Le Victorial: Chronique de don Pero Niño, comte de Buelna, 1378-1453 2503510698, 9782503510699

Le "Victorial" - le titre s'explique par le fait que le héros ne fut jamais vaincu - peut être lu de plus

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Le Victorial: Chronique de don Pero Niño, comte de Buelna, 1378-1453
 2503510698, 9782503510699

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LE VICTORIAL

A

MIROIR DU MOYEN AGE

LE VICTORIAL CHRONIQUE DE DON PERO NINO, COMTE DE BUELNA (1378-1453)

par Gutierre Diaz de Gamez son porte-bannière

Traduction et présentation par Jean Gautier Dalché

BREPOLS

M IR O IR D U M O Y EN AGE A

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INTRODUCTION

Le Victoria[, récit de l'éducation, des exploits et des amours de Pero Nino, comte de Buelna, par Gutierre Diaz de Garnes, qui fut un temps son alférez (porte-bannière), a été justement caractérisé par ses premiers traducteurs, les comtes de Circourt et de Puymaigre, comme «recueil de légendes, traité de chevalerie, sérieux document de l'histoire d'Espagne et un peu de la nôtre [celle de la France], chronique d'un chevalier que ses aventures ont conduit des côtes de Barbarie à celles d'Angleterre, de la cour de Castille à celle de France, tableau des idées et des mœurs d'autrefois1 ». Ce texte, qui appartient au genre de la biographie chevaleresque dont il est le premier exemple en langue castillane, relève d'une approche multiple. Les intentions qui ont présidé à sa rédaction sont un peu plus claires, on le verra, que les détails que l'on souhaiterait avoir sur la personnalité et la culture de l'auteur. Loin qu'il ait conçu son ouvrage comme une simple chronique, le dessein de Gutierre Diaz de Garnes a été d'illustrer par un exemple contemporain ce que l'on pourrait appeler une théorie générale de la chevalerie. Il s'en explique dans le Prologue où il expose les origines de cet «art et office», les raisons de son institution, sa nature, ainsi que ceux qui l'ont pratiqué chez les païens et chez les juifs. Parmi les chevaliers de son temps, il en a trouvé un, «naturel du royaume de Castille qui, toute sa vie pratiqua le métier des armes et l'art de chevalerie et, depuis son enfance, ne s'adonna à aucune autre tâche». Il égala par ses vertus, sinon par son état, les plus grands de ceux du passé, «et ne fut jamais vaincu, ni lui ni ses gens». C'est pourquoi Gutierre Diaz de Garnes a estimé «qu'ayant mérité honneur et renom, il

1 Comtes Albert DE CIRCOURT et DE PUYMAIGRE, Le Victoria/, chronique de don Pero Niiio,

comte de Buelna, par Gutiere Diaz de Cames, son a/ferez (1379-1449), traduit de l'espagnol, d'après le manuscrit, avec une introduction et des notes historiques, Paris, 1867, p. VII.

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était digne d'être placé à côté de ceux là qui ont conquis honneur et renom par les armes et l'office de chevalerie et ont lutté pour atteindre à la palme de la victoire, et qu'il convenait que ses nobles actions fussent mises par écrit»: on dispose ainsi d'un exposé de la raison du choix d'un tel titre, et d'un résumé des intentions idéologiques qui s'expriment dans la biographie chevaleresque. On ne pourra apprécier toute la valeur documentaire et la charge symbolique de ce texte qu'à condition de replacer d'abord les aventures de ce chevalier exemplaire dans les conditions politiques et sociales des temps où il vécut, tant dans la péninsule Ibérique qu'en France et en Angleterre, avant de dessiner à grands traits les éléments de l'idéologie chevaleresque dont sa biographie se veut l'illustration édifiante et de tenter de mieux cerner la personnalité de l'auteur, que l'on doit compter parmi les écrivains notables de son ternps. 1. Le temps du Victoria!: noblesse et chevalerie

Le Victoria[ apparaît d'abord comme un témoignage exceptionnel sur la vie d'un chevalier noble dans la Castille du XIVe et du XVe siècle. Le récit s'étend de 1350 à 1449. Il coïncide à peu près exactement avec le temps de la guerre de Cent Ans dont les batailles de Crécy en 1346 et de Castillon en 1453 marquent le début et la fin. Quatre souverains se sont succédés sur le trône de Castille au cours de cette période. Pierre 1er le Cruel (1350-1368) mourut des mains de son demi-frère bâtard, Henri de Transtamare, fondateur de la dynastie de ce nom, à l'issue de la guerre civile qui les avait opposés. Henri II (1368-1379) eut pour successeurs Jean 1er (1379-1390), Henri III (1390-1406) etJean II (1406-1454). Né alors que s'achevait le règne du premier de ces souverains, élevé à la cour de Jean Ier, Pero Nifio servit Henri III et Jean II et mourut un an avant ce dernier. Durant cette période, la noblesse et ses valeurs acquirent une place prédominante dans la société castillane, que reflète à sa façon le récit du Victoria[. Le vocabulaire relatif à la noblesse comprend en effet des mots et des expressions significatifs de clivages au sein d'une catégorie sociale qui, dans son ensemble, se distinguait du reste de la population par des privilèges tels que l'exemption fiscale et une juridiction particulière.

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Au XIVe et au xve siècle, trois termes servent à caractériser les différentes couches de la noblesse. Hidalgo!fidalgo désigne tout individu de sang noble, quels que soient sa fortune et son rang, mais aussi le hobereau de sang noble ne possédant pas de seigneurie. Les hidalgos, dans cette seconde acception, sont les membres de la couche inférieure de la noblesse, par opposition aux ricos hombres, que l'on commence à appeler grandes au temps du Victoria!, et aux caballeros, qui en formaient respectivement la couche supérieure et la couche moyenne, et étaient, eux, des seiiores, des seigneurs, qui exerçaient des droits sur des terres et sur leurs vasallos (vassaux). Dans le Victoria!, le terme de caballero est polyvalent: outre le sens de membre d'une catégorie sociale déterminée, il a ceux de cavalier et de chevalier. Il s'applique aussi à des combattants à cheval qui, sans être nobles de souche, possédaient certaines des prérogatives de la noblesse. A l'avènement de la dynastie transtamare, la haute noblesse castillane avait en grande partie disparu, soit par extinction naturelle, soit sous l'effet des «justices» de Pierre le Cruel. Henri II l'avait reconstituée en distribuant à ses parents, à ses premiers partisans et à ceux qui, plus tardivement, s'étaient ralliés à lui des charges, des domaines et des rentes. Quelques-uns furent gratifiés de titres (ducs, marquis, comtes) jusque là inconnus en Castille. Conçue pour assurer des soutiens à un pouvoir royal encore mal assuré au sortir de la guerre civile, cette politique de libéralité ne manqua pas d'avoir des effets pervers, qui se manifestèrent pleinement sous Jean II. Au nombre de quelques dizaines, les chefs des lignages de la grande noblesse, les aînés de la branche aînée, titrés ou non, monopolisèrent les hautes charges de la cour et de l'État. Une grande partie du domaine de la couronne (terres, villes, droits et revenus) passa entre leurs mains sous la forme d' estados (seigneuries) répartis dans tout le royaume et peuplés de milliers de vassaux. Ils cherchèrent à les accroître en amenant le roi, qui en était le dispensateur, à leur consentir de nouveaux abandons, soit par la force, soit en lui marchandant leur appui. La haute noblesse, loin d'être une caste fermée, restait toutefois ouverte à de nouveaux venus. Des services éminents, la faveur du souverain permettaient d'y accéder, grâce à la concession d'un titre nobiliaire. Tel fut le cas de Pero Nino. Il appartenait à la noblesse moyenne des caballeros qui, par leur assise locale et régionale, dominaient le gouvernement des villes dont ils

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accaparaient les principales magistratures. Leurs seigneuries, modestes en comparaison des estados des ricos hombres, étaient situées dans les territoires des agglomérations urbaines. Grâce à leurs ressources, ils possédaient les montures et l'armement nécessaires au combattant à cheval et pouvaient entretenir une suite armée. Au bas de l'échelle, la grande masse de la noblesse était constituée des hidalgos, particulièrement nombreux dans les villages du nord de la Castille où ils vivaient petitement de l'exploitation de quelques terres. Dans les villes, ils occupaient les charges municipales inférieures. Beaucoup pouvaient se targuer de l'ancienneté de leur noblesse, mais il suffisait d'avoir eu un grand-père et un père exemptés d'impôts pour obtenir l'hidalguia. Des études universitaires ouvraient à des fils de familles d'hidalgos (et aussi aux cadets de familles de caballeros), des carrières de letrados, de juristes, dans l'administration royale ou dans celle des estados de la haute noblesse. D'autres optaient pour le métier des armes au service du roi ou dans les suites armées des ricos hombres et des

caballeros. Les clivages dans la noblesse n'étaient pas tous de nature socioéconomique. L'appartenance à la chevalerie (caballeria), conditionnée par la majorité d'âge et la majorité «économique» (si l'on peut s'exprimer ainsi) introduisait une autre distinction. Alors que Pero Niiio, né en 1378, reçut l'adoubement en 1406, Garnes l'appelle caballero, au sens de «chevalier», dès 1398. Il avait en effet «une maison et des gens», par quoi il convient d'entendre un ensemble de personnes attachées à son service, et une suite armée. Pero Niiio n'était donc plus sous la tutelle parentale et possédait une fortune dont il avait le libre usage. Mais, par les dépenses qu'il exigeait, l'entretien d'une «111aison» n'était à la portée que des ricos hombres et des caballeros (au sens socio-économique). Les premiers sont qualifiés, dans le Victoria!, de grandes caballeros, de grands chevaliers; les seconds de caballeros fijos dalgo, de chevaliers nobles. Il y a donc un lien étroit entre caballeria (chevalerie) et hidalguia (noblesse). Le jeune noble, fils de rico hombre ou de caballero, avait vocation à devenir chevalier. Entré dans l'adolescence, il était dit donzel, damoiseau. C'est ainsi que Garnes désigne Pero Niiio entre le temps de ses premières armes et 1398. La pratique exclusive du métier des armes et du service à cheval sont les traits essentiels de la caballeria. «Toute sa vie il prati-

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qua le métier des armes et l'art de la chevalerie [le service à chevaQ et depuis son enfance ne s'adonna à aucune autre tâche.» Ne pouvaient donc être tenus pour chevaliers les caballeros (au sens socio-économique) qui faisaient le choix d'une carrière administrative. Mais celle des armes n'était pas le propre des seuls chevaliers. Le manque de fortune interdisait ainsi l'accès à la chevalerie à de nombreux nobles, cadets de familles de caballeros ou hidalgos, qui, pourtant, n'avaient pas d'autre métier. Garnes les situe socialement et professionnellement en les qualifiant de gentiles hombres (gentilshommes, terme emprunté au français) et d' escuderos (écuyers) . L'opinion de Garnes sur la chevalerie reflète la perception qu'avaient, de la caballerîa, ricos hombres et caballeros fijos dalgo. C'était, selon lui, «un office et un art», soit: une fonction et un métier, dont une élite de la naissance et de la fortune avait l'exclusivité - à cet égard, la différence de religion ne faisait pas obstacle à ce que certains musulmans fussent tenus pour caballeros: on trouve des chevaliers mores dans le Victoria[. La pratique de cet art exigeait des aptitudes non seulement physiques mais aussi morales et intellectuelles considérées comme innées. Elles n'étaient toutes réunies que chez les nobles de souche - Pero Nino en était un parfait exemple -, et ils avaient une nette conscience du fait que le premier rang dont ils jouissaient dans la société castillane était un effet de la volonté divine. Il est symptomatique que les oratores, les prêtres, à qui, dans l'idéologie des trois ordres, revenait ce rang, soient à peu près absents du Victorial. Bien plus, Garnes souligne l'incompatibilité de l'hostilité à la guerre qu'il attribue aux hommes Mais, prolixe quand il s'agit des exploits guerriers de Pero Nino, Gutierre Diaz ne donne aucun exemple de la conduite qu'il a pu avoir envers les faibles. Le ton romanesque du récit de ses amours ne doit pas dissimuler que c'est probablement le souci d'ascension sociale, autant sinon plus que la passion, qui a dicté ses choix. Si Constanza de Guevara était belle, elle était aussi riche et de bon lignage, et belle-sœur d'un personnage influent, le connétable Ruy L6pez Davalos. Sur ce point, un passage du Victoria[ semble révélateur. Quand Pero Nino revit Jeannette de Sérifontaines devenue veuve, elle «parla avec lui de toutes ses affaires;>. Garnes ajoute abrupte111ent: «Ils furent désorn1ais a111oureux l'un de l'autre.» Il n'est pas interdit de penser que la fortune de la «dame;> joua quelque rôle dans la brusque éclosion de cet a111our. Son «chevalier» y renonça aisément lorsque, revenu, en Castille, la faveur d'Henri III lui permit d'espérer obtenir dans son pays natal la honra à quoi il aspirait. Il n'en fut rien. La mort du souverain avait ruiné cet espoir quand Pero Nino, simple capitaine d'une partie de la garde royale, apprit, par un heureux hasard, que l'infante Beatriz de Portugal avait loué son comportement lors d'une joute. Il décida aussitôt de la conquérir. Il est possible qu'elle ne lui ait pas été tout à fait inconnue, puisqu'elle vivait à la cour, mais il ne lui avait pas porté la moindre attention auparavant. Dès qu'il eut appris qu'elle l'avait remarqué, ses efforts tendirent à obtenir sa main et il mit en œuvre toute une straté-

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gie à cet effet. Les chevaliers de la littérature courtoise n' épousent pas. Ils ain1ent «en haut lieu», niais leurs arnours sont platoniques ou adultères. Pero Nino, lui, n'envisage qu'une union légitime parce qu'elle apportera, de façon durable, honra et fama à son lignage. Garnes fait de son héros un modèle de loyauté. Il a, certes, refusé de porter les armes contre Jean II et rendu au roi, à sa semonce, le château de Montânchez. Qu'il ait eu conscience de ses devoirs de vassal envers le souverain paraît vraisemblable. Mais on doute que ce soit le seul souci de protéger le roi contre luimême en le soustrayant à l'influence d'un mauvais conseiller qui le conduisit, en 1420, à se faire l'instrument du coup de force de l'infant Enrique. Il pouvait espérer que l'infant, devenu maître du gouvernement, le récompenserait du service rendu. L'échec final d'Enrique obligea Pero Nino, en 1423, à s'exiler en Aragon. Il abandonna alors le parti de l'infant comme il avait renoncé à Jeannette de Sérifontaine et pour le même motif: le souci de sa carrière. Après son retour en Castille deux ans plus tard, Alvaro de Luna le réconcilia avec Jean II que, désormais, il «servit comme il avait coutume de le faire, bien et loyalement». Le Victoria! ne s'étend pas sur les raisons de cette réconciliation mais les laisse entrevoir lorsque Garnes écrit, a propos du favori du souverain, «qu'il n'y eut jamais homme en Castille qui, sans être roi, ait eu autant de pouvoir». C'est de lui que Pero Nino pouvait attendre la réalisation de ses ambitions. De son côté, Alvaro de Luna qui cherchait à renforcer le «parti du roi» avait intérêt à le rallier à sa cause. A la fin de sa vie, peut-être assagi par l'âge, mais soucieux sans doute aussi de ne pas compromettre la situation qu'il avait acquise, le comte de Buelna supporta avec une patience rare et peu conforme à son impétuosité naturelle les provocations de son voisin de Cigales, l' adelantado de Galice. Pero Nino n'a donc pas été un chevalier errant en quête de prouesses destinées à lui gagner le cœur de la femme aimée, mais un militaire professionnel. C'est en quoi le récit de ses campagnes est un document de premier ordre sur l'art de la guerre navale et terrestre à la fin du Moyen Age. Garnes décrit avec précision tout ce qui concerne l'équipement des galères, les conditions de vie à bord, les techniques de navigation à la rame et à la voile, l'abordage des navires ennemis. Courageux jusqu'à la témérité, supportant les blessures avec une rare fermeté d'âme, Pero Nino fut un entraîneur d'hommes mais aussi un tacticien du

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combat terrestre ayant le sens du terrain et sachant articuler au mieux les forces dont il disposait, hommes d'armes et arbalétriers.

4. L'auteur, sa culture, sa personnalité, son œuvre Comment définir la personnalité, la culture et les intentions de celui qui mit par écrit les aventures du chevalier Pero Nino, manifestant habituellement une excellente connaissance des circonstances et des événements, tout en magnifiant avec un art certain les idéaux et les valeurs de tout un groupe social? La réponse est difficile à donner. Tout ce que l'on sait de certain sur l'auteur du Victoria[ provient de son ouvrage et d'une disposition testamentaire du comte de Buelna. Gutierre Diaz de Garnes, selon ses propres dires, fut le criado (familier) de Pero Nino, comte de Buelna, et vécut dans ses « bonnes grâces» depuis les vingt-trois ans de ce dernier, et alors que lui-même avait à peu près le même âge, soit depuis 1401. Il l'accompagna dans les mers du Levant et du Ponant. Sa bannière lui était confiée et il courut les mêmes dangers que lui. Il a vu, affirme-t-il, tous les exploits accomplis par son maître. Dans un testament rédigé en 1435, le comte de Buelna léguait l'usufruit d'une de ses propriétés à Gutierre Diaz, qui était en train d'écrire le livre de son histoire. Après la mort de la comtesse Beatriz, sa femme, le livre devait être déposé dans la sacristie de l'église de Cigales, et placé dans le coffre contenant le trésor du sanctuaire, où il pourrait être consulté, disposition qui témoigne du souci qu'avait de safama le comte de Buelna: de la même façon, dans un passage du Victoria!, Jules César se plaint auprès de Virgile de l'oubli où tombe le souvenir des grands hommes après leur mort. Mais d'autres éléments peuvent se déduire de la lecture du Victoria!. Gutierre Diaz, de son propre aveu, n'a été témoin oculaire que des seuls événements survenus pendant les campagnes de 1404 et de 1405-1406. Il n'apparaîtjan1ais conune tel dans la dernière partie du Victoria!. Il est donc tout à fait vraisemblable qu'il ait cessé de faire partie de la «maison» de Pero Nino peu après le retour définitif de celui-ci en Castille. Le choix que fit de lui le comte de Buelna pour écrire le livre de son histoire, près de trente ans plus tard, montre cependant que leurs relations continuèrent, ou reprirent sur le tard. Mais qu'est-il devenu dans

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l'intervalle? Une chronique du règne de Jean II mentionne un Gutierre Diaz, écrivain de la chambre du roi qui, entre 1408 et 1411, puis en 1419, fut chargé de missions diplomatiques dans l'émirat de Grenade8 . Il est tentant de voir en lui l'ancien familier de Pero Nino devenu fonctionnaire royal. Le Victoria/ révèle, en effet, chez son auteur, une connaissance des affaires de Grenade en particulier et de la Castille en général qui ne paraît pas de seconde main. Cette possibilité entraîne qu'on aurait affaire à un letrado, un de ces juristes issus des universités parmi lesquels la royauté recrutait son personnel administratif. Lu avec cette hypothèse à l'esprit, le Victoria[ révèle des traits culturels très significatifs 9 . Le groupe composite que constituaient les letrados incluait nombre de petits nobles et de cadets de caballeros qui, à un moment de leur existence, avaient fait le choix d'une carrière de fonctionnaire royal. Or l'auteur du Victoria[ était sans doute noble, comme son modèle. Il fait toujours suivre son nom et son patronyme du toponyme «de Garnes», signifiant par là que sa famille était de solar conocido, c'est-à-dire établie dans un lieu où, de temps immémorial, elle était tenue pour noble. Il écrit que chacun doit demeurer dans l'état où Dieu l'a fait naître et mentionne à cette occasion l'état de letrado: aux uns,