièce a été éditée à Reims, chez François Bernard, 1643 (in-4°, 19 p. ; Reims, Bibliothèque municipale : BL 2778 détruit). Voir aussi Louis Paris, Le théâtre à Reims depuis les Romains jusqu’à nos jours, Paris, F. Michaud, 1885, p. 245, qui décrit l’exemplaire mais ne résume pas la pièce. Pour un autre Alexandre : La mort d’Alexandre et d’Aristobule, fils d’Herode donnée sous les initiales D.O.M. à Paris en 1663 et 1670 (Desgraves, p. 98, no 52 et p. 101, no 80), à Compiègne en 1671 (id., p. 51, no 2) ; une pièce du même titre est jouée à Pont-à-Mousson en 1688 (p. 137, no 52, attribuée à Charles Havet) ; puis, sans nom d’auteur, à Paris au collège du Plessis-Sorbonne en 1685 (Bibliothèque Mazarine : 4° 10352 A-10) et en 1696 au collège d’Harcourt (BnF : NUMM-856880). L’Alexandre Tragedie qui sera representée au College Louis le Grand des Peres de la Compagnie de Jesus pour la distribution des prix fondez par Sa Majesté le VI. Jour d’aoust à midy, Paris, Gabriel Martin, 1687, signalé par L. Desgraves, op. cit., p. 112, no 171, sous la cote Bibliothèque Mazarine : A 15974/43, n’existe pas. Il s’agit de l’Erixane, identifiée par L. Desgraves à la notice suivante, no 172.



Alexandre et ses femmes : autour de l’Alexander Magnus du 143 P. Paillot (1690)

P. Paillot éclaire néanmoins de manière singulière l’entrée d’Alexandre sur les scènes européennes de la première modernité.

L’Histoire, thesaurus fictionum : allégation, contamination et invention Le sujet choisi par Paillot est double : la mort d’Alexandre et la rivalité de deux de ses épouses, Roxane et Statira. En dramaturge avisé, Paillot noue ces deux fils : il attribue à la jalousie de Roxane l’empoisonnement d’Alexandre par Iolas, un des fils d’Antipater. Le « sujet de la tragédie » publié au début du programme donne la mesure du travail effectué sur le matériau historique : Alexandre ayant dessein d’unir les Macédoniens avec les Perses, fit épouser des Persanes aux Seigneurs de sa Cour. Il épousa luy-mesme Statire fille de Darius. Dans la suite Alexandre fut empoisonné par Iolas fils d’Antipater ; & Roxane ayant appris la mort d’Alexandre, fit mourir Statire.

La première distorsion réside dans le lien de cause à effet établi entre les deux données principales de l’intrigue. Paillot a cherché chez les historiens la source d’une action fictive mais vraisemblable : il joue avec les événements qui, s’ils forment le « sujet » de la pièce – son fondement historique –, n’en constituent pas l’argument. Le « sujet » allègue Justin, Quinte-Curce et Plutarque. Affirmant le caractère historique de l’œuvre, il a aussi une fonction mémorielle, tous les membres du public n’ayant pas une connaissance parfaite des historiens antiques4. On sait que l’hypothèse de l’empoisonnement d’Alexandre défendue par Justin est très généralement remise en cause depuis l’Antiquité, notamment par Plutarque et Quinte-Curce. Une note de la traduction française, l’Histoire universelle datée de 1697, le précise au lecteur : Entre les Autheurs qui ont parlé de la mort d’Alexandre le plus grand nombre soutient qu’il mourut pour avoir bu par excez dans un celebre festin ; & non de poison comme veut nostre Autheur5. 4. En 1683, le Mercure galant signale l’admiration que soulève la bonne connaissance de Quinte-Curce par un « jeune soutenant » : tirant au hasard parmi cent billets comportant des « questions curieuses et difficiles », le jeune homme ravit l’assemblée par un développement fondé sur Quinte-Curce : « Questions Académiques soutenues devant Messieurs de l’Académie d’Arles », Mercure galant, à Paris, au Palais, nov. 1683, p. 169-171, citation p. 169. 5. Histoire universelle de Trogue Pompée reduite en Abbregé par Justin traduction nouvelle…, Lyon, Chez Horace Molin, de l’imprimerie de Claude Chize, 1697, p. 199 (ci-dessous Justin).

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Et dans sa Ratione docendi et discendi, le P. de Jouvancy donne Justin parmi les auteurs latins dignes d’être étudiés pour leur style tout en soulignant que son texte est très souvent fautif : « Soit par sa faute, soit par la faute de Trogue Pompée, Justin commet beaucoup d’erreurs dans ce qu’il dit au sujet des Juifs, et dans beaucoup d’autres choses6. » Paillot assoirait-il son intrigue sur une version reconnue comme fausse ? En réalité elle est jugée seulement discutable, comme l’atteste la traduction de Quinte-Curce par Vaugelas : le savant, dont on connaît l’influence sur la culture du xviie siècle et au-delà, donne l’empoisonnement pour réel en une intéressante réécriture de sa source7. Paillot exploite aussi des circonstances avérées : les derniers mots d’Alexandre, d’abord, qui se laissent entendre dans le résumé. Ces ultima verba ont été directement repris des historiens. On imagine que les jeunes acteurs reproduisaient le geste célèbre d’Alexandre confiant à Perdiccas son anneau destiné au « plus digne » des diadoques8. La fiction dramatique du jésuite donne à voir ce qui constituait un véritable lieu de mémoire. Les circonstances de la mort du grand homme et ses dernières paroles relèvent de la légende autant que de l’Histoire. Elles relèvent aussi d’un topos rhétoricomoral de choix : le fait appartient à une riche tradition textuelle et cristallise en un moment sublime l’aura d’Alexandre, au carrefour des faits et du mythe. Partant de cette acmé, Paillot élabore un écheveau de causes dans lesquelles il mêle faits et fictions. Du côté des faits : les mariages des compagnons avec des Perses9 ; l’union d’Alexandre avec la fille d’Oxyartès ; avec celle de Darius ; les soulèvements des Grecs contre Alexandre ; les tensions qui l’opposent à Antipater et ses fils10 et le rappel d’Antipater à Babylone ; l’assassinat de Statira par Roxane. La fiction, elle, sourd des intentions prêtées aux acteurs historiques,

6. De la manière d’apprendre et d’enseigner, trad. H. Ferté, Paris, 1892, ch. 1, art. II, § 5, p. 18. 7. Quinte-Curce, De la vie et des actions d’Alexandre de Grand, de la traduction de M. Vaugelas. Avec les supplemens de Jean Freinshemius traduits par Pierre Du Ryer, Paris, A. Courbé, 1653, p.  733 (ci-dessous Quinte-Curce-Vaugelas). La traduction, constamment rééditée jusqu’à la fin du xviiie siècle, intègre des commentaires de Raderus (éditeur jésuite du texte latin), Acidalius et Freinshemius. Voir F. Butlen, Un grammairien traducteur : Vaugelas et sa traduction de Quinte-Curce, thèse diplôme d’archiviste-paléographe, Paris, 1999. 8. Justin, p. 200. Vaugelas traduit optimus par « le plus homme de bien » (p. 734) – les traducteurs de Quinte-Curce au xixe siècle donnent « au plus fort » (Bibliotheca classica selecta, trad. d’après A. Trognon et E. Pessonneaux (1828-1830) : http://bcs.fltr.ucl.ac.be/Curtius/ CurtiusX.html). 9. Quinte-Curce-Vaugelas, p.  719. Plutarque, Vie d’Alexandre, trad. Jacques Amyot, éd. G. Walter, Paris, 1951, t. 2, CXIV, p. 405 (ci-dessous Plutarque). 10. Plutarque, CXIX, p. 409-410.



Alexandre et ses femmes : autour de l’Alexander Magnus du 145 P. Paillot (1690)

conformément aux habitudes du temps11, ainsi que du resserrement de tous ces événements survenus à de longues années de distance. À la froide mécanique des calculs politiques, Paillot substitue en effet le choc de passions furieuses et l’entrecroisement des intérêts personnels. Iolas est éperdument amoureux de Roxane qu’Alexandre lui avait destinée ; profondément humilié par les brimades qu’il a subies de la part de son souverain, il nourrit contre lui une haine farouche malgré son retour en grâce (ici Paillot se borne à révéler le revers passionnel des tensions qui ont opposé Antipater et ses fils à Alexandre). Roxane et Statira aiment toutes deux passionnément celui qui n’est pas leur époux mais leur fiancé. Le premier fait, psychologique, est certes possible – il n’intéressait pas les historiens12 –, le second est faux. Les fiançailles gomment la polygamie d’Alexandre et romancent la rivalité des deux femmes en la plaçant sur le terrain de la passion : Alexandre doit choisir entre Roxane et Statira, toutes deux éprises et toutes deux promises13. C’est cette rivalité associée à la haine d’Iolas pour Alexandre, ainsi qu’à la passion de ce dernier pour Roxane, qui provoque la mort du conquérant. En réalité, on sait que Roxane fit assassiner Statira afin d’assurer la transmission de l’empire au fils posthume qu’elle avait eu avec Alexandre – ce faisant, elle prenait les devants afin de ne pas subir le même sort, qui lui fut finalement réservé par Cassandre quelques années plus tard. Roxane, et plus encore Statira, sont dans les textes antiques des actrices sans parole, enjeux et objets des décisions d’autrui : matériau éminemment modelable et propice à l’invention. Ici, Statira, qui refuse de survivre à son époux, meurt juste avant Alexandre : elle est parée d’une noblesse que n’évoque aucun texte antique. Les historiens se bornaient à relever, en passant, la sublime beauté de la femme et des filles de Darius. Si l’on ne peut aller fort loin dans l’analyse des personnages, on remarque que la Statira de Paillot porte le souvenir de la reine Sysigambis, la mère de Darius, l’un des rares personnages féminins étoffés dans les sources antiques. La noblesse morale de la reine et son refus de survivre au conquérant de la Perse servent chez les historiens à illustrer

11. Pour les liens entre fiction et histoire à l’époque de la pièce, voir Nouvelles galantes du xviie siècle, éd. M. Escola, Paris, 2004, p. 7-34. 12. Les frontières entre l’Histoire et la rêverie romanesque sont si poreuses à propos d’Alexandre que l’historiographe Gilbert Saulnier Du Verdier infuse un roman d’Alexandre et Statira dans son Histoire d’Alexandre le Grand tiree d’Arrian, Plutarque, Justin, Joseph, Quinte Curce & Frensheimius, Paris, Theodore Girard, 1671 : voir les délicieux passages évoquant la beauté de Statira (p. 313), l’innamoramento d’Alexandre (p. 700) et la demande en mariage (p. 705-706). 13. Il est vrai cependant que, selon Plutarque, Roxane « haïssait fort Statira » (CXXIV, p. 412).

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les qualités exceptionnelles de ce dernier14. Sur scène, le souvenir de Sysigambis infusé dans le personnage de Statira permet de placer aux côtés d’Alexandre une compagne digne de lui et ménage une scène pathétique certainement très appréciée. Résumons : ayant assis sa pièce sur une version éminemment dramatique de la mort du héros (préférable en cela peut-être, plutôt que pour son caractère supposé véridique par certains15), Paillot parsème l’intrigue de données véritables et donne cœur, chair et voix aux personnages historiques, par pure invention ou en ayant recours à d’autres personnages historiques. De là il ajuste la chronologie et les faits à sa version, par respect des bienséances (les fiançailles) et des règles dramatiques (resserrement du temps). L’Histoire s’avère ainsi un trésor où puiser une fiction modelée suivant les canons dramatiques. Suivant les canons pédagogiques aussi. Or ces derniers font simultanément de l’Histoire le fondement et le prétexte de la pièce. Le fondement, en ce que la représentation et les nombreuses répétitions qui la précédaient devaient permettre aux élèves de s’approprier des textes étudiés en classe. Alexander Magnus entrait en consonance avec la culture historique dispensée par les jésuites et offrait une occasion de l’incarner sur scène. Mettant en jeu le corps, la mémoire et la voix des élèves, elle participe d’un travail d’appropriation mémoriel qui fait la part belle au sensible. Outre l’exploitation des textes historiques étudiée plus haut, cette dimension ressort du nom des personnages secondaires mentionnés dans le programme. Ils ne sont pas moins de neuf (Perdiccas, Seleucus, Amyntas, Craterus, Oxatres, Arsace, Lysimachus, Eumenes, Abisares, Polydamas auxquels s’ajoutent « d’autres Seigneurs Macédoniens » et, peutêtre, d’autres membres de la « cour » d’Alexandre à l’acte V16), dont deux seulement sont mentionnés deux fois, Perdiccas et Amyntas. La dispersion occasionnée par cette multiplication des comparses, bien inutile sur le plan dramatique, contrevient aux principes de concentration qui régissent alors la scène. Elle résulte évidemment de la nécessité de donner un rôle à tous les

14. Quinte-Curce-Vaugelas, p. 737-738. Justin, p. 204, en une version qui permet le recouvrement avec la pièce de Paillot : « La mere de Darius […] n’eut pas plûtôt apris [sic] sa mort, qu’elle se tua de sa propre main. » 15. Voir Plutarque, CXXI, p. 411 : « car ce sont toutes choses controuvées à plaisir, et faussement écrites par aucuns qui ont voulu rendre l’issue de cette grande tragédie, par manière de dire, plus lamentable et plus pitoyable […]. » Pour une discussion de la thèse de l’empoisonnement, CXXIII, p. 412. 16. Racine, au contraire, n’avait employé aucun confident dans son Alexandre le Grand, ce qui avait dû frapper : Maupoint le souligne, Bibliothèque des théâtres, Paris, L. F. Prault, 1733, p. 12.



Alexandre et ses femmes : autour de l’Alexander Magnus du 147 P. Paillot (1690)

élèves de la classe, tout en mettant en jeu leurs connaissances historiques17. Pour le public moins érudit que les jeunes acteurs, ces noms devaient surtout contribuer à la couleur historique du spectacle. L’Histoire est la source et la garante de l’intrigue, mais une garante complaisante : elle offre un arrière-fond sérieux, mais aussi divertissant car vaguement familier – spectaculaire aussi, probablement : la scène n’est habituellement pas si habitée et la foule des jeunes acteurs devait produire un effet certain. Dramaturge et pédagogue, le P. Paillot devait ainsi répondre à des impératifs contradictoires. Si d’un côté il modifie les données historiques pour mieux obéir aux lois dramatiques, de l’autre il contrevient à celles-ci pour des raisons d’ordre pratique et pédagogique. Mais l’Histoire est aussi le prétexte ou plutôt le support d’exercices rhétoriques. L’impression de vérité historique donnée par l’intervention des héros macédoniens pimente les situations jouées, qui sont autant d’occasions de déployer un savoir-faire rhétorique et d’infuser dans les esprits une instruction morale. L’argument de la pièce avait ainsi pour avantage de fouiller les passions du grand homme et de son entourage.

Un exercice rhétorique : Alexandre en héros cornélien Les manipulations opérées sur sa matière par le P. Paillot visent manifestement à créer des situations intéressantes sur le plan rhétorique et moral. Le programme en porte la trace dans les verbes de parole qui le parsèment. Le nombre et la variété de ces verbes présentent la pièce comme un assemblage de morceaux à faire, dans lesquels on reconnaîtra les différents types de prise de parole, liés aux affects ressentis par le locuteur, au statut de ce dernier et aux effets pragmatiques visés : chacun était doté de codes linguistiques propres. Ainsi le résumé du début du troisième acte rend-il compte de la structure d’un monologue d’Alexandre, qui « se délibère si… » puis « se représente » le parti contraire et est finalement « déterminé » par « l’apparition de Statira » : structure en trois temps qui déploie sur deux scènes un schéma rhétorique reconnaissable, menant à la prise de décision. Le choix de ces verbes rend compte aussi du caractère genré des discours. Statira et Roxane se plaignent, Roxane menace : ces deux formes du discours, pathétique 17. É. Flamarion, Théâtre jésuite néo-latin et Antiquité. Sur le Brutus de Charles Porée (1708), Rome, 2002, p. 348 : l’histoire n’est pas une discipline à part entière, mais en 1650, le P. Pajot élabore un programme d’Histoire (Despautierius novus) ; les empereurs d’Orient et d’Occident sont étudiés en classe de sixième.

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et furieux, relèvent d’une rhétorique féminine, de même que le discours passionné, qu’il soit dicté par « le désespoir et l’ambition » (III) ou destiné à exciter le désir de vengeance (IV : « Roxane vient luy dire tout ce qu’elle croit capable de le porter à la vengeance »). En revanche, ce qui tient du blâme et de l’éloge – d’une évaluation raisonnable et posée – ressortit plutôt au masculin : Amyntas adresse à Iolas des reproches (IV) auxquels ce dernier n’a pas de mal à résister. La forme de l’échange se laisse deviner ici. Des termes comme douter, faire réflexion, être étonné appartiennent au même champ lexical : loin de se rapporter à des opérations intellectuelles ou à des élans psychologiques, le doute, l’étonnement, l’introspection sont des actes de langage dotés de codes spécifiques. Ce sont ces codes que ces termes désignent à l’attention du lecteur, autant que le contenu de l’échange. Ils indiquent également le statut du locuteur. Au premier acte, Alexandre « fait connaître » ses décisions ; le verbe est suivi de trois propositions fermement construites, qui laissent entendre un ton impérieux. Au dernier, il ordonne. Le terme peut être pris dans ses deux sens : cette parole opère une mise en ordre des tensions et des passions, elle juge et façonne la réalité au moule de la volonté royale. Le pouvoir et la stature d’Alexandre tiennent tout entiers dans ces deux verbes qui encadrent le texte. Ce jeu de variation lexicale s’accompagne d’une basse continue fondée sur la récurrence de termes se rapportant à la décision, tout particulièrement prendre résolution et changer de résolution, dont l’emploi est véritablement proliférant. Le programme signale par là la nature de l’intrigue, qui repose sur les choix moraux des personnages. Hésitations et résolutions successives constituent les moments du drame, où l’on devait reconnaître des situationstypes ou des scènes à faire, que ces dernières appartiennent à la littérature morale ou au théâtre. La pièce nous semble nourrie du souvenir de scènes connues, habilement nouées entre elles. L’amoureuse qui désespère l’amant malheureux à qui elle avait intimé de la venger, c’est l’Hermione d’Andromaque ; le souverain chargé de crimes qui décide de pardonner, c’est l’Auguste de Cinna, de même qu’Iolas, objet de la clémence du roi qui poursuit malgré tout sa vengeance, rappelle l’amant d’Émilie. D’autres rapprochements devaient s’opérer pour les contemporains. Au-delà des rappels ponctuels, pris chez Racine aussi bien que chez Corneille, Alexander Magnus est présenté par son programme comme un drame de la volonté et de la responsabilité morale, ce qui lui confère un tour cornélien. Iolas trouve ainsi une forme de grandeur dans la faute : l’assassin d’Alexandre, comprenant qu’il a perdu Roxane et le trône, demeure ferme dans le parti qu’il a pris ; acculé, il se tue.



Alexandre et ses femmes : autour de l’Alexander Magnus du 149 P. Paillot (1690)

Cet arrangement de la pièce par situations types transforme les personnages en caractères. Roxane et Iolas incarnent deux aspects de l’ambition, de la fureur et du dépit (amoureux pour l’une, politique pour l’autre). Ils forment un duo opposé au couple vertueux : le dévouement de Statira va jusqu’à la mort (souvenir arrangé, on l’a dit, de la mort de Sysigambis) et si la clémence d’Alexandre envers Iolas et son renoncement à Roxane en faveur de son ami ne le sauvent pas, c’est que pèsent sur lui ses fautes passées. Alexandre paie les cruautés qu’il a commises et que le programme met en avant dès les premières lignes, mais il semble mourir en ayant retrouvé toute sa grandeur. Ne mate-t-il pas la rébellion des Grecs entre deux actes ? Et n’a-t-il pas le temps, avant de mourir, de punir ses assassins et de mettre en ordre sa succession ? C’en serait presque trop beau. La pièce semble inventer la rédemption de la figure d’Alexandre, dont le Grand Siècle n’ignore pas les ombres, et que le xviiie siècle figera dans le statut de grand homme18. Alexander Magnus, à la charnière des deux siècles, semble opérer un basculement de l’un à l’autre. On relèvera d’ailleurs que, dans cette pièce où l’amour occupe une place centrale, Alexandre n’apparaît pas comme un héros amoureux. Il est essentiellement l’objet de la passion des deux femmes. On peut penser qu’il choisit Statira par amour pour elle, mais sur ce point le programme glisse rapidement : « L’arrivée de Statire le détermine à laisser Roxane à Iolas, & à le combler de ses faveurs, quoy-que coupable. » Cette « arrivée » est bien étonnante : Statira n’a-t-elle qu’à paraître ? Pour une fois, il n’est pas question de conviction emportée par la parole. Alexandre se résout pour la vertu, reniant ses violences passées ; les sentiments ne sont guère mis en avant ici.

L’amour sur la scène jésuite : un théâtre des passions Le devenir de la figure d’Alexandre dans cette nouvelle actualisation de la légende et la rédemption du souverain rendu à lui-même par le pardon qu’il accorde sont ainsi au centre du spectacle. Celui-ci repose également sur la représentation de passions paroxystiques. Après le temps de la tragédie galante, et en réaction contre ce modèle que les jésuites repoussent, la pièce promeut les passions fortes comme moteur de l’intrigue. Les réflexions des jésuites sur la tragédie opposent nettement représentation des passions et représentation de l’amour tendre et galant : Mais, quelle que soit la source d’où l’on tire un sujet [de tragédie], il faut qu’il soit toujours sérieux, grave et digne d’un poète chrétien. […] C’est pourquoi, 18. C. Grell et C. Michel, L’École des Princes ou Alexandre disgracié, Paris, 1988.

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Céline Bohnert on ne doit réserver aucune place à l’amour profane, alors même qu’il serait chaste, ainsi qu’aux rôles de femmes sous quelque habit qu’on les représente. Il faut songer que le feu qui couve sous la cendre ne peut être manié impunément, et que la braise, quoique éteinte, si elle ne brûle pas, salit tout au moins. Cette précaution aura pour un maître religieux l’avantage de le dispenser de lire certains poètes français qui se sont appliqués à donner à un tendre amour la première place dans leurs drames ; rien n’est plus funeste que cette lecture19.

Ces dangereux « poètes français » dont le nom est dédaigneusement passé sous silence pourraient être, parmi d’autres, Quinault, Pradon et Racine. La promotion constante de Corneille, « dont on ne saurait trop faire l’éloge20 », fait d’autant mieux ressortir le silence sous lequel Jouvancy passe le nom du dernier. En 1716, Le Jay rejettera de même l’amour et la frivolité hors de la scène. Pour cela, il allèguera les tragédies antiques et donnera pour modèle Corneille, irréprochable lorsqu’il ne traite pas l’amour : Corneille est parfait aux yeux de Le Jay dans la représentation de l’ambition et de la vengeance, passions que l’on trouve dans l’Alexander Magnus21. Porée, lui, opposera explicitement Corneille et Racine22. Le programme de la pièce de Paillot semble obéir par avance à ces injonctions, et l’on pourrait soutenir, pour défendre le bon père, que la passion amoureuse, dans son double versant vicieux et vertueux, est présente dans sa pièce au titre de la représentation des passions fortes dont elle est une cause. Reste que Paillot ne va pas aussi loin que le P. Le Jay, qui défend, lui, une tragédie sans amour23. La proposition est intéressante, à un moment où le public s’est lassé du modèle galant et où des tentatives sont esquissées pour limiter la place de l’amour dans les intrigues24. Depuis 1660, tragédies et romans galants font l’objet de railleries de plus en plus marquées. Boileau, dans son Art poétique, moque le travestissement imposé aux grandes figures historiques par les galants25. Il développe la raillerie dans son Dialogue des Héros de romans, composé dans les années 1660 mais publié de manière apocryphe en 1688 et 1693 : 19. J. de Jouvancy, De la manière d’apprendre, op. cit., p. 53-54. 20. Ibidem, p. 53. 21. Le Jay, Bibliotheca rhetorum, 1716 : É. Flamarion, op. cit., p. 187. 22. Ibidem. 23. C. Barbafieri, « Un manifeste inconnu en faveur de la tragédie sans amour, la préface de Josephus Fratres agnoscens du P. Le Jay (1695) », XVIIe siècle, 259/2 (2013), p. 301-319. 24. C. Barbafieri, Atrée et Céladon. La galanterie dans le théâtre tragique de la France classique, Rennes, 2006, particulièrement partie I et partie III ch. VII, « La difficile conciliation de l’idéal galant et de l’idéal tragique ». 25. N. Boileau, Art poétique, III, v. 97-100 et 115-118, Œuvres complètes, éd. A. Adam et F. Escal, Paris, 1966, p. 171.



Alexandre et ses femmes : autour de l’Alexander Magnus du 151 P. Paillot (1690) J’ay bien de la peine, dis-je, à m’imaginer que les Cyrus et les Alexandre soient devenus tout à coup comme on me veut le faire entendre, des Tyrsis et des Celadon26.

Oroondate, le double romanesque d’Alexandre dans la Cassandre de La Calprenède27, figure parmi les « Héros chimériques28 » qu’ont produits les romans. Ce rejet de Boileau est à la fois esthétique et moral. Il est essentiellement moral pour les jésuites : l’exclusion de l’amour comme sujet dramatique doit garantir l’efficacité du spectacle en matière d’éducation des mœurs. « L[eur] pratique dramatique s’appuie sur l’exploitation systématique de l’exemplum : on s’en rapporte à Sénèque et toujours à Quintilien ; les actions illustres représentées et les grands personnages sur la scène sont des exempla vivants29. » La force d’âme de leur Alexandre, malgré le sujet amoureux, promeut le souverain macédonien en modèle à imiter, conformément aux principes énoncés par Jouvancy : Rien, en effet, ne nous détourne du vice comme la crainte des malheurs qu’on voit arriver aux méchants ; rien ne nous porte autant à la vertu que le spectacle d’un homme de bien dont on plaint l’infortune, et dont on loue la patience et le courage, ou dont la probité est justement récompensée par le bonheur30.

Plaisirs défendus Sur la question de l’amour et de l’efficacité exemplaire de la scène, le P. Paillot semble respecter les principes dictés par ses contemporains. Mais son Alexander Magnus est en contradiction avec ces règles en ce que la pièce donne à voir des personnages féminins. Il existe d’autres exceptions à cette exclusion, présente dès la Ratio de 1599 et réitérée fermement par Jouvancy31. Mais 26. N. Boileau, Dialogue des Héros de roman, dans Œuvres complètes, op. cit., p. 448-449. 27. M.-G. Lallemand, « Galanterie des conquérants : L’Alexandre de La Calprenède et le Cyrus des Scudéry », Littératures classiques, 77/1 (2012), p. 99-112. 28. N. Boileau, Dialogue des Héros de roman, éd. cit., p. 475. 29. É. Flamarion, op. cit., p. 181. 30. J. de Jouvancy, op. cit., p. 53. 31. G. Dupont-Ferrier, Du Collège de Clermont au Lycée Louis-le-Grand, 1563-1920. La vie quotidienne d’un lycée parisien pendant plus de trois cent cinquante ans, Paris, 1921-1925, cite comme exceptions les tragédies des PP. Petau et Cellot dans la première moitié du siècle et en 1653 la Suzanna de Jourdain avec une martyre jouée dans un habit coquet (t. 1, p. 289). Et le Cyrus de Charles de La Rue (1673, 1679, 1691 et 1705) comprend une amoureuse enflammée, Palmyre. « Mais ces cas sont rares et Porée n’introduit jamais de personnages féminins dans

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le spectacle donné au collège Louis-le-Grand en 1690 a dû marquer. On en veut pour preuve l’Histoire de la marquise-marquis de Banneville de FrançoisTimoléon de Choisy, Marie-Jeanne L’Héritier et Charles Perrault publiée dans le Mercure galant en 1695-169632. Le héros, élevé par sa mère comme une fille, ignore son identité sexuelle et est attiré par le jeune comte de Garden travesti en comtesse aux yeux de tous. Or le comte a contracté le goût du travesti parce qu’il avait incarné le personnage de Statira sur la scène de son collège, le collège « d’Harc… ». Les auteurs ont la malice de situer la représentation dans l’école immédiatement concurrente du collège Louis-le-Grand33. Le récit, fait par la dame à qui le jeune comte a été confié, détaille la métamorphose de ce dernier : on lui fait faire chaussures, pendants d’oreille et robe, attirail qu’il porte tout le jour pendant les deux mois qui précèdent la représentation afin de bien tenir son rôle. Le comte apprend auprès d’un maître à danser à se tenir comme une femme, il contrefait sa voix et campe une demoiselle si charmante que ses camarades, en toute connaissance de cause, lui font la cour : En fin le jour de la Tragedie etant arrivé, je pris plaisir à l’habiller moi-même. Sa robe étoit de taffetas incarnat, recouvert par tout d’une broderie d’argent fort legere, la jupe de même. Toutes les tailles de sa robe étoient marquées par des Diamants. Il avoit sur la tête un petit bonet à l’antique dont le devant étoit tout garni de Diamants. Le dessus étoit couvert de plumes incarnat & blanc en aigrette. Ses cheveux sortoient de tous côtez de dessous ce bonnet par grosses boucles ratachées avec un ruban incarnat34.

À cela s’ajoutent force bijoux et « sept ou huit mouches » (p. 223). L’habillage prend si longtemps qu’on y est encore une heure après l’heure prévue pour le début de la représentation : On representoit la Tragedie dans la Chapelle. Je passai par la petite porte, & montant sur le teatre [sic] je fis avancer ma petite Princesse, & dis tout haut. Nous vous avons fait attendre, mais c’étoit pour parer la Reine Statira. Chacun cria qu’elle étoit belle comme un ange et la Tragedie commença35. ses pièces. » (É. Flamarion, op. cit., p. 134, n. 52) Sur cette question voir A. Licha-Zinck, « Des rôles féminins exemplaires : la tragédie, école de vertu, selon les Jésuites », Seventeenth Century French Studies, 26/1 (2004), p. 31-54. 32. Il en existe deux éditions : dans Nouvelles du xviie siècle, dir. R. Picard et J. Lafond, Paris, 1997, p. 971-988 ; Histoire de la marquise-marquis de Banneville, éd. J. DeJean, New York, 2004. 33. R. Chartier, D. Julia et M.-M. Compère, L’éducation en France du xvie au xviiie siècle, Paris, 1976, p. 203 : « Le théâtre scolaire est un fait général […] ; les collèges de l’Université de Paris, surtout celui d’Harcourt, s’efforcent d’atteindre à la splendeur de ceux de Louis-le-Grand. » 34. Mercure galant, août 1696, p. 222-223. 35. Ibidem, p. 224-225.



Alexandre et ses femmes : autour de l’Alexander Magnus du 153 P. Paillot (1690)

La proximité des dates entre la représentation d’Alexander Magnus et la publication de la nouvelle rend le rapprochement particulièrement piquant, sans que l’on puisse statuer sur le degré de véracité d’un récit fait à plaisir, mais fortement inspiré de la vie de l’abbé de Choisy. Quoi qu’il en soit, il semble que le refus de la galanterie par les jésuites se soit accompagné d’une tolérance vis-à-vis de l’opsis. De plus la nouvelle paraît un an après un épisode de la querelle contre le théâtre qui a marqué les scènes des collèges. En 1694, après l’éloge de la comédie publié par Caffaro (Lettre d’un théologien illustre par sa qualité et son mérite), était parue de manière anonyme une Réponse à la lettre du théologien, défenseur de la comédie, qui attaquait le théâtre et en particulier celui des jésuites. Bossuet y répondit à son tour, en restant nuancé pour le théâtre de collège, mais en renvoyant les jésuites à leur Ratio de 1610, qui excluait les sujets profanes et les rôles de femmes, alors présents dans les collèges. L’épisode amena l’Université à prendre un mandement très strict contre le théâtre de collège36. Les enjeux de la dispute sont à la fois politiques et moraux, comme le signale É. Flamarion à la suite de J.-M. Valentin. Les deux questions essentielles sont celles de la prostitution et de l’identité : en interprétant un personnage, l’acteur ne se perd-il pas doublement37 ? La nouvelle du Mercure galant appuie cette thèse de manière provocante.

Roxane et Statira du roman à la scène L’Alexander Magnus du P. Paillot présente une seconde concession au goût du temps : le strict refus des lectures frivoles professé par Jouvancy s’accordait en l’occurrence avec le choix d’une source romanesque, la Cassandre de La Calprenède. Celle-ci était encore très appréciée, même si ce n’est pas sans une certaine réserve que Mme de Sévigné affirme s’y plonger38. La Bibliothèque universelle des romans, près d’un siècle plus tard, permet de comprendre ce qu’on y goûtait : Le merite de l’ouvrage suffit pour en justifier le nombre [des éditions] aussibien que l’estime de tous les esprits solides qui l’ont preferé & le preferent encore à la foule des petits Romans tronqués, où l’on n’apperçoit ni plan,

36. É. Flamarion, op. cit., p. 157-164. 37. J.-M. Valentin, Les théâtres des Jésuites dans les pays de langue allemande (1554-1680). Salut des âmes et ordre des cités, Berne, Francfort et Las Vegas, 1978, t. 1, p. 261. 38. Les héros de romans, dialogue de Nicolas Boileau, éd. T. F. Crane, Boston, 1902, p. 90, n. 1.

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Céline Bohnert ni grandes idées, ni caractères, ni passions, ni scènes brillantes, ni situations imposantes & dessinées avec énergie39.

Le roman se situe immédiatement après la mort d’Alexandre. Statira en est le personnage principal : persécutée, elle se cache sous le nom de Cassandre. Rivale de Roxane, elle est aimée d’Oroondate, héros parfait en ce qu’il est un amoureux parfait, supérieur en cela aux héros guerriers40. Le roman, comme les œuvres de Madeleine de Scudéry, opérait une conversion galante de l’Histoire. Dans Cassandre, la fidélité de Statira et des protagonistes à la mémoire d’Alexandre se double d’un dépassement des valeurs qu’il incarne : désormais, c’est l’amour, un amour raffiné, tendre, codifié qui accomplit le héros. Cet amour fait la supériorité d’Oroondate, double galant d’Alexandre, sur son modèle historique. Les sources alléguées par La Calprenède sont pourtant les mêmes que celles de Paillot. La critique a montré en particulier l’influence des traductions françaises de Quinte-Curce et de Plutarque, parfois démarquées mot à mot41. Les contemporains ne distinguaient pas trop fermement littérature romanesque, littérature morale et Histoire : si Mme de Sévigné aime lire La Calprenède, c’est qu’elle y trouve des portraits, des réflexions morales et des dialogues que l’on se plaît alors, chez les historiens, à prêter aux grands hommes du passé. La culture mondaine estompe quelque peu la distinction entre fiction et faits historiques, d’autant plus facilement que l’Histoire sert essentiellement de réserve d’exemples moraux. Du reste, il semble, à en croire Desmarets de Saint-Sorlin, que la lecture de l’Histoire est aussi dangereuse pour l’esprit féminin que la lecture des romans : L’Amante d’Alexandre n’est pas une chose sans exemple ; et il y a beaucoup de filles, qui par la lecture des Histoires et des Romans, se sont éprises de certains Héros, dont elles rebattaient les oreilles à tout le monde : et pour l’amour desquels elles méprisaient tous les vivants42.

L’amour pour Alexandre faisait ainsi l’objet de moqueries comiques, prolongées par Scarron dans le Faux Alexandre. Desmarets imaginait une Mélisse éprise du conquérant macédonien et Scarron campait une vieille anglaise du même nom touchée du même amour et bernée par sa fille43. Ces deux Mélisse sont-elles des figures de leur siècle tout entier, dans leur passion pour le monde d’Alexandre ? Après Cassandre, la rivalité de Roxane et 39. Bibliothèque universelle des romans, Paris, Lacombe, oct. 1780, t. 1, p. 4. 40. Pour un résumé, Les Héros de romans, dialogue de Nicolas Boileau, éd. cit., p. 93-101. 41. M.-G. Lallemand, art. cit. 42. Desmarets de Saint-Sorlin, « Argument », Les Visionnaires, Paris, Jean Camusat, 1640, n.p. Maupoint l’identifie comme Mme de Sablé, Bibliothèque des théâtres, op. cit., p. 316. 43. La comédie, inachevée, a été publiée dans les Œuvres de 1786.



Alexandre et ses femmes : autour de l’Alexander Magnus du 155 P. Paillot (1690)

de Statira devient un lieu commun de la création littéraire, particulièrement de la création dramatique. Dès 1648, on recense un Mariage d’Oroondate et de Statira, ou La conclusion de Cassandre. Créée à l’Hôtel de Bourgogne, la tragi-comédie de Magnon voyait triompher l’amour vertueux et généreux de Statira et d’Oroondate. La pièce a inspiré un émule suédois : Joan Blasius publie vingt-deux ans plus tard son Het Huwelijk van Oroondate en Statira (1670). En Angleterre, Nathaniel Lee propose The Rival Queens, or, The Death of Alexander the Great (1677), elle aussi liée explicitement à Cassandre44. Dans l’avertissement de sa Statira (1679), Pradon se réfère à La Calprenède pour mieux signaler qu’il a suivi d’autres voies et allègue Plutarque. Pradon évacue Oroondate et donne Léonatus pour amant à Statira. Il revendique l’amour comme épisode et nœud de la pièce : J’avouë que si j’avois meslé un peu plus de politique dans les sentimens de si grands Hommes, le sujet n’en eus esté que mieux, mais quelquefois la tendresse nous emporte plus loin qu’il ne faut45.

Voilà qui pouvait servir de contre-exemple aux pièces jésuites. Un siècle plus tard Candeille composa un opéra qui ne fut jamais joué, Roxane et Statira ou les veuves d’Alexandre (1792). On peut encore signaler les pièces où Roxane et Statira apparaissent séparément. Pour Roxane, outre la pièce de Desmarets de Saint-Sorlin déjà mentionnée, La mort de Roxane (1648), dont l’auteur, non identifié, mentionne La Calprenède pour mieux l’éloigner46, et Alexandre et Roxane, ballet de Lauchery (177047). Statira, quant à elle, a eu l’honneur d’un opéra de Francesco Cavalli créé en 1655, Statira principessa di Persia. Alexandre amoureux n’était pas en reste. L’épisode où le souverain cède Campaspe et se vainc lui-même connaîtra un fort succès au xviiie siècle48 ; un opéra anonyme représenté à Leyde en 1691 prête à Alexandre la même générosité : Sus ! Alexandre, sus témoigne à l’univers 44. The Rival Queens, or, The Death of Alexander the Great Acted at the Theater-Royal by their Majesties Servants, Londres, Printed for James Magnes and Richard Bentley, 1677. Lee inspira J. Banks, The Rival Kings, or, The Loves of Oroondates and Statira, a Tragædy, Acted at the Theatre-Royal, Londres, Printed for L.C., 1677. Les deux textes sont en ligne sur l’Early English Books Online, http://quod.lib.umich.edu/e/eebogroup/, consulté le 9 juin 2016. 45. Nicolas Pradon, Statira, Paris, Jean Ribou, 1670, « Préface », n.p. 46. I.M.S., La mort de Roxane. Tragédie, Paris, Augustin Courbé, 1648. 47. Étienne Lauchery, Alexandre et Roxane, Cassel, D. Étienne, 1770. 48. On trouvera la liste de ces pièces sur le site CESAR qui recense douze comédies, ballets et opéras consacrés à Campaspe, tous donnés entre 1760 et 1790 : http://cesar.org.uk/cesar2/ search/index.php ?fct=list&search=campaspe

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Céline Bohnert Qu’amour aveugle ne te tient plus dans ses fers : Et que par ta valeur extreme Tu sçais te vaincre aussi toy méme49.

Ce renoncement avait également été le sien dans l’Art de régner ou le sage gouverneur de Gillet de La Tessonerie (1640) : Alexandre y renonçait à sa passion pour Statira par égard pour sa vertu50. Replacées dans ces différents réseaux d’invention, les particularités de la pièce du P. Paillot ressortent d’autant mieux. Paillot introduit Alexandre dans un univers d’après les temps héroïques, un temps troublé, redéfini à l’aune des valeurs contemporaines où l’idéal d’honnête civilité et d’amour tendre tentait d’adoucir les mœurs51. Paillot contamine les sources historiques qui forgeaient la stature grandiose, quoique complexe, d’Alexandre et la culture issue des romans, qui avait déjà trouvé forme dramatique. Il en offre une synthèse commandée par les impératifs contradictoires des règles dramatiques et des impératifs pédagogiques propres à la Compagnie. De cette alchimie sort un objet dramatique étrange, plein de fureur et de grandeur, d’une structure un peu lâche, mais qui offrait aux jeunes acteurs les scènes nécessaires à leur apprentissage ; un Alexandre, enfin, chrétien et cornélien, héros de la volonté, conscient de ses fautes et laissant à l’heure de sa mort « des exemples de vertu inimitables ». Si l’intrigue montée par Paillot est quelque peu flottante, le schéma qu’il suit ne s’en retrouve pas moins dans une pièce au moins. Faisant ses débuts de dramaturge, Eustache Le Noble proposera en 1716 une intrigue très proche, où la rivalité s’établit cette fois entre Thalestris et Statira autour d’un Alexandre tendre que son auteur compare à celui de Racine : Je ne represente point ici Alexandre à la tête d’une Armée, ni escaladant un Roc ; mais, auprès de la Princesse Statira sa Captive, qu’il epousa à Babilone, après avoir en quelque manière flaté Talestris Reine des Amazones, de l’espoir de lui donner un jour la main. Un Heros n’est pas toujours terrible ; il est tendre et galant comme un autre dans ses amours ; & Achille n’a point mauvaise grace dans Homere, lorsqu’il pleure la perte de Briséïs52.

49. Opéra d’Alexandre, orné de Machines, et de Changemens de Théâtre, Leyde, Jean à Damme, [1691], p. 66. 50. C. Grell et C. Michel, op. cit., p. 217-218. 51. M. Bannister, « La Calprenède et la politique des années Mazarin », CAIEF, 56 (2004), p. 379-395. 52. La Promenade de Gentilly à Vincennes, ou Talestris Reine des Amazones, Paris, Veuve Chastelain, 1716.



Alexandre et ses femmes : autour de l’Alexander Magnus du 157 P. Paillot (1690)

Amoureux, Alexandre aura ainsi oscillé entre roman et théâtre, entre galanterie et passions fortes, entre Roxane et Statira. De leur côté, les deux femmes auront trouvé une stature qui éclipse parfois celle du conquérant, en un constant remodelage de l’Histoire. Céline Bohnert Université de Reims-Champagne Ardenne CRIMEL EA3311

Annexe Alexandre le Grand, tragedie sera representée au College de Louis le Grand pour la distribution des prix fondez par Sa Majesté le deuxième jour d’Aoust à une heure aprés midy, Paris, Gabriel Martin, ruë Saint Jacques, au Soleil d’Or. M.DC.LXXXX53 [2] Sujet de la tragédie Alexandre ayant dessein d’unir les Macédoniens avec les Perses, fit épouser des Persanes aux Seigneurs de sa Cour. Il épousa luy-mesme Statire fille de Darius. Dans la suite Alexandre fut empoisonné par Iolas fils d’Antipater ; & Roxane ayant appris la mort d’Alexandre, fit mourir Statire. Justin, Quintecurce et Plutarque. La Scene est à Babylone, dans un appartement du Palais des Rois de Perse. [3] Premier Acte. Alexandre avoit fait mourir plusieurs de ses amis sur divers soupçons. Il avoit resolu de traiter de la mesme manière Antipater & Iolas, dont la puissance commençoit à luy estre suspecte. Il avoit mesme marqué ce jour-là pour épouser à la vûë de toute sa Cour, Roxane qui avoit esté promise à Iolas ; mais l’amour de la gloire le fait changer de resolution. Il fait connoître à Perdiccas & à Seleucus, qu’il rappelle de Macedoine Antipater pour luy donner les emplois d’Ephestion qui estoit mort depuis peu, qu’il épouse Statire fille de Darius, & qu’il laisse 53. Nous transcrivons le texte d’après l’exemplaire de Paris, BnF, RES-YF-2537.

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Céline Bohnert

Roxane à Iolas. Iolas survient, & paroist peu touché de cette faveur. Aprés le départ du Roy il témoigne à Amyntas & à Craterus, qu’il conserve toûjours le souvenir de l’injure qu’il a reçûë, & l’esperance de regner aprés Alexandre, estant le plus puissant de ses amis. Il ajoûte que la seule crainte de déplaire à Roxane & de la perdre, l’empesche d’executer le dessein qu’il a de faire mourir Alexandre. [4] Second Acte Statire se plaignant à Oxatres de ce que la place qui luy est dûë, & qu’Alexandre luy a promise, est destinée à Roxane, apprend d’Arsace que le Roy a changé de resolution, que Roxane doit épouser Iolas. Elle est confirmée dans cette pensée par l’inquietude qu’elle voit peu de temps aprés dans l’esprit de Roxane. Statire la laisse avec Iolas qui cherche Roxane pour sçavoir ses sentimens. Roxane luy déclare qu’elle ne peut pas voir l’Empire entre les mains d’un autre, & qu’elle n’épousera jamais un Prince qui ne soit pas en état de la faire regner. Iolas répond que cela ne se peut qu’en ostant la vie & l’Empire à Alexandre, qu’il est prest de le faire, si elle l’ordonne. Roxane effrayée alors de ce discours laisse Iolas dans l’embarras, dont Lysimachus & d’autres Seigneurs Macedoniens le tirent, en luy apprenant que les Grecs mécontens d’Alexandre, & prests à se revolter, le demandent pour chef. Iolas prend le parti d’entretenir secretement ces troubles, croyant par-là avoir trouvé le moyen de contenter son ambition & la haine qu’il a pour Alexandre, sans déplaire à Roxane. [5] Troisiéme Acte Alexandre aprés avoir appaisé la sedition qui s’étoit élevée dans son Armée, delibere s’il fera mourir Iolas qu’il sçait estre coupable. Il le peut faire avec justice, & épouser ensuite Roxane. Il peut se défaire en mesme temps d’Antipater, dont il connoist l’ambition, & dont le pouvoir est grand en Macedoine. D’un autre costé, il se represente la rigueur dont il en a usé à l’égard de plusieurs de ses amis qu’il a fait mourir sur de legers soupçons. L’arrivée de Statire le détermine à laisser Roxane à Iolas, & à le combler de ses faveurs, quoy-que coupable. Roxane survient, elle se plaint d’Alexandre ; elle le menace ; elle lui apporte toutes les raisons que luy suggerent son desespoir & son ambition : & voyant qu’Alexandre se retire, elle prend la resolution d’aller trouver Iolas pour le presser de la venger de Statire, & s’il le faut mesme, d’Alexandre.



Alexandre et ses femmes : autour de l’Alexander Magnus du 159 P. Paillot (1690)

[6] Quatriéme Acte Iolas apprend d’Eumenes & d’Abisares quel est le desespoir de Roxane, & la bonté que le Roy a pour luy. Il continuë cependant dans la resolution qu’il a prise de le faire mourir. Il ne doute plus que Roxane ne consente à la perte d’Alexandre ; & il ne se trompe pas. Roxane vient luy dire tout ce qu’elle croit capable de le porter à la vengeance : & comme il semble avoir de la peine à se resoudre ; elle le quitte avec mépris, resoluë de se venger elle-mesme. Iolas n’avoit caché son dessein, qu’afin de profiter de la vengeance auprés de la Princesse, & de connoistre mieux ses sentimens : voyant les choses au point où il les a souhaitées, il prend la resolution de faire mourir Alexandre. Comme il s’est preparé à ce crime, il n’a pas de peine à resister aux reproches qu’Amyntas luy fait. Comme il se défie de la severité de Roxane, il engage son ami à ne le pas quitter, de peur que ne changeant de pensée elle ne trouble son dessein. [7] Cinquiéme Acte Roxane fait reflexion à ce que sa colere lui a fait faire, & commence à s’en repentir ; elle connoist l’ambition d’Iolas, & sa haine pour Alexandre ; elle craint de luy en avoir trop dit. Elle prend la resolution d’aller avertir Alexandre de tout, lorsque Iolas vient luy dire qu’elle est vengée, qu’Alexandre ne peut pas éviter la mort ; mais qu’il a eu assez de temps pour se venger de ceux qui en sont coupables. Roxane bien loin de suivre Iolas, le traite d’une manière qui le desespere. Il s’est resolu de soûtenir ce qu’il a fait, & d’empescher par force ce qu’il ne peut plus obtenir autrement. Alexandre pour profiter des momens qui luy restent à vivre, paroist suivi de toute sa Cour. Il est étonné d’apprendre de Roxane la cause de sa mort, il la fait retirer ; il ordonne qu’on fasse venir la Reine, & qu’on arreste Iolas. Tandis qu’il donne cét ordre, on amene Statire, qui ne pouvant à survivre Alexandre, s’étoit elle-mesme donné le coup, dont elle meurt en presence du Roy. Polydamas vient dire qu’Iolas ne pouvant plus éviter d’estre arresté, s’est tué luy-mesme. Alexandre se sentant affoibli, laisse aux Dieux le soin de venger sa mort, dont il prévoit les suites funestes. Il nomme pour son successeur celui qui en sera le plus digne, & laisse à Perdiccas le soin d’executer ce qu’il ordonne.

L’image d’Alexandre le Grand dans La mayor hazaña de Alejandro Magno, comedia attribuée à Lope de Vega La plus grande prouesse d’Alexandre le Grand : c’est sous ce titre propre à intriguer le public et à susciter le désir de voir et de savoir quelle fut la plus grande prouesse du célèbre conquérant macédonien que l’on trouve la pièce que j’ai choisi d’étudier dans la copie manuscrite non olographe conservée à la Bibliothèque Nationale de Madrid, copie dont l’écriture a été datée du xviie siècle et qui attribue l’œuvre à Lope de Vega1. Le texte dut attendre le début du siècle dernier pour être édité dans les Œuvres du poète publiées par l’Académie Royale d’Espagne2. La critique incline le plus souvent à considérer que cette comedia est bien de la plume du Phénix des Esprits3. Ce dernier ne la cite pas dans la liste des œuvres qu’il reconnaît comme siennes, liste rédigée dans les deux ou trois derniers mois de l’année 1603 ou au tout début de 1604 et qu’il fit paraître au début de son roman El peregrino en su patria4. En revanche, dans la seconde liste de ses pièces publiée en 1618, Lope mentionne une œuvre intitulée La de Alejandro, qui pourrait bien être La mayor hazaña de Alejandro Magno, rédigée selon Morley et Bruerton entre 1614 et 16185. Mais il pourrait aussi s’agir de Las grandezas de Alejandro, autre pièce du Phénix dont le Macédonien est le protagoniste et qui aurait été rédigée vers 1. La mayor hazaña de Alejandro Magno, comedia nueva en tres jornadas, Madrid, Biblioteca Nacional de España, ms. 15566, 56 fol. ; voir A. Paz y Melia, Catálogo de las piezas de teatro que se conservan en el Departamento de Manuscritos de la Biblioteca Nacional de Madrid, Madrid, 1934, p. 345. 2. L. de Vega, La mayor hazaña de Alejandro Magno, dans Obras de Lope de Vega publicadas por la Real Academia Española [nueva edición], Madrid, 1916, t. 2, p. 396-430. Toutes nos citations de la pièce renvoient à cette édition. 3. H. A. Rennert, « Obras de Lope de Vega by Emilio Cotarelo y Mori », Modern Language Review, 14/4 (1919), p. 439-451. 4. Sur ces listes, voir O. M. Villarejo, « Revisión de las listas de El Peregrino », Revista de Filología española, 46/3-4 (1963), p. 343-399 ; L. Giuliani, « El prólogo, el catálogo y sus lectores : una perspectiva de las listas de El peregrino en su patria », dans Lope en 1604, éd. X. Turbau, Barcelone, 2004, p. 123-136. 5. S. G. Morley et C. Bruerton, Cronología de las comedias de Lope de Vega, Madrid, 1968, p. 506-507. L’entrée d’Alexandre le Grand sur la scène européenne éd. Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas Turnhout, 2017, (Alexander Redivivus, 9) p. 161-175 © F H G

DOI 10.1484/M.AR-EB.5.113442

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Hélène Tropé

1604-16086. Pour diverses raisons, j’incline pour ma part à considérer que La mayor hazaña de Alejandro Magno est bien de la main du Phénix7. Suivant la terminologie de Joan Oleza, elle est à classer parmi les drames historiques de faits célèbres remontant, en particulier, à l’Antiquité. Ce dernier sous-groupe d’œuvres est minoritaire chez Lope mais non moins intéressant, au contraire, car ces pièces, bien que traitant d’histoire antique – matière de prédilection de la tragédie – ne répondent pas aux arts poétiques classiques et témoignent de l’émancipation du Phénix vis-à-vis de ces derniers. La mayor hazaña s’affranchit des règles classiques propres à la tragédie8. En effet, si l’histoire antique est bien un sujet particulièrement approprié à la tragédie, le dramaturge mêle à la théâtralisation de certaines victoires militaires du Macédonien une double intrigue amoureuse. De surcroît, des personnages inférieurs, bien étrangers à la conception classique de la tragédie, un bouffon par exemple, côtoient les figures du roi et des nobles9. 6. Voir http://artelope.uv.es/basededatos/browserecord.php ?-action=browse&recid=223#bibliograficos (consulté le 15/01/2016). 7. D’abord en raison d’un style bien caractéristique et reconnaissable ; ensuite eu égard à certains motifs, fréquents chez Lope et traités à sa façon, par exemple l’identification de l’amour à une forme de folie ; enfin, les imbroglios amoureux où deux hommes sont épris de la même femme et deux femmes du même homme ; le thème de la jalousie ; la prédilection du dramaturge pour le personnage d’Apelle qu’il a mis très souvent en scène et en particulier l’utilisation, comme dans la pièce qui nous occupe, de la représentation d’Apelle pour traiter de la relation entre le monarque et l’artiste (voir F. A. de Armas, « Pintura y poesía : la presencia de Apeles en el teatro de Lope de Vega », dans Lope de Vega y los orígenes del teatro español. Actas del I Congreso Internacional sobre Lope de Vega, éd. M. Criado de Val, Madrid, 1981, p. 719-732). Les arguments avancés récemment par Erik Coenen (« La atribución a Lope de Vega de La mayor hazaña de Alejandro Magno », Anuario Lope de Vega, 23 (2017), p. 347-365) pour ne plus attribuer cette pièce à Lope de Vega nous ont assez peu convaincue. Il convient d’analyser cette pièce de même que Las grandezas de Alejandro au miroir d’un autre dénominateur commun : le reflet dans ces dernières de l’aspiration bien connue du Phénix à obtenir le poste de chroniqueur qu’il désirait et n’obtint jamais et la subséquente exaltation par ces deux pièces de la figure du prince mécène, fortement idéalisé. Voir Hélène Tropé, « ‘En tu campo ay quien se precia / de coronista mayor’. Mecenazgos en la poesía : el caso de Lope de Vega en Las grandezas de Alejandro » (communication au xixe Congrès international de la Asociación Internacional de Hispanistas, Münster, 14-17 juillet 2016), à paraître). 8. J. Oleza et F. Antonucci, « La arquitectura de géneros en la Comedia Nueva : diversidad y transformaciones », Rilce, 29/3 (2013), p. 689-741, voir en particulier p. 716-717. Il s’agit de quatre pièces authentiques du Phénix (Roma abrasada, El honrado hermano, Las grandezas de Alejandro et El esclavo de Roma), d’une pièce qui est probablement de lui (Contra valor no hay desdicha) et de La mayor hazaña, objet de notre étude. 9. Ce dernier critère, selon l’analyse que l’on peut faire de la taxinomie des genres propre à ce dramaturge, ferait plutôt de cette comedia une tragi-comédie. Voir C. Couderc, « Fronteras



L’image d’Alexandre le Grand dans La mayor hazaña de 163 Alejandro Magno, comedia attribuée à Lope de Vega

Il nous faudra donc nous interroger sur la façon dont le dramaturge adapte la matière classique de la légende d’Alexandre à son public en y développant des thèmes conformes aux goûts de celui-ci : l’amour, l’honneur des femmes, la jalousie, la trahison et la vengeance. Le poète revisite également les sources classiques en les adaptant aux préoccupations de son époque : notamment, l’obsession de l’honneur et la mythologie antique mâtinée de références religieuses chrétiennes10. Dès lors, quelle image du Macédonien résulte du mélange opéré entre Histoire et invention ? Mais aussi, quelle interprétation peut-on proposer de la pièce à la lumière du contexte historique dans lequel elle fut écrite ? Quelles sont les fins poursuivies par l’auteur dans cette exaltation du conquérant ? Nous tenterons de répondre à ces questions en élucidant la fonction et le sens de l’intrigue amoureuse. Nous montrerons en particulier que la pièce est construite autour d’une opposition amour versus honneur qui se résout par la mise en scène d’un renoncement sublime du Macédonien à la passion, au profit de ses missions de conquérant, seules susceptibles de lui procurer la renommée. Puis, nous analyserons les modalités de l’exaltation des valeurs héroïques d’Alexandre, ainsi que la fonction de la mise en scène de ses relations avec Apelle, son peintre attitré, afin de proposer une interprétation de la pièce à la lumière du temps de l’écriture.

Les tourments et les illusions de l’amour Le théâtre du Siècle d’or a souvent mis en scène la figure du conquérant macédonien dans des pièces relevant de plusieurs genres qui vont de la tragédie à la comédie burlesque11. Un épisode de la légende d’Alexandre en particulier genéricas : Lope de Vega ante la tragicomedia », Criticón, 122 (2014), p. 67-82. Sur la controverse entre partisans et détracteurs de la Comedia Nueva, et en particulier sur les adversaires de cette dernière, voir J. de Entrambasaguas, « Una guerra literaria en el Siglo de Oro. Lope de Vega y los preceptistas aristotélicos », Estudios sobre Lope de Vega, Madrid, 1946, t. 1, p. 63-580 et t. 2, p. 7-411 ; M. Vitse, Éléments pour une histoire du théâtre espagnol, Toulouse, 1990 (2e éd.), p. 171-250. 10. Sur la réécriture par Lope des sources historiques et biographiques d’Alexandre dans Las grandezas de Alejandro, voir E. Á. Ramos Jurado, « Comedia mitológica y comedia histórica. La tradición clásica en Lope de Vega », dans Cuatro estudios sobre tradición clásica en la literatura española, éd. E. Á. Ramos Jurado, Cadix, 2001, p. 11-43, en particulier p. 29-41. 11. Par exemple, de P. Lanini Sagredo, Darlo todo y no dar nada, comédie burlesque qui parodie la pièce de Calderón qui porte le même titre, fut représentée en 1653 et publiée pour la première fois dans Octava parte de comedias nuevas escogidas, Madrid, 1657. Voir le texte de

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était célèbre dans l’Espagne du Siècle d’or12 et a souvent été théâtralisé : le renoncement d’Alexandre à la femme aimée (dénommée Campaspe ou Pancaste selon les sources) au profit de son peintre Apelle épris d’elle également. Cet épisode est rapporté par Pline l’Ancien et repris par Pedro Mexía dans sa Silva de varia lección13. Agrémentant la matière historique d’une intrigue amoureuse bien connue, le dramaturge reprend cette anecdote. À ce premier triangle amoureux, il en ajoute un second, celui que forment le conquérant, son ennemi (le Perse Darius) et l’épouse de ce dernier (la reine Stateira qu’il rebaptise Felicia et qu’il fait s’éprendre du Macédonien). Voilà deux intrigues qui ne pouvaient que générer une tension dramatique et donc susciter l’intérêt du public des corrales, sans doute plus enclin aux conflits de l’amour et de l’honneur suscités par des ménages à trois qu’aux faits d’armes anciens. Avec son habituel talent, Lope poétise cette double intrigue amoureuse et la sublime en élevant le thème du « coup de foudre » à la hauteur du mythe de Narcisse et d’Écho. En effet, le motif de la force des images, capables de susciter le sentiment amoureux chez les hommes aussi bien que chez les femmes, revêt une grande importance dans cette pièce. C’est ainsi que la rencontre entre Alexandre et Campaspe se produit dans le cadre des rives d’un ruisseau où ils s’éprennent successivement de l’image de l’autre aperçue dans l’onde pure14. Tant la mention explicite de Narcisse que la dimension illusoire la comédie burlesque dans Comedias burlescas del siglo de oro, éd. I. Arellano, t. 5, Madrid et Francfort-sur-le-Main, 2004, p. 235-389. 12. Sur la figure d’Apelle dans l’Espagne classique, voir C. Hue, Apelle, saint Luc et le singe. Trois figures du peintre dans l’Espagne des xvie et xviie siècles ( fonctions littéraires, théoriques et artistiques), thèse de doctorat, Paris, Université de la Sorbonne nouvelle – Paris III, 2009. Sur les pièces du Siècle d’or espagnol ayant mis en scène cet épisode, voir B. Morros Mestres, « La enfermedad de amor y la rabia en el primer Lope », Anuario de Lope Vega, 4 (1998), p. 209-252 ; B. Morros Mestres, « Sentido y fuentes de la canción de Bocangel Al caso de Apeles en La lira de las Musas », DICENDA. Cuadernos de Filología Hispánica, 19 (2001), p. 179-242. 13. Pline l’Ancien, Histoire naturelle, livre XXXV, 84, trad. S. Schmitt, Paris, 2013, p. 16121613 ; Pedro Mexía, Silva de varia lección, II, 18, éd. I. Lerner, Madrid, 2003, p. 384. 14. En effet, avant de partir combattre Épaminondas qui a soulevé la population de Thèbes contre la domination du Macédonien, ce dernier va d’abord exercer sa force à la chasse dans un bois ombragé où la belle Campaspe, dame noble mais pauvre, s’est réfugiée avec Pirène, sa servante, après la mort de ses parents. Tandis qu’Alexandre apparaît sur un rocher qui surplombe la scène (indication scénique p. 399), un sanglier passe devant Campaspe et l’effraie. Elle va se désaltérer dans l’eau d’une fontaine, y aperçoit le visage d’Alexandre qui se trouve au-dessus d’elle et en tombe amoureuse. Ne voyant plus ensuite ce visage se refléter dans l’eau, elle décide de monter jusqu’au rocher pour voir l’homme à qui appartient ce visage, mais alors qu’elle monte, lui descend se rafraîchir. Et tandis qu’elle parvient en haut du rocher et se penche, il



L’image d’Alexandre le Grand dans La mayor hazaña de 165 Alejandro Magno, comedia attribuée à Lope de Vega

d’une telle rencontre, non avec l’original mais avec son apparence, préfigure l’échec de cet amour. De même, Felicia, épouse de Darius, tombe amoureuse d’Alexandre en voyant son portrait (v. 1333-1351), une passion tout aussi vouée à l’échec et source de souffrance. Dans cette œuvre, l’amour, en effet, est représenté comme un tourment et il entre en opposition avec l’honneur et même avec la renommée que procurent les victoires à la guerre. Ainsi, à plusieurs reprises, l’amour est conçu comme un facteur négatif. Amor est ainsi l’antonyme de honor. Pour Campaspe tout d’abord : lors de la scène bucolique qui précède la rencontre avec Alexandre, la dame entend la voix de ce dernier et s’adresse alors à son honneur comme si celui-ci était menacé : « Digo que oigo hablar, honor » (v. 348, « J’entends parler, honneur ») et quelques vers plus loin, apeurée, elle déclare : « Quiero a mi quinta volverme » (v. 358, « Je veux rentrer chez moi »). Aux vers 399-405 elle révèle à Alejandro qu’elle s’est réfugiée dans la nature afin de sauvegarder son honneur : […] en aquel que veis sitio deleitoso, aunque corto es. Con una crïada vivo, sin temer que dé con mi honor un hombre al través. (v. 399-405) [Si petit que soit ce lieu délicieux qui s’offre à votre regard, accompagnée d’une servante, c’est ici que je vis, sans craindre qu’un homme porte atteinte à mon honneur.]

Plus avant, elle exprime qu’elle redoute que le lien non marital qui l’attache à Alexandre ne vienne entacher sa réputation, évidente adaptation de la légende des amours d’Alexandre et de sa favorite au thème de l’honneur menacé des femmes, omniprésent dans le théâtre espagnol classique : Cuidados son de mi honor. ¿ Quién duda, amada Pirene, que, aunque el dueño de mi ser tiene tan grande poder y tanta nobleza tiene, viéndome, en fin, no casada voit le visage de Campaspe se refléter dans l’eau et croit voir Vénus surgir des eaux. Voir L. de Vega, La mayor hazaña, v. 339-347.

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Hélène Tropé en tanta desigualdad, digan que mi honestidad está perdida y manchada ? (v. 1039-1046) [Ce sont là les tourments de l’honneur. Qui peut douter, tout puissant et noble que soit le maître de mon cœur, que lorsqu’on me verra non mariée, d’une condition si inégale, on ne dise que mon honneur est perdu et souillé ?]

Elle en vient même à exprimer qu’elle aimerait mieux être l’épouse d’Apelle que l’amante d’Alexandre (v. 1552-1555). Et bientôt amor ne rime plus avec honor mais avec dolor et s’oppose à valor. Une autre antithèse structure la pièce et oppose Cupidon à Mars et à la renommée. Ainsi, Hercule apparaît à Alexandre15. Il lui reproche de se livrer à l’amour au lieu de venger l’assassinat de son père, et il l’encourage à prendre Thèbes. Alexandre oppose alors amor à valor et, dominant sa passion, il se résout au combat. Hercule est ici convoqué, peut-être tout d’abord parce que, selon la légende rapportée par Plutarque, « Alexandre-le-Grand du côté de son père était descendu de la race d’Hercule16 », mais aussi parce qu’Hercule est non seulement symbole de force mais encore preuve vivante de la possible perte de virilité qui guette l’homme prisonnier de l’amour d’une femme. Hercule ne fila-t-il pas la laine aux pieds d’Omphale ? Le général Héphestion, compagnon et second d’Alexandre, reproche au Macédonien de préférer l’amour à la conquête : Que, cuando fue de Venus Marte amante, le aprisionó Vulcano descuidado que siempre el dios Cupido debilita […]. (v. 1364-1366) [Car Mars, amant de Vénus, fut pris au dépourvu et emprisonné par Vulcain, car toujours le dieu Cupidon affaiblit […].]

Il affirme :

15. Le dramaturge reprend l’anecdote de l’apparition d’Hercule à Alexandre (v. 614-661), anecdote que l’on trouve chez Plutarque qui la situe lors du siège de la ville de Tyr, alors que dans la pièce qui nous occupe, elle suit immédiatement la rencontre bucolique entre le Macédonien et Campaspe. Voir Plutarque, Vie d’Alexandre-le- Grand, dans Les Vies des hommes illustres, trad. J. Amyot, 2 t., Paris, t. 2, 1959, p. 351 : « Durant ce siège, il lui fut une nuit avis qu’Hercule lui tendait la main de dessus les murailles de la ville, et l’appelait par son nom, […]. » Selon la tradition, Alexandre serait descendu d’Héraclès par son père et d’Eaque par sa mère, d’où sa parenté directe avec Achille. 16. Plutarque, Vie d’Alexandre-le-Grand, trad. cit., p. 323.



L’image d’Alexandre le Grand dans La mayor hazaña de 167 Alejandro Magno, comedia attribuée à Lope de Vega que no es bien que a una mujer esté Alejandro rendido. (v. 2674-2676) [il n’est pas convenable qu’à une femme Alexandre soit soumis.]

Ces oppositions réitérées entre Cupidon et Mars, amor et valor vont se résoudre par le renoncement sublime d’Alexandre à Campaspe. Après avoir assisté incognito à une scène au cours de laquelle Apelle déclare son amour à Campaspe, le voici en proie à un conflit intérieur : amor et honor s’affrontent en lui à partir du vers 2547. L’honneur signifie à Alexandre que la conquête de la renommée passe par le renoncement à l’amour de Campaspe. L’opposition se joue maintenant entre amor et inmortal fama (amour versus immortelle Renommée17). Cette antithèse culmine dans le conflit intérieur d’Alexandre qui finit par céder aux instances d’Honneur, convaincu que la plus grande victoire est de triompher de soi-même : « No es justo, señor ; escucha », dice el honor, « no te ciegues ; que aquestas glorias del mundo son aparentes y breves. Si estás promulgando y dices que inmortal fama pretendes y que no procuras gustos sino aquésta solamente, ¿ qué importa que hayas vencido los contrarios más valientes, cuando agora, bravo rayo, a ti propio no te vences ? Esta es la mayor victoria de quien alcanzar pretende fama que el tiempo no borre, que la envidia no entorpece. » (v. 2251-2262) [« Cela n’est pas juste, Seigneur ; écoute », dit l’honneur, « ne sois pas aveugle ; ces gloires mondaines sont apparentes et brèves. Si tu promulgues et dis que tu recherches l’immortelle renommée, rien qu’elle, et non les plaisirs, à quoi bon avoir vaincu les ennemis les plus vaillants quand à 17. Comme dans Las grandezas de Alejandro et dans El hombre de mayor fama de Mira de Amescua, dans La Mayor hazaña, la renommée est opposée et préférée à l’amour. Voir J. D. Castro, « Historia antigua y mitología clásica », dans Manipulus studiorum en recuerdo de la profesora Ana María Aldama Roy, éd. M. T. Callejas Berdonés, P. Cañizares Ferriz, M. D. Castro Jiménez, M. F. del Barrio Vega, A. Espigares Pinilla, M. J. Muñoz Jiménez et M. T. Callejas Berdonés, Madrid, 2014, p. 197-208.

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Hélène Tropé présent, orgueilleux éclair, tu ne te domines pas toi-même ? De celui qui prétend atteindre la renommée, c’est la plus grande victoire ; ni le temps ne la peut effacer, ni l’envie ne la peut avilir. »]

Cette valeur suprême qu’est le désir d’immortalité animant l’Alexandre très idéalisé de la pièce – qui n’est pas sans rappeler à cet égard l’Alexandre romanesque du Pseudo-Callisthène18 – est soulignée pas moins de huit fois par lui-même ou ses conseillers sous les formes suivantes : inmortal suerte (v. 87) ; inmortal alabanza (v. 673) ; inmortal fama (v. 1134) ; inmortal gloria (v. 16261627) ; inmortal fama (v. 2551-2552) ; digno de inmortalidad (v. 2671) ; inmortal nombre (v. 2756) et inmortal muerte (v. 2938). Au terme de divers conflits qui mèneront au bord du désespoir les trois personnages du premier triangle amoureux, mais aussi la jalouse Felicia, Alexandre renoncera à Campaspe, facilitant ainsi un heureux dénouement. La grandeur d’Alexandre n’en sera alors que plus éclatante. Comme nous allons le montrer à présent, puisant aux sources classiques qu’il traite cependant librement, le dramaturge exalte tout au long de la pièce diverses valeurs héroïques du Macédonien en les adaptant aux mœurs, situations et conventions de son époque.

L’exaltation des valeurs héroïques et la réécriture des sources Comme le souligne ce renoncement, la première valeur magnifiée d’Alexandre est sa chasteté, au demeurant légendaire : Lope suit manifestement un processus d’idéalisation qui était déjà à l’œuvre dans certaines de ses sources, dont la Vie d’Alexandre de Plutarque. Ce dernier exalte chez le conquérant de l’empire perse, dès son jeune âge, sa continence amoureuse et met en relation cette abstinence avec « […] sa convoitise d’honneur […] accompagnée d’une fermeté de courage et une magnanimité plus constante que son âge ne portait19 ». De même, conformément à certaines sources (Plutarque et Quinte-Curce entre autres), l’Alexandre de la pièce se montre généreux et magnanime envers la captive Felicia, épouse de Darius, et il se garde bien de succomber à sa beauté, détail que le dramaturge amplifie en inventant l’épisode selon lequel Felicia tombe amoureuse du Macédonien qui se refuse à profiter de la situation. Le 18. Voir par exemple Pseudo-Callisthène, Le roman d’Alexandre, trad. G.  Bounoure et B. Serret, Paris, 1992, I, 31, p. 29. 19. Plutarque, Vie d’Alexandre-le-Grand, VII, p. 326.



L’image d’Alexandre le Grand dans La mayor hazaña de 169 Alejandro Magno, comedia attribuée à Lope de Vega

dramaturge se montre à cet égard fidèle à ses sources, notamment à Plutarque qui insiste sur la chasteté d’Alexandre20. Un autre trait du héros est exalté : sa vaillance et son invincibilité au combat. Lope, comme les biographes d’Alexandre, exalte la bravoure du Macédonien et la fait attribuer par Alexandre lui-même à son ascendance semi-divine (v. 1834-1391) : selon la légende, sa mère, Olympias, n’aurait pas conçu Alexandre avec Philippe II mais avec Zeus, latinisé par Lope en Jove21 ( Jupiter). Le Phénix a sélectionné dans sa geste les deux épisodes de la prise de Thèbes (acte I) et de la conquête de la Perse (acte II et III). Il met ainsi d’abord en scène la rébellion de Thèbes matée par Alexandre (également évoquée par Plutarque et le Pseudo-Callisthène22). Dans la pièce, c’est la Thébaine Timoclée qui, racontant la prise de la ville en qualité de témoin direct, exalte la bravoure d’Alexandre et de son célèbre Bucéphale (v. 820-877) et relate la mort du général thébain Épaminondas, tué à Mantinée en 362 av. J.-C23., mais que Lope fait mourir à Thèbes, soucieux de condenser les péripéties de l’action belliqueuse24. À l’acte II, ce sont la victoire héroïque d’Alexandre sur Darius et la prise de sa ville (Persépolis, non nommée cependant) qui sont théâtralisées. Le fidèle Héphestion, terrassé par une crise de goutte, resté seul sur scène, relate sur le mode de l’épopée l’assaut héroïque de la ville en insistant sur la vaillance du Macédonien. Puis, ce dernier affronte Darius sur scène et le vainc. Le vaincu 20. Il n’est pas à exclure que le motif de la maîtrise de sa passion amoureuse par Alexandre – qui donne son titre à la pièce – ait été repris de cet auteur qui l’emploie littéralement pour souligner la chasteté d’Alexandre (Plutarque, Vie d’Alexandre-le-Grand, XXXVIII, p. 348) : « Mais Alexandre estimant […] être chose plus royale, se vaincre soi-même, que surmonter ses ennemis, ne les toucha ni elles, ni autre fille ou femme, avant que les épouser […]. » Sur le respect avec lequel Alexandre traita l’épouse et les filles de Darius, voir aussi Quinte-Curce, Histoires, éd. et trad. H. Bardon, Paris, 1992, t. 1, livre III, XII, p. 36-37. 21. Sur l’ascendance divine d’Alexandre du côté de son père, voir Julius Valerius, La geste d’Alexandre le Grand, trad. F. Foubert, Louvain et Paris, 2014, I, 1-13, p. 31-44 ; Plutarque, Vie d’Alexandre-le-Grand, I-IV, p. 321-322. 22. Plutarque, Vie d’Alexandre-le-Grand, LVIII, p.  362 ; Pseudo-Callisthène, Le roman d’Alexandre, I, 46, p. 47-49. 23. Plutarque, La fortune ou la vertu d’Alexandre, dans Œuvres morales, trad. F. Frazier et C. Froidefond, t. 5, première partie, 344 B, Paris, 1990, p. 154. 24. Fidèle à certaines sources, Lope fait préciser à Apelle que la ville a été rasée mais que la maison de Pindare n’a pas été détruite (v. 996-998), sans doute en raison des bonnes relations qu’avait entretenues le poète avec Alexandre, pour lequel il composa notamment un éloge. Voir Arrien, Histoire d’Alexandre. L’anabase d’Alexandre le Grand et l’Inde, trad. P. Savinel, Paris, 1984, p. 30-31.

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implore alors le pardon du vainqueur avec des accents suppliants qui ne sont pas sans rappeler ceux de la lettre du Perse au Macédonien telle que la transcrit par exemple le Pseudo-Callisthène25. Alexandre, magnanime, le réduit alors en esclavage26. Autre trait de caractère théâtralisé : la loyauté. Felicia, femme de Darius, tombée amoureuse d’Alexandre, tente de lui faciliter la prise de la ville contre son époux en lui révélant où se trouve le point faible de la muraille. Mais le conquérant, ne souhaitant pas devoir la victoire à une aide extérieure et encore moins à une trahison, donne l’assaut par un autre côté. Cet épisode peut rappeler l’anecdote narrée par Plutarque selon laquelle à la bataille de Gaugamèles, en 331 av. J.-C., face à la multitude de feux et de lumières des barbares ennemis, les conseillers d’Alexandre lui suggérèrent de livrer bataille de nuit afin que ses propres soldats ne prissent pas peur. Or, il leur répondit qu’il ne voulait point dérober la victoire et lutta vaillamment en plein jour27. L’Alexandre de la pièce apparaît également sous les traits idéalisés d’un empereur magnanime. Lope met en scène l’histoire que raconte Plutarque à propos du siège de Thèbes : quelques soudards thraciens rasèrent la maison de Timoclée, « dame de bien et d’honneur28 ». Leur capitaine la viola, puis s’apprêta à s’emparer des richesses de la maison. Prétendant alors que de l’or, des parures et de la vaisselle d’argent étaient cachés dans un puits, Timoclée y conduisit son agresseur. Poussé par sa cupidité, l’homme se pencha au-dessus du puits et elle l’y précipita. Dans la pièce, elle est conduite devant Alexandre qui, magnanime, lui accorde son pardon (v. 940-991) et lui offre six mille talents de rente (v. 1016-1021). C’est ainsi que tout au long de la comedia, Alexandre est montré comme un paradigme de générosité. Voici là un trait bien connu du personnage mythique, célébré par ses biographes29 et mis en évidence dès les premiers vers de la pièce qui mettent en scène, immédiatement après l’assassinat de Philippe 25. Pseudo-Callisthène, Le roman d’Alexandre, II, 16, 9, p. 65. 26. Bien des détails de la théâtralisation du conflit entre Macédoniens et Perses, dont les rencontres entre Alexandre et Darius, fictives, et les messagers, figurent aussi dans le Roman d’Alexandre du Pseudo-Callisthène. 27. Plutarque, Vie d’Alexandre-le-Grand, XIX, p. 334-335. 28. Plutarque, Vie d’Alexandre-le-Grand, XX, p. 336. Voir aussi Plutarque, Œuvres morales, 259 D-260 D. Timoclée est également citée par Plutarque dans les Préceptes Conjugaux (Œuvres morales, 145 E), à l’intérieur d’une liste de femmes admirables et dignes de renom, et dans le Non posse suaviter vivi secundum Epicurum (Œuvres morales, 1093 C). Voir P. Schmitt Pantel, « Autour du traité de Plutarque Vertus de femmes (Gunaikôn Aretai) », Clio. Histoire femmes et sociétés, 30 (2009), p. 39-60, en particulier p. 30, note 2. 29. Plutarque, Vie d’Alexandre-le-Grand, LXXI, p. 372.



L’image d’Alexandre le Grand dans La mayor hazaña de 171 Alejandro Magno, comedia attribuée à Lope de Vega

de Macédoine, la déclaration de fidélité que lui font ses vassaux, Héphestion et Clitus, promus aux rangs, l’un de général (almirante), l’autre de chambellan (camarero). Alexandre déclare aussi qu’il voudrait posséder le monde entier pour pouvoir l’offrir à tous les siens (v. 33-40). À la fin de la pièce, non content de céder Campaspe à son peintre attitré, Apelle, il le dote de dix mille talents de rente. Il offre la même somme à son fidèle Héphestion, à Parménion (son général), ainsi qu’à Clitus (son ami selon les historiens, devenu chambellan dans la pièce), et proclame qu’il n’aspire qu’à la renommée. Il donne même trois mille talents au bouffon qu’il marie d’ailleurs avec la servante de Campaspe, conformément aux usages de la Comedia Nueva. Au terme de cet héroïque renoncement à l’amour au profit de l’immortelle renommée – un retour à l’ordre des plus édifiants –, la pièce ne pouvait que bien finir. Par ailleurs, comme nous l’avons souligné précédemment, il est manifeste que le dramaturge a volontairement adapté nombre d’aspects ou d’épisodes de la légende au temps de l’écriture. Il nous incombe par conséquent de tenter de déterminer l’idéologie qui présida à cette réécriture et les visées de l’œuvre. En particulier, cette pièce, qui trace le portrait d’un gouvernant idéal, avait-elle une portée didactique ? D’autre part, comment interpréter les relations du prince et de son portraitiste telles qu’elles sont mises en scène ?

Alexandre, parangon du parfait monarque et du mécène idéal. Essai d’interprétation La comedia La mayor hazaña est-elle un miroir des princes ? Pour dater l’époque à laquelle la pièce fut rédigée, on ne dispose que de la date approximative avancée par Morley et Bruerton et fondée sur l’analyse de la métrique : 1614-1618, ce qui situerait sa rédaction à l’époque de Philippe III et de son favori, le duc de Lerme. Toujours est-il que l’image de l’exercice du pouvoir que cette œuvre présente est celle d’un souverain particulièrement vertueux. Dès lors, il est permis de s’interroger sur la possible valeur exemplaire du portrait de conquérant qui y est brossé, à une époque où l’empire espagnol luttait durement sur tous les fronts pour défendre une hégémonie chancelante alors que dans le même temps était apparue, à la cour, aux côtés du roi, l’inquiétante figure d’un favori qui était loin de faire l’unanimité. De surcroît, dans notre comedia, Alexandre est sans cesse associé à Hercule qui lui apparaît et lui rappelle être son père et son inspirateur au combat (v. 614-617). Or, l’on connaît les liens forts qui unissaient Hercule à l’Espagne

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dans les représentations espagnoles des xvie et xviie siècles30. Ses derniers travaux ne l’associent-ils pas à ce territoire, en particulier la capture des bœufs de Géryon et le vol des pommes d’or du jardin des Hespérides ? Charles Quint n’était-il pas le descendant en ligne directe d’Hercule, fils de Zeus-Jupiter dont on prétendait issu le lignage espagnol ? Et deux monarques espagnols (Philippe II et Philippe IV) ne se disaient-ils pas les successeurs du nouvel Alcide31 ? Dans ce contexte historique précis, l’élogieux portrait du fils de Philippe de Macédoine a pu ainsi poursuivre des visées édifiantes32. Quoi qu’il en soit, il est incontestable que l’auteur de La mayor hazaña de Alejandro Magno a bel et bien fait œuvre de poète de l’histoire et que la figure d’Apelle, de même que la relation entre le mécène et l’artiste, est au cœur même de la pièce. C’est cette double conjonction que nous voudrions examiner à présent. L’exaltation de l’estime et de la générosité du mécène à l’égard de l’artiste et du dramaturge constitue-t-elle un plaidoyer de la part du Phénix ? Lope a théâtralisé dans plusieurs de ses pièces l’anecdote racontée par Pline selon laquelle Alexandre aurait offert Campaspe au peintre chargé de la représenter nue et épris d’elle33. Si dans nombre d’autres comedias, il a gardé le schéma de cette histoire tout en modifiant les personnages34, dans La mayor hazaña, on 30. A. Redondo, « Légendes généalogiques et parentés fictives en Espagne, au Siècle d’Or » dans Les parentés fictives en Espagne, xvie-xviie siècles, éd. A. Redondo, Paris, 1988, p. 15-35, en particulier p. 20 et suivantes ; A. Redondo, Revisitando las culturas del Siglo de Oro, Salamanque, 2007, « Leyendas genealógicas y parentescos ficticios en la España del siglo de Oro », p. 63-81. 31. Alcide est le premier nom d’Héraclès. Philippe II se glorifiait d’être le « Divino Successor del nuevo Alcides ». Voir E. Á. Ramos Jurado, « Comedia mitológica y comedia histórica. La tradición clásica en Lope de Vega », dans Cuatro estudios sobre tradición clásica en la literatura española, éd. E. Á. Ramos Jurado, Cadix, 2001, p. 11-43, en particulier p. 40. 32. Voir à ce sujet C. Gaullier-Bougassas, « Les idéologies de la royauté et le statut des auteurs », dans La fascination pour Alexandre le Grand dans les littératures européennes (xe-xvie siècle), éd. C. Gaullier-Bougassas, t. 2, Turnhout, 2014, p. 683-687. 33. Pline l’Ancien, Histoire naturelle, livre XXXV (84), trad. cit., p. 1612-1613. 34. Dans certaines comedias, la relation entre monarque et artiste est une simple allusion, comme dans Los Guzmanes de Toral (1599-1603), La reina Juana de Nápoles, La quinta de Florencia (1600), El cerco de Santa Fe (1596-1598). En revanche, dans Las grandezas de Alejandro (1604-1608), on trouve poétisées les deux anecdotes les plus célèbres relatives à Apelle : la relation entre Alexandre, Apelle et Campaspe, et les lamentations du monarque devant le tombeau d’Achille, son regret de ne pas avoir à son service un Homère qui l’immortalise. Un autre motif fort connu à propos d’Apelle y est développé : la rivalité entre la nature et l’art. Campaspe est si belle qu’Apelle doit rivaliser avec la nature pour la peindre, l’artiste se rapproche de Dieu puisqu’il l’imite. Les peintres, comme l’explique le Macédonien à la femme aimée, occupent alors une place privilégiée dans la hiérarchie sociale. Voir F. A. de Armas, « Pintura y poesía :



L’image d’Alexandre le Grand dans La mayor hazaña de 173 Alejandro Magno, comedia attribuée à Lope de Vega

ne peut qu’être frappé par sa totale fidélité à la narration de Pline : c’est bien le Macédonien qui offre ce témoignage d’estime à Apelle. Lui ayant ordonné de peindre Campaspe nue – chez Pline, il s’agit d’une de ses concubines qu’il aimait –, il se rend compte que le peintre en est tombé amoureux. Au prix d’une longue lutte avec lui-même, il renonce à cet amour et lui donne Campaspe en cadeau. Dans la pièce de Lope, comme dans la narration de Pline, ce don est représenté comme une marque d’estime pour l’artiste et témoigne de la parfaite maîtrise de soi d’Alexandre. Dans la comedia, l’estime du Macédonien pour Apelle est justifiée par des considérations portant sur le rôle primordial de l’artiste, qu’il soit peintre ou poète, dès lors qu’il permet au souverain d’atteindre à l’immortalité. C’est ainsi qu’au début de l’acte II, Lope poétise librement l’anecdote classique d’Alexandre qui, se recueillant devant le tombeau d’Achille, proclama que ce dernier avait été heureux d’avoir trouvé en Homère un héraut pour passer à la postérité35. À Campaspe qui, au début de l’acte II, rappelle au monarque que le souvenir des exploits demeure par-delà la mort, l’Alexandre de Lope, comme celui de la tradition classique, se lamente de ne point bénéficier d’une plume pour immortaliser ses exploits : Sí ; mas dime dónde ha habido como Homero historiador. Si yo tuviera tal pluma, fuera mi bien sin igual, mi valor fuera inmortal de mis hazañas la suma. (v. 1130-1135) [Oui, mais dis-moi où il y a eu un autre historien tel qu’Homère. Si je bénéficiais d’une telle plume, ma prospérité serait sans égale et la gloire résultant de mes exploits immortelle.]

C’est alors qu’Apelle apparaît… la presencia de Apeles en el teatro de Lope de Vega », dans Lope de Vega y los orígenes del teatro español, éd. M. Criado de Val, Madrid, 1981, p. 730. Dans d’autres comedias de Lope, Apelle représente le peintre par antonomase. Le dramaturge en vient même à attribuer à l’illustre peintre des faits apocryphes dans Las mujeres sin honra et dans Los peligros de la ausencia. 35. Arrien, Histoire d’Alexandre. L’anabase d’Alexandre le Grand, trad. cit., I, 12, 1, p. 33. On trouve une version légèrement différente dans le Roman d’Alexandre du Pseudo-Callisthène, trad. cit., I, 42, 5, p. 45, où Alexandre, constatant que le fleuve qu’avait franchi Achille n’avait pas cinq coudées de large et que le bouclier d’Ajax était plus petit et loin d’être aussi admirable que ne l’avait décrit Homère, s’écrie qu’ils ont été heureux d’avoir trouvé Homère pour les chanter car à voir la réalité il lui semble que leur valeur n’égalait pas ce qu’il a écrit.

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Tout au long de la pièce, Alexandre honore ce dernier en présence de toute la cour et exalte – significativement en termes littéraires – l’utilité tant de la peinture que de la sculpture pour immortaliser la gloire du prince, les deux arts étant respectivement symbolisés dans son éloge par Apelle et par Lysippe, ses deux portraitistes attitrés : No habré yo menester que mi renombre escriba el tiempo en siglos dilatados para que al mundo mi valor asombre, pues han querido mis felices hados que tenga, Apeles, como vos un hombre que mis hechos escriba señalados, y otro con que a mil reyes me anticipo, que los esculpa en bronce, que es Lisipo. (v. 89-96) [ Je n’aurai point besoin que le temps chante ma renommée durant de longs siècles pour que le monde admire ma vaillance. En effet, un sort favorable a voulu que j’aie en votre personne, Apelle, un homme qui écrive mes insignes exploits et un autre, Lysippe, grâce auquel, bien avant mille rois, ils sont dans le bronze sculptés.]

Nous voyons donc combien cette pièce met l’accent sur l’importance de la relation du prince mécène et de l’artiste36. Or, l’exaltation de la générosité du gouvernant mécène n’est sans doute pas un hasard de la part d’un dramaturge dont on sait qu’il tenta en vain d’obtenir le poste de chroniqueur royal dans les années 1610. Ce n’est sans doute pas non plus fortuit si dans la dédicace de sa pièce La madre de la mejor (La mère de la meilleure), vraisemblablement rédigée vers 1610-1612 (et publiée en 1621), le dramaturge se plaint du peu de considération dont les auteurs et

36. Dans la pièce qui nous occupe comme dans El cerco de Santa Fe, comedia qui met en scène Charles Quint et son portraitiste Titien, Lope insiste sur l’importance de l’artiste pour le monarque : ce dernier, en l’absence de celui-là, ne pourrait faire connaître aux siècles à venir ses éminentes qualités. De même, dans le poème intitulé « Al Quadro y retrato de su Majestad que hizo Pedro Pablo de Rubens, pintor excelentísimo » (« Au tableau et portrait de sa Majesté que réalisa Pierre Paul Rubens, excellentissime peintre »), Lope décrit le peintre flamand comme « el nuevo Ticiano », « le nouveau Titien ». Quant à Philippe IV, portraituré sur le tableau dont il est question, il est « semejante / a Carlos su divino bisavuelo » (« semblable à Charles, son divin arrière-grand-père »). Par conséquent, une relation s’établit entre d’une part Alexandre, Charles Quint et Philippe IV, et d’autre part Apelle, Titien et Rubens, relation qui est soulignée dans bien des ouvrages de l’époque ; voir par exemple Alfonso de Ulloa, Vita Carlo Quinto, Venise, Vincenzo Valgrisi, 1560, livre V, p. 733.



L’image d’Alexandre le Grand dans La mayor hazaña de 175 Alejandro Magno, comedia attribuée à Lope de Vega

les artistes font l’objet dans l’Espagne de son temps37. Dans cette éclairante dédicace, il donne précisément en exemple la relation entre Alexandre, roi mécène, et Apelle, son sujet peintre. Nul doute qu’il y a là une référence à sa propre situation d’écrivain sans mécène et déçu. En conclusion, l’anecdote plinienne du ménage à trois est traitée dans la comedia avec sobriété et retenue. Du conquérant macédonien, Lope transmet une image idéalisée de générosité et de magnanimité. Non sans un certain stoïcisme, le monarque renonce à l’amour au profit d’une immortelle gloire. Ce portrait élogieux a pu avoir une portée didactique et être conçu comme un miroir du prince. Surtout, on remarque que dans cette pièce, le souverain regrette de ne point avoir un Homère élogieux pour l’immortaliser. Il s’agit d’un monarque qui, honorant son portraitiste jusqu’à lui offrir sa favorite, souligne devant toute la cour et à plusieurs reprises l’utilité politique des arts. Le thème du mécénat, on le voit, est intimement lié dans La mayor hazaña à celui de l’utilité politique de l’art à travers l’exaltation de la relation privilégiée entre le souverain idéal (Alexandre) et son peintre (Apelle). Dès lors, on ne peut qu’abonder dans le sens de la critique qui a vu dans l’intérêt professionnel du Phénix pour le thème d’Alexandre et d’Apelle une traduction très directe de ses propres aspirations38. Hélène Tropé Université de la Sorbonne nouvelle CRES-LECEMO

37. h t t p : / / w w w. i d t . p a r i s - s o r b o n n e . f r / c o r p u s / d e t a i l s . p h p   ? t a b l e _ name=idt&function=details&where_field=id&where_value=402 (consulté le 15/01/2016) 38. Voir A. Sánchez Jiménez, « Mecenazgo y pintura en Lope de Vega : Lope y Apeles », Hispania Félix, 1 (2010), p. 39-65 ; A. Sánchez Jiménez, El pincel y el fénix. Pintura y literatura en la obra de Lope de Vega Carpio, Madrid et Francfort-sur-le-Main, 2011, p. 175-229.

La générosité d’Alexandre : l’épisode de Campaspe (Campaspe de Lyly, Darlo todo y no dar nada de Calderón) L’histoire de Campaspe, rapportée par Pline l’Ancien (Histoire naturelle, XXV, 36, 24) figure en bonne place parmi les épisodes de la vie d’Alexandre ayant inspiré des œuvres littéraires ou artistiques. Nous nous attacherons ici à comparer deux œuvres dramatiques construites autour de cette anecdote, à savoir Campaspe de l’Anglais John Lyly (pièce publiée en 15841) et Darlo todo y no dar nada (Tout donner et ne rien donner) de l’Espagnol Calderón (éditée en 16572). Malgré les disparités affectant leurs tonalités et leurs structures, ainsi que leurs longueurs respectives – la pièce anglaise, rédigée en prose, à l’exception de quelques couplets, ne compte que 1518 lignes, tandis que la pièce espagnole, qui comporte 4148 vers, est une des plus longues que son auteur ait écrites –, les deux œuvres recèlent néanmoins des points communs, dans leur traitement d’un épisode mêlant amour et pouvoir3. Nous aborderons d’abord la manière dont, à partir d’un canevas réduit, les deux auteurs élaborent une action théâtrale. L’examen des potentialités du récit de Pline exploitées par les dramaturges nous mènera à celui de l’élargissement du champ dramatique, des modalités des intrigues et des listes de personnages présents dans chacune des adaptations. Nous nous intéresserons enfin aux interrogations sur le pouvoir qui restent un des enjeux majeurs de ces pièces. 1. Trois éditions de la pièce, l’une intitulée A Most Excellent Comedy of Alexander, Campaspe and Diogenes, et les deux autres portant le titre de Campaspe, furent publiées à Londres par T. Cadman en 1584. Notre édition de référence est : J. Lyly, Campaspe, éd. G. K. Hunter, Manchester et New York, 1991. 2. Darlo todo y no dar nada de Calderón figurait dans le recueil Comedias nuevas escogidas de los mejores ingenios de España, Madrid, 1657, p. 1-30. Notre édition de référence est : Darlo todo y no dar nada, dans Don P. Calderón de la Barca, Obras completas, t. 1, Dramas, éd. Á. Valbuena Briones, Madrid, 1959, p. 1223-1270. 3. Les deux pièces ont déjà été rapprochées notamment par J. Portera dans « Amor y lealtad en Lyly y Calderón », Bulletin of the Comediantes, 28 (1976), p. 96-100 et par D. J. Hildner dans « Amor, poder y pintura en Calderón y John Lyly », Vidas paralelas. El teatro español y el teatro isabellino : 1580-1680, éd. A. K. Stoll, Londres et Madrid, 1993, p. 109-116. L’entrée d’Alexandre le Grand sur la scène européenne éd. Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas Turnhout, 2017, (Alexander Redivivus, 9) p. 177-190 © F H G

DOI 10.1484/M.AR-EB.5.113443

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Les données du récit de Pline Le déroulement de l’histoire est connu : Alexandre ayant demandé à son peintre favori Apelle, de réaliser un portrait de Campaspe, sa belle concubine, se rendit compte que l’artiste en était lui aussi tombé amoureux. Après avoir hésité, le conquérant céda la jeune femme à Apelle4. Le bref passage de Pline l’Ancien reste centré sur Alexandre, le seul personnage qui souffre, raisonne et agit. En proie à un dilemme sentimental, servir son propre amour ou y renoncer en faveur d’autrui, le roi opte finalement pour la solution la plus généreuse pour Apelle et la moins avantageuse pour lui-même. Ainsi, démonstration est faite de la grandeur morale d’Alexandre, désigné par l’auteur latin comme un « roi grand par le courage, plus grand encore par l’empire sur soi-même, et à qui une telle action ne fait pas moins d’honneur qu’une victoire ; en effet, il se vainquit lui-même5 ». Chez Pline, peu de choses nous sont dites des autres personnages. Le peintre Apelle reste cantonné dans la passivité. On ignore si son amour pour Campaspe est partagé. La réponse semble a priori négative, car s’il est vrai que les sentiments de la jeune femme sont occultés, la conclusion du passage, cependant, laisse entendre qu’elle a selon toute vraisemblance regretté son premier amant, car, nous dit Pline, « non seulement il [Alexandre] sacrifia en faveur de l’artiste ses plaisirs, mais encore ses affections, sans égard même pour les sentiments que dut éprouver sa favorite en passant des bras d’un roi dans ceux d’un peintre6 ». Le roi cède Campaspe à Apelle sans la consulter ; ce qu’elle peut ressentir n’est pas pris en compte. En tant que concubine, elle n’a aucun droit ; son mode de présence dans le texte de Pline se limite donc à un corps, dont la valeur reconnue est l’extrême beauté. Le statut de ce personnage féminin se réduit à celui d’un objet doublement convoité, et qui change de propriétaire.

Vers une exploitation dramatique Le motif du triangle amoureux, de la rivalité sentimentale d’un peintre et d’un puissant autour d’une même femme, est repris par les dramaturges, qui 4. Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XXV, 36, 24, trad. É. Littré, Paris, 1877, t. 2, p. 476 : « Au reste, Alexandre donna une marque très mémorable de la considération qu’il avait pour ce peintre : il l’avait chargé de peindre nue, par admiration de la beauté, la plus chérie de ses concubines, nommée Campaspe (Pancaste) ; l’artiste à l’œuvre devint amoureux ; Alexandre, s’en étant aperçu, la lui donna. » 5. Ibidem. 6. Ibidem.



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cependant amplifient cette configuration. Il apparaît en premier lieu que la reconstruction dramatique du récit de l’auteur latin dans ces pièces passe à la fois par un élargissement de l’action à d’autres personnages, et, à l’intérieur du trio, par le renforcement des rôles de Campaspe et d’Apelle, tous deux épris l’un de l’autre dans ces pièces où Alexandre aime Campaspe sans réciprocité. Ainsi, l’examen comparatif des deux listes de personnages et des étendues de parole7 révèle que si Alexandre est le personnage qui s’exprime le plus les rôles d’Apelle dans l’œuvre anglaise, de Campaspe et d’Apelle dans l’œuvre espagnole, sont également fort développés. Campaspe, dont le statut de « concubine » disparaît, n’en entretient pas moins une relation de dépendance et de gratitude envers le conquérant. Athènes est le lieu où se déroulent les actions. Dans la pièce de Lyly, Campaspe est une captive originaire de Thèbes, qu’Alexandre, séduit dès qu’il l’aperçoit, traite avec magnanimité. Dans l’œuvre caldéronienne, Campaspe est avant tout une femme libre, étrangère à la cour, une beauté solitaire et farouche, habile à la chasse, menant dans les montagnes près d’Athènes une existence proche de la Nature, comme l’indique l’étymologie plutôt fantaisiste prêtée au nom qu’elle s’est choisie, « Campaspe », qui dans le texte espagnol est rapproché de campestre8 (« champêtre »). Un événement la met à la merci d’Alexandre : la jeune femme, en défendant son honneur, a tué un capitaine de l’armée du roi. La première entrée en scène de Campaspe, poursuivie par les soldats pour ce meurtre, est dramatique. Apelle, qui ne la connaît pas encore, se fait blesser en voulant la protéger, avant qu’Estatira, fille aînée de Darius retenue comme otage par Alexandre, ne s’interpose. Le monarque, en écoutant le récit de Campaspe, lui pardonne. On remarque que Calderón ici brouille les pistes en s’inspirant ici de l’histoire de Timoclée9, une valeureuse Thébaine qui aurait obtenu le pardon d’Alexandre après un acte semblable. Chez l’auteur espagnol, Campaspe se dit la fille d’une certaine Timoclée, et le capitaine qu’elle a tué porte le nom de Théagène, primitivement celui du frère de Timoclée. Par la suite la Campaspe caldéronienne continue à se montrer presque virile et d’un courage peu commun, car dans un épisode de chasse situé hors scène, elle sauve le roi en tuant une bête fauve qui le menace. 7. Voir le tableau en annexe. 8. Darlo todo y no dar nada, éd. cit., I, p. 1236a. 9. Timoclée intervient fugitivement dans la pièce de Lyly (I, 1), où cependant aucune allusion directe n’est faite à son histoire ; du côté espagnol, le personnage apparaît aussi dans la pièce attribuée à Lope de Vega, La mayor hazaña de Alejandro Magno (Le plus grand exploit d’Alexandre le Grand, 1614-1618), centrée elle aussi sur Alexandre, Apelle et Campaspe.

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Dans ces pièces, Alexandre, qui réunit les caractéristiques de l’amoureux et du puissant, n’est plus le seul à connaître des contradictions ou des conflits intimes. Face à un roi qui se révèle un amant potentiel ou promet d’être un redoutable rival, mais qui est aussi leur protecteur à tous deux, Apelle et Campaspe, partagés entre reconnaissance et crainte, n’ont d’autre choix que de dissimuler leur amour. Jusqu’au dénouement, les deux personnages se voient attribuer des propos ou des monologues qui témoignent de leur embarras devant un bienfaiteur qu’ils regardent comme un persécuteur probable. La réalisation du portrait est un épisode obligé des deux pièces, qui montrent le face à face du peintre et de son modèle. Si l’érotisme est banni – pour des raisons de bienséance, aucun des dramaturges n’a retenu la suggestion de Pline selon laquelle Campaspe devait être représentée nue –, les confrontations de l’artiste et de son modèle n’en sont pas moins l’occasion de moments d’intimité, voire de la naissance d’une relation spécifique, puisque dans les deux pièces la jeune femme, ignorante10, reste émerveillée des talents du peintre qui en quelque sorte acquiert un pouvoir sur elle en établissant la copie ressemblante de son corps. Les rencontres de Campaspe avec Alexandre et Apelle, la naissance et la confirmation de l’amour chez chacun des trois protagonistes, les scènes liées au portrait, la rivalité sous-jacente puis manifeste entre le roi et le peintre, et le mariage final entre Apelle et Campaspe, consenti par un Alexandre qui retourne aux conquêtes militaires, sont des étapes obligées qui s’intègrent dans les deux cas à un dispositif dramatique plus vaste, incluant d’autres personnages.

Les listes de personnages Les deux listes des dramatis personae11 montrent en effet la grande variété des rôles qui prolifèrent autour du trio central. La pièce de Lyly, la plus brève, n’en regroupe pas moins de vingt-huit, celle de Calderón en comprend treize. Dans les deux œuvres figurent des groupes (captives, Athéniens chez Lyly ; soldats, dames ou musiciens chez Calderón) dont les interventions ponctuent le spectacle. Le nombre des personnages s’accorde aux types d’intrigue mis en œuvre dans chacune des pièces. Ainsi, la Campaspe de Lyly, qui détient le plus grand nombre de rôles, offre une action assez statique, éclatée en une multitude 10. Dans les deux cas, Apelle doit initier sa bien-aimée au monde de l’art et de la représentation. L’héroïne de la pièce anglaise manque de culture en ce domaine ; quant à la Campaspe de Calderón, elle est si étrangère à l’artifice qu’elle ne sait pas au départ ce qu’est un portrait. 11. Ces listes sont reproduites en annexe, voir infra, p. 190.



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de saynètes n’ayant pas toujours de lien direct avec l’affaire amoureuse. La scène est un lieu de débat où s’échangent des conceptions intellectuelles ou encore des subtilités, des jeux de mots, des paradoxes représentatifs de l’« euphuisme12 », le mode d’écriture de Lyly. La pièce anglaise s’enrichit ainsi d’un personnel dramatique hétérogène, incluant des figures très épisodiques, emblématiques de cette pluralité d’échanges conceptuels ou de la profusion des mots d’esprit. La pièce de Calderón comporte une action certes plus longue, mais où la matière dramatique est gérée selon les principes d’une intrigue plus structurée, ce qui explique la relative concentration des rôles. Bien qu’incluant parfois des épisodes historiques sans rapport avec l’histoire de Campaspe13, la trame événementielle de Darlo todo y no dar nada s’ordonne autour des trois personnages principaux, progresse au rythme des passions qui les animent, selon que les circonstances et les décisions du roi favorisent les amours d’Alexandre ou au contraire contribuent à rapprocher Apelle et Campaspe. Les différents moments de l’action, jalonnée de péripéties, s’enchaînent, et la majorité des rôles secondaires sont en lien avec au moins un des protagonistes (les peintres Timantes et Zeuxis, dont l’apparition, il est vrai, est très brève, sont des doubles d’Apelle, la princesse Estatira, protectrice de Campaspe, est aussi éprise d’Alexandre). D’autres différences s’imposent quant à la teneur et aux enjeux de ces pièces. Tandis que chez John Lyly, l’amour ressenti par les protagonistes devient un objet de discussion théorique, jugé à l’aune de points de vue essentiellement masculins, chez l’auteur espagnol la passion est un principe moteur du drame qui se décline selon des formes variées (l’amour d’Alexandre n’est pas celui d’Apelle) et emprunte divers modes d’expression (rhétorique amoureuse, désir respectueux, mais aussi tentation de violence, jalousie14) : les rôles féminins sont aussi plus nombreux dans la pièce espagnole, où deux intrigues amoureuses15 sont esquissées en marge de l’aventure de Campaspe. 12. Le mot « euphuisme » a été forgé par référence aux deux ouvrages de J. Lyly, Euphues : The Anatomy of Wit (1578) et Euphues and his England (1580). Il s’agit d’un mode d’expression raffiné, accordant une large place aux équilibres et antithèses à l’intérieur d’une phrase, aux subtilités langagières et aux jeux de mots. Ce style, défini par l’usage de l’esprit (« wit ») et parfois qualifié de maniériste, où l’on peut voir une préfiguration de la préciosité, devait devenir à la mode à la cour de la Reine Elizabeth. Shakespeare en fit usage dans certaines de ses pièces : Love’s Labour’s Lost (Peines d’Amour perdues), As You Like It (Comme il vous plaira). 13. Parmi ces épisodes figurent par exemple les premières apparitions de Diogène et la séquence où Alexandre tranche le nœud gordien. 14. Dans Darlo todo y no dar nada, la jalousie féminine (d’Estatira envers Campaspe, voire de Nise envers Clori) est une réplique atténuée de la jalousie masculine affectant le peintre et le roi. 15. Estatira est secrètement amoureuse d’Alexandre, et le fidèle ami du roi, Héphestion, aime une des suivantes d’Estatira.

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Les deux listes de personnages combinent les niveaux historique et fictif : des figures de l’Histoire (aux noms souvent latinisés chez Lyly) y côtoient des personnages forgés pour les besoins de l’intrigue (aux noms latins dans la pièce anglaise, et parfois franchement espagnols chez Calderón). Au reste, les deux dramaturges prennent des distances avec la vérité historique. Parmi les philosophes mis en scène par Lyly (Campaspe, I, 3) se trouvent Platon, mort lorsqu’Alexandre avait une dizaine d’années, et Chrysippe, né plus de quarante ans après la mort du conquérant. Une allusion est faite à la mort de Callisthène, survenue en fait sept ans après la prise de Thèbes qui marque le début de l’action16. Calderón fait de plus graves anachronismes : les filles de Darius, retenues captives à Athènes, citent dans leurs chants l’exil de Zénobie, emprisonnée à Rome sur l’ordre d’Aurélien, soit six à sept siècles après l’époque d’Alexandre17. Le dramaturge espagnol, qui comme on le sait remodèle le passé de Campaspe, prend aussi des libertés envers la seconde fille de Darius, qu’il rebaptise Siroés, et surtout envers Roxane, princesse perse, qu’il gratifie du statut de reine de Chypre. Dans Darlo todo y no dar nada, cette dernière, qui est fiancée à Alexandre, meurt opportunément dans un naufrage avant d’avoir rencontré le roi, qui peut s’unir à Estatira (Statira), fille aînée de Darius, au terme de l’action. De toute évidence Calderón ne voulait point évoquer la bigamie d’Alexandre, qui en réalité épousa les deux princesses. Le point commun le plus remarquable des deux listes est la présence, aux côtés du trio central, de deux personnages historiques. L’un est Héphestion, général et fidèle compagnon d’Alexandre, qui est dans les deux cas le confident du roi, critique envers les amours de son maître chez Lyly, serviable et complaisant chez Calderón. De façon moins prévisible, le second personnage figurant aux côtés du trio est Diogène, le célèbre philosophe cynique, cité dès le titre d’une des trois éditions de la pièce de Lyly18, alors qu’aucun élément historique ni thématique ne le rattache à l’épisode de Campaspe. Ce point requiert bien sûr notre attention. Les deux dramaturges ont saisi le potentiel et l’intérêt dramatiques de la figure haute en couleurs de Diogène le Cynique, célèbre pour son habitat simpliste (un tonneau) et ses attitudes paradoxales ; en outre Diogène Laërce puis Erasme confrontent souvent Diogène et Alexandre. La 16. La prise de Thèbes par Alexandre eut lieu en 335 et Callisthène fut exécuté en 328 avant J.-C. 17. Le personnage de Zénobie fascinait aussi Calderón, auteur d’une pièce intitulée La gran Cenobia (1636). 18. Voir ci-dessus, note 1.



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mise en regard de ces deux figures (le jeune roi riche et ambitieux et le vieillard pauvre et misanthrope) est source de contrastes, aux niveaux spectaculaire et axiologique. Ainsi, les deux pièces mettent en scène plusieurs anecdotes où intervient Diogène, que ce soit en présence d’Alexandre ou d’autres personnages que son mode de vie, sa rudesse et sa logique déconcertent, choquent ou attirent selon les cas. Le dialogue dans lequel Alexandre questionne le vieil homme sur le don qu’il pourrait lui faire et entend Diogène lui demander de s’écarter pour qu’il ne le prive plus de la lumière du soleil19, est reproduit dans les deux œuvres. Il en va de même pour la célèbre phrase prêtée au conquérant, selon laquelle s’il n’avait pas été Alexandre, il aurait voulu être Diogène20, phrase qui montre la secrète fascination du roi pour le philosophe. La pièce espagnole inclut aussi la scène où Diogène, voyant quelqu’un boire dans sa main, brise sa propre écuelle qui lui apparaît alors superflue21. De toute évidence, les interventions de Diogène, franc et bourru, étranger aux usages courtisans, créent des ruptures de ton cocasses : ses remarques dissonantes et ses constats sans concession lui confèrent même une dimension bouffonne. Néanmoins, s’il est vrai que Diogène, par son agilité d’esprit et sa rudesse, suscite le rire, d’autant plus qu’il se met lui-même en scène de façon provocante, surtout chez Lyly, et constitue un objet de spectacle interne à l’action, le Cynique n’a pas l’exclusivité du comique ; par ailleurs son rôle dépasse cette fonction. Chez Lyly de jeunes serviteurs épicuriens et affamés, à l’esprit vif, Manes, Psyllus et Granichus, sont aussi des agents du comique : comme Diogène, ceux-ci énoncent des paradoxes et répondent de façon mordante aux énigmes qu’on leur propose. De même, dans la pièce de Calderón, des symétries apparaissent entre Diogène et Chichón, soldat et serviteur d’Apelle, qui incarne le comique traditionnel des graciosos espagnols (poltrons, matérialistes, irrévérencieux et plaisamment critiques) et manie 19. Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, Diogène  VI, 38, trad. M.O. Goulet Cazé, Paris, 1999, p. 716 ; J. Lyly, Campaspe, II, 2, éd. cit., p. 83 ; P. Calderón, Darlo todo y no dar nada, II, éd. cit., p. 1241b. 20. Voir Diogène Laërce, op. cit., Diogène VI, 32, p. 713. Dans les deux textes, Alexandre, après avoir discuté avec Diogène, fait cette déclaration devant Héphestion ( J. Lyly, Campaspe, II, 2, éd. cit., p. 84 ; P. Calderón, Darlo todo y no dar nada, II, éd. cit., p. 1242a). Chez Calderón (II, éd. cit., p. 1242a), Héphestion loue cette phrase qu’il juge digne d’être gravée sur le bronze de la renommée, tandis que le bouffon Chichón annonce qu’il se trouvera un poète pour rire de ce « délire » et fustiger l’attitude du flatteur. 21. Diogène Laërce, op. cit., Diogène VI, 37, p. 715. L’épisode est repris par Calderón au début de Darlo todo y no dar nada, éd. cit., I, p. 1227b. Dans l’apophtegme d’origine, le personnage rencontré par Diogène est un enfant, tandis que dans la pièce espagnole, il s’agit du bouffon Chichón, qui a d’ores et déjà entamé une discussion polémique avec le philosophe.

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lui aussi les paradoxes. Néanmoins Chichón n’est qu’un subalterne, dont la vision du monde est opportuniste et commune. Dans tous les cas, l’originalité et l’audace des discours de Diogène lui assurent un statut supérieur à ceux des autres personnages risibles, tous des valets, auxquels il s’oppose et avec lesquels il est en concurrence sur le plan de l’efficacité comique. L’intégration de Diogène à l’intrigue n’est pas effective chez Lyly, où le philosophe ne rencontre jamais Apelle ni Campaspe ; en revanche, dans Darlo todo y no dar nada, le lien créé entre Diogène et Alexandre au cours des deux premières journées permet au roi de faire venir le Cynique à la cour pour lui demander de soigner la mélancolie d’Apelle dans la troisième. Diogène s’implique alors dans le règlement de la crise et contribue au dénouement.

La question du pouvoir dans les intrigues L’examen des données précédentes nous amène à scruter de plus près les enjeux de ces pièces : la mise en perspective de l’anecdote, créée dans les deux cas par la profusion de personnages souvent célèbres, philosophes ou peintres, autour de la figure d’Alexandre, montre assez que l’orientation et la portée de ces œuvres dépassent la simple représentation d’un épisode amoureux à l’issue exemplaire. Au cœur des intrigues se pose la question du bon usage et des limites du pouvoir absolu. Le roi est représenté au sein d’une collectivité, dans sa cour ou parmi ses soldats, auxquels s’ajoutent, chez Calderón, des chanteurs-esclaves qui lui obéissent parfaitement. Certains éléments montrent que la figure d’Alexandre s’écarte, ou du moins pourrait s’écarter, de l’image idéalisée d’un roi sage. Les relations entre le roi et les cercles intellectuels ou artistiques sont ambiguës dans les deux cas. Dans l’œuvre anglaise, Alexandre entend faire venir des philosophes à sa cour pour créer une école de philosophie, mais la question se pose alors de savoir quelle marge de liberté est laissée aux penseurs et dans quelle mesure ceux-ci peuvent dire la vérité. Parallèlement, dans Darlo todo y no dar nada, figure l’anecdote selon laquelle Alexandre, ayant chargé Timantes, Apelle et Zeuxis, de faire son portrait, congédie le premier parce qu’il n’a pas peint le défaut affectant l’un de ses yeux, et renvoie le second, parce qu’il l’a montré trop clairement. En revanche, il fait l’éloge de la prudence d’Apelle, qui l’a représenté de trois quarts. La docilité craintive et presque flatteuse de l’artiste envers son maître et protecteur est probablement ce qui justifie en priorité la présence de Diogène dans les deux pièces. Dans les deux œuvres, celui-ci affirme son indépendance en refusant l’invitation du roi, une posture assumée



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qui lui permet en outre, chez Lyly, de fustiger l’attitude servile d’Aristote et de Platon. Chez les deux auteurs, Diogène a une fonction de contrepoint : étranger à la cour, il est l’antithèse d’Apelle, le peintre courtisan. Adversaire de tout avantage matériel, il est seul à tenir tête au roi. Dans Darlo todo y no dar nada, une relation d’émulation s’établit même entre Diogène et Alexandre dès lors que le Cynique, dans la première journée, fait dire au conquérant que lui-même domine le monde, autrement et plus que le roi. Ce défi, que relève le monarque, sous-tend leurs rapports dans la pièce. Alexandre a beau être présenté comme un conquérant de génie, son équité n’est pas un trait de caractère constant, fixé à l’avance. C’est en ce sens que l’épisode de Campaspe a une valeur emblématique et démonstrative. La « générosité » du roi, comme le suggère la conclusion du passage de Pline l’Ancien, est le fruit d’un effort sur soi-même. Le motif d’une puissance susceptible de dégénérer en tyrannie se dessine en arrière-plan dans ces œuvres. Si Alexandre possède tout, dispose de tous et de tout, peut-il contraindre les sentiments ? Le souverain a-t-il tous les droits ? Tel est le problème posé dans les deux textes, où Campaspe n’éprouve pas d’amour pour Alexandre qui cependant la comble des marques d’une exceptionnelle bienveillance, puisqu’il a même décidé que son portrait serait accroché dans un temple22, des bienfaits qui semblent être une façon de s’acquérir des droits sur elle. Cependant la question de la violence potentielle du pouvoir, ou plutôt de celle à laquelle les abus de pouvoir peuvent mener, n’est pas évoquée de façon similaire par les deux auteurs. Lyly s’y réfère de façon biaisée. Chez Calderón au contraire, la tyrannie, même s’il s’agit d’une étape vouée à être dépassée, est bien réelle. Le texte de Campaspe est semé d’allusions aux actes les plus violents du roi. Un dialogue entre Alexandre et Aristote (I, 3) évoque le sort de Callisthène. En outre le dramaturge anglais fait tenir des discours prémonitoires à Clitus et à Parménion, les deux généraux qui seront plus tard tués par Alexandre. Le second affirme que mieux vaut ne pas approfondir les mobiles des actions des rois : « They have long ears and stretched arms, in whose head suspicion is a proof and to be accused is to be condemned23. » L’idée de la toute-puissance du monarque imprègne aussi les discours de Campaspe et d’Apelle. Campaspe se méfie de l’amour des rois (IV, 4) et blâme 22. Pline l’Ancien, op. cit., p. 476 : « Il en est qui pensent qu’elle (Campaspe) lui servit de modèle pour la Vénus Anadyomène. » 23. Campaspe, III, 4, éd. cit., p. 93-94 : « Ils ont de grandes oreilles et des bras étirés, dans leur esprit la suspicion est une preuve, et être accusé, c’est déjà être condamné. » Nous traduisons.

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les ruses qu’emploient les dieux pour séduire les femmes. Lorsqu’Apelle lui montre un tableau où Jupiter se fait passer pour Amphitryon auprès d’Alcmène, future mère d’Hercule, elle se récrie sur le procédé : « A famous son, but an infamous fact24. » Quant au peintre, il s’inquiète à l’idée d’être le rival d’un roi : « Alexander, the monarch of the earth, hath both her body and affection. For what is it that kings cannot obtain by prayers, threats and promises25 ? » Cependant, malgré ces indices qui suggèrent qu’Alexandre amoureux pourrait céder à la griserie du pouvoir ou laisser libre cours à ses impulsions, le conflit ne s’exacerbe pas dans cette pièce où, malgré quelques paroles ambiguës, le roi macédonien ne manifeste nul désir d’éliminer Apelle ou de faire violence à Campaspe. Après avoir rejeté l’avis d’Héphestion, pour qui l’amour du conquérant envers Campaspe est une indignité qui le détourne de la guerre en l’asservissant à sa prisonnière26, le monarque mis en scène par Lyly finit par se ranger à ce point de vue à la fin de la pièce. À l’acte V, ayant appris grâce à une feinte les sentiments d’Apelle pour la jeune femme27, il trouve aisément la voie de la modération, en admettant que son pouvoir n’agit pas sur les sentiments humains : « I perceive Alexander cannot subdue the affections of men though he conquers their countries28. » Il n’entrait pas dans le projet de Lyly, humaniste devenu courtisan, dont le théâtre était joué devant la reine Elizabeth, de montrer un souverain ravagé par la passion amoureuse ou prêt à céder à des impulsions tyranniques. Campaspe s’achève donc sur l’image d’une souveraineté équilibrée, par le triomphe intime d’un monarque apte à se dominer sans passer par trop d’égarements29. Chez Calderón, en revanche, les passions se révèlent plus âpres, les caractères sont durcis, les conduites parfois poussées à l’extrême. Le personnage de Campaspe, contaminé par le modèle de Timoclée, s’enrichit de nuances d’indépendance, de fierté et d’énergie, et s’oppose ainsi à Apelle. Découvrant 24. Campaspe, III, 3, éd. cit., p. 92 : « Un digne fils, mais un acte indigne. » 25. Campaspe, III, 5, éd. cit., p. 102-103 : « Alexandre, le monarque de la terre, a son corps et son affection, car qu’est-ce que les rois ne parviennent pas à obtenir, à force de prières, de menaces et de promesses ? » 26. Campaspe, II, 2, éd. cit., p. 78 : « What, is the son of Philip, King of Macedon, become the subject of Campaspe, captive of Thebes ? » (« Quoi, le fils de Philippe, roi de Macédoine, est-il devenu le sujet de Campaspe, captive de Thèbes ?) 27. Usant d’une image courante dans la symbolique de l’amour, le roi fait croire à Apelle que son atelier est en feu, provoquant l’effroi de l’artiste, désespéré à l’idée de perdre le portrait de Campaspe. 28. Campaspe, V, 4, éd. cit., p. 133 : « Je perçois qu’Alexandre ne peut pas soumettre les affections des hommes bien qu’il puisse conquérir leurs pays. » 29. Voir à ce sujet G. K. Hunter, John Lyly. The Humanist as Courtier, Londres, 1962.



La générosité d’Alexandre : l’épisode de Campaspe 187

le talent du peintre, elle reproche à celui-ci de livrer l’image de son corps à un autre et s’indigne : CAMPASPE – Pues ¿ cómo, cómo, si tan divino arte ejerces, tan bajamente le empleas, que para otro dueño engendres la copia de lo que dices que amas ? Vete de aquí, vete ; que en una parte me admiras, y en otra parte me ofendes. APELES- Esto es fuerza. CAMPASPE – No es sino bajeza. APELES – Es desdicha fuerte. CAMPASPE – No es sino culpa. APELES – Es violencia. CAMPASPE – Es ruindad. APELES – Es dura suerte. CAMPASPE – Es infamia. APELES – Es tiranía. CAMPASPE – Es poco ánimo. APELES – Es decente respeto. CAMPASPE – Es indigna acción. APELES – Es obediencia. CAMPASPE – Es aleve vasallaje. APELES- Es rendimiento. (II, éd. cit. p. 1254b) [CAMPASPE – Alors, comment, comment, si tu pratiques un art aussi divin, l’emploies-tu de façon aussi basse, au point d’engendrer pour un autre maître la copie de ce que tu prétends aimer ? Va-t-en d’ici, va-t-en ; car d’un côté tu forces mon admiration, et de l’autre tu me fais offense. APELLE – C’est par force. CAMPASPE – Ce n’est rien que de la bassesse. APELLE – C’est une forte malchance. CAMPASPE – Ce n’est rien d’autre qu’une faute. APELLE – C’est de la violence. CAMPASPE – C’est une vilenie. APELLE – C’est la dureté du sort. CAMPASPE – C’est une infamie. APELLE – C’est de la tyrannie. CAMPASPE – C’est un manque de courage. APELLE – C’est un respect convenable. CAMPASPE – C’est une action indigne. APELLE – C’est de l’obéissance. CAMPASPE – C’est un vil assujettissement. APELLE – C’est de la soumission30.] 30. Nous traduisons.

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Voyant que son art se retourne contre lui-même, déchiré entre sa passion pour Campaspe et sa loyauté envers le roi, Apelle donne des signes de folie. Quant à Alexandre, il montre différents visages au cours de l’action. Cette variabilité d’attitudes est conforme au modèle fourni par Plutarque. Comme le rappelle Corinne Jouanno, pour l’historien grec les grandes vertus d’Alexandre coexistent avec des vices, le principal d’entre eux étant « sa propension à la colère, cause de nombreux actes de cruauté31 ». Ainsi chez Calderón le jeune roi, d’abord pondéré et bien disposé envers Campaspe, se montre par la suite impulsif, tenté par la tyrannie, impatient de satisfaire son désir et brûlant de détruire ceux qui s’opposent à lui. L’Alexandre caldéronien recourt à la ruse pour attirer la jeune femme dans sa tente, tandis que des musiciens à sa solde chantent servilement : En repúblicas de amor es la política tal, que el traidor es el leal y el leal es el traidor. (III, éd. cit., p. 1265a) [Dans les républiques de l’amour, la politique est telle que le traître est loyal, et que le loyal est traître.]

Alexandre s’apprête alors à violer Campaspe32. Son mépris des obstacles le porte à repousser les protestations et les supplications de cette dernière, par des mots qui rappellent ceux par lesquels il avait écarté les avertissements du prêtre veillant sur le nœud gordien33. Alexandre reçoit deux leçons à la fin de cette pièce. La première vient de Diogène, qui lui révèle l’amour d’Apelle pour Campaspe. Le roi, pris de fureur, met alors la main à l’épée et menace le vieillard. Mais Diogène parvient à calmer Alexandre, par le rappel de leur controverse sur la question du pouvoir. En faisant valoir au roi qu’un esclave de ses propres passions ne peut prétendre dominer le monde, Diogène est l’artisan du retournement d’Alexandre. La seconde leçon est délivrée par Campaspe, qui, supposant que cette volte-face est un nouveau piège de la part d’Alexandre, prétend alors ne pas 31. C. Jouanno, « De la Vie d’Alexandre (Plutarque) au Roman d’Alexandre (anonyme) : réflexions sur la personne du héros », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 2009, t. 1, p. 104-105. 32. Calderón prête le même procédé à Amnon, fils aîné de David, qui ordonne à ses musiciens de chanter lors du viol de sa sœur Tamar (Los cabellos de Absalón, Les Cheveux d’Absalon, I). 33. « SACERDOTE – Advierte… ALEJANDRO – Yo nada advierto. » (I, éd.  cit., p. 1228b, « LE PRÊTRE – Prends garde… ALEXANDRE – Je ne prends garde à rien. ») ; « CAMPASPE -¡ Advierte ! ALEJANDRO – ¿ Qué he de advertir ? » (III, éd. cit., p. 1265b, « CAMPASPE – Prends garde ! ALEXANDRE – À quoi dois-je prendre garde ? »)



La générosité d’Alexandre : l’épisode de Campaspe 189

aimer Apelle et déclare au roi qu’il n’a pas le pouvoir de disposer d’elle, ni d’exercer sa générosité à ses dépens : ¿ De cuándo acá el albedrío de un dueño a otro pasa ? ¿ Es joya la inclinación ? ¿ Es la voluntad alhaja ? ¿ Es el deseo presea, ni menaje la esperanza para hacer dádiva dellas ? (III, éd. cit., p. 1268a) [Depuis quand la libre décision peut-elle se transférer d’une personne à l’autre ? L’inclination est-elle un bijou ? La volonté est-elle un joyau ? Le désir est-il un objet précieux, l’espérance un mobilier, pour qu’on puisse ainsi en faire un don ?]

On peut lire cette rébellion tactique de l’héroïne comme un écho de la pièce La mayor hazaña de Alejandro Magno (Le plus grand exploit d’Alexandre le Grand, 1614-1618), attribuée à Lope de Vega, dans laquelle Campaspe, qui préfère Alexandre à Apelle, se révolte face à la détermination du roi. Cette touche d’amertume est finalement gommée dans la pièce de Calderón, où Campaspe abandonne la feinte pour se réjouir de la décision d’Alexandre, qui, par sa victoire sur lui-même, accède au statut de véritable héros34 et s’affirme alors non plus seulement comme une figure de pouvoir, mais aussi comme un suprême bienfaiteur. La figure du roi donateur prend le pas sur celle du tyran. Ainsi, dans les deux pièces considérées, dont les modalités de la dramatisation et les tonalités stylistiques sont sensiblement différentes, Alexandre reste le personnage central par lequel le conflit est créé, puis résolu : oscillant entre noblesse et tyrannie, le roi doit lutter et passer par la tentation de la violence faite à autrui avant de remporter sur lui-même, moyennant des efforts, une victoire qui débouche sur la reprise de ses conquêtes militaires. Les deux dramaturges campent une image finale du bon souverain capable de surmonter les plus humaines de ses passions pour acquérir une stature pleinement mythique. La réflexion autour du pouvoir s’achève donc sur une note élogieuse envers la générosité d’Alexandre. Catherine Dumas Université de Lille ALITHILA 34. La parenté d’Alexandre avec d’autres personnages caldéroniens parvenus à réfréner leur violence a été soulignée notamment par D. Souiller, dans Calderón et le grand théâtre du monde, Paris, 1992, p. 218-219.

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Annexe – L’étendue de parole des personnages CAMPASPE (LYLY) : 1518 lignes Nombre de lignes  % ALEXANDER 307 20.22% APELLES 219 14.43% CAMPASPE 116 7.64%

Darlo todo y no dar nada (CALDERÓN) 4148 vers Nombre de vers  % ALEJANDRO 895 21.58% APELES 724 17.45% CAMPASPE 790 19.05%

HEPHESTION Clitus Parmenio

135 63 47

8.89% EFESTIÓN 4.15% 3.1%

267.5 6.45%

DIOGENES

148

9.75% DIÓGENES

403 9.72%

Plato Aristotle Chrysippus, Crates,  ) Cleanthes, Anaxarchus  )

20 23

1.32% Timantes et Zeuxis 1.52% (peintres)

23

Timoclea (noble captive)

20

1.52% *CHICHÓN1, gracioso, soldat, serviteur d’Apelle 448 10.80% 1.32% ESTATIRA, fille aînée de Darius 273.5 6.59% 0.53% *Siroes, fille cadette de 19.5 0.47 7.25% Darius *Nise2, *Clori,  suivantes des 55 1.32% 3.29% filles de Darius 6.79% Un PRÊTRE de Jupiter 101 2.43%

Un PAGE d’Alexandre 8 *Psyllus, serviteur d’Apelle 110 *Granichus, serviteur de Platon 50 Manes, serviteur de Diogène 103 *Melippus, *Sylvius, *Perim, *Milo, *Trico (ses fils), *Crysus,*Solinus, Laïs,*Milectus, *Phrygius, des Athéniens, des captives

Soldats, musicienschanteurs, chanteuses, voix de la foule 126

13

0.32

158.5 3.82%

8.30% 1- Littéralement, «bosse». 2- Nom de femme fréquent au théâtre espagnol (anagramme d’Ines)

Les noms marqués d’un astérisque sont ceux de personnages fictifs. Nous reproduisons la graphie de chaque nom propre de la version originale des pièces, d’où des latinismes, anglicismes, hispanismes…

Célébration et abaissement d’Alexandre le Grand chez Calderón et Cicognini Dans l’exploration de la fortune théâtrale européenne d’Alexandre le Grand, une étape très intéressante est constituée par les œuvres que lui consacrent, vers le milieu du xviie siècle, deux dramaturges à grand s­ uccès, l’Espagnol Pedro Calderón de la Barca et l’Italien, plus précisément le Florentin Giacinto Andrea Cicognini. Le second est aujourd’hui beaucoup moins connu et étudié, et il est certain que ses œuvres restent très en deçà de celles du premier, pour ce qui est de leur nombre et de leur rayonnement international. Néanmoins, au xviie siècle, Cicognini fut l’un des dramaturges les plus en vogue d’Italie et il parvint à écrire les livrets de quelques opéras à très grand succès (parmi lesquels le Giasone mis en musique par Cavalli). De plus, dans ses créations dramatiques, il s’inspira souvent d’œuvres de Calderón, dont la production théâtrale circulait en Italie aussi bien sous forme imprimée, dans les deux premières Partes de ses comedias (publiées respectivement en 1636 et 1637), que sous forme de représentations réalisées par les compagnies espagnoles qui, souvent, jouaient en Italie, et particulièrement à Florence. Ce n’est cependant pas à cause de cette relation de dépendance que nous étudions ici de manière conjointe et comparée une comedia palatine de Calderón, Darlo todo y no dar nada, et une tragi-comédie de Cicognini, Le glorie e gli amori di Alessandro Magno e di Rossane. Cette dernière, composée entre 1646 et 1649, n’a pu en aucune façon s’inspirer de l’œuvre dramatique de Calderón, qui fut représentée pour la première fois en 1651. Néanmoins, les élaborations dramatiques de la figure d’Alexandre que réalisent Calderón et Cicognini, malgré la différence des épisodes mis en scène, montrent une singulière coïncidence dans le traitement ambigu du personnage : célébration d’un côté, de l’autre abaissement, plus visible chez Cicognini, plus subtil mais non moins perceptible chez Calderón. L’ordre dans lequel nous traitons les deux œuvres ne respecte pas la chronologie, mais l’inverse, puisque l’œuvre de Calderón dramatise un épisode de la vie légendaire d’Alexandre qui fut traité également par Lope de Vega, et il nous semble utile de commencer en étudiant dans quelle mesure l’Alexandre de Calderón diverge de celui de Lope1. 1.

Françoise Gilbert a écrit les analyses sur Calderón, Fausta Antonucci celles sur Cicognini.

L’entrée d’Alexandre le Grand sur la scène européenne éd. Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas Turnhout, 2017, (Alexander Redivivus, 9) p. 191-203 © F H G

DOI 10.1484/M.AR-EB.5.113444

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La pièce de Calderón Darlo todo y no dar nada2 (Tout donner et ne donner rien), qui met en scène un épisode célèbre de la vie d’Alexandre le Grand, le « don » de sa maîtresse Campaspe à son peintre favori Apelle, est une « comédie de palais ». Représentée au Real Coliseo del Buen Retiro, à Madrid, en décembre 1651, à l’occasion de l’anniversaire de la reine Marie-Anne d’Autriche et de la naissance de sa fille Marguerite six mois auparavant, elle fut publiée pour la première fois dans la Octava parte de comedias nuevas escogidas de Calderón en 16573. La figure d’Alexandre le Grand, son protagoniste, connaît en Espagne au moins deux précédents dramatiques célèbres sous la plume de Lope de Vega, l’un d’attribution discutée, La mayor hazaña de Alejandro Magno4 (Le plus grand exploit d’Alexandre le Grand, 1614-1618 ?), et le second intitulé Las grandezas de Alejandro (La grandeur d’Alexandre), publié en 1621 par Lope dans sa Parte XVI de comedias5. Comme l’indiquent leurs titres respectifs, les deux comedias6 du Phénix exaltent la grandeur et les exploits d’Alexandre, « l’exploit majeur » auquel le titre de la première pièce fait allusion renvoyant précisément à notre épisode fameux du livre XXXV de l’Histoire naturelle de Pline, où le conquérant réussit à se vaincre lui-même. C’est d’ailleurs l’interprétation que Pline confère à son propre récit, interprétation abondamment diffusée dans l’Espagne du xvie siècle, notamment grâce à la Silva de Varia Lección de Pedro Mexía (livre II, ch. 18), dont Lope se fera l’écho fidèle et constant lors de ses multiples évocations du personnage. La comedia de Calderón Darlo todo y no dar nada se fonde sur ce même épisode amoureux impliquant Alexandre, le peintre Apelle et la belle Campaspe. 2. Nous utiliserons l’édition électronique proposée par D. Hildner, Darlo todo y no dar nada, élaborée à partir de Comedias de D. Pedro Calderón, Leipzig, 1830 : http://trinity.edu/ org/comedia/calderon/Darlot.html. Les traductions des citations sont nôtres. Voir aussi sur cette pièce l’article de Catherine Dumas dans ce volume. 3. E. Coenen, « Sobre el texto de Darlo todo y no dar nada y la transmisión textual de las comedias de Calderón », Criticón, 102 (2008), p. 195-209. 4. F. Lope de Vega, La mayor hazaña de Alejandro Magno, texte électronique préparé par D. Hildner à partir de Obras dramáticas de Lope de Vega, t. 2, Madrid, 1916 : http://www.comedias.org/lope/MAYHAZ1.doc. Voir la contribution d’Hélène Tropé dans ce même volume. 5. F. Lope de Vega, Las grandezas de Alejandro, éd. électronique à partir de Obras de Lope de Vega, t. 14, Comedias mitológicas y comedias históricas de asunto extranjero, éd. M. Menéndez Pelayo, Madrid, 1966, p. 333-390 : http://www.cervantesvirtual.com/nd/ark :/59851/bmcpr7s8. 6. Le mot comedia est un terme générique qui apparaît avec la rénovation dramatique autour de Lope de Vega et de la comedia nueva, et qui désigne une œuvre dramatique qui n’est pas tragique au sens classique, mais peut être une œuvre sérieuse, une tragi-comédie ou une comédie véritablement comique.



Célébration et abaissement d’Alexandre le Grand chez 193 Calderón et Cicognini

Cette pièce a suscité l’intérêt de nombreux critiques, qui se sont attachés à y étudier l’exaltation des valeurs morales du conquérant7, la relation du souverain idéal avec ses sujets8, la question du libre-arbitre9, la problématique du rapport complexe entre création littéraire et création picturale10, ou encore la défense par Calderón de la suprématie de la peinture sur les autres arts libéraux11, thématiques qui, toutes, s’inscrivent dans une lecture « sérieuse » de la pièce. Cependant, il semblerait que l’on puisse proposer une lecture plus légère de cette « comedia palaciega » ou « comédie de palais », œuvre festive dans laquelle abondent les passages chantés. Ainsi, le titre de la pièce : à la différence de celles de Lope, non seulement il ne met pas en exergue le nom du protagoniste héroïque, mais il se présente sous la forme d’un paradoxe, Darlo todo y no dar nada (Tout donner et ne donner rien), relatif à l’idée de générosité qui lui est traditionnellement associée. Et il en ressort que cette générosité ou abnégation si souvent vantée se trouve réduite à rien (nada), ce qui crée une certaine expectative quant à la libéralité du héros. Second indice : la scène d’ouverture qui annonce en musique l’arrivée triomphale du vainqueur de Darius, le glorieux Alexandre « que a su imperio le viene el mundo estrecho » (v. 6, « pour qui son empire même devient trop étroit »), ne met pas directement en scène le souverain, dont on entend seulement la voix, mais la figure du philosophe cynique Diogène. Ce dernier, désigné comme un viejo venerable (« vieillard vénérable ») et bougon qui, se présentant comme « roi de lui-même », refuse de venir à la rencontre du monarque, se définit ainsi d’emblée en contrepoint d’Alexandre. De plus, le vieillard misanthrope se trouve confronté à un soldat assoiffé de l’armée macédonienne que son nom ridicule, Chichón (« Bosse »), et sa détestation de l’eau désignent comme la figure du gracioso ou « valet comique » de la pièce. C’est paradoxalement ce dernier qui va enseigner au vieux sage qu’il peut 7. M. Romanos, « Alejandro Magno y la ejemplaridad de la historia antigua en el teatro de Calderón », dans Calderón 2000, éd. I. Arellano, Cassel, 2002, p. 789-801. 8. M. McKendrick, « El libre albedrio y la reificación de la mujer : la imagen pintada en Darlo todo y no dar nada », dans Texto e imagen en Calderón, éd. M. Tietz, Archivum Calderonianum, 8 (1998), p. 158-170. 9. D. A. Hildner, « Amor, poder y pintura en Calderón y en John Lyly » dans Vidas paralelas. El teatro español y el teatro isabelino (1580-1680), éd. A. K. Stoll, Londres et Madrid, 1993, p. 109-116. 10. A. Sánchez Jiménez, « Mecenazgo y pintura en Lope de Vega : Lope y Apeles », dans Lope de Vega en su Siglo de Oro, éd. F. B. Pedraza Jiménez, Hispania Felix, 1 (2010), p. 39-63. 11. Voir l’introduction de l’édition de A. Valbuena Briones, Darlo todo y no dar nada, dans Obras completas, t. 1, Dramas, Madrid, 1959, p. 1019-1067.

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mener une vie encore plus dépouillée, et se passer de la gourde qu’il utilise pour recueillir l’eau d’un ruisseau, instrument somme toute superflu puisqu’il a une main qui peut servir à cet effet. À la suite de quoi l’acariâtre vieillard chargera Chichón de rapporter à Alexandre que non seulement il ne veut pas le voir, mais qu’il le fuit, et que si le conquérant se proclame maître du monde, lui-même l’est plus encore, car il méprise le monde. Ce n’est qu’après ce bref épisode, agrémenté d’un commentaire aigre-doux du gracioso sur les philosophes12, que se produit l’entrée en scène d’un souverain dont la grandeur a déjà subi une relativisation certaine. En effet, sans pour autant être le personnage ridicule qu’il deviendra dans la comédie burlesque que Lanini Sagredo publiera en 167113, l’Alexandre de Calderón présente plusieurs facettes. S’il reste bien « le Grand », vainqueur courageux de Darius, appelé à dominer militairement l’Asie après avoir tranché le nœud gordien, il va se révéler beaucoup moins sagace dans le contexte amoureux de la « comedia palaciega ». Tout d’abord, il n’est pas présenté à son avantage, mais affecté d’un strabisme disgracieux, d’un regard humide et d’une tache sur la joue14, comme nous le révèle la scène qui va donner lieu à l’introduction de la thématique picturale : trois peintres (Timantes, Zeuxis et Apelle) se voient chargés d’exécuter, pour sa future épouse Roxane, un portrait du monarque. Mais ce dernier met leur talent à l’épreuve de leur plus ou moins grande sincérité vis-à-vis du défaut qui enlaidit son visage. C’est Apelle qui emporte la palme par un ingénieux artifice de point de vue15 et il devient le peintre officiel du roi, retrouvant 12. « Extrañas borracherías / son las de todos aquestos / filósofos » (v. 239-241, « Étranges palabres d’ivrognes / que celles de tous ces / philosophes »). 13. C. Mata Induráin, « De Calderón a Lanini Sagredo » dans Calderón : innovación y legado, éd. I. Arellano et G. Vega García-Luengos, New York, 2001, p. 247-261. 14. « Diógenes – Un defecto / con que […] / le dio la naturaleza / en los ojos » « Chichón – Yo confieso / que, atravesados, es grande / la fealdad que tiene en ellos, / mayormente encarnizado / y lagrimoso el izquierdo, / sobre cuyo hombro derriba / la cabeza quizá el peso / del laurel ; pero ¿ qué importa / ser horroroso su aspecto, / si no le pasan al alma / imperfecciones del cuerpo. » (v. 132-133 et 135-143, « Diogène – Un défaut / dont […] la nature / l’a affublé aux yeux » « Chichón – J’avoue / que, comme ils louchent, ses yeux sont d’une grande laideur, / particulièrement le gauche, / irrité et larmoyant, / sa tête tombant sur son épaule, / peut-être sous le poids du laurier ; / mais qu’importe / que son aspect soit horrible, / si les imperfections du corps / n’affectent pas son âme. ») « Como en él no veo / esta mancha que borrón / es de mi rostro. » (v. 493-494, « Je n’y vois pas / cette tache qui / enlaidit mon visage. ») 15. Trois peintres (Timantes, Zeuxis et Apelle) sont sollicités pour exécuter le portrait d’Alexandre. Le premier le peint à son avantage, dissimulant ses défauts ; le second met en évidence ses défauts ; Apelle le peint de trois quarts, de sorte que ses défauts se fondent dans l’ombre que projette sur eux la partie représentée de son visage. Il emporte la palme, puisqu’il



Célébration et abaissement d’Alexandre le Grand chez 195 Calderón et Cicognini

à cette occasion parmi les troupes du vainqueur son ancien serviteur Chichón, qu’il reprend à son service. L’argument amoureux survient lorsqu’Apelle, au péril de sa vie, sauve des griffes de soldats macédoniens la belle et rustique Campaspe, puis s’éprend éperdument d’elle. Coupable d’avoir tué Téagènes, le violeur de sa mère, qui a aussi tenté de la violer elle-même, elle se placera par la suite sous la protection des filles captives de Darius. Arrivé après les événements, Alexandre, déjà oublieux de son prochain mariage, se contente d’écouter le récit que la jeune virago fait de ses aventures, et se laisse séduire par ses larmes et sa fureur. Le second acte s’ouvre sur les confidences amoureuses d’Alexandre à son ami Héphestion, qui lui rappelle timidement son récent engagement auprès de Roxane, d’ailleurs déjà en chemin pour l’épouser, ce qui confirme un certain manque de délicatesse du monarque en matière d’amour16. Par ailleurs, la puissance militaire du roi n’impressionne toujours pas Diogène, à qui Alexandre rend visite dans son refuge sylvestre. Les propos du philosophe atrabilaire frôlent maintenant l’irrévérence, lorsqu’il s’installe pour discuter d’égal à égal avec le héros macédonien, et que, selon l’anecdote bien connue, il demande au conquérant de s’ôter de son soleil, puis lui tient tête, le mettant au défi d’avoir un jour besoin de lui17. Ensuite, désireux de revoir Campaspe, Alexandre s’avance à la rencontre des filles de Darius qui se livrent à une partie de chasse, mais son cheval s’emballe et la valeureuse virago vole à son secours et parvient à maîtriser la monture du héros, et à le secourir dans sa chute. À l’image du cheval, les sens du monarque s’emballent à leur tour, et, subjugué par la divine jeune fille, il décide d’en faire exécuter un portrait destiné à orner le temple de Jupiter. Cette tâche incombe bien sûr à Apelle, qui se trouve confronté à l’épreuve hautement symbolique d’avoir à capturer, pour la livrer à son roi, la beauté de celle qu’il aime et dont il est aimé en retour. À partir de ce moment central de la pièce, on comprend clairement que le véritable héros n’en est pas le Grand Alexandre, littéralement rabaissé par sa chute et par la métaphorisation animale de ses désirs incontrôlables, qui n’a pas tenté de dissimuler les défauts du souverain, mais ne les a pas non plus mis en valeur (v. 470-610). 16. « ¿Tanto la primera vista / de una montaraz belleza, / y más cuando ya Rojana / dicen que embarcada queda, / pudo rendirte ? » (v. 1348-1352, « Le premier regard / posé sur une beauté montagnarde, / et de plus alors que Roxane, / dit-on, a déjà embarqué, / a-t-il pu te soumettre à ce point ? ») 17. « ¿ A cuál necesita antes / o yo de vuestras riquezas, / o vos de mis ciencias ? » (v. 1574-1576, « Qui aura besoin de l’autre en premier : / moi de votre richesse, / ou vous de ma science ? »)

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se cristalliseront dans la possession du portrait de la jeune fille. Le protagoniste de la pièce est bien plutôt Apelle qui, en soustrayant valeureusement Campaspe aux violences des soldats lors du premier acte, avait donné les premiers signes de sa noblesse de cœur18. Le développement de la passion amoureuse entre Apelle et Campaspe clôt le second acte, duquel Alexandre ne sort pas particulièrement grandi. Mais c’est surtout le troisième acte qui achève de dégrader l’image du souverain. Tandis qu’Apelle, devenu littéralement fou d’amour, s’est retiré dans la forêt pour ne pas assister au spectacle de la conquête de sa dame, Alexandre s’interroge longuement sur les causes possibles de la folie de son peintre. Il se voit ainsi dans l’obligation de solliciter l’aide de Diogène, comme ce dernier le lui avait prédit, pour enfin comprendre qu’Apelle se meurt d’amour et de jalousie. Et c’est d’ailleurs le philosophe qui, dans la pièce de Calderón, ­suggère à Alexandre de céder Campaspe au peintre, et devant son refus initial, lui déclare : « Esclavo de tus pasiones / la destemplanza te agrava / la lascivia te posee, / y la ira te arrebata19. » À l’absence de perspicacité d’Alexandre s’ajoute ainsi un manque de contrôle total et indigne d’un grand, ce qui amène même Diogène, qui, lui, domine ses passions, à le traiter de « esclavo de [su]s esclavos » (v. 3802, « esclave de [s]es esclaves »). Et ce n’est que mû par la crainte que cette insulte ne passe à la postérité qu’Alexandre épargne Diogène. De plus, inquiet qu’Apelle puisse lui voler la vedette par sa « généreuse constance » (v. 3862), il prend la décision de donner Campaspe pour épouse au peintre, désireux de se montrer ainsi supérieur dans sa générosité. Mais la jeune fille se refuse à épouser Apelle, feignant de ne pas l’aimer, et oppose son libre arbitre à la volonté d’Alexandre, arguant du fait qu’il ne peut donner quelque chose qu’il ne possède pas, à savoir sa volonté et son âme. C’est ainsi qu’Alexandre « donne tout sans donner rien » (v. 3966), acte abusif que la jeune fille qualifie de « liberalidad / tan neciamente villana » (v. 3945-3946, « libéralité / si bassement vile »), remettant ainsi en question la grandeur morale du héros.

18. D. A. Hildner, « Amor, poder y pintura en Calderón y en John Lily », art. cit., p. 111 : « Calderón, en consonancia con su tratado en prosa a favor de la nobleza de los pintores, le otorga a Apeles el lenguaje y las preocupaciones de todo noble en sus dramas, sin atribuirle un linaje preciso. » (« Calderón, en accord avec son traité en prose en faveur de la noblesse des peintres, octroie à Apelle le langage et les préoccupations de tout noble dans ses drames, sans lui attribuer un lignage précis. ») 19. V. 3785-3788 : « Esclave de tes passions, / l’intempérance t’écrase, / la lascivité te possède, / et la colère t’emporte. »



Célébration et abaissement d’Alexandre le Grand chez 197 Calderón et Cicognini

L’épisode se clôt sur le mariage de Campaspe et d’Apelle, et celui d’Alexandre avec l’une des filles de Darius, Roxane ayant opportunément disparu en mer. Le héros referme ainsi ce qu’il dit avoir été « une [simple] parenthèse pour ses armes » (v. 4108-4109, « Y pues esto ha sido un solo / paréntesis de las armas ») en poursuivant ses conquêtes vers le Péloponnèse. On le voit, la pièce de Calderón établit progressivement une inversion de perspective dans l’utilisation de l’épisode, et débouche sur une dégradation de la figure d’Alexandre en matière amoureuse qui, sans être burlesque, le tourne tout de même en dérision en lui attribuant une incompétence totale à aimer noblement. Complètement burlesque en revanche sera la « representación graciosa » ou « représentation amusante » intitulée El retrato de Juan Rana (Le portrait de Jean Grenouille), du dramaturge Antonio de Solís20, auteur de la loa (« louange ») qui précède Darlo todo y no dar nada. Dans cette pièce brève représentée pour la même occasion, vraisemblablement au début du spectacle, il parodie ouvertement l’intrigue de la pièce de Calderón21. En effet, la pièce met en scène les amours cocasses de Cosme Pérez ou Juan Rana et de Bernarda, qui fait son portrait. Dans un élan de générosité, son vieil oncle, qui a des vues sur elle, lui cèdera Bernarda, s’exclamant : « No digas más, que primero / que me la pidan tus ansias, / he de vencer yo las mías / con una cosa alexandra. / Juana, aunque te quiero mucho, / ya eres suya ; y tú, Juan Rana, / mira quién eres, pues eres / esclavo de mis esclavas22. » La deuxième partie de notre diptyque porte sur un texte théâtral italien intitulé Le glorie e gli amori di Alessandro Magno e di Rossane, opera tragicomica 20. J. E. Hartzenbusch, « Catálogo cronológico de las comedias de don Pedro Calderón de la Barca », dans Calderón de la Barca, Comedias, t. 4, Madrid, 1850, p. 678. M. L. Lobato indique, dans Loas, entremeses y bailes de Agustín de Moreto, t. 1, éd. M. L. Lobato, Cassel, 2003, p. 161-162 : « En 1651 actuó [ Juan Rana] con la compañía de Diego Osorio en la fiesta en que se representó la comedia Darlo todo y no dar nada, de Calderón, que estuvo acompañada por una loa de Solís y por la representación graciosa del mismo autor titulada El retratro de Juan Rana. » (« En 1651, Juan Rana joua avec la compagnie de Diego Osorio dans la fête durant laquelle on représenta la comedia Darlo todo y no dar nada, de Calderón, qui fut accompagnée par une loa de Solís et par la représentation amusante du même auteur intitulée Le portrait de Juan Rana. ») 21. L. R. Bass, The Drama of the Portrait. Theater and Visual Culture in Early Modern Spain, Pennsylvanie, 2008, p. 118 : « The entremés offers up a parody in miniature of a more serious drama of the portrait, Calderon de la Barca’s Darlo todo y no dar nada. » (« L’entremés offre une parodie en miniature du drame du portrait plus sérieux, Darlo todo y no dar nada de Calderón de la Barca. ») 22. « Ne dis rien, car avant / que tes désirs ne me la demandent, / je dois vaincre les miens / par un geste digne d’Alexandre. / Juana, bien que je t’aime beaucoup, / tu es à lui ; et toi, Juan Rana, / regarde qui tu es, puisque tu es / esclave de mes esclaves. »

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(c’est-à-dire tragi-comédie), œuvre du dramaturge florentin Giacinto Andrea Cicognini, composée selon toute probabilité durant son étape vénitienne, qui occupe les trois dernières années de sa vie23 (1646-1649). Fils de Jacopo, également dramaturge, Giacinto Andrea fut très célèbre dans l’Italie du xviie siècle ; beaucoup de ses œuvres théâtrales qui eurent le plus de succès sont des adaptations du théâtre espagnol contemporain ou des mosaïques de séquences de pièces de Lope et de Calderón24. Dans Le glorie e gli amori cependant, Cicognini ne semble s’être inspiré d’aucune œuvre précise du théâtre du Siècle d’or espagnol ; il est certain que dans l’intrigue nous trouvons des motifs dramatiques comme celui de la femme abandonnée qui se déguise en homme et part à la recherche de son séducteur, ou du vassal rival de son seigneur, motifs très utilisés dans le théâtre espagnol de la même période ; mais comme il s’agit de motifs également très présents dans toutes les dramaturgies européennes de l’époque, ils n’apportent donc pas les preuves concluantes d’une origine espagnole de la pièce de Cicognini. De cette tragi-comédie en prose, publiée à titre posthume en 1661, Cicognini avait commencé, en 1649, à tirer un livret en vers pour un opéra qui devait être représenté à Venise ; mais il mourut avant de le terminer, ayant rédigé seulement le premier acte et les deux premières scènes du second ; c’est la raison pour laquelle le livret fut terminé par un anonyme afin que la représentation pût être menée à bien. L’intrigue des deux pièces est substantiellement identique, bien que les noms de quelques personnages soient modifiés ; en tout cas, et puisque le livret n’est que partiellement de Cicognini, tandis que la tragi-comédie en prose est presque sûrement de lui, nous nous référerons seulement à cette dernière pour notre analyse25. 23. Pour des renseignements sur la vie et l’œuvre de Cicognini, et pour une bibliographie à jour, voir F. Cancedda et S. Castelli, Per una bibliografia di Giacinto Andrea Cicognini, Florence, 2001 ; D. Simini, Il corpus teatrale di Giacinto Andrea Cicognini, Lecce, 2012. 24. Voir F. Antonucci, « Spunti tematici e rielaborazione di modelli spagnoli nel Don Gastone di Moncada di Giacinto Andrea Cicognini », dans Tradurre, riscrivere, mettere in scena, éd. M. G. Profeti, Florence, 1996, p. 67-86 ; « Un ejemplo más de reescritura del teatro áureo en la Italia del siglo xvii : Giacinto Andrea Cicognini y el texto del Giasone », dans « Por tal variedad tiene belleza ». Omaggio a Maria Grazia Profeti, éd. A. Gallo et K. Vaiopoulos, Florence, 2011, p. 259-270 ; « Las operaciones de adaptación y reescritura del teatro áureo en la Italia del siglo xvii : el caso de Giacinto Andrea Cicognini », dans Rumbos del Hispanismo en el umbral del Cincuentenario de la AIH, t. 4, éd. P. Botta, Rome, 2012, p. 13-19 ; « Los dramas musicales de Giacinto Andrea Cicognini y la circulación del teatro áureo español en la Italia del siglo xvii : el caso de Orontea », dans Pictavia aurea. Actas del IX Congreso de la Asociación Internacional Siglo de Oro, éd. A. Bègue et E. Herrán Alonso, Toulouse, 2013, p. 721-728. 25. A.  Tedesco, « Cicognini’s Giasone : Between Music and Theatre », dans Readying Cavalli’s Operas for the Stage. Manuscript Edition Production, éd. E.  Rosand, Farnham et



Célébration et abaissement d’Alexandre le Grand chez 199 Calderón et Cicognini

L’appellation d’« œuvre tragi-comique » signale que la pièce souscrit à la formule mixte qui caractérise la comedia nueva espagnole. Dans Le glorie e gli amori, aux côtés de personnages de haut rang comme le roi de Sisimitre, sa fille Roxane, Alexandre le Grand et ses généraux Cratero et Aminta, nous trouvons un personnage comique typique de la comédie italienne avec la nourrice de Roxane, Aspasia. Plus généralement, la tragi-comédie est un mélange entre : a) la matière élevée, héroïque (la conquête de Sisimitre réalisée par Alexandre, fait historique mentionné par Quinte-Curce dans le livre VIII de ses Historiae) ; b) l’intrigue amoureuse complexe, avec des amours heureuses et malheureuses, des malentendus, des équivoques, des tromperies, des déguisements, des rivalités… L’aspect le plus intéressant de notre pièce, et celui sur lequel nous allons nous arrêter plus longuement, est précisément l’articulation de cette intrigue amoureuse pour ce qu’elle suppose dans la représentation de la figure d’Alexandre le Grand. La première chose que nous observons, en relation avec Darlo todo y no dar nada, est que, comme Calderón, Cicognini décide de centrer son intrigue dramatique sur les amours d’Alexandre et sur la rivalité que celles-ci suscitent parmi d’autres hommes de son entourage. À la différence de ce qui arrive dans la pièce de Lope26, la pièce de Cicognini partage avec celle de Calderón cette réduction à une dimension presque exclusivement sentimentale, privée, du grand conquérant et politique que fut avant tout, historiquement, Alexandre. Cicognini cependant ne dramatise pas – comme l’avaient fait Lope et Calderón – l’épisode bien connu d’Apelle et Campaspe, emblématique de la générosité d’Alexandre, mais préfère exploiter l’élément historique du mariage d’Alexandre avec Roxane, fille du roi de Sisimitre dont Alexandre, selon Quinte-Curce, s’était épris éperdument en la voyant parmi les vierges qui l’accueillirent à son entrée dans la ville récemment conquise. L’historien latin manifeste ouvertement son étonnement et sa désapprobation devant cet amour subit, et surtout devant le mariage précipité qui amena Alexandre, qui n’avait voulu pour épouse aucune des filles de Darius, à se marier avec la fille d’un roitelet de moindre importance27. Cicognini, apparemment, ne reprend pas cette critique : ou Burlington, 2013, p. 229-259, soutient l’idée de la priorité de l’œuvre en prose par rapport au livret de l’opéra. 26. Voir dans ce même volume la contribution d’Hélène Tropé. 27. « Barbara opulentia convivium, quo regem accipiebat, instruxerat. Id cum multa comitate celebraret, introduci XXX nobiles virgines iussit. Inter quas erat filia ipsius, Roxane nomine, eximia corporis specie et decore habitus in Barbaris raro. Quae, quamquam inter electas processerat, omnium tamen oculos convertit in se, maxime regis minus iam cupiditatibus suis imperantis inter obsequia Fortunae, contra quam non satis cauta mortalitas est. Itaque ille,

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plutôt, il la place dans la bouche des rivaux d’Alexandre, son général Cratero et son favori Aminta, quand au deuxième acte (scène 6) ils essayent de le dissuader de se marier avec Roxane, car ils sont eux aussi amoureux d’elle. Et Alexandre répond à ces critiques avec les mêmes arguments que ceux que rapporte Quinte-Curce : qu’Achille également s’était marié avec la fille d’un vaincu, que ce mariage scellerait l’alliance entre les Perses et les Macédoniens. Cette défense que fait Alexandre de son amour pour Roxane, ainsi que de la légitimité et de l’opportunité de son mariage avec elle, apparaît bien, à première vue, comme un trait qui confirme sa générosité proverbiale, d’autant plus que les critiques de son général et de son favori sont ouvertement intéressées, et donc, dépourvues d’autorité aux yeux des spectateurs. En réalité, comme on l’apprendra lors du dénouement, Alexandre est facilement en proie aux désirs amoureux : avant de voir Roxane, de s’éprendre d’elle séance tenante et de la déclarer sa femme, le grand conquérant avait vécu une expérience analogue avec une femme inconnue qu’il avait rencontrée dans une grotte, au cœur d’un bois. Là-bas, où personne ne pouvait l’empêcher de mettre ses désirs promptement à exécution, Alexandre avait violé la dame, non sans auparavant lui promettre de l’épouser, et lui donner un bracelet en gage de sa parole. Quand, vers la fin de la pièce, Aminta se voit accusé de trahison pour avoir cherché à voler l’épouse de son seigneur, il lui est facile de répliquer que Roxane ne pouvait être l’épouse d’Alexandre, puisqu’il était déjà marié avec une autre femme, celle qu’il avait violée dans la grotte. De qui uxorem Darei, qui duas filias virgines, quibus forma praeter Roxanen conparari nulla potuerat, haud alio animo quam parentis aspexerat, tunc in amorem virgunculae, si regia stirpi conpararetur, ignobilis ita effusus est, ut diceret ad stabiliendum regnum pertinere Persas et Macedones conubio iungi ; hoc uno modo et pudorem victis et superbiam victoribus detrahi posse : Achillem quoque, a quo genus ipse deduceret, cum captiva coisse ; ne inferri nefas arbitrentur : illam matrimonii iure velle iungi. » (Quinte-Curce, éd. et trad. H. Bardon, Paris, 2003, t. 2, p. 300-301, « Il avait mis une opulence de Barbare à organiser un festin où le roi était son invité. Il présidait le repas avec une grande magnificence, quand il fit entrer trente jeunes filles nobles. L’une d’elles était sa propre fille, Roxane, d’une beauté sans égale et d’une élégance d’attitude rare chez les Barbares. Elle s’était avancée parmi un choix de beautés, mais c’est vers elle que tous tournèrent leurs regards, surtout le roi, déjà moins maître de ses passions parmi les faveurs de la Fortune, dont l’humanité ne se méfie pas assez. Aussi lui qui, voyant l’épouse de Darius, voyant ses deux jeunes filles auxquelles, pour la beauté, l’on n’aurait pu comparer personne sauf Roxane, n’avait eu que des sentiments de père, se laissa-t-il si bien aller à son amour pour cette petite jeune fille, sans naissance par rapport à une ascendance royale, qu’il déclara essentiels pour affermir son empire des mariages entre Perses et Macédoniens : ‘Pas d’autre moyen capable d’enlever leur honte aux vaincus, leur orgueil aux vainqueurs. Achille aussi, dont précisément il tirait son origine, avait eu commerce avec une captive ; l’on ne devait pas croire qu’il attentait à son honneur : il voulait s’unir à elle par un mariage légal.’ »)



Célébration et abaissement d’Alexandre le Grand chez 201 Calderón et Cicognini

manière assez prévisible, cette femme est en réalité Roxane elle-même, comme on le découvrira grâce au bracelet qu’elle porte depuis et qu’Alexandre n’a évidemment pas eu l’idée de remarquer avant, sinon il l’aurait reconnue trop tôt par rapport au dénouement, qui doit être déclenché précisément par la reconnaissance… L’épisode de la grotte est un très clair exemple de citation intertextuelle, qui renvoie au livre IV de l’Énéide et concrètement aux amours entre Énée et Didon, favorisées – comme dans la tragi-comédie de Cicognini – par une averse qui oblige le héros et la reine à se réfugier dans une grotte. Mais, si d’un côté, avec cette citation, Cicognini parvient à relier le grand conquérant macédonien au mythique héros fondateur de Rome, d’un autre côté, l’épisode en lui-même, tel que le raconte Roxane à sa nourrice dans la scène 4 du premier acte, est très loin de ressembler à celui de l’Énéide, car il se rapproche plus d’une situation de violence sexuelle que d’un amour partagé et finalement réalisé. L’heureuse coïncidence faisant que la femme violée dans le bois soit précisément la Roxane dont Alexandre s’est épris au premier regard, bien qu’elle fournisse un dénouement heureux à l’intrigue, ne dissipe cependant pas l’impression que Cicognini a voulu représenter Alexandre comme un personnage volage, inconstant, ni plus ni moins que ses deux subordonnés, Cratero et Aminta. Le fait même que les trois soient tombés amoureux de Roxane souligne, à notre avis, cette ressemblance ; si Alexandre est le vainqueur, cela se doit peut-être tout simplement au fait qu’il est le plus puissant des trois, et au fait que Cratero est retenu par les efforts de son ancienne amante Oristilla, sœur de Roxane, qui le réclame pour elle et finit par emporter la bataille. Quant à Aminta, il s’en est fallu de très peu qu’il ne devance son seigneur, si l’on considère que Roxane, après avoir accepté de se marier avec Alexandre, n’a pas besoin de plus de deux heures pour accepter de s’enfuir avec Aminta. De cette manière, elle pense pouvoir esquiver le déshonneur qui l’atteindra quand Alexandre se rendra compte de sa grossesse. Ceci posé, quelle lecture pouvons-nous donner de cette configuration de l’intrigue, prenant en compte que le trio de soupirants de Roxane aussi bien que sa grossesse sont des inventions de Cicognini, qui n’apparaissent dans aucune source classique ni moderne, y compris les comedias de Lope et de Calderón ? Il nous semble évident que le personnage d’Alexandre perd en héroïsme et en exemplarité, descendant du piédestal où l’avait encore placé Lope pour ressembler plutôt à un galant « al uso28 », « peu scrupuleux ». Un 28. Sur le personnage du galant peu scrupuleux et peu chevaleresque dans le théâtre espagnol du Siècle d’or, voir I. Arellano et F. Serralta, « Introducción » à Pedro Calderón de la Barca,

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galant qui, après avoir violé une femme, se hâte de se marier avec une autre pour la voir finalement partir avec son favori quelques heures avant les noces et se rendre compte, quand il la retrouve, qu’elle est enceinte. Le fait que l’on découvre ensuite qu’elle est enceinte de lui ne parvient pas à faire oublier complètement l’atmosphère de tromperie, de trahisons et de désordres sentimentaux qui agite toute l’intrigue. Si on accepte cette interprétation, il faut dire dès maintenant que cette dégradation n’obéit à aucune intention polémique particulière que Cicognini pourrait avoir à l’encontre du personnage d’Alexandre, mais qu’elle est le produit d’une tendance que l’on observait déjà dans son Giasone. Dans ce livret, que Cicognini composa en 1646, il se livrait à une dégradation semblable du héros des Argonautes, présenté comme un bigame menteur, insatiable séducteur de jeunes filles et potentiel meurtrier de sa femme. Tant Jason qu’Alexandre répondent au type du héros « effeminato » (efféminé), qui oublie facilement sa mission héroïque pour devenir la proie d’un érotisme irrationnel29. Cette lecture est une caractéristique de l’ambiance culturelle vénitienne influencée par la Accademia degli Incogniti, qui se complaisait dans la représentation irrévérencieuse des grandes figures de l’Antiquité classique30. Considérant tout cela, il n’est pas étonnant que ni l’héroïsme guerrier ni la générosité, traits fondateurs de la gloire d’Alexandre, ne soient plus centraux dans la réélaboration de Cicognini : l’entrée à Sisimitre, de fait, ne coûte à Alexandre aucun effort de guerre, puisque Coortano se rend sans même combattre, lui offrant son sceptre et les clefs de la ville. Et cette offrande déconcerte Alexandre, qui se déclare « vaincu », « blessé » par la courtoisie du roi barbare, à laquelle il tente de répondre en lui rendant son sceptre et le commandement de la ville. Cette générosité, c’est évident, dépend directement de l’initiative de Coortano, dont le discours qu’il adresse à Alexandre pour lui reprocher son agressivité guerrière, au début de la scène 12 du premier acte, s’inscrit dans la lignée des revendications des « barbares » devant leurs conquérants, qui étaient devenues déjà un topos littéraire, à partir au moins du fameux discours du paysan du Danube rapporté aux chapitres XXXI-XXXII du Libro de Marco Aurelio (1528) de Antonio de Guevara. Nous ne savons pas si Cicognini avait lu le livre de Guevara, qui par ailleurs jouissait d’une Mañanas de abril y mayo, Toulouse, 1995 ; Antonio de Solís, El amor al uso, Toulouse, 1995, p. 11-15. 29. Pour une synthèse sur le type du héros efféminé dans l’opéra italien du xviie siècle, voir P. Fabbri, Il secolo cantante, Rome, 2003, p. 201-213. 30. P. Fabbri, Il secolo cantante, op. cit., p. 114-123.



Célébration et abaissement d’Alexandre le Grand chez 203 Calderón et Cicognini

réputation notable dans l’Europe de l’époque. En tout cas, il nous semble évident que le dramaturge cherche, dans le personnage de Coortano, un contrepoids à Alexandre : un barbare juste, digne, efficace dans sa dialectique, capable de déconcerter Alexandre par ses paroles et ses actions, co-protagoniste du roi macédonien sur le plan politique de l’action, comme sur le plan amoureux le sont Cratero et Aminta. Pour conclure, il semble opportun de s’arrêter sur la tendance au rabaissement – certes, relatif – du personnage d’Alexandre que partagent Calderón et Cicognini. Si, pour ce qui est de Cicognini, on vient de proposer une explication possible, dans le cas de Calderón ce phénomène semble dicté par le cadre de la « comédie de palais », genre qui tourne souvent autour de l’opposition entre l’amour d’un prince et celui de son vassal pour une même dame ; c’est en général le prince, peu vertueux, qui doit renoncer à son amour au bénéfice d’un comportement, finalement, juste. L’ambiguïté des récits classiques sur la figure d’Alexandre, héros à la fois immensément généreux et vertueux (Plutarque), mais aussi colérique, buveur, volage et même doté d’un certain goût pour la luxure (Quinte-Curce), fournit à Calderón la possibilité d’élaborer une figure du héros quelque peu dégradée, sans pour autant le réduire au personnage grotesque qu’il incarnera, vingt ans plus tard, dans la parodie de Lanini Sagredo. Si l’on ajoute à cela le grand amour de Calderón pour la peinture, à laquelle il concède la dignité d’un art libéral, on comprend mieux la valorisation de la noblesse d’âme d’Apelle au détriment de celle de son seigneur. Fausta Antonucci et Françoise Gilbert Universités « Roma Tre » et Toulouse-Jean Jaurès

Alexandre revu par Desmarets de Saint-Sorlin : un généreux à la mode galante Alexandre le Grand n’est pas une figure singulière dans l’œuvre de Desmarets de Saint-Sorlin. À notre connaissance, il y apparaît à trois reprises : dans les Visionnaires, dans son Discours de la Poësie et dans Roxane. Ces deux dernières œuvres offertes au cardinal de Richelieu nous suggèrent que l’intérêt persistant de l’écrivain pour la figure du chef de guerre et du roi de Macédoine ne procède pas seulement d’un engouement personnel. Son évocation entre dans l’arsenal rhétorique d’une littérature de propagande rapprochant régulièrement les rois de France du personnage illustre de l’Antiquité1. Christian Jouhaud2 a mis naguère cette dimension politique en lumière dans un bel article consacré à Roxane, parfaite illustration, de son point de vue, des rapports étroits pouvant unir sous l’Ancien Régime « pouvoir politique et littérature ». Desmarets apparaîtrait à travers la création de cette pièce, véritablement emblématique de sa production théâtrale, « comme un cas exemplaire » présentant une « figure particulièrement nette d’écrivainclient, attaché à la maison d’un grand, cardinal, duc et pair, vivant sous sa protection, dans sa dépendance et son rayonnement », un écrivain astreint au « service de plume3 ». Roxane servirait ainsi la célébration éclatante des vertus du roi Louis XIII en offrant peut-être aussi un reflet du gouvernement idéal tel que se l’imagina Richelieu. Mais, avouons-le, ces analyses politiques nous ont également laissés sur notre faim, avec le sentiment en tout cas que la logique profonde de l’œuvre ne nous avait pas été pleinement dévoilée.

1. Voir Claude Garnier, Parallele de Louis le victorieux et d’Alexandre le Grand, Paris, 1621 et Yves Duchat, Hymne d’Alexandre le Grand avec les parallèles de luy et de Philippe et des Roys très Chrestiens Louis XIII heureusement régnant et Henri le grand, Paris, 1624. Ces parallèles ont pu s’appliquer aussi à Henri IV ou à Louis XIV comme le prouvent les textes de Reboul, Les Fortunes et vertus de Henry, Roy de France et de Navarre : comparées à celles d’Alexandre, Paris, 1604 ; de Puget de la Serre, Le Portrait d’Alexandre le Grand, dédié à Monseigneur le Dauphin, Paris, 1641 ou encore de Jean Racine offrant au Roi son Alexandre le Grand, Paris, 1666. 2. C. Jouhaud, « Desmarets, Richelieu, Roxane et Alexandre : sur le service de plume », XVIIe siècle, 193 (1996), p. 866. 3. Ibidem, p. 859. L’entrée d’Alexandre le Grand sur la scène européenne éd. Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas Turnhout, 2017, (Alexander Redivivus, 9) p. 205-216 © F H G

DOI 10.1484/M.AR-EB.5.113445

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Frank Greiner

Dans Roxane, en effet, Desmarets célèbre la grandeur d’Alexandre à travers un crime de sang (le meurtre de Clitus) et son amour pour l’héroïne éponyme, parée de toutes les vertus et comme destinée à devenir son épouse. Comment expliquer cette conjonction de violence et d’amour ? Christian Jouhaud trouve la solution de cette énigme dans le personnage de Roxane, « figure de rêve » du « propre pouvoir » de Richelieu, « qui impose sa force à l’ensemble des autres forces à l’œuvre dans l’intrigue de la pièce, transforme la tragédie d’un roi meurtrier en tragi-comédie ». Cette transformation heureuse s’opérerait grâce à la rationalité incarnée par cette héroïne : « Le salut – écrit encore Christian Jouhaud – vient de cette figure de raison, compagne du pouvoir absolu, un moment prisonnier d’une radicale incertitude. » « Force raisonnable4 », Roxane serait aussi « un principe d’ordre ». Ordre et raison recouvrent en effet certaines facettes de ce personnage lucide et déterminé, mais ils ne sauraient résumer à eux seuls une pièce où domine l’expression des passions (sous les formes diverses de la fureur criminelle et de l’élan amoureux), une tragi-comédie, à notre avis beaucoup moins cérébrale que le laissent penser ces analyses mieux aptes, peut-être, à refléter l’état d’esprit du patron (le cardinal ministre) que de son client (Desmarets). Ceci étant, et notre propos ira principalement dans ce sens, le message politique n’est pas absent ou seulement superficiel dans Roxane, mais il doit se comprendre d’abord à la lumière d’une économie des passions soutenant le travail de l’ordre et de la raison.

Un épisode problématique : le meurtre de Clyte Parmi les nombreux épisodes que les historiens, principalement QuinteCurce et Plutarque, rapportent de la vie d’Alexandre, Desmarets retient le châtiment du déloyal Phradate, la soumission du satrape Cohortane et l’histoire de son amour naissant pour la fille de ce dignitaire perse, Roxane dont il décide de faire sa femme. Mais à ces différents événements pouvant servir sans difficulté l’illustration glorieuse d’une grande figure de l’Antiquité, il joint, nous l’avons dit, une évocation du meurtre de Clitus, qui, sans nul doute, révèle un des aspects les plus sombres de la personnalité d’Alexandre. Clitus, nommé Clyte par Desmarets, est un vieux compagnon d’armes d’Alexandre. Lors d’un banquet, en proie à l’ivresse et échauffé par un débat qui oppose les jeunes aux vieux officiers, il pousse l’audace jusqu’à provoquer son maître en 4. Ibid., p. 874 et 873.



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plaçant ses exploits loin en-dessous de ceux accomplis autrefois par son père, Philippe, puis il multiplie les provocations, lui rappelle qu’il lui doit la vie – naguère, sur un champ de bataille, il l’a effet sauvé des coups mortels de ses ennemis – et il finit en « raillant l’oracle de Jupiter qu’Alexandre revendiquait pour son père5 ». Quinte-Curce dépeint la colère grandissante d’Alexandre, écoutant avec de moins en moins de patience ces propos insultants, avant de donner la mort à son ami d’un coup de javeline. « C’est un malheureux défaut de notre nature, de ne savoir guère réfléchir d’avance sur nos actions6 », écrit-il, insistant sur la dimension passionnelle du meurtre commis par Alexandre. Après lui les auteurs latins verront dans cet épisode malheureux une illustration des méfaits de l’ivresse et de la colère7, deux inclinations néfastes toujours étroitement liées à cette même scène par ceux qui l’évoqueront à leur suite, le plus souvent à titre de contre-exemple8. Desmarets représentant la colère d’Alexandre en change le motif : à la comparaison désobligeante de ses mérites et de ceux de son père, il substitue la question du mariage avec Roxane. Nous y reviendrons bientôt. Mais il ne change en rien la violence de l’échange verbal opposant les deux hommes et de l’action fatale qui en résulte bientôt. Clyte s’opposant à l’union de son maître avec une princesse étrangère, où il voit une mésalliance, suscite sa fureur dans une scène peu soucieuse de la règle de la bienséance qui, comme on le sait, recommande de cacher la violence physique aux yeux du spectateur. Comment expliquer que Desmarets, attaché à la mission de glorifier son souverain, ait choisi de porter son attention sur ce moment de folie furieuse ? La réponse se trouve sans doute dans la politique du cardinal prônant une répression impitoyable contre une dangereuse opposition intérieure émanant des grands Seigneurs lésés dans leurs intérêts par la montée en puissance d’un pouvoir d’État centralisé ou encore contre les menaces d’une population paysanne écrasée par les impôts. De nombreux complots contre Richelieu se succèdent de la fin des années 1620 jusqu’à quelques mois de sa mort survenant le 4 5. Quinte-Curce, Histoires, éd. et trad. H. Bardon, Paris, 1992, p. 288. 6. Ibidem, p. 288 : « La nature a mal servi le caractère de l’homme en le laissant d’ordinaire soupeser non l’avenir, mais le passé. » 7. Voir F. Ripoll, « Les intentions de Quinte-Curce dans le récit du meurtre de Clitus (VIII, 1, 19-52) », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, année 2009, 1/1, p. 120. 8. Voir par exemple Antoine de Balinghem, Aprèsdinées et propos de Table contre l’excez au boire et au manger, Saint-Omer, 1624, p. 334 où un personnage nommé le « Philosophe moral » tire plusieurs exemples de l’histoire antique en évoquant « Alexandre le Grand, tuant en yvrognerie son intime amy Clytus ».

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décembre 1642 : ceux de Chalais (1626), de Marillac (1630), de Montmorency (1632), du comte de Soissons (1641), de Cinq-Mars et de Thou (1642). L’année même de la création de Roxane, la Normandie voit naître la révolte des Vanu-pieds, bientôt violemment réprimée sur l’ordre du Conseil royal. Rouen fut alors touchée par une série de mesures sévères ordonnées par le chancelier Séguier et il est possible que Corneille, originaire de cette ville, ait écrit sa pièce Cinna ou la clémence d’Auguste à la suite de ces circonstances pénibles, pour inciter le roi et son premier ministre à revenir à plus de mansuétude. Telle ne fut pas apparemment l’option retenue par Desmarets puisqu’il ne manque pas de fournir immédiatement à Alexandre quelques arguments justifiant son meurtre au moment même de son accomplissement. Clyte est accusé de sortir de son rang par son attitude insolente ; jugeant les affaires amoureuses du roi, il est également coupable d’un crime d’État, les affaires du roi étant identifiées à celles de son gouvernement (« Victime malheureuse et d’Estat et d’Amour », v. 15429). Ses reproches sont donc requalifiés en acte de sédition (« Soldat seditieux, et censeur temeraire », v. 1543). Le réquisitoire se conclut par la requalification des insolences de Clyte en un « parricide », substantif qui dans la France d’Ancien Régime sert également à désigner les régicides. Richelieu aurait-il approuvé, voire imaginé et dicté le texte de cet appel à l’obéissance absolue ? C’est possible, mais il semble aussi qu’il ne l’aurait pas accepté sans nuances, si l’on en juge par une des Maximes d’État qui lui sont attribuées par Gabriel Hanotaux. Le cardinal y mesure les conséquences néfastes de la violence en se référant à la mort de Clitus : Alexandre, après estre devenu extremement cruel, jusqu’à ce point de faire mourir ses propres serviteurs pour foibles ombrages, fut empoisonné par Antipater, l’un de ses favoris, et ainsy mourut de mort violente. Récompense ordinaire de ceux qui s’adonnent extraordinairement au sang et qui abusent de leur authorité au préjudice de la vie des hommes10.

Violence, amour et galanterie Desmarets, tout en faisant punir Clyte pour sa rébellion, a certainement conscience que la colère et la violence ne sauraient plaider seules en faveur de 9. Toutes nos citations sont extraites de l’édition de Roxane donnée dans le Théâtre complet (1636-1643) de Jean Desmarets de Saint-Sorlin, éd. C. Chaineaux, Paris, 2005. 10. Richelieu, Maximes d’État et fragments politiques, éd. G. Hanotaux, Paris, 1880, p. 3. À noter cependant que l’attribution de ce texte à Richelieu est sujette à caution.



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l’autorité royale. Par calcul ou par tempérament, il se fait d’ailleurs de celle-ci une image assez éloignée de la sèche et impersonnelle raison d’État. Son image du souverain, telle qu’il l’esquisse à travers la figure d’Alexandre, est fortement teintée d’affectivité et comme en accord avec celle qu’en donne Montaigne dans ses Essais lorsqu’il souligne « l’excès de la pénitence qu’il fit du meurtre de Clitus » et « la debonnaireté de sa complexion » qui « était de soy une complexion excellemment formée à la bonté11 ». Cette débonnaireté est bien présente chez le personnage de Desmarets souffrant excessivement d’avoir joué le rôle d’un « bourreau detestable » (v. 1612). Comme l’Alexandre de QuinteCurce, il envisage de se donner la mort, mais à la différence de celui-ci et comme pour mieux symboliser le lien de profonde sympathie qui l’unit au vieux compagnon d’armes, il va jusqu’à vouloir être enterré avec lui « en mesme sepulture » (v. 1620). Il s’agit manifestement d’atténuer par le pathétique associé à la représentation du tourment moral l’impression négative produite par son meurtre, et cela en insistant sur les relations quasi-familiales rapprochant traditionnellement le monarque de ses sujets. Mais le pathos de la plainte ne saurait opérer seul la déculpabilisation et la légitimation de la violence d’État formant l’objectif apparent de cette tragi-comédie. L’instrument le plus efficace de sa conversion en une énergie politiquement utile se trouve dans la sentimentalisation de l’histoire d’Alexandre et dans l’amour qui le porte vers une princesse perse. C’est par ces remaniements que la pièce de Desmarets s’écarte le plus de ses modèles antiques, sur le double plan de l’intrigue et de la caractérisation du personnage de Roxane. Revenons d’abord sur le déroulement de l’histoire réinventée par Desmarets. Une des originalités de sa pièce, comme les différents critiques ayant travaillé sur ses sources ont déjà pu le mettre en évidence, réside dans son rapprochement de deux épisodes autonomes chez Quinte-Curce et Plutarque : le meurtre de Clitus et le mariage d’Alexandre et de Roxane. Desmarets établit une relation explicite entre ces deux séquences en tressant ensemble son fil sentimental et son fil politique conduisant certains des compagnons d’Alexandre, et au premier chef Clyte, à se dresser contre lui. Ce mixage entre deux scénarios nettement distincts chez les historiographes ne va pas seulement dans le sens d’un renforcement de la cohérence de l’intrigue « au nom de la règle d’unité d’action12 », il amène, on va le voir, à repenser les enjeux politiques des actions d’Alexandre à la lumière de la culture galante en plein essor dans les années 1640. 11. Essais, éd. P. Villey, réédités sous la direction de V.-L. Saulnier, Paris, 1965, livre II, ch. I, p. 336 et ch. XXXVI, p. 754. 12. Comme l’écrit C. Chaineaux en introduction à son édition de Roxane, op. cit., p. 444.

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Pour bien le comprendre, il faut suivre pas à pas le déroulement de la pièce évoquant d’abord l’arrivée victorieuse d’Alexandre dans une ville de l’empire perse gouvernée par le satrape Cohortane. Celui-ci, soumis au conquérant et prétendant le « vaincre par [les] charmes » de sa fille, Roxane, a le dessein de la lui donner pour épouse alors qu’elle est déjà promise à Phradate, un autre satrape révolté contre les Grecs. Dans un premier temps, Alexandre apparaît donc comme opposé à l’union de deux jeunes gens se vouant une affection réciproque. Mais rapidement, il va évoluer de ce rôle ingrat vers une position nouvelle, valorisante : celle du souverain magnanime et maître de sa passion amoureuse face à une belle jeune femme sur laquelle il pourrait exercer sa pleine puissance. Il est notable que Desmarets avait déjà illustré un rôle du même type dans une tragi-comédie jouée un an plus tôt. On y voyait le personnage éponyme de Scipion s’éprendre de sa belle captive Olinde, puis renoncer à son inclination pour lui rendre sa liberté ainsi qu’à son fiancé Lucidan. Alexandre ne va pas comme Scipion jusqu’à favoriser le mariage des deux amants ; mais sans renoncer à son désir d’épouser Roxane, il se montre constamment à son égard « plein de respect et de civilité » (v. 610). Mieux, dompté par sa propre conquête (v. 894), il troque face à Roxane sa grandeur contre une attitude soumise, celle que le « service13 » d’amour commande habituellement à l’amant courtois face à sa Dame : Ah ! Princesse, sans vous je ne sçaurois plus vivre. Je suis tout plein de feux, et reduit à vous suivre. Ce que n’a jamais veu nul de mes ennemis, Vous le voyez, Roxane, Alexandre soumis. (v. 831-834)

Au terme de ces déclarations, Roxane peut seulement reconnaître qu’Alexandre excelle « en courtoisie / Aussi bien qu’en valeur » (v. 871-872). Cette transformation du guerrier conquérant en figure galante se conjugue avec la disqualification progressive de Phradate. Le personnage, tel qu’on le découvre au premier acte, pourrait pourtant jouer un rôle pleinement positif par sa volonté farouche de conserver sa liberté contre l’envahisseur et par les sentiments exaltés qui l’attachent à Roxane. Mais rapidement son manque de confiance dans la fidélité de la jeune femme, puis sa jalousie délirante l’amènent à se rapprocher de Clyte et des Macédoniens inquiétés à la perspective de voir leur maître « espouser la fille d’un Satrape » (v. 1005). Bientôt il les excite par des propos méprisants dirigés contre sa propre amante et va, abandonné à sa folie furieuse, jusqu’à réclamer sa mort, son « suplice » (v. 1079 et 1080). 13. Ibidem, p. 505, v. 830 : Alexandre : « Cessons de commander, commençons à servir. »



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Cet appel à la sédition a explicitement des résonances politiques. Desmarets reprend sur ce point des griefs déjà mentionnés par Quinte-Curce14 ; mais, comme le note finement Christian Jouhaud, il les exprime dans un vocabulaire que n’auraient pas désavoué les nobles du xviie siècle attachés au « devoir de révolte » et dénonçant volontiers pour mieux se justifier « les anciennes vertus mises à mal par un ordre politique nouveau15 » : Il [Alexandre] répand ses faveurs sur les peuples domptés. Il méprise les Grecs qui lui ont surmontez. Il se faict adorer comme le Roy de Perse. Quand la vertu se perd, tout ordre se renverse. (v. 1043-104616)

Mais il faut aussi tenir compte, pour bien apprécier la teneur de ces récriminations, de la logique sentimentale de l’histoire dans laquelle elles sont prises. La déconsidération de Phradate, et de manière indirecte de Clyte et de ses compagnons, provient en grande partie de leur transgression d’un code courtois exigeant prévenance et respect à l’égard de ce parangon de beauté et de vertu que représente Roxane dès le début de la pièce. Celle-ci, avertie des mauvais procédés de Phradate par une de ses suivantes, se chargera elle-même de lui rappeler avec véhémence, avant de le congédier, le « devoir des âmes bien nées » (v. 1241) : Un amour vertueux ne produit qu’un doux fruict, Un silence, un respect, une force au courage Qui force à la constance, et non pas à la rage. (v. 1236-1238)

Mais « la rage » d’Alexandre tuant Clyte d’un coup de javeline ne tombe-telle pas aussi sous le coup de la condamnation morale pesant sur Phradate ? Rien n’est moins sûr si on veut bien relire attentivement la scène du meurtre à la lumière de ces prémisses. Il apparaît en effet que le vétéran accuse d’abord son maître de placer les Perses et leurs vainqueurs sur un pied d’égalité et à la suite de ce premier reproche, en parodiant le langage galant d’Alexandre, il exprime sa désobéissance sous la forme d’un refus du service courtois : Voudrez-vous pas encor qu’on se mette à genoux Devant cette beauté ? devant ces yeux si doux ? (v. 1513-1514) 14. Op. cit., p. 301-302 : « Ses amis avaient honte de ce que, en train de boire et de manger, il se fût choisi un beau-père parmi des gens qui avaient capitulé. » 15. Nous citons l’article de C. Jouhaud, p. 868. L’expression « devoir de révolte » est empruntée au titre du livre d’Arlette Jouanna, Le devoir de révolte. La noblesse française et la gestation de l’État moderne, 1559-1561. Paris, 1989. 16. Les italiques sont de Christian Jouhaud dont nous reprenons la citation.

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Alexandre donnant la mort à l’insolent saura qualifier son crime dans des termes appropriés, révélateurs des véritables motifs de son irritation : Insolent, je t’immole aux beautés de Roxane. Une trop digne main te faict perdre le jour, Victime malheureuse et d’Estat et d’Amour. (v. 1540-1543)

Le règne de Roxane Il revient à la figure de Roxane de nous aider à mieux comprendre cette étrange association de l’État et de l’Amour. Le personnage propose-t-il au cardinal, comme l’affirme Christian Jouhaud, « une figure de rêve de son propre pouvoir17 » ? C’est possible, mais il faudrait se défier de la tentation de voir simplement en elle une allégorie politique. Roxane, loin d’être une idée, est avant tout un personnage romanesque, d’ailleurs extrêmement stéréotypé : elle se conforme, on l’a vu, au type de la Dame imposant à son amant un servage amoureux exigeant, pour mieux lui apprendre à discipliner ses instincts. On sait que cette représentation de l’amour courtois connaît un extraordinaire regain au xviie siècle où il se remodèle et se transforme en prenant le visage nouveau de la galanterie. Celle-ci est bien éloignée de son modèle médiéval, il est vrai, mais elle suscite chez de nombreux contemporains de Desmarets le désir nostalgique de conjuguer la vertu et le sentiment amoureux. Beaucoup voient même en elle un aiguillon de la civilisation pouvant agir sur la société tout entière. Jean Chapelain dans son Dialogue des vieux romans souligne ainsi les vertus politiques de l’ancienne courtoisie associant « l’amour de la gloire » et « celui des dames » et « aiguisant la fidélité que les vassaux devoient à leurs seigneurs par l’espérance, non seulement de la gloire, mais encore du plaisir que produit la possession de la beauté18 ». Les œuvres fictionnelles de Desmarets, comme les vieux romans loués par Chapelain, offrent souvent elles-mêmes des exemples de conduites vertueuses guidées par l’amour. Roxane, à cet égard, loin d’être une figure singulière, entre, dans son abondante production, dans une véritable galerie des héroïnes amoureuses et vertueuses aux côtés d’Olinde, d’Ariane ou de Rosane. Reste à savoir comment l’amour de Roxane peut étendre son influence civilisatrice sur la colère d’Alexandre et lui rendre sa légitimité. Pour surmonter 17. Art. cit., p. 874. 18. De La Lecture des vieux romans, publié pour la première fois avec des notes par Alphonse Feillet, Paris, 1870 (reprint : Genève, 1968), p. 23-24.



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l’apparente contradiction de l’amour et de la violence meurtrière, il faut revenir aux sources utilisées par Desmarets et à leur remaniement. On sait par l’historiographie grecque et latine qu’après avoir tué Clitus, Alexandre sombre dans un désespoir si profond qu’il le conduit au bord du suicide. Ses compagnons échouent à le sortir de son abattement. Seul le philosophe Anaxarque parvient enfin à lui rendre goût à la vie. Plutarque, qui le présente comme « tenant un chemin à part en l’estude de la philosophie » et ayant « acquis le bruit d’estre un homme escervelé », rapporte qu’il persuada son maître que « tout ce que le prince faict, est sainct, droit et juste » en lui rappelant ses origines supposément divines : « Ne sçais tu pas que les poëtes disent, que Jupiter a Themis, c’est à dire, le droit et la justice assise à ses costez ? » « Ces langages […] – écrit encore Plutarque – allegerent bien pour l’heure la douleur du Roy Alexandre, mais aussi rendirent ilz depuis ses meurs bien plus dissolues en beaucoup de choses, et bien plus violentes19. » Son traducteur, Jacques Amyot, émet une opinion tout aussi critique. Dans l’épître dédicatoire à Charles IX qu’il place en tête des Œuvres morales du même Plutarque, il prend position contre le discours flatteur d’Anaxarque en désignant clairement la colère d’Alexandre comme une preuve de faiblesse incompatible avec sa divinisation et comme une mise en garde adressée à tous les souverains aspirant à un pouvoir absolu : Nous ne dirons pas ce qu’Anaxarchus disoit à Alexandre fort angoissé de la mort de son ami Clitus, lequel il avoit tué de sa propre main […]. Au contraire nous disons que Themis et Justice president sur les Royaumes, pour chastier rudement les Rois qui violeront ou interesseront la Majesté des loix20.

Desmarets, exaltant le pouvoir suprême du roi, ne saurait tenir le même langage. Il remplace ainsi le sophiste Anaxarque par la belle et sage Roxane dont les paroles salutaires prennent un tour autrement positif. Comme le sophiste évoqué par Plutarque, celle-ci recourt à la remontrance et à l’exhortation à réagir, mais nulle flatterie n’entre dans ses propos. Elle parle en effet en reine et en femme qui, régnant en maîtresse absolue sur le cœur d’Alexandre, exige une dévotion totale, un culte monothéiste en quelque sorte puisqu’il implique l’oubli immédiat du défunt : La beauté de Roxane est digne de pitié, Qui n’acquiert qu’un amour qui cede à l’amitié. (v. 1761-1762) 19. Vies parallèles, éd. cit., p. 442. 20. E.  Junius Brutus, Vindiciæ contra tyrannos, trad. fr. de 1581, introd., notes et index A. Jouanna, J. Perrin, M. Soulié, A. Tournon et H. Weber, Genève, 1976, p. 140-141. Nous remercions Bruno Méniel de nous avoir communiqué cette référence.

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Loin d’être scandaleux, le meurtre de Clyte apparaît à la lumière de cette religion amoureuse comme l’application de la règle courtoise voulant qu’un amant ne tolère aucune atteinte à l’honneur de la femme aimée : Votre ame est pour moy faiblement engagée, Qui croit avoir failly quand elle m’a vangée. (v. 1763-1764)

Voilà la colère d’Alexandre justifiée comme un mouvement généreux conforme à ce que l’on attend d’un prince magnanime spontanément hostile à tout ce qui menacerait l’ordre idéal incarné par la beauté et par la sagesse de Roxane. À la lumière de cette dernière scène se dévoilent nettement les liens d’affinités rapprochant les forces contraires de l’irascibilité et de l’amour. La violence mise au service du sentiment bien réglé se mue en une force vitale, une énergie active travaillant à la protection non seulement de la femme aimée, mais aussi de l’harmonie sociale dont elle est la garante comme épouse d’Alexandre et, pour ainsi dire, la représentante incarnée par son éminente beauté et par sa sagesse : Voyez Grecs, quelle Reyne Alexandre vous donne ; En courage, en beauté, digne de vostre Roy. Si je regne sur vous, qu’elle regne sur moy. Je veux que la puissance au merite responde ; Et qui regne sur moy regne sur tout le monde. (v. 1808-1812)

Roxane, épouse d’Alexandre, forme à ses côtés non seulement la contrepartie lumineuse de sa colère, mais aussi l’assurance que celle-ci obéit à un dynamisme vertueux tendu vers le culte néo-platonicien de la beauté, de la bonté et de la justice. Cette lecture « galante » de Roxane me conduit, pour prolonger et achever ces analyses, à caractériser la position politique particulière de Desmarets. Celle-ci semble d’abord se définir par son attachement à une éthique nobiliaire de la générosité à un moment de notre histoire où cette notion est particulièrement malmenée. La générosité, au xvie et au xviie siècles, conformément à ce que suggère son étymon – generositas, est de la famille de genus, la race – n’est pas donnée comme le résultat honorable d’un effort, mais comme une vertu innée propre au seul gentilhomme. Elle englobe de nombreuses qualités dont les principales sont la vigueur physique et morale, la vaillance, la détermination face à l’adversité, la grandeur d’âme. Il y a même, selon Montaigne, « des vices qui ont je ne sais quoi de généreux21 », comme la colère, volontiers 21. Essais, II, 2, éd. cit., p. 340.



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présentée comme un « courroux généreux ». Cette générosité revendiquée par une partie de la noblesse comme signe marquant sa supériorité naturelle sur les roturiers est remise en question à partir de la fin du xvie siècle22 par de nombreux détracteurs qui lui opposent souvent le mérite et montrent, parfois en se fondant sur l’exemple de Clyte23, que la générosité peut se conjuguer avec les pires excès. Certains, sous l’influence de la philosophie néo-stoïcienne, par exemple Corneille dépeignant la clémence d’Auguste, fondent la vraie vertu sur la maîtrise des passions, ou encore sur le mérite. Sans entrer dans les nuances de ce débat complexe, on peut observer que Desmarets, en cherchant à dissocier la colère d’Alexandre de ses connotations négatives, en l’associant à l’instrument utile d’un culte courtois, s’est efforcé de préserver l’image d’un Alexandre abandonné à sa grandeur naturelle, un Alexandre grand dans la colère comme dans les démonstrations amoureuses et passionnées. Il reste ainsi conforme à une tradition historiographique dont Montaigne est l’un des témoins, puisqu’il fait d’Alexandre « le plus grand homme, simplement

22. Voir par exemple J. Rohou : « Soudain promue comme valeur dominante par la noblesse à partir de 1560, elle [la générosité] perd donc ce rang de 1580 à 1605 environ, au bénéfice d’une autre forme de la vertu générale de force : la constance qui n’est pas une vertu générale naturelle, psychophysiologique et offensive, mais une force morale, volontaire et réfléchie, de résistance à l’adversité et de maîtrise des passions », dans Le xviie siècle, une révolution de la condition humaine, Paris, Seuil, 2002, p. 148. On pourra discuter, pour l’étendre et la nuancer, cette périodisation arrêtée, de notre point de vue, de manière beaucoup trop précise. Du moins a-t-elle le mérite de situer le déclin de la générosité au tournant du xvie et du xviie siècle… Mais les résistances et le débat persistent bien au-delà du règne d’Henri IV, comme en témoigne par exemple la satire V de Boileau. 23. Guillaume Budé présente Alexandre à François Ier en insistant tour à tour sur sa colère et sa violence irrépressibles et sur sa volonté de contrôler ces penchants répréhensibles : « Aussy quand il avoit faict quelque chose indecente à sa majesté par ire furieuse, ou autrement, comme celuy, qui estoit subject au vice d’intemperance, tant de la bouche, que de colere precipitée, procedant de la vehemence, et impetuosité merveilleuse de nature qui estoit en luy, alors il se abstenoit de menger par deplaisance de son vice, lequel il n’avoit dompté, ne reprimé, et ne pouvoit nul alors le consoler, comme il fit, quand il eut tué Clytus l’un de ses principaulx, et anciens Capitaines », dans Le Livre de l’institution du Prince, au Roy de France treschrestien Françoys premier de ce nom, Paris, 1547, ch. 48, f. 165 v. Dans son Institution du jeune Prince (édité à la suite du Rosier des guerres par Loys XI Roy de France, Paris, 1616, p. 147), Jean d’Espagnet, sensible à la même conjonction de véhémence et d’aspiration au contrôle de soi, prend l’exemple de Clitus pour conseiller au prince de développer en lui la vertu de force, seule capable de juguler la colère : « Le jeune Prince doit ouvrir son cœur à cette vertu pour l’y loger profondement, afin qu’elle le rende maistre absolu de ceste passion brutale, qui ne respire que feu, vengeance et cruauté, et ne s’abreuve que de sang : elle força Alexandre le grand de tuer Clitus son plus favory. » Nous remercions Bruno Méniel pour ces références.

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homme24 ». Il y a cependant une originalité dans le portrait que trace Desmarets de son héros royal : celle-ci tient dans l’articulation de la fureur guerrière et de l’inclination amoureuse, la seconde servant de guide et de canal à l’énergie brutale de la première, et pouvant ouvrir sur la conquête d’un ordre et d’une raison un temps perdue dans la violence. Un ordre et une raison qui, il faut le noter, ne sont pas le produit d’un effort calculé, mais se comprennent comme les effets d’une nature essentiellement généreuse, les attributs d’une noblesse innée. Est-ce cette vision du monarque qui sut séduire son protecteur Richelieu ? En tout cas, le mariage de la générosité et de la galanterie, encore maladroit dans la pièce de Desmarets, aura la vie longue, on peut même se demander s’il ne trouvera pas son illustration la plus accomplie quelques décennies plus tard dans ce Louis XIV célébré par Racine dans un autre Alexandre n’aspirant aux victoires militaires et à la gloire que pour mieux plaire à Cléofile : Encore une victoire, et je reviens, madame, Borner toute ma gloire à régner sur votre âme ; Vous obéir, moi-même, et mettre entre vos mains Le destin d’Alexandre et celui des humains25.

Frank Greiner Université de Lille ALITHILA

24. Essais, I, 20, éd. cit., p. 84 A. 25. Alexandre le Grand, dans Théâtre complet de Racine, éd. M. Rat, Paris, 1953, acte I, scène 5, p. 102.

La Parthénie de Baro : ombres et lumières sur la figure d’Alexandre Baltasar Baro (1596-1650) était le secrétaire d’Honoré d’Urfé, l’auteur de L’Astrée. C’est à la mort de son maître, par l’achèvement assez réussi de la cinquième et dernière partie de cet énorme roman pastoral qu’il se fit connaître, en 1628. Dès 1629, il publia Célinde, désignée comme « poème héroïque » et, en fait, œuvre théâtrale, puis, en 1632, une pastorale dramatique, Clorise, qui remporta un joli succès. Ces trois publications lui valurent probablement d’entrer à la toute jeune Académie française dès 1636, donc bien avant Corneille. Les qualités qu’on trouve aujourd’hui à ses œuvres dramatiques ont amené un groupe de chercheurs à les publier aux Classiques Garnier. Parthénie, qui parut en 1642, chez Sommaville et Courbé, est dédiée à Mademoiselle, Duchesse de Montpensier et fille de Gaston d’Orléans, au service de laquelle il était entré comme Gentilhomme après avoir servi Honoré d’Urfé. Aucun sous-titre n’est fourni par l’auteur, mais il s’agit d’une pièce sur la clémence, qui présente des similitudes avec le Cinna de Corneille, tragédie publiée six mois plus tard : comme le titre de la pièce ne l’indique pas, Parthénie est centrée sur une autre grande figure historique, celle d’Alexandre1. On ne sait laquelle des deux pièces fut créée la première. À vrai dire, on n’a gardé nulle trace de la représentation de Parthénie au point qu’on peut même se demander si elle a été effectivement jouée. La qualité de clémence d’Auguste avait été célébrée par Sénèque dans le De clementia à travers le récit d’un geste inattendu de pardon à l’égard d’un conspirateur, Cinna. Celle du grand conquérant macédonien ne s’était pas fait connaître, elle, par un acte saillant de clémence à l’égard d’ennemis d’une politique intérieure, mais par une pratique constante à l’égard d’ennemis extérieurs, défaits au cours d’extraordinaires guerres de conquête.

1. Or elle fut imprimée le 15 septembre 1642 alors que la tragédie cornélienne ne le fut qu’en janvier 1643 ; le privilège fut obtenu par Baro pour Parthénie en juillet 1642, trois semaines avant que Corneille n’obtînt celui de pouvoir imprimer Cinna, sous-titré ou La clémence d’Auguste. On ignore cependant laquelle des deux pièces fut représentée la première car le succès même de Cinna pourrait expliquer que Corneille l’ait fait imprimer longtemps après sa représentation pour ne pas léser les comédiens qui l’avaient créée. L’entrée d’Alexandre le Grand sur la scène européenne éd. Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas Turnhout, 2017, (Alexander Redivivus, 9) p. 217-234 © F H G

DOI 10.1484/M.AR-EB.5.113446

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La fable dramatique est fondée en partie sur un de ces actes historiques de clémence, mais Baro a enjolivé le motif par une histoire d’amour, comme l’a fait également Corneille en imaginant l’amour entre Émilie et Cinna. Cette part d’invention assurait à l’auteur une grande liberté pour dramatiser comme il l’entendait un portrait moral d’Alexandre. Le passage de l’histoire au genre dramatique sera étudié, l’accent étant mis sur la structure de la pièce, qui permet d’apprécier de violents contrastes dans le portrait en action d’Alexandre ; nous soulignerons aussi comment, bien qu’en lui faisant traverser des phases sombres, Baro parvient, tout au long d’une action dont la tension va crescendo, à conserver au héros historique un éclat qui peut l’ériger en exemple.

La mise en drame de l’histoire d’Alexandre Quel genre dramatique pour évoquer Alexandre ? Le titre de la pièce n’est suivi d’aucune mention du genre dramatique auquel elle appartient. C’est, au reste, au seul privilège autorisant l’impression qu’on doit la certitude que Baro la considérait comme une pièce de théâtre. Un Poème dramatique consacré à un grand homme n’est pas forcément une tragédie dès l’instant que ce dernier n’est considéré que dans sa vie privée et notamment quand il est amoureux : les dramaturgies consacrées aux amours d’un personnage historique étaient plutôt désignées comme des tragi-comédies quand l’issue n’en était pas funeste ; ce fut le cas des pièces consacrées respectivement à Scipion et Hannibal, arrêtés par l’amour dans leur trajectoire glorieuse, par Desmarets de Saint-Sorlin et Prade. Toutefois la figure d’Alexandre est si impressionnante que le genre tragi-comique ne lui est guère adapté : on ne peut en effet prêter au conquérant que de grandes passions, aux conséquences extrêmes, dans la sphère publique et dans l’histoire. Par ailleurs le péril de mort pèse tellement sur la pièce jusqu’aux dernières scènes – on craint jusqu’à quatre morts, celles des principaux personnages –, qu’il est difficile de l’envisager autrement que comme une tragédie.

Le moment de l’action et la fable dramatique L’action se situe dans une sorte de pause des conquêtes d’Alexandre. Le choix de cette pause est original quand on observe les épisodes qui avaient inspiré les prédécesseurs de Baro. Celui-ci n’a en effet pas été le premier à



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exploiter le personnage d’Alexandre au théâtre. Avant lui, Jacques de La Taille, avec deux tragédies, et Hardy, avec trois tragédies, Timoclée, La mort de Daire, La mort d’Alexandre, avaient déjà exploité les vertus dramatiques et tragiques de la geste du personnage. Trois ans avant la publication de la Parthénie, Desmarets de Saint-Sorlin donna encore une Roxane, tragi-comédie, dont le titre désignait l’une des Perses épousées par Alexandre juste avant son expédition en Inde. Ce n’est qu’en 16532 que Vaugelas publia sa traduction des Historiae de Quinte-Curce – énorme succès, qui lui valut vingt éditions – mais la Préface de l’ouvrage, rédigée par Pierre Du Ryer, indique que le grammairien y travailla pendant « plus de trente ans ». C’est donc qu’en 1642 le sujet était vraiment dans l’air. L’action de la pièce de Baro se situe après la mort de Darius III, sujet de La mort de Daire de Hardy, et elle semble prolonger cette tragédie. Dans l’avantdernière scène, Alexandre, loin de s’y réjouir du meurtre de son grand ennemi perse, s’en affligeait, le pleurait, et donnait à Héphestion3 l’ordre de rendre à Sisigambis, sa mère, qu’il tenait captive, la dépouille de son fils. Lui-même entreprenait de le venger de manière exemplaire en partant à la poursuite de son assassin, le Perse Bessos. Chez Quinte-Curce, la mort de Darius III survient à la fin du livre V. L’action de Parthénie est tirée de quelques paragraphes du deuxième chapitre du livre VI, qui évoquent un moment de pause dans la vie du grand conquérant, pause au cours de laquelle il s’amollit et se trouve notamment attiré par une captive perse, qui se révèle noble ; alors, par un revirement inattendu, pour respecter son origine royale, Alexandre se comporte de manière exemplaire avec elle. Dans l’avis « Au Lecteur » de Parthénie, Baro reproche à Quinte-Curce de n’avoir pas fourni le nom de cette captive libérée par Alexandre ; il avoue avoir inventé les profonds sentiments du grand conquérant à son égard, tout en soulignant la vraisemblance de son ajout à l’Histoire : « C’est assez que l’Historien […] nous ait dit qu’elle était belle pour me faire juger qu’elle était aimable. » En rendant Alexandre amoureux de cette prisonnière perse, qu’il prénomme Parthénie – du grec parthénos, qui signifie « vierge, intact, pur » et désigne aussi toute jeune fille –, Baro prend en compte à la fois les moments voluptueux de la vie d’Alexandre et sa réserve générale à l’égard des femmes soulignée par Plutarque, mais il les métamorphose. En effet, si dans le chapitre XII du troisième livre de Quinte-Curce, Alexandre se distingue par son 2. Quinte-Curce, De la vie et des actions d’Alexandre le Grand, de la traduction de Monsieur de Vaugelas, Paris, 1653. 3. Baro écrit partout Éphestion.

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respect des filles et de la femme de Darius avant même la mort du roi perse, le chapitre VII du livre V évoque en revanche son abandon aux festins, à la licence, aux courtisanes. Parmi celles-ci, une dénommée Thaïs semble exercer une grande influence sur le roi grec et l’incite à mettre le feu à la superbe ville de Persépolis ; Alexandre, à moitié ivre, se laisse convaincre. Une fois dégrisé, il s’abîme dans le repentir devant la ville dévastée. C’est évidemment à cette Thaïs que fait allusion Baro lorsqu’il écrit, dans le même avis au lecteur : « […] tu ne trouveras pas étrange qu’au lieu de le dépeindre dans une honteuse prostitution, je l’aie feint amoureux de Parthénie. » De nouveau, chez QuinteCurce, dans le chapitre 2 du livre VI, Alexandre se laisse aller aux plaisirs jusqu’à sa rencontre sans conséquences avec l’épouse d’Hytaspe, qui semble curieusement y mettre un terme. Prêter à Alexandre des sentiments fictifs et sincères pour une princesse perse présentait trois avantages pour Baro dans son œuvre d’idéalisation d’Alexandre : 1) Éviter de reprendre la passion d’Alexandre pour Roxane, puisque Desmarets de Saint-Sorlin avait traité ce sujet avant lui. 2) Roxane n’était que fille d’un satrape, donc de rang inférieur ; la captive perse que Baro baptise Parthénie est de rang royal. Inventer cet amour, c’était donc assurer à la pièce une dignité de tragédie. 3) Évoquer non pas les effets du vin et du stupre mais ceux de sentiments passionnés et amener seulement Alexandre au bord du crime, c’était préserver davantage son image héroïque et le faire ressembler à la présentation qu’en donne Plutarque.

Le lieu de l’action et le décor La mention de la situation géographique qui suit la liste des acteurs est imprécise : « La scène est dans la Perse. » Toutefois le lieu scénique se trouve circonscrit à l’espace d’un palais, probablement situé à Ecbatane, non loin de l’endroit où Darius III fut assassiné. L’étude des déplacements des personnages et des rares didascalies permet d’avancer qu’on se trouve dans une antichambre. D’un côté, elle est censée donner sur les appartements d’Alexandre : celui-ci en sort avec son ami Héphestion à la scène 2 de l’acte I. De l’autre, elle semble communiquer avec un jardin où Parthénie fixe rendez-vous à Hytaspe (v. 635) et la scène 3 s’y déroule4. Si la pièce a effectivement été représentée, elle a dû 4. Par une « fiction de théâtre » – Corneille désigne ainsi l’effort d’imagination demandé au spectateur du Cid qui doit se figurer que l’altercation du Comte avec Don Diègue se fait lorsqu’ils avancent du palais du roi jusqu’à la demeure de ce dernier –, Parthénie est censée, au



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l’être dans un décor à deux compartiments : un rideau fermé jusqu’à l’entrevue d’Hytaspe et de Parthénie devait se lever sur le jardin à la fin de la scène 2. Rien ne nuit donc à la concentration de l’action et, de surcroît, le resserrement déjà classique du lieu convient merveilleusement pour signifier l’enfermement d’un conquérant dans la passion alors qu’on l’imagine habituellement parcourant de vastes espaces à cheval. Par ailleurs, l’amour liant Parthénie et Hytaspe bénéficie, le temps d’une longue scène, d’un cadre quasi-bucolique, qui peut faire rêver aux jardins de Babylone, une aire raffinée et civilisée. Les contrastes qui caractérisent Alexandre, les ombres et les lumières qui portent sur lui, contribuent également à l’impression forte que laissent le cadre étouffant et la concentration temporelle de l’action.

La structuration de la tragédie : ombres et lumières Du contraste atténué entre vertu et faiblesse dans l’acte I Dès le lever de rideau, deux généraux s’inquiètent de la brusque interruption de la marche conquérante d’Alexandre, qui n’en finit pas de se délasser de ses « travaux » dans les « plaisirs de la Perse » (v. 6) ; il pratique « l’oisiveté ». Le responsable de ce changement d’attitude, c’est l’amour. S’ils parviennent à se rassurer, c’est qu’ordinairement la passion amoureuse est de courte durée chez Alexandre. Cependant ils redoutent, dans des vers adaptant QuinteCurce, qu’elle ne s’associe aux effets du vin : Cet amour toutefois peut faire en un moment D’une faible étincelle un grand embrasement. On doit appréhender ce Dieu qui ne voit goutte5, Surtout, (je le dirai, personne ne m’écoute) Surtout lorsqu’échauffant les cœurs qu’il a vaincus Il mêle à ses fureurs les fureurs de Bacchus6. (I, 1, v. 23-28)

Leur inquiétude est partagée par Héphestion, qui incite en vain Alexandre à renoncer à ses préoccupations amoureuses pour reprendre son itinéraire cours de la scène 2 de l’acte II, se déplacer de l’antichambre à ce jardin, qui ne sont pas forcément jointifs. 5. L’amour ayant la réputation d’être aveugle, on le représente souvent les yeux bandés, comme dans le célèbre tableau de Botticelli, Le Printemps : ainsi les amoureux le sont-ils aussi. 6. Nous suivons le texte de notre propre édition de la Parthénie de Baro, à paraître aux Classiques Garnier.

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héroïque (v. 42) : « Faut-il qu’aux voluptés votre âme s’abandonne. » De fait, Alexandre évoque de manière bien sensuelle pour un guerrier la manière dont il s’est épris de la captive perse Parthénie : Harpale m’amena des esclaves si belles, Qu’elles pouvaient charmer les cœurs les plus rebelles. Dès l’heure j’ordonnai que durant mes repas Les unes chanteraient, les autres de leurs pas Formant selon les airs des figures diverses, Flatteraient mon esprit des délices des Perses. Ainsi, comme mes sens demeuraient enchantés Par ce mélange heureux de pas et de beautés, Et qu’elles à l’envi s’efforçaient de me plaire, J’en vis une à l’écart pensive et solitaire, Qui d’un œil curieux cherchant où se cacher, Par honte ou par mépris refusait d’approcher […]. (I, 2, v. 61-72)

Cette attitude de refus a excité Alexandre : D’où vient (lui dis-je alors d’un ton grave et sévère) Que ton coupable orgueil refuse à mes désirs Le soin avantageux d’aider à mes plaisirs ? (I, 2, v. 74-76)

Mais il s’est heurté à la fermeté de Parthénie qui, rappelant son extraction royale, a tenu à se distinguer des autres captives : Qu’elles t’accordent tout de crainte de périr, Elles savent flatter, et moi je sais mourir. (I, 3, v. 87-88)

Alexandre a de surcroît acheté les services d’une dame de compagnie de Parthénie, Carinte, qui essaie de plaider sa cause auprès de l’altière princesse perse et l’espionne. Ce sont donc deux scènes qui créent l’impression d’une inhibition des vertus d’Alexandre. En contraste, dans la scène 3, lorsque le conquérant fait venir Parthénie, il lui signifie son désir de la traiter dignement, autrement dit de l’épouser, bien qu’il ne la connaisse que depuis trois jours : Ne crois pas que l’amour, ce tyran qui me dompte, M’inspire des désirs qui tendent à ta honte, Par le secret effort d’une discrète loi La flamme dont je brûle est pure comme toi. (I, 3, v. 221-224)

Puis, quand elle met ses réticences sur le compte de ses craintes pour le sort de son frère nommé Hytaspe, qui a disparu au cours des récents combats, le roi grec s’engage à rechercher sa trace et à le laisser libre s’il est vivant (v. 288) :

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« Pour payer sa rançon, c’est assez de ton cœur. » En fait, le respect de la règle d’unité de jour aidant, une simple conversation avec l’ami du grand roi permet à Parthénie de découvrir que ce frère vit encore, car Héphestion, distinguant sa noblesse à divers signes, lui a épargné la mort. Ainsi l’acte I ternit puis ravive les couleurs de la vertu du conquérant.

Rayonnement d’Alexandre Tout l’acte II confirme la douceur d’Alexandre, notamment les propos laudatifs tenus sur lui par Héphestion quand il évoque devant Hytaspe ses propres principes en soulignant qu’ils se confondent avec ceux de son royal ami : Cette mâle vertu, cette forte vaillance, Ne se peut séparer d’avecque la clémence : Elle ôte quelque chose au malheur des vaincus, Et ce n’est pas leur sang qu’elle cherche le plus. Telle que les torrents en leur chute effroyable, À quiconque résiste elle est impitoyable, Tout obstacle l’irrite au lieu de l’étonner Mais comme elle aime à vaincre, elle aime à pardonner. Mon Roi sous qui la Perse est enfin tributaire, Est de cette vertu le parfait exemplaire : Les peuples infinis que son bras a domptés Ont comme son courage éprouvé ses bontés. (II, 1, v. 373-384)

Au reste, aussitôt après, Alexandre accueille Hytaspe avec respect, lui offre son amitié, et rappelle les larmes qu’il a versées sur Darius III ; il propose même à Hytaspe de lui laisser le sceptre de ses pères ainsi que son épée afin qu’il combatte désormais avec lui. Il ne lui demande qu’une chose : intercéder en faveur de son amour auprès de sa sœur. Alors que l’acte I faisait voir deux faces d’Alexandre, tout au long de cet acte II, même arrêté par la passion dans sa trajectoire de conquérant, le souverain se révèle donc parfaitement vertueux. L’acte III et l’acte IV, en revanche, le montrent sous un jour effrayant et sa noirceur va crescendo.

La plongée dans la nuit de la fureur Il faut dire que la fin de l’acte II, qui ménage une entrevue entre Hytaspe et Parthénie, surveillée de loin par Carinte, révèle au spectateur qu’en fait Hytaspe n’est pas le frère de Parthénie mais son époux, ou plus exactement celui qu’elle s’était engagée à épouser ; elle a caché leur relation véritable pour

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éviter à son futur époux les foudres d’Alexandre. Quand Carinte lui révèle ce qu’elle a compris, Alexandre s’estime trompé, et dans son amour et dans son amitié. Il convoque Parthénie pour l’éprouver, commençant par lui rappeler son amour, puis, comme elle persiste dans son refus au prétexte qu’elle ne veut plus de grandeurs, passant à des semi-menaces : Tout ce que vous osez de haine témoigner Va droit à ma personne, et non pas à régner : Mais si vous n’observez naissance ni mérite, Prenez garde qu’enfin ce mépris ne m’irrite, Ma colère pourrait éclater à son tour, Et la force ferait ce que n’a pu l’amour. (III, 2, v. 735-740)

Parthénie a beau, pour se défendre, invoquer sa réputation de douceur, Alexandre n’est plus que colère, son défaut principal selon Plutarque ; accusateur, il lui révèle savoir qu’elle aime Hytaspe, et il exprime sans ambages son intention de mettre ce dernier à mort si elle persiste à le désobliger en dédaignant l’amour et la couronne qu’un roi comme lui a la bonté d’offrir à une captive : Oui, sans m’expliquer mieux dessus ton imposture, Ton adresse n’a pu me cacher ta blessure, De ton cœur embrasé le feu brille au dehors, Et ton âme est esclave aussi bien que ton corps : Mais quelque doux espoir qui flatte Parthénie, Je ne laisserai point son offense impunie, Je veux que mon courroux d’heure en heure croissant Pour perdre le coupable attaque l’innocent, Puisqu’à mes justes vœux cet obstacle s’oppose D’un si fâcheux effet je détruirai la cause, Ma haine et ma fureur règneront à leur tour, Et l’auteur de mes nuits ne verra plus le jour. (III, 2, v. 789-800)

Hytaspe, qui a rencontré Alexandre dans le palais juste après cet affrontement, le décrit ainsi à Parthénie :         J’ai vu sur son visage D’une forte douleur le puissant témoignage, La colère rendait son aspect furieux, Et comme s’il eût eu des éclairs dans les yeux Chaque trait qu’ils lançaient soit au Ciel, soit en terre, Portait de sa fureur l’effroyable tonnerre. (III, 3, v. 817-822)



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De fait, à la fin de l’entrevue de Parthénie avec Hytaspe, qui veut rester fidèle à l’amitié jurée à un roi généreux, Lycandre vient se saisir du prince perse sur ordre d’Alexandre. Parthénie emploie alors pour le qualifier le terme de « tyran » : Cessons de nous flatter, ta perte est assurée, Un Prince (ah ! qu’ai-je dit ?) un tyran l’a jurée, Un tyran qui bientôt pour me combler de deuil Fera de ta prison ton funeste cercueil : (III, 3, v. 953-956)

L’acte IV se situe dans la continuité de l’acte  III. Sollicité par Hytaspe, Héphestion, espère encore ramener son ami à la raison et à sa réputation. Mais quand le roi arrive, sa colère s’est encore accrue : Mais je le vois paraître. Ah, que sa contenance Donne de son transport une forte apparence ! La colère animant et son geste et ses yeux Il bat du pied la terre, il menace les Cieux. (IV, 2, v. 1065-1068)

Alexandre exprime brièvement le désir de se délivrer de cet amour qui le torture et surtout évoque son tourment intérieur avec une extrême violence qui le fait percevoir comme un personnage racinien avant la lettre : La jalouse fureur qui dévore mon sein D’amour et de dépit doublement agitée, Fait du cœur d’Alexandre un cœur de Prométhée. (IV, 3, 1100-1102)

Avec habileté, Héphestion s’engouffre dans cette brèche en lui montrant que les effets de cet amour ravageur peuvent s’assimiler à une défaite militaire : Mais pour notre malheur les Destins ont permis Qu’un trait d’œil plus puissant qu’un monde d’ennemis, Fasse par un succès qu’ils ne pouvaient prétendre7 Qu’Alexandre aujourd’hui cesse d’être Alexandre. (IV, 3, v. 1111-1114)

C’est alors que le grand roi prend son ami au mot : qu’il apaise ces ravages causés par l’amour en exécutant Hytaspe de sa propre main ! Comme Héphestion lui rappelle qu’il a juré l’amitié, Alexandre se met à le menacer s’il n’obéit pas et joue sur sa rivalité avec Cratère8 : 7. Réclamer comme un droit : la construction transitive était usuelle dans ce sens. 8. Né vers 370 avant J.-C., mort en 321, Cratère était un des principaux officiers d’Alexandre et l’artisan essentiel de ses grandes batailles : celle du Granique (- 334), celle d’Issos (- 333), celle de Gaugamèles (- 331). Dans la poursuite contre Darius III, il menait le principal corps d’armée, Alexandre menant l’avant-garde. Sa valeur militaire commençait d’en faire l’un des hommes de confiance du grand conquérant et, à partir de 330, date à laquelle il contribua par ses accusations

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Liliane Picciola Mais considère bien le danger que tu cours, Il mourra, je le jure, et sa triste infortune À qui ne m’obéit se peut rendre commune : Pour en venir à bout Cratère m’aidera, Et ce que tu ne peux ton rival le fera. (IV, 3, v. 1164-1168)

Apparemment le fidèle Héphestion s’apprête donc à lui obéir sans discuter davantage mais, en réalité, il le fait dans l’intention de s’immoler lui-même après avoir exécuté Hytaspe. Cependant la tension monte encore : au cours d’une nouvelle scène d’explication d’Alexandre avec Parthénie, Lycandre vient apporter la nouvelle de l’exécution d’Hytaspe, que le roi grec déguise en suicide ; Parthénie se déchaîne alors de désespoir et évoque d’une manière quasiment sensuelle son désir de s’unir dans la mort à Hytaspe. Il est manifeste qu’elle cherche à exaspérer Alexandre ; elle tente ensuite de se tuer et, comme il l’en empêche, elle retourne son poignard vers lui puis, désarmée, annonce qu’elle cherchera toutes les occasions de le tuer. Elle parvient à ses fins suicidaires car Alexandre, offensé dans son amour comme dans sa majesté, donne à Lycandre l’ordre de l’exécuter : Je demande son sang pour le prix de mes larmes, Son dessein est connu, son crime est avéré, Sus ! que son châtiment ne soit plus différé, Et que pour la punir et pour me satisfaire On lui fasse souffrir un supplice exemplaire. Hâtez-vous, qu’elle meure. (IV, 4, v. 1378-1383)

L’acte V ou le nouveau lever du soleil Le début de l’acte V fait penser qu’Alexandre est toujours en proie à la fureur : « Il menace, il enrage, il n’écoute plus rien. » Néarque présente son état comme une « maladie » (v. 1406), autrement dit un accès de mélancolie. Mais lorsque le roi apparaît à la scène 3, on découvre que sa fureur s’est retournée contre lui-même, que c’est le remords qui le ravage désormais. Il veut se punir, lui, de la mort d’Hytaspe : Hytaspe, où que tu sois pardonne mon forfait, Et pour excuser mieux le mal que je t’ai fait, Jette un de tes regards sur celui que j’endure, Je vais te présenter blessure pour blessure, à la chute de Philotas, compagnon d’Alexandre, sa rivalité avec Héphestion grandit au fur et à mesure que les armées macédoniennes s’approchaient de l’Inde.



La Parthénie de Baro 227 Te rendre sang pour sang, et trépas pour trépas : D’un spectacle si beau ne te détourne pas, (V, 2, v. 1439-1444)

Alexandre diffère cependant son suicide pour donner l’ordre de sauver Parthénie et préfère mourir sous les yeux de cette dernière. Ainsi l’on découvre qu’une véritable conversion s’est opérée dans l’esprit du conquérant entre l’acte IV et l’acte V : à la différence de celle d’Auguste, elle ne s’est pas opérée sous nos yeux, mais Baro a néanmoins ménagé une surprise scénique en faisant prendre un temps son désespoir et sa fureur contre lui-même pour une nouvelle phase d’agressivité. Jusqu’au retour de Lycandre, Alexandre redoute que Parthénie ne soit déjà morte. Quand elle arrive, la dénonciation et la révolte à la bouche, il lui tend son poignard pour qu’elle le tue et surtout pour que, par là, elle le purifie de ses crimes, qu’il ressent désormais comme une souillure : Venge-toi sur mon corps, mais pardonne à mon âme, Afin que ton époux, loin de la tourmenter, Veuille dans les Enfers ton exemple imiter : Je t’en prie à genoux par mes vœux, par mes larmes, Par tes rares vertus, par l’éclat de tes charmes, Punis les mouvements d’un esprit dépravé, Et fais que dans mon sang mon crime soit lavé. (V, 4, v. 1538-1544)

Le repentir est si manifestement sincère que Parthénie refuse le geste qu’il lui demande et déclare lui pardonner. Elle précise qu’elle a toujours respecté en lui le grand monarque et ne souhaitait que sa propre mort ; elle déclare son intention de se suicider pour suivre Hytaspe et Alexandre l’accepte en lui promettant de suivre son exemple. Ultime rebondissement : Héphestion n’a pas exécuté Hytaspe. La jalousie ne revient pas pour autant dans le cœur d’Alexandre, soulagé de n’avoir pas, grâce à son ami, commis un crime indigne de sa vertu. Il rend à Hytaspe ses états, partage avec lui le butin, l’unit à Parthénie. Celle-ci célèbre sa gloire qui, selon elle, l’élève au rang de divinité : Voir Hytaspe vivant, l’avoir en ma puissance, Rentrer dans nos États, ô Justice, ô Clémence ! Ô Royales vertus dignes que les mortels D’une offrande immortelle honorent vos autels ! (V, 6, v. 1665-1668)

La vertu d’Alexandre est réveillée. Les derniers vers le montrent prêt à reprendre sa route conquérante, comme l’y incite Héphestion : Allons assujettir tout le reste du monde, Qu’au récit de mon nom, au bruit de mes exploits

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Liliane Picciola L’Indien effrayé se range sous mes Lois, Que le Tartare cède, et que ma foudre éclate Sur le Gange aussi bien qu’elle a fait sur l’Euphrate. (V, 6, v. 1687-1690)

Une grande lumière auréole de nouveau le personnage, redevenu le grand conquérant. A-t-elle jamais disparu tout à fait ?

Permanence de l’éclat d’Alexandre Il peut paraître curieux qu’Alexandre recouvre au dénouement son prestige moral, alors qu’on ne l’a nullement vu en proie au doute, au déchirement entre appel de la bonté et appel de la violence : une fois qu’il sait qu’il a un rival, il n’hésite pas, ne délibère pas. Le monologue qui lui est prêté dans la scène 3 de l’acte IV exalte au contraire sa propre violence. Malgré cet abandon total aux passions, s’il reste plausible qu’Alexandre se reprenne, voire se dépasse, dans le dernier acte, c’est que ce qu’il a de bon au fond de lui reste présent sur scène en la personne d’Héphestion.

De l’Héphestion historique au personnage de Baro La réputation historique d’Héphestion, comme le rappelle Plutarque, est d’avoir profondément aimé Alexandre, l’homme, tandis qu’un conseiller influent comme Cratère, opportunément cité dans cette pièce, n’aimait que le roi9. Quinte-Curce écrit qu’Héphestion « était de loin de tous ses amis le plus cher au roi », qu’il « avait été élevé avec lui et de la même manière » et qu’il était « témoin de tous ses secrets », précisant qu’il « était exactement du même âge que le roi » mais « lui était de beaucoup supérieur par la taille ». L’historien latin ajoute une anecdote selon laquelle, Alexandre et son ami entrant ensemble dans la tente de Sisigambis, mère de Darius, celle-ci, n’ayant jamais vu Alexandre auparavant, s’adressa à Héphestion ; avertie de son erreur, elle se jeta aux pieds du roi pour s’excuser et « Alexandre, tendant la main pour la relever », lui aurait répondu : « Tu ne t’es pas trompée, ma mère, car lui aussi est Alexandre10. » 9. « En somme, il aimait plus l’un, et honorait plus l’autre, estimant et disant qu’Héphestion aimait Alexandre, et Craterus aimait le roi » (Plutarque, Les vies des hommes illustres, trad. Jacques Amyot, 1559, éd. G. Walter, Paris, 1937, t. 2, Alexandre le Grand, p. 322-413, LXXXII). 10. Traduit par nous. Texte original : « Jamque justis defunctorum corporibus solutis praemittit ad captivas, qui nuntiarent ipsum venire, inhibitaque comitantium turba tabernaculum cum Hephaestione intrat. Is longe omnium amicorum carissimus erat regi, cum ipso pariter



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C’est donc à l’alter ego du grand conquérant qu’on a affaire avec Héphestion, comme le symbolise l’entrée simultanée des deux amis dans la deuxième scène de la pièce, et comme l’indique aussi la formule du v. 1059 : il a d’ordinaire « l’oreille » mais surtout « le cœur » du roi. Dans la première scène de l’acte II, l’hommage que lui rend Hytaspe pour son attitude au cours de la bataille semble s’adresser à Alexandre à travers lui (v. 363-364) : « […] par des vertus si rares aux vainqueurs / Vous savez l’art de vaincre et les corps et les cœurs. » Au reste, Alexandre et Héphestion paraissent à l’unisson dans ce deuxième acte puisque le roi accueille le récit que lui fait son ami des conditions dans lesquelles il a sauvé Hytaspe par une assertion de même tonalité (v. 451) : « C’est un trait de vertu d’aider les affligés. » Néanmoins, alors que l’Héphestion historique semblait avoir accompagné son royal ami dans tous les « plaisirs de la Perse », Baro ne lui donne nullement ce rôle et, dans toute la tragédie, il n’apparaît comme un double d’Alexandre que dans ses aspects positifs. Au plan dramaturgique, le rôle dévolu à Héphestion dispense Alexandre des hésitations qui ne correspondraient guère à son personnage mythique, lequel peut ainsi apparaître entier.

Force et nuances de l’alter ego du roi dans la tragédie Dès la scène 2 de l’acte I, Héphestion parle de gloire à Alexandre, l’exhorte à étouffer sa flamme amoureuse dès sa naissance et apparaît dans l’espace de la scène comme le témoin vivant de la bonté légendaire d’Alexandre. Ce jumeau scénique représente la vertu de son roi à la fois en actes et en discours. C’est à lui que Baro attribue les bons traitements qui ont été réservés à Hytaspe et le soin qu’il a pris de lui sans le connaître est en quelque sorte garant de l’absence d’arrière-pensées du conquérant lorsqu’il s’engage à rechercher et honorer le « frère » de Parthénie ; Héphestion conserve ainsi leur lustre aux pratiques ordinairement bienveillantes du roi alors qu’à ce moment de la tragédie, on pourrait soupçonner Alexandre de pratiquer la mansuétude pour favoriser sa propre passion. Quand, à partir de l’acte III, le roi s’engouffre dans la violence, Héphestion analyse avec Lycandre le comportement de son ami et roi en recourant à des termes sans concession, dans un lexique qui ressortit à la morale : « infâmes eductus, secretorum omnium arbiter ; […] sicut aetate par erat regi, ita corporis habitu praestabat. Ergo reginae illum esse regem ratae suo more veneratae sunt. Inde ex captivis spadonibus quis Alexander esset monstrantibus, Sisigambis advoluta est pedibus ejus ignorationem numquam antea visi regis excusans ; quam manu adlevans rex : ‘Non errasti, inquit, mater : nam et hic Alexander est’. » (Quinte-Curce, Histoires, éd. H. Bardon, Paris, 1947, t. 1, III, 12).

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voluptés » (v. 1012), « vain plaisir » (v. 1013), « de ce crime noirci » (v. 1035), « perdre l’honneur » (v. 1036) ; pour lui, la conquête du monde ne saurait s’accommoder de l’absence de maîtrise de soi et de l’abandon à l’amour. Lorsqu’Héphestion répond à son ami ou à Hytaspe, Baro lui prête souvent de belles sentences. Cependant il ne fait pas preuve de raideur. Dans son amitié, au lieu d’éprouver de l’horreur, il « plaint » Alexandre ; son humanité reste comme le témoin de celle que son roi a perdue : « Je suis jusqu’au mourir touché de son ennui », dit-il en parlant du sort d’Hytaspe au v. 1031. C’est sans indulgence, mais sans arrogance, qu’à l’acte IV il rappelle à son ami et souverain les notions d’honneur, de gloire, de vertu et d’amitié. Il montre même une grande finesse dans son approche de l’amour, perçu non comme Éros mais comme Philia, et, afin de détourner Alexandre de sa passion, met en avant avec douceur un concept hautement tridentin11 : l’impossibilité de « forcer la volonté » d’un(e) autre, en l’occurrence Parthénie. La résistance verbale qu’il oppose à son roi le fait apparaître davantage comme un homme de réflexion que comme un homme d’action ; par là, il irrite le grand roi, qui lui impose d’attenter luimême à la vie d’Hytaspe. On assiste dans cette scène à une véritable psychomachie. Héphestion paraît vaincu à l’issue de cet affrontement inégal, mais ses principes, eux, ne le sont pas, comme le révèle le vers qu’il prononce en aparté (v. 1174) : « Je lui veux immoler deux victimes pour une. » Le suicide protestataire qu’il envisage alors en fait une sorte de figure du stoïcisme. Avec lui, c’est la part la plus belle d’Alexandre qu’on craint de voir disparaître en ce milieu d’acte IV. Héphestion ne cède pas au chantage qui consiste à le remplacer par Cratère, voire à le faire mourir et, bien qu’il ait fait annoncer la mort d’Hytaspe, on découvre à l’acte V qu’il n’a pas exécuté le prince perse, exauçant par là le vœu profond, mais ignoré, d’Alexandre. C’est dans la vraisemblance psychologique que le spectateur peut prêter à son alter ego soit une sorte de manipulation vertueuse, reposant sur l’espoir que la fausse nouvelle de la mort d’Hytaspe déclenchera vite des remords, soit une sorte d’incarnation inconsciente de la part vertueuse de son royal ami : Héphestion possède, en effet, une parfaite connaissance du cœur d’Alexandre dont les historiens soulignent qu’il regrettait souvent ses actes, une fois dégrisé.

11. Conforme à l’esprit du Concile que le pape Paul II convoqua en 1542 à Trente (Italie) pour organiser la lutte idéologique contre la Réforme protestante : il se poursuivit sous le pontificat de trois autres papes et s’acheva en décembre 1563.

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Héphestion, figure morale Revenu de sa folie, le conquérant semble se regarder dans un miroir (« Qu’as-tu fait Alexandre… », s’écrie-t-il au vers 1415, dans la deuxième scène du dernier acte). Comme il a ainsi retrouvé la moitié faste de lui-même, les interventions d’Héphestion peuvent devenir discrètes et, de fait, si la sagesse de ses actes et conseils est vantée par Alexandre, la parole ne lui est plus donnée dans l’acte V que pour quelques vers. Auparavant, même rejetées, ses paroles comptaient plus, puisque susceptibles de mûrir dans l’esprit du roi comme la suggestion du pardon mûrit dans les profondeurs de l’esprit d’Auguste alors qu’il rejette d’abord avec hauteur la proposition de stratégie politique de Livie. C’est en usant d’une antonomase « cornélienne » qu’au vers 1114, Héphestion s’était efforcé de faire revenir son ami à la vertu ; il déplorait « qu’Alexandre aujourd’hui cesse d’être Alexandre » (v. 1114) et ce dernier commençait d’abonder dans son sens, déclarant dans le même style (v. 1118) : « Je ne suis plus moi-même. » De surcroît, Héphestion avait trouvé une alliée objective en Parthénie, qui emploie le même type de formules que lui. Ainsi, quand le roi, jaloux d’Hytaspe, menaçait de recourir à la force, l’héroïne commentait (v. 742) : « Sont-ce là des propos dignes d’un Alexandre ? » Baro lui attribue encore, pour ramener le grand roi à la vertu, l’une de ces périphrases autotéliques que Corneille aimait prêter à ses héros12 (v. 750) : « C’est de voir qui je suis, c’est de voir qui vous êtes. » Multipliant les échos à l’Éthique à Nicomaque d’Aristote, il confie même à Parthénie des vers qu’un moraliste pourrait prononcer et qui semblent développer une ligne de l’historien grec Plutarque quand il évoque la continence d’Alexandre (« Mais Alexandre, estimant à mon avis être chose plus royale, se vaincre soi-même que surmonter ses ennemis, ne les toucha ni elles ni autres, fille ou femme avant que les épouser13 »), car l’héroïne éponyme s’exclame dans la scène 3 de l’acte II : Ah ! montrez ce que peut une valeur extrême, Ayant vaincu partout triomphez de vous-même, C’est peu que de savoir dompter les nations Si l’on ne sait aussi dompter ses passions. (II, 3, v. 777-781)

12. Médée, Chimène, le Comte, Sabine, Camille et Curiace avaient déjà employé de telles formules. 13. Plutarque, Les vies des hommes illustres, trad. Jacques Amyot, op. cit., t. 2, XXXVIII.

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Ce faisant, il fait apparaître Parthénie comme une sorte de pendant féminin d’Héphestion qui pouvait plaire à la dédicataire de la tragédie : Mademoiselle14. Grâce à la présence d’Héphestion et à l’écho que ses paroles trouvent dans celles de Parthénie, Alexandre paraît conserver, même enfouis au fond de lui-même, les ferments de la magnanimitas : c’était une des valeurs inculquées par son maître, Aristote. M. Fumaroli a évoqué les ouvrages qui avaient repris les grandes lignes de l’Éthique à Nicomaque en les christianisant : La Cour sainte du Père Caussin15, les Carthaginienses du Père Petau16. Or Aristote avait instruit aussi Héphestion. L’alter ego d’Alexandre peut donc incarner tout au long de la tragédie la grandeur qui réside en son ami. Dans l’acte V, comme s’il avait entendu enfin les conseils passés d’Héphestion, Alexandre manifeste une contrition de chrétien et mesure la capacité d’erreur et de faiblesse d’un roi ailleurs tout-puissant ; dans une nouvelle acception de l’amour, il semble désormais prendre plaisir au bonheur des autres. La paix intérieure lui étant rendue grâce à la sagesse d’un autre luimême, il peut de nouveau faire preuve de magnitudo animi17 et diriger vers les combats une énergie qu’il avait dévoyée vers le désir brutal de Parthénie. De surcroît, il a appris l’humilité et repousse l’idée, un temps caressée, d’être adoré comme un dieu : 14. Anne-Louise d’Orléans, fille de Gaston d’Orléans, frère du roi Louis XIII, était alors âgée de 15 ans. L’histoire de cette jeune princesse perse, passionnée et courageuse, aux ancêtres illustres, était de nature à lui plaire. Comme son père, veuf, s’était remarié, elle tenait à ce qu’on l’appelât simplement « Mademoiselle », sans précision de prénom, afin de souligner sa singularité par rapport à ses demi-sœurs : cette désignation n’est pas peut-être pas sans rapport avec le nom de Parthénie. De surcroît, voir rendre à une héroïne tragique contestataire tous ses droits alors qu’elle-même était exilée à Bruxelles à cause des menées de son père contre Louis XIII et la politique absolutiste de Richelieu, avait de quoi la réconforter. À l’époque de la publication de la tragédie de Baro, aspirant à un rang royal, elle espérait bien pouvoir un jour épouser son jeune cousin, le futur Louis XIV, né en 1638. 15. Publiée pour la première fois en 1624 et rééditée maintes fois jusqu’en 1645. 16. Elles furent rééditées avec les autres œuvres théâtrales de Petau en 1624. Petau y qualifiait justement de Magnanimus le Scipion évoqué plus haut à propos de la pièce de Desmarets de Saint-Sorlin et dont l’aventure présente de fortes ressemblances avec celle d’Alexandre. M. Fumaroli (« L’héroïsme cornélien et l’éthique de la magnanimité », dans Héroïsme et création littéraire sous les règnes d’Henri IV et de Louis XIII, éd. N. Hepp et G. Livet, Paris, 1974, p. 53-76 ; réédité dans M. Fumaroli, Héros et orateurs : rhétorique et dramaturgie cornéliennes, Genève, 1996, 2e édition, p. 323-349, p. 332) rappelle qu’il fut mis en valeur par Costar, qui commentait en ces termes un passage de la Jérusalem délivrée du Tasse : « Ne dit-on pas que ce jeune Prince était aussi bien qu’Alexandre un des Disciples d’Aristote ? » 17. On se rapportera pour cette approche morale de la tragédie de Baro à l’article fondamental de M. Fumaroli que nous venons de citer, p. 323-349.

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Réservez pour les Dieux ces discours magnifiques, Ma honte et ma faiblesse ont été trop publiques Pour voir jamais fumer, sans être profanés, Les Encens qu’à ma gloire on avait destinés. (V, 6, v. 1669-1672)

Conclusion Alors que les sentiments amoureux des grands généraux confinent à la mièvrerie sous la plume des contemporains de Baro, et même de Corneille, quand il fait parler un César amoureux de Cléopâtre d’Égypte dans La mort de Pompée, l’auteur de Parthénie a su en préserver ceux de son Alexandre : s’il recourt d’abord à des figures convenues de rhétorique amoureuse et à une galanterie qui s’accorde aux « plaisirs de la Perse », c’est pour les faire très vite contraster avec des discours d’une extrême violence et prêter à la jalousie d’Alexandre une démesure qui sied à l’image du personnage historique. Comme le montre la série de tableaux de Charles Le Brun consacrés à la geste du grand Macédonien, Louis XIV était volontiers comparé à Alexandre le Grand, et le roi lui-même cultivait ce parallèle ; mais Louis XIII avait aussi été rapproché d’Alexandre. Placé tout jeune sur le trône de France, le fils aîné d’Henri IV se vit proposer des modèles : le grand conquérant en faisait partie. En 1639, l’Histoire d’Alexandre le Grand tirée de Quinte Cursus, publiée par Bernard de Lesfargues18, était précédée d’une Épître à Richelieu qui développait l’idée qu’Alexandre avait laissé à Louis XIII le soin d’exécuter le grand dessein que sa mort prématurée l’avait empêché de réaliser après ses conquêtes d’Asie : se tourner vers l’Ouest et unifier toute l’Europe sous son autorité. Ainsi l’ouvrage de Baro pouvait-il indirectement s’adresser à Louis XIII : il lui traçait moins une perspective impérialiste qu’une perspective morale magnanime, attentive aux devoirs des conseillers, le personnage d’Héphestion se révélant exemplaire. L’héroïsme est, au reste, bien partagé dans Parthénie entre plusieurs beaux personnages et, si les effets de la passion chez Alexandre ont des accents raciniens avant la lettre, l’univers cornélien de volonté qui s’accorde avec les passions est également fort présent. Il contribue à la grandeur finale du personnage historique. Loin de n’attirer que de la compassion, l’héroïne éponyme semble justifier la passion conçue pour elle car elle suscite l’admiration par sa dignité et par sa combativité inventive pour sauver Hytaspe ; son énergie la 18. Bernard de Lesfargues, Histoire d’Alexandre le Grand tirée de Quinte Cursus, Paris, 1639.

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rend parente d’une Camille ou d’une Émilie quand il s’agit de rechercher la mort. Maniant l’élégie aussi bien que l’horreur pour exprimer son amour perdu, elle sait aussi surprendre par sa soudaine douceur et sa capacité à pardonner. Dans les vers 1681-1682, Héphestion donne à son roi le conseil : « Faites que ce malheur serve à votre mémoire / D’ombre pour rehausser l’éclat de votre gloire. » Il semble alors dépeindre l’effet recherché par la pièce de Baro, qui a ainsi composé une superbe tragédie consacrée à la figure d’Alexandre. Liliane Picciola Université Paris-Nanterre CSLF

Mises en scène et spectacles particuliers Alexandre, la marge et le centre

L’irréductible Alexandre dans Clyomon and Clamydes : d’un roman médiéval à une comédie élisabéthaine Alexandre le Grand, personnage d’une comédie ? La destinée glorieuse et tragique du roi macédonien ne semble pas se prêter facilement à l’appropriation par ce genre et pourtant, Alexandre apparaît bel et bien dans une pièce anglaise qu’on peut qualifier de comédie, Clyomon and Clamydes, dont l’édition date de 1599, mais qui fut composée plus tôt, sans doute dans les années 1570-15801. Sa parution même témoigne du succès remporté par la pièce, jouée, comme le signale le titre élargi de l’édition originale2, par la troupe de la reine, Queen Elizabeth’s Men, formée en 1583. Le sujet de Clyomon and Clamydes, dont nous ne connaissons pas l’auteur, est puisé au très long roman médiéval français intitulé Perceforest, composé dans la première moitié du xive siècle et remanié au xve siècle à la cour de Bourgogne3. Le Perceforest jouit d’une notoriété considérable au xvie siècle. Tout d’abord, le roman passe à l’imprimerie et est publié à deux reprises dans son pays d’origine, en 1528 par Galliot du Pré et en 1531-1532 par Gilles de Gourmont4. Une luxueuse copie de la première édition, imprimée sur vélin et enluminée, est offerte au roi François Ier en 15285. Ensuite, une traduction en italien faite par Michele Tramezzino paraît à Venise

1. J.  H.  M.  Taylor, « ‘Mongrel Tragi-Comedy’ : Perceforest on the Elizabethan Stage », dans Li premerains vers : Essays in Honor of Keith Busby, éd. C. M. Jones et L. E. Whalen, Amsterdam, 2011, p. 479-493, ici p. 479-480. 2. The Historie of the Two Valiant Knights, Syr Clyomon Knight of the Golden Sheeld, Sonne to the King of Denmarke : And Clamydes the White Knight, Sonne to the King of Suauia. As it hath bene sundry times Acted by her Majesties Players, Londres, 1599. Voir l’édition de B. Littleton Clyomon and Clamydes, La Haye, 1968, p. 65, pour une reproduction de la page de titre. 3. Nous utilisons l’édition du Perceforest de G. Roussineau, en particulier les tomes suivants : Perceforest. Deuxième partie, t. 2, Genève, 2001 ; Troisième partie, t. 1, Genève, 1988 ; Troisième partie, t. 2, Genève, 1991. 4. L’édition de 1528 peut être consultée sur le site gallica de la BnF (http://gallica.bnf.fr/ ark :/12148/bpt6k116776x). Certains volumes de l’édition de 1531-1532 sont disponibles via Internet Archive (https ://archive.org/details/LaTresEleganteDelicieuseMellifluV3et41531). 5. Cet exemplaire est aujourd’hui conservé à Chantilly. Voir Perceforest. Quatrième partie, t. 1, éd. G. Roussineau, Genève, 1987, p. xxxiv. L’entrée d’Alexandre le Grand sur la scène européenne éd. Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas Turnhout, 2017, (Alexander Redivivus, 9) p. 237-251 © F H G

DOI 10.1484/M.AR-EB.5.113447

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entre 1556 et 15586. Enfin, c’est sur le Perceforest que se base La plaisante et amoureuse histoire du Chevalier Doré et de la pucelle surnommée Cuer d’Acier, qui, publiée pour la première fois à Paris en 1541 par Denis Janot, a connu en tout cinq éditions au cours du xvie siècle7 (la dernière en 1577). L’auteur de Clyomon and Clamydes reprend d’ailleurs en grande partie les mêmes épisodes que La plaisante et amoureuse histoire du Chevalier Doré, mais de nombreux détails, dont l’apparition d’Alexandre le Grand dans la pièce anglaise, indiquent que son auteur avait à sa disposition le texte entier du roman français. La pièce raconte le parcours de deux jeunes chevaliers nommés Clyomon et Clamydes, qui sont à la recherche de l’amour et des aventures. Le fil rouge de la trame narrative est le conflit entre les deux héros, dont l’un, Clyomon, se substitue à l’autre, Clamydes, lors de l’adoubement de ce dernier, ce qui est perçu comme une insulte par Clamydes qui tient à laver son honneur. Les deux chevaliers subissent de nombreuses épreuves avant de se retrouver à la cour de l’Isle de Strange Marshes présidée par Alexandre le Grand, où ils s’apprêtent à se battre, mais finissent par se réconcilier. Pour comprendre le rôle du personnage d’Alexandre, qui n’est pas au premier plan dans l’intrigue, mais qui l’est, nous semble-t-il, pour le sens que l’auteur veut conférer à son œuvre, il nous paraît indispensable de voir en premier lieu quels sont les enjeux du genre et à quelles contraintes il est soumis. La critique anglophone moderne a cherché à distinguer Clyomon and Clamydes des comédies à proprement parler en la qualifiant de tragi-comédie8 ou bien en utilisant des termes descriptifs reflétant sa thématique prépondérante, l’« exaulcement d’armes et d’amours9 », tels que « dramatic romance » ou « heroic play10 », ou encore « romantic drama » et « romantic play11 ». D’une trentaine de pièces de ce type dont on connaît les titres, trois seulement sont parvenues jusqu’à nous : Common Conditions (1576), The Rare Triumphs of Love and Fortune (1582) et Clyomon and Clamydes, qui est l’objet de notre 6. La dilettevole historia del valorosissimo Parsaforesto re della gran Brettagna. Con i gran fatti del valente Gadiferro re di Scotia, vero essempio di cavalleria. Nuovamente traslato di francese in lingua italiana, 6 t., Venise, 1556-1558. 7. Voir S. Capello, « La double réception du Chevalier Doré (Denis Janot, 1541 ; Denis de Harsy, 1542 ; Jean Bonfons, s. d.) », Studi francesi, 159 (2009), p. 535-548. 8. Voir par exemple la contribution de R. Hillman dans le présent volume. 9. Perceforest. Première partie, t. 1, éd. G. Roussineau, Genève, 2007, § 152, l. 10. 10. The Cambridge Companion to English Renaissance Drama, éd.  A.  R.  Braunmuller et M. Hattaway, Cambridge, 2003, p. 197 ; A Companion to Renaissance Drama, éd. A. F. Kinney, Oxford, 2008, p. 384. 11. B. Littleton, dans l’introduction de son édition de Clyomon and Clamydes, op. cit., p. 11 et 53.



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étude. Quant aux critiques de l’époque, et parmi eux Philip Sidney, George Whetstone et Steven Gosson, ils considéraient les pièces de ce type comme des comédies, n’hésitant toutefois pas à leur reprocher leur non-conformité au genre. Rappelons brièvement ce que ce terme sous-entendait à l’époque. Depuis Aristote, la comédie se définit, on le sait, avant tout par opposition à la tragédie. Dans sa célèbre Épître à Cangrande della Scala, Dante explique ainsi la différence entre les deux : La tragédie dans son commencement est merveilleuse et paisible, et […] dans sa fin ou dénouement elle est d’âpre senteur et d’horrible vue […]. La comédie au contraire prend pour point de départ quelque rude coup de fortune, mais son étoffe court à un terme prospère […]. Elles diffèrent également dans leur façon de parler : d’un ton haut et sublime la tragédie, mais la comédie d’un ton familier et même terre à terre12.

Cette argumentation de Dante se retrouve dans plusieurs ouvrages anglais des xvie et xviie siècles, comme par exemple dans le dictionnaire d’Adrian Junius et John Higgins (1585) où la tragédie est définie comme « a loftie kind of poetrie, shewing the ruefull end of noble personages, and their fal from felicitie » (« une sorte de poésie majestueuse qui montre la fin triste des personnages nobles et l’effondrement de leur bonheur »), tandis que la comédie est « a base kind of poetrie which endeth troublesome matters merrilie13 » (« une sorte de poésie populaire qui finit joyeusement des histoires pénibles »). Les définitions citées reprennent les deux éléments essentiels que l’on voit également chez Dante, à savoir le critère du style (élevé / bas) et celui de la poétique du récit (d’une situation de bonheur vers une fin tragique / d’un début mouvementé vers une fin heureuse). Par ailleurs, la distinction se fait en fonction du statut des personnages de la pièce, même si ceux-ci ne sont mentionnés que dans la définition de la tragédie14. Les arts poétiques anglais de l’époque développent davantage cette question. Ainsi, selon The Art of English Poesy (1589) de George Puttenham, la comédie n’a jamais pour objet les affaires des princes ni celles d’aucun personnage noble (« never meddling with any princes’ matters, 12. Dante, Œuvres complètes, trad. A. Pézard, Paris, 1965, Epître XIII, 29-30, p. 796. 13. M. Doran, Endeavors of Art, Madison, 1954, p. 383-384. 14. Ceci est également le cas du dictionnaire italien / anglais A Worlde of Wordes de John Florio (1598) qui spécifie, pour la tragédie, qu’elle met en scène des « personages of great state » (p. 427). Contrairement à la tragédie qui est décrite longuement et dont la définition est accom­pagnée d’une remarque supplémentaire selon laquelle elle est « contrarie to comedie », cette dernière ne reçoit qu’une définition très courte (« a merry play, an interlude », p. 78). Le dictionnaire de Florio est accessible en ligne (http://www.pbm.com/~lindahl/florio1598/).

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nor such high personages »), mais met en scène « merchants, soldiers, artificers, good honest housholders, and also […] unthrifty youths, young damsels, old nurses, bawds, brokers, ruffians, and parasites15 » (« marchands, soldats, artisans, bons propriétaires honnêtes et aussi […] jeunes dépensiers, jeunes demoiselles, vieilles infirmières, catins, intermédiaires, voyous et flatteurs »). La théorie du drame de la Renaissance remontant en premier lieu à la Poétique d’Aristote16, ce rapport établi entre la situation sociale des personnages et le genre de la pièce est une réinterprétation du texte d’Aristote, dans la mesure où elle relie la solennité de la tragédie au noble statut de ses acteurs17. Si Clyomon and Clamydes semble conforme à une des règles imposées, celle du développement du sujet – c’est en effet une histoire qui va de la dissension à l’accord et finit de manière joyeuse –, les deux autres sont sûrement plus problématiques. D’abord, l’ensemble des personnages n’est pas conforme à ce qui est exigé : en effet, Clyomon and Clamydes viole la règle en introduisant dans la pièce à la fois des personnages comiques dont le comportement sert avant tout à amuser le public, comme le berger Corin, et des personnages royaux comme Alexandre le Grand, dont la présence devait plutôt être réservée à la tragédie. C’est précisément ce que reproche aux pièces contemporaines anglaises Philip Sidney dans Apology for Poetry, rédigée autour de 1583 : But besides these gross absurdities, how all their plays be neither right tragedies, nor right comedies, mingling kings and clowns, not because the matter so carrieth it, but thrust in clowns by head and shoulders, to play a part in majestical matters, with neither decency nor discretion18. [Mais, outre ces grossières absurdités19, toutes leurs pièces ne sont ni de véritables tragédies ni de vraies comédies ; ils y mélangent rois et rustres non parce que le sujet le requiert, mais parce qu’ils y mettent des rustres à toute force, pour jouer un rôle dans des affaires de majesté, sans nulle décence ni discrétion20.] 15. George Puttenham, The Art of English Poesy, éd. F. Whigham et W. A. Rebhorn, Ithaca, 2007, I, 14. 16. Giorgio Valla fait paraître une traduction latine de la Poétique en 1498 ; le texte grec paraît en 1508 à Venise, publié par Alde Manuce. 17. À ce propos, voir J. E. Spingarn, A History of Literary Criticism in the Renaissance, New York, 1908, p. 62-74. 18. Le texte de Sidney est cité d’après l’édition suivante : Philip Sidney, An Apology for Poetry, éd. G. Shepherd, Londres, 1965, ici p. 135, l. 30-34. 19. Sidney parle des unités du temps et du lieu qui ne sont pas respectées (voir ci-dessous). 20. Nous reprenons la traduction en français moderne au livre de V. Bourguy, Le bouffon sur la scène anglaise au xvie siècle, Villeneuve-d’Ascq, 1975, p. 291.



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Une remarque similaire se retrouve également dans la préface de Promos and Cassandra (1578) de George Whetstone ; il se plaint notamment des auteurs qui mettent ensemble des rustres et des rois pour faire rire les spectateurs (« Many times, to make mirth, they make a clown companion with a king21 »). Ce « mélange » de personnages d’origines diverses a des répercussions sur la versification et par ce biais sur le style de la pièce. Si le mètre principalement utilisé pour le discours des personnages nobles est le fourteener comportant quatorze syllabes (ou sept pieds iambiques), c’est le doggerel que l’on trouve employé pour faire parler les personnages comiques tels que Shift22 (Subterfuge) : le nombre irrégulier de syllabes le rapproche du langage parlé. L’alternance de mètres correspond au changement de registre, de sorte que lors de la conversation de deux personnages de statut différent un vers « classique » à quatorze syllabes peut rimer avec un vers au nombre de syllabes changeant et pouvant aller jusqu’à 25, comme c’est par exemple le cas dans le dialogue entre Clamydes et Shift (v. 505-507). L’emploi du mètre ne dépend pas que du personnage, mais également de la situation dans laquelle celui-ci se trouve ; ainsi, le mètre tend à devenir irrégulier dans des scènes comiques même si un personnage noble est impliqué, comme dans le cas de la conversation entre Clyomon et Shift (v. 107-164). Notons que cette scène est immédiatement suivie par un discours dans un style élevé, prononcé par Clyomon, et qui consiste, hormis les deux premières lignes, en vers réguliers de quatorze syllabes (v. 166-19523). Au-delà du mètre, d’autres marques des styles élevé et bas sont présentes. Le style bas s’exprime avant tout par des moyens lexicaux, grammaticaux et phonétiques. Ainsi, le berger Corin parle en dialecte du sud-ouest de l’Angleterre24, perçu comme rustique et dont les traits caractéristiques sont l’emploi des z et v à la place des s et f au début des mots et le remplacement de I par ich,

21. La préface de Whetstone (Epistle Dedicatory) est citée d’après Sources of Dramatic Theory, t. 1 : Plato to Congreve, éd. M. J. Sidnell et D. J. Conacher, Cambridge, 1991, p. 166. 22. L’utilisation du doggerel à des fins comiques et l’alternance des mètres sont répandues dans les pièces anglaises de l’époque. Voir L. M. Ellison, The Early Romantic Drama at the English Court, Menasha (Wisconsin), 1917, p. 106-107 ; R. W. Bond, Early Plays from the Italian, Oxford, 1911, p. lxxxi-xc. 23. Selon R. W. Bond (voir n. 22), le doggerel « persisted not merely because it was traditional and popular, but also because the dramatists perceived it better adapted for average comic uses – for dialogue as opposed to set speech, and for farcical matter – than more regular measures » (p. lxxxix). 24. B. Littleton, éd. cit., « Introduction », p. 45.

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contracté avec les verbes qui le suivent25. On en trouve de nombreux exemples dans le langage de Corin : « cham » (= I am, v. 1289), « chave » (= I have, v. 1290), « vellow » (= fellow, v. 1290), « zee » (= see, v. 1293) et beaucoup d’autres. Par ailleurs, Corin emploie des injures et des insultes (« Gos bones », v. 1288, 1310 ; « crackropes », v. 1311), des mots vulgaires relatifs au comportement sexuel (« whores », v. 1301, « whore », v. 1325, « canvosing », v. 1328), des formes parlées (« whow », v. 1319 = how), des mots distordus (« bonnomablely », v. 1329 = abominably). Tout ceci fait de Corin la personnification même du style bas. Alexandre le Grand, en revanche, étant à l’autre bout du spectre, parle clairement dans un style élevé qui s’exprime surtout par des moyens rhétoriques et poétiques. Ainsi, son premier discours est construit autour d’une série de questions rhétoriques qui forment le vers, soutenues par des anaphores (« who » aux v. 367-369 et « what » aux v. 370-375). On y trouve également des figures de style telles que le chiasme (« Who bowes not now unto my becke, my force who doth not feare ? », v. 368, « Qui ne se plie pas à mes ordres, de ma force qui n’a pas peur ? »), l’apostrophe (« O Mars I lawd thy sacred name », v. 364, « Ô Mars, je loue ton nom sacré ») et l’allitération (« They feare as Fowles that hovering flie, from out the Fawcons way », v. 378, « Ils sont pleins de peur comme des oiseaux qui volent en planant, hors du passage du faucon »). Elles contribuent toutes à la création d’un style élevé conventionnel propre aux discours et aux lamentations des personnages nobles incorporés dans la pièce. Nous avons vu donc que Clyomon and Clamydes enfreint au moins deux règles imposées à la comédie, celle du choix des personnages en fonction du genre et celle du style, la deuxième infraction découlant largement de la première. Quant au contenu et au sujet de la pièce, deux autres aspects sont avant tout critiqués par les contemporains de l’auteur, à savoir le non-respect des unités du temps et du lieu et le manque de didactisme. Sans nous arrêter longuement sur le premier aspect et le reproche de l’invraisemblance qu’il amène, notons simplement que c’est Sidney qui semble le privilégier lorsqu’il s’attaque aux pièces de son époque et même à Gorboduc de Thomas Norton et Thomas Sackville, qu’il considère comme la meilleure parmi celles qu’il a vues et qui est, selon lui, « faulty both in place and time » (« défectueuse en ce qui concerne à la fois le lieu et le temps », Apology for Poetry, p. 134). Whetstone rejoint de nouveau Sidney sur ce point, en parlant des « impossibilités » sur lesquelles sont basées les pièces anglaises où le héros parcourt l’univers, se 25. E. Eckhardt, Die Dialekt- und Ausländertypen des älteren englischen Dramas, t. 1, Louvain, 1910, p. 4.



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marie, élève des enfants qui conquièrent des royaumes et tuent des monstres, tout ceci en l’espace de trois heures (Epistle Dedicatory, p. 166). Le deuxième aspect, plus important pour notre propos, est celui du didactisme dont la présence est demandée dans une comédie. Ainsi George Whetstone, dans le prologue de Promos and Cassandra, tout en qualifiant son œuvre de comédie, précise-t-il qu’elle expose les vices et les vertus dans l’objectif d’encourager les bons dans leur exercice de la vertu et d’effrayer les méchants pour qu’ils s’abstiennent de commettre des actes mauvais : « For, by the reward of the good, the good are encouraged in well-doing : and with the scourge of the lewd, the lewd are feared from evil attempts26. » Stephen Gosson, dans Plays Confuted in Five Actions (1583), adresse ses critiques spécifiquement aux pièces à contenu chevaleresque, leur reprochant l’absence du didactisme et de l’enseignement moral : Sometime you shall see nothing but the aduentures of an amorous knight, passing from countrie to countrie for the loue of his lady, encountring many a terible monster made of broune paper […]. What learne you by that ? When ye soule of your playes is eyther meere trifles, or Italian baudery, or wooing of gentlewomen, what are we taught27 ? [Parfois vous ne verrez rien d’autre que les aventures d’un chevalier amoureux qui erre de pays en pays pour l’amour de sa dame, rencontrant une multitude de monstres horribles faits de papier brun  […]. Qu’en apprenez-vous ? Quand au cœur de vos pièces nous trouvons de simples bagatelles, des obscénités italiennes ou encore la cour qu’on fait à une dame, quel enseignement en retirons-nous ?]

Enfin, Sidney, dans Apology for Poetry, insiste sur la combinaison obligatoire de l’enseignement et du plaisir : une comédie se doit de fournir « that delightful teaching which is the end of Poesy » (p. 137, « ce délicieux enseignement qui est le but de la poésie »), absent des pièces contemporaines qui le remplacent par un rire dénué de sens. Pourtant, si l’on en croit le prologue de Clyomon and Clamydes, notre pièce se veut tout à fait sérieuse et pleine, elle aussi, d’enseignement moral. L’auteur anonyme souligne notamment, tout comme George Whetstone dans sa préface, qu’il cherche à représenter à la fois des exploits et des faits ignobles (« Wherein as well as famous facts, ignomius placed are », v. 11) et montrer manifestement la juste récompense que les deux recevront (« Wherein the 26. Ibidem, p. 166 : « En récompensant les bons, nous les encourageons à faire du bien, et si nous punissons les lâches, ceux-ci sont prévenus contre les tentatives méchantes. » 27. E. K. Chambers, Elizabethan Stage, Oxford, 1923, t. 4, p. 216.

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just reward of both, is manifestly shown », v. 12), de sorte que la vertu soit ouvertement distinguée du vice (« That vertue from the roote of vice might openly be knowne », v. 13). L’intention moralisatrice de l’auteur est donc indéniable, du moins dans le prologue. Mais qu’en est-il du contenu à proprement parler de la pièce ? C’est là, nous semble-t-il, que réside l’intérêt de la figure d’Alexandre. En effet, elle n’a pas été reprise de façon « naturelle » au texte du Perceforest, car le roi macédonien n’est pas présent dans la partie du roman à laquelle sont puisés les événements principaux de la pièce. Ainsi, la figure de Clamydes se base principalement sur deux personnages, Lyonnel du Glat (l’histoire de la victoire sur le serpent volant et des trophées volés) et Bethidés, fils de Perceforest (l’épisode du Chevalier Doré qui s’affronte au Blanc chevalier, alias Bethidés), tandis que Clyomon est l’équivalent de Nestor, Chevalier Doré, fils de Reine Fée et Gadiffer, frère de Perceforest. Les événements décrits dans la pièce se rapportent donc à la génération suivant celle de Perceforest, couronné roi d’Angleterre par Alexandre ; ils prennent place longtemps après l’arrivée d’Alexandre en Grande-Bretagne, les aventures qu’il y vit, son départ puis sa mort à Babylone, racontés dans la première partie du Perceforest. Néanmoins, l’auteur de Clyomon and Clamydes a préféré malgré tout reprendre la figure d’Alexandre et l’insérer dans son texte. Pourquoi ? Jetons d’abord un rapide coup d’œil sur le système de personnages de la pièce. Selon Betty Littleton, l’éditrice la plus récente de la pièce, l’auteur cherche à apporter un équilibre à son œuvre en établissant deux groupes parallèles de personnages. Voici le tableau qu’elle propose dans son introduction à l’édition du texte et que nous traduisons ici en français28 : Alexandre le Grand Clamydes (Lyonnel, Bethidés) Juliana (Blanche) Bryan (Bruyant, Harban) Shift (absent de Perceforest) Reine de Danemark (Reine Fée) Roi de Danemark (Gadiffer)

Héros

Clyomon (Nestor)

Héroïne Antagoniste Personnage comique

Neronis Thrasellus (Fergus) Corin (ermite, femme âgée)

Mère

Reine de Strange Marshes (absente de Perceforest) Mustantius, oncle (Neron)

Père

28. B. Littleton, éd. cit., « Introduction », p. 44-45.



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D’après ce tableau, Alexandre est le seul personnage qui n’aurait pas de « doublon » ; il semble par ailleurs être en dehors de la structure narrative du récit. Dans la pièce, il n’apparaît en effet que dans deux scènes, au début et à la fin. La première scène, scène IV, paraît indépendante par rapport à la trame principale ; Alexandre n’y rencontre aucun des personnages majeurs de la pièce. La scène montre son retour en Macédoine après la conquête du monde, événement anhistorique, et c’est le discours d’Alexandre qui en ­occupe la partie centrale. D’après B. Littleton, cet épisode « n’a aucune valeur dramatique » et son seul intérêt est de faire spectacle29. Il me semble que ces propos sont à nuancer et que la scène, si elle ne fait pas avancer l’action, contribue à faire comprendre l’intention de l’auteur et à créer le contexte dans lequel il faut situer l’ensemble des événements du récit. Par sa structure, le discours d’Alexandre se compose de trois parties : – l’introduction (v. 360-367), où le roi se présente et évoque le passé (ses conquêtes), le présent (son retour en Macédoine) et l’avenir (son intention de se rendre au temple pour faire des sacrifices à Mars et à Athéna et les remercier de leur aide) ; – le corps du discours (v. 368-381), qui est une série de questions rhétoriques démontrant le caractère incontestable de son pouvoir et sa supériorité par rapport à tous les autres souverains ; – la conclusion (v. 382-383), qui malgré son volume peu important joue un rôle majeur, car elle parvient, en deux lignes, à dénigrer tout ce qui est dit dans la partie précédente et à conférer un sens nouveau au discours du héros. La voici : And yet Alexander, what art thou ? thou art a mortall wight, For all that ever thou hast got or wonne by force in fight. (v. 382-383) [Et pourtant, qu’es-tu, Alexandre ? Tu es un être mortel, Malgré tout ce que tu as jamais obtenu ou gagné par force dans une bataille.]

Ces deux vers montrent avant tout l’humilité et la sagesse d’Alexandre, qui ne se laisse pas aveugler par les biens de la Fortune et qui connaît la valeur réelle des conquêtes terrestres. On retrouve ici l’intention de l’auteur de bien distinguer les vices et les vertus, manifeste dès le prologue. De plus, ce discours de 24 vers est suivi d’un monologue d’un volume presque aussi considérable (18 vers), 29. Ibidem, p. 164 : « Though the scene has no dramatic value, its appeal as sheer pageantry and its similarity to popular pageant-shows (in which Alexander, as one of the Nine Worthies, frequently figured) probably accounts for its inclusion. »

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prononcé par un conseiller du roi. Si son but principal est de relayer le message contenu dans le discours d’Alexandre par une deuxième voix, ce monologue fournit une nouvelle information importante : Philippe, père d’Alexandre, faisait venir chaque matin un enfant qui criait « Philip, thou art a mortall man » (v. 398, « Philippe, tu es un homme mortel »), prévenant le roi contre la « vaine glory » (v. 405). Cette pratique, louée dans le discours du conseiller, fait de Philippe un exemple à suivre pour Alexandre, qui répète presque mot à mot la phrase clé de son père (« thou art a mortall wight », v. 382). Alexandre lui-même est-il à son tour destiné à devenir un exemple pour les jeunes héros de la pièce ? Son attitude humble s’oppose en tout cas clairement à celle des deux jeunes protagonistes, en particulier à celle de Clyomon. Ce personnage semble entretenir une relation particulière avec Alexandre : ainsi, nous apprenons, dès le début de la pièce et avant l’entrée d’Alexandre sur scène, que Clyomon fut adoubé par le roi macédonien en personne et que celui-ci lui remit son écu doré. Clyomon apprécie tant ce cadeau d’Alexandre qu’il renonce à son nom, qui ne doit désormais être connu par aucun chevalier, et il prend le nom du Chevalier à l’Écu Doré, « Knight of the Golden Shield » (v. 195). Dès qu’il apprend le retour d’Alexandre en Macédoine, Clyomon, qui avait l’intention de revenir au Danemark, change immédiatement d’avis et projette de se rendre à la cour d’Alexandre (v. 428-437) ; c’est Clyomon enfin qui propose à son rival Clamydes de fixer leur combat individuel à la cour d’Alexandre (v. 481-495). Malgré ces faits, c’est bien Clyomon qui semble être à l’opposé du roi macédonien. Rappelons qu’ayant repoussé Clamydes, Clyomon reçoit à sa place l’adoubement de la part du père de son rival (scène III). Cet événement est la source du conflit majeur entre les deux chevaliers, le conflit qui devient le fil rouge de la pièce entière. Le même acte avait un sens profond dans le Perceforest : inspiré par le discours sur la chevalerie prononcé par Perceforest, et qu’il a entendu par hasard à l’église, Nestor, le futur Chevalier Doré, veut recevoir l’adoubement de sa main et c’est pour cette raison, qui est noble, qu’il se substitue à Bethidés30. Par ailleurs, il s’avère que les deux chevaliers sont cousins et que Perceforest est l’oncle de Nestor ; un lien familial s’établit donc entre les deux personnages. Rien de tel dans notre pièce : tout d’abord, à la différence de Nestor, Clyomon est déjà chevalier, car il fut adoubé par Alexandre. Ensuite, il n’entend le discours du père de Clamydes sur la chevalerie qu’après avoir pris la décision d’empêcher son adoubement (v. 198-204). Aucune raison apparente n’explique donc ses motivations. Enfin, le lien familial est affaibli par rapport 30. Perceforest. Deuxième partie, t. 2, éd. cit., § 61, 731-742, 747-751.



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au Perceforest : Clamydes est amoureux de la sœur de Clyomon, en revanche, rien n’unit Clyomon à la famille de Clamydes. Ainsi, qu’il veuille remplacer Clamydes et recevoir l’adoubement à sa place n’est rien de plus qu’une badinerie ; en effet, il qualifie son acte de « good pastime » (v. 202, « bon passetemps »). S’y ajoute le fait que la nouvelle de l’adoubement de Clamydes à la suite de laquelle il décide de se déplacer en Souabe lui est communiquée par Shift, ou Vice, figure allégorique incarnant le mal et la perfidie (v. 200-201). Cette complicité étrange avec Vice se révèle également lors de la première confrontation entre Clyomon et Clamydes. Lorsque Clamydes l’accuse de lui avoir ravi son honneur en recevant l’adoubement qui lui était destiné, Clyomon propose une explication qui peut être lue de deux manières : Clamydes. Didst not thou take away my knighthood from me ? Clyomon. No, for I had it before it was given unto thee : And having it before thee, what Argument canst thou make That ever from thee the same did I take ? (v. 452-455) [Clamydes. Ne m’as-tu pas ravi ma chevalerie ? Clyomon. Non, car je l’avais avant qu’elle ne t’ait été donnée. Puisque je l’avais avant toi, comment peux-tu prétendre Que je t’aie jamais ravi cette même  ?]

On pourrait penser que c’est sa chevalerie acquise que Clyomon avance comme un argument en sa faveur : s’il est déjà chevalier, il ne peut le devenir une deuxième fois. Toutefois, le commentaire du Vice qui suit cette réponse lui confère un sens différent : Shift. Thats true, he receiv’d the blow before at you it came, And therefore he tooke it not from you, because you had not the same. (v. 456-457) [Subterfuge. C’est vrai, il a reçu le coup avant toi, c’est pourquoi il ne te l’a pas ravi, car tu n’as pas eu le même.]

Les paroles de Clyomon sont ainsi réinterprétées à la manière d’un sophisme : Clyomon ne peut ravir le coup qui est déjà donné ! En fin de compte, la seule justification véritable que Clyomon offre à son rival est celle de l’aspiration à la gloire, « The bolder attempt is, more fame it doth bring » (v. 461, « Plus audacieuse est la tentative, plus de gloire elle apporte »). La même justification par la gloire est donnée lorsque Clyomon propose à Clamydes de reporter le combat pour le mener à la cour d’Alexandre qui est « chief of chivalrie » (v. 486) plutôt que dans une forêt où personne ne les verra, auquel cas la gloire qui en viendra au vainqueur ne sera que minime (v. 491-495). Cette approche

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très pratique de la chevalerie est exactement ce qui distingue notre pièce des romans arthuriens, dans la tradition desquels elle s’inscrit de par son contenu. Dans l’épisode équivalent du Perceforest qui met en scène la rencontre de Bethidés et de Nestor dans la forêt, le combat des deux chevaliers a bien lieu et n’est interrompu et reporté qu’après des appels et des plaintes répétitives d’un troisième chevalier ; celui-ci devient témoin du combat contre son gré et cherche à l’arrêter pour pouvoir se rendormir31. Même si la scène n’est pas dépourvue de comique, elle illustre néanmoins la vaillance des chevaliers ainsi que leur acharnement à combattre coûte que coûte, pourvu qu’il s’agisse de l’honneur. Clyomon fait d’ailleurs preuve de la même persévérance, mais à la fin de la pièce, devant Alexandre et les nobles : en effet, c’est Clyomon qui insiste pour que le combat contre Clamydes ait lieu, bien que le conflit qui aurait dû les opposer ait déjà été résolu par Alexandre de manière paisible (scène XXII). On peut deviner la raison de cette insistance : d’après les paroles de Clyomon lui-même, « tryple honour will it be, to him that gets the victorie,/ Before so worthy a Prince as hee » (v. 492-493, « le triple honneur aura celui qui remportera la victoire / Devant un prince aussi digne que lui »). La gloire est ce qui lui importe plus qu’autre chose, contrairement à Alexandre, qui est conscient de l’insignifiance de ses conquêtes devant l’éternel. Examinons de plus près la deuxième scène où apparaît le roi macédonien et ce qui la précède. Après nombre de péripéties, Clyomon et Clamydes finissent par se retrouver à la cour de Strange Marshes, présidée par Alexandre. Le roi de Strange Marshes mort, son frère Mustantius et la reine veuve se disputent le trône et leur différend doit être réglé par Alexandre, qui décide de recourir à un combat judiciaire. Le conflit et sa solution future par le roi macédonien sont annoncés à deux reprises au cours de la pièce. D’abord, c’est la figure de Rumour qui résume pour le public ainsi que pour Clyomon la cause de la dispute et l’appel fait à Alexandre (scène XIII, v. 1196-1210), sans évoquer pour autant le combat qui n’est pas encore décidé. Ensuite, c’est Shift qui reprend le fil de l’histoire dans la scène XVII pour raconter la solution proposée par le souverain macédonien. La diégèse concurrence et complète la mimèsis : les deux personnages allégoriques jouent le rôle de narrateur informant le spectateur des événements qui se déroulent en parallèle avec l’action mise en scène. Ces passages diégétiques servent également à maintenir Alexandre dans l’esprit du public même au moment où il n’apparaît pas sur scène. Le roi est omniprésent malgré son apparente éclipse : mis à part les discours de Shift et Rumour, il est régulièrement évoqué par les deux héros dont les 31. Perceforest. Deuxième partie, t. 2, éd. cit., § 63, 785-789.



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chemins convergent vers sa cour. Ainsi, Clyomon et Clamydes manquent tous les deux le premier rendez-vous qu’ils se sont donné à la cour du roi : Clamydes est plongé dans un sommeil enchanté par Bryan sance foy et Clyomon, quant à lui, fait naufrage dans une contrée inconnue. Faute de paraître devant Alexandre – « before King Alexanders grace » est l’expression qu’utilisent les deux chevaliers dans leurs plaintes respectives (v. 770 et 92032) –, ils croient leur honneur compromis et, pleins de regrets, blâment, chacun de leur côté, la Fortune, qualifiée de « fraudulent Goddesse blind » (v. 763, « aveugle déesse frauduleuse ») et de « hatefull dame » (v. 925, « dame odieuse »). Cette évocation de la Fortune, bien que traditionnelle, n’est sans doute pas gratuite. En effet, la mort prématurée d’Alexandre est souvent attribuée aux caprices de Fortune, dont la roue ne cesse de tourner33. Cette association se retrouve dans la littérature anglaise du Moyen Âge tardif et de la Renaissance. Ainsi, l’Alliterative Morte Arthure (autour de 1400 ?) montre Alexandre tomber de la roue de Fortune, avec Hector, César, Judas Maccabée, Josué et David (v. 3218-342034). Chaucer dans Monk’s tale présente Alexandre comme une victime de la fortune (v. 2631-267035), tout comme une pièce contemporaine de Clyomon and Clamydes, The Rare Triumphs of Love and Fortune, où Alexandre fait partie d’une série de fantômes dont l’apparition est destinée à résoudre une querelle entre Fortune et Amour36 : Alexander the Great, that all the world subdu’d, Curseth fell Fortune, that did him delude37. 32. Clyomon emploie la même expression lors de la conversation avec Clamydes au début de la pièce (v. 484), quand il lui propose de fixer le combat à la cour d’Alexandre plutôt que de l’avoir sur place où personne ne les verra. 33. On trouve une représentation désormais bien connue d’Alexandre sur la roue de la Fortune dans un manuscrit de l’Alexandre en prose français, Stockholm, Bibliothèque royale, ms. Vu 20, fol. 78 r. Voir la reproduction et la discussion dans M. Pérez-Simon, « Science and Learning in the Middle Ages : Le Roman d’Alexandre en prose – a Study of Ms Stockholm, Royal Library Vu 20 », dans Alexander the Great in the Middle Ages : Transcultural Perspectives, éd. M. Stock, Toronto, 2016, p. 217-243, ici p. 232-234. 34. Il s’agit d’une vision prophétique d’Arthur qui prédit sa prochaine disparition. Alexandre est identifié au vers 3408 (King Arthur’s Death : The Middle English Stanzaic Morte Arthur and Alliterative Morte Arthure, éd. L. D. Benson et E. E. Foster, Kalamazoo, 1994. L’édition électronique du livre est également disponible : http://d.lib.rochester.edu/teams/publication/ benson-and-foster-king-arthurs-death. 35. J’ai utilisé l’édition électronique de Harvard (texte moyen anglais de L. D. Benson) : http://sites.fas.harvard.edu/~chaucer/teachslf/mkt-par.htm 36. Les autres fantômes qui entrent sur scène sont Troïlus et Cressida, Didon, Pompée et César, Héro et Léandre. 37. A Select Collection of Old English Plays, éd. R. Dodsley et W. Carew Hazlitt, t. 6, Londres, 1874, p. 156.

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Elena Koroleva [Alexandre le Grand, qui avait conquis le monde entier, Maudit la roue de Fortune qui l’a trompé.]

Toutefois, nous avons vu que notre pièce offre une image différente d’Alexandre. Aucune allusion n’est faite à sa fin tragique ; le roi est bien conscient de sa mortalité et ne risque pas d’être induit en tentation par les biens de la Fortune dont il semble connaître la vraie valeur. Les souffrances et le châtiment sont alors transférés sur ses jeunes pendants, qui n’ont pas encore découvert le caractère trompeur de la gloire terrestre. Cette opposition entre Alexandre et les héros principaux de la pièce, en particulier Clyomon, est bien visible dans la dernière scène où apparaît Alexandre (scène XXII). Clamydes, déjà arrivé à la cour, devient le champion de Mustantius, frère du roi décédé ; quant à la reine veuve, elle ne parvient pas à trouver un chevalier qui combatte pour elle. La dispute est réglée par un Alexandre impartial, mais plein de pitié pour la veuve : il se montre capable de prendre des décisions justes, à la satisfaction des deux parties. C’est à ce moment-là qu’arrive Clyomon souhaitant combattre contre Clamydes. Clyomon refuse d’obéir à Alexandre qui incite les deux chevaliers à faire la paix, sous prétexte qu’il est lié par un serment et ne peut révéler son nom, à moins que Clamydes ne l’emporte sur lui dans un combat. C’est par sa sagesse qu’Alexandre parvient à résoudre ce nouveau conflit en trouvant un moyen de contourner la promesse donnée. Si Clyomon ne peut révéler son nom, affirme-t-il, rien ne l’empêche de leur dire de quel pays et de quelle lignée il vient (v. 1835-1837), ces deux paramètres ne faisant pas partie du serment prêté par Clyomon. Ce dernier est obligé de céder : son origine révèle son nom, car il est fils du roi de Danemark. Une histoire qui a commencé par un nom caché finit par sa révélation, en une vraie composition circulaire. Le combat est ainsi empêché grâce à une ruse casuistique d’Alexandre. On pourrait la comparer à l’astuce verbale de Shift qui a réfuté de manière similaire l’accusation de Clamydes contre Clyomon (v. 456-457). Pourtant, les deux ruses ont des conséquences opposées : si celle de Shift ne fait qu’exacerber le conflit des deux chevaliers au début de la pièce, celle d’Alexandre le résout définitivement, apportant une fin heureuse à l’histoire, qui se termine par un double mariage. Il semble alors que le roi puisse être vu non seulement comme le contraire de Clyomon, mais également comme celui de Shift. Ce dernier change de maître plusieurs fois au cours de la pièce, servant tantôt Clyomon, tantôt Clamydes, tantôt le méchant Bryan sance foy, et trompant chacun d’entre eux ; il change également de nom au moins trois fois : Shift, ou Subtle Shift (Fin Subterfuge), Vice et même Knowledge (Connaissance),



L’irréductible Alexandre dans Clyomon and Clamydes 251

le faux nom qu’il s’attribue lui-même en se présentant à Clyomon lors de sa première apparition sur scène (v. 135, 140). Il incarne donc l’illusion et la mutation permanente ; c’est conduit par Shift que Clyomon s’engage sur la route de la fausse gloire. Alexandre en revanche incarne la stabilité même ; toutes ses conquêtes semblent appartenir au passé et il ne lui reste désormais que le rôle de second plan, important néanmoins, d’un monarque exemplaire. Pour conclure, notons qu’Alexandre le Grand est une autorité de référence dès le début de la pièce, avant même qu’il n’entre sur scène. Souverain modèle, pacificateur, sage, rusé, il remplit les fonctions d’un roi Arthur : il tient la cour, adoube les chevaliers qui se hâtent de venir auprès de lui rien qu’à entendre son nom, règle les litiges. Par ses vertus, il s’oppose à deux jeunes protagonistes, et surtout à Clyomon qui poursuit aveuglément la gloire, tandis que lui, Alexandre, ayant conquis le monde entier, fait preuve d’une humilité exceptionnelle, ce qui contredit son image médiévale traditionnelle. C’est là que le système de personnages tracé par Betty Littleton serait sans doute à revoir ; Alexandre n’a pas son pendant seulement dans Clyomon, qui est probablement conçu comme un jeune Alexandre en voie de perfection, mais aussi dans la figure de Shift bien qu’il soit à l’opposé de ce que représente le Macédonien. Personnage d’une comédie, le roi sert à apporter une tonalité sérieuse, nécessaire pour équilibrer le côté comique de la pièce et répondre à l’ambition du prologue qui promet une illustration des vices et des vertus. S’il est loin d’être une figure fondatrice comme l’Alexandre du Perceforest, inventeur des tournois et de la courtoisie, l’Alexandre de Clyomon and Clamydes incarne l’ordre et la pérennité. Elena Koroleva Université de Lille ALITHILA

Alexandre le Grand en Angleterre : de la scène aux coulisses Ce chapitre se penchera sur un phénomène peu remarqué dans l’histoire du théâtre anglais de la première modernité, à savoir la transformation de la représentation d’Alexandre sur scène en son évocation indirecte comme exemplum. À l’exception de deux pièces composées par William Alexander, comte de Stirling, dans la première décennie du xviie siècle (The Tragedie of Darius et The Alexandraean Tragedy) – exception qui n’en est pas une, car ces pièces n’étaient pas destinées à être représentées –, le personnage n’entre plus sur la scène anglaise après la Campaspe de John Lyly (1584). En revanche, il figure au niveau imaginaire de façon significative dans des pièces de Christopher Marlowe (Tamburlaine the Great en deux parties, 1587-1588) et de William Shakespeare (surtout Henry V, 1599 et Hamlet, 1601). Il est alors question de puiser dans l’ambivalence morale déjà rattachée à la figure d’Alexandre dans la riche littérature médiévale qu’on connaît : splendeur, prouesse et magnanimité, d’une part ; memento mori, excès et vices destructeurs, d’autre part. Mais Marlowe et Shakespeare abordent ces éléments par d’autres biais intertextuels plus récents – Plutarque, bien sûr (récent dans ses traductions en français et en anglais), mais aussi (pour Marlowe) Les diverses leçons de Pierre Messie (traduites par Claude Gruget de l’espagnol de Pero Mexía, Silva de varia lección, 1540) et (pour Shakespeare) les Essais de Montaigne. L’effet, assez paradoxal, est de faire revivre comme instrument révélateur, chargé d’ironies subtiles, un sujet qui, dans le sillage des représentations peu nuancées du théâtre antérieur, telles que celle de Lyly, risquait, peut-être, d’être perçu comme fade et usé. Il convient néanmoins de relever brièvement – d’autant plus que deux des pièces en question sont traitées dans d’autres chapitres du présent volume – les éléments qui se prêtent à cette évolution chez les rares dramaturges anglais qui dépeignirent le personnage. En effet, même quand elle est revêtue de toutes les vertus, la figure d’Alexandre est toujours associée à un enseignement moral qui présuppose sa capacité théorique de servir d’exemple négatif. Considérons sa brève mais décisive apparition dans la pièce romanesque anonyme, Clyomon and Clamydes, publiée en 1599 mais dont la composition remonte vraisemblablement vers 1570, c’est-à-dire avant la fondation du théâtre public londonien en tant qu’institution. C’est une tragi-comédie populaire, pleine d’aventures L’entrée d’Alexandre le Grand sur la scène européenne éd. Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas Turnhout, 2017, (Alexander Redivivus, 9) p. 253-265 © F H G

DOI 10.1484/M.AR-EB.5.113448

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chevaleresques et fantastiques auxquelles se mêlent des personnages types tels qu’un Vice comique et un magicien, et elle possède moins d’intérêt en soi que comme l’une des sources d’inspiration probables pour Shakespeare (notamment dans Cymbeline1). D’ailleurs Shakespeare ne semble pas s’être intéressé à cet Alexandre, qui, à vrai dire, n’est pas très intéressant. Il entre sur scène seulement deux fois, d’abord à son retour triomphal après ses conquêtes glorieuses (une didascalie insiste sur sa magnificence2), puis pour arbitrer deux querelles. Toutefois, chacune de ces apparitions comporte une leçon morale. À la première occasion, il décline ses titres de grandeur, mais termine en rappelant sa mortalité. Le thème est tout de suite repris par un conseiller, qui l’encourage en ce sens en citant l’exemple de son père conquérant qui se faisait quotidiennement rappeler sa simple humanité. Alexandre approuve et annonce son intention de sacrifier aux dieux pour les remercier de sa bonne fortune, en ôtant « All vaine glory from my heart » (Clyomon and Clamydes, l. 404, « tout orgueil de mon cœur »). Quant à ses jugements sages et égaux vers la fin de la pièce, ils démontrent la préférence de ce guerrier tout-puissant pour des solutions paisibles. Dans tout cela il n’y a pas de note négative. Mais même dans ce contexte dénué de toute vraisemblance historique, des éléments plus sombres découlant du portrait plutarquien se font implicitement sentir dans les conseils en humilité et l’insistance sur les jugements rationnels et modérés. Un Alexandre sans ambivalence semblerait donc difficile à concevoir. C’est aussi le cas chez Lyly, où le personnage est également sans tache, d’autant plus que Campaspe, avant de former des liens amoureux avec le peintre Apelle, n’est pas la maîtresse d’Alexandre, comme dans l’anecdote source de Pline l’Ancien et d’autres textes de la Renaissance3, mais seulement sa captive aimée ; il s’agit, après tout, d’un théâtre de cour, joué par de jeunes choristes devant la reine, dont la raison d’être, du moins prétendue, est l’enseignement moral. Maîtresse du roi ou non, la tentation posée par Campaspe offre au dramaturge l’occasion idéale de doter Alexandre, dont les deux amoureux craignent fort la colère, de la capacité de se maîtriser, comme se doit de le faire quelqu’un qui prétend dompter le monde entier ; sinon il resterait le captif de sa captive, selon ses propres propos lorsqu’il s’interroge : « What ! is the son of Philip, King of Macedon, become the subject of Campaspe, the captive of 1. Cymbeline, éd. M. Butler, Cambridge, 2005, p. 13-14. 2. Clyomon and Clamydes, éd. W. W. Greg, Oxford, 1913, l. 358-359 : « Enter King Alexander the Great, as valiantly set forth as may be, and as many souldiers as can. » (« Entrent le roi Alexandre le Grand, représenté aussi pompeusement qu’il peut l’être, et autant de soldats que possible. ») Sauf indication contraire, les traductions sont de nous. 3. Voir R. Hillman, French Origins of English Tragedy, Manchester, 1992, p. 96, n. 38.



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Thebes4 ? » Lyly en profite pour représenter des dialogues philosophiques du monarque, notamment avec Diogène. Bien que le ton soit léger, l’acceptation par le roi de l’idée que la raison doit gouverner les passions et la volonté est bien mise en valeur. Derrière, pour un public averti, se dévoile le revers de la médaille. Sans nous attarder sur les deux tragédies de William Alexander destinées à la lecture seule, qui ne sont ni d’une grande importance ni d’un grand intérêt littéraires, il est frappant de constater jusqu’à quel point elles se calquent, respectivement, sur les images positive et négative de leur sujet pour fournir deux vues vivement contrastées. The Tragedie of Darius nous montre un Alexandre tant brillant de magnanimité qu’avide de gloire ; il méprise les richesses, il protège (comme chez Lyly) ses femmes captives et maîtrise ses propres désirs et pulsions. Ce qui est encore plus remarquable, sa fureur à l’égard de Darius se transforme finalement en miséricorde : « Who could refraine from teares to heare declar’d / The desolation of this wretched wight5 ? » Il en veut à la mort qui le prive de la gloire d’épargner le roi perse (« I envie death, because it robb’d the glorie, / Which I in giuing him his life had gain’d6 »), et il est déterminé à punir ceux qui ont trahi son ennemi : « But I will punish with most greevous paines / The horrid treason that they did contriue7. » Bref, cet Alexandre n’est composé que de principes moraux exemplaires ; il est la magnanimité même. Par contraste, la pièce suivante commence par un long monologue présenté par le spectre d’Alexandre, qui se voit refuser le passage aux enfers, peut-être parce que son corps n’a pas encore été enterré, mais aussi vraisemblablement parce qu’il a laissé beaucoup de morts sans sépulture. Il est témoin des luttes de pouvoir entre ceux qui l’avaient empoisonné. Il regrette sa soif de pouvoir, son ambition, ses « barbarous insolencies8 » (« insolences barbares »), y compris le fait d’avoir tué son ami Clitus. À la différence de ses équivalents dans la 4. J. Lyly, Campaspe, dans Campaspe, Sappho and Phao, éd. G. K. Hunter, Manchester, 1991, II, ii, 35-36 : « Quoi ? Le fils de Philippe, roi de Macédoine, est-il devenu le sujet de Campaspe, captive de Thèbes ? » 5. W. Alexander, The Tragedie of Darius, dans The Monarchicke Tragedies, Londres, 1607, V, i (sig. I2r) : « Qui pourrait retenir ses larmes en apprenant la désolation de cet homme abattu ? » 6. Ibidem : « J’envie la mort, parce qu’elle m’a volé la gloire que j’aurais gagnée en lui rendant la vie. » 7. V, i (sig. I2v) : « Mais je vais punir des peines les plus douloureuses la trahison horrible qu’ils ont tramée. » 8. W.  Alexander, The Alexandraean Tragedie, dans The Monarchicke Tragedies, op.  cit., Londres, 1607, I (sig. B2v).

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pièce précédente, ainsi que dans celle de Lyly, il avoue qu’il a trouvé plus facile de vaincre des royaumes que les passions de son esprit. Il voit maintenant la vanité du « gaine of greatness » (The Alexandraean Tragedie, I (sig. B4r), « gain de grandeur »). Il sait qu’il sera jugé et puni dans l’au-delà : ceux qu’il avait offensés réclament la vengeance. Cependant, c’est son propre repentir qui le tourmente le plus. Voilà donc la preuve non seulement que les deux aspects contradictoires du modèle coexistent bien dans l’imaginaire anglo-écossais du xviie siècle, mais aussi qu’au moins un écrivain qui abordait le sujet n’a pas trouvé le moyen de les combiner en un seul personnage dans un seul texte. En effet, le dramaturge déploya séparément les deux aspects du personnage qui étaient largement disponibles, sous forme synthétique, dans son utilisation assez répandue comme memento mori. Ainsi chez George Chapman, par exemple, dans sa tragédie de Caesar and Pompey (1612-1613 ?), l’on rappelle en passant que ni Alexandre ni Cyrus ne conservent, aux enfers, les titres glorieux qu’ils possédaient sur terre9. Nous reviendrons bientôt sur ce lieu commun. Ces expériences dramaturgiques témoignent à la fois de la double nature et de la fixité de la figure d’Alexandre telle que l’héritage commun européen l’avait imaginée. Et c’est peut-être la clé de sa disparition d’une scène qui, de plus en plus, tendait à innover et à approfondir des portraits psychologiques. À la différence, par exemple, des personnages homériques, véritables tabulae rasae, que Shakespeare a notamment recréés dans son Troilus and Cressida (c. 1602), Alexandre aurait offert moins de marge de manœuvre. Mais on peut également postuler que c’est là précisément l’intérêt, pour certains dramaturges plus tardifs, non pas de mettre Alexandre sur scène, mais d’évoquer sa double image de façon à commenter, voire déstabiliser, d’autres personnages. En l’occurrence, Marlowe et Shakespeare ont aussi écrit chacun une scène représentant des images d’Alexandre bien distanciées de toute idée d’un personnage à part entière. Dans Doctor Faustus, le magicien, à la demande de l’empereur Charles Quint, fait apparaître, grâce à ses esprits, l’image supposée exacte, mais muette, d’Alexandre, qui d’abord mime sa victoire sur Darius, puis rencontre sa « paramour10 » (« maîtresse »), que les spectateurs étaient susceptibles d’associer à la même Campaspe présentée par Lyly comme l’objet d’un amour noble. Pour sa part, Shakespeare conclut Love’s Labour’s Lost avec une mise en scène burlesque des Neuf Preux, dans laquelle Alexandre est joué 9. G. Chapman, The Tragedy of Caesar and Pompey, dans The Plays of George Chapman : The Tragedies, éd. T. M. Parrott, 2 t., 1910, New York, 1961, t. 2, II, ii, 144-145. 10. C. Marlowe, Doctor Faustus, A-Text, dans Doctor Faustus and Other Plays, éd. D. Bevington et E. Rasmussen, Oxford, 1995, IV, i, 35.



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par le curé local. Et s’il n’est pas muet, il l’est presque, car il hésite dans son rôle et se fait ridiculiser après quelques vers de sa déclamation, dont le commencement, « When in the world I liv’d, I was the world’s commander11 », suggère au moins l’ombre d’un memento mori. Ce sont donc des exemples qui confirment la règle : en ce qui concerne les élisabéthains tardifs, l’intérêt pour le développement d’Alexandre en tant que personnage s’était épuisé. À sa place, par contre, on trouve chez les mêmes dramaturges des résonances très fonctionnelles à la double image d’Alexandre héritée. Marlowe puise dans ce matériau de façon indirecte pour à la fois grandir et relativiser son portrait du grand guerrier et conquérant Tamerlan dans la double pièce de Tamburlaine the Great12. Ce dernier évoque Alexandre en lui emboîtant le pas victorieux, à partir de son rêve initial de « ride in triumph through Persepolis13 » (« chevaucher triomphalement à travers Persépolis ») et jusqu’à son triomphe ultime à Babylone dans la deuxième pièce, triomphe qu’il présente comme une victoire sur le temps et même sur la mort : Where Belus, Ninus, and great Alexander Have rode in triumph, triumphs Tamburlaine, Whose chariot wheels have burst th’Assyrians’ bones, Drawn with these kings on heaps of carcasses. (Tamburlaine the Great, Part II, V, i, 69-72) [Là où Belus, Ninus et le grand Alexandre ont chevauché triomphalement, Tamerlan fait son triomphe, les roues de ses chariots, tirés par ces rois par-dessus des monceaux de carcasses, cassant les os des Assyriens.]

Inviter ainsi ce que l’on pourrait appeler « la perspective de l’historien », c’est activer, bien entendu, l’application ironique de la valeur mortifère du symbolisme d’Alexandre, ce qui anticipe la mort soudaine du protagoniste lui-même (de cause naturelle) et ses regrets de ne pas avoir conquis le monde entier. Le parallèle s’étend aussi à l’incapacité de ses héritiers de maintenir son empire. 11. W. Shakespeare, Love’s Labour’s Lost, dans Œuvres complètes. Ḗdition bilingue, Comédies, t. 1, dir. M. Grivelet et G. Monsarrat, texte anglais éd. S. Wells et G. Taylor, Paris, 2000, V, ii, 552 ; Peines d’amour perdues, trad. J. Malaplate : « Mon pouvoir, quand j’étais au monde, au monde alla s’étendre. » 12. On se demande si ce traitement du thème d’abord exaltant, puis ironique dans deux pièces séparées n’a pas influencé la conception de W. Alexander, qui avait certainement connu les œuvres de Marlowe. 13. C. Marlowe, Tamburlaine the Great, Part I, dans Doctor Faustus and Other Plays, op. cit., II, v, 50.

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Les sources probables de Marlowe, et notamment Les diverses leçons de Pierre Messie, fournissent l’arrière-plan de cette association à double tranchant. Selon l’auteur, « il ne fut moinde qu’Alexandre, ou s’il le fut, c’estoit bien peu14 ». Mais la gloire et la grandeur qui le rapprochent de son modèle ne font qu’augmenter le contraste brutal mais banal avec son impuissance face à la mortalité : Ces choses accomplies, & ayant ce grand personnage conquis de grans pays, vaincu, & mis à mort plusieurs Rois, & grands seigneurs, ne trouvant aucune resistence en toute l’Asie, se retira en son pays chargé d’infinies richesses, & de la compagnie des principaux de tous les pays par luy suppeditez, lesquels apportoyent quant & [sic] eux la meilleure part de leurs biens : et là fit edifier vne fort magnifique ville, […] la plus somptueuse ville du monde […] abondante & pleine de toutes richesses. Mais enfin ce grand Tamburlam, combien qu’il maintint son estat en ceste grande authorité, si est-ce que comme homme, il paya le deuoir de nature, & fini ses iours laissant deux fils, non toutefois tels que leur pere […]. (Mexía, op. cit., t. 1, p. 267-268)

Il y a un autre élément intertextuel liant le Tamburlaine de Marlowe à Alexandre. La vantardise du conquérant de Babylone insinue aussi le triomphe du principe masculin sur la féminité : And in the streets, where brave Assyrian dames Have rid in pomp like rich Saturnia, With furious words and frowning visages My horsemen brandish their unruly blades. (Tamburlaine the Great, Part II, V, i, 76-79) [Et dans les rues où de braves dames assyriennes ont pompeusement chevauché comme la riche Saturnia, avec des paroles furieuses et des visages renfrognés, mes cavaliers brandissent leurs épées déréglées.]

Le guerrier a amplement démontré ailleurs son mépris des femmes, notamment en mettant cruellement à mort les vierges de Damas qui l’avaient supplié. Mais la plus notable addition de Marlowe à ses sources est justement son invention d’une femme, Zenocrate, supposée fille du sultan d’Égypte défait, dont Tamburlaine tombe amoureux, et ce jusqu’au point de se rendre compte du danger de devenir, en effet, le captif de sa captive. Dans un long soliloque aux résonances néo-platoniciennes, le conquérant se montre sensible 14. Pero Mexía, Les diverses leçons de Pierre Messie […] Augmentées outre les precedentes impressions de la suite d’icelles, faite par Antoine du Verdier, Sieur de Vauprivaz […], trad. (pour le texte de Mexía) par C. Gruget, 2 t. en 1, Lyon, 1580, t. 1, p. 262.



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à sa beauté, voire à la beauté dans l’abstrait, mais finalement renonce à de tels « thoughts effeminate and faint » (Tamburlaine the Great, Part I, V, i, 177, « pensées efféminées et faibles »), en faveur de l’affirmation que « virtue solely is the sum of glory / And fashions men with true nobility » (Part I, V, i, 189-190, « la vertu seule résume la gloire et façonne les hommes avec la noblesse véritable »), le sens de « virtue » équivalant ici à celui de « virtù » chez Machiavel. En se représentant comme « conceiving and subduing, both » (Tamburlaine the Great, Part I, V, i, 183, « à la fois concevant et maîtrisant ») la force de la beauté de Zenocrate, ainsi qu’en respectant scrupuleusement sa chasteté, Tamburlaine aurait certainement rappelé au public élisabéthain le modèle mis en scène quelques années auparavant par Lyly. En même temps, Marlowe fait entrer en jeu un autre intertexte à connotations tout à fait différentes, à savoir l’histoire biblique de Judith et d’Holoferne, vraisemblablement par le biais de la version poétique de Guillaume de Salluste du Bartas. Cette dernière, publiée initialement en 1574 et souvent rééditée, a été rendue accessible à un plus large public anglais par la traduction de Thomas Hudson en 1584. Dans l’interprétation bartasienne fortement protestante du récit, qui visait à glorifier comme miracle divin l’assassinat de François, duc de Guise, devant les murs d’Orléans assiégé en 156315, le paradigme d’un guerrier féroce dompté par la beauté d’une femme supposée être en son pouvoir se trouve investi d’une condamnation morale et religieuse qui mine toute prétention à la magnanimité. Voici l’auto-interrogation d’Holoferne, semblable à celles de Tamburlaine et d’Alexandre chez Lyly : « Helas ! helas ! », dit-il, « faut-il donc que je vive, O change malheureux ! captif de ma captive ? Mais est-ce vivre, hélas ! quand le corps abatu Et quand l’ame abrutie ont perdu leur vertu ? […] Que me sert-il d’avoir maint prince surmonté, […] Puis que je suis vaincu par le foible pouvoir D’une esclave Judit ? […]. » (Du Bartas, La Judit, éd. cit., V, v. 41-56)

À la lumière de cet intertexte, par contre, Tamburlaine se montre comme une sorte d’Holoferne in potentia qui ne perd sa tête d’aucune manière. En effet Zenocrate, loin d’agir comme salvatrice de son peuple, tombe également amoureuse de lui, de sorte que ravisseur et captive forment finalement un couple associé dans le projet d’une conquête infinie, c’est-à-dire jusqu’à la 15. À ce sujet, voir l’introduction de A. Baïche à son édition de La Judit par G. de Salluste, sieur Du Bartas, Toulouse, 1971, p. xxi-xlvii.

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mort. L’évocation presque simultanée des images d’Alexandre et d’Holoferne a pour effet de rehausser l’ambiguïté morale qui constitue l’élément clé du personnage de Marlowe, tout en renforçant l’ironie de l’incarnation de son esprit indomptable en chair et en os. Shakespeare lui aussi a trouvé le modèle d’Alexandre utile pour commenter indirectement les limites d’un conquérant plus grand que nature, en l’occurrence Henry V, qui incite son armée à imiter leurs ancêtres, qui se battaient « like so many Alexanders16 » (« comme autant d’Alexandres »). Il est déjà implicite dans les faits historiques connus, mais explicite dans l’Epilogue de sa représentation dramatique, que la grandeur de ce roi, après ses victoires extraordinaires en France, céda à la mortalité et aux incapacités de son héritier. Ce qui rapproche la ruine de son empire du précédent alexandrin, c’est le conflit civil sanglant, connu sous le nom de la Guerre des Deux-Roses, qui s’ensuivit : Small time; but in that small most greatly lived This star of England. Fortune made his sword; By which the world’s best garden he achieved, And of it left his son imperial lord. Henry the Sixt, in infant bands crown’d King Of France and England, did this king succeed; Whose state so many had the managing, That they lost France, and made his England bleed; Which oft our stage hath shown […]. (Henry V, Epilogue, v. 5-13) [Bien courts, mais glorieux en leur brièveté / Furent les jours d’Henri, cet astre d’Angleterre ! / Car il a su, d’un fer par Fortune trempé, / Conquérir le plus beau des jardins de la terre. / [Il en a laissé son fils le seigneur impérial.] / Mais Henri Sixième, au maillot sacré roi / De deux pays, trouva bien lourd cet héritage, / Et tant de gens dans son empire ont fait la loi / Que l’un d’eux est perdu, l’autre en sanglant dommage. / Notre scène souvent vous montra ces malheurs […].] (trad. M. Sallé, op. cit., p. 241)

Néanmoins le modèle d’Alexandre ne se serait peut-être pas fait sentir derrière cette évocation de la précarité, sinon de la vanité, des exploits dus à la fortune, si ce n’était pour le double comique du grand roi inventé par le dramaturge : le capitaine gallois Fluellen. C’est lui qui met le nom clé en jeu à un moment très significatif. Il s’agit d’une action ambiguë qui risque fort de troubler l’image clémente de Henry, comme c’est explicitement le cas dans 16. W. Shakespeare, Henry V, dans The Riverside Shakespeare, op. cit., III, i, 19 (La vie de Henri V, trad. M. Sallé, Paris, 1961, III, i, p. 81).



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la Chronique de Raphael Holinshed qui servait à Shakespeare de source principale. Au moment où le roi donne l’ordre, sur le champ de bataille d’Azincourt, de tuer les prisonniers, cela pourrait être compris comme une réponse prudente à l’incertitude de la victoire : « The French have reinforc’d their scattered men » (III, vi, 36, « Les troupes dispersées des Français se rallient » trad. M. Sallé, p. 181). Mais dans la scène suivante, cette action est évoquée dans une conversation entre Fluellen et Gower, l’incarnation du bon soldat anglais, comme une simple rétribution pour le massacre des non combattants par les Français, ce qui (avec d’autres suggestions plus ou moins subtiles de la cruauté aussi des Anglais) met en cause ironiquement la remarque de Gower, « O, ’tis a gallant king ! » (III, vii, 10, « Oh ! c’est un vaillant roi ! » trad. M. Sallé, p. 181). C’est à ce moment que Fluellen, avec son accent gallois faisant glisser l’allusion, demande le lieu de naissance d’« Alexander the Pig » (III, vii, 13, « Alexandre le Kros », trad. M. Sallé, p. 181). Il se défend d’ailleurs contre la correction de Gower, « Alexander the Great » (III, vii, 14, « Alexandre le Grand ! » trad. M. Sallé, p. 181) : Why, I pray you, is not « pig » great ? The pig, or the great, or the mighty, or the huge, or the magnanimous, are all one reckonings, save the phrase is a little variations. (III, vii, 15-18) [Eh, je vous demande, le kras [sic] n’est-il pas krand ? Le kros, le krand, le puissant, l’énorme, le magnanime, c’est tout un, à part que la phrase varie un tantinet. (trad. M. Sallé, op. cit., p. 181)]

Une fois renseigné, Fluellen se lance dans une comparaison entre les héros qui n’en est pas une, proposant une ressemblance entre la Macédoine et Monmouth, où est né le roi Henry, parce qu’il se trouve une rivière aux deux endroits avec d’ailleurs des « salmons in both » (III, vii, 31, « du saumon dans les deux », trad. M. Sallé, p. 183). Cela fait rire, bien entendu, mais l’effet n’en est pas moins d’attirer l’attention sur la circulation dans la pièce des ressemblances ni directes ni forcément voulues : If you mark Alexander’s life well, Harry of Monmouth’s life is come after it indifferent well, for there is figures in all things. Alexander, God knows, and you know, in his rages, and his furies, and his wraths, and his cholers, and his moods, and his displeasures, and his indignations, and also being a little intoxicates in his prains, did, in his ales and his angers, look you, kill his best friend, Clytus. (III, vii, 31-39)

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Richard Hillman [Si on examine bien la biographie d’Alexandre, la vie de Henri de Monmouth lui ressemble assez ; en toutes choses il y a des analogies. Dieu sait – et vous savez aussi – qu’Alexandre dans sa rage, sa furie, ses emportements, ses colères, ses humeurs, ses déplaisirs et ses indignations, et aussi étant quelque peu enivré du cerveau, pris de fureur et de boisson, tua son meilleur ami : Clitus. (trad. M. Sallé, p. 183)]

C’est l’exemple classique du manque de maîtrise de soi d’Alexandre, et si la ressemblance est tout de suite niée par Gower (« Our king is not like him in that ; he never killed any of his friends », III, vii, 40-41 ; trad. M. Sallé, p. 183, « En cela, notre roi ne lui ressemble guère. Il n’a jamais occis aucun de ses amis ! »), Fluellen a recours à ses « figures et comparisons » (III, vii, 44, « métaphores et comparaisons ») pour insister sur la ressemblance tout en la détournant : Henry manifesta « his right wits and his good judgments » (III, vii, 47 ; trad. M. Sallé, p. 183, « tout son bon sens et toute sa raison »), en bannissant son ancien compagnon frivole et dissipé, dont Fluellen oublie même le nom. Cette évocation du personnage populaire de Falstaff, dont la mort à la fois pathétique et comique avait été narrée plus tôt dans la pièce, entre ainsi en résonance, malgré l’adoration infaillible de ses hommes, avec le côté inhumain et destructeur du grand conquérant anglais qui voudrait aussi avoir une réputation de clémence. Par contraste, personne n’aurait qualifié Hamlet de héros glorieux dans la lutte qu’il mène à contrecœur pour venger son père assassiné, lui-même le dernier. Et lorsqu’il cite, dans la scène au cimetière du dernier acte, le nom d’Alexandre, c’est pour pousser avec une logique acharnée la leçon du memento mori jusqu’à son extrême conclusion, à savoir la futilité de tout effort humain : Alexander died, Alexander was buried, Alexander returneth to dust, the dust is earth, of earth we make loam, and why of that loam whereto he was converted might they not stop a beer-barrel ? (Hamlet, dans The Riverside Shakespeare, op. cit., V, i, 207-212) [Alexandre est mort, Alexandre est enterré, Alexandre retourne à la poussière : la poussière est de la terre ; avec la terre on fait de l’argile, et pourquoi cette argile qu’il est devenu ne boucherait-elle pas un tonneau de bière ? » (trad. M. Castelain, Paris, 1977, p. 287)]

Ainsi on est ramené au soliloque très connu où Hamlet a pesé l’intérêt d’une action héroïque qui pourrait mener à la mort : « to take arms against a sea of troubles, / And by opposing, end them » (III, i, 58-59 ; trad. M. Castelain, p. 17, « de s’insurger contre un océan d’ennuis et d’y mettre fin par la révolte »). La



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pensée du protagoniste ne semble pas avoir beaucoup avancé. Il paraît bloqué par le même obstacle intérieur qu’auparavant : [...] the native hue of resolution Is sicklied o’er with the pale cast of thought, And enterprises of great pitch and moment With this regard their currents turn awry, And lose the name of action. (III, i, 83-87) [La réflexion fait de nous tous des pleutres, c’est ainsi que le naturel éclat de la volonté prend les pâles couleurs de la pensée, et que des desseins de grande portée, de large envergure, changent de cours à cette idée et perdent le nom de l’action. (trad. M. Castelain, p. 175, 177)]

Cependant on est maintenant près de la fin violente de la pièce, où Hamlet éliminera son ennemi, même si c’est grâce à des circonstances imprévisibles et à ses propres dépens. Il s’est déjà montré violent à sa manière envers Rosencrantz et Guildenstern, manière qu’il qualifie, tout en vantant son fait, de spontanée et d’imprudente :               Rashly And prais’d be rashness for it – let us know, Our indiscretion sometime serves us well When our deep plots do pall […]. (V, ii, 6-9) [Imprudemment, et vive l’imprudence ! car la déraison, sachons-le, nous sert bien parfois, alors que nos belles combinaisons flanchent […]. (trad. M. Castelain, op. cit., p. 293)]

En fait, Alexandre n’est pas le seul modèle classique de memento mori que Hamlet trouve au cimetière ; le protagoniste lui juxtapose l’exemple de César : Imperious Caesar, dead and turn’d to clay, Might stop a hole to keep the wind away. O that that earth which kept the world in awe Should patch a wall t’expel the winter’s flaw ! (V, i, 213-216) [L’impérieux César, mort et changé en glaise, pourrait boucher un trou pour arrêter le vent. Hélas, que cette terre qui répandait l’effroi sur terre, rapièce un mur et chasse la bise de l’hiver ! (trad. M. Castelain, p. 287)]

Cette juxtaposition était assez répandue à l’époque, grâce surtout aux vies parallèles de Plutarque, mais l’on trouve des réflexions particulièrement pertinentes chez Montaigne, dont Shakespeare connaissait certainement les Essais,

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sans doute dans l’original ainsi que dans la traduction anglaise de John Florio, qui aurait dû circuler en manuscrit avant sa publication en 160317. En se penchant sur l’héroïsme, Montaigne, dont les images et le vocabulaire recoupent de façon frappante ceux de Hamlet, juge que César était : un peu plus retenu et consideré en ses entreprinses qu’Alexandre : car ­cettuy-cy semble rechercher et courir à force les dangers, comme un impetueux torrent qui choque et attaque sans discretion et sans chois tout ce qu’il rencontre18.

Même chez César, Montaigne trouve « une certaine résolution de se perdre, pour fuyr la honte d’estre vaincu19 », c’est-à-dire un refus de « suffer  / The slings and arrows of outrageous fortune » (Hamlet, III, i, 56-57 ; trad. M. Castelain, p. 175, « souffrir […] les flèches et les coups de la Fortune hostile »). En effet, à la différence de Hamlet, « ces gens là ont eu je ne sçay quelle plus qu’humaine confiance de leur fortune20 ». Leur courage n’était pas que de l’« hardiesse temeraire21 » de la jeunesse. Face à ces deux modèles, lorsqu’il les confronte sous la même forme de la terre puante, Hamlet a l’air de privilégier finalement celui d’Alexandre, moins « retenu et consideré », conformément à sa louange récente de « rashness ». En acceptant, malgré ses doutes bien fondés, le combat d’escrime évidemment truqué que lui proposent Claudius et Laertes, il « semble rechercher et courir à force les dangers […] sans discretion et sans chois ». Mais aussi, dans son cas, sans confiance pour sa « fortune », un concept qu’il transforme 17. Voir R.  Hillman, French Reflections in the Shakespearean Tragic : Three Case Studies, Manchester, 2012, p. 15 et p. 81-82, n. 1. 18. Michel de Montaigne, Les Essais de Michel de Montaigne. Édition conforme au texte de l’exemplaire de Bordeaux avec les additions de l’édition posthume, etc., éd. P. Villey et V.L. Saulnier, Paris, 1978, II, 34, 739A, « somewhat more warie and considerate in his enterprises, than Alexander ; for the latter seemeth to seek out, and by maine force to runne into dangers, as an impetuous or raging torrent, which without heede, discretion, or choise, shockes and checkmates what ere it meteeth withall » (Montaigne’s Essays, trad. J. Florio, éd. L. C. Harmer, Londres, 1965, t. 2, p. 468). Afin de faciliter la comparaison linguistique entre les deux versions de la source accessibles à Shakespeare, nous donnons pour chaque citation de Montaigne le passage équivalent dans la traduction de Florio. 19. Les Essais de Michel de Montaigne, op. cit., II, 34, 740A, « me seemeth I reade in diverse of his exploits, a certain resolution rather to lose himself, then to abide the brunt or shame to be overthrowne » (trad. J. Florio, op. cit., t. 2, p. 469). 20. Les Essais de Michel de Montaigne, op. cit., II, 34, 740A, « such men have had a kinde of more than humane confidence of their fortune » (trad. J. Forio, op. cit., t. 2, p. 469). 21. Les Essais de Michel de Montaigne, op. cit., II, 34, 741A, « rash fond-hardinesse » (trad. J. Florio, op. cit., t. 2, p. 471).



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dans son imaginaire fataliste en « a divinity that shapes our ends » (Hamlet, V, ii, 10 ; trad. M. Castelain, p. 293, « une divinité qui [à nos plans] donne leur forme »). La résolution qu’il trouve revient donc à une « hardiesse temeraire », ou « rash fond-hardinesse », qui, dans les circonstances, s’avère suicidaire. Finalement, le modèle d’Alexandre lui sert de prétexte pour se permettre la solution de la mort qui l’avait attiré dès le début : « a consummation / Devoutly to be wished » (Hamlet, III, i, 62-63 ; trad. M. Castelain, p. 175, « une conclusion à souhaiter dévotement »). C’est l’exemple ultime dans le théâtre anglais de l’intégration de ce modèle à la fois de la gloire et de la vanité dans une dynamique non seulement symbolique mais profondément psychologique, qui se joue dans les coulisses de l’esprit. Richard Hillman Université de Tours

Présence d’Alexandre sur la scène jésuite à la fin du xviie siècle et au xviiie siècle : titres et programmes de spectacles dans les provinces de Germanie Le texte de nombreuses pièces jésuites n’ayant été conservé ni sous forme manuscrite ni sous forme d’imprimé, les traces qu’il nous reste de ces productions théâtrales sont souvent minimes : principalement des titres répertoriés au fil du temps et des programmes de spectacles conservés au gré des bibliothèques. Nous nous proposons de donner un petit aperçu de quelques-unes de ces traces à travers deux programmes1 (l’un concernant une tragédie, l’autre une comédie) et l’analyse de quelques titres. Nous choisissons volontairement deux documents datés du xviiie siècle en complément de la tragédie de Pierre Mousson, datée de 1621, que nous avons présentée plus haut. Nous commencerons par évoquer une comédie où Alexandre le Grand n’est plus que le faire-valoir d’un « tout petit Alexandre » : elle s’intitule Alexander parvulus magno major in scenam datus a Rudimentorum Discipulis Elect. Gymnasii Landishutani2 et elle a été représentée au mois de mai 1734 à Landshut, où son programme de représentation a été mis sous presse par l’imprimeur Simon Golowitz. Ce programme avait déjà été recensé dans le précieux ouvrage de J.-M. Valentin3, et il est à présent accessible librement en version numérisée4. Il consiste en une page de titre, un argument et une pro-

1. Un programme consistait en un ou plusieurs feuillets, rédigé(s) en latin et/ou en langue vernaculaire afin d’informer le public du spectacle qui allait être donné et de lui permettre de prendre connaissance de l’intrigue et du déroulement de la pièce, de la liste des acteurs… 2. Tout petit Alexandre plus grand que le Grand, joué sur scène par les élèves des classes élémentaires du Gymnase des Électeurs de Landshut : il s’agit donc d’un des spectacles qui se jouaient dans les collèges des princes ou évêques de l’Empire germanique. 3. J.-M. Valentin, Le théâtre des Jésuites dans les pays de langue allemande : répertoire chronologique des pièces représentées et des documents conservés (1555-1773), Stuttgart, 1983-1984, p. 651, notice 4983. 4. La page de titre, l’argument et la progression scène par scène, la liste des acteurs et des personnages sont consultables sur le site europeana.eu (URL : ader.digitale-sammlungen.de/ de/fs1/object/display/bsb10382335_00001.html). L’entrée d’Alexandre le Grand sur la scène européenne éd. Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas Turnhout, 2017, (Alexander Redivivus, 9) p. 267-276 © F H G

DOI 10.1484/M.AR-EB.5.113449

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gression scène par scène, avec liste finale des acteurs et personnages. Aucune autre trace ne semble avoir été conservée de ce spectacle. En voici l’argument : Scenulae nostrae praebet Alexander, Regis Scotorum filius, cui Mathildis soror persuasit, spreto ut regno terreno, caeleste appeteret, mutatoque idcirco habitu, secum in eremum clanculum aufugeret. Ibi ambo latitantes, vitam duxere sanctissimam, caeloque securius, quam sceptro ac purpura sunt potiti. [Sur notre petite scène apparaît Alexandre, fils du roi des Scots, que sa sœur Mathildis a persuadé, par mépris pour le royaume terrestre, de chercher à atteindre le royaume céleste et, en travestissant son apparence, de s’enfuir avec elle en cachette dans le désert. Là, tous deux menèrent une vie très sainte, en demeurant cachés, et ils disposèrent avec plus de sérénité des cieux que du sceptre et de la pourpre.]

La progression scène par scène présente des péripéties dans lesquelles interviennent de jeunes compagnons de cour du tout petit Alexandre, ainsi que le plan que ce dernier met en œuvre pour fuir : Scena I. Dum Alexander, Gratiano vafre circumvento, fugam adornat, Scena II. Eidem magnam, contra atque intenderat, invidiam conflat, Scena III. Gravi idcirco inter aulicos orta altercatione, Scena IV. Quam dum morio, Scena V. Et nanus aulicus sedare parat, Scena VI. Alexander interim, Gratianum, veste referens, clam discedit. Scena  VII. Ravellinus igitur Gratianum velut multiplicis furti reum, aufugisse ratus, Scena VIII. Eundem a fuga retrahi jubet. Scena IX. Unde aula minore Principis natalem celebrante, Scena X. Rusticellus, quem Gratianum credebant, reductus, furtique apud Principem insimulatus est. Scena XI. Ubi vero se omnino deceptos, ipsumque adeo Alexandrum ex aula profugisse intellexerunt, Scena XII. Summopere omnes consternati, Alexandri fugam Regiis parentibus indicatum eunt. [(Scène  I)  Pendant qu’Alexandre prépare sa fuite, assiégé avec fourberie par Gratianus, (scène II) contrairement à ses intentions, il excite la haine contre lui, (scène III)  pour cette raison une importante altercation se trouve engagée entre les membres de la cour. (scène IV) Pendant qu’un bouffon (scène V) et qu’un nain de cour s’apprêtent à ramener le calme, (scène VI) Alexandre s’éloigne en cachette, détournant Gratianus par son vêtement. (scène  VII) C’est pourquoi Ravellinus, croyant que Gratianus a pris la fuite sous le coup d’une accusation de vol multiple,



Présence d’Alexandre sur la scène jésuite à la fin du xviie 269 siècle et au xviiie siècle (scène VIII) lui ordonne de revenir de sa fuite. (scène IX) D’une cour plus petite qui célèbre l’anniversaire du prince, (scène X) on ramène Rusticellus que l’on confondait avec Gratianus et on l’accuse à tort de vol auprès du Prince. (scène XI) Quand tous ont compris qu’ils ont été en vérité complètement trompés et qu’Alexandre lui-même s’est enfui du palais, (scène XII), ils s’affolent au plus haut point et ils vont annoncer la fuite d’Alexandre à ses parents royaux.]

Ces scènes présentent un double aspect : d’une part, une volonté d’édification morale, d’autre part, une réalisation de « potaches ». En effet, l’édification morale est rappelée dans la traditionnelle formule « Omnia ad Majorem Dei Deiparaeque Virginis Honorem et Gloriam5 » et ces scénettes traduisent la volonté du « tout petit Alexandre » qui, loin de partager les jeux et disputes de ses camarades, s’en sert pour mener à bien un dessein beaucoup plus sérieux : échapper à sa vie de cour, à son destin royal tout tracé et donc à un règne terrestre, pour se retirer du monde et se consacrer à une vie humble, solitaire et contemplative. Le titre général de la pièce nous invite à y voir le renoncement à une destinée comparable à celle d’Alexandre le Grand, destinée à laquelle son prénom et son statut royal prédestinaient ce personnage principal. Le jeu entre les trois adjectifs parvulus, magno et major6 souligne l’aspect paradoxal du rapport établi (le plus petit est le plus grand) et célèbre les qualités exceptionnelles de ce prince des Scots. La lourdeur et la vanité de la cour sont perceptibles dès la liste des personnages où nombreux sont les « fils de… », les « préfets suprêmes7 »… Le lien avec Alexandre le Grand est certes ténu. Mais le rejet de la grandeur du conquérant antique semble clair ; ce dernier est « déchu » dès le titre de cette comédie, puisqu’un « tout petit » est plus grand que lui. Une image très négative du personnage a certainement été inculquée à ces élèves : vanité du pouvoir, de la quête insatiable de la puissance et des richesses. Ce « tout petit Alexandre » serait-il un Alexandre qui aurait échappé à l’héritage d’un Philippe ? Il quitte volontairement la cour de ses parents sans les prévenir, pour se retirer de la vanité du monde en un lieu – un désert – qui se veut clairement référence christique ( Jésus dans le désert). 5. « Tout pour le plus grand honneur et la plus grande gloire de Dieu et de la Vierge, mère de Dieu. » la devise jésuite est « Ad maiorem Dei gloriam » (« pour la plus grande gloire de Dieu »). 6. Ils signifient « tout petit » (diminutif ), « grand » et « plus grand ». 7. On compte Ravellinus, fils du préfet suprême (praefecti supremi) du palais, Sisenandus, fils du préfet militaire suprême, Pharamundus, fils du préfet suprême de la chasse, Caballinus, fils du préfet suprême de l’écurie…

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La pièce reçoit la caution du Père jésuite Georges Reeb : « P. Georgius Reeb in regulis Christianae prudentiae8. » Est-il l’auteur de cette petite comédie ou bien ne fait-il qu’en autoriser la représentation ? Difficile de le savoir puisque son identité n’est pas clairement établie. S’agit-il du Père George Reeb dont les archives de la Compagnie de Jésus gardent trace9 ? Natif d’Eischstadt, il serait devenu jésuite en 1615, à l’âge de 22 ans, et aurait enseigné humanités, philosophie et théologie morale. Il aurait aussi dirigé les collèges de Mindelheim et de Dillingen, et serait mort en 1662 à Munich, laissant des œuvres à portée philosophique et théologique. Dans l’hypothèse où il s’agirait bien de ce personnage, les dates laisseraient penser qu’il serait l’auteur de cette petite comédie ou du moins d’une première version qui aurait été réutilisée et/ou modifiée en 1734. Cela ne serait pas improbable puisque le texte des pièces jésuites, imprimé ou manuscrit, circulait beaucoup entre les établissements à cette fin. Il est donc possible que ces scènes aient été réécrites par des élèves vers 1734 à partir d’un texte (original ?) du xviie siècle. Mais rien ne permet de confirmer une telle hypothèse, en l’état actuel des connaissances, faute de documents complémentaires. Il peut aussi ne s’agir que d’un personnage homonyme qui enseignait vers 1734 au collège de Landshut et qui, sans en être l’auteur, aurait autorisé cette petite pièce et sa représentation. Il arrivait en effet fréquemment que les comédies soient l’œuvre des élèves, contrairement aux tragédies. L’intention « potache » est évidente dans ces scénettes qui concentrent des éléments traditionnels de la comédie : le travestissement, le quiproquo, la fuite et la poursuite, ainsi que les mouvements d’encerclement de Gratianus10, des noms de personnages portant à rire (par le sens, tel Caballinus11, par les consonances, tel Dasdipozbombilus, bouffon de la petite cour) ou la polysémie de certains termes comme aula12. Nombreux étaient les figurants prévus, comme en atteste la liste des personnages ; ainsi chaque élève de ces classes élémentaires apparaissait sur scène. 8. « Le Père George Reeb dans les règles de la sagesse chrétienne. » 9. Augustin et Aloïs de Backer, Bibliothèque des écrivains de la Compagnie de Jésus ou notices, t. 3, Liège et Paris, 1869-1876. 10. Mouvement tournoyant de Gratianus dans la scène I (« Gratiano vafre circumvento »), qui encercle à lui seul Alexandre. 11. Ce nom est formé sur la racine du mot « cheval » et s’impose pour désigner le fils du préfet de l’écurie ; ce qui pourrait se traduire par « petit cheval ». 12. L’aula est la cour royale, le palais, tout comme la salle des actes dans les collèges, là où se déroulent les représentations ; l’expression signifie donc en même temps « entre les membres de la cour » et « entre les membres du collège ».



Présence d’Alexandre sur la scène jésuite à la fin du xviie 271 siècle et au xviiie siècle

Alexandre le Grand n’est ici appelé qu’en comparaison de ce jeune prince au même nom, comme un faire-valoir de cette incarnation chrétienne du détachement du monde terrestre. Selon toute apparence, il n’apparaît pas en scène sous une forme ou sous une autre (le spectre était, par exemple, une figure couramment utilisée dans ces pièces de collège). Il ne devait être présent que dans le titre et peut-être dans les propos des personnages ; un tel effacement correspond à l’image négative qu’on voulait donner de lui en contrepoint des valeurs chrétiennes, mais il est rare car Alexandre le Grand est le plus souvent valorisé sur la scène jésuite, comme le montre le deuxième document que nous présentons, le programme de représentation de la tragédie, la Fortune d’Alexandre. L’Alexandri Magni Fortuna13 fut représentée les 3 et 5 septembre (désigné sur le programme comme « mois d’automne ») 1758, au collège jésuite de Fribourg en Brisgau. Une particularité de ce programme, sa version bilingue dès la page de titre, d’abord en latin, puis en allemand (en caractères gothiques), nous rappelle que cet effort était fait dans un souci pédagogique à l’intention de spectateurs qui ne maîtrisaient pas la langue latine et qui pouvaient ainsi prendre connaissance, sans problème de compréhension, de l’argument de la pièce. Le thème repris dans cette œuvre est la conjuration qui aurait été menée par Philotas contre Alexandre ; la source explicitement revendiquée est le livre VI des Histoires de Quinte-Curce (chapitres 7 à 1114). Dans l’argument, les acteurs s’expriment à la première personne et font état de deux jugements antithétiques qui se sont opposés dès l’époque d’Alexandre à propos de la responsabilité de Philotas, avant de préciser que, dans cette pièce, le personnage de Philotas sera considéré comme coupable de ce complot. L’intrigue est censée se dérouler chez un peuple de Perse, les Dranges. Le prologue est prononcé par une personnification de la Tempête, qui a sévi sur la tête d’Alexandre et qui présente le déroulement de la tragédie. Voici ce qui ressort de la trame de la pièce, dont le texte intégral ne semble pas avoir été conservé. L’acte I commence sur un Alexandre triomphant qui répartit le butin entre ses différents généraux et qui se voit décerner des honneurs « divins », ce qui attise la hargne des conjurés qui fomentent un complot contre lui. La suite de la pièce se concentre principalement sur un seul 13. J.-M. Valentin, op. cit., p. 679, notice 5224. La pièce s’intitule Alexandri Magni Fortuna Tragoedia Das ist Alexander der Grosse König in Macedonien Entgehet glücklich der wider Ihn durch den Philotas angesponnenen Zusammen-Verschwörung. Page de titre, argument et liste des personnages sont accessibles en ligne sur le site de la Zentralbibliothek de Zürich à l’URL http:// www.e-rara.ch/zuz/content/titleinfo/7939979 ou http://dx.doi.org/10.3931/e-rara-25222. 14. Le programme précise en effet, à la suite de l’argument, Q. Curt. Lib. 6.

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conjuré, Philotas, qui cherche à faire de son fils son complice. Le passage de l’acte I à l’acte II se fait par des danses baptisées « divertissement perse » (« ludus persicus »), contrairement aux trois chœurs suivants qui reproduiront une sorte de procès concernant la fortune d’Alexandre, faisant surgir le genre judiciaire au théâtre. L’acte II s’ouvre sur la révélation au roi de cette conspiration, mais sans que le nom du meneur soit révélé, d’où l’incarcération de Cratère suite à des soupçons habilement suscités par Philotas et confirmés par un autre conjuré, Démétrius. Le chœur I s’intitule Alexandri M. Fortuna in Judicium vocata15. L’acte III met en scène des partisans du Macédonien : tout d’abord Cléandre qui cherche à en apprendre davantage sur ce complot, puis Léonatus qui blâme Philotas, enfin Caenus (Coenus), l’ami fidèle du roi. L’espoir de faire reconnaître l’innocence de Cratère renaît. Dans le chœur II, la fortune d’Alexandre est accusée et défendue16, ce qui correspond à un jeu rhétorique existant depuis l’Antiquité, avec deux thèses opposées soutenues successivement, exercice qui mettait l’art oratoire en valeur. À l’acte IV, Philotas, convoitant le royaume d’Alexandre, rejette les sages conseils de son fils qui s’inquiète tant pour le roi que pour son père. Cratère finit par être libéré et il est accueilli sous les applaudissements de ses amis. Le chœur III prononce la sentence sur la fortune d’Alexandre17. Enfin, l’acte V commence par un quiproquo : Philotas, qui a exhorté les conjurés à passer à l’action, apprend, par une fausse rumeur, la mort du roi, qu’il rencontre ensuite inopinément. Il tente à nouveau de calomnier Cratère, mais sa perfidie est percée à jour et il est condamné et supplicié. A priori cette intrigue théâtrale ne fait pas d’Alexandre un personnage essentiel ; elle est plutôt prétexte à montrer le triomphe final du bien à travers l’innocence reconnue d’un Cratère calomnié, emprisonné, face au mal incarné par Philotas. L’édification morale est évidente, mais, en l’absence du texte théâtral intégral, il est impossible d’en dégager des caractéristiques spécifiquement chrétiennes. Nous avons gardé trace de deux autres tragédies de collège sur la conjuration de Philotas. Les 3 et 6 septembre 1734, au collège jésuite d’Amberg, a été représentée une tragédie intitulée Philotas perduellis (Philotas ennemi public18) qui portait sur la découverte de la trahison de Philotas à l’égard d’Alexandre et 15. La fortune d’Alexandre le Grand déférée en justice. 16. Fortuna Alexandri accusata & defensa. 17. De Fortuna Alexandri Sententia. 18. J.-M. Valentin, op. cit., p. 647, notice 4949. La pièce est aussi intitulée Philotas Perduellis Tragoedia Das ist Philotae wider Alexander König in Macedonien verübte Treulosigkeit Einstens entedecket und mit dem Todt abgestraffet.



Présence d’Alexandre sur la scène jésuite à la fin du xviie 273 siècle et au xviiie siècle

sa punition par la mort. Les 25 et 26 septembre 1741 fut au contraire représentée au collège jésuite de Trèves une tragédie intitulée Alexander Magnus19 qui mettait en scène l’accusation de Philotas et son innocence finalement découverte. Il est intéressant de constater que les deux versions sur l’implication de Philotas ont intéressé ces membres de la Compagnie de Jésus, ne serait-ce que par les variations argumentatives qu’elles permettaient ; mais nous manquons d’éléments pour distinguer quel portrait d’Alexandre y était dressé. Une autre conjuration contre Alexandre a fait l’objet de tragédies néo-latines, celle à l’instigation d’Hermolaus. L’auteur d’Alexander trans Tanaim (Alexandre au-delà du Tanaïs) est clairement identifié20. Né le 27 septembre 1729 à Schärding en Bavière et mort le 29 septembre 1800 à Vienne, Johann Nepomuk Cosmas Michael Denis, dit Michael Denis, entra dans la Compagnie de Jésus en 1747 et enseigna dans différents collèges. Il est resté célèbre notamment pour ses recueils de poèmes qui lui ont valu la dénomination de Sined der Barde (Michael le barde). Cette pièce a été conservée parmi les Michaelis Denisii Carmina quaedam21. En voici l’argument : ARGUMENTUM. Mos erat Principibus Macedonum adultos liberos Regibus tradere ad munia haud multum servilibus ministeriis abhorrentia. Ex his Hermolaus, Alexandro ultra Tanaim militante, cum aprum telo occupasset, quem Rex ferire destinaverat, jussu ejus verberibus afficitur. Quam ignominiam aegre ferens cum pluribus ejusdem Cohortis consilium init Regem occidendi. Sed Epimenes conjuratorum e numero, dum Eurylocho fratri, quid pararetur, aperit, ab eo perductus ad Regem totius proditionis exponit seriem. Alexander Eurylocho fratrem donat, reliquos facinoris participes necari jubet. Haec fere verbis Q. Curtii L, VIII. [Argument L’usage était de consacrer, auprès des rois, à des fonctions qui n’étaient pas très éloignées de celles des serviteurs esclaves, les enfants déjà grands 19. J.-M. Valentin, op. cit., p. 709, notice 5500. La pièce s’intitule Innocentia sero detecta in Philota Alexandri Magni supremo Duce. Tragoedia. 20. Voir par exemple L. Fladerer, « Die lateinische Autobiographie des Michael Denis » dans Autobiographie : eine interdisziplinäre Gattung zwischen klassischer Tradition und (post-) moderner Variation, éd. U. Baumann et K. A. Neuhausen, Bonn, 2013. Voir aussi pour cette pièce August Friedrich von Pauly, Anthologia poematum Latinorum aevi recentioris, Tübingen, 1818 (en appendice figurent Alexander trans Tanaim, p. 297-316, et une notice biographique de Michael Denis, p. 320) et F. Reisinger Die dramatischen Dichtungen des Michael Denis, Vienne, 1962. 21. Michaelis Denisii Carmina quaedam, Vienne, 1794, p. 27-48. J.-M. Valentin, op. cit., p. 800, notice 6314.

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Patricia Ehl des princes macédoniens. Parmi eux Hermolaus fut puni de coups de verges sur ordre d’Alexandre, qui effectuait des manœuvres militaires audelà du Tanaïs, parce qu’il s’était rendu maître, avec un javelot, d’un sanglier que le Roi avait décidé d’abattre lui-même. Supportant avec peine ce déshonneur, il forma, avec un assez grand nombre de compagnons de la même cohorte, le projet de tuer le roi. Mais Épimène, qui était au nombre des conjurés, dévoile à son frère Euryloque ce qu’il préparait ; conduit par ce dernier jusqu’auprès du roi, il lui expose la trame de toute la trahison. Alexandre accorde la vie de son frère à Euryloque, il ordonne que les autres participants au crime soient tués. Ce sont presque les mots de Quinte-Curce au livre VIII.]

Cette pièce mériterait une lecture et une analyse complètes qu’il n’est malheureusement pas possible de réaliser ici. Il en ressort en effet une injonction religieuse forte. Prenons à titre d’exemple quelques éléments de la réplique finale de la pièce, qui revient à Alexandre : Sic Deis Curae sumus. Agnosco vestram, Numina ! et veneror opem. […] Qui dedit vitam alteri, Condignum ab uno munus accipiet Polo. [Ainsi nous prenons soin des dieux. Je reconnais votre aide, divinités, et je la vénère. […] Celui qui a accordé la vie à un autre, recevra un présent tout à fait digne d’un seul Ciel.]

L’allusion à « celui qui a offert une vie » renvoie probablement à Alexandre lui-même, qui a laissé la vie sauve au frère d’Euryloque. Si cette hypothèse se vérifiait, cette pièce rejoindrait celles qui ont dû faire d’Alexandre un personnage christianisé. En effet, dans certains titres, la piété d’Alexandre est mise en avant, et parfois de manière surprenante : ainsi a été représenté à Aix-la-Chapelle, les 25 et 26 septembre 1733, un Alexander Magnus in Dario Persarum rege devicto mage pius quam fortis22. Amoindrir ainsi le courage et la force du conquérant est étonnant, mais l’absence du texte de la pièce ne permet pas de vérifier si Alexandre y était vraiment présenté comme un personnage qui se distinguait avant tout par sa piété, une sorte d’Alexandre chrétien (malgré l’anachronisme) qui ne devrait ses succès qu’à une volonté et à un soutien divins. Une autre tragédie met cette piété en avant, dans un parallèle là aussi déroutant entre Alexandre et Œdipe : les 26 et 27 septembre 1749 au collège de 22. Alexandre le Grand plus pieux que fort à l’occasion de la défaite totale de Darius, roi de Perse ; J.-M. Valentin, op. cit., p. 640, notice 4892.



Présence d’Alexandre sur la scène jésuite à la fin du xviie 275 siècle et au xviiie siècle

Juliers est représentée une Pietas bis victrix duplici coronata lauro. Trageodia duplex sive Alexander in Darium, Oedipus in Lajum victores pii23. Alexandre et Darius aurait été jouée le premier jour, Œdipe le deuxième, et ce parallèle ne cesse d’étonner parce qu’il est inattendu, sauf s’il n’est qu’un moyen commode d’établir un lien a posteriori entre deux pièces qu’on avait décidé de jouer indépendamment l’une de l’autre. D’autres pièces s’inspirent de l’image d’un Alexandre conquérant au grand cœur : le 5 décembre 1702 fut représentée, au collège jésuite de Vienne, la tragédie Alexandri Magni Victoria cum clementia (La victoire clémente d’Alexandre24). Peut-être y mettait-on en valeur le fait qu’Alexandre se serait tenu prêt à négocier la reddition de Darius et qu’il s’était montré très clément avec la famille de Darius, capturée avant même la mort du roi de Perse. De même, peut-être la pièce Alexandri lachrymae (Les larmes d’Alexandre25), représentée au collège d’Eischstätt en mai 1758, reposait-elle sur les moments émouvants qu’Alexandre vécut face au destin de la famille de Darius : larmes lors de la mort de Statira, larmes provoquées par le chagrin des jeunes descendants perses devant la dépouille du roi. La rareté de ces scènes leur donne une valeur redoublée puisque les larmes d’Alexandre apparaissent par ailleurs principalement à la mort de Bucéphale, son extraordinaire cheval et fidèle compagnon. Enfin, certains titres de pièces restent trop laconiques pour qu’on puisse en dégager des perspectives précises ou même des hypothèses : l’Alexander Magnus26 représentée à Linz en 1692, l’Alexander et Darius27, mise en scène en 1728 au collège de Cologne, et Porus et Alexander, jouée à Linz en 1750, nous renvoient seulement à l’activité du conquérant, tandis que Clitus ab Alexandro Magno inter epulas interfectus28, spectacle donné à Soleure en 1720, évoque un épisode plus précis. 23. La Piété deux fois victorieuse, doublement couronnée de laurier. Double tragédie, c’est-à-dire Alexandre contre Darius, Œdipe contre Laïos, de pieux vainqueurs. Voir P. Bahlmann, JesuitenDramen der niederrheinischen Ordensprovinz, Beihefte zum Centralblatt für Bibliothekswesen, 15 (1896), p. 73 ; J.-M. Valentin, op. cit., p. 773, notice 6071. 24. J.-M. Valentin, op. cit., p. 465, notice 3545. L’auteur de la partition musicale correspondant à cette pièce était Johann Bernhardt Staudt. 25. J.-M. Valentin, op. cit., p. 851, notice 6769. 26. J.-M. Valentin, op. cit., p. 397, notice 3068. La pièce aurait été représentée à l’occasion d’une cérémonie de remise de prix et l’enseignant-dramaturge serait le Père Julius Salz d’après J. Fröhler (« Zur Schauspieltätigkeit der Studenten am Linzer Jesuitengymnasium », Historisches Jahrbuch der Stadt Linz, 1955, p. 241). 27. J.-M. Valentin, op. cit., p. 606, notice 4622. 28. Clitus tué par Alexandre le Grand au milieu d’un banquet, aussi désigné sous le titre allemand Clitus von Alexander getötet ; J.-M. Valentin, op. cit., p. 493, notice 4235.

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Si ces quelques traces peuvent laisser penser qu’Alexandre n’a pas été un personnage très recherché par le théâtre néo-latin jésuite, il faut absolument rectifier pareil jugement. Tout d’abord ce petit aperçu n’a aucune prétention à l’exhaustivité ; d’autre part, il ne concerne que les provinces jésuites de Germanie ; enfin, il ne rend pas compte, faute de documents appropriés, d’un phénomène bien attesté ailleurs : une première pièce pouvait connaître une postérité au fil des décennies, être réécrite par d’autres Pères jésuites et à nouveau représentée, sans que nous en ayons d’attestation. Il faut donc imaginer la production théâtrale de ces provinces à l’image de celle de la province de France où un Darius proditus29 de 1621 trouva écho, par exemple, dans un Alexandre le Grand30 représenté au collège de la Flèche en 1688 ou dans l’Alexandre le Grand de Jean Paillot31 joué à Paris, au collège Louis le Grand en 1690. Patricia Ehl Université de Lorraine HISCANT-MA

29. Voir P. Mussonius, Tragoediae seu diversarum gentium et imperiorum magni principes dati in theatrum collegii regii Henrici magni auctore P. Petro Mussonio, Virdunensi, S. J., Flexiae apud G. Griveau, 1621. Cet auteur né à Verdun a d’ailleurs été en contact pendant une grande partie de sa vie et de sa carrière avec des territoires du Saint Empire romain germanique. 30. Le programme mentionnait « Alexandre le Grand, tragédie qui sera représentée au Collège royal de La Flèche pour la distribution des prix fondés par Sa Majesté. Le 30. Jour d’août ».. Cf. L.  Desgraves, Répertoire des programmes des pièces de théâtre jouées dans les Collèges en France (1601-1700), Genève, 1986, p. 64, no 16. 31. Deux versions du programme existaient : l’une en latin, « Jean Paillot, S.J., Alexander Magnus tragoedia dabitur in Regio Ludovici Magni Collegio Societatis Jesu ad solemnem praemiorum distributionem Rege agonotheta. Die secunda augusti, hora post meridiem prima » ; l’autre en français, « Jean Paillot, S. J., Alexandre le Grand tragédie sera représentée au Collège de Louis le Grand pour la distribution des prix fondés par Sa Majesté. Le deuxième jour d’août à une heure après midi ».. Cf. L. Desgraves, op. cit., p. 114, no 183 et 184, et dans ce volume l’article de Céline Bohnert.

Alexandre et le théâtre d’ombres grec : modalités d’une transformation mineure L’histoire du théâtre d’ombres est très ancienne. Cet art, qui consiste à projeter sur un écran des ombres provenant de figures dessinées sur différents supports, à l’aide d’une source de lumière, remonte probablement à la Chine ancienne. Parfois, on a même évoqué l’allégorie ou le mythe de la caverne de la République de Platon en tant que procédé afin d’expliquer ses implications philosophiques, religieuses ou métaphysiques. Dans cette lointaine lignée du théâtre d’ombres apparaissent le Karagöz et le Karaghiosis, leur origine étant devenue pendant un temps, et le restant parfois encore de nos jours, un enjeu quasi-idéologique ou même national, entre une filiation turque et une filiation grecque.

Éléments historiques sur le théâtre d’ombres grec Ce que nous pourrions évoquer actuellement afin de dresser la généalogie de ce théâtre d’ombres se déclinerait selon deux niveaux : – L’origine première, qui semble nous échapper, est peut-être chinoise, indienne, égyptienne ou autre. Ce qui est avéré, c’est que les premiers témoignages de sa présence ont eu lieu dans le cadre de l’Empire ottoman au xvie siècle1. – Cette première apparition ottomane, turque, au sein d’un empire par définition multiethnique, nous conduira à prendre en considération le fait que ce théâtre a circulé parmi les différents peuples de l’Empire pour devenir parfois, c’est le cas en Grèce, partie intégrante de leur tradition. Cependant, la question de la tradition dans le contexte grec revêt un sens très complexe, notamment à travers l’évolution d’un mouvement brisé, dû à un long processus historique dont les caractéristiques principales sont les 1. W. Puchner, « Οι βαλκανικές διαστάσεις του Καραγκιόζη » (« Les dimensions balkaniques de Karaghiosis »), dans Μελέτες για το θέατρο σκιών στη Μεσόγειο και στα Βαλκάνια (Études sur le théâtre d’ombres en Méditerranée et dans les Balkans), Grenade, 2015, p. 122-123, ou bien la version en allemand, W. Puchner, « Schwarzauge Karagöz und seine Geschichte auf der Balkanhalbinsel zur Zeit der Türkenherrschaft », ibidem, p. 78. L’entrée d’Alexandre le Grand sur la scène européenne éd. Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas Turnhout, 2017, (Alexander Redivivus, 9) p. 277-288 © F H G

DOI 10.1484/M.AR-EB.5.113450

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ruptures inévitables et les continuités réelles, imaginaires ou reconstruites. En effet, le développement de la culture grecque, depuis bien longtemps – au moins dès l’époque hellénistique –, s’inscrit dans une double perspective, savante et populaire, même si ces termes et les attributs qui leur sont associés varient d’époque en époque. Le Karaghiosis apparaît en tant que théâtre d’ombres grec, selon toute vraisemblance, au xixe siècle, souvent en réponse à la culture savante d’une classe dirigeante qui souhaite imposer ses points de vue et ses choix au détriment d’une expression populaire vivante2. Il semble qu’au début, le Karagöz, dans sa forme ottomane, était un spectacle à la cour du sultan, avant sa transformation populaire. Il a voyagé dans les pays balkaniques dès le xviie siècle ainsi qu’en Afrique du Nord, notamment en Algérie et en Tunisie. Sa première expression ottomane est caractérisée par une présentation licencieuse et s’adressait à un public plus ou moins jeune3. Cependant, les raisons exactes de son hellénisation4 restent complexes et dans ce domaine, il n’est possible que d’émettre des hypothèses afin d’appréhender un phénomène qui a connu un essor considérable jusqu’à l’époque contemporaine5. Dans tous les cas, nous ne pouvons pas ignorer la physionomie anticonformiste du personnage principal, Karaghiosis, ni les rapports de force qui s’installent généralement avec les autres personnages, ainsi qu’une des issues finales qui consiste à tourner en dérision son rival ou lui-même, dans le triomphe ou le désastre. Il est souvent considéré, dans son indigence complète et son esprit de raillerie, comme un vrai représentant des classes populaires, de même que son théâtre, à la marge de la production officielle, a été fréquemment méprisé par les classes supérieures. C’est, sans doute, dans cette perspective 2. Voir Th. Hadjipantazis, « Η εισβολή του Καραγκιόζη στην Αθήνα του 1890 » (« L’irruption de Karaghiosis à Athènes en 1890 »), dans Για μια επιστημονική προσέγγιση του Καραγκιόζη (Pour une approche scientifique de Karaghiosis), éd. K. Georgiadi, Héraklion, 2003, p. 312. 3. W. Puchner, « Οι βαλκανικές διαστάσεις του Καραγκιόζη » (« Les dimensions balkaniques de Karaghiosis »), art. cit., p. 122-132 et p. 149-162, et en version allemande p. 78-88 et p. 101-115. 4. Elle remonte à 1880, surtout en ce qui concerne l’utilisation de motifs provenant de la tradition populaire ou de héros de la Guerre d’indépendance grecque, voir W. Puchner, « Το ελληνικό θέατρο σκιών και το παραδοσιακό του κοινό : συμβολή στην έρευνα για το κοινό του θεάτρου » (« Le théâtre d’ombres grec et son public traditionnel : contribution à la recherche sur le public du théâtre »), dans Μελέτες για το θέατρο σκιών στη Μεσόγειο και στα Βαλκάνια (Études sur le théâtre d’ombres en Méditerranée et dans les Balkans), op. cit., p. 419 ou bien la version en anglais, W. Puchner, « Greek Shadow Theatre and its Traditional Audience. A Contribution to the Research of Theatre Audience », ibidem, p. 438-439. 5. L’apogée du théâtre de Karaghiosis pourrait se situer durant la première moitié du xxe siècle.



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de mise à l’écart et de dépréciation qu’il faut chercher l’une des raisons de son hellénisation, car le reproche principal qui lui a été fait était qu’il s’agissait d’un « théâtre asiatique », oriental, un spectacle barbare en provenance d’un monde non civilisé. Par conséquent, ce n’est pas un hasard si, selon toutes les indications, la transformation du Karagöz ottoman en Karaghiosis grec a eu lieu durant la deuxième moitié du xixe siècle à travers la « tradition épirote ». Ce sont ses représentants qui commenceront à utiliser des thématiques renvoyant aux héros de la Guerre d’indépendance grecque ainsi qu’aux héros mythologiques6. Les joueurs de Karaghiosis s’inspirent aussi bien de la tradition populaire orale, des récits merveilleux que des éditions populaires, comme celles du Roman d’Alexandre, qui connaît une très grande diffusion pendant cette période.

L’entrée d’Alexandre dans le théâtre de Karaghiosis La première référence de l’apparition d’Alexandre dans le théâtre d’ombres remonte probablement à 1879, dans le cadre d’une représentation dans un bistrot de l’île d’Eubée7 sous le titre « La belle Shirin », même s’il est légitime de penser que d’autres représentations ont eu lieu bien avant. Par ailleurs, un grand nombre de titres verront le jour tout le long du parcours d’Alexandre dans le théâtre d’ombres, comme Ο Μέγας Αλέξανδρος και το καταραμένο φίδι (Alexandre le Grand et le serpent maudit), Ο Αντίοχος και το λιοντάρι (Antiochos et le lion) ou encore Ο φοβερός όφις του αραχνισμένου σπηλαίου, (Le serpent terrible de la grotte remplie de toiles d’araignée), Ο μέγας βόας της Αφρικής (Le grand boa d’Afrique). La structure d’une pièce de Karaghiosis pourrait s’appréhender comme celle d’un conte populaire, surtout quand celui-ci est utilisé en tant que source, parmi d’autres, comme cela est en grande partie le cas dans l’histoire d’Alexandre, au travers d’une analyse morphologique. Ainsi, nous distinguerions des actions qui pourraient correspondre, dans une certaine mesure, aux fonctions de Vladimir Propp, ainsi que des éléments statiques correspondant aux personnages récurrents. De telles fonctions sont un manque ou un besoin exprimé par le souverain – le plus souvent le pacha ou un riche dignitaire –, 6. Pour une présentation détaillée, voir W.  Puchner, « Οι βαλκανικές διαστάσεις του Καραγκιόζη » (« Les dimensions balkaniques de Karaghiosis »), art. cit., p. 133-149 et en version allemande p. 88-100. 7. Ibid., p. 138-139 et dans la version en allemand, p. 93-94.

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l’entremise ou l’intervention de Khatziavatis – l’ami ou frère-ennemi et partenaire de Karaghiosis –, la collaboration avec Khatziavatis, l’acceptation d’une mission, la dérision ou la tromperie et, enfin, le triomphe – une fin heureuse ou malheureuse8. Dans les pièces avec la présence d’Alexandre, ce format général est plus ou moins respecté, avec le pacha qui décide de trouver une solution afin de libérer sa ville d’un monstre – le serpent ou le dragon – qui, par exemple, capte toute l’eau, ou encore constitue une menace et tue les habitants en les dévorant. Khatziavatis recevra l’ordre du pacha de diffuser une annonce – mission à laquelle il associera Karaghiosis – selon laquelle celui qui tuerait le monstre aurait pour récompense le mariage avec sa fille et le trône après sa mort. Plusieurs personnages du théâtre d’ombres défileront dans l’objectif de tuer le monstre, tels Stavrakas, un marginal, Sior Dionysios, un habitant de Zante avec un accent particulier, Morphonios, un homme cossu qui se croit beau, Barba-Yorgos, l’oncle de Karaghiosis, un montagnard… Le décor scénique où le combat a lieu comporte souvent la cabane de Karaghiosis et la grotte où se trouve le monstre sous la forme d’un serpent. Karaghiosis participera à l’action en aidant les différents prétendants qui seront repoussés ou mangés par le monstre, soit immédiatement, soit après avoir échoué à répondre à des énigmes, selon les versions. Bien évidemment, le seul qui réussira à tuer le monstre sera Alexandre qui, le plus souvent, refusera la récompense promise en demandant autre chose à la place, avec des variantes toujours selon les versions et l’inspiration du joueur du théâtre d’ombres. De manière générale, il y a trois intrigues fondamentales dont les protagonistes sont Alexandre ou Antiochos, et qui sont déclinées sous les différents titres précités. Les motifs principaux utilisés chaque fois sont la libération d’une ville et/ou d’une princesse victimes d’un monstre, la résolution d’énigmes et enfin le mariage ou le départ d’Alexandre. Dans cette configuration, les personnages et les fonctions principaux sont : le père – le pacha –, la fille, les autres prétendants, Alexandre, l’exploit et finalement la récompense. En définitive, la pièce où figure Alexandre introduit une nouvelle fonction dans l’évolution du théâtre d’ombres grec, celle de l’exploit ou de l’épreuve réussie, qui connaîtra des développements ultérieurs en association avec d’autres thématiques, notamment avec les héros de la Guerre d’indépendance grecque. 8. Pour une transposition des fonctions narratives de Propp dans une pièce de Karaghiosis, voir Gr. Sifakis, « Η παραδοσιακή δραματουργία του Καραγκιόζη » (« La dramaturgie traditionnelle de Karaghiosis »), dans Για μια επιστημονική προσέγγιση του Καραγκιόζη (Pour une approche scientifique de Karaghiosis), op. cit., p. 273-275.



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Sources et origines de l’apparition d’Alexandre dans le théâtre d’ombres Les sources majeures de la pièce sont tout d’abord le Roman d’Alexandre dans sa version populaire, l’hagiographie de saint Georges ainsi que la sauroctonie – la mise à mort d’un dragon ou d’un serpent. Cette action héroïque est liée à la vie du saint, mais aussi à des mythes antiques, tels ceux d’Apollon, de Persée, d’Hercule et d’autres héros, d’après lesquels le dieu tue un énorme serpent ou monstre, et enfin aux contes populaires. En effet, ce même motif où le héros tue un monstre se retrouve dans des contes populaires classés AT 3009, comme d’ailleurs le motif de la résolution des énigmes que nous avons dans d’autres versions de la pièce, dans les contes classés AT 851 ou 851A. Pourtant, la question la plus intéressante concerne la manière dont Alexandre s’introduit dans ce théâtre, quelquefois en combinant aussi des éléments qui ne semblent pas faire partie directement de sa légende. Tout d’abord, nous pouvons évoquer cette double apparition dans le théâtre d’ombres où Alexandre est parfois appelé Antiochos tout en se pliant à la même structure dramatique. Sans doute, l’origine de cette ambivalence identitaire ne peut être autre que l’épisode dans le Roman d’Alexandre qui concerne la reine Candace. Dans ce passage du Roman – assez long dans la version grecque populaire (la phyllada), que le joueur ou le marionnettiste de Karaghiosis avait certainement lue pour procéder à cette reconstitution –, Alexandre déguisé en Antiochos se rend au palais de Candace, tandis que ce dernier prend sa place au sein de son armée10. Néanmoins, dans les différentes traditions du Roman, ou du moins dans la tradition grecque et byzantine, il ne ressort pas a priori que, parmi les exploits d’Alexandre, il y ait celui d’une 9. Dans la classification d’Aarne-Thompson, le conte-type AT300 introduit la grande catégorie des contes merveilleux, il est considéré comme représentatif de récits très anciens concernant les adversaires surnaturels et remonte au mythe de Persée et Andromède. Voir sur cette question l’ouvrage classique d’E. S. Hartland, The Legend of Perseus, Londres, 1896, et en particulier t. 3, p. 38-47 sur la présence de saint Georges. Sur les variantes grecques de ce conte, voir M. Al. Alexiadis, Οι ελληνικές παραλλαγές για τον δρακοντοκτόνο ήρωα [ΑΤ 300, 301Α, 301Β]. Παραμυθολογική μελέτη (Les variantes grecques sur le héros tueur de dragon [ΑΤ 300, 301Α, 301Β]. Étude sur les contes), Ioannina, 1982, ainsi qu’Α. Angélopoulou et Α. Brouskou, Επεξεργασία παραμυθιακών τύπων και παραλλαγών AT 300-499 (Catalogue raisonné du conte grec, types et versions AT 300-499), Athènes, 1999, p. 23-78. 10. Voir Η φυλλάδα του Μεγαλέξαντρου. Διήγησις Αλεξάνδρου του Μακεδόνος (La phyllada d’Alexandre le Grand, Récit d’Alexandre de Macédoine), éd. G. Veloudis, Athènes, 1977, p. 98103, et aussi en français la traduction de l’édition de A. Pallis, Athènes, 1935, par J. Lacarrière, La légende d’Alexandre, Paris, 2000, p. 129-145.

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confrontation avec un dragon. En revanche, cette dernière constitue un motif bien connu dans la mythologie grecque, comme nous l’avons évoqué, mais surtout dans le monde byzantin et post-byzantin : c’est l’histoire fort répandue de saint Georges. En effet, ses hagiographies, mais aussi des chansons populaires, décrivent souvent la manière dont le saint a tué un dragon qui privait une ville de sa source d’eau et a libéré une princesse11. Par ailleurs, il faut signaler également toute la tradition iconographique byzantine qui présente saint Georges à cheval tuant le dragon à ses pieds, avec sa lance dont l’extrémité supérieure se termine par une croix, que nous retrouverons dans les silhouettes du théâtre d’ombres. En règle générale, Alexandre porte dans le Karaghiosis les attributs des saints guerriers, des héros de la mythologie grecque, ainsi que des héros de la Guerre d’indépendance grecque avec la fustanelle12. En outre, la mise à mort du dragon, au-delà de sa présence dans la mythologie grecque, dans l’hagiographie de saint Georges et les chansons populaires, constitue aussi l’un des exploits d’un autre héros de la période byzantine et post-byzantine. Il s’agit de Digénis Akritas, dont le poème épique en grec populaire remonte, sans doute, au xiie siècle et a pour origine différents chants datés probablement du xe ou du xie siècle. Enfin, pour les versions de la pièce qui comportent une résolution d’énigme, il est impossible de ne pas évoquer le récit de l’histoire d’amour entre Sémiramis et Alexandre, où cette reine fait subir aux différents prétendants l’épreuve des énigmes. Le manuscrit en grec de cette histoire est daté du xviie siècle13. Au demeurant, dans ce récit, nous retrouvons la même motivation utilisée souvent dans la pièce pour justifier la présence d’Alexandre dans le royaume de Sémiramis, à savoir qu’il voyage afin d’étudier les us et coutumes des différentes contrées14. Ces éléments retracent l’introduction d’Alexandre dans le théâtre d’ombres grec, mais ils n’expliquent pas les raisons fondamentales qui ont conduit à cette apparition, au-delà du fait que le Roman d’Alexandre, la phyllada, en tant que source principale, est une lecture très populaire pendant 11. Et cela, en dehors des contes populaires que nous venons d’aborder. Bien évidemment, il ne s’agit pas d’une légende que nous rencontrons uniquement dans le monde byzantin, mais aussi dans le monde latin, mentionnons à ce propos la Légende dorée et l’histoire de Georges de Lydda. 12. Jupe plissée du costume traditionnel grec et dans quelques pays du Sud-Est européen. 13. Διήγησις Αλεξάνδρου μετά Σεμίραμης βασίλισσας Συρίας (Récit d’Alexandre avec Sémiramis reine de Syrie), éd. Ch. I. Dimitroulopoulos, Athènes, 1999. 14. Il faudra souligner également que dans ce récit Alexandre apparaît comme un héros qui a perdu ses conquêtes et sa rencontre avec la reine lui permettra de redevenir un grand héros.



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cette période. De même, ils ne nous renseignent pas non plus sur le choix d’Alexandre à la place de saint Georges qui est un saint populaire et dont les légendes ont connu une diffusion très importante. L’explication d’un des joueurs de Karaghiosis selon laquelle le choix d’Alexandre aurait été dicté par le fait qu’il n’était pas possible d’intégrer saint Georges dans un contexte non religieux n’est pas très convaincante ou ne suffit pas à elle seule à justifier cette présence15. Saint Georges est le personnage principal de plusieurs chansons et contes populaires et constitue une référence commune à plusieurs récits oraux ou écrits, dans une grande profondeur temporelle. Pour Digénis, l’autre héros dont l’histoire évoque le meurtre d’un dragon, les conditions ne semblent pas être réunies, étant donné qu’à cette période sa légende n’est pas très connue, malgré sa dimension populaire. Par conséquent, nous devons nous orienter vers une autre direction qui combine plusieurs critères afin d’esquisser un certain nombre d’hypothèses qui pourraient s’avérer plausibles concernant l’entrée d’Alexandre dans le théâtre d’ombres. Alexandre est un héros qui ne renvoie pas seulement à l’Antiquité grecque ou à la période byzantine, mais aussi, à travers les différentes versions populaires, notamment la phyllada et la rimada – la version rimée –, à une tradition chrétienne, et qui affirme à plusieurs reprises cette appartenance. De cette manière, il associe aussi bien les attributs d’un héroïsme diachronique dans une perspective antique et savante que dans celle d’un versant populaire dont la sainteté est accentuée par des références à des saints sauroctones, tels saint Georges, saint Michel et d’autres16, qui souvent symbolisent la victoire du christianisme contre le paganisme. C’est à une vision globale pour le monde néo-hellénique qu’il faudra ainsi recourir afin d’appréhender la présence d’Alexandre dans le Karaghiosis, en tant que personnage qui porte en lui non seulement la mémoire d’une civilisation passée, mais aussi des revendications culturelles et sociales actuelles. À ce sujet, l’évolution de la culture grecque a déjà été évoquée, entre expressions savante et populaire, ainsi que le conflit, latent ou manifeste selon les époques, qui les accompagne.

15. Voir Gr. Sifakis, « Η παραδοσιακή δραματουργία του Καραγκιόζη » (« La dramaturgie traditionnelle de Karaghiosis »), art. cit., p. 267-268. 16. La christianisation d’Alexandre remonte loin dans le temps, la recension ε du Roman d’Alexandre dans la tradition byzantine en constitue sans doute l’une des premières attestations, voir C. Jouanno, Naissance et métamorphoses du Roman d’Alexandre, Paris, 2002, p. 381-387. Par ailleurs, la transformation d’Alexandre en personnage chrétien peut être aussi observée dans un contexte iconographique comme le pavement du xiie siècle de la cathédrale d’Otrante, où Alexandre s’élève aux cieux porté par deux oiseaux.

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Alexandre au croisement de la culture savante et d’une expression populaire Le théâtre d’ombres grec avait besoin de l’introduction d’un personnage qui non seulement répondait à toutes les accusations qui lui avaient été faites de « théâtre asiatique » et « théâtre vulgaire », mais aussi lui permettrait d’intervenir dans un débat idéologique concernant le rapport du monde néohellénique avec la culture classique. Ici, il faudra souligner que ce théâtre, dans sa forme originale, est une expression dramatique qui suppose une certaine improvisation. Le joueur de Karaghiosis se trouve dans une interaction permanente avec le public, qui participe à la composition d’une pièce à partir d’un matériau préexistant et influe sur les orientations et les conclusions de chaque représentation. Cette création collective, cette osmose entre le joueur de théâtre et les spectateurs, est la caractéristique principale de cette dramaturgie qui, par là-même, produit toute la difficulté de son approche. Surtout, il faut l’aborder en tant que spectacle vivant d’une textualité fluctuante et toujours en mouvement. Il s’agissait alors de montrer plus particulièrement que la relation avec cette culture ancienne n’était pas seulement l’affaire d’une élite, des hommes cultivés ou des érudits, mais aussi une préoccupation et une réalité populaires. Sans doute, cette introduction d’Alexandre est influencée par le débat idéologique de cette époque sur la continuité de la culture grecque17 ainsi que par tous les travaux qui tendent vers le même objectif à travers le développement des approches folkloriques18. À cela, il est possible d’ajouter l’essor des romans, des récits et des études de mœurs dans le cadre du réalisme ou du naturalisme, qui pourrait avoir eu une incidence sur l’évolution grecque de Karaghiosis. Cependant, il faudra remarquer dans ce contexte que le théâtre d’ombres correspond avant tout à un environnement urbain. À la différence des récits de mœurs, il s’adresse aux populations des petites ou grandes villes de la Grèce et ne comporte que très peu d’éléments renvoyant à la campagne, qui est parfois, plus ou moins, l’objet de la satire. Or, le Karaghiosis essaie de prouver autre chose, au-delà de ces principes contingents et circonstanciels. C’est d’une part que le personnage d’Alexandre est toujours actuel, presque « vivant », comme souvent ses 17. La monumentale Histoire de la nation grecque depuis l’Antiquité jusqu’à ces jours de Constantin Paparigoupolos publiée entre 1865 et 1872 s’inscrit dans cette perspective. 18. Par exemple, les travaux sur le folklore néo-hellénique, notamment de Nikolaos Politis publiés à partir de 1871.



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spectateurs le pensaient de tous les « acteurs » ou facteurs de l’action qui apparaissaient sur l’écran. Il correspond à une réalité tangible et porte des caractéristiques reconnaissables par tous, sans aucune revendication d’une supériorité culturelle ou prétention aristocratique. Alexandre intègre ainsi ce théâtre de manière naturelle, prenant place parmi les autres personnages tout en montrant sa singularité grâce à son origine à la fois légendaire et historique, transposée dans le présent d’une expérience scénique collective. D’autre part, le théâtre de Karaghiosis s’inscrit également dans une perspective de revendication sociale. Il exprime les envies et les critiques d’une population qui se sent rejetée et exclue d’une participation active au devenir d’un pays dont les projections mentales lui semblent souvent inadéquates, inexactes ou forgées. Dans ce cadre, Alexandre représente le héros qui apporte la solution, une sorte de Deus ex machina qui sauve une ville, une société, d’une catastrophe grâce à sa vaillance. En réalité, Alexandre, dans cette pièce, ne fait rien d’autre que de jouer son rôle, être soi-même dans une partition que le public, populaire ou pas, peut comprendre sans aucune difficulté.

La fonction spectaculaire et sociale d’Alexandre sur un mode mineur Toutefois, sa fonction prend une autre signification quand nous l’abordons dans sa relation avec Karaghiosis et ses manœuvres tactiques, lequel, dans cette pièce, devient un co-protagoniste afin de revenir à la représentation scénique. Il félicite Alexandre pour son exploit, il lui demande de le suivre pour aller ensemble chez le pacha afin que le héros reçoive sa récompense, la main de la fille du pacha, ainsi que le trône plus tard. Selon les versions, les réponses habituelles sont soit qu’Alexandre ne veut rien et laisse à Karaghiosis le soin de l’annoncer au pacha – parfois Karaghiosis essaie de s’approprier l’exploit avant d’avouer luimême sa supercherie –, soit qu’il demande que tous les chrétiens emprisonnés soient libérés. Il est évident que chaque évolution correspond à une réalité différente au moment de la représentation et de son interaction avec son public. Rien de plus normal que, dans une pièce qui représente une temporalité différente, une période historique passée, selon un choix délibéré et éventuellement circonstanciel, dans l’objectif de provoquer une distanciation, Alexandre converge avec son référent chrétien. Sa volonté de libération, sa physionomie de libérateur ne peuvent se concrétiser, ne peuvent se réaliser que pour sauver des opprimés. Cela représente une récompense beaucoup plus grande parce qu’elle est commune à l’ensemble d’une communauté plutôt que de se réduire à un intérêt pour sa propre personne, une réussite individuelle. Quand Alexandre ne demande

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rien, c’est comme s’il avait accompli un devoir qui ne pouvait être rétribué : il ne s’agit que d’un acte désintéressé dont l’objectif est toujours le bien commun. Son apparition dans le théâtre d’ombres semble une excursion, une sorte de digression dans son parcours légendaire, un détour pour qu’il participe à une histoire créée pour lui et par lui. C’est, sans doute, la raison pour laquelle Karaghiosis, malgré sa désinvolture, l’appelle « Aleko », l’équivalent d’Alex, il confond son titre d’ « Alexandre le Macédonien » avec « Alexandre des coings19 » ou encore il rit de son armure, adopte aussi un comportement plus respectueux qu’à l’accoutumée. Par ailleurs, ses moqueries, plutôt tendres et enfantines, montreraient également la volonté de relativiser, et même d’éreinter, ce rattachement à un formalisme rigide et stérile envers l’Antiquité que les élites manifestent en toutes circonstances. Le résultat est une minoration d’Alexandre qui devient ainsi un héros quotidien capable aussi, avec sa contribution au théâtre d’ombres, de participer au processus du rire. Un rire qui est l’élément constitutif par excellence de cette expression dramatique en tant que réponse à tous les inconvénients et les malheurs que le public de ce spectacle endure dans ses rapports avec la réalité de l’époque. En effet, le Karaghiosis est un spectacle dans lequel les aventures du protagoniste incarnent la situation d’un personnage familier à une période donnée, qui se trouve en marge de la société – vivotant, sans véritable travail et avec une faim permanente et insatiable, et essayant de s’en sortir par tous les moyens légaux, illégaux ou équivoques. Cette scène ou cet écran reflète les incertitudes, une certaine relativité des valeurs, l’absence d’une orientation morale constituée de la société20. Souvent, la fin de la pièce, que cela corresponde à une issue heureuse ou malheureuse, laisse planer une certaine mélancolie ou une insatisfaction. Karaghiosis n’atteint jamais cette plénitude heureuse des contes populaires. Chaque fois, il laisse ouverte la possibilité de revenir avec une autre aventure. Ce qui demeure en tant que force pour lui, dans son combat pour surmonter les différentes épreuves ou difficultés de la vie, et qu’il offre à son public, est le rire. Une émotion rieuse qui provient d’une grande capacité à la dérision et à l’autodérision portées à l’excès en tant que critique idéologique du milieu social et culturel. Ses partenaires dans la pièce participent à ce mouvement mineur qui, dans ce contexte, oblige à instaurer un équilibre, puisque dans le même temps 19. Dans différentes versions, le mot « Macédonien » est confondu avec le mot « coings » : il présente en grec une certaine ressemblance sonore avec lui. 20. W. Puchner, « Η θέση του Καραγκιόζη στην ιστορία του νεολληνικού θεάτρου » (« La position de Karaghiosis dans l’histoire du théâtre néo-hellénique »), dans Μελέτες για το θέατρο σκιών στη Μεσόγειο και στα Βαλκάνια (Études sur le théâtre d’ombres en Méditerranée et dans les Balkans), op. cit., p. 455.



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Alexandre s’inscrit dans une autre perspective, plus « savante », en résonance avec les préoccupations d’un discours officiel qui, par là-même, est complètement déconstruit. Ainsi, Alexandre s’inscrit sur un vecteur qui fonctionne comme un coopérateur des mythes et constitue la base de l’intrigue avec en périphérie l’histoire, la réalité21 dont il réussira à influencer le cours dans la durée jusqu’à un certain degré. Le Karaghiosis22 lui offre la possibilité de continuer sa trajectoire dans ce versant populaire, inauguré par la phyllada quelques siècles plus tôt, afin d’exprimer et d’effectuer à nouveau, en s’associant à ce théâtre, un acte de résistance contre une oppression quotidienne de quelque nature qu’elle soit. Alexandre, encore une fois, se dégage de son histoire héroïque, glorieuse, et rejoint la voix des plus humbles en lutte pour un avenir meilleur. Constantin Bobas Université de Lille CECILLE EA 4074

Combat d’Alexandre contre le serpent-dragon d’après Spatharis dans W. Pouchner, Μελέτες για το θέατρο σκιών στη Μεσόγειο και στα Βαλκάνια (Études sur le théâtre d’ombres en Méditerranée et dans les Balkans), op. cit., p. 402.

21. Sur la construction de la figure d’Alexandre dans le domaine du merveilleux et du surnaturel à travers certains facteurs-pivots, voir C. Bobas, « Le ‘Roman’ d’Alexandre, histoires merveilleuses et étranges, une lecture populaire et savante de la Méditerranée », dans Mythes et sociétés en Méditerranée orientale, entre le sacré et le profane, éd. C. Bobas, A. Muller et D. Mulliez, Lille, 2005, p. 138-139. 22. Pour une bibliographie analytique sur le théâtre d’ombres grec, voir W. Puchner, Μελέτες για το θέατρο σκιών στη Μεσόγειο και στα Βαλκάνια (Études sur le théâtre d’ombres en Méditerranée et dans les Balkans), op. cit., p. 537-658.

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Alexandre le Grand d’après Voutsinas, à partir du livre de Giulio Caimi, Καραγκιόζης ή η αρχαία κωμωδία στην ψυχή του θεάτρου σκιών (Karaghiozi ou la comédie grecque dans l’âme du théâtre d’ombres), Athènes, 1990, p. 60.

Alexandre le Grand d’après Xydias, à partir du livre de Giulio Caimi, Καραγκιόζης ή η αρχαία κωμωδία στην ψυχή του θεάτρου σκιών (Karaghiozi ou la comédie grecque dans l’âme du théâtre d’ombres), Athènes, 1990, p. 61.

Voir aussi : http://www.karagiozismuseum.gr/en/index.htm https ://theatroskiwn.wordpress.com/2015/01/17

L’entrée d’Alexandre à Venise : les amours et la gloire (1651-1662) Alexandre fait son entrée dans le théâtre chanté italien à Venise en 1651 sous un titre qui n’est pas sans rappeler les deux moteurs de l’épopée chevaleresque italienne : les amours et les armes. Avant d’observer comment la figure d’Alexandre est reprise en fonction des réalités historiques, géographiques et génériques de l’opéra italien naissant, il convient de rappeler le passage du personnage par la littérature humaniste italienne et par l’épopée de la Renaissance. Comme le montre M. Campopiano, la figure d’Alexandre le Grand est très populaire dans les littératures de l’Italie médiévale1, en particulier dans les volgarizzamenti fidèles de l’Historia de preliis, qui mettent surtout l’accent sur la valeur chevaleresque d’Alexandre par l’amplification des récits guerriers et les commentaires moraux. Dans les romans en vers du xvie siècle, l’importance accordée au merveilleux et l’écriture en octaves rapprochent les œuvres tant des cantari que des poèmes chevaleresques de la Renaissance comme l’Orlando innamorato de Boiardo, l’Orlando furioso de l’Arioste ou le Morgante de Pulci. Alexandre est présent dans l’épopée de la Renaissance à Ferrare comme figure intermédiaire entre les héros d’Homère et les chevaliers italiens. Dans l’Orlando innamorato de Matteo Maria Boiardo publié pour la première fois en 1483, les images des aventures du Macédonien ornent les façades des palais nobiliaires2. Chez l’Arioste, il est évoqué comme l’archétype du guerrier invincible, de l’empereur victorieux, mais aussi de celui qui a connu une grande fortune et qui a lui-même envié la fortune d’Achille3. L’épopée de la Renaissance représente une des sources des intrigues développées dans l’opéra vénitien, avec la mythologie et l’histoire ancienne et médiévale. Il semble donc intéressant d’analyser comment la gloire des armes fusionne avec les aventures amoureuses dans les premiers livrets qui adoptent le personnage d’Alexandre. 1. M.  Campopiano, « La littérature italienne » et « Langues et genres littéraires de l’Alexandre italien », dans La fascination pour Alexandre le Grand dans les littératures européennes (xe-xvie siècle), Réinventions d’un mythe, dir. C. Gaullier-Bougassas, Turnhout, 2014, t. 1, p. 57-62, 323-362. 2. Matteo Maria Boiardo, Orlando innamorato, 1483, II, canto I, 22-27. 3. Ludovico Ariosto, Orlando furioso, 1516, VII, 59 ; XIX, 74 ; XXVI, 47 ; XXXVII, 20. L’entrée d’Alexandre le Grand sur la scène européenne éd. Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas Turnhout, 2017, (Alexander Redivivus, 9) p. 289-302 © F H G

DOI 10.1484/M.AR-EB.5.113451

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Des histoires d’Alexandre, la scène retient particulièrement les épisodes amoureux : citons, parmi tant d’autres, l’union avec Roxane chez Cicognini, dans le Ballet de la naissance de Vénus de Lully (1665) ou plus tard La superbia d’Alessandro d’Ortensio Mauro (1690), repris par Paolo Rossi pour l’Alessandro de Haendel (1726), et la clémence d’Alexandre à l’égard des amours d’Axiane et Porus chez Racine (1665) ou des amours d’Apelle et Campaspe, dans la lignée de Lope de Vega (1618) et de Calderón (1651). Dans l’opéra vénitien naissant, la mythologie côtoie l’épopée de la Renaissance et l’histoire, d’où parfois une contamination entre les sources d’inspiration dans les intrigues. Les bornes chronologiques choisies ici permettent de se focaliser sur deux auteurs et sur trois livrets représentatifs des trois cycles évoqués précédemment : autour de Roxane, Campaspe et Statira. Le premier livret, Gli amori di Alessandro Magno e di Rossane de Giacinto Andrea Cicognini4, bientôt repris sous le titre Le glorie e gli amori di Alessandro Magno e di Rossane (1651), évoque le mariage d’Alexandre avec Roxane. La même année paraît un deuxième livret, Alessandro vincitor de se stesso de Francesco Sbarra5, qui illustre la victoire d’Alexandre sur ses propres sentiments envers Campaspe. Enfin, pour le dernier livret, La magnanimità d’Alessandro (1662), du même auteur, nous gardons l’idée d’un style vénitien même si sa création a lieu à Innsbruck6. En effet, évoquant le renoncement d’Alexandre à Statira, il est représentatif de l’esthétique qui se met en place et conditionnera les ouvrages suivants. L’intérêt d’envisager l’entrée d’Alexandre dans l’opéra vénitien tient au fait qu’elle signifie l’entrée dans l’opéra tout court. Regarder quelles bases sont posées pourrait donc ouvrir des perspectives sur l’évolution du personnage dans l’opéra italien. Les paratextes des livrets sont un instrument précieux pour comprendre la situation de l’opéra naissant et replacer le choix du sujet dans le contexte vénitien. D’après le musicologue L. Bianconi, l’opéra en tant que genre naît à Florence en 1600, mais le « théâtre d’opéra » en tant qu’institution naît à Venise en 1637 avec l’ouverture du San Cassiano, premier théâtre conçu pour les représentations chantées7. C’est l’institution de théâtres publics comme entreprises commerciales qui procure à ce genre nouveau la stabilité, la continuité, la régularité et la fréquence, en somme la solidité économique et artistique qui en fera le spectacle dominant en Italie et en Europe pour les siècles 4. Giacinto Andrea Cicognini, Gli amori di Alessandro Magno e di Rossane, Venise, 1651. 5. Francesco Sbarra, Alessandro vincitor di se stesso, Venise, 1651. 6. Francesco Sbarra, La magnanimità d’Alessandro, Innsbruck, 1662. 7. L. Bianconi, Il Seicento, Turin, 1991, p. 176.



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à venir. À Venise, l’opéra public se vend justement comme un produit royal repris à l’échelle industrielle et proposé à un vaste public composite. Non seulement il ne renie pas ses origines nobles et prestigieuses, mais il les affiche à des fins publicitaires. Lors de ses débuts vénitiens, l’opéra, genre de spectacle nouveau pour la ville, tend à reprendre des catégories et des institutions dramatiques déjà expérimentées ailleurs. On constate l’emprunt de sujets au patrimoine mythologique, en particulier dans un contexte bucolique, agrémentés de scènes magiques et de machineries, jusqu’aux véritables pastorales. C’est à l’opéra romain qu’on doit également rattacher l’introduction de personnages ridicules, comme le miles gloriosus (le « soldat fanfaron »). Le serviteur idiot, doublé de son pendant rusé, est le reflet de personnages tirés de la comédie parlée, en particulier de la commedia dell’arte, à laquelle se rattachent aussi les caricatures du pédant docteur pseudo-philosophe bolonais, ou du vieillard amoureux et lascif vénitien, pendant de la nourrice lubrique. Giacinto Andrea Cicognini représente justement un intermédiaire entre les deux formes d’opéra, de la naissance florentine à la maturité vénitienne. Né à Florence en 1606, il est « figlio d’arte » puisque son père Jacopo Cicognini (1577-1633) est déjà à la tête d’une troupe de théâtre. Écrivain de théâtre et librettiste, il est l’une des figures les plus importantes du xviie siècle théâtral italien. Il mélange comique et tragique et, comme son père, il introduit l’influence espagnole à Venise en travaillant sur des auteurs comme Calderón et Tirso de Molina. C’est à Venise qu’il commence véritablement à composer des livrets avec Il Celio en 1646. Il écrit en 1649 les livrets de deux des opéras les plus populaires du siècle pour Francesco Cavalli, L’Orontea et Il Giasone. Il meurt en 1650 et le livret qui nous occupe ici, Le glorie e gli amori di Alessandro Magno e di Rossane, est complété par un auteur non identifié, un an après sa mort. C’est le scénographe Giovanni Burnacini qui signe la dédicace et précise que Cicognini n’a eu le temps d’écrire que l’argument, le prologue, le premier acte et deux scènes du second. Le livret a donc été terminé par un auteur qui a souhaité garder l’anonymat, peut-être Burnacini. Quoi qu’il en soit, le succès est au rendez-vous, comme l’indiquent les nombreuses reprises jusqu’en 1678. On le réutilise tantôt comme dramma musicale, tantôt comme opera tragicomica destinée au théâtre parlé comme l’était en 1661 le livret édité à Macerata, chez Grifei e Piccini. Dans tous les cas, il s’agit de la même intrigue mais on assiste dans la version de 1661 à la disparition des personnages de Flora et Gano (présents en 1651) qui, avec leurs scènes de ménage, constituaient un contrepoint comique à l’amour qui rivalise avec la gloire de Roxane et Alexandre. Par ailleurs, la version de 1667 sous le titre L’Alessandro amante reprend exactement celle de 1651.

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L’auteur des deux autres livrets, Francesco Sbarra, est lui aussi d’origine toscane puisqu’il naît à Lucca en 1611. Ordonné prêtre en 1645, il fait partie de l’Accademia degli Oscuri. Il compose des poésies, mises en musique à l’occasion de cérémonies du gouvernement de la ville. Ses œuvres les plus originales sont une série de drammi per musica et intermedi, tragiques ou comiques, ayant des visées moralisatrices et utilisant des figures symboliques, comme le montrent les titres La verità (1650), La moda (1652), La corte (1657) et La tirannide dell’interesse (1653). Mais son plus grand succès, Alessandro vincitor di se stesso, se rapproche de la pièce contemporaine de Cicognini, à la fois par sa forme métrique et par le type d’intrigue choisi. Toutefois, ses deux livrets sur Alexandre, dans la lignée de ses précédents, gardent une très forte intention allégorique qui les distingue des autres. Il n’y a aucun lien narratif entre les deux livrets de Sbarra, celui de 1651 et celui de 1662. Un seul coup d’œil à la liste des personnages permet d’en être certain. En revanche, ils sont mis en musique par le même compositeur, Antonio Cesti, qui, à Venise, partage la scène avec Francesco Cavalli après la mort de Monteverdi. Cesti excelle à mettre en musique les situations comiques, en particulier avec les personnages de serviteurs, comme Gelone dans l’Orontea, Golo dans Dori, Bleso dans Alessandro vincitor di se stesso et dans La magnanimità d’Alessandro. Le personnage du bègue bossu (gobbo) est transposable d’une intrigue à l’autre et constitue un topos de l’opéra vénitien, utilisé comme contrepoint aux personnages sérieux à l’intérieur d’une même scène ou entre deux moments de tension dramatique. Les rôles comiques peuvent être facilement ajoutés ou retranchés comme on l’a vu chez Cicognini dans la version de 1661. Ils sont calqués sur ceux du théâtre parlé et se caractérisent par le style qui leur est dévolu, par la bassesse et la trivialité de l’expression comme l’explique Sbarra dans la préface à l’Alessandro vincitor di se stesso lorsqu’il évoque « nel giocoso infinità d’idiotismi nostri » (« dans le genre comique une infinité d’idiotismes de chez nous »). Ce recours aux locutions proverbiales et à des allusions à la vie contemporaine avec une intention polémique est d’usage courant dans les livrets vénitiens8. Pour approfondir la question des types de personnages, un peu plus haut dans l’adresse au lecteur, Sbarra s’excuse d’avoir mis dans la bouche de personnages historiques potentiellement tragiques des modes d’expression plus adaptés à la grâce amoureuse ou à l’humilité comique : So che l’ariette cantate da Alessandro et Aristotile si stimeranno contro il decoro di personaggi sì grandi, ma so ancora ch’è improprio il recitarsi in 8. P. Fabbri, Il secolo cantante. Per una storia del libretto d’opera in Italia nel Seicento, Bologne, 1990, p. 93.



L’entrée d’Alexandre à Venise 293 musica non imitandosi in questa maniera il discorso naturale e togliendosi l’anima al componimento drammatico, che non deve esser altro che un’imitazione dell’azzioni umane, e pur questo difetto non solo è tolerato dal secolo corrente, ma ricevuto con applauso. Questa specie di poesia non ha altro fine che il dilettare, onde conviene accomodarsi all’uso dei tempi : se lo stile recitativo non venisse intermezzato con simili scherzi, porterebbe più fastidio che diletto. Condonami però quell’errore che solo ho commesso per meno tediarti. [ Je sais qu’on pensera que les petits airs chantés par Alexandre et Aristote s’opposent à la dignité de si grands personnages mais je sais aussi que le fait même de chanter est impropre car de cette manière on n’imite pas le discours naturel et on enlève son âme à la pièce qui ne doit pas être autre chose qu’une imitation des actions humaines, et pourtant ce défaut est non seulement toléré par notre siècle mais il est même applaudi. Cette sorte de poésie n’a d’autre but que de divertir, voilà pourquoi il convient de se conformer à l’usage de son temps : si le récitatif n’était pas agrémenté de semblables plaisanteries, il apporterait plus d’ennui que de plaisir. Pardonne-moi donc l’erreur que je n’ai commise que pour moins t’ennuyer.]

On trouve ici l’illustration de la caractéristique affirmée de l’opéra vénitien : la recherche du plaisir avant celle de la satisfaction intellectuelle. Par ailleurs, on remarque la permanence de la convention qui imposait l’irréalité des personnages pour justifier le chant, expliquant le choix, par les plus anciens opéras, de sujets empruntés à la mythologie, à la pastorale, au fabuleux et au légendaire alors que le recours aux personnages historiques était peu fréquent. Sur les quatre cents opéras représentés à Venise entre 1637 et 1700, environ deux cent cinquante sont basés sur des intrigues tirées de l’histoire ancienne ou médiévale, le reste étant inspiré de la mythologie et, en moindre proportion, de l’épopée de la Renaissance9. Mais, lorsqu’on dresse un répertoire des livrets vénitiens pendant la période qui nous occupe10, on observe peu de personnages historiques avant 1640, à l’exception des opéras de Busenello et de Bissari11. À partir de 1640, la reprise à des fins scéniques d’événements et de figures tirés de l’histoire devient plus systématique, en particulier pour

9. E. Rosand, « Orlando in Seicento Venice : the Road not Taken », dans Opera and Vivaldi, éd. M. Collins et E. Kirk, Austin, 1984, p. 87. 10. P. Fabbri, « I soggetti storici : dall’eroe effemminato al protagonista eroico », Il secolo cantante. Per una storia del libretto d’opera in Italia nel Seicento, Bologne, 1990, p. 201-212. 11. Busenello, L’incoronazione di Poppea, 1643 ; Busenello, la prosperità infelice di Giulio Cesare dittatore, 1646 ; Bissari, La Torilda (sujet médiéval d’origine scandinave).

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l’histoire des pays orientaux à l’époque hellénistique12. Ces opéras ouvrent la voie à une série de représentations de ce qui deviendra par la suite une constante typologique du théâtre musical. Venise découvre ainsi l’histoire de la Perse, des royaumes d’Asie Mineure (Pont, Phrygie, Mysie, Lydie, Carie, Cappadoce) et des diadoques13. Les sources invoquées sont, selon les livrets : Hérodote, Polydore, Virgile, Strabon, Plutarque, Justin. Enfin, en plus grande proportion encore, c’est l’histoire romaine qui occupe la scène, mais nous ne détaillerons pas cet aspect qui nous éloignerait d’Alexandre. Le choix des sujets historiques correspond à un changement d’orientation du théâtre musical vénitien qui récuse la figure du « héros efféminé » dominé par l’irrationalité érotique. Au terme du drame, le héros, auparavant en proie à l’amour, reprend sa condition « virile » en retrouvant la force de la raison et de la sagesse et en dominant ses passions. Une telle évolution peut être éclairée par la géopolitique vénitienne14. Chez Sbarra, en 1651, apparaît le prototype du monarque ou du chef de guerre victorieux qui retrouve la maîtrise de soi après avoir été en proie aux égarements amoureux. Ce personnage se présente comme alternative à celui que, la même année, Cicognini proposait dans Gli amori di Alessandro Magno e di Rossane (dans le droit fil du Néron de Busenello, L’incoronazione di Poppea). Dans les années 1660, les théâtres vénitiens se peuplent de chefs de guerre qui, victorieux sur les champs de bataille, sont conquis à leur tour par la beauté d’une ennemie mais qui, in fine, se ravisent et dépassent ce moment de faiblesse. Ces livrets, comme les précédents, sont liés à la politique vénitienne. Les exploits des héros légendaires invitent à la comparaison avec ceux des guerriers vénitiens au moment où les colonies de Venise subissent la pression ottomane. Venise est en train de perdre progressivement l’empire colonial conquis au début du xve siècle : Chypre en 1572, et bientôt la Crète en 1669 (la dernière étape sera la Morée en 1684-1699). L’exaltation de l’héroïsme 12. Bisaccioni, La Semiramide in India, 1648 ; Fusconi, L’Argiope ; 1649, Cicognini, Le glorie e gli amori di Alessandro Magno e di Rossane, 1651 ; Sbarra, Alessandro vincitor di se stesso, 1651 ; Minato, Xerse, 1654 ; Sorrentino, Il Ciro, 1654. 13. Faustini, Eupatra, 1655 ; Faustini, Il Tiranno umiliato d’amore, 1667, postumo ; Aureli, Erismena, 1655 ; Aureli, Le Fortune di Rodope e Damira, 1657 ; Aureli, Rosilena, 1664 ; Aureli, Artaxerse, 1669 ; Busenello, Statira, 1655 ; Minato, Artemisia, 1656 ; Minato, Antioco, 1658 ; Minato, Seleuco, 1666 ; Zaguri, Gli avvenimenti d’Orinda, 1659 ; Ivanovich, L’Amor guerriero, 1663 ; Ivanovich, Lisimaco, 1674 ; Dall’Angelo, Demetrio, 1666 ; Beverini, Dario in Babilonia, 1674. 14. Sur la réalité vénitienne et sa transcription scénique, voir le chapitre « The Serenissima on Stage », dans E. Rosand, Opera in Seventeenth-century Venice, The Creation of a Genre, Los Angeles, 1991, p. 125-153.



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guerrier coïncide justement avec la Guerre de Candie de 1645-1669. Dans certains paratextes, le lien est explicite, comme dans le prologue du Xerse de Minato, en 1654, où Jupiter veut foudroyer « l’inique Thrace » qui règne à Byzance mais où la Victoire le supplie de laisser cette prérogative au « Lion de saint Marc ». Parmi nos auteurs, Cicognini n’invoque pas de source, tandis que Sbarra parle des « Historiche penne » dans son livret de 1662. Nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses pour savoir à quelles « plumes des historiens » l’auteur fait allusion : les Historiae de preliis dont les volgarizzamenti étaient, toujours d’après M. Campopiano, très diffusés dans la République de Venise au xve siècle15, ou bien Plutarque, Quinte-Curce et Justin, dont les récits constituaient les creusets des sujets évoqués plus haut. La question est d’autant plus difficile à trancher que justement, comme le montre M. Campopiano, on retrouve « l’association entre le pouvoir impérial et la mission de justice et de rétablissement de l’ordre dans les affaires humaines dans plusieurs textes sur Alexandre16 ». En tout état de cause, la définition de la clémence semble correspondre à celle établie par Plutarque. Dans les trois livrets examinés, la magnanimité d’Alexandre sera en effet à l’œuvre pour résoudre la dichotomie entre les amours et la gloire. La magnanimité est à entendre ici comme la grandeur d’âme, la générosité. Au théâtre, où les armes sont le plus souvent hors de la scène, la gloire réside dans le caractère sublime, la vertu, la noblesse17. La dimension politique du personnage n’a d’intérêt que parce qu’elle permet d’exalter la magnanimité d’Alexandre. Chez Cicognini, l’amour est finalement compatible avec la gloire par le truchement du théâtre. En revanche, les deux sont incompatibles chez Sbarra : aux autres les amours, à Alexandre la gloire. Dans le livret de Cicognini, Alexandre, roi de Macédoine, s’apprête à prendre la ville de Satrapene ; Satrape devient un nom propre, le père de Roxane, belle entre toutes et aimée d’Alexandre et de ses généraux. Dans le premier acte, la belle est désespérée car elle a aimé un inconnu et elle en est enceinte, ce qui l’empêche d’envisager de pouvoir répondre à l’amour 15. M. Campopiano, « Les multiples portraits du roi Alexandre en Italie », dans La fascination pour Alexandre le Grand dans les littératures européennes (xe-xvie siècle), Réinventions d’un mythe, dir. C. Gaullier-Bougassas, Turnhout, 2014, t. 2, p. 948. 16. Ibidem, p. 929. 17. Dans les représentations médiévales, la magnanimitas est le point de départ de la conception profane de la véritable noblesse, et donc de la noblesse d’Alexandre, suivant cet idéal, d’après C. Frugoni, La fortuna d’Alessandro Magno dall’Antichità al Medioevo, Florence, 1978, p. 122-126. La véritable noblesse consiste en actions et en pensées dissociées de tout avantage personnel : la magnanimitas rejoint donc la benignitas, la générosité envers les vaincus.

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d’Alexandre. Son désespoir est contrebalancé par les scènes comiques de Flora et de Gano. Le livret se construit également sur une alternance entre combats et dialogues amoureux, la guerre extérieure faisant écho aux tourments de l’âme de Roxane. Lorsqu’Alexandre prend la ville, il fait preuve de grandeur d’âme envers Satrape : Per mio ben riconosco Lo scettro, che mi rendi, E perch’è mio, già ne dispongo ; attendi. A te già vincitore Questi dona Alessandro, Con questi il regno, e con il regno il core. (I, 11) [ Je reconnais comme mon bien légitime le sceptre que tu me rends. Et puisqu’il m’appartient, j’en dispose à mon gré : à toi, vainqueur autrefois, Alexandre le donne, et avec celui-ci le royaume, et avec le royaume, mon cœur.]

La plus grande des victoires est la clémence : Pacifica vittoria A più degni trofei t’apra la strada. E per tua maggior gloria, Vinca la tua clemenza, e non la spada. (I, 12) [Que la victoire pacifique t’ouvre la voie vers les trophées les plus dignes et pour ta plus grande gloire, que la clémence soit victorieuse, et non l’épée.]

Dans la rencontre entre Alexandre et Roxane on retrouve la figure classique de la reine rivale, objet d’amour, et en même temps l’extrême respect pour les vaincus sur lequel insiste notamment Plutarque : Riverente Rossane a te s’inchina serva non più regina. Cara humiltade altera, Quanto si humilia più, tanto più impera. Sorgi mia bella, e questi titoli di servaggio a me riserva ; che se il mio cor vincesti, regina sei ; non serva. (II, 6) [Roxane, respectueuse, s’incline devant toi, elle n’est plus reine mais servante. Chère humilité altière, plus elle s’abaisse, plus elle règne. Lève-toi, belle reine, et réserve-moi ces titres de servage ; car puisque tu as vaincu mon cœur, tu es reine et non servante.]



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Le drame se noue autour de l’impossibilité de Roxane à se montrer digne d’Alexandre. Pour éviter le déshonneur à ce héros, elle feint de répondre aux déclarations d’Aminta, jusqu’à la dernière scène du troisième acte où elle montre à Alexandre le bracelet que lui a offert son amant. Alexandre reconnaît alors en Roxane celle qu’il a séduite et aimée et ils peuvent s’unir, la gloire étant sauve. Chez Cicognini, l’amour et la gloire, par le truchement d’un ressort théâtral, ne sont donc pas antinomiques, contrairement aux deux versions proposées par Francesco Sbarra. La scène de l’Alessandro vincitor di se stesso se déroule à Babylone, royaume d’Alexandre, après sa victoire contre Darius. Aristote se félicite du résultat de son enseignement, présentant Alexandre comme idéal de justice, allégorie du bon gouvernement : Prencipe glorioso A le cui lodi è scarso Ogni stil più facondo, al cui valore Troppo angusto theatro è il vasto mondo Quanto, quanto gioisco Mentre ne’ tuoi trofei Vedo appagati al fine i voti miei. (I, 4) [Prince auréolé de gloire, pour tes louanges le style le plus riche est insuffisant, pour ta valeur le vaste monde est un théâtre trop étroit. Combien je me réjouis de voir dans tes trophées se réaliser mes vœux les plus chers.]

Le personnage d’Aristote exhibe la problématique du passage du champ de bataille à la scène théâtrale. Alexandre a su vaincre l’orgueilleux Darius et respecter ses proches sur le champ de bataille, mais, alors qu’il vient de quitter les armes, il peut voir naître en lui un sentiment inédit, à la fois agréable et douloureux (I, 6). Malheureusement, l’objet de cet amour est le « trésor de guerre » d’Héphestion, Campaspe. Héphestion de son côté déplore d’avoir à mener une guerre opposant un amour à un autre, puisqu’il a promis d’épouser Cina, la sœur d’Alexandre. Aristote met en garde Alexandre, en lui disant que ce qu’il prend pour de l’amour n’est que de la pitié (I, 9) et que l’amour est indigne d’un guerrier (II, 11). Pourtant, Alexandre trouve une cohérence entre amour et gloire : il n’est de gloire plus grande que de soulager les opprimés et d’aimer les faibles (II, 4). Lorsqu’Alexandre fait venir Apelle pour réaliser un portrait de sa bien-aimée, Campaspe raconte à sa nourrice que la guerre a brisé leur amour par le passé. Même s’il comprend l’amour d’Apelle pour Campaspe, Alexandre ne renonce pas à l’épouser et elle est sur le point de s’empoisonner quand Apelle suspend son bras : il reste un espoir, Alexandre

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lui a promis ce qu’il voulait en récompense de son merveilleux portrait. Campaspe l’invite donc à lui donner la vie une seconde fois (II, 7). Entretemps le prêtre refuse d’unir Alexandre et Campaspe, un Grec et une Perse, ce qui est l’occasion d’un coup de théâtre : Campaspe est la sœur d’Héphestion, qui ne peut donc s’unir qu’à Cina et tout rentre dans l’ordre. En effet, Alexandre ne peut revenir sur la parole donnée et se résout à céder Campaspe à Apelle : Ma s’osservi, ch’è giusto Tutto quel, c’ho promesso. Voglio vincer me stesso. (III, 9) [Mais que je respecte tout ce que j’ai promis. Je veux me vaincre moi-même.]

C’est donc lors de la scène finale qu’Alexandre parvient enfin à vaincre son amour pour redevenir un modèle de justice. En revanche, le deuxième livret de Sbarra présente un héros beaucoup moins nuancé, véritable monolithe de la clémence. La scène se déroule à Suse et l’auteur se donne pour but d’illustrer l’incomparable magnanimité d’Alexandre envers les reines de Perse, ses prisonnières, comme envers les peuples de Suse : Tra le virtù maggiori del gran Alessandro tramandate dalle Historiche penne alla notizia del nostro secolo, viene ammirata la sua incomparabile magnanimità non meno ne i regii trattamenti fatti alle regine di Persia sue prigioniere, che nella Clemenza usata verso i popoli di Susi, e nel dono d’un regno ad Adolomino nato di sangue reale ma da gl’oltraggi della fortuna costretto a mantenersi in vita con l’esercizio di giardiniere. [Parmi les plus grandes vertus du grand Alexandre transmises par la plume des historiens jusqu’à notre siècle, on admire son incomparable magnanimité tant dans les traitements royaux envers les reines de Perse, ses prisonnières, que dans la clémence dont il fit preuve envers les peuples de Suse, et dans le don d’un royaume à Adolomino, né de sang royal mais par les caprices de la fortune obligé de gagner sa vie en exerçant le métier de jardinier.]

Alexandre rend hommage à la mère et aux filles de Darius et sa pitié tend à se muer en amour pour Statira, malgré les protestations de son capitaine, Arsace, qui, à la manière de l’Aristote du livret précédent, estime que l’amour est indigne d’un guerrier. Le jardinier Cléarque tombe amoureux de Timoclée, sœur de Statira. Tout le drame est construit sur les quiproquos créés par le



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travestissement et le badinage des amants. Teagène, fils du roi de Phrygie, arrive sous un déguisement pour soustraire Statira à Alexandre. Plus tard, on croit qu’Alexandre a fait arrêter Cléarque. Les deux filles de Darius prennent les armes pour défendre leurs amants et on les croit mortellement blessées. Alexandre se montre d’une clémence sans faille et, comprenant enfin les intentions des deux amants (III, 13), rend la liberté aux filles de Darius et les marie avec ceux qu’elles aiment. Tous les personnages célèbrent en chœur la grandeur de la générosité d’Alexandre : O magnanimo core O non men glorioso Ne l’aquistar, che nel donar i regni. [O cœur magnanime, non moins glorieux en donnant qu’en obtenant les royaumes.]

Le prologue met en scène l’éternité, l’Antiquité et le siècle présent, afin d’établir un lien entre la dédicataire du livret, Christine de Suède, et le héros macédonien, qu’il s’agit de faire revivre à la gloire de la reine Cristina Alessandra : Esca Alessandro, e da la tomba oscura Ne riporti a la luce il suo gran cuore, Che tra le glorie sue sia la maggiore Esser d’altra Alessandra ombra, e figura. [Qu’Alexandre paraisse, et que de sa tombe obscure son grand courage revienne en lumière, que de toutes ses gloires la plus grande soit d’être l’ombre et la représentation d’une autre Alessandra.]

Ce dernier livret scelle donc un Alexandre dont la clémence est sans faille du début à la fin du drame, et qui concentre déjà en lui toutes les caractéristiques du roi métastasien, ouvrant des perspectives sur la fondation du genre du melodramma. L’opéra vénitien est en partie l’héritier de la comedia espagnole avec laquelle il partage le mélange de nombreuses intrigues, la présence de personnages comiques et le caractère édifiant. Dans l’opéra vénitien de cette période, le choix d’un épisode circonscrit n’est pas du tout une évidence, même si c’est le cas dans les livrets examinés ici. On pourrait s’étonner que Cicognini, par exemple, n’ait pas partagé avec Calderón le choix du mélange des intrigues qui ont pour protagoniste Alexandre. Les trois livrets envisagés ici, tout en choisissant des cycles amoureux différents, forment un parcours cohérent vers la glorification d’Alexandre et la victoire définitive de la virilité guerrière sur

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le « héros efféminé », qui ne se démentira pas chez les successeurs italiens. L’argument d’un livret vénitien postérieur, celui d’Aurelio Aureli18, est particulièrement parlant à cet égard : Alessandro Magno dopo aver debellato Dario Re di Persia, rivolse le armi sue vittoriose all’acquisto di Sidone, e di Tiro, città principali della Fenicia. Reggeva allora lo scettro di Sidone Eumene re giovinetto affascinato dalle bellezze, e lascivie di Taide, donna la più interessata e sagace che vivesse allora. […] Cingeva il grande Alessandro con poderoso assedio d’intorno le mura di Sidone, quando Eumene snervato nei piaceri d’amore con Taide, maltrattando Eusonia la moglie, e poco applicando alla difesa del trono, si rese così odioso appresso il suo popolo, che questo ribellatosi d’improvviso al di lui scettro spalancò in tempo di notte le porte delle mura assediate al famoso Alessandro, e lo introdusse trionfante in Sidone. Timido e avvilito all’aviso di questo successo l’effeminato Eumene, fuggì sconosciuto da la reggia consegnando alla fuga la propria salute. Su la base di questa curiosa Historia si stabilisce l’intreccio del presente drama, al qual porge il nome Alessandro Magno in Sidone. [Alexandre le Grand, après avoir vaincu Darius, roi de Perse, dirigea ses armées victorieuses à la conquête de Sidon et de Tyr, villes principales de la Phénicie. Sur le trône de Sidon se trouvait alors Eumène, jeune roi fasciné par la beauté et la lasciveté de Thaïs, la femme la plus intéressée et la plus sagace qui existât alors. Le grand Alexandre assiégeait avec son armée puissante les remparts de Sidon quand Eumène, ramolli dans les plaisirs d’amour avec Thaïs, maltraitant Eusonia sa femme, et peu soucieux de la défense de son trône, se rendit si odieux à son peuple que ce dernier, se révoltant soudain contre son pouvoir, ouvrit en grand les portes de la ville assiégée par le fameux Alexandre et l’introduisit triomphant dans Sidon. Intimidé et lâche face à la nouvelle de ce succès, l’efféminé Eumène s’enfuit de son royaume incognito, trouvant sa survie dans la fuite. Sur la base de cette curieuse histoire on établit l’intrigue du présent drame qu’on appelle Alexandre le Grand à Sidon.]

Sur le plan du traitement du caractère d’Alexandre, l’opéra vénitien fait encore une fois office de laboratoire du genre du melodramma en train de se constituer. Dans les livrets qui mettent en scène le héros macédonien, il n’y a plus qu’à retirer les personnages comiques pour arriver à la troupe idéale de six ou sept personnages des « réformateurs » que seront au début du xviiie siècle, avant Metastasio, Zeno, Stampiglia et Salvi. En outre, on trouve déjà en devenir dans les livrets de la Sérénissime l’archétype de la clémence à la manière 18. Aurelio Aureli, Alessandro in Sidone, Venise, 1679.



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de Metastasio, topos de l’opéra sérieux du xviiie siècle. Lorsque O. Rouvière, dans sa monographie consacrée à Metastasio, tente de dégager a posteriori une constellation de figures dont les combinaisons structurent la dramaturgie, le premier rôle est donné au héros caractérisé par le sacrifice, la coexistence entre héroïsme et passion qui s’affrontent en lui. Il définit deux sous-catégories19, le primo uomo et le « héros mûr » : Alors que le primo uomo était un héros en puissance, qui reculait autant que possible le moment où il aurait à assumer de façon définitive son identité héroïque, l’identité du héros mûr (c’est-à-dire souvent du héros romain ou grec) est contenue tout entière dans sa gloire passée ou à venir : c’est pourquoi, de peur de disparaître, ce personnage doit, de façon permanente, réaffirmer son héroïsme par le biais de poses et de discours convenus. (p. 135)

Ainsi le héros métastasien oscille-t-il entre ces deux figures, présentes en germe dans les Alexandre vénitiens. Enfin, la perspective donnée par l’observation générale des cycles de personnages dans les différents livrets italiens permet de mettre en évidence des filiations et des contaminations entre les intrigues. Sans surprise, Metastasio reprend les personnages traités par Racine : la tragédie française est une source d’inspiration pour le melodramma réformé. Dans ses opéras, Haendel20 reprend des livrets italiens du xviie siècle, glanés au gré de ses voyages dans la péninsule ou en dehors de celle-ci. Les héros associés à Alexandre s’autonomisent et connaissent une fortune propre. Par exemple, le livret de Busenello21 permet de mettre en avant un topos détaché du personnage d’Alexandre : la « clémence de Darius ». C’est le roi d’Arménie, en lieu et place d’Alexandre, qui, après avoir vaincu Darius, lui dérobe épouse et fille. Puis, Darius renonce à son royaume au profit de Cloridaspe, un prince d’Arabie venu à son secours, qui épouse sa fille Statira. On assiste surtout à une autonomisation des personnages de femmes. Ainsi, Statira ou Timoclée deviennent les archétypes de reines légitimes dont le trône a été usurpé. À titre d’exemple, dans un livret22 tiré de l’Orlando furioso de l’Arioste, la reine Angélique qui tente de retrouver son trône en Inde reviendra à la cour de son père sous le faux nom de 19. « Le héros métastasien ou le sacrifice », Métastase, musicien du verbe, Paris, 2008, p. 124-137. 20. Le librettiste londonien Paolo Antonio Rolli, pour la création de l’Alessandro de Haendel en 1726, remanie légèrement le livret d’Ortensio Mauro, La superbia d’Alessandro, opéra créé à Hanovre en 1690 avec une musique d’Agostino Steffani. 21. Giovanni Francesco Busenello, La Statira, principessa di Persia, Venise, 1655. 22. Il s’agit du dramma per musica de Pietro Paolo Bissari, Angelica in India, Vicence, 1656.

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Timoclée. À ce terme, il semble donc légitime de revenir sur le titre choisi ici pour notre article : au-delà d’une entrée d’Alexandre à Venise, il s’agit d’une entrée d’Alexandre, par Venise, dans l’opéra italien. Alexandre entre dans les arts du spectacle, par les armes au cinéma et par les amours au théâtre. Les dédicataires des livrets d’opéra, dans un contexte de cour comme dans le cadre du théâtre vénitien qualifié de « mercenaire » ou « public », sont toujours des personnages importants que les dédicaces rapprochent naturellement de la figure du conquérant. Sbarra commence son adresse au lecteur, dans le livret de 1651, en rappelant qu’Alexandre regrettait de n’avoir pas eu un Homère pour chanter ses hauts faits. D’après lui, il aurait été bien marri de savoir que le modeste librettiste allait s’occuper de son cas. Des histoires d’Alexandre, les librettistes23 vénitiens retiendront la clémence qui deviendra un topos de l’opéra italien au xviiie siècle. Ils apportent ainsi leur pierre à la construction de la fortune du conquérant macédonien qui, cédant ou non à l’amour, ne le fait qu’en restant toujours auréolé de gloire. Fanny Eouzan Université Aix-Marseille – CAER Université de Lille – CECILLE

23. Nous commettons ici un abus de langage anachronique. Il convient de rappeler que le terme de « librettiste » n’apparaît qu’au xixe siècle pour désigner de façon péjorative les auteurs de livrets qui se définissent, eux, « poètes ».

Le mythe d’Alessandro et le répertoire pour ténor dans l’opéra italien entre 1730 et 1800 Alessandro nell’Indie est représenté pour la première fois le 2 janvier 1730 dans l’un des plus beaux théâtres de Rome : le Teatro delle Dame. L’opéra est le fruit de la collaboration du librettiste Metastasio et du compositeur Leonardo Vinci, deux artistes qui se connaissent depuis la création de la Didone abbandonata1 (1726). Bien que le livret d’Alessandro nell’Indie n’inspire pas à Metastasio la même fierté que son autre opéra Artaserse2, il est pourtant l’un des ouvrages les plus mis en musique et l’un des plus appréciés du public entre 1730 et 1800. Outre l’abondance des versions musicales en Italie et hors de l’Italie, la diffusion d’Alessandro nell’Indie, grâce à l’édition vénitienne de 1737, confirme la fascination des librettistes pour les héros de l’Antiquité grecque et pour leurs exploits extraordinaires. Avec le livret de Metastasio, c’est toutefois une nouvelle tradition poétique et musicale qui s’instaure dans l’opéra italien, rendant ainsi populaire le mythe d’Alexandre le Grand dans l’Europe entière. Le livret d’Alessandro nell’Indie, avec toutes les qualités que l’on attribue alors au drame métastasien – l’intensité de l’expression, le naturel et l’élégance3 –, contribue à sortir de l’ombre un jeune compositeur : Antonio Sacchini (1730-1786). L’opéra de Sacchini est attaché au règne des castrats. Ceux-ci détiennent, depuis le xviie siècle, les rôles majeurs des productions vocales italiennes. Ce constat va pourtant évoluer dans les années 1730 lorsque les compositeurs Gaetano Maria Schiassi puis Johann Adolf Hasse donnent le rôle titre d’Alessandro à un ténor4. Avec ces deux versions d’Alessandro nell’Indie, c’est un nouveau rapport à la voix et à l’héroïsme qui s’amorce. L’enjeu de cet article est de montrer, au travers de la mise en musique de Sacchini, quelles sont les 1. S. Franchi, Drammaturgia Romana (1701-1750), t. 2, Rome, 1997, p. 218. 2. P. Metastasio, Lettere del signor abate Pietro Metastasio, t. 1, Nizza, 1786, p. 227 : lettre de Metastasio à Leopoldo Trapassi non datée. 3. Voltaire, Poétique de M. de Voltaire, ou observations recueillies de ses ouvrages concernant la versification française, première partie, Genève, 1766, p. 472. 4. Il s’agit respectivement de l’Alessandro nell’Indie de Gaetano Maria Schiassi, représenté à Bologne en 1734, puis de la version napolitaine de Johann Adolf Hasse en 1736. Voir Cl. Sartori, I libretti italiani a stampa dalle origini al 1800, t. 1, Coni, 1993, p. 73-74. L’entrée d’Alexandre le Grand sur la scène européenne éd. Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas Turnhout, 2017, (Alexander Redivivus, 9) p. 303-313 © F H G

DOI 10.1484/M.AR-EB.5.113452

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conditions et les écritures amenant à la prédilection pour la voix de ténor dans les théâtres italiens et dans quelle mesure cette voix de ténor regroupe, au cœur de l’opéra de la seconde moitié du xviiie siècle, des traditions de natures diverses. Après avoir défini quels sont les liens entre l’image poétique et vocale du héros, du xviie siècle au début du xviiie siècle, notre propos s’attachera à montrer que le développement des ténors sur les scènes italiennes est un phénomène poétique et esthétique d’importance dans l’univers de Metastasio. Cette idée sera relayée par l’analyse de la partition de l’Alessandro nell’Indie de Sacchini dont l’écriture musicale suit de près les mécanismes et les conventions de l’opéra italien.

Image du héros et typologie vocale Le travail premier du chercheur qui s’intéresse à la représentation d’Alexandre le Grand dans la culture italienne consiste à élaborer un recensement, sur une période donnée, des différentes œuvres – historiographiques, poétiques, épiques, dramatiques, lyriques – qui s’inspirent de la vie du roi macédonien. Néanmoins, cette étape préliminaire de l’analyse n’est pas suffisante pour appréhender l’image globale du personnage dans le domaine littéraire ou artistique. Il importe aussi et surtout de saisir, à travers les décennies, les éléments – qu’ils soient poétiques, musicaux ou symboliques – permanents et altérés qui lui sont attachés. Ce type d’analyse, qui prend appui sur les principes de la mythocritique5, permet d’établir alors les lignes de force qui construisent cette figure historique de l’Antiquité. Toutes les créations lyriques répertoriées décrivent Alexandre comme un guerrier possédant les qualités physiques d’Achille. Il en est l’imitation6. Son rang est celui des êtres mi-hommes, mi-dieux, c’est-à-dire des héros. D’ailleurs, Grazio Braccioli, le librettiste d’Alessandro fra le Amazoni (1715) fait de lui le fils présumé de Zeus7. C’est cette vision que retient également Metastasio dans son Alessandro nell’Indie8. L’attribution d’un lignage presti5. P. Brunel, Mythocritique, Théorie et parcours, Paris, 1992, p. 63. Voir aussi D. Chauvin, A. Siganos et Ph. Walter, Questions de mythocritique, Dictionnaire, Paris, 2005, p. 7. 6. Alexandre se vantait de descendre d’Achille par le biais de sa mère Olympias. 7. G. Braccioli, Alessandro fra le Amazoni, Venise, 1715, p. 3. 8. P. Metastasio, Drammi per musica, éd. A. L. Bellina, Venise, 2002, p. 506 : « Serva ad eroe sì grande, / cura di Giove e prole, / quanto rimira il sole, / quanto circonda il mar. » (« Héros, fils de Jupiter, / amour du ciel, / donne des lois à tous les lieux que le soleil éclaire / et que la



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gieux et d’actions extraordinaires donne d’Alexandre une image glorieuse que les poètes reprennent au sein de leurs livrets. Ainsi, les épisodes guerriers et surtout les victoires qui leur sont associées fleurissent dans les opéras italiens non seulement pour introduire le personnage sur scène, mais également pour marquer visuellement son pouvoir. Le début d’Alessandro in Susa (1708) de Luigi Mancia9 en est un bon exemple. Alessandro, chanté par le castrat Nicola Grimaldi, entre triomphalement sur scène, accompagné de soldats, de courtisans et du peuple perse. La puissance militaire qu’il incarne ne se montre pourtant pas menaçante. Elle est au contraire liée à un discours pacificateur rassemblant les peuples, qu’ils soient vainqueurs ou vaincus. Loin d’avoir été traitées sur le mode antagoniste, ces deux valeurs – puissance et bonté – fusionnent pour faire d’Alessandro un héros aux vertus physiques et morales : Forti Compagni, ed Amorose Amiche. Godiam, godiamo, e sieno i gaudj nostril Quali su le fatiche Sian gaudj d’Alessandro. Ognun risenta, Goda, miri il piacer di sì bel giorno. Ogni senso assapori La mia felicità. Più non distinguo Da i Vincitori i vinti. Una sol gente, Sia in avvenir l’Occaso, e l’Oriente10. [Compagnons vaillants et amies amoureuses, Réjouissons-nous et que nos plaisirs soient tels que ceux d’Alexandre après ses travaux. Que chacun ressente, apprécie et admire le plaisir d’un si beau jour. Que tous les sens savourent ma félicité. Je ne distingue plus les vainqueurs des vaincus. Que l’Occident et l’Orient soient désormais un seul peuple !]

Cette vision du héros s’accorde avec la voix de Nicola Grimaldi, le castrat soprano employé pour le rôle d’Alessandro11. Celui-ci a été choisi sans doute pour sa voix puissante, virtuose et pour son excellent jeu d’acteur12. Nul doute mer environne. », traduction Pierre Richelet, Tragédies-opera de l’abbé Métastasio, traduites en français par M…, t. 6, Vienne, 1751, p. 2). 9. E. Selfridge-Field, A New Chronology of Venetian Opera and Related Genres, 1660-1760, Stanford, 2007, p. 283-284. 10. G. Frigimelica-Roberti, Alessandro in Susa, Venise, 1708, p. 12. 11. La décision d’engager Grimaldi pour tenir ce rôle est liée en partie aux enjeux commerciaux propres au théâtre San Giovanni Grisostomo de Venise. 12. A. Heriot, The Castrati in Opera, New York, 1975, p. 125-127.

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que ce sont ces qualités qui l’ont rendu célèbre et prédisposé à incarner les rôles héroïques des xviie et xviiie siècles. Le cas de Nicola Grimaldi est intéressant dans ce qu’il révèle de la culture italienne de cette époque. Par la fraîcheur, la jeunesse et la force vocales qu’ils font entendre aux spectateurs, les castrats symbolisent la virilité du héros et sa vaillance au combat. C’est pour cette raison que les figures d’Achille et dans le cas présent de l’Alessandro de Mancia ont été attribuées à une voix de castrat soprano13. Ainsi, le goût pour les castrats suggère en Italie une nette prédilection pour les voix hautes au détriment des voix basses comme l’indique le maître de chapelle Francesco Poncini dans une lettre adressée au Padre Martini en 177814. Cette image vocale de l’héroïsme écarte par conséquent les ténors des rôles titres dévolus aux seuls castrats. Ceux-ci sont placés en tête d’affiche de l’opéra : ils incarnent les primi uomini15. La place qui revient aux ténors dans les œuvres italiennes du xviie siècle se veut également fixe. À partir des années 1640, les compositeurs écrivent pour eux principalement des rôles secondaires, qu’ils soient comiques comme ceux de nourrice ou de vieille femme ou bien qu’ils soient plus sérieux16. La tradition voulant que les personnages comiques soient incarnés par des ténors travestis en femmes est présente dans l’Adelaide (1672) de Sartorio à travers le rôle de Delma17. Contrairement à l’usage qui en est fait, l’opéra Totila (1677), mis en musique par Giovanni Legrenzi, utilise la voix de ténor à des fins héroïques pour incarner le général byzantin Belisario18. Celui-ci s’oppose, théâtralement et vocalement, au castrat soprano qui joue le roi des Goths Totila. Le choix d’un ténor pour ce premier rôle est inhabituel. Il atteste d’une volonté de placer un chanteur aux capacités vocales confirmées – puissance et agilité – à une

13. En attestent les rôles tenus depuis l’Achille in Sciro (1673) de Giovanni Legrenzi jusqu’à la partition de Marcello Bernardini (1794). Les rôles d’Alessandro, chantés entre 1730 et 1736, ont été tenus par des castrats et des femmes travesties en homme. Ainsi, lors de la création de l’opéra, Leonardo Vinci choisit le castrat contralto Rafaelle Signorini pour jouer le personnage d’Alessandro. Voir Cl. Sartori, op. cit., p. 72, no 714. 14. J. Rosselli, « The Castrati as a Professional Group and a Social Phenomenon, 1550-1850 », Acta Musicologica, 60 (1988), p. 148. 15. I. Moindrot, L’opéra seria ou le règne des castrats, Paris, 1993, p. 103. 16. Il peut s’agir des rôles de tyran ou de divinité comme le dieu grec Glauco dans la Circe (1679) de Freschi. 17. La scène 5 de l’acte I de l’Adelaide présente un double travestissement puisque la vieille Delma, jouée par un homme, se déguise elle-même en homme. 18. Belisario se jette pleinement dans la bataille pour la libération de la ville de Rome alors aux mains des Goths.



Le mythe d’Alessandro et le répertoire pour ténor dans 307 l’opéra italien entre 1730 et 1800

place stratégique de la distribution19. L’exemple montre combien le compositeur recrute ses interprètes en fonction des contraintes économiques imposées par l’impresario du théâtre. L’opéra est une affaire avant tout commerciale. Entre les années 1730-1740, la voix de ténor prend un réel essor dans l’opéra italien grâce aux figures de pères et de rois20 que le poète Metastasio exploite à satiété dans ses drames. Lors de la création du Siroe (1725) de Leonardo Vinci, le compositeur confie le rôle du roi de Perse Cosroe au ténor Giovanni Paita. L’autorité naturelle qui émane du personnage du fait de la fonction politique qu’il tient dans l’opéra est représentée vocalement par la voix de ténor. Cette idée est déjà en germe au début du xviiie siècle, puisque Giovanni Paita incarne Astiage, le roi des Mèdes, dans le Ciro (1709) d’Albinoni21. Aussi, la préférence du ténor pour ce type de rôle s’impose naturellement pour l’Alessandro nell’Indie de Johann Adolf Hasse22, un compositeur germanique lui-même ténor23. À partir de leurs mises en musique s’instaure une normalisation des personnages puisque les rois et les pères sont systématiquement chantés par un ténor. Cette attribution d’une voix à un rôle et réciproquement vise la compréhension de la fonction de chaque personnage. Elle est un repère auditif aussi bien que visuel pour le spectateur en quête d’intelligibilité et de cohérence.

Le développement des ténors dans l’opéra italien après 1730 À travers l’élaboration du personnage d’Alessandro, Metastasio donne une plus grande profondeur au héros macédonien. Avec la création de l’Alessandro nell’Indie en 1730, Alessandro revêt les traits d’un roi généreux, bon et pacificateur. Malgré la victoire qu’il remporte sur Poro, il accorde à celui-ci non seulement la possibilité de reprendre les terres conquises mais il lui rend aussi sa liberté. Sa magnanimité, célébrée tout au long du livret, lui donne une dimension supérieure. Contrairement à lui, Poro est montré comme un roi impulsif et jaloux. Si Alessandro est son opposé tant dans sa manière de considérer les choses que les êtres, il incarne une puissance réfléchie et une grande

19. Legrenzi a pu avoir recours à un chanteur de la Capella Ducale de la basilique San Marco de Venise pour jouer Belisario. 20. Ces deux catégories sociales peuvent d’ailleurs s’interpénétrer comme le montre le personnage Osroa dans Adriano in Siria (1732) de Metastasio. 21. E. Selfridge-Field, op. cit., p. 293. 22. Cl. Sartori, op. cit., p. 73-74. 23. R. Mellace, Johann Adolf Hasse, Palerme, 2004, p. 33.

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placidité24. Cette différenciation de caractère ne pouvait aboutir, semble-t-il, qu’à une distinction de registre vocal. La solution des compositeurs italiens a donc été de choisir un castrat pour le rôle de Poro et un ténor pour celui d’Alessandro. Cette ouverture des possibilités entre 1730 et 1750 s’opère à la fois au niveau poétique et au niveau musical. Les compositeurs de la seconde moitié du xviiie siècle mesurent toute la richesse et la diversité des expressions que peut susciter le rôle d’Alessandro. C’est dans cette perspective qu’ils écrivent pour lui un panel d’airs jouant à la fois sur l’héroïsme et sur la sensibilité du personnage. La partition de Niccolò Piccinni pour le Teatro Argentina de Rome (1758) reflète cette dualité puisque les airs, destinés à l’excellent ténor Ercole Ciprandi25, oscillent entre verve guerrière et lyrisme. Ainsi en est-il dans l’air « Paventa del mio sdegno ! » (folio 44 r, « Crains mon dédain ! ») qui remplace l’air « D’un barbaro scortese » (« Ne rappelle pas les offenses d’un barbare impudent », II, 8) conçu par Metastasio. Dans les deux cas, c’est-à-dire chez l’arrangeur et chez Metastasio, le texte poétique énonce la confrontation des sentiments, celle de la colère envers Poro et de l’amour qu’il ressent pour Cleofide, la femme de ce dernier. Paventa del mio sdegno Non meriti perdono Di tua fierezza, indegno Come non hai rossor ? Sto non temer Regina Serena il tuo bel ciglio, Sarò nel tuo periglio Amico e defensor. Ah qual contrasto in seno Mi fanno gloria e amore. Più fiera pena al core Io non provai finor26. [Crains mon dédain ! Indigne, tu ne rougis pas de ta fierté ? 24. Le portrait d’Alessandro que fait Metastasio est calqué sur celui d’Alexandre dans la tragédie de Boyer puis dans celle de Racine. Voir C. Boyer, Porus ou la générosité d’Alexandre, Paris, 1648, p. 103. 25. C. Burney, A General History of Music, From The Earliest Ages to the Present Period, t. 4, Londres, 1789, p. 485. 26. Niccolò Piccinni, Alessandro nell’Indie, t. 2, Naples, 1758, folios 44 r-52 v. La partition est conservée à la Biblioteca del Conservatorio di Musica San Pietro a Majella de Naples sous les cotes Rari 2.2.17 et 2.2.18.



Le mythe d’Alessandro et le répertoire pour ténor dans 309 l’opéra italien entre 1730 et 1800 Tu ne mérites pas le pardon. Reine, ne le redoute pas. Calme tes beaux yeux Et je serai, au moment du péril, ton ami et défenseur. Ah, gloire et amour se déchirent en mon sein. Je n’ai jamais ressenti jusqu’à présent Plus cruelle douleur en mon cœur27.]

Piccinni traite de manière visible les deux affects non seulement par le biais de changements de tempo mais aussi par le choix d’une métrique différente. En effet, la première partie de l’air correspondant à la colère d’Alessandro est marquée musicalement par des gammes et des sauts d’intervalles parfois importants, tandis que la seconde partie relative à son amour pour la reine Cleofide se différencie de la première par des notes conjointes, parfois répétées mais surtout liées. Les écritures développées par le compositeur s’inscrivent dans un processus qui vise à incarner véritablement le texte poétique, à le rendre plus intelligible. De tels choix musicaux coïncident avec l’importance de plus en plus grande accordée à la voix de ténor dans les opéras italiens de la première moitié du xviiie siècle. Elle a été préparée par plusieurs chanteurs aux capacités vocales exceptionnelles. Dès les années 1710, la célébrité d’Angiolo Amorevoli, d’Antonio Pio Fabri, de Giovanni Paita ou de Francesco Tolve, commence à concurrencer celle des castrats. Ils vont être les premiers d’une génération de ténors qui encouragent ainsi l’écriture d’airs virtuoses, notamment des airs guerriers, des airs de tempête ou lors des airs de fureur. Dans l’air à l’allure guerrière « Vil trofeo d’un alma imbelle » (« Quel vil trophée ! Il est d’une âme basse de faire verser les larmes28 », I, 3), extrait de l’Alessandro nell’Indie (1755) de Davide Perez, le compositeur utilise de longues vocalises sur le mot « debellar » (folios 49 v-50 r, « vaincre ») lui permettant d’éprouver l’agilité d’Anton Raaff ainsi que sa grande capacité respiratoire. Les qualités vocales demandées par Perez sont identiques à celles requises pour la version de Niccolò Piccinni (1758). Une comparaison entre les deux airs permet de mettre au jour une uniformisation des moyens musicaux attestant ainsi des attentes du chanteur pour l’écriture de sa partie vocale. Grâce aux lettres de Mozart, nous savons que Raaff, du fait de sa technique parfaite, était soucieux

27. Je remercie Fanny Eouzan d’avoir bien voulu relire les traductions présentes dans cette communication. 28. P. Metastasio, trad. cit., p. 175.

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de l’image vocale qu’il donnait à voir29. Le compositeur lui reconnaît certes bien des qualités, mais il avoue surtout qu’il est un mauvais acteur. Leopold Mozart parle de lui, sur un ton quelque peu caustique, comme d’un « philosophe desséché30 ». Un chanteur se doit d’associer son geste théâtral avec son geste vocal pour emporter l’adhésion du public.

Un exemple de rôle pour ténor : Alessandro de Sacchini (1768) Comme la plupart des compositeurs italiens de sa génération, Antonio Sacchini débute sa carrière en présentant à Venise en 1763 un Alessandro nell’Indie31. Son choix n’est pas innocent puisqu’il concerne en vérité tout compositeur d’opéra italien à partir de 1730. En effet, la renommée des livrets de Metastasio est telle que les musiciens se confrontent aux mises en musique du livret afin d’éprouver leur science musicale. Chaque compositeur rivalise ainsi d’audace pour créer sa version du sujet. La décennie 1760-1770 est un exemple convaincant de l’exploitation intensive du livret dans plusieurs pays. On peut dénombrer 24 nouveaux opéras intitulés Alessandro nell’Indie en Europe. Les représentations ont été données à Prague, Stuttgart, Londres, Bologne, Florence ou Palerme. Par son style naturel et élégant32, la partition de Johann Christian Bach (1762), pour laquelle Anton Raaff a été engagé dans le rôle d’Alessandro, se détache des autres mises en musique. Elle marque l’originalité d’un compositeur à la recherche d’une concordance toujours plus intime entre écriture musicale et dramatisme33. C’est l’une des raisons qui explique l’engouement du jeune Mozart pour la musique de Bach et notamment pour l’air « Non sò d’onde viene ». Il est tellement impressionné par le travail du compositeur qu’il pense offrir à Raaff une autre version de cet air34. La création vénitienne de Sacchini a été suivie par deux autres représentations : l’une à Turin en 1766 et l’autre à Naples en 1768. Dans les trois cas, la distribution comporte des castrats et des ténors pour les personnages 29. L. Quetin, L’opera seria de Johann Christian Bach à Mozart, Genève, 2003, p. 112. 30. Mozart, Correspondance complète, trad. allemande G. Geffray, Paris, 2011, p. 545 : lettre de Leopold Mozart à son fils en date du 20 novembre 1777. 31. Giovanni Battista Saluzzi interprète le rôle titre. 32. C. Burney, op. cit., p. 483. 33. L. Quetin, op. cit., p. 73-77. 34. W. A. Mozart, op. cit., p. 705 : lettre de Wolfgang Amadeus Mozart à son père Leopold datée du 28 février 1778. Cet air écrit pour Alessandro a été réutilisé en 1764 dans un pastiche intitulé Ezio. C’est cette version de l’air qu’a entendue Mozart.



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respectifs de Poro et d’Alessandro. Comme ses contemporains, Sacchini n’échappe pas à cette règle tacite lorsqu’il compose pour Gaetano Ottani35 les airs du héros grec lors de la reprise turinoise de l’opéra. La distribution changeant au moment de la reprise de l’opéra à Naples en 1768, le compositeur donne le rôle à Giuseppe Afferi, un autre ténor apprécié du public. En dix-sept ans de carrière36, Afferi s’illustre dans les opéras de Franchi, Sarti, Piccinni et Cafaro, des compositeurs particulièrement actifs dans les années 1760-1770. Afin d’analyser au mieux les airs d’Alessandro écrits pour Afferi, nous disposons à l’heure actuelle de la partition complète de la version napolitaine37. Elle met en relief la modularité de la voix de ténor. L’air « Vil trofeo d’un alma imbelle » reflète l’extension du registre aigu à une époque où les musiciens cherchent à conquérir les notes de plus en plus hautes38. Sacchini emploie à cinq reprises le contre-ut dans la première partie de l’air, ce qui représente une difficulté dans la gestion du souffle puisqu’il l’associe à un mouvement mélodique ascendant. Cette volonté de repousser les limites de la voix s’accompagne à l’inverse d’un développement du registre grave39. Le chanteur doit nécessairement passer de l’un à l’autre des registres en un temps très court. Ainsi, l’accumulation des difficultés et le grand ambitus – près de deux octaves – que nécessite l’air donnent une idée particulièrement ouverte des voix en cette seconde moitié de xviiie siècle. Possédant naturellement une grande étendue vocale, Afferi est un ténor qui tire sur le baryton comme le remarque le jeune Mozart à l’issue de la représentation du Ruggiero (1769) de Guglielmi : « Oronte, père de Bradamenta, est un prince (joué par Sig. Afferi), un bon chanteur, baryton, mais il force lorsqu’il glousse en voix de fausset, pas autant toutefois que Tibaldi à Vienne40. » Les propos sont réfutés par le compositeur dans une autre lettre puisqu’il parle de ténor pour désigner Afferi. Cette ambiguïté dans les termes montre que certaines voix échappent à toute catégorisation vocale que le critique moderne voudrait lui attribuer. Le ténor du xviiie siècle recouvre une notion beaucoup plus large que celle du ténor d’aujourd’hui.

35. Charles Burney célèbre la justesse de son chant (Viaggio musicale in Italia, Florence, 1921, p. 3). 36. C. Sartori, I libretti italiani a stampa dalle origini al 1800, t. 2, Coni, 1994, p. 4. 37. Les trois volumes de l’opéra sont détenus à la bibliothèque du Conservatorio di Musica San Pietro a Majella sous la cote Rari Cornice 7.16 à 7.18. 38. R. Celletti, Histoire du Bel Canto, Paris, 1987, p. 141-142. 39. Le constat est le même chez Anton Raaff. Voir L. Quetin, op. cit., p. 111. 40. W. A. Mozart, op. cit., p. 214 : lettre de Mozart à sa sœur en date du 7 janvier 1770.

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La musique de Sacchini se conforme aux qualités que le rôle implique et de manière générale aux conventions de l’opéra italien du xviiie siècle. Outre l’héroïsme de l’air « Vil trofeo d’un alma imbelle », le compositeur écrit un aria di furore par le biais de la cavata41 « Talor l’acceso folgore » (folios 15 v-24 r, II, 4). De même que l’aria di bravura, l’aria di furore est un type d’air tellement prisé du public qu’il fait partie des topoï de l’opéra à l’époque de Sacchini. Les librettistes se doivent donc de les insérer au sein de l’intrigue et les musiciens de leur côté illustrent musicalement l’affect qui leur correspond : la fureur. Contrairement à ce que l’idée de colère pourrait laisser entrevoir, la musique de l’air « Talor l’acceso folgore42 » n’accumule pas les difficultés vocales. Elle présente une ligne vocale simple agrémentée d’arpèges, de valeurs longues et de sauts d’intervalles que le tempo rapide met en valeur avec force et détermination. Les vers que chante Alessandro n’adoptent pas la forme de l’aria da capo mais plutôt celle de la cavata. Ils interviennent à un moment où l’action se précipite et où le fil dramatique devient plus tendu. En effet, Alessandro découvre que Poro menace de lui déclarer la guerre bien qu’une paix ait été conclue entre les deux rois. La musique pour Alessandro se montre consciente des possibilités vocales que possède Afferi tout en satisfaisant l’intensité expressive du texte poétique. Par sa musique, le jeune Sacchini donne en ce sens une vision assez traditionnelle de l’opéra Alessandro nell’Indie. La popularité de la voix de ténor sur les scènes italiennes est un phénomène qui prend de l’ampleur grâce à la nouvelle structure de l’opéra italien. Amorcée dès les années 1690, la refonte du livret menée par Apostolo Zeno puis par Metastasio donne un nouvel élan à la dramaturgie en gommant les éléments non efficaces et non nécessaires aux tensions internes de l’œuvre43. Ces préoccupations sont celles qui agitent Alessandro nell’Indie. Le personnage d’Alessandro, qui regroupe à lui seul la force d’Achille et le cœur de Titus, contribue à faire de la voix de ténor un modèle d’héroïsme, ce qui représente une nouveauté dans le genre lyrique italien. La version musicale de Sacchini révèle combien, dans l’Italie des années 1760, il est facile de satisfaire les oreilles venues entendre les chanteurs à la mode et combien il est pourtant délicat de rendre une voix véritablement expressive. La maîtrise de l’orchestration permet au compositeur de disposer de tous les moyens musicaux pour nuancer la couleur vocale propre au chanteur. 41. P. Fabbri, Metro e canto nell’opera italiana, Turin, 2007, p. 43. 42. A. Sacchini, Alessandro nell’Indie, t. 2, Naples, 1768, folios 49 v-50 r. 43. O. Rouvière, Métastase, Pietro Trapassi, musicien du verbe, Paris, 2008, p. 96-103.



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Cette attitude trouve son plus juste équilibre avec l’Alessandro nell’Indie (1781) de Cimarosa, un élève de Sacchini. Le succès de l’œuvre est assuré par le ténor Giacomo David, qui intervient dans les diverses mises en musique d’Alessandro nell’Indie : Marescalchi (1778), Cimarosa (1781), Guglielmi (1789), Francesco Bianchi (1792). Grâce à David, c’est une nouvelle génération de chanteurs qui arrive sur les scènes italiennes : ils donnent au personnage et à la voix de ténor un ancrage véritable dans les premiers rôles. Par-delà cette époque, certains musiciens perpétuent cette tradition pour des raisons poétiques, vocales et esthétiques. La popularité de l’Alessandro nell’Indie de Metastasio inspire encore quelques librettistes au xixe siècle si bien que les compositeurs continuent, comme ils le faisaient par le passé, de confier le rôle à un ténor. Ainsi, Il trionfo d’Alessandro de Gaetano Andreozzi puis Alessandro nell’Indie de Giovanni Pacini44, opéras donnés respectivement au Teatro San Carlo de Naples en 1816 et 1824, promeuvent les voix de Giuseppe Siboni et d’Andrea Nozzari45. Le thème d’Alessandro, par les variations textuelles qu’il montre au cours des siècles, inscrit le héros au cœur d’un mouvement créateur faisant de l’opéra le genre par excellence de la mise en fiction de l’histoire46. Ludovic Piffaut Université de Poitiers CRIHAM

44. C.  Faverzani, « Métastase au xixe siècle : l’expérience de l’Alessandro nell’Indie de Giovanni Pacini (1824) », Chroniques italiennes, 25/ 83-84 (2009), p. 2-3. 45. D. H. Marek, Giovanni Battista Rubini and the Bel Canto Tenors, History and Technique, Lanham, 2013, p. 1811. 46. P. Ricoeur, Temps et récit, t. 3, Paris, 1985, p. 277.

Répertoires des œuvres

Œuvres françaises1 (xve-xixe siècle) Pour chacune des notices des répertoires français (titre, auteur, date de publication), nous avons suivi l’ordre suivant : -date et lieu de la première représentation quand ces données sont connues -genre dramatique -liste des personnages et lieu de l’action -nombre d’actes -résumé de l’action -source invoquée par l’auteur, le cas échéant -réécriture, musique le cas échéant -édition du texte utilisée Nous gardons les graphies originales des noms des personnages et mentionnons le statut qui leur est donné pour les personnages de fiction et aussi pour les personnages historiques quand il ne correspond pas à ce qui est attendu. Nous n’avons pas répertorié les traductions.

La complainte d’Hector ou les épitaphes d’Hector et d’Achille, Georges Chastelain, 1454 -jouée à l’automne 1454, lors des fêtes de Nevers célébrant la promesse de mariage entre Charles, le fils du duc de Bourgogne Philippe le Bon, et Isabelle de Bourbon, nièce de Charles VII -Alexandre, Hector, Achilés, l’acteur -prosimètre -L’acteur évoque la mort douloureuse d’Hector puis ses tourments outretombe, les appels qu’il envoie pour que les rois considèrent son histoire. Alexandre est représenté lors de sa visite sur les ruines de Troie, il découvre les tombes d’Hector et d’Achilés, lit leurs épitaphes, exprime son admiration pour les deux héros mais privilégie Achilés. Suivent la complainte d’Hector sur la déloyauté d’Achilés qui l’a tué par traîtrise, de dos, et l’enseignement 1. Catherine Dumas a écrit les notices des pièces des xvie et xviie siècles, Catherine GaullierBougassas les notices des pièces des xve, xviiie et xixe siècles. Nous avons adjoint aux œuvres en langue française deux pièces néo-latines écrites en France. L’entrée d’Alexandre le Grand sur la scène européenne éd. Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas Turnhout, 2017, (Alexander Redivivus, 9) p. 317-431 © F H G

DOI 10.1484/M.AR-EB.5.113453

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Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas

qu’il dispense aux rois, exhortant ainsi Alexandre à rétablir la justice. Il lui démontre qu’Achilés ne devrait pas avoir plus de gloire qu’Antipater. Alexandre modifie alors son jugement. Il demande à Achilés de venir se justifier de son crime : ce dernier se repent et, à la demande d’Alexandre, finit par accepter de demander pardon à Hector. Achilés, devant le siège des Preux, lui présente ses excuses et tous deux se réconcilient. -édition utilisée : Georges Chastelain, Œuvres, éd. K. de Lettenhove, 8 t., Bruxelles, 1863-1866 ; Genève, 1971, t. 6, p. 167-202

Daire, Jacques de La Taille, 1573 -première représentation peut-être en 1562 -tragédie -Daire ; Artabaze, un des princes de Perse ; Besse, prince des Bactriens, Nabarzane, capitaine d’Hircanie, conjurateurs ; Patron, capitaine de Grèce ; Bubace, Bagoas, eunuques ; Alexandre le Grand ; Polystrate, soldat perse ; un Gendarme ; le chœur de Gendarmes de Perse, à Ecbatane, ville métropolitaine de Médie -5 actes -Le roi Daire déplore ses malheurs. Artabaze le convainc toutefois d’affronter encore une fois les troupes d’Alexandre, bien qu’il croie déjà à la victoire de son adversaire. Cependant Besse et Nabarzane complotent contre Daire ; ils souhaitent profiter de la mélancolie du roi pour le destituer. Lorsque Daire apprend l’existence du complot qui le menace, sa colère cède rapidement la place au pardon devant les remords apparents des traîtres. Ceux-ci néanmoins destituent Daire. Bien que mis au fait des manœuvres des conspirateurs par Patron, le capitaine des soldats grecs, qui lui offre sa protection, Daire choisit d’affronter la mort, se disant incapable de triompher d’une fortune qui lui est, de toute évidence, si contraire. Tenté par le suicide, il décide toutefois de n’en rien faire. L’armée, livrée à elle-même, se rallie massivement aux Bactriens menés par Besse et Nabarzane. L’eunuque Bagoas raconte la capture de Daire et la défaite de l’armée perse. Le roi a en effet été fait prisonnier puis, dénudé et dépouillé de ses attributs, placé sur un char. Alexandre survient ; Polystrate lui apprend la mort de Daire, seul, dans les bois. Ses derniers mots ont été pour Alexandre, à qui il demande de le venger. L’ayant promis, Alexandre s’engage à offrir à Daire une sépulture digne de lui. Le chœur exalte la grandeur et la vertu d’Alexandre.



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-édition utilisée : Jacques de La Taille, Daire, éd. M. G. Longhi, dans La tragédie à l’époque d’Henri II et de Charles IX, première série, t. 4, 1568-1573, éd. S. Turzio, E. Balmas, R. Reynolds-Cornell, L. Kreyder et M. G. Longhi, Florence et Paris, 1992, p. 269-350

Alexandre, Jacques de La Taille, 1573 -tragédie -Alexandre, Cléon, courtisan sicilien, un prophète chaldéen, Aristarque, philosophe ; Thessale et Cassandre, Philippe, Jollas, frères : conjurateurs ; Sigambre, mère de Daire ; Saptine, fille de Daire et femme d’Alexandre ; Perdice, prince de Macédoine ; le chœur de Gendarmes, à Babylone, ville capitale d’Asie -5 actes -Alexandre évoque ses exploits extraordinaires devant son courtisan Cléon, qui lui conseille de se faire vénérer comme un dieu. Après les prédictions d’un prophète chaldéen qui lui annonce sa mort prochaine et le conjure de la fuir, Alexandre écoute le philosophe Aristarque qui méprise cet avis. Les trois fils d’Antipater qui accusent le roi d’ambition et de tyrannie s’apprêtent à l’assassiner. Leur chef Cassandre vante à ses frères la gloire de risquer leurs vies pour éliminer un tyran, dont il dénonce les voluptés, les prétentions à une origine divine et l’instauration de son propre culte. Les conjurés se réjouissent ensuite d’avoir administré le poison mortel. Alexandre à l’agonie se désespère, tenté par le suicide ; son épouse Saptine et Sigambre, la mère de Daire, l’incitent à surmonter sa souffrance. Puis le roi se réveille, ayant eu un songe prophétique. Désormais apaisé, il prédit sa gloire immortelle, mais aussi le chaos qui suivra sa mort, l’effondrement de son empire, les guerres civiles, les meurtres de ses successeurs et la mort des siens. Il montre dans ses derniers instants une force d’âme et une sérénité nouvelles. Avant d’expirer elle aussi, Sigambre loue la générosité du roi envers les vaincus ; Saptine se lamente sur son propre malheur. Perdicas évoque l’âme du roi aux Champs Élysées. Le chœur se réjouit de la gloire à jamais attachée au nom d’Alexandre. -Jacques de La Taille, Alexandre, éd. M. G. Longhi, dans La tragédie à l’époque d’Henri  II et de Charles  IX, première série, t.  4, 1568-1573, éd. S.  Turzio, E. Balmas, R. Reynolds-Cornell L. Kreyder et M. G. Longhi, Florence et Paris, 1992, p. 351-436.

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Darius proditus, Pierre Mousson, 1621 -créée entre 1606 et 1611, collège de La Flèche -tragédie -Alexandre, Héphestion, Parménion, Perdiccas, Clitus, Sysigambe, Statira, Ochus, Xerxès, Darius, Tyriotès, Artabaze, Bessus, Nabarzane, Polystrate -5 actes -Alexandre le Grand, assistant à la déroute des Perses et à la fuite de Darius et se remémorant les prédictions qui lui avaient été faites lorsqu’il était enfant, se réjouit devant Héphestion, Parménion, Perdiccas et Clitus. Recevant la soumission de plusieurs cités, il apprend que la famille de Darius a été capturée. En effet, Sysigambe et Statira, mère et épouse de Darius, s’alarment de leur sort. Mais Alexandre leur témoigne une grande bienveillance et s’attendrit sur la situation d’Ochus et Xerxès, fils de Darius. De son côté, Darius est désespéré ; il apprend la mort de Statira dont il reçoit une lettre, qu’elle a écrite lors de son agonie et où elle mentionne la bonté d’Alexandre. Mais les ambassadeurs perses ne réussissent pas à conclure un accord avec le Macédonien. Ce dernier, malade, doit faire face à des mouvements dans ses troupes et à l’avancée des ennemis. Guéri par une potion de son médecin, il mène son armée contre Darius, qui subit à nouveau une défaite et qui, en difficulté, est abandonné par Artabaze et mortellement blessé par deux de ses satrapes, Bessus et Nabarzane. Découvert par Polystrate, le roi perse lui donne son anneau et lui confie le soin de sa famille, avant de mourir. Alexandre fait reconnaître son corps par Sysigambe et ses petits-enfants, et il ordonne la capture des deux satrapes afin qu’ils soient suppliciés. -source : Tragœdiæ seu diversarum gentium et imperiorum magni principes dati in theatrum collegii regii Henrici magni, auctore P. Petro Mussonio, Virdunensi S.J., Flexiae apud G. Griveau, 1621

La mort de Daire, Alexandre Hardy, 1626 -tragédie -Daire, Artabaze2, Masæe, Bubace, Alexandre, Hephestion, [Parmenion], Perdice, Menide, troupe de soldats perses, chœur d’Argyraspides, Bion, [Aristandre], Besse, Nabarzane, Patron, Polystrate, Cratère, Syzigambe, chœur des filles, Bagystane 2.

Également écrit « Artabase ».



Œuvres françaises (xve-xixe siècle) 321

-5 actes -Ayant subi une défaite à la bataille du Granique, Daire déplore l’asservissement de son empire à Alexandre. Artabaze l’exhorte à reprendre espoir. Daire souffre aussi de la mort de sa femme, captive du roi macédonien. De son côté, Alexandre, qui connaît la supériorité numérique de l’armée perse, s’apprête à reprendre le combat : Hephestion, Parmenion et Perdice louent ses qualités guerrières. Les deux rois font, chacun dans leur camp, des vœux de victoire. Mais après sa défaite, Darius doit se réfugier chez les Bactriens, dont le chef cynique et ambitieux, Besse, complote contre lui avec son ami Nabarzane : Daire est furieux lorsque ce dernier parle d’une déposition temporaire du roi perse. Tandis qu’Alexandre se réjouit de sa victoire, Patron dénonce le complot de Besse et Nabarzane à Daire et lui offre la protection de ses soldats grecs : Daire la refuse et pardonne aux deux hommes. Patron et Artabaze pressentent la fin tragique du roi perse. Daire tombe aux mains de Besse et Nabarzane. Le Macédonien Polystrate trouve le roi perse blessé à mort, qui demande qu’Alexandre châtie les traîtres. Alexandre donne des funérailles solennelles à son adversaire et prépare le supplice de Besse. Syzigambe, mère de Darius, met en cause les destins qui ont frappé son fils. -édition utilisée : La Mort de Daire, tragédie, dans Le Théâtre d’Alexandre Hardy, Parisien, t. 4, Imprimerie de David du Petit Val, Rouen, 1626, NPp.  73 ; texte disponible sur le site gallica de la BnF : http://gallica.bnf.fr/ ark :/12148/bpt6k71073v

La mort d’Alexandre, Alexandre Hardy, 1626 -créée entre 1619-1621 -tragédie -L’Ombre de Parmenion, Alexandre, Perdice, Antigone, Mage chaldéen, Antipatre, Cassandre, Iolas, Page, Aristandre, Plistarque, Denis, Roxane, Philippe, Eunuque, Medie, chœur d’Argyraspides -5 actes -L’Ombre de Parmenion avertit Alexandre qu’il mourra : elle lui rappelle ses prétentions à être fils de dieu, ainsi que ses crimes contre son entourage. Alexandre est troublé, mais confie à Perdice et Antigone ses regrets de ne pas avoir étendu ses conquêtes. Il pense affermir son empire. Un mage avertit Alexandre qu’il devrait fuir Babylone. Le roi néglige l’avis comme il a fait pour celui de l’Indien Calane. Pendant ce temps Antipater et ses fils conspirent contre le roi, devenu tyrannique et cruel ; Antipater conseille à Iolas

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d’utiliser le poison au cours d’un banquet. Les présages négatifs s’accumulent. Alexandre convoque Aristandre qui se veut rassurant. Roxane elle-même souhaite avertir son époux, rappelant qu’elle est enceinte. Le roi ne veut rien entendre et se rend au banquet offert par Médie. Le page décrit à Cassandre les premiers symptômes du mal qui a saisi le roi lorsqu’il a bu : Cassandre se réjouit. Alexandre qui souffre demande qu’on abrège ses douleurs. Quand Antigone lui dit que Jupiter, son père, le secourra, le roi reconnaît qu’il a forgé cette prétendue filiation. Il demande que les traîtres soient identifiés et châtiés. Alexandre refuse de se coucher malgré les injonctions de son médecin. Il fait ensuite ses adieux aux soldats, à Roxane qui voudrait le suivre et qu’il confie à Perdice. Antigone se lamente, Perdice appelle les compagnons du défunt roi à s’unir. -sources : Plutarque et Quinte-Curce -édition consultée : La Mort d’Alexandre, tragédie, dans Le Théâtre d’Alexandre Hardy, Parisien, t. 4, Imprimerie de David du Petit Val, Rouen, 1626, p. 73141 ; texte disponible sur le site gallica de la BnF : http://gallica.bnf.fr/ ark :/12148/bpt6k71073v

Timoclée ou la juste Vengeance, Alexandre Hardy, 1628 -créée entre 1605 et 1615 ? -tragédie -Alexandre ; Perdice, Parmenion, Cratere, Antipatre, capitaines d’Alexandre ; Demosthene, Phocion, Leonide, gouverneurs d’Athènes, chœur d’Athéniens, Héraut, Timoclee, dame thébaine, Phænisse, confidente de Timoclee ; Phœnix, Prothyre, gouverneurs de Thèbes, chœur de Thébains, ambassadeurs athéniens, chœur de soldats macédoniens, l’Ombre de Theagene, [un capitaine], Hypparque, capitaine thracien ; troupe de soldats thraciens, ambassadeurs [thraciens] -5 actes -Le jeune Alexandre consulte ses capitaines sur la conduite à tenir envers Athènes et Thèbes ; Antipatre et Perdicas prônent l’indulgence, Parmenion la rigueur. Alexandre annonce aux ambassadeurs athéniens qu’ils pourront compter sur sa clémence. L’inquiétude règne à Athènes, où Demosthene plaide pour l’union contre la tyrannie Alexandre, mais se heurte à Phocion qui préfère la soumission. L’Ombre de Theagene prédit un viol, ainsi que les malheurs de Thèbes à sa sœur Timoclee. Celle-ci s’en émeut, en dépit de l’optimisme affiché par Phænisse, sa confidente. Timoclee souhaite mourir



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vaillamment plutôt que de subir un viol. Le gouverneur de Thèbes Phœnix harangue les Thébains et refuse les offres de paix d’Alexandre transmises par le héraut. Celui-ci blâme l’aveuglement de Thèbes. Les Thébains veulent résister. Alexandre, furieux, ordonne la mise à sac de la ville rebelle. Les deux camps se préparent à l’affrontement. Thèbes est ravagée par les Macédoniens ; un capitaine incite au pillage. Hypparque refuse de respecter l’honneur de Timoclee. Phænisse cherche en vain à apaiser sa maîtresse, qui veut se venger de l’outrage. Timoclee fait croire à Hypparque qu’un trésor se trouve dans un puits où elle le jette. Des soldats amènent Timoclee devant Alexandre auquel elle explique son geste. Il l’en félicite et la gracie, montrant ainsi son humanité. -édition utilisée : Timoclée ou la juste Vengeance, tragédie, dans Le Théâtre d’Alexandre Hardy, Parisien, t. 5, Imprimerie François Targa, Rouen, 1628, NP-p. 112 ; texte disponible sur le site gallica de la BnF : http://gallica.bnf.fr/ ark :/12148/bpt6k71159k

Les visionnaires, Desmarets de Saint-Sorlin, 1637 -première représentation, au théâtre du Marais entre le 15 février et le 6 mars 1637 -comédie -Artabaze, capitan ; Amidor, poète extravagant ; Filidan, amoureux en idée ; Phalante, riche imaginaire ; Mélisse, amoureuse d’Alexandre  le Grand ; Hespérie, qui croit que chacun l’aime ; Sestiane, amoureuse de la Comédie ; Alcidon, père de ces trois filles ; Lysandre, parent d’Alcidon. Le lieu de l’action n’est pas précisé. -5 actes -Dans cette comédie où figurent sept personnages délirants, Mélisse, l’une des trois filles d’Alcidon, est amoureuse d’Alexandre dont elle a lu l’histoire dans Plutarque et dont elle vénère le portrait : aussi repousse-t-elle les avances de Phalante, qui étale en vain ses prétendues richesses (II, 1). Elle déclare son amour à Alexandre (IV, 1), dont elle connaît les hauts faits et qu’elle souhaiterait voir apparaître. Le capitan Artabaze, qui croit qu’elle joue un rôle dans une pièce composée par le poète Amidor, prononce la réplique : « Je suis cet Alexandre », pour la plus grande joie de Mélisse ; celle-ci cependant est troublée quand il dit se nommer Artabaze et prétend que ses exploits surpassent ceux d’Alexandre (IV, 2) ; à la vue d’Amidor, qu’il prend pour un sorcier, Artabaze s’enfuit ; Mélisse le suit (IV, 2 et IV, 5). Hespérie, sa sœur, dénonce

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cette conduite indécente au crédule Alcidon (IV, 6), qui promet Mélisse à Artabaze qu’il prend pour un redoutable guerrier (IV, 7). Mais Mélisse ne veut épouser qu’Alexandre et méprise Artabaze (V, 3). Comme les autres prétendants, celui-ci s’enferme dans sa folie (V, 9). -édition utilisée : Théâtre du xviie siècle, t. 2, éd. J. Scherer et J. Truchet, Paris, 1986, p. 405-492

Roxane, Desmarets de Saint-Sorlin, 1639 -tragi-comédie -Alexandre le Grand ; Cohortane, Phradate, satrapes ; Roxane, fille de Cohortane ; Barsine, Candace, suivantes de Roxane ; Clyte, Perdicas, Ptolomée, chefs macédoniens ; Hydaspe, écuyer de Roxane ; autres chefs macédoniens, [un soldat], dans « la ville où commandait Cohortane » -5 actes -Phradate demande en vain à Cohortane, père de sa fiancée Roxane, de reprendre la lutte contre Alexandre ; Roxane, qui lui est fidèle, promet d’obtenir sa grâce auprès d’Alexandre et le cache chez Hydaspe. Alexandre rend ses états à Cohortane. Il est séduit par la beauté de Roxane. Cohortane s’en réjouit. Hydaspe apprend à Phradate qu’Alexandre, qui l’a gracié, aime Roxane et veut l’épouser, malgré sa froideur envers lui. Phradate, jaloux, fait des reproches à Roxane, qui ne les comprend pas. Ils se réconcilient. Roxane rappelle à son père la parole donnée à Phradate. Alexandre presse en vain Roxane d’accepter son amour. La nuit, Clyte tente de soulever des chefs contre le mariage d’Alexandre avec Roxane ; Phradate fait chorus et tient des propos insultants sur Roxane. Celle-ci l’entend et est outrée de la violence de Phradate, qui tente de la tuer. Roxane dit au roi qu’il ne peut l’épouser car Clyte et ses généraux la haïssent. Alexandre est furieux. Phradate, cherchant à approcher de lui pour l’assassiner, se fait tuer par un garde. Lors d’un banquet, Clyte dénonce le projet de mariage. Alexandre le tue, puis il est pris de remords et désire mourir. Roxane, prévenue de la mort de Phradate, se croit en danger mais les chefs grecs lui prêtent allégeance. Roxane s’offre à mourir pour le roi, qu’elle arrache à la tristesse. Alexandre officialise son mariage. -édition utilisée : Roxane, dans Œuvres poétiques du Sieur Desmarets, Paris, Henry Le Gras, 1647, p. 1-88 ; disponible sur le site gallica de la BnF : http:// gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k5767243z



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Parthénie, Baltasar Baro, 1642 -tragédie -Nearque, Harpale, chefs de l’armée d’Alexandre ; Alexandre ; Ephestion, favori d’Alexandre ; Parthenie, princesse esclave ; Hytaspe, prince et prisonnier de guerre ; Carinte, confidente d’Alexandre ; Lycandre, capitaine des gardes d’Alexandre, en Perse -5 actes -Alexandre a suspendu ses conquêtes ; il dit sa passion à la princesse perse Parthenie, sa captive. Celle-ci se dérobe en disant craindre pour son frère Hytaspe, disparu lors des combats. Ephestion annonce qu’Hytaspe est en vie. Il paraît ; le roi lui offre son amitié et lui laisse son sceptre. Il lui demande d’intercéder pour lui auprès de Parthenie. Un entretien surpris par une suivante acquise à Alexandre révèle qu’Hytaspe et Parthenie ne sont pas frère et sœur, mais amants. Alexandre, jaloux, dit à Parthenie qu’il sait tout, la menaçant de faire tuer Hytaspe. Elle le prie en vain de dompter ses passions. Hytaspe, informé de la jalousie du roi, refuse de fuir. Lycandre arrête Hytaspe sur ordre du roi. Ephestion voudrait modérer la fureur d’Alexandre. Le roi lui commande d’exécuter Hytaspe. Parthenie plaide pour celui-ci. On vient dire qu’Hytaspe s’est suicidé ; Parthenie, qui ne croit pas à cette version se désespère, tente de se poignarder, puis menace le roi. Alexandre veut la faire l’exécuter. Pris de remords et suicidaire, il ordonne ensuite de la sauver. Parthenie vient : il lui tend un poignard pour qu’elle le tue. Elle refuse, se disant prête à se tuer pour suivre Hytaspe. Cependant, Ephestion n’a pas exécuté celui-ci. Le roi, reconnaissant, rend ses états à Hytaspe, l’unit à Parthenie, qui célèbre la gloire du roi. -source indiquée par l’auteur : Quinte-Curce -édition utilisée : La Parthenie de Baro, Sommaville et Courbé, Paris, 1642 ; disponible sur le site gallica de la BnF : http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/ bpt6k63646887

L’art de régner, ou le sage gouverneur, Gillet de la Tessonnerie, 1645 -tragi-comédie -5 actes -Alexandre intervient dans les actes I et IV, en Perse. Acte  I : le Sage (le Gouverneur), le Prince ; Philippe, roi de Macédoine, Alexandre, fils de Philippe, Atalle, favori de Philippe, Minerve, dame macédonienne, Mégare,

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confidente de Minerve ; acte  IV : le Sage (le Gouverneur), le Prince ; Alexandre, Statira, fille de Darie, Bérénice, sœur de Statira, Oroondate, prince perse, amant de Statira, Clite, de la cour d’Alexandre, Amintas, de la cour d’Alexandre, Harmin, gentilhomme de Perse. -Le Gouverneur fait jouer devant le jeune Prince, son élève, des scènes à visée didactique. L’acte I montre la colère de Minerve, grande dame déshonorée par Atalle, ami et protégé du roi Philippe, auquel elle a en vain réclamé justice. Philippe, qui persiste à soutenir son favori, a quelques pressentiments et tarde à se rendre aux noces de son fils. Minerve le supplie encore une fois et, face aux refus du roi, se répand en invectives et le poursuit. Un commentaire de sa suivante apprend qu’elle a poignardé le roi et s’est tuée. L’acte IV montre l’amour d’Alexandre pour la belle Statira, fille de Darius, sa captive. Celle-ci, voulant rester fidèle au prince Oroondate, qu’elle fait passer pour son écuyer, reste inflexible devant le roi, auquel elle demande de renoncer à cet amour. Alexandre, surpris, veut d’abord user de contrainte et menace Oroondate qui veut défendre Statira. Mais lorsque celle-ci révèle la véritable identité d’Oroondate et déclare l’aimer, le roi finit par se vaincre lui-même et rend leurs biens aux deux amants, pour qu’ils s’épousent et vivent en paix. -édition utilisée : L’Art de régner, ou le sage Gouverneur, Paris, Toussaint Quinet, 1645 ; disponible sur le site Théâtre classique : http://www.theatreclassique.fr/pages/programmes/edition.php ?t=../documents/GILLET_ ARTDEREGNER.xml

Le mariage d’Oroondate et de Statira, ou la conclusion de ­Cassandre, Magnon, 1648 Le titre Cassandre est celui d’un roman célèbre de La Calprenède. -tragi-comédie -Roxane, veuve d’Alexandre ; Statira, veuve d’Alexandre ; Oroondate, prince de Scitie ; Perdicas, successeur d’Alexandre ; Cassander, successeur d’Alexandre ; Seleucus, successeur d’Alexandre ; Arbate, confident de Roxane ; Hezionne, confidente de Roxane ; gardes. -5 actes -Le vaillant Oroondate, qui aime Statira (appelée épisodiquement « Cassandre ») d’un amour réciproque qui remonte à l’époque où celle-ci n’était pas encore l’épouse d’Alexandre, est tombé aux mains de la cruelle Roxane, qui détient également Statira. Mais Roxane aime Oroondate et le protège malgré lui, tandis que Perdicas, épris de Statira, cherche à préserver



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celle-ci de la jalousie de Roxane. Cassander, l’assassin d’Alexandre, qui aime Roxane, cherche en vain à tuer Oroondate. Roxane intervient pour le sauver. Oroondate qui résiste à l’amour de Roxane et lui reproche ses crimes, a enfin l’autorisation de Statira, qui de son côté s’oppose aux désirs de Perdicas. Tous deux se redisent leur amour. Sommés de cesser de s’aimer par Roxane et Perdicas, ils tiennent bon dans leur fidélité et sont en outre physiquement menacés, Statira par Roxane et Oroondate par Perdicas. Cependant Perdicas protège Statira et Roxane refuse de voir périr Oroondate. Un retournement de situation s’opère grâce à Séleucus qui secourt Oroondate et s’allie à lui. Tous deux sauvent Statira que sa rivale avait décidé d’éliminer. Roxane, abandonnée et trahie, a la vie sauve, tandis que les deux amants renoncent à tout pouvoir et s’épousent. -édition utilisée : Le Mariage Doroondate (sic) et de Statira, ou la Conclusion de Cassandre, tragi-comédie, Paris, Toussaint Quinet, 1648 ; disponible sur le site gallica de la BnF : http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k72763q.r

La mort de Roxane, anonyme, 1648 -tragédie -Roxane, veuve d’Alexandre ; Orcamene, prince de Sogdie, amoureux de Roxane ; Cassandre, régent de la Macédoine, amoureux de Thessalice ; Thessalice, fille et héritière d’Arideus, roi de la Macédoine ; Tersite, confident de Cassandre ; Ariston, confident d’Orcamene ; Belise, confidente de Roxane ; Charmione, confidente de Thessalice ; soldats -5 actes -Roxane, veuve d’Alexandre, est à la merci de Cassandre, l’assassin de son mari. Sa seule consolation est l’amour qui l’unit à son ancien amant, Orcamene. Mais elle apprend la mort de son fils. Thessalice, aimée de Cassandre, mais également éprise d’Orcamene, fait croire à Roxane que ce dernier a trempé dans la mort de son fils. Roxane accable Orcamene de sa colère. Celui-ci veut mourir, puis décide de tuer Cassandre. La première tentative d’assassinat échoue. C’est en vain que Thessalice tente de favoriser la fuite de Roxane : celle-ci se fait arrêter. Thessalice obtient que Cassandre gracie Orcamene, mais celui-ci, jaloux, a décidé de la faire tuer ultérieurement. Orcamene espère toujours que Roxane pourra échapper à son sort. Ils se séparent. Belise raconte ensuite à Thessalice la mort de la reine, sous les coups de Tersite, homme de main de Cassandre. Thessalice craint pour la vie d’Orcamene, mais celui-ci,

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ivre de fureur, a déjà tué Tersite et deux soldats. Orcamene vient ensuite dire qu’il a assassiné Cassandre, mais Thessalice ne peut l’empêcher de se suicider. -édition utilisée : La Mort de Roxane, tragédie, Paris, Augustin Courbé, 1648 ; disponible sur le site gallica de la BnF : http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/ bpt6k71581v

Porus ou la générosité d’Alexandre, Claude Boyer, 1648 -créée sans doute en 1647 -tragédie -Porus, roi des Indes ; Argire, femme de Porus, Oraxene, fille de Porus, Clairance, fille de Porus, prisonnières d’Alexandre ; Clarice, confidente d’Argire ; Phradate, écuyer d’Argire ; Arsacide, prince des Indes ; Alexandre ; Perdiccas, prince de Macédoine ; Oronte, capitaine des gardes d’Alexandre ; troupe des gardes, dans le camp d’Alexandre sur les bords du fleuve Hydaspe -5 actes -Alexandre, qui tient captives l’épouse et les deux filles de Porus, souhaite poursuivre l’effort militaire qui lui assurera un triomphe complet sur ce dernier, mais Perdiccas n’y est pas favorable. Perdiccas aime Clairance, l’une des filles de Porus, qui lui laisse entendre qu’elle l’aime aussi. Porus et Arsacide, déguisés, viennent au camp d’Alexandre. Porus soupçonne son épouse Argire d’être éprise d’Alexandre, et Arsacide pense que sa fiancée Oraxene, l’autre fille de Porus, est amoureuse de Perdiccas. Porus laisse éclater ses soupçons en présence d’Argire et Arsacide agit de même avec Oraxene. Les rivaux supposés, Arsacide et Perdiccas, se battent. Porus est arrêté après avoir tenté de tuer Alexandre. Argire plaide pour son époux ; Alexandre s’étonne de la lâcheté de son adversaire. Porus découvre alors que la prétendue trahison de sa femme est une machination d’Attale, pour le faire tomber aux mains du roi macédonien. Alexandre libère Porus pour lui permettre de châtier Attale et lui offre son amitié. Après la mise à mort d’Attale, Porus tente de reprendre la lutte, mais, vaincu par Alexandre, il célèbre la générosité du vainqueur. Les malentendus entre Perdiccas et Arsacide sont dissipés ; ils peuvent épouser respectivement Clairance et Oraxene. -édition utilisée : Porus ou la générosité d’Alexandre, tragédie, Paris, Tousaint Quinet, 1648 ; disponible sur le site gallica de la BnF : http://gallica.bnf.fr/ ark :/12148/bpt6k117137b



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Timoclée ou la générosité d’Alexandre, Morel, 1658 -tragi-comédie -Alexandre le Grand, roi de Macédoine ; Aminte, l’un des généraux de l’armée du roi ; Trasile, capitaine thrace de l’armée d’Alexandre ; Rasé, espion du Roi ; Timoclée, dame de Thèbes, honorée comme souveraine, dont le frère nommé Théagènes était mort commandant les Thébains à Chéronée ; Dorite, nièce de Timoclée et tenue pour suivante ; Teaclée, mère de Timoclée ; Phenix, capitaine thébain, amant mais haï de Timoclée ; Prothite, capitaine thébain, aimé de Timoclée, un page de Prothite ; Doulon, serviteur de Phenix faisant le bouffon ; un valet de Trasile ; gardes ; soldats, à Thèbes. -5 actes -Timoclée attise l’ardeur guerrière de Prothite et de Phenix, défenseurs de Thèbes, qui l’aiment tous deux ; elle préfère Prothite. Doulon raille son maître Phenix auquel il conseille même de pactiser avec Alexandre. Informé par Rasé du rôle de Timoclée et des rivalités entre Phenix et Prothite, Alexandre veut châtier l’orgueil des Thébains. Dans l’entourage du roi, Aminte et Trasile sont eux aussi épris de Timoclée. Après la victoire d’Alexandre, tandis que Trasile, guidé par Rasé, va loger chez Timoclée, Aminte demande au roi de faire respecter les familles des héros de Thèbes. Prothite et Phenix, auquel son rival reproche d’avoir mal défendu la ville, sont captifs. Doulon est leur informateur. Timoclée envoie Dorite se cacher. Rasé déplore la mort de Trasile, dont Timoclée s’est vengée, alors qu’il allait la violer. Timoclée se réjouit d’avoir préservé son honneur. Teaclée lui conseille en vain de fuir. Rasé l’arrête. Phenix et Prothite, sortis du cachot, apprennent l’exploit de Timoclée. Pour la sauver, Prothite demande à Phenix de s’accuser comme lui devant le roi du meurtre de Trasile, une version qu’Aminte dément. Alexandre, impressionné par le courage de Timoclée, l’épargne et veut la marier à Prothite, ce qu’elle refuse dans l’immédiat. Louant les vertus d’Alexandre et d’Aminte, Timoclée dit sa foi à Prothite et marie Dorite à Phenix. -sources : Plutarque, Diodore de Sicile, Quinte-Curce, Jean Freinshemius (ses Suppléments sur Quinte-Curce) -édition consultée : Timoclée ou la générosité d’Alexandre, Paris, Charles de Sercy, 1658 ; disponible sur le site gallica : http://gallica.bnf.fr/ ark :/12148/bpt6k6255600p.r=timocl%C3%A9e%20ou%20la%20 g%C3%A9n%C3%A9rosit%C3%A9%20d%27alexandre ?rk=21459 ;2

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Darius, Thomas Corneille, 1659 -créée à l’Hôtel de Bourgogne, fin 1658-début 1659 -tragédie -Ochus, roi des Perses ; Darius, déguisé sous le nom de Codoman, fils d’un Darius aîné d’Ochus ; Statira, fille d’Ochus ; Amestris, sœur d’Ochus ; Mégabise, favori d’Ochus ; Oropaste, capitaine des gardes d’Ochus ; Bagoas, confident de Mégabise ; Barsine, confidente de Statira, à Persépolis -5 actes -Darius, fils d’un autre Darius détrôné par son frère, le roi usurpateur Ochus, enfant royal et héritier légitime du trône, condamné à mort dès le berceau par son oncle, a grandi caché sous le nom de Codoman. S’étant fait apprécier pour sa vaillance par son oncle Ochus, qui ignore sa véritable identité, il ose demander la main de Statira, la fille d’Ochus, qu’il aime et dont il est aimé, mais il se heurte alors à l’hostilité du roi jaloux de son pouvoir. Protégé par sa tante Amestris, sœur d’Ochus, il assiste à la montée en puissance de l’ambitieux Mégabise, qui a obtenu la promesse d’épouser Statira. Cependant Mégabise tente de se faire passer auprès du peuple pour le prince disparu. Ochus craint d’être victime d’un complot et fait arrêter Mégabise. Au risque de sa vie, Darius finit par dénoncer l’imposture de Mégabise et révèle au roi sa véritable identité. Amestris qui a reçu deux ans plus tôt un billet et les confidences de Tiribase, père de Mégabise, confirme ses dires : Darius se soumet à Ochus, qui le relève et consent à ce que Darius épouse Statira, tandis que Mégabise est condamné. -édition utilisée : Darius, dans Œuvres de Thomas Corneille, Paris, chez Valeyre fils, rue Saint Jacques, Paris, 1758 ; Slatkine Reprints, Genève, 1970, p. 277-298

Le faux Alexandre, Scarron, publication posthume (après 1660) -comédie -Léandre, amoureux d’Aminte ; Jodelet, valet de Léandre ; Aminte, jeune Anglaise, amoureuse de Léandre ; le comte, père d’Aminte ; la comtesse, mère d’Aminte ; Felton, cousin et prétendant d’Aminte ; Isabelle, sœur de Felton ; Beatrix, suivante d’Isabelle, à Bourbon -De cette pièce inachevée, on n’a que des fragments : acte I, scènes 3 à 5, acte II, scène 1 et début de la scène 2.



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-À Bourbon, où l’on prend les eaux, le jeune et riche Léandre est tombé amoureux d’une jeune Anglaise, Aminte. Sur son ordre, son serviteur, Jodelet joue, de façon burlesque, le rôle d’un fou qui se prend pour Alexandre, et Léandre, plus sagement, celui d’Ephestion, pour attirer l’attention d’Aminte et donner le change à ses parents, ainsi qu’à Felton, cousin et prétendant officiel de la jeune fille. La plupart des personnages ont lu le roman Cassandre. -édition utilisée : Œuvres de Monsieur Scarron, Nouvelle édition, t.  7, Amsterdam, 1752, p. 412-430, numérisée sur google books : https ://books.google.fr/books ?id=xM5CAAAAYAAJ&pg=PT406&lpg= PT406&dq=faux+alexandre+de+scarron&source=bl&ots=1fS6OvjoZf&s ig=e02hreB8Lj9on1MBHA03owCe

Ballet royal de la Naissance de Venus, Isaac Benserade, musique de Lully, 1665 -26 janvier 1665 -ballet -Neptune, Thetis, trente Tritons ; douze Nereïdes, Venus, les quatre Heures du jour ; six dieux et déesses de la mer ; Éole et les quatre Vents ; Castor, Pollux, deux Capitaines de Vaisseau, deux Marchands et deux Mariniers ; le Printemps, deux Ris, deux Jeux, deux Zephyrs ; Flore, Palès, trois Bergers, trois Bergères ; les trois Grâces ; Europe et six Nymphes ; Apollon, Daphné, Cupidon ; Bacchus, Ariadné, deux Indiens, deux Indiennes, quatre Faunes ; quatre Sacrificateurs, quatre Philosophes ; six Poëtes (Theocrite, Anacreon, Ovide, Tibulle, Dante et Pétrarque) ; Alexandre, Achille, Hercule, Jason, Roxane, Briseis, Omphale, Medée, Orphée, Pluton, Proserpine, Eurydice, huit Ombres -deux parties ayant chacune six entrées -Les deux parties du ballet sont respectivement consacrées l’une à la naissance, et l’autre au pouvoir de Venus, la déesse de l’amour. Les quatre héros, Hercule, Jason, Achille et Alexandre, qui dansent respectivement avec Omphale, Medée, Briseis et Roxane, interviennent à la dernière entrée du ballet pour exprimer que l’amour est la plus noble des passions. Alexandre était interprété par Louis XIV et Roxane par Madame (sa belle-sœur). Le texte comporte des vers à la louange du roi français, qui établissent un parallèle entre lui-même et le conquérant macédonien : « Ce Prince qui paraît sous l’habit d’Alexandre / N’est pas moins généreux, ni moins brave que lui […]. » (p. 54) Les deux jeunes souverains sont comparés pour le souci de leur gloire,

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les qualités guerrières et, dans le cas de Louis XIV, le souci de la paix, ainsi que pour la grâce de leur corps. -édition utilisée : Ballet royal de la Naissance de Venus, R. Ballard, Paris, 1665 ; disponible sur le site gallica de la BnF : http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/ bpt6k719511

Alexandre le Grand, Racine, 1666 -créée à Paris, au théâtre du Palais Royal, le 4 décembre 1665 -tragédie -Alexandre ; Porus, Taxile, rois dans les Indes ; Axiane, reine d’une autre partie des Indes ; Cléofile, sœur de Taxile ; Éphestion ; suite d’Alexandre, sur le bord de l’Hydaspe, dans le camp de Taxile -5 actes -Cléofile, aimée d’Alexandre, dissuade son frère Taxile de s’allier à Porus et à Axiane, qui le combattent. Taxile, comme Porus, aime Axiane qui semble éprise de Porus. Taxile, pressé par Porus, refuse de combattre. Au nom d’Alexandre, Éphestion offre la paix à Taxile, qui accepte, et à Porus qui refuse. Axiane ne parvient pas à influencer Taxile. Après le combat, celuici lui annonce la défaite de Porus. Axiane est outrée quand il lui promet qu’Alexandre la maintiendra sur le trône. Alexandre assure Cléofile de son amour et promet d’aider Taxile ; elle lui demande de ménager Axiane et Porus. Celui-ci a disparu. On ignore son sort. Alexandre a beau assurer Axiane de son estime pour Porus, elle défie le roi et l’accuse de tyrannie ; Alexandre ne s’en offense pas, mais lui vante les mérites de Taxile. Quand celui-ci vient, Axiane l’accable de son mépris et lui enjoint, pour être aimé d’elle, de reprendre la lutte contre Alexandre. On annonce que Porus n’est pas mort. Cléofile le craint. Quand on lui amène Porus, prisonnier, Alexandre voudrait qu’il consente au bonheur de Taxile. Mais Éphestion rapporte que Porus a déjà tué son rival. Axiane dit son amour à Porus. Alexandre épargne celui-ci et lui rend son royaume. Axiane reconnaît la magnanimité d’Alexandre ; Cléofile qui n’a pu empêcher la mort de son frère, est en proie à la tristesse. -sources citées : Quinte-Curce (livre VIII), Justin -édition utilisée : Alexandre le Grand, dans Jean Racine, Œuvres complètes, éd. G. Forestier, Paris, 1999, p. 121-180.



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Statira, Nicolas Pradon, 1680 -tragédie -Statira, fille de Darius, veuve d’Alexandre ; Roxane, fille de Cohortan, veuve d’Alexandre ; Leonatus, prince du sang d’Alexandre, et un de ses successeurs ; Perdiccas, un des premiers chefs de l’armée d’Alexandre ; Cassander, fils d’Antipater, gouverneur de la Macédoine ; Hesione, confidente de Roxane ; Cleone, confidente de Statira ; Peucestas, confident de Cassander ; gardes et suite de gardes -5 actes -Perdiccas aime Statira, otage de Roxane, qu’il protège contre la haine de celleci ; Cassander aime Roxane. Les deux reines sont éprises du même homme : Leonatus. Ce dernier se dit prêt à cesser la guerre qu’il mène contre Roxane si elle relâche Statira. Roxane et Perdiccas refusent. Avec l’appui de Cassander, Leonatus tente de libérer Statira ; il échoue et tombe aux mains de Roxane qui le soustrait aux hommes de Perdiccas. Roxane exerce un chantage sur Statira ; celle-ci doit feindre de ne plus aimer Leonatus, qui aura ainsi la vie sauve et épousera Roxane, tandis que Statira épousera Perdiccas. Statira obéit en pleurant. Leonatus n’est pas dupe, mais Roxane exerce la même pression sur lui. Chacun des deux amants est prêt à sacrifier sa vie et son bonheur pour sauver l’autre. Roxane menace de tuer Statira devant Leonatus, qui fait appel à Perdiccas pour la sauver. Roxane est alors en proie à la jalousie et ne fait rien quand Statira vient lui dire que Leonatus est en danger. Cassander annonce que le palais est cerné, que Perdiccas s’est retourné contre Roxane et que Leonatus a péri. Les deux reines se disent prêtes au suicide. Mais Statira est seule à s’empoisonner. Avant de mourir, elle revoit Leonatus, dont la mort avait été annoncée à tort ; Perdiccas empêche Leonatus de se tuer. Les anciens rivaux s’unissent pour se venger de Roxane et de Cassander. -sources : Plutarque ; sur Leonatus, Quinte-Curce et Justin -édition utilisée : Statira, tragédie, par M. Pradon, Paris, Ribou, 1680 ; disponible sur le site gallica de la BnF : http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/ bpt6k8416272

Alexander Magnus, Joseph de Jouvancy / Jean Paillot, 1690 -représenté en 1688 à La Flèche -théâtre des jésuites. Le texte est perdu. Il n’existe qu’un résumé.

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-auteur présumé : Joseph de Jouvancy (1643-1719) ; auteur probable : Père Jean Paillot (1654-1709) -tragédie néo-latine -Alexandre, Roxane, Iolas, Statire, Perdiccas, Seleucus, Amyntas, Craterus, Oxatres, Arsace, Lysimachus, Eumenes, Abisares, Polydamas, autres seigneurs macédoniens, à Babylone, dans un appartement du palais des rois de Perse -5 actes -Alexandre a voulu épouser Roxane, d’abord fiancée à Iolas ; se ravisant, il choisit Statire, fille de Darius et laisse Roxane à Iolas : pour se venger celui-ci veut tuer le roi auquel il espère succéder. Statire, qui craint Roxane, apprend le revirement du roi et voit que sa rivale est inquiète. Roxane dit à Iolas qu’elle n’épousera qu’un prince qui la fera régner : il se dit prêt à tuer Alexandre ; elle s’effraie. Iolas apprend que les Grecs, révoltés contre Alexandre, l’ont choisi pour chef. Alexandre, ayant calmé la sédition, hésite à faire mourir Iolas, ce qui lui permettrait d’épouser Roxane. Mais il regrette les amis qu’il a fait exécuter hâtivement, par le passé. Il laisse Roxane à Iolas et favorise même celui-ci. Roxane se plaint en vain. Iolas persiste dans ses projets, pensant que Roxane y consentira ; en effet, elle l’incite à la vengeance. Il décide d’agir. Se repentant, Roxane veut avertir le roi. Iolas lui annonce qu’Alexandre, empoisonné, va mourir. La réaction de Roxane désespère Iolas. Informé par Roxane, Alexandre ordonne d’arrêter Iolas, mais celui-ci s’est suicidé. Statire, pour ne pas survivre à Alexandre, s’est frappée et meurt devant lui. Alexandre, affaibli, laisse aux dieux le soin de venger sa mort. Il nomme pour successeur celui qui en sera le plus digne. -sources indiquées : Justin, Quinte-Curce et Plutarque.

Opéra d’Alexandre, 1691 -opéra -dans le prologue : Minerve, Apollon, avec les Muses et les Arts libéraux ; dans l’opéra : Vénus, Cupidon, la Renommée, Alexandre roi de Macédoine, Sisigambis, Zelmanna, les princesses du roi Darius, Barsine, confidente d’Alexandre, Orsanes, prince de sang royal en Perse, Parmenion, capitaine de la garde d’Alexandre, Syrmus, commandeur des eunuques, troupes des plus considérables princes et capitaines macédoniens, la garde d’Alexandre. Le lieu général n’est pas nommé, mais sept décors sont décrits de façon détaillée : un paysage avec la mer et une haute montagne, un jardin, le camp des Perses vaincus, un « étage d’honneur » central avec des armes et des drapeaux (camp



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d’Alexandre), les pavillons des princesses perses, un bois, une place avec un échafaud. Des machines sont prévues pour permettre l’élévation des personnages allégoriques ou mythologiques. -prologue et cinq actes -Après un prologue où Minerve chante en français et Vénus en flamand, Vénus et Cupidon paraissent sur un char, elle pour glorifier l’amour, lui pour se vanter de ses turbulences et de ses ruses. Alexandre se félicite de sa victoire sur Darius. Il tombe amoureux de Sisigambis, fille de Darius, sa captive, devenant « vaincu » par l’amour. Hephestion aime Zelmanna, sœur de Sisigambis. Bien que sensible à la courtoisie du roi, Sisigambis reste éprise d’Orsane, un prince perse. Celui-ci, vêtu en femme, rejoint les princesses, après des démêlés comiques avec Syrmus. Il se fait reconnaître des deux sœurs et se fait appeler Atarxia ; il redit tout son amour à Sisigambis. Celle-ci découvre qu’Alexandre l’aime et veut l’épouser ; elle maudit sa propre beauté. Barsine, favorite du roi, cherche, par jalousie, à empoisonner sa rivale. « Atarxia » révèle tout au roi. Alexandre, furieux, fait arrêter Barsine et s’apprête à épouser Sisigambis. Orsane veut profiter de la nuit pour fuir avec les deux sœurs avec l’appui d’Hephestion. Il reprend ses habits de prince perse et endort les gardes. Surpris par Alexandre, il l’attaque sans le reconnaître ; il se fait désarmer et emprisonner. Sisigambis rejoint Orsane sur l’échafaud pour partager son supplice. Alexandre jaloux, parvient à se vaincre lui-même. Il retrouve Barsine ; Orsane peut épouser Sisigambis, et Hephestion Zelmanna. -édition consultée : Opéra d’Alexandre, orné de Machines, et de Changemens de Théâtre, représenté à Leyden, Leyden, Jean à Damme [1691] ; exemplaire de Paris, Bibliothèque de l’Arsenal (8-BL-14671)

Le triomphe des arts, Antoine Houdar de la Motte, 1700 -créé par l’Académie royale de musique, le 16 mai 1700 -ballet -dédicace au duc de Bourgogne ; « avertissement » consacré à un éloge des arts de la Grèce -5 entrées, vers. Première entrée, l’architecture : Apollon, le prêtre d’Apollon, troupe des constructeurs du temple, Vénus. Seconde entrée, la poésie : Sapho, Doris, la prêtresse de Vénus, troupes d’amants et d’amantes consacrés à Vénus, Phaon, Neptune. Troisième entrée, la musique : Amphion, Ménale, troupe de sauvages, Niobé. Quatrième entrée, la peinture : Campaspe, Asterie, Apelle, Alexandre, troupe d’élèves d’Apelle, troupe d’étrangers. Cinquième entrée, la

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sculpture : Pigmalion, une Propétide, Vénus, la statue animée, troupe des arts conduits par la danse. -4 scènes pour la quatrième entrée, qui se déroule dans le cabinet d’Apelle, à l’intérieur du palais d’Alexandre, où son histoire est peinte de la main d’Apelle. Le peintre termine le portrait de Campaspe, qui redoute que l’amour d’Alexandre pour elle ne soit renforcé lorsqu’il découvrira cette œuvre. En effet, elle aime depuis longtemps Apelle et dans ses peintures des hauts faits d’Alexandre, elle admire les triomphes du peintre et non ceux du guerrier, qui ne sont synonymes que de destructions à ses yeux. Apelle, alors qu’il la peint, lui révèle son amour et se jette à ses genoux. Alexandre les surprend et exprime sa soif de vengeance. Campaspe le convainc de ne pas « se couvrir d’une tache éternelle quand son art [celui d’Apelle, lui] assure une vie immortelle » (p. 37). Alexandre décide de se vaincre lui-même et « cède » Campaspe au peintre. -mis en musique par Michel de La Barre, 1700 -édition utilisée : Le triomphe des arts, ballet représenté par l’Académie royale de musique, le seiziéme jour de may 1700, Paris, Christophe Ballard, 1700, disponible sur le site gallica de la BnF : http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/ bpt6k72128j.r=Le%20triomphe%20des%20arts%20%2C%20ballet%20 par%20A.%20Houdar ?rk=21459 ;2 -Le triomphe des arts, ballet mis en musique par le Sieur de La Barre, ordinaire de l’Académie royale de musique, livre 3, Paris, Christophe Ballard, 1700 (avec partition), disponible sur le site gallica de la BnF : http://gallica.bnf.fr/ ark :/12148/btv1b90586556.r=Le%20triomphe%20des%20arts%20%2C%20 ballet%20par%20A.%20Houdar ?rk=42918 ;4

La promenade de Gentilly à Vincennes ou Talestris, reine des Amazones, Eustache Le Noble dit Baron de Saint-Georges, 1716 -tragédie -Talestris, Alexandre, Statira, Porus, Antipater (général des armées d’Alexandre), Cratere (confident d’Alexandre), Hippolite (confidente de Talestris), Barsine (confidente de Statira), à Babylone, dans la salle de l’ancien palais de Darius -5 actes, vers -Talestris arrive à Babylone avec ses Amazones en pensant épouser le roi, son ancien amant, mais Alexandre est en proie à un nouvel amour, celui qu’il éprouve pour Statira. Cette dernière, tout en regrettant de voir triompher



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le vainqueur de son père, s’est aussi éprise de lui, mais ne lui a pas révélé ses sentiments, d’autant qu’elle croit qu’il va s’unir à Talestris. Elle a en revanche répondu aux propositions que Porus, amoureux d’elle, lui a faites pour l’enlever. Talestris apprend d’Alexandre qu’il lui préfère Statira, exprime sa colère et désire se venger en faisant tuer Statira. Porus, magnanime, renonce à son projet de mariage avec Statira, tout en réaffirmant son amour. Alexandre et Statira se déclarent leur flamme. Talestris demande à Antipater de faire assassiner Alexandre par son fils Iolas. Porus apprend à Statira l’empoisonnement d’Alexandre et la fuite de Talestris. Le roi, agonisant, porté par des soldats, rejoint Statira et lui exprime son amour, puis donne à Porus son anneau pour qu’il lui succède comme roi et le venge. -sources invoquées dans la préface : Justin, Arrien, Quinte-Curce, Racine -édition utilisée : La promenade de Gentilly à Vincennes ou Talestris, reine des Amazones, tragédie nouvelle de M. Le Noble, Paris, Veuve Chastelain, 1716 (exemplaire de Paris, BnF, Bibliothèque de l’Arsenal, 8° BL 14061)

Alexandre et Darius, Goiseau, 1723 -d’après la préface de l’édition de 1723, pièce non représentée (parfois attribuée à La Ferie) -tragédie -Alexandre, Darius, Parisatis (femme de Darius), Statira (fille de Darius), Héphestion, Artabase (capitaine de Darius), Cephise (suivante de Statira), troupes de capitaines d’Alexandre, troupe de capitaines de Darius, troupe de femmes de Parisatis, en Asie dans le camp d’Alexandre -5 actes, vers -Darius, roi orgueilleux, refuse de se rendre après ses deux premières défaites et la capture de sa famille. Parisatis implore la pitié d’Alexandre, qui se déclare prêt à proposer la paix à Darius et à le remettre sur son trône. Parisatis est envoyée en ambassade auprès de son époux, tandis que Statira célèbre Alexandre. Ce dernier lui avoue alors son amour passionné, elle lui reproche de ne pas se maîtriser et quitte la scène. Artabase, suivi par Parisatis, tente de convaincre Darius de se rendre, mais il refuse à nouveau, comme il le répète à Alexandre, alors que ce dernier lui propose de partager le pouvoir et de s’allier à lui en épousant sa fille. Alexandre apprend l’échec de leur entrevue à Parisatis ainsi qu’à Statira, qui lui avoue son amour. Statira et sa mère se rendent à son tour auprès de Darius, mais en vain. L’empereur perse est alors exécuté par deux des siens, Bessus et Nabarzannes. Les femmes, désespérées, renouvellent leur

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éloge d’Alexandre. Parisatis lui recommande son peuple. Alexandre l’implore de vivre, pour ses enfants et pour lui, qui la respecte comme un fils. Dans la dernière scène, Darius, expirant, lui rend finalement hommage, tout en rappelant qu’il a gardé sa liberté et ne s’est jamais soumis, et, en reconnaissance de sa magnanimité, il lui donne sa fille. -édition utilisée : Alexandre et Darius, Goiseau, Paris, Veuve Guillaume et Veuve Mauge, 1723, disponible sur le site gallica de la BnF : http://gallica.bnf. fr/ark :/12148/bpt6k5727628j.r=alexandre%20et%20darius

Abdolonime, roi de Sidon, Fontenelle, 1725 -comédie -Abdolonime, jardinier de Sidon, Narbal (fils d’Abdolonime), Barsine (fille d’Abdolonime), Hannon (l’un des principaux citoyens de Sidon), Élise (sœur de Hannon), Agenor (autre Sidonien des plus considérables de la ville), un soldat de la garnison macédonienne, à Sidon. Alexandre n’est pas présent sur scène, mais il est évoqué par les personnages. -5 actes, prose -Abdolonime a deux enfants que tout oppose, Barsine, généreuse et sincère, amoureuse d’Agenor, et Narbal, un ambitieux sans scrupules qui souhaite devenir capitaine d’Alexandre et épouser Élise, la sœur du riche Hannon. Hannon, qui veut s’unir à Barsine, a découvert qu’Abdolonime est l’héritier de la famille royale de Sidon. Sans le lui apprendre, il lui promet de soutenir les ambitions de son fils. Abdolonime retourne à son jardin, l’espace de son bonheur, où Agenor vient lui demander la main de Barsine. Pendant ce temps Hannon révèle à Barsine le secret de sa naissance, tout en lui annonçant qu’il détruira les titres qui prouvent son origine royale si elle refuse de l’épouser. Désespérée, Barsine se confie à son père, qui préfère renoncer à son trône plutôt que de la voir malheureuse, avant d’être tancé par Narbal. Puis arrive un soldat, qui vient chercher Abdolonime pour son couronnement, à la demande de Narbal, mais le jardinier n’accepte pas de le suivre. Agenor leur apprend peu après que Narbal a été arrêté sur ordre d’Éphestion et qu’Abdolonime est aussi menacé. Barsine, pour sauver son père, se sacrifie et consent à épouser Hannon. Pris de compassion, Hannon décide de donner les titres de naissance et de la laisser épouser Agenor. Abdolonime, avant de devenir roi, remercie Hannon en le prenant pour premier ministre. -édition utilisée : Œuvres de monsieur de Fontenelle, nouvelle édition, t. 7, B. Brunet, Paris, 1758, p. 331-456 (exemplaire de Paris, BnF, Bibliothèque de l’Arsenal, 8e BL 34007)



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Callisthène, Alexis Piron, 1730 -créée à Paris en 1730 à la Comédie française -tragédie -Alexandre, Callisthène (philosophe de Sparte), Léonide (sœur de Callisthène), Lysimaque (ami de Callisthène et amant de sa sœur), Anaxarque (courtisan, amoureux de Léonide), Craterus, Eumène et Ptolomée (lieutenants d’Alexandre), Agamée (officier d’Alexandre), gardes, dans le palais d’une ville de la Bogdiane -5 actes, vers -Alexandre emprisonne Callisthène, qui a refusé de l’adorer comme un dieu. Après que Lysimaque, ami de Callisthène et amant de sa sœur Léonide, l’a accusé d’injustice, le roi lui accorde sa grâce. Il envoie Anaxarque, le courtisan corrompu qui a fomenté le complot contre Callisthène, chercher Léonide. Mais Léonide arrive avant son départ et échange des paroles d’amour avec Lysimaque. Désespéré lorsqu’il reconnaît en elle la jeune fille qu’il aime, Anaxarque lui révèle son amour et essuie un refus. Alexandre tente la paix avec Callisthène, mais le philosophe refuse de rester. Une violente confrontation oppose alors Callisthène et Anaxarque, qui célèbre Alexandre comme un dieu, avant de lui apprendre son amour pour sa sœur Léonide. Callisthène quitte la scène sans répondre, si bien que Anaxarque décide de se venger. Lors d’un conseil royal, il propose à Alexandre de lui accorder les honneurs divins, devant Callisthène qui exprime à nouveau son opposition et s’attire les menaces du roi. Lysimaque tue Anaxarque, tente ensuite, avec Léonide, de se suicider, mais Callisthène les en empêche. Ce dernier exhorte une nouvelle fois Alexandre à la vertu, puis se suicide, en sacrifice, provoquant alors le repentir du roi (« La fin de Callisthène est mortelle à ma gloire »). -extrait de Justin, livre 15, ch. 3, reproduit en latin avant la liste des personnages -édition utilisée : Callisthène, tragédie par monsieur Piron, Paris, Veuve Merge, Le Gras, Veuve Pissot, 1730, disponible sur le site gallica de la BnF : http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k108834d.r=Callisth%C3%A8ne%20%3A%20 trag%C3%A9die%20%20par%20monsieur%20Piron

Les mascarades amoureuses, Michel Guyot de Merville, 1736 -créée par les Comédiens italiens ordinaires du roi le 4 août 1736 -comédie

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-Dorimont, Clitandre (fils de Dorimont), Mathurin, Colette (fille de Mathurin), Finette (nièce de Mathurin), Arlequin (valet de Clitandre), Nicole (servante de Mathurin), le tabellion, dans un jardin à Nanterre. Alexandre n’est pas présent sur scène, c’est Arlequin qui prétend être son fils. -un acte, vers -Clitandre aime Colette, la fille de Mathurin, et s’est fait passer auprès d’elle pour un paysan nommé Lucas. Arlequin a révélé cet amour à son père Dorimont, qui souhaite pour son fils un parti plus avantageux, mais il propose alors à Clitandre de devenir son confident et son complice, car il aime Finette, la nièce de Mathurin. Dorimont finit par accepter le mariage de son fils avec Colette et se rend auprès de Mathurin. Un « Monsieur de Paris » vient demander Finette en mariage. Dorimont propose aussi à Colette un mari, sans lui révéler son identité, elle le refuse, car elle ignore que c’est son amant Lucas et qu’il est le fils de Dorimont. Arlequin arrive, déguisé en petit-maître, auprès de Finette et lui déclare sa flamme, puis demande sa main à Mathurin : il affirme qu’il se prénomme Alexandre et qu’il est le fils d’Alexandre le Grand. Alors que les deux contrats de mariage sont sur le point d’être signés, Dorimont révèle la vraie identité et la ruse d’Arlequin. Puis Dorimont apprend à Mathurin et Colette que Lucas est son fils Clitandre. Annonce du mariage de Clitandre avec Colette, danses. -édition utilisée : Les mascarades amoureuses : comédie en un acte et en vers par M. Guyot de Merville, Paris, Chaubert, 1736, disponible sur le site gallica de la BnF : http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k108181t/f71.item.r=Les%20 mascarades%20amoureuses

La mort de Bucéphale, Pierre Rousseau, 1749 -créée en 1749, à Fontainebleau devant le roi et la cour -tragi-comédie ou tragédie pour rire (parodie) -Alexandre, Aridée (frère d’Alexandre), Statire (fille de Darius), Éphestion, Philippe (médecin d’Alexandre), gardes. « La scène se passe où l’on veut. » -un acte, 13 scènes, vers -Après la victoire sur Darius, Alexandre se désespère de la blessure de son cheval Bucéphale. Statire vient lui proposer la paix et lui offrir sa main, mais, bien qu’il se dise plus loin épris d’elle, il la repousse en invoquant sa douleur pour son cheval. Aridée, le frère d’Alexandre, déclare ensuite son amour à la jeune femme, qui révèle son dépit et sa jalousie pour le cheval, puis l’exhorte à convaincre le médecin d’Alexandre de tuer Bucéphale. Aridée s’exécute.



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Philippe refuse d’abord ce « chevalicide », puis accepte et décide d’empoisonner une botte de foin. Aridée se tourne aussi vers Alexandre pour le détourner de Statire. Philippe annonce au roi la mort de Bucéphale, provoquant sa colère, puis Éphestion lui révèle la trahison de son frère, qu’il a surpris en pleine déclaration amoureuse à Statire. Le roi ordonne l’arrestation du traître. Éphestion paraît pour annoncer les morts de Bucéphale, d’Aridée et de Statire : Statire s’est jetée dans le fleuve du Cidnus, Bucéphale agonisant a donné un coup de pied à Aridée et l’a gravement blessé. Avant de mourir, Aridée révèle à son frère qu’il est l’instigateur de la mort du cheval : il le brave, lui rappelant tous ses crimes et ses exactions, lui exprimant sa haine furieuse et son désir de le massacrer. Alexandre lève son poignard pour le tuer mais suspend son arme. Après une allusion à Philippe, Aridée s’écroule brusquement et meurt. Alexandre accuse alors son médecin, il le vise avec un pistolet mais rate son coup. Il en meurt de désespoir « et les gardes l’emportent en riant, comme cela se pratique » ! -Dans la préface, l’auteur affiche ses intentions parodiques et affirme qu’il a pillé des vers des meilleurs auteurs : « Attrape qui peut. » -édition utilisée : La mort de Bucéphale en un acte en vers, Paris, Cailleau, 1749, disponible sur le site gallica de la BnF : http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/ bpt6k5455378w

Alexandre, Fénelon, François-Louis de Salignac de La Mothe, 1754 -tragédie -Alexandre, Sysigambis (mère de Darius), Statira (fille de Darius, prisonnière d’Alexandre), Sitalce (prince de Thrace, un des conjurés), Nicandre (prisonnier, mari d’Ophis, parent de Darius), Ophis (femme de Nicandre, prisonnière aimée d’Alexandre), Éphestion, Philotas (un des conjurés), Zaminte (confidente de Sysigambis), Zonime (confidente d’Ophis), un capitaine des gardes d’Alexandre, gardes, un soldat parlant, deux enfants de Darius en bas âge, en Assyrie au camp d’Alexandre près de la ville d’Arbèles -5 actes, vers -Sur la plaine d’Arbèles, Alexandre s’apprête à affronter Darius, dont il a capturé l’épouse Sysigambis et la fille Statira. Ce même jour, des conjurés menés par Philotas et Sitalce décident de l’assassiner pour mettre fin à ce qu’ils estiment être sa tyrannie. Ils tentent d’utiliser la princesse perse prisonnière Ophis, dont Alexandre est amoureux et qu’il visite tous les soirs avec Éphestion, alors que cette dernière pense que son époux Nicandre est

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mort : ils lui font croire que c’est Éphestion qui prépare le complot. Avant le combat, Alexandre prouve sa magnanimité tant envers Sysigambis qu’envers Sitalce, auquel il rend son royaume, et il déclare son amour à Ophis, qui lui répond qu’elle pleure la mort de son époux et refuse de se soumettre. Elle découvre ensuite son mari Nicandre parmi les prisonniers. Son arrestation et celles des conjurés et de Statira sont annoncées. Après avoir libéré Statira, Alexandre écoute Ophis qui, se clamant innocente, lui demande sa justice et non sa clémence. Elle lui apprend que Philotas et Sitalce lui ont annoncé qu’Éphestion projetait contre lui un attentat. Alexandre lui montre le billet qu’elle a écrit : il l’interprète comme une preuve de sa culpabilité, alors qu’elle assure l’avoir écrit à Philotas pour lui demander de l’avertir, lui Alexandre. Il décide de la libérer. Survient alors Sitalce qui lui apprend le complot et innocente Ophis. Alexandre se repent et pardonne à Sitalce. Sur ces entrefaites, la nouvelle arrive qu’Ophis a tenté de s’enfuir avec un officier perse. Le dernier acte s’ouvre sur la colère du roi contre Ophis. Sysigambis et Statira conseillent à cette dernière de révéler la vérité sur Nicandre. Éphestion annonce que les conjurés sont traînés au supplice, que Sitalce s’est donné la mort, ne pouvant supporter le poids de la culpabilité. Après avoir appris que c’est avec son époux qu’Ophis a tenté de fuir, Alexandre rend la liberté au couple. Il se tourne enfin vers Statira pour lui promettre un avenir meilleur, suggérant leur mariage, quand les Grecs y consentiront, car il se soumet à leur volonté. -Fénelon, petit-neveu du « grand Fénelon », archevêque de Cambrai, a réécrit sa tragédie en 1761. -édition utilisée : Alexandre, tragédie nouvelle, par M.  de Fen…., Paris, Prault et Duchesne, 1754, disponible sur le site gallica de la BnF : http:// gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k57810644.r=F%C3%A9nelon%2C%20 Fran%C3%A7ois-Louis%20de%20Salignac%20de%20La%20Mothe -Le texte de 1761 est aussi disponible sur gallica : Alexandre, tragédie nouvelle en cinq actes et en vers par M. de Fénelon, Paris, Gueffier et Cailleau, 1761 : http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k5781098x.r=alexandre%20 f%C3%A9nelon ?rk=64378 ;0

Olympie, Voltaire, 1763 -jouée, d’après la préface, en 1762 à Schwetzingen, adressée par Voltaire à l’Électeur Palatin, et première représentation à Paris à la Comédie française en 1764



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-tragédie -Cassandre (fils d’Antipatre, roi de Macédoine), Antigone (roi d’une partie de l’Asie), Statira (veuve d’Alexandre), Olympie (fille d’Alexandre et de Statira), l’hiérophante ou grand prêtre, Sostène (officier de Cassandre), Hermas (officier d’Antigone), prêtres, initiés, prêtresses, soldats, peuple, dans le temple d’Éphèse, où l’on célèbre les grands mystères -5 actes, vers -Sur fond de conflit entre Cassandre et Antigone, l’histoire d’amour entre Cassandre et Olympie, la fille d’Alexandre, fait ressurgir les circonstances tragiques de la mort d’Alexandre. Cassandre, coupable du meurtre des parents d’Olympie, Alexandre et Statira, a élevé Olympie sans lui révéler ses origines, en la faisant passer pour une esclave, et il s’est épris d’elle. Dans son affrontement avec Antigone, ce dernier lui demande Olympie, ce qu’il refuse. Cassandre épouse alors la jeune femme, provoquant le désir de vengeance de son adversaire. Olympie, le jour de son mariage, découvre l’existence de sa mère, Statira, que le grand prêtre a désignée pour officier au mariage, ainsi que l’identité de son père, Alexandre. Statira lui révèle aussi que Cassandre est le meurtrier : Olympie rejette alors Cassandre. Une scène de confrontation violente s’ensuit entre Statira et Cassandre, qui découvre que la mère d’Olympie a survécu à sa blessure. Antigone propose son aide à Statira contre Cassandre en échange de la main d’Olympie. Mais Olympie déclare à sa mère qu’elle aime toujours Cassandre. Suit la guerre entre les deux rois, au cours de laquelle Statira se suicide sur le champ de bataille, en désignant Antigone comme l’époux de sa fille. Refusant de choisir entre les deux hommes, Olympie choisit de mourir en se jetant dans le bûcher de sa mère. Elle réaffirme auparavant ses sentiments à Cassandre, qui se suicide après elle. -tragédie transformée en opéra par Gaspare Spontini, avec un premier livret français de Charles Brifaut et Joseph Marie Armand Michel Dieulafoy en 1819, traduit et adapté en allemand par Ernst Theodor Amadeus Hoffmann en 1821, retraduit en français en 1826, traduit en italien en 1885 (voir les notices correspondantes) -édition utilisée : Olympie, tragédie nouvelle de M. de Voltaire, suivie de remarques historiques, nouvelle édition, Paris, Duchesne, 1764 ; disponible sur le site gallica de la BnF : http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k3123671. r=olympie%20voltaire (première édition, Francfort et Leipsick, Knoch et Esslinger, 1763)

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Le jardinier de Sidon, Roger-Timothée Régnard de Pleinchesne, 1768 -créé par les Comédiens italiens en 1768 -opéra comique -Abdolonime (jardinier), Barzine (fille d’Abdolonime), Agénor (amant de Barzine), Cliton (citoyen de Sidon), à Sidon, dans un salon de la maison de Cliton, puis dans le jardin d’Abdolonime -2 actes, vers et prose -Cliton, amoureux de la fille d’Abdolonime, lui demande de changer son état, ce qui attriste Abdolonime, très heureux de son existence. Il lui révèle que les sénateurs de la ville (il est l’un d’entre eux) ont décidé de rétablir sur le trône le descendant légitime des anciens rois. Barzine, elle, amoureuse d’Agénor, demande à son père de l’épouser, ce qu’il accepte. Cliton révèle à Barzine et Abdolonime leur origine royale, dit qu’il en détient toutes les preuves, mais que pour les divulguer il demande la main de la jeune femme. Abdolonime est prêt à renoncer à son titre de roi pour sauver le bonheur de sa fille et son amour pour Agénor. Il annonce à Cliton qu’il refuse la couronne et qu’il ne souhaite pas lui ressembler dans son ambition et son intéressement. La naissance illustre d’Agenor, qui se faisait passer pour un valet, est révélée et Cliton s’incline. Abdolonime accepte de devenir roi, à condition de garder son jardin. Alexandre a ainsi disparu de l’intrigue. -La source est l’Abdolonime de Fontenelle. -édition utilisée : Le Jardinier de Sidon, tiré des œuvres de M. de Fontenelle, comédie en deux actes, mêlée d’ariettes, Paris, Claude Herissant, 1768, numérisée par google books : https ://books.google.fr/books ?id=yICJ-D1In00C&pg=PA41&lpg=PA41 &dq=pleinchesne+abdolonime&source=bl&ots=3jJD_cg5xK&sig=CeaA teecs1vZRdEs1nlQmLKu8uU&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwj4lP-ipKPN AhVM7iYKHXXMD0AQ6AEIIDAA#v=onepage&q=pleinchesne%20 abdolonime&f=false

Alexandre et Roxane, Étienne Lauchery, 1770 -créé à Cassel au Théâtre de l’Opéra, pendant la foire d’août 1770, pour le Landgrave de Hesse-Kassel -ballet héroïque



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-Alexandre, Roxane (fille d’Oxiarte), Oxiarte (satrape d’une province de la Perse), Alphanor (capitaine des gardes d’Oxiarque et secrètement amoureux de Roxane), Cratère, général macédonien, suivants d’Alexandre, suivantes de Roxane, troupe de guerriers, troupe de Perses, troupes d’esclaves et de suivants d’Oxiarte, dans le camp d’Alexandre -8 scènes -Oxiarte sort de sa tente pour se rendre à Alexandre, malgré les efforts de son ami Alphanor, amoureux de Roxane, pour l’en empêcher. Il présente au roi ses esclaves et sa fille, dont il espère que les charmes et l’esprit séduiront le roi. C’est Alphanor qu’il charge de conduire Roxane. Conscient de son trouble, il le suspecte de trahison, veut le punir, mais Alexandre l’en dissuade. Alexandre paraît ensuite sur son char, Oxiarte se prosterne et lui rend hommage. Le roi lui accorde sa protection et le conduit à un festin. Une troupe de jeunes filles forme une fête galante. Parmi elles, Roxane charme le roi. Jaloux, Alphanor tente de tuer Alexandre, Roxane arrête le coup, avant d’être à son tour menacée de mort par le capitaine des gardes. Arrêté, Alphanor est traîné au supplice, puis gracié par Alexandre, à la demande de Roxane. Alexandre annonce son mariage avec Roxane. Cratère arrive pour l’avertir d’une conspiration menée par Alphanor, qui a convaincu les sujets d’Oxiarte de prendre les armes. Alexandre part les combattre, après des adieux émouvants à Roxane. -Étienne Lauchery, auteur du livret et de la chorégraphie, dansait le rôle d’Alexandre. -La source invoquée est Quinte-Curce. -édition utilisée : Alexandre et Roxane, ballet héroïque, [Cassel], Estienne, [1770]

Alexandre et Thalestris, Vénard de la Jonchère, 1772 -ballet héroïque -Alexandre, Thalestris (reine des Amazones), Aristandre (magicien d’Alexandre), Philotas, gardes perses, Antiope (Amazone), armée des Amazones, prêtresses de Jupiter, bergers, bergères, en Asie, sur les frontières du royaume des Amazones -3 actes, vers -Thalestris, la reine des Amazones, arrive dans le camp d’Alexandre et demande la paix. Elle s’offre à lui dans l’espoir d’engendrer une digne héritière. Après qu’elle a été repoussée par le roi, le magicien Aristandre lui annonce qu’il l’aidera. Dans le temple de Jupiter, Thalestris et ses femmes tentent un coup de force, mais échouent. Les grondements du tonnerre semblent

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indiquer la colère de Jupiter. Aristandre surgit, descendant d’un nuage, pour célébrer Alexandre, fils de Jupiter. Durant le sacrifice, la grande prêtresse loue Alexandre comme le digne fils de Jupiter. L’acte III s’ouvre dans une forêt et sur une entrevue de Thalestris et d’Aristandre, qui lui promet qu’Alexandre va succomber à l’amour et qu’elle vengera sa gloire outragée. Les enchantements d’Aristandre transforment la forêt en prairie idyllique et font surgir une troupe de bergers dansants et chantants : Thalestris est démise de ses attributs de guerrière, transformée en bergère et couronnée de fleurs. Alexandre arrive, il se laisse séduire par le locus amoenus et ses plaisirs, la danse passionnée des bergers autour de lui, avant de s’abandonner au trouble de ses sens et d’avouer son amour à la bergère en laquelle il a reconnu Thalestris. -La source invoquée est Quinte-Curce. -édition utilisée : Théâtre lyrique de M. de la J., t.  1, Paris, Barbou, Veuve Duchesne et Jombert, 1772, numérisé par google books : https://books.google.fr/books?id=KAhJ_JcnEbUC&pg=PA64&lpg=P A64&dq=th%C3%A9%C3%A2tre+lyrique+v%C3%A9nard+de+la+jo nch%C3%A8re&source=bl&ots=QoeCpnEIHv&sig=PgPd8ci34Bh6n 7m_dulzfeiuEkc&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwik-YT7odTNAhWIJcAKHcGxAUcQ6AEIIDAA#v=onepage&q=th%C3%A9%C3%A2tre%20 lyrique%20v%C3%A9nard%20de%20la%20jonch%C3%A8re&f=false

Alexandre et Campaspe de Larisse ou le triomphe d’Alexandre sur soi-même, Jean Georges Noverre, 1773 -créé à Vienne en 1773 -ballet héroï-pantomime -Alexandre, Éphestion, Campaspe, Apelle, femmes d’Alexandre, les Grâces, des Amours, des Zéphirs, la Renommée, représentés par les élèves et les modèles d’Apelle, officiers, gardes, dans un cabinet orné de tableaux, de bustes et de statues -5 scènes, prose -Apelle attend la visite d’Alexandre et prépare son cabinet pour le recevoir, déguisant ses élèves en Zéphirs et en Amours et ses modèles féminins en Grâces. Alexandre apparaît avec Éphestion, ses favoris, ses femmes et la belle Campaspe. Il lui ordonne de réaliser le portrait de Campaspe, la plus chère de ses favorites. Pour échauffer l’imagination du peintre, il place lui-même Campaspe dans différentes attitudes. Il ordonne à ses femmes de jouer de la musique et de danser et Campaspe exécute avec elle la danse des Couronnes.



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Le peintre est frappé par les « tableaux animés » que trace Campaspe, il commence à peindre, la place lui-même dans différentes attitudes et tombe amoureux. Il en brise sa palette et déclare son amour à la jeune femme. Le roi le découvre à ses genoux et, après un accès de colère, décide de lui « céder » la jeune femme : il les unit, prouvant sa grandeur d’âme. Ce geste magnanime, cet empire sur lui-même et ses passions, est célébré comme un haut fait qui lui donne autant de gloire que ses victoires militaires. -musique de Franz Aspelmayr -édition utilisée : Alexandre et Campaspe de Larisse ou le triomphe d’Alexandre sur soi-même, ballet héroï-pantomime par M. Noverre, Vienne, 1773 ; disponible sur le site gallica de la BnF : http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k8506135.r=alexandre%20et%20 campaspe%20de%20larisse ?rk=21459 ;2

Darius-Codoman, C.-A. Devineau de Rouvray, 1776 -tragédie -Alexandre, Darius-Codoman, Statira (femme de Darius), Statire (fille de Darius), Artabase (prince du sang, confident de Darius), Cormas (solitaire de Médie), Bessus (satrape de la Bactriane, conspirateur), Nabarsane (confident de Bessus, conspirateur), Cephire (suivante de Statire), Clitus (ami d’Alexandre et l’un de ses généraux), soldats grecs, au pied des montagnes des Uxiens, près du camp d’Alexandre -5 actes, vers -Artabase se lamente auprès de Cormas sur les malheurs de la Perse et la fuite de Darius, avant de s’enfuir à son tour. Alexandre découvre le sage vieillard Cormas : bien que ce dernier refuse de le reconnaître, il lui accorde sa clémence. Puis, informé par Clitus des derniers événements, il se prend de pitié pour l’empereur perse en pensant à sa famille et à l’amour qu’il a ressenti pour sa fille. Statira apprend à sa fille la mort de son père, avant qu’elles ne soient toutes deux détrompées par Alexandre : il les assure que Darius est vivant et qu’il leur rendra tous leurs droits si Darius se soumet à ses choix. Pendant ce temps, Bessus et Nabarzane commencent à fomenter l’assassinat de Darius. Bessus se rend néanmoins auprès d’Alexandre et lui propose la paix au nom de Darius, provoquant sa colère. Darius se désespère de ce refus. Il s’adresse à Cormas en cachant d’abord son identité, ce dernier condamne son exercice passé du pouvoir et lui donne une sévère leçon. Darius se repent alors de sa tyrannie et de ses crimes. Quant à Alexandre, il exprime sa douleur à Statire

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car lui aussi est oppressé de remords en repensant aux meurtres et exactions qu’il a commis (« Suis-je un tigre altéré de sa fureur extrême ? », p. 65). Il lui révèle alors combien par amour pour elle il souffre de devoir continuer la guerre contre Darius. Statire rejoint ensuite sa mère et elles entendent subitement la voix de Darius, qui s’approche et leur annonce qu’il va affronter Alexandre. Cephire annonce la reprise des combats. Alors que Darius s’apprête à rejoindre l’armée, sa femme et sa fille apprennent qu’un complot se trame contre lui. Statire en prévient Alexandre, pour qu’il empêche le meurtre de son père. Ce dernier s’exécute mais arrive trop tard. Il s’empresse alors d’arrêter les régicides. Statira meurt de douleur, son ombre vient dire adieu à sa fille, lui demandant d’être heureuse. Derrière la scène on entend alors Darius, qui meurt du trait porté par Bessus. Alexandre survient, en se désespérant de n’avoir pu empêcher le crime, puis c’est Darius qui apparaît, agonisant, devant le roi et Statire. Alexandre lui demande pardon, Darius répond en lui adressant des conseils politiques pour qu’il ne commette pas les mêmes fautes que lui, et il exhorte sa fille à se réconcilier avec Alexandre. Ce dernier promet à Statire de lui rendre son rang et d’adoucir sa peine. -édition utilisée : Darius-Codoman, tragédie en cinq actes et en vers par le citoyen Devineau, Paris, L’Auteur et Petit, 1803 (2e édition), disponible sur le site gallica de la BnF : http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k5815932t. r=darius%20codoman ?rk=42918 ;4 Voir aussi l’exemplaire de Paris, BnF, Bibliothèque de l’Arsenal, GD-8433 de la première édition : Darius tragédie nouvelle en cinq actes et en vers par M. D***, Paris, Cailleau, veuve Duchesne, Visse et Esprit, 1776

Campaspe ou le triomphe d’Alexandre, Jacques Lablée, 1779 -« scènes dramatiques » -Alexandre, Campaspe, Apelles, à Ectabane, capitale de Médie -3 scènes, prose -La scène 1 est un long monologue d’Alexandre, où il épanche son amour et ses tourments d’amour pour la jeune prisonnière Campaspe, qu’il révère comme une divinité : il craint qu’Apelles, à qui il a demandé de réaliser son portrait, ne s’éprenne d’elle. Dans la scène 2, il rejoint Campaspe et lui déclare son amour, mais elle lui oppose sa résistance en répondant qu’elle a perdu un bien irremplaçable et qu’elle se moque des richesses qu’il lui offre. Puis vient la scène du portrait (3) : Apelles la peint, observé par Alexandre qui remarque son trouble. Cette dernière entonne une chanson d’amour, qu’elle termine en



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regardant Apelles. Alexandre exprime sa jalousie et sa colère. Les deux amants, terrorisés, se jettent dans les bras l’un de l’autre et tombent aux pieds du roi, en lui apprenant leur amour. Alexandre s’apprête à les tuer, mais se laisse brutalement attendrir et décide de les marier. -La source invoquée dans la préface est un poème de Saint-Lambert (« Apelle et Campaspe ou le triomphe d’Alexandre », voir Œuvres de Saint-Lambert de l’Académie française, t. 1, Paris, Ménard et Desenne, 1823, p. 246, disponible sur le site gallica de la BnF, http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k57748293/ f260.image.r=saint%20lambert%20campaspe) -édition utilisée : Campaspe ou le triomphe d’Alexandre, scènes dramatiques par M. L***, Amsterdam et Paris, Mérigot, Veuve Duchesne, et Orléans, Letourmy, 1779 (exemplaire de Paris, BnF, Bibliothèque de l’Arsenal, GD 6889).

Abdolonime ou le Roi berger, Jean-Baptiste Collet de Messine, 1780 -créée à Paris en 1776 à la Comédie française -comédie héroïque -Alexandre, Aminte (berger, unique héritier du royaume de Sidon), Élise (jeune Phénicienne de la lignée de Cadmus), Tamire (princesse fugitive, fille du tyran Straton), Agenor (noble de Sidon et ami d’Alexandre), dans la campagne, près de la ville de Sidon et du camp d’Alexandre -3 actes, vers -Le berger Aminte et Élise sont amoureux. Aminte craint Alexandre, Élise le rassure, car Alexandre « n’est plus le destructeur, mais l’ami des humains » : il a chassé de Sidon le tyran Straton et souhaite remettre sur le trône l’héritier légitime. Ayant appris l’illustre naissance du berger, Alexandre vient le rencontrer pour sonder son cœur. Sur ce, Tamire, fille du tyran destitué, se lamente d’avoir tout perdu, tandis qu’Agenor prête hommage à Aminte au nom de ses nouveaux sujets : le berger reste incrédule quand il apprend qu’il est Abdolonime, l’unique héritier légitime de Sidon, et qu’Alexandre veut le couronner. Agenor demande au conquérant la clémence pour Tamire, qu’il aime, mais Alexandre lui annonce qu’il envisage d’unir Tamire et Aminte. Agenor respecte sa volonté. Tamire, puis Élise et Aminte révèlent la vérité sur leurs sentiments au roi, qui regrette d’avoir manqué de commettre des erreurs et unit Abdolonime avec Élise, Tamire avec Agénor (« Je plains ces conquérans, dont toute la valeur / Fait la terreur du monde et jamais le bonheur. », p. 51). « Tirer un royaume de l’oppression et arracher aux travaux pénibles de

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la campagne le légitime héritier d’une Couronne pour le placer sur le Trône de ses Pères » (préface), telle est l’action la plus glorieuse d’Alexandre. -Les sources invoquées sont Metastasio, Il re pastore, Quinte-Curce, livre IV, ch. III et Justin, livre XI, ch. X. -édition utilisée : Abdolonime ou le Roi berger, comédie héroïque en trois actes et en vers, imité de l’italien, Jean-Baptiste Collet de Messine, Paris, Cailleau, 1780, numérisé sur Warwick Digital Collections, University of Warwick Library : http://contentdm.warwick.ac.uk/cdm/ref/collection/Ancien/id/8609 Un exemplaire est à Paris, BnF, Bibliothèque de l’Arsenal, GD-4615.

Aristote amoureux ou le philosophe bridé, Pierre-Antoine-Augustin de Piis, 1780 -créé par les Comédiens italiens à Paris en 1780 -opéra comique -un acte, vaudevilles, vers -Alexandre, Aristote, Orphale (jeune Indienne), Irza (suivante d’Orphale), gardes, courtisans, Indiens, dans les Indes -Alexandre, épris d’une jeune Indienne, Orphale, chante son amour avant de lui adresser une lettre, puis il observe Aristote endormi, qui rêve tout haut son espoir de mettre fin à cet amour. Irza apprend au roi que sa maîtresse lui demande son portrait. Alexandre lui envoie celui, flatté, qu’Apelle a réalisé, avec une bague, un char et un serment de fidélité. Aristote, à son réveil, le réprimande, provoquant sa colère. Puis, seul avec Orphale et Irza, Alexandre chante son amour à la jeune Indienne, qui répond à ses sentiments et décide de donner une leçon au « Pédant » en le séduisant. Elle l’attire hors de sa tente et le subjugue par sa beauté. Aristote, submergé par ses sens, tente d’écrire, mais le stylet tombe de ses mains. Orphale lui propose de faire le cheval pour la promener dans son char. Il s’exécute. Alexandre se découvre et moque publiquement son maître, la bride au cou. Aristote se rend et s’excuse, consentant de bonne grâce à leur amour. La pièce se termine par un vaudeville sur les pouvoirs de Vénus qui attèle ses victimes à son char. -La source, non mentionnée, est le Lai d’Aristote d’Henri de Valenciennes (xiiie siècle), que citera Alphonse Daudet dans le Char (voir notice correspondante). -édition utilisée : Aristote amoureux ou le philosophe bridé, opéra-comique, en un acte, en vaudevilles, représenté pour la première fois par les Comédiens italiens ordinaires du roi le vendredi 11 août 1780, Paris, chez Vente, 1780, disponible



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sur le site Gallica de la BnF : http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k55505647. r=aristote%20amoureux ?rk=21459 ;2 et aussi sur le site de l’Université de Warwick : http://contentdm.warwick.ac.uk/cdm/compoundobject/collection/ Ancien/id/3039/rec/488

Alexandre aux Indes, Étienne Morel de Chédeville, 1783 -créé par le théâtre de l’Académie royale de musique, le mardi 26 août 1783 -opéra -Alexandre, Porus (roi d’une partie de l’Inde), Axiane (reine d’une autre partie de l’Inde), Éphestion (confident et ambassadeur d’Alexandre), Gandartès (confident de Porus), le grand prêtre de Bacchus, une dame indienne, un capitaine grec, six femmes de la suite d’Axiane ; chœurs ; personnages dansants : prêtresses, indiens et indiennes ; dans l’Inde, sur les bords de l’Hydaspe -3 actes, vers -Alors que le mariage d’Axiane et de Porus allait être célébré, Alexandre attaque Porus et provoque la peur de la jeune femme. Éphestion propose la paix à Porus s’il prête hommage à Alexandre, mais le roi indien refuse de se rendre. L’acte II s’ouvre sur le discours de Porus à ses hommes après leur nouvelle défaite : il les exhorte en vain à ne pas fuir, affirmant qu’il préfère mourir plutôt que fuir ou se rendre. Alexandre admire sa fierté et prépare une nouvelle bataille. Axiane arrive dans un vaisseau et se jette aux pieds d’Alexandre. Ce dernier lui apprend que Porus a rejoint son armée, puis lui promet de l’épargner s’il se soumet. Elle conclut alors la paix avec Alexandre, qu’elle invite dans ses terres. Porus, au début de l’acte III, déplore la démarche d’Axiane. Il lui apprend qu’il refuse leur accord et la clémence d’Alexandre. Elle condamne sa « fureur extrême » et tente en vain de le dissuader de repartir au combat. Il la quitte alors qu’Alexandre arrive avec son armée. Elle décide d’intervenir sur le champ de bataille, pour mourir ou sauver son amant. La dernière scène s’ouvre sur les combats dans la ville et la chute de Porus : Axiane s’interpose entre son amant et Alexandre, et demande l’arrêt des combats. Porus refuse toujours de se rendre et demande à être traité en roi. Alexandre lui rend sa liberté et son royaume, lui offre même son amitié. Porus admire sa vertu, cède et le reconnaît comme le juste conquérant du monde. -musique de Nicolas Jean Lefroid de Méreaux -édition utilisée : Alexandre aux Indes, opéra en trois actes, représenté pour la première fois sur le théâtre de l’Académie royale de musique le mardi 26 août

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Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas

1783, Paris, De Lormel, 1783, disponible sur le site gallica de la BnF : http:// gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k72729j.r=Alexandre%20aux%20Indes%20 %2C%20op%C3%A9ra%20en%20trois ?rk=42918 ;4 -D’après le Journal de Paris du 5 octobre 1783 (numéro 278), une parodie de l’opéra Alexandre aux Indes d’Étienne Morel de Chédeville a été représentée à Paris, aux Variétés Amusantes, en octobre 1783, sous le titre Le pirate en Provence, mais nous n’avons pas retrouvé le livret, qui serait de l’auteur LouisFrançois Archambault dit Dorvigny.

Alexandre et Apelle, Jean-Baptiste-Claude Delisle de Sales, 1788 -comédie -Alexandre, Apelle, Campaspe, dans l’Inde, sur les bords de l’Hydaspe -un acte, 10 scènes, prose -Alexandre remercie Apelle de l’avoir représenté dans sa gloire et lui exprime son amitié. Bagoas, l’eunuque favori de Darius devenu l’intendant du sérail d’Alexandre, lui annonce la découverte d’une jeune Indienne, Campaspe. Alexandre, après ses conquêtes, veut connaître l’amour et espère trouver en l’Indienne une femme qui l’appréciera pour sa seule personne. Campaspe, mue par la curiosité de voir le conquérant, arrive et discourt avec Alexandre sans connaître son identité. C’est Apelle qu’elle prend pour le roi, car il a revêtu son armure sur ordre de ce dernier, et, tout en célébrant Alexandre, elle lui exprime son amour. Apelle s’éprend aussitôt d’elle. Une fois dans la tente du roi, Campaspe comprend sa méprise et oppose un refus à Alexandre, qui lui déclare son amour. Le roi demande alors à Apelle de la peindre. Apelle l’avertit qu’elle a peut-être déjà un amoureux et il le conduit devant son tableau sur la famille de Darius pour lui rappeler que la mère du Perse, face à Alexandre et Éphestion portant la même armure, avait pris Éphestion pour le roi. Campaspe revêt le costume d’Amour. Apelle ne peut cacher son émotion et Campaspe frappe de sa flèche le cœur du peintre. Le roi les accuse de trahison, mais ils lui révèlent la vérité et le quiproquo. Il pardonne et décide d’organiser leur mariage. La scène se termine sur une fête grecque et indienne, avec un ballet pantomime. -édition utilisée : Jean-Baptiste-Claude Delisle de Sales, Alexandre et Apelle, comédie en un acte, dans Théâtre d’un poète de Sybaris, Sybaris et Paris, 1788, t. 2, p. 19-75 (exemplaire de Paris, BnF, Yf213)



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Alexandre sur les bords de l’Hydaspe, Jean-Baptiste-Claude Delisle de Sales, 1788 -drame héroïque -Alexandre, Campaspe (née à Lacédémone et otage de sa patrie), Apelle, Callisthène (philosophe grec), généraux d’Alexandre, rois indiens, élèves d’Apelle déguisés, soldats, dans le camp d’Alexandre sur les bords de l’Hydaspe -trois actes, vers -Apelle découvre Campaspe assise dans une prairie arrosée de l’Hydaspe. Alors qu’elle lui cache le portrait de son amant, il lui révèle son amour. Elle l’accuse de ne pas se dominer et lui annonce que le soir même un époux lui redonnera sa liberté. Il répond que ce même soir il aura terminé son portrait et l’offrira au roi. Par ailleurs, les généraux amènent à Alexandre, entouré de Callisthène, plusieurs rois indiens enchaînés, il ordonne de les libérer et de les respecter. Resté seul avec lui, Callisthène le félicite. Le roi lui révèle son amour pour Campaspe, ce dont s’alarme le philosophe. S’ensuit une confrontation verbale et Alexandre lui ordonne de partir, de peur qu’il ne soit tenté de le tuer. L’acte II s’ouvre sur l’arrivée d’Alexandre dans l’atelier d’Apelle : tous se prosternent, mais il leur interdit cette adoration réservée aux despotes. Le peintre lui montre l’esquisse du portrait de Campaspe. Le roi la trouve trop simple, si bien qu’il demande qu’elle se déguise en déesse ou en Amazone. Il déclare aussi à Campaspe son amour, mais elle lui conseille de prendre pour femme la fille de Darius. Campaspe revêt plusieurs costumes, l’esquisse d’Apelle chaque fois déplaît à Alexandre, dont les soupçons se sont éveillés. Apelle refuse alors de peindre, et Alexandre comprend son amour. Il tente une dernière épreuve, déguiser Campaspe en Vénus : les deux amants ne peuvent masquer leurs sentiments. Le roi demande à Apelle d’aller le soir dans la tente de Campaspe pour finir le portrait. Les deux amants s’y retrouvent. Apelle se révolte contre la tyrannie d’Alexandre, tout en craignant que le roi ne l’assassine comme il a tué Clitus. Campaspe le rassure sur son amour et lui rappelle qu’elle a promis de désigner à Alexandre l’amant qu’elle a choisi par un portrait. Elle sort de son sein un portrait qu’elle montre à Apelle : il découvre que c’est le sien et se jette à ses pieds. Paraît alors Alexandre, qui les menace de vengeance. Restés seuls, ils se déclarent prêts à mourir et bravent Alexandre. Callisthène annonce à Apelle le supplice que lui prépare le roi, il condamne violemment la corruption de ce dernier, devenu un tyran sanguinaire qui veut se faire adorer comme un dieu : Callisthène préfère le suicide pour garder sa liberté et propose aux amants le même choix. Mais Alexandre surgit et les arrête : il se repent de ses crimes et unit Campaspe à Apelle. Remerciant Callisthène

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de sa vertu, il lui demande de continuer à l’éclairer et d’éloigner de sa cour les « vils adulateurs » (p. 165). La pièce se termine sur les noces et un ballet. -édition utilisée : Jean-Baptiste-Claude Delisle de Sales, Alexandre sur les bords de l’Hydaspe, drame héroïque en trois actes et en vers, dans Théâtre d’un poète de Sybaris, Sybaris et Paris, 1788, t. 2, p. 77-165 (exemplaire de Paris, BnF, Yf213)

Le couronnement d’Alexandre ou la chute de Bagoas, Jean-BaptisteClaude Delisle de Sales, 1788 -tragédie -Alexandre, Porus, Campaspe (fille d’un Brame), Apelle, Bagoas (eunuque du palais), Amestris (sœur de Bagoas), Parsondas (courtisan), trois rois indiens, généraux d’Alexandre, un Brame, Indiennes du sérail du roi, chef des eunuques, soldats, un esclave muet, esclaves, dans le camp d’Alexandre, sur les bords de l’Hydaspe. Campaspe et Apelle sont remplacés par Oriane et Abdolonyme dans l’édition de 1809, où la pièce prend pour titre Porus et Bagoas. -cinq actes, prose -Bagoas, l’eunuque favori de Darius, a prêté hommage à Alexandre, il exprime son ressentiment et sa haine de Porus, qui le conduisent à faire enlever Campaspe, fille d’un Brame, pour nuire à l’Indien. Campaspe veut demander justice à Alexandre, sans connaître l’identité de son ravisseur, elle sollicite aussi l’aide d’Amestris, la diabolique sœur de Bagoas. L’acte II s’ouvre sur l’audience publique d’Alexandre dans sa tente, qui refuse l’adoration des Orientaux, demande à Porus d’accepter son amitié et de veiller à sa gloire. Porus lui révèle alors le crime de l’enlèvement de la jeune fille : Alexandre décide un procès. Après l’audience, il révèle à Bagoas le vide et d’ennui qu’il ressent et Bagoas lui conseille de profiter des plaisirs qu’il va lui offrir. Le premier est l’arrivée d’un char de triomphe, tiré par des rois indiens comme une idole. Sur les conseils de Porus, Alexandre refuse cette gloire facile. Bagoas lui promet alors une femme, mais Alexandre réplique que les femmes aiment sa grandeur et non sa personne. Toutes les femmes du sérail entrent et dansent. Campaspe s’est glissée parmi elles, elle résiste à Alexandre et lui apprend le crime dont elle a été victime. Il l’affranchit. L’acte III se déroule dans la bibliothèque et la galerie de tableaux d’Alexandre. Campaspe révèle à Bagoas qu’elle refuse de devenir reine, car Alexandre l’a outragée et qu’elle a déjà un ami, Apelle. Alexandre montre ensuite à la jeune femme sa galerie et ses livres, tout en lui exprimant son amour. Il loue aussi Apelle, l’artiste qui veille



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à son immortalité par son pinceau. Bagoas apporte le tableau sur le meurtre de Clitus, car Alexandre veut qu’elle le connaisse tel qu’il est. Il la libère et la confie à Apelle, pour qu’il la convainque de s’unir à lui. Amestris révèle à son frère l’amour de Campaspe et d’Apelle, il s’en réjouit et accuse la jeune femme devant Alexandre. Le roi surprend le couple en pleine déclaration amoureuse, et dans sa fureur, condamne les amants à mort. Alors qu’ils attendent leur supplice, Bagoas les libère car il sait que la loi condamne à la mort les transfuges, puis s’enchaîne et enchaîne sa sœur. Lorsqu’Alexandre les découvre, il accuse les amants et Porus de cette trahison, puis fait rattraper le couple : un autel est dressé pour leur immolation, en dépit de l’opposition de Porus. Campaspe reconnaît son père dans le Brame qui s’apprête à les sacrifier. Porus révèle alors que Bagoas est l’âme de cette trahison. Bagoas poignarde sa sœur pour qu’elle ne soit pas suppliciée par Alexandre et ensuite se tue, affirmant qu’il ne veut pas connaître le sort de Callisthène. Alexandre unit Campaspe et Apelle, puis couronne Porus vice-roi de l’Inde, avant d’être lui-même couronné roi des rois par le Brame. -édition utilisée : Le Couronnement d’Alexandre ou la chute de Bagoas, dans Théâtre d’un poète de Sybaris, Sybaris et Paris, 1788, t. 3, p. 185-364 (exemplaire de Paris, BnF, Yf 213) ; voir aussi Jean-Baptiste-Claude Delisle de Sales, Porus et Bagoas, tragédie en cinq actes et en vers, dans Œuvres dramatiques et littéraires, 1809, t. 3, p. 261-416 (exemplaire de Paris, BnF, Bibliothèque de l’Arsenal, LG 1861)

Alexandre le Grand, Thomas Rousseau, 1789 -tragédie -Alexandre, Statira (son épouse), Antipater, Cassandre, Roxane (courtisane aimée d’Alexandre), Soter (philosophe perse), Oxus (confident d’Alexandre), Phoenix (confidente de Statira), Ismène (confidente de Roxane), Lisandre (confident d’Antipater), gardes, troupe de guerriers grecs et perses, à Babylone, dans le palais d’Alexandre -5 actes, vers -épître dédicatoire « Aux vingt Héroïnes de France qui ont sacrifié leur or et leurs diamans à la Patrie » : « J’ose mettre à vos pieds Alexandre le Grand. » La tragédie est suivie dans l’imprimé d’une longue « Ode à l’assemblée nationale ». -Convoqué par Alexandre qui veut le démettre de sa charge, Antipater arrive à Babylone. Son confident Lisandre lui apprend que le roi, pourtant au faîte de

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sa gloire, est en proie à la douleur, dédaigne son épouse Statira pour Roxane, éloigne du pouvoir les Macédoniens au profit des Perses au point que des intrigues se nouent contre lui, et enfin veut être élevé au rang des dieux. Dans ce contexte délétère, Antipater retrouve son fils Cassandre, toujours favori d’Alexandre mais désespéré car il aime Roxane. Cette dernière est représentée comme une intrigante qui a flatté Alexandre, tout en feignant aussi d’encourager l’amour de Cassandre car elle connaît les intrigues des Macédoniens. Au début de l’acte II, Alexandre exprime son dépit envers les dieux qui en bornant l’univers ont limité ses victoires. Oxus l’encourage à accepter la coutume perse de la déification, contre l’avis des Macédoniens, et lui conseille d’appeler à la cour un philosophe austère, que le peuple révère, Soter : il s’agira de le corrompre pour qu’il le proclame Dieu et le fasse accepter comme tel par le peuple. Le roi affronte ensuite Statira, qui lui exprime le mépris qu’elle éprouve pour lui et l’avertit de la mort qui le guette. Roxane achève de séduire Alexandre, tandis qu’Antipater fomente son assassinat, porté par la révolte des Macédoniens et par les espoirs amoureux de Cassandre, puis rejoint Alexandre. Le roi lui reproche d’avoir abusé du pouvoir qu’il lui a concédé en Macédoine et lui ordonne, pour prouver sa soumission, de venir au temple pour, le premier, l’adorer comme un dieu : il se heurte à son refus et promet sa vengeance. Arrive ensuite Soter, qu’Alexandre feint de vouloir prendre comme conseiller et défenseur du peuple. Mais Soter refuse de venir l’adorer à l’autel et condamne sa tyrannie sanguinaire de « monstre destructeur ». À l’acte IV, Phoenix apprend à Statira qu’Alexandre, au temple, a pris la place des dieux et que des manifestations cosmiques ont suivi, provoquant la terreur. Alexandre rejoint Statira et se repent de son péché, qu’il pense irrémissible. Il rejette ensuite violemment Roxane, en qui il a reconnu une tentatrice criminelle. Cette dernière décide alors de se venger en manipulant Cassandre. Préalablement Antipater a exhorté son fils à venger les Grecs de la tyrannie et lui tend le poison qu’il lui demande de délivrer au roi : Cassandre refuse d’obéir à son père, mais c’est Roxane, qui, avec une déclaration d’amour feinte, le convainc d’éliminer son rival. Dans le dernier acte, Statira vient libérer Soter de la prison et, en l’informant du repentir d’Alexandre, l’encourage à devenir son conseiller. Antipater apprend que Roxane a réussi là où il a échoué et souhaite mourir. Cassandre, après avoir perpétré le meurtre, réalise comment elle l’a manipulé, se repent et décide de mourir. Lisandre informe Antipater que Roxane s’est donné la mort et que Cassandre, en assistant à son agonie, a tenté de mettre fin à ses jours. La dernière scène introduit Alexandre sur son lit de mort, entouré de Statira, de Soter et de ses guerriers. Avant de mourir, il reconnaît ses fautes, comprend que les dieux ne pardonneront jamais les crimes d’un tyran, et prévoit les guerres de ses successeurs.



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-édition utilisée : Alexandre le Grand, tragédie en cinq actes et en vers, par M***, Amsterdam, Imprimerie des Frères associés, 1789, disponible sur le site gallica de la BnF : http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k5780907w.r=Alexandre%20le%20 Grand%20%2C%20trag%C3%A9die ?rk=85837 ;2

Roxane et Statira ou Les veuves d’Alexandre, musique de Pierre Candeille, vers 1792 -tragédie lyrique, non représentée -librettiste non identifié -Hézione, Roxane, Cassandre, Arbate, Alcétas, le pontife, Iolas, Statira, Orondate, Lysimachus, un officier, chœur, petit chœur -musique de Pierre Candeille, composée vers 1792, remaniée par le compositeur entre 1814 et 1816. Le tome 4 de la partition conservée contient quelques danses pour orchestre composées à différentes dates : « Air de danse scythe » (1814), « Air de danse d’esclaves » (1816), « La Babylonienne », « Pas de quatre », « Autre pas de quatre », « Les deux pas de quatre réunis » (1817). -partition en 4 tomes manuscrits, Paris, BnF, Richelieu-Musique-Réserve, manuscrits 4604 (1 à 4). -Nous n’avons pas retrouvé le livret.

Diogène et Alexandre, Sylvain Maréchal, 1794 -opéra en trois actes, inachevé et non publié (d’après Sylvain Maréchal deux des actes auraient été réalisés et le Musée Grétry possède un manuscrit du premier acte seulement, voir E. C. Bartlet, « Grétry and the Revolution », dans Grétry et l’Europe de l’opéra comique, éd. P. Vendrix, Liège, 1992, p. 66) -musique d’André Grétry, partition inachevée -Nous n’avons pas eu accès au manuscrit de cet opéra inachevé.

Apelle et Campaspe, Charles-Albert Demoustier, 1797 -créé au Théâtre de la République et des Arts, le 24 Messidor, an 6 -opéra

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-Apelle, Alexandre, Éphestion, Campaspe, Ériphile ; chœurs de femmes et de guerriers ; personnages dansants : Babyloniens, Perses, Macédoniens, esclaves, suite d’Alexandre, élèves d’Apelle ; à Babylone, dans le palais d’Alexandre -un acte, vers -Campaspe apprend à Ériphile son amour pour le peintre Apelle, alors que cette dernière l’exhorte à répondre aux sentiments d’Alexandre, suivie par Éphestion qui vient de la part du roi demander un portrait à la jeune femme. Troublée de retrouver ainsi son amant, Campaspe doit écouter la déclaration d’amour d’Alexandre. Apelle commence à peindre Campaspe voilée et confie au roi son amour pour une femme qui lui a été ravie. Lorsqu’Alexandre demande à la jeune femme de se dévoiler, le peintre est saisi de stupeur, si bien que la séance est remise. Se retrouvant seuls, les deux amants expriment leur amour ; Éphestion alerte son roi de la résistance possible de Campaspe et finit par lui révéler qu’il a un rival. Submergé par la colère, il décide de faire périr le couple sans connaître l’identité de l’amant. La séance de peinture reprend et Alexandre démasque alors le « coupable ». Éphestion parvient rapidement à le raisonner et le convainc de les unir. -musique d’Éler -édition utilisée : Apelle et Campaspe, opéra en un acte, par le citoyen Demoustier, musique du citoyen Éler, représenté pour la première fois sur le Théâtre de la République et des Arts, le 24 Messidor, Paris, Huet, an VI [1797], disponible sur le site Gallica de la BnF : http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k48244w. r=demoustier ?rk=193134 ;0

Apelle et Campaspe, ou l’empire des arts, Claude-François de LezayMarnésia, 1800 -ballet héroïque -Alexandre, Campaspe, Apelle, Éphestion, Lysipe, Thirtée, Thimothée, troupes de guerriers, prêtresses, Perses, Scythes, Indiens, dans la campagne aux environs de Babylone -3 actes, vers -Campaspe se lamente d’avoir été séparée de son amant Apelle par une troupe de soldats et emmenée prisonnière. Alexandre arrive, entouré de ses artistes, Apelle, Lysipe, Thirtée et Thimothée, et exprime son amour pour elle. Elle le refuse, lui adresse une leçon de morale et sort. L’acte II s’ouvre sur une mise en scène des artistes d’Alexandre, le « roi qui chérit les beaux-arts ». Le roi installe Campaspe et demande à tous de lui rendre hommage par des danses,



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des chants et des dons. Apelle lui offre un tableau de l’Amour, Thirtée et Thimothée jouent de la lyre et chantent. Apelle croit alors que Campaspe l’a trahi pour Alexandre, mais cette dernière révèle au roi son amour pour le peintre et demande grâce. Alexandre tente de tuer Apelle, puis, comme Éphestion l’en empêche, le met aux fers. L’acte III se déroule dans une forêt, près d’un temple d’Apollon et d’un échafaud dressé. Campaspe exprime son désespoir, tous les artistes implorent le roi, qui finalement a pitié. Dans cette victoire sur soi, il célèbre le triomphe des beaux-arts et demande à Apelle un portrait. -édition utilisée : Apelle et Campaspe ou l’empire des arts, ballet héroïque, exemplaire de Paris, BnF, Bibliothèque de l’Arsenal, GD 5436, avec une indication manuscrite : « extrait de la fin de son poème intitulé Les paysages ou essai sur la nature champêtre, Paris, 1800 ».

Alexandre chez Apelles, ballet de Pierre-Gabriel Gardel, 1808 -créé sur le théâtre de l’Académie impériale de musique, le mardi 20 décembre 1808 -ballet héroïque -Alexandre, Éphestion, Campaspe, Apelles, élèves d’Apelles sous différents costumes, élèves d’Apelles sans déguisement, princes et officiers de la cour d’Alexandre, dames de la cour d’Alexandre, princesses, Macédoniens, Perses, Amazones, Indiens, dans l’atelier d’Apelles, puis dans une salle du palais d’Alexandre -2 actes, texte imprimé en prose -Apelles et ses élèves travaillent dans l’atelier. Resté seul et triste, le peintre dévoile le portrait de Campaspe, qu’il a réalisé de mémoire, par amour pour elle. Avant l’arrivée d’Alexandre, il cache le portrait et demande à ses élèves de se déguiser. Très troublé, Apelles se prosterne devant le roi. Entouré de sa cour et d’une dame voilée qui n’est autre que Campaspe, celui-ci contemple son propre portrait et félicite le peintre, pour ensuite lui demander de réaliser le portrait de la dame. Dès que le roi lève le voile de cette dernière, Apelles et Campaspe, déjà amants, ne peuvent cacher leur trouble. Seul Éphestion comprend alors leur amour. Suit la scène du portrait de Campaspe, avec l’essai de plusieurs déguisements, les jeux des élèves qui se terminent par une danse avec Campaspe et plusieurs tableaux qu’Apelles cherche à saisir de son pinceau. Appelé par un officier, le roi enjoint à Apelles de continuer le portrait et le peintre reste seul avec son amante. Éphestion le découvre à genoux devant Campaspe, en pleine déclaration d’amour, et les menace de la colère d’Alexandre. Bien

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qu’attendri, il ordonne à Campaspe de le suivre au palais. L’acte II s’ouvre dans le palais d’Alexandre : le roi invite les princesses à préparer une fête brillante pour la femme qu’il a choisie. Éphestion révèle alors au roi que Campaspe est éprise d’un autre, il l’exhorte à se vaincre lui-même, avant qu’Apelles n’arrive. Lorsque le peintre avoue son amour pour Campaspe, Alexandre met la main à son glaive, Campaspe s’interpose et Éphestion arrête le bras du roi. Les élèves du peintre apportent alors son portrait du roi. Éphestion montre également à Alexandre celui de la famille de Darius et le supplie d’être aussi généreux qu’il l’a été envers les femmes perses. Alexandre pardonne et unit les amants. Le ballet se termine par une grande fête, avec jeux et danses. -musique de Charles-Simon Catel, du Conservatoire impérial -édition utilisée : Alexandre chez Apelles, ballet héroïque en deux actes, par M. Gardel, maître des ballets de S.M.I. et R., de son Académie impériale de musique, et membre de la Société philotechnique, Paris, Ballard, 1808, disponible sur le site gallica de la BnF : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8507636. r=alexandre%20chez%20apelles?rk=85837;2

Olimpie, tragédie lyrique imitée de Voltaire, Charles Brifaut et Joseph Marie Armand Michel Dieulafoy, 1819 et 1826 -tragédie lyrique -créée au théâtre de l’Académie royale de musique le 22 décembre 1819 avec la musique de Gaspare Spontini, jouée sept fois sans grand succès, reprise le 27 février 1826 sous une nouvelle version (après le départ de Spontini à Berlin en 1820 et la modification du livret par E. T. A. Hoffmann – sa traduction en allemand et sa transformation de l’acte III –, création allemande de l’opéra en 1821 à Berlin, puis retraduction en français du livret pour la recréation en 1826 à Paris, en italien à Rome en 1885) -3 actes, vers -version de 1819 : Cassandre, Antigone, Statira (connue d’abord sous le nom d’Arzane), Olimpie (connue sous d’abord sous le nom d’Aménaïs), l’hiérophante, Sostène (officier de Cassandre), Hermas, officier d’Antigone, prêtres, ministres inférieurs, initiés, mages, prêtresses, grands du royaume, soldats, peuples, bacchantes, Amazones, navigateurs, à Éphèse, près du temple de Diane Dans la version de 1826 : Cassandre, Antigone, Statira (d’abord connue sous le nom d’Arzane), Olimpie (d’abord connue sous le nom d’Aménaïs), l’hiérophante, Arbate (officier de Cassandre), Hermas (officier d’Antigone), prêtres,



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ministres inférieurs, initiés, mages, prêtresses, grands du royaume, soldats, peuples, bacchantes, Amazones, navigateurs, à Éphèse, devant le temple de Diane ; personnages chantants : prêtres, prêtresses, dames d’Éphèse, guerriers ; personnages dansants : jeunes initiés, guerriers asiatiques, chasseurs, moissonneurs, jeunes Grecs, bacchantes, prêtresses, asiatiques nobles, asiatiques du peuple, guerriers éphésiens, Amazones, jeunes filles égyptiennes jetant des fleurs, guerriers d’Antigone, guerriers de Cassandre, soldats -Antigone et Cassandre ont été complices pour l’assassinat d’Alexandre, avant de se déclarer la guerre puis de se réconcilier. Ils se découvrent rivaux dans l’amour qu’ils portent tous deux à une jeune esclave nommée Arménaïs. Cette dernière est en réalité la fille d’Alexandre. Sa mère Statira, qui s’est aussi cachée en prenant l’identité d’une prêtresse nommée Arzane, s’oppose au projet de mariage entre Arménaïs et Cassandre, qu’elle accuse du meurtre d’Alexandre. Au début de l’acte II, les deux femmes entrent en conflit et découvrent leur identité à Cassandre : Olimpie défend Cassandre face aux accusations de sa mère et révèle qu’il lui a sauvé la vie ; Statira veut venger la mort de son époux, avec l’aide d’Antigone. Dans l’acte III de la version de 1819, Statira et Olimpie montent triomphalement sur le trône et l’on rétablit Statira dans son statut de reine en lui ceignant le front de la couronne d’Alexandre. Puis Statira offre sa fille à Antigone, mais Olimpie refuse ce mariage. S’ensuivent des combats entre Cassandre et Antigone, qui se terminent par la victoire de Cassandre : Statira se poignarde et, avant d’expirer, fait jurer à sa fille qu’elle n’épousera pas le meurtrier de son père. Terrifiée, Olimpie affronte un orage surnaturel, où elle découvre « l’ombre colossale d’Alexandre, tenant dans sa main la coupe empoisonnée (p. 55) », avant de se suicider à son tour. La tempête cesse, on voit l’ombre de Statira monter au ciel vers un temple de l’immortalité où Alexandre l’attend, puis tous deux appellent Olimpie, qui les rejoint, et ils disparaissent dans le temple de mémoire. L’acte III de la version de 1826 modifie les données pour une fin heureuse : lors de son ultime affrontement avec Cassandre, Antigone est mortellement blessé et, avant de mourir, il révèle qu’il est l’unique responsable de la mort d’Alexandre, disculpant ainsi Cassandre et permettant le mariage de Cassandre et d’Olimpie. La pièce se termine sur le couronnement de Statira, dont on ceint le front de la couronne d’Alexandre et qui offre à Cassandre la main de sa fille Olimpie, en leur affirmant que du fond de son cercueil Alexandre les guide tous trois. -Le texte du livret de 1826 est une traduction de la réécriture allemande par E. T. A. Hoffmann, 1821, Berlin (livret allemand disponible sur le site Digitale Bibliothek-München, http://daten.digitale-sammlungen.de/~db/0006/ bsb00062652/images/index.html ?id=00062652&fip=xsxdsydxdsydewqwx dsydeayaqrseayaewqw&no=9&seite=5

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-musique de Gaspare Spontini, ballets de Pierre-Gabriel Gardel -édition utilisée : Olimpie, tragédie lyrique en trois actes, version de 1819, disponible sur google books : https ://books.google.fr/books ?id=hVJeAAAAc AAJ&pg=PA1&redir_esc=y#v=onepage&q&f=false -Le livret de la version de 1826 est disponible sur le site gallica de la BnF : http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k5734524w.r=olympie%20voltaire -La source est la tragédie Olympie de Voltaire (voir la notice correspondante).

Alexandre et Apelle, Alexandre de la Ville de Mirmont, 1820 -création à Paris en 1816, à la Comédie française -comédie héroïque -Alexandre, Apelle, Campaspe, Eudore (jeune élève d’Apelle), à Ecbatane, dans l’atelier d’Apelle à l’intérieur du palais d’Alexandre -un acte, 15 scènes, vers -Apelle, en peignant un portrait de Campaspe, la captive scythe qu’aime Alexandre, s’est épris d’elle. Il se désespère, dans la peur de trahir son maître, et annonce à Alexandre, tandis que ce dernier lui exprime son affection, son désir de quitter sa cour. Alexandre lui révèle alors combien il souffre de la froideur de Campaspe et lui demande d’intercéder en sa faveur auprès d’elle. Entre en scène Campaspe, qui affirme qu’elle ne saurait aimer celui qui lui a ravi la liberté. Campaspe et Apelle, restés seuls, tentent de s’avouer leurs sentiments. Eudore découvre malgré lui la vérité à Alexandre, qui veut se venger, en dépit des excuses des amants. Face à son inflexibilité, Campaspe l’avertit que sa gloire sera pour toujours ternie par le châtiment d’Apelle : le peintre, artisan de sa gloire, deviendra à jamais son accusateur. Le roi décide alors de maîtriser ses sentiments, de se vaincre lui-même pour ne pas sacrifier sa gloire à un « tyrannique amour ». -édition utilisée : Alexandre et Apelle, Alexandre de la Ville de Mirmont, Paris, Louis Vente, 1820 ; disponible sur le site gallica de la BnF : http://gallica.bnf. fr/ark :/12148/bpt6k57809801.r=alexandre%20et%20apelle

Darius, Amédée de Tissot, 1820 -tragédie -Darius, Statira (son épouse), Roxane (sa fille), le grand prêtre, Adulphar (confident du grand prêtre), Bessus (prince de sang, satrape de la Bactriane), Barzanès (ami de Bessus), Pharzès (confident de Darius), Patronès (chef des



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Grecs attachés au service de Darius), Phradate (officier de Darius), Exathrès (fils de Darius), Zénais (confidente de Roxane), Alexandre, Bactriens, esclaves de Darius, officiers d’Alexandre, à Arbèles -5 actes, vers -Le grand prêtre de Darius et son confident annoncent l’arrivée d’Alexandre, dont ils reconnaissent la puissance invincible. Tout en n’attendant que la mort, d’autant qu’il redoute des trahisons, Darius part l’affronter. Statira partage ses peurs. Au début de l’acte II, Bessus révèle à Barzanès son ressentiment passé envers Statira, qui a refusé ses avances, et le réveil de ses espoirs. Il compte abandonner Darius pour s’attacher Alexandre, dans l’espoir de devenir roi de Bactriane. Mais il feint toujours la fidélité, tandis qu’il promet à ses hommes la liberté s’ils le choisissent comme roi et trahissent Darius, en l’abandonnant dans la bataille : ils le jurent. Roxane redoute la mort de son père, mais, honteuse, avoue son amour tourmenté pour Alexandre à sa confidente. Alors que Bessus apprend à Statira la défaite de Darius, il l’engage à fuir avec lui, lui révèle son amour et lui offre la couronne qu’il compte obtenir, suscitant son courroux. Pharzès apprend alors à la reine que Darius, blessé, est vivant. L’arrivée de Darius convainc Statira de la trahison de Bessus. Pharzès et Statira implorent Darius de tenter la paix avec Alexandre et de lui donner Roxane comme épouse. Bessus propose à Barzanès qu’ils tuent le roi et présentent sa dépouille à Alexandre pour obtenir son soutien. Statira et Pharzès avertissent Darius de la trahison de Bessus et l’empereur perse décide d’envoyer sa femme, sa fille et son fils en sûreté à Ecbatane. Patronès vient à son tour le prévenir des forfaits de Bessus. Darius se confronte alors à Bessus et l’accuse de conspiration, ce dont le traître se défend, en accusant à son tour Patronès d’un complot avec les Grecs. Pharzès arrive pour annoncer à Darius qu’Alexandre a capturé sa famille et s’apprête à l’attaquer à nouveau. Repartant au combat, Darius est assassiné par Bessus et Barzanès. Bessus se réjouit de la douleur de Statira, qui se donne la mort. Dès son arrivée, Alexandre ordonne l’arrestation de Bessus et s’engage à protéger le fils et la fille de Darius. La pièce se termine sur la violente confrontation d’Alexandre et de Bessus, qui est supplicié. -édition utilisée : Darius, tragédie en cinq actes et en vers par M. Amédée de Tissot, Paris, Dondey-Dupré et Delaunay, 1820 (exemplaire de Paris, BnF, Arsenal GD-8432 ; texte numérisé sur le site archive.org : https ://archive. org/details/dariustragdiee00tissuoft)

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Alexandre et Apelle, Jacques Antoine Hippolyte de Guibert, 1822 -publication posthume, composition avant 1790, année de la mort de l’auteur -opéra -Alexandre, Apelle, Campaspe (« auparavant esclave et maîtresse d’Apelle, maintenant esclave et maîtresse d’Alexandre, sous le nom de Roxane », p. 244), troupe de Macédoniens formant la suite d’Alexandre, jeunes garçons et jeunes filles, élèves d’Apelle, esclaves indiens et perses des deux sexes, à Larisse, ville de Thessalie, et dans l’atelier d’Apelle -un acte, 8 scènes, vers -Apelle, submergé de tristesse parce qu’il a perdu Campaspe, ne parvient plus à peindre et entre avec désespoir dans l’appartement où il a vécu son amour. On annonce l’arrivée d’Alexandre dans l’atelier. Le peintre et ses élèves se préparent aussitôt à lui rendre hommage, un chœur d’élèves, dont l’un représente la Renommée et l’autre la Victoire, célèbre l’alliance des artistes et des héros guerriers. Alexandre voit la tristesse du peintre, qui répond qu’il a perdu l’objet de son amour. Le roi lui demande alors de peindre la jeune Perse Roxane, qui entre, voilée. Apelle et Campaspe se reconnaissent, bouleversés. Apelle la revêt des attributs de Pallas, il commence à la peindre mais n’y parvient pas. Il change la mise en scène, assoit la jeune fille dans une attitude pensive, sur le modèle de Vénus et l’entoure d’élèves représentant les Amours, les Jeux et les trois Grâces. Apelle la revêt ensuite du vêtement des filles de Larisse qu’elle a porté à la fête de Vénus et qu’il cherche dans l’appartement. La jeune femme demande à être peinte avec les traits du malheur, elle s’empare d’une harpe et chante en jouant de l’instrument, avant de s’effondrer en larmes. Les deux amants révèlent à Alexandre la vérité de leur amour passé. Le roi accepte aussitôt de respecter leurs sentiments et décide de les unir. -musique par Guiseppe ou Luigi Mosca, compositeur napolitain -L’auteur indique, p. 244, qu’il s’est inspiré du ballet de Noverre, Alexandre et Campaspe (voir la notice). -édition utilisée : Œuvres dramatiques de Guibert, membre de l’Académie française, auteur de l’Essai général de tactique, publiées par sa veuve sur les manuscrits et d’après les corrections de l’auteur, Persan et Cie, Paris, 1822, p. 243-261, disponible sur le site gallica : http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k5626174h/f255. item.r=Oeuvres%20dramatiques%20de%20Guibert%20publi%C3%A9es



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Alexandre le Macédonien, Joseph Arthur de Gobineau, 1847 -publication posthume -tragédie -Alexandre, Roxane (sa femme), Héphestion, Perdiccas, Philotas, Clitus, Antigone, Léonnatus, Ménidas (sept généraux macédoniens), Néarque (amiral), Eumène (secrétaire d’Alexandre), Oxyarte, Phratapherne (satrapes perses), Anaxarque (devin), soldats, Macédoniens, Grecs, Perses, Indiens, satrapes, généraux, officiers, femmes, serviteurs, esclaves, eunuques, pages, dans le camp d’Alexandre et à Babylone -5 actes, vers -L’armée d’Alexandre s’abandonne à sa joie lors de son retour à Babylone. Les généraux expriment entre eux leur ressentiment contre un roi qui a ­essayé de les entraîner au-delà de l’Indus. Lorsqu’Alexandre arrive, les Perses se prosternent : le roi leur donne des terres, avant d’annoncer son mariage avec Statira, la fille de Darius. Il s’adresse ensuite à ses généraux pour les avertir qu’ils devront se lancer dans de nouvelles guerres. Clitus s’oppose à lui, demandant du repos et l’accusant de les épuiser alors qu’il récompense les vaincus. Tous le suivent. Alexandre rétorque que les dieux l’ont créé pour ce destin grandiose. Philotas prend la tête d’une conspiration. Roxane, désespérée, arrive pour interroger Alexandre sur son désir d’épouser Statira ; il lui répond qu’il satisfait ainsi les Perses en adoptant leurs coutumes. Héphestion apprend à Alexandre la conspiration de Philotas. Dans l’acte II, Roxane avoue son désespoir à son père Oxyarte, qui l’incite à se résigner. Philotas, enchaîné, se jette aux pieds de la reine et implore en vain sa pitié. Perdiccas et Clitus ne le soutiennent plus. Face à cette trahison, il menace de les dénoncer. Alexandre demande l’aveu de Philotas, Perdiccas l’exhorte à le faire torturer. Alexandre refuse mais Perdiccas, conforté par les autres généraux, finit par le décider à exécuter Philotas. Héphestion suspecte l’existence d’autres conspirateurs, et de fait Perdiccas et Clitus nouent un accord pour assassiner le roi. Perdiccas invite Clitus à soulever les soldats, tandis que lui se rend auprès de Roxane. L’acte III commence par une délibération entre le roi et Héphestion. Le roi craint la révolte, Héphestion lui conseille de chasser les généraux et de les remplacer par des Perses. Mais Alexandre est effrayé par un présage de mort : Héphestion et Roxane le rassurent. Héphestion avertit néanmoins Roxane des menaces et lui conseille de se méfier de Perdiccas ; il la suspecte car il ne comprend pas la fin subite de son désespoir. Suit un entretien entre Roxane et Perdiccas, où la reine révèle son désir de vengeance contre le roi et l’exhorte à tuer Héphestion. Ils décident que le lendemain, dans un banquet,

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elle versera le poison dans la coupe du roi. À l’acte IV, Perdiccas annonce à Alexandre la mort d’Héphestion, provoquant son désespoir et ses soupçons contre Perdiccas. Roxane lui exprime son amour et semble prête à renoncer à sa vengeance, mais il la repousse une nouvelle fois. Pour honorer Héphestion, il décide de partir le lendemain vers de nouvelles conquêtes, après avoir organisé un banquet. Au cours du festin, excédé par la flatterie des Perses, Clitus provoque Alexandre, qui, mû par la fureur, le tue sur scène. Il demande que le festin continue et que Roxane lui apporte la coupe, bien qu’il soit assailli de pressentiments mortels et aussi de remords. Il tombe alors sur le cadavre de Clitus, sans que l’on sache encore s’il est évanoui ou empoisonné. À l’acte V, Roxane révèle à Perdiccas qu’elle a versé le poison. Alexandre n’est pas encore mort et réaffirme son départ imminent. Mais la force du venin le saisit. Une fois ses hommes congédiés, il exhale une longue déploration, puis meurt, après que Roxane lui a révélé sa trahison et son repentir. Elle lui promet de faire tuer Perdiccas et les autres conspirateurs, mais lorsqu’il lui demande de protéger Statira et l’enfant qu’elle attend de lui, elle revient sur sa parole donnée et lui annonce qu’elle assassinera Statira. Alexandre meurt sans avoir donné un nom pour son successeur : « Le plus digne ! » sont ses derniers mots. -édition utilisée : Alexandre le Macédonien, éd. L. Schemann, Nachgelassene Schriften des Grafen Gobineau, Dichterische Werke, t.  1, Strasbourg, 1902, texte numérisé sur le site archive.org : https ://archive.org/details/ alexandrelemacd00gobigoog

Alexandre chez Apelles, Jean-François Alfred Bayard et Henri Dupin, 1853 -créée à Paris le 27 décembre 1852 au théâtre du Vaudeville -comédie-vaudeville -Sénasar (peintre), M. d’Aubry (moitié d’agent de change), Bibo (rapin), un groom, Clotilde, Catherine (jeune ouvrière), chez Sénasar -20 scènes, prose -L’histoire d’Alexandre et d’Apelles est transposée dans l’univers de la comédie-vaudeville. Dans son atelier, Sénasar travaille au portrait de Clotilde. Il lui déclare son trouble et la demande en mariage. Elle répond qu’elle a un mari, M. d’Aubry, qu’elle appelle « mon Alexandre ». Sénasar lui remémore alors l’histoire d’Alexandre, de Campaspe et d’Apelles, et la générosité du roi. Elle réplique que son époux, bien loin d’Alexandre, n’est qu’une moitié d’agent de change. Arrive le mari, qu’elle se plaît à nommer Alexandre. Il trouve que



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le portrait n’est pas ressemblant, car trop flatté, et tous se moquent de lui. Une lettre appelle les époux à un dîner. Sénasar fanfaronne en voyant la jeune femme déjà conquise. Arrive Catherine, une jeune ouvrière que Bibo envoie comme modèle et qu’il aime. Suivent des dialogues alternés entre le peintre, Clothilde et le mari. Clotilde revient en effet très vite poser : elle se déclare prête à l’épouser car elle a découvert l’infidélité de son époux. C’est ensuite ce dernier qui apparaît, avec la lettre de séparation que sa femme lui a envoyée. Clotilde déclare au peintre qu’elle souhaite l’épouser très vite et, sans l’avoir prévenu, déménage aussitôt chez lui. Bibo se plaint que Catherine refuse de l’épouser : elle veut un riche mariage, à l’exemple de Clotilde. En apprenant le passé de cette dernière, Sénasar regrette sa proposition de mariage. Le mari revient après s’être rendu compte qu’il a perdu la lettre, il la lui lit et lui avoue qu’il n’est pas marié avec Clotilde. Sénasar s’attendrit devant sa douleur. Au retour de Clotilde, il invente qu’il est déjà marié avec Catherine. Le mari se découvre et elle se réconcilie avec lui, car il lui promet cette fois le mariage. La pièce se clôt sur un ultime jeu de la jeune femme qui appelle son époux Alexandre et le peintre Apelle. -édition utilisée : Alexandre chez Apelles, comédie-vaudeville en un acte par MM. Bayard et Dupin, Paris, Michel Lévy frères, 1853, disponible sur le site gallica de la BnF : http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k57600396.r=Alexandre%20 chez%20Apelles%2C%20com%C3%A9die-vaudeville ?rk=42918 ;4

Campaspe, François Mons, 1873 -créé au Théâtre de la Gaité, le 20 avril 1873 -drame -Apelles, Alexandre, Campaspe, Lycus, Athys, gardes, dans l’atelier du peintre -un acte, vers -Apelles se désespère de l’amour d’Alexandre pour Campaspe. Pour le distraire, Lycus l’entretient de Diogène le philosophe, toujours en alerte, la lanterne à la main pour chercher un homme, et de sa rencontre avec Alexandre, avec sa fameuse réplique sur le soleil que le conquérant lui cache. Se réjouissant d’avoir été choisi par Alexandre, Apelles se moque de Diogène, de son mépris des richesses et du pouvoir. Un serviteur lui présente alors Campaspe de la part du roi et il pense qu’il la lui offre comme amante. Mais c’est un quiproquo et Alexandre arrive pour lui reprendre la jeune femme : il voulait bien récompenser Apelles de ses tableaux en lui livrant une femme, mais Athys son serviteur a choisi par erreur Campaspe. Luttant « pour l’honneur de la

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femme et son indépendance », Campaspe résiste avec violence, elle l’accuse de la prendre pour un objet. Le roi menace les amants, qui veulent fuir dans la ville où est née Campaspe, Lutèce. Apelles jette le portrait du roi dans un brasier, avant de le défier. Il regrette amèrement d’avoir eu de l’affection pour lui et d’en avoir été puni, à la différence de Diogène, qui opposait au roi son mépris. De son côté, Alexandre, ébranlé par la destruction du portrait, lui demande de le recommencer en implorant sa pitié et son amitié, et en lui « cédant » Campaspe. Il vient en effet de comprendre combien son statut royal est éphémère et combien sa gloire dépend du travail de l’artiste, même s’il sait que sa jalousie ne s’éteindra pas et si, pour dernière parole, il maudit les femmes orientales. -édition utilisée : François Mons, Campaspe, drame en un acte, en vers, Paris, Michel Lévy frères, 1873

Le char, Paul Arène et Alphonse Daudet, 1878 -créé au théâtre national de l’Opéra-Comique le 18 janvier 1878 -opéra comique -Alexandre, Briséis, Aristote, dans la cour d’une ferme du roi Philippe, avec à droite une fontaine et un lavoir, à gauche un chariot dételé -8 scènes, vers -Alexandre apprend à calculer avec des cailloux, sous la férule d’Aristote. Il lui avoue son amour pour une nouvelle esclave, Briséis. Cette dernière vient laver le linge et les deux hommes, également troublés, veulent tous deux lui faire des avances. Alexandre, resté seul avec elle, lui révèle ses sentiments tout en montant à une échelle pour l’aider à étendre le linge. Aristote les voit s’embrasser et menace Alexandre de punition (six mois de calcul) et Briséis d’exil en Scythie. Briséis décide de se venger, conseille à Alexandre de se cacher, puis dialogue avec Aristote qui lui demande de devenir sa maîtresse. Elle l’enjoint de la promener dans un char : Aristote se harnache et trotte, fouetté par Briséis et moqué par Alexandre, qui l’a rejointe dans le char. On annonce l’arrivée de Philippe : Aristote veut se dissimuler, Alexandre accepte de l’aider s’il ne dit rien à son père, mais la jeune fille demande son affranchissement et son retour dans son pays natal comme conditions de son silence. Elle part et les deux hommes se remettent aux mathématiques. -musique de Émile Pessard -Le texte est dédicacé au « vieil auteur du Lai d’Aristote ».



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-édition utilisée : Le char, opéra-comique en un acte en vers libres par Paul Arène et Alphonse Daudet, musique de Émile Pessard, Paris, G. Charpentier éditeur, 1878 (avec une citation de Hugo sur la page de couverture, au sujet de Campaspe et d’Aristote à quatre pattes) Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas Université de Lille, Institut universitaire de France Université de Lille

Œuvres anglaises (xvie-xviiie siècle) Les notices suivent le même ordre que dans le répertoire français1.

The Alexandraean Tragedy, William Alexander, 1552 -pièce non jouée -tragédie -The Ghost of Alexander, Olympias, his mother, Roxane, his wife, Aristotle, his master, Phocion, his old friend, Philastrus, a Chaldean, Chorus ; Perdiccas, Meleager, Ptolomie, Antigonus, Eumenes, Lysimachus, Seleucus, Cassander, his greatest captains -5 actes -Après la mort d’Alexander, son fantôme dénonce la vanité de la puissance. Ses capitaines ne s’entendent pas : Perdiccas veut attendre la naissance de l’enfant posthume d’Alexander, Antigonus s’y refuse, Meleager est partisan du frère du défunt, Ptolomie souhaite que tous s’unissent, Eumenes que Perdiccas soit leur chef. Lysimachus et Seleucus veulent attendre leur heure pendant que les autres se déchirent. Puis Perdiccas se réjouit auprès d’Eumenes d’avoir tué Meleager, il dénonce l’union d’Antigonus et de Ptolomie et projette de s’unir par mariage à la famille royale. Olympias et Roxane accusent Cassander d’avoir empoisonné Alexander. Roxane voudrait protéger son fils. Antigonus et Eumenes évoquent la chute de Cratère et la mort de Perdiccas tué par ses soldats ; ils s’allient. Cassander prémédite d’attaquer Olympias et de la mettre à mort ; celle-ci souhaite un trépas glorieux. Aristotle et Phocion déplorent que les successeurs d’Alexander aient mis la Grèce à feu et à sang. Cassander, ayant fait tuer Olympias, puis Roxane et son fils, s’allie à Ptolomie, Lysimachus et Seleucus contre Antigonus qui a éliminé Eumenes. Philastrus prédit la suite des conflits : morts de Cassander et de ses fils, d’Antigonus, de Lysimachus, tué par Seleucus, puis de ce dernier, extinction de la lignée de Ptolomie avec une reine lubrique (Cléopâtre). 1. Toutes les notices ont été réalisées par Catherine Dumas, à l’exception de celle sur Clyomon and Clamydes, dont Elena Koroleva est l’auteur.

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-édition utilisée : The Poetical Works of William Alexander, Earl of Stirling, Now First Collected and Edited with Memoirs and Notes in Three Volumes by Charles Rogers, t. 2, Glasgow, 1872, p. 87-209, disponible sur le site archive. org : http://archive.org/details/poeticalworksofs02stir

Campaspe, John Lyly, 1583 -première représentation à Londres, au théâtre des Blackfriars, en 1583. Trois éditions de la pièce, l’une intitulée A Most Excellent Comedy of Alexander, Campaspe and Diogenes, et les deux autres portant le titre de Campaspe, furent publiées à Londres en 1584. -comedy -Clitus, Parmenio, macedonian officers, Timoclea, Campaspe, Theban captives, Alexander the Great, king of Macedon, Hephestion, his confident, Manes, servant to Diogenes, Granichus, servant to Plato, Psyllus, servant to Apelles, Melippus, messenger from Alexander, Plato, Aristotle, Chrysippus, Crates, Cleanthes, Anaxarchus, Diogenes, Athenian philosophers, Page to Alexander, Apelles, a painter, Chrysus, a Cynic, Solinus, an Athenian citizen ; Athenian People, Sylvius, a father, Perim, Milo, Trico, his sons, Milectus, Phrygius, soldiers, Laïs, a courtesan, captives, à Athènes -5 actes -Après la prise de Thèbes, Alexander, dont Clitus et Parmenio louent l’attitude envers les vaincus, se montre bienveillant envers Timoclea et Campaspe, ses captives ; il dit son désir de régner en paix, converse avec six philosophes qu’il a invités, alors que Diogenes a refusé de venir. Hephestion est hostile à l’amour d’Alexander pour Campaspe, qui selon lui abaisse le roi. Alexander vient voir Diogenes, qui le prie de ne plus lui faire d’ombre. Apelles, chargé de faire le portrait de Campaspe, s’éprend de son modèle mais redoute la rivalité d’Alexander. Le roi questionne l’artiste et tente (en vain) de peindre. Diogenes invective les Athéniens et provoque divers incidents. Campaspe répond favorablement à l’amour d’Apelles. Clitus et Parmenio blâment les changements survenus depuis que le roi s’adonne aux délicatesses. Alexander soupçonne Apelles d’aimer Campaspe. Sur son ordre, son page fait croire à l’artiste que son atelier brûle ; l’émoi d’Apelles prouve son amour pour Campaspe. Alexander veut marier le peintre et Campaspe et s’apprête à partir pour la Perse. Prétendre conquérir le monde aurait été honteux s’il n’avait pas su se dominer lui-même.



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-édition utilisée : John Lyly, Campaspe, éd. G. K. Hunter, Manchester et New York, 1991.

Clyomon and Clamydes, anonyme, 1599 -composée dans les années 1570-1580 ; jouée par la troupe de la reine, Queen Elizabeth’s Men -comédie héroïque -Alexander the Great, King of Denmarke, Clyomon (son to the King of Denmarke), King of Suavia, Clamydes (son to the King of Suavia), Thrassellus (King of Norway), Mustantius (brother to Patranius, King of the Strange Marshes), Bryan sance foy, Subtill Shift (Vice), Corin (shepherd), Providence, Rumor, Queen of Denmarke, Juliana (daughter to the King of Denmarke), Queen of the Strange Marshes, Neronis (daughter to Patranius, King of the Strange Marshes), en Souabe, à la cour du roi Alexandre, dans la forêt de Strange Marshes, en Norvège, sur l’Isle de Strange Marshes -Clamydes est chargé par sa bien-aimée Juliana de tuer le serpent volant. Clyomon se substitue à Clamydes lors de l’adoubement de ce dernier. Outragé, Clamydes poursuit le perturbateur ; Clyomon lui propose de se retrouver pour le combat à la cour d’Alexander. Entre temps, la tête du serpent volant tué par Clamydes lui est dérobée par Bryan sance foy qui plonge le chevalier dans un sommeil enchanté. Pour sa part, Clyomon fait naufrage sur l’Île de Strange Marshes ; ainsi, les deux chevaliers manquent leur rendez-vous à la cour d’Alexander. Clyomon tombe amoureux de Neronis ; celle-ci, enlevée par le roi de Norvège, parvient à s’échapper en se déguisant en garçon et devient l’écuyer de Clyomon. Clyomon et Clamydes se retrouvent à la cour de Strange Marshes où la reine veuve et Mustantius se disputent le trône en présence d’Alexander qui décide de recourir au combat judiciaire, Clamydes étant le champion de Mustantius et Clyomon, arrivé tardivement, celui de la reine. La dispute est réglée de façon paisible par Alexander ; le combat est empêché, les deux chevaliers se réconcilient et deux mariages sont préparés (Clyomon et Neronis, Clamydes et Juliana). -23 scènes -édition utilisée : Clyomon and Clamydes, éd. B. Littleton, La Haye, 1968 -L’œuvre s’inspire d’un roman français du xve siècle, le Perceforest.

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The Tragedy of Darius, William Alexander, 1603 -pièce non jouée -tragédie -Darius, Sisigambis, his mother, Statira, his wife, Statira, his daughter, Tiriotes, their eunuch, Nabarzanes, Bessus, two traitors, Patron, captain of the mercenary Greeks, Nuntius, Alexander, Parmenio, his lieutenant, Hephestion, his minion, Polystratus, a soldier, Artabazus, a nobleman of Persia, Chorus, all Persians, à Babylone -Darius, mélancolique, évoque sa chute et les caprices de la Fortune. Parmenio presse Alexander d’accepter la rançon offerte par Darius en échange de sa mère, de sa femme et de ses filles qu’il tient captives, mais il refuse cet échange mercantile. Sisigambis, la reine Statira et la jeune Statira, sa fille, se désolent toutes trois ; elles reçoivent la visite d’Alexander et d’Héphestion, que Sisigambis, mère de Darius, prend un moment pour le roi. Alexander l’appelle « mère » et sa générosité séduit Sisigambis. Bessus et Nabarzanes complotent contre Darius qu’ils envisagent de tuer ou de livrer à Alexander ; Bessus convoite son trône. Darius apprend par Tiriotes la mort de sa femme, mais est impressionné quand il apprend qu’Alexander l’a traitée de façon honorable. Nabarzanes incite Darius à céder temporairement le trône à Bessus. Le roi perse, offensé, pardonne cependant aux deux traîtres, et refuse la protection offerte par Patron qui le met en garde contre eux. Darius médite sur la chute des rois et sur l’imminence de sa mort. Tandis qu’Alexander voudrait s’emparer de Darius, Polystratus vient lui conter la mort du roi perse, abandonné sur un chariot ; ses derniers mots ont été pour demander à Alexander de le venger et de rendre sa dépouille à sa mère. Alexander annonce qu’il fera démembrer les traîtres. Sisigambis pleure son fils. -5 actes -édition utilisée : The Poetical Works of William Alexander, Earl of Stirling, Now First Collected and Edited with Memoirs and Notes in Three Volumes by Charles Rogers, t. 2, Glasgow, 1872, p. 1-86, disponible sur le site archive.org : http://archive.org/details/poeticalworksofs02stir

The Tragical History of Doctor Faustus, Christopher Marlowe, 1604 -1592 - [tragédie]



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-The Pope, Cardinal of Lorrain, The Emperor of Germany, Duke of Vanholt, Faustus, Valdes, Cornelius, friends to Faustus, Wagner, servant to Faustus, Clown, Robin, Ralph, Vintner, horse-courser, a Knight, an old Man, Scholars, Friars, and Attendants, Duchess of Vanholt, Lucifer, Belzebub, Mephistophilis, Good Angel, Evil Angel, The seven deadly Sins, Devils, Spirits in the shapes of Alexander The Great, of his Paramour and of Helen, Chorus -Ayant exploré toutes les formes du savoir, Faustus se tourne vers les sciences occultes. Ses amis Valdes et Cornelius l’initient à la magie qui peut être source de puissance. Il fait apparaître Mephistophilis, et par un pacte signé de son sang donne son âme à Lucifer, en échange des services de Mephistophilis durant vingt-quatre ans. Entre autres épisodes, Faustus voyage. L’empereur Charles l’invite et lui demande de faire apparaître Alexander et sa maîtresse. Faust consent à faire venir les formes des personnages concernés, ce qui impressionne l’empereur. La pièce s’achève par la damnation du savant. -5 actes -édition utilisée : From the Quarto of 1604, edited by the Rev. Alexander Dice, disponible sur le site du Project Gutenberg : https ://www.gutenberg.org/ files/779/779-h/779-h.htm

The Tragedy of Philotas, Samuel Daniel, 1607 -pièce jouée fin 1604 ou le 3 janvier 1605, par the Children of the Queen’s Revels. La pièce a été perçue comme une transposition contemporaine de la chute du Comte d’Essex, favori de la Reine Elisabeth. -tragédie -Philotas, Chalisthenes, a Messenger, Ceballinus, Antigona, Thais, Alexander, Ephestion, Craterus, Servus, Metron, Perdiceas, [a Guard], Clitus, Attaras, Sostratus, Nichomachus, Caenus, Belon, Polidamas, Nuncius -5 actes -Chalisthenes avertit Philotas, fils de Parmenio, qu’Alexander a élevé à un très haut rang, de la chute qui le menace. Ceballinus, ayant eu vent d’un complot contre le roi dirigé par Dymnus, prie Philotas d’en avertir Alexander. Antigona, la concubine perse de Philotas, confie à Thais les rêves de grandeur de son amant ; jalouse, Thais va révéler ces propos à Craterus. Alexander confie à ses proches que Philotas devient orgueilleux ; Craterus le juge rebelle. De son côté, Philotas constate que l’attitude du roi a changé. Craterus questionne Antigona après les révélations de Thais. Ceballinus révèle lui-même le complot à Alexander. Dymnus est mort. Le roi reproche à Philotas de ne pas l’avoir

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averti du complot ; celui-ci dit ne pas avoir cru à une conjuration où auraient trempé de loyaux serviteurs du roi ; Alexander lui pardonne. Mais Craterus et Perdicas suggèrent que Philotas est impliqué dans le complot. Craterus demande qu’il soit torturé. Attaras décrit à Sostratus l’arrestation nocturne de Philotas. Celui-ci a beau se dire innocent devant le roi et sa cour, Cratère lui rappelle son orgueil et les propos tenus à sa maîtresse. Le procès est joué à l’avance. Les chœurs perse et grec évoquent le pouvoir des rois. Polidamas a tué Parmenio sur ordre. Nuncius décrit les tortures subies par Philotas et son complice présumé Demetrius. Philotas, d’abord ferme, a « avoué » avant sa mort. -édition utilisée : The Tragedy of Philotas, Londres, 1717, dans The Poetical Works of Mr.  Samuel Daniel, Author of the English History, t.  1, Londres, 1718 p. 307-384 ; texte numérisé par google books : https ://books.google.fr/ books ?id=P-00AAAAMAAJ&pg=PA382&lpg=PA382&dq=tragedy+of +philotas+samuel+daniel&source=bl&ots=7B4NrNjW_J&sig=UHTD a1dHGb5w3FIRaKdtGIPlPqk&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwj7pPCwuYj QAhXJD8AKHaf1C7EQ6AEIMjAC#v=onepage&q=tragedy%20of%20 philotas%20samuel%20daniel&f=false

The Amazon Queen, or, the Amours of Thalestris to Alexander the Great, John Weston, 1667 -tragi-comedy -Alexander the Great, Ephestion, his friend ; Ptolomy, Perdiccas, Leonatus, Eumenes, commanders of Alexander the Great ; Tyreus, the eunuch ; Statira, Darius his daughter (sic), Thalestris, Queen of Amazons, Roxanna, first wife of Alexander, Cleona, Statira’s woman, Hesione, Roxanna’s woman ; Hippolita, Amalthea, two Amazons, sur les rives du Thermodon, à la frontière du pays des Amazones -5 actes -Alexander est attiré par trois femmes : la sévère Statira, qui le refuse en raison de la défaite infligée à son père, la coquette Roxanna, qui tout en jouant la pudeur fait des avances à la plupart des capitaines du jeune roi, et Thalestris, la reine des Amazones, qui s’offre à lui dans le but d’avoir un enfant tout en restant fidèle à ses valeurs de liberté. Lassé des refus de Statira et du caractère indomptable de Thalestris, Alexander épouse Roxanna. Thalestris, jalouse de Roxanna, sollicite aussi Statira, pour obliger Alexander à la sincérité. Sous le déguisement de la déesse Diane, elle apparaît à la fille de Darius et l’incite à



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aimer Alexander. Statira finit par s’avouer ses sentiments pour le roi. Surprise en train d’embrasser Leonatus, Roxanna est enfermée sur l’ordre du roi. Alexander se tourne vers Statira. Les Amazones Hippolita et Amalthea se jettent au cou d’Eumenes, Thalestris fait des avances audacieuses au demifrère d’Alexander, Ptolomy, qu’elle viole presque… Mais elle ne peut séduire Alexander, qui aime Statira. Enfin le roi vainc les réticences de Statira et parvient à la persuader de l’épouser, en recourant d’ailleurs à la ruse. L’eunuque Tyreus apporte un faux oracle, en fait calqué sur celui que Statira a reçu de la prétendue Diane, et que Cleona a transmis au roi. Alexander épouse Statira, Ephestion obtient sa sœur et Cleona épouse Eumenes. -édition utilisée : The Amazon Queen, or, the Amours of Thalestris to Alexander the Great, Roger l’Estrange, London, 1667 ; texte numérisé sur le site de la British Library : http://access.bl.uk/item/viewer/ark :/81055/ vdc_00000002E7B8# ?#loaded&c

The Rival Queens, or, The Death of Alexander the Great, Nathaniel Lee, 1677 -première représentation à Londres, au Theatre-Royal, en 1690 -tragédie -Alexander the Great ; Clytus, master of his horse, Lysimachus, prince of the blood, Hephestion, Alexander’s favourite, Cassander, son of Antipater, Polypercon, commander of the Phalanx, Philip, brother to Cassander, Thessalus, the Media : conspirators ; Perdiccas, great Commanders ; Eumenes, Meleager ; Aristander, a southsayer, Sysigambis, mother of the Royal Family, Statira, daughter of Darius married to Alexander, Roxana, daughter of Cohortanus, first wife of Alexander, Parisatis, Sister to Statira, in love with Lysimachus ; Attendants, Slaves, Ghost[s], Dancers, Guards, à Babybone -Clytus sépare Hephestion et Lysimachus, tous deux épris de Parisatis, Cassander est chef d’une conspiration contre Alexander. Les conjurés voient le fantôme du roi Philip, père d’Alexander. Cassander aime Roxana, qui a de nouveau séduit son époux ; Statira, jalouse, fait vœu de plus voir Alexander. Les conjurés commentent d’étranges prodiges. Alexander est accueilli par Clytus, Hephestion, Lysimachus et Aristander qui tente de l’avertir des risques de mort. Attristé du vœu de Statira, le roi ordonne que Lysimachus qui a agressé Hephestion, soit arrêté et jeté au lion. Les deux reines Roxana et Statira s­’accablent d’une ironie féroce. Statira rompt son vœu et pardonne à Alexander. Un banquet a lieu. Alexander, supplié par Parisatis,

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gracie Lysimachus. Statira se retire. Les conjurés incitent Roxana à prendre leur tête. Elle refuse, mais décide d’aller, avec des esclaves, tuer Statira dans sa chambre. Cassander veut agir : son frère tendra une coupe empoisonnée à Alexander. Clytus, qui refuse de vénérer le roi comme un dieu, provoque la colère d’Alexander. Celui-ci le tue, et s’en repent. On lui dit que Roxana menace Statira. Celle-ci, avertie en songe par ses parents, est ensuite poignardée par Roxana et meurt dans les bras de son époux, le priant d’épargner sa rivale. Le roi, qui sent les effets du poison, apprend les morts de Sysigambis et d’Hephestion et meurt, entre Perdiccas et Lysimachus. -5 actes -édition utilisée : The Rival Queens, or, The Death of Alexander the Great, London, Printed by James Magnes and Richard Bentley, 1677 ; disponible sur le site Early English Books : http://name.umdl.umich.edu/A49935.0001.001 -texte inspiré du roman Cassandre de La Calprenède

The Rival Kings, or, The Loves of Oroondates and Statira, John Banks, 1677 -première représentation au Theatre-Royal à Londres  -tragédie -Alexander the Great ; Ephestion, a youth extremely belov’d by him ; Lysimachus, Cassander, Phillip, great captains ; Oroondates, king of Scythia, Araxis, his confident ; Bagistanes, a Persian left governor to Babylon by Alexander ; Statira, Parisatis, Darius daughters ; Melanthe, woman to Statira ; Women and Attendants, Ambassadours, Priests, Guards, Captains, à Babylone -5 actes -Cassander et Lysimachus saluent les conquêtes d’Alexander, mais déplorent les actes violents du roi. Cassander est révolté en apprenant le meurtre de Parmenio. Lysimachus aime Parisatis, que le roi a promise à Ephestion. Alexander lui-même veut épouser Statira. Mais celle-ci, éprise d’Oroondates dont elle reçoit secrètement les visites, déclare qu’elle ne peut épouser le vainqueur de son père. Tandis que la rivalité entre Lysimachus et Ephestion s’exacerbe, Oroondates, rendant visite à Statira, se fait surprendre par Alexander et révèle fièrement qui il est. Alexander le remet à la garde de Cassander. Celui-ci tente en vain d’associer Oroondates au complot contre Alexander. Cassander et Phillip se préparent à empoisonner le roi. Celui-ci convoque sa cour autour d’un « sacrifice » : Statira craint pour la vie d’Oroondates, que le roi cependant épargne et auquel il rend son empire. Mais le roi, qui veut toujours que les



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mariages projetés aient lieu, boit une coupe tendue par Cassander. Aussitôt, la statue de Jupiter s’effondre parmi les éclairs, tuant les prêtres. Alexander agonise, rejoint par Ephestion, que Lysimachus a blessé : Statira est bouleversée. Le roi pardonne à Lysimachus, mais tue Cassander ; il souhaite que Statira épouse Oroondates. Alexander et Ephestion meurent. Oroondates devient l’allié de Lysimachus. -édition utilisée : The Rival Kings, or, The Loves of Oroondates and Statira, London, Printed for L.C., 1677 ; disponible sur le site Early English Books : http://name.umdl.umich.edu/A30845.0001.001 -C’est une imitation de la pièce de Nathaniel Lee, The Rival Queens, or, The Death of Alexander the Great, voir la notice ci-dessus. La source invoquée par l’auteur est « the Author of the famous Cassandra », c’est-à-dire La Calprenède.

Darius, King of Persia, John Crown, 1688 -tragédie -Darius, king of Persia, Artabasus, a nobleman of great quality, loyalty, years, General of all the king’Armies, Bessus, viceroy of Bactria, Nazarbanes, viceroy of Hircania, Memnon, a beautiful valiant loyal young man, son of Bessus – by an Amazon Queen, Patron, a valiant faithful Greek, general of the Greek auxiliaries, that serve in the Persian army, Dataphernes, a Bactrian officer that serves under Bessus, Barzana, a beautiful princess o’the royal blood, married to Bessus, Oronte, her confident, [Tyriotes, Eunuch], [Polystratus, a Macedonian], sur les plaines d’Arbèles et dans la cité, en Perse -5 actes -La pièce montre les malheurs et la vertu de Darius, la traîtrise de Bessus et sa jalousie en tant qu’époux. L’armée du roi, près d’Arbèles, espère la victoire. Mais Bessus et Nazarbanes complotent contre Darius. Celui-ci est affecté lorsque l’eunuque Tyriotes lui apprend la mort de son épouse, captive d’Alexander. Des informations confuses proviennent du combat. Darius a fui, grâce à Patron. Bessus est jaloux de sa jeune femme Barzana. Darius, qui souffre moralement, s’indigne quand Nazarbanes lui conseille de céder temporairement sa couronne à Bessus. Il pardonne cependant à Bessus et Nazarbanes en leur rappelant son statut sacré. La jalousie de Bessus envers Barzana se précise, il la croit amoureuse de son fils. Celui-ci reproche à son père sa trahison envers Darius et souhaite être exilé avec « la femme qu’il aime » – il ignore qui elle est. Bessus feint d’y consentir. Darius, de plus en plus isolé, est arrêté

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par Bessus et Nazarbanes. Barzana dénonce au fils de Bessus la perversité de son père mais refuse de fuir avec le jeune homme. Il la revoit ; elle lui dit enfin qui elle est. Bessus les surprend et tue son fils. Barzana se suicide. Bessus et Nazarbanes frappent Darius et le laissent pour mort. Ils tombent aux mains d’Artabasus et de Patron. Polystratus recueille les dernières paroles de Darius. Les traîtres sont châtiés devant l’ombre du défunt roi. -source évoquée par l’auteur : Quinte-Curce -édition utilisée : Darius, King of Persia, London, Printed for R. Bentley, 1688 ; disponible sur le site Early English Books : http://name.umdl.umich.edu/ A35279.0001.001 http://opera.stanford.edu/iu/libretti/alfeast.htm

Alexander the Great, anonyme, 1701 -représenté en février 1701, au Drury Lane Theatre, à Londres -English opera ou tragic semi-opera L’English opera, nommé souvent semi-opera, très en vogue sous la Restauration anglaise, associait des scènes théâtrales et des épisodes chantés. -d’après la pièce de Nathaniel Lee The Rival Queens (voir plus haut) -musique de Godfrey Finger and Daniel Purcell -Le texte n’a pas été publié.

The Rival Queans. With the Humours of Alexander the Great, ­Colley Cibber, 1729 -pièce jouée au théâtre du Haymarket en juin 1710 -comical tragedy, in verse -Alexander the Great, Clytus, Lysimachus, Hephestion, Cassander, Polypercon, [Philip, Thessalus], Perdiccas, [Eumenes], Melagar, Aristander, Sysigambis, Roxana, Statira, Parisatis ; Attendants, Dancers, Slaves, [Ghosts], Guards, à Londres (aux références londoniennes se mêlent cependant des références à Babylone et à l’histoire d’Alexandre). -Cette parodie burlesque reprend la trame de The Rival Queens, or, The Death of Alexander the Great, de Nathaniel Lee, en la transposant dans des milieux marqués par la luxure et l’alcool. Clytus sépare Hephestion et Lysimachus, qui se boxent, en leur rappelant que leur maître peut faire rôtir le monde. Cassander conspire contre Alexander qui l’a battu. Statira, jalouse de Roxana,



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demande du brandy et fait vœu de plus voir Alexander, qu’elle accuse de puer plus que les boutiques de Covent Garden. Aristander tente en vain d’avertir Alexander des risques de mort. Attristé du vœu de Statira, celui-ci ordonne que Lysimachus, agresseur d’Hephestion, soit arrêté. Roxana tente d’humilier Statira qu’elle traite de « truie ». Celle-ci, furieuse, rompt son vœu et pardonne à Alexander. Un banquet a lieu. Alexander gracie Lysimachus qui a perdu ses cheveux sous la torture et lui offre une perruque. Statira se retire dans sa mansarde. Roxana, sollicitée par les conjurés, décide d’aller, avec des servantes, tuer sa rivale. Cassander ordonne à son frère de tendre une coupe empoisonnée à Alexander. Clytus, qui refuse de porter une perruque poudrée, se targue de sa franchise, et traite Alexander qui se dit fils de Jupiter, de voleur et de fils de pute. Celui-ci le tue avec un balai, puis s’en repent. On lui apprend que Roxana menace Statira. Puis Statira est poignardée par Roxana et meurt dans les bras d’Alexander, le priant de boire autant qu’elle. Alexander apprend les morts de Sysigambis et d’Hephestion, ressent les effets du poison et meurt, dans une phase de délire érotico-guerrier. Lysimachus souhaite que soit vengé « le plus grand des débauchés ». -édition consultée : The Rival Queans. With the Humours of Alexander the Great. A Comical Tragedy, Dublin, Thomas Benson, 1729 ; disponible sur le site Eighteenth Century Collections Online. Il existe une édition récente de cette pièce : The Plays of Colley Cibber. 1, éd. T. J. Viator et W. J. Burling, Madison, 2001.

Alexander’s Feast, Newburgh Hamilton, musique de Georg Friedrich Haendel, 1736 -créée au théâtre de Covent Garden à Londres, le 19 février 1736 -ode en musique -Le livret de Newburgh Hamilton est une adaptation de l’ode de John Dryden, Alexander’s Feast, or, The Power of Music : An Ode in Honour of St Cecila’s Day, 1697 (http://spenserians.cath.vt.edu/TextRecord.php ?textsid=37385). -Cette ode évoque un banquet à Persépolis au cours duquel Alexander célèbre avec les Grecs sa victoire sur Darius. Thais siège à ses côtés. Les émotions d’Alexander varient selon la musique et les chants de son aède Timotheus. Celui-ci fait l’éloge du roi, qu’il élève à la divinité. Il chante Bacchus, puis voyant qu’Alexander s’exalte, il plaint les malheurs de Darius. Alexander se calme. Il célèbre la beauté de Thais, puis incite à la colère et à la vengeance : Alexander et Thais brûlent alors le palais perse où ils se trouvent. Cette ode

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s’achève sur une strophe à la gloire de sainte Cécile qui, ayant inventé l’orgue et créé la musique sacrée, a su amener sur terre une musique digne des anges. -Le livret de Newburgh Hamilton est disponible à l’adresse suivante : http:// www.naxos.com/sharedfiles/PDF/8.572224_sungtext.pdf

The Court of Alexander, G. A. Stevens, 1770 -opéra (burlesque) -Alexander the Great, Clytus, Porus, Lysimachus, Jupiter, Mercury, Thais, Roxana, Parisatis Betty, Chorus, à Bucephalon, ville imaginaire érigée par Alexander en l’honneur de son cheval -2 actes -L’argument situe l’action aux Indes, où Alexander, très adonné au vin, retient prisonnier le roi Porus qu’il traite comme son hôte. Au lever de rideau du premier acte, la cour d’Alexander sommeille parmi les bouteilles et les verres ; les gardes finissent par se lever, mais Alexander tarde à le faire. Il demande du café. Clytus chante la bouteille comme summum bonum, Alexander prie Thais de chanter en citant l’exemple des animaux (reptiles, cochons d’Inde, grenouilles, chats et coqs) instruits par Orphée. Une procession est organisée avec des trophées de boissons. Alexander, pris entre Thais et Roxane, titube, tandis que chacune le tire à elle. Au second acte, Parisatis, fiancée à Lysimachus, confie ses peines de cœur à sa soubrette ; elle s’apprête à boire son thé ; survient Lysimachus, qui, dans un élan amoureux, renverse la table et brise le service en porcelaine de Babylone, pour le plus grand regret de la dame. Survient Porus, également épris de Parisatis ; il veut boxer Lysimachus. Alexander les sépare. Clytus déplore l’addiction d’Alexander à la boisson ; Alexander le transperce d’une javeline, se lamente. Jupiter descend de son char et ressuscite Clytus. Pris pour arbitre dans le différend d’amour entre Lysimachus et Porus, le roi des dieux ordonne que le sort de Parisatis soit joué aux dés. On ignore le résultat de la partie. -sources indiquées : Plutarque, Justin, Arrien, Diodore -édition utilisée : The Court of Alexander : An Opera, in two Acts. As it is Performed at the Theatre Royal in Covent-Garden, London, T. Waller, 1770 ; disponible sur le site Eighteenth Century Collections Online : http://name. umdl.umich.edu/004842015.0001.000



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Alexander the Great, or, the Conquest of Persia, James Harvey ­d’Egville (chorégraphe et auteur du livret), 1795 -créé le 12 février 1795 au Drury Lane Theatre, à Londres -grand heroic pantomime -« Dans ce ballet étaient montrés les principaux incidents de la progression d’Alexander en Perse ; ses difficultés à surmonter les appréhensions et la répugnance de son armée ; son alliance avec la célèbre Amazone ; la furieuse impétuosité de son courage lors de la prise d’assaut de Gaza ; la bataille d’Arbèles ; le traitement donné à Darius et à sa famille, son entrée à Babylone et son mariage avec Statira. » (Biographia Dramatica, or, a Companion to the Playhouse, Containing Historical and Critical Memoirs, and Original Anecdotes of British and Irish Writers, David Erskine Baker et Issac Reed, continué par Stephen Jones, t. 2, 1812, p. 14; nous traduisons.) -musique de Krazinsky Miller -Nous n’avons pu consulter l’ouvrage Alexander the Great, or, the Conquest of Persia, Composed by J. d’Egville, Music by Krazinsky London, C. Lawndes, 1795. Mentionnons enfin trois pièces ultérieures, auxquelles nous n’avons pas pu avoir accès :

Alexander the Great ! In Little. A Grand Tragi-comic Operatic Burlesque Spectacle, Thomas Dibdin, 1837 Alexander the Great, a New Play in Three Acts and in Verse, Pearce Paulin Huggett, 1872 Alexander the Great. A Dramatic Poem, Thomas De Verre Aubrey, 1874 Catherine Dumas Université de Lille

Œuvres espagnoles (xviie siècle) Les notices suivent le même ordre que dans le répertoire français1.

Las grandezas de Alejandro, Lope de Vega, 1604-1608 -tragicomedia -Atalo, Pausanias, Darío, rey de Persia, Rey Filipo, Alejandro, Leónides, Menón, Efestión, Olimpias, madre de Alejandro, Ariobarzano, persa, Rojane, amazona, Tirreno, Tamira, Lisandra, Arsaces, Filipo, médico, Lirano, villanos (paysans), Tepolemo, húesped, El duque Hircano, Dos mujeres de Jerusalén, Rey de Epiro, Campaspe, dama, Lisímaco, Apeles, Vitelo, villano (paysan), Aminta, dama, Diógenes, filósofo, [Demofón, poeta], Severino, soldado, Tebandro, embajador, Deyanira, Polidora, Dolomino, hortelano (jardinier), El sacerdote (prêtre) Jado, un ángel, Correo, Teleo, dans des lieux divers non précisés, rattachés à différents moments de la vie d’Alejandro -3 journées -La pièce montre divers épisodes réels ou supposés de la vie d’Alejandro. L’assassinat de Filipo est encouragé par Olimpias, mère d’Alejandro, une fois qu’elle a dit au jeune homme qu’il est fils de Jupiter. Alejandro, devenu roi, cède sa maîtresse Campaspe à Apeles, chargé de faire son portrait. Alejandro rencontre Diógenes et l’apprécie. Malgré l’arrogance de Darío, Alejandro vainc aisément les Perses. Il prend le bouclier de Minerve. Rojane, reine des Amazones, a reçu son portrait. Faute d’un Homère pour conter ses exploits, Alejandro protège Demofón. Darío, prévenu par une lettre d’Alejandro des projets parricides de son fils Ariobarzano, tue celui-ci. Vainqueur de Menón, Alejandro tranche le nœud gordien. Rojane et Alejandro s’aiment. Le roi, malade et prévenu de risques d’empoisonnement, boit pourtant la potion préparée par son médecin et guérit ; il comble ses proches de cadeaux. L’ambassadeur perse lui ayant transmis des présents ridicules, il reprend la guerre ; Rojane combat à ses côtés. Darío s’enfuit. Alejandro demande que la famille de Darío, captive, soit bien traitée. Il nomme roi le vertueux jardinier 1.

Toutes les notices ont été réalisées par Catherine Dumas.

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Dolomino, malgré sa modestie. Il veut punir Jérusalem, restée fidèle à Darío ; mais sur le conseil d’un prêtre, les habitants lui font bon accueil. Alejandro se dit alors prêt à adorer le dieu des juifs. La ville passe sous la domination grecque. -édition utilisée : Obras de Lope de Vega, t. 14, Comedias mitólogicas y comedias históricas de asunto extranjero, Madrid, 1966, p. 333-390 ; disponible sur le site de la Biblioteca Virtual Miguel de Cervantes : http://www.cervantesvirtual. com/nd/ark :/59851/bmcpr7s8

La mayor hazaña de Alejandro Magno, (Lope Félix de Vega ?), 1614-1618 ? -comedia (au sens de « pièce » en général) -Alejandro Magno, Efestión, almirante (amiral), Parmenión, condestable (connétable), Clito, camarero (chambellan), Campaspe, dama, Pirene, criada (suivante) de Campaspe, Epaminondas, tebano, Timoclea, tebana, Darío, rey de Persia, Epitridates, su jersey, [Felicia, reina de Persia], Hércules, tebano, 2 embajadores (ambassadeurs) de Grecia, Apeles, pintor (peintre), Bufo, lacayo (laquais bouffon) -3 journées -Alejandro apprend la révolte de Thèbes. À la chasse, il rencontre Campaspe, une jeune femme belle et pauvre. Ils s’éprennent l’un de l’autre. On annonce la guerre. Hércules apparaît à Alejandro et lui prêche la vaillance plutôt que l’amour. Le roi part en confiant Campaspe à Apeles. Elle rejette les déclarations du peintre. Après avoir tué Epaminondas, Alejandro honore Timoclea, qui a jeté dans un puits le capitaine qui voulait la violer. Campaspe aime Alejandro ; consciente de sa naissance trop humble, elle permet aussi à Apeles d’espérer. La reine Felicia s’éprend d’Alejandro en voyant son portrait entre les mains de son époux Darío. Alejandro part combattre les Perses et dit adieu à Campaspe. Apeles s’interroge sur ses chances d’être aimé. Sans se servir d’un renseignement donné par Felicia, Alejandro est vainqueur, Darío est fait prisonnier, Felicia se livre volontairement. Alejandro commande à Apeles de faire le portrait de Campaspe. Felicia lui déclare son amour, lui demandant d’exécuter Darío. Alejandro refuse. Pour se venger, elle l’invite à écouter Apeles qui parle d’amour à Campaspe. Apeles montre des signes d’égarement ; Alejandro cherche à se vaincre lui-même. Campaspe lui reproche de vouloir la marier au peintre ; Apeles confesse son amour et sa jalousie. Alejandro libère Darío et ordonne le mariage d’Apeles et de Campaspe.



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-édition utilisée : édition électronique de D. Hildner d’après Lope de Vega Carpio, Obras dramáticas, Madrid, 1916, t. 2 ; disponible à l’adresse : www. comedias.org/lope/MAYHAZ.pdf

Darlo todo y no dar nada, Pedro Calderón de la Barca, 1657 -représentée au Real Coliseo del Buen Retiro, en décembre 1651 -comedia (au sens de « pièce » en général) -Alejandro, Diógenes, Efestión, Apeles, Zeuxis, Timantes (peintres), un sacerdote (prêtre) de Júpiter, Estatira, infanta (princesse), Siroes, su hermana (sa sœur), Nise, dama, Campaspe, dama, Clori, dama, Chichón, gracioso (personnage bouffon), soldados y músicos, damas y gente, aux environs d’Athènes -3 journées -La foule acclame Alejandro, vainqueur des Perses ; Diógenes, resté à l’écart, le critique et blâme Chichón qui admire le roi. Ayant tranché le nœud gordien, Alejandro convoque trois peintres qui ont fait son portrait et récompense Apeles. Celui-ci est blessé et laissé pour mort en défendant Campaspe, une jeune fille des montagnes, poursuivie par les soldats du roi : Campaspe explique qu’elle a tué un capitaine qui voulait la violer. Alejandro lui pardonne ; Campaspe va vivre chez les filles de Darío. Alejandro vient voir Diógenes, tous deux se disent « maîtres du monde ». Campaspe sauve le roi, tombé de cheval devant un fauve lors d’une chasse. Apeles, une fois rétabli, retrouve Campaspe ; tous deux se disent leur amour. Sur l’ordre d’Alejandro, Apeles fait le portrait de Campaspe et révèle à la jeune femme l’amour que le roi éprouve pour elle. Partagé entre amour et loyauté, Apeles est frappé de crises de folie. Des soldats emmènent Campaspe vers la tente du roi. Alejandro tente de violer Campaspe, qui essaie de se tuer avec l’épée du roi. Quand Diógenes révèle qu’Apeles aime Campaspe, Alejandro veut tuer le vieillard qui objecte qu’un roi esclave de ses passions n’est pas « maître du monde ». Alejandro donne alors Campaspe à Apeles. Craignant un piège, elle refuse d’être cédée ainsi. Le roi insiste. Lui-même épouse Statira, fille de Darío, et reprend ses conquêtes. Diógenes retourne à son tonneau. -édition utilisée : Darlo todo y no dar nada, dans Don  P.  Calderón de la Barca, Obras completas, 1, Dramas, éd. Á. Valbuena Briones, Madrid, 1959, p. 1223-1270. La pièce figurait dans le recueil Comedias nuevas escogidas de los mejores ingenios de España, parte 8, Madrid, 1657, p. 1-30.

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El maestro de Alexandro, Fernando de Zárate, [16662] [attribuée à Fernando de Zárate, peut-être le pseudonyme d’Antonio Enríquez Gómez (1600-1663), fils d’un juif convers portugais] -comedia (au sens de « pièce » en général) -Alexandro, Aristotelesles, el Infante Camillo, Tabaco, gracioso (valet comique), el Mariscal, el Rey, Octavia, Elena, una Dama, Julia, Princesa, Lidoro, un alcaide (un geôlier), músicos ; le lieu de l’action n’est pas précisé. -3 journées -Cette intrigue amoureuse divertissante met en scène Alexandro, son père, le roi Filippo, et son maître Aristoteles. Les autres personnages sont fictifs. Le jeune Alexandro aime la duchesse Octavia et en est aimé, mais son père exige qu’il épouse Julia, princesse d’Égypte. Aristoteles incite Alexandro à vaincre sa passion. De son côté, Octavia subit les persécutions du roi, qui souhaite la marier à l’infant Camillo. Une ruse des amants retarde les deux mariages prévus par le roi, puis Alexandro dit à Julia qu’il ne peut l’aimer, et Octavia fait de même avec Camillo. Cependant, le roi envoie son fils combattre les Perses et fait emprisonner Octavia. Quand Alexandro revient, vainqueur, Aristoteles, sur ordre du roi Filippo, lui fait croire qu’Octavia est morte par accident. Alejandro suppose que son père a commandé de la tuer sur le conseil d’Aristoteles et jure de se venger. Mais Octavia, accompagnée de son geôlier, vient lui montrer qu’elle est vivante. Alexandro fait mine de vouloir punir Aristoteles. Celui-ci proteste de sa loyauté et veut aider son disciple à épouser Octavia : il a recours à une mise en scène. Alors que tout semble prêt pour les noces d’Alexandro et de Julia, Octavia descend d’un nuage parmi les assistants médusés et prétend que son mariage avec Alejandro a été décrété par les dieux. Le roi finit par y consentir : Alexandro épouse Octavia, et Camillo, Julia. -édition utilisée : Parte veinte y quatro de Comedias nueuas y escogidas de los mejores ingenios de España, Madrid, Mateo Fernández de Espinosa Arteaga, 1666, fol. 175 v-196 v ; disponible sur le site de la Biblioteca Virtual Miguel de Cervantes : http://www.cervantesvirtual.com/nd/ark :/59851/ bmc9g659

2.

Nous remercions Hélène Tropé pour les informations qu’elle nous a fournies sur ce texte.



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Darlo todo y no dar nada, Pedro Lanini Sagredo, 1671 -comedia burlesca -Alejandro, Efestión, Diógenes, Apeles, soldados, Campaspe, Estatira, Chichón, un sacerdote, músicos, acompañamiento, dans un lieu indéterminé (différentes références géographiques et des anachronismes jalonnent le texte) -La pièce est une transposition burlesque, et riche en jeux de mots, de la pièce de Calderón du même titre (voir ci-dessus). La foule acclame Alejandro, le roi ignorant ; Diógenes, sale et vêtu de façon ridicule, rencontre Chichón et critique le roi. Ayant tranché le nœud gordien, Alejandro nomme Apeles son peintre officiel. Celui-ci souhaite que le roi vive aussi longtemps qu’un cerf cornu. Apeles est ensuite blessé et laissé pour mort en défendant Campaspe, une jeune fille des montagnes, poursuivie par les soldats du roi, mais il se relève et s’en va. Campaspe explique au roi qu’elle a tué un capitaine qui voulait lui voler des poules et lui faire la cour. Alejandro lui pardonne et tombe amoureux d’elle ; Statira, témoin de la scène, est jalouse. Alejandro vient voir Diógenes, qui se prétend plus riche que lui. Campaspe sauve le roi, tombé de cheval lors d’une chasse. Apeles retrouve Campaspe endormie et ronflant. Il la réveille et tous deux se disent leur amour. Alejandro charge Apeles de faire le portrait de Campaspe, qui est en train de s’épouiller. Le peintre lui révèle l’amour du roi pour elle dans un échange burlesque. Apeles est frappé de crises de folie. Alejandro souhaite que Diógenes le guérisse. Le philosophe reconnaît des signes d’amour. La jalousie du peintre augmente quand il voit Campaspe avec Alejandro. Celui-ci fait arrêter la jeune femme et l’assaille de déclarations. Mais Diógenes révèle qu’Apeles aime Campaspe. Alejandro, d’abord violent, consent finalement à donner Campaspe à Apeles. Craignant un piège, elle prétend ne pas vouloir se marier, mais Apeles insiste. Alejandro épouse Statira. -3 journées -édition utilisée : Darlo todo y no dar nada, dans Comedias burlescas del siglo de oro, éd. I. Arellano, t. 5, Madrid et Francfort-sur-le-Main, 2004, p. 235-389. La pièce figurait dans le recueil Comedias escritas por los mejores ingenios de España, parte 36, Madrid, 1671, fol. 441-473.

Duelos de amor y lealtad, Calderón, 1680 (?) -comedia (au sens de « pièce » en général) -Alejandro, rey ; Toante, galán ; Leonido, galán ; Cenón, galán ; Cosdroas, barba (vieillard) ; Morlaco, gracioso (valet comique) ; Antéo, Criado (valet) ;

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Catherine Dumas

unos cautivos ; Irifile, dama, Deydamia, dama, Laura, criada (servante), Flora, villana (paysanne) ; soldados ; damas ; músicos ; acompañantes, à Tyr -3 journées -Les Phéniciens, gouvernés par la reine Deydamia, ont vaincu les Perses débarqués à Tyr. Les généraux Leonido et Cenón luttent pour s’assurer de la reine de Ceylan, Irifile, qui luttait aux côtés des Perses et dont ils sont épris. Deydamia la prend pour captive. Amoureuse de Cenón, elle veut, pour se venger de lui, faire libérer Irifile en s’arrangeant pour qu’elle tombe aux mains de Leonido. Celui-ci a épargné Toante (général perse et amant d’Irifile) et le traite, non pas en esclave, mais en ami, sans savoir son identité. Les captifs perses se révoltent contre leurs maîtres : ils conviennent de les assassiner, de nuit, pour prendre Tyr. Toante délivre en secret Irifile, enlevée par Leonido. Cependant, malgré la consigne donnée aux Perses, il refuse de tuer son bienfaiteur Leonido, qu’il cache dans sa propre maison. Alejandro paraît à la troisième journée ; prévenu de la situation par Cenón qui a fui hors de Tyr, il s’apprête à châtier la ville. Bien que peu populaire, Toante s’est fait élire roi, grâce à une ruse soufflée par Leonido, et veut lutter contre Alejandro. Ses hommes le livrent au conquérant. Celui-ci s’apprête à faire exécuter Toante pour le meurtre de Leonido. Irifile, sachant la vérité, fait reparaître Leonido. Alejandro épargne Tyr, Irifile épouse Toante, et Deydamia se donne à Leonido plutôt qu’à Cenón qui l’a abandonnée dans le péril. -édition utilisée : Comedia famosa. Duelos de amor y lealtad en la imprenta de la Viuda de Joseph de Orga, calle de la Cruz Nueva, Valencia, 1763 (exemplaire de la Biblioteca Histórica Municipal de Madrid. Sig. Tea 1-202-38) ; disponible sur le site de la Biblioteca Virtual Miguel de Cervantes : http://www. cervantesvirtual.com/nd/ark :/59851/bmc0s014 Catherine Dumas Université de Lille

Opéras italiens (xviie-xixe siècle) Nous avons suivi le protocole suivant, légèrement différent des répertoires précédents dans l’ordre des rubriques, en raison de l’importance des rééditions des livrets et des reprises musicales1 : -relevé du titre et indications bibliographiques classiques : auteur, lieu et maison d’édition, date -compositeur et lieu de la première représentation si elle nous est connue. Parfois, les frontispices des livrets édités mentionnent le théâtre où l’opéra est créé. -indication du genre (tragicommedia, dramma musicale, etc) -liste des personnages -résumé -existence et localisation d’autres exemplaires du même livret ou de rééditions avec des variantes, le cas échéant -indications sur la localisation de la partition, sur le nombre de reprises, voire la liste des compositeurs qui ont mis en musique le livret. L’absence de précisions concernant la partition ne signifie pas nécessairement qu’elle est perdue mais simplement que pour l’heure elle n’a pas été retrouvée. -sources invoquées par l’auteur dans les paratextes, le cas échéant. Nous avons transcrit les termes tels qu’ils apparaissent sur les frontispices des livrets, d’où des variations entre drama, dramma (comme en italien moderne), dramma in musica, dramma musicale ou entre interlocutori, personaggi et attori. Pour l’onomastique, nous avons gardé tous les noms des personnages en italien, n’étant pas sûrs que tous soient traduisibles, il nous a semblé étrange de ne traduire que les plus connus.

1. Ludovic Piffaut a réalisé les cinq notices suivantes : L’amante eroe de Domenico David, Alessandro nell’Indie et Il re pastore de Pietro Trapassi dit Metastasio, Alessandro in Africa de Pietro Scarlatti et Alessandro sotto le tende di Dario de Guido Riviera. Fanny Eouzan est l’auteur de toutes les autres notices.

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Fanny Eouzan et Ludovic Piffaut

Gli amori di Alessandro Magno e di Rossane, Giacinto Andrea Cicognini, 1651 -Gli amori di Alessandro Magno e di Rossane, Giacinto Andrea Cicognini, Venezia, Gio. Pietro Pinelli, 1651 -créé à Venise avec une musique de Francesco Lucio -dramma musicale -interlocutori : Alessandro, Cratero, Arsace, Bagoa, Satrape Coortano, Rossane, Oristilla, Linca, Flora, Gano, Cori di damigelle, di dame nobili e di soldati. Prologo : Diana, Amore, Bellona -La scène se passe sous les remparts de la ville imaginaire de Satrapene qu’Alessandro vient de prendre. Rossane est la fille du roi vaincu Satrape Coortano. Le drame s’ouvre sur l’histoire du couple secondaire : Oristilla, déguisée en homme, est à la recherche de son amant Cratero. Rossane, aimée de tous les guerriers, tombe amoureuse d’Alessandro mais est enceinte d’un inconnu. Pour éviter le déshonneur au grand roi, elle feint de répondre aux avances d’Aminta. Un coup de théâtre conduit à une fin heureuse : par la reconnaissance du bracelet donné à celle qu’il avait déflorée, Alessandro peut épouser Rossane. Les couples sont réunis et deux personnages nouveaux, Flora et Gano, apportent un contrepoint comique aux intrigues sérieuses par leurs scènes de ménage. -rééditions du même livret en 1656, Bologna, Monti ; 1661, Venezia, Pezzana ; sous forme de théâtre parlé, opera tragicomica, sous le titre Le glorie e gli amori di Alessandro Magno e di Rossane en 1661, Macerata, Grifei e Piccini ; en 1663, Bologna, Eredi di Domenico Barbieri ; en 1663, Venezia, Bartolomeo Lupardi ; en 1667 sous le titre L’Alessandro amante, Venezia, Nicolini ; en 1678, Bologna, Longhi. -livret mis en musique également par Giovanni Antonio Borretti, 1667.

Alessandro vincitor di se stesso, Francesco Sbarra, 1651 -Alessandro vincitor di se stesso, Francesco Sbarra, Venezia, Giacomo Batti, 1651 -créé à Venise, théâtre San Giovanni e Paolo, avec une musique d’Antonio Cesti -dramma musicale -personaggi : Alessandro, Efestione, Cina, Aristotile, Calane, Campaspe, Fidalpa, Apelle, Bleso, Alcandro, à Babylone, dans le royaume d’Alessandro après sa victoire contre Dario



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-Aristotile se félicite du résultat de son enseignement. Alessandro a su vaincre l’orgueilleux Dario et respecter ses proches sur le champ de bataille mais il découvre un sentiment inédit lorsqu’Efestione lui présente son « trésor de guerre », Campaspe. Alessandro avoue son amour et veut épouser Campaspe malgré son amitié pour Efestione (alors que sa sœur Cina était promise à ce dernier et l’aime). Il demande le portrait de Campaspe par Apelle que la belle aimait autrefois, avant que la guerre ne les sépare. Dans les dernières scènes, Campaspe se révèle être la sœur d’Efestione et Alessandro est contraint de tenir sa promesse envers Apelle : lui donner ce qu’il veut pour le remercier de son portrait merveilleux. Il réussit à se vaincre lui-même et cède Campaspe au peintre. -rééditions du même livret en 1654, Lucca, Marescandoli ; en 1655, Bologna, Monti ; en 1659, Milano, Cardi e Marelli ; 1662, Napoli, Cavallo ; 1664, Roma, Giacomo Fei ; 1683, Bologna, Longhi. -deux exemplaires de la partition manuscrite de Cesti sont répertoriés : l’un au Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, fondo Chigi QV61, l’autre à Venise, Biblioteca del Conservatorio Benedetto Marcello, fondo TORREFRANCA S.A.G.II.3.

La Statira, principessa di Persia, Giovanni Francesco Busenello, 1655 -La Statira, principessa di Persia, Giovanni Francesco Busenello, Venezia, Giuliani, 1655 -créé à Venise avec une musique de Francesco Cavalli -dramma per musica -interlocutori : Dario, Statira, Cloridaspe, Tersandro, Nicarco, Vaffrino, Usimano, Lindaura, Brimonte, Messo, Elisena, Birsante, Indiano. Prologo : Maga, Plutone, Mercurio -Lorsque le drame commence, le roi d’Arabie Cloridaspe, prince valeureux, vient d’enlever Parisatide et Statira, respectivement épouse et fille de Dario, à leur ravisseur, le roi d’Arménie, pour les rendre au roi de Perse. Statira soigne les blessures de guerre de son sauveur et en tombe amoureuse. Mais cet amour partagé suscite des jalousies : Usimano, prince d’Égypte, travesti en femme, aime Statira, tandis que Lindaura (sous le nom de Floralba), dame de compagnie de Statira, lui envie l’amour de Cloridaspe. On découvre à la fin que Floralba est la sœur de Cloridaspe et elle est unie à Usimano. Dario cède son royaume en cadeau de mariage à Statira et Cloridaspe.

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-réédition en 1656, Venezia, Giuliani, cinquième volume des œuvres complètes de Busenello, Delle hore ociose. Une version bilingue inédite vient de paraître (il n’existe pas d’édition scientifique italienne) par J.-F. Lattarico : Giovan Francesco Busenello, Delle ore ociose. Les fruits de l’oisiveté, Paris, 2016. -Un exemplaire de la partition manuscrite de Cavalli est répertorié à Venise, Biblioteca nazionale Marciana, fondo Contarini It. IV, 372.

La magnanimità d’Alessandro, Francesco Sbarra, 1662 -La magnanimità d’Alessandro, Francesco Sbarra, Innsbruck, Michaele Wagner, 1662 -créé à Innsbruck, avec une musique d’Antonio Cesti -dramma musicale -interlocutori : (Per il Prologo) Eternità, Età antica, Secolo presente, La poesia ; (Per l’Opera) Alessandro Magno, Efestione, Arsace, Sisigambi, Statira, Timoclea, Alissa Mora, Bleso Gobbo, Clearco, Teagene, Ormino, un soldato -La scène se déroule à Suse et l’auteur se donne pour but d’illustrer l’incomparable magnanimité d’Alessandro envers les reines de Perse, ses prisonnières, comme envers les peuples de Suse. Alessandro rend leur liberté et leur royaume aux filles de Dario, renonce à son propre amour pour Statira et leur permet d’épouser leurs amants : Statira épouse Teagene, fils du roi de Phrygie, et Timoclea épouse Clearco, que l’on croit d’abord jardinier mais qui se révèle à la fin être de souche royale (Timoclea n’est qu’un homonyme du personnage des Histoires de Quinte-Curce). -pas de rééditions répertoriées.

Alessandro Magno in Sidone, Aurelio Aureli, 1679 -Alessandro Magno in Sidone, Aurelio Aureli, Venezia, Nicolini, 1679 -créé à Venise, Teatro Grimani a Santi Giovanni e Paolo, avec une musique de Marc’Antonio Ziani -drama in musica -personaggi : Alessandro Magno, Efestione, Eumene, Eusonia, Taide, Oronte, Cleandro -Alessandro, après avoir vaincu Dario, dirige son armée à la conquête de Sidon. Sur le trône se trouve alors Eumene, roi infidèle à sa femme Eusonia. Il se fait passer pour mort et se travestit en Maure pour quitter la ville et laisser



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libre cours à son amour pour Taide, aimée également par le poète de cour, Cleandro. Mais Taide, qui a aimé autrefois Alessandro et veut le reconquérir, se fait passer pour une bergère et lui révèle la véritable identité d’Eumene. Efestione, favori d’Alessandro, dévoile son amour pour Eusonia. Eumene, découvert, plaide coupable et demande à Alessandro de lui donner la mort qu’il mérite. Mais Alessandro pardonne à son ennemi à condition qu’il honore son épouse et oublie Taide. -rééditions du même livret en 1680, Verona, Rossi et Milano, Ramellati ; en 1681, Vicenza, Amadio ; en 1706, Napoli, Mutio (musique de Francesco Mancini) ; en 1707, Padova, Corona. Il existe une édition scientifique du livret et de la partition, par Daniela Goldin Folena : Aurelio Aureli, Marc’Antonio Ziani, Alessandro Magno in Sidone, Padova, CLEUP, 2012. -Un exemplaire de la partition manuscrite de Ziani est répertorié à Venise, Biblioteca nazionale Marciana, fondo Contarini It. IV, 381. Le livret a été mis en musique également par Francesco Mancini en 1706. Un exemplaire de la partition manuscrite de Mancini est répertorié à Naples, Biblioteca del Conservatorio di musica San Pietro a Majella, Cantate 181@21. -Le personnage de Taide (Thaïs), chanté par Ménandre, est inspiré des Élégies de Properce, cité par l’auteur du livret dans le paratexte.

Il Lisimaco, Giacomo Sinibaldi, 1681 -Il Lisimaco, Comagio Baldosini (anagramme de Giacomo Sinibaldi), Roma, Dragondelli, 1681 -créé à Rome, Teatro della Pace, avec une musique de Bernardo Pasquini -dramma per musica -personaggi : Lisimaco (parent d’Alessandro, disciple de Callistene), Alessandro Magno, Cleonte, Demetrio, Filea, Callistene, Alcimena, Corebo, Anfrisa/Eurilla/Lesbia (noms donnés à la vieille nourrice de Filea selon les versions), à Suse -Après avoir vaincu Dario, Alessandro souhaite se faire adorer par ses sujets à l’imitation des rois de Perse. Mais cela déplaît aux Macédoniens Callistene et Lisimaco qui se conjurent contre lui. Ils sont condamnés à être jetés aux lions. Lisimaco terrasse la bête avec une telle force et un tel courage qu’il est gracié par Alessandro et peut épouser Alcimena, fille de Callistene, tandis que Filea, un moment attirée par Lisimaco, revient à ses premières amours avec Demetrio.

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-livret adapté « à la mode vénitienne » par Aurelio Aureli en 1682 (créé à Venise, Teatro Vendramino, avec une musique de Giovanni Legrenzi, sous le titre Lisimaco riamato da Alessandro, Venezia, Nicolini, 1682). Le livret de Sinibaldi est réédité à l’occasion de la reprise du spectacle à Turin (Torino, Zappata, 1681), à Pérouse, Teatro degl’Accademici Insensati (Il Lisimaco, Perugia, Zecchini, 1682), à Naples, Teatro San Bartolomeo (Napoli, Carlo Porsile, 1683), puis à Bologne, Teatro Maluezzi, avec une musique de Giovanni Legrenzi, Recaldini-Borzaghi, 1688. -9 airs de la partition manuscrite de Bernardo Pasquini sont répertoriés à Paris, BnF (Richelieu, RES VMF MS-134). -L’auteur, Giacomo Sinibaldi, dit tirer l’argument de Quinte-Curce et de Trogue-Pompée, il ajoute les amours de Lisimaco avec Alcimena, de Demetrio avec Filea.

L’incoronazione di Dario, Adriano Morselli, 1684 -L’incoronazione di Dario, Adriano Morselli, Venezia, Nicolini, 1684 -créé à Venise, Teatro Sant’Angelo avec une musique de Domenico Freschi -drama per musica -interlocutori : Dario, Statira, Argene, Oronte, Arpago, Alinda, Niceno, Floro, Ombra di Ciro, Apollo, Villanello -Après la mort de Ciro, roi de Perse, ses sujets les plus influents se disputent la succession du royaume. Dario est le favori par la noblesse de sa naissance. Mais Oronte, jeune, beau et ambitieux, emporte l’adhésion de la plèbe. Le troisième concurrent est Arpago, capitaine de la garde, soutenu par ses troupes. Dario, pour éviter un bain de sang, propose que le trône revienne à celui qui obtiendra pour épouse Statira, fille de Ciro. Dario aime Statira et compte sur l’aide d’Argene, sa sœur cadette. Mais Argene aime Dario en secret et veut également régner à la place de sa sœur naïve. Après avoir surmonté différentes épreuves, Dario est couronné et épouse Statira, tandis qu’Argene est sévèrement punie pour ses méfaits. Oronte épouse Alinda, princesse de Médie. -rééditions du même livret en 1685, Venezia, Nicolini ; en 1686, Bologna, Sarti ; en 1689, Vicenza, Berno ; en 1716, Venezia, Rossetti -Un exemplaire de la partition manuscrite de Freschi est répertorié à Venise, Biblioteca nazionale Marciana, fondo Contarini It. IV, 406. Livret mis en musique également par Vivaldi à partir de 1716, dont il existe un enregistrement récent (Harmonia mundi, 1986).



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Statira, Pietro Ottoboni, 1690 -Statira, Pietro Ottoboni, Roma, Francesco Buagni, 1690 -créé à Rome, Teatro Torre di Nona, avec une musique d’Alessandro Scarlatti -dramma per musica -interlocutori : (Macedoni) Alessandro, Campaspe, Apelle, Demetrio, Perinto ; (Persiani) Statira, Oronte, Persiani, Ninfe -Alessandro, lors de sa troisième bataille contre Dario, est victorieux et tombe amoureux de Statira, qui fait partie du butin de guerre. Apelle et Demetrio, général des troupes macédoniennes, encouragent cet amour, au grand dam de Campaspe. Or, Statira est promise au prince perse Oronte qui l’aime. Campaspe demande à Alessandro de la tuer car elle préfère mourir plutôt que renoncer à l’aimer. Elle sollicite l’aide de Demetrio, général macédonien, un autre de ses prétendants. Finalement, elle sera unie au peintre Apelle, qui l’aime aussi depuis longtemps. Alessandro, impressionné par l’amour entre Statira et Oronte, est prêt non seulement à les unir mais aussi à leur confier son trône et son empire. Mais l’honneur d’Oronte l’empêche d’accepter un tel sacrifice et il cède Statira à Alessandro. La déesse Diane apparaît pour bénir l’union des deux couples. -pas de rééditions répertoriées -Seuls quelques airs de la partition de Scarlatti sont conservés, voir G. Rostirolla, Catalogo generale delle opere di Alessandro Scarlatti, Turin, 1972, p. 339.

La superbia d’Alessandro, Ortensio Mauro, 1690 -La superbia d’Alessandro, Ortensio Mauro, Hannover, 1690 -créé à Hanovre avec une musique d’Agostino Steffani -drama -personaggi : Alessandro, Tassile, Lisaura, Rosane, Clito, Leonato, Cleone, Ermolao -Alessandro prend d’assaut la ville d’Oxidraca, « ville d’Inde » avec l’aide du capitaine Leonato. Les deux princesses captives, Rosane et Lisaura, l’aiment. Tassile prête allégeance à Alessandro et aime Lisaura. Cleone aime Rosane et essaie de pousser Alessandro dans les bras de Lisaura. Clito refuse l’Inde que lui offre Alessandro car celui-ci se dit fils de Jupiter. Le sommet du trône étant tombé sur Alessandro, Leonato le croit mort et prend la tête d’une révolte. Il libère Clito emprisonné après sa dispute. De leur côté, Lisaura et Rosane

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s’accordent pour sauver Alessandro, l’avertissant du complot des Macédoniens. Il rencontre les conspirateurs et les défie de s’opposer à lui. Clito obtient son pardon, Alessandro pousse Lisaura à récompenser la fidélité de Tassile et épouse Rosane. La scène finale célèbre le double mariage devant le temple de Jupiter. -pas de rééditions répertoriées. -Seuls quelques airs de la partition de Steffani sont conservés. Livret adapté par Paolo Antonio Rolli pour Georg Friedrich Haendel : Alessandro, Londres, King’s theatre, en 1726 (suppression du personnage de Ermolao).

L’amante eroe, Domenico David, 1691 -L’amante eroe, Domenico David, Venezia, Nicolini, 1691 -créé au Teatro Sal Salvadore de Venise. Musique de Marc’ Antonio Ziani -drama -interlocutori : Alessandro, Tassilo, Berenice, Poro, Cleofile, Efestione2, Alidoro -Lors de sa conquête de l’Asie, Alessandro s’engage dans une bataille contre Poro et Tassilo, rois chacun d’une partie des Indes. Efestione, premier ministre d’Alexandre, fait ériger un pont pour enjamber l’Idaspe et conquiert la ville de Livorio. Suite à la victoire d’Alessandro, Tassilo et sa sœur Cleofile sont prisonniers du vainqueur puis relâchés par lui. C’est à ce moment qu’Alidoro amène une autre prisonnière : Berenice, la femme de Poro. Les sentiments des uns et des autres sont progressivement dévoilés : Tassilo et Alessandro sont amoureux de Berenice, Efestione séduit Cleofile mais celle-ci préfère Alessandro. L’acte I s’achève sur l’annonce de la mort de Poro. Alors que la reine Berenice est en proie, à deux reprises, à la fièvre sexuelle de Tassilo, Alessandro la sauve d’un viol puis de la noyade. Pendant ce temps, Arsace est mis en prison pour s’être battu contre Tassilo. Il avoue alors à Berenice qu’il n’est autre que son mari Poro. Alexandre départage les deux hommes en acceptant qu’un duel se fasse entre Poro et Tassilo. Au cours du combat, un chevalier inconnu surgit et fait chuter Tassilo, ce qui permet à Poro de remporter le duel. Dans la dernière scène, Alessandro rend Berenice et son royaume à Poro tandis qu’il pardonne les erreurs de Tassilo. -arrangements du livret en 1695, à Ferrare, musique de Marc’ Antonio Ziani ; en 1695, à Turin, sous le titre Alessandro amante eroe, musique de Marc’ Antonio Ziani ; en 1706, à Gênes, sous le titre Alessandro amante eroe, musique de Bernardo Sabadini. 2.

L’écriture du nom Efestione varie dans certains livrets. Il comporte parfois deux f.



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-17 airs disponibles de la version turinoise de 1695 à la Santini-Bibliothek de Münster.

Talestri innamorata d’Alessandro Magno, Aurelio Aureli, 1693 -Talestri innamorata d’Alessandro Magno, Aurelio Aureli, Parma, Stampa Ducale, 1693 -créé à Piacenza avec une musique de Bernardo Sabadini -drama -personaggi : Talestri, Alessandro Magno, Arsinoe, Oronte (travesti en l’Amazone Orithia), Parmenione, Lisippo, Milo, Martesia, Marte, la Fortuna, l’Eternità, i quattro elementi, le quattro parti del mondo -L’argument distingue clairement ce qui appartient à l’histoire (sans citer de sources précises) et ce qui relève de la fiction. Après la victoire contre Dario et la mort de ce dernier dans les bras de Polistrato, capitaine d’Alessandro, le Macédonien se dirige vers le royaume d’Ircanie, à la frontière duquel habitent les Amazones. Leur reine, Talestri, tombée amoureuse d’Alessandro pour sa renommée, va le trouver pour s’unir à lui et avoir un enfant. L’histoire raconte aussi qu’Alessandro, fasciné par la beauté de Talestri, la garde treize jours à ses côtés. Pour respecter la bienséance, l’auteur imagine que Talestri invite Alessandro, qu’Oronte, jeune prince amoureux de Talestri, se rend aussi dans son royaume de Themiscira pour lui déclarer sa flamme sous le nom d’Orithia, que Lisippo, grand sculpteur grec, aime Arsinoe, princesse perse, et veut l’épouser mais se rendant à Themiscira pour faire la statue d’Alessandro, tombe amoureux de la fausse Orithia, tandis que Parmenione, capitaine d’Alessandro aime Arsinoe d’un amour non partagé. Après de nombreux rebondissements, Oronte s’unit à Talestri, qui promet d’aimer à l’avenir non plus la beauté mais la vertu d’Alessandro, et Lisippo à Arsinoe. -pas de rééditions répertoriées

L’Euleo festeggiante nel ritorno d’Alessandro Magno dall’Indie, anonyme, 1699 -L’Euleo festeggiante nel ritorno d’Alessandro Magno dall’Indie, [anonyme], Vienna, Cosmerovio, 1699 -créé à Vienne avec une musique de Giovanni Bononcini -serenata.

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-personaggi : Alessandro, Statira, Perdicca, Efestione, Parisatide, Eumene, Barsina, Tolomeo, Apamia, Nearco -De retour de ses campagnes en Inde, Alessandro s’arrête à Suse, où il célèbre ses noces avec Statira, unissant les plus illustres dames perses avec ses généraux : Barsina avec Eumene, Apamia avec Tolomeo, Parisatide avec Efestione. Puis, sur la route de Babylone, il retrouve Nearco, amiral de sa flotte qui, rentrant par l’Euphrate, a rencontré les Chaldéens. Nearco lui raconte que les Chaldéens lui ont prédit qu’Alessandro serait le roi le plus glorieux de la terre jusqu’à la naissance d’un monarque qui le surpasserait en gloire et en renommée : Joseph Ier, roi des Romains. -pas de réédition répertoriée -Des airs de la partition de Bononcini nous sont parvenus. Il est toutefois difficile de les répertorier. -L’auteur cite dans le paratexte Quinte-Curce et Plutarque, Vie d’Alexandre.

Statira, Giuseppe Galuppi, 1703 -Statira, Giuseppe Galuppi, Milano, Quinto, 1703 -créé au nouveau théâtre de Casale -drama per musica -interlocutori : Oropaste, Tomiri, Statira, Ortano, Comete, Rosane, Dario, Grisina, Tito -Le roi de Perse Mergide a été tué par son frère Oropaste qui usurpe son trône. Seul Ortano, prince vassal, découvre la supercherie et une conjuration renverse Oropaste. Dario, de sang royal, prend la succession du trône et épouse Statira, sœur de Mergide. L’auteur agrémente l’histoire inspirée de Justin par des éléments fictionnels. Oropaste (qui se fait passer pour Mergide) aime également Statira et veut l’épouser pour devenir le souverain légitime. Ortano a une sœur parmi les concubines de Mergide, Tomiri, qui aime Dario. Il ajoute le personnage de Rosane, sœur de Dario, qui aime Mergide et réside au palais déguisée en jardinière. Oropaste surprend Dario et Statira se déclarant leur amour et fait jeter Dario en prison. Pour obtenir l’amour de Statira, Oropaste lui avoue qu’il n’est pas Mergide. Dario, libéré par Tomiri, tue Oropaste et donne sa sœur Rosane à Ortano. Comete, frère d’Oropaste, avoue avoir tué Mergide sur ordre de son frère et demande non pas le pardon mais la mort. Statira lui donne la main de Tomiri. Les personnages de Grisina et Tito a­ pportent un contre-point comique. -pas de rééditions répertoriées



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-pas d’indication sur la mise en musique -L’auteur se réfère à l’historien Justin pour justifier le choix de l’histoire qui sert de point de départ à la fiction.

Alessandro in Susa, Girolamo Frigimelica Roberti, 1708 -Alessandro in Susa, Girolamo Frigimelica Roberti, Venezia, Rossetti, 1708 -créé à Venise, Teatro Grimani di San Giovanni Grisostomo, avec une musique de Luigi Mancia -tragicomedia -le persone che parlano : Alessandro Magno, Statira, Campaspe, Callistene, Apelle, Antigona, Promaco -Après sa victoire militaire, Alessandro triomphe en amour à Suse. Il veut épouser Statira mais Campaspe laisse éclater sa jalousie. Elle hésite entre deux hommes, Apelle, par amour et Alessandro, par ambition. Elle essaie d’éliminer ses deux rivales : Antigona, qui aime Apelle (en lui faisant épouser Promaco), et Statira, destinée à Alessandro. Mais après cinq actes de rebondissements, Alessandro épouse Statira, unit Campaspe à Apelle et Antigona à Promaco. -pas de rééditions répertoriées -pas d’indication sur la mise en musique -L’auteur présente ses sources historiques et poétiques dans une section à part du paratexte : Plutarque, Vie d’Alexandre et Discours sur la fortune et la vertu ; Élien, Histoires diverses ; Athénée, livre X et XI ; Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, livre XXXV ; Sénèque, Questions naturelles ; QuinteCurce ; Euripide, Le Cyclope, Hercule furieux, Alceste ; Aristote, Poétique ; Giovan Battista Guarini, i Verati et L’Attizzato ; Térence, prologues de l’Hécyre (citation des vers).

Le due regine rivali, Aurelio Aureli, 1708 -Le due regine rivali, Aurelio Aureli, Bologna, Pisarri, 1708 -créé à Bologne, Teatro Formagliari avec une musique de Tomaso Albinoni -dramma per musica -attori : Statira, Rosanne, Tomiri, Orondate, Artaserse, Cassandro, Perdicca, Gineca -La scène se déroule à Babylone. À sa mort, Alessandro laisse deux veuves : Rosanne, enceinte et régente du trône, et Statira, amante d’Orondate, roi de

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Fanny Eouzan et Ludovic Piffaut

Scythie, qui l’aime en retour. Aimée également par Perdicca, premier ministre, et victime de la jalousie de Rosanne qui aime aussi Orondate, Statira parvient à épouser son bien-aimé. Tomiri, sœur de Rosanne, grâce à son amour, arrache Artaserse, fils de Dario et frère de Statira, à la mort et lui fait recouvrer le trône paternel. -pas de rééditions répertoriées.

Le regine di Macedonia, Carlo De Pretis, 1708 -Le regine di Macedonia, Carlo De Pretis, Napoli, Votto, 1708 -créé à Naples, Teatro San Bartolomeo, avec une musique de Francesco Gasparini -drama per musica -personaggi : Statira, Rosanne, Oronte, Tomiri, Perdica, Orondate, Cassandro, Dorisbe/Lesbina, Creperio. Prologo : Monarchia, Inganno, Fedeltà, Fato -Un an après la mort d’Alessandro, les trônes de Macédoine et de Perse sont vides. Statira et Rosanne sont les deux épouses d’Alessandro, mais la régence est attribuée à Rosanne jusqu’à ce qu’elle mette au monde l’héritier d’Alessandro. Statira aime Orondate, roi de Scythie ; Tomiri, sœur de Rosanne, aime Artaserse, fils de Dario, sous le nom d’Oronte. Mais l’orgueilleuse Rosanne aime Orondate et son ministre Perdica aime Statira. Comme chez Aurelio Aureli, Tomiri sauve Artaserse de la tyrannie de Rosanne et parvient à l’épouser, tandis que Statira épouse Orondate. -livret réédité à l’occasion d’une nouvelle représentation à Messina, Maffei, 1710 (avec une musique de Giacomo Facco) -pas de partition répertoriée -Au regard de la notoriété d’Aurelio Aureli en tant que librettiste, nous sommes enclins à penser que De Pretis a repris son livret. Cependant, aucun des deux auteurs ne fait allusion à l’autre dans les paratextes, même si la ressemblance est frappante (personnages et intrigue similaires).

Abdolomino, Silvio Stampiglia, 1709 -Abdolomino, Silvio Stampiglia, Vienna, Cosmerovio, 1709 -créé à Vienne, avec une musique de Giovanni Bononcini -dramma per musica



Opéras italiens (xviie-xixe siècle) 403

-personaggi : Abdolomino, Alessandro, Mitilene, Clomiri, Elidoro, Rosmeno, Lidia, Ircano -Sidon, ville de Phénicie, se rend aux armes d’Alessandro au grand dam de son roi, Stratone, allié de Dario. Le royaume est offert à deux jeunes nobles qui le refusent au profit d’Abdolomino, qui est de sang royal. Ce dernier vit modestement en cultivant son potager en dehors de la cité. Alessandro est si impressionné par la sagesse du jeune homme qu’il lui offre non seulement le royaume de Stratone mais aussi une grande partie de la Perse. Dans sa grande bonté, Abdolomino œuvre également à l’union des couples d’amoureux : lors du lieto fine, Mitilene épouse Elidoro, Clomiri épouse Rosmeno et Lidia épouse Ircano. -livret réédité pour une nouvelle représentation à Naples, Teatro San Bartolomeo, Napoli, Muzio, 1711 (musique de Giovanni Bononcini) -Des airs de la partition de Bononcini nous sont parvenus. Il est cependant difficile de les répertorier. -L’auteur cite dans le paratexte le livre IV de Quinte-Curce comme point de départ pour son intrigue.

Alessandro fra le Amazoni, Grazio Braccioli, 1715 -Alessandro fra le Amazoni, Grazio Braccioli, Venezia, Rossetti, 1715 -créé à Venise, Teatro Sant’Angelo, avec une musique de Fortunato Chelleri -drama per musica -le persone, che parlano : Alessandro, Talestri, Statira (travestie en homme sous le nom d’Idaspe puis en esclave éthiopienne), Camilla, Antiopo, Nicanore, Aminta -Sans les citer précisément, Braccioli se réfère à des éléments transmis par les historiens antiques, comme la passion de Talestri pour Alessandro, l’amour d’Alessandro pour Statira, fille de Dario, son désir d’être considéré comme fils de Jupiter, et il invoque sa licence poétique, qui lui permet de les assembler dans une unité d’action. Alessandro est invité dans le royaume de Talestri et il est ébloui par sa beauté. Camilla, capitaine des Amazones, tombe amoureuse d’Idaspe-Statira ; Antiopo, son frère, aime Talestri. Les Macédoniens veulent guerroyer contre les Amazones, mais à la fin de l’opéra, les masques tombent, les Amazones retournent à leurs navires, les Macédoniens à leur camp, et Alessandro épouse Statira. -pas de rééditions répertoriées.

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Alessandro in Sidone, Apostolo Zeno e Pietro Pariati, 1721 -Alessandro in Sidone, Apostolo Zeno e Pietro Pariati, Vienne, Van Ghelen, 1721 -créé à Vienne avec une musique de Francesco Conti -tragicommedia per musica -personaggi : Alessandro, Addolonimo, Stratone, Fenicia, Argene, Ipparchia, Efestione, Crate, Aristippo, Calandra, Nilo -Stratone règne sur Sidon avec l’appui de Dario, roi de Perse. Assiégé par Alessandro, roi des Macédoniens, il est contraint par ses sujets à se rendre. Alessandro charge le plus cher de ses capitaines, Efestione, de choisir le successeur de Stratone. Parmi les grands de Sidon est élu Addolonimo, descendant des rois de la ville : contraint par la pauvreté où l’avait entraîné son choix de probité, il cultivait son jardin loin de la ville. De nombreux philosophes fréquentaient la cour d’Alexandre, parmi lesquels Aristippo et Crate. Ipparchia, noble dame de Thrace, disciple de Crate, abandonne tout pour lui et il finit par l’épouser. Se fondant sur les sources citées, l’auteur introduit également d’autres personnages et d’autres amours afin de développer l’intrigue. Ainsi, Fenicia est la fille de Stratone et l’amante d’Addolonimo, Calandra est jardinière et Nilo esclave de Crate. Les unions du lieto fine (Ipparchia-Crate, Fenicia-Addolonimo, Calandra-Nilo) célèbrent la victoire de la raison sur la passion et la folie. -réédité dans le cadre des œuvres complètes de Zeno, Poesie drammatiche di Apostolo Zeno già poeta e istorico di Carlo 6 imperatore e ora della S. R. Maestà di Maria Teresa regina d’Ungheria e di Boemia, t. 1, Venezia, Pasquali, 1744. Il existe plusieurs éditions récentes des œuvres de Zeno. -Zeno cite précisément ses sources dans le paratexte : Quinte-Curce, livre VI ; Plutarque, Vie d’Alexandre ; Justin, livre XI ; Arrien ; Lucien, Dialogues ; Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, livre VI ; Philostrate, Vie d’Apollonios de Tyane, livre I ; Clément d’Alexandrie, Le Pédagogue, livre II.

Alessandro nell’Indie, Pietro Trapassi dit Metastasio, 1730 -Alessandro nell’Indie, Metastasio, Roma, Zempel e de Mey, 1730 -créé au Teatro delle Dame de Rome. Musique de Leonardo Vinci -drama per musica -personaggi : Alessandro, Poro, Cleofide, Erissena, Gandarte, Timagene



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-Poro, roi d’une partie des Indes, vient de perdre la guerre qui l’oppose à Alessandro et devient le captif de ce dernier. Poro, qui feint d’être à ce moment un agent nommé Asbitès, est relâché. Comme son frère, Erissena, qui est la prisonnière de Timagene, est libérée par Alessandro. Erissena célèbre la clémence du vainqueur. De son côté, Timagene, humilié, jure de se venger d’Alessandro. Poro lance une nouvelle attaque contre les troupes macédoniennes et essuie un nouvel échec. Désespéré, il s’apprête à tuer sa femme Cleofide puis à se suicider lorsqu’Alexandre l’arrête dans son élan. Poro devient le prisonnier d’Alessandro. Un coup de théâtre survient : Erissena annonce à Cleofide le suicide de Poro. La reine Cleofide, ainsi désorientée, accepte d’épouser Alessandro. Lors de la cérémonie, elle s’apprête à s’immoler par le feu mais, à la surprise de tous, Poro paraît. Tandis qu’il avoue sa jalousie et sa traîtrise, Cleofide lui renouvelle sa fidélité. Alessandro accorde une nouvelle fois son pardon à Poro. Ému par tant de bontés, celui-ci se rallie à l’armée d’Alessandro. -arrangements du livret en 1731, à Londres, sous le titre Poro, re dell’Indie, musique de Georg Friedrich Haendel ; en 1731, à Dresde, sous le titre Cleofide (musique de Johann Adolf Hasse) -reprises faites sous le titre Alessandro nell’Indie, en 1731, musique de Leonardo Vinci, Livourne ; en 1731, musique de Luca Predieri, Milan ; en 1732, musique de Francesco Mancini, Naples ; en 1732, musique de Giovanni Pescetti, Venise ; en 1734, musique de Gaetano Schiassi, Bologne ; en 1734, musique de Matteo Lucchini, Prague ; en 1736, musique de Johann Adolf Hasse, Naples ; en 1738, musique de Francesco Corselli, Madrid ; en 1738, musique de Baldassare Galuppi, Mantoue ; en 1742, musique de Giuseppe Brivio, Milan ; en 1744, musique de Niccolò Jommelli, Ferrare ; en 1745, musique de Pietro Chiarini, Vérone ; en 1746, musique de Pietro Pelegrini, Brescia ; en 1746, musique de Giovanni Battista Lampugnani, Londres ; en 1748, musique de Georg Christoph Wagenseil, Vienne ; en 1747, musique de Girolamo Abos, Ancône ; en 1749, musique de Paulo Scalabrini, Copenhague ; en 1750, musique de Giuseppe Scolari, Barcelone ; en 1750, musique de Giovanni Rutini, Prague ; en 1752, musique de Davide Perez, Milan ; en 1753, musique de Giuseppe Scarlatti, Reggio ; en 1753, musique de Gaetano Latilla et autres auteurs, Venise ; en 1755, musique de Francesco Araya, Saint-Pétersbourg ; en 1758, musique de Niccolò Piccinni, Rome ; en 1759, musique de Ignaz Holzbauer, Milan ; en 1760, musique de Niccolò Jommelli, Stuttgart ; en 1761, musique de Giuseppe Sarti, Copenhague ; en 1761, musique de Daniel Dal Barba, Vérone ; en 1762, musique de Johann Christian Bach, Naples ; en 1762, musique de Tommaso Traetta, Reggio ; en 1763, musique d’Antonio Sacchini, Venise ; en 1763, musique de Gualberto Brunetti, Pise ; en 1764, musique de

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Gregorio Sciroli, Bologne ; en 1764, musique de Gioacchino Cocchi et autres auteurs, Londres ; en 1764, musique de Domenico Fischietti, Prague ; en 1768, musique de Giovanni Naumann, Florence ; en 1768, musique de Luigi Gatti, Mantoue ; en 1769, musique de Johann Antonin Kozeluch, Prague ; en 1771, musique de Ferdinando Bertoni, Venise ; en 1772, musique de Pasquale Anfossi, Florence ; en 1774, musique de Giovanni Guadalberto Bottarelli, Londres ; en 1774, musique de Domenico Corri, Londres ; en 1775, musique de Carlo Monza, Milan ; en 1775, musique de Friedrich Wilhelm Rust, Venise ; en 1775, musique de Melchiore de Vincenti, Alessandria ; en 1778, musique de Luigi Marescalchi, Venise ; en 1779, musique de Antonio Callegari, Vérone ; en 1781, musique de Domenico Cimarosa, Rome ; en 1783, musique de Michele Mortellari, Lucques ; en 1784, musique de Luigi Cherubini, Mantoue ; en 1785, musique de Francesco Bianchi, Trieste ; en 1787, musique de Luigi Caruso, Rome ; en 1789, musique de Pietro Guglielmi, Naples ; en 1791, musique de Angelo Tarchi, Livourne ; en 1800, musique de Francesco Gnecco, Livourne ; en 1826, musique de Giovanni Pacini, Milan. -édition scientifique de référence : Drammi per musica, 1. Il periodo italiano 1724-1730, éd. A. L. Bellina, Venise, 2002 -Parmi les partitions disponibles, celles de Leonardo Vinci sont consultables à la Bayerische Staatsbibliothek de Munich et à la bibliothèque du Conservatorio di Musica S. Pietro a Majella de Naples.

Il trionfo della costanza in Statira, vedova d’Alessandro, Francesco Silvani, 1731 -Il trionfo della costanza in Statira, vedova d’Alessandro, Francesco Silvani, Venezia, Carlo Buonarrigo, 1731 -créé à Venise, Teatro Sant’Angelo, avec une musique d’Antonio Galeazzi -drama per musica -attori : Statira, Barsina, Leonato, Perdica, Cassandro, Eumene, Alessandro (figlio di Barsina), Arbate -Parmi ses épouses, Alessandro avait comme favorites Statira, fille de Dario, et Barsina, fille d’Artabazo, vassal de Dario. Leur jalousie ne cesse pas avec la mort de leur époux car elles sont à nouveau rivales, se disputant l’amour de Leonato, un des capitaines du défunt monarque. La question politique envenime encore cette passion : Barsina étant mère d’un enfant d’Alessandro, Perdica et Cassandro la soutiennent sur le trône de Babylone, tandis que Leonato, Antipatro et Tolomeo l’assiègent suite aux discordes nées de



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la question de la division des conquêtes. Leonato est fait prisonnier, Barsina veut le faire mourir avec Statira. Mais au terme de rebondissements bellicoamoureux, les généraux et les rivales font la paix, Leonato est uni à Statira et Cassandro à Barsina. -pas de rééditions répertoriées. -L’auteur tire son sujet de la Statira de Nicolas Pradon et l’accommode aux usages du théâtre musical italien.

Alessandro in Africa, Pietro Scarlatti, 1735 -Alessandro in Africa, Pietro Scarlatti, Palermo, Stefano Amato, 1735 -créé au Real Collegio Carolino de’ nobili de Palerme. Musique de Fabrizio La Rocca, maestro di musica del Real Collegio Carolino de’ nobili -festa teatrale -personaggi : Alessandro, Efestione, Orgonte, Toante -Après avoir vaincu l’armée égyptienne, Alessandro, accompagné par ses guerriers macédoniens, débarque en Libye. Toante, le prêtre du temple de Jupiter, alerte Orgonte, le roi de la Libye, de cette menace potentielle. Orgonte s’entretient avec Alessandro. Le dialogue entre les deux hommes se montre rapidement tendu car chacun est offensé par l’arrogance de l’autre. Résolu à remporter de nouveaux triomphes, Alessandro appelle aux armes. Le combat entre les troupes macédoniennes et les troupes africaines débouche sur la victoire du conquérant. Ne souhaitant pas affronter la défaite, Orgonte se prépare à se suicider mais Effestione arrête son geste et le fait prisonnier. Dans le temple de Jupiter, Alessandro redonne alors la liberté et le trône à Orgonte. On reconnaît à la fois la force divine d’Alessandro et ses vertus. La fin de la festa teatrale célèbre la gloire éternelle du héros, figure métaphorique du roi Carlo III. -aucun arrangement connu du livret -L’opéra comporte trois airs de Giovanni Stradella et un air de Francesco Feo. -La partition est perdue.

Alessandro in Persia, Francesco Vanneschi, 1738 -Alessandro in Persia, Francesco Vanneschi, Venezia, Giambatista Pasquali, 1738 -créé à Lucques avec une musique de Domenico Paradies

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-drama per musica -attori : Dario moribond, Alessandro, Sisigambi, Statira, Oronte, Megabise, Efestione -L’auteur juge inutile de rappeler les données historiques connues de tous : la mort de Dario et les conquêtes d’Alessandro. Il ajoute des personnages de fiction : Sisigambi, veuve de Dario et Oronte, roi des Scythes, amoureux de Statira, fille de Dario. L’action se déroule à Persépolis. Oronte complote avec Sisigambi contre Alessandro. Finalement le roi macédonien se montre magnanime, laisse Oronte rentrer en Scythie, laisse Sisigambi honorer la dépouille de son défunt mari, et épouse Statira. -pas de rééditions répertoriées.

Statira, Carlo Goldoni, 1741 -Statira, Carlo Goldoni, Venezia, Rossetti, 1741 -créé à Venise, Teatro Grimani di San Samuele, avec une musique de Pietro Chiarini -dramma per musica -attori : Statira, Arbace, Rosane, Learco, Artabano -Dario, roi de Perse, épouse en secondes noces Statira, dont il a un fils, héritier du royaume, nommé Dario également. Dario avait une fille née d’un premier mariage, Rosane, qu’il destinait à son neveu, Arbace. Il meurt en laissant la régence à Statira, son épouse, qui doit accomplir ses vœux. Mais Statira aime Arbace et Rosane aime Learco. Statira se confie à Artabano, qui saisit l’occasion pour obtenir l’amour de Rosane. Il fait éclater la vérité mais la situation se retourne contre lui : il se retrouve seul tandis que Statira épouse Arbace et Rosane Learco. -livret réédité à l’identique lors de nouvelles représentations en 1751, Venezia, Fenzo (Teatro Sant’Angelo, musique de Francesco Maggiore) et en 1756, Venezia, Pitteri (Teatro Grimani di San Samuele, musique de Giuseppe Scolari). Réédité dans le cadre des œuvres complètes de Goldoni, Opere drammatiche giocose del signor Goldoni, Venezia, Savioli, tome 7, 1770. Il existe plusieurs éditions récentes des œuvres complètes.

Il re pastore, Pietro Trapassi dit Metastasio, 1751 -Il re pastore, Metastasio, Vienna, Van Ghelen, 1751



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-créé au Regio Ducal Teatro de Plaisance. Musique de Giovanni Battista Lampugnani -drama per musica -personaggi : Aminta (Abdolònimo), Elisa, Tamiri, Agenore, Alessandro -Dans la campagne environnant la ville de Sidon, le berger Aminta goûte au repos et aux joies de l’amour avec Elisa lorsque survient Alessandro. Le guerrier, qui ne révèle pas son identité, annonce qu’il veut s’entretenir avec Aminta. Le refus argumenté d’Aminta questionne Alessandro : Aminta ne serait-il pas finalement le roi de Sidon Abdolonimo ? Les doutes se confirment au moment où Agenore révèle à Elisa la vérité : Aminta est l’héritier du trône de Sidon. Agenore amène le prétendant à Alessandro afin qu’il soit couronné de sa main. Elisa, accompagnée de Tamiri, se rend au palais de Sidon. Elle converse avec Aminta sur les dangers que peut susciter sa royauté tandis qu’Alessandro confie à Agenore sa volonté de marier Aminta à Tamiri. Les souffrances d’Agenore, conséquences de l’amour qu’il porte à Tamiri, et celles d’Aminta sont dévoilées à Alessandro grâce à Tamiri puis à Elisa. Avant la cérémonie royale, Aminta, de nouveau habillé en berger, redonne les ornements à Alessandro. Il délaisse la couronne pour laisser son cœur fidèle à Elisa car l’amour et le trône ne peuvent s’associer. Voyant le malheur de tous, Alessandro revient sur sa position. Il demande à Aminta et à Elisa de régner sur Sidon et donne à Agenore et Tamiri un autre royaume. -édition scientifique de référence : Drammi per musica, 1. Il periodo italiano 1724-1730, éd. A. L. Bellina, Venise, 2003-2005. Arrangements du livret en 1751, à Bologne, musique de Giuseppe Sarti ; en 1757, à Londres, musique de Johann Adolf Hasse ; en 1765, à Londres, musique de Felice Giardini ; en 1769, à Venise, musique de Baldassare Galuppi ; en 1775, musique de Wolfgang Amadeus Mozart, Salzbourg. -La première partition du Re pastore de Bono est consultable à la Staats- und Universitätsbibliothek de Dresde et à la Universitätsbibliothek de Leipzig. -Les sources invoquées par Metastasio sont en partie identiques à celle de Zeno pour Alessandro in Sidone, 1721 : Quinte-Curce, livre IV, 3 ; Justin, livre XI, 10.

Alessandro sotto le tende di Dario, Guido Riviera, 1751 -Alessandro sotto le tende di Dario, Guido Riviera, Milano, Giuseppe Richino Malatesta, 1751

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-créé au Regio Ducal Teatro de Plaisance. Musique de Giovanni Battista Lampugnani -drama nuovo per musica -personaggi : Alessandro, Dario, Statira, Rosane, Ermino, Efestione -L’opéra se situe dans les faubourgs d’Isso. Après avoir appris qu’Alessandro s’apprête à lancer l’offensive contre lui, le roi perse Dario décide de le devancer. Statira et Rosane tremblent d’effroi à l’idée qu’il se fasse tuer. Pensant que son père est réellement mort dans les combats, Statira se met aux pieds d’Alessandro. Son mépris à l’encontre du vainqueur pousse Alessandro à lui révéler que Dario est toujours vivant. Il lui annonce également son désir de paix et ses penchants amoureux. Statira le repousse bien qu’elle éprouve les mêmes sentiments à son égard. Chacun des deux amants souffre alors de la situation. De son côté, Dario, mécontent d’avoir perdu la bataille l’opposant à Alessandro, rencontre ce dernier. Dario lui demande de lui rendre Statira, Rosane et Ermino retenus prisonniers car il projette d’unir Statira à Ermino. Les sentiments des uns et des autres, d’abord cachés, commencent alors à transparaître : l’amour d’Efestione pour Rosane et celui d’Alessandro et de Statira. Bien qu’il soit conscient de cet amour réciproque et bien qu’Ermino le désapprouve, Dario confirme le projet de mariage entre Statira et Ermino. Les amants sont désespérés. Pourtant, tout se réalise comme prévu. La cérémonie débutant, Alessandro et Ermino apparaissent. Contre toute attente, Dario donne la main de Statira à Alessandro, le conquérant que le roi perse estime être le digne successeur de Ciro. -aucun arrangement connu du livret -Un air subsiste de la partition. Il est conservé à la Jean Gray Hargrove Music Library de l’université de Californie à Berkeley.

La disfatta di Dario, Carlo Diodato Morbilli, 1756 -La disfatta di Dario, Carlo Diodato Morbilli, duca di Sant’Angelo, Napoli, Lanciano, 1757 -créé à Naples, Teatro San Carlo, avec une musique de Pasquale Cafaro -dramma per musica -attori : Alessandro, Statira, Dario, Barsene, Seleuco, Nearco -Le drame se déroule sur les rives de l’Euphrate, près de la ville d’Arbèles. Il tire son sujet de la troisième bataille opposant Alessandro à Dario, celle où ce dernier trouve la mort d’après les « histoires ». Toutefois, pour éviter le tragique, Dario n’est pas mort mais seulement prisonnier. Alessandro, dans sa



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magnanimité et pour l’amour de Statira, rend à Dario sa liberté, son royaume et ses prisonniers, dont la princesse Barsene, qui aime Alessandro mais est aimée de Dario. Lors du lieto fine, Alessandro épouse Statira, fille de Dario, tandis que ce dernier épouse Barsene après la mort de son épouse en captivité. -Le livret est réédité d’abord l’année suivante, lorsque le même spectacle est repris au théâtre de Macerata, Napoli-Macerata, Ferri, 1757. Il l’est ensuite à l’occasion de sa reprise à Rome, Teatro di Torre Argentina, avec une musique de Giovanni Paisiello sous le même titre La disfatta di Dario, Carlo Diodato Morbilli, Roma, Casaletti, 1776. On le trouve enfin dans les œuvres complètes du duc de Sant’Angelo Carlo Morbilli, Raccolta de’ drammi cantate e sonetti, Napoli, 1778. -Un exemplaire de la partition manuscrite de Paisiello est répertorié à Naples, Biblioteca del Conservatorio di musica San Pietro a Majella, NA0059 16.7.1-2, et disponible en version numérisée. -L’auteur mentionne en note « Plutarque, Quinte-Curce et d’autres » sans plus de précisions, lorsqu’il explique les modifications apportées aux faits historiques.

Il trionfo d’Alessandro o sia La prigionia di Dario, Domenico ­Ricciardi, 1779 -Il trionfo d’Alessandro o sia La prigionia di Dario, Domenico Ricciardi, Firenze, Pagani, 1779 -créé à Florence, Teatro degl’Intrepidi, avec une musique de Mattia Stabingher -ballo eroico in quattro atti -personaggi : Alessandro, Rosane, Dario, Statira, Aspuria, Ariobarzane, Narbazate, Mezeo -livret non disponible en version numérisée bien que répertorié à Florence, Bibliothèque nationale ; à Naples, Biblioteca del Conservatorio di musica San Pietro a Majella ; à Venise, Fondazione Giorgio Cini ; livret réédité en 1781, Roma, Puccinelli à l’occasion d’une représentation à Rome, Teatro delle Dame. Compte tenu de la maison d’édition et/ou du compositeur de la musique, nous nous permettons de supposer que ce même livret donne lieu au ballet de Giuseppe Cappelletti, La disfatta di Dario, Roma, Puccinelli, 1805, musique de Mattia Stabingher (exemplaire conservé dans le Fondo Rolandi de la Fondazione Giorgio Cini à Venise, non disponible en version numérique), ainsi qu’au ballet de Luigi Bianchi, Il trionfo d’Alessandro ossia la disfatta di

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Dario, Genova, Stamperia italiana-francese, 1807 (toujours avec une musique de Mattia Stabingher).

Alessandro e Timoteo, Gastone Della Torre di Rezzonico, 1782 -Alessandro e Timoteo, Gastone Della Torre di Rezzonico, Parma, Stamperia reale, 1782 -créé à Parme avec une musique de Giuseppe Sarti -dramma per musica -personaggi : Alessandro, Timoteo, Taide, Barsene, Efestione -L’intrigue, qui se déroule à Persépolis, tend à montrer comment Alessandro passe de l’audace à la pitié, de la pitié à l’amour, de l’amour à la vengeance. Alessandro a vaincu Dario mais lorsque Timoteo, musicien et poète, lui ­apprend qu’il est mort de la main d’un traître, il jure de le venger. Il est ému par les larmes de Barsene mais ébloui par la beauté de Taide, beauté athénienne. Exalté par les ombres des guerriers grecs et par Efestione, il met le feu à la ville. -réédition du livret dans le cadre des œuvres complètes de Carlo Gastone Della Torre di Rezzonico, Opere poetiche : poemetti, poesie liriche, Alessandro e Timoteo, E. Guagnini, Ravenne, 1977 -Plusieurs exemplaires de la partition manuscrite de Sarti sont répertoriés à Naples, Biblioteca del Conservatorio di musica di San Pietro a Majella, 31.3.16 ; à Florence, Biblioteca del Conservatorio di musica Luigi Cherubini, F.P.T.467. -L’intrigue est inspirée du livre XII des Deipnosophistes d’Athénée et des « Grecs » sans autre précision, ainsi que d’une ode du poète anglais Dryden sur le pouvoir de la musique, Alexander’s Feast or The Power of Music : An Ode in Honour of St Cecila’s Day, 1697. Dans cette ode, Dryden évoque un banquet au cours duquel Alexandre célèbre avec les Grecs sa victoire sur Darius. Le musicien Timotheus élève Alexandre à la divinité. Cette ode s’achève sur une strophe à la gloire de sainte Cécile qui, ayant inventé l’orgue, a su amener sur terre une musique digne des anges. -Le livret a été adapté en anglais : Alessandro et Timoteo. Alexander and Timotheus : Or, Alexander’s Feast. A Musical Drama. Ital. And Eng, Carlo Castone Gaetano Della Torre di Rezzonico, London, 1800, disponible sur le site de la British Library : http://access.bl.uk/item/viewer/ark :/81055/vdc_ 100025270515.0x000001#ark :/81055/vdc_100025270525.0x00000e



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Apelle, Simeone Antonio Sografi, 1793 -Apelle, Simeone Antonio Sografi, Venezia, 1793 (pas de maison d’édition indiquée sur le frontispice) -créé à Venise, Teatro della Fenice, avec une musique de Niccola Antonio Zingarelli -dramma per musica -personaggi : Gran sacrificatore, Ippo, Alessandro, Apelle, Campaspe, Pamene, Efestione, à Éphèse -Alessandro revient auréolé de gloire de ses campagnes mais il ne reconnaît pas la Campaspe qu’il a connue et aimée. Lorsqu’il comprend qu’elle aime et est aimée d’Apelle, il veut d’abord se venger. Mais alors qu’il pense les avoir perdus à jamais, il comprend que les dieux leur sont favorables et bénit leur union. -réédition du livret en 1795, Bologna, Sassi, et Milano, Bianchi, sous le titre Apelle e Campaspe ; en 1796, Napoli, Flauto, sous le titre Apelle e Campaspe ; en 1804, Mantova, Braglia sous le titre Alessandro in Efeso -livret mis en musique également par Giacomo Tritta, Teatro San Carlo de Naples, 1796 et Mantoue, 1804. Des airs de la partition de Zingarelli et de Tritta sont conservés à Milan, Biblioteca del Conservatorio di musica Giuseppe Verdi, Mus. Tr. Ms. I338@3, I339@4, I341@6, I341@7, I344@1, I292, I295, I360, I474.

Il trionfo di Alessandro ossia la prigionia di Dario, Michele Fabiani, 1796 -Il trionfo di Alessandro ossia la prigionia di Dario, Michele Fabiani, Venezia, Valvasense, 1796, p. 29-37 -créé à Venise, Teatro la Fenice, avec une musique de Valentino Bertoja -ballo eroico in quattro atti -personaggi : Alessandro, Rosane, Dario, Statira, Nartasade, Meseo, Aspuria, Ariobasane -La scène se déroule près de la ville d’Issos. Sur le champ de bataille, les Perses sont vaincus. Lors de la retraite, Alessandro rencontre les filles de Dario, Statira et Rosane, qui se prosternent à ses pieds. Le héros les relève et tombe amoureux de Rosane. Dario essaie de s’enfuir avec ses filles mais Alessandro les surprend et les fait prisonniers. Une fois sa fureur passée, il rend sa liberté à Dario et lui demande la main de Rosane. Lors des noces, Dario tente

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d’assassiner Alessandro mais Rosane l’en empêche. Dans sa magnanimité, Alessandro pardonne au traître et accepte son amitié. -pas de rééditions répertoriées -partition non répertoriée.

Alessandro il grande, Andrea Willi, 1796 -Alessandro il grande, Andrea Willi, Venezia, Rosa, 1796 -pas d’indications sur une éventuelle représentation -tragedia in cinque atti -interlocutori : Alessandro, Dario, Statira, Parisatide, Efestione, Lisimaco, Aminta -La scène se déroule près d’Arbèles. Après le triomphe d’Alessandro, Dario tente de conjurer contre lui, avec l’aide de Lisimaco. Ils sont faits prisonniers et Lisimaco est jeté aux lions. Mais devant son courage et sur les conseils d’Efestione, Alessandro lui pardonne et le rend à l’amour de Parisatide, fille de Dario. Il pardonne également à Dario pour l’amour de Statira qu’il épouse. -Le livret est édité dans les œuvres complètes de l’auteur : Opere teatrali dell’abate Andrea Willi, t. 11, 1796

Alessandro in Armozia, Luigi Lamberti, 1808 -Alessandro in Armozia, Luigi Lamberti, Milano, Reale Stamperia, 1808 -créé à Milan, Teatro alla Scala, avec une musique de Pietro Ray -azione scenica, à l’occasion du retour de l’armée italienne du front germanique -personaggi : Alessandro il Grande, Nearco, Argia, Calano, Timandro -livret non disponible en version numérique mais répertorié en de nombreux exemplaires dans les bibliothèques de Milan, Florence, Naples, Venise, Palerme, Cremone, Padoue, Rome, Bologne, Parme, Mantoue -pas de partitions répertoriées.

Le nozze d’Alessandro e di Statira, Francesco Clerico, 1810 -Le nozze d’Alessandro e di Statira, Francesco Clerico, Napoli, Stamperia Flautina, 1810, p. 37-50



Opéras italiens (xviie-xixe siècle) 415

-créé à Naples, Teatro di San Carlo, avec une musique de Wenzel Robert von Gallenberg -ballo eroico in cinque atti -personaggi : Alessandro, Apollo, Amore, Figlio di Dario, Pontefice dei Magi, Sisigambi, Statira, Dripeti, Rossane, Ossiarte, Efestione -livret non disponible en version numérique mais répertorié en deux exemplaires à Florence, Biblioteca Marucelliana, Melodrammi Mel.2089.9, et à Naples, Biblioteca del Conservatorio di musica San Pietro a Majella, N. Oi.11.7/13 -pas de partitions répertoriées.

Il trionfo d’Alessandro Magno il Macedone, Andrea Passaro, 1815 -Il trionfo d’Alessandro Magno il Macedone, Roma, Puccinelli, Andrea Passaro, 1815 -créé à Rome, Teatro Argentina, avec une musique de Gaetano Andreozzi -dramma serio -personaggi : Alessandro, Cleonice (regina di Lidia), Arbace (re della Frigia), Semira, Parmenione, Osmano -livret non disponible en version numérique mais un exemplaire répertorié à Venise, Fondazione Giorgio Cini, fondo Rolandi ROL.0136.28 -pas de partitions répertoriées.

Alessandro alle porte Caspie, Giacomo Piglia, 1817 -Alessandro alle porte Caspie, Giacomo Piglia, Vicenza, Parise, 1817 -créé à Vicenza avec une musique de Pietro Generali -ballo eroi-tragico-pantomimo in cinque atti -personaggi : Alessandro, Efestione, Dario, Sisigambi, Statira, Artabazzo, Tisaferne, Polistrato (piccolo figlio di Dario), grandi di Persia, dame di corte, soldati macedoni, soldati persiani, sacerdooti, marinari, aux portes Caspiennes. -Le rideau s’ouvre sur la bataille. Alessandro est présent à la mort de Dario, avec Efestione, puis, après seulement, il se rend dans la tente du roi perse et rencontre sa famille, jurant au jeune fils de Dario de le venger. Alessandro tombe amoureux de Statira et sa mère Sisigambi accepte de la lui donner comme épouse, mais celle-ci est aimée d’Artabazzo. Fou de jalousie, celui-ci attaque Alessandro avec Tisaferne et d’autres conjurés, et enlève Statira. Il

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l’emmène sur les flots mais leur embarcation est emportée par une tempête. Les marins aux ordres d’Alessandro réussissent à sauver Statira, qui peut enfin épouser le roi macédonien. -livret réédité à l’occasion d’une reprise du ballet dans différents opéras en 1818 à Mantoue, l’Apollo ; en 1825, à Cremona, Manini ; en 1834-1835 à Piacenza -pas de partitions répertoriées -L’auteur mentionne « Tite-Live et d’autres » auteurs sans plus de précisions, lorsqu’il explique les libertés qu’il a prises par rapport aux faits historiques.

Il trionfo di Alessandro in Babilonia, Domenico Rossi, 1820 -Il trionfo di Alessandro in Babilonia, Domenico Rossi, Venezia, Casali, 1820 -créé à Venise, Teatro la Fenice, avec une musique de Nicola Vaccaj -ballo eroico in cinque atti -personaggi  : Alessandro, Efestione, Parmenione, Bagofane, Ameta, Apollodoro, Maseo, Talestri, Sisigambi, Statira, Saptina, Dripeti, Occo -Le rideau s’ouvre sur l’entrée triomphale d’Alessandro à Babylone, suivi de la famille de Dario et d’esclaves. Sisigambi, mère de Dario, implore la pitié d’Alessandro pour l’héritier du roi perse. Le Macédonien tombe amoureux de Statira et la demande en mariage, mais l’arrivée de Talestri, reine des Amazones, les interrompt. Alors qu’il est séduit par Talestri, Statira, folle de jalousie, tente de tuer Alessandro. Celui-ci fait emprisonner la princesse. Mais, ému par le motif de son geste, il lui pardonne ainsi qu’aux Babyloniens qui avaient tenté de conjurer contre lui. -pas de rééditions répertoriées -pas de partitions répertoriées -L’auteur en appelle à Metastasio, Voltaire et Virgile, pour justifier son remaniement des événements de façon anachronique.

Apelle e Campaspe o sia La generosità d’Alessandro il Grande, Gaetano Gioia, 1822 -Apelle e Campaspe o sia La generosità d’Alessandro il Grande, Gaetano Gioia, Napoli, Tipografia Flautina, 1822 -créé à Naples, Teatro San Carlo, avec une musique de différents auteurs, dont Raimondi -ballo



Opéras italiens (xviie-xixe siècle) 417

-personaggi : Alessandro, Efestione, Campaspe, Asteria, Apelle, schiavi -L’histoire se déroule à Thèbes. Au premier acte, Apelle est dans son atelier, terminant son portrait d’Alessandro. Le monarque arrive avec sa suite et demande au peintre de faire le portrait de sa favorite, Campaspe. Ébloui par sa beauté, Apelle hésite à la représenter sous les traits de Diane, Pallas, mais choisit finalement Vénus. Il lui avoue son amour, partagé, mais les amants se prosternent devant le portrait d’Alessandro. Ce dernier surprend leur passion et dans un premier mouvement, les condamne à un châtiment mérité. Mais dans le deuxième acte, il montre sa magnanimité en bénissant leur union. -Le ballet est réédité l’année suivante lors de son insertion dans le melodramma de Rossini, La Gazza ladra, représenté à Milan, Teatro alla Scala : Apelle e Campaspe, ballo in due atti, Milano, Pirola, 1823, p. 58-61. À cette occasion, le nombre de personnages est réduit à quatre : Alessandro, Efestione, Campaspe, Apelle. -Une partition du ballet réduite pour piano est répertoriée à Naples, Biblioteca del Conservatorio di musica San Pietro a Majella, 2.7.21/31. -Le chorégraphe et compositeur du ballet, Gaetano Gioia, se réfère à l’Histoire naturelle de Pline, chapitre X du livre XXXV.

Statira, Domenico Bolognese, 1853 -Statira, Domenico Bolognese, Napoli, Tipografia Flautina, 1853 -créé à Naples, Teatro San Carlo, avec une musique de Saverio Mercadante -tragedia lirica -personaggi : Statira (prêtresse de Diane), Olimpia, Cassandro, Antigono, Il gran sacerdote -L’action se déroule à Éphèse. Olimpia, fille d’Alexandre et de Statira, retrouve sa mère, qu’elle croyait perdue, en la prêtresse de Diane. Cassandro, roi de Macédoine, et Antigono, roi d’une partie de l’Asie, se disputent l’amour d’Olimpia qui aime Cassandro. Alors que leurs noces sont sur le point d’être célébrées, Antigono s’interpose : Olimpia ne saurait épouser Cassandro car ce dernier est le meurtrier de son père. Olimpia, qui a juré sur l’urne funéraire de son père de le venger, s’immole sur le bûcher. Cassandro, désespéré, se transperce de son épée, invitant Antigono à faire de même. -pas de rééditions répertoriées -La partition de Saveria Mercadante est conservée à Naples, Biblioteca del Conservatorio di musica San Pietro a Majella, disponible en version numérisée (OPAC-SBN). Certains airs sont conservés à Milan, Biblioteca del

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Conservatorio di musica Giuseppe Verdi, Noseda. T.38.19 ; V.22.11. ; V.22.12. ; V.22.14.

Olimpia, Charles Brifaut et Joseph Marie Armand Michel ­Dieulafoy, 1885 -Olimpia, Charles Brifaut et Joseph Marie Armand Michel Dieulafoy, Roma, Cuggiani, 1885 -La version originale française est créée à Paris, Académie Royale de Musique en 1819 (voir la notice dans le répertoire des pièces françaises). La version allemande est créée à Berlin en 1821. La version italienne l’est à Rome en 1885. La musique est toujours de Gaspare Spontini (la version italienne est posthume). Il s’agit d’une traduction du livret français remanié, le nom du traducteur n’est pas indiqué sur le livret italien. -melodramma lirico -personaggi : Olimpia, Statira, Cassandro, Antigono, Gerofante (les personnages d’Arbate et de Hermas, respectivement officiers de Cassandre et Antigone, présents dans la version française, ne figurent pas dans la version italienne) -À Éphèse, Antigono (roi d’Asie) et Cassandro (roi de Macédoine) sont réconciliés après s’être disputé le pouvoir sur l’empire à la mort d’Alexandre. Ils aiment tous deux la même femme, l’esclave Amenais qui n’est autre que la fille d’Alexandre. Sa mère, Statira, elle aussi déguisée, prêtresse de Diane, s’oppose au mariage entre Olimpia et Cassandro, qu’elle accuse d’avoir assassiné son mari. Elles découvrent leur identité à Cassandro. Olimpia défend Cassandro des accusations de sa mère, révélant qu’il a sauvé sa vie. Mais Statira veut prendre sa revanche avec l’aide d’Antigono. Mortellement blessé lors de l’affrontement, il avoue qu’il est le seul responsable de la mort d’Alexandre. Cassandro et Olimpia peuvent désormais se marier. La version italienne présente un lieto fine alors que chez Voltaire Olympie épousait Antigone et se jetait dans le bûcher où se consumait Statira en avouant son amour pour Cassandre et que, dans la version originale de 1819, Cassandre était le meurtrier d’Alexandre (après sa victoire, Statira et Olympie étaient appelées au ciel par l’esprit d’Alexandre sorti de sa tombe). -À la septième représentation à Paris, le livret est révisé (la fin tragique devient heureuse) et traduit en allemand pour la représentation de Berlin, Königliches Opernhaus, le 14 mai 1821. Le librettiste E. T. A. Hoffmann traduit le livret français mais en réécrit également tout le troisième acte. La version remaniée



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connaît le succès dans toute l’Europe. Elle est à nouveau traduite en français et représentée à l’Opéra de Paris en 1826. -Après 78 représentations à Berlin, la version allemande est donnée à Dresde en 1825 (avec des ajouts de Carl Maria von Weber à la musique de Spontini), à Kassel, à Cologne et en 1858 à Darmstadt. La version italienne créée à Rome en 1885 est reprise à Florence en 1950, à Milan en 1966, et au Festival de Perugia en 1979. Il en existe deux enregistrements en CD (1966, 1984). -Les opéras sont inspirés de la tragédie de Voltaire, Olympie, 1762 (voir la notice dans le répertoire des pièces françaises). Fanny Eouzan et Ludovic Piffaut Universités d’Aix-Marseille et de Lille Université de Poitiers

Œuvres germaniques (xviie-xixe siècle) Nous commençons ici au xviie siècle, sans reprendre les pièces de Hans Sachs1.

Der Grosse Alexander in Sidon, Christian Heinrich Postel, 1688 -créé à Hambourg (Gänsemarktoper) en 1688 avec une musique de Johann Philipp Förtsch -Singspiel -Alexandre, Héphestion, Eumenes (roi de Sidon), Eusonia (son épouse), Thaïs, Rodisbe, Orontes, Cleandre -3 actes -Acte I : Le duo amoureux d’Eumenes et de Thaïs est interrompu par Eusonia qui tente de poignarder sa rivale. Le roi se déguise pour échapper au soulèvement populaire et aux assiégeants, abandonnant à regret sa maîtresse. La reine ordonne que l’on précipite Thaïs dans une fosse ardente. Entré dans Sidon sous les vivats de la foule, Alexandre se montre clément envers la reine et sent poindre en son cœur le désir amoureux. Eumenes sauve Thaïs des mains de son bourreau et se fait passer pour mort. Acte II : La reine donne un bal costumé auquel Eumenes et Thaïs assistent incognito. Héphestion s’efforce de cacher à Alexandre son amour transi pour Eusonia tandis que le tempérant Alexandre résout de surmonter le sien. Acte III : Eumenes, sous son déguisement, veut se venger d’Alexandre. De son côté, Thaïs tente d’amadouer son ancien amant et lui révèle qu’Eumenes vit toujours. Arrêté, ce dernier est conduit au palais où il se voit restituer son épouse et sa couronne. Thaïs est chassée du royaume et Alexandre porté aux nues. -Une réécriture de l’opéra sous le titre de Alexander Magnus paraît sans mention d’auteur à Leipzig en 1698. Cette version fut représentée à Leipzig pendant la Pâques 1698. -d’après le livret d’Aurelio Aureli, Alessandro Magno in Sidone (1679) mis en musique par Marc’ Antonio Ziani 1.

Sur Hans Sachs, nous renvoyons à notre article, supra, p. 89-109.

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-édition utilisée : Der Grosse Alexander in Sidon, Christian Heinrich Postel, Hamburg, 1688 ; numérisé sur Staats- und Universitätsbibliothek Hamburg, http://digitalisate.sub.uni-hamburg.de/detail.html ?tx_ dlf%5Bid%5D=5819&tx_dlf%5Bpage%5D=1&tx_dlf%5Bpointer%5D=0

Diogenes Cynicus, Christian Heinrich Postel, 1691 -créé à Hambourg (Gänsemarktoper) en 1691 avec une musique de Johann Georg Conradi -Singspiel -Diogène, Alexandre, Antigène, Statira, Parisatis, Roxane, Dorisbe, Héphestion, Onniades (émissaire perse), Lysimaque, Parménion -3 actes -Acte I : Roxane est secrètement éprise d’Alexandre qui n’a d’yeux que pour Statira. Faisant taire elle aussi sa propre inclination naissante, Statira approuve le choix raisonné d’Alexandre de rejeter l’offre de paix et d’union matrimoniale de Darius. Son sens de l’honneur la conduit à refuser catégoriquement la proposition de son amant Antigène de s’enfuir avec lui. Diogène, qui épie l’action avec sa lanterne, admoneste tous les amoureux de la pièce : Roxane, Lysimaque et Héphestion qui se disputent les faveurs de Parisatis. Acte II : Alexandre déclare sa flamme à Statira qui, en retour, l’assure de sa haine. Elle n’en éconduit pas moins son amant qui projette à présent d’assassiner le roi. Des lettres anonymes de Roxane et d’elle-même mettent celui-ci en garde contre le danger qu’elle représente. À l’orée de la bataille d’Arbèles, Statira empêche Antigène de frapper Alexandre endormi. Lorsque celui-ci se réveille, il découvre Statira armée d’une épée mais ne cesse de l’aimer. Diogène révèle la vérité et la fidélité exemplaire de Statira, qui obtient d’Alexandre à la fois la grâce et la main d’Antigène. Toutefois, après la déroute perse, elle se déclare enfin prête à épouser le vainqueur, lequel marie en outre Héphestion et Parisatis. -d’après le livret de Nicolo Minato, La lanterna di Diogene -édition utilisée : Diogenes Cynicus, Christian Heinrich Postel, Hamburg, 1691 ; numérisé sur Staats- und Universitätsbibliothek Hamburg, http:// digitalisate.sub.uni-hamburg.de/detail.html ?tx_dlf%5Bid%5D=6009&tx_ dlf%5Bpage%5D=1&tx_dlf%5Bpointer%5D=0



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Der Sieg-reiche Alexander, anonyme, 1692 -créé à Hambourg (Gänsemarktoper) en 1692 -Singspiel -Alexandre (amoureux de Sisygambis), Sisygambis, Zelmane, Orsanes (prince perse en habits de femme, amoureux de Sisygambis) alias Artaxia, Héphestion (amoureux de Zelmane), Barsine (amoureuse d’Alexandre), Parménion, Chremes (vieillard) et sa femme Rubicunda, Syrmus (serviteur d’Héphestion), Vénus et Cupidon, chœur des soldats -5 actes -Après la défaite de Darius, Héphestion a capturé deux princesses perses : Alexandre tombe aussitôt amoureux de Sysigambis et Héphestion de Zelmane. Barsine en conçoit un profond dépit et s’en ouvre à Sisygambis qui lui promet de ne pas épouser le roi, étant déjà promise à Orsanes. La concubine n’en croit rien et veut empoisonner sa rivale. Alexandre, qui en a eu vent, la fait emprisonner. Orsanes est résolu à tuer le roi qui déjoue l’agression et le fait condamner à mort. Sysigambis veut se poignarder, Orsanes l’en empêche. Zelmane rapporte les faits à Alexandre qui consent à marier Orsanes et Sysigambis de même qu’il consacre l’union d’Héphestion et de Zelmane. Barsine est grâciée. -édition utilisée : Der Sieg-reiche Alexander, dans Neue vortreffliche SchauSpiele/ So auff den Hamburgischen Schau-Platze sind praesentiret worden, Hamburg, 1694 -L’intrigue et les noms des personnages correspondent à l’Opéra d’Alexandre de 1691 (voir la notice de ce texte français). La seule différence concerne la présence, dans le texte allemand, du vieillard Chremes et de sa femme Rubicunda.

Der sich selbst bezwingende Alexander, anonyme, 1693 -créé à Weißenfels, le 3 novembre 1693 -opéra -Vénus, Cupidon et Gloria, Alexandre, Héphestion, Clitus, Perdiccas, Campaspe, Roxine (sa nourrice), Dorispe, Anaximène, Diogène, Apelle, Hypodamos, Bacchus, Silène -5 actes -Alexandre veut rayer de la carte Lampsaque, la seule cité grecque qui refuse de le suivre dans sa campagne de Perse. Il reçoit Anaximène en audience et celui-ci parvient à sauver sa ville par une ruse rhétorique. Alexandre demande à Apelle de faire le portrait de Campaspe. Puis il fait preuve de maîtrise de

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soi face à l’insolence de Diogène. À la demande d’Alexandre, Apelle fait le portrait de Campaspe et tombe amoureux du modèle. Alexandre surprend Campaspe s’adressant à Apelle dans ses rêves et espionne alors les amants pour les prendre sur le vif. Vénus lui apparaît en rêve, l’exhortant à se dominer et à pardonner. Devant l’assemblée réunie, Alexandre marie Campaspe et Apelle avant de repartir en campagne. L’arrière-scène s’ouvre alors sur le portrait du dédicataire de l’opéra, le duc Jean-Adolphe Ier de Saxe-Weißenfels. -édition utilisée : Der sich selbst bezwingende Alexander, anonyme, Weißenfels, Johann Brühl Erben, 1693.

Porus, Friedrich Christian Bressand, 1693 -créé à Brunswick (Opernhaus am Hagenmarkt) en 1693 avec une musique de Johann Sigismund Kusser -Singspiel -Alexandre, Perdiccas, Porus, Zarina (sa deuxième épouse), Romila (sa fille), Barsène (sa belle-fille), Orsanes (prince indien), Arsites (confident de Zarina), Nicias (capitaine d’Alexandre, confident de Perdiccas), Planes (valet de Perdiccas), chœur des Macédoniens et des Indiens -5 actes -Acte I : Perdiccas est déchiré entre son devoir de combattant et son amour pour la princesse indienne Barsène. Son devoir à elle est de cacher sa propre inclination envers le Macédonien (« Je ne crois pas que je te haïsse / Mais tu souffres que je trépasse ») et de rappeler Perdiccas au sien. Acte II : Porus, que de fausses lettres ont rendu jaloux d’Alexandre, réussit à approcher son épouse captive qui craint pour sa vie et lui enjoint de s’en aller, exacerbant en cela sa méfiance. Acte III : Porus veut tuer Zarina et elle se donner la mort. De son côté, Orsanes soupçonne sa bien-aimée Romila d’aimer Perdiccas. Acte IV : Alexandre fait arrêter Orsanes qui a provoqué son supposé rival en duel. Il dévoile à Porus la machination dont il a été victime et Porus reconnaît son aveuglement. Acte V : Les Macédoniens triomphent au combat, Alexandre le magnanime laisse à Porus son royaume et le dénouement consacre l’union des trois couples. -Une nouvelle version du livret, avec la collaboration de Christian Heinrich Postel, parut la même année chez le même éditeur sous le titre Der Durch GrossMuth und Tapferkeit besiegete Porus. L’opéra a été repris au Gänsemarktoper de Hambourg en 1694.



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-Le livret s’inspire de la tragédie Alexandre le Grand de Jean Racine. Sources mentionnées : Plutarque, Arrien, Diodore de Sicile, Quinte-Curce. -édition utilisée : Porus : Singe-Spiel, Friedrich Christian Bressand, Braunschweig, Kaspar Gruber, 1693.

Alexanders und Roxanen Heyrath, Johann von Besser, 1708 -créé à Berlin le 28 novembre 1708 avec une musique d’Augustin Reinhard Stricker, à l’occasion du mariage du roi de Prusse et de la princesse Sophie Louise, duchesse de Meckenburg -Singspiel, opéra-ballet -Jupiter, Apollon, les neuf muses, Cupidon, Alexandre, Roxane, Oriartes (son père, prince bactrien), Teronbazes (prince perse), Cléone (compagne de Roxane), Héphestion, soldats macédoniens et perses -3 actes -Acte I : Alexandre veut épouser Roxane et demande conseil à Héphestion. Teronbazes se désespère car il pressent que le roi et lui partagent une même inclination pour la princesse. Alexandre a demandé à Oriartes la main de Roxane, qui ne s’attendait pas à une telle faveur. Acte II : Roxane, saisie de crainte, redoute que le roi puisse un jour se détourner d’elle : « Mieux vaut ne jamais être aimée / Qu’être une amante délaissée. » Alexandre vient auprès d’elle quérir son assentiment et lui offrir la couronne qu’elle accepte : Roxane n’a certes aucun bien, mais elle n’en a que plus d’amour. Acte III : Teronbazes se résout de parler à Roxane qui l’éconduit. Au cours de la cérémonie de mariage, les époux se jurent une fidélité éternelle, matérialisée par le partage entre eux d’un pain tranché à l’épée. -sources alléguées par l’auteur dans l’argument : Arrien, livre IV, Strabon, livre II, Plutarque, ch. 19, Diodore de Sicile, livre XVIII -édition utilisée : Alexanders und Roxanen Heyrath, Johann von Besser, Cölln an der Spree, Ulrich Liebpert, 1708. Le livret a été réédité dans les œuvres de l’auteur : Des Herrn von B. Schriften, Leipzig, Johann Friedrich Gleditsch und Sohn, 1711 ; Des Herrn von Besser Schriften, t. 2, édité par Johann Ulrich König, Leipzig, Johann Friedrich Gleditschens sel. Sohn, 1732 ; également dans Karl von Ledebur, König Friedrich I. von Preussen Beiträge zur Geschichte seines Hofes, sowie der Wissenschaften, Künste und Staatsverwaltung jener Zeit, t. 2, Leipzig, Schulz, 1884.

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Darius, ein Trauerspiel in einem Aufzug, Joseph Valentin Edlem von Speckner, 1775 -tragédie -Darius, Alexandre, Sysigambis, Ochus (benjamin de Darius), Polystrate, Mithracène, Orsillos, en pleine forêt -un acte, 4 scènes -Le Macédonien Polystrate découvre en pleine forêt Darius enchaîné et gravement blessé et il lui prête assistance. Rejoint par deux Perses pendant sa longue agonie, le roi déchu loue « le vainqueur de l’Asie » pour son humanité. Arrivent alors sa mère et son jeune fils en compagnie d’Alexandre. Darius remercie celui-ci d’avoir recueilli sa mère et bénit le futur « maître du monde ». Alexandre, magnanime, promet une vengeance exemplaire, recouvre le défunt de son manteau royal et partage la douleur de Sysigambis. -source évoquée par l’auteur dans le paratexte : Quinte-Curce, livre V, 13 : « Haec dicentem (Darium) accepta Polystrati Manu Vita destituit : quibus Alexandro nuntiatis ad Corpus Demortui perveniens, tam indignam illo Fastigio Mortem Lacrimis prosequutus est. » -édition utilisée : Joseph Valentin von Speckner, Darius, ein Trauerspiel in einem Aufzug, München, Franz Joseph Thuille, 1775 (réédition Augsburg, Karl Friedrich von Jenisch und Conrad Heinrich Stage, 1777), disponible sur le site de la Bayerische Staatsbibliothek : http://www.mdz-nbn-resolving.de/ urn/resolver.pl ?urn=urn :nbn :de :bvb :12-bsb10120380-1

Dario / Darius, Antonio de Filistri da Caramondani, 1791 -créé au Königliches Theater de Berlin pour le carnaval de 1791 avec une musique de Felice Allesandri -dramma per musica bilingue italien-allemand -Alexandre, Darius, Statira, Ochus (alias Sebast), Arsène (sœur d’Alexandre), Parménion, Tomiris (épouse de Darius), Semire (sœur de Darius), Ossatre (frère de Darius), Héphestion, Dripetis (fille de Darius) alias Glauce, Ersille (princesse perse), Leonat (cavalier macédonien) -3 actes -Acte  I : L’armée d’Alexandre passe les monts Gordiens, emmenant avec elle les prisonnières perses et la sœur d’Alexandre, compagnes d’infortune car Statira est amoureuse d’Alexandre tandis qu’Arsène l’est du prince perse Ochus. Celui-ci court au secours de son père qu’Alexandre s’apprête à



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nouveau à combattre. Statira implore son amant de n’en rien faire. Alexandre surprend Darius qui s’est infiltré dans le camp ennemi sous un déguisement pour voir sa famille. Acte II : Menaçant de tuer Arsène, Orchus contraint Alexandre à libérer Darius, qui revient ensuite vers lui pour faire la paix. Malgré les supplications de Statira et les conseils de Parménion, Alexandre rejette l’offre de Darius. On apporte le manteau de Darius et Tomiris attente à ses jours. Acte III : Alexandre accède enfin à la prière de Statira et se dit prêt à conclure la paix. C’est alors que l’on apprend la félonie de Bessus et Nabarzanes. Alexandre promet que le crime ne restera pas impuni. Le chœur final consacre son triomphe. -édition utilisée : Dario / Darius, Antonio de Filistri da Caramondani, Berlin, Haude und Spener, 1791.

Alexander, Emanuel Schikaneder, 1801 -créé le 13 juin 1801 à Vienne, pour l’ouverture du Theater an der Wien, avec une musique de Franz Teyber -opéra-héroïque -Alexandre, Kiasa (reine de l’Inde), l’héritier du trône âgé de douze ans, le grand prêtre, Makuro (un grand dignitaire indien), Liusa (son épouse), Héphestion, Ridoll (un Noir), Taro (le valet de Makuro), Leo (garde-forestier), Billu et Latta (ses filles), ses deux fils, Perdiccas, Cratère, Kilon (général indien) -2 actes -Acte I : Le grand prêtre et la reine veuve invoquent l’oracle pour connaître le sort de l’Inde. La reine consent à ce que Makuro, le premier homme de l’État, use d’un stratagème de dernier recours pour sauver le royaume. La bataille fait rage sous les murs de la ville, Alexandre l’emporte et le prince héritier est fait prisonnier. Makuro s’introduit sous un habit macédonien auprès d’Alexandre ; se donnant pour un disciple d’Apelle, il lui montre un portrait de la reine dont la beauté le subjugue aussitôt. Alexandre pactise avec le jeune prince et le laisse retourner à Bezira annoncer la venue d’un émissaire. Acte II : Alexandre se fait passer pour Héphestion et propose à la reine la paix moyennant tribut. Alexandre est confondu grâce à un portrait peint par Makuro. Le peuple veut se saisir de lui, mais le jeune prince l’aide à s’enfuir. Non loin de la ville, il retrouve Makuro, avec lequel il revient à Bezira dans le dessein d’épouser la reine. Le peuple consent à cette union dès lors que le pays conserve sa souveraineté. La fête nuptiale clôture l’opéra.

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-édition utilisée : Alexander, Emanuel Schikaneder, Wien, Albert, 1801.

Alexander von Macedonien, Carl Theodor Beil, 1821 -Mannheim, 1821 -poème dramatique -Darius, Statira (son épouse), Sisygambis (sa mère), Alexandre, Mardonius, Memnon, Bessus (généraux de Darius), Clitus, Parménion, Perdiccas, Amintas, Philotas (fils de Parménion), Philocalos (sculpteur), Philippe, à Arbèles et aux environs, dans le palais et sur la place de Babylone -4 actes -Acte I : Alexandre brave la mise en garde de Clitus et absorbe la potion que lui tend son médecin. Contre l’avis de Parménion, il refuse l’offre de paix de Darius. Ce dernier se lamente sur ses défaites, accusant les siens de trahison. L’acte se clôt sur l’effroyable vision prémonitoire de la mère de Darius. Acte II : Alexandre, dont l’ambition guerrière ne cesse de croître, défie Zeus. Après la prise d’Arbèles, il fait du sculpteur Philocalos et de la reine mère ses protégés. Il loue la liberté de ton d’un émissaire scythe venu défendre la liberté de son peuple, comme il sut apprécier celle de Diogène. Bessus annonce son dessein de tuer Darius pour s’attirer les faveurs du vainqueur. Au faîte de sa puissance, ce dernier s’identifie au souverain assassiné et se met à soupçonner son propre entourage de vouloir le trahir. Acte III : Memnon et ses soldats grecs opposent une résistance farouche pour le salut de la reine. Alexandre admire l’amour indéfectible que Statira voue à son mari défunt et exauce son vœu d’une vie simple et retirée. Acte IV : Philotas implore Alexandre de renoncer à la campagne d’Asie, puis devant le refus de ce dernier, lève son arme contre lui. Lorsque Clitus s’insurge contre l’exécution de Philotas et de son père, Alexandre le tue, avant de se repentir et de s’apitoyer sur lui-même. La scène finale montre néanmoins le monarque en grand apparat et le désigne comme le « maître des nations », unificateur des races et des cultures. -édition utilisée : Carl Theodor Beil, Alexander von Macedonien : Dramatisches Gedicht in vier Abtheilungen, Mannheim, Schwan und Götz, 1826, 2e édition (1ère édition 1821), disponible sur le site de l’Universitäts- und Landesbibliothek Münster : http://sammlungen.ulb.uni-muenster.de/um/ content/titleinfo/1830226



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Olimpia, Charles Brifaut et Joseph Marie Armand Michel ­Dieulafoy, Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, 1821 -opéra -traduction et adaptation allemande par E. T. A. Hoffmann de la tragédie lyrique française Olimpie, inspirée de l’Olympie de Voltaire, écrite par Charles Brifaut et Joseph Marie Armand Michel Dieulafoy et créée à Paris en 1819. Après le départ de Spontini à Berlin en 1820 et l’adaptation allemande du livret par E. T. A. Hoffmann – sa traduction et sa transformation de l’acte III –, création allemande de l’opéra en 1821 à Berlin, puis retraduction en français du livret allemand de Hoffmann pour la recréation de l’œuvre en 1826 à Paris, en italien à Rome en 1885 -livret allemand disponible sur le site Digitale Bibliothek-München, http:// daten.digitale-sammlungen.de/~db/0006/bsb00062652/images/index. html ?id=00062652&fip=xsxdsydxdsydewqwxdsydeayaqrseayaewqw&no= 9&seite=5 -voir la notice sur l’Olimpie française, 1819, et la notice sur l’Olimpia italienne, 1885.

Abdolonimus, aus einem Gärtner König von Sidon, Franz Xaver Jann, 1821 -comédie -Alexandre, Héphestion, Dorandes, Ebion (deux frères, nobles de Sidon), Abdolonyme, Ochus, Orathres, Pharatres (ses fils), Varanes (son ami), dans la ville de Sidon -3 actes -Acte I : Le plus jeune des fils du pauvre jardinier Abdolonyme voit Alexandre en songe couronner son père. Lorsqu’Héphestion vient quérir ce dernier, l’enfant se refuse à révéler où il se trouve. Dorandes et Ebion ont décliné le trône de Sidon qui revient de droit à Abdolonyme, dernier descendant d’une lignée royale. Acte II : Abdolonyme paraît enfin pour refuser catégoriquement la couronne qu’Héphestion lui offre, préférant cultiver son jardin. Ebion, par ruse, l’encourage dans son refus d’une proposition qui ne serait qu’une mascarade. Acte III : L’intrigant est démasqué en présence d’Alexandre et Abdolonyme finit par accepter sa charge à contrecœur. Alexandre l’intronise et libère ses deux fils aînés qui ont fait preuve d’un grand courage. Abdolonyme manifeste sa mansuétude en graciant le fourbe Ebion qui se repent.

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-source évoquée par l’auteur dans le paratexte : Quinte-Curce, IV, 1 ; Christian Heinrich Postel, Der Grosse Alexander In Sidon, 1688 -édition utilisée : Franz Xaver Jann, Abdolonimus, aus einem Gärtner König von Sidon. Ein Schauspiel in drey Aufzügen, dans : Lehrreiche bisher ungedruckte Trauer- und Schauspiele für die studierende Jugend, Augsburg, Nicolaus Doll, 1821, p. 73-126 numérisé par Google : https ://books.google.de/books ?id=GZw6AAAAcAAJ&pg=PR1&lpg=PR 1&dq=Lehrreiche,+bisher+ungedruckte+Trauer-+und+Schauspiele&sourc e=bl&ots=hMW9Wy7jYv&sig=ZAEy_XNHV6lT_vB7ZUt-gjvpE0g&hl= fr&sa=X&ved=0ahUKEwiJjeyjvbvNAhXI6CwKHXiuAeQQ6AEIITAA# v=onepage&q=Lehrreiche%2C%20bisher%20ungedruckte%20Trauer-%20 und%20Schauspiele&f=false

Darius und Alexander oder die Verschwörung des Bessus, Peter Friedrich von Uechtritz (pseudonyme : X.Y.Z. Clärobscür), 1826 -Seule la pièce du même auteur titrée Alexander und Darius et publiée à Berlin en 1827 a été donnée en 1824-1825 dans deux théâtres allemands. -tragédie -Alexandre, Darius, Atossa (son épouse), Sisygambis (sa mère), Statira (sa fille), Ochus (son benjamin), Parménion, Héphestion, Clitus, Aristandre (devin), Bessus, Nabarzane et Spitamène (généraux de l’armée perse), Thymodes, Patran (commandants des mercenaires de l’armée perse), Charidème, qui se fait passer pour Polystrate, Cléone et Irène (confidentes de la reine), le grand prêtre du temple solaire de Persépolis, un mage, messagers impériaux perses, esclaves, Amistres et Tyriotes (deux eunuques noirs dans l’entourage de la reine), soldats macédoniens et perses, Persépolis (acte I), aux environs de Babylone (acte II) et d’Arbèles (actes III et IV), à la frontière entre l’Inde et la Bactriane (acte V) -5 actes -Acte I : Une effroyable tempête et les rêves prémonitoires de la reine mère et de l’épouse de Darius font présager la fin de l’empire et la trahison de Bessus. Acte II : Darius confie à Bessus la direction de l’armée. Charidème lui prédit la défaite. Après la bataille du Granique, le roi propose la paix à Alexandre et lui donne la main de sa fille que celle-ci préfère à celle du traître Bessus. Acte III : Lors de la bataille d’Issus, Darius s’illustre par son courage. Tandis que la reine et sa suite sont faites prisonnières, Bessus veut livrer le roi en



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échange de la couronne. Acte IV : À la bataille d’Arbèles, Bessus n’engage pas son armée en appui du roi qui doit battre en retraite, puis il le fait prisonnier malgré la résistance des mercenaires grecs. Acte V : Bessus s’est autoproclamé roi. Devant ses lieutenants médusés, il poignarde Darius dont Charidème recueille les dernières paroles. Alexandre fait capturer le régicide qui se suicide. Le mariage avec Statira doit sceller l’union de l’Europe et de l’Asie. -sources évoquées par l’auteur dans le paratexte : Arrien, Quinte-Curce, Diodore de Sicile, Plutarque et Justin -édition utilisée : Peter Friedrich von Uechtritz, Darius und Alexander oder die Verschwörung des Bessus, Trauerspiel in fünf Aufzügen von X.Y.Z. Clärobscür, Leipzig, Köhler, 1826 ; disponible sur google : https ://play.google.com/ books/reader ?id=BcpIAAAAcAAJ&printsec=frontcover&output=reader &hl=fr&pg=GBS.PR8

Olympias. Geschichtliches Trauerspiel, Friedrich Marx, 1863 -Graz, Landschaftliches Theater, 1870 -drame historique -Olympias, Roxane, Alexandre (Alexandre Aigos, son fils), Philippe  III Arrhidée (roi des Macédoniens, demi-frère d’Alexandre), Eurydice (son épouse), Thessaloniké (belle-fille de la reine Olympias), Acacides (roi d’Épire), Aristonus et Monimus (généraux d’Olympias), Cassandre (régent de l’empire), Clitus (garde du corps du roi Ph. Arrhidée), en Épire et en Macédoine -5 actes -La pièce se déroule après la mort d’Alexandre le Grand. Acte I : La tentative d’Eurydice de faire assassiner le jeune Alexandre a échoué. La reine-mère Olympias et sa bru se sont retirées en Épire. Contre l’avis de ses proches, Olympias se rend dans le camp ennemi sur les rives du lac Lychnis. Acte II : Clitus et Eurydice parviennent à convaincre le roi Philippe Arrhidée de livrer bataille lorsque surgit Olympias, portée en triomphe par les troupes. Acte III : Eurydice et le roi de Macédoine ont été jetés en prison. Olympias fait assassiner ce dernier et contraint son épouse au suicide. Acte IV : Cassandre assiège et prend la ville de Pydna dans laquelle Olympias et les siens ont trouvé refuge. Il emmène avec lui Roxane et le jeune Alexandre. Acte V : Cassandre convainc Thessaloniké de l’épouser et promet de protéger Olympias du vengeur du roi Philippe, mais Clitus fait irruption dans le palais et transperce la reine d’une javeline. -édition utilisée : Friedrich Marx, Olympias. Geschichtliches Trauerspiel, Leipzig, Philipp Reclam jun. (Universal-Bibliothek no 231), s. d. (vers 1900) ;

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première édition : Friedrich Marx, Olympias. Geschichtliches Trauerspiel, Vienne, Hermann Markgraf, 1863.

Alexander der grosse, Hans Herrig, 1871 -drame -Darius, Sisygambis, Roxane, Bessus, Artabaze, un mage, Alexandre, Clitus, Héphestion, Perdiccas, Léonidas, Ptolémée, Parménion, Philippe, Halicus (un pêcheur), Thaïs, Calanos, dans le palais royal de Persépolis, au cap Sigée, sous la tente d’Alexandre, dans la forêt -5 actes -Acte I : Les émissaires des peuples d’Asie se prosternent devant Darius ; l’envoyé grec, venu apporter la déclaration de guerre, s’y refuse. Calanos traverse le palais sans prêter attention à Darius et poursuit vers l’Ouest l’étoile du « plus grand des hommes », Alexandre, qui accoste avec sa suite près du tombeau d’Achille et de Patrocle. Acte II : Alexandre malade passe outre la mise en garde de Clitus et boit la potion de son médecin, puis s’endort et la bataille s’engage sans lui. À peine levé, il se lance à l’assaut des Perses. Darius, défait à Gaugamèles, se retire dans son palais et Bessus le transperce de son épée. Mourant, le roi confie son épouse et sa mère à Alexandre. Acte III : La veille de ses noces, Alexandre festoie en compagnie de Thaïs et de ses proches. Ivre, il tue Clitus ; Thaïs, Héphestion et Perdiccas le consolent. À peine marié, Alexandre résout de conquérir l’Asie, guidé par Calanos. Sur le point de mourir, ce dernier révèle à Alexandre qu’il fut le roi de l’Inde avant de se faire pèlerin. Sous la pression de son armée, Alexandre décide de rentrer au pays. Acte V : Souffrant et tourmenté, de plus en plus soupçonneux, il sent son étoile décliner. Son entourage l’adore comme un dieu, les émissaires des peuples d’Asie lui font à présent allégeance, mais l’envoyé de Rome refuse de se prosterner. Alors Alexandre sombre dans une démence mégalomane avant de s’éteindre dans les bras du Romain. -Herrig dédie la pièce à Richard Wagner qui avait projeté un opéra en trois actes sur Alexandre. -édition utilisée : Hans Herrig, Alexander der grosse, dans Hans Herrig, Gesammelte Schriften, t. 5, Berlin, Friedrich Luckhardt, 1888, 3e édition remaniée (2e édition 1879). Florent Gabaude Université de Limoges

Index des noms des auteurs, des compositeurs et des œuvres Abdolomino, p. 35, 402-403 Abdolonime ou le Roi berger, p. 28, 349-350 Abdolonime, roi de Sidon, p. 28, 338, 344 Abdolonimus, aus einem Gärtner König von Sidon, p. 28, 429-430 Abos, Girolamo, p. 405 Abrégé des histoires philippiques de Trogue-Pompée, p. 78, 90, 143 n. 5, voir Justin Achille in Sciro, p. 306 n. 13 Adelaide, p. 305, 306 n. 13 Adriano in Siria, p. 307 n. 20 Afferi, Giuseppe, p. 311, 312 Agamemnon, p. 101 Albinoni, Tomaso, p. 307, 401 Alceste, p. 401 Alessandro, p. 35, 290, 301, 397-398, voir Haendel Alessandro alle porte Caspie, p. 31, 415-416 Alessandro amante (L’), p. 392, voir Amori di Alessandro Magno e di Rossane Alessandro amante eroe, p. 398, voir Amante eroe (L’) Alessandro e Timoteo, p. 35, 412 Alessandro et Timoteo. Alexander and Timotheus: Or, Alexander’s Feast, p. 412 Alessandro fra le Amazoni, p. 33, 304, 403 Alessandro il grande, p. 414 Alessandro in Africa, p. 34, 407 Alessandro in Armozia, p. 414

Alessandro in Persia, p. 34, 407-408 Alessandro in Sidone, p. 35, 404, 409 Alessandro in Susa, p. 33, 305, 401 Alessandro Magno in Sidone, p. 34, 36, 300, 394-395, 421 Alessandro nell’Indie, p. 33-34, 303313, 404-406, voir Metastasio, Abos, Anfossi, Araya, Bach, F. Bianchi, Bertoni, Bottarelli, Brivio, Brunetti, Callegari, Caruso, Cherubini, Chiarini, Cimarosa, Cocchi, Corri, Corselli, Dal Barba, Fischietti, Galuppi, Gatti, Gnecco, Guglielmi, Hasse, Holzbauer, Jommelli, Kozeluch, Lampugnani, Latilla, Lucchini, Mancini, Marescalchi, Monza, Mortellari, Naumann, Pacini, Perez, Pelegrini, Pescetti, Piccinni, Predieri, Rust, Rutini, Sacchini, Sarti, Scalabrini, Scarlatti, Schiassi, Scilori, Scolari, Tarchi, Traetta, Vincenti, Vinci, Wagenseil Alessandro sotto le tende di Dario, p. 409-410 Alessandro vincitor di se stesso, p. 19, 33, 290, 292, 294 n. 12, 297-299, 392-393 Alexander, p. 427-428, voir Schikaneder Alexander der grosse, p. 432 Alexander et Darius, p. 275 Alexander Magnus, p. 19, 141-159, 276, 333-334, voir Paillot Alexander Magnus, p. 57, 275, voir Salz Alexander Magnus, p. 421, voir Grosse Alexander in Sidon

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Index des noms des auteurs, des compositeurs et des œuvres

Alexander Magnus in Dario Persarum Rege devicto mage pius quam fortis, p. 57 n. 34, 274 Alexander Magnus, p. 273, voir Innocentia sero detecta in Philota Alexandri Magni supremo Duce Alexander parvulus magno major, p. 58, 267, 269-271 Alexander’s Feast, or, The Power of Music : An Ode in Honour of St Cecila’s Day, p. 19, 35, 381-382, 412, voir Dryden et Haendel Alexander the Great, p. 19, 380 Alexander the Great ! In Little, p. 39, 383 Alexander the Great, or, the Conquest of Persia, p. 30, 383 Alexander trans Tanaim, p. 273 Alexander von Macedonien, p. 25, 428 Alexanders und Roxanen Heyrath, p. 30, 425 Alexander, William, p. 11, 253, 255, 371-372, 374 Alexandraean Tragedy (The), p. 11, 253, 255, 256, 371-372 Alexandre, p. 131, 341-342, voir Fénelon Alexandre, p. 11, 75-87, 112, 319, voir La Taille, Jacques de Alexandre aux Indes, p. 37, 39, 125, 351-352, voir Lefroid de Méreaux et Morel de Chédeville Alexandre chez Apelles, p. 28, 366-367, voir Bayard et Dupin Alexandre chez Apelles, p. 30, 359-360, voir Gardel Alexandre consulte l’oracle d’Apollon (tableau), p. 126 Alexandre en prose français, p. 249 Alexandre et Apelle, p. 26, 28, 126 n. 9, 358, voir Delisle de Sales Alexandre et Apelle, p. 37, 364, voir Guibert

Alexandre et Apelle, p. 28, 362, voir La Ville de Mirmont Alexandre et Campaspe de Larisse ou le triomphe d’Alexandre sur soi-même, p. 30, 346-347, 364 Alexandre et Darius, p. 20, 131 n. 29, 337-338, voir Goiseau Alexandre et Roxane, p. 30, 155, 344-345 Alexandre et Thalestris, p. 30, 345-346 Alexandre le Grand, p. 9, 16-17, 33, 146 n. 16, 205 n. 1, 332, 425, voir Racine Alexandre le Grand, p. 21, 22 , 24, 41, 125-137, 355-356 voir Rousseau, Thomas Alexandre le Grand, p. 275, voir Paillot et Alexander Magnus Alexandre le Grand et le serpent maudit, p. 279 Alexandre le Macédonien, p. 20, 365-366 Alexandre ou le parricide puni, p. 141 Alexandre sur les bords de l’Hydaspe, p. 24, 26, 126 n. 9, 353-354 Alexandreis, p. 5 Alexandri lachrymae, p. 57, 275 Alexandri Magni Fortuna, p. 57 n. 31, 271-272 Alexandri Magni Victoria cum clementia, p. 275 Allesandri, Felice, p. 426 Alliterative Morte Arthure, p. 249 Amante eroe (L’) p. 33, 398 Amazon Queen, or, The Amours of Thalestris to Alexander the Great, p. 18, 376-377 Amor al uso (El), p. 202 n. 28 Amor guerriero (L’), p. 294 n. 13 Amorevoli, Angiolo, p. 309 Amori di Alessandro Magno e di Rossane (Gli), p. 19, 290-296, 392, voir Glorie e gli amori di Alessandro Magno e di Rossane

Index des noms des auteurs, des compositeurs et des œuvres 435 Amours d’Alexandre et de Roxane, p. 30 Amyot, Jacques, p. 5 n. 1, 8, 60, 61, 63, 70 n. 38, 73, 78, 114, 144 n. 9, 166 n. 15, 213, 228 n. 9, 231 n. 13 Anabase, p. 48, 125, 169 n. 24, 173 n. 35, voir Arrien Andreozzi, Gaetano, p. 313, 415 Andromaque, p. 148 Anfossi, Pasquale, p. 406 Angelica in India, p. 301 n. 22 Angiolini, Gasparo, p. 30 Antiochos et le lion, p. 279 Antioco, p. 294 n. 13 Antiquités juives (Les), p. 92 Apelle, p. 413 Apelle / Apelle e Campaspe, p. 33, 413 Apelle e Campaspe o sia La generosità d’Alessandro il Grande, p. 416-417 Apelle et Campaspe, p. 37, 357-358 Apelle et Campaspe, ou l’empire des arts, p. 30, 358-359 Apology for Poetry, p. 240, 242, 243 Aprèsdinées et propos de Table contre l’excez au boire et au manger, p. 207 n. 8 Araya, Francesco, p. 405 Archambault, Louis-François dit Dorvigny, p. 39, 352 Arène, Paul, p. 7, 38, 368-369 Argiope (L’), p. 294 n. 12 Ariosto Ludovico / L’Arioste, p. 289, 301 Aristobule, p. 47, 48, 142 n. 3 Aristote, p. 5, 18, 23, 38, 39, 56, 84, 85, 91, 96, 97 n. 20, 98, 99, 104, 107, 185, 231, 232, 239, 240, 292-293, 297, 298, 350, 368, 369, 388, 401 Aristote amoureux ou le philosophe bridé, p. 7, 38, 350-351 Arrien, p. 48, 55, 94, 125, 169 n. 24, 173 n. 35, 337, 382, 404, 425, 431 Art de la tragédie (De l’), p. 75

Art de régner, ou le sage gouverneur (L’), p. 15, 156, 325-326 Art of English Poesy (The), p. 239-240 Art poétique, p. 150 Art poétique français (L’), p. 62 Artaxerse, p. 294 n. 13, voir Aureli Artaxerse, p. 303, voir Metastasio Artemisia, p. 294 n. 13 As You Like It, p. 181 n. 12 Aspelmayr, Franz, p. 347 Astrée (L’), p. 217 Athénée, p. 401, 412 Attizzato (L’), p. 401 Aureli, Aurelio, p. 33, 34, 36, 294 n. 13, 300, 394-395, 396, 399, 401-402, 421 Aurispa, Giovanni, p. 6 Auvray, p. 74 n. 45 Avvenimenti d’Orinda (Gli), p. 294 n. 13 Bach, Johann Christian, p. 34, 310, 405 Balinghem, Antoine de, p. 207 n. 8 Ballet royal de la naissance de Vénus, p. 19, 290, 331-332 Banks, John, p. 19, 155 n. 44, 378-379 Baro, Balthasar, p. 15, 41, 217-234, 325 Bayard, Jean-François A., p. 28, 366-367 Bayle, p. 128 Beauvais, Vincent de, p. 96 n. 19 Beil, Carl Theodor, p. 25, 428 Benserade, Issac, p. 331-332 Bertoja, Valentino, p. 413 Bertoni, Fernandino, p. 406 Besser, Johann von, p. 30, 425 Beverini, p. 294 n. 13 Bianchi, Francesco, p. 313, 406 Bianchi, Luigi, p. 411 Bibliotheca rhetorum, p. 150 n. 21 et 22 Bibliothèque historique, p. 47, 60, 61, 70 n. 36 et 38, 401

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Index des noms des auteurs, des compositeurs et des œuvres

Bibliothèque universelle des romans, p. 153-154 Bisaccioni, p. 294 n. 12 Bissari, Pietro Paolo, p. 293, 301 n. 22 Blasius, Joan, p. 155 Boccace, p. 90, 92, 93, 94, 103, 106 Boiardo, Matteo Maria, p. 289 Boileau, p. 150, 151, 153, 154, 215 Bolognese, Domenico, p. 417 Boner, Hieronymus, p. 89, 90, 93 n. 10 et 12, 94, 99 n. 26, 103 n. 42 Bononcini, Giovanni, p. 399-400, 402, 403 Borretti, Giovanni Antonio, p. 392 Bossuet, p. 153 Bottarelli, Giovanni, p. 406 Boyer, Claude, p. 16, 32, 33, 308 n. 24, 328 Braccioli, Grazio, p. 33, 304, 403 Bressand, Friedrich Christian, p. 36, 424-425 Brifaut, Charles, p. 36, 38, 343, 360361, 418-419, 429 Brivio, Giuseppe, p. 405 Brunetti, Gualberto, p. 405 Brunner, Leonard, p. 92, 95 n. 17 Budé, Guillaume, p. 215 n. 23 Burnacini, Giovanni, p. 291 Busenello, Giovanni Francesco, p. 36 n. 51, 293, 294, 301, 393-394 Cabellos de Absalón (Los), p. 188 n. 32 Caesar and Pompey, p. 256 Cafaro, Pasquale, p. 32, 311, 410 Caffaro, p. 153 Calanos philosophus verprent sich selb, p. 104 n. 46 Calderón, p. 14, 17, 24, 41, 163 n. 11, 177-190, 191-197, 198, 199, 201, 203, 290, 291, 299, 387, 389-390 Calisthenes der warhafft philosophus, p. 104 n. 46

Callegari, Antonio, p. 406 Callisthène, p. 23, 24, 128, 136, 339 Campaspe, p. 14, 17 n. 27, 24, 177-190, 253, 254, 255, 256, 372-373, voir Lyly Campaspe, p. 27, 367-368, voir Mons Campaspe ou le triomphe d’Alexandre, p. 28, 348-349, voir Lablée Candeille, Pierre, p. 38, 125 n. 4, 155, 357 Cappelletti, Giuseppe, p. 411 Caruso, Luigi, p. 406 Carthaginienses, p. 232 Cassandre, p. 16, 24, 142, 151, 153, 154, 155, 326, 331, 378 Catel, Charles-Simon, p. 360 Caussin, p. 232 Cavalli, Francesco, p. 36 n.51, 155, 191, 198 n. 25, 291, 292, 393-394 Célinde, p. 217 Celio (Il), p. 291 Cellot, p. 151 n. 31 Centuries, p. 102 Cerco de Santa Fe (El), p. 172 n. 34, 174 n. 36 Cesti, Antonio, p. 19, 33, 292, 392-393, 394 Chapelain, Jean, p. 212 Chapman, George, p. 256 Char (Le), p. 7, 38, 350, 368-369 Chaucer, p. 249 Chelleri, Fortunato, p. 403 Cherubini, Luigi, p. 34, 406 Chiarini, Pietro, p. 405, 408 Choisy, François-Timoléon de, p. 152, 153 Cibber, Colley, p. 29, 380-381 Cicéron, p. 5 n. 2, 85 Cicognini, Giacinto Andrea, p. 17 n. 17, 18, 19, 32, 41, 191, 197-203, 290-297, 299, 392 Cicognini, Jacopo, p. 198, 291 Cid (Le), p. 220 n. 4 Cimarosa, p. 313, 406

Index des noms des auteurs, des compositeurs et des œuvres 437 Cinna, p. 148, 208, 217, 218 Ciprandi, Ercole, p. 308 Circe (La), p. 306 n. 13 Ciro (Il), p. 294 n. 12, voir Sorrentino Ciro (Il), p. 307, voir Albinoni Clément d’Alexandrie, p. 404 Cleofide, p. 34, 405 Cléopâtre captive, p. 76 n. 5 Clerico, Francesco, p. 414-415 Clitus ab Alexandro magno inter epulas interfectus, Clitus von Alexander getötet, p. 57 n. 37, 275 Clorise, p. 217 Clyomon and Clamydes, p. 7, 14, 41, 237-251, 253, 254, 373 Cocchi, Gioacchino, p. 406 Collet de Messine, Jean-Baptiste, p. 28, 349-350 Common Conditions, p. 238 Complainte d’Hector (La), ou les Épitaphes d’Hector et d’Achille, p. 6, 317-318 Condillac, p. 128 Conradi, Johann Georg, p. 422 Conti, Francesco, p. 404 Contra valor no hay desdicha, p. 162 n. 8 Corneille, Pierre, p. 148, 150, 208, 215, 217, 218, 220 n. 4, 231, 233 Corneille, Thomas, p. 16, 330 Corri, Domenico, p. 406 Corselli, Francesco, p. 405 Corte (La), p. 292 Cosmographie (La), p. 92 Costar, p. 232 n. 16 Cour sainte (La), p. 232 Couronnement d’Alexandre ou la chute de Bagoas (Le), p. 26, 27, 126, 132, 354-355 Court of Alexander, an Opera in Two Acts, p. 29, 39, 382 Croesus liberatus, p. 46-47 Crown, John, p. 17, 379-380

Cyclope (Le), p. 401 Cymbeline, p. 254 Cyrus punitus, p. 47 Daire, p. 11, 12, 75-87, 318-319, voir La Taille, Jacques de Dal Barba, Daniel, p. 405 Dall’Angelo, p. 294 n. 13 Daniel (Ancien Testament) p. 87, 92, 105 Daniel, Samuel, p. 13, 375-376 Dante, p. 239, 331 Dario / Darius, p. 36, 426-427 Dario in Babilonia, p. 294 n. 13 Darius, p. 16, 330, voir Corneille, Thomas Darius, p. 21, 426, voir Speckner Darius, p. 20, 21, 362-363, voir Tissot Darius-Codoman, p. 20, 21, 347-348 Darius, King of Persia, p. 17, 379-380 Darius proditus, p. 12, 45-58, 276, 320 Darius und Alexander oder die Verschwörung des Bessus, p. 21, 430-431 Darius vaincu par Alexandre, p. 53, 54, voir Mousson et Victoire d’Alexandre sur Darius Darlo todo y no dar nada, p. 14 n. 21, 17, 18, 24, 177-190, 191-197, 199, 387, voir Calderón Darlo todo y no dar nada, p. 18, 163 n. 11, 389, voir Lanini Sagredo Daudet, Alphonse, p. 7, 38, 350, 368-369 David, Domenico, p. 33, 398-399 David, Giacomo, p. 313 De casibus virorum illustrium, p. 90 De claris mulieribus, p. 90 De clementia, p. 217 De la vie d’Alexandre de QuinteCurce, avec les suppléments de Jean Freinshemius, p. 128, voir Mignot

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Index des noms des auteurs, des compositeurs et des œuvres

De la vie et des actions d’Alexandre de Grand, de la traduction de M. Vaugelas, p. 144 n. 7, 146, 219, voir Quinte-Curce et Vaugelas De Pretis, Carlo, p. 36, 402 De remediis, p. 90 De viris clarissimis, p. 89 n. 2, 90 n. 4, voir Plutarque De viris illustribus, p. 90 n. 4, voir Pétrarque Débat d’honneur (Le), p. 6 n. 4 Deipnosophistes (Les), p. 412 Delisle de Sales, Jean-Baptiste-Claude, p. 6, 24, 25, 26, 27, 28, 126, 131, 132, 352, 353, 354-355 Della Torre di Rezzonico, Gastone, p. 35, 412 Delle hore ociose, p. 394 Demetrio, p. 294 n. 13 Demoustier, Charles-Albert, p. 37, 357-358 Denis, Johann Nepomuk Cosmas Michael, p. 273 Desmarets de Saint-Sorlin, p. 10, 15, 16, 29, 41, 154, 155, 205-216, 218, 219, 220, 232 n. 16, 323-324 Devineau de Rouvray, p. 20, 21, 347-348 Dialogue des Héros de romans, p. 150151, 153-154 Dialogue des vieux romans, p. 212 Dialogue des morts, p. 6, 119 n. 12 Dialogues, p. 404 Dibdin, Thomas, p. 39, 383 Dictionnaire, p. 128, voir Bayle Dictionnarium Latinogallicum, p. 76 n. 7 Didon se sacrifiant, p. 76 n. 5 Didone abbandonata, p. 303 Dieulafoy, Joseph Marie, p. 36, 38, 343, 360-361, 418-419, 429 Digénis Akritas, p. 40, 282-283

Dilettevole historia del valorosissimo Parsaforesto re della gran Brettagna (La), p. 238 n. 6 Diodore de Sicile, p. 47, 48, 55, 60, 61, 70, 74, 329, 382, 401, 425, 431 Diogène et Alexandre, p. 357 Diogène Laërce, p. 182, 183 n. 19, 20, 21, 404 Diogenes Cynicus, p. 36, 422 Discours de la Poësie, p. 205 Discours sur la fortune et la vertu, p. 401 Disfatta di Dario (La), p. 32, 410-411 Dissertation sur le Grand Alexandre, p. 9, 17 Diverses leçons de Pierre Messie (Les), p. 253, 258 Doctor Faustus, p. 13, 41, 256, 374-375 Dorat, p. 76 Dori, p. 292 Dryden, John, p. 19, 35, 381-382, 412 Du Bartas, Guillaume de Salluste, p. 259 Du Bellay, Joachim, p. 76 Du Ryer, Pierre, p. 74 n. 45, 144 n. 7, 219 Du Verdier, Gilbert Saulnier, p. 145 n. 12 Duchat, Yves, p. 205 n. 1 Due regine rivali (Le), p. 36, 401-402 Duelos de amor y lealtad, p. 17, 389-390 Dupin, Henri, p. 28, 366-367 Durch Gross-Muth und Tapferkeit besiegete Porus (Der), p. 424, voir Porus et Bressand Edlem von Speckner, p. 21, 426 Élégies, p. 395 Éler, p. 358 Élien, p. 401 Énéide (L’), p. 201 Épitaphes d’Hector et d’Achille (Les), p. 6, 317-318, voir Complainte d’Hector Épître à Cangrande della Scala, p. 239 Eppendorf, Heinrich von, p. 92

Index des noms des auteurs, des compositeurs et des œuvres 439 Erasme, p. 82 Erismena, p. 294 n. 13 Eschyle, p. 5, 101 Esclavo de Roma (El), p. 162 n. 8 Espagnet, Jean d’, p. 215 n. 23 Essais (Les), p. 209, 214, 215-216, 253, 264 Estienne, Robert, p. 76 Éthique à Nicomaque, p. 84, 97 n. 20, 231, 232 Euleo festeggiante nel ritorno d’Alessandro Magno dall’Indie, p. 33, 399-400 Eupatra, p. 294 n. 13 Euphues : The Anatomy of Wit, p. 181 n. 12 Euphues and his England, p. 181 n. 12 Euripide, p. 5, 401 Eusèbe, p. 92, 96 n. 19 Examen critique des anciens historiens d’Alexandre, p. 8 Ézéchiel (Ancien Testament), p. 92 Ezio, p. 310 n. 34 Fabiani, Michele p. 30, 413 Fabri, Antonio Pio, p. 309 Facco, Giacomo, p. 402 Faicts et gestes d’Alexandre le Grand (Les), p. 5 n. 1 Famine (La) ou les Gabéonites, p. 75 Faustini, p. 294 n. 13 Faux Alexandre (Le), p. 16, 154, 330-331 Fénelon, François-Louis de Salignac de La Mothe, p. 23, 131, 341 Feo, Francesco, p. 407 Fidélité d’un satrape de Darius (tableau), p. 126 Filistri da Caramondani (de), Antonio, p. 36, 426-427 Finger, Godfrey, p. 19, 380 Fischietti, Domenico, p. 406 Flavius Josèphe, p. 92

Florio, John, p. 239 n. 14, 264 Förtsch, Johann Philipp, p. 421 Fontenelle, p. 28, 37, 338, 344 Fortunatus, p. 93, 104 n. 45 Fortune d’Alexandre (La), p. 64-65, 73, voir Plutarque Fortune d’Alexandre (La), voir p. 271272, voir Alexandri Magni Fortuna Fortune di Rodope e Damira (Le), p. 294 n. 13 Fortunes et vertus de Henry, Roy de France et de Navarre : comparées à celles d’Alexandre, p. 205 n. 1 Franchi, p. 311 Franck, Sebastian, p. 92, 93, 94, 102, 103, 106 Freinshemius, Jean, p. 128, 144 n. 7, 329 Freschi, Domenico, p. 36 n. 51, 306 n. 16, 396 Frigimelica Roberti, Girolamo, p. 33, 305 n. 10, 401 Frontin, p. 92 Fusconi, p. 294 n. 12 Galeazzi, Antonio, p. 406 Gallenberg, Wenzel Robert von, p. 415 Galuppi, Baldasare, p. 35, 405, 409 Galuppi, Giuseppe, p. 36 n. 51, 400 Gardel, Pierre-Gabriel, p. 30, 359-360, 362 Garnier, Claude, p. 205 n. 1 Garnier, Robert, p. 72 n. 41, 74 n. 45, 111 Gasparini, Francesco, p. 402 Gatti, Luigi, p. 406 Gautier de Châtillon, p. 5 Gazza ladra (La), p. 417 Generali, Pietro, p. 415 Georges Chastelain, p. 6, 317-318 Gesprech Alexandri Magni mit dem philosopho Diogeni (Das), p. 91

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Index des noms des auteurs, des compositeurs et des œuvres

Gesta romanorum, p. 92 Geste d’Alexandre le Grand (La), p. 169 n. 21, voir Julius Valerius/Valère et Res gestae Alexandri Macedonis Giardini, Felice, p. 35, 409 Giasone (Il), p.191, 198 n. 24 et 25, 202, 291 Gillet de la Tessonnerie, p. 15, 156, 325-326 Gioia, Gaetano, p. 33, 416-417 Glorie e gli amori di Alessandro Magno e di Rossane (Le), p. 18, 191, 197203, 290, 291, 392, voir Amori di Alessandro Magno e di Rossane Gluck, Christoph, p. 30 Gnecco, Francesco, p. 406 Gobineau, Arthur de, p. 20, 21, 22, 365-366 Goiseau, p. 20, 131, 337-338 Goldoni, Carlo, p. 408 Gómez, Antonio Enrique, voir Zárate Gorboduc, p. 242 Gosson, Stephen, p. 239, 243 Gran Cenobia (La), p. 182 n. 17 Grand boa d’Afrique (Le), p. 279 Grandezas de Alejandro (Las), p. 14, 161, 162 n. 7 et 8, 163 n. 10, 167 n. 17, 172 n. 34, 192, 385-386 Grétry, André, p. 357 Grévin, Jacques, p. 76, 111 n. 2 Grimaldi, Nicola, p. 305, 306 Grosse Alexander in Sidon (Der), p. 36, 421-422, 430 Guarini, Giovan Battista, p. 401 Guarino da Verona, p. 5 n. 1 Gruget, Claude, p. 253, 258 n. 14 Guevara, Antonio de, p. 202 Guglielmi, Pietro, p. 311, 313, 406 Guibert, Jacques Antoine Hippolyte de, p. 364 Guyot de Merville, Michel, p. 29, 339-340

Guzmanes de Toral (Los), p.172 n. 34 Haendel, Georg Friedrich, p. 19, 34, 35, 290, 301, 381-382, 398, 405 Hamlet, p. 14, 41, 253, 262-265 Hardy, Alexandre, p. 11, 12, 13, 41, 59-74, 111-123, 128, 134 n. 6, 219, 320-323 Hartlieb, Johannes, p. 91, 92, 93 n. 10, 94, 96, 103, 104, 106 Harvey d’Egville, James, p. 30, 383 Hasse, Johann Adolf, p. 34, 35, 303, 307, 405, 409 Hécyre (L’), p. 401 Hédion, Gaspard, p. 92 Henri de Valenciennes, p. 7, 38, 350 Henry V, p. 14, 41, 253, 260 Hercule furieux, p. 401 Hercule sur l’Œta, p. 82 Hérodote, p. 294 Herrig, Hans, p. 432 Het Huwelijk van Oroondate en Statira, p. 155 Higgins, John, p. 239 Histoire ancienne, p. 128 Histoire d’Alexandre le Grand tiree d’Arrian, Plutarque, Justin, Joseph, Quinte Curce & Frensheimius, p. 145 n. 2 Histoire d’Alexandre le Grand tirée de Quinte Cursus, p. 233 Histoire de la marquise-marquis de Banneville, p. 152 Histoire de la nation grecque depuis l’Antiquité jusqu’à ces jours, p. 284 Histoire naturelle, p. 164 n. 13, 172 n. 33, 177, 178 n. 4, 185 n. 22, 192, 417 Histoires /Historiae, p. 27, 47, 48, 125, 169 n. 20, 199, 219, 207 n. 5, 228-229 n. 10, 271, 394, voir Quinte-Curce Histoires contre les païens, p. 48 Histoires diverses, p. 401

Index des noms des auteurs, des compositeurs et des œuvres 441 Histoire universelle de Trogue Pompée reduite en Abbregé par Justin, p. 143, voir Abrégé des histoires philippiques de Trogue-Pompée Historia de preliis, p. 289, 295 Historiae, voir Histoires et Quinte-Curce Hoffmann, E. T. A, p. 36, 38, 343, 360, 361, 418, 429 Holinshed, Raphael, p. 261 Holzbauer, Ignaz, p. 405 Hombre de mayor fama (El), p. 167 n. 17 Homère, p. 5, 156, 172 n. 34, 173, 175, 289, 302, 385 Honrado hermano (El), p. 162 n. 8 Houdar de La Motte, p. 30, 335-336 Hudson, Thomas, p. 259 Hugo, Victor, p. 369 Hymne d’Alexandre le Grand avec les parallèles de luy et de Philippe et des Roys très Chrestiens Louis XIII heureusement régnant et Henri le grand, p. 205 n. 1 Incoronazione di Dario (L’), p. 36 n. 51, 396 Incoronazione di Poppea (L’), p. 293 n. 11, 294 Innocentia sero detecta in Philota Alexandri Magni supremo Duce, p. 57 n. 32, 273 n. 19, voir Alexander Magnus Institution du jeune Prince, p 215 Iliade (L’), p. 5 Ivanovich, p. 294 n. 13 Jann, Franz Xaver, p. 28, 429-430 Jardinier de Sidon (Le), p. 37, 344 Jean Miélot, p. 6 n. 4 Jérusalem délivrée (La), p. 232 n. 1 Jodelle, Étienne, p. 76

Jommelli, Niccolò, p. 405 Jouvancy, p. 141, 144, 150, 151, 153, 333-334 Judit (La), p. 259 n. 15 Julius Valerius/ Valère, p. 5 n. 2, 169 n. 21 Junius, Adrian, p. 239 Junius Brutus, p. 213 n. 20 Justin, p. 7, 8, 11, 19, 55, 78, 79, 81, 82, 90, 92, 93, 94, 103, 106, 114 n. 4, 143, 144, 145 n. 12, 146 n. 14, 157, 294, 295, 332, 333, 334, 337, 339, 350, 382, 400-401, 404, 409, 431 Juvenilia, p. 86 n. 24 Kozeluch, Johann Antonin, p. 406 Künig Alexander mit Diogeni, p. 91 n. 7 Künig Nectanabus der schwarzkünstner, p. 91 n. 8 Kusser, Johann Sigismund, p. 424 L’Héritier, Marie-Jeanne, p. 152 La Barre, Michel de, p. 336 La Calprenède, p. 16, 24, 142, 151, 153, 154, 326, 378 La Ferie, p. 337 La Rocca, Fabrizio, p. 407 La Taille, Jacques de, p. 6, 11, 12, 41, 75-87, 112, 219, 318, 319 La Taille, Jean de, p. 75, 76 n. 3, 79-80, 86-87 La Ville de Mirmont, Alexandre de, p. 362 Lablée, Jacques, p. 28, 348-349 Lagrenée, p. 126 Lai d’Aristote (Le), p. 7, 29, 38, 350, 368 Lamberti, Luigi, p. 414 Lampugnani, Giovanni Battista, p. 35, 405, 409, 410 Lanini Sagredo, Pedro, p. 18, 163 n. 11, 194, 203, 389

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Index des noms des auteurs, des compositeurs et des œuvres

Lanterna di Diogene (La), p. 422 Latilla, Gaetano, p. 405 Lauchery, Étienne, p. 30, 125 n. 4, 155, 344-345 Laudun d’Aigaliers, p. 62 Le Brun, Charles, p. 125, 126, 233 Le Jay, p. 150 Le Noble, Eustache, dit Baron de SaintGeorges, p. 20, 156, 336-337 Lee, Nathaniel, p. 18, 29, 155, 377-378, 379 Lefroid de Méreaux, Nicolas Jean, p. 125, 351-352 Légende dorée (La), p. 282 n. 11 Legrenzi, Giovanni, p. 305, 306 n. 13 Lesfargues, Bernard de, p. 233 Lettre d’un théologien illustre par sa qualité et son mérite), p. 153 Lettres à Lucilius, p. 85 Lezay-Marnésia, Claude-François de, p. 30, 358-359 Libro de Marco Aurelio, p. 202 Lisimaco, p. 294 n.13, voir Ivanovich Lisimaco (Il) / Lisimaco riamato de Alessandro, p. 35, 395-396, voir Sinibaldi Livre de l’institution du Prince, au Roy de France treschrestien Françoys premier de ce nom, p. 215 n. 23 Lope de Vega, p. 14, 41, 161-175, 179, 189, 191, 192, 193, 198, 199, 201, 290, 385-387 Love’s Labour’s Lost, p. 41, 181 n. 12, 256-257 Lucchini, Matteo, p. 405 Lucien, p. 6, 119 n. 12, 404 Lucio, Francesco, p. 19, 392 Lucretia, p. 90, 100 Lully, p. 290, 331-332 Lyly, John, p. 14, 17 n. 27, 24, 41, 177190, 193 n. 9, 253, 254, 255, 256, 259, 372-373

Macault, Robert, p. 60 n. 6 Maccabées (Ancien Testament), p. 104 Madre de la mejor (La), p. 174 Maestro de Alejandro (El), p. 17-18, 388 Maggiore, Francesco, p. 408 Magnanimità d’Alessandro (La), p. 33, 290, 292, 298-299, 394 Magnon, p. 16, 155, 326-327 Mairet, Jean, p. 11 Mancia, Luigi, p. 305, 401 Mancini, Francesco, p. 395, 405 Marcus Tacius, p. 92 Maréchal, Sylvain, p. 357 Marescalchi, Luigi, p. 313, 406 Mariage d’Oroondate et de Statira (Le), ou La Conclusion de Cassandre, p. 16, 155, 326-327 Marlowe, Christopher, p. 13, 14, 253, 256-260, 374-375 Marx, Friedrich, p. 25, 26, 431-432 Mascarades amoureuses (Les), p. 29, 339-340 Mauro, Ortensio, p. 35, 290, 301 n. 20, 397 Maximes d’État et fragments politiques, p. 208 Mayeur de Saint-Paul, p. 125 n. 4 Mayor hazaña de Alejandro Magno (La), p. 14, 161-175, 189, 192, 386-387 Médée, p. 5 Melusine, p. 93, 104 n. 45 Mercadante, Saverio, p. 417 Messie, Pierre, voir Mexía, p. 164, 192, 253, 258 Métamorphoses (Les), p. 89 Metastasio, p. 32, 33, 34, 35, 37, 125 n. 4, 300, 301, 303-313, 350, 404406, 408-409, 416 Mejía, Pedro, voir Mexía Mexia, Pero /Pedro, p. 164, 192, 253, 258

Index des noms des auteurs, des compositeurs et des œuvres 443 Michaelis Denisii Carmina quaedam, p. 273 Michel, Guillaume, p. 78 Mignot, p. 128 Minato, Nicolo, p. 294 n. 12 et 13, 295, 422 Mira de Amescua, p. 167 n. 17 Moda (La), p. 292 Monk’s tale, p. 249 Mons, François, p. 27, 367-368 Montaigne, Michel de, p. 209, 214, 215-216, 253, 264 Monteverdi, p. 292 Monza, Carlo, p. 406 Moralia, p. 92, voir Œuvres morales et Plutarque Morbilli, Carlo Diodato, p. 32, 410-411 More, Thomas, p. 134 Morel, p. 16, 329 Morel de Chédeville, Étienne, p. 37, 39, 125 n. 5, 351-352 Morgante, p. 289 Morselli, Adriano, p. 36 n. 51, 396 Mort d’Alexandre (La), p. 11, 12, 59, 60, 111-123, 128, 134 n. 6, 219, 321322, voir Hardy, Alexandre Mort d’Alexandre et d’Aristobule, fils d’Hercule (La), p. 142 n. 3 Mort de Bucéphale (La), p. 29, 340-341 Mort de César (La), p. 76 n. 4, 111 n. 2 Mort de Daire (La), p. 11, 59, 119, 320-321 Mort de Pompée (La), p. 233 Mort de Roxane (La), p. 16, 155, 327-328 Mortellari, Michele, p. 406 Mosca, Guiseppe/Luigi, p. 364 Mousson, Pierre, p. 12, 41, 45-58, 141, 267, 320, voir Mussonius Petrus Mozart, Wolfgang Amadeus, p. 35, 309, 310, 311, 409

Mozart, Leopold, p. 310 Mujeres sin honra (Las), p. 172-173 n. 34 Münster, Sebastian, p. 92 Muret, Marc Antoine, p. 86, 111 n. 2 Mussonius Petrus, voir Mousson Naumann, Giovanni, p. 406 Norton, Thomas, p. 242 Nostradamus, p. 102 Noverre, Jean Georges, p. 30, 125, 346347, 364 Nozzari, Andrea, p. 313 Nozze d’Alessandro e di Statira (Le), p. 414-415 Œdipe, p. 101 Œnophile, p. 54 Œuvres morales, p. 60, 64, 73 n. 42, 169 n. 23, 170 n. 28, 213, voir Moralia Olimpie, p. 360-362, 429, voir Brifaut et Dieulafoy Olimpia (en italien), p. 418-419, voir Brifaut, Dieulafoy, Hoffmann, Olympie et Olimpie Olimpia (en allemand), p. 429, voir Hoffmann, Brifaut, Dieulafoy, Olympie et Olimpie Olympias, p. 25, 26, 431-432 Olympie, p. 20, 24-25, 32, 36, 38, 303, 342-343, 362, 419, 429, voir Voltaire Opéra d’Alexandre, p. 19, 36, 37, 155156, 334-335 Orlando furioso, p. 289, 301 Orlando innamorato, p. 289 Orphée, p. 141 Orontea (L’), p. 291, 292 Orose, p. 48, 105, 106 Ottani, Gaetano, p. 311 Ottoboni, Pietro, p. 32-33, 397 Ovide, p. 89

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Index des noms des auteurs, des compositeurs et des œuvres

Pacini, Giovanni, p. 34, 313, 406 Paillot, Jean, p. 19, 41, 141-159, 276, 333-334 Paisiello, Giovanni, p. 32, 411 Paita, Giovanni, p. 307, 309 Pajot, Charles, p. 147 n. 7 Paparigoupolos, Constantin, p. 284 Paradoxa, p. 102 Paradies, Domenico, p. 407 Parallele de Louis le victorieux et d’Alexandre le Grand, p. 205 n.1 Pariati, Pietro, p. 35, 404 Parthénie, p. 15, 217-234, 325 Pasquini, Bernardo, p. 396 Passaro, Andrea, p. 415 Pédagogue (Le), p. 404 Pelegrini, Pietro, p. 405 Peligros de la ausencia (Los), p. 172-173 n. 34 Perceforest, p. 7, 237-251 Peregrino en su patria (El), p. 161 Perez, Davide, p. 309, 405 Perrault, Charles, p. 152 Persones, die königin, reit den philosophum Aristotelem, p. 91 Pescetti, Giovanni, p. 405 Pessard, Émile, p. 368 Petau, p. 151 n. 31, 232, 232 n. 16 Pétrarque, p. 90, 92, 106, 331 Philostrate, p. 404 Philotas Perduellis Tragoedia, p. 272-273 Phyllada, p. 40, 281, 282, 283, 287 Piccinni, Niccolò, p. 308-309, 311, 405 Pietas bis victrix duplici coronata lauro. Tragoedia duplex sive Alexander in Darium, Oedipus in Lajum victores pii, p. 57 n. 35, 275 Piglia, Giacomo, p. 31, 415-416 Piis, Pierre-Antoine-Augustin de, p. 7, 38, 350-351 Pirate en Provence (Le), p. 39, 352

Piron, Alexis, p. 23, 24, 128, 131, 136, 339 Plaisante et amoureuse histoire du Chevalier Doré et de la pucelle surnommée Cuer d’Acier (La), p. 238 Platon, p. 277 Plays Confuted in Five Actions, p. 243 Pline l’Ancien, p. 14, 33, 92, 164, 172, 173, 177, 178, 180, 185, 192, 254, 417 Plutarque, p. 5, 7, 8, 11, 16, 19, 23, 27, 46, 47, 48, 51 n. 10, 52-53 n. 12, 55, 56 n. 21 et 26, 60, 61, 63 n. 13 et 14, 64, 65, 73, 74, 78, 89, 90, 92, 93 n. 10, 94, 97, 99, 103, 106, 114, 115, 125, 128, 129, 143, 144 n. 9 et 10, 145 n. 12 et 13, 146 n. 15, 154, 155, 157, 166, 168, 169, 170, 188, 203, 206, 209, 213, 219, 220, 224, 228 n. 9, 231 n. 13, 253, 263, 294, 295, 296, 322, 323, 329, 333, 334, 382, 400, 401, 425, 431 Poétique, p. 240, 401, voir Aristote Polydore, p. 294 Pompeius Magnus, p. 46 Porée, Charles, p. 147 n. 17, 150 Poro, rei dell’Indie, p. 405 Porus, p. 36, 424-425, voir Bressand Porus et Alexander, p. 275 Porus et Bagoas, p. 26, 354, 355 Porus ou la générosité d’Alexandre, p. 16, 33, 308 n. 24, 328 Portrait d’Alexandre le Grand, dédié à Monseigneur le Dauphin, p. 205 n.1 Postel, Christian Heinrich, p. 36, 421, 422, 424, 430 Prade, Jean de, p. 218 Pradon, Nicolas, p. 19, 36, 150, 155, 333, 407 Préceptes conjugaux, p. 60 n. 5 Predieri, Luca, p. 405 Pro Archia, p. 5

Index des noms des auteurs, des compositeurs et des œuvres 445 Promenade de Gentilly à Vincennes, ou Thalestris, reine des Amazones (La), p. 21, 30, 156, 336-337 Promos and Cassandra, p. 241, 243 Properce, p. 395 Prosperità infelice di Giulio Cesare dittatore (La), p. 293 n. 11 Pseudo-Callisthène, p. 6, 7, 8, 37, 40, 168 n. 18, 169 n. 22, 170 n. 25 et 26, 173 n. 35 Puget de la Serre, p. 205 n.1 Pulci, p. 289 Purcell, Daniel, p. 19, 380 Puttenham, George, p. 239 Questions naturelles, p. 401 Questions sur l’Encyclopédie, p. 128 Quinault, p. 9 n. 10, 150 Quintilien, p. 151 Quinta de Florencia (La), p. 172 n. 34 Quinte-Curce, p. 7, 8, 11, 19, 23, 27, 46, 47, 48, 51 n. 10, 55, 77, 78, 79, 93, 98, 106, 114, 115 n. 7 et 8, 125, 126, 128, 129, 143, 144, 146 n. 14, 154, 168, 169 n. 20, 199, 200, 203, 206, 207, 209, 211, 219, 220, 221, 228-229, 271, 274, 295, 322, 325, 329, 332, 333, 334, 337, 345, 346, 350, 380, 394, 396, 400, 401, 403, 404, 409, 411, 425, 426, 430, 431 Raaff, Anton, p. 309-311 Racine, p. 9, 16-17, 32, 33, 36, 37, 125, 146 n. 16, 148, 150, 156, 205 n. 1, 216, 290, 301, 308, 332, 337, 425 Raderus, p. 144 n. 7 Rare Triumphs of Love and Fortune (The), p. 238, 249 Ratione docendi et discendi (De), p. 144 Re pastore (Il), p. 35, 350, 408-409 Reboul, p. 205 n.1 Reeb, Georges, p. 270

Regine di Macedonia (Le), p. 36, 402 Régnard de Pleinchesne, RogerTimothée, p. 37, 344 Reina Juana de Nápoles (La), p. 172 n. 34 Réponse à la lettre du théologien, défenseur de la comédie, p. 153 République (La), p. 277 Rerum memorandarum libri, p. 90, voir Pétrarque Res gestae Alexandri Macedonis, p. 5, 169, voir Geste d’Alexandre le Grand (La) et Julius Valerius Retrato de Juan Rana (El), p. 197 Ricciardi, Domenico, p. 30, 411-412 Richelieu, p. 208 Rimada, p. 283 Rival Kings, or, The Loves of Oroondates and Statira (The), 19, 155 n. 44, 378-379 Rival Queans, with the Humour of Alexander the Great (The), p. 380-381 Rival Queens, or the Death of Alexander the Great (The), p. 18, 29, 155, 377-378 Rolli, Paolo Antonio, p. 35, 301 n. 20, 398 Roma abrasada, p. 162 n. 8 Roman d’Alexandre (Le), p. 91, 92, voir Hartlieb Roman d’Alexandre (Le), p. 6, 7, 8, 37, 40, 168 n. 18, 169 n. 22, 170 n. 25 et 26, 173 n. 35, 249 n. 33, 279, 281283, 287, voir Pseudo-Callisthène Rosilena, p. 294 n. 13 Rossi, Domenico, p. 30, 416 Rossi, Paolo, p. 290 Rossini, p. 417 Rousseau, Pierre, p. 29, 340-341 Rousseau, Thomas, p. 21, 41, 125-137, 355-356

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Index des noms des auteurs, des compositeurs et des œuvres

Roxane, p. 15, 205-216, 219, 324 Roxane et Statira ou les veuves d’Alexandre, p. 38, 155, 357 Ruggiero, p. 311 Rust, Friedrich, p. 406 Rutini, Giovanni, p. 405 Sabadini, Bernardo, p. 398, 399 Sabellicus, p. 92 Sacchini, Antonio, p. 34, 303-304, 310313, 405 Sachs, Hans, p. 6, 7, 11, 24, 38, 41, 89-109 Sackville, Thomas, p. 242 Saint-Evremond, p. 9, 17 Saint-Lambert, p. 349 Sainte-Croix, baron de, p. 8, 125, 136 Saluzzi, Giovanni Battista, p. 310 n. 31 Salvi, p. 300 Salz, Julius, p. 57 n. 38 Saint Paulin, p. 54 Sarti, Giuseppe, p. 35, 311, 396, 405, 409, 410 Sartorio, p. 306 Saül le Furieux, p. 75, 76 n. 3 Sbarra, Francesco, p. 19, 32 n. 47, 33, 290, 292, 294, 295, 298, 302, 392-393, 394 Scalabrini, Paulo, p. 405 Scarlatti, Alessandro, p. 33, 397 Scarlatti, Giuseppe, p. 405 Scarlatti, Pietro, p. 34, 391 n. 1, 407 Scarron, Paul, p. 16, 154, 330-331 Schedel, Hartmann, p. 92 Schiassi, Gaetano Maria, p. 303, 405 Schikaneder, Emanuel, p. 7, 37, 427-428 Scilori, Gregorio, p. 406 Scolari, Giuseppe, p. 405, 408 Scudéry, Madeleine de, p. 154 Sébastien Mamerot, p. 6 n. 4, 105 n. 48 Seconds Analytiques, p. 84, 85 Selbeth, Peter, p. 92 Seleuco, p. 294 n. 13

Semiramide in India (La), p. 294 n. 12 Sénèque, p. 66, 74 n. 45, 82, 85, 151, 217, 401 Serpent terrible de la grotte remplie de toiles d’araignée (Le), p. 279 Sévigné (Madame de), p.153, 154 Shakespeare, William, p. 14, 181 n. 12, 253, 254, 256-257, 260-265 Siboni, Giuseppe, p. 313 Sich selbst bezwingende Alexander (Der) p. 36, 423-424 Sidney, Philip, p. 240, 243 Sieg-reiche Alexander (Der) p. 36, 423 Signorini, Rafaelle, p. 306 n. 13 Silva de varia lección, p. 164, 192, 253 Silvani, Francesco, p. 406-407 Silvanire (La), p. 11 n. 11 Sinibaldi, Giacomo, p. 35, 395-396 Siroe, p. 306 n. 13 Sografi, Simeone Antonio, p. 33, 413 Solís, Antonio de, p. 197, 202 n. 28 Sophocle, p. 5, 101 Sorrentino, p. 294 n. 12 Spalatin, George, p. 90 Speckner, Joseph Valentin Edlem von, p. 426 Speculum historiale, p. 96 n. 19 Spil mit 3 personen (Ein), voir Gesprech Alexandri Magni mit dem philosopho Diogeni (Das) Spontini, Gaspare, 38, 343, 360, 362, 418-419, 429 Stabingher, Mattia, p. 411 Stahel, Peter, p. 90 Stampiglia, Silvio, p. 35, 300, 402-403 Statira (La), principessa di Persia, p. 36 n. 51, 155, 294 n. 13, 301 n. 21, 393394, voir Busenello Statira, p. 417-418, voir Bolognese Statira, p. 36 n. 51, 400-401, voir Galuppi Statira, p. 408, voir Goldoni

Index des noms des auteurs, des compositeurs et des œuvres 447 Statira, p. 32-33, 397, voir Ottoboni et Scarlatti Statira, p. 19, 155, 407, voir Pradon Staudt, Johann Bernhardt, p. 275 n. 24 Steffani, Agostino, p. 35, 290, 301 n. 20, 397 Steinhöwel, Heinrich, p. 90, 93 n. 11 Stevens, G. A., p. 29, 39, 382 Strabon, p. 294, 425 Stradella, Giovanni, p. 407 Stricker, Augustin Reinhard, p. 425 Superbia d’Alessandro (La), p. 35, 290, 301 n. 20, 397 Suppléments sur Quinte-Curce, p. 329 Tacius, Marcus, p. 92 Talestri innamorata d’Alessandro Magno, p. 33, 399 Tamburlaine the Great, p. 14, 41, 253, 257-260 Tarchi, Angelo, p. 406 Tasse (Le), p. 232 n. 16 Térence, p. 401 Teyber, Franz, p. 427 Théâtre d’un poète de Sybaris, p. 26, 126 n. 9, 352, 354, 355 Timoclée ou la générosité d’Alexandre, p. 16, 329 Timoclée ou la juste vengeance, p. 13, 59-74, 322-323 Tirannide dell’ interesse (La), p. 292 Tiranno umiliato d’amore (Il), p. 294 n. 13 Tirso de Molina, p. 291 Tissot, Amédée de, p. 20, 21, 362-363 Tite-Live, p. 416 Tolve, Francesco, p. 309 Torilda (La), p. 293 n. 11 Totila, p. 305 Traetta, Tommaso, p. 405 Tragedie/ Tragedy of Darius, King of Persia (The), p. 11-12, 253, 255, 374

Tragédies de M. de Voltaire (Les), ode à leur auteur en 1778, p. 127 n. 17, voir Rousseau, Thomas Tragedy of Philotas (The), p. 13, 375-376 Tragical History of Doctor Faustus (The), voir Doctor Faustus Tragœdiæ seu diversarum gentium et imperiorum magni principes, p. 45 n. 2, 46, 54, 276 n. 29, 320 Tramezzino, Michele, p. 237 Triomphe des arts (Le) p. 30, 335-336 Trionfo d’Alessandro (Il), p. 313 Trionfo d’Alessandro Magno il Macedone (Il), p. 415 Trionfo d’Alessandro o sia La prigionia di Dario (Il), p. 30, 411-412 Trionfo d’Alessandro ossia la disfatta di Dario (Il), p. 411-412 Trionfo della costanza in Statira, vedova d’Alessandro (Il), p. 36, 406-407 Trionfo di Alessandro in Babilonia (Il), p. 30, 416 Trionfo di Alessandro ossia la prigionia di Dario (Il), p. 30, 413 Tristrant, p. 93, 95 n. 15 et 17, 102 n. 38 Tritta, Giacomo, p. 413 Troade (La), p. 72 n. 41 Trogue-Pompée, p. 144, 196, 396 Troilus and Cressida, p. 256 Trois Grands (Les), p. 6 n. 4 Uechtritz, Peter Friedrich von, p. 21, 430-431 Ulloa, Alfonso de, p. 174 n. 36 Urfé, Honoré d’, p. 21 Utopie, p. 134 Vaccaj, Nicola, p. 416 Valère Maxime, p. 92, 101 Valla, Giorgio, p. 240 n. 16 Vanneschi, Francesco, p. 34, 407-408 Vasque de Lucène, p. 5 n. 1, 8, 114

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Index des noms des auteurs, des compositeurs et des œuvres

Vaugelas, p. 144, 146 n. 14, 219 Vénard de la Jonchère, p. 30, 345-346 Verati (I), p. 401 Verità (La), p. 292 Vertus des femmes, p. 60, 63 n. 14 Victoire d’Alexandre sur Darius (La), p. 53, 54, voir Mousson et Darius vaincu par Alexandre Vie d’Alexandre (La), p. 5 n. 1, 47, 48, 60, 61, 63, 92, 125, 144 n. 9, 166 n. 15 et 16, 168, 169 n. 20 et 21, 22, 170 n. 27, 28, 29, 400, 401, 404, voir Plutarque Vie d’Apollonios de Tyane (La), p. 404 Vie de Démosthène (La), p. 61 n. 8, 92, voir Plutarque Vie de Phocion (La), p. 61 n. 8, voir Plutarque Vies des hommes illustres (Les), p. 5 n. 1, 63 n. 13, 114, 115, 166 n. 15, 228 n. 9, 231 n. 13, voir Amyot et Plutarque Vies et doctrines des philosophes illustres, p. 404 Vies parallèles (Les), p. 63 n. 13, 78, 90, 213 n. 19, 263, voir Plutarque Vincenti, Melchiore de, p. 406 Vinci, Leonardo, p. 34, 303, 306 n. 13, 307, 404-406 Vindiciae contra tyrannos, p. 213 n. 20 Virgile, p. 294, 416 Visionnaires (Les), p. 10, 16, 29, 154, 323 Vita Carlo Quinto, p. 174 n. 36

Vivaldi, p. 396 Voltaire, p. 20, 24, 25, 32, 36, 127, 128, 303, 342-343, 360, 362, 416, 418, 419, 429 Von Alexander Magno, dem könig Macedonie, sein geburt, leben und endt, voir Von Alexandro Magno Von Alexandro Magno, p. 11, 89-109 Von Callistene, dem weysen natürlichen meister, p. 104 n. 46 Voyaige de la discipline militaire (Le), p. 5 Wagenseil, Georg Christoph, p. 405 Wagner, Richard, p. 432 Weber, Carl Maria von, p. 419 Weston, John, p. 18, 376-377 Whetstone, George, p. 241, 243 Wickram, Jörg, p. 89 Willi, Andrea, p. 414 Worlde of Words, p. 239 n. 14 Xerse, p. 294 n. 12, 295 Zaguri, p. 294 n. 13 Ziani, Marc’Antonio, p. 33, 394-395, 398-399 Zárate, Fernando de, p. 17-18, 388 Zeno, Apostolo, p. 35, 300, 312, 404, 409 Ziegler, Hieronymus, p. 90, 93 n. 11, 94 n. 14, 103 n. 43 Zingarelli, Niccola Antonio, p. 413

Table des matières Les renaissances d’Alexandre le Grand au théâtre et à l’opéra par Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas Institut universitaire de France, Université de Lille

5

Le conquérant, le crime et la mort : Alexandre et la tragédie  Alexandre le Grand sur la scène jésuite à la fin du xvie et au début du xviie siècle : l’exemple du Darius proditus de Pierre Mousson par Patricia ehl Université de Lorraine La naissance tragique d’Alexandre le Grand dans la Timoclée d’Alexandre Hardy par Florence de Caigny Université de Paris-Sorbonne Portrait du prince sur la scène humaniste : Alexandre dans les tragédies de Jacques de La Taille par Louise Frappier Université d’Ottawa La tragédie Von Alexandro Magno (1558) de Hans Sachs : présentification de l’histoire et parénèse politique par Florent Gabaude Université de Limoges « Ce Lion devenu cruel de magnanime » : les ambiguïtés du modèle héroïque dans La mort d’Alexandre d’Alexandre Hardy par Tiphaine Karsenti Université de Paris-Nanterre Alexandre le Grand dans la tragédie de la Constituante : du héros tragique au mythe inversé du « grand homme » par Béatrice Ferrier Université d’Artois

45

59

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111

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450

Table des matières

Les amours du roi Alexandre : nouveaux ressorts dramatiques Alexandre et ses femmes : autour de l’Alexander Magnus du P. Paillot (1690) par Céline Bohnert Université de Reims L’image d’Alexandre le Grand dans La mayor hazaña de Alejandro Magno, comedia attribuée à Lope de Vega par Hélène Tropé Université de la Sorbonne nouvelle La générosité d’Alexandre : l’épisode de Campaspe (Campaspe de Lyly, Darlo todo y no dar nada de Calderón) par Catherine Dumas Université de Lille Célébration et abaissement d’Alexandre le Grand chez Calderón et Cicognini par Fausta Antonucci et Françoise Gilbert Université de Roma Tre, Université de Toulouse Alexandre revu par Desmarets de Saint-Sorlin : un généreux à la mode galante par Frank Greiner Université de Lille La Parthénie de Baro : ombres et lumières sur la figure d’Alexandre par Liliane Picciola Université de Paris-Nanterre

141

161

177

191

205

217

Mises en scène et spectacles particuliers : Alexandre, la marge et le centre L’irréductible Alexandre dans Clyomon and Clamydes : d’un roman médiéval à une comédie élisabéthaine par Elena Koroleva Université de Lille Alexandre le Grand en Angleterre : de la scène aux coulisses par Richard Hillman Université de Tours

237

253



Table des matières 451

Présence d’Alexandre sur la scène jésuite à la fin du xviie siècle et au xviiie siècle : titres et programmes de spectacles dans les provinces de Germanie 267 par Patricia Ehl Université de Lorraine Alexandre et le théâtre d’ombres grec : modalités d’une transformation mineure par Constantin Bobas Université de Lille L’entrée d’Alexandre à Venise : les amours et la gloire (1651-1661) par Fanny Eouzan Universités d’Aix-Marseille et Lille Le mythe d’Alessandro et le répertoire pour ténor dans l’opéra italien entre 1730 et 1800 par Ludovic Piffaut Université de Poitiers

277

289

303

Répertoires des œuvres Œuvres françaises (xv -xix siècle) par Catherine Gaullier-Bougassas et Catherine Dumas Institut universitaire de France, Université de Lille

317

Œuvres anglaises (xvie-xviiie siècle) Par Catherine Dumas Université de Lille

371

Œuvres espagnoles (xviie siècle) par Catherine Dumas Université de Lille

385

Opéras italiens (xviie-xixe siècle) par Fanny Eouzan et Ludovic Piffaut Universités d’Aix-Marseille et de Lille, Université de Poitiers

391

Œuvres germaniques (xviie-xixe siècle) par Florent Gabaude Université de Limoges

421

Index des noms des auteurs, des compositeurs et des œuvres

433

Table des matières

449

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