L'Énergie dans le monde: Bilan et perspectives 9782759801039

Depuis la première édition de cet ouvrage, en 2001, la question de l'énergie a pris sur la scène publique une place

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L'Énergie dans le monde: Bilan et perspectives
 9782759801039

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Société française de physique

L’énergie dans le monde : bilan et perspectives Deuxième édition

Jean-Louis Bobin Hervé Nifenecker Claude Stéphan

~~~

SCIENCES 17, avenue du Hoggar Parc d’Activité de Courtabœuf, BP 112 9 I944 Les Ulis Cedex A, France

ISBN 978-2-7598-0025-4

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aus termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les (( copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective D, et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, (( toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite )> (alinéa ler de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constiturait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal. O EDP Sciences 2007

Remerciements

Nous tenons à remercier tous ceux qui nous ont aidés a réaliser ce document en nous faisant béenéeficier de leurs remarques, de leurs écrits ou en nous fournissant des informations chiffrées. Nous pensons en particulier à : Mmes

Valérie Blanchot-Courtois, ancienne directrice de recherches à Gaz de France, Élisabeth Huffer, commission énergie de la Société française de physique,

MM.

Pierre Bacher, ancien directeur délégué d’EDF, Roger Balian, ancien président de la Société française de physique, qui a bien voulu écrire la préface, Bernard Cagnac, ancien président des éditions EDP Sciences, Sylvain David, Institut de physique nucléaire d’Orsay, Jean Jouzel, directeur de recherches au CEA, directeur de l’Institut Pierre Simon Laplace, Jean Lahérrère, consultant, ancien ingénieur à la societe Total, Jean-Marie Loiseaux, professeur à l’université Joseph Fourier, Grenoble, Jean Marie Martin, directeur de recherches émérite au CNRS, Abi Rabl, École des mines de Paris, Carlo Rubbia, président de I’ENEA, Jean-Paul Schapira, directeur de recherches émérite au CNRS, Ionel Solomon, directeur de recherches à l’École polytechnique.

Le considérable accroissement de la population mondiale et de la consommation matérielle des pays industrialisés au cours du dernier demisiècle a radicalement changé la nature des problèmes géopolitiques posés par l’approvisionnement des hommes en nourriture, en eau, en énergie, par la pollution des sols ou de l’air, par la disparition des espèces animales et végétales, par l’exploitation des minéraux, etc. De ponctuels, ces problèmes sont devenus mondiaux. Nous avions hérité du X I X ~siècle l’idée que la nature était inépuisable ; nous nous heurtons aujourd’hui à la constatation que nos ressources sont tarissables et que nos actions peuvent modifier la Terre sur laquelle nous vivons. Si la science ne peut naturellement pas suffire à résoudre ces questions de société, c’est elle seule qui permet de suggérer des solutions. C’est aussi elle qui nous fournit les bases indispensables à tout débat, car il est impossible sans elle de prévoir raisonnablement les conséquences des diverses décisions qui s’offrent à nous. Il importe donc que les données de la science soient accessibles à tout citoyen appelé à participer plus ou moins directement à des choix qui engagent l’avenir et, en particulier, à jauger objectivement, les propositions de ses représentants politiques en des domaines où fleurissent trop facilement les préjugés simplistes et les mythes, quand ce n’est pas la désinformation. Parmi ces problèmes majeurs dont l’opinion se préoccupe à juste raison, les questions énergétiques sont celles qui nécessitent le plus de faire appel à la physique. C’est pourquoi la Société française de physique (SFP), dont l’une des missions est de favoriser les contacts entre grand public et physiciens, a organisé à travers notre pays des débats sur l’énergie centrés sur ses aspects scientifiques, essentiels en l’occurrence. Le présent livre prolonge et approfondit cette démarche. En tant que physiciens, les auteurs abordent les problèmes de

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L’énergie dans le monde : bilan et perspectives

l’énergie avec la liberté d’esprit du chercheur, qui se doit d’examiner systématiquement toute chose sous ses divers aspects. Une telle attitude est essentielle ici, car chacune des sources d’énergie utilisées par l’homme et elles sont nombreuses - possède ses avantages et ses inconvénients qu’il importe d’avoir identifiés. Ainsi, le calfeutrage des fenêtres lui-même, tout en permettant des économies sur le chauffage domestique, n’est pas sans risques. I1 contribue probablement à l’augmentation des cas d’asthme observée depuis une trentaine d’années dans de nombreux pays. On a aussi découvert qu’il est responsable en Hongrie d’une accumulation, dans l’atmosphère des appartements, de radon, gaz radioactif émis par le béton des murs, à tel point que les habitants sont soumis chaque hiver à une irradiation supérieure à celle qu’ils ont subie du fait des retombées de Tchernobyl. Mais ce supplément à la radioactivité naturelle n’en représente qu’une faible fraction. ~

La vision globale et comparative des diverses formes d’énergie qui est offerte par cet ouvrage n’est malheureusement pas le souci de ceux qui, trop nombreux, s’abritent derrière le H principe de précaution )) pour prôner certains choix discutables ou partisans. Cependant, notre Parlement, en donnant à ce principe force de loi, l’a assorti de deux réserves importantes, souvent méconnues. Les mesures G visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles H doivent à la fois avoir (( un coût économiquement acceptable )) et être G effectives et proportionnées D, ce qui suppose une évaluation et une comparaison des conséquences des diverses possibilités. Une comparaison des risques a-t-elle été faite par le Danemark qui, par crainte du nucléaire, se repose sur les énergies fossiles pour produire son électricité ? I1 est frappant de constater que c’est, de ce fait, le pays d’Europe qui, après le Luxembourg, émet vers l’atmosphère le plus de gaz carbonique par habitant : 50 % de plus que la France. Peser le pour et le contre nécessite de s’appuyer sur des nombres. Ce livre rassemble dans ce but des données chiffrées, de nature scientifique, technique ou économique, qui mériteraient d’être plus connues. On saisit mieux les enjeux géopolitiques si on sait qu’au cours des cinquante dernières années la population mondiale a doublé, tandis que la production d’énergie quadruplait ; que la puissance moyenne consommée est de 8 kW pour un Américain du nord, de 5 kW pour un Européen, de 1 kW pour un Chinois et moins encore pour un Africain ; que le taux de gaz carbonique dans l’atmosphère a augmenté de 5 % au cours du X I X ~siècle, de 20 % au cours du xxe. Le lecteur découvrira au fil des pages les ordres de grandeur de diverses quantités, nécessaires à l’appréhension des problèmes énergétiques.

J.-L. Bobin, H. Nifenecker, C. Stéphan

7

Certaines des données sont susceptibles d’être mieux comprises à l’aide d’un point de vue de physicien. La concentration en énergie des diverses sources reflète par exemple l’intensité des forces mises en jeu à l’échelle microscopique. L’interaction dite (( forte D, la plus intense de toutes, celle qui permet de lier entre eux protons et neutrons dans les noyaux atomiques, est exploitée dans les énergies nucléaires, extrêmement concentrées : par fission, 1 g d’uranium fournit dans une centrale nucléaire une énergie calorifique de 100 kWh ; par fusion, 1 g d’hydrogène engendre dans le Soleil 180000 kWh de rayonnement. L’interaction électrique à l’échelle atomique entre particules chargées, plus faible, sous-tend les diverses énergies chimiques et thermiques, qui sont ainsi caractérisées par des chiffres comparables entre eux, considérablement plus faibles que les précédents : on obtient 1 kWh de chaleur en brûlant environ 0,l kg de pétrole, de charbon ou de gaz, en condensant 1,6 kg de vapeur d’eau, ou en captant l’énergie solaire sur une surface de 1 m2 pendant une heure. Enfin, les énergies gravitationnelles et mécaniques reposent sur des phénomènes physiques encore bien moins intenses, de sorte que leur mise en œuvre nécessite la manipulation d’énormes quantités de matière : pour libérer une énergie de 1 kWh, il faut faire chuter dans une usine hydraulique 3 tonnes d’eau d’une hauteur de 100 m, ou exploiter dans une éolienne 20000 m3 d’air arrivant à 60 km/h. Ceci éclaire la situation du Danemark signalée plus haut ; ce pays a fourni un effort considérable pour s’équiper en éoliennes, mais ne peut ainsi obtenir autre chose qu’un appoint, de sorte qu’il doit recourir principalement aux combustibles fossiles pour assurer ses besoins en énergie. Une part notable de l’ouvrage est consacrée à la prospective. Elle s’appuie sur des acquis scientifiques, comprenant certaines avancées récentes de la physique qui ouvrent des possibilités nouvelles. La science peut en effet nous guider en précisant les contraintes imposées par les lois naturelles, nous empêchant à la fois de nous livrer au pessimisme et de pécher par excès d’optimisme. Ainsi, la physique des matériaux nous enseigne que la quantité d’énergie électrique que l’on peut stocker dans une masse donnée de matière ne dépasse pas une certaine valeur, dont nous approchons actuellement. I1 existe ainsi une limite naturelle à la capacité des accumulateurs. I1 ne faut donc pas trop rêver au développement des voitures électriques tirant leur énergie de batteries. I1 a naturellement été impossible aux auteurs d’énoncer des conclusions en se cantonnant au strict domaine scientifique, même si leurs convictions sont étayées par des arguments issus de la science. Cependant, leur ouvrage est

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L’énergie dans le monde : bilan et perspectives

conçu de sorte que le lecteur puisse se former par lui-même une opinion raisonnée sur les problèmes énergétiques, qui conditionnent l’avenir de l’humanité. I1 apporte en effet l’indispensable vision globale que l’information quotidienne, abondante mais inévitablement parcellaire, ne peut fournir, et rassemble les données essentielles qui doivent sous-tendre toute réflexion.

Roger Balian, ancien président de la Société française de physique, membre de l’Académie des sciences

Sommaire

Préface

5

Introduction

11

1. État des lieux

13

1. Consommations 2. Réserves 3. Évolutions 2. Les combustibles fossiles

13 14 16 21

1. L’état des ressources et le pic pétrolier 2. Effet de serre et réchauffement climatique 3. Les débuts d’un effort planétaire : le protocole de Kyoto 3. L’énergie nucléaire

21 24 33 37

1. Réacteurs a fission

37

2. Un problème spécifique à l’énergie nucléaire : les déchets radioactifs

39

3 . La gestion des déchets telle qu’elle est envisagée actuellement

42

4. Le nucléaire du futur 5 . Et la fusion ? 4. Les énergies renouvelables 1. La géothermie 2. Énergie solaire 3. Les dérivés de l’énergie solaire

43 53 57 57 59 67

L’énergie dans le monde : bilan et perspectives

10

5. Évolutions technologiques

75

1. Les économies d’énergie 2. Capture et séquestration du CO2 [ 5 11 [52] 3. Stockage de l’énergie 4. Le transport de l’énergie 5. Les moyens de transport 6. L’hydrogène, combustible de l’avenir ? 7. Les piles à combustibles 6. Questions de prix

75 78 81 82 83 85 87 91

1. Le prix du pétrole 2. Le prix de l’électricité 3. Coûts externes Conclusion

91 92 95 101

Annexes

103

I. L’énergie en quelques chiffres

103

II. Diffusion des techniques

107

III. Les cycles de production dans les filières thorium et uranium

109

IV. Les coûts externes : Le programme ExternE

109

Bibliographie

117

Introduction

La SFP a lancé depuis la fin des années 1990 un débat sur 1’Énergie au Ce faisant, il semble qu’elle ait eu une prescience des événements qui se sont produits depuis : conférence de Buenos Aires, réticences, d’abord en Allemagne, puis en France, d’une partie non négligeable de la population vis-à-vis de l’industrie électronucléaire. Même si le Parlement français a voté le maintien d’un programme électronucléaire, il est probable que le débat national n’est pas clos.

XXI“ siècle.

Au sein de la SFP, le débat a pris la forme de conférences organisées par les sections locales. L’effort le plus systématique a été celui des sections Auvergne, Normandie, Paris-Sud, Paris-Centre et Grenoble, et a pris la forme de plusieurs demi-journées de débats et de conférences, ainsi que d’un séminaire Daniel Dautreppe. Dans d’autres sections, la réflexion a été faite dans un cadre plus modeste d’une ou deux conférences. D’une façon générale, les participants se sont montrés satisfaits par la qualité des exposés et la richesse des débats. Dans le document qui suit nous nous sommes efforcés de faire la synthèse des principaux enseignements que nous avons tirés de ces débats et conférences. En effet, il nous a paru urgent de fournir des éléments d’appréciation communs pour permettre à chacun de se forger une opinion. 11 nous a semblé que, dès à présent, à partir de ces éléments, il était urgent que la SFP s’exprime sur la question d’une sortie éventuelle du nucléaire et sur les conséquences prévisibles d’une telle décision. Le présent document traite de façon certes sommaire, mais, nous l’espérons, aussi objective que possible, l’évolution prévisible de la demande énergétique en regard des réserves ; les conséquences en terme de nuisance des modes de production choisis ; le rôle éventuel des formes variées d’énergies

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L’énergie dans le monde : bilan et perspectives

renouvelables et du nucléaire ; finalement, la question essentielle des coûts est examinée. Les débats sur les questions énergétiques sont toujours d’une actualité brûlante. Ils se prolongent au sein de la SFP. La seconde édition de cet ouvrage tient compte des évolutions rapides des données énergétiques dues au développement accéléré de pays émergents comme la Chine et l’Inde qui représentent ensemble 40 % de la population de la Terre. L’augmentation, sous l’effet des activités humaines, de la concentration des gaz à effet de serre et de ses conséquences climatiques fait l’objet d’une prise de conscience à tous les niveaux : institutions internationales, gouvernements, ONG, médias, citoyens. C’est devenu en quelques années un déterminant majeur des politiques énergétiques. I1 convenait donc d’étoffer les parties relatives à cet aspect de la question. La forme ramassée de l’ouvrage a été conservée. Pour des précisions plus techniques, on pourra consulter :L ’Énergiede demain, techniques, environnement, économie, sous la direction de J.-L. Bobin, E. Huffer et H. Nifenecker, EDP Sciences 2005.

État des lieux

1. Consommations L’état, en l’an 2005, de la consommation d’énergie à partir de différentes sources est présenté sur les tableaux 1 et 2. Pour rendre la comparaison entre les différentes sources d’énergie plus aisée, celles-ci sont toutes évaluées dans la même unité, à savoir la consommation équivalente en pétrole. Les données de 1996 sont rappelées afin de montrer la tendance récente.

Sources

GTep”

YO

2005

2,35

2005 2,93

3,34

3,84

2,03 038

2,41 0,67

Total

0,55 8,85

0,63 10,5

36,5 23,3 6,3 6

Traditionnel ** [2] Renouvelables”* * [ 2 ]

1,O4 0,04

0,06 (2002)

Charbon Pétrole Gaz naturel Hydraulique

Nucléaire

**

***

1996

27,9

100

1,12 (2002)

Exploitation de la biomasse, essentiellement le bois. Les évaluations correspondantes sont sujettes à caution faute de données fiables. Hors hydraulique.

Le tableau 1, statistique planétaire, montre que les combustibles fossiles, charbon et hydrocarbures, sont la principale source d’énergie. Ils comptent pour près de 90 % du total (en excluant le traditionnel), dont 60 % pour les hydrocarbures. L’énergie nucléaire ne fournit qu’une part modeste, de 1’ordre de 6 %, en raison de son usage exclusif pour la production d’électricité, qui ne représente elle-même que 38 % des besoins d’énergie globaux dans les pays développés et seulement 14 % si on considère la consommation d’énergie

14

L’énergie dans le monde : bilan et perspectives

mondiale. Malgré une forte croissance, l’éolien et le solaire, sous leur forme moderne, apportent une contribution négligeable. Cette vue très générale est affinée par une analyse par pays, tableau 2. De toute évidence, des pays à forte capacité nucléaire, Allemagne, États-Unis, GrandeBretagne, recourent li cette forme d’énergie de façon assez timide, surtout en comparaison de la France. Tableau 2 : Consommations primaires (2005 en MTep) dans diflérents pays à partir des dflérentes sources, à 1’exclusion de la biomasse traditionnelle [I].

États-Unis

I

575,4

I

944,6

I

570,l

I

185,9

I

60,6

I

2336,6

I

La Chine et l’Inde méritent une mention spéciale. Dans ces pays en voie de développement rapide, la consommation d’énergie s’est considérablement accrue au cours de ces dernières années :

Chine Inde

1995

2000

2005

694,6 142,8

667,4 169,i

1081,9 212,9

2. Reserves En 2002, l’état des réserves en combustibles fossiles et nucléaires était représenté par les chiffres du tableau 4. Ces données doivent être considérées avec précaution. En effet, l’effort de prospection dépend du niveau estimé des réserves. Par exemple, dans le cas du pétrole, le chiffre des réserves croît régulièrement depuis au moins 1940.

J.-L. Bobin, H. Nifenecker, C. Stéphan

15

Tableau 4 :Réserves planétaires prouvées [2]. GTep

Années de réserve au rythme de consommation actuel

335

139

136

5 04

Schistes bitumineux et Sables asphaltiques

47 149 20 1 Plusieurs centaines de Gtep

Hydrates de méthane

Plus de 1O00 GTep

190 41 91 Fraction exploitable non déterminée Fraction exploitable non déterminée

Source Charbon bitumineux Charbon sub-bitumineux

Lignite Pétrole + GNL* Gaz

Uranium

(surgénérateur)

* **

1

3500

1

I

1O O00

Gaz naturel liquide. À un coût inférieur à 130 $/kg.

Mais des études récentes [ 3 , 41 et sur lesquelles nous reviendrons tendent à prouver que la tendance s’est inversée vers 1980. Le nombre réel (non biaisé par des influences politiques) d’années de réserve serait en diminution, ce qui laisse présager une production en baisse à partir de 2010-2020, après le passage du fameux pic pétrolier D. I1 faut toutefois compter avec des ressources non conventionnelles d’hydrocarbures : gisements des grands fonds océaniques, schistes bitumineux, sables asphaltiques, hydrates de méthane. Le potentiel de ces gisements non conventionnels est considérable, plusieurs fois supérieur à celui des gisements classiques. Mais l’exploitation de ces gisements pose en général de gros problèmes environnementaux, ainsi que des problèmes de coûts. En ce qui concerne le nucléaire, si sa part de marché devait atteindre 30 %, le nombre d’années de réserve s’abaisserait à 40 ans pour une utilisation dans des réacteurs de type REP (Réacteur à Eau Pressurisée) et à 4000 ans dans le cas des surgénérateurs. Cependant, il deviendrait alors rentable d’exploiter des gisements à faible teneur (y compris les océans), ce qui augmenterait encore le nombre d’années de réserve. L’effet serait renforcé par la possibilité de mettre en œuvre le cycle du thorium. I1 faut aussi prendre en compte l’évolution de la demande en énergie au niveau mondial. La population mondiale compte aujourd’hui plus de 6,6 milliards

L’énergie dans le monde : bilan et perspectives

16

d’individus et continue d’augmenter. Mais le taux de croissance est passé par un pic aigu vers 1975 et les projections des Nations unies sont régulièrement revues à la baisse. I1 est peu probable que la population globale se stabilise au cours du XXFsiècle [5]. Les études prévoient plutôt un sommet autour de 10 milliards (k2) vers la seconde moitié du siècle [6]. Or, une grande partie de cette population se trouve dans des pays émergents comme la Chine et l’Inde, dont la demande en énergie va être de plus en plus forte (sur la lancée de l’évolution mise en évidence par le tableau3). Ceci aura forcément une incidence sur l’évaluation des réserves, même si les pays actuellement les plus gourmands parvenaient à réduire d’un facteur 2 leur consommation.

3. Évolutions I1 en va des données énergétiques comme du baromètre. L’important n’est pas tant la valeur instantanée d’un indicateur que de savoir s’il croît ou s’il décroît. I1 convient donc de compléter les tableaux précédents par une analyse des tendances au-delà de l’aperçu général qui ressort du tableau 1.

3.1. Un modèle I1 est possible de restituer assez fidèlement l’évolution des parts de marché dévolues aux différentes sources d’énergie en traitant chacune d’elle suivant un modèle diffusif. Le resultat d’un tel travail (effectué au sein de 1’IIASA’) est présenté sur la figure 1, reproduite de Cesare Marchetti [7], où la variable F est la part de marché. L’historique recouvre une période de plus d’un siècle, pour laquelle nous disposons de statistiques fiables. La détermination empirique des constantes conduit, par simple extrapolation, à des prévisions s’étendant jusqu’en 2050 (courbes lisses). Comme pour tout modèle, l’intérêt du graphique est d’abord explicatif. I1 fait apparaître la domination presque absolue des sources d’énergie fossiles, flagrante dans le tableau 1, dont il permet de suivre l’évolution dans le temps, passé et à venir. Tandis que la part du bois diminue régulièrement (elle semble sous-estimée ici pour la période récente, voir tableau l), celle du charbon, sur une lancée datant de la seconde moitié du XVIII~siècle, devenait prépondérante vers 1880, situation qui devait perdurer jusqu’en 1970. Nous sommes maintenant dans l’ère des hydrocarbures, dont le modèle prévoit qu’elle pourrait s’étendre sur la plus grande partie du X X I ~siècle. La part du pétrole atteint la saturation après un siècle de croissance. Celle du gaz, I

International Institute for Applied System Analysis, Laxenburg, Autriche

17

J.-L. Bobin, H. Nifenecker, C. Stéphan

90% Charbon

/

1850

\

1900

Pétrole A

1950

1&3

2000

2050

Données : N. Nakicenovic. IIASA

Figure 1 :Évolution des parts du marché de l’énerse (adapté de C. Marchetti, IIASA). le plus écologique des combustibles chimiques, apparaît destinée à grandir encore. La part du nucléaire sort de la marginalité vers 1970, mais ne dépasse pas en ce début de siècle 6 % du total. La comparaison au modèle des données économiques met en évidence des écarts particulièrement significatifs. Ainsi la (( crise )) consécutive au premier choc pétrolier de 1973 se traduit par d’importantes inflexions. La part de marché du pétrole est à peine touchée. Mais celle dévolue au charbon n’a plus décru pendant une dizaine d’années, alors que celle du gaz stagnait et que celle de l’énergie nucléaire connaissait, en raison de politiques volontaristes, une croissance exceptionnellement rapide.

En matière de prévision, la prudence s’impose. Si la part du charbon est repartie à la baisse et celle du gaz à la hausse, tendances extrapolables, il est difficile de se prononcer pour le nucléaire : on observe une stagnation. Celleci est-elle durable ou assistera-t-on au contraire dans quelques années à une deuxième période de croissance plus lente ? Les incertitudes économiques et politiques ne permettent pas de trancher. De même, prédire une percée sur le marché, vers 2025, de l’énergie solaire ou de la fusion thermonucléaire (courbe étiquetée (( solfus n) s’avère assez fantaisiste. On sait déjà que pour la fusion c’est hautement improbable (voir plus loin).

18

L’énergie dans le monde : bilan et perspectives

3.2. Pénuries ? Les modèles diffùsifs de I’IIASA représentent la compétition entre sources d’énergie. Ils ne prennent pas en compte l’éventualité d’un épuisement des réserves de combustibles fossiles. Où est donc passée cette épée de Damoclès qu’en 1972 le Club de Rome voyait suspendue au-dessus de nos têtes ? Élaboré avec l’aide d’un modèle numérique conçu au Massachusetts Institute of Technology (MIT), le rapport du Club de Rome [8], qui en son temps fit tant de bruit, envisageait différents scénarios à partir des tendances de l’époque : croissance quasi exponentielle de la population et de la consommation d’énergie. Dans tous les cas étudiés, la raréfactirln des combustibles conduisait vers l’an 2025 à un effondrement économique planétaire. Contrairement à une théorie physique, un modèle numérique s’avère peu prédictif. I1 ne vaut que ce que valent les hypothèses sur lesquelles il est bâti, surtout lorsqu’il est fermé, ce qui était le cas dans les simulations développées pour le Club de Rome. Or il s’est passé des évènements extérieurs au modèle. En 1973 eut lieu le premier choc pétrolier. Décision politique, le quadruplement brutal du prix du brut consécutif à la guerre du Kippour a renforcé la crainte d’une pénurie d’énergie par épuisement des ressources. Cette angoisse fut si vive que, comme le rappelle Pierre Bacher [9], une directive européenne datant des années 70, et restée lettre morte, interdisait de brûler du gaz naturel pour produire de l’électricité. Un tel sentiment, déjà apparu vingt ans plus tôt - c’était au début des années 50 - valait justificatif des premiers développements de l’énergie nucléaire. Dans les deux cas, il y eut erreur de diagnostic. Mais autant les Trente Glorieuses (1945- 1973) furent marquées par une frénésie de consommation d’énergie, le fameux doublement en dix ans de la consommation d’électricité, autant les années suivant 1973 furent celles de la stagnation, à quelques fluctuations près, sans que l’accroissement du PIB, cet indicateur du niveau de vie, en souffre gravement. La figure 2 [lo] montre cet effet. Au cours de la dernière décennie du xxe siècle, le prix du pétrole est redescendu à proximité de son niveau d’avant 1973. La consommation est alors repartie à la hausse, mais sur un rythme modéré en comparaison avec les Trente Glorieuses. En raison de la demande en provenance des pays émergents, elle n’a pas été freinée par la hausse des cours à laquelle nous avons assisté depuis, entre 2000 et 2006. En provoquant les chocs pétroliers, les dirigeants moyen-orientaux avaient, sans le vouloir, rendu un signalé service à l’humanité. Chez les plus gros

J.-L. Bobin, H. Nifenecker, C. Stéphan

19

indice 1 O0 en 1973 140

130 120 1IO

1 00

90 80 70 60 1965

69

13

II

81

85

87

Figure 2 : Évolutions comparées du PIB et de la consommation d’énergie dans les pays de l’OCDE (base 100 en 1973). Le contrechoc pétrolier de 1989 a poussé la consommation d’énergie à la hausse, mais de façon modérée par comparaison avec la période d’avant 1973. consommateurs, c’est-à-dire en Occident, on a, depuis 1973, appris à mieux gérer l’énergie. Les responsables, les médias, les opinions publiques ont d’abord craint l’imminence d’une véritable pénurie : fausse alerte. Mais la crise a fait apparaître deux idées complémentaires : -

il est possible de produire autant avec moins d’énergie ; en conséquence, les perspectives d’épuisement des réserves de pétrole s’éloignent.

Cette prise de conscience n’a eu lieu que dans les démocraties à l’occidentale, riches, voraces en énergie, mais où une opinion lucide a plus de chances qu’ailleurs d’être entendue. Hors de cet ensemble restreint, les statistiques montrent que la crise de 1973 n’avait pas eu d’influence sur la croissance de la consommation d’énergie. I1 faut aussi remarquer que la chute du communisme s’est traduite par une décroissance brutale de la consommation énergétique dans les pays concernés due, d’une part, à la crise économique et, d’autre part, à l’amélioration de l’efficacité énergétique.

Les combustibles fossiles

1. L’état des ressources et le pic pétrolier Le coup d’éclat de 1973 n’a pas été un véritable déclencheur. I1 a plutôt renforcé brutalement une tendance lourde, déjà inscrite dans les faits, comme en témoigne l’évolution du nombre annuel de découvertes de gisements pétroliers nouveaux qui a culminé en 1970, pour se stabiliser ensuite à un niveau trois fois moindre. Était-ce l’amorce d’un effet de pénurie ou un rééquilibrage de la production sur la consommation ? La question des réserves d’hydrocarbures fait l’objet d’une assez violente controverse entre les géologues et les économistes. Les géologues, en majorité, sont pessimistes. Ainsi, Jean Lahérrère [3, i l ] penche pour le tarissement de la ressource, et annonce pour bientôt la fin du pétrole bon marché, faute de réserves suffisantes. Son analyse, partagée par d’autres spécialistes comme Kenneth J. Deffeyes [4], est fondée sur l’historique des gisements. I1 s’écoule de 15 à 40 ans entre la découverte et l’instant où la moitié du contenu exploitable a été extraite. La courbe de la production suit celle des découvertes avec un certain retard. Cette constatation vaut aussi pour le gaz naîurel. Un modèle logistique qui utilise la même équation que le modèle diffusif du chapitre précédent permet de faire des projections pour l’avenir. Appliqué à l’ensemble du monde, il produit le graphique de la figure 3. Ainsi, non seulement la part de marché du pétrole est appelée à décroître au cours du prochain demi-siècle, comme le prévoit l’IIASA, mais il en serait de même de la production en valeur absolue. Les réserves de gaz surpassent celles de pétrole, mais pas au point de retarder les échéances de plus d’un demi-siècle. Selon Campbell et Lahérrère [3], le ralentissement du rythme des découvertes est dû à la rareté des gisements encore à trouver plutôt qu’à un ralentissement de la prospection. D’après leur analyse, 90 YO des gisements de pétrole conventionnel seraient déjà découverts, ce qui conduirait à un épuisement de la ressource un peu avant la fin du siècle. Au Moyen-Orient, où il est admis

L’énergie dans le monde : bilan et perspectives

22

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2000 1900 1800 1700 1600 1500 1400 1300 1200 1100 1000

900 800 700 600 500 400 300 200 1O0 O

-+-production petrole +decouverie

gaz

11930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030 2040 2050 2060 2070 2080

année

Figure 3 :Historique, en données cumulées, des découvertes de pétrole et de gaz et de la production de ces combustibles, d’après Jean Lahérrère [ 121. que se trouvent plus de la moitié des réserves prouvées, un déclin de la production pourrait se faire sentir à partir de 20 10. Les méthodes modernes de recherche et d’exploitation des gisements pétroliers pourraient- elles reculer l’échéance? En ce qui concerne la découverte de gisements, il s’agit, d’une part, d’une amélioration des techniques d’imagerie sonique et ultrasonique, d’autre part, de l’utilisation des très faibles variations de la gravité. En particulier, ces techniques raffinées permettraient de localiser des gisements profonds sous-océaniques. Les nouvelles méthodes de forage associent à une analyse en ligne des terrains rencontrés par la tête de forage au cours de sa progression, la mise en œuvre de têtes de forage autonomes utilisant des moteurs à boue. Les forages horizontaux sont devenus possibles, ce qui permet de réduire considérablement le nombre de puits verticaux. Ces techniques devraient permettre une augmentation importante, jusqu’à 50 %, du taux de récupération du pétrole des gisements. Elles permettront aussi l’exploitation des fonds océaniques jusqu’à environ 3000 mètres de profondeur, augmentant ainsi de près de 50millions de km2 la surface à explorer. Les réserves exploitables d’hydrocarbures pourraient alors être doublées, au prix d’une

23

J.-L. Bobin, H. Nifenecker, C. Stéphan

augmentation importante des coûts et du risque de catastrophe écologique dans le cas de rupture de canalisation profonde. On estime que la quantité de pétrole présente dans les schistes bitumineux et les sables asphaltés serait de plusieurs centaines de milliards de tonnes. Déjà, le Canada produit de façon rentable plusieurs millions de tonnes de pétrole extraits de sables asphaltés. Les problèmes écologiques entraînés par cette exploitation sont considérables : énormes tonnages de sol à remuer, manipulation délicate des effluents liquides de traitement des sables. Ces raisons risquent de limiter à une assez faible fraction de la ressource théorique la quantité de pétrole effectivement exploitable. La figure 4 tient compte de cet état de fait : Production mondiale des liquides : ultime 2000 Gb conventionnel + 750 Gb non-conventionnel 30

25 20

15

10 5 L

O

1925

1950

1975

2000

2025

2050

2075

2100

2125

année

Figure 4 [13] : Évolution au cours du temps de la production pétrolière mondiale avec ajustement d’un modèle logistique qui fait apparaître pour chaque catégorie un pic de Hubbert [4]. La courbe relative au brut conventionnel est calée sur les années 1980-2000, après la retombée consécutive à la crise de 1973 qui a mis Jin aux Trente Glorieuses, caractérisées par une croissance inégalée de la production.

24

L’énergie dans le monde : bilan et perspectives

D’immenses quantités de méthane sont stockées sous forme d’hydrates, les clathrates, soit dans le permafrost, soit au pied du plateau continental. La quantité de carbone présente dans ces hydrates est estimée au double de celle présente dans les gisements connus de charbon, de pétrole et de gaz. Le prélèvement des hydrates océaniques ne semble pas devoir être très difficile. I1 présente, toutefois, deux risques écologiques sérieux : -

-

l’émission de méthane dans l’atmosphère et, donc, une participation à l’effet de serre, le méthane étant environ 20 fois plus efficace que le gaz carbonique à cet égard ; le risque de déstabilisation du talus continental qui pourrait conduire à d’importants glissements de terrain accompagnés de raz-de-marée catastrophiques.

On voit donc que si les ressources non conventionnelles sont considérables, leur exploitation serait, en général, associée à de sérieux problèmes d’environnement et à des coûts d’extraction élevés. En tout état de cause, on peut assurer que la fin des temps du pétrole bon marché est proche. Dès maintenant, le coût d’extraction du pétrole issu des puits de la mer du Nord (10 à 15 €/baril) est 20 fois plus élevé que celui produit en Arabie Saoudite (0,5 à 1 €/baril). Autres combustibles fossiles, les charbons sont mieux répartis à la surface de la Terre, et les réserves connues excèdent considérablement celles des hydrocarbures [ 141.

2. Effet de serre et réchauffement climatique Déjà confrontée à cette perspective de l’épuisement à terme de réserves de combustibles fossiles, l’humanité rencontre d’autres problèmes graves : il est clair que l’agriculture, l’industrie, l’urbanisation, les transports. .. perturbent notre environnement, mais la question est de savoir dans quelle mesure et dans quel sens. Et les dommages ne risquent-ils pas de devenir irréversibles ? En ce qui concerne l’énergie, on connaît deux grandes catégories de nuisances qui ne sont pas indépendantes mais se distinguent par leur constante de temps. I1 existe des effet immédiats : dégradation de sites et pollutions (rejets, déchets, contaminations). D’autres sont à long terme : contribution à des modifications climatiques à l’échelle de la planète (gaz à effet de serre). 11 est désormais admis que ces atteintes à l’environnement doivent être minimisées.

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La prise de conscience de tels effets est récente et, comme pour les économies d’énergie induites par la crise pétrolière des années 70, elle a été d’abord limitée aux nations les plus développées, suffisamment riches pour avoir des soucis que l’opinion publique de nations plus pauvres rangerait au chapitre du luxe. En France, les gouvernements sont sensibilisés à ces problèmes. C’est ainsi qu’en 1990 et 1994, l’Académie des sciences, consultée par le gouvernement et avec le renfort d’experts nationaux, a publié deux rapports contenant un grand nombre de données chiffrées assorties de commentaires et de recommandations [ 151. La communauté internationale s’est également mobilisée. Les Nations unies ont créé la Convention cadre sur les changements climatiques [ 161 (CCNUCC)2 et organisent des conférences très médiatisées : Rio de Janeiro (1992), Kyoto (1997) où a été élaboré un protocole bien connu [17], Buenos Aires (1999), Johannesburg (2003), Nairobi (2006). .. Ces grands rassemblements visent à réagir à une situation pour le moins préoccupante. Nous vivons en effet dans une période où la température moyenne de la planète ne cesse de monter. La température de l’air, en valeur moyenne, est au moins aussi élevée qu’elle ne l’a été à toute autre époque dans le passé, depuis 1400 à la période présente. Comme semblerait le montrer la figure 5 , qui retrace l’évolution de la température moyenne depuis les débuts de l’ère industrielle, la période récente est caractérisée par une élévation de température dont tout donne à penser qu’elle est liée aux activités humaines.

Figure 5 : Variations de la température (en degrés, moyenne planétaire annuelle et moyenne glissante sur 5 ans) depuis les débuts de l’ère induspielle [18]. En anglais : United Nutions Framework Convention on Climate Chunge (UNFCCC).

L’énergie dans le monde : bilan et perspectives

26

L’année 1998 a été la plus chaude du xxe siècle. Malgré la canicule qui a affecté l’Europe occidentale au mois d’août 2003, la température moyenne de l’année reste légèrement inférieure à celle de 1998. La température moyenne de 2005 a été plus élevée encore qu’en 1998. Il est généralement admis que ces records sont attribuables à un effet de serre accru. L’effet de serre a toujours existé. Sans lui, la température moyenne serait de - 18 “C alors qu’elle est actuellement de + 15 O C , les principaux gaz à effet de serre étant la vapeur d’eau, le dioxyde de carbone (CO,), le méthane, l’oxyde d’azote, les chlorofluorocarbones (CFC), l’ozone troposphérique. La concentration de ces gaz dans l’atmosphère augmente régulièrement et suit l’évolution de la population, comme le montre la figure 6 : 1750 1800

1850 1900

1950

2OOO

1900

1950

2ooo

800 6w

290 260

2

O

1750 1800

1850

AIUIbS

Figure 6 :Évolution des émissions des gaz à e f e t de serre et de la population.

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Cependant, notre capacité à mesurer l’influence de l’homme sur le climat global reste limitée. Des carottages effectués dans l’Antarctique et au Groenland permettent de déterminer avec précision l’évolution de la température et de la composition de l’atmosphère depuis environ un million d’années. Cette reconstitution des climats du passé conduit à révéler l’existence de phénomènes cycliques en relation avec les mouvements de la Terre : modifications de l’excentricité de sa trajectoire et de l’obliquité de son axe de rotation, mouvements de précession autour de son axe. Mais les carottages montrent aussi que la concentration en CO, n’a jamais été aussi importante qu’aujourd’hui. D’après le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, émanation des Nation unies dans le cadre du CCNUCC), un faisceau de présomptions met en évidence une influence perceptible de l’homme sur le climat [ 191. Sur une lancée déjà ancienne, les discussions qui avaient eu lieu à Kyoto en 1977 avaient mis en lumière ce rôle potentiel des activités humaines. On ne peut exclure que cette augmentation du gaz à effet de serre conduira, à échéance, à un changement climatique important ; sans pouvoir prédire exactement ce qui va se passer, on peut cependant s’attendre à une augmentation du nombre et de la puissance des cyclones, à une désertification de zones subtropicales, à des mutations des grands types de végétation, à une dégradation des terres par érosion, à une possibilité de déviation du Gulf Stream permettant à la masse d’air polaire de parvenir sur l’Europe occidentale. Une autre conséquence déjà perceptible du réchauffement de la planète est l’élévation du niveau moyen des mers. Cette élévation est due pour une part à la fonte des glaciers, mais surtout à la dilatation de l’eau des océans. Pendant longtemps, la variation du niveau des mers était estimée à partir du changement du niveau des marées. Depuis 1992, les scientifiques disposent du satellite franco-américain Topex-Poseidon qui mesure le niveau des mers avec une grande précision [20]. On a observé une élévation de niveau moyenne de 3,03 mm par an entre janvier 1993 et avril 2005, avec une tendance à l’accélération [21]. En extrapolant, on trouve une élévation de 30 cm par siècle, et cela dans l’hypothèse plutôt favorable où la température moyenne continuerait d’augmenter au rythme actuel. En revanche, si la situation continuait d’évoluer dans le mauvais sens, on pourrait aboutir à une élévation du niveau des mers bien plus importante, laissant prévoir à terme l’inondation de certains pays (Pays-Bas à 6 %, Bangladesh à 17,5 %). Afin d’éclairer les décideurs sur les évolutions possibles de la consommation d’énergie et sur l’exploitation des différentes sources, des instituts spécialisés

L’énergie dans le monde : bilan et perspectives

28

élaborent des scénarios. Le moins contraignant, appelé parfois BAU3 conduirait, à la fin du siècle prochain, à un triplement de la concentration en gaz carbonique par rapport à sa valeur préindustrielle de 280ppmv (parties par million en volume). I1 faut aussi noter que, même si l’effort est fait d’un maintien des émissions à leur niveau actuel, les concentrations auront néanmoins presque doublé. En réalité, une stabilisation de la concentration du CO, passe par une réduction des émissions mondiales d’un facteur 2 à l’horizon 2050,4 dans les pays développés, objectif que le gouvernement français a fait sien en 2003. La quantité de dioxyde de carbone (CO,) émise en 2004 s’élevait à environ 27 milliards de tonnes, soit quelque 7,3 milliards de tonnes de carbone. La répartition géographique de cette pollution et de quelques autres est présentée sur le tableau 5 [2] pour les années 2004 et 1990, qui sert de référence. Depuis cette date, les émissions ont augmenté en Asie du Sud (Chine et Inde), région en développement rapide mais dont la contribution au total reste encore modeste. Les zones les plus industrialisées, Amérique du Nord, Europe occidentale, ex-URSS, Pacifique (Australie, Japon, Taiwan) émettent chacune des quantités de carbone supérieures ou égales à un milliard de tonnes par an, et constituent plus de 80 % du total. Les mêmes proportions se retrouvent dans les émissions de soufre et d’azote. Alors que le CO2 est d’abord un gaz à effet de serre, les émissions de soufre et d’azote entraînent les pluies acides et une formation d’ozone atmosphérique. La comparaison des émissions selon les différents pays est également instructive (tableau 6 [22] et figure 7 [23]). Dans les pays qui ont un taux d’émission de CO, supérieur à 10 tonnes par habitant - Pays-Bas, Canada, Allemagne, États-Unis - la production d’électricité utilise principalement des combustibles fossiles. D’autres pays développés comme la Suisse et les pays nordiques ont de vastes ressources hydroélectriques. La France se singularise par un emploi important de l’énergie nucléaire, tandis qu’au Japon la part du charbon est faible dans le total des combustibles fossiles consommés. Les émissions déjà importantes de la Chine et de l’Inde augmenteront encore en suivant leur état de développement, qui part de très bas comme le montre la figure 7. Une dernière remarque : une part importante des émissions de gaz à effet de serre provient des systèmes de transport, ce qui atténue les contrastes entre pays industrialisés. Le tableau 6 est également un indicateur de l’effort que doit faire chaque gays pour améliorer la situation.

Pour a Business As Usual ! ))

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29

Tableau 5 :Émission du principal gaz à effet de serre (CO3 et des oxydes de soujie et d’azote (responsables de pluies acides) selon différents pays ou groupes de pays :données de 2004 et (1990). NO, (mégatonnedan)

IEurope des 15 Fédération de Russie Turquie I États-Unis Canada Japon Chine Inde l

I

3,506 (3,357)

1

14,6 (23,8)

1

1 4 3 (142)

1

1,818 (2,393)

1

9,8 (17,5)

1

598 (897)

1 1

0,242 (0,132) 5,988 (5,005) 0,593 (0,46) 1,286 (1,144) 4,732 1,104

1 1

2,07 (1,6) 17,8 (22,4) 2,9 (255) 2,6 (2,1) 34,5 (25,6) 7,9 (58)

1 1

1,0 (0,6)

19,3 (19,4) 2,4 (2,1) 3,3 (2,6) 14,3 (8,7) 626 (4,O)

Tableau 6 :Émissions de CO, pour l’année 2004. Tonnes par habitant

kgpar$dePIB

Monde OCDE Moyen-Orient EX-URSS Europe hors OCDE Asie Amérique latine Afrique Allemagne France Grande-Bretagne

4,18 I 1 ,O9

0,76 0,47

Pays-bas

11,41 7,75 19,73

1,60

8,09

4,71 1,83 1,37 0,59

4,88 1,22 2,05 0,93 10,29 6,22

1,19

0,43 0,27 0,34 0,47 1,49 0,54

8,98

Pologne États-Unis

I Canada I Japon 1 Chine

6,5 1

I I I

17,24 9,52 3,66

I I I

0,70 0,25 2,50

I I I

L’énergie dans le monde : bilan et perspectives

30

‘USA O Canada

O Arabie

Saoudite O Taïwan

0 Hollande OAllemagne

0 Russie

Pologne Afiq!e du Sud

O Italie

% Espagne

Japon ~Dane~nark 0 ‘Grande-Bretagne

O France

O Portugal

I

Chine Mexique O qhaila:&Argentine EgYPte OBresil O Inde

PIB

Figure 7 : Comparaison de différents pays selon, d’une part, les rejets de CO, (en ordonnées : tonnes de CO, annuellement émises par habitant) et, d’autre part, leur produit intérieur brut (en abscisse : PIB par habitant, unités arbitra ires).

Les trois principaux combustibles fossiles, charbon, gaz et pétrole, ont des taux d’émission de gaz à effet de serre différents comme le montre le tableau 7 [23]. La pollution la plus forte est créée par le charbon. La situation s’améliore un peu avec le fioul, et notablement avec le gaz naturel. Elle pourrait s’améliorer encore avec l’apparition de nouveaux procédés qui seront décrits dans le chapitre sur les nouvelles technologies : cogénération et cycles combinés. Dans le tableau 7, on peut voir aussi que l’utilisation de ces modes de production réduit de façon significative (un petit facteur 2) les taux d’émission. L’effet de serre n’est pas la seule contrainte à prendre en compte. Toute activité à l’échelle d’une société humaine se doit de rendre un réel service, donc de répondre à des besoins qui sont de nos jours immenses (contrainte de réponse à une demande sociale). Un souci de pérennité impose que cette activité soit menée de façon rentable (contrainte économique). Ajoutant la contrainte environnementale. on est en face d’une trinité indissociable.

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Émission par k Charbon

1

~

(1 YOS)

Gaz Charbon (cogénération) Fioul (cogénération) Gaz (cogénération)

h

CO2 (kg) 0,95

0,57 0,57 0,46 0,34

31

SO2 (g)

7s

NO2 (g) 2,80

4,4

1,30 1,17

2,9

0,99

0,70

Seule façon de contribuer à ce qu’il est convenu d’appeler développement durable, la mise en œuvre des sources d’énergie doit se plier simultanément aux trois contraintes, dans un jeu qui ne doit pas être à somme constante. Aucune ne doit être privilégiée. Aucune ne doit être négligée, ce qui fut longtemps le cas de la contrainte environnementale. Souvenons-nous des débuts de l’industrialisation : ils furent conduits dans le cadre d’un capitalisme assez sauvage, tandis que les fumées envahissaient le ciel des zones usinières, les noyant parfois de vapeurs suffocantes. Le légendaire smog londonien n’avait pas d’autre cause. L’amélioration générale du niveau de vie a d’abord suscité des désirs d’atmosphère respirable et d’eau limpide. Le souci de préserver l’environnement est devenu médiatique au cours des trente dernières années. Dans ce domaine encore, les analyses de Marchetti, reprises par Ausubel [24], sont riches d’informations. En particulier, le basculement d’une source d’énergie dominante vers une autre, du bois vers le charbon, puis le pétrole, enfin le gaz (figure 1), s’accompagne d’une réduction relative de l’émission de gaz à effet de serre4. En effet, à chaque fois, la substitution se fait d’un combustible plus riche en carbone vers un combustible plus riche en hydrogène. Le produit de combustion est de plus en plus de l’eau (écologiquement neutre) au détriment du gaz carbonique (dioxyde de carbone, dont l’effet de serre est prouvé). Comme le montre la figure 8, la tendance est à la hausse du rapport hydrogène sur carbone. On attend pour le début de ce siècle que la courbe s’infléchisse vers la limite correspondant au méthane, quatre Toutefois, l’émission nette de CO, peut être très faible dans le cas du bois si sa consommation est inférieure à sa production, celle-ci compensant celle-là. Le bois est alors une énergie renouvelable.

L’énergie dans le monde : bilan et perspectives

32

hydrogènes pour un carbone, ou encore mieux, que l’on réussisse à utiliser de façon économiquement rentable de l’hydrogène d’origine autre que fossile.

Des progrès sont effectivement possibles grâce à l’apparition de nouvelles technologies dans l’utilisation des combustibles fossiles (séquestration du CO2) et probablement, dans un avenir plus lointain, dans l’utilisation de l’hydrogène. Insensiblement et sans démarche explicitement volontariste, nos sources d’énergie tendent à mieux respecter l’environnement. Mais, de toute façon, ce sera insuffisant pour répondre au défi posé par la nécessité aujourd’hui reconnue de limiter la concentration des gaz à effet de serre. Par ailleurs, la réalité s’écarte aujourd’hui de ce modèle en raison du recours massif au charbon par des pays en développement rapide comme la Chine. La production, qui auginente, joue en sens inverse.

I

102

I

I

I

0.99

F 1-F

F = H/(C+H)

101

-

100

-

10-1

-

_I

0.50

Charbon H/C-1 Patrole HX: = 2 Gaznaturel H C = 4 10 -2

f

I

l

l

O O1

Figure 8 : Variation, en fonction des années, de la part de l’hydrogène par rapport à celle du carbone dans les combustibles utilisés. Voir dans l’annexe II la signijîcation de F/(1 - F).

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33

3. Les debuts d’un effort planétaire : le protocole de Kyoto Les premières conférences sur l’évolution du climat organisées sous l’égide de la Convention cadre des Nations unies ont abouti à l’élaboration, en 1997, d’un accord appelé communément protocole de Kyoto [17] qui définit, pour les pays les plus industrialisés et d’autres en voie d’industrialisation, des engagements pour l’évolution de l’émission de gaz à effet de serre à l’échéance 20 12. Ces variations sont exprimées en pourcentage par rapport une référence : l’année 1990. Le tableau 8 en présente quelques-unes. Comme elles résultent de négociations au niveau des États ou de groupes d’États, la logique générale n’est qu’approximativement respectée, qui veut que les pays les plus pollueurs par rapport à leur PNB aient à envisager les diminutions les plus importantes, alors que des nations que l’on peut considérer à des titres divers comme en voie de développement sont au contraires autorisées à augmenter leurs émissions. Ainsi, l’Europe - celle des 15 - a réparti l’effort à accomplir : le taux de réduction imposé aux pays à niveau de vie le plus élevé est supérieur à la moyenne de l’Union ; la France et la Finlande, en raison d’émissions plus faibles résultant de leur programmes électronucléaires, sont à taux zéro ; les pays en rattrapage de développement, Irlande, Portugal, se voient en revanche autorisés à augmenter leurs émissions. La référence a été prise en 1990, choix malencontreux : cette année précède de peu l’effondrement économique de l’URSS et des pays de l’Est européen concomitant avec la fin des régimes communistes. Ces pays ont subi un recul de leur activité industrielle qui s’est traduit par une chute brutale, de 25 à 60 YO, des émissions de gaz à effet de serre. Pour eux, les objectifs de Kyoto sont d’avance atteints. Modeste dans ses objectifs, le protocole de Kyoto doit être plutôt considéré comme un exercice préparatoire à la mise en œuvre de contraintes plus drastiques. Ainsi, le protocole vise à instituer un système de permis négociables sur un marché des droits à polluer. Dans une telle procédure, un organisme régulateur fixe des plafonds convertibles en droits négociables. Un acteur économique (État ou compagnie) peut dépasser son quota moyennant une transaction avec un autre acteur restant en dessous de la limite qui lui a été imposée. Lorsque des droits ne trouvent pas preneur, le régulateur peut les racheter à bon compte, les retirant ainsi du marché. C’est par ce moyen qu’aux États-Unis, le régulateur étant une agence fédérale, on a éliminé les carburants plombés.

L’énergie dans le monde : bilan et perspectives

34

Tableau 8 : Object$ de Kyoto à échéance 2012 et situation en 2004 12-51. CO, émis en 1990 (Mt) -

Allemagne Australie Autriche Belgique Bulgarie Canada Danemark Espagne Finlande France Grande-Bretagne Grèce Irlande Italie

Japon Norvège Nouvelle-Zélande Pays baltes* Pays-Bas Pologne** Portugal

Russie* ** Suède Suisse États-Unis”* * *

-

-

1030 279 62 119 98 460 54 229 57 39s 590 84

-

33 434 1144 34 25 96 159 477 43 2393 57 45 SO05

ObjectifsdeKyoto (YO) : Réalisation 2004 (YO) signe -, (en gras, les chiffres engagement de correspondant réduction ; à une aggravation signe +, autorisation des émissions) d’augmentation

21

- 14 + 36,7

13 - 7,5 -8 -6 - 21 + 15

+ 24,s + 6,6

-

-

- 46

+ 28,s + 2,s + 55

O O

21,s + 5,6 - 4,7 + 30,s

- 12,5 + 2s + 13

+ 9,5 + 12,7

- 6,5

- 12,4

-6 +1

+ 26,s + 34,2

O -8

-6 -6 + 27 O +4 -8

-7

-

60

+ 13,s -

I+,

33,6

+ 51,5

I

32,4

I

-

+ 19,6

* Ces pays ont é entraînés dans l’effondrement économiqu, e l’ex-URSS en ** Pays entraîné dans l’effondrement de l’URSS. *** A ratifié le protocole en 2005, ce qui a entraîne sa mise en application. **** N’ont pas ratifié le protocole.

I

1991.

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35

Toutefois, la méthode rencontre des oppositions, principalement de la part de ceux qui, n’ayant aucune confiance dans les effets mécaniques des marchés, préconisent plutôt l’action volontariste des États et incitent à taxer de façon autoritaire les émissions. Que ce soit l’institution d’un marché ou la taxation, les deux méthodes, simples dans leur principe, sont de mise en œuvre délicate en raison de la complexité des sociétés humaines et des échanges qu’elles pratiquent entre elles. La façon dont seront tenus les engagements de Kyoto est laissée à l’initiative des États signataires. Les États-Unis ont annoncé très tôt qu’ils ne ratifieraient pas ce protocole. D’autres pays ont tergiversé longuement avant de le ratifier, ce qui en a retardé la mise en œuvre jusqu’en février 2005 (ratification par la Russie). I1 est difficile en décembre 2006 de juger de ses effets. Succès ou échec ? On verra plus tard. La récente conférence de Nairobi (novembre 2006) s’en est tenue à une prudente expectative et n’a rien décidé de contraignant pour la suite. On peut cependant noter que le réchauffement climatique par un renforcement de l’effet de serre d’origine anthropique provoque une prise de conscience généralisée : scientifiques, organismes internationaux, gouvernements, industriels, média, opinion publique.. . La nécessité de limiter les émissions de gaz à effet de serre, si elle est vraiment prise en compte, impose des contraintes extrêmement sévères qui vont restreindre la liberté d’action des différents partenaires. Ils ne pourront se passer d’une politique de l’énergie à long terme ; les marges de manœuvre seront étroites. Par exemple, il deviendra impossible de revenir aux centrales électriques émettrices de CO,.

L’énergie nucléaire

1. Réacteurs à fission La centrale nucléaire se différencie de la centrale thermique habituelle essentiellement par sa source de chaleur. À la place d’un brûleur à combustibles fossiles, on utilise un réacteur nucléaire pour chauffer une masse d’eau et la transformer en vapeur, qui, comme dans toute centrale thermique, va servir à faire tourner une turbine. On obtient, au mieux, pour la production d’électricité un rendement énergétique de 35 % avec la technologie actuelle, quelle que soit la nature du combustible. La plupart des réacteurs nucléaires producteurs d’énergie fonctionnent suivant les techniques REP (réacteur à eau pressurisée), appelés PWR (pressurized water reactor) en anglais, ou REB (réacteur à eau bouillante), appelés BWR (boiling water reactor) en anglais. Ce sont des réacteurs qui utilisent un combustible enrichi en isotope 235 de l’uranium. La production d’énergie provient essentiellement de la fission de cet isotope induite par des neutrons lents (voir annexe I). Le ralentissement des neutrons est assuré par de l’eau ordinaire qui joue aussi le rôle de caloporteur. La discussion sera focalisée sur de telles machines, bien que d’autres types de réacteurs, comme celui à eau lourde Candu développé au Canada, aient des caractéristiques intéressantes. La puissance électrique des réacteurs REP ou REB en service commercial varie de 600 à 1600 mégawatts (MW), avec un rendement thermodynamique proche de 35 %. Pour fixer les idées nous raisonnerons sur un réacteur produisant 1000 MW, soit 1 gigawatt (GW) d’électricité. Un réacteur de 3000 MW thermiques transformés en 1000 MW électriques avec une disponibilité de 80 % produit annuellement 7 térawatts-heure (TWh). I1 consomme 1 tonne d’isotopes fissiles pour fournir autant d’énergie que 2 millions de tonnes de pétrole. L’uranium naturel ne contient que 0,7 % de l’isotope 235U. Le matériau introduit dans le réacteur est de l’uranium enrichi en 235Uà environ 3,5 %. Des données plus précises sont rapportées dans le tableau 9 d’après [26],

38

L’énergie dans le monde : bilan et perspectives

qui inventorie la compositiondes matériaux au chargementet au déchargement du réacteur. Pour dresser ce tableau, on a fait l’hypothèse que le combustible a fourni une puissance d’un gigawatt électrique pendant un an. On constate sur le tableau 9 que la masse de 235Ua beaucoup diminué lors du déchargement,ce qui est normal puisque cet isotope constitue le combustible produisant de l’énergie par fission, alors que l’isotope 238U présent diminue peu en pourcentage, mais constitue la majeure partie de ce qui sort du réacteur (combustible usé). La quantité manquante de 238U correspond essentiellement à la production de plutonium et autres actinides par capture de neutrons émis lors de la fission de 235U.Le plutonium produit contribue lui-même de façon notable à la fission.

Noyau

Chargement (kg) Masse au déchargement (kg)

235u

954

280 111 25 655 26 047 156 266 20 13 30

236u 2 3 8 ~

Actinides mineurs Produit de fission 90Sr Produit de fission 137Cs Autres produits de fission à vie longue Masse totale

26328 27 282

I

I 27282

63 946 27279

Le médiocre usage fait de l’uranium dans les réacteurs actuels a des conséquences sur la quantité de minerai qu’il convient d’extraire et sur le niveau des ressources. En l’absence de recyclage, chaque réacteur de 1 GW électrique nécessite 200 tonnes annuelles d’uranium frais (en tenant compte de l’enrichissement isotopique de l’ordre de 3,5 %, et de la consommation incomplète de 235U). Les minerais couramment exploités ont une teneur d’environ 0,25 % en uranium [26]. Un réacteur de 1 GW électrique demande donc l’extraction annuelle de 80000 tonnes de minerai, à comparer cependant aux 2 millions de tonnes de pétrole nécessaires pour produire la même quantité d’énergie. Les résidus d’extraction sont radioactifs, radioactivité naturelle due

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aux descendants de l’uranium, notamment le radon [27]. L’émission de ce gaz se fait avec une longue période : 75 400 ans déterminés par la demi-vie5 de son parent, le thorium 230. Elle est plus abondante à partir des résidus qu’à partir du minerai brut, qui joue le rôle de piège à radon. On estime les réserves d’uranium d’un coût d’extraction raisonnable à 15 millions de tonnes. Avec une production globale de 350 GW électriques consommant chaque année 70000 tonnes d’uranium naturel, il y a suffisamment de réserves pour 200 ans d’exploitation. I1 n’y a pas donc pas de problème d’approvisionnement dans l’immédiat, tant que la part de l’énergie nucléaire reste au niveau actuel sur le marché de l’énergie. Mais si la part du nucléaire était amenée à croître jusqu’à 30 %, outre que la question des déchets s’aggraverait considérablement, les réserves se réduiraient à 40 ans, situation comparable à celle du pétrole.

Il convient cependant de noter que l’eau de mer contient 4 milliards de tonnes d’uranium avec une concentration de 3,2 parties par milliard. I1 semble possible d’extraire l’uranium pour un prix de revient 10 fois plus élevé que l’actuel. I1 en résulterait une augmentation de 50 % du prix de l’électricité produite.

2. Un problème spécifique a l’énergie nucléaire : les déchets radioactifs L’industrie nucléaire manipule des substances radioactives. Les réacteurs de tous types en produisent de grandes quantités, que leur nocivité impose de traiter dans de strictes conditions de sécurité sanitaire et environnementale [28]. Une partie reste dans la filière nucléaire (retraitement des combustibles) ; le complément constitue des déchets dont le devenir pose une question que la société se doit de résoudre. Sur ce point aussi existent des rapports d’expertise émanant de l’Académie des sciences [29] ou de la SFP [30], dont on reprend ici quelques éléments essentiels. On distingue trois sortes de déchets de haute activité :

Des déchets radioactifs alpha incluant le plutonium et les actinides mineurs. Leur demi-vie est, à l’échelle humaine, très longue :jusqu’à 25 O00 ans pour 239Pu.I1 faudrait donc prévoir soit un stockage souterrain de longue durée [31], soit leur transmutation. Dans ce dernier cas (incinération), on les fait On appelle demi-vie, ou période radioactive, le temps nécessaire pour que la moitié des noyaux d’une espèce radioactive donnée (un isotope) se soit transformée en une autre espèce qui peut être stable mais qui peut être elle-même radioactive. Une période peut aller de quelques fractions de secondes à des milliards d’années suivant l’espèce radioactive.

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disparaître par fission. Cela veut dire qu’on aurait besoin d’un réacteur incinérateur pour quatre réacteurs de type REP. La fission de 280 kg de plutonium et d’actinides mineurs produirait environ 2 TWh d’énergie électrique. On notera qu’en France le plutonium est recyclé et considéré comme une matière valorisable et non comme un déchet. Les déchets constitués par les produits deJission à vie longue. Ce sont des noyaux radioactifs émetteurs p dont la demi-vie dépasse 1000 ans (en 1000 ans, la moitié de la population initiale de ces noyaux s’est désintégrée, voir note de bas de page no 5). Les principaux sont présentés dans le tableau 1O avec leur production annuelle dans un réacteur de 1 GW électrique. Les déchets constitués par les produits defission à vie moyenne (30 ans), essentiellement 90Sr et 137Cs,qui présentent de fortes radioactivités au déchargement. I1 n’est pas réaliste de leur faire subir de transmutation en les bombardant avec des neutrons, car leur probabilité de capture des neutrons est petite. I1 convient donc d’envisager une période d’environ 300 ans pour un stockage dans des conditions de vigilance particulières. Tableau I O :Produits de$ssion à vie longue. Noyau Demi-vie (années) Production (Wan)

79Se

90Zr

99Tc

Io7Pd

70000 1,5 x lo6 2,l x lo5 6,5x lo6 15,5

17,7

4,4

12%n

lo5 0,44

1291

135Cs

1,57 x lo7 2 x lo6 3,9

7,7

L’importance du problème des déchets apparaît sur le tableau 11 [26] où figurent les tonnages cumulés jusqu’en 1995 des combustibles utilisés dans les réacteurs des différents pays de l’OCDE. On notera qu’il s’agit de quantités faibles en comparaison des déchets ménagers, agricoles ou industriels rejetés annuellement par la France. Les industries, en particulier, rejettent par an plusieurs millions de tonnes de produits toxiques (pour l’éternité) ou dangereux. Les rejets par habitant en France sont : Industriels : 2,5 T, dont 100 kg de déchets toxiques ; ménagers : 0,8 T ; agricoles : 6,5 T. Dioxyde de carbone (CO,) : 7 T. Nucléaires : en classe A (faible radioactivité, demi-vie 30 ans) : 900 g ; en classe B (moyenne radioactivité, demi-vie inférieure à 1O000 ans) : 95 g ; en classe C (forte radioactivité, demi-vie plusieurs milliers d’années) : 5 g.

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Tableau 11 : Données cumulées relatives aux combustibles usés dans les réacteurs électronucléaires.

1

Pays

I France

1 I

Belgique Suède Suisse Espagne Finlande Allemagne Japon Grande-Bretagne États-Unis Canada Pays-Bas Total

I I

I

I

1

Puissance installée Électricité d’origine Tonnages usés (GW électriques) nucléaire (YO)

58,5 5,5 10 3,O 7,l 2,3

I

22,7 38,9 11,7 98,s 15,s 0,s 274,s

I I I

76,4

I

11770 1400 3240 1300 1775 975

I 1 I

6315 8600 7000* 28 600 20000** I50 91 125

55,s

51,l 36,s 35 29,5 29,3 27,2 25,s 22 19,l 4,9

I

Avec la faible part de marché actuelle, soit 6 % de la production énergétique mondiale, l’inventaire du combustible usé se montera à 200000 tonnes vers l’année 2020, soit 8000 tonnes par an. Ce chiffre est à comparer avec la capacité annuelle de recyclage : 2000 tonnes traitées pour l’essentiel par l’usine Cogéma de La Hague. Si la part de marché dévolue au nucléaire devait s’élever à 30 %, valeur significative du point de vue de l’effet de serre, la production annuelle de combustibles usés atteindrait 40 O00 tonnes. Pour apprécier les conséquences de cette valeur, il est intéressant de la comparer aux capacités d’enfouissement profond des déchets nucléaires, procédé actuellement en discussion. Prenons l’exemple du site américain de Yucca Mountain, qui passe pour être le seul site de stockage socialement acceptable sur le territoire des États-Unis. I1 occuperait une superficie de 6 km2 avec un réseau en nid d’abeille de 1O0 km de tunnel [33]. Sa capacité serait de 70000 tonnes pour un coût de 15 milliards de dollars. I1 est clair que l’option de l’enfouissement a un sens dans la perspective d’une sortie du nucléaire au cours de la première moitié du siècle (un petit nombre de sites du type de Yucca Mountain suffirait). Cette option est nettement plus problématique si l’énergie nucléaire est destinée au contraire à occuper une large part du marché.

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3. La gestion des déchets telle qu’elle est envisagée actuellement Si l’on considère que l’enfouissement des combustibles irradiés n’est pas une solution satisfaisante pour un nucléaire pérenne, le retraitement est un passage obligé. À cet égard, la France, avec l’usine de La Hague, dispose d’un outil précieux.

3.1. Le mono-recyclage Mox L’usine de La Hague avait été construite pour alimenter les futurs surgénérateurs RNR (réacteurs à neutrons rapides). Elle aurait été capable de fournir en combustible un parc d’environ 7 ou 8 RNR. Par suite de l’abandon de la voie des RNR, le programme Mox (mélange d’oxydes d’uranium et de plutonium) a été décidé. Dans la mesure où l’usine est amortie, le programme Mox, qui diminue de 10 % les besoins en enrichissement, est rentable. En ce qui concerne la réduction de la radiotoxicité des déchets, le bilan est beaucoup plus mitigé. S’il est vrai que les déchets de très haute radioactivité (catégorie C) voient leur volume divisé par trois environ, on crée un volume de déchets de moyenne radioactivité (catégorie B) sept fois plus grand que le volume initial des déchets C (ceux-ci étant essentiellement les combustibles irradiés). Si les déchets B sont beaucoup moins radioactifs que les déchets C, la présence en leur sein de noyaux ayant une radioactivité a de longue durée de vie imposera sans doute leur enfouissement. De plus, la radiotoxicité massique des combustibles Mox irradiés est plus importante que celle des combustibles Uox (oxydes d’uranium) en l’absence de recyclage. Cela rendra d’autant plus difficile leur stockage en profondeur.

3.2. Le multi-recyclage Mox Pour régler la question des déchets, on doit donc dépasser le mono-recyclage Mox. Une solution consiste à retraiter les combustibles Mox irradiés et fabriquer un nouveau combustible MOX,et à recommencer le cycle autant de fois que nécessaire. Cette solution n’est malheureusement possible que pour deux à trois retraitements, du fait de la modification isotopique du plutonium à chaque cycle : la mixture isotopique de plutonium devient de moins en moins fissile et se comporte de plus en plus en poison neutronique, c’est-à-dire qu’elle absorbe les neutrons qui ne peuvent donc plus induire de fission. D’autres solutions sont possibles, mais demandent l’élaboration et l’utilisation de nouveaux types de combustibles. Pour cela, il faudrait encourager les

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recherches sur ces nouveaux combustibles et sur la qualification expérimentale des nouveaux cycles proposés. I1 faudrait également améliorer les techniques de retraitement pour réduire le volume des déchets B. La mise en œuvre industrielle systématique de ces améliorations risque, toutefois, d’obérer la rentabilité de la production d’électricité nucléaire. De tels surcoûts ne seraient acceptables que dans la mesure où la production d’électricité fossile se verrait imposer la gestion de ses rejets, tels les émissions de gaz à effet de serre. L’utilisation des nouveaux combustibles permettrait de stabiliser, voire de diminuer, le stock de plutonium en utilisant uniquement les REP (réacteurs à eau pressurisée, actuellement en fonctionnement), sans avoir recours aux réacteurs rapides. En revanche, le stock d’actinides mineurs (américium et curium) continuerait à croître. L’incinération des actinides mineurs (AM) est un problème ardu à cause de leur très haute radiotoxicité, d’une part, et de leurs mauvaises propriétés neutroniques, d’autre part. Un consensus semble se faire pour que l’incinération des AM se fasse dans des réacteurs dédiés qui pourraient, d’ailleurs, se situer sur le site de l’usine de retraitement. De ce qui précède, il apparaît clairement que l’utilisation massive de plutonium dans les REP conduit à une stratégie compliquée d’incinération des actinides. La faible sensibilité des réacteurs hybrides (qui seront décrits plus loin) aux propriétés neutroniques (effet de température, neutrons retardés) des combustibles, en ferait des outils de choix pour l’incinération des AM.

4. Le nucléaire du futur Avant de définir les grandes lignes du (( nucléaire du futur D, il convient de préciser ce que l’on pourrait en attendre et les défis qu’il devrait relever : Une méthode satisfaisante et socialement acceptée de gestion des déchets. Comme nous l’avons déjà signalé, la solution de l’enfouissement sans retraitement paraît difficilement envisageable dans le cas d’un nucléaire pérenne et généralisé. Les nouveaux réacteurs devront impérativement réduire le volume et la radiotoxicité des déchets produits, par une meilleure utilisation du combustible nucléaire grâce à de forts taux d’irradiation, avec en particulier une minimisation de la production de transuraniens. I1 faudra en plus rendre l’ensemble du cycle non proliférant6. I1 faut toutefois souligner le fait que la disposition de réacteurs nucléaires électrogènes n’est nullement nécessaire à la réalisation d’un arsenal nucléaire : il suffit de disposer de centrifugeuses.

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L’énergie dans le monde : bilan et perspectives

Une bonne utilisation de la ressource en uranium ou thorium. I1 faudra pour cela recourir à des réacteurs régénérateurs ou surgénérateurs. La possibilité d’extraire l’uranium de l’eau de mer fournira une référence économique à l’aune de laquelle l’intérêt des filières (sur)régénératrices pourra être évalué. Le thorium, qu’on peut aussi utiliser, est trois fois plus abondant sur terre que l’uranium. Une amélioration de la sûreté. L’expérience acquise par l’exploitation de plus de 450 installations nucléaires dans le monde, pendant trente ans, a permis de démontrer la qualité des réacteurs électronucléaires de la filière REP. L’accident de Tchernobyl, réacteur de type très différent des REP, est dû à un grave défaut de conception et à une succession d’erreurs humaines. I1 ne remet absolument pas en cause les acquis industriels. Cependant, A. Weinberg, un des pères, avec E. Fermi et E. P. Wigner, des réacteurs électrogènes, considérait que la probabilité de fusion de cœur des REP modernes, de l’ordre de par réacteur et par an, serait difficilement compatible avec un parc mondial de 5000 réacteurs (qui pourrait produire environ la moitié de l’énergie mondiale à l’horizon 2050), car elle conduirait à une fusion de cœur tous les deux ans. Cette probabilité avait été estimée par la commission Rasmussen avant l’accident de ’ïhree Miles Island. Depuis cet accident, de notables améliorations ont été apportées à la sûreté des réacteurs à eau pressurisée, et les autorités de sûreté estiment désormais à la probabilité de fusion de cœur, avec un risque de rejets radioactifs importants hors de la centrale d’un ordre de grandeur encore plus faible. On devrait donc s’attendre encore à une fusion de cœur tous les 20 ans, ce qui est difficilement acceptable. Une meilleure sûreté passive. La sûreté des réacteurs actuels est assurée par des actions délibérées des opérateurs. I1 est tentant, conceptuellement, de s’affranchir de ces actions volontaires en se reposant sur des processus physiques, tels que la convection naturelle ou l’effet Doppler (dans ce cas, une élévation de température diminue la probabilité de fission induite par un neutron d’énergie donnée), pour s’assurer que le réacteur ne pourrait, en aucun cas, se mettre dans un état dangereux. C’est ce que l’on appelle la sûreté passive ou intrinsèque, ce qui signifie s’assurer que les réacteurs du futur soient suffisamment robustes vis-à-vis des évolutions socioculturelles : les risques d’accident majeur ne doivent pas dépendre de la qualification ou de la conscience professionnelle des opérateurs. Toute erreur de leur part ne doit pas avoir d’autre incidence qu’éventuellement un arrêt ou une perte de rendement de l’installation.

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Une étude de la capacité de production et de la compétitivité par rapport aux autres modes de production d’électricité. L’évaluation de cette compétitivité doit faire l’objet d’une réflexion approfondie : doit-on privilégier un retour rapide d’investissement ou une rentabilité à long terme ? Comment intégrer les coûts externes (voir annexe IV) dans les prix marchands ? Des dispositifs contre les actions terroristes. Posséder des dispositifs de résistance encore plus efficaces, aussi bien pour les réacteurs que pour les transports de matériaux radioactifs. Examinons maintenant les différentes pistes qui permettraient de relever ces défis, qui commencent à être explorées par un effort de recherche important, aussi bien aux États-Unis qu’en Extrême-Orient (Japon, Corée du Sud, Chine) ou en Europe. Sans retenir le principe d’une sûreté passive totale, Westinghouse propose un réacteur REP (AP600) de puissance limitée (600 MWe7) dans lequel des mécanismes passifs permettraient de laisser un temps suffisant aux opérateurs (plusieurs heures) pour intervenir. Les simplifications des contrôles du réacteur devraient permettre, selon Westinghouse, de compenser le surcoût dû à la limitation de taille. Le projet PIUS de réacteur à eau pressurisée proposé par les Suédois prévoyait qu’en cas d’augmentation anormale de la température de l’eau de refroidissement le cœur du réacteur soit automatiquement noyé dans de l’eau borée (poison neutronique arrêtant la réaction en chaîne) provenant d’une très grande réserve d’eau dans laquelle le réacteur lui-même serait plongé, et suffisante pour assurer l’évacuation de la chaleur résiduelle. Pratiquement, les interventions de routine sur le réacteur seraient devenues si compliquées que le concept a été abandonné.

4.1. Le réacteur EPR Parmi les réacteurs nucléaires de l’avenir, il est d’usage de distinguer les réacteurs évolutionnaires et les réacteurs révolutionnaires. À titre d’exemple, le réacteur Européen EPR (European Pressurized Reactor ou Evolutive Power Reactor) proposé par Framatome et Siemens appartient à la première catégorie. Un tel réacteur est en construction en Finlande, un autre va être Le watt électrique (We) est I’unité de puissance électrique, c’est-à-dire la partie de la puissance thermique (dont l’unité est le watt thermique, noté Wth) transformée en électricité.

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L’énergie dans le monde : bilan et perspectives

construit en France et des projets existent aux États-Unis. La température de fonctionnement est plus élevée que dans les REP, le rendement énergétique est supérieur, d’où une consommation de matière fissile moins importante, de l’ordre de 20%, ce qui réduit d’autant la quantité de déchets produits. La disponibilité devrait être de 90 % au lieu de 80 % actuellement. En ce qui concerne la sûreté, ce projet est caractérisé, entre autres, par une amélioration du traitement des conséquences d’une fusion de cœur. Un récupérateur de combustible fondu permet de limiter les conséquences d’un éventuel accident grave. On peut envisager une réduction d’un ordre de grandeur de la probabilité de rejets importants hors de la centrale. Les nouvelles dispositions améliorant la sûreté ont un coût, et, pour rester compétitif, il est prévu que 1’EPR aura la plus forte puissance possible. Alors que, dans un premier temps, on envisageait une puissance proche de 1750 mégawatts électriques (MWe), il semble que pour des considérations de stabilité neutronique (effet Xénon) la puissance a été limitée à 1600 MWe. On envisage également de porter la durée de vie du réacteur à 60 ans au lieu des 30-40 ans envisagés pour les REP actuels.

4.2. Les réacteurs de génération IV Dix pays (Argentine, Brésil, Canada, France, Japon, Corée du Sud, Afrique du Sud, Suisse, Royaume-Uni et États-Unis), sur l’initiative en 2000 du département de l’énergie américain (DOE), se sont associés pour étudier les systèmes nucléaires de quatrième génération susceptibles d’être déployés vers 2030. L’Union européenne, la Chine et la Russie ont rejoint le groupe originel. Le niveau du challenge de la génération IV doit être placé très haut pour répondre aux besoins en énergie des générations futures. Certaines filières doivent permettre la production d’hydrogène conjointement avec la production d’énergie. Dès octobre 2002, après l’étude d’une première phase, une sélection de six systèmes nucléaires a été retenue. Les six concepts choisis permettent des avancées notables en matière de compétitivité économique, de sûreté, d’économie des ressources en uranium et de réduction de la production de déchets radioactifs à vie longue.

4.2.1. Concepts de réacteurs à métaux liquides Ils sont soit refroidis au sodium SFR (Sodium-cooled Fast Reactor System), soit refroidis au plomb, LFR (Lead-cooled Fast Reactor System).

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Les concepts à métaux liquides, du fait de leur fonctionnement avec des neutrons rapides, présentent un fort intérêt dans le contexte du développement durable, puisqu’ils permettent une meilleure utilisation de l’uranium. Les réacteurs SFR au sodium bénéficient d’un retour d’expérience considérable (le réacteur Superphénix [34] appartenait à cette catégorie) et d’un travail important sur des projets visant la diminution des coûts et l’augmentation de la sûreté. L’engagement du Japon comme leader de ce concept ainsi que le soutien apporté par la France permettraient d’envisager un déploiement industriel dès 20 15. Les réacteurs LFR au plomb présentent certains avantages dans le domaine de la sûreté, mais nécessitent par ailleurs une activité de recherche et développement très importante, en raison de la corrosion des matériaux de structure en contact avec du plomb liquide à haute température. Les aléas associés à cette R&D, ainsi que l’absence d’un pays leader de premier plan, hypothèquent les perspectives de déploiement de ce concept. Toutefois, l’adhésion de la Russie pourrait améliorer sensiblement la situation puisque les réacteurs des sous-marins russes modernes sont des réacteurs rapides refroidis au plomb.

4.2.2. Concepts de réacteurs à gaz Les réacteurs refroidis par du gaz (hélium) à haute température (HTR) utilisent des combustibles réfractaires dont les températures de fusion sont tellement élevées que le refroidissement par rayonnement peut assurer qu’elles ne seront jamais atteintes. Ainsi, la fusion du cœur devient-elle impossible. I1 faut noter que cela n’est vrai que pour des réacteurs de puissance limitée, puisque l’énergie rayonnée est proportionnelle à la surface du réacteur alors que l’énergie produite est proportionnelle à son volume. Les prototypes qui ont été expérimentés aux États-Unis et en Allemagne ont subi de nombreuses pannes et cette filière avait été abandonnée. Elle bénéficie toutefois d’un regain d’intérêt. I1 faut noter que, précisément à cause de leur grande stabilité chimique, les combustibles réfractaires des HTR sont très difficiles à retraiter, ce qui pourrait sérieusement limiter leur intérêt comme surrégénérateurs ou comme incinérateurs de déchets. Réacteur rapide à caloporteur gaz : GFR (Gas-cooled Fast Reactor System). Dans le réacteur rapide à caloporteur gaz (de l’hélium), le cycle du combustible est en rupture avec l’existant, puisqu’on propose de ne pas séparer les actinides majeurs (U, Pu) des actinides mineurs (Np, Am, Cm).

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L’énergie dans le monde : bilan et perspectives La conception du cœur visera à produire du plutonium de façon homogène dans tout le cœur, avec apport d’uranium appauvri pour entretenir le cycle. Le combustible devra être dispersé et tenir à haute température (70 % de carbures d’uranium et de plutonium, dans une matrice 30 % en carbure de silicium). On vise comme conditions de fonctionnement pour l’hélium à l’entrée de turbine : 70 bars et 850 OC. Le rendement attendu serait de 70 %, ouvrant ainsi la voie à la production d’hydrogène conjointement à la production d’électricité. Mais concevoir un combustible réfractaire sans matériau susceptible de ralentir les neutrons représente un défi technologique considérable. Réacteur à gaz à très haute température :VHTR (Very High Temperature Reactor System). La motivation principale pour le VHTR est la production d’hydrogène par un moyen non polluant, donc à partir de l’eau, car produire de l’hydrogène à partir de gaz naturel par reformage est polluant : Le réacteur VHTR doit produire de la chaleur à 1000 “C : un VHTR de 600 MWth produirait environ 60000 tlan d’hydrogène sans émission de gaz à effet de serre.

4.2.3. Concept de réacteur à sels fondus :MSR (Molten Salt Reactor System) Le combustible se présente sous la forme d’un mélange liquide de fluonires tétravalents, associé à des fluonires de lithium, de béryllium, éventuellement de sodium et de zirconium. Ce concept paraît optimal pour assurer la surgénération avec des neutrons lents en utilisant du thorium comme combustible (voir paragraphe 4.4). Dans le schéma proposé par le laboratoire américain d’Oak Ridge, (ORNL), à l’origine du concept, ce sel combustible pénètre par le bas du cœur à une température d’environ 550 OC, le traverse de bas en haut en circulant dans des canaux de graphite, dont l’effet modérateur permet d’obtenir la criticité et la production d’énergie de fission. Le sel joue en même temps le rôle de caloporteur et ressort du cœur à environ 700 OC, avant de passer à travers des échangeurs de chaleur. L’énergie thermique est ainsi transférée à un sel caloporteur secondaire, puis via un générateur de vapeur supercritique jusqu’au système de conversion d’énergie, avec un rendement assez élevé (44 %). Une variante consisterait à se passer du ralentisseur en graphite. Le réacteur deviendrait alors un réacteur rapide, ce qui permettrait de simplifier

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considérablement le système de retraitement, mais cela nécessiterait un plus grand inventaire d’uranium 233 et ne permettrait d’assurer qu’une simple régénération de celui-ci. La circulation d’un combustible liquide offre l’avantage de permettre un retraitement en ligne, ou presque, extraction des produits de fission et rajout de combustible frais si nécessaire. Ce processus évite le transport de combustible usé vers une usine de retraitement hors site. Pour la sûreté, il est prévu un système non pressurisé avec une grande marge avant l’ébullition, une absence de réserve de réactivité grâce au traitement en continu et un piégeage des produits de fission. En cas d’incident, il est possible de vider le réacteur par simple gravité dans plusieurs réservoirs, où il devient très sous-critique en l’absence de modération par le graphite.

4.2.4. Concept de réacteur supercritique :SC WR (Supercritical Water-cooled Reactor System) Les réacteurs actuels fonctionnent en dessous du point critique de l’eau (22 1 bars, 374”C), ce qui limite le rendement théorique de Carnot, et donc aussi le rendement net (actuellement 35 %). On peut augmenter ce rendement en dépassant ce point critique : dans ce cas, on ne peut plus distinguer la vapeur du liquide. Les risques d’ébullition qui limitent la puissance spécifique des REP n’existent plus. Les propriétés physiques de l’eau, en particulier la chaleur spécifique, qui subissent de fortes variations au voisinage du point critique, permettent d’avoir aussi des réacteurs plus compacts à puissance donnée. Les défis à relever du coté nucléaire sont au niveau des matériaux pour l’échangeur intermédiaire et pour une longévité raisonnable car les matériaux classiques, y compris les superalliagesà base de nickel (Hastelloy X) semblent insuffisants. Les candidats de remplacement seraient des céramiques. La température ’ de fonctionnement est limitée à 1250 “C pour des enrobages de combustible en Sic. Ceux en ZrC permettraient de monter à des températures plus élevées de 200 OC.

4.3. Les réacteurs hybrides Des perspectives intéressantes sont offertes par les réacteurs hybrides associant un accélérateur de protons à un réacteur fonctionnant dans un régime qualifié de sous-critique [35-371, en particulier pour incinérer les déchets tout en produisant de 1’énergie [3 81. Dans les réacteurs exploités actuellement, il se crée à chaque instant autant de neutrons qu’il s’en perd. Un assemblage sous-critique est un système

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L’énergie dans le monde : bilan et perspectives

dans lequel la réaction en chaîne ne se maintient en régime permanent qu’avec un apport extérieur de neutrons. On envisage de réaliser une telle source de neutrons à partir de réactions nucléaires de spallation8 : lorsqu’on bombarde du plomb, par exemple, avec des protons de 1000 MeV, les noyaux de la cible éclatent en une série de noyaux plus légers, accompagnés de protons et neutrons qui, à leur tour, provoquent des réactions nucléaires dans le plomb. Pour chaque proton incident, on recueille ainsi environ 30neutrons de 3 MeV. Ceux-ci pénètrent alors dans un assemblage de matériaux fissiles, cœur d’un réacteur sous-critique. Chaque neutron de spallation induit un nombre grand mais fini de réactions de fission productrices d’énergie. Les rendements d 2s accélérateurs modernes permettent de n’utiliser pour l’accélération des protons qu’une faible partie de l’énergie produite par le réacteur. Un grand avantage des réacteurs hybrides concerne la sûreté : l’arrêt du faisceau deprotons entraîne, ipso facto, l’arrêt de la réaction en chaîne. I1 est facile de réaliser des dispositifs d’arrêt automatique du faisceau au cas où le système se comporterait de façon pathologique (par exemple, augmentation anormale de la température due à une panne du circuit de refroidissement). En effet, il n’est pas nécessaire d’arrêter toute la machine pour couper le faisceau de protons. I1 suffit pour cela d’arrêter d’injecter des ions dans l’accélérateur, ce qui demande un temps n’excédant pas la milliseconde. De plus, la puissance maximum du réacteur est limitée par la puissance maximum du faisceau de protons. I1 s’ensuit que la seule exigence de sûreté pour éviter toute fusion du cœur d’un réacteur hybride est d’assurer, en toutes circonstances, l’évacuation de la chaleur résiduelle due à la radioactivité du combustible irradié. Cette chaleur ne représente, très rapidement après l’arrêt, que le dixième environ de la puissance thermique nominale du réacteur. La taille des réacteurs hybrides étant limitée, l’extraction de la chaleur résiduelle par convection naturelle ou, dans le cas d’éventuels réacteurs à gaz, par rayonnement, ne devrait pas poser de problème insurmontable. C. Rubbia [36] a montré l’intérêt d’utiliser un spectre rapide aussi bien pour entretenir le cycle 232Th- 233Uque pour incinérer les actinides et transmuter les produits de fission à vie longue. De ce qui précède, il apparaît que les réacteurs hybrides sont avantageux sur de nombreux plans : sûreté, incinération et La spallation désigne l’éclatement du noyau d’un atome sous l’influence d’un bombardement corpusculaire suffisamment intense : la spallation divise le noyau en un grand nombre de particules plus petites. (Petit Larousse illustré.)

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transmutation des déchets et mise en œuvre d’un cycle de sur (régénération). De plus, leur étude permet de développer des recherches génériques qui pourraient servir si le choix final du nucléaire du futur se portait vers les réacteurs critiques : nouveaux fluides de refi-oidissement (plomb, sels fondus), nouveaux cycles du combustible (thorium-uranium). La mise au point impérative d’accélérateurs de haute intensité pourrait avoir des retombées importantes dans différents domaines comme la physique de la matière condensée et la biologie (source intense de neutrons), la physique nucléaire (faisceaux exotiques) et la médecine (synthèse de radioéléments). Au niveau européen, un projet de réacteur hybride en Belgique à Mol appelé MYRRHA (Multi purpose h Ybrid Research Reactor for High-tech Applications) a démarré en 1997,pour entrer en application en 2014-2015. I1 s’agit d’un accélérateur délivrant un faisceau de protons de 350 MeV qui bombarde une cible de spallation liquide, mélange de plomb et de bismuth. Cette cible est placée au centre du cœur d’un réacteur sous critique rapide de faible puissance (50 MW) alimenté en thorium.

4.4. L’utilisation du thorium comme combustible Les deux cycles considérés pour la (sur)régénération du combustible sont celui de l’uranium-plutonium et celui du thorium. Dans le cas des réacteurs critiques surgénérateurs, il est nécessaire d’assurer à la fois la criticité et la disponibilité d’un nombre de neutrons suffisant pour assurer la régénération des noyaux fissiles. Pratiquement, seuls des réacteurs critiques rapides utilisant le cycle 238U- 239Puont démontré leur potentiel de surgénération. I1 est cependant possible d’obtenir la surgénération pour le cycle 232Th- 233U, en utilisant aussi bien des neutrons rapides que des neutrons thermiques. L’utilisation de neutrons thermiques présente un certain avantage : la grande probabilité de fission de 233Upar des neutrons lents réduit significativement la masse de matière fissile dans le réacteur, et permet, pour la même puissance, de consommer beaucoup moins de combustible. On aurait donc un déploiement rapide de la filière et une réduction des déchets. I1 reste cependant qu’il faut produire 1’ 233U, qui est l’isotope fissile dont l’analogue est 239Pu du cycle 238U - 239Pu. Une solution intéressante peut consister à démarrer le réacteur avec du 239Pucomme matière fissile associé à du thorium. Au fur et à mesure que le plutonium est consommé et que du 233Uest produit à partir du thorium, on retrouve bientôt les caractéristiques d’un réacteur du type 232Th- 233U.Cette façon de démarrer le réacteur a pour avantage d’éviter d’avoir à produire du 233U,dans un REP par exemple par capture de neutrons, et permet éventuellement de se débarrasser de plutonium en excès.

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L’énergie dans le monde : bilan et perspectives

La différence de 6 unités de masse et de 2 unités de charge en moins pour l’uranium 233 par rapport au plutonium 239 conduit à une production d’actinides mineurs inférieure de plusieurs ordres de grandeur (voir annexeII1). De plus, les isotopes de l’uranium ainsi créés ont de bien meilleures propriétés neutroniques que les isotopes de plutonium. La figure 9 illustre cette assertion en comparant l’évolution dans le temps des radio-toxicités par ingestion (c’est ce type de radioactivité qui pose problème à échéance de milliers d’années) sous trois hypothèses : 1. Le cycle des combustibles des REP sans retraitement.

2. Le cycle uranium-plutonium avec retraitement complet (cas des RNR). 3. Le cycle thorium-uranium avec retraitement complet.

Figure 9 : Évolution de la radiotoxicité des déchets pour les trois scénarios décrits dans le texte. Bans le cas de retraitement, lafraction rejetée aux déchets est de O, 1 %pour 1’uranium et le plutonium et de 1 %pour les autres actinides.

J.-L. Bobin, H. Nifenecker, C. Stéphan

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5. Et la fusion ? Les recherches pour mettre les réactions de fusion au service des hommes ont commencé après la seconde guerre mondiale. On s’est explicitement proposé de reproduire sur Terre les processus à l’origine de l’énergie du Soleil et des autres étoiles, c’est-à-dire combinaison de noyaux d’hydrogène ou de ses isotopes, deutérium et tritium, pour former des noyaux d’hélium. Mais, sauf pour des applications qui n’ont pas leur place sur le marché de l’énergie, cet effort n’a pas encore abouti. On connaît cependant depuis longtemps les conditions à remplir. Dans un processus thermonucléaire, les noyaux atomiques, dépouillés de leurs électrons périphériques et libres de se déplacer en tous sens, subissent entre eux des collisions réactives. La température du milieu doit être de l’ordre de 100 millions de degrés pour que le processus s’entretienne de lui-même. Dans ces conditions, toute matière est à l’état de gaz ionisé appelé aussi plasma. Chauffer à de telles températures suppose un fort investissement en énergie. Pour que le bilan d’un processus thermonucléaire soit positif, le produit de la densité du milieu par le temps T pendant lequel il est amené à réagir doit dépasser une valeur qui dépend du procédé mis en œuvre. Deux voies principales sont en effet explorées : Si l’on désire obtenir un régime continu à la température élevée nécessaire à l’entretien de la réaction deutérium-tritium (D-T), la plus facile à mettre en œuvre, le nombre n de particules par unité de volume doit être restreint à une valeur (basse à notre échelle) compatible avec la nécessité de maintenir la densité d’énergie, proportionnelle au produit de n par la température, inférieure à une limite imposée par la tenue des matériaux. Ce milieu doit être isolé de toute paroi au moyen d’un champ magnétique de configuration appropriée : il s’agit d’une situation de conJinement magnétique. Un tel état de la matière n’existe pas en permanence dans la nature. Or, il faut le réaliser pendant un temps assez long, une seconde au moins, pour que le produit n~ dépasse une valeur de 1020 ~ . m(critère - ~ de Lawson), et beaucoup plus encore pour une production d’énergie économique. L’autre possibilité consiste à laisser s’emballer la réaction. Mais il faut alors réduire l’énergie (proportionnelle à la masse de combustible) libérée par chaque explosion, de façon à ne rien détruire. La seule façon d’y parvenir est de faire réagir de très petites masses : des microgrammes. Le fonctionnement est celui d’un moteur : compression du combustible (par

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L’énergie dans le monde : bilan et perspectives exemple en se servant de lasers ou de faisceaux d’ions), allumage, explosion. On parle alors pudiquement de confinement inertiel. Le temps z de réaction extrêmement court, 2 x10-I2s, impose une densité atteignant en fin de compression 10000 fois celle du liquide.

Des programmes à caractère technique ont été lancés très tôt (dans les années 1950 pour le confinement magnétique). Ils ont surtout révélé un énorme manque de connaissances fondamentales en physique des plasmas, partiellement comblé après des décennies de travail. L’objectif était beaucoup plus lointain et d’accès plus difficile qu’on ne l’imaginait. Dans les deux voies, le succès passe par des installations de très grande taille et l’approche se fait par des générations successives de machines de dimensions croissantes. I1 faut des dizaines d’années pour les concevoir, les construire et les exploiter. Or, il est peu courant pour des scientifiques occidentaux, physiciens ou ingénieurs, comme pour les décideurs, de se lancer dans des projets qui vont au-delà de leur carrière et même de leur existence terrestre. On a donc promis et attendu le résultat dans des délais incompatibles avec les obstacles à surmonter. La crédibilité générale de la fusion s’en est trouvée assez injustement affectée. En effet, comme le montre la figure 10, la progression au cours des années de la puissance libérée par la fusion D-T dans les machines de la filière