Le travail psychique de la formation : Entre aliénation et transformation [dunod ed.] 9782100558254

Comment former aux pratiques psychanalytiques de groupe et de psychodrame des thérapeutes ordinairement centrés sur le t

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Le travail psychique de la formation : Entre aliénation et transformation [dunod ed.]
 9782100558254

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Le travail psychique de la formation Entre aliénation et transformation René Kaes Catherine Desvignes G. Gimenez B. Guettier G. Bayle P. H ery D. Hirsch

DUNOD

Nicolle O. M.Pichon E. Sechaud N. Vander EIst

Dessin de couverture : © Jacques Van den Bussche

© Dunod, Paris, 2011 ISBN 978-2-10-055825-4

LA COLLECTION « INCONSCIENT ET CULTURE »

La collection Inconscient et culture, créée en 1972 par René Kaës et Didier Anzieu, s’est donné pour ligne éditoriale de publier des ouvrages à plusieurs voix sur des questions qui font débat dans le champ de la psychanalyse. Un fil rouge traverse ces questions : il attire l’attention sur les rapports entre l’espace subjectif organisé par les effets de l’inconscient, et les espaces du lien intersubjectif, de la culture et des institutions. Chaque ouvrage rend compte de recherches originales sur un thème précis et innovant, l’ensemble visant une articulation entre la clinique, la réflexion méthodologique et l’élaboration théorique. Une caractéristique de la collection Inconscient et culture est d’accueillir des auteurs chevronnés aux côtés desquels de plus jeunes exposent leurs recherches. À ce jour plus de deux-cent soixante auteurs ont contribué à l’édification de cette entreprise, qui compte plus de cinquante titres, dont vingt-cinq sont encore au catalogue et témoignent de la vitalité de la collection et de la longévité de plusieurs ouvrages. Au fil des années, le profil de chaque livre s’est précisé : chaque volume rassemble quatre ou cinq auteurs, qui rédigent des chapitres substantiels d’une cinquantaine de pages chacun. Leurs contributions, coordonnées par un responsable de l’ouvrage, sont complémentaires ou forment un contrepoint à l’intérieur du thème principal. Une table des matières détaillée, une bibliographie soignée, deux index (des concepts et des noms propres), des mises à jour au fil des retirages et des rééditions font des ouvrages de cette collection des outils de travail particulièrement appréciés.

LISTE DES AUTEURS

G ÉRARD BAYLE , psychanalyste (S.P.P). C ATHERINE D ESVIGNES , psychanalyste (S.P.R.F), membre du CEFFRAP. G UY G IMENEZ , psychanalyste de groupes, Maître de Conférences en psychologie et psychopathologie cliniques à l’université d’Aix-en-Provence, membre du CEFFRAP. B LANDINE G UETTIER, psychiatre, psychanalyste (S.P.P), membre du CEFFRAP. P HILIPPE H ERY, psychologue clinicien, psychanalyste, psychodramatiste.

 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

D ENIS H IRSCH , psychanalyste (S.P.B), membre du CEFFRAP. R ENÉ K AËS , psychanalyste, professeur émérite de psychologie et de psychopathologie cliniques à l’université Lyon II, membre du CEFFRAP. O LIVIER N ICOLLE , psychanalyste, maître de conférence à l’université d’Amiens (UPJV), membre du CEFFRAP. M ARTINE P ICHON , psychanalyste (S.P.P) membre du CEFFRAP. É VELYNE S ECHAUD , psychanalyste (A.P.F). NADINE VANDER E LST, psychanalyste et psychodramatiste à Bruxelles, membre du CEFFRAP.

TABLE DES MATIÈRES

LISTE DES AUTEURS

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TABLE DES MATIÈRES

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AVANT-PROPOS PAR P HILIPPE H ÉRY

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1. Désir de former, formation par le groupe et transmission de savoirs PAR R ENÉ K AËS Le désir de former dans un groupe de psychanalystes au début des années soixante Première période : le métissage entre la psychosociologie et la psychanalyse, 4 • Seconde période : fantasme et formation. Formation du sujet et intersubjectivité, 8 • Troisième période. Processus personnel et inscription sociale de la formation, 13 L’expérience psychanalytique de groupe comme dispositif de formation Le travail psychanalytique dans la cure et dans le groupe, 16 • Un modèle du groupe, 18 • Les groupes internes et la groupalité psychique, 19 • Le lien et les alliances inconscientes, 20 • Le travail psychanalytique de groupe et le processus de formation, 21 • Quelques fonctions de l’autre dans le processus de formation : le

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TABLE DES MATIÈRES

formateur et l’accompagnement en position méta , 22 • La violence de la rencontre dans la formation, 23 • Formation et/ou psychothérapie ?, 24 Ce qui se transmet dans la formation Le processus de la formation est la formation même, 25 • Ce qui se transmet est l’à-venir. Reproduire et/ou transformer, 25 • Ce qui se transmet est une expérience subjective de l’inconscient, 26 • Ce qui se transmet, c’est l’institution elle-même, 27 • L’exigence épistémologique de la formation, 28 Sur la spécificité de la formation à une fonction psychanalytique Une double expérience du travail psychanalytique, 29 • L’élaboration des enjeux imaginaires de l’offre et de la demande de formation, 30 • Du narcissisme et des narcissismes dans la formation, 32 • Le narcissisme de mort dans la formation, 34 • Que faire avec les figures des formateurs ?, 35 2. Destins de la perte, forme(s) et formation PAR O LIVIER N ICOLLE

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« In cauda venenum... »

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Alors ?! en (bonne) forme ?...

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Déjà tout petit, puis, à l’adolescence...

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Bildung/training

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Deuil ou mélancolie dans la formation

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« Une génération s’en va, une génération s’en vient... »

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3. De l’assujettissement à la subjectivation dans le travail psychique groupal PAR B LANDINE G UETTIER

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Spécificité du travail psychique en groupe

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Un exemple : un idéal assujettissant

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Illustration de l’assujettissement au groupe ou à soi-même

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TABLE DES MATIÈRES

Conclusion

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4. Du plaisir et de la souffrance dans la formation PAR NADINE VANDER E LST ET G UY G IMENEZ

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Introduction

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Séquences cliniques S’approprier sans transformation : le vol des manuscrits fondateurs, 81 • Accepter le risque de (se) perdre dans le processus de transformation, 82 • Aliénation ou/et subjectivation dans la formation, 84

80

La transmission : filiation et affiliation Commentaire : filiation et affiliation, 86

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Quatre axes de travail sur la formation et la transmission Premier point : la formation a une dimension ludique, maturante et narcissisante : on apprend et on se forme en jouant, 88 • Deuxièmement : la formation est une transformation potentiellement anxiogène et porteuse de souffrance : on se transforme, on perd et on se perd en se formant, 89 • Troisièmement : la formation permet de travailler le complexe fraternel et de « trouver-créer » des frères et des sœurs, 90 • Quatrièmement : le travail de l’héritage : se former c’est hériter et s’approprier un héritage, 91

87

Conclusion La formation est porteuse de souffrance, 93 • La formation est source de plaisir, 94

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5. Du groupe au divan fauteuil 95 PAR C ATHERINE D ESVIGNES , G ÉRARD BAYLE , D ENIS H IRSCH , M ARTINE P ICHON , É VELYNE S ECHAUD Les spécificités de l’expérience psychanalytique de groupe et du psychodrame psychanalytique

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TABLE DES MATIÈRES

Effets de l’expérience groupale et psychodramatique sur l’écoute analytique dans la cure Intervention psychodramatisée et surmoi analytique (E. Sechaud), 99 • Apport du psychodrame dans la pratique de la cure (G. Bayle), 101 • Trauma, pacte dénégatif et travail de subjectivation dans la cure (M. Pichon), 102 • Les rêves de séance, entre névrose de transfert et transmission transgénérationnelle des traumas (D. Hirsch), 108 • L’agir en séance, la dramatisation et le surmoi analytique de l’analyste (C. Desvignes), 113

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L’impact de l’expérience du groupe et du psychodrame sur la formation de l’analyste

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Conclusion

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POSTFACE. LA POSITION DU PSYCHANALYSTE DANS UNE FONCTION DE FORMATEUR

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PAR R ENÉ K AËS

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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INDEX

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AVANT-PROPOS Par Philippe Héry

certaine que le CEFFRAP proposait d’organiser à l’automne 2009 un colloque invitant à remettre sur le métier – était-ce pour une centième fois ? – cet ouvrage sans cesse à reprendre que représente toute tentative sérieuse d’une réflexion sur les problématiques fondamentales de la formation, singulièrement dans les domaines relevant, comme il en est question ici, de la psychanalyse ! Personne n’ignore à quel point ce problème a pu être cause, depuis des décennies, de déflagrations violentes dans le champ psychanalytique, et d’aucuns pouvaient penser qu’il nous fallait une certaine dose d’inconscience pour, encore une fois, oser nous aventurer sur ce terrain miné. Mais la formation est – avec la recherche – un des objets fondamentaux et une des raisons d’être premières du CEFFRAP depuis ses origines, voici bientôt cinquante ans déjà, et il nous est apparu que nous ne pouvions ni ne souhaitions faire l’économie d’une mise au point approfondie sur ce qu’il en est de nos positions, de nos conceptions et de nos questionnements en la matière. Nous n’ignorons toujours pas, bien sûr, en prenant dans l’après-coup l’initiative de la publication écrite d’un tel ouvrage (de même que nous ne l’ignorions pas lorsque nous organisions un colloque) qu’une telle exposition – ici forcément partielle et qui mériterait de plus amples développements – comporte forcément un risque de confrontation à la critique ou à des attaques plus ou moins virulentes venant de divers horizons. Mais nous préférons considérer ce risque comme une chance,

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E N ’ ÉTAIT PAS SANS UNE APPRÉHENSION

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A VANT- PROPOS

et c’est avec la conviction que nous avons tous à gagner à cette inévitable confrontation que nous nous sommes lancés dans cette aventure et que nous souhaitons encore et toujours la poursuivre ! Il ne s’agira nullement pour nous de prétendre offrir ici un modèle de ce que pourrait être le cursus de formation type proposé à des cliniciens qui ont pour objectif le travail psychanalytique avec le groupe, le psychodrame ou les institutions : et en disant cela, je parle ici bien évidemment de praticiens qui se soucient d’instaurer et de maintenir non seulement une écoute, mais aussi des modalités d’intervention authentiquement psychanalytiques, dans l’un ou l’autre de ces trois domaines, voire dans ces trois domaines à la fois, qui sont ceux que le CEFFRAP explore prioritairement. Il s’agira d’autant moins d’offrir un tel modèle – même si nous sommes tout à fait conscients qu’il n’y a pas d’avancée possible en la matière sans nécessaire prise en compte de processus de modélisation – que les membres du CEFFRAP ont toujours fait preuve d’une extrême vigilance vis-à-vis de toute proposition de modèles qui se présenteraient comme uniques, qui s’avéreraient trop rigides et qui s’offriraient à ce qu’il en soit fait trop rapidement des usages normatifs et aliénants. Voilà une première position que l’on pourra retrouver de manière plus ou moins explicite dans quelques-uns des chapitres de ce livre : position qui a probablement ses limites, et qui peut être légitimement interrogée ou contestée. Mais il me semble qu’il y a là une position qui à elle seule viendrait justifier et légitimer, si besoin était, l’initiative prise par le CEFFRAP de proposer une réflexion un tant soit peu soutenue sur la formation. Car reprendre en ce début de XXIe siècle le débat maintes fois relancé par le passé autour de cette thématique de la formation, voilà qui revêt un caractère particulièrement vif d’actualité et d’impérieuse nécessité dans le contexte sociétal que nous traversons à l’aube de ce siècle. En effet, que ce soit dans le champ du soin psychique, de la psychothérapie, de la psychiatrie, etc., ou que ce soit dans le champ de la formation, nous savons

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A VANT- PROPOS

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tous trop bien à quel point nous sommes quotidiennement et frontalement confrontés à des injonctions contraignantes très fortes, convergeant toutes vers un même mode de contrôle de nos pensées et de nos actions : je pense en disant cela à toutes ces réglementations édictant des protocoles, des procédures, des modèles ou des normes à respecter, imposant des classifications, prétendant soumettre à des critères d’évaluation souvent contestables le travail effectué, les soins dispensés ou les formations délivrées. Avec en arrière-plan des préoccupations d’accréditation sur fond de considérations normatives, judiciaires ou franchement sécuritaires. Je ne m’attarderai pas plus longuement sur ces tendances très lourdes, qui peuvent avoir en partie leur justification, mais qui viennent à l’heure actuelle surdéterminer de tout leur poids les modes de pensée et les pratiques des uns et des autres, risquant trop souvent de les stériliser, voire les pervertir et les déshumaniser. Tout cela est bien connu de tous. C’est pourquoi, s’efforçant de se déprendre de cet esprit du temps, il nous semble urgent de maintenir une réflexion approfondie sur ce qui fait selon nous le vif de la formation, d’une formation qui soit pleinement du côté du « transformer » (ou : « se transformer »), plutôt que du côté du « conformer » (ou : « se conformer »). Et cela même s’il est certainement impossible, et fort probablement non souhaitable, d’opposer radicalement ces deux visées, comme si elles ne pouvaient entretenir entre elles que des rapports d’exclusion réciproques : car s’agissant de processus de formation, fût-il psychanalytique, la question des « représentations-buts » que l’on peut s’en donner, la question des finalités que l’on assigne à cette avancée formative, la question de son achèvement ou de son inachèvement, toutes ces questions ne se posent pas dans les mêmes termes et avec les mêmes enjeux que ceux relatifs au processus psychanalytique proprement dit ou même encore au processus psychothérapique. Il y a là tout un ensemble de questionnements qui traversent toutes nos actions de formation au CEFFRAP. Que ce soit plus généralement dans les groupes de formation ou dans les sessions, cycles ou séminaires avec psychodrame psychanalytique de

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A VANT- PROPOS

groupe que nous proposons dans nos programmes de formation depuis les origines de notre association. Ou que ce soit plus spécifiquement encore dans la formation de psychodramatiste que nous avons décidé d’assurer depuis de longues années maintenant, et qui, tout au cours de son déroulement, viendra se nouer et se renouer à cette expérience première de mise au travail psychique personnel, sans cesse reprise et approfondie dans les différents dispositifs de groupe et de psychodrame que le CEFFRAP instaure. Nous n’avons jusqu’à maintenant, et ce malgré de forts vents contraires, jamais voulu définir de cursus de formation pour cette formation de praticiens du psychodrame. Nous nous sommes toujours refusé à instituer un cursus en prêt-à-porter qui établirait d’avance le nombre d’années, d’heures, de niveau d’expérience ou de connaissances qui seraient requis pour se dire psychodramatiste et être habilité et reconnu comme tel. Nous avons toujours privilégié et fait porter l’accent sur la notion de processus de formation, individuel et groupal, afin de préserver au mieux cette dimension fondamentale – fabuleuse et fragile à la fois – de mouvement, de changement, de transformation, de mise au travail incessante et d’appropriation la plus authentiquement subjective possible de ce qui se trouve transmis au cours de la formation. L’absence de cursus prédéfini n’empêche pas, bien au contraire, l’existence de dispositifs rigoureux et de règles très précises, constituant le creuset indispensable à l’intérieur duquel tout ce qu’il y a de fondamentalement processuel dans la formation va pouvoir se développer et se poursuivre aussi loin que possible ou souhaité. Sans entrer dans des détails relatifs aux dispositifs de formation qui ne sont pas l’objet de cette introduction, mais afin de mettre en perspective les considérations plus théoriques – qui seront développées tout au cours de cet ouvrage – avec la pratique formative qui est la nôtre, je mettrai toutefois très brièvement l’accent sur deux éléments de cadre particulièrement significatifs de l’esprit qui guide nos actions de formations,

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et qui représentent pour nous deux piliers essentiels de notre dispositif de formation de psychodramatiste : 1) Les moments dits de « regroupement », rassemblant deux fois par an les psychodramatistes en formation avec trois membres du CEFFRAP. Ce lieu et ce temps offrent la possibilité d’une perlaboration groupale et institutionnelle des avancées des uns et des autres dans le processus de formation. C’est aussi l’occasion d’une reprise collective des points de butée pouvant éventuellement faire obstacle à la progression des uns ou des autres, que ces points de butée soient personnels, groupaux, ou plus structurellement institutionnels, je veux dire par là liés aux dispositifs de formation eux-mêmes tels qu’ils sont conçus et proposés par l’institution CEFFRAP. 2) Les entretiens avec un « référent », lieu d’analyse et de reprise singulière des aléas du processus de formation de chaque formant avec un des psychanalystes/psychodramatistes du CEFFRAP, rencontré plusieurs fois par an au cours de toutes les années que dure cette formation, dont l’aboutissement se trouvera ponctué par la production d’un écrit présenté oralement devant trois membres du CEFFRAP. C’est dans cette mise en tension entre une perlaboration groupale, plurielle, rendue possible par les « regroupements » et une réflexion singulière menée dans un cadre duel avec le « référent » que nous nous efforçons de maintenir un cheminement formatif qui soit le plus authentiquement du côté de la transmission, de la transformation, de l’appropriation subjective, et non du côté du conformisme et de l’aliénation. Je reviendrai un peu plus tard sur ces notions essentielles pour nous et qui seront le fil rouge de cet ouvrage. C’est donc en lien très étroit avec cette pratique formative dans le champ de la psychanalyse groupale qu’a germé entre nous, au CEFFRAP, l’idée de proposer le colloque dont est issu ce livre (qui n’en constitue pas les actes), colloque et livre venant marquer une étape dans une recherche collective toujours en cours. Se reflètent donc là les fruits d’une réflexion commune qui se garde bien de se constituer en pensée unique

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A VANT- PROPOS

comme on pourra certainement le constater au travers des écrits qui vont suivre. Cette œuvre commune aurait plutôt à voir, pour reprendre une expression chère à René Kaës, avec une polyphonie à laquelle nous accordons quelque vertu, même si d’aucuns pourront parfois y entendre quelques dissonances. Mais je reviens sur le titre que nous avons souhaité donner à cet ouvrage et qui ordonne le fil rouge que je viens d’évoquer : « Le travail psychique de la formation ». L’accent y est donc mis très explicitement – au travers de la notion de travail psychique – sur la dimension essentiellement processuelle de la démarche formative. Cette dimension est encore rappelée dans le sous-titre, où insiste la notion de « transformation », notion qui implique celle de modifications de forme et d’appropriation d’une forme bien à soi, et qui posera plus particulièrement la question des remaniements narcissiques à l’œuvre dans ce type de formation, ainsi que la question de tout le travail psychique des identifications qui s’y effectue. Sans méconnaître les enjeux cruciaux de la perte et du deuil que ce travail de transformation ne manquera pas de convoquer. Avec le risque toujours présent, au décours de ce long cheminement rarement linéaire, d’une possible « aliénation » qui viendrait signer un échec regrettable dans la poursuite du projet formatif. Cette notion d’aliénation permettra de reprendre, dans toute sa complexité et avec toutes les nuances qui s’imposent, les questions du conformisme et de la conformité que j’ai déjà évoquées de manière bien trop rapide un peu plus haut. Ce qui aura probablement le mérite de nous inciter à prendre en compte le risque, inhérent à toute démarche formative, de se retrouver dans la simple reproduction du même et dans la production de structurations psychiques en « faux self », comme nous en connaissons tous, et dont nous savons tous depuis Winnicott à quel point ce mode d’organisation narcissique défensive vient marquer un arrêt dans ce qui est processus, mouvement authentique, dynamique réelle de transformation et de progression. Nous serons tout particulièrement vigilants à repérer comment cette problématique peut venir infiltrer, voire

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pervertir, les dynamiques de transmission, de filiation et d’affiliation inhérentes à tout projet formatif. Et quand je parle de transmission, je vise aussi la délicate question des rapports entre formation et transmission de savoir que nous ne manquerons pas de croiser au cours de la réflexion se développant tout au long de ce livre. Je ne reprendrai pas ici point par point l’intitulé de chacun des chapitres qui vont suivre : ce faisant, je craindrais d’être un peu trop dans un formalisme peu stimulant, pour ne pas dire dans un conformisme dont je viens de pointer les risques d’immobilisation qu’il porte toujours en lui. Je souhaiterais simplement ponctuer cette introduction à ce qui va suivre en soulignant à quel point nous disposons, avec le psychodrame psychanalytique de groupe – qui est l’un des moteurs essentiels de notre mise au travail de pensée au CEFFRAP – d’un outil extraordinaire d’exploration, de compréhension et de mobilisation de la vie intrapsychique consciente et inconsciente dans ses interactions permanentes avec les mouvements intersubjectifs à l’œuvre dans les groupes. J’espère que cet ouvrage témoignera de cette vitalité que nous apporte le psychodrame dans les différentes facettes de notre travail psychique : ce psychodrame où les effets de surprise et le plaisir de jouer si souvent rencontrés viennent aiguiser notre écoute, et réactiver la pulsion épistémophilique des uns et des autres, celle qui sera particulièrement convoquée ici même d’un écrit à l’autre ! C’est d’ailleurs en partant de cette leçon de vie que nous donne si souvent le psychodrame, à nous autres psychanalystes, que nous avons souhaité organiser un débat avec deux invités, Évelyne Sechaud et Gérard Bayle. Avec eux, venus de l’extérieur, porteurs d’autres pratiques cliniques et d’autres références théoriques que les nôtres mais solidement ancrées dans le champ psychanalytique, nous avons souhaité approfondir cet enseignement que le psychodrame nous délivre, et commencer à explorer comment, et à quelles conditions, notre expérience du groupe et du psychodrame peut infléchir notre écoute dans la

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situation clinique individuelle, et notamment dans la cure ? Et dans quelle mesure cette expérience peut-elle bien participer à la formation des psychanalystes ? Voilà une piste de réflexion tout à fait novatrice, quasiment restée inexplorée jusqu’à ce jour et dans le défrichage de laquelle le CEFFRAP aimerait pouvoir s’avancer, avec l’intuition très forte que cette piste ne pourra manquer de s’avérer très fructueuse dans les temps à venir ! Et peut-être permettra-t-elle de fournir des éléments de réponse à la perplexité teintée de pessimisme de l’un de nos aînés qui fit un bout de chemin avec le CEFFRAP, dans un temps passé certes, mais dont il nous a déjà averti lui-même qu’il est « un temps qui ne passe pas » ? Je veux dire, on l’aura reconnu, J.-B. Pontalis qui dans son ouvrage Le Songe de Monomotapa (2009) nous interpelle ainsi : « ...Si chaque cure est une invention riche en trouvailles, en surprises, la psychanalyse, cette “jeune science” selon Freud, est-elle encore inventive ? Transmettre un savoir n’est pas bien difficile. Faire état de ses interrogations, de ses incertitudes, pourquoi pas ? C’est plutôt bien vu. Mais transmettre ce qu’on ne possède pas est une autre affaire ; pourtant cela seul permettrait aux nouveaux venus d’inventer à leur tour. La fonction de toute institution est de reproduire du même, du conforme. J’imagine mal qu’elle puisse favoriser l’invention. »

Espérons que les textes qui vont suivre permettront, à leur façon, de répondre à cette perplexité et de relever ce défi de l’inventivité que nous lance Pontalis, en restant toujours extrêmement attentif à cette affaire tout à fait primordiale qui est aussi la nôtre, celle de « transmettre ce qu’on ne possède pas »...

Chapitre 1

DÉSIR DE FORMER, FORMATION PAR LE GROUPE ET TRANSMISSION DE SAVOIRS

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Par René Kaës

A FORMATION S ’ INSCRIT

dans la raison sociale du CEFFRAP dès sa fondation, en 1962. Elle s’y inscrit comme un de ses objectifs, comme une dimension de sa tâche primaire. La « recherche sur les petits groupes » et la « dynamique de la personnalité » – selon le terme qui évitait alors de parler de psychanalyse – ont été les deux autres dimensions des objectifs du CEFFRAP : elles ont été pensées dans leur étroite corrélation avec la visée pratique de la formation. Notre conception de la formation, celle du groupe et de la « dynamique de la personnalité » ont évolué au cours de l’histoire du CEFFRAP, sous l’effet de la dynamique interne de notre association et sous l’effet du

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contexte social et culturel, notamment celui qui a marqué le mouvement psychanalytique français. Je voudrais brièvement évoquer cette évolution pour ensuite en développer quelques aspects. Au début des années 1960, le groupe a été conçu comme l’objet et le moyen de ce que nous nommions, d’un concept encore vague, la formation. L’esprit de l’époque proposait de comprendre la formation comme un apprentissage, un entraînement, un « training » disait-on sous influence anglo-saxonne. La formation consistait ainsi à s’entraîner à la connaissance des « phénomènes de groupe », à apprendre à les « diagnostiquer ». Plutôt que d’une formation qui aurait pu viser la dynamique de la personnalité, il s’agissait en fait de mettre en œuvre un apprentissage en vue de la conduite d’un groupe, par l’expérience de la participation à un groupe. Résistance aux changements, créativité, communication, cohésion du groupe étaient quelques-uns des concepts majeurs de l’époque. C’étaient là des concepts et des pratiques inspirés par ceux de la psychologie sociale d’orientation lewinienne appliquée aux petits groupes et à la formation. Toutefois, peu à peu, nous découvrions que les processus psychiques propres au groupe sont efficaces, lorsqu’ils sont mobilisés dans un dispositif approprié, pour produire des changements dans la personnalité de ses membres. Il restait à en comprendre les processus, la nature et les conditions, et pour cela, nous avons dû changer de paradigme et inventer en quoi consistaient le travail psychique et le travail psychanalytique dans les groupes et dans les processus de formation qui s’y trouvent activés. Ce fut la tâche de la fin des années soixante et du début de la décennie suivante. Lorsqu’en 1962 D. Anzieu et quelques autres fondent le CEFFRAP, ils réunissent des psychanalystes et des psychosociologues pour mettre en œuvre la recherche sur les petits groupes, la formation et la « dynamique de la personnalité ». La diversité des origines de ses membres, les différences entre leurs points de vue a servi un débat fécond ; elle a aussi maintenu pendant quelques années un compromis pratique, bâtard, entre

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D ÉSIR DE FORMER , FORMATION PAR LE GROUPE ET TRANSMISSION...

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la référence psychosociologique et la poussée épistémologique (risquée) vers une conception proprement psychanalytique du groupe et de la formation. L’alliance sur laquelle étaient fondés nos liens et notre groupe était en quelque sorte conquérante, structurante : rappelant ce que fut pour lui cette aventure, D. Anzieu titrait son étude « Œdipe supposé conquérir le groupe » (1976). Cependant cette alliance avait aussi tous les traits d’un pacte dénégatif, dont l’existence même et donc le sens nous échappaient, mais dont les effets surgissaient dans nos relations comme dans nos pratiques. Les tensions que ce pacte générait, les compromis intenables qui se multipliaient, les séparations et les ruptures, l’intense travail de théorisation feront évoluer le CEFFRAP plus nettement vers la référence épistémologique, méthodologique et éthique à la psychanalyse. Le CEFFRAP s’est construit dans cette référence à partir des questions théorico-pratiques qui s’imposaient à ses membres dans leurs pratiques et que ne parvenait pas à résoudre l’approche psychosociologique. Après-coup, nous ne pouvons que reconnaître combien nos propres résistances à nous engager dans la voie du travail psychanalytique en situation de groupe ont été puissantes. Nous devons à notre propre travail de groupe d’avoir surmonté ces résistances et d’avoir trouvé dans le dénouement de celles-ci un moteur de notre recherche. Depuis bientôt cinquante ans, nous nous réunissons chaque mois et durant quelques journées d’étude annuelles, pour élaborer nos pratiques, nos concepts et nos propres relations de groupe dans le cadre de notre institution. Le fil rouge qui s’est entre-tissé dans nos liens et dans nos associations d’idées au cours de ces dix premières années nous a conduit à cette conception que le groupe ouvre l’accès à une expérience de l’inconscient inaccessible autrement, et c’est précisément cette expérience qui a valeur formative. Mais cet énoncé est trop général, il ne rend pas compte d’une tension permanente et dynamique entre deux propositions distinctes quant aux objectifs de la formation. La première vise essentiellement l’expérience personnelle que chacun peut faire des

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L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

processus et des effets de l’inconscient dans un dispositif de travail psychanalytique en groupe : cette expérience est celle de sa subjectivité dans la rencontre avec soi-même et avec plus d’un autre ; par conséquent, cette expérience s’inscrit dans l’intersubjectivité des processus et des formations de l’inconscient. La seconde proposition met l’accent sur la connaissance des processus inconscients dont le groupe est le lieu et l’agencement. Selon la prévalence de l’une de ces visées, nous écoutons différemment les suites associatives de chaque sujet et celles qui forment la chaîne associative groupale. Nous recevons et traitons différemment les transferts et la matière psychique transférée, nous organisons autrement les processus de transmission de nos savoirs sur l’inconscient, nous avons d’autres stratégies interprétatives. Dans la première partie de ce chapitre, je voudrais exposer, à travers trois moments de l’histoire du CEFFRAP, quelques réflexions sur l’évolution de nos conceptions de la formation. J’essaierai ensuite de dire en quoi les processus psychiques mis en travail dans le dispositif de groupe produisent, dans certaines conditions, un effet de formation. Je poursuivrai en interrogeant ce qui se transmet, se transfère, se répète et s’invente dans le processus de la formation ainsi conçu. Je terminerai par quelques réflexions sur la spécificité du travail des psychanalystes lorsqu’ils assument la formation à une fonction psychanalytique.

L E DÉSIR DE FORMER DANS UN GROUPE DE PSYCHANALYSTES AU DÉBUT DES ANNÉES SOIXANTE Première période : le métissage entre la psychosociologie et la psychanalyse De 1962 à la fin des années soixante, notre conception de la formation s’est superposée avec les objectifs et les méthodes de l’entraînement au diagnostic des phénomènes de groupe. Le mot anglais training, venu en l’occurrence d’Amérique du Nord,

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était passé dans le vocabulaire français avec les autres apports du plan Marshall. Nous proposions un apprentissage, des méthodes actives, une psychopédagogie, mais nos références étaient le training-group, ou, en français, « groupe d’entraînement au diagnostic des phénomènes de groupe ». Ces groupes étaient conduits par des « moniteurs ». La théorie de la Forme qui soutenait ces applications était aussi, de fait, une théorie de la norme. Je veux dire par là que l’objectif de ces groupes était non seulement d’entraîner à un diagnostic de leurs phénomènes (leadership, cohésion, tensions et conflits, réseau de communication, représentation de la tâche, résistance au changement), mais de travailler sur la « bonne forme », celle qui serait capable d’engendrer la meilleure synergie entre l’organisation du groupe, la représentation (consciente) de sa tâche et le réseau de communication entre ses membres1 . J’ai récemment relu des documents de cette époque, notamment l’annonce de notre premier séminaire de formation en septembre 1963. Il était intitulé « Séminaire national de psychosociologie dynamique » et l’équipe d’alors l’avait organisé à partir d’un thème général : « La créativité dans les groupes et les organisations ». Conférences et tables rondes, groupes de diagnostic et groupes d’exercice de résolution de problèmes alternaient chaque jour pendant une semaine. Ces méthodes de « recherche active », comme nous disions alors (traduisant l’anglais action research, pratique mise en place par l’Institut Tavistock de Londres), visaient à placer les participants dans une situation qui en feraient, à terme, des « experts ». C’est aussi cette qualité qui définissait notre propre identité dans cette fonction et dans un champ d’application très large : « l’éducation, l’hygiène mentale et sociale, la psychanalyse, la vie collective » ! Nous nous adressions explicitement, comme d’autres associations, à des « responsables », c’est-à-dire à des personnes en position de devenir elles-mêmes des experts. Nous 1. Sur ce rapport, voir les travaux expérimentaux de C. Flament (1959) sur les correspondances entre structure du groupe, structure de la tâche et systèmes de représentation.

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étions un groupe sachant expertiser et diagnostiquer s’adressant à des futurs experts à leur tour capables d’expertiser et de diagnostiquer. Nous étions loin de ce que nous sommes devenus aujourd’hui : un groupe de psychanalystes qui s’interrogent sur leur supposé savoir et sur leurs incertitudes, et qui tentent de penser le champ transférentiel qui se met en place autour de la fonction du psychanalyste dans un groupe. Un espace de pensée – pour penser – a été conçu pour comprendre ce qui se joue dans cette expérience psychanalytique. Ce type de formation à « l’expertise » s’est progressivement modifié autour d’un schéma relativement stable (maintien d’un thème inducteur du travail en groupe) jusqu’à la fin des années soixante, c’est-à-dire après 1968. Au cours de cette période nous avons mis en place des groupes de libre association et des séances plénières, puis des groupes de psychodrame. Nous prenions aussi conscience de certaines fonctions défensives que nous avions sollicitées entre nous et les participants. Toutefois, les « résistances au changement » qui s’en suivaient, thème de notre séminaire de 1964, étaient alors écoutées et commentées dans une perspective psychosociale et à peine dans un registre psychanalytique. À peine en effet : alors que prévalait la référence psychosociale, une autre écoute pointait l’oreille, une écoute psychanalytique des « phénomènes de groupe », des transferts et de ses objets (A. Bejarano) des processus identificatoires (A. Missenard) des angoisses archaïques (D. Anzieu), des représentations fantasmatiques du groupe (R. Kaës). Toutefois, la plupart du temps, nous ne faisions qu’appliquer à la situation de groupe et au groupe lui-même quelques concepts et modèles de la psychanalyse, avec fruit certainement, mais sans faire la révolution décisive qui nous conduirait à prendre en considération nos propres mouvements contre-transférentiels, individuels et induits par les effets de groupe. Nous avons entrepris ce travail, Anzieu et moi, hors CEFFRAP, en 1965-1966 à Aix-en-Provence, Nous vivions alors au sein de notre propre groupe un double décalage : entre les

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pratiques innovantes portées par quelques-uns d’entre nous et leur adoption par notre groupe, entre la critique épistémologique de notre position et l’intégration de cette critique dans la pensée du CEFFRAP. J.-B. Pontalis, qui fut membre de notre Association à ses débuts, fut le premier à défaire ce métissage – ce mauvais tissage, entre la psychosociologie et la psychanalyse. Il commença à critiquer l’idéologie de l’intégration aux normes de groupe qui sous-tendait les pratiques inspirées par les courants lewinien et morénien. Il introduisit à la même époque (1963) l’idée décisive que le groupe a une fonction inconsciente et qu’il opère comme fantasme dans le champ de la psyché individuelle : pour des psychanalystes, le groupe est avant tout un « objet d’investissements et de représentations ». Cette idée m’a inspiré, au milieu des années soixante, dans mes premières recherches sur les représentations inconscientes du groupe : j’ai poursuivi l’investigation en montrant comment ces représentations du groupe sont mobilisées par la mise en situation de groupe et en quoi elles constituent un élément majeur de la réalité psychique de groupe. Je pense que c’est une idée de ce type qui m’a conduit quelques années plus tard à considérer la formation à partir des investissements et les fantasmes inconscients qu’elle reçoit dans l’espace interne et dans les processus de formation. Une autre idée décisive fut proposée par D. Anzieu : il publia en 1965 un article dans lequel il précisait en quoi consiste la rupture épistémologique avec la psychologie sociale dans notre approche psychanalytique de la formation par le moyen des groupes : « Nous ne travaillons pas à former à la “bonne communication”, mais à l’expérience de ce qui s’engage de nos désirs inconscients dans le groupe et de ce qui y fait obstacle du point de vue du moi de chacun. » Ces textes ont eu un important effet de travail interne parmi les membres du CEFFRAP. Ils ont aussi accompli une fonction de communication externe en direction de la communauté psychanalytique : il était opportun, et même nécessaire d’affirmer que les psychanalystes qui travaillent en dispositif de groupe ne sont

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pas des psychosociologues ou, pire, des psychanalystes dévoyés. En proposant l’analogie du groupe et du rêve Anzieu introduira une référence décisive aux processus primaires et plus tard, en 1971, le concept fondamental de l’illusion groupale. De mon côté, tout en développant le modèle de l’appareil psychique groupal, je commençais à travailler sur la fantasmatique inconsciente qui soutient le désir de former, d’être formé et de se former, la rencontre formative articulant ces trois positions, active, passive et réflexive. Seconde période : fantasme et formation. Formation du sujet et intersubjectivité Cette question proprement psychanalytique du désir inconscient qui est à l’œuvre dans l’offre de formation et, corrélativement, dans la demande de formation a émergé dans le même temps que notre « révolution » psychanalytique dans l’approche des groupes, à la fin des années 1960. Elle a pris corps lorsque nous avons commencé à travailler sur nos investissements et sur nos représentations contre-transférentielles et, conjointement, sur les inductions qu’ils suscitent dans les mouvements transférentiels des participants. Ces nouvelles approches ont été étroitement associées à l’avancement de nos théorisations sur le groupe. Quelques concepts en sont les jalons : j’ai cité l’illusion groupale, les formations de l’idéal et la position idéologique, les processus d’identification et de désidentification, la théorie des organisateurs, et l’analyse des transferts et des intertransferts. À la question : qui formons-nous, à quoi et par quels moyens, une autre question s’est formulée en surimpression : qu’en est-il du désir de former et des fantasmes qui le soutiennent, mais aussi des défenses qui sont à l’œuvre contre ce désir ? Nous avons travaillé cette question au CEFFRAP conjointement avec les propositions d’A. Missenard (1971, 1972) sur les identifications menacées dans le processus groupal.

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La fantasmatique de la formation Pour la part qui me revient, je m’étais intéressé de près à la fantasmatique de la formation. J’avais regroupé sous cette nomination les organisations de fantasmes qui soutiennent et organisent les scénarios inconscients de la formation, chez le formateur et chez les personnes en formation. La structure et la fonction de ces fantasmes me paraissaient devoir être analysés dans la mesure où ils définissent des emplacements subjectifs dans un dispositif psychique de réalisation de désirs et de traitement des énigmes relatifs à l’origine, à la violence et à la sexualité. J’avais repéré une organisation fantasmatique fondamentale dont l’énoncé le plus adéquat me semblait être : « On (dé)forme un enfant. » Je trouvais là un modèle d’énonciation qui pouvait contenir la formule de la fantasmatique de la formation : « On forme/on déforme un enfant. » On reconnaîtra ici la formule par laquelle Freud décrit le fantasme de fustigation en 1919 : « On bat un enfant » dont j’avais relevé et analysé la structure et les fonctions organisatrice et distributrice d’emplacements subjectifs dans les groupes. Ce qui m’intéressait dans cette conception structurale du fantasme – J. Laplanche et J.-B Pontalis en avaient dégagé les principaux traits –, c’était qu’il devenait lisible comme un scénario à plusieurs personnages, dont les emplacements sont permutables, dont l’action se développe sur le mode de la dramatisation des enjeux de désir et de défense et qui admet un retournement des positions actives et passives du sujet et de l’objet. La formule « On forme/on déforme un enfant » se déclinait dans la clinique sous de nombreuse : « on re-forme un enfant », « on transforme, on conforme... un enfant », « on séduit un enfant », etc. Sur la base de cette structure organisatrice, plusieurs questions pouvaient être posées : à quelles représentations, à quels affects et à quels mouvements régressifs renvoie la formation ? à la formation de l’embryon (la fantasmatique de la formation a alors pour scène et contenant le ventre maternel) ? à la formation

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de l’image de soi (et aux jeux du miroir) ? à la formation de l’adolescence et à d’autres moments de passage et de crise ? En déployant cette formule générique de la fantasmatique de la formation, les articulations de la formation avec la pulsionnalité, avec la scène des origines, avec l’incestualité, avec le roman des origines, avec la filiation et l’affiliation, apparaissaient plus clairement. Je développais quatre propositions : La formation mobilise chez le formateur et le sujet en formation le travail des pulsions antagonistes et complémentaires : des pulsions narcissiques et des pulsions dirigées vers l’objet, des pulsions de mort (dé-former) et les pulsions de vie (former, re-former...). Le mythe de Pygmalion transpose parfaitement les intrications pulsionnelles et leurs conflits à l’œuvre dans la formation. Il nous dit aussi que former, c’est rêver une forme, la forme de soi-même et celle de l’autre, la forme de l’autre réfléchissant la toute-puissance de la forme de soi. Il nous indique aussi que les fantasmes sexuels sont engagés dans la formation. Ce désir d’une forme, d’être une forme, est fortement connecté au désir de remplir une forme, ou d’être rempli par une forme : que la scène originaire et l’ensemble des fantasmes originaires soient toujours convoqués dans les groupes et7 dans le processus de formation en est une indication décisive. 1. Plus largement, le concept de contrat narcissique, mais aussi la problématique de la séduction narcissique (originaire) trouvaient dans cette analyse des fondements inconscients de la formation assez de pertinence pour rendre compte des effets structurants qu’ils accomplissent dans la formation du sujet. Ils nous permettaient aussi de penser les effets aliénants de la formation lorsqu’elle se développe en miroir ou en emprise. 2. En suivant le modèle que j’avais construit pour le groupe, je proposais de considérer la formation comme un processus ancré dans une double scène. D’une part une scène interne, régie principalement par le fantasme générique de la formation et ses déclinaisons, et d’autre part une scène externe, externalisée, celle du groupe dans lequel se déploient,

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s’accordent et s’appareillent dans une rencontre avec l’autre, avec plus-d’un-autre, des positions subjectives orchestrées par ce fantasme organisateur. Une des questions à traiter était la suivante : comment ces deux scènes s’articulent-elles entre elles ? Autre question : dans ces scènes interférentes, quelles places occupons-nous et quelles fonctions accomplissonsnous, lorsque, psychanalystes, nous organisons et soutenons un dispositif de formation ? À cette seconde question, les travaux d’A. Missenard sur les identifications et sur le narcissisme (1976) nous ont apporté des contributions importantes. 3. Si la formation implique de rêver la « forme idéale » de soi et de l’autre, elle confronte aussi formateurs et sujets en formation aux angoisses persécutoires et dépressives de la déformation (« On forme/on déforme un enfant ») associées aux désirs de destruction. Nous sommes alors conduits à penser la formation dans son rapport à la formation première, matricielle. C’est ce qu’actualisent les transferts dans le processus de formation, par les voies de la régression non seulement vers les formes archaïques du narcissisme et du moi, mais aussi vers les conflits propres à cette période de formation qu’est l’adolescence1 . Nous sommes confrontés à notre propre désir face au désir de la mère, for-matrice des états internes de l’infans, aux fascinations du miroir maternel et du moi spéculaire, aux premiers dispositifs de défense mis en œuvre contre les risques de confusion que scellent les pactes narcissiques et les jeux de séduction qui l’accompagnent. Cet investissement narcissique de séduction mutuelle n’est pas sans lien avec la dimension de l’incestualité dans le lien de formation. P.-C. Racamier (1991) a défini l’incestuel comme une relation narcissique associée à un attrait sexuel. Il le décrit comme ce qui dans la vie psychique individuelle et familiale « porte l’empreinte de l’inceste non fantasmé, sans qu’en soient 1. Sur la formation comme « réadolescence, cf. R. Kaës, 1973b (reprise en 2000),

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nécessairement accomplies les formes génitales ». La catégorie de l’incestuel fonctionne aussi dans les groupes et dans les institutions : elle trouve d’une certaine manière sa dimension habituelle dans les institutions de formation lorsqu’elles se fondent – le plus souvent sans réalisation génitale – sur la séduction mutuelle qui lie formateurs et personnes en formation dans ce miroitement d’une forme parfaite, tenant ensemble dans une unité imaginaire l’origine et la descendance. Cette condensation du narcissisme et du désir incestueux et de la violence destructrice qui lui est inhérente est au cœur du fantasme « On forme/déforme un enfant ».

Rêver la forme Rêver la forme parfaite, idéale, imaginaire, ou entrer dans le cauchemar des désagrégations. Le processus de la formation, pour mettre en œuvre des identifications structurantes et pour s’engager dans un processus de subjectivation doit buter sur les interdits et les désillusions maturantes, sur les limites au-delà desquelles s’ouvrent alors les voies d’accès à la symbolisation, aux différenciations majeures. Ces découvertes, on s’en doute, ne furent pas sans susciter entre nous des malaises et des replis. Elles exigèrent un travail qui ne ménageait ni nos identifications héroïques, ni nos fantasmes incestueux, ni nos connivences narcissiques. Il nous fallait penser comment tous ces enjeux pulsionnels et fantasmatiques de la formation sont mobilisés et mis en travail dans les dispositifs groupaux que nous mettions en œuvre avec une visée de formation. Nous prenions aussi la mesure que toute formation s’inscrit à la fois dans des effets de subjectivation, dans l’espace de l’intersubjectivité et dans celui des effets de groupe, par exemple dans l’illusion groupale partagée, ou dans des contrats narcissiques pathogènes. Nous partagions cette idée à laquelle le dispositif de groupe nous confrontait nécessairement : il n’y a pas de formation strictement « individuelle », toute formation est multiréférentielle, processuelle, conflictuelle, à l’épreuve de la double réalité de la

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tâche (se former à telle tâche, à telle compétence) et de l’autre (se former avec l’autre, en sa présence, à l’épreuve de l’autre). Le désir de (se) former est à la fois intime et il est adressé à un autre, il est mis en œuvre par plus d’un autre.

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Troisième période. Processus personnel et inscription sociale de la formation Cette conception de la formation en termes de désir inconscient d’une forme à trouver, parce que nous la proposions et qu’elle nous était demandée, nous a fait parcourir ce chemin. Nous ne savions pas a priori et nous ne savons pas toujours – dans la rencontre avec l’inconnu, ce que nous proposons et ce qui nous est demandé. C’est un travail incessant : de cela nous sommes toujours convaincus. Il nous fallait encore franchir, dans la crise, une autre étape. L’accent que nous avions mis sur la fantasmatique inconsciente de la formation laissait de côté un autre niveau de la réalité impliquée dans la formation : celui de la réalité sociale, politique et culturelle, en l’occurrence la dimension institutionnelle de la formation. Nous nous sommes longtemps éprouvés et organisés comme un petit groupe permanent, quasiment à l’état natif, et seulement plus tard comme une institution, instituée et instituante, inscrite dans le sociétal. Le CEFFRAP est aussi un cadre institutionnel dans lequel les processus et les enjeux psychiques de la formation sont intriqués avec les enjeux et les dispositions sociales et économiques de la formation. Les formateurs et les personnes en formation sont confrontés à ces niveaux de réalité organisés par une logique différente de celle des processus inconscients mais liés d’une manière constante et complexe à la réalité psychique. Cette nouvelle problématique est apparue plus précisément lorsque nous nous sommes engagés, dans le long terme, dans un processus de formation de psychodramatistes. Avec cette entrée en jeu de l’institution, de la transmission et du long terme, un autre modèle de la formation a émergé.

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L’objet de la formation s’est précisé : la formation est assurément une formation personnelle, fondée sur l’expérience de l’inconscient dans les espaces et ordres de réalité où se manifestent ses effets. Mais la formation est aussi formation à une tâche dans un dispositif spécifique : la formation par le moyen du groupe à la pratique du psychodrame psychanalytique de groupe. Le but visé par le CEFFRAP s’est modifié : il ne s’agissait plus seulement de rendre possible une expérience de l’inconscient en situation de groupe, mais de transmettre d’une manière plus organisée et complexe ce que nous avions acquis dans notre expérience et dans nos savoirs. Nous avons à réfléchir sur cette proposition que la formation est un projet qui engage le temps : le temps des matrices passées, obsolètes ou trop conformes, le temps actuel de la crise des modèles de formation, mais aussi le temps de la transmission de l’avenir, d’un à-venir possible pour le sujet. Je voudrais souligner, de ce point de vue, la valeur structurante du contrat narcissique, en ce qu’il contient un appel à une place et à un discours où le sujet n’est pas encore advenu, où il est appelé à devenir en s’appropriant cette place. J’ai souvent souligné la violence que la mise en œuvre de ce contrat recèle, et les modalités qui en permettent le dégagement. Notre conception de la formation a été mise en débat : à la formation conçue en termes de cursus, ordonnant a priori un parcours établi pour tous par l’institution, nous opposions une formation conçue en termes de processus mettant chacun en face de son parcours singulier, selon le rythme qui lui est propre. Dans cette seconde option, des points de passage obligés étaient indiqués, mais leur ordre et leurs effets étaient élaborés dans un double dispositif : des rencontres dans un colloque singulier avec des référents membres du CEFFRAP, un regroupement des personnes en formation en séances de travail avec les membres de l’institution CEFFRAP. L’inscription de cette formation dans le champ social se caractérise par des procédures fixées par la loi : la soumission des institutions de formation aux critères légaux d’agrément,

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mais aussi la publicité des critères de validation de la formation. La formation s’inscrit aussi dans le champ social par la demande de reconnaissance sociale de la formation elle-même. Les composantes juridiques, économiques et narcissiques sont ici étroitement intriquées et elles appellent un dispositif d’analyse de leurs effets psychiques. De ce point de vue, la situation du CEFFRAP est celle de toutes les associations de formation : elle comporte une zone de conflit avec les objectifs et les modalités de la formation lorsqu’elle est conçue avec les critères de la psychanalyse. Le principal conflit se situe dans les interférences entre l’inscription de la formation dans un projet social et institutionnel, et donc nécessairement sensible aux normes, aux valeurs, aux idéaux, à la conformisation, et le but du travail psychanalytique. En effet, ce projet met précisément en travail, et quelquefois à vif, ces adhérences normatives (et ces adhésions conséquentes). Ce sont elles qui captent et qui maintiennent des processus et des formations de l’inconscient chez les sujets engagés dans une formation, et entre eux. La spécificité d’une formation conçue selon les critères de la psychanalyse est d’ordonner le processus de la formation à l’analyse de ces effets de l’inconscient, dans tous les espaces où la formation s’effectue et où cette conflictualité reste à reconnaître et à élaborer.

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L’ EXPÉRIENCE PSYCHANALYTIQUE DE GROUPE COMME DISPOSITIF DE FORMATION Il est temps d’aborder plus directement une autre question : en quoi l’expérience psychanalytique de groupe agit-elle comme processus de formation ? Je laisserai de côté ici l’histoire de la découverte psychanalytique du groupe au CEFFRAP : j’ai évoqué nos résistances internes, mais il faudrait évoquer aussi celles des sociétés de psychanalyse à l’égard de notre démarche. C’est une autre histoire1 . 1. Je l’ai esquissée à plusieurs reprises, notamment dans Les Théories psychanalytiques du groupe (1999)

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Je limiterai mon propos à quelques réflexions sur les processus psychiques mis en travail par le dispositif de groupe lorsque l’offre et la demande s’organisent autour d’un projet de formation. J’en rappelle le postulat : la formation est multiréférentielle, processuelle, conflictuelle, à l’épreuve de la double réalité de la tâche et de la réalité de l’autre. Le travail psychanalytique dans la cure et dans le groupe Commençons par différencier le travail psychanalytique dans la cure et dans le dispositif psychanalytique de groupe. Cette distinction relève autant de l’épistémologie (comment se forme la connaissance des objets de la psychanalyse et en quoi consistentils ?) que de la pratique psychanalytique (quelle méthode pour quel objectif ?). Les concepts classiques de la psychanalyse rendent compte de la réalité psychique (intrapsychique) d’un sujet singulier, dans sa structure et dans son histoire. Ils décrivent la matière psychique interne, ses formations et ses processus inconscients, son organisation pulsionnelle et ses étayages, les instances et systèmes d’un espace psychique propre à un sujet singulier, les effets de subjectivité qu’ils produisent en lui : ses fantasmes, ses relations d’objet, ses identifications, ses mécanismes de défense, etc. Nos concepts changent lorsque l’espace psychanalytique s’étend à des ensembles intersubjectifs (un couple, une famille, un groupe) ou transsubjectifs (une institution). En situation de groupe, nous sommes en présence de plusieurs espaces de la réalité psychique. J’en distingue trois principaux1 : • l’espace du sujet singulier. Ce sujet qui n’est pas « l’individu »

interchangeable, le n’importe qui ou l’élément de base du « collectif ». Ce sujet est sujet de l’inconscient. Il est aussi sujet du lien et des alliances inconscientes dans le groupe ; 1. La présentation de ce triple espace est développée Dans Le Groupe et le Sujet du groupe (1993) et reprise dans Les Alliances inconscientes (2009).

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• l’espace du lien, Le lien n’est pas la somme de deux ou

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plus de deux individus, ni même de deux ou de plus de deux sujets : c’est un espace psychique construit de leurs relations, notamment à travers les alliances inconscientes qui les organisent. Je préciserai ce point de vue un peu plus loin ; l’espace du groupe. Le groupe est un agencement des psychés singulières et des liens entre sujets, et cet agencement de plusieurs espaces de la réalité psychique confère au groupe une consistance spécifique. Deux autres espaces sont en arrière-fond de ces trois espaces et ils interfèrent avec eux : l’institution et le sociétal. Chacun de ces deux autres espaces possède une dimension proprement psychique et des dimensions non psychiques : sociale, juridique, économique, politique, culturelle, etc. Sur ces bases, nous avons à penser la réalité psychique de chacun de ces espaces, les logiques de l’inconscient qui y sont à l’œuvre. Pour ce qui concerne le groupe, nous avons à penser les rapports entre l’ensemble, les sujets et les liens qui le constituent et qui en sont constitués. Pour cela nous devons avoir recours à des logiques et à des modèles pour penser les continuités et les interfaces, les discontinuités et les ruptures entre ces espaces et entre les dimensions de la réalité psychique qui les traversent1 . Ces modèles sont des représentations rationnelles et symboliques des processus et des formations de la réalité psychique, et ils doivent rendre compte de la complexité de ces rapports. Mais notre tâche se complique encore car nous avons à conjuguer deux types de modèles : un modèle du groupe qui inclut la position du sujet et de ses liens, et un modèle de la formation. On aura compris que ces modèles ne demeurent vivants que s’ils ne se donnent pas comme des exemplarités, mais comme une démarche d’intelligibilité ajustée à la fois à la connaissance des processus de groupe, à la singularité des

1. Sur les modèles des logiques collectives de l’inconscient, des groupes et de l’intersubjectivité, cf. Kaës 2009b.

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personnes et au but de la formation. Ils sont modulables et malléables. Un modèle du groupe Quels modèles sont capables de rendre compte, dans le champ de la psychanalyse, de la réalité psychique propre au groupe ? Je connais quatre réponses : les trois premières sont celles de Pichon-Rivière, celle de Bion et celle de Foulkes. Ces trois modèles classiques sont fondateurs : dans leurs différences, ils conçoivent le groupe comme une entité. Le quatrième modèle est celui que j’ai essayé de formuler parce que j’étais saisi par d’autres questions que celles de mes prédécesseurs, et parce que je vivais dans un autre contexte de la culture psychanalytique. Mon modèle, celui de l’appareil psychique groupal (Kaës, 1976), articule les trois niveaux d’organisation de la réalité psychique que j’ai distingués, et non seulement le groupe comme ensemble. J’ai soutenu qu’il n’y a pas seulement collection d’individus, mais groupe, avec des phénomènes spécifiques, lorsque s’est opérée entre les individus constituant ce groupe une construction psychique commune et partagée comportant un niveau indifférencié et un niveau différencié d’investissements, de relations d’objet, d’identifications, de mécanismes de défense. L’appareil psychique groupal est un appareil qui accomplit un travail psychique particulier : produire et traiter la réalité psychique de et dans un groupe. C’est un dispositif de liaison et de transformation des contributions psychiques de ses sujets. Mais il est irréductible à l’appareil psychique individuel : il n’en est pas l’extrapolation. Il a ses propres formations et ses propres processus. Pour assurer le passage et la transformation entre les psychés individuelles et l’espace intersubjectif groupal l’appareil psychique groupal comporte des opérateurs spécifiques. Deux concepts en décrivent les principaux.

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Les groupes internes et la groupalité psychique Le premier est celui de groupes internes et de groupalité psychique. De mon point de vue, la groupalité psychique qualifie une propriété générale de la matière psychique : son associativité. Les groupes internes sont une expression de la groupalité psychique. La forme, la structure et la fonction de ces groupes internes sont particulièrement mobilisées dans le processus groupal : ils sont les organisateurs psychiques inconscients de l’assemblage des psychés. Les principaux groupes internes mobilisés dans les groupes sont les fantasmes originaires, les complexes œdipiens et fraternels, les imagos corporelles et psychiques, et toutes les configurations d’objets internes obtenus par les différentes modalités des identifications. J’ai commenté à plusieurs reprises et sous des angles différents comment un groupe s’est organisé sur la base d’un organisateur fantasmatique dont l’énoncé décrit la structure générique : « Un parent séduit/menace un enfant. » Un organisateur comme celui-ci a pour fonction de mobiliser, canaliser, dériver, distribuer et lier l’énergie psychique, les identifications, les fantasmes et les mécanismes de défense des membres du groupe. Le groupe et la plupart des participants de ce groupe s’appareillent sur cet organisateur, puis ils s’agencent sur un autre, le passage d’un organisateur à un autre constituant un aspect majeur du processus de travail psychanalytique dans le groupe. Cette transformation s’effectue à travers des déformations, des déplacements, des condensations et des diffractions de la matière psychique (1976, 1993, 1994, 2007). De ce point de vue, l’appareil psychique groupal est un appareil de formation, de transformation et de liaison de la réalité psychique entre les sujets constituant le groupe. Il est aussi l’appareil qui produit, contient, lie, transforme et traite la réalité psychique spécifique du groupe.

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Le lien et les alliances inconscientes Le second concept qui décrit les opérateurs spécifiques de l’appareillage est le lien et les alliances inconscientes. Un lien est ce qui lie ensemble plusieurs sujets dans un ensemble irréductible à ses sujets constituants. Un lien a sa propre consistance psychique. Sa logique est aussi celle qui régit les processus de groupe : une logique des corrélations de subjectivités. Sa formule pourrait être énoncée de la manière suivante : « Pas l’un sans l’autre, sans les alliances qui soutiennent leur lien, sans l’ensemble qui les contient et qu’ils construisent, qui les lie mutuellement et qui les identifie l’un par rapport à l’autre. » Cet énoncé implique une logique de la conjonction et de la disjonction. Il supporte des développements qui décrivent le lien des aspects opposables. Par exemple sous l’angle de la différenciation (pas l’un sans l’autre, mais l’un distinct de l’autre) ou de l’indifférenciation (pas l’un sans l’autre, l’un incluant l’autre), ou sous d’autres combinaisons qui associent des équivalents aux séries « différence » ou « non-différence ». Les alliances inconscientes sont une condition constitutive du lien, et plus précisément, elles sont une des formations principales de la réalité psychique des liens qui se nouent entre plusieurs sujets. Chacun d’entre nous a besoin de l’autre pour réaliser ceux de ses désirs inconscients qui sont irréalisables sans l’autre, et réciproquement. Plusieurs types d’alliances inconscientes sont à distinguer : certaines sont structurantes (comme le contrat narcissique, l’alliance des Frères, l’alliance symbolique avec le Père, le contrat de renoncement à la réalisation directe des buts pulsionnels) ; d’autres sont défensives (le pacte dénégatif), et parmi celles-ci nous avons affaire à des alliances aliénantes et pathologiques (le déni en commun, le pacte pervers, les alliances narcissiques incestuelles), d’autres enfin sont offensives. Je m’arrêterai un instant sur les alliances défensives : leur but est de maintenir refoulé, rejeté, dénié ou effacé ce qui entre chacun des sujets d’un lien peut mettre en péril leur lien. Mais

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ce but se double d’autres buts, individuels : les alliances soutiennent ce que chacun, pour son propre compte, doit refouler, dénier ou rejeter. L’accord qui en résulte est le plus souvent inconscient et ces accords inconscients sont co-constitutifs de l’inconscient de chacun. De cette manière, les alliances inconscientes participent à la structuration de la vie psychique de chaque sujet, en tant qu’il est sujet de l’inconscient et sujet de ces alliances. Par structure et par fonction, les alliances inconscientes sont donc destinées à produire de l’inconscient et à demeurer inconscientes.

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Le travail psychanalytique de groupe et le processus de formation Sur la base de cette brève analyse et avec ces concepts, comment qualifier sur quoi repose l’expérience formatrice dans l’expérience groupale ? Le groupe met en travail les identifications, le narcissisme, l’imaginaire en jeu dans la construction d’un groupe et dans les processus qui conduisent à en être membre à s’y affilier. Chacun, selon sa structure et son histoire, est mobilisé, travaillé, transformé dans ces processus de construction du groupe pour autant que ce sont ces processus qui ont contribué à sa formation comme sujet de l’inconscient. C’est pourquoi je pose une équivalence partielle mais décisive, entre le sujet de l’inconscient et le sujet du groupe. Un travail psychique est exigé pour participer à l’expérience du groupe : ce travail confronte le sujet avec les conditions intersubjectives et groupales de sa propre formation en tant que sujet. Le travail psychanalytique en situation de groupe est l’invention de nouvelles formes de soi et de nouveaux processus de son accomplissement. Ce travail est une découverte, il est aussi marqué de plaisir mais aussi de souffrance1 . Des traversées douloureuses se présentent lorsque, dans le processus groupal, nous avons à traiter 1. C’est de cette souffrance que nous parlent N. Vander Elst et G. Gimenez dans le chapitre 4 de cet ouvrage.

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le déliement des idéaux, des identifications aliénantes, du désir d’emprise, et des alliances inconscientes qui les soutiennent, dans leur visée de se rendre ou de rendre l’autre « conforme » à une norme. Dans le parcours de la formation, chacun est saisi par les figures du Maître et de l’Institution idéale, par les diverses modalités de l’illusion : individuelle, groupale, institutionnelle. Le dispositif de travail psychique en groupe est particulièrement adéquat pour se dégager du malentendu inhérent à toute offre et à toute demande de formation. Le travail de la désillusion est le processus terminal de toute formation. Chacun, seul et avec les autres, peut alors éprouver quelles résistances majeures se sont opposées à l’appropriation de son processus de formation, une fois élaborée la confrontation à l’inconnu qui accompagne tout changement de forme. Le travail en groupe est aussi l’occasion de mettre en œuvre et de travailler les collages identificatoires que l’adhésion aux idéaux ou aux normes de groupe suscite chez certains sujets. Chacun peut y faire l’expérience de ce que décrivent dans leur chapitre N. Vander Elst et G Gimenez : que le groupe sollicite le désir de s’emparer de quelque chose qui n’est pas à soi, mais à un autre, que cet autre est objet d’envie et qu’il est aussi objet constitutif de l’identification, avec le risque de l’identification en faux-self, si le processus d’introjection des transformations qu’il implique est insuffisant. Quelques fonctions de l’autre dans le processus de formation : le formateur et l’accompagnement en position méta Ces questions sur la fonction de l’autre et de plus d’un autre dans le processus de groupe prennent un sens lorsqu’il s’agit aussi de penser la fonction de l’autre dans la formation. Il ne suffit pas de la penser dans les termes de la complexité des processus d’identification qui soutiennent les figures du semblable, de l’altérité, de l’idéal et de l’adversaire ou du rival, comme Freud le précise dans l’introduction de « Psychologie des masses et analyse du moi ». Il est aussi important de penser

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ensemble une série de fonctions qui vont des fonctions de garant du dispositif et de conteneur, à celles de soutien aux processus de croissance et de symbolisation. La position du formateur le situe entre un « soutenir » et un « lâcher » dont on pourrait dire qu’il est aussi un laisser « partir ». S’il soutient trop, le formateur risque d’être intrusif et de faire prévaloir des rapports d’emprise aliénante. S’il ne soutient pas assez, le formateur conduit les personnes en formation à s’exposer à des angoisses destructrices et dépressives dont les voies de dégagement partiel sont l’acting agressif la dépression ou l’abandon de la formation. La nécessaire expérience de la solitude, nécessaire à la (re)structuration du moi qu’implique la formation, ne se confond pas avec la déréliction. L’ensemble de ces fonctions définissent la position méta du formateur et de l’institution en charge d’une formation : la position méta est celle qui organise un processus, qui l’accompagne dans ses transformations successives, qui les reprend dans un autre niveau, celui de la pensée sur le processus de la formation.

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La violence de la rencontre dans la formation Quelques mots sur les diverses formes de la violence qui traversent le processus de formation et les différents sujets engagés dans ce processus : former, se former, se transformer confronte chacun avec un changement de forme et avec l’antagonisme des pulsions de vie, des pulsions narcissiques et des pulsions destructrices : déformer, se déformer, maintenir en l’état. La violence associée à l’amour et à la haine de soi se double de la violence de l’amour et de la haine de l’autre, du (ou) des formateurs. Elle s’amalgame aussi à la violence de l’emprise, fantasmée ou réelle, à la violence des assignations spéculaires fantasmées ou réelles, mais encore à la violence associée à la reconnaissance ou à la non-reconnaissance (fantasmées ou réelles) de la formation acquise par la personne en formation. Une des applications de la fonction méta du formateur et de l’institution en charge d’une formation est l’aménagement d’un espace pour penser et intégrer cette violence.

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Formation et/ou psychothérapie ? Dans ce chapitre, j’ai considéré la formation comme un processus dans lequel se conjuguent plusieurs dimensions de la réalité psychique et de la réalité sociale. Je n’ai pas encore abordé une question importante que ne manquent pas de se poser et de nous poser toutes les personnes qui entreprennent une formation à la pratique du psychodrame psychanalytique de groupe : quels sont les rapports de similitude et de différence entre formation et psychothérapie ? Ni l’offre ni la demande manifestes ne sont celles d’une psychothérapie, et ne le sont pas non plus le dispositif et les modalités qui lui sont spécifiques. Mais dans ce type de formation, nous faisons régulièrement l’expérience que des effets psychothérapeutiques sont attendus, qu’ils sont redoutés et qu’ils se produisent. Pontalis écrivait en 1963 que « toute formation suivie, dès l’instant où elle vise plus que la transmission d’un savoir-faire et prétend s’exercer en profondeur est, de façon plus ou moins explicite, une psychothérapie ». Une psychothérapie, est-ce à dire que des transformations s’accomplissent dans la dynamique, la topique et, dans une certaine mesure, dans l’économie de l’espace intrapsychique ? Oui, nous pouvons le constater, mais ce sont là des effets indirects du processus de formation. Et s’ils sont réels et consistants, s’ils se caractérisent par un dégagement de formes nouvelles et de nouveaux savoirs – être, ils ne se donnent pas comme le but d’une psychothérapie. Ils en sont des effets « de surcroît », qu’ils soient source de processus de création inattendus ou qu’ils soient occasion de dévoiler des souffrances qui appelleraient, cette fois, un dispositif psychothérapeutique.

C E QUI SE TRANSMET DANS LA FORMATION Après avoir travaillé de nombreuses années sur les processus et les modalités de la transmission de la vie et de la mort psychiques entre les générations et entre les contemporains, je reviens sur une dérive de la pensée de la transmission. Celle qui

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ne se manifeste dans le conservatisme, ou dans l’automatisme ou encore la causalité univoque et linéaire dont ce concept est souvent chargé. La transmission se pense trop souvent comme destin, et non comme condition d’une création, d’une expérience de l’imprévu. Le processus de la formation est au centre de ces dérives lorsqu’elle est pensée comme une transmission sans transformation.

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Le processus de la formation est la formation même Si je résumais mon propos, je dirais que le processus de la formation est la formation même. Autrement dit la formation consiste dans le processus sur lequel elle se construit et sur les effets de capacité (P. Ricœur, 2004) qu’elle engendre : capacité à conduire un psychodrame psychanalytique, à organiser les conditions d’une psychothérapie, à élaborer sa propre position de psychodramatiste, de thérapeute ou de formateur. Proposer cette perspective, c’est se dégager de la primauté accordée aux contenus de la formation. Ce n’est en aucun cas les ignorer ou les négliger, c’est au contraire les inscrire dans une activité générative qui sollicite les propriétés conjointes du sujet en formation et celles du dispositif qui met en travail son projet de formation. Parmi les effets de transformation auxquels le travail psychanalytique avec les groupes et les institutions ouvrent un accès remarquable, j’inclus comme capitale l’expérience de ce qui se transfère, se transmet, se répète et s’invente dans la formation. Ce qui se transmet est l’à-venir. Reproduire et/ou transformer La formation, si elle s’ancre dans le passé et dans l’actuel du sujet, s’inscrit surtout dans un projet qui engage l’avenir : assurément l’avenir du sujet en formation, mais aussi l’avenir du formateur, l’avenir de l’institution qui en organise et en soutient le processus. Ce rapport de la formation à une forme de soi et de l’autre projetée dans l’à-venir est pensable avec le

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concept de contrat narcissique. Considéré du point de vue du sujet, le contrat narcissique est, dans sa fonction structurante, un dispositif d’appel à une place et à un discours où le sujet n’est pas encore advenu, où il est appelé à devenir. À lui de s’approprier cette place mais à lui aussi de s’en dégager quand cette place devient une impasse, lorsque le contrat devient un mandat impératif, lorsque la formation est imposée comme une transmission sans transformation de formes préétablies, lorsqu’elle se soumet à l’emprise de l’institution formatrice. Ce qui se transmet est une expérience subjective de l’inconscient Ce qui se transfère dans la situation de formation par le moyen du groupe ce sont toutes les expériences antérieures du sujet lorsqu’il s’est trouvé engagé dans un processus de formation : dans sa famille, et dès les liens premiers, à l’école et dans les groupes secondaires d’appartenance, dans les institutions qui ont soutenu suffisamment ou non, son parcours de formation. La situation de groupe est aussi l’expérience de ce qui, au-delà de la répétition, peut être inventé ou aménagé dans ce processus d’appropriation subjective par le travail de l’intersubjectivité. C’est ce travail qui est mis en mouvement pour donner figure et contenant de pensée à ce triple rapport : d’une forme passée et d’une forme à venir, de soi à soi, de soi à l’autre. Cette expérience est orientée vers la croissance psychique, vers la reconnaissance de sa propre capacité par soi-même et par un tiers (Ricœur). Cette expérience est aussi à considérer comme une tentative de réponse aux diverses modalités du Négatif. Je suis en accord avec O. Nicolle lorsqu’il écrit1 que la formation est une réponse personnelle à la finitude, au deuil des formes de soi perdues ; qu’elle est une recherche du possible. Mais la formation par le moyen du groupe rend possible cette expérience sur d’autres dimensions que celle de la cure. Elle la constitue dans l’expérience complexe de l’intersubjectivité 1. Au chapitre 2 de cet ouvrage.

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et des conjonctions de subjectivités, dans l’interrelation entre les trois espaces psychiques que j’ai distingués. C’est pourquoi il est important, pour les psychanalystes, de confronter ce que l’expérience psychanalytique du groupe éclaire quant à l’écoute en situation de cure individuelle et quant aux espaces psychiques différents qu’elle met en travail1 . La formation transmet des formes de soi et des énoncés de savoir. Elle les transmet dans le transfert, dans l’expérience de l’inconscient en groupe, avec un psychanalyste. Mais la formation n’est pas seulement une transmission, elle n’est pas non plus seulement une appropriation des formes proposées. Elle est une mise en crise de ces formes et invention de formes nouvelles, imprévues.

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Ce qui se transmet, c’est l’institution elle-même Ce qui se transmet, c’est aussi l’institution elle-même. Elle assure son autoconservation par la formation, la permanence de son fondement et de son patrimoine. Une des fonctions de l’institution est de conserver et de transmettre les énoncés fondateurs sur lesquels elle se base et qui rassemblent ses membres en les identifiants comme tels. Le contrat narcissique assure cette fonction d’alliance et d’affiliation, au risque de la reproduction en miroir, de la formation à l’identique et de ses captations mortifères. On dira alors qu’un processus de formation devrait mettre en œuvre les conditions pour penser l’impensé de l’institution formatrice. Mais n’est-ce pas ouvrir la porte de la fabrique, et devant ses gardiens et nos propres tremblements, la refermer aussitôt pour revenir aux mystères de l’initiation et au pouvoir des initiateurs ? Ce qui distingue une formation d’une « initiation », c’est que la première inclut un travail de pensée sur ce qui l’origine dans une histoire et dans une ascendance et sur le processus même qui l’a engendrée2 . 1. C’est l’objectif même du chapitre 5 de cet ouvrage : il rend compte des réflexions de cinq psychanalystes sur cette question. 2. Réponse à une question posée par Ph. Héry, que je remercie

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L’exigence épistémologique de la formation C’est pourquoi la formation, et spécialement dans le champ des pratiques psychanalytiques, exige que soient mises en œuvre les conditions d’une connaissance critique de ce qui fonde et anime l’institution formante dans son projet de formation. Il s’agit assurément de la connaissance des désirs fondateurs, de l’origine et de son obscurité, des moments où ceux-ci s’incarnent, s’instituent et se réalisent, dans les plaisirs et dans les conflits. Il s’agit, pour l’institution, de rendre possible l’historisation de son propre processus : on pourrait alors parler d’une subjectivation des liens institutionnels. Mais il s’agit aussi, et au-delà de la part irréductible de l’illusion, de l’appropriation d’un savoir partagé et de sa fabrication d’un processus d’appropriation et de transmission d’une expérience qui toujours dépasse l’acquisition d’instruments pour « faire ». Ce savoir est inscrit dans des textes qui ont eu et peuvent avoir encore une puissance génératrice de pensées, de processus de création, de garants. Certains sont obsolètes et doivent être traités comme des étapes, des traces, des jalons. Ces textes transmettent aussi des certitudes provisoires, recours indispensables dans toutes les émergences de l’incertitude – et la formation est coulée dans cette brèche ; mais ce sont aussi des constructions d’appoint, au mieux des dispositifs d’interlocution. Ce sont aussi des emblèmes, des marques d’appartenance, de référence, au pire de révérence : des fétiches, des dogmes, des objets à s’injecter, à posséder, à voler, dont se revêtir. La connaissance des processus de fabrication du savoir est la dimension épistémologique du processus de formation. C’est aussi un débat avec un fantasme nodal : il importe de ne pas demeurer sur ce point dans la confusion des origines.

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S UR LA SPÉCIFICITÉ DE LA FORMATION À UNE FONCTION PSYCHANALYTIQUE Au terme de ce chapitre, je voudrais reprendre et réélaborer trois propositions que j’avais formulées il y a quelques années à propos de la spécificité de la formation à la fonction psychanalytique lorsque celle-ci trouve son champ d’application dans le travail en situation de groupe. J’y ajoute une note sur la position du psychanalyste lorsqu’il exerce une fonction de formateur.

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Une double expérience du travail psychanalytique J’insistai tout d’abord sur cette exigence aujourd’hui largement admise que cette formation doit être conçue, conduite et pensée sur la base de l’expérience de la méthode psychanalytique : l’expérience de la cure est indispensable, mais elle ne suffit pas dès lors que la formation est dispensée en vue de cette fonction spécifique. L’expérience du travail psychanalytique en situation de groupe est une seconde condition nécessaire. Corrélativement, les psychanalystes qui assument une fonction dans cette formation doivent être en mesure de penser avec la psychanalyse cette situation, c’est-à-dire : le groupe comme ensemble psychique distinct de l’individu, les liens qui se nouent entre eux dans cet ensemble, le sujet de et dans cet ensemble. Penser avec la psychanalyse ces objets concrets et théoriques ne va pas de soi. Ils ne peuvent pas être pensés seulement à partir de l’expérience de la cure individuelle ni avec les seuls concepts de la métapsychologique formée à partir de la cure. Il est donc indispensable de concevoir comment l’inconscient se manifeste, s’agence, s’appareille, se noue et produit ses effets de subjectivité dans cette configuration. Il est tout aussi nécessaire d’avoir recours aux apports d’autres disciplines – comme ce fut et c’est encore le cas pour tous les efforts de théorisation qui ont été entrepris dans l’histoire de la psychanalyse. En l’occurrence, s’agissant des conceptions psychanalytiques du groupe, nous savons les emprunts faits de

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près ou de loin à la théorie de la Forme et à la théorie du Champ, aux disciplines de l’ethnologie et de la psychologie sociale, et d’autres encore. Sous prétexte de sauvegarder une pureté psychanalytique qui n’est rien d’autre que la rétroprojection d’un roman des origines, ces métissages sont ignorés, la connaissance de leurs apports dégradée. Un effort est cependant requis pour comprendre comment ces apports ne « s’appliquent » pas tels quels à la psychanalyse, mais comment ils sont « naturalisés » dans la culture psychanalytique, par le travail du bricolage théorique, si rigoureux soit-il. L’exigence de la théorisation se crée sans cesse, en fonction de ce qui s’impose à la découverte. Il me semble que la transmission de cette fabrication de nos références est une partie essentielle de la formation. Les psychanalystes qui ont la fonction de former aux pratiques de groupe doivent aussi être en mesure de penser, de mettre en œuvre et de transmettre les conditions méthodologiques qui rendent possible ce travail psychanalytique. Ils ont enfin à penser les interférences entre le processus individuel et subjectif de la formation, les effets du travail de groupe dans ce processus et, dernière dimension aujourd’hui moins négligée, les institutions qui forment le cadre intermédiaire entre l’espace psychique et l’espace social. L’élaboration des enjeux imaginaires de l’offre et de la demande de formation Toutes ces questions traversent les chapitres de cet ouvrage. Dans une étude de 1972 sur le travail psychanalytique dans les séminaires de formation, j’ai soutenu que l’offre de formation est ce par quoi l’institution relaie et organise la fantasmatique qui l’a originée. La formation prend naissance à partir de l’illusion que l’institution possède un objet réel, celui-là même que (re)cherche le demandeur : des objets imaginaires perdus ou abîmés et dont la formation est censée assurer les retrouvailles, accomplir la réparation, colmater la faille. De ce point de vue, le travail de formation consiste dans la reconnaissance de cette

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illusion dynamique, créatrice, et dans le travail de la désillusion que le travail psychanalytique rend possible. La question est que l’institution est infiltrée par ce double temps de l’expérience et par les fantasmes qui l’accompagnent, et que les formateurs en sont eux-mêmes saisis, tant que leur propre travail n’est pas engagé pour rendre possible la déprise de leurs illusions mutuellement entretenues. L’analyse intertransférentielle est le moyen de cette élaboration, elle établit ou rétablit les garants symboliques nécessaires pour que s’accomplisse le processus de formation. Ce rétablissement soutient la suspension de la réalisation des rêves qui sont à l’origine des demandes comme de l’offre1 . C’est en effet à suspendre la réalisation immédiate des désirs (des formateurs et des sujets en formation) et à en analyser le sens et notamment celui que prend la formation elle-même, que les formateurs accèdent à l’analyse de leur offre comme à celle des demandes qui leur sont adressées. Seule cette suspension de la réalisation des désirs incite à leurs manifestations dans le transfert, au dévoilement de la fantasmatique qui les soutient et aux déploiements défensifs qui s’activent dans les situations de formation. Si cette suspension critique ne se produisait pas, si le rêve et l’illusion se logeaient entièrement dans le processus de la formation, formateurs et sujets en formation seraient les coacteurs d’une séduction mutuelle généralisée, et la formation ne serait qu’un endoctrinement, et à la limite une mystique perverse. Cette proposition introduite le second point sur lequel je voudrais attirer l’attention. Former, avons-nous dit, c’est transmettre une formation, une forme et un processus. C’est une opération qui ne s’anime que par les mouvements du transfert et du 1. Dans le chapitre 2 de cet ouvrage, O. Nicolle insiste à juste titre sur la question de la fin (terminaison et finalité) de la formation. Cette question, écrit-il, « se fait aussi alors nécessairement l’écho symbolique d’une problématique inaugurale, demeurée telle, ou insuffisamment maturée : la fin contient toujours au moins une part d’un retournement de l’origine. »

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contre-transfert. Dans la formation à la fonction psychanalytique appropriée à un travail en situation de groupe, nous sommes de nouveau confrontés à l’expérience des modalités spécifiques du transfert et de la résolution de leurs effets sur le formateur, sur le groupe et sur l’institution. Former, c’est transmettre, mais c’est aussi créer une nouvelle forme, et cette création implique de « rêver » la forme avant de s’en défaire, pour lancer la formation hors de la répétition de l’ancienne. Du narcissisme et des narcissismes dans la formation La formation ne peut s’accomplir que si le traitement des diverses expressions et modalités du narcissisme a fait l’objet d’un travail particulier. Cette question est évoquée à plusieurs reprises dans ce chapitre et dans cet ouvrage. Je voudrais toutefois la reprendre d’un point de vue qui a orienté ma réflexion en ce domaine, en insistant sur le contrat qui règle ces rapports du narcissisme et des narcissismes dans la relation de formation. Je partirai une fois encore du contrat narcissique, en rappelant que P. Castoriadis-Aulagnier a décrit l’investissement narcissique de l’ensemble par chacun des sujets de cet ensemble (groupe, famille) comme le corrélat – et plus précisément : la condition de l’investissement narcissique du sujet par l’ensemble. Cette réciprocité inscrit chacun dans la continuité d’une transmission de la vie psychique et assure ainsi la continuité de l’ensemble : les énoncés fondateurs de l’ensemble sont transmis, repris par chacun des sujets de l’ensemble. Ce que P. Castoriadis-Aulagnier souligne ici c’est l’aspect trophique et structurant du narcissisme de vie. À partir de ce fondement narcissique des liens qui, dans la formation, lient le sujet à l’institution et celle-ci au sujet, nous pouvons considérer les vicissitudes de la reconnaissance du sujet en formation par l’institution et de la reconnaissance de l’institution par le sujet en formation. Une partie des enjeux de l’affiliation peut se loger dans ces questions : quel écart peut être toléré, et jusqu’à quel point, à ce que fonde le contrat narcissique,

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c’est-à-dire l’alliance inconsciente sous-jacente au lien de formation ? Si, pour une part, la formation est mise en forme d’un sujet conforme aux énoncés fondateurs et aux conduites identifiantes, jusqu’à quel point cette visée de la formation peut-elle être tolérée dans la formation psychanalytique, quelle qu’elle soit ? Comment assurer la capacité et de l’aptitude des institutions de formation de reconnaître parmi ceux et celles qu’elles forment suffisamment de conformité et assez de différence ? En développant la recherche sur le contrat narcissique, j’ai mis l’accent sur l’une de ses impasses pathogènes : j’ai appelé « pacte narcissique » cette configuration de l’alliance inconsciente où aucun écart n’est possible entre la position assignée par le contrat narcissique et l’espace nécessaire au devenir du sujet. Le pacte ne peut que répéter inlassablement les mêmes positions. Ce sont là les dérives extrêmes des diverses formes d’abandon de pensée, de l’aliénation dans l’idéal. Mais il y a un autre aspect de la reconnaissance, il concerne la reconnaissance réciproque de la formation par d’autres institutions que celle qui l’a dispensée et qui s’inscrivent aussi dans une fonction de formation à la pratique psychanalytique groupale. Cette deuxième reconnaissance est un point épineux du narcissisme des petites différences. Nous devons constater qu’il est difficile d’en débattre. Ce qui est en jeu dans ce débat est fort complexe. Mais il existe un point fixe : c’est la difficulté à établir une aire transitionnelle mutuelle que se consentiraient les différentes institutions de formation qui, alors, pourraient se reconnaître comme n’étant pas identiques, mais comme n’étant pas non plus radicalement différentes les unes des autres. Une aire transitionnelle mutuellement reconnue et allouée pourrait être le véritable espace psychique d’une formation pluri-référentielle, condition pour que s’instaure le débat sur les objets que nous avons en partage, sur ceux qui nous sont propres, mais que nous savons aussi utiliser pour nous diviser.

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Le narcissisme de mort dans la formation Les années m’ont rendu de plus en plus attentif à une forme particulière du narcissisme de mort à l’œuvre dans la tâche formative des institutions. Cette modalité est caractérisée – comme A. Green l’a proposé – par le travail de désobjectalisation, par un assèchement narcissique de l’investissement de l’objet. Ce reflux mortifère du narcissisme sur les représentants imaginaires du moi se produit lorsque l’institution ou le sujet ne parviennent pas à nouer leurs intérêts narcissiques dans un contrat structurant. Il existe encore une forme remarquable de ratage narcissique dans le processus de la formation. Je l’ai nommée « réaction formative négative » sur le modèle de la réaction thérapeutique négative. Elle pourrait s’exprimer dans deux formules qui témoignent de l’effet du narcissisme de mort du côté du sujet et du côté de l’institution. Du côté du sujet, la formule pourrait être : « Rien ne sera assez identique à l’objet perdu idéalisé, aucun objet ne peut me former comme l’objet idéal avec lequel je me tue, et je dénie à tout formateur, à toute institution formatrice, toute capacité de me former. » S’engager dans la formation équivaudrait d’une certaine manière à entreprendre le deuil de l’objet perdu, et à se perdre comme enfant qui ne peut rien acquérir par l’expérience, car ce serait mettre en péril l’idéalisation de l’enfant merveilleux. Du côté de l’institution, la réaction formative négative s’exprime souvent ainsi : « Aucun nouveau membre ne peut se former à notre image, à l’image de notre idéal avec lequel nous nous préservons de tout nouvel investissement sur des objets qui ne seraient pas identiques à nous idéalisés. » Je pense que nous pourrions reconnaître aisément certains fonctionnements de chacune de nos propres institutions. Chacun de nous a été confronté dans son activité de formateur avec la réaction formative négative, et avec le travail du deuil de l’enfant merveilleux. Toute entreprise de formation relance la position de l’enfant merveilleux, toute demande de formation

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nous confronte au maintien de cette position, elle nous confronte aussi au reproche adressé aux parents de ne pas nous avoir faits, ou maintenus, dans une forme complète, dans une forme magnifique, incastrable. Il y aurait donc encore une autre perspective à dégager : c’est la confrontation avec l’envie, l’envie destructrice, l’envie associée à l’emprise dans la formation, et d’une manière peut-être plus courante, banale, mais néanmoins forte, à la culpabilité liée au désir de formation, qui implique d’une certaine manière une mise à mort des parents et de soi comme enfant idéalisé des parents idéalisés. Que faire avec les figures des formateurs ? Que se passe-t-il lorsque « l’ombre des figures tutélaires pèse sur la créativité psychique des analystes », comme l’évoque C. Desvignes à la fin du chapitre 5 de cet ouvrage ? Est-ce là un des destins de la formation : un deuil impossible, une incorporation, une conformation ? Assurément, la question a son poids. Mais s’il est un autre destin (une autre voie) de ces figures, qui serait d’ouvrir sur la créativité de l’analyste – comme de toute autre personne engagée dans une formation personnelle –, n’est-il pas nécessaire, au contraire, que ces ombres demeurent vivantes pour ceux qui prenant avec eux leur essor puissent prendre aussi leurs propres risques en se séparant d’elles : celui de les traduire dans leur propre langage, et quelquefois de les trahir ?

Chapitre 2

DESTINS DE LA PERTE, FORME(S) ET FORMATION Certaines logiques narcissiques de l’entreprise formative et de ses fins

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Par Olivier Nicolle

« I N CAUDA VENENUM ... » « C’est à la queue qu’est le venin » : l’aphorisme qui, au sens propre, se dit facilement d’un argument dont les premiers mouvements apparaissent plutôt avantageux, alors que le mouvement négatif est gardé pour la fin, me semble aussi pouvoir s’appliquer figurativement à certains processus expérientiels. Ceux-ci n’apparaissent investissables aux sujets, ou aux groupes de sujets concernés, que pour autant que leurs dimensions négatives, ou appréhendées comme telles, ont pu en être inconsciemment expurgées (clivage, déni, projection), sembler l’avoir été assez

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en tout cas pour être déplacées sur la fin du processus. Tout se passe comme si le négatif s’y était ainsi retiré, réfugié presque hors l’entreprise en cours, illusoirement pour que celle-ci puisse advenir, et être vécue : c’est évidemment de la mort qu’il s’agit, ce dont la référence au scorpion ne laisse pas douter, d’ailleurs. C’est donc aussi de la perdition narcissique absolue, dont la mort constitue pour chacun la figure imaginaire, figure qui s’évoque dans l’angoisse en chacun, directement ou symboliquement, lors de chaque crise narcissique. Cette courte étude empruntera donc comme angle d’approche de certains des enjeux narcissiques dans la formation la question de sa fin, qui est aussi celle de ses fins, en tant que cette question chemine dans le sujet tout au long de son processus, ab origine. Un fait tout d’abord : dans le paysage si divers de la formation des « psychistes », chacun peut faire cette expérience de rencontrer des personnes qui apparaissent comme arrêtées dans leur parcours formatif individuel, comme immobilisées pendant des années, parfois pour toujours, sujets comme fixés dans une phase intercurrente de ce processus, et bien souvent dans un avant-coup de sa dernière étape. Fréquentation du même séminaire « didactique » pendant deux décennies, deuxième ou dernière supervision introuvable, ou interminable, ou encore « non validable », impossibilité d’investir pragmatiquement un mémoire théorico-clinique « terminal »... mais ce peut être parfois aussi un effacement progressif de tout regroupement avant une disparition complète du paysage institutionnel, quelquefois la rupture brutale à l’orée d’un dernier cycle annuel d’enseignement : les modalités de cette position sont nombreuses, sans être innombrables, mais elles signalent toutes une « fin impossible » ; qu’elle soit retardée indéfiniment, évitée, escamotée, ou parfois encore rendue impossible par un mouvement groupal de l’institution formative elle-même, le terme ne sera sans doute pas atteint, et la fin ne sera pas vécue. Quant à ces situations, remarquer d’une part que sous divers repérages cliniques, il s’agit là d’une position inconsciente du sujet quant à la réalisation de ses ambitions, que cette position

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est évidemment à référer entre autres à une défensivité phobique et/ou inhibitrice dérivant de la névrotisation des conflits de ce sujet, en lui et dans ses positionnements identificatoires, est évidemment nécessaire. Questionner par ailleurs la part inconsciente que chacun de nous est amené à prendre à son insu dans les enjeux de la problématique groupale de l’institution formative, comme de toute institution et de tout groupe, apparaît également incontournable. Incontournable, certes, mais à mon sens insuffisant. À s’en tenir là, on manquerait une dimension autre de cette « clinique de la fin », dimension que je tenterai de dégager au moins un peu dans ce chapitre. Autre dimension qui m’apparaît interroger certaines logiques narcissiques, individuelles et groupales, de l’entreprise formative et de ses fins. C’est que par le biais de ce retard indéfini, cet évitement ou cet escamotage, il s’agira dans ces configurations cliniques « d’être celui/celle qui ne connaîtra pas la fin de l’histoire », ou plus exactement « la fin de sa propre histoire ». Cet investissement spécifique d’une réalisation inatteignable ou inassumable est aussi l’investissement d’un objet, ou d’une part d’objet psychique qui perd son terme et ses limites, investissement d’une durée qui s’immobilise et d’un objet qui devient immuable, éternel peut-être. Inatteignable désormais et parfois à jamais, il évoque en tout cas le lien figé à l’objet de la dépression, et parfois le temps immobile de la mélancolie. Cette énigmatique « fin impossible1 », maintenant qu’elle s’impose comme telle, de quoi fait-elle signe quant au processus de la formation en général ? Que symbolise-t-elle dans les processus de formation particuliers qui sont ceux des « psychistes », c’est-à-dire dans des formations dont la réalité psychique est l’objet, ou visant certains des aspects de la psyché, chez l’autre et en soi, comme objet d’un savoir ? Quels enjeux condensent 1. ...que je suis amené à questionner ici pour m’en être trouvé dans le passé concerné, comme pour l’avoir constatée chez un certain nombre de collègues de sociétés et de formations psychanalytiques diverses, et aussi bien chez des personnes engagées dans différentes formations de « psychistes », comme également dans notre formation de psychodramatistes du CEFFRAP.

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cette « fin impossible » quant à la groupalité, nécessairement convoquée par ce type d’expérience formative : supervisions collectives, groupes thématiques, groupes de travail, séminaires, cartels, « promotion », institution formative dans son ensemble, société, association, fédération etc. ? La question de la fin est aussi lancinante que la fin elle-même est universelle... Mais lorsqu’elle devient ainsi une problématique de la fin, elle se révèle comme un manque à élaborer les voies de levée d’un obstacle dont le sens reste impensé, inconnu, inconscient. Elle se fait aussi alors nécessairement l’écho symbolique d’une problématique inaugurale, demeurée telle, ou insuffisamment maturée : la fin contient toujours au moins une part d’un retournement de l’origine. Ici, la fin en devient le retour, et une voie de la répétition d’enjeux initiaux. L’origine, en l’occurrence, c’est évidemment l’origine du projet de formation, mais cette origine-là s’enracine dans les moments inauguraux de la vie, c’est-à-dire de la formation de cet individu comme sujet, puis dans l’adolescence, quand cet individu est devenu pour la première fois sujet de sa formation. Cette problématique de la fin évoque donc celle de la demande formative, la problématique des attentes initiales, et donc celle de leur perte nécessaire, devenue possible, ou, pour ce qui nous importe dans cette étude, impossible à assumer. Problématique de la fin qui met aussi à la question ce que sont essentiellement les objets de la formation, ce que sont les liens à ces objets, ce que sont les liens aux autres investis dans un semblable projet, objets et liens tels que les modalités de leur fin ne puissent être vécues, par aucun de nous, sans crise. Mais tels aussi que pour certains d’entre nous, ces objets, et ces divers liens, ne puissent être l’objet d’une perte vécue, et du travail psychique de cette perte.

A LORS ?! EN ( BONNE ) FORME ?... À partir de cette arête, on pourrait proposer diverses formulations de cette question, confluentes et susceptibles de nous aider à la penser. Par exemple, et puisqu’on vient d’évoquer les objets

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de la formation : de la « forme » de quel(s) objet(s) s’agit-il dans « la formation » ? Et s’agissant de la/ma « formation », s’agit-il de la formation de « moi », de la formation de soi, du « Soi » ? Ou, pour reprendre ici un style qui déjà fait flores sous plusieurs plumes : analytiquement, de quoi « formation » (et « forme ») sont-elles les noms ? Pour situer ces interrogations et avancer quelques propositions, je ne vois pas de meilleure voie que de revenir d’abord un moment, ne serait-ce que pour me contenter de les ébaucher, sur les champs lexical et sémantique où se déploient forme et formation, et pour rappeler, brièvement, certains au moins des éléments « généalogiques » de nos notions et des pensées qui s’y amarrent, éléments d’un héritage que nous essayons à la fois de conquérir et de réaliser, fut-ce en le transformant (toujours) et en le dépassant (parfois, rarement). Un instant, forcément bien trop court, trop allusif en considération de l’immense matière concernée, il s’agira d’évoquer une problématique proprement « épistémique » de la forme : j’entends par là une problématique du savoir, et de la construction d’un champ de savoir où s’articulent des objets de savoir et des pratiques cohérentes ; la forme comme objet de connaissance, et la forme de l’objet de connaissance. Dans un deuxième mouvement, au-delà d’une dialectique possible des notions de Bildung/training désignant l’entreprise formative proprement psychanalytique, je chercherai à éclaircir, dans la formation des « psychistes », certaines potentialités du projet formatif, quant au demandeur et quant au groupe des formateurs (l’institution formative). Il s’agira là évidemment de dynamiques narcissiques individuelles et groupales mobilisées par les objets (épistémiques, entre autres) idéalisés, et par les enjeux de leurs mutations à mesure que le « projet formatif d’origine » du sujet tend à se perdre, possiblement à travers une trans-formation, ce qui en est à mon sens une nécessité logique, pour autant qu’il y ait processus et pas seulement programme. Quelques repères : la « forme », nous l’héritons du mot latin forma, et notre « formation », de formatio, c’est-à-dire du verbe

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de même radical formare. Forma, ce sont en fait deux choses, un effet et sa cause. C’est d’abord la configuration sensible d’un objet, et en cela même que ce contour témoigne de son origine ; c’est en même temps un objet qui est à l’origine d’une série d’autres objets, qui les configure : un modèle, donc, un moule à gâteaux ou à fromage, une forme de cordonnier, le cadre ou la monture d’un tableau. Puis aussi une image, une figure, voire une structure : un type de société ou de savoir, les figures ou schèmes de pensée et du discours. Et forma, dans sa nébuleuse sémantique d’origine présente déjà les valences esthétiques tendant vers l’idéal (mais donc aussi vers sa déception...) bien à l’œuvre dans nos « forme » et « formation ». Forma, c’est en effet aussi la bonne et belle forme, la beauté. Une belle femme est formosa. Forma sera donc aussi la symétrie, l’harmonie réussie, ainsi que le type originaire et idéal d’une série, son « Idée » au sens platonicien. Mais forma c’est aussi l’emprunt, voire l’usurpation d’une telle belle forme, dès lors une bonne forme feinte, fausse de fait, ce que rendra le doublet français « frime ». Le verbe formare, « former » signifiera donc donner une forme, créer, produire, mais aussi ramener au type idéal, conformer, voire donc aussi : déguiser. Formare c’est encore organiser, instruire mais aussi modeler, dresser, régler les études, façonner les esprits, et même : arranger une armée. Ces valences collectives, du coup aussi politiques et stratégiques du nuage sémantique de formare/formatio, nous en héritons à travers les divers sens de notre mot « formation », qui désigne aussi bien un processus que l’effet (collectif) résultant d’un processus : si une « formation au combat » n’est pas une « formation de combat » ou « de combattants », si une « formation à l’orchestre » n’est pas une « formation orchestrale », on ne devrait pas se priver de s’interroger, même avec un grain de sel, quant à l’impensé d’expressions telles que notre « formation de psychodramatistes », ou que « la formation psychanalytique ». Et dans le mouvement psychanalytique comme dans d’autres et jusqu’à nos jours, combien de fois avons-nous été les témoins, les acteurs ou les héritiers de figurations et de configurations ambiguës de la « formation », quand certaines dynamiques narcissiques des

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individus groupés investissent la pulsion d’emprise, muant les liens formatifs en projets et stratégies politiques, autorisant les petites tactiques et les grandes violences, souvent mortifères à divers titres. Et par ailleurs, sans être un Urwort, un « vocable originaire » au sens freudien, former/formation se développe en de multiples composés dont certains présentent précisément des sens logiquement opposés : ainsi « informer » signifiera donner une forme première, mais précisément la donner à ce qui n’en a pas encore, à ce qui est « informe » ; « réformer » signifie tantôt donner une forme nouvelle, tantôt à l’inverse renvoyer à la forme ancienne, des soldats ou des matériels par exemple. Nous ne sommes dès lors pas surpris de ce que, sous-jacente à la problématique de la formation, nous trouvions une problématique plus fondamentale, celle de la Forme comme objet épistémique. C’est une problématique du sujet connaissant. Ellemême exprime et symbolise (métaphore et métonymie) la problématique de la Forme comme objet intra- et inter-psychique, et comme fonction même du sujet existant1 . Quelques jalons : à l’instar d’autres (sujet/objet, esthétique/éthique, raison/révélation), la question proprement épistémique de la Forme, comme objet et comme moyen du savoir, parcourt la pensée occidentale à partir de ses deux origines – Athènes et Jérusalem – et elle constitue l’un de ses axes structurants, partant l’une de ses problématiques rémanentes, presque toujours organisée autour de couples ou de séries de couples, éventuellement dialectisables. Ici, on est aux prises avec la doxa, dont il s’agira de se dégager, pour déterminer ce qui fut l’arkhè, l’origine chronologique et logique des objets du monde tels que nous en pouvons disposer. Est-ce un Eidos, une Figure ou forme originaire au sens platonicien, une Idée idéale imprimée et répétée 1. Je ne fais ici qu’allusion à la rencontre complexe entre psychanalyse et phénoménologie (E. Husserl, M. Heidegger, L. Binswanger), et à ses acquis, rencontre qui se pense notamment au fil des échanges entre S. Freud et L. Binswanger. ainsi que dans l’œuvre conclusive de ce dernier.

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dans la présence même de l’objet perçu, et que l’effort de la pensée permettrait de retrouver ? Est-ce une Hylè, une matière originaire unique, qui demeure et va éternellement en se différenciant par transformations successives sous toutes les formes que nous pouvons connaître, transformations dont l’effort de pensée doit révéler les diverses causalités ? Là, à partir d’un tohu-bohu (état informe, et vide de sens) d’avant le temps, un Dieu qui restera à jamais irreprésentable crée par une parole toute-puissante la différenciation de toutes les formes sensibles du monde, parole instaurant pour l’homme un ethos de différenciation des « formes vraies », fondé sur le langage, le sens et la loi, et la prohibition des formes séductrices et trompeuses, qu’on désignera en Occident par eidolon, l’idole. On connaît les différents destins des platonismes et de l’aristotélisme, les multiples croisements des traditions classiques et orientales dans le monde hellénistique puis romain, le surgissement de la religion de l’Incarnation, puis l’organisation progressive de la pensée chrétienne, la richesse de ses théologies et de ses mystiques, les premières retrouvailles des problématiques classiques à travers la philosophie scolastique, les deuxièmes retrouvailles avec les langues et les textes originaires, classiques et bibliques, lors de la Renaissance, laquelle ouvrira le chemin des philosophies des Lumières dans les différentes aires culturelles européennes, puis occidentales. À l’orée du monde que nous connaissons, Descartes puis Kant (avec les « formes a priori de la sensibilité ») posent les bases d’une épistémologie qui révoque progressivement toute métaphysique, mais ouvre la porte à l’ambition d’une psychologie scientifique. On pourrait avancer que cette – ou plutôt – ces psychologies, pour autant qu’on puisse viser à les subsumer sous une définition, se posent comme objet (qu’il soit objectivé, réflexif ou intersubjectif) la connaissance et la spécification des formes de la subjectivité et de lois qui l’ordonneraient. C’est là que S. Freud les trouve, et l’on se rappelle du destin qui fut celui de « L’Esquisse », moment d’une rupture épistémologique que nous sommes encore à élaborer. Tant qu’à mener cette évocation trop allusive jusqu’à notre temps, comment ne pas mentionner,

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entre tant d’autres et chacune en leur propre champ, l’immense entreprise de clarification de formes existentielles fondamentales mené par la phénoménologie, comme par ailleurs la psychologie de la Gestalt, celle de la « bonne forme » ? Forme et matière, forme et substance, forme et contenu, forme et figure, forme et fond, forme et structure... mais aussi forme et sens, forme « belle » ou « vraie » ou « bonne » forme : au cours de cette longue histoire, qui à certains égards est une longue « quête des formes », il s’agira que, par de multiples relations et mises en rapport, les formes se dégagent et que leur mise en perspective ait un effet de vérité, et de connaissance. Cette quête épistémique se dédouble à son tour : elle est d’une part celle de la forme originaire (de soi et/ou du monde, de l’objet), forme originaire et originairement perdue, qu’il s’agirait de retrouver, ou de reconstruire – elle est d’autre part celle de la forme vraie, de la « forme bonne » parce qu’idéale : de soi, de l’autre, du monde où l’on est lié à l’autre et à des autres, forme précaire qu’il s’agirait de réaliser, et à tout le moins de confirmer, parfaire, conserver. Cette problématique proprement épistémique de la forme peut aussi être retracée comme un lancinant souci : souci nostalgique qu’après qu’une perte sans doute irrémédiable l’ait fait disparaître, la forme originaire soit devenue à jamais introuvable, inconnaissable et ne puisse plus être restituée – souci inquiet de la menace que l’incertitude et les limites de la réalité actuelle ne corrompent, n’altèrent ni ne perdent « la bonne forme » de soi et/ou de l’objet grâce à laquelle le sujet connaissant s’assure, et à laquelle le lien épistémique peut l’arrimer. Et c’est bien là que cette problématique proprement épistémique de la Forme se révèle à nous le plus évidemment comme une expression et une symbolisation de la problématique fondamentalement psychique de la Forme. La Forme et sa problématique y apparaissent comme le champ représentatif des processus d’appropriation/désappropriation caractéristiques du travail psychique de la dépressivité, et de ses ombres et lumières portées sur le narcissisme du sujet, et du coup sur

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la mobilisation ou l’immobilisation de ses investissements. Et là aussi en deux mouvements : d’une part celui de l’angoisse de la perte de l’objet actuel, qui si elle advenait ne manquerait pas d’apparaître comme une nouvelle occurrence de la perte originaire, celle de l’objet primaire ou d’un de ses aspects, avec ses effets de dérobement de la forme de soi. Celui, d’autre part, de la dépendance narcissique et de l’arrimage spéculaire à l’objet idéalisé actuel, avec ses dimensions identificatoires d’assurance de la forme de soi. Ce qui s’appréhende alors comme coalescence entre la problématique proprement épistémique de la Forme et la processualité psychique fondatrice du sujet unifié, celle de la forme du soi, désigne ainsi la prégnance des intérêts narcissiques (et particulièrement phalliques narcissiques) du sujet dans les mouvements de connaissance qu’il initie, dans les liens qu’il construit avec les objets de savoir, et avec les autres sujets groupés auxquels il se lie à l’occasion du tissage de ces liens épistémiques. Le mot de « prégnance », s’il est choisi ici pour être descriptif, reste sans doute pourtant en deçà de ce qui est au fond en cause dans l’entreprise formative, et c’est bien en considérant cela que je rejoins R. Kaës, pour qui « la formation transmet des formes de soi et des énoncés de savoir1 ». Cette « transmission de formes de soi », et donc la demande à laquelle les formateurs et l’institution formative répondent par un dispositif formatif, m’apparaissent dès lors revêtir des enjeux fondamentaux : entre subjectivation et assujettissement. Enjeux assez fondateurs pour que la fantasmatique de l’aboutissement, de la fin et des fins de la formation convoque dans ses replis la naissance et la renaissance (ou deuxième naissance : palingenèse), la reconnaissance, la vie, la mort et le meurtre. Car la forme qui chez le sujet se trouve tantôt confirmée, tantôt appauvrie ou en perdition de par les vicissitudes du lien internalisé à un objet de « bonne forme » voire de « forme idéale », c’est bien en effet la « forme de soi » idéalisée telle 1. Cf. R. Kaës, supra.

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que le moi la perçoit, c’est-à-dire aussi la valence narcissique trophique dans le sujet telle qu’elle est sédimentée et conditionnée par les constituants identificatoires du moi, selon le mot de Freud projetée « en avant de soi », celle dont l’objet idéalisé en tout ou partie atteste, et qu’il propose spéculairement. Ce qu’annoncerait la perte de cette « bonne forme », c’est la déréliction dépressive, et si cette perte s’avérait définitive, alors au fond la mort, et c’est bien là la pointe mélancolique de cette problématique. C’est d’ailleurs dans la détresse narcissique angoissant chacun de nous, en même temps que comme un gage de l’ambivalence attestant que certaines pertes pourraient n’être que relatives, et donc réparables, que s’ancre le fait que la problématique psychique de la Forme est aussi, et entre autres, une problématique de la multiplicité des formes où elle peut se représenter. Multiplicité, c’est-à-dire variabilité anthropologique, et mutabilité au cours de la vie d’un sujet. Ne pas oublier ici que forma est en latin la métathèse (c’est-à-dire le retournement) du grec morphè : le Morphée même dans les bras duquel on s’endort ; puisque Morphée, le premier des mille fils d’Oneiros, le Songe, Morphée donc, est ainsi nommé parce qu’il peut prendre toutes les formes « rêvables ». Notons le ici en passant : on pourrait interroger le rapport sommeil-rêve en tant qu’il est, ici encore, la poursuite nocturne de la dialectique entre désirs et narcissisme. Le principe selon lequel « le rêve est le gardien du sommeil » rend alors ici compte de ce que l’expérience onirique, dans sa toute-puissance hallucinatoire, construit et propose les multiples formes nouvelles susceptibles d’héberger une idéalité que le dérobement ou la déception d’un objet précédent a rendue douteuse, réparant ainsi l’Enfant-roi merveilleux qui veille au creux de chaque rêveur. En quoi je retrouverai ici par d’autres voies, mythiques, et du point de vue du sujet en qui se lève un désir de se former, du « formand » donc, une autre formulation

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de R. Kaës : « Former c’est rêver la forme idéale1 . » Former, et se former. À cette étape, on peut donc proposer de la formation la définition temporaire suivante : la « formation » est le nom du travail psychique, transformatif quant à la forme du soi, qu’entreprend le moi, et qui le traverse en ce sens qu’il remanie des liens à des objets, à des idéaux et à des identifications narcissiques. Ce processus, pour autant qu’il puisse trouver et atteindre son terme, comprend une grande part de deuils et d’appropriations, et, projetée comme une réparation narcissique, la formation est toujours, au moins un peu, un travail de la perte. On y reviendra plus bas.

D ÉJÀ TOUT PETIT, PUIS, À L’ ADOLESCENCE ... Que, comme on l’a écrit plus haut, la problématique psychique de la formation, et bien sûr de sa fin, renvoie à l’origine du projet de formation, et que cette origine-là s’enracine elle-même dans les moments inauguraux de la vie, c’est-à-dire de la formation de cet individu comme sujet, puis dans l’adolescence, quand cet individu est devenu pour la première fois sujet de sa formation, voilà qui apparaît encore plus évidemment dès lors qu’il s’agit particulièrement des logiques narcissiques de l’entreprise formative. Freud situe la fondation du narcissisme primaire d’un sujet dans le champ de la projection par les parents sur « Sa Majesté le Bébé » des fantasmes de réalisation de leur propre illusion narcissique, soit aussi de ceux d’une réparation de la désillusion en cours de leur narcissisme, individuel et en tant que couple. De cette leçon freudienne on trouve le fondement anthropologique dans la mythique de « l’Exposition à la naissance » magistralement explorée par O. Rank, et dans les rites qui l’expriment, tel celui de l’Antiquité classique qui voit le paterfamilias, mis 1. Cf. R. Kaës, supra.

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face au nouveau-né posé sur le sol, choisir de le reconnaître en l’élevant de terre dans ses bras (educere), ou, au contraire, face à une déformation notamment, préférer le laisser à terre et « l’exposer », l’abandonnant ainsi à la mort, ou aux hasards de l’adoption par un second couple, narcissiquement moindres. Sous nos cieux en tout cas, ce rite-là a depuis longtemps disparu, et de toutes autres pratiques sociales et familiales (consultations médicales et imagerie des formes externes et internes du bébé à naître, mais aussi diagnostic anténatal, conseil génétique etc.) organisent l’attente anxieuse de l’enfant et de ses formes. Cependant l’universel que constituent l’angoisse et la culpabilité narcissiques des parents, et le destin de ces affects, lors de l’attente de la naissance et à l’heure de leurs premiers contacts perceptifs, notamment visuels et tactiles, avec la forme et les formes de leur nouveau-né, sont parmi les arêtes saillantes de la niche psychique où s’hébergeront les relations fondatrices et les mouvements de l’identification primaire, c’est-à-dire au fond la construction du fantasme narcissique du sujet, notamment à travers l’unification de ses formes partielles dans le regard de la mère. Un étudiant de psychologie, sortant de l’adolescence, écrivait (m’écrivait devrais-je dire) dans une copie d’examen portant sur l’adolescence : « Le corps est ce qui nous reflète le plus, surtout qu’il est présent tout au long de la vie... » Le correcteur que j’étais en le déchiffrant sourit une seconde à la lecture de cette tautologie. Mais bien souvent, l’évidence s’avère être un retournement de l’énigme, et l’imputation de naïveté n’est-elle pas fréquemment l’écho que provoque à travers nos remparts psychiques une formulation frappante de simplicité, de cette simplicité « enfantine » ou « biblique », originaire ? Corps, reflet, présence, vie : aujourd’hui, cette formulation m’apparaît condenser plusieurs des premiers enjeux proprement « formatifs », au sens classique, dans la vie d’un sujet, ceux du couple puberté-adolescence, de ce moment à bon droit appelé traditionnellement dans la médecine des familles « la formation », et que le sujet adolescent vit, à certains moments du moins, comme une « déformation » de soi. Ce moment constitue d’ailleurs lui

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aussi un autre universel anthropologique, celui de l’initiation, et de ce fait, un des axes anthropo-analytiques de l’écoute du sujet. C’est en effet la première fois que dans la vie d’un sujet son épopée inaugurale et la sédimentation initiale de son Soi deviennent le champ d’un tel travail transformatif, et formatif, d’une telle « réforme » dans les deux sens opposés du terme. La puberté (la lancée de la « formation », donc) déclenche en effet la perte du corps d’enfant et le refoulement de très nombreux de ses éprouvés, en même temps qu’elle se signifie aussi au sujet par l’irruption simultanée d’éprouvés radicalement nouveaux, qui pour certains d’entre eux resteront encore longtemps « innommables », ici aussi dans les différents sens du terme. Elle est bien trans-formation du corps propre où se reconnaissait le moi jusqu’alors, et dans lequel il était reconnu et investi par l’autre et par les autres. Elle devient du coup aussi transmutation interne des potentialités d’expérience du monde, dans et à partir de ce corps, mutation aussi de sa présence à l’autre, au sexe, au groupe, au temps. L’adolescence comme processus est donc, aussi et entre autres, celui d’un « endeuillement », contemporain d’appropriations (libidinales, objectales, identificatoires, narcissiques idéalisantes etc.) parfois prodigieusement nombreuses, souvent riches, lesquelles deviennent précisément possibles du fait même de ce travail psychique de la perte. Appropriations que je ne détaillerai pas ici plus avant, sinon pour remarquer que c’est au cœur de ce double mouvement : détachement et perte des objets hérités à travers la latence, et appropriation de « l’objet adéquat » au sens freudien (c’est-à-dire « de tous les objets qui me sont adéquats »), que se joue la réorganisation des investissements épistémiques présidant à la mise en place par le sujet de son projet d’adulte par le biais de sa première véritable formation (intellectuelle, sociale, esthétique, professionnelle etc.). Pour remarquer aussi que ce processus de l’adolescence est aussi celui au cours duquel les maîtres-fantasmes de l’ancien petit Œdipe, nommément l’inceste et le meurtre, seront ravivés à la

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mesure même de la violence de l’irruption des nouveaux éprouvés, des vécus sexuels et agressifs dans un corps en mutation immaîtrisable, si difficilement contenus dans le dispositif et le cadre de l’institution en général, et notamment de celle qu’est en train de devenir pour lui/elle la famille. Même si les mots se prêtent aussi à un usage politique, les technocrates actuels de la formation sont donc cependant dans le vrai lorsqu’ils désignent lycée, enseignement supérieur ou professionnel en termes de « formation initiale ». En fait, ils sont plus dans le vrai qu’ils ne le savent : car l’histoire subjective de l’adolescence, et ses éléments critiques, se sédimenteront en chacun de nous telle une structure disponible (une « forme », en fait...) des voies disponibles pour les remaniements internes lors des crises psychiques à venir, dont la vie de chacun (pourvu qu’elle soit assez longue...) ne sera pas chiche : crises universelles, comme celle liée au passage et à la succession des générations, ou comme celle du « milieu de la vie », parce qu’il est aussi la mi-chemin vers la mort ; et crises individuelles, intercurrentes, précipitées par les séparations, les pertes d’objets, ou les blessures narcissiques, mais parfois aussi par les réussites culpabilisantes. Crises qui ébranleront d’autant plus le moi que l’objet en perdition désormais se trouvait y être investi, partiellement ou en totalité, comme une assurance narcissique, et une composante structurale de la forme de soi. Cette trace subjective de l’adolescence contient aussi l’histoire des vicissitudes des investissements épistémiques du sujet, de ses positions quant aux objets, individus et groupes qui y ont pourvu ou s’y sont dérobés, et des liens tissés avec ces objets, puis détissés... Constituant un réinvestissement majeur du narcissisme, c’est aussi au décours de ce processus (dans la seconde partie de l’adolescence, en général) que s’instaurent dans la pensée du sujet les possibilités de positions réflexives quant à sa propre expérience, et quant aux sens imaginaires divers qui peuvent en être saisis ; quant à son actualité psychique et à sa traversée d’autres expériences passées, souhaitées ou refusées pour l’avenir. Parmi ces expériences : les liens aux objets du savoir, les liens avec ceux

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qui les proposent, les refusent ou les réservent, les liens avec les autres sujets groupés autour des mêmes objets, les liens à l’institution hébergeant cette expérience, et favorisant ce qui lui apparaît, après-coup, se révéler un mouvement subjectivant, ou au contraire un assujettissement. C’est dans ce mouvement-là que se met en place pour le sujet la capacité d’envisager les enjeux existentiels de sa formation personnelle : par exemple et entre autres, celui d’entrevoir la question de l’inconnu dans la transformation subjective qui s’avère être au cœur de son propre projet formatif.

B ILDUNG / TRAINING Dans le monde de la psychanalyse, les conceptions de la formation se sont originairement formulées en deux langues : l’allemand et l’anglais. C’est d’elles dont nous héritons les deux termes à travers lesquels ces conceptions se sont déployées, et, au moins partiellement, actualisées. Dans la langue de Freud, de Ferenczi, d’Abraham etc., la formation c’est la Bildung, dans celle de Jones, de Glover, d’Anna Freud, etc. (pour ne citer que ceux-là dans chacun des cas) la formation est presque toujours un training1 , parfois une education. Mais Bildung et training renvoient à une sémantique bien différenciée. Bildung (dérivation de Bild, essentiellement : une « image », parfois une « forme ») nous arrive, pour dire vite, parée de l’idéal formatif des philosophes allemands du XVIIe au XIX e siècles. Elle descend de la mystique médiévale germanique, où elle désigne un long effort personnel analogue à l’imitatio Dei de la catholicité, évidemment dans un lien à un Vorbild, un modèle de référence, un Mentor, un prototype sanctifié. Mais par la suite, aux âges classique puis romantique, et enfin pour les fondateurs de ce monument de civilisation que fut 1. On rappellera après R. Kaës (cf. supra) que longtemps, au CEFFRAP même, les petits groupes d’expérience s’appelaient des training-groups, et étaient conçus comme tels.

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l’université germanique, elle désignera un idéal de formation « optimale » de soi à travers une séparation du foyer d’origine, grâce à des liens tissés avec des maîtres choisis, ainsi qu’au vécu d’expériences fondatrices : la perte, la solitude, le lien sexuel et amoureux, la rencontre de sujets absolument autres, la déception, l’effort de tendre à une culture universaliste de soi etc. La Bildung, ainsi, ne va pas sans Bildungsreise, départ au loin et voyage de formation, sans aventure formative résolument personnelle (Bildungsroman, le « roman de formation »). C’est dire qu’elle ne va donc pas sans remaniement profond de soi, ni sans crise psychique au contact de la multiplicité et de la variabilité des formes du monde et de l’autre ; cette crise de passage aux positions adultes est dès lors ressentie comme l’une des nécessités de la vie humaine et de son pan tragique : la perte de l’enfance, puis de l’adolescence et de leurs illusions. C’est cette crise narcissique et sa traversée qui font formation, parce qu’elles sont le creuset d’une transformation subjective. Le training est toute autre chose, même s’il ne conviendrait pas à mon sens d’opposer trop facilement les deux, trait pour trait. Il s’agit là (je cite les dictionnaires) : 1) d’enseigner une habileté (skill) ou un comportement particulier, à travers la pratique et l’instruction durant une certaine période de temps ; 2) d’entraîner, de faire en sorte qu’une plante croisse dans une direction particulière ou sous une forme requise ; 3) de viser, pointer (une arme, une caméra) ; 4) d’attirer quelqu’un en lui offrant plaisir ou récompense. Un train est toujours une « série organisée » (de véhicules, de wagons, de personnes ou d’événements reliés entre eux). Et si training il y a, il y a alors un trainer (« entraîneur ») et un trainee (une « personne en formation », c’est-à-dire ici « une personne soumise à un training en vue d’un travail (job) ou d’une profession particulière »). Il n’y a donc de training que dans un lien entre trainer et trainee, et ce lien se fonde dans la représentation-but partagée d’un fonctionnement favorable ou d’une habileté optimale. On pourrait considérer qu’il s’agit là des deux « formes a priori de la formation »... : l’une insiste évidemment sur les

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enjeux narcissiques idéaux de la « formation du soi » dans le cadre psychique critique d’un travail de la perte ; l’autre privilégie ouvertement le désir et le lien de transmission et d’appropriation, la prescription et la performance, l’entrée dans l’ordonnancement social, et la reconnaissance. Plutôt que de s’en tenir à leur opposition, sans doute vaut-il mieux constater leur altérité, leur tension, voire leur complémentarité, et la part que chacune d’entre elles laisse en négatif, et au négatif, pour travailler nos problématiques formatives dans un rapport dialectique à élaborer entre ces deux « préformes ». L’insistance très différente en chacune d’entre elles sur les mouvements de désappropriation et d’appropriation des objets du savoir, sur les voies du détachement et de l’investissement, sur le destin des objets perdus et celui des « nouveaux objets », nous questionne donc quant au travail de la perte, en tant qu’il est au cœur du processus formatif ; quant aux enjeux de l’économie des idéaux et de la dynamique narcissique qui font les différents destins de ce travail de la perte ; quant aux vicissitudes des positions du moi sur la finalité et le moment final de l’entreprise formative.

D EUIL OU MÉLANCOLIE DANS LA FORMATION Il me faut ici faire mémoire des travaux (« réformateurs » si l’on veut, dans leur relecture de Ferenczi) de N. Abraham1 et M. Torok. Certains d’entre eux portent sur la disjonction entre deuil et mélancolie dans leur lien différencié aux dynamiques introjective et incorporative. Disjonction donc, des introjections véritablement élaboratives du deuil, qui intègrent/réintègrent au moi les affects mobilisés dans le lien à l’objet perdu, d’une part – d’avec, d’autre part, les incorporations magiques de l’objet perdu ou de certaines de ses parts, certes à visée identificatoire, 1. ...Mémoire qui convoquera aussi, et bien que le temps ait passé, le souvenir du caractère précisément tragique de la fin du premier de ces deux auteurs, en regard du thème de cette étude, et notamment de ses dernières parties.

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mais qui ne sont au fond que les caricatures de l’introjection, laquelle reste échouée : ces fantasmes incorporatifs, symptomatisés ou non, signalent et signent en fait cet échec, et l’insistance d’une dynamique mélancolique sous-jacente. Or le projet même de « s’acquérir une formation », au-delà de la « formation initiale », est au moins en partie la symbolisation de la réaction du moi à sa perception, anxiogène, d’aspects vécus comme carents dans la « forme du soi ». Ces carences narcissiques résultent en chacun de sources multiples : certaines sont héritées des compromis du processus d’adolescence, d’autres des pertes d’objets narcissiques et des parts narcissiques du lien à certains objets libidinaux perdus, d’autres encore de blessures de différentes sortes : maladie physique, handicap, vexations, échecs. D’autres enfin, découlent tout simplement de désillusionnements narcissiques – à commencer par ceux inhérents au processus d’une psychanalyse personnelle... « Endeuillement » et « mélancolisation » m’apparaissent alors, inverses et complémentaires, comme les deux dynamiques potentielles d’un continuum, au cœur du traitement psychique qu’entreprend le sujet de la blessure portée à la forme du soi par le dérobement, la destitution ou la perte de ses objets narcissiques idéalisés. Dès lors la finalité de la formation (définie par les objets de savoir proposés par les formateurs et l’institution dont ils s’originent et/ou qu’ils constituent, groupés), et sa fin (son terme) se détermineront au moins en partie, et parfois massivement, dans le champ des vicissitudes intra- et inter-psychiques de l’objet narcissique en perdition, ne serait-ce que parce qu’il est en instance de désidéalisation, par un retour (maturatif...) de l’ambivalence. Il s’agit maintenant pour mon propos de préciser plus avant dans cette dualité endeuillement/mélancolisation divers moments dynamiques en cause dans la position de « formand », dans son issue, et dans la position du groupe des formateurs, et de l’institution formative. Du côté de la « mélancolisation », que l’objet perdu soit un objet narcissique, ou un objet libidinal dont l’investissement

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insu est grandement narcissique, dans les deux cas sa quiddité, son « essence narcissique » reste voilée, inconsciente : « cela » qui s’est en avant-coup dérobé de sa disponibilité narcissique pour le moi, c’est-à-dire dans cette fonction « formatrice de soi », n’est pas reconnu en tant que tel. Seul est vécu par le moi le « besoin » d’un « complément d’être » qui « fera de lui » ce qu’il vise à être, ou mieux, à perdurer dans l’être. Du coup, l’investissement de la finalité de la formation, de ses objets, et de son terme, tireront vers un « être (être analyste, être le psychanalyste, être psychodramatiste, être psychothérapeute) à faire reconnaître », et donc vers les modalités spéculaires, directes ou déplacées, de la reconnaissance, de la « reconn-essence » ai-je plutôt envie d’écrire. C’est dire que cet investissement sera celui d’un complément « essentialisant », susceptible d’être désigné, approprié, incorporé comme un étayage de la « forme de soi », en sorte que la détresse narcissique découlant de l’avant-coup ne se réveille pas, ni ne se révèle. Il faudra donc par ce biais « savoir pour ignorer », c’est-à-dire savoir le nouvel objet idéalisé pour continuer à ignorer l’essence de l’ancien. Il faudra dévorer avant que ne s’éprouve la faim, et la fin ; il faudra « se former » pour ne pas vivre l’évidence douloureuse d’une vacuité plus ou moins lancinante de la « forme de soi », et d’un dérobement dépressiogène. C’est de ce côté que l’acquisition d’un savoir convoité comme un objet avant tout externe, susceptible de disparaître, est vécue comme une appropriation dont l’urgence est elle-même dévorante. Vécue comme une contrainte et une violence, cette oralité est coupable, et du coup souvent immobilisée dans des fantasmes angoissants d’envie, de destruction et de représailles. Ce sont ceux-là qui émaillent alors les liens groupaux, ainsi que ceux tissés avec les formateurs. C’est bien aussi dans cette dynamique qu’une « fin de la formation » assumée s’avère bien difficilement envisageable : c’est que son approche risque de faire réapparaître pour le moi le danger de la carence narcissique. C’est dans ce creuset que surviennent l’assujettissement à l’institution formative réifiée, et les allégeances à des objets et à des liens idéalisés. Allégeances qui ne sont que des changements d’allégeance. C’est là que

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surgit la tentation de la « formation sans fin », et maintenant en deux sens : sans renonciation conflictuelle assumée à l’élément narcissique dont la perte avait été voilée par la ripaille formative, et, sans que le terme de l’entreprise actuelle ne puisse être rencontré. Sur le versant de l’endeuillement, l’objet de la formation désirée par le sujet m’apparaît être bien plus appréhendé comme un processus, et s’éprouve plus comme une série d’expériences, avec un autre et quelques autres, qui s’avéreront pour certaines refondatrices en après-coup, expériences de constructions et de ruptures de liens autour d’objets partagés, objets dont l’essence projetée se transforme peu à peu en se désidéalisant, en même temps que la représentation de la finalité même de l’entreprise formative se modifie. Ces expériences d’investissements et de désinvestissements, qui s’élaborent dans la solitude de soi et dans les liens de groupe, peuvent se sédimenter lentement en un savoir « de soi et des autres », de « soi avec les autres », mais aussi « des autres qui font soi ». Car dans ce mouvement, le moi tolère (relativement...) la reconnaissance des enjeux identificatoires et contre-identificatoires dans la construction de soi. Ce parce que le moi se reconnaît essentiellement comme une histoire vivante, comme à jamais non finie, et consent (relativement...) à des lendemains en partie inconnus. Lors, même si ce mouvement inclut une demande épistémique, une demande d’objets « de savoir » (et il l’inclut toujours aussi), ces derniers sont plutôt visés en tant qu’ils sont susceptibles de concourir à la formulation ou à l’élucidation des processus qu’il expérience, par le sujet formand-se formant lui-même. Ce savoir-là est vécu plus comme une « appropriation de soi » (une définition de la subjectivation ?) et beaucoup moins comme l’incorporation « formelle » d’une technique, d’une position sinon parfois d’une posture, d’une forme idéalisée en tout cas, visée comme complémentation définitive (a priori...) d’un soi menacé. Il ne s’agit plus ici d’un savoir acquis par arrachement et par dévoration actives, mais d’un savoir constaté en après-coup, et

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comme un après-coup, une « leçon de la vie telle qu’elle est ». Il est comme déjà sédimenté, et s’est déjà édifié en soi et par soi, à l’occasion de liens avec d’autres à travers lesquels le Soi a continué à se construire, construction qui se poursuit. Ce savoir inclut la leçon qu’on peut ainsi peu à peu formuler de ce qu’on a fait des liens rompus, des objets (y compris épistémiques) disparus, des êtres chers et haïs morts, des groupes dispersés ou laissés, et des liens internes construits entre tous ceux-là au fil d’un processus, qui s’avère avoir débuté bien avant cette « formation », et se poursuivra évidemment après. La vie du sujet est alors comprise comme sa « formation », et « cette formation-là » n’en aura été qu’un des moments, même s’il en aura été un moment fondamental, parce que refondateur. Dès lors, la « fin de la formation » est « une nouvelle fin », cette fin-là est encore une autre fin, après et avant d’autres fins, une nouvelle occasion de reconnaître en soi ce qu’est la fin, dans l’angoisse de ce qui n’est pas encore advenu.

« U NE GÉNÉRATION S ’ EN VA , UNE GÉNÉRATION S ’ EN VIENT ... » Comme le notait en passant J.-P. Valabrega dans un ouvrage consacré à « la formation », celle-ci est toujours plus ou moins un lieu où se met en œuvre, sinon en scène le paradigme célèbre de la grammaire latine : Doceo pueros grammaticam – « c’est aux enfants que j’enseigne la grammaire... ». Ce doceo est la position complexe qui peut voir la théorisation et l’expérience se muer en doctrine1 , dans une rencontre assujettissante des attentes narcissiques croisées. 1. À ce sujet, on gagnerait sans doute à questionner le texte freudien dans son lexique même, puisqu’il paraît témoigner chez Freud déjà de mouvements éventuellement fort significatifs quant à cette problématique. Par exemple et entre autres, il existe en allemand comme en anglais des couples de mots, traductibles, et souvent (peut-être trop souvent) traduits par le même vocable en français, couples de termes dont l’un est de provenance gréco-latine, l’autre de provenance germanique. Ainsi de « théorie » dans les traductions françaises,

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La rencontre entre formand et formateur sous le soleil de l’institution, rencontre de deux générations réelles et/ou symboliques, catalyse certes toujours la résurgence des enjeux infantiles libidinaux et narcissiques (le rougeoiement derechef des braises incestueuses et meurtrières œdipiennes et contre-œdipiennes, les flamboiements persécutifs et la déréliction abandonnique, de fait la fantasmatique prégénitale) et de ceux de l’adolescence (les fantasmes d’ambition ou de rébellion héroïques, par exemple et entre autres). Ce, en chacun, et chez tous les protagonistes en cause, groupalement. Mais par ailleurs « Une génération s’en va, une génération s’en vient... », ainsi que le dit l’Ecclésiaste (I, 4). Il faut en effet en toute institution qu’une génération s’en aille pour qu’une autre arrive et prenne sa propre place, qui est en partie au moins celle des morts : l’expérience de la transmission, et la position psychique de formateur, qu’il est bien rare d’occuper (j’entends : d’assumer) avant la mi-chemin entre la naissance et la mort, se soutient au fond quant à la mort qui attend la génération (réelle ou symbolique) qui transmet, et chacun de ses membres à son tour. Les sujets se rejoignent toujours dans l’institution autour d’un vouloir-survivre, de sorte que toute institution est aussi l’institution d’une transmission, avant et contre la mort, transmission reconnue ou non comme telle, d’ailleurs. Et si la perte narcissique absolue attend, comme chacun, chaque formateur dans l’institution formative, la mort est l’ombre portée par la position même de celui qui transmet. La question de la fin, et des fins de la formation doit être pensée à cette aune-là également : celle de la fin des fins. qui est dans l’original tantôt Theorie, tantôt Lehre (« doctrine, enseignement ») sous la plume de Freud. Ainsi écrit-il ici Neurosentheorie, et là Neurosenlehre, ici Sexualtheorie, et là Sexuallehre. Au-delà de la thématique des schibboleth, ou de celle des définitions programmatiques de la psychanalyse exposées par Freud lui-même, on ne s’est pas encore (me semble-t-il) interrogé avec précision sur l’arrière-plan rhétorique, ni donc fantasmatique, ni groupal ou encore politique de tels choix lexicaux, bien que parfois d’autres textes contemporains ou les travaux historiographiques nous en donnent quelque idée.

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Si de cette fin-là aussi la « fin de la formation » est donc lestée chez formand et formateurs, une part toujours importante de la vie groupale de l’institution formative en est porteuse en creux, comme en sont lestés le commerce avec les objets du savoir (et notamment du « savoir théorique ») qui lui sont propres, ainsi que les mouvements d’idéalisation concomitants. Objets que, dans certaines configurations groupales au moins, leur statut phallique-narcissique peut désigner à l’appropriation dévorante et assujettie d’élèves affamés d’une Bonne Forme, Graal sur lequel puisse être projeté un fantasme d’immortalité partagé à leur insu par formands et formateurs. Par ailleurs et inversement, il n’y a pas de formation sans institution, j’entends sans « forme institutionnelle » de laquelle la forme même de la formation est réputée s’originer : ne s’agirait-il que de l’institution dont le formateur est issu, et qui continue à l’instituer comme tel, et quand bien même le formand n’aurait avec cette institution qu’un rapport imaginaire. Et chez les « psychistes » tout particulièrement1 , reconnue ou non, l’une des perspectives sous-jacentes à l’entreprise formative elle-même, perspective dont les enjeux ne peuvent qu’être en travail alors que la question de la fin se pose, est bien l’agrégation à une forme groupale, à un « groupe de psychistes » formés, souvent l’institution formative elle-même (ainsi, l’université), parfois une « forme groupale » qui puisse en constituer un déplacement imaginaire : association, fédération, mouvement,

1. J’écris ici « tout particulièrement », car d’autres raisons encore, différentes, contribuent dans ce cas à cette « fantasmatique de l’agrégation ». Entre autres, le fait que le psychiste, a fortiori le psychanalyste, a comme objets épistémiques et praxéologiques l’angoisse, la fantasmatique incestueuse et meurtrière refoulées, les affects dépressifs, la négativité, l’inconscient. Ce commerce quotidien est ressenti par ses proches non psychistes et dans le socius comme un contact avec les objets tabous, dont on se tient, comme on sait, prudemment éloigné. En cela, la « fantasmatique de l’agrégation » rend compte elle aussi d’un mouvement de la défensivité du sujet quant à des liens en perdition, réelle ou appréhendée, qui menacent de se dérober ou au moins de s’évider de leur consistance.

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école théorique, parfois simple liste, parfois inversement, projet d’ampleur articulant institut de formation, vie sociétale et scientifique à long terme, comme dans le cas des sociétés de psychanalyse. Dans la fantasmatique autour de cette agrégation, et bien sûr dans les pratiques où celle-ci s’opère, se jouent entre autres pour formands et formateurs sur des versants évidemment différents, la question de la filiation et de la reconnaissance (souvent donc aussi celle de la reconn-essence...), celle de la perduration dans l’être et dans les liens groupaux préexistants, celle du passage des générations, toutes problématiques mettant en crise chez les uns et les autres les investissements narcissiques de chaque sujet, et le narcissisme groupal. Plus précisément, la fantasmatique de l’agrégation à l’institution formative ou à celle qui en tient lieu se présente souvent comme l’aboutissement d’un imaginaire palingénétique : le processus formatif a été soutenu des espoirs d’une renaissance, ou d’une seconde naissance, espoirs s’enracinant dans les éléments restés insuffisamment élaborés de l’expérience adolescente. Les mouvements de rassemblement et de croisement des intérêts et fantasmes narcissiques, et des idéalisations (bonne forme, acquise par la bonne formation auprès du groupe des bons formateurs) amènent la procédure proposée (jury, commission, comité, session d’habilitation ou d’affiliation) à toujours convoquer une dimension groupale, qui réalise une sorte de métonymie transitoire de l’ensemble de l’institution. Et comme dans le rite de reconnaissance romain évoqué plus haut, cette instance mobilisera toujours aussi l’ombre angoissante portée par le danger de l’Exposition, et de la déréliction narcissique, si la reconnaissance demandée n’était pas au rendez-vous1 .

1. Une clinique des processus vécus au cours de ces instances institutionnelles et de leurs après-coups, quand l’agrégation ou la reconnaissance est refusée, montre régulièrement que les différents protagonistes en gardent des souvenirs résolument différents, que ces souvenirs sont lacunaires, qu’ils témoignent de l’incompréhension mutuelle des attentes et des affects des uns et de l’autre, en fait qu’il n’y a pas eu là de travail psychique en commun autour d’objets partagés, ni même de « négoce », tout comme si un clivage avait de bout en

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Ainsi, les vicissitudes bien différentes des objets de la formation chez le formand, de la construction psychique de la finalité de cette formation et de son terme possible, ont des relations profondes, quoiqu’évidemment pas linéaires, avec les dynamiques narcissiques des formateurs, dans leur propre précarité narcissique en tant qu’individus et en tant que groupe, aux prises avec les crises individuelles incontournables, et avec les moments tout autant imparables de la conflictualité groupale. Au-delà, la définition temporaire que l’on proposait plus haut de la formation pourrait ainsi se compléter : la formation est toujours, aussi, un travail de la perte, et c’est dans la dialectique entre pertes et appropriations que se rejoignent formands et formateurs. Les mots clairs de plus d’un poète nous avertissent qu’au-delà de la transformation « formative », les enjeux de la perte et de la mort constituent bien le creuset où chacun façonne les formes, et la forme que prend sa vie. Ainsi dans la « Bienheureuse nostalgie » du « Divan », Goethe lance-t-il : « ... Et tant que tu n’as pas Ce : Meurs et Deviens ! Tu n’es qu’un terne invité Sur la terre obscure. »

bout structuré les « échanges ». Ce clivage (dont d’autres formes éventuelles sont bien connues, ainsi : position analytique/position « institutionnelle », ou encore intérêt scientifique/intérêt politique) a d’autant plus de risque de s’agir que le narcissisme groupal est ressenti comme précaire, que dès lors le fonctionnement groupal s’ordonne à la défense des formes, ou des représentants des objets narcissiques idéalisés et de leurs « petites différences partagées », fonctionnement qui peut rejoindre et croiser celui de l’impétrant, dont la problématique narcissique et l’histoire personnelles sont évidemment sollicitées.

Chapitre 3

DE L’ASSUJETTISSEMENT À LA SUBJECTIVATION DANS LE TRAVAIL PSYCHIQUE GROUPAL

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Par Blandine Guettier

N QUOI , LE TRAVAIL PSYCHIQUE

en groupe est-il spécifique ? Et comment nous éclaire-t-il dans la formation et la transmission de connaissances ou d’expériences ?

E

S PÉCIFICITÉ DU TRAVAIL PSYCHIQUE EN GROUPE Il s’agit de transmettre, mais aussi dans ce domaine de développer la compréhension de l’autre en ayant approfondi la connaissance de soi-même, comme patient dans la cure type et comme participant dans un groupe avant d’accéder à une formation d’analyste de groupe.

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Approfondir la connaissance de soi-même permet de différentier dans l’appréhension du fonctionnement psychique ce qui est objectivable (ce qui appartient à l’objet), de ce qui viendrait de soi comme perception, et pourrait altérer l’appréhension de l’autre. « Tant qu’il n’a pas été analysé dans une cure elle-même individuelle, le fantasme individuel altère ou paralyse la perception et l’intelligence de tout ce qui se rapporte au fonctionnement de l’appareil psychique » (Anzieu, 1973, p. 93).

Pouvoir s’identifier aux processus à l’œuvre, au patient mais aussi pouvoir objectiver la différence de l’autre et en même temps repérer des invariants structuraux, individuels et groupaux (développementaux, régressifs, défensifs...) sont essentiels dans le travail psychanalytique. Aussi pouvoir éprouver, se souvenir, être attentif à ses propres processus inconscients en situation d’analyse, au contact des processus inconscients du patient, font partie intégrante du travail analytique, être « patient à soi-même ». Le mécanisme essentiel de fonctionnement des groupes humains que Freud décrit dans « Psychologie collective et analyse du moi » (1921) est l’identification. Son étude concerne la foule ou les groupes institutionnels. La mise en groupe de participants, ne se connaissant pas, entraîne des ressentis d’étrangeté, de perte identitaire et d’urgence identificatoire (Missenard, 1972). À la phase orale, l’incorporation de l’objet est le précurseur de l’identification (cf. « Les trois essais 1905 » de Freud) et constitue l’identification primaire : l’enfant au moment même où il s’unifie dans le rapport bouche sein avec la mère « s’aliène dans le désir maternel », de la fusion avec la mère, à la séparation avec l’apparition du besoin et de la tension. Elle entraîne l’identification narcissique : il s’agit là aussi d’incorporation (comme dans la mélancolie, dans le registre oral) ou d’introjection des aspects de l’autre (niveau anal ou phallique).

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L’identification œdipienne est plus complexe impliquant trois protagonistes, le sujet, le père et la mère. C’est le renoncement œdipien dans la rencontre de la rivalité et de l’interdit par le parent du même sexe, qui fait s’identifier à celui-ci dans un processus introjectif concernant des aspects de l’autre et non l’autre totalement. Dans l’ébranlement identitaire, provoqué par la mise en groupe, sont à l’œuvre ces problématiques rendant vulnérable chacun dans sa relation au groupe, aux formateurs ou thérapeutes, aux participants. Les aspects développementaux sont repris, remis en mouvement dans le travail psychique groupal, pouvant remettre en travail le péril d’un assujettissement, d’une aliénation, reprenant la dépendance aux objets originaires (la mère, le père...). Voici un exemple critique de la dépendance au formateur : j’aimerais évoquer la conception d’une formation, utopiste (?) du XIXe siècle, dans ce passage par une dépendance au formateur, au maître, critiquée par J. Jacotot (1835) dans le Journal de l’émancipation intellectuelle, écrit dans une période post-révolutionnaire française, et avant la découverte freudienne de la psychanalyse. Elle a été étudiée et remise à jour par le philosophe Jacques Rancière dans Le Maître ignorant (2004). Il y est question de la formation de l’enseignement socratique et de sa critique. Je cite J. Jacotot à travers J. Rancière : « Socrate par ses interrogations amène l’esclave de Ménon à reconnaître les vérités mathématiques qui sont en lui. Il y a peut-être le chemin d’un savoir mais aucunement celui d’une émancipation. Socrate doit prendre l’esclave par la main pour que celui-ci puisse retrouver ce qui est en lui-même. La démonstration de son savoir est pour autant, celle de son impuissance : il ne marchera jamais seul et d’ailleurs personne ne lui demande de marcher, sinon pour illustrer la leçon du maître. Socrate en lui, interroge un esclave qui est destiné à le rester » (Rancière, 2004,

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p. 52).

Plus loin Rancière cite encore Jacotot qui écrit : « Il n’y a pas intelligence là où il y a agrégation, reliure d’un esprit à un autre esprit. Il y a intelligence là où chacun agit, raconte ce qu’il fait et donne les moyens de vérifier la réalité de son action » (p. 56).

Il poursuit : « L’acte de l’intelligence est de voir et de comparer ce qu’elle voit. Elle voit d’abord au hasard. Il lui faut chercher à répéter, à créer les conditions pour voir à nouveau ce qu’elle a vu, pour voir des faits semblables, pour voir des faits qui pourraient être la cause de ce qu’elle a vu. Il lui faut aussi former des mots, des phrases, pour dire aux autres ce qu’elle a vu. Bref n’en déplaise aux génies, le mode le plus fréquent d’exercice de l’intelligence, c’est la répétition » (p. 94-95).

Dans cette démarche pédagogique critique et novatrice, l’accès au savoir est affaire de volonté, d’attention, il ne se donne pas, il se prend. Ainsi, J. Jacotot prétend enseigner une langue étrangère par exemple sans la connaître et cela fonctionne, ses étudiants apprennent cette langue. Il n’enseigne pas des contenus, mais une méthode d’observation, de déduction. Il n’est pas précisé ses raisons de dénoncer à ce point la dépendance au maître, ni dans son histoire personnelle, ni dans sa pratique, au risque d’une certaine solitude dans l’apprentissage. Le déplacement de l’étude de la transmission des savoirs du maître vers le disciple ou l’élève, avec l’exploration de ses conditions d’apprentissage nous intéresse. Cette réflexion est proche de la démarche clinique auprès du lit du malade avec le recensement des symptômes et la mise en lien avec des maladies déjà connues, à moins que ce soit la découverte d’une nouvelle maladie. Elle est proche aussi de l’analyste écoutant son patient, le reconnaissant, révélant par le cadre, le transfert et

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l’interprétation ce qui a échappé à la conscience du patient, dans des liens méconnus, appartenant aux logiques de l’inconscient. Ce passage par la pédagogie nous a paru nécessaire pour revenir sur l’expérience proposée dans les dispositifs psychodynamiques, individuels (psychothérapie, psychanalyse...) et groupaux (groupes de formation ou thérapeutiques). Nous tenterons de cerner ce qu’apportent spécifiquement ces dispositifs groupaux aux problématiques de la formation. En effet, il est question de définition de cadre, de dispositif, permettant un processus, de changement, de formation, de prise de conscience de soi-même, de connaissance de soi-même, en présence de l’autre (l’individu ou le groupe). Entre la répétition (présente dans l’inconscient) et la perlaboration permettant des dégagements, des variations même dans la répétition, peuvent advenir des changements. Les règles, dans les dispositifs groupaux, sont particulièrement complexes puisqu’il s’agit de donner un cadre qui préserve une enveloppe groupale pour l’ensemble des participants et les formateurs (ou moniteurs ou thérapeutes dans les groupes thérapeutiques ou psychodramatistes pour la formation des psychodramatistes). Qu’apportent les groupes de sensibilisation, de base, cliniques, de recherche à la connaissance du processus de formation ? Il est indispensable pour un futur analyste de groupe d’être confronté en tant que participant, à un groupe (selon le même schéma qu’un analyste doit avoir été un analysant) afin de connaître de l’intérieur, dans l’intrapsychique sa relation au groupe, aux participants, et aux formateurs. Cette connaissance intrapsychique et cet éprouvé sont garants d’un travail psychique nécessaire au thérapeute dans le contre-transfert, dans une rencontre intersubjective avec un patient, un groupe de patients. Entre le transfert, la transformation, la création, l’élation, l’Idéal du Moi, le Moi Idéal, qui suggèrent l’au-delà, l’au travers, et la répétition, la défense ou le retour, le retrouvé, le refoulement, se situe le travail psychique dans la cure analytique, ou dans l’analyse de groupe.

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La formation témoigne d’un désir de changement, de transformation au début d’une carrière professionnelle ou au cours d’une vie professionnelle et personnelle. Il y a un Idéal projeté sur la formation, le savoir à acquérir, l’apprentissage, un idéal, projeté sur le corpus de savoir des fondateurs, de la psychanalyse (S. Freud et ses disciples), de la psychanalyse comme mode de compréhension du groupe (S.-H. F OULKES, W.-R. Bion et bien sûr D. Anzieu, R. Kaës et leurs collaborateurs, et aussi d’autres fondateurs d’autres associations de formation qui sont dans cette démarche analytique). Qu’en est-il du groupe de sensibilisation proposé, dans une démarche de formation ? Le groupe alors, sollicite des aspects émotionnels dans une régression, aux confins de l’identitaire, loin du projet conscient qu’il questionne.

U N EXEMPLE : UN IDÉAL ASSUJETTISSANT Un ailleurs, un autre lieu de formation que le CEFFRAP illustre cette problématique : un participant à un petit groupe que j’anime seule (sauf dans les plénières qui réunissent deux petits groupes avec un co-formateur) m’interpelle sur le fait, que plusieurs années auparavant, il aurait été présent dans un groupe que je co-animais au CEFFRAP dans un séminaire résidentiel. Je suis perplexe, car je ne me souviens pas de lui, je ne retrouve aucune trame de thème de jeu... Je fais des recherches. Plusieurs fois, ce thème revient chez Robert, avec une sorte de dépit, sur un registre très affectif, « pour ce que les formateurs se souviennent de nous ! ». L’ensemble des participants adhère à sa déception et à sa désapprobation. Robert semble très affirmé, sthénique, puis... moins affirmé. Nous sommes alors dans des zones de confusion, d’étrangeté, de faux souvenir, de date à corriger, etc. De mon côté, je fais des recherches et constate que j’ai participé à un séminaire où Robert était participant... dans un autre petit groupe que celui que je co-animais. Bien sûr, j’ai pu le voir, peut-être l’entendre dans les

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séances plénières, en grand groupe réunissant tout le séminaire et lui de même, a pu me voir, m’entendre. L’investissement et le souvenir d’un participant en sont pourtant différents dans un grand groupe et dans un petit groupe. La trame du souvenir, le fil rouge est : il m’a confondue avec une collègue certes, mais une autre trame apparaît, il aurait préféré dans ce séminaire être dans le groupe de mon co-formateur. Il y a effacement des deux formatrices, par contre, Robert différencie les deux hommes formateurs dans la comparaison, l’un, mon co-formateur étant plus connu, plus reconnu que l’autre. En dehors d’une problématique personnelle peu évoquée et qui n’est pas ici notre propos, dans cette diffraction du transfert (Kaës, 1988, 2007), sur les formateurs du groupe de sensibilisation où l’investissement est très affectif (ici sur le registre du reproche), sur l’organisme de formation, se profile un autre transfert concernant le co-formateur dans une lignée plus ancienne et plus prestigieuse pour aboutir « at last but not least » à D. Anzieu et R. Kaës. La trame est alors de l’ordre de l’Idéal du moi, avec ces représentants les plus connus, « touchés » à travers l’organisme de formation (CEFFRAP) mais atteints de manière distante, par des intermédiaires (les formateurs présents dans la session), certains étant plus idéalisés que d’autres, ou pouvant être des obstacles ou des rivaux. « De quelle génération êtes-vous, de celle des fondateurs ou de la nôtre ? » est une question souvent posée. Comment interpréter ce processus dans le groupe, cette clinique du groupe dans le travail psychique groupal ? Il y a bien un dessaisissement de soi-même, dans l’altération de la mémoire, du souvenir. Pour autant, ce trouble par sa mobilisation possible reste de l’ordre du névrotique, mobilisé par ces différentes mises en tension. Pour illustrer la conflictualité par rapport à l’idéalisation, pouvant aboutir à un sentiment d’étrangeté, nous recourons à un autre témoignage. Nous pensons à « Un trouble de mémoire sur l’Acropole » décrit par S. Freud (Lettre à Romain Rolland

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de 1936). Freud exprime un sentiment d’étrangeté lors de sa visite de l’Acropole et Athènes en 1904 « ainsi tout cela existe réellement comme nous l’avons appris à l’école ! », avec un phénomène de dédoublement, « la première (personne) devait croire à quelque chose dont jusque-là la réalité lui avait apparu incertaine ... et l’autre personne s’étonnait à bon droit parce qu’elle ignorait que l’existence réelle d’Athènes, de l’Acropole et de ce paysage eût jamais été un objet de doute » (op. cit., p. 408). La logique aurait été qu’il y ait eu une expression d’exaltation et de ravissement. Il y a donc une différence, entre « voir quelque chose de ses propres yeux et le connaître par des lectures ou par ouïdire » (p. 409) et de l’avoir idéalisé. Il s’agit là du sentiment d’étrangeté (concernant la perception), de dépersonnalisation (altération d’une partie du moi). S. Freud le relie au sentiment de culpabilité d’avoir été plus loin que le père, « comme s’il était toujours interdit que le père fût surpassé... Ainsi ce qui nous (S. Freud et son frère) empêchait de jouir de notre voyage était un sentiment de piété » (ibid., p. 414). La réalisation d’un projet mythique est possible au prix d’une expérience de sentiment d’étrangeté. Nous sommes bien dans le registre narcissique avec des transformations, des changements profonds, des vacillements. Pour autant, nous restons dans le registre névrotique de l’interdit, de la culpabilité, de la castration, de la rivalité, du registre œdipien, de la séduction. Il est important de le rappeler. C’est le mouvement et la souplesse de tels ressentis qui mobilisent l’individu, qui peuvent l’enrichir et être féconds. D’autres registres peuvent être travaillés dans les groupes différemment que dans la « cure classique » ou dans la psychothérapie individuelle.

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I LLUSTRATION DE L’ ASSUJETTISSEMENT AU GROUPE OU À SOI - MÊME Nous relatons ici un groupe de formation au CEFFRAP, dit groupe avec psychodrame, en session de quatre jours avec A.-M. Blanchard : il y a onze participants. Une thématique commune retient notre attention curieusement liée à des souvenirs de vacances ou au travail des parents dans un monde rural, il y est question du sacrifice nécessaire des animaux pour les consommer, pour les manger. Les cris des bêtes qu’on tue et le silence après leur mort évoquent Le Silence des agneaux, le film (Denne, 1990) d’après le roman de T. Harris (1988), le traumatisme de l’enfant identifié à l’animal sacrifié, en danger dans le monde des adultes cruels et barbares, ou identifié au parent en danger lors des disputes violentes du couple parental. Le désir de déjouer ou de rompre une chaîne, une filiation pathologique a amené certains participants à renoncer à avoir un enfant. Transmettre dans une filiation comporterait le risque de répétition intégrale plus que l’espoir de transformer. Un jeu est proposé à la troisième séance de cette session : un groupe de naufragés sur une île déserte doit subvenir à ses besoins de nourriture de manière crue en tuant des animaux, car n’y est plus, le supermarché avec ses produits enveloppés et aseptisés. Il s’agit de chasser un porc sauvage ou un sanglier ou un métis. Une participante Anne prend le rôle du porc chassé. La chasse implique un trop rapproché entre les chasseurs et l’animal, le groupe décide alors de creuser un trou et construit un piège afin de saisir la bête et de la tuer à distance sans la voir. L’animal paraît trop humain et sa mort ne doit ni être vue, ni touchée, ni entendue. Dans ce jeu, il est question de jouer pour de faux, pour de vrai, de faire semblant (règle du jeu psychodramatique) ou de faire semblant de jouer (détournement de la règle). Anne s’est rendu compte au cours du jeu que malgré ses tentatives de se libérer, elle était condamnée d’avance, au fond

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du trou, seule face au groupe. Elle s’interroge, pourquoi a-telle accepté ce rôle sacrificiel, était-ce par rapport au groupe, parce que personne d’autre ne voulait prendre ce rôle ? Elle se sent prisonnière de son dévouement habituel, reconnaissant son histoire dans le déroulement du groupe, différentiant ce qui lui a été demandé et ce à quoi elle s’est prêtée. L’aspect persécuteur du groupe et l’assujettissement sont très présents concentrés, projetés sur Anne. Anne s’est sentie poussée par le groupe à prendre ce rôle mais elle s’y est sentie seule, abandonnée par le groupe. Pourtant, elle s’interroge sur elle-même, son histoire et s’approprie le fait de pouvoir se mettre en difficulté pour que « les choses marchent ». Il s’agit là d’un travail psychique de réappropriation et de liaison à ce qu’« elle est », il s’agit là d’un travail de subjectivation. Nous étions attentives avec A.-M. Blanchard à ce que le groupe puisse se dégager de l’assujettissement en reliant les problématiques de la répétition, de l’assujettissement individuel, et en s’ouvrant à un espace nouveau, transitionnel, avec l’espoir d’un changement. D’autres jeux viendront ponctuer cette session, dénouant cette pression du groupe. Ainsi, A.-M. Blanchard jouera un mari qui accepte de modifier ses projets de vacances en tenant compte de l’avis de sa femme. La participante jouant ce rôle avait annoncé que souvent elle ne savait pas ce qu’elle voulait et qu’ensuite elle se laissait imposer des décisions qu’elle regrettait, elle voulait donc a contrario jouer une scène de ménage, où l’homme et aussi la femme dans une affirmation de chacun se disputaient sur un projet nécessairement différent, sans concession et donc sans possibilité de réalisation commune. Plusieurs séances plus tard, je suis sollicitée pour jouer un « Corps Calleux » entre deux hémisphères cérébraux : le droit est le cerveau affectif commandant la partie gauche du corps et le gauche est le cerveau de la parole et de la raison commandant la partie droite du corps. La définition est précise, anatomique, médicale. Il s’agit du « cerveau d’une jardinière », selon la précision du groupe.

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Je suis dubitative sur l’étroitesse du jeu et du rôle qui m’est proposé. J’accepte ce rôle étroit du Corps Calleux, lieu de transmissions croisées. Une indication étoffe ce jeu, Julia qui joue le cerveau droit affectif, annonce l’âge de son rôle, 56 ans et Sylvie, le cerveau gauche 25 ans. Ce décalage interrogera le jeu. Le « Calleux », deviendra le bien calé entre les deux « actrices » et non la callosité. Je joue le rôle du « passeur » entre le cerveau droit qui représente l’affectif lié, à l’histoire infantile avec des souvenirs trop forts, trop crus cannibaliques (reprenant ainsi l’histoire du groupe) bloquant le « cerveau gauche » de la raison dans des contemplations mièvres, très « fleur bleue ». L’histoire pesante et ses impacts traumatiques provoqueraient le blocage de son infantile, voire la niaiserie du « cerveau de la raison ». C’est une hypothèse que je propose et formule dans le jeu en tant que « Corps Calleux » au milieu des deux hémisphères cérébraux asymétriques. Ce rôle étroit, défiant l’entendement, m’était dévolu par retournement (Roussillon, 1992). Le psychanalyste est mis à la place du sujet, dans des zones indicibles, intraduisibles, de manière projective. Le psychanalyste est sollicité pour transformer le processus après en avoir éprouvé les aspects entravant. Le cerveau de la raison se plaint de solitude ne se contentant plus d’émerveillement devant la nature, d’en être rempli et accepte d’aller vers un homme, de le séduire et d’être séduit. Plus loin, dernier jour, dernière séance : le groupe se demande comment profiter de cette dernière séance ensemble, avant de se quitter, en se remémorant toutes les scènes jouées ? Un jeu est élaboré : le paradis où des morts se retrouvent autour d’une partie de cartes : il y a un mort vieux avec ses souvenirs de guerre, des morts plus jeunes, un mort enfant. Il s’agit d’éternité, le temps n’étant marqué que par les souvenirs terrestres. Le jeu de cartes est soit de l’ordre de l’infantile : « la bataille » ou de jeux d’adulte dont « le poker » qui intéresse particulièrement l’enfant. La souffrance n’est évoquée que par ceux, restés sur

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terre, ayant perdu un parent ou un enfant, un être cher. La souffrance de la perte n’est abordée que par les humains. Le jeu est calme, symbolisant la fin du groupe, sa mort prochaine, le souvenir en chacun du groupe est possible, au-delà de sa fin. La souffrance n’est envisageable que dans un intemporel défensif par rapport à cette fin annoncée irrémédiable. Cependant, Emma qui n’a pas joué, qui a regardé la scène fixement, les larmes aux yeux, dit qu’elle était ailleurs sur une autre scène, plongée dans un souvenir d’enfance où elle a assisté à une scène violente. Le rire de Jean dans le jeu lui a rappelé le rire sardonique de l’agresseur. Elle a été replongée dans un moment traumatique de son histoire personnelle, et elle s’est alors détachée du groupe et de sa mise en scène. L’ensemble du groupe a pu élaborer les termes de la dépendance, de l’emprise entre participants, de l’assujettissement aux formateurs métaphorisés par les jeux psychodramatiques. Les liens se sont faits pour chacun avec sa propre histoire, permettant au sujet d’advenir et de se différentier dans le groupe dans un travail de subjectivation. Qu’en est-il pour Emma ? Le débordement émotionnel, l’évocation de ce souvenir in fine, posent une question au-delà de la temporalité de ce groupe court dans le temps (4 jours). Il ne s’agit pas d’un souvenir refoulé, mais d’un affect refoulé lié à cette représentation qui peut s’exprimer en face de cette scène psychodramatique vue et entendue, étrange, étrangère ? comme dans l’enfance où elle a été spectatrice impuissante à empêcher un drame. Reste-t-elle aliénée à ce trauma de l’enfance que le groupe révèle dans sa force émotionnelle ? Ici le groupe propose un espace où « les conflits intrasubjectifs, eux-mêmes reliquats des relations intersubjectives de l’enfance, réelles ou fantasmatiques »sont revisités. Ils peuvent se manifester soit dans l’espace de jeu ou dans l’espace de parole. Emma s’est retrouvée à sa place de spectatrice dans l’enfance. Elle ne jouait pas, elle était. Elle avait évoqué qu’elle faisait un travail personnel pour « se sauver ».

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Le statut du groupe, le déploiement dans l’espace des conflits psychiques, permet par la remise en jeu des identificationss, de se délier, de se dénouer. Pour autant, il révèle des fixations, des identifications aliénantes, qui demanderont un travail à long terme en individuel ou en groupe où seule une névrose de transfert permettra une reconstruction, et l’acceptation, de mouvements psychiques internes en lien avec des représentations intersubjectives. La formation par le travail psychique groupal peut révéler des aliénations, des fixations, des enclavements, entraînant des répétitionss traumatiques, des enfermements dans le travail thérapeutique. Alors, ce travail psychique groupal ne crée pas une dépendance mais au contraire libère des chaînes de l’enfermement d’un destin inexorable dans sa répétition, inconscient. Qu’en est-il du groupe, de l’objet groupe, révélateur (exemple de la problématique d’Emma), passeur (exemple du jeu du Corps Calleux) ? L’histoire groupale se crée reliant des histoires individuelles, qui résonnent entre elles, font écho. Le temps imparti de la formation rend sensibles en chacun les effets du groupe (réveillant des problématiques individuelles) et le temps d’un travail thérapeutique, est différent permettant des remaniements identitaires. Le groupe attire vers l’actuel, l’histoire du groupe, les relations entre les participants, avec les formateurs. Il est de bon aloi, que ce déroulement provoque chez chacun, des associations sur sa propre histoire. C’est alors plus qu’un actuel, un présent qui trouve ses racines dans le passé et se reconnaît pour chacun. « La question de l’appropriation subjective commence à se poser quand la contrainte de répétition se manifeste et produit une réaction de type hallucinatoire des traces de l’expérience subjective. L’expérience traumatique revient, elle est réactualisée, elle revient “de l’intérieur” compulsivement. C’est là que la question de l’appropriation subjective commence à devenir une exigence pour la psyché : la psyché va devoir trouver des “solutions” pour s’approprier ce à quoi elle ne peut se soustraire durablement. C’est là le sens de la contrainte de répétition, elle indique que la psyché ne peut se soustraire à l’expérience subjective, que celle-ci

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soit chargée de plaisir ou qu’elle soit traumatique » (Roussillon, 2006, p. 65).

« La subjectivation se tient dans une co-émergence du sujet et de sa réalité psychique. Elle est donc ce processus, en partie inconscient, par lequel un individu se reconnaît dans sa manière de donner sens au réel (constitué du corps propre, de ses pulsions, de l’environnement) au moyen d’une activité de symbolisation » (Wainrib, 2006, p. 22). R. Kaës (2007) reprend l’étude de la subjectivation et de l’intersubjectivité. Il écrit : « Le Je peut advenir pour autant qu’il se dégage du sujet aliéné dans les identifications et dans les alliances inconscientes qui le maintiennent dans l’assujettissement... Le sujet en devenir dans le Je recompose son histoire au fur et à mesure qu’il se subjectivise... Dans la suite des après-coups » (p. 215-217).

Le psychanalyste en groupe, de groupe est dans l’investigation des élaborations du groupe, il le transforme par sa présence, ses interventions, ses interprétations. Il accepte aussi d’en être transformé.

C ONCLUSION Nous formateurs sommes ignorants du groupe qui va commencer. Cependant nous sommes dans un avant, le contre-transfert précédant la rencontre avec le patient, avec le groupe, avec ce que nous sommes, et le corpus théorique qui nous habite. Nous connaissons le dispositif mis en place, les règles énoncées qui permettent au groupe de fonctionner. Nous le connaissons, nous l’avons intégré au cours de nos expériences de groupe comme participants, puis comme formateurs. Nous nous soumettons à ces règles comme les participants, en lien avec notre association de formation. L’intertransfert nous lie avec notre co-formateur, dans un registre de nécessaire

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confiance, mais aussi avec notre altérité. Nos accords, nos différents font partie de la clinique du groupe et en éclairent sa problématique. Nous travaillons sous le regard d’un collègue, le dialogue est primordial dans cette collaboration, cette présence à l’autre, cette confiance en l’autre, ce travail en couple. Nous relayons une pratique, une recherche sur les groupes, transmise par les écrits des fondateurs, aussi par les échanges de nos réunions, ou les échanges singuliers. Cette transmission est vivante, évoluant en lien avec nos questionnements, sollicités par les groupes que nous organisons. Nous l’acceptons, nous l’intégrons mais pouvons la transformer avec ce que nous sommes. Nos questions aussi émergent de notre pratique clinique individuelle (psychanalyse et psychothérapie) en tant que soignants. Nous savons que le groupe peut engendrer du chaos, de la violence. Nous organisons, nous structurons donc les espaces, les temps de parole et de jeu afin que l’élaboration advienne dans le regroupement de pensées, de fantasmes communs. La rigueur du cadre est essentielle pour que la parole circule librement et que « tout puisse être joué » dans le faire semblant, pour ce qui concerne le psychodrame. Nous savons que le groupe se déroule, non dans un ordre développemental, même s’il existe une construction du groupe qui avance mais comme le patient dans la cure individuelle, il peut résister, se défendre, reculer. Nous reconnaissons, par contre, les capacités régressives spécifiques du groupe. Un psychodrame où se joue un repas totémique ou cannibalique ne nous effraie pas, il fait partie de la possibilité de régression orale ainsi métaphorisée. Nous sommes dans le face-à-face avec les participants du groupe, nos expressions, notre présence physique sont inspectées, démasquées. Nous avons des affiliations dans le CEFFRAP, hors du CEFFRAP, psychanalytiques, pour nous tous. Nous avons des représentations des uns et des autres, comme appartenant à des Sociétés différentes. C’est ce dialogue qui nous intéresse dans un groupe restreint. Il ne m’est pas arrivé d’être en désaccord

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profond sur la compréhension d’un groupe. C’est cette liberté de pensée qui nous intéresse avec des effets d’altérité, de même, l’évocation de la cure individuelle et sa référence dans le champ du groupe. Ces deux approches du groupe et de l’individu ne me paraissent pas antinomiques mais au contraire, peuvent s’enrichir dans les corpus théoriques et les cures des patients. L’approche ceffrapique, a inspiré d’autres associations de formation, qui ont pu développer d’autres aspects du groupe, la group analyse, le psychodrame en groupe, la thérapie familiale psychanalytique... ce dialogue avec les autres associations est pour moi une nécessité, sans y perdre son âme. C’est bien une thématique groupale, souvent rappelée : être ouvert à l’autre et être enveloppé dans son identité et aussi... une thématique individuelle.

Chapitre 4

DU PLAISIR ET DE LA SOUFFRANCE DANS LA FORMATION Par Nadine Vander Elst et Guy Gimenez

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I NTRODUCTION Lorsqu’on parle de formation, il est classique d’évoquer le fameux triptyque « savoir – savoir-faire – savoir-être » et si l’on voulait simplifier au maximum et répondre en une seule phrase à la question « À quoi formons-nous ? », nous aurions envie de répondre qu’au CEFFRAP nous tentons de « former à une écoute des processus et des formations de l’Inconscient qui sont en jeu dans un espace psychique groupal ». Et cela, quelles que soient les représentations buts de ceux qui viennent se former, que ce soit pour devenir thérapeutes, formateurs ou psychodramatistes... Pour nous « former » n’est pas former à un statut ou à une technique, c’est, « former à une fonction », ici celle de psychodramatistes de groupe.

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Notre étude a pour but, à partir de la présentation de séquences cliniques, de mettre au travail la question de la formation et de la transmission à travers le dispositif psychodramatique : en quoi le dispositif psychodramatique est-il un lieu privilégié pour laisser émerger, repérer et traiter certains des enjeux de la filiation et de l’affiliation, du lien aux formateurs, et, à côté du plaisir de la formation, ce qu’il peut y avoir de souffrance dans la transmission ? Qu’en est-il de la singularité et de la dynamique du lien entre celui (ceux) qui transmet(tent) et ceux qui reçoivent cette transmission ? Comment comprendre les difficultés intrapsychiques et intersubjectives à transmettre mais aussi à recevoir la transmission ? Comment les dispositifs psychodramatiques favorisent-ils une transmission et une appropriation spécifique de l’héritage permettant l’élaboration de certaines problématiques inconscientes inhérentes au processus de formation : mouvements d’envie, d’emprise ou de destruction, violence de la perte et du deuil, blessure narcissique et fantasmes paranoïdes ?

S ÉQUENCES CLINIQUES L’exemple clinique que nous allons présenter provient d’un séminaire résidentiel, dispositif qui permet à une trentaine de participants de faire une expérience du groupe, en groupe, dans un dispositif qui alterne les séances de petits groupes (en général trois) d’une dizaine de participants et de deux psychanalystes – avec des jeux psychodramatiques dans les petits groupes – et des séances en grand groupe de l’ensemble des participants et des six psychanalystes, là sans psychodrame. Ce séminaire dure cinq jours. Pour rappel, les jeux psychodramatiques, dans nos dispositifs, sont élaborés à partir d’un scénario qui est une construction groupale et joués par ceux des participants qui le désirent et éventuellement par un des deux psychanalystes. Chacun lorsqu’il prend un rôle choisit une identité imaginaire, qui se traduit concrètement par le choix d’un statut social/professionnel, d’une place dans la famille, d’un prénom et d’un âge fictifs.

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S’approprier sans transformation : le vol des manuscrits fondateurs

Rêves violents liés au fondateur de l’institution et jeu Dans le petit groupe conduit par l’un d’entre nous (N. Vander Elst) et un autre collègue (Ph. Héry), on en est au quatrième jour lorsque plusieurs participants amènent des rêves assez violents et où il est question, pour l’un d’eux, de Didier Anzieu. La violence qui émane de ces rêves retient l’attention du groupe ainsi que l’émergence de l’image de Didier Anzieu, auquel est assez vite associée celle de René Kaës. La thématique de la violence, et l’évocation des fondateurs de l’institution formatrice CEFFRAP, s’organisent dans une proposition de jeu : on irait voler des manuscrits d’Anzieu et de Kaës réputés être d’une valeur inestimable. Ceux-ci sont conservés dans la maison de l’héritière des manuscrits, qui vit avec une vieille gouvernante de 85 ans, ainsi qu’avec un jardinier qui est aussi un peu « gardien de la maison ». Les voleurs sont au nombre de deux, accompagnés d’une « apprentie voleuse » de 16 ans. Le jeu se déroule dans une grande agitation et une certaine confusion.

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Commentaire On voit bien, dans ce scénario, que la violence initiale repérée dans le groupe à travers la production de rêves et les histoires de vies évoquées dans le groupe (agression, intrusion, viol) se figure dans le vol d’objets fondateurs que chacun semble vouloir posséder, mais peut-être sans faire le travail d’appropriation (introjection) et donc de transformation intérieure. Il semble que le mouvement envieux rende ici difficile, voire impossible, la transformation intégrative et élaborative, alors que la rivalité peut exciter la pensée au sens de la pulsion épistémophilique (lien K = Knowledge ou C = Connaissance, selon Bion, 1962). Au niveau transférentiel, nous repérons que l’institution CEFFRAP pourrait être représentée par l’héritière des manuscrits et le couple des psychodramatistes par le couple « gouvernante, jardinier/gardien ».

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Accepter le risque de (se) perdre dans le processus de transformation Le lendemain, cinquième et dernier jour du séminaire résidentiel, le groupe évoque que nous approchons de la fin de cette formation « pas comme les autres ». Une question est soulevée : « Mais finalement qu’est-ce qu’on est venu chercher ici ? » Un jeu est alors proposé : un groupe d’adolescents partirait dans la forêt à la recherche d’essences rares. Un participant se propose de jouer « l’Orage » qui pourrait bien gronder et deux autres participants se proposent de jouer les habitants d’une petite maison dans la forêt où, éventuellement, les adolescents pourraient se réfugier. Le jeu se met en place et se déroule ainsi : quatre adolescents partent dans la forêt à la recherche d’essences végétales rares et précieuses. Tout en marchant, ils échangent sur le parfum et l’intérêt de chaque plante rencontrée et semblent ravis de leurs découvertes. Tout à coup, le participant qui tient le rôle de l’orage le joue très violemment, cela les surprend et rend ce moment du jeu assez confus... Heureusement les adolescents aperçoivent la maison, dans laquelle ils sont accueillis par le couple d’habitants autour d’un bon feu de bois bien chaud, on leur sert à boire et à manger. Le couple les interroge sur ce qu’ils font là, mais les adolescents restent assez évasifs. Pendant ce temps, une des adolescentes (joué par une participante qui avait pris en toute inconscience le prénom de la psychodramatiste) se faufile pour aller voler un livre sur les essences rares dans la bibliothèque des hôtes de la maison, les autres jeunes essayent de l’en dissuader...

Commentaire L’approche de la fin de la formation réactive chez les participants la question de leur demande, de leur désir, du chemin parcouru ensemble, mais aussi peut-être la question du deuil qu’ils auront à faire du groupe qui va bientôt s’arrêter. Est ainsi figurée, en miroir, dans la proposition de jeu, la situation même de la formation : le départ ensemble, le fait de perdre ses repères et de devoir affronter les angoisses archaïques de « se perdre »,

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d’avoir à remanier ses identifications, et l’espoir d’un accueil dans un lieu protecteur et réparateur lorsque l’orage intérieur devient trop menaçant. Nous retrouvons ici la dimension triangulaire évoquée plus haut : la maison (institution CEFFRAP) et le couple homme-femme qui protège.

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Interprétation jouée : le sauvetage par une directrice de L’Oréal C’est à ce moment l’un des deux psychodramatistes (N. Vander Elst) décide d’entrer dans le jeu – en ayant bien évidemment en tête les thématiques évoquées les jours précédents autour de la transmission. Elle annonce son rôle : « Je suis Paulette, une directrice chez L’Oréal. » Elle se montre ravie de retrouver les adolescentes et explique aux hôtes de la maison que c’est son Institution qui avait initié cette expédition et envoyé ces jeunes apprentis à la recherche d’essences rares en vue de créer un nouveau parfum pour L’Oréal. Elle se désole un peu que, comme souvent les années précédentes, les jeunes se soient de nouveau perdus et qu’ils aient été surpris par l’orage ! Heureusement, cela fait partie de leur formation chez L’Oréal ! Enfin, elle est venue avec son minibus et va pouvoir les ramener tous au laboratoire. À la question des accueillants sur pourquoi ces jeunes n’ont-ils pas dit qu’ils étaient « en mission », elle dira que les jeunes gens ont été vraisemblablement très « coincés » et ne se sont pas sentis autorisés à en parler. En effet, nous leur imposons un certain nombre de règles de fonctionnement lorsqu’ils travaillent avec/pour nous et notamment une exigence de discrétion...

Commentaire L’intervention de la psychodramatiste, liant ce qui vient d’être joué et le vécu actuel du groupe, a valeur d’interprétation : il figure l’accueil (accueil dans la maison-institution) du groupe (l’expédition) et de chacun et répond au mouvement de perturbation lié à la situation de groupe de formation (perdus dans la

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forêt) et la crainte du déchaînement pulsionnel représenté par l’orage menaçant, et y répond (le raccompagnement en minibus). Un lien est également établi entre un élément du cadre (règle de la discrétion) et un élément du jeu (ne pas avoir dit qu’ils étaient en mission). L’élaboration de ce jeu se poursuivra lors de la seconde séance de la matinée : on s’interroge sur qui est finalement à l’origine de cette expédition de recherche d’essences rares, le jeu ayant permis aux membres du groupe de prendre conscience que cette expédition figurait aussi la formation au CEFFRAP. On repère que la problématique du vol, qui tente de se réactualiser ici, laisse place à celle du mystère de l’origine : celle de chaque « un », du groupe, mais peut-être aussi de l’institution CEFFRAP. Cette problématique du vol d’un objet fondateur laissé en suspens le jour précédent revient aussi dans un redoublement « le vol » du prénom d’un des psychodramatistes par un participant du jeu qui – non content de rejouer le vol d’un livre – s’approprie dans un collage identificatoire, non subjectivé, l’identité de l’un des deux psychodramatistes. D’un autre côté, ce vol peut participer à la construction de l’identité : s’emparer de quelque chose qui n’est pas à soi, mais à autrui est aussi un mouvement constitutif de l’identification, mais avec le risque de l’identification en faux self, si le processus d’introjection les transformations qu’il implique est insuffisant. Aliénation ou/et subjectivation dans la formation

Sujets ou objets de l’institution CEFFRAP ? Le groupe de participants tente alors de démêler ce qu’il en est des places de sujet ou d’objet dans ladite recherche : étant participants à ce séminaire, sont-ils sujets d’une recherche personnelle, ou sont-ils objets d’une recherche du CEFFRAP ? Comment peuvent s’articuler ces deux mouvements ? La psychodramatiste avait – faut-il le dire – en entrant dans ce jeu le fort souvenir d’un groupe dans lequel elle avait été participante au CEFFRAP et où elle avait eu et exprimé le fantasme que les

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participants étaient de la « chair à penser » pour les analystes du CEFFRAP !

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Commentaire : formation et fantasmes de (de)formation, et mouvement anxiogène L’inquiétude face à l’inconnu et la violence de la possible transformation qu’implique la situation formative semblent ici se retrouver dans les fantasmes souvent exprimés dans les groupes de formation : fantasme d’être dé-formé sous l’emprise du désir du formateur, de sa violence (Kaës, 2002). La formation met en opposition, en essayant de les organiser et les lier, le processus de construction d’une nouvelle forme et le processus de désorganisation également présent dans cette mise en forme. C’est quand ces deux processus de formation et de déformation s’articulent l’un à l’autre que l’on réunit les conditions d’une transformation (Kaës, 2002). On peut repérer ici la tentative, des membres du groupe, d’exister en tant que sujets de ce groupe partageant avec d’autres sujets – dans des identifications réciproques – ce que l’on peut apprendre ensemble, tentative entrant en conflit avec des mouvements plus archaïques d’emprise (vol) sur des objets partiels relevant de l’incorporation (et non plus de l’identification) : le désir de transformation doit-il trouver issue dans le vol, les mouvements rivalitaires et d’envie ou dans le partage avec l’autre ? Nous voyons clairement ici comment la situation formative peut générer des mouvements anxiogènes figurés dans des scénarios comprenant une dimension légèrement paranoïde : on utilise les participants, on agit sur eux.

L A TRANSMISSION : FILIATION ET AFFILIATION Dans le jeu, la question de la transmission est également présente. Le groupe se demande si apprendre passe par les livres (volés dans la bibliothèque), par les sens (les essences,

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peut-être aussi les directions à prendre ou à éviter), par l’expérience (apprendre par l’expérience comme dit Bion [1962]), ou bien par les sentiments ? La question d’apprendre, grandir, en s’appropriant ce qui appartient à autrui (par le vol) est posée. Serait-il possible de faire sien quelque chose dans une dynamique d’échange et de partage ? Les questions de la reconnaissance et de la filiation/affiliation apparaissent : quelqu’un souligne qu’en amenant l’idée de les avoir engagés chez « L’Oréal », la psychanalyste leur disait peut-être, en écho à la célèbre formule publicitaire : « Qu’ils le valaient bien ! »... Ce à quoi, elle n’avait pas du tout pensé, consciemment ! L’interprétation narcissique par le groupe de son choix de « L’Oréal » semble exprimer, en réaction, l’inquiétude identitaire, le besoin de reconnaissance, la fragilité narcissique des membres du groupe : va-t-on continuer à exister pour nous-même dans le groupe, est-on reconnu par les psychodramatistes (les formateurs) ? Commentaire : filiation et affiliation Nous repérons dans cette séquence clinique, comme souvent dans la formation, que chacun est confronté aux questions de la filiation et de l’héritage : ces questions sont suspendues, mises en cause, retravaillées, et le dispositif formatif de groupe permet d’explorer une autre « filiation » possible, de se découvrir d’une certaine manière d’autres « parents » et d’autres « frères et sœurs » (Kaës, 2008a, p. 196). Dans la filiation se rejoue « un double mouvement de reconnaissance : pour les formateurs, de la place du formé dans la continuité narcissique dont il est un moment du trajet ; pour la personne en formation, de sa propre position dans l’ordre des générations, de la précession du désir des formateurs sur son existence. La filiation formative est l’avènement du sujet singulier dans le groupe formatif par la place qu’on lui donne (et/ou qu’il prend) » (Kaës, 2008a,

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p. 195-196)1 . Si le groupe de formation n’est pas une famille, s’y rejouent, on le voit, des mouvements psychiques de filiation et de liens fraternels (Kaës, 2008a, p. 195-196) permettant à chaque sujet de reprendre, de façon si possible décalée, ce qui s’est joué dans sa propre famille et ses propres liens de filiation. Est ainsi relancé le mouvement dynamique (le processus) par lequel chacun se constitue comme sujet singulier, en rejetant, en suspendant, puis en acceptant la filiation. Cette remise en travail s’effectue par le moyen du groupe (formatif), et par le travail de l’inter-subjectivité. Dans la formation, « le groupe travaille le sujet à travers le travail psychique des autres » (Kaës, 2002).

Q UATRE AXES DE TRAVAIL SUR LA FORMATION ET

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LA TRANSMISSION À partir de cette situation clinique, nous dégagerons maintenant quatre axes de travail sur la formation et la transmission. Les dispositifs formatifs du CEFFRAP remettent en travail la question de la transmission : ses fondements, son objet, son processus et la participation de chacun à cette dynamique : que transmettre, pourquoi, comment transmettre, et comment s’approprier ce qui est transmis ? Nous pensons que ce que nous repérons, et qui se joue dans ce type de formation au/avec psychodrame est exemplaire des processus et mécanismes en jeu dans tout type de formation psychanalytique, et pourrait en constituer un modèle. Voici ce que nous repérons de façon spécifique dans les formations au CEFFRAP.

1. Nous appliquons ici à la situation formative les hypothèses de René Kaës sur double mouvement de reconnaissance dans la filiation.

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Premier point : la formation a une dimension ludique, maturante et narcissisante : on apprend et on se forme en jouant La formation permet d’apprendre : sur soi, sur soi en groupe, sur les autres, sur les groupes, sur le lien entre les groupes. La formation est alors source de plaisir et de satisfaction : elle développe la capacité à jouer, au sens du play, le jeu créatif de Winnicott (1971) qui peut être accompagné de l’affect de jubilation. Le jeu est aussi, comme le dit René Roussillon (2004), à l’origine d’un type de plaisir particulier, spécifique, qui est sans doute le plaisir prototype des sublimations. Jouer devient alors « répéter avec des décalages » des transformations faisant sortir de l’ornière du même... Répéter, de façon un peu différente, pour apprivoiser ce qui restait encore trop étranger en soi. Ces décalages développent la capacité à être à la fois pleinement présent dans la situation et dans une position « position méta », à côté, décalé, observateur et commentateur de ce qui se passe, et apte à échanger avec son superviseur interne au sens de Casement (1985). Il s’agit de la capacité à dialoguer entre deux parties de soi : la première qui expérimente et éprouve ce qui est en train de se passer, alors que la seconde, simultanément, observe et commente ce qui se passe (Casement, p. 41). Il s’agit aussi de la capacité à maintenir co-présent deux vertex : celui du patient et celui du clinicien et leur permettre de dialoguer. « Avec la pratique, il devient possible d’utiliser ces deux points de vue simultanément, celui du patient et le sien propre, un peu comme l’on suit les différentes voix dans la musique polyphonique. Cette capacité d’être à deux endroits à la fois, à la place du patient et à la sienne propre simultanément, ne peut être circonscrite que si les thérapeutes sont à même de développer une capacité de synthétiser ces états du moi apparemment paradoxaux. C’est ici, je crois, que la fonction opérante du superviseur interne passe au premier plan. C’est plus qu’une auto-analyse, c’est plus qu’une auto-supervision » (Casement, p. 46-47).

La formation analytique devrait permettre de développer la capacité à de tels dialogues intérieurs.

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La formation permet de développer l’aptitude du sujet à repérer et « jouer » avec les scénarios renvoyant à des impasses, des impensés, ou des inscriptions pas ou peu symbolisées. Le sujet apprend également à explorer sans trop de risques les différentes places de ces scénarios et ainsi mieux les intégrer. La formation permet que se délient ainsi, pour se réorganiser de façon plus fluide, les différentes parts de chacun et les différentes composantes des groupes internes des participants. Se développe alors la malléabilité du clinicien (Milner, 1977 ; Roussillon, 2004), la capacité à s’adapter de façon fluide à la situation et à l’autre. De façon concomitante, la formation, dans son dispositif de groupe, permet que soient remises en travail l’organisation des enveloppes individuelles et groupales et leur articulation.

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Deuxièmement : la formation est une transformation potentiellement anxiogène et porteuse de souffrance : on se transforme, on perd et on se perd en se formant La formation est une trans-formation s’opérant au travers du lien intersubjectif et de groupe (Kaës, 2002) qui peut avoir une dimension anxiogène et quelquefois paranoïde pour les formants. La transformation implique un changement de forme, avec les fantasmes de destruction qu’elles impliquent : détruire ce qu’on m’a donné, transformer ce que j’ai été, laisser détruire et transformer ce que j’ai à transmettre. C’est ici un aspect paradoxal de la formation : celle-ci, d’une part, met en œuvre un processus de construction d’une nouvelle forme et d’autre part un processus de désorganisation qui en est le fondement et la condition. Se repère ici dans le processus formatif sa double composante : de destruction, d’anéantissement, de réduction des formes, de mise à l’informe ; mais aussi de dé-liaison de ce qui est trop lié, et qui par cet excès empêche le mouvement. Cette seconde composante de la pulsion de mort est au service de la transformation ; « elle travaille la déliaison nécessaire à la reformation » (Kaës, 2002, p. 5). Le scénario fondamental (ou nucléaire) de la formation tel que l’a mis en évidence cet auteur (1973) : « On (dé)forme un

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enfant » condense ce double mouvement de formation d’une nouvelle forme et de construction (sous l’effet des pulsions libidinales et narcissiques), mais aussi de déformation et de dé-construction (sous l’effet de la pulsion de mort). Ainsi, s’il y a du plaisir à former (comme à être formé), la formation implique parfois frustration et souffrance dans la difficulté à transmettre, dans les sentiments d’impuissance à ne pas (pouvoir) transmettre. Certaines de nos institutions analytiques individuelles ou groupales quelquefois vieillissantes en sont, hélas, le témoin... Les difficultés intrapsychiques et intersubjectives à transmettre mais aussi à recevoir la transmission seraient à analyser plus précisément. Troisièmement : la formation permet de travailler le complexe fraternel et de « trouver-créer » des frères et des sœurs Notre dispositif de formation par le psychodrame psychanalytique de groupe permet particulièrement de remettre en travail le complexe fraternel qui organise les liens fraternels, les liens à l’autre semblable et différent. Le complexe fraternel est, comme le décrit René Kaës (2008a, p. 1), une organisation (intrapsychique triangulaire) des mouvements psychiques (narcissique et objectaux, des désirs amoureux, de la haine et de l’agressivité, des mouvements identificatoires, des scénarios fantasmatiques) vis-à-vis d’un « autre semblable » et différent. Plus précisément, le complexe fraternel organise les mouvements de rivalité et de curiosité, d’attrait et de rejet qu’un sujet éprouve vis-à-vis de cet autre semblable qui occupe la place d’un frère ou d’une sœur. Si le complexe d’Œdipe organise le lien sur un axe vertical (lien parental : différence des sexes et des générations), le complexe fraternel organise le lien sur un axe horizontal (frère sœurs entre eux, et le lien à l’autre semblable et différent). La formation permet ainsi de remettre en chantier ce qui fonde les structures de liens, les figures de l’intrus, figures des concurrents de même génération, les mouvements de rivalité et de curiosité, de jalousie, d’envie, de haine, d’exclusion et de

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rejet, mais aussi les mouvements de tendresse, de confiance, de solidarité, de gratitude, d’attention à l’autre et de don de soi, ainsi que les pactes qui permettent de contrôler la rivalité, la violence, et les envies meurtrières des différences fraternelles. Comme nous l’avons vu dans l’exemple clinique, le psychodrame est un dispositif qui permet de laisser émerger, de repérer et de traiter certains des enjeux de la filiation et de l’affiliation, à travers les liens aux formateurs et à l’institution formatrice. On observe un transfert à la fois sur les psychodramatistes (sujets garants de cette entité complexe qu’est le groupe en tant que constitué des sujets en présence, et des groupes internes de chaque un) et sur l’institution formatrice (idéalisant, projectif, ambivalent). La formation fonde des liens de filiation (je suis fils de, je pense dans tel courant de pensée) et d’affiliation (je suis membre cette institution). Souvent filiation et affiliation sont superposées. Au CEFFRAP elles sont différenciées ou non directement liées : on peut faire sa formation de psychodramatiste sans être affilié au CEFFRAP, on peut être membre du CEFFRAP en ayant fait sa formation ailleurs.

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Quatrièmement : le travail de l’héritage : se former c’est hériter et s’approprier un héritage La transmission dans la formation remet également en travail la question de l’origine (de la fin, et de la mort) : celle du sujet et celle de son institution formatrice. Elle implique un questionnement des représentations de l’origine (Kaës, 2008, p. 47) : qui sommes-nous, d’où venons-nous, qui nous a fait, quelle est l’histoire et l’origine de notre groupe formatif, quels sont les mythes fondateurs de l’institution formante ? Elle ouvre également à des questions plus bouleversantes concernant notre finitude (ou castration) du type : qu’en est-il de la fin, de la mort de chaque « un » et de l’institution, qu’en est-il de ma propre disparition, et qu’aurais-je alors transmis ?C’est le travail de l’originaire dans la formation qui met en crise ce que René Kaës (2008a, p. 47) a appelé les « garants métapsychiques » des membres de l’institution et qui sont les appuis de la formation et

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du fonctionnement de la psyché de chaque membre de celle-ci, comme : • les alliances fondatrices (ce qui nous fait tenir ensemble) ; • les reconnaissances identitaires (ce qui fait qu’on se reconnaît

mutuellement) ; • les énoncés de certitude (ce qui fonde notre croyance à un savoir commun) ; • les illusions nourricières (ce qui vectorise nos désirs communs) ; • les interdits fondamentaux (ce qui cadre et structure nos mouvements pulsionnels). La formation articule un sujet à d’autres sujets dans un projet de transmission, et d’appropriation Elle implique un « travail de l’originaire » (Kaës, 2002) : c’est-à-dire un travail sur les représentations de l’origine et une élaboration qui traverse les rapports d’union et de rejet par rapport à l’objet perdu jusqu’aux remaniements des mythes fondateurs de l’institution formante. Une part de ce qui se transmet, se transmet en négatif. Le dispositif psychodramatique favorise ainsi une transmission et une appropriation spécifique de l’héritage permettant l’élaboration de certaines problématiques inconscientes inhérentes au processus de formation : mouvements d’envie, d’emprise ou de destruction, violence de la perte et du deuil, blessure narcissique et fantasmes paranoïdes. De façon plus spécifique, le psychodrame psychanalytique de groupe présente souvent des situations qui mettent en scène une fratrie confrontée à la transmission d’un héritage. « Le travail psychique de l’héritage est ce travail que les enfants doivent effectuer dans leur travail de deuil au moment de la perte des parents » (Kaës, 2008a, p. 191). On peut repérer ici deux pôles de ce travail de l’héritage : l’un centré sur le sujet lui-même (narcissique), avec le partage de l’origine (on provient des mêmes parents, du même organisme de formation de psychodramatistes) et un autre centré sur la relation (objectal) avec le partage des objets d’amour (les parents, les formateurs

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très connus, les théories brillantes des organismes de formation, etc.). Chacun hérite alors à la fois d’une part de l’origine (fils de, appartenant à tel groupe formatif) et d’autre part de l’amour parental (reconnu par les siens, membre aimé, investi par son groupe formatif d’origine). Ces parts sont à partager avec d’autres, ce qui ne manquera pas de convoquer, comme nous l’observons chacun les questions de la place des formés mais aussi des formateurs : rivalité, envie, exclusion etc.

C ONCLUSION Nous avons tenté de montrer, à partir d’une situation clinique issue d’une session de formation par le psychodrame psychanalytique de groupe, que le plaisir et la souffrance font intimement partie de l’expérience formatrice.

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La formation est porteuse de souffrance La formation est porteuse de souffrance : nous l’avons vu, la formation est potentiellement anxiogène dans son projet même : en tant qu’accompagnant un légitime processus de trans-formation, elle peut générer la crainte de se perdre, de ne plus se reconnaître soi et d’être devenu un autre autant espéré que redouté... La formation implique ici ce mouvement difficile de lâcher ce qui est connu pour un inconnu improbable auquel on aspire. Le processus formatif réveille, le plus souvent dans la souffrance, les parts « obscures » et douloureuses du complexe fraternel dans ses mouvements envieux, déchirants et destructeurs. La formation est possiblement porteuse de déception : celle de n’avoir pas reçu (pour les formés ou formants) et de n’avoir pas réussi à transmettre (pour les formateurs). La formation implique potentiellement cette grande souffrance que le « transmis » si précieux ne soit pas (ou si peu) reçu et intégré, ré-approprié, ou pire : incorporé et mimé au grand désespoir des formateurs...

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La formation est source de plaisir La formation est source de plaisir dans sa dimension ludique (on prend du plaisir à jouer créativement) et narcissisante (il est réconfortant de voir certaines parts de soi reconnues par autrui). La formation est également source de bien-être et de satisfaction en ce qu’elle permet d’accompagner la croissance psychique : le développement de sa propre « malléabilité psychique », et sa capacité à appréhender l’autre, le lien à l’autre différemment, de façon décalée (« méta »), laissant advenir un espace pour se penser soi-même en présence d’autrui. La formation accompagne l’épanouissement de cette capacité d’appréhender autrement notre vécu subjectif et d’approfondir la connaissance que l’on peut avoir de soi : découvrir d’autres facettes de nous-mêmes (notre groupe interne), avec un nouveau regard, avec un nouveau point de vue (un nouveau vertex dirait Bion). Il s’agirait ici d’un développement épanouissant d’un équivalent de la pulsion épistémophilique du côté de l’être : le mouvement qui nous pousse, chacun, à nous connaître mieux, plus intimement, tel que peut le révéler le partage avec un groupe, « par le travail de l’intersubjectivité » (Kaës, 2002). La formation accompagne aussi, de façon satisfaisante et maturante, la remise en travail des parts constructives, stimulantes et apaisantes du complexe fraternel : du côté de l’amour et du lien à l’autre. La formation est source d’un apaisement structurant par la possibilité de s’approprier et faire sien un héritage fondateur et de se constituer ainsi maillon d’une chaîne de transmission. Chacun peut ainsi se relier aux autres par le lien contenant de la filiation et trouver sa place dans une histoire, celle de l’institution formatrice. Pour conclure, nous dirons que, par son exploration du lien intersubjectif et de groupe, le dispositif psychodramatique est pour nous un lieu privilégié de formation à l’écoute psychanalytique.

Chapitre 5

DU GROUPE AU DIVAN FAUTEUIL En quoi l’expérience psychanalytique du groupe et du psychodrame modifie-t-elle l’économie de l’écoute et du travail interprétatif dans la clinique de la cure individuelle ?

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Par Catherine Desvignes, Gérard Bayle, Denis Hirsch, Martine Pichon, Évelyne Sechaud

: « Le travail psychique de la formation, entre aliénation et transformation », des psychanalystes de générations et d’appartenances analytiques différentes1 ont travaillé en table ronde autour de questions qui

L

ORS DU COLLOQUE INTITULÉ

1. Cinq analystes ont participé à ce débat : d’une part E. Sechaud (Association psychanalytique de France) et G. Bayle (Société psychanalytique de Paris), d’autre part M. Pichon (Société psychanalytique de Paris), D. Hirsch (Société belge de psychanalyse) et C. Desvignes (Société psychanalytique de recherche et de formation) tous trois membres du Cercle d’études françaises pour la formation et la recherche : approche psychanalytique du groupe, du psychodrame, de l’institution (CEFFRAP).

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les mobilisent activement, à partir de leurs expériences de la cure, des groupes et du psychodrame. Les échanges ont porté sur des thématiques communes, telles que : l’interprétation des transferts, le travail de contre-transfert, l’assise identitaire de l’analyste, le trauma, le rêve et le surmoi analytique autour de trois axes principaux : • les spécificités de l’expérience psychanalytique de groupe et

du psychodrame ; • ses effets sur l’écoute analytique dans le cadre de la cure ; • son impact dans un parcours de formation analytique.

L ES SPÉCIFICITÉS DE L’ EXPÉRIENCE PSYCHANALYTIQUE DE GROUPE ET DU PSYCHODRAME PSYCHANALYTIQUE Dans le travail analytique groupal (Kaës, Missenard et al, 1999), les membres du groupe se retrouvent face à des souvenirs, des inquiétudes, voire des angoisses, qui sont réactualisés tout autrement que dans un cadre analytique individuel. Cette expérience psychanalytique, du fait de la précarité identitaire, de l’intensité des mouvements régressifs et de l’ébranlement des assises narcissiques qu’elle peut générer, place les sujets dans une économie psychique spécifique. Elle confronte tout un chacun – analystes et participants – à l’inconnu de soi, de l’autre et du groupe. Elle engage la pluralité à l’intérieur de soi. Ces différents mouvements mobilisent les participants d’un groupe particulièrement dans son temps inaugural. A. Missenard (1972) a ainsi conceptualisé la mise en œuvre d’un processus d’identification « en urgence » entre les sujets d’un groupe, en réponse à ce moment d’indifférenciation originaire. Pour R Kaës (2002, p. 103) : « L’exigence d’être à la fois indivis et membre d’un groupe mobilise des angoisses de casse ou de dissonance interne (voire

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de clivage), résultat d’un conflit qui divise le Moi entre son autoconservation et les parts de lui-même qu’il va devoir abandonner... pour réaliser le désir d’être intégré à un groupe uni. »

Aussi, la situation analytique groupale est-elle difficilement pare excitante et, par conséquent, génératrice d’angoisses et d’éprouvés traumatiques. Il s’agit là d’une expérience partagée, vue et entendue par plusieurs, dans le même temps et dans le même espace. La parole donnée à voir et à entendre met en demeure d’éprouver, de parler, de se positionner sans avoir ni le recul, ni le temps de l’après coup. Dans le psychodrame psychanalytique, le « penser-jouer » peut prendre le pas sur le « penser-rêver » de la cure. Jouer met face à l’imprévu, à l’effroi de la décharge, à des émotions et des fantasmes bruts de décoffrage. Le jeu implique le corps, l’acte et la parole dans un espace groupal où le spéculaire et « le spectaculaire » (G. Bayle) entrent en scène. Les analystes, parfois pris de court, sont amenés à saisir au vol un affect, un mot ou encore des mouvements corporels, afin de les inscrire psychiquement puis de les intégrer dans le travail interprétatif. Dans le vif du jeu, le risque d’être débordé, la peur d’être dépassé par le mouvement pulsionnel, tout à la fois dans sa parole et dans son corps, met l’analyste qui joue face à plusieurs registres et plusieurs transferts en même temps. Dès lors, l’asymétrie entre participants et analystes est sollicitée de façon singulière dans le temps du jeu et de sa mise en place. G. Bayle, se référant à sa pratique du psychodrame psychanalytique individuel thérapeutique, précise certains mouvements psychiques à l’œuvre du côté du thérapeute acteur. Que se passe-t-il au moment où le thérapeute va jouer, se lève pour entrer dans l’aire de jeu ? « Bien sûr, sur la chaise on a peur, on est soi. Et puis sur scène on va être un autre. On va quitter son petit chez soi pour habiter ailleurs. » Il s’agit là d’un mouvement d’investissement et de désinvestissement partiel, un mouvement

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d’« anti-narcissisme » (Pasche, 1964) que l’on peut retrouver dans d’autres lieux : psychodrame de groupe, supervision d’un groupe d’analystes en formation, pratique de la cure. G. Bayle précise : « Dans ce moment étrange où l’on n’est plus soi et pas encore un autre, on passe en quelque sorte brièvement par le fantasme de la relation d’inconnu. Ce qui advient en premier chez l’analyste est une figuration qui a vocation à devenir représentation, à travers les aléas du transfert. » Dans L’Interprétation des rêves, Freud (1900) souligne que tous les personnages du rêve sont des représentants du rêveur. Ceci renvoie à la notion de groupe psychique. Ainsi, comme dans un rêve, tous les acteurs qui sont sur scène ont vocation à être représentants du patient. De ce fait, le décalage entre le scénario proposé par le patient et la réponse de l’acteurthérapeute crée un espace dans lequel un jeu va pouvoir se déployer. Par exemple, pour des patients perdus dans le temps et dans l’espace, la technique du « double » peut leur permettre d’être soulagés d’une gestion interne de leurs clivages et de supporter un certain vacillement identitaire. G. Bayle en rappelle différentes modalités : • « le double en face » du patient, double contrôlable ; • « le double à côté » qui peut lui dire des choses à l’oreille et

qui peut être contrôlé du coin de l’œil ; • « le double derrière » qu’il convient de ne pas installer trop vite car cela se rapprocherait trop du dispositif divan-fauteuil. Au regard de ces réflexions, nous pouvons ajouter que, lorsque l’on joue, « le ça est plus fort que le moi » (E. Sechaud), les limites entre ça et moi ne sont plus vraiment différenciées, c’est un moment étrange que celui où l’on n’est plus soi et pas encore l’autre du patient. Jouer c’est se lancer, s’entendre dire, se voir faire sans anticipation aucune. De tels moments régressifs se retrouvent bien sûr dans la cure classique. Cependant l’asymétrie, précisée par le setting, permet de faire le pas de côté, de se

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rétablir et de passer de l’émotion à la représentation. Jouer peut s’apparenter à la mise en scène d’un rêve, figuration qui, dans un second temps, permettra un travail de symbolisation.

E FFETS DE L’ EXPÉRIENCE GROUPALE ET PSYCHODRAMATIQUE SUR L’ ÉCOUTE ANALYTIQUE DANS LA CURE La question posée fait référence à deux expériences, celles du groupe et celle du psychodrame. E. Sechaud et G. Bayle proposent de saisir comment ces expériences ouvrent notre écoute à des interprétations, voire à des modifications, de notre technique classique du maniement du transfert. Nous poursuivrons en évoquant trois séquences cliniques de cure type, à partir des questions du trauma, du travail du rêve, du surmoi analytique. Ces trois séquences auront pour points communs de montrer la mobilisation d’une écoute groupale chez l’analyste lorsque des zones psychiques traumatiques, des dépôts transgénérationnels ou des secteurs psychiques encryptés apparaissent chez l’analysant.

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Intervention psychodramatisée et surmoi analytique (E. Sechaud) Freud écrit dans la première page de « Psychologie des masses et analyse du moi », en 1921 : « Dans la vie d’âme de l’individu, l’autre entre en ligne de compte très régulièrement comme modèle, comme objet, comme aide et comme adversaire, et de ce fait la psychologie individuelle est aussi, d’emblée, simultanément, psychologie sociale, en ce sens élargie mais tout à fait fondée. »

D’emblée, le groupe, donc. La personnalité psychique n’est pas comme la République, une et indivisible. Elle est bien au contraire plurielle et Freud en 1933 la décompose dans cette

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XXXIe Leçon des « Nouvelles Conférences d’introduction à la psychanalyse » où il déploie notamment les rapports entre les instances surmoi/idéal du moi, moi/ça ainsi que les résistances que le moi et le surmoi imposent à la levée du refoulement. Les différentes formes d’identifications, les expériences sexuelles infantiles liées aux premiers objets, la culture qui nous imprègne dès avant la naissance sont constitutives de la personnalité dont les aspects et les figures sont convoqués par le dispositif analytique. La pluralité des identifications et des objets investis fait de tout individu le précipité d’un ensemble de relations groupales. L’analyse de groupe en permet le déploiement mais l’analyse individuelle a à traiter de ses configurations. Ces figures ne sont pas statiques, elles sont au contraire animées par des scénarios fantasmatiques. Le travail analytique aura notamment pour effet de les modifier, les nuancer, leur faire jouer des rôles différents. La métaphore du théâtre qui vient spontanément à l’esprit de Freud lorsqu’il parle du transfert, l’amour de transfert en l’occurrence, manifeste le déroulement d’une action avec des personnages souvent en « quête d’auteur ». Comment l’analyste se situe-t-il par rapport à cette scène ? En dehors comme spectateur plus ou moins pris à parti ? Ou bien va-t-il monter sur scène et apostropher directement les personnages en action ? À quel niveau va-t-il intervenir dans la représentation ? Où va se situer son interprétation ? Dans le jeu ? ou en dehors du jeu ? La formation « classique » des analystes les cantonne dans une fonction interprétative, dissymétrique et neutre par rapport au patient. La familiarité avec le jeu et un mode plus hystérique de figuration ne permettent-ils pas de s’identifier au patient avec plus de mobilité psychique et dans un rapport moins surmoïque au cadre ? L’expérience du psychodrame ne bénéficie pas seulement à la compréhension et au maniement du transfert dans les

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pathologies narcissiques, voire psychotiques. Elle permet également une plus grande souplesse et créativité face à certaines impasses transféro-contre-transférentielles dans des cures de patients névrosés. Deux règles sont essentielles dans la mise en place de l’analyse : la règle fondamentale qui institue l’analyse, fonde la méthode d’association libre et permet l’interprétation. Quant à la règle du payement des séances manquées, elle est l’élément majeur du cadre qui présentifie le Surmoi et permet de rejouer l’origine externe de l’autorité parentale. Le rappel de ces règles précise bien dans quel cadre peut se situer l’inventivité de l’analyste. Ainsi, une intervention psychodramatisée – par le changement de position et l’introduction de la perception directe et réciproque – permet d’introduire de nouvelles conditions qui mobilisent les affects et mettent en scène le corps. Plus de jeu entre le moi et le surmoi apporte un certain degré de tolérance au surmoi. L’expérience du groupe et du psychodrame ouvrirait non seulement l’écoute mais aussi l’éventail des modes d’interprétation. Lorsque l’agieren du transfert est à l’œuvre et fonctionne dans le sens de la résistance, l’acte interprétatif peut ne pas suffire et nécessiter alors une mise en jeu psychodramatique. L’effet mobilisateur de ce type d’interprétation par le jeu contient une dimension séductrice ou agressive. Cette modalité technique confronte l’analyste à la question de la transgression et de la culpabilité. Apport du psychodrame dans la pratique de la cure (G. Bayle) Dans le setting analytique, si les différences entre analysant et analyste sont essentielles et fondamentales, il s’agit d’une rencontre entre deux sujets pris tout deux dans le fil transférocontre-transférentiel. Dans cette perspective, des moments de « surplomb » sont nécessaires. Ils sont favorisés par l’expérience du psychodrame.

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Ainsi, une intervention psychodramatisée, en résonance avec une impasse clinique dans la cure, peut en permettre le dégagement. Soulignons dès lors la complexité de ce qui se met en jeu : le danger d’une psycho-dramatisation systématique de la séance d’analyse, comportant le risque d’une aliénation de la relation analytique. « On se retrouverait comme Socrate avec l’esclave en train de lui apprendre la géométrie. Le psychodrame n’est pas une arme absolue. » Il s’agit là de la prise en compte de la dimension défensive que la référence au psychodrame peut revêtir. La possibilité pour l’analyste de se laisser prendre, de passer par un temps de désarroi est un moment « obligé » pour que le psychodrame n’apparaisse pas comme « une recette ». Dans le même temps, l’analyste psychodramatiste est aussi en butte avec sa conflictualité interne et sa double référence : « Bien sûr, le rapport au canon de l’éthique psychanalytique et traditionnelle n’est pas évident lorsque nous envisageons une psycho-dramatisation en séance. » B. Grunberger (1972) évoquait que « neutralité bienveillante signifie neutralité pulsionnelle et bienveillance narcissique ». La bienveillance narcissique fait que, justement, dans certaines circonstances, il est important de faire quelque chose qui aurait pu, dans d’autres, passer pour un défaut de neutralité pulsionnelle. Ce « faire quelque chose » – soit la dramatisation en séance – permet la figuration et l’apport de libido. Trauma, pacte dénégatif et travail de subjectivation dans la cure (M. Pichon) L’expérience personnelle de l’analyse est le socle de l’écoute et du style analytique. Mais qu’en est-il de l’expérience du groupe et du psychodrame ? Qu’en est-il de cette double référence ? Comment rendre sensible, dans le champ de la cure, les effets de cette expérience dans ses dimensions intersubjectives ? Comment figurer ces effets ? Vouloir se focaliser plus spécifiquement sur l’écoute, ainsi que le propose notre argument, implique non seulement ce qui

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se joue dans le temps de la séance entre l’analysant et l’analyste dans le champ transféro-contre-transférentiel, mais aussi ce qui influence et construit cette écoute, à savoir la formation de l’analyste, ses expériences personnelles et analytiques et ses constructions théoriques. Cela posé, tenter de rendre compte de son « écoute » et de ce qui finalement la constitue, l’infléchit, la modifie, apparaît une tâche pour le moins complexe. Ce n’est plus démêler le tien du mien mais les tiens qui se sont faits miens ! Cette formulation renvoie au concept d’alliances inconscientes1 proposé par R. Kaës (2009) dans son ouvrage récent. Alliances où s’origine la construction de chacun, à l’articulation des espaces psychiques individuels et des espaces intersubjectifs, communs et partagés. Le sujet se constitue par et dans ces liens intersubjectifs, tout en étant constituant de ces liens. Une situation clinique, où la question du trauma est d’emblée prégnante, nous permettra de reprendre ces réflexions sur ce qui s’inscrit en nous, trace repérable ou trace en négatif, en attente de « développement ». Situation clinique dont ne seront évoquées que quelques lignes de force. C’est un état d’angoisse réactivé par un contexte de pertes narcissiques et objectales qui conduit Gaétan à me rencontrer. Lors des premiers entretiens, il m’apparaît comme un « encore adolescent » dégingandé, aux rires tristes. Il me donne des éléments de sa biographie : le décès accidentel de sa mère alors qu’il était encore un tout-petit, le départ à ce moment-là de son père qu’il n’a jamais revu, et son accueil par sa famille maternelle. Le nom de son père a été, dit-il : « effacé ». Des 1. Pour R. Kaës, l’alliance inconsciente est « une formation psychique intersubjective construite par les sujets d’un lien pour renforcer en chacun d’eux des processus, des fonctions ou des structures issues du refoulement, du déni ou du désaveu. Chacun tire de l’alliance un bénéfice tel que le lien qui unit ces sujets prend pour leur vie psychique une valeur décisive ». La réalité psychique de l’ensemble est constituée par les alliances, les contrats et les pactes inconscients que ses sujets concluent. L’idée d’alliance inconsciente implique celles d’une obligation et d’un assujettissement (Kaës, 2009).

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éléments biographiques, parce que au-delà de ces faits, c’est le silence. C’est « l’effacement ». Personne ne lui parle jamais de sa petite enfance et lui, il n’a jamais posé de question. Il dit ne pas connaître son histoire. Notre cheminement commun sera un cheminement vers une représentation de cette histoire, de la place qu’il y a occupé et qu’il y occupe. Il associe son mal-être à ce silence. Ce silence est le sien mais aussi celui du groupe familial, tant du côté maternel que de celui de son père, de cette famille paternelle qu’il ne connaît pas ; ces silences, devenus les siens, il les héberge en lui. Tout se passe comme s’il avait été essentiel pour lui de maintenir le lien avec sa famille maternelle, en évitant non seulement le risque de perte ou d’exclusion, mais aussi les vécus de haine et de destruction. Il a dû ainsi mettre en place des modalités d’alliance aux fonctions protectrices, nécessaires, à un moment donné mais présentant une valence destructrice si elles deviennent pérennes. Gaétan paraît s’être positionné dans cette nécessité absolue, afin de sauvegarder le groupe et de se sauvegarder lui-même. Et le groupe familial dans son ensemble s’est organisé à partir d’un pacte dénégatif1 , qui a créé « [...] des zones de silence, des poches d’intoxication, des espaces-poubelles (Roussillon, 1987) et des lignes de fuite qui maintiennent le sujet d’un lien étranger à sa propre histoire » (Kaës, 2009, p. 121). Comment exister comme sujet, exprimer ses désirs, ses idées propres dans de telles modalités de liens où une part de soi est mise à l’écart, sacrifiée ? Durant les premiers temps de l’analyse, Gaétan oscille entre des moments de forts investissements transférentiels et d’autres moments marqués par un fonctionnement plus opératoire, me donnant à entendre et à éprouver comme un 1. « Le pacte dénégatif se situe aux points de nouage des rapports qu’entretiennent les sujets singuliers et les ensembles auxquels ils sont liés et dont ils sont partie prenante. La spécificité de ce pacte est qu’il est conclu pour assurer les besoins défensifs des sujets lorsqu’ils forment un lien et pour maintenir ce lien » (Kaës, 2009, p.114).

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kaléidoscope d’images, de sensations, d’affects en manque de continuité. Ceci se retrouve au moment des week-ends et des vacances qui seront longtemps vécus par lui comme une sorte de « trou », de « blanc » effaçant ce qu’il avait pu vivre précédemment sur le divan, comme si n’était pas assurée pour lui la permanence de l’objet. Il dit un jour : « Le week-end ça part en déconfiture, comme si je perdais mes repères. » Puis lors d’une séance, Gaétan part en oubliant de me régler mes honoraires. À son retour, il « s’excuse » de cet oubli et poursuit en évoquant une séquence où il a craint d’être « mis dehors » par sa famille. Nous pourrons l’associer à ses craintes à l’égard de son analyste. Il dit : « Oui j’ai pensé que vous alliez m’en vouloir à mort, ne plus me vouloir... enfin j’ai pensé aussi qu’il n’y avait pas mort d’homme. » Et la mort à laquelle il est ramené c’est la mort de sa mère, mais cela renvoie aussi à ses deuils non faits, à sa violence sous-jacente trop souvent masochiquement retournée sur sa personne propre. Ce mouvement transférentiel s’accompagne d’émergence d’images, dans une tonalité créative et ludique nouvelle. Pour figurer son investissement de l’analyse et de son analyste, il dira : « En pensant à l’analyse c’était comme plusieurs écrans, genre écrans de télé, tout ce que j’ai pu comprendre, puis en pensant à vous c’est un arbre qui est apparu, qui met les écrans en relation, qui met de l’ordre. » Comment ne pas penser en l’écoutant à une image d’arbre généalogique qui se construirait, s’érigerait peu à peu ? Sortons-nous de la « déconfiture » ? Un arbre, qui s’étayant sur le transfert, permettrait la projection sur un seul écran – écran du rêve, de représentations – de plusieurs « écrans » où se figureraient des scènes mettant en jeu différentes combinatoires entre lui, des parts de lui-même et ses objets : le groupe familial, le couple des parents, le groupe des pairs. Mais les avancées sont suivies de recul. Une des constantes sera alors ses fréquentes absences ou retards. Gaétan s’accroche en recherche de réassurance, mais peine à pouvoir vivre l’engagement et la dépendance. Tout se passe comme s’il voulait

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à la fois être et ne pas être là. On pourrait dire : tout garder, la bobine, le fil et le fort da ! Ou encore, en référence au pacte dénégatif : tout est ainsi préservé, rien ne se perd et... rien ne peut se dire. Ses agirs me laissent dans une sorte d’entre-deux très inconfortable. Ceci a sur moi, dans un premier temps, un effet quelque peu sidérant, avec une tonalité dépressive, comme si j’étais contre-transférentiellement dans une position impossible, entre poursuivre et arrêter, dans une sorte de « blanc » moi aussi. Et comme si ses blancs réveillaient en moi mes propres blancs, sorte de « taches aveugles » (Guignard, 1996) qui appellent à être prises en compte. Mais, dans ce temps de vacillement identitaire où les limites se brouillent entre soi et l’autre, ce qui prédomine, tout d’abord, est une sorte d’assignation à un arrêt sur une non-image, arrêt sur du négatif. Me reviendront en appui la formule de J.-B Pontalis (1975) : « être touché au mort », et la conceptualisation des alliances inconscientes, associée à plusieurs séquences de jeu psychodramatique centrées sur la question de l’absence et de la perte dans des versions plurielles. Que se noue-t-il là entre nous ? La prégnance de la thématique maternelle, de la mère morte, paraît écraser en effet toute polysémie et faire oublier l’imago paternelle dont pourtant l’on peut retrouver des signes notamment dans la figuration proposée par Gaétan où peut s’ériger l’« arbre générationnel ». La répétition est à l’œuvre. Comment garder ouverte sa dimension de tentative de reprise de l’expérience traumatique ? Comment s’en déprendre ? Ou encore, en référence aux travaux de J.-B Pontalis (1997) : comment pouvoir être à la fois dans un passé présent immobile1 où s’inscrit ce qui n’a pu être et un passé présent mouvant où puissent se mettre en jeu pertes et retrouvailles ?

1. Voir aussi « le temps immobile de la mélancolie » évoqué par Olivier Nicolle dans son chapitre du présent ouvrage.

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Une perspective a été d’entendre que se rejouait là avec moi un pacte dénégatif, que je formulerais ainsi : être et ne pas être ensemble pour ne rien perdre, éviter d’exprimer toute agressivité, toute violence – comme lorsque Gaétan « s’excuse » – avec le risque de mort en toile de fond, pour ne pas se perdre, mais au risque de se figer dans une immobilisation mortifère. Une autre perspective a été de percevoir ces mises en acte comme des tentatives de figurer l’irreprésentable, telle une scène psychodramatique où les actes et les actions témoignent d’une potentialité représentative et élaborative. En séance, si j’ai parfois l’impression de « courir après une ombre », ombre de l’objet, des objets disparus ou morts, les paysages deviennent alors habités d’images, d’éprouvés, de pensées renvoyant à ma propre histoire, analytique et personnelle, à mes expériences de psychodrame et bien sûr à notre histoire analytique commune. Dans le transfert, je suis convoquée en tant que l’enfant laissé tout seul, la bonne mère qui est partie trop tôt et devenue la mauvaise, les membres de son entourage familial, si nécessaires mais si intrusifs, le père qui disparaît et qui manque, celle ou celui qu’on abandonne pour ne pas être abandonné, l’objet mis à l’épreuve pour prouver qu’il ne tiendra pas tout en souhaitant qu’il y parvienne – autant de figurations transférentielles qui viennent là figurer le trauma. Reviennent alors dans le discours de Gaétan des questions mêlées d’inquiétudes à propos de sa famille paternelle. Je dirai, reprenant une phrase qu’il venait d’énoncer : « Comment faire avec les deux familles, retrouver l’une sans mettre à mal l’autre, sans la perdre ? » Gaétan, après un silence, poursuit : « Je me rends compte, je n’ai jamais vraiment pensé à la famille de mon père, elle était effacée, en tout cas floue. Mais en fait, moi aussi, j’ai deux parties, j’ai deux familles. » Il dira un peu plus tard : « Je me sens moins qu’avant un passager clandestin. » Son mouvement répétitif de retrait par rapport aux séances dans le cheminement analytique, peut commencer à prendre sens, en lien avec ce qu’il implique de changements, de pertes.

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« C’est comme si j’avais une boîte dans ma tête... comme s’il y avait eu besoin de laisser sous clef ce coffret à secret ». Je questionne, intéressée par ce « coffret », ce « trésor identitaire » (Desvignes, 1999) : « Un coffret que vous voudriez garder en vous ? » « Oui, dit-il, parce que j’ai du mal à ce que quelqu’un y touche... Je suis tellement habitué à rester dans mon monde. » Gaétan tentait de « rester dans son monde » pour ne pas avoir à revisiter l’expérience de la détresse et des défaillances de son environnement. Désormais, il s’ouvre à d’autres représentations, et de ce fait, à d’autres possibles. Soulignons que l’appropriation de ses deux familles a pris appui et racine sur le processus d’intégration de mes deux familles « analytiques » : le groupe et la clinique individuelle. Les rêves de séance, entre névrose de transfert et transmission transgénérationnelle des traumas (D. Hirsch) Ainsi, il apparaît que la clinique et la théorie groupale conduisent à des perspectives nouvelles à propos de certaines dimensions des processus transférentiels et contre transférentiels dans la cure individuelle. La fondation d’un processus de cure-type nécessite la création d’un espace onirique, commun et partagé à partir des groupes internes1 de l’analysant et de l’analyste. Dans la cure individuelle, l’approche groupale tente de repérer les communautés de déni et de refoulement qui se tissent entre l’analysant et 1. Les groupes internes, dont le paradigme structural est le fantasme, sont définis par R. Kaës comme : « des formations de liens intrapsychiques qui comportent une structure de groupe qui ordonne les relations entre les éléments qui les constituent. Ils mettent en scène différentes versions du rapport du sujet à ses pulsions, à ses objets, à son désir et au désir de plus d’un autre ». Ils sont à la fois les organisateurs psychiques inconscients de chaque sujet, de l’interface entre la réalité intime et la réalité partagée, et des liens du groupe. Ils rendent compte des différentes assignations de place pour chaque sujet du groupe lorsqu’un groupe interne commun et partagé devient organisateur de l’espace psychique groupal (Kaës, 1995).

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l’analyste, ses effets fondateurs mais aussi potentiellement entravants pour le processus analytique. Ces alliances inconscientes œuvrent dans le dispositif individuel de la cure-type, à l’intersection des espaces intrapsychiques (de l’analysant et de l’analyste) et de l’espace intersubjectif qui les relie. Certes, des différences opposent le dispositif de la cure-type par rapport au dispositif groupal : le face à face ou le divan fauteuil, la pluralité du groupe ou la dyade de la cure, la temporalité différente des cadres groupaux ou individuels. Cependant, le processus de la cure implique l’articulation de l’espace psychique groupal ou de l’espace intrapsychique, ce dont rendent compte la complexité des mouvements à l’œuvre et les turbulences au sein du champ transféro-contre-transférentiel. J’aborderai ici cette question par l’intermédiaire du travail interprétatif des rêves d’analyse, notamment ceux qui figurent un groupe ou une séance d’analyse. En effet, le rêve met spécifiquement en jeu les dimensions interpsychiques de l’inconscient, dans ses articulations avec les groupes internes intrapsychiques de chaque sujet (Kaës, 2002). Grâce à leurs propriétés communes de liaison, de diffraction, de figurabilité et de dramatisation, le rêve, tout comme le psychodrame et le groupe, favorisent la figuration des traumas et de l’indicible. J. Press (2008) a cherché à distinguer dans les contenus des rêves les effets du refoulement de la névrose infantile d’une part, les clivages et dénis des zones traumatiques d’autre part. Il propose le repérage d’une dynamique montré/caché entre les contenus manifestes de certains rêves, en lien avec une zone traumatique non symbolisable, tandis que les contenus latents figureraient la névrose infantile du patient. L’accent est mis sur les conditions intersubjectives nécessaires pour relancer le fonctionnement préconscient chez des patients qui n’ont pu rencontrer des conditions de liens primaires suffisamment bien tempérées. L’analyste est à la fois l’objet transférentiel des mouvements pulsionnels figurés dans le rêve de l’analysant mais il est aussi le destinataire de son récit au sein du lien analytique.

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S. Freud a progressivement découvert que le transfert est le cœur des défenses du patient mais aussi, paradoxalement, le levier du processus thérapeutique. S’il n’a jamais théorisé le contre-transfert comme outil analytique, il mentionne dès 1908 dans une lettre à Abraham (Freud-Abraham, 2003, p. 109-111) l’effet de la présence de l’analyste sur le processus analytique : « Il m’est arrivé que des cas auxquels je prenais un intérêt personnel trop grand échouassent, justement, peut-être précisément en raison de cette intensité. » Comment se figure et se métabolise cette intensité de l’investissement personnel, narcissique et objectal, de l’analyste pour son analysant ? Je propose l’idée que certains rêves, tels les rêves de séance, figureraient la névrose de transfert sur l’analyste en tant qu’objet de la pulsion, mais qu’ils seraient simultanément rêvés par l’analysant en position de porte-rêve, afin de figurer les achoppements d’alliances inconscientes dans le couple analytique. Le rêve de l’analysant est rêvé pour le sujet lui-même et pour donner sens à la collusion inconsciente. Ainsi, le rêve émerge à la fois des processus de désirs pulsionnels inconscients au plus intime du patient mais il retrouve et figure également les racines intersubjectives de la vie psychique que R. Kaës appelle « espace onirique commun et partagé ». Il le précise en ces termes : « Cette hypothèse n’invalide pas l’idée que l’espace du rêve est un espace personnel, mais elle l’inscrit, quant à sa source, ses contenus et ses fonctions dans une autre expérience » (Kaës, 2002, p. 34). En voici une illustration clinique. Il s’agit d’un premier rêve, un « rêve de séance1 », raconté par une patiente dès la quatrième

1. Pour M. Neyraut (1974), les rêves dits « de séance » mettent en scène l’analyste et l’analysant dans un cadre analytique imaginaire. Ils figurent à la fois l’inscription de la névrose de transfert et le désir inconscient de l’analysant de transgresser les règles analytiques. Ils présentent souvent des figures de groupes, représentant d’autres patients, des membres de la famille de l’analyste ou ses collègues, etc. Pour C. Desvignes (2008), ces rêves de

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séance préliminaire en face à face, une fois arrêté le principe d’une cure sur le divan. « J’étais en séance dans votre bureau ; vous me donniez un album photo de votre enfance, à regarder après la séance, chez moi ; finalement, nous le regardions ensemble, côte à côte ; dans l’album, vous aviez d’abord une seule sœur, et puis apparaissaient d’autres frères et sœurs ; mais pas de parents ; c’était bizarre que vous me communiquiez des choses sur vous, dont j’étais censée ne rien savoir. Ensuite, j’ai fait un second rêve : “J’organisais une soirée chez moi avec un groupe d’amis ; vous étiez là aussi. Quand les amis partaient, vous restiez ; en fait vous étiez dans ma chambre, en présence de mon mari et de moi ; on avait une séance ; je me demandais si c’est ainsi que cela se passait, l’analyse, si vous alliez rester là, dans notre chambre à coucher ; mon mari s’en allait, j’étais contente de vous parler en tête à tête mais aussi inquiète de cette situation nouvelle ; finalement vous vous allongiez sur le lit dans la chambre d’amis ; c’était comme dans le rêve de l’album photo, quelque chose était inversé, c’était vous qui étiez allongé pendant qu’on parlait ; après je me mettais à côté de vous, dans un autre lit ; cela se passait dans une grande maison, pas la nôtre, pas la vôtre non plus, peut-être était-ce une maison commune à votre famille et la mienne.” » La question de la séduction entre générations et de la symétrie/asymétrie du couple analytique est au cœur de ce rêve princeps de la cure. Il annonce dans un registre névrotique des conflits psychiques centrés sur les fantasmes originaires, à l’intersection d’un complexe fraternel et d’un complexe œdipien (Kaës, 2008). Le désir de la patiente, projeté sur l’analyste, qu’il lui montre son album photo intime pourrait se transformer en angoisse quant à une inversion des rôles et des générations à laquelle l’analyste l’assignerait.

séance psychodramatisent la situation analytique, la névrose de transfert de l’analysant, mais aussi le contre-transfert de l’analyste.

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Quelle maison commune analytique sommes-nous en train de construire ? Quelles alliances inconscientes entre nous fonderaient la cure à venir ? Quels groupes d’imagos internes communs (l’album de photos), sommes-nous en train de « relier » à partir de nos histoires individuelles, semblables et différentes ? Serait-ce là une figuration des conditions intersubjectives (symétriques) nécessaires à l’exploration et l’analyse de l’histoire psychique de la patiente, cette fois dans l’asymétrie des positions analytiques ? Quel fantasme commun et partagé – autant craint que désiré – est figuré et imposé par le récit du rêve de séance, à l’aube de la cure ? Transposé au rêve de l’analysante, on pourrait traduire cet appareillage groupal initial par : « Un couple de semblables, unis par un lien horizontal fraternel, regardent ensemble un album reliant des photos d’enfance de fratrie attribuées à l’un mais qui les concerne tous deux. » Dès lors se pose la question d’une oscillation entre asymétrie et symétrie dans le lien analytique, d’une circulation, libre ou entravée, entre les espaces intrapsychique et intersubjectif. Elle ouvre sur le nécessaire travail d’élaboration des moments de collusion contre-transférentielle chez l’analyste. Émerge une question que posent les figurations de ce rêve. L’imposition du renversement des places est-elle non seulement un fantasme sexuel infantile mais n’est-elle pas aussi la marque d’une répétition traumatique : celle de l’envahissement, entravant et excitant, de l’espace psychique de l’analysante par une scène originaire traumatique ? Cette transmission se rejouerait d’emblée avec l’analyste. Ainsi, « le rêve du sujet singulier, espace intrapsychique, va s’alimenter dans l’activité psychique d’un autre (l’analyste)...et par là même, il en fait un des lieux d’historisation du transfert » (Kaës, 2002, p. 74). C’est là un autre mouvement de transfert sur l’analyste que celui du transfert infantile névrotique : transfert, ici et maintenant, dans la cure, du mode de transmission des cryptes et de l’inaudible transgénérationnel, qui s’est joué, avant et ailleurs,

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y compris avant la naissance du sujet analysant. Il ne s’agit pas seulement d’un transfert d’imago sur l’analyste mais d’un transfert qui concerne non pas des contenus fantasmatiques, mais des signifiants bruts, « objets de transmission marqués par le négatif, objets munis de leurs liens à ceux qui précèdent chaque sujet, n’ayant pas trouvé d’inscription symbolique dans la psyché des parents et qui se déposent ou s’enkystent dans la psyché d’un enfant » (Kaës, 2008, p. 58). Cette forme de transfert des modes de transmission psychique, en négatif, est particulièrement repérable dans les dispositifs groupaux, de par les « connexions de transfert » (Kaës, 2007, p. 62) et leur diffraction sur les participants et sur les analystes du groupe. Certains rêves (les rêves de séance, les rêves princeps, les rêves de groupes) semblent ainsi à la fois figuration du transfert infantile du sujet analysant et tentative d’imposition, autant que de dégagement, d’un pacte dénégatif partagé. Ce pacte pourrait, s’il n’est pas entendu et élaboré par l’analyste, entraver le processus analytique. Par sa double écoute, individuelle et groupale, des objets psychiques de la cure, par son écoute préconsciente des oscillations entre symétrie et asymétrie au sein du champ transfert contre transfert, l’analyste pourra saisir et interpréter les enjeux de répétition de ces pactes dénégatifs. Apparaît alors l’articulation entre névrose de transfert et transfert des traumas transgénérationnels, dans le vif de la séance. L’agir en séance, la dramatisation et le surmoi analytique de l’analyste (C. Desvignes) L’expérience des différentes formes de transferts, intertransferts et contre transferts à l’œuvre dans les groupes et analysés dans un cadre autre que celui de la cure, ne modifie-t-elle pas les rapports moi/surmoi et, de ce fait, la façon de gérer, par exemple, ce que l’on nomme souvent à tort « attaques contre le cadre » ? L’écoute des transferts dans leurs diversités et leurs singularités, ne permet-elle pas de se représenter et de traiter autrement

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ce qui concerne les parts traumatiques du transfert, notamment dans les cures de névrosés ? Il s’agit là de moments particuliers où la dramatisation peut permettre de mettre en scène, en jeu, un temps particulier du transfert. Peut-on alors penser que les liens avec le surmoi s’en trouvent affectés ? Les oublis, erreurs ou retards sont des expériences que tout analyste fait. L’inconscient joue des tours à l’analyste le plus chevronné. La question est non pas de les éviter, mais de rendre ces événements moteurs de la poursuite du travail psychanalytique. Je proposerai une séquence clinique pour éclairer ce débat. Prise par un travail d’écriture hors de mon cabinet, je laisse passer l’heure d’une séance. La patiente se trouve devant la porte close, ses coups de sonnette restent sans réponse. Elle me téléphone aussitôt pour m’informer de sa présence. J’arrive et, après m’être excusée, j’explicite la situation : « J’étais prise par un travail ailleurs et j’ai laissé passer l’heure du rendez-vous. » On peut discuter du bien-fondé de cette intervention qui n’est pas sans lien avec la culpabilité. Pourtant, elle a pour effet d’alléger la sidération dans laquelle ma patiente a pu être figée face à la porte close. La séance démarre sur le vécu traumatique suivant : « Vous n’étiez plus là, il n’y avait personne derrière », derrière la porte mais aussi sans doute derrière elle sur le divan, dans le vif du transfert de la séance. Cet épisode analytique traumatique a convoqué l’absence de regard et l’indifférence maternelle rencontrées à un âge précoce et sources de vécus de détresse. C’est comme si j’avais mis en mots un ailleurs habité, incarné, alors que l’impact traumatique de la porte close convoquait des expériences, non pas de perte mais de disparition, de néantisation de l’objet. L’expérience du groupe et du psychodrame a, sans doute, favorisé un penser-jouer et permis un mode de traitement de l’événement à mi-chemin entre l’interprétation classique et le jeu psychodramatique.

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Dans la mesure où l’événement traumatique – « Il n’y avait rien derrière » – peut être reconnu comme vrai psychiquement par l’analyste, son oubli n’est plus placé prioritairement sous le sceau de l’impensable et peut se mettre en jeu sur la scène transférentielle. De ce fait, des images et des mots arrivent chez les deux partenaires de la cure et favorisent l’insertion de l’événement analytique traumatique dans l’histoire infantile et transférentielle de la patiente. L’appui du jeu et du psychodrame n’aurait-il pas aussi comme effet un certain assouplissement des défenses obsessionnelles et des positions surmoïques de l’analyste ? Une plus grande mobilité des rapports entre moi et surmoi est la visée de toute analyse, l’expérience de l’analyse sans divan peut, me semble-t-il, participer de cet assouplissement dans la mesure où jouer mobilise toujours la culpabilité et la peur de dépasser les limites à son insu.

L’ IMPACT DE L’ EXPÉRIENCE DU GROUPE

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ET DU PSYCHODRAME SUR LA FORMATION DE L’ ANALYSTE « Chaque outil apporte avec lui l’esprit dans lequel il a été créé » a écrit le physicien Werner Heisenberg (1958). Cette citation étayera notre questionnement à propos de l’impact de l’expérience du groupe et du psychodrame sur la formation de l’analyste. Bien plus qu’une formation à la pratique de la cure type, celle-ci est avant tout un processus de transformation et de remaniement identitaire. En effet, l’analyse personnelle permet, idéalement, de perlaborer ces enjeux identitaires, archaïques, narcissiques et névrotiques qui sous-tendent le choix d’être analyste. S’y développent l’écoute analytique et la capacité à s’identifier à l’analysant, tout en menant la cure dans la position asymétrique au sein du champ transfert contre-transfert.

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Cette assise identitaire se tisse à partir de processus identificatoires : identifications intégratives et aliénantes, introjectives et adhésives, à ses analystes et aux analystes de ses analystes, à ses superviseurs, à ses théoriciens d’élection, à la fratrie de ses pairs. L’ensemble de ces identifications de formation doit pouvoir faire groupe à l’intérieur de l’analyste en devenir, et s’intégrer en un « groupe interne de formation », groupe d’identifications, de fantasmes et d’objets de formation. Le sujet analyste est donc un groupe en soi ! La cure personnelle et le travail psychique au cours de la formation sont indispensables pour que cette fantasmatique inconsciente de l’analyste en formation soit élaborée. Le travail de subjectivation et d’intégration identitaire de l’analyste y trouve son inscription singulière, intrapsychique. Toutefois, l’expérience des dispositifs analytiques pluriels favorise – autrement que la cure et le cursus « classique » – la mobilisation inconsciente et la mise en représentation, non seulement des groupes internes du sujet analyste, mais aussi de ce groupe interne de formation. En situation de groupe, la multiplicité des transferts à l’œuvre – sur les analystes, sur les membres du groupe, sur le groupe, sur l’institution de référence – donne une configuration transférentielle particulière et complexe qui sollicite l’assise narcissique des analystes. Les repères identitaires sont ébranlés. Des mouvements émotionnels régressifs, liés notamment à la persécution et au négatif, sont (re)mobilisés et se réverbèrent sur la pluralité des transferts. Les enjeux de filiation et d’affiliation, de fondation et de transmission font traces chez l’analyste. Ces traces sont corporelles et psychiques, individuelles et groupales, verbales et psychodramatiques. Elles sont intériorisées par l’analyste en lien avec le dispositif groupal qui les a fait émerger et sont alors mobilisées par les champs transférentiels pluriels spécifiques au groupe.

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Elles nous semblent également entrer en résonance, contretransférentiellement, à certains moments clefs d’une cure individuelle. L’expérience du groupe peut favoriser ainsi la perméabilité des enveloppes psychiques de l’analyste, soit un certain état de réceptivité et d’acceptation préconsciente à se laisser pénétrer et à laisser exfiltrer des productions interpsychiques, polyphoniques, pluri-transférentielles. Cette expérience favorise ainsi le déploiement d’une « intuition groupale », d’une écoute contre transférentielle particulière. Il s’agit d’une écoute que l’on peut qualifier de « bifocale », prenant en compte simultanément les dimensions intrapsychiques et intersubjectives. Cependant, l’écoute groupale en situation de cure individuelle est potentiellement conflictuelle pour l’analyste car elle est en prise avec un corpus théorique qui confronte la psychanalyse freudienne à une remise en question de la centralité et de l’unicité de l’ombilic intrapsychique de l’inconscient (Kaës, 2002). Cette conflictualité apparaît aussi paradigmatique de la conflictualité inhérente à la construction même du sujet et de son sentiment d’identité. Ceci se retrouve dans la question du narcissisme des petites différences entre membres de différentes sociétés analytiques et révèle les assujettissements ou du moins les appartenances identitaires à telle ou telle école et parcours formatif. Des questions telles que le respect du cadre et la place de l’argent sont sous-tendues par « des positions inconscientes qui sont aussi le fruit de la rencontre, au niveau intrapsychique, de l’histoire institutionnelle et de l’histoire de chacun, analyste et patient » (Frisch, Bleger, Sechaud, 2010, p. 117). Les dispositifs groupaux mettent ainsi en lumière la part d’identité archaïque et les contrats narcissiques que chacun inscrit au sein de ses propres institutions familiales, sociales, professionnelles... et également les sociétés d’appartenance

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analytique. Ainsi, l’analyste peut-il appréhender le déploiement et la mobilisation de ces enjeux inconscients groupaux et institutionnels convoqués par tout processus de formation (analytique) qui a pour enjeu la transmission de la psychanalyse – y compris l’histoire des pactes fondateurs et des communautés de refoulement et de déni dont il s’apprête à devenir l’un des héritiers. Dès lors, il serait pertinent de proposer des dispositifs groupaux dans le cadre des cursus au sein des sociétés d’analyse, ainsi qu’une formation aux théorisations groupales. Par ailleurs, ceci rejoint l’intérêt des discussions cliniques entre analystes, développés en particulier par J.-L. Donnet (2005) lorsqu’il développe la notion d’« échanges interanalytiques ». La prise en compte de l’articulation de l’intrapsychique et de l’interpsychique et des différents transferts joue dans la façon de traiter, par exemple, l’interruption de l’analyse dans le cadre d’une supervision (C. Desvignes). Souvent, une supervision de contrôle d’un cursus de formation d’analyste au sein d’une société psychanalytique de l’IPA1 s’arrête si le patient interrompt ses séances. La supervision ne reprend qu’avec une nouvelle cure. La prise en compte de différents paramètres peut permettre de penser plus largement aux interférences à l’œuvre dans cette interruption. J’évoquerai ici ceux que nous pouvons rencontrer prioritairement : • l’enjeu de reconnaissance narcissique, tant pour l’analyste en

formation que pour le superviseur, présent dans le contrat narcissique structurant et nécessaire au travail de la supervision ; • les alliances inconscientes défensives et pathogènes à l’œuvre dans le lien établi entre analyste en formation et superviseur, constitutives d’un éventuel pacte dénégatif ; 1. IPA : International Psychoanalytic Association.

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• les reliquats transférentiels des deux partenaires sur les ana-

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lystes, les superviseurs et l’institution psychanalytique qui ont marqué leurs formations respectives et la construction de leur être analyste. La prise en compte de ces paramètres permet d’entendre et d’interpréter le poids de l’enjeu narcissique dans le lien intertransférentiel. Cependant il se peut que cet enjeu se vive en miroir entre les deux sujets impliqués dans ce travail. Un pacte dénégatif peut alors se mettre en place. De ce fait, on peut percevoir les multiples paramètres qui traversent l’espace d’une supervision. Le fait qu’elle soit soumise à validation en fin de parcours accroît le poids des enjeux de reconnaissance pour chacun des partenaires. On pourrait imaginer le cas de figure suivant : un analyste se forme, il cherche à s’assurer de la légitimité de sa pensée, de ses positions, ce qui est tout à fait pertinent. Dans la mesure où le superviseur attend, lui aussi, de la supervision, de l’analyste en formation et des collègues de son institution, une garantie de la légitimité de sa place et de sa pensée, des alliances inconscientes peuvent se constituer en vue d’écarter de cet espace les doutes, les incertitudes et les différends qui fragiliseraient l’assise identitaire de chacun d’eux. Nous ne pouvons minimiser le poids des alliances que nous formons à notre insu avec les analystes que nous supervisons. De ce fait, l’élaboration ne peut se faire à partir d’un travail psychique exclusivement centré sur ce qui se passe dans le transfert-contre-transfert entre l’analyste et son patient. Différents transferts sont à l’œuvre : sur l’analysant, sur le superviseur, sur la supervision et sur l’institution analytique de référence. Ces transferts impliquent toujours l’analyste en formation d’une part et l’analyste superviseur d’autre part. Leur prise en compte permet de dénouer et de mettre à jour les alliances inconscientes qui entraveraient, sinon, un travail sur le manque, la castration et la mort, mais aussi sur la destructivité et son impensable.

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L’expérience de la diffraction du transfert1 (Kaës, 2007) donne à l’analyste un outil lui permettant d’interpréter autrement des événements tels que l’interruption d’une cure, et ce d’autant plus s’il se réfère à une expérience groupale où la répartition économique du transfert sur différents objets est particulièrement repérable. Un passage par la clinique peut permettre de préciser mon propos. J’évoquerai l’interruption d’une analyse supervisée, suite à l’arrêt des séances par la patiente. L’élaboration de ce qui a présidé à cette interruption a pu se référer à l’économie de l’écoute dans la supervision, c’est-à-dire à ce qui s’est passé entre superviseur et supervisé et aux effets de l’économie à l’œuvre dans cet espace sur le déroulement puis sur l’interruption de la cure. Les deux analystes, superviseur et analyste en formation, ont réalisé qu’ils avaient créé un espace de travail associatif, une aire de plaisir et de réassurance narcissique qui, à leur insu, avait exclu la patiente de leurs champs d’investissement réciproques. On peut penser que cette mise en place a eu pour visée d’exclure non seulement la patiente mais tout ce qui mettait en question la pertinence de l’indication d’analyse. La priorité donnée à la prime de plaisir et de réassurance narcissique leur a évité de prendre conscience des aspects opératoires et limites de la problématique de la patiente. Le temps donné au travail d’élaboration a permis, entre autre, de réinterroger l’indication posée au départ et a abouti à un travail plus précis quant au choix du patient pour une cure supervisée. Par conséquent, la supervision d’un nouveau patient 1. La première conséquence de la pluralité est que le groupe est un lieu d’émergence de configurations particulières du transfert. Ce qui est transféré, ce ne sont pas seulement des objets, mais des connexions d’objets avec leurs relations...Dans le dispositif de groupe, les transferts pluriels, multilatéraux et connectés entre eux sont diffractés sur les objets prédisposés à les recevoir sur la scène synchronique du groupe... La diffraction du transfert est aussi une répartition économique des charges pulsionnelles associées à l’objet du transfert (Kaës , 2007, p. 61-62).

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a bénéficié du travail fait en amont, entre l’interruption de la cure et le démarrage d’une nouvelle cure. L’expérience du groupe, du psychodrame de groupe et la prise en compte des transferts à l’œuvre, a entraîné une compréhension plus large de l’interruption de cure dans le cadre de la formation analytique. Suite à cette interruption, un retour de plusieurs mois sur le déroulement de cette cure, sur la dimension meurtrière du transfert à partir d’un rêve ayant précipité l’arrêt, sur les enjeux de reconnaissance dans une première cure supervisée, a été nécessaire. Cela a permis de repenser la place de la supervision dans le parcours de formation de l’analyste, la nécessité d’une supervision réussie et la définition des critères de réussite pour chacun des partenaires. Ce travail fait en amont de la reprise d’un second cas de contrôle permet de situer ce second patient dans toute l’histoire de la supervision La cure de ce patient peut alors bénéficier du travail des analystes concernant les limites, les zones de surdité et l’expérience de la perte pour chacun.

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C ONCLUSION Prise et déprise, liaison et déliaison, plongée dans l’inconnu et remontée vers la représentation sont autant d’expériences vécues par l’analyste dans le jeu psychodramatique et dans le groupe. Nous avons ici tenté de spécifier le bénéfice de telles expériences pour la pratique de la cure. Nos interventions ont, chacune dans leur singularité, mis en évidence l’effet de la rencontre des différentes parts de soi et de l’autre, dans le champ transfert – contre transfert. L’articulation de l’intrapsychique et de l’intersubjectif ouvre en effet sur de nouvelles perspectives pour penser les enjeux psychiques du lien entre l’analysant et l’analyste. Les perspectives théorico-cliniques ouvertes par la pratique du groupe et du psychodrame s’inscrivent dans la réflexion contemporaine.

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La psychanalyse s’est en effet progressivement intéressée entre autres aux questions du trauma narcissique, des violences collectives, de la transmission transgénérationnelle. Dans cette clinique du clivage et du déni, de l’agir, du non-subjectivé et de la souffrance narcissique, le psychisme de l’analyste devient une matrice intersubjective nécessaire pour penser et sentir ce qui justement n’a pu être ni psychisé ni nommé dans un lien primaire bien tempéré. Les possibilités de symbolisation et de subjectivation des secteurs de fonctionnement désymbolisés passent par ce lien intersubjectif. Ce sont alors les alliances inconscientes – tant structurantes que pathogènes et défensives – entre l’analysant et l’analyste, en tant que sujets du lien analytique, qui sont mises en tension et auxquelles l’analyste porte une écoute spécifique. De plus, ne peut-on penser que l’impact de telles expériences se retrouve dans la gestion du cadre et dans la transmission de l’analyse ? Cette réflexion mobilise la double dimension du surmoi et de l’idéal chez l’analyste. La question du surmoi et de ses liens conscients et inconscients avec l’institution analytique reste également centrale, ainsi que le dégagement toujours nécessaire de l’idéalisation à l’œuvre dans les processus de formation. Pour rester fidèle au thème du colloque, « Le travail psychique de la formation : Entre aliénation et transformation », nous ne pouvons conclure sans évoquer l’emprise théorique et clinique à l’œuvre dans l’écoute analytique, et ce, quels que soient les dispositifs thérapeutiques. Les enjeux de reconnaissance, avec leurs dimensions narcissiques présentes dans tous les groupes humains, le sont aussi dans les groupes d’analystes. L’ombre des figures tutélaires pèse sur la créativité psychique des analystes. L’intensité des mouvements fratricides à l’œuvre dans le groupe des premiers analystes autour de Freud est toujours d’actualité. L’évocation de ce temps de l’histoire rappelle que toute formation mobilise haine, amour, rivalité et envie meurtrière.

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Ceci souligne l’importance d’un travail personnel et groupal concernant les liens d’emprise théorique et clinique, travail de dégagement toujours à reprendre.

Postface

LA POSITION DU PSYCHANALYSTE DANS UNE FONCTION DE FORMATEUR

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Par René Kaës

parcourt cet ouvrage : quelle est la position du psychanalyste lorsqu’il exerce une fonction de formateur ? La question déborde évidemment le cadre de la formation que proposent et mettent en œuvre des psychanalystes qui forment à la pratique du psychodrame. Elle se pose dans toutes les institutions psychanalytiques qui forment à la fonction de psychanalyste, mais elle prend une allure particulière dans toutes les institutions qui mettent en œuvre une formation à des pratiques dérivées de la méthode de la cure individuelle. Elle se pose donc au Ceffrap et pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce que nous ne sommes pas une société de psychanalyse, au

U

NE QUESTION

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sens où celle-ci forme à la fonction de psychanalyste. Ensuite nous ne formons pas des psychodramatistes dans le but de les intégrer à notre institution : nous ne concevons pas la formation comme un dispositif endogène qui assurerait le recrutement des membres du Ceffrap et en effet les psychodramatistes formés ne deviennent pas, pour la quasi-totalité d’entre eux, membres du Ceffrap. L’admission au Ceffrap s’effectue sur des critères différents de ceux des sociétés de psychanalyse. . Il n’en demeure pas moins que la question « comment être psychanalyste en dehors des situations proprement psychanalytiques ? » se pose régulièrement aux psychanalystes du Ceffrap. Dans cet ouvrage, plusieurs d’entre nous (B. Guettier, C. Desvignes, G. Bayle, É. Sechaud, M. Pichon, D. Hirsch) ont entrepris de décrire en quoi le travail psychanalytique dans la cure diffère de celui qui est mis en œuvre dans le groupe ou dans le psychodrame, comment s’articulent et se distinguent le travail psychanalytique personnel en situation de groupe, le processus thérapeutique et le processus de la formation. J’ai essayé de montrer, comment dans sa tâche d’accompagnement des personnes en formation, le psychanalyste soutient le déliement et l’élaboration des enjeux imaginaires de l’offre et de la demande de formation. Les distinctions que nous avons apportées ne se définissent pas seulement par les différences de dispositif et d’objectif et par leur congruence. Elles engagent une réflexion plus générale qui touche à en dispositif de cure individuelle et en dispositif réunissant plusieurs sujets : groupes avec ou sans psychodrame, thérapies familiales, thérapie de couple. Elles engagent plus précisément encore la représentation que l’analyste se fait de sa fonction et de ses limites lorsqu’il poursuit un objectif de psychanalyse, de psychothérapie ou de formation. Pour ce qui concerne les fonctions qu’exercent au Ceffrap les psychanalystes engagés dans la formation de praticiens du psychodrame, deux d’entre elles me paraissent particulièrement importantes. Il est très probable que ces fonctions sont

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à interroger par psychanalyste qui collabore à un processus de formation–avec ou sans fonction « didactique ». La première concerne la fonction de référence que nous avons mise en place au Ceffrap : dans cette fonction, nous sommes confrontés à des résidus du travail analytique personnel des personnes en formation, et notamment aux transferts antérieurs qui se réactivent et apparaissent dans les mouvements transférentiels, contretransférentiels et intertransférentiels auxquels elles ont à faire face dans leur pratique. Comment travailler ces résurgences sans transformer la situation de référence en situation d’analyse ? La réponse n’est pas simple : pour ma part, je pense que l’axe qui spécifie le travail de référence doit demeurer celui de l’analyse du processus de formation dans ses dimensions personnelles et institutionnelles et que les résurgences transférentielles et leurs contenus et modalités actuelles doivent seulement être pointées dans ce contexte pour qu’elles puissent prendre sens dans ce processus et, éventuellement être reprise dans un autre dispositif. Il peut arriver en effet que les répétitions soient telles qu’elle conduise de nouveau la personne en formation dans un groupe d’élaboration personnelle, dans un dispositif de supervision ou chez son psychanalyste. Une autre fonction fait question, et là encore elle se pose dans d’autres dispositifs de formation à la pratique de la psychanalyse : il s’agit des enseignements, des séminaires et des dispositifs de transmission des savoirs psychanalytiques. La question est doublement difficile : diffuser un savoir par la voie publique ouvrages, revues, colloques, conférences est une chose : la transmission n’est pas contrainte par les exigences d’un cursus, mais les effets de transferts ne sont pas écartés pour autant. Il en va autrement lorsque cette fonction s’exerce à l’intérieur d’un dispositif de formation. Cette fonction place le psychanalyste non plus en position non de sujet supposé savoir, mais de sujet sachant non seulement un savoir de l’Inconscient (celui-là il le partage avec l’analysant), mais un savoir sur l’Inconscient. Les inductions de transfert sont inévitables et elles demeurent en stase si aucun dispositif n’est disponible

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à leur déliement. Cette fonction de transmission d’un savoir sur l’Inconscient place l’analyste à la place du Maître. Elle s’approche de celle du pédagogue : non seulement un second « métier impossible », qui viendrait perturber ou contaminer le premier, mais un métier qui ferait alliance avec les résistances au processus analytique proprement dit. Comment traiter cette fonction de transmission des savoirs dans la pratique de la formation ? Poser cette question, c’est admettre qu’il est indispensable qu’elle soit assumée, car la seule expérience de l’analyste ne suffit pas à penser – et à penser dans la solitude, les dimensions de la clinique, de l’épistémologie et de la méthode qui soutiennent la connaissance de l’Inconscient et de la manière d’y avoir accès. En outre, il importe que l’institution dans laquelle cette formation est dispensée ouvre un espace pour l’exposer, pour expliciter ses théories de référence, les confronter avec d’autres conceptions et en débattre avec les personnes en formation. Dès lors que nous admettons cette nécessité, comment la mettre en œuvre ? Une question surgit alors qui bute sur des tensions dont les composantes narcissiques ne sont pas les plus légères qui soient. Quels sont les enseignements exposés et qui les assumera ? Un des arrière-fonds de ces questions est celle des orthodoxies, littéralement celle des savoirs « droits », conformes à la doctrine : que convient-il de savoir et de faire connaître sans risque de déviation ? Corrélativement, qu’est-ce qui habilite à transmettre un discours spécifique de l’institution, s’il existe, sur lequel pourront se fonder les certitudes et se découvrir les incertitudes des personnes en formation ? Les deux questions que je soulève – celle de la référence et celle des transmissions de savoirs constituants – furent laissées de côté dans cet ouvrage. Elles appellent un développement. Elles impliquent que notre conception devienne encore plus claire sur les enjeux transférentiels et contretransférentiels de l’exercice de ces deux fonctions.

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INDEX

 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

A A BRAHAM 52, 54 accompagnement en position méta 22 adolescence 11 affiliation XIX, 10, 27, 32, 61, 80, 86, 91, 116 agir en séance 113 aliénation XVII, XVIII allégeance 56 alliances défensives 20 alliances inconscientes 16, 17, 20–22, 76, 103, 106, 109, 110, 112, 118, 119, 122 analogie du groupe et du rêve 8 A NZIEU 2, 3, 6–8, 64, 68, 69, 81 appareil psychique groupal 8, 18, 19 appropriation subjective XVI, XVII assujettissement 56, 63–78 asymétrie 111

B BAYLE 126

B EJARANO 6 Bildung 41, 52 B ION 18, 81, 86 B LEGER 117

C C ASEMENT 88 C ASTORIADIS -AULAGNIER 32 ce qui se transmet dans la formation 24 contrat narcissique 10, 12, 20, 26, 27, 32, 33, 118 critiquer l’idéologie de l’intégration aux normes de groupe 7 culpabilité liée au désir de formation 35

D déformation 11, 49, 85, 90 désir de former 4, 8 D ESVIGNES 35, 95, 108, 110, 113, 126 deuil de l’enfant merveilleux 34

136

I NDEX

formation comme un processus 10, 14, 24 formation est un projet qui engage le temps 14 formation et/ou psychothérapie 24 formes a priori de la formation 53 formes a priori de la sensibilité 44 F OULKES 18 E F REUD 9, 22, 43, 44, 47, 48, 52, 58, 59, 64, 68–70, 98–100, 110, élaboration des enjeux imaginaires 122 de l’offre et de la demande de formation 30 F REUD A. 52 emprise dans la formation 35 F RISCH 117 endeuillement 55 envie destructrice 35 G espace du groupe 17 G IMENEZ 21, 22 espace du lien 17 G LOVER 52 espace du sujet singulier 16 G OETHE 62 exigence de la théorisation 30 G REEN 34 exigence épistémologique de la formation 28 groupe, fonction inconsciente 7 expérience psychanalytique de groupes internes 108 groupe comme dispositif de groupes internes et groupalité formation 15 psychique 19 expérience subjective de G RUNBERGER 102 l’inconscient 26 G UETTIER 126 exposition à la naissance 48 G UIGNARD 106 dimension institutionnelle de la formation 13 dispositif analytique pluriel 116 dispositif de travail psychique en groupe 22 doctrine 58

F fantasmatique de la formation 9, 10 F ERENCZI 52, 54 filiation 85, 87, 91 fin impossible 38, 39 F LAMENT 5 fonction de référence 127 fonctions de l’institution 27 formand 47, 55, 57, 59, 60 formation à une tâche 14

H héritage 86 H ÉRY 27, 81 H IRSCH 126 histoire du CEFFRAP 1, 4

I idéal du Moi 67, 69 idéalisation 122

137

I NDEX

identification 64, 65, 75 illusion groupale 8, 12 incestualité 11 inconnu 52, 57 initiation 50 inscription de la formation 15 Institut TAVISTOCK 5 interpsychique 118 intersubjectif 67 intrapsychique 118 intrasubjectif 74

J J ONES 52

M ISSENARD 6, 8, 11, 64, 96 modalités spécifiques du transfert et de la résolution de leurs effets 32 M ORPHÉE 47 multiplicité des transferts 116

N narcissisme de mort 34 narcissisme de vie 32 narcissismes dans la formation 32 N ICOLLE 26, 31, 106

O K

K AËS XVIII, 6, 11, 17, 18, 46, 48, 52, 68, 69, 76, 81, 85–87, 89–92, 94, 96, 103, 104, 108–113, 117, 120, 132 K ANT 44

Œdipe supposé conquérir le groupe 3 on (dé)forme un enfant 9 O NEIROS 47 organisateurs psychiques inconscients 19, 108

P

 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

L

pacte dénégatif 3, 20, 102, 104, 106, 107, 113, 118, 119 L APLANCHE 9 pacte narcissique 33 lien XVII, 11, 16, 17, 20, 33, 39, 45, 46, 52–55, 66, 75–77, 80, PASCHE 98 P ICHON 126 81, 84, 88–90, 94, 103, 104, 107, 109, 112, 114, 116, 118, P ICHON -R IVIÈRE 18 119, 121, 122 P ONTALIS XX, 7, 9, 24, 106 position du psychanalyste dans une fonction de formateur M 125–128 mélancolisation 55 position idéologique 8 méthode 66 position méta du formateur et de métissage entre la psychosociologie l’institution en charge d’une et la psychanalyse 4 formation 23 M ILNER 89 P RESS 109

138

I NDEX

principaux groupes internes 19 processus de la formation XVII, 4, 12, 15, 23, 25, 31, 34, 39 processus personnel et inscription sociale de la formation 13 processus psychanalytique XV psycho-dramatisation 102 psychodrame 80, 91, 92 psychodrame psychanalytique 97 psychologie sociale d’orientation lewinienne appliquée aux petits groupes et à la formation 2 pulsion épistémophilique 81, 94 P YGMALION 10

rupture épistémologique avec la psychologie sociale 7

S savoir pour ignorer 56 S ECHAUD 117, 126 séduction 10, 11, 31, 70, 111 séduction narcissique 10 spécificité d’une formation conçue selon les critères de la psychanalyse 15 spécificité de la formation à une fonction psychanalytique 29 subjectivation 57, 63–78 surmoi analytique 96

R R ACAMIER 11 R ANK 48 rapports de similitude et de différence entre formation et psychothérapie 24 réaction formative négative 34 réalisation immédiate des désirs 31 reconn-essence 56, 61 reconnaissance 15, 23, 26, 30, 32, 33, 61, 86, 87, 118, 119, 121, 122 référence psychosociale 6 répétition 67, 71, 72, 75 reproduire et/ou transformer 25 résistances au travail psychanalytique en situation de groupe 3 rêve 96 rêver la forme (idéale) 10–12 R ICŒUR 26 ROUSSILLON 88, 89

T théorie de la Forme 5, 30 T OROK 54 training 41, 52 training-group 5 transfert 66, 67, 69, 75 transformation XVIII, 67, 70 transmission XVII, XIX, 80, 85, 87, 92 transmission des savoirs psychanalytiques 127, 128 transmission transgénérationnelle 108 trauma 96 travail analytique groupal 96 travail de l’originaire 92 travail de la perte 48, 54, 62 travail de subjectivation 102 travail des pulsions 10 travail psychanalytique dans la cure et dans le groupe 16

139

I NDEX

travail psychanalytique de groupe et le processus de formation 21

VANDER E LST 21, 22, 81, 83 violence de la rencontre dans la formation 23

V VALABREGA 58 valeur structurante du contrat narcissique 14

W W INNICOTT 88