Lempicka
 9781780421377, 1780421370

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Lempicka

Page 4 : Autoportrait, (Tamara au volant de la Bugatti verte), 1929 Huile sur panneau, 35 x 27 cm Collection privée

Mise en page : Baseline Co Ltd 127-129 A Nguyen Hue Fiditourist, 3e étage District 1, Hô Chi Minh-Ville Vietnam

ISBN : 978-1-78042-137-7

© Parkstone Press International, New York, USA © Confidential Concepts, worldwide, USA © de Lempicka Estate / Artists Rights Society, New York, USA / ADAGP, Paris

Tous droits d'adaptation et de reproduction réservés pour tous pays. Sauf mention contraire, le copyright des œuvres reproduites se trouve chez les photographes qui en sont les auteurs. En dépit de nos recherches, il nous a été impossible d’établir les droits d'auteur dans certains cas. En cas de réclamation, nous vous prions de bien vouloir vous adresser à la maison d'édition.

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Le portrait plus que tout autre genre de peinture, est celui qui exprime le plus naturellement l'esprit Art Déco et Tamara de Lempicka en reste l'exemple le plus frappant. En effet, nous voyons aujourd'hui la société à la mode dans les années 1920 et 1930 au travers du regard de Tamara de Lempicka . — Edward Lucie-Smith

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Biographie 1898 : Naissance de Tamara Gurwik-Gorska, à Varsovie dans une riche famille bourgeoise polonaise. Sa mère s’appelle Malvina Decler, et son père, Boris Gorski, est avocat pour une société française. 1911 : C’est lors d’un voyage en Italie avec sa grand-mère que Tamara découvre vraiment sa passion pour l’art. 1914 : Tamara emménage avec sa tante Stéphanie à Saint-Pétersbourg, irritée par le remariage de sa mère. Elle y rencontre son futur mari, Tadeusz Lempicki, un jeune avocat issu d’une famille russe très aisée. 1916 : Tamara et Tadeusz se marient à Saint-Pétersbourg dans la chapelle des Chevaliers de Malte. 1917 : La Russie sombre dans la révolution après l’arrivée des Bolcheviks au pouvoir et la mise en place d’un nouveau régime. 1918 : Tadeusz, considéré comme un opposant au régime, est arrêté. Tamara demande au consul de Suède de l’aider à libérer son mari. Le couple parvient à fuir le pays et se retrouve à Paris, où il vivra pendant vingt ans. 1920 : Naissance de leur fille Kizette de Lempicka. Tamara prend des cours de peinture auprès de Maurice Denis et d’André Lhote. Elle se choisit pour nom Tamara de Lempicka et commence à développer un style à la fois mondain, tendance et érotique. 1922 : Tamara vend ses premières toiles à la Galerie Colette Weil, et dévoile ses créations au public pour la première fois au Salon d’Automne de Paris. 1925 : Elle se fait un nom lors d’une exposition à la Bottega di Poesia à Milan, puis à la première exposition mondiale d’Art Déco, tenue à Paris. Le magazine de mode allemande Die Dame commande une de ses œuvres les plus connues, l’Autoportrait dans la Bugatti verte. 1926 : Le célèbre poète et dramaturge italien Gabriele d’Annunzio, ayant invité Tamara dans sa villa sur la côte italienne, tente de la séduire, en vain. 1927 : Tamara de Lempicka achève plusieurs portraits controversés de sa fille Kizette. Elle rencontre la belle Rafaëla au Bois de Boulogne. Les tableaux inspirés de Rafaëla resteront parmi les plus sensuels et les plus érotiques que Tamara peindra. 5

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1928 : L’artiste reçoit des commandes de la part de la famille Boucard, et peint le portrait de son mari Tadeusz, peu de temps avant leur divorce la même année. Elle rencontre le Baron Raoul Kuffner et déménage dans un luxueux appartement rue Méchain, dessiné par l’architecte moderne Robert Mallet-Stevens. 1929 : Tamara de Lempicka devient la maîtresse du Baron Kuffner, et effectue son premier voyage aux États-Unis. 1933 : Elle épouse le Baron Kuffner. Son travail et sa créativité souffrent de l’ascension d’Hitler au pouvoir et des graves réalités qui s’ensuivent, ainsi que du crash boursier de Wall Street. Elle entre dans une longue période de dépression. 1939 : Tamara et Kuffner partent aux États-Unis et s’installent à Los Angeles, après la vente de la plupart des biens immobiliers que le Baron possédait en Autriche et en Hongrie. Lempicka continue à peindre, et se laisse facilement séduire par le monde sensuel et attirant de la haute société hollywoodienne. 1942 : Las de leur vie à Hollywood, Kuffner la persuade de retourner à New York. Kizette les rejoint aux États-Unis, où elle rencontre son mari, Harold Foxhall, un géologue texan. 1943 : La nouvelle vie de Tamara dans la haute société new-yorkaise nuit à son œuvre. Ses peintures figuratives et ses expériences d’impressionnisme abstrait ne suscitent aucun intérêt. Sa carrière commence à s’essouffler. Tamara de Lempicka commence à sombrer lentement dans l’obscurité. 1962 : Mort du Baron Kuffner. Tamara, accablée, part s’installer à Houston chez sa fille et son gendre. 1973 : Suite à un regain d’intérêt pour son œuvre, une exposition rétrospective lui est consacrée à la Galerie du Luxembourg, exposition qui connaîtra un grand succès. 1974 : Ayant retrouvé la célébrité, elle part avec sa fille à Cuernavaca, au Mexique, passer le reste de sa vie, sans cesse gâchée par son incapacité à vivre en paix avec sa famille et avec autrui. 1980 : Tamara de Lempicka décède le 18 mars. Conformément à ses souhaits, ses cendres sont dispersées au-dessus du cratère du Popocatépetl. 7

T

amara de Lempicka est à l’origine de certaines des images les plus célèbres du

vingtième siècle. Les portraits et les nus qu’elle peint dans les années 1925-1933 embellissent les couvertures de plus de livres que les œuvres de n’importe quel autre artiste de son époque. Les éditeurs ont vite compris qu’en tant que reproductions, ces images attiraient vivement l’œil et éveillaient l’intérêt du public. Au cours des dernières années, les originaux ont atteint des prix records chez Christie’s et Sotheby.

Le Chinois vers 1921 Huile sur toile, 35 x 27 cm Musée des Beaux-Arts du Havre, Le Havre 8

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Outre les musées, ce sont les stars du cinéma et de la musique pop qui se sont empressées de collectionner ces toiles. En mai 2004, la Royal Academy of Arts de Londres a organisé une grande exposition de l’œuvre de Tamara de Lempicka, un an après qu’elle eut été particulièrement remarquée lors d’une autre exposition importante d’Art Déco, au Victoria and Albert Museum.

Femme de profil vêtue d’un châle vers 1922 Huile sur toile, 61 x 46 cm Barry Friedman Ltd., New York 10

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Le public s’est rendu en masse à cette exposition, en dépit de critiques sans précédent envers une artiste dont la réputation et la valeur des œuvres ne sont plus à prouver. Le critique d’art du Sunday Times, Waldemar Januszczak, dans un registre de condamnation morale pas même utilisé par Hitler lorsqu’il dénonçait l’art moderne pendant les rallyes de Nuremberg ou lors de l’exposition sur l’art dégénéré sponsorisée par les nazis, a alors tenu ces propos :

Bouquet d’hortentias et citrons vers 1922 Huile sur toile, 55,2 x 45,7 cm Barry Friedman Ltd., New York 12

« Je pensais qu’elle n’était qu’une colporteuse maniérée et superficielle des banalités de l’Art Déco, mais je me trompais. Lempicka était bien pire. C’était un moteur pour la décadence esthétique, une corruptrice mélodramatique au grand style, un promoteur de fausses valeurs, un clown dégénéré, et principalement, une artiste sans intérêt. Mais à notre grand dam, et sans trop savoir comment, ses tableaux ont atteint des prix ridiculement élevés ».

La Diseuse de bonne aventure vers 1922 Huile sur toile, 73 x 59,7 cm Barry Friedman Ltd., New York 14

Selon Januszczak, Lempicka n’a rien de l’innocente réfugiée de la Révolution Russe qu’elle prétendait être lors de son arrivée à Paris en 1919. Elle avait plutôt une sombre mission à accomplir : mener « l’assaut sur les convenances humaines et sur les canons artistiques de son époque ». On ne peut s’empêcher de se demander ce qui, dans l’œuvre de Lempicka, justifie de telles vitupérations hystériques. Il y a peut-être un élément de réponse dans cette autre remarque acerbe de Januszczak :

Portrait d’une jeune femme en robe bleue 1922 Huile sur toile, 63 x 53 cm Barry Friedman Ltd., New York 16

« Apparemment, Luther Vandross collectionne ses tableaux. Madonna et Streisand aussi. Ce genre de personnes ». C’est peutêtre plus le politique, que l’esthétique, qui est à l’origine de cette hostilité. Ce qui irrite vraiment certains critiques, c’est le style de vie plutôt glamour des collectionneurs et des modèles de Tamara. Le lieu autant que la date de naissance de Tamara de Lempicka diffèrent selon les sources. Pour certains, Tamara de Lempicka a changé son lieu de naissance de Moscou pour Varsovie, ce qui pourrait avoir son importance.

Portrait d’un joueur de polo vers 1922 Huile sur toile, 73 x 60 cm Barry Friedman Ltd., New York 18

On a souvent entendu dire qu’elle était d’origine juive, du côté de son père, et que c’est pour essayer de s’en cacher qu’elle a dissimulé son lieu de naissance. Certes, la capacité de se réinventer encore et toujours au gré des endroits où l’on est, dont elle s’est toujours servie, est un mécanisme de survie développé par les juifs de sa génération. Et que cette femme, normalement peu encline à la politique, pressente le danger nazi, et qu’elle veuille quitter l’Europe en 1939, suggère qu’elle était en partie juive.

Le Baiser vers 1922 Huile sur toile, 50 x 61 cm Collection privée 20

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La version officielle indique que Tamara Gurwik-Gorska est née en 1898 à Varsovie, dans une riche famille bourgeoise polonaise. Après avoir été divisée trois fois à la fin du dix-huitième siècle, la plus vaste partie de la Pologne, y compris Varsovie, est absorbée par l’Empire russe. La montée en puissance du nationalisme au dix-neuvième siècle, amène une succession de révoltes contre les règles imposées par les russes, et contre les essais de plus en plus rudes de russifier les polonais et de réprimer leur identité.

Nu, fond bleu 1923 Huile sur toile, 70 x 58,5 cm Collection privée 22

Rien n’indique, toutefois, que Tamara ait eu les mêmes aspirations politiques et culturelles que les polonais. Au contraire, il semble qu’elle se soit plus identifiée aux classes dirigeantes du régime tsariste qui opprimait la Pologne. Il est frappant de voir qu’en 1918, alors qu’elle fuit la Russie bolchevique, elle choisit de s’exiler à Paris avec des milliers d’aristocrates russes, plutôt que d’aller vivre dans une Pologne qui vient de retrouver sa liberté et son indépendance.

Une Rue la nuit vers 1923 Huile sur toile, 50 x 33,5 cm Collection privée 24

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Selon les dires de Tamara par la suite, elle semble avoir eu une enfance heureuse, avec son grand frère Stanczyk et sa petite sœur Adrienne. Tamara avait un tempérament entêté depuis le plus jeune âge, mais on cédait plus volontiers à ses caprices qu’on ne les réprimandait. La commande d’un portrait de Tamara à l’âge de douze ans fut une révélation. « Ma mère avait décidé qu’une dame connue, qui travaillait avec des pastels, ferait mon portrait. J’ai dû poser, sans bouger, pendant des heures… plus encore… c’était une vraie torture. Plus tard, c’est moi qui torturerais ceux qui poseraient pour moi.

Nu assis de profil vers 1923 Huile sur toile, 81 x 54 cm Barry Friedman Ltd., New York 26

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Quand elle eut fini, le résultat ne me plaisait pas. Ce n’était pas… précis. Les lignes n’étaient pas fournies, pas nettes. Ça ne me ressemblait pas. J’étais sûre de pouvoir mieux faire. Je ne connaissais en rien la technique, et je n’avais jamais peint, mais tout cela m’importait peu. J’obligeai donc ma sœur, de deux ans ma cadette, à poser après m’être procuré de la peinture. Je me mis à peindre et peindre encore jusqu’à obtenir quelque chose. Cela restait imparfait, mais ressemblait plus à ma sœur que le portrait de la dame connue ne me ressemblait ».

Nu assis vers 1923 Huile sur toile, 94 x 56 cm Collection privée 28

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Si la vocation de Tamara est née, comme elle le laisse entendre, de cette anecdote, elle n’a été que plus encouragée l’année suivante lors d’un voyage en Italie avec sa grandmère. Les visites des musées à Venise, Florence et Rome, ont fait de l’art de la Renaissance italienne une passion que nourrira Lempicka toute sa vie, et qui influencera ses plus belles œuvres dans les années 1920 et 1930. Une photographie déchirée et froissée de Tamara, prise à Monte Carlo, nous montre une typique jeune fille de bonne famille de l’avant-guerre.

La Dormeuse 1923 Huile sur toile, 89 x 146 cm Collection privée 30

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Ses cheveux amoureusement peignés tombent en cascades, dans une abondance pré-raphaëlite, sur ses épaules et presque jusqu’à la taille. Elle pose en train de jouer à ce jeu d’enfant qu’est le diabolo, mais ses lèvres voluptueuses et son regard assuré lui donnent bien plus que ses treize ans. Le temps viendra vite où elle sera prête pour la prochaine étape de sa vie : la séduction et le mariage. L’histoire de Tamara, telle qu’ellemême et sa fille la racontent, jouée sur fond de première guerre mondiale et au cœur de la crise que connaît la Monarchie russe,

Perspective (Deux Amies) 1923 Huile sur toile, 130 x 162 cm Musée du Petit Palais, Genève 32

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pourrait, comme bien souvent dans la vie de l’artiste, constituer la trame d’un roman ou d’un film romantique populaire. Après le remariage de sa mère, Tamara, qui lui garde une certaine rancœur, va vivre avec sa tante Stéphanie et son mari, un riche banquier, à Saint-Pétersbourg d’où elle ne pourra repartir, la guerre ayant éclaté et l’Allemagne occupant Varsovie. À la veille de la guerre, Tamara, qui n’a que quinze ans, remarque un charmant jeune homme à l’opéra, entouré de femmes, belles et sophistiquées.

La Bohémienne 1923 Huile sur toile, 73 x 60 cm Collection privée 34

Elle jette alors son dévolu sur ce jeune homme, Tadeusz Lempicki, qu’il lui faut avoir à tout prix. Bien qu’avocat de formation, il n’en est pas moins coureur, issu d’une riche famille de propriétaires terriens. C’est donc avec sa franchise et son manque de retenue habituels, que la jeune femme, faisant fi de la bienséance, s’approche de Tadeusz et lui fait une révérence appliquée. Par la suite, Tamara aura l’occasion de confirmer l’impression qu’elle a faite à Tadeusz lors de leur première rencontre, quand, quelques mois après, son oncle donne un bal auquel Lempicki est invité.

Femme en robe noire 1923 Huile sur toile, 195 x 60,5 cm Collection privée 36

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Tamara y fait son apparition, au milieu de femmes élégantes et sophistiquées comme le voulait la mode de Poiret du moment, habillée en paysanne, traînant une oie au bout d’une laisse. Barbara Cartland et Georgette Heyer n’auraient

pas

pu

imaginer

meilleur

stratagème pour attirer l’attention du bellâtre. Selon des sources vraisemblablement fiables, Tamara aurait reconnu que la manière avec laquelle son oncle a négocié son mariage avec Tadeusz n’est pas des plus romantiques.

Double “47” vers 1924 Huile sur panneau, 46 x 38 cm Collection privée 38

En effet, lors d’une rencontre en ville, le riche banquier s’adresse au jeune homme en ces termes : « Cher Monsieur, je n’irai pas par quatre chemins. Vous êtes un jeune homme de bonne famille, mais vous n’avez pas grande fortune. J’aimerais marier ma nièce polonaise. Si vous aviez l’obligeance d’accepter cette union, je ferais en sorte de lui assurer une dot confortable. En outre, vous avez déjà fait connaissance ».

Portrait de Kizette vers 1924 Huile sur toile, 135 x 57 cm Collection privée 40

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Lorsque le mariage est célébré en 1916 à Saint-Pétersbourg, rebaptisée depuis peu Petrograd, dans la chapelle des Chevaliers de Malte, la Russie tsariste est au bord de l’effondrement, croulant sous l’assaut de l’armée allemande, et sur le point de sombrer dans la révolution. Les tribulations des jeunes mariés, après la montée au pouvoir des Bolcheviks, ressemblent moins à une intrigue de roman qu’à celle d’un opéra, où Tamara jouerait le rôle de Tosca, et Tadeusz celui de Cavaradossi.

Le Rythme 1924 Huile sur toile, 160 x 144 cm Collection privée 42

Il n’est pas surprenant, au vu des origines et du mode de vie du jeune couple ainsi que des

activités

et

des

idées

politiques

réactionnaires de Tadeusz, que celui-ci soit arrêté sous le nouveau régime. Tamara raconte qu’elle et son mari faisaient l’amour lorsque la police secrète est venue frapper à la porte de leur chambre, en plein milieu de la nuit, pour emmener Tadeusz et le jeter en prison. Afin de localiser son mari et l’aider à fuir la Russie, Tamara demandera du secours au consul de Suède, qui, à l’instar de Scarpia dans l’opéra mélodramatique de Puccini,

Irène et sa sœur 1925 Huile sur toile, 146 x 89 cm Irena Hochman Fine Art Ltd., New York 44

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la lui accordera moyennant certaines faveurs. Toutefois l’histoire ne finit pas comme dans l’opéra de Puccini, aucune des parties ne cherchant à duper l’autre : Tamara donne donc au consul ce qu’il attend, en retour de quoi celui-ci tient sa promesse. Non seulement il fait libérer son mari et l’aide à s’échapper de Russie, mais il permet également à Tamara de fuir. Munie d’un faux passeport, elle va retrouver de la famille à Copenhague via la Finlande.

Nu sur une terrasse 1925 Huile sur toile, 37,8 x 54,5 cm Collection privée 46

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Bien que les réfugiés de la Révolution russe se soient dispersés aux quatre coins du monde, Paris, depuis longtemps deuxième patrie pour les Russes nantis, est devenu la Mecque des Russes Blancs pendant l’entredeux-guerres. C’est ainsi que Tamara et Tadeusz s’y retrouvent, inexorablement accompagnés de la mère de Tamara et de sa petite sœur (son frère faisant partie des millions de victimes de la guerre).

Nu assis vers 1925 Huile sur toile, 61 x 38 cm Collection privée 48

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Contrairement à beaucoup de réfugiés arrivant sans le sou et sans connaître personne, Tamara et les siens peuvent au moins compter sur sa tante Stéphanie et son mari, qui ont réussi à épargner une partie de sa fortune et à reprendre son ancienne activité de banquier. Le Paris de l’entre-deuxguerres débordait de réfugiés russes, et il était courant d’entendre la plaisanterie selon laquelle un chauffeur de taxi sur deux était un Grand Duc, ou du moins prétendait l’être.

Nu assis 1925 Huile sur toile, 61 x 38 cm Collection privée 50

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Lempicka n’est pas heureuse durant ses premières années à Paris. Même si elle ne partage pas la misère de beaucoup de ses compatriotes réfugiés, elle dépend en revanche de la générosité d’un entourage plus aisé qu’elle. Malgré la naissance de sa fille Kizette, le couple se disloque peu à peu en raison des infidélités de la jeune femme et des frustrations de son mari. Ce dernier refuse le poste qui lui est offert dans la banque de l’oncle de Tamara, jugeant cette proposition dégradante.

Le Modèle 1925 Huile sur toile, 116 x 73 cm Barry Friedman Ltd., New York 52

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Selon les dires de Tamara, c’est précisément cette sinistre situation et son envie d’indépendance personnelle et financière qui ont fait naître sa vocation artistique. Elle confesse son désarroi à sa sœur cadette Adrienne, qui lui répond : « Tamara, pourquoi ne fais-tu pas quelque chose, quelque chose pour toi ? Regarde-moi. J’étudie l’architecture, et dans deux ans, je serai architecte. Je gagnerai ma vie et pourrai même aider Maman. Si j’en suis capable, tu peux toi aussi faire quelque chose ».

Groupe de quatre nus vers 1925 Huile sur toile, 130 x 81 cm Collection privée 54

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« Comment ça ? » « Je ne sais pas, de la peinture, par exemple. Tu pourrais devenir une artiste. Tu as toujours aimé peindre. Tu as du talent. Rappelle-toi ce portrait que tu as fait de moi lorsque nous étions enfants…» La suite se devine aisément. Tamara achète des pinceaux et de la peinture, s’inscrit dans une école d’art, vend ses premières toiles au bout de quelques mois, et gagne son premier million à l’âge de vingt-huit ans.

Les Deux Petites Filles aux rubans 1925 Huile sur toile, 100 x 73 cm Collection de George et Vivian Dean 56

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Tamara prendra successivement des cours avec deux peintres renommés : Maurice Denis (1870-1943) et André Lhote (1885-1962), même si elle affirmera par la suite qu’elle n’a pas appris grand-chose au contact de Denis. Il est en effet difficile d’imaginer que ce peintre très catholique ait apprécié les tendances mondaines et érotiques qui commençaient à se dessiner dans les œuvres de Tamara de Lempicka. Toutefois, l’artiste en devenir a raison de choisir Denis comme premier professeur.

Portrait de la baronne Renata Treves 1925 Huile sur toile, 100 x 70 cm Barry Friedman Ltd., New York 58

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Pendant une courte période au début des années 1890, il a en effet joué un rôle essentiel dans les débuts du modernisme, en tant que membre influent du groupe des Nabis, dont Vuillard, Bonnard, Sérusier, Ranson et Vallotton faisaient également partie. Inspirés par le synthétisme des toiles bretonnes de Gauguin, Denis et ses amis rompent avec le naturalisme des tableaux des Salons de l’époque et celui des Impressionnistes, réduit à la perception des sens, et peignent de petites toiles aux surfaces planes et aux couleurs vives et exagérées.

Tête de femme slave vers 1925 Huile sur toile, 46 x 38 cm Collection privée 60

Mais, le trait affirmé et les formes simplifiées présents plus tard dans les œuvres de Denis, ainsi que ses tentatives de marier modernité et tradition classique, ne manqueront pas non plus d’influencer la jeune Lempicka. Il y a de grandes chances que cette dernière ait approuvé Denis lorsqu’il écrivait, dans sa publication de 1909 sur l’esthétisme De Gauguin et Van Gogh au Classicisme :

Portrait d’ André Gide vers 1925 Huile sur carton, 50 x 35 cm Collection privée 62

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« L’Art n’est pas une simple sensation visuelle, une photo, aussi sophistiquée soit-elle, de la nature. C’est avant tout une création de l’esprit, pour laquelle la nature sert simplement de tremplin ». Cette réflexion s’applique d’ailleurs tout à fait aux portraits étrangement cérébraux et abstraits que Lempicka peint dans les années 1920. Elle reconnaît toutefois beaucoup plus aisément l’influence de son second professeur, André Lhote.

Portrait du prince Eristoff 1925 Huile sur toile, 65 x 92 cm Collection privée 64

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Alors que Denis devait ressembler à une relique du dix-neuvième siècle, Lhote, né en 1885, a à peine dix ans de plus que Tamara, et partage beaucoup plus les conceptions modernes et mondaines de la jeune femme. Le nom de Lhote rime en effet avec cubisme depuis 1911, date à laquelle il a exposé au Salon des Indépendants et au Salon d’Automne aux côtés d’artistes tels que Jean Metzinger, Roger de La Fresnaye, Albert Gleizes et Fernand Léger.

Portrait du marquis d’Afflito 1925 Huile sur toile, 81 x 130 cm Collection privée 66

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Au lieu de suivre Picasso et Braque dans le mouvement radical du cubisme analytique, caractérisé par la dissolution des formes, il se sent plus attiré par des couleurs franches et par le cubisme synthétique de Juan Gris, Albert Gleizes et Jean Metzinger. Pour Lhote, la peinture était une « métaphore plastique… poussée aux limites de la ressemblance ». Avec des mots similaires à ceux de Denis, il maintient que les artistes devraient exprimer un sentiment situé entre l’émotion et la sensation visuelle, plutôt que de copier la nature.

Portrait de la duchesse de La Salle 1925 Huile sur toile, 162 x 97 cm Collection privée 68

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Lhote a surtout été utile à Lempicka en tant qu’exemple

et

professeur,

parce

qu’il

acceptait le rôle décoratif de la peinture, et tentait de faire fusionner l’abstraction cubiste et la rupture des perspectives conventionnelles avec la tradition classique et figurative. Si la jeune artiste n’est pas venue au monde déjà formée et toute armée comme Athéna de la tête de Zeus, comme elle aurait bien voulu nous le faire croire, son art atteint la maturité en un temps remarquablement court, deux ou trois ans au maximum.

Portrait du marquis Sommi 1925 Huile sur toile, 100 x 73 cm Collection privée 70

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Son Portrait d’un joueur de polo, datant de 1922, laisse déjà entrevoir ses qualités de peintre hors pair, même si n’importe quel artiste, doué et formé à Paris à cette époque, aurait pu le peindre. L’œuvre dévoile une touche légère et un sens de la peinture qui, très vite, disparaîtront de ses tableaux. Le trait structurel et appuyé du visage révèle une sensibilité rappelant celle de Cézanne, et résultant très probablement de l’influence de Denis et Lhote.

Portrait de son Altesse Impériale le grand duc Gabriel vers 1926 Huile sur toile, 116 x 65 cm Collection privée 72

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On retrouve les mêmes caractéristiques dans le portrait d’Ira Perrot, rebaptisé par la suite Portrait d’une jeune femme en robe bleue. Dans sa forme originale, exposée au salon d’Automne et photographiée à l’époque, le modèle posant devant le tableau, l’œuvre montre Ira Perrot assise, les jambes croisées, devant une pile de coussins agencés dans un style exotique à la manière des décors de Bakst dans Shéhérazade.

Portrait du marquis d’Afflito (Sur un Escalier) 1926 Huile sur toile, 116 x 73 cm Collection privée 74

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Une toile peinte à la même période, Le Baiser, s’annonce plus prophétique que les deux portraits précédents, tant au niveau du style que du thème traité. Tout, dans cette œuvre, laisse entrevoir la maturité de l’artiste: le thème érotique joué sur fond urbain, les éléments de style cubiste, qui donnent à l’image un air de modernité et de dynamisme en passant par le reflet métallique sur le haut de forme du gentleman. La technique, encore rudimentaire, est toutefois loin de la perfection lisse qui caractérise ses plus grandes œuvres.

Kizette en rose vers 1926 Huile sur toile, 116 x 73 cm Musée des Beaux-Arts de Nantes, Nantes 76

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La naïveté n’est généralement pas un trait associé à Lempicka, mais cette peinture a le style d’une couverture de roman populaire à sensation. L’intense modernité et la froideur de Tamara de Lempicka sont exprimées par un attachement à la mécanique et au métallique, caractéristiques de l’époque. Sa manière de tout peindre avec un reflet métallique, de la couleur de la peau des ses personnages, aux cheveux, en passant par les tissus froissés, est un des aspects les plus distinctifs de l’œuvre de Lempicka.

Kizette au balcon 1927 Huile sur toile, 130 x 81 cm Musée National d’Art Moderne, Centre Georges Pompidou, Paris 78

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Cela n’est pas sans rappeler la remarque cinglante de Manet concernant les peintures militaires d’Ernest Meissonier, dans lesquelles « tout avait l’air d’être en métal à l’exception des armes ». Cependant, dans les œuvres de Lempicka, la beauté du métallique vient du fait que l’esthétisme est intensément lié à la machine. Alors que l’industrialisation envahit le monde occidental du dix-neuvième siècle, les machines commencent à influencer tous les domaines des entreprises humaines.

La Tunique rose 1927 Huile sur toile, 73 x 116 cm Collection privée 80

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Ce n’est qu’au début du vingtième siècle que les architectes et les designers, tels que Richard Riemerschmid et Peter Behrens, commencent à voir dans la machine une opportunité et non une menace. Un des tableaux les plus représentatifs du « Jazz Age », et sans doute le plus reproduit de Lempicka est son Auto-Portrait dans une Bugatti Verte peint dans le ton préféré de Lempicka, le « poison vert », et que le magazine de mode allemand Die Dame lui commande en 1925.

Le Rêve 1927 Huile sur toile, 81 x 60 cm Collection Antonia Schulman, New York 82

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Le casque de pilote serré qu’elle porte cache ses cheveux blonds permanentés, lui donnant plus l’air d’un aviateur que d’un pilote, et son regard calme et impénétrable la classe en femme moderne, profondément indépendante et pleine de confiance en elle. De même que les machines à coudre ou à écrire des générations précédentes, la voiture de sport contribue à l’émancipation de la femme, même s’il ne s’agit que des femmes les plus aisées. Lempicka signe ce tableau par un monogramme sur la portière de la voiture, constitué de ses initiales, qui ressemble à un logo industriel.

La Belle Rafaëla 1927 Huile sur toile, 65 x 92 cm Collection privée 84

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Pendant toute la période Art Déco, Lempicka montrera son attachement à l’esthétique de la machine à écrire, en signant ses tableaux en caractères d’imprimerie, aux allures industrielles, et en net contraste avec la calligraphie fluide que préfèrent les peintres de la Belle Epoque. Comme le laissait entendre Arsène Alexandre, la modernité chez Lempicka réside aussi dans la manière qu’elle a de combiner indifférence et sensualité avec une certaine ambiguïté. Et bien qu’il soit trop pudique pour la nommer, cette ambiguïté est sexuelle.

L’Écharpe orange 1927 Huile sur panneau, 41 x 33 cm Collection privée 86

En effet, le concept même de sexe, ou de genre, compte parmi les systèmes de valeurs remis en cause par la tragédie sans précédent qu’a été la première guerre mondiale. On pourrait facilement dire des années vingt qu’elles sont l’Age héroïque du Lesbianisme. Et la guerre elle-même y est pour beaucoup. Lorsque des millions de jeunes hommes sont partis se faire massacrer sur le front, les femmes se sont vues attribuer, par la force des choses, de nouveaux rôles, et beaucoup ont alors été libérées de l’esclavage domestique.

La Chemise rose I vers 1927 Huile sur bois, 41 x 33 cm Collection privée 88

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La guerre a ainsi marqué un point de non retour. Comme le rôle des femmes change, leur apparence évolue aussi : cheveux courts, ligne à la mode, allure garçonne aux poitrines plates et aux hanches étroites. Lempicka n’a jamais cherché à cacher son attirance sexuelle pour les femmes. Sur une photographie de sa chambre, prise en 1928 et qui devait servir pour une publicité, on peut voir le Portrait de La duchesse de La Salle en amazone, imposant, placé au dessus de la tête de lit, elle-même décorée d’un motif de Lempicka représentant deux femmes passionnément enlacées.

Les Confidences 1928 Huile sur toile, 46 x 38 cm Galleria Campo dei Fiori, Rome 90

Le message ne pouvait être plus franc et plus clair. Lempicka commence à avoir des relations sexuelles avec des femmes assez tôt dans son mariage. En 1922, elle entame une relation avec Ida Perrot qui durera plusieurs années, malgré les infidélités répétées de l’artiste avec les deux sexes. Ida Perrot pose pour le premier tableau que Lempicka expose au Salon d’Automne, et une autre fois pour un nouveau portrait vers la fin de leur relation en 1930.

Portrait d’Arlette Boucard 1928 Huile sur toile, 70 x 130 cm Collection privée 92

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Dans ce deuxième portrait, la pose sinueuse du modèle et la manière dont Lempicka remplit toute la toile de haut en bas avec le corps tordu de sa maîtresse, laissant s’échapper une impression d’intimité et de volupté oppressante. L’atmosphère érotique est renforcée par le bouquet d’arums d’Ethiopie que tient le modèle. Il semble qu’à l’instar de Georgia O’Keeffe, Lempicka soit fascinée par la forme suggestive de ces fleurs, qu’elle peindra à plusieurs occasions.

En Plein Été 1928 Huile sur panneau, 35 x 27 cm Collection privée 94

Lempicka a peint deux portraits de lesbiennes très connues, La Duchesse de La Salle, et Suzy Solidor, mannequin et chanteuse de cabaret. La Duchesse apparaît en amazone, puissante, masculine. Comme elle est peinte sur un fond urbain cubiste, ses bottes d’équitation noires révèlent plutôt la dominatrice qui est en elle que les promenades au grand air. Le nu en buste de Suzy Solidor (lui aussi sur fond urbain) est l’un des nus féminins de Tamara les moins problématiques, comme il ne présente ni le pathos du regard languissant ni la passivité oppressante des autres.

Femme au gant vert 1928 Huile sur contre-plaqué, 100 x 65 cm Collection privée 96

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Parmi les portraits qu’a peints la jeune femme, celui-là reste exceptionnel, parce qu’il est fortement individualisé et qu’il ressemble vraiment au modèle, comme en témoignent certaines photographies de l’époque. Tous les artistes de Paris voulaient peindre la grande, la blonde Solidor. Parmi les 225 portraits d’elle qu’elle collectionnait, on pouvait trouver des tableaux de Foujita, Marie Laurencin, Kisling, Picabia et Van Dongen. C’est avec la franchise prédatrice des hommes que Lempicka choisit les femmes qui lui plaisent dans les lieux publics, et leur propose de poser nues.

Portrait de Romana de La Salle 1928 Huile sur toile, 162 x 97 cm Collection privée 98

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Une des toiles qui en résulta est La Belle Rafaëla en vert. C’est un des tableaux les plus érotiques de l’œuvre de Lempicka, dans lequel le désir de l’artiste pour le corps doux et tout en formes du modèle est palpable. Lempicka comprend, comme tout promoteur de pornographie douce, que la nudité partielle peut être beaucoup plus émoustillante que la nudité totale. Elle adore peindre ses modèles féminins portant de la lingerie chère et, comme dans le cas de la mélancolique Convalescente, avec un téton provocateur.

La Communiante 1928 Huile sur toile, 100 x 65 cm Musée des Beaux-Arts de Roubaix, Roubaix 100

101

Il y a aussi une tension érotique très particulière dans les portraits de deux femmes qu’a pu faire Lempicka. C’est un élément

qu’elle

utilise

fréquemment,

notamment dans l’Écharpe orange (1927), La Mariée (1928), Les Confidences (1928), Le Turban vert (1929), Les Jeunes Filles (c.1930), et Printemps (1930). Les tableaux les plus dérangeants de Lempicka pour le public moderne sont sans doute les portraits de petites filles qu’elle a faits, y compris celui de sa fille Kizette.

Nu à la colombe 1928 Huile sur toile, 121,3 x 63,5 cm Collection privée 102

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Une fois encore, ces peintures évoquent le regard d’un homme, voyeur, plutôt que celui d’une femme ou d’une mère, dans la mesure où elles se focalisent sur les jambes des petites filles et sur les ombres, souvent suggestives, que l’on voit entre ces jambes. Dans Kizette en rose, Kizette, à peine âgée de huit ou neuf ans, fait de l’œil au spectateur avec un regard aussi entendu que celui de sa mère sur la photo prise à Monte Carlo en 1911. Comme elle le reconnaît très simplement, Lempicka choisit hommes et femmes avec la même approche masculine et prédatrice.

Maternité 1928 Huile sur panneau, 35 x 27 cm Collection privée 104

« Je ne me refusais rien. J’étais toujours amoureuse. Pour mon inspiration, il me plaisait de sortir le soir et qu’un bel homme me dise à quel point j’étais belle ou quelle artiste extraordinaire je faisais. Il me caressait la main… J’en raffolais. J’en avais besoin. Et cela m’arrivait souvent ». Tamara expose pour la première fois au prestigieux Salon d’Automne de 1922, deux ans après ses cours avec Maurice Denis à l’Académie Ranson. À partir de 1923, elle expose

régulièrement

au

Salon

des

Indépendants qui, par le passé, a révélé de grands maîtres tels que Georges Seurat et Henri Rousseau.

Portrait d’homme inachevé (Tadeusz de Lempicki) 1928 Huile sur toile, 130 x 81 cm Musée National d’Art Moderne, Centre Georges Pompidou, Paris, en dépôt au Musée des années trente, Boulogne-Billancourt 106

107

C’est en 1925 qu’elle perce enfin, lors d’une exposition pour elle seule à la Bottega di Poesia de Milan. Le succès de Lempicka n’aurait pas pu arriver à un meilleur moment. En effet 1925 marque la consécration du style Art Déco lors de la grande exposition des arts décoratifs à Paris. Cette exposition représente non seulement le point culminant de ce style, mais également la transition d’un style plus fleuri et orné avec excès à une version plus brillante et plus épurée, qui se développera jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

Portrait du docteur Boucard 1928 Huile sur toile, 135 x 75 cm Collection privée 108

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Bien qu’elle expose à d’autres endroits à l’époque, Lempicka sera éternellement associée à l’exposition de Paris de 1925. Pendant la majeure partie de cette décennie elle surfe sur la vague sans doute la plus représentative du style Art Déco dernier cri. Le côté commercial de l’œuvre de Lempicka est évident si l’on regarde ses ressemblances frappantes avec les illustrations de mode.

Portrait du comte de Fürstenberg-Herdringen 1928 Huile sur toile, 41 x 27 cm Collection privée 110

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Au même titre que Lempicka, les illustrateurs de mode des années 1920 et du début des années 1930 ont intégré des éléments des mouvements avant-gardistes, en particulier le cubisme et le futurisme, pour créer un style qui soit moderne, décoratif, et accessible à un plus grand public. En feuilletant Vogue ou Harper’s Bazaar, on trouve beaucoup de motifs présents dans les tableaux de Lempicka. Par exemple, les formes et les surfaces métalliques et abstraites, Manhattan comme fond, et naturellement les vêtements et accessoires en vogue.

Nana de Herrera 1928-1929 Huile sur toile, 121 x 64 cm Collection privée 112

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Si les magazines de mode volent leurs idées aux grands artistes, ils les invitent aussi parfois à faire les couvertures. Ainsi Leon Bakst, Marie Laurencin, Pavel Tchelitchev, Raoul Dufy, Pierre Roy et Salvador Dalí ontils tous contribué à Vogue. L’œuvre de Lempicka s’intègre si bien dans le monde des magazines de mode, qu’il est étonnant de voir qu’elle n’a jamais fait de couverture pour les versions américaines et françaises de Vogue. Elle sera toutefois invitée à faire plusieurs couvertures pour le premier magazine de mode allemand Die Dame.

Le Turban vert 1929 Huile sur panneau, 41 x 33 cm Collection privée 114

Parmi elles, on retrouve l’autoportrait dans la Bugatti de 1925 qui deviendra son tableau le plus célèbre et le plus reproduit. Les portraits d’hommes de Lempicka peuvent donner l’impression qu’un regard critique, un brin moqueur, est porté sur leurs sujets. Le portrait du grand duc Gabriel Constantinovitch frôle la caricature : le duc, arrogant, porte un uniforme qu’aurait rejeté une troupe d’opérette puritaine. Le portrait de son mari, Tadeusz de Lempicki, peint en 1928, est probablement le plus complexe et le plus représentatif de ses portraits d’hommes.

Auto-portrait (Tamara au volant de la Bugatti verte) 1929 Huile sur panneau, 35 x 27 cm Collection privée 116

Humilié au-delà du supportable par les infidélités flagrantes de Tamara, et sans doute autant par sa réussite sociale et artistique, de Lempicki annonce à sa femme qu’il la quitte pour une autre, alors que le portrait n’est pas encore terminé. Lempicka fige une impression de défiance sournoise sur le visage de ce bel homme, qu’elle a autrefois aimé mais qu’elle ne respecte plus. Furieuse d’être abandonnée pour une autre femme, elle laisse la main droite inachevée et expose le tableau sous le titre ambigu de Portrait d’homme inachevé.

Saint Moritz 1929 Huile sur panneau, 35 x 27 cm Musée des Beaux-Arts d’Orléans, Orléans 118

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La défiance de Tadeusz est en net contraste avec l’impression de dynamisme et de confiance qui émanent du docteur Boucard sur le portrait qu’il commande en 1928. Le riche docteur, inventeur du lactéol, médicament breveté, paie généreusement son portrait, celui de sa femme et celui de sa fille Arlette. Il fait un très bon investissement avec le portrait qui l’immortalise, dandy scientifique portant un manteau blanc et une pince à cravate nacrée.

La Musicienne 1929 Huile sur toile, 116 x 73 cm Barry Friedman Ltd., New York 120

121

Son dynamisme est suggéré par sa pose déhanchée et par les plans angulaires du fond. En un mot, le docteur Boucart ressemble à un acteur jouant le rôle d’un grand docteur dans un film. Le microscope brillant et le tube à essai ne sont là qu’en tant qu’attributs dans un portrait renaissance pour rappeler son statut d’homme de science. Tamara de Lempicka reçoit surtout des commandes de portraits féminins de la part de riches maris. Ses toiles ressemblent à une série de superbes images de « femmes trophées ».

L’Esclave 1929 Huile sur toile, 100 x 65 cm Collection privée 122

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La première à avoir été réalisée est celle de Madame Rufus Bush. C’est au printemps 1929 que ce dernier, dont la famille possédait

l’entreprise

ferroviaire

Bush

Terminal à New York, se rend au studio de Tamara pour lui demander de réaliser le portrait de sa fiancée. Impressionnée par la beauté de la jeune femme et l’apparente richesse du jeune homme, Lempicka accepte de les suivre à New York pour les séances, le jeune couple ayant quadruplé le premier prix de l’artiste.

Femmes au bain 1929 Huile sur toile, 89 x 99 cm Collection privée 124

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Elle embarque sur le Paris, luxueux transatlantique (et parfait décor pour cette artiste qui était l’incarnation vivante de l’Art Déco), et arrive à New York en septembre 1929. Tout comme de nombreux touristes à cette époque, Lempicka tombe immédiatement amoureuse de la ligne d’horizon de la métropole, qu’elle aperçoit, comme tant d’autres voyageurs et émigrés, du pont du paquebot arrivant à destination. À partir de cette période, ses portraits arboreront comme toile de fond un Manhattan stylisé,

New York vers 1929 Huile sur toile, 46 x 38 cm Collection privée 126

même ceux réalisés à Paris, lorsqu’elle désirera donner à ses modèles un air de modernité et de sophistication urbaine. Madame Bush est peinte sur un fond similaire. Elle porte une simple veste de tailleur rouge et une jupe noire, toutes deux choisies par Lempicka elle-même. Son air d’androgyne enjouée, plus garçonne qu’amazone, ne correspond manifestement pas au rôle de « femme trophée ». Finalement, le mariage des Bush sera de très courte durée, et le portrait disparaîtra jusqu’à la résurrection de la réputation de Lempicka.

Portrait de Mme Bush 1929 Huile sur toile, 122 x 66 cm Collection privée 128

129

Parmi

les

portraits

commandés

à

Lempicka pendant sa phase Art Déco, le Portrait de Mlle Poum Rachou, réalisé en 1933, est particulièrement dérangeant. La peintre choisit un angle de vue plongeant et peint la petite fille à la verticale sur une toile étroite, lui donnant l’air d’être toute proche, à la manière des enfants Hülsenbeck dans le fameux portrait d’Otto Runge. Ce tableau ne représente absolument pas l’image sentimentale de l’enfance fragile.

Femme en robe jaune 1929 Huile sur toile, 78 x 118 cm Collection privée 130

131

Les boucles métalliques de Mademoiselle Poum Rachou, son regard vide et glacial, ses lèvres rouges et ses jambes nues lui donnent un air adulte et sexuel dérangeant, malgré l’ours en peluche à l’air plutôt féroce qu’elle tient dans ses mains. Les portraits de Marjorie Ferry et de Madame M., datant tous deux de 1932, se font remarquer par la manière dont les mains sont posées avec une élégance affectée et maniérée, comme pour afficher leurs vernis rouges écarlates ainsi que les imposantes perles de leurs bagues.

Les Jeunes Filles vers 1930 Huile sur panneau, 35 x 27 cm Collection privée 132

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Les mains ont toujours été un problème pour les portraitistes. La représentation des mains révèle le plus souvent les faiblesses de l’artiste, comme les portraits de Gainsborough et de Reynolds, voire de Rembrandt à ses débuts, en témoignent. Qu’elles soient habillées ou nues, les femmes de Lempicka arborent des ongles à la manucure parfaite, recouverts du même vernis rouge criard et carnivore que celui ayant joué un rôle clef dans l’intrigue du film de George Cukor, Femmes (The Women), réalisé en 1939.

Nu aux buildings 1930 Huile sur toile, 92 x 73 cm Collection privée 134

Le triomphe de Lempicka lors de son exposition à Milan en 1925 amène un grand nombre de commandes de portraits, qui seront pour certains ses meilleures œuvres, ainsi que les plus représentatives de son art. La caractérisation dérangeante des deux portraits du Marquis d’Afflitto est remarquable. Pour le premier portrait, Lempicka choisit de faire poser son modèle presque allongé, chose inhabituelle dans le portrait masculin. Stefan Sweig aurait volontiers dit du Marquis qu’il a une « taille artificielle » et qu’il ressemble à un gigolo. Dans le second portrait, il a cet air louche des grands espions.

L’Écharpe bleue 1930 Huile sur panneau, 35 x 27 cm Collection privée 136

137

Les nouvelles rencontres de Lempicka avec l’aristocratie italienne viennent à attirer l’attention de Gabriele d’Annunzio. Le souvenir du poète vieillissant qui tentera de la séduire reste l’anecdote la plus intéressante et la mieux connue de sa vie. Pour une fois, il ne s’agit pas là d’une histoire uniquement fondée sur quelque souvenir peu fiable de Lempicka, mais bien d’un épisode dont la véracité provient aussi du journal que tenait Aelis Mazoyer, la gouvernante de longue date de d’Annunzio. À soixante-trois ans, d’Annunzio est totalement chauve, assagi et fait plus vieux que son âge. Lempicka le voyait comme « un nain en uniforme ».

Portrait de Mme Allan Bott 1930 Huile sur toile, 162 x 97 cm Collection privée 138

139

Elle ne peut toutefois pas avoir été moins flattée par ses égards. Aujourd’hui, on se souvient

de

d’Annunzio

comme

d’un

phénomène historique. C’est dans sa villa sur les rives du Lac Garda qu’il tente de séduire Lempicka. Ces évènements rapportés par Aelis Mazoyer et complétés par les propres souvenirs de la peintre donnent plus l’impression d’un phantasme pornographique que d’une histoire romantique. De manière assez gauche, d’Annunzio essaie de faire l’amour à Lempicka le premier soir où elle est son hôte.

Le Téléphone II 1930 Huile sur panneau, 35 x 27 cm Collection privée 140

Elle réussit à l’en dissuader, comme elle le fera le lendemain, alors qu’il renouvelle ses avances lorsqu’il pose la première fois pour son portrait. Elle prétexte sa peur de contracter la syphilis d’un homme qui a joui des faveurs de tant de femmes. Cette nuit-là, la maîtresse de maison affirme à d’Annunzio que seule une « professionnelle » était capable d’avancer une telle excuse. Ainsi le poète et la peintre feront l’amour dans l’embrasure de la porte de chambre de Tamara.

Dormeuse vers 1930 Huile sur panneau, 35 x 27 cm Collection Daniel Fischel and Sylvia Neil 142

Les dix jours pendant lesquels elle séjourne à Il Vittoriale ne sont en fait qu’une version sexuelle du jeu du « chat et de la souris ». Après avoir été abandonnée par Tadeusz, Tamara ne tarde pas à retrouver un mari. Le baron Raoul Kuffner, que Lempicka aime appeler Rollie, est l’heureux élu. Il n’est peutêtre pas aussi bel homme que Tadeusz, mais assez riche pour permettre à sa femme de garder le style de vie auquel elle s’est habituée.

Les Deux Amies 1930 Huile sur panneau, 73 x 38 cm Collection privée 144

145

Par ailleurs, il lui offre un titre de noblesse et le milieu social privilégié dont elle a toujours rêvé. Enfin, il lui restera dévoué pour le restant de ses jours. Le Baron Kuffner, qui possède une fortune considérable ainsi que de nombreuses terres réparties dans l’ex-Empire austro-hongrois, a été un collectionneur passionné des tableaux de Lempicka dès sa première toile.

Le Chapeau de paille 1930 Huile sur panneau, 35 x 27 cm Collection privée 146

Bien qu’ils aient probablement été amants depuis le jour où il lui commanda le portrait de Nana de Herrera en 1928, ce n’est pas avant 1933, date à laquelle sa femme meurt, que le baron se voit en position de demander la main de Lempicka. L’amour qu’il lui porte est loin d’être réciproque, et Tamara hésitera longuement avant d’accepter sa demande. Toutefois, cette union se montre être un arrangement des plus réussis, qui lui permet de poursuivre sa carrière et de mener sa vie de femme indépendante.

Jeune Fille aux gants 1930 Huile sur contre-plaqué, 61 x 46 cm Musée National d’Art Moderne, Centre Georges Pompidou, Paris 148

149

Après leur lune de miel en Egypte, Kuffner prend un appartement à proximité de l’atelier de Lempicka, mais continue à vivre principalement dans une suite de l’hôtel Westminster. Le Baron se montre plus tolérant que Tadeusz de Lempicki envers les infidélités de sa femme, hétérosexuelles ou homosexuelles, et envers son appétit sexuel, loin d’être rassasié par son deuxième mariage.

Portrait d’ Ira P. 1930 Huile sur panneau, 99 x 65 cm Collection privée 150

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C’est en effet ce qui ressort du récit que fait le critique d’art français Michel GeorgesMichel à Charles Philips, futur biographe de l’artiste, de sa première rencontre avec celleci à peu près à la même époque : « Il entre dans un petit bar sordide d’une des rues les plus crasseuses de Cannes, fréquenté par des marins au visage dur, des femmes aux regards plus sauvages encore que ceux des hommes, et de jeunes homosexuels blêmes vêtus de chemises roses échangeant des regards acides.

Printemps 1930 Huile sur panneau, 41 x 33 cm Collection privée 152

Le propriétaire des lieux, dont le visage rouge violacé rappelle la robe de ses vins, est assis à l’entrée tel un gardien de prison. Dans le coin le plus sombre se tient une femme, pieds nus, les seins à peine cachés, coiffée d’un ridicule bonnet d’âne d’où s’échappent ses cheveux, les yeux brillant dans la pénombre. Il la fixe du regard. Elle hausse les épaules et lui tourne le dos, magnifique et découvert jusqu’aux reins.

Portrait de Mme Boucard 1931 Huile sur toile, 135 x 75 cm Collection privée 154

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Ce même jour, Georges-Michel est invité à une soirée très huppée dans un des lieux les plus prestigieux de Cannes. Alors qu’il s’amuse d’une telle abondance de plats et de la bienséance des hôtes, il sent qu’on lui tape sur l’épaule et entend la voix rauque d’une femme lui lancer : « Et bien, vous étiez dans un lieu bien étrange ce matin ». Il fait volte face et reconnaît alors la femme du bar, resplendissante cette fois-ci, parée de bijoux étincelants et portant un diadème tel une auréole sur ses cheveux d’or » : Tamara, bien sûr.

Adam et Ève 1931 Huile sur panneau, 116 x 73 cm Collection privée 156

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Si 1933 est l’année de son second mariage, c’est aussi celle de l’arrivée d’Hitler au pouvoir, faisant ainsi déferler sur Paris une nouvelle vague d’artistes et intellectuels émigrés. Cette année marque de même un virage très sec dans la vie et la carrière de Lempicka. Le temps où sa créativité était à son paroxysme est bien révolu, même si Tamara refuse de l’admettre plusieurs années durant.

Idylle 1931 Huile sur panneau, 41 x 32,5 cm Collection privée 158

Les commandes de portraits cessent presque sur le champ, probablement pour deux raisons : d’une part, il n’y a plus d’urgence pour elle à gagner de l’argent après s’être remariée, et d’autre part, comme un signe de l’époque, les répercussions du crack boursier de Wall Street et de la Dépression se font alors sentir dans les classes parisiennes les plus aisées qui composent la clientèle de Lempicka.

Portrait de Pierre de Montaut 1931 Huile sur panneau, 41 x 27 cm Barry Friedman Ltd., New York 160

161

Parallèlement à cela, les goûts changent, et le style jazzy de l’Art Déco que Lempicka a si bien représenté se démode. On ne remarque pourtant aucun changement profond ou immédiat dans son style, si ce n’est que l’aspect jazzy, presque cubiste, qui a marqué son œuvre à la fin des années 1920 et au début des années 1930, est moins présent. Que ses toiles soient plus sobres et moins imprégnées de modernité semble provenir des crises psychologiques (et spirituelles) très violentes qui s’abattent sur elle une fois mariée.

Portrait d’un homme au col relevé vers 1931 Huile sur panneau, 41 x 33 cm Collection privée 162

Le tableau intitulé Les Réfugiés de 1931, anticipe sur une nouvelle phase. On y voit une mère abattue avec un baluchon contenant quelques affaires, le bras autour de son enfant, dont le regard est d’une tristesse accablante. L’hédonisme fragile de l’époque Jazzy est remplacé par un pathos larmoyant, qui s’associe difficilement avec le lustre présent dans la technique de Tamara.

Nu aux voiliers 1931 Huile sur toile, 113 x 56,5 cm Bruce R. Lewin Gallery, New York 164

165

À partir de 1936, elle se fait suivre par un psychiatre, qu’elle peindra comme saint Antoine. Lempicka approche alors les quarante ans et, comme de nombreuses femmes légères dont la beauté commence à se ternir, elle va chercher un réconfort dans la religion. C’est à cette époque qu’elle peint La Mère supérieure, une toile remarquable. Le malaise et la fragilité psychologiques de Lempicka à la fin des années 1930 reflètent également l’angoisse politique et culturelle de l’Europe à cette période.

L’Heure bleue 1931 Huile sur toile, 55 x 38 cm Collection privée 166

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À l’ouest, l’Espagne est en pleine guerre civile, au sud, l’Italie de Mussolini a des vues sur les colonies françaises nord-africaines, et à l’est, Hitler gagne du terrain. L’ambiance générale est donc marquée, à juste titre, soit par l’appréhension, soit par le refus de vouloir regarder la réalité en face. Lempicka déclare avoir eu un très mauvais pressentiment, lorsqu’elle aperçut un groupe de la jeunesse hitlérienne chantant dans la rue, alors qu’elle se trouvait en vacances dans les Alpes autrichiennes avec son mari.

Femme à la colombe 1931 Huile sur panneau, 37 x 28 cm Collection privée 168

À partir de ce moment-là, elle tente apparemment de persuader le baron Kuffner de quitter l’Europe. Finalement, Kuffner vend, à un moment très opportun, la plupart de ses propriétés d’Europe centrale, place ses possessions dans des coffres en Suisse, et monte à bord du Paquebot Le Paris le 24 février 1939, bien avant que la guerre n’éclate. L’année suivante, les artistes se réfugient en masse aux États-Unis, fuyant le conflit européen.

Arlette Boucard aux arums 1931 Huile sur contre-plaqué, 91 x 55,5 cm Collection privée 170

171

Mais peu nombreux sont ceux qui arrivent avec le confort des Kuffner, en particulier ceux qui ont fui après la défaite de la France en 1940. La haine d’Hitler envers l’art moderne quel qu’il soit, est clairement

visible

dès

le

Rallye

de

Nuremberg de 1934, où il dénonce « le bégaiement artistique et culturel des cubistes, des futuristes et des Dadaïstes » sur le même ton aigu, perçant et hystérique qu’un fou.

Arums vers 1931 Huile sur panneau, 92 x 60 cm Collection de James et Patricia Cayne 172

173

Il n’est pas nécessaire, en ces temps, d’être juif ou communiste pour être en danger, et à quelques notables exceptions près (Picasso, Braque et Matisse), les avant-gardistes qui le peuvent fuient tous vers les États-Unis. Varian Fry fonde à cette époque l’Emergency Rescue Committee qui, de juin 1940 à l’automne de l’année suivante, organise l’exil de Marc Chagall, Max Ernst, André Breton, André Masson, Tristan Tzara et Jacques Lipchitz pour ne citer qu’eux.

Arums 1931 Huile sur panneau, 55 x 33 cm Collection privée 174

175

Chagall envoie alors une émouvante lettre aux artistes qu’il laisse derrière lui, dans laquelle on peut lire : « J’ai tant souffert de vous avoir quittés en cette terrible année. Mon destin n’était pas de me sacrifier pour Paris. L’ennemi me préparait une mort humiliante quelque part en Pologne. J’ai donc accepté la main charitable que me tendait l’Amérique ». Lorsque l’armée allemande entre dans Paris en juin 1940, le critique Harold Rosenberg écrit que « les laboratoires du vingtième siècle ont été fermés ».

Les Réfugiés 1931 Huile sur panneau, 51 x 53 cm Musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis, Saint-Denis 176

C’est maintenant le tour de New York. C’est d’artistes comme Mondrian, Léger, André Breton et tant d’autres, associés au mouvement surréaliste, que provient le ferment culturel d’où naîtra la New York School. Mais en ce qui concerne Lempicka, ce n’était ni le moment, ni le lieu adéquats. En effet, elle a ramené avec elle sur le bateau un grand nombre de ses tableaux. Elle peut donc exposer dans la Paul Reinhardt Gallery dès 1939.

Mère et enfant 1931 Huile sur panneau, 33 x 24 cm Musée départemental de l’Oise, Beauvais 178

Vient en suite l’exposition d’avril 1941 à la Julien Levy Gallery, qui se déplacera à Los Angeles l’année suivante. Sur une photographie de Tamara pendant la cérémonie d’ouverture de son exposition de 1939, elle apparaît plus élégante que jamais, l’air débonnaire, coiffée de son chapeau de fourrure, et avec des épaulettes plus grandes que celles de Joan Crawford. Toutefois son style peut paraître désuet pour les amoureux de l’art new yorkais, plus habitués aux expositions dernier cri des artistes immigrés tels que Pierre Matisse.

La Convalescente 1932 Huile sur panneau, 56 x 42 cm Collection privée 180

181

Même si les expositions de New York comprennent des œuvres de sa plus grande période, elles étaient probablement déjà démodées, et il faut bien reconnaître que ses travaux les plus récents, bien que techniquement irréprochables, ne présentaient pas les qualités les plus intéressantes chez Lempicka en tant qu’artiste. Elle garde la douceur brillante de son propre style Art Déco jusqu’à la fin des années 1940, mais abandonne les pièges de la modernité.

Portrait de Mme M. 1932 Huile sur toile, 100 x 65 cm Collection privée 182

183

Elle se tourne alors vers les vieux maîtres et les sources du dix-neuvième siècle pour raviver son imagination vide. Le sujet de son tableau de 1941 À l’Opéra, une femme élégamment vêtue dans une loge de théâtre, rappelle les peintres du dix-neuvième siècle tels que Renoir, Degas et Cassatt. Les courbes d’un style plutôt néo-baroque remplacent les lignes droites épurées de la phase Art Déco. L’effet désagréable qui ressort de ce tableau est accentué par les couleurs chaudes et saturées que Lempicka utilise, réminiscence des premiers films en technicolor.

La Brillance vers 1932 Huile sur panneau, 35 x 27 cm Collection privée 184

Ce sont sans doute ses natures mortes, telles que Plante grasse et fiole en 1941 et La Clé en 1946, qui constituent ses plus belles œuvres des années 1940. Ces toiles ont pour elles une étrangeté un peu surréelle. Les références qu’elles contiennent, notamment une carte postale de ce qui ressemble à un portrait de Rubens accroché au mur, indiquent un tout nouvel intérêt pour le baroque. Les effets illusionnistes et les formes plissées de manière complexe de La Clé renvoient aux natures mortes hollandaises,

Portrait de Marjorie Ferry 1932 Huile sur toile, 100 x 65 cm Collection privée 186

187

bien que, contrairement à ce style de peinture, Lempicka n’ait jamais attaché d’importance aux différentes textures de surface. Deux œuvres en particulier, Le Turban orange de 1945 et La Madone ronde de 1948, inspirées directement de La Madonna della Sedia, chef-d’œuvre le plus connu de Raphaël, représentant la source des vieux maîtres par excellence, montrent à quel point l’inspiration de Lempicka s’amenuise au fur et à mesure que la décennie avance.

Portrait de Suzy Solidor 1933 Huile sur panneau, 46 x 38 cm Château-Musée de Cagnes, Cagnes-sur-Mer 188

Son amour pour le glamour et la célébrité l’attire inévitablement à Hollywood. En 1940, les Kuffner y déménagent donc pour un séjour prolongé. Sur une photographie où elle est manifestement en train de poser, Lempicka apparaît en train de monter à bord du train Union Pacific pour Los Angeles, arborant un manteau de fourrure posé nonchalamment sur ses épaules, un chapeau moderne extravagant, et un gardénia.

La Dormeuse (Kizette) I vers 1933 Huile sur panneau, 30,8 x 40,6 cm Collection privée 190

191

Elle a l’expression distante et pensive d’une star sur une gravure de publicité. Lempicka était encore une femme d’une beauté saisissante et espérait certainement faire une nouvelle carrière à Hollywood, peut-être même au cinéma. Du fait de leurs origines d’Europe de l’Est et d’Europe centrale, les Kuffner se sont certainement plus sentis chez eux à Hollywood que sur la côte Est.

Portrait de Mlle Poum Rachou 1933 Huile sur toile, 92 x 46 cm Collection privée 192

193

L’industrie cinématographique hollywoodienne est elle-même la création d’entrepreneurs russes et hongrois d’origine juive avant et après la Première Guerre mondiale. Même avant la montée d’Hitler au pouvoir, le flot constant de talents européens contribue au succès d’Hollywood. Jouant sur son titre et sur sa beauté, Tamara parvient aisément à s’immiscer dans les hautes sphères de Los Angeles, et à se faire reconnaître par les médias comme La Baronne au Pinceau en recevant par exemple dans son atelier des stars telles que Greta Garbo, Tyrone Power et Dolores del Rio.

Capeline 1933 Huile sur panneau, 46 x 38 cm Collection privée 194

En 1940, l’année de son arrivée à Hollywood, Lempicka fait un coup de pub digne d’une agence de publicité hollywoodienne ou du scénario d’une comédie de Preston Sturges : elle annonce aux étudiantes de U.C.L.A., la plus grande université de Los Angeles, qu’elle cherche un modèle de nu pour réaliser une peinture de Suzanne et les anciens.

Portrait du comte Vettor Marcello vers 1933 Huile sur panneau, 35 x 27 cm Collection privée 196

Tamara eut donc le privilège « de faire passer une audition » à plus d’une centaine de jeunes femmes venues se déshabiller dans son atelier. À cette époque, Lempicka renoue quelque peu tardivement avec ses origines polonaises et travaille pour le fonds Paderewski ainsi que pour d’autres œuvres charitables qui aident les victimes de la guerre.

La Polonaise 1933 Huile sur panneau, 35 x 27 cm Collection privée 198

199

En 1942, le baron Kuffner se lasse d’Hollywood et insiste pour retourner à New York. Ils achètent un appartement spacieux dans le plus beau quartier de la ville au 322 de la 57ème rue, où ils resteront jusqu’à la mort du baron. Des photographies de l’intérieur de l’appartement prises après la guerre donnent une certaine impression de décors de cinéma. Aucune toile de Lempicka n’est visible.

Madonina vers 1934 Huile sur cuivre, 18 x 12,8 cm Collection privée 200

201

À la place, l’appartement était décoré avec des œuvres d’art et d’imposants meubles d’antiquité provenant des propriétés d’Europe centrale du baron. Bien que Tamara continue à peindre de manière un peu décousue, elle semble se consacrer de plus en plus à sa vie de new yorkaise mondaine. La Mexicaine, tableau vraiment exécrable peint en 1940, montre le style Art Déco de Lempicka le plus pauvre.

La Bretonne 1934 Huile sur panneau, 31 x 29 cm Collection privée 202

C’est avec la condescendance d’une mondaine désœuvrée que Lempicka peint la paysanne pittoresque et nubile dans un style si mou et kitsch que l’on croirait voir une des reproductions vulgaires et criardes de ces peintures de femmes orientales qui se sont tant vendues dans les grands magasins dans les années 1950. Son travail étant alors des plus mauvais, il est temps qu’un changement radical s’opère.

La Vierge bleue 1934 Huile sur panneau, 20 x 13,5 cm Collection privée 204

205

À partir de 1949, Lempicka recommence à voyager en Europe. Sur une photographie prise à cette époque, on peut à nouveau la voir dans son atelier de la rue Méchain. L’intérieur Art Déco est resté intact mais a été enrichi d’une sculpture de tête classique en plâtre. Lempicka porte une robe de soirée New Look, les épaules nues, et travaille à l’évidence sur une peinture d’avant-guerre mais à côté d’un tableau qu’elle a peint en 1940, La Fuite.

La Mère supérieure 1935 Huile sur toile, marouflée, 30 x 20 cm Musée des Beaux-Arts de Nantes, Nantes 206

207

La fin des années 1940 marque l’apogée de

l’expressionnisme

abstrait.

Pour

beaucoup de critiques alors, l’art figuratif est dépassé. Il faut un courage et une conviction considérables pour aller contre ce courant et continuer à perpétuer le style figuratif, comme l’ont fait Balthus, Edward Hopper, Stanley Spencer et Lucian Freud. D’autres, comme Victor Passmore et

Lempicka,

abandonnent cette lutte inégale pour se rapprocher du mouvement abstrait.

Mendiant à la mandoline 1935 Huile sur toile, 67 x 51 cm Musée départemental de l’Oise, Beauvais

208

Lors de ses débuts en 1953, Lempicka peint l’abstrait dans un style fluide aux contours marqués, qui rappelle plus l’abstraction puriste des années 1920 que celle, plus gestuelle du New York des années 1950. Ces tableaux se rapprochent alors, par leur dynamisme et leur aspect « moderne », de ses œuvres de la fin de années 1920 et du début des années 1930, sans pour autant reproduire le sentimentalisme excessif qui marque son œuvre à la fin des années 1930.

Saint Anthoni vers 1936 Huile sur panneau, 34,9 x 27 cm Collection privée 210

Mais ce côté « moderne » de Lempicka semble déjà vieilli dans les années 1950, et différentes expositions entre 1955 et 1961 à Paris, Milan et New York, ne suscitent plus l’intérêt des foules. De même, un autre changement radical dans les années 1960 n’aura pas les retombées escomptées. C’est alors que Lempicka revient à la peinture figurative. Elle travaille donc avec des couleurs pâles, dans les tons roses, et applique la peinture à l’aide d’un couteau à palette, ce qui lui permet d’acquérir une technique pour laquelle elle n’avait aucun talent.

Le Paysan vers 1937 Huile sur toile marouflée, 40 x 28,5 cm Collection privée 212

Ces toiles des années 1960 semblent être la négation de tout ce qui a caractérisé ses plus beaux travaux. Par exemple, un de ses tableaux des années 1960, représentant une vue de Venise sous la pluie, reste aussi banal qu’une carte postale pour touristes. Pires encore sont les tentatives qu’elle fait de reprendre certains de ses anciens thèmes avec un nouveau style, notamment La Fille à la guitare en 1963.

Quattrocento 1937 Huile sur panneau, 55 x 46 cm Collection privée 214

Les années 1960 sont les pires que connaisse Lempicka, tant dans sa vie que dans son œuvre. En 1961 le baron Kuffner meurt lors d’une traversée de l’Atlantique qui devait le ramener chez lui, après avoir tant aimé et protégé sa femme pendant plus de trente ans. Après l’échec de plusieurs de ses expositions,

Lempicka

décide

qu’elle

n’exposera plus.

Graziella vers 1937 Huile sur panneau, 35 x 24 cm Musée des Beaux-Arts du Havre, Le Havre 216

À la suite du décès de son mari, elle s’offre trois voyages consécutifs autour du monde, puis, vend son appartement de New York et s’installe à Houston, pour être près de sa fille mariée à Harold Foxhall (qu’elle surnomme Foxy), un géologue travaillant pour la société Dow Chemical. Dès lors, Kizette se voit imposer le triple rôle de feu son beau-père : celui de protecteur, de secrétaire et de factotum aux ordres de sa mère.

Paysanne à la cruche vers 1937 Huile sur panneau, 35 x 27 cm Collection privée 218

La majorité des informations dont s’est servi Charles Phillips pour écrire la biographie de Lempicka (qui restera sans doute dans les mémoires comme étant la version officielle de la vie de l’artiste ainsi que de sa personnalité complexe et bigarrée) provient de Kizette de Lempicka. Il est donc inévitable que la relation mère-fille, quelque peu houleuse, ait été décrite au travers du regard de Kizette.

Madonna vers 1937 Huile sur panneau, diamètre 33 cm Musée départemental de l’Oise, Beauvais 220

221

Toutefois de nombreux témoignages d’amis, d’admirateurs, et parfois même de Tamara elle-même, corroborent l’image d’un monstre manipulateur et dominant et celle d’une mère abusive à maints égards. La fin de la carrière de Lempicka n’est nullement marquée par l’amertume et l’oubli. Au contraire, comme la coda sur une portée, cette fin ressuscite l’art des débuts de l’artiste de manière triomphale.

Suzanne au bain vers 1938 Huile sur toile, 90 x 60 cm Collection privée 222

223

L’esthétique moderniste connaît son heure de gloire pendant la reconstruction des villes après la Seconde Guerre mondiale, faisant ainsi passer l’Art Déco comme une aberration de style pour la majorité des gens de goût et « bien pensants ». Assez ironiquement, la destruction massive d’édifices Art Déco dans les années 1960 et 1970 va de pair avec une certaine nostalgie renaissante du style de nouveau apprécié.

Nature morte aux arums et au miroir vers 1938 Huile sur toile, 65 x 50 cm Musée National d’Art Moderne, Centre Georges Pompidou, Paris 224

225

Dès 1966 le Musée d’Art Décoratif de Paris organise une exposition pionnière qui connaît un grand succès, intitulée Les Années 1925. L’Exposition des Arts Décoratifs à Paris en 1925 suscite un grand intérêt pour les œuvres exposées. Peu de temps après, c’est au tour de Lempicka d’être redécouverte, grâce aux idées des universitaires et des marchands d’arts, qui commencent à percer dans les journaux et la littérature de l’époque, et qui montrent l’étendue de la couverture médiatique dont avait joui Lempicka.

Jeune Fille aux bras croisés 1939 Huile sur toile, 50,8 x 40,6 cm The Metropolitan Museum of Art, New-York 226

Certains

conservateurs

de

musées

français se sont même aperçus que leur dépôts abritaient des œuvres de Lempicka. En 1972, Lempicka permettra à Blondel et Plantin, deux jeunes marchands d’art parisiens, d’ouvrir leur nouvelle Galerie du Luxembourg, et de redorer sa réputation en organisant une exposition rétrospective. Presque tous les tableaux devenus célèbres et reproduits à grande échelle y étaient exposés, notamment le Portrait de la duchesse de la Salle, tous les portraits de la famille Boucard, le portrait d’Ida Perrot,

À l’Opéra 1941 Huile sur toile, 76,2 x 50,8 cm Collection privée 228

229

La Belle Rafaëla, Adam et Ève, La Femme au gant vert, Nana de Herrera, les portraits de Tadeusz Lempicki de 1928, Saint-Moritz, et l’auto-portrait au volant de la Bugatti verte. La valeur des toiles de Lempicka commençait déjà à monter rapidement. Néanmoins, quiconque achetait dans cette exposition faisait un bon investissement, étant donné que les prix n’ont dès lors jamais cessé de grimper. Le succès incroyable que connaît cette exposition et les retombées médiatiques qui s’ensuivent attirent l’attention de Franco Maria Ricci, éditeur du magazine d’art FMR, sur le travail de Lempicka.

Plante grasse et fiole vers 1941 Huile sur toile, 55,9 x 45,7 cm Collection privée 230

Ce magazine, par sa tendance et son tirage, est un des plus importants à l’époque. Ricci propose donc à Lempicka ce dont tout artiste tombé dans l’oubli peut rêver : un somptueux volume richement illustré sur son œuvre. Lempicka jouira donc de cette célébrité tardive pendant huit années encore, si le terme « jouir » est approprié pour quelqu’un si peu enclin à apprécier les choses simples de la vie. L’irascibilité qui marque ses relations avec sa famille ou avec autrui s’avère souvent être auto-destructrice.

Le Coquillage 1941 Huile sur toile, 40,6 x 50,8 cm Collection privée 232

233

En 1973, suite au grand succès que connaît son exposition à la Galerie du Luxembourg, la très respectée Knoedler Gallery à New York lui propose d’exposer ses travaux les plus récents. Toutefois, les exigences excessives et impérieuses de Lempicka empêcheront ce projet de voir le jour. Dans ce cas précis, cela est peut-être dû au fait qu’elle sait, dans son for intérieur, que son travail le plus récent ne supporterait pas la comparaison avec les meilleures œuvres qu’elle a peintes dans les années 1920 et 1930.

Nature morte, citron et assiette vers 1942 Huile sur toile, 55,9 x 45,7 cm Collection du Docteur et Mme Richard Hirschberg 234

Comme les relations qu’elle a avec sa fille et ses petites filles sont de plus en plus tendues, Lempicka s’éloigne peu à peu de Houston, pour aller à Cuernavaca au Mexique, où elle s’achète finalement une maison. Là, elle nourrira une relation intense et platonique avec le sculpteur mexicain Victor Contreras, de quarante ans son cadet. Tamara de Lempicka s’éteint le 18 mars 1980, après des mois d’infirmité et veillée par sa fille comme elle l’avait souhaité. Fidèle à elle-même dans sa volonté de tout contrôler, elle avait pris toutes les dispositions nécessaires pour ses funérailles et sa crémation.

Le Chapeau à la rose vers 1944 Huile sur toile marouflée, 30,5 x 20,3 cm Collection privée 236

237

Avant de mourir, elle fait part à Victor Contreras de son souhait de voir ses cendres dispersées

au

dessus

du

cratère

du

Popocatépetl, ultime geste théâtral. Tamara de Lempicka est-elle une grande artiste ? Faut-il croire les critiques snobs et négatifs qui considèrent son œuvre comme clinquante et éphémère ? Ou les collectionneurs et le grand public, fascinés par la beauté de son œuvre ? La difficulté tient à ce qu’on attend trop de Lempicka ce qu’elle ne veut pas donner.

Jeune Fille rousse et couronne de rose vers 1944 Huile sur toile, 30,5 x 22,9 cm Collection privée 238

239

Elle

n’offre

pas

la

profondeur

de

Rembrandt, l’exactitude du trait de Velázquez, ni la spontanéité de Frans Hals. Elle appartient à une tradition différente de portraitistes raffinés qui va d’Ingres et Van Dyck et leurs portraits anglais et gênois, à Bronzino au dix-septième siècle dont les tableaux de la cour des Medicis sont d’une beauté glaciale. Ces artistes, préférant l’esthétique à la stricte ressemblance des traits, font autant le portrait d’un milieu que celui des seules personnes représentées. La difficulté tient par ailleurs à l’éclectisme de Lempicka.

Le Turban Orange II vers 1945 Huile sur toile, 27 x 22 cm Musée des Beaux-Arts du Havre, Le Havre 240

Il est vrai qu’il n’y a rien de très original dans son style et qu’elle emprunte en toute liberté aux autres artistes. On ne peut alors s’empêcher de penser à Picasso pour qui « Seuls les mauvais artistes empruntent. Les bons volent ». À l’aune de cette règle, il s’avère que Lempicka est une grande artiste ; elle s’approprie vraiment ce qu’elle emprunte et synthétise le tout en un style propre, reconnaissable à première vue même s’il reste facilement imitable.

Amethyst 1946 Huile sur toile, 76,2 x 63,5 cm Collection privée 242

En outre dans sa période Art Déco, Lempicka peint dans un style facile à reproduire. Quiconque connaît les marchés aux puces parisiens récents aura vu que Lempicka est devenue l’artiste du vingtième siècle dont les tableaux ont été le plus reproduits ou imités. Il n’est rien de pire pour la réputation d’un artiste que d’être imité ou trop connu. Tel fut le cas de Lempicka.

Nature morte avec pommes et citrons vers 1946 Huile sur toile, 30,5 x 40,6 cm Collection privée 244

245

Finalement, on se souvient de Lempicka parce qu’elle avait quelque chose à dire à propos d’un certain milieu, à une certaine époque, en un certain lieu, et que personne n’est parvenu à immortaliser mieux qu’elle. Au même titre que Van Dyck dépeint l’Angleterre de Charles Ier, et qu’Otto Dix nous donne l’image des habitants de Berlin pendant la République de Weimar, les images que nous donne Tamara nous montrent le Paris des Années Folles. Et ses détracteurs ne peuvent qu’admettre que Tamara de Lempicka restera dans les mémoires.

La Clé vers 1946 Huile sur toile, 48,3 x 35,6 cm Collection privée 246

247

Index A À l’Opéra

229

Adam et Ève

157

Amethyst

243

Arlette Boucard aux arums

171

Arums

173

Arums

175

Auto-portrait (Tamara au volant de la Bugatti verte)

117

B Le Baiser

21

La Belle Rafaëla

85

La Bohémienne

35

Bouquet d’hortentias et citrons

13

La Bretonne

203

La Brillance

185

248

C Capeline

195

Le Chapeau à la rose

237

Le Chapeau de paille

147

La Chemise rose I Le Chinois

89 9

La Clé

247

La Communiante

101

Les Confidences

91

La Convalescente

181

Le Coquillage

233

D Les Deux Amies

145

Les Deux Petites Filles aux rubans

57

La Diseuse de bonne aventure

15

La Dormeuse

31

249

Dormeuse

143

La Dormeuse (Kizette) I

191

Double “47”

39

E L’Écharpe bleue

137

L’Écharpe orange

87

En Plein Été

95

L’Esclave

123

F Femme à la colombe

169

Femme au gant vert

97

Femme de profil vêtue d’un châle

11

Femme en robe jaune

131

Femme en robe noire

37

Femmes au bain

125

G Graziella Groupe de quatre nus 250

217 55

H L’Heure bleue

167

I Idylle Irène et sa sœur

159 45

J Jeune Fille aux bras croisés

227

Jeune Fille aux gants

149

Jeune Fille rousse et couronne de rose

239

Les Jeunes Filles

133

K Kizette au balcon

79

Kizette en rose

77

M Madonina

201

Madonna

221

Maternité

105 251

Mendiant à la mandoline

209

Mère et enfant

179

La Mère supérieure

207

Le Modèle La Musicienne

53 121

N Nana de Herrera

113

Nature morte aux arums et au miroir

225

Nature morte avec pommes et citrons

245

Nature morte, citron et assiette

235

New York

127

Nu à la colombe

103

Nu assis

29

Nu assis

49

Nu assis

51

Nu assis de profil

27

Nu aux buildings

135

Nu aux voiliers

165

Nu sur une terrasse

47

Nu, fond bleu

23

252

P Le Paysan

213

Paysanne à la cruche

219

Perspective (Deux Amies)

33

Plante grasse et fiole

231

La Polonaise

199

Portrait d’André Gide

63

Portrait d’Arlette Boucard

93

Portrait d'homme inachevé (Tadeusz de Lempicki)

107

Portrait d’Ira P.

151

Portrait d’un homme au col relevé

163

Portrait d’un joueur de polo

19

Portrait d’une jeune femme en roble bleue

17

Portrait de Kizette

41

Portrait de la baronne Renata Treves

59

Portrait de la duchesse de La Salle

69

Portrait de Mlle Poum Rachou

193

Portrait de Marjorie Ferry

187

Portrait de Mme Bush

129

Portrait de Mme Allan Bott

139

Portrait de Mme Boucard

155 253

Portrait de Mme M.

183

Portrait de Pierre de Montaut

161

Portrait de Romana de La Salle

99

Portrait de son Altesse Impériale le grand duc Gabriel

73

Portrait de Suzy Solidor

189

Portrait du comte de Fürstenberg-Herdringen

111

Portrait du comte Vettor Marcello

197

Portrait du docteur Boucard

109

Portrait du marquis d’Afflito

67

Portrait du marquis d’Afflito (Sur un Escalier)

75

Portrait du marquis Sommi

71

Portrait du prince Eristoff

65

Printemps

153

Q Quattrocento

215

R Les Réfugiés

177

Le Rêve

83

Le Rythme

43

254

S Saint Anthoni

211

Saint Moritz

119

Suzanne au bain

223

T Le Téléphone II

141

Tête de femme slave

61

La Tunique rose

81

Le Turban orange II

241

Le Turban vert

115

U Une Rue la nuit

25

V La Vierge bleue

205

255