Le Tigre Abscence

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Cristina Campo Poésies Le tigre absence

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PASSO D'ADDIO

PAS D'ADIEU

For last year's words belong to last year's language and next year's words await another voice.

For last year's words belong to last year's language and next year's words await another voice.

Si ripiegano i bianchi abiti estivi e tu discendi sulla meridiana, dolce Ottobre, et sui nidi.

On replie les blanches robes d'été, et toi, tu descends sur le méridien, doux Octobre, et sur les nids.

Trema l'ultimo canto nelle altane dove sole era l'ombra ed ombra il sole, tra gli affanni sopiti.

Le dernier chant tremble sur les terrasses où l'ombre était soleil et ombre le soleil, parmi les angoisses apaisées

E mentre indugia tiepida la rosa l'amara bacca già stilla il sapore dei sorridenti addii.

Tandis que tiède s'attarde la rose déjà l'amère baie distille la saveur des souriants adieux.

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Moriremo lontani. Sarà molto se poserà la guancia nel tuo palmo a Capodanno; se nel mio la traccia contemplerai di un'altra migrazione. Dell'anima ben poco sappiamo. Berrà forse dai bacini delle concave notti senza passi, poserà sotto aeree piantagioni germinate dai sassi...

Nous mourrons éloignés. Et ce sera déjà beaucoup si je pose ma joue dans ta paume au jour de l'an; et si dans la mienne tu contemples la trace d'une autre migration.

0 signore e fratello ! ma di noi sopra una sola teca di cristallo popoli studiosi scriveranno forse, tra mille inverni:

Ô seigneur et frère ! Mais de nous sur une seule châsse de cristal des peuples studieux écriront, peut-être, dans mille hivers:

«nessun vincolo univa questi morti nella necropoli deserta».

«aucun lien n'unissait ces morts dans la nécropole déserte».

De l'âme nous savons bien peu. Elle boira, peut-être, aux bassins des nuits creuses, sans pas, ou reposera sous d'aériennes plantations germées parmi les pierres...

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Ora che capovolta è la clessidra, che l'avvenire, questo caldo sole, già mi sorge alle spalle, con gli uccelli ritornerà senza dolore a Bellosguardo: là posai la gola su verdi ghigliottine di cancelli e di un eterno rosa vibravano le mani, denudate di fiori.

Maintenant que la clepsydre est retournée, que l'avenir, ce chaud soleil, déjà monte derrière moi, avec les oiseaux je reviendrai sans douleur à Bellosguardo: là, j'ai posé ma gorge sur les vertes guillotines des grilles, et d'un rose éternel vibraient mes mains, privées de fleurs.

Oscillante tra il fuoco degli uliveti, brillava Ottobre antico, nuovo amore. Muta, affilavo il cuore al taglio di impensabili aquiloni (già prossimi, già nostri, già lontani): aeree bare, tumuli nevosi del mio domani giovane, del sole.

Oscillant dans le feu des oliviers, brillait Octobre ancien, nouvel amour. Muette, j'aiguisais mon c ur au fil d'impensables aquilons (déjà proches, déjà nôtres, déjà lointains): cercueils aériens, tumuli neigeux de mon jeune lendemain, du soleil.

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È rimasta laggiù, calda, la vita, l'aria colore dei miei occhi, il tempo che bruciavano in fondo ad ogni vento mani vive, cercandomi...

Elle est restée là-bas, chaude, la vie, l'air couleur de mes yeux, le temps que brûlaient au fond de chaque vent des mains vivantes, me cherchant...

Rimasta è la carezza che non trovo più se non tra due sonni, l'infinita mia sapienza in frantumi. E tu, parola che tramutavi il sangue in lacrime.

Restée là-bas la caresse que je ne trouve plus qu'entre deux sommeils, en miettes mon infinie sagesse. Et toi, parole qui changeait le sang en larmes.

Nemmeno porto un viso con me, già trapassato in altro viso come spera nel vino e consumato negli accesi silenzi...

Je n'emporte pas même avec moi un visage, passé déjà dans un autre visage comme sphère dans le vin et consumé dans les brûlants silences...

Tomo sola tra due sonni laggiù, vedo l'ulivo roseo sugli orci colmi d'acqua e luna del lungo invemo. Torno a te che geli

Seule je reviens là-bas entre deux sommeils, je vois l'olivier rose sur les jarres pleines d'eau et de lune du long hiver. Je reviens vers toi qui gèles

nella mia lieve tunica di fuoco.

dans ma légère tunique de feu.

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à m. c.

à m. c.

A volte dico: tentiamo d'esser gioiosi, e mi appare discrezione la mia, tanto scavata è ormai la deserta misura cui fu promesso il grano.

Parfois je dis: tentons d'être joyeux et ceci me semble modestie tant est creusée désormais la déserte mesure à laquelle fut promis le grain.

A volte dico: tentiamo d'essere gravi, non sia mai detto che zampilli per me sangue di vitello grasso: ed ancora mi appare discrezione la mia.

Et parfois je pense: tentons d'être graves, qu'il ne soit jamais dit que jaillisse pour moi le sang du veau gras; et cela encore me semble modestie.

Ma senza fallo a chi cosi ricolma d'ipotesi il deserto, d'immagini l' oscura notte, anima mia, a costui sarà detto: avesti la tua mercede.

Mais assurément, à qui comble ainsi d'hypothèses le désert, d'images l'obscure nuit, mon âme, à celui-là il sera dit: tu as reçu ta récompense.

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Ora non resta che vegliare sola col salmista, coi vecchi di Colono; il mento in mano alla tavola nuda vegliare sola: come da bambina col califfo e il visir per le vie di Bassora.

Maintenant il ne me reste plus qu’à veiller seule avec le psalmiste, avec les vieux de Colone; le menton dans la main sur la table nue, veiller seule: comme dans mon enfance, avec le calife et le vizir, dans les rues de Bassorah.

Non resta che protendere la mano tutta quanta la notte; e divezzare l'attesa dalla sua consolazione, seno antico che non ha più latte.

Il ne me reste qu'à tendre la main tout au long de la nuit; puis à sevrer l'attente de sa consolation, sein flétri qui ne donne plus de lait.

Vivere finalmente quelle vie — dedalo di falà, spezie, sospiri da manti di smeraldo ventilato — col mendicante livido, acquattato

Vivre enfin ces voies — dédale de fanaux, d'épices, de soupirs, ventilé de robes d'émeraude — avec le blême mendiant, blotti entre les lèvres d'une blessure.

tra gli orli di una ferita.

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La neve era sospesa tra la notte e le strade come il destino tra la mano e il fiore.

La neige était suspendue entre la nuit et les rues comme le destin entre la fleur et la main.

In un suono soave di campane diletto sei venuto... Come une verga è fiorita la vecchiezza di queste scale. 0 tenera tempesta notturna, volto umano !

Dans un doux son de cloches, tu es venu, mon aimé... Comme un rameau a refleuri la vieillesse de ces marches. Ô tendre tempête nocturne, visage humain !

(Ora tutta la vita è nel mio sguardo, stella su te, sul mondo che il tuo passo richiude).

(Maintenant toute la vie est en mon regard, étoile sur toi, sur le monde que délimite ton pas).

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Ora tu passi lontano, lungo le croci del labirinto, lungo le notti piovose che io m'accendo nel buio delle pupille, tu, senza più fanciulla che disperda le voci...

Maintenant tu passes au loin, au long des croix du labyrinthe, au long des nuits pluvieuses que j'allume pour moi dans le noir des pupilles, toi, sans plus de jeune fille qui disperse les voix...

Strade che l'innocenza vuole ignorare e brucia di offrire, chiusa e nuda, senza palpebre o labbra!

Routes que l'innocence veut ignorer et brûle d'offrir, close et nue, sans paupières ni lèvres !

Poiché dove tu passi è Samarcanda, e sciolgono i silenzi tappeti di respiri, consumano i grani dell'ansia —

Puisque là où tu passes est Samarcande, que les silences déroulent des tapis de souffles, et se consument les grains de l'angoisse —

e attento: fra pietra e pietra corre un filo di sangue, là dove giunge il tuo piede.

attention: entre pierre et pierre court un filet de sang, là où ton pied arrive.

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Amore, oggi il tuo nome al mio labbro è sfuggito come al piede l'ultimo gradino...

Amour, aujourd'hui ton nom a échappé à mes lèvres comme à mon pied la dernière marche...

Ora è sparsa l'acqua della vita e tutta la lunga scala è da ricominciare.

L'eau de la vie est maintenant répandue et le long escalier tout à recommencer.

T'ho barattato, amore, con parole.

Je t'ai troqué, amour, contre des mots.

Buio miele che odori dentro i diafani vasi sotto mille e seicento anni di lava —

Miel noir qui embaumes dans les vases diaphanes sous mille six cents ans de lave —

ti riconoscerè dall'immortale silenzio.

je te reconnaîtrai dans l'immortel silence.

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Maintenant je veux blanches à nouveau toutes mes lettres inouï mon nom, ma grâce reployée: que je m'étende sur le cadran des jours, reconduise la vie à minuit.

Ora rivoglio bianche tutte le mie lettere, inaudito il mio nome, la mia grazia richiusa; ch'io mi distenda sul quadrante dei giorni, riconduca la vita a mezzanotte. E la mia valle rosata dagli uliveti e la città intricata dei miei amori siano richiuse come breve palmo, il mio palmo segnato da tutte le mie morti.

Et ma vallée rose d'oliviers, et la ville enchevêtrée de mes amours, qu'elles soient reployées comme une frêle paume, ma paume où sont marquées toutes mes morts.

0 Medio Oriente disteso dalla sua voce, voglio destarrni sulla via di Damasco — né mai lo sguardo aver levato a un cielo altro dal suo, da tanta gioia in croce.

Ô Moyen Orient élargi par sa voix, je veux m'éveiller sur le chemin de Damas — et n'avoir jamais levé les yeux vers un ciel autre que le sien, que tant de joie en croix.

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Devota come ramo curvato da molte nevi allegra come falà per colline d'oblio,

Pieuse comme la branche ployée par tant de neiges joyeuse comme un bûcher sur des collines d'oubli,

su acutissime làmine in bianca maglia d'ortiche, ti insegnerà, mia anima, questo passo d'addio...

sur des lames acérées en blanche tunique d'orties je t'apprendrai, mon âme, ce pas d'adieu...

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QUADERNETTO

PETIT CAHIER

Un anno... Tratteneva la sua stella il cielo dell'Avvento. Sulla bocca senza febbre o paura la mia mano ti disegnava, oscura, una parola. E la sfera dell'anima e dell' anno vibrava in cima a uno zampillo d'oro alto e sottile, il sangue. Ne tremavano sorridenti gli sguardi — all'accostarsi buio di quel guardiano incorruttibile che nei giardini chiude le fontane. Capodanno '53-'54

Une année... Le ciel de l'Avent retenait son étoile. Sur la bouche sans fièvre ni peur ma main te traçait, obscure, une parole. Et la sphère de l'âme et de l'année vibrait au sommet d'une gerbe d'or haute et légère, le sang. Les regards en tremblaient, souriants — à l'approche noire de l'incorruptible gardien qui dans les jardins ferme les fontaines. Jour de l'an 1953-1954

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Biglietto di Natale a M.L.S.

Carte de Noël à M.L.S.

Maria Luisa quante volte raccoglieremo questa nostra vita nella pietà di un verso, come i Santi nel loro palmo le città turrite?

Maria Luisa combien de fois recueillerons-nous notre vie dans la piété d'un vers, comme les Saints dans leur paume les villes tourellées?

La primavera quante volte turbinerà i miei grani di tristezza dentro le piogge, fino alle tue orme sconsolate — a Saint-Cloud, sulla Giudecca?

Combien de fois le printemps fera-t-il dans les pluies tournoyer les grains de ma tristesse, jusqu'à tes traces désolées — à Saint-Cloud, sur la Giudecca?

Non basterà tutto un Natale a scambiarci le favole più miti: le tuniche d'ortica, i sette mari, la danza sulle spade.

Tout un Noël ne nous suffira pas pour échanger les contes les plus doux: les tuniques d'ortie, les sept océans, la danse sur les épées.

«Mirabilmente il tempo si dispiega...» ricondurrà nel tempo questo minimo corso, una donna, un àtomo di fuoco: noi che viviamo senza fine. Ognissanti '54

«Merveilleusement le temps se déplie...» il ramènera dans le temps cet infime cours, une femme, un atome de feu: nous qui vivons sans fin. Toussaint 1954

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Il maestro d' arco

Le maître archer

Tu, Assente che bisogna amare... termine che ci sfuggi e che c'insegui come ombra d'uccello sul sentiero: io non ti voglio più cercare.

Toi, Absent qu'il faut aimer... terme qui nous échappes et nous poursuis comme l'ombre d'un oiseau sur le sentier: je ne veux plus te chercher.

Vibrerà senza quasi mirare la mia freccia, se la corda del cuore non sia tesa: il maestro d' arco zen cosi m'insegna che da tremila anni Ti vede. (Giardino Bonacossi ottobre '54, a B.B.)

Je vibrerai sans presque ajuster ma flèche pourvu que soit tendue la corde de mon c ur: voilà ce que m'enseigne le maître archer zen qui depuis trois mille ans Te voit. (Jardin Bonacossi octobre 1954, à B.B.)

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... Chartres, mais cette fois avec tes statues blessées, frappées par les froides années de nos lointains péchés, Chartres sans cloches, sans jeunes filles en jubilation sous les tilleuls (je voulais alors, rien que de joie, mourir) Chartres prisonnière des corbeaux et des vents comme un rocher dans la mer, un seul rayon cruel pour frapper la joue en larmes de l'un de tes pasteurs — temps et sang ont plu sur toi, cathédrale, sur ta pierre sereine comme une écorce — trempé l'Ange au Cadran et comme le jour noir immobiles les grandes roues, les meules vides de tes arches, sur l'Eure qui charrie la boue...

... Chartres, ma questa volta con le tue statue ferite, percosse dai freddi anni dei nostri peccati lontani, Chartres senza campane, senza fanciulle in giubilo sotto i tigli (allora io volevo, di pura gioia, morire) Chartres incatenata di corvi e di tramontane come una rupe nel mare, un solo raggio crudele a colpire la guancia in lacrime di un tuo pastore — piovuto è tempo e sangue su di te, cattedrale sulla tua pietra serena come una scorza — intriso l'Angelo-Meridiana e come il nero giorno ferme le grandi ruote, le vuote mole dei tuoi archi, sull'Eure che scorre fango... 0 mio giacinto dalla verde foglia nella pianura fumida di pianto. giugno '52-settembre '54

Ô ma jacinthe en sa verte feuille dans la plaine fumante de pleurs. juin 1952 - septembre 1954

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Quartine brevi

Brefs quatrains

I

I (a T. e L.)

(à T. et L.) L'eau médite, hésite entre les croisées... Mais parmi les rayonnages depuis hier s'est égarée une abeille. Et entre les chenets desséchés fragile brille depuis hier une azalée.

Medita l'acqua, dubita fra i vetri… ma s'è smarrita in mezzo agli scaffali da ieri un'ape. E tra gli asciutti alari fragile brilla un'azalea da ieri.

S. Leonardo in Arcetri, premier jour du printemps 1952.

S. Leonardo in Arcetri primo giorno di primavera 1952

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Chansonnette interrompue

Canzoncina interrotta

Là-bas début octobre la marée des feuilles de l'angélique nuit déjà retenait le pied.

Laggiù di primo ottobre la marea delle foglie all'angelica notte già tratteneva il piede.

Sans être vues elles tombaient (là tout était furtif), au clair de lune un figuier lentement murmurait des runes.

Non vedute cadevano (là tutto era furtivo), lento frusciava run al plenilunio un fico.

De ton rêve un chaton égrenait ses énigmes, incomparable véranda, doux Chef du Monde.

Sfilava dal tuo sogno un micio le sue cabale, veranda incomparabile, dolce Capodimondo.

Seule mon heure véhémente lacérait sur la grille les roses... Et une statue renversée

Solo la veemente mia ora lacerava sul cancello le rose... E riversa una statua

mordait peut-être — au tourbillon de ce vol — l'automne, oreiller de mousse …

forse mordeva — al turbine di quel volo — l'autunno, origliere di muschio

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POÈMES ÉPARS POESIE SPARSE Emmaüs Je te chercherai sur cette terre qui tremble, au long des ponts qui désormais nous supportent à peine, sous les pommiers profus et les vignes en flammes. Je voulais m'en aller seule au Mont Athos, je disais: Il demeure des pages comme des tours dans les nids haut perchés qu'une volée de cloche défend.

Emmaus Ti cercherà per questa terra che trema lungo i ponti che appena ci sorreggono ormai sotto i meli profusi, le viti in fiamme. Volevo andarmene sola al Monte Athos dicevo: restano pagine come torri negli alti covi difesi da un rintocco.

Mais à présent tu n'es plus là, tu es entre les grandes ailes incertaines transpercées par le vent, dans les aéroports de lumière. … dans les dents désespérées des amants que ne desserre plus le doux flot, le chemin d'or du fils...

Ma ora non sei più là, sei tra le grandi ali incerte trapassate dal vento, negli aeroporti di luce. nei denti disperati degli amanti che non disserra più il dolce fiotto, la via d'oro del figlio...

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Au delà du temps, au delà d'un lieu

Oltre il tempo, oltre un angolo

What sorrow beside your sadness and what beauty W.C. WILLIAMS

What sorrow beside your sadness and what beauty W.C. WILLIAMS

Tes paupières ont accueilli trop de choses, l'attention a brûlé tes cils. Trop de chemins t'ont répétée, étreinte, poursuivie.

Troppe cose hanno accolto le tue palpebre l'attenzione t'ha consumato le ciglia. Troppe vie t'hanno ripetuta, stretta, inseguita.

La ville depuis des siècles te dévore, mais pour toi s'égare, rêve et débâcle de lumières et de pluies, larmes séniles sur la fille qui passe, fébrile, indomptable, au delà du temps, au delà d'un lieu.

La città da secoli ti divora ma per te travede, sogno e sfacelo di luci e piogge, lacrime senili sulla ragazza che passa febbrile, indomabile, oltre il tempo, oltre un angolo. Ritoma! Gridano i vecchi di Santa Maria del Pianto, la ronda della piscina di Siloè con in cani, gl'ibridi, gli spettri che non si sanno e tu sai radicati con te nel glutine blu dell' asfalto e credono al tuo fiore che avvampa, bianco —

Reviens! crient les vieux de Santa Maria del Pianto, la ronde de la piscine de Siloé avec les chiens, les hybrides, les spectres qui ne savent pas et que toi tu sais enracinés avec toi dans le gluten bleu de l'asphalte, et qui croient en ta fleur qui flambe, blanche —

poiché tutti viviamo di stelle spente.

puisque tous nous vivons d'étoiles éteintes.

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Sindbad

Sindbad

L'aria di giorno in giorno si addensa intorno a te di giorno in giorno consuma le mie palpebre. L'universo s'è coperto il viso ombre mi dicono: è inverno. Tu nel vergine spazio dove si cullano isole negligenti, io nel terrore dei lillà, in una vampa di tortore, sulla mite, domestica strada della follia.

L'air de jour en jour s'épaissit autour de toi, de jour en jour consume mes paupières. L'univers s'est couvert le visage, des ombres me disent: C'est l'hiver.

Si stivano canapa, olive mercati e anni... Io non chino le ciglia. Mezzanotte verrà, il primo grido del silenzio, il lunghissimo ricadere

S'entassent chanvre, olives, marchés et années. Je ne baisse pas les yeux. Minuit viendra, le premier cri du silence, la très longue retombée

del fagiano tra le sue ali.

du faisan entre ses ailes.

Toi dans le vierge espace où se bercent de nonchalantes îles, moi dans la terreur des lilas, dans une flambée de tourterelles sur la douce, familière route de la folie.

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Eté indien

Estate indiana

Octobre, fleur de mon péril printemps chaviré dans les fleuves.

Ottobre, fiore del mio pericolo — primavera capovolta nei fiumi.

Parfois la mort même m'est indifférente — l'érable a interrompu son vol, les feux s'obscurcissent — parfois m'assaille la terreur d'exister, rayonnante, comme l'aster rouge.

Un'ora m'è indifferente fino alla morte — l'acero ha il volo rotto, i fuochi annebbiano — un'ora il terrore di esistere mi affronta raggiante, come l'astero rosso. Tutto è già noto, la marea prevista, pure tutto si ottenebra e rischiara con fresca disperazione, con stupenda fermezza...

Tout est déjà connu, la marée prévue, pourtant tout s'enténèbre et s'éclaire d'un frais désespoir, d'une merveilleuse fermeté...

La luce tra due piogge, sulla punta di fiume che mi trafigge tra corpo e anima, è una luce di notte — la notte che non vedrò — chiara nelle selve.

La lumière entre deux pluies, sur la pointe de fleuve qui me transperce entre corps et âme, est une lumière de nuit — la nuit que je verrai pas — claire dans les forêts.

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Elégie de Portland Road

Elegia di Portland Road

Chose défendue, obscure, le printemps.

Cosa proibita, scura la primavera.

Des années j'ai marché au long de printemps plus obscurs que mon sang. Maintenant reviennent sur la Tamise sur le Tibre les enfants transpercés de grands lys les petites mères dans leurs nids d'acacias l'heure éternelle sur d'éternelles métropoles qui déjà se détachent, tremblent comme des navires prêts à l'adieu. Chose défendue, obscure, le printemps. Je vais sous les nuages, parmi les cerisiers si légers que presque absents déjà. Qu'y a-t-il qui ne soit presque absent à part moi, morte depuis si peu, flamme libre? (Et au c ur du buisson s'enflamment à nouveau les vivants dans le rire, la splendeur, comme tu te les rappelles, comme encore tu les implores).

Per anni camminai lungo primavere più scure del mio sangue. Ora tornano sul Tamigi sul Tevere i bambini trafitti dai lunghi gigli le piccole madri nei loro covi d'acacia l'ora eterna sulle eterne metropoli che già si staccano, tremano come navi pronte all'addio... Cosa proibita scura la primavera. Io vado sotto le nubi, tra ciliegi cosi leggeri che già sono quasi assenti. Che cosa non è quasi assente tranne me, da cosi poco morta, fiamma libera? (E al centro del roveto riavvampano i vivi nel riso, nello splendore, come tu li ricordi come tu ancora implori).

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Missa Romana

Missa Romana

I

I

Plus démuni que le lys dans le lumineux suaire il gravit le Calvaire théologal pénètre le buisson crépitant des millénaires se cache dans l'odorante nuée de la langue.

Più inerme del giglio nel luminoso sudario sale il Calvario teologale penetra nel roveto crepitante dei millenni si occulta nell'odorosa nube della lingua.

Courbé par de terribles vents il baise en silence les plaies sacrées élève et montre les pures paumes transpercées mendie la paix entre pouce et index il tend un fil sur l'abîme du Verbe.

Curvato da terribili venti bacia sacre piaghe in silenzio eleva e mostra pure palme trapassate mendica pace tra pollice e indice tende un filo sull'abisso del Verbo. Dagli ossami dei martiri tritume di gaudio cresce la radice du Jesse sboccia nel calice rovente

Des ossements des martyrs débris de joie croît la racine de Jessé elle s'épanouit dans le calice ardent

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et dans la lune blanche croisée de sang étendard qui se levant lui brise les genoux.

e nella bianca luna crociata di sangue e stendardo che sorgendo gli fiacca i ginocchi. Sulla pietra angolare ci spezza la morte la eleva all'orizzonte delle lacrim la posa con materno terrore su stimmate di labbra a medicare la vita.

Sur la pierre angulaire il rompt la mort l'élève à l'horizon des larmes la pose avec une terreur maternelle sur des stigmates de lèvres pour guérir la vie.

Intorno al pasto mortale tra i lembi del Dio sibilano serpenti addentano il corporale ai quattro angoli del conopeo si arrotolano i fogli dei cieli crepe saettano nei pilastri.

Autour du repas mortel parmi les lambeaux de Dieu des serpents sifflent, mordent le corporal aux quatre coins du conopée s'enroulent les feuilles des cieux des fissures éclatent dans les piliers.

Ossessi alla porta nel profumo di peste mimano e vendono con lazzi agli infermi e deformi della probatica vasca la sua soave maschera di suppliziato.

Des possédés à la porte dans le parfum de peste miment et vendent en bouffonnant aux infirmes et estropiés de la piscine probatique son doux masque de supplicié.

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II

II

Falconiere del Cielo sulla cui mano alzata piomba l'eterno Predatore avido di prigione...

Fauconnier du Ciel sur la main levée de qui fond l'éternel Prédateur avide de prison...

III

III

Dove va questo Agnello che ai vergini è dato seguire ovunque vada dove va questo Agnello stante diritto e ucciso sul libro dei segnati ab origine mundi ?

Où va-t-il cet Agneau qu'aux vierges il est donné de suivre où qu'il aille, où va-t-il cet Agneau droit debout et abattu sur le livre des élus ab origine mundi ?

Non si puà nascere ma si puà restare innocenti.

On ne peut naître mais on peut rester innocent.

Dove va questo Agnello che a noi gli ucciditori non è dato seguire coi segnati né fuggire ma singhiozzando soavemente concepire nel buio grembo della mente

Où va-t-il cet Agneau qu' à nous ses meurtriers il n'est donné de suivre avec les élus ni de fuir mais sanglotant doucement de concevoir dans le sein noir de l'esprit

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usque ad consummationem mundi ?

usque ad consummationem mundi?

Non si puè nascere ma

On ne peut naître mais

si pub morire innocenti.

on peut mourir innocent.

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La Tigre Assenza

Le Tigre Absence

pro patre et matre

pro patre et matre Hélas le Tigre, le Tigre Absence, ô mes aimés, a tout dévoré de ce visage retourné vers vous ! Seule la bouche pure encore vous prie: de prier encore pour que le Tigre, le Tigre Absence, ô mes aimés, ne dévore la bouche et la prière...

Ahi che la Tigre, la Tigre Assenza, o amati, ha tutto divorato di questo volto rivolto a voi ! La bocca sola pura prega ancora voi: di pregare ancora perché la Tigre, la Tigre Assenza, o amati, non divori la bocca e la preghiera...

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Diario bizantino

Journal byzantin

I

I

Due mondi — e io vengo dall'altro.

Deux mondes — et moi je viens de l'autre.

Dietro e dentro le strade inzuppate dietro e dentro nebbia e lacerazione oltre caos e ragione porte minuscole e dure tende di cuoio, mondo celato al mondo, compenetrato nel mondo, inenarrabilmente ignoto al mondo, dal soffio divino un attimo suscitato, dal soffio divino subito cancellato, attende il Lume coperto, il sepolto Sole, il portentoso Fiore.

Derrière et dans les rues trempées derrière et dans brume et lacération au delà de chaos et raison portes minuscules et rudes tentes de cuir, monde caché au monde, imprégnant le monde, inénarrablement ignoré du monde, par le souffle divin un instant suscité, par le souffle divin aussitôt effacé, il attend la Lumière voilée, le Soleil enseveli, la prodigieuse Fleur. Deux mondes — et moi je viens de l'autre.

Due mondi — e io vengo dall'altro.

Le seuil, ici, n'est pas entre monde et monde ni entre corps et âme, c'est le tranchant vivant et efficace plus aiguisé que la double lame qui creuse

La soglia, qui, non è tra mondo e mondo né tra anima e corpo, è il taglio vivente ed efficace più affilato della duplice lama che affonda

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jusqu'à séparation de l'âme véhémente d'avec le délicat esprit — jusqu'à ce que le noyau bien détaché roule dans la chair — et des jointures d'avec les os et des tendons d'avec la moelle: la lame qui discerne du c ur les terribles intentions les violentes hésitations.

sino alla separazione dell'anima veemente dallo spirito delicato — finché il nocciolo ben spiccato ruoti dentro la polpa — e delle giunture dagli ossi e dei tendini dalle midolla: la lama che discerne del cuore le tremende intenzioni le rapinose esitazioni.

Deux mondes — et moi je viens de l'autre.

Due mondi — e io vengo dall'altro.

Ô clé qui ouvres sans fermer, fermes sans ouvrir et conduis tendrement le vaincu hors des murs de la prison et hors de l'ombre de la mort et le sans-logis sous les porches lumineux des mille yeux impassibles de qui a jusqu'au terme souffert et des mains contre la nuit dressées dans le saint idéogramme de la bénédiction — dessinées redessinées selon les huit tons qui séparent les huit cieux avec l'érotique encens et le funeste myron au centre de la poitrine, au centre du Soleil, là où le Nom — chrême répandu est Ton Nom! — ravit en un immobile tourbillon à la vie de ce monde et du monde de la mort fait jaillir des sens nouveaux.

0 chiave che apri e non chiudi, chiudi e non apri e conduci teneramente il vinto fuor della casa del carcere e fuor dell'ombra della morte e il senzatetto negli atri luminosi dei mille occhi impassibili di chi ha compiutamente patito e delle mani contro la notte levate nel santo ideogramma della benedizione — disegnati ridisegnati secondo gli otto toni che separano gli otto cieli con l'erotico incenso e il ferale myron, al centro del petto, al centro del Sole, là dove il Nome — myron effuso è il Tuo Nome ! — rapisce in vortice immoto alla vita del mondo, zampilla nuovi sensi dal mondo della morte.

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II Un à un sont allumés les visages aux racines millénaires de la forêt d'icônes, pour faire de ce jour nuit, neige et étoiles, pour faire de ces ténèbres roses — roses plus transparentes que rosée. Et la flamme éclôt comme le baiser à l'icône et le baiser éclôt comme la rose dans l'icône, sommets de la lymphe de la terre sommets du souffle de l'amour. Mais la Lune ici éclôt dans le Soleil, la Lune enfante le Soleil.

Uno a uno vengono accesi i volti alle radici millenarie della selva d'icone, per fare di giorno notte, neve e stelle, per far della tenebra rose — più che rugiada trasparenti rose. E la fiamma sboccia corne il bacio all'icona e il bacio sboccia come la rosa all'icona, culmini della linfa della terra, culmini del respiro dell'amore. ma la Luna qui sboccia nel Sole, la Luna partorisce il Sole. Alla pesante pioggia dell'altro mondo s'intesse il soave scrosciare delle dalmatiche di questo mondo, l'altero volo dei veli di questo mondo inenarrabilmente ignoto al mondo. Estatici allarmi ed appelli d' angeli ministranti : Le porte! Le porte! escano i catecumeni! Tre volte beato l'inno, tre volte divina la folgore teologica dei Cherubini, ingiunge di deporre, disperdere dimenticare ogni sollecitudine mondana. Nessun catecumeno rimanga!

A la lourde pluie de l'autre monde se tisse le doux crépitement des dalmatiques de ce monde, le vol altier des voiles de ce monde inénarrablement ignoré du monde. D'extatiques alarmes et appels d'anges servants: Les portes! Les portes! que sortent les catéchumènes! Trois fois bienheureux l'hymne, trois fois divine la fulguration théologique des Chérubins, il ordonne de déposer, disperser oublier tout souci mondain Que ne demeure aucun catéchumène!

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Ô impériale fragrance, huile de rose bulgare qui mystérieusement entr'ouvres entre les cils humectés l' il du front, l' il du c ur, l' il du Nom chrême répandu est Ton Nom! Macéré avec soixante arômes sur un feu de vieilles icônes éteintes de baisers, de flammes et de larmes, à travers les éons des éons trois nuits tournées trois jours sur les spirales du Verbe, tu distilles l'heure lumineuse autour du trône du Basileus mort, de l'immortel Pontife: qui tragiquement s'arme, vol suspendu de l'aigle au-dessus de l'aigle gnostique de la ville inviolée de la tête à la main, à la jambe, pour la terrifiante opération. Il est temps de commencer, Despote saint... Que ne demeure aucun catéchumène! Roue très lente autour et fulgurante, sidérale et sauvage, danse d'anges et de guépards...

0 imperiale fragranza, olio di rosa bulgara che misteriosamente dischiudi tra ciglia umettate l'occhio della fronte, l'occhio del cuore, l'occhio del Nome myron effuso è il Tuo nome! Macerato con sessanta aromi su un fuoco di vecchie icone estinte da baci da fiamme e da lacrime per gli eoni degli eoni ruotate tre notti tre giorni sulle spirali del Verbo, stilli ora luminosa intorno al trono del Basileo morto dell'immortale Archiereo: che tragicamente s'arma, aquila librata sopra la gnostica aquila della città inviolata dal capo alla mano alla gamba per la terrificante operazione. Tempo è di cominciare, Despota santo... Nessun catecumeno rimanga! Ruota lentissima intorno e folgorante siderale e selvaggia danza d'angeli e di ghepardi...

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Pànico centrifugo e centripeto rapimento dei cinque sensi nel turbine incandescente: spezzato, aperto di forza l'orecchio dell'intendimento dalla ritmata percossa delle catene d'argento; poi, nel cosmico manto dei tre fiumi e dei quattro quadranti dalla lenta inaudibile benedizione: poiché qui Dio non parla nel vento, Dio non parla nel mono: parla in un piccolo alito e ci si vela il capo per il terrore.

Panique centrifuge et centripète ravissement des cinq sens dans l'incandescent tourbillon: brisée, ouverte de force l'oreille de l'entendement par le choc rythmé des chaînes d'argent; puis, dans le manteau cosmique des trois fleuves et des quatre cadrans, par la lente, inaudible bénédiction: car ici Dieu ne parle pas dans le vent, Dieu ne parle pas dans le tonnerre: il parle en un souffle léger et de terreur on se voile la tête.

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III

III

Ô despote blessé qui de ton bistouri d'or à chaque soleil tranches dans le rond Soleil l'inguérissable Agneau, tranches la Lune souveraine, tranches les étoiles fixes et les galaxies opposées (pain de salut, pain de paix !) des vivants sur les deux versants de la mort! Terrible que dans nos regards s'enfonce l'impassible regard de Celui qui a jusqu'au terme souffert, de Celui qui de la même main donne et est donné, en brisant est brisé, en immolant est immolé, mangé et jamais consommé (avec désir j'ai désiré...). Terrible qu'à chacun soit à nouveau irrévocablement assigné à travers les éons des éons comme dans l'Eden son pain et son nom.

0 despota ferito che col bisturi d'oro ad ogni sole tagli nel tondo Sole l'Agnello immedicabile, tagli la Luna sovrana, tagli le Stelle fisse e le opposte galassie (cibo di salute, cibo di pace !) dei vivi sui due versanti della morte! Tremendo è che nei nostri sguardi affondi l'impassibile sguardo di Chi ha compiutamente patito, di Chi con la stessa mano imparte ed è impartito, e spezzando è spezzato, immolando immolato, mangiato e mai consumato (con desiderio ho desiderato...) Tremendo che a ciascuno sia di nuovo irrevocabilmente assegnato per gli eoni degli eoni come nell'Eden il suo nome e il suo cibo.

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Face contre terre les incorporelles Légions, les Archistratèges de lumière, nos dents s'enfoncent dans la chair des cieux... Mais nos bouches jamais sevrées, à jamais ruisselantes de la pourpre de la gloire aveuglément donnée, aveuglément reçue, s'obstinent à implorer (avec désir j'ai désiré) pour toi, pour toi, seigneur la paix qui est au-dessus de toute raison, de tout entendement, toute trahison: la paix que nous ne pouvons te donner... Tout au long du jour tout au long du chemin qui mène à ce monde et efface tout chemin qui mènerait à ce monde le long de la rude tente de pluie et de lacération de chaos et de raison, au long des deux fils de la double lame d'intentions et d'hésitations comme toi, comme toi, seigneur, nous sommes livrés à cette mort qui avec plus de dents que l'amour mord et sépare la rose d'avec le baiser et la flamme, et d'avec les étoiles les neiges et l'émotion d'avec l'intellection, et recompose le monde mais atrocement, mais comme à travers le feu, pour celui qui, Despote pur, par le Nom pur sera sauvé, et par le Soleil enseveli et par le terrible Don.

Faccia a terra le incorporee Legioni, gli Arcistrateghi di luce, i nostri denti affondano nelle carni dei cieli... Ma le nostre bocche mai svezzate, in eterno grondanti la purpurea gloria ciecamente donata e ciecamente ricevuta, si ostinano a impetrare (con desiderio ho desiderato) per te, per te, signore, la pace che sovrasta ogni ragione, ogni intendimento, ogni tradimento: la pace che non ti possiamo dare... Lungo l'intero giorno, lungo l'intera via che porta a questo mondo e cancella ogni via che porti a questo mondo, lungo la dura tenda di pioggia e lacerazione di caos e di ragione, lungo i due fili della duplice lama di intenzioni e di esitazioni come te, come te, signore, noi siamo consegnati a quella morte che con più denti dell'amore morde e separa la rosa dal bacio e dalla fiamma e dalle stelle le nevi e l'emozione dall'intellezione e il mondo ricompone ma atrocemente, ma come attraverso il fuoco, per chi, Despota puro, dal puro Nome sarà salvato e dal sepolto Sole e dal tremendo Dono 69

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IV

IV

Dans l'or et l'azur de cet infime cosmos alvéole d'un très vieux colombier, gyrum coeli circuisti sola parole nouveau-née du kleine, waffenlose Dichterin! Une heure durant dans les pavillons de ton Créateur le cercle du ciel, gyrum coeli, en jouant t'a été rendu l'anneau blanc de San Vitale la constellation souverainement immobile, souverainement ordonnée autour du soleil du seigneur temporel et du seigneur spirituel: les cent yeux des chérubins fixés non sur toi mais sur les augustes déserts que tu devras traverser qui te devront traverser. Depuis les bords infinis sur le pallium laiteux de Maximilien jusqu'à la stola de l'enfant, couleur de feuille, frangée de noir qui, rose — rose transparente plus que neige — laisse trembler sur le cierge la flamme tel un baiser laisse trembler l' aër, neige légère, et le velours pourpre sur le Calice qu'il ne nous est pas donné cinquante jours durant fût-ce de contempler... Ô Coupe des Mystères qui bouillonne sans déborder, comme ton sang, miroir de ton Soleil ! ô silence des cantiques, quand le c ur est pulvérisé! Brûlante, céleste, douleur cadencée que, nouveau-née, jouant devant ton Créateur, circuisti sola.

Nell'oro e nell'azzurro di questo minimo cosmo loculo d'antichissimo colombario, gyrum coeli circuisti sola, neonata parola du kleine, waffenlose Dichterin ! Per un'ora nei padiglioni del tuo Creatore gyrum coeli giocando ti fu ridato l'anello bianco di San Vitale la costellazione sovranamente immota, sovranamente ordinata intorno al sole del temporale signore e del signore spirituale: i cento occhi cherubinici non fissi su di te ma sugli augusti deserti che dovrai traversare che ti dovranno traversare. Dai cigli sconfinati sopra il latteo pallio di Massimiliano alla stola color foglia del fanciullo di frange nere che, rosa — più che neve trasparente rosa — lascia tremar sul cero la fiamma come un bacio, lascia tremar l'aër, neve leggera, e lo sciàmito purpureo sul Calice che non è dato durante cinquanta giorni nemmeno contemplare... 0 Coppa dei Misteri che bolle e non trabocca, come il tuo sangue, specchio del tuo Sole! o tacere dei canti, polverizzato il cuore ! Cocente, celestiale, cadenzato dolore che, neonata, giocando dinanzi al tuo Creatore, circuisti sola. 71

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Nobilissimi ierei

Très nobles hiérarques

Nobilissimi ierei, grazie per il silenzio, l'astensione, la santa gnosi della distanza, il digiuno degli occhi, il veto dei veli, la nera cordicella che annoda ai cieli con centocinquanta volte sette nodi di seta ogni tremito del polso, l'augusto cànone dell' amore incommosso, la danza divina del riserbo: incendio imperiale che accende come in Teofane il Greco e in Andrea Diacono, di mille Tabor l'oro delle vostre cupole, apre occhi del cuore negli azzurrissimi spalti, riveste i torrioni di Sangue... Che prossimità spegne come pioggia di cenere.

Très nobles hiérarques, merci pour le silence, l'abstention, la sainte gnose de la distance, le jeûne des yeux, le veto des voiles, la noire cordelette qui noue aux cieux de cent cinquante fois sept nceuds de soie chaque tremblement du pouls, l'auguste règle de l'amour introublé, la danse divine de la réserve: impérial incendie qui embrase, comme en Théophane le Grec et André le Diacre, de mille Thabor l'or de vos coupoles, ouvre les yeux du c ur sur les glacis d'azur, et revêt de Sang les donjons... Que la proximité éteint comme une pluie de cendres.

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Mattutino del venerdi santo

Matin du vendredi saint

Nella carne addormentato... Dio mono, Dio immortale. Magistrale discorso l'altare vuoto e spoglio al centro di un Cespuglio Ardente di bocci e braci e proni volti in fiamme. Come il tremendo foglio d'agnello bianco incorniciato di tragiche gemme — Dio immortale, Dio modo — dove, grazia o condanna, solo intingendo nella cruenta porpora era dato firmare al càlamo dell'Autocrate.

Dans la chair endormi... Dieu mort, Dieu immortel. Magistral discours l'autel nu, dépouillé au centre d'un Buisson Ardent de fleurs en boutons et de braises et de faces prosternées en flammes. Comme la terrible feuille d' agneau blanc encadrée de tragiques gemmes — Dieu immortel, Dieu mort — sur laquelle, grâce ou condamnation, au calame de l'Autocrate il n'était donné de signer que trempé dans la pourpre sanglante.

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Moines aux icônes Monaci alle icone Macaire l'hypodiacre, tresses tordues sur l'innocente nuque, au pied des icônes se roule comme un chiot d'or. L'higoumène Isaac, la barbe inflexiblement horizontale, dépose à terre sa vie devant l'azur de la Mère. Avec trois petits signes de croix consternés, Irénée baise en tremblant trois endroits de la scène salvatrice. Mais le jeune Grégoire? De ses mains plus pures que jamais le vierge bouleau, il entoure comme le visage le plus aimé, le plus inconsolablement aimé, le Saint Suaire; et le très long baiser, les yeux fermés, après le très long regard, n'est plus baiser à une icône n'est plus baiser à une icône.

Macario l'iopodiacono, trecce attorte sull'incolpevole nuca, si rotola a piè delle icone come un cucciolo d'oro. L'igùmeno Isacco, inflessibilmente orizzontale la barba, depone a terra la vita dinanzi all'azzurra Madre. Con tre piccoli, costernati segni di croce, Ireneo bacia tremando tre luoghi della salvifica scena. Ma il giovane Gregorio? Con mani che mai fu più pura la vergine betulla, circonda come il volto più amato, più inconsolabilmente amato la Divina Veronica; e il lentissimo bacio a occhi chiusi, dopo il lunghissimo sguardo, non è più bacio a un'icone non è più bacio a un'icone.

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Canon IV

Canone IV

Le Terrible, connaissant l'esprit flexible comme le saule au vent de l'idolâtrie, ayant transfusé dans la divine icône son indicible regard sur les hommes, voulut un jour subtilement éprouver son ancien il de chair, transfusant un éclair du suprême Masque en un visage de chair: centre caché dans le cercle, essence dans la présence, rivage insaisissablement découvert et recouvert de la Ressemblance, horizon fixe de l'Image, au carrefour du temps et de l'éternel, là où la Beauté la Beauté à double lame, la délicate, la meurtrière, est posée entre l'altière douleur et la sainte humiliation, l'éblouissement salvateur et la brûlure, pour la vivante, efficace séparation de l'esprit et de l'âme, de la moelle et la jointure de la passion et la parole...

Il Tremendo, conoscendone l'animo pieghevole come il salice al vento dell'idolatria, trasfuso ch'ebbe nella divina icone il suo indicibile sguardo sugli uomini, volle talora sottilmente provarne l'antico occhio di carne, un lampo trasfondendo della suprema Maschera in un volto di carne: centro celato nel cerchio, essenza nella presenza, lido inafferrabilmente coperto e riscoperto della Somiglianza, fermo orizzonte dell'Immagine, all'incrocio del tempo e dell'eterno, là dove la Bellezza, la Bellezza a doppia lama, la delicata, la micidiale, è posta tra l'altero dolore e la santa umiliazione, il barbaglio salvifico e l'ustione, per la vivente, efficace separazione di spirito e anima, di midolla e giuntura, di passione e parola...

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0 quanto ci sei duro Maestro e Signore ! Con quanti denti il tuo amore ci morde ! Ciè che dal tuo temibile pollice luminoso è segnato spazio ducale tra due sopraccigli, emisferi cristallini di tempie, sguardi senza patria quaggiù, silenzi più remoti dell'uranico vento — ancora e ancora, scoperta e riscoperta la tua Cifra per ogni angolo della terra, per ogni angolo dell'anima da te è gettata, da te è scagliata: a testimoniare, a ferire, a insolubilmente saldare a inguaribilmente separare.

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Ô comme tu es dur pour nous Maître et Seigneur! De combien de dents ton amour nous mord ! Ce qui de ton terrible pouce lumineux est marqué espace ducal entre deux sourcils, hémisphères cristallins des tempes, regards sans patrie ici-bas, silences plus lointains que le vent uranien — encore et encore, découvert et redécouvert ton Chiffre à chaque coin de la terre, à chaque coin de l'âme est par toi jeté, par toi lancé: pour témoigner, pour blesser, pour indissolublement souder pour inguérissablement séparer.

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Radonitza

Ràdonitza

(Annonce de la Pâque aux morts)

(Annuncio della Pasqua ai morti)

Vent de printemps transparent comme l'épée: du sépale effilé il exile le bouton carminé, tremblant encore, comme de l'âme l'esprit, de la veine le sang. L'hiver, tige cachée qui berça les intentions, incuba les mortelles hésitations, fauche sans un cri; retranche les vieillesses psychiques de la terrible vie. Pâque d'incorruption! Dans le vent printanier l'antique et indivise église annonce aux morts qu'indivise est la vie: sur des pierres d'hypogée pose les sépales, tremblants encore, et au centre, au plexus, au c ur, là où est enseveli le Soleil, là où est enseveli le Don, le petit uf carmin de l'éternel retour, de l'humble, irreconnaissable

Vento di primavera traslucido come spada: esilia dal sépalo affilato il boccio cremisi che ancora trema, come dall'anima lo spirito, il sangue dalla vena. L'inverno, occulto stelo che cullè le intenzioni, incubà le mortali esitazioni, falcia senza un grido; le psichiche vecchiezze recide dalla terribile vita. Pasqua d' incorruzione ! Nel vento di primavera l'antica chiesa indivisa annuncia ai morti che indivisa è la vita: su lapidi d'ipogei posa i sépali che ancora tremano e al centro, al plesso, al cuore, là dov'è sepolto il Sole, là dov'è sepolto il Dono, il piccolo uovo cremisi del perenne tornare, dell'umile, irriconoscibile

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retour transmué. Pâque qui délies toute peine!

trasmutato tornare. Pasqua che sciogli ogni pena!

Paradoxal désert d'un cimetière métropolitain entre les douces ailes des hirondelles et les voiles: cinquième ton, cri des boyards à bride abattue, l'épée nue dans la Cité céleste reconquise à laquelle s'accroche et s'enroule, huitième to — comme à la vivifiante, vénérable Croix du Pontife la rose tremblante encore — la très tendre et funèbre complainte: Pâque, mémoire éternelle!

Paradossale deserto di un cimitero metropolitano tra morbidissime ali di rondini e veli: quinto tono, grida di boiardi a briglia sciolta, a spada snudata nella celeste Città espugnata, cui si intreccia ed attorce, ottavo tono, come alla vivificante, venerabile Croce dell'Archiereo la rosa che ancora trema — il tenerissimo compianto funebre: Pasqua, memoria eterna! Patetica, patrizia morte della morte metropolitana testimoniata da poche e immote bambole di Corte asiatica: cremisi argento e oro. Palpebre scavate, palpebre affilate, sguardi fissi, incollati, radicati sugli ipogei d'ogni terra, ogni memoria, ogni stirpe, ogni morente psiche. Fazzoletti tergono furtivi gli angoli della bocca che riga come sangue il divino grido, le barbe riarse dall'acqua inesauribile della notizia tremenda: Pasqua, memoria eterna!

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Pathétique, patricienne mort de la mort métropolitaine attestée par quelques poupées figées de Cour asiatique: carmin argent et or. Paupières creusées, paupières effilées, regards fixes, collés, enracinés aux hypogées de toute terre, toute mémoire, toute race, toute psyché mourante. Des mouchoirs furtivement essuient les coins de la bouche que raie comme du sang le cri divin, les barbes brûlées par l'eau inépuisable de la terrible nouvelle: Pâque, mémoire éternelle!

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Cristina Campo

Cristina Campo déclarait elle-même qu'elle avait peu écrit mais qu'elle eût aimé avoir encore moins écrit. Prise entre la fascination du silence et celle de l'expression, s'interrogeant sur le bien-fondé de l'écriture avant et pendant la période créative, elle ne pouvait proférer que des paroles exactes et rares. Si cette «trappiste de la parole» cède à la tentation du logos c'est moins parce qu'elle ne peut se détacher de certaines choses, dit-elle encore, que parce que certaines choses ne peuvent se détacher d'elle. Ses réticences, autant que la brièveté de sa vie, expliquent et justifient l'économie de l' uvre: quelques poèmes dispersés dans des revues, deux petits textes en prose publiés de son vivant, puis une uvre posthume au titre énigmatique, Les impardonnables qui rassemble des articles écrits entre 1962 et 1972. Le tout tient dans un volume de taille moyenne, mais un volume qui peut se permettre d'être unique. À son propos la critique italienne a parlé de «fleur indéfinissable et inclassable». S'y mêlent en effet des textes que l'on ne peut qualifier d'essais littéraires tant ils débordent ce genre pourtant souple, ni d'essais philosophiques car ils n'émettent aucune théorie, ne dispensent aucune directive : ils questionnent, suggèrent sans jamais trancher ou affirmer, ils passent en toute liberté, au gré d'une vaste culture, du conte de fée au chant grégorien, des Pères du désert à Chopin, du rite byzantin à Borges... sujets courants sans doute mais pris sous un angle inhabituel, portés à une hauteur insolite. De même que le tapis, symbole du destin humain, traduit clairement par sa surface colorée ce que les fils confusément noués préfigurent, les personnages et les thèmes apparemment indépendants, étrangers l'un à l'autre, convergent tous vers une seule et même recherche de la perfection. 87

Et si les chemins qui y conduisent empruntent ceux des plus hautes valeurs humaines : justice, beauté, poésie, les qualités requises pour les parcourir sont modestes, et sans doute peu prisées dans notre monde hâtif et clinquant puisqu'il s'agit avant tout de la patience et de l'attention: «Devant le réel l'imagination recule, en revanche l'attention le pénètre... l'attention est attente, acceptation fervente, impavide, du réel, l'imagination est impatience, fuite dans l'arbitraire, éternel labyrinthe sans fil d'Ariane... » Ceux qui possèdent en abondance ces dons sûrs et discrets sont le poète et le saint, tous deux médiateurs entre Dieu et l'homme, l'homme et la nature, l'homme et l'homme. Mais les saints que révère Cristina Campo n'ont rien à voir avec les chromos sulpiciens, ils sortent tout droit des enluminures sacrées. Si sa foi exigeante et austère est, dans sa plus haute acceptation, «massacre et crucifixion des destins », elle n'en est pas moins colorée, concrète et joyeuse — puisque tout ce qui est gai est divin. Le poète, lui qui était d'abord là pour nommer les choses, semble aujourd'hui n'être présent que pour prendre congé d'elles: c'est donc à lui de les écrire « sur de l'eau» avant qu'elles ne s'effacent. En lisant les étranges poèmes de Cristina Campo, très peu nombreux, si denses, tellement clos sur euxmêmes qu'on les pénètre par autre chose que par la raison, on comprendra que leur auteur définisse la pure poésie, « grand sphinx au visage illuminé», comme hiéroglyphe et beauté, inséparables et indépendants. On doit sentir la justesse d'un texte bien avant d'en avoir compris le sens. Le poète, comme le saint, est aussi un peu acrobate: pour tirer de son effort passé de nouvelles illuminations, il doit faire comme le baron de Münchhausen qui, voulant atteindre la lune, coupait sous lui la corde pour la tendre vers l'astre. En rapprochant de cette image celle, plus grave, du Chinois qui marchait à la mort en lisant, symbole de la valeur de la lecture (« chaque ligne lue est profit »), en rassemblant quelques préceptes tirés de la sagesse orientale: savoir faire des vides, savoir effacer, ne pas boire 88

Vittoria Guerrini, qui prendra en 1956 le pseudonyme de Cristina Campo, est née à Bologne le 28 avril 1923. Son père, Guido Guerrini, est chef d'orchestre. Sa mère, Emilia Putti, est la s ur d'un chirurgien orthopédiste renommé. C'est ainsi que Vittoria et ses parents se trouveront habiter jusqu'en 1929 dans le parc de l'hôpital Rizzoli à Bologne, auprès de l'éminent professeur. La fréquentation quotidienne des infirmes qui y sont traités marquera durablement la sensibilité de l'enfant. sans soif et ne pas manger sans faim, chercher sans espoir l'inespéré, le lecteur se trouve en face de germes de réponses, proposées, jamais imposées, à la vaste question que pose le Livre unique de Cristina Campo : « Comment prendre le monde? » Jeune femme au corps fragile, moitié-sainte moitié-poète, elle tente avec toute la force de son esprit d'introduire dans le concert assourdissant de notre monde le son de la flûte, sa propre voix, que l'on peut définir, en reprenant les qualificatifs qu'elle attribue elle-même à Marianne Moore, comme: « simple, rare, subtile, royale, vertigineuse, limpide, patiente, rigoureuse, décidée, austère, essentielle, ferme, érudite et discrète ». Monique Baccelli

Guido Guerrini étant nommé à la direction du Conservatoire Cherubini de Florence, la famille quittera enfin l'hôpital Rizzoli pour s'établir dans cette ville et y passera les années de guerre. Souffrant d'une malformation cardiaque, Vittoria ne fera qu'une brève expérience de la scolarité. C'est directement dans les livres des poètes qu'elle apprend l'anglais et l'allemand. Elle se lie d'amitié avec Anna Cavalotti avec qui elle partage une même passion pour la lecture et l'écriture. Anna Cavalotti meurt dans un bombardement en 194-3. Vittoria conservera le journal de son amie et en publiera quelques années plus tard des extraits dans la revue littéraire du Corriere dell'Adda. En 1943-1944 paraissent ses deux premières traductions : Conversations avec Sibelius de B. von Tôrne et Une tasse de thé et autres nouvelles de Katherine Mansfield. Grâce à Leone Traverso, elle entre en contact avec le milieu des écrivains florentins, à cette époque d'une exceptionnelle richesse. Elle découvre le travail de Mario Luzi dont elle se sent particulièrement proche. C'est également par Leone Traverso qu'elle découvre l' uvre de Hugo von Hofmannsthal, qui restera durant toute sa vie l'un de ses maîtres.

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Elle participe en 1951 à la création de la « Posta letteraria » du Corriere dell'Adda, où sont publiés des écrivains tels que Giuseppe De Robertis, Mario Luzi et Piero Bigongiari. Dans cette revue paraissent plusieurs traductions de Vittoria, notamment consacrées à des textes de Emily Dickinson et de Simone Weil. La pensée de l'auteur de La Pesanteur et la grâce exercera sur elle une influence essentielle : «Simone me rend tangible tout ce que je n'ose croire, écrira-t-elle dans une lettre de 1956. Ainsi devons-nous devenir l'idiot du village, devenir des génies... Je pressentais confusément que l'on pouvait devenir des génies (et non des talents), mais personne jusqu'a ce jour ne m'avait dit que c'était possible. Quel dommage de ne pas être né idiot du village... mais il arrive que Dieu y pourvoie d'une autre manière. Ainsi pour ma part dois-je aimer cette lame froide qui, un jour, est venue se coincer entre les gonds de mon âme pour la maintenir bien ouverte à la parole de ceux qui n'ont pas de langage...» Fidèle à l' uvre de Simone Weil, elle s'occupera en 1959 du dossier consacré à celle-ci par la revue «Letteratura», terminera en 1963 la traduction de Venise sauvée et publiera en 1967, dans un volume d'écrits de Simone Weil intitulé La Grecia e le intuizioni pre-cristiane, une traduction de L'Iliade ou le poème de la force.

L'année suivante paraît chez Scheiwiller à Milan Passo d'addio (Pas d'adieu), qui rassemble ses premiers poèmes. Ce livre est le premier qu'elle publie sous le pseudonyme de Cristina Campo. Elle apporte sa collaboration à diverses revues: «La Chimera», «Paragone», «L'Approdo letterario», «Letteratura», «Elsinore». La rencontre avec Elemire Zolla marque le début d'une nouvelle période de sa vie. A partir de 1960 et jusqu'à sa mort, c'est auprès de lui qu'elle vivra et composera son uvre. En 1962 paraît chez Vallecchi à Florence son premier livre d'essais, Fiaba e mistero (Conte et mystère). A partir de 1970 Cristina Campo donne aux Editions Rusconi des introductions pour plusieurs volumes consacrés à des textes religieux d'Orient et d'Occident: L'uomo non è solo (l'homme n'est pas seul) de Abraham-Joshua Heschel (1970), les Récits d'un pèlerin russe (1973) et les Dits et faits des Pères du désert (1975). C'est chez le même éditeur que paraît en 1971 son second livre d'essais, Il flauto e il tappeto (La flûte et le tapis). Egalement en 1971 paraît chez Einaudi sa traduction des poèmes de John Donne sous le titre Poesie amorose e teologiche.

En 1953 est annoncée chez l'éditeur romain Casini la parution du Libro delle ottanta poetesse: «Un recueil des pages les plus pures écrites par des femmes au cours des siècles ». Mais ce livre ne fut jamais publié et le manuscrit en est aujourd'hui perdu.

Mais c'est dans la revue «Conoscenza religiosa », fondée et dirigée par Elemire Zolla, que sont publiés ses poèmes: Missa romana, La Tigre Assenza et l'extraordinaire Diario bizantino.

Son père est nommé en 1955 directeur du Conservatoire Sainte-Cécile à Rome et président du Collège de Musique. Elle le suit dans cette ville et habite près du Collège, dans le quartier du Foro Italico.

Depuis la mort de son père, en 1965, Cristina a déménagé sur l'Aventin. Elle y est proche de l'abbaye bénédictine de Sant'Anselmo, où les offices restent célébrés en grégorien. Lorsque l'abbaye adopte à son tour la liturgie postconciliaire, Cristina Campo se tourne vers le Russicum, où se maintient le

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TRADUCTIONS FRANÇAISES

rite byzantin.

Les impardonnables (Editions Gallimard, L'Arpenteur, Parts, 1992), traduction de Francine de Martinoir, Jean-Baptiste Para et Gérard Macé.

Elle meurt à Rome le 10 janvier 1977, quelques jours avant la parution du Diario bizantino.

Poèmes (in La Nouvelle Revue Française, n° 470, mars 1992), traduction et présentation de Monique Baccelli.

Dix ans plus tard paraît aux Editions Adelphi, sous le titre Gli imperdonabili (Les impardonnables), la somme de son uvre en prose (Milan, 1987).

Les textes publiés dans le présent volume avec l'aimable autorisation des Editions Adelphi constituent l'intégralité des poèmes de Cristina Campo repris dans La Tigre Assenza (Milan, 1991).

Chez le même éditeur sont publiés en 1991, sous le titre La Tigre Assenza (Le Tigre Absence), l'ensemble de ses poèmes ainsi qu'un grand nombre de ses traductions largement consacrées à des poètes de langue espagnole (au premier plan desquels saint Jean de la Croix), allemande (Hofmannsthal, Wilderlin, Môrike) et anglaise (notamment William Carlos Williams, John Donne, Emily Dickinson, T.S. Eliot et Ezra pound).

Le texte de Monique Baccelli publié en postface a paru dans La Nouvelle Revue Française (n° 470, mars 1992) pour accompagner les premiers poèmes de Cristina Campo traduits en français. Les éléments biographiques ici présentés sont extraits de la note établie par Margherita Pieracci Marwell pour l'édition italienne des Imperdonabili (Adelphi, Milan, 1987). Monique Baccelli a publié aux Editions Arfuyen la traduction de poèmes de Giuseppe Bonaviri, 0 corps soupirant (Paris, 1994). Elle a traduit chez d'autres éditeurs des poèmes de Buffoni, Mussapi et Pazzi, ainsi que des uvres en prose de Alfieri, Fenoglio, Gadda, Landolfi, Malerba, Palazzeschi, Pirandello, Solmi et Praz.

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