Le vocabulaire de l'analyse psychologique dans l'oeuvre de Thucydide

600 33 34MB

Français Pages [274] Year 1968

Report DMCA / Copyright

DOWNLOAD FILE

Polecaj historie

Le vocabulaire de l'analyse psychologique dans l'oeuvre de Thucydide

Table of contents :
Huart, P. - Le vocabulaire de l'analyse psychologique dans l'oeuvre de Thucydide.PDF
OCR134.PDF

Citation preview

ÉTUDES

ET

COMMENTAIRES

Pierre HUART Chargé d’Enseignement à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Nice

LE VO~ABIJIA1Rf DE L’ANALYSE PSYCIIOLOCIQIJE DANS L’OEUVRE DE TIIU~YDIDE

PARIS LIBRAIRIE C. KLINCKSIECK 1968

INTRODUCTION

rTi ~ \~J ~

q ~

~‘~“

/

/~—

~ «‘~

© Pierre Huart, 1968.

«Je donnerais volontiers Thucydide pour des mémoires authentiques d’Aspasie ou d’un esclave de Périclès » : cette déclaration de Mérimée’ pourrait n’être qu’une boutade, le paradoxe amusant d’un lettré ; pourtant ce jugement, même si, sous sa forme agressive, il paraît renfermer quelque exagération, s’éclaire à la lumière d’une autre phrase de la même préface de la Chronique: Mérimée reproche, en somme, à Thucydide de ne pas lui offrir « une peinture vraie des moeurs et des caractères à une époque donnée »2, au contraire des Mémoires qui « fournissent seuls ces portraits de l’homme qui (l’)amusent et qui (l’)intéres sent »~, autrement dit, de ne pas faire de l’histoire une chronique, qui aurait permis de penetrer la psychologie des Atheniens de la fin du ve siècle avant J.-C. C’est ce que marque excellemment le critique E. Marsan4. « L’histoire l’(Mérimée) attirait moins comme le registre, en quelque sorte, des grands événements collectifs, c’est-à-dire politiques, que comme un code de psychologie individuelle. C’est en ce sens qu’il se déclarait prêt à sacrifier Thucydide au moindre aveu, s’il l’eût tenu, d’Aspasie.» Ce goût qui poussait Mérimée à demander à l’histoire de lui présenter des portraits individuels l’amenait à s’intéresser avant tout aux anecdotes5 destinées à mettre en lumière de façon frappante les moeurs et les caractères des personnages. Sur ce point, Thucydide ne pouvait le satisfaire, car il évite soigneusement toutes ces belles hislo ires, où se complaisait encore son prédécesseur (1) MÉRIMÉE, Chronique du règne de Charles IX. Préface (Romans et Nouvelles, éd. de la Pléiade, p. 31). (2) ID., ibid., p. 31. (3) ID., ibid., p. 31. (4) E. MARSAN, Préface à la Chronique du règne de Charles IX (édition du DivanParis 1928) cité par H. MARTINEAU, Préface à l’édition de la Pléiade des Romans et Nouvelles de Mérimée, pages 10/11 (et n0 1, p. 11). (5) Je n’aime dans l’histoire que les anecdotes (In., ibid., p. 31).

2

INTRODUCTION

Hérodote’; et ce mépris de l’anecdote par Thucydide n’expliquet-il pas justement le dédain à son égard d’un écrivain comme Mérimée, curieux de ces faits qui révèlent la psychologie d’un personnage ? Plutarque, par exemple, nous fait un portrait de Périclès extrêmement fouillé et nuancé non pas un portrait composé, mais une série de détails ou d’anecdotes, qui viennent préciser et enrichir, peu è peu, ce portrait, en nous peignant non seulement l’homme d’Etat, mais aussi l’homme privé, dans ses relations avec sa famille, ses amis, ses concitoyens ; ce n’est pas uniquement l’Olympien, tel que nous le présente Thucydide2; mais un caractère complexe et vivant, alors que l’historien a tendance à le transformer en une entité un peu désincarnée. Ne serait-ce pas le revers de l’histoire telle que l’a conçue Thucydide ? N’est-il pas amené è négliger la psychologie de l’homme ?~, à accorder, par exemple, dans l’étude d’un conflit, une place prépon dérante à des données économiques, comme l’argent, ou la marine ? il est frappant de voir, en effet, comme ces notions reviennent è plusieurs reprises dans l’Archéologie (I, 4 ; I, 9, 2; I, 11, 1; I, 15, 1, etc.) : la guerre du Péloponnèse, dans cette optique, n’aurait-elle pas pour cause essentielle des rivalités économiques ? et l’homme ne serait-il pas alors le jouet, non plus des dieux, mais d’événements qui le dépassent, d’une sorte de fatalité nouvelle, qui remplacerait l’ancienne fatalité du destin, et contre laquelle il lui resterait finalement aussi peu de recours ? Il nous est impossible de trouver la réalisation d’une telle conception dans l’histoire de la guerre du Péloponnèse; que de tels facteurs aient joué, c’est assez évident ; mais Thucydide prend soin, dans la Préface, d’opposer les causes apparentes du conflit, cc~ ic pcv~pb~ y6~i.~voc~ odtLar. (I, 23, 6), les motifs donnés ~‘

-~

(1) Il recherche si peu l’anecdote qu’il la passe sous silence, même quand elle paraît attestée par des témoignages ainsi la révolte du peuple d’Argos contre les oligarques, en 417 avant J. C., est signalée par l’historien (V. 82) sans qu’il fasse mention d’un incident que rapporte PAUSAN~AS (Tour de la Grèce II, 20, 2), l’appel au peuple d’une jeune fille victime de violences de la part de Bryas, le chef des oligarques; c’est que, aux yeux de Thucydide, cet incident (fût-il réel) n’a pu être la cause essen tielle d’un de ces épisodes des luttes atroces entre démocrates et oligarques, que l’on retrouve si souvent au cours de la guerre du Péloponnèse; tout au plus ce fut un prétexte. (2) Il est piquant de constater que ce surnom de Périclès nous soit rappelé par PLUTARQUE (Périclès 39, 2) et non par Thucydide. (3) Écartons tout de suite, en ce qui concerne Thucydide, la conception d’une histoire où l’étude de l’homme n’a que peu d’importance, parce que tout repose en définitive sur les décisions de la Providence ; c’est une idée familière à Hérodote, mais complètement étrangère à Thucydide.

3

INTRODUCTION

ouvertement, è la cause la moins avouée, mais la plus vraie, p.èv &À~O~at&t~v ~tp6pccar.’~, &p ~at&t~ ~ ?~6yq ; or celle-ci est avant tout d’ordre psychologique, puisque l’historien emploie un terme psychologique, pour la définir, lorsqu’il nous dit que les Lacédémoniens furent contraints à la guerre, par la peur (p6&ç) (ibid.), que leur inspirait l’accroissement de puissance des Athéniens. Thucydide, voulant aller au fond des choses et retrouver les racines lointaines de l’antagonisme entre Athènes et Sparte, cause, selon lui, de la guerre, sera donc amené è dépasser les apparences, et è essayer de trouver leur signification profonde, par une étude qui devra être avant tout psychologique, et qui naturellement s’étendra une fois le principe admis non pas seulement aux préliminaires de la guerre, mais aussi aux divers moments de son déroulement. Ainsi, dans son discours aux Athéniens, avant le déclenchement des hostilités, Périclès trait~e du décret sur Mégare, qui fut l’occasion immédiate du Congrès de Sparte (I, 67, 4) et par suite du durcisse ment de positions déjà hostiles’. Répondant aux critiques de certains (I, 140, 4), qui affirmaient que l’abrogation de ce décret permettrait d’éviter la guerre, il observe que ce serait en effet un motif peu sérieux (&& .~uxp6v, I, 140, 4) d’entrer en lutte, s’il ne s’agissait que de cela ; en fait la question qui se pose, la seule, dit-il aux Athéniens, c’est « l’affirmation et l’épreuve de vos sentiments », -t-lyv ~3~6 coa~v xcd ltEtpxv -~ç yw~ç (I, 140, 5). Nous aurons, plus loin, è voir quelle valeur représente exactement ce mot yvc~~ : ce que nous devons remarquer maintenant, c’est que les véritables motifs de ce conflit sont des raisons psycholo giques. Voilà ce que Thucydide souligne tout au long du premier livre ; le reste n’est que manifestation extérieure, apparition, à la surface, de symptômes qui révèlent un mal profond, épiphé nomènes en quelque sorte. L’important n’est pas l’empire athénien en lui-même, mais le sentiment qui l’a créé, et cet empire, par un retour normal des choses, en se développant, a nourri, fortifié une tendance au début encore incertaine, il reposait plus à l’origine sur un réflexe de défense (éviter un retour offensif des Barbares) que sur la volonté de puissance l’empire, è son tour, a créé l’impérialisme, sentiment qui finit par dominer toute la politique athénienne2. —,



—;

(1) Sur cette question, voir aussi BODIN, Autour du décret mégarien. Mélanges litté raires de la Faculté des Lettres de Clermont-Ferrand, 1910, p. 169/182. (2) Cf. l’ouvrage de J. DE ROMILLY, Thucydide et l’Impérialisme athénien.

4

INTRODUCTION

Ce sentiment, par contre-coup, se trouve ii l’origine d’une évolution parallèle de la psychologie spartiate. Sparte, cité conti nentale, se sent-elle réellement menacée, dans son existence et ses conditions de vie, par l’extension de l’empire maritime et colonial d’Athènes ? On peut en douter : la meilleure preuve, c’est que, dès le début des hostilités, l’écrasante supériorité, sur terre, des forces confédérées péloponnésiennes et béotiennes contraindra Athènes à se mettre sur la défensive, à l’intérieur du camp retranché Athènes/Le Pirée. Mais Sparte est victime d’un sentiment de frustration : avant les guerres Médiques, sa réputation (~6~cc) en Grèce était plus grande que celle des Athéniens ; depuis, elle s’imaginait avoir des droits égaux à ceux d’Athènes pour comman der au monde grec ; or son influence en Grèce est réellement menacée par l’impérialisme athénien. Cette appréhension, Thucydide la désigne en I, 23, 6, par le mot p6&ç, en I, 88, 1, par le verbe po~st~Oxr., ce qui, étant donné le sens habituel de ces termes chez lui, prouve qu’elle est plus une réaction sentimentale qu’une froide constatation de la réalité. Par suite, dès le livre I, nous pouvons apprécier l’importance que Thucydide attribue à la psychologie des peuples en présence. Et quand la lutte sourde se sera transformée en lutte ouverte, il n’y a pas de raison pour que change la méthode de l’historien. Le récit sera aussi précis, aussi minutieux, que l’exige l’esprit rigoureux de l’auteur ; pourtant l’essentiel, ici encore, sera, pour Thucydide, de découvrir, sous les faits apparents, leurs véritables causes. Nous verrons, en particulier, quelles réactions diverses, et extrêmes, imprimera à l’esprit des combattants un conflit qui libère, si l’on peut dire, les adversaires des entraves que la trêve de 30 ans, fiction hypocrite, mais observée tant bien que mal imposait encore au déchaînement de leurs passions. Si l’analyse psychologique apparaît ainsi vraiment, pour Thucydide, comme une partie essentielle de l’histoire, s’il refuse de se contenter du simple rôle de témoin, qui constate les faits sans en chercher les causes véritables et profondes, s’il veut expliquer, démonter et remonter sous nos yeux les ressorts psycho logiques qui font mouvoir les acteurs peuples, cités, hommes d’Etat, militaires de ce drame collectif de 27 ans qui se joue sur toute l’étendue du monde grec, on voit l’intérêt qui s’attache à une étude du vocabulaire de l’analyse psychologique chez cet historien : car, nécessairement, pour nous transmettre le résultat de ses patientes investigations dans le domaine de l’homme, Thucydide a été contraint d’accorder une très grande importance aux termes qui devaient lui permettre de traduire d’une façon —

—‘





}

5

INTRODUCTION

intelligible les divers sentiments, et leurs oppositions, et leurs nuances les plus subtiles. Il sera donc intéressant de voir comment Thucydide a utilisé les ressources que lui offrait son époque, et de quelle manière, et dans quelle mesure, il a pu être amené à enrichir ce vocabulaire, pour exprimer des aspects, jusqu’alors négligés, de la psychologie de la nalure humaine, &vOpait~1oc pô~ç’. Voilà donc le but de l’étude psychologique pour Thucydide passer sous silence tout ce qui est particulier, pour s’attacher à ce qui, dans les personnages qu’il met en scène, est susceptible de présenter un intérêt général pour la connaissance de l’homme et des sentiments fondamentaux qui mènent l’humanité. Par suite, on voit que l’analyse de Thucydide portera plus sur les lois de la psychologie humaine que sur les particularités des individus; ceux-ci sont, certes, présentés sous un jour qui leur est propre mais une seule tendance dominante est définie pour chacun d’eux. Aussi Thucydide évite-t-il les détails pittoresques, qui tendraient à distraire l’esprit d’une vision d’ensemble. Bien sûr, dans le cas de Périclès, on pourrait expliquer cette discrétion par le désir de ne pas diminuer, avec des détails trop familiers2, cette grande figure qu’il veut présenter pure à notre admiration; mais dans le cas d’un Cléon, par exemple, que Thucydide n’estimait certes pas assez pour avoir éventuellement scrupule à le présenter sous un jour ridicule, et le personnage s’y prêtait probablement, si l’on en croit les Cavaliers d’Aristophane nous constatons la même réserve : les traits individuels sont absents ; par contre, ce qui apparaît en pleine lumière, c’est le portrait-type du déma gogue, apte à remuer et à flatter les plus bas instincts d’une foule et le personnage n’est. peint que dans la mesure où cela peut expliquer la politique d’Athènes. Thucydide est même allé plus loin, dans l’analyse psychologique, par une pente d’ailleurs naturelle de son esprit. Visant au général, il a été amené à étudier les rapports entre les données psycho logiques qu’il découvrait, et à se demander si le comportement de l’homme ne suivrait pas certaines lignes de force, si, disons le mot, il ne serait pas possible d’arriver à des lois qui faciliteraient, dans une certaine mesure, la « prévision » en ce qui concerne le comportement des hommes. Naturellement, il ne peut s’agir de —

—,

(1) L’expression revient à plusieurs reprises : I, 76, 3 II, 50, 1; III, 45, 7 ; etc. Cf. CLAnS MEISTER, Die Gnomik im Geschichtswerk des Thukydides. Winterlhur, 1955, p. 78 sqq. et TOPITSCH, ‘A~Opa)7Ue~ce p/a~ und Ethik bei Thukydides, Wiener Studien, LXI-LXII (1943/47), 50-67. (2) Personne, suivant la formule connue, n’est un grand homme pour son valet de chambre.

6

INTRODUCTION

lois au sens scientifique et moderne du terme ; Thucydide n’a pas eu une telle ambition, ou, s’il l’a eue, il ne l’a pas exprimée d’une manière absolument nette, soit par modestie, soit par souci de rester fidèle à l’impartialité du savant, qui affirmait son intention de s’en tenir aux réalités bien contrôlables ; et aussi, sans doute, parce qu’il pressentait la complexité des faits psychologiques d’ailleurs, si l’idée d’une méthode scientifique rigoureuse, aboutis sant à des lois immuables, commençait à s’imposer à la pensée grecque dans le domaine des sciences exactes Thucydide ne paraît guère avoir cherché là un modèle1. Mais l’exemple de la nouvelle médecine a certainement retenu son attention ; il est sûr que la médecine hippocratique, et même en partie son vocabulaire, nous le verrons plus loin2, a exercé une assez grande influence sur la pensée de Thucydide3. Quand Hippocrate faisait dépendre les progrès de la médecine de l’observation rigoureuse des malades, et du rapprochement de faits nombreux, pour essayer de découvrir les lois naturelles, dans le domaine de la biologie, n’ouvrait-il pas la voie à Thucydide ? D’autant plus que leur champ d’études est le même, celui « de l’autre monde, qui est l’homme », selon la belle expression de Rabelais4. Bien sûr il y a une différence : l’un étudie la physiologie, l’autre la psychologie; mais Hippocrate et Thucydide savaient déjà l’un et l’autre qu’il existe des rapports étroits entre les deux. Si Thucydide signale à plusieurs reprises, dans le livre VII, la maladie dont souffre Nicias, n’est-ce pas pour mieux expliquer, dans une certaine mesure, les insuffisances d’un chef qui avait sans doute toujours été hésitant, mais en qui la maladie avait aggravé des tendances naturelles ? Voilà qui justifie l’importance attachée à la peste d’Athènes5 Thucydide décrit longuement ce fléau, son apparition, ses manifes tations et ses conséquences, sans doute parce que la peste eut des répercussions graves et durables, non seulement pour les forces matérielles d’Athènes, mais aussi pour ce qu’on est convenu —

—,





(1) Cf. COCHRANE, Thucydides and ihe science of history. Oxford, University Press, 1929, p. 2; et C. MUGLER, Sur la méthode de Thucydide (Lettres d’Humanité. Les BellesLettres, X, 1951, P. 22). (2) Ressemblance rappelée par J. DE 1IOMILLY dans la Notice de l’édition Budé de Thucydide. Tome II, p. xxx (cf. article signalé, ibid. (p. xxx, n. 2) de D. L. PAGE, Glass. Q. III, 1953, p. 97/118. (3) Voir LAME, Clio Enthroned, Cambridge, 1914 (p. 99/101, 136/144). COCHRANE, op. cii. (en particulier, ch. 3). WEIDAUER, Thukydides und die Hippokratischen Schriften. Heidelberg, 1954, Passim et spécialement p. 32. (4) RABELAI5, Pontagruel, II, 8. (5) Livre II, ch. 48/54.

E

INTRODUCTION

7

d’appeler les forces morales; mais c’est également parce que, dans « ce souci d’enquête scientifique..., on... reconnaît le souci qui préside à toute la composition de son histoire »~. A ce propos, précisément, un problème se trouve souvent posé; jusqu’où, dans l’esprit de Thucydide, peut aller cette science historique ? Donne-t-elle la possibilité de prédire des enchaînements inéluctables, comme ceux, par exemple, que l’on observe dans les sciences physiques ? Pas exactement : un exposé de J. de Romilly2 nous offre à la fois un résumé et une mise au point de la question. L’utilité apparaît avant tout dans « le domaine de la seule connaissance »~ et l’historien fera oeuvre ulile (&p~cc) (I, 22, 4), dans la mesure où son récit permettra de voir clair (-rà accp~ç axo1tEZ~v) « dans les événements du passé » -c~Sv ~o~bov, et « dans ceux qui, à l’avenir, en vertu du caractère humain qui est le leur, présenteront des similitudes ou des analogies », xcd -r~Sv ~s~Sv-rù’~ ~to’rè oc5Or.ç XOCT& ‘r~ &vOpc~u’vov -uor.o&tx,w xoci pX~aLov ~aEaOc~ (ibid.) 4. Les mots xcc~r& &~Op~t~ov5 nous précisent que la prévision dans l’avenir, à partir des événements du passé, repose sur une étude de la psychologie de l’homme. Aussi Thucydide réserve-t-il une place importante dans son histoire à l’établissement des habitudes constantes auxquelles semble obéir la nature humaine. Voici quelques exemples de faits particuliers qui ne reçoivent leur sens véritable que par la remarque de valeur générale qui les accompagne. Archidamos (II, 11,6), pour forcer les Athéniens à combattre, veut ravager sous leurs yeux leur territoire : pourquoi ? eh bien ! lorsqu’on a directement les choses sous les yeux, b totç ~ (II, 11, 7), la colère vous saisit et vous ne réfléchissez plus ; donc les Athéniens doivent se comporter ainsi, eix~ç -roi3-t~o ~p&~c~ (II, 11, 8) et quitter leur camp retranché, s’exposant alors au plus grand péril. Dans l’Oraison Funèbre, -~

(1) J. DE ROMILLY, éd. Budé, T. II, p. xxxI. (2) J. DE ROMILLY, Histoire el Historiens dans l’antiquité. Fondation Hardt pour

l’étude de l’antiquité classique. Vandœuvres/Genève. Entretiens, t. IV, p. 42/66 (et discussion p. 67/82). P. 43, 2e alinéa. (3) ID., ibid., P. 42. (4) Nous verrons, è propos de axo~tEtv, la ressemblance étroite entre ce passage et celui (II, 48, 3) où Thucydide annonce et justifie la manière dont il va présenter son exposé sur la peste. La méthode de Thucydide s’apparente à celle de la médecine hippocratique. Cf. COCHRANE, op. cii., p. 15, e l’originalité de Thucydide est dans l’essai pour adapter les principes et méthodes de la médecine à l’étude de la Société et plus loin (p. 26), ~~de même que pour Hippocrate le but est la Séméiologie et la pro gnosis des maladies, de même l’histoire, pour Thucydide, est la Séméiologie et la Prognosis de la vie humaine e. (5) Qui font écho à l’expression &~Opa~reLo~ p$a~.ç signalée plus haut (voir p. 5).

8

INTRODUCTION

Périclès, traitant de la générosité athénienne (II, 40, 4), la rattache à une remarque de portée générale sur la reconnaissance, ~&p~.ç celui qui oblige est un ami plus sûr que celui qui est obligé. L’hosti lité à laquelle sont en butte les Athéniens, Périclès l’explique (II, 64, 5) par la loi suivante : « être détestés et odieux sur le moment a toujours été le lot de ceux qui ont prétendu à l’empire ». Dans les chapitres 82 et 83 du livre III, Thucydide, après avoir évoqué les horreurs de la lutte à Corcyre entre les deux partis rivaux, nous dresse un bilan pessimiste des transformations générales et inéluctables opérées dans le comportement humain, lorsqu’on passe de l’état de paix à celui d’une guerre implacable. Quand Thucydide raconte la défection d’Amphipolis, qui se livre à Brasidas, il explique cette attitude par l’attrait d’espérances inconsidérées, joint au charme de la nouveauté, et il conclut d’un ton désabusé : ~O6-~ç o~ &~0p~tor., « telle est l’habitude des humains » (IV, 108, 4). Lorsque Nicias s’oppose à l’expédition de Sicile, un de ses arguments porte sur le fait que les Siciliens redouteront beaucoup plus les Athéniens, s’ils n’ont pas l’occasion d’apprécier exactement leurs forces de près, et cela se complète par une formule : -r& ~&p && t?~LaTou ~c&wrsç ‘ma~s’~ Occu~6pzvcc (VI, 11, 4), dont le meilleur équivalent serait le « major e lon ginquo reverentia» de Tacite1. Ces exemples suffiront pour montrer la place importante que Thucydide réserve à ces réflexions générales, tirées de faits parti culiers et qui doivent servir de base pour établir une sorte de scienec historique. Il est le premier à tenter d’écrire une histoire, qui soit, en même temps que le récit exact des faits, une explication des événements, qui repose, non plus sur l’intervention de la divinité ou du hasard2, mais sur une étude du comportement des hommes.

Nous voyons ainsi l’importance que revêt l’étude du vocabulaire de l’analyse psychologique chez Thucydide ; en raison de l’attention (1) TACITE, Annales, 1, 47. (2) Car, dans la conception de Thucydide, la ‘nq~ n’influe pas sur les lois psycho logiques. Évidemment, au niveau des faits, Thucydide est bien obligé de constater que, parfois, le hasard peut jouer un certain rôle dans le déroulement des événements, — par exemple les fortes pluies qui par 3 fois favorisèrent Platée, II, 4, 2 et 5, 2; 11, 77, 6 ; HI, 22/23, — mais pour l’essentiel le hasard ne peut modifier le cours de l’histoire. Nicias attribue la défaite de Sicile en grande partie à la ‘c~5~ (VII, 77, 1/4) : l’exposé de Thucydide montre suffisamment qu’il n’y croit pas, le désastre athénien a des causes humaines. C’est pourquoi Thucydide est amené quelquefois à corriger les faits, dans l’abstrait bien sûr, en expliquant ce qui aurait dû logiquement se passer : le succès de Cléon à Sphactérie est illogique, car la promesse du démagogue était folle (IV, 39, 3): Cléon n’aurait pas dû réussir.

9

INTRODUCTION

extrême qu’il accorde dans son histoire aux sentiments profonds et essentiels des personnages peuples et individus puisque, selon lui, ils expliquent le déroulement des événements, en raison aussi de son « goût marqué... pour l’analyse en général è’ et de son désir de rendre l’histoire intelligible et de l’orienter vers la prévision, il est certain que ce vocabulaire aura un caractère particulier ; il nous aidera à découvrir quelle idée l’historien se fait, non des hommes en leur particulier, avec les traits curieux mais individuels de telle ou telle personnalité, mais des hommes dans leur vie publique et dans la mesure où ils représentent des tendances générales, et toujours valables, de l’humanité. —

—,

Avant de passer à l’étude détaillée du vocabulaire de l’analyse psychologique, il convient de se demander dès l’abord, d’une manière plus générale, ce que Thucydide trouvait à sa disposition comme moyen d’expression chez ses devanciers, ou ses contem porains, et comment il en a usé. La méthode de Thucydide est nouvelle, nous l’avons vu, il est le premier à avoir voulu réaliser une histoire scientifique, qui repose essentiellement sur une étude psychologique de l’homme ; ce « pionnier », cet « aventurier de la pensée »2 n’a-t-il pas eu aussi, dans une certaine mesure, à se créer, sinon une langue nouvelle, du moins un style original, à faire figure, là encore, de « pionnier » ‘? La présence ou l’absence dans son oeuvre de certains termes, leur fréquence relative par comparaison avec d’autres écrivains, les emprunts éventuels à la langue de la poésie, ou aux divers langages techniques, les accep tions particulières qu’il peut donner à certains mots, l’attitude qu’il observe à l’égard de la rhétorique, les procédés nouveaux qu’il a jugé nécessaire d’utiliser, tout cela pourra nous mettre à même de juger dans quelle mesure Thucydide se distingue des autres écrivains ; et les particularités de son style, de ce point de vue, nous fourniront déjà un moyen d’apprécier la valeur de son effort pour prêter à l’histoire un visage nouveau, comme il en exprime l’intention dans sa Préface, nous offriront un miroir fidèle des tendances profondes de son esprit, nous permettront de mieux discerner, avant d’en venir aux ramifications, les grandes lignes, les directions essentielles de sa pensée, en dessinant de façon générale sans doute, mais peut-être plus voyante, les traits originaux de son vocabulaire dans sa peinture de l’homme, —





(1) J. DE ROMILLY, Histoire et Raison, op. cil., page 280. (2) ADCOCK, Thucydides and his history. Cambridge 1963, Préface, VII.

10

INTRODUCTION

dont nous aurons à trouver ensuite la Confirmation et l’illustration, tout au long de l’étude. Il nous faut d’abord préciser un point: dans le récit proprement dit, même s’il y a emprunt de mots, ou de tours, à d’autres écrivains, le vocabulaire est évidemment choisi par Thucydide, ainsi que le sens exact des termes employés. Mais dans les discours ? l’expres sion est-elle de lui, ou de ceux qu’il fait parler ? La question est importante, car les discours sont certainement la partie maîtresse de l’oeuvre, pour l’étude du vocabulaire psychologique : leur étendue est assez grande par rapport à celle de l’histoire dans son ensemble, sauf dans les livres V, et surtout VIII, où ils se réduisent, du moins au style direct (car il y a plusieurs passages au style indirect), à quelques lignes (VIII, 53, fin) et surtout, leur rôle est d’exposer, de préparer ; ils répondent au désir, toujours présent à l’esprit de l’historien, d’analyser les sentiments et de les expliquer. L’auteur intervient rarement en son propre nom, assez longuement toutefois en III, 82/83 (à propos des troubles de Corcyre) et aussi dans le livre VIII, où nous ne lisons pas de véritable discours au style direct, mais où, par contre, les réflexions personnelles, sans être encore très abondantes, sont cependant plus nombreuses qu’ailleurs1. En fait, la réponse à cette question nous paraît s’imposer. Le style des discours est de Thucydide lui-même ; d’abord c’est un principe à peu près constant des historiens de l’antiquité de ne pas reproduire, même s’ils l’avaient pu, ce qui n’était pas le cas en général, les mots exacts des discours ; et, surtout, Thucydide —

—,

(I) Voir, par exemple, viii, 56, 3; 64, 5; 87, 4; 96, 4/5; 97, 2. Le probléme que pose l’absence de discours dans le livre VIII (pour le livre V la question est différente, car il y a tout de même le discours de Brasidas (y, 9), et surtout le dialogue Athéniens/ Méliens (V, 85/113), qui sous sa forme particulière est, au fond, une véritable « anti logie «) a beaucoup occupé les commentateurs de Thucydide, depuis cLAssEN (introd. du livre VIII, p. vn/x) qui d’ailleurs reprenait un débat que d’autres, avant lui, avaient déjà soulevé. A vrai dire, dans l’optique qui est ici la nôtre le vocabulaire de Thucydide dans les discours est-il, ou non, de lui ‘t l’intérêt d’une solution de ce problème n’apparalt guère, puisque précisément, dans le livre VIII, il n’y a pas de discours. Indiquons simplement les principales hypotbèses retenues Thucydide aurait pu, à ce point de son récit, renoncer volontairement aux discours; ou bien il n’existe pas de discours dans le livre VIII, parce que la nature des événements ne s’y prêtait pas (par ex. CLA55EN, op. cil.) ; d’autres, en particulier BOuTE, (Thucydide et la genèse de son oeuvre, B.E.A. 1912, p. 1/38), attribuent ce manque de discours dans le texte à une rédaction non définitive (p. 34/35); certains estiment qu’il faudrait distinguer, parmi les discours, entre ceux que l’historien avait personnellement entendus, et ceux qu’il tenait d’une tradition indirecte (GEUNDY, in Thucydides and 15e Historg of Sis Age. Blackwell Oxford, 1948, tente un essai de répartition entre les deux catégories, p. 20/21).

F.

INTRODUCTION

11

lui-même nous le confirme lorsqu’il écrit dans sa Préface cette déclaration sans ambiguïté : « en ce qui concerne les discours... il était bien difficile d’en reproduire la teneur même avec exacti tude », 6ccc À6y9 s!iccxv ~xcca-ror. xocÀsnàv d(v &xp(6v.cv ccô’r)~v -rèSv À~xO&v~ow &cqtv~.aovai5aact, et il ajoute qu’< il s’est tenu, pour la pensée générale, le plus près possible des paroles réellement prononcées », ~p~Léwp &rr. &~&roctcc -ri5ç ~u~nc&a~ç yv&p.v~ç ‘rêiv &X~~O&ç ÀsxO&wrcov (I, 22, 1) : l’historien ne saurait dire plus nettement que, s’il se refusait à trahir l’esprit des discours, il ne se croyait pas obligé d’en respecter la lettre, parce que c’était toujours difficile, et assez souvent impossible. Ce qui ne veut pas dire que le vocabulaire des discours soit entièrement de Thucydide ; il est assez vraisemblable que, dans les discours qu’il avait personnellement entendus, l’historien ait parfois inséré des expressions qui l’avaient particulièrement frappé sans doute est-ce le cas pour les discours prononcés par Périclès, plus particulièrement pour l’Oraison Funèbre’ et ces mots, empruntés aux orateurs eux-mêmes (quand c’était possible), seraient placés là pour donner aux discours un accent plus authentique. Mais alors, il est bien difficile de distinguer entre ce qui pourrait revenir à l’orateur lui-même et ce qui appartiendrait en propre à l’historien2 ; de toute façon, ces expressions ne forment, dans l’ensemble de l’oeuvre, qu’un total très peu considérable, et on peut dire, sans crainte d’erreur, que le vocabulaire des discours, dans sa presque totalité, n’appartient pas aux orateurs, mais à l’historien lui-même. Cela étant admis, un autre problème se pose : dans ses procédés de style, et, en particulier, dans l’emploi des mots eux-mêmes, ..

..



—,

(1) Ainsi, dans l’Oraison Funèbre, 4iuy~ avec le sens de dme courageuse (II, 40, 3) nous semble être un terme dont Périclès s’est effectivement servi (en effet Thucydide emploie très rarement ~luxij, et jamais dans le sens qu’impose ici le contexte). De même l’usage de Y~~lfl1 dans le discours des chefs péloponnésiens (II, 87, 3), repris par Phormion (II, 89, 6), avec la valeur de esprit courageux, résolution, serait moins propre à Tbucydide qu’à des chefs militaires. (2) Il est même possible, parfois, que l’historien se soit si bien substitué à l’orateur dont il rapportait les propos, qu’il lui ait attribué des termes, ou fait employer certains mots, avec des acceptions particuliéres, qui semblent, dans ce cas, ne pouvoir venir que de l’orateur en personne, sans que l’intéressé les ait effectivement prononcés. L’historien alors serait si bien entré dans l’esprit du personnage, qu’il aurait fait plus vrai que nature. Ainsi nous pensons que certaines expressions du discours de cléon dans le livre III (cf. eh. 37/40) assurément ne trahissent pas l’esprit du discours, tel qu’il fut prononcé par le personnage, mais nous présentent un portrait plus achevé du démagogue, et sans doute plus parfait, si l’on peut dire, que celui qu’offrit cléon dans la réalité de l’histoire. 2

12

INTRODUCTION

INTRODUCTION

Thucydide n’a-t-il pas été influencé par les habitudes de son temps ?‘ ou a-t-il créé un art personnel de la prose, pour répondre aux nécessités de sa méthode historique ? Si, au moment où Thucydide entreprend son histoire, la prose n’en est encore qu’à ses débuts, au contraire la poésie, par l’épopée et la tragédie a acquis un prestige suffisant pour faire sentir son influence sur tous les genres littéraires. Naturellement Thucydide se méfie de tout ce qui vient des poètes (I, 11, 3), parce qu’ils cherchent, comme les logographes, « l’agrément de l’auditeur plus que le vrai » (I, 21, 1); et le dédain exprimé par Périclès à l’égard d’Homère (II, 41, 4) ou du poète « qui ne charme que pour un temps » (cc&rLx& -r~p~, est d’ailleurs une fin d’hexa mètre : est-ce involontaire ? ou pastiche ironique ?) répond bien aux idées de Thucydide. Mais il ne suffit pas de condamner les poètes pour échapper forcément à leur influence, au moins littéraire: Platon en est témoin et Thucydide a bien pu, comme lui, con damner leur esprit et user de leur style. Nous n’avons à retenir ici, indépendamment des autres procédés2, que l’usage éventuel des termes poétiques, susceptible d’influencer assez directement le vocabulaire psychologique ; un terme poétique peut mettre en valeur, personnifier, parce qu’il est entouré d’une « aura » particulière ; mais comme il est destiné à agir plutôt sur la sensibilité du lecteur que sur son esprit, il ne permet pas toujours d’exprimer les idées avec la rigueur que recherche avant tout Thucydide ; aussi notre moisson, dans ce domaine, sera assez maigre. Bien sûr, un passage comme celui où les Corinthiens évoquent avec envie l’activité débordante des Athéniens, prend par moments un ton presque lyrique, que ne dépare pas l’emploi du mot poétique c~w~ au lieu du prosaïque xp6vo~ (I, 70, 8). Pour nous borner aux termes spécifiquement psychologiques4, relevons &O? oç-xc-~~p ç-&y&X aOcu-~ oç-~t(auvoç-ic6Ooç C’est à peu près tout, et c’est très peu. —

—,





~.

(1) Voir LAMB, Clio Enthroned (par ex. Préface V et IX). (2) Ainsi Thucydide use assez fréquemment de l’allitération, plutôt réservée à la poésie (p. ex. III, 37, 3 IV, 62, 7 ; 99, 2, etc.). (3) Seul exemple de ce terme chez Thucydide. (4) Indépendamment de termes qui ne s’y rattachent qu’indirectement, comme &)~x~, oi~oyii, at6~oç, &~uo~oa~uet~, ~oXOEZv, Tpô7~~v, tir~pzt~. (5) Pour ces termes, et pour tous ceux qui apparaîtront à partir de maintenant, et jusqu’à la fin du chapitre, nous renvoyons une fois pour toutes à l’Index; on y trouvera la référence des passages où ils sont spécialement étudiés.

13

Plus qu’à la langue poétique, Thucydide a eu recours, en ce qui concerne le vocabulaire psychologique, à d’autres langages tech niques et d’abord à celui de la médecine. Nous avions déjà noté’ que la méthode de la nouvelle médecine hippocratique a certaine ment influencé Thucydide et renforcé une tendance naturelle de son esprit à s’écarter du récit historique à la manière d’Hérodote il est tout à fait normal par conséquent de lui voir faire des emprunts au vocabulaire médical. Weidauer, dans son étude sur les rapports entre Thucydide et les écrits hippocratiques 2, suggère que cet intérêt de l’historien pour la médecine, déjà éveillé auparavant, aurait pu se développer lors de la peste d’Athènes et se renforcer par des contacts ultérieurs (après l’exil de l’écrivain) avec le ou les médecins qui eurent à s’occuper des épidémies qui ravagèrent l’île de Thasos, située en face de Skapté Hylé, sur le continent, séjour principal de Thucydide jusqu’à la fin de la guerre3. Quoi qu’il en soit de leur origine, toujours est-il que les rapports de Thucydide avec la science médicale de son temps apparaissent aussi dans le vocabulaire~. Des termes comme ~tp6poca~ç ou que l’ouvrage de Weidauer met particulièrement en relief, n’appar tiennent qu’indirectement au vocabulaire psychologiques. Mais des mots comme &ppeoa-r(c~ et xccxo~tpocy(cc semblent bien venir du langage (1) Voir ci-dessus, p. 6/7. (2) K. WEIDAUER, Thukydides und die Hippokratischen Schriften (Der Einfluss der Medizin au~’ Zielsetzung und Darstellungsweise des Geschiclztswerks) Heidelberg, 1954. (3) In., ibid., p. 74/75. (4) Naturellement, nous ne signalons pas les nombreux termes médicaux que l’on peut relever dans le récit de la peste. Ils attestent le souci de rigueur de Thucydide dans l’emploi du vocabulaire technique, mais ne se rattachent pas à la psychologie. Cf. PAGE, Class. Q. III, 1953, p. 97/118. (5) Tels sont encore &~&?~q~ç, mot de l’école hippocratique, employé avec le sens de cc réparation d’une faute e (V, 65, 2); &a.uc~a~ç, « séparation e, pour les médecins, devient « désaccord cc, cc querelle » chez Thucydide (VI, 18, 6); ôxou),oç « qui suppure en dessous,> caractérise, en VIII, 64,5, l’autonomie ‘fallacieuse e offerte par les oligarques Athéniens aux cités en révolte; x& ~)o>.ç a des valeurs plus variées : il garde le sens médical en VII, 82, 1 et 4, 6. Le sens est plus général en III, 82, 1, ~r~5 ~u~v &v~rlov XŒXL~oD., cc pour faire du tort aux adversaires cc. Pour le 4e exemple du mot chez Thucydide (II, 43, 6), les éditeurs adoptent en général une valeur morale : BÉTANT (Lexique) le rend par ignominia, CLASSEN par Erniedrigung (abaissement, humiliation), J. DE ROMILLY (éd. Budé) adopte une traduction plus nuancée: cimoindrissement. Par contre, dans Mnémosgne, 1962, IV, XV, fasc. 4 (p. 369/376), REES veut rester fidèle au sens médical du terme « maladie e, comme d’ailleurs pour les autres exemples du mot chez l’écrivain. Notons encore Àcop&v, employé dans la description de la peste (II, 49, 4) pour signifier, au sens médical du terme, Patténuation des symptômes de la maladie, et que Thucydide utilise, avec une valeur plus abstraite connaître un répit, en VI, 12, 1 et VII, 77, 3.

14

INTRODUCTION

INTRODUCTION

médical ou encore ~pox&~v~i. Des termes aussi importants que ~tpo~évocr. ou ~poyyvc~x~v pour l’analyse psychologique chez l’historien paraissent empruntés par lui au vocabulaire médical’. Et si axo7t~t~ était peut-être à l’origine d’emploi plus général, nous verrons, en l’étudiant, que la valeur éminente que lui confère l’historien, dans le domaine de la connaissance, sort très certaine ment du sens technique, tout à fait particulier, que les médecins lui avaient attribué2. Les emprunts au vocabulaire de la médecine sont peut-être les plus caractéristiques ; mais ils n’excluent pas le recours à d’autres langages techniques, par exemple celui de la justice et des tribunaux : des termes comme ~ employés jusqu’alors avec un sens technique restreint, par exemple dans Antiphon prennent une valeur abstraite ; il est même intéressant de constater que Thucydide, ici, est au début d’une évolution, qui ne fera que se développer par la suite, chez Platon, et encore plus chez Aristote : ainsi pour les termes de la famille de zp(vsr~v. Signalons encore ~ et & v(a’rcoç (I, 20, 1), dont le sens propre est : non soumis à la torture et que Thucydide emploie pour blâmer ceux qui acceptent les faits « sans examen rigoureux é ; -r~ç, du sens d’enquête judiciaire, peut passer (I, 20, 3) à celui d’enquête pour découvrir la vérité. Une autre tendance de Thucydide consiste à étendre le sens de certains mots, jusqu’alors employés avec une signification purement concrète, ou, si elle est abstraite, encore élémentaire, en leur attribuant une valeur intellectuelle ; bpy&v, chez Hérodote, indique le nlûrissemenl des récoltes ; chez Thucydide, il suggère celui des passions. ‘Op&v (et plusieurs composés) dépassent souvent leur sens primitif et banal de voir (de ses yeux). ~xo~t~tv, qui veut dire au propre examiner, observer, prend chez l’historien une valeur pleinement intellectuelle, dans des expressions comme -rb aocpèç axoicetv. A~aO&~aOcc~, parfois, acquiert chez lui un sens qui va bien au-delà de la simple sensation, puisque o~ aOxv6p.~vo~. arrive à signifier les gens intelligents; on verra avec une valeur analogue un emploi de o~. ~6-r~ç. Eôp(axs~.v, a une portée bien différente chez Hérodote et chez Thucydide. Un verbe comme —

~,

(1) Cf. J. DE BOMILLY, éd. Budé, t. II, p. 30. (2) Cf. encore xaxo~upo7tLE. Le verbe zŒxo~rpo~stv, chez Hippocrate, définit l’évo lution maligne d’une tumeur; chez l’historien, le substantif signifie tendance à la malignité (morale), à la perversité. Cf. aussi J. DE F{OMILLY, Thucydide el l’idée de progrès. Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa. Série ii, vol. xxxv, 1966. Fasc. III, IV. [P. 143/191] — p. 165/166.

1~

?~oy(~aOc~, garde chez Hérodote le sens de compter, plutôt que celui de calculer, au sens de calculs intellectuels ; chez Thucydide, c’est l’inverse, et il est sans doute le premier à employer ?~Oy~Œ~.LbÇ, dont on sait la fortune par la suite. Ici encore, Thucydide est au début d’un mouvement qui ne fera que s’amplifier, et nous aurons l’occasion, au cours de l’étude, d’en citer de nombreux exemples. Ces emprunts de Thucydide à divers termes du vocabulaire technique et l’emploi de mots dont il étend et modifie le sens, pour qu’ils puissent servir à l’analyse psychologique, ne sont certes pas négligeables, mais au total ils définissent moins l’originalité du style de Thucydide, que divers autres procédés, où se révèle l’influence profonde des rhéteurs et des sophistes (Protagoras, Prodicos, Hippias, Gorgias), soit que l’historien les leur ait empruntés, soit et c’est le cas le plus fréquent qu’il les ait marqués de son empreinte personnelle. A vrai dire il serait étonnant que Thucydide eût pu, seul, échapper à l’action de ce que Lamb appelait l’invasion rhétorique’, qui a influencé tous les écrivains grecs, même ceux qui la combattaient, et a maintenu sa tyrannique domination assez longtemps pour que Platon s’en fasse encore le témoin, quelque peu agacé, dans le préambule du Protagoras~. Ce serait d’autant plus surprenant que ce mouvement affirmait, en somme, la prééminence de l’esprit, de la ~ et que cela correspondait assurément à la conviction la plus ferme de Thucydide. Si l’influence de la rhétorique est sensible dans de nombreux passages de Thucydide, on peut croire que l’historien aurait volontiers souscrit, mais indépendamment du point de vue moral, qui est l’essentiel pour Platon à l’opinion du philosophe dans le Gorgias, d’après laquelle la rhétorique est bonne ou mau vaise, suivant l’usage que l’on en fait3 ; en réalité, il s’est bien gardé de se priver des ressources qu’elle offrait, mais il en a usé avec modération et quand elle pouvait servir ses desseins : il n’oublie jamais, même dans les discours, qu’il est un historien, non un orateur. Naturellement, nous avons ici à examiner les conséquences de l’emploi des procédés venus de la rhétorique, seulement dans la mesure où ils ont pu influencer, non le style de l’historien dans son ensemble, mais celui du vocabulaire de l’analyse psychologique. Ainsi un procédé comme celui de I’antilogie, si fréquent chez —



—,



—,

(1) Titre du ch. 5 de son ouvrage Clio enthroned, op. cil., p. 117 sqq. (2) PLATON, Protegoras 309/312 a, et plus loin 314 c/316 a. (3) PLATON, Gorgias, 456 c/457 c.

16

INTRODUCTION

INTRODUCTION

Thucydide. est emprunté à la rhétorique’; il n’influence pas directement le choix du vocabulaire2. Nous pourrions nous demander si ce n’est pas, au contraire, le cas d’autres procédés, usuels chez notre historien, comme la paréchèse, la paronomase, les homéotéleutes, les o~6o~px-rŒ8, car ils sont susceptibles de donner lieu à des jeux verbaux, artificiels ou gratuits ; ils peuvent sans doute avoir déterminé le choix de certains mots, plutôt que d’autres et comment nous est-il possible d’en juger ? ils ne nous intéressent pourtant que s’ils ont amené l’auteur à donner alors visiblement, à un terme, une valeur particulière pour permettre précisément le jeu verbal : or, il est tout à fait contraire à l’esprit de Thucydide de sacrifier, à l’harmonie de la phrase et au cliquetis des sons, la rigueur de la pensée ; aussi de tels exemples sont-ils vraiment très rares : pour le vocabulaire de l’analyse psychologique, nous ne voyons guère que l’exemple du couple &~uv~T &pou-xccxo~tmTcoT&pou, en VI, 76, 4, où le rappro chement des deux termes nous semble avoir imposé à auv~’r6~ un sens spécial4. Ce que Thucydide peut aussi avoir emprunté à la rhétorique, mais développé de façon personnelle, ce sont les reprises de mots, doublées souvent d’opposition, pour mieux faire ressortir les diverses nuances de certains termes. Ainsi lorsqu’Alcibiade donne aux Spartiates, pour la conduite de la guerre, des conseils qui ne peuvent se réaliser sans le malheur d’Athènes, il prévoit qu’on lui reprochera, même à Sparte, son manque de patriotisme et il répond d’avance à l’objection (VI, 92, 2/4) : puisque sa ville l’a chassé, et naturellement, dit-il, avec injustice —, il prouvera véritablement son amour pour sa patrie, t~ p~6’~to?~, en venant y rétablir la justice bafouée ; or le mot — rarement employé —, se trouve déjà au livre II,

dans la bouche de Périclès, pour définir le patriote (II, 60, ~) il y a donc artifice rhétorique, dans la présentation du discours d’Alcibiade’, puisque le même terme désigne deux choses si diffé rentes et même opposées : mais le procédé éclaire d’une manière brutale la psychologie du personnage, et son monstrueux égoïsme, dont on ne sait plus s’il faut l’attribuer à son inconscience ou à son cynisme2. D’autre part, dans un passage comme II, 40, 4, des reprises de mots, x&p~.ç-&p~t~, des oppositions, ~ ~p?~oc, paraissent aboutir à une pensée quelque peu recherchée, et frisant le paradoxe : celui qui oblige est un ami plus sûr que celui qui est obligé ; cependant si l’on veut y regarder de plus près, on s’apercevra que l’analyse de Thucydide, sous son allure un peu inhabituelle, nous force à réexaminer la question de savoir ce qu’est exactement le sentiment de reconnaissance, en aban donnant une opinion peut-être un peu trop facilement acceptée —, et que, de plus, elle met en relief le caractère original de la générosité athénienne, du moins telle que la définit Périclès. En V, 111, 3, dans le dialogue entre Athéniens et Méliens, on rencontre d’abord cda~poZç avec le sens de honteux, puis ~y~ô~n~v avec celui de point d’honneur; reparaît alors le mot cda~p6’~i avec le sens de aX&v~y~, puis un second ~ cette fois avec le sens de cda~poî~ (du début) et renforcé par le comparatif cd~(o cette sorte d’alternance de vocables, qui échangent leurs valeurs, comme, dans un ballet bien réglé, les danseurs échangent leur place, semble davantage le fait d’un virtuose du langage que d’un esprit rigoureux ; mais ne nous y trompons pas : en fait cette confusion entre les termes n’est qu’un moyen habile de rendre de façon frappante la confusion dans les pensées, et l’idée diamétralement opposée que peuvent se faire de l’ccirxp6v et de l’c~axôv~ les Athéniens et les Méliens3. Un autre moyen, repris par la rhétorique, mais, en réalité, antérieur à elle —, c’est l’alliance de mots qui, par le rapprochement de termes habituellement séparés, permet d’exprimer une pensée de manière plus vigoureuse et plus originale et nous présente les termes sous un jour nouveau par un éclairage différent. En







(1) Cf. Les Tétralogies d’ANTIPHON. Et nous n’avons pas à examiner, ici non plus, de quelle manière Thucydide a su adapter ce procédé, au premier abord un peu factice, aux réalités du sujet historique. (2) Cependant l’antilogie peut avoir un effet indirect; quand on reprend les mots de l’adversaire dans une intention polémique, on leur attribue souvent une valeur différente : ainsi pour ce~n-~p6v et c~icqp~n~ dans le dialogue Athéniens-Méliens. (3) Exemples de paréchèse &itccp&axeuo~.—&~te~poL (I, 99, 3), de paronomase Occroç Oe&~roç (Il, 39, 1), d’homéotèleutes, ~Œ6accv-&aapp6~n~acv (VIII, 24, 4) &~Laa~v-&x~ic~ox,. (HI, 82, 4), ~o mç-&zcamç (I, 141, 1). Quant aux ou1c~pwrcc, qui forment le pendant des homéotéleutes, la fréquence de l’emploi des préfixes en grec, et particulièrement chez Thucydide, les rend forcément nombreux, mais pas toujours caractéristiques. Citons seulement le ~& .~u&vTCoçv&~E0pi~ de VII, 87, 6, qui a pour but de souligner le dramatique désastre des Athéniens en Sicile. (4) Voir à l’index, aove-u6ç.

17

(1) Que le terme soit d’Alcibiade lui-même, ou de Thucydide. (2) Cela fait inévitablement penser à Phidippide, qui, après avoir été à l’école du sophiste Socrate, démontre lumineusement à son père que, s’il le bat, c’est pour son bien, par véritable amour filial (ARISTOPHANE, Nuées, 1408 sqq.). (3) Naturellement, tous les mots qui viennent d’être cités, ne le sont qu’à titre d’exemples; ils seront étudiés avec plus de précision au cours de l’ouvrage: nous nous contentons de signaler ici le procédé.

18

INTRODUCTION

INTRODUCTION

voici quelques exemples: en II, 11, 5, dans les expressions : et 4yq ~6Tocç, où d’ailleurs les alliances de mots se complètent par une double opposition, il semble, au premier examen, que OccpaccÀ~ou~ irait mieux avec ~pyq, et ~r.~L6Tcc~ avec ~ ; mais ce double transfert d’épithètes met beaucoup mieux en relief chez Archidamos l’union des « deux notions d’audace et de lucidité «1• Quand Thucydide définit l’état d’esprit des Athéniens, au moment où ils ont exilé les stratèges suspectés de s’être laissé acheter, pour évacuer la Sicile, soi-disant à leur portée (IV, 65, 4), voulant montrer sur quelle vaine base repose cette prétendue puissance athénienne en Sicile, il emploie l’expression ~a~ô’~ ‘~i~ç &À~t(~oç, la force de l’espoir: la liaison, un peu ironique, de deux mots qui ne vont pas ensemble, souligne mieux le caractère de fragilité de l’espoir. Remarquons encore, dans un discours de Brasidas (V, 9, 5), le rapprochement entre x~cc-ro~ et ~6~ccv, pour parler d’un glorieux stratagème : cela met mieux en relief la valeur toute relative que peut prendre un terme comme ~6~cc qui semble cependant impliquer un éloge sans réserve. Pour combattre la complaisance des Syracusains à l’égard d’Hermocrate, Athénagoras (VI, 40, 2) leur reproche leur esclavage volonlaire OŒpo~Ù~&ouç

Occ(p~’ro~ ~ou?~(cc’~2

Un autre procédé, voisin du précédent, et qui comme lui d’ailleurs n’appartient pas exclusivement à la rhétorique est assez souvent employé par Thucydide ; il s’agit du jeu de mols servant à exprimer l’ironie de l’historien, cette ironie qui lui permet, tout en semblant rester impartial, de faire connaître son sentiment d’une façon qui pique l’attention. Dans leur compa raison entre Athéniens et Spartiates, les Corinthiens (I, 69, 4) accusent ces derniers de repousser l’ennemi par des intentions (et non par la force!) ‘t~ ~ ~ C’est une manière de souligner le caractère hésitant des Lacédémoniens, qui n’en viennent jamais à l’action, au dire des Corinthiens. Le même trait de caractère est suggéré par Sthénélaïdas lorsque, en I, 86, 2 —

—‘

(1) Expression de J. DE ROreILLv, éd. Budé, t. II. Notes complémentaires, p. 99 (à propos d’ailleurs d’un autre passage, H, 62, 4). (2) Cf. &cpcÙ~iSç ~ou~èz~v, une Iran quille servitude (II, 63, 3); les expressions soulignent mieux comment l’amour de la tranquillité peut pousser lâchement à renoncer à la liberté, à laquelle les hommes affirment, pourtant tenir par dessus tout. Le Lacédémonien Astyochos, se rendant à Méthymne, qui s’est soulevée contre Athènes (VIII, 23, 4), espère que les habitants « resteront fidèles à leur défection «, ~ &~toot&ce~.. Quelle logique d’espérer la fidélité de gens qui viennent de prouver qu’ils ne possèdent guère ce sentiment Ou qu’entend-il au juste par fidélité î

19

(non sans subtilité, pour un Spartiate), il oppose ironiquement ~ dans le sens de tarder, hésiter, à ~ooar. avec le sens de devoir, avoir l’intention de, quand il reproche à ses compatriotes d’hésiter à venger les torts faits aux alliés et qui n’appartiennent plus, eux, au domaine des intentions. L’expression ‘t-~ &‘r~.~v &yy~p&o~aOccL, « une science qui vieillira é, est une manière élégam ment ironique pour Alcibiade (VI, 18, 6) de suggérer que, si la cité suit des guides vieillis comme Nicias, elle appartiendra bientôt, comme eux, au passé. Et quand les Athéniens conseillent aux Lacédémoniens de bien réfléchir, avant d’en venir aux hostilités (I, 78, 1), ils parodient la formule proverbiale : Hâle-toi lentement, ts~e f3pcc~&~ç, en remplaçant a~s~v par f3ou~saOcc~. Le rappro chement inattendu des deux mots doit prouver la nécessité d’une lente et longue délibération et l’ironie est renforcée par le jeu de mols avec oô ~ f3pccx&ow. L’ironie est plus sinistre, quand les Platéens, à bout de forces, sont invités hypocritement par les Lacédémoniens (III, 52, 2) à se rendre volontairement, h6v’t~w npoaxop&wo’v: songeons au sens habituel de ~tpoaxopz~v, s’allier à, et à la manière dont les Lacédémoniens vont traiter ces alliés volontaires: quel magnifique exemple de l’hypocrisie lacédémo nienne, passée chez eux au rang d’institution! L’ironie se fait terriblement amère et traduit, mieux peut-être que par des termes de vertueuse indignation, le dégoût qu’inspire à Thucydide le spectacle des horreurs causées par la guerre, lorsqu’il crée ce verbe &pu~p(~zr.v1 exprimant de manière si frappante l’état d’esprit des cités qui se reprochent d’être en retard dans cette course à la turpitude, et, prises d’une belle émulation, se lancent à la poursuite des autres, pour les rattraper et les dépasser (III, 82, 3)2. Parmi les procédés empruntés par Thucydide à la rhétorique, il convient de faire une place à part à la distinction des synonymes, imitée de Prodicos et dont l’historien fait un si fréquent usage3. Bien sûr, il se garde des subtilités, sentant quelque peu l’artifice, attribuées à Prodicos par un passage du Prolagoras4. Mais, comme (1) Création qui semble choquer DENY5 D’HALICARNASSE (Jug. sur Thuc., ch. 29, éd. Teubner, t. V, p. 374). (2) Faut-il parler de la litote ‘I Mais c’est un procédé si habituel en grec, et dans toutes les langues I Elle est fréquente chez Thucydide, heureuse d’ailleurs, quand une double négation met mieux en relief une affirmation, ainsi celle de l’intelligence de Phrynichos par : o~x &~vztoç en VIII, 27, 5, ou du jugement de Théramène par o~S~rE ~‘viSvm & ~vcc’roç en VIII, 68, 4. (3) Cf. MARCELLINOS (Vie de Thucydide, eh. 36) : ~oae... xcà llpo~Lxou ~ Kzlou ‘r~’s &xt ‘rotç 6~6~,cccaLv &zp~.6oÀoylcn~ (4) PLATON, Protagoras, 337, a/e.

20

INTRODUCTION

INTRODUCTION

d’habitude, il faut se méfier ici des porirails-charge de Platon et tirer de l’éloge dithyrambique, manifestement teinté d’ironie de ce même Prodicos par Socrate un peu plus loinl, au moins la preuve de l’influence littéraire exercée par le personnage. Et si nous considérons que Thucydide vise avant tout à la rigueur de l’analyse, nous ne nous étonnerons pas de le voir emprunter ~i Prodicos ce procédé, source de précision dans le langage. Notons, par exemple, la distinction établie en I, 69, 6, entre le reproche (o~r(c~), adressé aux amis, et l’accusation (xoc’~yopLcc), lancée contre les ennemis ; nous aurons à voir les distinctions établies entre des termes dont l’importance est, pour la plupart, considérable dans le vocabulaire de l’historien citons entre autres po~taOc~ p6&ç et ~v-~oç ; ~ppco~Lcc et po6~ZaOx~. ; x~~v et t~py( ~aOocr. ; p vsaOcu. et ~oxEt~ ; ~a~ç et ~ ; od-r(cc et ~rp6pcco~ç, &v~pr.(oc et E~q)u~(~ ; &O&?~cr~v et ~o?~raOcc~2. Cette distinction des synonymes est empruntée à Prodicos, mais d’autres procédés que nous allons voir maintenant, et qui traduisent d’ailleurs le même souci de rigueur et de précision, sont plus particuliers à Thucydide et contribuent en grande partie à créer le caractère original de son vocabulaire.

Ainsi l’historien vise à la valeur exacte des termes, souvent employés ailleurs l’un pour l’autre, alors que leur sens n’est pas le même. Par exemple, il ne confond pas OEO~-6pi~v-axoit~t~&vccaxo7c~tv~-, ou ociaO&~aOacr. et ~tuvO&~’saOccr., ni &y~o~cc et &ywoa(cc. Il n’emploie pas indifféremment les divers termes qui indiquent la pensée : o~aO~-~ox ~ ~v-~ Z~O~-yr~yw~axnv. Il s’applique à bien marquer, par exemple, les nuances que peut suggérer l’emploi de l’actif et du moyen (~3ou~v et ~ ~tpoop&v et ~tpoop&aOocr~, axo7c€Z’~ et axo~tataOccr.) et ces nuances peuvent être quelquefois très grandes : ainsi Thucydide paraît être le premier à user de 7t~pr~op&aOcu., dont le sens regarder avec attention est bien différent de celui de l’actif ~t~prop&~, regarder avec indifférence2, et ne se justifie que par référence à la nuance d’intérêt personnel, que doit normalement suggérer le moyen, par opposition à l’actif Parmi les moyens utilisés par Thucydide pour donner plus de rigueur à son vocabulaire, il faut réserver une place de choix à l’emploi très fréquent des noms d’actions avec le suffixe -~ç, toujours intéressants et surtout quand ils sont opposés aux termes avec suffixe en -~c4. Or, si le procédé ne date pas de Thucydide, il l’a considérablement développé, à tel point qu’on a pu y voir une des caractéristiques de son style5 ; parmi les termes de valeur psychologique, dont beaucoup peuvent être considérés comme des créations6 de Thucydide, citons ~oar~ç, les composés &wr~

(1) In., ibid., 341 a. (2) En II, 18, 3, les lenteurs de la marche d’Archidamos, lors de la ire invasion de l’Attique, sont évoquées par des mots, en apparence synonymes, mais de sens nuancé : &n~iov1~ signifie un séjour lrop prolongé en un lieu et ê~~La~aLç un arrêt trop prolongé; voir aussi la différence entre xpo~vat~ et &p~e~ (VIII, 52, 1), entre o~x ê a-çcxa6oc,. et ~&X)~v (II, 61, 2) etc. J. Bbs, dans un important ouvrage, Die Metabole (variatio) ais Stilprinzip des Thukydides (Sehôningh Paderborn 1938), a voulu voir dans la uariatio un procédé essentiel de Thucydide, et il a énuméré tous les exemples qui, dans tous les aspects de la langue et du style, en relèvent, la défi nissant ainsi la uariatio est la tendance d’un auteur à éviter l’emploi du même mot, de la même expression, du même tour de phrase, et de la même construction tout près l’un de l’autre (p. 70) »; il remarque qu’en principe le style d’aujourd’hui évite le contact rapproché des mots semblables, mais qu’au temps de Thucydide il n’en était pas encore ainsi et que ce fut justement une tendance de la sophistique et de Thucydide d’user de la uariatio pour donner plus d’agrément au style (p. 96/97). Sans doute, Ros reconnaît que dans certains cas la différence de mots doit exprimer la distinction de synonymes (il cite, par exemple, n. 5, p. 97, SCiTIa et xcc~r~yopice de I, 69, 6), mais il a trop tendance à expliquer par le goût de la uariatio ce qui nous semble relever de la distinction des synonymes. Ainsi pour lui sont exemples de uariatio l’emploi de to?~é~noç à côté de &xøp6ç (p. 101), de c~i&~ç à côté de cda~è~ (p. 103); ci4uxicc et &~p~lcc n’expriment pas des notions différentes (p. 103), pas plus que ~ et aôv~ar.ç (p. 104), ou ~xvo~ et ~ (p. 105), ou )3oÀ~a9ou. et ê0&X~ (p. 113) (voir p. 99-130). Or nous pensons pouvoir prouver, dans le cours de notre étude, qu’il ne s’agit pas de uariatio, mais de distinction des synonymes. Car ce que recherche Thucydide, ce n’est pas l’agrément du style, mais la rigueur.

21

~.

(1) Où J. Fios voyait encore des exemples de uariatio (op. cii., p. 120). Un chapitre comme III, 82, où Thucydide analyse la transformation des esprits pendant la guerre, nous offrira l’occasion renouvelée de vérifier le souci qu’a l’historien de distinguer, par l’emploi de termes différents, les nuances subtiles de sa pensée. (2) Une fois de plus, nous renvoyons à l’Index pour l’indication des passages où ces termes sont étudiés avec plus de précision ; nous ne les signalons ici qu’à titre d’exemples. (3) Cf. encore ~rpovoet~-itpovoetaOcn, etc. De même Thucydide peut tenir compte de la valeur d’aspect des temps grecs pour introduire des nuances : avosla0cu— ~ n’ont pas exactement le même sens. Une construction inhabituelle (ainsi vo~lCELv avec ~ + infinitif, y vc~Scsxsxv ou ôp&v avec proposition infinitive) répond au désir d’infléchir la valeur courante du terme. (4) Cf. pour la formation des noms en -mç et leur fréquence en grec P. CHANTRAINE La formation des noms en grec ancien. Paris, Champion 1933, p. 276/286, et pour la dis tinction avec les termes en -~cc, p. 286/288. (5) Cf. CROISET, Histoire de la guerre du Péloponnêse, Livres I, H, Paris, 1886, notice, p. 110/111. (6) Manière commode de parler, mais qui demanderait à être corrigée : notre affirmation en effet se borne aux auteurs qui nous sont parvenus; il est donc plus exact de dire termes non attestés (pour nous) avant Thucydide. A propos de tous les termes en m.ç qui apparaltront au cours de l’étude, nous nous efforcerons, chaque fois, d’indiquer s’ils sont — ou non attestés avant Thucydide.

22

23

INTRODUCTION

INTRODUCTION

; c~E~r.ç ; ~ ~ç-&v~4~a~ç; ~cpo u~ç; irpo~xp66~ç; &rc6~cv~ç; ~ ~nç ; ivO ~ ; ~6~.ua~ç ; etc.2

-o~ç avec des mots terminés par d’autres suffixes. Ainsi i~6pupar.ç et ~opup~6ç, y’~êSa,.ç et yvd~, ~6xv~ar.ç et ~6~oc : dans les deux derniers cas, la nuance qui sépare les deux termes est importante1. Dans sa recherche de la précision et de la rigueur pour le voca bulaire en général et celui de l’analyse psychologique en particulier, Thucydide utilise encore d’autres procédés de style. Nous ne nous étonnerons pas de le voir, avec sa tendance habituelle à l’abstrac tion, faire un usage fréquent de l’adjectif ou du participe substantivés ; à vrai dire, ce n’est pas une création de Thucydide et cela correspond au génie même de la langue grecque : mais, ce qui est frappant, c’est l’emploi pour ainsi dire systématique qu’en fait l’historien et tellement exagéré aux yeux de Denys d’Halicarnasse qu’il se livre à une vive critique de Thucydide à ce propos et se permet de le corriger, pour le rendre, dit-il, « plus clair et plus correct «2. il faut avouer d’ailleurs que Denys d’Halicarnasse n’a pas toujours absolument tort, et que, parfois, selon la formule de Lamb, Thucydide « a mis en danger la clarté »~ ; il convient pourtant de souligner que l’expression, par son caractère inhabituel, a le mérite d’arrêter notre attention ; et l’effort visible de l’auteur pour (otuv ..&y(yvs-ro), pour qu’un observateur —





—,

(1) Voir encore oxéfecoOs (III, 46, 2 ; 58, 5, etc.). (2) Cf. encore VI, 36, 3 80, 5. (3) Zxoiret~, mais pas axoiustaøcu. (Cf. p. 184, note 5), parce que le moyen introduirait une idée d’intérêt personnel, tout à fait étrangère à la conception que se fait Thucydide de l’attitude objective que doit garder l’historien ; et ce n’est peut-être pas un hasard, si on ne rencontre ici que l’actif, et même pas le moyen ax&4axaøac, substitut pourtant normal de axoicstv, aux temps autres que le présent (cf. p. 183, note 1) ce serait une preuve de plus — nous en avons déjà vu plusieurs exemples — de la rigueur de l’historien, pour distinguer les emplois de l’actif, de ceux du moyen.

188

INFORMATION

LA CONNAISSANCE

dans l’avenir, éventuellement, puisse la « reconnaître grâce à un savoir préalable » (&p’ crxo7t&~ ..&v ~y~or. t~. ~po~~ç ~ &yvo~) ; mais, pour qu’un observateur futur ait des chances de reconnaître la maladie, il est nécessaire que l’écrivain ait été en mesure de se livrer à des observations rigoureuses : tel était le cas, puisque la fin de la phrase nous l’apprend Thucydide fut lui-même malade et témoin oculaire (cv~ (&inpocvsa-r&-row a-~wsLow), à celle des poètes et logographes, plus facile et plus agréable pour l’auditeur, mais bien moins sûre. Enfin, nous lisons encore le verbe en I, 22, 3, &iciir6woç 8~ ~ôpLaxeto ; l’adverbe met en relief les difficultés d’une recherche sérieuse ; et les causes multiples en sont énumérées dans les lignes qui précèdent et qui suivent. Hérodote et Thucydide peuvent donc bien employer un même mot s’3pLaxsw et avec des acceptions au premier abord équivalentes, il n’en reste pas moins que ce terme identique recouvre des réalités très différentes ; les deux écrivains désirent arriver à la découverte de la vérité ; mais Hérodote ne pousse pas très loin son esprit de recherche, accepte volontiers les « on-dit ê, sans se préoccuper de les soumettre à un examen véritablement critique, et se contente facilement de simples conjectures ; Thucydide, lui, se livre à une véritable enquête : en accumulant témoignages et preuves1, au prix d’efforts pénibles, il parvient, sinon toujours à la vérité absolue, du moins à une découverte, qui lui paraît suffisamment établie (&rco~pdv-roç, I, 21, 1) formule apparemment modeste et prudente ; elle n’en traduit pas moins la confiance en l’esprit humain, puisqu’il peut arriver quand même à quelque certitude, malgré les obstacles2 de tout ordre, qui se dressent devant le chercheur3. (1) Les termes qui veulent dire témoignages, preuves, n’étant pas par eux-mêmes psychologiques, nous nous contentons de les indiquer ici : 8stxu5vcn s’emploie rare ment en ce sens, mais plutôt les composés &lro8stxvôvccL et &~t68ct~cç. M&p~ruç (et les composés) avaient dans le langage judiciaire une grande importance voir par ex. Antiphon — ire Tétralogie 4 (8) ; chez Thucydide ces mots passent — comme d’autres termes que nous avons déjà vus — dans le domaine intellectuel et en particulier ~LcLp~rôpLo~, témoignage: signalons surtout le iwp~rlSp~o~ ~é < et en voici la preuve » de I, 8, 1. Pour les indices et les signes, l’emploi de a~.wivsn, (et des composés ou du substantif a5(~sc) est peu caractéristique mais a~teto~, signe manifeste, sert à l’histo rien à appuyer ses démonstrations, spécialement dans la Préface (I, 6, 2; 10, 1; 21, 1) cf. aussi I, 132, 1, etc. Tcxiu~ptov, preuve, se lit également souvent chez l’historien entre autres exemples, — et correspondant à .wp~r6pLov 8& que nous venons de voir —, notons la formule assez fréquente -rsxg4Lo~ 8& (II, 15, 4 ; 39, 2, etc.). Enfin le verbe TEXlflpLOiiV (I, 3,3, etc.) ne semble pas attesté avant l’historien. (2) Cf. cRoIsET, Thucgdide, livres I et II, op. cil. Notice p. 38 (et note 1). (3) Eôpiaxzw, chez Platon, est moins intéressant que d’autres termes vus précé demment ; il ne semble pas avoir l’importance que Thucydide lui attribue ; cela se comprend, étant donné la différence d’orientation des recherches; cela explique aussi la liaison fréquente chez Platon entre ~scc~0&vetv et côpLcxcnD : il s’agit de faire découvrir à l’élève quelque vérité philosophique (voir Lex. de PLATON, éd. Budé, op. cil.).

-

215

ENOUÊTE

Les résultats auxquels on parvient ainsi, dans cette recherche de la vérité, emportent plus ou moins la conviction; et cela ne dépend pas uniquement du degré de confiance que l’on accorde à celui qui l’établit, mais aussi de l’état d’esprit de celui qui la reçoit ; cette adhésion de l’esprit, ou ce refus s’expriment par ~cr.atsôsvv et les mots de la famille. Nous avons déjà eu l’occasion d’étudier ces termes, quand ils expriment la confiance (en quelqu’un ou quelque chose) ou la défiance’, et nous examinerons uniquement ici leur valeur dans le domaine intellectuel. Cette conviction, dans certains cas, repose moins sur des données irréfutables que sur un acte de foi ; ainsi, en VIII, 71, 1, Agis, convaincu (irta~rsàcov) que l’agitation règne dans Athènes, au moment de l’établissement des 400, espère emporter la ville d’assaut : mais le chef spartiate a pris trop vite ses désirs pour la réalité, et son attaque est vouée à l’échec (VIII, 71, 2)2. Lorsque Thucydide, parlant de Cléon, dit, en V, 7, 3, &irLareuaé ‘ri. ppo~istv « il était convaincu de (la valeur de) son intelligence », les appréciations de ses soldats rappelées dans les lignes qui précèdent et la défaite qui va suivre (V, 10) nous permettent de voir ici une ironie de l’auteur Cléon est le seul à être persuadé de ses talents ; au contraire, quand l’historien —

r

—,





[ •

4

I «

ç

emploie, pour Périclès, une équivalente ~è è,ôpO&Sç yr.yv&axsui, « convaincu de formule la rectitude de son~rri.a’rs&ov jugement II, 22, 1, (à propos du refus de laisser sortir les troupes d’Athènes), le contexte nous prouve que la conviction du chef d’État athénien s’appuie sur une étude précise, et nette, des conditions de la lutte. La conviction peut dépendre de la confiance plus ou moins grande qu’on accorde à tel ou tel esprit; ainsi, en II, 35, 1, au début de l’Oraison Funèbre, Périclès met en relief le danger de faire reposer sur un orateur plus ou moins habile la croyance, chez les auditeurs, en la vertu des morts (&ps-r&ç xLv&vsôeaOccL ..7cta-rsuOi~vocL); d’un autre côté, on peut se refuser à croire ce qui est pourtant bien réel, parce que la vérité vous dérange ou vous gêne ; ainsi, en VI, 32, 3, l’annonce de l’arrivée imminente des Athéniens à Syracuse, pourtant venue de diverses sources, fry-y&X iroXÀcq6Os~, est acceptée comme vraie par certains (nta’rsuôwrcv), mais mise en doute par les autres (oô ~i&v’rot bna ‘reôe’ro

~.

(1) Voir ch. II, p. 78. (2) Même acte de foi, plutôt que conviction raisonnée, en I, 32, 2; II, 62, 4; W 108, 5. (3) La première catégorie est d’ailleurs la moins nombreuse (VI, 35, 1) tXLyov 6’ ~5v ¶1» 7uLaT&5o~ ; « ce qui croyait (en Hermocrate) »: notons, au passage, la subs

216

INFORMATION

ù~ CONNAISSANCE

llTE1~)nv est parfois renforcé par d’autres termes, qui lui assurent plus de force démonstrative ; en I, 132, 1, les Spartiates désirent étayer « sûrement leur conviction » (i~~t~ç ~(~) de la culpabilité de Pausanias, par des « indices évidents » (pccvEp6’v a~tov) ; la même prudence est évoquée à nouveau en I, 132, 5’: les Spartiates n’agissent jamais « sans preuves décisives ê (&vn &~p6~o~ x~p(c~v) (j b id) 2~ Mais les exemples les plus intéressants sont ceux où Thucydide expose sa méthode pour parvenir à une croyance raisonnée en V, 20, 2, à propos de la durée de la guerre, l’historien critique la méthode qui consiste à se faire une opinion en s’appuyant sur la succession des magistrats (~ ..~uat~axç) et y oppose la sienne plus exacte ; ~ se lit aussi quatre fois dans la Préface en 1,10, 3, le terme est employé en disant ce à quoi il convient ou non de se fier : ~‘l ~rr. xp~ ~ Le substantif ~La~’rr~ç n’a pas sa place ici~, puisqu’il signifie caution, garantie, ou gages5; mais cette valeur de crédibilité que nous venons de voir pour a-r~z~ se trouve également dans l’emploi tout intellectuel que Thucydide fait parfois de 7t~Tbç6 en VI, 33, 1, Hermocrate souligne la difficulté de persuader ses concitoyens de faits qui ne « paraissent pas croyables » (-r& ~ ~ua-~&), bien qu’il soit assuré de leur réalité d’après ses rensei gnements (VI, 33, 1, fin)7. En IV, 85, 6, l’expression od-r(cc’~< ..~na-r~ marque une « explication digne de foi », mais dans un contexte négatif : d’ailleurs cette difficulté d’arriver à convaincre est à plusieurs reprises suggérée par l’emploi de ~no~r6ç (par ex. III, 38, 4; 43, 2)8. titution, au participe masculin concret ol x Teéo~ueç, du neutre substantivé ~ inareiiov, qui nous paraît donner plus de force et de cohésion à cette minorité (6ÀLyo~). Cf. Introduction, p. 23. (1) Cf. J. DE FI0MILLY, éd. Budé, t. I, p. 88, note 1. (2) ll~a~e~ au début de ce même paragraphe a le double sens de se fier à et croire (oé8~ ~rc~Sv E~Xd~rce~ ~vu’rcctç ‘no~. (3) Cf. ncopc~Sç sôp~t’~ ..~z 6~ x~plcev ... ai3o~u. (I, 1, 2) ~i~po~ ... x~pic< ate0ot~ (I, 20, 1) et oiS~us.. L&XÀ0V ~5e~ (I, 21, 1) on remarquera la liaison, 3 fois avec p~yx~v et 3 fois avec ~ (dans le 3’ exemple, xy~pic~w se lit quelques lignes plus haut et ~ôpî~a0cu. quelques lignes plus loin). (4) Sauf peut-être en VI, 53, 2, où, dans l’expression && iro~n~p~Sv &vOpdire~v xLo~r~, n~a~nç marque à la fois ~(confiance en des individus tarés » et « croyance à leurs dires ». (5) Voir ch. II, p. 78. (6) Pour l’autre sens de ~t~at6ç sûr, fidèle, sur qui on peut compter. Voir ch. II, P. 78/79. (7) rna~r& avec la même valeur se lit à nouveau un peu plus loin (VI, 33, 4). (8) Notons le sens particulier de rnaT6ç en II, 89, 5, p6êov .. rnar6r~pov, « une peur plus vraie », c’est-à-dire « mieux fondée «; un des deux exemples de l’adverbe ~na’riSç a aussi cette valeur, « d’une manière digne de foi » (1, 91, 2), en liaison avec &vŒyyéXXE~ et ax&4ocaOc~.

-

217

ENQUÊTE

Les exemples du négatif &7c~-roç se répartissent à peu près également entre la valeur de défiance’ et celle de incroyable; en V, 16, 1, Thucydide explique que, si Cléon s’opposait à la paix, c’est parce que ses calomnies obtiendraient «moins de créance » (&irr~a-r6t~poç ~c6&?~Àco’~i). Cf. àbno-rcc en tête d’un discours d’Hermocrate (VI, 33, 1), presque immédiatement suivi de t& ~ ‘uo~t& que nous venons de signaler. En III, 113, 6, Thucydide renonce à donner le chiffre des pertes des Ambrakiôtes battus par les Acarnaniens, parce que le total semblerait incroyable (&ic~a~rcxv), par rapport à la grandeur de la ville, mais en I, 23, 3, à propos du nombre et de l’ampleur des catastrophes qui frappèrent la Grèce au cours de la guerre, l’historien apporte sa caution, ob>c &o~tcc (non incroyables) la double négation donnant plus de force à l’affirmation2. ‘A~cr’rEt~ signifie quelquefois se défier de8, mais pius souvent ne pas croire4; dans un certain nombre de cas, le verbe est construit avec la proposition infinitive (II, 101, 1, etc.) ; l’incrédulité peut se produire en face de quelque événement surprenant : &‘~< &xo~ocç (VII, 28, 3); mais elle est susceptible aussi de traduire un refus délibéré d’accepter, même l’évidence ; la cause peut en être la jalousie (II, 35, 2) : pOo~o~5w~Eç ~j&~ xcd &ato~5a~.’~, ou l’amour de la tranquillité : c’est ce sentiment qui guide surtout les Syracusains, quand ils refusent de croire (&~cw~ç (VI, 33, 3) aux propos d’Hermocrate; ou encore le besoin d’espérer quand même (VII, 83, 1 ou VIII, 1, 1); en V, 68, 2, l’historien constate l’impossibilité de donner le chiffre exact des troupes en présence à Mantinée, parce qu’il ne peut faire confiance (~ptur ‘~tto) aux dires des combattants eux-mêmes, en « raison de la jactance habituelle aux hommes », && &‘vOp cr.r.o’~ xo~i.ic~S~sç. Ici encore la Préface nous offre deux exemples intéressants de &it-ttt’v, tous les deux accompagnés d’une négation : en I, 10, 1, l’auteur nous dit qu’on ne « saurait mettre en doute » (obx &7CLG~rob~) l’importance de la guerre de Troie; et plus loin il affirme que pour arriver, dans le domaine de la recherche (par ex. —



-~

-~

.

-~

..

(1) Cf. ch. II, P. 79-80. (2) Un des deux exemples de l’adverbe &icLa~uc,~ a aussi le sens de incroyable (I, 21, 1); le terme est d’ailleurs en rapport avec ~iuO~S~e~, mythique: &,cLn-rcoç &~t?. -rà ~uO~S~ç. (3) Cf. ci-dessus, ch. II, p. 79. (4) Signalons un emploi curieux en VII, 44, 2, .r1~ yviSa~ &rnatEZaOcu. : il s’agit d’un combat de nuit sur le plateau des ~pipoles, par clair de lune : on voit les personnes, mais on ne peut les reconnaître (c’est-à-dire se rendre compte si on e devant soi un ami ou un ennemi) ; &~tt~v a ici une double valeur, marquant qu’on n’arrive pas à une conviction, et, par suite, qu’on se défie de ce qui est seulement une vision confuse.

218

LA CONNAISSANCE

sur l’importance réelle d’une cité), à une conviction (oi5xouv &~t~a I, 10, 3), il faut étudier, au-delà des apparences, la réalité, oô~ ‘r&~ ~4izr.ç -t~S~ ir6X~.ow ~&À7~o~ gxo~t~tv ~ -r&ç ~u\’&p.~ç (ibid)1. ‘A~naT(ac (5 ex.) n’a que dans un seul cas le sens de incrédulité2; cet exemple se lit en I, 10, 2, dans le même chapitre où nous venons d’étudier &ic-rxt~, et, inséré entre les deux verbes de I, 10, 1 et 3, il trouve sa place dans la démonstration de l’historien, évoquée à l’instant. De l’observation à une découverte qui puisse emporter la conviction, les étapes recherche, jugement, critique, épreuve, le tout appuyé sur des témoignages, indices et preuves, à la fois précis et sûrs sont donc longues et difficiles, et les obstacles nombreux, aussi bien psychologiques que matériels ; mais l’historien nous montre qu’il était aussi conscient de ces difficultés que bien résolu à les affronter et à les vaincre : la Préface est, à cet égard, carac téristique : dans le chapitre I, par. 2, Thucydide pose ses principes, en des mots qui se pressent a~p~Sç-zôpv-tIxp-axo7roti~rrr.~t~tsi3~cr. pour traduire l’ardeur d’une grande ambition; et, après la mise en oeuvre de ces principes, dans tout le passage sur l’Archéologie, qui représente ainsi une sorte d’Essai préliminaire, l’auteur reprend ces mêmes termes en I, 20, 1, po’v-x~p(q et, en I, 21, 1, Nous avons ici en fait un cas limite, qui ne s’applique pas expres sément à la psychologie des personnages, mais a pour but d’éclairer la fonction de l’intelligence (dans la recherche de la vérité), telle que Thucydide, personnellement, la conçoit. -r~Zv...,

CHAPITRE III

LA CONNAISSANCE Seconde partie



SAVOIR ET OPINION





—‘



—‘



(1) Cf. encore l’expression o~x & o~rzIv en I, 91, 1 ; et VI, 45, 1 cette fois, on ne peut plus douter, à Syracuse, de l’arrivée des Athéniens, oÔx&r~ ~pu~a’rou~, en face de ‘~nouvelles précises » (ne~p~ ~yy~?~zto). (2) Pour la valeur de clé fiance, voir ci-dessus, ch. II, p. 79.

SAvoIR. Après avoir parlé de l’information et de l’enquête, nous en arrivons, maintenant, au résultat auquel elles condui sent, c’est-à-dire le savoir et l’opinion. Ici nous ne consta terons pas chez l’historien comme dans le chapitre précédent la tendance à intellectualiser des termes, qui appartiennent normalement au langage de la connaissance. Mais cette partie doit nous montrer le désir de rigueur, l’effort pour cerner, pour améliorer et enrichir l’emploi normal, par la distinction de doublets du type L &Vc~-&7t( c~aOcu et ~oxs~v-pcc~vzaOacr. (où l’opposition joue à la fois entre les groupes et à l’intérieur de chaque groupe) et par la précision dans l’emploi des verbes de pensée en général. L’insistance de Thucydide à souligner en tout, et partout, la nécessité d’une information aussi claire et précise que possible, la manière dont il s’est soumis lui-même, dans son domaine propre, à toutes les exigences d’une enquête scrupuleuse, nous permettent de prévoir, par avance, la place importante que l’historien réserve à la notion de savoir, but en somme de la recherche, exprimée chez lui par les verbes habituels en grec ~i~&’~ec~ et &7ttcc~Oocr.. E~&~o~ (plus de 120 ex.)1 nous offre des nuances variées, qui correspondent à peu près à celles du français savoir; laissons de côté les cas où le verbe n’est qu’une formule théorique (ainsi &owEp ~atz, II, 87, 2 ou 7c&wcxç ~ VII, 68, 2) ou optimiste (II, 36, 4, ~ucxpyyopLt~ ~ Li~Sarv oô ~3ouX6~voç, « ne voulant pas insister longuement devant des gens bien informés ») ou traduit en fait un avertissement (Ei~&vocr. ~ I, 120, 2 ; ~ ~a~tt « sachez-le bien é (V, 104, 1); négligeons aussi l’exemple isolé d’ailleurs VI, 12, 1 d’une expression courante en grec, ~&p~ ~ « savoir gré »; —











(1) Nombre un peu plus élevé chez Hérodote.



220

LA CONNAISSANCE

souvent le verbe signifie simplement « être au courant d’un fait è, la négation qui accompagne, assez fréquemment, le verbe marquant l’ignorance d’un événement (en VIII, 9, 3 ou VIII, 44, 2, oi~x r1~&vcv. est suivi de -~& ~p a~IE’~’cc~’). Bien connaître une situation avant d’agir est considéré comme important et le désir de savoir est indiqué à différentes reprises par l’expression ~Oi~?~Oa~L €i~&~o~r. (I, 52, 1; VI, 44, 4, etc.) ; Nicias désirerait, avant de choisir entre l’alliance avec Sparte ou Argos, « savoir les intentions » (d~&~ou. &c~. a~oo~5~’rcv~) des Lacédémoniens (V, 46, 1)2. E~&vo~ marque aussi le résultat favorable d’une enquête ainsi, à la suite de la révélation d’un conjuré, les habitants de Mégare « savent ce qui se passe », ~cr~ t& icpa~aa6~iz~cc, et que certains se préparent à livrer leur cité (IV, 68, 6). Mais le degré de certitude varie selon les moyens d’enquête dont on dispose ; la chose peut être sûre, quand on s’appuie sur des rapports précis et directs : les Syracusains savent que les Athéniens hivernent à Naxos (VI, 75, 2); établir le fait n’a pas dû être très difficile. Mais, quand il s’agit de savoir, par exemple, les intentions véritables d’un personnage aux desseins aussi tortueux que Tissapherne, l’historien souligne que « ce n’est pas tâche aisée », oÔ~è ~çk&ov ~‘~‘ccr. (VIII, 87, 2)~. La connaissance semble mieux assurée dans d’autres cas ainsi, le ocôtol ~ des Corinthiens, en I, 69, 5, présente comme un fait incontestable la lenteur des Spartiates à réagir lors de l’invasion des Mèdes (cf. II, 64, 1); en I, 72, 1, lorsque les Athéniens désirent exposer à Sparte la position de leur cité, ils annoncent qu’ils rappelleront aux plus anciens « ce qu’ils savent » Jv ~.croc’ z~&~ccc indique ici l’allusion à des faits dont on peut être sûr, parce qu’on en a été témoin4. L’adjonction, au simple ~i~&~ocL, d’un adjectif ou d’un adverbe permet à l’historien de souligner que la connaissance de tel ou tel (1) Cf. encore I, 110, 4. (2) Cf. e~ao~ebouç VI, 6, 3 (en rapport avec aKz~(o~Iévouç), zi0011&vocç (VI, 42, 2); et, à propos de l’affaire des Hermès, VI, 27, 2 et 60, 4. (3) Même difficulté quand la connaissance repose sur l’&xo~, tradition orale (ainsi I, 4, 1; VII, 87, 5, etc), mais en VI, 55, I, &zo~, joint à E!.~&\cEL, n’est certes pas destiné à amoindrir la valeur du verbe, au contraire, car il s’agit d’une tradition orale dont l’auteur se porte personnellement garant, et qui lui permet de soutenir (XopLCo~Lca.) qu’Hippias, et non Hipparque, exerça le pouvoir à Athènes, après la mort de Pisistrate. (4) E~vo~ conserve ici sa vêleur première de parfait du radical zig- : on sait, parce qu’on e vu: en opposition avec les anciens qui ont vu, les jeunes, eux, n’ont pas eu cette connaissance directe ; cette différence est indiquée par &~tz~.poc ; ils n’ont pas vu les événements auxquels les Athéniens désirent se référer, et il faut par suite les leur expliquer (xo~acxa0EL .. &~y~a~v).

SAVOIR ET OPINION

221

fait lui paraît particulièrement sûre : ainsi occpéç ou ~cLp&~ç précisent souvent d~&~occ ; les Péloponnésiens, partis pour secourir Mytilène, viennent d’apprendre (~wvO&~o~Tocc) la capitulation de la ville avant d’agir ils désirent « savoir nettement » (-ra aocp~ç Ii~&voc~, III, 29, 2) ce qu’il en est’. En VI, 93, 1, les Lacédémoniens, qui hésitaient jusqu’alors à reprendre les hostilités contre Athènes, sont beaucoup plus résolus, quand ils ont entendu l’exposé d’Alcibiade, « l’homme le plus clairement informé », ‘rots accp-rocToc z~6T°Ç2. Bz~cc(~ç

donne la même valeur à r~~occ ; ainsi, en I, 134, 1, les éphores, qui jusqu’alors soupçonnaient, sans en être absolument sûrs, les intrigues de Pausanias avec le Grand-Roi, ont grâce à une ruse (abri à double cloison) entendu exactement l’entretien de Pausanias avec son envoyé (&xo~ocv~~ç &xpc~Sç) : ils ne peuvent dorénavant plus douter et sont désormais « sûrement instruits » (f3z6cc(aç... r~6-rzç) de la trahison de leur roi3. (1) A ~rè acepèç zl3&~ (acpéç), la suite l’est beaucoup moins et les (icoXXocx~ six&Cs-rcu) ; en VI, 92, 5, l’opposition avec si~&vccr. est clairement formulée : ‘r& ~ièv ‘AO~vŒlÙv ot8a, T& ô~.t&rspcc ~5xcdov, puisqu’Alcibiade y oppose sa science des Athéniens à ses conjec tures sur les Lacédémoniens2. A côté du verbe, on trouve chez Thucydide un exemple du substantif sixcca-r~ç; il ne se lit qu’en I, 138, 3, mais n’en présente pas moins un grand intérêt : car, outre qu’il ne se rencontre chez aucun autre auteur grec classique, ne reparaissant que chez les écrivains postérieurs, il est formé avec le suffixe --n~ç, qui indique normale ment « état » ou 7e &,tvdj~suatv ccc’rcxpŒvéaTspoç voiilCcav dlv civccc xccxoupyGw xocl &7cca-r6-rspoç 8csc6&flcov, cc l’autre (Clêon) pensant qu’avec le retour de la paix, ses méfaits seraient plus visibles et ses calomnies moins écoutées cc il s’agit pour l’auteur d’expliquer, par ces craintes de Cléon, son opposition à la paix, mais on estimera que cette pensée attribuée à un mort, — car Cléon vient de périr devant Amphipolis (V, 10, 9) —, en lui faisant ainsi effectuer son aulocrifique (posthume), manque peut-être encore plus d’élégance que de vérité, traduisant un sentiment, heureusement rare chez l’historien, d’une hostilité qui ne s’arrête même pas devant la mort de l’adversaire, présentée d’ailleurs (V, 10, 9), — mais est-ce bien exact ‘I —, comme celle d’un lâche. (2) Cf. V, 59, 4; VIII, 10, 2, etc.; on ne peut naturellement accorder aucune valeur particulière à vo~cl~scv dans la formule stéréotypée et presque officielle (on la lit dans les inscriptions) -roiS; oc&roèç &~OpotSç xccL pLÀouç voîclCscv (I, 44, 1, etc.) le verbe est ici un simple équivalent de e avoir e.

266

267

LA CONNAISSANCE

SAVOIR ET OPINION

III, 33, 3), Ou cL, (VIII, 81, 1): la forme est différente, la valeur identique ; naturellement on peut trouver aussi vo~.tL~ctv au passif, avec une valeur assez simple, presque concrète en IV, 24, 5, plus complexe dans la série d’exemples commandée par vo~dCct’~, qui se lit en III, 82, 4 &Àéyta’roç &v~pcLcc pÙ’é—rcupoç bo~1aO1, « l’audace irréfléchie... passa pour dévouement courageux au parti »~ ; en III, 57, 1, dans l’expression : p&8cr.yri.~ -rotç IC0XÀOZÇ -r&v ‘EÀÀ4jwov &‘~pccyccOLccç vopI~caOc, « pour la majorité des Grecs vous passez pour des modèles de vertu ê, vo~tL?ctv ajoute, à l’acception proprement intellectuelle, une certaine nuance morale2. Cette valeur se retrouve d’ailleurs assez souvent dans les emplois où voFd~cw, construit avec infinitif ou proposition infinitive3, signifie, d’une manière générale, penser, estimer. Ainsi, en I, 25, 3, les Corinthiens estiment (vo~tL~owrcç) que la colonie d’l~pidamne est à eux aussi bien qu’à Corcyre4. La nuance morale est encore plus marquée dans une expression comme celle de V, 111, 4, oôx &lcpcIrèç vo~ucVrc, « vous ne regarderez pas comme inconvenant »~. No~iL~ctv, dans ces exemples, ne fait d’ailleurs que retenir dans le sens moral la valeur habituelle du radical v6~.toç, usage, règle et du dérivé v4u(.Loç, conforme à l’usage, à ta règle: ce dernier mot se trouve joint une fois d’une manière caractéristique à en VII, 68, 1 : ~o~tLao~icv voLuI.Lc(ncc-rov cl’vcct, « considé rons... qu’il est tout à fait légitime «6• D’une façon plus générale, voFLLCcLv exprime la réflexion d’un esprit sur une situation ; si le terme ne révèle pas toujours des

vues d’une ampleur extraordinaire, il s’applique la plupart du temps à l’examen attentif d’une question précise. Souvent ‘vo~d~stv signifie l’examen d’une situation militaire par ex. en I, 59, 2 II, 77, 1; V, 60, 2 et 5~. Si les exemples de voi.Wct’~ sont nombreux dans ce domaine particulier et c’est normal, puisqu’il s’agit de l’histoire d’une guerre cela n’exclut nullement une grande variété d’emplois ainsi les Athéniens estiment que les conseils de Périclès sur la guerre qui menace, et les moyens de la mener, sont les meilleurs (vop.Laccvtcç) I, 145, 12. nous l’avons dit, suggère presque toujours l’exercice de la pensée à propos d’un objet bien précis il en résulte que le verbe, ne s’appliquant pas en général à des spéculations abstraites, marque que l’on garde un contact étroit avec les réalités ; c’est pourquoi, souvent, voFtL~sr.v exprime une réflexion faite avant l’action et en vue d’une action déterminée ; d’où les emplois avec l’infinitif futur, ou avec 3Ev et l’infinitif, par lesquels l’esprit pense l’avenir. En I, 57, 5, les réflexions de Perdiccas, roi de Macédoine, sont très nettement orientées vers l’action il estime que, s’il avait l’alliance de certains -peuples de Thrace, ce concours lui faciliterait la conduite de la guerre : idée rendue par vop.E~øv, accompagné d’une proposition hypothétique complète, avec cL plus optatif dans la protase et 3Ev avec. infinitif dépendant de voi.dCc~w, dans l’apodose3. Dans certains cas, vo~.tLCcw n’est pas alors tellement loin du sens de espérer; par ex., en VIII, 5, 5

..









...

j (1) V0VLCSLV régit ainsi quatre propositions et après l’interruption par npoaeTéOE~], dont la valeur « être attribué è » n’est pas au fond différente, la construction semble imposer de sous-entendre &~o~i(aO~ pour les propositions suivantes. (2) Cf. le ot ~récoç ‘AOEijvsctot volLLCélLsvot de Nicias en VII, 63, 3. (3) En III, 88, 3, on lit un exemple tout è fait isolé chez Tbucydide (et peut-être même en grec, si on se réfère à Liddell-scott) de ~oFL’~sLv, construit avec &ç ; il ne serait nullement étonnant que cette construction inhabituelle — avec un &ç, qui, normalement, exprime le doute de celui qui rapporte une affirmation sans la prendre à son compte — traduise le scepticisme de l’historien sur l’opinion des gens du pays, à savoir qu’Héphaistos aurait ses forges à Hiéra, ~oFzLCouaL 8è oL &xcL~ &~0porno~ êv t7j ‘Isp~ &ç ô “Hpsu.atoç xaÀxsôct~ (4) Les Corinthiens affectionnent particulièrement ces considérations morales on les retrouve souvent dans leurs discours (voir emploi de voiiiCcn, en I, 69, 6 70, 1) cf. aussi y, 30, 2. (5) Cf. le &~toç ... vopiCo slvcc~ d’Alcibiade en vt, 16, 1. (6) Mais, en V, 42, 1, ~oidCstv traduit la casuistique — immorale — des Thébains, qui estiment exécuter la clause du traité concernant la restitution de Panakton (&no 86~~row 8è ‘A0~paLotç Àaxs8rxqi6vtor. xsd ot ~ô~qscc>~ot ll&vccxTov, y, 18, 7) en rendant la ville, une fois détruite (xa0~pw&vov, y, 42, 1): on comprend que les Athéniens soient furieux, 8st~& &irotouv (V, 42, 2) et s’estiment victimes » (~op.L~o~Tsç &&xsta0ca).

VI, 102, 4; 103,

34~

(1) En vit, 36, 3, l’appréciation porte même sur un détail purement technique, la construction différente de la proue d’un navire chez les Athéniens et chez leurs adversaires, ou (en iv, 10, 3) sur la difficulté d’aborder le promontoire de Pylos. (2) voir aussi III, 93, 1; IV, 117, 1; IV, 66, 3, etc. (3) Même construction en IV, 69, 1; cf. encore I, 72, 1; II, 2, 4, etc.; nous ne donnons que ces quelques exemples d’une construction très fréquente ; on trouve même cette valeur de vo~iLCstv avec un infinitif aoriste par ex., en II, 3, 2, êvôvcaccv &TnOélLevoL ~8Lcoç xpcct-i5aŒL mais cette construction non usuelle n’est pas absolu ment sûre (puisqu’ici J 2 donne &v xpari5acn, et Enée le Tacticien xpcctijactv, cf. éd. Budé, t. II, p. 2, note 2). CLA55EN s’est efforcé (Anhang, note à II, 3,2) de justifier, dans ce cas, l’emploi de l’infinitif aoriste avec valeur de futur, non seulement avec vop1~stv, pour lequel il relève quatre exemples, mais encore avec êXxLç-&XirL~stv, etc; sa démonstration n’emporte pas la conviction. 5TEUP, d’ailleurs (dans les éditions de CLA55EN, revues par lui), se montre moins affirmatif. (4) En VI, 102, 4, dans la phrase vo~.tmaccvtsç 1fl) 1h, .. ixavo~ ysvéaOcct, « esti mant ne plus pouvoir être capables (d’empêcher l’investissement total de syracuse) », CLA55EN a sans doute raison de voir, dans l’emploi du subjectif 1.dj (au lieu de l’habituel oô), l’influence de la valeur de crainte contenue ici dans voiiLCstv. 10

269

LA CONNAISSANCE

SAVOIR ET OPINION

No~’v traduit parfois une erreur d’appréciation ; et il y a plusieurs exemples où la réalité ne confirme pas la justesse de la pensée ; est-ce à dire qu’il nous faille, dans une certaine mesure, assimiler ~ à o’~~Oou. ? Nullement, car, pour O~E~OC~’, c’est l’erreur qui est pour ainsi dire la règle, parce que le terme suggère simplement une vue de l’esprit, au contraire, ~ suppose toujours, peu ou prou, une réflexion à partir d’éléments précis; autrement dit, quand il y a erreur pour ~o~(~Lv, ce peut être par l’effet du hasard, ou parce que les divers éléments d’une situa tion n’ont pas été tous étudiés, ou ne l’ont pas été avec une égale attention ; dans ce cas, c’est davantage la qualité de l’esprit qui est en cause, que la méthode2 ; caractéristique, en ce sens, est l’erreur de Cylon, telle que Thucydide nous la rapporte au livre I ; Cylon, aspirant à être tyran d’Athènes et étant allé, à ce sujet, consulter l’oracle de Delphes, a reçu en réponse le conseil d’occuper l’Acropole d’Athènes, lors de la fête la plus importante en l’honneur de Zeus ; en conséquence, il a attaqué l’Acropole, au moment des fêtes de Zeus à Olympie ; or l’oracle avait voulu parler de la plus grande fête de Zeus en Attique Cylon s’est donc trompé ; mais sa pensée (vo~i.Lo~ç) (I, 126, 5) était pourtant loin d’être absurde : les plus grandes fêtes de Zeus, pour un Grec, ne sont-elles pas celles du dieu à Olympie ? D’autant plus que Cylon, vainqueur olympique, voyait, dans l’avis du dieu, un rapport direct avec sa victoire à Olympie (.. ~ccu’~j~ ‘n ~po~x~ ‘OÀ~ncc ~e’~x~x6-n) (ibid); on pourra dire que Cylon n’a pas examiné les diverses hypothèses, a trop raisonné en athlète, obnubilé par sa victoire olympique, ne s’est pas méfié suffisamment de l’ambiguïté, pourtant traditionnelle, de l’oracle de Delphes toujours est-il que son idée était, en somme, assez logique3.

Bien rares sont les cas où ~ suggère une erreur due à un manque total de réflexion : on peut relever celle des Barbares, en face de Brasidas, puisque, par deux fois (IV, 127, 1 et 128, 2), ils commettent une grossière erreur de jugement, si tant est qu’on puisse, dans ce cas, parler de jugement, pour ce qui n’est qu’une impulsion irréfléchie’. Mais ces exemples sont isolés ; et une des preuves que vo~.z~s~v implique, en général, opinion réfléchie, nous est fournie par le fait que, plusieurs fois, un orateur emploie ce verbe pour appeler ses auditeurs à un effort de réflexion jugé nécessaire ; ainsi, en I, 140, 4, par ~rJ.ç vo~(a~, Périclès invite les Athéniens à consi dérer que l’abrogation ou le maintien du décret de Mégare n’est vraiment pas essentielle pour la question de la paix ou de la guerre2. C’est que, normalement, vo~L~E~ suggère une réflexion fondée sur les règles (v6~oç) de la raison ou du bon sens ; ainsi, quelque fois, le terme exprimera des opinions d’ordre tout à fait général, qui semblent s’imposer par là-même à tout esprit. En I, 84, 3, Archidamos, que Thucydide nous a présenté comme « clairvoyant et raisonnable » (~u~’r6ç .. xcd a~ppc,w, I, 79, 2), avec bon sens, estime que « l’esprit des• autres vaut celui des Lacédémoniens », &ccvo(o~ç ‘riSv it&?~c~ç p?~~(ouç ~t’~ccr., et, plus loin (I, 84, 3), qu’il n’y a pas de grande différence entre un homme et un autre, 7to?u~ ~pép~’~i o~ ~t ~ &~Opo~ito~ &vOpc~icou3. Les cas où vo~d~Lv se trouve en rapport avec d’autres termes de « pensée » peuvent aussi nous aider à préciser la valeur du mot; en I, 42, 1, un ~i»~ vo~La~ (négatif), « qu’il ne pense pas », suit un &~o&nÙ, lui est appliqué deux fois’ : or, nous avons déjà eu l’occasion de remarquer que Thucydide ne désire pas nous laisser une idée favorable des qualités intellectuelles de Cléon ; ~ est déjà beaucoup pour lui2 et ~ystaOc~ semblerait trop élogieux. D’un autre côté, nous avons noté que Thucydide n’attribue qu’une fois ‘~op.(~v~ à Périclès lui-même, dans une formule de modestie, et au contraire lui fait employer ce même verbe, quand il dénonce la faiblesse du jugement dela foule3; or, en II, 60, 2, on trouve ~yrZaOoc~, pour l’homme d’Etat, et dans une formule particulièrement appuyée, puisque la première personne est renforcée par &yc~ : les mots ~ y&p ~yotS~ccr., «pour moi en effet je pense », placés en tête de phrase, veulent opposer à l’attitude de la foule, qui se laisse mener par ses sentiments et dominer par ses malheurs, la fermeté d’une intelligence qui voit beaucoup plus loin que l’intérêt personnel. Dans la Préface, Thucydide emploie une fois la première personne de ~o~v et une fois celle de ~yeZaO~ et les deux traduisent une opinion fondée sur une réflexion attentive : mais ‘~op.(~ (I, 1, 2) indique un jugement restreint à la considération de l’importance de la guerre du Péloponnèse, par rapport aux événements antérieurs, tandis que ~yo~ocr. (en I, 23, 6) suggère une pensée, d’une autre portée, sur les véritables causes de la guerre du Péloponnèse ; en face d’une opinion reçue, elle exprime une conviction de Thucydide. Et c’est bien là, nous semble-t-il, ce qui sépare, tout de même, deux termes assez proches l’un de l’autre ‘~o~w~ reste toujours plus abstrait, plus intellectuel ; aO~, tout en sous-entendant la même rigueur de la pensée, y ajoute la notion d’une conviction intime, par laquelle on s’affirme, même en dehors des autres, ou contre les autres. C’est encore la valeur de ~yo~cct. chez Diodote en III, 47, 5, où il oppose nettement son opinion à celle de Cléon4. (1) Cf. p. 265, note. 1. (2) ID., ibid. (3) In., ibid. (4) Cf. le fo~Lc~ de Nicias en VI, 23, 4; celui de Hermocrate, en VI, 34, 6, renforcé par &yaye : et à cette conviction répond celle aussi forte, mais opposée, d’Athénagoras par le même emploi de ~yo~.cc~L (VI, 37, 1 et 2). Nous avions déjà noté (p. 270 n. 4) que le ~ystaO~ de VI, 37, 2 se trouvait en liaison avec ~o~.i.i~rr.v : ~>oiiL~w est sans doute plus sûr que ~yetaOou. ; mais il est loin de traduire la même force de conviction, il ne sert même en fait que de base à l’opinion d’Athénagoras; c’est parce qu’il estime (vo~L~ca) les forces de Syracuse supérieures, qu’Athénagoras est bien convaincu (-~yocc~) que les Athéniens ne pourraient même pas prendre pied en Sicile : et ce dernier exemple, où nous retrouvons liés vo~.cL~Lv et ~yetaOat, nous précise la nuance de sens qui existe entre ces deux verbes. Dans ANTIPHON (VI, 33), le ‘HyotS~ccc~ ~ilv o&~ exprime aussi de la part de l’accusé, bien plus qu’une opinion, une conviction de son innocence, qu’il voudrait faire partager à ses juges.

277

Les composés de -~yEtaO~ sont, chez Thucydide, beaucoup moins nombreux que chez Hérodote, puisque, chez ce dernier, ils sont formés sur 9 préfixes, alors que notre historien ne possède que ceux qui sont formés sur ~iç, &x et xoc-rcc; peu nombreux, ils sont aussi dans l’ensemble peu intéressants : ~a rsZaOocr. (5 ex.) signifie proposer (VI, 90, 1) etc., ou expliquer, conseiller (VII, 73, 1); ~a~y~ar.ç (V, 30, 1) veut dire action de proposer et ce terme en -ar.ç est peut-être une création de Thucydide, de même d’ailleurs que a~y~-d~ç, instigateur, dont l’unique exemple se lit en VIII, 48, 6’. Pour &~yEtaO~, il est assez bien attesté, mais signifie, la plupart du temps, diriger, gouverner (8 fois sur 11) ; notons cependant, en VII, 50, 4, le sens de interpréter (les volontés des dieux) en parlant des devins, nous sommes sur la voie du sens moderne d’exégèse et surtout l’emploi en I, 138, 3 (où l’histo rien rappelle, entre autres qualités de Thémistocle, son talent pour exposer une affaire), et en V, 26, 6, où Thucydide manifeste son intention d’exposer (& y~ijao~ccr.) les événements qui ont suivi la guerre de 10 ans ; ce sens de exposé est aussi celui du seul exemple de &y~o~ç (I, 72, 1)2. Enfin, l’unique composé avec xcc-~cc- garde la valeur première de ‘~ZaOcc~, avec le sens de montrer le chemin (VI, 4, 1)3. —

—,

(1) On notera, une fois de plus, la prédilection de Thucydide pour les suffixes -m.ç et --n~ç. (2) Comme e~.a~jy~mç, le terme ne semble pas attesté avant Thucydide. (3) Il convient de signaler ici quelques verbes qui peuvent prendre une valeur identique à celle de ~o~sl~ ou ~y~ta0cu. Si iuto 6&~ signifie, en général, enlever, soustraire, et, parfois, répondre (conformément d’ailleurs à l’usage grec), en VI, 84, 1, il veut dire : faire une objection, en VI, 28, 2, accepter les bruits concernant Alcibiade, et surtout, en IV, 106, 1, estimer (emploi comparable à ceux de vo~ll~e~v et ~yeZaOcct), dans la phrase: t’~ x~Jpuy~cc .. ~lxcuov etv~ ~ ils estimaient juste la proposition (de Brasidas) ». Dans ce dernier exemple, certains mss ont &~&evo~ que plusieurs éditeurs ont préféré: en tout cas, le sens est le même, et ceux qui choisissent &i.~6ccvo~ relèvent cette même valeur de )~cq.L6&vE~s, estimer, regarder comme, dans plusieurs cas chez l’historien : ainsi, en III, 38, 4, oô ~rè ~paa0~v inat6-repo~ à’q~ ?~6~rr~ç i~ ‘rà &xouaOé~, ne considérant pas comme plus sûr ce que vous voyez accompli devant vos yeux, que ce que vous entendez dire (pour d’autres exemples, voir éd. MACMILLAN-GHAVES (note ad lac.) et Le.rique de BÉTANT). Notons encore deux exemples de toXebte~v (valeur générale : laisser derrière soi, au passif rester en arrière), avec le sens particulier (au moyen), en 1, 140, 4, de garder l’arrière-pensée: ~c~è &~ 6~.ctv ~ÔtoZç ~i-ulcn> o~bt~aOr c~ç && i.uxpàv &wo?a~c, «et ne gardez pas en vous l’arrière-pensée que c’est un motif de peu d’importance qui vous a fait entrer en guerre», et, en VIII, 2,2 (à l’actif etavec?~6yov), de admettre: T6 .. ln~’ to)L~te~v ~6yo~ ... « parce qu’ils n’admettaient même pas la possibilité (pour les Athéniens de tenir l’été suivant) ». Pour le second exemple, CLASSEN (n. ad tocum) cite une expression de valeur analogue chez ANTIPHON et ISOCRATE.

278

SAVOIR ET OPINION

279

LA CONNAISSANCE

Avant d’en venir à vcc~-a~zo~ et y~y axz~v-yw~s~, nous avons à signaler ici ‘~O&’~v et les mots de la famille. A vrai dire, le sens de comprendre n’est pas le mieux attesté, et cela est assez justifié, étant donné la valeur primitive du verbe : apprendre est le correspondant normal de ~&axz~, enseigner1; en II, 87, 4 (en rapport avec & a-d~s)), il s’agit d’un apprentissage technique ; ailleurs le verbe veut dire être informé (III, 24, 3 VII, 8, 2, etc.), se renseigner (VI, 62, 1), se rendre compte (VII, 42, 3). Souvent le mot souligne le désir d’apprendre aux autres, et de leur faire comprendre, ce qu’ils ne voient pas par eux-mêmes (I, 34, 1; 42, 1)2 : la formule OzZ~ xp~ « il faut comprendre » se lit en I, 40, 1 et IV, 126, 3 ; le ~&O~-ct ~ de VI, 90, 1 (repris en 91, 1), marque le ton condescendant d’Alcibiade, en face des Lacédémoniens : c’est un maître (cf. le ~~&azcÛ~o~ de VIII, 45, 2, qui dépeint le personnage) faisant la leçon à des élèves visiblement peu doués ; en VI, 40, 1 (2 fois), ~cc’sO&’~r.v signifie vraiment comprendre; Athénagoras s’en prend violemment à ses adversaires oligarques, qu’il accuse de bêtise à propos de leur action à Syracuse3. HpovO&~’~’ et ~ccvO&vEw se trouvent une fois chacun, dans le même passage (I, 138, 3) : les préfixes ~tpo- et &icr~- leur donnent une valeur légèrement divergente (études préalables et études postérieures); mais l’intérêt est ici que les deux verbes s’opposent également à aévsat.ç, pour nous préciser, à propos de Thémistocle, que son « intelligence propre » (o~xB~ ~u~&a~L) ne devait rien à l’étude4. Le substantif ~&OE~a (II, 39, 1) implique une connaissance technique ; pour O