274 32 37MB
French Pages [694] Year 1974
ANNE UBERSEELD
LE ROI ET LE BOUFFON Etude sur le théatre de Hugo de 1830 a 1839
ae Cound
LIBRAIRIE
JOSE 1974
CORTI
—
NUNC
COGNOSCO
EX PARTE
THOMASJ. BATA LIBRARY TRENT UNIVERSITY
ERO! ET LE BOUF FON
LE ROI ET LE BOUFFON
ANNE
UBERSFELD
'LE ROI ET
LE BOUFFON“ Etude sur le théatre de Hugo de 1830 a 1839
‘LIBRAIRIE
JOSE
CORTI
11, RUB DE MEDICIS — PARIS 1974
Grant
University
SETERBOROUGR.
tb rer ONT
x Q) fase oe Oe eR al, «
ACHEVE
D’IMPRIMER
EN AVRIL 1974 SUR LES PRESSES DES IMPRIMERIES REUNIES 22, RUE DE NEMOURS
A RENNES,
© Librairie
FRANCE
José Corti,
Tous
1973, Paris
droits réservés
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une
méme
contrefacon
protection
fragmentaire,
passible
des droits
non
expressément
des
sanctions
prévues
d’auteurs
(11 mars
1957).
N° dédition : 516 Dépét légal : 2° trimestre
1974
autorisée,
par
constitue
la loi
sur
la
A mon mari,
Francois Maille.
PREMIERE
PARTIE
INTRODUCTION
Parler du théadtre de Hugo en 1972 fait encore sourire. Guvre essentiellement démodée, réservée 4 un théadtre « populaire », au sens restrictif du terme — un peu au-dessus
i ‘
————_ S
MARION
DE
LORME
ET LE
CHOIX
Martin il sera recu A bras ouverts. Nous
font éliminer
!’Odéon.
La
plus
acteurs
plus
que
des
Porte
D’UNE
avons
53
vu les raisons qui lui
Saint-Martin
souples
SCENE
lui apporte
et peut-étre
plus
doués
beaucoup pour
le
drame, elle lui donne ce qu’il parait souhaiter avant tout a cette date : un public populaire. Enfin Mile Mars, qui sait mieux que personne ce qu’elle perd 4 ne pas jouer une piéce de Hugo, et surtout le rdle de Marion, s’en va vainement frapper 4 la porte du poéte pour tenter de le convaincre
de ne pas déserter les Francais
; c’est ce qui ressort,
non seulement du texte du Victor Hugo raconté*, mais d’une longue lettre de Hugo 4a l’actrice, datée du 10 mars 1831; il y apparait avec
toute
la netteté
désirable
que
la raison
déterminante
du choix
du poéte est la résistance possible 4 la censure: « La Porte SaintMartin est venue me faire offre de jouer ma piece avec toutes les résistances que offert 4 Taylor
je voudrais contre la censure. « de donner la préférence au
mémes conditions * ». Mais Hugo sait trop peut s’engager 4 résister 4 la censure. Avoir
des
qu’un
affirme avoir Francais aux
subventionné
ne
l’idée qui sera
la
un thédtre.
Nous
sienne
» Hugo Thédtre
en
deux
ne pensons
1832, grands
pas que Hugo
c’est-a-dire
celle
ait déja concu
de forcer
thédtres : la Comédie
simultanément
Francaise
la porte
et la Porte
Saint-
Martin. En mars 1831 le contrat avec la Porte Saint-Martin l’engage pour deux ouvrages par an, d’out il ressort que Hugo lui réserve toute ‘sa production dramatique. Nous sommes assez mal informeés de toutes les tractations qui occupérent Hugo pendant V’hiver 1830-1831. Il semble qu’a ce moment Hugo ait marché main dans la main avec Dumas pour essayer de constituer un centre du drame romantique; ce que souhaiteraient Hugo et Dumas *’, c’est de pouvoir faire triompher lesthétique du drame en étant eux-mémes chefs d’entreprise au lieu de dépendre du bon vouloir d’un directeur. Tel est le sens qu'il faut attacher a la lettre a Victor Pavie du 25 février 1831%. Le 23 et le 25 février le Courrier des thédtres révéle que Hugo et Dumas « proposent de prendre la Comédie Francaise 4 leurs risques et périls et sans
recevoir
de subvention
»
(23 février).
Projet
techniquement
impossible, la faiblesse des recettes des représentations classiques empéchant absolument le Thédtre Francais de fonctionner sans subvention. Il eit fallu en ce cas renoncer au répertoire classique et faire
de la Comédie une seconde Porte Saint-Martin. C’ett été un tollé dans l’opinion et surtout dans l’opposition libérale ; le gouvernement
n’était pas prés d’y consentir. D’autre part, Hugo et Dumas eux-mémes ne pouvaient guére accepter de voir Moliére remplacé par Victor Ducange, et le Misanthrope relayé par Dix ans de la vie d’une femme. _ La Revue de Paris du 25 février donne du projet une idée plus précise et donc plus acceptable: « MM. Victor Hugo et Alexandre Dumas
ont présenté cette semaine
35. O.C., IV, 1197 ; le V.H.R.
r i
.: 5 x y
fait état de deux
seconde, elle ne vit méme pas le poéte. 36. 0.C., IV, 1023-1024. 37. Une lettre de Dumas a Hugo (copiée blement
J
4 la Commission
de mars
1831)
indique
38. Voir infra, p. 55.
la solidité
par
de leurs
visites
Mme
du Théatre
de Mlle
Mars
§S. Chevalley)
espoirs
communs.
; lors
(s.d.,
Fran-
de
la
proba-
54
LE ROI
ET LE BOUFFON
cais un projet pour l’exploitation a leurs risques et périls du Théatre de Ja rue de Richelieu. Ce projet ne réclame du gouvernement aucune subvention. Mais ces Messieurs, en s’engageant a jouer, une fois par semaine, l’ancien répertoire de Voltaire et de Racine, demandent seulement que l’autorité leur assure chacune de leurs représentations a 2000 francs. Ce serait donc 54 représentations par an 4 2000 francs, total 108 000 francs. Pour peu que le drame représente des bénéfices proportionnels les autres jours, de la semaine, l’association prospérera®, » C’eit été pour le gouvernement une économie vraie : il ne
faudrait pas imaginer que la subvention faut déduire
de ce chiffre
le montant
edt été de 108 000 frances. Il —
faible,
il est vrai
le plus
souvent — des recettes réelles. Il est probable aussi qu’avec une bonne gestion, et un nombre de représentations classiques plus faible, les recettes de celles-ci pouvaient augmenter; d’autant que, mii par Vlattrait des piéces nouvelles, le public reprendrait le chemin quelque peu oublié de la Comédie Francaise. La subvention est en fait trés supérieure 4 108000 francs. Le Théatre Fran¢ais devenu entreprise commerciale indépendante pouvait du méme coup a Vaide de ce quwil faut bien appeler une subvention indirecte, prendre les risques de monter des pieces de jeunes auteurs, ou de les maintenir au répertoire pendant une mauvaise passe. Il s’agirait bien en ce cas d’une entreprise commerciale et non 39. Revue de Paris, t. XXIII, p. 262. Le « Rapport de la Commission instituée par M, le ministre de Vintérieur et chargée par lui de l’organisation nouvelle du théatre francais » (Arch. Nat. F 21-1078), indique ces propositions : _ « Dans le projet présenté par la Commission de renoncer au mode social adopté jusqu’A ce jour pour lVexploitation de la Comédie Francaise, et de la préférence a donner & la gestion d’un directeur qui reprendrait l’entreprise A ses risques et périls,
moyennant
une
subvention
annuelle
du
gouvernement,
la
Commission
a
entendu des propositions faites par MM. Alexandre Dumas. et Victor Hugo d’une part, et M. Harel, de l’autre. Les premiers ont offert de prendre le théatre francais aux conditions suivantes : 1° Le Thé&tre
leur serait
livré
(avee le matériel
actuel)
A titre
gratuit
(la loca-
tion de la salle est de 85000 F). 2° La société des Comédiens Frangais serait dissoute. 3° Aucune dette de la Société actuelle ne serait a la charge de la nouvelle éntreprise. 40 Les entrées et loges acquises ou concédées sous les précédentes administrations, 4 quelque titre que ce soit, seraient supprimées. 5° Enfin les Soumissionnaires entendraient prendre le Théatre Frangais, 4 titre de nouveau Thédtre (bien entendu qu’il conserverait le titre national de Théatre Francais)
remis
entiérement
tions de quelque nature
4 leur
discrétion,
que ce soit envers
et n’ayant
par
conséquent
qui que ce soit ni pour
d’obliga-
le passé, ni pour
Pavenir. ae N.B. Les soumissionnaires s’engageraient, si cela était agréable 4 M. le Ministre de l’Intérieur, 4 représenter les chefs-d’euvre de J’ancien répertoire, au moins une fois par semaine ou cinquante-quatre fois par an, pourvu que le Gouvernement s’engageat de son cété A assurer la recette de chacune de ces représentations Aa la somme de deux mille francs. M. Harel offre de prendre le théatre frangais 4 cent vingt mille franes de subventions. I] offre, pour garantie morale de sa gestion, le succés avec lequel il dirige depuis dix-huit mois l?Odévn, si long-tems malheureux sous les précédentes administrations. ¥ M. Harel fera entrer immédiatement aux Francais les principaux acteurs de LOdéon, lesquels réunis aux principaux artistes du Théatre Francais, composeraient
une troupe trés forte M. Harel est lié préfet dans les cent opinions politiques. La Commission a deux
soumissions,
pour lVexploitation du nouveau Théatre. avee la plupart des auteurs dramatiques jours, il a été banni pendant quatre ans
: il rappelle que, et demi pour ses
cru devoir s’abstenir de déterminer une préférence entre ces mais il résulte de l’ensemble de ses travaux, que la subvention
ne peut pas s’élever A plus de cent vingt mille francs, A moins que la Chambre méléeve le secours annuel du théatre francais 4 une somme plus forte que celle qui lui a été accordée jusqu’ici. » :
MARION
DE
LORME
ET LE CHOIX
D’UNE
SCENE
55
pas du tout d’une simple direction ; Hugo n’enviait pas la place de Taylor et il s’en explique a loisir dans la fameuse lettre a Victor Pavie du 25 février 1831 : « Je n’ai jamais songé 4 diriger un théatre, mais 4 en avoir un a moi. Je ne veux pas étre directeur d’une troupe, mais propriétaire d’une exploitation, maitre d’un atelier ot l’art se cisélerait en grand, ayant tout sous moi et loin de moi, directeur et acteurs. Je veux pouvoir pétrir et repétrir Vargile a mon gré, fondre et refondre la cire, et pour cela, il faut que la cire et l’argile soient a moi*. » On entend dans ces lignes illusion « balzacienne » de Vartiste du x1x° siecle qui imagine que Vintelligence, l’esprit créateur, et méme le sens pratique vont lui permettre de suppléer au défaut de
capitaux. Dans le domaine de l’art dramatique, Hugo veut étre le Maitre, oubliant que dans la société ou il travaille, seul l’argent est le maitre. Il ne l’oubliera pas longtemps : Hugo, a lopposé d’un Balzac, ne se plongera jamais dans ces entreprises capitalistes ou Vartiste ne peut qu’échouer faute d’une assise financiére suffisante. Une autre illusion curieuse apparait dans ce texte : Hugo imagine qu’il lui suffira de commander de loin pour étre obéi: « Du reste quelqu’un administrera, dirigera pour mon compte a moi, je ne ferai que des piéces, et, la machine une fois en train, je les irais peut-étre faire au lac de Come, ou sur les bords du Rhin, ou chez vous
(...). Ce qui salit le poéte, ce sont les tracasseries
de la coulisse.
Vous concevez quw’il n’y a pas de tracasseries pour le maitre. » Lignes
paradoxales et méme comiques pour qui sait, comme nous verrons par la suite, comment Hugo une fois évadé de la machine rigide du Théatre Francais redescend jusqu’au plus petit détail de la fabrication matérielle des piéces et subit jusqu’a l’exceés les « tracasseries de la coulisse ». Une
derniére
illusion, et celle-la franchement
déplaisante : celle
que directeur, techniciens, acteurs, ne sont que matériaux pour l’art, argile et cire molle que le Maitre, 4 la fois propriétaire et artiste, manceuvre
et modéle
a son
gré;
c’est M. Madeleine
a Montreuil-sur-
Mer fabriquant ses verroteries noires. Ce qu’il y a d’admirable, c’est de voir Hugo revenu de cette illusion manufacturiére, refuser de commenter
cet échec,
mais
le récrire tout au long de son
ceuvre,
du
Roi s’amuse aux Misérables. Dans ce monde out il vit, ni l’art, ni le génie, ni le peuple ne peuvent étre propriétaires, ils sont faits pour VYéchec et pour la mort, non pour une exploitation commerciale prospére. En tout cas la « phimete » échoue. Cette royauté bicéphale n’était pas viable. Ni le Pouvoir ni les Comédiens Francais ni méme Dumas a pilus long terme ne pouvaient l’accepter. Marion
aux
Boulevards.
llya peut-étre une solution de rechange : la Porte Saint-Martin : un curieux papier de l’écriture de Crosnier indique que celui-ci a offert 4 Hugo de lui vendre son théatre“. Mais de quels capitaux 40. O.C., IV, p. 1021. 41. Ms. 13385, fo 15. Voici
le texte
des
propositions
de Crosnier : « premiére (quitte de toutes
— cession du privilege de Pexploitation qui m’appartient (suivant état);
proposition : dettes) et du matériel
OG
LE ROI
ET LE BOUFFON
disposait le poéte ? Il ne pouvait se permettre, chargé de famille, un désastre financier qui n’eit pas ruiné que lui seul. Et les objections touchant le répertoire n’étaient sirement pas négligeables ; la Porte Saint-Martin ne vivrait pas avec les seules ceuvres de Dumas et de Hugo. Il ne s’agissait plus seulement d’étre le maitre, il faudrait étre aussi directeur, et gouverner ces indociles animaux. C’est Harel qui reprit la Porte Saint-Martin, Vhiver suivant. Il semble que les tractations entre Hugo et Crosnier n’aient pas été sans difficultés. Pour ’un et pour l’autre, Venjeu était gros. Pour Hugo, quitter la Comédie,' c’était renoncer 4 des recettes importantes et réguliéres, pour se lancer dans l’inconnu.’ Du point de vue financier, il risquait d’y perdre : le prix des places 4 la Comédie, trés supérieur a celui de la Porte Saint-Martin, permettait des recettes brutes montant jusqu’a 7 000 francs. JJ n’était pas question d’obtenir & la Porte Saint-Martin d’aussi mirifiques droits d’auteur. L’inquiétude de Hugo se trahit par une petite note manuscrite annexée 4 un projet de traité avec Crosnier (de la main de Hugo) : « Question, le théatre peut-il faire 4 000 francs ? » En compensation la Porte SaintMartin rapportait 4 ses auteurs des primes dont le chiffre parait ne pas avoir varié. Autre désagrément : la nécessité ot se trouve Hugo de se lier avec la Porte Saint-Martin au point de lui apporter pratiquement toute sa production, 4 savoir : deux piéces par an. Enfin cétait partager la scene avec Dumas, un ami évidemment et méme .un compagnon, mais aussi un rival et le seul’ véritable. Quant a Crosnier, s’il désirait s’assurer la collaboration d’un écrivain dont il ne devait pas méconnaitre le génie, peut-étre pouvait-il redouter ces
réticences de l’opinion dont la bataille d’Hernani avait permis de mesurer la force. Crosnier ne parait pas se presser de signer. C’est Hugo qui le relance ou plutdét le fait relancer par Dumas; ce dont témoigne une lettre de Crosnier : « Dumas m’a dit hier soir que vous vous étonniez de ne pas avoir recu notre projet de traité. Je croyais que nous étions convenus que lorsque votre santé vous le permettrait, vous m’indiqueriez un jour de lecture”. » Le contrat intervient le 15 avril et représente par rapport au projet hugolien qui figure au folio 16 du manuscrit 24785, un incon— les frais s’élévent au plus a 40000 franes par mois. La recette des douze mois révolus a été de 714000, La moyenne des recettes du thédtre depuis dix ans a été de 600000 francs. ty Deuxiéme proposition : Vintention ott je suis de vendre m’empéche de faire
le traité pour
proposé.
leurs —
Je ne
ouvrages,
Droits
peux
la base
d’auteur
done
offrir a ces
de mon
comme
a
la
traité
messieurs
pouvant
Comédie
qu’un
étre celle-ci
Francaise,
plus
traité
avantageux
: 1000
frances
4
la
réception ou le jour'de la mise en répétition d’une piéce 1000 franes si les 25 représentations produisent 60 000 2 000 — — -—— 75 000 3 000 -— — —100 000. » D’ot il suit : ; 1° que Crosnier efit préféré vendre son théatre &4 Dumas et Hugo, 2° que les deux auteurs avaient proposé 4 Crosnier un accord que nous ne pouvons que deviner, mais qui devait comporter une sorte de contrat d’association, 3° que Hugo et Dumas sont toujours associés dans leurs rapports avee Crosnier et que
Voffre
financiére
est la méme
pour
tous
les deux,
4° Dumas et Hugo étaient parfaitement au courant des projets de vente de Crosnier, la vente le jour de la répétition générale de Marion était une rencontre facheuse mais nullement une surprise comme le laisse entendre le Victor Hugo raconté. La datation de ce texte peut étre renvoyée a février-mars 1831.
42. Ms. 24785, fe 12,
MARION
DE LORME
ET LE
CHOIX
D’UNE
SCENE
57
testable retrait. Certes les stipulations financiéres restent les mémes. Mais on ne retrouve plus dans le texte du traité la phrase: « L’ouvrage sera monté et représenté avec tout le luxe et toute l’importance nécessaire. » Hugo avait aussi prévu la possibilité de retirer sa piece, moyennant restitution des 1000 francs de prime prévus a la cession du manuscrit. Cette clause de retrait n’est pas maintenue ; Hugo perd donc sa liberté d’action, d’autant que : M. Victor Hugo s’engage 4 donner par an, au théatre de la Porte Saint-Martin, deux ouyrages d’une importance telle que chacun d’eux puisse seul remplir au moins pendant les premiéres représentations toute la durée du spectacle. Sous aucun prétexte M. Victor Hugo ne pourra garder Yanonymat pour les ouvrages qu’il fera représenter sur le théatre de la Porte Saint-Martin. M. Victor Hugo s’interdit de faire représenter aucun ouvrage dramatique de sa composition sur les théatres de Paris (les théatres de l’Opéra et de l’Opéra-Comique exceptés) avant d’avoir présenté 4 M. Crosnier les deux ouvrages qu'il s’engage a composer par an pour son théatre *.
Concessions sérieuses : Hugo réserve pratiquement toute sa production dramatique a la Porte Saint-Martin ; la clause apparemment bizarre de l’anonymat est en fait trés importante, elle signifie que Hugo n’aura aucun moyen de se débarrasser des obligations du traité a Vaide d’une de ces rapides productions commerciales dont les auteurs dramatiques du temps sont coutumiers — un Dumas par exemple**—, mais qu’un Hugo se sentirait déshonoré de signer. D’autre part, le droit de refus que Hugo n’obtient pas c’est Crosnier qui se le réserve : Si M. Crosnier pensait que l’un de ses ouvrages, ou méme ses deux ouvrages, n’entrait pas dans les moyens d’exécution de la Porte Saint-Martin, M. Victor Hugo pourra en disposer our un autre théatre, huit jours aprés la lecture qu’il en aura aite 4 M. Crosnier, mais dans ce cas M. Victor Hugo sera tenu de donner au théatre de la Porte Saint-Martin la préférence nou un troisiéme ouvrage qu’il aurait composé dans la méme -
année.
On voit que Hugo n’avait quasiment plus les moyens
de se faire jouer
a nouveau au Théatre Francais, ou d’élire une autre scéne. En échange, il obtenait ce qui, nous le savons, et le Victor Hugo raconté le redit avec insistance, était le point capital pour lui : des assurances fermes contre tout rétablissement direct ou indirect de la censure:
Dans le cas ol. une censure officielle ou officieuse quelconque créée par le ministre, ou exercée par les censeurs nommés ad hoc serait établie par le gouvernement, le présent traité ne serait exécutoire qu’a la charge pour M. Crosnier de faire annoncer sur lVaffiche que l’ouvrage de M. Victor Hugo qu’il monte ou qu’il va représenter n’a pas été soumis a la censure, 43, Ms. 24785, fo 17. 44, Dumas ne signe pas — Anicet
Bourgeois.
entre
autres
—
La
Vénitienne
qu’il
compose
avee
58
LE ROI ET LE BOUFFON
Cette clause s’inscrit dans la politique qu’il méne depuis 1829 et qui sera toujours la sienne, celle de défendre son texte contre tout contréle extérieur idéologique ou politique. Il lui arrivera de « s’autocensurer » (dernier acte de Lucréce Borgia, corrections et suppressions pour la seconde représentation du Roi s’amuse et, pour Angelo, corrections et suppression d’un acte). Mais jamais il ne laissera qui que ce soit toucher 4 la moindre virgule de son texte. Enfin, il obtient le droit (qu’il ne se privera pas d’utiliser), de choisir 4 son gré les acteurs dans la troupe du théatre. Au reste, une clause additionnelle prévoyait la faculté pour Hugo de résilier ce traité « dans le cas ott M. Crosnier cédant son entreprise viendrait 4 se retirer ». Eventualité plus que probable, Hugo le savait bien. Quand Harel succéda 4 Crosnier, Hugo reprit la possibilité de négocier avec la Comédie Francaise et de trouver la double ouverture dont il réverait en 1832.
UNE EPREUVE : MARION
DE LORME
A LA SCENE
Marion de Lorme jouée. L’un des avantages qu’obtenait Hugo en passant de la Comédie 4 la Porte Saint-Martin, c’était la possibilité de régler la distribution et d’assurer la mise en scéne. I] ne se fit pas faute d’exercer ces prérogatives. Nous ne nous appesantirons pas sur V’historique de Marion de Lorme, ce travail ayant été fait avec beaucoup de soin par M. Descotes, dans son ouvrage le Drame romantique et ses grands créateurs*. Il semble d’aprés ce dernier que Marie Dorval ait refusé un - engagement 4 la Comédie Francaise pour pouvoir jouer le réle de Marion. C’était une création attendue et la Porte Saint-Martin tenait en son giron les espoirs du drame romantique. Crosnier et Hugo hésitérent pour le réle de Didier. Hugo n’aimait pas Bocage; ce fut lui cependant que l’on choisit devant les incertitudes de Lockroy. On ne sait quel jour exactement eut lieu la lecture 4 la Porte SaintMartin ; le 2 mai Hugo avait fait une nouvelle lecture de la piéce a ses amis. Le 12 mai, il recoit une lettre de Crosnier
fixant la lecture
au théatre au Jendemain 13 mai. Pour les personnages secondaires,
dit son
Hugo
avait
vertement : il voulait Gobert et l’imposa sans discussion
mot
et
au directeur
réticent? ; le Victor Hugo raconté donne le détail de la petite intrigue et de la victoire remportée par Hugo; on était loin de la situation subalterne faite aux auteurs 4 la Comédie ot les Comédiens leur tenaient la dragée haute. Pourquoi cette préférence ? Outre la sympathie personnelle ou la pitié qu'il pouvait avoir pour cet acteur, une autre considération a peut-étre joué: Gobert avait été avec un trés grand succés Napoléon 4 la Porte Saint-Martin ; il y avait du piquant 4 lui faire jouer le personnage de Louis XIII, image de la faiblesse royale. Bocage aussi aurait voulu le réle de Louis XIII, mais Hugo ne céda pas ’, 1. Op. cit. 2. Gabert’ fort de son succés dans Bepeion sa volonté @ Crosnier : V.H.R., O.C., IV,
Bonaparte,
3. Ms. Documents Marion, 24785, ffos a et 19. Une 14 juillet (1831) ore J. Gaudon) nous apprend que
ment de Frédérick 4 la P.S.M. Saverny = Bocage.
et suggérait
aurait
essayé
d’imposer
lettre de Dumas 4 Hugo du Dumas opeagaedy Vengage-
la distribution .
: Didier
=
Frédérick,
60
LE
ROI
ET
LE
BOUFFON
C’est Pacteur Chéri qui eut le rédle du marquis de Saverny et ce détail n’est pas sans importance ; Chéri, acteur vigoureux, fantaisiste,
« mauvais sujet » dira plus tard Anténor Joly, pouvait jouer ces personnages particuliers que sont chez Hugo les grands seigneurs bohémes : Hugo le réclamera au moment de Ruy Blas pour tenir le role structuralement voisin de César de Bazan (personnage aristocratique, grotesque, fraternel*) ; la parenté des personnages est souvent indiquée par lV’identité dans la distribution °. Sur Vimportance du rdle de Hugo dans la mise en scéne, une lettre de Crosnier sans date apporte des indications intéressantes °. C’est 4 Hugo qu’il demande le dessin des costumes et des indications précises sur les décors. Malheureusement, nous n’avons guére de renseignements, la Porte Saint-Martin ayant brilé avec toutes ses archives. Didier pardonne. _
Le
dénouement
primitif,
celui
de la rédaction
de
1829,
ne
fut
pas maintenu. On ne sait 4 quel moment Hugo décida ce changement. Hugo avait essuyé des réflexions sur ’inhumanité de Didier, dés la lecture de 1829: une lettre de Sainte-Beuve 4 Hugo sans date’ indique : « Mérimée disait, je crois, que c’était bien fait de tuer ce Didier qui était si dur pour cette pauvre Marion. C’est assez mon avis aussi (...). » D’aprés le Victor Hugo raconté, ce sont les instances de Marie Dorval qui eurent raison de la détermination de Hugo « Monsieur Hugo, dit-elle avec la grace de son sourire, votre Didier est un méchant ; je fais tout pour lui, et il s’en va mourir sans méme
me dire une bonne parole... Dites-lui donc qu’il a tort de ne pas me pardonner.
Ce conseil
déja donné
a l’auteur
par Mérimée,
la premiére lecture, le fit réfléchir. En revenant, les Champs-Elysées,
et se résolut
4 rompre
au
le soir de
il se promena
dernier
moment
sur l’in-
flexibilité de Didier *. > L’examen du manuscrit confirme ce récit: la plupart des additions de 1831 sont datées; la premiere (indic. scén. de la fin de V’acte V, scéne 6) porte la date du 25 mai; les modifications du début de l’acte V, eft la grande
don
de Didier)
sont
addition
datées
finale de la derniere
du 28 mai.
La
scéne
supplication
(le par-
de Marion
(acte IV, sc. 7).ne porte pas de date, mais elle est d’une écriture trés voisine. On peut donc conclure que contrairement 4 ce qu’avance Gustave Rivet, dans son Victor Hugo chez lui® le poéte n’a modifié 4. VY. infra, chap. Ruy Blas et Ruy Blas, éd. crit. I, p. 100. 5. Ainsi Serres, qui joue le Gracieux, est un vrai grotesque : il est le compére de Macaire dans l’Auberge des Adrets et plus tard dans Robert Macaire. Distribution des réles principaux dans Marion : Marion de Lorme : Mme Dorval; Louis XIII : Gobert ; L’Angély : Provost ; Didier : Bocage ; marquis de Saverny : Chéri ; marquis de Nangis : Auguste. 6. Ms.
24785
(Documents
7. Cette lettre figure dans
Marion),
f° 25.
la correspondance
de Sainte-Beuve
1, 251
(Bonnerot)
du début d’aofit ; Jean Massin qui l’a repreduite, 0.C., IV, 1044, la tient pour antérieure ; nous serions de cet avis et nous la daterions volontiers de la fin
mai
1831. 8...0.C., IV, 1199.
9. « Madame Dorval vint me trouver et me dit : Monsieur Victor Hugo, vous avez écrit un autre dénouement (...) je lus mon second dénouement. Quand elle l’eut
entendu
elle me
dit
: Oui l’autre est bien beau, mais
le jouerai mieux et je ne suis pas plus 4 l’un qu’é l’autre ; si celui-la
1201.)
celui-la
je suis
sire
que
je
une héroine antique. (...) — Je ne tiens i vous plait, jouez celui-la. » (Cité in 0O.C., IV,
UNE
EPREUVE
: MARION
DE LORME
A LA SCENE
61
son texte qu’au contact des acteurs et des répétitions. Il est exact comme le montre élégamment M. Descotes ” que l’addition de l’acte IV est faite pour servir Dorval, pour l’aider 4 trouver son ton propre, son
pathétique
de victime ; mais,
il n’en
va pas
de méme
des addi-
tions du dernier acte. Tout d’abord l’inversion qui met en position initiale la scene des ouvriers, en précisant par des additions le décor sinistre de l’exécution, renvoie au dernier acte de Cromwell et 4 la position particuli¢re du peuple-spectateur, exécutant en marge de Vhistoire. D’autre part si les additions du début de la scéne 6 sont pour Dorval, le grand texte du nouveau dénouement sert Bocage (a part deux répliques, Marion
n’y dit que des phrases
fort courtes).
En
fait, Hugo ne tient pas a apporter tout chaud a tel ou tel acteur le texte qui lui permettra de briller, mais 4 modifier fondamentalement les rapports entre les personnages; Sainte-Beuve, dans sa finesse, avait vu que le premier dénouement était une sorte de coup de force, un viol du public et que le pardon représentait une concession : « J’en vins a exprimer le jugement que voici, pour le sens: que le personnage essentiel était un Didier, un autre vous-méme, encore plus passionné que sensible, qui dit 4 sa maitresse : je vous aime ardemment et non tendrement ; profond, fort, irrévocable ; que sa conduite a la fin, son refus de pardonner a la pauvre fille et de Vembrasser, brisait le coeur et l’écrasait plutot que de le fondre en
larmes. N’en concluez pas du tout que je préférasse un dénouement plus élégiaque 4 ce coup de massue dramatique ; mieux vaut Eschyle qu’Euripide™. » La représentation. Nous n’avons pas sur la représentation de Marion, l’abondance de détails et de souvenirs qui nous ont été laissés pour d’autres piéces. C’est qu’il n’y eut pas comme pour Hernani et le Roi s’amuse, de véritable bataille. Le public hésitant paraissait plutot favorable. Aprés tout, Marion
avait été victime
tait pas les audaces
de la censure,
d’Hernani ; le premier
et la piéce
acte
ne
est trés
compor-
entrainant,
enfin le drame romantique, le drame de Hugo, trouvait aux yeux de Vélite sa vraie place: au boulevard ; ce qu’on n’eit pas supporté a la Comédie Francaise passait sans difficulté 4 la Porte Saint-Martin 10. Op. cit., p. 217-218. } ; 11. Lettre citée ; elle en dit long sur les rapports entre les deux hommes et sur les sentiments qu’éprouvait Sainte-Beuve :il écrit cette lettre pour se défendre d@’avoir dit que Hugo n’avait pas de sensibilité ; aprés quoi, il renvoie ce jugement négatif, non sur l’auteur mais sur le personnage — mais il ajoute que Didier est « un autre vous-méme », accordant ainsi ce qu’il vient de nier. Il y a mieux, ce Didier, cet « autre vous-méme », c’est « bien fait de le tuer » ! Comment lire cette lettre comme l’ayeu d’une haine : « Ce Hugo si cruel, si méchant,
t-il mourir ! » Malgré les protestations d’amitié, on ne se voit plus guére Beuve n’était pas de la lecture aux amis faite le 5 mai. Le 5 aott il écrit « Je youdrais voir la répétition, il y a um acte que je ne connais pas, tel refait, le cinquiéme, et il y a si longtemps que je n’ai entendu toute
ne pas puisse-
: Sainte4 Hugo : qu’il est la piéce,
qu’elle me fera une impression fraiche et presque vierge » (0.C., IV, 1045). Dans son premier carnet (bibliothéque Lovenjoul) Sainte-Beuve en 1836,
avoir
écrit
« Les
grands
» (addition
littéraires avides
inédite).
d’admiration,
sont
aprés
les courtisannes (sic) célébres qui épuisent successivement plusieurs générations de jeunesse, et préférent toujours la derniére la plus fraiche et vigoureuse », ajoute ce renvoi : « Pauvre Amaury, tu as trop connu l’une et l’autre espéces de courtisannes. Ne dederis mulieribus substantiam tuam, dit la Sag. (proverbe)... » et il dit ailleurs : « ne des alienis honorem tuum et annos tuos crudeli. Oui le cruel,
le superbe, le dévorant
hommes
comme
62
LE ROI ET LE BOUFFON
qui en avait vu d’autres. On ne retrouvait pas Je petit frisson de scandale qui accueillait Mlle Mars traitant Firmin de « lion superbe et généreux ». Les attaques contre Louis XIII et la royauté avaient apres la Révolution de Juillet perdu de leur mordant. De la une sorte de tiédeur
dont Sainte-Beuve
se fait l’écho
(lettre a Victor
Pavie ”) :
« On a donné Marion ; la premiére représentation a été lourde, trop longue, cela n’a fini qu’a une heure du matin. Le public nombreux et non malveillant était fatigué et les jugements qui tous s’accordaient sur le talent n’accueillaient pas ensemble de l’ouvrage. » Sur les hésitations du public, ce témoignage du Courrier des thédtres (12 aott): « A la fin seulement, quand on a nommé M. Victor Hugo, une opposition s’est élevée, mais elle a cédé aux applaudissements. » La mise en scéne fit Punanimité : « Piéce montée avec un soin extréme,
richesse
des
costumes,
luxe
des
décors,
beauté
des perspec-
tives », dit Avenir, du 15 aotit, de toute facon bien disposé; mais le Globe, trés hostile, affirme aussi que « la mise en scéne de Marion
Delorme est trés remarquable ». Il semble, autant qu’on puisse le déduire, que les acteurs de la Porte Saint-Martin qui n’étaient pas habitués a dire les vers aient fait un sort A chaque mot, tant ils avaient peur de massacrer les alexandrins. Mme Dorval toujours
beaucoup
plus a l’aise dans la prose, était de l’avis général particu-
lierement contractée lorsqu’a l’acte II elle disait les vers de Corneille. En revanche, « le discours du marquis de Nangis remua la salle ®>* >;
les spectateurs se sentaient toujours 4 l’aise en entendant parler le dans le désastre du Roi s’amuse le discours de SaintVallier fut épargné. Il est difficile de savoir ce que fut réellement l’interprétation de la troupe de la Porte Saint-Martin. Incontestablement ce fut un triom-
pére noble:
phe pour Dorval dont l’Artiste dit qu’elle eut des surtout aux 4° et 5° actes », et gue
presse
ces
est aussi quasi-unanime
vedettes
Bocage
une
souplesse
ne sorte
furent
pas
de raideur
», dit l’Artiste)
|’Avenir
sur le succés
4 J’abri
des
monotone
et surtout
son
« moments
loue sans
de Bocage.
critiques
(« manque
tempo:
sublimes,
restrictions ; la
: on
Mais
de vivacité
la Revue
méme
reprocha
a
et de
des Deux
Mondes lui reproche « !’abus énorme qu’il fait des temps et des pauses ». Dorval méme fut critiquée pour une sorte de vulgarité : « Pourquoi faut-il, dit l’Artiste, qu’elle n’ait pas plus d’élégance et de noblesse dans les maniéres? » Quant au Courrier des Thédtres, a part Chéri, il n’épargne aucun des acteurs secondaires. Selon M. Descotes, « Pinterpretation fut satisfaisante
>. I] n’est pas sar que Hugo
Vait jugée telle, ni surtout qu’il ait tenu cette troupe pour capable ae porter son drame en vers; cette considération n’a pas dt étre étrangére a ia décision de donner a la Porte Saint-Martin des drames en prose. Alexandre Dumas gui aimait passionnément lta piéce dont « j'achéterais, dit-il, si ceia était possible, chaque acte par une année
de ma vie », a porte sur Vinterprétation un jugement trés sévére : « Ce que j’avais prévu était ce qui nuisait a la piece ; a part Bocage qui jouait Diaier, Dorval, Marion, et Chéri Saverny, toute la piece était abandonnée. Il en résultait que cette poésie merveilleuse s’étei-
12. 0.C., IV, 1046. 12 bis. V.H.R., 0.C., IV, 1200.
UNE
EPREUVE : MARION
DE
LORME
A LA
SCENE
63
gnait comme, sous une haleine, s’éteint le brillant d’un miroir. Je sortis du théatre le coeur navré ®. » Nous ne possédons qu’une des feuilles de location de Marion; nous ne savons donc si Hugo avait placé aux endroits stratégiques les défenseurs romantiques; le Témoin affirme que non: « Les bandes héroiques du Théatre Francais ne revinrent pas**. » Cependant la presse fait entendre les aigres protestations qui lui sont habituelles 4 propos des premiéres de Hugo ; pour la Mode™ « C’est 4 peine si dans la salle, il se trouve une place dont M. Victor Hugo nait pas disposé a l’avance. Aussi Marion Delorme a-t-elle été applaudie 4 outrance
le Figaro
(...). Un
succés
du 12 aoait:
di a un
charlatanisme
« Des admirateurs
honteux.
désintéressés
» Et
au point de
vous faire rendre gorge au moindre geste, au moindre signe de critique : on efit dit des assommeurs du 14 juillet chargés d’une mission
littéraire. » De la Mode encore cette jolie formule: « Les fées de M. Hugo ne dansent plus que la carmagnole. » Tout cela ne doit sirement pas étre pris au pied de la lettre; c’était un public de générale comme un autre et les noms que nous possédons en font foi. Parmi les spectateurs de la premiére représentation “, les journalistes Dumoulin du Constitutionnel, Laforét de la Gazette, Viennot du Corsaire, Léon Pillet du Journal de Paris, Rolle du National, Moreau
du Courrier Francais, Nettement de la Quotidienne, du Figaro, Charles
Maurice
du Courrier
Nestor Roqueplan
des thédtres.
On pouvait voir
Mile Mars dans une loge de cété, les Bertin, Lamartine, ria, Boulanger,
Paul Lacroix, Mme
Vigny, Devé-
Gay.
Selon Mme Hugo, « les représentations de Marion de Lorme furent trés agitées ». Les contretemps se multipliérent, maladie de Bocage, agitation publique, émeutes. Le journal de Fontaney nous laisse Vécho des inquiétudes de Hugo : émeutes du _ mercredi 7 septembre,
du vendredi
16 pour
la Pologne ; le 22 septembre,
c’est
Marie Dorval qui est malade. Le jeudi 1 septembre, Fontaney note : « La machine comme dit de Vigny se détraque bien déja 4 une dixseptiéme représentation. La salle se vide. Les arbres et les maisons, le ciel, les fenétres
se déchirent™”!
»
Ce serait une erreur de dramatiser : dans l’ensemble Marion est un succés. Les allegements faits par Hugo pour la seconde représentation ® contribuent a la satisfaction du « grand public ». Quelques réserves que nous puissions faire sur l’objectivité du Courrier des Thédtres, plus que probablement acheté par la direction du théatre ¥, il faut reconnaitre que les notules qu’il insére font état de l’affluence , 13. Mes Mémoires, éd. Pierre Josserand, Beuve, signale la froideur du public.
t. IV,
p.
381;
Dumas,
comme
Sainte-
14, 0.C., IV, 1200. 15. Juillet-octobre, V, VII, p. 161. 16.Ms. 24785, f° 32 (feuille de location). 17. Journal de Fontaney, O.C., 1V, 1268. Autre note p. 1269-1270. 18. Cf. la lettre de Sainte-Beuve a Pavie, déja citée : « Le lendemain (de premiére) de nombreuses coupures, qui ont remis la fin de la piéce 4 onze heures
la et
demie l’ont fait aller plus vigoureusement. » Nous regrettons de ne pas posséder les documents de théatre de la P.S.M. qui nous permettraient de voir ce que Hugo a retranché. 19. Coup du sort : Crosnier a vendu son théatre et la nouvelle est connue le jour de la premiére de Marion, c’est V’ancien régisseur, Léry, qui lui succéde. Pas pour longtemps ; Harel rachéte le privilege le 4 décembre suivant ; comme il reste directeur
de
30 décembre
l’Odéon,
avec
Murion
Lockroy
est
dans
aussi
jouée
sur
le réle de Didier.
cette
scéme
les
24, 26,
27,
29
et
64
LE ROI ET LE BOUFFON
par exemple, entre beaucoup d’autres : « Marion Delorme attire Paris et les faubourgs. Hugotisme » (16 aot). « Tout Paris pour Marion a les yeux de Didier » (23 aotit). « Si cet ouvrage a produit des recettes de 1500 francs pendant les émeutes™, que ne va-t-il pas jeter dans la caisse 4 présent qu’on est tranquille ? (21 septembre). » Ces notes confirment
les assertions
de Mme
Hugo
dans sa lettre 4 Victor Pavie
(23 aoit) : « Cela va bien comme argent et le public est des meilleurs. » Bref c’est honorable. Mais sans plus : 4 coté du triomphe d’Antony,
Marion
de
Lorme,
qui, écrite
avant,
a le désavantage
de
venir aprés, fait un peu pale figure. Hugo n’apparait pas comme le grand homme du théatre romantique, celui qui peut, par un succés décisif, a la fois littéraire
et populaire,
donner
son
assiette au drame
romantique. Le 3 décembre, le Courrier des Thédtres remarque : « Dans notre vie actuelle, vie de trouble et d’agitations, les émeutes de la littérature passent inapercues au milieu de la tourmente politique et Marion Delorme (...) ne causa pas le scandale qu’on aurait attendu. » La piéce n’a pas tranché Ja question du romantisme au théatre ni celle de la formule dramatique propre a Hugo. Les critiques se réservent.
Ce qui frappe a la lecture des comptes rendus la tiédeur des critiques, phénoméne de
Hugo.
On
est loin
des
violences
sur Marion,
c’est
unique dans V’histoire du théatre d’Hernani,
et l'ensemble
de
la
presse n’est pas encore assuré dans son jugement. Les gens ont paru déconcertés par wne ceuyre extrémement différente d’Hernani.
Autre cause d’incertitude : on ne sait ot prendre Hugo ; malgré les apparences, les opticns politiques de l’auteur sont bien peu lisibles dans la piece. La peinture que fait Hugo du couple Louis XIII-Richelieu n’est pas fort
différente
de
celle, incontestablement
légitimiste,
qu’en donnait Vigny dans Cing-Mars. Mais en méme temps, toute la fable lie image de la monarchie a celle de oppression, de la mort violente,
de la décapitation ; volens
nolens,
le Roi porte
la mort,
Voeuvre, gui repose sur des présupposés monarchiques, apparaitre comme une attaque Jibérale contre la royauté.
et
finit par On com-
prend Vembarras des journaux. D’autant que l’ceuvre écrite en 1829, done avant la coupure de Juillet, a été victime de la censure de Charles X ; jouée tardivement, deux ans aprés son écriture, un an
aprés la Révolution de Juillet, elle est, si l’on peut dire, « déphasée »: elle ne peut plus étre entendue comme un brilot contre le régime de Charles X, ni bénéficier de la sympathie due aux persécutés ; par un effet d’optique bien explicable, elle apparait moins tournée contre la Restauration
que
contre
toute
monarchie.
De
sorte
que
personne
n’est. politiquement satisfait: pour les libéraux, la piéce est inutile et méme d’origine suspecte ; pour les ultras elle est une revanche provocatrice, un dernier coup porté au régime tombé ; les gouvernementaux ne soutiennent qu’avec tiédeur une piéce qui peut leur paraitre fonciérement anti-monarchique. La querelle littéraire interfére d’une maniére fort confuse avec 20. Recette tout compte fait relativement faible et trés inférieure 4 ce que Hugo ouvait espérer, ou A ce qu’il efit gagné 4 la Comédie. Sur ce point comme sur
Eeducprp drautres, la haine égare Biré,
;
UNE
EPREUVE : MARION
DE LORME
A LA SCENE
les conflits politiques ; c’est le Globe qui donne Vimage la plus parlante (6 septembre 1831) : Un n’existe ques ou sont des
littérature
L’Avenir
des hommes
du vieux
et le Correspondant
des soi-disants tels, des défenseurs
rature
confusion
journal aujourd’hui est une anarchie vivante ; nul lien entre ses opinions politiques et ses théories. scientifilittéraires; ainsi le Courrier francais et le National libéraux, des novateurs, des désorganisateurs, en poli-
tique, et en
siques.
de cette
65
des romantiques,
c’est-a-dire
sont
régime,
des
des
catholiques
clas-
ou
de la vieille foi, et en litté-
des sceptiques.
Passons sur cette derniére formule et Jes commentaires qu’elle appellerait ; ce qui est certain, c’est qu’en aotit 1831 le « front commun » idéologique non tant contre le drame romantique que contre le drame de Hugo, ne s’est pas encore constitué. I] y a encore des articles favorables
et méme
trés
favorables,
comme
celui
de
l’Avenir
(Mon-
talembert) et celui de Nodier; les articles hostiles gardent un ton modéré ; l’ensemble traduit plutdt la froideur et l’indécision. De 1a, des jugements aussi opposés que ceux de Hugo et de Sainte-Beuve; Hugo déclare dans une lettre 4 Mme Menessier-Nodier : « Ma pauvre comédie a été singulierement flattée et vernissée par la critique” » tandis que Sainte-Beuve déclare avec plus de pertinence: « Les journaux sont séveres ™. » Deux remarques cependant : tout d’abord, articles élogieux et articles sévéres se répartissent dans tous les secteurs de l’opinion; cest un aspect des choses que nous retrouverons 4 propos de tous les drames de Hugo. Ainsi, l’article le plus élogieux est celui de
lAvenir, le journal de Lamennais,
apres quoi viennent
la Révolution
de 1830, la Revue de Paris, et le Journal des Débats; ces organes représentent, 4 part les ultras (encore l’article de la Gazette de France
est-il pluto6t favorable), pratiquement toutes les nuances de l’éventail politique. L’embarras des libéraux est symbolisé par Ja présence dans la Revue des Deux Mondes, de deux articles, un nettement favorable, l’autre, celui de février 1832
celui d’aoftit 1831 (Gustave Planche)
tout a fait hostile. Contre la piéce, se déclarent presque tous les journaux ultras, comme la Mode, ia Quotidienne, le Courrier de Europe, ‘des journaux libéraux, comme le National et le Globe ; 4 quoi il faut ajouter les organes modérément gouvernementaux comme le Temps*®. Ne se pro_noncent guére des journaux d’opinion aussi opposée que la Gazette de
France, légitimiste, et le Courrier frangais, ultra-libéral. Ensuite la plupart des critiques, bien loin de confondre le cas Hugo, et la querelle du Romantisme, les distinguent soigneusement ; citons par exemple Je Mercure de France qui, aprés une attaque virulente contre le Romantisme, épargne Marion, « Hercule chez les Pygmiées ? » (aot 1831, tome 34, p. 374). Pratiquement jamais (a part chez Nodier) le probléme littéraire du drame romantique n’est posé 21. 5 septembre
1831, O.C., IV, 1047.
22. Lettre de Sainte-Beuve a Victor Pavie, s.d., ibid., 1046. 23. Parmi les journaux hostiles comptons aussi, je Journal des artistes, le Corsaire, la Gazette littéraire, le Figaro ; et parmi les tiédes : l’Artiste, la France nouvelle, VEntr’acte et le Courrier des thédtres de Ch. Maurice, qui, venant de « toucher » de la P.S.M., devaii modérer son zéle contre le Romantisme.
5
66
LE ROI ET LE BOUFFON
a propos de Marion. Les critiques, bien loin de formuler un jugement d’ensemble, se contentent de petites remarques, esquivant par embarras les vrais problémes. Cette mollesse de la presse s’explique aussi par deux motifs dont nous retrouverons les traces dans les textes ultérieurs.
Quand
Hernani
violait
Je
sanctuaire
de
la
Comédie,
il fallait bien réagir ; mais quand Marion se répand 4 la Porte SaintMartin, ce n’est que demi-mal, et il vaut mieux Jaisser faire : ce diable d’homme serait bien capable de se rebiffer si on le poussait a bout, et de retourner A une scéne subventionnée. Et puis Hugo a un nom, c’est le poéte des Odes et Ballades et des Orientales, le romancier
de Notre-Dame
de Paris ; avant
de le condamner,
il faut
prendre des gants, et l’on voit poindre le théme cent fois rebattu de Hugo — qui-est-un-poéte-mais-qui-n’est-pas-un-auteur-dramatique. Passion et passions. Ce qu’ont aimé les admirateurs de la piéce, dans Marion de Lorme, c’est avant tout Pimage de l’amour ; presque tous les articles, méme ceux qui sont réservés, ou hostiles, rendent hommage 4 cet
aspect de l’ceuvre, ainsi l’Artiste : « Ce qui domine dans Marion de Lorme, c’est une passion éloquente et jeune, pleine de poésie et de charme, ardente et chaste, c’est toutes les imaginations exaltées VEntr’acte (13 aotit) : « Dans tout amour, amour surtout, amour de
le premier et ineffable ont révé ou subi » (7 ce qui est cri de colére, jeune fille, le poete est
Presque tout l’article de l’Avenir développe nait au romancier
qui, avec
de la fange,
ce theme:
amour que octobre) et vengeance, sublime. »
« Il apparte-
avait fait cette
création
si
belle, si pure, si aérienne d’Esméralda, de purifier en la touchant, cette autre boue que l’histoire a appelé Marion de Lorme. Et qui done avec le poéte a opéré ce miracle ? C’est Amour : pensée profonde ! car aprés Dieu, je ne sache pas de meilleur conseiller de la vertu qu’un amour véritable. » Pour le Globe en revanche: « La passion des deux héros de Ja. piéce est froide et forcée: il n’y a rien d’arraché au fond du coeur, qui émeuve, qui transporte, qui fasse sentir des larmes; M. Victor Hugo a beau dire, ces gens-la ne s’aiment pas. » Pour le Journal des Artistes du 4 septembre: « Didier n’est qu’un froid bavard, souvent plus occupé de lui que de celle qu’il aime. » Pour l’Entr’acte, Vamour de Didier n’est qu’une < passion fausse ». Janin, dans le Journal des Débats du 4 octobre élargit la discussion, passant subrepticement de la peinture de la passion, 4 la peinture des passions, et Von entend ici le leitmotiv de la critique sur Hugo romancier ou dramaturge: Hugo ne sait pas peindre les passions, Hugo n’a pas de « psycholo- | gie » : « En général Victor Hugo n’entend rien a l’expression des passions. Les deux amants n’ont pas de ces élans passionnés, de ces traits de sentiments qui étonnent, qui entrainent comme dans Racine. » Cette « tarte 4 Ja créme » de la critique, trouve en Gustave Planche son meilleur interprete : « Il (Hugo) se préoccupe de la pompe du spectacle, de la richesse des images, du dévouement cheva- ~ leresque, de l’amour ardent et naif plus volontiers et plus facilement, que de l’analyse d’un caractére et du mécanisme des passions. » Bient6t Planche renoncera 4a mettre 4 lV’actif de Hugo un « dévouement chevaleresque », ou cet « amour ardent et naif » pour ne plus voir
FAL e S E
UNE EPREUVE : MARION DE LORME A LA SCENE
67
en lui que le peintre de la matiére, incapable
de saisir les réalités
spirituelles.
mis
Visiblement,
ici, il n’a pas
encore
son
artillerie
en
batterie. Ce qu’on
attaque dans le personnage de Marion de Lorme, ce n’est pas la vraisemblance psychologique, ni méme, sauf l’exception, d@ailleurs modérée, de la Quotidienne, Vimmoralité qu’il y a a peindre une prostituée rachetée par l'amour; c’est aprés coup et bien plus tard que les critiques s’aviseront de cette immoralité. Sur le moment, ce qwils reprochent au personnage de Marion, c’est sa non-conformité au modéle historique*; le Journal des Artistes en profite pour critiquer le drame romantique : « Les prétentions de la Nouvelle Ecole a4 la fidélité, a la vérité historique, s’accommoderont comme elles pourront de cette invention » (4 septembre). I] faut bien com-
prendre ou va cette critique, extrémement générale : il est bien indifférent & tous que Hugo reproduise avec exactitude la vérité biographique d’une courtisane dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle ne fut pas un personnage historique de premier plan; mais le nom de Marion correspond au stéréotype de la courtisane, et pour les critiques, se conformer 4 ce stéréotype, est une des conditions de la vraisemblance au théatre. Ce que Von reproche a Hugo, c’est la non-concordance du personnage avec lui-méme (ou plutdt avec ce qu’on appellerait maintenant son « image de marque »), ce que Yarticle du Figaro appelle « l’excentrique » : « N’y a-t-il pas quelque danger réel 4 renverser 4 plaisir les croyances historiques et des mille accidents d’une vie connue et complete, 4 rechercher précisément ce qui en est le moins intime, le plus excentrique ? C’est le eas pour Marion de Lorme, elle a pu sincérement aimer dans sa vie, mais est-ce lA Vinstant qu il fallait choisir ? Et ot est Marion folle de son corps misérable ? Ce sera la Marion si vous voulez; ce sera la votre, mais non la Marion, la Marion du peuple... » (8 septembre). Cette division intérieure du personnage, les critiques la signalent a propos de Didier, « le plus aimable des hommes, dit le National, mais qui grince des dents 4 chaque minute et demande la mort a chaque parole », et le Figaro du 13 aout analyse les antithéses psychologiques : « Je prendrai un étre corrompu (...) de ce limon impur je
-ferai
une
femme,
prendrai Marion
ensuite
un
ange.
Ce
sera
beau
de Lorme, je la volerai 4 Histoire.
d’impossible. » On
Je
voit com-
ment la critique portant sur la non-cohérence psychologique du personnage, se lie d’une fagon précise au probleme de la veérité historique. Marion
et Vhistoire.
Deux questions : tout d’abord, celle de la valeur de la piéce en tant que drame historique, ensuite celle de sa signification politique. Sur le premier point, les incertitudes abondent. Presque personne ne nie la couleur historique de l’ceuvre ; mais dans le méme temps on signale les anachronismes psychologiques. Couleur historique : 24. Ce développement se retrouve dans le Courrier des thédtres, la Revue des Deux Mondes, le Courrier francais, le Courrier de l’Europe ; la Revue des Deux Mondes d’aodt 1831, et la Révolution de 1830 du 15 aotit, justifient Hugo de cette non-conformité, de méme que l’Entr’acte et la Revue de Paris. :
68
|
LE ROI ET LE BOUFFON
« Qu’est la piéce de Marion
de Lorme?
De Vhistoire,
une peinture
vraie et largement esquissée, d’un jour de la vie si pleine de Louis XIII... L’histoire est vraie pour Louis XIII et sa cour: vus du haut de sa pensée, et jetés vivans des pieds A la téte, sur une toile
large comme la main, car il a suffi d’un acte 4 l’auteur pour peindre le siécle de Richelieu » (l’Entr’acte). Pour le Courrier des thédtres (13 aofit) : « La piéce avec son fond romanesque, son intrigue d’invention
(...), fait mieux
connaitre
les personnages
du temps
que tous
les gros volumes d’histoire » ; et le 16 septembre: « Le drame est empreint d’une couleur historique générale dont on ne saurait contester la vérité. » Le Journal des Débats admire particuliérement le discours de Nangis : « A mon avis tout le drame de M. Victor Hugo est dans
cette
scéne,
toute
l’époque,
tout Louis
XIII,
tout Richelieu,
toute une histoire. » Mais le méme Janin dans le méme article remarque l’anachronisme des personnages : « Didier, philosophe sceptique 4 une époque turbulente,
active,
belliqueuse,
passionnée,
en
dehors,
Didier
isolé,
sans nom de famille, homme du peuple 4 qui le Cardinal fait trancher la téte et dont il s’occupe comme d’un comte féodal, Didier et sa vaporeuse passion me paraissent un contresens dans un drame historique », et dans l’Enir’acte : « Au xvii* siécle, au temps de Louis XIII, le caractére de Didier, si recueilli en lui-méme, si réfléchi, presque
lyrique a la facon de Lamartine était-il possible ? Peut-étre que non*, » Pour le Figaro, « Didier est un type 4 peine de nos jours, tant il exprime une civilisation avancée ». L’article du 13 aodit du Figaro montre le lien de l’anachronisme psychologique et de Vincomplétude dans la peinture historique : « Maintenant 4 moi (Hugo) une passion que n’ait jamais éprouvé cette femme : l’Amour, et pour qui ?... pour le peuple (...). Dans cet homme vais-je voir le peuple de ce temps (...), plébe noire; ignorante, nageant dans la misére et le fanatisme ? (...) Ce serait trop attendre. Didier, ce sera
une
abstraction
du temps,
des
moeurs,
de ’humanité.
A la cor-
ruption faite ange j’ajouterai ignorance contemporaine faite poésie et métaphysique. » On voit des réactions plus brutales. Pour la Quotidienne, Hugo a fait du siecle de Louis XIII une caricature : « M. Victor Hugo (...) n’enlumine pas une époque, il la barbouille (...); pour rendre les traits plus saillants, il ne faut pas les rendre difformes, et il y a entre la caricature et le portrait un juste milieu qu’il est bon de garder, méme dans le drame. » Le libéral Gustave Planche est bien plus violent : « L’Histoire, pour Victor Hugo,
n’est que Vhorizon
de la plaine
ot. se joue sa fantaisie, le cadre de la toile ott il trace ses figures. Il prendra d’un roi plut6t son nom, un symbole pour sa pensée, que sa vie et les faits dont elle se compose, c’est ce qui explique . pourquoi
Charles
Quint,
Louis
XIII
et Richelieu,
sont
devenus
sous
sa
plume si infidéles au souvenir qui nous reste. » Critique a4 la fois injuste et perspicace, comme presque toutes celles de Gustave Planche a propos de Hugo. On voit, par ces deux exemples, 4 quel point il a été difficile 25. Le texte se poursuit par une idée quelque peu différente et qui: sera singuligrement exploitée : « Il est trop évident que l’auteur s’est hago le lui-méme a son personnage, >
UNE
EPREUVE : MARION
DE LORME
A LA SCENE
69
aux critiques de donner de la vue historico-politique de Hugo une image cohérente. Pour |’Entr’acte, pour le Mercure de France, pour LPAvenir, la peinture de Richelieu, comme celle de Louis XIII, mérite tous les éloges. « Richelieu, ministre-roi, prétre-bourreau, voila véritablement le drame » (l’Entr’acte). Le Cardinal « regne invisible,
et remplit tout d’un effroi mystérieux ; c’est le mauvais génie. Tout cela est sublime et terrible » (Mercure de France). « Mannequin royal (...) Louis XIII fait mal de réalité » (l’Avenir), « Il y a de belles
choses
dans
l’esquisse
et méme
du caractére
le National : de Louis
XIII,
dans la peinture des souffrances et des faiblesses de ce roi timide et malade. » La Quotidienne en revanche proteste contre le ridicule attaché 4 la figure royale : « Le ridicule est rare sur le tréne de France, et si Pauteur n’avait pas été préoccupé du besoin de tirer des sentences romantiques du rapprochement tout classique du roiministre
et du ministre-roi,
il aurait
senti
qu’aprés
tout, c’était
une
chose remarquable que ce sens profond de Louis XIII qui n’ayant point le génie du pouvoir, le prend par la main quand il se présente... » (15 aofit.) Ce jugement ne surprend pas de la part de la Quotidienne, mais les critiques libéraux, le Globe par exemple, ne disent pas
autre
chose:
« Louis
XIII
étale
sa faiblesse,
son
impuis-
sance d’agir devant Richelieu, sa nullité royale, avec une facilité, une impartialité qui ferait croire que cela ne le regarde pas. » Les libé-
raux en ont surtout 4 la peinture de Richelieu: ils supportent mal de voir attaquer le ministre briseur de l’aristocratie ; le Globe s’en prend aux atrocités débitées contre Richelieu, dont « l’auteur s’est _assuré a faire un véritable bourreau aux manches retroussées >». Et dans le National: « On sera frappé d’une chose, c’est que le poéte ait fait d’un homme comme Richelieu, d’une renommée mélée a de si grandes
choses
et 4 de si grands
événements,
une
béte
féroce
de
bas étage, acharnée a la perte de deux pauvres gens. » Méme son de cloche dans le trés libéral Courrier francais (15 aofit), et dans la Quotidienne. En définitive, les réserves sur l’exactitude historique de Marion de Lorme, sur la sévérité de Hugo pour Louis XIII et Richelieu, sont autant le fait des libéraux que des ultras. Hugo parait se heurter sur ce point, 4 une sorte de tabou qui est plus idéologique que politique, comme si on lui refusait le droit de mettre en question les gloires nationales,
et tout particuli¢rement,
le xvu° siécle.
Le rire et la mort.
Il n’y a pas de piéce de Hugo plus véritablement gaie que Marion de Lorme; la scéne ot le Gracieux mystifie le policier-bourreau Laffémas est une bonne scéne de comédie. Pourtant la presse se plaint que le comique, dans Marion, soit plus sinistre que gai. Malgré les avertissements de Hugo dans la Préface de Cromwell, les critiques n’ont pas saisi ce qu’était le grotesque hugolien, et ils reprochent a Hugo ce qui est son intention propre. Tous, y compris l’Avenir, si favorable 4 Hugo, voient dans le caractére philosophique et funébre du fou L’Angély un défaut et non une volonté délibérée. Le Globe signale : « M. Victor Hugo n’a pas su éviter d’abuser
de la permission
de faire dire la vérité aux fous des rois au point de les présenter comme de véritables juges et philosophes profonds. » Remarque
70
LE ROI ET LE BOUFFON
pertinente dans la mesure ol se trouve indiquée cette équivalence entre Je roi et le bouffon qui est une des clefs du grotesque hugolien. Plus superficiellement le Corsaire du 17 aoit se moque du personnage de L’Angély : « Ce fou est un Caton, un sermonneur, un ennuyeux et insipide personnage; (...) quand il veut rire, il grince des dents; si Yon m’égaie de cette maniére, ie n’aurai plus qu’a me jeter 4 l’eau. » Et le Temps : « Le comique est sinistre et la plaisanterie cadavé-
reuse. > L’Entr’acte fait une longue analyse des insuffisances du comique chez Hugo; aprés avoir signalé, dans le 4° acte, « une admirable puissance de génie », le critique poursuit : « La faute ne tient qu’a cette fantaisie de l’auteur de ne chercher jamais ses contrastes que dans
Vopposition
du plaisant avec
le sévére pour
emprunter
le lan-
gage classique; et comme suivant toute apparence, M. Hugo ne posséde qu’a moitié le secret du comique de situation, il arrive que Veffet de la scéne lui glisse entre les doigts. Par exemple
il y a dans
ce quatriéme acte une idée de contraste féconde en franche comédie, je veux parler de ce L’Angély, fou solennel et grave, qui répond par des réflexions sur la mort, 4 ce roi Louis XIII qui le supplie de Végayer. Eh bien, cette scéne ne cause nulle émotion, pas plus que celle de l’enterrement de Saverny emprunté du reste 4 la véritable histoire de Marion, pas plus que l’arrivée des baladins dans le chateau du vieux Nangis (...).
« Soit impuissance, soit systeme, au travers du plaisant vient toujours se jeter une préoccupation de sérieux, ou bien quelque figure patibulaire qui'tempére l’effet comique. On ne rit ni‘ne pleure. Il faudrait pourtant opter. » Au travers des confusions et des obscurités de ce texte, on percoit Vidée que le comique hugolien ne correspond pas aux normes et ce n’est pas par hasard qu’on se trouve ici renvoyé aux formules de l’esthétique classique : le plaisant, le sévére, la franche comédie; le grotesque hugolien échappe au code culture], il déconcerte, il déroute. Mais chez les uns et chez Jes autres, les réserves sont exprimées avec modération dans la mesure oti cet
aspect de la dramaturgie hugolienne est tenu pour une maladresse, pour un manque, et non pas pour une volonté délibérée de contester et de casser l’esthétique traditionnelle. Aprés le Roi s’amuse, le doute ne sera plus permis, et la presse tout entiére se répandra en impréeations contre le grotesque hugolien, cet outil 4 décentrer le drame.
Ce que les critiques percoivent, avec plus ou moins de lucidité, mais que leur formulation indique par les juxtapositions sémantiques, c’est la parenté du grotesque et de la mort, « plaisanterie cadavéreuse », ¢« réflexions sur la mort », « figure patibulaire », « je n’aurai plus qu’a me jeter 4 l’eau ». Chose plus surprenante, méme dans le cas ot elle n’est pas directement liée au grotesque, la présence de la mort irrite et inquiéte les critiques: « La fin de Vouvrage, dit la Quotidienne, n’est que le long et fastidieux procés-verbal d’une agonie. » Remarque d’autant plus intéressante qu’elle lie Marion a Voeuvre qui la précéde, le Dernier jour d’un condamné, Sur ce point, le Corsaire du 13 aotit ironise: « [ly a une tirade qui se distingue particuliérement par le plus singulier cliquetis de tétes, de squelettes, de sépulcres et de cadavres
qu’on ait jamais entendu : on se croirait
dans un charnier ot les ossements humains dansent la ronde du sabbat. » Perspicace, Rolle dans le National lie cette danse macabre
UNE
EPREUVE : MARION
DE LORME
au theme de la décapitation: « La tirade d’hémistiches sur les tétes coupées qui passe adresse au roi une tirade de cinquante vers tions de Richelieu et de deux vers en deux la rime. >
A LA
SCENE
71
de Nangis offre un luxe toute imagination. Nangis sur les sanglantes
exécu-
vers, une téte tombe
avec
L’unité. Nous passerons rapidement sur les remarques et les reproches techniques adressées 4 la piece, le caractére « tout lyrique » du premier
acte
contrastes
selon
le Figaro;
de Vacte
Ill que
l’acte
II, « seconde
regrette
Avenir;
exposition
le caractere
»,
et les
de hors-
d’ceuvre d’une bonne part de l’acte III, en particulier la scene des eomédiens que le Figaro juge plaquée. Presque tous les reproches * que les critiques adressent 4 Hugo tournent autour d’une idée centrale qui figure dans presque tous les comptes rendus : ce qui. manque au drame hugolien, c’est l’unifé. Pour le Courrier francais du 15 aout, « les incidents se heurtent au lieu de s’enchainer » ; pour le Globe : « Par réaction contre la simplicité souvent monotone de l’action du drame classique, il veut multiplier les effets, les. personnages, et a propos d’un fait, d’une passion, metire en. scene, grouper toute une époque avec ses variétés, ses différences, ses. oppositions (..,);. il devient fort difficile de conserver dans le drame une unité quelconque qui fixe, qui domine, qui intéresse au-dessus de tout cette foule. » Pour la Gazette de France: « En haine de Vunité froide et monotone du drame
ancien,
M.
Hugo
est tombé
dans
la variété
désordonnée
-anarchique. Le drame ainsi con¢cu n’est plus qu’une lanterne magi_ que. » Le National tient le méme discours: « A la régularité un peu froide et monotone, mais du moins correcte et noble de notre scéne francaise », Hugo substitue « un désordre barbare, un inextricable chaos >, et Jules. Janin, dans les Débats, accable le poete sous sa
condescendance : « Pardonnons drame ou il peut. » Le.«
donc a Vauteur de laisser aller son
style » subit aussi le reproche
capital
d’étre heurté.
Pour
le Corsaire : « La forme: elle brille tour 4 tour par le sublime et le ridicule, le gothique, ’audacieux et le biscornu » ; il voit dans ]’esthétique de Hugo une esthétique du discontinu, des lueurs isolées signajJant « Véclat, ou plutot Vétrangeté d’une soixantaine de vers qui scintillent de loin en loin dans l’ceuvre de M. Hugo ». Hiatus et cacophonie
sont stigmatisés
autant
par
la Gazette
de France
que
par le
Journal des Artistes entre autres critiques; et chacun de citer des exemples de vers rocailleux ; on songe au fameux pastiche de la Caricature : « Ou, 6 Hugo, juchera-t-on ton nom ?... » Ce qu’on lui reproche, c’est de refuser le style un, la continuité cursive du ton, de legato. Quelques années plus tard, Sainte-Beuve écrivant a Théodore Carlier le 2 février 1837, lui rappelait: « Mais pensez a ceci: a Vharmonie
naturelle,
a Ja fusion
du ton, au coulant ; Lamariine
en
a trop peut-étre ; mais Hugo en a trop peu”. » 26. Les chaleureux,
éloges ont
adressés
pour
4 telle
caractéristiques
ou
telle scéne,
d’étre
a@étre le fruit d’une critique subjective qu’ils aiment. 27. Sainte-Beuve, Corr., I, p. 162.
A tel
en général
: les auteurs
ou
tel acte, quoique
immotivés,
sont
fort
impressionnistes,
loin de s’entendre
sur ce
72
LE ROI ET LE BOUFFON
Le grand siécle.
Ce qui organise ensemble des jugements littéraires sur Marion | de Lorme, si flous qu’ils soient, si peu assurés d’eux-mémes, c’est une doctrine
moins
confuse
ou d’un maintien les solécismes
qu’il n’y parait, et qui est celle
du classicisme.
et les barbarismes
d’un
retour,
De 1a les attaques furieuses
contre
de Hugo ; sur ce point, ultras, gou-
vernementaux et libéraux se retrouvent. De la Quotidienne du 15 aoit: « M. Victor Hugo a fait comme on sait alliance offensive — et défensive avec le barbarisme et le solécisme, ces usurpateurs que notre siécle a mis sur le tréne sous le nom pompeux de néologisme. > Inutile de souligner le vocabulaire idéologico-politique ; mais si la Quotidienne renvoie au Grand Siécle, ce « roi légitime », elle n’est pas la seule
4 le faire. Tous
les critiques,
méme
les libéraux,
surtout
les libéraux, opposent 4 Hugo les exemples et les concepts de la littérature classique : vraisemblance, peinture des passions, refus du mélange des genres, unité — et sur tout cela, le grand nom de Racine (Débats
et Journal
des Artistes).
Tout se passe comme si on opposait A Hugo une « idéologie |) littéraire » qui reprend 4 son compte celle du Grand Siécle : la bour- || geoisie triomphante se veut l’héritiére des valeurs esthétiques de la | monarchie
a son
apogée;
tous, se font les apologistes
les
libéraux,
du maintien
bourgeois
de l’ordre
conscients
entre
classique.
Ainsi
Rolle jette les bases d’une critique idéologique conséquente du théa- | « C’était Phumanité tout entiere que vous promettiez |
tre de Hugo:
de nous montrer en cing actes et en vers, un drame de mille coudées, un drame géant! (...) mais quand i] a vu (le public) comment vous
|
traitiez Phistoire et qu’au lieu du cceur de homme, vous montriez ses hauts-de-chausse ou son pourpoint ; quand il a été convaineu que cet immense drame 4 pas de géant, n’était le plus souvent que le drame vulgaire se déguisant sous des formes exagérées, enflant ses joues (...) le public s’est dit: quelqu’un est dupe, du poéte ou de moi. » On voit se dessiner ici les principaux griefs de la critique” contre
Hugo:
tout
d’abord,
Hugo
est le poéte
de la matiére
contre
l’esprit et le coeur, ensuite, il oppose a l’ordre classique, dont il n’est pas capable, un « désordre barbare » ; et quelle barbarie, si ce n’est la barbarie populaire ®? Que Hugo fasse des « drames vulgaires >, des drames pour la canaille, quoi de mieux? la Porte Saint-Martin |
est la pour cela, mais que le drame vulgaire se hausse sous la plume | de Hugo 4 la prétention littéraire, que par l’usage du vers, il prétende | a étre aussi le drame de V’élite, voilé qui ne saurait étre accepté: | sur ce point, la Gazette de France et la Quotidienne donnent la main ‘au National *. De 14 deux thémes liés. Tout d’abord : Hugo n’est pas un dra- | maturge,
qu’il renonce
donc
au théatre!
pour
la Gazette
de France
« il y a du talent, beaucoup de talent dans cet ouvrage, il en aurait fallu moins, et de plus applicable aux émotions graduées et actives 28. Nous divergences années.
Voir
employons
le terme
individuelles, infra, p. 131.
général
4 dessein,
et nous
verrons
par-dela
se dessiner une unité de la critique qui s’affirme ;
avec
les — les ©
29. Peu aprés, Vigny fait tourner tout son roman de Daphné autour de Videntification du peuple et des Barbares. 30. Voir le Journal des Artistes, la Gazette de France, et le Courrier des thédtres du 7 septembre.
— —
UNE
du théatre
EPREUVE
», et pour
: MARION
le Figaro
n’était pas dans Hernani,
DE LORME
A LA SCENE
du 18 aott,
« le poéte
mais la il est moins
encore
73
dramatique
».
Pourquoi cela? C’est que Hugo est seul, en retrait par rapport a un public avec lequel il est en situation de désaccord. Planche Vavertit : « S’il ne. se condamne pas 4 |’étude attentive et pratique de
la société,
il subira
fatalement
dans
ses
conceptions,
les
consé-
quences d’une méditation solitaire ; il inventera des fables monotones. » Il y a donc dans ce texte deux mots importants : c’est le mot pratique, qui invite Hugo a se soumettre, dans les faits, aux injonctions idéologiques dominantes ; et c’est le mot monotone, appel 4a un theme 4 peine esquissé dans la critique de Marion : Hugo est incapable d’écrire une fable qui ne le représente pas lui-méme ; aussi ne peut-il que se copier éternellement *. Le
Journal
des
Débats,
avec
une
formulation
plus
aimable,
signale le divorce de l’auteur ‘et de son public : « Hugo hardi novateur a tout 4 faire : son théatre, ses acteurs, son public et jusqu’a la critique appelée a le juger. » Le mot du National, comme celui des Débats,
traduit
une
situation
d’attente’;
de la les incertitudes
de la
critique, de la les égards et indulgences. Mais il y faut entendre aussi un avertissement : ce fossé entre l’auteur et son public, entre l’auteur et la critique, il faudra le combler ; l’auteur dramatique ne peut que se soumettre ou se taire. Une intéressante exception : ’!hommage rendu 4 Hugo par Nodier dans le Temps du 31 octobre et du 2 novembre, aprés la publication de la piéce *. [1 y dit son admiration pour Hugo, admiration qui est « un sentiment sans restriction, un sentiment presque religieux (...) >, mais il reconnait
que
« le drame
de M. Victor Hugo
est chose
neuve, tentée (...) 4 laquelle le spectateur n’est préparé ni par ses traditions ni par ses études ». Tout l’article porte sur le « style » et sur les innovations de la versification, que Nodier tient pour légitimes : « N’écoutez
‘d’avoir rompu
pas,
aux grands créateurs,
2 novembre.
dit-il
4 Hugo,
le vers » et il se moque un Térence,
de Nodier,
les gens
un Racine.
4 propos
qui vous
reprochent
des critiques qui s’attaquent II y a dans
de la tragédie classique
l’article
du
un dévelop-
pement qui a di plaire 4 Hugo, et qui rejoint par un biais la thése de Guizot * ; la tragédie, ce n’est pas la parole des hommes, c’est la parole du seul Racine: « C’est Racine partout, Racine incomparable (...). N’y cherchez ni hommes, ni femmes, ni politiques, ni guerriers, ni la multitude,
ni Je héros, vous
n’y trouveriez
que Racine.
»
Et Nodier de se lancer dans une attaque a la fois politique et littéraire contre la phrase classique : « C’est cet orgueil de la phrase, cette étiquette de la parole, cette aristocratie du verbiage, qui nous est particuliere, c’est elle qui nous a rendus si dociles en politique au détestable joug des avocats (...) c’est elle qui nous a privés du drame naturel et vrai. » Suit un développement sur la nécessité de
donner
dans
le drame
la parole
au
peuple,
développement
ou
se
31. Ce reproche figure déja dans l’Artiste et dans le National : « Il est cruel rh sap par deux ouvrages dont l’un n’est guére que le second exemplaire de
autre.
»
32. Voir
IV, 1047 moi,
la lettre
: « Un
ce sera
de
Hugo
4 Mme
article de Charles
du bonheur.
Mennessier-Nodier,
sur Marion,
5 septembre
ce sera plus que
»
33. Voir plus loin Le double projet de 1832, p. 79-80.
1831,
O.C.,
de la gloire pour
74
:
LE ROI
ET LE BOUFFON
voient clairement les contradictions de Vesthétique dominante: « Si jamais les constitutions d’un royaume ont défendu au peuple de parler, les constitutions d’Aristote le lui défendent: bien davantage. Le peuple a beau étre le sujet et le mobile de V’action (...) nul classique francais n’a daigné le conduire jusqu’au proscenium. » Seul Shakespeare.... Mais Hugo a la différence de Nodier sait qu’on ne peut pas faire parier le peuple *, et quil ne mérite pas sur ce point Véloge de Nodier. Au reste, ajoute Nodier, « léducation de notre parterre
national
n’est
pas
enti¢érement
achevée,
‘et (...) léducation
du poéte inventeur n’est pas compléte non plus ». D’oi les réserves et les conseils : « Soyez plus ménager des licences de votre versification, lesquelles ne. sont pas nécessaires » ; il recommande « une sobre et judicieuse économie (...) Craignez les métaphores qui ne servent qu’a amplifier la pensée sans lui donner de la force, les citations hors de propos, les néologismes bizarres. » Hugo n’épargnera pas les sarcasmes 4 ces critiques de la sobriété. Méme Nodier qui l’admire ne le comprend pas.
34 Nodier
Voir ibid., p. 86 et méme page n. 54. Le rousseauisme sénetionriataa de (fréquent chez les ultras) plaide pour la « démoeratie directe » :
L’ANNEE 1832
ade
2a.
Ping hae wbaey
LE DOUBLE PROJET DE 1832
Nous n’avons pas de témoignage sur ce qu’a pensé Hugo du demisuccés de Marion de Lorme. On ne peut guére prendre au sérieux les formules
du Témoin,
elles sont toutes .superficielles. Excepté
une,
lancée négligemment au détour d’une phrase et qui parait engager plus qu’elle ne dit : « Madame Dorval (...) dit mal les vers du Cid}. » Eh oui! les acteurs de la Porte Saint-Martin disaient mal les vers, méme l’admirable Dorval. Tres probablement Hugo tenait qu’un
drame en vers n’était pas pour ces acteurs « modernes? ». Allons plus loin: c’est toute l’esthétique d’une ceuvre comme Marion qui n’allait pas a de tels acteurs.
A l’intention
de la Porte
il fallait des ceuvres d’un autre caractére. Des garde Hugo d’y songer. Mais des ceuvres plus « « engagées », plus populaires, sans doute. Dans la Préface de Marion (aott 1831) nous mal a déchiffrer a la fois une « auto-critique » « .. La censure murait le théatre. Aucun moyen ment, grandement, aussi
avec
loyalement
la sévérité
sur la scéne,
de l’artiste,
un
roi, un
avec
Saint-Martin,
mélodrames ? Dieu audacieuses », plus n’avons pas grand et une promesse : de traduire naivel’impartialité,
prétre,
un
mais
seigneur,
le
moyen age, l’histoire, le passé. » Ce que Hugo affirme, avec la plus grande énergie dans les deux derniéres pages de la Préface, c’est que les temps ont changé: « Il fallait donc que la révolution sociale se complétat
pour
que
la révolution
de l’art pit s’achever
(...). Mainte-
‘nant Vart est libre. » Ce n’est pas tout, et Hugo met l’accent sur Pidée qui détermine sa dramaturgie : la modification du public: « Le public, cela devait étre et cela est, n’a jamais été plus éclairé et plus grave qu’en ce moment. Les révolutions ont cela de bon qu’elles murissent
vite, et 4 la fois, et de tous
les cétés,
tous
les esprits.
»
C’est donc le changement dans la nature du destinataire qui permet a l’artiste le changement, le progrés dans l’art: « Pour l’artiste qui étudie le public, et il faut l’étudier sans cesse, c’est un grand encouragement de sentir se développer chaque jour au fond des masses une intelligence de plus en plus sérieuse et profonde de ce qui convient a ce siécle, en littérature non moins qu’en politique. » Lignes capitales : Hugo y affirme non seulement l’importance décisive du destinataire, mais la possibilité pour ce public d’accepter et de comprendre le message. Il affirme du méme coup Videntité du public et
teur t
1. V.H.R., 0.C., IV, 1200. 2. Dans le deuxiéme traité pour Marie Tudor, Hugo stipule que si Harel, direcde la Porte-Saint-Martin, devient directeur du Théatre Francais « la piéce
pourra étre en vers ». V. infra, p. 208, n. 82, 209. 3. Préface de Marion de Lorme, O.C., IV, 465-466.
74
Ne
LE ROI ET LE BOUFFON
du peuple: « Le théatre maintenant peut ébranler les multitudes et les remuer dans leurs derniéres profondeurs. Autrefois le peuple, c’était une épaisse muraille sur laquelle Vart ne peignait qu’unefresque. » Impossible de se méprendre: ce texte est typique de la pensée libérale de « progrés », celle qui voit dans l’art un outil 4 civiliser les masses, et plus encore celle qui voit dans le peuple cette unité « mythique* » englobant la bourgeoisie, et le peuple (paysans et prolétaires) 4 mesure qu’ils se civilisent. Pensée claire et nette, sur laquelle il n’y a apparemment aucune contestation possible. A peine si on peut entendre ca et 14 quelque dissonance : par exemple Hugo affirme 4 la dérobée, sans avoir l’air d’y toucher, le caractére nécessairement historique de son drame, refusant par la méme Il’une des revendications essentielles de l’esthétique libérale, l’ceuvre d’actualité, contemporaine, bourgeoise®; il récuse tout art directement
politique et allusif*, refusant
du méme
direct ou indirect de Napoléon’,
coup
de se faire le chanire
de la Révolution
de Juillet ou de la
monarchie du méme nom. Et si l’on doute du caractére volontairement optimiste, utopique, de ce texte, il n’est que de songer que la derniére
phrase citée, celle de l’art peignant
peuple figure dans accent pessimiste.
Feuilles
Malgré ces dissonances, ira croissant,
ce
qu’on
paginées,
mais
légéres dans
entend,
c’est
une
« une fresque
» sur
au
avec
présent®,
le
un
ce texte et dont la gravité profession
de foi libérale,
une déclaration de confiance dans l’avenir d’un théatre fait pour un public a la fois un et éclairé: « Ce serait ’heure, pour celui 4 qui ‘Dieu en aurait donné le génie, de créer tout un théatre, un théatre -vaste et simple, un et varié, national par Vhistoire, populaire par la vérité, humain, naturel, universe! par la passion’. » Que l’on n’imagine pas une cascade de mots vides ! chacun mériterait une analyse et reparait dans l’oeuvre comme dans les préfaces : le centre nous parait ici ’idée d’unité totalisante, rassemblant les contraires, l’article un reprenant ses connotations d’unité — doublement un si l’on peut dire, par la nation et par le peuple, Yun et l’autre unifiés et coincidant aussi
avec
l’universalité
« humaine
», nous
allions
dire
humaniste.
C’est dans la perspective de cette unité postulée que nous parait se placer ’appel a Napoléon, ni visée politique ni assimilation paranoiaque, mais renvoi 4 la plus forte perspective d’unité qui puisse se présenter 4 esprit d’un homme de 1832 : l’empire unificateur.
4. MM. Journet et Robert dans leur emploient avee raison ce mot de mythe. 5. Notons qu’il répéte cing fois, sous
Mythe
du
Peuple
dans
les
Misérables
des formes diverses, lV’idée d’un drame historique. La Préface s’inscrit dans le climat du triomphe d’Antony, drame contemporain (5 mai) ; et nous n’avons pas fini de voir la presse libérale reprocher 4 Hugo de ne pas faire de drame moderne. 6. « Les succés de scandale cherché et d’allusions politiques ne lui sourient guére, il avoue » (op. cit., p. 464). 7. Voir plus haut la mode Napoléon, couronnée par le Napoléon Bonaparte de Dumas (10 janvier 1831). 8. Feuilles paginées,
p. 14, O.C., UI, 1197, daté par G. Rosa de 1829-1830; nous renverrions a la fin de 1830 ou au début de 1831 4 cause de la présence sur le méme folio de l’allusion & Mardi-Gras, un des noms de Quasimodo.
9. 0.C., IV, p. 466.
LE DOUBLE Guizot et lEloge de Shakespeare
PROJET DE 1832
79
: une poétique paternaliste.
Cette analyse du théatre de demain, Hugo la connait bien, elle informe partiellement — trés partiellement — la Préface de Cromwell, et figure avec une grande précision dans ce texte de référence qu’est VEloge de Shakespeare de Guizot ™. que
le
théatre est « une féte populaire », que « la poésie dramatique done pu naitre, n’est jamais née qu’au milieu du peuple™ ». théatre est lié 4 la multitude : « Pour de tels efforts, il faut que foule s’assemble : ce qui passerait languissamment d’un homme a
C’est
4 Guizot
n’a Le la un
autre, traverse
avec
cest seulement morale
que
Hugo
peut
la rapidité
au sein
des
emprunter
de l’éclair
masses
que
Vidée
une
centrale
multitude
se déploie
cette
dont le poéte fait éclater le pouvoir ™. » Ainsi
pressée,
et
électricité
le théatre
est
fait pour le peuple: « Telle est la nature de la poésie dramatique ; c’est pour le peuple qu’elle crée, c’est au peuple qu’elle s’adresse ¥. » Mais la restriction paternaliste est immédiatement présente : si le théatre
est destiné
au
peuple,
c’est
« pour
l’ennoblir
(...) pour
lui
révéler des facultés qu’il posséde, mais qu’il ignore, pour lui procurer des jouissances qu'il saisit avidement, mais quil ne chercherait méme pas si un art sublime ne les Inui apprenait en les lui donnant“ ». Aussi Guizot distingue-t-il soigneusement la féte que le peuple se donne a lui-méme, « ou il agit seul », qui est « pour les classes livrées au travail », « délassement », « suspension momentanée des efforts ou des privations de la vie habituelle* » — de Voeuvre dramatique, fruit du génie (« voix puissante »), qui provoquera « ces sensibilités engourdies, et elles se livreront 4 une activité qu’elles ne savaient pas se donner, mais qu’elles recevront avec transport » ; le théAtre naitra — formule d’une admirable clarfé — « sans le concours de la multitude, mais en sa présence et pour elle™ ». Le but du théatre est donc a la fois distraction et culture des masses : « Il faut bien que le poéte dramatique poursuive cette ceuvre ; il faut quil éléve et civilise, pour ainsi dire, la foule qu’il appelle 4 ses fétes *, » Notons que Guizot affirme énergiquement la nécessité pour l’art dramatique de ne pas se séparer du « peuple » ; tout divorce d’avec la masse met sa vigueur en péril : « Né ainsi au milieu du peuple et pour le peuple, mais appelé 4 Vélever en le charmant, l’art dramatique est devyenu dans tous les siécles, dans tous les pays et par le caractére méme de sa nature, le plaisir favori des classes supérieures. C’était sa tendance ; il y a trouvé aussi son plus dangereux écueil. Plus d’une fois se laissant 10. Shakespeare,
Guvres
séduire
complétes
4 cette haute
fortune,
il a perdu
(trad. Letourneur, revue par F. Guizot), Lad-
vocat, 1821 ; ’Eloge de Shakespeare ouvre le T.1. Ce rapprochement a été fait, avec beaucoup de pertinence par M. Barrére (Fantaisie de Victor Hugo, 1, 1949, p. 76-77). C. Duchet
tout
ce 11, 12, 13.
dans
sa
Présentation
que la pensée de Hugo Op; cit. pe rv. Op. cit., p. Vv. Op. cit., p. v.
de
doit
Cromwell
4 Guizot.
14. Ibid., p. vt.
A5. Ibid., ps Vv. 16. Ibid., p. v.
17. Ibid., p. v. Souligné par nous. 18. Ibid., p. vt.
(O.C.,
IIl)
marque
aussi
avec
netteté
80
;
LE ROI ET LE BOUFFON
ou compromis son énergie et sa liberté®. » L’analyse que fait Guizot de cet affaiblissement du théatre devenu aristocratique, ne manque pas de brio. Il conclut en demandant 4 l’auteur dramatique de chercher « dans le suffrage d’un public plus large et plus simple de quoi se défendre contre ces gotits hautains* », et dans des formules que contresignerait Hugo, Guizot voit dans la poésie dramatique
la forme
d’art qui s’adresse 4 toutes les classes sociales. « Populaire en naissant, il faut qu’elle demeure nationale, qu’elle ne ‘cesse pas de com+ prendre
dans
son
domaine,
et de charmer
dans
ses fétes, toutes
les
classes sociales capables de s’élever aux émotions dont se nourrit son pouvoir #, » Populaire,
nationale,
ces
deux
termes,
nous
les reconnaissons:
Hugo les emploie. Ils ouvrent sur une équivoque, celle de la signification du mot peuple : le peuple est-ce ce qui s’oppose aux privilégiés (aristocrates ou bourgeois) ? Est-ce l’ensemble de la collectivité nationale ? Le glissement sémantique est ici frappant; il se poursuit lorsque Guizot parle de la littérature « intimement unie avec les gouts, les habitudes, toute la vie d’un peuple ». Et dans toute la fin de ce texte, le glissement
accompli,
Guizot
lie la littérature
dra-
matique 4 cette réunion des classes sociales qui porte dans sa prose le nom de peuple. I] en tire une conséquence qui sera capitale pour
Hugo: la nécessité de refuser un théatre fait uniquement pour le « peuple » au sens restrictif du terme, pour la « multitude », comme un théatre fait pour la seule élite; ainsi l’auteur dramatique devra dépasser l’opposition classique-romantique : « Avancez sans régle et sans art dans le systeme romantique ; vous ferez des mélodrames propres a émouvoir en passant la multitude, mais la multitude seule et pour quelques jours ; comme en vous trainant sans originalité dans le systeme classique, vous ne satisferez que cette froide nation littéraire qui ne connait dans la nature rien de plus sérieux que les intéréts de la versification, ni rien de plus imposant que les trois unités *. » La fameuse formule de Hugo : « Le Romantisme n’est que le libéralisme en littérature » est déja tout entiére dans cette page, avec la confusion voulue qu’elle établit entre l’instance littéraire et
Yinstance sociale. Conclusion: « N’espérez pas devenir national si vous ne réunissez dans vos fétes toutes ces classes d’esprits dont la hiérarchie bien liée éléve une
nation
4 sa plus haute
1a Yespérance finale en un théatre nouveau «
Des
intéréts,
des
devoirs,
un
dignité™.
» De
appuyé sur un public un:
mouvement
commun
4 toutes
les
classes de citoyens, affermiront chaque jour entre elles cette chaine de relations habituelles oi viennent se rattacher tous les sentiments publics. Jamais V’art dramatique n’a pu prendre ses sujets dans un ordre d’idées 4 la fois plus populaire et plus élevé*. » L’utopie libérale d’un art « au-dessus des classes » mais dont la mission est de « civiliser le peuple » trouve ici son point d’aboutissement.
a Ibid., p. vi-vu. Ibid., p. vii. 3. Ibid., p. viu. 22. het p. 1x.
Pope oCk: 7 p- CL.
25. ibid Pp. CLIL
LE DOUBLE
PROJET
DE
1832
« Le peuple que le thédtre civilise » (Préf. de Marie
81 Tudor).
La scéne est obscure, peut-étre parce que la vérité est sombre *. Nul doute que dans ses grandes lignes, cette thése ne soit celle de Hugo ; c’est a elle que correspondent les inlassables affirmations des préfaces, c’est elle qui justifie l’optimisme hugolien (durement démenti par les faits) sur la qualité du public: « Ce peuple si intelligent et si avancé qui a fait de Paris la cité centrale du progres. » Affirmation de la Préface de Lucréce Borgia qui lui parait assez importante pour qu’il reproduise ce texte deux fois encore, dans son article de Europe littéraire” et dans la reprise de Littérature et Philosophie mélées (But de cette publication). Dans la méme Préface de Lucréce, Hugo met en avant les formules décisives dont il ne se départira jamais (l’on retrouve les mémes dans William Shakespeare) : « Le théatre, on ne saurait trop le répéter, a de nos jours une importance immense,
et qui tend a s’accroitre
sans cesse avec la civilisation
méme*. » Ces lignes apparaissent comme le commentaire, quasi mot a mot, des théses de Guizot ; et sur ce point la « sincérité » de Hugo est indubitable ; il n’est que de se reporter au texte de 1863 pour n’en pas douter:
« Le thédtre est un
creuset de civilisation.
C’est un
lieu de communion humaine. Toutes ses phases veulent étre étudiées. C’est au théatre que se forme l’Ame publique ™. » De méme la thése hugolienne, centrale 4 propos du théatre, de la Préface de Cromwell 4 W. Shakespeare, l’affirmation d’un art élevé, littéraire, contre toutes les vulgarités du mélo ou du vaudeville bour_ geois, est, nous l’avons vu, une thése présente chez Guizot. « Il est a souhaiter, dit Hugo dans ce texte capital du printemps 1833, que les hommes de talent n’oublient pas l’excellence du grandiose et de Yidéal dans tout art qui s’adresse aux masses. Les masses ont l’instinct de Vidéal (...). L’art est grand *. » Nous rencontrons ici chez Hugo, selon une démarche que nous n’avons pas fini de retrouver chez lui, la these bourgeoise-libérale de Guizot, présentée dans toute sa rigueur, et méme poussée, nous allons
le voir, jusqu’a ses extrémes conséquences. Un phénoméne curieux apparait ici: il n’est guére possible de citer un de ces innombrables textes de Hugo qui reprennent avec tant de coeur les théses de Guizot sans s’apercevoir ca et la d’un certain gauchissement. Civiliser le peuple ? Certes, mais aussi l’instruire : « Le théatre, nous le répétons, est une chose qui enseigne et qui civilise...*1 » « Le drame (...) a une mission nationale, une mission sociale, une mission humaine. » (...) « Le poéte a charge d’Ames ®. »
Sil y a chez Hugo comme chez Guizot une vue paternaliste de l’art, ce n’est pas exactement la méme vue paternaliste. La notion de civilisation céde le pas a la notion d’instruction: il ne s’agit plus de polir
Caliban,
d’ « étendre
et vivifier
son
existence
26. Ms. 13418, fo 3, vers 1830. 27. 29 mai 1833. 28. 0.C., IV, 655. 29. W. Shakespeare,
IV, 1, O.C., XII, 205.
30. Repris dans But de cette publication, O.C., VY, 40-41.
31. But.,.,0.C., V, 37. 32. Préf. de Lucréce, 0.C., 1V, 655. 33. Guizot, op. cit., p. vi
morale®
», il
82
LE ROI ET LE BOUFFON
s’agit d’un but autre, que Hugo ne réussit pas 4 définir, autour duquel il tourne, dans une sorte de confusion mais aussi avec une perspective.
C’est si l’on peut dire le liew du peuple* qui change entre la these de Hugo et celle de Guizot : le peuple n’est plus en arriére de Vart, au départ, il est en avant, 4 l’arrivée. Il ne s’agit plus de lui permetire de rattraper une civilisation 4 l’origine de laquelle il est, mais qui a couru devant lui, le laissant sur le sable, il s’agit d’un projet autrement situé : le peuple est en prospective, il s’agit de le faire étre. Le théatre moderne n’est pas créé parce qu’il existe une communauté
de
classes,
un
public
qui
est
unité
de
la société,
le
théatre moderne doit vivre pour créer cette communauté qui n’existe pas. L’approfondissement logique de la thése libérale de Guizot conduit 4 un retournement. De la des formules, comme) celles que V’on trouve dans le Reliquat de Littérature et Philosophie Mélées : « Cette large voiite du théatre, posée comme un crane énorme sur toutes ces tétes dans lesquelles fermente la méme pensée, semble ne plus faire qu’une seule téte, téte immense, téte profonde, téte puissante, seul visa-vis digne et possible au vaste front de Moliére et de Shakespeare *®. » Et plus étonnant encore sous ses allures de mot d’esprit : « Au théatre la foule veut devenir faisceau. De la la nécessité du neeud dramatique **. » C’est probablement dans cette perspective qu’il faut comprendre le paradoxe du théatre de Hugo qui affirme la mission d’enseignement du théatre tout en refusant 4 la scéne toute fonction politique. L’ceuvre dramatique ne peut étre le véhicule d’une doctrine strictement politique. L’avertissement de Hugo sur ce point est inlassable, mais jamais il ne s’exprime plus clairement que dans But de cette publication : Le drame, ceuvre d’avenir et de durée, ne peut que perdre a se faire le prédicateur immédiat des trois ou quatre vérités d’occasion que la polémique des partis met 4 la mode tous les cing ans (...). Si quelque ceuvre d’arta eu le malheur de faire cause commune avec les vérités politiques, et de se méler a elles dans le combat, tant pis pour l’ceuvre d’art; aprés le combat,
elle sera hors de service,
rejetée comme
le reste et ira
se rouiller sur le tas *. Paroles capitales, éclairantes : elles permettent de fixer sans équivoque le retrait de Hugo par rapport aux batailles politiques, qui sont, il le sait ou il le sent, batailles 4 lV’intérieur d’une méme classe sociale, batailles sans importance entre la Résistance et le Mouvement, entre Thiers et Guizot, voire entre légitimistes et orléanistes. Non qu’il n’ait ses préférences, mais elles ne touchent pas 4 son écriture. Plus clairement que Guizot, Hugo fait la distinction entre le politique et ce que nous appellerions maintenant Vidéologique, et auquel Hugo donne le nom approximatif de social ; et c’est proba34, Nous tenterons de voir plus loin ce qu’est le peuple pour’ Hugo Aa cette date. 35. O.C. IV, 900. Cf. dans Cont. Ill, 28, le beau texte intitulé le Poéte (Shakespeare songe...) et ot l’on retrouve la méme idée, et la méme image. Pléiade II, 612. 36. Ms. 13398, f° 213, vers 1832, 0.C., IV, 902. 37. 0.C., V; 38.
LE. DOUBLE
PROJET
DE
1832
83
_blement en ce sens qu’il faut comprendre la fameuse formule, qui a laissé perplexes tant de bons esprits, 4 voir le peu de parti que Hugo parait en tirer — cet étrange programme qu’il lui faut tant de temps pour remplir: « La substitution des questions sociales aux questions politiques *. > Ii donne dans le méme texte une sorte de définition de Vidéologie: « Les idées, utiles ou vraies un jour ou deux, avec lesquelles les partis enlévent une position, ne constituent pas plus un systéme
coordonné
de vérités sociales
ou philosophiques,
que les
zigzags et les paralléles qui ont servi a forcer une citadelle ne sont des rues et des chemins*®. > Définition unilatérale, altérée par l’emploi du mot vérité, mais qui n’en met pas moins en question, et définitivement,
la notion
d’art utile.
Donc, refusant de faire sienne toute position politique dans l’écriture du drame,
libérale,
gouvernementale
ou ultra, Hugo
accepte
de
donner 4 son ceuvre théatrale la perspective de défense et illustration @une idéologie. Cette idéologie est apparemment la méme que celle de Guizot, idéologie libérale de progrés, oti l’art joue le réle 4 la fois de distraction et d’élément civilisateur pour le peuple. En fait, elle perd, au fil de sa plume, beaucoup de son contenu : vérités religieuses, disait Guizot: « Aussi la religion a-f-elle été partout la source et la matiére primitive de lV’art dramatique (...). C’est que de toutes les affections humaines, la piété est celle qui réunit le plus les hommes dans des sentiments communs “. » Hugo parait en dire autant quand il affirme : « Au théatre
surtout,
il n’y a que
deux
choses
auxquelles
Vart puisse dignement aboutir, Dieu et le peuple“. » Mais qui ne voit la différence ? Dieu est lié au peuple — Dieu et non la religion ; — et surtout une sorte d’inversion du mouvement, le Peuple et Dieu ' étant aboutissement plus qu’origine. Vérités morales ? Hugo le dif, le répéte, le drame devrait enseigner « les sept ou huit grandes vérités sociales, morales ou philosophiques sans lesquelles elles [les masses] ' n’auraient pas Vintelligence de leurs temps“ ». Mais quelles vérités ? nous ne le saurons jamais, la théorie et Ja pratique hugoliennes restant également muettes sur ce point. Un
nécessité
dernier
élément
a la fois
—
et non
le moindre
de la puissante
: Guizot
individualité
insiste sur la
du personnage
38. Ibid., p. 28. 39. Ibid., p. 38 (souligné par nous). 40..Cf. tant d’années plus tard, et dans le sillage des Misérables, Utilité
du
Beau
et Padmirable
analyse
qu’en
a donnée
J. Seebacher.
de
le texte décisif Au reste, il y
a & cette époque une sorte de retrait de Hugo par rapport a la politique concréte, _ retrait qui frappe un témoin comme Charles Didier : « Hugo voit Vhistoire en artiste, en poéte, non en philosophe. Son systéme, beau comme poésie, n’est ni politique, ni logique. Il a un penchant décisif au despotisme. Son horreur pour le carlisme, qu’il a adoré. » (27 aotit 1832, Journal, coll. Lovenjoul, ms. 940). Le méme Didier répéte des propos de Sainte-Beuve, allant dams le méme sens : « Comme homme politique, dit Sainte-Beuve, le ler aofit 1831, il n’a pas grande valeur. Il affecte des idées républicaines et va sans cesse faire la cour 4 Bertin. » Les convictions religieuses du poéte leur paraissent touchées, elles aussi : « Longue promemade avec Sainte-Beuve sous le portique de ’’Odéon, en discourant beaucoup sur le dernier volume de Hugo, Jes Feuilles d’automne, dont Sainte-Beuve blame le. fond accusant Hugo de se faire 4 volonté chréiien. fataliste, au besoin d’une rime ou d’une métaphore » (10 décembre 1831). Le 2 juin 1832, Charles Didier tient « que le christianisme
(de Hugo)
41, Op. cit., p. vi. 42. But..., O.C.,.V., 41. 43. Ibid., 40.
est
trébuchant
».
84
-
LE ROI
ET LE BOUFFON
théatre “ et de sa similitude avec Je spectateur“; ce qu’il établit, c’est une théorie du drame fondé sur l’individu, le sujet, renvoyant 4 Puniversalité du Je humaniste. Rien de plus étranger 4 Hugo, qui met en ceuvre une esthétique du contraste, de la division, et pour tout
dire
de la monstruosité
(« montrer,
quand
V’occasion
s’en
preé-
sente, le beau moral sous la difformité physique »). Autrement dit, si Hugo prétend enseigner dans son théAtre les grandes vérités qui fondent Vidéologie bourgeoise libérale, cette idéologie apparait comme vidée de son contenu philosophique : Dieu et le Moi y apparaissent singuliérement pAles, ou plus exactement, ils ne sauraient servir a civiliser le peuple car ils ne sont pas une réponse, un message : ils posent au contraire une question, celle du destinataire du message. Déja Punité de ce destinataire pose un probléme: elle est postulée comme un projet, non comme une fracturé ne peut retrouver son unité qu’en
réalité actuelle; le moi recréant une autre unité,
celle du public divisé ; la division intérieure a pour répondant et pour miroir la division du public. Peut-étre est-ce justement cette fracture du moi qui lui interdit d’accepter le présupposé mythologique du peuple-un. De la V’aflirmation rarissime au temps de Hugo, mais péremptoire, d’une opposition entre le peuple et bourgeois : « Le bourgeois n’est pas le populaire », crie Hugo, en 1833, contre le drame bourgeois “. Coppenole dans Notre-Dame de Paris se dit -peuple, mais ne fonctionne pas comme peuple, ni méme comme représentant du peuple “. Or tenir le peuple pour déja constitué, c’est accepter par ricochet de faire un art destiné a la seule élite. These dont Hugo prend le contre-pied : de 14 son double projet, un art pour le peuple, un art pour l’élite — mais qui posséde la particularité d’étre un double projet croisé : le grotesque du bouffon, ce sera pour |’ « élite », la tragédie des Atrides, pour la Porte Saint-Martin. Le double projet est pour Hugo la seule maniére de lever la contradiction : pour trouver un Autre, il faut adhérer 4 Vidéologie dominante, mais pour trouver un Autre-Un, il faut le re-constituer, le réunir. : Affirmer cette division du public, c’est déja refuser le présupposé
d’un public idéal, un, celui d’une bourgeoisie qui peut s’étendre sur sa droite et sur sa gauche, par l’absorption des « aristocrates >», et par |’ « éducation du peuple ». On comprend alors comment le lieu du décentrement idéologique pour Hugo est celui de la notion du 44, Guizot exalte la grandeur du personnage de théAtre en prenant pour exemle le Richard UI de Shakespeare : « Quand (...) le centre d’action et le centre Dointerét sont confondus, quand l’attention du spectateur a été fixée sur le personnage é la fois actif et immuable, dont le caracteére, ou puse le méme, fera sa destinée toujours changeante, alors les événements qui s’agitent autour d’un tel homme
ne nous frappent que par rapport A lui ; impression que nous en recevons prend la couleur qu’il leur a lui-méme imposée. » Op. cit., p. cxurt. 45. « Le personnage dramatique arrive seul, occupé de lui-méme; c’est sans tenir compte du spectateur qu’il va se mettre en communication avec lui; c’est
sans l’appeler nile guider qu’il doit s’em faire suivre. Ainsi séparés l’uh de Uautre
comment
parviendront-ils
a se
rapprocher,
si
une
profonde
et générale
analogie
n’existe déja entre eux ? (...) L*homme seul est le sujet du drame ; l’homme en est le théatre. » Op. cit., p. cxxi-cxxir (souligné par nous). 46. But de cette publication, O.C., V, 41 ; la phrase suit une attaque contre prosaique tagedte de boutique et de salon, pédestre, laide, maniérée cede : « Ne dégringolons pas de Shakespeare a Kotzebue. »
seul
« la (...) » et pré-
47. C’est ce qui ressort d’une étude en préparation sur le mot peuple dans N.-D. de P., par Mme Y. Parent. Voir plus loin, note 54.
—
LE DOUBLE
PROJET
DE
1832
85
peuple; s’éloignant de plus en plus des postulats d’un Guizot, il rencontre un peuple concu comme distinct de la bourgeoisie, un peuple-spectateur, un peuple en projet, auquel appartient l’avenir. « Le peuple ou tout va. »
Populace ossue Que le pavé sue Et dont la massue
Est un
sceptre
aussi *.
Une des grandes questions sociales du siécle c’est de faire passer les arts de l’état de langue hiératique 4 l’état de langue démotique “*.
La thése libérale — celle qui s’exprime dans le texte de Guizot, par exemple —, est prise par Hugo avec un sérieux absolu, un sérieux qui fait trembler, parce qu’il met en péril Vidée méme qu'il défend. Hugo ne se lasse pas de répéter que l’art est fait pour le peuple: « Dieu d’ot tout vient, le peuple ot tout va ; Dieu qui est le principe, le peuple qui est la fin » ; c’est au peuple que l’art peut « dignement aboutir » ; l’art et le théatre doivent étre « populaires ». Lieu commun libéral ? oui certes, mais non sans déplacement. L’art pour le peuple ? En 1831-1832 ? Quel peuple ? Et quel art ? Affirmer l’existence possible actuelle d’un spectacle qui serait pour le peuple, tout en étant aussi destiné 4 « )élite », en respectant la « dignité de Yart », c’est une
attitude
utopique.
Si l’art doit étre pour
le peuple,
il faut changer l'art ou changer le peuple. Un chapitre étonnant de Notre-Dame preuve : c’est celui ou le mystére-moralité
de Paris en apporte la du pauvre Gringoire est littéralement chassé de la scéne par le concours de grimaces de la féte des fous, ott l’art « élevé » est réduit 4 néant par le carnaval grotesque, spectacle vrai pour le peuple™. Gringoire lécrivain est
annihilé par Quasimodo et Esmeralda — grotesques ou bateleurs populaires. L’ironie hugolienne condamne Gringoire * au profit des -spectateurs populaires. L’on pourrait voir dans Gringoire le génie « classique » laissé sur le sable par le peuple et par Vhistoire. Mais ce qui est opposé 4 l’auteur classique, 4 celui qui fonctionne selon un code littéraire préétabli, ce n’est pas un génie « autre », un génie romantique,
mais
homme,
mais
soudain
cassée
la libre féte populaire,
d’une
ce qui n’est pas le fait d’un
collectivité.
L’élégance
de l’ceuvre
par la mauvaise
volonté —
et proprement
du destinataire. Cet épisode est comme 48. Ms. 13419, fo 4, 1830
le signe du malaise
classique
de Hugo aprés 1830.
(sur une
lettre adressée
rue Jean-Goujon).
51. Notre-Dame de Paris, I, 2. 52. Sur les rapports de Gringoire
et du Je-Hugo,
il n’est que de se souvenir
Pensées
de Hierro,
49. Reliquat de Litt. et Phil. Mélées, 50. But..., O.C., V, 38.
est
la surdité
0.C., 1V, 904.
des
deux titres oti Hugo se dit petit-fils de Pierre Gringoire : « Méditations philosophiques d’un arriére-petit-fils de Pierre Gringoire sur les pavés de Paris » (F.P., P. 9, 0.C., IV, 961).
« Titre de livre,
mélées
arriére-petit-fils
de
Pierre Gringoire et de Dulcinée du Toboso » (ibid., p. 26, ibid., 969). Ces deux pages datées par G. Rosa de 1832 nous paraissent un peu antérieures (fin 1831). Voir
aussi
vivre
P.P.,
p. 15 (0.C.,
Ill, 1137)
: « J’ai le bonheur,
tous les jours avec un homme
disait
de génie qui est moi.
»
Pierre
Gringoire,
de
86
LE
ROI
ET
LE BOUFFON
Et il est vain d’y voir la seule critique de la tragédie ; c’est aussi la méditation sur les conditions d’un théatre du peuple. Comment faire pour que le peuple, qui ici n’entend pas l’cuvre du poéte Gringoire — le peuple-sourd, Quasimodo, entende finalement le texte poétique ? et — corollaire de la méme question — comment faire qu‘il y ait un public un, un public-collectivité ? Hugo s’apercoit bien — et ce texte en fait preuve — qu’il n’est pas si facile 4 l’artiste, utilisant un code culturel fait pour une « élite », de se faire entendre du « peuple », qui lui, n’est pas maitre de ce code ®. La voix souveraine, »,
dans
nous
devons
A cet admirable
N.-D.
Cité ;
par
supra,
p. 86, note
54.
se dit « du «
les Misérables,
main
peuple > ;
d’homme
p. 14.
Qu’il
du
nous
livre !
Journet-Robert,
op.
cif.,
note
26,
de P. V, U, O.C., 1V, 138.
61. Littérature et philosophie mélées. Journal 0.C., IV, 115. Cité par Journet-Robert, op. cit., p. 13. 62. Ibid. 63. Voir
a une
peuple
F.P., p. 10. 0.C., IV, 962-963. f 59. Hernani, 1V, 2, O.C., UI, 1002. nominor
Coppenolle
du
ae
60. Quia
bourgeoise
du
révolutionnaire
de
1830.
88
LE
ROI
ET
LE
BOUFFON
On comprend dans cette perspective pourquoi il est aussi vain de s’étonner du role restreint joué par le peuple en tant que tel dans le théatre de Hugo que de s’indigner de l’absence des ouvriers dans Balzac : quand
MM.
Journet
et Robert
tiennent
que
Marion
ou Tri-
boulet ou Quasimodo « ne sont pas l’image du peuple victime ® », ils ont mille fois raison; raison aussi quand ils se moquent de ceux qui voyaient « l’expression d’un idéal démocratique dans Ja réhabilitation de la courtisane et méme dans V’histoire d’un pauvre sonneur de cloches victime d’un prétre et d’un officier ® ». Mais la n’est pas la question. On a toute chance de se tromper si l’on cherche la signification idéologique
d’un texte dans la valorisation de tel ou tel indi-
vidu appartenant a telle ou telle classe sociale, voire méme de la classe sociale dans son ensemble. A ce compte Brecht serait singuliérement conservateur : ses « hommes du peuple » ne sont pas doués de toutes les vertus. On n’est guére plus avancé a analyser les propres affirmations idéologiques de lauteur, souvent contradictoires et sujettes a caution. C’est dans l’analyse de l’écriture, des instances du texte
prises
dans
leur totalité,
que
peut
se faire
une
lecture
idéolo-
gique du texte. Qu’il nous suffise pour le moment d’analyser le projet hugolien du drame aprés 1830, et la maniére nette et sans ambages dont VYopinion bourgeoise dans son ensemble — toutes nuances abolies — a refusé le drame hugolien. MM. Journet et Robert ont tort d’ironiser sur « ’époque ot Marion de Lorme et la Esmeralda semblaient assez
-dangereuses semblaient,
pour
alarmer
c’est qu’elles
Vopinion
V’étaient:
conservatrice ®
les gens
ne
».
Si elles
se trompent
pas
le sur
les dangers qui menacent leur idéologie. Conservateurs et libéraux, la bourgeoisie dans son ensemble juge de la méme maniére. ‘Les solutions.
La logique du travail d’écrivain chez Hugo le conduit 4 mettre en question cette idéologie qu’il accepte, consciemment et avec bonne volonté. Il y a méme un paradoxe dans la conscience qu’il arbore de Vidéologie dominante. Une premiére tentative : celle d’un compromis. Hugo tente @écrire le drame qui correspond aux présupposés qu'il défend : drame contemporain, en prose, portant sur l’épopée napoléonienne. Or ce drame il ne peut pas l’écrire. Pour des raisons personnelles, biographiques ? peut-étre, mais en méme temps et inséparablement pour des raisons littéraires. C’est alors qu’il concoit un projet original : celui d’investir VYensemble
de
ce
qui
compte
dans
la scéne
méme temps, un drame pour le Théatre la Porte Saint-Martin”. Il veut couvrir
64. Journet-Robert,
65. Ibid., p. 8. 66. Ibid., p. 9. Mme
67. De
Hugo
1a
Vécriture
le confirme
francaise.
I] écrit,
en
Frangais et un drame. pour tout le champ du théatre ?
op. cit., p. 9.
délibérée
de
en reproduisant
chaque
dans
piéce
pour
le brouillon
une
scéne
du V.H.R.
déterminée.
(f° 42) Vaffir-
mation de Hugo 4 Harel a propos de Lucréce Borgia (31 décembre 1832) : « J’ai un réle fait pour Mademoiselle Georges, qu’elle seule en réalité pourrait remplir. »
LE DOUBLE sans
doute ®, Mais
une
seule ceuvre.
direction
d’un
surtout,
DE
1832
89
ce qu’il a a dire, il ne peut le dire
Il lui faut
public
PROJET
deux
populaire
tentatives
ou
convergentes,
petit-bourgeois,
l’autre
dans
l’une en
en
direc-
tion de Il’ « élite ». L’originalité de ce projet, parfaitement banal et purement ambitieux ainsi, présenté, c’est qu’il part des codes littéraires
constitués,
de
ce
qui
est
la forme
de
spectacle
habituelle
4
chaque scéne (mélodrame et tragédie), pour les déformer et les subvertir. Nous montrerons dans notre seconde partie le détail de cette subversion par l’écriture. Mais tout se passe comme si Hugo violait
son public et le violait doublement: au lieu de présenter sous la forme bien connue du mélodrame libéral les crimes des grands a Vusage du public semi-populaire de la Porte Saint-Martin, il montre a ce public le monstre aristocratique, pour en faire un monstre humain, dans le méme temps que son écriture dramatique hausse le mélodrame a la hauteur de la tragédie ®. En regard, il étale aux yeux du public « distingué » de la Comédie, ce monstre non pas tant populaire que bouffon, qu’est Triboulet, tout en cassant la tragédie par tous les procédés possibles ”. Nous n’oserions avancer de telles affirmations si elles n’étaient confirmées non seulement par l’ayeu de la Préface de Lucréce Borgia sur la source unique des deux drames, mais par les analyses de But de cette Publication sur la double orientation du drame : « Donner aux grands le respect des petits et aux petits la mesure des grands”. » Réflexion aprés coup, mais dont la clarté montre la conscience de Hugo dans son double projet. Quant au centrage autour des
liens familiaux
et de la monstruosité
est aussi présente dans le méme sur
une
mere
(...) ; montrer,
du personnage
central,
elle
texte : « Faire pleurer (...) les méres
quand
l’occasion
s’en présente,
le beau
moral sous la difformité physique”. » Que ce projet soit dans son principe conforme aux idées dominantes, il n’est pour en étre persuadé que de voir la sauce moralisante, pédagogique et providentialiste dont il est enveloppé dans ce méme texte“. Mais qu'il soit chargé de poudre, dés le départ, et que sa mise en écriture ne puisse que le détruire, conduire 4 un échec, c’est ce que prouve l’événement.
non
Hugo
68. De la sinon la renonciation au roman, du moins précisée : le traité avec Renduel (v. p. 36, n. 126)
: 69. 70. 71. 72, 73.
son renvoi a une époque indique, de lécriture de
« I n’est pas fixé de terme 4 M. Hugo pour la composition de cet ouvrage. » Voir Ile partie, chap. Une Poétique du drame : Lucréce Borgia. Une Rhétorique, le Roi s’amuse, ; 0.C., V, 40. But, O.C., V, 40. « Dieu manifesté au peuple, la providence expliquée 4 ’homme », ibid., 41.
« (...) profiter de l’attention
des
le plaisir que vous leur donnez, ou philosophiques » (ibid., 40).
masses
pour
les sept ou
leur
huit
enseigner
grandes
A leur
vérités
insu,
sociales,
a travers
morales
JUANA OU LE REPAIRE DE LA GUERILLA Dans les derniers jours de l’année 1831, ou les tout premiers de 1832, Hugo concoit un projet dramatique qui lui parait assez sérieux pour
—
qu’il en
écrive
le canevas,
pour qu'il en rédige méme
et un
canevas
la premiére
relativement
scéne.
détaillé,
Or en principe
il
ne commence la rédaction d’un texte théAatral qu’au moment ou tout est achevé pour lui, ot toute la piéce est construite dans sa téte ; de la,
Pétonnante sans
rapidité dans la rédaction
exemple
(le Roi
s’amuse,
des drames. Certes, il n’est pas
et surtout
Marie
Tudor
et Ruy
Blas)
que Hugo rencontre de telles difficultés dans la rédaction du premier acte qu’il soit contraint 4 des aménagements importants, ou méme 4 une récriture totale des premiéres scenes. Mais ici, les obstacles sont si graves quils conduisent a V’arrét total. Nous sommes donc en présence de deux textes : lun qui se présente
sous
la
forme
d’un
canevas™,
l’autre
qui
est
une
‘scéne
rédigée %. Cette scéne est datée du 17 janvier 1832; dans notre introduction 4 V’éditzon de ces fragments”, nous avons conclu a Vantériorité du canevas,
qui, lui, n’est pas daté, mais est écrit sur le méme
papier ; antériorité probable, Un drame
« moderne
mais non absolument
certaine-
».
Ces textes possédent, par rapport 4 l’ensemble de Ja dramaturgie hugolienne, des caractéristiques insolites. Tout d’abord, s'il s’agit d’un drame historique, c’est Vhistoire d’hier, ce sont des événements quasi contemporains. Hugo veut-il s’insérer dans la série des ceuvres théAdtrales consacrées a l’épopée napoléonienne aprés 1830 ? c’est plus que probable. Mais en ce sens, le choix de la guerre d’Espagne marque un retrait par rapport a toute tentation thuriféraire. L’Espagne est le lieu d’une défaite, le lieu de la rencontre entre l’armée napoléonienne et la résistance nationale. Si Hugo suit la mode, c’est pour en prendre le contrefil. La valorisation de la légende napoléonienne etit été bien discutable dans ce drame, autant qu’on en peut juger. Ce texte
renvoie
non
pas
seulement
a Vhistoire
contemporaine,
mais 4 la biographie la plus intime de Hugo. Cette Espagne de guérilla, il l’a traversée enfant ; ces chateaux de nobles espagnols, ot l’on 74. Ms.
13427, ff. 30 et 32, 74°
cote/
piéces
84 et 85.
75. Ms. 13427, ff. 36 et 37, 74° cote/ piéce 104 et 103. 76. O.C. IV, Introduction p. 883, 884, textes 885 4 889.
|
i
JUANA
OU
LE
REPAIRE
DE
LA GUERILLA
91
recevait l’occupant francais avec des sentiments mitigés, Venfant Hugo y a dormi avec sa mére. Dans le récit du Victor Hugo raconté passe le frisson de la mort violente qui peut traverser la nuit. Ces guérilleros, le général Hugo les a combattus, lui qui traquait et mettait a mort l’Empecinado. Il y avait derriére ce projet toute l’épaisseur des souvenirs des deux voyages 4 travers l’Espagne. Il y avait aussi le Collége des Nobles, et le conflit des deux petits francais étrangers
et plébéiens avec les jeunes aristocrates espagnols. Conflit amer, ambigu, avec son mélange non-manichéen de bien et de mal. Jamais projet hugolien n’a été plus directement chargé d’éléments autobiographiques. Le poéte capitule devant une tache pour laquelle manque
la distance. Le lyrisme peut coller au moi, non le théatre. Ce texte eit été en prose. Si le canevas ne limpose pas 4 la rigueur, la scéne rédigée ne laisse pas de doute. Tout le projet s’inscrit dans la ligne du drame moderne et libéral dont le Thédtre de Clara
Gazul
a donné
le meilleur
modéle
(1825).
Les
Espagnols
en
Danemark par exemple offraient 4 Hugo Vimage d’un épisode ou Phistoire napoléonienne est traitée avec lVinversion de lVhumour. Hugo, par ce projet, rejoignait la voie royale du drame ou mélodrame libéral en prose et des Scénes historiques ; il se conformait ainsi aux théses du Globe, de Stendhal,
de Ludovic
Vitet.
A quelle scéne Hugo destinait-il cette ceuvre ? Nous l’ignorons. L’examen des emplois ne nous éclaire guére. Pour un drame en prose, et contemporain, la Porte Saint-Martin offrait sans doute plus de ressources : Mile Georges pouvait étre la Duchesse, Bocage et Frédérick ‘Lemaitre se partagent les réles jumeaux opposés du guérillero Tafalta et du colonel francais. Mais pourquoi pas un retour de Hugo 4 la Comédie
Francaise:
la gracieuse
et aristocratique
Mars
pouvait
étre
Juana comme elle avait été Dona Sol ? Quant au héros Tafalta, n’eutil pas fourni 4 Bocage sombre et beau l’occasion d’entrer au Théatre Francais ? C’eiit été un coup de maitre que d’investir la Comédie par un
drame
moderne
en prose,
un
drame
d’action
incendie. La conquéte de la scéne de Vélite avec laire » et libéral avait de quoi plaire 4 Hugo.
avec
un
enlévement
texte
et
« popu-
La Tor Quemada. Ce texte est la reprise du schéma de la Mariposa {I : le conflit des deux hommes, le soldat et le bandit pour la possession de ia méme femme, la mort commune et volontaire de tous les personnages dans le piege tendu par l’un d’eux”, autant d’éléments communs. On peut lire aussi comme dans la Mariposa, le schéma quelque peu voilé du serviteur qui se retourne contre son maitre ®. La fable est la suivante : une jeune espagnole, Juana, est tombée amoureuse
d’un
Francais
en
occupation
(le
Colonel)
(acte
1).
A
Vacte II, le Colonel et Juana ont été faits prisonniers par le guérillero Tafalta qui veut épouser Juana mais s’apercoit qu’elle est sa sceur. Les Francais cernent le repaire et délivrent les prisonniers. L’acte II iT.
Scélérat,
qu’es-tu
done venu faire ici? Il rejette échelle.
— Mourir avec vous. 78. — Tafalta. -- Madame la Duchesse, il est amoureux d’une enlever. Je le sers, c’est le moyen de le faire tomber entre nos vous y préter (Ibid).
(O.C., 1V, 886.) fille qu’il veut mains, il faut
925"
voit
LE ROI
le Colonel
accueilli
chez
ET LE BOUFFON
la Duchesse,
tante
de
Juana.
Toutes
sortes de dangers paraissent environner le Colonel et son ordonnance Mathieu
la Pipe ; Juana
ne dormez
les avertit:
pas. » Le quatriéme
« Ne buvez
pas,
acte devait marquer
ne mangez
pas,
l’essai d’enleve-
ment de Juana par le Colonel aidé de Tafalta qui compte ainsi lui tendre un piége. L’acte V intitulé L’incendie et lV'échelle, conduit a
la mort des protagonistes. Cette mort finale par le feu est la trace, on Je sait, d’une obsession permanente de Hugo, celle de la tour bralée (Torquemada”)
dont la derniére apparition sera la Tourgue de Quatre-vingt-treize. On reconnait au passage l’inceste, ici entre frére et sceur, tel qu'il figure dans un fragment dramatique sans doute 4 peine antérieur ®. Ce schéma triangulaire bandit-femme-personnage haut placé ou titré, c’est celui, non seulement de la Mariposa JI, mais d’Hernani, et méme de Marion de Lorme (Didier-Marion-Saverny) ; ici, il est
VYobjet d’une inversion ; dans Hernani ou Marion, c’est homme de rien qui est aimé, ici, c’est le Colonel. Or il y a brouillage en ce qui concerne
l’état civil
qui a obtenu
des
le grade
deux
personnages
de colonel
peut devenir, s’il ne l’est déja, comte
« le baron
Jean
Rolandet*
antagonistes : le Colonel
grace 4 V’armée ou baron
», est en
méme
napoléonienne
et
du fait de ’Empereur,
temps
l’enfant
de trés
petites gens, le fils @un « quincailler, rue aux Ours, 4 Paris ». En revanche, Tafalta, s’il est le frere de Juana, elle-méme niéce de la Duchesse, est donc comme Hernani, un personnage titré, caché sous
le nom et la défroque d’un bandit. On voit ici l’extréme complication, et la contradiction interne des implications idéologiques. D’un cété le plébéien, homme des lumiéres (« de ces Francais qui ont lu Voltaire
»), soldat de Napoléon,
courageux sauveur
de la petite Juana,
— le vrai héros libéral pour image d’Epinal ; de l’autre, le héros de la résistance, le guérillero sauvage et passionné, défenseur de la liberté nationale, celui dont le courage mortel et désespéré emporte le dénouement. I] n’est pas interdit de penser que Hugo, voulu, comme dans Cromwell, donner un dramatique
ce faisant, a exemple des
apories de l’histoire, telles que les vivait un libéral de 1832: (était) accouché
d’un
« 1830
nain ®, »
Enfin opposition passé-présent dont on verra le rdéle dans lensemble de la dramaturgie de Hugo n’est pas absente de ce petit texte : le Colonel « met au feu du bois d’un vieux cadre d’aieux >. Quant a la scéne rédigée (I, 1), c’est une trés aimable et plaisante scéne de comédie amoureuse, dont le modéle parait étre les scénes de Juliette et de la nourrice® dans le. Roméo et Juliette de Shakespeare. Scéne d’exposition tres bien faite, elle annonce une. 79. Cf. Baudouin,
op.
cit., chap.
Iv, p. 73 sqq.
80. Ms, 13427, f. 57, 74° cote/ 79, O.C. HI, 1133.
81. L’un des nombreux héros hugoliens "a porter le prénom signe de Jean — notons que Phéroine s’appelle Juana. Sur ces prénoms, et leur importance, voir Ile partie, p. 109-113 82. Cependant, un fragment de janvier 1832 (Feuilles paginées, p. 112) donne a Tafalta une allure résolument « plébéienne » : « Tafalta... j’ai été poéte, j’ai été comédien, je suis valet.» 83. Feuilles paginées, p. *43, 0.€., IV, 953.
84. Correspondant a 1, 2, dans le canevas. 85. Cette nourrice duégne portant le nom curieux de Martina Gy, fait songer a cette Martine Hugo, espagnole et tante du. poéte qui jouait auprés d’Adéle le rdéle de duégne complaisante. D’ot il suit que Hugo n’était peuteize pas. ignorant de son réle d’intermédiaire entre sa femme et Sainte-Beuve.
;
JUANA
OU LE REPAIRE
DE LA GUERILLA
93
comédie-drame, et son comique léger est voisin de celui des scénes amoureuses de Shakespeare ou du Barbier de Beaumarchais. La lecture de cette scéne charmante fait regretter que Hugo n’ait pas écrit la suite. Adieu
a Napoléon
: Uhistoire
Ce qui commencait
irréconciliable.
comme
une
comédie
devait
se poursuivre
comme un drame d’action et méme un violent « mélodrame » avec intervention d’une catastrophe matérielle : ’incendie. On apercoit, en particulier
dans
le canevas,
comment
Hugo
fabriquait
son
drame
a
partir d’un certain nombre de scénes brutales : conflits ouverts, découvertes-choc (« Ma sceur! » ou le Colonel « fils d’un quincailler >), violences physiques (enlevements, incendies), « mots » décisifs (« mourir avec vous »). D’énormes difficultés d’adaptation technique subsistent dans le schéma: par quelle trouvaille Hugo ferait-il de ce
Tafalta un héros 4 la fois populaire et frére de J’aristocratique Juana ? comment se tirer des rapports entre Tafalta et la Duchesse ? Tout se passe comme si Hugo butait sur ce qui est une des constantes dans l)’établissement de ses personnages, leur « double appartenance >», comme dirait G. Rosa“, autrement dit, le fait qu’ils sont de vivantes antithéses sociales, qu’ils vivent, dans leur chair, le projet et l’échec d’une
ces
société
deux
une.
Peut-étre
personnages
Colonel, rendrait
a
«
Hugo
a-t-il pensé
double
la piéce idéologiquement
valeurs n’y apparaitrait plus. défendre en janvier 1832 ?
Et
Hugo s’est efforcé ici, et sans
que
appartenance
»,
si confuse,
quelles succes,
l’affrontement
Tafalta que
de
et
le
le jeu des
valeurs?
Quelles
valeurs
de faire un
drame
contem-
porain. Mais faire un drame contemporain, c’est de maniére quasi nécessaire s’insérer dans le systeéme de valeurs.de V’idéologie dominante et prendre une option directe idéologico-politique : le mélange inextricable que détermine la double appartenance des deux héros rend cette option impossible. Par son écriture méme Hugo la refuse mais il se rend compte qu’elle est pourtant dramaturgiquement nécessaire. Autre
formulation
temporain, Hugo
de la méme
aporie;
est bien obligé d’écrire un
s’il écrit
drame
un
drame
con-
bourgeois; et ce
n’est pas la présence de ces aristocratiques personnages espagnols qui y changera quelque chose; l’effacement de la bourgeoisie entre personnages nobles et personnages populaires (ce fils d’un quincailler est-il peuple ? est-il bourgeois ?), apparait nécessairement comme une abstraction, a la limite comme un mensonge. Or Hugo au théatre ne veut pas parler, ne parlera jamais de la bourgeoisie. De la, ce renvoi aux profondeurs de l’histoire. Une des manifestations de ces difficultés chez Hugo, est la présence de personnages qui sortent tout armés du théatre espagnol, duégnes et serviteurs *. Mathieu la Pipe parait étre un gracioso. Hugo 86. Voir le réle décisif de cette notion dans la Présentation de Quatre-vingttreize par G. Rosa in O.C. XV-XVI-I. 87. La place des domestiques dans le théAtre de Hugo est non seulement trés restreinte (que l’?on compare avec Dumas ou Musset) mais aussi trés orientée : les domestiques, ce sont les duégnes ou les tueurs 4 gages, les uns et les autres instruments de la violence. Toute moquerie sur la pauvreté d’esprit ou la maladresse d’un serviteur est exclue : le niais du mélodrame n’a pas sa place chez Hugo.
ae
LE ROI ET LE BOUFFON
a-t-il jugé trop difficile ’adaptation 4 un sujet moderne de la dramaturgie du siécle d’or? S’est-il dit qu’un tel canevas faisait au grotesque une part, non trop faible, mais: peut-étre trop circonscrite ? A-t-il pensé qu’il ne pouvait traiter un sujet qui touchait 4 sa bio~graphie par des liens trop étroits ? Qui ne voit que toutes ces « raisons » n’en font qu’une ? Hugo s’apercoit qu’il ne peut, pour rassembler son public, écrire un seul drame. Ii est renvoyé a un double projet. Et nos incertitudes touchant la seéne
a laquelle
il destinait
ce
nouveau
drame
sont
aussi
un
corollaire de la méme difficulté. Prendre le parti de ’armée napoléonienne contre les aristocrates espagnols réactionnaires, mettre le feu a ce passé, c’est satisfaire Vidéologie libérale, mais c’est aussi sacrifier Vidée de nation et celle de liberté des peuples. Et comment prendre le parti inverse, celui de la lutte des Espagnols, sans paraitre attaquer la Grande Armée ? Démontrer ainsi les contradictions de Vidéologie dominante, voila qui ne satisferait personne. Il faudra attendre Quatre-vingt-treize (et la forme romanesque) pour que Hugo fasse des contradictions de Vhistoire la mati¢re méme de son texte.
LE ROI S’AMUSE GENESE Le premier témoignage d’un intérét apporté au personnage de Triboulet remonte tres loin puisqu’il ne s’agit rien moins que d’un article de juin 1823 sur Walter Scott, article publié dans la Muse francaise, et reproduit avec quelques modifications dans Littérature et Philosophie mélées!. Hugo rectifie 4 ce propos une formule de Walter
Scott
dans
Quentin
Durward,
rectification
manifestement
fausse, Triboulet n’ayant jamais été le fou de Francois I*, mais celui de Louis XII 2. D’ot Hugo connaissait-il Triboulet ? Nous inclinerions A croire que l’origine en est dans Brantéme qui attribue 4 Triboulet le rdle de fou des deux rois Louis XII et Francois I*, et donne 1536 comme date de sa mort*. Le theme du Fou du Roi occupe sous la restauration
imagination
tion propre 4 Hugo: dont Hugo lui-méme
des romantiques ‘, Ce n’est pas
une
inven-
Emile Deschamps avait projeté un Fou du Roi signale l’existence*, Paul Lacroix, le « biblio-
phile Jacob », était si intéressé par le personnage du fou qu’il lui consacre non seulement un roman (en 1830), mais
de cour, un essai
postérieur évidemment au Roi s’amuse (1837 °). Hugo lui-méme portait suffisamment d’intérét aux fous de cour pour leur donner dans Cromwell
cette
part
énorme,
démesurée,
ot se mélent
le lyrisme
et
la. dérision, et qu’il justifie 4 deux reprises dans sa Préface: non seulement le Fou illustre la théorie du grotesque, mais il posséde ses références historiques’. Remarquons d’ailleurs que le bibliophile Jacob a pu donner 4 Hugo sur les fous de cour des renseignements 1. Muse Francaise, O.C. Ul, 431, Litt. et phil. mélées id. V, 128. 2. « Le mot placé par (Walter Scott) dans la bouche du fou du due de Bourgogne sur larrivée du roi Louis XI a Péronne appartient au fou -de Frangois Ier,
qui le prononga
lors
du
passage
de
Charles
Quint
en
France,
en
1535.
L’immor-
talité de ce pauvre Triboulet ne tient qu’A ce mot, il faut le lui laisser » (ibid). 3. Brantéme, Vie des Grands capitaines frangais (Connétable. de Montmorency). 4. Le petit journal de Philaréte Chasles, le Masque de Fer (1825), comportait une
rubrique
littéraire au
5. Lettre
intitulée
temps du
le Fou
du
Prince.
du Romantisme.
21 avril
Lambert. Le manuscril 6. Les Deux Fous, torique inédit sur Iles Mais Hugo pouvait en
1821
a Alfred
VY. Cl.
;
Pichois,
de Vigny,
O.C.,
Philaréte I, 1129,
Chasles
citée
du Roi s’amuse, p: 72. Histoire du temps de Francois ler, précédée fous en titre d’office, 2 vol. Paris, Delloye connaitre le contenu bien avant.
par
et la vie Francoise
d’un essai hiset Lecou, 1837.
7. (Cromwell) « Austére et sombre dans ses mceurs, et entretenant quatre fous de cour autour de lui..., ces quatre bouffons que le dédaigneux oubli de l’Histoire permettait d’imaginer », Préface de Cromwell, O.C., Ul, 78 et 80. -
96
LE ROI
ET LE BOUFFON
verbaux. Vers 1830, les deux hommes sont trés liés, comme en témoignent un certain nombre de lettres *. Ce serait trop dire que d’affirmer que le Fou du Roi, cette dérision vivante de la royauté, est sous la Restauration
un
personnage
banal;
cependant,
s’il n’est pas
inventé
par Hugo, le bouffon recouvre des personnages et des phantasmes tres anciens dans la vie et les souvenirs du poete. Le Jocrisse.
Le
Victor
Hugo
raconté
indique,
4 tort
ou
a raison,
la source
biographique du Roi s’amuse, ainsi que la parenté indéniable entre Triboulet et Quasimodo. Mme Hugo raconte comment, au collége des Nobles, les enfants étaient réveillés par le bossu Corcova :
Cet éveilleur était le souffre-douleur
des éléves. Lorsqu’ils
étaient mécontents de lui, ils lappelaient durement Corcova (bosse). Quand il avait bien fait son service et qu’ils voulaient lui étre bons, ils ’appelaient Corcovita (petite bosse). Le pauvre homme riait ; peut-étre s’était-il habitué 4 sa difformité ; peutétre en souffrait-il au fond et n’osait-il pas se facher de peur
de perdre sa place. Eugéne et Victor se mélerent
bient6t 4 ces
plaisanteries,
chambre,
donnérent
et, pour
aussi,
avec
remercier
la grace
leur
valet
cruelle
de
de lV’enfance,
son
lui
petit
nom. M. Victor Hugo s’en est repenti plus d’une fois depuis, et Corcovita n’a pas été étranger a Vidée qui lui a fait faire Triboulet et Quasimodo °. L’anamnése
de Hugo
nirs d’enfant
dans
(ses propos
le Victor
sont la source
Hugo
raconté),
évidente
indique
des souve-
une
chaine
des
personnages grotesques, Corcova, Quasimodo, Triboulet — et plus tard ’Homme qui Rit, Gwynplaine. A quoi nous ajouterons aussi un autre personnage sans existence littéraire
et qui fut méme,
quasi
totalement,
effacé
du
Victor
Hugo
raconté. Mais le brouillon infiniment plus explicite, nous montre comment un autre personnage, le jocrisse, sert de lien entre Corcova le valet des enfants, et le personnage de thédtre. DéjA dans le récit concernant
Corcova
un
Corcova,
surnom
fonction
on
remarque
une
sorte
n’a pas d’identité ; tel Polichinelle,
et
par
est d’étre
une
non
un
fonction amuseur,
proprement mais
un
de
il se
théatralisation
caractérise
dramatique;
amusement,
un
:
par
cette
jouet, et
méme un jouet qui rit; de Ja cette distorsion qui en fait 4 la‘ fois un souffre-douleur et V’outil du rire. En lui se fondent les caractéristiques principales du grotesque, le comique, la laideur, la liaison du rire et de la souffrance*»*, Ajoutons la théatralisation du costume ™. Le brouillon du Victor Hugo raconté fait état d’un autre moment de l’existence enfantine du poéte. Ce n’est plus le séjour en Espagne, c’est le printemps et l’été 1814 ; mais le climat familial est le méme : 8. Cf. ment
une
d’avril
lettre
1830
inédite
de
le remerciant
9. V.H.R., 0.C., 1, 918. 9 bis. Hugo a-t-il connu
1829 pour
demandant les deux
un
fous.
article ; une Voir
infra note
lettre _probable30.
le texte de L.S. Mercier (Nouvel essai sur tique, p. 191) ? « Il était a la foire un pauvre diable, qui, tout nud ereux, étoit obligé de rire au baleon de la parade, pour faire rire Il fit de si grands efforts pour vaincre son penchant, que sa bouche un rire convulsif et continu qui faisait horreur a voir. »
;
l’art dramaet le ventre la populace. en contracta
« LE ROI
Yaffrontement
des
parents
Hugo
S’AMUSE
pour
»
97
savoir
qui aura
la garde
des
enfants. En Espagne, le général Hugo avait contraint la mére 4 mettre les enfants au College des Nobles ; en 1814, dit ce brouillon ", le procés était « pendant », et Mme Hugo attendait de savoir «'si elle garderait ses enfants, ou si son mari les aurait ». Les enfants, pour aller 4 leurs
lecons, passaient quotidiennement par le Luxembourg, et ils s’arrétaient pour regarder la parade du théatre des Marionnettes, Bobino : On jouait la méme un
valet et avait un
scéne
maitre
constamment™.
habillé
en
Le jocrisse
monsieur,
était
qui le souffle-
tait, le battait de ca, de la : sur toutes les coutures, aux endroits
les plus malhonnétes : c’était une tempéte, un tourbillon de coups. Les jeunes Hugo se régalaient de la rossée *. Ils jetaient leur ignorance dans l’autre gouffre de douleur ; ils recommencaient : Corcova. Ils conspuaient ce malheureux de la société, ce banni voulu : cette bosse de homme, comme ils avaient conspué le bouffon de Vinaccessible : le frappé de Dieu. Ce texte, d’autant plus important qu’il n’a été maintenu que sous une forme anodine“, apporte un certain nombre d’indications preécises. Non qu’on puisse le tenir pour biographiquement exact, ce qui est d’une importance secondaire ; il s’agit évidemment d’une recons-
titution aprés coup. L’important n’est pas 1a, mais dans le retour du méme personnage expressément identifié 4 Corcova dont la situation de souffre-douleur
est la méme,
dont les vétements
au mépris
de toute
vraisemblance portent les mémes couleurs vives. Une situation se dessine, celle du maitre frappant le valet, situation indéfiniment ité-rative. —
Corcova,
comme
le Jocrisse,
est battu
ou
moqué
tous
les
jours a la grande joie d’un public. Situation théatrale : de la scene du Collége, on est passé aux tréteaux de la parade foraine ; et dans le souvenir
de Hugo
—
nous
savons
que
cela ne
correspond
a aucune
vérité biographique * — c’est cet épisode qui est a Vorigine de sa vocation théatrale”. On peut donc affirmer, sans trop de risque d’erreurs, que le personnage du bouffon, gai souffre-douleur, non seulement a des racines trés profondes dans le psychisme du poéte *, 10
Les
enfants
d’une veste de laine souliers couleur cuir consolés
« virent
», O.C., I, 918.
11, Le texte complet
tes, figure dans
notre
un
bossu
rouge
de
visage,
les
cheveux
tortillés,
vétu
rouge, d’une culotte de pluche bleue, de bas jaumes, et de de Russie. Cet are-en-ciel les fit rire, et ils furent presque
de ce brouillon
édition
critique
de
(B.N. Nafr, 23805), avec toutes Ruy
Blas
I, Documents,
ses varian-
p. 63-64.
12. Phrase biffée. 13. Au-dessus, cette phrase plus anodine, également biffée : « la rossée réjouissait le public ». 14. « Il n’y eut de nouveau dans leur printemps et dans leur été que Bobino. Ils s’éprirent de sa parade, des volées furieuses qu’il administrait A son Jocrisse, et des hurlements risibles de celui-ci..» V.H.R., O.C., I, 951 15. « D’aussi loin que possible on le voyait avec sa veste rouge, sa queue rouge en trompette, ses cheveux de filasse, sa calotte rouge de velours d’Utrech (sic) (suite du méme texte). Cf. les vétements de Corcova, supra, n. 10. copered premiers essais dramatiques, on le sait, remontent bien plus haut,
vers A 17. Le brouillon l’affirme, et le texte définitif le maintient avec beaucoup d’énergie : « Ces belles représentations (les marionnettes) inspirérent aux deux ee Vidée d’avoir un théatre 4 eux... Chacun dut faire sa piéce. » V.H.R., O.C., 5 :
18. Il ne serait pas difficile de montrer dans la scéne constellation familiale, d’oti la mére ne serait pas absente,
son écot » pour les représentations
—
du Jocrisse toute une — elle « payait aussi
et ou le pére jouerait le réle du maitre
cruel
7
98.
LE ROY
ET LE BOUFFON
mais est lié dans sa conscience 4 la création dramatique.
Ce schéma
trés primitif
la douleur
de ’homme
battu
par
son
maitre,
et dont
réjouit un public, est coloré d’un pathétique intense : le mélange de rire et de pitié, le sadisme des spectateurs, tout cet ensemble est déja dramatisé. Encore
la Mariposa II.
Ce schéma est répétitif, donc dramatiquement inerte. Le jeu dramatique nécessite la présence d’un troisiéme personnage, la Femme. Or, ce schéma triangulaire existe, constitué dans l’imagination hugolienne, 4 la date de 1829 ; il comporte
le Maitre,
le Grotesque,
et la
Femme. Le Grotesque (laid) est ici le serviteur, et le schéma s’organise en intrigue dramatique : le Grotesque qui sert le Maitre malgré Yamour
qu’il éprouve
pour
la Femme
(ou a cause
de cet amour)
finit
pour venger la Femme par se retourner contre son maitre et le faire périr. Dans le canevas de 1829, il n’y a aucune particularisation historique : le fait est intéressant, parce qu’il prouve ce dont nous nous doutions déja, que dans le drame hugolien, la fable de départ n’est pas tirée d’un récit historique, mais d’un schéma autre. Notons qu’ici la présence du Roi et de la Princesse non déterminés appelle, selon le code dramatique du temps, une incarnation historique : on n’imagine pas, dans la premiére moitié du x1x* siécle, de piéces ou il n’y aurait que
des réles
abstraits
(le Roi, la Femme,
le Bouffon,
le Sei-
gneur, le Valet). L’écriture de ce canevas suppose, ce qui ne nous étonne pas a la date de 1829, Vusage du vers. Ne pouvons-nous. penser qu'il trouve un relais dans le Roi s’amuse™ ? Le drame
paternel.
Il existe un texte dramatique dont Hugo, qui ne l’a sirement pas lu intégralement, a pu avoir connaissance par lintermédiaire de Mme de Staél et ot le trio maitre-femme-valet se mue en quatuor: c’est
la célebre
Emilia
Galotti
de Lessing
dont
Mme
de
Staél,
dans
De lVAllemagne ™, donne une analyse assez détaillée ; cette histoire de jeune fille que le prince tente de pervertir 4 l’aide d’un serviteur prend son sens par l’intervention tragique du peére. Voici ce qu’en
dit Mme
de Staél :
Lessing avait sans doute un sentiment d’humeur assez républicain contre les courtisans, car il se complait dans la peinture de celui qui veut aider son maitre a déshonorer une jeune fille innocente ; ce courtisan Martinelli est presque trop vil pour la tandis que les enfants, tout en s’en distanciant par le rire, s’identifieraient au Jocrisse victime. A deux reprises cette scéne nait) dans un contexte d’angoisse extréme,
celui
d°’une
séparation,
virtuelle
ou
réelle,
19. Voir chapitre 1, analyse de la Mariposa. Feuilles paginées & la date de 1829. L’indication
avec
la -mére.
Le nom de Gennaro figure dans de ce nom propre est précédée de la formule : « de ce qu’on aime, tout est beau » et suivie de ce vers sibylin : « Pauvre 4me, emprisonnée en des organes morts ». Ainsi le personnage de Gennaro parait lié a la laideur et a la folie. Curreusement sur la méme page figure le premier brouillon de la protestation de Don César contre le piége tendu & une femme : « J’aimerais mieux plutét qu’étre 4 ce point flétri... » (p. 67 v°, O.C., HL, 1190-1191). v 20. Un autre relais se trouvant dans Notre-Dame de Paris sous la forme du trio Claude Frollo — la Esmeralda — Quasimodo. 21. Mme de Staél, De l’Allemagne, Ii, chap. xv1, De la dramaturgie de Lessing.
« LE ROI
S’AMUSE
»
99
vraisemblance (...). Le personnage du prince est traité par l’auteur avec plus de finesse; les passions tumultueuses et la légéreté. de caractére dont la réunion est si funeste dans un homme puissant se font sentir dans toute sa conduite (...). La scéne dans laquelle la comtesse Orsina™ excite le pére d’Emilie a tuer le prince pour dérober sa fille 4 la honte qui la menace est de la plus grande beauté (...). Le vieillard prend le poignard, et ne pouvant assassiner le prince, il s’en sert pour immoler
sa propre fille *. »
On reconnait ici sans effort les ressemblances entre ce texte et la fable ou les personnages du Roi s’amuse: le Prince, |’Entremetteur, la Jeune
fille innocente,
le Pére
noble,
et la modification
tragi-
que qui fait de la fille la victime imprévue de la vengeance paternelle. Le changement « inventé » par Hugo est trop intéressant pour qu’on ne s’y attache pas: il fait de l’'entremetteur et du pére noble non pas deux personnages opposés, mais le méme personnage *, intériorisant ainsi le duaiisme tragique de la situation. D’autre part il n’y a chez Hugo nul héroisme inhumain dans le meurtre final de la fille, mais le rdéle ironique et incompréhensible de l’Ananké. Hugo adapte a sa propre dramaturgie un drame bourgeois et moralisant. Nous tenons pour probable que Hugo a pris connaissance de ce résumé, si proche de son propre drame. Corcova. Au printemps 1830, le personnage
du grotesque revét l’apparence
du bouffon de cour. Dans un texte annexé 's’amuse il a le nom de Corcova et la fonction
au manuscrit du Roi de bouffon du Roi :
Comédie. — Le prince s’ennuie — ses favoris cherchent un plaisir — tous sont épuisés. Une idée tombe dans la téte de Corcova — bouffonne, plaisante, délicieuse partie de plaisir —
tout se termine
au terrible *.
Ce texte est manifestement antérieur au 15 juin 1830, puisque sur la méme page, quelques lignes plus loin, figure un vers de la Priére pour tous*. Or le Roi de Naples est venu 4 Paris en visite autour du 15 mai 1830 ; Hugo y fait allusion sur la méme page. Nous daterons donc ce fragment de la fin mai 1830. Notons que ce schéma est singuliérement incomplet, et surtout, inactif ; il oppose pratiquement deux personnages, Corcova et le Prince, les courtisans n’étant que des témoins ; Corcova se présente comme lié aux courtisans, comme un « hyper-courtisan », celui qui réussit la ot les autres échouent.
Notons
Vindication
comédie
et,
dans
le
vocabulaire,
la
redondance de plaisir, plaisant ; ces quelques lignes paraissent couvrir tout le champ du grotesque : le rire, la bouffonnerie, la laideur
227
22. Maitresse du Prince, jalouse d’Emilia. 23. De l’Allemagne, éd. Jean de Pange, Simone
24, Mais il laisse Saint-Vallier. 25, F. Lambert,
Le
au
de 1830, sans précisions. 26. Ibid., p. 124-125.
Pére
Noble
Manuscrit
du
sa Roi
place
Balayé, Hachette,
et sa
s’amuse,
fonction,
Besancon,
1958, II, p. 266-
sous 1966,
les espéces p.
104-105;
de daté
100.
LE ROI ET LE BOUFFON
(Corcova), et pour finir, le terrible. Si incomplet qu’il soit, le schéma
suppose l’ambivalence du grotesque et le mélange de rire et de terreur qui le caractérise”. Cependant, nous ne savons comment « tout se termine au terrible » et V’idée d’une réversibilité du malheur sur la téte du bouffon n’est pas nommément indiquée. Il se trouve que nous connaissons lorigine et la source de ce schéma*. Nous savons que Hugo a lu dés sa parution le roman de Paul Lacroix” intitulé les Deux Fous, histoire du temps de Francois
11 mai
1830, adressée
par Hugo
I, 1524. Une
a P. Lacroix,
témoigne
lettre du
de l’enthou-
siasme que ce livre a éveillé chez Hugo ®. Une question se pose, singuliérement épineuse ; pourquoi un projet Corcova (ou Triboulet) ne figure-t-il pas dans la liste d’octobre 1830? Sur ce point nous en sommes réduits aux conjectures: Hugo avait-il scrupule 4 emprunter immédiatement un theme dramatique au roman de Lacroix, 4 le mettre au thédtre sans vergogne comme Vigny avait mis au thédtre la Maréchale d’Ancre du méme Lacroix ? C’est bien possible, nous dirions méme probable. Ce mince projet Corcova et les fragments qui |’accompagnent s’inscrivent dans la constellation de mai-juin 1830 dont nous avons vu importance et la richesse. Ici aussi se trouve évoquée l’image de la royauté avec ses corollaires hugoliens, la violence et l’oppression : le méme folio porte la devise du roi Ferdinand de Naples qui « disait quwil ne fallait que trois f pour gouverner un peuple, festa, furca, _farina
(féte, échafaud,
farine)
», et il n’est pas sir qu’un
duel
avec
le roi ne soit pas impliqué dans la formule obscure qui suit immédiatement le texte Corcova: « Quand c’efit été le roi ? Faut-il frapper si fort 2? »
Quasimodo
: Notre-Dame de Paris et le Roi s’amuse.
Donc en mai 1830, Hugo, peut-étre 4 la suite directe de la lecture des Deux Fous, songe 4 écrire la tragédie-comédie du bouffon de cour. Dans quelle mesure Quasimodo est-il le relais entre le JocrisseCorcova et Triboulet ? peut-étre faut-il Quasimodo et lécriture de Notre-Dame de Paris pour que Hugo joigne image du bouffon royal byid Voir ¥
28. Déja
la Préface signalée
de Cromwell, par
Maurice
O.C.,
du
Bos
Wl, p. 51-52 ; voir : Une
Roi s’amuse (Mercure de France), 15 novembre fort précise de F. Lambert, op. cit., p. 73-76.
29. Signalé par la Bibliographie 30. A Monsieur Paul Lacroix 55 ou 53, rue d’Enfer. Savez-vous,
mon
bon
et
cher
source 1932,
que
t. 240,
loin
Ile partie,
des
p. 23-42,
erreurs
du
et analyse ,
de la France, ami,
plus
inconnue
vous
le 24 avril 1830. ; mardi 11 mai avez
fait
un
bien
1830.
beau
livre ?
Je vous demande si vous le savez, parce qu’il y a en vous quelque chose de l’admirable simplicité de La Fontaine, qui s’ignorait lui-méme, et du génie aussi. Votre Caillette m’a touché, attendri, ravi. C’est idéal souvent, toujours réel et toujours beau. J’ai lu deux fois vos deux Fous ; ce n’est qu’une fois par fou : ce n’est pas assez ; ils méritent mieux. Je vais les relire et puis j’irai vous voir et vous dire que je vous aime du fond du cceur, vous et vos livres, vos livres et
vous.
Quelle
ravissante
dédicace ! que
vous
étes
heureux
d’étre
& ce
point
du
seiziéme siécle ! Votre ami, : ; _. Vietor Hugo. Ce mardi soir. Mettez-moi aux pieds ot vous avez mis vos deux fous, cela fera bien. 31. Francoise Lambert, op. cit., p. 124, 125. Il est possible sinon probable qu’il y a la un souvenir du duel entre le fou Caillette et le roi Frangois dans les Deux Fous, p. 290 sqq. :
'€ LE ROI
S’AMUSE
>
101
au schéme organisateur de la Mariposa II, et que le héros de ce dernier canevas recoive son vrai visage de grotesque, complétant ainsi la lignée
des
héritiers
du
Jocrisse
: Corcova,
le Jocrisse,
Gennaro,
(Corcova ®), Quasimodo, Triboulet *.
Le lien physique
entre
Quasimodo
et Triboulet
est trop visible
pour qu’on y insiste ; la laideur, la bosse, Vhorreur instinctive qu’inspire leur
chasteté
seul aspect ; la parenté
forcée,
amour
de leur
malheureux,
situation
involontaire
morale
(solitude,
méchanceté)
n’est
guére moins frappante. Mais ce qui est essentiel, c’est la double situation triangulaire de Quasimodo, deux fois placé entre la Femme et un « maitre » qui la désire : Claude
Frollo
Phébus
—_—_——
Quasimodo
Esmeralda
Esmeralda
Dans le Roi s’amuse, Hugo fond en un les deux personnages qui ont la méme fonction structurale, ou plus exactement il donne au Roi a la fois la fonction de maitre par rapport au grotesque, et la fonction de Don Juan, de séducteur léger qui est celle de Phébus *. En un autre sens, le personnage de Triboulet est fait de la fusion de Quasimodo et de Claude Frollo, par une recomposition de tous les éléments : la paternité ambigué de Claude Frollo appelle la paternité ambigué de Triboulet®; un ajout au premier plan de Notre-Dame de Paris*® contient la premiére indication du dénouement du Roi s’'amuse: « (...) Qu’il (Phébus) meure donc, puisque je ne viendrai a bout
d’elle qu’aprés
sa mort
(...). Jehan
livré
mort
au lieu de Phébus. La scéne du bord de l’eau. — . Malgré la différence
a l’archidiacre
C’est mon frére *. >
du mobile (désir et non vengeance),
on reconnait
dans ces quelques lignes l'emploi du tueur 4 gage, l’erreur sur la personne qui livre au lieu de l’ennemi l’objet d’amour et jusqu’a la localisation
de la scéne
« au bord
de
l’eau
». Au
triangle
Cl. Frollo-
Phébus-Jehan Frollo, correspond done dans le Roi s’amuse le triangle 32. Dans le fragment de mai 1830. 33. Autant de personnages, qui a part Gennaro (celui du fragment de la Mariposa II) — et encore n’en savons-nous pas assez pour en décider — ont pour caractéristique de n’avoir pas de nom, seulement des surnoms. Il semble que Hugo ait hésité 4 propos de celui de Quasimodo.
34. J. Seebacher a montré que J’addition de Phébus, changement majeur par rapport au premier plan, n’est probablement pas antérieure A septembre 1830 (V. Seebacher, note rectificative, O.C., VI, 1111). Or Phébus parait correspondre, au moins par son nom, 4 une figure royale et peut-étre plus précisément louis-quatorzienne. V. plus loin note 37, et chapitre Jumeauz. Tout se passe comme s’il y avait, aprés la révolution de 1830, introduction occulte d’une figure royale de type nouveau, liée non plus au bourreau, mais au plaisir. 35. Voir N.-D. de P., IV, Il, Pamour de Claude pour son jeune frére Jehan : « Dans
nmavoir
une
mon
4me
jamais
son frére.
aussi
d’autre
neuve,
épouse,
» O.C., IV, 116-117.
pays, ma
562. Il faudrait
famille, Mon analyser
ce
fut comme
d’autre
Et Triboulet
épouse, ma
avec
plus
un
enfant
premier
que
amour
le bonheur
(...). Il résolut
et
la
fortune
a sa fille (R. s’A., II, 3) : « (...) Ma
mére
de détails
et ma
sceur, et ma
l’importance
de
de
cité,
fille », O.C., IV,
capitale
pour
Hugo
de
Vidée que tous les amours sont un seul amour, Devangant Freud, Hugo devine que V’amour n’est pas simple désir, mais désir de l’Autre, — quel que soit cet
autre. Quant aux rapports entre Claude Frollo et le moi de Hugo, ce n’est pas le lieu de Jes analyser ici : qu’il nous suffise de rappeler que les sons fr-fl paraissent comme la signature phonique de Hugo, fait particuliérement net dans les Contem-
plations,
« mémoires
d’une
36. V. note 34, 37. N.D. de P. Reliquat,
Ame
>».
O.C., IV, 344 et VI, 1111.
102
LE ROI
ET LE BOUFFON
Triboulet-le Roi-Blanche *. Notre-Dame matrices du théatre *.
de Paris
est une
des grandes
Rabelais.
On sait le réle joué par Triboulet le « morosophe » dans le Tiers Livre de Rabelais ; il est l’arbitre auquel dans sa détresse a recours Panurge“; la sagesse ne saurait lui donner une réponse valable, peut-étre la folie la lui fournira-t-elle. D’autre part, Triboulet est le sujet d’une extraordinaire double série d’épithetes contradictoires “ : le personnage Triboulet est ce dont on ne peut dire que des choses opposées, il est comme le creuset des contradictions humaines. On n’a pas de peine & croire que c’est un aspect de Triboulet qui pouvait intéresser Hugo. Les preuves de la lecture et méme de la fréquentation de Rabelais par Hugo sont innombrables, non seulement pendant Vexil, mais bien
avant ”.
Il y a plus : dans l’un des chapitres consacrés a ce fou du roi, Rabelais laisse échapper une remarque qui a peut-étre orienté toute la fable du Roi s’amuse: « Les mathématiciens disent un méme horoscope étre 4 ja nativité des rois et des sots*® » et d’en donner des exemples. Hugo a-t-il puisé chez Rabelais cette idée de la réversibilité possible du destin des fous et des rois ? Nous jugeons la chose d’autant plus probable que de toute maniére cette formule n’est pas tombée
dans
l’oreille
d’un
sourd;
des
années
plus tard,
elle nourrit
-la fable de Mangeront-ils“? ou Airoio et le Roi'sont prétendument condamnés 4 mourir au méme instant. La source « rabelaisienne » du Roi s’amuse est peut-étre confirmée par la présence dés les premiers brouillons* de Vopposition donjon/moulin, opposition dont Vorigine
n’est pas mystérieuse
chole, battu, exilé de son
: c’est la Guerre
donjon,
se retrouve
Picrocholine dans un
: Picro-
moulin
ot les
meuniers le déshabillent et le battent.. Autre confirmation : cette source rabelaisienne figure 4 la premié¢re page de la Dissertation sur les Fous des Rois de France de P. Lacroix“; Hugo avait donc la possibilité de la connaitre, quoique le livre ne fit pas paru 4 cette date. Nous tenons donc pour quasi-démontrée ’importance du contact avec Rabelais dans la genése du Roi s’amuse: Importance d’autant plus grande qu’elle interfere avec la théorie et la pratique du gro38. On voit qu’ici la place structurelle de Phébus est la méme que celle du roi Francois Ier. 39. Par exemple les deux figures fraternelles dont l’une est la cause indirecte de la mort de l’autre, sont ici représentées par Jehan Frollo et Quasimodo, tous les deux
est
élevés
par
expressément
enfant
Claude
dénoté
(Quasimodo)
Frollo,
comme
pour
aussi
dissemblables
le garant
l’amour
de son
de
Vautre
frére-» (IV,
que
: «
possible,
I
Il, 0.C.,
cette idée est dans la méme page exprimée deux fois, sous deux 40. Rabelais, Tiers Livre, chap, xxxvil. Pléiade, p. 461. 41, ibid.,
chap, xxxvir,
Pléiade,
mais
fit voeu
dont
Pun
Notons
que
d’élever
IV, 117).
formes
cet
différentes.
p, 464-467.
42, Citons pour mémoire, le commentaire de Rabelais dans W. Shakespeare II ; XII, O.C., XL, 184-186 et la Chanson des Rues et des Bois, Meudon, 1, ll, 7. Voir Ile parcie, p. 95, note 41. Avant Vexil, voir Ruy Blas, éd. crit. 11, Documents, p. 16. 43. Rabelais, Jiers Livre, chap. xxxvi, Pléiade, p. 462. Sot = fou (ef. sotie).
44, Voir Ue partie, p. 151 et sur Mangeront-ils ? \’édition critique procurée
MM.
Journet et Robert, Paris, Flammarion, 19/70. 45, Cette opposition se trouve déja' dans la
supra,
p. 25-27.
46. Cet loin,
p. 107.
essai
Jehan
Frollo
précéde
est
surnommé
la réimpression
Du
des
Mariposa
I,
O.C.,
Il,
par
972.
Voir
Voir
plus
Moulin.
Deux
Fous,
Delloye,
1837.
« LE ROL
S’AMUSE
»
103
tesque dans V’ensemble de la dramaturgie hugolienne. La référence a Rabelais signe V’équivalence du roi et du bouffon et Vinversion grotesque “. Scarron.
Dans la lignée du grotesque, une autre figure hante l’imagination de Hugo, celle de Scarron; ici ce n’est pas l’ceuvre qui est prise comme modéle littéraire, c’est le personnage, et plus encore le couple étrange que forme le poéte contrefait et la jeune et jolie Francoise d@’Aubigné. Scarron figure le contrepoint grotesque du Roi-Soleil dans la Préface de Cromwell. Les rapports de Scarron et des grands seigneurs dont il dépend pour vivre et qu’il voit courtiser sa charmante épouse, ont pu parler 4 imagination de Hugo. Ce serait une supposition gratuite si le poéte n’avait pas concu Vidée d’une comédiedrame ou Scarron aurait joué un réle — son propre réle “. Le portrait physique de Triboulet ne ressemble pas mal au portrait que trace Scarron de lui-méme en divers textes, par exemple :
... Si mal faite est mon échine Mal fait est mon esprit aussi; Mon pauvre corps est raccourci Et j’ai la téte sur l’oreille,
(...) Ma poitrine est toute convexe,
Enfin je suis tout circonflexe, (...) Chargé de maux, chargé d’ennuis ™.
La grande tirade gémissante de Triboulet aux courtisans®™ peut faire écho aux plaintes douloureuses de Scarron 4 la fin de sa vie. L’opposition du roi et du bouffon ®, celle du seigneur et de son amuseur pouvaient avoir Scarron comme illustration vivante *. Triboulet
et les « Deux Fous
».
Deux ans de maturation, presque jour pour jour, séparent l’ebauche Corcova. du premier canevas organisé du Roi s’amuse. Les Deux Fous de Lacroix, risquaient d’étre passablement oubliés. On pouvait sans doute se servir ouvertement de ce charmant roman, au style délicieusement
archaisant.
Hugo
connaissait
sa
dette,
et l’idée
nier lui venait si peu, que lors de la premiére représentation
de la
du Roi
47, Voir Ile partie, p. 514-517. 48 Voir 0.C., IV, p. 889-891, Portefeuille dramatique, les fragments Scarron, (publiés par nous). Sur le réle de Scarron, v. infra chapitre les Jumeaux, p. 533535, et Madame Louis XIV, p. 356. 50. Responce a Monsieur le Comte
de
Saint-Aignan,
in
Poésies
(éd.
collective
de 1654). Poésies diverses, éd. par Maurice Cauchie, Didier, 1960, p. 162-163. 51. Til, 3, 0.C., IV, 586 : Mais voyez-vous, souvent j’ai, quand je fais un pas, Bien des maux dans le corps dont je ne parle pas. On a comme cela ses mauvaises journées, Quand on est contrefait. he Eeeity Saar d’avance, étrange chose ! Fit Louis wes
XIV
cocu.
» Ms. 24787,
fo 32,
)
53. Ce n’est pas ici le lieu de montrer tout ce que Hugo doit a Scarron, en particulier au Roman comique par ex. ; la forme latine des noms antiques (Mécénas, etc.) ou peut-étre le nom de Fabiano Fabiani (Fernando Fernandi in Roman comique). On ne surestimera jamais le réle dans la culture de Hugo de ce qu’un A eid appellera plus tard les Grotesques. Hugo lit Cyrano presque autant que
carron.
104
LE ROI
ET LE BOUFFON
s’amuse, les fréres Lacroix, Jules et Paul, figuraient aux places d’honneur, dans une loge de scéne, située immédiatement au-dessus de la
loge du poéte*'. D’ailleurs, il paraissait légitime, dans la premiére moitié du xrIx° siécle, de porter 4 la scéne tel roman ou tel fragment de roman *. Les emprunts de Hugo au roman de Lacroix sont innombrables, et ils ne concernent pas seulement le Roi s’amuse : Hugo a pu trouver dans la derniére page des Deux Fous, le baiser final de la Reine a Ruy Blas ©, Une extraordinaire quantité de détails de la piéce — et des plus imprévus — viennent en droite ligne du roman de Lacroix ™. L’analyse de Mile Lambert montre bien la parenté des deux. textes. Dans le roman, le roi Francois séduit Diane de Poitiers en lui offrant, en échange de son abandon, la grace de son pére condamné pour avoir conspiré avec le Connétable de Montmorency. Le Fou du Roi Triboulet favorise cette intrigue, tandis que l’autre Fou, le jeune et beau Caillette, s’efforce de.sauver Diane des griffes royales. Il échoue
et finit par mourir empoisonné. On voit Videntité des contextes historiques, la présence des mémes personnages, mais aussi la différence fondamentale des deux fables. Chez Hugo, Vhistoire de Diane ne figure que comme un systeme de référence qu’illustrent la présence sur scéne et le grand discours de M. de Saint-Vallier, pére de Diane. La personnalité du roi est trés voisine chez Hugo de ce qu’elle est chez Lacroix. Ainsi, le donjuanisme : « Certes, ce n’est chose a blamer que la courtoisie, s’écrie la mére du Roi; mais vous ne regardez guere a la condition de vos maitresses, pourvu qu’elles soient frisques, galantes et bien faites, vous les ramassez au plus bas lieu, entre les boulangéres, greffieres, et pis encore. Votre mauvais démon Triboulet vous incite 4 de telles vilenies... » De méme le comportement amoureux du roi et la réaction de l’amoureuse sont trés voisins dans le roman de ce quwils sont dans la piéce. Le Roi cherche une femme
qui l’aime
pour
lui-méme ; de la, dans
les deux
textes,
son
déguisement : « Ainsi, point ne me laisserai piper par vos fines mouches de cour, et il me plut de choisir une qui m’aime contre ma qualité de roi... » « Le roi... voulait que sa royauté fut le dernier aveu a faire 4 sa nouvelle maitresse *. » A quoi répond le dialogue de Triboulet et du Roi:
LE ROI Qu’en sais-tu ?
TRIBOULET N’étre aimé que d’un coeur ébloui. Ce n’est pas étre aimé ®. 54. Cf. le Dossier du Roi s’amuse, ms, 13405, ffos 14-17 ; cf. aussi Henri Lyonnet, Les Premiéres de Victor Hugo, Delagrave, 1930. 55. Les romans de Balzac, ceux de George Sand, ceux mémes de Hugo fourniront pendant tout le siécle des textes dramatiques, en général dénués d’intérét. I y aurait une histoire a faire de ces emprunts d’ceuvre A ceuvre ou de genre A genre : Vhistoire de « intertextualité » au xrx¢ n’est. pas faite. 56. Voir p. 396, le chaste baiser final de Diane 4 Caillette et l’extase du moribond empoisonné, Tel Don Salluste, Triboulet donne de l’argent au guet pour faire arréter Caillette (p. 131) et comme Anne d’Autriche dans Les Jumeauz, la mére du Roi consulte l’astrologue Cornélius Agrippa (p. 301). 57. Ce détail par exemple de Mme de Chateaubriand qui telle Mme de Cossé « redoutait moins les médisances des dames et des gentilshommes que la pénétration de jalousie de son époux » (p. 23). Cf. Le Roi s’amuse, 1, 1.
58. Les Deux
Fous, p. 268 et 135.
59. Le Roi s’amuse,
O.C., VI, p. 547.
.
« LE ROI S’AMUSE
>
105
Diane a, devant la révélation de Videntité royale, la méme angoisse que Blanche : « Diane gémit: En son sein je cuidais qu'il m’aimait loyalement et Monsieur de Valois se jouait ainsi de moi: ce sont plaisirs de roi !... Et tant plus aimois-je Monsieur de Valois, tant plus je m’efforce de hair le roi Francois ®. » Et Blanche : Je ne sais méme Si je vous aime Reculant
plus, vous que j’ai cru si doux, encor !
avec
un sursaut
de terreur
Vous roi! —
J’ai peur de vous"!
La honte des deux femmes s’exprime en termes voisins, et le pére déshonoré, Saint-Vallier, a chez Lacroix les accents qui préfigurent la grande tirade de la malédiction
(I, 5):
O Seigneur Dieu! cela seul je craignais non moins que le péché mortel, et trop plus que le pire supplice. Ah! Messeigneurs, accordez-moi cette grace, que j’aie la téte tranchée a cette heure ! Oui, ne me
refusez
pas
cet unique
contentement ! Vite,
bourreau, aiguise ta hache ; grace ! grace ! 4 savoir une prompte fin a ce désespoir ®,
Et Louis de Brézé souligne : « Oh! la vertueuse dame qui par adultére, rachéte son pére de l’échafaud ®. » Nous avons la le noyau de la fameuse tirade *. Depuis Maurice Du Bos, on sait que le roman de Lacroix est 4 Yorigine des erreurs historiques plus ou moins volontaires que commet Hugo ®: Diane de Poitiers n’a jamais été la maitresse de Francois I*, elle n’est venue 4 la cour qu’aprés la mort de son mari Louis de Brézé. La perspective romanesque avait conduit Lacroix 4 inverser Vage du pére et du mari de Diane : 4 Vheure ot sont censés se dérouler les événements, le premier a environ quarante-cing ans, et le second soixante-cing (il avait quarante ans de plus que Diane). Si Hugo reprend ces erreurs historiques, ce n’est pas qu’il ignore la vérité, c’est que la séduction de Diane et la noble vieillesse de SaintVallier sont des éléments dramatiques dont il ne peut se passer : que faire du Saint-Vallier historique, si lache qu’il donna son nom 4 la « fiévre Saint-Vallier », fiévre... de peur © ? Le Roi et le Fou.
Les folz sont roys, les roys sont fous, Couronne ou bonnet verd en teste, 60. Les Deux
Fous, p. 271.
61. Le Roi s’amuse, ibid., 579. 62. Les Deux Fous, p. 342.
63. Ibid.
64. C’est le premier
texte rédigé
par
Hugo
(voir plus
loin)
(ibid.,
552-553).
65. Cependant, il pouvait lire dans les Galanteries des Rois de France de Sauval (livre qu’il pratiquait pour Notre-Dame de Paris) une version de Vhistoire de Diane qui a dG inspirer aussi Lacroix. A Cologne, chez P. Marteau, 1698, Il, p. 74, Voir dans Sauval, également, les galanteries diverses de Frangois Ier, 66. « Cette figvre de Saint-Vallier, cette maladie de la terreur de l’échafaud, la plus monstrueuse de toutes les maladies, parce qu’elle ne vient pas de Dieu, mais
de homme.
» N.D.
de P., Il, 2, 0.C., IV, 60.
106
~
LE ROI'ET
LE’ BOUFFON
Sceptre ou marotte pour la feste, Ensemble: mieulx que chiens et loups. Roys sont folz de guerre et de chasse, Folz sont roys de qui les pourchasse : Donc folz sont roys et roys sont fous. La Danse des folz™.
Ce beau texte © sert d’épigraphe au second chapitre des Deux Fous ; il résume en clair l’idée capitale que Hugo empruntait au roman: Vopposition, le parallélisme et la réversibilité des deux grands roles du Roi et du Fou. De Ja l’emprunt dans presque tous ses détails du personnage de Triboulet avec ses trois traits caractéristiques, lostentation de sa laideur grotesque, son aspect d’ « ombre » du Roi, image déformée
de son
maitre,
et sa fonction
d’entremetteur,
« Triboulet était de petite taille contrefaite, et Francois I* s’étonnait comment si gentil esprit se fit logé dans si vilain corps. IJ avait une énorme téte, avec de prodigieuses oreilles, une bouche largement fendue, un grand nez, de gros yeux saillants, sous un front bas et
étroit. Sa poitrine plate et creuse, son dos taillé en votite, ses jambes courtes et torses, ses bras longs et pendants, amusaient les regards
des dames, comme s’il se fit agi-d’un singe ou d’un perroquet. Le costume du fou royal n’était pas moins bizarre que le personnage qui le portait. Selon son emploi secret de procureur des plaisirs du roi, il adoptait les couleurs de la maitresse en titre, et s’habillait de méme que son maitre, a la forme des habits prés®. » Ce portrait physique et moral a passé sans modification du Triboulet de Lacroix 4 celui de Hugo. Mais un détail indique la relativité des sources et les constantes de l’imagination hugolienne : c’est celui de la « bouche largement
fendue
». Cette
bouche,
fendue
d’une
oreille
4 lV’autre,
c’est le
signe distinctif du grotesque hugolien, signe stable 4 travers la diachronie, le point graphique définitivement fixé dans les dessins, du portrait de Triboulet qui orne la derniere page du manuscrit” jusqu’au portrait de Gavroche”, en passant par la monstrueuse caricature de Goulatromba ouvrant le four noir de sa gueule armée de dents ; et si Quasimodo a une « bouche en fer a4 cheval™ », Venfant Gwynplaine a la sienne fendue jusqu’aux oreilles par le couteau des comprachicos : pour Hugo, le grotesque, c’est la bouche qui rit, peutétre malgré elle *.
Ce role antinomique l’étre, Lacroix
du bouffon royal heureux et malheureux
le matérialise
dans
la figure
de ses deux
bouffons,
de ce
Triboulet « fier de ses fonctions auprés du Roi, et qui n’edit pas changé son grotesque accoutrement contre une couronne de duc ou une
mitre
d’évéque™
», et ce Caillette
67. Op. cit., p. 21. 68. Que nous n’avons 69. Les
Deux
Fous,
pas retrouvé.
p. 28-29.
Est-ce
Souligné
par
beau,
un
délicat,
et qui s’écrie:
pastiche ?
nous.
70. Ms. du Roi s’amuse, Nafr 13370, f° 85, dessin probablement postérieur A la piéce (papier collé sur la derniére p. du ms.), et portant la mention Le dernier boujfon songeant au dernier roi ; nous le daterions de 1838-1840, et M. Georgel est d’accord avec nous pour cette datation. 71. 0.C., XVIII, 468 et 471 (musée), V.H. 239-240. 72. Notre-Dame de Paris, I, 5, 0.C., IV, 53. 73 V. p. 96, n. 9 bis. 74. Les
Deux
Fous,
p. 29.
« LE ROI
S’AMUSE
»
107
« Le pire de mes ennuis... étre fou du roi en service ordinaire™ » — bouffon dont la caractéristique dominante est la tristesse (« Le plus triste et déplaisant bouffon qui soit dans ce monde sublunaire »). De la dans le roman une structure en miroir”, peut dire, en miroir déformant, mettant en conflit, d’une
et si lon part Tri-
boulet et Caillette, de l'autre Caillette et le Roi. Le premier ayant une fonction précise de procureur des plaisirs royaux ®, et aidant Francois I* a conquérir Mme Diane, le second amoureux de la méme femme, et s’opposant donc a la fois 4 son collégue en bouffonnerie, et au roi lui-méme. Jusqu’au duel avorté entre Caillette et le Roi, duel dont Hugo tirera un tel parti, et qui montre
le bouffon, pourtant armé,
vaincu par le Roi sans armes. Enfin Hugo emprunte 4 Lacroix la conclusion pessimiste du conflit, la défaite et la mort du bouffon face 4 la majesté royale — double défaite : sur le terrain des faits comme sur celui du. cceur. Un seul bouffon. Mais Hugo fait subir a la fable du roman des transformations capitales. Tout d’abord, il repousse dans le passé Vhistoire simplement
évoquée
de Diane
de Poitiers ; ni elle, ni:son
mari
ne
figurent
dans la piece ; seul apparait Saint-Vallier, spectre du passé. Hugo réussit ainsi 4.la fois 4 récupérer et a éliminer ce qui fut un de ses projets dramatiques de l’année 30, la « fille qui sacrifie son honneur _ pour sauver son pére”™® » ; le schéma n’est utilisé ici que comme systeme de référence. D’autre part, Hugo concentre le nombre des personnages actifs de la piece, et en particulier réduit 4 un seul les deux bouffons de Lacroix.
Ce faisant
il revient
au triangle
du schéma
de base,
le roi,
la femme, le bouffon. De la une lumiére étonnante jetée sur le grotesque. Lacroix a parfaitement percu la force explosive du personnage du fou du roi. IJ s’en explique dans sa Dissertation sur les fous des rois de France®. Cependant, le fou autour duquel est centré le canevas romanesque, c’est-a-dire Caillette, est gommé en tant que grotesque : bien loin d’étre le bouffon qui fait rire par son seul aspect physique, le grotesque fier de ]’étre, il est le fou malgré lui, doué des plus nobles qualités du gentilhomme : le mal est réservé 4 Triboulet, infame, laid, bas, traitre et entremetteur. Le sens méme du grotesque hugolien est de récupérer les deux personnages pour les fondre en un seul. Ici tout le jeu dramatique s’établit dans l’ambiguité fondamentale du personnage de Triboulet, 4 la fois Caillette et Triboulet, mal et bien, entremetteur et pére déchiré. Ainsi Hugo peut-il décentrer la tragédie : le héros tragique se confond avec le gracioso, et pour le spectateur, la confusion sur le héros est totale jusqu’a l’acte II. Seule l’apparition du bouffon chez Blanche (II, scenes 2 et 3), informe 75. [bid., p. 169. 76. lbid., p. 34.
‘
77. Hugo inventera une autre structure en miroir, Triboulet/Saltabadil. 78. Lacroix insiste particuliérement sur cet aspect des choses : Triboulet « comprenait dans les attributions de sa charge le gouvernement des amours du Roi ». .bid., p. 29-30. : en as chap. 1, p. 33. Les projets dramatiques de 1830 : L’enfance de Pierre
e
Cruel...
80. Cet essai, déja indiqué, s’amuse de Hugo.
doit beaucoup —
juste retour des choses
!| —
au Roi
108
LE RO] ET LE BOUFFON
définitivement le spectateur de l’identification de Triboulet comme le héros ; ce n’est pas un coup de thédtre, mais une révélation progressive au cours de l’acte II *. L’originalité de Lacroix était déja grande : il avait osé faire du bouffon
de cour
(Caillette),
un héros
de roman
dont
la mort
achéve
la fable ; mais il avait désamorcé son audace par un certain nombre de concessions : plus qu’un bouffon de cour, Caillette était un héros traditionnel
par
la beauté,
l"-humeur
chevaleresque,
la délicatesse;
Vhabit de bouffon n’était qu’une défroque accidentelle. Rien de tel avec Triboulet, pas la moindre concession. Le grand monologue de Vacte II (scene 2), est l’autocritique du bouffon, l’analyse de son abjection dans sa profondeur et sa ténacité: il est « infame... bien méchant, bien cruel et bien Jache... tout rempli du dégoit de sa difformité... il est le noir démon qui conseille le maitre™ ». Faire d’un pareil personnage le héros du drame, c’est une provocation d’autant plus radicale que le bouffon a pour contrepoids le personnage le plus beau, le plus brillant, le roi-chevalier
aimé
des femmes
et vainqueur de Marignan. Ainsi la fusion des deux bouffons permet d@introduire la dérision 4 Vintérieur méme de la forme tragique (structure en cing actes et versification *). D’autre part, le triangle femme-roi-bouffon, présent chez Lacroix, subit une transformation chez Hugo : il fond ensemble, non seulement les
deux
bouffons,
mais
les
deux
histoires,
celle
du
conflit
Saint-
Vallier-le Roi, et celle du conflit Caillette-le Roi; il peut done ainsi substituer une histoire d’amour paternel 4 la simple rivalité amoureuse. L’aspect passionnel du conflit (jalousie, désir de vengeance) peut subsister, marquant l’égalité virtuelle entre le Roi et le Bouffon ; mais il est nuancé par l’indignation « morale » devant la séduction. On peut se poser la question d’une présence de l’inceste dans les sentiments paternels de Triboulet. F. Lambert se moque de toute explication « psychanalytique », ou prétendue telle*. Moquerie facile : si Triboulet aime sa fille Blanche passionnément, ce n’est pas qu’il soit copié du Caillette de Lacroix, mais parce que l’aspect passionnel est ici décisif. Ce qui est frappant dans le texte de Hugo, c’est l’insistance avec laquelle l’amour fou est mis en lumiére. Ce qui est ici représenté, c’est l'amour total, débordant, résumant, englobant
tous les autres amours : — Ma cité, mon pays, ma famille, Mon épouse, ma mére, et ma sceur, et ma fille, Mon bonheur, ma richesse, et mon culte, et ma
loi,
Mon univers, c’est toi, toujours toi, rien que toi® !
Freud nous a appris l’universalité et si l’on peut dire, la banalité d’un tel sentiment veuvage *,
exalté
ici
par
la solitude,
l’abandon j
moral,
le
81. Voir l’analyse in Ile partie, chap. Une rhétorique : le Roi s’amuse. 82. Notons la troisiéme personne, outil de distance critique et d’objectivation. 83. Ile partie, p. 511 sqq. 84. F. Lambert, op cit., p. 74, note 10. Mile Lambert, qui ne cite pas Baudouin, se donne beau jeu en attaquant l’indéfendable Hermann Hugi, les Drames de Victor Hugo expliqués par la psychanalyse, thése, Berne, 1925. 85. Roi s’amuse¢, IL, 3, O.C.. 1V. 962 86. Cf. analyse voisine, peut-étre plus précise encore, dans le Pére Goriot, et le chap.
Buvard,
bavard
des Misérables.
,
« LE ROI
S’AMUSE
»
109
Le remarquable ici n’est donc pas le sentiment, mais l’insistance que met Hugo 4 souligner son caractére incestueusement passionnel. Nous ne rappellerons que pour mémoire qu’un mois plus tard, Hugo
rédige Lucréce Borgia et que les deux drames sont « issus du méme point du cceur®” ». Tout se passe comme si Hugo avait voulu imposer aux spectateurs, et en particulier aux spectateurs de la Comédie Francaise, la vue d’un amour dont les implications incestueuses sont mises volontairement en lumiére. Le public, et surtout la presse, ont réagi violemment a la provocation. L’aspect passionnel est sans doute emprunté sommes
4 Lacroix,
mais
il est maintenu
d’ailleurs pas ici dans le domaine
volontairement. de V’inconscient,
Nous
ne
mais dans
celui de l’intention littéraire : la lecture psychanalytique ne peut donc nous servir qu’a lire les implications affectives, autrefois occultées *. La conséquence est une transformation de la structure en miroir. Le parallélisme ne s’établit plus entre Caillette et Triboulet, mais entre
Triboulet
et
Saint-Vallier,
et
nous
aboutissons
au
lieu
du
canevas trés simple : le Roi Francois séduit Diane avec l’aide de Triboulet et malgré les efforts de Caillette* » a un schéma tripartite infiniment plus complexe, avec trois étapes successives. Le Roi
pers apt mes et
(aidé par Triboulet)
Saint-Vallier
|
Diane Le Roi Be (aidé par les courtisans)
Triboulet Blanche
Triboulet (aidé par Saltabadil)
Le Roi
Blanche
Maguelonne Ainsi donc, la situation de séduction de la femme et de trahison du pere, dont Triboulet est l’auviliaire au départ, se retourne contre lui, et il en devient la victime, les courtisans jouant le réle d’auxiliaire qui était le sien au départ; quand il essaie de renverser la situation
et de se retourner contre le Roi, avec l’aide de Saltabadil, ’homme des
bas-fonds,
Vallier
il échoue.
a Triboulet,
ce
La
paternité
dernier
devient
tragique le
relais
passant du
de
Saint-
noble
Saint-
Vallier : c’est ce mouvement qui est le ressort dramaturgique de la piece. Ainsi la vengeance « historique » va du grand seigneur (le connétable de Montmorency ou le comte de Saint-Vallier dans le roman) 87. Préface de Lucréce Borgia, O.C., IV, 654. 88. Ces considérations doivent nous inciter 4 la prudence au cas ou nous serions tentés de suivre les générations de critiques qui se sont permis de traiter la « psychologie » des personnages hugoliens de superficielle, de fausse, de sommaire, simplement parce qu’ils n’avaient pas les outils pour la comprendre. 89. Triboulet (adjuvant) (Voir Ie partie, p. 401).
Le —>
Roi
(sujet)
Diane
(objet)
111
L’AVANT-TEXTE La révélation.
La premiére étre,
nous
l’avons
trace
d’une
vu,
le folio
écriture
concréte
du
89 du manuscrit
drame
du
Roi
est peuts’amuse,
le
canevas Corcova®. I] faut attendre année 1832 pour que Corcova se voie relayer par le héros méme des Deux Fous, Triboulet. Deux fragments jalonnent espace qui précéde la rédaction du canevas. Celui auquel,
contrairement
4 Mile
Lambert,
nous
donnerions
|’antériorité
chronologique, se trouve au folio 11, du manuscrit Feuilles Paginées, et la présence d’une allusion historique précise nous permet d’en faire remonter la date 4 janvier-février %. Cette page contient le cri final de Triboulet : TRIBOULET
Je suis son pére... —
Oui, riez maintenant
J’ai tué mon
j’ai tué mon
enfant!
enfant !
Il serait intéressant de voir dans le projet du Roi s’amuse, une tentative non pas postérieure, mais concomitante a celle du Repaire de la Guérilla™ : le parallélisme d’une tentative de drame en prose et @un
drame
en
vers
(été 1832)
aurait
déja
trouvé
sa
place
au
mois
de janvier. Notons aussi que c’est la réplique finale, le pathétique du dénouement qui avant toutes choses s’imposent 4 Hugo. Une question d’abord : les deux lignes se suivent-elles immédiatement malgré le tiret qui les sépare ” > 2?La rime maintenant-enfant pourrait le faire penser *. En ce cas, il y aurait comme
dans
Lucréce
Borgia, une
révé-
lation finale de la paternité et le coup de thédtre de |’acte III, qui frappe les seigneurs en plein visage, efit été renvoyé jusqu’au dénouement”, ce qui suppose le maintien a travers toute la piece de l’équivoque maitresse/fille autour du personnage de la jeune femme. Enfin,
le mouvement dramatique 95. Nafr
13370,
caractéristique du Roi s’amuse, c’est-a-dire
fo 89 r°, F. Lambert,
op. cif., p. 104-105,
voir
plus
haut,
p. 94,
Tanalyse du fragment. 96. Mlle Lambert et G. Rosa datent tous deux ce fragment de mai 1832. Cette datation est peu probable. En effet, le recto de la méme page contient cette remarque : « Ii ne faut pas faire le beau marcheur sur certains terrains quand on n’est pas stir de son pas. Voyez Montalivet. La liste civile était une question glissante. Il s’est épaté lourdement au beau milieu. » Or, Vincident Montalivet a VPassemblée date des premiers jours de janvier ; le Monifteur Universel du 5 janvier 1832 raconte comment le ministre de l’Intérieur parle imprudemment « du Roi et de ses sujets », formule qui souléve un tollé général. Odilon Barrot. rédige une protestation signée par cent sdixante-dix-sept, députés (les Débats, 8 janvier 1831). Nous avancerions done la date & janvier ou février 1832. 97. Voir plus haut, p. 85 sqq. 97 bis. Ce tiret qui ne figure pas dans l’édition Lambert, figure bien dans le manuscrit,
comme
l’a vu
G,
Rosa
98. Si les deux phrases sont mendes cris de Triboulet, a partir u héros.
(0.C.,,
1V,
964).
indépendantes, elles contiendraient les deux desquels s’organiserait l’ensemble du discours
99. Le parallélisme avec Lucréce serait alors filiation ; b) j’ai tué ma fille / j’ai tué ma mére.
total
: a) révélation
finale
de
la
5(5
ae
LE ROI
ET LE BOUFFON
le double opposition 1° du bouffon solitaire et d’un vous pluriel qui le bafoue, 2° du rire des assistants s’opposant pour le nier au rire du bouffon — ce mouvement dramatique qui constitue la piéce, s’apercoit clairement ici. Donc, les lignes de force sont déja présentes : l’inceste-infanticide et l’ambivalence du rire. Maguelonne.
Ce qui n’apparait nullement dans ce fragment, c’est la nature du personnage féminin. Sur ce point, il y a sans doute eu une hésitation. Hésitation rendue sensible par le nom dudit personnage. Le folio 97 du manuscrit donne la liste des personnages :
Francois I* Triboulet Maguelonne 7 Aa “rbd abuzai f.
[ajouté dans V’interligne] ,
Saltabadil, h, { Dohémiens Gentilshommes 1.
Cette liste indique le triangle de base le Roi — le Bouffon — la Femme entourés de leurs comparses en deux groupes, les deux bohémiens,
homme
et femme,
et les seigneurs.
Le nom
de la femme
n’est pas encore Blanche, mais Maguelonne, c’est-a-dire celui qui passera 4 la « truande », la scour du tueur 4 gages Saltabadil. Or, on le sait, pour Hugo un nom est un moi ™ et il n’est pas possible que Blanche sous le nom de Maguelonne ait eu le méme aspect. Elle était probablement plus proche de Ja Maguelonne définitive, avec certains traits de la Esmeralda. D’autre part, le personnage de SaintVallier est ajouté entre deux lignes. La structure en miroir, serait donc non premiére, mais rapportée. Sur le méme papier, d’une écri-
ture trés voisine, et done probablement écrit 4 une date tres proche du précédent, nous avons, en plusieurs feuillets, le premier canevas du Roi s’amuse, cavenas non pas en cing actes, mais apparemment en quatre 1", Contrairement 4 Vaffirmation de Mile Lambert, nous ne pensons pas que Blanche y ait déja son nom définitif : « Des le brouillon du folio 94, le nom de Maguelonne est réservé 4 la bohémienne, puisque l’acte intitulé dans le texte définitif : Saltabadil, porte Vinseription : Chez Maguelonne '. » En effet, les titres des actes du canevas: « Festin chez le roi, Chez Maguelonne, Chez le roi, Les Bohémiens » correspondent exactement au contenu et 4 la localisation des quatre premiers actes de la piece rédigée.. Or, l’acte IJ qui porte le titre de Saltabadil, et nous verrons pourquoi, se passe en effet, dans
sa presque totalité, chez Blanche. 100,
Ms.
F. Lambert,
13370,
fo 97, r°. Cote
op. cit, 99.
74/82,
Mile Lambert Papier
croit voir le prénom
attesté de 1830
a début
juin
1832.
101, Crest la formule des Misérables, VY, VII, 1. D’autre part, le nom de Maguetonne dont les sonorités sont voisines de celles de Mariposa, Esmeralda, Marforio et surtout Maglia est nécessairement marqué de grotesque populaire et peut-étre de
truandisme. Voir Ile partie, p. 479, n. 103. 102, Ms. f° 93-96. Peut-on penser que la p. 11 de Feuilles paginées contient Vindication de Vacte V ? nous ne le croyons pas. Nous verrons plus loin Vintérét de ja structure
quadripartite
103. F. Lambert,
des drames hugoliens,
op. cit., p. 76.
;
« LE ROI S’AMUSE
de Blanche
au folio 93 recto“.
>»
113
Or, ce mot est écrit ayec
une
minus-
cule, et il est quasi sans exemple que Hugo, si indifférent aux majuscules
aprés une
écrit un trés
nom
riche
ponctuation
forte,
de personnage
d’enseignements,
ait jamais,
avec
une
non
au
moins
minuscule ™,
seulement
sur
la
avant
|’exil,
Ce canevas piéce,
mais
est sur
VYensemble des méthodes de rédaction du poéte. Tout d’abord, ces textes ne ressemblent pas a un canevas organisé, ce sont des répliques, ou des fragments de répliques, des formules qui ne figurent aucun enchainement dramatique, mais qui cernent en général un affrontement,
fit-il
intérieur.
Cependant,
si l’on regarde
le détail
et
surtout le rapport entre les formules du brouillon et le texte définitif, il est clair que ces échanges de répliques supposent une organisation dramatique extrémement poussée, peut-étre méme définitive. Ces formules, si hachées qu’elles paraissent, recouvrent d’une maniére précise, les noyaux du récit. Par exemple, l’acte II dans ce canevas, se résume en deux formules : cachant sous son rire moqueur Un fond de vieille haine
extravasée
au cceur !
et « Si quelqu’un usurpait la reine’ ! » ; or, ces deux formules traduisent la haine de l’esclave pour le maitre et cette réversibilité du coeur qui met sur le méme plan le roi et le bouffon dans le domaine des sentiments. La décapitation. Ce canevas du Roi s’amuse ne nous éclaire pas seulement sur les méthodes de travail de Hugo et sur la confiance qu’il parait avoir
en ses dons pour la combinatoire dramatique, il jette sur le contenu de la piéce et les obsessions hugoliennes un jour imprévu. Il n’est pas difficile en effet de faire le relevé sémantique de textes aussi courts. Or, si nous prenons chacun des fragments comme un message isolé, il y en a vingt-sept en tout. Sur ces vingt-sept, neuf concernent la séduction,
choix
de Vobjet
a séduire
ou
procédé
de séduction,
et
cing portent sur Vindication de la téte que l’on peut ou que |’on doit couper — a quoi on peut peut-étre ajouter une sixieme formule, « Faites-les pendre. » Cette insistance sur la décollation est parfaitement étrangere, malgré Saint-Vallier (qui d’ailleurs échappe a la décollation),
4 la fable
méme
du Roi s’amuse
: la piece ne comporte
justement aucune téte coupée et cette indication redoublée n’en est que plus frappante. D’autant que Triboulet se parle lui-méme comme sujet dune décollation possible: « Si j’avais sur le cou Autre chose a porter que la téte d’un fou’. » Une fois de plus apparait cette obsession de la téte coupée, qui se déploie dans le Dernier Jour d’un condamné ™™, 104.
Ibid.
105. En
_revanche,
peut-étre
ce mot
relativement
isolé
sur
la page
a-t-il
pro-
voqué chez Hugo la cristallisation du nom propre de Blanche, 106. Crest ce qui rend tout canevas dramatique hugolien si difficile A interpréter comme nous l’avons déja vu A propos des deux Mariposa et du Repaire de la Guerilla, Cf. notre lecture de la fin des Jumeauz, p. 553-557. 107. F. Lambert, op. cit., 98. 108. F, Lambert, op. cit., 97 (ms. 93 r°). 109. Serait-il hasardeux de voir dans cette
relais du theme boulet
de la castration,
qu’il s’agit d’un personnage
sa descendance.
relais
d’autant
sexuellement
Cf. Ile partie, chap.
Une
obsession
de
plus probable
frustré
rhétorique
la
décollation
a propos
: le Roi s’amuse.
un
de Tri-
(voir II, 2) et anéanti
dans 8
114
—
LE ROI ET LE BOUFFON
Le theme donjuanesque apparait plus naturel dans le cadre de la fable, mais les formules du brouillon le marquent avec une telle insistance, qu’on ne peut éviter le rapprochement
avec
le schéma
méme
de Don Juan — un Don Juan dont la caractéristique serait non seulement l’impénitence finale, mais l’impunité. Le dernier jalon avant l’écriture définitive de la piéce, c’est la tirade de Saint-Vallier. Nous ferons nétres les conclusions de Mile Lambert qui voit dans le brouillon de cette tirade™® un texte contemporain, 4 peu de jours prés, du. canevas dont nous venons de parler. Nous n’avons aucun élément nous permettant de dater avec plus de précision cet ensemble, mais nous en avancerions volontiers la date 4 février-mars
1832, avant le choléra
4 Paris et la maladie
de
Charles Hugo. Ce qui est frappant dans ce grand brouillon de cinquante-cing vers ou fragments de vers ™, c’est l’insistance sur les deux mémes
thémes.
Jour:
« Vous
affreux
Celui
m’avez
tréteau...
de
la décollation
parait
fait un jour mener
’échafaud
du
pére™.
prolomger
pieds
» Dés
nus
le Dernier
en Gréve... Cet
le brouillon
se trouve
indiqué le fait qu’il existe un relais possible 4 la décapitation, autre forme de « raccourcissement » :
une
Croyez-vous qu'un Chrétien, un Comte, un Gentilhomme Soit moins décapité, répondez, Monseigneur Quand au lieu de la téte, il lui manque l’honneur ! A quoi succéde sans transition le theme tement le theme du Commandeur :
de Don
Juan ou plus exac-
Jusqu’a ce que je sois vengé (...) apparaitrai ainsi dans vos orgies (...) Vous pouvez me reprendre la vie (++) Mais vous n’oserez pas
De peur que ce ne soit mon spectre qui demain vous parler, — cette téte a la main ™%,
revienne
Le dernier théme de cetfe tirade de Saint-Vallier comme des fragments
du canevas, c’esf celui de Ja fonction royale et lon voit les liens qui le rattachent aux deux précédents. Nous retrouvons ici quelque chose des fragments de l’année 1830. La juxtaposition de la figure royale et de l'image de l’échafaud renvoie aux rois décapités, a ces projets Louis XVI ou Charles I" dont révait Hugo. Dans la piéce le théme est tres prudemment gommé. Non point effacé (dans la tirade de Saint-Vallier,
tout subsiste),
mais remis
4 sa place dans
un ensem-
ble ot il se perd. Au régicide public, révolutionnaire, se trouve substitué Vattentat individuel, le régicide de vengeance. Notons que Vidée d’une équivalence entre la téte du roi et celle de l'un quelconque de ses sujets est une idée courante dans les discours et les écrits polémiques de Vopposition libérale. Présent dés janvier 1832 cet argument prend toute sa vigueur we de la repression des journées de juin. 110. F. Lambert, op, cit.,, 93. 111. Ms. 13370, f° 87-88, F. Lambert, 112. Ibid., p. 3-94,
op. cit., p. 93-95,
113. ibid., p. 94. Le théme de J’arrivée du Commandeur au milieu de la féte est le théeme- clef de ce poeme, daté d’aott 1832 et probablement antérieur, ‘Noces et Festins (Chants du Crépuscule, [V), Pléiade, 833, poéme dont nous verrons dans la seconde partie de ce travail Pimportance pour le théatre. i
« LE
HUGO
ROI
S’AMUSE
»
115
ECRIT LE ROI S’AMUSE
Le 3 juin 1832, Hugo commence la rédaction de la piece. Nous ignorons s’il y a eu un élément déterminant qui a pu déclencher le début du travail; nous ignorons aussi s’il y a eu d’autres jalons, d’autres fragments écrits, puis copiés et détruits',. Parmi les événements biographiques qui précédent immédiatement cette rédaction, une maladie et un deuil: le petit Charles est atteint du choléra et soigne par un pére fou d’angoisse ™. Done, le 3 juin, Hugo se met au travail. Nous avons montré dans notre édition critique de Ruy Blas“ comment il était relativement facile de mesurer la tache quotidienne accomplie par Hugo 4 l’aide des tirets d’interruption figurant sur le manuscrit, en général en
marge. L’écriture du premier acte du Roi s’amuse est relativement confuse. Hugo n’a pas commencé par la premiére scéne : celle-ci, quoiqu’elle porte sur le manuscrit la date du 3 juin, est en réalité écrite
le 4 (ou le 5). Il semble
que
Hugo
ait écrit tout
d’abord,
le
3 juin, la scéne 2 et le début de la scéne 3 jusqu’au vers 118. A partir de 118, Hugo a utilisé une feuille probablement plus ancienne et de texte encore
incertain,
@interruption tion
feuille
au
recto
peu visible. Il semble
du 3 juin, se soit arrété
la;
de laquelle
donc
aprés
se trouve
un
tiret
que Hugo, dans sa rédacquoi,
le lendemain,
4 juin,
il reprend ce texte, écrit encore quelques lignes sur le méme feuillet 25 recto, puis jugeant décidément cette premiére version inadé/quate, il colle ce recto du feuillet 25 sur le verso blanc du feuillet 24, comme |]’a montré Mile Lambert, et continue la suite. C’est le méme ‘
jour, apparemment, qu’il écrit la scéne 1 et poursuit jusqu’au vers 352, c’est-a-dire jusqu’au milieu du discours de Saint-Vallier. C’est probablement a cette journée qu’appartient l’insertion de la scéne 1. I] n’est pas impossible cependant, vu l’extraordinaire quantité de travail que représentait cette journée du 4, que.Hugo ait revu tout ce qu’il avait écrit, non
le 4, mais
le 5 juin avant
l’achévement
de la scene
5 et
de l’acte “”) et qwil ait rédigé la scene 1 au moment ou il donnait a Vacte son équilibre définitif. Hugo antidate la scéne 1 du 3 juin, pour que le début de l’acte porte la date du début de la rédaction. Le méme phénomene se reproduit au début de l’acte II dont la premiére scéne est également une addition. La modification la plus profonde de cette ‘révision
de l’acte I, le 5 juin, c’est la transformation
du motif
« le
roi s’ennuie » en motif « le roi s’amuse » : le vers du folio 25 « d’une bouche qui baille on voit toutes les dents », devient « d’une bouche
. 114, Sur ce probleme irritant, voir notre discussion in Ruy Blas, édition critique, p. 126-127. Il nous parait que Hugo garde presque tout ce qui est tombé de sa plume, pour peu qu’il y ait la moindre différence de texte (ou de date), avec
te
texte définitif. 115. Charles tombe
' mais
l’inquiétude
la paternité. ;
i
malade
de perdre
son
vers
le 25 avril
enfant
n’a pas
et il est trés pu
ne pas
vite
retentir
hors sur
de danger
ce drame
116. Voir Ruy Blas, édition critique I, p. 125 et infra, p. 330 sqq. 117. Jusqu’au f° 26 r°, les comptes de vers en bas de folios sont
de
surchargés par lVaddition du nombre de vers de la premiére scéne. Il est done évident que ' cette premiére scéne est postérieure au fo 26 r°. Mais elle est peut-¢tre postérieure | au suivant également puisqu’il n’y a plus de comptes de vers jusqu’a la fin de /VPacie (qui, elle, présente l’un au-dessus de l’autre le premier et le second compte).
116
LE ROI
ET LE BOUFFON
qui rit, on voit toutes les dents >. Contrairement 4 l’avis de Mile Lam-
bert "8, nous tenons que cette modification 4 proprement parler, n’en est pas une. Ce sont deux variations autour de la méme idée de base, celle de la disponibilité intérieure du maitre que l’ennui et/ou le plaisir (amusement) rendent capable de n’importe quelle expérience in anima vili™. On peut dire qu’amusement et ennui ne sont que les deux volets successifs ou complémentaires de la méme attitude fondamentale. Il est trés important cependant que Hugo ait substitué 4 Vennui royal, le rire royal. L’antithése entre le roi et le bouffon ne pouvait plus
se
formuler
brutalement
(roi)
: ennui
/ rire
(bouffon).
Elle
devient d’une maniére proprement hugolienne conjonction-opposition sous la forme : rire (roi) / rire (bouffon). Le rire appartient au maitre « Ce qui rit, c’est le maitre >; le rire de l’esclave n’en est que la parodie proprement effrayante. On voit quel lien unit pardessus les années, le Roi s’amuse et (Homme qui rit. Hugo s’est laissé un temps de méditation entre le 5 et le 9 juin 1832. Il s’*interrompt rarement dans la rédaction d’une ceuvre dramatique. Cette fois cependant, les « excuses > ne lui manquent pas dans l’aprés-midi du 5 juin, Hugo est le teémoin oculaire, passage du
Saumon, de l’insurrection républicaine qui suit les funérailles du général Lamarque, événement grandiose qui laisse dans sa pensée des traces ineffacables : ’Epopée rue Saint-Denis des. Misérables sort de _ cet événement historique. Les trois jours qui suivent, Hugo parait plus occupé des conséquences de |’écrasement des républicains (6 juin) et de la proclamation de l’état de siége (7 juin), que de Vécriture du Roi s’amuse. Le 7 juin, Hugo s’engage sans la moindre ambiguité aux cotés des libéraux en donnant sa signature 4 Sainte-Beuve pour la déclaration des écrivains contre V’état de siége, publiée par le National ™, Il nous est difficile de mesurer Vinfluence que le drame du cloitre Saint-Merry a pu avoir sur l’écriture du Roi s’amuse. Peut-on penser — pure conjecture — que l’insurrection républicaine et plus encore l’engagement politique de Hugo qui en a été la suite, ont libéré le poéte : les audaces du Roi s’amuse sont uniques dans le théatre de Hugo, sans précédent et sans suite. De la peut-étre l’importance attachée a ces figures des bas-fonds, Saltabadil et Maguelonne. Nous penserions volontiers que l’intervention de Saltabadil dés l’acte II et surtout, peut-étre, le titre donné 4 l’acte II: Saltabadil, titre qui n’est nullement justifié par ’importance du personnage dans Vacte (il ne dit pas
40 vers
au total, et n’apparait
qu’en
une
seule
scéne), sont
peut-étre liés A cette importance nouvelle que prend le Lumpenprole-
tariat. Ainsi, la structure en miroir (Saltabadil instrument de Triboulet 118. Op. cit., p. 77.
;
4119. Mlle Lambert cite A ce propos le texte capital du reliquat de ’Homme rit (ms. 24747, f° 66-69) : « (...) Triboulet, (...) tous ces porte-marottes, ont d’efficaces amuseurs du tréne ; (...) ce bouffon est un homme ; ce monstre est ame. En dessous, il grince et rugit. Car jamais l’esclave ne rit. Il ricane. Ce p. 1 y a de la protestation dans le ricanement. » Op. cit., rit, c’est le maitre.
qui été une
qui. 37.
120. Non que Hugo n’ait des réticences, dont témoigne la lettre & Sainte-Beuve du 12 juin : il ne croit pas a la victoire des idées républicaines ; la République ©« sera la couronne de nos cheveux blancs ». La violence des propos républicains : « ils effrayent Vhonnéte boutiquier qui devient féroce du contreVépouvante
coup
». Mais
pour sauver violence.
il est tout prét A descendre
les victimes
>
(0.C., ITV, 1069).
dans
la rue et a « faire
Belles
hésitations
une
sur le theme
émeute de
la
« LE
ROI
S’AMUSE
>»
117
comme Triboulet est un instrument du roi) devient infiniment plus claire. On voit donc V’importance capitale de cette addition de la premiére scéne. A quelle date intervient-elle ? De méme qu’a I’acte I, les additions de vers en bas de folios sont surchargées jusqu’au folio 45 recto ; apres quoi nous n’avons plus de compte de vers en bas de folio jusqu’a la fin de l’acte. Si addition de la scéne 1 n’a pu intervenir avant 45 verso, elle se place sans doute a la fin de la rédaction de l’acte. En effet, d’aprés les tranches de rédaction, Hugo rédige le 9 juin les scénes 2 et 3. La tranche de travail du 10 juin est trés courte et ne va que jusqu’au vers 643. Celle du 11 juin va jusqu’a la fin de la scéne 4. La fin de la scéne 5 qui est en méme temps la fin de l’acte, comporte
surchargée
la date, attendue,
du 12 juin. Mais
par le chiffre 13 confirmant
d@une révision
ainsi notre
cette
date
conjecture,
est
celle
de l’acte I et d’une addition, celle de la scéne 1.
Hugo ayant laissé passer une journée avant de commencer Yacte III, écrit le 15 les scénes 1 et 2 jusqu’é la réplique du roi: « Blanche ! Oh!
tu m’es bien chére!
» (898). Le 16, c’est la fin de la
scene 2 et la scéne 3 jusqu’a la reprise de Triboulet aprés la chanson du vicomte
d’Aubusson
(« Ton vers et ta chanson
écrit la grande tirade jusqu’a l’arrivée de Blanche Vacte.
Ici encore
la date
finale,
18 juin, est en
!» —
1021). Le 17, il
et le 18, ii termine surcharge
sur
17
et
nous n’avons pas d’explications pour ce phénoméne, peut-étre di a une simple erreur de Hugo™ puisque l’acte IV porte 4 son début la méme date avec la méme surcharge. Le 18, Hugo va presque jusqu’a la fin de la scéne 1 de l’acte IV (« Vois si tu peux voir! » — 1027). La rédaction du 19 va jusqu’au vers 1259 et le baiser du roi 4 Maguelonne (scéne 2). Le 20, il rédige la fin de la scene 2, les scenes
3 et 4
jusqu’au milieu de la grande indication scénique de l’orage (vers 1334) et le 21 juin, achéve l’acte. Le dernier acte est écrit en deux jours, les 22 et 23 juin, la date
initiale
est le 22, la date
inscrite
a
la derniére page, le 23. Le trait en marge indiquant linterruption dans la rédaction figure 4 la scéne 4 (début aprés le premier vers — 1577). Hugo se trouve
au
a essayé une verso
du
autre version
dernier
folio
des derniéres
(84)
et V’écriture
répliques : elle est
comme
le
remarque Mlle Lambert, un peu plus hative que celle du manuscrit. Nous inclinerions a penser que cette version est postérieure au dénouement définitif : c’est une sorte d’ajout, ou aprés le cri de Triboulet : « J’ai tué mon enfant ! » intervenaient tout d’abord un passant qui conseillait 4 Triboulet de demander asile 4 Notre-Dame, puis la justice des hommes sous les espéces d’ « un magistrat accompagné W@estaffiers >. LE MAGISTRAT a Triboulet Quw’est-ce que tout ceci ? Voici des faits qwil faut que la justice éclaire. Etes-vous du quartier ? Je suis juge ordinaire. Je dois verbaliser. Dites auparavant Vos noms et qualités. TRIBOULET
J’ai tué mon
(Il tombe
enfant!
sur le pavé ™).
121. Ou bien il aurait terminé aprés minuit ? 122. En
surcharge
sur
Comment
vous
nommez-vous
?
118 ;
LE ROL
ET LE BOUFFON
Hugo n’a pas maintenu cette version qui par la localisat ion indiquait le lien entre la piéce et Notre-Dame de Paris, et montrait comment le grotesque retombait au niveau du hors-la-loi et se retrouvait victime de la justice des hommes, enfin comment le silence de Triboulet, refusant de répondre a l’interrogatoire
d’identité, le laissait
a proprement parler dépersonnalisé, réduit 4 rien. Hugo a-t-il cherché la simplification, le choc ? nous verrons un mécanisme voisin dépouiller le dénouement de Lucréce Borgia.
LE ROI S’AMUSE AU THEATRE FRANCAIS Nous savons trés peu de choses sur ce que furent les tractations entre Hugo et le Théatre Francais, en l’occurrence le baron Taylor, toujours commissaire royal. Il semble, et nous avons dit, que Hugo ait toujours destiné le Roi s’amuse a la Comédie-Franca ise. Le Roi s’amuse, piéce en vers, de structure apparemment classiqu e, revenait de droit aux comédiens qui savent dire les vers, c’est-a-d ire aux Comédiens Francais. Le baron Taylor qui avait ouvert la porte de la Comédie au drame romantique était tenu pour extrémement favorable a Hugo et subissait de ce fait les attaques du clan classiqu e a l’intérieur de la maison
(Monrose,
Samson
et méme
Mile Mars).
Le dossier du Roi s’amuse™ comporte le billet indiquant la réception de la piéce a la Comédie-Francaise. On ne sait a quelle date précise a eu lieu la lecture au Comité. Cette date ne doit guére étre antérieure au 17 aodit 18321. Une autre lecture, privée, l’avait précédée, chez Hugo celle-la, et datée du 30 juin 1832.
Cette lecture nous est connue par le rapport de Fontaney, mais yu le petit nombre de participants (Mme Hugo, Fontaney, Boulanger , Robelin), il n’est nullement exclu qu'il y en ait eu d’autres. L’avis négatif de Sainte-Beuve rejoint l’avis négatif de Fontaney, quoique
ce dernier soit plus perspicace que Sainte-Beuve ne croit pas au succés %, Dés le 9 aoiit, le Courrier
des thédtres
en occurrence : il
annonce:
< Une grande
affaire s’est terminée hier. M. Victor Hugo consent 4 donner une nouvelie piéce aux Comédiens Francais 4 la barbe des classiques comme aux moustaches et a la royale des romantiques. Pour que les choses
fussent faites dans
les formes,
un
traité a été jugé nécessaire.
passé. Desmousseaux” a été le Metternich 123. B.N. Nafr
124. Voir
ms.
I] est
de cette négociation,
ou
13405, ffos 10-12. 13405
(Dossier
du
Roi
s’amuse),
ffos 10-12,
le billet
notifiant a Huge cette réception. Une petite erreur de M. Descotes (op. cit., p. 241) : e’est un avis officiel du comité, et non « une convention verbale passée entre Hugo et Desmousseaux ». 125. Fontaney, Journal, 30 juin : « (..) J’étais tout endormi ; 4 peine ai-je pu entendre les deux derniers actes ; je ne sais, je puis en somme juger, mais je n’ose croire au succés de cette piéce (...) ». Sainte-Beuve difficilement : « (...) J’ai bien quelques
de naturel
petites opinions personnelles sur ce genre de drame ei sur son degré et de vérité humaine. mais je n’ai aucun doute sur l’impression gui sera
produite (...) » (lettre 4 Victor Pavie, du 23 aout, O.C., IV, 1071). faire allusion non a une lecture privée chez Hugo (Sainte-Beuve
blement pas été convié), ture du 15 ou 16 aofit).
mais
A la lecture
publique
aux
Comédiens
119
Yon assure qu'il a déployé toute la candeur de M. de Talleyrand. Le drame dont il s’agit a pour personnage principal Triboulet, le fou de Francois I= “. » Texte instructif
: comme
souvent, Charles Maurice
devance l’événement (de peu a la vérité, puisque le contrat intervient le 12 aoait) ; une pareille négociation se présente comme un compromis entre classiques et romantiques : il a fallu un diplomate pour le réussir, et les ums et les autres
doivent
étre
mécontents : Iles classi-
que de voir forcer une nouvelle fois la porte du saint des saints, les romantiques de voir leur chef de file se comprometire dans l’antre de la tragédie. Le contrat du Roi s’amuse.
Nous possédons le texte du contrat passé entre Hugo et Desmousseaux,
ce
dernier
autorisé
4 traiter
au
nom
de
la
Comédie,
le
12 aot 1832: «< La piéce intitulée le Roi s’amuse, drame en cing actes et en vers, sera jouée sur le Théadtre Francais. La Premiére Représentation aura lieu du 25 octobre au 5 novembre prochain. > En cas de retard non di 4 la force majeure, Hugo a la faculté de « retirer sa piéce et d’en disposer ». La Comédie se charge de la copie des manuscrits. . Le manuscrit devra étre remis le 15 aoit, le drame
« devien-
dra la propriété du répertoire de la Comédie Francaise qui pourra le faire jouer sur fous les thédtres ou elle serait appelée 4 donner des représentations ». Clause dangereuse dans la mesure ov elle pouvait conduire
un
Comédie
jouait en
Comité
malveillant
a enterrer
alternance ; Hugo
exige
la piéce a l’Odéon,
une
restriction:
ot la
on
ne pourra jouer la piéce 4 POdéon qu’aprés cinquante représentations au Théatre Francais, sauf accord de Hugo. Si le nombre de représentations tombe au-dessous de quatre dans une année, . et Joanny pour Ie réle de Saint-Vallier. Joanny avait été le meilleur peut-étre des étes de Hernani. Mais Desmousseaux venait de conduire la négociation du Roi s’amuse, et il proiesiait. La Bibliotheque du Théatre Francais posséde trois lettres inédites de cet acteur & propos de Pincident. Dans la derniére, il écrit a Taylor : « D’aprés ce que dit Jouslin, il paraitrait que M. Hugo se récuse dans le conflit qui s’éléve entre moi et Joanny. Ce serait a vous de décider. Faites-le, je vous prie. Ce que je tiens, je le tiens (...) ». Taylor a-t-il décidé en faveur de Joanny ? De teute maniére, Hugo voulait Joanny. 127. M. Descotes n’a pas du lire cet article avee attention : il affirme que ie « titre et le sujet de Ia piéce étaient un mystére » (ep. cit., 241). 128. On sait que Marie Dorval ne fut pas engagée A cetie occasion.
P20.
LE ROI
ET LE BOUFFON
Contrat tout 4 fait normal; la reprise d’Hernani, qui avait été VYoccasion de la rupture en 1831, est stipulée cette fois’. Hugo tient
surtout 4 installation de ses piéces au répertoire. Ligier pleure, Bocage s’en va. La piece parait poser peu de problemes et sa préparation est relativement
peu
difficile “°. Hugo
parait tres soutenu
par son
interpreéte
principal : Sainte-Beuve raconte (dans la lettre déja citée) que « Ligier (qui doit jouer Triboulet) a pleuré durant tout cet acte (le V). » Hugo
écrit 4 Mlle Bertin, le 22 octobre: « Ligier me disait hier 4 la répétition que je reconstruisais le théatre francais *. » Cependant a propos de la distribution, Hugo eut un certain nombre de déceptions au départ. I] aurait souhaité pour le Roi, Vinterprétation de Bocage, le beau ténébreux, Phomme d’Antony, capable, mieux que personne, de
traduire V’ennui, le cynisme, la sensualité, tout en gardant la dignité, et sans tomber dans une gaillardise qui étoufferait tout mystére. Sa
séduction
pouvait justifier ’'amour
Veit rendu
plausible
de Blanche,
sa « modernité™
aussi bien sous les vétements
de |’étudiant
»
Gau-
cher Mahiet, que dans son encanaillement de l’acte IV. Mais Bocage dont Ventrée a la Comédie était prévue pour la fin de 1832, ne s’entendit pas avec Hugo ™, et ainsi la pénétration des acteurs du drame dans le sanctuaire tragique se fit attendre. Autre déception, moins profonde parce que prévisible : le refus de Mile Mars, certainement vexée par l’épisode Marion et le retrait de la piece l’année précédente. Elle efit apporté au rdle de Blanche sa justesse raflinée, son pathétique discret. L’Age importait peu: si elle avait été Dona Sol, elle pouvait étre Blanche. Hugo dut se contenter de Mlle Anais. Le poéte qui passait alors une grande partie de son temps aux Roches, chez les Bertin, écrit au baron Taylor, le 7 septembre, une importante lettre “, ot
il fixe la lecture
de la piéce
au
samedi
9 septembre,
a
10 h 30 et pose le probléme des acteurs, joignant a sa lettre un « projet de distribution » ou figurent Bocage et Mile Mars. La distribution finale, 4 ces deux exceptions prés (mais quelles exceptions!), est pratiquement identique au projet de Hugo : on a cherché a satis-
faire le poéte. Dés le 7 septembre, dans sa lettre A Taylor, Hugo posela question des décors et des costumes puisqu’il ajoute en post-scriptum: « Il if
129. Mais
le 22 janvier 1833, aprés
le procés du Roi
s’amuse,
le Comité
écrit a
Hugo une lettre dilatoire, appelant Hugo A faire une « nouvelle distribution» (ms, 13403, f° 48), mais plus tard, en novembre 1833. 130. A Vexception de Vincident Desmousseaux. Cf. les difficultés d’Angelo ou méme celles de Ruy Blas, sans parler des célébres disputes d’Hernani.
131. 0.C., IV, 1076, 132. L’inversion des styles imporiait Vacteur
du drame,
au
bouffon
le grand
A Hugo
: au Roi
style tragique
la modernité
vulgaire
de
de V’acteur de la Comédie.
133. Selon le Viclor Hugo raconté (brouillon de la Maison Victor Hugo, p. 20, 21, 22), Bocage vint trouver Hugo pour lui demander un rdéle et engagement aux Frangais ; deux jours aprés, il fait volte-face, ne jugeant pas son role assez important. Hugo répond : « Quand je donne un roéle 4 un acteur, c’est moi qui lui rends service et non lui qui me le rend. Je reprends mon roéle, un autre que vous le jouera.
» Selon
une
lettre de Louis
Boulanger
du
20 octobre
[1832],
Musée
Victor
Hugo, le poéte aurait alors songé a faire entrer Frédérick 4 la Comédie, pour jouer le roi : « On m’a dit que ce serait Frédérick au lieu de Bocage qui remplirait le réle de Francois ler, Tant pis ou tant mieux, ec’est vous qui pouvez décider, je voudrais que ce ffit le premier. » Hugo voulait pour le réle du roi un acteur « moderne » et méme « grotesque » : mais c’efit été mettre le comble au scandale.
134. 0.C., N., 1072:
« LE ROI
S’AMUSE
>»
121
serait fort 4 souhaiter que M. Ciceri ™ et le dessinateur des costumes fussent au théatre le jour de la lecture pour que je puisse leur parler. » On sait le réle de coordinateur que joue auteur dramatique au xIx° siécle, réle qui est proprement celui d’un metteur en scéne* et que Hugo était moins décidé qu’un autre a négliger. Mais ses exigences paraissent aller au-dela des demandes habituelles : le Courrier
des thédlres signale dés le 18 aout, A propos de la nouvelle piéce : « Il parait que de grandes dépenses sont nécessaires a sa représentation. On parle du refus qu’aurait fait l’auteur de se servir de décors anciens.
Il en veut
de nouveaux.
On
lui en
donnera*.
» Mais
non;
on ne lui en donne pas. Le Roi s’amuse sera joué dans un extraordinaire amalgame de décors ayant servi 4 d’autres ouvrages™ ; le grand Ciceri n’est employé qu’a brosser la toile de fond des derniers actes, image
lointaine du vieux Paris “.
LA REPRESENTATION
DU ROI S’AMUSE
La représentation du Roi s’amuse fut un des grands scandales de cette période pourtant fertile en représentations troublées. Non pas un échec, mais une déroute, une catastrophe. Ce n’est pas que Hugo n’efit comme 4 l’accoutumée préparé sa salle. Les bandes d’Hernani
continuérent
4 donner.
Elles ne donnerent
méme
que trop,
malgré leur nombre plus faible “s, Mais Hugo, pris par son propre projet, était bien obligé de convoquer aussi et surtout « élite », non seulement la presse, mais les écrivains et le Tout-Paris, grands bourgeois et faubourg Saint-Germain. Le Grand Coésre et le bey de Titeri.
Jehan
Valter ™
s’est donné
la peine
de faire
le relevé
de ce
public, 4 ’aide de Mémoires et de témoignages. Nous y ajoutons des noms relevés sur la liste des invités ”. Tout ce qui compte dans le Paris littéraire et artistique y figure, écrivains, peintres et publicistes mélangés, des silhouettes perdues dans le brouillard du passé aux plus connues : Emile et Antony Deschamps, Théophile Gautier, Eugéne 135. Ciceri, le grand homme de la décoration de théAtre dans ces années avait fait les admirables décors d’Hernani, en particulier le tombeau d’Aix-la-Chapelle, Il avait formé des éléves que Hugo connaissait bien, Séchan et Dieterlé. V. p. 39,
n.
du
4. 137, Voir
Ruy Blas, éd. crit., I, p. 99-103, analyse du réle de Hugo dans en scéne. 138. On entend le méme son de cloche dans les entrefilets du 4 septembre 26 octobre du Courrier des thédtres.
mise
139. Pour
le premier
acte,
on
emprunte
aux
décors
du
More
de
Venise
la et
de
Vigny, de l’Henri 11] de Dumas et du vieux Charles IX de M.J. Chénier, pour le second acte 4 Dominique le possédé de d’Epagny et Dupin (1831) ; pour le 3¢ acte
on utilise encore le More e ruines.
de Venise,
et pour
les autres
une place publique
habillée
140. Curieusement, Hugo transporte le décor des derniers actes de Paris A SaintGermain, pour V’éd. de 1836. 140 bis. « Gautier, Nanteuil Petrus Borel, quelques autres amis dévoués firent
chacun une liste (...). Les cent cinquante billets distribués composérent une petite armée, nettement moins nombreuse qu’A Hernani. I] y avait petite différence de un a a atre » (Brouillon du V.H.R., p. 25-26, Maison Victor Hugo). 141. La premiére du Roi s’amuse, Calmann-Lévy, 1882.
142. Ms. 113.405, ff. 14-15.
122
—
LE ROI ET LE BOUFFON
Sue, Gérard de Nerval, Alfred de Musset, Sainte-Beuve naturellement, Vigny, Villemain, Balzac, Mme Desbordes-Valmore, Stendhal, Victor
Cousin,
Ludovic
Gabriel,
Latouche
dune
Mort
Vitet —
de Frangois
Anicet Bourgeois, d’opéra comique,
classique, Dupeuty Dumas,
les auteurs
dadEspagne,
Ie, Eugene
Scribe
son
le « mélodramatiste de lettres
Louis
Félix Arvers,
(et son
ombre
auteur
Bayard),
mélodrame libéral, Sauvage, librettiste Duval, défenseur de la tragédie néo-
XVI,
», Goubaux,
fabricant
qui n’avait pas encore
sacrifié
: le vaudevilliste
dramatiques
de la Reine
le roi du Alexandre
banquier-homme
lier-Delanoue avait
auteur
collaborateur
de mélodrames,
écrit le Cromwell
Casimir
Delavigne,
de
Corde-
auquel Hugo
Etienne,
Alexan-
dre Soumet, Népomucéne Lemercier, tous quatre académiciens et auteurs dramatiques. Auteurs de mélodrames ou écrivains néo-classiques, peut-on dire qu’ils attendaient sans déplaisir une chute ? Mais il y a eu aussi les amis ™, non seulement Gautier et Nerval déja cités, mais les peintres Célestin Nanteuil, Alfred et Tony Johannot, Chatillon, Charlet™, Louis Boulanger, l’ami de toujours, Achille
Deveria, vains
Jean
et amis,
Dusseigneur Fontaney,
le sculpteur,
Ulrich
le musicien
Guttinguer,
Petrus
Liszt,
Borel
les écri-
(le fameux
Lycantrope), enfin la « coterie » du maitre, Louis de Maynard, Granier de Cassagnac, fraichement débarqué de sa province et Gaspard de Pons. Avec eux, derriére eux, au parterre et au paradis, étudiants, écrivains, rapins, bousingots et Jeune France, déja divisés.
Epars dans la salle, les lions du journalisme : Viennot rédacteur en chef du Corsaire, Rolle du National,
Coste, Briffault,
rédacteur du
Temps, Véron et Loeve-Veimars dela Revue de Paris, Buloz directeur de la Revue
des Deux
Mondes,
Amédée
Pichot de la Revue
de Paris,
Ch. Rabou du Journal de Paris, Sauvo directeur du Moniteur, sans compter tous ceux qui sont 4 la fois écrivains et journalistes, Capo de Feuillide qui dirigera bient6t Europe littéraire, les terribles Nisard et Gustave Planche, Nestor Roqueplan, Ch. Magnin du Globe, Charles Maurice du Courrier des thédtres, Merle de la Quotidienne ; les personnalités
de
l’édition : Eugéne
Renduel,
le libraire
Ladvocat. Dans le monde des théatres, tous ceux qui n’étaient pas sur la scéne étaient dans la salle, en particulier toute l’équipe de la Porte Saint-Martin “* : nous n’avons pas relevé moins de soixante-sept places retenues au nom de Harel 4 Vorchestre et dans les premiéres : en principe, ces gens sont théoriquement sympathisants 4 Hugo, mais ne pouvait-il pas y avoir une sorte de cabale partie de la Porte SaintMartin pour démontrer 4 Hugo que sa place n’était pas au Théatre Francais ? Parmi
les acteurs
dont
les noms
figurent
sur
les
listes,
nous relevons Marie Dorval (avec Vigny, dans une loge grillée), Chilly, Lockroy, Bocage qui avait retenu neuf places et du cété de la Comédie-Francaise,
Mlle
Mars,
Mlle
Brocart,
Monrose.
Des
per-
sonnalités « politiques » : Hippolyte Fourtoul, le comte d’Argout, le commissaire de police M. Gisquet. Une brochette d’académiciens (sans compter les hommes de théatre déja cités) : Lebrun, Jay, 143. Nous ne parlons pas des parents et alliés, Abel Hugo, la famille Asseline, Adolphe Trébuchet, ni des amis intimes, Masson, Biscarrat, dont nous relevons les noms sur les feuilies d’invités. 144, Mais aussi les plus grands noms, Delacroix, Ingres, le décorateur Cicéri, Decamps,
Flandrin
peintre
officiel,
Gavarni,
ete.
145. On reléve aussi parmi les invités le nom de Crosnier, tion de la Porte Saint-Martin a celle de l’?Opéra-Comique.
passé
:
de la direc-
« LE
Andrieux, duchesse
Viennet,
Jouy.
d’Abrantés,
Les
ROI
S’AMUSE
salons
>
sont
123
en
général
dont le fils, le: duc d’Abrantés
aux
loges,
la
était 4 Vorchestre,
M. et Mme Panckoucke, le plus gros actionnaire du Moniteur, le banquier Michel, le duc et la duchesse de Dino-Talleyrand, le banquier Aguado,
et parmi
les
« salons
littéraires
», Emile
de Girardin
et sa
femme, Charles Nodier et sa famille. Nous ne citerons que pour mémoire la famille Bertin. Cette liste est trés incompléte : la combinaison de la liste fournie par Valter et de la double liste d’invités qui figure au manuscrit 13405 fournirait un relevé beaucoup plus long. La salle de la premiére du Roi s’amuse fournissait un échantillonnage trés complet des milieux les plus divers, des tendances intellectuelles et politiques les plus opposées. Si la loge royale ne recevait qu’un invité oriental, le bey de Titeri, le public populaire devait étre entré au « paradis ».
Sur atmosphere
de la salle, toute la presse est unanime : « Quo-
libets de halle et de carrefour, ot s’entonnent tour a tour au milieu des bouffées de vins et de tabac, la Carmagnole et la Marseillaise,
entremélées de Marlborough et du Roi Dagobert... vous étes au ThéaFrancais! » (La France nouvelle, 27 novembre.) Du Figaro
tre
(23 novembre) : « On edt dit un club révolutionnaire ayant mission de condamner
4 mort
baillements,
enfin
les suspects les aristocrates
d’indifférence, soupconnés
les
conspirateurs
d’ennui...
IIs ont
a
crié,
a bas les aristocrates, 4 bas les journalistes, 4 bas tel journal. On eit dit l’opposition assistant 4 la premiére représentation du compte _rendu. » Un tel article laisserait supposer que la piéce de Hugo s’insere dans le grand combat politique entre libéraux et conservateurs ; nous verrons qu'il n’en est rien, conservateurs et libéraux s’entendant pour condamner la piéce. Le Figaro poursuit : « Si c’est la du romantisme, de la couleur locale, je ne vois que la cour des miracles qui ait pu fournir Vidée de ce rassemblement ou l’on croyait distinguer le grand Coésre entouré de mauvais garcons, de voyous, de sabouleux et d’épileptiques. Toute la cour des miracles pour honnir Francois I? était descendue,
armée
de ses convulsifs
et de ses fanatiques.
» C’est
la thése que nous rencontrerons : Hugo poéte de la populace, applaudi par les voyous. La France nouvelle rappelle assez grossiérement : « La Comédie Francaise a été obligée le lendemain de faire nettoyer et purifier la salle. Ces malheureux, outre des débris de saucissons et de tétes de harengs saurs, parqués qu’ils étaient depuis midi dans la salle, avaient déposé dans le parterre ce qui ordinairement ne s’y dépose pas. » Ce détail parait une extrapolation des incidents d’Hernani.
Un
article
bien
plus tardif
de
la France
(30 avril
1835)
rap-
pelle : « Je me souviendrai toute ma vie d’avoir vu ce parterre plein, comblé, pressé 4 double et triple rang, avec sa littérature de clubistes descendus des estaminets et des hauteurs des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau, vociférant les hymnes de 93 et faisant de la terreur théatrale contre la critique improbatrice 4 grand renfort d’insultes de menaces et de coups de poing. » Notons dans cet article du Figaro, Yemploi du verbe descendre typiquement sociologique : c’est le bas peuple des faubourgs qui (au moins par personne interposée !) descend de ses hauteurs populaires pour envahir le sanctuaire du grand art, la sacro-sainte Comédie Francaise. On pouvait s’attendre 4 une bataille. Ce fut une déroute. Hugo, on le sait, n’était pas sans inquiétudes : le 13 novembre, il écrivait a
124.
LE ROI
ET LE BOUFFON
Sainte-Beuve : « Toute la salle est louée, mon ami, et louée je ne sais trop comment, a je ne sais trop qui'®. » L’examen des feuilles de location donne la méme impression : nous ne savons qui a occupé les soixante-sept places louées au nom d’Harel, les quatorze places louées au nom de Porcher (agence de billets d’auteur). Cependant, la lecture de ces feuilles le confirme, la jeunesse romantique, en particulier, celle des ateliers de peinture et de sculpture, était la, fidéle au poste, et placée 4 l’avance ™. Le comte Apponyi écrit dans ses Mémoires, a la date du 24 novembre 18328 : « La salle était comble depuis quatre heures,
par passe-temps, on chantait la Marseillaise, la Parisienne, Poulot ™
s’en
va-t-en
guerre,
on
criait
a bas
le Ca-ira,
les aristocrates,
a bas
Poulot, enfin a bas tout Je monde, les saints et le diable, mais vive Odilon Barrot, vive La Fayette, tous les démolisseurs de tous les gou-
vernements. On a sifflé et hué toutes les personnes... ; le duc de Talleyrand a été du nombre, on lui cria : 4 bas ’académicien, a la porte le membre de I’Institut, 4 la porte la téte 4 perruque. Voila l’aimable passe-temps de la Jeune-France. » Ce compte rendu malveillant est confirmé par le Victor Hugo raconté : « La fermentation politique entretenue par jes émeutes était dans la plupart de ces jeunes tétes ™, et ils saluérent entrée du public, de la Marseillaise et de la Carmagnole entonnées a pleine voix 1. » Waterloo.
Les acteurs semblent avoir joué correctement, relativement terne 4 l’exception de Ligier auquel adjoindre Beauvallet que le Témoin dit « excellent et de Joanny. Les Débats (24 novembre) sont trés rier ». Il semble que le premier acte n’ait pas soulevé de réprobation particuliére. Le Témoin écrit: « Le premier acte médiocrement joué @ailleurs fut glacial » et attribue cette froideur 4 la nouvelle répandue dans le théatre « qu’un coup de pistolet venait d’étre tiré sur le roi. >» Ligier signale des exclamations au mot enchariboité et aux ‘vers adressés au roi :
Je vois que vous aimez d’un amour épuré Quelque auguste Toinon, maitresse d’un curé. Il y auraii eu des bruits
divers a la formule:
« C’est une
académie,
une ménagerie », et Perrier aurait glissé dans sa barbe le vers: « Je m’en soucie autant qu’un poisson d’une pomme'®. » Les gens tiquent devant les inconvenances grotesques. En revanche, la tirade de Saint-Vallier, grand morceau tragique, ne rencontre d’aprés les témoignages unanimes que des applaudissements. Le Témoin affirme que «< la scéne de Saint-Vallier réchauffa un peu cette Sibérie ». Nous avons yu Joanny satisfait de son succés ; la Revue de Paris entre autres est catégorique : « Quoi qu'il en soit de la fortune de la piéce, nous aimons déja a y trouver des le premier acte une de ces scénes ol le poéte se voit applaudir par tous les partis de la république des. Lettres. » C’est la scene de Saint-Vallier. Y a-t-il eu, comme
le veut le Témoin,
une
sorte
de complot
de
la part de certains acteurs du Francais pour faire sombrer la piece dans le ridicule ? C’est possible : Samson, qui jouait le rdle de Marot, hyperclassique et futur introducteur de Rachel, parait avoir omis les deux vers expliquant comment Triboulet, aveugle et sourd, peut
assister 4 Venlevement de sa propre fille. On enleva ridiculement Mile Anais « emportée téte en bas et jambes en l’air » (ce n’est pas Mile Mars
qui se serait laissé faire
un pareil
outrage) ; la scéne
fut
sifflée : est-ce pour ce détail, ou parce que ja situation parut, comme le veut la Quotidienne, « plus digne de la parade que du drame sérieux » ? . Les entr’actes paraissent avoir été agités de manifestations : on chantait sur ’air de Malborough : « L’Académie est morte, est morte et enterrée. » Dusseigneur criait a l’adresse des détracteurs : « A bas les stupides™!
» A partir de l’acte III, les sifflets ne
cessérent
pas,
152 bis. Mme Hugo (brouillon du V.H.R., Maison Victor Hugo, p. 23), attribue la faiblesse des acteurs au fait que Hugo, absent n’avait pu les diriger : « Ils prirent de mauvais plis, Pauteur s’était flatté de les redresser, il n’en put venir a bout, leur réle étant racorni dans leur cerveau. >
153. Valter, op. cit., p. 83-84. 154. Ibid., p. 87.
126:
.
LE ROI ET LE BOUFFON
le « négligé du matin » du roi Francois, tout copié qu’il fat de Véronése, fit scandale: « Les loges trouvérent inconvenant quwun roi
parit en robe de chambre. On applaudit la tirade de Triboulet contre les gentilshommes pour des raisons politiques et idéologiques qui ne sont pas mystérieuses, mais selon Valter, affirmation non confirmée dans le Victor Hugo raconté, le tumulte reprit au fameux vers : « Vos méres aux laquais se sont prostituées. » L’acte IV fut sifflé de bout en bout dés le premier hémistiche : « Et tu Paimes ? — Toujours. » Cette affirmation de l’amour éternel apres le viol, parut du dernier comique et de la derniére inconvenance. Les personnages de Cour des Miracles, « Saltabadil et Maguelonne
furent
sifflés
4 chaque
vers
».
Le
Moniteur
universel
(du
24 novembre) tint la scéne du bouge pour « inadmissible ». Les grands monologue de l’acte V ne furent a la lettre pas entendus. Selon le National du 25 novembre : « Malheureusement les sifflets et les applaudissements qui se mélaient depuis longtemps avec des chances égales m’ont empéché d’entendre cette derniére poésie de M. Victor Hugo qui doit renfermer de trés belles parties. » La France nouvelle se moque de < ce monologue de deux ou trois au-dessus de ce sac... M’entends-tu, m’entends-tu,
cents vers environ m’entends-tu, m’en-
tends-tu*” ? » Ligier raconte : « Je ne sais par quel prodige, j’ai pu venir 4 bout de mon grand monologue, le pied sur le sac qui renfermait ma fille. Je crois que les vociférations du public me surexcitaient. On m’a dit que j’avais été sublime, que j’avais touché au génie. La vérité est que je devais avoir l’air d’un énerguméne. Chaque fois que je me rappelle ce moment unique dans ma vie, j’éprouve un malaise horrible. J’étais emporté malgré moi. Ce n’était plus du théatre™. » L’Artiste dit comiquement : « Tout le talent de Ligier a été vain et stérile, 4 se repaitre d’un cadavre pendant un acte entier. > Devant
de telles
clameurs,
il efit été prudent
et conforme
aux
usages que l’auteur ne fat point nommé. Hugo tint a l’étre. Le Journat du Commerce (du 25 novembre) : « Aprés avoir prodigué des injures grossiéres aux spectateurs paisibles, on finit par forcer Ligier a nommer l’auteur comme pour se couvrir d’un beau nom », et le Courrier des thédtres du 23 novembre: « Venu pour nommer le poéte, Ligier a di se taire fort longtemps en présence d’une horrible. bourrasque. > La réaction de Hugo fut exactement celle qu’on pouvait attendre : selon
le
Victor
Hugo
raconté
:
«
Monsieur,
répondit
froidement
Mr. Victor Hugo, je crois un peu plus a ma piéce depuis qu’elle est tombée. » Cette raideur du poete, ce désir de dominer le public, sont 155. O.C., TV, 1207. V.ALR. 156. 0.C., IV, 1208. V.H.R. ; 157. Ce vers ne figure naturellement pas dans le texte, cependant « m’entendstu » est répété trois fois 4 des places diverses. Dumas dans ses Mémoires se moque plaisamment du critique qui a entendu ce vers. Mémoires, VY, p. 372, op. cit. P.
Foucher
(op. cit., p. 327)
donne
une
explication
amusante
: « Pour
se faire...
entendre, Iriboulet dut répé.er quatre fois : M’entends-tu ? avec une voix de ton' nerre qui dominait a peine le cataclysme » ! 158. Monselet, De A a Z, Charpentier 1888, p. 195-198. Le lecteur est prié de se souvenir de ce témoignage de, Ligier, quand il lira le chapitre (Ile partie) ot nous tentons d’expliquer ce double monologue de Triboulet : Vacteur y est nécessairement projeté hors des limites du personnage, du sujet dramatique, a proprement
parler hors
du
thédtre.
« LE ROI
une
constante.
un échec.
S’AMUSE
»
127
Pourtant le premier volet de sa tentative se solde par
La QGuotidienne
(Merle)
du 25 novembre
a ces
mots
super-
bes: « La révolution dramatique a été battue avant-hier 4 la Comédie Fran¢aise, elle est en pleine déroute : c’est le Waterloo du Romantisme. » Or ce n’est pas un public de philistins qui a condamné le Roi s’amuse, ce sont des écrivains, des artistes, les plus éclairés parmi les banquiers, les hommes d’affaires, les directeurs de journaux. En face, les séides du poéte apparaissent comme les témoins d’une révolte informe, d’une pure contestation juvénile. Toute la bourgeoisie organisée, avec toutes les nuances de son arc-en-ciel politique, s’affirme hostile 4 la tentative de Hugo au Théatre Francais }°. Et ce qui est condamné, ce n’est pas V’aspect politique (on applaudit aux tirades de Triboulet contre les seigneurs), c’est Vinfraction
au code
socio-culturel.
journal des Bertin, amis pourtant
C’est
dans
le Journal
de Victor Hugo,
des Débats,
que cette analyse
est faite avec le plus de clarté : « Toutes les fois que l’auteur s’élevait a la passion, jetait dans son dialogue quelques grandes pensées, quelques sentiments vrais du coeur humain, alors toutes les sympathies s’éveillaient, toutes les croyances littéraires méme, s’empressaient de lui rendre justice; mais lorsqu’il retombait dans le bouffon, le trivial, le populaire, aussitét naissaient Vinattention et le dégoiit. » (24 novembre.)
LE MANUSCRIT
DE THEATRE
Biffer le paradigme du bouffon. Aprés cette premiére représentation orageuse, la premiére pensée de Pauteur a été de modifier son texte pour le rendre acceptable. - Dés le soir de la premiére, Hugo et le Théatre Francais décidérent de repousser la seconde qui devait avoir lieu le 23, pour laisser a Hugo le soin de faire les modifications indispensables. L’interdiction ayant été connue dés le 24, il est probable que Hugo fit ces retouches ,
159. Une
Révolution
lettre
de 1830,
inédite
d’Anthony
& Hugo,
du
Thouret,
6 janvier
républicain,
1847,
fait
état
ancien
d’un
directeur
complot
de
la
policier
gouvernemental contre le Roi s’amuse. Il y rappelle ce qu’il écrivait dans son roman Toussaint le Muldtre : « Aujourd’hui, j’ouvre la premiére édition de Toussaint le Muldtre, et j’y lis ce qui suit : « Une voix -»» Infames agents de la police ! Je lui ai répondu : on est voleur... mais c’est pas une raison !... gardez votre billet et vos trois frances et je n’irai pas siffler le Roi s’amuse! Les autres y ont été... c’étaient tous des anciens de Brest et de Toulon !... mais vois-tu Jéréme, e’est pas de Vargent bien gagné, ¢a... et je suis sir que Vauteur aime mieux que l’on lui vole sa bourse que sa réputation... Ah ! fi done ! messieurs de la police, croyez-vous parler 4 vos semblables ? Va donc...
Pouah !... » (lei je supprime un nom propre parce qu’il peut avoir été Voccasion d’une injure personnelle de voleur 4 sergent de ville.) J’aflirme que ce sont bien 14 les paroles que j’ai entendues prononcer et que jai reproduites avee une fidélité dont aura dt étre touché V’honnéte voleur qui jes
a dites,
s’il a
lu
1833 son compagnon Je
vous
éeris
ces
l’ceuvre
de
de captivité. choses
l’écrivain
parce
que
qu’elles
le gouvernement
pourront
étre
utiles
de
1830
4 votre
a
fait
en
histoire
littéraire comme elles Je seront un jour a votre histoire politique, et je les signe d’un nom démocratique qui, je Vespére, est resté honorable. Votre ancien ami, Anthony Thouret. » Thouret s’étonne au début de la lettre que le Roi s’amuse n’ait jamais: été repris (lettre fournie par Sheila Gaudon, lue et copiée par moi).
128
LE ROI
ET LE BOUFFON
dans la journée
du 23, avant de lire les réactions des journaux. I) avait di entendre ces bruits de coulisse qui n’échappent 4 aucun auteur dramatique ; les acteurs n’ont pas non
plus di lui cacher Jeur
point de vue. Enfin et surtout, Hugo savait observer les icactions dune salle, Nous possédons — précieux document — le manuscrit de théatre’ avec les corrections de la main du poéte pour la seconde représentation 1%, Certes comme on peut s’y attendre, l’essentiel des corrections est fait d’allegements, qui apparaissent au premier abord techniques: scénes trop longues raccourcies}, invraisemblances arrangées (a la fin de l’acte II, la réapparition d’un Triboulet rendu « aveugle et sourd » par un masque 4 « oreilles ») (!), dénouement condensé. Mais 1a n’est pas le plus significatif. Méme ces modifications techniques ont un intérét qui est bien autre que formel : dire qu’une scene est allégée, est ne rien dire si l’on ne sait de quoi on la soulage. Or ce qui est censuré, c’est Triboulet : sa réapparition qui le fait — singulier symbole — assister a Venlévement de sa fille et en étre proprement complice%®, l’interrogatoire de Blanche, réduit et quasiment supprimé, et surtout la suppression de la fin de la piéce, pourtant indispensable a la signification d’ensemble du personnage et de la piece: la grande scene ou Triboulet lamente la mort de sa fille devant le peuple muet disparait dans ce remaniement. On peut penser quw il fallait « alléger » ce role, d’une longueur et d’une violence insoutenables. Mais Hugo supprime bien d’autres choses : une modification essentielle, acte I, sc. 3, efface l’ensemble du paradigme du bouffon : les seigneurs interrogent
plaisamment Marot sur ce qui a pu arriver a Triboulet, et les suppositions
de pleuvoir : il a été « servi tout cuit
Gargantua
», il a « un
duel
avec
(...) un singe plus laid que lui (...) sa poche pleine d’écus
(..) ’emploi du chien du tournebroche, Un rendez-vous avec la vierge au paradis, Une Ame par hasard, (...) Sa bosse ». De cette cascade
de suppositions, seules subsistent les deux premiéres : « Il est devenu droit? — On l’a fait connétable? », suppositions qui ne dénotent que la définition de Triboulet, bossu et simple bouffon de cour, sans dignité ni dignités. Au contraire tout le paradigme biffé décrit un systéme trés riche, contenant le rapport avec la nourriture, avec le grotesque rabelaisien dont il est issu, avec l’animalité la plus « basse >» (le singe et le chien), avec le sublime « religieux » dont il est Vinverse ‘*: autrement dit, c’est tout l’essentiel de la constellation grotesque qui se trouve ici effacé. Les autres suppressions vont dans le méme
sens, gommant
l’alliance du bouffon et du sublime,
cette inver-
sion, clef de la piéce : ainsi, aprés les gémissements de douleur et d’amour qui remplissent les grandes tirades de la scéne 3, se trouve supprimé
(III, 3 et 4) le retournement
au
« sublime
souveraine autorité du bouffon bafoué comme 160. Il se trouve 161.
L’Entr’acte
a la Bibliothéque du
25 novembre
du Théatre
écrit
: « La
», la soudaine
et
pére, qui renvoie sans
Francais. Comédie
Frangaise
a ajourné
la seconde représentation du Roi s’amuse pour cause de nombreuses que le bon gofit et les amis de auteur réclament. » : 162. Entre autres, Il, 4, 1, 2 et 3, III, 3 et 4, IV, 2 et 4.
hier
corrections
163. Il croit enlever Mme de Cossé pour le roi. 164. Un seul trait remplace tout le systeme (singuligrement attémué par Pte : « Il est, par grace souveraine, Nommé survivancier du singe de Feine. >
le la
« LE ROI
ambage
le duc
de Cossé
S’AMUSE
(« M’avez-vous
>»
129
entendu,
Monseigneur
») et
interroge sa fille avec une gravité sereine. De méme, ce qui est effacé au dernier acte (derniére scéne), c’est la confrontation avec le peuple qui donne son sens a la douleur « sublime », proprement tragique, du grotesque, cette terrible derniére scéne que le public avait couverte de huées ®. Ce sont les aspects extrémes du grotesque qui disparaissent. Les corrections de l’acte IV et leur extréme confusion!® marquent les difficultés que Hugo a rencontrées dans l’aménagement de deux secteurs essentiels de sa dramaturgie, 1° le grotesque de Cour des miracles,
2° intrusion
du personnage
royal dans
ce fait inversion dont il est le sujet 1. Sur le premier point, Hugo biffe deux
ce cadre,
développements,
et de
dont
le
premier est pourtant bien venu (IV, 5), et contient un vers étonnant (de Saltabadil 4 Maguelonne) : « Si lon t’écoutait, on ne tuerait per-
sonne », dont la cruauté burlesque avait di faire frémir De méme se trouvent supprimés cing vers ol Maguelonne suggestion
saugrenue
: remplacer
dans
le sac
le
l’auditoire. faisait une
cadavyre
par
un
fagot 18, exemple typique du jeu grotesque avec l’opposition vie-mort : Comment
veux-tu qu’on prenne un fagot pour un mort?
C’est immobile,
sec, tout
d’une
piece,
roide,
Cela n’est pas vivant. De méme
les épithétes laudatrices (« bonne fille, gentille ») adressées
a Maguelonne,
ont di paraitre
choquantes,
et disparaissent ;Hugo
ne
maintient pas davantage la comparaison du Roi avec un « enfant Jésus » qui dort. Le probleme du roi était plus épineux encore : si Hugo ne pouvait supprimer Saltabadil et Maguelonne, il pouvait encore moins « gazer » la visite du Roi chez ces singuliers personnages. En tout cas, il biffe les galanteries lestes et brutales de Francois I*: « ... Jupi-
ter ! la belle anatomie ™®! », et la réponse moqueuse de Maguelonne : « Prend-il des airs de roi! » Cette séquence, la plus cynique de toutes, tombe en son entier. Hugo maintient ouverture scene : . 173. Voir Courrier des Thédtres, 20 aofit 1832 et les bien battre, le blanc
174. I, 1, ibid., 537. 175. Ul, 4, ibid., 566.
et le jaune,
178. Disparait
aussi
tout ensemble.
biffée
le jeu de mot
s*était, parait-il, encanaillée...
182. Plaidoirie
Dramatique
de table
».
de Que se disaient-ils ? & encharibotte.
significatif Seine
179. I, 5, ibid., 552-553. 180. Ill, 3. 181. Voir plus loin, et la préf. au Roi s’amuse,
Philippe
et de
;
176. I, 2, ibid., 540, séquence
177. V, 2, ibid., 611.
a la fois de Monsieur
: « il suffit'de casser les mystéres
contre le Thédtre
(scéne).
O.C., IV, 529. La mére de Louis ey S 1837).
Frangais, O.C., V, 369 (5 décembre
« LE ROI
S’AMUSE
»
131
Si nous avions le moindre doute sur la violence que se fait Hugo et Vimportance que revét pour lui le grotesque 4 propos duquel il lui est dur de transiger, il nous suffirait de remarquer que de toutes ces modifications dont certaines portent sur des scénes entiéres, il n’en maintient aucune a |’exception d’une seule, qui justement tient peu au grotesque : il maintient l’addition-explication sur l’encanaillement
royal
(IV, 21%).
Tout
le reste
figure
dés la premiére
édition.
Quand on reprend le Roi s’amuse, en 1882, aprés cinquante ans, c’est le texte non modifié que Hugo fait jouer, comptant, bien a tort, sur un changement idéologique.
CALIBAN Hugo avait parfaitement percu les réactions de Vopinion. Ce fut un déchainement. Jamais cette presse du xIx° siecle, qui savait pourtant étre féroce, ne poussa plus sauvages hurlements. La condamnation est générale, elle porte non sur tel détail mais sur l’oeuvre dans son
ensemble.
Pour
le Journal
du
Commerce
(25
novembre ™),
il
s’agit « d’un ouvrage tout 4 fait indigne du thédtre ». Il stigmatise « tout ce que ce drame maJjheureux présente d’invraisemblable, d’immoral et de révoltant ». Pour la France nouvelle, c’est un
informe, nances
incroyable et
mélange
d’absurdités,
un
de
grotesque
drame
sans
et d’horrible, intérét
ni
« drame
d’inconve-
caractéres
ni
moeurs ». Le Constitutionnel traite le Roi s’amuse de « piece monsfrueuse... oi se mélent comme dans un chaos l’horrible, Vignoble et Vimmoral ». Ces critiques sont universelles et on ne peut faire sur ce point la distinction entre libéraux, gouvernementaux et ultras. Peut-étre les libéraux
(le National)
sont-ils
les plus
acharnés.
Les
ultras
(la
Quotidienne ou le Courrier frangais), qui ressentent avec amertume les atteintes contre la royauté, sont plus indulgents pour les caractéristiques romantiques de l’ceuvre. Unanimité significative. Ce qui est en question, ce n’est pas une thése politique : depuis les journées de juillet, les attaques contre la vieille royauté ou contre Jl’aristocratie sont assez fréquentes pour qu’on n’y préte guére attention ™. C’est toute une conception de l’art qui est condamnée. Ce que Il’on refuse, c’est un ensemble de provocations qui mettent en cause les différents codes littéraires du temps sous
le triple
aspect
de
la moralité,
des
habitudes
littéraires,
des
bienséances historiques. Aussi, est-il extrémement difficile de distinguer entre les types de critiques; en particulier, « invraisemblance » (psychologique ou historique) est invraisemblance par rapport 4 un code; ainsi le Journal des Débats (R = Etienne Béquet) qui ne nie pas du tout la vraisemblance historique du comportement de Francois I* dans la piece, le condamne cependant, comme en contradiction avec le code culturel: « Puisque la tradition vulgaire lui préte ce relief de galanterie, pourquoi le lui dter, surtout quand la 183. 184. dans ce 185.
0.C., IV, 593 Sauf indication contraire, tous les comptes chapitre datent de ce méme 25 novembre. Cf. supra, p. 46 et 89.
rendus
dont
il est
question
132
.
LE ROI ET LE BOUFFON
tradition se trouve de concert avec le plaisir du spectateur ™. » Pratiquement, toutes les critiques portant sur l’invraisemblance jouent sur cette ambivalence
: invraisemblance
de fait / invraisemblance
de
bienséance. Ainsi la Quotidienne, le Figaro, le Moniteur universel, tiennent pour incroyable que Francois I* se soit laissé insulter, si longuement,
par
le comte
de
Saint-Vallier ; le Moniteur
universel
renacle en voyant des courtisans accepter de se faire traiter de batards, ou fuir sans résistance devant le geste impérieux de Triboulet. On accuse Hugo de dénaturer Vhistoire non pas au nom d’une vérité de histoire que Hugo aurait méprisée ou bafouée, mais d’une certaine image convenue du roi-chevalier. Les ultras se révoltent; ainsi la Mode : « C’est encore un coup de lance dans le flanc de cette pauvre royauté. Le Roi s’amuse est la troisiéme partie d’une violente trilogie contre le pouvoir royal, ou pour mieux dire contre la royauté personnifiée par Charles Quint, Louis XIII, Francois I. » Mais la finesse de Merle dans la Quotidienne va beaucoup plus loin, analysant cette « verve de haine contre la royauté et la noblesse qui a étonné et indigné les spectateurs qui veulent qu’on respecte au moins au théatre ce qu’on a sacrifié aux trois journées ». On ne saurait mieux dire: il est un systeme de convenances qui en dehors de toute politique concréte réclame d’étre respecté. Aussi, gouvernementaux et libéraux qui n’ont pas Jes mémes raisons que les ultras de défendre la monarchie légitime, se rabattent-ils sur l’ « immoralité » que Hugo préte a Ja figure de Francois I; ainsi le Constitutionnel : « Je n’ai pas besoin de faire remarquer que si Francois I* fut galant, Vhistoire ne met pas un viol sur son compte ; cette gentillesse est de VYinvention de M. Victor Hugo. » Et le Journal des Débats: « Sont-ce de telles moeurs que |’Art doit exposer aux yeux du public? Est-ce Ja que devaient nous mener ces nouvelles fastueuses théories ? Dans le théatre antique, la royauté proscrite et malheureuse allait se réfugier au pied du Cythéron, appuyée au bras d’Antigone; dans notre Théatre maintenant, la royauté ivre vient dormir dans un mauvais lieu, entre les bras d’une fille publique. Voila ce qu’on nomme progrées ! » On ne peut mieux analyser la confusion qui s’établit entre politique, morale et littérature. C’est donc le code culturel dans son ensemble que Hugo met en péril. Et la sanction ne se fait pas attendre, c’est le refus du public, ce que la presse nomme « un manque d’intérét ». Et les Débats de poursuivre : « Ce qui est plus funeste 4, cet ouvrage, c’est qu’il n’a jamais excité un pressant intérét... Le spectateur est resté froid et indifférent. » Cette opinion n’est pas propre aux
Débats,
elie est générale
sous
des formulations
diverses.
Le grotesque. Si la fureur de Ja critique se déchaine tout particuliérement contre le Roi s’amuse c’est que toute la structure dramatique du Rot s’amuse repose sur le grotesque. Les critiques ne s’y trompent pas, c’est ce grotesque auquel Hugo a voulu donner droit de cité sur ia scéne francaise, c’est le grotesque qu’ils condamnent. L’Entr’acte (du 24 novembre) en fait l’analyse fort pertinente : « Lorsque Marion eut 186. 24 novembre.
« LE ROI S’AMUSE
>
133
été jouée, auteur se demanda sans doute pourquoi sa Marion, toute belle qu’elle est, n’avait obtenu qu’un triomphe contesté. Et il dut se dire : je n’ai pas mis assez de grofesque... I] s’en est souvenu, et il a fait le Roi s‘amuse, cette ceuvre étrange ot le bou/ffon tient la premiére place. » L’Enfr’acte qui ne dénigre pas Hugo de parti pris, tient que son génie est tragique : « Son genre au théatre, c’est le vers cornélien, c’est la vigueur fragique... Le tragique ne l’abandonne jamais... C’est 14 qu'il est grand, théatral, vrai; il est lui. » Mais le grotesque le défigure : « Hélas! c’est par systéme qu’il court au grotesque, c’est de propos délibéré qu’il se fait comique. » Si le comique est acceptable, le grotesque ne l’est pas : « Autant que personne nous approuvons le mélange de la terreur et du rire: ce‘n’est pas la gaité qui nous fache dans le drame, mais c’est le drame qui nous fache quand il n’est pas gai. Si Hugo veut quitter son grotesque pour le comique de Moliére, nous n’avons plus de souhait 4 former. > Le Temps (Briffault ou Rolle ?) est plus explicite encore: « On a remarqué depuis longtemps que l’esprit comique manque entiérement
a M. Hugo. L’énergie,
la verve, la couleur
sont de son
domaine,
mais nullement la légéreté et la répartie. Or par une fatalité singuliére, c’est toujours un bouffon a caractére naturellement plaisant et spirituel que M. Hugo se plait & mettre en relief sur le premier plan de ses ouvrages *, » Le Journal du Commerce a les meilleures formu-
les. « Que signifie... ce bauffon qui ne fait jamais rire, dont la_marotte
est un poignard, qui joue avec un cadavre, et tout cet échafaudage de _ monstruosités, d’porren TS, qui ne produisent que Te dégout et ae
C'est donc le mélange et la réversibilité du bouffon et du tragique qui heurte la sensibilité des contemporains. Avec beaucoup de finesse, le chroniqueur du Temps montre que ce n’est pas la présence ou la grosiéreté du bouffon qui sont choquantes, mais.le parallélisme—qui-s’éta=" -blit entre le roi et le bouffon, et plus précisément le réle de sujet.de Faction que joue le bouffon en regard du roi: « M. Hugo a choisi (son héros...) entre tous. Il s’est trouvé un bouffon, un bossu, un étre contrefait, que Marot a peint comme un épouvantail, Quasimodo enfin ; cet homme appartenait de droit & M. Victor Hugo. Il en a fait le héros de son drame. Jusque-la, rien de mieux. Mais M. Hugo a fait de ce bouffon le dernier des hommes, et il a placé Francois I, le roi frangais, encore en-dessous de cet homme-la. » : Si nous voulons comprendre le réle que joue le grotesque dans les réactions de la presse en face du Roi s’amuse, il n’est pas de meilleur point d’optique que le paralléle entre Saint-Vallier et Triboulet : dans ce drame de l'amour paternel, la passion fondamentale est représentée par deux personnages, dont l'un prend le relais de Yautre ; leur position
est la méme,
et la violence
de la formulation
affective est égale chez l'un et chez l'autre : pourtant la presse réagit d'une fagon totalement opposée aux deux personnages. Le réle de
Saint-Vallier est la seule part du drame qui n’obtienne pratiquement rencontre le Temps, plus que sévére *S, L’un admire « la sublime colére de Saint-Vallier. Rien de plus haut et de plus délicat que l’expression de cette douleur que des éloges. Le Courrier frangais, indulgent,
187, 26 novembre, 188, Méme le National n’y résiste pas vers. »
: « Une tras belle tirade pleine de beaux
134
-
LE ROI
ET LE BOUFFON
paternelle » (24 novembre). Et l’autre : « On sait 4 quel degré M. Hugo porte le pathétique lorsqu’il exprime le sentiment paternel (...). I s’est surpassé dans ce morceau » (26 novembre). La Quotidienne admire malgré certaines réserves historiques la tirade de SaintVallier surtout « quand il compare son caractére sacré de pére au caractére sacré de roi ». Mais dans Triboulet la paternité n’a rien de sacré. On lui trouverait méme quelque chose d’équivoque : le National (toujours lui) juge cet amour bestial: « A voir Triboulet
enlacant.la jeune Blanche dans_sa longue tirade paternelle, on croirait voir une lionne jalouse réder autour—de ses petits, Jes caresser et les
lécher. » Le Journal du Commerce et le Courrier des Thédtres tiennent
pour choquant l’amour excessif de Triboulet pour sa fille Blanche : « En revanche, amour paternel ne chante pas autrement au fond d’une Ame dans ses grandes joies et ses plus profondes exaltations ». La Quotidienne parle de « paternité touchante et vraie ». Mais tandis que les Débats jugent « sublime » la fin de l’acte III et le désespoir de Triboulet a la porte du roi, le Figaro tout pénétré d’une vertueuse indignation pour limmoralité de la piéce se demande sérieusement « pourquoi le fou du roi n’aurait-il pas été fier de donner sa fille 2.»
C’est Pallianee-bouffen-/-pére-qui déconcerte la critique : la fonction pere est une fonction noble et, si l’on peut dire, une fonction royale (le pére noble), elle convient 4 Vallier ; mais critiques et spectateurs ont été étrangement surpris de la voir assumée dés le début de Vacte II par le fou de cour. Surprise prévue et dénotée (acte II, scéne 3) par Hugo, si prompt A identifier le spectateur avec VAdversaire : Ah ! vous restez muets, vous trouvez surprenant Que ce bouffon soit pére et qu'il ait une fille! Cette identification déplaisante achéve de donner au grotesque sa figure inacceptable. Pratiquement, tous les reproches de fond tournent done autour de la notion de grotesque et des divers éléments dont elle se compose d’aprés la Préface de Cromwell. Le grotesque, c’est le laid. Rolle, dans le National, analyse avec beaucoup de pertinence l’importance du laid dans le grotesque hugolien: « Pour Triboulet, M. Victor Hugo Ya modelé sur son type accoutumé. M. Hugo n’a qu’un type pour le laid, il a pris Caliban a Shakespeare, et ensuite il a éparpillé Caliban dans ses drames et ses romans. Han d’Islande, Quasimodo hier, Triboulet, tous ont emprunté quelque chose 4 Caliban. » Caliban-peuple, Caliban
monstre ; toujours de Rolle, dans
le méme
tor Hugo aime cette espéce mixte, indéterminée
article:
« M. Vic-
qui n’est ni homme
ni la béte » ; et Rolle insiste non seulement sur l’animalité, mais, avec
la clairvoyance hugoliens : Si,
par
de
la haine,
sur
le caractere double
intervalles,
ses
personnages
des
amphibies
héros laissent
échapper une parole, une idée qui les rattachent 4 l’humanité, un instant aprés on s’attend a leur voir pousser du poil au dos ou de longues défenses a la machoire. Gc) 189. III, 3, 0.C., IV, 584.
« LE ROI Ces femmes,
moitié
S’AMUSE
femmes
>
135
et moitié
louves,
ces hommes,
mi-composés d’homme et de chacal, heurtent et froissent a chaque instant l’esprit et le coeur par leurs appétits anormaux. Ce qui choque les critiques, Rolle en téte, c’est le caractére « populaire » du grotesque et, circonstance aggravante, ce qui appa-
rait n’est pas le peuple distingué, c’est le peuple bouffon, en d’autres termes, le trivia! : les Débats
(24 novembre)
accusent
Hugo
de retom-
ber dans « le bouffon, le trivial, le populaire ». La Quotidienne stigmatise « des trivialités de tous les genres et des inconvenances les plus choquantes ». C’est aussi la Quotidienne qui voit dans le Roi s’amuse « de V’Arlequin afficheur ». Le Constitutionnel montre dans le grotesque « un systeme vicieux qui au lieu de le (Hugo) conduire a original, le pousse au trivial et a l’absurde ». Trivialité, vulgarité, caractére
populaire,
scenes
de parade,
autant
de formules
qui con-
damnent dans le grotesque hugolien, un élément bas qui froisse péniblement le gotit distingué de Vélite. Les plus belles condamnations du grotesque et de l’ensemble du « systeme dramatique » de Hugo sont dues 4 Rolle dans le National et a Briffault dans le Temps. L’article de Rolle mélant artistement les considérations esthétiques, morales et philosophiques, souligne le caractere idéologique des reproches faits 4 Hugo. C’est une conception de l’art qui est condamnée, mais aussi l’ensemble d’une conception du monde : Hugo est le poéte du laid, du mal, de Caliban-peuple™ et pour tout dire, de la
matiére. Cet article trés long, éparses ailleurs : Ainsi
vous
trés
bien
fait,
systématise
avez a la fois dans le méme
les
critiques
taudis, le meurtre,
la prostitution et le vin au litre, c’est-a-dire ce qu’il y a de plus horrible et de plus répugnant au monde. L’art s’ennoblit encore un coup! Francois I* s’enivre, se salit en embrassant cette femme et se couche de tout son long: le Roi s’amuse! On n’a jamais rien imaginé de semblable. Quand Henri s’enivre avec Falstaff, Shakespeare le laisse-t-il se vautrer dans la fange sans ame et sans pensée ? Non, le grand poéte réveille tout 4 coup le débauché au bruit du clairon de Hotspur. Avec M. Victor Hugo,
tout est terre et matiére ™ ; je ne sache pas de poéte plus
triste et plus affligeant (...) De méme que d’autres ont idéalisé le beau, M. Victor Hugo idéalise le laid ou Vhorrible 4 volonté; (...) La débauche de Francois I* est toute brutale, elle chancelle,
s’essuie la bouche, va des doigts et des mains comme la patrouille arréte la nuit au coin des bornes... Dans caractere
secretes cagneux,
firmité matiére
celle que
la cour de Francois I*, il a pris Triboulet ; dans le et la vie de Francois I*, il a choisi ses débauches
et ses honteuses corruptions. Triboulet bossu_ et Francois I* ivrogne et sentant le mauvais lieu; |’inphysique et la crapule; LA MATIERE TOUTE PURE; la
contrefaite
ou honteuse.
190. Dans un texte copié par Lyonnet (Arsenal, Fonds Rondel, ms. 541) nous relevons ces lignes : « Si donc M. Hugo se sent assez fort pour placer sa main dans la robuste main de la muse populaire, qu’il s’avance et subisse ses étreintes : mais auparavant, qu’il s’assure bien de ses forces et de son courage. » Sans indication de provenance ni de date, mais vraisemblablement 4 propos de Roi s’amuse, vu sa place dans le dossier. 191. Souligné par nous.
136
~
LE ROI ET LE BOUFFON
Pour condamner l’art de Hugo, Rolle utilise les catégories du haut et du bas, catégories 4 la fois et indissolublement esthétiques, morales et sociologiques : Longtemps V’art a vécu d’air pur et de miel ; longtemps il s’est tenu dans les régions hautes et éthérées ot il se manifestait en revétant des formes délicates et exquises ou en parlant un langage divin. Aujourd’hui il prend ses modéles dans les petits fronts et les gros yeux, dans les grands nez, les dos volités et les estomacs plats et larges ; il descend dans les cuisines ou le fou Triboulet
et son
confrére
Brusquet,
le bouffon,
lardaient
avec un grand lardoir le manteau de velours noir brodé d’argent de M. le maréchal de Strozzi, pour donner 4 rire au roi Francois I ™%.
Le plaisant de ces formules nostalgiques d’un art élevé et aristocratique est qu’elle figurent dans un journal qui est le chef de file des journaux libéraux, Joli témoignage du « philistinisme » de la bourgeoisie libérale ™. Beaucoup de critiques épargnent le poéte en condamnant le dramaturge ; mais Rolle, plus perspicace dans la vue totale qu’il donne de Hugo, montre la continuité de |’un et de l’autre : M. Hugo a un goiit décidé pour les choses physiques et dans les choses physiques, — pour le laid et le grotesque. La couleur, la forme,
la
dimension,
le monde
des
les
impressions
rarement,
il s’adresse
faits,
fugitives et sensuelles, voila presque toute sa poésie ; il vous montrera, en beaux vers et en langue pittoresque, une vieille tour qui se lézarde, l’herbe qui croit 4 travers les dalles, et la statue de chevalier debout dans sa niche de pierre. Il fera ’anatomie d’une flotte et vous dira jusqu’au dernier nom du dernier des mousses, jusqu’au dernier clou du vaisseau amiral, mais pour
peu
le monde
a l’homme
des idées, il vous
moral
y méne
et n’interroge
guére
sa
nature
intime...
Lamartine était le poéte de l’esprit et de Pame.
Rolle indique ici non seulement une infirmité, mais aussi un systéme ; or cet attentat délibéré au code esthétique de la société est puni par l’incompréhension : Ainsi M. Victor Hugo exagére, il pousse toute chose 4 'l’extréme. Il s’est fait, pour ses drames comme pour ses romans, une nature qui dépasse toute limite humaine. Cette nature, il veut Yimposer au public francais malgré ses répugnances et ses gotits originels. I] veut le faire rire avec des lazzi anglais ou espagnols ; il veut lépouvanter avec des contes d’ogres et de géants '™; il veut Vintéresser 4 la matiére toute rude et toute grossiére,
lui, ce public
pourvu
d’un
esprit si net, si clair, si
intelligent, plein de sens, de sagacité, public dont le véritable génie a trouvé il y a bientdt deux cents ans, son expression la plus compléte dans notre admirable Moliére.
192, 193. 194. well, p.
Allusion au texte de Brantéme dans la Vie du maréchal Strozzi. : Voir infra, chap. Madame Louis XIV. Le fantastique est un élément essentiel du grotesque ; voir Préf. de Crom52-53 et Ile partie, p. 465-466.
« LE ROI
S’AMUSE
>»
137
L’appel assez grossier au public d’élite se double ici de la nostalgie du passé classique : la référence Aa Moliére a le double intérét d’étre a la fois passéiste et bourgeoise. Ce n’est pas par hasard si la quasi totalité des critiques refuse a Hugo le génie dramatique, méme si la plupart, moins acharnés que Rolle, reconnaissent la grandeur de son génie lyrique. Ainsi, le Journal des Débats (24 novembre) (Etienne Béquet) signale : « Il a échoué, lui, cet homme d’une imagination si haute et si puissante, d’une poésie si variée et si élevée, lui, auteur de Notre-Dame de Paris, le chantre des Orientales » ; et le Commerce lui reprochant ses
insuffisances techniques : « Déja deux fois, la critique l’a averti que son talent n’était pas celui du théatre (...) qu’il ne savait pas combiner un plan; que les caractéres de ses personnages étaient presque
toujours
action
au-dessous
intéressante,
et
4 une
au-dessus intrigue
de
la
vérité...
naturellement
Quant
a une
conduite,
4
des
scénes filées avec art, il ne faut pas y penser » (Commerce). Rolle accuse Hugo d’usurper par sa parole lyrique, la place de l’action dramatique, parlant d’ « intolérance lyrique » : « dans le Roi s’amuse, c’est encore M. Victor Hugo qui parle tout seul... Je n’ai jamais vu une usurpation plus flagrante et plus entétée de la parole sur l’action, de la déclamation individuelle de l’écrivain sur le droit que chaque personnage de drame a de se faire voir et de parler a son tour ». Mais il est tout aussi sévere pour les scénes a multiples personnages, comme les scénes de l’acte I: « C’est une confusion et un péle-méle de paroles et d’individus, tres pénibles a suivre. » Bref, tous concluent par le méme conseil : quwil renonce au theatre. Pour
certains,
rares
4 la vérité,
ce
qui
est condamné,
ce
n’est
pas Victor Hugo, c’est le drame romantique. Ainsi les Débats : « Cette chute est celle d’un genre tout entier. Le Roi s’amuse résumait toutes ces brillantes théories que ces hardis novateurs ont soulevées depuis quelque temps... La vie humaine dans cette forme de drame n’a pas paru plus vraie, seulement elle a paru plus laide... Le mélange du bouffon et du sublime a jeté les spectateurs dans une confusion pénible. » Mais c’est toujours Hugo qui se retrouve exécuté, lui, « qui résume 4 lui seul toutes les qualités et les défauts de cette école; il est Pexpression complete de ces nouvelles doctrines » (La Quoti-
dienne). Une. provocation. Dans ce concert, rares sont les voix nuancées : quelques éloges mitigés dans le Journal des Débats, journal des Bertin, amis de Hugo, au milieu d’une critique tout compte fait trés acerbe. Des éloges non sans contrepartie, mais beaucoup plus nets dans le Courrier francais : Aprés « la sublime colere de Saint-Vallier » la « hideuse et atroce facétie du bouffon a une raison poétique ». L’article a le mérite de comprendre le caractére central du grotesque, et de l’admettre. Si lV Artiste défend Hugo, c’est, dans le cadre méme du théatre, pour son
seul génie lyrique : Le premier, il nous a fait concevoir cette pensée vraiment lyrique qui s’exerce sur toutes choses et en tire de sublimes aspirations
(...)
138
—
LE ROI ET LE BOUFFON
Il faut s’accoutumer au théatre de Victor Hugo, ne voir dans les sorties et les entrées, que les pensées qui se déplacent et dans Jes événements que des associations d’idées... Nous conclurons que le Roi s’amuse est une admirable poésie qui n’a pu étre enti¢rement exécutée sur scéne.
Eloge, certes, mais éloge empoisonné, et qui ne sauve ni le drame, ni la dramaturgie de Hugo, quoique l’Artiste proteste contre les hurlements de la presse : « Que signifient enfin. injure et l’invective contre une ceuvre de conscience et de génie ? » Quel sens pouvons-nous donner a l’acharnement des spectateurs et des journalistes ? Les circonstances de la représentation établissaient l’ceuvre dans un climat de contestation : La France, bien aprés Vévénement
(30 avril
1835),
descendue des estaminets et et Saint-Marceau, vociférant thédtrale contre la critique de menaces et de coups de teurs ; mais le National
rappelle
cette
« littérature
de
clubistes
des hauteurs des faubourgs Saint-Antoine les hymnes de 93 et faisant de la terreur improbatrice, 4 grand renfort d’insultes, poings ». Ce sont la journaux conserya« a été défendue,
n’est pas en reste ; la piece
comme cela est d’habitude pour M. Victor Hugo, par des hurlements, des menaces, de grossiéres et insultantes apostrophes ; je ne dis pas quwil ait été attaqué plus spirituellement. Il est assez dans la nature du drame watériel d’avoir pour lui et contre lui, les injures, les poings et le baton » . C’est le Courrier de Europe qui résume peutle mieux
étre
scene
un
Hugo,
la situation.
effronté, fanfaron,
drame
hardi,
« novateur
insolent,
a lancé
ot il a foulé
aux
sur
la
pieds
toutes les convenances scéniques, la morale, la majesté de Vhistoire > (26 novembre). Si le Courrier de l'Europe n’ose pas comparer Hugo a Robespierre,
il le compare
en tous cas 4 Luther ™.
Nous avons tendance, quand nous lisons dans les Contemplations ces, retours sur l’histoire du romantisme que sont Réponse & un acte d’accusation ou Quelques mots & un autre, 4 croire que Hugo force la note quand il souligne l’importance de sa révolution littéraire. La lecture de la presse du Roi s’amuse parait donner absolument raison au poéte : «< .. Si c’est un poéte il entend ce cheur : « Absurde! faux ! monstrueux ! révoltant”! »
195. Les Débats (R = Etienne Béquet) résument la question avec une certaine modération, expliquant I’échee de Hugo « par le vice de son systéme. C’est qu’il de a voulu peindre des mcurs que repousse la décence, ou s’il veut la pruderie. notre scéne ; c’est parce qu’il a paru qu’il pouvait passer d’un genre a VPautre ou citer de plaisir au pas, résistons ne Nous ». genres les peut-étre confondre ious en regard la Musée Victor
lettre d’Ulric Guttinguer, & propos de cet article (27 novembre 1832, Hugo) : « Quel est donc, mon cher Victor, le percepteur des contri-
butions, le conservateur d’hypothéques ou J’épicier retiré ayant remporté autrefois le prix de Vamplification francaise, qui a rendu compte de votre drame dans le journal des débats. Il signe R. je erois! cela veut-il dire Robillard, Roquentin, ou
Rococo.
quand
j’ai vu
Robichon
Mais
c’est
la
poétique
d’Honfleur,
cela!
que
C’est
tout
ce
vous.
Ce
que j’entends des casquettes administratives de mon majheureux pays! de ces braves gens qui n’aiment que Feydeau, le gymnase et les vépres siciliennes ! Mon cher ami, quelle bétise ! quelle platitude ! (...) Le public de nos jours, mon ami, est un épicier retraité. Vous ne ferez point cette éducation-la (...). Il m’a fallu vous
écrire
m’est
rien
que
moi,
ce bruit
c’est
un
journaux
des
ami.
et que
pas
un
n’était
>
196. Contemplations, 1, 7 et 26. 197. Ibid., Ill, 2 (Melancholia, 4° division
: L’>homme
de
génie).
pour
UNE BATAILLE PERDUE : LE PROCES DU ROI S’AMUSE L’autorité
interdit.
Dés Je lendemain matin, le ministére faisait suspendre la piece. Un billet de Jouslin de Lasalle en avertissait Hugo!. Le soir méme, la suspension était transformée en interdiction ; ordre comportait la formule : « les mceurs sont outragées? >». Immédiatement Hugo réagit. Il pense 4 ce qui est la solution la plus élégante : faire un procés 4 la Comédie, pour rupture de contrat ; le théatre sera bien obligé de se retourner contre le ministre qui VYempéche de faire honneur 4a ses engagements. Il semble, autant qu’on puisse juger, que Hugo, les premiers jours au moins (il perdra trés vite ses illusions) pense pouvoir le gagner. Le 25 novembre, il écrit 4 Mlle Bertin: « Je suis furieux contre la Comédie Francaise et j’ai besoin d’un procés pour me soulager. Ce qui est extraordinaire, c’est qu'il parait certain que je le gagnerai, avec de gros dommages et intéréts que le gouvernement paiera, 4 ce que disent les sociétaires *. » Les précédents n’étaient pourtant pas encourageants *. Est-ce la perspective de ce procés ou la crainte de provocations policiéres qui conduit Hugo a une démarche peut-étre maladroite et qu’on lui a beaucoup reprochée ? Il écrit au Constitutionnel pour demander qu’il n’y ait pas de manifestations au Théatre Francais contre l’inter-
diction du Roi s’amuse ; il prie la « généreuse jeunesse » de « s’abstenir d’une démonstration violente qui aboutirait peut-étre 4 l’émeute que le gouvernement cherche 4 se procurer depuis si longtemps? >. Beaucoup d’éléments nous manquent pour comprendre cette histoire et cette lettre : il nous parait douteux que Hugo, comme on l’en a accusé, ait inventé ce projet de manifestation. A-t-il craint qu’elle ne rassemble que des effectifs trop faibles ? Ou a-t-il réellement redouté des violences
dont il se serait senti la cause,
s’il ne faisait tout pour
1. Texte du billet : « Il est dix heures et demie, et je recois A l’instant Pordre de suspendre les représentations du Roi s’amuse. C’est M. Taylor qui me communique cet ordre de la part du ministre. » 2. « Le ministre secrétaire d’Etat au département du commerce et des travaux publics, vu Varticle 14 du décret du 9 juin 1806: considérant que, dans un grand nombre de scénes du drame représenté sur le Théatre Francais, le 22 novembre 1832, et intitulé le Roi s’amuse, les meurs sont outragées, nous avons arrété et arrétons
ce qui suit
: Les représentations
du
drame
Roi s’amuse sont désormais interdites. comte d’Argout. Arch. nat, F 21.997.
3. 0.C., IV, 1080. 4, Voir infra, procés,
p. 157.
5. Lettre a M. le Rédacteur
1081) ; toute
la presse
reproduit
Fait
de M. Victor
4 Paris,
du Constitutionnel, cette lettre.
Hugo
ayant
le 10 décembre
le 26 novembre
pour
1832.
titre
»
le
Signé :
1852 (0.C., IV,
140
-
LE ROI
ET LE BOUFFON
les empécher ? l’attitude non-violente de Hugo est déja nette a cette date °. L’interdiction plongea la presse d’opposition, libérale et ultra, dans un grand embarras. Comment défendre contre l’arbitraire gouvernemental une piéce dont on avait dit tant de mal? Certains n’y vont pas par quatre chemins, tel le Journal des artistes qui félicite Hugo « pour sa réputation de poéte dramatique déja trop gravement compromise
» (2 décembre).
La Mode
redouble
parlant assez vaguement de « l’arbitraire veau, enterrée qu’on la croyait sous les Courrier des thédtres, qui, organe quasi dramatique, ne peut justifier la censure, embarrassées
: « Tout le monde
ses
attaques
tout en
censure qui surgit de noupavés des barricades ». Le officiel des intéréts de l’art a recours a des contorsions
a eu tort » (2 novembre).
Le méme
article attribue l’interdiction 4 la présence « d’une cabale beaucoup trop nombreuse », inspirée par l’auteur, et 4 ’imprudence du Théatre Francais qui a laissé « envahir la salle dés quatre heures ». Le 25 novembre,
le méme
journal
mettait
en avant
des raisons
exclusi-
vement politiques : « Les conjectures vont leur train. Les unes buent
la
défense
a l'état
d’abjection,
d’avilissement,
ol
ce
attridrame
présente un roi, un roi francais et méme la Royauté, prise dans un sens autre que celui de l’individualité. D’autres soupcons portent sur des parties de style, sur des vers qui auraient servi de pature a de malignes applications. » Deux journaux défendent vigoureusement Hugo et s’élévent contre la censure dont le Roi s’amuse est l’objet. Ce sont le Courrier francais, organe ultra-libéral, et cela ne nous ‘étonnera pas, et le Charivari. Du Courrier francais, ces lignes trés
fermes : « On se demande le motif de cette suspension. Ce motif touche-t-il 4 la politique ou 4 la morale ? 4 la politique ? il n’y a pas la moindre apparence ; A la morale ? on a taxé d’indécence plusieurs scénes de la piéce (...) ; il est singulier qu’on choisisse un homme du talent de M. Victor Hugo pour user envers lui d’une sévérité qu’on n’a pas eue pour d’autres. » Le Charivari, plus tardivement, le 15 décembre, se déclare « solidaire du poéte dans la lutte qu’il engage contre le pouvoir. C’est notre droit A tous qu’il va défendre. A lui done notre sympathie et notre aide ». Et le 24 décembre: « Encore un mot sur la liberté des théatres : est-ce en effet une question d’art, de privilége dramatique, de moralité sociale, de convenance haute ou basse ? S’agit-il de M. Hugo ou de M. d’Argout ? Eh! mon dieu, non! C’est bien plus simple et plus grave ; c’est une des mille formes sous lesquelles s’agite la question de la liberté. » On remarque la position exclusivement politique de ce texte; encore le compte rendu de ce journal n’était-il-pas des plus virulents contre la piéce. Le Vert-Vert d’Anténor Joly, organe tres favorable au romantisme et qui a presque toujours soutenu Hugo, s’en prend a Varbitraire gouvernemental, mais lance quelques coups de patte a la piéce
: « (...) Il faut
déplorer
un
tel acte
d’arbitraire
dans
une
question d’art. Depuis l’abolition de la censure et le regne de la liberté, ce sera la troisiéme piéce arrétée. Le Roi s’amuse a le méme
6. Voir par exemple Vattitude de Hugo a propos de l’insurrection du Cloitre Saint-Merri (5 et 6 juin 1832): il signe la pétition du National, sans hésitation, il est prét A « faire une émeute » pour sauver les victimes », mais il traite Vinsurrection elle-méme de « folies trempées de sang > (0.C., IV, 1068-1069).
UNE
BATAILLE
PERDUE
: LE PROCES
DU
« ROI
S’AMUSE
»
141
sort que le Procés du maréchal Ney et Une Révolution d’autrefois’. Nous demandons pourquoi cette nouvelle rigueur du pouvoir? Si le drame avait réussi, cela se concevrait encore. Est-ce parce que les amis de l’auteur chantaient la Marseillaise ou substituaient sur l’air du Mironton ie sobriquet de Poulot au nom de Malborough? » Et Varticle d’évoquer le vers « Vos méres aux laquais se sont prostituées » et la présence de « Francois I* dans un mauvais lieu ». « Est-ce enfin 4 cause du titre, parce que le Roi s’amuse ? Voici la vraie cause trouvée ! (...) N’est-il pas calomnieux de dire qu’il s’amuse quand
tous les jours nous
savons
qu’il travaille
avec
ses
ministres ?
Toujours est-il que la piéce est arrétée ! Tant mieux pour la piéce! aussi peut-étre pour le public. Mais tant pis pour le gouvernement. » Un tel article donne le ton: attaques contre le gouvernement, mais désinvolture 4 l’intention du poéte. Le National était dans une position bien plus embarrassante. L’accusation d’immoralité, d’offense aux bonnes moeurs s’étalait tout au long du texte de Rolle. Cependant, Armand Carrel, directeur du National, ne pouvait moins faire que d’attaquer la censure gouvernementale ; il prodigue 4 Hugo les bonnes paroles. Celui-ci écrit a4 Sainte-Beuve le 1° décembre: « J’ai vu Carrel,
mon
cher
ami,
et je l’ai trouvé
cordial
et excellent...
Il a -
déclaré qu’il croyait que c’était le devoir du National de m’appuyer énergiquement et sans restriction dans le procés que je vais intenter au ministere*. » Dans cette méme lettre, Hugo demande a SainteBeuve
d’écrire
deux
textes
(a insérer
dans
le National).
Le
premier
serait « une espéce de petit article oi vous diriez ce que vous vou_driez » accompagnant un extrait de la Préface de Hugo. Le second serait « un article politique étendu sur toute la question et sur la nécessité ot est l’opposition de me soutenir chaudement dans cette occasion, si elle ne veut pas s’abdiquer elle-méme ». Hugo s’affirme en cette occasion, Vinterpréte des désirs de Carrel. Nous ne savons ce qu’il en est. Mais le 8 décembre Sainte-Beuve envoie 4 Hugo une lettre qui est un modeéle de contorsion ; un petit entrefilet a paru, mais dépouillé de tout commentaire littéraire : « Deux ou trois phrases littéraires trés circonspectes du commencement avaient été mises de coté*®. » Malgré ces réticences, un long article sur la censure parait
au National,
le 13 décembre;
c’est un
important
Lucréce Borgia est la premiére piéce de Hugo dont Jlorigine remonte approximativement a la rédaction de Cromwell. En effet il existe un brouillon qui figure dans les manuscrits Nafr 2477, f° 26, et qui a été classé parmi les fragments du théatre (74° cote, 27° piece). L’un
des folios
contient
quatre
vers
de Cromwell
(acte IV, scéne
3,
vers 4219-4223) : Je frémis en songeant que de choses le sort Sur la téte d’un fou peut mettre en équilibre ! Au premier vent qui change, au moindre bruit qui vibre Lédifice effrayant s’écroule tout a coup... Or ce fragment est précédé de la mention B - orgia. Le jeu de mots qui est au centre de la péripétie du deuxieme acte, cette mutilation du nom de Borgia, effectuée par Gennaro au front du palais Borgia, est donc le noyau primitif autour duquel s’organise la rédaction de la piéce. L’élément créateur est donc cette mutilation du nom qui met en cause la personne méme du héros. Le méme brouillon comprend aussi un canevas théatral, axé autour du theme de la monstruosité : Le monstre pendant deux actes. Il parait au troisiéme, beau, jeune, etc. Faut-il, s’il vous plait, qu’on le mette
Dans la ménagerie avec une étiquette! ? Donec, les deux idées-clés de la piéce se trouvent indiquées dans la réflexion de Hugo dés le départ. Et nous n’ignorons pas qu’il y a un certain arbitraire 4 réunir ainsi des brouillons qui n’ont rien d’autre en commun que de figurer sur la méme feuille et dont le rapport peut étre accidentel. Cependant, quand ce rapport accidentel se trouve
recouvrir
le schéma
central d’une
ceuvre,
sans
doute est-il
légitime d’en tenir compte. 1. Cf. Marion,
IV, 5 : « Un chat-tigre
de plus dans
la ménagerie.
>»
156
LE ROI
ET LE BOUFFON
1882 seulement, que la piéce verra le jour, le vrai jour, sur la scéne du Théatre Francais avec un succés mitigé, quoique ce soit a la fois le jubilé de la piéce et celui du poéte, le 22 novembre 1882. Cinquante
ans apres.
Il fallut donc attendre un demi-siécle pour que le 22 novembre 1882, le rideau se levat sur cette seconde représentation. La violence de la hargne n’était pas calmée. Deux témoignages seulement, celui de Biré : « Ce que fut cette soirée, on se le rappelle. A mesure que se déroulait la piéce, la déception, l’étonnement, la stupeur allaient grandissant. Les applaudissements avaient peur d’eux-mémes. Les vers tombaient
au
milieu
d’un
silence
morne,
respectueux,
navré,
plus
cruel cent fois que les coléres et les huées de 1832. » La hargne de Biré s’en prend au méme point exactement que celle de Rolle en 1832 : « Dans le Roi s’amuse (Hugo) prend Triboulet, difforme comme Quasimodo, comme lui bossu et boiteux, et de plus que lui, misérable
et lache, abject de coeur comme
de visage: de cet horrible avorton, de ce bouffon cynique, il fait le type de l’amour paternel! Cette profanation ne lui suffit pas (...) Il livre (...) les plus grands noms de la monarchie aux insultes du bouffon, qui tout a l’heure personnifiait le pére, en qui maintenant s’incarne le peuple ™. » Voici un peu plus tardif, le témoignage de Péladan “, A propos non de Frang¢ois I* seul, mais aussi de Lucréce Borgia: « Cette Lucréce pour marchands de I* pour
le Francois
comme
écceure
mal pensants,
vin
les électeurs
républicains (...) Le grand poéte offre au peuple, au mauvais peuple, un tableau jacobin : le Roi s’amuse et Lucréce Borgia appartiennent au théatre de la révolution prolongée (...) Certes, Dumas pére a traité Vhistoire familigremeni, mais sa partialité n’atteignait pas a lacreté de la haine, non plus son écriture a cette forme impérissable qui fait de Hugo un demi-dieu. Autour de son buste, grouille une étrange hurlante,
plébe, ignorante,
écrivant
vile. En
hugolien
pensa a la canaille. » Le grotesque encore frémir de fureur en 1912.
le poéte-
le Roi s’amuse,
faisait
du Roi s’'amuse
voulu se charger de signifier A Ritt et A Larochelle (directeurs du thédtre de la Porte Saint-Martin) la décision du général : il parait qu’il ne tient pas a descendre de Frangois Ier. » ; 59. Leacteur Got, qui jouait Triboulet pour cette reprise consigne dans son journal, au sortir de la représentation: « 1 h 1/2 du matin. — Quelle résistance ! mais
surtout
quelle
froideur
j’ai la conscience
fiére mais
sible.
p
» (Journal,
227.)
60. Edmond
Biré,
61. Annales
Romantiques,
et quel ennui!
douleureuse
Victor Hugo
aprés
9, 1912,
(...) En
d’avoir
tout
fait mon
cas,
si c’est
1830, t. I, Paris, p. 74-76.
p. 154.
une
défaite,
possible jusqu’é
l’impos'
LUCRECE
BORGIA
GENESE « Ma vie est en deux parts. >» Lucréce Borgia est la premiére piéce de Hugo dont Vorigine remonte approximativement 4 la rédaction de Cromwell. En effet il existe un brouillon qui figure dans les manuscrits Nafr 2477, f° 26, et qui a été classé parmi les fragments du théatre (74° cote, 27° piéce). L’un
des folios
contient
quatre
vers
de Cromwell
(acte IV, scéne
3,
vers 4219-4223) : Je frémis en songeant que de choses le sort Sur la téte d’un fou peut mettre en équilibre ! Au premier vent qui change, au moindre bruit qui vibre L’édifice effrayant s’écroule tout a coup... Or ce fragment est précédé de la mention B - orgia. Le jeu de mots qui est au centre de la péripétie du deuxiéme acte, cette mutilation du nom de Borgia, effectuée par Gennaro au front du palais Borgia, est donc le noyau primitif autour duquel s’organise la rédaction de la piéce. L’élément créateur est donc cette mutilation du nom qui met en cause la personne méme du héros. Le méme brouillon comprend aussi un canevas théatral, axé autour du theme de la monstruosité : Le monstre pendant deux actes. Il parait au troisiéme, beau, jeune,
etc. Faut-il, s’il vous
plait, qu’on le mette
Dans la ménagerie avec une étiquette} ?
Done, les deux idées-clés de la piéce se trouvent indiquées dans la réflexion de Hugo dés le départ. Et nous n’ignorons pas quwil y a un certain arbitraire 4 réunir ainsi des brouillons qui n’ont rien d@autre en commun que de figurer sur la méme feuille et dont le rapport peut étre accidentel. Cependant, quand ce rapport accidentel se trouve
recouvrir
le schéma
central
d’une
ceuvre,
sans
doute
légitime d’en tenir compte. 1. Cf. Marion,
IV, 5 ; « Un
chat-tigre
de plus
dans
la ménagerie.
>»
est-il
160
|
LE ROI ET LE BOUFFON
de la piéce : la premiére, sur un papier daté du 1% juillet ®, porte une liste de noms dont la plupart est utilisée dans Lucréce, et cette formule célébre indiquant le rapport de la fable de Lucréce avec la tragédie grecque, en particulier la Trilogie d’Eschyle : « Les Borgia sont les Atrides du moyen Age. >» La seconde, non datée’, est sans doute contemporaine de la rédaction ; elle comporte un certain nombre de répliques de Gubetta (sans indication de personnages) de la premiére scéne du dernier acte, — répliques mettant Vaccent sur le noyau
de la scéne
(manger
et boire)
et sur
les idées-clefs *.
La Peste-Borgia.
On ne sait o Hugo a puisé ce détail qui est au centre du schéma, le jeu de mots Borgia / orgia. Nous serions tentés de supposer que ce jeu de mots est de l’invention du poéte. Nous savons a quel point Hugo s’est efforcé de trouver la signification interne, ou anagrammatique, des noms propres qu’il rencontre ou qu'il utilise. I] nous parait donc probable que ce fait d’écriture, cette plongée au coeur du nom propre pour en extraire la signification, cachée mais offerte 4 tous les yeux — ce fait d’écriture done précipite la genése de Lucréce Borgia. Les premiers brouillons ne présentent aucune allusion a la personne méme de Lucréce, exclue de la liste des Borgia (Feuilles
_Paginées, 14). A un moment donné, Hugo rencontre les Borgia ; est-ce pour la premiére fois (mise a part la connaissance de culture géné-
rale que tout le monde pouvait avoir) dans les Mémoires de Comines ® empruntés par lui le 30 juin 1830 ? Il y a plus sérieux, et ce sont les ceuvres de Brantéme™; ce dernier 4 propos de Renée de Ferrare parle rapidement, mais en termes d’ailleurs extrémement favorables de Lucréce Borgia : elle est dite « aussi bonne et courtoise comme belle et vertueuse “ ». Gaston de Foix porte ses couleurs... comme Gennaro. Elle est dite aussi : < une gentille princesse espagnolée > ; mais Vemprunt de Brantéme extrémement tardif date, nous avons vu, de la préparation du Roi s’amuse (24 mai 1832). Nous n’avons: aucune indication qui nous permette de savoir si Hugo a pris ses connaissances sur les Borgia dans Guichardin ® ou dans ce dictionnaire de Moreri et qu’il ne se lassera jamais d’utiliser. Nous supposerions plutot que la premiére connaissance détaillée qu'il a pu avoir des Borgia lui vient de Sismondi (Histoire des Républiques italiennes du moyen dge %), ce Simondi dont il n’a pas pu ne pas lire Littérature du Midi de UVEurope. Sismondi, historien trés libéral, singuliérement opposé aux < tyrans », trace des Borgia un portrait trés noir. 6. Ms. 13371, f° 96. — Probablement 1832. 7. Id., f° 97 bis, papier fil, Lacroix Je, grége, papier
8. Voir Ue partie, chap. Une poétique du drame
principal
: Lucréce
du ms.
Borgia, p. 225.
aux Mémoires, 9. Comines, Mémoires, Bruxelles, 1706, 4 volumes, Fr Foppens, 1713, 2 volumes, 8¢. augmentée et édition 10. Brant6me, Geuvres du Seigneur de Brantéme, nouvelle accompagnée de remarques historiques et critiques, La Haye, 1740, in-12, 15 volumes. Vies des Hommes illustres et grands capitaines frangais de son temps, & Leyde, 1661, in-12, 5 volumes. 11. Brantéme, II, Il. 412. Guichardin, Histoire des guerres d’Italie, trad. de Vitalien de Francois Guichardin, 1498-1508, Londres, chez Paul et Isaac Vaillant, 1838. 13. Sismondi, t. 13, chez Treuttel et Wirtz, 1818. 8¢ Supplément
« LUCRECE
BORGIA
Il insiste sur la vie scandaleuse Burchard
(c’est
probablement
>
161
de Lucréce
le seul
contact
Borgia et dit, citant que
Hugo
a eu
avec
Burchard, qu’il nomme dans sa préface) : « Les désordres de la vie privée de Lucréce passaient le scandale de ses mariages et de ses divorces ; le public l’accusait d’avoir été la maitresse
de son
pére et
de ses fréres ; on l’avait vu présider aux repas honteux des courtisanes et aux fétes scandaleuses par lesquelles Alexandre souillait le Vatican *. » Si, avant 1830, imagination de Hugo a pu réver autour des Borgia, nous n’avons nullement la preuve qu’il soit question du personnage de Lucréce. Hugo parait plus intéressé par le personnage monstrueux de César Borgia, et par le cortége de fratricides qui l’entoure. Un probleme se pose donc a nous: indiscutablement Hugo se documente, il lit ou parcourt 4 tout le moins Guichardin ©. I] n’ignore aucun des détails
de
lextermination
des
Orsini
et de
leur
bande,
détails
qui
figurent chez tous les historiens de cette époque : il n’ignore pas non plus que cette collection d’assassinats, 4 laquelle il fait de multiples allusions,
monstre victime
a pour
auteur
non
pas
Lucréce,
mais
César
couvert de sang ne saurait étre Lucréce, plus
ou
moins
indirecte
de
certains
de
Borgia.
Le
otage politique, et ces
meurtres,
dont
deux la touchent profondément: celui de son frére Francois de Gandie et celui de son troisiéme mari, Alphonse d’Aragon, qu'elle adorait et dont elle attendait un enfant quand César Borgia le fit assassiner. Ces détails historiques figurent chez Sismondi, chez Guichardin,
chez
Alexandre
Gordon",
chez
Moreri.
Pourquoi
donc
cette
étrange transposition ? Il est peut-étre une hypothése sérieuse, celle qui verrait dans Lucréce Borgia un intéressant phénoméne d’ < intertextualité » et la reprise volontaire de cette ceuvre si riche et si brillante qu’est la Tour de Nesle dont la représentation date du 29 mai 1832, quelques jours avant la rédaction du Roi s’amuse™. La Tour de Nesle est Vhistoire d’un monstre femelle, vampire assoiffé de luxure et de sang qui engage avec son ancien amant et complice, une lutte sans merci au cours de laquelle elle fait périr sans les reconnaitre ses deux fils avant de succomber elle-méme ; l’enfant clandestin, victime de sa propre mére, le vengeur qui survient 4 point nommeé pour faire expier le crime, la puissance de l’amitié fraternelle,
le flirt incestueux autant d’éléments intacts
dans
de la mére et du fils qui ne se connaissent pas, de la Tour de Nesle qui se retrouveront quasi
Lucréce
Borgia.
La
cascade
des
retournements,
cette
sorte d’échange de balles entre deux adversaires, a pu étre imitée délibérément par Hugo. Il y a plus: Ja position dramaturgique de Marguerite de Bourgogne menacée sur ses arriéres par une puissance supérieure 4 elle, la jalousie royale, est identique a la position de Lucréce Borgia, prise entre son amour pour Gennaro et sa crainte devant le duc de Ferrare. 14. 15. Lucréce 16. guerres
Sismondi, op. cit., t. 13, p. 153. Il emprunte 4 Guichardin I, 128 A le nom propre Acciaioli qui figure dans Borgia, I, U, O.C., IV, 665. La vie du pape Alexandre VI et de son fils César Borgia contenant les de Charles VII et Louis XII, rois de France et les principales négociations
et révolutions
Gordon,
arrivées
traduite
en Italie
de l'anglais.
depuis
l’année
A Amsterdam,
chez
1492
Pierre
jusqu’a
Mortier,
1506,
1732
17. La Tour de Nesle était le fruit de la collaboration entre Gaillardet et auteur déja chevronné qu’était Alexandre Dumas.
par
Alexandre
(2 tomes).
le jeune
Félix
ll
162
~
LE ROL ET LE BOUFFON
Lucréce Borgia peut étre tenue pour la réécriture d’un mélodrame et sans doute du meilleur mélodrame possible, choisi justement en
vertu
de
sa
perfection,
réécriture
délibérée,
avouée,
avec
une
intention précise. Ce que Hugo essaye, en écrivant Lucréce Borgia, c’est de reprendre en l’inversant le code du mélodrame, de montrer quwil est possible de créer ie drame moderne non pas seulement a partir de la vieille tragédie et par l’inversion du code tragique, mais 4 partir du mélo en retournant le code du mélo... La reprise de la Tour de Nesle n’est pas du ressort de. l’imitation honteuse mais de la réécriture destructrice et triomphante *. L’effort principal de Hugo porte sur le personnage central: il en accentue la monstruosité en en faisant la responsable ou lauteur des crimes fraternels, mais du méme coup il donne 4 ces crimes leur poids familial et tragique : « Les Borgia ‘sont les Atrides du moyen age”, » En méme temps Hugo met en lumiére ce qui n’intéressait nullement le tandem Gaillardet-Dumas, c’est-a-dire la positivité du personnage criminel. Cette positivité, Hugo la souligne tout d’abord en insistant sur le caractére historiquement exact de victime familiale que revét Lucréce ; de la ces ambiguités d’une grande efficacité dramatique : « Jurez-moi que vos crimes ne sont pour rien dans les malheurs de ma mére®. » Lucréce refuse de jurer, dénotant par la Vambivalence de sa nature de bourreau-victime et cette identité du crime et du malheur qui est, jusque dans l’exil, ’'une des idées-forces ‘de la pensée hugolienne #. Autre chose est le malheur du mélodrame arrivant en fin de parcours pour la punition du crime, autre chose est cette ambivalence faute-malheur qui signe la fatalité du drame hugolien. Nous verrons plus tard comment cette ambivalence structure le drame lui-méme dont la ressemblance avec la Tour de Nesle est, dans cette perspective, purement extérieure et. formelle. Le second outil « antimélo » dont se sert Hugo, c’est celui que voient les contemporains, c’est-a-dire la maternité de Lucréce ; a la
différence de Marguerite de Bourgogne, dont la maternité est purement nominale, puisqu’elle ne connait pas, donc ne peut aimer les jumeaux qu’elle fait périr, Lucréce Borgia sait qui elle aime et pourquoi:
ciente
elle est tragique
dans
la mesure
qui est pur
incestueux
hasard
dans
cons-
ou elle est totalement
des risques qu’elle fait courir a son
la Tour
fils; bien plus, Yamour de Nesle
est cherché,
provoqué par Lucréce comme le seul moyen, équivoque et sensuel, de toucher le coeur d’un fils qu’elle connait, mais qui ne la connait pas. Ainsi la révélation finale n’est pas simple aveu mélodramatique 4 Pintention du destinataire, — aveu chargé de représenter la justice immanente, — mais révélation tragique 4 l’intention du héros. Lucrece a pour but et pour conséquence de remonter le mélo 4 la hauteur du tragique,
18. Voir
excluant
Ue partie,
Une
tout manichéisme
Poétique
du
drame
toute
moralisateur,
: Lucréce
satisfai-
Borgia.
19. Ms. 13371, f° 96, voir supra, p. 160. 20. Lucréce Borgia, U, I, 6, O.C., IV, 705.
21. Ainsi dans les Contemplations, V; 26, le poeme des Malheureux est entiérement consacré aux malheurs du coupable et du criminel et se termine sur ...Vimage Nous (« des premier hommes pleurant « Le pére sur Abel, la mére sur Cain ». nous qui sommes ceux qui font le mal ; et comme c’est nous qui le faisons, c’est le souffrons.
»)
‘
{
« LUCRECE
BORGIA
>
163
sante punition des coupables. Ainsi se crée cette division, ce déchirement de l’étre qui est pour Hugo le moteur méme du drame. Enfin le grotesque, tout 4 fait marginal dans la Tour de Nesle, joue dans Lucréce Borgia un role central a la fois par le personnage de Gubetta, valet-témoin, serviteur du mal, et par le carnaval funébre
du dernier acte (qui, nous l’avons vu, fait partie du canevas
primitif
de la piéce®).
A propos des sources de Lucréce Borgia, nous aimerions faire justice d’une légende pieusement répétée de commentateurs en commentateurs, celle qui verrait dans la Gaule poétique de Marchangy Yorigine de l’épisode du festin du dernier acte: « La, dit Maurois, il avait trouvé Vidée des seigneurs soupant joyeusement chez un ennemi décidé 4 les faire mourir, et des moines entrant au dernier service pour confesser les soupeurs®. » La vérité est beaucoup plus simple et plus belle : ce qu'il emprunte aA la Gaule poétique, c’est Varrivée du Commandeur ; ce qui entre ce n’est pas l’Empoisonneuse, rEnnemie, c’est une autre Ennemie : Le banquet est préparé, les mets savoureux, lans, la beauté
qui ne résiste
les vins pétil-
plus, et dont la rose
fugitive
est
encore mieux l’embléme, tout leur promet une derniére ombre de félicité (...) Mais voici venir un convive qu’on n’attendait pas ! Maigré les vaiets et les pages, il franchit le seuil de la salle bruyante ; invisible A tous les yeux, il entre (...) Cest la peste qui vient choisir sa proie; celui qu’elle a désigné, saisi du mai connu, palit et sent ses traits se décomposer. [Les convives, dans leur fuite] croyant éviter la peste, ils la retrouvent 4 la porte of une longue suite de cercueils attendent un peu de terre que la pitié leur refuse ™. Nous savons 4 présent le vrai nom de celle que contemplent les convives dans sa sinistre beauté: c’est la Peste. Artaud aurait aimé cette confirmation imprévue de son apologue. Le Festin comporte des éléments repris comme citation textuelle, les versets des psaumes utilisés dans la liturgie des Vépres : quand Jeppo s’écrie : « L’écho chante vépres », il profére une stricte vérité ; ces versets sont pris dans lordre ot ils sont chantés a loffice des vépres du dimanche*®, Dans quelle mesure ces citations latines ne raménent-elles pas, comme le nom du comte de Belverana*®, et par un détour imprévu, & un bouquet de souvenirs, celui du Colldge des Nobles ? Le nom d’Eugéne est comme inscrit en filigrane, cet Eugéne, frappé au matin d’un banquet de noces par la main du Commandeur, 22. Voir Il* partie, Vanalyse de la foie séance du dernier acte, p. 556 sqq. 23. Maurois, Olympio, Hachette, 1954, p. 221. 24, Marchangy, La Gaule podtique, Il partie, t. V, p. 283-284. Paris, Urbain Canel, 1825. La peste... et le choléra du printemps 1832. 25. Dans Vordre : « sanctum et terribile » (Ps, 110, verset 9), « oculos » (Ps. 118, verset 18), « aures habent » (interversion) (Ps, 113, verset 14), « manus habent » (ibid., verset 14), « conqguassabit » (Ps. 109, verset 7), tous textes des vépres du dimanche ; sont interealés : « nist dominus » (Ps. 126, verset 2), chanté aux vdpres des fetes de la Vierge et le « de profundis » (129, 1) des vapres des
morts,
tous deux
trds importants,
tique » (renseignements
surtout
aimablement
le premier bo sa signification
fournis
par
M,
Jacques
Petit),
« poli-
26. Gest Gubetta, ombre noire de Lucrdce, qui porte le nom supposé de comte de Belverana, ce jeune noble espagnol qui blessa au visage Eugdne (Vector Hugo raconté, 0.C., I, 921-922), B
164
©
LE ROI ET LE BOUFFON
et auprés duquel Hugo enfant dut entendre, plus d’un dimanche, vépres de l’exil ”. Portrait
ces
d’un monstre.
Le 3 juillet 1832, A un moment ow il semble que le schéma de base de la piéce est constitué, puisque Hugo en commence la rédaction six jours plus tard, le poéte emprunte deux ouvrages ou plus exactement deux versions du méme ouvrage a la Bibliotheque Royale *. Ces Mémoires pour servir a Uhistoire de César Borgia, de
Tomasi,
ouvrage
de seconde
main,
mais
qui reprenait
4 peu prés
toutes les sources, pouvait servir de texte de base a un récit concer‘nant la famille Borgia. C’est A lui que Hugo emprunte non seulement
la matérialité des faits, mais la plupart des noms propres™ et un certain nombre de détails parlants quoique Hugo les détourne de leur signification historique. C’est son procédé habituel : quand il a élu une période et un ou plusieurs personnages-clefs, il cherche le ou les ouvrages de base qui l’accompagnent pendant la rédaction de l’ceuvre, qu'il emprunte immédiatement avant, dont il s’impregne pendant quelques jours, avant de tracer les premiéres lignes et qu’il ne lache qu’aprés avoir fini sa besogne *. Tomasi fait le récit détaillé des crimes de César Borgia ou Lucréce n’est pour rien ; bien plus, les victimes dont les seigneurs ‘jettent les noms au visage de Lucréce Borgia 4 la fin de Vacte I de Francois
étaient, a l’exception
Marie
Gazella, des partisans ou des
de César qu’ils avaient trahi et qui, retombés entre
de main
hommes
ses mains par le sort des armes, avaient été assassinés par lui; leur innocence était nulle, et leur férocité aussi grande que celle de César 27. Nous renongons A citer toutes les références biographiques ou littéraires qui ont pu nourrir le Festin du dernier acte de Lucréce, de Hamlet au Commandeur de
Moliére
de
ou
Mozart,
de
la
folie
d’Eugéne
tentant
de
tuer
sa
belle-mére,
a
Varrestation de Lahorie, au milieu d’un repas. Est-il utile d’ajouter, comme le fait Biré aprés d’autres, la Sémiramis ou la Mérope de Voltaire ? Pourquoi? ou pourquoi pas ? Quant 4 la Forét périlleuse (ou les Brigands de Calabre), souvent citée, elle n’a d’autre rapport avec Lucréce qu’une tentative d’empoisonnement au au mélo; nous sommes cours d’un festin, tentative qui, naturellement, échoue drame (« 3 actes en prose de Loaisel Tréogate, représenté le 1 floréal an V », 1802).
28. Emprunté le 3 juillet (en méme temps qu’il rend les Brantoéme) : « Mémoires pour servir a UVhistoire de la Vie de César Borgia. Duc de Valentinois, trad. de Titalien de Tomasi — Amsterdam — P. Mortier, 1739, 2 vol. in-8°, K 1436.
La vie de César Borgia, appelé dudepuis (sic) duc de Valentinois, descrite par Thomas Thomasi (sic), enrichie de belles figures en taille douce, trad. de Vitalien — Théo Haak — 1712, in-12 (cet ouvrage a disparu de la B.N.). VY. notre Leyde — article in Romantisme, VI. 29. Cependant, il y a toujours (et Lucréce Borgia ne fait pas exception & la régle), dans une piéce de Hugo, un certain nombre de noms propres dont on ne
peut déméler gauche
du
Vorigine
folio
96
du
: ainsi, dans manuscrit
la liste des personnages
(notes
inserites
sur
une
qui occupent convocation
la marge
datée
du
Jer juillet — vraisemblablement 1832 —), la plupart des noms propres figurent dans Tomasi ; mais un certain nombre ont une origine différente : nous n’avons pu découvrir d’ot provient le nom de Gubetta ; quant au nom du personnage principal, Gennaro, déja utilisé par Hugo dans la Mariposa II, il peut étre un souvenir de la Naples de Venfance (Gennaro = Janvier) ou étre emprunté a la Citerne de Guilbert de Pixérécourt (mélodrame en quatre actes, en prose et 4 grand spectacle, représenté pour la premiére fois le samedi 14 janvier 1809, publié chez Barba en 1809). Lucréce Borgia, malgré les affirmations de Rolle (National, 7 février 1833), ne doit rien (ni personnages, ni situation) A ce mélodrame qui, en revanche, a
peut-étre fourni & César de Bazan et au quatriéme acte de Ruy Blas, quelques détails intéressants. 30. Voir chapitre Angelo, voir surtout chapitre Ruy Blas et l’emprunt des deux ouyrages de base que sont le Vayrac, Etat présent de l’Espagne et les Mémoires de
Mme
d’Aulnoy,
empruntés
a l’Arsenal,
Ile 22 juin
1838.
« LUCRECE
BORGIA
>
165
Borgia®. C’est un point que Hugo laisse dans l’ombre. En revanche, il suit trés fidélement sa source sur tous les points qui touchent les rapports familiaux des Borgia entre eux : la conduite inféame de Rose Vanozza, concubine du pape Alexandre et mere des quatre enfants Borgia, amour passionné que lui porte le pape, les taches de sang (naturelles) sur le visage de César®, l’affection excessive du pape Alexandre pour sa fille Lucréce (quoiqw’il ne soit, chez Tomasi, jamais question d’inceste *). Hugo s’inspire fidélement de Tomasi pour l’assassinat de Don Alphonse d’Aragon, « sur un pailler (sic) de l’escalier de Saint-Pierre ™ », et reprend presque mot pour mot le récit de Vassassinat du duc de Gandie : quelques modifications de style, restituant le langage méme des bateliers, aboutissent 4 la tirade de Jeppo, élément-clef de l’exposition *. Tomasi fournit 4 Hugo le motif incestueux de l’assassinat de Francois de Gandie*, frere de César Borgia : « Ce fut alors quwil (César) se détermina
a faire périr le duc de Gandie ; et comme
si sa
seule ambition n’etit pas été un motif assez noir pour le porter 4 ce fratricide, il y joignit encore les jalouses fureurs d’un amour incestueux *”. » De méme Hugo emprunte 4 Tomasi la cascade d’empoisonnements et d’assassinats dont se rendirent coupables les Borgia, ainsi que Vindication du vin empoisonné®, le tueur 4 gages, 4me damnée,
exécuteur de César Borgia,
« Don
Michel,
espagnol,
qui pou-
vait compter chez ce maitre barbare plus d’assassinats que de jours de service ® » ; il en fait Gubetta, serviteur des crimes de Lucréce *. Enfin, Hugo trouve chez Tomasi l’indication décisive de la maternité de Lucréce, maternité dont les autres historiens ne parlent pas, et qui fit accuser Hugo de non-respect de l’histoire. Or, pour Tomasi, Lucréce eut un enfant qui porta le nom de Don Rodrigue d’Aragon, fils de Don Alphonse, son troisiéme mari ; bien loin d’étre clandestin et caché, ce garcon fut un « enfant gaté », mais mourut jeune “. Hugo utilise cette indication capitale, mais il la modifie, faisant de l’enfant de Lucréce
le fils incestueux
du duc
31. Tomasi, II, 255-265. 32. Ibid., I, 6. 33. Ibid. : « Comme son
de Gandie ; 4 cette intention,
pére Vaimait extraordinairement, elle cour une autorité dont nul autre avant elle n’avait joui » (I, 63). 34. Il, 94 ; Tomasi signale le désespoir de Lucréce.
avait
en
il
cette
35. Ibid., I, 269. Cf. O.C., IV, 660-661.
36. Ce personnage que Hugo nomme Jean de Gandie s’appelait en réalité Frangois ; on n’en peut douter (et Hugo moins qu’un autre), puisqu’il existait un quatriéme enfant Borgia, le cardinal Jean Borgia, qui périt lui aussi assassiné par son frére. Seul Guichardin donne au duc de Gandie, par erreur, le prénom de Jean ; toutes les autres sources de Hugo, y compris Sismondi, donnent le vrai prénom, celui de Francois. Mais le prénom de Jean occupe une place particuliére dans la sensibilité de Hugo : le parricide Pierre Martin devient Jean Martin dans le Dernier Jour d’un condamné, XII, et dans les Jumeaux apparait le comte Jean, autre héros incestueux. Voir plus loin I[I* partie, p. 477 sqq. l’importance de ce nom.
37. Ibid., I, 254.
38. « Le Valentinois envoya au sommelier du pape un certain nombre de bouteilles de vin empoisonnées de cette poudre semblable A du sucre dont ils se servaient souvent... » (II, 285. 39. Ibid., I, 258. C’est lui. qui étrangle Vitellozzo et Liverette d’Afermo, car il était « ordinairement chargé de ces sortes de commissions » (ibid., II, 255. Voir aussi ibid., Il, 262).
40. Tomasi lui confirme aussi la série des mariages politiques de la pauvre Lueréce, quoiqu’il ignore apparemment le premier de tous, indiqué dans Guichardin
et dans Sismondi (op. cit.). 41. « Ce Rodrigue était
fils du malheureux Don Alphonse et de Dona Lucréce qui l’avait mis au monde peu de temps aprés la mort de son mari. Ce prince, plus heureux que son pére, se sentit pleinement de la faveur ou sa mére était. » Tomasi I, 168.
166
~
LE ROI ET LE BOUFFON
déplace une indication de Tomasi et en change le sens ; en effet, avant la mort du duc de Gandie, d’aprés Tomasi, « Lucréce Borgia sa seeur,
se retira secrétement au monastére de Saint-Sixte, sans qu’on en sit la véritable raison“ ». Cette retraite secréte n’a en fait rien a voir avec
la
Lucréce gére
une
mort
due
du
de
a pour
elle
Gandie,
motif
le divorce
avec Jean Sforza*® ; Hugo, la placant aprés le meurtre, naissance
clandestine,
tout
en
indiquant
le motif
de
sug-
officiel,
celui du divorce *. Donc, ce que Hugo emprunte 4 Tomasi, c’est non pas la vérité au sujet de la personne méme de Lucréce Borgia, c’est d’abord le
récit des faits historiques se rapportant a la maison Borgia, récit superficiel et laissant délibérément de cété Vhistoire, c’est-a-dire les querelles féodales des cités italiennes, le rdle de la papauté, Vintervention du roi de France. Ce qu’il cherche dans ces sources italiennes, en particulier Tomasi, ce sont les rapports familiaux de la tribu
Borgia, et surtout le climat d’‘inceste, de luxure et d’assassinat que les
auteurs italiens attribuent 4 la célébre famille. Chacun des noms propres cités dans Lucréce Borgia est dans louvrage de Tomasi le sujet
d'une horrible anecdote ; le plus souvent, il n’en passe Tien dans le texte de Hugo *. Mais nait, grace au texte de Tomasi, une sorte de porirait-robot du monstre, incestueux, luxurieux, criminel, et cette
image finit dans le texte de Hugo par adopter Videntité de la femme
et le nom de Lucréce Borgia. A la figure du Pére-monsire, Triboulet, Hugo, suivant la logique de sa propre fracture intérieure, devait opposer la figure de la Méremonsire.
Le duo d’amour
et son effacement.
Hugo, d’aprés Jes dates du manuscrit, commence la rédaction le 9 juillet et la termine le 20; record, au moins apparent, de rapidité. Le premier jour il rédige la premiére scéne et le début de la deuxiéme (entre Gubetta et Lucréce, jusqu’A la réplique : « Et toute l’Italie me hait! tu as raison », en marge de laquelle figure le premier tiret d@'interruption. Le 10, il rédige la scéne 2 jusqu’a la rencontre dé Lucréce et de Gennaro: « Qu'il y ait autant de bonheur pour lui >» (tiret au folio 24 v°). Lei, il qu’il y eut de malheur pour moi! écrit la grande scéne entre Gennaro et Lucréce, et le célébre «< démasquage >, et s’arréte 4 la fin de la premiére partie de l’acte I (f° 30 v°). Le 12 juillet, Hugo écrit neuf pages du manuscrit, toute la deuxiéme partie de l’acte I (épisode central de la mutilation du nom Borgia), et il porte 4 la fin de l’acte, la date : 12 juillet. Le 13 juillet, Hugo écrit les deux premiéres scénes de l’acte II (de 41 r°, fin de scéne, 4 47 r°). En deux jours il fait les scénes 3 et 4 de I, I (14 et 15 juil-
let). Le lendemain,
il rédige la scéne 5 et la premiére version de la
42. Ibid., I, 2546. 43. Ibid., I, 256 sqq. 44. « La seur que yous ne voulez pas nommer, Jeppo, ne fit-elle pas a la méme époque une cavalcade secréte au monastére de Saint-Sixte pour s’y renfermer sans qu’on sit pourquoi? » 0O.C., IV, 662. 45. Ainsi Manfredi (qui n’est pas de Curzola) dont Tomasi raconte que Borgia
surtout, la le retint prisonnier parce que < amour de ses sujets (...) et la beauté au plus rare de son temps, causérent sa perte en cette occasion. Il le fit conduire
chateau Saint-Ange ; et quand il y eut servi aux infames plaisirs (...) il fut jeté dans le Tibre » (ibid., Il, 122).
—
« LUCRECE
BORGIA
»
167
scene 6 (f° 57 r° 4 61 v°) avec son curieux aboutissement tronqué (et biffé), f° 68 v°, ot: Hugo pose la date du 16 juillet; une grande addition intercalée (f* 62 4 65) parait plus tardive (autre papier, J. Whatman, ne correspondant apparemment 4 aucun des papiers de la classification Journet-Robert). C’est aussi le papier de toute la deuxiéme partie de l’acte II (1 et 2) (f* 69 4 72), sans date et sans firets, probablement plus tardive (confirmant indirectement le découpage en tirets). Le début de l’acte III (marquant le retour au papier de base du manuscrit (J. Lacroix, J.R. n° 23) porte la date du 18 juillet (f° 74) ; un tiret au beau milieu de la séquence de la chanson de Gubetta (f° 80 v°) indique le début de la tranche de travail du 19, et le dernier tiret figure au milieu de la séquence tronquée de Yassassinat (f° 87 bis v°). La fin de V’acte III est de rédaction parti-
culiérement incertaine. La premiére scéne, celle du festin, parait ne pas offrir de difficultés ; les additions extrémement importantes sont dune autre graphie et semblent postérieures 4 V’achévement de la piéce. Mais ce qui cause 4 Hugo le plus de peine, c’est le dénouement proprement dit, c’est-a-dire le matricide et la confrontation finale de la mére et du fils. Hugo partant de l’idée du meurtre et du suicide (le rejet du contrepoison)
au tragique parricide,
ou
final:
hésite entre les tonalités
la malédiction
!e duo
d’amour
de Cain
entre
diverses 4 donner
inscrite
la mére
sur
le front
et le fils, ou —
du
c’est la
solution qui ’emporte — l’anéantissement mutuel, sans aucun commentaire. La terrible scéne finale se poursuit jusqu’au folio 87 (« entendez-vous,
ma
tante ? >), le folio
suivant
(87 bis) portant
un
dénouement trés bref : Gennaro tue sa prétendue tante qui lui révéle son identité; il se maudit et la scéne se termine « Oh! malédiction sur Dieu! » Hugo, insatisfait, feuillet (dont il récrit pour la transition, les deux
au bas du feuillet précédent), d’amour
entre la mére
et rédige la premiére
et le fils (ff** 103-106),
sur Ja formule: laisse tomber ce premiéres lignes
version
du duo
ot la révélation
a lieu
parce que Gennaro trouve les lettres, humides de sang, sur la poitrine de sa mére qu’il vient de poignarder. Puis, mécontent de cette révélation de hasard, Hugo reprend la scéne au méme point (ff 108-109), mais cette fois la révélation vient de Lucréce elle-méme, qui montre
les lettres trempées de sang: ), et, donnant
au
matricide
une justification évidente, permet 4 Hugo de finir brutalement sur la
168 ©
LE ROI ET LE BOUFFON
révélation
de Videntité,
sans
aucune
analyse,
sans
aucune
interven-
tion du pathétique. C’est le dénouement définitif (ff 88-91), sur papier Whatman, avec un emprunt au folio 103 (f° 89, emprunté par découpage, et collé sur la marge du f° 8 8r°), la supplication de la mére (« ne commets pas ce crime »), portant comme conclusion lénergique
affirmation
de Gennaro
(« Je suis un Borgia, moi >).
Autrement dit, cing versions successives (les trois premiéres, le 19 juillet) : 1° version interrompue, la décision semble n’étre pas prise encore, l’essentiel porte sur Ja malédiction “ ;
2° version : révélation fortuite par les lettres ; 3° version : révélation par 'Lucréce, incomplete ; 4° version : grande
scéne
d’amour
(les versions
2 et 3 en étant
deux approches) 20 juillet. 5° version, définitive : plus tardive, intervention de Maffio et suppression des deux développements< cainique » et amoureux. ~ Tout se passe comme si Hugo cherchait le 19 et le 20 juillet, 4 déterminer quelque chose dont il avait tenté l’approche dans le Roi s’amuse, l’accomplissement du désir du monstre: étre aimé en tant que monstre. La révélation de soi par Lucréce, cette révélation in articulo
mortis,
si étrange,
si contraire
4 l'amour
maternel,
se fait a
partir de l’instant oi Gennaro, parricide, étant devenu « Cain >, Lucréce peut étre aimée de lui en tant que monstre. La malédiction est donc la condition obligée de la scéne d’amour (ainsi que la révé_ lation
non
pas de hasard,
mais. volontaire).
La structure
demeure
la
méme quand Hugo tronque son dénouement, mais la signification reste implicite, n’étant plus dénotée par le dialogue. Le curieux en est que Hugo a fait subir, bien des années plus tard
sans
doute
(nous
n’avons
pas
tous
les brouillons,
et ces
textes
ne sont publiés qu’en 1882), un rhabillage complet 4 ce dénouement supprimé : se succédent alors une version-scéne d’amour, reprise arrangée de la derniére version et une version cainique de malédiction, considérablement
étoffée (dans les brouillons, elle n’a jamais été
autonome). La scéne d’amour, est-elle encore assez insoutenable pour que Hugo n’ose la publier sans l’'accompagner de son complément « moral », fausse fenétre pour la symétrie ? En tout cas pour la version jouée,
il s’en tient 4 ce point minimal,
l’anéantissement
mutuel
de la mére et du fils. A la base, un élément capital : l’essentiel de la scéne de malédic46. Notons
que la version
(ire fin de V’acte
développement
ou
II)
en
marge
Lucréce,
« cainique de
offrant
» trouve
Ja grande
scéne
son point de départ au f° 66 bis
le contre-poison
entre
Lueréce
& Gennaro,
et
Gennaro
le supplie
: un
de
lui
pardonner ses crimes est ’amorce d’une version de la scéne du dénouement que Hugo écrit en marge ; aprés le mot « parricide ! », conclusion de la blessure par
Gennaro, Hugo a biffé une phrase ot: Lueréce tentait la justification de son fils : les trois développements, amour maternel et remords de Lucréce, meurtre et malédiction cainique, scéne d’amour mutuel sont donc liés. Il est difficile de savoir si cet essai d’écriture du dénouement se place entre le 16 et le 18 juillet, ou s’il
précéde
immédiatement
le dernier
dénouement ; nous
serions
tentés
d’opter
pour
Ja seconde solution : Hugo a sans doute cherché 4 alléger la scéne trop longue et trop sentimentale de Vacte II (aprés laquelle il ne pouvait plus y avoir de suspens)
et a en utiliser les morceaux pour la scéne finale (la promesse du repentir, par exemple) : c’est alors que le poéte aurait tenté de reprendre ses développements antérieurs, en mettant accent sur la malédiction ; une confirmation : dans le folio 66 bis v°, une
réparant peut-étre Tes abhorre. »
addition
le dernier
marginale
est un
dénouement ;
cri de haine
de Lucréce
pour
=: « Ce Maffio, ce Jeppo, les
Maffio,
autres, je
« LUCRECE
BORGIA
»
169
tion fait, au début, partie de la scéne d’amour”
; c’est 1a le tremplin
qui ouvre cette scéne au niveau véritable ot elle peut s’ouvrir, c’est-adire
la justification,
par
Lucréce,
du parricide,
s’accuse : ainsi, le meurtre peut-il prendre sacrifice d’amour ; ainsi, les crimes
devant
le fils qui
Vaspect rédempteur
du monstre
Borgia
d’un
peuvent
étre
rachetés par le consentement 4 sa propre mort. La version 4 comprenait donc le double aspect de la malédiction et de la bénédiction maternelle, le fils innocent prenant par le matricide sa part des crimes
Borgia,
la mére
coupable
retrouvant
l’innocence
de
la mort
et du sacrifice. Dénouement singuli¢rement satisfaisant pour l’esprit, et qui met l’accent sur les racines de la culpabilité Borgia : 4 partir du moment ou Vinnocent et le coupable, le héros et le monstre se trouvent égaux, échangeant leur culpabilité, c’est que l’essence de la culpabilité est d’ordre historique, non individuel, qu’elle retrouve sur le plan de Vhistoire cette tragique division du moi hugolien ou nous avons vu le point de départ de l’écriture du théatre. La derniére
version.
On ne sait a quelle date exacte Hugo de la premiére rédaction,
a substitué
celle du manuscrit
a la structure
du 7 au 20 juillet (sans
les ajouts), la structure plus complexe de la seconde. Peut-étre n’est-ce pas avant le contact direct avec une scéne, c’est-a-dire
dans les der-
niers jours de décembre ou les premiers de janvier 1833. Nous inclinerions 4 penser 4 un « rhabillage » antérieur, vu l’importance de la transformation qui peut difficilement étre contemporaine de répétitions, et de tout le travail concret d’une mise en scéne“. Mais quelle que soit la date, ce sont les considérations dramaturgiques qui ont conduit Hugo 4 des aménagements importants. Tout d’abord, telle qu’elle se présentait le 20 juillet, la piece était trop courte : dans les conditions
du théatre en
1830 (au moins
quatre heures
de spectacle),
il eft fallu la jumeler, non pas avec un simple lever de rideau, mais avec
une vraie piéce, sans doute
en trois actes ;Hugo
ne peut
done
espérer que sa Lucréce fasse une soirée a elle seuley; bien ennuyeux, pour le renom et pour l’argent ! Ensuite la structure triangulaire, correspondant strictement au premier canevas n’est pas exempte de graves défauts techniques : Lucréce
, Monstres sacrés : George et Frédérick. Les deux principaux interprétes étaient déja désignés, mais Mlle Georges jouant Lucréce, Frédérick, lui, pouvait figurer soit Gennaro, soit le duc de Ferrare.
choisit Gennaro 56. Dés
le début
Selon
(qui officiellement de décembre,
des
le Victor Hugo
raconté, Frédérick
était le « troisiéme
bruits
couraient
réle » de la
et le Courrier
des
thédtres
s’est fait l’écho d’un curieux « canard » : « On dit que l’auteur du drame intitulé le Roi s’amuse termine une autre piéce d’un genre quelque peu différent. Son titre serait Marie-Antoinette ! Ne le croyons pas » (11 décembre). [1 avait raison ! 57. Dumas n’est pas nommé ! 58. Le titre Je Souper & Ferrare mettait l’accent sur Vopposition Orgie/Mort ; le nouveau titre a Vavantage d’insister sur le « sujet » monstrueux. 59. Mais le lendemain Charles Maurice annonce la piéce « sous le titre la Fille du Pape!!! nous ne pensons pas qu’on puisse jamais faire mieux ». 5 60. Pourtant la politique d’invitations ne lui avait pas réussi pour le Roi s’amuse. 61. Texte du traité, manuscrit de Lucréce Borgia, ms. 13371 f° 116. -
tT
LE ROI ET LE BOUFFON
piéce ®) parce qu’il est le plus difficile®. Nous verrions pour notre part une raison moins héroique mais plus théatrale 4 ce choix de Frédérick : le réle de Gennaro est un réle qui éyolue et auquel la double identité du personnage donne un relief sculptural; enfin la piéce se termine sur une scéne qui est tout entiére 4 Gennaro. Le role quasi muet de la princesse Negroni, instrument de mort et de vengeance de Lucréce Borgia, fut tenu par Mile Juliette « actrice rose et jolie », que Harel avait ramenée de Bruxelles et qui joua non sans succés les réles secondaires en demi-teintes™. Hugo semble navoir pas osé de prime abord donner ce réle de rien 4 une actrice encore
débutante,
mais
dont
la renommée
n’était
pas
nulle;
elle
déclara « qu’il n’y avait pas de petit réle dans une piéce de M. Victor Hugo ». Ce fut sans doute A la lecture aux comédiens du 2 janvier que Hugo la vit pour la premiére fois. I n’ignorait pas sa réputation de
fille entretenue,
richement,
par
le prince
Demidoff ®;
créature
poétique et faisandée, telle la tres vivante Olympe Pélissier que courtisa Balzac, ou la trés littéraire Coralie des Illusions perdues ou la Torpille ou la Dame
aux
Camélias,
qui font partie d’un folklore
dis-
paru. On ne sait si c’est pour Juliette que Hugo ajouta la scéne du « flirt » de la Negroni avec Maffio ; cette petite séquence est incontestablement une addition, mais il est difficile d’en déterminer la date,
et elle est si importante qu’on ne peut imaginer qu'elle ait été écrite pour plaire a une actrice, fit-elle infiniment séduisante.
L’insistance que Hugo met a réclamer Frédérick pour le rdle de Gennaro qui ne parait pas requérir son talent particulier, la prédilection que le poéte eut toujours pour lui est peut-étre une indication importante : Frédérick est par excellence l’acteur populaire, le comédien
de
la violence,
mais
surtout
il est
Robert
Macaire,
il est
le
grotesque ; Th. Gautier disait plus tard de lui: Frédérick a ce privilége d’étre terrible ou comique, élégant et trivial, féroce et tendre, de pouvoir descendre jusqu’a la farce et monter jusqu’A la poésie la plus sublime comme tous les artistes complets ; ainsi il peut lancer Vimprécation de Ruy Blas dans le conseil des ministres et débiter le pallas du paillasse dans une place de village. Richard d’Arlington, il jette sa femme par la fenétre avec la méme aisance qu’il cuisine la soupe aux choux du saltimbanque et porte son fils en équilibre sur le bout de son nez ®. L’intérét de Frédérick pour Hugo est moins la souplesse de son génie que ce personnage de grotesque, ce masque collé 4 lui: quand il est 62. V.H.R., O.C., IV, 1218. 63. Ibid., 1213, « M. Frédérick répondit qu’Alphonse d’Este faisait un réle éclatant et sir, que tous ses effets concentrés dans un acte porteraient V’acteur, que tout le monde y réussirait, que Gennaro au contraire était un réle difficile, que la derniére scéne était dangereuse, qu’il y avait un mot terrible : Ah! vous étes ma tante, et qu’en conséquence il choisissait Gennaro. >» 64. Elle fut applaudie dans Périnet Leclere, dans le Pécheur de Scheveningen, dans
la Teresa
de Dumas
(année
1831-1832).
65. Il ne Vignorait pas ; on lui préte ce propos devant le caprice de Juliette qui voulait une robe décolletée pour son réle : « Que voulez-vous, je ne puis empécher cette pauvre fille de montrer sa marchandise » (Aubineau, Epaves). Mais e’est un fait qui n’était sans doute pas pour lui déplaire. Quelques jours plus tard, dans la loge de Mile Georges, Hugo commengait avec Juliette cette liaison qui dura cinquante ans, :
66. Th. Gautier, Histoire
du Romantisme,
Charpentier,
1877, p. 279.
« LUCRECE Gennaro
BORGIA
>
‘
(ou plus tard Ruy Blas) le spectateur
qu’il est aussi, indestructiblement,
Robert
175
ne peut pas
oublier
Macaire.
Mise en scéne.
Il semble que le rdle de Hugo dans Ja mise en scéne de Lucréce ait été grand. Il avait une idée 4 propos de la musique de scéne, ingrédient indispensable 4 tout mélodrame ; il voulait de la musique ancienne, de l’authentique musique italienne : que l’atmosphére musicale
soit aussi
du xvr°
siécle
: « Je voudrais,
écrit-i]
au
musicien
Fétis, qu’on entendit s’échapper du gondolier que je fais promener dans mon premier acte. la nuit, sur les lagunes de Venise, quelques phrases de la Romanesca et du Vilhancico qui nous ont charmés Vautre jour. Serait-il indiscret 4 moi de vous demander si vous pourriez me communiquer ces deux admirables airs notés pour nos exécutants *? » Harel voulait de la musique, quoique cela « fit mélo > ; Hugo était bien d’accord, mais n’obtint pas sa musique ancienne; il eut pu avoir pour Lucréce une partition signée des plus grands noms —
ou
des plus célébres,
un
Berlioz ®, un
Meyerbeer;
Harel
refusa,
il tenait 4 son fournisseur habituel (4 moins qu’il ne fat tenu par lui), Alexandre Piccini: « Je veux un air, dit-il, qui soit 4 plat ventre sous les paroles ©. > Il y eut des difficultés puisque Hugo dut, s’il faut en croire le Victor Hugo raconté, se muer en compositeur: « Et il se mit 4 dire les vers en les accentuant d’une sorte de chant informe. N’ayant jamais pu chanter de sa vie une note juste, il frappait sur la table du souffleur™. » Comme il a toujours fait, Hugo s*intéresse au décor, fait modifier celui de la scéne du banquet, réclamant « une salle éblouissante et
sinistre, quelque chose comme un tombeau rayonnant™ ». On ne sait si c’est lui qui exige au lieu des figurants habituels « de vrais chantres de paroisse » pour le plain-chant de Pacte I11™. Goat du réalisme ou plutot désir de suggérer une véritable terreur religieuse ? Pour les consignes aux acteurs, Hugo semble avoir été aidé, 4 la fois par ‘la docilité de Mile Georges et par Pappui de Frédérick, qui adorait exercer les fonctions de moniteur = >,
67. 0.C., IV, 1091. Pour toute cette histoire, voir Particle de J. Tiersot, Revue musicale, septembre-octobre 1935, intitulé Vicior Hugo musicien. Il y eut en décem-
bre 1832 deux concerts de musique ancienne sous la direction de F.-J. Fétis. Hugo dut s’excuser auprés du musicien de n’avoir pu utiliser sa musique, sous le prétexte d°une coupure (lettre du 26 janvier). 68. Le méme article donne toutes sortes Berlioz pour Hugo.
de
témoignages
de
VPadmiration
de
69. V.H.R., O.C., TV, 1214, 70. Ibid. 71. Ibid.
72. Ibid., 1217, 72 bis. Un ineident de censure selon Hugo, p. 52 sqq., Harel ayant repéré « un
i vient
flanoler
autour
de votre
ors directeur des Beaux-Arts.
je vous
dépense
avertis
que
i rien
& ma
de décors
quelle que
ou
piéce.
»
piéce
le brouillon
« Je le yeux
soit lopinion Il veut
de costumes.
Cavé
du
V.H.R.
(Maison
Victor
espéce de chien de garde de la censure », conseille Hugo de la montrer A Cavé,
faire
bien, aurait de
la
aurait
Cavé,
lecture
compté
répondu
quoi
tout
sur
le poéte, mais
qu’il
de
une
me
suite,
chute
trouve exécrable, grotesque, bouffonne, elie tombera a plat (...) Vous les sifflets et le public chantera lui-méme le De profundis. >
dise, je ne
avant
toute
: « Je la
allez entendre
176
LE ROI ET LE BOUFFON
Une revanche.
On sait que la premiére fut un triomphe. C’était la revanche du et ce jour de gloire est non seulement doux au Coeur de V’écrivain, mais indispensable a l’auteur dramatique. Le Victor . Hugo raconté a laissé de cette représentation un récit détaillé qui doit @tre exact dans ses grandes lignes. L’impatience du public refusa le lever de rideau”, la piéce bénéficiant d’une sorte de préjugé favorable ;cependant, dés la premiére scéne il y eut, dit le Témoin, un coup de sifflet, et 4 Harel « démonté » qui s’écrie: « Qu’est-ce que ca signifie ? » Hugo répond: « (a signifie que la piéce est bien de moi. » Réplique, qui, si elle est authentique, en dit long sur les sentiments de Hugo et sa certitude d’étre le centre des haines. La scene du démasquage de Lucréce souleva l’enthousiasme. Un menu incident technique fut souverainement rattrapé par Frédérick. Il,est peu probable que Hugo, comme le veut le Témoin, se soit tout 4 coup aper¢gu pendant l’entr’acte, que la porte dérobée était un peu visible, et Vait _repeinte sur-le-champ : on connait trop bien au théatre les désastres de la peinture fraiche”, pour croire 4 cette fable ; incident a peutétre eu lieu, mais dans les jours qui ont précédé la représentation. L’acte Il », c’est-a-dire de Yintensité de la curiosité pour des événements produits a Vaide quelques passions simples : les haines familiales, la vendetta, l'amour qui maternel, la jalousie. Le public transporté réclame Vauteur, en refuse de venir saluer; chevaux dételés, Hugo presque porté lentriomphe, c’est tout le cortege de la gloire. Harel réclame, dés le engageait demain, le renouvellement du traité avec Crosnier % qui Roi s’amuse,
an a la Porte Hugo, on s’en souvient, a fournir deux piéces par théatre Saint-Martin, et qui était devenu caduc du fait de la vente du a la par Crosnier ; Hugo refuse de promettre. Songe-t-il toujours
a l’origine Comédie ? C’est trés probable. En tout cas, ce refus est des difficultés a propos de Marie Tudor”. Lucréce Borgia fut un des grands succés financiers du siécle. Les soixante-deux représentations des trois mois de février, mars et avril rapportérent 4 Hugo 10 888 F™. Incontestablement, les recettes bais73. O.C., IV, 1215. 74. La
peinture
verte
quadrillée
sur
la robe
blanche
précipiter dans le désastre la Nuit vénitienne de Musset. O.C., IV, 1217; toute la page souligne la double 75. Lucréce
aux
seigneurs,
de Gennaro
& Lucréce),
de
acheya
Vingénue
apparition
et le triomphe.
du
de
Comman-
« Orchestre,
(de fut aleries, loges, tout se leva et applaudit des mains et de la voix; la scene : Sinense de bouquets. » 57. p. Marion, pour Saint-Martin Porte la avec traité le supra, 76. Voir 77. Voir infra Marie Tudor, la querelle entre Hugo et Harel (p. 187). F Mert ele: la 78. Ms. 13371; f° 121-123; les recettes oscillent autour de 3500 vers le 21 mars 15¢ représentation, de 3000 jusqu’a la 20e, autour de 2000 jusque de 3000, plus parfois inégales, tras font se recettes les puis on, (37¢ représentati : 970 arfois autour de 1200 F; elles descendent brutalement aprés le 15 avril avril. 23 le 853 le 16, 1058 le 20,
deur
« LUCRECE serent
4 partir
du
15 avril,
chute
BORGIA
>»
peut-étre
177 momentanée,
mais
qui
rend discutables les affirmations du Victor Hugo raconté ™.
ACCUEIL
NUANCE
La nouvelle piéce n’inspire pas les chroniqueurs dramatiques : ils reconnaissent
le succés
éclatant.
mais
comment
rattraper
leurs
con-
damnations sans appel du Roi s’amuse? Encore s’il s’était écoulé deux ans ! Mais deux mois, c’est un peu court pour changer son fusil @épaule. De la les formules contournées, les circonlocutions qui n’appellent pas la verve. Quand on démolit, on est toujours plus brillant. De 1a des silences, des articles creux qui se contentent de résumer
la piéce, de constater
le succés,
de distribuer
des fleurs
aux
acteurs, presque tous applaudis. Deux théses essentiellement pour expliquer un succés que l’on ne peut contester : d’abord Hugo est devenu classique, il s’est amendé (a moins que ce ne soit la prose qui lui convienne mieux que les folies du vers). Ensuite, c’est un mélodrame et le mélo va bien a ce poéte non
del’ « Ame », mais de la « matiére ».
Nous verrons comment ces deux attitudes fondamentales se nuancent au gré d’arguments divers. L’Annuaire de Lesur, ce thermométre bien réglé, écrit: « Malgré tous les points de contact avec Oreste, Hamlet,
Sémiramis,
il faut reconnaitre
que
sur
cette
vieille
donnée,
_M. Victor Hugo a su composer une drame plein d’effets de terreur ou de curiosité (...). Dire aprés cela qu’on y trouve des bizarreries, du mauvais gotit, des allures de mélodrame, des invraisemblances choquantes, des horreurs sans compensations, c’est 4 quoi l’auteur nous a trop habitués pour qu’on en soit surpris (...). Deux progrés notables : (...) respect (...) pour
l’unité
d’action,
et (...) cette haute
pensée
morale qui manque a ses autres pieces!. » Peu d’articles franchement élogieux. Les meilleurs sont le compte rendu du Vert-Vert probablement di 4 Anténor Joly et celui de U’Artiste, peut-étre de Théophile Gautier. L’article
du Vert-Vert
est un éloge sans
aucune
réserve,
mais
on sait qu’Anténor Joly était un supporter enthousiaste non seulement de Hugo, mais du drame romantique en son entier?: « Le plus éclatant succés (...) jamais ’enthousiasme pour Hugo ne se manifesta plus vrai, plus sincére et plus unanime (...) Jamais drame ne s’est déroulé avec plus d’art, plus d’ensemble, plus de pathétique, plus de vériteé; jamais intrigue n’a été plus saisissante et développement de passion plus profond. L’idée qui domine la conception est constamment noble et morale
(...)
» De méme
l’Artiste
considere
Lucréce
Borgia
comme
« la piéce la plus remarquable de la scene moderne » et conclut: « En somme il y a plus d’un succés 4 constater dans Lucréce Borgia. Pour moi, je n’en veux qu’un seul, celui d’une entente parfaite de la 79. Mme Hugo prétend que Harel faisait 2500 au moment de V’incident de la reprise de la Tour de Nesle (voir infra p. 260) ; ce chiffre est exagéré. 1. Il est dommage que Hugo n’ait pas maintenu son premier dénouement et sa premiére version de la scéne du banquet : M. Lesur aurait eu la moralité moins satisfaite. 2. Le Vert-Vert fait léloge de tous les drames de Dumas, il vient de faire celui de Téresa, il va faire le 29 décembre 1833 celui d’Angéle qu’assassine tout le reste de la presse.
12
178
-
LE ROI ET LE BOUFFON
scene’, >» Mais le méme article considére ce succés comme une « opportunité » et ajoute cette phrase restrictive 4 propos de la piéce : « le mérite qu’il faut lui reconnaitre avant tout, c’est d’étre un
drame
de circonstance
», facon
subtile
de mettre
en
cause
portance littéraire de l’ceuvre et son caractére artistique. La plupart des autres articles dose éloge et blame recettes
diverses.
Les
moins
défavorables
sont
l’im-
selon
l’Entr’acte,
des
le Chari-
vari, le National, organes libéraux singulierement génés par la campagne qu’ils viennent de mener contre l’interdiction du Roi s’amuse, le Journal des Débats ot Vabsence momentanée du terrible Janin* laisse la place libre au jugement plus favorable d’Etienne Béquet. Les journaux ultras cette fois se déchainent : est-ce la vision pessimiste de la Rome des papes qui les excite A ce point, ou trouvent-ils ce biais pour marquer leur opposition aux journaux libéraux ou a la presse semi-officielle ? D’une facon générale, éloge ou blame, le ton est plus tiéde, ’énorme, l’indiscutable succés populaire inclinant les critiques a la modération : ils ne veulent ni paraitre suivre la foule, ni s’y opposer trop violemment. On peut avoir devant un succés populaire deux réactions différentes, le tenir pour une justification et c’est ce que fait par exemple le Vert-Vert, — ou penser que la foule a bien mauvais goat et qu’un pareil type de succés condamne l’ceuvre. Ainsi la France nouvelle (du 12 février)
remarque:
avez
« Est-ce bien l'art que vous
cherché
a la Porte Saint-Martin ? M. Harel n’est pas un conservateur du goat ; c’est un entrepreneur de spectacles, marchand de curiosités et d’émotions. » Cependant, une idée centrale apparait dans la plupart de ces critiques : c’est qu’au dela d’une revanche par rapport a léchec et a linterdiction du Roi s’amuse, le triomphe de Lucréce Borgia est un viol du public, un triomphe de l’inflexible volonté du poéte sur le goat changeant de la foule. Le Vert-Vert Vindique sans équivoque: « Depuis que M. Victor Hugo a mis le pied dans le domaine du drame, il a poursuivi dignement son chemin, sans jamais détourner la téte. La
son
foule bourdonnait
jour viendrait
et il allait toujours,
du génie. Victor
de la mettre
Hugo
au
car
n’était pas
pilori,
il sentait
que
elle demanderait merci. Il est venu ce jour : n’est-ce pas que Lucréce Borgia est une rude potence ? » L’expression viol du public se trouve en propres termes dans le Charivari. « L’obstination est la condition essentielle
bientét
poéte
et qu’alors
a se rebuter des
moins des vexations du Pouvoir. criailleries classiques, encore L’homme réussissant dans le roman et la poésie lyrique, et les abandonnant
le drame
pour
qui ne lui réussit pas, devait nécessairement,
tot ou tard, violer son public. » Le samedi 2 février 1833 : « V. Hugo a vidé la querelle littéraire comme A. Carrel la querelle politique. > Au-dela
de la < volonté
de fer » dont
parlele Vert-Vert,
Rolle
voit dans la nature de Hugo « la résignation du soldat 4 qui on dit tu iras la ot tu te feras tuer, et qui répond : oui, mon général! Ce dévouement passif et irréfléchi du soldat est excellent pour enlever _Banbsetey dyphiibiees, 3. Février 1833. Les 3 février 1833. 4. Jules Janin venait du 18 février sont
signés
articles
indiqués
sans
précision
de
date
sont
tous
du
de perdre sa tante : les trois feuilletons du 6, du 9 et R. (Etienne Béquet). Voir Biré, Hugo aprés 1830, p. 82.
« LUCRECE une
redoute
» ajoute-t-il avec
BORGIA
ironie,
»
179
mais, sentant
avec
sa perspica-
cité hostile la fragilité du succés de Hugo, il remarque: « On ne s’ouvre pas une voie comme jadis on ouvrait une ville, 4 coups de bélier. » Ce que Rolle met en doute ici, c’est la possibilité pour cet « héroique entétement » du poéte de conquérir durablement la scene: « On gagne le public par concession et par insinuation... Il y a des gotts et instincts naturels qu’il ne faut pas blesser... des maniéres de rire ou de pleurer qu’on ne saurait contredire et heurter impunément. » Ce n'est pas nous quien l’occurrence donnerons tort a Rolle: cet article prophétique signe d’avance la suite de Vhistoire du théatre de Hugo. Il faut respecter le code ou renoncer au théatre.
L’action dramatique. — Tout le monde tient que la dramaturgie de Hugo s’est améliorée dans le sens de la concentration classique. Ainsi les Débats (4 février) : « L’action est fort simple et nul incident ne vient guéere en compliquer la marche »; le Constitutionnel : « M. Hugo a respecté l’unité d’action cette fois avec un remarquable scrupule. » L’article du Temps (Loeve-Veimars) si défavorable 4 Hugo souligne cependant la « grande énergie dramatique de |’auteur... dans la charpente de cet ouvrage... » Le National voit « plus d’ordre, de symétrie et de persévérance que de coutume ». Pour la Mode _« M. Hugo a déployé un talent tragique et une entente de la scéne qu’Hernani et le Roi s’amuse ne nous avaient pas révélés ». Beaucoup de critiques signalent la vigueur de tel ou tel élément de l’action, en particulier la scene du démasquage de Lucréce (I, 5). C’est presque Punanimité,
« scéne
éclatante
» selon
le Constitutionnel
« un
effet
qu’on ne saurait exprimer » d’aprés les Débats, « prodigieux » pour le National et le Siécle, « de toute beauté » pour l’Artiste, et dans la France nouvelle: « Cette scéne dont leffet si puissant, si drama'tique, si vrai
a électrisé
l’assemblée
entiére
» ; méme
l’Echo
de
la
Jeune France lui fait grace. Si Vadmirable scéne de l’acte I entre Lucréce et Gubetta qui frappe le spectateur moderne n’est signalée par aucun critique, pas plus que la grande scéne centrale de l’acte II entre Lucréce et le duc _de Ferrare — a l’exception de l’Echo de la Jeune France qui la tient pour « éminemment morale ». Le dernier acte recoit beaucoup Wéloges. Ce troisiéme acte est pour l’Entr’acte un « géant couronné de roses... dépassant toutes les proportions du drame commun ». 'Amédée Pichot dans la Revue de Paris parle de « scéne de grand ‘opéra >», mais ajoute : « Je n’ai rien entendu au théatre de plus solennel, de plus effrayant que cette interruption soudaine, ce silence imposé aux accents du plaisir par les accents d’une lugubre tristesse. » L’Artiste parle d’un « effet si dramatique qu’on n’a pas la force de souffler sur les torches
funébres
et de les éteindre
», et dans
le Figaro: « Messieurs, féte pour féte hein ! qu’en dites-vous ? — ce Hein — cette triviale interjection, fait dresser toute la salle d’épouvante. » Plusieurs critiques insistent sur le bouclage de l’action, sur ‘la fermeture parfaite qui s’établit grace au dernier acte ; ainsi les Débats : « Je ne sache pas d’ouvrage dramatique ot la fin se trouve
lige au commencement par un retour plus heureux. » Mélodrame. — Beaucoup de critiques — moins cependant qu’on ne l’aurait imaginé — tiennent Lucréce Borgia pour un mélodrame;
180
LE ROI ET LE BOUFFON
ainsi la Quotidienne du 11 février déclare : « La troisieme partie de la piéce est concue sur les données d’un mélo du bon temps du genre (...) Il y a longtemps qu’on a dit que le mélo n’attendait qu’un homme de génie pour tuer la tragédie. » Les formules les plus nettes vienent de l’article du Temps du 4 février: « Comme M. Hugo n’a certainement pas voulu faire une ceuvre d’art, je ne regrette pas que le papier me manque (...) Il est évident qu’il n’a pas eu d’autre dessein
que
celui
de faire
un
curieux
mélo.
Le but
est atteint,
il a
surpassé de sept ou huit cadavres et d’autant d’incestes (...) la Tour de Nesle. » Et de souligner les invraisemblances et l’usage excessif du moyen de mélo par excellence, le poison: « On y nage dans les poisons et les contrepoisons », dit le Siécle. Et la France nouvelle assez spirituellement : « Aimez-vous le poison ? Il en a mis partout (...) Vous avez la fiole n° 1 qui empoisonne, la fiole n° 2 qui n’empoisonne pas, la fiole n° 3 qui désempoisonne. » En revanche, la Revue de Paris voit un rapport entre Lucréce Borgia et la tragédie classique : « Ce qu’il y a de plus classique dans ce nouveau drame, c’est cette espéce de fatalité qui semble pousser au crime la famille Borgia. » Son de cloche relativement isolé. Les plus lucides peut-étre, Merle dans la Quotidienne comme Pichot dans la Revue de Paris, devinent le but de Hugo et insistent sur le caractére mite de la piéce, soit pour l’en blamer, soit pour l’en louer. Ainsi dans la Quotidienne : « L’auteur y a déployé assez de talent pour qu’on apprécie son ouvrage comme une belle et grande tragédie et il a assez abusé-des
invraisemblances,
des situations: outrées,
des carac- |
téres hors de nature pour que sa piéce n’obtienne que l’importance d’un mélo. » En regard, l’article de la Revue de Paris touche au lyrisme : « Est-ce un
drame,
une
tragédie,
un
mélo ? Vraiment
14 ot
il y a des choses si grandes et si belles, qu’importe la définition ? Addison répondait A ceux qui contestaient au, Paradis perdu, le titre de poéme épique, j’'y consens, mais alors dites que c’est un poéme divin. Je ne sais si la piéce de M. Victor Hugo est une tragédie ; mais connaissez-vous beaucoup de tragédies que vous oseriez mettre audessus de ce mélo? » Chose curieuse, tandis qu’on traite Lucréce Borgia dédaigneusement de mélodrame en l’assimilant 4 la Tour de Nesle (Courrier des thédtres), on félicite en général Hugo de s’étre converti 4 l’usage de la prose, outil traditionnel du mélodrame ; en définitive,
la presse,
et en particulier la presse
libérale
n’accuse
que
du bout des lévres Hugo de s’étre tourné vers le mélodrame en prose. Son théatre apparait moins explosif sous la forme prosaique et sur la scéne
de la Porte
Saint-Martin
que sous
le vétement
du vers
tra-
gique et sur le noble plateau de la Comédie Frangaise. Pour VEntr’acte, la prose de Hugo vaut ses vers: « Quoique M. Hugo soit — de tous les poétes celui qui dompte le mieux le vers, cet esclave docile — de la pensée, il n’en reste pas moins évident pour nous que le vers Ventraine quelquefois hors de sa route, l’éloigne de la vérité ou la prose seule peut le conduire (...) Le mot propre dit en prose choque moins que s’il est dit en vers. » Pour le Siécle, c’est le vers de Hugo qui ne passe pas au théatre : « L’ouvrage est écrit en prose (...) d’ordinaire sur vingt vers de M. Hugo, il y en a trois ou quatre qui prétent a rire. » Ne nous y trompons pas ; si différents qu’apparaissaient les
« LUCRECE
BORGIA
»
181
points. de vue de l’Entr’acte, favorable 4 Hugo, et du Siécle, plus que tiéde, le fond de la pensée est ici le méme ; il y a un grotesque hugolien que le vers exalte et souligne par la puissance du contraste et qu’amortit nécessairement l’usage de la prose. Le monstre. — Si le grotesque est dans Lucréce Borgia infiniment moins visible que dans le Roi s’amuse, tous les traits en sont sans exception apercus et vivement relevés : le Siécle note quelques traits de mauvais gotit comme les plaisanteries de Gubetta. Le jeu de mot central Borgia-orgia est stigmatisé par la presse: « Jeu de mot assez misérable, moyen
nouvelle,
vulgaire » selon le Journal des Débats. Et la France
« calembour peu dramatique et d’assez mauvais
goitt, historique ou non >. On ne s’étonnera pas de voir ce jeu de mots faire fleurir les quo-
libets des parodistes *. C’est le grotesque une fois de plus qui préte le flanc aux attaques ; Gustave Planche avec sa lucidité habituelle en note importance marginale mais réelle: « Si je ne parle pas des lazzi du Gubetta (...) ni des quolibets débités 4 Venise sur Satan et sur le pape, c’est que je crois avoir constaté que M. Hugo tient aux monstruosités grotesques (...) comme J’aristocratie féodale de la méme époque aux fous et aux nains dont ils bariolaient leurs fétes ®. » Au-dela du grotesque « de détail » ce qui frappe les critiques c’est la présence d’une héroine proprement monstrueuse. Sur ce point la presse est extrémement génée, — génée parce qu’elle est bien obligée de constater que la monstruosité de Lucréce n’a pas diminué son efficacité dramatique. De la tout un jeu ambigu: l’ensemble de _la presse félicite Hugo d’avoir donné 4 sa criminelle ’amour maternel comme moyen de rachat. Ce que l’amour sexuel n’aurait pu réussir — moraliser le personnage — l’amour maternel est habilité a le faire ; ainsi UEntr’acte du 4 février oppose Marion de Lorme et Lucréce : « Lucréce
a quelques
traits
de Marion,
ces
traits
détournés
de leur
origine font du visage de la fille romaine, fille abominablement corrompue, un visage si plein d’amour, ni noble dans la débauche que le souvenir de Marion s’efface, éclipsé par la pure et grande passion de la Borgia. Marion la prostituée, c’est un homme qu’elle aimait; Lucréce l’incestueuse, ce qu’elle aime, c’est son enfant (...) Le poéte n’a voulu nous montrer que la mére et non la sacrilége, la mére et
non la femme. » La plupart des critiques justifient Hugo d’avoir modifié Vhistoire en ce sens. Le Moniteur universel préte au poéte cette pensée : « C’est, monstre,
empoisonneuse,
assassin,
prostituée,
incestueuse,
s’agitant
dans une atmosphere de meurtres, mais dominée par un amour de meére, mais retrouvant un fils, mais mourant sous le poignard de ce fils, que je veux Lucréce Borgia, non celle des historiens, de ses contemporains. » C’est a l’Artiste qu’est due la formule la plus révélatrice: « S’il fausse Vhistoire, c’est au profit de la morale. » Cette déformation de l’histoire que la presse n’a cessé de reprocher 4 Hugo, voici qu’a présent les critiques l’acceptent au nom de la morale dra-
et
5. Voir Biré, Hugo aprés 1830, I, 83 ; la parodie du Gymmnase est due a Scribe le marchand de Bordures devient, selon le méme procédé, un marchand de
Ordures.
Aux
Yariétés,
un
jeu de mots
du
_ mort-aux-rats.
6. Revue
des Deux
Mondes,
1883, 1, 376.
méme
type
orne
la parodie.
Tigresse-
182
LE ROI
ET LE BOUFFON
matique, et le pire ennemi de Hugo, ce Rolle toujours prét 4 accabler, concede dans le National: « Je voyais M. Hugo s’emparant avec joie de Lucréce Borgia, de Lucréce flétrie (...) par l’histoire ou les préjugés
de l’histoire (...) — vivat! nous allions voir un pape commettant l’inceste avec sa fille, deux fréres avec leur sceur (...) Or M. V. Hugo n’a
guére donné cette fois que la moitié des choses qu’on espérait de lui (...) M. Hugo nous montre d’abord cette femme cherchant a respirer et a se repentir sous l’amas de ses crimes. Une pensée humaine est venue se glisser dans ce coeur qui n’avait jamais éprouvé rien @humain ; un instinct religieux de remords et de pardon s’est fait sentir & cette ame implacable et sacrilége : c’est amour maternel. » Ainsi l'Artiste, le Constitutionnel, les Débats, le Figaro tiennent Vimage monstrueuse de Lucréce pour justifiée par ’amour maternel. Le Figaro parle méme de « repentir chrétien et d’expiation sainte. » L’Entr’acte trouve dans la.piéce « une sorte de profondeur et de moralité qu’on avait peine a saisir jusqu’ici dans le théatre de Hugo ». Mais beaucoup de journalistes, surtout parmi les organes ultras, refusent de faire grace a loeuyre qu’ils tiennent pour immorale et choquante. Ainsi la Gazette de France refuse-t-elle violemment le personnage, historique ou non : « Et que m’importe votre histoire ! tout cela serait-il vrai qu’il s’agi-rait avant tout de savoir si un pareil monstre ainsi présenté est de nature
4 toucher
nos
cceurs
et a nous
faire
sympathiser
avec
ses
affections maternelles... » Et la Gazette de conclure : « C’est le devoir sacré de tout homme de coeur de ne pas ménager de semblables productions, de rompre tout haut avec le désordre dramatique et de protester de toutes ses forces contre un débordement si affligeant de combinaisons anti-sociales et anti-littéraires ’. » « Combinaisons anti-sociales et anti-littéraires » : la formule, extrémement intéressante, indique que ce qui est reproché A Hugo c’est de contrevenir a la fois A un code idéologique et a un code littéraire. Le procés du difforme et du grotesque ne peut se séparer du procés de la moralité ; c’est la Mode, journal ultra, qui donne pour une fois de cet amalgame politique-morale-littérature, la formulation la plus riche et la plus compléte; l'ensemble idéologique du drame hugolien est ici mis en accusation : En avilissant les rois, les papes et les cardinaux, on commet non seulement une faute de gofit mais on blesse la morale publique (...) Il y a chez Hugo une tendance fort singuliére a voir la nature
et la société
sous
le seul point de vue
de leur diffor-
mité physique et morale (...) Son systéme dramatique repose sur cette idée (...) : les sentiments
nobles et élevés chez les étres vils
et abjects et les passions basses, honteuses et criminelles chez les personnages les plus respectés et les plus éminents de l’ordre social. »
Et la Mode de conclure assez drélement : « C’est une aberration bien affligeante dans un homme de talent aussi distingué et d’une intelligence si haute. » On ne peut indiquer plus clairement l’inversion sociale dans le théatre de Hugo et son caractére d’aberration mentale. Les journaux 7. Pour
ultras
ne
la Quotidienne,
sont pas
seuls
la piéce est « un
A souligner tissu d’horreurs
Luxe de scélératesse dans les actions des principaux
l’immoralité
et la
et de monstruosités...
personnages
».
« LUCRECE
BORGIA
>
183
violence monstrueuse du nouveau. drame. Sans parler de Planche toujours prét 4 condamner Hugo, un Amédée Pichot plutét favorable 4 la piéce signale V’horreur du sujet; il y a dans son article une tentative : « Malheureusement il y a une analogie des circonstances qui peut rendre compte de la tendance de notre jolie littérature. L’enfantement de notre vie politique n’a pas été moins terrible que celui de la réforme religieuse en Angleterre (...) Car il est peu de familles qui ne saignent encore comme dit M. V. Hugo. Peut-étre (...) n’a-t-on pas eu tort de prétendre que notre littérature horrible et fantastique serait une preuve du retour forcé de toutes les littératures sur les premiers essais de leur origine. » Cette explication aboutit méme a un essai de justification : « Nous avons besoin qu’on réveille nos sens engourdis sous la glace du vernis social. » Il y a 1A un sentiment assez rare pour étre signalé, celui d’un effet de rupture, d’un éveil de la sensibilité endormie et comme anesthésiée par les productions habi-
tuelles des codes culturels. Gustave Planche et Vidéologie libérale. — Des journaux d’opinions aussi différentes que le Courrier de l’Europe et le Siécle concluent 4 l’immoralité de la piéce et appellent quasiment 4 l’interdiction : « Il serait temps de limiter la licence de la scéne. Est-il du ressort
de ’Art d’étaler
en spectacle
l’assassinat,
la luxure,
et toutes
Jes plus odieuses passions? (...) Nous frapperons de toute notre réprobation toute conception qui s’appuierait sur un systeme dramatique aussi évidemment faux et contraire aux bonnes meeurs. >» (Courrier de l’Europe.) Ul est réservé a Gustave Planche (R.D.M.), critique libéral, de mettre en lumiére, bien au-dela de condamnations aussi brutales, une analyse nuancée des rapports entre l’art et Vidéologie dans le théatre de Hugo. Une fois de plus, Planche montre la solitude de Hugo, son refus de ce qu’il faut bien appeler le code culturel de son temps, et qu’il appelle, lui le « contréle de la raison » : « Dans sa solitude volontaire et constante, il a pris en dégott Vétude des faits qui l’intéressent (...) L’imagination toute libre qu’elle soit malgré la légitimité de son indépendance ne peut se soustraire au contréle de la raison. » Avec une certaine perspicacité, Planche se rend compte que Hugo refusant de « choisir entre le drame politique et le drame domestique » avait entremélé les deux par une « combinaison dont il posséde le secret » ; et voyant parfaitement que cette combinaison exclut tout providentialisme, tout « destinateur idéal », qu’elle est une conjonction
de hasards, Planche
horrifié refait
la piéce : « S’il voulait dans un poéme unique résumer et idéaliser ® le double caractére de la famille Borgia, ne pouvait-il pas sans troubler la logique qui doit gouverner l’art aussi bien que la science, faire en sorte que ces deux séries de crimes imprimassent toutes deux au chatiment providentiel le sceau de la nécessité? » C’est que l’ensemble de la poétique de Hugo est une poétique matérielle, Hugo est le poéte de l’extérieur*, de la vue, du pittoresque : « Le caractere saillant de la pensée de M. Hugo c’est une prédilection assidue pour les images visibles, pour la partie pittoresque des choses, une préfé- . 8. Souligné par nous. 9. « Si au lieu du spectacle
extérieur
et puéril
du
crime
aux
prises
destinée il efit cherché un spectacle intérieur et sérieux de la conscience il aurait rencontré dans cette étude difficile d’utiles obstacles. »
avec
la
humaine,
184
LE ROI
ET LE BOUFFON
rence constante pour la couleur (...) Il semble prendre plaisir 4 lutter
de richesse et de confusion avec le pinceau de Rubens. » Il reproche a Hugo Vimportance excessive accordée au spectacle: « On arrive a se demander si toutes les facultés de ’’4me humaine se réduisent a la curiosité (...) La piéce intéresse comme un panorama. » Et Planche de protester : « Impossible de réduire la mission du poéte tragique a VParrangement
du
spectacle
sans
déclarer
du
méme
poéte, le machiniste et le costumier ne font qu’un. des activités bassement matérielles, et des activités
coup
que
le
»C’est qu’il est élevées, comme
la création littéraire. L’amour du spectacle conduit le poéte a une démagogie démoralisante : « Les passions les plus grossiéres reprennent
le dessus
(...) le peuple
se
laisse
aller, n’est
plus
guidé
(...) il
veut un spectacle qui émeuve puissamment ses sens (...) je ne dis pas son Ame car il la laisse au logis. » Ainsi les attaques de Gustave Planche se font-elles au nom d’un spiritualisme libéral qui accuse Hugo de ne croire ni en Dieu, ni en l’'A4me: « Le monde que cette poésie déroule devant nos yeux est un monde sans providence et sans liberté, sans nation, sans nom,
sans autel et sans loi (...) qui ne croit
qu’au bonheur de la force (...) Si le réalisme qui s’impose dans la poésie obtenait gain de cause (...) il faudrait ne plus croire 4 Dieu ni a ame. » Mais Planche manifeste avec vigueur sa confiance dans le « spiritualisme » de Vidéologie dominante qui doit finir par signer la condamnation de l’esthétique hugolienne : « Le souvenir du passé doit raffermir nos espérances. Le culte de l’4me humaine pour la beauté est aussi impérissable que son adoration pour Dieu. Le succés et la popularité de Ja poésie extérieure touchent a leur fin. » Le succés populaire de la piéce n’empéche donc nullement la — critique d’en rester au méme refus systématique. La violence des journaux libéraux est un peu adoucie, les reproches politiques des ultras un peu plus vifs. Si dans l’ensemble la condamnation est moins absolue, il est difficile de savoir si c’est di a la géne devant le succés populaire ou a ce corollaire plus subtil de la méme réalité — le fait que Lucréce Borgia, réécriture d’un mélodrame, mérite une indulgence
plus grande puisqu’elle s’inscrit dans un code infralittéraire : on peut frapper moins vigoureusement le poéte qui écrit une ceuvre aux frontiéres de la « grande littérature >.
MARIE TUDOR
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GENESE
DE MARIE TUDOR
Un conflit. Il nous manque pour Marie Tudor les précieux brouillons-relais ou les canevas de préparation. Ici nous ne possédons rien de tel, et nous sommes contraints d’imaginer les grandes structures par rapprochement et par superposition avec les autres piéces. Tout se passe comme si l’élaboration de Marie Tudor avait été passablement bousculée. Les incidents avec Harel ont peut-étre pour
‘cause occulte le probléme de Juliette, et la jalousie de Mlle Georges envers la nouvelle protégée de Hugo. Il n’est pas interdit d’y voir un motif plus sérieux, le désir de ne pas étre bousculé, la trace d’une inquiétude 4 propos de sa création théatrale. Si l’échec du Roi s’amuse marquait un coup d’arrét dans une certaine direction, Hugo percevait aussi peut-étre le succés de Lucréce Borgia comme le fruit d’un malentendu. Les deux piéces jumelles de 1832 ne pouvaient dans sa pensée se concevoir que réussissant ensemble, et compensant 4 tous les niveaux le mélodrame par la tragédie. Une réussite unilatérale a la Porte Saint-Martin risquait d’engager son ceuvre dans le sens faussement populaire ou ses adversaires n’avaient que trop tendance a Penfermer. Il est curieux de voir que les conditions qui lui permettaient pour la premiére fois d’accomplir a la lettre le projet qu’il dessinait aux yeux de Fontaney', la production de deux drames par an, ne lui semblaient pas parfaitement satisfaisantes. S’il refuse 4 Harel son prochain ouvrage’, ce n’est pas tant pour le punir de l’offense faite a Lucréce Borgia, arrétée en plein succés, pour venger Juliette de telle ou telle parole acide, mais peut-étre 4 seule fin de se ménager le délai
dont il a besoin pour se reconnaitre dans ses perspectives dramatiques. On sait ce que fut la querelle avec le directeur de la Porte SaintMartin : brusque, absurde, passionnelle, elle porte de part et d’autre la trace d’une sorte de mauvaise foi naive. Aprés la reprise (partielle) de l’Auberge des Adrets, au détriment de Lucréce, le 25 avril, Hugo crut bon de rappeler a Harel ses engagements, en termes assez raides,
mais sans qu'il soit nommément question de sa prochaine piéce; la lettre ne contient qu’une menace voilée, mais qui a di inquiéter Harel et le pousser a des propos inconsidérés. Voici cette lettre de Hugo, qui ouvre la querelle : 1. Voir chapitre L’Année 1831 et le témoignage « Il a trente drames a faire en quinze ans. » 2. V.H.R., OC., IV, 1219.
de Fontaney
du
24 mars
1832:
188
LE ROI ET LE BOUFFON 28 avril. Monsieur,
Vous m’avez promis de faire représenter Lucréce avec le nouveau tableau de l’Auberge des Adrets, des que ce tableau aurait besoin d’étre accompagné d’une piéce en cing actes. Je vois aujourd’hui que vous accordez a un autre ouvrage ce que vous m’aviez promis pour Lucréce. Vous savez que je vous ai fort peu importuné pour ma piéce et qu’en général je suis disposé a traiter ces questions secondaires avec quelque insouciance. Cependant je ne puis vous dissimuler que je suis étonné de l’espéce de passe-droit que vous me faites aujourd’hui, et que je vois avec peine un procédé qui pourrait apporter quelque embarras dans nos relations ultérieures. Vous le comprendrez vous-méme aisément %, Agréez,
Monsieur,
l’assurance
de
mes
guées. La
salutations
distin-
Victor Hugo 4.
correspondance
avec
Harel
(comme
le Victor
Hugo
raconté)
fait état non d’écrits mais de propos: « J’affirme, dit M. Harel, que yous m’avez promis. — Et moi, dit M. Victor Hugo, j’affirme le contraire...° » Et dans sa lettre 4 Hugo de la fin d’avril 1833, Harel réclame un rendez-vous pour régler par écrit ce qui a été cent fois convenu entre nous verbalement au sujet de l’ouvrage auquel vous travaillez en ce moment® >. La thése officielle de Hugo est toujours la méme, et l’on sait a quel point elle correspond profondément 4 sa méthode de composition personnelle : il ne peut engager sa piéce avant de l’avoir faite 4, parce que, dit-il, au rebours de la plupart des auteurs dramatiques écrivant pour une salle et pour des interprétes précis, il écrit d’abord et se soucie ensuite de l’incarnation dramatique de l’ceuvre. Si le Victor Hugo raconté dit vrai, le corollaire est aisément saisissable : Hugo au printemps 1833 ne sait pas oi il va au théatre, et donc se refuse a s’engager, méme avec la seule troupe dont l’accés lui soit facile. Il semble y avoir eu dans cette journée du 30 avril deux lettres de Harel ® dont la seconde datée du « 30 avril au soir », est reproduite dans le Victor Hugo raconté®. C’était une provocation en duel. On sait que Mme Hugo tenta de cacher la lettre ; mais dés le lendemain 1° mai, « 7 heures du matin », Hugo répondait par un billet acceptant la rencontre”. La futilité extréme des mobiles avoués de la querelle, sa contradiction
évidente avec les intéréts de l'un et de l'autre,
ne pouvaient pas ne pas conduire capitula. Il fit des sortes d’excuses,
a un accommodement. Harel selon le Victor Hugo raconté,
3. Y a-t-il 1A un chantage de la forme : ou vous yous occupez activement de mes intéréts d’auteur dramatique ou vous n’aurez pas ma piéce suivante ? C’est bien probable. 4. Lettre inédite. Fonds Rotschild, BN — A. XIX — 1434. . O.C., 1V, 1220.
. Ao
O.C., IV, 1099.
eo.
La premiére est reproduite
7. « Il attendrait
9. Harel
se disant
done savoir quand
que
sa
offensé,
et ot vous
10. O.C., IV, 1099-1100.
piéce fit faite “wert en disposer.
in 0.C., IV, 1099.
écrit
: « J’attends
voulez me la donner.
done
une
» V.H.R., réparation.
» Ibid., 1220.
ibid.,
1220.
Faites-moi
« MARIE
TUDOR
»
189
acceptant de reprendre Lucréce™, et réclamant a nouveau la prochaine piéce de Hugo. Hugo, lui aussi céda et promit. Tout le monde y trouvait son compte: Hugo qui voulait garder ses entrées a la Porte Saint-Martin, et faire la carriére de Juliette, Harel qui pouvait espérer que la prochaine piéce de Hugo lui rapporterait autant d’argent que Lucréce. Mais Vorigine de Vincident, c’est-a-dire l’interruption de Lucréce par Harel en plein succés, reste toujours mystérieuse. Une fois de plus — ce n’est pas la derni¢re — nous voyons les directeurs de théatre pris entre leurs intéréts les plus évidents, celui de jouer, ou de continuer a jouer les piéces de Hugo — et une sorte de censure occulte infiniment peu claire que Hugo appelle en 1837, « la censure littéraire ». A quoi s’ajoutent les tiraillements dus aux intrigues et aux querelles personnelles des acteurs et des auteurs dramatiques. Hugo, jusque-la superbement en dehors, entre, par sa liaison avec Juliette, dans la foire aux illusions perdues. En l’occurrence, il est difficile de dire si lon cherche 4 atteindre Hugo par Juliette ou Juliette en écoeurant Hugo. La querelle personnelle parait étre non pas Vopposition Georges-Juliette (elles n’avaient pas les mémes emplois, ne pouvaient pas se nuire sur la scéne), mais l’invisible conflit Juliette-Ida. Ida Ferrier, maitresse de Dumas, moins belle mais plus rapide et plus habile que Juliette, avait exactement les mémes roles : il n’y avait pas place pour deux jeunes premiéres protégées par deux auteurs dramatiques sur la scéne de la Porte Saint-Martin. Mile Georges, directrice de fait, sinon en titre, eut vite fait son choix ; elle choisissait celle qui avait plus de talent, éliminant Juliette dont la radieuse beauté soulignait par contraste le ravage des années sur la statue défaite qu’elle était devenue. Les considérations littéraires (et idéologiques) s’ajoutaient aux considérations personnelles pour conduire Harel et Georges 4 favoriser dans une large mesure le tandem Dumas-Ida contre le tandem Hugo-Juliette. C’est un fait que les succés de Dumas étaient singuliérement moins discutés que ceux de Hugo, que les batailles 4 propos de ses pieces n’avaient pas la méme apreté, et que les exigences d’auteur de Dumas
n’étaient
pas celles de Hugo.
Hugo
avec
un
pareil ne cédait rien, ni sur le choix des interprétes,
entétement
sans
ni sur la nature
et le détail de l’interprétation, ni sur les décors et la mise en scéne. Ce n’est pas que Harel efit sur l’art dramatique des conceptions personnelles ; il n’en avait pas tout simplement. Mais les exigences de Hugo coitaient cher, et diminuaient d’autant les bénéfices. Nous possédons non seulement la correspondance entre Harel et Hugo mais de précieuses notes concernant la mise en scéne de la piéce “™. Rien de plus instructif pour comprendre le sens du conflit littéraire, technique et financier qui oppose l’auteur et les théatres.
L’origine et de l’écrire la matiere de Voeuvre écrite
de Marie Tudor. — Hugo contraint d’écrire une piéce vite cherche apparemment dans ce qu’il posséde déja l’ceuvre a venir. Il opte pour un drame en prose : dans la foulée du succés de Lucréce est soumise aux
11, La reprise a lieu le 12 mai, accompagnée de « l’Auberge des rem ae douze PERreecareHane de Lucréce jusqu’au 26 juillet (les 12, 16, les 8, 14, 21 et 22 juin, les 22, 23, 25 et 26 juillet, en général jumelées Darlington, Térésa, de Dumas, ou Dix ans de la vie d’une femme. 12, Manuscrit de Marie Tudor, BN, Nafr, 13385, ffos 189 & 142 et
Adrets ». On 20 et 31 mai, avec Richard
129 & 136,
190
LE ROI
ET LE BOUFFON
mémes conditions. Hugo tente de s’éloigner encore du mélodrame en mettant l’accent sur histoire, et reprend les problémes de la royauté, de ses limites, de son
avenir, de sa légitimité,
de son
exercice.
Si nous n’avons pas de brouillon-relais de Marie Tudor, nous possédons en revanche une quantité considérable de notes historiques, toutes trés antérieures 4 la rédaction de l’ceuvre, antérieures méme 4 la révolution de Juillet. D’aprés l’écriture et les papiers, ces notes oscillent toutes entre les dates probables de 1828 et de 1830% A un moment difficile 4 déterminer ayec précision, mais que nous situerions volontiers dans |’été 1829, Hugo se documente trés sérieusement sur Vhistoire d’Angleterre ; nous ne pensons pas que ce puisse étre, vu la date, ni pour Cromwell, contrairement 4 V’avis de Marc Blanchard *, ni 4 Ja suite de Cromwell
dans une méditation
sur la monar-
chie anglaise. Est-ce pour Philippe II ? Cas particulier de la dramaturgie hugolienne, Marie Tudor apparait comme une piéce sans documentation de derniére heure. Pas d’emprunt a Ja Bibliothéque Royale pour rafraichir des connaissances historiques déja mises en fiches depuis beau jour; certes nous ne pouvons affirmer qu’il n’y a pas eu d’emprunt a4 ]’Arsenal, mais Marc Blanchard montre le caractére complet des notes de documentation jointes au manuscrit : elles recouvrent, et au-dela, le champ historique de Marie Tudor**. Tout se passe donc comme si Hugo reprenait un ensemble documentaire déja constitué, établi peut-étre 4 une autre intention, et l’utilisait pour sa piéce nouvelle. Peut-étre y a-t-il la une des raisons du manque de « fraicheur historique » de la piéce. Si peu « pittoresque » que soit la couleur de Lucréce, elle posséde un éclat italien, une
franchise
tout autre.
L’autre
raison
étant l’impor-
tance de la référence au présent, de l’anachronisme voulu, proclamée dans la préface: « Le passé ressuscité au profit du présent... » Inversement l’abondance des notes de lecture signerait le caractére historique de la piéce, plus marqué- que celui d’aucun autre drame de Hugo, Ruy Blas excepté.
13. Les deux premiers folios de la liste bibliographique, ffos 129-130, constituée sur Vhistoire d’Angleterre sont sur papier vergé grand format, a filigrane J. Berger, dont
la
datation
tourne
autour
de
I’année
1829
et
le
3¢
feuillet
(131)
est
sur
le
papier vergé A filigrane 4 couronne de lauriers que MM. Journet et Robert (papier 6 bis in Feuilles d’Automne...) datent de 1829. Le folio: 136 (concernant essentiellement Henri VIII et ses épouses) est écrit sur un papier voisin du précédent (peut-étre
une
autre
livraison
du
méme
papier)
et l’écriture
renvoie
aussi
a 1829.
Le folio 135 (méme contenu) est écrit sur un papier vergé a grosse coquille qui semble identique au papier du manuscrit d’Hernani (ffos 37-38). Le papier a filigrane J. Berger (f° 133, concernant Marie Tudor) figure aussi dans le méme manuscrit d’Hernani (septembre 1829). Les folios 132 et 132 bis sur papier vergé mince 4 filigrane coquille (n° 6 in Journet-Robert, Feuilles d’Automne... daté par eux de juillet 1829) parait renvoyer 4 une date voisine. N’oublions pas qu’A la méme date de 1829 Hugo pense 4 un Philippe U dont le seul fragment important (publié par mous,
v. chap.
11) est
écrit
sur
le méme
que les folios 131 et 136 du manuscrit
papier
de Marie
vergé
Tudor.
filigrané
A couronne
Tout nous
renvoie
(6 bis),
done
a
la méme date, été-automne 1829. 14, Aucun des rapprochements faits avec Ja rédaction de Cromwell ne tient. Et que dire quand nous voyons identifier au « papier de Cromwell » (sic) (op. cit., p. 93) des folios aussi différents que 128 (brouillons de l’acte V, sur une sorte de papier cartonné, style chemise de dossier), 131 (6 bis, a filigrane couronne de lau-
rier), 137, morceau de papier mince blanc, sans filigrane, dont Vécriture ne saurait étre antérieure 4 lexil, et 138, fragment du papier principal du manuscrit. 15. Ce champ déborde trés largement, nous venons de le voir (note 1, plus haut), Vhistoire proprement dite de Marie Tudor ; il va de Henri VIII 4 Philippe II, époux quasi platonique de la reine d’Angleterre.
« MARIE
La reine et le favori. —
TUDOR
>»
La documentation
191
historique
de Marie
Tudor particuligrement abondante (seul Ruy Blas sera loccasion d’autant de lectures) est aussi particuliérement bien connue : tout d’abord nous possédons la vaste liste d’ouvrages, relevée a la Biblio-
théeque Nationale en 129 et publiée dans l’édition de 1837. Elle occupe les folios 129, 130 et 131; bien
loin d’étre parvenus
le croit Blanchard '*, par le canal renseignements
verbaux
de bibliographies
4 Hugo,
comme
diverses
(ceux de Nodier par exemple)
ou
de
ces titres pro-
viennent de la source la plus simple, celle de la Bibliotheque Royale. Hugo y a toujours cherché les renseignements historiques ou bibliographiques dont il avait besoin : il a pris tout simplement le catalogue Clément (ancien catalogue de la Bibliothéque Royale) et il a copié 4 la suite les titres qui l’intéressaient. Hugo a pris successivement le catalogue principal ® et a puisé dans la section anglaise les dix premiers titres, et dans la section espagnole les cinq titres suivants, en les choisissant
dans l’ordre ou ils se présentent
a Vintérieur
du cata-
logue (in-folio, in-quarto, in-octavo). Aprés quoi, il a pris le supplément principal (n° 157) et il a copié les titres qui lui paraissaient importants, tous empruntés cette fois a la section anglaise (cote commencant par N). L’intégralité de ces titres figure dans ces deux volumes, a l’exception du dernier de la page 2: « Panégyrique de Marie, reine d’Angleterre, par Abbadie, Genéve 1695 », ouvrage qui n’est pas classé dans l’Histoire mais dans l’Eloquence, et que Hugo a peut-étre rajouté en fin de page. Marc Blanchard a fait de ces sources une étude précise 4 laquelle il n’y a guére a ajouter. Les notes de lecture de Hugo prouvent la réalité et la précision de ses lectures historiques. Marc Blanchard,
renvoyant ces notes 4 leurs sources respectives,
a accompli un travail
tout 4 fait remarquable. Mais ces notes sont largement antérieures, nous V’avons vu, 4 la rédaction de Marie Tudor. Quelle que soit la puissance de travail de Hugo, et la rapidité de sa lecture, on |’imagine d’ailleurs mal, en ce début d’été 1833, se livrant 4 beaucoup de lectures érudites, d’autant qu’a cette date, il est surtout occupé de la mise en ordre du manuscrit de Littérature et philosophie mélées. La lettre de Hugo 4 Louise Bertin du 15 juin 1833 apporte des explications décisives : « Je passe mes journées 4 resmiller [?] ca et la et 4 glaner dans mes vieux fouillis de quoi faire ces deux volumes de Littérature
mélée
(et fort
ans avoir mis sous presse
mélée)
que
Renduel
affirme
(...) Une fois la Littérature
depuis
mélée
deux
délivrée
A Renduel, je commencerai cette piéce que Harel affirme avoir mise en répétition ”. » Est-il aventureux de supposer qu’en glanant dans ces vieux fouillis Hugo a remis la main sur ses notes concernant Vhistoire d’Angleterre ? Ces notes abondantes
concernent
un certain
nombre
d’ouvrages,
figurant ou ne figurant pas sur la liste des folios 129 a 131. Le premier de ces ouvrages est comme toujours chez Hugo la Biographie Michaud, a quoi il emprunte ses notes des folios 132 et 133 concer16. En fait les numéros figurant dans ces listes, et en particulier N 689 (premiére p. des listes) renvoient évidemment 4 une cote de la Bibliotheque Royale. Notons que Hugo reléve le plus souvent, non pas la cote, mais le numéro de référence du catalogue, p, ex. les nos 472 et 535 (derniére page, f° 131), 17. 0.C., TV, 1102, 1103. Hugo ajoute drélement : « Harel et Renduel, deux tétes
dans un bonnet.
»
192
LE ROI ET LE BOUFFON
nant Philippe Il, Thomas Cranmer, Marie F* d’Angleterre, Gardiner, Polus. Elle fournissait 4 Hugo une documentation sur le personnage
de Marie Tudor «< jalouse et amoureuse ™® », sa rivalité personnelle et politique avec sa secur Elisabeth qui avait dix-huit ans de moins qu’elle. Hugo y trouvait l'indication des persécutions religieuses sous le regne de Marie et du climat de cruauté et de terreur qui régna pendant ces cing années *. L’ouvrage de base de la documentation de Hugo (il y en a tow jours un dans les bibliographies dramatique de Hugo) est celui de Griffet : « Nouveaux éclaircissements sur Vhistoire de Marie™. Les notes de Hugo occupent les folios 131 et 134 dont l’écriture est trés serrée. Il y trouve les précisions sur la rivalité entre Marie et Elisabeth 4 propos de Lord Courtenay et reléve ce fait avec un visible intérét. Les Eclaircissements fournissaient 4 Hugo le nom et le role de Simon Renard envoyé de Philippe Ul, et, détail curieux, le nom italien de l'un des personnages révoltés contre Marie, Pietro Caro (Peter Carew). Griffet insiste sur le climat de terreur du régne de Marie : < Londres tout potences et échafauds... trop d’exécutions. Remontrances des ministres », indiquent les notes de Hugo au folio 134 verso.
Trois
points
essentiels:
1° le probleme
du mariage
de Marie Tudor, 2° Vhorreur de la répression politique et religieuse, 3° le conflit d’amour et de jalousie avec Elisabeth. Tout se passe done comme si ces notes étaient déja orientées autour du personnage de la reine, faiblesse amoureuse et cruauté. Préoccupations qui prolongent Cromwell : ce que Hugo recherche, c’est le « saugrenu > du pouvoir, le grotesque particulier attaché au puissant (Marie se croyant ‘enceinte... de quel monstre ?), le mélange du bizarre et de la cruauté monstrueuse, et partout présente, la faiblesse historique du personnage. Les Anndles de Francis Godwin paraissent secondaires par rapport aux Eclaircissements. Hugo y cherche des détails et des noms propres. Cependant, dans Jes notes portant sur le régne d’Henri VIII, il pouvait trouver (quoi qu'il n’en ait tiré qu’une note fort courte et sans aucun détail”) Vhistoire tragique d’un favori de «< vile et abjecte naissance » dont la grandeur se termina brutalement par la décapitation. Mais surtout, c’est dans Godwin et par le rapprochement des deux régnes d’Henri VIII et de Marie, par le tableau de leurs persécutions religieuses opposées, que Hugo pouvait illustrer Vidée politique qui lui tenait 4 ceeur, celle du renversement des persécutions, les cruautés opposées se succédant dans le temps, comme a 18. Folio 133 recto.
19, Blanchard
indians une ainée
note qu’une
dramatisation
0. Nouveaux de Henri
formule
immédiate
éclaircissements
VIL,
adressés
sur
comme
des notes
Vhistoire
& Monsieur
Davis
« tu V’as »
(la grace
(op. cit., p. 158).
de Marie, Hume,
reine
d’Elisabeth)
d’Angleterre,
Amsterdam
fille
et se trouve @
Paris. L.-¥. Delatour, 1766, in-12. L’auteur en est Henri Griffet de la Baume, Pere jésuite ; M, Blanchard qui Vanalyse longuement (op. cit., 162-198) a raison d’in-— ee sur le sérieux et Ja relative objectivité d’un ouvrage pourtant favorable a arie, 21, F9 181, papier & fil. couronne de laurier (1829), f° 134 papler vergé fin, ‘ fil, O et C Blauwe (écriture entre 1828 et 1830, cote 74/96). 22. Annales des choses les Dg mémorables arrivées tant en Angleterre qu’ailleurs sous le ra d’Henri VIII, Edouard VI et Marie, traduites d’un auteur ano~ nyme
(Francis
eet
de Hugo, ffor 135 et 139,
Paris
P. Rocolet, 1647, in-4°, Notes
le premier
et le plus ancien des comtes
par le sieur de Loigny.
23. « Henri Bourehier, dAngleterre » (f° 135 r?).
comte d’Essex,
;
:
a
« MARIE
-Napoléon Ja Terreur Blanche
TUDOR
»
193
et le procés de Ney —
a Ja Restauration,
la Monarchie de Juillet et les procés des ministres de Charles X. Cette idée déja puissamment présente dans Cromwell, retrouvait une nouvelle jeunesse dans les premiéres années du régne de Louis-Philippe, et la politique répressive de 1832 et 1833 contre les mouvements populaires. Trois ouvrages, plus techniques qu’historiques apportent 4 Hugo des noms propres et des indications de familles ou de clans. Consultés probablement en 1832-1833, ils ont pu rafraichir la mémoire du poéte*. Ce sont le Baronetage of England de Collins et le Peerage of England, ot Hugo puise les noms des seigneurs, enfin VEtat de la Grande-Bretagne, par John Chamberlayne, qui lui fournit quelques noms propres, celui de Gilbert et celui de Marc Dermoti™ (nom
qu’il donne
au
bourreau)
et surtout
des
détails
concernant
le
droit criminel et les différents supplices du code pénal anglais. Mettons a part deux ouvrages espagnols dont l'un figure dans la liste, celui d’Antoine Perez (Le Livre) et dont l’autre est une découverte de Blanchard, c’est )’Histoire générale du Monde de Herrera”, Le livre de Perez porte sur le sort des courtisans et des favoris, leurs
problémes,
leurs drames, leur chute, Le texte est en espagnol, trés simple, clair et frappant. Cet ouvrage que M. Blanchard qualifie de fausse source nous parait au contraire capital dans la mesure oU il rejoint l’une des préoccupations majeures de Hugo, celle de l’effondrement du puissant, et plus particuli¢rement celle de l’ascension et de la chute de VYhomme du peuple devenu par hasard ou par ambition favori du souverain, et replongé dans les ténébres par un coup brutal du sort : c’est ici Fabiani, ce sera plus tard Ruy Blas. Quant au Herrera, il est la source probable d’une longue note sur le voyage de Philippe Il en Angleterre (f° 132 bis r°). Mare Blanchard remarque que le climat de cruauté, le bourreau vétu de rouge, le style des exécutions capitales ressemblent davantage au style théatral des autodafés espagnols qu’A la cruauté naive des exécutions anglaises. Nous serons d’accord avec M. Blanchard quand il en voit Vorigine dans Voltaire. Ajoutons Candide 4 l’Essai sur les Meeurs cité par M. Blanchard. L’énumération
de
ces
sources
est
tres
Join
d’étre
exhaustive ;
Marie Tudor, ressemblant 4 Ruy Blas sur ce point, est une sorte de mosaique d’emprunts littéraires, mais surtout historiques ; les grands schémas de la piéce attirent 4 eux souvenirs et notes documentaires *, 24, BN Nafr. 13385, f° 140 cote 74/96, écriture vers 1830-1833, papier blane uni sans fil. : Zhe Baronetage of England, by Ant, Collins. London Taylor 1720, 2 vol. in-8°, N 839 1-2. iitat de la Grande-Bretagne — liste de tous les officiers de la couronne, par John
Chamberlayne — 2 vol. in-8° Lond. Midwinter, 1737, in 12 N 812, j Peerage of England, par M. Kimber a Londres, 1769, un vol. in-12 N 860 A 1-7, 25. Ces deux noms figurent f° 136 re. 26. 11 s’agit ou du texte Le Livre d’Antoine Perez, secerétaire d’Etat de Philippe IL lig figure sur le catalogue, ou plutdt A. Perez Obras, Geneve, 1644, comme
le veut M. Blanchard, 27. Antonio de Herrera
y Tordesillas,
Primera
parte de la Historia
General
del
Mundo... En Valladolid por Juan Godinez de Millis, 1606, 3 vol. in-folio. 28. Le probléme des sources historiques conerétes de Hugo est particuliérement ardu : si nous possédons la liste des emprunts de Hugo a la Bibliotheque Royale, la
feuille
d’emprunt
a la Bibliothéque
(feuille
de
par
rappel
exemple),
poéte, D’autre part, nous n’avons
nous
de
aucune
lV’Arsenal
ne
pouvons
a
été volée
rien
savoir
et saut des
un
hasard
emprunts
du
idée des lectures faites sur place dans ces 13
194
LE ROI
ET LE BOUFFON
Différent de celui du Roi s’amuse, de Lucréce Borgia ou d’Angelo, le cas de Marie Tudor est paralléle 4 celui d’Hernani et de Ruy Blas : tous trois sont non seulement drames historiques mais drames de Vhistoire *, drames du pouvoir aux prises avec un contexte historique précis : la pluie des petits faits n’a pas pour but une couleur plus ou moins « locale » mais Ja détermination précise d’une situation dont le rapport percu avec la situation contemporaine est paradoxalement souligne par le fourmillement des détails datés, « exotiques >. Le rapport avec le présent est irréfutablement garanti par l’affirmation de Hugo dans la préface : Le drame comme nous le comprenons, (...) ce serait le passé ressuscité au profit du présent; ce serait Vhistoire que nos péres ont faite, confrontée
avec Vhistoire que nous faisons *.
Ainsi, c’est parce que Hugo réinsére dans Marie Tudor le drame dans la politique du présent qu’il lui faut paradoxalement s’appuyer sur une reconstitution exacte du passé. Exacte ? On aurait beau jeu de relever les erreurs historiques de Hugo, toutes volontaires, toutes signifiantes, la principale portant sur le caractére de Marie Tudor, _bien plus puritaine et bien moins louve sexuellement déchainée que ne Va faite Hugo. Mais le caractére individuel d’un souverain est chose secondaire,
l’important
c’est la situation
de ce
souverain
pris dans
un contexte historique ou il se retrouve incapable d’arbitrer des luttes inexpiables — acculé de ce fait 4 Ja tyrannie, & la destruction et a la mort. Il nous intéresserait vivement de savoir 4 quelle intention ces notes historiques de 1829 ont été amassées. Malheureusement notre science ne peut étre ici que conjecturale ; deux jalons nous guident : d’abord cette Mariposa IJ que nous retrouvons 4 chaque pas et qui parait, nous avons vu, l’un des canevas dramatiques de base. Dans ce texte, le héros (Lui) est pris entre son amour pour Elle et son
ambition qui pourrait s’identifier avec l'amour de la princesse. Une localisation géographique d’ailleurs un peu floue, pas de localisation historique précise. Et la premiére version du premier acte de Marie
Tudor correspond peut-étre au schéma
du favori dont le désirva a
deux femmes différentes, l'une parce qu’elle comble sa vanité et son ambition, autre parce que sa fraicheur le charme. Une différence fondamentale : rien ne parait sincére ou sexuel dans le regard que Fabiani jette sur Jane: il s’agit, non d’un entrainement, mais d’une bibliotheques ‘; seules peuvent nous avertir les listes bibliographiques constituées par Hugo 4 aide des catalogues de ces bibliothéques publiques et en particulier de la Bibliothéque Royale (ancien catalogue Clément). Nous savons trés peu de choses des lectures d’enfance et d’adolescence de Hugo ; lacunes génantes pour les pitces historiques : malgré le travail de M. Blanchard et nos propres recherches, il manque pour Marie Tudor une édition critique. 29, Nous reprenons ici la distinction faite par G. Rosa dans son mémoire
inédit sur Cromwell et Vhistoire. Mais alors que G. Rosa réserve V’appellation de en? de Vhistoire au seul Cromwell, nous V’étendrions volontiers aux trois pitces
susdites. 30. 0.C., IV, 754. J. Massin cite A propos de ce texte la phrase révélatrice de Hugo dans William Shakespeare (If, Tl, 5). « Ce reflet nouveau du passé modifiera Vavenir. » C’est une idée-clef de Hugo, que nous retrouverons : dans le drame passé, présent et avenir sont indissolublement liés ; la projection du passé sur le
présent donne au texte la force qui en fait une structure historique capable ter le développement de l’histoire. 31. 0.C., 11, 970 sqq. V. Vanalyse de ce texte, p. 29-31.
d@orien-
« MARIE
TUDOR
»
195
autre variété de calcul. En tout cas si le schéma de la Mariposa IJ parait correspondre a l’un des aspects de la fable de Marie Tudor, on ne voit pas quel rapport il peut y avoir avec |’Angleterre des Tudor.
Mais
Hugo
s’intéresse
(les notes
en
font foi™)
aux
liens
que
tisse entre l’Espagne et l’Angleterre le mariage de Philippe II avec Marie Tudor. Une histoire espagnole pouvait lui convenir. D’autant que le second jalon dans les projets de Hugo des années 1829-1830 est Vhistoire de Philippe IJ et de ses rapports avec son fils Carlos. Il s’agit certes d’un épisode postérieur dans la vie du roi Philippe *. Mais il subsiste dans la piéce bien des traits relevant de ces rapports anglo-espagnols, ne serait-ce que la présence de Simon Renard, envoyé de Philippe II, « créature du cardinal de Granvelle » — et Videntité méme de Fabiani. On peut donc simplement conclure que vers 1829-1830, Hugo s’intéresse conjointement a l’Angieterre et a Espagne. Pourquoi ne pas considérer ici ce qui est le plus simple et le plus probable ? Hugo médite sur les Tudor, nommément sur Henri VIII et sur Marie Tudor ; ce qui le frappe 4 propos d’Henri VIII est son aspect de Barbe-Bleue légendaire. Une note plus tardive * —
et lapidaire — donne peut-étre la clef de Vintérét de Hugo : « J'ai dans ma chambre un portrait de Marie Tudor, la sanglante Marie. C’était une jalouse reine, une vraie fille d’Henri VIII, et dont l’alcdéve,
comme celle de son pére, s’ouvrait de plain-pied sur l’échafaud. » Et nous voici ramenés avec une troublante monotonie 4 l’échafaud du condamné ou a celui — inverse — de Charles I*. Nous sommes 1a, sans doute, au centre génétique de Marie Tudor : une fois de plus se trouve formulé le rapport du tréne a l’échafaud (doublé du rapport paralléle de la vie'historique a la vie privée). Intervient une idée, centrale dans la dramaturgie de Hugo, celle du contact mortel avec la royauté : celle qui a partagé la couche du roi, ou de la reine, celui qui a fouché a la royauté est de ce fait condamné 4 mort. Le théme de la décapitation-castration,
central
dans
le Roi s’amuse,
trouve
ici
son domaine : l’alcéve royale touche a la mort*. Le rapport de la reine et du bourreau embarque dans la destruction a la fois ’amant et la reine (la royauté). La royauté engendre la mort et la subit 4 son tour, fiit-ce sous
la forme
réduite
de la castration ; le lien sexualite-
royauté-mort s’aflfirme solide. Amy Robsaré. — Or il existe un texte dramatique ot ce rapport s’affirme pour la premiére fois (lié d’ailleurs 4 la destinée des Tudor) et ce texte est le premier directement destiné 4 la scéne. C’est Amy Robsart, oi d’aprés le roman de Scott, Kenilworth, Hugo met en scéne le triangle
de la reine, du favori
et de la maitresse
du favori.
Sur les rapports de cette fable avec l’histoire réelle (ou supposée) de la sanglante Marie faisant exécuter ’homme qu’elle aime, il n’est que de lire les lignes ot Leicester indique 4 son épouse secréte Amy le
sort de favori d’une reine :
32. Ffos 132 et 132 bis.
33. La Mariposa I dont la localisation historique est pourtant bien différente _ (Cromwell) a aussi la particularité d’unir l’Angleterre et la péninsule ibérique. 34, Fo 137 (112¢ cote/63e piéce) aprés 1848 (?). 35. Amy Robsart, le Roi s’amuse, Lucréce Borgia, Angelo, Ruy Blas en sont d’autres
illustrations.:V.
infra,
Ile partie,
p.
602.
196
LE ROI ET LE BOUFFON
Un tréne ? Va, mon Amy, en quittant la reine pour te suivre, quelque chose me dit que je ne renonce qu’a la chance de monter,
un
matin,
non
les marches
d’un
tréne,
mais
l’échelle
d'un échafaud. Elisabeth en termine de la sorte avec ses favoris : la vierge-reine a plut6t coutume de leur demander leur téte que de leur donner sa couronne *.
Ne touche-t-on pas 1a la clef de cette étrange mise sous le boisseau d’Amy Robsart, dont Hugo refusera toujours de parler, qu’il refusera toujours d’avouer * ? Peut-étre est-ce 1a aussi une des raisons qui lui font abandonner le projet si « hugolien » de la Mariposa II. Que faire d’une fable trop proche des textes de Scott, et qui a déja été si largement exploitée non seulement par Hugo lui-méme, et par tant d’autres. Comment en 1829 ou au début de 1830 récrire Amy Robsart, qui date de 1828? En 1833 la chose redevient possible, et lon assiste a un phénoméne de réécriture de la piéce, non sans de profondes modifications. Ce qui est repris, c’est d’abord bien entendu Ja structure de base, a savoir le triangle
fondamental
de la Reine,
de VAmant
et de
VAutre femme. Cette structure de base comporte deux indications que Hugo maintient et développe dans Marie Tudor. La premiére est le danger couru par le favori, l’instabilité de sa position, avec Vinsertion ‘possible d’un processus de couronnement. L’autre indication précieuse, c’est le changement dans la situation de la femme, la possibilité d’une élévation sociale de cette rivale de la reine,
avec
son
introduction
corrélative
dans
espace
du danger,
de Vhistoire et de la mort. Enfin, la structure triangulaire suppose le mensonge, souvent le double mensonge, et par voie de conséquence, un processus de dévoilement, de chute. brusque de tous les masques. Le triangle du favori appelle la scéne de la révélation, centrale dans tout drame hugolien. L’intérét du personnage du favori est pour Hugo de recéler un mensonge fondamental sur Videntité ; la révélation ne porte pas seulement sur la situation amoureuse mais sur l’étre méme. Tel est le progrés de Marie Tudor par rapport 4 Amy Robsart, piéce dans laquelle l’identité d’aucun des personnages n’est mise en question. Christine. — Sans doute Hugo avait-il besoin d’un relais. Ce relais, il a
trouvé
dans
la Christine
de
Dumas.
Curieux
phénoméne
de
double intertextualité : de méme que la Tour de Nesle « engendre > Lucréce Borgia qui engendre a son tour La Vénitienne d’Anicet Bourgeois et Dumas, laquelle engendre 4 son tour Angelo ®, de méme la Christine de Dumas, qui s’est inspiré d’Amy Robsart®, ouvre a son f tour sur Marie Tudor. 36. Amy
Robsart,
V, 3, 0.C., U, 903.
37. M. J. Gaudon nous a confié avoir de Hugo ow celui-ci aflirmait, au mépris
38. Voir p. 265.
eu sous les yeux un papier de Vécriture de toute vérité objective, n’étre Vauteur
39. La Christine de Dumas qui faillit étre représentée a la fin de 1829 au Théatre Francais, finit par trouver sa place a l’Odéon, le 30 mars 1830. C’est Mlle Georges qui interpréte Christine, et Dumas rencontre pour la premiére fois Harel, alors directeur de l?Odéon. Le succés de la piéce fut disputé, mais les applaudissements emportérent. Ajoutons 4 cette chaine la Christine a Fontainebleau de Frédéric Soulié, maladroite tragédie-drame, dont l’échec a 1’Odéon, le 13 octobre 1828, resta légendaire ; elle comportait déja la structure triangulaire Reine-FavoriFemme et, comme les piéces suivantes, Pindication de la pitié de la Reine pour sa malheureuse rivale. Notons que Mlle Georges jouait — déja — la reine Christine.
« MARIE
TUDOR
>
197
L’ensemble de la presse remarqua et souligna le rapprochement entre Marie Tudor et Christine, avec une malice accrue par le débat quasi scandaleux qui occupait alors les deux poétes “. Ce rapprochement est frappant. La scéne centrale, shakespearienne, entre Marie Tudor et Fabiani, sort tout droit de la scéne ot Christine condamne
4 mort Monaldeschi. Et il y avait dans la piéce de Dumas une indication qui n’aboutissait pas, mais par laquelle, se dégageant du mélodrame, il appelait indirectement a4 Ja pitié pour le traitre. Enfin, il avait fenté de donner au personnage de Christine le relief de la durée et de la conversion par cet épilogue dramatiquement maladroit et que les contemporains ne comprirent pas mais qui contenait le plus fécond de Vceuvre, Vindication dun changement des étres par la mort. Hugo n’avait pas besoin de Christine pour inventer la structure triangulaire
du
favori
: c’était
déja
fait;
mais
il trouvait
dans
la
piéce de Dumas la scéne du découronnement, par laquelle la Reine, reniant l'amour, « déshabille » et condamne ’homme qui I’a trahie. Sur ce point le souvenir littéraire de Christine s’unissait 4 celui, historique, d’Elisabeth d’Angleterre. La conjonction d’Amy Robsart et de Christine pouvait faire faire 4 Hugo le progrés décisif. A
ce
niveau
la
réécriture
d’Amy
Robsart
devenait
possible.
L’action se déplacait dans le temps: au lieu de laisser le découronnement du favori dans le champ du possible, Hugo le mettait au centre du drame. La réunion sur la téte du favori de la position de jeune premier et de celle de traitre permettait de supprimer le couple un peu ridicule des traitres de mélo, Alasco et Varney“. Le personnage du traitre s’intériorisait et réciproquement, il pouvait du méme _ coup. une fois découronné et condamné, changer de fonction dramaturgique, et devenir Vobjet du pathétique. Le trait typiquement hugolien réside précisément dans ce renversement, 4 peine esquissé chez Dumas, qui fait de la Reine cruelle, du favori traitre et lache, deux malheureux, objets de la pitié du spectateur. La grande invention de Hugo, celle qui donne son sens a Marie Tudor, et ’empéche de n’étre que Je banal « remake » de plus d’une piéce fondée sur le canevas tout aussi banal de la reine et du favori — c’est le réle dévolu 4 la mort. A partir de linstant ot le bourreau se trouve présent sur scéne, présence scandaleuse et indispensable, tout l'ensemble de la structure dramatique bascule. Non seulement la mort est le grand révélateur, le catalyseur des sentiments vrais (idée qui n’est pas d’une originalité foudroyante) mais elle est l’outil d’une remise
en ordre. Par sa présence,
les mensonges
s’abolissent,
le scan-
dale de la puissance est mis en cause ; image illusoire de la justice, elle désarme le tyran et met au destin le sceau de la légalité; elle _ retrouve ainsi dans le théatre de Hugo sa fonction proprement shakespearienne. Voila pourquoi la condamnation a mort du favori occupe dans l’ceuvre cette position centrale. C’est la mort pensée qui provo-
que chez les différents personnages, cette radicale conversion. II y a une positivité de la mort remettant en question toutes les forces et -méme toutes les valeurs. On ne sait ot va cette positivité, et si elle aboutit 4 sauver le coupable, ou 4 préserver l’innocent : Vhésitation _ de Hugo devant son dénouement n’est pas surprenante. re Voir plus loin Les préludes
rae. Présents
de la représentation,
dans la Christine de Soulié
(qui s’inspire assurément
d’Amy
Rob-
198
LE ROI ET LE BOUFFON
Hugo récrit Hugo. — Si les critiques remarquent que Hugo imite Dumas, ils n’en soulignent pas moins la monotonie du thédire de Hugo et absence de vergogne avec laquelle il s’imite lui-méme. Ce n’est pas faux : les ressemblances entre Lucréce Borgia et Marie Tudor sont éclatantes, l’une et ’autre héroines du mal dans la puissance ; a la division intérieure simultanée et si l’on ose dire spatiale de Lucréce
Borgia,
correspond
la division
intérieure
successive,
ins-
tallée dans la durée, qui est celle de Marie Tudor; a la coupure secréte dans son intériorité que vit jour aprés jour Lucréce Borgia correspond et s’oppose la coupure brusque des sentiments au niveau de la mort, vécue par Marie
Tudor.
Dans
un cas comme
dans l’autre,
le pouvoir, monstrueux d’ordonner la mort se retourne contre son origine. Mais la différence est claire: lintervention de la durée, la
substitution du passage a la situation éternellement répétitive signent Vintervention de l’histoire, et la politisation de la piéce. C’est par rapport au Roi s’amuse que cette politisation est particuliérement visible. Hugo reprend au Roi s’amuse la structure triangulaire maitre-femme-valet
(la reine, Jane, Gilbert), un peu camouflée
du fait que le maitre et le valet ne sont pas du méme sexe, et que la situation de service clairement indiquée“, mais non dramatique-ment soulignée, parait accidentelle. La structure maitre-valet, redoublée ici par le couple Fabiani-Gilbert * (et le nouveau triangle quwils constituent avec Jane) trouve une solution inverse de celle du Roi s’amuse.
La révolte
du servilteur
aboutit
4 un
résultat favorable,
non
que ses possibilités intrinséques soient plus. grandes, mais parce qu'elle s’insére dans un autre contexte historique. Gilbert se venge et se sauve parce qu’il bénéficie d’une situation « révolutionnaire > : l'accord accidentel d’une part de la noblesse, du bourgeois Simon Renard et de la volonté populaire, lui permet d’échapper au destin fatal : jamais on n’a mieux dit que l’esclave ne se sauve pas tout seul, mais que dans ce contexte historique précis, la révolution qui le sauve est elle-méme accidentelle. Enfin, comme dans le Roi s’amuse, mais avec une netteté plus grande encore, Hugo pose dans Marie Tudor le probleme de la royauté. La royauté est représentée, ici, non comme faible parce que dissolue, mais comme faible parce que féminine (« Lorsqu’une femme régne le caprice régne“ »). Contrairement au Roi s’amuse ou la décapitation n’est présente qu’au niveau de la parole, dans Marie Tudor la royauté est montrée comme puissance mortelle confrontée et identifiée au bourreau. Ainsi donc, V’écriture de Marie Tudor par rapport 4 des éléments littéraires préexistants apparait comme riche et méme confuse. Les phénoménes d’intertextuaiité y jouent un rdle particuliérement grand. Nous
méme
sommes
loin
des
beiles
structures
de Lucréce Borgia. L’emboitement
42. Voir deuxieme journée, de moi, de ma liberté, de ma
claires
du
Roi
s’amuse,
ou
des deux. structures triangu-
scéne 4, O.C., IV, 808 vie et de ma volonté,
: « ... Vous selon votre
pourrez plaisir.
disposer >
43. De la Laide apportée par Gilbert au camouflage de Vassassinat du Juif (IL, 7) et le détail étrange de l’argent que Gilbert accepte pour ce service (ibid., 794). 44, I, 1, O.C.,
ce qu’elle
veut.
reine elle-méme
On
IV,
ne
776.
peut
Voir.
aussi
compter
se désigne comme
Ili,
sur
« femme
1, 2 : «
rien,
La
c’est ume
», « faible
reine
est
femme.
folle et
» ibid.,
ne
824.
», « folle », ibid., 826.
sait
La
« MARIE
laires 4, et la présence
d’un
TUDOR
double
»
199
contexte
historique,
celui de la
France de 1830, et celui de l’Angleterre de la fin du xvi° siécle, autant deléments qui font de Marie Tudor (avec les Jumeaux inachevés) la
moins lisible des pieces de Hugo. Comédiens. de theatre.
—
Le texte de Marie
Au théadtre, quand
Tudor
est avant tout un
on parle d’ « intertextualité
texte
», ce nom
un peu barbare “ prend immédiatement un sens précis : quand Hugo ou Dumas reprennent et récrivent des textes qu’ils connaissent, non seulement ils le font délibérément, mais ils peuvent le faire parce quw’il s’agit non pas de textes lus, mais d’ceuvres vues. La moitié du « langage » dramaturgique, celle de la régie des décors, des acteurs, leur est commune. Hugo peut récrire Christine, ou la Tour de Nesle puisque c’est la méme Mile Georges qui joue Christine, Marguerite de Bourgogne, Lucréce Borgia, Marie Tudor. Il y a un texte Georges, comme il y a un fexte Dorval qui arrive aux auteurs, si l’on peut dire, tout écrit. L’intertextualité se fait déja indépendamment de la volonté des auteurs, par la présence physique des acteurs, cette « aura » qui est la leur, et qui est faite de la superposition dans la sensibilité des sspectateurs de tous les réles qu’ils ont joués. Quand Mile Georges joue Marie Tudor, elle est encore Christine et Lucréce, et l’on sait V’irrésistible séduction trouble que Dorval habituée aux réles de prostituée et de victime marquée apporte aux roles de femmes pures, la Kitty Bell de Chatterton, ou la Catarina d’Angelo. Quand Frédérick joue Gennaro ou Ruy Blas, il ne cesse jamais d’étre en méme temps le truculent bandit Robert Macaire. Autant d’éléments qui font du texte
dramatique un texte 4 part. Or, Hugo se trouve en face du triangle Bocage-Georges-Juliette et il n’a pas pu ne pas écrire en fonction d’eux une piéce quasiment de commande. Georges avait été Lucrece et il a dii « entendre » Marie Tudor avec cette voix aux accents impérieux. Non qu’on puisse penser a une véritable construction en fonction d’un acteur, mais il se fait une sorte de confusion entre la voix“ de l’acteur et celle de Yauteur “. Techniquement Hugo sayait qu’il pouvait faire confiance a Georges, 4 son souffle, 4 son ampleur vocale pour assurer les grands mouvements du terrible dernier acte ; certaines caractéristiques du personnage les sens
ne peuvent se comprendre
de ce mot)
de Georges,
que par la présence
(dans tous
actrice ; ainsi la violence,
la relative
vulgarité du langage de Marie ne pouvaient prendre leur relief que par l’extréme dignité de Georges. Enfin quelle est l’actrice du temps qui eit pu porter sans ridicule la métaphore de « lionne” » ? Hugo connaissait moins Bocage et ne laimait guere. L’incertitude du « timbre » de Gilbert (que M. Descotes traite de « personnage 45. Structures
qui peuvent
se présenter
ainsi :
Fabiani
La
La Reine
Gilbert
ou
TpSbee poe
Reine
Fabiani
renal Gilbert
Jane
46. On ne peut coniondre intertextualité et influence ou suurces : il y a intertualité quand il y a reprise d’un texte littéraire en vue d’une écriture autre. 47. A la fois au sens usuel et au sens bakhtinien de ce mot. Cf. lle partie,
p- 104-105.
48. Ainsi
Giraudoux
49, Marie
Tudor,
donnant
au mendiant
d’Electre
le phrasé haché
de Jouvet.
Ill, Il, 1. « Silence ! C’est la lionne qui guette. » O.C., IV, 843.
200
LE ROI ET LE BOUFFON
particuliérement falot ® » — ce qui est cruel sans étre totalement injuste) a peut-étre pour une part cette origine. Peut-étre Hugo avait-il compté sur la force brutale et « popu-— laire » de Frédérick, sur le climat d’outrance inquiétante qu’il pro- | menait avec lui pour donner 4 Gilbert ce caractére de héros du | peuple. Plus que tout autre le théAtre romantique est aussi fait avec | la chair et la voix de ses interprétes. Reste le probléme de Juliette. Nul doute que l’une des préoc-— cupations essentielles de Hugo n’ait été de faire 4 Juliette une place majeure dans la piece. Le réle qu’a pu jouer une pareille préoccupation dans l’écriture est difficile 4 mesurer : certes il n’est pas étran-_ ger a Vidée d’une confrontation entre deux femmes, la « gazelle > et la « panthére ». Le poéte aurait di penser qu’en général les gazelles souffrent d’une telle promiscuité. La piéce parait raconter, transposée, — la biographie de Juliette, passée de la situation la plus humble au — rang de reine de Paris ™, puis optant pour la misére amoureuse contre — le luxe et l’éclat. Hugo pouvait-il penser que Juliette saurait exprimer des sentiments gu’elle savait si bien ressentir et suggérer dans le privé ? Ces illusions banales, un peu grossiéres, fleurissent, paradoxalement,
dans le milieu le mieux fait pour les détruire,
. détail nous Jane,
permet
a pensé
de penser
4 Juliette;
que
une
Hugo,
note
dans
au théatre. Un
l’écriture
manuscrite,
du rdle de
antérieure
4 Marie
Tudor, de toute évidence, indique que Juliette « a un peu du talent de Mme Dorval ». Or a qui appartient cette diction caractéristique du role de Jane, sinon 4 Marie Dorval, pour laquelle Hugo avait rajouté en 1831, des tirades en « style Dorval ». Pour Juliette, Hugo fit du « style Dorval >.
HUGO
ECRIT
MARIE
TUDOR
Le poéte attendit la derniére minute pour remplir ses obligations et rédiger Marie Tudor. Le 14 juillet 1833 il écrit a Louise Bertin une lettre qui le montre s’amusant, chemin faisant, 4 des broutilles comme
le livret de Notre-Dame
de Paris dont Louise composait la musique :
« ..Je mets sous le méme m’avez
demandés.
J’espére
pli les quelques
qu’ils ne vous
vers que yous
ont pas fait faute.
Je suis d’ailleurs jusqu’au cou dans le travail, éperonné des deux cotés par Renduel et Harel, qui sont bien les deux plus ennuyeux hommes de négoce qu’il y ait. J’ai déclaré 4 Harel quwil n’aurait pas ma piece avant le 1° septembre, et malgré ses lamentations, incantations et gémissements, j’en suis. resté la. Que saint Georges et saint Martin lui soient en aide®! En fait, le traité imposait 4 Hugo cette date du 1° septembre. Cette perspective plonge Hugo dans le désarroi ; un signe psychosomatique qui ne fait jamais défaut : il souffre des yeux *; il l’écrit le 6 juillet 50. Op. cit., p. 254.
51.
« Toi, la femme
52. O.C., IV, 1104.
58. Cf. les douleurs
2
..... de ton siécle
de 1’été 1839,
», lui écrivait
lors
Hugo
de la rédaction
cinquante
des
ans.
Jumeauz.
plus
tard.
« MARIE a la méme more *, Nous
Louise n’avons
Bertin, aucun
nous repérer dans la Hugo, confiant dans sa de son cuvre. Or le premier acte ne se tiendra pas a sa
TUDOR
et le 2 aot
jalon, aucun
»
- 201
4 Marceline
brouillon,
Desbordes-ValL
qui nous
permette
de
rédaction préliminaire. Le 8 aout seulement, facilité de rédaction, se lance dans |’écriture de Marie Tudor est un faux premiére version.
départ, et Hugo
Les deux versions du premier acte : entrée en scéne de Uhistoire. — Nous butons sur le plus irritant des problemes génétiques : pourquoi la premiére version, sobre, dramatique, vivante, correspondant d’une facon trés claire 4 l’un des schémas fondamentaux de la piéce, a-t-elle été remplacée par la pire des expositions de Hugo, lourde, embarrassée, semée de personnages encombrants (comme celui du Juif), de chassés-croisés inacceptables et de jeux étranges avec les objets (papiers, poignard) ? La premiére version marque un processus d’ « intronisation » du fayvori et parait annoncer un drame 4 structure simple, intronisation puis détronisation du favori*, reprenant 4 la fois Amy Robsart et peut-étre le Roi s’amuse (avec le personnage de Jane, voisin
de celui
de Blanche)
; on
peut faire
une
hypothése :
Marie Tudor serait un drame de structure aussi simple que Lucréce : le favori « couronné » au premier acte, serait au dernier conduit a V’échafaud, pour avoir trahi la reine avec Jane. On imagine mal en effet ce lumineux premier acte, si peu « chargé de matiere », amenant
Vintrigue implexe de la piéce que nous connaissons ; en effet dans cette premiere version, Fabiani ne connait pas Jane qu'il apercoit pour la premiere fois, et il n’est pas encore l’amant de la reine qu'il est juste en train de séduire ; c’est Simon Renard qui, jouant le réle du « diable », jette dans les pattes du favori la jeune femme qui doit le perdre, et spéculant sur sa naive ambition, « dépose dans sa fortune le germe de sa ruine * ». Mais
dans
ce cas, ou trouver
de la condamnation
la place
de la séduction
de Fabiani et de ce retournement
de Jane,
qui fait reculer
Marie devant la mort de celui qu’elle aime ? Il efit fallu pour le moins un autre acte d’exposition. Comment montrer alors Vidée-clef de la piece, cette conversion des sentiments devant la mort, qui jette la reine aux pieds de Fabiani qu’elle a condamné et Jane aux pieds de Gilbert qu’elle a trahi ? Aussi la seconde version du premier acte est-elle renvoyée a un autre
moment
de la durée:
Reine, mais Jane, et Simon erreurs du favori. L’action que l’on puisse en déduire, de « centrer sur le coupte depuis longtemps. Rien ne 54. Le 6 juillet
Fabiani
: « J’ai toujours
2 aout : « Je suis prendie) een 55. Voir Ile partie, p. 147. 56
O.C., IV, 764.
57. Ibid., 756.
58. L, 1, ibid., 774-775.
a déja séduit,
non
seutement
la
Renard s’appréte 4 recueillir le fruit des se déplace en direction de Gilbert. Non comme le veut J. Massin, que Hugo décide Gilbert-Jane*” » : peut-étre était-ce prévu nous permet de savoir sur ce point s’il les yeux bien malades
» (O.C., IV, 1104),
et le
je ne puis ni lire, ni écrire » sabe 1106).
202
LE ROI
ET LE BOUFFON
s’agit d’une simple modification technique, ou d’un changement radical de perspective. La seconde version contient toute une série d’éléments nouveaux : l’histoire s’y montre avec son visage d’opposition tragique entre la royauté et le peuple, entre la splendeur de l’une et la misére de l’autre : « Pendant que la reine rit, le peuple pleure. Et le favori est gorgé. Il mange de l’argent et boit de l’or, cet homme. >» La royauté apparait ici avec son cortége de martyres et d’exécutions: « Ah! ils ménent joyeuse vie, Jes amoureux, pendant que le coupetéte a leur porte fait des veuves et des orphelins *. » Toute la piéce, dés cette premiére scéne, est nécessairement orientée vers la satire de la royauté, reprenant avec une énergie infiniment plus grande le theme
du Roi s’amuse
(« la reine
rit »). Addition
capitale,
appelant
la confrontation de la reine et du bourreau. Autre développement politique nouveau, J’affirmation de Vindifférence aux guerres (religieuses ou politiques) : « Vois-tu Gilbert, quand on a les cheveux gris, il ne faut pas revoir les opinions pour lesquelles on faisait la guerre, et les femmes a qui l’on faisait ’amour a vingt ans ®*. » Serait-ce que pour la premiére fois, dans Marie-Tudor, Hugo glisse des allusions personnelles © ? Enfin, si le théme de l’ouvrier jaloux du luxe et de la splendeur des beaux seigneurs trouvait déja sa place dans la premiére. version, son extension « sociale » est ici nettement plus grande : non seulement, il y a jalousie sexuelle ®, mais il y a Vindication d’une guerre plus générale : « O rage! étre du peuple ! n’avoir rien sur soi, ni épée, ni poignard ! » Cette formule un peu grandiloquente ne doit pas dissimuler affirmation de l’inégalité juridique et sociale : « Un gentilhomme qui tue un juif paie quatre sous d’amende ; un homme du peuple qui en tue un autre est pendu. > De 1a le défi qui engage le drame : « Fabiani. — Toi! Te venger de
moi! toi si bas, moi si haut! tu es fou! je ten défie®! » Crest Vopposition de homme du peuple bafoué et du grand, insolent et criminel, qui conclut l’exposition du premier acte. La projection de Vaction 4 un moment plus proche du dénouement permet l’insistance sur les éléments référentiels, 4 la fois autobiographiques et sociopolitiques. Le premier acte ouvre déja, d’une facon trés complexe, sur la double structure triangulaire ™. Décapitation du double. — Le 8 aotit, Hugo commence donc la rédaction de la premiére version de l’acte I; il en rédige allégrement quelques pages (ff 108 A 110) et s’arréte 4 « Voila un homme qui yous aime » (110 r°). Tl rédige Je lendemain (9 aotit) le long récit de Joshua, jusqu’a « Venfant c’était vous » (f 112 r°), et le 10, il
achéve d’une seule traite tout le reste de l’acte, au bout duquel il met la date du 10 (f° 125). 59. I, 2, ibid., 778. 60. Ainsi
Pinquiétude
de ’homme
telativement
teneurs, quand il tient a une fille « belle 61. Contre « les beaux gentilshommes
déja, 1re version, ibid., 762. 62. I, 7, ibid., 796.
pauvre,
en face de riches entre-
et charmante, ... digne d’un roi >». dorés et chamarrés », I, 3, ibid., 783
et
;
63. Reine-favori-temme ; homme du peuple-privilégié-femme ; voir lanalyse des schémas supra, p. 199. Dans quelle mesure n’y a-t-il. pas eu changement d’optique, le cenire passant de la Reine 4 homme du peuple ?
64. Cetle premiere version numérotation des folios.
a été reliée 4 la suite du ms.
de la piéee, de 14 la
€ MARIE
TUDOR
>»
203
Hugo passe la journée du 11 aofit 4 reprendre et a4 repenser son exposition. Le folio 9 porte la date du 12 aout, date 4 laquelle Hugo reprend a zéro la rédaction de l’acte I. Il rédige ce jour-la toute la premiére scene de la premiere journée. Le lendemain 13 aoit, il rédige les scénes II et III jusqu’a la fin de la scéne III (tiret d’interruption, folio 21 verso). Le 14 aofit, Hugo rédige jusqu’au folio 2 verso (« En sorte que personne ne le sache »), et le 15 jusqu’au folio 31 recto, fin de la scéne 6 (meurtre du Juif par Fabiani). Le lendemain 16 aotiit, Hugo termine l’acte I, et indique la date au bas du folio 36
recto.
Hugo
commencant
la rédaction
de la deuxiéme
journée
marque
« 17 aott », en haut du folio 38 recto, et il rédige la premiere
scéne
et les premieres répliques de la scéne II (« Cet homme porte un nom en i »). Le lendemain 18, il rédige la scene II jusqu’a la sortie de Simon Renard, et le petit nombre des répiiques écrites ce jour-la est le signe de son embarras. Le 19 aoidit, c’est la scéne II et la premiere partie de la scene IV jusqu’a apparition de Gilbert (« Ciel ! Gilbert ! —
f°
46
v°).
Il s’agit
la
d’un
ensemble
organisé,
la
scene
entre
Gilbert et la Reine étant équilibrée par la scene suivante enire la Reine et Jane. Le 20 aotit voit la rédaction de la fin de cette scéne
(« Je ferais tout
» —
f° 50 r°). Hugo est inspiré pour la scéne 5, la
scene 6 et la scene 7 et rédige jusqu’au milieu de la scéne 7, le mouwement
du démasquage
(f° 56 r°):
« Milords,
mettez
cet homme
de
‘force a genoux / » Seion la loi d’accélération, déja constatée, et dont Hugo parle a Fontaney ®, Hugo rédige le lendemain 22, jusqu’a la fin de l’acte. Au folio 64, Hugo indique non seulement la date du 22 aoit, mais Vheure : minuit trois quarts. Le poete, en retard sur son horaire, s’accorde cependant trois jours de réflexion puisqu’il ne reprend la rédaction que le 25 aoit ™. La rédaction des journées III et IV, ou plus exactement de la 17° partie et de la 3° journée, est confuse: le folio 71 est daté du 23 aoit, et marqué A 3, puis B 3 bis, puis C 3, le recto en Vindication : scéne 1, la Reine, Simon Renard.
est biffé ; il portait Donc Hugo a tenté,
le 23, une rédaction de la 3° journée, rédaction qui a avorté et qu’il lui a fallu repenser le 23 et le 24. Dans cette rédaction compliquée du début de la 3° journée, rédaction semée de biffures, il semble que _ Hugo soit allé le 25 aoft jusqu’au folio 73 recto (« J’ai le bourreau » — milieu de la scene 4). Le 26, il va jusqu’au folio 76 verso — fin de la scene 5, et le 27, il s’arréte 4 la premiere partie de la scéne 7 « Gilbert, je taime! » Le 28 ia suite de la rédaction de la méme scene jusqu’a: « C’est par lui que je devais commencer » (f° 84 r°). Le 29 aout, Hugo écrit toute la fin de la 1° partie de la 3° journée (f° 91 r°). Le 30 aout, Hugo pourrait écrire la 2° partie de la 3° journée, jusqu’au folio 96 recto : « Tout pour Gilbert ! Allez! » (fin de la
scéne 1). Et le lendemain 31, il terminerait ia piece, respectant ainsi les délais prévus par le contrat avec Harel. Ce n’est pas fini; le premier dénouement prévu, la mort de Giibert, ne satisfait pas Hugo. Un bout de papier
collé indiquant
le second
dénouement
et la substitu-
65. Journal de Fontaney, O.C., IV, 1269 : « Il (Hugo) commence un drame et fait d’abord 8, 10, 20 vers par jours, puis 40, puis 100, puis jusqu’a 200 et plus. > 66. Une édition critique de Marie Zudor apporterait peut-étre des renseignements plus précis.
204
LE ROI ET LE BOUFFON
tion de la mort de Fabiani 4 celle de Gilbert, porte la date du 1° septembre
(méme
A propos tembre,
que
deux
écriture,
méme
de ce second questions
encre que le texte qui précéde),
dénouement,
et de la date
du 1° sep-
se posent :
1° Vu Videntité de la graphie, il ne serait nullement impossible notre reconstitution chronologique de la troisieme journée soit
erronée, et que la rédaction
ne se soit terminée
non le 31 comme
nous
Vavons pensé, mais le 1°. Notons 4 ce propos qu’un folio a disparu, le folio G 3 aprés 77: il n’est pas impossible qu’il y ait eu dans cette feuille manquante un tiret d’interruption de rédaction; une autre hypothése plus plausible serait ’achévement de la piéce, et le changement de dénouement accompli dans la nuit du 31 au 1° : Hugo achevant aux aurores Je manuscrit de Marie Tudor aurait indiqué triomphalement,
a la derniére
ligne, la date
du 1° septembre
conforme
4
son
contrat. 2° C’est la premiere fois que nous voyons Hugo modifier, non les modalités de son dénouement, mais sa structure méme ; certes, le
pardon de Didier 4 Marion représentait un changement dans les rapports des personnages, de méme que les hésitations autour du meurtre mutuel de la mére et du fils dans Lucréce Borgia. Mais dans Pun et l’autre cas, la modification
ne touchait
pas 4 ’événement.
Ici,
e’est ensemble de la fable qui bascule. Nous avons vu comment la double structure de Marie Tudor était faite de ’emboitement de deux schémas,
celui
de l’intronisation-détronisation
du favori,
et celui
de
la rivalité de l’aristocrate et de ’homme du peuple dans la conquéte de la méme femme, le premier dénouement correspond au premier schéma : le démasquage du roi de carnaval est poussé logiquement jusqu’a sa disparition. Mais le second schéma comporte le triomphe et ia survie de homme du peuple dominant I’ « aristocrate » décadent. Hugo aprés une hésitation significative a opté pour la prédominance du second schéma, et, pris par la signification politique de la piéce, il a choisi la solution optimiste libérale. Quand en 1838, il reprendra Je double schéma dans Ruy Blas, il optera pour une solution pessimiste. — Hugo modifie son texte jusqu’au jour de la représentation. Une variante qui n’a pas été maintenue, mais dont nous sommes sirs qu’elle fut jouée a trouvé place dans un brouillon inédit du manuscrit”. Sur ce feuillet qui contient aussi une liste d’invités ®, Hugo a indiqué une modification singuliére de la 17 scéne de la 3° journée, 2° partie, probablement dés les premiéres répliques de la 1" scéne. Voici ces répliques :
Joshua entendez-vous ? Ah ! c’est un lieu sinistre que celui-ci, mais ne vous effrayez de rien. Vous étes avec moi. — Joshua, voyez-vous? — Ne vous effrayez pas, vous dis-je !
67. Ms. Bn Nafr, 13385, f° 138, papier blanc. 68. Entre
autres
moins
connus
Jules
Lacroix,
Mme
le mari jouait dans la piéce), MM. Brindeau, Feuillide teur de V’Europe littéraire, qui soutenait Hugo).
Desbordes-Valmore
(Capo
de
Feuillide,
(dont
direc‘
« MARIE
C’est ici qu’on
TUDOR
les ensevelit,
»
205
ce que
vous,
voyez
sous
vos
pieds et autour de vous, ce sont leurs tombes. De tous les corps qui sont dans ces tombeaux, il n’y en a pas un qui ait sa téte ™.
Ce texte marquant avec une telle netteté l’obsession de la décapitation n’a pas été maintenu par Hugo. Mais un témoignage nous apporte la preuve qu’il a bien été joué : un amusant opuscule intitulé Marie Tudor racontée par Madame
Pochet a sa voisine™, trés précieux
pour une étude de détail de la mise en scéne de Marie Tudor parce qwil ne nous laisse rien ignorer des décors et des costumes”, donne de la représentation une image 4 la fois « réaliste » et déformée, sous la forme du récit d’une concierge 4 sa voisine. A la fois favorable 4 Hugo et passablement satirique, ce petit récit n’a pas perdu sa
force comique. En l’occurrence, voici comment Mme Pochet rend compte de la séquence des décapités : « C’est le cimetiére des condamnés, vous en reconnaitriez pas un, si vous pouviez les voir, parce qu’y sont tous sans téte. Y sait ca lui [Joshua], parce qu’il est inspecteur des catacombes (p. 78) (...). Les tétes tiennent pas trop sur les épaules
dans
c’pays la (p. 85). » Peut-étre
le spectateur n’en serait que trop persuadé. primitif, plus court.
UNE
BATAILLE
Hugo
a-t-il pensé
que
Aussi revient-il au texte
INTERNE
Le nerf de la guerre. — Nous savons comment Hugo et Harel se sont mis vaille que vaille d’accord a propos de la nouvelle piéce. Des
le début
de juillet,
les rumeurs
vont
bon
train,
et le 10 juillet,
le Courrier des thédtres annonce : « M. Harel vient de traiter avec Victor Hugo, d’un nouvel ouvrage sur lequel il y a dit-on, des espérances a fonder. » En fait, le traité n’est signé que le 15 juillet 7. Nous en indiquons ici les stipulations principales : « M. Victor Hugo s’engage a livrer 4 M. Harel le 1° septembre prochain, pour étre representée sur son théatre, une piece de l’étendue ordinaire — un ouvrage en
cing actes
intitulé : (un blanc
4 la place
du titre). » D’ow
il suit
que Hugo n’ayait fixé ni son sujet ni la forme, prose ou vers ; il préservait donc autant que faire se peut sa liberté d’écrivain. Les stipulations financiéres étaient passablement contraignantes : Hugo devait recevoir « dix pour cent sur chaque recette tant que la piece de M. Hugo pourrait étre jouée seule », et dans tous les cas
« pendant les 25 premiéres représentations ». D’autre part, les primes 69. Texte probablement placé aprés la deuxiéme réplique de la scéne 1 (« Sur le grand palier par ot descendent les condamnés qui vont au supplice »). La fin de l’addition, séparée des précédentes, porte sur la présence improbable de la reine ; nous n’avons pas de preuve qu’elle ait été jouée. 70. Paris,
Vero-Dodat,
s.d.
71. Un exemple seulement, emprunté 4a la méme scéne : « La reine descend par Vescalier qui monte, elle est habillée toute de noir, pas d’papillottes, les cheveux ca et la, les yeux sens d’sus-d’sous, qu’on croirait qu’elle est somnambule, avec ca pas de couleur du tout, pale qu’on dirait qu’elle n’a pu une goutte de sang
dedans
les veines
» (p. 80). Cette
72, Papier blanc fil. J. Whatman. Hugo et le brouilion de la main de Marie
Tudor,
au
folio 151,
Mme
Pochet
sait
voir.
2
Le texte signé se trouve a la Maison Victor Hugo figure dans V’annexe du manuscrit de
206
LE ROI ET LE BOUFFON
promises étaient considérables : « 1000 frances comptant
4 Ja remise
du manuscrit, le recu de ladite somme et le recu du manuscrit devant étre échangés en méme temps » (la confiance régnait). Enfin Hugo
devait toucher 1000 francs comptant si les 26 premiéres représentations produisaient 60000 francs, 2000 si elles produisaient 75 000 et 3000 si elles produisaient 100 000 francs. Visiblement Pun et lautre espéraient un succés financier comparable a celui de Lucréce Borgia. Hugo, pour des raisons littéraires autant que financiéres, exige des reprises de Marion de Lorme et de Lucréce Borgia. Raisons littéraires : Hugo n’a pas renoncé a l’espérance de créer, grace a la présence d’un ensemble dramatique cohérent, le public capable de Ventendre”. Harel doit donc s’engager 4 donner 4 la Porte SaintMartin autant de représentations qu’il est nécessaire pour compléter ici le 1° septembre, le chiffre de 80 représentations, sauf 4 payer a Hugo une astreinte de 125 francs par représentation manquante ™. D’ici la fin de l’année 1834, c’est 105 représentations de Lucréce Borgia qui devront avoir lieu. Pour Marion de Lorme, sont prévues une reprise en automne et 6 représentations en 1834. Le contrat
insiste
sur
le « temps
» : Harel
« fera
connaitre
a
M. Hugo sans désemparer s’il accepte ou non » sa piece ; d’autre part -« la remise de la piece de M. Hugo a M. Harel.le 1° septembre est de rigueur de la part de M. Hugo” ». Tant que la piece n’est pas remise, c’est l’idylle” : Harel et Georges révent tendrement des prospérités qui vont suivre. Quand ils recoivent le manuscrit, ils déchantent ; non que le texte leur déplaise, mais ils voient ’argent qu’il va cofiter. Suit un marchandage acharné. La crise éclate trés vite puisque dés le 7 septembre Harel réclame un nouveau traité. Les relations sont suffisamment tendues pour qu'il écrive a Hugo : « Il me semble que l’acte que je vous envoie précisait mieux qu’une lettre nos futures relations, méme dans votre intérét puisque les primes y sont rappelées”. » Hugo a di réagir violemment, si violemment que Harel croit nécessaire d’expliquer 4 nouveau son point de vue A Hugo. Point de vue de directeur de théatre et d’>homme
d’affaires ; c’est chiffres en main qu’il se présente 4 l’auteur dans la 73. Voir plus haut, Hugo et le thédtre en 1831. Nous verrons comment le probléme de la reprise des piéces de Hugo a la Comédie Frangaise sera loccasion non seulement de conflits violents, mais du procés de 1837. 74. Si cette clause n’est pas remplie, Hugo peut non seulement retarder la remise de son manuscrit, mais méme le reprendre 4 partir du ler octobre. 75. On comprend que Hugo se soit quelque peu précipité dans sa rédaction. 76. La lettre inédite du 15 aott 1833 de Harel & Hugo en témoigne : Monsieur,
Je
vous remercie des bonnes et affectueuses paroles que vous m/’avez dites hier. Tout de suite je les ai transmises par la poste & Mile Georges qui ne voit le théatre, son art, sa profession, que pour vous et par vous... Gardez-moi,
Monsieur,
je les justifierai de tous Le 20 au matin, je de votre manuscrit, Vous retrouverez A et toutes les prospérités
15-8.
Direction
du
vos
dispositions
points. serai chez vous
bienveillantes
et jen
sortirai
(7 septembre).
bien
les feuilles
que
d’or
Ja Porte Saint-Martin la mise en scéne, Pexécution, de Lucréce Borgia. Agréez mille tendres respects. F Harel. théatre de la Porte Saint-Martin.
Letire inédite ; copie obligeamment fournie par J. Gaudon. 77. Lettre inédite, manuscrit de Marie Tudor, f° 156, papier Martin
et croyez
avee
de la Porte
Saint-
« MARIE
TUDOR
»
207
letire partiellement reproduite dans le Victor Hugo raconté, « louvrage est beau, tres beau. Son grand succés est plus que probable. Mais précisément parce que je compte sur le mérite intrinseque de la piéce, j’éviterai, si vous ne m’y aidez pas, de me jeter dans des dépenses
folles,
et, selon
moi,
inutiles.
La
Chambre
ardente,
ceuvre
@auteurs qui n’ont certes pas votre réputation”™, a réussi sans un sou de décors. I) en sera de méme de Marie d’Angleterre™. La suite de la lettre indique clairement l’appel a un marché, a une concession de la part de Hugo: « ces dépenses (...) je les eusse faites, a votre volonté
(...) Etait-ce
trop pour
cela de vous
demander
ce que je vous
ai demandé ? » Quelle concession ? Surtout la limitation des reprises de Lucréce
Borgia. Hugo,
furieux,
se fit tirer l’oreille
: Harel,
comme
le souligne le Victor Hugo raconté, engageait un maquignonnage le seul point que ne précisait pas le contrat ®. Hugo
cede;
une
lettre du poéte
4 Harel
dont
nous
avons
sur dans
le dossier Marie Tudor (f° 152) la copie faite par Harel sur le papier de la Porte Saint-Martin © en fait foi : Monsieur,
Prenant en considération les dépenses considérables auxquelles vous oblige la mise en scéne de mon drame : Marie 78. La Chambre ardente, par Bayard 79. V.H.R., O.C., IV, 1220-1221. 80. Harel a Hugo.
et Mélesville,
6 aoat
1833.
12 septembre (1833). Mon cher monsieur Hugo, Ma confiance dans la piéce est restée entiére. Je crois 4 un beau succes, vous n’avez done pas compris. _ Il n’était dans ma lettre question que des dépenses. Elles sont énormes. Quatre décorations neuves dont une trés compliquée, des costumes neufs. Depuis que je suis directeur, je n’ai rien monté d’aussi onéreux, or quelle que soit la piéce, il m’est impossible de rentrer dans mes dépenses, si, aux 10 % que je vous devrai s’ajoutent les droits des piéces qui accompagneront la vétre. En cas d‘insuccés je suis éreinté. En cas de piéces comme Lucréce, 4 peine si je joins les deux bouts et cela avec une piéce de M. Hugo, au ceur de Vhiver. Calculez. Dépenses matérielles de mise en scéne : AS pew) pres). o.)e% Si DUAR IGE aH O AOC acca Ce eee Dene 25 000 BOCALE aiicsietarareniods scsi eTaes © tide Hemi ier |» ». Mais ce serait accorder A cette « bataille de dames » une importance littéraire excessive! Harel peut étre progressivement tenté de choisir Dumas contre Hugo : Dumas est « moins cher >, plus facile 4 manier, plus lié avec les journalistes — surtout les journalistes libéraux qui lui sont, pour des raisons que nous commen¢ons a voir, bien moins hostiles. Les motifs de la capitulation de Hugo sont paralléles et inverses : le désir de faire réussir Marie d’Angle82. Voici
le texte du deuxiéme
Entre Royale, Et
M.
Victor
Hugo,
traité
:
homme
de
Harel,
directeur
de
la
Porte
Saint-Martin, n° 14, d’autre part, il a été M. Hare] s’oblige A suivre exactement partie de Marie d’Angleterre que pour les les indications qui lui seront données par De
lettres,
demeurant
a
Paris,
place
n° 6, d’une part, M.
son
cété,
M.
Victor
Hugo,
voulant,
Saint-Martin,
demeurant
boulévard
convenu et stipulé ce qui suit : tant pour le décor de la quatrieéme autres détails de la mise en scéne M. Victor Hugo. autant
qu’il est en lui, compenser
pour M. Harel ce que cette dépense extraordinaire aura d’onéreux prend Vengagement formel qui suit : Le premier ouvrage dramatique que composera M, Victor Hugo sera porté au théatre dirigé par M. Harel et ne pourra que sur son refus étre représenté sur un autre théatre. Cet ouvrage sera en prose et aura la dimension des piéces ordinaires en cinq actes. Les droits d’auteur et les primes pour Vouvrage dont il s’agit seront les mémes que pour Marie d’Angleterre. ( Vingt-cing mille francs de dommages-intéréts seront immédiatement acquis au premier contrevenant aux obligations stipulées par le présent traité. ; Fait double, le 15 septembre 1833.
Approuvé,
Il est
entendu
que
la mise
en
scéne
de
Marie
d’Angleterre,
costumes sera faite avec tout l’éclat du possible, f Il est entendu en outre que Je présent traité n’est valable
Harel. décors
; pour
et
l’avenir qu’autant que le théatre dirigé par Harel serait le théatre de la Porte SaintMartin ou le ThéAtre Francais. Das le cas ot ce serait le Théatre Frangais, Youvrage pourrait étre en vers.
« MARIE
terre servir que : tions
TUDOR
>
209
(et l’aspect visuel du spectacle lui parait capital) ; le désir de Juliette ; enfin les perspectives difficiles de V’auteur dramatis'il se brouille avec la Porte Saint-Martin, les éventuelles tractaavec le Théatre Francais n’en seront pas facilitées.
Donec
Hugo
s’engage
a continuer
dans
la méme
voie,
celle
du
drame en prose ; seule restriction lui assurant un élément de liberté : il n’est pas contraint a la structure batarde tragico-mélodramatique en cing actes, pourvu que la longueur de la piéce soit respectée —° qwil s’agisse bien d’une piéce telle qu’elle puisse, au moins pour les premiéres représentations, étre représentée seule, dans les conditions du théatre au x1x® siécle ot le spectateur en voulait pour son argent. L’astreinte est énorme, telle que ni Hugo, ni Harel ne pouvaient envisager de la payer : ils se ligotaient mutuellement. Le bon de Vhistoire est que ce traité ne fut jamais appliqué : les deux parties le laissérent tomber d’un commun accord *, Le post-scriptum du traité porte deux clauses, l’une trés claire, soulignant le mobile de Hugo, « !’éclat » de la mise en scéne de Marie
d’Angleterre, « décors et costumes ». L’autre nous apporte la confirmation de notre hypothése ; s’il y a deux écritures du drame hugolien, c’est qu’il y a deux scénes possibles: 4 la Porte Saint-Martin le drame en prose, au Théatre Francais, le drame en vers. Une déduc-
tion intéressante du point de vue de V’histoire du théatre : Harel qui avait dirigé ’?Odéon, sous-Théatre Francais, désirait apparemment la direction de cette Comédie dont aucun palliatif n’avait enrayé Virrémédiable décadence esthétique et financieére. Bocage contre Hugo. — La distribution n’aurait di poser aucun probleme : Georges et Juliette, « tigresse » et « gazelle », assuraient les roles féminins. [1 n’en allait pas de méme pour les hommes. Hugo aurait voulu Frédérick ; il Vavait déja réclamé par contrat 4 Harel pour Lueréce’; il le réclamera 4 Anténor Joly pour Ruy Blas, et fera
de engagement théatre
de Frédérick
de la Renaissance.
une
Dans
condition
sa Jettre
de sa participation
4 Frédérick
du
au
15 aoit®,
Hugo affirme l’avoir réclamé dans son contrat du 15 juillet avec Harel, et de fait, la clause le concernant est sans ambiguité®. I] aimait Frédérick, nous le savons: le cété excessif, monstrueux, « grotesque » que Frédérick apportait a ses créations, lui plaisait et servait sa dramaturgie *. Mais les relations de Frédérick avec Harel étaient toujours difficiles, et Frédérick était capricieux. Pour quelles raisons a-t-il refusé de travailler en aott ? Nous en sommes réduits aux conjectures *. Il apparait 4 la lecture de la lettre de Hugo (15 aotit) que 83. Voir
plus
loin, p. 221.
84. O.C., IV, 1107-1108. 85. « Il est entendu que M. Frédérick jouera dans et que dans le cas ot les répétitions commencées M. M. Bocage ne joueraient ae dans la retirer sans étre tenu aucuns
le 6 juillet, Harel réclamant le manuscrit moment ot il conviendra, ainsi que cela
envoyer
son
réle afin qu’il l’étudie.
—
Vous
& Hugo lui écrit : « Voici venir le a été entendu avec Frédérick, de lui
savez
retour. » (Musée Victor Hugo, lettre inédite.) 86. Voir Il* partie, importance du grotesque.
87. Il est possible que Jes protestations PAuberge des Adrets a la place de Lucréce ' pris le pe de bouder. Le 8 aot, Harel avertit Hugo recours A Bocage (lettre M.V.H.).
la piéce de M. Victor Hugo Frédérick ou A son défaut
cette piéce, M. Victor Hugo aurait le droit de frais et sans restituer la somme recue. » Dés
du refus
qu’il
est A mes
ordres
pour
le
de Hugo A propos de la reprise de aient indisposé Frédérick, qui aurait i z de Frédérick et de la nécessité d’avoir
14
210
LE ROI
ET LE BOUFFON
Frédérick s’était ravisé : mais entre-temps Bocage avait été engagé, et les regrets de Hugo sont stirement sincéres. Bocage, acteur tout d’une piéce, qui avait servi Hugo dans le réle de Didier, était cependant, par sa simplicité « moderne », par son absence de « duplicité », bien davantage l’acteur de Dumas que celui de Hugo : il avait été un inoubliable Antony, et se sentait plus 4 Vaise dans la prose de Dumas — et dans ses rapports avec lui. De la sans doute une guerre de coups d’épingles dont le Victor Hugo raconté nous donne une idée: « C’était chaque jour des querelles de coulisses 4 cause de réles distribués par |’auteur et que le directeur trouvait mal tenus ®. » Si Hugo avait réussi jusqu’alors, vaille que vaille, 4 préserver sa dignité dans le monde du théatre cette fois c’en était fait, il s’y trouvait englué. Mais il ne céde pas d’un pouce : il se bat A propos du role secondaire du Juif: il veut Chilly, et le défend mordicus, malgré sa jeunesse. Quant A la coterie Dumas, le Victor Hugo raconté en affirme Vexistence *, et tout ce que nous savons nous permet de lui donner raison : « M. Harel se dit que le moment était mauvais pour M. Victor Hugo et bon pour M. Dumas: il n’hésita pas 4 déserter Marie Tudor
et a passer du cété de M. Dumas auquel il alla offrir son théatre®. Il revint avec deux drames, Angéle et la Vénitienne ; il ne s’agissait plus que d’en finir vite avec M. Victor Hugo. Mile Georges tenait bien un peu a son role ; Marie Tudor valait Lucréce Borgia ; mais il y avait pour elle dans la Vénilienne un trés beau role, qui la consola, et elle consentit 4 l’étranglement *. » L’auteur du Victor Hugo raconté attribue le revirement de Harel a Vincident Granier de Cassagnac®; de notre point de vue, il n’en est rien. I] semble qu’il y ait eu une intrigue raffinée ourdie dans Ventourage de Dumas. Ida n’avait guére sa place 4 la Comédie Francaise, en revanche elle pouvait devenir la jeune premiére attitrée de la Porte
Saint-Martin,
comme
Dumas
en serait l’auteur
attitré, 4 con-
dition d’éliminer le tandem Hugo-Juliette. Mais vu la position solide que Lucréce Borgia avait valu a la Porte Saint-Martin, il fallait 1° jouer par la hande pour faire peur 4 Harel ; 2° faire tomber Marie Tudor. Le programme semble s’étre exécuté point par point. Tout d’abord, il s’agit de faire croire 4 Harel que Dumas va s’ « installer
» A la Comédie
Francaise,
et donner
a ce théatre
ses
piéces nouvelles ; rien ne peut épouvanter davantage Harel : la gestion Jouslin a pour but de rajeunir la Comédie, en lui infusant un sang nouveau, et la concurrence de la Comédie est la seule que craigne réellement
Harel,
car
elle a
des
subventions
qui
lui permettent
de
vivre et de créer sans trop d’efforts des ouvrages nouveaux *, Aussi le 21 octobre, Dumas annonce-t-il qu’il donnera trois pieces 4 la Comédie Francaise, si Dorval les joue“., Nouvelle confirmée par le 88. 0.C,,
89.
IV, 1222.
A ce moment
la réconciliation
;
avec Dumas
est totale, et nous
de raison de suspecter la bonne foi du Témoin. 9). Nous aimerions savoir la date de la démarche Harel. 91. O.C., IV, 1222.
—
n’avons
trés yraisemblable
—
pas de
92, Voir plus loin, p, 212-215. 93. Une lettre de Harel du Su avril 1834 au rédacteur du Vert-Verf demande la suppression de la subvention 4 la Comédie. g4, Dumas s’allie a Dorval, qui pouvait craindre la beauté de Juliette, Courrier des Thédtres, 21 octobre.
« MARIE
TUDOR
»
211
Veri-Vert du 23; Vigny et Dumas promettent des ‘ouvrages ala Comédie, quand Dorval y aura été engagée. C’est un échec pour Hugo ; le théatre dont il réve lui échappe ; il devient l’auteur « mélodramatique » de la Port Saint-Martin, auquel il vient encore de se lier pour un autre ouvrage, tandis que ses rivaux colonisent le « grand » théatre, celui de |’ « élite ». Pendant ce temps, le Courrier _des thédtres, du 2 novembre, continue 4 annoncer Vengagement de |Dorval et de Bocage 4 la Comédie, et le lendemain, sinistre nouvelle
pour Harel, « la Comédie obtient l’exploitation de l’Odéon » avec « 38 000 francs d’addition 4 sa part de budget »... « et puis le drame | actuel, nouveau colosse de Rhodes, qui aura un pied | Saint-Germain (le droit), autre rue de Richelieu® ».
au
faubourg
|
La situation de Bocage était plus difficile. I] avait flirté avec la Comédie Francaise et ne s’en était pas fort bien trouvé. Pour tout ‘dire, il avait profité de V'accés de mauvaise humeur de Frédérick pour faire une rentrée sur la pointe des pieds aux boulevards. Il n’avait apparemment guére d’envie de retourner rue de Richelieu; mais cette menace pouvait agir sur Harel, et il ne se fait pas faute den jouer. Le trio Dumas-Dorval-Bocage a la Comédie edt été irré|sistible. De la, a n’en pas douter, la contre-offensive de Harel et annonce 'du nouveau
drame de Dumas, Angéle * ; dés le 19 novembre,
le Cour-
\rier des thédtres annoncera que M. Dumas renonce 4 la Comédie Francaise et passe 4 la Porte Saint-Martin par contrat”. Opération réussie. Notons que la campagne Dumas est fortifiée par Vannonce 'de ses ceuvres completes, et le prospectus qui les ouvre, signé Nodier et reproduit dans le Courrier des thédtres du 4 novembre. On voit dans cette campagne le monarchiste Nodier préter main-forte au trés
‘libéral Dumas. Quant au second volet de l’entreprise, la chute de la future Marie Tudor, l’équipe Bocage s’y emploie activement : on attaque le maillon le plus faible, la pauvre Juliette, peu douée pour la lutte : la troupe se livre sur elle 4 une entreprise de démoralisation ; chaque soir elle rentre en sanglotant de la répétition, ulcérée par « les nouvelles vexations de ces ignobles gens de théatre® » ; ils la bombardaient d’allusions perfides, dénigraient son talent, et Mile Georges faisait la chatte aupres du poete pour Mmanquait de confiance
exciter la jalousie vivace de Juliette ®. Elle en elle ; or elle portait sur ses épaules deux
95. Courrier des thédtres, 3 novembre, et le Vert-Vert du 4 : « M. Jouslin de Lasalle s’occupe de faire revivre la Comédie de ses cendres, et appelle a lui Bocage et Mme
Dorval,
MM.
Alexandre
Dumas
et Alfred
de
Vigny.
On parle,
avec
un
sup-
plément de troupe, de faire exploiter l?Odéon par la Comédie Francaise et de développer ainsi le drame moderne sur les deux rives de la Seine. » Et le journal a@’A. Joly ajoute : « Le grand succés qui se prépare pour le drame de M. Victor Hugo, Marie Tudor, ne laisse pas prévoir a la Porte Saint-Martin des nouveautés trés prochaines. » Le succés de Marie Tudor, on le comprend cette fois, pouvait . ae pour la P.S.M., comme le sera le triomphe de Volpone pour Dullin et telier. 96. O.C., IV, 1222. 97. La veille, le Courrier démentait la reprise par la C.F. du More de Venise de la Maréchale d’Ancre. 98. P. ep ace: Mille et une lettres d’amour, XIV, p. 23, cité par M. Descotes, op. cit., p.
=
vi
99. Cf. lettres
ement
ez bien
inédites
de Juliette
(1833), f° 86
AHISSIEZ.
assidu
>
et bien
tendre hier
—
auprés
‘
: « Ton
interpréiée par la vilaine, vielle (sic) et grosse
attitude
femme
de la grosse
est bien
» et f° 102
dame
—
mali-
: « Vous
si vous
me
LE ROI ET LE BOUFFON
212
scénes capitales, la scéne d’amour du premier acte, qui devait exciter Vintérét et la scene finale ou il lui fallait se montrer capable de tenir téte a la reine. On peut penser que ces sordides intrigues théatrales déciderent de la carriére dramatique de Hugo. II n’en est rien, évidemment : elles font partie d’un ensemble bien plus vaste, celui qui consiste A éliminer de la scéne l’auteur dramatique qui apparait le géneur : la puissance
comme
cachée,
et, si l’on peut dire, incon-
sciente, de la lutte idéologique parait utiliser les passions individuelles les plus mesquines, aboutissant parfois, chose étrange, 4 faire agir
Bocage,
un
une
Georges,
un
Harel,
et
méme
un
au
Dumas,
refus rebours de leurs véritables intéréts. Une vague de négation et de emporte le théatre de Hugo avec la malheureuse Marie Tudor. Non que Hugo, trés conscient de la lutte, ne se défende pas, mais défendre tout se passe comme si les efforts mémes qu’il fait pour se Venfoncaient davantage. il le Bocage semble étre la cheville ouvriere des intrigues. Certes fait avec
la complicité
Georges,
de Mlle
active
mais
ses
ou
intéréts
Juliette. La sa vanité ne sont pas mis en cause par la présence de malheuJuliette, de lettres les dont et subir fait lui qu’il on persécuti une origine pour avoir peut ne état, font datées, reusement non moment ou « jalousie ” », mais des motifs plus sérieux : 4 partir du de il faut choisir entre Hugo et Dumas, comme fournisseur principal n ™. Nous la Porte Saint-Martin, Bocage n’a’ pas la moindre hésitatio épisodes du regrettons de n’avoir aucun détail sur la nature et les dit pas n’en raconté Hugo Victor Le Hugo. et conflit entre Bocage légerement scanmot, et les journaux, pourtant friands de ces échos toires : daleux, ne donnent que des indications vagues et contradic é son role a redemand a qui Hugo c’est théatres, des Gazette la pour Bocage vient de lui Bocage, « Le réle confié dans cet ouvrage a M. donné a M. Locétre pour lui-méme étre retiré par M. Victor Hugo dit le 21 octobre : kroy 1 », tandis que le Vert-Vert, favorable-4 Hugo, lable la pre« Bocage a rendu son role. » Nous tenons pour vraisemb es, et il interprét ses avec pas it plaisanta ne Hugo : e miére hypothés Mars. Mlle terrible ala réle son er redemand osa méme A deux reprises que Hugo échanMais ce n’était sirement pas sans de graves motifs geait le solide Bocage contre Vincertain Lockroy.
alors peu de Le pavé. de Vours. — Un personnage intervint aux cotés de point non — Tudor Marie de temps avant la premiére rdle conscient joué Hugo, mais contre Dumas. Nous ignorons tout du n’en savons pas davanpar Dumas dans la cabale contre Hugo ; nous déclaration de guerre te étonnan cette dans Hugo de role le tage sur de Cassagnac, mériGranier ste publici le est l’auteur signée G. et dont 100. C’est la these de M. Descotes, Op cit., 254. des considérations politiques 101. Nous croirions volontiers que : Bocage est, toute sa intéréts personnels (ou. les sous-tendent) Dumas lui va bien mieux de clair passionné; le libéralisme tres si peu lisible d’un Hugo. intrigues Le V.H.R. signale a propos de Marie Tudor @obscures aux
le National
(brouillon
Maison
1833.
Victor
L’article
Hugo,
ajoute
p.
150).
: « Nous
ne parlerons
se ia vie, un
que
oi aes ibéral
l’idéologie
de Bocage avec
pas des motifs
de
102, 20 octobre nous nous étonnerons cepencette conduite envers un artiste recommandable,M. mais Bocage a ses succés pour le rapdant que le directeur de la P.S.M. ait arraché ouvrages noupriver ensuite le public de sa présence dans des peler
veaux.
& Paris
>
et
« MARIE
TUDOR
»
213
dional que Hugo avait fait entrer l’année précédente au Journal des Débats. Hugo a-t-il « télécommandé » Granier ? L’un et l’autre l’ont nié,
de
méme
que
Bertin;
tout le monde
laissa
la
responsabilité
entiére de V’article 4 son auteur, qui l’accepta avec allégresse. Tout se passe comme si la querelle, débordant singuliérement les intéréts et les passions des deux auteurs, se situait 4 un autre niveau. La thése de Biré est que Hugo, persuadé qu’on l’attaquerait sur les rapports entre Marie Tudor et la Christine de Dumas, avait pris les devants par plume interposée et ouvert le premier les hostilités en accusant Dumas de plagiat généralisé. On a vu que la coterie Dumas n’avait
pas épargné A Hugo les coups fourrés et que la chute de la piece était préparée de longue main ; l’article de Granier était-il une réponse maladroite 4 ces menées ? Dans quelle mesure Hugo a-t-il voulu, su, encouragé, ou simplement toléré en fermant les yeux ? Ou a-t-il désiré s’opposer a la publication, comme le dit le Victor Hugo raconté, et Varticle n’a-t-il paru qu’a la suite d’une méprise ™ ? Questions anecdotiques : ce qui parle, c’est la bataille idéologique. L’article de Granier contient deux arguments essentiels : le premier est celui du manque d’originalité de Dumas, pilleur universel. Cet argument typique de la critique du x1x° siecle et en particulier de la critique des journaux, est caractéristique d’une vue mercantile de V’oeuvre d’art ou l’écriture est une chose qui peut étre possédée, vendue et faire lobjet de contrefacons. Conception radicalement étrangere 4 Hugo ; jamais dans aucun texte critique, dans aucune de ses notes personnelies, il ne fait la moindre allusion au concept de plagiat : c’est une notion qui a la lettre n’existe pas pour lui, l’originalité
se situant au niveau, non
que fait Granier
contre
énumere,
les
parmi
de la fable, mais de |’écriture.
Dumas,
auteurs
que
c’est un Dumas
catalogue aurait
Or ce
d’emprunts
dévalisés,
: il
Racine,
W. Scott, Goethe, Schiller, Lope de Vega... et V. Hugo. Il rappelle fielleusement Vaffaire de la Tour de Nesie et les furieuses protestations de Gaillardet, dépouillé de sa propriété littéraire par |’ « arrangement » de Dumas ; il n’oublie pas de dire (ce que Dumas lui-méme soulignait) V’antériorité de Marion de Lorme et du personnage de Didier, par rapport 4 Antony. Mais la téte de turc de Granier (et ce n’est
pas
sans
cause),
c’est
la
fameuse
Christine;
il
signale
les
emprunts de Dumas essentiellement a Schiller (Fiesque) et 4 Hugo (Hernani). « De méme que le début du premier acte est de Schiller, la fin du deuxieme est de M. Victor Hugo (...) Voila donc dix scénes de Christine, dont M. Dumas n’a eu que l’usufruit : 6tez-les du drame
et vous verrez ce qui resiera. » Voila un type de chirurgie dont il n’est pas possible, avec la meilleure volonté du monde, d’imputer la paternité 4 Hugo. En revanche le second argument pourrait étre typiquement hugolien, si sa formulation n’était si plate: « Le style, c’est Phomme et celui qui n’a pas de style, celui qui n’a pas d’cuvre, n’existe pas. Voila pourquoi M. Dumas. » Il-est difficile d’imaginer condamnation plus radicale : Dumas est renvoyé au néant par l’ab103. « Le champion de Victor Hugo prenait hardiment l’offensive... Quel crédit pourrait avoir Alexandre Dumas criant au plagiaire, maintenant qu’il était luiméme convaincy d’avoir pratiqué le plagiat avec une audace et un sans-géne inoui... Nul ne douta que le poéte ne fat, sinon des Débats, Biré, op. cit., p. 112. 104. Débats, ler. novembre, signé G.
l’auteur, i
du moins
Vinspirateur
de Varticle
214
LE
ROL ET LE BOUFFON
sence d’écriture litiéraire; en un sens nous reconnaissons, dans un autre contexte, les arguments hugoliens de la Préjace de Cromwell. En derniére analyse, disons qu'il n’y a pas de raison de douter
des affirmations du Victor Hugo raconté, de Granier et de Hugo lui-
méme, dans sa lettre 4 Dumas - Hugo, qui connaissait larticle, ne tenait pas 4 ce qu'il paraisse, peut-» ou (f° 147 r*) « mystérieu-
sement : et venez si vous m’entendez appeler main-forte >. Hugo insiste fréquemment sur le rythme, ainsi (f° 147 r°): « ni par la 119. 0.C., IV, 1222-1223.
“
120. Il ne lui fera un sort qu’a la reprise de 1844 (il y a sur ce point une jolie letire de Harel). 121. 0.C., IV, 1223. Le Vicior Hugo raconté fait allusion 4 une auire pression, de derniére minute, pour retirer le réle 4 Juliette et le donner a Ida, qui avait appris le réle en double. Ceries Mime Victor Hugo, ne nomme pas Juliette ici plut6t qu’ailleurs (elle ne la nomme jamais), mais il ne peut s’agir que delle. 122. Chilly (Charles Marie de), né en décembre
1804,
entre deux
fois
4 POdéon
en 1827 et 1829. Il y joue des réles plus ou moins importants dans la plupart des piéces créées & ]?Odéon pendant la gestion Harel. Puis ce dernier Pemméne avec lui a la Porte Saint-Martin. Jouant les traifres, il tente de rajeunir un type usé. Entre en 1839 & PAmbigu dont il devieni directeur en 1858. C’est lui qui remonte Ruy Blas en 1872; ce fui un triomphe ; il meurt le lendemain de la féte donnée par Hugo aux acteurs, le 11 juin 1872. 123. Ces folios, sur papier bleuté filigrane Susse-Echareon se présenient comme un
petit cahier, ffos 145-149
(cote
109/36-39).
reine Marie
—
long 4 en
« MARIE
TUDOR
mourir
» —
»
217
ou (f° 147
v°)
« moins
vite
que le commencement de la scéne ». Hugo est trés sensible 4 tout ce qui concerne la régie, ainsi il modifie et précise les indications de geste : « (f° 146 v°) les papiers mal jetés — que la reine introduise Simon Renard — que Jane fasse plus d’efforts sur la porte — que M. Lockroy montre les papiers ™ » ; (f° 149 v°) « Mlle (Georges) fait mal le geste de la table — détails
d’éclairage
le poignard
(f° 146 v°):
« que
mal exécuté —
». Il note les
la nuit se fasse
4 l’entrée
de
Joshua ». Il est attentif 4 tous les détails de régie qui compromettraient la vraisemblance (f° 14 r°) : « n’ouvrir pour l’entrée des premiers seigneurs qu’un battant de la porte — Que M. Delafosse dise ses confidences plus 4 part A la Reine — Que Gilbert parle moins haut a Voreille de Fabiani ». Hugo est trés sensible au pathétique total du spectacle ; non seulement, il demande aux acteurs plus d’intensité (f° 149 v° : « Delafosse doit paraitre plus éperdu au commencement
de la scene
avec la reine
»), mais
il exige que les figurants
aussi participent 4 l’émotion : ( f° 149 r°) « tous les figurants sont froids
» ; (f° 149 v°)
Ainsi, Hugo scene.
Nous
« tous
fait comme
le savons
les assistants
ont l’air glacé
a l’accoutumée
attentif
au
moindre
son
travail
détail
de
>.
de mise
en
costumes,
de
décors, d’éclairage. Ou l’accuse d’étre le poéte dramatique de la matérialité du spectacle, et ce reproche est formellement juste. Nous retrouverons l’importance de l’objet et les liens que Hugo s’efforce de tisser entre les deux textes paralléles de l’ceuvre, celui de la régie, et celui du langage . En un combat douteux. — Jusqu’au dernier instant Hugo subit la pression d’Harel pour modifier sa distribution, Le Victor Hugo raconté précise que la bataille continua 4 propos des invitations: « M. Harel devait envoyer a l’auteur deux cent cinquante billets; il n’en envoya que cinquante. M. Victor Hugo les renvoya, et ne garda -que la loge de sa femme. Quelques amis de l’auteur, désolés de n’avoir pas de place, s’adressérent 4 M. Alexandre Dumas, alors tout-puissant sur la direction, et qui, avec sa générosité ordinaire, les fit entrer ™. »
Nous n’avons trouvé nulle trace directe ou indirecte de spectateurs entrés par l’entremise de Dumas. Mais de fait il n’y a pas, comme pour les précédentes pieces de Hugo, de liste d’invités. Nous avons simplement en marge des derniers brouillons de Hugo, ou des notes de répétitions quelques
noms
d’invités, trés peu a la vérité, mais
suf-
fisamment pour que nous pensions que Hugo ne s’est pas privé d@envoyer des loges par exemple a4 la famille Bertin, ou a ja duchesse d’Abrantés. Il ne reste pas moins que les témoignages unanimes font état de la présence, dans la salle, d’une jeunesse romantique, rapins et bousingots, dont on voit mal, vu leur impécuniosité chronique, comment ils seraient entrés en si grand nombre sans invitation. C’est peut-étre pour ce public que se fit intervention de Dumas. La présence de la jeunesse romantique est attestée par toute la presse ; ainsi
le Journal
du
Commerce,
hostile, dépeint ainsi les groupes
au
124, Passim sur le folio. 125. Voir
deuxiéme
126. 0.C., IV, 1223.
partie
reste
romantiques :
: Dramaturgie
de U’objet.
relativement
peu
218
LE ROI
ET LE BOUFFON
Il en est des premiéres représentations de M. Victor Hugo comme des jours d’émeute ; on y voit des figures que l’on ne retrouve plus le lendemain ; ce sont des tétes que l’on n’apercoit ni a l’Opéra, ni aux Funambules, ni au Théatre Francais, ni chez Mme Saqui; des facons singuliéres, des chevelures désordonnées,
des
chapeaux
de forme
mystérieuse,
enfin
nous
avons vu un gilet de satin cerise qui ressemblait point pour point A un pourpoint du temps de la Ligue. Les porteurs de ces barbes, de ces cheveux,
de ces chapeaux
étranges
se partagent
les places dans toute la salle ; au centre un groupe formidable ; sur les ailes des vedettes, et dans les galeries des sentinelles chargées de refouler tout sourire.
Méme
récit dans
la Gazette de France
C’est la terreur cours
(10 novembre)
qui a regné dans
de la représentation,
et cette
:
la salle pendant
terreur
avait
tout le
été précédée
de la Marseillaise, hymne que l’on inyoque toujours 4 présent comme prologue des ceuvres théatrales de M. Victor Hugo. Vainement, les murmures, les sifflets, les rires satiriques cherchaient-ils 4 se faire jour au milieu de la cohue déguenillée et applaudissante qui saluait a tort et 4 travers tous les passages de folie ou
de ridicule
que
les acteurs
débitaient,
rien
n’a pu
révaloir contre le succés juré d’avance que l’on voulait faire a cet ouvrage insensé. Mais cependant, il a percé suffisamment encore de témoignages de dégoat, d’impatience et d’ennui pour que le public, le théatre et l’auteur sachent 4 quoi s’en tenir sur ce succés. De tendance
opposée,
le Charivari
(9 novembre
(Louis
Desnoyers ?)
donne de la représentation exactement le méme récit, le public de barbus, la Marseillaise et la bataille que fut la représentation : L’ouverture obligée de tous les drames de ce maitre est la Marseillaise ; aussi avant le lever du rideau, la Marseillaise fut
entamée
par
un
véritable
orchestre-monstre
gros
de
quinze
cents voix. C’était un bruit sublime 4 abasourdir un roi, a réveiller un académicien. Les amis et les ennemis de l’auteur étaient présents ; les ennemis acharnés, les amis dévoués de
toutes mains. Et dans cette lutte de l’avenir contre le passé, des
barbus
contre
les
barbons,
dans
cette
mélée
chaude,
ou
nul
spectateur n’était impartial, la pauvre critique littéraire semblait tout
effarouchée,
moqueuse
et perdait
Ja son
sang-froid
ordinaire
et sa
indifférence.
Citons pour finir le Constitutionnel, juste milieu pseudo-libéral. C’est lui qui nous donne de la représentation le tableau le plus pittoresque, et le plus pessimiste : « Celui-ci imitait 4 ravir ’aboiement du chien, celui-la s’amusait 4 jeter des quatriémes loges, une pluie de morceaux de papier qui s’arrétaient dans les cheveux des femmes. Un autre lancait des morceaux de pomme. Durant le spectacle, quand un coup de sifflet se faisait entendre, c’était une explosion de vociférations. Il parait que le droit de siffler ne s’achéte plus en entrant. On criait 4 la porte le siffleur ! Assommez le siffleur! Le petit nombre de spectateurs impartiaux et indépendants qui se trouvaient 4 cette repreésentation ont fait leur devoir en dépit des bravos forcenés et des applaudissements frénétiques. On peut donc a bon droit dire que
« MARIE
Marie Tudor est tombée.
TUDOR
» (11 novembre.)
»
219
Tous les journaux
signalent
le caractére de bataille, et de bataille incertaine ou perdue, que fut cette représentation disputée. « Tout le Paris littéraire était ce soir-la & la Porte Saint-Martin
», dit l’Artiste. Et le Vert-Vert
« La salle de la Porte Saint-Martin lier de deux ennemis la fumée, les éclats
(9 novembre)
:
présentait bien cet aspect singu-
en présence. » Une mélée confuse: « Le bruit, de rire, les provocations, les manifestes, les
emportements, tout ce qui accompagne les piéces de M. Victor Hugo », dit Jules Janin dans les Débats. Jules Janin presque seul souligne le fait que la bataille ne se place pas tant entre les Romantiques et leurs adversaires,
qu’entre
les deux
camps
du Romantisme,
celui de Hugo,
celui de Dumas: « Le drame moderne qui se divise en deux partis, qui éléve banniére contre banniére, qui se cherche des chefs sans savoir si le public, 4 qui seul appartient le droit de faire des chefs dans l’armée littéraire, sanctionnera ces élections qui ressemblent 4 des émeutes. » (18 novembre.) Mélée idéologiquement et politiquement confuse, ol Marie Tudor joue le réle de test décisif. Test un peu faussé par la faiblesse de l’interprétation. Cette faiblesse n’est pas accidentelle : les acteurs jouent mal parce qu’ils ne savent pas (ou peut-étre ne veulent pas) jouer ce qui dérange a ce point leurs habitudes. Leur talent n’est pas en cause ; ils ne comprennent pas le drame de Hugo. Le Veri-Vert remarque avec pertinence : « En général Marie Tudor est médiocrement jouée. Chaque acteur un aun mérite des éloges, ensemble ils laissent 4 désirer. » Et le Figaro : « Les acteurs ont faiblement joué. » Méme Mlle Georges est. discutée ; si Béquet signale le 9 novembre qu’elle a « joué le role de Marie d’une étonnante maniére », beaucoup (dont le Figaro) sont beaucoup plus ~tiédes. Pas une voix ne s’éleva pour défendre l’interprétation des réles masculins, ceux de Lockroy et de Delafosse. Seul Chilly, « spirituel
Hugo:
comme
son
role
», dit le Vert-Vert,
justifia
_teur en étant excellent dans le Juif. » Reste le probleme de Juliette. Son interprétation _trophe.
la confiance
de
« M. Chilly, selon le Victor Hugo raconté, donna tort au direc-
Sainte-Beuve
dit méchamment:
« Juliette
fut une
catas-
a si mal joué que
nous avons décidé Hugo 4 lui retirer le rdle ”’. » Il semble qu’elle ait d’elle-méme refusé de continuer. La presse est unanime, seul le VertVert consent 4 avoir un mot aimable™: « Nous apprenons aujour~@hui qui Mile Juliette a rendu son réle. Mile Juliette s’est jugé bien séverement. Mile Ida qui la remplace ne fera oublier ni son talent plein de suavité, ni son procédé plein de modestie. » Chez les autres, e’est un tollé ; le Charivari
parle de « la nullité de Mile Juliette
», un
autre” parle de « son air emprunté », Pianche dans la Revue des Deux Mondes du 15 novembre, l’assassine sans pitié: « Le jugement
le pilus sévére et le pius juste que je puisse porter sur Mlle Juliette, c’est de dire qu’elle n’a pas joué; car je ne dois compter pour rien le mouvement assidu de ses.épaules, ni la perpétuelle priére que ses yeux adressaient au ciel, Elle n’a pas été mauvaise, elle a été nue. Elle n’a pas montré un seul instant de tristesse sincére, de repentir véri127. Lettre & Victor Pavie du 17 novembre, 0.C., IV, 1117. 128. Mais le Veri-Vert qui tient a ¢étre aimable: pour Hugo février 1834 un grand article A Juliette. 129, Cet article est conservé dans un dossier de lV’Arsenal sans tion de provenance et nous n’ayons pu l’identifier,
t 15
consacrera, aucune
le
indica-
220
LE RO!
ET LE BOUFFON
table, de joie de vivre ou de tendresse intime. Elle ne semblait occupél que du satin de sa robe ou des pierreries de sa coiffure. Elle aurait gaté le réle d’Ophelia. » Le Courrier des Thédtres du 9 novembre prononce une condamnation aussi brutale : « Mlle Juliette s’est montrée privée de toute ressource théatrale dans le réle de Jane. La téte sans cesse baissée, elle avait lair de chercher une épingle tombée de son joli costume. L’effet de cette mauvaise pose était affreux, quand on voyait l’actrice par derriere : A ses épaules, son ornement principal, on aurait dit une horrible décollation... point de voix, nulle stireté dans la diction, beaucoup
de maniere,
Mile Juliette, qu’on
encourir
a donc pu remplacer
sans
telle a été
le blame,
au
contraire | ». Nous citerons pour finir V’allusion perfide de l’infame petite feuille qui s’appelle le Brid’Oison (9 novembre) : « Mile Juliette, la sultane
favorite
de auteur,
a comme
de
coutume,
ri pour
faire
pleurer et pleuré pour faire rire. Son maitre prétendait qu’il la ferait jouer d’une maniére brillante : il n’est encore parvenu qu’a faire jouer ses épaules. » Ida remplaca donc Juliette : le clan Dumas Yemportait totalement a la Porte Saint-Martin, oi Juliette n’avait plus sa place. Hugo tenta de la consoler par une jolie phrase dans la note de remerciements aux acteurs qui accompagne la premiére édition : « Mile Juliette... a montré dans ce réle un talent plein d’avenir, un talent souple, gracieux, vrai, tout a la fois pathétique et charmant,
intelligent et naif. » Il lui adresse aussi une admirable lettre semiofficielle, ou il justifie de son attitude physique : « On n’a pas vu que pendant toute la premiére partie de cette piéce, Jane est un role qui a le front baissé. » Il affirmait en privé et en public sa volonté de la soutenir, de continuer 4 espérer en elle: « Je ne comprends pas comment d’une femme si supérieure on n’extrait pas aujourd’hui ou demain une grande actrice. Ayez seulement le courage d’étre sur la scéne ce que vous étes dans la vie™. » Mais les difficultés de Juliette et la fidélité de Hugo posaient a l'avenir dramatique du poéte des problémes ardus. Les réactions du public sont évoquées par Je Victor Hugo raconté et pour une fois trés fidélement : le premier acte « peu applaudi >, quoique l’Artiste le dise d’ « un intérét puissant ». Le second acte en revanche
salué de bravos
: l’Artiste signale que : « Le second acte,
qu’on pourrait appeler la colére de Marie, est écrit avec une hardiesse de style inconnue méme chez M. Victor Hugo. » Le Victor Hugo raconté rend hommage au réle de Georges dans le succés du second acte: « L’apparition de Mile Georges fut un éblouissement. A demi couchée
sur un
lit de repos,
en
robe
de velours
écarlate,
couronnée
de diamants, sa beauté est vraiment royale. L’insulte 4 Fabiani fut dite par elle avec une vérité ample et une familiarité superbe. Tout alla bien jusqu’a l’entrée du bourreau que l’auteur avait conservée, et qui fut en effet le signal des sifflets. » Quant aux deux actes suivants,
ils ont
« révolté
», dit Edouard
Monnay
dans
le Courrier
francais du 9 novembre. Et l’Artiste remarque : « Le troisi¢me acte est le plus faible des quatre et se passe dans la prison. » Il semble 130. 0.C., IV, p. 1152-1153. 131. Certains remarquent que
l’exposition
est multiple
: : « trois
expositions
»
dit l’Artiste ; « l’exposition est double » dit Janin dans les Débats du 18 novembre. ; 132. Ibid., p. 1224. « Elle étincelait, dit Gautier (Hist. du Romantisme, p. 288),
elle nageait
dans
la lumiére.
»
« MARIE
TUDOR
»
221
que l’effet scénique de Villumination de Londres au dernier acte ait été ambigu. Dans l’ensemble la presse le signale et l’admire, quoique Rolle dans le National le juge « mesquin » mais, il risquait de détourner le public de l’attention portée au pathétique. Quant a la scéne finale qui, dit Mme
Hugo, « fut sifflée d’un
bout a l’autre
», l’Artiste
en attribue l’échec 4 Juliette: « Nul doute qu’elle (la scéne finale) eit obtenu un immense succés si le poéte n’avait pas été trahi par la faiblesse de l’actrice chargée du rdéle de Jane. » Bref succés ou échec, il est difficile d’en décider, la lettre de Sainte-Beuve 4 Pavie, déja citée, donne peut-étre le son de cloche le
plus juste et le plus modéré: orage
dii A Juliette,
« La piéce de Hugo
4 Dumas,
4 Bocage,
4 toutes
a réussi avec
un
les
du
intrigues
drame et des coulisses. » Pour le Témoin, c’est une bataille incertaine. A la fin, on nomme l’auteur, mais son nom fut « sifflé ». Le Figaro remarque aussi que « M. Victor Hugo a été nommé avec honneur, mais non sans quelques difficultés d’usage >. Il n’y eut de novembre 1833 4 janvier 1834, que 37 représentations, a quoi s’ajoutérent une en février et quatre en mars 1834. De ces représentations, seules les sept premiéres se firent sans appoint d’une autre piéce. Quant aux recettes totales nous les ignorons vu la disparition des dossiers de la Porte Saint-Martin. Un feuillet annexé au manuscrit
de Marie
Tudor
(147 v°) porte
une
liste
de chiffres
pour
31 représentations. Nous sommes trés loin des recettes royales de Lucréce Borgia. La recette de la premiére représentation n’est pas donnée, mais les chiffres oscillent entre 2 200 pour la seconde et 3 300 pour la 21°, accompagnée de La Tour de Nesle. C’est un succés honorable mais non pas une réussite financiére. Tout
Vavenir
du drame
hugolien
se joue ici. Mme
Hugo
remar-
gue que « Vopposition était surtout venue du parterre livré a la claque, c’est-a-dire au directeur**® ». Dans son brouillon elle ajoute (p. 149) : « Cette piéce plaisait au public de boulevard, aux titis, une fois que le public des premiéres représentations fut passé, elle prit son
essor.
>» La difficulté
rencontrée
par Hugo
vient
davantage
des
scénes et de la critique que du public lui-méme. Brouillé
avec Harel, brouillé
avec Dumas,
Hugo
se retrouve
dans
la situation inconfortable de l’auteur dramatique sans scéne et presque sans amis. Harel n’essaye méme pas de lui faire remplir les engagements auxquels il avait souscrit par contrat ™. Hugo ne lui fait plus 133. Mme Hugo ajoute qu’aprés la représentation, dans la loge de Mlle « M. Harel entra, Pactrice lui reprocha hautement de Vavoir fait siffler. 134. Le 21 janvier 1834, Harel écrit 4 Hugo.
Georges, »
Monsieur,
J’ai réfléchi aux propositions que vous m/’avez faites verbalement hier. Puisqu’en effet les derniers rapports d’affaires que nous avons eu n’ont été profitables ni &4 Pun ni 4 l’autre, il convient que nous n’en établissions pas de nouveaux, Je vous dégage de VPobligation de m’apporter votre premier ouvrage dramatique. De votre cété vous me dégagez de Vobligation de faire représenter ainsi que je m’y étais engagé. Lucréce Borgia et Marion de Lorme et de vous payer en conséquence le prix convenu dans le cas préyu par notre traité ot elles n’auraient pas lieu. Un mot de vous et tout sera dit. Recevez, Monsieur, assurance de ma considération. (ae -V.H.)
Mais
dés le 7 aot
lui promettani
1835, Harel
Frédérick
revient a la charge et s’efforce d’allécher
qu’il vient
d’engager A nouveau
(lettre M.V.H.).
Hugo
en
222
LE ROI
ET LE BOUFFON
confiance : il aura beau dés l’année suivante multiplier les avances, le poéte fera la sourde oreille. Quant 4 Dumas, il faudra attendre les derniers mois de 1835 pour que s’effacent les rancceurs ™,
DRAME BOURGEOIS
CONTRE MARIE
TUDOR
Il est vain d’espérer que la presse soit meilleure aprés Marie Tudor qu’aprés Jes ouvrages précédents : les adversaires de Hugo n’ont pas désarmé et la presse libérale est plus enragée que jamais. La figure de la reine Marie n’est guére de nature a4 plaire aux ultras, c’est encore un coup de patte, indirect, mais efficace, contre la royauté. Quant aux journaux gouvernementaux, les Débats par exemple,
rien
n’est
capable
de
leur
faire
surmonter
leurs
préventions
littéraires.
Mais cette fois, Hugo s’est dit qu’il fallait organiser la contreoffensive sur le plan de la presse: certes, il n’aura pas les grands journaux,
le Constitutionnel
ou
méme
les Débats,
nous
ne parlerons
pas du National ou du Courrier francais, mais il pourra compter sur un certain nombre de petits journaux littéraires, la toute nouvelle Europe littéraire, dont le directeur Capo de Feuillide lui est dévoué,
et dont on peut presque dire qu’elle est son journal, le Vert-Vert, petit journal de théatre dont on ne peut espérer qu’il concurrence le terrible Courrier des thédtres, mais qui jouit d’une certaine audience dans
les milieux
romantiques,
littéraires
et artistiques ; l’Entr’acte
aussi se montre relativement favorable 4 Hugo, malgré certaines réserves. Autrement dit, ce sont les journaux spécialisés, les journaux de théatre qui, en petit nombre, veulent bien proéner le drame hugolien. Le plus actif, contre-attaquant avec vigueur et réfutant les arguments — toujours les mémes — qui condamnent le drame hugolien, c’est
YEurope littéraire ; J.-P. Beaude y moque (12 novembre)
: « J’ajouterais
que
les contradictions
le feuilleton
littéraire
libérales chez
vous
donne le droit de soupconner la bonne foi de la colonne politique : la colonne politique tient le peuple en trés haute estime, lui reconnait des droits et l’appelle en masse au suffrage universel, Gros Pierre aussi bien que Gros Jean ; le feuilleton littéraire lui interdit le droit d’applaudir et de siffler, et le traite de peuple sale, presque de canaille, Dieu me pardonne. » L’Artiste (Th. Gautier ?) donne un article tout 4 fait prudent, semé de formules ambigués, mais que l’on
peut interpréter dans
un sens favorable.
f
Viol du public. La caractéristique
de tous les journaux
favorables
4 Hugo,
c’est
de commencer par souligner le succés matériel, la présence du public, la vigueur de la bataille, les possibilités (en occurence partiellement 135.
Les
amis
de Hugo
pensent
lui
faire
la cour
en
raillant
Dumas
; Louis
de
Maynard se moque d’Angéle (cela ne demandait pas de dépense d’esprit). Le spirituel Gaspard de Pons l’appelle « le marquis de la Pailleterie », et le 10 mai 1836, Astolphe de Custine bat le record de la stupidité en traitant le Don Juan de Marafia, de « plat d’4mes brouillées aux pointes d’anges ».
|
« MARIE décues)
TUDOR
»
de brillantes recettes. De l’Entr’acte
223 (8 novembre
: « Du reste
(...) il est une puissance que M. Victor Hugo posséde a peu pres exclusivement ; nous voulons dire la puissance de pousser la multitude a ses drames et de faire d’un jeu, d’un délassement de l’esprit une lutte presque nationale, ol sont aux prises et les passions politiques et les passions littéraires. » Et le Vert-Vert du 9 novembre: « M. Hugo est le seul poéte, le seul romancier, le seul auteur dramatique qui éveille
autour de lui une aussi prodigieuse masse de sympathies et de haines (...) ef ce doit étre 14, aux yeux de tous, un signe manifeste de puissance (.,.). Il n’y a que les volcans qui fassent trembler la terre. » Sur ce point, l’Europe littéraire, non sans souffle, touche au lyrisme : « Le public qui emplit la salle pendant cent représentations consécutives *°
a toujours
été traité
d’ami
personnel
de
Jl’auteur,
et ses
applaudissements considérés comme des illusions d’acoustique. Illusion, l’intérét puissant qui tient les spectateurs en émoi pendant cing heures sans respirer ! Illusion, les recettes du théatre qui temoignent cependant assez de leur réalité par les chiffres ! Illusions, les transports de l’admiration et de la critique que ces ouvrages ont seuls le privilege de soulever ! Illusions ! illusions que tout cela. Les Sophonisbe, les Hercule,
les Mariane,
tous tombés
au champ
d’honneur
de
la représentation, sont la pour témoigner contre la sorcellerie qu’emploie leur rival pour fixer Vopinion » (I, p. 141). L’Artiste du 9 novembre souligne l’intérét qui s’attache 4 Hugo: « C’est un intérét puissant celui-la, voir un esprit vigoureux en lutte 4 la fois avec ses théories passées et ses théories présentes. » L’accusation habituelle subsiste intégrale : Hugo n’est pas un auteur dramatique, l’entente de la scéne lui échappe. Cet argument se retrouve presque partout, mais avec une particuliére véhémence dans la France littéraire (novembre 1833, p. 236-249) : « Pourquoi M. Victor Hugo s’est-il cru le talent de la scéne ? » Et l’article d’incriminer l’intérét le plus immédiat, celui de la notoriété et de l’argent que procure la réussite dramatique : « Mais non, la téte tournait d’éloges enthousiastes, l’égoisme tirait 4 toute force par la manche ; on s’est précipité sur tout comme sur une curée ; aux flammes folles des orgies échevelées, aux lueurs fantastiques du clair de lune allemand, on s’est pris 4 jeter ¢a et 14 des matériaux sans plan, sans consistance, et quelques Babels ont surgi, bizarres et grimacantes. > D’ot deux conséquences inégalement distribuées selon les journaux : les adversaires du drame romantique, le Corsaire par exemple, ou le Courrier des thédtres, profitent de Marie Tudor pour assommer au passage le genre détesté ; dés le 11 octobre, le Corsaire, 4 propos du Théatre Francais, rouvrait le feu contre le drame moderne : il stigmatisait « cette misérable école qui n’a méme pas su conserver et qui a semé sa route de ses chutes, de ses niaises extravagances, de son plagiat féodal et qui, pour tout héritage, nous a légué le mépris, le désespoir et Vincapacité. Odieux et détestables eunuques, ils ont craché a ia face des ancétres, eux qui ne peuvent rien produire ». Aprés Marie Tudor, les cris redoublent: « Quel sera le réquisitoire de la critique contre ces essais informes d’ot s’échappe une éternelle vapeur de sang et de débauche, sans moralité comme sans contrainte 2?La muse moderne s’est vouée aux dieux infernaux. Elle 136. Exagération
manifeste,
comme
les cing
heures,
qui suivent.
224
LE ROI
desséche,
elle flétrit tout.
ET LE BOUFFON
» (Corsaire,
9 novembre.)
Remarquons
le
passage de la condamnation littéraire 4 la condamnation morale. Quant 4 Planche, il pousse un gémissement définitif : « Le lendemain de Marie Tudor il faut dire que l’art s’en va. » La seconde conséquence, c’est, plus particuliérement adressé 4 Hugo, le reproche de viol du public : argument qui n’est pas nouveau, mais se généralise. Presque tous les critiques y ont recours, pour en accabler Hugo — ou parfois pour exalter sa puissance d’écrivain capable
de forcer
le succés.
Le
méme
Corsaire
(du
15 novembre),
aprés avoir évoqué « cette pensée immuable quand elle est une fois en train », ajoute : « Ainsi M. Victor Hugo méne la littérature par le bout du nez. » Il est amusant de voir que le méme argument dans le méme
journal (9 novembre)
se trouve inversé
: dans |’article précé-
dent, le viol apparaissait comme réussi, mais la il est tenu pour manqué. « On est forcé de croire qu’il est fourvoyé par une fatale obstination qui le met en hostilité avec la raison et le bon sens. » Le Constitutionnel (Darmaing ?) tient que la doctrine immuable de Hugo tente de forcer l’opinion: « S’il n’est pas admiré de l’époque, c’est que l’époque est arriérée. Ce n’est pas lui qui doit céder au siécle, c’est le siécle qui doit fléchir sous lui. I) ne suffit pas 4 son orgueil de jeter A l’opinion publique d’humiliants dédains, il veut dompter Vopinion publique et la convertir 4 ses drames par la force, comme Mahomet établissait sa religion par le glaive. » (11 novembre.) De toute
maniére,
il leur faut bien
convenir
que,
si scandaleux
qu’il apparaisse aux yeux de la raison et du bon sens, |’échec du viol n’est pas total. Mais c’est bien explicable: la salle est remplie de « séides ». Et le Constitutionnel de poursuivre : « A chaque premiére représentation des drames de M. Victor Hugo, une armée de Séides est la, distribuée sur tous les points, pour réprimer l’indépendance des opinions par la tyrannie et le hurlement des bravos, » Plus perfidement l’article de Planche dans la Revue des Deux Mondes affirme que « les juges de Marie Tudor ont été soumis, comme les jurés d’assises, A la récusation
de l’auteur,
du directeur,
etc. Je puis affir-
mer que nombre de personnes honorables n’ont pu y étre admises, en temps opportun, faute de recommandation. » Et le Brid’oison, journal de chantage, dit dans son compte rendu du 9 novembre que Hugo « ambitieux d’une couronne littéraire quelconque, a cherché a ressusciter le moyen Age pour se faire élire roi. A force d’extravagances, il y est parvenu; il s’est formé une armée a longue barbe, a longs cheveux
plats,
et suivi de cette sorte
A chapeaux
d’émeute,
pointus,
a gilets de satin
il est allé se promener
rouge;
tour a tour
de la Porte Saint-Martin aux Francais, et des Francais 4 la Porte Saint-Martin. » Hugo est traité de « nouveau tyran, protégé par ses satellites >. A ces propos l’Europe littéraire répond, en exaltant cette lutte. Beaude justifie le poéte de sa « persévérance » a violer l’opinion : apres avoir rappelé que c’est « aprés une lutte corps 4 corps avec chacun des préjugés qui obstruaient la réforme littéraire de notre age (...), que Victor Hugo nous a conduit a cette forme large et variée de Shakespeare, qui permet de mouvoir des masses comme des individus >, il ajoute ces formules frappantes : « Il faut se rappeler surtout avec quelle admirable persévérance il a marché au milieu des
« MARIE
TUDOR
»
225
entraves et des haines, contrariant sans cesse et pétrissant l’esprit de la masse pour l’amener au point ou il le voulait voir, demandant plus pour obtenir
moins,
et battant
de son front, comme
un bélier, tantét
le pouvoir, tantot la presse et le pouvoir, quelquefois repoussé, mais revenant toujours 4 la charge a peine guéri de ses blessures *’. » Texte capital, ou nous
trouverions,
s’il en était besoin,
la confirmation
non
seulement de cette lutte entre Hugo et l’ensemble de lopinion, lutte dont il est 4 peine besoin de parler a présent, tant elle nous est apparue flagrante, mais de la volonté de Hugo de forger son public, de « pétrir l’esprit de la masse
», volonté rageuse, obstinée ™, faisant
fleche de tout bois, et ot l’on peut voir la raison principale de ses difficultés avec les théAtres. Certes la soumission est plus payante, devant le refus (littéraire et idéologique)
de V’opinion ; tel était, 4 n’en
pas douter, l’avis de Harel. Ne cherchons pas de raisons trop personnelles 4 sa préférence pour Dumas. La lecture de la presse le justifie. Plagiats. Les reproches déja traditionnels, qui reprennent vie apres la dispute avec Dumas, l’accusation de plagiat (ou en tout cas de flagrante imitation), accusation d’infidélité par rapport a l’histoire, le caractére mélodramatique. Et liés aux reproches précédents, mais divergents, les reproches moins techniques qu’idéologiques, la bassesse et la « trivialité » des personnages, des situations, du langage, et les diverses
passionnelle, proviennent
atteintes
présence non
4 la morale
et aux
du bourreau).
Une
seulement
des journaux
convenances
(immoralité
fois de plus ces
attaques
ultras ou gouvernementaux,
mais des journaux libéraux. C’est eux qui font devant la trivialité les mines les plus dégoidtées. Le reproche de plagiat est partout. Nous n’en citerons que quelques exemples. Et, bien entendu, le premier nom évoqué est celui de la Christine de Dumas. Mais il n’est pas le seul, tant s’en faut. Ainsi Vénumeération du Constitutionnel : « Dans Marie Tudor, tout le drame est empreint d’une monotone faiblesse et abonde en réminiscences plus ou
moins
fortement
nuancées
de Christine,
de Monaldeschi,
de
Paula ®, de Périnet Leclerc ™, du juif Raphaél Bazas ™, d’Antony . » La liste de Lafon (/a France littéraire *) est quelque peu différente : « On surprend trop sur le fait le copiste qui dérobe en plein jour et @une
main
enfantine
Clotilde ,
Mithridate,
le Déserteur “’, enfin, le
dirai-je ? méme le Comte d’Essex de La Calprenéde. Par respect pour une haute renommée, je ne pousserai pas la critique plus loin, car il me faudrait descendre a des paralleles qui feraient coudoyer la sanglante Marie par des héros de mélodrames trop célébres au boulevard. » On voit pointer ici une autre idée : l’assimilation du drame 137. Art.
cit.
138. (Suite du méme art.) « On lui a livré bataille avec la logique de la routine et avec la plaisanterie, cette arme si puissante en France et il n’a pas laché pied. i a acenne les fléches de son dos, et il s’est de nouveau précipité, téte baissée, dans a foule. » 139. Trois personnages de la Christine de Dumas. ' 140. D’Anicet Bourgeois (Porte Saint-Martin, 3 novembre 1832). 141. Dans la Clotilde de Soulié. 142. Le persormage de la piéce de Dumas qui porte ce nom. 143. T. 10, p. 244. 144. Piéce de Soulié, 11 septembre 1832. 145. Le Déserteur, de Sébastien Mercier
(?).
Nous
ne
voyons
pas
le rapport !
15
226
LE ROI
ET LE BOUFFON
hugolien au mélodrame. Il n’est pas jusqu’a la Quotidienne (Merle), en général moins mesquine, qui n’embouche la méme trompette : « Si nous voulions suivre dans l’examen de la piéce de M. Hugo le systeme de critique qu’on a appliqué aux ceuvres de M. Alex. Dumas, nous pourrions rappeler les analogues de toutes les situations qui composent le drame de Marie Tudor, nous les retrouverions toutes dans des ouvrages plus ou moins connus depuis le Clerc de la Bazoche de M. Scribe “§ jusques au coup de canon d’Adélaide Duguesclin. » (11 novembre.) Et dans le méme article, Merle parle d’ « une imitation servile de la Christine de M. Alex. Dumas. La seule différence,
cest qu’ici le cynisme de la situation et du dialogue est poussé plus loin. >» Si Hugo imite servilement ses devanciers, il se montre au contraire
d’une
extréme
désinvolture
avec
Vhistoire,
selon
le Courrier
francais (9 novembre). Pour le Figaro (9 novembre) « cette piéce appartient a lhistoire par quelques noms, elle s’en écarte par lVintrigue. (...) Nous nous expliquons pourquoi ce drame est si dépourvu de couleur ». Le Brid’oison ne mache pas ses mots: « Cette piece n’est pas de l’histoire. Tout s’invente dans le royaume Hugot (sic), _jusqu’au titre, jusqu’au nom de Tudor, dont on n’a jamais qualifié Marie d’Angleterre. » Pour le Charivari, « Hugo s’est abstenu de la vérité historique » (9 novembre). Gustave Planche, dans la Revue des
Deux
Mondes
(15 novembre),
donne
de
ce
grief,
sur
lequel
la
presse n’insiste guére, une formulation plus complete : « L’Angleterre, la France, Espagne, l’Italie, au xvI*° ou au xvil® siecle, peu importe a M. Hugo. Il choisit dans le passé un nom sonore et reluisant, comme une femme choisit l’étoffe d’une robe pour les reflets et les plis qu’elle
peut donner ; mais lA se borne l’emprunt qu’il fait 4 Vhistoire. Il ne s’inquiéte ni des faits accomplis, ni des caractéres développés et mis en jeu par les événements. » Reproche bien vague. Contrairement aux piéces précédentes (contrairement 4 ce qui se passera pour Ruy Blas pour lequel les critiques font le compte des moindres erreurs) il semble que cette fois les adversaires de Hugo se soient donné le mot pour lattaquer mollement sur histoire. Ce n’est pas sans cause, nous le verrons. Mélodrame.
Mélodrame ! mélodrame ! la critique s’en donne a coeur joie. Le Courrier francais du 17 novembre ne mache pas ses mots: « C’est le vieux mélodraine, trempé dans la lie de Shakespeare, de Walter Scott, de Byron, d’Hoffmann et frappé d’un souffle de poésie ‘satanique. » Et la Mode du 30 novembre: « Le Grand Lama de Vécole moderne, M. Victor Hugo vient de laisser tomber sur les planches de ce théatre de toute la hauteur des tours de Notre-Dame, un gros drame a la pensée shakespearienne et aux formes mélodramatiques, » Le mot mélodrame se retrouve presque partout dans le National ot Rolle accuse Hugo de copier « les effets et les procédés de nos mélodrames en vogue », dans le Charivari: < ... Pitié, terreur, lampes funéraires, tombeaux, tonneaux, tam-tam, rien de ce qui épouvante n’a été épar-
gné. C’est de la bonne 146. Joué
en septembre
grosse terreur qui vous 1831,
aprés
um procés
avec
prend aux
le Clerc
flancs et
et le Théologien.
« MARIE
TUDOR
»
227
vous étouffe ! la procession du supplicié, au dernier acte, est dans le comble du genre, et les cercueils de Lucréce sont surpassés. » On se sert contre Hugo de l’effort méme qu’il fait pour dominer les ficelles de la scene. Le Vert-Vert louait Hugo de ce progrés : « Somme toute, Marie Tudor est un pas immense de M. Hugo: on feignait de lui contester le talent de combiner des scénes; les deux premiers actes sont admirablement intrigués, intrigués comme Figaro. » Mais c’est justement le nouveau reproche du Charivari : « Ce qui est remarquable dans cette ceuvre si remarquable, c’est que M. Victor Hugo a voulu prouver qu’il possédait le talent dramatique dans la moins difficile et la plus vulgaire entente du mot. (...) Il s’est donc abstenu de la vérité historique, il a laissé 1a les grandes idées, tant qu’il a pu. Il a tout bonnement entassé l’incident dramatique aussi bien qu’aurait pu le faire M. Duval lui-méme. Les deux premiers actes de Marie Tudor sont des chefs-d’ceuvre d’arrangement. » Mais la plus grande méchanceté c’est l’Artiste qui la distille: « A tout prendre, Marie Tudor est un succés plutot fait pour le parterre habituel de la Porte Saint-Martin que pour tout autre parterre. » Une méchanceté qui va loin, car elle signifie tres clairement que Hugo n’a sa place qu’a la Porte Saint-Martin, théatre du mélodrame ; c’est condamner sans appel tous les efforts faits par Hugo pour créer un public un et un drame un. La trivialité.
On se doute que les reproches enchevétrés de vulgarité, de trivialité, d’inconvenance et d’immoralité sont particuliérement fréquents a propos de Marie Tudor. Le mot trivialité se retrouve sous la plume du Constitutionnel et sous celle d’Amédée Pichot de la Revue de Paris. Il n’est pas jusqu’a l’Entr’acte, pourtant favorable 4 Hugo, qui ne Vemploie 4 son tour: « Je sais bien que la naiveté du dialogue dégénére quelquefois en trivialité, la ot M. Hugo n’y a pas pris assez garde
» (8 novembre).
Ce sont les critiques libéraux
devant la grossiereté de Hugo, le plus Tribune d’Armond Marrast (15 novembre)
qui manifestent
aristocratique dégott. La attaque la derniére piéce :
« Tout cela deyait nous conduire d’Hernani a Marie Tudor, en passant
par
les salétés du Roi s’amuse, et les calembours dégotitants de Lucreéce Borgia. » Sur ce point, c’est Rolle, dans le National, qui va comme toujours, le plus loin. Il y a inconvenance et immoralité selon Rolle, a mélanger le mal et le bien, 4 ’intérieur
du méme
personnage
:
Une des plus bizarres manies des drames de M. Hugo est précisément de vouloir mettre les plus nobles et les plus pures passions dans les 4mes
mauvaises
et souillées
(....) La nature
est
plus logique, et ne se donne pas d’aussi violents démentis 4 elleméme. Sil en était autrement, quel privilege et queile chance resteraient aux ames hautes et choisies? Et ou en serait la morale éternelle ?
Dans la’ Gazette de France du 10 novembre, on lit: « Lucréce Borgia et Marie Tudor sont les deux sceurs dramatiques aussi immondes Yune que l’autre et sacrifiant 4 la passion la plus insensée tout sentiment de pudeur, de sexe et de rang. » La bassesse des personnages est un des lieux communs de la critique ; ainsi le Moniteur universel du
228
LE ROI ET LE BOUFFON
9 novembre : « La reine offre un assemblage de commun, de trivial, d’élévation, de folie, de ridicule, de jalousie. » Le Courrier frangais, libéral, tient Gilbert pour un héros « dégradé >», et, peu sensible au
caractére populaire du personnage,
il ajoute : « De son aveu Gilbert
n’est ni beau ni jeune ; nous
qu’il n’est ni brave, ni adroit, ni
savons
loyal : comment voulez-vous qu’il intéresse ? » Etrange vue romanesque et féodale du héros du drame. Méme son de cloche dans la Revue des Deux Mondes
(1833, IV, p. 461) : « Si ’on veut que je m’intéresse
de bonne foi au sort de Jeanne Talbot, il me la faut grande et passionnée, pure et hardie. » _Les journaux ultras, la Quotidienne, par exemple, parlent du mépris de Hugo « pour toutes les convenances sociales ». Selon Merle, le plus grave c’est l’attaque contre la royauté ; il reproche a Hugo de « déshonorer bénévolement une reine ». C’est ce que dit aussi, éloquemment,
l’Echo-
de la Jeune
France
dans
son
numéro
de
décembre 1833 ; il préte 4 Hugo ces paroles: « Pour que ce mot de reine perde tout son prestige, je prendrai celle-ci, et je la prostituerai a un homme sorti de vos rangs (du peuple (...), et je ferai Marie reine d’Angieterre, assez repoussante et assez ignoble pour que dans cet adultére
d’un tréne avec
un coin
de rue, ce soit Fabiano
Fabiani
qui paraisse descendre en venant essuyer la boue de la place publique sur la pourpre éhontée de ce manteau royal. » Il ne nous étonnera pas de trouver dans l’Echo de la Jeune France, une tirade réprobatrice contre le bourreau lié au souvenir de la Terreur : « Ce qwilya de plus hideux a vos yeux, n’est-ce pas le bourreau? Eh bien! je donnerai a la reine le bourreau pour confident et. pour compere. Je jetterai l’une contre
l’autre les deux
extrémités
des choses humaines,
le tréne et l’échafaud. » Dans l’Artiste, le développement sur le bourreau est poussé jusqu’a ses derniéres conséquences : Vous
savez
depuis
longtemps
la prédilection
de M. Hugo
pour le bourreau. Il en a fait, 4 exemple de M. de Maistre, la cheville ouvriére de toute civilisation, le commencement et la
fin de ordre public, le principe universel sur lequel reposent toutes les légitimités et toutes les puissances du monde. Le bourreau dans ce sens est la derniére expression de cette école philosophique dont l’athéisme est le principe. Jamais le bourreau n’a été aussi horrible qu’il nous parait dans les ceuvres de M. Hugo. Autrefois, le bourreau n’était qu’un épouvantail ; dans le systéme de M. Hugo, c’est la représentation d’un principe, et de quel principe ! Hugo est ainsi enrdlé dans la famille des athées; pas de trouver, sous la plume de Rolle, coutumier
on ne s’étonnera du fait, des affir-
mations du méme type ; voici comme il définit le drame de Hugo : « Un drame de hasard, un drame vagabond, enfant perdu, sans famille, sans
Hugo
patrie et sans
Dieu.
»
révolutionnaire ?
L’Echo
de la Jeune
France
de sang, !’ « empoisonneur
franchit
ce pas:
Hugo
est le buveur
public >» :
A travers tous ces noms empruntés aux siécles passés, il y a de la pique et du bonnet rouge au fond des drames de Victor
« MARIE
TUDOR
»
229
Hugo. C’est une terreur littéraire, c’est un 93 théatral succédant
au 93 politique. Chaque soir il donne a ses émotions que nos péres ont eues dans la rue. 21 janvier au bout de cette plume qui s’en couronnes, car le mépris est encore plus mortel
spectateurs ces Il y a plus d’un va souillant les aux institutions
sociales que le couperet de la place de la Révolution,
et le régi-
cide le plus coupable comme le plus dangereux n’est point le régicide du sang, mais le régicide de la boue. (Ce n’est pas la royauté seule qui est ainsi mise en péril, c’est la société.) Nous avons
reconnu
dans tous ces drames
cette pensée
antisociale
et
ces continuels appels aux mauvaises passions qui pervertissent le sens moral des peuples. C’est que toutes les fois que les auteurs dramatiques, au lieu d’exercer une censure salutaire sur la société dont ils sont membres, cherchent 4 ruiner les institutions, et 4 renverser toutes ses bases déja si ébranlées, ils
deviennent
des empoisonneurs
publics.
L’article de la Tribune du 15 novembre 1833 dit exactement l’inverse ; extrémement violent, il s’efforce de démolir la confusion entre la révo-
lution politique et la révoltion littéraire : A la premiére représentation de Marie Tudor, ses jeunes amis [de Hugo] avaient recruté parmi les Républicains de braves et dignes jeunes gens qui sont persuadés que la question de la révolution politique touche a la révolution littéraire et ils he se sont pas apercus qu’en juillet le premier avait tué l’autre. une grande lucidité, la Tribune fusion du public de Hugo :
Avec
indique
l’équivoque
et la con-
Au parterre donc, et aux secondes galeries, bon nombre de républicains, parmi lesquels nous avons remarqué des membres actifs de la Société des Droits de (Homme
de
salon;
duchesses
aux
loges,
carlistes,
les
frottées
femmes de
; au balcon
galvaniques,
les amis
comtesses
Lamartine ; enfin,
4
et
l’avant-
scéne, M. Hugo lui-méme se pavanant au milieu de la famille Bertin, du Journal des Débats. {Equivoque redoublant celle que contient la piéce elle-méme.] Ainsi quand la reine, cette reine dévergondée, bavarde, rugissante, que M. Hugo a mise au monde, s’emporte contre la populace et s’écrie : Donnez-lui une téte a cette canaille, elle veut en manger! les loges et les balcons frémissent d’admiration et poussent d’énormes bouffées d’en-
thousiasme. Lorsqu’au contraire un autre flatte parterre s’épuise en transports frénétiques.
Et la Tribune de stigmatiser le refus d’engagement celui de Hugo dans son drame :
le peuple,
politique
Tandis que la classe ouvriere se répandait les inondant de ses justes plaintes, tandis que’ passionnée de liberté pleurait sur les désastres M. Hugo ne croyait-il pas ’univers occupé de (...) Quoi, vous voulez que les contemporains
le
qui est
dans nos rues, notre jeunesse de la Pologne, son Triboulet ? vous admirent,
vous dont les oeuvres sont sans action, sans influence, ni sur le présent ni sur l’avenir (...). Non, il n’y a rien, absolument rien
dans M. Hugo qui ressemble précisément au poéte de la jeunesse, au poéte révolutionnaire. Lui poéte révolutionnaire ? Et 4 quel titre ? qu’a-t-il fait que suivre la trace de tous ces
230
LE ROI ET LE BOUFFON
hommes dont létranger en 1814 alluma la gloire et les talents. Quelle ceuvre originale est sortie de ses mains ! Des traductions, des imitations étrangéres, une importation sans discernement et : he lags 8 des ceuvres nationales ailleurs, hétérogénes en
.
France
On. peut rester insensible non seulement 4 la flamme hostile de ce texte, mais 4 son moralisme puritain, et 4 son chauvinisme démagogique. Il_y a une idée commune 4 l’article ultra et 4 l’article.libéral, celle des théoriciens
du drame
bourgeois
du xvim° siécle, un Diderot,
un Sébastien Mercier, ’idée du théatre immédiatement utile. Or Hugo refuse de lier utile 4 une thése politique ou morale : il affirme énergiquement et contradictoirement la valeur d’enseignement de son
théatre et ce refus de toute thése. Alors ? l'Europe bien les contradictions
littéraire
montre
de l’attitude libérale, mais reste muette
sur le
contenu idéologique du théatre de Hugo. Peut-étre n’est-ce ni Vhistoire littéraire, ni le contenu explicite des ceuvres qui peut permettre d’apporter une réponse, mais l’analyse de V’écriture.
Hugo et Vart matérialiste. Cependant, dés maintenant, on peut dire que la grande querelle apparemment technique faite au théatre de Hugo est en fait, nous le voyons une fois de plus, une querelle idéologique. Certes, la question du grotesque n’est pas directement soulevée, parce que Hugo a cette fois éliminé le grotesque 4 l’exception importante, mais dérivée, du personnage du bourreau. Nul ne présente la défense du grotesque de Hugo ; méme
Varticle
de J.-P. Beaude,
dans
l’Europe
littéraire,
con-
damne le grotesque hugolien : « Je ne voudrais pas méme nier le défaut du maitre. Tout génie a son coté humain. J’avouerai que le grotesque a été souvent poussé au-dela des limites du raisonnable. > Ce que reprend toute la presse, c’est le grand argument qui fut pour les drames précédents celui de G. Planche et de Rolle : Hugo est un poéie matériel, la description lui tient lieu d’analyse et de sentiment, les moyens de mise en scéne suppléent 4 la peinture' des passions. De matériel 4 matérialiste, il n’y a qu’un pas, allégrement franchi. Pour ia Tribune, le talent de Hugo, c’est « l’action du décorateur qui dessine un catafalque » ; pour le Brid’Oison, « le quatriéme
acte, c’est Hugo
tout entier,
c’est Hugo
faisant
comme
A son
ordinaire dans les corbillards et les processions. On voit Londres illuminé, la Reiné boxe avec Jeanne Talbot qui lui redemande son amant ». Pour l’Jmpartial du 9 novembre, « M. Hugo a une prédilection marquée pour les processions et les escaliers. Nous avons déja vu des processions dans Hernani et dans Lucréce Borgia. Dans Hernani, nous avions aussi un grand escalier ; ici, il y a progrés : nous avons deux escaliers ». I] est aussi beaucoup question d’escaliers dans Varticle de Rolle : « M. Hugo avait mis dans Hernani
un grand esca-
lier ; puis sept ou huit sépulcres dans Lucréce Borgia; au dernier acte de Marie Tudor, M. Hugo a réuni son grand escalier 4 ses tombeaux, il a joint une ville illuminée. » Le développement de Charles Rabou (Journal de Paris, 10 novembre) sur le méme théme, est plus clair : « Il (Hugo) ne s’apercoit pas qu’en pareil cas (...) il n’a pour
€ MARIE TUDOR
>
231
auxiliaire et pour expression de sa pensée que l’art borné et fini du décorateur qui vient ainsi en partage de son invention et la réduit au mérite équestre d’une création de mimodrame. » Ainsi Villumination finale n’est qu’ «< une pensée de machiniste“ >». Mais c’est encore 2 Rolle que nous emprunterons le mot de la fin: Ne sachant point intéresser le spectateur par lanalyse vraie et vraisemblable d'une passion qui commence dans le ceeur et s’y développe graduellement, il faut bien que Hugo Poccupe par autre chose : il ’étonne alors par des effets fantasmagoriques et des secousses matérielles et violentes ; fauie de =
rendre Pame attentive, ils’en prend aux muscles et aux
nerfs.
Et voila Hugo poéte du corps, tenant d’un art < matérialiste ». Hugo ignore pas la gravité de la querelle, son perpétuel renouvellement. Le grand article de Europe litiéraire répond par une attaque ironique contre Pécole spiritualiste. Le mot d’ordre de ladite école, c’est le mot intime, et lon sait en effet que toute une querelle idéologique tourne autour de ce mot: Depuis quelques mois, une année peut-étre, un petit nombre de personnes sont convenues entre elles d’appeler philosophie et pensée infimes, un certain ronflement de phrases creuses, ot tournent
comme
dans une
roue
de fortune, les mots
Dieu,
ciel,
terre, mer, cceur, ame, et toutes les épithétes correspondantes, et lon applique sur le tout le procédé du désespoir a la Byron, ou la consolation de Vidée chrétienne, sujet assez vaste comme Ton voit pour servir de maison de refuge 4 ceux qui n’aiment pas
se
casser
la téte
en
frais
d’invention
(...). Nous
devons
avouer que les livres de Victor Hugo sont entiérement vides en effet de cette facon de philosopher (...) Selon nous Victor Hugo est l’antipode
de l’école matérialiste
qui fait du drame
pour
le
plaisir d’entasser des éléments. qui écrit de lhistoire 4 Vins d'un secrétaire de chancellerie, ou d’un greffier de cour d’assises. Il ne donne jamais un fait sans mettre la cause en relief.
Et 4 propos de Marie Tudor, il poursuit:
< Sujet intime, sil en fut > La querelle pose ainsi, avec une relative clarté le probléme de Jlidéologie de Hugo dans ses rapports avec le spiritualisme officiel, rapports qui ne sont pas tant d’opposition que de creux, de vide, dit le critique ™. puisqu’il se passe tout entier dans lame
d’une femme.
Hugo et le drame bourgeois. Dans la presse, la querelle avec Dumas,
au-dela
de l’anecdote
—
ou de la satisfaction de voir se scinder en deux lécole romantique — montre ses implications idéologiques. Si la critique attaque mollement Hugo sur sa fidélité 4 histoire, c’est que par un biais imprévu le drame historique apparait comme « subversif >. De 14 une thése 147. A ce propos, Ch Rabou fait ume remarque capitale sur le double regisire des objets signifiants chez Hugo : « M. Hugo a si biem eu, sans s*en- douter, la conscience du vide de son illumination. qu’il a chargé la reine Marie de faire sur ses lampions un tirade telle qu*il Feit composée lui-méme. » 148. Voir lle partie, p. 624.
232
LE ROI
ET LE BOUFFON
générale venue de tous les horizons politiques qui plaide en faveur du drame bourgeois moderne, contre le drame historique. On attend avec impatience qu’Alexandre Dumas Pére donne le jour 4 Alexandre Dumas
Fils.
Mais
Hugo
n’écrira
jamais
de
Dame
aux
camélias,
et
c’est bien ce qu’on lui reproche. Ainsi l’Entr’acte réclame : Parlez-nous plus bas, parlez-nous de nous-mémes, couvrez vos personnages d’un masque que nous connaissions tous; descendez dans notre vie de tous les jours, foulez aux pieds les chroniques, les manteaux de rois (...). Je n’aurai foi entiére au talent complet de Victor Hugo, poéte dramatique que du jour ou je lui aurai vu faire un drame bourgeois qui obtiendra méme le succés contesté de Marie Tudor.
On n’est pas plus clair : ce que Hugo doit peindre, c’est . Il signale dans le talent de Hugo « quelque chose d’essentiellement antithédtral. Son impuissance est irrémédiable ». Ces formules ne sont pas insultantes : il oppose Byron et Walter Scott a Moliére et Shakespeare, génies dramatiques. Le décalage de Hugo par rapport 4 son public, Rabou
en voit le principe
dans
le sens
« romanesque
» du
podte et sa « disposition inexorable A peindre au-dela de la nature >, et il ajoute ce mot auquel nous souscririons volontiers : Hugo est contraint de « monter la fable au diapason des Ames monstres >. Enfin il voit la cause de ’échec dramatique de Hugo justement dans sa guerre avec le public :
Il y a, rien que dans les moeurs littéraires de M. Victor Hugo, un empéchement invincible et matériel 4 ce qu'il soit un dramaturge : (...) ayant constamment vécu en état de guerre avec le public et la critique, il a fini par donner a son génie une allure cassante et cavaliére qui peut tout au plus passer dans une préface ot l’on n’a affaire avec ses lecteurs qu’un & un (...) Mais la vie du poéte dramatique est une vie de privations, @humilité et de sacrifices, On ne peut mieux code
édvoquer la soumission
culturel et Vimpossibilité
mission,
pour
Hugo
de lauteur d’accepter
dramatique une
au
telle sou-
ws
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VERS UN COMPROMIS
LE ROI ET LE BOUFFON
:
MADAME LOUIS XIV ET MAGLIA 1834 — L’ASSAUT DE LA CRITIQUE Hugo décadent. Le relatif échec de Marie Tudor, la rupture du front uni du drame romantique donnent le signal du déchainement des critiques. Les trois clans correspondant aux trois grands partis politiques, dont nous avons vu 4 quel point leurs théses se rejoignaient, semblent cette fois s’étre intelligemment partagé la besogne ; certes les themes et les arguments interférent, mais dans l’ensemble, une
sorte de division du
travail semble jouer. Les ultras restent cramponnés aux idées morales. Tel le grand article de l’Echo de la Jeune France de décembre 18331, repris et con-
solidé par un article d’avril 1834 : « Trois pieces ont servi de cadres a cette guerre impie qu’il (Hugo) a entreprise contre les principes de la société
(...). Il a laissé tomber
le masque ; les draperies
décentes
que le talent jette sur les impudicités du vice, ce point de vue élevé ou il se place pour juger la nature humaine, cette mission toute morale qu’il s’impose, cette sorte de censure qu’il exerce sur les mauvaises passions et les crimes, vous ne trouverez rien de tout cela dans cette trilogie qui part de la tragédie appelée le Roi s’amuse et passe par Lucréce Borgia pour aboutir a Marie Tudor. » Ce grand article ne laisse rien de c6té: Hugo est subversif, ses drames font partie de « ces ouvrages qui dénotent dans la littérature dramatique une tendance de plus en plus prononcée vers les doctrines subversives de toute société (...) ; quand un homme résume et représente un mouvement intellectuel
(...), quand
il consacre
imagination, toutes les ressources
toutes
les puissances
de son
de son intelligence 4 flétrir les ins-
titutions nécessaires 4 la société, alors cet homme
est si coupable, que
ec’est non
une
seulement
une
censure
littéraire,
mais
censure
morale
qu’on est en droit d’exercer contre lui. » Ayant progressé dans « sa carriere anti-sociale (...) on dirait qu’il veut trouver sous ses pieds 1. (Alfred Nettement) préludant a toute sa critique anti-hugolienne. Déja L’article de 1833 était d’une extréme violence, A propos du Roi s’amuse: « les reines et les jeunes premiers de Racine ont été remplacés par les tricoteuses de 93 ». Quant 4 Lucréce Borgia elle représente : « le génie brutal et empoisonné de notre époque (...) de quelles couleurs il barbouillé cette cuvre de démon » (!)
238
LE ROI ET LE BROUFFON
cet infini qu’il désespére d’atteindre en montant. mission de désorganisation et de ruines ». Hugo est speare de bas étage, niveleur de toute renommée, gloire, sans cesse occupé a dégrader les piédestaux de la populace ». Toujours prét 4 satisfaire « aux de la société », « il n’atteint que le scandale?
Il s’est fait une traité de « Shakeinsulteur de toute aux acclamations instincts brutaux
». Les outrances
d’une
telle prose dont nous n’avons donné que des extraits, mais qui vaut par la masse, appellent le ridicule. Le procés du Roi s’amuse n’a pas grandi les péres-la-pudeur et leurs arguments moraux. Mais tout 4 coup un aveu d’une autre profondeur: « Le danger d’un pareil systéme c’est de mettre la littérature 4 la portée de toutes les plumes et de toutes les intelligences. » Que va devenir l’élite devant cette invasion de barbares ? Encore les ultras ont-ils excuse de défendre la vieille royauté déchirée par le poéte. Mais les Libéraux ? II faut trouver autre chose. Ce qui est mis en avant, c’est « l’hétérodoxie littéraire > selon la formule de Rémusat ®. Des les derniers mois de 1833, les deux grandes revues littéraires : la Revue des Deux Mondes et la Revue de Paris, tiennent Hugo: sous les feux croisés de leurs projectiles. A la Revue des Deux Mondes régne Buloz qui les années précédentes a fait 4 Victor Hugo un
certain
nombre
d’avances‘*,
ayant
de
lAcher
sur
lui le terrible
2. Notons que les arguments proprement littéraires sont présents eux aussi : Vargument de la « littérature facile » typique de la polémique de Nisard se trouve ici : « un style facile jusqu’au désordre ». Il n’est pas jusqu’A V’argument de la « littérature industrielle » qu’on ne retrouve ici. 3. Mémoires, I, p. 13. Pour cette besogne Ia Revue de Paris utilise les Anglais : elle adapte, par l’intermédiaire de Philaréte Chasles, en avril 1834 (t. Il, p. 65) un article de la Quarterly Review, sous le titre MM. Victor Hugo et Alexandre Dumas jugés par les critiques anglais. L’accusation principale est celle d’immoralité, < la bAatardise,
poison,
téres,
la séduction,
la prostitution
5 prostituées,
le viol,
comme
Padultére,
moyens
6 victimes
d’une
inceste
». L’article
séduction,
comme
compte
4 méres
motifs,
le poignard,
en dix piéces sont
le
« 8 adul-
amoureuses. de leur
fils ou de leur gendre, 11 personnes tuées par leurs amants ; dans 6 de ces piéces les personnages principaux sont des batards ou des enfants trouvés ». La Revue de Paris faisait d’une pierre deux coups : elle montrait aussi aux dramaturges francais par le truchement d’un critique anglais qu’ils ne comprenaient pas Shakespeare. ;
4, Gustave Simon, dans un article sur Victor Hugo et Buloz (Temps, 26 avril 1914) a publié un certain nombre des lettres de Buloz A Hugo; ainsi la lettre obscure du 9 novembre 1832 : « J’ai 4 vous montrer une étrange piéce d’envie et de haine qui vous concerne et qu’on voudrait me faire insérer dans la revue en me forcant la main. Il m’importe beaucoup de vous la soumettre et de vous voir, » Le 21 janvier 1833, Buloz sollicite la collaboration réguliére d’Abel et de Victor et réclame deux places pour Lucréce Borgia. C’est une offre d’annexion en bonne et due forme : « Europe littéraire dit 4 qui veut l’entendre que vous avez pris avec
elle un
engagement
exclusif.
(...) Si cet engagement
n’existe
pas,
auriez-vous
la
demeurant
:
bonté de me dire si je puis compter sur 3 ou 4 morceaux de vers par an, par exemple un tous les trois mois, lesquels vous seraient payés aussi cher que partout ailleurs, comme je vous le démontrerai a notre premiére entrevue ? » Il parait que Hugo a répondu gu’il n’avait nul engagement (on le croit sans peine : Hugo attaché ? cela ne s’esl jamais vu), mais ses exigences financiéres ont di étres tenues par Buloz pour inacceptables. D’autant que la campagne de l’Europe littéraire a déchainé les coléres (été 1833). D’ou la lettre de Buloz du 25 février 1834 ; il refuse les conditions, et il annonce sans ambages la riposte ;: il va démuseler Planche : « Jai bien réfléchi aux conditions que’ vous m’avez soumises, et vraiment je ne puis les accepter. Le cercle de notre publicité ne le permet pas encore (...). J’ai recu il y a quelques jours de Planche un article sous forme de lettre qui vous est adressé. Cet article est une espéce de tableau de la littérature nouvelle, et se compose tout entier de discussions purement littéraires. Je n’en ai lu encore qu’une partie sur épreuves. Je ne pense pas que vous puissiez vous en plaindre. En tout cas, il vous sera loisible d’y répondre par vous-méme ou par vos amis. La Revue vous est ouverte tant pour l’attaque que pour la défense. Soyez sar d’ailleurs qu’elle s’abstiendra de toute attaque malveillante a votre égard. Je n’y préterais pas les mains.
» Belle
déclaration
de
guerre
a la
tartuffe ;. assez
naive
au
Buloz avoue qu’il voudrait bien un peu de bagarre pour la vente de sa-revue ; Hugo se gardera de lui donner cette satisfaction. I] ne répondra jamais.
MADAME
LOUIS
XIV ET MAGLIA
239
Gustave Planche*. A la Revue de Paris, c’est Désiré Nisard qui se charge de l’exécution ; le cas de Nisard est quasi pathologique : il voue A Hugo une haine viscérale (ou peut-étre idéologique ?). Qu’il parle de Stace ou de la tragédie de Sénéque, il oriente tous ses développements contre son ennemi favori avec une application paranoiaque. Quand il écrit et publie les deux tomes de son Histoire des poétes latins
de
la décadence *, la totalité
du
texte
est écrite
et combinée
en vue d’appliquer 4 Hugo le terme de décadent, avec toutes les connotations qu’il comporte. L’assaut de Nisard commence en novembre 1833 avec un article sur la tragédie de Sénéque, tragédie qui se caractérise 1° par la description, 2° par la déclamation, 3° par les sentences philosophiques. Pour Je cas ol nous n’aurions pas compris, Nisard précise: « Dans d@autres temps et dans
d’autres
décadences,
le drame
sera plus com-
mun encore. Celui de Sénéque s’adressait aux oreilles, celui-la s’adressera aux yeux (...), deux faiseurs poétes, si vous voulez, mais je ferais
plus grand cas du faiseur de l’époque de Sénéque parce que j’aime encore mieux de l’esprit de style et d’ingénieuses subtilités métaphysiques que des décorations et des cercueils vides » (p. 36). Les deux numéros de décembre comportent le célébre article dit de la littérature facile qui en fait s’intitule : « D’un commencement de réaction ‘contre la littérature facile. » Cet article comprend non seulement une attaque contre le roman et le conte, mais une véritable démolition ' du drame romantique : La troisiéme branche
le drame
de la littérature facile, c’est le drame,
qu’on dirait écrit au sortir d’un diner, entre le direc-
teur du théatre
et. l’actrice
a boire, que sais-je lesquelles auraient des eunuques dans ses theories et de au péché de sottise
en
renom,
sur
un
bout
de la table
? peut-étre sur les épaules nues de I’actrice, servi de pupitre, comme font celles du chef la Révolte au sérail®™* ; le drame flanqué de ses préfaces outrecuidantes qui condamnent et d’ignorance quiconque résiste 4 l’admirer
(...) ; le drame expliquant ses plagiats, comme
Moliére et Shake-
speare, les deux plus grands noms du théatre de la poésie, expliquaient leurs emprunts ; le drame jaloux, hautain, dépité, qui se plaint des intelligences qui résistent, dans le style dont il se ‘plaindrait des bourses qui se ferment, qui fait des appels a la gloire en style d’appels de fonds, qui aime mieux que ses amis le louent en surfaisant ses recettes qu’en exagérant ses mérites littéraires ; le drame dont nous voyons les maitres se prendre 5. La méme de
série de lettres nous
plume ; le 15
s’amuse
& Gustave
novembre
1832
fait assister
Buloz
Planche : « Planche
se
4 un certain nombre
justifie
m’a
de
encore
donner
de tortillages
l’article
parlé de son
sur
envie
le
Roi
de faire
Varticle du Roi s’amuse ; je crois qu’il le ferait bien pour vous, mais cependant je n’oserais m/’y fier, quoi qu’il ait un but d’intérét. » Hugo aurait voulu Charles
Magnin mais, dit Buloz, « Je crains que M. Magnin ne puisse le faire pour le premier décembre » ; ie 20 novembre, Buloz affirme : « Je vous envoie, Monsieur, la lettre que je regois 4 l’instant de M. Magnin. Il ne me reste, vous en jugerez vous-
méme, d’autre alternative que de donner l’article 4 Planche. Mais vous pouvez étre tranquille, je le sermonnerai fort, et je crois d’ailleurs qu’il est mieux disposé qu’on le croit. » Cf. une lettre sans date (A propos du Roi s’amuse ou de Lucréce Borgia ?) : « Vous devez étre parfaitement tranquille a l’égard de Planche ; il nous a promis positivement de faire Varticle grave et bienveillant. Nous sommes d’ailleurs 1a pour le :naintenir et Sainte-Beuve lira ’épreuve. » On voit que ce dernier ne peut pas plaider Vignorance. 6. Paris, Gosselin, 2 avril 1834. 6 bis. Nisard n’ose pas renvoyer aux Liaisons dangereuses.
240
LE ROI
ET LE BOUFFON
de querelle, et se reprocher par des voix tierces, ceux-ci leur insuccés, ceux-la d’avoir volé des piéces 4 de jeunes vocations provinciales, 4 la descente
On
remarque
la bassesse
de la diligence.
de ces
attaques’
qui ne
seulement sur la littérature, reprenant les arguments
portent
pas
éculés de « maté-
rialité >» et d’outrage aux bonnes meeurs, mais s’abaissent jusqu’aux accusations écceurantes touchant le plagiat, les combinaisons commerciales, la vie privée: « Ces épaules nues » ne peuvent étre que celles de Juliette ; si Dumas? ™* est attaqué aussi, c’est Hugo qui prend les coups les plus bas. A partir de cet article commence un joli jeu entre Nisard et Janin. Jules Janin est le critique du Journal des Débats, organe prétendument favorable a Hugo, et il publie dans le numéro du ie janvier de la Revue de Paris une réponse 4 Nisard intitulée le Manifeste de la Jeune Littérature ; cette réponse brillante, claire et alerte passe condamnation sur le cété « facile », sur la relative bassesse du niveau littéraire, inévitables dans les conditions de
la littérature du x1x° siécle. En feignant de le combattre, Janin apporte de l’eau au moulin de Nisard ; les deux compéres se donnent la réplique, l’un jouant les Caton, l’autre plaidant pour la jeunesse et la mondanité®, Rien de plus empoisonné que l’apologie qu’il fait de Hugo, auquel il oppose un éloge ému et vibrant de Dumas®: « Victor Hugo enterré dans ses drames! mais la chose est impossible! ce serait le jeune Macchabée enseveli sous son éléphant! Victor Hugo est plus fort que Macchabée, il se dégagera de l’animal qui |’étouffe, il renoncera
4 cette nature
prendra que le théatre a Victor Hugo, n’a pas de Marie Tudor! mais vous étouffé sous les fleurs;
du théAtre qui n’est pas la sienne, il com-
des Jimites, pendant que sa passion 4 lui, limites, Victor Hugo mort et enterré sous n’y pensez pas, Nisard™! » Hugo est ici les gouvernementaux n’accusent pas Hugo
d’immoralité et défendent en lui le poéte, mais ils condamnent l’auteur dramatique : qu’il se contente donc d’écrire des Odes et des Orientales ! Le
2 janvier
1834,
Armand
Carrel,
directeur
du
National,
vole
au secours de Nisard, dans un article capital dont l’intelligence lucide vaudrait une longue analyse. Refusant la distinction romantiquesclassiques (« ces dénominations ne sont pas de l’histoire nationale ») récusant
« la littérature purement
artiste », il prend pour garant
le
dix-septiéme siécle dans son ensemble, « les uns préludant comme . Moliére, Lafontaine, Boileau, Corneille, Labruyére, a lattaque des 7. Revue
de Paris,
1833, t. 57, p. 211
et 261.
Il y a dans
cet article
un
dévelop-
pement (p. 261 sqq.) d’une extraordinaire cuistrerie ot Nisard utilise déja les grands écrivains de Rome contre les écrivains modernes : les éléves des lycées se permettent de vouloir faire des vers latins sur des textes contemporains ; comble @horreur ! ils ont fait passer en vers latins les monologues de Triboulet : « le vers latin ne peut plus se faire admirer dans certains colléges que sous le costume arlequiné de Triboulet. » 7 bis. Dumas « volant » la Tour de Nesle au petit Gaillardet. bien
8. Revue de Paris entendu ! Nisard
1854, t. 58, p. 18. Janin défend Scribe, non aurait pu « louer en passant, ne ffiit-ce que
sans réserves comme un a
propos de bonne compagnie, M. Scribe qui a tué la haute comédie, mais qui, grace & tant de riens charmants, est ’homme qui a le plus amusé notre époque ». 9. «
Il
fallait
louer
Alexandre
Dumas
d’avoir
fait
Henri
III,
Christine,
La
Tour de Nesle, Richard d’Arlington (...) ; il fallait prévoir les deux derniers actes d’Angéle ; certes ce ne sont pas la des compositions qui se doivent oublier quand on parle de drame » (ibid., p. 17). 10. Ibid., p. 18.
MADAME
LOUIS
XIV
ET
MAGLIA
241
préjugés aristocratiques et religieux, les autres luttant comme Bossuet, Fénelon, Racine pour conserver aux croyances du christianisme leur
majesté, et aux grandeurs de la monarchie tout leur empire » : Carrel ne reconnait comme écrivains que « ceux qui ont pris parti dans leur temps soit pour, soit contre un certain progrés de la civilisation » et rejette ceux qui « ont vécu hors des passions et des idées qui se disputent le gouvernement de la société ». Il peut donc encenser ensemble « le sentiment religieux et monarchique » chez Lamartine et, chez Béranger, |’ « indignation plébéienne de Ja France des grands jours (...) Les journées de Juillet ont prononcé et la gloire littéraire de M. de Lamartine
est restée
nationale,
comme
celle de Béranger
>».
Le seul Hugo, qui n’est pas nommé*"s, est en dehors de ce superbe éclectisme ; il n’est pas difficile de traduire cette démarche d’exclusion : Hugo a refusé de se méler aux luttes qui trouvent place a U’intérieur de Vidéologie dominante (« celui qui se tient hors de cette lice (...) celui-la rompt avec la source de toute inspiration »), il a choisi de faire « de l’art pour l’art ». Mais pourquoi cette hargne si le travail formel n’avait un « impact » idéologique ? La condamnation de Carrel est d’une violence sans appel: « Ceux qui n’auront pas senti
comme
leur
temps,
(...)
’avenir
ne
s’occupera
pas
d’eux.
»
Nisard a trouvé un allié de poids. Cependant Véchange continue, extrémement courtois, entre Janin et Nisard. Dans le numéro suivant, ce dernier écrit au directeur de
la revue pour le remercier d’avoir permis cette polémique aimable et enrichissante ", et le 1° février 1834, il précise sa pensée avec quelque
adoucissement,
passant
de la notion
de littérature
facile 4 celle
de littérature inutile *. Janin reprochait a Nisard de n’avoir pas songé a « accuser
le public » ; Nisard
est bien
d’accord,
mais
bl4me
aussi
la critique de n’avoir pas rempli son devoir en se permettant d’étre indulgente envers le drame contemporain ; il n’y a pas a s’y tromper, on sait oti est le grand accusé®:\« La critique n’osa pas dire a ces enfants de vingt ans qu’au lieu d’étudier l’art dramatique dans le drame contemporain qui en a fait une industrie si facile, il fallait en aller méditer les profondeurs et les difficultés dans les ceuvres de Racine et de Shakespeare. » Quant a4 la littérature contemporaine, on cite tout de méme quelques grands noms : Nisard épargne Mérimée et le Scribe de Bertrand 10 bis. Mme
slags P
»
va
106).
Hugo
attaques
11. Revue
de Paris
aucune
se souvient
(p. 46)! de Varticle
de
dirigées contre le poéte (brouillon
12. « J’appelle a rien, qui ne
n’ajoute
et Raton
1834,
Carrel
comme
d’une
du V.H.R., Maison
des
Victor
plus
Hugo,
t. 1, p. 120-122.
littérature inutile toute littérature qui n’a point de but, qui ne s’inspire ni du passé ni du présent, ni de Vavenir (...) ; qui
notion
soit
de
critique
soit
de
psychologie,
soit
d’histoire
au
domaine des notions acquises.: » 13. « Avez-vous lu le dernier drame de Mirabeau ? — Non! Triboulet m/’a guéri de toute curiosité a cet égard. — Et celui de Barnave ? Mes travaux ne m’en laissent pas le temps » (ibid., t. II, p. 41). On voit la différence des traitements réservés 4 Hugo (Mirabeau) et &4 Dumas (Barnave). 14. Cette curieuse comédie bourgeoise qui eut un succés absolument éclatant (un des grands succés de théatre du siécle) fut jouée en novembre 1833 4 la Comédie
Frangaise ; elle donnait de la Révolution de 1830 une image transposée, tout a fait satisfaisante pour le public bourgeois : « Les hénéficiaires de la Révolution de Juillet se sentaient flattés de ressembler A ce Bertrand qui avait tant d’esprit. Ayant leur affaire faite, leur position acquise et établie, il ne leur déplaisait pas que la comédie
se moquat
des enthousiastes
qui avaient tiré les marrons
ret, op. cit., Ill, p. 221). Il ne déplaisait pas non réle prépondérant camouflé.
plus
du feu. » (Th. Mu-
4 la bourgeoisie
de voir
son
16
242,
LE ROL ET LE BOUFFON
G. Planche et la beauté classique. Du cété de la Revue des Deux Mondes a la méme
date, le numéro
du 1° février contenait le célebre article de Sainte-Beuve sur Mirabeau : outre les réserves polies mais nettes concernant le texte méme du Mirabeau de Hugo, il condamnait sans ambages Hugo dramaturge, et parlait des « succés fatigués de ses derniers drames » qui « s’interprétaient en chutes, ou du moins en échecs * >. Dans le méme numéro figurait un article de Planche (Moralité de la poésie) qui donnait une définition toute classique de la beauté ; la beauté c’est ce qui tient « réunis l’ordre et le mouvement ». Ce remarquable article mériterait une étude d’ensemble; il fait lapologie d’un néoclassicisme, avec la référence explicite au modele classique : « Une beauté dont le type complet ne se rencontre jamais dans la nature vide (...) » « une beauté choisie dans Jes modéles excellents et rares que l’étude fournit ». L’article défend contre Hugo la these du spiritualisme dans l’art et surtout au théatre : « Le beau idéal devra chercher dans les traditions grecques quelques filons encore vierges de poésie dramatique. » D’ou, une fois de plus, le renvoi au véritable art spiritualiste , art classique du xvu° siécle frangais. Le trait final ‘de l’article place « Phédre et les Femmes Savantes avant les plus sérieux et les moins splendides drames de Hugo : Hernani et Marion Delorme >». Il ne faudrait pas voir dans cette formule le seul souci de blesser Hugo par Vironie sur le faux éclat de ses drames ou par le rappel de succés passés (Hernani meilleur que Marie Tudor) ; Vessentie) est le renvoi
au
« modéle
idéal
», A ces parangons
de beauté
éternelle que sont les ouvrages dramatiques du xvu° siécle. Rachel peut venir : le terrain est préparé pour elle. Le 1* mars, Planche récidive avec la célébre et terrible Lettre a M. Victor Hugo, publiée par la Revue avec le sous-titre : Les Royautés littéraires. Cet article reprend avec sérieux et conviction Vessentiel des théses défendues par Planche dans ses comptes rendus sur les piéces de Hugo. Plus nettement qu’ailleurs, Planche invite Hugo a renoncer au drame historique, pour écrire des drames contemporains: « Quwils (les dramaturges) prennent, dit Planche, ’homme de leur temps pour le soumettre aux métamorphoses de l’inspiration > (p. 53). Ce qui irrite le critique, c’est la position
de retrait
de Hugo
par rapport aux batailles politiques du moment, le refus de se méler aux luttes idéologico-politiques, comme s’il n’y avait pas sa place; il faudrait compromettre Hugo; que ne fait-il de la « poésie politique » (p. 536) ? Et il dénote avec clarté l’aspect idéologique du retour au classicisme, quand il écrit: « N’est-il pas évident que toutes les classes élevées de la société n’accueillent plus maintenant que par Vindifférence et le dégoait toutes les bruyantes fantasmagories, toutes les orgies sanglantes, toutes les bacchanales furieuses qui depuis quinze ans ont envahi le roman et le théatre ? > (p. 537). Hugo n’est pas
dans
la ligne
de ’humanisme
bourgeois;
il a, selon
Planche,
15. Voir texte de V’article, in O.C., V, 1425 sqq. 16. A propos de spiritualisme, Planche. lV’année suivante, dans son compte rendu sur Chalterton, promet « a la réaclion spiritualiste un prochain et infaillible triomphe >». ;
16 bis. Le trés sérieux et trés important article de Musset trois ans plus tard (Revue des Deux Mondes, décembre 1838) unira le los de Rachel et Vespoir dans
une
tragédie
« moderne
», mais
renouvelée
des
Grecs.
MADAME
LOUIS
XIV ET MAGLIA
243
« tous les éléments, hormis |’élément humain ». Ce que défend le critique contre le poéte, c’est cet humanisme classique dont la résur-rection devient urgente.
D’un poete nommé
Lucain.
Tel est aussi le sens de la bataille menée par Nisard, qui reprend immédiatement
le flambeau
de Planche; il publie,
le 15 avril
1834,
VYouvrage auquel il s’est consacré avec une ardeur fébrile, les Etudes sur les poétes latins de la Décadence, long ouvrage en deux tomes entierement consacre a une attaque indirecte contre Hugo : |’essentiel du tome II a pour objet le poéte Lucain, auquel est assimilé Hugo; il montre comment par rapport 4 un art classique la poésie dégénere, comment la décadence de Lucain suit la perfection de Virgile, et comment donc, par une proportion dont on admirera la rigueur, au classicisme racinien succede l’art décadent d’un Hugo. La thése de Nisard, c’est qu’il y a des lois générales du progres, de la floraison, de la décadence de l’art. Nisard se sent le Montesquieu de l’esthétique : grandeur et décadence... Il y a des traits caractéristiques propres 4 Vart dégénéré : ces traits sont communs a Lucain et 4 Hugo ; faire le proces de l’un, c’est faire le proces de l’autre. Des la préface Nisard part en guerre contre la critique éclectique, au nom de la « morale » et de la « discipline littéraire », puisque « la question littéraire se complique d’une question de moralité™ >. Il plaide pour un dogmatisme défenseur des littératures classiques: « Je tiens la poésie de Lucrece, de Virgile, d’Horace,
non point pour
la seule, mais pour la meiileure, la pius phiitosophique, celle qui réfléchit le plus de cétés de notre nature, celle qui contient le plus d’enseignements pour la conduite de la vie ; la seule enfin qui puisse former des hommes de bon sens", Je suis bien plus frappé, dans Vépoque de ia décadence latine des pertes que des acquisitions, et celles-ci ne me paraissent point compenser celles-la%. » Dans le second tome tous les traits contre Lucain sont combinés pour frapper Hugo : il (p. 223). Toute une analyse, fondée sur l’usage de la synonymie, met en accusation la richesse du vocabulaire : « Deux défauts généraux, en apparence contradictoires, me semblent caractériser le style de Lucain : le premier c’est le luxe des combinaisons de mots, le second c’est le manque
de variété™
(...) c’est
de
l’abondance
vient
la que
stérile,
comme I’a trés bien nommée Boileau » (p. 255). La référence au critique classique s’impose. Toute la derniére partie des Etudes généralise le probleme en montrant ouvertement le rapport entre l’époque contemporaine et la décadence latine. Les « idées universelles », auxquelles « se rattachent deux ordres de beautés qui s’adressent A tous les hommes et sont saisies immédiatement par toutes les intelligences » peuvent étre représentées « naives et simples comme des oracles descendus du ciel » ; on
les trouve
dans
™; Shakespeare
Dante,
la Bible, Homére,
« Vous trouverez ces mémes beautés dans les littératures siécles (...) ou simplement reproduites (...) ou développées (p. 291). En face, les littératures de décadence qui se ‘toutes : érudition, description : « Aprés l’érudition, la est la marque la plus certaine de décadence (...). Et dans
des grands par l’art > ressemblent description ces descrip-
nuances, tions méme intempérance de détails, méme recherche des et parmi méme esprit de mots, mémes subtilités, mémes exagérations,
le les exagérations, méme préférence pour le laid”. » Le réalisme et grotesque se donnent la main. Une objection majeure manque de faire basculer la belle construction de Nisard : le critique libéral ne peut pas faire fi de la Révolution ; un
ultra dirait comme
Nisard:
« En
France
l’ceuvre
de
sous simultanément Yunité et Vceuvre littéraire se consomment Louis XIV > (p. 314) ; Nisard, lui, est obligé d’ajouter: « La. révolution francaise est une renaissance inouie dans l’histoire des hommes. » Il faut donc se demander, puisque « la France seule a donné Yexemple d’une résurrection », « pourquoi la loi des décadences littéraires n’aurait-elle pas tort a son tour ». Nisard touche du doigt la contradiction fondamentale de l’esthétique libérale ; on ne peut a la
fois exalter le progrés et gémir sur la décadence.
II s’en tire par un
tour de passe-passe, tout a fait caractéristique de Vidéologie bourgeoise de ces années trente: c’est la bourgeoisie francaise qui est Phéritiére
culturelle
du grand
siécle,
mais
son
héritage
est un
peu
la rétréci : « Le temps de la poésie est fini en France: car comme poésie n’est que V’écho d’une pensée universelle, 14 ot il n’y a de pensée universelle que dans les choses de la politique dont la langue est la prose, la poésie est bien prés de périr. Il n’y a pas d’exemLa ples d’une langue qui ait eu deux beaux moments de poésie. 20. « De choses identiques, il fait des choses différentes (...). La mer, c’est ; jamais Veau, puis eau profonde, puis la vague, puis le flot, puis les abimes salés chez Vensemble de tout cela » (p. 255), Nisard percoit obscurément la particularité a Hugo de ce rapport au référent. Ltembarras du critique refléte la tension propre
la poétique hugolienne.
V. sur ce point Varticle
in Romantisme I-II, p. 65-77. 21. Hugo se souviendra de cette analyse
pour
i W. Shakespeare. 22. Coup de patte a la Préface de Cromwell, 2 ugo.
d’Anne
Nicolas,
la récupérer
comme
Babel
et Sodome
et la retourner
a ensemble
dans
du théatre de
MADAME
LOUIS.
XIV ET MAGLIA
245
France a atteint au xvir® siécle et au xviti° siécle la plus haute civilisation littéraire des temps modernes ; elle veut réaliser au XIx° siécle la plus haute civilisation sociale et politique >» (p. 331, derniére page). Tous les termes de cette conclusion ne pouvaient que révolter Hugo ; non pas tant parce qu’elle le condamnait que parce quelle condamnait la poésie ; renvoyant l’art A un passé historique défunt, elle vouait le présent 4 n’avoir de littérature que rétrospective. Et Hugo de protester dans un fragment: « La décadence. Mot d’argot des pédants et des crétins. — Vide de sens. — Selle a tout cheval. Bat a tout Ane. Le soleil couchant est une décadence *. » L’ami fidéle. Et Sainte-Beuve ? Sa position était plus que difficile : il avait été le champion du romantisme, homme du Globe, le « fidus Achates * » de Hugo. A présent il était au National *, comme a la Revue des Deux Mondes. Déja l'Europe littéraire, dans sa grande revue de la presse, publiée
« M.
pendant
Vété
Sainte-Beuve
persévérance
dans
1833,
accusait
Sainte-Beuve
manque
de constance
dans
ses idées
(...). Si la révolution
de
ses
versatilité
affections
littéraire,
et de
4 la téte
de laquelle M. Sainte-Beuve a marché autrefois, était enti¢rement terminée, nous pourrions comprendre qu’il y ett incertitude dans la critique, mais tout n’est pas consommé ; il reste bien des doutes a éclaircir, bien des répugnances 4 vaincre*. » Saint-Beuve proteste : il ne veut pas paraitre le champion de la « littérature intime >, contre « la poésie visible” ». Quant A Hugo — et c’est une ligne de conduite qui sera toujours la’ sienne pendant la crise —, il refuse de tenir Sainte-Beuve pour un adversaire « littéraire » : « Je vous l’ai déja écrit une fois, je crois, Sainte-Beuve, il n’y a pas de question littéraire 23. 0.C., V, 984. Beaucoup
des copeaux
du
Tas de Pierres
de ces
années
pren-
nent leur sens en fonction de Vattaque de 1834. Regardons Hugo citaa au mécanisme simpliste de Nisard une vue « dialectique » ot joue aussi l’avance idéolo-
gique : « Quand la littérature d’un peuple est domine le monde connu. @’a été la Gréce d’abord,
universelle,
c’est
que
ce
peuple
puis Rome. Aujourd’hui, c’est la France, Tout peuple dont la littérature reste locale, reste lui-méme borné dans sa domination et dans sa politique. L’influence littéraire est A la fois un moyen et un symptome, Rayonner, c’est conquérir. » (Ibid.) 24. C’est le titre sous lequel J, Massin publie les textes critiques de SainteBeuve concernant Hugo (0.C., [iI et IV). 25. A. Carrel, dans l’article déjA& cité du National (v. p. 341 bis) rend aA la » conversion » de Saint-Beuve le plus compromettant hommage: « Aprés la dispersion de cette école (Je Globe), nous en avons vu les hommes les plus distin-
gués éprouver le besoin de consacrer leur talent & la nouvelle cause révolutionnaire (...). Ces écrivains que nous ne nommons pas, parce que nous avons eu souvent a nous glorifier de leur collaboration (...) ont prouvé qu’ils avaient grandi comme critiques, comme érudits, comme poétes, & se tremper quelques mois a ce puissant et rapide courant des passions de leur époque ; et nous avons acquis en eux des amis généreux, des fréres d’armes pleins de coeur, de pureté d’Ame, de jeunesse et d’avenir. » Ces lignes figurent dans un article consacré A lV’ « éreintement » de Hugo : il faut forcer Sainte-Beuve a la rupture. 26. Art. du 26 juillet 1833 (Louis de Maynard). La série d’articles de juillet-
aotit 1833, sur la presse
de Hugo,
est Pauteur,
littéraire et politique, articles dont Louis
mériterait
par
son
importance
une
étude
de Maynard,
particuliére
ami
: elle
apporte la preuve de cette unité idéologique de la presse malgré les différences apparentes, dont on voit de si curieuses manifestations. 27. « Peut-étre aussi se laisse-t-il trop séduire par cette poésie invisible qu’on vient de découvrir » (ibid.) Attaque indirecte contre l’article de Sainte-Beuve : Du Romanitisme (R.D.M., 15 juillet 1832) Sainte-Beuve est aussi blessé par l’accusation de change affectif et il répond étrangement A Hugo : « il m/’accusait de variation dans mes affections, comme si j’avais été jamais sa maitresse, et d’avoir 6té
tour a tour le Séid [sic] de tout le monde, et dans les noms précisément le vétre » (21 aofit, O.C, IV, 1108).
qu’il citait, il oubliait
246
LE ROI ET LE BOUFFON
entre nous. Il y avait un ami et un ami”, » Toutes les lettres du printemps 34 protestent contre la trahison de l’amitié, non contre celle du < romantisme ». A propos de l’article sur Mirabeau, la lettre de Hugo se termine par ces lignes caractéristiques : « Victor Hugo est comblé, Victor Hugo vous remercie,
est affligé ®. » Hugo défenseur
Aussi
a la Revue
devant
Beuve,
n’ignore (ou
au
National)
le déchainement,
le 1° avril
1834,
mais Victor, votre ancien
pas que pour
Sainte-Beuve,
est
est-ce un
une
adieu
et il lie cet adieu
Victor,
rester son
position
intenable.
quw’il écrit 4 Sainte-
aux
« haines
»
et aux
« laches persécutions*® ». Le lendemain, il lui récrit; Buloz a « mouillé » son critique: sommé de choisir, Sainte-Beuve a abandonné Hugo, souscrivant indirectement ou directement a la campagne anti-hugolienne menée par Planche. Buloz met Hugo au courant, par lettre, et Hugo se précipite chez lui; on peut croire qu’il ne mache pas ses mots et que Sainte-Beuve n’est pas non plus épargné; puis il essaie une réconciliation, mais Sainte-Beuve rompt_ séchement : « Revenez 4 votre ceuvre comme moi 4 mon métier. Je n’ai pas de temple et ne méprise personne. Vous avez un temple; évitez-y tout scandale *. » Cependant il attend l’année suivante pour accabler Hugo dans la Revue (article sur les Chants du Crépuscule — 1° novem‘bre 1835) ; dans la grande querelle de 1834, il n’agit que dans la coulisse®; détail piquant : lorsqu’il fait en 1836 le compte rendu des Poetes
latins de Nisard,
il défend
contre
lui lexception
du génie,
il
« ne le suivra pas sur le xvu° siécle » (mais comme il est prudent !) et, laissant la Lucain, qu’il ne justifie pas, il prend la défense... de Stace et de Perse. Position en retrait, trop timide pour qu’il obtienne ce
quil postulait,
la chaire
de
littérature
4 l’Ecole
Normale
Supé-
rieure : c’est Nisard, meilleur serviteur, qui l’obtient de Guizot™, en 1835, aprés les Poétes latins. D’un poéte nommé
Saint-Amant:
L’attaque de Nisard n’est pas restée sans réponse : dans la France littéraire, tout au long de l’été 1834, Gautier se livre 4 une grande contre-attaque. Le terrain choisi a di non seulement plaire 4 Hugo mais vivifier sa pensée ; il s’agit de battre les classiques «< réactionnaires » sur leur propre terrain, celui du xvm° siécle. Contre le xvu° siécle surmonté et couronné de la perruque de Boileau, il faut ressusciter un xvii° siécle « baroque », celui des Grotesques. Non que Théophile Gautier soit armé théoriquement pour opposer au classi28. 22 aofit, O.C., IV, 1111. 29. O.C., V, 1040, 4 février 1834. 30. « Il y a tant de haines autour
partager
aujourd’hui
avec
moi,
que
de moi
je comprends
1 et tant
de laches
fort bien
que
persécutions
les amitiés,
les plus éprouvées, renoncent et se délient. » O.C., V., 1042. 1. Dans sa lettre du 4 avril (0.C., V, 1043), Hugo essaie
renvoyer degrés
toute
de votre
la
responsabilité
temple
». Hugo
4 Buloz,
« ce
a-t-il accusé
pathétiquement marchand qui salit
misérable
Sainte-Beuve
de s’étre
laissé
il la fait avee
hésitation,
mais
32. O.C., V, 1943 ; lettre datée le dit J. Massin).
Sur
la rupture
de
non, par
lui-méme.
de dimanache
entre
de les
influencer,
et Sainte-Beuve a-t-il répondu sur ce point ? La lettre le laisse supposer. Mais la démarche inteilectuelle d’éloignement n’est pas imposée A Sainte-Beuve Buloz,
&
méme
les deux
(incontestablement hommes
voir
6 avril, comme
l’analyse
Sainte-Beuve et les Hugo, O.C., Il 33. Sur ce réle, nous ne pouvons faire que des hypothéses. 34. Et Guizot passe pour le protecteur de Hugo...
de R. Molho,
MADAME
cisme une que. Il a avec eux, que faire t. 14), un tome
XIV ET MAGLIA
247
vraie esthétique baroque ou une vue cohérente du grotestrop tendance 4 traiter légérement ses clients, 4 s’amuser plus qu’a les comprendre et 4 les faire comprendre. Mais aussi quand on choisit un Virbluneau (France littéraire, P. Pierre
revanche
LOUIS
rendent
15 contient
de
Saint-Louis
justice
(t. 15)?
4 Théophile
Les
de Viau,
l’article sur Saint-Amant,
tomes
12 et 13 en
et surtout
le méme
qui exalte, contre Boileau,
ce poéte et sa modernité : « Vous ne trouverez rien dans les poétes dits classiques de ce temps qui ait cette fraicheur de coloris (...). Sa Solitude
(...) est une
tres belle chose
et de la plus étrange
nouveauté
a Vépoque ot elle parut; elle contient en germe presque toute la révolution littéraire qui éclata plus tard » (p. 276). Gautier n’hésite pas a citer Hugo *® (Feu du Ciel) 4 propos de la strophe sur la mer: « Tantét, la plus claire du monde, Elle semble un miroir flottant » (p. 278). L’apologie de Saint-Amant (et de Hugo) conduit Gautier a celle du vers libre et de la description. C’est l’ensemble du grotesque que Gautier, fraternel 4 Hugo sur ce point, oppose victorieusement a un classicisme stérile (p. 278-279). Si isolée que soit la tentative de Gautier, elle a pu aider Hugo et lui suggérer la possibilité de faire au théatre ce que Gautier avait essayé dans le domaine de la critique, renverser
Vidole classique par le moyen
des personnages
marginaux,
de ces Grotesques, autour desquels il n’a pas fini de réver.
MADAME
LOUIS
XIV
Ce faux grand siécle, ce faux grand régne, il fallait le démasquer, lui 6ter cette perruque qui cachait la téte de mort, montrer le crime sous la pourpre ® bis,
LE VOLEUR Je suis classique Et royaliste, ami. Le siecle alexandrin Qui vit mourir Louis a vu naitre Mandrin. (Fragm. dram. O.C., VI, 1090) La perruque de Louis XIV. Hugo cohérente
s’apercoit que ce qu’on lui oppose, c’est toute une vue de l’art et du monde, une vue dont il pressentait l’impor-
tance lors de la Préface
maintenant critique
de Cromwell,
mais
dont il mesure
seulement
la gravité et le danger. En face de lui la critique —
qui compte,
Rolle,
Planche,
Nisard
—
sans
oublier,
la
discret
mais efficace, Sainte-Beuve, oppose au romantisme dont il se sent tout de méme le chef de file (et plus qu’au romantisme, 4 lui, Hugo), la grandeur de l’4ge et de l’art classique. Il a vu, chaque fois qu'il écrivait un drame, la critique en chceur jurer que Racine était un meilleur peintre des passions et n’avait pas besoin de moyens aussi matériels 35. Dans le t. 16, 2 propos de Cyrano, Gautier renvoie aussi A Hugo. 35 bis. Lettre de Hugo 4 Michelet (14 juillet 1860 & propos de la parution du livre XIII de l’Histoire de France). Le poete poursuit : « Oui, je vous remercie de ce livre comme d’un fait personnel. Ce Louis XiV me pése ; dans un poéme encore inédit, j’en ai parlé comme vous. » Ce poéme inédit, c’est le Verso de la Page, d’ou sortira
le texte
les Révolutions.
V.
p.
356,
note
33.
248
LE ROI
ET LE BOUFFON
pour émouyoir nos fibres. La « contre-révolution littéraire * » s’appuie sur le xvii siécle, qui est le grand siécle, celui dont nous pouvons étre fiers, comme
les latins du siecle d’Auguste, ’ére ot A Ja grandeur
de Vordre monarchique répondait la grandeur de l’ordre classique. La référence du xvir® siécle est parfaitement explicable : la bourgeoisie triomphante se veut Vhéritiére de ordre monarchique ; les valeurs qu’il défendait,
elle les tient pour siennes
: Louis
XIV
au x1x° siécle
c’est Louis-Philippe adoré de Bertin et de Laffitte ou de Rotschild; la monarchie de Louis-Philippe doit done faire la preuve qu’elle est capable de défendre l’ordre politique et la littérature classique. Hugo est condamné parce qu’il a trahi Vart classique et la tradidition, qu’il s’est permis de « dénier toute puissance et toute vérité aux hommes et aux choses qui ont fait si longtemps la gloire de la France » (Chronique de Paris, 10 aodt 1835). En face de cette apologie de l’art classique et du xvu° siecle francais, l’intention de Hugo est de prendre le contre-pied, de montrer dans le xyii° si¢cie espace du désordre vrai, de la désorganisation profonde ; deux voies pour cela : d’abord montrer l’existence d’un xvu° siécle paralléle, grotesque, grimacant, ensuite, faire surgir du sein méme de l’ordre le désordre et le scandale. Cette double route, c’est celle qu’il suivra dans les _Jumeauz. Aprés avoir péché dans un ancien article non publié de 1826 les phrases condamnant les « critiques, accrédités ou non » qui se permettent d’affirmer « avec une grotesque assurance, que l’art est chez nous en pleine décadence », Hugo dans les Idées au Hasard de Littérature et Philosophie mélées* retourne le propos: c’est l’art classique qui est sinon décadence (Hugo n’ose pas aller jusque-la), du moins palier dans une décadence: « Sous Louis XIII, la dégénération est sensible... Tout se releve sous Je sceptre éclatant de Louis XIV. Au contraire, le principe de l’imitation des anciens devient loi pour les arts et les arts restent froids parce qu’ils restent faux. Quoiqu’imposant, il faut le dire, le génie de ce siécle illustre est incomplet. Sa richesse n’est que de la pompe; sa grandeur n’est que de la majesté ®, » Ce texte n’a pas été repris sans dessein. C’est une réponse critique. Mais Hugo ne peut-il pas donner une réponse active en mettant en scéne le xvui° siécle ? Un drame dont le lieu serait la cour de Versailles, quelle piquante anti-tragédie ! Le réve autour de Scarron, figure exemplaire du grotesque hugolien, ne peut-il se prolonger en texte dramatique ? N’est-ce pas une fable typique que cette conjonction de l’astre 4 perruque avec la veuve d’un bouffon ? Nous verrions volontiers l’origine du projet Madame Louis XIV * dans une phrase de la Préface de Cromwell: « Des arts, il (le. gro36. Le terme est usuel : on le trouve aussi bien dans la Revue de Paris (1833, t. 49, p. 183 : « Attendons la contre-révolution dramatique pour la juger ») que dans le Vert-Vert du 3 juillet 1833 (« En attendant que la contre-révolution littéraire s’explique dans ses jourmaux sur ce que le public doit penser de ses proscriptions
»).
37. 0.C., V, 143, reprise d’un texte de mai 1826. J 38. O.C., V, ibid. Le nom de Voltaire apparait immédiatement aprés, phreavec une sorte de réprobation. Ce que Hugo pardonne difficilement a Voltaire, entre autres griefs mélés d’amour, e’est d’avoir été Vinitiateur du mythe du grand siécle, de l’avoir sinon créé, du moins affiné et embelli. Cf. Regard jeté dans une mansarde,
poéme anti-voltairien, dernier texte écrit avant contre le xvuii® siécle et la monarchie. 39. Feuilles Paginées, p. 54, O.C., V, 1022.
les.Jumeauz,
cet acte
d’accusation
MADAME
LOUIS
XIV
ET MAGLIA
249
tesque) passe dans les meceurs; et tandis qu’il fait applaudir par le peuple les graciosos de comédie, il donne aux rois les fous de cour. Plus tard, dans le siecle
de l’étiquette, il nous
montrera
Scarron
sur
le bord méme de la couche de Louis XIV“. » Ce texte mettrait le grotesque 4 Vorigine du projet Madame Louis XIV, si nous acceptons Yidée que Scarron est lié a ce projet ; il souligne d’autre part le lien entre le grotesque au xvi° siecle (le Roi s’amuse et le Fou de cour) et le grotesque au xviI°: dans les deux cas, il s’agit d’une expansion du grotesque
dans
les mcoeurs ; mais
aussi, Scarron
étant un écrivain,
pose par sa seule existence le probleme du burlesque en opposition au classique. Le petit nombre de fragments écrits par Hugo confirment Vidée d’une mise en question du xvu*® siécle dans les deux domaines de |’ « art » et des « mceurs ». Notons que la difficulté chronologique du projet est involontairement indiquée : on ne peut pas montrer Scarron sur le bord de la couche de Louis XIV, vu qu'il n’y a jamais figuré que par personne interposée. L’étirement dans le temps, « Mme
la difficulté d’imaginer un « scénario Scarron » devenue « Madame Louis XIV
» qui montrerait » se laissent déja
voir ici. Avec Madame de Maintenon apparait un autre visage du xvi* siécle“, celui qui se retrouvera tout au long de l’ceuvre hugolienne, dans Ecrit en 1846, dans les Révolutions, dans le Verso de la page, comme dans les remarques et notes des Océans, 4 toutes les époques *; le xvii’, c’est le siécle de la contrainte; la grandeur s’y enléve sur un fond de misere, de tortures et de dragonnades*. Une note approximativement de Ja méme époque met l’accent sur le scandale du despotisme : « Saint-Simon dit: Ce roi tirait le sang de ses sujets sans distinction, et en exprimait jusqu’au pus“. » Bien plus tard quand il évoquera Mme de Maintenon, c’est encore le double aspect de grotesque sinistre et de despotisme qu’il met en lumiére: « .. Et sur la Maintenon,
mélant
Dave
et Néron,
Courbe
Louis
XIV
a
VYauge de Scarron *. » L’image du roi Louis XIV est pour lui obsédante, jusqu’a l’identification : « Us font de moi une espéce de jeune Louis XIV entrant dans toutes les questions, botté, éperonné et une cravache 4 la main“, » En méme temps, le roi représente le symbole méme de Yautocratie révoiue ; de la le texte qui aurait peut-étre trouvé sa place dans Madame
Louis XIV,
et o4 Bourdaloue
apostrophe
le roi:
Hugo
cependant
40. O.C., Ill, p. 56. Voir lle partie, p. 465. 41. Voir infra, chap. Jumeauz, p. 365.
42. A partir de 1840, pendant
un court moment,
semble
rendre
hommage a4 la grandeur de Louis XIV, unificateur de la France ; voir 0O.C., VI, p. 1129 et 1164. ; 43, 0.C., V, 989 ; Tas de Pierres. — Voici le début du texte : « Louis XIV. —
La Sorbonne affirme que tous les biens de ses sujets sont A lui. Cela effarouche un peu un honnéte royaliste, lequel hasarde quelques objections. Sur ce, lettre de Louvois au maréchal d’Estrées. d’une piéce sont presque toujours empruntés au registre comique ™. Ces répliques* ne définissent nullement une intrigue possible, pas méme un schéma dramatique analogue 4 ce que l’on peut déduire de la liste de 1830. Ce sont de simples mots d’esprit de Scarron, ou figurent outre
Scarron,
La Vrilliére
(ou la Thorilliére) *, et o& sont éyo-
qués Pradon, Moliére, Colbert *. Apparait aussi un certain P. (Pradon ?) dont nous ne savons rien sinon qu’on le voit une perruque 4 la main. L’anachronisme est tellement flagrant que l’on voit mal comment Hugo I’aurait corrigé au niveau de la plus simple vraisemblance :
la Reine fait allusion aux
« batards
» royaux;
comment
Scarron,
mort en 1660, aurait-il pu vivre au point d’étre leur contemporain ? il efit fallu en ce cas faire une comédie (ou un drame) en deux parties que séparerait une durée de vingt ans. C’est beaucoup : Hugo ne s’y est jamais risqué : c’était le cas de la premiére version des Burgraves, mais Hugo !’a corrigée. L’anachronisme est présent méme 4 Vintérieur de répliques de Scarron, évoquant « un mot de Moliére*> ;
1846
47. Feuilles Paginées, p. 67, v° (vers 1832) ; image est reprise dans Ecrit en (Cont. V, Ul, Pléiade, I, p. 675) marquant la liaison capitale entre la pensée
politique, la contemplation du monde et lécriture poétique ; c’est fondamentalement le méme mouvement : Et faut-il qu’A jamais pour moi, quand vient le soir, Au lieu de s’étoiler, le ciel se fleurdelyse ? 48. O.C., V, 108. 49. Date 50. Voir
d’une
lettre de Ladvocat
au verso
de laquelle figurent des brouillons.
chap. Ruy Blas, p. 319, et chap. Jumeaux, p. 368-370. 51. Ms. 23753, f° 1275, cote 74/31, ms. 13427, f° 47, cote 74/72; O.C., IV, 890-891. 52. Ce dernier nom au-dessus du précédent. La Thorilli¢re, comédien de la
troupe de Moliére (1626-1680), auteur d’une tragédie. Les La Vrilliére sont une grande famille parlementaire. Le plus connu est le marquis de la Vrilliére (16721725, secrétaire du Conseil de Régence [1715j)-. 53. Dans lun des fragmenis, Hugo, sensible aux difficultés chronologiques, a indiqué le Prince de Condé au-dessus de Colbert.
54. Le cocuage
pourrait
avoir sa place dans
la comédie
Scarron.
MADAME
LOUIS
XIV ET MAGLIA
251
or au moment ot meurt Scarron, Moliére n’a pas encore fait jouer le Cocu Imaginaire. Quant 4 Pradon,
il est, lui, connu
bien plus tardive-
ment (la querelle des deux Phédres est de 1677). A Vexception de la réplique de la Reine, faisant allusion 4 un conflit conjugal, toutes ces répliques sont centrées autour d’un seul probleme,
celui
de la littérature, de son
statut, de son
esthétique.
Ce
qui parait en question c’est le faux classicisme, absurdement infidéle a ses garants antiques (« Homére était aveugle et Pradon est myope >), et domestiqué par le pouvoir (Colbert), qui sacrifie la vérité et la nature a une littérature de commande lay pour acheter Jes vers
« se vendre
(« Vendre
de Colletet.
», il est « une
denrée
les arbres de Seigne-
») Le statut de l’écrivain
». Inutile de montrer
est de
ici comment
Vallusion contemporaine est évidente en ces temps de « littérature industrielle ». La revanche de Il’écrivain, c’est l’irrévérence, la plaisanterie de Scarron, la moquerie sur la « perruque » du grand siécle, enfin le < mot de Moliére ». C’est ce « mot de Moliére » qui parait faire le lien’ entre le theme Scarron et le theme Madame de Maintenon: un fragment difficile 4 dater, mais sans doute voisin dune Madame Louis XIV ;
(vers
1832)
semble
résumer
I’ mous Je édenons
antérieur. Lallusion 2 le mer ne fait pas prevve59. OC. IV, 1443.
wraimeni irep i
adentiqne (2) 2 celui des p. 52. 5B et BL Hinge le
probeblement
Ges 1854.
4
60. Voir 250, m. 51. $1. Ms. 13427. £ 123, eote 74/80.
8ii h
MADAME
LOUIS
XIV ET MAGLIA
253
détat®. » Le seul texte faisant allusion 4 une scéne possible de Madame Louis XIV est le suivant: « La scene de jalousie mélée a VYinterméde dansant de Moliéere. Louis XIV présent. La scéne suscitée pour faire finir brusquement le ballet, en arracher le roi et amener un événement politique important ®. » Impossible de voir a quel événement il est fait allusion. Nous risquons méme de nous retrouver dans des difficultés chronologiques, si nous essayons de pousser la conjecture. C’est tout. On avouera que c’est peu ®, Aucun
texte
ne
nous
permet
de
nous
faire
une
idée
du
projet
concret de l’été et de l’automne 1834. Hugo avait cependant di en parler suffisamment, pour qu’apparaissent dans la presse et chez les amis, des échos, d’ailleurs trés vagues. Le 15 janvier 1835 (au moment ot. Hugo a déja échangé le projet Madame Louis XIV contre le projet Angelo), le Courrier des thédtres annonce un nouveau drame de Hugo sur Madame de Maintenon ou sur Madame de Sévigné — ce n’est pas la méme femme, mais c’est toujours la méme cour. Méme écho dans la bouche de Sainte-Beuve racontant 4 Victor Pavie que le poéte prépare un drame dont Je cadre serait « la Cour d’Espagne de Philippe V® ». Intéressante précision, confirmée par d’autres témoignages : le projet, s’éloignant de Scarron, évoluerait vers un theme proprement historique, l’idée d’un changement dynastique. Epoque et -idée que Hugo traduira dramatiquement dans Ruy Blas ; en un sens, ce projet de Madame Louis XIV, qui n’aboutit pas, donne la main d’un ' cété au Roi s’amuse, de l’autre 4 Ruy Blas en attendant d’étre repris, autrement,
dans
les Jumeauz.
Une certitude : le projet est destiné 4 la Comédie Francaise ou il prendrait d’ailleurs tout son sel ©. Il semble que malgré l’agacement que lui causent les partis pris conservateurs des comédiens, Hugo ait nourri le réve d’un retour triomphal au Théatre Francais. Jouslin, lui, n’a pas trop de préjugés contre le drame et n’ignore pas, au
milieu des perpétuelles difficultés financiéres de la Comédie qu’une piece de Hugo peut faire venir le public par les vertus du scandale. Qu’on songe a la naiveté de la réplique de Védel, en 1837, successeur de Jouslin, affirmant sans ambages son désir d’obtenir la prochaine piece de Hugo, dans le temps méme que la Comédie est en procés avec le poéte ! Enfin la haute tenue littéraire des ceuvres hugoliennes, méme en prose, est pour Jouslin un alibi. Des 1833, la Comedie aurait, si Yon en croit le Victor Hugo Raconté™,
sollicité le poéte.
« Le Roi
62. Ms. 24786, f° 2, cote 74/72, méme numéro de piéce que le texte concernant Searron, « P. et sa perruque ». Une autre note dit : « Philippe d’Orléans était intéressé @ soupconner une mazarinade dans la naissance de Louis XIV », note qui nous raménerait au probléme des Jumeauz. 63. Papier
brouillon
créme,
écriture
vers
1834-1835.
Ms. 13427,
f° 67, cote
74/67.
0.C., V, 963, publié par nous. 64. Nous n’avons trouvé ni la piéce 78, ni la piéce 71; les piéces de 73 contiennent des fragments antérieurs, sans rapport avec Madame Louis-XIV et publiés par nous (0.C., III et IV). La piéce 70 contient deux lignes utilisées les Jumeauz et Ruy Blas: « Le capitaine Spavento, le Valet Trappola ». Voir
a 77 tous dans
Blas,
O.C.,
éd.
crit.
Il, Documents
et
O.C.
XVI,
2, 339.
Les
VI, 1093) n’ont pas de rapport apparent avec Madame ici M.G. Robert dont Vaide nous a été précieuse pour 65. Sainte-Beuve,
Corr.
(I, p. 499),
21 janvier
1835
piéces
68
et
69
(voir
Ruy
Louis XIV. Nous remercions l’établissement de la cote 74. : « Il (Hugo)
fait un
drame
demandé par la Comédie Francaise sur la Cour d’Espagne de Philippe V, pendant Louis XIV. Le volume de vers s’en trouve ajourné. > 66. V. Courrier des thédtres, 12 janvier 1835 : « Certainement, il sera curieux @entendre oe des personnages du régne de Louis XIV en style de Hugo. Nous verrons qui’pliera de l’époque ou de l’écrivain. » 67. 0.V., V, 1382.
254
LE ROI ET LE BOUFFON
s’amuse tombé n’avait pas empéché le Théatre Francais de lui redemander une piéce aprés la réussite éclatante de Lucréce Borgia. » Aprés la rupture avec Harel, « Jouslin de la Salle, qui dirigeait les Francais vint au commencement de cette méme année 1834 lui demander une piéce. Le poéte était en train de faire les Chants du Crépuscule, i] ajourna Jouslin® », En tout cas Hugo fait engager Juliette: le 2 février 1834 elle devient pensionnaire 4 3000 F par an®. C’est Vindice d’une installation ; le poéte a sirement promis une piéce: un billet de Jouslin du 17 mars 1834 considére la tractation comme achevée ®, Est-ce déja Angelo ? Ce nom figure dans une lettre 4 Marie Dorval,
du 19 avril 1834”,
Est-ce Madame
Louis
XIV,
sous
la forme
« Scarron » ou sous Ja forme « Succession d’Espagne » ? Ou bien y a-t-il, comme l’écrira plus tard Charles Maurice”, deux projets pour le Théatre Francais ? Hugo écrit Angelo®, Madame Louis XIV reste
dans son encrier. Sur les causes
de la non-rédaction,
des conjectures ; le Vert-Vert
nous
du 10 février
ne pouvons
faire que
1835, toujours assez
bien
informé et bienveillant pour Hugo, donne deux versions de |’abandon du projet : d’abord Hugo aurait renoncé a l’écrire parce que le projet « comportait Philippe d’Orléans™ » ; hypothése vraisemblable dans ‘la mesure ot Hugo s’est toujours défendu de faire du drame un « misérable canevas a allusions » ;: mais on avance
une autre raison :
il n’y aurait « pas un seul renseignement sur quatre ou cing ans de Vhistoire de la Cour de Madrid a l’époque choisie par le poéte. Les historiens généraux ne manquent pas, mais il faut des chroniqueurs et il n’y en a pas un seul” ». On croirait 4 une plaisanterie si la malveillante Revue des Deux Mondes n’en disait tout autant avec une verve
méchante,
mais
éclairante.
En
mai
1835,
Planche
explique
:
« Le xvi siécle de l’Espagne dont il voulait faire quelque chose est ajourné dans ses projets. » Selon Planche, la famille de Hugo raconte qu’il regrette de ne trouver a la Bibliothéque Royale « que des documents officiels, mais pas un Jibelle, pas une chanson de taverne, pas une satire de favori disgracié, de courtisan vendu aux laquais de V’Escurial”.
>» Un
an
et demi
plus tard,
méme
écho,
le 15 novem-
68. Il est peu probable que la réponse dilatoire de Hugo ait cette cause ; au début de 1834 le poéte écrit peu pour son recueil lyrique. Brouillon du V.H.R., Maison Victor Hugo p. 150. 69. Une lettre de Dorval a Juliette (janvier 1834) la félicite d’avoir quitté « la Porte-Martin ». (Catal. de l'exp. Hugo, B.N., 1952.) 70. Ms. 13406, fo 8-9, Deux billets antérieurs demandes de rendez-vous (ffos 4-5 et 6-7).
(ler et 14 mars)
sont
de simples
71. Lettre citée par Mme Daubray, Victor Hugo et ses correspondants. 72. Art. cit., mn. 67; le projet esi donc pris au sérieux en janvier 1834; y¥. infra, p. 267. 73. Un billet adressé par Ligier 4 Taylor fait état d’um accord entre la Comédie et Hugo « pour un ouvrage qu’il devra nous donner au mois de février prochain. Je pense d’aprés ce qu’on m/’a dit y avoir un réle », 30 novembre (1834). Document Sheila Gaudon, copié par nous. 74. Cette indication, si elle était exacte, renverrait le moment historique 4 une date trés tardive : c’etit été Vagonie d’un grand régne. Dés 1829; Hugo prend des notes sur les Leitres inédites de la Princesse des Ursins & Mme de Maintenon, Paris, Bossange, 1826 (Feuilles Paginées, p. 2, O.C., Ill, 1165) ; on sait que la Princesse des Ursins était chargée de veiller auprés de Philippe d’Anjou devenu roi d’Espagne, aux intéréts de 1a couronne de France. Le brouillon du ms. de Ruy Blas comporte un feuillet qui renvoie effectivement 4 l’époque de la régence, aprés la mort de Charles II, et au début du régne de Philippe V d’Anjou. V. Ruy Blas, éd. crit., Il, Documents, p. 47-49. ;
75. L’article se poursuit par une attaque contre la conception Dumas et de Casimir Delavigne, toujours assez renseignés,
76. R.D.M.,
ler juin 1835, p. 356.
de Vhistoire
de
MADAME
LOUIS
XIV ET MAGLIA
255
bre 1836: « Il n’est plus question de Madame de Maintenon dont le principal réle avait été offert a Mlle Mars, et qui devait placer M. Hugo entre Moliére et le duc de Saint-Simon. Nous ne savons si M. le Comte Septime de Latour-Maubourg” s’est montré plus empressé que M. de Rayneval, s’il a expédié a V’auteur d’Hernani les pamphlets _ publiés en Espagne sur lés relations de Madrid”. » On voit se dessiner le projet : montrer une histoire souterraine™, un envers de Vhistoire officielle et ce n’est pas par hasard si Planche prononce les noms de Moliére et de Saint-Simon. Ce n’est pas par hasard non plus si Hugo ayant apparemment abandonné Scarron choisit la succession d’Espagne, l’une des incontestables erreurs politiques du grand régne. Cette histoire souterraine devait servir 4 démonétiser 4 la fois Racine et Louis
XIV,
le classicisme
et la monarchie
absolue,
l’un
portant
Yautre. On comprend que Hugo ait finalement reculé; c’est ce que nous montre naivement une lettre d’Alexandre Guiraud : « Quand
donc votre Madame Louis XIV consacrera-t-elle le deuxiéme théatre ? Certes, vous entrerez
4 l’Académie
avec le siécle de Louis
XIV
ou ils
seront bien ingrats et bien difficiles ®. » Plaisants propos : un pareil siécle de Louis XIV ne pouvait que barrer 4 Hugo le chemin de VAcadémie.
MAGLIA De Tafalta, Marforio et quelques autres... Dans Je temps méme out nait et meurt Madame Louis XIV, nait dans les textes hugoliens, non pas un schéma ou un projet, mais un personnage : Maglia. La distance que prenait nécessairement par rapport au grotesque un projet centré autour de la Cour d’Espagne et du changement dynastique a-t-il eu pour conséquence la cristallisation d’un personnage typiquement grotesque ? C’est possible. Ce Maglia prend le relais d’autres personnages, plus ou moins assimilables au gracioso de la dramaturgie du siécle d’or. Son réle de « valet » lui permettait peut-étre de tenir sa place dans le schéma triangulaire Maitre-Femme-Valet, dont le Roi s’amuse est le point d’aboutissement. Marforio parait des le carnet de 1820 *, Tafalta est un personnage du Repaire de la Guérilla, personnage de valet, que Yon retrouve dans un copeau de Feuilles paginées, avec son statut d@homme-protée, de Figaro aux cent métiers®. Le méme personnage surgit dans un texte dont nous verrons 4 propos de Ruy Blas Vimportance décisive ® ; il porte alors l’initiale de M. Est-ce déja Maglia ? 77. Nouvel
ambassadeur
en
Espagne,
il venait
en poste jusgqu’en 1839. 78. RD.M., t. V, p. 638-639. 79. Ce qu’il tentera aussi de faire dans a a
S
ae Angelo
:
80. Lettre
du
est un recul, une 10
aoft
de remplacer
les Jumeauz,
concession
1837 ; communiquée
par par
rapport
plus au courant ou Hugo parlait-il encore de Madame
§.
Rayneval,
et déjA dans aux
Gaudon.
et reste
Ruy
Blas;
intentions
de Hugo
Guiraud
n’était-il
Louis XiV 2?
81. Dimanche 8 juillet, publié par J. Gaudon, O.C., I, 1183. 4 82. Voir supra, chap. le Repaire de la Guérilla, et Feuilles paginées, 112, janvier 1832, 0.C,, LV, 986. 83. Ms. 24632, f° 632-633, cote 74/28. O.C., V, 953-954. Voir infra, chap. Ruy Blas, p. 315-316.
”
256
LE ROI ET LE BOUFFON
Le hasard veut que nous ne puissions dater qu’avec une certaine marge d’incertitude les premiers textes ot apparait nommément Maglia. Nous verrions volontiers l’acte de naissance de Maglia dans une Feuille paginée (p. 53) que G. Rosa date de 1836-1837, et que nous daterions d’un peu plus té6t: 1834-1835. Cette page comprend trois copeaux ou figure Maglia: dans le premier, il est en surcharge sur Marforio, signant la parenté des personnages. Dans Je troisiéme, c’est aun duc (« vieux courtisan, déguisé dans la taverne ») qu’il adresse Vinterrogation : « Vous avez di étre valet? », se dégageant implicitement lui-méme
du role de valet, pour le renvoyer
4 un autre.
Maglia n’est pas, n’est plus un valet: il est ’homme du refus: dans le texte-relais de Ruy-Blas. il est justement celui qui refuse le réle d’entremetteur ou de traitre, celui qui n’est pas, ne sera jamais instrument : 4 mesure que passent les années son role grandit dans les fragments dramatiques, mais il est celui qui oppose au puissant la barriére de son rire, de son jugement, du non qu’il profére ou qu'il figure. Maglia et son noi.
On ne sait d’ot vient ce nom méme de Maglia. Il n’est pas espagnol comme on eit pu s’y attendre, mais italien, peut-étre lié a la comédie italienne, quoiqu’aucun personnage de la commedia dell arte ne porte ce nom; en ce cas il se rattacherait au xvu° siécle et a ces canevas d’ou provient le valet Trappola *. De Tafalta il a la désinence en a (qui est aussi celle de Trappola), de Marforio Vinitiale en Ma*. Mais surtout il se range par son sens (la maille) dans la lignée des personnages hugoliens dont le nom est lié 4 ’argent, avec l’équivoque propre A Hugo (nada-todo et todo-nada) du rien et du tout : le gueux
s’appelle Million ou Maravédi, indifféremment, et ces noms apparaissent en méme temps (ou peu s’en faut) que le nom de Maglia™. Le page est Denarius, héros futur du projet Homo* ou de la Foret Mouillée ®. Sur cette équivoque du rien et du tout, songeons au nom de Demi-liard, aussi nommé
Maglia est le plus tard Airolo, zéro de l’argent. « un ducat d’or
84. O.C., IV, 1020-1021.
85. Voir
Pistoia,
Les
Bravacheries
Paris, chez
Deux-Milliards ™.
Ni-sou-ni-maille, le « néant gai » tel que se définira Je rire lié a V’argent, ou plus exactement au degre Si la personne se définit par l’argent (Lucrece est a l’effigie de Satan™ »), si le moi est « néantisé >»
David
du
capitaine
Spavente,
de
Le Clerc, 1608.
Francisco
Andreini
de
Z
86. Voir lle partie, p. 112-113. 87. Million dans ms. 13421, f° 51, cote 79/139 ; daté du 30 juillet 1838 ; O.C.,
V, 956. Maravedi in ms. 13427, f° 392, cote 74/15 (ou figure aussi le page Denarius). Pour Denarius, voir aussi au v° d’Ecrit sur la vitre d’une fenétre flamande, la mention : « M. de Pierredauphin, Denarius, son page » (R.O., XVIII, 19 aot 1837, Pléiade, p. 1552). Quant A Maglia, il figure aussi dans la premiére version d’une scéne des Jumeaux, ms. 13396, f° 63, cote 74/37, O.C., V, 882) ot il dialogue avec
Lucio. 88. Pour
Denarius,
voir
note
87;
pour
le projet Homo,
voir
0.C.
IX, 980-981
;
y. aussi notre introduction aux fragments dramatiques du méme tome, p. 875. 89. La Forét mouiilée, texte O.C., IX, 11-29 et sa présentation par J. Gaudon,
ibid., p. 5-8. Voir Forét
mouililée,
aussi
Denarius
ibid., p. 952-960.
dans
les fragments
90. Misérables, III, VIII, 14. Voir aussi Misérables, p. 417. 91. Lucréce Borgia, I, I, 3, 0.C., IV, 683.
dramatiques
Journet-Robert,
Le
autour ‘
Manuscrit
de la des
MADAME
LOUIS
XIV ET MAGLIA
257
par l’argent, Maglia est la revanche de l’aliénation, il est le moifantome, libre de lor. Mythologique en cela et par nature incapable de faire un personnage de théAatre. Il n’en est pas moins frappant de voir que dans la plupart des fragments antérieurs, disons aux Burgraves, Maglia parle d’argent ; il moque les seigneurs et leurs dettes, les filles qui passent par les mains des usuriers, il clame sa liberté d’homme sans rien *. Par quel curieux rapport Jean Valjean, un instant, tardif, de la genése des Misérables, porte-t-il le méme nom et s’appelle-t-il Jean Sou? Notons qu’il prend provisoirement ce nom
dans le moment méme qu’il parle et manie l’argent. Ici s’établit cette réversibilité dont il est difficile de ne pas penser qu’elle correspond a un probléme intérieur de Hugo. La parabase de Magjia. Maglia est-il la revanche de l’aliénation ? il serait plus juste de dire qu’il la parle. I] est Ja parole qui dit la désaliénation du moi. Et particuliérement du moi-Hugo. I] est la parole de l’écrivain en tant qu’il se veut libre de l’intégration. Ce n’est pas par hasard que Hugo en fait, plus tard, un des faisceaux
de son moi fracturé, dans le texte
célébre : Mon
moi se décompose
en:
Olympio : la lyre Herman
: l’amour
Maglia: le rire Hierro:
le combat ™.
Aussi Maglia est-il essentie!lement parole, et parole comique, doublure plaisante, contrepoint parlé de tout drame, « choeur populaire riant® » ; de la 4 la fois sa théatralisation, et sa fixation impossible comme personnage. Le Figaro du pauvre, !’homme des bas-fonds, celui qui joint 4 la mine et au destin patibulaire le cynisme qui démonte Jes faux sentiments, et le refus qui désarticule piéges et traitrises, ne Sinscrira jamais dans un texte, fit-ce 4 Vintérieur de ce Thédtre en Liberté qu'il ne cesse d’appeler. Ce qu’il parle c’est le discours inavoué, inavouable du Je-Hugo, représentant dans son quatuor inté92. Voir
les textes,
Fragments
dramatiques.
0.C.,
V, 945-949.
est remarquable. A noter aussi les provocations au public, comme ou Maglia, ’homme de la parabase, injurie les spectateurs (ms.
93. Voir
1860-1861,
Journet-Robert,
selon ces auteurs
Manuscrit
des
Misérables,
p.
Leur
401;
(voir ibid., p. 415). C’est l’épisode
convergence
dans le Prologue, 24753, ibid., 945).
ce
nom
ot le héros
date
de
annonce
devant le pére Guillenormand médusé : « Mademoiselle Euphrasie Fauchelevent a six cent mille franes. » 94, Texte publié par Journet-Robert, Autour des Contemplations, p. 26, et daté de 1853-1855 (ms. 13420, f° 2). Olympio apparait dans les Voix intérieures, XII et XXX. Quant 4 Herman, il figure dans A quoi songeaient les deux cavaliers dans la forét, Cont., 1V, XII, 11 octobre 1841 ; ce nom: pourrait recouvrir, plutét qu’un mythique héros germain, espagnol hermano, le frére. Quant a Hierro, le fer, il est non seulement la griffe qui servit de mot de passe aux jeunes romantiques le jour de la représentation d’Hernani, mais il figure dans le titre d’un livre : « Pensées
mélées de Hierro, arriére-petit-fils de Pierre Gringoire (Feuilles
Paginées,
p:
26,
0.C.,
IV;
969).
Hierro
est
et de Dulcinée
homme
de
du Toboso
Vinscription,
»
de
Vécriture, tandis que Herman serait ’homme du sentir et Olympio homme du eroire et du chanter, le poéte du cantique. Les textes Olympio ont une coloration religieuse, et quand le poéte sent grandir le doute, il écrit, en 1843 : « Olim pius, Olympius >». 95. Bakhtine,
Cromwell,
Rabelais,
p.
470.
Voir
notre
analyse,
Ile
partie,
le
Carnaval
de
p. 1462. 17
258
LE ROL
ET LE BOUFFON
rieur la parole-négation. En ce sens il indique 4 la fois le théatre et sa limite, et la floraison des fragments. — Maglia indique la mort du thédtre
en méme
plus encore comme
temps
que la théatralisation
peut-étre aprés 1842. Dans
marquée,
il devra, nous
du moi, aprés
Ruy Blas,
le verrons,
1839
et
ou sa place: était
étre relayé par César
de
Bazan qui le double parfois, sans jamais s’identifier 4 lui %. Une crise.
L’envieux, ce témoin fatal. Préface d’Angelo.
On voit comment sont présentes dans les avant-textes hugoliens, les figures extrémes, celles qui indiquent la distance et la tension la plus grande. Rien d’étonnant a ce que Hugo ait éprouvé des difficultés majeures a passer du projet au texte. Ici les circonstances biographiques de l’écriture ne peuvent étre omises. En cette année 1834, les rapports de Hugo et du théatre sont des rapports de crise. Hugo hésite, et, devant le projet louis-quatorzien, il prend du champ. Nul doute que Hugo ait été atteint par le chceur de Ja haine et plus encore par la défection de Sainte-Beuve. Peut-on attribuer 4 ce -fait ’arrét dans la production théatrale de Hugo ? Nous n’en sommes plus aux deux drames de J’année 1832, ni au projet hugolien de deux drames par an”. La derniére ceuvre dramatique de Hugo est écrite en aotit 1833 ; il s’était écoulé un peu plus d’un an entre la fin de la rédaction de Lucréce Borgia (20 juillet 1832) et le 8 aotit 1833, début de la rédaction
de Marie
Tudor.
Il faut atten-
dre cette fois dix-huit mois, jusqu’au 2 février 1835, pour voir Hugo écrire un drame. Si la deuxiéme moitié de 1833 est surtout faite de « la construction » de Littérature et de Philosophie mélées, si la deuxiéme moitié de 1834 voit l’épanouissement du lyrisme des Chants
du Crépuscule (19 poémes écrits du 1 septembre 1834 au 1° juillet 1835), il reste un semestre pratiquement vide, a part la brusque rédaction
de Claude
Gueux
(en trois jours,
du 20 au
23 juin 1834).
Certes il y a le livret Esmeralda, mais peut-on y voir une véritable activité productive ? Le 2 mai 1834, il écrit 4 Louise Bertin : « J’étudie beaucoup, mais je n’appelle pas cela travailler. Travailler, c’est produire. Je compte sur Ja séve annuelle de l’été™. » Hugo n’ignore pas que toutes ses difficultés sont comme rassemblées en bouquet autour du théAtre ™. Les attaques littéraires rejoi96. Le couplet des dettes peut étre parlé par un comme par l’autre indifféremment, mais la distance que prend Maglia est infiniment plus grande. 97. Voir le témoignage de Fontaney : « {1 a trente drames & faire en quinze ans. » 24-3-1842,0.C., V, 1273. 98. Voir Savey-Casard, édition critique de Claude Gueux. Une exception, le petit poéme, plus tard publié dans les Contemplations 11, 10 et daté du 25 mai, 99. Ms. 14259, f° 37. 100. La Chronique de Paris (Philaréte Chasles) du 8 mars 1835, juste avant Angelo, tient Hugo pour fini, au moins dans ce domaine : « La nouvelle du jour, e’est la tragédie de M. Hugo (...). On s’attend a peu de chose. Le temps n’est plus ou chaque tragédie du poéte était saluée d’invectives et de frénétiques applaudissements (...). Nous avons enfin reconnu que la tragédie régénérée de Victor Hugo, cvétait tout bonnement ia vieille tragédie de Sénéque. Chacun a retrouvé ses admi-
rations de collége, antique moule des héros surhumains et gigantesques (...) Ce fait bien éclairci, le Drame-Hugo s’est laissé mourir tout doucement. » On remarque des ici non pas seulement la perfidie de Vvappellation tragédie, mais la reprise theses de Nisard : Hugo c’est la « décadence » latine.
MADAME
LOUIS
XIV ET MAGLIA
259
gnent ici les accusations concernant sa vie privée. Le probléme de la carriére de Juliette est aigu. La rupture avec la Porte Saint-Martin
s’est faite en liaison avec elle. Hugo hésite, il se trouve amené a prendre un peu de recul par rapport au théatre, quoiqu’il soit encore décidé a laisser Juliette y poursuivre sa carriére. Mais que fera Juliette 4 la Comédie Francaise ? Et que fera Hugo lui-méme? Il s’attend 4 des batailles plus dures que jamais. Aprés le désastre du Roi s’amuse, la critique l’attend avec un fusil. Il connait les réticences des interpréetes, il connait celles du public: ce n’est pas celui de la Porte Saint-Martin. De toute facon, Hugo ne peut revenir a4 la Comédie qu’avec une ceuvre qui aura d’une certaine facon l’allure d’un compromis. Il résiste cependant ; ce qu’il tente d’imposer, c’est un drame en prose, avec un acte de Cour des Miracles (auquel il sera d’ailleurs contraint de renoncer), et dont V’héroine est une comédienne, une
courtisane.
101. M. Bonnier (Présentation d’Angelo, O.V., V) groupe sur ce point un certain nombre de textes, particulitrement une des pages des Souvenirs de P. Foucher et la lettre bien connue de Ch. Weiss a Nodier sur la vie privée du poéte.
ANGELO GENESE D’ANGELO « Sabina Muchental
>.
Nous savons trés peu de choses sur l’origine d’Angelo. Hugo est toujours aussi secret sur la genése de ses drames. Le fameux folio 33 de Feuilles paginées recéle cette ligne (5° projet dans la liste de 1830) : « Sabina Muchental — le méme homme aimé par deux filles, une courtisane et une dévote. » Cette Sabina Muchental, nous le savons, Hugo en trouve le nom dans l’une des sources d’Hernani, nom qu’il jette négligemment dans les marges du manuscrit de cette piece! ; or, ce nom, apparemment allemand, perdu sans indication de titre nobiliaire, au milieu des noms de Grandesses espagnoles peut suggérer Vidée d’une Autrichienne importée en Espagne, d’une femme mariée hors de son pays, d’une de ces figures de l’exil et de la tristesse que sont Catarina, la reine de Ruy Blas, ou méme Ginevra des Burgraves : « Femme, c’est-adire exil », dira plus tard Hugo dans A celle qui est voilée?. Ii est done possible qu’un personnage voisin de celui de Catarina se cache derriére la mystérieuse Sabina. Supposition qui semble confirmée par la formulation méme du projet et cette opposition entre deux femmes, cette « bataille de dames » dont Hugo vient de tenter une premiere approche en mettant en scéne la « lionne » et la « gazelle > dans Marie Tudor®. L’expression une dévote parait aussi renvoyer non pas
seulement au personnage de Catarina avec cet oratoire qui est, sans jeu de mots, son « sanctuaire propre » et comme Il’image de son intériorité — mais aussi 4 l’action d’Angelo et a cet « objet signifiant » qu’est le crucifix, posé la, dit Hugo dans sa Préface, « comme un lien, comme conseiller ».
un
symbole,
comme
un
intercesseur, 4 ;
comme
un
Nous pouvons donc tenir pour infiniment probable que, dés 1830, Hugo avait Vidée d’opposer deux femmes dans l’amour du méme homme ‘, de construire donc un triangle inverse du triangle habituel, deux femmes pour un homme. A ce schéma triangulaire ",,", s’ajoute 1. 2. M. J. 3. graves
Voir plus haut, Les Projets dramatiques de 1830, p. 26-28. Contemplations, VI, XV, rapprochement qui nous a été suggéré par Beauverd et dont nous verrons importance dans notre seconde partie, Notons que dans sa préface Hugo met l’accent sur lVopposition de « deux et douloureuses
figures,
la
Femme
dans
société >, 4, Ce n’est pas le cas du schéma de Marie
la société,
Tudor.
la
Femme
hors
de
la
ANGELO
subrepticement
le carré
Blas, de Marion
de Lorme,
puisque
habituel
261
4 Hugo,
celui
d’Hernani,
Tres para una‘, carré double
les trois hommes
sont tous les trois
de Ruy
dans Angelo,
« polarisés
» (diverse-
ment il est vrai) 4 la fois par les deux femmes ; autour de Catarina trois hommes : son mari, son amant, son soupirant dédaigné ; autour de Tisbé, les mémes hommes, son soupirant, son amant et un mysté-
rieux ami-ennemi.
Relevons et une
d’ailleurs
courtisane,
que
se trouve
l’opposition déja dans
de deux
le canevas
femmes, Mariposa
une
pure
II® ot le
personnage masculin qui épouse « Elle » par un faux-vrai mariage parait étre séduit par la courtisane Mariposa. L’intérét que porte Hugo au personnage de la courtisane, de la femme en marge de la société parait donc remonter trés haut dans le temps, jusque vers 1829 au moins’. La premiére Mariposa est bien une fille « en marge >, comme le souligne le poéte, indiquant déja Vopposition qui fait le fond de Vintrigue d’Angelo. L’amour pour Juliette ne peut donc pas étre tenu pour l’origine @ Angelo. L’expérience biographique, la liaison avec la courtisane ou Yopposition de deux interprétes féminines ne sont jamais que la matérialisation ou peut-étre la conséquence d’un réseau préexistant. L’opposition-clé femme honnéte / courtisane—amour enchainé / amour libre est un schéma typique du xrx° siécle bourgeois ; elle figure dés 1830 dans l’un des projets hugoliens. Il ne serait pas vain de se demander si, au contraire, cette opposition déja présente n’a pas orienté la destinée de Hugo tout autant que son ceuvre. Juliette écrit.
Pour une fois, le référent biographique parait jouer un réle immédiat. Non seulement Juliette existe, mais elle écrit, elle écrit méme deux fois par jour. Dans une certaine mesure, Angelo est la réécriture de ce texte littéraire, les lettres de Juliette. La piéce est comme Villustration de formules éparses dans cette correspondance (p. exemple, 4 aotit 1834 : « Je voudrais mourir pour toi. ») Les lettres de Juliette des années 1834 et 1835 sont le commentaire permanent du langage de la Tisbé — le personnage de la piéce reprenant les propos écrits ou parlés de la personne vivante (ou l’inverse parfois). Ecoutons Juliette: « Je ne veux pas me tuer comme tout le monde, je veux me séparer de toi et une séparation c’est la mort, oui, la mort
sans
aucun
doute®.
» Et Tisbé:
« Oh
oui!
moi
sare
que Rodolphe ne m/’aime plus... qu’est-ce que j’aurais 4 faire de la vie ? Cela me serait bien égal, je mourrais*. » — Juliette: « Mon Victor, n’oublie pas que je t'aime ; un seul de tes regards pour une 5. Sous-titre d’Hernani. 6. Voir plus haut analyse
dramatiques.
de la Mariposa
II, et le texte in 0.C., Ill, Fragments
| 7. Il n’est pas interdit de penser que Vintérét de Hugo pour les prostituées -& un moment donné d@’étre spéculatif pour devenir « pratique ». En marge brouillon des Jumeauz (f° 62) figurent deux adresses de prostituées. 8. Lettre de 1834 (? — dimanche, 3 heures) C.L., V, 1157. 9. Troisiéme journée, Il, 3. Voir aussi ler juin 1835 : « Je ne puis
. og toi... ; je pense -
en,
>
et je vis par toi. Je suis
l’ombre
de ton corps,
cesse d’un
4 me
séparer
tu es l’Ame A
du
262
LE ROI
ET LE BOUFFON
autre femme que moi me ferait mourir™, » Tisbé: « Mon Rodolfo, je ne. puis te voir parler 4 d’autres femmes, leur parler seulement, cela me fait mal". » Juliette : « Je ne vous aime pas pour rien, moi. Si vous me trahissiez le moins du monde, je vous tuerais ™. » Tisbé : « Je me vengerais de cette femme. Non, je me tuerais. Qui ferais-je mourir ? Eux ou moi, je ne sais*. » — Juliette : « Tu es le seul homme que j’aie jamais aimé™. » Tisbé: « Tu esle seul homme que j’aie jamais aimé *. » — Juliette : « Tu es mon appui, tu es ma terre ferme,
tu es
mon
espoir,
ma
joie, mon
bonheur
Tisbé : « Tu es ma lumiére. Ton amour, c’est sur moi?’, » Le cri de la Tisbé: « Oh! c’est toi, moi, vois-tu! » retentit multiplié toute la Juliette. Le reproche « J’ai bien souffert »
comme
mon
tout.
»
—
un soleil qui s’est levé que je suis jalouse de vie dans les lettres de appartient 4 la femme
au personnage.
La jalousie douloureuse
qui saisit la maitresse devant un amour plus ancien et plus « légitime » que le sien, cette jalousie a la fois humble et torturante s’exprime dans une lettre de 1834 non datée: « Oh, je suis bien coupabie, mais je suis bien 4 plaindre, car je suis jalouse et de qui, de la plus belle, de la plus douce, de la plus admirable femme
de la terre et cette
femme,
c’est la tienne ®. »
A Juliette aussi, image de la prostituée rachetée, cette image que Hugo ajoute a4 la figure primitive de la belle comédienne : « A seize ans, je me suis trouvée sans pain... mais j’ai bien souffert, va... Eh bien,
est-ce que tu n’es pas faite pour souffrir, fille de joie”? » A quoi fait écho la lettre bien postérieure du 9 novembre 1836 : « Sois béni, mon noble Victor, tu as bien fait de me pardonner ma honte, tu as bien fait de me tendre la main pour me relever du ruisseau, tu as bien fait de laver mes souillures avec les larmes de mon amour™. » Et la bénédiction finale de Tisbé sur le couple heureux qui s’enfuit reprend peut-étre les multiples bénédictions au-dela de toute jalousie tombant des lévres de Juliette 4 ’intention de la femme et des enfants du poéte: « Merci, ange, sois béni dans tout ce que tu aimes sur la terre #, » Donc Tisbé, sa brusquerie (» sont tout 4 fait en minorité. Et quel extraordinaire gaspillage, quelle valse de spectacles en une année ! D’ou l’extréme médiocrité de la production. Charles Maurice souligne avec acrimonie: « De tout cela, pas un succés remarquable, quelques-uns brillants, rien qui restera. Monseigneur
le Siécle, vous
contester : en se
taisent.
En
baissez.
1834, pas une revanche,
les
» C’est, hélas,
création
un
verdict
brillante, Dumas,
fabricants
de
vaudeville
difficile
Hugo, ne
a
Vigny
choément
guére : Ancelot a créé 12 piéces pour cette seule année 1834 et Benibe; plus modeste, 8 seulement. Nous d’Angelo.
savons peu de chose des Quelques jours A peine
tractations de Hugo au sujet s’écoulent entre l’achévement
de la piéce (19 février) et le traité avec
Jouslin
(24 févr.). C’est donc
on l’a vu, que les discussions avec la Comédie étaient achevées ou en tout cas bien avancées, avant méme que le drame ne soit écrit. Cette mauvaise langue de Charles Maurice annonce dés le 5 janvier : « Victor Hugo prémédite une piece de thédtre pour la Comédie Francaise. On le dit méme fort avancé dans l’application de l’article du code y relatif. » Cette formulation contournée parait étre un coup de patte a l’adresse de Victor Hugo, trop soucieux de ses intéréts financiers. Le 12 janvier, le méme journal donne des précisions ot la vérité et l’erreur se mélangent inextricablement : « Ce n’est pas une, c’est deux pieces que Monsieur Victor Hugo destine 4 la Comédie Francaise. Mais, pour instant, une seule occupe ses soins et marche vers son dénouement. Le titre en sera quelque temps un mystére... Ce que l’on peut dire tout de-suite, c’est que l’ouvrage offrira des particularités de réles d’espéce bien différente, puisque l’un sera présenté 4 Mademoiselle
Mars, et. l’autre donné 4 Madame
Dorval.
« Le bruit le plus généralement répandu est que la piéce dont nous avons parlé tout 4 ’heure s’appellera Madame de Maintenon®. » Mars et Dorval! Selon Je Victor Hugo raconté, « M. Jouslin de la Salle étant revenu en février 1835, M. Victor Hugo lui répondit qwil achevait dans ce moment un drame qui exigeait deux actrices de premier ordre* ». Nul doute que le choc possible des deux comé40. V. supra, p. 253, Madame Louis XIV. 41. V.H.R., V; 1382,
les
tractations
de
Hugo
avec
la
Comédie
et
le projet
268
LE ROI ET LE BOUFFON
diennes n’ait joué un rdéle dans la genése d’Angelo. La présence de Marie Dorval a la Comédie est décisive. Poussée par Vigny, elle veut quitter les théatres médiocres et populaires du boulevard pour parvenir
4 la hauteur
des
grands
roles
et des
grands
textes;
elle
a
commencé sa conversion en jouant sur la scéne de Opéra la jolie bluette distinguée de son amant dramaturge : Quitte pour la peur ®. Apres quoi, Vigny obtient de Jouslin le renouvellement de l’engagement de Marie 4 la Comédie Francaise. On voit que sa mémoire trahit le Témoin quand il ajoute : « Le Théatre Francais avait Mile Mars et pouvait engager Mme Dorval, qui était libre, mais il s’agissait de savoir si Mile Mars consentirait
4 jouer avec Mme
Dorval.
»
Or, Dorval était déja 4 la Comédie Francaise; le Témoin qui suggére ici que l’engagement de Dorval a été le fait de Hugo ® oublie qu’a la date méme ou celui-ci écrivait Angelo, Dorval remportait le plus grand triomphe de sa carriére 4 la Comédie-Francaise en jouant Chatterton, le 12 février 1835. Hugo pouvait raisonnablement espérer que Mile Mars, malgré son caractére et sa susceptibilité, accepterait le grand role de cette piéce. Quant a Dorval, n’oublions pas qu’il lui avait promis au printemps précédent, un réle dans son prochain drame“. Hugo, avant méme d@écrire
Angelo,
diennes
de tempérament
par leur rivalité
pouvait 4 donner
réver
4 cette
exceptionnel,
confrontation
prétes
4 l’affrontement
des
par
de
leur
deux
deux
comé-
caractére
héroines,
et
toute
sa saveur de franchise et de naturel. Mile Mars et Dorval se hairaient avec une grande spontanéité. Certes, Hugo n’a jamais écrit « pour des acteurs » ; son schéma intérieur est bien trop puissant et déterminé. Mais il ne se pouvait pas que son imagination ne soit orientée par
la possibilité de cette excitante conjonction. Le récit du Témoin semble considérer que Mlle Mars a pris le réle de la Tisbé par jalousie d’actrice, parce qu’il aurait trop bien convenu 4 Dorval. Et Hugo le lui aurait laissé prendre, apparemment pour ne pas l’indisposer : « Voyons, quel est mon réle ? — Celui que vous choisirez », répond galamment Hugo a Mile Mars“. Que déduire de ce récit ? Si nous le tenons
pour
vrai —
et il est hautement
vraisemblable * —,
il nous
est loisible de supposer que Hugo a prévu le choix de Mile Mars, et que, paradoxalement, il s’en est félicité: quand le Témoin affirme gue « la Tisbé, fille des rues, violente, déréglée, semblait faite pour le talent bohéme et libre de Mme Dorval >, c’est qu’il ne voit pas la nature réelle de Dorval; elle a toujours été la « victime » des mélodrames de boulevard et son triomphe dans Chatterton est encore celui de la créature pure et sensible, brisée par la vie et par un mari brutal. Or, sur ce point, Kitty Bell ressemble 4 Catarina ; cet aspect du personnage qui mieux que Dorval était capable de le traduire ? La dignité naturelle, ’élégance de Mile Mars disciplineraient la fureur populaire de la Tisbé : quelle meilleure distribution ? Quant au public il ne pouvait que réagir par la curiosité au spectacle de deux actrices géniales, jouant en apparence — en apparence seulement — a contretempérament. 42. Novembre 1833. 43. Ce qui est exact, mais date de 1832 (voir supra, Contrat du Roi LD) sll ‘6 44, V. supra, p. 254, n. 72. 45. V.H.R., 0.C., V;, 1383. 46. Imaginons un instant Mars frustrée dans son choix : les choses mal tourné.
s’amuse,
auraient
ANGELO
LE DRAME
269
DENATURE
Si dés avril 1834 Hugo avait le titre de son drame, il est difficile den savoir dayantage sur sa genése immédiate : Je silence de Hugo est toujours total sur les étapes de sa création. Le 2 février 1835, Hugo se met a sa table de travail. Le mois précédent,
il a écrit 4 V’intention
de Juliette, pour ses étrennes, deux poémes d’amour ou la passion le dispute 4 l’angoisse. Le premier jour est apparemment consacré 4 la mise en place de l’ceuvre car la rédaction proprement dite ne comporte que peu de pages. La tranche de rédaction du 3 va jusqu’a la fin de la grande confession du podestat (« tué roide par mon cuvre comme l’alchimiste par son poison ») (f° 19 — E bis). Le jour suivant, autre tranche
importante (jusqu’a la fin de la scene 4: « qui je suis? un idiot »). En revanche le 5 février, Hugo n’écrit que les courtes scénes 5 et 6 (« ll sort. Entre Angelo »). Le lendemain, Hugo rédige la fin de la premiére journée, met 4 la derniére page la date du 6 février et continue jusqu’a la fin de la premiére scéne de la deuxiéme journée : le tiret d’interruption dans la rédaction intervient juste avant l’indication scénique finale. Le 7 février, Hugo n’écrit que la scéne suivante (II, 2), le 8 il rédige jusqu’au milieu de la scéne 4 (« Catarina — Oh! ne pensons qu’a nous ») *. A partir de ce moment Hugo rédige régulierement environ six 4 huit feuillets par jour *, les tirets permettant de retrouver
avec précision
la tranche
journaliére
de travail, en
corres-
pondance exacte avec les dates mises 4 la fin des actes*. Il termine sa rédaction le 19 février 4 10 heures du matin. Rédaction remarquablement réguliére et rapide, ne comportant ni hésitation grave, ni variantes bien considérables 4 l’exception de quelques corrections d’ajustage ® qui conduisent Hugo, — chose assez rare pour étre signalée — 4 resserrer sa formulation. L’effort de Hugo va dans le sens d’une concentration « classique » de son drame : si les trois journées
ne pourraient,
c’est l’évidence
méme,
s’insérer dans le cadre
des 24 heures de la tragédie, elles n’atteignent pas les 78 heures et ne méritent qu’a peine le nom de « journées » :-l’action commence dans la nuit du premier jour, se continue le second soir et se termine a la fin de la troisiéme nuit, quand le jour commence a poindre : trois nuits plutot que trois journées. Peu de personnages et une intrigue plus compliquée en apparence qu’en fait : voila un drame singuliérement proche des recettes classiques. Mais cela ne sera pas encore suffisant : et le principal travail sur
le texte, Hugo est contraint de le faire pendant les répétitions. La copie lf La, Dien puscule, 23. 48. La
troisiéme xiéme,
pour
du
sk 49, La
er. 50. Une
dernier
premiére
version journée
la premiére
12 au
16, pour
composition
acte.
seule
de la chanson va
du
2 au
partie est rédigée
la troisiéme,
comporte
exception
a été insérée 6 février,
pour
du
toute
dans
les Chants
deuxiéme
du
le 11 et le 12 février,
17 au
trés considérable,
la
19 février.
la piéce
celle
des
tranches
de la confession
6
du au
pour
faciles
de
Cré11,
la
la deu-
A iden-
Tisbé
au
270
LE
ROI
ET LE BOUFFON
du souffleur, détenue par la Bibliothéque de la Comédie Francaise nous permet de voir dans quel sens Hugo retouche son texte : — un texte auquel il tient, car il le rétablit dés qu’il peut : certains détails sont rétablis dés la seconde série de représentations (le ms. du souffleur en fait foi), et ’ensemble retrouve sa place dés l’édition. Hugo raccourcit, resserre, muscle son texte : certaines répétitions du langage parle, certains cris, certaines invocations sont supprimées. Audaces dans le langage, et brutalités d’expressions sont gazées. Mais surtout, Hugo se voit contraint de supprimer dans la grande confession de Tisbé, a Vacte V, tout ce qui pourrait choquer les spectateurs. Aussi Hugo se plaint-il 4 Lamartine (qui a regretté les insuffisances du dernier acte *) : Vous avez raison pour le 4° acte. Cela tient 4 ce que la piéce n’est pas jouée comme je l’ai écrite. Lisez-la. Vous serez content du 4° acte précisément par le point que vous désirez. Mais les stupides impatiences des gens qui veuient toujours qu’on se hate au théatre, nous obligent souvent a n’y montrer que des raccourcis, surtout dans les derniers actes.
Heureusement représentée *.
la piéce imprimée
nous
venge
de la piéce
On voit l’importance que Hugo attachait aux édulcorations du 4° acte ; il manifeste son intention de publier immédiatement le texte intégral. Y a-t-il eu d’autres suppressions de derniére minute dont le manuscrit du souffleur ne garderait pas de trace ? c’est peu probable. Autre indication de poids : ies plaintes exprimées. par Hugo au sujet : nous retrouvons,
de la durée théatrale
sur un autre plan, les protes-
tations de la Préface de Cromwell contre l’unité de temps : pour Hugo la durée du spectacle thédtral est toujours trop courte et Vintention n’a pas la place de s’y déployer, comme si la concentration drama-
tique * était ’ennemie du poéte.
En tout cas, il est une suppression, et non des moindres, que Hugo maintient dans le texte imprimé : et c’est ceile d’un acte entier, l’acte grotesque, la premiére partie de la troisiéme journée : « la mort d’Homodei,
au lieu d’étre en récit, dit le Témoin,
était en action. Rodolfo
allait punir l’espion dans un bouge de bandits ot se mélaient le vin et le sang. Aprés la lecture au comité, MM. Taylor et Jouslin de Lasalle vinrent trouver l’auteur; l’acte des bandits Jes inquiétait; le Roi
s’amuse avait dai en partie sa chute au bouge de a@’Homodei ferait tomber Angelo“ >. Cet épisode doigt la pression exercée par les milieux de théatre et le sens de ces manceuvres : comment laisser le
Saltabadil ; le bouge nous fait toucher du sur ’ceuvre de Hugo, Théatre Frangais, ce
temple du bon goit, s’encanailler a ce point ? Eliminez
donc, s’il vous
plait, cet appareil baroque, ces loques qui font « peuple >, ce tresseur 51. Lettre neuves
au
du
théatre,
29 avril n’est
pas
1835
: « L’idée
suffisamment
du
quatriéme,
exploitée.
» O.C.,
selon
moi
une
des
plus
V, p. 1063.
52. O.C., V, 1063-1064, ler mai 1835. 53. V.H.R., id., 1383. 54, Le 2 mars 1835, le Courrier des thédtres signale « la réduction & quatre (actes d’Angelo) par la suppression d’une partie tout A fait inutile, et M. V. Hugo
y a consenti avee une docilité de classique ». Notons cette derniére formule qui met en lumiére, par sa spontanéité méme, lapreté de la lutte que devait livrer Pécrivain de théAdtre, et surtout Hugo. Le romantisme, c’est la révolte contre les servitudes imposées par les gens de théatre.
ANGELO
271
de paniers, ces deux tueurs abrutis, cette fenétre aux volets de bois ; et pourtant, le dessin de Hugo pour cet acte » figure des guenilles fort
artistiques et un bouge singuliérement stylisé. Apparemment, c’en était trop encore, et pas plus qu’on ne peut faire dire 4 une grande dame : « j'ai aimé
un homme
» (au théatre,
Catarina
dira plus noblement
:
«j’ai eu dans le coeur un amour»), on ne peut montrer l’envers du palais, ce bouge atroce ot se mélent fraternellement confondus assassins et policiers, agents du méme pouvoir sinistre et sanglant. Hugo céde. I] céde méme au point de laisser totalement de cété un texte qui, sil est inutile 4 l’action, stricto sensu, comme
en convient bien volon-
tiers le Témoin (« il n’était pas indispensable au drame © >»), apporte a cette tragédie de palais le contrepoids du grotesque. L’acte disparait méme de l’édition originale ; il ne sera rétabli que bien plus tard ”, et ne sera jamais joué du vivant de Hugo ®. Pourtant Hugo, toujours soigneux de conserver tout ce qui tombe de sa plume, prend bien soin de ce texte ; de Bruxelles, il écrit
a Adele Hugo pour recommander
cet
inédit 4 sa vigilance : « Il y a encore 1a, lui écrit-il le 30 mai 1852, quelques petits manuscrits inédits, entre autres un acte d’Angelo. Je te le recommande ®, » La chute de l’épisode grotesque et le resserrement du dialogue donnent a la piéce jouée un aspect de densité et d’unité presque classique. La prose dépouillée d’Angelo est un élément auquel un Gautier n’est pas insensible, qui lors de la reprise de 1850 (avec Rachel), écrit dans son compte rendu de la Presse « une telle prose, si nette, si solide, si sculpturale, vaut le vers (...) ces lignes aussi fermes que les
alexandrins de Corneille ® ». Mais l’élimination de toute provocation, de presque tous les ornements baroques, accentue par contraste la présence d’outils dramatiques empruntés au mélodrame. Pius qu’un drame romantique, avec sa puissance échevelée et ses outrances, Angelo, dépouillé 4 la fois avant l’écriture (dans le projet), et aprés, pouvait apparaitre comme un drame néo-classique ; Hugo reprenait certaines des recettes qui avaient fait la fortune de Casimir Delavigne. Les permanences du drame hugolien demeuraient vivantes dans l’euvr, mais comme voilées par les concessions dramaturgiques.
LA PIECE
JOUEE
Un bon contrat.
La Chronique de Paris du § mars 1835 fait état de la réception 4 la Comédie Francaise. Nous remarquerons qu’a cette date, le titre de la piece était déja connu et que la réduction d’Angelo 4 quatre actes est chose faite : « Miscellanées — La Comédie Francaise a recu 4 l’unanimitéun drame en quatre actes de M. Victor Hugo. Nous tenons de 55. Angelo, 56. Texte
ms., f° 55.
cité, 1383.
57. Il est rétabli pour la représentation du 8 février 1905 premiére fois dans l’édition de l’Imprimerie Nationale (1905). 58. Le 7 février
1905,
au
59. O.C., VIII, p. 1005, 60. V. I.N. Marie Tudor,
théatre
Angelo...
Sarah
Bernhardt.
p. 260.
et publié
;
pour
la
272
LE ROI
ET LE BOUFFON
bonne source que, dans ce drame, M. Victor Hugo s’est quelque peu écarté de la maniére que 1’on s’était habitué A considérer comme sienne. | Le style d’Angelo est pur, énergique, concis. Plusieurs scénes sont passionnées sans exagération, quelques caractéres sont vigoureusement tracés, et (quod mirandum /), la morale que ledit M. Hugo a souffletée tant et si rudement, la morale est scrupuleusement respectée — enfin !... » Il semble donc que personne n’ait fait d’objection a la réception d’Angelo, mais les contemporains ont eu le sentiment des concessions faites par Hugo. ‘Le traité intervient le 24 février 1835, 4 une date ou la piéce, déja achevée, porte encore le titre de Padoue en 1549.
Le contrat est analogue aux contrats du méme type signés par Ia Comédie Francaise. Un point digne de remarque est l’obligation faite a la Comédie Francaise de reprendre les piéces antérieures de Hugo, et en particulier Marion de Lorme qui, quoique recue a la Comédie, n’y avait jamais été jouée. On sait que ces stipulations furent 4 l’origine des démélés de Hugo avec la Comédie. Autre point notable, la possibilité de retirer Angelo, si la Comédie re donne pas plus de quatre représentations dans l’année. Or, nous verrons en 1837 et 1838 la Comédie donner six et cing représentations d’Angelo, ce qui respec~ fait le contrat a la lettre, mais de facon désagréablement restrictive. Une clause importante : obligation de monter la piéce « avec tout le luxe de costumes et de décors nécessaires ». Hugo tient 4 ne pas revoir la pingrerie de 1832 (pour le Roi s’amuse), ou les marchandages d’Harel. : Enfin, ce traité est assorti d’un addendum
en marge
: « Le présent
traité est prolongé d’une année d’accord avec M. Victor Hugo. Paris, le 18 mars 1836. » On comprendra qu’il sera difficile 4 la Comédie Francaise, méme apres le départ de Jouslin, de se prétendre de bonne foi dans ses démélés avec Hugo.
Répétitions. Les répétitions sont orageuses. Le V.H.R. nous en laisse un récit pittoresque dont Mlle Mars fait les frais principaux. Le Témoin aurait-il épousé la haine de Dumas pour l’astre de la Comédie ? On pourrait le croire. Indiscutablement, la présence de Dorval allume la guerre, et plus encore la prédilection que l’auteur manifeste 4 sa charmante interpréte ; le chapitre Angelo pourrait s’intituler « Hugo défenseur de Dorval », et la douceur langoureuse
avec laqueile Marie remercie
son
auteur apres l’incident de Mlle Mars, pourrait bien justifier les inquiétudes de Juliette : « Est-ce votre ouvrage seul, dites, que vous avez voulu défendre ? J’ai emporté et je garde l’idée que vous avez voulu me proteger aussi, et j’en suis fiére et heureuse™. » L’incident rapporté par le V.H.R. et auquel cette lettre fait allusion parait indiscutable Mlle Mars aurait tenté de cacher, en changeant de place, la « sortie » de Dorval a la fin du troisiéme acte ; Hugo furieux l’aurait menacée d’arréter la piéce si elle ne se soumettait pas 4 ses ordres : « La piéce 61. V.H.R.. 0.C., V, 1385. Un étrange billet de Marie Dorval a Hugo, en italien, billet dont M. J. Gaudon nous a donné communication, est une trés brutale déclaration d’amour.
ANGELO
273
sera jouée comme je l’entends ou elle ne sera pas jouée®™. » La mise en scéne d’un drame est toujours pour Hugo une promenade sur la corde raide. : Le Témoin prétend que dés le lendemain Mlle Mars, fort radoucie, se préta 4 tout ce qu’on voulut. Ce n’est pas ce qui ressort d’une lettre de Jouslin
du 19 avril
: « Mon
ami, j’ai annoncé
la répétition
demain
lundi comme a l’ordinaire, venez. Vous ne savez rien du tout de ce qui s’est passé. Ainsi bonne mine comme toujours, et je vous le demande en grace dans l’intérét de la Représentation, pour le théatre, pour moi, soyez bon et bienveillant. I] faut que nous arrivions, malgré les ennemis et les gens qui voudraient me voir bien loin du théatre pour s’en emparer ®. » Cette intéressante missive nous laisse soupconner par dela de ridicules jalousies d’actrices des intrigues bien plus graves, et sans doute le début de la longue cabale politico-littéraire qui aboutit au début de 1837 au départ de Jouslin et 4 son remplacement par Védel. Jouslin, malgré ses réticences, était plut6t favorable au drame romantique, ou plutdt, disons, moins défavorable que d’autres. Ne peut-on pas penser que Mile Mars, valeureux champion des classiques, n’est pas étrangere 4 une telle intrigue ? Un échec d’Angelo, ou — ce qui serait plus intéressant pour elle — un succes de scandale, ne pourrait-il pas amener le départ de Jouslin de Lasalle ? Le reste de la distribution parait n’avoir posé guére de probléme ; Hugo a préféré Beauvallet au vieux Joanny qui avait soutenu dans Hernani. Joanny assez majestueux pour jouer les péres nobles était peut-étre trop débonnaire pour un tyran “. Hugo tenait le plus grand compte,
non
seulement
du talent, mais
de cette espéce
de « vraisem-
blance » de l’acteur qui vient de ce qu’on appelle son « emploi », c’est-a-dire la coincidence de son aspect physique avec le personnage. Quand 4 Dorval, le VHR nous raconte ses petites roueries et comment elle
essaya,
vainement,
d’endormir
les
méfiances
de
Mars
en
étant
« terne, éteinte, nulle >».
Nous retrouvons ici la raideur habituelle 4 Hugo et cette facon probablement peu répandue en son siécle, d’étre toujours prét a reprendre un role 4 un acteur, fit-il céleébre, 4 une troupe, y edt-il un contrat.
Cette résistance
aux
acteurs,
4 leurs préférences,
A leurs
caprices, n’était pas Je seul fait du caractére ou de l’orgueil propres au poéte ; elle s’inscrivait dans l’ensemble d’une politique par laquelle Hugo s’efforcait d’imposer a ses contemporains et particuliérement aux gens de thédtre sa propre conception du drame ®,
62. Ibid. Harel, avec qui il est brouillé, vient sur ces entrefaites se rappeler & son bon souvenir : est-ce une solution ? Non, Hugo ne veut plus de la Porte Saint-Martin ; par dignité personnelle, comme le laisse entendre le Témoin? strement, mais sirement aussi pour des raisons qui tenaient A sa carriére dramatique et aux possibilités actuelles de ce théAtre. V. infra, p. 297-298. 63. Lettre inédite ms. 13406, fo 18. : 64. Une lettre de Joanny demandant des billets pour Angelo est signée « votre vieux Gomez de Silva, un peu triste et surpris. » 65. Que l’on compare cette attitude avec celle de Dumas, se laissant imposer de
son propre
aveu
par l’acteur
racontant une éruption (Dumas, Mémoires).
du
Laferriére,
Vésuve,
et que
médiocre Dumas
entre tous, un texte de son
dut
insérer
dans
sa
piéce
cru,
Teresa
18
274
LE ROI ET LE BOUFFON
Comment on fait un succés. La piéce est annoncée depuis longtemps et le Courrier des Théatres, en particulier, ne manque aucune occasion d’ayertir ses lecteurs des progrés d’une piéce tant attendue™. Attente un peu aigre, dans ce journal violemment antiromantique et qui s’est livré, pendant toute la seconde moitié de février, 4 d’abominables attaques contre le Chatterton de Vigny et ’ensemble du romantisme au theatre (19 février). Le scandale, c’est l’invasion de la Comédie Francaise, temple de Vart, par le drame romantique, invasion qui parait 4 Charles Maurice effet d’un plan calculé par Jouslin, d’un plan « destructeur » (28 mars 1835). Avec quel mépris Maurice (payé par Harel ?) oppose-t-il un théatre vraiment populaire, la Porte Saint-Martin, 4 cette scéne pour intellec-
tuels que serait une
Comédie
contre Nonne Sanglante. —
Francaise
romantique’:
« Chatterton
Chez M. Jouslin, les littérateurs et consors
et chez M. Harel, la multitude, Voguent les deux galéres ! » (11 février.) Cependant la piéce n’est pas accablée avant d’étre vue : on croit savoir que Hugo a mis de l’eau dans son vin ; on verra peut-étre un spectacle presque classique (2 mars) ; ce qui n’empéche pas Maurice de moquer les préoccupations financiéres de Hugo, comme de Jouslin: « Tant de gloire fait telle somme,
c’est réglé » (3 mars).
La représentation est retardée par le zéle et la minutie avec lesquels on monte la piéce, ce dont témoignent les lettres de Louis Boulanger a Hugo 4 propos des costumes et des décors. Ainsi le 27 février : « Mon cher Victor, si je n’avais pas été de cette stupide Garde Nationale hier, je vous aurais porté plusieurs costumes, mais demain, vous en aurez deux. Je ne crois pas que ces dames voudront se faire aussi Vénitiennes, mais vous y veillerez (...). Je vous écris ce mot pour que vous
sachiez & quoi vous en tenir. Votre ami dévoué. L.B. » et du lendemain 28 : « Mon cher Victor, demain ou aprés-demain, je vous porterai le reste. Je désire que cela rentre dans ce que vous souhaitiez. Vous qui
entendez
le blason
a merveille,
me
bien
devriez
vous
faire
les
armoiries de Malipieri et de Bragadini et me les envoyer. A bientot. tout A vous. L.B. ”. » La presse remarque l’attention et la précision que Yon parait apporter a la mise en scéne ; nous Jisons dans la Chronique de Paris du 26 avril : « Le décorateur a réclamé quelques jours
mérite d’étre constaté qu’une piéce par la faute du décorateur. > d’Angelo, le 28 avril 1834, fut un possible. Le Courrier des Thédtres « un succés de cabale emporté dans une salle ot il n’y avait pas deux spectateurs payants ». Certes la salle est bien composée en vue d’un succés, mais les recettes sont de 1268 F, méme pour la premiére représentation (les représentations classiques ne font guére plus de 300 ou 400 F), de 3350 F pour la
encore, C’est quelque chose qui retardée a la Comédie Frangaise La premiére représentation triomphe aussi peu discuté que signale avec amertume que c’est
66. Voir les articles du Courrier des thédtres, 13-3, 14-3, 16-3, 21-3, 6-4, 20-4, 21-4, 22-4, 23-4. 67. Ces lettres se trouvent a la Maison’ Victor enthousiasme
ment,il
Boulanger
fait la décoration.
aux
participe
mais
créations
il se comporte
3-2,
26-2,
28-2,
Hugo. Nous dramatiques de
ardent
en partisan
2-3,
3-3,
11-3,
savons avec quel Hugo. Non seule-
et participe
a la
bataille comme en témoigne cette lettre : « N’oubliez pas notre loge pour Angelo. Il faut cue nous soyons 1a tous les deux, armés de nos frayeurs et de nos, voeux
pour aurons
faire reculer Jes malveillants la victoire,
soyez-en
str.
qui. par malheur,
»
(22 mars)
(Maison
nous
seraient
Victor
Hugo).
présentés.
Nous
ANGELO
275
seconde, et de 4075 F pour la troisieme, jusqu’au chiffre maximum de 4512 pour la septiéme représentation (le 12 mai). Tous les témoins reconnaissent le succés et le registre de la Comédie Francaise indique : « Grand succes. Mmes Mars et Dorval rappelées », non seulement pour la premiére représentation comme le veut l’édition I.N., mais pour les dix suivantes, fait presque sans précédent. Les critiques s’étonnent dune réussite non seulement aussi totale, mais aussi paisible. Le Courrier Francais constate : « Enfin voila une piece de M. Hugo que les sifflets n’ont pas disputée aux applaudissements, ot une lutte acharnée ne s’est point ouverte, ot deux partis ne sont pas descendus en ‘champ clos, venus non comme a un jugement littéraire, mais comme ' 4 un combat. » (1@ mai.) Il signale « ces tonnerres d’applaudissements, ces trépignements d’admiration, ces exclamations 4 tout rompre de bravos (...) Le succes d’Angelo est (...) un des succés les plus immenses
qu’ait jamais 4 consigner la Comédie Francaise *. » Les plus méchants comme la Tribune politique et litléraire affirment aigrement que « les applaudissements frénétiques d’une douzaine d’Indous adorant leur fétiche au parterre et 4 ’orchestre n’ont pu communiquer leur étincelle d’enthousiasme aux premieres galeries et aux loges ® ». Avec une amusante mauvaise foi, le Courrier des thédtres, 4 son accoutumée,
s’il met
aux nues le bon gotiit du public quand diminue !’affluence 4 Chatterton | ou a tel autre drame romantique, gémit sur la dégradation du sieécle quand les foules se précipitent 4 Angelo: « Un succés de cabale (...) sert de prétexte pour substituer une question de chiffres 4 la seule question d’art qui doive se poser a l’égard de ce moment (la Comédie Francaise >» (5 mai).
« Hier pour Angelo les loges se mouvaient, Et dans les sacs - Vedel” en écus se rangeaient. Bon
Moliére,
aujourd’hui
le méchant
| autrement peur. Les Pradons
godt
du
siécle
sont des aigles » (7 mai) —
te ferait
bien
« (a la Comé-
die Francaise) on y disait des vers, on y remplit des sacs » (10 mai). Et de moquer « |’Hugoldtrie dont la Comédie Francaise retire... des avantages pécuniaires. Nous n’en supposons pas d’autres » (16 mai).
Indiscutablement, c’est un succés financier. Jouslin ne peut pas se plaindre. Si pour le drame romantique Chatterton est un succés d’estime, des Ja quatorziéme représentation, le chiffre des recettes commence a tomber au-dessous des frais“. En revanche, quand Jouslin arréte Angelo le 20 juillet, la piéce n’est tombée qu’une fois, et accidentellement au-dessous des frais, alors qu’on en est 4 la trente-sixiéme représentation ”. Certes l’indisposition de Mlle Mars et son congé sont le prétexte officiel, mais le directeur ne peut faire état de recettes trop faibles.
ae hee tae Notons
loges aux ;
!
as Le style cet article
la distinction
barbares
70. Vedel directeur.
était
sociale
du parterre.
alors
que
le caissier
est plaisant !
fait ici la Tribune, de la Comédie
opposant
Francaise
avant
le bon
got
d’en
devenir
71. Le 12 mars, 1236 f. ; les frais s’élévent 4 1300 ou 1400 F. 72. Le 20 juillet, la recette est encore de 1 648 F. Voir infra les didensdiods les chiffres lors du proces de 1837.
des le
sur
276
LE ROI ET LE BOUFFON
Le compromis.
Angelo se présente comme un drame romantique de la passion ou | Vhistoire n’apporte qu’un < climat » et nous avons vu Victor Hugo se | donner pour modéles Roméo et Juliette ou Othello, drames de la pas- — sion. L’ceuvre se veut classique par la sobriété relative, le resserrement dans le temps, le petit nombre de personnages — élément capital d’une dramaturgie classique — bref, la concentration. Le monde extérieur y — joue peu de rdéle, et comme dans Hernani, Lucréce Borgia, plus tard ~ Ruy Blas et les Burgraves, il tient de moins en moins de place, du début jusqu’a cette fin ot les personnages se trouvent enfermés A deux, a trois dans un espace restreint, sans communication avec Vextérieur: les acteurs du monde politique, tels Homodei, agent du Conseil des Dix, et méme le tyran Angelo disparaissent progressivement de la scéne ®, | Le drame se réduit a une tragédie passionnelle 4 cing, a quatre, puis a_ trois personnages. Mais subsiste aussi Varsenal du mélo, dont Charles — Maurice fait l’énumération ironique %, et surtout cette fausse mort et ce sera meurtre-suicide dont aucune justification « vraisemblable » me jamais donnée. L’aspect « mélo » de la piece est d’autant plus visible que les grands développements historiques, la dramaturgie baroque ont été davantage escamotés. Subsistent aussi les lignes de force du drame de Hugo. Le trait principal d’Angelo — par quoi il annonce Ruy Blas — c’est apres Lucréce et Marie Tudor le retour au premier plan du personnage grod’une tesque, sous une forme atténuée, édulcorée, celle d’une femme, et
jeune et jolie femme, personnage essentiel du drame; certes elle ne ressemble pas a Triboulet, mais posséde les caractéristiques du grotesque : elle est déconsidérée, méprisée, elle est comédienne, plus défiencore, enfant de la balle, née dans ce monde du théatre lié par mais nition au grotesque”™ Sa revanche sur humiliation est totale,
la autodestructrice : en ce sens, annonciatrice de Ruy Blas. Comme est plupart des grotesques, elle se retrouve liée au pouvoir dont elle indiquée Pinstrument ou le jouet ; destinée au plaisir d’Angelo, elle est des donner de permet me On « grands: les amuse comme celle qui fétes aux
sénateurs,
je tache
d’amuser
notre
maitre...”°
» ; bref; une
sorte de bouffon femelle..., une « fille de joie” ». Elle ne fait pas rire, ou mais Triboulet non plus ne fait pas rire. Plus heureuse que VAngély le par aime, elle qui veut, elle qui sauver 4 parvient Triboulet, elle sacrifice de soi. par les admi73. Cette disparition prématurée du tyran était discutée méme lettre inédite de rateurs « inconditionnels » de Hugo; c’est ce qui ressort d’une « je me vois Hugo a expliqué avoir Gaspard de Pons A Hugo (4 mai 1835) ; aprés de Padoue le precontraint de vous avouer que je n’avais pas bien jugé le tyran : « (...) ajoute d’usage, mier jour », Gaspard de Pons, au milieu des compliments cela tenait. Bien j’ai interrogé ma conscience et je crois avoir découvert a quoi vous pour assez pas qu’un peu classique, comme vous savez, je ne le suis pourtant le dernier acte, et de faire un reproche de n’avoir plus fait reparaitre Angelo dans que reconnu a Racine ne nous avoir méme pas dit ce qu’il devient; mais ainsi
son Athalie aurait df étre intitulée Joas, je crois que vous
qui
que dans les régles, fait cependant d’appeler votre — yous souciez fort peu des régles, vous auriez bien copié par nous, piéce la Tisbé (...) » Document Sheila Gaudon, 74. Voir infra, p. 278. du Jocrisse. 75 Cf. plus haut I, Marion de Lorme, et p. 96, notre analyse 76. Angelo, I, 1. O.C., V, 272. 77. Id., Ill, 3 ; 3, ibid., 339.
ANGELO
277
A coté delle, un autre grotesque, Homodei™, avec ses stupides | acolytes, représente un aspect différent du grotesque, un attribut particulier : au-dela de ’apparence de « folie » ou de « stupidité™® » ila la malfaisance, il est instrument du diable autant qu’ « homme de Dieu » | (Homodei), il est le méprisé qui se venge, et fort intéressant sur ce
| point dans la mesure ow il amorce un schéma riche de développements | ultérieurs (Ruy Blas) : celui de l’esclave qui met la main sur l’épaule | de son maitre et lui dit de le suivre ®. En fait, ici, Homodei
ne dit rien
_de pareil 4 personne, le schéma esquissé avorte, comme avorte du | méme coup le theme du puissant hugolien, du malheur de la tyrannie et de cet échange d’angoisse et de terreur qui nourrit |’admirable tirade WAngelo : « Souvent Ja nuit je me dresse sur mon séant, j’écoute et jentends des pas dans mon mur. Voild sous quelle pression je vis, eLisbé ©, > | En face du trio grotesques-tyran, Tisbé-Homodei-Angelo, le couple des amoureux apparait classiquement hugolien : l’exilé en rupture de ban, marqué par une fatalité familiale (« nous tuons qui nous aime ® >),
et la femime opprimée, figurant jusqu’a l’excés l’antithese hugolienne de Vhéroisme pour V’amour® et de la terreur panique devant la mort ™. Mais la suppression de l’acte du bouge d’Homodei déséquilibre la piece en mettant l’accent justement sur Je couple d’amoureux au détriment de cette plongée dans les bas-fonds du mal individuel et social. L’aspect de tragédie du mal, rachetée par le sacrifice volontaire du plus faible et du plus opprimé n’est plus mis en lumiére ; et surtout ]’édulcoration du style, cette prose un peu pédestre, tantot ferme et dense, tantot pathétique et bavarde, faite pour étre entendue, prive l’ceuvre de Vintensité baroque qui était sans doute sa condition méme. Nous n’irons pas jusqu’a dire que Hugo commet ici son drame « justemilieu ». Mais c’est la qu’il va le plus loin dans la voie des concessions. -L’admirable schéma, la puissance du personnage central méritaient mieux, et la clairvoyance de Lamartine ne s’y trompait pas ®.
ANGELO
ET LA PRESSE
La critique se répete.
Le ton de la presse n’a ni l’Apreté qui accueillit la premiére représentation de Marie Tudor et l’échec retentissant de Juliette, ni la hauteur et la violence des critiques de Ruy Blas. Si Yon continue a 78. Voir p. 280 l’analyse par Granier de Cassagnac, analyse trés fine et probablement inspirée par Hugo, de ce type de grotesque, le bouffon de Dieu. 79. « Un
idiot
». Angelo,
80. « Oh ! magnifique demain
apparaitre
I, 1. 0.C., V, 275.
podestat
subitement
dans
que
ma
je suis, je ne suis pas sfir de ne pas voir chambre
un
misérable
sbire
de le suivre et qui ne sera qu’un misérable sbire, et que je suivrai. Cf. Ruy Blas, éd. crit. I, p. 28-29. ’ 81, Ibid., 276. 82. Id., I, 5, 283. 83, Sommée de livrer son amant elle répond : « Je n’y ai pas ment un instant. » 84, Angelo, IIf, 2, 4 et 5. 85. Voir la lettre de Lamartine. 0.C., V, 1063.
qui
me
dira
» Ibid., 277.
pensé
seule-
278
LE ROI ET LE BOUFFON
attaquer Hugo, s’il n’y a pas de tréve dans la condamnation du drame romantique, les accusations se font cependant plus molles, la conyiction moins tranchante. Le succés populaire édulcore les réactions de la presse. Cependant, nous retrouvons les mémes accusations, et les deux principales sont le caractére mélodramatique du texte d’une part et de l’autre, son manque d’originalité. Charles Maurice regroupe les reproches avec une particuliére violence. Dés le 29 avril, Angelo est qualifié de fait de littérature incroyabie. Le lendemain, 30 avril, il se lance dans une grande analyse de fond chargée de montrer les rapports entre le mélodrame et ce qu’il appelle le drame actuel, c’est-a-dire le drame romantique. Aprés avoir rappelé : « Chénier a dit que le mélodrame tuerait la tragédie » aprés avoir montré les « secours » que le mélodrame apporte au théatre, « depuis la musique jusqu’au coup de théatre, aux invraisemblances qui ménent si rapidement l’action, 4 toute la pompe dont il lui est permis de l’environner », Charles Maurice fait ! analyse de la tentative
romantique : les créateurs du drame romantique, qui avaient « de l’audace, une grande soif de parvenir, une verve toute neuve et quelques tournures de style qui visaient 4 l’innovation.., heurtérent du talon de leurs bottes moyenageuses ces ceuvres informes (les mélodrames)... On sait ce que cette secte a produit et pour juger a quel point il en est, -il faut aller voir Angelo, tyran de Padoue ». L’article suivant attaque encore l’aspect « méiodrame » de la piéce: « C’est pour le fond le mélodrame des anciens jours avec Venise, souterrains, Conseil des Dix, fiole de poison, portes dérobées, homme mystérieux, boite 4 deux fins, petit.couteau, clé dorée, apparitions, quiproquos, billets doux, narcotique, balcon sur le fleuve, manteau oublié, oratoire, crucifix de ma mére, tyran, concubine, niais, bourreaux, imprécations, chaise de
poste, assassinat, priéres, morte vivante, crime puni, tour de passepasse, et dénouement absurdissime. » Cette riche énumération a le mérite d’étre exhaustive. Mais c’est surtout le poison qui taquine la plupart des journalistes. L’Artiste ® se plaint, comme Mlle Mars : « De quel droit abuser ainsi du poison? Autrefois, on servait le poison dramatique
en
coupe,
aujourd’hui,
on le sert en fiole. Que dis-je, en
fiole, en cruche ! » La Chronique de Paris (3 mai 1835) regrette aussi la monotonie du procédé: « du poison dans de petites fioles, des poignards dans de longues gaines * ».
De méme, Charles Maurice Voeuvre. Il énumére les drames cite la Nonne
sanglante,
Amy
Y
se plaint du manque d’originalité de auxquels Angelo peut faire penser et Robsart,
le Médecin
de Son
Honneur,
la Tour de Nesle et Henri II] ®, 11 généralise en affirmant « que les plagiats effrontés sont mis en ceuvre avec tout ce que l’enfance de l’art a de plus pauvre dans la conception, de plus informe dans les caractéres... >. 86. L’Artiste, vol. 9, 1835, p. 203. 87. Sur le poison, figure contemporaine de la violence cachée, de la destruction occulte, v. Ile partie, chap. Une Dramaturgie de l’objet ; sur le poison chez Hugo, vy. M.
Butor.
N.R.F.,
décembre
1964, Le
thédtre
de Hugo,
I.
F
En tout cas, Mars, selon le V.H.R., continue ses manceuvres d’obstruction et m’hésite pas a s’appuyer su~ des considérations « littéraires », réclamant des coupures, ou protestant contre Vabus des morts par le poison. V.H.R., CL, V, 1384, Peine perdue. Hugo ne céde pas. ‘ 88. Il faut beaucoup de bonne volonté pour trouver le moindre rapport entre ces ouvrages et Angelo, A l’exception peut-étre du théme de la jalousie dans le Médecin de Son Honneur. Quant a la Nonne sanglante (17 février), elle est postérieure a la rédaction d’Angelo.
ANGELO
279
Quant a la Revue de France®, elle renvoie Hugo pable
du
moindre
renouvellement:
« Didier
4 Hugo comme ressemble
inca-
4 Gennaro,
Gennaro 4 Rodolfo ; il n’est pas permis de s’y tromper. » La Chronique de Paris
(3 mai)
insiste
sont toujours mémes
sur la monotonie
du
drame
ressorts. » On accuse Hugo
hugolien : « Ce
de ne voir Vhistoire
que comme un décor pittoresque. Planche dans la Revue des Deux Mondes rappelle que « la décoration, le costume sont le seul code qu'il respecte. Pourvu qu’il ait 4 sa disposition une salle gothique, et une demi-douzaine de pourpoints brodés, il.raméne 4 tout propos son éternelle antithése de la passion dans le vice ». Notons qu’ici le caractére « extérieur » de-l’ceuvre se trouve directement lié 4 sa monotonie. Un reproche moins convenu — plus juste aussi sans doute — c’est celui que l’Artiste® adresse 4 Hugo : Angelo « est une piéce a six ou sept personnages ou chacun joue son role de son cété, sans s’inquiéter de son voisin. » C’est voir la solitude des personnages hugoliens et la difficulté de leurs échanges. Quant au National, par la voix relativement modérée, cette fois, de Rolle, c’est le style qu’il attaque: « Le
style est un composé de pathos et de puérilité, de déclamation sonore et d’énumérations redondantes... Dans aucun de ses drames, M. Hugo n’avait parlé une langue plus triviale, plus tudesque et plus recherchée, plus pompeuse et plus vaine » (2 mai 1835). La Chronique de Paris, légitimiste, journal de Balzac, fait des réserves
sur la force du dialo-
gue: « Toujours un dialogue ou un personnage parole quand une fois il la tient. »
ne peut plus lacher la
Deux voix cependant s’élévent pour défendre Hugo et son dernier drame. L’une est celle de Granier de Cassagnac dont nous savons avec quelle verve éhontée il a attaqué Dumas en novembre 1833. Son article publié par fa Revue de Paris est long, trés sérieux, et si totalement thuriféraire qu’il donne impression d’une tache commandée. S’il défend Hugo du reproche de mélo et s’il tente de justifier Vutilisation des clés, portes et fenétres, i] s’attache surtout 4 montrer
dans Angelo une sorte
de drame historique sans histoire ot: la couleur domine la vérité des faits: « Faisons remarquer que M. Victor Hugo ne met jamais au théatre de Vhistoire réelle, mais de l’histoire possible ; il prend deux ou trois noms propres et il s’en sert comme d’un point d’appui pour y rattacher toute la charpente de son drame. I n’y a de réel dans celui-ci que le nom d’Angelo et celui de Catarina (...) Mais (...) si le public était
plus instruit ou plus juste, s’il voulait ou s’il pouvait tenter une partie de ce travail historique qui est si difficile, si intéressant et si beau et qui a pour but de raconter des annales des peuples, ce que les annalistes ne racontérent jamais, 4 savoir les détails intimes, les choses
ques et morales, il verrait combien c’est une évocation reuse, réelle, que celle que M. Victor Hugo poursuit, société du Moyen Age. » Ces propos paraissent inspirés méme de Hugo, qui se défend peu de mois plus tard dans
domesti-
vraie, rigoude la vieille de la pensée sa réponse a
un Italien “™ de faire le moindre drame historique. Granier de Cassagnac, presque seul dans la presse,
s’efforce
89. Mai 1835, p. 54. 90. Vol. 9, 1835, p. 172. 91. Une lettre de Carlo Leoni, qui se trouve A la Maison VY. Hugo, -réclame au poéte les sources et les indications précises dont il s’est servi pour son drame padouan et Hugo affirme dans sa réponse la non-historicité de son drame.
280
LE ROI
ET LE BOUFFON
d@éclairer et de justifier le personnage
grotesque
dans Angelo
et son
explication est assez forte : « Gubetta dans Lucréce, le Juif dans Marie
Tudor, Homodei
dans Angelo, sont trois personnages
subalternes,
des
valets, des riens, qui dominent pourtant de cent coudées les hauts sei-
gneurs ’
devant
lesquels
ils s’agenouillent
comédie, Frontin et Sganarelle dominent
(...) comme
dans
la vieille
leur maitre : c’est tour a tour
la malice, l’esprit, la ruse, Vintelligence, c’est encore et par-dessus tout la Fatalité, la Providence.
C’est !Homme
de Dieu, Omodei. »
Gautier.
L’article de Théophile Gautier dans le Monde dramatique (5 juillet) est ’'un des plus intéressants qui aient jamais été consacrés au drame romantique. Il débute par un regret, celui de Ja disparition non seulement de la poésie mais du lyrisme dans ce drame en prose : « La cause de la réussite compléte d’Angelo est absence de lyrisme. Cela est honteux 4 dire de notre public, mais cela est ainsi. Une autre cause de succes, aussi triste celle-la, c’est qu’Angelo est en prose. M. Hugo ayant décidé de marcher et non de voler pour que le parterre ne le perde pas de vue, a prudemment serré ses talonniéres dans son tiroir. » Gautier insiste, et c’est un compliment mitigé, sur le caractére de drame de situation d’Angelo: « Angelo est un drame dont le tragique ressort _plutét du choc des situations que du développement d’une passion premiére. Il est de la famille de Cymbeline, de Mesure pour Mesure et Troilus et Cressida ; ces piéces romanesques de Shakespeare qui reposent sur des aventures et non sur des généralités, sont le seul drame possible dans une civilisation aussi occupée que la notre (...) Le drame de passion, la comédie de mceurs, aujourd’hui qu’il n’y a plus ni passions ni mceurs, ne peuvent intéresser ni amuser personne. » IJ est trés remarquable, et c’est l’idée centrale de l’article, que les reproches plus ou moins directs que Gautier fait 4 Hugo retombent bien plus sur le public que sur l’auteur dramatique ; c’est le rapport de l’ceuvre et du
spectateur qui est mis en question : point capital. Gautier comprend le réle joué par les conditions matérielles et par la perspective du public, et en particulier du public de la Comédie Francaise dans V’élaboration de l’ceuvre. Gautier, lui, 4 ’opposé de Granier, met l’accent sur l’onirique, le fantastique et le passage de l’histoire a l’imaginaire ; les personnages sont personnages de jeu de cartes : M. Hugo ne prend de Vhistoire que les noms des temps, que les couleurs générales (...) Peut-étre ferait-il mieux encore de ne pas mettre de nom du tout et d’appeler ses personnages le Duc, la Reine,
la Princesse
pour ma part les vieux noms
et ainsi de suite. J’aimerais
consacrés
autant
de Sylvio, de Léandre,
de Perside, de Graciosa (...) (La qualité essentielle du drame lui parait étre la) ténébreuse terreur, (une terreur) architecturale,
si l’on peut s’exprimer de la sorte. Le palais d’Angelo est une construction aussi effroyablement mystérieuse que le chateau d’Udolphe. Il a un autre palais inconnu a qui il sert de boite extérieure et dont il n’est que l’enveloppe. Et l’habit pailleté de la Rosemonde n’est autre chose que le suaire oublié par un fantome (...)
ANGELO
281
Cet élément de terreur fantastique devrait se doubler d’un élément grotesque et sur ce point, Gautier renvoie encore au public la respon-
sabilité de l’édulcoration du grotesque : « Dans la piéce imprimée, on retrouve heureusement beaucoup de détails qui ne sont pas dans la piéce jouée dans la représentation. Une scene (...) retranchée toute entiére (...) se passait dans une espéce de coupe-gorge et d’hdtellerie douteuse pour laquelle on a craint la susceptibilité trop chatouilleuse des loges du Théatre Francais (...) Je ne suis pas de ceux qui croient qu’une pensée peut étre 6tée impunément d’une ceuvre quelconque. » Et Gautier, marquant les responsabilités, signale ces « boucles de cheveux qui voltigent trop sauvagement pour étre du goat des bourgeois bien gras et bien cravatés de la bonne ville de Paris ». En définitive, la lutte n’a pas été chaude. On n’a guére attaqué la piéce d’Angelo sur le terrain de la morale, a l’exception de la Chronique de Paris, qui ironise sur le personnage de Catarina: « Elle a
des devoirs d’épouse 4 remplir, c’est vrai, mais son coeur de femme est au-dessus de ces vains préjugés qui pressent le monde civilisé sous leur joug social ; le mariage, voyez-vous, c’est une institution contre-nature, que l’amour réprouve et qui n’est bonne qu’a torturer les coeurs : c’est ce qu’a trés bien prouvé M. Hugo, et avant lui, surtout Mme Dudevant, auteur
de Valentine,
de Jacques
et autres
chefs-d’ceuvre
moraux™.
»
Une curieuse lettre de Louise Bertin 4 Mme Hugo nous donne une idée du climat de la presse, en méme temps qu’elle nous explique pour-
quoi, malgré l’amitié des Bertin pour Hugo, les Débats cette fois n’ont pas soutenu le poete : Vous savez sans doute qu’il avait été convenu entre M. Hugo et Armand ™® que M. Janin s’étant déclarée depuis peu classique fervent et guerroyant, on ne lui demanderait que quelques lignes sur Angelo au commencement de son feuilleton. Cela fut fait comme le désirait M. Hugo, mais il y a eu dimanche huit jours, en montant en voiture pour se rendre 4 Fontainebleau,
M, Janin envoya un article entier. Lequel article, étant désagréable de tous points pour M. Hugo, fut supprimé, quoique cela contraria (sic) beaucoup les évolutions du journal des débats, ie doit produire un janin tous les lundis. On comptait faire le imanche d’apreés ce qui avait été d’abord convenu, mais depuis son retour on n’a pas entendu parler de M. Janin. Nous savons seulement qu’il se pose en victime, et qu’il parle méme de quitter le journal. Vous avez di voir en effet, Madame, qu’hier encore Vabonné a été pour la 2° fois privé de son feuilleton. Je désire surtout que M. Hugo sache que tous, nous avons fait ce qu’il était en notre pouvoir pour lui étre agréable et qu’un moment d@’humeur inexplicable a déjoué nos projets ™. On voit que méme les tout-puissants Bertin ne l’étaient pas assez pour imposer une critique favorable au drame hugolien dans leur propre journal. Ce simple fait permet de mesurer les résistances que rencontrait l’ceuvre théatrale de Hugo.
92. Article cité. 93, Armand Bertin, co-directeur des Débats. 94, Lettre inédite — Maison Victor Hugo — probablement en mai 1835.
‘ sans
date,
mais
écrite
plus
que
LE CONFLIT AVEC LA COMEDIE FRANCAISE PREMIERS DEMELES Angelo et Don Juan d’Autriche. « Nouveaux dialogues des Morts — M. Scribe, M. Delavigne. >
0.C. Ul, p. 975.
ll est clair, dés le début des représentations d’Angelo, et méme dés Je début des répétitions, que le climat n’est pas celui de la détente ni de ia bonne volonté.
Une
certaine tension se fait sentir, méme
entre
Hugo et ce Jouslin de Lassalle qui parait relativement favorable et que
le Courrier des thédtres, entre autres, accuse de vouloir ruiner la gran-
deur du Théatre Francais en comme Chatterton et Angelo. Le 29 mars
1835, Jouslin
y montant
de
mélodrames
mauvais
se croit obligé, dans une
lettre, de s’ex-
cuser de n’avoir pas répété Angelo!: évidemment, il a essuyé les reproches de Hugo. Mais la correspondance entre le poéte et Jouslin reste courtoise tant que la piéce suit son cours ?. C’est en 1836 que les choses paraissent se gater. Angelo a été interrompu le 20 juillet 1835 4 la trente-sixiéme représentation qui fait Or, en 1836, la reprise encore 1 648 F, ce qui est largement bénéficiaire. d’Angelo n’intervient que le 26 mars. Il faut dire que la Comédie est toute occupée et toute éberluée du triomphe de auteur « juste-milieu >, Vinusable Casimir Delavigne, dont le Don Juan d’Autriche atteint des recettes auxquelles méme Angelo ne I’a pas habituée*. Cette piéce, sorte d’Hernani adouci ‘, marque la limite de l’audace des acteurs et des spectateurs : Casimir Delavigne prenant au « drame 1. Manuscrit Nafr 13406, f° 12-13. 8) 2. Letires de Jcuslin A Hugo du 4 et du 6 mai,
du
5 juin 1835
(id. ffos 23, 25,
28).
3. Toute une série de représentations A 4000 F et plus; la piéce ne tombe au-dessous de 3000 qu’A la trenti¢éme représentation, mais se reléve bientdt. En novembre 1836 (la premiére a eu lieu le 19 octobre 1835), les recettes de Don Juan d’Autriche sont encore trés honorables. 4, Leeuvre, d’ailleurs intéressante et bicn faite, est, comme Angelo, en prose. Elle utilise les themes habituels au drame romantique du conflit entre fréres, de la créature pure et éthérée poursuivie par Vamour du tyran et reprend a Hernani Varbitrage de l’Empereur Charles Quint sorti tout exprés de son couvent pour régler
le conflit entre Philippe II et son frére naturel. Mais tous les conflits sont escamotés et le dénouement conformiste et optimiste montre la défaite de amour (la jeune personne juive ne saurait épouser un prince d’Espagne) et Veuphorie de la ‘ réconciliation fraternelle.
LE CONFLIT
AVEC
LA COMEDIE
FRANGAISE
283
actuel » tout ce qui lui paraissait décent, présente aux foules un romantisme aseptique et sans danger. Mais cela ne fait pas le compte de Hugo. il réclame une reprise d’Angelo, dont la date n’est pas stipulée dans le traité, mais qui apparaitrait logique, la recette de la derniére représentation de 1835 ayant été encore supérieure aux frais. Mars, qui ne veut plus jouer la Tisbé', est remplacée par Dorval et c’est Mile Volnys qui joue Catarina. Sans gloire, semble-t-il, elle n’avait guére de talent et singeait Dorval. Quand Mars était la Tisbé, le spectacle s’animait par le conflit de deux actrices si profondément différentes. Si l'une n’était plus que le pauvre décalque de l’autre, Dorval jouait seule et l’équilibre était rompu. Les dix représentations de 1836 ° furent sans éclat, mais les résultats financiers étaient encore honorables. Cependant, a la dixiéme représentation qui fit seulement 1135 F, Jouslin arréta les frais. Nous avons une lettre du méme datée simplement ce 30, qui est évidemment de 18367 et qui s’excuse : « Ce n’est point ma faute si la piéce n’a point été donnée ; Mesdames Dorval et Volnys étant dans l’impossibilité de jouer *®. » Quant 4 l’arrét des représentations, Jouslin se défend d’en étre responsable : a la veille de la derniére représentation, le 17 mai 1836, il écrit 4 Hugo : « Mon ami, vous me connaissez bien peu pour supposer que je ne cherche pas a vous étre agréable ou plutot que j’emploie des moyens détournés pour ne pas jouer votre piéce; — non; c’est Mad. Dorval qui a arrété la piéce par sa maladie ; et javais fait rester Beauvallet 4 Paris malgré l’ordre du médecin... Mais pour vous prouver mon désir de vous étre agréable, j’ai mis et annoncé Angelo pour jeudi et reculé une premiére représentation 4 samedi®. » Il y a pire. La reprise d’Hernani, stipulée dans le contrat, devait intervenir dans les six mois 4 compter du 10 avril 1835. Nous sommes loin du compte et Hugo, dans une lettre que nous ne possédons pas, proteste apparemment contre le manque de parole de la Comédie Francaise. Jouslin donne dans sa réponse 4 Hugo, non sans cynisme, et avec une espéce d’honnéteté, la vraie raison de sa mauvaise volonté : c’est le succés de Don Juan d’Autriche: « ... Pensez-vous que Firmin puisse jouer deux rdles comme Hernani et Don Juan, cette derniére piéce nous fait toujours de 2500 a 3000. Vous étes trop raisonnable pour vouloir que je perde des représentations suivies ™. » La fatigue de Firmin n’est pas la seule raison du refus de Jouslin : en fait, on ne peut pas jouer cote a céte Hernani et Don Juan d’Autriche : on verrait trop ce que la seconde piéce doit 4 la premiére et surtout Ja paleur de ce décalque. Mais Marion de Lorme, dont la reprise, ou plutét la création 4 la Comédie, a été elle aussi promise par contrat, que devient-elle ? [1 est
5. « Il faut pour jouer Tisbé, de la véhémence,
de la force, et c’est précisément
ce que je redoute, pour le moment du moins ; je trouve done tout simple, Monsieur, qu’Angelo, qui a eu un si beau succés ne soit pas plus longtemps éloigné de la scéne, et moi-méme, je vous engage A me remplacer dans le réle de Ja Tisbé... » G. Simon, Revue hebdomadaire, janvier 1922. 6. Les
26, 28 et 31 mars,
5, 14, 16, 20 et 24
avril,
2,19
mai.
7. A partir de janvier 1837, Jouslin est remplacé par Védel. 8. Cette lettre date probablement du 30 mars : on ne joue pas Angelo la veille et le lendemain, lundi 31 mars, la Comédie Francaise donne bien Angelo; « on onal eae Feil Seeon lundi..., je donnerai Angelo » Ms. 13406, ffos $1.32.
. Lbid., f° 38. 10. Ms. 13406, ffos 33-34, Remarquons qu’apparemment, d’aprés cette lettre, Hugo that tat pour la reprise d’Angelo ; A la date du ier février, cette reprise est juste envisagée,
284
LE ROI
ET LE BOUFFON
possible (nous en sommes réduits aux conjectures) que Yon n’ait pas eu envie de donner a Dorval un réle qui lui permit d’éclipser les autres
maintenant Marion, c’en est
astres de la Comédie. Kitty Bell, Catarina,
trop. Aprés quoi, Dorval est malade, et puis elle part en tournée. En 1836, le cas de Marion est encore plus difficile 4 régler que celui d’Hernani. Hugo ne semble pas avoir trop tourmenté la Comédie en 1836 pour cette reprise. Cependant, le contrat n’est nullement remis en question. Une’ lettre de Jouslin en fait foi, renouvelant 4 Hugo des assurances catégoriques : Mon
ami, je vous
renouvelle
par écrit
assurance
verbale
que je vous ai donnée, que notre traité relativement a la représentation de vos ouvrages, sera exécuté cette année et que les dix représentations consenties par ce traité seront données dans le de l’année, puisqu’elles n’ont pu avoir lieu l'année dercourant. niere,
Vous pouvez étre tranquille 4 cet égard, je n’éluderai jamais un traité et je le remplirai toujours avec plaisir avec vous, puisqu’il pourra vous engager 4 nous donner de nouveaux ouvrages et que ce sera une nouvelle occasion de répondre 4 votre amitié et de vous prouver ainsi la mienne. A vous. J.L. Ce 18 mars 1836 *.
Cette lettre, sans ambiguité, justifie A elle seule le proces que fit Hugo a la Comédie Francaise et le gain dudit proces. En fait, pendant Yannée 1836, il n’y eut pas une représentation d’Hernani et de Marion et, nous venons de le voir, seulement dix représentations d’Angelo.
Védel.
En 1837, la situation s’aggrave. Il n’est pas de. notre propos de conter ici par le menu J’intrigue qui conduisit au remplacement de Jouslin par Védel®, mais il est certain que la faveur (relative mais indéniable) que Jouslin offrait au drame romantique ne fut pas étrangére A son exil. Certes, le prétexte n’avait pas de rapport direct avec le choix des programmes, puisque c’était sa mauvaise gestion financiere réelle ou prétendue qui mettait Jouslin en difficulté. Mais on ne peut: oublier l’éternel grief, celui qui tomba sur Taylor avant d’accabler Jouslin et que le terrible Charles Maurice ne se lasse jamais d’agiter : ces messieurs montent des drames romantiques ; le drame romantique, cela cotite cher ; les romantiques ont des exigences de couleur historique : le péplum ne Jeur suffit pas, il leur faut de la soie, du velours, des escaliers, La somptueuse robe de chambre de Francois I* avait ruiné la Comédie en 1832 ! Or, ce qui est ainsi follement prodigué 4 de monstrueuses mises en scéne, c’est l’argent des contribuables. Par ce biais, la mauvaise gestion financiére de Jouslin est mise sur le compte
du drame romantique. Avec une parfaite mauvaise foi. Hugo et son avocat Paillard de Villeneuve n’auront pas beaucoup de mal A le montrer ; le moindre coup d’cil sur les registres de la Comédie Frangaise confirme au-dela de toute espérance la thése de Hugo: mis a part le ;
11. Ms. 13406, fo 36.
42. Jouslin est remercié le 29 janvier 1837. Le décret annulant sa nomination est du 31 janvier (Arch. Nat. F 21 1078), transmis pour am liation le 28 février, n’interet la nomination de Védel comme vient que le ler mars (ibid.).
directeur-gérant
de la Comédie
Francaise
LE CONFLIT
AVEC LA COMEDIE
FRANCAISE
285
succés de Don Juan d’Autriche, geai paré des plumes du paon, aucune représentation ne fait ses frais. Les recettes de 300 F, 400 F sont monnaie courante ™; les piéces classiques n’attirent pas plus de monde que les nouveautés: il faut le charme finissant de Mlle Mars et ce mélange émouvant de perfection et de déclin pour exciter les spectateurs : encore s’agit-il de Parisiens désireux de montrer a leurs couSins de province
l’inusable
merveille.
En
fait, le drame
romantique,
Chatterton et surtout Angelo ont relevé le prestige de la Comédie Francaise. La plus élémentaire honnéteté interdit de considérer que le drame ruine la Comédie. Alors ? La censure
littéraire.
Alors, ce que Hugo appelle la « censure littéraire » semble bien n’étre pas une vue de l’esprit. Le temps est fini ou les libéraux attaquaient avec une violence particuliere le drame de Hugo. A présent, c’est toute la presse qui fait chorus. Et Charles Maurice parait le reflet de opinion ; il serait intéressant de le voir tout au long par exemple du premier trimestre 1835 attaquer jour apres jour le drame romantique, écrasant
Chatterton
sous une
douzaine
d’articles et d’entrefilets,
opposant inlassablement le drame « actuel », mélodrame honteux, au pur mélo sans mélange, franc comme Vor, brillant comme un sou, la merveilleuse Nonne sanglante de la Porte Saint-Martin, ot les foules se pament au spectacle de Mlle Georges, étalant sur un divan ses puissants appas endiamantés “, Méme les faits divers sont l’occasion d’une attaque contre le drame romantique : une petite prostituée vole un couvert en argent et son amant, fils de famille, jeune écrivain dont l’éditeur a fait faillite, la défend courageusement : « Son corps est 4 son ignoble état, son Ame est 4 moi... Henriette sera toujours pour moi la plus chaste des compagnes. » Et Charles Maurice de se déchainer : Le drame romantique est responsable, un bon jeune homme s’est laissé pervertir par une littérature obscéne et dangereuse. Evidemment, le héros de cette comédie sans mceurs a pris pour modéle tout ce que nous avons vu se trainer sur la scéne au gré des romantiques.
Sans eux, il ne serait pas la et cette fille, A la
fois publique et voleuse, dont on veut faire un objet de compassion, n’aurait point altéré les facultés d’un malheureux intéressant encore dans un abime d’abjection ©.
On voudrait que Hugo, chose probable d’ailleurs, ait lu cette histoire et son commentaire. C’est la condamnalion sociale du drame romantique, instrument de révolte contre les bonnes meoeurs, de « contestation » sociale 1%
De 1835 4 1838, Charles Maurice méne une guerre d’usure contre les drames de Hugo et leur présence 4 la Comédie Francaise, et plus encore, contre toute idée d’une reprise des drames anciens. L’un des articles les plus clairs est celui du 27 mars 1835: « On dit (...) que la
13. Voir les registres de la Comédie (Bibliothéque du Théatre Frangais). 14. Courrier des thédtres, 18 février 1835. V supra, p. 396. La piéce est d’Anicet Bourgeois, jouée le 17 février 1835. E 15
Courrier
des
thédtres,
16. Voir plus haut
15 mars
la campagne
1835.
de l’Echo
de la Jeune
France
(été 1833).
286
LE ROI ET LE BOUFFON
Comédie
Francaise songe 4 reprendre Hernani, dont ses planches n’auraient jamais di étre touchées et 4 s’emparer des débris de Marion de Lorme éparpillés dans le vieux fonds de boutique de la Porte Saint-Martin. D’abord, et régle générale, jamais reprise n’a fait dargent. > Il ne faudrait pas que les romantiques, ces pelés, ces galeux s’imaginent qu’ils ont un droit quelconque 4 figurer sur la scéne d’un théatre subventionné. Charles Maurice espére : « que les romantiques n’ont été admis 4 la Comédie Francaise qu’en qualité de serviteurs trop heureux d’étre recus dans la famille” >. Jusqu’en 1838, le Courrier des Thédtres accueille de cris et de points d’exclamation l’annonce vraie ou fausse de toute reprise d’un drame hugolien. Censure littéraire donc, et Hugo n’a pas tort, mais dont les arrierepensées politiques ou, plus exactement, idéologiques, sont manifestes. Les adversaires du drame romantique
se retrouvent d’accord, libéraux,
ultras et méme gouvernementaux, quelles que soient leurs divergences politiques, parce que cette question prétendiment littéraire, fait l’objet d’un présupposé sur lequel ils sont fondamentalement du méme avis. Le monarchiste Balzac et le libéral Sainte-Beuve abominent également et de Ja méme maniére le « mauvais goiit » littéraire et Voutrage aux délicates pudeurs de la morale et des convenances ¥*. Si Charles Maurice embouche la trompette la plus sonore et fait au gouvernement ]’appel le moins déguisé”, le reste de la presse et l’ensem-
ble de Vopinion suivent. Si Jouslin céde 4 la pression, Védel ne risque pas d’étre plus brave, au contraire, sa situation étant encore moins assurée. Une lettre de Hugo A Marie Dorval de mars 1837 se plaint de l’attitude de Védel... « La catastrophe de Jouslin de Lasalle est venue 4 la traverse. Maintenant, je ne sais plus ot j’en suis. Il faut que M. Védel soit un pauvre homme, je n’ai méme pas eu sa visite. Est-ce ignorance, est-ce rusticité ? Est-ce désir de me facher ? Je ne sais, mais je hausse les épaules™. > Il suit cependant des débats du procés de Hugo contre la Comédie Francaise que Védel a renouvelé avec Hugo une convention aux termes de laquelle il devait jouer Angelo au moins dix fois dans l’année. Les reprises d’Angelo en 1837 furent au nombre de six. Le minimum™®. Pas de reprise en vue, ni pour Marion, ni pour Hernani. On comprend la fureur de Hugo. Certes il ne veut pas retourner 4 la Porte Saint-Martin. En vain Harel,
pour lallécher,
fait-il une
reprise
de Marie-Tudor
le 3 janvier
et le 24 juillet 1835 2 ? Cette invite ne donne rien. Hugo fait la sourde oreille. En vain — chose plus grave — Harel a-t-il engagé Frédérick 17. Courrier des thédtres, 4 avril 1835, 18. Voir plus loin leur jugement voisin
sur
Ruy
Blas.
'
19 Courrier des thédtres, 28 mers 1836. « Pour que le pouvoir importe qu’on Véclaire et c’est A nous d’y_procéder. »
20. Copie du fonds de la Bibliothéque 21, Deux
représentations
en
mai,
une
Lénine, en
fasse bien
(...) il
fe 96.
septembre,
deux
en
octobre,
une
en
décembre, ; 22. Encore en janvier 1838, Harel rejoue Marie Tudor et Charles Maurice prétend que c’est « pour allécher cet auteur et Vengager A lui donner son nouvel ouvrage ». .1 affirme méme (préche-t-il le faux pour aider Harel a vaincre Jes’ résistances de Hugo ?) qu’ « on annonce pour cet hiver 4 la Porte Saint-Martin un drame de M.
Hugo
»
(11 janvier
1838).
:
LE CONFLIT
AVEC
LA COMEDIE
FRANGAISE
287,
Lemaitre que Hugo admire entre tous, et il le sait (11 juillet 1835 %). Hugo est bien décidé a ne pas renouer avec Harel *.
LA CRISE Le conflit latent depuis 1835, entre Hugo et la Comédie, éclate dans Francaise s’aggrave ; on pourrait penser que ce fait conduirait la Comédie 4 accepter la production d’un auteur célébre ; c’est le contraire qui est vrai. Aucune recette ne peut combler le déficit d’un subventionné et en particulier du Théatre Francais ; situation proprement tragique : s’il joue les auteurs officiels, il ne fait pas d’argent, ou n’en fait pas assez malgré la triomphante exception du Don Juan d’Autriche ; s’il joue les oeuvres des dramaturges romantiques et en particulier de Hugo, c’est la bataille, une bataille qui rapporte mais qui lui fait encourir les représailles du pouvoir. La subvention le soutient comme la corde soutient le pendu. Depuis octobre 1836, la Commission Spéciale des Théatres Royaux tient la Comédie Francaise au bout de son fusil et Védel n’a pas fini de trembler ; de 14 en face de Hugo une attitude énergique qui n’est pas dans son caractére. D’autre part, la situation méme de Hugo par rapport au théatre s’est fortifiée : le second Théatre Francais a recu un premier privilége en novembre 1836, il en aura un second définitif le 27 septembre 1837 ; or le second Théatre Francais créé par et pour Hugo”, ne peut que lui donner une place privilégiée. De ld une double conséquence : Hugo ‘qui a moins besoin de la Comédie, raidit sa position et la Comédie qui craint que Hugo ne lui donne plus de piéce nouvelle n’a pas la moindre envie de reprendre ses anciens ouvrages. On court a la rupture. Le premier signe est l’incident Volnys du mois de juin. Le 3 juin, Védel écrit 4 Hugo que Léontine Volnys, enrouée, ne pourra jouer Angelo. Hugo saute sur sa plume et le 4 juin envoie A Védel une lettre furibonde : « Je ne m’explique pas beaucoup par quelle préférence, Mme Volnys qui jouait hier et qui jouera demain a choisi précisément ma piéce pour se reposer. » Il rappelle qu’on lui a promis cing représentations avant le départ en vacances de Volnys ; il en réclame impérieusement deux pour la semaine suivante : « Je ne crois pas étre Vété 1837. Tout d’abord, Vétat de la Comédie
23. Une
lettre suppliante
de Harel
& Hugo
(7 aofit 1845)
sollicite ce dernier
en
utilisant Vargument de Vengagement de Frédérick. 24, La dégradation de la Porte Saint-Martin ne s’est guére arrétée ; la célébre Nonne sanglunte, d’A. Bourgeois, son dernier grand suceés est un mélo d’une complication extréme, prétexte & costumes, A changements de décors, a somptueuses Mmachineries. La Porte Saint-Martin oh Von « est tombé aux exhibitions des ménageries ambulantes » et ot Von: voit le célébre éléphant Kiouny, théAtre « voué aux bétes
», n’a
plus
d’existence
.25, Le 27 octobre
dent de la Commission
1836,
littéraire.
le ministre
spéciale
Gasparin
; « Quoique
écrit
au
la situation
duc
de, Choiseul,
du’ Théatre
prési-
Francais
ait
regu de grandes améliorations depuis quatre ans, je pense qu’il reste encore a prendre des mesures importantes pour assurer la prospérité de cet établissement. ’ai décidé en conséquence que la Commission spéciale des théAtres royaux s’occuera de rechercher les modifications qu’il convient d’apporter A Vorganisation des éatres francais, ainsi que les abus qui peuveni s’étre introduits duns son °dmi‘nistration. » (Arch, Nat. F 21-1078.) Jouslin ful la premiére victime, mais-Védel a ‘sa suite passe V’année 1837 a protester contre les empiétements de la Commission. 26. Voir infra, chapitre « Thédtre de la Renaissance ».
288
LE
ROI
ET
LE
BOUFFON
excessif en priant Messieurs mes confréres, 4 qui j’abandonne d’ordinaire toute l’année, de me concéder deux jours de cette semaine”. » Le 8 juin, le régisseur Faure signifie 4 Hugo le refus de Volnys. Devant
la colére
du poéte,
Vedel
croit
nécessaire
de renouveler
ses
engagements ; le 10 juin 1837, il écrit : « Vous avez manifesté le désir que vos ouvrages fussent au répertoire. J’ai pris l’engagement de les y maintenir et je le tiendrai ;mais je ne suis pas maitre de vaincre certaines résistances. C’est la Monsieur ce qui m’a placé dans la situation pénible de ne pouvoir tenir la parole que je vous ai franchement ~ donnée et A laquelle je voulais tout aussi franchement satisfaire™. » Le 13 juin Hugo tire les conséquences de la situation : « C’est désormais A ses actes envers moi que j’attends la direction de la Comédie Francaise pour juger quelle attitude je dois prendre a son égard®™. » La rupture définitive et le passage a la procédure judiciaire interviennent entre le 25 et 31 octobre. Le 25 octobre, Hugo accepte par un billet un rendez-vous fixé par Védel*. Apparemment, l’entrevue du vendredi 27 est négative. Le lendemain 28, Védel écrit 4 Hugo une lettre que nous citons intégralement parce qu’elle est le meilleur résumé du conflit : Monsieur, Si je n’écoutais que mon désir empresse de faire cesser entre vous et la Comédie Francaise toute facheuse discussion et de prévenir surtout l’éclat plus facheux encore d’un procés, je n’hésiterais pas a accepter les propositions que vous m’avez faltes dans un but de conciliation et dont je vous renouvelle mes
remerciements, mais la position dans laquelle je me trouve est tellement difficile et les engagements pris soit par la Comédie, soit par moi sont si impérieux, que je ne vois aucun moyen de m’en affranchir, sans exciter d’autre part des récriminations publiques et judiciaires. Ainsi en terminant avec vous un débat qui me peine, je m’exposerais 4 en faire naitre plusieurs qui résulteraient de semblables droits. Placé dans cette alternative et désirant
concilier
tous les intéréts, je viens, forcé par cette
position inextricable, vous
demander
s'il vous serait possible de
reporter au mois d’avril la représentation de votre nouvel ouvrage, assuré comme vous devez l’étre, et 4 cet égard, mon intérét méme est une garantie, que si quelque circonstance me mettait — 4 méme de rapprocher ce terme je la saisirais avec plaisir et empressement. Cette saison est encore trés favorable surtout avec l’appui de votre nom, et d’ailleurs vous ne devez en redouter aucune.
27. M.V.H. Hugo conclut en disant : la reprise d’Angelo « suspendue forcément jusqu’au retour de Mme Volnys aura eu en tout quatre représentations ». Hugo se plaint de n’étre pas gdté par la Comédie Francaise, d’avoir été : « joué en tout deux fois depuis un an », il réclame « quelque semblant de bonne grace pour ces quelques représentations si tardives et si chicanées ». 29. Voir infra, note 39. ? 30. Bibl. Thédire Francais, la lettre reste loyauté la A croire pas ne de coup, Monsieur, toute votre personne. » La formule finale
j } courtoise : « Il m’en cotiterait beauqui m’a toujours paru respirer dans pleine est extrémement gracieuse et
di se sympathiques » de Védel. Ce dernier avait de comédiens ; ce qui ressort du post-scriptum : soit rompre pour soit faire faudrait qu’il ce sur entendre
d@espoir dans les « sentiments retrancher derrigre une coterie « Nous pour
me
aurions
remercier
A nous
comme
il convient
fait ’honneur de m’entretenir. 31. Bibl. Théatre Francais.
les
»
petites
mauvaises
volontés
dont
votre
lettre
LE CONFLIT
AVEC
Je suis avec une
LA COMEDIE
FRANGAISE
haute considération
humble serviteur, Paris, 28 aotit 1837.
Le Directeur
289
Monsieur,
votre trés
du Théatre Frangais, Védel ®.
D’ou il suit que: 1° Védel avait d’autres engagements (ayec des écrivains tels Scribe et Delavigne qui ne souléveraient pas Vire du public et du gouvernement) ; 2° il craignait 4 la fois une campagne de presse et des procés (crainte réelle ou prétexte, on ne sait) ; 3° Hugo — c’est Je point étonnant — était prét 4 donner immédiatement une piéce 4a la Comédie, a la condition qu’elle soit jouée sans délai. Or Hugo, nous le savons, n’a aucun texte en réserve et, apres le second privilége il est déja moralement engagé avec le futur thédtre de la Renaissance. Quelle explication pouvons-nous donner ? Que Hugo a au moins deux projets (ce que nous savons de reste *) ; il donnait une piéce au Théatre Francais pour la saison 1837-1838, et une autre, a Ja Renaissance pour la saison suivante, La réponse de Védel fait craindre au poéte les manoeuvres dilatoires qui y sont comme inscrites. Hugo décide de s’en remettre a la justice. C’est ce qui ressort des deux lettres de Hugo 4 Védel datées du dimanche 29 octobre. I] réclame communication des registres : « Tout arrangement entre la Comédie Francaise et moi étant maintenant impossible comme je l’avais prévu et comme le démontre votre lettre de ce matin, il ne me reste plus qu’a vous prier de vouloir bien mettre 4 ma disposition les registres du Théatre pour le dépouillement dont j’ai ’honneur de vous entretenir. En faisant ce dépouillement, je remplis un devoir non seulement vis-avis de moi, mais envers
la littérature tout entiére. Je tiens en outre a
n’articuler devant le tribunal et devant le public que des faits et la preuve en main*. » Védel épouvanté s’enfuit et quand Hugo apres midi arrive au théatre, il ne trouve personne : il écrit dans la loge du portier un billet furieux. Le 31 (mardi) Hugo revient 4 la charge
: « Monsieur,
je sors de chez Monsieur le Président du tribunal de Commerce, qui a paru comprendre l’urgence de la cause. L’affaire ainsi qu’il a été convenu de concert avec M. Nouguier, votre agréé, sera plaidée le 6 novembre. Je regrette de ne pas vous trouver au théatre car je dési-
rerais savoir pour quelles raisons, ayant jusqu’ici conservé toute courtoisie avec moi, vous pouviez me refuser une communication
de docu-
ments que je juge utiles 4 ma cause, communication que j’obtiendrai toujours par les voies judiciaires, ce qui serait du temps perdu et rien de plus *. » En fait, Védel qui sera
obligé
d’utiliser
refusera d’autres
communication des registres 4 Hugo sources
(audience
du
5 décembre
1837). Il donne acte de la rupture et du procés dans une lettre 4 Hugo datée de novembre 1837 : « Si j’accepte les chances du procés qui va s’ouvrir entre nous, ne voyez la, je vous prie, aucune pensée qui vous soit personnelle (...). Quelle que soit, d’ailleurs, issue du débat qui s’engage, j’aime a espérer, Monsieur, qu’elle n’aura pas pour la Comédie le douloureux résultat de voir s’éloigner de la scéne l’écrivain dont le
talent doit Villustrer, et qu’elle ne me privera pas de relations qui me 32. Ms.
13306, ffos 48-49, 33 Voir infra, chap. Ruy Blas a pon ThéAtre Francais,
et les Jumeauz,
p. 330
et 368.
19
290
LE ROI ET LE BOUFFON
sont 4 la fois honorables et bien précieuses *, » Beau témoignage des contradictions dans lesquelles se débat la Comédie.
LE PROCES Premiéres passes d’armes. Le procés s’ouyre le 6 novembre devant le tribunal de Commerce de la Seine et Hugo a joint au texte d’Angelo le compte rendu de la Gazette des Tribunaux du 7 et du 21 novembre 1837. Le public est nombreux et le procés devient une manifestation littéraire et mondaine. L’avocat de Hugo, Paillard de Villeneuve, rappelle les différents traités qui obligent la Comédie *. Appuyant ainsi sa base juridique sur le texte des traités, Pavocat n’a pas de peine A montrer : 1° que la mauvaise volonté de la Comédie n’est pas due A un argument financier, 4 la faiblesse des recettes faites par les piéces de Hugo ; 2° qu’elle est « liée 4 un systéme général de monopole et d’expulsion contre une doctrine littéraire qui blesse certaines répugnances et porte ombrage A certaines célébrités ® ». Sur le premier point, Paillard de Villeneuve ® rappelie que la moyenne des quatre-vingt-cing représentations de Hugo est de 2 914,25 F, alors que la moyenne des représentations de Mlle Mars, pilier financier de la Comédie n’est que de 2 618 F “. Sur le deuxiéme point, l’avocat souligne le lien entre cette obstruction de la Comédie et 1° « les discussions 36. Ms. 13406, fo 50. 37. Traités
ment
du
12 aott
1832
(Roi
s’amuse),
du
10 avril
1835
(Angelo),
de Védel du 12 avril 1837. 38. 0.€., V, 353.
engage-
.
39. Une note de la main de Hugo donnait sans doute a son avoeat les renseignements dont il avait besoin. Hugo qui n’a pu consulter les registres de la Comédie a dai les emprunter 4 son agent dramatique : « Ainsi sur 4 ans et 9 mois (car dans Vaunée 1833, le théAtre a été fermé un mois pour réparations), deux auteurs seulement ont eu 624 représentations, le vieux répertoire en a eu 829, c’est-a-dire
e’est-a-dire 2 ans, 8 mois et 22 jours ; 2 ans, 3 mois et 7 jours, il est resté
pour tous les auteurs 266 jours francs, e’est-a-dire 8 mois et 26 jours. — Sur ces 624 représentations, M. Casimir Delavigne a eu a Ini seul 337, ec’est-a-dire prés d’un an, il a été encore bien mieux partagé que M. Scribe dont les succés pourtant sont plus francs et plus fructueux pour le thédtre. — Il est A remarquer que les mois d’hiver qui sont les meilleurs pour les recettes sont ceux pendant lesquels on représente le plus le répertoire de M. Delavigne, on réserve l’été pour le vieux répertoire et pour les auteurs sur lesquels pésent les petites inimitiés de coulisses, comme M. Victor Hugo par exemple. — Dans les 10 premiers répertoire de M. Delavigne a eu 34 représentations et mon 18
de
mois
1837,
le
le dit le comme Constitutionnel. — Afin de ne rien omettre de ce qui peut compléter l’extréme que les dire devons nous ici, donnons nous que renseignements des exactitude auteurs vivants entrent quelquefois par les piéces d’un, de deux ou de trois actes
dans les représentations réseryées au vieux répertoire, ce qui profite fort peu aux auteurs de grands ouvrages. Cependant nous devons dire encore qu’Angelo, n’ayant
que quatre actes, a été joué plusieurs, fois avee de petites picces de lancien, répertoire. — Enfin les auteurs les plus fréquemment représentés aprés M. Casimir Delavigne
et M.
Seribe
sont
MM.
Duval,
Mazéres,
Empis,
Etienne,
Gustave
de
Wailly,
Samson et Bouilly, on peut juger par ces uoms combien est compléte l’exclusion qui pése sur les auteurs appartenant 4 la nouvelle école. » (Ms. 13406, f° 56.) Cette note est probablement le meilleur résumé de la situation des auteurs 4 la Comédie. 40. Tout examen des registres de la Comédie confirme, et au-del& les analyses
de
Paillard
de
Villeneuve,
En
1835,
soit
le
20
avril,
la
deuxiéme
représentation
@Angelo fait 3350 F, et la troisiéme, le 2 mai, 4075, tandis que la douziéme fait encore 3507, le 23 mai, le ler mai, Andromaque fait 453 F, et pendant tout le mois de mai les recettes oscillent entre 500 et 700 F, Aa exception des Enfants
LE CONFLIT
AVEC
LA COMEDIE
FRANCAISE
291
littéraires qui s’élevent chaque année dans les Chambres a l’occasion du budget du Théatre Francais, et la menace faite 4 piusieurs reprises de retirer au Théatre Francais une subvention qu’il profane au contact des novateurs littéraires » ; 2° le monopole de fait dont jouissent Scribe et Delavigne a la Comédie, écrivains « au talent, a Vhabileté desquels plus que personne nous rendons hommage, dont les succés ont été grands et le seront encore“ » et il conclut en montrant que « La Comédie Francaise ne tend a rien moins qu’a déshériter de sa
publicité tous ceux dont les doctrines ne sympathisent littérature officielle qui leur est imposée ® ». L’avocat
de la Comédie,
M® Delangle
déploie
une
pas avec défense
la
d’une
singuliére faiblesse : 1° les signatures des représentants de la Comédie, Desmousseaux * ou Jouslin sont nulles parce que non revétues du contreseing du commissaire royal; 2° la distribution en double des roles, qui incombe
été jouée
a l’auteur n’a pas été faite ; 3° pour Marion,
a la Porte
Saint-Martin,
il faut
une
seconde
qui a
lecture
4 la
Comédie. Hugo et Paillard de Villeneuve n’ont pas de peine a montrer que les deux derniers arguments ne tiennent pas : 1° une distribution en double, légale sur le papier, est techniquement impossible, aucun théatre n’ayant les effectifs suffisants ; 2° le contrat d’Angelo qui prévoit la création de Marion 4 la Comédie ne suppose aucune lecture @une piece déja recue en 1829. Quant au premier argument, il est pour Hugo l’occasion d’une improvisation fulgurante : Messieurs, devant vous le directeur du Théatre Francais s’évanouit. L’>homme que j’ai vu, qui m’a parlé, qui m’a écrit, qui est venu chez moi, qui avait tout pouvoir, qui a traité, qui a signé, cet homme-la n’est plus qu’une ombre. C’est un étre sans qualité, c’est un mineur. I] a traité, c’est vrai ; mais il ne pouvait
pas traiter, il y a le décret de Moscou. Il a signé, c’est vrai ; mais il ne devait pas signer, il y a le réglement des consuls. Il a donné sa parole, c’est vrai ; mais comment ai-je pu croire a sa parole ? C’est son avocat qui le dit “. Le jugement reprend en totalité les arguments de Hugo et de son avocat, rappelant que la faiblesse des recettes d’Angelo, lors de la
d@’Edouard
(Casimir
Delavigne)
qui, le 10 mai,
montent
A 1532
F. Le
20 juillet
la
derniére représentation d’Angelo pour cette année 1835 fait 1648 F, encore bénéficiaire par rapport aux 1300 ou 1400 F de frais officiels ; mais le lendemain 21, Jacques II fait 381 F, le 22, le Joueur monte a 187 F, et le 24, Jacques II fait la recette éblouissante de 162 F ! 41. Paillard de Villeneuve ne nomme pas Scribe et Delavigne, mais il ne peut S’agir que d’eux. Or, on leur fait un erédit qu’on ne fait pas a Hugo ;: en décembre 1836, janvier et février 1837, on continue A jouer sans résistance Don Juan d’Autriche,
avec
des
recettes
non
rentables
de
1183
F,
1058,
758,
1560,
816
F
pendant ces mois d’hiver particuligrement favorables. 42. O.C., V, 353. 43. Le 15 aofit 1832, selon les registres de la Comédie Francaise, « Les membres du Comité étant réunis en nombre compétent pour délibérer, lecture faite du procésverbal et la séance précédente, en présence de M. Jouslin, faisant fonction de comInissaire royal, en l’absence de M. Taylor, d’aprés la lecture et la réception de la piéce de M, Victor Hugo, intitulée le Roi s‘amuse, le comité prend connaissance de la rédaction
de l’acte passé
entre
M. Victor
Hugo
et M. Desmousseaux,
ce dernier
agissant au nom du comité et diment autorisé par lui A cet effet. I] en approuve le contenu conforme de tous points aux bases arrétées dans sa séance précédente. » ‘Si Hugo
et son
ayocat
juridiquement encore 44. 0.C., V, 357
ayaient
plus forts.
pu
avoir
connaissance
de
ce
texte,
ils
eussent
été
292
LE ROI
ET LE BOUFFON
reprise *® « peut avoir eu pour cause des circonstances étrangéres au mérite de la piéce », que si Védel « a fait un mauvais calcul, il n’en est pas moins obligé par son engagement ». Un attendu rappelle « que la propriété littéraire, qui est le produit des plus nobles facultés de VYhomme, doit trouver devant les tribunaux une protection équitable contre la violation des conventions ot elle est intéressée ». Ici Hugo, mieux placé, réussit ce qu’il a manqué a propos du Roi s’amuse, contraindre la justice 4 lui reconnaitre sa propriété littéraire. Le jugement, trés dur pour la Comédie, accorde au poéte 6 000 F de dommagesintéréts (avec contrainte par corps pour Védel), la reprise d’Hernani (délai 2 mois),
celle
de Marion
(délai
3 mois),
celle d’Angelo
(délai
5 mois, pour compléter la série de 15 représentations dues) ; faute de quoi, l’astreinte est de 150 F par jour. Une éclatante victoire.
La Comédie fait appel, et M° Delangle rappelle que Hugo a été favorablement traité par les Comédiens Francais, que la gloire littéraire c’est bien joli, mais que c’est aux dépens des comédiens « que se fait la poésie et le libéralisme ». Paillard de Villeneuve souligne le ’ fait que la propriété littéraire est marchandise et doit étre traitée comme telle. Aussi J’essentiel de sa nouvelle plaidoirie porte-t-il sur les recettes des drames : « On a posé une question d’argent, il importe d’y répondre. » Il calcule le bénéfice total fait sur les piéces de Hugo et regrette le refus de Védel de fournir les registres du théatre ; au reste il indique qu’il est impossible de tenir uniquement compte des représentations d’Angelo qui n’ont pas fait leurs frais, et explique par quels procédés on obtient des recettes faibles quand on tient 4 couler une piéce. Et Hugo de tirer brutalement la lecon du procés : Entre les critiques qui affirment qu’une piéce est bonne et les critiques qui affirment qu’une piéce est mauvaise, il n’y a qu’une chose certaine, qu’une chose prouvée, qu’une chose irrécusable, c’est le fait matériel, c’est le chiffre, c’est la recette,
c’est l’argent.
Or le poéte souligne le bénéfice global que la Comédie a fait avec ses drames ; il fait dire & Védel que la Comédie est préte a lui redemander des pieces. Et il conclut: Dans toute cette affaire
saire réel. La Comédie
(...) le théatre n’est pas mon
a mis beaucoup
cette lutte, mais c’est une mauvaise
de mauvaise
adver-
foi dans
foi qu’on lui a imposée
Mon adversaire, dans cette cause, c’est une
(...).
petite coterie embus-
quée dans les bureaux du ministére de l’Inteérieur, qui, sous prépasse par le ministére pour aller au texte que la subvention Théatre Francais, prétend régir et gouverner 4 sa guise ce mal-
; les 45. Faiblesse indiscutable, mais tout aussi indiscutablement provoquée les recettes recettes restent supérieures aux recettes moyennes de la Comédie. Voici 262, 2 avril, 5 le 1968, 31, le 1988, 28, le 898, mars, d@’Angelo : en 1836, 1556, le 26 le 19; en le 14, 1705, le 16, 1441, le 10, 3 283, le 24, en mai, 1690 le 2 et 1135 19, le 841, 13, le octobre, ; 10 le 1179, septembre 1837, en mai, 1126 et 654 F, en ; 788, et le 7 décembre 730 F.
LE CONFLIT
AVEC
LA COMEDIE
heureux théatre (...). Cette coterie elle veut avoir en outre la censure
FRANGAISE
293
a déja la censure politique, littéraire (...). Aussi c’est un
devoir que j’accomplis maintenant. En 1832, j’ai flétri la censure politique ; en 1837, je démasque la censure littéraire.
Les formules de Hugo indiquent A la fois le rapport et la distance et le lien entre l’esthétique et l’idéo-
de censure,
entre les deux formes
logique. Les attendus du jugement en appel (1° décembre) sont intéressants dans la mesure ou ils confirment totalement la thése de Hugo, jusque dans le détail. Un attendu reprend et confirme tous les chiffres donnés par Hugo et par son défenseur* ; le jugement confirme Vobligation de reprendre Hernani“’, nie la nécessité pour Marion d’une nouvelle lecture qui ne serait ni dans les traités, ni dans les usages, rappelle pour Angelo que les usages veulent le maintien au répertoire des ouvrages profitables. I] confirme l’existence de préjudices subis par Hugo, Les mémes dommages-intéréts sont donc maintenus ainsi que la contrainte par corps pour Védel. Les lendemains.
La victoire juridique de Hugo éveille des fureurs qui ne seront pas encore apaisées un an plus tard, lors de la représentation de Ruy Blas. Le Moniteur des Thédtres du 9 décembre, que Hugo garde soigneusement, exhale une ire si démonstrative que l’article apparait comme une sorte de résumé des griefs contre le poéte ; il est présenté avec ironie comme
une
« victime
innocente
persécutée
par
un
époux
cruel
(...)
Tout le monde le repousse, le pauvre auteur dramatique. Il a des enne-mis de tous cétés. Une camaraderie implacable lui ferme les portes du théatre, le harcéle, le désole, s’oppose a la représentation de ses ouvrages (...). Vous
étes un habile
comédien,
M. Hugo
(...). » Suit ’énumé-
ration des échecs essuyés par Hugo a la scéne : Qui siffla (Amy Robsart), écoles (...)
Qui siffla Hernani,
s'il vous
plait? la jeunesse
qu’un tribunal
de marchands
des pré-
tend nous faire subir? Un public qui ne pouvait se faire au barbare langage des personnages que vous aviez inventés. Qui siffla le Roi s’amuse, qui intima pour ainsi dire 4 un ministre Vordre de faire rayer cette piéce du répertoire de la Comédie Francaise ? un public qui se leva tout entier pour signaler Vimmoralité des tableaux (...). Qui siffla Angelo ? Ce méme public gui ne pouvait accepter une intrigue inexplicable, et qui repoussait de notre premiére scéne une ceuvre qui n’aurait jamais da y étre accueilie. Les succés qu’obtinrent 4 la Porte Saint-Martin, ,ucréce Borgia, Marion Delorme, Marie Tudor, furent dis a Vin46. «
Mais
attendu
au
contraire
Hugo
dépasse
la moyenne
que,
admettant
méme
que
certaines
recettes
nvaient pas été la conséquence du mauvais vouloir de la Comédie Frangaise, et ne procédent pas de causes étrangéres au mérite de l’ouvrage, il résulte des documents certifiés par les agents dramatiques de M. Victor Hugo, et que la Comédie Frangaise a été forcée de reconnaitre exacts, que la moyenne des 90 représentations de M. Victor
plus fructueuses
et s’éléve
des
A la somme
recettes
de 2650
et qu’ainsi, en défalquant les frais de chaque
.
habituelles
considérées
F 57 centimes
représentation,
par la Comédie Francaise elle-méme, il en résulte pour ouvrages représentés, un bénéfice net de 110 000 F. »
comme
les
par
représentation,
sur
les
d’aprés le chiffre fixé
elle
deux ;
seuls
47, D’aprés le texte du jugement, il résulte d’une lettre de Jouslin, que déja du
temps
de ce dernier, tout était prét pour
la reprise de Marion
et d’Hernani.
294
.
LE ROI
ET LE BOUFFON
dulgence que l’on a ordinairement pour les ouvrages représentés — sur cette scéne.
Impossible d’étre plus clair dans la distinction entre la scéne de élite
et la scéne
vulgaire.
Ce qui a condamné
Hugo,
c’est le « vrai 7
public », et article d’en donner pour preuve l’insuccés de la Esmeralda : « L’opposition, les sifflets ne sont venus d’aucune coterie; ils sont venus du public dont vous vous prétendez adopté, et qui vous poursuit de ses sifflets et de ses critiques. En voulez-vous une preuve toute récente, toute éclatante ? A Académie Royale de Musique, Notre-_ Dame de Paris, paroles et musique, tout est tombé. Alors une véritable coterie vous défendait. » Et d’ajouter perfidement : « Plaisez comme M. Delavigne,
comme
M. Scribe,
comme
M. Dumas
méme,
votre rival
dans la carriére dramatique, votre maitre, dit votre orgueil souffrir de cette épithéte, et vous réussirez comme eux. » L’auteur nie l’exis-— tence d’une censure politique avec laquelle Hugo n’a « jamais rien eu — & déméler », et lui demande de prouver l’existence d’une censure littéraire. Que Hugo, qui a maintenant un théatre, y fasse la preuve de > son talent : « Vous l’avez depuis un an ce théatre ; vous pouvez y faire jouer tout ce que vous voulez ; vous avez le monopole pour vos ceuvres ; vous n’y craignez aucune coterie, aucune rivalité ; faites-le donc sortir de terre ; régnez y donc pour nous convaincre, au moins, que vous avez raison, que le public vous a adopté, vous encourage, veut de vous et de votre prétendue régénération littéraire ». On voit la gravité de Venjeu et importance de la bataille que Hugo devra mener pour Ruy Blas et le théatre de la Renaissance. Védel a Canossa.
Hugo veille diligemment aux reprises prévues par le jugement. Le mardi 2 janvier 1838, il écrit une lettre comminatoire 4 Védel ® ; il se
plaint qu’ « il n’y a pas encore eu aujourd’hui 2 janvier une seule répétition d’Hernani. On répéte le Misanthrope ! J’ayoue que je ne m’explique pas quel intérét le Thédtre Francais trouve 4 m’irriter >. Védel capitule. Il y a six représentations d’Hernani en janvier (les 20, 23, 25, 27, 29, 31) et six en février
(les 6, 9, 12, 18, 21, 23) ;
Dorval se taille un grand succés personnel ; il y a six représentations de Marion Delorme en mars (les 8, 10, 12, 15, 17, 20). Hugo, gracieusement,
fait remise
aux
Comédiens
de l’astreinte
due
au
retard:
le
_ 24 février, Hugo abandonne a Védel une somme de 1 350 F et ajoute : « Je serai de mon coté fort sensible aux efforts qu’elle (la Comédie) pourra faire pour effacer le passé“. » I] termine en remerciant les comédiens qui jouent ses piéces. Le 6 mars, Hugo fait remise de 2400 F a la Comédie, et, le 20 aofit, rappelant que la Comédie lui doit 18 000 F pour n’avoir pas repris Angelo, lui fait grace des dommagesintéréts ©.
Les représentations,
sans atteindre les records de recette, don-
nent des résultats honorables et bénéficiaires, entre 1600 et 3 200 F. Les rapports de Hugo et de la Comédie pourront ne pas s’arréter la : V’avenir est préservé. 48. Dossier Hugo, archives Comédie 49. O.C., V, 1132. 50. Ibid., p. 1132-1133 et 1136.
Frangaise,
lettre du 2 janvier.
LE THEATRE
DE LA RENAISSANCE
LE THEATRE Réconciliation
DE LA RENAISSANCE
avec Dumas.
Peut-étre il y a-t-il une solution de rechange, peut-étre Hugo peutil profiter de ce qu’on lui reproche maintenant amérement : la protection de Bertin, l’amitié du Duc d’Orléans et la sympathie que ce dernier montre 4 la « littérature nouvelle ». Utilisera-t-on la carence de l’Odéon, pauvre vaisseau désemparé pris en remorque par la Comédie Francaise, pour créer 4 nouveau un Second Théatre Francais ? Pour une fois c’est une initiative approuvée par l’ensemble de la presse, méme Charles Maurice. De 14 une longue intrigue qui finit par aboutir. Depuis longtemps!, Hugo réve d’une entente avec Dumas pour la direction d’un théatre, mais d’un théatre qui serait 4 lui, 4 eux’: « Je n’ai jamais songé a diriger un théatre, -mais 4 en avoir un®.» A présent, il semble que le réve se rapproche ; Yamitié
que
le duc
d’Orléans
voue
4 Dumas,
l’estime
qu’il montre
a
Hugo, tout cela peut permettre au projet d’aboutir. Une condition s’impose : la réconciliation entre Hugo et Dumas. Hugo s’y emploie : il donne son obole assez largement pour la souscription en faveur de Dumas et de son voyage en Méditerranée *. Probablement les contacts entre les deux hommes 4 propos du drame romantique datent-ils déja de la fin 1835. Le probléme d’un théatre est presque aussi important pour l’un que pour l’autre. Les rapports de Dumas avec la Porte Saint-Martin étaient devenus fort mauvais‘* et quoi qu’en dise le Victor Hugo Raconté, trés favorable 4 Dumas, les torts étaient sans nul doute partagés : si Harel n’était ni généreux ni méme aimable pour Dumas, celui-ci avait le tort de ne pas vouloir soigner sa production, son mépris pour la Porte Saint-Martin n’ayant d’égal que le mépris de la Porte Saint-Martin pour lui. Les piéces qu’il donnait depuis 18335 n’étaient guére de nature 4 relever le prestige de
ce théatre.
Méme
Don
Juan
de Marafa
(bien
meilleur
que
ne
le
1. Voir supra, p. 51-55. 2. Lettre A Victor Pavie, déja citée. 25 février 1831 (0.C., IV, 1021). 3. Voir les poémes des Chants du crépuscule adressés au duc d’Orléans. Le 31 mars 1835, Hugo participe pour 850 francs 4 la souscription pour le voyage et le livre de Dumas : La Méditerranée. 4, « La Porte Saint-Martin livrée 4 une exploitation particuliére ne sera jamais qu’un théatre industriel ot Jes questions d’argent étoufferont éternellement les questions d’art. » Dumas, Souvenirs dramutiques, I, p. 80 (La Subvention des
thédtres, Impartial, 1836). 5. Angéle (fin 1833) et Catherine
Howard
(début
1834).
298
LE ROI
ET LE BOUFFON
veut M. Descotes °), drame symbolique pour lequel il avait fait un — véritable effort littéraire et dans lequel il avait mis beaucoup de luiméme,
était
tout
de
méme
confus,
embrouillé
et, chose
rare
chez
Dumas, prétentieux. Mais la politique de Harel avait découragé les plus grands interprétes du drame. On sait que Dorval aprés un séjour malheureux au Théatre Francais s’était réfugiée au Gymnase. Les démélés de Frédérick avec Harel avaient défrayé la chronique judiciaire. Le lion du drame romantique faisait les beaux soirs des Variétés, trés petit théatre. Seul Bocage pouvait encore jouer le drame. Le réve d’une nouvelle scéne ou l’esthétique du « drame actuel » serait enfin servie se réveille 4 cette date chez Hugo comme chez Dumas. Mais ce qu’ils souhaitent, ils ne peuvent l’obtenir qu’ensemble. On ne sait qui s’entremit pour les réconcilier. Le duc d’Orléans qui aimait l’un et l’autre ou la duchesse
efforts désespérés pour empécher
d’Abrantés
qui fit, on l’a vu, des
la brouille ?
Un Second Thédire Francais ? Il semble, si le Victor Hugo Raconté et Dumas disent vrai, que ce dernier soit 4 l’origine de l’intrigue: pour un nouveau théatre. Il profitait sans doute de l’amitié qui le liait au duc d’Orléans et Von peut tenir pour vraisemblable le point de départ de Vhistoire : une
conversation entre le prince et le dramaturge. A quelle date ? Guére avant les derniers mois de 1835, et pas aprés la chute de Guizot (22 février 1836). La formulation du Victor Hugo Raconté place le probléme sur un terrain précis, celui de ce que le Témoin appelle la littérature nouvelle et un peu plus loin, ’Art moderne :
Le p prince s’informant Pppourquoi il ne faisait plus rien jouer, il lui avait répondu que la littérature nouvelle n’avait pas de — théatre ; qu’elle n’avait jamais été chez elle au Théatre Frangais, qu’elle y avait quelquefois été tolérée, jamais acceptée ; que sa vraie scéne ett été la Porte Saint-Martin, mais que les procédés du directeur en avaient éloigné tout ce qui avait du talent ou
seulement de la dignité et qu’on y était tombé aux exhibitions des ménageries ambulantes ; qu’entre le Théatre Frangais, voué aux
morts,
et la Porte
Saint-Martin,
vouée
aux
bétes’,
Vart
moderne était sur le pavé. Il avait ajouté que ce n’était pas lui seul qui se plaignait, que tous les acteurs du drame disaient comme lui, A commencer par M. Victor Hugo, qui ne faisait plus de piéces que de loin en loin et qui en aurait fait deux par an sil avait eu un théatre *.
6. « De valeur littéraire, il n’était pas question : la psychologie des personnages était inexistante et les véritables victimes de ce Don Juan parurent étre
consciencieusement avait Dumas que Scott, Shakespeare, W. Goethe, Moliére, pillés.. » Maurice Descotes, op. cit., p- 304, Peut-étre M. Descotes a-t-il tort de suivre sans restriction les. rancunes et Pétroitesse de jugement d’un Sainte-Beuve.
7. En
d@Anicet
janvier
Bourgeois
1836
une
troupe
; et la Revue
de
de Paris
Bédcuins
vient
gémit
: « Est-il
jouer une
l’Enfant
du
monsfruosité
désert
ou
un
ridicule qui ait manqué a cette scéne ? Quel est Vexpédient qui a été oublié par M. Harel ? L’Asie lui a livré Véléphant Kiouny, PAfrique les Bédouins, le Moyen
Age ses plus mauvais mélodrames. 8. V.H.R., O.C, V, 1935.
» Cité par M. Descotes, i
op. cit. p. 303.
LE THEATRE
DE LA RENAISSANCE
299
Il semble donc si l’on en croit ce récit naturellement sujet 4 caution que ce soit le pouvoir qui ait pris linitiative en cette matiére ou du moins suggéré aux écrivains de se muer en solliciteurs. Mais les choses n’étaient pas simples méme pour les auteurs. Dumas n’était pas et sirement ne se sentait pas de taille 4 assumer la charge de directeur. Cette tache paraissait 4 Hugo incompatible avec la liberté de
Pécrivain.
En
1836
la situation
des
théatres
était pire qu’en
1831,
et le drame romantique moins assuré. D’autre part il n’était pas question de créer une scéne pour le drame romantique sans une entente
solide avec
Dumas.
Certes,
il s’était réconcilié
avec
lui, mais
il nignorait pas qu’il suffirait du moindre conflit sur le terrain difficile de la concurrence théAtrale pour mettre 4 nouveau le feu aux poudres. Il y avait les femmes : Dumas voulait pousser Ida Ferrier, Hugo, sans metire un zéle excessif 4 faciliter la carriére de Juliette, pouvait désirer qu’elle reprit sa place sur les planches sans trouver perpétuellement Ida sur son chemin". Bref ni Pun ni lautre ne pouvait prendre la direction d’un nouveau théatre. Il leur fallait trouver un personnage qui fat indiscutablement favorable au drame romantique et qui ne se manifestat pas comme particulierement lié 4 Pun ou a l’autre. Ils choisirent le curieux Anténor Joly“. I] connaissait bien les problémes de la scéne, jusqu’en ses aspects les plus matériels : il dirigeait un petit théAtre qui n’avait guére de possibilités, le Thédtre de la Porte Saint-Antoine. Et surtout, directeur du Vert-Vert, petit journal a « potins » plus ou moins littéraire, il avait toujours montré un grand zéle pour le drame romantique ™. Les premiéres tractations précises au sujet du second Theatre Francais datent de la fin 1835 ou du début 1836 4%. Le 12 janvier 1836 Juliette refuse de renouveler son engagement a la Comédie Francaise et écrit 4 Hugo: « Vous voila libre de faire reprendre au Théatre Francais vos anciennes piéces et de n’en pas donner de nouvelles. » C’est donc qu’A cette date Hugo avait la perspective d’une scéne qui jouerait ses drames nouveaux tandis que Marion, Hernani, Angelo, continueraient leur carriére 4 la Comédie. Nous inclinerions donc a faire remonter A la fin de l’année 1835 les promesses du duc d’Orléans et les premiers contacts avec Dumas. A quelle date intervient la conversation entre Hugo et Guizot, rapportée par le V.H.R. “? Elle peut se placer soit au début de l’année (Guizot
cessant
d’étre
ministre
le 22 février,
remplacé
par
Thiers),
soit 4 partir du 6 septembre 1836, date ou Guizot revient au pouvoir. La date d’octobre 1836 a pour elle la caution du Victor Hugo Raconté*, qui place V’entretien en « octobre 1836 ». Chose impos-
10. happelons qu’elle avait remplacé Juliette dans Marie Tudor. 11. Anténor Joly, né 4 Savone en 1799, mort 4 Paris en 1852, directeur théAtre Saint-Antoine.
12. Par exemple
un article du Vert-Vert
légard de Hugo dramaturge : il parle « M. Hugo ». Il se moque de ses adversaires : faut croire 4 tout le mal qu’ils en disent, il serait tenté de prendre pour de la volupté. » 13. Certes une telle perspective n’est pas
Comédie. 14. O.C., V, 1397. 15. Ibid.
(29 avril
1835)
du petit
est un tissu d’éloges
a
du _ prestige singulier des drames de « Si ces drames les ennuient, ce qu’il y a dans cet ennui une frénésie qu’on
étrangére
4 la mauvaise
volonté de la :
300
LE ROI ET LE BOUFFON
sible *, puisque
nous
possédons,
entre
autres,
la
correspondance
échangée entre Joly et Hugo pendant l’été 1836”. Les premiers entretiens entre Hugo et Guizot A propos du Second Théatre Frangais se placent donc au début de l’année 1836. Les menaces qui pesaient alors sur le ministére Guizot expliquent vraisemblablement l’extréme complaisance du ministre : il ne risquait rien 4 « tout promettre ». La chute de Guizot a di ralentir les choses : Thiers était infiniment moins bien disposé envers des écrivains qui avaient J’oreille sinon des Tuileries, du moins du duc d’Orléans *. Cependant — et la lettre d’Anténor Joly en fait foi — les tractations ont di se poursuivre sous le ministére Thiers : étaient-elles trop engagées sous le ministére Guizot pour qu’il soit difficile de tout laisser tomber ? Le probléme des théatres (Odéon et Comédie Francaise) était-il suffisamment pressant pour qu’il ne dépendit pas entiérement du bon et du mauvais vouloir d’un ministre ? L’un et l’autre. On voit parfaitement of était lintérét du pouvoir en cette circonstance ; il serait vain d’imaginer qu’il suffisait du goit litteraire d’un prince, fiit-il héritier de la couronne, pour créer un théatre. Mais les criailleries de la Chambre se renouvelaient chaque année 4 propos de la subvention du Théatre Francais. Un nouveau théatre, c’était la tranquillité assurée : le « drame nouveau » aurait le champ libre et n’empiéterait pas sur les sacro-saintes plates-bandes de la Comédie. Reste le probléme plus qu’épineux de la subvention, Dans la premiére
moitié du x1x® siécle, le public qui peut payer n’aime que le vaudeville® ; d’ou la quasi impossibilité pour tout théatre « sérieux » de subsister sans subvention. Nous verrons comment le refus officiel de la subvention condamnait
Vadjonction son
du vaudeville)
ensemble.
Dans
toute
4 terme le théatre de la Renaissance
(malgré
et par ricochet le drame romantique
cette
affaire
du Second
dans
Francais,
Théatre
la position du pouvoir reste hésitante. Le duc d’Orléans et Guizot sont favorables mais nous n’avons que trop yu les résistances d’une part importante de l’opinion, vigoureusement soutenue par la presse. Enfin, dans la famille royale comme au ministére, tout le monde ne voit pas Hugo d’un bon eeil, il s’en faut. Aussi ne peut-on suivre le Victor Hugo Raconté quand il insiste sur Ja facilité avec laquelle le privilége aurait été accordé: « ... On les attendait au Ministére de l’Intérieur. M. Anténor Joly avait un cabrio16. Le
V.H.R.
continue
: « Il s’écoula
Hugo entendit parler de M. Joly. » Or ensemble pour la signature du premier 17. Voir infra. 18. Une note perfide du Corsaire (17 ment de Thiers par Guizot a été l’ceuvre
cing
ou
en octobre privilége!
six mois 1836
Hugo
f novembre 1836) des Bertin pour
sans
que
et Joly
suggére que des raisons
M.
Victor
intriguent
le remplacelittéraires et
musicales ! En faisant la part de Vexagération polémique, il parait certain que Thiers n’avait pas raison de faire des graces aux « protégés » du clan Bertin. 19. Ms.
13402, fo 8 : « Mon
cher
Victor, je veux
vous
dire
que
je n’oublie
pas
votre confiance en moi. « Je veille, médite et agis. J’aurai A vous parler dans les premiers jours de la semaine prochaine Je répéterai en attendant que vous étes placé trop haut par votre talent pour ne pas bien réfléchir 4 votre démarche. Mille amitiés sincéres. «
-
¢ 30 juillet. Dans
Votre
notre derniére et courte entrevue,
dévoué,
j’ai oublié
A. Joly. de vous parler
théatre, j’ai fait en votre absence une démarche que je vous dirai. » Si Von songe que Hugo, parti de Paris le 15-6 venait d’y rentrer le ‘20-7, , fallait que les tractations soient bien antérieures. 20. Voir plus haut chapitre Hugo et les Thédtres en 1831, et chapitre Angelo.
il
LE THEATRE let a la porte,
ils y montérent
DE LA RENAISSANCE tous
deux,
et furent
301 bient6t
dans
le
cabinet de M. de Gasparin. Pendant qu’on allait chercher le privilége dans les bureaux... » La vérité n’a guére de rapport avec ce conte de fées. Vers le premier privilége : drame romantique ou drame bourgeois ? Que pouvait étre d’ailleurs celui
du
Second
Théatre
ce privilege ? Il était théoriquement
Francais,
c’est-a-dire
celui
de l’?Odéon,
qui
n’avait jamais battu que d’une aile; actuellement le théatre était fermé, avec une ouverture a éclipse, quand la Comédie Francaise yvenait donner quelques représentations 4 l’intention des étudiants et des petits bourgeois de la rive gauche, I] n’y avait pas de troupe permanente,
mais
c’était la chasse
gardée
du directeur
de la Comédie,
en Voccurrence Jouslin de Lasalle. Hugo et Dumas ont-ils songé a rouyrir l’Odéon ? C’est peu probable : le théatre n’avait jamais marché, il n’était pas situé dans le courant des affaires. Mais on pouvait reprendre le privilége du Second Théatre Francais a !’Odéon défunt et ouvrir sous ce titre un autre théatre, mieux placé. Jouslin tente de se défendre, c’est du moins ce qui ressort d’une lettre d’Anténor Joly : « Je n’ai pas pu entrer a l’Opéra ce soir™; je vous ai laissé un mot qui a di vous étre remis ; je vous disais le bruit qui court d’obstacles qui seraient accumulés dans le privilege pour vous engager a le repousser. (...) Jouslin agit sans nul doute®. » Le directeur de la Comédie exigeail en effet que le privilege comportat des clauses draconiennes concernant l’engagement des acteurs — outre l’interdiction de jouer tout répertoire trop proche de celui de la Comédie. Pour
i
ces
vaincre
Joly a un
difficultés, Anténor
atout, une
bonne
part de la presse, sensible 4 l’état de décadence de la plupart des théatres et désireuse de changements. Le 26 octobre Anténor Joly écrit A Hugo qu’il fait la tournée des journaux : « Le National et le - Charivari ne diront rien, je vous expliquerai pourquoi, j’ai parlé de vous
Figaro
A ce dernier.
la Quotidienne, le Courrier De fait la presse ne prend cais 4 quelques exceptions ques restrictions, elle est objective
de Hugo,
sera
bien, ainsi
que
le Temps,
le Corsaire,
frangais... Tout sera bien, j’en suis sir”. > pas parti contre le Second Théatre Franprés : silencieuse ou favorable, avec quel— une fois n’est pas coutume — Valliée
de Dumas,
d’Anténor
Joly; le 27 octobre,
nier écrit 4 Hugo :
ce der-
Jeudi matin. Mon
cher Victor,
La presse est unanime ce matin ; je la divise en excellente et bonne. Excellente : le Temps, le Journal du Commerce, le Bon Sens, la Presse. Bonne
: le Siécle,
le Figaro,
VEntr’acte,
le
Vert-Vert,
le
Corsaire, la Quotidienne, le Constitutionnel. 21. V.H.R., O.C., 1397. 22. Hugo s’y trouvait : on répétait la Esmeralda, 23. Ms.
13402,
f°
17,
4 novembre ; lettre
partiellement
(O.C., p. 310) qui ta date par erreur du 5 septembre. 24, Ms. 13402, fo II.
cité
par
M.
Descotes
302
LE ROL ET LE BOUFFON Silencieuse : le National, le Charivari, le Courrier frangais (celui-ci faute de place) ; le Courrier des thédtres, bien, avec une petite restriction de rien.
Je ne recois pas les Débats. Je vais courir encore
d@hui pour les journaux du soir, etc.
aujour-
Joly *.
Le Constitutionnel, le Siécle, la Quotidienne Vinformation (27 octobre). Le Charivari 4 la méme
se contentent de date fait une note
approbative qu’il confirme le 13 novembre. La Presse, trés favorable, a annoncé dés le 22 octobre, la démarche des auteurs. Le Temps est trés enthousiaste : « Ceci n’est pas une question neuve et depuis Vépoque de la malchance catastrophique de l’Odéon, la nécessité d’une réouverture de ce théatre, sous les auspices du gouvernement, a bien des fois préoccupé la presse tout entiére (...) Nous nous contentons d’exprimer le voeu que cette concession nécessaire soit faite le plus tot possible dans V’intérét de l’avenir de notre littérature dramatique et aux conditions qui paraitront les plus favorables au développement et aux véritables progrés de l’art. » L’hostilité
du Courrier des thédtres reste entiére ; dés le 22 octo-
bre, il exprime ses craintes: « Pour la sixiéme ou huitieme fois, on répand le bruit que le gouvernement vient de donner le privilege d’un nouveau thédtre uniquement consacré au drame actuel. Puis on nomme MM. Victor Hugo et Alexandre Dumas 4 titre de concessionnaires. Il n’y a rien de vrai dans cette rumeur ; ceux mémes qui la font courir Je savent bien (...) Qu’est-ce aujourd’hui que le drame prétendument moderne? Ou est-il? Le public de la Porte SaintMartin, son thédtre de prédilection, ne veut plus en entendre parler et (en guise de conclusion) ce seul mot arriére! » (22 octobre). Le Courrier
revient 4 la charge le lendemain
: « La nouvelle
école, cette
mystification de notre siécle, se plaint de n’avoir pas de théatre particulier affecté A ses élucubrations. » Mais apparemment elle a l’accés libre 4 la Comédie Francaise : « Les deux chefs de ladite école sont en instance pour obtenir lecture *. » Les trois auteurs principalement intéressés 4 l’opération, Hugo, Dumas et Casimir Delavigne, qu’ils ont réussi a entrainer
avec
eux, ont fait une
démarche
collective.
Ils ont
envoyé au ministre Gasparin une lettre commune par laquelle ils réclament officiellement Vouverture d’un second Théatre Francais. Presque tous les journaux publient cette lettre le 27 octobre, avec ou sans commentaires. Le nom de Delavigne ferme la bouche aux opposants
libéraux
d’autant
que
la commission
des
auteurs
appuie
cette
démarche. Or la commission des auteurs c’est MM. Lemercier et Dupaty réunis 4 MM. Fontan, Adam et Viennet, c’est-a-dire tout le gratin de la réaction classique. Voici la lettre de Hugo, Delavigne et Dumas : Monsieur le Ministre,
Le théatre francais tel qu’il est constitué actuellement, avec son ancien et admirable répertoire qui aux grands applaudisse25. Ibid., f° 34.
26. Ces articles sont semés d’erreurs : tout d’abord il est bien question d’un nouveau privilége, ensuite ni Hugo ni Dumas n’ont a cette date le moindre texte prét 4 la lecture : le Caligula de Dumas n’intervient qu’un an plus tard et pas une ligne de Ruy Blas n’est encore écrite.
LE THEATRE
DE LA RENAISSANCE
303
ments du public et des amis de l’art occupe Ja scene pendant six mois de l’année, obligé en outre d’employer trois autres mois entiers 4 la reprise d’ouvrages modernes dont le succés explique cette faveur se trouve dans lV’impossibilité de consacrer plus de trois mois de chaque année 4 la représentation des ouvrages nouveaux. Or tandis que le mélodrame et le vaudeville ont dix théatres et nous ne comptons ici que les principaux, la tragédie, la comédie et le drame n’ont qu’un seul théatre ou plutot, comme nous
venons
de
le démontrer,
trois
mois
de
l’année
dans
un
théatre, c’est-A-dire 4 proprement parler le quart d’un théatre. De 1a résulte un encombrement dont souffrent également la littérature dramatique d’une part et la Comédie Francaise de l’autre. C’est donc un voeu général, un voeu fondé en droit et en raison, un yoeu ressortant de la nécessité méme que l’ouverture d’une seconde scéne réservée 4 la littérature sérieuse. Les auteurs, la commission qui les représente, la presse unanime, réclament de toutes parts et depuis longtemps ce Second Théatre Francais, toujours promis par le pouvoir, toujours attendu par le public. Nous croyons, Monsieur le Ministre, qu’il est temps enfin de satisfaire A des réclamations aussi universelles. Les besoins littéraires sont en France et 4 Paris surtout des besoins populaires : ri sympathie des classes lettrées importe 4 un gouvernement clairé: Nous appelons donc votre attention sur l’urgente nécessité d’établir un Second Théatre Francais et de l’établir avec certaines conditions d’existence durable et de vitalité robuste qui puissent le maintenir dans une attitude toujours digne et littéraire. Ce théatre pour lequel nous réclamerions une localité favorable et l’aide effective du pouvoir ferait, nous l’espérons, rejaillir quelque lustre sur la littérature qui le soutiendrait et le gouvernement qui l’aurait fondeé. Nous avons
l’honneur, etc. Alexandre
Dumas, Casimir Victor Hugo.
Delavigne,
Il est impossible de ne pas remarquer l’attaque par prétérition contre la Porte Saint-Martin, théAtre qui n’a pas adopté « une attitude
toujours digne et littéraire », ni servi, « la littérature sérieuse >. L’appel a lappui financier du gouvernement n’est pas déguisé (« Paide effective du pouvoir >»): l’autorisation ne suffit pas et que la situation du nouveau thédtre ne peut se maintenir que s’il est financiérement aidé. On est frappé de ’'unanimité des auteurs malgré leurs oppositions doctrinales et leur conflit d’intéréts : ils ont tous besoin d’un second grand théatre subventionné. Ni Casimir Delavigne ni Scribe ne tiennent a se retrouver au Théatre Francais en concurrence
avec un Hugo
ou un Dumas dont les piéces ont presque autant de succés que les leurs. En définitive il semble bien que le pouvoir, comme les auteurs dramatiques s’établissent dans une équivoque : il leur faut 4 tous un théAtre
pour
le
genre
sérieux.
Mais
quel
genre
sérieux?
Drame
romantique ou grand drame bourgeois ? Les perspectives de Hugo et celles de Casimir Delavigne divergent nécessairement sur ce point. On - comprend alors les tours et les retours du pouvoir : on veut bien créer le Second ThéAatre Francais, mais quand on pense que Hugo
—
304
LE ROI
ET LE BOUFFON
a mis la main dessus par personne interposée, on lui coupe les ailes par les restrictions au privilége et par le refus de la subvention. Premiére question donc : A qui reviendra ce Second Théatre Francais ? Sur ce point les appétits se déchainent. Il semble que dans cette affaire Vattitude de Casimir Delavigne ait été équivoque : il signe avec Hugo la demande au ministre, mais il voudrait bien, avec Paide de Scribe, accaparer Je nouveau privilége. Les « auteurs a succés » se lancent dans une sourde compétition : veulent-ils le privilége pour eux-mémes ou, favoris de la Comédie Frangaise, préferent-ils mettre en sommeil un nouvel établissement qui leur porterait ombrage ? Dumas alerte les conspirateurs (lui-méme alerté par le duc d’Orléans ?) ; la lettre de Joly du 29 octobre est trés explicite : Mon
cher Victor, j’ai recu cette lettre de Dumas
hier dans
la soirée. Je ne sais si cette concurrence” est aussi A caindre que Dumas le suppose ; dans tous les cas, c’est facheux, car Terrier,
soutenu
par Delavigne,
est le collaborateur
nommer
un directeur-auteur ; l’exemple est la, c’est la ruine des
Il serait facile de faire comprendre
au ministre
de Scribe.
le danger
de
thédtres ; mais ma crainte, c’est qu’on fasse agir d’augustes personnages™, ce qu’on fera sans doute. Voyez si vous jugez wune démarche auprés de Rémusat et Guizot soit nécessaire. e serait peut-étre un prétexte pour leur faire sentir l’importance de se hater; les intrigues s’ourdissent, et si la reine recommande
une
créature,
avec Ja meilleure
volonté
du monde,
avec le grand désir de faire une bonne chose et de vous ¢tre agréable le ministre fera une chose mauvaise et ne contentera pas ceux qui affectionne et qu’il veut servir. . Cette intéressante lettre fixe un certain nombre de points : avis apparemment favorable de Guizot et certaines réticences du cété de la Cour, mais surtout le climat d’intrigues féroces. Joly supplie Hugo de « prendre l’armure de solliciteur » et de « boire le calice jusqu’a la lie ». Il ajoute; « Une chose certaine c’est que si nous attendons il faudra faire assaut d’intrigues et ils triompheront, car sur ce point ils sont plus forts que nous”. » Les résistances sont nombreuses: d’abord celle de la Comédie Francaise qui manoeuvre Ja Commission des Thédtres royaux (dont le role dans cette affaire est plus qu’équivoque). Le 27 octobre, le ministre Gasparin demande son avis 4 la Commission des Théatres par une lettre adressée 4 son président, le duc de Choiseul ; il insiste sur la question : faudrait-il donner au nouveau théatre Je titre de Thédtre royal? Le 5 novembre la Commission répond par un long rapport, trés restrictif : certes, elle donne a la création son accord de principe (p. 2), mais sur le titre, elle reste divisée : il ne faudrait pas que le
nouvel établissement « empiéte par la suite sur le domaine des théatres royaux, qui ne sont pas eux-mémes dans une position bien 27. Celle de Terrier. 28. La reine. 29, Ms. 13402,
fo 15, datée
du
29 (octobre),
Il semble
que
Hugo
n’ait
pas voulu
faire de démarche personnelle, car le lendemain e’est Joly tout seul vi fait une visite au ministére, n’est pas regu malgré l'appui de ’éerivain marseillaia Méry et doit se contenter de faire tenir une lettre & Choiseul par un huissier (lettre du 30, méme
manuscrit,
ffor 18-14),
LE THEATRE florissante
>»:
«< si l’on
en
DE LA RENAISSANCE
venait
(...)
305
4 chercher
des
moyens
de
succés dans le scandale, ce serait en quelque sorte comprometire la royauté ». Les risques de « faillite » ne sont pas nuls (p. 3). La Commission pose ses conditions : 1° pas de subvention (les subventions sont déja insuffisantes pour les autres!) ; 2° il ne faut pas nuire a la Comédie, donc a) cette derniére conserverait le monopole de I’ancien répertoire , b) les acteurs des subventionnés ne pourraient étre engagés par le nouveau théatre avant deux ans, sauf dérogation spéciale accordée par le ministre ; 3° les éléves du conservatoire sont
soumis 4 la méme clause ®. Joly qui connait les intrigues de Jouslin proteste amérement devant ces restrictions : « La Commission des Théatres royaux, au nom de laquelle agit Cavé, ne pouvant empécher Yoctroi du privilége, aurait suggéré des restrictions telles qu’il serait inexécutable. On a voulu satisfaire les auteurs et surtout la presse, mais rendre la chose inacceptable par les détails 7. >» Joly s’emploie activement a déjouer les intrigues : dans trois lettres non datées, mais qui paraissent toutes trois du méme mercredi 9 novembre *, il fait le récit de ses démarches
et de celles de Dumas
qui a rendu visite 4 M. de Rémusat. Il regrette encore que Hugo n’ait pas voulu accompagner Dumas: le poéte ne tient pas 4 compromettre dans cette intrigue de théatre la majesté du génie. Autre
point
épineux:
le local;
on
intrigue
autour
de
la salle
Ventadour pratiquement libre. Joly serait disposé 4 la prendre mais Scribe et Terrier (peut-étre Casimir Delavigne en sous-main) tentent de le devancer : « Ventadour agit de son cété, écrit Joly 4 Hugo, je ne serais pas surpris que Terrier eit promis de prendre la salle *. » Un dernier adversaire enfin et non le moins redoutable: Crosnier, directeur de l’Opéra-Comique, craint que le nouveau privilége ne comporte le droit 4 la musique et il se défend vigoureusement ; il ne faudrait pas que le nouvel établissement puisse porter ombrage a son propre fief dont la prospérité est déja bien menacée. Nous pouvons hardiment démentir les affirmations du Victor Hugo Raconté sur ce « droit 4 la musique » ; nous ne savons si Hugo l’a réclamé a Guizot, ce qui est sir, c’est qu'il n’a pas obtenu gain de cause ; la musique et la danse seront expressément exclues du privilége *. Cependant laffaire marche vers sa conclusion. Signé le samedi 12 novembre,
quinze
le privilége,
daté du 5 novembre
ans, personnellement
clauses
restrictives
qu’avait
a M. Anténor recommandées
1836, et octroyé
Joly, comporte
pour
toutes
la Commission,
les
et n’ac-
corde ni le titre de théatre royal que Joly sollicitera 4 nouveau le 13 décembre, ni la subvention. Il exclut nommément toute installation 30. Arch. Nat. F21, 1119, 31. Méme manuscrit, f° 27 (probablement 5 novembre, samedi soir). 32. Méme manuscrit, ffos 36, 19, 21 (mercredi midi, 1 heure, 3 heures). 33. Méme manuscrit, f° 15, 29 octobre. Le cas de Terrier est particuliérement intéressant dans la mesure ot le 11 juin, il a écrit au ministére pour solliciter le privilége de l’?Odéon (Second Théatre Frangais) qui, transféré rive droite, pour-
rait vivre
sans
subvention,
aurait
son genre
a lui (entendez
: éliminerait
les pro-
ductions « modernes »), s’opposerait aux « excés de l’école moderne », a « la révolution dramatique » « terroriste », aux « septembriseurs » (!) (Arch. Nat. F2l 1119). Sur Ventadour, v. infra, p. 308, n. 42. 34. V.H.R. : « Il (Hugo) se souvenait de
Veffet A dete
dans
Lucréce
Borgia
par le contraste de la chanson & boire et du psaume, il révait de méler plus amplement encore le chant a la parole ;il voulait que lVart tout entier fat possible, depuis les symphonies de la Tempéte jusqu’aux cheurs de Prométhée. M. Guizot accorda tout. > 0.C., V, 1396. F 35. Cf. méme manuscrit, f° 70-71. 20
306
LE ROE ET LE BOUFFON
a ’Odéon (Arch. Nat. F™ 1119). Joly le méme jour se. déméne auprés de la presse : « J’ai couru jusqu’éa présent aux journaux,; ils sont unanimes pour louer la mesure et le choix du ministre, j’ai été partout admirablement accueilli** », optimisme un tantinet excessif, Le Jendemain, le Courrier des thédtres donne les précisions suivantes : « M. de Gasparin, ministre. de l’Intérieur, a signé hier l’autorisation d’ouvrir un Second Théatre Francais a Paris, sur la rive droite de Ja Seine. Le privilége est au nom de M. Anténor Joly, un des directeurs du. thédtre Saint-Antoine et journaliste généralement estimé. Le répertoire de ce nouveau théatre devra se composer de comédies, de tragédies et de drames. Le chant et la danse en sont strictement exclus. On a imposé au directeur Vobligation de représenter au moins une fois par année. un ouvrage en vers de la dimension de trois ou cing actes. Nous dirons plus tard sur quel emplacement aura lieu cette exploitation dramatique. » L’indication rive droite de la Seine exclut ’Odéon* dont on ne sait toujours que faire et dont la direction a été offerte 4 M. Morin * (qui n’en fera d’ailleurs rien). Mais s’il n’est pas possible de s’installer dans la salle de l’Odéon, il faudra que les détenteurs du privilége trouyent un local, et un local situé rive droite. D’autre part le caractére littéraire du théatre est nettement marqué : comédies, tragédies et drames (le mot vaudeville n’est pas prononcé, et pour cause) ; Vobligation de représenter un ouvrage en vers indique la
tenue du répertoire. Cependant, |’interdiction stricte du chant et de la danse n’arrangeaient pas les auteurs de drames romantiques : sans parler méme
de grands spectacles, comme le Don Juan de Marana de Dumas, il n’est guére de drame de Hugo ou n’apparaissent discrétement la musique et le chant, La presse
réagit assez
favorablement: avant
méme
le privilége,
un certain nombre de journaux, stimulés par Joly, sont intervenus le 27 octobre pour hater Ja conclusion ; le Commerce termine ainsi son article: « S’il est possible de fonder un Second Théatre Frangais vraiment littéraire et indépendant, nous faisons des voeux pour que les autorisations ne se fassent pas trop attendre : le ministre doit étre maintenant bien convaincu que le public et les auteurs sont d’accord pour demander le nouvel établissement. » Le Temps du méme jour exprime « le voeu que cette concession nécessaire soit faite le plus tot possible dans J’intérét de V’avenir de notre littérature dramatique >. Aprés Vobtention du privilége, certains journaux comme le Charivari (13 novembre), ou les Débats
(méme date) approuvent
« ce nouvel
acte de sollicitude du gouvernement pour notre littérature moderne > ainsi que « le choix du ministre ® ». Le Monde dramatique (dirigé par Gérard de Nerval) consacre une note extrémement élogieuse a Anténor Joly dont il affirme : « Pour un tel homme le passé répond pour l’avenir, » Et il insiste sur importance littéraire de lévéne36, Méme manuscrit, f° 32, samedi, 1 heure du matin (12 novembre). 37. Une note des Débats (14 novembre) remarque : « Le deuxiéme
Frangais
n’a
expressément
et
n’aura
qu’il sera
. Le 21 novembre,
jamais
établi
rien
sur
de
commun
la rive droite
le Courrier
des Théatres
avec
l’Odéon,
de la Seine.
annongait
Théatre
le privilége
» (...)
: « M. Morin,
porte
le pro-
fesseur de la classe de déclamation au Conservatoire l’a emporté sur une quinzaine de concurrents... Le répertoire se compose de tragédies, comédies, drames, vaudevilles, ec sens doute de petits opérus comiues(la direeion de la place de la Bourse
aidant
gracieusement)...
39. 14 novembre.
A année
prochaine
la subvention.
»
7
LE THEATRE
ment:
DE LA RENAISSANCE
« Il est une foule de jeunes auteurs
théatres du Boulevard,
307
qui sont rejetés dans les
faute d’un second Théatre Francais. La, malgré
le talent de leurs ouvrages, ils sont obligés de se conformer aux exigences du lieu, d’appeler mélodrame ce qui est drame et bon drame, et de voir leurs ceuvres passer inapercues ou remarquées surtout pour les comparses et la mise en scéne. Une succursale du Théatre Francais commandera plus d’attention et de justice au public. » Beaucoup de journaux (le Siécle, le Constitutionnel) se contentent d’une note ; mais certains, comme
le Corsaire, l’assortissent d’un aver-
tissement aigre-doux : « Nous suivrons les destinées de cette entreprise qui n’aura pas, nous en sommes convaincus, la exclusive qu’on lui attribue dans le public. » Autrement dit, M. Joly, ne faites pas jouer trop de drames romantiques. méme numéro du Corsaire, trouve place, non signée, une des les plus haineuses qui aient jamais été écrites contre Hugo :
nouvelle couleur surtout, Dans le attaques
Au fait, M. Guizot est un enfant que I’on berce d’illusions bien étranges. Parce qu’il a circonvenu de caresses, de faveurs et de signatures M. Hugo, il s’imagine avoir conquis une popularité incommensurable parmi tout ce qui pense et qui écrit (...). M. Guizot, vous étes un homme bien naif. Le temps n’est plus, monsieur, ot chaque nouvelle recrue de la littérature active s’estimait heureuse d’aller pendre sa giberne dans le vestibule de M. Hugo, et s’honorait d’une faction montée en son honneur. Six années et quatre pauvres drames ont passé la-dessus, monsieur (...) Peut-étre avez-vous
cru et voulu seulement
désarmer
en
lui a la fois la République et l’Empire, attendu qu’en sa qualité hyperbolique de républicain, M. Hugo a rimé trois odes en VPhonneur de Napoleon I et II. Si cela est, j’humilie mon bon sens devant le votre et devant le sien *. En revanche, la Presse pour défendre le ministre :
d’Emile
de Girardin,
entre
dans
la lice
La probabilité de Vouverture d’un Second Théatre Franais est 4 cette heure devenue presque une certitude et pour a premiére fois depuis six ans, les réclamations de la littérature ont trouvé un accueil bienveillant sinon sympathique, dans le ministére. Cela ne nous étonne pas de la part d’hommes dont les plumes ont signé des livres d’archéologie et d’histoire avant ra Aone des ordonnances et des circulaires*. (27 novem-
re
:
Le second privilége. Les
difficultés
ne
sont
pas
terminées,
elles
commencent.
Tout
d’abord il faut trouver un terrain ou un batiment. La presse qui avait d’abord parlé de Ventadour, fait allusion 4 présent au « Bazar incendié ». En fait, Joly pense 4 Ventadour,
mais c’est une salle chére, mal
située et dont la situation administrative est compliquée : il traine sur elle un privilége mal défini que posséde l’Opéra-Comique et dont
40. 13 novembre. 41. Allusion évidente
A Guizot.
)|
LE ROI ET LE BOUFFON
308
||
Crosnier ne se sert pas®. Mais quel que soit le lieu, il faut deVargent ; cet argent, c’est Villeneuve qui le fournit, « vaudevilliste enrichi dans les pompes funébres* » ; cet homme aime la musique ; _ il faut bien le satisfaire. D’autre part, Védel obtient le droit de rouvrir ’}Odéon ; il y a 4 nouveau, sous l’égide la Comédie, un Second Théatre francais. Joly a donc besoin pour le nouveau théatre d’un nouveau privilege, le premier étant devenu, ipso facto, caduc. Joly change ses batteries et fait faire par le Courrier des thédtres une campagne pour Pouverture d’un unisthéAtre 4 musique : « La France entiére et tout le peuple artiste d’Opérathéatre deuxiéme un demander pour sent leurs espérances Comique, mais... le monopole est la propriété de M. Crosnier » (28 mai). Hugo, Le 22 juillet 1837, l’ensemble des auteurs dramatiques,' y compris le drame, sollicite ouverture d’un second thédtre, « destiné a exploiter
carences la comédie et ’opéra-comique * » : il comblerait done les et de tous les théAtres nationaux a la fois (Opéra, Opéra-Comique Comédie Francaise “). Joly A la fin de septembre (probablement le vendredi 22) Anténor
fait le point de la question : « signé aujourd’hui parce que cheeurs et les intermédes de Comique. Il les tolérera ; j’ai ennui
des
réclamations
Mon cher Victor, le Privilége n’a pas été le ministre ne veut pas accorder les peur que nous ne fassions de VOpérapassé par ou Cavé.a voulu pour éviter bien
nouvelles ; ils seront
fins
s’ils
nous
nous vouempéchent de mettre des choeurs et des intermédes la of journée a drons ; youdrons-nous souvent Wailleurs ? J’ai passé ma visiter et mesurer
de Ventadour
les alentours
avec
mon
architecte
;
e des Vopération sera je crois impossible pour deux raisons : Vexigenc des élevé prix le : s locataire des que ainsi ants propriétaires environn finalement constructions qui s’éléveront 4 600 000 F“. » Joly se décida 1837 pour pour Ventadour et l’obtint : le bail fut signé le 18 décembre 9 ans A compter du 1% septembre 1838. a Le jeudi (28 septembre) Joly annonce h Hugo qui séjourne sep(27 i mercred veille la , privilége Auteuil, la signature du second
et grande tembre “). Le Courrier des thédtres est satisfait : « Bonne question nouvelle, M. le ministre de l’Intérieur a décidé hier une Théatre de (...). que dramati l’art pour heureux résultats en féconde répertoire se la Renaissance est le nom que portera le spectacle. Son composera
de drames, de comédies
avec
cheeurs et intermédes
et de
L’Opéra-Petits-Champs. 42. La salle Ventadour est située 44, rue Neuve-des 1832, Dumas y fait NOueE ‘eresa Comique y joue du 20 avril 1829 au 22 ar émigre a la Bourse (Salle le 6 février 1832. C’est un échec. Quand VOpéra-Comique On y joue le 10 juin les ballets des Nouveautés), Ventadour est fermé jusqu’en 1834, est fermée au début salle La Ciceri. de décors des avec Tell Ondine et Guillaume VOpéra italien, chassé par de 1835 et ne rouvre que le 30 janvier 1888 quandun refuge jusqu’au 31 mai. A trouve y janvier), (14 Favart salle Vincendie de la prend possession, cette date, Joly en une série de let43. Le dossier #2! 1119 des Archives Nationales contient toute tentatives faites tres adressées par Joly au ministére et qui marquent les diverses
ar lui pour
Bt mai 1837
trouver
un
local
(voir
lettre du 12 avril de Joly A Hugo 44, V.H.R., O.C., V, 1397. 45. Arch. Nat. F2t 1119. 46. D’ot Punanimité
47, Méme 48; Méme
en
: A cette date, Joly n’avait
particulier
pas encore
des écrivains et musiciens.
manuscrit, f° 25. manuscrit, f° 23.
les lettres
obtenu
posait le probléme
du
17 avril et du
la salle Ventadour),
du local
Une
(ms. 13402, f° 39).
LE THEATRE
DE LA RENAISSANCE
vaudevilles avec des airs nouveauz.
309
M. A. Joly est Je titulaire de cet
immense privilége » (29 septembre). Joly avait 4 peu prés ce qu’il voulait, y compris la musique, mais comportait des restrictions assez génantes pour le recruprivilége le tement : Joly ne pouvait « débaucher » d’acteurs des théatres royaux ; ils ne seraient pris que trois ans aprés leur sortie. C’était d’autant plus contrariant que Poirson, directeur du Gymnase, qui espérait « souffler > son privilége 4 Joly, avait d’avance et précautionneusement ‘engagé Bocage et Dorval ; il décapitait le drame romantique ! En tout cas avec le privilége et l’argent de Villeneuve, Joly pouvait aménager un luxueux théatre. Si les critiques furent parfois réticents devant les spectacles montés 4 la Renaissance, ils furent toujours ravis
de la salle. Une naissance difficile.
La presse se demande si Hugo va donner immeédiatement une piéce au nouveau théatre. Le 2 janvier 1838, le Courrier des thédtres interpréte la reprise de Marie Tudor par Harel, a la Porte Saint-Martin, comme une invite 2 Hugo : « pour allécher cet auteur et l’engager a lui donner son nouvel ouvrage ». Le 11 janvier le méme journal annonce méme « pour cet hiver a la Porte Saint-Martin un drame de M. Hugo >. Mais Dumas est inquiet et jaloux ; il craint pour ses piéces et pour son interpréte chérie, Ida Ferrier. Hugo et A. Joly (19 janvier 1838) doivent le rassurer ; c’est ce qui ressort d’une lettre d’Hugo a Joly ou Hugo affirme qu’il « regarde le concours de Dumas comme absolument nécessaire ” ». Il suggére a Joly : « Voyez-le, il vous croit froid pour Jui (...) Je ’ai rassuré pleinement, je lui ai dit ce que je vous ai dit tant de fois 4 vous-méme : que nous serions 4 votre théatre tous les deux sur le pied d’une entiére égalité ;que je supporterais fort bien des préférences pour lui, mais que je n’en voulais pas pour moi ; enfin que je le considérais, ce qui est vrai, comme indispensable au bon établissement de ce théatre ouvert 4 tous et pour tous. »
Maneeuvres d’arriére-garde.
-Malgré les inconvénients de Ventadour « désagréable, incommode et triste © », sans dégagements et « grande comme une halle », Crosnier, directeur de l’Opéra-Comique aimerait la reprendre, mais pour empécher Joly d’y jouer des spectacles 4 musique; Joly et Villeneuve se cramponnent : ils ont un bail de 9 ans passé avec les propriétaires de la salle *%. Une assez jolie petite intrigue, probablement ourdie par Crosnier, pousse l’un des actionnaires 4 réclamer la vente de la salle *. Ce n’est qu’une bulle de savon : le 21 mars, les actionnaires sont revenus unanimement sur la dissolution de leur société *. Le 15 avril, un article qui sent le communiqué annonce : « Le 15 de ce mois, la salle sera abattue pour étre entiérement reconstruite sur un nouveau 49, 0.C., V, 1131. 50. Courrier des thédtres, 51. Id., 20 février.
6 et 13 février.
52, Courrier des thédtres, 20 février. 53. Id., ler mars. 54, Id., 21 mars.
310
LE ROL ET LE BOUFFON
plan. A. Joly et F. de Villeneuve achévent une tournée thédtrale qui parait devoir nous donner une excellente troupe dramatique : déja il a traité avec des talents amis du public parisien et ils se sont en outre assurés du concours des célébrités de la province et de l’étranger. L’ouverture du nouveau théatre aura lieu le 1° septembre prochain ©. > Autour du 20 avril, la polémique continue entre Crosnier et Joly au sujet des droits au thédtre lyrique. Le 19 avril, le Courrier des thédtre publie une lettre d’Anténor Joly, datée du 17 : celui-ci dément le bruit selon lequel « le genre del’Opéra-Comique sera mis en premiére ligne au théatre Ventadour », et il apporte la premiere annonce officielle de son accord avec Hugo : « Lorsque le privilége du deuxiéme Théatre
Francais
fut modifié,
sur la demande
des auteurs
et compo-
siteurs dramatiques, il a bien été établi que ce théatre serait a la fois second Théatre Francais et second Théatre d’Opéra-Comique ; les deux genres seront donc également exploités, et si mes espérances se réalisent, j’ouvrirai par un drame de M. Victor Hugo et une partition de M. Meyerbeer. C’est dans le but d’obtenir tout 4 la fois cette haute position littéraire et cette haute position musicale qu’ont été faits les premiers engagements ©, » Le 23 mai on apprend que Crosnier n’a pas désarmé et qu’il menace toujours le Thédtre de la Renaissance dune lutte judiciaire” ; ’inauguration est remise « du 15 septembre - au 1% octobre prochain ® ». En juin, la commission des auteurs s’est occupée de trois points capitaux : l’obtention du titre de Théétre Royal, celle de la subvention et Vautorisation de jouer des piéces de genre. Contrairement aux pronostics, seul le troisiéme point fut obtenu sans trop de difficultés *. En fait malgré la pompe de son inauguration, malgré l’éclat avec lequel fut monté Ruy Blas, le Théatre de la Renaissance ne fut jamais prospére. Créé pour le drame romantique et pour l’opéra-comique 4a la fois,
il avait de ce fait la charge trop lourde de ces deux troupes, et il était douloureusement menacé, par la concurrence des théatres lyriques subventionnés et par le déclin du drame romantique. La rupture d’Anténor Joly avec Frédérick Lemaitre lui portera le coup de grace ®. L’équivoque qui pesait sur lui depuis sa création finit par le détruire : il n’y avait pas de théatre possible pour lé drame roman-
tique, surtout pour Je drame de Hugo qui fut le premier 4 étre contraint de le déserter. Ni le Léo Burckart de Gérard de Nerval, ni l’Alchimiste 55. I., 15 avril.
y
56. Courrier des thédtres, 19 avril. A quoi Crosnier répond qu’il ne peut acecepter aucune musique & la salie Ventadour, sans cela dit-il : « Je lui croirais le droit d@’exporter 4 la salle Ventadour le privilége d’un Second Théatre d’Opéra-Comique et d’établir ainsi &4 mon préjudice une concurrence d’autant plus dangereuse qu’elle serait confiée A des mains fort habiles... L’administration s’est engagée & ne pas autoriser la représentation des piéces du genre de celles de l’Opéra-Comique sur les autres thédtres de la capitale. Je déduis que M. le Ministre n’a point accordé et que
M. Joly
se trompe.
» (Courrier
des
thédtres,
20 avril
1838),
Le méme
jour, dans
le méme journal, Joly donne des précisions et s’excuse d’avoir employé a tort le terme d’Opéra-Comique : « Cette expression est d’ailleurs consacrée pour désigner les poémes mélés de musique que mon Privilége m’oblige a faire représenter. »
57. Id., 23 mai.
58. Id., 24 mai.
59. Anténor Joly avait demandé permettait le droit 4 la subvention,
inlassablement Je titre de Thédtre Royal qui le recrutement de tous les artistes, des avan-
tages fiscaux, enfin qui l’assurait pratiquement contre la faillite (demande du 13 décembre 1836, renouvelée le 23 juillet 1837 par une lettre jointe A la lettre des auteurs et compositeurs du 22 juillet. Arch. Nat. F2) 1119). ; 60. Cf. lettre d’A. Joly a Hugo contre Frédérick-Lemaitre, 30 juin 1840, ms. 13402, f° 64.65. Le théatre cesse de fonctionner au printemps 1841. ;
311
DE LA RENAISSANCE
LE THEATRE
(printemps 1839), malgré leur volonté de tenue littéraire n’eurent de succés. Prise en main par Scribe et Delavigne, devenue le sanctuaire de la comédie et du drame bourgeois, la Renaissance efit été propére. Mais Scribe et Delavigne n’avaient pas besoin d’un nouveau théatre : ils avaient tous les autres.
de Dumas
La troupe.
de la troupe™
La composition
n’est pas une petite affaire; Joly
ni sur Mile Georges®
ne peut compter
par Harel
retenue
a la Porte
Saint-Martin, ni sur Bocage et Marie Dorval engagés au Gymnase ®. Reste Frédérick Lemaitre, engagé le 14 mai 1838; la durée de son contrat est du 1* septembre 1838 au 31 mars 1839 ; il touchera 1 000 F par mois, plus des « feux » allant de 50 4 100 F par soirée (100 F pour cing actes), Ce n’est pas un pont d’or, mais c’est honnéte. Il exige Vengagement de sa passion du moment, la petite comédienne de variétés Atala Beauchéne, qu’il forme au thédtre sérieux™ et qui est engagée, en méme temps que iui, semble-t-il, sous le nom de Louise Beaudoin. Dumas amenait sa protégée Ida Ferrier, et Hugo, aprés des une
dont
hésitations,
de Juliette
lettre
du
6 mai
61. Outre Chilly et Saint-Firmin tre de la Renaissance était composée
1838
On
gnage ®, réclame aussi Vengagement de Julieite. joua jamais au théatre de la Renaissance.
engagés plus tardivement, comme suit :
Premiers réles : Frédérick-Lemaitre, Guyon, Alexandre Jeunes premiers : Langeval, Montdidier, Crécy. Comédie : Fereol, Chambéry, Fresne, Delacroix. Raisonneur : Felgine. Utilités : Gustave, Beaulieu.
témoi-
porte
sait qu’elle
la troupe
du
ne
Théd-
Mauzin.
Premiers réles : Mme Albert. Jeunes premiéres : Juliette Drouet, Ida Ferrier, Louise Beaudoin (Atala Beauchéne), Crécy. Mére noble : Level (cf. Descotes, op. cif., p. 317). A propos de |’engagement de Saint-Firmin. cf. plus loin, p. 343. Pour l’obtenir, Joly dut payer un dédit au théatre de la Gaité. 62. Le nom de Mile Georges figure dans le brouillon du contrat avec Joly 6 aotit 1838),
(maison
Victor
Hugo).
63. Marie Dorval ne sera engagée A la Renaissance que plus tard, 4 la date du 11 juillet 1839, moyennant 2000 F par mois. Une lettre de Hugo a Dorval 4 la Bibliothéque Lénine marquée mars 1837, indique les espérances que le poéte met dans la présence de Marie 4 la Renaissance : « Je vous ai suivie des yeux, mon
admirable Tisbé, souvenue de moi
espérons
toujours
dans toute votre course de gloire. Je vous remercie de vous étre au milieu de tant de triomphes, victoires, tétes couronnées. Nous
que
le Second
Théatre
Frangais
dont
vous
serez
la
splendeur
ouvrira en septembre. Il y a ca et 1a, comme dans toutes les affaires de ce monde, des obstacles matériels. A. Joly travaille A les lever. Il compte sur vous de tout son ame. Je lui ai donné vos articles qu’il a répétés dans le Vert-Vert. (...) Et puis, Madame, je me mets a vos pieds avec l’espoir de vous ouvrir ce beau théatre. »
A la fin de année 1837, intervient une brouille entre Hugo d’une part, Merle et Marie Dorval de l’autre. Merle ayant pris parti violemment contre Hugo dans la Quotidienne, A propos du procés avec la Comédie, Hugo écrit A Marie une lettre sévére
qui
Jui
vaut
deux
lettres
d’excuses
trés
plates,
lune
de
J.-F.
Merle,
Vautre
de Marie. Elle joue & la Comédie Dofia Sol et Marion, lors des reprises de 1838. La réconciliation est donc rapide et totale. Hugo voudrait Dorval pour la Renais-
sance
: le 17
mai
1838,
Joly
explique
A Hugo
que
Mme
Dorval
ne
peut
quitter
le
Gymnase ; selon Merle, elle « a un engagement sacré qu’elle ne peut rompre, et Merle ne voit pas quelle compensation je pourrais offrir A une durée de cing années et 30000 F d’appointements ». Ms. 13402, f° 55 (lettre de Joly a Hugo). 64. Cf. plus loin, p. 334.
65. Lettre inédite : « ...Pauvre bien-aimé, je ne sais & quel saint me vouer pour Vaffaire de Joly. Je crains de t’embarquer dans une trop méchante_affaire — peut-étre vaudrait-il mieux que nous allassions chacun de notre cété, au théatre seulement, pour un certain temps que de risquer 4 nous nuire mutuellement : il
312
LE ROT ET LE BOUFFON
Cette troupe avait bien des inconvénients ; 4 part Frédérick, les du drame romantique n’y figurent pas; trois jeunes premiéres «< protégées », c’est trop pour la bonne entente. Trop de disparates et d’acteurs insuffisamment connus. La restriction du privilege (interdiction d’engager des acteurs venus immédiatement des théAtres subventionnés ou du Conservatoire) avait réellement géné Anténor Joly, et le théatre de la Renaissance n’eut pas une durée suffisante pour enrichir véritablement ses effectifs. Méme lengagement vraies vedeties
de Marie Dorval ne put le sauver.
:
]
!
: :
est vrai que je ne vois pas trop dans quel théétre je puisse aller sens ta protection mon
du chagrin bien ent j’ai vraim
vre bien-aimé,
puisque je aime de toute mon éme, réfiéchis bien, mon cher bien-aimé, etsicette ecla bien mauvaise ne la faisons pas. affaire Joly est décidément tout, tes intéréts sont bien plus du fond du ceur et sans nous qui doit se saerifier & Pautre, eles ee Ns ae eae c’est certainement
»
b
RUY BLAS, DRAME DE LA SYNTHESE Hugo en 1838.
Si Angelo est ceuvre de compromis, Ruy Blas veut étre ceuvre de synthése. Le lieu s’y préte. Enfin Hugo a un théatre ou il sera libre, ou s’épanouira ce drame dont il réve et qui a toujours été bridé par les contraintes extérieures. Se dira-t-il, comme il l’imaginait en 1831 dans la lettre 4 Victor Pavie,
« maitre d’un atelier ot l’art se cisélerait
en grand, ayant tout sous moi et loin de moi, directeur et acteurs! » ?
Le moment
s’y préte
aussi,
sans
doute
: le génie
a conquis
sa
maturité, il a pu faire des expériences dramatiques diverses pour des scénes différentes ; sa situation quasi officielle, quoique en retrait par ' rapport au régime, lui laisse les coudées franches. Aprés Angelo, Hugo n’écrit rien pour le théatre, et ce silence dure plus de trois ans. On ne peut guére compter pour une ceuvre originale ia Esmeralda, pensum de circonstance en gestation depuis bien longtemps. Et pourtant, le probleme de Hugo, avec ses deux foyers, ses enfants, sa vie officielle et mondaine, les dettes de Juliette — ce probléme, c’est l’argent, et l’argent, c’est le théatre.
Angelo n’était pas totalement satisfaisant. La piéce avait apporté Yargent, non la gloire. Cette fois la critique, portant a faux, avait porté
juste. On le félicite d’avoir bien voulu baisser d’un ton, mais nous dirions volontiers, parodiant Hugo, que le lion ne peut se mettre a aboyer comme un roquet. I] doit retourner au vrai drame hugolien. Mais pour ce faire, il faut que les conditions matérielles changent :
le silence de Hugo est lié au probléme de la scéne. En ces années 18361838, il est sincérement. et profondément
désabusé.
Certes, le pouvoir
— ou plus exactement la frange du pouvoir — lui fait des sourires : ce fameux théatre de la Renaissance en est une belle preuve. Trés intéressante, cette subite amitié des Orléans pour le poéte : échange de bons procédés,
réceptions,
cadeaux, flatteuses
attentions *.
Mais l’amitié du prince est peut-étre un cadeau pesant. Hugo ne parait pas se décider 4 se rallier officiellement 4 la monarchie. II tient 4 étre libre
: il ne sera pas le thuriféraire
de lu Monarchie
de Juillet,
et dans Ruy Blas moins qu’ailleurs. Pour s’en persuader il suffit de voir 1. Lettre
a Victor
Pavie
du
25 février
1831,
O.C., IV.
2. Le 4 juillet 1837, le duc et la duchesse d’Orléans, offrent 4 Hugo l’Inés de Castro de Saint-Evre, exposé au salon de 1837. Les relations entre les Hugo et le couple princier sont telles que le 21 janvier 1838, Hugo donne une féte, place Royale, en l’honneur du duc et de la duchesse d’Orléans.
314
LE ROI
ET LE BOUFFON
la lettre du 8 juin 1837, adressée au Duc d’Orléans, et la violence de son ton 3, Cependant, un brillant avenir lui est ouvert ; l’intégration sociale du poéte au plus haut niveau, parait 4 plus ou moins long terme une certitude. L’Académie ne veut pas de lui‘, mais tout le monde sait bien — et le poéte tout le premier — qu'elle finira par céder. La pairie ? C’est un réve plus lointain, mais non dépourvu de vraisemblance. L’intégration ne peut se faire sans angoisse, voire sans mépris de soi; la situation politique est profondément enlisée dans la médiocrité : « Nos choses politiques, écrit Hugo 4 Louis de Maynard, le 21 mai 1837, sont toujours médiocres
et basses, vous vous en souvenez ;
cela n’est pas devenu plus grand depuis que vous nous avez quittés. De petits hommes travaillant autour d’une petite idée ; peu de chose s’agitant autour de rien ®. » Il n’est pas agréable de briller dans un monde dont on voit la bassesse. La vie privée du poéte n’est pas absolument satisfaisante. La passion qu’il eut pour Juliette est singuli¢érement affaiblie. Juliette se plaint, non de son isolement seul, de cette claustration dont on a tant parlé, mais plus encore de la désaffection du poete, de sa froideur sentimentale et sexuelle °. Et certes, elle « joue » a se plaindre, mais
les lettres de Hugo trahissent des sentiments plutot convenus. Adéle s’est éloignée de Sainte-Beuve, mais il n’y a pas eu de vraie réconciliation entre les époux. Bref, la vie affective du poete manque d’enthousiasme, c’est le moins qu’on puisse dire. Plus que jamais, il se tourne vers ses enfants, et surtout vers cette Léopoldine dont il écrit le nom sur le sable de la mer, le 3 septembre 1837, a Etaples’. Il n’y a plus de vrais amis. Peut-on considérer comme tels les Bertin, malgré la bonté active de Louise Bertin ? Les sentiments pour Sainte-Beuve, Hugo a pu en faire la preuve lors de Venterrement de Gabrielle Dorval’, sont plus morts que les morts. L’amitié sociale subsiste seule *. , Un dernier coup : la mort d’Eugéne, le frére fou; les lettres de Juliette nous permettent de mesurer le choc qu’elle cause au poéte; il a méme un petit accident ; dans une lettre a Vacquerie, il se dit : « triste, et par moments accablé ». Cette mort le renvoie 4 l’enfance,
au jardin des Feuillantines, a la mére, 4 soi. Encore la mort : Vexhu-
depuis 3. « Je vois avec peine, lui écrit Hugo, le gouvernement ne négliger littérature sept ams aucune oceasion de témoigner une profonde antipathie a la e de contemporain spécialement plus est qui celle A actuelle, et en particulier ot vous V.A.R. » Et il ajoute avee irrévérence : « Nous serons heureux le jour ne vous que place la intelligentes générations jeunes des voudrez prendre a la téte 1121. V. méritez pas moins par votre esprit, que par votre naissance. » 0.C., V, inouie. violence sa et dramatique Commission la p. 380, la lettre de Hugo 4 4, Echees du 18 février 1836, du 29 décembre 1836.
5. 0.C., .V,_1120. (Juliette étant 6. Sur ce dernier point, ’examen des lettres quotidiennes permet de leurs peu discréte sur ses satisfactions amoureuses) de déduire que la fréquence rapports sexuels est incroyablement basse. vague La DIDI. : sable le sur nom ton tracé 7. Lettre & Léopoldine : « J’ai de la haute mer Veffacera cette nuit. » O.C., 1125. Londres a vécu avait qui Dorval Marie de 8. L’enterrement de cette fille ainée dans le méme fiacre avec Fontaney a lieu le 16 avril 1837. Hugo et Sainte-Beuve écrit a Guttinguer : me s’adressent pas la parole. Le 20 juin 1837, Sainte-Beuve nous voir, comme sans autre, de un cote A ebte étions nous Hugo... hier vu « J’ai la blessure. >’ mous serons pendant I’éternité. L’océan passerait sans laver n’en est encore disciple, 4 maitre de amitié Vacquerie, Auguste pour 9. Lamitié de Cassagnac (auquel qu’A ses débuts. Quant aux Gaspard de Pons, aux Granier vaut n’en pas parler. mieux 1838), juin 10 le d’*bonneur légion la Hugo fait avoir
« RUY
BLAS
>, DRAME
DE LA SYNTHESE
315
mation et le transfert des cendres maternelles “ font écho a l’enterrement d’Eugeéne, le « poéte ». Le poéme des’ Voix Intérieures A Eugéne, Vicomte
H™
fixe la constellation du frére, de la mére, du jardin, avec,
en contre-point, cette opposition tantes de la pensée hugolienne ®,
mort-gloire 2 qui est une
des cons-
Solitude intérieure, angoisse devant l’ambiguité de sa promotion sociale 4, et la réversibilité du destin, autant d‘éléments qui contrai-
rement a ce que pense Mauron, indiquent le retour 4 un « creux dépres-
sif ® » qui trouve sans doute son point le plus bas dans l’été 1839 quand Hugo tente d’écrire son drame le plus noir, Les Jumeauz.
GENESE
DE RUY
BLAS
Le Jocrisse.
Nous
ne reviendrons
pas sur l’analyse que nous
avons
faite du
schéma du Jocrisse dans le théAtre de Hugo: nous l’avons tentée a propos du Roi s’amuse qui en est la figure littéraire la plus compléte et la plus simple. Dans Ruy Blas, le schéma triangulaire maitrefemme-valet, n’est pas seul en cause: l’autonomie du valet est beaucoup plus grande, il a son ambition et son désir propres, bref, c’est un valet, mais c’est un valet ministre. Cependant, le seul vrai jalon de la genése de Ruy Blas est le développement du schéma du Jocrisse"’. Nous sommes parvenus 4 dater ce texte avec une relative précision : il est écrit sur le papier gris A filigrane Whatman qui est le papier de Juliette pendant l’été 1836. Peut-on le dater d’aoait ou septembre 1836, quand Hugo rentre a Paris aprés son voyage en Normandie ? Il a recu le 30 juillet une réponse favorable d’Anténor Joly touchant le futur thédtre de la Renaissance; il peut donc songer a un nouveau texte dramatique. Dans
ce petit dialogue,
une sorte de Don
un
personnage
sans
nom,
mais
qui est
Salluste, tente de faire jouer au héros picaresque
le
10, Le 25 octobre 1837, Sophie Hugo est exhumée ; son corps passe du cimetiére de Vaugirard au Pére Lachaise dans la concession perpétuelle de la famille Hugo. 11. Voix
Intérieures,
29, 0.C., V, 632 sqq.
12. Et particuliérement la gloire théatrale : Quand le peuple au théAtre écoute ma pensée... 13. Voir le poéme : Tu vas dormir, poussiére, au fond d’un lit d’argile...
14, Voici
Et moi je vais rester, souffrir, agir et vivre ; Voir mon nom se grossir dans les bouches de cuivre De la célébrité.
la suite du texte précédent Et cacher,
Le renard
15. marque graves 16. Genése 17. ments,
comme
:
a Sparte, en riant
quand
envieux qui me ronge le ventre, Sous ma robe abrité !
on
entre,
Voir Mauron, Les Personnages de Victor Hugo, O.C., Il, XII : « Notre-Dame un creux dépressif, en vérité le point le plus bas de la série, Les Buroccupant le point le plus haut. » Pour plus de détails sur cette genése, voir Ruy Blas, édition critique, et de Ruy Blas, in R.H.L.F., novembre-décembre 1970. Voir les autres menues brindilles in Ruy Blas, édition critique, II, DocuUniversité de Besancon, 1971, p. 9-17.
18. Papier différent du papier Whatman qui porte le n° 18 dans la’ classification Journet-Robert (des F.A. aux R.O.), filigrane plus petit. Ms. 24753, ffoe 632-633, cote
74/28, ibid., p. 13.
LE ROI ET LE BOUFFON
316
réle qui sera celui de Ruy Blas. Ce personnage est désigné par Vini», tiale M. et il se définit ainsi : « Moi, j’ai joué vingt ans la comédie et « je suis un homme sar et éprouvé, jai été aux galéres, moi... » L’autre lui suggére de séduire la reine : Aux galantes fagons de quelque enfant de bien, Si la reine prend feu, moi je n’y suis pour rien.
M., aprés avoir expédié a son interlocuteur a Salluste (« vieux
de César
Vinjure méme
diable ! »), refuse le périlleux honneur :
Je ne l’accepte pas. Il est fort difficile Que quelqu’un ne soit pas pendu dans tout ceci,
Et ce ne sera pas certes, votre Excellence.
Une formule parait résumer V’intrigue de Ruy Blas, mais avec légereté : « Je monte, je suis grand seigneur. Je redescends, je suis valet de chambre. >» S’ouvre ici le duo, du grotesque” et du grand seigneur; il s’agit de tendre un piége a une femme et il n’est pas difficile de retrouver ici beaucoup plus clairement que dans le Roi s’amuse, le schéma de ‘la Mariposa II, mais c’est un piége de haine et non d’amour ™. Si la parenté avec le schéma de Don Juan subsiste, elle est dissimulée par ce changement radical joint 4 la laideur du protagoniste titré
Ici le M. qui représente probablement Maglia, relai de Tafalta™ et de Marforio ®, est le héros picaresque dont l’attitude se caractérise par un refus paralléle 4 celui de Don César, refus ici non de panache, mais de prudence. Ainsi le premier schéma est celui du maitre faisant jouer au valet son propre role 4 la faveur d’un déguisement. Hugo s’appuie sur toute une tradition littéraire. Sans parler méme des intrigues de Marivaux
Le Jeu ou intervient le valet déguisé en maitre (La Fausse suivante, de Mariage le dans , VEpreuve) surtout et hasard, du de Vamour et
nFigaro, la scéne décisive de l’acte V (scéne 8) repose sur Vintercha Juan, geabilité du maitre et du valet. Et nous retrouvons ici le Don non
de Moliére,
mais de Mozart.
Dés le départ, le canevas de 1836, déja situation-clef de la piéce, le maitre qui pour tente de lui faire prendre pour amant, sinon valet. Fable extrémement banale au début du que
les sources
affluent
en
groupes
serrés.
particularisé, recéle la se venger d’une femme pour époux, son propre
x1x° siécle, si commune
Ce
ne
peut
étre
a cette
date ’Angelica Kauffmann de Léon de Wailly™, mais c’est de l’aveu pendant méme de Hugo, les Précieuses ridicules auxquelles Hugo 19. Voir 20.
supra, chap. Madame Louis XIV et Maglia. Bah, vous la haissez. Pourquoi donc, s’il te plait ? Hé, parce qu’elle est belle et que vous étes laid.
Crest déja une raison. 21. Trois vers qui se retrouvent dans Ruy Blas sont consignés a cété d’un fragment qui ressemble singuli¢rement aux gémissements de Leporello : Et
moi,
peers. valet,
Je reste dans la rue a garder le mulet. (texte complet in op. cit., Ruy Blas, I). 22. Voir chapitre Le Repaire de la Guerilla et Feuilles 23, Cf. reliquat
des
Odes
et Ballades,
0.C., U1, p. 1135.
24. 1838, Voir R.B., Ed. crit., introd., p. 18.
Paginées,
; p. 112.
te re thantn cebies
« RUY
BLAS
Vexil renvoie expressément
», DRAME
DE LA SYNTHESE
(Journal d’Adéle*).
317
Autre source
littéraire
possible sinon probable, l’épisode de Mme de la Pommeraye dans Jacques le Fataliste, ceuvre célébre dont la Léontine d’Ancelot” est le pale décalque contemporain. Ce qui apparait donc ici, c’est le rapport du maitre et du valet : le maitre propose ou impose un réle a son valet, le valet accepte ou refuse le réle. On sait 4 quel schéma conduit cette situation-clef chez Hugo
dans
la Mariposa
II, dans
Notre-Dame
de
Paris,
dans
le Roi
s’amuse : 1) Le valet sert le maitre. 2) Il se retourne contre le maitre. 3) Il recoit sa punition. L’homme
découronné.
Un texte bien connu du Victor Hugo Raconté fait allusion au premier aspect que revét Ruy Blas dans la pensée du, poete :
Sa premiére idée avait été que la piéce commencat
par le
IlI* acte de Ruy Blas, 1* ministre, duc d’Olmedo, tout-puissant, aimé de la reine ; un laquais entre, donne des ordres 4 ce tout-
puissant, lui fait fermer Tout se serait expliqué mieux commencer par gradation plutot qu’un le ministre en ministre
une fenétre et ramasser son mouchoir. aprés. L’auteur, en y réfléchissant aima le commencement; faire un effet de effet d’étonnement et montrer d’abord et le laquais en laquais™. »
Témoignage confirmé par celui de Charles Hugo : Je me rappelle qu’il (Ruy Blas) m’est apparu de facon toute différente de ce qu’il est aujourd’hui. La toile se levait sur Ruy Blas grand seigneur aimant la reine et aimé d’elle. Le spectateur n’était pas prévenu que ce ministre était un laquais. On devait voir tout 4 coup don Salluste surgir et jouer avec le déguisement de son valet pour le lui arracher ensuite. Dans la piéce telle qu’elle est, on voit don Salluste masquer Ruy Blas *. Ce qui parait capital 4 Hugo, c’est le démasquage de Ruy Blas, démasquage auquel Hugo finit par donner sa vraie place, centrale. Le Journal d’Adéle apporte le méme témoignage avec la précision et Véclat qui trahissent la parole méme du poéte : Ruy amoureux
Blas
incarne
d’une
reine,
4 chaque entre
pas
autres:
cette
idée
la scéne
d’un
laquais
ot don
Salluste
déguisé en laquais met la main sur l’épaule de Ruy Blas déguisé en ministre et lui rappelle ainsi qu’il est un laquais en lui montrant son maitre precisément au moment méme ou Ruy Blas marche vivant dans son réve étoilé et s’envole ébloui dans Vamour, dans la royauté *. 25. cieuses complet 26. 20 mai
« Ruy Blas est renouvelé de (des Précieuses Ridicules)... entre (Les PréRidicules) et Ruy Blas il y a la Révolution » (décembre 1855). Voir le texte in Ruy Blas, éd. crit., t. I, p. 30. Drame en trois actes représenté pour la premiére fois au Vaudeville, le 1831. 27. V.H.R., O.C., V, 1398. 28. Charles Hugo, La Bohéme dorée, 1852, Préface, p. 12 sqq. : 29. Journal d’Adéle, Maison Victor Hugo, cf. la suite du texte et notre commentaire in Ruy Blas, éd. crit., I, p. 27-28.
318
LE ROI
ET LE BOUFFON
Ce mot de royauté indique V’idée-clef : Ruy Blas est un roi dépossédé, et le schéma final marque les deux étapes de l’intronisation et de la dépossession. Hugo méne a son terme |’idée esquissée dans le premier acte d’Angelo, celle du puissant auquel se trouve tout 4 coup annoncée une chute sans reméde: « Angelo — ... Je ne suis pas sir de ne pas
voir demain apparaitre subitement dans ma chambre un misérable sbire qui me dira de le suivre et qui ne sera qu’un misérable sbire et que je suivrai ®. » Tout le commentaire du Journal d’Adéle indique Vimportance capitale de cette scéne de démasquage, que Hugo définit comme , DRAME
DE
LA SYNTHESE
319
de César de Bazan.
Que Zafari s’éteigne et que César renaisse ! (I, 2)
Ce gui manque
dans un tel schéma, c’est le personnage
de Bazan ; or, malgré
la présence
attestée
dés
1836
de César
des schémas
de
| base, la piéce n’est écrite qu’en 1838 : outre les motifs biographiques - du silence, il semble aussi qu’il manque 4 Hugo un élément, le grotesque aristocratique, César de Bazan. Certes Hugo a besoin, au départ, d’un personnage dont I’attitude | de refits s’oppose au oui silencieux par lequel Ruy Blas répond au | pacte infernal de Don Salluste ; au désir d’intégration doit s’opposer | le non de I’ « homme de liberté® >»: « Je n’accepte pas », dit M. dans Je fragment de 1836. Mais pour ce refus, M(aglia) pouvait suffire. Or il est relayé par un personnage entiérement différent, non seule_ ment par sa nature double (grotesque et aristocratique), mais par sa | position. ° Ce personnage est le point de départ de la rédaction : tous les _ brouillons immédiatement antérieurs 4 la rédaction de la piéce, por| tent sur Don César, qu’il soit le locuteur ou le sujet de l’énoncé*, Bien plus, Jes deux
premiéres
versions
du début
(sc. 1 et 2%’) orien-
tent le drame exclusivement sur Don César. Toute l’écriture du drame
s’établit 4 partir de lui. Or Ja caractéristique la plus remarquable, sinon la plus visible, | du personnage, dés les premiers textes, est d’étre un « revenant >, | un mort-vivant ; il est celui qui savoure « l’odeur du festin et l’ombre _ de l’amour » (I, 2), « du spectacle d’hier affiche déchirée » (I, 3), | « coeur éteint dont l’Ame, hélas s’est retirée » (I, 3), « pauvre grelot
vide ol manque ce qui sonne » ; tel il se définit, tel il s’éprouve, ' ayant rejeté son nom et son identité. Ses liens avec l’autre monde sont dissimulés, mais présents : il propose d’aller « croiser le fer Avec. Don
Spavento,
capitan de l’enfer » (I, 2) ; la premiére
du théme du refus « plutot que de faire _comporte une allusion d’outre-tombe :
cela... j’aimerais
version
mieux
>»
J’aimerais mieux cent fois porter le platre et l’auge A ce macon plus noir qu’un pourceau dans sa bauge, Qui sculpte, pour charmer le loisir des valets, Un saturne de pierre au portail du palais *.
Qui ne reconnait ici la plainte d’Achille dans la deuxiéme Nekuia de VYOdyssée, regrettant la vie et souhaitant étre le goujat d’un laboureur Vivant plutét que prince chez les ombres *. Hugo censure ce texte en le divisant et en l’insérant dans un contexte innocent et désamorcé : Je donne des avis aux ouvriers du nonce Occupés a sculpter sur la porte un Bacchus 35. I, 4 var. du v. 295. Ed. crit., p. 172. 36. 37. : 38, ‘crit. II, 39.
Voir éd. crit., I, p. 32 et Il, brouillons antérieurs a la rédaction. Ibid., les deux premiéres versions de l, 1 et 2. Ms. Ruy Blas (nafr, 13373, f° 82, cote 79/140). Voir texte complet et analyse, ibid., I, p. 34. Cf, Ed. crit., introd., I, p. 34.
in éd.
LE ROI ET LE BOUFFON
320
(un Bacchus ! ce n’est plus un Saturne)
(1, 2), et plus loin :
J’aimerais mieux, plutot qu’étre a ce point infame, Vil, odieux, pervers, misérable et flétri,
Qu’un chien rongeét mon
crane au pied du pilori ( ibid.).
Mais si l’image du mort-vivant s’attache au personnage de Don César dés son apparition, il est évident qu'elle ne prend son relief et sa fonction proprement dramatique qu’a partir du moment ou Vimposture de Ruy Blas l’ayant réellement chassé de Vexistence, il revient comme un fantome et revét un aspect proprement vampirique. C’est ainsi qu’il y a une double mort de Don César, et un double essai de résurrection, chaque fois voué 4 l’échec : aprés la premiere disparition de César, celle qui dure dix ans, avant la piéce (« tout le monde
me croit (...) au diable, mort ») et dont Salluste pourrait le tirer
(« refaire de vous un ténébres extérieures, aux pirates d’Afrique retour d’un faniéme
beau seigneur d’amour >), César est renvoyé aux a cette petite mort qu’est l’exil, vendu « en mer » (I, 3). Quand il réapparait, c’est proprement le : « Je ne suis plus vivant, je n’ai plus rien d’hu-
5 41), L’enmain, Je suis un étre absurde, un mort qui se réyeille » (IV,
ge semble de I’acte IV, de ce Retour de Don César rapproche le personna caracson avec “, double du nelles tradition ns de César des figuratio d’un tere d’outre-tombe, le danger qu’il représente, les diverses étapes manifestait processus de retour a la vie. Hugo a censuré les textes ot se tous les Vaura surnaturelle du personnage“, mais laisse subsister l’appelle on : fantéme d’un tion réincarna la fait se détails par lesquels a dépouillé trois fois par son véritable nom, son nom de vivant, qu’il pour depuis longues années ; il mange et boit la nourriture préparée existence, jusRuy Blas, prend ses vétements et récupére ainsi force et » (IV, 5). qu’a l’affirmation de soi : « Je redeviens César a l’état naturel
devient La revendication du nom et de Videntité qui clot cette scéne. donc pas Ja conclusion naturelle du repas de résurrection : «< I] n’était
pue par mort ? Il vit, messieurs, mesdames* ! » Résurrection interrom
40. V. n. 48.
qu’est Salluste, 41. Couplet d’abord mis dans la bouche de cet autre revenant retour d’exil ; voir ibid., p. 33. Mythe et Vernant, J.-P. in colossos, du antique, double du Vanalyse Cf. 42. e du double, pensée chez les Grecs. Figuration de Vinvisible et catégorie psychologiqu A jamais, ou lorsdisparu semble Join au parti homme un Quand « : p- 251-264 les rites
lui wil a péri sans qu’on ait pu ramener son cadavre ni accomplir sur sans fin unéraires, le défunt — ou plutét son double, sa psyche — reste a errer une recéle-t-il spectre entre le monde des vivants et celui des morts (,..). Aussi son > vivants. des l’égard a sévices des par manifeste se qui puissance dangereuse « a et manger, A et boire Pour conjurer cette puissance, les hommes lui offrent a sur d’insister Inutile >. nom son par mort le appellent trois reprises les officiants retour a la les parentés avec le IVe acte de Ruy Blas, sur le caractére sacré de ce
Durham, 1968) y vie, de ce rituel de résurrection ; M. Grant (The Perilous Quest, des morts. voit une cérémonie religieuse, nous y verrions plut6t un rite d@’évocation », et qu’il ne autel « un A mange il ot table la Notons que Don César assimile la transposition des faudrait guére forcer le récit de ses voyages pour y voir errances funébres du double (IV, 2).
sombre, 43. Ainsi la salutation qui marquait son arrivée dans le lieu clos, aceés, peuplé de serviteurs muets : Que ce soit un démon ou que ce soit un ange, Je salue
humblement
sans
celui que je dérange
(Var, des v. 1567-1568 in éd. crit., p. 257). . IV, 2, ibid., p. 262, Tout se passe comme
si César
(IV, 3, 4 et 5) : « Bon diner, de pouvoirs de homme 5). un duel ! Je redeviens César a )’état naturel » (IV,
reprenait
Vargent,
un
un
& un
les
rendez-vous,
« RUY BLAS
>, DRAME
DE LA SYNTHESE
321
Varrivée des alguazils. Mais César ne meurt pas : comment le pourraitil, puisqu’il est déja mort ? Mort-vivant,
mais
aussi
figure fraternelle,
structuralement
paral-
léle aux autres amis-fréres du théatre de Hugo, unis par leur mortelle gemellité. Jamais cependant la fraternité n’a été affirmée avec autant dinsistance, fraternité-ressemblance qui fait des deux personnages des doubles interchangeables *. Mort-vivant,
double
fraternel,
César
de
Bazan
renvoie-t-il
a un
référent biographique ? 4 cet Eugéne, Vicomte H“, frére sorti de la vie pendant quinze ans, mort-vivant muré dans un asile (« un fou est un mort-vivant “ »), et dont la mort récente (20 février 1837) libére le
poéte du silence dont il entourait le disparu “ — « pauvre ame emprisonnée en des organes morts » — cette ligne sibylline figure dans un brouillon ancien aupres d’une des premiéres phrases écrites pour Ruy Blas (et mise dans la bouche de Don César *) ; elle voisine aussi avec une notation qui n’est pas moins obscure et renvoie 4 une faute ecachée, a une culpabilité occulte :
Vertu Vous n’avez pas commis de crime ? —
qu’en sais-tu ?
Le theme de Cain, du désastre fraternel dont le frére est responsable, central dans Ruy Blas (sous la forme particuliére de la vie volée) se dessine peut-étre ici. Toute une série de rapprochements unit Eugéne et César de Bazan dans l’écriture hugolienne : ainsi le theme du jardin, présent chaque fois que Hugo fait allusion 4 son frére, et qui se retrouve | comme par hasard voisiner avec César de Bazan", le theme de la jeunesse commune ®, Tout se passe donc comme si se mettait en place le dernier élément nécessaire 4 Ruy Blas : la structure est compléte a partir du moment ou le héros prend lidentité, vole la vie du mort-vivant, jouant ainsi objectivement le réle de Cain. En contrepoint des deux schémas concernant Ruy Blas, se fait le récit du retour et de la résurrection manquée du Frére, César de Bazan. Toute la fable de Ruy Blas peut donc s’analyser en sept épisodes imbriqués, le premier appartenant a deux registres 4 la fois : 45. Voir Ed. crit., I, introd., p. 35, et apparat crit., I, 3, p. 171-180. 46. Voix Intérieures, 1, XXIX, mars-juin 1837, Pléiade, p, 997. 47. Océan, 0.C., IV, 930. 48. Chaque fois que Hugo fait allusion A la mort d’Eugéne, il parle de sa double mort : « C’est une haute intelligence éteinte depuis quinze ans. Un homme qui efit été bien grand s’il ne fat devenu fou. Ainsi nous avions été frappés deux fois en lui ; avant
cette
seconde
mort,
il y en
avait
eu
une
premiere,
plus
douloureuse
encore peut-étre, » (Lettre & la comtesse P. de Ségur (21 février 1837), collection du marquis de Luppé, publiée par lui dans le Correspondant, 10 aott 1922 ; communiquée par §. Gaudon,) « (...) Il avait la plus triste et la plus impitoyable des maladies. Il était fou. En décembre 1823, il est mort pour nous de cette facon, il vient de mourir pour Ja seconde fois, Etrange mystére de la Providence qui tire ainsi d’une seule téte deux douleurs pour une famille ! C’est le deuxieme deuil que ce pauvre frére me fait porter. » (Lettre & Louis Noél, 2 mars 1837, publié par Gleisz, Un Correspondant de Victor Hugo, Revue Chrétienne, ler février 49. Feuilles Paginées, p. 65 verso, vers 1829, O.C., Ill, 1190.
50. Cf. A _(V., Pp.
X),
entre
61. Ibid., 52. Ruy
Euyéne autres
vicomte
H.,
et dans
exemples ; voir
les
l’analyse
Contemplations, de
ces
Aux
exemples
in
1887.)
Feuillantines éd.
crit.,
p. 35-36. Blas, 1, 3, ibid., p. 172.
21
I,
322
LE ROI RUY BLAS
ET LE BOUFFON RUY BLAS
1° Acceptation
du
1° Déguisement
|
CESAR DE BAZAN
1° Le
(I).
est
vivant
mort
le rdéle et
refuse
role (I).
dépouillé
de
sa vie (I). 2° Réussite (II-HD. 3° Démasquage (III).
2° Retour
et démas-
quage (IV). 3° Disparition (IV). :
|
2° Refus du réle et retournement (V). 3° Mort (V).
Ce schéma éclaire l'ensemble de la piéce : non seulement il indique le parallélisme, Ja fraternité de Ruy Blas et de César de Bazan, Vaspect « cainique * » de Ruy Blas, appelant ja violence finale, mais il explique l’extension du champ du grotesque dans Ruy Blas. Par le rapport entre le héros et la figure marginale de César, le grotesque envahit toute la piéce : ils sont l’un et l’autre la moitié de la méme figuration. Ainsi le personnage de Ruy Blas, « valetaille vétue de rouge », comme le Jocrisse primitif, « effronté coquin qu’on batonne et qu’on chasse », se trouve ramené au grotesque qu’il doit assumer, ffit-ce dans la mort. Ruy Blas, un rébus biographique.
Notre ambition ne va pas a lire Hugo a travers Ruy Blas. Nous ne tenons pas le texte pour une collection de symboles que déchiffrerait fait une lecture « psychanalytique » de ’homme-Hugo ; d’autres l’ont et nous n’avons pas V’intention d’aller plus loin qu’eux dans cette voie. Nous ne poserons pas la question des réactions psychologiques de Hugo devant
la mort
de son
frére, de sa douleur,
et de son
sentiment
de
culpabilité justifié ou non, quoiqu’on puisse aussi lire Ruy Blas comme par une facon détournée de dire Ja mort du frere — de la racheter
Vécriture.
L’instance biographique nous est utile, dans la perspective d’une rapihistoire du théatre de Hugo, comme nous permettant de lire plus une telle dement et plus simplement les schémas centraux du texte ; aucun lecture est une économie de moyens. Nous ne pouyons établir et rapport de causalité entre un événement * comme la mort d’Eugene saurait ne te ique-tex biograph référent rapport le ; drame Pécriture du un rapport étre un rapport direct, Dans une certaine mesure il est inverse, non
un stimulant,
mais
la levée d’un obstacle.
plus volontiers que le rapport au Frere, le theme
Nous
dirions
cainique de la vie
et dans volée, de la mort du frére, latent dans tout le théAtre antérieur p. 605-609. 53 Voir Ile partie, chap. Une symbolique de UVHistoire, brute de louvre dart, sur 54. Il peut étre dit, comme le veut Spitzer « matiére» (Les études de style et les littéraires sources ses exemple, par que plan le méme la Fédération internationale des différents pays — Actes du Vill2 congrés de par Starobinski, La Relation criLangues et Liitératures modernes. Liége, 1961. Cité préférons dire référent. tique,
Paris,
1971,
p. 59).
Plutot
que
matiere
brute,
nous
« RUY les paires
_
| | _
BLAS
fraternelles
>, DRAME
mortelles
DE LA SYNTHESE
(Didier-Saverny
323
ou
Gennaro-Maffio),
ne peut se dire clairement qu’aprés la mort d’Eugéne. Sans doute n’est-ce pas un hasard si les trois piéces postérieures 4 1837 tournent autour de la mort et de la résurrection d’une figure fraternelle (Don César, le Jumeau, Donato-Barberousse). Tout parait done se passer comme si Hugo pouvait alors dire ce qui était déjA posé auparavant ; Mais nous ne sommes nullement en mesure d’analyser comment se fait — si elle existe — la levée de l’obstacle psychologique. Le probleme particulier 4 Ruy Blas n’est pas V’existence de référents biographiques (présents dans toute ceuvre littéraire), mais leur nombre et surtout leur combinaison autour d’un centre. L’afflux des souvenirs dessine un rébus biographique, raconte une sorte d’histoire occulte. On a remarqué depuis longtemps — et nous n’avons fait qu’apporter quelques éléments nouveaux — l’abondance des détails liés au voyage espagnol des enfants Hugo et au séjour au Collége des Nobles. Déja dans Lucréce Borgia le surnom du « méchant » Gubetta, comte de Belverana (nom d’un jeune ennemi d’Eugéne Hugo), allusion inintelligible au spectateur, était comme un clin d’ceil — a quel destinataire ? Ici les noms
de lieu (la rue Ortaleza,
le Couvent
San Isidro,
_ Caramanchel — Galapager dans un brouillon *, le Palacio Real) que Yon retrouve dans le Victor Hugo Raconté ne renvoient pas seulement | au référent concret de Madrid ; ils renvoient 4 une expérience biographique que Hugo ne pouvait partager qu’avec une seule personne, Eugéne, le frere mort *. Nous butons sur toute une Espagne enfantine | et souterraine, ot: jouent leur rdle le bossu Corcova, Salluste et César, _historiens d’une latinité de collége, Matalobos, ruisseau de Madrid
ou cousin du Matamoros. Sur la profondeur des souvenirs espagnols de Hugo sur l’importance de cette identité espagnole a laquelle Hugo révait encore pendant |’exil, les temoignages abondent ”. Mais VEspagne, cette « patrie mentale ® » n’était pas a lui seul : il la partageait avec un autre. Tout le texte du Jocrisse renvoie aussi 4 une expérience partagée, celle du paria battu (Corcova, le Jocrisse) comme celle du théatre
(tréteaux, marionnettes,
premiéres
tentatives
d’écriture
Il est trop facile de faire une lecture biographique superposées
du Jocrisse
et de Ruy Blas:
torture la mére et peut vous
i
55. ficatif, 56. Colliége 57.
dramatique ®).
des deux
fables
le pére hai et redouté,
séparer d’elle, mais
auquel
on
qui
ne peut
Ruy Blas, passim, mais surtout I, 3 (se. Ruy Blas-Don César, détail signiGalapager, voir éd. crit., Il, Documents, p. 42). Abel, le frere ainé, n’est avec les autres ni au Palais Masserano, ni au des Nobles, ni 4 la pension Cordier. Voir Journal d’Adéie, 8 décembre 1854 : « Sans la chute de l’Empereur, je
Serais maintenant un poéte espagnol. Au lieu: de Im’appeler V.H., j’aurais pris le nom de Conde de Siguenza... » Cf. aussi un témoignage de l’écriture d’Auguste Vacquerie
in ms.
24791, fo 296.
58. Qu’on nous permette de reproduire ici le texte (qui figure déja in Ed. crit., I, introd., p. 38) ot Hugo analyse ses souvenirs d’Espagne. « A chaque phase de notre vie nous dépouillons notre étre tout entier et mous Voublions dans | du monde. Tout cet ensemble de choses indicibles qui a été nous-méme un coin reste 1a dans lombre ne faisant qu’un avec les objets sur lesquels nous sommes empreints A notre insu. Un jour par aventure nous revoyons ces objets ; ils surgissent nous brusquement et les voila qui sur-le-champ, avec la toute-puissanc devant e de la réalité, nous restituent notre passé. C’est comme une lumiére subite ; ils nous reconnaissent ; ils se font reconnaitre de nous, ils nous apportent, entier et éblouissant,
‘le dép6t de nos souvenirs et nous Venfant qui jouait, le jeune homme 59. Voir
Victor
Hugo
supra,
raconté.
p. 116-118,
et in
rendent un qui aimait. éd,
crit.,
charmant fantéme » 0O.C., VI, 900,
II, le texte
intégral
de
du
nous-méme,
brouillon
du
324
LE ROI ET LE BOUFFON
“songer a s’opposer, parce qu’il a tout pouvoir sur vous et qu’il est le ~ dispensateur de l’argent (pére identifié 4 un maitre qui humilie et © fouette) ; la mére, reine vénérée, idéalement adorée, impuissante, et
prisonniére de l’ordre social; la catastrophe finale préfigurée par Yeffondrement de l’arbre. Toute cette « histoire » a été vécue ensemble par. les deux fréres. Si Von ajoute a ces détails ce qui peut dans le personnage de César — de Bazan renvoyer au Frére mort (le Jardin), on s’apergoit que l’ensemble du référent autobiographique dans Ruy Blas est lié au souvenir d’Eugéne : n’apparait ici que ce qui a été vécu par Hugo en relation | avec son frere. Il semble donc que le moi de Hugo commence a s’écrire, bien plus © clairement qu’auparavant, dans Ruy Blas. Tout se passe comme si se | faisait 4 l’intérieur de l’ceuvre dramatique une sorte de retour au moi | lyrique. Peut-on y voir un fléchissement de l’activité proprement dramatique, annonciatrice de l’échec des Jumeaux ? Comme si le Je- | écrivant, désespérant de suturer la fracture du moi par l’écriture © dramatique, s’appuyait sur l’expérience vécue, réintroduisant dans leg texte, comme en contrebande, les éléments du passé. Tout se passe » comme si Hugo mettait ici tous les atouts dans son jeu, jetant dans la balance méme ce fruit défendu, le vécu personnel. Mais le théatre est © le domaine ou l’on ne peut s’écrire. Hasardons une hypothése. Non seulement Hugo place dans Ruy Blas Vimage du frére, parce qu’elle est consubstantielle, comme nous le verrons, a Cain et a sa signification idéologique, mais le portrait d’Eugéne, en filigrane dans le texte, caché et montré a la fois comme — ces dessins pour enfants ow il faut découvrir dans les feuillages la botte du gendarme ou le chapeau de la petite fille — ce portrait est le relais du moi qui ne peut se dire : si Hugo ne peut s’écrire dans Ruy Blas, — il écrit Eugene. Ruy Blas, drame total et tragédie grotesque.
Hugo a conscience de vivre avec Ruy Blas une expérience décisive pour son propre théatre et sans doute pour tout Je théatre roman-— tique. De 1A le caractére totalisant de l’ceuvre, son aspect de somme ou plutét de creuset. M. Albouy remarque le retour, vers ces années, chez Hugo, de « son ambition d’étre un poete de Ja totalité >. Et il Hugo la ajoute : « Cette totalité, c’est 4 nouveau dans ’homme que ou s’entrecroisent
Vhistoire,
pluriel ; de la Vanalyse
des divers
saisit, au point
la nature
et la destinée
q individuelle ®. » elle Cette volonté totalisante marche dans deux sens a la fois : ; est reprise de tout un héritage culturel, et le plus large possible opposés — elle est en méme temps effort de synthése entre les éléments devront. du code culturel : mélodrame et tragédie, grotesque et sublime Hugo telle se fondre dans le creuset du théatre total. La volonté de de l’ceuvre qu’elle s’exprime dans la Préface de Ruy Blas est de faire un drame
« points de vue » sur le
ent drame. Mais en méme temps ce pluriel devra étre séverem
60, Albouy,
, I, Pléiade, p. 1527. in Hugo, GEupres poétiques esthétique de la totalité, p.
61. Voir ad. crit., 5i introd.
Une
59-70.
ramené
« RUY
BLAS
», DRAME
DE LA SYNTHESE
325
a Punité : « mille rameaux, un tronc unique » dit la Préface de Ruy Blas, reprenant la formule méme de la Préface de Cromwell, et il ajoute, revendiquant la notion de l’ceuvre comme totalité fermée : « La vérité absolue n’est que dans l’ensemble de J’ceuvre. » Ce qui frappe, c’est d’abord le caractére de puzzle de |’écriture de Ruy Blas ; jamais on n’a poussé plus loin le déchainement de P « intertextualité ». Il semble que le relevé des sources de Ruy Blas he puisse jamais étre exhaustif ®. Rien de comparable dans les autres drames de Hugo : ici c’est A chaque page, presque a chaque réplique qu’affluent les modéles littéraires ; 4 toutes les sources déja répertoriées 4 propos de la fable et des schémas de !’cenvre peuvent s’ajouter
d@’innombrables rapprochements de détails : du Cid ou de Don Sanche d’Aragon a la Citerne de Pixérécourt *, du Don Carlos de Schiller ou
du Macbeth de Shakespeare A la Reine d’Espagne de Latouche au Barogo ou le Ramoneur Prince de Maurin de Pompigny © a la Journée du
Vatican,
piéce jouée
en
1793 %, ou Vhéroine,
telle la Lucinda
de
César de Bazan, danse le fandango chez le pape : une rencontre accidentelle est peu probable, avouons-le ! Le « céans » de Moliére voisine dans l’écriture de Ruy Blas avec les « Enfer! » « Démon! » du solide mélodrame. Non seulement Hugo récrit les textes antérieurs qui furent l’objet de ses lectures, mais il récrit les siens propres. Les critiques auront beau jeu de lui reprocher de se copier lui-méme : le favori de la reine
est déja dans Marie Tudor ; le bouffon du Roi s’amuse se retrouve ici =
Vhistoire raméne a d’autres drames, 4 Hernani par la question du pouvoir et de sa responsabilité, 4 Cromwell, puisqu’ici aussi homme de génie se substitue aux rois, a Marie Tudor, par la décadence irrémédiable de la monarchie. Toutes
sortes de détails d’écriture figuraient déja dans son ceuvre,
théatre ” ou roman ; le souper de Gringoire, échappé a la mort, chez
la Esmeralda ® ressemble, dans une certaine mesure, au souper de Don
César et surtout le découronnement de Quasimodo par son maitre Claude Frollo ® est de structure paralléle 4 celui de Ruy Blas par Don Salluste (III, 5). Les reprises quasi textuelles
de formules
ne
sont pas
de
Ruy
rares : « Je ne suis qu’une femme » dit la Reine de Ruy Blas”: c’est exactement ce que dit Marie Tudor et ce qu’on dit d’elle; < qu’est-ce que cela me fait? » crie Salluste 4 Ruy Blas qui supplie, comme Marie Tudor a Jane”, Tout se passe comme si Hugo reprenait ses conquétes passées pour
nous
62. Aux
en
innombrables
avons
sources
répertoriées
ajouté quelques-unes,
mais
avant
notre
le hasard
a voulu
édition
trions d’autres encore ; v. p. 104, n. 56, les Deux Fous, de P. 63. La Citerne, 1809, l’?un des grands succés de Pixérécourt.
64. La
plaisant,
Reine
mais
représentation)
qui
d’Espagne, connut
drame
de
le 5 décembre
Latouche, 1831
une
d’un
que
humour
chute
nous
Lacroix.
en
sarcastique
irrémédiable
(une
Blas,
reconassez
seule
65. Vaudeville représenté le 11 décembre 1784. Paris, Cailleau, 1784, 66. Joué au Louvois, en aot 1793 ; au dernier acte le pape épousait sa maitresse, souscrivait 4 la constitution, et dansait aussi le fandango ! (In Le Thédtre de la Révolution francaise, par Marvin Carlson, N.B.F., 1970.)
67. Nous avons relevé dans les notes de l’édition reprises. sa 68. Notre-Dame de Paris, Il; 7, 0.C., IV, 84-85. 69. Id., Il, 4, 65-66. 70. Voir éd. crit., note du v. 610, p. 328. 71. Ibid., v. 1405, p. 346.
critique
bon
nombre
de ces
ET LE BOUFFON
LE ROI
326
les assurer. De lA l’aspect de tragédie grotesque de Ruy Blas. Sur les points capitaux, il revient aux théses de la préface de Cromwell, et en particulier contre le « commun > (le philistinisme bourgeois, bien plus que le public populaire), a lusage du vers, assurant la hauteur littéraire de l’ceuvre ; il avait tenté d’imposer 4 la Comédie Frangaise la prose
d’Angelo; maintenant
— . — — |
lui, 4 la Renaissance,
qu’il est chez
il peut imposer le drame poétique. Pense-t-il avoir réussi sa tentative d’unification du public ? peut-il tabler sur ce public-peuple qu’il révait de créer par le drame, destinataire idéal du mesage du génie ? Manifestement non. Tout le texte — de la Préface de Ruy Blas suppose une division du public, mais c’est — une division qu’il s’efforce de dire non-sociologique ; de la Vétrange distinction, visiblement de « camouflage », entre la foule, les femmes, — les penseurs™ : il s’agit d’éliminer 4 tout prix opposition entre un public populaire qui voudrait le mélodrame, et une élite 4 qui conviendrait la tragédie. De 1A cette sorte de ruse qui fait correspondre aux trois classes de spectateurs les grands genres dramatiques : « Le mélodrame pour la foule; pour les femmes, la tragédie qui analyse la passion ; pour les penseurs, la comédie qui peint l’humanité ® ». Hugo refuse d’employer le mot peuple, et — réserve ou palinodie, — -montre immédiatement les interférences entre les trois classes qu’il vient de distinguer. C’est au niveau de l’unité supérieure du drame que Hugo s’efforce de réconcilier les catégories de son public. Par le grotesque : le doublet Ruy Blas—César de Bazan et le travail du comique dans le IV° acte marquent les retrouvailles actives de l’écrivain et du grotesque. Mais en méme temps Hugo se livre 4 un travail « classique » de concentration du temps et de l’espace “. Eclectisme ? Hugo s’en défend autre
une
par
capitale,
forme,
de retour
arriére,
en
le retour
4 la
tragédie de V’histoire. Ruy Blas, tragédie de Uhistoire™.
Au dela du drame historique, au dela méme de « histoire le théatre explique” », Hugo retourne comme dans Cromwell problémes
de son
de la royauté,
du pouvoir,
que aux
décadence,
irrémédiable
au relais possible du pouvoir royal par d’autres forces. Or comment poser ces questions sinon par une exacte, minutieuse, « consciencieuse” » peinture de l’histoire ? Jamais depuis Cromwell Hugo n’a tenté pareille reconstitution : e méme Marie Tudor parait un ouvrage léger a coté de la fantastiqu accumulation de matériaux utilisés par le poéte pour Ruy Blas. Il n’est presque pas un vers qui n’ait son ou ses garants historiques. Sur 72. Ibid., p. 147, 0.C., 669-670. 73. Ibid. 74, Voir éd. crit., introd, I, p. 61-62. 75. Nous disons tragédie et non drame, les apories de V’histoire. 76. Préface
de Marie
77. Ceest le mot de Hugo conscience, il veut la porter
grandes,
Ames,
sions.
dans
dans
la citation
dans la mesure
ou accent
le dessin d’un
d’un
est mis sur i
;
Tudor, IV, 755.
: « A défaut de talent, il a la conscience. Et cette en tout, dans les petites choses, comme ‘dans les
chiffre
blason
» (Note en postface de Ruy
comme
comme
dans
dans
la
peinture
des
l’analyse des caractéres
Blas, éd. crit., p. 311.
0.C., V, 775.)
cceurs
et des
et des pas-
« RUY
ce terrain
BLAS
aussi l’ceuvre
>», DRAME
DE LA SYNTHESE
se lit comme
historiques ®, Hugo parait commencer
un
puzzle,
327
un jeu de fiches ; une
trés tot a constituer
documentation
sur le xvu® espagnol, dés la rédaction de Hernani (1829). Outre les ouvrages consultés pour Hernani, deux feuilles contiennent des listes se rapportant 4 tout le xvi° siécle espagnol, mais surtout 4 la fin du siécle (de Philippe IV 4 ’avénement de Philippe d’Anjou®). Pourquoi cet intérét 2? Est-il possible d’imaginer que la fameuse Trilogie dont Hernani n’était que le premier volet, eit couvert toute la monarchie espagnole des Habsbourg, de l’aurore au déclin ? La phrase finale de la Préface de Ruy Blas unit expressément les deux pieces dans la méme perspective historique : « Dans Hernani, le soleil de la Maison d’Autriche se léve; dans Ruy Blas, il se couche™. » Hugo ne cesse pas de songer au xvil° siécle espagnol: toute une série de notes que l’on, peut dater de 1832 a 1837 en font foi®, Enfin en juin 1838, troisieme couche de documentation, Hugo rassemble tout ce qui peut lui étre utile pour Ruy Blas ; nous possédons deux listes de ses emprunts ®. Mais nous avons la preuve que Hugo a utilisé des ouvrages qui ne figurent sur aucune de ses listes comme les Mémoires du marquis de Louville*. Hugo prend ici et la un détail, une confirmation *, Certains textes ont pu éclairer le poete
sur
Vatmosphére
générale
de l’Espagne
Xvi siecle, ou lui fournissent Vidée venu » avec les grands seigneurs *.
dans
du
la seconde
conflit
d’un
moitié
favori
du
« par-
Restent trois textes importants, o1 Hugo a puisé lessentiel de sa documentation : les Mémoires de Mme d’Auinoy®, qui lui fournissent un, tableau vivant et détaiilé de la cour de Charies II, une image concrete de la vie quotidienne d’une reine d’Espagne (en |’occurrence Marie-Louise d’Orléans, premiere femme de Charles II), tout le contexte sentimental et affectif d’une existence de fayori, avec histoire de Valenzuela,
favori
78 Renseignements $’il en manque un ou
de notre part et non
et les plus saugrenus 79. Voir
ms.
de la reine
Marie-Anne
d’Autriche,
veuve
de
historiques relevés par nous dans les notes de 1’éd, crit. deux, il est de bonne méthode de penser que ec’est lacune
défaut
d’information
ont leur caution.
d’Hernani
et in ms.
de Hugo.
de Littérature
Les détails
et Philosophie
les plus mélées,
étranges
13398,
la
liste d’ouvrages du f° 80. 8u, Ms. Ruy Blas, 13373, f° 91 et ms. Jumeaua, 13396, f° 68. Ed. crit., II, Documents, p. 43-44, le texte intégral de ces feuillets. 81. V. éd. crit., I, p. 152. 82. ibid,, introd., p. 40-41-43, pour le détail des lectures de Hugo sur lEspagne et leur trace dans les notes et brouillons, Cette documentation peut aussi se rattacher au projet Madame Louis XiV dans la mesure ou la piéce portait sur les rapports des cours de France et d’Espagne. V, supra, p. 254,
83. Y. noire article in Romantlisme Vi sur ces emprunts de Hugo 4 la Bibliotheque Royale ; une lettre de rappel de la Bibliotheque de Arsenal (ms. 13373, f° 99) indique trois ouvrages empruntés le 22 juin 1838 et non rendus en 1840. Horas devotas.,, Mémoires sur la Cour d’Espagne, par Mme d’Aulnoy. Etal présent de VvEspugne, par Vayrac, pur , DRAME
DE LA SYNTHESE
329
ni danses, ni costumes, ni coutumes dans cette Espagne austére. Pouvons-nous penser un instant que Hugo ignorait le grand débat de la succession
notes
d’Espagne ? Ses propres
disent le contraire.
Il faut donc bien se dire que ses lacunes sont volontaires, que Hugo tient 4 donner a son récit une valeur non particuliere, la monarchie espagnole a l’agonie étant l’image de toute monarchie a Vagonie. Rien n’aurait été plus facile 4 Hugo que de montrer les causes précises et contingentes de la décadence économique, financiére, politique de l’Espagne, toutes ses sources indiquant le mécanisme de la fuite des capitaux 4 l’étranger, et la crise agricole liée 4 Vafflux de Yor américain. Rien de tel dans Ruy Blas. On est alors contraint de penser a l’Ancien Régime francais 4 la veille de la Révolution : le « madame, il fait grand vent » est cousin du célébre « aujourd’hui rien », consigné dans le carnet personnel de Louis XVI, le jour du 14 juillet 1789, le 5 octobre 1789, le roi de France chasse, comme le roi d’Espagne dans Ruy Blas. Dans les deux monarchies, méme lien visible entre la crise financiére et la décomposition politique ; méme égoisme irresponsable des privilégiés. Le spectateur de 1838, bien plus proche de ces souvenirs historiques, les percevait spontanément. N’y a-t-il pas dans l’échec et la mort de Ruy Blas quelque chose de l’échec et de la mort de Mirabeau ? Les rapprochements ne manquent pas non plus avec la France de Louis-Philippe ; non seulement le Bon Appétit, mais ensemble de la piéce a été entendu ainsi. La légéreté et la vénalité du personnel politique, la nullité de la politique étrangére parlaient au spectateur de 1838. Le récit historique de Ruy Blas évolue donc sur trois plans : 1° la monarchie de Charles II (pillage par les privilégiés, roi faible, reine étrangere; | 2° la monarchie de Louis
XVI
(désordre
financier,
dilapidation
par les privilégiés, roi faible, reine étrangére) ; 3° la monarchie de juillet (gouvernement faible, dilapidation et concussion). Ce que Hugo parait mettre en lumiére, au-dela méme de « ces grandes apparitions de dynasties » dont il parle dans sa préface, ce sont les conditions de la mort de toute monarchie, et les possibilités, pour un autre élément de la société, pour le « peuple », de prendre le relai du pouvoir, en l’arrachant aux mains d’une « aris-
tocratie % » décadente et pourrie. De la cette tension entre la précision historique jusque dans les détails
matériels
ou
politiques
(meubles,
vétements,
armes,
institu-
tions) — et le refus de particulariser un drame dont la symbolique doit rester claire et perceptible 4 tous. Jeu difficile, prétant le flanc a tous les reproches d’imprécision ou de contre-sens historique, et qui, par un effet inattendu donne a la piéce son climat de bizarrerie onirique.
92. Aristocratie
capital dans
de
Ruy Blas.
naissance
ou
d’argent
: le
réle
de
Vargent,
de
Vor,
est
330
LE ROI ET LE BOUFFON
UNE ECRITURE
FACILE
Le 10 mai 1838 Joly constate dans une lettre 4 Frédérick-Lemaitre que Hugo « attend toujours » pour « tailler un réle 4 la mesure de » Frédérick et qu’il « doit écrire ’ouvrage d’ouverture * ». Le 26 mai, Juliette se plaint: « Je pense 4 ce que tu m’as dit de tes pieces et je crois entrevoir que ni dans la premiére ni dans Ja seconde il n’y aura de réle pour moi, la premiére, je le sai (sic) tu ne peux m’en donner un, mais dans
la seconde ?... » (26 mai, jeudi soir, 5 h 3/4".
Que penser de cette « premiére » piéce ot il n’y a aucun role possible pour Juliette ; est-ce une comédie-drame « picaresque » ou un personnage tel que César de Bazan ou Maglia aurait joué le premier réle ? Ce n’est pas impossible, surtout si lon songe que Frédérick, qui avait son meilleur emploi dans ce genre de réles, a été le premier et le seul acteur réclamé par Hugo. Jusqu’au 18 juin Hugo ne semble pas avoir commencé 4 travailler : Juliette parle de sa solitude comme d’un futur %..Mais le 21 juin, elle écrit: « I] parait, mon cher bien_aimé que c’est aujourd’hui que tu as sérieusement commencé la grande ‘ceuvre ? » (21 juin, jeudi soir, 7 h 1/2%). Nous n’en serons pas surpris : le 19 juin, Hugo a emprunté deux ouvrages 4 la Bibliothéque royale” et trois autres 4 ]’Arsenal®, Le manuscrit indique la date du 5 juillet pour Je début de la premiére version de l’acte I, ce que confirme
la lettre de Juliette, le lendemain:
espoir, car je sais que vous avez vol dans les cieux.
« Je t’attends, mais sans
repris vos ailes de poéte et votre
» (6 juillet, vendredi
matin, 10 h 1/2).
Le manuscrit porte la date du 8 juillet pour le commencement de la piéce. Le soir Hugo vient souper chez Juliette et apporte son texte sous une couverture verte : « Je voudrais bien voir ce qu'il y a dans le papier 4 la couverture verte. Hum ? ca doit étre bien 1%. La décoration me plait figrement » (lundi 9 juillet, 10h 1/21). Hugo a-t-il montré 4 Juliette le projet de décor qui orne la premiére page de sa premiére version de la scéne 1 (manuscrit Ruy Blas, f° 77) ? D’aprés les tirets d’interruption, le travail du 8 juillet irait jusqu’au vers
183 (f° verso),
ce qui est énorme™,
mais
c’est la mise
©
au
net de tout un travail préalable sur les deux premiéres scénes (cf. f° 77 sqq.). La rédaction du 9 irait jusqu’au v. 277 (f° 10 verso), celle du 10 jusqu’au ¥. 284 (f° 11 verso), celle du 11 jusqu’au v. 330 (f° 12 recto), celle du 12 jusqu’au v. 412 (f° 12 verso), celle du 13 jusqu’au v. 480 (f° 14 verso) ; Y’acte se termine sur la date du 14 juillet.
93. Arsenal, 94. Lettre
fonds
inédite.
Rondel, Les
ms.
lettres
538.
de Juliette,
documents
fort précieux,
nous
permet-
tent de confirmer l’exactitude des dates portées sur le ms. Les lettres de 1838 sont presque toutes datées fort précisément (au moins par le jour et le’numéro du mois). 95. ar éd. eo introd., p. 87-93 pour le détail de cette chronologie.
95. Id., p. 2. 97. Voir 11, Documents. Il avait déja fait un un autre le 16 juillet. 98. Ms Ruy Blas, f° 99. 99. I, mot
enfantin
papa est bien i. 100. Souchon,
des
enfants
Hugo ; i =
p. 35. 101. V. Ed. crit, introd., p. 89, note 18.
emprunt gentil,
le 15 juin ; il en refera i
d’ott
la formule
rituelle
:
;
« RUY
BLAS
>», DRAME
DE LA SYNTHESE
331
Le 12 juillet, Hugo est venu travailler chez Juliette: « J’attends avec impatience la page sortie de mon encrier » (lettre du vendredi
13 juillet matin, 10 h 30%). Apparemment Hugo n’a pas rédigé le 15 juillet. Le 16, i1 commence la rédaction de V’acte II ; il écrit le début de l’acte, du v. 585 au v. 645 (f° 23 recto), le 17 il aurait poursuivi sa rédaction du v. 645 au v. 689 (f° 25 recto), le 18 de 689 4 716 (f° 25 verso 1%), le 19 jus-
qu’aprés le v. 783 (f° 26 verso), le 20 jusqu’éA 806 (f° 27 verso), le 21 jusqu’au v. 878 (f° 30 verso) ; enfin le 22 juillet marquerait la fin de Vacte ; c’est bien la date portée au bas du f° 33 verso. Au début de l’acte III (f° 36 recto), la date que
celle du 23, est surchargée travail
du 23 se termine
par
Hugo
nous
qui indique
au tiret du v. 1021
attendons,
20 juillet™™.
Le
(f° 37 recto), celui du 24
aprés 1057 (f° 37 verso), celui du 25 en 1098
(f° 38 verso), celui du
26 au f° 89 verso aprés 1158 (il n’y a pas de tiret mais le changement d’écriture nous avertit de l’interruption dans la mise au net ; le tiret est placé un peu plus loin, en 1168, f° 40 recto). Le travail du 27 irait jusqu’aprés le v. 1230 (f° 41 verso), celui du 28 s’arréterait aprés Vindic. scén. de 1275 (f° 42 verso), celui du 29 en 1308
(f° 43 recto),
celui du 30 irait jusqu’au vers 1384 (f° 47 verso), celui du 31 irait jusqu’a la fin de l’acte. Ici encore la date indiquée sur le manuscrit pour
la fin de l’acte
(31 juillet, f° 48 recto)
confirme
cette reconsti-
tution. Les indications fournies
par les lettres de Juliette semblent
aussi
confirmer ces dates : « Vous me devez depuis longtemps une nuit d’amour que vous ne me donnez pas. Je sais bien que les deux actes en sont la cause, ce qui ne me promet pas merveille pendant les trois qui vont suivre... Jundi
matin,
23 juillet,
10 h 3/4)
» (cité par Sou-
chon, p. 40, avee quelques inexactitudes). Le 25 et le 26 juillet, elle réclame encore la lecture de ses deux actes. Mais le 28 juillet, elle soupire apres ses < trois actes », et il est amusant de voir que dans
cette lettre le trois surcharge
un deux. Elle sait bien que ledit troi-
siéme acte n’est pas fini puisqu’elle réclame dans la méme lettre: « J’espére, mon petit homme, que dans l’entr’acte du troisiéme au quatriéme acte, vous voudrez bien me donner une petite séance pendant qu’on posera la décoration » (28 juillet, samedi matin, 10 h 301). Le lundi 30 juillet! (matin, 10 h 1/2), elle réclame : « Et mon troisiéme acte, ou en est-il, s’il vous plait ?... Je veux mes trois actes tout
de suite, mon
amour ou bien je grogne. » Le 31 juillet, le poéte grif-
fonne au dos d’une
102. Souchon,
lettre d’E. Magne,
datée du 30 juillet 18381”,
une
p. 38.
103. Le manuscrit des Rayons et des Ombres nous apporte une confirmation : Vautre version de la Chanson qui vient par la fenétre (RO XXIII) porte la date du 18 juillet et est écrite sur le méme papier que Ruy Blas, manuscrit 13390, f° 137. 104, Ce que nous savons des méthodes de travail de Hugo nous permet d’affirmer que ces deux indications ne sont nullement contradictoires : il a bien commencé
sa
mise
au
meéncé auparavant, rédaction. 105. Souchon,
net
il
de
Vacte
surcharge
p. 44.
III
le 23, mais
pour
indiquer
le travail
la
vraie
de
l’acte
date
du
III
étant
début
com-
de
sa
106. Le 30 juillet aussi Hugo proméne ses enfants et monte avec eux sur les tours de Notre-Dame ; manuscrit 13431, f° 51, 79° cote (139° piéces). Cf. in II Documents.
107. Ms, 24753, f° 1266.
332
LE ROI ET LE BOUFFON
série de vers dont la plupart sont des brouillons du quatriéme acte"®, accompagnés d’un dessin. Le 1° aoat, Victor Hugo vient enfin lire ses trois premiers actes a Juliette ; confirmation absolue de la date du manuscrit. La lettre du 2 aoait nous
fournit une indication
trés précieuse : Hugo, le méme
soir a aussi apporté un fragment du IV° acte, apparemment
celui dont
la copie, de la main de Juliette, occupe les ff 89-90 du manuscrit de Ruy Blas’™®: « Avez-vous encore besoin d’une secrétaire ? Je suis préte, venez,
c’est si gentil de remuer toute votre admirable poésie avec le bec de ma plume... Oh que j’aurais volontiers passé la nuit avec Don César et ses dignes compagnons! Je l’aurais suivie (sic) sans fatigue partout of il aurait voulu aller, méme chez la charmante au bonnet de six sous, mais vous n’avez pas voulu, vilain jaloux que vous
étes, vous
avez
craint
car j’aime les hommes
la comparaison,
et vous avez
eu
raison,
bien nés » (2 aotit, jeudi matin, 10 h 1/4™*).
La lettre du soir apporte la confirmation qu’il s’agit d’un extrait relativement court du quatriéme acte : « ..Je voudrais bien entendre mon quatriéme acte dont j’ai déja flairé quelques lignes cette nuit ca sentait bien bonne (sic) (2 aodt au soir). > Hugo commence la mise au net de son IV° acte, le 2 aodt;
son
travail de la journée se poursuit jusqu’au v. 1533, celui du 3 jusqu’aprés 1642, celui du 4 jusqu’au v. 1736, celui du 5 se poursuivrait -jusqu’aprés 1795, et celui du 6 jusqu’aprés 1848 ; l’absence de tout tiret jusqu’a la fin de l’acte permet de déduire, si énorme que soit la tache de ce jour, que Hugo a terminé son quatri¢éme acte dans la journée du 7 (de fait la date portée a4 la fin de l’acte IV est bien celle du 7 aodt) ; le manuscrit porte pour cette fin d’acte relativement peu de corrections,
et toutes
mineures ; soit que
Hugo
l’ait écrite
au fil
de la plume, soit qu’il ait disposé d’un ou de plusieurs textes déja élaborés. Juliette confirme dans sa lettre du 4 aoft au soir cette rapidité dans la rédaction : « Au train dont tu vas, j’espére, mom adoré entendre bientét mon quatriéme acte. » Le 5 aofit au soir, elle ajoute : « Je voudrais bien étre au 12, surtout si nous devons nous en aller le 13. » Hugo espére donc terminer trés vite sa piéce. Le 8 aotit elle
confirme V’achévement de l’acte IV : « Vous étes bien féroce, mon Toto, de ne pas vouloir lire mon quatriéme acte tout de suite. > |
L’acte V est commencé, d’aprés la date portée sur le manuscrit, le 8 aodt ; la rédaction du 8 se poursuit jusqu’au vers 2036 (f° 69, v°) ; celle du 9 va jusqu’au vers 2107 (f° 72, r°), celle du 10 jusqu’au
vers 2170 (f° 73 v°), celle du 11, jusqu’a la fin de l’acte qui porte a la derniére page la mention 11 aofit, 7 heures du soir. Le lendemain, 12 aofit, Hugo vient déjeuner chez Juliette et lui porte la piéce achevée ; ce que nous prouve la lettre du 12 aofit, dimanche aprésmidi, 1 h 1/4:
« Quel miracle
et que tu es bon de me
que ta piéce, mon
pauvre
bien-aimé
l’avoir fait admirer la premiere... >
108. Cf. in II Documents, p. 37. 109, Reliquat (IV, 5). IL Documents, 110. Souchon, p 51.
p. 35-36.
|
« RUY
BLAS
>, DRAME
DE LA
SYNTHESE
333
RUY BLAS JOUE™ Frédérick et Juliette.
Joly s’était assuré le concours pouvait qu’utiliser non
seulement
de Frédérick-Lemaitre, le comédien
illustre, mais
et Hugo ne le magné-
tisme « grotesque » de Robert Macaire. Malgré l’évidence superficielle, ce n’est pas le réle de Don César qu’il réservait 4 Frédérick, c’est celui de Ruy Blas : ainsi, l’aspect grotesque du héros apparaitrait immeédiatement au spectateur. Dés le 9 aoat, Joly presse Frédérick de se rapprocher de Paris ™. Mais il se garde bien de préciser A Frédérick quel sera son rdle ; il se contente de lui écrire le 16 aodt : « Au dire de quelques intimes qui seuls ont entendu l’ouvrage c’est ce que Victor a fait de mieux. » Il lui annonce dans la méme lettre ’envoi du manuscrit enfin copié. Mais Hugo refuse : « N’envoyez pas le manuscrit a Frédérick (...), je tiens beaucoup a ce que la premiére impression du role arrive par moi "8, » Le Victor Hugo raconté nous dit comment Hugo, le jour de la lecture, joua a Frédérick une sorte de petite comédie : aprés la lecture, « Frédérick-Lemaitre
recut
le sien (son réle)
dun
air résigné,
mais
il y eut 4 peine jeté les yeux qu'il poussa un cri d’étonnement et de joie : c’est donc Ruy Blas que je joue ? Il avait cru que c’était Don César ™ ». Mais il fallait alors trouver un Don César qui pit lui tenir téte. Hugo pensait 4 Chéri qui avait été Saverny dans Marion, et retrouverait la un réle voisin d’aristocrate désinvolte et de personnage fraternel. Mais Chéri n’était pas libre. C’est Saint-Firmin, acteur un peu falot, qui remplit le réle, 4 la grande inquiétude de Juliette. Restait le réle de la Reine. Il nous est difficile de dire si Hugo a écrit le réle en pensant 4 elle, mais on ne voit pas 4 qui d’autre il efit pu songer. Non sans réticences, malgré les appels de Juliette ™, il ne avertit de son intention que le 15 aoft La lettre de Hugo du lendemain 16 aoft 4 Anténor Joly montre encore ses incertitudes : « Quant au réle de la Reine, je me déciderai probablement pour ce dont nous avons parlé :; mais n’en soufflez mot a personne. Il est important que nous examinions de nouveau ensemble toutes les chances, et cela surtout pour celle que je veux servir. Ainsi, profond silence sur ce point. » Mais le 19 aoft, Mme Hugo écrit a Anténor Joly et lui demande de s’entremettre pour que Juliette n’ait 4111. Nous ne donnons ici qu’un historique rapide ; pour un récit plus détaillé, voir notre édition critique de Ruy Blas I, p. 93 4 107. 112. Lettre fonds Rondel, Arsenal, n° 538, le lecteur trouvera le texte de ces lettres in édition critique II Documents, Pi 65-70. de l’exposition Hugo, février-mars 1965. 113. Manchester, n° 40 du catalogue 114. V.H.R., 0.C., V, 1399. 115. Voir la lettre du 9 juillet 10 h 1/2: « Je donnerai bien deux sous et tout ce que je posséde pour jouer dedans. » 116. Lettre du 15 aodt, mereredi soir, 9 h 3/4 : « Depuis que tu m’as fait entrevoir la possibilité de jouer dans ta ravissante pitce, je suis comme une pauvre somnambule a qui op fait boire beaucoup 117. Manchester, n° 43 de V’exposition
de vin de Champagne. » Hugo, février-mars 1965.
334
LE ROI
ET LE BOUFFON
pas le réle de la Reine, elle craint que le succés de la piéce ne soit compromis et, « compromis volontairement », « car le réle de la Reine a été donné 4 une personne qui a été un des éléments du tapage qui a été fait a Marie Tudor » ; d’ailleurs ’opinion « est défavorable a tort ou a raison au talent de Mile Juliette "* ». Joly qui sent venir le vent fait prudemment appel a Frédérick dont amie, Mlle Beaudoin, pouvait avoir le rdle ™. Hugo ne résiste pas longtemps. Dés le Jendemain Joly confirme : « J’ai vu hier au soir Hugo ; il descendait de diligence croyant lire aujourd’hui. Nous avons longtemps causé distribution de femmes. Il y a dans l’ouvrage un role important de femme, comédie et drame ; conviendrait-il 4 Mile Beaudoin, elle et vous en jugerez; veuillez Pamener demain persuadé de la faiblesse
avec vous (...)™. » Hugo était-il lui-méme des possibilités de Juliette, ou son réflexe
d’homme jaloux se satisfaisait-il de ’ombre ou il Ja tenait™ ? Hugo meiteur en scene. Il n’est pas de piéce pour laquelle nous ayons plus de renseignements sur cette activité de Hugo. I] ne veut pas que ses acteurs aient connaissance de leur texte autrement que par sa lecture 4 lui™ : il a le souci trés vif non seulement de suggérer 4 ses acteurs la premiére image de leur réle, mais de ne pas les laisser se faire de leur personnage une idée préconcue liée 4 la masse des conventions et des emplois traditionnels. Hugo s’intéresse de maniére trés active aux décors et aux costumes. Le 9 aofit, Joly réclame : « Je n’ai pas recu vos décors ™, » Cette lettre tend 4 prouver que Hugo a fait lui-méme Je dessin des décors ; il est dommage que nous n’ayons pas les archives de la Renaissance et que nous en soyons réduits aux dessins du manuscrit, admirables
mais de petite taille. Dans la méme lettre du 9 aoft, Joly réclame aussi les maquettes des costumes ; 4 cette date, Hugo ne s’est pas encore assuré la collaboration de Louis Boulanger, mais le 16 aoiit, c’est chose
faite 4, Le Victor Hugo raconté donne sur le travail de Hugo, un certain nombre d’indications précieuses. I] incident qui n’aurait d’intérét qu’anecdotique s’il Hugo travaillait avec ses acteurs non seulement les les attitudes
: « Un jour,
au
commencement
mise en scéne de consigne un petit
ne prouvait que intonations mais
du III* acte, M. Victor
Hugo, trouvant que deux acteurs se placaient mal, se leva pour aller les placer lui-méme. I] était 4 peine debout qu’une large barre de fer tomba de la votte précisément sur le fauteuil qu’il quittait. Sans la faute de ses acteurs, il était tué raide ™. »
118. In Souchon, Autour de Ruy Blas, p. 76-77. 119. Lettre du 28 aotit, voir Documents II. 120. Lettre du 29 aott, ibid.
121. Hugo ne ta laisse pas méme jouer un réle de suivante ou de duégne (lettre de Juliette, 3 septembre). Et quand on lui offre le réle de Mile Beaudoin malade, elle refuse (lettre du ier févriet 1839). ron La lecture eut lieu place Royale le 30 aofit (lettre d’Anténor Joly du 28 aofit).
123. Lettre de Joly & Hugo, ms. 13402, f° 57. 124, Lettre
de Joly
& Frédérick,
voir
IJ Documents,
p. 67.
125. 0.C., V, 1399, confirmé par une lettre de Juliette qui donne la date de Vincident : 25 octobre : « Quel bonheur mon adoré que tu ne te sois pas trouvé sous cette barre de fer quand elle est tombée. »
« RUY
BLAS
», DRAME
DE LA SYNTHESE
335
Selon le Victor Hugo raconté éclatent entre l’auteur et la direction deux conflits majeurs portant tous deux sur la matérialité du théatre, scéne et salle. Anténor Joly était un homme de progrés : il voulait travailler dans
le sens d’un réalisme accru, dans la voie royale du théatre naturaliste. Hugo refuse, il est radicalement opposé 4 ce théatre de voyeur découpant arbitrairement un morceau de réalité et, par la chute du quatriéme mur, permettant au spectateur d’y assister, comme par le trou de la serrure. Hugo s’oppose A toute extension mystificatrice de Villusion théatrale, donc a la suppression de la rampe. « M. Anténor Joly vint un matin avec la maquette d’une nouvelle espéce de théatre. Selon lui, la rampe ne s’expliquait pas ; cette rangée de quinquets qui sortait de terre était absurde ; dans la réalité, on était éclairé par en haut et non par en bas ; la rampe était un
contre-sens ;
les acteurs n’étaient plus des hommes, etc. La maquette présentait un nouyeau systéme ; les quinquets éclairaient, comme le soleil, du haut de portants dissimulés dans la coulisse ; on ne serait plus au théatre, on serait dans la rue, dans un bois, dans une chambre. M. Victor Hugo
s’opposa a la suppression de la rampe ; il répondit que la réalité crue de la représentation serait en désaccord avec ia réalité poétique de la piéce, que le drame n’était pas la vie méme, mais la vie transfigurée en art, qu’il était donc bon que Jes acteurs fussent transfigurés aussi, quwils étaient déja par leur blanc et par leur rouge, qu’ils l’étaient mieux par la rampe, et que cette ligne de feu qui séparait la salle de la scéne était la frontiére naturelle du réel et de Vidéal™.
»
| Si Hugo tenait 4 maintenir la coupure entre la salle et la scéne, c’est non seulement pour laisser intact l’espace dramaturgique comme espace du non-réel”’, espace de la dénégation au sens freudien du mot, mais aussi pour maintenir en face d’elle l’espace de la salle comme espace un.:C’est en ce sens qu’il faut interpréter l’autre conflit qui oppose Joly et Hugo : « Une fois, en arrivant, M. Victor Hugo vit des menuisiers et des tapissiers occupés a séparer en stalles les _banquettes du parterre. M. Anténor Joly lui expliqua que le théatre, vu sa situation, ne pouvait pas compter sur le public des boulevards, que sa clientéle serait la fashion et la grande bourgeoisie, qu'il fallait donc faire un théatre confortable et riche. M. Victor Hugo répondit _ que la fashion aurait les stalles d’orchestre, les stalles de balcon et les _loges, mais qu’il entendait qu’on laissat au public populaire ses _ places, c’est-a-dire le parterre et les galeries, que c’était pour lui le vrai public, vivant, impressionnable, sans préjugés littéraires, tel qu’il le fallait 4 Vart libre ; que ce n’était peut-étre pas le public de l’Opéra, mais que c’était le public du drame; que ce public-la n’avait pas Vhabitude d’étre parqué et isolé dans sa stalle, qu'il n’était jamais plus ardent, plus intelligent et plus content que lorsqu’il était entassé, 126. Victor Hugo
Raconté,
0.C.,
V, 1398.
Un
témoignage
rapporté
par
Uzanne
(op. cit., p. 56), va dans le méme sens ; Hugo essaie vainement cette fois de triompher du gotit de Joly pour le naturalisme au thédtre : « En 1838, j’avais proposé & Anténor Joli (sic) de faire un Thédtre fantastique ; la chose a échoué par la bétise des directeurs mais rien n’est plus beau que le fantastique mélé au drame humain ; par exemple qu’y a-t-il de plus étonnant que apparition du commandeur dans le Dom Juan de Moliére ? » ' 127. Voir Tas de Pierres, III (O.C., IV, 948). « Le théatre n’est pas le pays du réel ; il y a des arbres de carton, des palais de toile (...), du fard sur la péche, du rouge sur la joue. C’est le pays du vrai ...). >
336
LE ROI ET LE BOUFFON
mélé, confondu, et que, quant a4 lui, si on Jui retirait son parterre, il retirerait sa piéce. Les banquettes ne furent pas stallées. » On voit par ce texte qu’en 1838 Hugo n’avait pas perdu de vue son projet de 1832, celui du public un. Ses drames, que les critiques et la bonne société moquaient sans scrupules, avaient toujours été soutenus, il le savait et parfois ardemment défendus par le public du paradis. Une fois de plus, Hugo méne sa bataille contre tout et tous, mais
son
premier
adversaire
est l’ennemi
interne,
le directeur
du theatre. Il joue son role de metteur en scéne jusque dans le détail. Comme pour Marie Tudor, nous possédons pour Ruy Blas des notes de répétition qui indiquent avec quelle minutie le poéte s’occupait de la direction des acteurs ?*. Ses précieuses petites notes au crayon ™, presque aussi difficiles 4 interpréter qu’a lire, soulignent l’intérét technique que porte Hugo non seulement au décor (le rideau d’horizon marron) mais au matériel de scéne (la toile pour cache, les transparents). L’essentiel concerne cependant la direction des acteurs: ces
notes, extrémement minutieuses, restait hors de son contrdle.
prouvent
qu’aucune
intonation
ne
La représentation. Le 8 novembre 1838, lors de la premiere, la piéce se jouait seule et sans lever le rideau. Comme la premiére de Ruy Blas coincidait avec l’inauguration du Théatre de la Renaissance, il y eut un discours en vers du poéte marseillais Méry. Les vers de mirliton de ce discours chantaient la grandeur du théatre et la sainteté de l’art. Sur la beauté de la salle, ’élégance des spectateurs et des spectatrices 4, les témoignages sont unanimes . I] y eut beaucoup d’applaudissements, mais peut-étre de commande, dans ce public artificiel, celui d’une salle de générale. Frédérick eut son succés personnel’, quoique, de Vavis général, le « trac » intense qui le dominait, le rendit un peu froid. Cette panique ne céda guére avant la quatriéme ou la cinquiéme représentation. Il semble que Saint-Firmin, charmant au premier acte, n’ait pas su imposer le provocateur IV* acte. Une part. considérable des hommes de lettres et des journalistes eut une réaction hostile. Dés les deuxiéme et troisiéme représentations, les sifflets apparurent au cours du IV* acte et au IiI® « quand Ruy Blas ramasse le 128. Non
sans
difficultés parfois,
on
s’en doute
: dans
une lettre du 4 novembre,
Juliette s’indigne contre : « la. bétise et l’ineptie des directeurs et la médiocrité des acteurs, y compris le mauvais vouloir et la grossiéreté de l’artiste dramatique professeur de déclamation >. 129. Ms. 13402, fo 7, v°, Voir texte in éd. crit. II Documents, p. 60-61, et commentaire id., I, p. 102-103. i 130. Il n’oublie pas Jes détails secondaires de la distribution (« faire doubler Saint-Firmin
par
Hiélard
»),
les
invitations
&
envoyer
(«
M.
Heine-Lacroiz,
3¢ loge ») le discours d’ouverture et les problémes qu’il pose et dont nous ne savons rien (« le discours d’ouverture — plusieurs questions? >»). 131. Cf. la poétique description qu’en donne Théophile Gautier, Histoire de VArt dramatique en France, chap. xvu, p. 193. 132. Mais « ...la salle n’était pas terminée ; les portes des loges posées précipitamment, gringaient sur leurs gonds et ne fermaient pas ; les caloriféres ne chauffaient pas... 133. Courrier
» V.H.R., O.C., V, 1401. des thédtres, 14 novembre
1838,
«
Chaque
soir
Frédérick
est
redemandé », quoique « le réle principal de Ruy Blas fatigue excessivement l’acteur » (11 novembre). Le 22 novembre, le méme journal signale que Frédérick « s’est remis de la frayeur du premier jour, bien naturelle aprés une longue absence de Paris >.
« RUY
BLAS
», DRAME
DE LA SYNTHESE
337
mouchoir de Don Salluste ». La quatriéme représentation, la premiere ol joue la location normale eto pénétre le public, provoqua une tempéte, vite éteinte au reste ; la « bataille » de Ruy Blas fut courte : s'il y eut tentative
de cabale,
si la critique
« de bouche 4 oreille
fut aussi mauvaise que celle de la presse, n’avoir pas fait la fine bouche. Dés Ja deuxiéme
représentation,
le grand
public
»
semble
le Courrier des thédtres fait état
d’ < un véritable succés d’argent™ ». Le 14, il écrit: « Le nom de M. Victor Hugo a été couvert d’applaudissements » ; le 23 novembre :
« une réussite étourdissante ». Officiellement Ruy Blas eut quaranteneuf représentations. Le Victor Hugo Raconté parle d’une « cinquantaine de représentations ™ ». La distribution des réles principaux était la suivante : Ruy Blas ...............6.+.. MM. Frédérick-Lemaitre Don Salluste de Bazan ....... Don César de Bazan ......... DonyGuritan i woe sched eeces
Alexandre Mauzin Saint-Firmin Féréol
Le comte de Camporeal ...... Montdidier La premiére représentation de Vopéra-comique annoncé eut lieu le 15, aprés cing séances consacrées 4 Ruy Blas"*. Les spectacles lyriques furent joués en alternance avec Ruy Blas. A partir du 30 décembre, Ruy Blas est régulicerement couplé avec un lever de rideau musical et théatral, voire méme plusieurs spectacles a partir du 30 avril *. Dés le départ les relations s’aigrissent entre Hugo d’une part, Joly et Villeneuve de l’autre. Hugo a le sentiment que les directeurs font la part trop belle au théatre lyrique et que l’alternance des spectacles Aa peu pres réguliére au départ, un jour sur deux) dessert le drame. x La presse est unanime 4 signaler que Ruy Blas « fait de l’argent >» ; Hugo supporte difficilement de voir son ceuvre sacrifiée aux petits opéras-comiques. Les deuxiéme et troisiéme représentations ont fait respectivement 4 000 et 5.000 francs de recette, ce qui est plus qu’honorable pour des représentations ot le nombre des invitations est
cd
encore grand. Joly tente d’apaiser Hugo, le 16 novembre
(le lendemain
de la premiére de lVopéra). « Les journaux sont trés bien; vous y verrez que le succés de Lady Melvil ne nous empéche pas de soigner Ruy Blas ™. » Les lettres de Juliette font état d’une progressive détérioration des rapports de Hugo avec les directeurs. Son probléme parait s’ajouter aux difticultés de Ruy Blas pour envenimer les choses : elle est engagée et elle touche un petit fixe, mais elle ne joue pas et ne recoit pas la moindre promesse sérieuse : « Notre position au 134, Courrier
des thédtres,
11 novembre
1838.
135. V.H.R., 0.C., V, 1401. 136. On joua, non pas l’Eau merveilleuse, comme le dit par erreur le Victor Hugo Raconté, Il, p. 39 (cette’ ceuvre, opéra-bouffe en deux actes de M, Sauvage, musique de M. Grisar, ne fut créée que le 30 janvier 1839), mais deux Olivier Basselin, chronique normande avec airs nouveaux de Brazier
Courey, musique
de F. Pilati ; Lady
Melvil, comédie-vaudeyille
en trois
ceuvres : et F. de
actes
avec
airs nouveaux de MM. de Saint-Georges et de Leuven, musique de M. Grisar. 137. La derniére représentation de Ruy Blas, celle du 26 mai, est annoncée avec Paccompagnement suivant : les Camarades du ministre (comédie en un acte, en vers, de M. Van der Burck), ouverture de la Gazza Ladra, de Rossini, les deux
premiers
actes
du Barbier
de Séville,
-vaudeville. Les spectateurs en avaient 'étouffés sous tant de richesse. 138. Manuscrit, ms. 13402, f° 53.
du méme,
pour
leur
Une
argent,
affaire
d’honneur,
peut-étre
méme
comédie-
étaient-ils
22
“LE ROI ET LE BOUFFON
338
théatre de la Renaissance devient de plus en plus allarmante (sic) et impossible et je crains bien que ]’année 1839 ne nous y trouvent (sic) plus 4 ce hideux théatre™. » Mais la vraie source des différends nous apparait dans la lettre de Hugo du 18 février, ot il engage Joly 4 « vérifier et A méditer les chiffres ci-joints”® », d’ot il ressort que pour les trente-six représentations du 8 povembre au 31 janvier, la moyenne des recettes du spectacle lyrique est de 1186,22 F, tandis que celle de Ruy Blas s’éléve 4 2 276,90 F. Le départ de Frédérick-Lemaitre dont Vengagement se termine précipite la fin des représentations. La derniére a lieu le 26 mai,
UN JUGEMENT
SANS APPEL
Les doctes ne veulent pas voir.
Un phénoméne particulier marque la réception de Ruy Blas : une sorte de refus préalable, comme si les doctes, avant méme de voir la piéce, la renvoyaient aux ténébres extérieures. Balzac n’a pas vu Ruy Blas quand il écrit a l’Etrangére, le 15 décembre 1838 : « Ruy Blas est une énorme bétise, une infamie en vers. » Notons le vocabulaire condamnant l’ceuvre au nom de l’esthétique autant que de la morale. Sainte-Beuve écrit A Guttinguer, le 22 novembre ; « Je n’ai pas vu
Ruy Blas, ne le verrai, ni ne le lirai (...). I y a dérision publique, non
a seulement sur la piéce, mais sur VPhomme * >» ; le lendemain, il écrit
Victor Pavie : « Ruy Blas me parait un désastre d’aprés tout ce qu’on m’en dit, car je ne l’ai pas vu, ni ne le verrai™. » Le méme dans son
carnet intime: « Ruy Blas vide de fond en comble la question sur un Hugo, si tant est qu’elle restat encore quelque peu indécise : c’est de avec historié, armorié, uement magnifiq le certificat d’incurab de sa grosses majuscules rouges galonnées dor, comme les laquais piece, » Viennet dans son Journal apporte un témoignage plein de malveillance, mais instructif: « Je ne crois pas que Vextravagance anciens puisse aller plus loin. Ri avec R. de Beauvoir, un de ses séides, du quatri¢me acte, la plus grande preuve de la liberté dont on
les rues impunément a (..) Un mélange de prétention et de niaiserie, une nouvelle insulte aspirer un la royauté, car c’est une reine a la main de laquelle ose
jouissait A Paris c’était qu’un fou pareil courdt
, 3 h 1/4. Voici la suite 4139. Lettre inédite, 28 décembre, vendredi aprés-midi i ou je pourrai uniquede la lettre : « Quant A moi si tu le permets je m’engagera plus longtemps pour repament pour rentrer parce que je me peux plus attendre un parti dans le prendre laissasses me tu que raitre. Enfin mon adoré je voudrais avec ce théatre mais quoi cas, ce qui pour moi est inévitable. nous rompions, (sic) des personnes vis-a-vis déloyale. qu’i! arrive je nentends faire aucune démarche n’accepte
mon bijou, je qui dans le désir de t’obliger mont prété leur appui. Ainsi ou évineé M. Gérard [Gérard pas la proposition de Joly si elie doit ajourné (sic) Royer et Léo Burekart} et je suis préte a jouer le réle de MM. de Nerval et son Roger si on joue
leur
piéce
et s’ils
tiennent
qui est bien convenu... > 140. 0.C., V; 1138. Une note de agence 141. Sainte-Beuve,
143. Carnet,
493.
Fonds
Corr., Hl, p. 481. Lovenjoul,
premiére
feurnissant
,
lettre.
142. Ibid.,
a leur
ier carnet, p. 66.
distribution.
Voila
shal les chiffres est jointe 4 la
« RUY BLAS
», DRAME
DE LA SYNTHESE
339
valet. J’ai vu cependant avec plaisir que les Villemain, les Lamartine, et autres académiciens qui nous mitonnaient ce nouveau confrére étaient déconcertés par l’apparition de cette ceuvre. » Notons que Roger de Beauvoir fit pour Ruy Blas un bon article ™, Qu’on
en
soit ou non
spectateur,
on
refuse
d’entendre
le drame
de Hugo; le dégofitt et la dérision sont de régle. Un écrivain, un intellectuel ne peut se permettre de dire qu’il aime, qu’il admire ou qu’il comprend une piéce de Hugo. C’est au point que malgré l’argent que rapporte la piece, un Joly, qui devrait s’accrocher aux basques de Hugo pour éviter la dégringolade, parait le honnir aussi fort qu’un Harel en 1833 ; l’affaire Marie Tudor n’est pas loin de se répéter. Le 29 novembre 1838, l’ami de Balzac, Armand Pérémé, écrit 4 celui-ci
pour l’encourager 4 donner une piéce au théatre de la Renaissance : « Je me suis trouvé hier soir avec les freres J(oly) et Vill(eneuve). J’ai eu une
longue conversation
avec An(ténor). Vous
avez bien tort de ne
pas venir 4 eux. Jamais l’instant n’a été plus favorable et vous regretterez peut-étre de n’en avoir pas profité. Le Victor Hugo et le Dumas sont usés jusqu’a la corde. » Eux aussi tiennent que Ruy Blas juge une cause, celle du théatre de Hugo, sinon du théatre romantique
son ensemble ; que veulent-ils
? un drame
dans
bourgeois réaliste ?
Contradictions.
Les articles de presse franchement favorables 4 Hugo sont extrémement rares et presque tous de commande “*; le plus important est celui de Granier de Cassagnac, dans la Presse, le journal juste-milieu
de Girardin “”. Le pourfendeur de Dumas est ici moins brillamment inspiré dans l’apologie. Dans le Monde dramatique de Gérard de Nerval] un premier article signé Th. V. fait l’éloge de la piéce, mais il est suivi d’un
second,
signé Armand,
bien plus réservé.
Dans
deux
cas, le rédacteur en chef croit nécessaire, quand son chroniqueur dramatique a été aimable pour le texte de Hugo, d’insérer une note rectificative furibonde : fait surprenant, on l’avouera'®. Jules Janin avec qui, cette fois, les Bertin avaient réussi 4 négocier un article de 144
Viennet, Journal, Arsenal, fonds Rondel, p. 230-231.
145. Balzac, Corr. (éd. Pierrot), Ill, p. 471. Garnier, 1964. 146; Parmi ces rares articles, celui du Corsaire, 10 novembre,
probablement
rédigé par Joly lui-méme. Voir Ed. crit., introd., I, p. 108-109. 147, Voir Vanalyse de V’article, ibid., p. 108; Granier, qui venait d’avoir la Légion d’honneur grace & Ventremise du poéte, défendait Ruy Blas au nom du drame romantique contre l’offensive de la tragédie classique et soutenait le paradoxe de la simplicité de la mise en scene dans celle pice ! 148. Sur tous ces articles, voir ibid., p, 108 et 109. Dans la France littéraire de novembre 1838, J. Lesguillon a des formules frappantes : « La passion qui parle plus haut que le tonnerre et qui ne se tairait pas devant Dieu (...) une haute politique comme la comprend Corneille (....) la plus amusante bouffonnerie d’Amphitryon ou des Fdcheux », formules trés a et Se parce qu’elles rattachent
expressément
Victor Hugo
la rédaction
du journal
au xviit siécle et soulignent
fait une
mise
au point acerbe
la révolte
: « Un
contre
mauvais
Dieu. Mais
mélodrame,
une mwuvre & la Cyrano de Bergerac : ceuvre sans nom, monstrueuse en tout point, de conception, d’exécution, de style. » Dans l’Europe du 12 novembre, Roger de Beauvoir ayant signalé avee sympathie le grotesque—xviie siécle de Ruy Blas
(« les fantastiques gravures de Callot se trouvent réalisées »), la direction proteste : « La plus haute indépendance est réservée & notre rédaction ; nous laissons
done
A
nous
bornerons
absolue nom
notre
spirituel
de juger
avec
done
de la grande
royauté
sur
collaborateur,
une
bienveillante
A protester
au
loi monarchique,
la scene.
»
M.
Roger
amitié
nom
contre
du
de
Beauvoir,
le drame
bon
gott,
le déplorable
la
liberté
de M. Victor
contre
cette
la
plus
Hugo.
ceuvre,
réle qu’il fait jouer
Nous et
au
a la
LE ROI ET LE BOUFFON
340
neutralité bienveillante, ne peut s’empécher de glisser 4 chaque pas un poignard sous les fleurs “. Un seul article parait sincérement favorable, celui de l’Estafette
(12 novembre).
Un probleme est posé a la presse:
il y a la un succés
(« beau-
coup d’argent dans tout ce drame >, dit ’Estafette), les gens viennent,
ils sifflent peut-étre (c’est ce que prétend la Mode), mais ils vien? nent. Alors, comment assassiner une piéce qui « fait de l’argent » une scéne, une admirent detail, de éloges les sur rattrapent se Ils réplique, pour attaquer sans mesure VYensemble de la conception de Yoeuvre, voire la dramaturgie de Hugo ; on peut aussi, et ce n’est pas rare, prétendre que Hugo n’est aimé que de Ja canaille. et Reproches de fond™: tout d’abord le manque d’originalité, faculté la c’est Hugo, 4 dénié est qui ce : ement renouvell Yabsence de créatrice, puisqu’il lui faut copier les autres (quel relevé de sources pas probables ou certaines, chez tous les critiques !), quand il n’en est réduit 4 se copier lui-méme « sans s’apercevoir qu’il fabrique le méme >. drame et qu’il roule incessamment dans le méme cercle vicieux formule une trouve décembre) 3 e, Nouvellist (le Barbey d’Aurevilly dieu, s'il frappante : « Rien ne houge en Hugo, i] a Pimmobilité d’un n’en a pas la puissance. > Hugo veut faire un drame historique mais il a pour Vhistoire ‘concréte le plus total mépris’®. Et chacun de relever les erreurs et surtout les omissions™. Jules Janin, avec bien plus de pertinence et ‘perfide, remarque le décalage entre la minutie de la reconstitution les lacunes qu’il indique, lui, au niveau de la psychologie : « Il (Hugo) de vous dira le blason, la généalogie de chaque personnage, sa facon ses porter l’épée et de se battre en duel ; (...) it a donné des habits. 4 héros, il n’a plus le temps de leur donner des passions. > Les ultras ne sont pas contents.
Les accusations politiques fleurissent surtout chez les ultras : « Aprés avoir taché de sang et couvert d’ordures Francois I*', le roichevalier,
Marie
Tudor,
la reine
catholique,
maintenant
voila
que
M. Hugo veut réhabiliter le laquais couvert de sa livrée et démontrer
4 tous que l’homme dans sa souquenille usée peut étre aussi héroique enveloppé dans la pourpre impériale » (La Mode,
que le monarque 410 novembre).
Ce qui indigne ce journal légitime, c’est moins Vattaque
contre la royauté que l’assimilation peuple, la disproportion sociale **,
du monarque
et de ’homme
du
ORL EE SMetranstebe
I, p. 109-110. 149. Débats, 12 novembre, voir analyse, éd. crit., : « Le vrai public est 4150. 17 novembre (aprés les premiéres représentations) outrance. » 4 siffle Hugo) Victor M. de venu qui le (le mélodrame 115. 451. Pour les détails v. Ed. crit., 1, p. 112 a 10 novembre, et 4152. La Mode, 10 novembre, ef. aussi le Courrier francais,
Briffault, le Temps,
12 novembre.
Tout Particle de Janin est un relevé des themes permanents 153. Voir éd. crit., p. 114-115.
l’Artiste, 12 novembre
: « Quant
du théatre de Hugo, a ce qui est de Vhis-
4154, Chaudesaigues dans avons pas Vombre (...). toire proprement dite du régne de Charles Il, nous n’en moribond ? rien de tout cela, L*Autriche et la France assiégent-t-ellesle lit du roi : rien au monde. » chique de Ruy Blas, 155. Entre autres critiques touchant Vaspect antimonar France et Europe « c’est notons celle déja citée de la direction de l’Europe.de Pour au ceur par les frappée fois tant ader A plaisir la dignité des rois déja révolutions >.
BLAS
€ RUY
Les
légitimistes
en
pour
profitent
lancer
une
341
.
LA SYNTHESE
DE
>, DRAME
pique
contre
la
famille d’Orléans qui croit bon de soutenir Hugo, malgré ses écarts ces de langage : « Nous avions bien des raisons de dire que tous exces-la
étaient intolérables,
mais
n’avons
ce que nous
pu dire
assez,
c’est la présence des deux fils de Louis-Philippe 4 cette étrange piéce. On voyait 4 cette premiére représentation les courtisans du Palais et des Royal, dégantés pour faire plus de bruit, approuver de la téte de mains toute cette histoire dans laquelle la royauté est couverte que démagogi Yaspect attaque revanche en gues Chaudesai » ™. fange du Bon Appétit: « Une philippique plate et triviale, pouvant servir contre tous les gouvernements, 4 toutes les époques, sous tous les régnes (...) un misérable canevas a allusions (...). Si M. Hugo méprise le gouvernement sous lequel il vit, que n’a-t-il le courage de le dire ? s (...) Ou plutot que M. Hugo avoue qu'il ne s’est servi des événement historiques dont il a dressé le catalogue dans Ruy Blas, que comme Le d’un moyen pour obtenir les applaudissements du parterre *, » contempo l’allusion note d’égards, plus avec aussi, lui Charivari, raine :
156. Le Charivari note en revanche, non sans amusement que « la fraction de cour citoyenne qui assistait avec le duc de Nemours a la représentation avait une contenance embarrassée pendant que Frédérick déclamait énergiquement cette
belle tirade » (celle du Bon Appétit). La monarchie de Juillet voulait bien de Hugo comme poéete officiel, mais c’était un poéte officiel passablement encombrant et scandaleux.
157. L’Artiste, art. cité. 158. On ne peut s’empécher de trouver plaisant de voir la Mode dire son admian tisepour Scribe, le dramaturge juste-milieu, le porte-parole de la monarchie de uillet. 159. Le Nouvelliste,
art. cité.
342
LE ROI
ET LE BOUFFON
La reine et le laquais. Le pire, c’est Vinconvenance sociale : la Gazette de France s’indigne « qu’une reine d’Espagne puisse étre abusée comme Cathos et Magdelon », et voit qu’elle « sort de chez Madame Campan ™ ». On veut bien croire que la Gazette, légitimiste, se choque de voir ainsi traiter la majesté royale, et n’admette pas la « misérable fable @un laquais amoureux d’une reine » ; mais voila qui devrait étre indifférent au trés libéral Courrier francais : pour Monnay, « la reine est une pauvre femmelette, s’amourachant du premier venu » ; Rolle manifeste sans retenue son mépris pour les petites gens: « La reine attend depuis longtemps, elle est pressée (...) une marchande de modes n’agirait pas plus lestement et avec plus d’abandon™ ». Ce n’est pas au nom de la royauté bafouée, c’est au nom des convenances qu’un Rolle n’admet pas la vulgarité, la puérilité, ou la faiblesse de la reine ; va pour une marchande de modes, mais une reine, fi donc ! une reine, c’est digne ; toute l’élite frissonne en voyant comment Hugo
traite ce qui est au plus haut de la pyramide sociale. Traiter la reine comme une midinette ? Les trés démocratiques National et Courrier francais en tressaillent de dégodt. Ce qui révolte les critiques, c’est Je mélange des catégories, la destruction de la hiérarchie. Toute la ‘presse avec ensemble attaque la sympathie (apparente ou réelle) de _ Hugo pour les catégories inférieures de la société : « Etre une Lucréce Borgia, un Hernani, un Triboulet. une prostituée, un voleur de grande route ou un bouffon bossu, c’est mériter d’avance les bonnes graces de
l’auteur
de
Ruy
Blas.
Ceux
qui
sont
abaissés
seront
élevés,
dit
V’Evangile ;M. Hugo semble se proposer ce texte 4 chaque nouveau drame qu’il invente’, » Chaudesaigues méle ici (par une confusion peut-étre volontaire, en tout cas significative) laideur physique ou morale, et bassesse sociale. Le grand trio des critiques libéraux se
déchaine ; Monnay, rage:
« M. Victor
Rolle Hugo
et Planche ne
poussent
s’arrétera-t-il
pas
des dans
hurlements cette
de
canonisa-
tion de toutes les impuretés et de toutes les laideurs ? Nous connaissons M. Victor Hugo; rien ne répugne a sa muse. Aprés le bandit, la prostituée et le bossu, voici venir le laquais. M. Victor Hugo ne tiendrait-il pas en réserve pour sa prochaine canonisation. quelque héros
scrofuleux,
ou
bien
un
de
ces
industriels
nocturnes
qui vont,
la lanterneA la main, fouillant les impuretés des villes a l’angle des maisons 1, » Le lecteur admirera la jolie périphrase et l’heureuse assimilation du bossu et du laquais, du malheureux atteint d’écrouelles et du chiffonnier. La plume de Rolle est inspirée. Planche est plus digne mais ne vole pas plus haut : « Une reine amoureuse d’un laquais, tel est le sujet choisi et traité par M. Hugo. Les marquises du xviit° siécle se faisaient mettre au bain par leurs laquais et donnaient pour raison qu’un laquais n’est pas un homme; M. Hugo a trouvé qu’un laquais a létoffe d’un amant pour la reine d’Espagne ', » L’indignation politico-sociale de Monnay est bien plaisante :
160. 161. 162. 163. 164.
Art. cité. Le rapprochement avec Marie-Antoinette National, 12 novembre. L’Artiste, art. cit. Le National, art. cit. Revue des Deux Mondes, décembre 1838.
n’est
pas sans
intérét.
« RUY
BLAS
>, DRAME
343
DE LA SYNTHESE
-« Un laquais successeur des ducs de Lerme et des Olivarés?®! un ache coquin qui plutét que de mourir acceptait Vinfamie, qui ne savait pas gagner son pain, devenir tout 4 coup un grand homme, un
ministre sauveur
» Ce qui excite
du peuple et de la monarchie’®.
sa catégorie sociale, ’impossibilité ot V’on est de Videntifier 4 une étiquette hiérarchique ; en un sens la caractérisation sociale précise d’un Balzac est _tenue pour moins subversive. Des clameurs accueillent la scéne du mouchoir (II, 5) : « Situation on ne peut plus scabreuse » (Constitufionnel, 9 novembre); « allons, vous voyez qu’il y a toujours du -Jaquais en Ruy Blas et qu’un faquin de sa trempe n’a jamais eu une Yindignation,
de l’étre avec
c’est cette non-coincidence
idée dans la téte, ni une
passion
dans
Courrier
» (Monnay,
Je coeur
francais). Planche donne une idée du scandale : « Cette scéne a excité dans l’auditoire un étonnement, un frisson d’indignation (...).
Pour obéir a ces ordres insultants, il faut plus que de la lacheté, il faut de la folie (...). Ruy
se résigne
Blas
a Vavilissement
comme
s’il
avait hate d’accomplir la vengeance méditée par Don Salluste (...). La mesure de l’absurde est comblée?”. » Ce qui chogue ici c’est, bien plus que la situation, ’image soudain offerte de la division d’un individu, le laquais-ministre dont la double nature est montrée dans le temps qu’elle vole en éclats ; mais un laquais-ministre est déja, au départ, un monstre et les mots monstre et monstruosité fleurissent sous ces plumes. C’est ce que les critiques ‘appellent Vantithése : « une antithése manquée » dit Monnay; « cet - amour forcené de l’antithése qui a toujours possédé Hugo’ » ; « le. sujet du nouveau drame de M. Hugo est, comme il a été facile de le une
antithése
conflits,
solutions
prévoir,
», dit Planche.
D’ot
des
« effets
heurtés
»,
analysés avec assez de finesse dans la Revue francaise (novembre 1838) : < Comment des personnages, si différents, si contraires, et } qui ne se touchent que comme des extrémes peuvent-ils se trouver ensemble et agir logiquement et vraisemblablement lun sur l’autre ? > Or V’antithése est une catégorie d’autant plus intéressante qu’elle est _ ici a la fois littéraire et idéologique, par une confusion qu’il ne fau_ drait pas reprocher aux critiques car c’est eux qui ont raison. Ils voient que l’antithése est 4 la fois creusement, ou méme éclatement des contradictions (c’est-a-dire opposée a tout ce qui est camouflage des
temps
pénétration
verbales,
des
réalités
négation mais reconstruction
réconciliations)
fausses
opposées
les unes
dans
et en
méme
les
autres,
de lunité.
_ Le grotesque.
Avec une grande perspicacité, la presse dirige son tir contre le grotesque, pressentant ses implications idéologiques — la mise en question de Vidéalisme, comme celle du statut philosophique de la personne. La prédilection pour le bas, le goat de l’antithése dans la dramaturgie, tout cela porte un nom, et c’est le grotesque. Dans Ruy 465. La remarque prend tout son sel quand on songe a ce que ces grands ministres ont fait de l’empire de Charles-Quint. _ 166. Courrier frangais, art. cit. 167. R.D.M., art. cit. ; voir aussi
168. Barbey
d’Aurevilly,
art. cité.
‘
article
de Janin
dans
les Débats.
344
LE ROI
Blas, le grotesque revient en ministre et du gentilhomme la réaction de l’ensemble de ment négative. A propos de _ contre le grotesque :
ET LE BOUFFON
force sous le double aspect du laquaisde cour des Miracles, César de Bazan:
la presse devant ce dernier est entiéreCésar, Planche prononce un réquisitoire!
Il est taillé sur le patron de Robert Macaire, et parait pren-|
dre 4 tache d’exagérer le modéle
qu’il copie. Il se vautre dans
la fange, i) s’avilit, il se dénonce au mépris public, comme s’il craignait d’étre confondu avec les honnétes gens. Ii fait d’in-
croyables efforts pour appeler le rire sur ses léevres, pour égayer l’auditoire ; mais ses railleries grossiéres sur les hommes) qu’il a tués et dépouillés, sur les grands seigneurs dont il porte; le manteau et le pourpoint, sur les évéques dont il a dérobé la/ bourse, n’excitent que le dégofit et ne dérident personne. Un tel) personnage égaierait peut-étre le bagne ou la gedle ; mais je ne} crois pas qu'il se rencontre parmi les spectateurs un seul! homme capable de le comprendre et de l’applaudir. (...) Or, tout, le mérite de don César se réduit 4 exposer magistralement la’ morale que nous avons quelquefois entendue a4 la cour d’assises. Il fait la politique du meurtre et du pillage, comme il établirait les lois de la tragédie ou de l’épopée. I] prend une 4 une toutes’
les facultés qui honorent la personne humaine pour les souiller, | A chaque verre qu’il vide, a chaque morceau qu’il avale, il prend soin de nous dire qu’il compte sur sa gloutonnerie pour s’abrutir et se faire V’égal du pourceau 1%, :
pour les couvrir de boue. (...)
On aimerait analyser toutes ces formules, vrai catalogue du gro-. tesque. Planche n’est pas isolé. La Revue du dia-neuviéme siécle’ (Chronique
de Paris)
définit
ainsi le IV° acte : «Un
imbroglio
sans |
nom, comme sans intelligence, quelque chose de prodigieux 4 force, de grivoiseries équivoques, de plaisanteries grossiéres et de quiproquos inutiles » (11 novembre). Un choix de formules: « Une froide et triste farce *” », une
farce
de tréteaux
»
(...) « des bouffonneries
détestables™ », une « pasquinade '? », « une parade detréteaux ™ », un « dévergondage de la forme et de la pensée (...) dont il faudrait chercher le secret jusqu’aux portes de Charenton ™ » ; « une gaité de cabaret » pour Janin ; « il y a la tant de vices, tant de brutalés plaisanteries, cela tient si peu au drame qu’on ne saurait apporter trop vite l'eau chaude et les éponges pour en effacer les grossiéres cou-_ leurs 5 » et, selon G. Planche,
« le quatriéme
acte est le plus hardi_
défi que M. Hugo ait jamais adressé au bon sens et au godt de son auditoire », On voit le vocabulaire dominant : tréteaux de la foire et grossiéreté populaire. i | Presque tous les articles condamnent la vulgarité de la langue et du style surtout dans le IV° acte ; tous les critiques (méme la Biblio169. R.D.M., décembre 1838, p. 540. 170. Commerce, 10 novembre. 171. France et Europe, 25 novembre.
172. Revue
francaise, novembre
173. Courrier Francais, 10 novembre. 174. La Mode, 10 novembre. 175, Débats, 12 novembre.
176. R.D.M., p. 545, art. cité.
)
1838. i }
|
|
« RUY BLAS
>», DRAME
DE LA SYNTHESE
345
graphie de la France) relevent des formules comme , mais, atteint par la contagion, il se permet des plaisanteries telles que « apres Hernani, la contrainte par cor (...) Ruy Blas la contrainte par justaucorps"® ». Selon le Commerce, Don César « a procuré a l’auteur le plaisir de parler argot et d’outrager le bon sens et Ja langue pendant plus de deux cents vers (...). Parlerons-nous du style ? A quoi bon ? M. Hugo s’est mis depuis longtemps a l’abri des atteintes de la critique
en
s’affranchissant
de
toute
loi, en
bravant
toute
autorité,
méme celle du dictionnaire” ». Bref Hugo est déja le terroriste des lettres, l’ « ogre et le bouc émissaire ». Certains remarquent Jes rapports de Ruy Blas avec les « grotesques
» du xvui° siécle, un
Scarron,
mainte
fois cité™,
un
Cyrano
de
Bergerac, cité par Janin, un Régnier, cité par Barbey d’Aurévilly. Ces rapprochements ont di plaire 4 Hugo ; ce sont les lettres de noblesse du grotesque. Le grotesque, c’est aussi le laid ; Rolle parle des « drames difformes » de Hugo, et il ajoute : M. V. Hugo est possédé comme on sait -W@une tendresse immense pour la laideur morale et la laideur physique ; tous ses héros sont laids, de corps
ou d’4me ™. » Pour Janin,
Hugo a « divinisé toutes les laideurs physiques
et morales,
de la vertu le vice, du roi l’esclave, du sujet le roi
» —
il a fait
intéressantes
formules montrant le pouvoir d’inversion du grotesque ™, Les critiques insistent sur le réle du laid : il s’agit de montrer que l’art de Hugo n’est plus capable d’idéalisation ; selon Barbey les grands classiques du xvu° siécle
Dans
le drame
« voilaient, en Vidéalisant,
moderne,
dit-il
4 propos
la réalité vivante
de Ruy
Blas,
«le
>».
laid, le
grotesque, toutes les extravagances de l’esprit, toutes les miséres des corps font partie intégrante du drame, parce qu’elles sont dans la réalité, dans la vie ». Et G. Planche: « En écrivant Ruy Blas (l’auteur) a traité ’idéal avec le méme dédain que la langue ™, » On comprend alors le sens de la réaction classique amorcée par le succes de Rachel et dont le célébre article de Musset dans'la Revue des Deux Mondes faisait la théorie "4, Les critiques opposent au grotesque de Ruy Blas Vidéalisation classique et renvoient Hugo 4 Corneille et Racine, Le sens de ce retour, c’est encore G. Planche qui nous le donne avec sa grande, sa féroce lucidité : il accuse Hugo de 177. L’Artiste, 12 novembre. La Gazette de France du 14 novembre elle, a la vulgarité du langage de Ruy Blas, premier ministre. 178. Le Siécle, 11 novembre, article signé Jules Ferney. 179. Commerce, 10 novembre.
s’en prend,
180. Par la Gazette de France ou par Rolle dans le National (art. cit.). Planche : Hugo a voulu surpasser Scarron en grossiéreté, nous devons V’avertir qu’il
« Si M. a réussi aoe . 183, é 184, 1838, & F 185.
au-dela de ses souhaits. Romeo, Beh ents. Ile partie, p.
»
498 sqq.
R.D.M., p. 546. i De la Tragédie a4 propos des débuts 349-362, VY. non seulement Planche et Janin,
dramatique
(décembre
Courrier francais.
de Mlle
Rachel,
R.D.M.,
15 septembre
mais la Gazette de France, le Monde 1838, p. 401), la Revue de Paris (décembre 1838, p. 268), le
‘
;
346
LE ROI
« se complaire
(...) dans
ET LE BOUFFON
V’avilissement
de
la personne
humaine
».
C’est le fond du probléme ; ce qui est mis en question, bien plus que Vindividualisme,
c’est Pidéalisme
fondé
sur la personne,
et Planche
en revient 4 ses accusations habituelles : Hugo est un poéte matériel, Vdme ne compte pas pour lui : « Comment (...) a-t-il oublié une 4 une toutes les facultés dont se compose Ja conscience humaine ? Comment est-il descendu jusqu’a confondre ’homme et la chose, la vie et la pierre, le coeur et l’étoffe “*. » Janin montre comment la philosophie du destin chez Hugo marche dans la méme perspective idéologique : « C’est toujours
la méme
puissance
implacable,
fatale, sans
regard,
sans oreilles, sans entrailles, presque sans voix (...), une espéce de force inerte que vous retrouvez dans les tragédies de Sophocle, mais au moins justifiée par la croyance religieuse. Seulement M. Hugo a dépouillé la nécessité de tout appareil religieux”. » Janin remarque cette « laicisation » de l’ananké dans le théatre de Hugo : intuition qui fait honneur 4 son sens critique’*. Tout cela manque facheusement de providence.
Solitude et folie. Et Planche de terminer son grand article en montrant Vorigine ‘du décalage idéologique entre Hugo et ses contemporains dans la solitude du poéte; sans doute prend-il ici Veffet pour la cause et pouvons-nous inverser Je mouvement: c’est le refus du code socioculturel de ses contemporains qui précipite le poéte dans la solitude. « Tarte A la creme » de la critique A propos de Hugo: solitude égale orgueil ; l’incapacité dramaturgique a pour cause le culte de soi : « Qu’'il renonce a ce culte de lui-méme, ot le dieu et le prétre ne sont qu’une seule et méme personne, a cette solitude superbe d’ou il peut mal apprécier le gotit et les jugements du monde, entouré qu'il est de fanatique idolatrie ™. » Or comment s’appelle celui qui n’a plus aucun rapport avec « le bon gout », c’est-a-dire avec le gofit de ses contemporains — ni avec le « bon sens >, c’est-A-dire avec le respect des codes et convenances ? Cela s’appelle un fou: Non seulement comme le veut la Mode, les ceuvres de Hugo ne vont 4 rien d’autre qu’ « au bouleversement complet de l’ordre social ™ » (c’est lui faire peut-étre beaucoup d’honneur), mais il est A proprement parler homme « deéraillé », celui qui, n’étant plus dans le droit fil de la raison, n’est plus entendu par personne: « De cet orgueil démesuré 4a la folie, écrit Planche pour conclure, il n’y a qu’un pas, et ce pas, M. Hugo vient de le franchir en écrivant Ruy Blas. Désormais, M. Hugo ne reléve plus de la critique littéraire (...) Son intelligence n’est plus qu’un chaos ténébreux ou s’agitent péle-méle des mots dont il a oublié la valeur. Nous sommes certains que notre conviction sera partagée par tous les hommes sérieux. M. Hugo s’est enfermé dans un dilemme impitoya-_ 186. R.D.M.,
p. 547.
187. Débats,
art. cit.
488. 189. 190. sous la 191.
V. lettre de Lamartine A Hugo du Jer juillet 1831 (0.C., IV, 1038). Revue froncaise, novembre 1838. Le lecteur aura remarqué avec quelle fréquence ces expressions reviennent plume des critiques. La Mode, art. cité.
€ RUY
BLAS
>, DRAME
DE LA SYNTHESE
347
ble : ou Ruy Blas est une gageure contre le bon sens, ou c’est un _acte de folie ™. » Un tel jugement n’est pas isolé'®. On concoit que devant ce déchainement la volonté de Hugo vacille. Comment combler le fossé qui se creuse entre son public et lui ? Certes on l’applaudit init ees i
(on le siffle demander.
aussi).
Mais
est-il
entendu?
Il peut
a bon
droit
se
le
eS eee
192. R.D.M., p. 48 193 Voir outre le « Charenton » de la Mode, déja cité, les formules du Countries francais (art. cité) de Briffault dans le Temps (art. cité), « un accés de délire ».
/
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19?
7
LES
JUMEAUX
GENESE Le mythe du Masque de Fer. L’histoire du Masque de Fer est un des beaux mythes historiques du x1x* siécle — mais c’est le siécle précédent qui l’a inventé. I] servait a tous usages, et tout d’abord 4 mettre en accusation les crimes de la monarchie. On ne s’étonnera pas de voir un Voltaire le fignoler et le diffuser sournoisement. La légende se présente grosso modo sous deux formes différentes : on raconte l’emprisonnement d’un homme masqué, emprisonnement 4 vie, double négation de la liberté et de l’identité ; 4 ce prisonnier on donne toutes
sortes
de noms
conjecturaux,
de Fouquet
au duc
de
Vermandois". Ensuite, on établit une version plus raffinée de Vhistoire : le prisonnier inconnu, dont nul n’a percé lidentité, serait un frére
de
Louis
XIV,
frére
ainé,
adultérin?
ou
frére
jumeau.
Ainsi
s’expliquerait ce masque, destiné a dissimuler une éclatante ressemblance. Ii ne faut pas confondre ces deux versions fondamentalement différentes. Une chose est certaine : il a bien existé sous le régne de Louis XIV un prisonnier inconnu et masqué : il circula entre la Bastille, Pignerol et Vile Sainte-Marguerite et l’on prenait pour le garder des précautions vraiment extraordinaires.. Un livre récent* 1, Le reliquat du ms, des Jumeauz, 13396, f° 69 (cote 74/63) comporte une liste assez compléte plus que probablement empruntée 4 P. Lacroix (vy. infra, note 4). « Matthioli — Cte de Vermandois. Soufflet au grand dauphin. Due de Beaufort —
Due de Monmouth
chef de la faction
—
Cte Girolamo Magni, premier Frére jumeau de L. XIV. Fouquet,
Un Un ce Un jésuites. Don On voit
des Importants
dit décapité 4 Londres, ministre
du
duc
mais
—
tué anu siége de Candie.
soustrait
A la mort.
de Mantoue.
le surintendant.
fils adultérin de Buckingham et d’Anne d’Autriche. fils légitime de Mazarin marié secrétement avec Anne d?Autriche. patriarche arménien nommé Awedika, enlevé de Constantinople par’ les ? Jean de Gonzague, frére (batard) d= Charles Ferdinand, due de Mantoue. » qu’il n’y a pas moins de trois hypothéses concernant un frére ou un’ demi-
frére de Louis XIV.
;
2. Anne d’Autriche pouvait avoir essayé — et réussi — l’épreuve de sa fécondité avee un partenaire non royal avant de se préter a la comédie qui mit Louis XIII dans son lit et Louis XIV sur le tréne de France. Inutile de dire que cette hypothése n’intéresse pas Hugo. . 3. Georges Mongrédien, Le Masque de Fer, Paris, Hachette, 1952. »
352
LE ROI ET LE BOUFFON
tente
encore
de
lever
le voile,
sans
obtenir
de
certitude
absolue,
quelles que soient les hypothéses *. Mais de P. Lacroix 4 Georges Mongrédien, personne ne soutient plus la thése effarante du prisonnier d’Etat frére de Louis XIV. On sait bien qui est 4 l’origine de cette version extréme : c’est Voltaire. Cette fable excitante mettait en question le droit divin des rois de France: quelle étrange farce la Divine Providence n’a-t-elle pas joué 4 la royauté en faisant de deux jumeaux indiscernables l’unique héritier de la monarchie francaise ! Pour un fils ainé de lEglise c’était trop de deux. La version qui fait du prisonnier mystérieux un enfant adultérin, quoique moins scandaleuse, n’est guére plus profitable 4 la majesté royale. De toute maniére, la royauté ne peut se défendre qu’a Vaide d’un crime: c’est la suppression de innocent qui permet de sauver les apparences. La grandeur louis-quatorzienne reposerait sur un crime d’Etat. Et quel bel argument 4 l’appui de la thése voltairienne du hasard moteur de V’histoire! Les chances d’une fécondation et c’est tout Vavenir d’une monarchie qui bascule. Le mythe servait merveilleusement la théorie des petifes causes, du hasard concu comme antiprovidence. Voltaire mit une grande ténacité 4 suggérer l’hypothése fantastique du jumeau royal. Il fit, on le sait, deux séjours a la Bastille, du 17 mai 1717 au 14 avril 1718 et du 17 au 26 avril 1726, et s’autorisa par la suite A glisser ca et la des allusions de plus en plus précises 4 Vhistoire du Masque de fer. Dans une lettre du 30 octobre 1738, il écrit A Pabbé du Bos : « Je suis assez instruit de l’aventure de Homme au Masque de fer, mort a la Bastille. J’ai parlé 4 des gens qui l’ont servi *..» Dans le Siécle de Louis XIV, Particularités et Anecdotes,
il décrit
«
un
prisonnier
inconnu,
d’une
taille
au-dessus
de
Yordinaire, jeune et de la figure la plus belle et la plus douce® (...). Son plus grand godt était pour le linge d’une finesse extraordinaire et pour les dentelles’. » P. Lacroix rappelle que « Dans la septiéme édition du Dictionnaire philosophique réimprimé sous le titre de la Raison
par alphabet,
1770, 2: vol. in-8°, ou il fit entrer
dans
l'article
ANA V’anecdote sur le Masque de fer, il rectifia les erreurs qu'il avait commises lui-méme, faute de documents authentiques *. » Et de montrer comment Voltaire démolit non sans vigueur la plupart des hypothéses avancées et termine en disant : « Celui qui écrit cet article en sait peut-étre plus que le pére Griffet et n’en dira pas davantage. > « Cependant ajoute P. Lacroix, cet article fut suivi d’une Addition de Véditeur, beaucoup moins discréte (...) Cette addition parut dans une nouvelle édition du Dictionnaire philosophique, sous le titre de Questions sur VEncyclopédie distribuée en forme de dictionnaire, par des amateurs,
Genéve,
4, L’Homme
au
1771, masque
9 vol.
in-8°%
de fer, par
Paul
»
P.
Lacroix
L. Jacob,
attribue,
avec
Paris,
Victor
bibliophile,
Magen, 1837 (dédié A Guilbert de Pixérécourt). P. Lacroix conteste V’hypothése du jumeau royal, et plaide pour l’hypothése Fouquet. Hugo avait pu prendre connaisSance de ses arguments bien avant la publication du livre (d’ailleurs antérieure & la rédaction de la piéce). 5. Geuvres completes, t. XXXV, Ro 31. 6. Il s’était donc démasqué quelquefois ? : Ws Op. cit., XIV, p. 427. Anne d’Autriche avait ce méme gofit, tout le monde i ie savait.
8. L’Homme au masque 9. Ibid., p. 94.
de fer, p. 92.
« LES
JUMEAUX
>»
353
raison, mais non sans quelques réserves, la note de l’éditeur 4 Voltaire lui-méme en faisant remarquer que si elle n’eit pas correspondu a sa pensée, il leit démentie ©. L’ « éditeur » affirme : « Le Masque de fer était sans doute un frére, et un frére ainé de Louis XIV dont la mére avait ce gout pour le linge fin sur lequel M. de Voltaire appuie™. » Il est plus que probable que Hugo a eu |’attention attirée sur le probleme du Masque de fer, par la lecture de Voltaire et en particulier de ce dernier texte.
P. Lacroix n’a fait que lui rafraichir Ja mémoire si besoin en était : nous savons déja que la premiére idée des Jumeauzx est trés antérieure a 1837 ¥. Le premier récit complet de Vhistoire du Masque, jumeau de Louis XiV, est celui des Mémoires apocryphes du maréchal-duc de Richelieu (par l’abbé Soulavie,
ne manque tinement
1790")
: ce récit trés circonstancié
(il
méme pas le nom de la sage-femme qui accoucha clandesAnne
d’Autriche
de
son
second
jumeau)
ne
passe
aucun
- détail et a toute la vivaciité d’un roman; les sources — et peut-étre Vinspiration — proviennent de la Maison d’Orléans (pensant a la date
de 1790 4 un changement possible de dynastie ? la branche d’Orléans n’était pas souillée de ce crime d’Etat). Il est difficile d’étre stir que Hugo a lu ces pages : elles sont la source commune 4 toutes les histoires du Masque de fer qui prennent pour point de départ les jumeaux royaux. Dés la fin du xvuir° siecle, Phistoire
%
du Masque
de fer est d’autant
plus exploitée (et que l’on y crit ou non n’avait guére d’importance, Yun des grands charmes de la fable étant sa gratuité) qu’elle pouvait servir — méme sous sa premiere forme, réduite — a toutes sortes de fins : ce qu’elle mettait en question au choix, ou simultanément, c’était ia légitimité des Bourbons (assurée par un crime), la justice de la puissance
et la notion
de crime
d’Etat, ou fa divine
Providence
et ses décrets inexplicables. Une piece violemment antimonarchique 4 fut jouée en 1793, au Theatre National de Moliére sous le titre Louis XIV et le Masque de Fer ou les princes jumeaux. Lors de la ‘réaction
qui suivit
1830,
un
mélodrame
d’Arnoult,
ot
se
produisait
Juliette, donne une version affadie de Vhistoire des princes jumeaux. Vigny dans la Prison (1822), texte inséré dans les Poémes antiques et modernes, fait allusion a ’hypothése du jumeau royal, mais sa visée nest pas la; il fait une variation extrémement brillante dirigée contre
Dieu : le prisonnier masqué qui meurt accuse la divine Providence représentée par son prétre ; les crimes de Vhistoire s’effacent devant la radicale injustice divine : « Il est un Dieu? j’ai pourtant bien souffert *. » En ce sens, le Masque est figure et symbole non pas de 10. [bid., p. 97. 11. Guvres complétes, XVII, p. 204. 12. En 1836, Hugo pouvait avoir l’attention
attirée
par le Pignerol.
Histoire
du
temps de Louis XIV, 1680, par P.L. Jacob, Bibliophile-Renduel, 1836, 2 vol. in-8°. Dés le 13 novembre 1836, le Siécle publiait un feuilleton sur l’-homme au masque
de fer, de P.L. Jacob. 13. Mémoires du maréchal de Richelieu (...) pour servir a UVhistoire des cours _ de Louis XIV (...), ouvrage composé dans la Bibliothéque et sous les yeux du maréchal de Richelieu. A Londres, chez J. de Boffe, 1790, t. Ill, p. 74 a 114. 14, Cf. aussi louvrage de Guénard, L’Homme au masque de fer ou les illustres
jumeauz,
1821,
15. Odéon, 3 aofit 1831. 16. La Prison, poeéme, Guvres
complétes,
Pléiade,
I, p. 121.
23
354
LE ROI ET LE BOUFFON
Voppression sociale et des violences de la raison d’Etat, mais de cette prison pascalienne ou les hommes attendent leur arrét et 4 laquelle renvoie un projet du Journal d’un poéte™. Le souvenir du poéme de Vigny est trés proche de Hugo; des hémistiches entiers passent presque intégralement du poéme au drame ¥; les thémes-clefs de l’aspiration 4 la liberté, 4 ’amour™”, au bonheur libre trouvent des formulations différentes mais équivalentes. L’instinct opprimé par la prison
est présent ici et la
et si Vigny a choisi
de mettre
en
scéne
le
Masque vieillard et mourant, la vieillesse et la mort figurent dans tous les discours du Jumeau hugolien®. Plus qu’un theme philosophique, plus qu’une méditation historique, c’est le lamento lyrique qui fait la parenté des deux textes ~. Ces rapprochements n’épuisent pas le parti que l’on peut tirer de la confrontation ; ce
que
nous
en
déduirons
ici,
c’est
simplement
lidée que Hugo pouvait trouver dans Vigny un aspect de la légende du Masque qu’il se garde de négliger, le volet passionnel et pathétique, ’image de l’étre innocent et jeune emprisonné et frustré de tout son bonheur possible *.
17. Journal
femmes
d’un
Poéte,
et d’enfants,
mars
saisis
~nés (...). Il est certain epee thes Veit voulu,
dans
ibid., iF 18. Voir par ex. Vigny (op. cit., p. 125),
1832
un
: « Je
sommeil
me
figure
profond.
une
foule
d’hommes,
Ils se réveillent
de
emprison-
que le maitre de la prison, le gouverneur nous efit fait et notre procés et notre arrét. » Pléiade, II, 946 ; cf. aussi
: « De lair
et Jumeauz,
Ill, 3
dans
: « De
mes V’air!
cheveux,
j’ai senti
de
partout!
Vair
le de
passage Vair
»
dans
mes cheveux ! » (0.C., V, 868) ; au « fantéme immobile » de Vigny (p. 122) répond le ¢ masque immobile » de Hugo (ibid., I, 1, 845). _, 19. « La liberté 1 amour ! c’est ?Ame tout entiére ! » (Jum., II, 2, 849). « J’ai mes droits 4 Pamour et ma part au soleil ; Laissez-nous fuir ensemble (...). Et nous nous aimerons.. » (Jum., III, 3, 869.) 20.
Quand
le régne
inconnu
d’une
impuissante
ivresse
Saisit mon ceur oisif d’une vague tendresse, J’appelais le bonheur, et ces étres amis Qu’A mon 4ge brillant un songe avait promis,
(Prison,
123)
Il grandira, sentant, méme a travers la voiite, L’instinct de Vhomme en lui s’infiltrer goute a goutte ; Le printemps le fera dans sa tour de granit, Tressaillir comme l’arbre et ia plante et le nid ; Pale, il regardera, de sa prison lointaine,
Les femmes
21.
Vous
aux pieds nus
creuserez
son
qui passent
dans
front, rides, sillons
la plaine.
(Jum.,
(...) Son wil se cavera, ses cheveux blanchiront (...) Sans avoir été jeune, il s’éveillera vieux.
;
(Jum.,
Vivants ! laissez les morts dans leur sombre royaume Ce masque est mon visage et je suis un fantéme !
.
Oui, j’étais
mort
I, 1, 845)
stériles !
ibid.)
!
(Jum., U, 2, 851)
!
(Jum., UI, 3, 868) 22. Voir par exemple Je mouvement d’appel aux autres hommes, voisin dans les deux textes, Prison, 125 et Jum., Il, 1, 845 (« Vous étes tous heureux ! vous étes
libres, vous
! »).
‘
. ll serait bien intéressant
(ce ne
peut étre notre
inre des deux poétes quand se fait Ja rencontre ainsi la trace du temps perdu : Dans
mes
Je tracai sur les murs Puis, pour tromper
longues
mes
l’ennui,
Sculptant avec un clou tous Il usera son Ame en choses
ici) d’étudier
« substances
.
l’écri-
» voisines ;
journées
lugubres
années.
charbonnant ses réves puériles.
:
propos
de deux
(Prison,
123)
de vieux murs,
obscurs,
(Jum., I, 1, 845)
« LES JUMEAUX Genése
des Jumeaux
: la Constellation
Nous avons vu comment
>
355
de 1830.
le Masque
de Fer figure dans
la liste
des projets de 1830 ™, avec cette mention : (« Mazarin — lenfant dans la grotte du tigre )». De Vhistoire du Masque de fer, on peut tout tirer ; le choix de Hugo se porte, dés le départ, sur opposition de la faiblesse juvénile et du pouvoir despotique et cruel; la fable tourne autour de ce piége tendu (par le destin? par le despote ?), inséparable du lieu du danger, de cette toile ot dort laraignée-ananke. La méme année 1830 voit Hugo écrire un brouillon ot figure la mention du masque de fer; cette feuille (ms. 13396, f° 59) est probablement antérieure a FP 33 (la liste précédente) et remonte a juin 1830. L’idée d’une confrontation du pouvoir royal et de sa victime, la créature de l’avenir, "Enfant,
se retrouve
dans
ce méme
brouillon
assor-
tie d’un exemple historique différent quoique dans les mémes celui de Louis XI et du Dauphin :
termes,
le masque de fer Le jeune prince et Louis XI Vantre du tigre *. Inutile de dire que nous sommes ici renvoyés, une fois de plus, a Notre-Dame de Paris, cette matrice de la création hugolienne des années trente. Et comme on peut s’y attendre, la liaison se fait entre la tyrannie (« esclaves et tyrans. victimes et bourreaux” ») et Vidée de la Révolution, liaison elle aussi présente dans Notre-Dame de Paris, avec l’évocation de la prise de la Bastille. Et on pourrait tenir ces ) rapprochements pour fortuits et accidentels, liés en tout cas pour nous au niveau quasi inaccessible des contacts inconscients, si nous ne les x | retrouvions pas dans une page de brouillon 4 peu prés contemporaine (Feuilles paginées, p. 106%), sans
doute
immédiatement
antérieure
au
18 mai 1830”, et ou figure une version de quatre vers, sur le mariage _ et la décapitation de Louis XVI ; ces vers se retrouvent, plus élaborés, dans le brouillon de juin 1830 dont nous venons de parler: dans 24, Feuilles paginées, 33, voir chap. Projets, p. 126, 0.C., Il, p. 1171, et la datation de cette liste (oct. 1830) trés probable.
25. Au verso d’une lettre du 10 juin (1830) demandant des billets pour la représentation d’Hernani du lendemain 11 juin. L’année (1830) non indiquée se déduit aisément du contexte et de 1l’écriture. 26. Une note du dossier Notre-Dame de Paris fait allusion aux rapports entre Louis
et « son fils (Charles
_ Mazarin
indique
_
VIII)
avons
27. In suite du méme d’automne,
XIX,
cette similitude
des préoccupations
déja constatée
(voir p. 522).
brouillon,
13396, f° 59, 139/211.
28. O.C., I, 1203-1204. 29. Elle porte une série
(Feuilles
» (sic) (0.C., V, 1143). Le rapprochement
dans ce brouilion
Pété 1830, que nous
de
ms.
brouillons
Pléiade,
du
poéme
p. 756), poéme
«
daté du
Louis
de Hugo
XI-
dans
O.C., V, 879.
Lorsque
l’enfant
18 mai, et doit
parait done
»
étre
antérieure, mais de peu semble-t-il Peut-on lier ces trois images de la naissance qui se suivent dans le texte : la liberté sortant... « comme un aiglon de son cuf » — « le fils de la bossue », et Papparition de enfant : « lorsque V’enfant parait » ? Dans quelle mesure Vhistoire du Masque n’est-elle pas celle d’une naissance brisée, du meurtre d*un enfant : « Nous prendrons cet enfant, faible, innocent et beau, | nous lenfermerons, masqué, dans un iombeau » (Jum., II, §, 0.C., V, 844).
30. Feuilles payinées, p. 106. Louis seize le jour de sa noce royale Avait déja le pied chose fatale Sur la place de léchafaud.
Il passe des Tuileries eit aprés tant revient mourir
au
au Temple
lieu marqué.
Et
356
LE ROI ET LE BOUFFON
Yun et l’autre textes l’allusion 4 la mort de Louis XVI s’accompagne de formules touchant 4 la Révolution : « Cette larve d’un peuple qu’on appelle révolution » (f° 59) et « la liberté sort de la Bastille brisée comme un aiglon de son cuf » (Feuilles paginées, p. 106). Inutile de montrer le rapport entre la Bastille et ce mythe de la liberté qu’est Vhistoire du masque de fer* ; du scandale de l’oppression absolutiste sort la violence réyolutionnaire et la décapitation royale: « La couronne tremble sur la téte des rois comme la perle de la rosée sur le brin @herbe » (Feuilles paginées, p. 106) — idée avec laquelle Hugo n’aura jamais fini et qui fait le fond de Ecrit en 1846. La Révolution est éternellement le Verso de la page *, inversion du mal de l’oppression, le retournement
du scandale.
Si ’on pouvait chercher — et trouver — l’unité de ces notes: dispersées, on la verrait dans la méditation sur le pouvoir et sur le mal historique, sur la « dialectique* » du sens de histoire. Ainsi le couple Providence/Fatalité trouve sa piace dans les deux brouillons : L’homme est libre, quoique tout soit fatal du choix de la route infernale et de la voie céleste, mais qui peut voir le point ot. se croisent vos deux voies. Providence fatalité. (Feuilles paginées, p. 106) Cain, Abel, vos races sont encore dans le monde les justes, les héros Esclaves et tyrans, victimes et bourreaux,
Cain Abel dit : Providence ! et toi: fatalité ! -
Jum.,
(Jum., £° 59)
f° 59.
Louis seize le jour de sa noce royale Avait déja le pied sur la place fatale Ou mri lentement au souffle du Trés
Haut Comme un grain dans le sol germait son échafaud. Ces vers ferment le poéme des Rayons et des Ombres, XV. 81. Le mot Bastille figure expressément dans le couplet de lévasion dit par Guillot-Gorju (Jum., I, 1), 0.C., V, 809. Tout le drame est un hymne a la liberté. :
V5 TE:
S3. Cont.;-
Les révolutions qui viennent tout venger, Font un bien éternel dans leur mal passager (Pléiade, Il, p. 677). Notons dans cette méme page la présence de Louis XI et plus curieusement le vers : « Luther brise le pape et Mirabeau le roi » qui reprend
une formule de cette méme livre de liberié, l’Evangile,
feuille 106 : « Jésus-Christ, en donnant a la terre le a fait faire 4 Vhumanité le premier pas, Luther, en
brisant Vunité religieuse, Je second, Mirabeau, en écrasant siéme. » La constellation de 1830 n’a pas fini de briller. 33. Cf.
p.
261
sqq.
le
et
poéme
reconstitué
R.H.L.F.,
M. Albouy, ce verso, c’est es fan un retournement
2
par
M,
juillet-septembre
Albouy,
1960.
Vavenir qui suit la : « Tout un monde
O.C.,
Nous
Vunité
X,
inirod.,
m’ignorons
Révolution, surgit, tout
le troi-
politique, p.
pas
251,
que
texte,
pour
mais celle-ci est déja un monde s’éecroule >
).
4 34, Le probléme de la « dialectique » dans la pensée hugolienne est particuligrement complexe. Nous ne partageons pas enti¢rement sur ce point lavis de M. Albouy, qui voit dans la pensée de Hugo cette « lutte des contraires » base de
toute pensée dialectique. Nous dirons sommeairement qu’il y a dans Hugo une dialectique tronquée, Babel : certes, il voit naitre le bien du mal, certes, il est plus sensible qu’un autre au mélange inextricable du bien et du mal ; et nous insistons sur ce non-manichéisme de la pensée hugolienne. Mais le mode du passage n’est jamais percu clairement ; la démarche hugolienne est résolument non-hégélienne, et jamais il n’est moins dialecticien que lorsque pendant l’exil il affirme une eschatologie du Bien ; la formule méme, citée par M. Albouy, tion de toute dialectique : ... tous les contraires, Désarmés, attendris, calmés, deviendront
Le mouvement
de la spirale contredit
la synthése
m’apparait fréres.
dialectique.
comme
la néga-
€ LES
JUMEAUX
>
357
Loin de nous la pensée de tirer une philosophie de Vhistoire de textes aussi fragmentaires, aussi obscurs; A peine peut-on voir une vue existentielle du destin dans la premiére phrase qui met céte a céte la nécessité du choix libre et la détermination absolue de ce choix. Ce qui est sans doute le plus frappant dans ces textes, c’est la liaison entre le mal et la culpabilité individuels —,
et le mal collectif,
historique, dont les deux visages opposés et liés sont loppression de la tyrannie et la violence révolutionnaire. Certes, il ne faudrait pas voir dans ce parallélisme, une vue philosophique compléte des rapports de la conscience et de l’histoire ; il y aurait anachronisme a plaquer sur les textes hugoliens les concepts de « réification » ou d’ « aliénation ». Ce que dit Hugo, c’est qu’il y a une sorte d’homologie entre le grand texte historique et celui que déroule la conscience individuelle, ou plus précisément entre les contraintes de l'histoire et celles du destin des individus
: libérer la société, c’est aussi libérer
les consciences. Affirmation 4 la fois évidente, audacieuse et vague dont il est difficile de dire si elle va plus loin, philosophiquement,
ici, que la vieille idée alchimique d’une correspondance entre le microcosme humain et le macrocosme du monde. Le mal historique et le mal individuel ont une figure dans Yeeuvre hugolienne, portent un nom, le méme, celui de Cain : « Cain, Abel, vos races sont encore dans le monde... » Bien plus tard, dans
le Verso de la page, ce sont les mémes noms qui ressurgiront, avec plus de clarté, montrant ce lien du mal avec la toute-puissance dont la fable du Masque semble le paradigme : « Oh! la toute-puissance a Cain pour ancétre » et plus décisif :
Comment ne voit-il pas (homme) qu’il vit dans un probléme, Que l'homme est solidaire avec ses monstres méme, Et qu'il ne peut tuer autre chose qu’Abel ®.
|
Cette liaison de l’individuel
et du collectif est ainsi pour Hugo
un moyen de justifier la figuration de l’un par l’autre, la symbolisation * d’un destin collectif par un destin individuel, autrement dit Vintériorisation de Vhistoire et sa peinture par le drame. Ainsi Hugo peut-il figurer par une fable exemplaire l’enfermement de homme
dans une injustice radicale ef le meurtre de l’avenir ®. 3 Qu’il nous suffise de remarquer que les thémes ici confusément indiqués dans ces textes arrivent tous 4 maturité au méme moment, -printemps-été 1839. S'il y a eu, comme le veut Mauron®, un « creux dépressif » entre le printemps 1830 et le printemps 1831 (nous avons
aussi essayé de montrer qu’on n’en peut guére douter) l’année voit un ‘renouvellement
de ces thémes : le 14 avril il écrit« Puits de ’'Inde
»,
et Ie 16 « En passant dans la place Louis XV un jour de féte publique » ; le retour a ces brouillons du printemps 1830 et leur écriture
définitive ont-ils précipité l’écriture des Jumeaux ? Nous ne pouvons |
35. Dans
les vers qui suivent Hugo fait la liaison, capitale, entre le fratricide
et les autres meurtres
familiaux
: « Ici le parricide
ici la liaison entre le fratricide et ledipe.
bY?
mile
36. Une
Louis
aac
note, tardive, qui se trouve
XVII
et le Masque
de Berrien
me
dans
de fer, ces
Sst
.
et 1& Vinfanticide
le Reliqguat
deux
.
meurtres
a
des Jumeauzx
de V’enfant,
», dénotant (f° 74)
en tant
assi-
que
. Voir Iie partie alyse de cette figuration et du mythe de Cain (p. 593). 38. Voir Il* partie, chap. Une Symbolique de l’Histoire. ® :
39. Voir supra, p. 315.
LE ROU ET LE BOUFFON
358
ici faire analyse de tous les textes du printemps 1839 : ce n’est pas extrapoler que de les dire marqués d’un double mouvement d’angoisse et d’affirmation. C’est l'autre abime, du poéme liminaire des ContemIi, plations (15 juin), c’est l’attitude du poéte dans Saturne (Cont. III, réves 30 avril) : « Il sonde le destin, et contemple les ombres Que nos jetés parmi les choses font” >, et dans le méme poéme, ce Saturne, soupirail « astre aux aspects funébres, Bagne du ciel ! prison dont le quoi fait luit ! » ; Phomme est « masque vide et fantéme rieur ». A a), Je un sinistre écho l’admirable poeme A ma Fille (Cont. I, I, 5 juin poéme du mangue : Tout a manqué
(...)
“; La gaité manque au grand roi sans amours La goutte d’eau manque au désert immense. L’homme est un puits ot le vide toujours Recommence *,
L’Ame est A double fond, et A la splendeur du ciel répond « la vase, fond morne affreux ; sombre et dormant, Ou des reptiles noirs fourmillent vaguement ». Le monde social est la méme horreur : le
, tous _ poéme Rencontre (RO 31) (« C’est ainsi qu’innocents condamnés ») daté les jours, Ils passent affamés sous mes murs, sous les vétres
a la splendu 3 avril ; le Monde et le Siécle (RO, 7, 17 juin) oppose « ou Vinisociété, la de horreurs des ion l’énumérat nature la de deur ? >» maudits et condamnés serions nous que quité régne » : « Est-ce Il faut lire les textes dans leur intégralité pour en subir l’angoisse. ® et A la fonction du poéte* correspond la haine dont il est objet le sourire de Dieu se nomme
Spectacle rassurant
(RO, 17, 1° juin).
qu’ils On voit comment ces brouillons de 1830 et la constellation sur déterminent éclairent le sens des Jumeaux, comme méditation , avec ses Yhistoire tournant autour de la notion de mal historique de l’avedeux axes : liberté/oppression, justification politique/meurtre le miroir comme apparaitre peut-elle Masque du histoire nir. Ainsi par une autre exemplaire de la violence qui ne peut étre rachetée que que par rapviolence, ultérieure. Les Jumeaux ne prennent leur sens Vavenir d’une port A la pensée de la Révolution, a la projection dans Hi le. irrémédiab mal le rachéte et récupére qui histoire, autre
de FP 106, L’image de Babel apparait dans un autre « copeau >
40, Pléiade, Ul, p. 577. 41. Lbid., D 487,
Cellier
42. M.
(éd. des
le Roi d’Etre
rant avec
Contemplations,
Aimé
(1874).
Garnier)
fait. un
rapprochement
Sais-tu ce qui me manque et ce qui, nuit et jour, Se refuse A ma soif ardente ? C’est Pamour.
Voir Job
ce texte
et son
dernier
in O.C.,
combat),
XV-XVI,
ibid., p.
éclai-
LE ROI
2, p. 296-297 197-198.
et notre
analyse
(méme
tome
i
dans
la
du manque 43 Pléiade, p. 488. Voir in Ll age p. 616-617 Vanalyse » du vide. dramaturgie hugolienne, Notons ici ? « éternel retour (RO, 6, ibid., populaire homme un Sur Dans mai). (7 1052 I, Pléiade 44. RO, 10, de Vinde ot « une pensée p,. 1046), on trouve Vidée du crane-grotte, de ces puits Sort de la monmonstrueux, et aveugle foctus alors, L’idole « : » affreuse habite tagne éventréc. » avril 1839. 45. RO, 1, ibid., p. 1022-1031, achevé le ter 46, RO, 32, ibid., 1092. multitude bruyante assemblez, vous vous Quand Pour aller le traquer jusqu’en sa solitude...
« LES
JUMEAUX
»
359
qui ouvre sur Puits de ’'Inde*: « Tournoyantes Babels que révait Piranése, vous n’étes rien prés des dédaijes du sort », A quoi répond cette note parmi celles du dossier de Notre-Dame de Paris : « Le monde, tour de Babel de ’humanité“. » Mais la reprise en 1839 de la méme image centrale marque l’intériorisation du destin :
Effrayantes Babels que révait Piranése! O réves de granit ! grottes visionnaires ! Cryptes ! palais, tombeaux, pleins de vagues tonnerres ! Vous étes moins brumeux,
moins noirs, moins ignorés,
Vous étes moins profonds et moins désespérés
Que le destin, cet antre habité pe nos craintes, Ou l’Ame entend, perdue en d’affreux labyrinthes, Au fond, 4 travers l’ombre, avec mille bruits sourds, Dans un gouffre inconnu tomber le flot des jours“. Le texte figure l’introjection de l'image de Babel. Puits de Inde,
c’est
« Babel en creux “>* », et quoique l’idée de la construction plongeante vers
l’intérieur,
de architecture
prise dans
l’aspiration
de son
vide,
vers le bas, soit déja implicite dans la phrase de 1830, l’idée du double espace intérieur et fatal, qui n’en fait qu’un dans sa double fuite vers le haut et vers le bas (deux mouvements gui n’en font qu’un), et la construction du poéme-Babel n’intervyiennent que neuf ans plus tard. Rien d’étonnant 4 ce que le mot symbole figure aussi dans un copeau de la méme page, et dans un contexte significatif : .. profonde en sa hauteur Montrez-nous le symbole empreint sur l’édifice.
Le détail historique. L’édition critique des Jumeaux n’ayant pas encore été faite, il nous est impossible de donner un relevé complet des sources historiques. Probablement l’étude historique de Hugo pour les Jumeaux a-t-elle été plus minutieuse qu’il n’y parait, garantissant chaque deétail du texte. L’ouvrage de départ est l’article de la Biographie Michaud, 4 laquelle Hugo emprunte pour ses notes sur Mazarin 1. Malgré une note du manuscrit *, il est clair que Hugo n’emprunte rien
4 Montrésor®,
valet
de chambre
de Louis
XIII,
dont
louvrage
renvoie 4 une époque bien antérieure a celle ot se déroule la piéce. Les sources principales de Hugo, outre la Biographie Michaud,
paraissent étre les Mémoires de Laporte * et les Mémoires de Mme
de
47, Rayons et les Ombres, XIl1, 14 avril 1839, 48. 0.C., V, 348, ; 49, Rayons et Ombres, XIII, Pléiade, I, p. 1058. 49 bis. Voir le beau texte de M. Butor, O.C., VIII. 50. Voir le travail de Mare Blanchard sur les sources de Marie Tudor (ef. ire partie, chap. Marie Tudor) et notre propre éd. crit. de Ruy Blas. 51. Ms. Jumeauwx, ffos 70 a 72 (cote 74/60), publié par nous, O.C., V, 888 a 892. 52, Ibid., f° 65 (cote 74/65) : « Voir Mémoires de Montrésor et Mémoires de
Laporte
» (p. 884).
ate a iathigglcg de M. de Montrésor. J. Sambix le jeune, Cologne (Leydo), 1663; 5, 2 vol. 54. Mémoires de P. de Laporte, ler valet de chambre de Louis XIV, éd. Michaud et Poujoulat, 3¢ série, t. VIII, Paris, 1839. Hugo emprunte 4 Laporte non seulement tous les détails consignés des les ffos 66, 67 et 67 bis du ms. des Jumeauzx (0.C.,
LE ROI ET LE BOUFFON
360
Motteville *, auxquels il emprunte cation,
chez
de Motteville,
Mme
détails et noms conflits
des
propres,
et Vindi-
Mazarin
et Anne
entre
d’Autriche *. Le nom méme de Créqui®” est peut-étre emprunté aux Mémoires de la marquise de Créqui, ouvrage dont |’Hurope littéraire avait publié de larges extraits dans l’été 1833, a l’époque méme ou Hugo lui accordait sa collaboration *. Probablement, le poéte a-t-il consulté non
seulement
d’Hozier ®, base de toute documentation
l’Armorial
sur
la noblesse, mais le Supplément d’Hozier, qui figure 4 la Bibliotheque Nationale sous le titre Dossiers Bleus et ou il pouvait trouver tout Varbre généalogique ainsi que les parentés et alliances des Crequi ®. Le prénom de Jean est porté huit fois du x1r au xv’ siécle par des chefs de la famille des Créqui; il y a méme un Jean de Créqui au xvir° siécle, dont nous ignorons tout; aucun personnage historihugo-
du héros
ni de pres, ni de loin, 4 Pimage
que ne correspond,
lien ; Jean de Créqui n’est pas plus historique que don Salluste de Bazan, lui aussi porteur du nom d’une famille célébre; il apparait comme le « portrait robot » d’un de ces seigneurs de la Fronde, violents et naifs, dont l’engagement politique est trop superficiel pour leur permettre la réussite et qui vivent d’étranges aventures sentimen‘tales ou apparaissent le quiproquo, le déguisement, Vadultére familial. Le nom de Penthieu n’est apparemment pas lié aux Créqui: cst “Je nom d’une famille qui n’a de rapport avec les précédents que géographique : il s’agit aussi d’une famille picarde, alliée aux Montmorency par Alix de Bourgogne, au xr siécle ®. Notons que dans Pun série de noms propres, M. de Lavan-Irlan (p. 12), le ehaé(p. 12), et surtout l’atmosphére de complots et d’évasion,
V, p. 884-887) mais une teau du Plessis-les-Rois Bastille (p. 35). 55. Mémoires
dérobés
d’escaliers
passés,
de billets
Mme
de
de
qui accompagne
56. Il emprunte A Mme de Motteville difficiles entre Mazarin et Anne d’Autriche, et aux amours de Iouis XIV en 1654 et traste entre Mazarin vu pac le jeune roi
de Laporte
séjours
les
Changuien,
Amsterdam,
Motteville.
a la
3
1723.
tout ce qui touche aux rapports devenus a la dévotion du jeune roi pour Mazarin, 1658 avee les niéces de Mazarin. Le con-
en
et les propos
1654
57. Le nom figure dans Cromwell (II, 1, 2) 1830 (p. 65); au revers de cette feuille des probable (voir chap. Ruy Blas, 0.C., III, 1190), mant, Historiettes, les difficultés de Ja famille des dispenses papales pour épouser de proches 1834, t. I, p. 82 a 86.
d’Anne
d’enfance,
souvenirs
(Jum., Tl, 1), rappelant A Louis XIV de mauvuis divergence des sources (Laporte et Motteville).
d’Autriche
sort
de
la
et dams une Feuille paginée de 1829phrases ou Vallusion A Eugéne est Hugo pouvait aussi lire dans Tallede Créqui, toujours préte a solliciter parents, éd. Monmerqué, Levasseur,
Fournier, Hugo 58. Mémoires de la marquise de Créquy. 4 vol. a la librairie la famille de Créqui lui emprunte toutes sortes de détails en particulier le fait que de Tessé « grand est éteinte (note de lV’éditeur, I, 118), Vindication du maréchal France » (note d’Espagne de la 1re classe, duc Romain (...). Général des Galéres de enfin Vopposition de l'auteur, I, p. 141) annongant Vapparition du comte Jean. (I, 7), Créqui : « Crest des grandeur la texte ce & décapité/pendu (I, p. 128). Hugo doit maréchaux : ils ont une famille éclatante (...). [ls ont produit des cardinaux et des des princes de eu des ducs de Créqui, de Lesdiguiéres, de Retz et de Beaupréau, et de
Blanchefort
de
Montlaur,
Poix.
»
Créqui, p. 110 des Feuilles paginées, fin 59, D’Hozier, Armorial général de la Créqui y figurent au tome I. Le détail Valliance avec les Rohan date du xvii de
Rohan
trompe,
en
et il m’y
1729),
volontairement
60. Dossiers
bleus,
61. Le prénom 62. Les
ou non.
BN
ms.
a aucune
sont
une
Mémoires
de
la marquise
de
1833 (0.C., IV, p. 994). France chez Jacques Collombat, 1738. Les des six branches Créqui est 4 la oD 161 ; Charlotte (Jean Antoine de Créqui épouse alliance
‘
222, ffos 110
d’Alix se trouve
Ponthicu
cite les
Hugo
avec
Montmorency ; Hugo
les
se
s
A 126.
deux fois dans l’arbre généalogique des Créqui.
ancienne
famille
picarde.
Au
xr® siécle,
Guillaume
II
par Edouard II a Phide Ponthieu épouse Alix de Bourgogne. Le comté est donné d’Angleterre & celle lippe le Bel ; aprés quelques allers et retours de la couronne avec de France,
Charles
VI le donne
4 son fils Jean
de France
lors
de son
mariage
« LES
JUMEAUX
»
361
et l’autre cas, il s’agit de familles éteintes, dont aucun descendant ne pourrait se formaliser de de voir quelque ancétre mythique ou réel accusé par Hugo d’adultére ou d’inceste. titrés
des adversaires
noms
Les
—
de Mazarin
Bussy,
Chaulnes,
Brézé, Embrun — renvoient a des personnages qui jouent un roéle de comparses dans la Fronde ; Hugo se garde bien de mettre dans son _drame les grands protagonistes, trop connus, un Retz, une duchesse de Longueville ; c’est toujours cette histoire « vue de profil » dont il parle dans la lettre A Lacroix, de décembre 1868. Bussy et Chaulnes, sont surtout des amis de Mme de Sévigné et leurs noms reviennent fréquemment dans sa correspondance®™; plus que les acteurs d’une période historique précise, ils sont les images du xvi" siécle aristo-
cratique. Le lieu de V’action est d’abord la Foire Saint-Germain, cadre probablement emprunté a Scarron * ; c’est ensuite Pierrefonds, que Hugo a visité en 1835; il en a fait un dessin... d’avant le désastre Viollet-
le-Duc ® ; toute cette promenade de fin de voyage, du 18 au 21 aodt 1835, laisse dans la sensibilité de Hugo des traces assez vives, pour que quatre ans aprés, ce pays se retrouve dans les Jumeaux. En 1834, vu
il avait
le bord
et Chantilly
Senlis
avec
Valois,
du
sud
(28
et
29 aofit), et au début du voyage de 1835, il était allé de ChateauThierry a Soissons, en visitant au passage le chateau de Sept-Monts.
Dans
toute
la région,
abondent,
Plessis
les
le terme
un
désignant
” ; le ' terrain enclos et protégé ®. Mais il n’y a aucun Plessis-les-Rois seul nom géographique qui se rapproche serait Plessis-de-Roye, a vingt-trois kilométres au nord de Compiégne ; on ne sait si c’est le chateau auquel Laporte fait allusion (un peu éloigné, surtout a lépoque, pour étre dit « prés >). La localisation géographique du chateau ®; des Jumeauzx est trés précise ; une lieue au nord de Pierrefonds malheureusement, rien n’y correspond sur le terrain ; quant 4 imaginer un souterrain allant de Compiégne 4 Pierrefonds ou au mystérieux Plessis-les-Rois ! La fiction contrairement aux habitudes hugoliennes, parait l’emporter sur la géographie et sur l’histoire. Et Hugo avait vu les ruines de Chateau-Gaillard, de Pierrefonds,
de Coucy.
Jacqueline de Baviere. Le titre parait ne plus quitter la Couronne ; on ne sait qui est le baron nommé par Laporte, Une source possible du nom de Ponthieu est le roman Adéle de Ponthieu, par la Vieuville de Vignecourt (1723), reprise d’un conte
du xure siecle, La
63. On
connait
Fille du comte
Vhistoire
de Ponthieu.
des brouilles
et réconciliations
de la marquise
son cousin ; quant au duc de Chaulnes, il reparait dans un texte hugolien non des moindres — associé 4 Mme de Sévigné : Pas plus que Sévigné, la marquise lettrée, Ne s’étonnait de voir, douce femme révant, Blémir au clair de lune et trembler dans le vent (...) Les paysans pendus par ce bon duc de Chaulnes.
Cont. — Ecrit en 1846 — V, Ill — 64. Voir plus loin, note 75.
Pléiade
et de —
et
II, p. 672,
65. O.C., XVIII, 73 (le plan de Pierrefonds occupe le n° 72). 66. Hugo avait pu en voir les noms tout proches de sa route ; il y a un Plessisles-Bois
Hugo
tout
prés
dit avoir
un
de
la route
incident
qui
de
va
de
voiture
Claye
en
4 Meaux,
1838;
un
non
autre,
loin
de
Vendroit
le Plessis-Brion,
ow
est
presque sur Ja route suivie par Hugo, de Compiégne & Noyon, le 18 aofit 1835, mais de autre céoté de la riviére, A quelques kilométres de Tracy-le-Haut, ot il couche le lendemain ; ni le 18, ni le 19, il n’a eu le temps matériel de voir le
Piessis-Brion
Roye
Dans
(Carnet de 1835, publié par J, Gaudon, O.C., XVIII) ; le Plessis-den’est sur aucun de ses itinéraires. 67. Ce nom ne figure ni dans La Martiniére, ni dans Joanne, ni dans Expilly.
Laporte, il désigne un chiteau
1631, quand la Cour est 4 Compiégne. 68. Jum., I, 9, p. 838.
oi Marie
de Médicis
aurait cherché
refuge en
362
LE ROI ET LE BOUFFON
Une fois de plus, nous sommes ramenés aux procédés que nous avons pu analyser mieux a propos de Ruy Blas, Yunion de Ja minutie dans l’accumulation des détails historiques et de invention dans les personnages — et méme dans les lieux : tout ce qui touche a Pindividualité des personnages non-historiques est repris par l’imagination dans la ligne de vérités historiques générales. Mais 4 ces vérités se trouve 6tée dans une certaine mesure la spécificité : il faut qu’elles puissent étre la figure anachronique mais parlante d’une actualité louis-philipparde : de 14 Vinsistance sur les intéréts individuels des seigneurs © et sur les problémes de la paix européenne”. Si Hugo est resté vague dans la peinture historique, c’est que revenant 4 Vhistoire de France, il touchait une matiére mieux connue de ses contemporains. Il choisit une période particuliérement confuse et qui, méme a VPheure présente, est encore difficile 4 saisir dans tous les rapports complexes que soutiennent alors les intéréts individuels accidentels et les intéréts de classe. Il ne nous étonnerait pas que ce soit cette confusion méme qui ait attiré Hugo, et ce n’est pas par hasard qu'il Vindique avec insistance”. La fixation du moment historique n’est pas sans rapport non plus avec Pidée d’une consolidation du pouvoir, d’un lendemain
de conflit (les séquelles de la Fronde),
d’une réussite
historique posant le probléme du mal sur quoi repose cette réussite (analogue a la réussite louis-philipparde de la paix et de la prospérité économique) : les assises en sont visibles ici: misére populaire (deux fois indiquée, avec insistance) — oppression policiére — scandale de la raison d’état. Contradictions chronologiques. Le décalage historique des Jumeaux est rendu manifeste si lon songe a la chronologie plus qu’incertaine de la piéce ; les dates sont inexactes, et délibérément brouillées. La biographie du comte Jean ne peut cadrer avec les événements : s’il est exilé depuis dix ans, son exil ne peut avoir eu pour origine que Ja Fronde, puisqu’il est dit « exilé
par Mazarin™
», en
ce
cas,
il ne
antérieure a 1658, au plus tét, la Fronde encore!
la Fronde
des seigneurs
peut revenir
4 une
date
ayant débuté en 1648 —
étant plus tardive;
et
or en 1658, le
Roi a vingt ans et non pas seize, comme le veut le texte™. Il y a plus grave : les seize ans de Louis XIV nous renvoient 4 1654, date a laquelle Mazarin ne songe ni 4 mourir, ni méme a étre malade, encore moins a faire la paix avec VAutriche. 1654-1655, c’est la date ou Louis
XIV
est
amoureux
non
Mancini,
de Marie
Olympe, un peu plus Agée. Mme de Motteville souhaitait lui voir épouser le Roi; il ne peut le roi en est épris, Mazarin intrigue pour le retrouve d’accord avec Anne d’Autriche pour 69. Jum.,
72.
Mazarin
sa
sceur
la scéne entre le comte et la reine (III, 1).
Jean
et Jes seigneurs
(I, 7) et dans.
Voila dix ans qu’il a disparu de la scéne, Banni pour un complot... — Ah oui, je me souviens.
Mazarin
73.
de
I, 7 et HI, 1.
70. Jum., Ill, 4. 71. A la fois dans celle entre
mais
suggére que le Cardinal s’agir de Marie ; quand mariage espagnol et se interdire au jeune roi
Avant
l’a proscrit,
un
mois
les Luyne
le roi mon
ont
fils aura
eu
ses
seize
biens.
ans
(I, 3, 0.C., V, 814)
d, 6, 0.C., V, 828)
« LES
JUMEAUX
>»
363
tout 4 fait distincts et méme de signification opposée “, une part des éléments utilisés par Hugo ne peut se rapporter qu’a la date de 1655, Yautre, et la plus importante, renvoie 4 l’époque qui précéde immédiatement le mariage du roi et la mort de Mazarin. Confusion volontaire, le récit de Mme de Motteville ne laissant guére de place a Vambiguité. Hugo a donc délibérément fondu ensemble deux épisodes distincts, ce qui lui permettait a la fois de montrer les séquelles de
cette mésalliance. Il s’agit donc de la fusion de deux événements
la Fronde
et les frémissements
de l’aristocratie
encore
mal
et de souligner la tache diplomatique de Mazarin, tache pleur et la continuité ne se voient guére qu’aux environs des Pyrénées et du mariage du roi (1659).
domptée,
dont VYamde la Paix
La Mazarinade de Scarron. L’essentiel de la documentation sur Mazarin provient de la Biographie Michaud. Mais si Hugo grapille aussi maint détail chez les auteurs de Mémoires dont la plupart sont hostiles au ministre, les traits qui lui donnent un aspect a la fois grotesque et sinistre proviennent directement de cette source perpétuellement présente dans la pensée de Hugo, comme l’ombre méme du grand siécle, les textes de Scarron. Un clin d’ceil de Hugo: le bagout du charlatan, dans sa grande tirade (I, 4) peut « rendre éprise d’un gueux la femme d’un
baron, Et réciter les vers du célébre Scarron ». Dans la célébre Mazarinade*, Scarron met l’accent sur deux thémes essentiels, un nécessairement gommé par Hugo (nous sommes au xIx® siécle), la
pédérastie vraie ou supposée du ministre, par laquelle il aurait fait carriére “, l'autre étant non seulement la bassesse de son origine, mais Vaspect grotesque de sa personne et de sa vie: pareil aux « faquins
de basse naissance » (« un noir faquin révant une soutane rouge” >), il est un < zani » (v. 32), « une Altesse Triveline » (v. 166) ; en sa
personne on a fait « un prince d’un fou > (v. 163) ; il est venu « du pais d’ot vint Tabarin » (v. 36) ; 4 quoi répond le développement du comte Jean sur l’histrionisme politique de l’ére mazarine ou notre ceil (...)
Ne voit que charlatans, baladins, histrions !
(...)
Retz est sur un tréteau, Mazarin
sur un autre”,
74. Pour éviter la confusion, Hugo, dans un ajout, nomme Olympe Mancini, I 6, 0.C., V, 827-828. L’addition va de « Mazarin fait par vous » a « Olympe ancini ». 75. Ecrite en février 1649 et développée jusqu’en janvier 1651, parue en 1651.
Voir Scarron, Poésies diverses, éd. Maurice Cauchie, 1960 (Marcel 34). Mazarin ne pardonna jamais et priva Scarron de sa pension. 76. (...) Tu devins la gouge D’un autre bouge a bonnet rouge
Didier,
I, p.
15-
(v. 153-154)
Par
un
grand
mouvement
lyrique,
Scarron,
dans
toute
la fin de la Mazarinade,'
fait défiler une litanie d’injures 4 la pédérastie de Mazarin : (...) Sergent A verge de Sodome, (...) Bougre sodomisant l’Estat ; (v. 349-355) 77. Jumeauz, Ill, 2, 0.C., V, 812. 78. Ibid., I, 7, 834.
364
LE ROI
ET LE BOUFFON
Le mépris pour l’étranger, l’Italien, « Mazarini ron ; Hugo reprend ces formules injurieuses : mauvais dréle enfroqué », et la Reine lance « II reprend les allusions 4 la faiblesse de la reine Reine, persuadée
de ta sincérité fardée
», éclate chez Scar« un moine italien, est Italien” ». Hugo
pour Mazarin,
» (v. 233-234),
« la
le scandale
de
l’éducation du roi par un ministre « d’un Roy, pédagogue » (v. 374), qui accapare « la nourriture du Roy » (v. 204 *%)..Mais Hugo laisse tomber toutes les accusations variées de vol, d’avarice « hydropique > (v. 242), d’accaparement des richesses publiques : si Mazarin est le cousin des « ministres intégres » de Ruy Blas, il va étre difficile d’en faire le prince de la paix, l’apétre de l’Europe de demain *. Un autre texte de Scarron, les Reflections politiques et morales®, fournit 4 Hugo bien avtre chose qu’une satire contre le Cardinal (« ce prélat pantalon, ce ministre mollet Des scelerats la vache a laict® »), et quelques détails repris dans les Jumeaux* ; c’est une amére méditation sur le régne de l’intérét individuel, sur la confusion politique qui domine l’ére de la Fronde : L’un est Mazarin, l’autre est Prince Et l’autre est Cardinal de Retz : Chacun selon ses intéréts,
Dispute, imprime, excuse, pince ; Tous parlent de la Paix : au Diable, pour l’avoir,
Si pas un d’eux fait son devoir. Cependant la France est perdue : Malheur 4 quiconque la perd *.
Hugo, par la bouche du comte Jean, renvoie dos a dos Retz et Mazarin (« Retz
est sur
un
tréteau,
Mazarin
sur
un
autre,
L’Autriche
est le
souffleur qui tient le manuscrit ® »). C’est la reprise en mineur du Bon Appétit, messieurs, la condamnation d’un égoisme politique qui met en péril l’intérét de la collectivité nationale. Hugo va plus loin ajoutant l’idée que l'ensemble de la vie politique est une pantalonnade, une farce histrionesque ; le comte Jean refuse de quitter ’habit de charlatan de Guillot-Gorju : C’est habit de ce siécle ignoble, fourbe, oblique ! Siécle ot rien n’a grandi que la honte publique ! 79. Ibid., 832 et III, 1, 865. 80. Ibid. (111, 1, 865) :
Avare, il vous laissait, en plein mois de décembre, Sans draps dans votre lit, sans feu dans votre chambre.
81. Jum., Ill, 4, O.C., V, 872 : : Mon édifice 4 moi, Plus vaste qu’un royaume et plus complet qu’un roi, Le réve qui brila tant de nuits ma paupiére, (...) C’est toi (...) Europe, votite énorme a4 la France appuyée. 82. Reflections politiques et morales, tant sur la France que sur lU’Amérique (in-4°,
s.l.n.d.)
(1652,
voir
83. Ibid., p. 49, v. 41.
op.
cit., p. 11).
84. Ainsi « Toute la Cour est Mazarine » (v. 64, p. 50). Jum., III, 2, 0.€., V, 866. « La cour est Mazarine. » Et trés amusante, quoique le détail ait aussi une autre source, la Biographie Michaud, Vidée d’un Mazarin fardé : « C’est un badin
flétry, reteint en nacarat
» (op. cit., v. 35, p. 49) ; évidemment
Scarron l’effet de la pourpre cardinalice, ment de l’un 4 l’autre est facile. 85. Op. cit., v. 19-25, p. 48. 86. Jum., I, 7, 0.C., V, 834.
non
celui
ce nacarat
du maquillage ; mais
est chez
le glisse-
« LES
JUMEAUX
»
365
Ou notre ceil, quelque part que nous pénétrions, Ne voit que charlatans, baladins, histrions® !
MADAME
RELAIS DES JUMEAUX : LOUIS XIV ET LE XVII SIECLE
Une anti-tragédie. Notre lecteur n’aura pas de peine 4 reconnaitre, par le rdle que joue la lecture de Scarron, par Vimage qui est donnée du xvii’ siécle, que les Jumeaux sont en fait Vécriture du projet Madame Louis XIV. Il s’agit de briser le mythe du grand siécle, ce mythe que nourrit pieusement la bourgeoisie louis-philipparde. Comment Hugo peut-il effectuer la cassure ? tout d’abord en montrant le xvu° siécle grotesque et souterrain,
celui des tréteaux,
des parades foraines,
celui de la
jeunesse de Moliére quand il mangeait des vipéres vivantes ®, celui de Scarron, du Roman comique, de la Foire Saint-Germain®; il occupe tout lacte I des Jumeaux — avec cette méme foire Saint_ Germain
—
ces tréteaux,
qui, par la bouche
du comte
Jean,
narguent
et parodient les tréteaux de la vie politique. Ensuite, de méme que la veuve Scarron a pour mission de chiffonner la perruque louis-quatorzienne, le Jumeau royal, d’une facon autrement brutale, met en cause V’horreur sur laquelle repose la splendeur de Versailies, le xvii° siécle des crimes du pouvoir. Il edt été plus efficace de montrer la misere du peuple, et, en choisissant une autre période, la terreur des dragonnades. Plus efficace, mais impossible a la scene en 1839. Ce que Hugo s’efforce de mettre en lumiére par une fable parlante, c’est le scandale majeur de l’oppression et de Vinjustice, le regne du mal qui justifiera la Révolution : l’étouffement du Jumeau royal prépare la décapitation de Louis XVI.
C’est dans cette optique que l’on peut saisir la parenté fondamentale entre le projet Madame Louis XIV et l’écriture inachevée des Jumeaux. Sur ce point, la perspective hugolienne peut se permettre d’étre provocatrice. Dans la méme
foulée, ne peut-on voir dans Jes Jumeauz
la réécri-
ture d’une tragédie racinienne, de Britannicus. Le conflit entre les fréres pour le pouvoir absolu, le triomphateur et la victime, la pers-
pective d’une révolution de palais fomentée par la mére pour changer @héritier et se mettre 4 l’abri du déclin de son pouvoir, autant d’éléments qui se retrouvent dans les deux piéces. Dans la préface de Cromwell, Hugo < refaisait » la mort de Britannicus ®, A-t-il eu l’attention attirée sur cette similitude des fables par une phrase de Mme de Motteville qui compare la situation d’Anne d’Autriche et celle d’Agrip87. Ibid. 88. D’aprés le pamphlet bien connu Elomire Hypocondre, Moliére jeune Vassistant du charlatan een et de Bary, le mangeur de vipéres. ;
fut
89, Scarron, op. cit., I, 90. Préface de Cijhowelk 0.C., UI, p. 66 : « Il (Racine) n’efit pas relégué dans cette admirable scene du. banquet ot Véleve de Sénéque empoisonne
la coulisse
Britannicus
dans la coupe de la réconciliation.
»
LE ROI ET LE BOUFFON
366
pine® ; rapprochement bien mince, mais qui donne a penser, quand on songe au ton des plaintes de la Reine dans les Jumeaux 2, et au rapport possible avec la lecture
de Tacite. Dans
Hugo
quelle mesure
n’a-t-il pas essayé d’écrire une anti-tragédie, un retournement de Vidéal classique, sur les deux voies de la pensée politique et de la
création littéraire ? Pour cette anti-tragédie, Hugo a peut-étre eu recours 4 la dramaturgie du siécle d’or, et précisément 4 La Vie est un songe. Nous n’avyons pas de preuve absolue de ce rapport. Nous savons que les jeunes Hugo ont emprunté a la Bibliothéque Royale presque tout ce que l’on pouvait lire de la grande dramaturgie espagnole *. Ils ne pouvaient pas ne pas connaitre La Vie est un Songe. Certes, les similitudes des deux textes peuvent étre liées a4 la similitude du théme méme : l’innocent enfermé, condamné parce que son existence représente une menace pour le royaume (ou pour la royauté) mais elles sont troublantes. Ainsi les protestations contre le sort hostile occupent 4 la fois la premiére scene ou apparait le Masque (II, 1) et la premiére ou apparait Sigismond (I, 2): « Je veux apprendre, dieux, pourquoi vous me traitez ainsi. » — « Oh! je souffre un bien lache martyre™. > « Quel crime ai-je donc commis contre vous en naissant? » « Je suis né, voila mon crime. » — « Le jour ou je suis né, j’avais commis fatale™
ame
« une
mollement
plus
», le Masque,
humain
se dit « un monstre
Sigismond
crime et j’étais condamné®..»
‘mon
>.
A
la
« rage » de l'un répond la « rage » de l’autre, et son « blaspheme™ >». Il y a plus : le beau couplet de la nature libre (premier monologue du Masque) parait une adaptation, assez fidéle, du meme couplet dans la premiére scéne de La Vie est un Songe®. Les deux prisonniers sont renfermés dans une tour (« La tour est bien gardée » — Jum. Il, 2), la tour classique du prisonnier, vraiment inutile dans les Jumeaur. et l’autre
L’un
se
définissent
« Je vis, misé-
morts-vivants:
comme
91. D’une fort longue comparaison, extrayons cette phrase : « Elle aurait été capable de dire comme cette ambitieuse Romaine de celui dont elle consultait la destinée : que je meure pourvu qu’il soit Empereur ! » Mémoires, IV, 303. rT Le roi n’est plus mon fils. La cour est mazarine. 92. Cet homme me mettrait le pied sur la poitrine Que mon
fils en rirait !... —
Mes
amis
sont
exclus.
Jum., Ill, 2, 0.C., V, 866. 93. Voir notre relevé des emprunts de Hugo a la Bibliothéque Royale, 4 paraitre in Romantisme, VI. 94. Calderon; La Vie est un songe, trad. A. Arnoux, Club du Livre, 1962, p. 29. Jum., p. 844. ; 95. Ibid., p. 29. Jum., II, 2,p. 850. 96. La Vie... p. 31. Jum., Ul, 1, p. 846.
97. Jum., ibid. 98. Nous ne pouvons I, 2, p. 30)
vitesse
: « L’oiseau
fend
de liberté.
les espaces
citer ici toute la merveilleuse nait.
Fleur
de plume,
éthérés ; et moi
Le fauve nait (...). Le poisson
qui
page de Calderon
bouquet
posséde
ailé,
plus
nait (...). Le ruisseau
il quitte
d’Ame,
(La Vie... le nid ; sa
je tiens
moins
nait, serpent d’argent
qui se brise entre les herbes ; musicien, il célébre la pitié des fleurs qui ouvrent A sa fuite la majesté des champs ; et moi, qui. posséde plus de vie, je tiens moins de liberté. (...). Quelle loi, quelle justice, quelle raison peut dénier 4 l’homme ce suave privilége, cette grace cardinale, cette liberté que Dieu donne a l’onde, au poisson,
au
fauve,
a Voiseau ? » Quoi Phomme
fait
sa
gerbe
et Vabeille
son
miel !
Quoi ! le fleuve s’enfuit ! quoi ! le nuage passe ! L’hirondelle des tours s’envole dans l’espace, La nature frissonne et chante dans les bois,
(...) Et rien ne dit au monde, et rien ne crie aux hommes Vous étes tous heureux ! vous étes libres, vous ! (Jum. Il, 1, p. 845).
« LES
JUMEAUX
>»
367
rable squelette vivant, étre mort. » — « Je suis un mort pensif qui vit dans son cercueil®. » Pour l’un comme pour l’autre, la Femme est la révélation méme de la vie et du bonheur : « Toi seule a suspendu mon tourment, toi seule as ravi mes yeux, toi seule as comblé mon ouie. » — « Son approche endort tout dans mon Ame fatale (...)}° » Et la chanson @Alix (« C’est elle ! Je l’entends! ») répond peut-étre au cri de Sigismond
et 4 son
insistance
sur
la voix:
« Ta
voix
m/’attendrit,
ta pré-
sence me surprend, ta voix m’attendrit et me trouble". » Pour lun comme pour J’autre, le passage se fait de louie au regard: « Ah! que je te contemple et que je meure ! » — « Viens que je te contemple et que je m’agenouille'! » « Plus je regarde, plus je veux te regarder. » — « Je veux te regarder, je t’aime, reste-la1%. » L’amour domptant la révolte et la rage, telle est la démarche identique, quoique le Jumeau soit loin de la sauvagerie sexuelle et de la violence meurtriére de Sigismond ; adouci, peigné par le grand siecle ? Certains détails trahissent lidentité de la substance. Dans La Vie est un Songe, ce sont les gardiens qui sont masqués et Sigismond est délivré par des soldats ; Hugo écrit: « Des amis déguisés en soldats, en bouffons », pour désigner les faux gardiens du Masque, ceux qui devront aider 4 son enlévement ™. Le mot « songe » apparait dés les
premiers vers que prononce le Masque ™, et il se définit comme ombre et vision’, Ainsi la prison de l’étre et son double aspect de masque et de décollement du réel trouvent dans les deux textes des formulations parentes. Identité dans la « fonction » des personnages (au sens élémenAaire du mot) ou plutdt dans leurs relations : un « héritier » enfermé, un pére faible et cruel
(« tyran
de ma
liberté,
vieux,
caduc,
mori-
bond », dit Sigismond, et Hugo indique l’agonie de Mazarin”) ; un péere qui ne peut nommer et avouer sa fille (Clotald et Rosaura, comme le Comte Jean et Alix) ; Rosaura comme Alix, se trouve empéchée d’épouser Vhéritier de la couronne. I] n’est pas jusqu’au gracioso Clarin qui ne trouve son pendant dans ce Tagus étrange et saugrenu. « Ne
te hate
pas
de
t’éveiller,
Sigismond,
car
ton
destin
se
retourne », dit le bouffon Clarin au prisonnier endormi qui retrouve le sol de sa prison aprés l’interméde de la toute-puissance ™, C’est dans cette inversion du destin que se fait la similitude majeure du mouvement dramatique. Retournement marqué par les changements de décors,
dans
une
piéce
comme
dans
l’autre, et correspondant
au
schéma hugolien de Vhomme démasqué, — 4 cette différence prés que VPhomme démasqué l’est ici pour le bonheur, non pour la catastrophe ‘et la mort, et que la replongée dans le malheur s’accompagne au con99. La
Vie... I, 2, p. 31. Jum., Il, 1, p. 844, méme développement, sc. 2 : Vivants ! laissez les morts dans leur sombre royaume !
Ce masque p. 851 ; et Ill, 2, p. 868
est mon
visage
et je suis
: «
j’étais
mort!
Qui,
»
un
fantéme’!
100. La Vie..., I, 2, p. 31. Jum., Il, 1, p. 846, et Il, 2, p. 847. 101, La Vie..., I, 2, p. 31. 102. Ibid., Jum.,
103. Ibid., P- 848. 104, Jum.,
I, 9, p
Il, 2, p. 847. 838.
105. Jum., Ul, 1, p. 844, 106. Jum.,
107. La 108. La
Il, 2, p. 851.
Vie, Il, 6, p. 56. Jum., Vie..., {1, 17, p. 69.
Ill, 4.
LE ROI ET LE BOUFFON
368
traire d’un retour au masque et a la prison. Le héros passe d’un abime physique de douleur et de contrainte au faite de la joie, pour étre replongé sans transition dans un enfer accru par la conscience du bonheur perdu. Mais il manque aux Jumeaux (la fable le veut ainsi). la remontée finale de Sigismond et son asceése personnelle. L’ascése du héros hugolien ne se fait pas par la domination, stoique ou mystique, de l’homme libéré sur ses propres instincts — le desengaito —, elle se fait par la replongée volontaire dans le noir. Le héros hugolien est celui qui, tel Jean Valjean, accepte de disparaitre : « Adieu Madame >», dit le Jumeau 4 Alix, « en remettant son masque >. On voit comment la lecture (plus que probable, on l’avouera) de La Vie est un Songe, permet & Hugo de récrire la tragédie de la monarchie
absoiue
(au double
sens,
équivoque,
mot
du
Yaide d’un modéle baroque : on comprend ici la vers classique et de la dramaturgie baroque. Chez 4 un modéle littéraire n’est jamais formelle : elle bléme posé, a cette question décisive, ouverte par 1830.
tragédie),
a
double présence du Hugo, la référence correspond au prola constellation de
UN RELAIS : RUY BLAS
Les habits d’un autre.
Aprés la rédaction de Ruy Blas, Hugo réve a une autre piéce ; et rien ne nous dit qu’il s’agisse des Jumeaux. Nous penserions plutot 4 ce fameux Don César qui occupera assez longtemps son imagination pour
qu’en
1868,
il en
écrive
une
trés
amusante
scéne™.
Un
texte
marque une sorte d’équivalence entre Guillot-Gorju et Matalobos, entre Messieurs du Chatelet et les alcades, entre Paris et Madrid™, avec cette particularité que les notations espagnoles sont des variantes supérieures, autrement dit que la rédaction destinée aux Jumeaux parait avoir priorité. Un autre, beaucoup plus intéressant, comporte deux deux petits fragments : le second est pratiquement identique 4 Don avec et espagnol contexte un dans mais , Jumeaux™% des vers César pour héros : DON
CESAR
Nous serons quelque jour accrochés par nos cous. Nous sommes des bandits, Jorge !
JORGE, frappant sur la grosse caisse Etourdissons-nous '
{
~~ 409. 0.C., V, 878. jana; Me 24752 f° 306. 0.C., XIV, p. 1170-1171; publié par nous (figure déja ns IN.).
@ 1839 — 111. Ms. 13396 (Jum.), f° 62, cote 74/40 ; date probable printemps t par nous ; O.C., V, 960. 112. Jum., I, 4, 0.C., V, 815. 961-962. V, 0.C.,; ; nous par publié ; 74/48 cote 486, 113. Ms. 24753, f°
publié
« LES JUMEAUX
»
369
Le premier texte ouvre sur un canevas autour duquel Hugo a beaucoup révé, celui de ’homme arrété parce qu’il est pris pour un autre et qui ne dément pas l’erreur : Les sbires larrétent et veulent l’emmener Messieurs, c’est une erreur, mais c’est une
Il y a donc
entre
l’été 1838
et l’été 1839
une
aventure ",
hésitation
de Hugo
autour de ses personnages picaresques, espagnols: ou francais : Matalobos, Don César, Lucinda" sortent de Ruy Blas, et prolongent cette cour des miracles madriléne que Hugo s’est contenté de parler par la bouche de Don César, faute de pouvoir la montrer sur scéne. Décidé a permettre au spectateur, et a se permettre, cette plongée dans le grotesque des bas-fonds, il hésite sur le lieu et sur la fable. Il a besoin de vrais personnages populaires, et des tréteaux de la foire, madrilénes ou parisiens ; ces tréteaux orientent dés le départ l’écriture des Jumeaux : la miteuse baraque de Guillot-Gorju occupe le devant de la scene, des le lever du rideau. Et de Matalobos 4 Tagus, voleur a la tire, du pourpoint
volé
de Don
César
au
couplet
du
comte
Jean ™%,
c’est le theme du voleur qui court, parlant la remise en question des structures d’une société moins féodale que bourgeoise et centrée autour du « commerce », et de idées'", Hugo choisit les Jumeauz,
malgré
la tentation
114, Toute premiére
-—
une
fois, O.C.,
les « situations
toujours
présente“,
série de fragments VI)
permettent
» de ce Don
la circulation de il n’écrira jamais
de
César
Les
thémes
de la cote
79 (rassemblés
définir
avec
révé
—
entre
1839
l’argent et des son Don César,
toute
de par
1830-1839 nous
l’imprécision
et 1842;
pour
la
désirable
la principale
est
celle définie ici : Don César (aprés avoir changé d’habit avec un jeune gentilhomme — ms. 24752, f° 309, vers 1839, p. 1013:— histoire reprise en 1868) est arrété par la police, emmené en prison et il dit 4 chaque fois le méme vers : « Messieurs, e’est
une
De
toute
de
voleurs
erreur,
mais
maniére, (il est
et 17, p. 1007)
c’est
il n’a au
parfois
une
pas
en
aventure
d’argent,
milieu
de
la
« tapant
»
(cote
79/43,
et il cherche
cour
des
miracles
» le bourgeois
province, nocturne, silencieuse et sinistre (cote ms. 24753, ffos 83-84). Le fragment 112 de la cote
p.
1013 ; 79/105,
& souper, de
parfois
Madrid
inefficacement 72 (pour 79 montre
p.
1032).
avec
l’aide
cote
79/16
dans
dans
une
ville
de
79)/114, p. 1035, et Don César mendiant,
lié aux voleurs, et ayant des ennuis aprés son changement d’habits. Deux fois les borborygmes de la faim de Don César, 4 peine arrivé dans la ville, se mélent aux échos d’un drame (79/105, p. 1032 et 79/118, p. 1037). Le premier de ces textes
parait appeler tombeau,
les Burgraves
spectre
sans
115. Fragment 116.. Jum.,
117. Ibid.
(« L’amant
sépulture
de la cote
mort,
si jeune et si beau,
Sort la nuit du
[...]).
74/48,
Scéne
de ménage
avec
Don
César.
0.C., V, 961.
I, 5, p. 820-821.
: De'tout temps eae N’est-ce
done
sans rien
le vol, le commerce d’avoir
dans
vos
a langui
vieilles
De torpeur, d’avarice et d’ennui possédées, Pour faire circuler l’argent et les idées, Un philosophe aimable (...)
cités
Un voleur en un mot, artiste aimé du ciel, De tout état lettré rouage essentiel. 118. Lettre 4 d’Herbin, du 15 octobre (1841). « (...) Il est trés vrai que j’ai quelque idée d’une comédie en vers dont César de Bazan serait le héros. » Publié en juin 1873 par l’Amateur d’Autographes. En 1844, Dumanoir et Dennery donnent aux Variétés un Don César de Bazan,
La liste des projets dramatiques de mars 1848 (cote 79/1, ms. VI, p. 1004) comporte ces deux Jignes entre deux tirets : « Maglia En
1852, Hugo
jouer
ce fameux
est sollicité
en liberté. ‘En vain. Don
fable.
Don César de Bazan » par le directeur des Variétés
Don César. En 1868, Hugo César, pas
24753,
d’écrire
f° 1166, O.C.,
enfin
essaie encore de l’adjoindre
plus que Maglia,
ne pouvait
et- de faire
au
Thédtre
étre le sujet
;
d’une
24
LE ROI ET LE BOUFFON
370
méme de son Vorientaient vers histoire du Masque de fer ; et le sens empruntée écriture dramatique était bien plus clair dans une fable une précis, point ce sur été, avait Blas Ruy . francais au xvult siecle reculade. Il fallait se rattraper.
était tout Le relais « grotesque » entre Ruy Blas et les Jumeaux pouvait, dans la trouvé : c’était Frédérick. On ne voit pas qui d’autre échappait ici a la pensée de Hugo, jouer le comte Jean. Le poéte : en détournant Blas Ruy de tion distribu la difficulté qui avait dominé é a ne trouFrédérick de son emploi de grotesque, il s’était condamn dans les Jumeaux ver personne qui piit étre en face de lui Don César ; effacé), Frédérick
(Guillot-Gorju étant un personnage
efit été a Ja fois
et II lui permetle grotesque et le héros : les déguisements des actes I Hugo efit pu enfin taient de montrer ses dons pour la transformation. 4 la faveur du faire vivre sur scéne un personnage qui unit — fiit-ce tragique. parole la et e grotesqu parole la — ment déguise et les Jumeaux : Le grotesque n’est pas le seul pont entre Ruy Blas le registre dans ée soulign — Blas Ruy la situation fondamentale de d’identité 4 la faveur comique par l’acte [IV — c’est la substitution (de nom dans Ruy Blas, d@’un quiproquo reposant sur une similitude e est fondée sur une intrigu toute ici ; z) Jumeau les de visage dans une indication desti: ler dissimu prix ressemblance qu’il faut 4 tout prend, au moins au née A la fin de l’acte II], marque que la Reine de souligner que premier instant, le Masque pour Louis X1V ™. Inutile ages « frapersonn entre fait se ge l’échan piéce, l’autre dans lune et dans comme texte un dans et e) physiqu té ternels » (ici fraterni — | Vinnode ance, V’ignor de mpagne Yautre, le fratricide objectif s’acco Hugo reprend en écricence de « Gain ». C’est donc l’essentiel que dit. [1 n’en est pas moins vant les Jumeaux, comme s’il n’avait pas tout celle de Ruy Blas, comme x, Jumeau des ure significatif que l’écrit ; ™. commence par le grotesque Derniéres brindilles.
r le début brouillons et répliques isolés qui paraissent précéde
Les 4 dater; ils sont tous de la rédaction sont extrémement difficiles trouve des traces ‘d’ution (dont Blas Ruy de papier le sur soit écrits manuscrit papiers du lisation pendant prés d’un an), soit sur Yun des entre Maglia des Jumeaux, A l’exception du joli dialogue
et Lucio
savoir la date exacte le dénouement. annoncant la fin de l’acte et de Vacte 1V avec
Malheu-
et du folio 61 bis, qui ne (f° 63) sans doute antérieur (vers 1837), Nous aimerions bien 1839". juin de moitié la avant écrit étre saurait des folios 57-58 et 64 qui portent les phrases
119.
«
Effet
crit des Jumeauz.
de
la ressemblance
Et Hugo
dans
« Une des principales situations d’Autriche, se trompant Anne Louis XIV. » 120. D’autres brouillons font
», dit l’unm des
brouillons
la lettre & P, Meurice
du
du
18 mars
f° 57 du
1861
manus-
rappelle
:
du drame, la principale peut-étre, c’était la mére, pour entre ses jumeaux et prenant le Masque vers des et Blas voisiner des vers destinés & Ruy du
ms.
de Ruy
Blas
et surtout
le f%
15
du |
destinés aux Jumeauy, ainsi le f° 84 sement le tréne du Grand Mogol (Jum, ms. 24787, dont le verso évoque si délicieu ‘ I, 4, p. 817). de la scéne 1 (ffos 60-61), p. 880. 421. Références, 0.C., V, 882. Texte jre version e d’Ernest Fouinet, Le intitulé Vopuscul 122. Ecrit sur la page de garde de juin 1839, sous A la Bibliographie de la France, le 15
Musée
de
le n® 282
Versailles,
figurant
« LES JUMEAUX
>
371
'reusement, la datation en est incertaine 4 quelques mois prés ™. Hugo ne consigne que des notes trés peu lisibles ; et qui s’en étonnerait peut relire les notes et canevas des piéces précédentes (le Roi s’amuse /ou Ruy Blas) ; ils ne sont pas plus clairs. Une phrase que dit le comte Jean, méditant sur son passé, 4 la scéne 2 de l’acte III figure au revers
dune lettre signée Gérard (de Nerval) et ne doit guére étre antérieure ‘au printemps 1839. Apparemment rien ou presque rien n’est écrit avant les tout derniers jours qui précédent la rédaction définitive. h
LE DRAME
INTERROMPU
Si Pon a vu a quel point le projet des Jumeaux est ancien dans ila pensée de Hugo, la rédaction n’en arrive pas moins avec une | relative brusquerie. Méme 4a Juliette, il ne parle guére de ses projets dramatiques. La premiére allusion que l’on trouve, sauf erreur, dans la correspondance de Juliette, remonte au 25 juin ; a cette date, Hugo parait tout prét 4 écrire : « Mais
mon
Toto, si vous
commencez
si tt
| votre piéce, vous pourriez avoir fini en moins d’un mois ™! » En tout
cas Juliette ne dit rien de l’ceuvre, se contentant
de réver au commun
voyage qui en suivra l’achévement. Le 30 juin (dimanche matin, 11 h 1/4) Juliette pense a une rédaction imminente ™, Mais Hugo jattend encore plusieurs semaines, malgré Vimpatience de Juliette, |avant de se mettre au travail. | Ce délai s’accompagne de préoccupations et méme d’angoisse. Le dimanche 21 juillet, la lettre matinale de Juliette porte ces mots: | « Cette nuit (...) vous étes retombé dans votre préoccupation et Dieu | sait, une fois la, si vous en sortez facilement.
» Deux jours plus tard,
ile 23, Hugo écrit 4 Vacquerie : « Figurez-vous que je suis dans ces |jours décisifs ot l’on tourne autour d’une ceuvre qu’on a dans Vesprit |afin de trouver le meilleur cOté pour l’entamer. Vous avez vu l’an | dernier, combien
j’étais absorbé
au moment
de commencer
Ruy Blas.
jl y a une sorte de tristesse sombre et mélée de crainte qui précéde |Pabordage d’une grande idée. Vous savez cela, n’est-ce pas ? Je suis }dans un de ces instants-la. Seulement Vidée est-elle grande? Je le /crois”’. » Lettre importante, non seulement parce qu’elle indique 123. Début 1839 ? 124, On est seul ici bas A savoir le secret Du mal qu’on a subi et du mal qu’on a fait. Ms. 24797, fo 200. 125. Matin, 9 h 3/4. Elle ajoute : « Et alors je ne vois pas ce qui nous retien) drait A Paris... Vous aurez fini quand vous pourrez. » ‘| 126. « Pauvre ami, tu n’as'pas cessé de travailler tous les jours et toutes les | nuits, et cependant ce mois-ci est un des mois les moins lourds de notre année. } Que sera-ce done mon Dieu de celui dans lequel nous allons entrer, » | 127. O.C., V, 1144. Une lettre de Léopoldine a son grand-pére qui figurait a
| Pexposition
de
Villequier,
été
1969.
sous
le n°
404
(lettre
&
Pierre
Foucher,
s.d.,
/mais visiblement de ]’été 1839) : « Il (Hugo) se propose de te répondre aussit6t que son travail le lui permettra, il fait une piéce, ce qui le préoeccupe toujours | beaucoup. {1 compie faire paraitre cet hiver, un volume de prose, un autre de | poésie, et une piéce de théAtre. Tu vois que papa est bien occupé... » Le volume |}de poésie est Les Rayons et les Ombres, dont Hugo vient d’écrire (printemps) été 1839) les textes les plus importants ; le recueil en prose ne peut étre que le futur Rhin dont Juliette copie les passages dans le méme temps ; quant & la pice, |inutile de dire que c’est les Jumeaur. La lettre de Léopoldine se termine par une )allusion a leurs prochaines et premiéres vacances chez les Vaequerie.
LE ROI ET LE BOUFFON
372
Vangoisse, mais parce qu’elle insiste sur l’importance de l’ceuvre, aux yeux du poéte, et sur les difficultés qu’il s’attend 4 rencontrer. Apparemment le 24 et Je 25 juillet, Juliette pense que la rédaction le est déja commencée . Ces journées, ont été consacrées, on peut supposer du moins, aux brouillons de Vacte I, et en particulier a la premiére rédaction de Ja premiére scene (ffs 60 et 61 du manuscrit ”). Les brouillons sans date qui occupent les folios 62 bis et 63. bis paraissent immédiatement antérieurs 4 la rédaction définitive *. : Le 26 juillet 1839, Hugo se met a écrire. Détail significatif indiYoeuvre n’a pas de titre. Le début est occupé par une trés longue cation scénique d’un grand luxe de détails. Le premier tiret d’interscéniruption figure 4 la fin de la premiére scene avant l’indication 28, la que ™, Le lendemain 27, Hugo rédige les scénes 2 et 3, le — Marscéne 4 jusqu’a l’arrestation de Tagus (« Chandenier 4 Tagus che, toi! >).
A ce point de la rédaction se piace un petit probleme : figurent de trois en marge dans le manuscrit en face d’un blanc, deux groupes Si tirets, disposés verticalement et séparés eux aussi par un blanc. présent des jusqu’A donné a nous qui méthode la croyons en nous s’est interrésultats concluants, nous devons en déduire que Hugo ni vrairompu six jours dans la rédaction des Jumeaux, ce qui n’est a la fin ~semblable, ni possible, eu égard a la date portée par Hugo signification, on de Vacte I. Si Pon tient ces tirets pour dénués de donc supposer faut nous il ; absurde aussi tout résultat aboutit A un posé ses trois que Hugo. savait quwil s’interromprait trois jours, a ncant pour inditirets, puis les a récrits un peu plus bas en recomme
cela expliquerait quer que interruption a bien été de trois jours; séparés. tirets de groupes les deux la fin de En acceptant cette hypothése, le 31, Hugo aurait rédigé donc éloigner la scéne 4 et le début de la scéne 5 jusqu’a: « Faites fin de la scene, ces sbires, ces valets. » Le tiret suivant figure 4 la 6 jusqu’a: « Le scéne la de début le rédige Hugo 2, du journée La on du 3, » La rédacti peuple a l’ceil ouvert dans Vombre de votre Ame. tirade du comte Jean trés longue, irait jusqu’au début (3° vers) de la tirade. (scéne 7). Le lendemain
4, Hugo
rédige la totalité
de cette
on ou des La rédaction du lendemain parait marquer une hésitati (fin scéne 7, début vers e quatorz que rédige n’y il effet, en : tés difficul y a deux ftirets au scéne 81). Le lendemain, Hugo s’interrompt: il dernier
vers
de la tirade de Tagus ; en revanche,
les deux jours sui-
durée normale, vants, Hugo écrit des tranches de rédaction de scéne 9 jusqu’a la fin de la scéne 8, et la premiére partie de la Yaime
», et le 8 la fin de lacte,
qui porte bien
la date
le 7 « je
attendue
:
« 8 aotit >. et lettre du 25 juillet, matin, 4128. Lettre du 24 juillet, mercredi soir A 7 heures, peur qu’il ne tarrive d’étre « Tu travailles tant que j’ai toujours ? 9 h 3/4: suggestion ou on prémoniti signes, malade. » Premiers de la rédaction, ou ébauche 129. Ms. 13339, ffos 60 et 61, cote 74/33. Débutscéne, et un tiret en milieu de ns de extrémement poussée ? L’absence Windieatio ; il s’agirait en ce cas (exemple page, nous font pencher pour la seconde hypothése rédigée non comme un texte quasi unique dans le théAtre de Hugo), d’une scéne essai. ; 4 vocation définitive mais comme un
p. 882-883,
cote 74/50 et 74/46.
:
430. 0.C., V; série d’additions marginales 431. Cette tranche de rédaction comporte toute une Ls dont il faudrait faire l’étude de détail. qui figurent dans un brouil132, Encore sur ces quatorze vers, y en a-t-il quatre cote 74/45, 0O.C., V, 961. lon apparemment antérieur. Ms. 24753, f° 2091,
« LES
JUMEAUX
»
373
La’ rédaction de l’acte II parait plus facile. Le début de l’acte porte la date du 10 aodt, et aprés la chanson de la scéne 1, on rencontre deux tirets, ce qui reporterait la suite au 12 aofit; ce jour-la Hugo rédigerait la scéne 2 jusqu’A « vraiment j’avais besoin de te voir » ; le 13 verrait la suite de la méme scéne, le 14 Hugo irait jusqu’a la premiére moitié de la scéne 4: « Vous entendez? allez » et il achéverait l’acte, le iendemain 15. La fin de l’acte ne porte pas de date, mais le début de l’acte III porte la date du 17 aotit, ce qui supposerait une interruption, conjecturale, d’une journée entre la rédaction des deux actes ; notons que la méme interruption avait déja marqué la fin de lacte I. De plus, Hugo ne parait pas pressé de montrer son texte 4 Juliette : il ne lui lit V’'acte I que le 13 (lettre du 14 au
la date du 19, Juliette ne connait
matin ™) et a
toujours pas l’acte II 84
Le 17, Hugo rédige la premiére moitié de la scéne 1 de l’acte III (fin de la tirade
du Cardinal)
et le 18 la fin de la scéne
1 et de la
scéne 2, indications scéniques non comprises. Il est possible (mais extrémement conjectural) que le changement de graphie 4 la fin du folio 49 (« Ayez de la mémoire ») indique une interruption dans la rédaction (quoi qu’il n’y ait pas de tiret). En ce cas, la rédaction du 19, relativement courte, irait jusqu’au tiret du folio 51, verso
(« Ce
sont la d’effrayantes pensées » — fin de la scéne 2). La tranche du 20 irait jusqu’au tiret du folio 53 (scéne 3 « Merci, Dieu tout-puissant! »). A partir de la, il est impossible de déterminer les taches journaliéres, puisqu’au début de la scéne 4 (« Allons, Sa Majesté ne _m/’a pas attendu »), il y a changement dans Ja numérotation des feuillets (D3 bis succéde 4 D3) et aussi dans le papier, le folio 54( marqué D3 bis) étant une feuille du papier de Ruy Blas. S’il y a eu substitution
d’une
feuille
4 l’autre,
il est difficile
de
savoir
ot
se
fait
la
coupure journaliére. D’aprés cette supposition, il faudrait penser que les deux jours suivants (21 et 22), Hugo a rédigé le grand monologue, jusqu’a la fin ou presque; le dernier tiret figure 4 « Moi, j’ai fait la ‘paix du monde ». La tranche suivante comporte simplement les cing derniers vers et la mention : « Interrompu le 23 aodit, par maladie. » Reconstruction conjecturale ; le contraste n’en est que plus grand avec les piéces précédentes. Ah! nous sommes loin du beau rythme régulier avec accélération finale, dont Hugo se targuait devant Fontaney! Il y a un grain de sable dans la mécanique. L’inachévement
du troisiéme acte.
Une irritante question se pose : Hugo a-t-il, ou ou non, terminé son troisiéme acte ? Il l’affirme 4 sa femme, dans sa lettre du 27 aottt : « J’ai fini mon troisiéme acte, chére amie ™, » Et l’on veut bien croire 4 un
pieux mensonge, pour justifier un départ en vacances 133.
14
aotit,
mereredi
matin,
10
h 15
: «
Merci
mon
adoré,
avant l’achévedu
bonheur
que
tu m’as donné hier au soir. Toutes les merveilles de ton génie sont enchdssées dans OG ae oeti comme celles de la Création l’étaient dans le Paradis Terrestre. » ees
_
_
>
a
134, 19 aoat, lundi soir, 6 h 1/2 : « Encore, si vous me lisiez les actes au fure (sic) et 4 mesure que vous les faites, ca me donnerait du cceur au ventre. Bah, yous m/’avez lu un pauyre petit sublime 1° acte de rien du tout, et maintenant vous me laissez sur ma faim... »
135. O.C., V, 1145.
374
LE ROI ET LE BOUFFON
ment du grand ceuvre ; mais pourquoi ajouter en ce cas: « II est presque aussi long que Je premier », tandis que ce qui nous est parvenu du
©
troisiéme acte comprend 380 vers contre les 900 du premier acte ? D’autre part, la lettre 4 P. Meurice du 18 mars 1861 suppose l’achévement du troisiéme acte, puisqu’il aurait lu a ses amis la grande scéne de la reconnaissance du Masque par sa mére™®; certes au bout de vingt-deux ans, on peut mélanger ses souvenirs, mais comment croire qu’un écrivain ne se souvienne plus de ce qu’il a rédigé ? La lettre suppose d’autre part une lecture en juillet 1839 4%’, chose bien évidemment impossible, le drame ayant été commencé a la fin de juillet. Nous n’avons trouvé nulle trace de cette lecture, nulle trace non plus dun texte, méme partiellement rédigé, de la fin de l’acte et l’interruption, telle qu’elle se présente dans le manuscrit, nous paraissait claire et incontestable. Nous en déduisions donc que Hugo avait menti 4 Adéle et avait été victime de l’imprécision de ses souvenirs (aprés tout, il avait peut-étre simplement raconté 4 ses amis la fin de l’acte), que rien n’avait été rédigé au-dela de ce que nous possédons ; un Hugo aussi soucieux
de ce qui tombe
de sa plume, n’eiit pas laissé une fin d’acte
disparaitre sans laisser de traces. Nous en sommes moins siirs 4 présent : tout d’abord Hugo ne ment pratiquement jamais sur son travail, surtout 4 ses familiers ; ensuite, ce fait curieux, le passage de D 3 bis a
E 3 est marqué non seulement par un changement de papier, mais par un changement de graphie, et, chose rarissime, le dernier feuillet parait étre la copie d’un texte antérieur, et d’un texte déja net; en effet, il y a exceptionnellement peu de ratures, les deux premiéres étant plus que probablement des étourderies de copie. Autrement dit, il nous parait bien moins invraisemblable que Hugo ayant rédigé tout son acte III, en ait détruit la fin, non sans avoir recopié ce qui lui paraissait utilisable. En ce cas, il faudrait peut-étre expliquer autrement l’absence de deux tirets, absence qui déséquilibre notre shronologie ; nous pouvons peut-étre supposer qu’aucun tiret ne manque. On aurait donc en ce cas: 1° rédaction de ce que nous possédons, les tirets correspondant sams erreur aux jours ; 2° rédaction de la fin de l’acte avant la lettre 4 Adéle ; 8° A un moment non précisé, Hugo relit, déchire la fin de l’acte,
recopie ce qui lui convient et met comme date finale Je jour ou il a réellement fini de rédiger. Cette hypothése, un peu compliquée, a le mérite de rendre compte de tous les faits que nous connaissons. Quant a la date de cet aménagement qui met le manuscrit dans état ou nous le voyons, rien ne nous permet de la connaitre; si la graphie est légérement différente du reste, l’écriture est semblable (mais on peut aussi penser 4 un intervalle de temps de quelques mois). Quant A la fameuse « lecture aux amis >, il est improbable, pour ne 136. 0.C., V, 1145. « Voici le fait : en juillet 1839, il y a vingt-deux ams, le t lus A divers amis, Auguste Vacquerie, Louis Boulanger, toute ma famille, MM. Gustave d’Arnay et H. Ducros (je crois, je ne suis pas sir de Ducros), les trois premiers actes du drame les Jumeauzx. C’était le Masque de fer. Auguste s’en souvient
& coup
stir. Une des principales
situations, dans
homme au masque était démasqué e’est probable, dés l’enfance) ; une étre,
eétait
la mére,
Anne
un moment
ou, par une
péripétie,
(adolescent, j’avais supposé le masque, comme des principales situations, la principale peut-
d’Autriche,
se
trompant
entre
ses
jumeaux,
et prenant
le Masque de fer pour Louis XIV. » (0.C., XI. 1112.) 137. Chose curieuse, deux fois dans son manuscrit, Hugo qui ne fait presque jamais de lapsus calami, se trompe aussi et indique juillet pour aott.
is
_
« LES
JUMEAUX
»
375
pas dire impossible, qu’elle ait eu lieu en aofit, avant le départ pour Villequier de la famille Hugo, puisque Hugo, dans sa lettre du 27, apprend asa femme l’achévement de |’acte III. 11 faut donc la renvoyer au retour du poéte, autrement dit aprés le 26 octobre. On voit que nous n’avons guére éclairci le mystére, et que nous avons a peine progressé
depuis les notes de l’Imprimerie nationale. La fin des Jumeauz. Outre une indication
dans le folio 61 bis relié au manuscrit,
nous
avons deux folios qui portent les formules définissant les « noyaux » du texte ; nous avons vu de ces exemples dans l’avant-texte du Roi s’amuse 8 ou de Ruy Blas ™ ; malheureusement, si la suite de l’action est rétrospectivement fort saisissable, il n’en va pas de méme quand le texte définitif n’est pas rédigé. Le premier (trés probablement anteérieur) c’est le folio 641, extrémement
succinct, ou nous lisons trois scé-
nes, l’une entre le Masque et la Reine Anne, ot le Masque, en opposition avec
moi!
Louis
XIV
se montre
enfant
») et faible (« défendez-moi,
ma
aimant
mére!
(« Pas
si tendre
»), la seconde
Reine et Alix, ou celle-ci crie sa volonté de sacrifice (« Vous
avec
entre la mourriez
bien pour lui ?— Oui, madame — Dites ? pour qu’il fat roi ? — Mon Dieu ! pour qu’il fat libre ») ; enfin, la troisiéme met en scéne un Mazarin affirmant le droit 4 faire mourir « secrétement » « ceux qui génent ». Dans le folio double 57-58, on retrouve les mémes indications plus développées et dans un ordre un peu différent, accompagnées de formules définissant d’autres scénes. Voila comme on peut lire (de maniére évidemment conjecturale) le « scénario » de la fin des Jumeaux : (acte III ™).
(1° scéne entre Mazarin et le Masque ; le Masque menacé de mort) Il apercoit le masque. Il se jette sur le poignard Il verrouille la porte. — il cherche — il trouve “* — devient une béte fauve — le tigre dans sa caverne ™, Il faut mourir ici !
(2° scéne
entre
le Masque,
mais resté seul, et la Reine,
probablement
entrée
enfermé
par Mazarin,
on ne sait comment)
Votre majesté Ciel ! Venez me défendre ma mére
(la suite de la scéme marque le décalage entre la majesté de la Reine prisonniére de |’étiquette et la tendresse simple du Masque ; une indi138. Voir chap. 139. Voir
Roi
éd. crit.,
s’amuse, Ruy
140. Texte, 0.C., V, 884.
Blas,
p. 112-113. Il, Documents,
p. 31, 32,
38,
39.
141. Nous mettons entre parenthéses nos commentaires. Los geal Le poignard avec lequel il jouait 4 la scéne précédente
70).
143. Quoi ? nous V’ignorons, Le jumeau ? 144. Cf. les projets de 1830. Chap. Projets, p. 39.
(III, 4, 0.C.,
V,
376
LE ROI ET LE BOUFFON
cation sibylline (l’encas du roi) se rapporte sans doute non a la nourriture, mais 4 un éventuel déguisement du Masque avec les habits du jeune roi. Notons que rien, dans ces lignes, ne parle d’une erreur de la reine) il me dit tu !
J’ai Ja V'en-cas .du roi.
Ma mere ! — Appelle-moi madame.
Pas si tendre avec moi ! —
sois vraisemblable
(Effet de la ressemblance)
(On ne sait si cette derniére ligne porte sur ce qui précéde, ou plutot sur ce qui suit : le Masque (déguisé ?) pouvant passer pour le roi.) (Acte IV, 1° scéne entre la Reine et le Comte Jean qui a di se faire
reconnaitre par la bague en sardoine de I, 6. Alix est présente. Il s’agit de s’assurer contre Mazarin). IV Oui, madame.
Je suis ce bateleur-la méme.
Madame a délivré votre fils. Elle ’aime. Elle ’épousera si vous le trouvez bon. Elle est Créqui. Créqui peut s’unir 4 Bourbon — Mais ce n’est pas le temps de s’expliquer — Je suis trés inquiet, je ne vous
le cache pas.
(2° scéne entre la Reine et Brézé, peut-étre en présence de Créqui (et d’Alix ?) ; ainsi se trouve expliqué le réle de la fureur de Brézé 4 Vacte I, 7, ot il voulait faire rosser
propose de le tuer.) La Reine. — Brézé. — Un criminel d’Etat.
Mazarin
M. de Vitri a tué
(3° scéne, peut-étre ne faisant
qu’un
; ici, apparemment,
le maréchal
il
d’Ancre.
avec la précédente ; c’est le
développement le plus obscur de ce canevas : il semble qu’un person- © nage non précisé vienne exécuter les ordres du Cardinal qui sont de —
s’emparer du Masque, de le tuer et de masquer le cadavre ; on peut — sauver le Masque par une substitution des corps. Ainsi l’idée en peut venir A Alix ; situation
extrémement
voisine
de celle du Roi s’amuse,
le pére trouvant en face de lui la volonté de sacrifice de sa fille.) Mettre quelqu’un a la place — un page, n’importe qui. — Nous avons ordre de masquer le mort et de ne chercher ni le sexe, ni l’dge.
ee e e a
e
« LES
JUMEAUX
»
377
Le cardinal absent L’église ayant horreur du sang “.
(4° scéne entre la Reine et Alix ; on retrouverait ici la réplique du brouillon du f° 64 : Vous mourriez
bien pour lui ?)
Vous Vaimez ? Dites, pour qu’il fat roi ? Mon Dieu pour qu’il fit libre.
(5° scéne, entre la Reine
et le Comte
Jean, apparemment
hors de
la présence des jeunes gens, malgré ce que pourrait suggérer une lecture superficielle, les deux exclamations du début étant des cris non destinés aux enfants ; chacun de ceux-ci parait étre l’otage du parent de Vautre, et, revanche du Roi s’amuse, le Comte Jean est en position de force)
avec joie (la Reine interroge-t-elle le comte Jean sur le sort du Masque ?) Hé bien, mon
terrible —
fils ?
Ma fille “° ! La grande scéne —
les deux bétes féroces réclamant
leurs petits.
C’est ma fille ! Ce n’est pas le moment de vous dire pourquoi, de vous dire comment, et de vous raconter mes amours de jeunesse.
Rendez-moi mon enfant et je vous rends le yvétre.
(6° scene : dénouement : l’échange des otages se fait, le Masque échappe a la mort et retourne en prison, volontairement A ce quwil semble, ayant compris tout 4 coup (tel nous parait étre le sens de Yexclamation
Alix /) que c’était elle qui se sacrifiait pour lui ; le coup
de théatre est pour lui) parait la prisonniére : Alix ! le comte Jean ferme la porte du fond. le prisonnier a genoux a Alix. Oh dis ! tu voulaisme prendre mon tombeau il remet le masque —
145. Disparition
Adieu, Madame
du
Cardinal,
sacrifié 4 la raison d’état va victimes gui prennent le relai
pour devenir 146.
un drame
—
Je veux
ne
Hélas !
le revoit
plus ; le drame
de
Vinnocent
se jouer en dehors de lui, ce sont les privilégiésdu mal. Le drame cesse d’étre un drame historique
de famille.
C’est exclamation
« Effrayant.
on
—
ma
méme
fille!
de Triboulet,
»
avec
son
indication
de ton
(III, 3) :
378
LE ROI ET LE BOUFFON
Ainsi apparait 4 la lecture de ces notes un canevas relativement complet, auquel il ne manque vraiment que les articulations dramaturgiques ; si sommaires que soient ces indications, elles permettaient strement
a Hugo
sa piéce;
de terminer
il savait
ot il allait, et ce
n’est pas dans une hésitation sur le sens de son dénouement qu’il faut chercher la raison de l’inachévement des Jumeauz. D’autant que Hugo a toujours considéré qu’il ne tenait qu’a lui de terminer sa piéce : en 1848, le Comie Jean figure dans une liste, A coté des titres de Maglia et de Don César de Bazan (sous la rubrique Comédies ébauchées ™) ; en
1859,
les
Jumeaux
annoncés,
figurent,
sur
de
la couveriure
la
Légende des Siécles, et encore en 1869 (projet de publication **).
Linterruption des Jumeaux.
Hugo ne s’est jamais expliqué sur cette rupture. Silence total. Sauf sur un point, immédiat : Hugo dit, et il écrit, que les Jumeaur sont interrompus « par maladie » ; note qu'il juge utile de consigner sur la derniére page du manuscrit, comme une explication, une excuse ou un prétexte. Cette maladie n’est pas imaginaire (ce qui ne signifie pas qu’elle ne soit pas psychosomatique™) ; les maux d’yeux, qui accompagnent ses moments de crise et rappellent a sa mémoire la sinistre prédiction de Sainte-Beuve ™, ont repris, plus brutalement que jamais : Juliette fait, inlassablement, de la tisane pour les yeux an ae souffre d’autres miséres physiques, de lordre de la furonculose et Juliette lui propose, en termes pudiques... un bain de siége (lettre du 23 aout, date de l’inachévement
indirect de son angoisse
des Jumeauz). II fait a sa femme
l’aveu
: « Je suis tellement souffrant et la solitude
de la maison m’est si insupportable que je vais partir. Je ferai le dernier acte 4 mon retour. Il n’y perdra pas, car je suis épuisé de fatigue, et si j’allais plus loin maintenant, je crois que je tomberais malade. Quand je reviendrai, je serai refait et en huit jours J’aurai fini. Ainsi tout est pour le mieux?” >. Souffrant ? malade ? Pimprécision des termes de la lettre est aussi curieuse qu’un aveu de fatigue, rare chez Hugo **. A-t-il été géné a son retour par les préoccupations d’une élection (dailleurs malheureuse) a l’Académie™? Il serait piquant de voir succomber devant les soucis de l’ambition littéraire et mondaine, le drame du refrait, du mépris du monde. Non que Je temps passé aux visites ait empéché Hugo de terminer sa piéce ; mais n/allait-il pas avec ce nouveau drame, provocateur, perdre des voix et manquer son élection ? 147. V. supra, n. 118. 148. Cf. note de V’I.N., Thédire en liberté, p. 600. 149. La plupart des troubles de santé de Hugo (maux iypiquement psychomatiques. 150. Vers 1828-1829, il aurait
prédit
A Hugo
d’yeux, furonculose)
la cécité
(voir
W.
sont
Shakespeare,
Reliquat, O.C., XII, p. 412). 151. Le « comment vont
tes yeux? » et la fabrication de Ja tisane pour les yeux & l’aide de pavot broyé sont des leit-motive des lettres de Juliette en juillet et aout : lettres des 12, 18, 30 juillet, 18 et 20 aofit ; les 16 et 17 aout, elle signale des mauz de téte. 152. 27 aoat 1839, O.C., V, 1145, lettre citée. 153. Et du 11 aoat, a sa femme : « Imagine-toi que je me suis avisé de tomber presque malade & Soissons. Heureusement }’étais dans une excellente auberge, et trois
jours
de bains
(ef coetera)
mont
remis.
(...) Cela
m’a
prouvé
était temps que je m’arrétasse dans mon travail. » (0.C., VI 744. 154. Election au fauteuil de Michaud, ajournée le 19 décembre.
par
Flourens,
le 20 février.
d’ailleurs
Hugo
qu’il
est battu
©
€ LES Enfin, il y avait le probléme
JUMEAUX
>
379
du théatre,
des théAtres.
Une
lettre
d’Adéle Hugo, postérieure au 30 septembre, avertit Hugo que sa piéce, encore inachevée, est demandée par les trois théatres qui pouvaient Paccueillir : < Joly écrit de son cété qu’il a engagé Mme Dorval et qu’il te demande ta piéce. Granier a dii te dire que le ministére désire que tu la donnes au Théatre Francais. Mile Georges, que Paul a été voir
au Havre (que nous avons vue pour Lucréce) devait aussi t’écrire ™ ». L’engagement de Dorval n’ayait guére d’intérét pour les Jumeauz : elle pouvait difficilement étre Alix, et la Reine n’était pas un role pour elle. Abondance de biens. Mais Hugo n’était pas au mieux avec Joly *, qui lui-méme n’était pas au mieux avec Frédérick: et Hugo avait besoin de Frédérick pour le comte Jean **. D’autre part il renaclait 4 Pidée d’obtempérer aux ordres du ministre, et la Comédie n’avait pas d’acteurs pour le drame baroque de Hugo. La Porte SaintMartin
était dans un triste état, et Mlle Georges,
bien fatiguée, méme
pour jouer Anne d’Autriche. La solution était d’attendre que la situation se décante, que !’on voie ou allait Frédérick, que l’élection 4 l’Académie
soit heureusement
passée. Attendre,
c’était aussi amenuiser
les
espérances de Juliette dans un retour a la scene ™, c’était donc libérer cette hypothéque. Beaucoup de raisons, trop de raisons, fausses raisons, ou toutes vraies, ce qui est la méme
chose.
Un autre élément :Hugo ne veut pas passer 4 la censure. Il en a assez de l’asservissement du théatre aux pouvoirs publics. Hugo, depuis juillet 1830, n’a jamais subi la censure : tous ses drames avaient été joués sans aucune intervention de l’autorité: Le Roi S'amuse avait été victime d’une simple mesure administrative, Angelo joué avant les lois de septembre. Reste Ruy Blas : fait curieux, les Archives Nationales n’ont gardé nulle trace d’un passage de Ruy Blas
devant la censure ; aucun procés-verbal n’a été conservé ™. A-t-il été égaré ou bien Hugo a-t-il pu obtenir (peut-étre par l’intermédiaire des Orléans) de ne pas se soumettre 4 la censure, lui qui s’était juré de la refuser toujours ™ ? Sur le ton des rapports officiels de Hugo, en tant quauteur dramatique, avec les pouvoirs publics, il suffit de lire la lettre inédite adressée
par Hugo,
le 10 aofit 1839, au beau
155. Paul Foucher. 156. O.C., VI, 1175. 157. Voir lettres de Juliette, passim, & partir voir supra, chap. Ruy Blas, p. 498, p. 500.
de janvier
1839.
milieu
Pour
de
le détail,
158. Le 22 aoiit 1841, Buloz, directeur de la Comédie, relance Hugo : « J’espére, Monsieur, que vous pensez au ThéAtre Francais comme vous me l’avez promis (...)
Bocage est engagé pour le ler avril. Si vous charmé. » Hugo préférerait Frédérick, et il est du moins ce qui ressort d’une lettre de « C’est la pensée de Cavé de faire entrer devrais
dire
: c’était,
ear
tout
cela
pouviez lui destiner un réle, jen serais y a une intrigue pour le faire engager ; Buloz & Bocage du 19 septembre 1842 : Frédérick. Je dis : c’est la pensée, je
est abandonné.
Le théatre
francais
vous
préfé-
rera toujours & ces deux noms (celui de Frédérick et celui de Bouchet), vous pouvez en étre sir. » (Bibi. Lovenjoul.) 159. Voir infra, page suivante : Hugo a le cou raide. 160. Dans la nuit du 17 au 18 novembre 1839, Hugo et Juliette s’étaient liés par une sorte de pacte, de « mariage » ; Hugo n’abandonnerait jamais ni elle, mi Claire, en revanche elle renoncerait au théatre. Cette renonciation libérait aussi Hugo de tout engagement vis-a-vis du théatre de la Renaissance : il n’était plus obligé de ménager Joly pour sauver la posiiion de Juliette. 161. Il n’y a rien sur Ruy Blas dans le dossier des Archives Nationales ou figurent les procés-verbaux de censure de toutes les autres piéces, F 18, 1261. 162. il existe cependant un procés-verbal pour les Burgraves extraordinairement laconique (Arch. Nat. F 21 966).
LE ROI ET LE BOUFFON
380
4 la Commission
des Jumeaux,
la composition ques :
des auteurs
dramati-
10 aodit 1839. ma signature a celle de
Je joindrai toujours avec bonheur
Messieurs les Membres de la Commission ; mais il m’est impossible d’admettre, pour la Commission méme dont la dignité m’est précieuse, l’attitude humble et profondément respectueuse que la rédaction de la lettre lui fait prendre devant M. le Ministre de l’Intérieur. J’ai déja eu occasion une fois de présenter cette observation a la commission. Je la réitére. Je ne puis comprendre que la Commission rende en corps des respects qu’aucun de ses membres ne rendrait en particulier. Sans doute au premier abord cela ne parait étre qu’une affaire de pure forme, mais dans les choses de ce genre, la forme importe. Nous représentons
la littérature
peu
fort
dramatique
comprise
et fort
peu
appuyée par le pouvoir. Tenons la téte haute, c’est notre droit et c’est notre devoir. Jespére que la Commission trouvera bon que je me sois abstenu de signer la lettre au ministre. Victor Hugo '®.
Une telle lettre non seulement donne le climat des relations entre Hugo et le reste de la commission comme entre Hugo et le gouvernement, mais elle indique un profond malaise dans l’attitude du poéte. D’nne certaine facon, le conflit interne des Jumeaux et l’autocritique qu’ils représentent, se répercute au niveau de la biographie de Hugo ;
opter pour l’Académie, ou pour le théatre, c’est opter soit pour Vin-
sertion
sociale et le conformisme
le défi et la bataille. Non
soit pour
que ce conflit biographique soit 4 proprement parler a Vorigine des Jumeaux, puisqu’au contraire, c’est peut-étre lui qui bloque Vécriture de la piéce,
mais
c’est le méme
les rapports
et se vit dans
conflit qui s’écrit dans
et de la société
de Hugo
s’il y avait un lien de causalité, ce serait plut6t un
inverse
: c’est Vécriture
marche
vers
|’Académie
des
lien de causalité
Hugo dans sa Et s’il était besoin de
qui arréterait
Jumeaux
et vers
les Jumeaux
qui l’entoure;
la Pairie.
démontrer I’ « actualité » des Jumeauz, la nécessité ol nous sommes de lire cette piéce, comme Ruy Blas, en fonction de deux contextes
historiques différents, cette lettre 4 la Commission en serait preuve supplémentaire : Hugo écrit comme parle le comte Jean.
une
Bref les causes de cette interruption dans l’écriture (si Von peut parler de causes) sont essentiellement conjecturales. Les instances
biographiques y jouent leur réle, nous venons de le voir ; réle plus symptomatique que causal. Le texte étant un texte dramatique, son écriture ne saurait étre isolée de Ja perspective du théatre ou il devra étre
représenté.
dissociée Vavenir.
Enfin,
cette
« crise
de la crise de V’écrivain
»
dans
Hugo,
l’écriture
de son
ne
peut
incertitude
étre
devant
ee e a e
163. Copie communiquée A P. Meurice, le 24 février 1898, par Gustave Roger, agent général de la Société des Auteurs et Compositeurs dramatiques. Autographe appartenant aux archives de ladite Commission — Copie : collection Louis Barthou.
|
« LES
JUMEAUX
»
381
Ou se dissout le drame.
Il est clair cependant que les causes de l’interruption de l’écriture ne peuvent étre trouvées que dans l’écriture méme du drame. Quelques remarques seulement sur ce point : 1° A Vexception
|. personnages entre
de
Mazarin,
évacué
au
dernier
acte,
tous
les
refusent l’action historique : il y a un contraste étrange
les nobles
affirmations
(« changer...
la forme
de la France
et
la face du monde ™ ») et la pauvreté des moyens
et des motivations ;
les moyens : des lettres .enlevées,
évadé,
un
prisonnier
par
ces
pro-
cédés d’opéra qui sont ceux de toutes les évasions ; une reine de France allant consulter un charlatan (peu importe que le fait soit authentique). Les mobiles sont, nobles ou mesquins, tous personnels : e’est l'amour, pour Alix (qui se moque bien de la politique et de Mazarin), c’est pour le comte Jean l’amour de sa fille, non l’action historique, et il s’en explique fort clairement. L’intérét individuel est dénoté par le comte de Brézé : « Que me fait ton tableau des vices d@’a présent ? Vois-tu, mon
seul souci (...) C’est cet affront stupide ™ » ;
quand la reine a énuméré ses griefs politiques, elle conclut : « Peuple, princes et ducs, Paris, Tunis et Génes
j'ai la mort Mancini!
chimére,
dans
Méme
l’Ame"” Mazarin,
moribond,
c’est la santé!*,
_toire, ce retrait
(...). Cela m’est fort égal ; mais
» ; ce qui la tourmente, est déserté
» Or cette panique
que vivent
méme
les héros,
c’est le mariage
par
Vhistoire:
générale
« La
devant VUhis-
s’ils correspondent
a la
/ situation politique de Louis-Philippe, comme aux débuts de l’absolutisme, ne peuvent que mettre le drame en péril, par l’inadéquation de la position historique des personnages et de la mesquinerie de
leurs motivations. 2° Les éléments du drame sont comme
éclatés : l’acte de la Foire Saint-Germain, si beau, si brillant, est comme en marge de l’action, et ce n’est pas la présence bien pale de Tagus a l’acte II qui peut -assurer le lien : de méme que l’histoire abandonne le drame au der-
nier acte avec le retrait de Mazarin, le grotesque le quitte dés la fin du premier acte : la marche se dessine vers le théatre éclaté — ou vers une structure contrapunctique que Hugo ne trouvera que trés tard *®, 164. I, 7, p. 835
:
J’entre en un formidable et sombre événement Ou Dieu m’aide, et qui va peut-étre en un moment Changer, secousse immense, imprévue et profonde, La forme de la France et la face du monde. 165. Ibid., p. 834-835 ; Mais
au
moins,
direz-vous,
faire d’un
ciel
serein
Choir un grand coup de foudre au front de Mazarin, Nous venger tous, reprendre enfin ton héritage, C’est 1A ce que tu veux ? Messieurs, pas davantage.
Un enfant —
sap O mon
mon
bonheur,
Dieu, pour
mon
remords, mon
la revoir —
devoir,
j’en pleure !
Jai prié, supplié, j’ai fait cent lachetés. Voila
166. Ibid. p. 831.
ourquoi,
‘
proscrit,
:
j’arrive en cette ville,
167. UI, 1, p. 863. 168. III, aoe 871. 169. Dans Mille francs de récompense
et Mangeront-ils ? Vers 1865-1867.
-
382
LE ROI ET LE BOUFFON
3° Corollaire : sous le schéma fondamental, on retrouve la trace de schémas ou de situations empruntés aux drames précédents, mais réduits, comme
des ombres
: ainsi la structure
maitre/serviteur
appa-
rait dégradée dans les rapports le comte Jean/Guillot-Gorju ou Tagus, VYhomme pris peur un autre, trois fois apparemment dans le drame, 4 chaque fois comme un épisode marginal, la mére aimée par un fils qu’elle connait et qui ne la connait pas (mais la situation est bien nettoyée de ses explosifs) ; le sacrifice d’Alix renouvelle en mineur (puisqu’elle ne peut l’accomplir) le sacrifice de Blanche. Le tueur 4 gages de Cour des Miracles est devenu un voleur, un prestidigitateur ; la prison relaie la mort absente. I] n’est pas jusqu’aux récriminations de la reine Anne ou Von n’entende l’écho de celles de Louis XIII dépossédé par Richelieu,
de Marie
Tudor
4° La prison, la clandestinité des héros ; cet aspect
essentiel
devant
Simon
Renard.
mettent en péril jusqu’a Videntité
met
en péril la cohésion
et la clarté
du drame : le Masque n’a pas de visage, jusqu’a l’acte Ill: « Ce Masque est mon visage et je suis un fantome ™. » Le comte Jean, pour Alix, n’est personne ; il est Vhomme « que jamais d’aucun nom yous
ne pourrez nommer ™ », Hugo joue sur la corde raide ; c’est lindividualité des personnages qui s’abolit 1,
L’7OUVERTURE Les
Jumeauz,
texte non
DES JUMEAUX
clos, inachevé, porte par la-méme
toute
une série d’ouvertures sur autre chose que lui-méme, sur le lyrisme, par l’ « effusion » autobiographique, sur J’anti-théatre par la présence sur scéne des tréteaux et des gueux, sur les Burgraves, par le schéma
fondamental et le probléme
du fratricide, posé et non résolu.
La transparence autobiographique. Baudouin
attribue 4 la présence d’un conflit personnel trop bra-
lant ’inachévement des Jumeauzx ; c’est peut-étre unilatéral, mais trés - probablement vrai. L’autobiographie pénétre la piece par toutes les
extremités. Tout d’abord, le théme général en est comme dans Ruy Blas, mais autrement lisible, le meurtre du frére par le frere, et la résurrection impossible du Frére, deux fois mort ™, et que l’écriture
du drame, ici
moins que jamais, ne saurait faire sortir de son tombeau ; le poeéte ne ramenera pas Eurydice des enfers. On comprend mieux comment coexistent, A la méme date, les tentatives du Masque (les Jumeauzx) 170. Il, 2, p. 851. 171. I, 9, p. 839. 172. Voir Ile partie, Une du
Symbolique
de
Le drame carnavalesque, i’Histoire : les Jumeauz, p.
173. Voir ce texte 21 janvier
(1832)
inédit
:
(ms.
24798,
Actants
et Action,
f° 320, cote. 139/130),
au
L’enfant mort 4 son jumeau vivant — ne me plains pas notre mére n’a pas disparu pour moi, — Tu vois son beau regard, moi je vois sa belle Ame.
p. 487
verso
et 503.
ater lettre
< LES et de Don
César
de
Bazan,
JUMEAUX
les deux
>»
383
hypostases
du
Frére
mort.
Il
suffit de remarquer la présence insistante du theme du jardin (avouons quwil n’a que faire ici) pour lire la présence occultée d’Eugéne Hugo 4 : jardin/prison, opposition se retrouve ici comme dans Ruy Blas. Comme dans Ruy Blas aussi intervient la culpabilité objective du frére survivant, coexistant: avec son innocence subjective (son _ ignorance ™). On voit comment il devient difficile de laisser survivre et triompher le profiteur de ja fondamentale injustice ; au moins Ruy Blas mourait
4 la fin; on ne peut pas faire mourir
Louis
XIV.
Inter-
vient aussi — renvoyée dans le passé, et dans Vhistoire non des jumeaux royaux, mais du comte Jean — Ja rivalité amoureuse entre les deux fréres * — rivalité deux fois vécue par Hugo, avec Eugéne, puis avec Sainte-Beuve. Le renvoi dans le passé accompagne aussi le retour autobiographique du Pére et de la Mére et de leur affrontement, meurtrier pour l’enfant: l’effacement final de Mazarin creuse cette faille décisive qu’est la non-réconciliation des parents; or il n’y a dans les Jumeaux aucun élément permettant de penser ou d’espérer cette réconciliation. Le héros change et de jeune homme devient barbon ; pour la premiére
fois,
un
héros
hugolien,
ayant
l’Age
de
son
créateur,
se
retrouve dans des rapports de parenté, c’est-a-dire dans un état passionnel, par rapport 4 une fille qui a le méme Age que la fille de ]’écri-
vain : les seize ans d’Alix répondent aux seize ans de Léopoldine "”. Ainsi nait, pour la premiére fois, une figure paternelle positive, en liaison directe avec la position paternelle de Hugo. Figure encore incertaine, contradictoire, puisque le comte Jean est un pére en opposition avec le pouvoir, un pére « contestataire » ; et surtout dans la 174, Le Jumeau, comme a son paradis d’enfance :
l’a bien
remarqué
Baudouin
(p. 20), retourne
en réve
Jadis, — j’étais enfant encore, Javais un grand jardin ow j’aliais dés Vaurore, Je voyais des oiseaux, des rayons, des couleurs,
Et des papillons
d’or qui jouaient
dans
les fleurs ! (II, 1, p. 844)
Mon esprit s’en allait chercher je ne sais ou Des réves, des jardins, des champs pleins d’étincelles Nous ne citerons pas tous les textes présents
un
jardin
de remarquer
dans
que
Hugo
Feuillantines,
vers
1813,
(oiseau,
vient 31
ot: le Jumeau fleurs,
d’écrire mai
1839).
soleil,
le po¢tme Pour
les
(...) (II, 2, p. 848) évoque des éléments de la nature,
verdure)
du
; ‘nous
Jardin
liens
nous
(Ce
entre
qui
contenterons
se
Eugéne
passait et
aux
le Jardin,
voir chap. Ruy Blas, p. 321. 175. Ce détail inutile a V’action (l’adultére efit suffi, sans les liens familiaux, es que le comte Jean ne puisse pas avouer sa paternité) figure dés l’exposition wie), 73 Il entra chez la belle et l’emporta d’assaut. Or plus tard, il apprit, comment, je ne sais Que cette belle était la femme de son frére.
guére,
(p. 814) Notons
le trait
caractéristique,
Vignorance,
deux
fois
dénotée,
qui
camoufle
le vol
fait au frére. 176. « Peut-étre les Jumeaux présentaient-ils trop directement le motif de l’opposition des deux fréres dont l’un est sacrifié 4 Vautre, cela pourrait expliquer une inhibition aboutissant a l’abandon de l’euvre. » (Ch. Baudouin, op. cit., p. 19.) Notons la formulation prudente de Baudouin ; mais justement le conflit des deux fréres est présenté d’une facon détournée, bien plus détournée que dans les Burgraves, ou aprés tout le fratricide est consommeé. 177 Dans quelle mesure ie choix du prénom d’Alix a-t-il un lien avee les iniliales mystérieuses A.L.. du’ poéme 39 des Rayons et les Ombres (Adéle-Léopoldine), poeme daté du 2 juin 1839 2? en ce cas on lirait A(déle)-L(éopoldine) — IX (= inconnues), signant la seene 1; voir le Rhin (XX)
grande Inconnue de létre féminin, la variation sur la lettre X.
indiquée
dés
la
384
LE ROI ET LE BOUFFON
seconde partie de la piéce, dés la fin de l’acte III (dans ce qui n’a pas redevient
été écrit) le Pere
le Mauvais
Pére, 4 la fois impuissant
et
destructeur " ; on n’en peut douter, puisque l’imposent la fable méme et le parti pris par Hugo. L’image de la Mére, dans ses rapports biographiques avec Vécrivain, est ambivalente : elle est présente deux fois dans le texte : Alix tentant de sauver, de faire évader le Masque, renvoie
a Sophie tentant
désespérément de sauver Lahorie aprés avoir contribué 4 le mettre en péril ; ’indomptable Alix répond 4 ’'indomptable Sophie. Ce saut par-dessus les générations est classique. Mais image maternelle est aussi présente dans la figure confuse et négative d’Anne d’Autriche dont la maternité s’éveille trop tard. Il y a plus: le texte porte si profondément l’empreinte biographique qu’il ouvre sur l’avenir, non de l’ceuvre seule, mais aussi de la vie : ’amour de Léopoldine, blamé, puis accepté ™, le danger (et la mort) de la fille, l’exil du pére, sont obscurément,
mais expressément,
inscrits dans le texte. Certains cris des Contemplations (« Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps >) sont déja contenus dans les paroles du comte Jean, séparé par l’exil de son enfant :
Eh bien, je ne puis vivre Sans entendre sa voix, musique qui m’enivre, Sans voir ses yeux, flambeaux de mes regards troublés,
Sans elle enfin !| —
Plaignez les pauvres exilés ™.
Ce qui apparait dans les Jumeauz, c’est une sorte d’étalement projectif du moi (passé, présent, futur). L’autobiographie menacante ne sera comblée que par Je recours A V’histoire épique, par le renvol a
la distance historique totale *. Comblement aléatoire théatre, c’est le lyrisme qui peut parler, méme avec tations désirables, le discours du Moi-Hugo. Ainsi les sur la reconquéte du moi lyrique, des Rayons et Contemplations. Le grotesque
et la pulvérisation
: ce n’est pas le toutes les occulJumeaux ouvrent les Ombres aux
du thédtre.
Dans la mesure ou les Jumeaux sont Veffort de Hugo pour rejoindre la tentative Maglia et la tentative Madame Louis XIV dans la méme unité, ’échec de la piéce renvoie les fragments dramatiques a leur
atomisation naturelle ; par un mécanisme tout a fait explicable, c’est aprés 1840 que pullulent les textes qui sous les titres les plus divers dessinent la constellation de |’ « antithéatre » hugolien™, Le moi mis en question, le moi qui n’a décidément pas trouvé son unité dans Vécriture dramatique se réfugie dans l’espace de la dérision. Les 178. Hugo
Jumeau, mais 179. Dans
n’a
pas
souligné
la rivalité
(et le conflit)
entre
le comte
Jean
elle est inscrite dans le dénouement et indiquée dés I, 9. les jours méme-ot Hugo capitule devant la fin des Jumeauz,
et le
Léo-
de Charles Vacquerie et s’en éprend. poldine fait la peter aver 180. I, 7; 181, Et surlent par le roman. Sans doute n’est-ce pas un hasard jalons
panne
des
Misérables
les Jumeaux
datent
de Vautomne
: « Quelques
notes
1839,
moment
concernant
si les premiers précis ot Hugo taisee en
des propos
se troude l’évéque.
vent dans un carnet de voyage utilisé pendant le retour de Provence. V. infra, p. 630. préface aux Misérables, Garnier-Flammarion.)
4182. Voir notre présentation
des Fragments
dramatiques.
» (R. Journet, ;
O.C., VI, p. 995-1001.
©
:
« LES
JUMEAUX
>
385
| grands themes des fragments dramatiques qui ont conquis une sorte | d’unité au moins « locale » dans le premier acte des Jumeaux retrouyent leur indépendance et jouent dans cette poussiére de textes ot | Pon retrouve les gueux, la comédie de l’amour, les tréteaux du saltimbanque. L’expansion du grotesque détruit l’unité de la fable : déja GuillotTee Se Gorju, Tagus et le Voleur fictif du discours du comte Jean, loin d’étre unis par l’action, faisaient cavalier seul. Tous les développements que | nous retrouverons dans les fragments des Gueux'"® sont déja en germe | ici: la misére, la confiance, la nargue 4 la police, le dialogue du | gueux avec le personnage titré. Quant 4 la Comédie de l’amour, | gommeée ici, elle faisait le lien entre Maglia et le premier acte des | Jumeaux ™. Le couplet du Voleur, qui n’a jamais été dit sur une scene et n’avait sans doute pas vocation 4 cela**, se retrouve cent fois multiplié, jusqu’aux derniers jours de l’écriture hugolienne. Le premier acte des Jumeaux,
la
scéne, cette
‘reine
de France,
baraque
avec
ot pénétrent
ces tréteaux
le lieutenant
c’est la théAtralisation
sur le devant
de police
du monde ; la société
de
et la figure
comme représentation et masque, c’est-a-dire comme théatralisée, mettant en péril le sérieux des instances et des valeurs sociales. Bientot le Diable viendra faire la parade et présenter la piéce dont l’auteur est Dieu. Tout ensemble des fragments a pour but de constituer la société et le monde comme thédire. Mais réciproquement, dans les | Jumeauz, le thédtre dans le théatre ne peut que mettre en péril le
| théAtre lui-méme sur une scéne a Vitalienne, dans un code dramatique | fondé sur Villusion. Le premier acte des Jumeauz porte en lui-méme | Patomisation
du théatre,
le « théatre
libre », le « théadtre
dans
l’es-
prit “ > ot la fable méme disparait en attendant que Hugo la recrée | dans le Thédtre en liberté.
L’ouverture sur les Burgraves. Il est trop facile de montrer (Baudouin |’a fait avec beaucoup
de
| pertinence '*) comment les Burgraves sont la reprise redoublée du | theme du fratricide, un fratricide cette fois véritablement cainique, et
| ot le destin (mué en Providence) n’intervient que pour assurer la sur|
183,.V.
Fragments
dramatiques.
0.C., t. VI, VII. IX, XII, XIII, XIV, XV-VV_
2,
| sous la rubrique les Gueux (ms. Jum., f° 60-61. O.C., V, 879). | 184, Voir la premiére version de I, 1, sous la forme d’un dialogue entre Maglia | et Lucio (ms. Jum., f° 63, cote 74/37, O.C., V, 882) ; dans ces deux premiéres ver-
sions
du début de la piéce, l’accent
était mis
sur le caprice
amoureux
des jeunes
filles. Sur le manuscrit de la piéce (3¢ version), la générosité relaie ’amour que motivation d’Alix. Cf. aussi le fragment publié O.C., XV-XVI, 2, 338.
185. Le grand couplet est entouré Sages non destinés & la scéne.
i
186. Fraginent
dramatique,
comme,
cote 79/121-122,
dans
les copies
2 novembre
de théatre,
1842,
en
0.C., VI, 1039.
| brouillon de ce texte est peut-étre contemporain des Jumeauz. 187. Fragment ms. 24753, f° 421 (vers 1843-1845). Le théatre dans l’esprit ou le thédtre libre. ; (0.C., XV-XVI,
tant
les pasLe
2, 340)
i; 188, Baudouin, op. cit., p. 19 4 25. Une variation, trés brillante, de Baudouin _ indique et nous serions d’accord avec cette interprétation, que Vécriture marque dans _ Sa gemellité méme, le couple des Jumeaux dont l’un est sacrifié & autre : « Il est ur le moins étrange que ces deux drames, traitant le motif des fréres rivaux,
dont lun est sacrifié 4 Vautre, se présentent & nous précisément, comme deux « jumeaux » dont l’un est sacrifié 4 son rival plus heureux » (p. 20). Il y a de cette gemellité de l’écriture une belle confirmation dans la Préface de Lucréce Borgia 25
386 vie
LE ROI ET LE BOUFFON miraculeuse
du frére
assassiné.
Les
fréres
ennemis
et la femme
entre eux forment un double triangle, l’un dans le passé (Donato-Ginevra-Fosco), ’autre dans lé présent (Otbert-Regina-Hatto)
; et comme
pére-fils, avec
Vindication
finale du parricide; dans
le
le conflit 1
voit trés bien Baudouin ”, au conflit fraternel se superpose
cas, la
les deux
carence paternelle conduirait au parricide : la logique de Paventure du Masque, c’est la mort de Mazarin et Guanhumara tente de faire tuer Job par Otbert. Dans les deux cas la fille se retrouve en position d’otage ; sa mort garantira l’innocence ou la survie de celui qu'elle aime. Mais : il y a plus: le conflit entre deux figures paternelles (Mazarin et le Comte
- Job et Barberousse) Jean
au milieu, celle qui a
la mére
avec
été, dans le passé la victime, et qui est tout compte fait rangée dans le :
parti du mal (la Reine-Guanhumara) ; de 14 toute une géométrie mal, pratiquement identique des Jumeaux aux Burgraves. dramatique
Le mouvement
du \
est trés voisin, mais n’a pas pris dans
les Jumeaux la belle clarté d’épure qui fait des Burgraves
selon l’axe temporel. Dans les deux cas, la présence du passé, du mal
mué en malédiction et figuré par le chateau ruiné détermine un drame qui est la répétition d’un drame passé. C’est le changement de sens de la figure paternelle (changement esquissé mais avorté dans les Jumeauzx), qui crée la possibilité du rachat. Or le corollaire de ce changement _ de sens, c’est le renvoi dans le passé épique, l’éloignement de Vhistoire par l’épopée, — relais de cet éloignement de Vhistoire parlé par les personnages principaux des Jumeauz, 4 part Mazarin; il faut que Vhistoire n’ait plus d’incidence immédiate, qu’elle soit passé lointain ou futur révé, pour que la figure de l’Autorité apparaisse avec son pouvoir salvateur. Salut révé, salut incomplet, dans la mesure ow il implique comme le montre Jean Massin™, Vélimination de la Mere : le conflit Pére-Mére,
et la déchirure
du Moi sont résolus
|
une trilogie |
|
©
| |
— |
et comblés,
non par une avance, mais par une fuite et par une élimination arbi- | traire, double démarche qui implique clairement la fin du drame.
(0.C., IV, 654) : « Quoi qu’il en soit de ces deux piéces (Lucréce et le Roi s’amuse) et la (...), elles sont sceurs jumelles, elles se sont touchées en germe, la couronnée
proserite, comme Louis XIV et Je Masque 7il ne pense. 189. Op. cit., p. 37 sqq. 190. J. Massin, cette immolation
introd.
aux
Burgraves
(celle de Ginevra)
@Eros dans la fiction son héritage spirituel loin d’étre acquise. » réconciliation du moi
de fer. » Baudouin
sans
: «
deuil
Comment et sans
ne
rancon,
a encore
pas
plus raison
©
devant
—
pressentir
les futures
difficultés
hugolienne ? (...) Souhaitons bon vent au jeune Otbert, et que lui soit léger ; la réconciliation du pére et de la mérejest bien Entendons ici, dans la plaisanterie, affirmation de Ja nonhugolien par le truchement du drame. (0.C., WI, 561-562.)
—
~ —
5
fa
B
:
2
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te
Le aa iF
ECRITURE ET PRATIQUE DU THEATRE
.. Du théatre littéraire (6 pléonasme!) Je vous conseille de célébrer Voffice dans la religion des yeux baissés. Lisez et vous ne serez
dérangés par personne, méme pas par nous. HENRI PICHETTE. *. _ « Jocrisse 4 Patmos tin).
» (Veuillot ou Pontmar-
Le théatre peut étre libre de deux facons, vis-a-vis le gouvernement qui combat son indépendance avec la censure, et vis-a-vis le public qui combat son indépendance avec le sifflet*. La société bourgeoise dans sa sobre réalité s’était créé ses véritables interprétes et porteparole dans la personne des Say, des Cousin, des Royer-Collard, des Benjamin Constant et des Guizot. Kart
Marx,
Le 18 brumaire de Louis Bonaparte. Pour conclure sur cette « histoire » du thédtre de Hugo, appellerons l’attention sur un certain nombre de points: 1) Le
projet
trouvé avec un mission d’aider éviter de : peut -volonté d’écrire public peut lui
méme
d’un
drame
nouveau
est
celui
du
nous
contact
public un, — le drame ayant, dialectiquement, pour a la constitution de ce public un. Sur ce point on ne souligner le lien entre la biographie de Hugo et sa le drame. L’accord immédiat par la parole avec le permettre de trouver l’Autre comme l’interlocuteur et
de réunir ainsi les instances divorcées du moi. Or ce projet a chaque fois tenté par des voies différentes, n’aboutit pas, et I’échec du théatre de la Renaissance lui porte le dernier coup. Déja la volonté d’accord avec le public (un public nécessairement soumis, sociologiour
mate d’Or
fevrierFas, Pp.
contre
les
ceurs
de
plomb,
Cahiers
Renatd-Barraalt)
2. Fragment ‘ete par Barrére, op. cit., II, 398 (Th. lib., LN., p. 545).
390
LE ROI ET LE BOUFFON
quement, 4 V’idéologie dominante)
est mise en péril par les refus de
Vécrivain.
2) Hugo refuse de s’insérer dans ce qui est la pratique dramaturgique de ses contemporains; il ne peut se résoudre 4 utiliser les « recettes 4 la mode » ; il n’écrira ni une tragédie (fit-elle accommodée a la sauce du drame juste-milieu, comme Casimir Delavigne),
ni un mélodrame, cela va sans dire. Surtout il n’écrira jamais un drame bourgeois, ni méme une piéce historique contemporaine. Pris entre un Scribe que l’on n’entend que trop et un Balzac qui ne se fera jamais entendre au théatre, il les récuse tous les deux ; il ne sera
ni le chantre de la bourgeoisie, ni son peintre critique. Alors, il Y’abolit ;et nous aurons 4 nous demander — nous devinons déja la réponse —, ce que signifie dans cet esprit le choix du xvr° et surtout du xvi siécle. Il faudra, bien plus tard, le virage du siécle et la liberté de l’'imaginaire pour que Hugo écrive Mille francs de récom-
pense
et l’Intervention.
Accepter
le drame
bourgeois,
c’est accepter,
directement ou indirectement, les données du probléme telles qu’elles lui sont présentées par l’idéologie dominante. Hugo essaie de s’y soustraire : il ne se compromettra pas avec les « philistins >, oubliant, ne voulant pas savoir qu’ils sont l’essentiel de son public, celui qui paie — ou plutét espérant que la pression d’un « autre public » sera assez forte pour l’imposer. Corollaire, Hugo n’écrira jamais de drame directement politique, de piéce d’actualité, fit-elle transposée sous le couvert d’une fable historique. Il ne profitera jamais d’une mode politique : il ne mettra pas en scéne aprés 1830 Napoléon ou les combattants de juillet, il ne sera pas anticlérical, ni méme vraiment antiroyaliste ; il sera difficile de prendre telle de ses piéces pour une allégorie. Méme Marie Tudor est encore loin de la Révolution de 1830, dont elle refléte cependant les apories. Ce refus du théatre politique est certes spontané, mais il est aussi de doctrine, et cent fois répété. Hugo
connait,
intuitivement
peut-étre, la distinction entre politique et idéologie ; ses piéces ont « une moralité sévére >, elles comportent un « enseignement ». Idéologique, non politique. 3) Vhistoire du théatre de Hugo permet d’obtenir un certain nombre de renseignements sur l’écriture méme des drames : a) le nombre de schémas dramatiques chez Hugo est relativement faible ; nous en avons relevé trois ; s’il est possible d’en isoler d’autres, ils sont de toute facon en nombre tres limité ; parfois deux de ces schémas se trouvent ensemble 4 l’intérieur de la méme fable. Is paraissent coincider 4 la fois avec ce qu’on peut déterminer des préoccupations personnelles de Hugo, et avec les schémas les plus fréquents du code culture] de son temps: régicide et détro6nement (décapitation), rapports du maitre et de l’esclave, theme fraternel. Expérience vécue, intertextualité nourrissent ces schémas ; b) la maturation en est le plus souvent longue ou trés longue ; il” leur faut trouver leur fable historique pour parvenir au stade de Pécriture. Leur préexistence (leur indépendance parfois), est attestée par les jalons
de Vavant-texte,
souvent
trés
antérieurs,
alors
que
les
traces de la documentation précédent le plus souvent de peu J’écriture. La documentation est A la fois trés minutieuse et indifférente a beaucoup d’aspects d’une vérité historique que Hugo connait parfai-
ECRITURE
ET PRATIQUE
DU
THEATRE
tement ; apparait ici un jeu subtil entre l’exactitude fausse historicité
de ’anachronisme
391
des faits et la
;
c) au moment ot la documentation est acquise, la rapidité de la rédaction est proprement foudroyante, 4 peine moins grande pour les drames en vers. Peu de repentirs et toujours plus que significatifs. En général, c’est au début, 4 l’ouverture, que se manifestent les signes d’incertitude (premier acte de Marie Tudor ou de Ruy Blas), ou au dénouement : incertitude pour Marie Tudor, et dans une certaine
mesure tache
pour Lucréce quotidienne
Borgia.
permet
Dans
de suivre
tous les cas la sfreté
le découpage
d’une
écriture
de la qui, en
général, s’accélére vers la fin des textes. Souvent le découpage final ne se fait pas sans quelque embarras ; la division impaire en cing actes est difficile 4 Hugo, qui travaille par grandes masses binaires, et,
chez qui, au départ, la division quadripartite est de régle. Bref, l’écriture dramatique se caractérise par sa cvontinuité et sa non-soumission aux < caprices de inspiration ». Ce qui la précéde est en général un canevas ou ne figurent — déja rédigés — que les noyaux significatifs de V’action dramatique (v. le Roi s’amuse ou les Jumeaux). Les brouillons proprement dits sont extrémement rares, ne portent que sur des scénes
trés
isolées ; l’écriture
des piéces
est directe,
comme
si tout
était déjA écrit, comme si dans ce qui est écriture de la parole, une écriture mentale préalable suffisait. Le contraste n’en est que plus grand entre les certitudes de l’écriture hugolienne, et la pression 'd’une opinion (directeurs, comédiens, critiques) qui tend 4 édulcorer je texte, a le dénaturer.
4) La pratique hugolienne du théatre ne peut pas ne pas modifier profondément le drame, et cela 4 différents moments : immédiatement apres l’écriture, lors des premiers contacts avec le monde du théatre (directeurs et comédiens), ou bien aprés les premiéres représentations, enfin, de drame 4 drame, dans la mesure of dans un combat qui est toujours fondamentalement le méme, l’auteur est parfois tenté
de se replier. De 14 des changements de texte qui sont presque toujours des capitulations ; on ne veut pas du grotesque ; Hugo modifie le Roi s’amuse pour la deuxiéme représentation, chatre la scéne du banquet de Lucréce (septiéme séquence), accorde 4 la Comédie Francais la suppression de l’acte de Cour des Miracles dans Angelo ; dés qu’il le peut, il revient 4 son texte d’origine *. Enfin, il est impossible de ne pas voir dans les silences de plus en plus prolongés de Hugo entre ses pieces, et dans l’inachévement des
Jumeaux,
une
forme
d’auto-censure.
Tout
texte
dramatique
est
dialogue avec l’autre, et l’ « écoute » de l’ceuvre la modifie nécessairement.
Bien différente
est la lutte avec
les acteurs ou les directeurs,
ou dans la plupart des cas Hugo demeure intransigeant. Au-dela de Panecdote, c’est une bataille passionnante que celle de l’auteur qui défend son texte : Hugo's’est vécu, les acteurs et directeurs l’ont subi, les critiques l’oni jugé, — comme inflexible. On sait bien que les choses ne sont pas si absolues ; mais dans l’ensemble, plus que tout autre écrivain de théatre, Hugo se livre délibérément et 4 la faveur d’un certain nombre 3, Dans
de refus, 4 un véritable viol du public. Dans cette
le cas des profondes
modifications
de Lucréce Borgia, Hugo qui a trouvé
une possibilite d’enrichissement, garde son dernier texte de grotesque, mais de l’extréme audace du dénouement.
: ici il ne
s’agissait
pas
LE ROI ET LE BOUFFON
392
méme perspective, la lutte contre Ja censure, loin d’aller dans un sens opposé, redouble et confirme la lutte contre les comédiens et contre le public. 5) Sur la réalité de la réprobation qui accueillit le théatre de Hugo, nous avons assez de témoignages. Ceux qui aiment le théatre de Hugo, ceux qui y vont, ne parlent pas, écrivent encore moins ; ils sont, sauf rares et significatives exceptions, au-dessous du seuil de Vécriture, et méme de la parole active. Certes on s’explique sans effort que Hugo soit interdit en Europe ; non seulement dans les états de la monarchie austro-hongroise, mais dans presque tous les pays: « Ni en Russie, ni en Pologne,
écrit Harel
4 Hugo,
aucune
ni en
partie de
VAllemagne, je n’ai pu parvenir 4 me faire promettre la représentation d’un seul de vos ouvrages. Votre nom est 4 l’index. Partout je rencontre la méme opposition a priori, sans pouvoir obtenir méme Vhumiliation d’une excuse 4. » Bien, c’est trés clair, Hugo
est libéral et les
monarques « réactionnaires » n’en veulent pas. Mais en France ? et d’ou vient que les libéraux ménent le train contre lui ? Le refus qu’on lui oppose, Hugo lui donne un nom, celui de « censure littéraire », faute de pouvoir lui donner son nom de « censure idéologique >. Hugo fait remarquer que ni la politique (elle n’est pas vraiment en
cause), ni Pintérét immédiat (ses drames font tout de méme plus d’argent que les autres, ils sont scandaleux, pas ennuyeux) n’expliquent les violences de la presse, et le non des directeurs. Hugo donne une explication qui serait superficielle si elle n’en impliquait une autre : la « censure littéraire » est le fruit des subventions qui livrent les grandes scénes au contréle des politiciens libéraux ou gouvernementaux : or ce sont en méme temps des auteurs dramatiques ou bien ils sont liés A des auteurs dramatiques — classiques comme il se doit. Soit, mais pourquoi ces auteurs sont-ils classiques, ét pourquoi réservent-ils leur indulgence 4 Dumas ou aux mélos ou demi-mélos ? Pourquoi cette coincidence d’options littéraires et d’options politiques, qui pour divergentes qu’elles soient ont un point commun : la haine du théatre de Hugo. Et pourquoi des directeurs ou des comédiens ». phagocyté « dire ose l’on si et récupéré, l’a qui fin-de-siécle, La 4. Lettre de Harel A Hugo, 10 juillet 1841 (communiquée par S. Gaudon). Delavigne lettre poursuit : « Il est vrai que les innocents bouts-rimés de» Casimir ; (pourtant officiellement libéral — 4.U.) sont partout autorisés. théatre de 5. Et qu’on ne nous parle pas de la valeur esthétique discutable du rougir les sans Hugo! Il suffit de jeter un coup d’eil sur ce qu’approuvaient aussi bas. Nous descendu n’est théAtre le contemporains, pour étre effrayé. Jamais — Antony, exceptons naturellement:Dumas dont — a défaut du reste, tres médiocre remarquables. Richard Darlington et Kean, sont & beaucoup d@égards des textes
ECRITURE
ET PRATIQUE
DU
THEATRE
393
Au discours idéologique de Hugo qui peut nous paraitre obscur mais quils entendaient on ne peut mieux — méme si cette écoute nous étonne — les critiques opposaient un contre-discours organisé dont nous avons tenté de déméler les fils ; le thédtre de Hugo est transgression du code sur quatre points essentiels : a) Vexcés, Vinvraisemblable, ’immodéré, l’inhumain, transgres_ sions de l’esthétique classique (tout ce qui se définit par la négation du beau idéal) ; b) le grotesque, inversion de la hiérarchie socio-culturelle, avec ses corollaires, la vulgarité, le culte du laid, la trivialité de la langue,
bref toutes les formes de complaisance 4 la canaille; e) le gotit « matérialiste » du spectacle, de l’objet, de ce qui est non-langage, par opposition 4a ce qui est le « discours classique des passions » et les droits de l’Ame ; d) la négation de la providence et du code des convenances et de la moralité, trahison de la métaphysique et de la morale bourgeoise. Les
éléments
de ce
contre-discours,
4 trame
trés
serrée,
inter-
férent sans cesse, chacun pouvant se préter a une lecture esthétique, sociologique, philosophique: ainsi le goat du spectacle est complaisance au peuple, comme la trivialité est offense A l’esthétique classique. L’ensemble de ce contre-discours présente le drame de Hugo comme une subversion de ensemble du code socio-culturel, et s’efforce de repousser le poéte Hugo loin de la scéne: « Puisque vous faites de si belles odes, tenez-vous
au livre, fuyez le théAtre.
» Démar-
_ che d’exclusion absolue. Hugo a trahi. Mais trahi quoi? et que voulaient-ils de lui ? Ces gens révent — et c’est trop naturel — non tant de mélodrame ou de tragédie néo-classique — ces pis-aller — mais d’un vrai, d’un grand drame bourgeois, dépassant celui dont Scribe donne
le modéle
médiocre
et parfait, réduit
qui se promeéne revétu de défroques
4 la comédie,
ou
celui
historiques sur les planches
de
la Comédie, — le drame bourgeois qui montrerait le héros comblant la faille, réconciliant la société, ressoudant les deux moitiés du corps
social pour refaire « une famille unie ». Cette démarche illusoire,
non
seulement
et proprement
Hugo
la refuse,
mais
il en
de soudure
montre
le néant
la subvertit.
6) Ce n’est pas au niveau de Vhistoire du théAtre
de Hugo
que
nous pouvons saisir le sens de cette subversion et du refus qui lui est opposé, mais au niveau de l’écriture du drame. Nous savons déja que l’ensemble de cette écriture, prise au piége d’une pratique thédtrale réductrice, refuse de se laisser totalement asservir et finit par se condamner au silence. Ce qu’il nous faudra rechercher, c’est: a) comment s’établit Ja structure propre au drame de Hugo avec ses divergences par rapport 4 la structure d’ensemble du drame romantique ; b) comment c) comment,
_ péril les codes d)
drames.
comment
le grotesque
informe
en s’inscrivant
actants et action
dans
l’écriture
faire
la lecture
du drame ;
du drame,
ih met
en
dramatiques ; enfin peut
se
symbolique
de
ces
394
LE ROI ET LE BOUFFON
A Ja lumiére de ces analyses, les obscurités et les problémes posés par histoire dn théatre de Hugo et par sa réception, s’éclaireront peut-étre. Ainsi pourrons-nous rendre compte de « cette provocation constante
des
limites
du
théAtre
habituel
», of
M.
Butor®
grandeur de l’ceuvre thédtrale hugolienne.
6. Le thédtre
de Victor Hugo,
Nouvelle
Revue frangaise,
janvier
1965.
voit
la
DEUXIEME
PARTIE
STRUCTURES
:
LES GRANDES UNITES
STRUCTURES DU THEATRE DE HUGO LE MODELE ACTANTIEL La premiére démarche que nous pouvons accomplir pour tenter de trouver dans le théatre de Hugo une structure est de lui appliquer Panalyse qui, mise au point par Propp a Vintention du conte populaire russe}, adaptée
au
tions
a
par
Souriau’,
domaine
été
du théAtre
reprise
avec
et précisée
quelques
modifica-
magistralement
par A.J. Greimas *. A l’exemple de Greimas, nous utiliserons donc les trois couples d’actants : 1) Sujet/objet. 2) Destinateur/destinataire.
3) Adjuvant/opposant. Nous
éliminerons
aussi
l’actant
Arbitre
(balance)
inventé
par
Souriau 4. Reprenons rapidement la définition de ces actants. Une remarque préliminaire : ils ne s’identifient pas du tout A des personnages, encore moins a des acteurs ; un actant peut étre un personnage invisible (un dieu comme Vénus dans Phédre), un absent comme Astyanax dans Andromaque,
tre
de Banquo
Horace,
un
dans
fantéme
comme
Macbeth,
une idée comme
une
le pére de Hamlet
abstraction
le Saint-Graal.
Un
comme
méme
ou le spec-
Rome
dans
actant peut recou-
vrir des personnages différents, plusieurs personnages prenant le relai Yun de l’autre > ou méme un groupe de personnages (les Seigneurs ou les Courtisans dans certaines piéces de Hugo, le Roi s’amuse ou Ruy Blas). Le groupe sujet/objet est défini assez simplement : le sujet® est le héros, le personnage principal qui tente d’obtenir quelque chose ou quelqu’un qui est l’objet: dans Phédre par exemple, si le sujet est 1. C.V.
Propp,
Les
transformations
des
Contes
fantastiques
littérature, Paris, Le Seuil, 1965. Morphologie du conte, trad. 2. Souriau : Les 200000 situations dramatiques. Paris.
Le
in
Théorie
Seuil,
1970.
de
la
3. AJ. Greimas : Sémantique structurale — Langue et Langage — Larousse, 1966. Chapitre : Réjlexion sur les modéles actantiels, p. 172 a 192. 4. Nous verrons plus loin la nécessité de cette élimination : dans la mesure ou tout récit, tout conte ou tout mythe est la mise en forme @oppositions qui ne sauraient étre réduites, le réle de Varbitre est le plus souvent superficiel ou apparent. 5. Ainsi Guritan prenant le relai de Don Salluste dans Ruy Blas. 4 6. Le mot sujet, employé ici comme sujet syntaxique du drame, recevra dans la suite de notre travail d’autres acceptions ; nous lui avons gardé sa polysémie, qui nous permet de mettre l’accent sur l’aspect pluriel du texte.
LE ROI ET LE BOUFFON
400
Phédre,
est Hippolyte.
objet
détermination
La
du
Sujet n’est pas
toujours évidente méme dans la tragédie classique et la recherche du sujet dépend d’une analyse qui elle-méme suppose une certaine vue
de ’euvre : ainsi une interprétation d’Andromaque peut faire de Pyrrhus le sujet, d’Andromaque l’objet. Une autre verra dans Hermione le sujet, dans Pyrrhus Vobjet; on pourrait faire d’Andromaque le sujet quand objet est V’invisible Astyanax et Troie plus invisible encore. Toute la piéce se construit autour de ce couple de base sujet/objet, le sujet étant ce qui veut, ce qui désire, objet étant ce qui est voulu, ce qui est désiré. A coté de ce couple, un couple plus difficile 4 déterminer : le Destinateur et le Destinataire. « La recherche de ce couple d’actants ne peut manquer, dit Greimas, de soulever quelque difficulté du fait de la manifestation syncrétique fréquente des actants... du cumul souvent constaté de deux actants présents sous la forme d’un seul l, acteur’. » L’analyse désormais classique de la Quéte du Saint-Graa montre parfaitement l’articulation des quatre actants. Sujet = Destinateur
aa ————>
Héros Dieu
Saint-Graai Humanité ®
Objet ————— Destinataire —
/ /
Dans une histoire d’amour banale, le sujet se confond avec - destinataire, on obtient alors un schéma simplifié :
Destinateur
(le pere
le
Destinataire
>
Objet ber
ou la Providence ou le Roi)
Sujet °
C’est par exemple le schéma du Cid. est fort Enfin, la troisiéme paire d’actants adjuvant/opposant dans la praparfois ner détermi a difficile plus et théorie en claire y verrait, dit tique. Cependant, une vision schématique d’ensemble Greimas,
« les forces
bienfaisantes
du
et malfaisantes
monde,
des
Chrétien du incarnations de lange gardien et du diable du Drame Moyen Age ™ >. < modéle Nous sommes donc en présence d’un schéma-type, d’un maniére la de e complet forme sa sous e présent se actantiel > qui suivante :
no oma
Destinateur
Objet Adjuvant
7. Greimas,
| ee
Opposant
op. cit., p. 177, 178.
8. Id. 9. Greimas remarque gue dans une destinateur. sujet = destinataire, ie = 10. Greimas, op. cit., p. 179.
histoire
d’amour
A
deux
personnages
STRUCTURES
DU
THEATRE
DE
HUGO
401
Syntaxe du drame hugolien™.
Nous pouvons donc essayer d’appliquer ce modéle aux principaux drames de Hugo et nous serons d’autant moins surpris de le voir s’incarner assez bien dans le drame hugolien que les trés rares schémas primitifs que nous possédons, celui de la Mariposa II par
exemple fait figurer les personnages sous une forme aussi schématique et aussi vigoureusement claire que celle du modéle actantiel : « Lui — Elle — Gennaro™ », c’est le Sujet — l’?Objet— l’Opposant. Nous allons donc essayer de faire apparaitre aussi clairement que possible les actants des différents drames hugoliens. Nous verrons plus loin que ces schémas ne peuvent étre compris que comme des approxima-
tions réclamant corrections et Jaissant subsister des incertitudes. Schémas
du thédtre de Hugo
MARION DE LORME
Fatalité-Providence
|
la Mort Marion
DIDIER (le tise Saverny
————_——__» MARION DONA
SOL—_____
HERNANI iA
Hernani la Mort
were sie Carlos uy-Gomez
LE ROI S’AMUSE - Fatalité-Providence
Francois I* la Mort BLANCHE (le Rachat)
iF
Seadncth wala nst Saltabadil
Francois I Seigneurs Maguelonne
11. N’oublions pas que ce modéle actantiel est d’abord extrapolation d’une structure syntaxique, Greimas reprenant le schéma de Tesniére, Eléments de syntaxe structurale, Paris, 1959.
12. Voir 0.C., Il, Portefeuille
dramatique,
p. 970-972.
26
402
LE ROI
LUCRECE
ET LE BOUFFON
BORGIA Lucréce la Mort
(Gennaro)
Fatalité-Providence
GENNARO (le Rachat)
LUCRECE
—~__Matftio le duc de Ferrare
Gubetta
MARIE TUDOR Providence Fatalité pa hese
Marie
Ambition FABIANI
MARIE
S. Renard Jane TUDOR
Fabiani Gilbert
JANE
Fabiani Marie Tudor
GILBERT * ANGELO
- — Caterina
Fatalité-Providence RODOLFO (le Rachat)
TISBE
—__Homodei _ Angelo
a RUY BLAS Ruy Blas
Fatalité-Providence
Le Néant
(Salluste)
LA REINE (l’Espagne) Salluste
César de Bazan
(César de Bazan)
RUY BLAS 13. Inversion
possible du sujet et de Pobjet.
(Mort)
STRUCTURES
DU THEATRE
DE HUGO
403
LES JUMEAUX Fatalité-Providence
Prison
Fatalité
Masque
as
(prison ou mort)
ALIX (liberté) Cte Jean
iy
ALIX
Mazarin
(rachat)
Tagus
LE MASQUE
Mazarin
Cte
JEAN
LES BURGRAVES Providence (Barberousse)
Régina
TBERT
(rachat)
Otbert
Guanhumara
7
(fatalité)
Mato (le mal)
JOB La vue de ces tableaux nous inspire immédiatement un certain nombre de réflexions. Tout d’abord, il est possible de les constituer
-et 4 premiére vue, ils ne paraissent pas arbitraires ; ils compte, au contraire, fit-ce superficiellement, d’un certain
rendent nombre
de relations entre les personnages. Ensuite, ce qui est plus important, ces schémas ont sur des points capitaux des éléments communs et Punité du drame hugolien est ainsi sensible au premier regard.
1) Si nous étudions la détermination du sujet et le rapport sujet/ objet, nous aboutissons 4 un certain nombre de constatations : tout @abord, Vobjet du désir est toujours une personne et non un objet ou
une
abstraction,
comme
le pouvoir
ou
le tréne
ou
la victoire
(il
n’est le rachat que secondairement). Ensuite, le lien entre le sujet et Vobjet (le désir) n’est pas nécessairement un désir amoureux banal, mais tout aussi bien le rapport pére-fille ou mére-fille, c’est-a-dire des rapports d’amour d’un type différent. Enfin, et c’est un corollaire de
Vobservation
précédente,
le sujet peut étre indifféremment
un homme
ou _une femme. D’ou il suit — et ce n’est pas l’une de nos moindres ‘difficultés — qu’il est presque toujours possible d’inverser le schéma
et de faire du sujet l’objet et vice-versa. Dans Hernani, il serait presque aussi facile de faire de Dofia Sol le sujet ;dans Marion ou dans Lucréce, pourquoi le héros masculin ne passerait-il pas en position de sujet ? Dans tous les cas, c’est l’activité de l’actant et si l’on peut dire sa mobilité’ qui nous permet de déterminer le sujet, non sans une
certaine
marge
d’ambiguité.
Un
cas
encore
plus
troublant
est
celui de Jane et de Gilbert dans Marie Tudor : le parallélisme pouvait ‘nous conduire a privilégier Jane (paralléle 4 la Reine Marie), mais la
14. Schéma sommaire : voir plus loin une analyse plus précise. 15. V. infra ce que signifie ce concept de mobilité par rapport aux deux grands _« espaces dramatiques ». y
404
LE ROI
ET LE BOUFFON
mobilité des personnages parait d’importance voisine ; ici, nous avons été conduit A indiquer Gilbert en position sujet, parce que son acte sacrificiel marque le tournant de l’action *. Le rapport sujet/objet est dans la plupart des cas trés prés d’un rapport de réciprocité : a la limite, ils sont interchangeables. Plus encore, le lien entre le sujet et Vobjet est assez serré pour mettre en évidence ce fait capital d’une égalité virtuelle des actants sur le terrain du coeur ”. 2) Si nous examinons seulement |’objet 4 présent, nous nous apercevons qu’il est en principe double. Un objet réel, la personne, objet du sentiment de amour, se superpose ou s’unit 4 un objet idéal, qui est en
général le rachat,
le salut, effacement
de la faute, bien plus
rarement V’intégration ou la réintégration dans l’ordre; dans ce dernier cas, la personne aimée prime l’objet idéal (Hernani préfére Dona Sol A son rang de Grand d’Espagne, Ruy Blas ne veut le titre et le. pouvoir que pour l’amour de la Reine). Dans le cas général, ’'amour de Didier ou de Rodolfo est pour Marion et pour Tisbé, Jié 4 leur « virginité >, a leur intégrité reconquise ; Triboulet auprés de Blanche se purifie de la Cour et Lucréce le rachat de ses crimes. Dans
maternel
voit dans ’amour
les Jumeaux,
Yamour d’Alix est pour le comte Jean l’absolution de Vadultére incestueux dont elle est le fruit et Job aime dans la pureté d’Otbert et de Regina la compensation de. son fratricide et de ses remords. Le et. modéle actantiel met l’accent sur l’importance décisive de l'amour ®. sur la liaison de ’amour et du rachat, objets liés pour le Sujet 3) Le destinateur
thétique
mort/amour.
A Vambiguité
notion
dénouements
si fréquents
répond
et la mort.
dans le drame hugolien
dans la mort (Hernani, Marion, Angelo,
le couple
double,
du destinateur
qui est 4 la fois le sujet (l’amour)
destinataire d’amour
une
est toujours
anti-
celle De
du
la les |
qui sont des duos |
Ruy Blas, et méme
le
ent pas Roi s’amuse et les Burgraves *), et cette convergence n’apparti Ja piéce, seulement au dénouement : elle est présente dés le début de qui posséde ol Vélection mortelle est perpétuellement liée a celui, amour ™, L’amour
de Donia
Sol, celui de Marion,
comme
celui de la
: il faut criminelle Lucréce et de la pure Alix sont porteurs de mort levée étre puisse que pour mourir de acceptent que Blanche ou Tisbé méme visage parfois la sentence. Providence et Fatalité offrent le Burgraves distinindifférent de Bénédiction-Malédiction ; seuls les diachronique : le ion dissociat la de faveur la 4 deux les entre guent idence et les fils-prov les u Véchevea dans déméler de temps permet
fils-fatalité.
4) L’Adjuvant joue dans le drame
hugolien un réle extrémement
si l’on peut dire, contradictoire.
limité et méme,
Parfois, il n’existe
16. Cependant analyse opposée est aussi valable. et de la 17. L’idéologie du théatre de Hugo supposant l’égalité de Vhomme j femme. Jane se trouvant 18. Dans cette perspective, Vinversion du sujet se justifie, l’homme aimé avec alors dans la méme position que Marion ou Tisbé et identifiant son propre rachat. y a été supmortel d’amour duo (le Borgia 19, 11 faudrait y ajouter Lucréce version, rimé)
et méme
Marie
Tudor
si
Von
se
souvient
que
dans
la
premiére
i de Victor Hugo : « Le héros et l’héroine forune mort fatale par mant un couple dés lorigine doivent descendre ensemble vers de l’Ananké. » O.C., Il, cette sorte de diagonale que nous avons nommée pente . XI. un niveau autre.
eétait Gilbert qui mourait. 20. Cf. Mauron, les Personnages
Ls
21. Voir
infra,
p. 475, une
analyse
des
actants
4
STRUCTURES ‘DU! THEATRE
pas du tout
et dans
sa place
le modéle,
405
DE HUGO
reste vide,
matérialisant
dans la conquéte de sa femme
solitude du héros face au monde
la
et de
plus son étre méme. Hernani est tout seul, seule, Marie Tudor, seule et
que seule la Tisbé, seule, Lucréce dans son désir d’aimer lenfant la secret (elle ne retrouve d’auxiliaire que pour la vengeance ou pour mort). ! Et quand ils existent, ces adjuvants, quels étranges auxiliaires
amis-ennemis peut-on dire, maniant le pavé de l’ours comme Saverny ou César de Bazan, adjuvants apparents, adversaires objectifs, dont es tous les actes font le jeu de ’opposant : Saverny par ses confidenc Maffio partage, qu’il mort une 4 Didier accule es maladress et ses pousse Gennaro dans la trappe et meurt avec lui, L’Adjuvant hugolien est porteur de mort pour lui et pour le héros, « ministre de la mort >, comme dit J. Gaudon®: de la la double fléche qui est son signe ambigu. 5) L’Opposant est toujours nettement indiqué et sauf le cas particulier d’Hernani et des Burgraves, ou le dédoublement de l’Opposant Jui donne un visage contradictoire™, il est le puissant, celui qui
détient le pouvoir, Richelieu, Frangois I*, le roi Carlos, le duc de Ferrare, Angelo, tyran de Padoue, Don Salluste, Mazarin, Hatto, le
violent burgrave. L’autorité y apparait donc avec un visage négatif et tyrannique. Dans deux cas précis, le puissant se retrouve non en position d’Opposant mais d’Adjuvant, et a la limite, de donateur. Le cas particulier des Burgraves.
Le schéma que nous venons de donner des Burgraves est loin Wétre satisfaisant. En fait, cette piece mérite bien son nom de Trilogie : ce n’est pas deux schémas superposés que nous pourrions distinguer, mais bien trois : 1°
Fatalitée
Mort-esclavageée
(Fosco)
: oi aia
*. Fosco
Donato Ps csp 2°
Fatalité
. Providence
itsla al
Job
Otbert Barberousse
Guanhumara
Job 22. J. Gaudon, gory Ny; 60. .
Nous
Dramaturgie
verrons
plus
de Hugo.
loin comment
Collection on
« Les
peut interpréter
sant puissant au réle d’Adjuvant. V. infra, po 42.
R
Grands ce
Dramaturges
pass
Ren
de
I’
ae
>, -
406
LE ROI ET LE BOUFFON 3e
Otbert, le bonheur ) peed
Providence (Barberousse)
3
cos th ina Job
Guanhumara
Dale
Be
Barberoussé——
De la, pour le visage actuel du drame, une superposition avec réciprocité qui fait que Job est le sujet et Otbert Vobjet, mais qu’Otbert est aussi le sujet (du meurtre) et Regina aussi Vobjet (de amour).
Otbert devient l’allié de Guanhumara
contre Job, comme
assassin).
Le
troisiéme
est celui
de
l’avenir
| ©
Guanhumara
devient Valliée d’Otbert dans sa quéte de Ginevra. Nous touchons du doigt la place particuliére des Burgraves dans Yceuvre dramatique de Hugo : les trois schémas que nous venons de voir déterminent une trilogie 4 la fois sur le plan synchronique, avec superposition de trois systémes de relations et sur le plan diachronique ou ces trois systémes de relations se matérialisent successivement dans Voeuvre ; ils déterminent une progression ou mieux, un progrés, cest-a-dire une rédemption inscrite dans la structure méme de Voeuvre. Le premier schéma est celui du passé, du meurtre du Frére (Donato) par le frére (Fosco) pour une femme (Ginevra). Le second est celui du présent, ’amour du pére pour le fils accompagné du retournement du schéma précédent (vengeance de la femme contre le frére
—
racheté,
|
le jeune_
homme possédant la jeune femme, objet aimé, avec aide de son pére réel et de son pére idéal, tous deux en position d’Adjuvant, l’adversaire fatal s’étant neutralisé. Le caractére 4 la fois historique et religieux de l’ceuvre, son ouverture sur l’aventure épique de l’humanité, sont donc inscrits dans la structure méme de I’ceuvre au niveau le plus élémentaire, celui de la syntaxe actantielle. Mais la complexité de cette structure marque les limites de l’intelligilité immédiate de l’ceuvre, en méme temps que les schémas compliqués que I’on est obligé d’utiliser pour en rendre compte, marquent la limite de cette approche. Les Burgraves réclament peut-étre un autre mode de lecture. Les limites.
Si nous avons vu se dessiner avec assez de Clarté les lignes de force du drame hugolien %, le modéle actantiel ne saurait 4 lui seul satisfaire, et tout d’abord pour une raison fondamentale que LéviStrauss met trés clairement en lumiére a propos de Vanalyse de
| Propp : « La description de l’univers (du conte populaire) ne peut | étre compléte du fait de notre ignorance du réseau axiologique cultu- : rel qui le sous-tend*. » Certes Greimas répond avec raison que « la 24. La future Légende des Siécles. . 25. Voir chapitre précédent. Nous ne trouvons pas chez Hugo entre schéma syntaxique et psychanalytique dont Greimas fait p. 187 sqq.). F .
26. Cité par Greimas,
op. cit., p. 185.
: on les ey ener état op. cit.,
Gj
STRUCTURES
DU
THEATRE
DE
407
HUGO
description, tout en restant incompléte, peut étre pertinente” ». Pertinente 4 propos du drame hugolien en tout cas. Mais de nombreuses difficultés subsistent. La premiére est que ce modéle actantiel, s’il rend compte de certaines caractéristiques du drame, est difficile 4 appliquer parce que les actants, dans le théatre de Hugo, apparaissent doubles ou ambivalents. Méme si nous laissons de cété le cas particulier des Burgraves, nous voyons que les piéces 4 structure complexe ne se laissent pas réduire 4 trois couples d’actants : elles supposent non pas un schéma mais deux. Dans le cas des schémas les plus simples, nous nous apercevons qu’il y a non pas un destinateur mais deux, non pas un adjuvant mais un adjuvant-opposant, et souvent non pas un opposant mais deux, de nature contradictoire (voir Vexemple caractéristique de Lucréce Borgia). Méme dans les piéces les plus claires en apparence, ily a superposition de deux schémas. D’autre part, le réle du Puissant apparait extrémement flou: a coté du puissant opposant, il y a le puissant adjuvant ou méme destinateur et plus précisément dans Hernani et les Burgraves, passant du role d’adversaire A celui d’adjuvant. Autrement dit, le modéle statique ne rend pas compte du passage possible d’un personnage dun role d’actant A un autre; si nous évitons de nous servir du mot « dynamique » dont l’imprécision est grande, comme le remarque M. Greimas, nous devons tout de méme rendre compte d’une modification du modéle au cours de l’action. Enfin, si le monde, le puissant, l’ordre social apparaissent comme Vopposant, cette fonction ne suffit pas 4 rendre compte du role joué par Vordre social ou le puissant dans le drame hugolien : il n’est pas seulement un obstacle, il est un pdle d’attraction et l’on pourrait faire une analyse un peu imprécise mais qui ne serait pas fausse en pla¢ant en position d’objet aux cétés de la femme ou de Vobjet-idéal, cet autre objet qui serait Pintégration sociale. Pour intéressante donc que soit la constitution d@’un modéle actantiel du drame hugolien, elle ne saurait suffire
a créer
un
modéle
clair
de ses
ceuvres.
Au
reste,
nous
n’avons nullement épuisé sinon Vanalyse du modéle actantiel, du moins celle des actants, que nous retrouverons 4 un autre niveau de ; lecture. peut nous permettre d’analyser Un autre procédé de structuration. le théatre de Hugo : celui qui repose sur un concept opératoire que nous tacherons d’expliquer, celui de la distinction de deux « espaces dramatiques ».
_ DISTINCTION
A/B
Il nous est possible d’utiliser pour comprendre le mouvement interne du théAtre de Hugo, un concept opératoire A/non-A, définis-
sant deux zones de signification, une zone A et une zone non-A, telles
que 4 tout instant, non-A se trouve défini par son rapport avec A. Le ' 27, Id.
408
LE ROI ET LE BOUFFON
systeme A/non-A définit une synchronie ; mais comme le rappelle Jakobson, il serait dangereux de croire qu’une synchronie ne recéle pas déléments « dynamiques ». Or la caractéristique du systéme A/non-A est d’étre un systéme instable, le héros passant d’un espace a autre, avec un certain nombre de conséquences. Nous essaierons pour linstant de voir comment fonctionne ce concept, et dans quelle mesure il permet de rendre compte des caractéristiques principales du théatre de Hugo. Nous tenterons d’abord de définir trés grossiérement le champ
de signification de A/non-A, c’est-a-dire les notions qui se trouvent dans A et en dehors de A, puis de déterminer le mécanisme du systeéme 4 l’aide de quelques exemples empruntés aux pieces de Hugo. Nous nous demanderons dans quelle mesure ce schéma est propre 4 Hugo, et ne se retrouve pas dans un certain nombre de drames romantiques. Nous tacherons donc de définir le caractére propre du drame de Hugo dans cette perspective A/non-A, nous dirons plus commodément A/B. Nous essaierons enfin de déterminer s’il existe des lois de fonctionnement du systéme AB chez Hugo.
Origine de la division A/B. Dans le théatre classique d’une facon générale (non absolue: il y a des exemples du contraire), tous les personnages appartiennent au méme
monde,
nous
dirons, au méme
espace.
Sans doute
n’en est-il
pas de méme, dés qu’on approche de la fin du xvimi° siécle, et peut-on considérer par exemple que, dans le Mariage de Figaro, il y a réellement deux zones parfaitement distinctes et entre elles, une frontiére infranchissable. Mais justement on ne cherche nullement a la franchir et les domestiques, qui ont leur monde, se contentent de repousser V’assaut du maitre et ses tentatives infructueuses pour y pénétrer. Au reste, toute transgression reste encore sur le plan du jeu et non sur le plan du sérieux, de engagement total. De méme, l’errance pica-
resque promeéne le héros d’espace en espace sans qu’il soit jamais question pour lui d’une véritable intégration ni d’un véritable passage de frontiére. Au contraire, cette notion de passage d’un espace a Vautre que nous trouvons au cceur du drame hugolien (et sans doute plus généralement au coeur de tout drame romantique), et qui a pour Hugo une si grande importance, son drame étant fondé sur la transgression de « mystérieuses barricades », nous permet de construire d’une facon plus précise un modéle du drame hugolien. Nous avons vu que le dédoublement de tous les personnages, dédoublement apparent du moins dans les analyses précédentes, conduisait A Vidée d’un changement interne, de virtualités contradictoires présentes au sein des actants et des actions. Nous tenterons une hypothése de travail, celle de la présence de deux zones et, si l’on peut dire, d’espaces non symétriques, et dont le fonctionnement n’est pas homologue. Nous considérons donc que tout élément dramatique (actionactant-lieu) appartient soit 4 l’un de ces espaces, soit a l’autre et, dans la plupart des cas, aux deux successivement, cette succession constituant le mouvement propre des piéces de Hugo. II est peut-étre intéressant de voir qu’une telle division appartient a l’ensemble du texte dramatique, elle est commune au langage de la mise en scéne, et a
|
STRUCTURES
celui
de l’expression
plans que
sur l’autre,
_ redoublant
DU
verbale, chacun
l’autre. Prenons
THEATRE
et n’est des
DE
pas
deux
HUGO
moins
« textes
409
claire
sur
un
des
», visuel
et verbal,
un exemple : si l’appartenance
d’un per-
_ sonnage a l’espace A se définit par un certain nombre
d’éléments du
_ dialogue, elle est, en général, immédiatement percue par la richesse du costume. Le signifiant visuel — richesse du costume — est donc
_ Péquivalent
du signifiant verbal Roi ou
Commandement.
Mais s’il ya
soudain un décalage imprévu entre costume et langage, c’est, par exemple, que le personnage a émigré dans un espace qui n’est pas : le sien, qu’il est déguisé ou masqué. Ainsi, la simplicité du décor ot _ évolue Marion de Lorme s’oppose aux indications verbales la concer_ nant dans la premiére scéne. Précisons que le mot espace ne désigne _éyidemment pas seulement le lieu de J’action, mais l’ensemble des relations dramaturgiques. Les deux espaces (dans la régie et dans le dialogue) sont 1° l’es| pace que nous appellerons A, 2° celui que nous appellerons au conq
| traire non-A
(ou B pour. la commodité
de la formulation),
A VPespace
_A appartiennent tous les personnages évoluant dans la sphére du _ pouvoir et de la richesse, tous ceux qui ont et qui peuvent et qui | sont représentés comme ayant et pouvant. Sont donc A les zones ou | s’exerce le pouvoir, les palais mais aussi les prisons (quoique :ceux | qui y sont détenus ne soient évidemment pas A); sont A les rois et | les reines, les empereurs
et les ministres, mais
aussi tous ceux qui les
servent pratiquement et sont, au sens antique du mot, ministres du pouvoir. Sont A les grands Seigneurs et les belles Dames qui les accompagnent, fussent-elles, comme Marion de Lorme, prostituées. Sont, en revanche
non-A
les lieux non
clos, la rue,
les bouges
et
Jes masures, domaines du dénuement, le héros libre, le vagabond, le | mendiant, le voleur, méme le criminel, homme de la rue, ’homme
_obscur, la femme
cachée a tous les yeux, tout ce qui se définit par
une négation : ce qui n’est ni riche, ni puissant, ni élégant, ni installé dans les hautes sphéres, ni méme socialement intégré. Est non-A le banni, l’exilé, le batard, celui qui n’est pas a sa place : Gennaro, Hernani, Didier, Otbert.
En général, la détermination de A et de non-A se fait sans la moindre ambiguité, et le spectateur sait immédiatement ou il se trouve
(lieu A ou lieu B) et a quelle sorte de personnage
il a affaire. Les
signifiants visuels ou verbaux sont sans équivoque, le lieu A est un | palais, le personnage A est vétu luxueusement, il est le puissant, celui
| qui parle haut et fort (Don Carlos, Hernani, I, 1), it donne des ordres (on Salluste dans Ruy Blas, I, 1) ; il est satisfait de son sort, sar de
Son pouvoir (Francois I* dans le Roi s’amuse, I, 1) ; il est celui qui dispense Vargent®, celui qui porte I’épée, qui est le légitime pos-sesseur
de la Femme,
qui a des
valets
et des
subalternes
(Lucréce
_ Borgia, 1, 3), celui qui détient les clefs ;parfois, au contraire, il y a |contradiction entre tel et tel de ces signifiants : c’est qu’il y a un camouflage, un masque, un probléme posé par la nature ou |’appartenance A/non-A du personnage ; mais si l’ambiguité peut subsister pour les autres actants dans le cadre de l’action, pour le spectateur, elle est toujours immédiatement levée : Ruy Blas peut passer pour un 28. Voir plus loin Vanalyse
des rapports
entre
Vespace
A et V’or.
410
LE ROI ET LE BOUFFON
grand Seigneur, le spectateur sait bien qu’il est un valet. Le systéme A/non-A posséde pour condition absolue la clarté sans équivoque des signes qui l’établissent et organisation de ces signes en ensemble. Ce qui est remarquable c’est que, contrairement 4 ce qui se passe dans le théatre classique et particuliérement dans la tragédie, ou le spectateur n’est pas étonné de se trouver dans un palais ou dans une chaumiére, si l’un ou l’autre lui apparaissent comme le cadre approprié 4 l’action, dans le drame romantique et en particulier dans le drame de Hugo, ce qui est A est percu comme A dans sa relation avec un non-A : Ja reine dans Ruy Blas apparait dans son cadre naturel ; ce qui est surprenant, c’est d’y voir évoluer Ruy Blas, un valet. Reprenons exemple de la premiére scéne de Marion : il ne nous étonnerait pas de voir une jolie jeune femme, simplement vétue, dans une chambre sans luxe, si nous n’étions avertis immédiatement qu’elle est V’illustre courtisane, aux pieds de qui soupirent grands seigneurs et ministres. En ce cas, ]’espace non-A est percu en fonction d’un espace A qui le suppose. La scéne des esclaves au début des Burgraves n’a de sens qu’en fonction de Vorgie nocturne des seigneurs dont Vécho vient aux oreilles des spectateurs. Nous comprenons comment Pantithése est une figure-clé de l’écriture hugolienne. Dans le thédtre, _elle prend cet aspect particulier de deux espaces dont I’un est l’envers de autre, mais qui sont tous deux présents, inséparablement, dans Vceuvre ; tanté6t comme Castor et Pollux, Yun visible quand l’autre est caché, l'un en coulisse quand l’autre est sur scéne, tant6t, au contraire, s’affrontant sous les espéces de deux personnages. Reprenons |’énumération des caractéres distinctifs de A. Tout d’abord, tout ce qui est A est déterminé et fermé. L’actant A a un nom, une fonction, un rang. Le lieu A est un lieu fermé, image d’un monde clos. L’actant B est indéterminé ; sa batardise lui permet en théorie de n’appartenir a aucune classe sociale ; un Didier, un Gennaro ne sont ni nobles, ni bourgeois ; le héros B est libre, tout lui est ouvert, son cadre naturel est la rue ou les libres montagnes (Don César de Bazan, Hernani).. Méme quand il a un métier, comme Gilbert le Cise-
leur, il est précisé De la le trait de tout le systeme fermé, il n’y a pas effraction de B en aboutit, comme
que ce métier, il peut l’exercer partout. caractéristique, non seulement de l’espace A, mais dramatique fondé sur opposition A/B: A‘ étant d’intégration possible de B en A. Toute entrée par A se solde par un échec : quand, par hasard, elle
dans le cas d’Hernani
| © © © | |
|
|
ot le héros B (en fait exilé de
A) revient prendre sa place légitime en A, cette intégration chasse le héros de tout le systéme : l’intégration en A signifie la mort ou l’exil. Réciproquement, A peut bien se trouver en B, quitter sa place A pour une place non-A par I’exil, ou par sa propre volonté, mais, en ce cas, i] ne saurait retourner en A : non-A ne peut aboutir 4 A. Un exemple tout 4 fait caractéristique est celui de César de Bazan: il a quitté depuis longtemps l’espace A et sa situation de grand seigneur, mais, a la minute ow il veut y rentrer et, de Zafari (nom B) redevenir Bazan (nom A), il est arrété par une barriere trés visible, celle de Pordre social représenté par la police, les alguazils. I! y a donc une police qui empéche A d’étre menacé ou envahi par B ou par A devenu B; la cloison entre A et B fonctionne 4 sens unique : on peut sortir de A, mais on ne peut plus rentrer sans étre puni de mort (ou d’exil) ; on
— © ©
— — © © — © —
STRUCTURES
DU
THEATRE
DE
HUGO
411
peut entrer, mais on ne peut plus ressortir sans passer par la mort. La loi fonctionne d’une maniére quasi-automatique, sans le moindre rapport avec les intentions ou les volontés du personnage : méme Don Salluste qui est sorti de A par l’exil, ne peut y rentrer sans étre puni de mort. Inversement,
Ruy Blas, qui a tenté, volontairement,
de deve-
nir A, est chassé d’une facon quasi-mécanique vers la mort. Des analyses plus détaillées nous permettrant de préciser le mécanisme de cette exclusion. Nous verrons dans quelle mesure les personnages peuvent ou ne peuvent pas cesser d’étre ce qu’ils sont, et quelles sont les lois rigides et subtiles 4 la fois, qui président 4 ces changements. En tout cas, il est visible que le jeu des désirs des personnages avec ces lois d’une inflexible rigueur, produit tout le mouvement dramatique des piéces de Hugo. Mouvement trés simple et presque fruste. Les reproches traditionnels adressés 4 ia dramaturgie de Hugo d’étre raide et sans nuance ne sont pas sur ce point dépourvus de fondement. Lisibilité immédiate du systéme A/B. L’établissement du rapport A/non-A se fait dés les premiéres piéces de Hugo, il est une constante soigneusement définie au départ
de l’ceuvre que tout le travail de I’écriture a pour mission d’éclairer :
de la, par exemple, les modifications des premiéres scénes et le travail des variantes sur ces textes de départ. Une question ne peut manquer de se poser 4 ce propos : peut-on parler d’un travail conscient du créateur? c’est une question que nous éludons délibérément, car nous n’avons aucun moyen de l’appro_ cher. L’intérét de toute analyse structurale est justement de montrer les articulations d’un message qui se présente comme destiné A la communication, c’est-a-dire comme existant, si l’on peut dire, par luiméme, quelles que soient les intentions du destinateur. Peu importe ce que Hugo a « voulu dire » ; l’essentiel est ce qu’il dit. Il serait intéressant cependant de voir quelles traces un systéme A/non-A peut laisser dans les écrits théoriques de Hugo, dans les préfaces par exemple. Or, de fait, ces traces ne sont ni trés fréquentes ni trés claires ; nous en excepterons la remarquable opposition de la femme A et de la femme B dans la préface d’Angelo®. Hugo ne parait pas avoir éprouvé le besoin de théoriser cette opposition. Tout ce dont nous sommes siirs c’est que cette distinction A/B, si elle n’est nulle part formalisée par Hugo, rend compte cependant d’un fait d’écriture trés remarquable : c’est que toutes les corrections et additions des premiéres scénes des drames vont dans le sens d’une clarté plus grande de ce que nous appelons le systéme A/B. Ainsi nous possédons deux versions de la premiére scéne de Marion de Lorme. Dans .la version primitive ® le vétement de Marie est une robe blanche, ce qui est pour le moins ambigu : la robe blanche signe de pureté et de simplicité appartient 4 l’espace B et pourrait nous tromper sur le caractére de Marion. En revanche, la variante (maintenue dans le texte définitif) « négligé trés paré » dénote avec 29. « Mettre en présence, dans et douloureuses figures, la Femme
Préface d’Angelo, O.C., V, 267. 30. Ms. 13338, ffos 8-10.
une action toute résultante dans la Société, la Femme
du cceur, deux graves hors de la Société. » ¢
412
LE ROI
assez
de précision
ET LE BOUFFON
le caractére
de
luxe
(A)
de
V’héroine ; le carac-
tére B du lieu est défini dés la premiére version par les premiéres répliques de Marion : Tout dort profondément. La lune s’est couverte. Tant mieux. Le ciel est noir, et la rue est déserte.
Trop déserte peut-étre, et les voleurs de nuit Comme les amoureux vont dans l’ombre et sans bruit.
Nous. soulignons les. traits pertinents qui définissent espace B : non seulement l’ombre et solitude, mais l’angoisse et la clandestinité qui trahissent la créature A se retrouvant masquée et en fraude a Vintérieur de l’espace B. Autant de traits qui, dans la seconde version,
s’étendent
4 toute
la scéne:
« A Blois
caché
—
la-dessous
caché
— fort retiré — rue déserte. » Tout est donc mis en ceuvre avec la plus grande clarté possible pour que Marion apparaisse ce qu’elle est, la créature appartenant 4 un monde de luxe et qui se retrouve égarée et fugitive dans un monde qui n’est pas le sien. L’interlocuteur
départ,
et dans
de Marion
la premiére
dans
version,
la premiere
un
vrai
scéne
n’est pas,
personnage
A;
au
il est
l’Angely, bouffon du Roi qui, comme elle, est lié 4 espace A sans en faire originairement partie. L’opposition de Marion et de l’Angely ne peut donc pas étre signifiante, puisqu’ils sont l’un et Vautre des créatures de méme catégorie avec les mémes problémes. En revanche, quand Hugo, percevant la difficulté, remplace dans la seconde version VAngely par le marquis Saverny, opposition devient immédiatement signifiante : le personnage du Seigneur (A) rappelle 4 la Femme son caractére
de prisonniére de A; de 1a, la liste impressionnante
de ces
amants titrés dont le désir la cloue en A (a quoi s’ajoutera le nom décisif de Richelieu, lui aussi amant,de Marion). Or, le personnage A, satisfait de sa nature, ne comprend
désir.de la Femme
prisonniére
La scéne trouve ici sa tension
de A dese
pas le
libérer pour rejoindre B.
: « Je suis libre, monsieur
», crie avec
défi Marion 4 Saverny..A quoi Saverny réplique : A quoi bon étre illustre Venir a Blois filer l'amour
avec
un rusfre.
Dans ces deux vers, l’opposition A/B est soulignée par la place sensible 4 Ja rime. Le caractére clandestin du séjour de Marion en B et la modification du nom, l’obscurité de ce nom particuliérement banal se trouvent ici indiqués clairement :
Je ne connais de lui que le nom de Didier, Il ne connait de moi que le nom de Marie. Ainsi,
dans cet exemple, non seulement Vopposition A/B se trouve immédiatement présente, mais les variantes du texte hugolien la rendent plus active et plus signifiante. De méme, dans Lucréce Borgia, la premiere scéne met en lumiére
le caractére B du héros ; Gennaro est ainsi caractérisé par son com31. Nous verrons plus loin la distinction entre les personnages par nature et ceux qui sont A par position (otages ou instruments).
qui
sont
A
STRUCTURES
DU
THEATRE
DE
HUGO
413
pagnon d’armes Maffio: « Tu es un brave capitaine d’aventure. Tu portes un nom de fantaisie. Tu ne connais ni ton pére ni ta mére... Tu as le bonheur de t’appeler simplement Gennaro, de ne tenir a
personne, de ne trainer aprés toi aucune de ces fatalités, souvent héréditaires, qui s’attachent aux noms historiques... Nous, vois-tu, Gennaro ? c’est différent. Nous avons droit de prendre intérét aux catastrophes de notre temps. Nos péres et nos méres ont été mélés a ces tragédies *. » Ce texte met en lumiére d’autant plus lourdement qu’il est ironique® opposition du personnage B sans nom, sans famille, sans hérédité connue, sans responsabilité historique et des personnages A qui, eux,
sont inscrits
dans la malédiction
de l’histoire.
Cette
opposition,
on le sait, se maintient tout au long de la piéce jusqu’a la révélation catastrophique qui fait de Gennaro un personnage A par excellence, un Borgia.
LA DIVISION A/B ET LE MOUVEMENT
DRAMATIQUE
Si la division A/B est immédiatement lisible pour le spectateur, c’est qu’elle conditionne le mouvement dramatique de la piéce. Tout au long du syntagme narratif, l’opposition A/B s’établit, se modifie 4 Vaide d’une rupture d’équilibre, d’un passage du héros d’un espace a Vautre, et le dénouement marque le retour 4 un équilibre d’un type nouveau, a une autre définition du rapport A/B. Pour la commodité
de la présentation et non sans arbitraire, nous
réduisons les étapes du récit dramatique a trois, ces trois étapes correspondant davantage a des divisions logiques qu’a des séquences concrétes # : la premiére est l’étape de départ, |’étape initiale, celle de la situation de base (correspondant plus ou moins a ce qu’on est conyenu d’appeler Vexposition, mais qui posséde en général une extension plus large et comprend outre l’exposition proprement dite, ses premiéres conséquences) ; la seconde étape, tres généralement articulée en grandes séquences*®, est l’étape médiane, celle du mouvement dramatique proprement dit, marquant le passage de la situation de base 4 une autre, le déséquilibre, le glissement du personnage principal d’un espace a un autre, avec toutes les conséquences impliquées par un tel déplacement ; enfin l’étape finale correspond 4 un second mouvement conduisant au dénouement. L’cuvre dramatique se trouvera donc représentée par un schema a six cases * ; 32. Lucréce Borgia, CL, V, 660. Souligné par nous. Ce texte, ce paragraphe précisément, est, nous l’avions déduit avant de le vérifier, une addition marginale.
33. Leironie vient ici du fait que cette opposition est purement apparente et que le personnage B est, en fait, un personnage A accidentellement placé dans espace B. L’ironie tragique est ici de dénoter comme exempt du danger le personnage qui y est le plus profondément plongé (Gidipe). L’opposition A/B est ici 4 la racine du tragique. ae Voir plus loin Vanalyse des séquences dans l’acte final de Lucréce Borgia, Pp. sqq.35. Nous verrons plus loin comment on peut diviser les séquences en grandes séquences, moyennes séquences et parfois micro-séquences, < 36. Cf. notre analyse des Structures du thédtre d’Alexandre Dumas pére. Colloque de Cluny, 1968, Nouvelle Critique, numéro spécial.
414
LE ROI ET LE BOUFFON
nous porterons verticalement A et B (qui forment un systéme et horizontalement l’axe syntagmatique 1, 2, 3. Nous aurons donc un schéma de base du type :
Ainsi prenons exemple des schémas simples du drame hugolien : . on peut ainsi diviser Marion de Lorme en six cases : Courtisans
Savern
Laffémas
L’Angély Marion
(Richelieu) Saverny
Laff émas
L’Angély Louis XIII
7 (Marion) Richelieu
Marion
Saverny
Didier
Didier
Didier Marion (les comédiens)
Mario Saverny
.
Ce schéma trés simple montre un certain nombre de personnages fixes dans les deux camps : ainsi Laffémas, incarnation de A, expression d’un ordre social oppressif, et en face, Didier dont tous les gestes sont des gestes de refus, tous deux immobiles et figés Pun en face de l’autre, dans leurs réles opposés et liés de bourreau et: de victime. En revanche, le personnage de Marion s’affirme dans sa position d’héroine par sa mobilité d’un espace a l’autre : créature de A, otage de lordre social par sa fonction de créature des grands seigneurs, elle s’efforce de se libérer de A pour rejoindre en B Didier et l’amour. Cette libération est fragile et aléatoire, puisque la seconde case voit déja le retour en A de Marion, a la fois chassée par Didier et désireuse elle-méme d’acheter par son retour en A la vie de VPhomme qu’elle aime : la derniére étape la montre partant 4 l’assaut de la citadelle A, d’abord sous la forme anodine et pale ‘du roifantéme, puis sous celle infiniment plus menacante
de Laffémas,
ins-
trument et décalque du vrai maitre de A, Richelieu. Or la démarche de Vhéroine est vouée A l’échec, puisqu’elle s’oppose 4 A, tout en reconnaissant les valeurs et la force de A: elle supplie, elle accepte de se vendre ; aussi ne peut-elle rien obtenir et surtout elle se heurte
au refus
du héros
derniére
étape, les deux
B, récusant
toute
démarches
intégration
opposées,
A A. De la dans
la
d’une part de A, qui
STRUCTURES
DU
THEATRE
DE
HUGO
415
approfondit son pouvoir d’oppression de Laffémas a Richelieu, d’autre part de Didier et de Saverny, s’affermissant dans leur refus. Aussi la piéce s’achéve-t-elle par la victoire du héros B, victoire double : il attire 4 lui et fixe en B, dans le refus et la mort, son adversaire A, devenu son allié (Saverny) — et il obtient par le sacrifice volontaire de sa vie, le divorce définitif de A et le rachat de Marion, fixée en B
par la mort du héros B. Le cri final de Marion dénonce A oppressif : « Regardez tous ! Voici ’homme rouge qui passe ! » De 1a l’hésitation entre les deux dénouements, l’un pessimiste, mais logique (pas de réconciliation entre Didier et Marion, B refusant définitivement toute compromission une
avec A), l’autre, celui de 1831, le seul joué, montrant
sorte de réconciliation
dans
|’amour : certes, nous
l’avons
vu, un
tel dénouement ne peut intervenir qu’aprés la révolution de 1830, au moment ot une perspective de réconciliation entre A et B n’est pas totalement absurde. Mais cette modification du dénouement n’est pas non plus véritablement opportuniste : elle peut apparaitre comme ‘inscrite dans le schéma de base, celui-ci ne prenant tout son sens que si la disparition du héros B permet la libération de l’héroine ; le cri final de Vhéroine est déja, dés la premiére version, indice de libération, mais les moyens de cette libération apparaissent plus clairs dans la seconde version. Le deuxiéme dénouement peut donc étre considéré a la fois comme
une
édulcoration
du schéma
de base, plus bruta-
lement expressif la premiére fois, mais aussi comme un accomplissement, comme la réalisation d’une promesse et d’un salut. Le premier ‘dénouement accomplit la logique tragique du schéma: il ne reste plus ‘personne dans la derniére case B; le second l’infléchit dans un sens dramatique, puisque demeure Marion a la fois détruite et sauvée. Dans
les
deux
cas,
A
demeure
intact,
sauf
dans
la
personne
de
Saverny qui a accompli trés vite et soutenu sa mortelle conversion a B. Nous remarquons aussi que la mort du héros B, Didier, est le
fruit de sa fatale erreur sur le caractére véritable de l’héroine ” : elle est A sous les apparences de B, et en tant que telle, elle fonctionne ‘comme un piége. D’une facon plus générale, le mouvement du personnage principal dans Marion de Lorme peut étre ainsi schématisé: le héros refuse son espace A, tente de le fuir pour trouver en B l’amour,
mais acculé
au retour en A, il commet la faute fatale, qui est la compromission, faute qui le condamne non a sa propre mort, mais a celle de ce qu’il aime. *
*
Le schéma du Roi ‘extrémement lisible :
s’amuse
est
un
Francois I*
Francois I?
Courtisans
Courtisans
Triboulet
Blanche (Gaucher
Mahiet)
plus
subtil,
mais
Francois I*
(Blanche)
Blanche ———> Triboulet
i Saltabadil Maguelonne
37. V. infra, p. 436. La Mouche
peu
et l’Araignée.
reste
416
LE ROI ET LE BOUFFON
Triboulet, bouffon du roi, et en tant que tel, lié 4 l’espace A, dont il est serviteur “, fait une espéce de conversion retournant a4 l’espace B dont il est originaire (Triboulet — « homme du peuple >»), pour accomplir sa vengeance contre l’espace A dont le roi et les courtisans sont les représentants. Mais toute espéce de conversion de cette espéce est prometteuse de mort”, pour le héros ou pour ce qu’il aime ; or si Francois I* est apparemment yulnérable par ses incursions sous déguisement dans l’espace B (chez Blanche sous le nom de Gaucher Mahiet, ou chez Maguelonne), en fait il reste le roi, bien protégé ; en revanche l’attraction exercée par le personnage A sur Blanche (attraction qui prend ici le visage de l’amour), fait d’elle une créature essentiellement vulnérable, puisqu’elle est B, lancée sans défense dans un espace qui n’est pas le sien: l’échange entre la vie de Francois I* et celle de Blanche
est donc normal,
inscrit sinon dans
les lois de la
psychologie, du moins dans celles du schéma dramatique. Le personnage central, celui sur qui repose le mouvement dramatique est bien celui de Triboulet,
et ici, la faute
mortelle
apparait
comme
l’accep-
tation au départ de Vordre social A, et la complicité objective avec les fautes et les crimes du roi A. Mais la puissance de A est telle que toute revanche sur lui ne peut étre que momentanée et illusoire : tel est le sens du monologue de l’acte V ot. Triboulet se glorifie d’avoir effacé le Roi: « La vengeance d’un fou fait osciller le monde ». »
(Mp Aa) Le schéma de Lucréce Borgia est un peu obscurci par l’ambiguité du personnage de Lucréce, et la position particuliére de ses victimes, qui sont exilées en B“, (Lucréce) Gubetta
Lucréce Don Alphonse
Rustighello Astolfo
Lucréce Gubetta
_ . La Negroni (Maffio etc.) —- mort (Gennaro)
Lucréce Maffio etc. Gennaro
Gennaro Maffio etc.
Toute Ja structure de la piéce est fonction du mouvement de Lucréce pour se détacher de sa sphére habituelle, pour rejoindre ce qu’elle désire passionnément sans pouvoir l’obtenir, c’est-a-dire sa
— « désintégration » par rapport A A: elle s’est efforcée de faire de Gennaro un personnage B, sans nom et sans attache,’ et elle essaie a présent de le rejoindre dans cet anonymat de l’espace B, dans ce no man’s land ot elle pourrait n’étre plus Lucréce Borgia, mais une mere — comme toutes Jes méres, aimant son fils sans probléme : le point de départ de la piéce est done la tentative de V’héroine A, déguisée pour fuir son espace et devenir non-A. De Ja, le premier mouvement de 38. Cf, plus loin Vanalyse
des serviteurs
de A.
39. Cf. plus loin l’analyse des lois du systéme. 40. Voir p. 528 sqq. Vanalyse de détail du monologue,
des
41, L’exil est l’un des modes de sortie de Vespace A ; voir plus loin l’analyse lois du systéme.
STRUCTURES
DU
THEATRE
DE
HUGO
417
- Lucréce, illustré par l’admirable scéne de l’acte I, I, 2, mouvement ) stoppé net par la scéne de démasquage (I, I, 5), ot elle est renvoyée a son espace. La deuxiéme étape traduit le conflit A/B a
| Vintérieur
du personnage
_ dramaturgie hugolienne, k tentative
pour
de Lucréce,
cas relativement rare dans la 4 une nouvelle et fugace
conduisant Lucréce
fuir A (duel
oratoire
avec
le duc
Alphonse,
tentative
_ pour sauver Gennaro). Mais il n’y a pas ici de refus de A: Lucréce accepte de vivre selon les lois de son monde A; de la la troisiéme |étape ou elle attire en A (le Palais
Negroni,
ici compris
comme
lieu
du piége et de la mort) tous ses ennemis B, y compris Gennaro. Chose trés remarquable, en les faisant tomber dans le piége A, f elle leur rend leur véritable place de personnages A (déchus de A par l’exil ou par le camouflage, comme Gennaro) ; en définitive, il ne |reste plus personne en B: tout le monde se retrouve en A, pour _ mourir (démarche paralléle et inverse de celle de Marion de Lorme), _ Aussi Jes deux protagonistes accomplissent-ils la loi de mort en s‘entretuant: ils sont deux personnages A, deux Borgia. Cependant Yattraction de espace
ensemble a lacte 'présenter comme ment de Lucréce de mourir le los
|
B, anéanti en fait, mais ot ils se sont retrouvés
I, est suffisante pour que leur duel final puisse se un duo d’amour: la premiére version du dénoueBorgia® montrait la mére et le fils chantant avant de leur commun amour. Hugo a reculé devant un
‘dénouement doublement provocant. * es
P Le schéma d’Angelo est un beau schéma trés clair, presque trop _ clair, un peu sommaire, dont le héros ressemble a la fois aux trois _héros précédents, courtisane esclave de A comme Marion, « grotesque » comme Triboulet, recherchant la mort par l’amour comme
Lucréce : Angelo
(Angelo)
Homodei Catarina
Tisbe
i
i
=
Rodolfo
Tisbe ——>
Rodolfo
Rodolfo
Catarina
Catarina
.
Tisbe dont Vintégration en A n’est pas encore accomplie puis; qu’elle n’est pas encore la maitresse du podestat, accepte de s’insérer en A (scéne de la clef) pour satisfaire sa jalousie ; elle devient donc . apparemment A, instrument et auxiliaire du tyran, mais en fait elle _ reste B en A et ne joue son role A que jusqu’a la mort apparente de | sa rivale. L’héroine A, Catarina, émigre en B par la persécution et Rodolfo, personnage B par l’ewil, essaie de se délivrer de A en tuant _ le sbire Homodei: mais il ne tue que l’ombre de A, ce qui lui vaut _ de demeurer dans l’espace B et d’échapper a la malédiction touchant ¢°
”
|
42. Ms. de Lucréce
Borgia.
Nafr.
13371,
f° 108-111.
Voir
ire partie,
p. 167-169.
27
418
LE ROI
ET LE BOUFFON
ceux qui s’attaquent a A. Done on a pour finir, aprés V’éclipse du tyran A, une étape finale ou tout le monde se retrouve en B : Catarina échappe a la malédiction qui frappe les transfuges de leur espace par une fausse mort qui la dispense de la vraie, Rodolfo échappe pour n’avoir tué que de faux personnages A. Quant 4 I’héroine Tisbe, victime de sa transgression, elle obtient une mort trés réelle sous les couleurs usurpées du personnage A. Tout est donc ici marqué du sceau de l’apparence, du masque et du mensonge : les lois subsistent mais camouflées par le déguisement et le faux semblant; de la, l’aspect d’irréalité
mélodramatique
son
de la piéce ; de 1a aussi
dénoue-
ment « optimiste », parfaitement illogique: la seule) solution rationnelle serait la mort des trois personnages qui ont tous trois passé a un moment de l’action, la fronti¢re de leur espace : Hugo parait ici jouer avec les lois de son systéme pour tenter de s’en affranchir *. Le schéma de Ruy Blas est sans doute dans tout le théatre de Hugo le plus lisible et le plus profond a la fois, celui ot la précision — et la solidité du systéme sont les plus frappantes : Salluste La reine
Guritan La Camerera
Les seigneurs (Ruy Blas)
César
La reine
-Ruy Blas _
y
Salluste Don
Salluste La reine
de Bazan|
Don
(la reine)
César de Bazan
Ruy Blas Bs
Le héros
de l’ceuvre
est bien
évidemment
Ruy
Blas,
non
parce
|
que la piéce porte son nom, mais parce que dans une combinaison remarquablement rigide, of personne ne bouge, il est le seul 4 occuper tout espace dramaturgique, ses allers et retours rythmant l’ceuvre : Vinsertion dans A, dont il est déja le serviteur sans lui appartenir yéritablement “, se fait dés la fin de l’acte I, lorsque le grotesque, autre personnage B, a déja refusé l’insertion qui lui est offerte par
| | |
| |
le vrai maitre de A, Salluste. Le moteur de cette insertion est l'amour,
et quand elle parait totalement accomplie par l'amour de la femme A, | le héros est violemment renvoyé a son espace par le retour du maitre. — Or, la position de ce maitre est ambigué : il a été chassé de A par | Vexil,
et son retour sous
un
déguisement
B (un -« laquais
»), lui fait
courir le danger qui menace tous ceux qui tentent de se réinsérer | dans Vespace dont ils ont été exclus. Ainsi Don César qui tente de | redevenir un grand seigneur A est éliminé brutalement de A, mais le | héros Ruy Blas redevenu
B, réussit par Vacceptation
fice de soi qui en est corollaire
43 Nous avons yu (ire partie, p. 276) le retrouvons ici. 44, Nous verrons comment il faut un (cf. Tisbe)
nous
45: Comme dans Angelo, livrée de laquais, a la fin.
ou Tisbe
de B et le sacri- |
le maitre A |
(cf. Tisbe *) 4 détruire le caractére
consentement
s’aflirme
compromis
de
du
B a Vacte
héros
V, Ruy
: |
de Veuvre
a son
Blas
insertion
reprend
|
la 4
STRUCTURES
DU
THEATRE
DE
HUGO
. 419
et a permettre 4 la femme A de sauvegarder son insertion : ainsi Ruy Blas tue Salluste et permet 4 la reine de rester méme coup que le duo d’amour final ait lieu, au du réve. De Ja la logique de tous les éléments du ment parfait des le début de la rédaction et sans
| Schémas
reine : obtenant du moins sur le terrain dénouement, dénoueaucun repentir *.
complexes.
Les exemples que nous venons de passer en revue sont relativement simples : les espaces sont homogénes et l’identification du héros comme étant celui des actants qui passe d’un espace a l’autre se fait sans trop de difficulté. Il n’en va pas de méme d’autres piéces pour lesquelles il est légitime de se demander si l’on peut encore parler @une division A/B.
Marie
Tudor.
Marie Tudor Simon Renard
Fabiani
Marie
seigneurs
Simon Jane
Renard
Marie Tudor Simon Renard
Gilbert (Fabiani)
ors
Jane
Tudor seigneurs
ilb
Gilbert
Jane Fabiani
Gilbert Fabiani
On voit que dans ce schéma, il y a un triple chassé-croisé : en face des deux personnages immobiles de A, la reine et son adjuvantopposant Simon Renard, les trois autres protagonistes dessinent un
étrange
ballet : Jane,
attirée
en
A par
l’amour
(en
I), se
retrouve
_-eréature A par la naissance (en II): elle est Jane Talbot, et peut épouser Fabiani ou l’un quelconque des seigneurs de la Cour, mais dans
la derni¢re
étape,
elle
retourne
en
B, acceptant
de
devenir
_« femme de l’ouvrier Gilbert ». Gilbert créature B par excellence, ‘accepte son insertion en A par le serment a la reine de la seconde _ journée, il devient donc la chose de A et signe du méme coup son arrét de mort;
la troisiéme
étape le voit A nouveau
en
position
B,
puisque condamné attendant son exécution, mais au cété de Jane dont il a retrouvé l’amour. Quant a Fabiani, sa position A (peu sire puis' qu’il n’est peut-étre A que par accident) est clairement indiquée, mais, abandonné par la reine, il passe en position B dés la deuxiéme étape, pour se retrouver dans la méme position que Gilbert : les personnages A et B sont en derniére étape dans la méme position. Le choix se fait au dénouement entre la survie de l’un et la survie _ de Vautre. L’option logique serait ou la survie de Fabiani, et c’est la _ premiére version du dénouement*”, ou la mort des deux partenaires ' « jumeaux », comme dans Marion de Lorme. Or Hugo hésite et finit par décider la survie de Gilbert, in extremis, nous l’avons vu. 46. Voir notre édition critique de Ruy Blas, apparat critique de l’acte V. > 47. C’est le premier dénouement du manuscrit (13396, f° 91). Voir premiére partie, Marie Tudor, p. 287-288, wo
LE ROI ET LE BOUFFON
420
Le premier dénouement indique un retour de Fabiani a sa posi-
tion A de favori, dénouement rationnel, tandis que Gilbert, créature B,
serait supprimé pour avoir pactisé avec A, et assurerait en mourant et par son
sacrifice le salut moral
de la femme
(cf. Marion).
Dénoue-
ment satisfaisant pour le systéme sinon pour les spectateurs, révoltés par l’atroce injustice du destin (c’est-a-dire du systéme). Le second au contraire est illogique dans cette perspective, comme d’ailleurs dans celle de la vraisemblance vulgaire ; cette fin ne se concoit qu’a Vaide d’une notion nouvelle pour nous, celle de la division en deux de Vespace A: A, ici le Pouvoir, se scinde en deux personnages, la Reine et Simon Renard. Nous avons déja vu dans Lucréce Borgia une sorte de querelle intestine dans le cadre de A, c’est lopposition de Lucréce
et de son époux, Alphonse de Ferrare, mais la division intérieure de Lucréce, son attirance vers B, justifiait le confiit de Ja duchesse avec
un époux qui était comme la logique vivante de sa propre attitude. Ici rien de pareil : ’opposition politique entre la reine et le conseiller est une vraie opposition ; et le personnage de Simon Renard apparait comme l’outil providentiel qui peut apporter 4 A au moins le salut matériel : Dofia Sol Ruy Gomez—>
d’Aragon)
Ruy Gomez
fi Hernani Ruy Gomez
Nous voyons au départ, en A, deux forces différentes sinon oppo- | séés, le vieil ordre seigneurial, représenté par Don Ruy Gomez, et | Yordre monarchique nouveau, dans la personne du roi, Don Carlos ; le conflit a l’intérieur de A s’amorce dés le départ mais il est masqué par — le conflit infiniment plus Apre qui oppose A et B, Vordre social com-— prenant 4 la fois Ruy Gomez
et Carlos,
et en face le bandit
Hernani, —
otage ©
devenu B par I’exil et la proscription : l’enjeu en est la Femme, 48. Il est inutile de mettre en lumiére
ici, ce qui est clair immédiatement,
mais"
© sera développé lorsque nous tacherons d’étudier la signification du systéme, c’est-adire que Simon Renard apparait ici comme le ministre bourgeois juste-milieu, sau-_ vant une pale image de la royauté. du. 49. Cest A la fois la lacune et l’intérét d’Angelo que lVoptimisme relatif comment, dénouement obtenu sans personnage providentiel. Au reste, nous verrons
dans cette perspective
méme,
le personnage
de Simon
Renard
est au moins
ambigu.
STRUCTURES
DU
THEATRE
DE
HUGO
421
de A et A par nature ® qui opte pour le bandit et l’espace B. Puis dans la premiére partie de la seconde étape, la puissance A chasse le vieil ordre et contraint Ruy Gomez a opter pour B, A émigrer volontairement en B (tel est le sens du complot auquel le vieillard accepte de participer), tandis que la Femme, récupérée deux fois, est obligée par la force, 4 garder sa position d’otage de A. Mais, chose imprévue et particuli¢re 4 Hernani, il y a fracture dans l’espace A, qui change de sens : le Roi devient l’Empereur, et ce changement est matérialisé
par le changement
de nom:
A
est a présent affecté d’un signe positif,
la figure impériale liquide Vordre
et peut se permettre taller en A selon son
mauvais,
les puissances
du passé,
ainsi de récupérer le bandit B, de le réinsorigine, de lui rendre son vrai nom de Jean
d’Aragon, tandis que l’ancien A demeure aux ténébres extérieures (B). Le nouvel A, l’empereur Charles Quint peut donc passer du réle de rival et d’opposant a celui de pére généreux, de destinateur =. Et la métamorphose de l’espace A dans la personne de son maitre pourrait conduire a la liquidation du conflit dramatique, au dénouement. Mais ce n’est pas le cas: l’ordre nouyeau n’a triomphé qu’en apparence, la métamorphose n’est pas compléte ou plutdt elle s’inverse, le destinateur généreux, Je maitre bon disparait comme par enchantement de l’espace A; en revanche on y trouve les transfuges et en particulier Hernani, ayant trahi son espace B et accepté son intégration en A : « Hernani, ce rebelle Avoir la toison d’or! marié ! par-donné ! » — « Mais je ne connais pas ce Hernani (...) Je suis Jean )d@’Aragon, mari de Dofia Sol®! » C’est a cet instant que Don Ruy Gomez, passé, force de mort, réenvahit son espace naturel, l’espace A, et en chasse les deux époux vers la mort. Cette mort absurde et injus_tifiable selon les lois du vraisemblable psychologique est parfaitement logique selon les lois du. systéme dramatique hugolien : Hernani est le type du héros coupable de transgression et qui se trouve condamné dés instant qu’il accepte de poser le pied dans l’espace qu’il a refusé ‘ou dont il a été chassé. La métamorphose de l’espace A n’est pas complete, ne suffit pas 4 défendre le héros contre le mal: le retour-
a J
nement
de l’ordre
social
du mal
Vidée impériale non assimilée Liidée « impériale » qui fracture de l’espace A, y agit ‘Sente ici la réussite de ce qui dans Hernani.
au
bien
ne
saurait
se maintenir ;
ne modifie pas les lois du systéme. provoque dans les Burgraves la méme avec une autre profondeur; elle repréa été non pas manqué, mais inaccompli
Job Burgraves Regina Otbert Guanhumara
50. Cf. plus loin analyse de cette distinction, p. 425. 3 51. Voir plus haut notre analyse des actants du drame hugolien, p. 401-407. L’on peut voir par cet exemple comment Vlopposition A/B s’articule sur analyse des actants. 52, Hernani, V, 1, CL, III, 1019 ; V, 8, ibid., 1024-1025.
LE ROI ET LE BOUFFON
492
Un simple coup d’ceil A ce schéma®* montre qu’il ne marche pas la division A/B. Les actants ne bougent guére de leur espace d’origine : le seul déplacement véritable, le chassé-croisé qui s’établit au virage de la deuxiéme étape entre Job et le Mendiant, est purement apparent : le Mendiant n’est pas B, il est simplement déguisé en B, et le passage de Job, sa descente en B n’est pas effective : il se retrouve au dénouement plus A que jamais : « Job, régne sur le Rhin... » Otbert qui est A exilé en B retrouve au dénouement sa place A, selon les
selon
bonnes
optimiste, traditions qui, on le verra
traditions du mélodrame
mieux, ne sont jamais suivies par Hugo. Enfin le changement de sens de l’espace A, qui d’espace des Burgraves mauvais, devient Yespace du bon empereur Barberousse, ce changement agit efficacement mais de facon purement magique : Barberousse n’a qu’a paraitre pour retoursituation,
la
ner
sauver
Régina,
intégrer
Otbert,
réintégrer
Job,
détruire les Burgraves. Le sacrifice et la mort n’apparaissent que dans la personne de Guanhumara et non pas comme un mouvement a Vinté-
rieur du schéma, mais comme un simple effacement dont le sens n’apparait pas clairement. ll va sans dire que ces remarques ne sont nullement une critique de l’ceuvre mais une mise en cause de la pertinence du schéma. Tout change si l’on restitue 4 l’ceuvre la dimension temporelle et si l’on tente d’établir le schéma non pas en fonction de la durée du drame, mais selon la durée référentielle :
Donato +
Job
Ginevra
Burgraves
6
Job
Regina
Donato-Barberousse Regina Otbert Guanhumara
Sale
Mendiant
reprend
Ainsi présenté, le schéma
toute sa pertinence
et il n’en
est guére de plus majestueusement simple. Or la manipulation que nous nous faisons subir au schéma est d’autant plus légitime que venons de voir la division en actants ne prendre de sens véritable que si l’on fait & son propos la meme division dans le temps *, Nous nous apercevons alors que Ginevra et Regina occupent la méme place dans les deux cases successives ; la parenté de leurs personnages soulignée par le jeu de mots onomastique (Gi-ne-vra — Re-gi-na), redonne | son sens A l’opposition des deux femmes : Guanhumara frustrée et — dans e d’elle-mém projection la Regina en tuer de tente désespérée Pavenir,
mais
cette
disparait ; le couple dans
le couple
« image
» renait a la vie quand
a jamais
paralléle
séparé,
Otbert-Régina.
53. Nous avons été contraints, pour le rendre meédiane. 54. Voir supra, p. 405-406.
la malédiction
Donato-Ginevra, L’opposition
reprend
A/B
des
|
vie | deux
lisible, de couper en deux Vétape -
STRUCTURES
DU
THEATRE
DE HUGO
423
fréres, le batard et le légitime, tragique en I, se résout A la fin en fraternité heureuse éliminant le conflit. La mort de Guanhumara reprend son sens de sacrifice volontairement accompli par la créa-
ture B, 4 jamais
éliminée
de A, et la figure impériale
de Barberousse
prend son visage réel d’exilé B revenant prendre sa place en A apres avoir deux fois traversé la mort * : Je rachat se fait sur les deux plans
de Vascése individuelle et de Vidée impériale. Le dénouement se projette sur l’avenir par le bonheur du nouveau couple et le couronnement légitime de Job: espace A devient le lieu du bonheur et du pouvoir bon. Mais si le schéma -meture
de l’ceuvre,
dépasse le cadre de la piéce, s’il rompt la fer-
c’est
que
nous
transcendant le cadre dramatique un temps limités, cesse d’étre un épique.
avons
affaire
A une
ceuvre
qui,
clos et déterminé par un lieu et drame pour devenir un fragment
Le cas particulier des Jumeaux. Les Jumeaux sont une piéce inachevée, et il serait intéressant de voir le schéma nous éclairer sur ce point.
La reine Les seigneurs Alix
La reine
La reine
Mazarin Louis XIV
Mazarin Louis XIV
(Alix)
Le
comte
Jean
Guillot-Gorju Tagus Le Masque
Alix Le comte
Jean
Tagus Le Masque
Alix Le comte
Jean Le Masque
D’aprés ce schéma, s’il existe une opposition 4 l’intérieur de la zone A, opposition virtuelle, entre le clan Anne d’Autriche et le clan Mazarin-Louis XIV, il ne parait pas y avoir de vrai changeme nt de sens dans l’espace A : opposition A Vintérieur de A ne parait ni plus riche ni plus pertinente que celle de Marion de Lorme, ot Richelieu et Louis XIII ont des positions divergentes sans jamais s’affronter. Or pour que les Jumeaux ouvrent sur une perspective nouvelle et non sur le simple sacrifice d’Alix *, sacrifice ici purement négatif et refusé par le Jumeau *, il aurait fallu justement un changement de sens de A®, 55. On a yu que le retour en A §’accompagne d’une facon quasi automatique de la mort. Ici cette mort est deux fois dépassée : Donato survit miraculeusement a la tentative de fratricide dont il est objet ; et V’Empereur Barberousse, cru mort,
réapparait proyidentiellement. Cf. la Double Mort de César Bazan, p. 319 sqq. 56. « Vous mourriez bien pour lui ? — Qui, madame. — de Dites ? pour qu’il fat — Mon Dieu! pour qu’il fat libre. » Ms. des Jumeaux (ms. 13396), fo 64, édité par nous. 0.C., V, 883. s / 57. « Oh dis ! tu voulais me prendre mon tombeau >, td., f° 58, ibid., p. 877. 58. Peut-étre n’est-il pas sans signification que Hugo se soit arrété dans sa rédaction au milieu du monologue de Mazarin, au cours duquel' naissait Vidée d’un changement de sens de l’espace A. Ibid., p. 872. roi?
424
LE ROI
ET LE BOUFFON
comme dans Hernani et mieux encore dans les Burgraves. Ce changement de sens est impossible ici, la vérité historique ne peut étre changée, c’est Louis XIV qui régne et non pas le Masque. Donc, d’aprés le schéma (et d’aprés histoire) voici comment devrait se — dénouer la piéce : le comte Jean, qui est resté en B, survit et retourne en exil, le Masque rejoint sa prison, Alix — la plus menacée, parce © qu’elle seule a changé d’espace — doit mourir ou demeurer seule et | désespérée, comme Marion, tandis que les personnages A, indemnes comme il se doit, retournent 4 leur vie, 4 leurs actions, a leurs que-
—
relles. En fait, rien ne s’est passé, donc rien ne peut se dénouer véri- | tablement : c’est un retour pur et simple a la situation I. Peut-étre tenons-nous la une raison solide 4 l’inachévement des Jumeaux® : le crime
fraternel,
celui
comte
du
Jean,
comme
celui,
inconscient,
de |
Louis XIV, ne peut étre racheté ; la piéce se présente comme fonda- | mentalement « inutile » et il faut l’invention des Burgraves pour que | se fasse la réunion des deux fréres séparés par lopposition de leurs — espaces.
Si nous avons tenté ici d’analyser en fonction de A/B toutes les piéces de Hugo et non pas seulement celles qui font partie du groupe | dont nous avons esquissé l’histoire dans la premiére partie de ce) travail, c’est que le systéme A/B est particuliérement pertinent a pro- | pos des piéces écrites entre 1832 et 1839 — ces piéces que l’on pour-~ rait nommer les piéces de l’intégration-désintégration.
INVENTAIRE
DE A
Personnages A.
L’ensemble des personnages A parait détenir le pouvoir, le privi? lége, ’autorité. L’espace A serait-il simplement l’espace de la Société
On pourrait le penser, Mais en ce Cas nous lirons la distinction de deux espaces en fonction d’une symbolique sociale qui risque de nous| égarer™: pris dans l’analyse d’un signifié sociologique, nous ne ver-_ rons plus la fonction dramaturgique des actants. Si nous utilisons des critéres sociaux pour distinguer les personnages du théatre de Hugo, nous serons amenés
différents
un Gilbert et un
rigoureusement
Gennaro,
le méme ; nous
a mettre sur deux plans
dont le réle dramaturgique
classerons
un
Triboulet
dans
est
la caté-.
gorie des victimes sociales, ce qui est exact du. point de vue de son appartenance scciale, inexact du point de vue de son réle dramatur-— | gique. Nous classerons donc les personnages en A et en B, selon leur nce appartena leur selon non mais société, la dans apparent, role sociale : A en tant qu’espace dramaturgique ne saurait se confondre | avec le tableau d’une classe sociale ou méme de l’ensemble des classes| sociales privilégiées. Mais c’est moins par son contenu qu’il en différe’ | que par l’attitude méthodologique que nous adoptons en face de lui. Le Roi du théatre de Hugo ne nous intéresse pas (ici du moins) 59. V. I, Les Jumeauz, 60. Nous
retrouverons
p. 570-571. cette
symbolique
a un
autre
niveau
d’analyse.
dans |
STRUCTURES
DU
THEATRE
DE
HUGO
425
la mesure ot il est le miroir d’un personnage royal réel ou méme dans la mesure ot se trouvent posés A son propos les problémes de la royauté, mais dans la mesure ou il est un personnage dramatique ayant telle ou telle caractéristique qui le rendent facilement reconnaisasble. Il ne nous importe guére ici de savoir si la reine de Ruy Blas a jamais représenté une reine historique, ou si en peignant Louis XIII, Hugo a voulu faire la satire de la royauté®. Nous essaierons dans cette démarche de l’étudier au niveau du signifiant, en faisant abstraction de ses rapports avec quelque référent que ce soit. Or les personnages de A peuvent se diviser en deux catégories (a et b) : d’un cété les personnages qui habitent l’espace A parce qu’ils y sont nés, et qu’ils sont, si l’on peut dire, A par nature : ainsi les rois, les grands seigneurs, les ministres s’ils sont eux-mémes grands Saverny
le pouvoir
ou possédent
seigneurs
et Maffio, les ministres
partage : sont A par nature,
sans
Richelieu
Universal,
du Despacho
et
Mazarin ; sont A par nature Lucréce Borgia et la princesse Negroni, comme les reines, ou méme Alix de Ponthieu. Mais l’appel de Vespace A est suffisamment puissant pour qu’il attire a lui ceux qui, par nécessité, par cupidité ou pour quelque autre mobile psychologique ™, se sont faits les esclaves ou plutot les instruments de A: ceux-la sont A par position, et seule est importante cette situation des personnages dont le comportement ne se définit qu’en fonction de lespace A. Ainsi se trouvent créatures de A des personnages qui peuvent étre des « hommes du peuple » comme Triboulet ou des étres méprisés comme Marion. Notons que dans le drame hugolien, la femme est presque toujours A, soit par nature, soit par position, mais quand elle appartient a4A par sa nature méme (par son origine royale ou aristocraSol, la reine, Alix
tique, Dona
ment jamais lerons otages
en en « de
de Ponthieu,
Catarina),
elle est rare-
position de puissance (Lucrece Borgia, Marie Tudor) et position de force ; s’il y a les maitres de A que nous appel1 » les instruments de A qui seront « 2 >, il y a aussi les A, «3» ®.
Les maitres Comme
de A. dans
un
jeu de cartes,
le Roi
est le Maitre,
caractérisé
par un certain nombre d’attributs, qui n’ont guére de rapports avec les attributs traditionnels de la royauté (la couronne, le sceptre, les hommes d’armes). S’il possede ceux-la il en a surtout d’autres, qui appartiennenta une construction particuliére de Hugo. Il est celui qui a tout et qui, en théorie
au moins, peut tout. L’éclat
signes de la puissance lui appartiennent en propre. 61. Problémes et que nous
62. Hugo
qui ne sont nullement
retrouverons.
fait de Marion
précise une
trés rarement
courtisane,
de
éliminés,
: jamais Triboulet
besoin de le savoir. 63. Ainsi done les personnages de A A par position) dans ces trois catégories,
mais
nous un
ne
fou
les
qui ont déja été aper¢cus
saurons
du
du costume,
Mais il est rare-
les raisons
roi, et nous
qui ont
n’avons
aucun
peuvent se retrouver (A par nature et aimsi que dans les deux définies précé-
demment, Ils seront done 1, 2 ou 3, ainsi que a ou b; mais il y a des incompatibilités : si 1 peut étre A la rigueur 1b (Mazarin), il est en général la; 2 ne peut étre que 2 b, mais 3 peut étre aussi bien 3 a (Catarina) que 3 b.(Tisbe). Un ersonnage
A peut done
étre Ala
(rarement
a plus grande est donc celle des personnages est immédiatement visible.
Alb),
A2b
féminins
ou
A3a et A3b.
La
souplesse
(toujours 3), dont la position
426
LE ROI ET LE BOUFFON
ment le plus puissant et presque jamais le seul puissant : 4 cété de lui, comme
son ombre, ou au-dessus de lui, comme
ses supérieurs naturels,
régnent deux autres maitres de A: le ministre ou Y'empereur. L’un ou lautre, jamais les deux A la fois. Supérieur au Roi, c’est PAs, rouge ou noir. Dans la plupart des cas, c’est l‘ombre qui régne 4 la place du Roi : Richelieu pour Louis XIII, Simon Renard pour Marie Tudor, Salluste, ministre de la police pour l’invisible roi d’Espagne, Mazarin pour le jeune Louis XIV. Seuls régnent en maitres Alphonse de Ferrare (et encore !) et Francois I ; méme Don Carlos courbe Ja téte devant son autre lui-méme, son double impérial, Charles Quint. Que fait le maitre supréme de A, roi, empereur ou ministre ? Sa caractéristique la plus générale, c’est de condamner 4 mort: le pouvoir de mort est Je moins
contesté
des pouvoirs
du maitre hugolien.
Il ne se concoit pas sans un échafaud ou a tout le moins une victime en puissance ; méme s’il n’a pas droit aux belles exécutions de Richede Marie Tudor,
lieu, de Lucréce,
il peut avoir le plaisir de condam-
ner et de gracier un Saint-Vallier, de Bazan ; et quand
condamné:
il ne
d’expédier Dieu sait o& un
condamne
pas
lui-méme,
4 mort
pére... fut condamné
... « Mon
son
César
pére, lui, a
par le tien, roi
Carlos » (Hernani).
Le maitre de A est donc le maitre de la mort et du mal. Aprés
la mort, cette petite mort qu’est l’exil, dont le caractére de succédané de la peine capitale a toujours été reconnu®. La caractéristique du maitre
de A est d’avoir
tout pouvoir
pour
faire
le mal, aucun
pour
arréter ce mal : Louis XIJI ne peut sauver Didier et Saverny, ni Marie Tudor Fabiano, et Angelo dénote lui-méme avec une éfrange clarté les limites de son pouvoir: « Tout pour punir, rien pour pardonner. > Seule la figure impériale a le pouvoir d’absolution, pouvoir qu’on lui voit manifester dans Hernani et dans les Burgraves. Ainsi dans le personnage impérial, le pouvoir de A, qui est pouvoir d’infliger le mal et la mort s’infléchit et change de sens. Nous avons vu que partout ou intervient le personnage impérial, Popposition A/B change de caractéristiques, l’espace A étant affecté de deux signes opposés. A cété des personnages royaux, les seigneurs sont rarement isolés : ils forment un personnage collectif dont les caractéristiques se confondent ou s’éclairent mutuellement : ainsi les grands qui forment la cour de Francois I*, ainsi les ministres de Ruy Blas, ou les seigneurs qui entourent Saverny. Leur trait principal, outre cette indiffé4 revenir, est léclat du vétement,
renciation, sur laquelle nous aurons
qui en fait des sortes de papillons, au milieu desquels se détache le
héros vétu de sombre ™ >. En liaison avec ce trait est leur futilité malfaisante pour les autres (Le Roi s’amuse — Ruy Blas) ou pour euxmémes (Marion — Lucréce Borgia). En position d’adjuvant ou d’oppo-
sant, ce personnage collectif se caractérise par la faiblesse ou P’inexistence en face du personnage A en position de puissance : faiblesse des 64. Tout un chapitre de Baudouin, Psychanalyse de Hugo (V, p. 116 4 126) rassemble des citations touchant < une association qui sera constante aprés 1851
(...)
premiére
: celle qui
mort
pesant, l’exil Méditation
des
au
pose
rois
pas
l’identité
> (Sunt
de Pexil
Lacrymae
et de
Rerum,
léger » (Noces et Festins,
de Barberousse
64 bis. V. J. Gaudon,
in Les
Burgraves
op. cit., p. 78.
la mort
Ch.
du
» ; par
Cr.),
id.), et surtout
(Il, 6).
«
La
ex.
mort
peut-étre
: « Vexil au
pied
la grande
STRUCTURES seigneurs
en
DU THEATRE
face de Richelieu,
de Marie
DE HUGO Tudor,
427 de Lucréce
Borgia,
de Mazarin, qui les dévore, de Ruy Blas qui les combat ou de Salluste qui les sauve. Dans certains cas, ce personnage collectif © est représenté par une sorte de coryphée qui est l’ami, l’'adjuvant du personnage principal de
(Marion
Borgia,
Lucréce
Lorme,
Jumeaux),
mais
a la
VYentraine
mort. Enfin la Cour et les courtisans sont d’une facon tres générale représentés comme une force négative, outils du mal: « Cette cour » est dite « infame, effrénée™ » et sur ce point, prostituée au mal les courtisans se présentent comme des instruments du roi 4 la fois médiocres et mauvais : « Trouver des courtisans aussi plats que ma bourse ® », dit César de Bazan dans Ruy Blas ; ils sont des « laquais » et Triboulet leur crie : « Vos méres aux laquais se sont prostituées ®. » Un fragment inédit de l’été 1831 développe le méme théme : Le Peuple au Roi Ce peuple de valets qui vient baiser ton ombre, Entre les durs pavés de ta cour qu’il encombre, Ne nous laisse pas méme un peu @’herbe a brouter™. Marot,
courtisan,
d’homme
est
représenté
avec
une
« livrée
« Un
>»:
ceur
du peuple, encor, sous ta livrée™. » Et la Cour et les cour-
tisans, non
seulement
dans
le Roi s’amuse,
mais
aussi
dans
Hernani,
dans Ruy Blas et méme dans Marie Tudor, apparaissent comme liés 4 toute une série d’expressions adjectives péjoratives. Ce fait n’est pas sans incidence sur la signification d’ensemble du drame hugolien.
Lexique. La division des éléments en deux zones A et B doit bien évidemment se manifester sur le plan lexical. Et dans ce domaine, faute d’un lexique complet du thédtre de Hugo, nous devons nous contenter d’approximations subjectives et d’une comparaison empirique entre les piéces concues comme les éléments d’un méme ensemble littéraire. Notre méthode principale de recherche d’ailleurs empirique, est le relevé des mots qui désignent en méme temps un accessoire en principe réel de la mise en scéne. .
Nous verrons tout d’abord — et c’est une remarque paradoxale dans la mesure ou il s’agit d’ceuvres dramatiques —- que Hugo utilise simultanément régie et langage (un signifiant non-linguistique et un signifiant linguistique, qu’il ne se contente presque jamais des indications scéniques mais qu’il juge nécessaire de les redoubler dans le texte. Au « flambeau » dans la mise en scéne (indication scénique) correspond « flambeau » dans le texte : 4 la derniére scéne d’Angelo ge SP ciées. 66. 67. 68.
69. 70. 7 aout 71.
Il apparait
dans
des
scénes
collectives
a répliques
Roi s’amuse, Ill, 4, 0.C., IV, 589. Ibid. Ruy Blas, scéne 2, 1re version, O.C., V, p. 779.
rapides
et peu
Le Roi s’amuse, Il, 3. O.C., IV, 585. Manuserit 24787, f° 21 — texte inédit au verso d’une lettre et concernant la premiére représentation de Marion de Lorme Roi s’amuse, Ill, 3, 0.C., IV, p. 586.
différen-
f du dimanche (11 aott).
428
LE ROI
ET LE BOUFFON
apparait un page noir portant un flambeau et la Tisbé insiste : « Approche avec ton flambeau. » Le mot « clé » est rarement employé seul et métaphoriquement sans que surgisse entre les mains du personnage la clé matérielle, symbole de son pouvoir”. Dans la plupart des cas sinon
dans
tous, il y a redondance™.
Autrement
dit, dans
le
théatre de Hugo, non seulement le « langage” » de la mise en scéne symbolise avec le « langage » des actants, mais il y a correspondance rigoureuse. En @’autres termes, Hugo croit nécessaire de nommer les éléments du « langage » visuel. Ce n’est pas le lieu de montrer ‘ici les implications de ce phénomeéne, mais nous en verrons l’importance. En tout cas, ’étude du vocabulaire propre au thédtre de Hugo
nous permettra peut-étre de déterminer 4 l’intérieur du code dramatique un sous-code propre 4 Hugo et d’établir des liaisons entre un certain nombre de « mots-clé » et ensemble de |’ceuvre dramatique. Disons tout de suite que, par rapport 4 la pauvreté relative du souscode d’Alexandre Dumas”, la richesse et la permanence du sous-code hugolien sont immédiatement perceptibles. L’or.
Le maitre de A se caractérise par sa liaison avec un certain nom-
bre de notions et d’objets. A un moment donné du drame hugolien, tout personnage puissant donne de l’argent : la zone A est caractérisée par le pouvoir financier. Frangois I* paie les mensonges de la duégne de toute une profusion d’or monnayé. Et quand la bourse est vide, il jette 4 la vieille sa bague d’or (le Roi s’amuse, Il, 8). L’indication de son imposture est relevée par la duégne d’une fagon formelle quand il se prétend un étudiant « trés pauvre » : « Oh, le menteur ! » Tout le dialogue est remarquable par la lourdeur des répétitions et la redondance du jeu de scéne redoublé par la parole. DAME
BERARDE
C’est vrai qu’il est charmant !
Elle passe prés du roi, qui lui donne une poignée de piéces d’or, qu'elle empoche. BLANCHE Un tel homme DAME
Tendant
doit étre...
BERARDE
la main au roi, qui lui donne toujours de
de Vargent.
Accompili... ” 72. V.
p. 430.
-
73. Neue rencontrons quelques exceptions, certaines indications ne trouvent dans place que dans les indications scéniques ; par exemple, la vieillerie du décor métaPacte IV de Ruy Blas. En revanche, on trouve quelques emplois purement phoriques, trés rares, des « mots-clé ». de 74. C’est pour la seule commodité que nous employons le terme inadéquat langage
pour
la régie, qui est syst¢me
75. Crest-a-dire
neuf
ebe Le Roi
vers.
sémiologique
la difficulté de trouver
s’amuse,
et non
des « mots-clé
Ul, 4, 0.C., 566-567.
La
scéne
se
langage.
» propres poursuit
.
4 Dumas. encore
pendant
STRUCTURES
De méme,
Don
Carlos
DU
THEATRE
dans Hernani
achéte
DE HUGO
les services
429
de la vieille
Josefa. Mais il est des occurrences
plus significatives. Ainsi, dans Ruy
Blas, Salluste est le dispensateur (« Il vous faut de Vargent, je vous
de Vor. A Vacte III, Vindication en enverrai », dit Salluste 4 Ruy
Blas) n’en est pas suivie de l’apparition matérielle de cet or ; nous ne perdons rien pour attendre : le voici a V’acte IV, sur le dos d’un laquais qui plie sous le faix : il est 4 la fin indiqué verbalement (« Daignez voir si c’est 14 votre compte... De l’argent! C’est trop fort ! >») et compté effectivement en pieces d’or, redondance soulignée par V’énumération du laquais : Lor est en souverains. Bons quadruples pesant sept gros trente-six grains, Ou bons doublons au marc. L’argent, en croix-maries™. Quant a4 l’indication
de l’acte V, non
suivie de réalisation
(« une
voi-
ture of j’ai mis beaucoup d’or® ») elle indique plus que probablement Vinstant of le pouvoir de Salluste se réduit 4 la parole vide, bientot anéantie par la violence physique de Ruy Blas. L’or physiquement présent (mais toujours redoublé par la parole) est donc lié au personnage A et, dans le champ de A, plus précisément au personnage qui a la puissance. Quand un personnage qui est B par nature comme Triboulet joue 4 son tour, comme il le fait toujours, au personnage A, quand il signe A en tentant de payer l’assassinat du roi: « Un peu d’or et je Vai », cet or a beau cette fois étre matériellement présent, il n’est pas lié A un acte efficace ; c’est que si l’or est le signe de la puissance A, la réciproque est vraie et seule la puissance A donne son sens a Vor. Le projet de Triboulet est frappé de nullité par son absurdité méme : le puissant A ne peut étre atteint par sa propre arme, Vor ; il est clair que Triboulet ne peut acheter avec de l’or la mort du roi, il ne peut qu’achever de frapper les victimes de A 4 l’aide de Vor, cet or qui vient d’ailleurs de A, puisque Triboulet est payé par le roi. Chaque fois qu’un personnage de nature B paie de ses deniers quelque chose, c’est sa mort ou sa destruction qu’il achéte ainsi: telle Tisbe payant la fausse mort de Catarina et par conséquent sa vraie mort 4 elle, ou Gennaro achetant si étrangement « dix sequins d’or », la prédiction de sa propre mort. Dans ces cas l’argent n’apparait pas matériellemnent. Chaque fois que l’or est sans discussion possible signe de puissance, il est évoqué a la fois, par le langage et par la présence
scénique. L’exemple le plus paradoxal de cet usage de l’or est celui de Marie Tudor : 4 Vacte I, c’est Fabiani qui paie d’une bourse d’or le silence de Gilbert devant l’assassinat du Juif. Or, un curieux détail indique ici la signification de cette bourse d’or : (« Il donne sa bourse a Gilbert dont le premier mouvement est un mouvement de refus et qui accepte ensuite d’un air d’homme qui se ravise. ») L’offre de Vargent sur le plan verbal est dénotée (« Eh bien, que voulez-vous ? 77. Ruy Blas, IV, 3. O.C., V, 746. Cet or est regu par un personnage A devenu B. I peut bien le receyoir mais non l’utiliser. Son refus de A le conduit a le rejeter, a le gaspiller ou A en étre aussitét privé. Notons aussi que Ruy Blas refuse de participer 4 « lV’argent de la liberté » : Ruy Blas est déja acheté ae A. 78. Mais on ne voit pas cet or, il n’est jamais matériellement présent.
LE ROI ET LE BOUFFON
430
quelque argent pour votre peine®? >), mais non l’acceptation de Gilbert, seulement traduite par le jeu de scéne. Et c’est a lacte suivant qu’apparait dénotée la signification de cette bourse refusée puis acceptée : « Milords, cet homme est payé... — Par vous : Voici la bourse pleine d’or que vous m’avez donnée pour le crime *. >» Que A paie B pour un crime, c’est chose normale. Mais ici Gilbert, personnage B innocent n’a aucune raison d’accepter Vor du crime, aucun motif psychologiquement acceptable, aucune autre motivation que celle de s‘intégrer @ U'espace A, seul lieu ou il puisse accomplir sa vengeance contre un personnage A. Crest la réception de Vor qui lui permet de lutter contre le personnage A qu’est Fabiani. Nous touchons du doigt ici par quel mécanisme « non-psychologique » se fait le mouvement dramatique dans les piéces de Hugo ; seule analyse du signifiant est ici pertinente. Inversement, dans Marie Tudor, le personnage de la Reine, contrairement a tous les autres personnages royaux, ne manipule jamais d'argent et n’en parle que par prétérition en énumérant les dons splendides faits au bourreau par les rois, ses prédécesseurs : ce qu’elle
homme ®™. donne, elle, au bourreau, n’est pas de lor, mais la téfe d’un
dor dans les mains de la reine est le signe de cette diminution de pouvoir, de cette faiblesse se essentielle qui fait qu’elle n’obtient rien de ce qu’elle veut, et que estpose a son propos |’interrogation radicale : cette faible femme le elle, peut-elle étre encore une reine? En sa personne s’affirme divorce de lor et du personnage royal. En revanche, un extraordidu naire emploi métaphorique de l’or monnayé marque la profondeur « un ducat earactére A de Lucréce Borgia. Maflio la définit comme d’or A Veffigie de Satan >.
Ne peut-on pas penser que cette absence
La clé.
Un autre des maitres-mots du vocabulaire hugolien lié au personune clé, nage puissant, c’est la clé. Pas un puissant auquel ne soit liée clé d’or (il est inutile
parfois une
d’insister
sur la surdétermination
les mains qu’apporte lor, caractéristique du puissant). Clé d’or dans les mains de Francois I; elle ouvre la chambre du roi®, Clé dans 79. Marie Tudor, I, 7, 0.C., V, 785. 80. Id., I, 8, 0.C. 5, 819. 81. Marie Tudor, Il, 9, 0.G., V, 821. 82 1273. O:G., TV, G83: D*innombrables
d°un étre (v. i,
la méiaphore ture
littéraire,
Por
devenant
p. 363) ou dun
a la fois
textes
hugoliens
concept,
lobjet
ou
font
de Por
et plus précisément
s*inserit
la valeur
monnayé
de léeri-
et Poutil
d’un
souillé, échange possible : « O vertu & force de circuler, pris, repris, rendu, rejeté, A une rien qui ressemble rogné, ton vieux sou finit par n’avoir plus méme Caton cuistres, des main la dans et siécle en siécle De efligie... une & ou empreinte « La prose, s*use et finit par devenir Berquin » (Fragment Jersey, O.C., XVI, 345. 988. IV, 0.€., 24. p. (FP, > d'or piéce la c’est vers, le sous, gros de c’est un tas battre ¥. aussi ibid., 943. « Les poéies sont comme les souverains; ils doivent » circulation. en metient qu’ils idées les sur reste efligie leur que monnaie. Il faut Pierres,
0.C., V, 984. Cf. aussi
Mis. IV, VII, 2:
« (..) ce grand
cusier
impar-
(Tas de et qu’on tial, o& il y a place pour le liard oxydé comme pour la médaille d’or nomme littérature. > des Science la Freud, Voir sexuel. symbole un est clé la que 83. Il est clair pas
chap.
Elaboration
du
réve,
Paris,
Alean
1926.
Hugo
lui-méme
n’en
fait
réves, homme mystére, qui écrivait dans les Feuiiles paginées :; « La nature a muni >, p. 62, heures d@une clef avee laquelle il remonte Ja femme toutes les vingt-quatre lié & la est clé la de symbolisme le 0.C., IV, p. 991. Mais ici, en Voccurrence, vu, et puissance A. Que cette puissance ait aussi un earactére sexuel, nous avons le double symbolisme de la clé en est une preuve supplémentaire.
STRUCTURES
DU
THEATRE
DE HUGO
431
d’Angelo : toute l’intrigue tourne autour du passage de la clé d’or, bijou du despote, des mains du personnage A, le tyran Angelo, aux mains du personnage B 4 qui se trouvent du coup provisoirement délégués les pouvoirs de vie et de mort. Ces pouvoirs, elle ne se fait pas faute d’en user, mais pour autrui seulement. L’usage de la clé, moyen 4 la fois possible et interdit, est aussi fatal 4 la Tisbé qu’aux femmes de Barbe-Bleue. De méme, dans Ruy Blas, Salluste est homme des clés : ce pouvoir de la clé, il le déléque, dés la premiére scéne de I’acte I, au valet
Ruy Blas, amorgant ainsi le passage du héros non seulement 4 la zone A, mais au pouvoir qui lui est lié. Cependant Salluste a gardé la clé secréte, clé du pouvoir occulte qu’il conserve malgré sa disgrace et malgré son exil. Et Ruy Blas, éprouvant jusqu’é la panique cette identification de Ja clé avec le pouvoir mauvais accomplit le geste logiquement absurde (mais nécessaire selon Ja structure) qui est de barricader par un meuble, dérisoirement, la porte 4 laquelle correspond cette clé secréte : « Qu’il n’entre pas du moins par cette horrible
porte*. homme
»
Une
extraordinaire
des clés:
formule
dénote
le réle
« I] a toutes les clés de toutes
de Sailuste,
les serrures
», crie
Ruy Blas dans son monologue d’angoisse *. La minute de la mort de Salluste est marquée par V’instant ou Ruy Blas ferme l’ultime porte de sortie, mais non pas avec une clé: il n’est pas le puissant, il n’a pas la clé. Il ne dispose que d’une autre forme de fermeture brutale et sommaire,
le verrou:
Oh, n’allez point par 1a, ce n’en est point la peine, J’ai poussé le verrou depuis longtemps déja *. Quand
Alix
de Ponthieu
dans
les Jumeaux
veut
indiquer
son
lien
féodal avec le roi, elle déclare : « Je dois toutes mes clés au roi mon suzerain *, » Et Job, le vieux Burgrave, se sait encore le maitre
quand, ouvrant
au jeune Otbert
la porte du souterrain
Vavenir et le bonheur, il annonce:
«< J’en vais chercher
donnant
sur
les clefs %. »
Le blason.
Pas de personnages A sans armoiries, des portraits, une panoplie ancestrale : l’une des caractéristiques de A, roi ou seigneur, est d’étre étayé ou ligoté par toute une lignée d’ancétres. De 1a la notation parfois superflue, des armoiries. Hugo, qui avait ajonté aux indications scéniques de la deuxiéme journée d’Angelo la description minutieuse des blasons Bragadini et Malipieri la biffe pour son inutilité. Mais Vindication de ces blasons subsiste dans le texte™. Don Ruy Gomez et Don Carlos combattent si l’on peut dire A coup d’armoiries et de portraits d’ancétres, ces portraits qu’on a Ja surprise de retrouver au milieu des toiles d’araignée, du chateau ruiné des Burgraves. Toute Vintrigue et plus profondément tout le théme de Lucréce Borgia tour84. Ruy
Blas, V, 1, O.C., V, 764.
85. ld, IV, 1, 739. 86. Id., V, 3, 771.
87. Jumeauz, 1, 9, O.C., V, 840. 88. Burgraves, Il, 4, O.C., V1, 620. Yoir plus loin la fermeture 89. Angelo,
IiI, 2, 1, 0.C., V, 315.
de espace
A.
.
LE ROI ET LE BOUFFON
432
matricide *: « La nent autour des armoiries mutilées, anticipation du a4 cette femme, front au mettre lui puis ne je que marque d’infamie .“ » Et pour que je veux la mettre du moins au front de son palais.. sément opposé a la nul n’en ignore, le blason de Lucréce est expres , qui est la plus Ferrare de e populac Votre « B): t (élémen e populac autour de mon ricane qui 1A est neur, Monseig d’Italie, e infame populac sur le palais nt iqueme Symbol >» . pilori™ blason comme autour d’un dorée qui est la de Lucréce Borgia, on voit « la gueule d’une guivre guivre de Milan *. » est « armé On ne nous laisse pas ignorer que Jean de Créqui d’argent besants six « a y Savern que ni » * dor au créquier de gueule ée aux armori « est l cardina du litiere sur champ d’azur® >», ni que la ». Les Burgraves regrettent leur armes de la Maison de Richelieu mais « la grande ban« blason caché sous Vherbe et les épines” > et noir, avec une rouge ie mi-part « encore flotte » niere du Burg Les trois person». * s gueule en champ le hache d’argent brodée dans sorte identifiés a leurs nages masculins d’Hernani sont en quelque armoiries ; c’est Hernani : e Peut-étre aurais-je aussi quelque blason illustr e ®. Qu’une rouille de sang a cette heure délustr
Don Ruy Gomez : ... Mon cousin de Silva, c’est une félonie ‘A faire du blason rayer ta baronnie™.
L’empereur Charles Quint : L’empereur est pareil a Vaigle sa compagne, A la place du cceur il n’a qu’un écusson . ne porte un bracelet Il n’est pas jusqu’a la Reine de Ruy Blas qui t d’or™ »). Or bracele son sur ciselé aigle marqué d’un aigle (« un blason : ce bracelet marla premiére version portait simplement un la reine a espace A — qué d’un blason c’est la chaine qui attache la parole de Ruy Blas *®. par dénoté mais teur specta au le détail invisib visuelle du nom ie iption Vinscr n’est ce si , blason Qu’est-ce que le 90. Rien de Hugo
trouvant
de plus parlant
et de plus
qui est la matérialisation
non
pas
liés mais
du
caractéristique jeu
parallélement
de
mots
Le 91. Lucréce Borgia, I, 2, 3. 0.C.; IV, 684. te. duisant commentées les armoiries Borgia-Es 92. Id., Il, 1, 2, ibid., 687. 93. Id., Il, 1, 1, ibid., 686. 94, 95. 96. 97.
que
le procédé
: le mot
présents.
brouillon
et l’objet
porte
un
dramatique coneret
dessin
se
repro-
Jumeauz, I, 7, 0.C., V; 833. Marion De Lorme, Ul, 1, O.C., Il, 754. Marion De Lorme, IV, 7, 0.C. Il, 857. Burgraves, I, VI, 0.C., Vi, 606.
98. Id., Il, 6, ibid., 628.
99. Hernani,
100. 101. 102. 103.
I, 2, 0.C., III, 934.
Id., IV, 2, ibid., 1012. Ibid., 1015. Ruy Blas, Il, 4, 0.C., IV, 730. par la preuve ultime, le blason Notons que César de Bazan est condamné (Ruy Blas, IV, 8, qui subsiste sur le pourpoint volé qu’il porte eecoe py -C., V, 762). chapitre de la Gaule poétique de 104. Hugo a trés probablement lu VPamusantle rapport (de symbole ou de rébus), Marchangy (op. cit., I, III), ou Vauteur monire entre le nom et le blason.
STRUCTURES
—
essentiellement
rons,
n’a pas
du nom
vraiment
DU
THEATRE
A, puisque
de nom
DE
HUGO
433
le personnage
(« Didier
de rien
nyme, au moins pour sa fille, Gennaro sans nom
B, nous
le ver-
», Triboulet
ano-
de famille). Le blason
est image (vivante et visible) sur le plan de la régie, de la dénomination verbale. La loi du double registre est si l’on peut dire, redou-
blée ici: il faut que Von puisse voir le nom ™ bis,
Les instruments
de A.
L’espace A est une zone d’attraction dont personne ne peut se dire tout 4 fait libre, méme un César de Bazan qui, originairement A, et par sa ruine, tombé au rang de B, se veut B jusqu’a un certain point , mais finit par tenter sa réintégration en A. Plus précisément, la zone
A a ses
serviteurs
attitrés : le sbire,
le bourreau,
le bouffon.
Pour le bourreau ou méme pour le gedlier (Joshua) dans Marie Tudor, la situation est claire : il est celui qui exécute le mal voulu par le maitre de A. Certes, Hugo ne s’exprime pas encore comme en janvier 54, lors de l’affaire Tapner 4 Jersey : « Je t’absous, toi, bourreau, paria, porte-glaive », mais le bourreau apparait comme étranger au mal
dont
il est l’instrument
: ainsi,
dans
Marie
Tudor
: « Oui,
la
Reine parlera au bourreau, la téte parlera 4 la main, » Ainsi se trouve précisé le lien entre la Reine et le bourreau, entre le puissant et son instrument a l’intérieur du méme espace. Innocents aussi les deux tueurs imbéciles et joyeux d’Angelo, tyran de Padoue. Un peu moins pur, mais 4 peine, nous apparait l’exécuteur privé, le Saltabadil du Roi
crime
s’amuse.
En
fait, le pur instrument
et n’est guere touché
de mort
par l’oppressive
est innocent
malédiction
du
de A, mais
il ne lui arrive pas de mal, et il parait protégé de la contagion la puissance. Le cas du sbire, du
« flic », est différent.
de
I] est tras souvent
lié
aux courtisans et il est parfois difficile de l’en distinguer. Ainsi, Don Ricardo, ainsi Don Salluste, 4 la fois grands seigneurs et policiers. Le curieux Gubetta nous apparait comme lié davantage encore aux puissants 7” >is ;son sens du mal n’inspire guére d’horreur, car il est comme Vombre de Lucréce Borgia. En un certain sens, un Don Ricardo, un Gubetta n’existent que comme des objets, des prolongements humains de A, les armes vivantes du puissant. Plus intéressant est le cas de Homodei, car semblable sur ce point a Salluste, il a son
autonomie
ou il croit l’avoir, il se figure pouvoir
agir pour son compte; de 1a son malheur: n’étant pas A de luiméme, n’étant qu’un instrument présenté comme tel, il veut agir en A pour son compte de personnage B; de 1a Vimpossibilité de sa tache et sa destruction rapide. Cette situation particuliére est signifiée 104 bis. Le blason est enfin inscription dans le passé, durée révolue. 105. Voir plus loin, p. 443, l’analyse du personnage B.
marque
visuelle
de
la
106. Manuscrit 24753, fo 1254, 107. Marie Tudor, 2° journée, 5, 0.C., IV, 811.
107 bis. A partir d’Angelo le sbire apparait aussi comme intimement pégre (Angelo, La Esmeralda, Les Jumeauzx). Vidocq est la, tout prés.
lié a la
28
LE ROI
434
ET LE BOUFFON
ne pas parler a Angelo : par la loi absurde qui impose 4 Homodei de le champ de A avec ses ne pas lui parler, c’est-A-dire ne pas agir dans d’Homodei marque cette tion destruc La non-A. nage person de intéréts il n’en va pas de absence d’autonomie de V’instrument de A. Certes, de ministre de me autono nce puissa la porte méme avec Salluste qui tion apparaissent difféla police, mais si les raisons de sa destruc able par le fait de ne rentes 1, il a été cependant rendu plus vulnér quand il défend contre fort trés : nelle person nce vengea servir qu'une rs pillards 109, il perd seigneu grands des s Ruy Blas les intéréts menacé e seul,en face de ses une part de sa puissance quand il se retrouv victimes, dans le secret de sa conspiration. qu’il n’y parait : La position du bouffon Triboulet est plus voisine t dans oeuvre. partou e presqu ment claire e dénoté est A sa situation insiste dans sa préface Il est celui qui pousse le Roi au mal et Hugo les mains de Triboulet dans Roi Le « : sur cet aspect du personnage toutes les existences au nest qu’un pantin tout-puissant, qui brise Il est celui qui est d’acmilieu desquelles le bouffon le fait jouer. » qui moque
acte
de
Ruy
Blas,
absurde
sans
cela,
n’a
d’autre
sens
que
de
nous
introduire au centre de la toile, ou se débat la mouche prisonniére. — Mais en méme temps, la mouche est araignée par le rdle objectif depiége mortel qu’elle joue : pour elle, Hernani revient au Chateau Silva, et consent plus tard a reprendre le nom d’Aragon. Pour elie, : Ruy Blas accepte le pacte satanique qui le prive de son
il suffit de apparition tivée, pour 122. Marie
que
cesse
Tudor,
étre méme
:
de la reine a la fin de V’acte I, radieuse, immo-
toute résistance.
Les
apparentes
absurdités
de-
Ill, 9.
, 123. Angelo, Ill, 2, 5. 424. Le Roi s’amuse, Ul, 3, O.C., 1V, 586.
Varaignée, tu 425. Cf. Notre-Dame de Paris, VII : « Hélas, Claude, tu es ce texte. la mouche aussi. » Nous avions écrit ce chapitre avant de retrouver
es e ee
ee Se
STRUCTURES
la conduite
DU
du héros, son aspect
THEATRE
« non
DE HUGO
437
yraisemblable’'»,
viennent
du
fait que l’origine du Désir, l’appel sont situés dans la zone A. La situation A de la Femme peut étre immédiatement visible: e’est la Reine, c’est Lucréce Borgia, c’est Dofia Sol, toutes reines ou princesses ; mais elle peut n’étre pas visible pour le héros : Didier ignore que Marie est créature des Grands Seigneurs, de Richelieu méme. Dans Angelo, Rodolfo ignore que celle 4 qui va son amour est ja femme du podestat. Gilbert ne sait pas que Jane est de haute naissance. Par le masque (Lucréce Borgia dissimulant son identité au début, son réle a la fin de la piéce) l’héroine, trés consciente
du carac-
tére fatal de sa position, tente de se désolidariser du danger, comme si elle ne pouvait qu’étre désastreuse au héros en l’entrainant dans la lumiére mortelle de l’espace A. Le masque, le changement de nom, le silence de la Femme, autant d’éléments directement perceptibles, alertant le spectateur sur la nature A de l’héroine et le danger qu’elle représente. Quelle que soit Ja nature de la femme A, criminelle ou sainte, pure ou impure, ou simplement enfantine et faible, méme victime, elle joue objectivement le réle de l’araignée : dans les Burgraves, Régina est ’appeau du parricide. C’est une des preuves supplémentaires du caractére non manichéen du théatre de Hugo; si la moindre faute est mortelle, ’innocence et la pureté ne protégent pas
de la mort. Méme quand elle est impure comme Marion, ou criminelle comme Lucrece Borgia, la femme est tenue pour implicitement bonne, pour objet du désir ou de Vamour; « flamme >», |’ « étoile », mais
porteuse de la valeur, elle est la elle ne saurait étre prometteuse de
bonheur que si elle a la volonté ou la possibilité de renier ou de rompre ses liens avec A. Si Marion refusait tout contact avec Saverny ou avec
Laffémas,
si la Reine
abdiquait,
si Dona
Sol, comtesse
de Silva,
pouvait étre femme du bandit Hernani et non de Jean d’Aragon avec la Toison d’Or au cou — si Catarina s’enfuit, si Jane renonce a son titre de comtesse pour devenir « femme de l’ouvrier Gilbert » — le bonheur serait —_ est — encore possibie. Ainsi, cette promotion de la Femme qui lui ouvre le bonheur est une promotion dangereuse. A ne lache pas sa proie. Seules échappent Catarina par la porte étroite de la fausse mort” et peut-étre Jane, parce qu’elle n’est pas encore
intégrée a A: enfant trouvée, elle n’a pas encore bénéficié des avantages de sa naissance, elle est encore pure. Toute intégration trop profonde dans l’espace A, méme si l’héroine n’en est en fait nullement « responsable », ne peut se traduire que par la mort, si elle a d’une maniére indiscutable
ou simplement
franchi
par la mort
la cloture
(la Tisbe, Lucréce,
du bonheur
si, en
Dona
fait, elle ne
franchie (Marie Tudor, la Reine dans Ruy Blas, Alix de Ponthieu, Jane dans la premiére version).
Marion
Sol)
l’a pas
de Lorme,
Donec, dans Vensemble du thédire joué de Hugo, le rdéle de la Femme est encore ambigu ; prisonniere elle-méme, elle ne peut pas libérer
le héros ; son
réle est encore
négatif.
Non
seulement,
elle ne
trouve pas en elle les forces qui lui permettraient de se libérer de sa prison, mais elle attire le héros dans l’espace ow il reste englué. Autrement
dit, la Femme
doit permetire 4 la Femme 126. C’est aussi le cas
est 4 la fois mal
et bien ; le retournement
et plus précisément 4 la Fille de devenir
de Regina
dans
les Burgraves.
438
LE ROI
ET LE BOUFFON
le médiateur du Bien, de surmonter l’opposition A/B. Cette démarche est A peine indiquée dans les derniéres piéces de cette période, les Jumeaux, les Burgraves ”, Le lieu A. Le Palais-Prison...
Dans ce palais-prison Je sens quelqu’un en proie a votre trahison Ruy Blas, 1V, 7. Le lieu relativement luxe et lieu Lieu de
A est tout un univers
dans Marion,
dans le drame hugolien, un monde souple et varié mais il est avant tout a la fois lieu de de fermeture. luxe, il est le palais royal ou seigneurial dans Hernani, dans
le Roi s’amuse,
dans
Lucréce,
dans
Angelo,
dans
les Burgraves ; il se dégrade aprés ; il est dans les Jumeauz le lieu désert mais royal ot se retrouvent Anne d’Autriche et Mazarin, avant d’étre la forteresse fermée, ruinée des Burgraves. Au palais se trouve rattachée la féte ; pas de palais sans une féte au moins indiquée, féte dans le Roi s’amuse, « qui a un peu le caractére d’une orgie ™ », féte au début de Lucréce Borgia: « Vous vous | mettez 4 courir les fétes, les musiques, les tertullias 4 ’espagnole ™, » Le drame se ferme sur cette féte dans le palais-tombeau Negroni, dont la poésie sinistre est l'image de toute la dramaturgie hugolienne : chants de féte doublés par des chants de deuil ; dans le palais hugolien ot le poison et le poignard sont les maitres, ot régne la danse macabre,
mémes
la féte
se
retourne
en
mort
avec
la présence
active
des
éléments.
La féte annoncée
pour
le mariage
de Dofia
Sol et de Don
Ruy
Gomez (« aujourd’hui double féte ») est reprise et redoublée par le bal masqué de l’acte V, célébrant les épousailles mortelles d’Hernani
et de Dofia Sol. Le theme de la féte est perpétuellement redoublé : « féte pour féte, messeigneurs », s’écrie Lucréce Borgia ™, comme si la féte avait perpétuellement son double visage de joie et de deuil, de plaisir et de mort. Ainsi Venise, lieu du pouvoir, lieu A par excellence,
|
est définie par son double espace : « Il y a une chose grande et pleine
—
de ténébres ; il y a Venise
(...) Venise
(...) c’est Vinquisition
d’état,
e’est le conseil des Dix (...) A Venise on ne meurt pas sur |’échafaud, on disparait (...) Du reste bals, festins, flambeaux, musique, gondoles,
théatres, carnaval
de cing mois. Voila Venise™.
méme du lieu A; lieu de lV’éclat, des plaisirs, des beaux costumes, de la mort. La cour définie par Francois I: « Oh, les fétes, les jeux, les 127. La
médiateur Femme.
lacune
politique,
des
Guanhumara,
Burgraves
le médiateur nous
l’avyons
est
sans
yu,
ne
impérial
et non
lache
ne peut la considérer comme médiatrice. 128. Le Roi s’amuse, I, 1, O.C., IV, 535, Borgia, I, 1, ibid., 667. 130. Ibid., Ul, 2, ibid., 720. 131, Angelo, I, 1, 0.C., V, 276. Notons
doute sa
de
ne
mettre
le médiateur proie
qu’au
en
scéne
humain
dernier
qu’un
qu’est
instant,
|
1
la
on
129. Lucréce
de cing mois » est une addition sur locale ; le reste, ce sont les éléments
:
» Venise est image
| ici que
le manuscrit, de la féte A.
«
gondoles,
théatres,
apparemment
pour
carnaval la couleur
STRUCTURES
danses,
les tournois!
« Richesse, honneur,
»
DU
THEATRE
est aussi
Hen
DE HUGO
439
du pouvoir
‘et de l’excés
:
plaisirs, pouvoir sans frein ni loi *. »
Les cris des seigneurs enlevant Blanche sont dits « cris de féte ™! ». Catarina refusant son espace s’écrie : « Les plaisirs, les fétes... tout cela ne me ferait rien. » Il n’est pas jusqu’aux Jumeaux pourtant peu propices 4 toute idée de féte, ot Anne d’Autriche évoquant la cour ne dise: « On se ruine en fétes™, » Dans Ruy Blas, 4 défaut d’une féte réelle, Salluste et les courtisans échangent le souvenir des fétes passées "7, tant la notion
de féte est liée a celle de roi,
de cour et de seigneurs. Le début des Burgraves est marqué bruits de féte répondant aux plaintes des esclaves ; violence sirs, contrainte
et joie de vivre
sont les constantes
par les et plai-
du lieu A. Centre
de la féte, le palais est aussi l’espace du mal: de la la malédiction lancée par Gennaro : « Palais de la luxure, palais de la trahison, palais de l’assassinat, palais de l’adultére, palais de V’inceste, palais de tous les crimes, palais de Lucréce Borgia ™*, » Le lieu A est fermeture et c’est un aspect peut-étre plus révélateur : certes |’idée méme de palais suppose un espace clos et, la machine du drame le réduit progressivement. Encore vaste dans Ruy Blas 4 l’acte I (il est le corridor immense du palais royal), il devient successivement l’appartement de la reine, la salle du conseil et son placard-observatoire, enfin aux actes IV et V, le vrai palais-prison de Don Salluste (ainsi le nomme Don César qui a bien remarqué sa fermeture totale et la nécessité d’y entrer « par en haut ») — palaisgrotte, caverne ot s’accomplit la transmutation de Zafari en César de Bazan, de César de Bazan en Ruy Blas, jusqu’a ce réduit dans le réduit qui est Je lieu de l’assassinat ™. Le lieu A se referme sur luiméme et le processus est. le méme dans Lucréce Borgia, ou, au bal vénitien ouvert et aéré succédent Ja rue puis le palais du duc de Ferrare, enfin le palais Negroni, trappe, lieu de mort d’ot personne ne ressort vivant, méme l’ « araignée » qui s’y est enfermée avec ses victimes : « Personne n’entrera ni tes gens, ni lenfer » dit Ruy Blas a Salluste “ et Lucréce : « Gubetta, quoi qu’il arrive, quoi qu’on puisse entendre du dehors de ce qui va se passer ici, que personne n’y entre™, » Le chateau maudit des Burgraves finit par se resserrer jusqu’au Caveau perdu ot se jouent éterneliement les scenes mille fois réyéeset revécues du fratricide et du parricide. A la prison du masque répond la chambre fermée de Mazarin, elle aussi piége et prison. Méme la chambre de la Tisbe, « chambre magnifique >» aux meubles splendides,
se clot définitivement
4 la derniére
scéne:
« Toi, va
fermer la porte de la maison ; sous quelque prétexte que ce soit, ne 132. Le Roi Beane) Ill, 2, 0.C., IV, 577, 133, Ibid.,
578. On
134. Ibid.,
579.
éléments
ne
peut pas
ne
pas
songer
a la Féte
du luxe et du plaisir indiquent pour les victimes
135. Angelo, DT Oe Os Crag Viguct
sadienne,
ou
tous
les
la souffrance et la mort.
136. Les Jumeauc, Ill, ot: Oc. V, 861. 137. Ruy Blas, I, 5, 0.c, 596. 138. Lucréce Borgia, Ly 2, 3, 0.C., 683. 139. Voir dans notre ‘travail sur Ruy Blas (introd. chap. Variantes) le grand nombre d’hésitations entre des termes indiquant la fermeture : fermés — ver_rouillés.— barrés ; porte — grille; se referme — retombe ; caverne — antre; retraite —- cuchette — ombre inquiéte. 140. Ruy Blas, V, 3, O.C., V, 771. 141. Lucréce Borgia, III, 2, 0.C., IV, 721.
440
LE
ROI
ET LE BOUFFON
laisse entrer personne “ », dit la Tisbe a son petit page noir. Le lieu A se ferme
inexorablement
sur la mort. Donc, lieu de féte ou lieu de
fermeture, le lieu A, le Palais-Prison ne peut s’ouvrir que sur la mort. De la son caractére insolite d’étre un lieu nocturne. La féte nocturne
et le flambeau.
Si Pon réfléchit que A est a la fois lieu de la féte et lieu de la mort,
qu’il est done 4 la fois nuit et lumiére,
la fréquence méme
son
du théme
contraste
de la féte nocturne.
intérieur:
on ne s’étonnera
pas de
Ce théme
porte en lui-
4 l’éclat de la féte, aux
scintillements
des personnages A, de leurs costumes, de leurs bijoux, au brillant de leur position sociale s’oppose le caractére noir de leurs pensées, de leurs projets, des menaces qu’ils répandent ou qui les entourent : ils sont lumiére mais en méme temps ils sont dans la nuit. Qu’est-ce done que ces lumiéres qui brillent dans le noir, si ce n’est la féte nocturne et dans cette féte, le flambeau. L’ombre du mal et de la douleur est traversée par la lumiére des torches et des flambeaux, elle aussi prometteuse de mort. Féte nocturne au début du Roi s’amuse: « Une féte de nuit au - Louvre... » Lucréce Borgia s’ouvre sur une féte nocturne : « ...a Venise. C’est une féte de nuit. » La Tisbe donne au Podestat une féte de nuit: « Un jardin illuminé pour une féte de nuit. » Le cinquiéme acte d’Hernani est une féte de nuit qui se termine mal: « On voit les jardins du palais... il est nuit. On entend des fanfares isolées™. » Salluste rappelle les somptuosités passées de César de Bazan et ce sont débauches nocturnes : « Tous les soirs danse et féte au vivier d@Apollo Et cent musiciens faisant rage sur l’eau™. » Toujours les mémes éléments ou presque: l’obscurité, parfois l’eau, la musique toujours liée 4 la féte nocturne et qui finit par s’identifier 4 elle, musique joyeuse ou funébre mais toujours signe de mort (le cas le plus visible en est peut-étre le voeu de musique proféré par dofia
Sol, exaucé par l’éclat soudain du cor fatal). La lune éclaire sinistrement la féte comme elle éclaire aussi le rendez-vous de Rodolfo et de Homodei™’ et la féte vénitienne de Lucréce Borgia, comme elle découpe ses ombres nettes dans le caveau perdu des Burgraves. Parfois l’indication des festins, des vins comme dans l’acte final de Lucréce rappelle avec insistance le theme contemporain de Noces et Festins “ ; la féte c’est ce qui se déroule
heureux
insouciants
Musique,
dans
l’espace
A, celui
des
et cruels 4 la porte de qui frappe le destin fatal.
eau morteile
et douce,
festin
de Baltazar,
clair de lune,
flambeaux : l’objet signifiant entre tous, celui qui.est a la fois lumiere et mort, c’est le flambeau.
Il illumine
les fétes, il annonce
pas de palais sans cette flamme, pas de chambre 142. Angelo, Ill, 3, 1, 0.C., V, 335 143. Cf. dans i$ Angelo, Pp. aan ‘Lridée nocturne. 144. Hernani, V, 1, O.C., Ill, 1017. 145 Ruy Blas, Mf 3, O.Gs V, 696.
146. Nous
avons
vu
(IJ, 3) comment
que
nous
la
piéce
pouvons
d’Angelo
est entiérement
lidentifier 4 un
mort.
147. Angelo, I, 5. 148. CC, IV, éd. Albouy, Pléiade, I, 833. 149. Cf. Pimage antique du flambeau renversé,
la mort:
de mort ou ne soit
signe de mort.
veu
de
~
STRUCTURES
indiquée
une
DU
THEATRE
DE
HUGO
441
torche.
Or cet objet est a la fois et) indissolublement il est 4 la Ainsi dans la mort et indications scéniques et du dialogue :
signe de puissance et signe de mort !*. Presque toujours, fois dénoté dans Vindication scénique et dans le texte. V’acte II de Hernani, la liaison de la pression sociale, de du théme du flambeau se fait 4 la fois au niveau des
.. Cris
confus,
flambeaux
fenétres, sur tous DONA
et lumiéres
les totts, dans
a toutes
toutes
les
les rues,
SOL
Léve-toi ! fuis ! Grand Dieu ! Saragosse S’allume ! HERNANI,
Nous
se soulevant
a demi
aurons une noce aux flambeaux ! DONA
SOL
C’est la noce des morts ! la noce
des tombeaux !
Bruits d’épées. Cris. HERNAN], Viens
se recouchant sur le banc de pierre
dans mes
bras !
UN MONTAGNARD,
Débouchent
Z
l’épée a la main, accourant
Seigneurs, les sbires, les alcades, dans Ja place en longues calvalcades * |
Tout Vespace A se retrouve dans ce texte, avec sa force de menace. Mais l’exemple le plus beau et le plus caractéristique est peutétre ’exemple inverse si j’ose dire, de Marie Tudor. Au dernier acte, c’est la reine qui, sans lumiére, écarte le rideau, découvrant Londres illuminée ; la nuit est trouée, consteliée de torches dont chacune est
un yvoeu de mort contre ’homme qu’elle aime. Le pouvoir A est passé tout 4 coup, par l’émeute, entre les mains du peuple, qui pour une fois brandit la mortelle lumiére et la retourne contre son maitre ; la haine « illumine toute une ville autour d’un échafaud », et tandis que le
théatre s’éclaire de ce « spectacle éblouissant », la reine s’écrie : « Oh! ville infame ! ville révoltée ! ville maudite ! ville monstrueuse qui trempe sa robe de féte dans le sang et tient sa torche au bourreau !... Oh que je voudrais charger ces flambeaux en brandons, ces lumiéres en flammes, et cette ville illuminée en une ville qui bridle ™. » Dans quasi toutes les piéces de Hugo, le flambeau est annonciateur de mort et de mort violente, cruellement infligée ; inutile de rappeler le jeu avec le flambeau qui occupe la seconde partie de la 150, Cf. la fréquence de la rime tombeau-flambeau. 151. Hernani, Il, 4, 0.C., Il, 963. 152, Marie
Tudor,
Ill, 2;
2, 0.C., IV, 846.
442
LE ROI ET LE BOUFFON
deuxiéme journée d’Angelo'®, Dans la méme piéce un curieux texte ajoute au flambeau les autres éléments mortels de V’espace A ; Angelo ayant décidé la mort de Catarina ordonne au prétre d’en faire les appréts : « ... Vous allumerez trois cents flambeaux de cire blanche,
comme
pour les reines. Vous
aurez
six cents pauvres
qui recevront
chacun un ducaton d’argent et un sequin d’or. Yous ne mettrez sur la tenture noire d’autre ornement que les armes de Malipieri et les armes de Bragadini...1 » L’or, les armoiries, le pouvoir royal, le flambeau, tous les éléments
de A autour
de Catarina.
du cercueil
*
* ok
Il serait trés intéressant de voir si du point de vue lexicologique, nous trouvons les mémes mots-clefs dans la poésie lyrique de la méme période, c’est-a-dire les quatre recueils de 1831 4 1840. Or on s’apergoit qu’un relevé portant par exemple sur les ensembles sémiques Or, Flambeau,
Clé, Fermeture, Féte, aboutit A des résultats assez diffé-
rents : lor par exemple y est pratiquement toujours employé avec une valeur métaphorique (planéte d’or, roseaux d’or, etc.). Quand Vor signifie métal, signe de richesse, il n’est pas nécessairement lié A la puissance.
En
revanche,
la rime
fois dont deux fois 4 propos consacré
flambeau/tombeau
de Napoléon,
une
se
retrouye
fois dans
au duc d’Orléans, une fois dans A Eugéne,
huit
un poéme
vicomte H™., Les
mots-clefs de l’espace A sont trés rarement groupés, 4 deux exceptions prés, qui sont intéressantes : l’une est le fameux Noces et Festins ™, gui nous apparait comme correspondant a un schéma dramatique type de Hugo et dont tout le texte pourrait étre commenté en fonction des mots signifiants de A, présentés dans Vordre suivant, paragraphe par paragraphe: l’or, le blason, le sceptre, la féte, le banquet, Vorgie, le flambeau, la mort, chacun de ces semes résumant Je paragraphe correspondant.
L’autre poéme
A M. le duc d’0. :°
ou nous
retrouvons
les mémes
groupements,
c’est
Jeune homme au coeur royal, soyez toujours ainsi, La porte qui fait dire au pauyre : c’est ici ! La clef sainte, qu'on trouve au besoin sans flambeau Qui rouvre Vespérance et ferme le tombeau !
,
Il est & peine besoin de souligner comment ce voeu pieux reprend en les retournant les éléments de l’espace A, et correspond, si l’on ose dire, 4 une formulation telle que: « Faites que A-ne soit plus A! > « Rouyrez A et fermez sa fermeture ! > Seule une étude trés poussée montrerait dans Je détail tes rapports du vocabulaire lyrique et du vocabulaire dramatique. Cepen153.
Pas
de
flambeau
dans
Ruy
Blas,
a Vexception
d’un
/flambeau
trés
méta-
phorique (II, 2). Nous regrettions vivement de n’apercevoir dans le texte des Burgraves, aucun flambeau, pas la moindre lueur A part l’éclat funébre de la lune, quand
nous
apparut
dans
J’indication
précédant juste Varrivée du parricide. 154. Angelo, Il, 1, 0.C., V, 315.
scénique
un
mystérieux
porteur
de
‘ A
torche,
155. Feuilles d’Automne, XIII, Chants du Crépuscule, V, XI, Voix intérieures, XXIX, Rayons et Ombres, X{l, XVI, XXIV. 156. Chants du Crépuscule, IV, Pléiade, p. 833-836, 20 aoit 1832, v. p. 506.
STRUCTURES
dant,
il est possible
DU
THEATRE
DE
de tirer dés a présent
HUGO
un
443
certain
nombre
de
conclusions : tout d’abord, les mots-clefs du théatre ne sont pas employés en régle générale avec la méme valeur dans la poésie lyrique. Ensuite, dans les cas ot I’on retrouve un emploi similaire, c’est que l’on retrouve aussi le théme du Thédtre (Noces et Festins, a
Bugéne
Vicoumte
H) ou le theme
du Pouvoir
(le duc
d’Orléans,
Napo-
léon). Il est remarquable que dans ces cas, les mots ne se présentent pas isolément ou par groupes de deux, mais que l’on retrouve toute la constellation de l’espace dramaturgique A.
L’ESPACE B Le héros B.
Le personnage B est d’abord défini négativement : il est celui qui a perdu la qualité A, qui n’est plus ou n’est pas intégré, parce qu'il est ruiné comme César de Bazan ou exilé comme Rodolfo. C’est en général lui le « personnage sympathique », celui sur lequel s’appuie effectivement Ja fable qu’il en soit le sujet ou objet. Il peut étre maudit ou destitué de A par la faute ou le malheur de ses parents : enfant naturel comme Didier, enfant incestueux comme Gennaro, élevé hors des griffes d’une grande famille monstrueuse, enfant volé comme Otbert. En ce sens, il peut étre défini comme —A (moins A), homme a qui A a manqué soit pendant sa vie, soit 4 sa naissance et par la faute de son hérédité : il est donc
victime de la malédiction qui consiste 4 étre déchu de son espace propre, sans étre nécessairement a l’abri de la malédiction qui s’attache a la zone A. Le malheur du personnage B (B = — A) est d’étre
un personnage en rupture d’espace, de n’étre pas ce qu’il devrait étre.
Mais c’est aussi sa chance et sa dignité. Aussi est-il défini en opposition 4 un personnage A, authentiquement A : c’est Didier, dont », formule Saverny dit: « Je le devine peuple, il me flaire marquis exacte puisque Saverny est précisément la pour étre l’opposé, le repoussoir de Didier, pour lui faire mesurer son sort de personnage —A>; c’est Gennaro 4 qui l’amitié de Maffio fait lourdement remarquer sa situation de batard, d’homme sans rapport avec son monde 4 lui, Maffio, son monde de tragédie. C’est César de Bazan moqué par Salluste, représentant de A, raillé dans sa misére et sa chute. Une régle
généraie de la dramaturgie hugolienne veut que l’apparition du personnage B ne se fasse pas sans le personnage A qui lui sert de repoussoir et d’éclairement ; quand Didier apparait, c’est en relation avec Saverny, Gennaro est vu avec Maffio, et dans son opposition avec lui ; Hernani, lui, est présenté dans son rapport avec la femme A et dans le scandale que représente son amour pour un étre qui lui est si profondément étranger. Seul Rodolfo n’est pas présenté avec la méme — A, mais sa situation d’exilé politique énergie comme personnage est indiquée avec une grande netteté dés le premier acte; il faut 157. Marion
de Lorme,
O.C.,
Ill, 764, II, 3.
444
LE
ROI
ET LE BOUFFON
remarquer que de tous les personnages hugoliens, il est celui dont le caractére B est le moins marqué, celui dont les attaches avec I’espace A sont les plus visibles, celui qui pourra donc peut-étre échapper au malheur. L’un des traits les plus caractéristiques du personnage exilé, c’est sa parenté d’adoption avec un personnage populaire : Gennaro évoque « les pécheurs calabrais qui l’ont élevé et qui ont trempé tout jeune dans la mer pour le rendre fort et habile 8 » Didier: « ... Une femme vieille et du peuple, ayant quelque pitié dans lame, Me prit, fut ma nourrice
et ma
mére *,
» Pour Hernani
dont la naissance
est connue,
il s’agit non pas d’adoption, mais d’éducation: « Parmi ses montagnards, libres, pauvres et graves, Je grandis... » Quant a César de Bazan, qui ne doit rien au peuple pour ses premiéres années, son rapport avec le peuple, plus particulier, est deux fois dénoté dans Ruy Blas : il est ami du bandit Matalobos, et profite ainsi d’ < un voleur qui l’habille », et a l’acte IV il se présente comme le compagnon du fier Goulatromba,
l’amant
de coeur
de la rousse
Lucinda,
dont
le
logis n’est pas brillant ; notons que c’est cette profonde plongée dans B qui cause sa perte : il est mené en prison sous le nom du « fameux voleur Matalobos 18 ». Rodolfo, lui, n’est jamais représenté comme lié au peuple et sur ce point comme sur bien d’autres, nous voyons Angelo en retrait par rapport a l’ensemble de la dramaturgie hugolienne ; il reste un personnage « en l’air » et qui n’est étranger 4 l’espace A que par sa situation de banni '®, Plus profondément ancrés dans l’espace B sont les personnages qui, d’une facon ou d’une autre, n’ont jamais été A, c’est-a-dire, nom-
mément, louvrier Gilbert et le laquais Ruy Blas, qui ne sont pas des exilés, mais des
« hommes
du peuple ™ ». Ils sont donc non-A, et leur
caractéristique est de n’avoir par eux-mémes aucun vrai rapport avec espace A; il faut que se passent des choses improbables, que la femme aimée par Gilbert soit par sa nature de l’autre espace, ou que Ruy Blas se mette 4 aimer la Reine, qu’il serve de ressort 4 un piége ourdi par un autre, pour qu’ils se trouvent, si l’on peut dire, happés par Vespace auquel ils sont étrangers. Notons que Ruy Blas, lui, est accidentellement, par son éducation !, déja orienté vers A}, Ainsi le héros se trouve pris dans le conflit entre A et B. Mais au départ, le héros n’est pas conscient de sa position particuliére dans opposition A/B : non-A, il n’est pas encore consciemment B : ainsi Gilbert qui a aimé tout naturellement sa Jane, en a été jaloux comme tout homme
Vest de toute femme, ne saisit que tard ’impossibilité de ses rapports avec une fille titrée ; c’est Vhéroine qui le contraint 4 assumer sa position B en s’affirmant, elle, fiere de son vrai titre « femme de VYouvrier Gilbert!” ». Quant 4 Ruy Blas, il faut oppression intoléra158. Lucréce Borgia, Il, 0.C. V, 691 159. Marion de Lorme, I, 2, O.C., IV, 742
160. Hernani, 0.C., IV, 934. 162. Id., IV, 7, 0.C., V. 163. V. L, Angelo, les concessions que fait Hugo sur le plan esthétique. 164, Nous évitons autant que faire se peut, d’éviter le mot peuple, recouvrant une notion particuliérement vague. sens
165.
Ruy
« De moi, pauvre
ouvrier,
Blas est un intellectuel,
on
a fait un
aspirant
a A.
166. « Pensif et paresseux, A regarder entrer 167. Marie Tudor, Ill, 1, 7, 0.C., IV, 83
réveur
» (Ruy
et sortir
des
Blas,
I, 3) ; en
duchesses
»
un
(id.).
STRUCTURES
ble, la destruction
radicale
DU
THEATRE
DE
HUGO
445
de son étre et les menaces
sur la femme
aimée, pour que cessant de supplier A, il se retourne, accepte et revendique son étre B. L’appartenance B n’est donc pas pour le héros non-A le fait d’une nature, mais d’une conquéte difficile, d’une sorte d’ascése. Le fait d’étre —A ou non-A ne permet pas nécessairement a l’actant de revendiquer un espace qui soit le sien. Les personnages — A n’y parviennent pas : Gennaro redevient un Borgia et meurt, Didier accepte volontairement son anéantissement, sans jamais se définir en opposition A ses oppresseurs: ce qu'il refuse n’est pas tant l’ordre A que Vesclavage A de Marion. Pour Rodolfo, la question ne se pose pas et César de Bazan, bien loin de s’affirmer B, accepte tout ce qui lui est offert pour se retrouver A, et finit par tenter follement d’escalader la
cloture qui le sépare de A en utilisant instrument A par excellence, Valguazil. En revanche, la créature A aspirant 4 B considére B comme un bien
que l’on désire,
un
lieu ot: s’insérer,
comme
un
espace
idéal ot
elle serait enfin autre chose que A. Ainsi Jane aspirant a la vie privée en compagnie de Gilbert, ainsi Marion révant du bonheur interdit que serait la solitude
a deux, dans
les bras de Didier:
« Ah
ce serait le
ciel 1®, » Ainsi Blanche, créature B, révant d’aimer, non le roi, mais Vétudiant Gaucher Mahiet. Un cas particulier, on pouvait s’y attendre, celui de Job: « Le vieux
Titan
du
Rhin,
Job
’?Excommunié™
» : il s’intégre
dans
A,
nous l’avons yu, par un crime, mais dépasse l’opposition A/B dans deux sens peut-on dire : tout d’abord, son espace A, ot des maitres dominent des esclaves, celui ot il régne, est par rapport au reste du monde, un espace B, celui de la révolte et de l’excommunication
ensuite i] apparait comme éternellement fixé intérieurement 4 l’espace B, celui de l’exil et de la mort ot il a précipité ses victimes. Dans Yun et l’autre sens, il faut ’intervention impériale pour lui permettre de s’éprouver et de s’accepter A: « Job, regne sur le Rhin™. » Au dernier moment de la piéce le personnage de Job parait unir en lui A et B enfin réconciliés. Dans tous les autres cas, la position B acceptée, revendiquée, apparait comme le fruit d’une sorte de conquéte ou de reconquéte qui s’accompagne en principe de la mort. En ce sens, le personnage B, sans cesse présent, finit par étre un personnage-limite, un actant qui n’apparait pas encore maitre de lui et de son destin. Le « truand
».
Le personnage qui se trouve totalement en dehors de l’attraction de A existe dans le thédtre de Hugo, mais — chose qui ne nous étonnera pas — il trouve sa place essentiellement dans les pieces qui n’ont pas été jouées (Roi s’amuse, Jumeaux), ou qui ont été tronquées (Angelo). Le personnage B de « Cour des Miracles », le « loup libre », 168. Marion de Lorme, I, 2, O.C., Il, 745 169. Burgraves, I, 7, 0.C., VI, 609.
170. Id., Ul, 4, ibid., 647, 171, C’est dans le 1hédtre en liberté et le Glapieu de Mille Francs : « Moi,
que s’affirme le héros je suis en dehors »
que M. Barrére rapproche de celui de Jean Valjean — V, VII, 1 —, Barrére, op. cit., U, p. 393).
A Marius
en dehors. Cf. Airolo (0,.C., XIII, 421, mot : « Je suis
dehors
»
446
LE ROI ET LE BOUFFON
Saltabadil, Tagus, est encore
négatif, immobile,
en dehors
du mouve-
ment dramatique et trop peu développé pour équilibrer la masse A (roi, seigneurs, instruments). I] est présenté comme un personnage
vague, situé dans un espace non structuré, coupé de tout rapport avec
A autre que de simple juxtaposition (le « flirt » royal de Maguelonne), et lié 4 des activités
fi faut admirable
« destructrices
», comme
le vol ou
I’assassinat.
couplet du Voleur pour montrer, d’ailleurs de facon
non dramatique, mais didactique, le lien organique du personnage B et de ses activités avec ensemble de l’espace dramatique (A + B™), Et surtout ensemble de Ja population B n’est pas homogéne : pas de rapport dramatique entre Triboulet et Saltabadil, entre Blanche et Maguelonne ; Tagus
mais
un
serviteur
devient
et un
pour le comte
esclave«
perinde
Jean
non
un
ac cadaver
compagnon,
». Le
« loup
libre », autant que faire se peut, se tient A l’écart de A 1% bis, Quant au « héros B », toute revendication de B le condamne
a
mort; ii faut un singulier tour de passe-passe (et un changement de dénouement) pour que Jane, qui se voulait « femme de l’ouvrier Gil-
bert >, ne se retrouve pas « veuve de l’ouvrier Gilbert ». Celui de tous
les personnages B qui va le plus loin dans la revendication de son propre espace, c’est Ruy Blas, qui, par un coup de force, s’assume B et se retourne, par la force, contre A: « Je m’appelle Ruy Blas et je suis un laquais... Par Dieu, j’étais laquais, quand je serais bourTeau #8? » Mais cette conquéte de B, Hugo ne l’achéve pas dans son théatre joué. Il faudra attendre le Thédtre en liberté pour qu’on assiste a la
victoire d’Airolo ou de Glapieu, admirables ques et purs personnages B.
« marginaux », authenti-
Le lieu B.
De
méme
souvent
que le personnage
« invisible
», ou
B est une
détruit,
ou
sorte
de limite, le plus
digéré par A, espace
B, dont
Phistoire du théAtre de Hugo nous a montré la réduction, se retrouve victime de contraintes historiques : le bouge du Roi s’amuse n’a pas
été supporté, non plus que celui d’Homodei, que Hugo a di renoncer 4 présenter sur la scéne. Le lieu B dans le thédtre de Hugo est avant tout ouvert, espace non clos, place possible des confrontations, la rue, ov se fait l’enlévement de Blanche, ot Ja jeune fille colle son ceil A la fenétre de la masure Saltabadil, ot sous les regards apitoyés du peuple, le pére sanglote sur le corps de sa fille. C’est la rue, ot s’affrontent les couches sociales les plus diverses,
comme
dans
Marion
de Lorme
ow se
fait deux fois la confrontation du gentilhomme et du batard. C’est la rue, devant le palais, ot passent et repassent les victimes et les ennemis de Lucréce Borgia. Lieu vague donc, et dont la caractéris172. Jumeauz,
I, 3,
172 bis. Les rapports connaii
bien,
m’en sommes
mais
pas
173. Peut-étre
de Hugo
}
de la truandise et de la police sont une réalité que Hugo
qu’il
intégre
n’est-ce
pas
aux
Misérables.
sont des scénes
mal
un
faute
hasard
de « rupture
sans
d’espace
A Vacte IV, le refus de A par Lucréce devant
de Ruy
Blas
(V, 3).
doute
de
si les scénes »
pouvoir
les plus
: le « coup
Gubetta
tout
fortes
dire.
Nous
du théatre
de force » d’Hernani
(I, 2), le brutal retournement
STRUCTURES
DU
THEATRE
DE
HUGO
447
tique est d’étre ouvert a: tous, S’il est particularisé, s’il est B par opposition a A, s’il est masure ou Cour des Miracles, il risque de n’étre pas accepté. Remarquons que, chaque fois qu’un lieu B maté-
riellement
clos est présenté
sur la scéne, il lest toujours
en
relation
avec la rue, soit que la rue soit aussi présente (lieu multiple, dans le Roi s’amuse, 1V) soit que le rapport avec la rue soit immédiatement présenté (acte supprimé d’Angelo, Ill, 1). Le lieu B est ce qui par _ nature s’oppose a la cloture: il est a tel point un « dehors » que
|
Iaéme quand il est contraint de se présenter matérieliement fissuré, le jour et le regard y | badil, comme chez Homodei, la misére ouvre en ce sens l’espace B est celui ou Ja fracture
comme un pénétrent. le lieu sur du monde,
logis,’il est Chez Saltale monde; la désorga-
nisation apparaissent sans masque, ow la fissure du lieu mime le man-
que de létre, Par les lézardes
du lieu B, le personnage
B est exposé
sans défense aux regard du voyeur. Espace doublement théatral, inversant les conventions du théatre bourgeois, les détruisant en les accomplissant jusqu’a Vexcés ™, Dans Ruy Bias, ou la présence du lieu B est obsédante, ce lieu n’est nuliement présent sur la scéne (toute la piece se passe dans le champ de A), mais il est indiqué a trois reprises, dénoté par le lan-
gage a défaut de la mise en scéne: la gueuserie
effrontée
de Don
par la fenétre Salluste contemple
César
dans
la rue
(I, 2); a Vacte
IV
(sc. 3), César envoie le laquais répandre |’argent en lieu B, la taverne de Goulatromba, le logis « borgne » de Lucinda (« dont la vitre a ‘sur loeil une taie en papier‘ »). Hugo frustré offre A Vespace B tout Vadmirable premier acte des Jumeauzx, ou voisinent voleurs et saltimbanques *”, pendant que, juste retour des choses, les personnages A, -embarrassés et inquiets, viennent y faire des visites furtives. Mais Hugo n’achéve pas les Jumeauz,
et cette rue fantastique ne sera jamais
peuplée d’acteurs. Dans les Burgraves, le lieu B est renvoyé d’espace invisible, doublant le « monde réel >.
au sort
GUANHUMARA
Une esclave 1a haut, Mais une reine ici. Comte, 4 chacun son lot. Tu sais, ce burg est double, et ses tours colossales
Ont plus d’une caverne au-dessous de leurs salles. Tout ce que le soleil éclaire est sous ta loi ; Tout ce que remplit !’ombre, 6 burgrave, est A moi "8,
Le lieu A est essentiellement envahissant pour des raisons qui ne 174. Mme Y. Parent dans un travail encore inédit a relevé les référents situationnels du mot peuple dans Notre-Dame de Paris (avenues, 0.C., IV, 26; rues, 184 ; (vues paralléles), 99 ; pavé, 103 ; place, 335 ; place (de Gréve), 338 ; alentour, 237 ; sur les mdchicoulis, 240 ; circum (dans citation latine), 244; a bas, 331;
dans la société. ouvert.
On voit que
la quasi-totalité
de ees
occurrences
dessine
un
espace
175. Voir dans le méme sens comment les personnages de Hugo, écoutent, épient, entendent et voient ce qui ne leur est pas destiné. 176. Ruy Blas, IV, 3, O.C. V, 748-749. Toute cette scéne et particuliérement la
tirade de Lucinda, est la premiére chose écrite pour l’acte IV (voir notre édition critique de Ruy Blas, introd. Chronologie de la composition, p. 91-92). ; 177. Le point de départ des Jumeaux parait justement cette « cour des miracles». V. {, Les Jumeauz, et Ja série des brouillons publiés par nous, 0.C., XV, Autour des Jumeaux, 960-962, 178. Burgraves, Ill, 2, O.C., Vi, 634,
448
LE ROI
ET LE BOUFFON
tiennent pas a la nature du systeme dramatique de Hugo. Les restrictions auxquelles il est soumis et la nécessaire timidité dont il fait preuve enlévent beaucoup de vigueur 4 un théatre ot la possibilité de montrer un lieu B ett été probablement féconde. L’asymétrie constatée entre A et B est particuliérement sensible 4 propos du lieu. Le systeme dramatique de Hugo parait sur ce terrain n’avoir pat pu se déployer avec la liberté qui assure, dans les systemes un peu différents, la grandeur des Misérables ou lV’équilibre de la Fin de Satan. Hugo en est réduit 4 déséquilibrer son systeme dramatique, a réintroduire par la parole, par l’évocation indirecte, par IJ’allusion, la présence du lieu B, qui apparait trop souvent comme lieu sans contenu, forme vide. La présence pleine du lieu B ne se trouve pas sur la scene avant l’exil quand, dans Mangeront-ils ? Airolo et Zeyneb, aidés de la grande forét, portent un coup fatal au lieu royal, soudain effrité, a la
prison A, démantelée. Sans lieu B, le personnage B ne peut s’épanouir, il est réduit a la condition d’esclave, de prisonnier d’un espace qui n’est pas le sien. Si Guillot Gorju et Tagus ne s’ébattaient un court instant en liberté, si la libre Maguelonne ne jouait pas dans son grenier avec sa royale conquéte, il n’y aurait dans le théatre de Hugo que de pauvres mouches, aspirées sans résistance par le tyrannique espace A, et ne retrouvant leur liberté que dans la mort. La réduction extréme du -lieu B dans un systéme qui, nous le pensons, repose trés largement sur l’opposition A/B limite Jes possibilités de la dramaturgie hugohienne.
DANS
LES LOIS DU SYSTEME A/B LA DRAMATURGIE HUGOLIENNE
Généralités.
L’analyse élémentaire que nous venons maintenant de saisir les lois d’un systeme
de faire nous permet dés rigide mais assez mobile
pourtant pour admettre des variations relativement importantes. _ 1) On peut poser l’ensemble du systtme comme composé de lois étrangéres a la conscience du héros ou a sa volonté et qui sont 4 ia limite le cadre normal de son activité et de sa vie : Ruy Blas ne « peut plus vivre
», la Tisbe
veut
étre tuée, Didier
revendique
la mort,
non
pour des mobiles. « psychologiques » mais parce quwils se trouvent chassés de Vespace dramaturgique total, inexorablement voués a la
destruction. Ainsi le systeme A/B apparait comme un systeéme objectif qu débarrasse l'auteur et le commentateur aprés lui, de toute nécessité dune réflexion sur le yraisemblable psychologique. La loi dispense de la motivation ; elle s’impose du dehors, au vouloir et méme aux
passions, bien qu’on y retrouve le vouloir et les passions, intégrés. En un
sens,
on peut identifier le systeme
A/B
a la fatalite,
4 Vananke
hugolienne : c’est du moins Ja meilleure figure qu’il nous est donné de rencontrer du fatal. Le systeme n’exclut pas la liberté du sujet qui intervient au moment précis ot le systeme se casse 1% Pi, 178 bis. Car écrire le fatal, c’est aussi lui superposer une pratique de la liberté.
)
STRUCTURES
DU THEATRE
DE HUGO
449
2) Ce systéme est littéraire, il ne se lit que dans l’ceuvre et tout particuliérement dans l’ceuvre dramatique. Mais il n’est pas propre a Hugo : on le trouve dans ensemble du drame romantique. Seules les solutions sont différentes chez Hugo et du méme coup la signification du systéme change, instituant ainsi, 4 l’intérieur de ce qu’on peut appeler le code romantique, un sous-code hugolien. 3) Ou placer l’origine de cette opposition ? Pouvons-nous la ren_ voyer a un référent socio-culturel ? ou la tenir pour un systéme purement arbitraire relevant uniquement de l’écriture littéraire. Le fait que ce systéme n’est pas propre 4 Hugo nous permet de penser qu’il ne s’agit pas d’un pur code de la création hugolienne. I] sera nécessaire de toute évidence de renvoyer ce systéme A un signifié, qui luiméme pourra renvoyer 4 un référent socio-culturel. Bref, le drame | hugolien est le drame de l’époque romantique avec les variables propres a Hugo ™, Les lois.
Pour aller de la rive coquine d’autre pont que le pont du diable.
a la rive
vertueuse,
pas
Mille francs..., O.C., XIII, 394. (Avant l’exil, pas de pont du tout.)
I, —
Le changement
d’espace au départ ou antérieurement
au début
de la piéce : @ A peut passer en B.
a) A (féminin) peut aspirer 4 B par amour (pour conquérir le héros B) et par volonté de purification (Marion, Lucréce, Jane). La femme A peut se « déguiser » pour s’introduire au moins provisoirement et non sans danger en B (la reine de Ruy Blas, Marion, Lucréce). Aspirer a B, c’est désirer retrouver l’amour, la pureté et la liberté.
Le moyen c’est le déguisement (ou la fausse mort : Catarina). b) A (masculin)
séduire
peut faire une incursion
par exemple
une
femme
momentanée
B, incursion
en B, pour
qui n’est jamais
risque (Francois I, Fabiano) : il faut pour le sauver accepte de se sacrifier (Blanche, Marie Tudor ™),
qu’une
sans
femme
c) A peut tomber en B par lezil ou par l’abandon : tant qu’il se tient en B, il n’est pas menacé, le chatiment l’ayant déja frappé (la petite mort de lexil) : Gennaro, Maffio, Didier, Rodolfo, Hernani, Salluste, César de Bazan, le comte Jean, Guanhumara, Otbert. Le drame
commence au «< retour d’exil » : l’exil est percu par le héros comme imposé du dehors, comme une malédiction, que la démarche naturelle est de refuser (cf. les progrés dans la conscience de la malédiction chez Gennaro). © B peut passer en A (ou repasser s’il a été exilé en B). 1) a) par désir, ce désir pouvant étre le fruit : —
d’une ambition
comme
179. Voir plus loin, p. 450-452, 180. Sacrifice incomplet en ce cas.
Fabiani ;
450
LE ROI ET LE BOUFFON
—
de la nécessité :Tisbe, Marion, Triboulet, prostitués en A ;
—
de amour
pour
la femme
A
Otbert; b) par le désir quils inspirent par l'amour que lui porte Lucréce.
: Hernani,
4 l’étre A:
Ruy
Blas,
Gennaro
Rodolfo,
attiré en A
2) Cette insertion dans A peut étre : a) antérieure 4 la piéce : Triboulet, Marion, Fabiano, Tisbe ;
b) 3) Les a) b)
concomitante 4 la piéce :Ruy Blas, Hernani. moyens de passer en A sont: le génie - Ruy Bilas; le masque : Hernani, Ruy Blas, Rodolfo, Gennaro
(masque
involontaire) ;
c) la faute (prostitution, duel, imposture) Didier (il y a parfois cumul de ces moyens). Il. —
: Marion,
Ruy
Blas,
Conséquences. a) Le personnage
B (en A) ne peut revenir en B, ou s’il revient,
il meurt : Tisbe, Ruy Blas, Gilbert (premiére version). _tenir
b) Le personnage A (ou B devenu A) ne peut obtenir de se mainen B volontairement : Lucréce, Triboulet, Marion, Job, tous
renvoyés en A (méme Francois I). Exceptions : Catarina et le dénouement optimiste d’Angelo — Jane et le second dénouement de Marie. Tudor. c) Le personnage A exilé en B ne peut revenir en A sans mourir : Hernani,
Gennaro,
César de Bazan,
Salluste,
Guanhumara.
Exception :
Otbert (Rodolfo ne rentre en A que trés provisoirement, il échappe done ™), d) Le personnage A aitiré ou fixé en B par le héros B meurt avec lui; », lui-méme présenté comme ombre. Quant a ceux que leur place sociale pouvait prédisposer au réle de sujet, c’est leur duplicité méme
qui fait leur faiblesse
sans identité
avouable.
Le
comte
Jean,
banni en rupture de ban, dispute au Masque, sans apparence et sans identité, le rdle de sujet. Il faut attendre les derniéres scenes des 111. Cf. plus loin l‘analyse du discours. 112. Il m’est pas impossible de trouver traces du méme phénoméne.
118
113. Acte HI, 2, O.C., IV, p. 578. 114. Triboulet refuse de se nommer.
dans
d’autres
piéces
romantiques
~ |
des
—
i A la lettre il n’est plus rien, V. 1, p. 117-
j © 5
ial
LE DRAME
CARNAVALESQUE
: ACTANTS
ET ACTION
483
Burgraves pour qu’apparaisse la radicale faiblesse du grand burgrave
Job ; faiblesse non pas due seulement a son conflit avec Empire, mais a sa situation de batard et au crime dont il porte le poids. Tout se passe comme si dans la dramaturgie hugolienne aucun sujet ne pouvait se constituer, comme si ce qui a vocation de sujet par son énergie passionnelle, par son intelligence, par son vouloir ou par sa position historique se trouvait marqué d’une tare qui le fixe dans une faiblesse irrémédiable. Ainsi Lucréce, puissante dame, fille du pape et sans scrupule,
se
révéle
dénuée
par
la passion ; ainsi
glante souveraine, s’affirme femme
Marie
Tudor,
san-
et faible au niveau du cceur.
L’histoire et la fracture du sujet. Le sujet est présenté, nous l’avons vu, comme le sujet du récit dun passage : or de ce passage de l’espace B a V’espace A, le sujet peut étre le « héros », parce qu’il est présenté comme le sujet de deux virtualités historiques opposées. Le sujet, ce n’est plus le roi et le prince, mais l’étre qui n’a pas vocation naturelle 4 la royauté, qui est par nature, non-roi ou non-prince et a qui la fatalité (historique) a soudain dévolu le réle de roi ou de prince, parce qu’il était déjA dans une situation ambigué. Au départ le héros est 4a la fois homme du peuple et courtisan (c’est le sens l’appel de Triboulet 4 Marot™) ou fille du peuple et prostituée de haut vol (Marion, la Tisbe ™*). Tout se passe,
nous
l’avons
vu, comme
si cette
« double
postulation
», cette
« double appartenance ™” » délimitait sa fracture intérieure et l’impossibilité ot il est de se récupérer dans une unité. La restauration de cette unité, qu’il parvienne ou non au niveau royal (Triboulet par le régicide, Ruy Blas par l’amour de la Reine), postule une révolution : le meurtre du roi, le meurtre de Salluste, la conjuration de Hernani ou celle de Marie Tudor, le crime
de Gennaro ™, le faux crime
de la
Tisbe, sont des tentatives, en général vouées a |’échec, pour restaurer Punité
perdue.
Dans
les Jumeauz,
la fracture
du
sujet
est
avouée,
_proclamée, et I’unité du sujet royal ne peut se restaurer qu’a la faveur dune sorte de meurtre rituel. Mais le meurtre rituel est en fait un suicide rituel : le sujet fracturé se reconstitue par une violence qui est en méme temps violence sur soi. L’unité du moi ne se fait que par la destruction d’une part de soi qui est en méme temps le tout de soi : Ruy Blas tuant Salluste tue en méme temps ce César de Bazan,
ministre aimé de la Reine, qui est plus lui que lui-méme : ainsi le meurtre
de Salluste et le suicide
mais un seul et méme le moins
ne sont pas deux actions
différentes,
acte. Le cas le plus clair, mais en méme temps
riche, est celui de Marie
est autodestruction *, mais
Tudor,
ot Videntité
oi la vengeance
des
deux
de Gilbert
sujets (Gilbert et
115. Le Roi s’amuse : « Marot (...) Si tu gardes une ame, une téte inspirée, Un cceeur d’homme du peuple encor, sous ta livrée (...) Faisons cause commune en fréres que nous sommes » (III, 3, 0.C., IV, 586 116. « La Tiss—E: Ah! je ne suis qu’une pauvre comédienne de théatre, on me permet de donner des fétes aux sénateurs, je tache d’amuser notre maitre. »
Angelo, I, 1, O.C., V, 272.
:
rages ee G.
Rosa,
Introd.
a 93,
0.C.,
XIV;
et Journet-Robert,
Notes
sur
les
ont., p. 7. 118. Cf. le régicide de Lorenzaccio. ; 119. Marie Tudor, I, 8 ; Fabiani rappelle A Gilbert : « Le crime dont tu me charges te charge aussi. Tu me feras mourir, mais tu mourras. » 0O.C., IV, 819.
484
LE ROI ET LE BOUFFON
Fabiani) est masquée par les détours de l’intrigue, et ne fulgure qu’au niveau du dénouement.
Cette fracture du sujet au niveau de V’histoire est visible aussi dans les autres actants, mais elle n’y a pas un caractére aussi décisif ™. Dégradation
du sujet historique.
L’une des caractéristiques du théatre hugolien, c’est le refus du sujet historique : ce qui est sujet, c’est justement ce qui n’a pas vocation a étre sujet, ce qui n’est
ni roi, ni reine,
ni prince,
ni méme
ministre. Le roi ne peut étre sujet historique, et si par instant il assume ce role, la fable s’empresse de dissiper cette illusion : Charles Quint ne peut sauver Hernani, pas plus que Marie Tudor Fabiani. Si le roi ne peut étre sujet de l’histoire, c’est aussi qu’il est présenté comme incapable d’assumer ce role : Louis XIII est un fantome éteint, dont on se joue, et dont Richelieu usurpe la place et le role de grace et de punition : Charles Quint, empereur, peut « voir sous soi rangés Les rois et sur leur téte essuyer ses sandales “% » ; Francois I* apparait en séducteur, en Don Juan sans grandeur, puis déguisé, en étu‘diant,
en
soldat,
puis
dissimulé
dans
la chambre
d’une
fille,
enfin
dormant d’un sommeil aussi peu distingué que celui d’Alexandre de Médicis dans Lorenzaccio'. Enfin le Roi disparait et le personnage royal se « dégrade » en figure féminine ; l’opposition reine/femme est expressément dénotée dans Marie Tudor: « Il y a donc des cas oll une reine, ce n’est qu’une femme™ » ; la dégradation du pouvoir de la Reine est indiquée par rapport au personnage de Simon Renard : « Plus roi que je ne suis reine™. » Dans Ruy Blas l’absence du Roi est un motif redoublé, dont le corollaire est la toute-puissance de la Reine, elle-méme
niée par le méme
parallélisme/opposition
: femme/
reine : « Devant cet homme-la, je ne suis qu’une femme. » Dans le personnage de la Reine de Ruy Blas, s’affirme plus clairement que partout ailleurs cette opposition entre la place historique et la faiblesse individuelle qui interdit au souverain d’étre dans la dramaturgie hugolienne sujet du drame : « Que c’est faible une reine, et que c'est peu de chose ! >» L’exemple le plus net du divorce entre le sujet de la fable et le sujet historique, et de la déperdition de ce dernier 4 l’intérieur dun groupe, c’est celui de Ruy Blas : le roi est absent, et c’est caché der-
riére
un
rideau
qu’il assiste
aux
délibérations
du
conseil
ot
Von
120. Voir plus loin Dramaturgie du sujet. 121. Hernani, 1V, 2, O.C., II, 1001. 122. Il serait peut-étre temps d’examiner le probléme de l’influence possible du Roi s’amuse sur Lorenzaccio, influence qui nous parait capitale. Admirable exemple d@’ ¢ intertextualité ». 123, M.T., Ill, I, 9, 0.C., IV, 839. Cf. I, 1. « Quand une femme: régne, le caprice régne » (ibid., 776) ; sur la faiblesse de la reine : « La Reine est amoureuse et malade » (ibid., 774) et toujours dans la bouche de Simon Renard : « La reine est folle, elle ne sait ce qu’elle veut. On ne peut compter sur rien, c’est une
femme. 124. 125, 126.
» (III, Ibid., R.B., Ibid.,
I, 5, Il, 2,
2, ibid., 824.) 828. 1,.0.C., V, 701. 708.
LE DRAME
CARNAVALESQUE
dépéce l’Espagne”’. L’impuissance grande : si elle « fait tout », son affaires
son
: ACTANTS
ET ACTION
485
de la Reine n’est pas moins action se borne 4 installer aux
favori ; le sujet historique
s’est fractionné,
pulvérisé
en
tire a lui dans
le
une poussiére de tyranneaux : cette fois, non seulement la collusion du sujet historique et du groupe des privilégiés est éclatante, mais ce groupe a positivement supplanté le sujet historique rendant impossible linstauration de- Ruy Blas comme tel: une extraordinaire trouvaille dramatique assimile au groupe aristocratique des ministres ce ministre de la police disgracié qu’est Salluste, qui parle en tant que Grand d’Espagne, s’identifiant aux autres grands, dans l’intérét desquels il « ressuscite », et dont il assure la victoire réelle sous la défaite apparente™; bien plus, le sujet historique dégradé qu’est Salluste,
néant
relais décomposé
celui
qui aurait
d’une
vocation
royauté
de
fant6me,
sujet
de
Vhistoire
: Ruy
Blas,
déguisé en aristocrate, donc assimilé aux privilégiés, est engagé de force dans le rang des « loups », inexorablement identifié A eux,
obligé de les servir ou de disparaitre : le jeu des pronoms (le nous royal du ministre relayé par le je dela supplication du laquais, le vous qui fait place au tu du maitre) signe la dépersonnalisation de Ruy
Blas. Le divorce
du sujet de la fable et du sujet historique
interdit a
quelque personnage que ce soit de se faire sujet de Vhistoire. Ce fait a des conséquences idéologiques incalculables : il affirme la dégrada-
tion de toute action, le néant historique, véritable force politique, aucun individu
la place en creux de toute ne pouvant l’assumer, et le
peuple n’étant pas prét a prendre le relai de Vempereur ‘Barberousse n’est sujet de l’histoire que dans le passé cipation qu’est le régne révé de Frédéric le Sage : le _Vinsertion du sujet dans l’action historique, et le signe en est, nous
le verrons,
le creux
qui occupe
défunt : méme ou dans I’antiprésent exclut dramaturgique
chez Hugo
le monologue
de la puissance ™, Donec a mesure que se poursuit Vhistoire du thédtre de Hugo ce divorce s’affirme. La faiblesse du sujet historique, faiblesse de plus en plus grande, de Cromwell au Roi fantéme et A la reine de ‘Ruy Blas, lui refuse tout droit 4 la suprématie dans la fable. Quand _par hasard le sujet historique pourrait étre en méme temps sujet de 127.
La j’ai vu bien souvent
Assister
Ou Von
Charles
Deux, morne
ot Von pillait son bien.
aux conseils
vendait
l’état.
et sombre,
RUY BLAS Et que disait-il ? LA REINE Rien.
128.
Est-il vrai que brilant
d’un zéle hyperbolique
R.B., Ill, 3, 0.C., V, 728.
Ici, pour les beaux yeux de la caisse publique, Vous exilez ce cher Priego, lun des Grands ? (,..) Cela ne se fait pas entre parents, mon cher,
Les loups pour nuire aux loups font-ils les bons apétres ? (Ibid., Ill, 5, ibid., 732) 129. Une des scénes les plus impressionnantes (pour le spectateur, le lecteur) est le retour des conseillers, tandis que don Salluste s’éclipse non pour discrétement : Ruy Blas, apparemment victorieux est battu, tandis que les conseillers humiliés viennent de trouver une revanche imposée par leur pareil, l’ancien ministre de la police, don Salluste. Voir plus loin, p. 609 et 614, 130. Voir plus loin, p. 529 analyse du monologue de la puissance ; notons gic le puissant n’y est jamais assuré de rien: méme le grand monologue de Don rlos dans Hernani, parlé dans un tombeau connote la mort et la poussiére de VEcclésiaste ™onde
: « Avoir
été plus
et que tout tienne 1a
»
grand
qu’Annibal,
qu’Attila.
Aussi
grand
que
le
486
LE ROI ET LE BOUFFON
la fable, comme dans Lucréce Borgia, il est mis en péril par la structure double du récit : Lucréce™ est 4 la fois bonne et mauvaise et sa bonté réduit 4 néant sa puissance-Borgia. Inversement, Ruy Blas est nié dans sa vocation historique par son appartenance a état de laquais. Enfin le sujet historique est compromis par sa collusion avec un certain nombre de personnages groupés en faisceau: il existe un groupe en général aristocratique qui achéve le travail de dissociation du sujet historique. Ainsi l’histoire parait s’identifier 4 un groupe social : ce trait est encore hésitant dans Marion ot le trouneau des seigneurs est équilibré par la troupe des comédiens, de caractéristique sociale opposée. Mais déid dans Hernani Je roi Carlos, malsgré son dégofit ou sa révolte (« Allons, vous me questionnez ™! ») apparait comme I’otage de ces seigneurs espagnols qu’il traite avec une si dédaigneuse condescendance. La dignité impériale le distancie a peine de ces Jaquais titrés. Bien plus nettement le « roi gentilhomme™ » devient comme J’émanation de ces seigneurs qui daignent étre ses entremetteurs et qui Iui ressemblent si étroitement que les insultes de Triboulet 4 V’acte ITI (« Vos méres aux laquais se sont prostituées ») ne peuvent pas ne pas reiaillir sur la personne royale. -Lucréce n’est jamais reorésentée comme criminelle solitaire, mais comme membre privilégié du clan Borgia, du pape Alexandre 4 la " princesse Negroni. ce clan Borgia, mutilé et comme décapité en tant que tel par Ja mutilation du nom Borgia. Méme le groupe des jeunes seisneurs, victimes de Lucréce, s’inscrit dans Je contexte des guerres civiles italiennes, de ces grandes familles qui se massacrent ment: Vintention est nette : le pouvoir est un universe]
mutuellemassacre
mentalement
sens, et qui exclut victimes et hourreaux (ce sont fonda-— les mémes) de toute vocation historique. La dissolution _
de Lucréce
dans
sans aucun
le clan
Borgia,
la réversibilité
victimes-bourreaux,
existence de Gennaro en tant que Borgia, autant de traits qui démonétisent le sujet historique quand il parvient 4 rejoindre le sujet de la fable. Le cas de Marie Tudor est assez proche : elle aussi, en méme temps
que sujet de la fable, a vocation
de sujet historique,
mais
elle
est anéantie par une coalition A laquelle elle parait ne pas participer, celle qui joint les privilégiés nobles et le bourgeois Simon Renard, se servant les uns et les autres du peuple. Pure apparence : Ja reine est liée aux privilégiés et ce n’est pas par hasard si elle fait appeler toute la cour pour contempler la destitution et l’effondrement du favori Fabiani, un parvenu: « Je vous demande pardon de vous avoir fait coudoyer par cet homme-la, mylords... Mais regarde, en voila autour de toi, des gentilshommes !... Est-ce que tu imagines que tu ressembles A ces gens-la, toi ?... Tu
n’es qu’un
mauvais
| _ |
| |
italien, rien, moins
que rien, fils d’un chaussetier du village de Larino™ ! > Aprés quoi le | lien ainsi réaffirmé entre la royauté et les aristocrates deviendra irréversible et rien ne pourra plus faire que Marie sauve l’homme qu’elle | 131. Voir
infra analyse
du double
récit de Lucréce
132. Hernani, Il, 3, O.C., Tl, 957. 133. Le Roi s’amuse, V, Ill, O.€., IV, 612. 134. « Nous, vois-tu, Gennaro ? dit Maffio... Nous
Borgia,
p. 551-552. {
avons
droit de prendre
intérét
|
aux catastrophes de notre temps. Nos péres ei nos méres ont été mélés a ces tragé-| dies et presque toutes nos familles saignent encore (L.B., I, I, 1), 0.C., IV, 660. 435. M.T., II, 7, ibid., 815.
LE DRAME
CARNAVALESQUE
: ACTANTS
ET ACTION
487
aime. La capitulation de la reine se fait entre les mains des aristocrates : « Vous me le paierez tous bien cher, messieurs ™, »
L’exemple des Jumeaucz.
L’exemple le plus parfait de Ja mise en question du sujet 4 tous les niveaux dans la dramaturgie hugolienne parait étre les Jumeaur. Dans cette tentative avortée, tous les modes de dissociation du sujet s’unissent en faisceau : le sujet est divisé en trois, le Jumeau, le comte
Jean, et le sujet de la puissance : Mazarin. Chacun est mis en question 4 sa maniére ; on
seulement Je sujet est éclaté, mais il est nié : Maza-
tin est mis en péril par la mort qui le menace (« la chimére, c’est Ja santé »), et sa grandeur historique, le projet d’Europe unie, s’abolit dans l’issue irréversible de son existence terrestre. Le comte Jean est 4 demi-mort puisqu’exilé™ et clandestin, incapable de s’affirmer dans sa paternité, refusant de le faire dans l’action historique. Quant au Jumeau dont est soulignée la vocation 4 la plus grande existence possible, celle de Roi, il est en fait condamné 4 la plus totale non-existence. On pourrait énumérer les formules par lesquelles il se définit comme non seulement sans identité, mais sans existence propre, privé d’étre par le masque, la prison, la nécessité du silence sur soi ™. Toute la fable est "histoire de ce rapport entre la puissance et l’étre ou le fait méme de la puissance condamne le sujet 4 ne pas exister en tant que tel, 4 ne se définir qu’en tant que négativité — fait capital dont la conséquence la plus immédiate est de condamner le sujet historique c’est-a-dire, par contre-coup, la puissance elle-méme. La mise én question du sujet creuse la négativité au point d’emporter tout - dans son élan. Cette analyse rejoint sous une autre forme celle que nous faisions 4 l’aide de la division des deux espaces : la négativité du sujet lui interdit toute transgression.
Une dramaturgie du sujet volatilisé. Ce qui s’établit chez Hugo, c’est une dramaturgie du sujet mis en péril, sans qu’il faille chercher, bien entendu, si ce qui est premier, cest la dramaturgie ou la conception du sujet, un tel probléme h’ayant aucun sens au niveau de l’écriture concréte du drame. Tout d’abord, nous l’avons vu, l’une des caractéristiques du sujet hugolien est de trouver sa place dans deux récits différents — ou sujet de deux récits, ou sujet dans l’un et occupant dans l’autre une fonction différente : ainsi Ruy Blas est sujet d’un récit of il est amant et ministre, dans le méme temps qu’il est l’instrument, l’adjuvant dans 136. Ibid., WI, I, 9, ibid., 839. 137. On sait les rapports chez Hugo entre l’exil et la mort. Voir p. 29. Voir aussi tous les textes d’aprés Vexil ; en particulier le) Post-Scriptum Ecrit en 1846 (Cont., V. I1f). 38. Le Jumeau
se
parle comme
mort
(Jumeauz,
Il, 2, 0.C., V, 851) :
Suis-je un homme ? Ai-je un nom? Seul je peux dire oui, Eh bien, je dis non ! Toi qui viens dans ma demeure, Es-tu sGre d’avoir sous les yeux A cette heure Autre chose qu’une ombre et qu’une vision ? Que vient-on me perier & moi d’évasion ? Vivants | Laissez les morts dans leur sombre royaume!
Ce masque est mon visage et je suis un fantéme !
a
488
LE ROI ET LE BOUFFON
un autre récit, qui est celui de Ja vengeance de don Salluste. Parfois le méme personnage est deux fois sujet (ou peut-étre considéré' comme tel, ainsi Lucréce Borgia bonne et mauvaise aimant et persécutant le méme objet Gennaro). ; De la la nécessaire ambiguité dramaturgique dans la détermination du sujet; le coup de théatre qui fonde tout drame hugolien est celui
de sa détermination ; dans les premiers
drames,
dés
les pre-
miéres scénes, toutes les ambiguités étaient levées, et la scéne d’amour orientait l’intérét du spectateur, mais dés le Roi s’amuse, il faut
attendre
lV’acte II pour s’apercevoir que
le Roi, mais le Bouffon,
Dans
le sujet du. drame
les pieces suivantes,
in’est pas
toutes sortes
d’in-
certitudes subsistent presque jusqu’au bout. Le plus bel exemple est une fois de plus Ruy Blas, modéle de la dramaturgie hugolienne : un coup de théatre révéle au spectateur surpris que le valet qui ouvrait la fenétre sur l’ordre de don Salluste 4 la premiére scéne. était, non un comparse, mais le sujet du drame : il faut attendre la scéne 3 pour que la confession de Ruy Blas indique le retournement du sujet. De la cette dramaturgie du dévoilement progressif du sujet, toujours protégé au début par telle ou telle variété de camouflage : ainsi Lucréce ne se révéle 4 proprement parler comme mére qu’au dernier instant : ce que le spectateur devine s’insére dans l’ambivalence maintenue du sujet. S’il est possible de parler d’artifice, cet artifice inscrit dans le drame l’hypothéque qui pése sur le sujet. Le noeud de l’action représente chez Hugo le point ou, le sujet prend conscience de sa fracture interne et de Vimpossibilité de la combler. Dans les premiéres piéces, cette conscience est trés tardive : au cours de l’acte IV et méme au début de I’acte. V, pour Marion (la capitulation
devant
Laffémas) ; lors
du
retour
de
Ruy
Gomez,
au
milieu de l’acte V pour Hernani. Dés que Hugo affirme sa dramaturgie, le coup de théAtre marque la rupture de l’étre : bouffon/pére (acte
III),
criminelle/mére
(actes
I
et III“);
Reine/amoureuse
(acte III) ; ministre/valet (acte III) ; pére/opposant politique (acte IV) (retour 4 une rupture finale dans les Jumeaux). Souvent cette rupture emporte aussi la rupture temporelle ™, et cette méditation sur la mort qui recreuse |’étre : ainsi Lucréce devant la perspective de la mort de Gennaro, comme Marie devant la mort de Fabiani, ou Marion | devant celle de Didier. Ruy Blas devant le danger de la Reine et sa propre mort. Ainsi le retournement de l’action est lié a la crise du | sujet, 4 la conscience qu’il prend de ne pouvoir jamais se retrouver | un et de voir définitivement détruit son rapport 4 l’autre. C’est sur ces exemples précis que l’on peut montrer comment paradoxalement le moi ne se parle pas dans son projet, sa perspective 139. Dans
Lucréce
naro, dans Marie e’est Vincertitude d’Homodei),
pure
140. Double
Borgia,
c’est
ambivalence
sujet/objet
entre
Lucréce
et Gen-
Tudor c’est Je couple ambivalent Fabiani/Gilbert ; dans Angelo, autour de la fonction dramaturgique de la Tisbe (et méme | rupture
ici, avec
décalage
: fin acte I, premiére
temporelle ; fin acte III (I, 2) : pas de coupure
de la mort : la premiére la criminelle, la seconde
rupture marque
rupture,
temporelle,
mais
avec
cou-
révélation
marque V’impossibilité pour Lucréce de dépouiller la nécessitéde dire adieu au réle de mére.
|
141. Intervalle temporel aprés le « viol » de Blanche (fin acte III), la révéla- | tion de Videntité de Lucréce A Gennaro (fin J), la ‘condamnation de Fabiani (fin I). Dans Angelo, pas de solution de continuité et dans Ruy Blas, le trou temporel est entre II et III, pour des raisons techniques et contingentes (il existait déja entre I et Il). Le temps du « recreusement » pour Ruy Blas existe, mais il est |
masqué
par
l’existence
et par le fait que Don
d’autres
César
intervalles
occupe
temporels
la scéne pendant
entre
les
ce temps-la.
actes
précédents ”
LE DRAME
CARNAVALESQUE
: ACTANTS
ET ACTION
489
ou son combat, comment il ne se parle que dans sa faiblesse, comment en définitive le sujet ne parle que sa propre négation ; au contraire
toute position de force dans le discours suppose la mise:entre parenthéses du je : que lon compare par exemple l’élégie de Triboulet devant sa fille (II, 2) et apostrophe aux seigneurs, la confession de Ruy Blas (I, 3) et le Bon Appétit (III, 2). De méme a l’incertitude du je correspond la pluralisation des vous : l’autre est rarement (et presque toujours en porte a faux dans le malentendu) un foi qui transformerait le discours en dialogue, il est un vous pluriel, interdisant tout échange, toute réponse A l’expansion d’un discours qui se déroule seul. Quand le destinataire du message est un foi, il est ce qui n’entend pas (ne peut comprendre, comme Blanche), celui a qui manque une
donnée
essentielle
(comme
Ja Reine
dans
Ruy
Blas)
ou
méme
le
duc Alphonse dans Lucréce Borgia, ou bien il est Gennaro, celui 4 qui le je ne peut adresser qu’un message empreint de mauvaise foi (Lucréce ou le comte
Jean).
La mauvaise foi entraine un corollaire, qui est V’inefficacité de Yappel a Vautre™, et un second corollaire, qui est l’échec, et plus encore l’effondrement du sujet: tout drame hugolien (a l’exception des Burgraves se termine par la néantisation brutale du sujet confronté a son échec radical et le plus souvent ne trouvant son affirmation que dans sa radicale destruction. Le Je fracturé ne se retrouve que la : ainsi Ruy Blas reconnu dans son nom et dans son identité 4 'Vheure oti il choisit de mourir ; ainsi la Tisbe trouvant sa vérité dans le mensonge de sa mort; ainsi Lucréce accomplissant sa maternité dans le couple parricide/infanticide. Pour Triboulet, pour Marie Tudor, pour le comte
Jean, le désastre est total, et le moi est emporté
dans sa non-reconnaissance.
Le grotesque et le sujet. Je suis le néant, gai. Supposez une chose Qui n’est pas et qui rit; c’est moi; (...) et Rien est ma patrie. Mangeront-ils ? (v. 546, 547, 623)
Ed. Journet-Robert, p. 78-80. En un sens on peut dire que le grotesque est ce qui a vocation d’échapper, par le paradoxe, a la néantisation du sujet, ou plus exactement a sa dénégation dans la mesure ow il est déja négation, ou il _ peut apparaitre comme l’affirmation d’une mise en question implicite du sujet. Cependant, le grotesque sous les habits du bouffon n’est pas présenté comme pouvant prendre le relai du sujet historique efficace. Triboulet échoue 4 tuer le Roi, tout comme Ruy Blas a garder le pouvoir. Le grotesque échoue parce qu’il est représenté comme se prenant pour ce qu'il n’est pas; négativité se prenant pour une positivité:
« La vengeance d’un fou fait osciller le monde™. » Et le laquais Ruy 142. Nous
le verrons
mieux
dans
l’analyse
des
piéces
jumelles,
le Roi
s’amuse,
Lucréce Borgia. 5 143, Cependant Guanhumara, sujet de la vengeance, disparait, et sa mort retentit sur la signification du dénouement, comme l’a bien montré J. Massin (introd, aux Burgraves, O.C., V1). Voir chap. Jumeauz, p. 386. 144, Le Roi s’amuse, acte V, 3, O.C., IV, 612.
490
LE ROI ET LE BOUFFON
bias : « Pour moi, j’ai, comme si notre armée était préte. Fait dire a Vempereur que je lui tiendrai téte™. » Le comte Jean, déguisé en charlatan, complote — vainement — la mort de Mazarin. Dans la mesure ou le grotesque est dérision du sujet, il s’effondre s’il participe aux illusions de puissance de celui-ci ™, En face, le grotesque qui s’affirme comme radicale négativité ™ ; le grotesque de la destruction, le tueur a gage et le bourreau : l’allitération bouffon-bourreau poursuit Hugo: « Et le chat devient tigre et le bouffon bourreau ™, » Mais le bouffon ne devient pas bourreau dans le Roi s’amuse. Il faut attendre Ruy Blas pour qu’il puisse s’affirmer comme tel ; et c’est une conquéte : « Pardieu ! j’étais laquais ! quand je serais bourreau “9 ? » De 1a ce paradoxe que le relais du sujet, et en particulier du sujet historique, s’établit au niveau du grotesque destructeur, le meurtrier homme du peuple, tueur a gages sorti du prolétariat en haillons ou tueur officiel. Ainsi s’explique la scéne symbolique qui termine la deuxieme journée de Marie Tudor et ot la Reine abandonne au bourreau une téfe’ que, quoi qu'il arrive, elle ne pourra jamais lui reprendre. Invisible au dernier acte, il ne consent pourtant pas a lacher sa proie, et il a pour relais visible les milliers de torches illumninant Londres pour la mort du favori. Dans Angelo, le bourreau est remplacé scéniquement par la hache et le billot qui dans la chambre de Catarina condamnée, ont pris la place du lit conjugal. Dans le Roi s’amuse, comme dans Angelo d’ailleurs, c’est le tueur a gages qui remplit Poffice du bourreau ; c’est lui qui choisit sa victime, sur ce point plus fort que ses maitres, détournant les ordres de ceux qui ont engagé. Dans Angelo, il porte le nom significatif d’Homodei, incarnation sans visage des puissances cachées qui ménent le monde, résolument dénoté comme grotesque par son assimilation 4 la Tisbe ™. Dans tous les cas ce relais du sujet se définit comme
élément
solide, ren-
voyant a un référent de force. Seul Ruy Blas récupére
la fonction
de sujet dont il a été bruta-
lement dépouillé a Vacte Ill (sc. 4) en assumant le réle du bourreau et en unissant en lui les deux fonctions du grotesque, le bouffon et le
bourreau 1,
Le Roi s’amuse, V, 1, O.C., IV, 610. 145. Ruy Blas, Ill, 4, 0.C., 733.
146. Il faut attendre l’exil et le Thédtre en liberté pour que s’affirme dans sa positivité active le sujet grotesque, Airolo (Mangeront-ils ?) ou Glapieu dans Mille frances de récompense.
147. Le grotesque est ici négativité, puissance de mort inconsciente d’elle-méme.
148. Le Koi s’amuse, acte V, 3; O.C., IV, 612. 149. Ruy Blas, V; 3, O.C., 771.
,
4
150, Dans la deuxieme journée, se, 5, Ja Reine dit : « Oui la reine parlera au bourreau. La téte parlera a la main. » Est-ce forcer les choses que de voir dans ce don d’une féfe, une fagon de se livrer elle-méme ? de se « décapiter » ? e’est
151. « Cela, Homodei, c’est un homme, monseigneur, comme ceci, la Tisbe, une femme. » (Angelo, I, 1, 0.C., V, 275.) 3 152. Dans la mesure ot le grotesque est toujours peuple, le bourreau aussi est
élément populaire, force au service de la royaulé en attendant de se retourner contre elle. En revanche, Je bouffon n’a pas la disposition de la force, et finit par jouer au maitre, tels Triboulet ou Ruy Blas. Hi ne faudrait pas forcer beaucoup pour voir en eux la figure la plus proche du poéfe (ef. la figure de Gringoire dans Notre-Dame de Paris). ’
LE DRAME
CARNAVALESQUE
: ACTANTS
ET ACTION
491
Le rapport sujet-objet. Cette mise en question du sujet s’étend 4 Yensemble des actants du drame. En un sens ce n’est pas le sujet seul qui est touché, mais tout ce qui dans la définition des actants touche au statut de Vindividu. Notons d’ailleurs que : 1° tout actant du drame hugolien a vocation de sujet en vertu de Vinversion
dramaturgique ;
2° la mise en question du sujet est mise en question du je, donc de tout ce qui peut dire je au cours du drame. Il est trop facile de le montrer en ce qui concerne l’objet. La réversibilité si fréquente du sujet et de objet donne souvent a l’objet le statut momentané de sujet : Marion/Didier, Hernani/Dofia Sol, Lucréce/Gennaro, la Reine/Gilbert, forment des couples dramaturgiques réversibles et dans cette mesure l’objet recoit les mémes déter-
minations que le sujet. Quand il n’y a pas de réversibilité, il y a toujours ambivalence (mal et bien) de l’objet aux yeux du sujet. Marion pour Didier est l’extréme du bien et l’extréme du mal; ainsi peut se justifier inversion brutale du pardon in extremis : il régne une sorte d’équilibre que peut rompre tout 4 coup la « liberté » imprévisible du personnage dramatique. Lucréce pour Gennaro est a la fois le monstre horrible, la criminelle qui inspire le dégofit et Phorreur — ‘et la créature parée de toutes les positivités, objet de l'amour absolu : Gennaro aux yeux de Lucréce est objet d’amour et bourreau; ce double regard est ici inconscient, et la révélation tragique sera justement celle de cette ambivalence. Le mal et le bien de la réversibilité amoureuse sont au contraire inscrits en toute conscience dans les personnages de Dofia Sol et d’Hernani : bénédiction et malédiction définissent la Reine pour Ruy Blas et Ruy Blas pour la Reine, Jane pour Gilbert, le double personnage Gilbert/Fabiani pour Jane. De 1a un jeu trés subtil, toujours non-manichéen, dans les rapports des personnages. Le regard de l’autre fracture tout personnage hugolien et c’est peutétre la profonde cohérence du drame. Le Je est double pour celui qui est son seul interlocuteur ; restaurer l’unité de soi, fat-ce dans la mort, c’est le mouvement méme du sujet-objet hugolien. La transformation de soi en monstre sous le regard de |’Autre, tel est le rapport insupportable qui détermine l’action du sujet ou la réaction de Vobjet : Lucréce veut cesser d’étre monstre sous le regard de son fils, Ruy Blas refuse d’étre le Jocrisse, le valet battu, aux yeux de la Reine, Triboulet ne veut pas étre bouffon
pour sa fille. Dans
tous les cas, le tragique
se définit comme le refus d’apparaitre monstre, ou bouffon, c’est-adire grotesque aux yeux de |’Autre. On voit comment le grotesque, sous sa forme la plus radicale, s’investit dans le rapport fondamental du
définissant, nous le verrons, une certaine forme d’action dramatique. La perte du Moi dans le tragique est d’autant plus profonde que le grotesque est moins récupéré : comparons 4 la récupération finale, 4 la revendication du grotesque dans Angelo ou dans Ruy Blas, ’échec absolu de Triboulet ou du comte Jean, et surtout de Lucréce, refusant l’aveu de la monstruosité.
sujet et de lobjet,
153. Le comte Jean commence par revendiquer le costume de saltimbanque (« cest Vhabit de ce sitcle ignoble »), mais recule devant Vaveu de la paternité adultére et semi-incestueuse,
492
LE ROI
ET LE BOUFFON
S’il y a positivité, elle ne peut résider que dans lacceptation par le sujet et par l’objet de la division intérieure, de la monstruosité irrécupérable de Ja double nature. Le bien dans le drame hugolien, c’est pour le cyclope ou le centaure, pour le bouffon et pour le criminel, d’étre aimés dans leur monstruosité, et d’accepter d’étre aimés ainsi. L’amour absolu est défini par Triboulet quand songeant 4 sa femme morte, il la définit comme celle qui « me voyant seul, infirme et pauvre et détesté, M’aima dans ma laideur et ma difformité ™ », Hugo est, trés tot, hanté par le mythe de la Belle et la Béte 1, Le personnage hugolien, méme s’il est la Belle, a vocation de grotesque. La mise en question du moi n’épargne personne. De la le pathétique propre au théatre de Hugo et malgré des
apparences mélodramatiques, parfaitement original : le sujet réclame pathétiquement d’étre reconnu et aimé en tant que monstre ; de la ses cris et ses plaintes, ses regrets et ses supplications : Triboulet
devant sa fille, Lucréce devant Gennaro, la Tisbe seule ou devant Rodolfo, Ruy Blas devant la reine A la derniére scéne (et méme déja
devant tre.
Salluste)
désir sensuel forme
réclament
Ce qu’ils veulent
(ainsi Hugo
d’amour),
désespérément
de l’Autre,
peut-il
d’étre
l’Autre
pour
ce n’est pas la satisfaction
mettre
en
c’est le désir fondamental,
l’Au-
n’importe
d’un quelle
celui du rapport
4 l’au-
scéne
tre” — rapport a la fois universel et particulier ; tout je veut rencontrer un tu, et il n’est un je que par cette rencontre ; mais ici le je s’affirme comme je-monstrueux. Pathétique inacceptable pour le spectateur : une telle exigence, a la lettre, le viole. Il supporte mieux Yautre forme du pathétique hugolien, celle qui prolonge la précédente : la douleur devant la mort de ce qui a été ou de ce qui pourrait étre l’Autre. Le moi monstrueux est renvoyé a son irrémédiable solitude, 4 la mort (schizophrénique)
du moi : il n’y aura plus d’Autre
pour Marie Tudor, pour Triboulet, pour Marion, pour Alix, ou méme pour Ja reine de Ruy Blas ; les plus heureux meurent : Lucréce Borgia, Gennaro, la Tisbé, Ruy Blas. Adjuvant-opposant.
Cette derniére ambivalence est déja inscrite dans les précédentes, mais sa clarté dramaturgique est peut-étre encore plus grande, La réversibilité fonctionnelle de ces deux types d’actants est a la fois le signe et la preuve de l’ambivalence fondamentale. Tout opposant est 4 un moment donné adjuvant : on pourrait analyser la fable d’Hernani en fonction du jeu de bascule qui fait alternativement de Don Carlos et de Ruy Gomez l’adversaire et ’appui du jeune couple : le fantas154. Le Roi s’amuse, Il, 2, 0.C., IV, p. 561. 155. Voir le brouillon déja cité « Le monstre aux 2 premiers actes, Il devient au 3¢ beau, jeune... » Ms. 24787, fo 26 (cote 74/127). 156. Parfois, dans un rafflnement d’angoisse Je Je est contraint de refuser d’étre
reconnu par l’Autre : ainsi Lucréce A la scéne finale devant Gennaro, ainsi la scéne admirable ot Job essaie vainement de persuader Otbert qu’il n’est pas son pére, Par une 1 ie dialectique, la reconnaissance du moi passe par la non reconnaissance. V. infra, p. 627-630.
157. Remarquons que les drames hugoliens : ar ex.) qu’ils n’ont pas PAntons Blanche devant (et Jane) devant Fabiani,
le rapport & Vautre est le plus souvent compromis dans Ja douleur des héros est liée au fait (dans la jalousie aimé le « vrai », ils ont aimé un autre rF n’était pas le Roi (qui n’est plus l’étudiant Gaucher ahier), Marie la Reine incertaine, devant Ruy Blas.
LE
DRAME
CARNAVALESQUE
! ACTANTS
ET
ACTION
493
tique chassé-croisé de l’acte III manifeste scéniquement |’ambivalence fonctionnelle. Toute action hugolienne est rythmée par V’inversion qui fait de adjuvant de tout 4 ’heure l’opposant de demain, en fonction des mémes lois fatales : c’est le méme qui vous couronne et qui vous arrachera tout 4 ’heure votre manteau de pourpre. Les motivations psychologiques sont indifférentes, comme le sont celles d’un partici_ pant a4 une féte rituelle. Seule compte la fonction, et elle comporte la réversibilité. Salluste masque et démasque Ruy Blas, l’aide puis le détruit ; Saint-Vallier
De
1a le rdéle
maudit
structural
Triboulet
du
« frére
puis se retrouve
4 son
», adjuvant/opposant
cété.
type
:
Saverny, Maffio sont les amis fraternels, les alliés des sujets, mais c’est
par eux que la mort arrive ; Don César, ¢ frére » trés aimé de Ruy Blas, défait maille 4 maille au cours du IV* acte de la piéce le réseau des précautions du héros. Le réle de Fabiani est psychologiquement différent,
mais
structuralement
identique ; et V’inversion
adjuvant/
opposant permet de voir comment se fait l’opposition sous-jacente, qui est celle du sujet et de l’objet: Fabiani (sujet) se fait aider par Gilbert (adjuvant), en attendant que l’adjuvant se retourne et devienne
opposant pour conduire Fabiani 4 la destruction. Inversement Gilbert a Fabiani pour rival et pour adversaire, avant de faire de ce dernier Vagent de son salut. Le jeu de l’adjuvant/opposant se joue avec précision dans le personnage de Saltabadil, dont le réle, ici presque pur,
définit ambivalence d’une fonction dramaturgique : il est ‘homme de main, l’adjuvant-né, si l’on peut dire, du sujet Triboulet, et c’est parce / qu’il est V’adjuvant qu’il est le pire opposant, celui qui tue, non l’ennemi, mais l’objet d’amour. On ne s’étonnera pas des rapports de l’adjuvant/opposant avec Ja figure typique du traitre : il est par sa fonction celui qui trahit, par « nature », puisqu’il inverse sa fonction primitive. Parfois, c’est son caractére de « traitre » qui en fait l’adjuvant par excellence : en ce cas, il n’a pas méme besoin de changer au cours de l’action, il représente alors, comme par exemple Simon Renard, l’adjuvant-traitre : dans la dramaturgie hugolienne, c’est tout naturellement le ¢raitre qui joue le mieux le réle d’adjuvant. L’ambivalence ou l’inversion des roles fonctionne comme un admirable outil antimélo : c’est le pére noble cousu de bons sentiments qui détruit le bonheur, c’est l’affreux traitre qui assure le salut'* ; ainsi Homodei au nom significatif, mouchard,
envieux, tentateur, rapproche
et sauve les amants qu’il veut
détruire. Déja cette ironie apparait dans Cromwell: tous les opposants du Protecteur s’unissent bien involontairement pour faire un -marchepied a4 sa grandeur. Plus clairement qu’aucun autre, c’est le personnage grotesque qui est ’image méme de l’ambiguité : il est par nature l’opposant-adjuvant de son maitre, déterminant ainsi la structure propre du triangle maitre-valet-femme ; non seulement il l’aide avant de se retourner contre lui, mais il lui arrive de l’aider sans le vouloir (ainsi Triboulet
aprés Quasimodo), de le perdre quand il veut l’aider, de le sauver quand il veut le perdre (ainsi don César par rapport a Salluste). Quand l’opposant est sans ambiguité,
il est un groupe:
ainsi les courtisans
158. On comprend ainsi cette particularité maturgie
hugolienne.
il cesse
d’étre un individu,
du Roi s’amuse, : Vabsence
les ministres
de confident dans
la dra-
494
LE ROI
ET LE BOUFFON
de Ruy Blas. L’adjuvant/opposant s’atomise, se fragmente, parfois se divise : les conseillers de Ruy Blas s’entre-dévorent. La figure monolithique du traitre s’évapore. Le Destinateur.
Les contemporains n’ont pas fait d’erreur d’interprétation sur le drame de Hugo. Déja Lamartine 4 propos de Notre-Dame de Paris, texte auquel il faut toujours revenir, remarquait : « C’est immoral par le manque de Providence assez sensible: il y a de tout dans votre temple excepté un peu de Religion, la Religion, ce ciel bleu de toutes les scénes morales}. » Il mettait en lumiére I’ « athéisme » fonctionnel des textes hugoliens. Nous avons vu avec quelle insistance la presse contemporaine ( un Gustave Planche, par exemple) soulignait le matérialisme anti-providentialiste du drame hugolien. I) parait évidemment paradoxal de parler d’ « athéisme » A propos dun écrivain qui a toujours utilisé avec autant de puissance le nom divin. Et les discours religieux de la poésie lyrique occultent pour nous — hien plus que pour les contemporains — le discours « athée » du théatre. Au niveau de la fable et de sa conclusion, a l'exception de Marie Tudor
(et encore il y aurait 4 dire) le dénouement
est résolument
non
moral, scandaleux au regard de la justice. L’innocence est punie autant et plus que le crime; la loi’ est que le coupable puissant échappe, quand le transgresseur innocent succombe, la notion méme de transgression, de migration d’un espace a l’autre excluant V’idée de faute morale
: ce qui est violé, c’est une cl6ture sociale, et la divine
providence prend la forme d’un gendarme chargé de faire respecter le mur mitoyen. La mort de Salluste ne compense pas celle de Ruy Blas, et encore moins cette agonie of sombre définitivement, avec Ruy Blas, la monarchie espagnole et ses projets de réforme, Aucun sens de Vhistoire n’apparait, aucun justicier ne peut vraiment accomplir sa tache ™®, aucun bien ne sort d’un mal, pas méme cette purification du monde quand disparait le coupable* ; aucune révélation bénéfique, aucune
satisfaisante punition du méchant ne boucle une fable que la place vide du destinateur rend incompléte et inachevée. Dans Angelo, le tyran reste vivant, c’est la Tisbé qui meurt. Dans Marie Tudor, nous Vavons vu, Hugo bronche devant la fin immorale, seule logique. Dans Hernani,
le dénouement
heureux
est parodié,
dans Marion
de Lorme,
il est inversé. Le passage a la fin heureuse n’est pas optimisme, mais concession, et chaque fois il est présenté comme le fruit du hasard, non d’une logique providentielle. Ce qui apparait dans les textes hugoliens au niveau de la dénotation ce n’est pas la providence seule, mais le couple ambivalent et réversible providence-fatalité . L’un des rares textes dramatiques ot 159. Lettre du théatre de Hugo.
ter juillet 1831, in 0.C., IV, 1035.
Le ciel n’est pas
160, Voir premiére partie, p. 66-67. 161. Voir supra, p. 448, les grandes lois du systéme A/B. 162. Nous exceptons évidemment les Burgraves, ot le recours que la Providence et le sens de l'histoire. 163. Cf. au contraire Phédre, dont la mort sa pureté >. V. supra, p. 84
164. Sur les textes, voir chap. Jumeauz,
« rend au
p. 355-359.
bleu
dans
le
a )’épique implii jour qu’il souillait toute
LE DRAME
CARNAVALESQUE
: ACTANTS
ET ACTION
495
figure expressément et seul le mot providence, est dans Marie Tudor la belle phrase qui se trouve déja dans Feuilles paginées et dont Vinutilité dramatique apparente est si singuliére: « Oh! que la Pro-
vidence
est grande!
Yenfant,
Venfant
diable}®,
» Dans
Providence)
elle donne
4 ’homme,
4 chacun
l’homme
cette cascade
son
jouet, la poupée
4 la femme
et la femme
de dons, le destinateur
premier
a au
(la
renvoie au destinataire ultime, le Diable. Le sens est clair
et l’on ne peut prendre cette formule pour une boutade fortuite : eest Vinversion du mouvement traditionnél ow Veffort du Mal conduit au Bien par le truchement de Uaction tragique. Ici le drame est ce mouvement propre qui « donne au diable » la divine providence ou plus exactement par lequel la providence donne homme au diable, se donne elle-méme au diable. Si l’on suppose un destinateur-providence au drame romantique (comme 4 Notre-Dame de Paris), toute Vaction est marquée de cette ironie particuliére qui signe |’inversion. En fait, ’'une des caractéristiques du drame hugolien est justement cette ironie de l’action orientée comme si un destinateur idéal la disposait pour le mal, et comme si tout acte moral, c’est-a-dire concu pour satisfaire ledit destinateur idéal, conduisait nécessairement a des conséquences inverses, ou 4 tout le moins se révélait vain : c’est Je mariage et la renonciation A la vengeance qui précipitent Hernani dans la mort, aidé par le pardon de Charles Quint. La clé-mence de Louis XIII et les sacrifices de Marion ne sauvent pas Didier ; ce n’est pas le courage et la générosité de Jane qui gardent ’ Gilbert
vivant,
mais
le machiavélisme
de
Simon
Renard,
aidé
du
hasard. Mais c’est la tendresse filiale jointe 4 l’amitié qui font de Gennaro un parricide. Le sacrifice de Blanche comme celui d’Alix ~ conduit au régne définitif du mal et de Ja mort. Cette ironie est soulignée par la présence dans presque toutes les piéces d’une ou de plusieurs séquences-priéres. Toutes marquent Vabsence du destinateur idéal auquel elles s’adressent ; Vironie les signe sans délai de néant. La Reine de Ruy Blas n’a pas plus tot achevé sa priére, pour demander a Dieu des forces contre la tenta‘tion 6, que cette tentation se manifeste irrésistiblement, dans la présence charnelle de son objet. Ruy Blas remercie le ciel de lui avoir tout donné dans l’instant ot s’avance ce qui va tout lui reprendre ™. Le comble de la priére absurde est peut-étre atteint au dernier instant de Marie Tudor quand les deux femmes, aprés l’exécution, prient chacune Dieu: « La Reine... Mon Dieu, celui qui va entrer, faites que ce soit Fabiano ! — Jane. — Mon Dieu, faites que ce soit Gilbert ** ! »
La priére parodique est un cas particulier de ce discours vide dont nous verrons plus loin importance décisive. Aucun des personnages ne se sent justifié par la conformité de 165, Marie
Tudor,
I, 3, 0.C.,
1V, 781,
Feuilles
paginées,
p, 112,
O.C.,
IV, 985.
Le texte est un pen différent, mais le point de départ et le point d’arrivée sont les mémes, 166. Ruy Blas, U, 2 et 3, 167. Ibid., Ill, 4, IL en va de méme du Jumeau remerciant le ciel pour sa Miberté retrouvée dans Vinstant ot elle va lui étre .& nouveau ravie (III, 2), 168, Marie Tudor, Ill, UW, 2, 0.C., IV, 851. De méme Triboulet a Vacte V,
scéne 4, découvrant
le corps
de sa fille dans
le sac s’écrie
:
O mon Dieu ! n’est-ce pas que c’est un réve affreux Que vous avez gardé ma fille sous votre aile, Et que ce n’est pas elle, 6 mon Dieu ?
(0.C,, TV, 614.)
496
s
LE ROI
ET LE BOUFFON
son intention ou de son action avec les desseins d’un destinateur idéal. Au cours de l’action, quand le Puissant par exemple se livre 4 une méditation sur son destin ou le destin du monde, Vimage de Dieu est absente du monologue de Don Carlos, comme de celui de Mazarin dans les Jumeauzx. Ce qui est invoqué, c’est le grand intercesseur mort,
(Charlemagne dans Hernani), mais ce dernier ne renvoie pas 4 un destinateur, simplement au moi du sujet, dont il est l’adjuvant imaginaire. Pas d’intercesseur religieux, intermédiaire entre le Grand Destinateur et le sujet: la présence du prétre est dérisoire ou odieuse : comme dans Notre-Dame de Paris, il est « ministre de la mort >»: ainsi Angelo convoquant le clergé pour les appréts funébres de Catarina qu’il va faire assassiner !”, ou Lucréce Borgia invitant les moines a confesser ses victimes. Dans toutes ces veillées de condamnés, pas un
confesseur
auprés
du bourreau
(sauf
dans
Lucréce),
pas
un
seul
qui réclame une assistance religieuse, ou qui se justifie de la refuser. Rien, le silence. De 1a l’absence de ces priéres finales de l’agonisant, ou de ces appels a une justice éternelle qui signent la tragédie. Au moment de la mort les personnages hugoliens s’occupent de tout autre chose que du grand Destinateur. Méme Ruy Blas au mépris de toute vraisemblance historique gomme tout l’aspect religieux de l’Espagne du xvir 7, La piéce ot les relais religieux sont le plus présents, Angelo contient un certain nombre de singularités: tout ce qui est de Dieu est l’objet d’une inversion, non seulement le role des prétres, mais celui des relais-objets, le crucifix porte-malheur’” et Voratoire de Catarina.
L’ « outil » d’un
destinateur
éventuel
(providence/fatalité)
porte le nom de Homodei, et il est le monstrueux homme du mal, Les personnages hugoliens ne raménent jamais (ou quasiment jamais) les événements de l’action ou de l’histoire a une force qui les dépasse : ils sont muets sur le Grand Destinateur (Providence ou Fatalité) ; dans les trés rares cas ou le sujet se plaint ou s’étonne de son sort, il désigne une sorte de logique des choses, une justice non transcendante mais immanente %? — et caractérisée justement par son caractére non-logique, incompréhensible, ne renvoyant nullement 4 de majestueuses lois non-écrites. Ainsi Hernani : « Mon pére, tu te venges sur moi qui t’oubliais %4.°» Et Triboulet : « Oh, c’est Dieu qui m’accable ™, » Ruy Blas interroge : « Dieu clément ! Dieu juste ! De quel crime est-ce le chatiment ? Qu’est-ce done que j’ai fait? » Notons
dans ce texte céte 4 coéte avec
Vinvocation
4 un Dieu juste la
formulation impersonnelle : « De quel crime est-ce le chatiment ? >, qui en est comme l’inversion. L’aspect parodique de la justice imma170. Angelo,
Il, Il, 1, 0.C., V, 315.
171. A Vexception d’une allusion, d’ailleurs dicréte, 4 la bigoterie de la cour. Ray Blas, Il,'1, « C’est aujourd’hui le jour des Saints Apotres... Il faut laisser la reine 4 ses dévotions », 0.C.; V, 707. | ; ; 172. La TispeE : « O! si ce crucifix a porté bonheur a quelguius dans ce monde,
ce n’est
pas
a votre
fille, ma
mére!
», III, III, 2, 0.C.,
V, 33.
vs
173. Gohin, dans une perspective différente de la n6étre indique cette obscurité de la justice : « Hugo désignait par immanent cette profondeur de la création qui implique, au ceur inconnu de tout, la présence latente de la Justice absolue,
et oF Celui
4
qui en
. 24). 174. Hernani, 175.
Le Roi
est le détenteur
»
(Immanent
V, 6, 0.€., 1, 1036. s’amuse,
V, 4, O.C., TV, 615.
176. Ruy Blas, Ill, 4, O.C., V, 735.
et immanence
:
chez
Victor
iF
Hugo,
LE DRAME
CARNAVALESQUE
: ACTANTS
ET ACTION
497
nente est souligné par la suite de la priere: « Vous étes notre pére Et vous ne voulez pas qu’un homme désespére. » Le contexte drama-
tique rend scandaleuse |’affirmation optimiste, immédiatement démentie par les faits. Cette place vide du destinateur-Dieu pouvait étre prévue : elle est déja inscrite dans la structuration A/B du drame hugolien dans la mesure ol Dieu s’identifie aux valeurs de l’espace A, valeurs niées par le sujet, et qu’il refuse de reconnaitre, méme dans la mort. Le sujet ne peut donc se référer un destinateur idéal. La place vide est remplie par la parole du sujet, parlant en lieu et place du destinateur. Du méme coup n’apparait aucune identification du destinateurécrivain (Je-Hugo) et d’un destinateur idéal : il n’y a pas dans le texte (signifiant) de lieu ot elle se manifesterait. Et nous retrouvons par ce biais le vide de V’histoire, l’absence d’un sens du devenir historique. Aucune providence ne s’y incarne, l’avenir est présenté non seulement comme obscur, mais aussi comme sombre: lVidée d’une dégénérescence, d’une décadence” s’oppose radicalement a tout providentia-
lisme. Par la méme raison’il n’est pas possible de songer dans le théatre de Hugo 4 un destinateur-Humanité ou a un destinateurPeuple.
Le libéralisme
humanitaire,
méme
déja inscrit dans la pensée de Hugo et n’apparait nullement dans le théatre, ou peuple-spectateur est océan ou béance, tive orientant l’action dramatique. Au creux de la fonction Destinateur dramaturgie hugolienne du personnage est dévalué
n’est
pas
suffisant ; c’est
s’il est entre
1830
et 1840
dans certains textes lyriques, i] est nié par la structure : le il ne saurait étre force posi-
correspond l’absence dans la du Pére. Montrer que le pére
le cas
souvent,
méme
dans
la
dramaturgie classique, et lon ne saurait dire qu’un Prusias ou un Thésée apparaissent dans la majesté paternelle. Mais ils existent. Chez Hugo, la caractéristique des personnages « paternels » est de n’étre pas peres : Ruy Gomez,
n’ont pas d’enfants.
le duc de Ferrare, Angelo, Richelieu,
S’ils en ont, personnages
nhient en tant que peres en
détruisant
leurs
« saturniens
Mazarin
», ils se
enfants, tels Triboulet
ou
le comte Jean. La plus belle image de V’absence du Pére est ce Charles II, impuissant, qui n’est « roi qu’en peinture », 4 la lettre, puisque seul son portrail est présent. Roi. stérile aussi, et dont la paternité royale est niée par l’impuissance virile, « Moins qu’un homme, 4 régner comme a vivre inhabile” ». Le divorce de la fonction pére-roi indique 4 nouveau la place vide du destinateur comme VPabsence du pére charnel indique la rupture dans Vordre temporel 179 bis,
Il nous
faut bien
conclure
4 l’anonymat
ou
a l’ambivalence
du
destinateur, dont les traces au niveau du texte sont toutes, nous l’avons
177. Cf. Ve Vanalyse de Baudouin (Psychanalyse de Victor Hugo, VIII, p. 192) sur le complexe des générations. Ce mouvement se voit dans tous les grands discours “politiques du théatre de Hugo (monologues ou tirades). 178. Méme le Pére Mort, qui devrait: étre idéalisé, est représenté comme ce Chronos qui dévore ses enfants, ainsi Je pére d’Hernani : « Mon pére, tu te venges ‘Sur moi qui t’oubliais » (Hernani, derniére scéne, 0.C., Ill, 1036), et la version primitive était plus énergique encore : « Mon pére veut du sang, mon pére veut “sa proie. » Ibid., 1060). : b 179. Ruy Blas, I, 3, (OG. Vv, 690. | 179 bis. V. infra, p. 505- 506, le role du Commandeur,
32
498
LE ROI
vu, ambigués,
impersonnelles
ET LE BOUFFON
et réversibles.
C’est la condition
méme
dune réversibilité grotesque de l’action dramatique.
INTRONISATION-DETRONISATION ET ACTION DRAMATIQUE Il n’est pas douteux que Jes processus d’accession au pouvoir (royal) et de chute, de perte de ce pouvoir, soient 4 la base de l’action dramatique dans la plupart — sinon dans tous — des drames hugoliens. Accession au tréne, chute du tréne, et dans la plupart des cas succession des deux événements, liés comme il convient dans tout processus
d’ « intronisation-détronisation
», selon
l’analyse
de Bakh-
tine : « Au premier plan figurent ici l’intronisation bouffonne puis la destitution du roi du carnaval... L’intronisation contient déja ’idée de la détronisation future : elle est ambivalente dés le départ. D’ailleurs on intronise le contraire du vrai roi, un esclave ou un bouffon, et ce _ fait éclaire
en
quelque
sorte
le monde
a l’envers
carnavalesque,
en
donne la clef. » Cette image pure de |’intronisation-détronisation carnavalesque se rencontre rarement sous cette forme dans la dramaturgie hugolienne. Bien au contraire — et l’on verra bien la la conséquence de la théorie du grotesque-sublime — J’intronisation du roi de carnaval ne se fait pas s’il n’y a pas, a cété et simultanément, une détronisation du roi véritable, préservant la dualité grotesque/sublime. Ce qui se passe en fait, c’est une accession au pouvoir, un passage vers l’état de roi, accompagné ou non d’une image dérisoire; ou bien une chute, accompagnée ou non d’une accession dérisoire, ou plus souvent variantes.
une
succession
de ces
deux
étapes, avec
toute sorte de
—
Ce schéma de passage au pouvoir ou de dépossession ne va pas sans ses accompagnements dramaturgiques : 1° la chute du puissant, dont nous avons vu un certain nombre d’exemples caractéristiques dans l’ceuvre theatrale de Hugo ;
2° le Carnaval,
c’est-a-dire
Vinversion : le roi perdant sa place
ou son pouvoir au profit d’une sorte de carnaval, tesque et déguisé.
de souverain
gro-
Méditations sur le pouvoir royal et sur la décapitation du roi, chute du puissant, inversion de l’action, réle prédominant du bouffon autant d’éiéments épars qui retrouvent ici leur cohérence. Il ne nous étonnera pas de voir dans Cromwell, contemporain de l’établissement de ia théorie, se déployer l’intronisation-détronisa-
tion, théme central et parfaitement visible de la piéce, sans aucun camouflage. Deux mouvements successifs : par rapport au roi légitime ~ déposséaé, décapité, Cromwell apparait comme le Roi de Carnaval, — dont Puritains et Cavaliers moquent également, quoique pour des — raisons opposées, les prétentions 4 la royauté ; Hugo insiste dans la préface sur les aspects grotesques du personnage *'. Méme son sata180. M. Bakhtine,
Poét., p. 170.
181. Voir plus haut,
p. 470-471.
LE DRAME
CARNAVALESQUE.:
ACTANTS
ET ACTION
499
nisme en fait ce roi inverse caractéristique du carnaval ; et le déguisement ne lui est pas étranger. Obligeant Rochester 4 boire son propre somnifére ou se déguisant en soldat, il joue par rapport aux Cavaliers le rdle objectif de roi de carnaval. Aprés quoi, au dernier acte, il apparait au bord de la consécration comme un roi sérieux. Or c’est a ce moment que la dérision s’installe contre lui : il était le sujet de la dérision, il en
devient
Vobjet ; dans
une
scéne
capitale
le bouffon
Gramadoch défie le champion d’Angleterre qui va proclamer Olivier Cromwell roi 1%, La complicité de Cromwell avec la dérision est trop profonde, son caractére de Roi de Carnaval est trop marqué pour qu'il puisse passer au plan de la légitimité. La question demeurera éternellement posée : « Quand serai-je Roi? » Seul le roi de carnaval établit sa royauté dans le domaine du temps, seul il peut devenir roi ou cesser de l’étre. Eternellement Cromwell échappera au sérieux de la légitimité, éternellement il sera celui qui ne peut étre ni couronné, ni tué « pour de vrai ». A mi-course entre le peuple et les Cavaliers, il reste en l’air si l’on peut dire, suspendu entre carnaval et légitimité, incapable d’assurer son intronisation — carnavalesque ou sérieure. Les piéces jumelles Marion et Hernani marquent un retrait par rapport a cette démarche : ayant avec Cromwell liquidé Vhistoire, Hugo a moins besoin de ce qui dans l’action marque un devenir. En un sens ces piéces sont celles du non-devenir. Cependant le méca-
nisme de !’intronisation n’en est pas absent. Pour Marion, il s’agirait plutot de la détronisation, dont il n’y a pas de formulation directe -
mais une formulation marginale met en lumiére en Louis XIII le roi dépossédé. Marginale puisque le « dépossesseur », le « successeur > est absent ou plus exactement présent-absent ™. L’inversion roi/bouf-
fon n’est qu’esquissée : c’est le bouffon PAngély qui arrache au roi le droit de grace, et proprement I’exerce A sa place, non sans évoquer au passage la détronisation majeure, celle de la mort: (...) Que les rois ici-bas font sentinelle
aussi (...)
Quand ils ont tout leur temps tréné de long en large,
La mort, ce caporal des rois, met en leur lieu
Un autre porte-sceptre, et de la part de Dieu
Lui donne le mot d’ordre, et ce mot c’est : Clémence 1 /
Cette détronisation
supréme
atteint aussi
« le maitre
», Richelieu:
Un jour, un mois, l’an révolu, Lorsque nous aurons bien, durant le temps voulu,
Fait tous trois, moi le fou, vous le roi, lui le maitre, Nous nous endormirons... 18
Ce texte admirable sation,
sa liaison
souligne la signification temporelle avec
un
devenir
(ou
une
absence
de
de la détronidevenir).
Le
bouffon seul parle la détronisation ’, En ce sens, on ne peut dire que 182. Cromwell, III, 16 et IV, 1-5. 183. Cromwell, V, 10, 0.C., II, 391 sqq. 184, Richelieu est & la derniére scéne, homme litiére. Marion, derniére scéne, O.C., Ill, 857.
185. Ibid., IV, 8, ibid., 827. 186. Ibid., 828. Baise Tl parle aussi la mort tive.
comme
rouge
il est naturel,
invisible
mais
c’est
au
une
fond
mort
de sa
défi-
500
LE ROI ET LE BOUFFON
la démarche d’intronisation-détronisation s’effectue dans l’action dramatique de Marion : la détronisation est dénotée, et dénotée seule, sans la démarche d’intronisation. Le processus double est absent. Le cas d’Hernani est symétrique et inverse du précédent : la péripétie en est l’intronisation de Charles-Quint, intronisation qui a pour caractéristique de ne détroniser personne (au moins en apparence), et de ne s’accompagner d’aucune inversion grotesque. Cependant il existe une sorte de miroir de Vintronisation : c’est la reprise par Hernani de son nom et de son titre. Or elle est suivie 4 ’acte V de cette détronisation mortelle dont le signe — avant le poison — la reprise du vieux nom, du nom d’avant l'intronisation : Nommez-moi
Hernani ! Nommez-moi
Avec ce nom
fatal je n’en ai pas fini ™.
Ici la double démarche est purement d’aucune forme d’inversion grotesque. de Don
Ricardo,
« flic »
est
Hernani !
tragique, et ne s’accompagne Malgré la présence bouffonne
et confident
de Don
Carlos,
Hernani
est
sans nul doute la piéce de Hugo ot la présence du grotesque est la moins sensible. Cependant, un carnaval réduit est présent 4 Vintérieur les espéces
_du V® acte, sous
de la féte de nuit, masquée
: l’intronisa-
tion-détronisation de Hernani a lieu dans le cadre naturel d’une telle démarche,
funébre de donnent, le miroir en proprement réduite de
c’est-a-dire
une
du
figuration
dont
carnaval,
le masque
Ruy Gomez et les plaisanteries. égrillardes des courtisans climat de plaisir/mort ™. Le V° acte est le merveilleux abyme du processus carnavalesque, quoique le carnaval dit ne soit ici présent qu’en contrepoint, et sous la forme féte aristocratique ™.
Aprés la réyolution de 1830, Hugo est attiré par ce que nous avons nommé les fables de la décapitation ™ ou passe au premier plan le probléme de la détronisation la plus radicale qui soit, Dans létat de nos connaissances sur les projets hugoliens de 1830, nous ne savons la part de rire qu’elle pouvait contenir, ni si le grotesque y figurait :en tout cas Vindication d’un remplacement du roi décapité est présente dans un fragment de Louis XVI™. 188. Hernani;
V, 3, 0.C., 1027.
189. V, § 1, O.C., 1018 sqq. (Courtisans). (...) L?amour et la fortune, ailleurs comme en Espagne, Sont jeux de dés pipés. C’est le voleur qui gagne. (...) Que devient le vieux duc ? Fait-il clouer sa biére ? (...) Vouliez-vous pas qu’il mit son cercueil de la noce ? (...) Soliman. Neptunus, le diable et Jupiter, Que me font ces gens-la ? les femmes sont jolies,
La masearade
est rare
(...) Je ie suis
plus
Qu’un
masque
et j’ai dit cent folies.
le méme
que je mets
me
un
(...) Si les morts
Voici leur pas, (...) Baste ! ce qui fait peur
Qui vient nous Dansons.
4190. dernier 191. 192.
(...) Ou
si c’est
jour
de féte, et crois
fait une autre téte. marchent
ailleurs,
f au bal fait rire.
Lucifer
voir danser en attendant V’enfer, | ;
DON
SANCHO
C’est A coup sir quelque bouffonnerie. (...) D?honneur, on est heureux un pareil jour la nuit. Qu’il va se passer la de gracieuses choses | . Crest Ja méme solution (avee quelques variantes) qu’il adoptera dans { acte de Lucréce Borgia (voir infra, p. 554 sqq.). Voir premiére partie, I, l’analyse des projets dramatiques de 1830. Voir ibid., p. 38, et O.C., UI, 1131.
at le |
LE DRAME
CARNAVALESQUE
: ACTANTS
ET ACTION
501
Ces projets n’aboutissent pas, mais tout se passe comme si les fables étaient le relais permettant 4 Hugo de constituer une action dramatique réellement carnavalesque, dont le type parfait est celle du Roi s’amuse. Ici Ja conjonction de tous les éléments carnavalesques se produit dans le cadre d’une intronisation-détronisation : le bouffon se mue en roi et le roi s’est déguisé pour entrer dans la cour des Miracles 1, Mais
c’est une
démarche
pour
rire,
le roi se
retrouvera
roi et le bouffon vivra la détronisation du roi-carnaval ™. L’opposition roi/bouffon,
constitutive
de la fable, la présence,
dés le début
de la
piéce, de ce carnaval réduit qu’est la féte aristocratique, le réle de pourvoyeur et de relais que le bouffon joue par rapport au roi dés le début, autant d’éléments qui mettent en lumiére le caractére carnavalesque de l’action dramatique. Ici Vintronisation-détronisation mime sur le plan carnavalesque le renversement de la royauté; c’est le renvoi de la Terreur dans le dérisoire * : aussi le Roi s’amuse n’est-il pensable que dans le reflux qui suit l’installation de la Monarchie de Juillet #6, Le carnaval dans l’action dramatique se présente sous un visage différent et méme opposé dans Lucréce Borgia’. Il n’y a. pas de détronisation
de Lucréce,
mais
la mutilation
du nom
est comme
une
parodie de décapitation ; et la scene du démasquage est aussi une forme atténuée de détronisation. La scene du Commandeur joué par Lucréce
contre ses victimes, subit une inversion
inattendue
et se joue
contre Lucréce dans un second temps, avec Gennaro dans le réle du Commandeur (1etournement des générations !). La présence du Carnaval, direct
@une
au premier
féle aristocratique
voulue, d’abdication
acte, réduit
donne
consentie,
au dernier
a l’action de premier
son
acte,
sens
sous
la forme
de détronisation
stade du processus
carna-
valesque (la démission du vieux pouvoir) ; ’établissement d’un pouvoir jeune ne se fait pas, Vintronisation d’un autre roi (carnavalesque ou sérieux) ne peut aboutir : tout se passe comme si l’on se trouvait en présence de la parodie sérieuse et inachevée du processus carnavaleque. C’est
une
démarche
voisine,
atténuée,
qui
est
celle
de
Marie
Tudor : la scene du Commandeur se joue non contre un personnage royal, mais contre un personnage aristocratique (Fabiano = les seigneurs de Lucréce Borgia). Le trait capital de l’action dans cette piéce est que la détronisation porte sur un vrai Roi de Carnaval, un
faux puissant, déguisé, masqué ; la premiére idée de Hugo avait été 193. Cette « bohéme
» de Saltabadil
raciale (gypsie} ; Saltabadil ce fait toute
appartenance
et Maguelonne
se définit comme
« raciale
«:bohéme
», « tzigane
» ou
est une
bohéme
et bourguignon
« bohémienne
»
sociale, non
» (niant de
ai, 1, 0.C.,
194, Voir plus loin l’analyse du Roi s’amuse. 195. Dans ce cas particulier, le Carnaval parait étre un succédané dérisoire de Révolution. A beaucoup de points de vue, il n’est pas sir que le Carnaval de Bakhtine, incontestablement populaire, soit toujours aussi « progressiste » qu’il le dit. Toute parodie d’une action, comme tout « retour dere », porte en soi un élément de conservatisme. 196. Rappelons la liaison établie au niveau des brouillons (et sans doute inconSciente) entre les réflexions sur les sottises du ministre Montalivet et les premieres démarches
d’écriture
du
Roi
s’amuse
(voir
ire partie,
chap.
Roi
s’amuse,
genése).
Les petits textes de 1831-1832 mettent l’action sur cette inversion qui fait du bouffon
le sujet de Vhistoire : aprés « VArlequin sauveur de villes, comédie » F.P., p. 89 (vers 1830) c’est, vers la fin de 1831 : « TrisouLetT : Voulez-vous pas que je sonne le tocsin avec
ma
marotte ? » (F.P., p. 92). 0.C., III, 1192 et O.C., IV, 955.
197. V. infra, chap.
Une poétique
: Lucréce
Borgia.
502
LE ROI
ET LE BOUFFON
de montrer successivement l’intronisation et la détronisation de ce roi, et qu’il a renoncé au premier épisode™®. Mais si Hugo s’en tient a la deuxiéme partie’ du processus, il la redouble en montrant aprés sa détronisation du roi de remplacement, celle de la vraie reine (détronisation-castration, dont la figure est celle de Vexécution du favori,
aux
flambeaux,
comme
celle de Carnaval) ; le vrai souverain
gui s’est identifié au roi de paille est entrainé avec lui dans la grande danse
du carnaval
populaire ; c’est la: mort
du roi de carnaval
entraine parodiquement la destruction du vrai souverain. comment l’accueil mitigé fait 4 cette invention dramatique Hugo a une sorte de recul. Angelo est, aprés Hernani, le point le plus bas du hugolien. Non pas tant du fait de l’auteur, nous l’avons vu, pression.sociale. La cour des miracles a été gommée ; il n’y trace.
La détronisation
du tyran
est dénotée
a l’acte
contre
une victime
et une victime femme.
grotesque que de la en a plus
I, 1, en
extrémement érergiques!”, mais disparait de l’ensemble dramatique ; la détronisation et la scene du commandeur
qui
On a vu contraint
termes
de l’action sont jouées
Le réle de Homodei,
succé-
dané de la souveraineté, et qui tient la place du roi carnaval, a été bien affaibli par sa « mort prématurée » et surtout par le fait que -cette mort n’est que dénotée par la parole au lieu d’étre montrée. Sa disparition renvoie le reste de l’action dans des:sphéres non carnavalesque. Le relais du grotesque par le personnage féminin, l’actrice Tisbé, maintient dans l’atmosphére du carnaval réduit, de la féte™ ou
du théatre. Il est possible d’interpréter V’action dans Angelo comme le relais du personnage puissant par le grotesque « théatral » ou méme forain, mais cette interprétation limite le grotesque. La relative liberté qu’apporte 4 Hugo le théatre de la Renaissance le renvoie au grotesque. Dans le cas de Ruy Blas, c’est toute l’action qui est directement constituée par l’intronisation-détronisation du roi de carnaval. La détronisation du roi légitime, et de la puissance dont il est l’origine est indiquée par toute sorte d’éléments de l’action, l’exil de
Salluste ,
V'absence
(matérielle
et politique)
du
roi®,
le vide
historique dénoté par le Bon appétit, messieurs™, le référent historique de fin d’une dynastie. Le déguisement de Ruy Blas et la mission, 198. Cf. la premiére version du premier acte de Marie Tudor, in O.C., V, p. 756-
769, et notre analyse, 1re partie, chap. Marie Tudor, p. 283. 199. « Tyran de Padoue, esclave de Venise... » Toute la grande tirade d’Angelo te ge igs "sfmort masquée (de l’arrivée du Commandeur) (0.C., V, 276-277) (0.C., as 200.
> m. 1). V. I, 1, la
«
féte
de
nuit
»
donnée
par
Tisbe.
J,
Massin
remarque
la
curieuse inversion des prénoms dans la piece « un Angelo qui n’est pas un ange, mais un tyran, un Homodei qui n’est pas un homme de: Dieu, mais un espion, un Orfeo qui n’est pas un poéte, mais un tueur et un abruti ». L’huissier s’appelle Troilo, un policier, Virgilio. Inversion typiquement carnavalesque, mais allusive et non dramaturgique.
ail
202.
DON SALLUSTE (...) Ah ! e’est un coup de foudre!,., oui, mon Gudiel | — renvoyé, disgracié, chassé ! (...) Imbécile
Moins Le
203.
! —
un
qu’un homme
roi: chasse.
sot ! vieux
a trente
! A régner comme
Toujours
absent
régne est passé ; I, 1, 0.C., V, 678.
ans !
F
a vivre inhabile ! I, 3, ibid., 690.
(...)
L’Espagne et sa vertu, l’Espagne et sa grandeur, Tout s’en va... {...) Comme si votre roi n’était plus qu’un fantéme. La Hollande et Anglais partagent ce royaume.
i
Il, 1, ibid., 702. ;
LE DRAME
CARNAVALESQUE
: ACTANTS
ET ACTION
503
ouvertement dénotée, qui lui est confiée (remplacer le roi dans tous les domaines, politiques et privés) sont une véritable intronisation de carnaval, suivie par une détronisation dont nous avons vu la capitale importance dramatique ™. Cette détronisation s’accompagne d’un contexte particuliérement lié au carnaval dans son aspect parodique : le retour de Don César avec ses caractéristiques de mort/renaissance ™, Sil est une piéce ot l’action recouvre le processus carnavalesque, c’est bien Ruy Blas, reprenant avec une précision plus grande les caractéristiques du Roi's’amuse ** — en ce sens, la plus conforme 4 l’esthétique de la Préface de Cromwell. Mais le processus est 4 deux étages. La scéne
du Commandeur
qui se joue 4 la fin de l’acte III contre
le
roi de carnaval se joue 4 l’acte V contre le vrai roi (ou le succédané
du vrai roi) : la chute du puissant est un processus réversible. Ainsi Ruy Blas qui a pris la place du roi et en a été chassé prend la place du
Commandeur
(de la puissance
détrénante)
pour
lutter
contre
le
Commandeur des actes précédents et le détruire, avant de se détréner et de se détruire soi-méme 2”, La détronisation finale du roi de carnaval est doublement mortelle et contrairement au carnaval « renaissant », la conclusion
est néantisation
finale de tous les participants *.
Les Jumeaux sont une piéce inachevée ; il est donc relativement difficile de mesurer dans quelle mesure l’action dramatique obéit au processus carnavalesque. Cependant il apparait clairement que tout le premier
acte est un
acte
de place publique,
de féte foraine
et de
carnaval masqué, préparant une détronisation (d’ailleurs finalement manquée), celle de Mazarin; le roi de carnaval, le comte Jean,
déguisé, parle le discours charlatanesque de la parade foraine™, Mais son masque est un masque inverse : ce n’est pas le grotesque revétu dés habits de la souveraineté, c’est l’aristocrate déguisé en grotesque. On voit ici comment s’articulent carnaval et migration d’espace *” : le comte Jean tente 4 la fois de changer d’espace et de se couronner luiméme en tant que Roi de Carnaval; démarches contradictoires et aussi illusoires et inactives l’une que l’autre. Le processus carnavalesque (intronisation-détronisation) est présent dans le couple « inversible » et dénoté comme tel *") des jumeaux royaux, qui sont effectivement pris ’'un pour l’autre, — mais autant qu’on en puisse juger @aprés les brouillons, il efit été escamoté au dernier acte. Parait un processus avorté de renversement d’un pouvoir (double 204. Voir ire partie, chap. Ruy Blas. aes Voir ibid. Panalyse sur Don César mort-vivant et le processus de sa résuron. 206. Notons que le retour 4 des formes carnavalesques particuliérement nettes s’accompagne d’un retour au vers, comme si le carnaval s’accommodait mieux de
la distance
concession
qu’impose
au code
propre du carnaval,
ou
la forme au
versifiée.
contraire
;
d’une
Il est difficile
maniére
de
de mettre
dire
s’il s’agit
en valeur
d’une
la poétique
207. Notons V’identification de la détronisation et de la mort chez Hugo. : 208. Cf. une conclusion identique dans Lucréce Borgia. Elle donnerait raison a onihiaing (Rabelais, p. 49) qui voit dans le carnaval romantique le carnaval de la mort. 209. Jumeauz, I, 4, 0.C., V, 816-817. 210. Voir plus haut, p. 423, analyse
211,
des Jumeauz. LA REINE Avant un mois, le roi, mon fils aura seize ans. Alors, ils concluront ce mariage infame. L’HOMME
Un autre, 4 la méme
Cf. aussi III, 2, ibid., 866.
heure
aura
seize ans, Madame
! (I, 6, 0.C., V, 828.)
504
LE ROI ET LE BOUFFON
pouvoir,
celui de Mazarin
(celui de la Reine-Mére,
doublé
du jeune Louis
et du jumeau
XIV) par un
autre
Ce processus
n’au-
prisonnier).
rait rien de carnavalesque s’il ne se faisait ouvertement dans un contexte de carnaval, celui du masque, du déguisement, de la parade bouffonne “2, Deux remarques : d’abord le renversement, une fois de plus, échoue, l’ordre normal (non-carnavalesque) se rétablit, malgré (ou a cause de) sa profonde injustice ; ensuite le carnaval est ici nonpopulaire (il n’est populaire que de facon parodique*) ; il est transféré dans J’univers aristocratique auquel appartiennent tous les personnages, a l’exception du serviteur Tagus. Le peuple est faussement présent, et n’existe qu’au niveau de la simple dénotation™, non de Vaction. Le dynamisme du processus carnavalesque est donc passablement diminué et cette remarque rejoint celle que nous avons pu faire au sujet du statisme de la structure A/B dans les Jumeauz. Il serait intéressant de voir dans quelle mesure le processus carnavalesque se retrouve dans les Burgraves malgré leur caractére totalement épigque et sérieux. L’action se fixe autour du retour de Vempereur Barberousse, qu’accompagne la détronisation puis la réintégration de Job. Ce qui frappe ici c’est ’inversion du mouvement qui ne part pas d’une intronisation mais y retourne ; de méme le théme de la chute soudaine, celui du Commandeur,
qui trouve sa place dans
la seconde partie 2“ est inversé puisque le Commandeur est au dernier acte celui qui apporte la vie, non la mort, et qui réinvestit. Seul subsiste le theme carnavalesque de la féte orgiaque, avec sa conséquence, Vinversion de la position des Burgraves et des esclaves, les premiers se trouvant a la fin de la deuxiéme partie, chargés des chaines des derniers. Le théme carnavalesque du monde a l’envers n’est donc pas absent des Burgraves; il figure aussi dans la personne de lesclavereine,
’humiliée
toute-puissante,
Guanhumara.
Mais
la féte
comme
Vesclave-reine apparaissent ici débarrassées de toute connotation grotesque, sous leur vétement tragique ; cette transposition, excluant toute dérision, est-elle la condition de l’inversion au bier du processus
carnavalesque 7° ? La démarche d’intronisation-détronisation est claire A trois moments de l’écriture dramatique
moments
qui sont aussi des étapes décisives
maturité,
de sa
trois textes
vieillesse ; Cromwell,
de la détronisation,
tous
particuli¢érement de Hugo, trois de sa jeunesse, de sa
les Burgraves. les trois
Mangeront-ils?
marginaux,
méme
les
212. Ce contexte n’est pas seulement celui de la parade des premiéres scénes de eyed I, mais se laisse voir a certains détaiis, comme celui-ci dans la bouche @Alix : : ‘
Des amis déguisés en soldats, en bouffons M?’aideront...
213. C’est le comte Mais
il n’en
faut
pas
Jean
Tous
texte
les secrets
Le peuple
qui dit le grand
conclure
couplet du Voleur est un 214. Par exemple :
des
couplet
a V’inexistence
étonnant, grands
du
& double
tombent
a l’oeil cuvert' dans
Vombre
fees
(I, 9, ibid., 838.) du
Voleur
Carnaval,
entrée,
en bas,
dans
(1,5, les
ibid., 821). Jumeaug,
typiquement
madame,
de votre Ame. ‘
215. Burgraves, 2° partie, sc. 6; O0.C., VI, 628-630. 216, Il n’entre pas dans notre propos d’étudier comment,
Ce
dialogique. eter P
‘ (I, 6, ibid., 828.)
dans
les
Burgraves,
le processus carnavalesque inversé s’accompagne d’un discours sérieux, excluant) tout grotesque et toute parodie, et ot les éléments carnavalesques présents (le sata~ nisme par exemple, ou la féte orgiaque) trouvent leur place dans un discours qui les récupére sous l’égide d’un commandeur non deérisoire.
LE DRAME
CARNAVALESQUE
505
ET ACTION
: ACTANTS
Burgraves, par rapport au théatre joué ; trois points d’aboutissement qui sont aussi de « fausses sorties » : l’aporie de Cromwell (impossibilité de accession au tréne), illusion « romantique » des Burgraves, drame ov c’est le mendiant qui est l’empereur, ot le Roi de Carnaval
s’identifie au souverain légitime ; enfin la solution onirique de Mangeront-ils ? autrement dit le recul définitif, manifestement féérique, du roi légitime devant le Roi de Carnaval. Concluons : tout d’abord, on remarque la présence dans cette action : 1) du grotesque populaire, cour des miracles, parade foraine, bouffons, jouant un réle non épisodique ou descriptif, mais fonctionnel et fondamental ; 2) du processus carnavalesque dans le schéma dramatique, processus plus ou moins réduit ou dissimulé, mais parfois absolument clair (comme dans le Roi s’amuse ou Ruy Blas) ; 8) ce processus carnavalesque d’intronisation-détronisation, toujours présent est aussi toujours inachevé (inversé dans le cas des Burgraves) souvent mutilé, réduit 4 une partie, et toujours de conclusion pessimiste, excluant renaissance ou rédemption wa Le Carnaval
et le Commandeur.
Le processus de carnayalisation suppose son propre point d’arrét, le Commandeur qui restaure l’ordre. Le Carnaval est Vexcentrique, Vinversion
du cours
naturel
des choses,
est une
le Commandeur
fin
du temps carnavalesque. Or dans la plupart des drames qui nous occupent, le point de départ de l’action carnavalesque, c’est la féte aristocratique,
carnaval
réduit,
féte
sadienne,
orgie
noire,
dans
laquelle figure le Roi de Carnaval, l'homme d’un autre espace (le Rot s’amuse, Lucréce Borgia, Angelo, et méme Ruy Blas et Marie Tudor)
ou le carnaval aristocratique est simplement dénoté**. Or au déplacement du Carnaval qui le fait glisser de l’espace populaire, correspond dans ce cas le déplacement du Commandeur : puissance détrénante, il peut prendre trois formes successives, dont deux sont tou-
jours présentes, la troisiéme étant en général au moins indiquée ; elles
sont non-habituelles, déplacées :
1° Le Vieillard, figure traditionnelle,
mais de fonction
retournée,
puisque, proférant la parole de l’ordre, les valeurs morales du passé, il est impuissant, moqué et renvoyé avec aussi peu d@égards qu’un auguste de cirque (Nangis, Ruy Gomez,
« vieillard imbécile
», Saint-
Vallier ™°) ; il est impuissant 4 mettre un terme au carnaval aristocra217. A Vexception des Burgraves. Cf. les lois de fer de la structure A/B. Cette lecture de Vaction dramatique n’exclut pas, mais confirmerait une lecture analytique : ily a une sorte de parallélisme entre l’intronisation du roi de carnaval, qui moque, rejette ou détruit le roi légitime, avant d’¢tre & son tour rejeté, découdétruit, et le processus qui fait du fils le nouveau roi qui se retourne contre ronné, son pére pour le castrer ou le tuer avant que la castration se retourne contre lui, sans lui permettre de liquider le passé, d’accéder A une nouvelle naissance (Baudouin). Le talion de la castration, toujours présent dans le théAtre de Hugo ne permet pas au processus du carnaval de se dérouler jusqu’au bout, Cette lecture confirme celle que nous avons tentéc au niveau de la transgression, d’une migration d’un espace A Vautre et de son fatal échec. 218. Dans les Jumeaux méme Je déguisement du comte Jean introduit dans la ; : parade populaire le carnaval aristocratique, masqué. V. infra, Be 520-524, Vanalyse du discours de Saint-Vallier. Cf, dans le 219. commandeur du annonce. dérisoire, Don ane de Moliére, Don Luis, commandeur
« vrai
>.
vy.
¥A
506
LE’ ROI ET LE BOUFFON
tique (comment Je pourrait-il, puisqu’il est du méme espace?) ; son discours méme est discours de néant. La Loi du Pére est dévalorisée. Il faut attendre les Burgraves, pour que la barbe retrouve la puissance impériale. 2° Le Commandeur
noir, Lucréce
Borgia, Don
Salluste, Mazarin,
qui arréte le Carnaval, renvoyant au néant le Roi de Carnaval; lui est efficace et fait place nette, sa parole luciférienne inversant les rapports de bien et de mal qui se trouvent confondus. 3° L’Ange blanc, qui détruisant le Commandeur Noir, tente d’assurer 4 la fin du temps carnavalesque son visage de) justice ; mais parlant Ja parole luciférienne pour la retourner, il ne peut accomplir sa tache qu’en devenant noir a son tour: il se fait Cain par le meurtre, instituant dans la mort de nouveaux rapports d’amour ; le parricide Gennaro peut aimer sa mére criminelle, Ruy Blas ayant tué Salluste peut étre aimé en tant que Ruy Blas: « Le sublime est en bas ”, » Trois remarques : 1° Avant
1830,
la distinction
entre
commandeur
1 et comman-
deur 2 n’est pas faite; dans Hernani, Ruy Gomez assume successivement les deux fonctions, et il n’y a pas de processus du Commandeur dans Marion. Commandeur et carnavalisation sont liés. 2° Dans la poésie lyrique (Noces et Festins) la fonction du Commandeur est conforme : le déplacement du Commandeur est réservé
au théatre.
3° Surtout,
ce processus
du Commandeur
inverse,
avec
ses trois
étapes et leur ordre obligé, correspond aux trois grandes démarches symboliques du théatre de Hugo : le retour du passé, la décapitationcastration, le mythe de Cain™!. La structure carnavalesque du drame hugolien porte sa signification idéologique et politique : ange blanc devenu Cain pour sauyer, est figure de la Terreur. .
220. La fable historique des Jumeauz ne peut se terminer par la du Masque et c’est l’intervention de Barberousse, commandeur « conforme » qui évite au jeune Otbert le parricide. 221. V. infra Vanalyse de ces démarches symboliques, p. 593-618.
RCs: ee Nh
id
4
art
rah
+
Sele
UNE RHETORIQUE : LE ROI S’AMUSE
Quand Hugo en 1832 se détermine comme investir le sanctuaire de la Comédie Francaise,
perspectives entiérement
différentes
nous l’avons vu, a il le fait dans des
de celles qui étaient les siennes
en 1829 avec Marion de Lorme et Hernani. En 1829, il essayait de créer le drame, son drame ; en 1832, il va plus loin : il tente de violer
le public du Théatre Francais en écrivant 4 son intention, non pas a proprement parler un drame mais une anti-tragédie. De 14 un changement dans ses perspectives d’écriture : il prend pour point de départ ‘avoué de son drame, le code tragique auquel ses auditeurs étaient habitués et il lui fait subir tant6t une torsion, tant6t une inversion.
Dans le Roi s’amuse, les « audaces » de Hugo ne portent plus sur les nouveautés dans lécriture (l’enjambement par exemple, ou les -formules prosaiques, ou la présence de dates 4 l’intérieur de VYalexandrin) ; non
que ces nouveautés
soient absentes,
mais elles sont moins
provocatrices. Les audaces ne portent pas non plus, malgré les apparences, sur le contenu politique de la piéce : certes, il est encore mal venu de critiquer les rois sur une scéne officielle et diment subventionnée : ce qui est la régle sur la scéne de la Porte Saint-Martin en ces années 1830-1832 est moins facilement accepté en ce cadre. Mais il n’est pas besoin d’une longue lecture pour remarquer que les attaques contre la royauté contenues dans le Roi s’amuse sont passablement superficielles et ne risquent de porter ombrage a aucun pouvoir établi; il fallait une malignité particuliérement perverse pour voir dans la fameuse phrase : « Vos méres aux laquais se sont prostituées, Vous
étes tous batards
», une
allusion
a l’inconduite
de la mere
de
Louis-Philippe. Nous avons vu! que Hugo, aprés le scandale de la premiére représentation ne gomme aucune de ses pseudo-allusions politiques, qu’il aggraverait plutdt le portrait du roi Francois I*. L’attaque contre contenue dans la grande tirade de Triboulet a4 l’acte II n’était pas plus subversive, pour le public bourgeois de la ComédieFrancaise ot les ultras étaient en minorité, que la tirade des grandes
l’aristocratie dames
dans
la Tour
de
Nesle,
a V’intention
du
public
de
la Porte
Saint-Martin *. 1. Premiére partie, chapitre Le Roi s’amuse, p. 128-131. 2. Et cependant, Vepostrophe de Triboulet aux seigneurs est autrement forte que le texte de Dumas, dans la mesure ow elle est justement une apostrophe, une accusation directe au lieu d’étre simple allusion satirique, destinataire absent.
510
LE ROI ET LE BOUFFON
L’audace de Hugo est ailleurs : elle réside dans l’acceptation apparente du code tragique. Le Roi s’amuse est une tragédie historique en 5 actes et en vers qui théoriquement, ne devrait pas différer essentiellement de ce qui était habituellement applaudi, a savoir : la tragédie historique de type voltairien, rajeunie et rhabillée par Casimir Delavigne ; un sujet emprunté a V’histoire nationale ot apparait un grand roi, ou les allusions politiques sont discrétes mais attendues, ot Vamour joue son réle important mais non prépondérant, et ot I’assouplissement des unités, l’importance accrue du spectacle ne mettent pas en péril le caractére essentiellement rhétorique de l’ceuvre. Personne ne pouvait s’insurger contre les changements de lieu déja admis et que faisait passer la somptuosité toute royale du premier tableau ; la forte unité de l’action centrée autour d’un trés petit nombre de personnages (trois seulement), compensait le trou dans Punité de temps entre le 3° et le 4° acte. Les assouplissements rendaient sensibles au contraire le caractére classique de la dramatur-
gie.
LE CODE TRAGIQUE L’écriture tragique : la tirade et Valexandrin. Le Roi s’amuse correspond — au moins apparemment — au modéle tragique ot l’action avance par la parole, progresse par le dialogue avec comme unité de base la tirade tragique. Le Roi s’amuse est la piéce des tirades (apostrophes ou monologues): grande tirade de Saint-Vallier 4 l’acte I, monologue-prise de conscience et tirade a Blanche de Triboulet a l’acte Il, apostrophe aux seigneurs et tirade & Blanche 4 l’acte III, monologue de Blanche, acte IV, scéne 5; quant a l’acte V, il est tout entier constitué, — sauf le petit interméde
de la scéne 2 et les monosyllabes de Blanche 4 la scéne 4 — par un immense monologue de Triboulet, monologue articulé en tirades, mais dont l’unité reste fondamentale. Si la tragédie est tenue dans la premiére moité du x1x* siécle — c’est un liew commun des romantiques — pour dramaturgie de la parole, le Roi s’amuse est délibérément une tragédie. Une tragédie en vers : l’usage du vers correspond, on I’a vu, a la dramaturgie de la préface de Cromwell. L’alexandrin étaye la grandeur historique, coupe l’ceuvre de toute tentation mélodramatique. En Poccurence, l’outil du vers a pour mission premiére de faire respecter le code tragique, de ne pas désorienter le spectateur habitué a ce genre. En effet, l’usage du vers ne correspond pas dans le Roi s’amuse au contenu de l’ceuvre, comme c’est le cas pour Marion de Lorme, ou Hugo joue avec l’alexandrin un jeu légérement parodique, ou pour Hernani ou le vers noble correspond a la grandeur impériale et castillane.
Ici c’est un
bouffon
qui parle
d’ailleurs, mais quels alexandrins !
en
alexandrins.
Le
roi aussi,
UNE
RHETORIQUE : « LE ROI
S’AMUSE
»
511
La dépréciation du code tragique. C’est l’ensemble du code tragique qui est mis en question par une série de procédés dramaturgiques : le résultat en est pour le spectateur le maintien de la sensibilité 4 la tragédie, la perception maintenue du code tragique, accompagné d’une violente distorsion — si violente que ses effets subversifs rendent tout compromis impossible. Structure dramaturgique classique : l’une des caractéristiques du Roi s’amuse est d’étre une piéce trés réguligrement construite en 5 actes, ot les actes ne sont pas un simple découpage formel mais coincident effectivement avec les paliers de l’action.
Les grandes unités : La caractéristique structurale du Roi s’amuse est la coincidence (quel que soit Je mode de découpage utilisé) des grandes unités avec les actes : A B I, —
(Monsieur Maitre
Wes
(le
Mitra
de
St-Vallier)
Serviteur (dans Victime
.
Il. —
—
IV.
Femme
Serviteur | (dans Femme
:
Servitenr
|
—
A)
Roi)
"O_8
(Saltabadil) Maitre
—
B)
selene
Maitre
(dans A)
—
5 litany
if
ens
Maitre
—
oe =
(dans
Serviteur
(B)
Femme
Vv. —
(Triboulet)
Maitre
—
Serviteur
(B) (dans
B)
Femme
L’absolue rigueur de la structure des grandes unités recouvre & la fois la structure du récit et celle de la dynamique AB. La tirade Maitre-Serviteur-Victime
(ou Femme)
passe
de A 4 B, retourne
en A,
puis s’établit définitivement en B, avec cette particularité que Triboulet occupe la position de serviteur en A, et celle de maitre en B par rapport au serviteur Saltabadil.
Le personnage tragique. L’exemple du Roi s’amuse est sans doute le meilleur possible pour mettre en lumiére ce que peut étre la distorsion du code tragique au niveau des personnages. La souveraineté du sujet tragique avec sa
grandeur, fit-ce dans le crime, son rang social, ses diverses formes de
§12
LE ROI
ET LE BOUFFON
dignité n’est pas ici seulement mise en péril, elle est proprement retournée : ce n’est pas le Roi Francois qui est le sujet, c’est Triboulet, le bouffon, et le spectateur mystifié ne s’en apercoit qu’au second acte. Il aurait encore admis que s’établisse la division Roi/Pére et que le réle de pére soit « soufflé » au roi par le noble
mais que le bouffon que
la constellation
‘tellation
paradoxale
s’établisse dans la majesté tragique
Roi/Pere
Bouffon/Peére,
s’inverse
Saint-Vallier,
du Pére, c’est-a-dire et devienne
voila le scandale
la cons-
pour le specta-
teur de 18323, Circonstance aggravante : on ne peut parler d’une réhabilitation du personnage grotesque qui parviendrait 4 Véminente dignité du tragique par une sorte d’assomption morale: Triboulet sujet tragique reste le bouffon
mauvais,
entremetteur,
fomenteur
de haines, 4 la fois
provocant et geignard, tout prét a se rouler par terre aux pieds de ceux qu'il vient d’insulter, incapable de tuer lui-méme celui dont il veut la mort et le faisant assassiner par un tueur 4 gages. A une époque trés voisine de celle ot il rédigeait le Roi s’amuse, Hugo écrivait sur un feuillet cette note:
« Un lAche, drame‘.
» II affirmait,
ce fai-
sant, la valeur dramatique de personnages étrangers a la dignité du code classique, c’est-a-dire 4 cette confusion idéologique qui institue a Vintérieur du personnage tragique un faisceau de qualités liées. Il n’est pas impossible 4 la rigueur au personnage tragique de paraitre, tel don Sanche d’Aragon, « fils d’un pécheur », encore faut-il qu’il réunisse sur sa personne les autres caractéristiques tragiques : le courage, la dignité, une certaine forme d’ « élévation morale » ; le code esthétique tragique se double d’un code des convenances dont, le sens renvoie non tant a la morale, qu’a l’esthétique. Il y a une esthétique « morale » de la tragédie, fort différente de l’esthétique morale du mélodrame, mais tout aussi contraignante : le héros tragique peut étre sans dommage cruel ou traitre, il ne saurait étre couard, gémissant ou léger. Or précisément, les personnages du Roi s’amuse sont de vivantes provocations au code, non seulement parce qu’ils représentent des « constellations paradoxales », mais parce que la méchanceté basse de Triboulet, la futilité du Roi Francois ne leur permettent pas d’accéder au rang de personnages tragiques : on ne s’étonnera pas de voir le public applaudir une seule fois sans arriére-pensée, et c’est la tirade de Saint-Vallier, héros tragique conforme 4 ce qu’il attend de la tragédie mais qui recoit une nasarde avant d’étre évacué®, L’inversion du personnage tragique ne peut que déclancher le scandale. La division intérieure du personnage n’est pas moins scandaleuse ; Triboulet est représenté a la fois et contradictoirement comme celui qui est le non-tragique par excellence (lache, mauvais, entremetteur, etc...) et comme ayant vocation au tragique par la douleur paternelle et par l’ampleur de la vengeance. Autrement dit, c’est l’ensemble des personnages du Roi s’amuse qui, moins par leur définition sociologique que par leurs caractéristiques psychologiques et leur
non-unité, contreviennent au code tragique. L’un des traits dramaturgiques typiques de cette inversion du sujet tragique est l’inversion de la parole du sujet. Comme dans toute 3. Cf, 1re partie; Le Roi s’amuse, Accueil. 4, Ms. 24798, f° 75. 5, Voir ire partie, chap. Le Roi s’amuse.
UNE
RHETORIQUE:
< LE ROI
S’AMUSE
>
513
tragédie, le sujet tragique parle, mais ici la caractéristique du sujet parlant, est de prendre la parole a la place du roi : c’est Triboulet qui ‘répond 4 Saint-Vallier 4 la place de Francois I*, c’est lui qui apos‘trophe les seigneurs, leur reprochant une action déshonorante; a ‘Pacte V, il parle histoire, comme, au début de l’acte II, il a parlé le ‘moi tragique dans son probleme et dans son déchirement. Autrement ‘dit, c’est le grotesque, homme sans qualité (et sans qualités) qui se permet de prendre la parole 4 la place du Roi. La longueur des tirades et monologues de Triboulet met particuli¢érement en péril le code tragique dans la mesure ou au bavardage du personnage correspond sa non-adéquation 4 un discours organisé : le public l’a ressenti comme un scandale. Ainsi l’on peut dire que presque tous les modes de mise en question du sujet du drame se rencontrent dans le Roi s’amuse, faisant subir au code tragique auquel la piéce parait obéir superficiellement, les plus graves des distorsions. Aucune « psychologie tragique > aucune
discours
bouffon
unité du personnage,
tragique
méne
ne
aucun
peuvent
sens
subsister
(historique ou individuel)
intacts,
dans
un
texte
la danse, parlant un discours paradoxalement
du
ou le
sérieux
et non comique, ow s’établit donc une faille entre le sérieux du discours tragique (du discours du Pére), et le dérisoire de la bouche
qui le parle. |Les trois unités.
Ii faut que Je sentiment des unités reste vif pour que soit percue la distorsion 4 leur propos. C’est le cas, nous venons de le voir. Si la continuité temporelle est nettement perceptible, elle s’accompagne dune complicité avec la durée. Le temps.s’étire et se dilate, accompagnant la maturation de amour de Blanche, paralléle a la maturation de la vengeance : de lA la béance temporelle entre le III et le IV, justifiant les deux formules :
TRIBOULET Et tu l’aimes !
BLANCHE
Toujours.
TRIBOULET Je Tout le temps de guerir cet amour BLANCHE Vous aviez pardonné, mon pére... TRIBOULET Au Il me fallait le temps de construire
tai pourtant insensé.
laissé
sacrilege le piége°.
Les rires du public au « toujours » de Blanche s’expliquent aussi par Voffense au code de la tragédie : la tragédie étant ce qui ne peut laisser au sentiment le temps de se creuser ou de se renier. La maturation temporelle est, on peut l’imaginer, essentielle a4 toute dramaturgie ou intervient le processus carnavalesque, la soudaineté de la
6. IV, 1, 0.C., IV, 592. Souligné par nous.
33
514
LE ROI ET LE BOUFFON
détronisation ne prenant son sens que par rapport a la durée (limitée mais nettement perceptible) du couronnement. Le jeu avec le lieu est encore plus visible : tout d’abord, Punité de l’espace est mise en péril d’une maniére flagrante 4 Pacte IV (et les spectateurs Pont mal supporté) par le décor multiple, rendant présents a la fois le lieu du dialogue entre Blanche et son pére, et le lieu du piége Saltabadil — par la verticalité du lieu multiple et sa singuliére inversion qui fait de espace picaresque un lieu ow Je haut est le bas et le bas le haut ? —
enfin par la fissuration (sans la moindre
métaphore) de la cloison entre Je lieu « bourgeois » et le lieu-Cour des Miracles : la fente dans le mur, laissant passer les secrets, indique une
lourdeur
matérielle
du lieu, a la fois nécessaire
et brisé, qui ne
pouvait étre ressentie que comme provocation. Moins immédiatement visible est l’ouverture de l’espace, qui conduit la piéce de la scéne (close} du bal royal 4 cette berge de la Seine qui « remonte 4 SaintDenis* » — ouverture dramaturgique parfaitement anti-tragique, opposant la scéne de la rue et ses témoins populaires au bouclage final de toute tragédie. Enfin — chose plus grave encore —, le lieu dans
le Roi s’amuse
est un
lieu double,
figuration
de la division
A/B
de l’espace dramaturgique. Ainsi 4 espace « royal » de lacte I et ~ de Vacte IIE s’oppose VYespace « bourgeois » ou « populaire » des autres actes, cet espace ot Triboulet est roi, ot il donne des ordres et domine son « esclave », son « bouffon » 4 lui, Saltabadil. Plus clai-
rement encore, nous pouvons dire que ce qui domine peu a peu Vaction au cours des actes IV et V, c’est la chute progressive de tous
les protagonistes 4 l’intérieur d’un lieu particulier,
d’une vwariété de
Pespace B, qui est le lieu-Cour des Miracles: tous les personnages tragiques s’engloutissent dans ce qui est le lieu anti-tragique par excellence, espace de la dérision.. Hugo dans ses corrections pour une éventuelle deuxiéme
représentation
raccourcit Pacte IV, et gomme
totalement, a l’acte V, la confrontation du héros tragique Triboulet et du peuple-spectateur sur la place vide de la derniére scéne ®.
L’action tragique et son inversion. Il est inutile de reprendre ici les considérations que nous: avons tenté de développer 4 propos de Vlintronisation-détronisation dans Vaction dramatique du Roi s’amuse ; cependant un certain nombre de détails méritent sans doute qu’on s’y arréte. Tout d’abord le fait que l’opposition roi/grotesque est premiére dans la conception de la piéce : nous nous souvenons que l’opposition donjon/moulin est déja présente dans le premier texte pouvant faire penser au Roi s’amuse, et qu’elle se retrouve dans le canevas de la piece”: on en sait lorigine, c’est la guerre Picrocholine, et ’humiliation finale du roi Picrochole que les meuniers «< battent », 4 qui ils « retirent son habit royal et (...) font
endosser
une
méchante
souquenille
». Bakhtine
remar-—
que dans ce texte de Rabelais « tous Ies éléments du systéme tradi-— tionnel des images (détrénement, déguisement, bastonnade ) >», et il 7. IV, se. HW, n°.5.
8. V. infra, n. 56. 9. Voir 1re partie, chap. Le Roi s’amuse, p. 129. 4 10. Voir Mariposa Il, O.C., II, 972 et tre partie, chap. Le Roi s’amuse.
UNE
RHETORIQUE : « LE ROI
S’AMUSE
>»
515
a beau jeu de signaler que « le moulin antique est le lieu ot l’on envoyait les esclaves punis™ ». Nous avons vu comment ce parallélisme/opposition entre Je roi et le bouffon qui est la structure de base de la piéce est d’origine rabelaisienne : « les sots et les rois ont le méme horoscope » dit Rabelais ™, et la lecture de Rabelais ouvre non seulement sur le Roi s’amuse, mais sur ce festival du grotesque hugolien qu’est admirable Mangeront-ils ? (prenant son sens, il nous en souvient, dans la détronisation
du roi ®),
Francois J* apparait tout au long de la piéce comme le « roi bouffon », dont le plaisir est le déguisement, dont le langage est populaire (« Je m’en soucie autant qu’un poisson d’une pomme »). Il se montre 4 l’acte II dans un déguisement d’ « écolier », puis 4 l’acte IV sous l’habit d’un simple cavalier. Méme le costume de I’acte III, tout royal, est « une robe de chambre » et on sait que la robe de chambre,
pour
imitée
de Véronése,
scandaleusement
était tenue
par le public
comme
revétant
le roi trés chrétien. A l’acte IV, le roi est personnage
grotesque, roi de comédie dont l’aspiration est « matérialiste » et « vulgaire » : boire et coucher avec la fille ; son arrivée dans le bouge Saltabadil est ponctuée de deux ordres : « Ta sceur et mon verre > ; toute la scéne mime une sorte de rituel de noce qui fait du roi tragique un roi de carnaval ; aussi la détronisation est-elle comme inscrite dans le schéma : il pourrait, il devrait se retrouver dans le sac 4 la Scapin, battu et bousculé par les deux compéres grotesques,
Triboulet et Saltabadil. L’inversion du Roi noble en roi de carnaval et sa détronisation révée forment le canevas de la piéce. De 14 les rapports d’identité et d’échange entre le roi et le bouffon Triboulet : l’un et l’autre porteurs du rire et de la mort, ils s’établissent dans une sorte d’équivalence perverse. Ainsi au rire amer de Triboulet correspond le rire dangereux du roi: « D’une bouche qui rit ’on voit toutes les dents » : l’équivalence rire/morsure explique la transformation curieuse du Roi-qui-s’ennuie en Roi-qui-s’amuse ™. La conjonction des deux rires, celui du bouffon et celui du roi est indiquée par le monologue
de Triboulet
.. Mon maitre tout 4 coup
(II, 2) :
survient, mon
joyeux maitre,
Qui, tout-puissant, aimé des femmes, content A force de bonheur oubliant le tombeau,
d’étre,
Me pousse avec le pied dans l’ombre ou je soupire, Et me dit en baillant : Bouffon, fais-moi donc rire !
Mais de méme
que le rire du roi est 4 la fois joie et danger, le rire « ...cacher sous un rire moqueur Un fond de vieille haine extravasé au cceur. » Aussi le fou, comme le roi, est-il celui qui peut établir un jeu avec la décapitation : de méme que Francois I* a joué avec la téte de Saint-Vallier, de méme la parole de Triboulet joue avec la décapitation de M. de Cossé : « Faites couper la téte 4 Monsieur de Cossé »
de Triboulet est 4 la fois plaisant et mortel:
11. Bakhtine, Rabelais, p. 200. 12. Rabelais, Tiers Livre. chap. 37. Cf. 1re partie, chap. Le Roi s’amuse, :
13. MM.
‘ remarquent dénouement
Journet
et Robert
(Mangeront-ils
avec raison limportance final, celui de abdication.
14. Roi s’amuse,
I, 3, O.C., IV, 544.
15. Voir chap. Roi s’amuse, p. 116.
de
la
? Ed.
crit.
trouvaille
Flammarion,
1970,
exceptionnelle
p. 102. p.
-qu’est
24)
le
516
LE ROI ET LE BOUFFON
(I, 4%), avant de jouer avec celle du roi. Le bouffon
peut provoquer
la décapitation, puisque, bouffon, il est celui qu’elle ne peut toucher :
Entouré de puissants auxquels je fais la guerre,
Je ne crains rien, monsieur, car je n’ai sur le cou Autre chose a risquer que la téte d’un fou (ibid.).
Aussi joue-t-il gagnante l’inversion qui lui permet d’utiliser le roi contre les seigneurs. Mais il oublie l’équivalence décapitation-castration — cette équivalence si vigoureusement indiquée par SaintVallier : Croyez-vous
qu’un chrétien, un comte,
un gentilhomme,
Soit moins décapité, répondez, mon seigneur, Quand au lieu de Ja téte il lui manque V’honneur ?
(i, 5) Autrement
dit, 4 la menace
de décapitation, les seigneurs répondent par la castration réelle qu’est le viol de la fille. L’étape suivante de action est marquée par la méme erreur : le fou parait ne rien risquer a tuer le roi, mais la menace sur le roi (régicide-décapitation) avorte, et ce qui s’accomplit c’est l’achévement de la castration du bouffon ; la mort de la fille. Apparait donc ici (outre l’équivalence roi-seigneurs, qu’il est impossible de ne pas lire dans le schéma ou roi et seigneurs se relaient
mutuellement)
la tentative
d’inversion
de
la
situation
de
dépendance et de la menace qu’elle recéle. Le Roi est sujet d’une décapitation possible (Saint-Vallier, M. de Cossé), ou de la castration réelle
de son
Demi-nue sur son
bouffon
(« Ou
et charmante, lit, comme
un
bien, c’est
une
reine,
une
femme,
jolie,
et dont il voudrait bien, Qui le laisse jouer chien”
») —
castration
dont
le signe est le
viol de sa fille Blanche. Or faire du sujet historique celui qui accomplit une décapitation arbitraire ou une castration dont le bouffon est
awa, Vobjet, c’est déja dégrader le tragique. Mais ce n’est pas tout: arrivée A ce point, l’action s’inyerse : et la tache
du bouffon
est de retourner
contre
le roi (en négligeant
les
seigneurs) le processus de décapitation-castration. Hugo a pensé 4 une inversion donjuanesque du schéma de séduction : « Si quelqu’un usurpait la reine?" » L’idée est gommée dans le texte définitif, o4 ce qui est préparé c’est la mort, non Ja castration du roi”. La deuxiéme partie repose sur Vinversion de la relation bouffon/roi et tout le processus de l’acte IV et de la fin de l’acte V est celui d’une substitution du bouffon au roi. Or cette substitution s’inverse 4 nouveau : elle n’est pas « yraie », la décapitation-castration du roi dans le lit de Ja prostituée ne s’accomplira pas et le spectateur le sait par des signes non équivoques*., Elle a eu juste pour réle de déplacer le tragique, 16. Ce
jeu
autour.
ire partie, p. 113. 17. Roi
s’amuse,
de
la
Il, 2, O.C.,
décapitation IV, 559.
appartient
au
ecaneyas
primitif.
Voir
'
18. Voir ire partie, p. 113. : 19. Mais c’est une mort qu’il trouve — qu’il devrait trouver — dans le lit dune prostituée : la liaison mort/sexualité est done toujours présente. 20. C’est a cela, entre; autres, que sert le référent historique, le spectateur sachant bien que Francois Ier n’est pas mort ainsi (quoique le spectateur sache qu’il n’est pas mort d’une mort trés différente). Ensuite la dramaturgie transparente (dramaturgie de « mélo ») qui consiste 4 ne rien laisser ignorer au spectateur, trouve son emploi ici.
~
UNE
RHETORIQUE
: « LE ROI
S’AMUSE
>
517
de l'empécher de se fixer sur le personnage royal, le roi étant précisément ce qui n’a pas assez de sérieux pour porter le tragique, celui qui ne mérite pas Vhonneur de la décapitation, le personnage A, invulnérable. A l’acte V, le tragique se fixe sur le personnage du bouffon, dans les deux grands monologues de triomphe qui ouvrent Pacte V, le bouffon parlant la néantisation du personnage royal et de Vhistoire, parle en fait sa propre néantisation-castration™. D’od la scéne finale, capitale et qui est la transposition dans le registre du tragique de la détronisation grotesque : le bouffon se retrouve veuf de sa fille (de son
avenir),
découronné
devant
le peuple
spectateur,
qui porte les flambeaux d’une sorte de mascarade tragique ; le peuplespectateur qui devrait rire de la folie, la constate, retournant le rire en pitié. L’inversion n’aboutit pas, ne doit pas aboutir au rire comique ou grotesque mais a un tragique déplacé, désertant UVhistoire et le personnage royal. Le paradoxe
du grotesque.
Ainsi s’explique l’absence quasi-totale du comique dans le Roi samuse, ce paradoxe, tant de fois remarqué, par quoi le sujet grotesque est « un bouffon qui ne fait pas rire™ ». Tout d’abord la structure antitragique est exclusive de toute parodie : la tragédie est cassée, non dévaluée ou parodiée : nous n’avons pas affaire a une tragédie poussée & l’excés, A une hyper-tragédie, autrement dit 4 une tragédie burlesque, mais A une tragédie inversée, c’est-A-dire a une
tragédie grotesque. De la, le style particulier des plaisanteries du bouffon chaque fois qu'il apparait dans son réle de bouffon, plaisanteries destruc-
trices, améres, cassant le rire avant qu’il naisse, ayant toutes pour objet la mort, la décapitation, l’'anéantissement du beau, le rabaisse-
ment 4 animal ®, L’inversion grotesque demeure au stade de la destruction. Elle ne débouche pas sur la renaissance, elle ne repasse pas de la mort a
la vie. Ainsi, comme
il y a une
place
en creux
de l’Histoire,
une place en creux du rire ; on a beaucoup reproché intentionnel de sa dramaturgie.
il ya
a Hugo ce trait
21. Voir infra, p. 524 sqq. analyse de ces monologues. 22. La fameuse lettre d'Alexandre Duval a Hugo lui reprochait déja « la tristesse de vos joyeux fous » (op, cit., p. 27). Dans une page admirable H. Meschonnic analyse le rire-horreur tel qu’il apparait dans I'Homme qui rit (Le Poéme Hugo, 0.C., XIV, p. XLII-XLUD : foncement dans Vhorreur pervertit cette manifestation qui est dite spécifiqueme7ennt humaine, le rire. Etrange modification d’un seul écrivain et @un er |livre, commencée dans les Chdtiments, par rapport a Ja tradition et A la culture mais occidentales : ce signe naturel et social est inversé — refus par 1A de cette société. » D’un seul écrivain, oui, mais nous ne dirions pas @un seul livre : la liaison rire-horreur est présente chez Hugo dés le Roi s’amuse : « D’une bouche qui rit Yon voit toutes les dents. » Au milieu d’une impressionnante série d’exemples, Meschonnic ajoute : « Ris-Rire est inclus prosodiquement dans « terrible-horr ible » et il cite ce mot i définit Gwynplaine mais s’appliquerait aisément a Triboulet, dans un contexte différent : « ... une fort satisfaisante renommée @homme horrible. Crest en riant que Gwynplaine faisait rire » (II, Il, 1). ‘ ‘ 23, Ainsi les moqueries contre les savants, ou contre les podtes (I, 4). Ainsi ‘dans la méme sedne, les plaisanteries sur la décapitation, A la seéne 5, Vattaque oe iy auras & Pacte IIL (scéne 3) les plaisanteries contre Cossé (« animal curieux »).
518
LE ROI ET LE BOUFFON
Cassure du discours tragique : les scénes & micro-séquences * 8,
L’un des procédés par lesquels |’écriture hugolienne du drame met la tragédie en péril est ’existence de scénes a personnages multiples, composées de micro-séquences emboitées. Ces personnages sont la monnaie d’un actant unique: ainsi, 4 l’acte I du Roi s’amuse lensemble des seigneurs 4 qui se joint Marot est la monnaie d’un adjuvant/opposant ; les conversations entre seigneurs ne peuvent avoir la fonction d’un conflit entre actants mais simplement
celle de micro-
séquences indicielles ou d’informants, ou de reprises redondantes d’une séquence-noyau™. Dans la scéne 2 ot apparaissent le Roi, Triboulet, Mme de Cossé, Mme de Coislin, La Tour Landry, Gordes et Cossé “8, autour du noyau Triboulet-procureur (« Madame de Cossé
les passe tous les trois >), on reléve neuf micro-séquences dont quatre (centrées autour de Mme de Cossé) sont des développements ou des redondances du noyau; ces micro-séquences alternent avec des micro-séquences informants ou indices. Micro-séquences-informants: la premiére sur la jalousie de Cossé — la seconde sur histoire de Saint-Vallier, le mariage et la prostitution de sa fille, sa condamnation et sa grace. Les séquences 2, 6, 7, 8, 9 indiquent la complaisance de Triboulet ; les séquences
3, 6, 7, 9 sont
des indices
de la frivolité
_ joyeuse du roi et de sa puissance de séduction. Ainsi donc, 4 la scene tragique ow le conflit est ouvert et la structure rhétorique claire, Hugo substitue des scénes contrapuntiques ot I’émiettement des actants empéche tout conflit, toutes les micro-séquences apparaissant comme le commentaire indiciel du double noyau: le roi veut Madame de
Cossé, Triboulet entremetteur.
LE DISCOURS DANS LE ROI S’AMUSE OU LA PAROLE INUTILE Le discours.
des
L’une discours,
de la tragédie
caractéristiques
discours
de persuasion
(discours
est l’importance
du
conative)
ou
4 fonction
lamento tragique (a fonction émotive) ou récit 4 fonction référentielle®. L’un des éléments du maintien et de la distorsion du code tragique par Hugo est le changement de nature du discours tragique. Les contemporains*®* avaient parfaitement percu le probleme; la thése des critiques était simple : A quoi bon s’insurger contre la parole tragique pour s’en servir autant et a des fins aussi futiles ? Reproche — pareil en cela 4 beaucoup d’autres — a la fois perspicace et non pertinent. 23 bis. Micro-séquences faciles A articuler, des interlocuteurs. Cf. infra, p. 557. ;
24. V.
R.
Barthes,
Introduction
& Vanalyse
Communications 8. 24 bis. Le roi sujet, Triboulet adjuvant, opposants,. 25. V. Jakobson, op. cit., chap. Poétique. 25 bis. Voir
VAccueil
fait au
Roi
s’amuse,
puisque
Mme
de
par le changement
limitées
structurale
Cossé
des
récits,
objet,
1%° partie, p. 137.
p.
6-8,
in —
les ‘seigneurs
; ©
UNE
RHETORIQUE
: « LE ROI S’AMUSE
»
519
Nous essaierons de montrer comment « fonctionne » le discours a Taide de quelques exemples pris dans le Roi s’amuse, piéce exemplaire. Rappelons un certain nombre d’éléments indispensables : tout d@abord, dans tout discours dramatique, il y a de toute évidence deux ‘sujets de l’énonciation, auteur d’une part, et de l’autre le sujet qui ‘parle, a quoi peut s’ajouter un sujet de l’énoncé*. Ensuite, au je qui parle s’oppose un tu (destinataire) ou un il (référent ou sujet de Pénoncé). Eliminant — au moins provisoirement — le sujet-auteur, ‘nous emploierons le mot sujet uniquement dans le sens de sujet-quiparle. Pour éviter toute équivoque, nous préciserons avec soin le sens du mot sujet (dans le cas ot il désignerait soit le sujet de la fable dramatique, comme nous !’avons entendu jusqu’a présent, soit le sujet grammatical de la proposition). Toutes les fois ot le mot sujet sera employé par nous sans autre détermination, il désignera le sujeé-qui-
parle
(Saint-Vallier
ou
Triboulet
en l’occurrence).
Le discours et les actants.
Des
discours
que
nous
adressé 4 un destinataire
examinerons,
présent,
et lautre est un monologue,
l’un
est un
vrai
discours
c’est celui de Saint-Vallier
c’est-a-dire un discours
au Roi,
adressé au sujet
qui le parle. Dans lun et l’autre cas les deux questions premiéres qui se posent sont d’abord : Qui parle ? et ensuite : A qui s’adresse ce Je qui parle. Le : Qui parle ? est la question dont la réponse est la plus difficile 4 établir dans le cas du discours hugolien, puisque ‘tout discours chez Hugo — nous tacherons de le montrer —— est d’abord discours parlé pour s’assurer paradoxalement de l’existence ou de lidentité de celui qui parle, (ok domine donc la fonction phatique). A la question : A qui? il y a toujours, dans toute ceuvre dramatique, une double réponse : au destinataire-actant et aussi (ou d’abord)
au spectateur. Double réponse paralléle 4 celle qui détermine le double sujet.
Il se pose donc d’abord une question 4 qui interroge le discours du théatre de Hugo : est-il celui qui parle 4 un public en utilisant la voix de son personnage ? On I’en a accusé, et c’est un leit-motiv de la critique que ces propos: c’est Hugo qui parle 4a la place de ses personnages, et qui leur 6te impertinemment la parole pour s’ « exprimer >» a leur place. Nous verrons qu’il n’en est rien et qu’il est difficile de repérer Vindication de la voix du scripteur 4 l’intérieur de la voix de l’actant. Ce qui est capital, c’est la présence du destinataire-public. En effet, et c’est un élément du discours que lon ne peut saisir grammaticaiement, il se présente dans un contexte tel qu’il est entendu par un spectateur qui sait ; il se superpose donc 4 un texte antérieur qui le confirme ou le détruit : ainsi il est impossible de lire le discours de Saint-Vallier en oubliant qu’il est entendu comme s’inscrivant dans le contexte du roi-qui-s’amuse, et de la frivolité sexuelle du roi séduc26. Qui
peut
étre
identique
au
locuteur,
bien
entendu,
voir
dans le cas extréme de la marionnette parlant de son montreur, nage pirandellien. Gf. Benveniste, art. cit. in Langage 17.
au
sujet-auteur,
ou d’un
person-
520
LE
ROI
ET
LE
BOUFFON
teur. De méme les grands discours de Triboulet a l’acte V (sc. 1 et 2) perdent leur signification si nous ne les entendons pas en fonction
du contexte qui les néantise, qui en fait des discours de V’illusion.
LES DISCOURS A. —
Le discours Le
discours
discours
de Saint-Vallier. de
tragique,
Saint-Vallier
of
un
(I, 5) se présente’
personnage
aristocratique
comme
en
un
yrai
opposition
politique avec le souverain s’adresse au roi, destinataire présent. Mais —
trait déja insolite — la fonction du discours est bizarrement gommée : le discours de Saint-Vallier au roi se caractérise par son absence d’ « utilité dramaturgique » : Saint-Vallier ne demande rien, ne raconte rien a proprement parler, autrement dit le discours de Saint-Vallier ne répond 4 aucune des grandes fonctions du discours dramatique, ni Ja fonction référentielle, ni la fonction émotive, ni la fonction conative. Ce discours est essentiellement poétique : on peut y voir le miroir « en abyme » de la structure de la fable entiére ; en ce sens, obéissant 4 une fonction référentielle « indirecte », le discours de Saint-Vallier est comme Ja métaphore de la fable entiére : le roi a séduit la fille du Pere humilié (condamné ou bouffon, en tout
cas marginal ou devenu tel), le Pére est de ce fait « décapité-castré »; il annonce le retour du Commandeur’ venu pour exercer sur le Roi le talion de la justice immanente. Si le discours de Saint-Vallier a une fonction dramaturgique, c’est celle d’annonce prophétique, analogue a celle du songe classique. Sa premiére caractéristique est d’étre décroché par rapport au référent. De la V’absence de présent (sauf dans un développement particulier), l’ensemble du texte s’inscrivant dans le passé ou dans le futur, mais non dans le présent historique. Ainsi le sujet du discours se définit comme passé, comme non individuel et comme
révolu (« une race ancienne.., le sang de Poitiers,
noble depuis mille ans »). Il ne s’affirme comme je que par rapport au vous royal, et essentiellement dans la fonction phatique: « Vous, sire, écoutez-moi » (fonction renouvelée au y. 53: « répondez, mon seigneur » et au v. 69 « et vous m’écouterez »). L’affirmation du Je
se fait dans tout le texte au niveau phonique ** : les phonémes s/v occupent une place absolument déterminante 4 la fois seuls et dans
leur rapport : dés le premier vers, Saint-Vallier se nomme, si ]’on peut dire, en s’écriant: « Vous, sire », affirmant l’importance du nom ; la signature phonique Saint-Vallier se retrouve en particulier aux v. 13 et 14, aux v. 73-74, et aux v. 87-88. On la voit redoublée dans le vers adressé 4 Triboulet: « Qui que tu sois, valet 4 langue de vipére. » Tout se passe comme si le moi, occulté par sa présence dans le passé et par la mutilation subie, ne se trouvait plus présent que sous une forme clandestine. Jusqu’au vers 12, le rapport s’établit entre le sujet parlant (le locuteur) et le vous royal: je/vous — Je (Saint26 bis. Nous
remercions
ici Anne
Nicolas
pour
de précieuses
suggestions.
UNE
RHETORIQUE : « LE ROI
S’AMUSE
>»
521
Vallier)/vous (roi); Un curieux rapport phonique double Gréve/ (roi) — réve/race (Saint-Vallier) souligne, tout autant que le sémantisme de Gréve, la décapitation de Saint-Vallier. Notons que jusqu’au vy. 24, Je rapport Saint-Vallier/pére n’est pas explicité, et qu’aux v. 24 et 28, le mot pére n’est pas exprimé en relation explicite grace
avec
le Je;
tout se passe
comme
si le caractére
essentiel
qui déter-
mine le moi de Saint-Vallier était encore occulté; il est présent au niveau sémantique dans les mots race et sang et au niveau phonique dans l’accumulation des phonémes p/r. Le vous du roi dans le début
du discours bénédiction,
priére entre des priéres n’étre jamais dérisoire ou locuteur
est 4 la fois le destinataire le destinataire
ici dans le cas inverses ayant exaucées, mais négative. Au v.
s’oppose
non
d’un
cadeau
et l’objet de la
du message
(bénédiction,
priére).
La
général des priéres hugoliennes qui sont pour caractéristiques mon seulement de d’entrainer immédiatement une réponse 18 apparait le troisieme terme : au Je du
seulement
tu/vous,
un
mais
il (qui est en
un
fait un elle), nommé par son nom et son titre, tout au long, et non pas du tout par son rapport avec le sujet ; le troisiéme terme est en position d’objet par rapport au sujet grammatical qui est ici le vous. Le elle est, dans le deuxiéme mouvement du discours, récupéré en un tu, et c’est le vous précédent qui devient un il: cette démarche dinversion indique le lien irréversible que le sujet établit entre le roi et Diane: les deux structures syntaxiques successives, excluant le sujet, s’inversent : ‘vous (sujet)
tu (sujet)
1° je (locuteur)
2° je (locuteur)
elle (objet)
il (objet)
Ainsi le sujet, dés avant la dénotation
des v. 60 a 64, se fixe dans la
solitude d’ot il exclut le roi et Diane ; entre le v. 13, nommant cois de Valois, et le v. 18 nommant
_ (Saint-Vallier) est. présente comme
Fran-
Diane de Poitiers, la signature s/v
une coupure ”.
Du vers 24 au vers 28, le sujet, absent aux niveaux
grammatical
et
sémantique, réapparait sous la forme pére ; et le je étant éliminé, on n’a plus dans l’énonciation que le rapport tu/il (il renvoyant au sujet qui parle (locuteur) ; le je cesse du méme coup d’étre sujet (ton pére sous ses pieds, Véchafaud du pére). Dans un cas comme dans lautre, ce qui importe, c’est la localisation du sujet et sa position humiliée : le sujet Saint-Vallier devient par renversement objet de la dérision, dans le temps méme ou il se parle en se valorisant comme pére ; de la au niveau sémantique le sous de sous ses pieds, et plus encore la présence paralléle des mots iréfeau et bourreau, unissant par leur rapprochement a la rime (et leur similitude phonique) les deux aspects du grotesque : la théatralisation comique et lhorreur ®.
A partir des v. 29 intervient le sujet transcendental, Dieu, et l’op. position s’établit entre le nous (le Je + le Roi) et le vous de Dieu. Mais ce n’est qu’un passage destiné a préparer un discours d’ou le Je est absent (relayé par le il de vieillard). L’interrogation 27. Mais la signature Francois de Valois s’étale aussi au niveau les v. 14-18 (dénotant la séduction de Diane). 28. Voir plus haut : D’une théorie du grotesque, sur la Préface
4 Dieu ouvre phonique,
dans
de Cromwell.
§22 non
LE ROI ET LE BOUFFON seulement
sur
le regard
de
Dieu,
mais
sur
la parole
de Dieu
(« qu’avez-vous dit ? »), et a partir du v. 30, ce qui se fait entendre peut étre la parole de Dieu; le v. 33 en particulier peut étre entendu comme parole de Saint-Vallier, mais vu le renvoi du je au il (un vieillard) au v. 34, il est plus juste de lire ici Je locuteur Dieu désignant Saint-Vallier par les mots ce vieillard. Notons le lien, au niveau sémantique, entre cette séquence et la précédente : décapitation et défloration (ou castration) se révélent comme identiques et opérant dans le méme lieu ; de la Pidentité lit-échafaud et ’ambiguité du sang. Dans cette séquence (jusqu’au y. 42) ’ambiguité du locuteur permet 4 SaintVallier de s’identifier ad Dieu, de tenir le discours de la justice immanente, de la divine providence qui juge. Par la bouche de Saint-Vallier, c’est Dieu qui parle au roi, et nous rencontrons ici une forme assez fruste de « dialogisme », celle qui, occultant le sujet, le contraint 4 préter sa voix au Je transcendental: le sujet disparait, se niant nommément en tant que sujet virtuel de Vhistoire (« étant de ceux
du connétable
»). Saint-Vallier-Dieu
parle au roi et il parle la
transgression du roi (impie, dépasser). Dieu/le Pére condamne le roi, et l’on retrouve ici un lieu bien connu (a la fois lieu et mythe, développement rhétorique et récit culturel), celui de la condamnation du
puissant par le prophete — celui par la bouche duquel Dieu parle : la condamnation verbale du prophéte annonce la condamnation historique, le mané-thécel-pharés
du festin de Baltazar, ce Noces
et Fes-
tins contemporain que nous retrouvons perpétuellement sur notre route, condamnation par le Pere qui préfigure le retour du Commandeur. Le v. 42 rompt le discours de Dieu, brutalement, par la réponse du roi, dans la bouche
de Saint-Vallier,
mais ici le sémantisme
(qui
suppose la parole du roi”) est contredit par la syntaxe : le je intervient a nouveau,
et le texte retourne
au systéme
normal
je/vous. Ici inter-
vient, avec la plus grande clarté, la fonction conative dans le discours de supplication prononcé par Saint-Vallier 4 l’intention du destinataireroi (Sire). Mais ce discours est affecté du si du rétrospectif : la parole de Saint-Vallier est bien la parole du sujet, mais c’est une autre parole,
c’est une parole passée, définitivement
parole d’un mort, d’un décapité
abolie, et si l’on peut dire la
(v. 53). Tout le sémantisme
de la
séquence conduit 4 identifier décapitation et castration (manque de Uhonneur) : c’est le theme du manque, du raccourcissement ® (« pas de téte plutét qu’une souillure au front ! »). On remarquera la reprise de l’opposition de la premiére séquence grdce/race, mimant phoni-
quement le raccourcissement*.
Et c’est dans le rétrospectif du condi-
tionnel que le sujet se récupére 4 la fois comme moi (mon cercueil, ma barbe, ma Diane, possédant sa mort, sa virilité, sa fille — et comme pére (son pére), a la fois au niveau dénotatif et au niveau phonique (pur, prié, pour, pere). La séquence suivante marque le retour au présent, avec une pluie de négations par lesquelles le sujet s’affirme comme le sujet d’un man29. Le « je suis un ingrat, je suppose » ne peut étre que la reprise d’un mot du roi
que radical : V’abaissement, la frustration de l’honneur apparaissent comme négation de la paternité, castration dans la descendance : et c’est une assimilation qui préfigure ce que la fable développe : l’humiliation de Triboulet 4 la mort de sa fille. Enfin, a partir du v. 63, la séquence s’établit sur le rapport je/ vous;
le il étant
projeté
dans
le futur
sous
la forme
d’indéfinis
(« un pére, un frére, ou quelque époux >) : la fonction du discours du Je est ici tras complexe : elle est référentielle dans la mesure ou elle est le rappel du mal passé ; elle est phatique dans Ja mesure ot elle a pour tache de renouer la communication entre le coupable et sa victime, de s’assurer que le message
est toujours bien entendu,
mais
elle
est aussi conative dans la mesure ot la formule du v. 68: « Vous avez mal agi... » occulte un « sois puni! » qu’elle contient. D’autre part, le Je occulte ici un autre sujet, qui est le sujet transcendental, Dieu : la derniére séquence marque la récupération par le moi de la parole de Dieu ; ce n’est pas par hasard, si le Je reprend pour l’adres-
ser au roi, la parole du v. 33 dont nous avons vu qu’elle était la parole de Dieu : la projection dans le futur et la conjonction du discours du sujet avec la parole de Dieu marquent ici le discours prophétique, le prodiscours du moi devenu Dieu ; d’autre part le moi se définit et se
il s’affirmait, abstraitement (en tant que chrétien, jette comme mort: comte, gentilhomme), comme décapité ; 4 présent 1° il appelle le relais de la vengeance par un autre ; 2° il appelle le moment ou le bourreau Yayant décapité pour de bon, il sera son propre « spectre », « cette téte A la main ». Ainsi Saint-Vallier s’identifie au commandeur mort et son discours est le discours de ce dernier. I] est trés remarquable que ce retour du commandeur ne s’accompagne d’aucune menace : la vengeance étant expressément relayée par un autre : réside ici dans la parole seule : Et vous m’écouterez, et votre front terni
Ne se relévera que quand j’aurai fini.
La fonction fondamentale du discours de Saint-Vallier est claire & ce niveau : elle est de relayer la vengeance par la parole, c’est-adire par la malédiction (derniére séquence). Le sujet est trouble-féte par la parole (vy. 64), et c’est la pure malédiction sans contenu, la parole comme « manque », qui permet A Saint-Vallier de jouer son réle de Commandeur. Or au v. 76™, aprés l’intervention « sérieuse » du roi, celle de Triboulet raméne le sujet Saint-Vallier au grotesque : l’Autre parle Saint-Vallier comme fou ; le dialogue (et le rire de Triboulet) provoque la dérision du sujet. Mais du méme coup s’établit une similitude entre Saint-Vallier et Triboulet, tous deux « fous », tous les deux cause
et objet du rire, en attendant
qu’au v. 80 Saint-Vallier identifie
Triboulet 4 lui par le vocable pére. Mais il s’établit aussi dans ces derniers vers une autre identification, entre le sujet (locuteur) SaintVallier et le roi: « Vous étes roi, moi pére. » Identification capitale, puisque le roi est par sa fonction aussi pére et qu’a la détronisation 82, Remarquons cation au grotesque,
dans
ce vers
Vanagramme
de Triboulet,
annonce
de Videntifi-
524
LE ROI
ET LE BOUFFON
de Saint-Vallier correspond l’appel 4 la détronisation royale (la cou-— ronne *), } Ainsi, le discours de Saint-Vallier apparait comme le discours du ~ sujet tragique mis en question au niveau de Vécriture, d’abord par © VYambiguité
et finalement la vacuité de sa fonction: le discours de Saint-Vallier, discours prophétique de malédiction, n’a de sens que s'il est ’annonce de la parole divine et s’il est relayé par la providence incarnée dans l’action. Mais le discours prophétique est immé- — diatement mis en question, d’abord par l’impuissance du sujet (renvoi © au passé ou a l’avenir, impuissance politique, enfin mort), puis par la dérision puisque celui-ci est assimilé au bouffon. Le discours prophétique et tragique devient discours bouffon, puisque parlé par un fou. Le silence du destinataire-roi, puis la condamnation 4 l’enfermement achévent la néantisation du sujet Saint-Vallier (et de sa parole). Mais le destinataire est lui aussi mis en question dans sa fonction officielle, tragique, conforme au code du roi-pére : ici il devient le roinon pére, le roi qui s’amuse, et la dérision le touche par ricochet. La récupération tragique pourrait se faire au cours de l’action : le spectateur,
le destinataire-public
attend
la reprise
et le retour
du
commandeur, 11 attend que se fasse entendre la Parole Vengeresse. Or cette parole finit par apparaitre, mais elle est la dérision méme, elle signe l’absence de Dieu (déja connotée par le mot fou), elle marque l’impossibilité de la communication et elle renvoie au néant le discours tragique et son locuteur, Saint-Vallier : la reprise, terme a terme, du discours
de Saint-Vallier,
ce sont les deux grands
mono-
logues de triomphe de Triboulet 4 l’acte V. B. —
Le discours de Triboulet, acte V, sc. 1.
L’acte V s’ouvre sur un monologue de Triboulet, dans un contexte de mort (celle suggérée de Blanche ou celle espérée par Triboulet du roi Francois) — de nuit, de solitude, de vide, celui de la berge de la Seine. Le temps écoulé depuis la fin de l’acte précédent, est trés court, quelques minutes ou une heure ; pratiquement pas de solution de continuité. L’indication scénique, celle de lorage finissant * »s, correspond au rapprochement plus métonymique que métaphorique entre le régicide de Triboulet et l’orage de Dieu. L’ouverture
(v. 1 4 9) est, comme
il est de tradition,
un
discours
apparemment référentiel : le sujet explique sa présence et les conditions de cette présence. Il explique aussi ses sentiments : autrement dit le discours renvoie 4 un référent événementiel autant que psychologique. C’est un discours du Je, tout a fait monologique, au moins apparemment ; mais ce discours se rapporte 4 un contexte non de présent, mais de passé ou de futur, indiqué non seulement par les temps de verbe, mais sémantiquement par le séme attendre, répété. D’autre
part, le Je s’oppose non 4 un Tu ou 4 un JI déterminé, mais 4 un Ils indéterminé (doublement indéterminé par un pluriel qui ne corres33. Dans la mesure ot la fable du Roi s’amuse, comme toute grande fable dramatique, est faite pour donner 4 une contradiction sa solution, sur le plan politique la contradiction qui est son probléme est justement le divorce entre la fonction de roi et celle de pére. Si le roi n’est plus une image paternelle, que devient la
légitimité ? Que devient la royauté ? 33 bis. La présence de lV’orage, colére de la nature ou de Dieu, sique de mélodrame, est une dérision de plus de la tragédie.
élément
clas-
UNE
RHETORIQUE : « LE ROI
S’AMUSE
>
525
pond pas aux relations
objectives entre le je-Triboulet et le il-Saltabadil). La connotation sémantique du /ls est l’indifférenciation dangereuse (adjuvants anonymes et criminels). De méme J’objet, non nommé, n’est désigné que par une forme minimale, le l’ de me l’apporter (v. 6). Notons dans cette formule-clef Vinversion qui fait passer le je en position d’objet. La formule est prolongée par l’incise je pense, qui renvoie |’événement au non-réel, a la pensée du sujet. Enfin, VYanalyse du niveau sémantique permet de voir la passivité du sujet, dont les activités sont réduites
4 l’attente,
4 la dissimulation
et a la
contemplation : il est celui qui attend que s’ouvre la porte. Dés l’ouverture référentielle du monologue, le Je apparait en position de faiblesse, et son discours a la particularité de n’avoir 4a proprement parler pas de destinateur, fiit-ce soi-méme. D’autre part, les déterminations du sujet le montrent comme objet du regard d’autrui, sous le masque : la dissociation du moi qui fait de Triboulet 4 la fois un bouffon et un régicide est présente au niveau
de l’écriture,
mais
indiquée
de facon
ce moment du discours; ce qui est pour le moi de se saisir autrement Yautre qui le voit bouffon. Corollaire grammatique : la signature Triboulet «)Resté
bouffon,
cachant
mon
extrémement
discréte
a
marqué ici, c’est l’impossibilité que masqué, sous le regard de : moi se présente sous forme anaest sous le masque peut-on dire :
trouble
intérieur
», ce
dernier
syn-
tagme (souligné par ia rime rieur) s’identifiant 4 Triboulet rieur (bouffon). Et, a la limite ne peut-on lire cette « porte » mystérieuse comme
signant
Triboulet
Pére,
avec
une
trés naturelle
inversion.
Enfin la fonction référentielle, fondamentale dans cette premiére séquence, n’est pas la seule : au milieu intervient une formule « émotive », la phrase exclamative : « Oh! tenir et toucher sa vengeance! », dont la caractéristique est l’abolition du sujet personnel,
gommage auquel correspond probablement, au niveau phonique, la signature S.V. (Saint-Vallier), inscrite dans le syntagme sa vengeance* et marquant l’identité des fonctions des deux personnages Triboulet et Saint-Vallier. Ce qui est donc indiqué clairement, au niveau de l’écriture dans cette premiére séquence, c’est la fragilité du sujet, sa passivité, la présence a Vintérieur de sa parole de la voix des autres, ceux qui le voient
bouffon
et non
Pére,
ceux,
comme
Saint-Vallier,
dont
il veut
se faire reconnaitre. La seconde séquence marque le gonflement démesuré du Moi. Quatre syntagmes exclamatifs, abolissant 4 la fois le sujet personnel et le verbe
et, en
relation
avec
un
élément
de la régie (il tonne)
se
projetant sur un univers cosmique. Le seme mystére est développé par le vers 10, ot le paraliélisme des deux syntagmes exclamatifs annonce
l’identification du sujet parlant
(Dieu). Les indéfinis
(une, un) connotent
avec
le sujet transcendental
le retrait
du sujet : tempéte
et meurtre présentés dans leur généralité et dans l’absence de l’agent. Le syntagme exclamatif du v. 11 raméne au sujet je et le définit comme grand, avec la restriction curieuse* de la localisation : ici. L’imprécision de l’adverbe connote apparemment la place scénique 34, Le rapport
s/v se retrouve
aussi
en 17 et surtout
35. Cf. scéne 2, l’étrange jeu de mot en terre
n’est pas
quoi s’en tenir
lourd.
(scene).
—
Jeu
Salftabadil.
de mot
: « Triboulet.
—
gommé
Vous
pour
voulez
—
en 22.
Un
dire
la deuxitme
en
ennemi
qu’on
Seine ? »
porte
Il sait
représentation.
a
526
LE ROI
ET LE BOUFFON
de la grandeur: le bouffon se parle comme grand dans lVespace scénique. Le sujet de la grandeur s’affirme en méme temps comme sujet de la dérision. Le Je, distancié par sa métonymie colére, se présente comme s’identifiant avec le Je transcendental, ment (car le mot identification nous aiguille
Dieu, ou plus exactesur une fausse voie),
comme s’alignant avec le Je divin: de la le syntagme verbal aller de pair; le niveau phonique met le mot pair en relation d’homonymie avec le mot pére; il s’établit une constellation ot réapparait indirectement
comment (colére
l’assimilation
la parole de
feu)
avec
est relayée
connote
non
Saint-Vallier,
par
dont
la parole
seulement
nous
de Dieu;
le Feu
du
avons
vu
le mot feu
Ciel,
comme
le
veut Jean Massin *, mais plus certainement le festin de Baltazar, dont
nous avons vu la présence dans le discours de Saint-Vallier. Le syntagme exclamatif qui suit (Quel roi je tue!) s’établit en paralléle avec celui du v. 11 (Que je suis grand ici !), le Je fixe sur lui un séme de grandeur, dont nous allons voir le caractere paranoiaque*”, et parle le couronnement-découronnement, le remplacement
du roi par un autre roi (ici roi de carnaval)
a l’aide du meurtre.
Quatre monosyllabes, rapprochant roi, je, tue, identifient le Je au Roi par le meurtre, mais ’homonymie tue/tu fait du roi le toi du Je - bouffon ; remarque qui pourrait étre tenue pour une extrapolation, si elle n’était confirmée par le second monologue de Triboulet (V, 3) ot - le Roi Mort est le destinataire du message du Je. Ce qui est dit ici c’est affirmation du Je 4 la fois comme sujet de l’histoire (du référent historique) et comme sujet du discours historique qui a le roi pour objet. Le discours de Triboulet devient le discours du Je qui fait Vhistoire comme du Je gui la parle. L’ambiguité du roi comme sujet de Vhistoire et comme objet du discours historique (et du meurtre qui le condamne en tant que sujet) est signée par l’ambiguité de la fonction
grammaticale
de un
roi (v. 13) (sujet d’un
vers
exclamatif
et/ou reprise de l’objet quel roi). Les trois vers 13, 14, 15 développent Vidée de Ja fonction du roi en tant que sujet de Vhistoire ; le centrage autour du pouvoir royal est indiqué au niveau phonique par la répétition des p*. Notons d’ailleurs que cette fonction-sujet du roi est plus passive qu’active : c’est Atlas, ce n’est pas Hercule : il n’est le sujet
que du verbe statique porter, et il est désigné métaphoriquement comme pivot. Cette remarque éclaire peut-étre le discours historique tel qu’il se présente ici: il est tout d’abord totalisant : ce qui est le champ de Vhistoire, c’est vingt autres (rois), le monde entier, tout, ?Europe entiére ; ’action historique (immédiatement présente dans ces scénes par les localisations spatio-temporelles, et usage du futur) apparait comme maintien d’un équilibre (porter le poids, tout va plier, ébranlera, chercher son équilibre *), ou comme rupture de cet équilibre: 36. O.C., IV, p. 609.
37. Caractére roi qui est mort.
38. (dépendent
directement
et
leurs.
percu
s’épandent)
par
paix,
:
le spectateur
porte,
if 39. Cf. Feuilles paginées, p. 68, vers 1832 dre,
Annibal,
César,
Attila,
Mahomet,
qui
poids,
: « Nemrod
Charlemagne,
Ces hommes, ces géans... Qui furent tour 4 tour et chacun Les cariatides du monde
sait
plus,
que
ce n’est
plier,
pivot,
; Sésostris,
Cromwell,
5
pas
©
—
Cyrus, Alexan-
Napoléon
un moment (0.C., IV, 983).
le
pousse,
UNE RHETORIQUE : ¢ LE ROI S’AMUSE
>
527
& Fordre reyal s‘oppese Ia subversion (au sens premier) du houffon. Lraction violente se présente donc non comme construction (ou conquete), mais comme «< déconstruction >», et négativité (i r’y sera plus,
Feurat retiré). Enfin Phistoire est projection vers l'avenir, prospective, mais sans perspective ef sans but : ainsi PEurope cherchera son équilibre ailleurs. Ici Pimprécision signe Fabsence de contenu de cette sabyersion de Fhistoire. Triboulet, se faisant (au moins au niveau du discours) sujet de histoire, ne saif ot va histoire ; il parle un diseours ortenté vers Pindéferminé *. En tant que sujet du discours historique, Triboulet est immédiatement dans Ie texte fv. 21) relayé par Diex. ce Dieu auquel Pidentifiatent déja les formulations empruntées au code culture! biblique et
réservées 3 Dieu (ma colére, ma main). Identification soumise 4 une réserve subjective : cette identification est pensée par le sujet (senger que si, v. 21) ef elle est de ce fait conditionnelle. D’autre part — fait capital — la fonction de Dieu n'est pas de se faire sujet de Phistoire, mais sajet du discours hisfarigue*; cest Inui qui ouvre un dialogue avec Is terre (c’estd-dire Pensemble des hommes soumis 4 Phistotre). Parole paradoxale et qui souligne Fincertitude du discours historique, puisqa’éfant question elle implique ignorance du contenu de ce discours ©, et Fassimilation par la métaphore 3 la catastrophe naturelle (éruption valeanique, v. 22}, & Iaquelle tout est soumis, 7 cemprts fla perote-pensée de Diew. Si paradoxal que cela paraisse, i semble que Fon ne puisse donner une autre signification 4 cette cascade @interrogations preférée par Ia parole divine. Les quatre interrogations (quel volcan. gui donc, quel César... quel bras, v. 22 3 27) _ portent toutes sur le sujet de histoire. L*objef de Phistoire, celui sur leque!? elle pése, apparait universel, niant du méme coup toute particutarité historique, c'est Fhomme universel, y compris celui qui 2 vocation de sujet etdePhisteire par sa puissance spirituelle ou temporelle, y compris le pape et Pempereur (Clément-Sepi, Charles-Quint ©) (vr. 24). La présence de Pottoman et du sultan Soliman éte au mot Drew toute signification providentialiste et chrétienne. Quant au sujet _ de Phistoire sur qui porte linterrogation, @abord identifié 4 César et & Jésus (repris en mineur par guerrier et par epédire, v. 25), i som identité, ou plus exactement le discours de Dieu et la réponse de Ia terre Ia révélent, d’sbord au niveau phonique (deux fois, dans le dernier vers du discours de Dien et dans la réponse de _ fa terre, v. 27-28) par la pluie anagrammatique od s‘inscrit le nom de Tredowle? : puis dans Ia réponse par le cri final : Triboule? !— cri par leque? s‘abolit Ia parole du je-qui-parie. Tf est Impossible ici de ne pas voir le dielegisme, dans la mesure o& au mot impticite de Paufre dénotant au départ Triboulet-bouffon Soppese ict Ia parole de Dieu et des hommes (terre), qui aprés avoir parte fe discours historique comme igrerence et comme interrogation, _ fait de Triboulet le sujet du référent historique (de histoire comme en ee
ne
ae ae Pavenir. eS
en
pat
aio ptt age Dieu me peut etre compris comme le Gavtineden teire, quail me Gee nsiabansed: Uhpes hieon 4% Coreliaire que mous retrouverems
=
cies —
“his-
de penser Phisteire, de
§28
LE ROI ET LE BOUFFON
amébée
du
L’intronisation
réel-objectif).
se fait par ce
chant
une sorte de cérémonie
dialo-
roi-Triboulet
de Dieu et de la terre, comme
guée, effective au niveau de la parole (dans ce dialogisme du discours de Triboulet ot s’abolit le Je disparu depuis le v. 19). Mais c’est justement cette parole double, celle du Je-Triboulet, celle du Je-transcendental, authentifié. par la réponse des hommes, qui établit Vintronisa-
tion
telle
grotesque,
se
qu’elle
s’exalte
et
montre
dans
deux
les
derniers vers, Oh ! jouis, vil bouffon,
La vengeance
dans
ta fierté profonde,
d’un fou fait osciller le monde !
Dans ces vers 29-30, le Je est renvoyé a V’individualité grotesque, non comme au masque posé par le regard et la parole de l’autre, mais comme a la revendication de Triboulet-bouffon. De la au niveau phonique Pinscription Triboulet-bouffon, ou plus précisément Tribouletfou, formulation plus juste dans la mesure ou elle ne renvoie pas a la seule fonction sociale, officielle du grotesque. Elle est cette profonde mise en question du sujet, discours dialogique, rupture au niveau de la parole — rupture qui apparait dans la parole folle schizophrénique, celle du moi, devenue dérisoirement la parole de Dieu. Ces deux vers sont la reprise des deux paroles, celle de l’autre sur le
vil bouffon, celle de Dieu sur le discours historique et Voscillation du monde. La double parole est ici marquée par la structure grammaticale : ’on ne peut savoir
qui parle ces vers,
le tu (destinataire)
successivement
ot le sujet parlant est
et le sujet de l’énoncé final (la ven-
geance d’un fou). Il devient clair que le discours de Triboulet abolit 1° Yauteur en tant que sujet de l’énonciation (l’auteur ne pouvant prendre A son compte, au niveau dénotatif, aucune des affirmations contenues
dans
ce
discours) ; 2°
le public
en tant
que
destinataire,
puisqu’il ne peut entendre Je discours de Triboulet (dont il percoit la double inanité), que comme parole folle. Ces caractéristiques sont encore plus visibles dans le second discours, celui de la scéne 3. La fonction du. discours du moi grotesque est A la limite d’abolir le
thédtre *. Dans ce texte, et plus encore dans le suivant, la mise en question de
(de
Vhistoire
Dieu
de
destinateur.
histoire
radicale que possible. Il a été assez clair 4 Ja monologue que l’histoire est ce qui ne peut ni se ce dont personne, méme Dieu, ne peut étre sujet. ou tout ce texte se présente dramaturgiquement
humaine)
est
aussi
lecture du premier penser, ni. se faire, Or dans la mesure comme parole folle
niée par la situation (le roi n’est pas mort et Vintronisation de Triboulet-roi est du domaine de Villusion), cette radicale négation n’est-
elle pas aussi Ja dérision de Vhistoire ? Question. difficile et o se situe, nous le pensons, l’ambiguité du théatre de Hugo, Peut-étre ne 44, Dans et par
ce
la fonction
syntagme,
le sujet
grammaticale
est
(au sens
nié
en
strict).
tant
quwindividualité
par
Vindéfini
avec un per45. Le discours de Triboulet se ferme sur un dialogue haletant, de décliner sonnage invisible qui est la Voix; or cette Voix réclame a Triboulet Triboulet identité. sans Moi du son identité ; et il répond par l’atfirmation vide réclame une accéil et !) (minuit temporelle: on déterminati la de parole la profére éclairant !), pas (N’entrez lération (vite !) A quoi lui est répondu par un interdit ne peut pénétrer le la signification de la Porte — seuil du réel, de Vhistoire, ot indiquant Vespace cargrotesque. Remarquons 4 ce propos la lucidité de Bakhtine, i navalesque comme espace du seuil.
|
UNE
RHETORIQUE::
« LE ROI
S’AMUSE
>
529
}
peut-elle s’éclairer qu’a un autre niveau d’analyse, celui des grandes structures, qui font de l’intronisation du bouffon, du grotesque, une intronisation ijlusoire — la force réelle de l’histoire s’opposant a ce
que le grotesque-peuple
s’empare
du pouvoir.
Mais
justement,
l’his-
toire pensée-pensable, celle du providentialisme de la justice, voudrait qu’il y ait une justice immanente qui venge le. grotesque, lui donne son tour, son jour de gloire. Or ce que montre Hugo c’est l’impossibilité de cette vue. Ni la justice, ni la raison ne permettent de la penser : le Mané-Thécel-Pharés de la vengeance divine ne s’inscrit pas sur le mur de Vhistoire. Le bouffon ne vivra qu’une intronisation « pour
rire », destructrice.
maturgique,
la dérision
Bien loin d’étre niée par la situation
de Vhistoire
est confirmée
dra-
par elle. Ce qui
se passe, c’est que le monologue de triomphe de Triboulet porte en lui, au niveau de UVécriture, sa propre négation : le triomphe espéré est celui d’une histoire juste. Or c’est précisément ce que l’écriture dialogique met en péril, en inscrivant Vinanité a la fois du jeTriboulet dans sa fonction de sujet, et du je-transcendental dans sa
fonction de destinateur. 5 Analyse confirmée par celle du monologue suivant, et plus encore peut-étre par la lecture immédiate qu’en fit le public en 1832. C. Le second monologue.
Nous n’infligerons pas au lecteur l’analyse vers a vers du grand
‘monologue de la scéne 3, monologue de soixante-six vers, reprise ‘sans la moindre utilité dramatique apparente du premier monologue de triomphe. Entre les deux, une
courte
scéne ot le réve de triomphe
ise concrétise, puisqu’on apporte sur la scéne le corps du délit. Tri‘boulet peut donc toucher sa victoire, malgré le double avertissement du jeu de mot Seine/scéne (deux fois répété), et des interrogations pressées de Saltabadil. La victoire est d’autant plus concréte qu’elle se manifeste, a la fois sur le plan de la régie et sur celui du langage, par un échange d’argent. Tout le monologue est articulé par le jeu des destinataires. Les premiers vers n’en indiquent pas. Aprés quoi le destinataire est le '« monde
» (reprenant
Yensemble des hommes, le la au du
la ferre
du monologue
précédent),
c’est-a-dire
cet Autre abstrait au regard de qui fait appel
bouffon : « Maintenant, monde, regarde-moi. » L’Autre renvoie a fatalité, au sort du y. 14, témoin de l’effacement du roi. Le retour moi se fait par lintermédiaire du discours a la fille, destinataire discours, mais aussi du meurtre (fe voila donc vengée !).
De la le grand développement disparue
(v. 15-31). La
lyrique de la puissance
détronisation
et la mort
de Autre
du roi — sont radi-
calement inadéquates a rétablir le sujet dans ses « droits ». La détronisation n’intronise pas le ‘sujet. Il faudrait pour cela qu’un Autre soit établi comme interlocuteur et— corollaire — que le discours histoTique ait un sens. Or non seulement Vhistoire est présentée comme hasard
et destruction
aveugle, mais
le sujet ne peut récupérer
l’acte
historique qui ile pose en face du monde ; il se retrouve radicalement absent de Vhistoire. Un étonnant jeu du sujet signe sa défaite dans tout ce discours. , La différence
passage
fondamentale
avec
le discours
précédent,
c’est le
du plan du réve au plan de la « réalité » : la mort du roi 34
LE ROI ET LE BOUFFON
530
étant objet concret, elle n’est plus indiquée sous le séme Mais la réalité présente sous les espéces de la sensation
« songer >. du locuteur
(« je le sens »), sur le plan verbal (comme par la présence du sac manipulé et bousculé, sur le plan de la régie) est en méme temps frappée de suspicion, d’abord par Vinsistance (« c’est bien lui >», « c’est lui-méme »), ensuite par le doute (« Je ne reviens pas... et les peuples... refuseront d’en croire »), enfin par le masque : la pré-
sence physique du roi reste masquée, occultée par le sac, nommément dénoté en voile (v. 2). Cette présence occultée est aussi celle de la mort ( au v. 8, le sac est dit linceul). Autrement dit la réalité, représentée selon la loi déja vue du double registre 4 la fois par la parole et par la présence physique fait l’objet d’une série d’inversions : d’abord elle a ceci de bon qu’elle n’est pas réalité, mais apparence, illusion, chose claire au spectateur qui ne l’ignore pas; d’ou il suit que l’ensemble du discours est frappé d'irréalité, pris dans la négation. Ensuite le sac (vu et parlé) emporte avec lui une série de connotations culturelles : il est « ce sac ridicule ou Scapin s’enveloppe » pour railler et battre le Pére. Or ici c’est bien un Pére qui est raillé
et battu, un Pére-Roi, mais, 1° il est nié en tant que pére (c’est le sujet Triboulet qui est le Pére), quoique récupéré au niveau phonique - par la pluie de groupements phoniques p/r; 2° ce n’est pas lui qui est dans le sac. La détronisation du Roi et done niée en méme
temps qu’affirmée. De la l’importance des affirmations de l’antithése que composent ces affirmations, posées comme objectivité sous le regard du monde : Ceci c’est un bouffon
@identité et face 4 face
.. Monde, regarde moi, et ceci, c’est un roi*.
Ici Pobjectivation va jusqu’au sujet lui-méme.
Dans le texte le sujet commence par s’affirmer en tant qu’étre, en tant que moi (individu), en tant que grotesque, en tant qu’agent, sujet de Vhistoire (et sujet unique) : c’est moi seul. Il est le sujet de action, sous le regard du public (monde
regard
sur
de l’Autre
par la formule
le bouffon
assimilé au public). Mais le
est nié en
méme
temps
qu’affirmé
< c’est moi seul >. La solitude, revendication
du regard de l’autre : Triboulet
est aussi négation
parition de la signature phonique)
d’orgueil,
(notons ici la dis-
ne peut étre devant personne
bouuon régicide, et 1a doubie atlirmation croisant les bras) aboutit a Vaffirmation
le
de soi (verbale et de régie : du doute, un doute qui est
bien celui du sujet lui-méme: « non, je ne reviens pas... >», et qui s’étend au destinataire du message (le monde). L’ostentation du moi est renvoyée par le futur des verbes et par le séme avenir a une instance of pourra se faire le démasquage du bouffon ; mais cette révélation,
nous
le verrons,
est niée
dans
la suite
du texte:
le sujet
est ce qui ne peut se montrer,en tant que monstre, dans son double statut de bouffon-régicide. De la Vextréme tragique de V’inversion du grotesque dans ce monologue, et l’importance du jeu avec le destinataire: le Je triomphant cherche a faire reconnaitre ce triomphe du Je grotesque-sujet de l’histoire (régicide) ; or, a part le « public >, nécessairement 46. Notons
nié
la série
dans des
les conditions
démonstratifs,
du
objectivant
thédtre
a Vitalienne,
les éléments
de la seéne.
du
UNE
RHETORIQUE : ¢€ LE ROI S’AMUSE
>»
531
théatre-voyeur, il ne rencontre personne sous le regard de qui il puisse s’affirmer en tant que tel. Le « monstre » restera nécessairement inconnu. Le « c’est moi sewl » renvoie donc & la fois a la glorification de l’acte solitaire et au désespoir de l’absence de I’Autre. Bien avant le tragique du dévoilement de l’objet s’établit le tragique du moi qui n’a pas devant qui étre. Il ne peut s’affirmer qu’en tant que possédant : « le voila... je le tiens ». Et quel est objet possédé ? un cadavre. Dés les vers 7 et 9, s’annoncent les deux développements du texte: |’Autre ne me connait pas (je n’existe pas pour lui) — YAutre est un Autre mort. La seconde partie du monologue (v. 11 & 37) est peut-étre le plus remarquable exemple de dialogisme des monologues hugoliens “. Le v. 12 s’ouvre sur la formule : « Que dira lavenir ? » Et la suite est le discours
de cet « avenir
», ces
« nations
» du
« monde
». C’est la
voix de l’Autre comme témoin et comme juge. Or ce que fait l’Autre, c’est un discours rhétorique, le développement « littéraire » d’un topos, du topos le plus universel, le plus classique, le plus éculé, celui de la fragilité des choses humaines, avec l’opposition toute malherbienne de la grandeur et de l’évanouissement brutal; or ce topos classique implique la disparition du Je ; de fait il ne réapparait pas. Le « lieu > s’ouvre sur une invocation au « sort >, invocation parlée non par le locuteur, mais par les « nations » et leur « long étonnement. >»A quoi succéde une énumération glorifiante, jusqu’A ’hyperbole un dieu, avec les trois développements successifs, de la place historique“, de la grandeur épique (Marignan) — de la métaphore cosmique (théme éfoilé répété au v. 31 et relayé par le théme solaire). Ce qui est ainsi rhétoriquement glorifié, c’est le Roi, le Sujet de l’histoire, élevé jusqu’aux étoiles par la vox populi. Puis c’est le théme de I’ « évanouissement » au v. 25. Ce qui s’en va, c’est le sujet historique. Or il est intéressant de constater que ce théme du coucher de Yastre,
de l’évanouissement
du puissant
ne pouvait
pas
ne pas
avoir
des connotations contingentes et précises : le spectateur de 1832 Pentendait comme un fopos rhétorique faisant partie d’un code culturel qu'il connaissait bien, un liew 4 la Bossuet, indiquant la puissance
de Dieu et les voies impénétrable de la divine providence ; mais il lui donnait aussi un contenu historique précis, celui de la disparition du météore napoléonien ; de la sans doute l’insistance sur les batailles, les murailles, et ’anachronique bataillons. De 14 le théme cosmique de Pétoile et du soleil, de la Pallusion au siécle. Done ce liew ne peut étre entendu comme une simple dérision de la rhétorique, mais aussi comme l’indication d’une mise en cause du discours historique : le sujet de histoire
ne peut se faire comme
tel, il est A la merci d’une
disparition accidentelle, emportant non seulement sa puissance (v. 26) et sa gloire (v. 24 et 27), mais aussi, signifiant dernier, son rom (vy. 27). Nous retrouvons l’ambiguité de Vhistoire telle que la révélait
déja le texte du premier monoiogue. Elle est & la fois niée en tant que parlée par un bouffon, dans une illusion de triomphe que dément le réel, et justifiée en tant que renvoyant & un référent historique 47, Mme
Chahine
les monologues
(Oramaturgie
hugoliens
sont des
de Hugo)
dialogues.
remarque
un
peu
sommairement
48. Notons le syst€me phonique qui ramdne Pidée du roi-pdre. 49, Cette « aube enflammée » n’est-elle pas celle du soleil d’Austerlitz ?
que
532
LE ROI
ET LE BOUFFON
véritable ;mais ence
cas elle est objet d’une autre forme
de déri-
sion : certes c’est le bouffon qui parle la mort du sujet historique — 4 tort en occurrence —- mais cette mort n’en existe pas moins, elle existe si l’on peut dire deux fois: la non-existence concrete de la
pas la dérision de Vhistoire de s’ins-
mort de Francois I* n’empéche
taller, elle la confirme.
Quant au sujet Triboulet, le texte lui interdit de se faire sujet de Vhistoire, dans le discours de l’autre : ce discours l’abolit parfaitela mort
ment;
comme
du roi est vue
sans
autre
sujet
grammatical,
mais
comme
sement
que
Dieu
disparition,
(sujet
y. 25);
exclamation,
évanouis-
comme
comme
non
dénoté
le sujet-roi
sujet
est vécu
comme. vyolatilisation® et la seule formulation passive, emporté, a comme agent, d’abord on, puis quelqu’un d’inconnu. Les indéfinis suffiraient A eux seuls A indiquer sans équivoque possible le dialogisme, la voix personnelle de Triboulet ne pouvant se désigner comme indéfini. Triboulet
« double
Le On peut étre entendu avec
J’acte
de
Dieu,
comme
mais
en
». Le sujet de V’histoire-Triboulet
identification ce
cas,
Dieu
de l’acte de trahit
son
est aussi fortement mis en
question que le sujet de Vhistoire-Francois I*, et la présence du « lieu » rhétorique signe l’impossibilité pour Vobjet de Vhistoire (les « nations ») de comprendre Vhistoire qu’il est contraint de transforfragimer en discours vide. Autrement dit le grand discours de la « lité des choses humaines > 1° aboutit A nier Triboulet en tant que sujet de Vhistoire et régicide puisque, non présent dans le texte, il est relayé dans cette tache par un on anonyme, — 2°, met en péril toute solidité du discours historique par une double dérision du fait de la rhétorique vide. On voit 4 quel point une est superficielle la vue qui fait du discours dramatique hugolien se rhétorique, un « art de persuader >», ou un discours lyrique ou curieuse La formes. deux ces de dérision la est puisqu’il dilate le moi, vaine fin du développement sur le roi disparu montre la recherche « or », des du sujet historique perdu, relayé vainement par de l’ par le « tonnes d’or* ». La fin du discours de l’Autre est signalée inditexte du on formulati seule la a renvoie et vers le ouvre tiret qui retrouve se moi le ol », ux meryeille C’est — « quant une émotion: indirectement en position de spectateur. Bref, tout ce développement
est présenté
comme
le discours
rhé-
que voici torique vain fait sur le théme de Yarrivée du Commandeur, détail la le dans jusque est t Triboule de ue monolog vulgarisée. Ce et venge réplique du discours de Saint-Vallier : le bouffon retourne a la place offense faite au pére noble. C’est le bouffon qui s’installe Juan. Mais du Commandeur, pour emporter et faire disparaitre Don dans cette tache il reste un on anonyme,
Aussi doit-il se faire confir-.
discours ; mer la légitimité de sa tache par le second destinataire du au Destinataire la Fille ; destinataire-relai, simple moyen de passage de témoin capital, le Roi Mort. La fille doit confirmer par sa situation protagonistes, le deux des ve respecti position la voila) te voild... (le criminel et le vengeur (puni... vengée). évanoui, dissipé », et peut-étre 50. De 1A les insistances répétitives > « éteint, nu. séme le systéme phonique mettant en éyidence le la puissance disparue, lecture 51, La lecture de Vor comme relais inefficace de sa pertinence : le pouvoir que nous avons déja faite plus haut, trouve ici encore enfuie. de Vor ne redonnera pas A l’autorité sa légitimité
UNE
Triboulet victime,
donc
RHETORIQUE : « LE ROI S’AMUSE
ne peut se faire reconnaitre
elle, qui le connait,
>
533
que par sa victime.
ne saurait le renvoyer
La
au Sort, au grand
Quelqu’un. De la le retour au Je qui se parle, d’abord dans son action (« un peu d’or et je l’ai ») puis dans le dialogue qu’il tente de rétablir avec l’Autre. La fonction phatique trouve ici sa place dans un extraordinaire systeme de répétitions®: peux-tu m’entendre, m’entends-tu ? (trois fois répété) marquant par l’insistance méme |’impos-
sibilité du contact. La mort du destinataire (bien plus clairement encore que la projection dans le futur de la réponse, ou l’absence de la fille) signe Vimpossibilité du dialogue ; la fonction phatique dans le discours est ici redoublée par la régie : les mouvements en direction du cadavre et l’outrage final, étant appel 4 une réponse inexistante. C’est le double renvoi au dialogue impossible — exclu par le triomphe méme qu’est la mort de VAutre: rendue définitivement muette, la victime ne pourra jamais reconnaitre le sujet. Si le sujet ne peut plus espérer la réponse, il réclame au moins le signe du contact, de la communication. A l’appel a cette communication impossible correspond, dans le, texte, l’affirmation de soi: « Oui c’est moi qui suis la », affirmation
renouvelée
et qui chaque fois ouvre
un
dialogue
avec la pensée de l’autre, passée : « Tu croyais donc... » et « cet ani-
mal douteux 4 qui tu disais : Chien ! ». Le moi se revendique dans sa monstruosité
de moitié
d’homme
(« moi qui suis ld, qui ris..., moi, ce
fou, ce bouffon,... cet animal douteux »). Notons que dans les vers 55-56, le moi se projette dans la parole de l’autre : il se parle tel qu’il est vu par l’autre. Le dialogue actuel, passionnément sollicité, doit donc reprendre pour l’effacer le dialogue précédent, celui du bouffon et du Roi vivant. Mais le silence irrémédiable de l’Autre, du Roi mort, signe déja l’échec, bien avant la révélation du roi-vivant, la chanson
de la plume au vent. Il devient clair que ce que voulait le sujet n’était pas la mort
de |’Autre,
mais
sa détronisation,
la réversibilité
de son
impuissance : « Oh! que je voudrais bien qu’il pit m’entendre encore Sans pouvoir remuer » (v. 62-63). Aussi le moi ne peut-il se récupérer que dans l’universel : le je devient le nous du v. 57, et la détronisation du roi s’affirme comme instance générale inversant la puissance: « dans cette... lutte du faible au fort, le faible est le vainqueur ». De la la séquence ou les articles définis indiquent cette universalisation, et le sens du régicide (v. 57-61). Le roi dans cette perspective devient le roi raccourci®:
« lesclave tire alors sa haine du fourreau », et le rapport phonique signe Vinversion du grotesque en terrible: « le bouffon bourreau® >. Le finale du monologue indique curieusement le maintien des rapports
de haine
(comme
si le moi
savait
obscurément
que
l’ennemi
n’est pas mort), le retour a la signature phonique Triboulet (v. 62), la présence (inversée) de la signature Saint-Vallier, et le nom de Francois Premier souligné par l’alternance phonique fl/fr. Notons que le verbe 52. Voir ire partie, p. 126: la réaction du public 4 cette « redondance » fut violente, et Hugo édulcora singuliérement son texte : peux-tu m’entendre devenant : « Je voudrais qu’il pat m’entendre, tous les m’entends-tu gommés, et le qu’il pit m’entendre du v. 62 devenant qu’il fat vivant. 53. Cf. aussi le vois-tu bien ? du v. 57. 54, Cf. v. 23 le roi qui « n’avait plus qu’un troncon de trois grandes. épées », ph eo les connotations de la castration ; cf. aussi les implications sexuelles uv. 55. Cf. Ruy Blas « Hé bien j’étais laquais ! Quand je serais bourreau? » Cf. la double fonction du grotesque qui est le rire et la mort.
534
LE ROI ET LE BOUFFON
remonter sur lequel on a beaucoup épilogué“ n’indique que la possibilité (niée) d’un retournement de V’action qui ferait remonter Frangois I* sur le tréne. Concluons
donc :
a) Le double discours de Triboulet 4 l’acte V se présente comme assumant la fonction du grotesque hugolien qui est inversion dérisoire. Il assume d’une facon complexe et subtile, assez complexe pour diminuer probablement son impact dramatique, mais assez claire pour que sa fonction de dérision ait horrifié et scandalisé le public du x1x* siécle (y compris celui de 1882). Le discours de Triboulet est d’abord discours dialogique ot le moi se met en question en se parlant par la voix d’un autre (Dieu ou les hommes), voix qui l’abolit en tant qu’individu et individu grotesque : s’il est le sujet de la détronisation royale, il ne peut se revendiquer comme tel, ni étre reconnu par l’Autre comme sujet de Vhistoire. Le dialogisme du discours met donc en péril le moi 1° comme
sujet individuel
grotesque
(moi-Triboulet-bouffon)
;
2° comme sujet transcendental identifié 4 Dieu, puisque son action est niée par la situation dramatique : le spectateur (le destinatairepublic) ne peut l’entendre que comme dérision ; 3° comme
sujet de l’histoire, incarnation
du Commandeur,
de la
justice éternelle, cette justice providentielle étant rendue dérisoire par Vinefficacité de la vengeance ;
4° comme sujet d’un discours qui est celui du lieu commun tragique — lieu de l’idéologie dominante et du code ou elle s’inscrit. Toutes ces propositions étant d’ailleurs des corollaires une de Vautre.
b) Sur le plan de l’action historique : 1° le grotesque détréne le Roi, inversant le sens de Vhistoire et faisant triompher le bourreau-bouffon, étant du méme coup toute signification a la légitimité ; il apparait comme le commandeur dérisoire qui renvoie
« Hugo 31 juin
UNE
RHETORIQUE : « LE ROI
S’AMUSE
>
543
Le corollaire en est l’inefficacité de la parole, non étayée de la puissance sociale : l’association qui permet l’efficacité est celle de lor et de la puissance. La parole seule est nulle : le grand discours insultant de Triboulet aux seigneurs ne fait pas s’ouvrir la porte du roi, fermée, et le Bon Appétit s’affaisse dérisoire quand Salluste donne au laquais Ruy Blas ordre de fermer la fenétre et de recevoir Por. On s’explique alors ce point, décisif : le caractére moins judiciaire ou délibératif qu’apodictique du discours hugolien. Le discours hugolien jusqu’au grand discours de Gwynplaine, et 14 nous dépassons le plan proprement dramatique, est discours de celui qui se contente de dire: vous n’avez pas le droit de, et qui pour finir se contente de nommer l’autre, criminel ou simplement coupable (les jeunes gens nommant Lucréce). A la limite, c’est ce que fera Hugo parlementaire, dire : voila les choses que vous faites et vous n’en avez pas le droit. En ce sens la « dramatique » de Hugo est significative du caractére utopique de sa pensée: il dit: voila les choses et l’on ne peut pas leur dire oui ; inutile méme de chercher 4a les arranger ; personne ne dira comment elles pourraient aller mieux. En ce sens, il n’y a pas de réformisme dans lécriture de Hugo ; 4 vous, responsables,
de vous
débrouiller
ou de disparaitre ; moi,
sujet parlant,
je
me contente de dire non. Et Hugo choisit pour dire ce non, ’homme qui ne peut méme dire que cela, l’homme de la négativité, le grotesque. On comprend ici l’ambiguité de la signification idéologique du
' discours vide chez Hugo. Mais il est possible de le lire ainsi, et c’est , sans doute la lecture qui apportera un peu de cohérence a la fois aux faits d’écriture et aux particularités de l’écoute du drame hugolien : le discours vide, celui ot personne ne parle parce que le seul qui le fasse n’est pas habilité a le faire, est probablement le signe le plus clair du refus par Hugo de Vidéologie dominante. Nous ne pouvons nous poser le probléme, proprement sans signification, de la conscience de Hugo : le discours vide est un fait d’écriture non accidentel, puisque lié A tous les autres faits d’écriture de la dramatique hugolienne. La parole parlementaire.
On comprend que la perspective politique qui se lit dans cet usage de la parole n’ait pu que déplaire souverainement aux libéraux. La revendication de la parole, la légitimité de la parole donnée au peuple n’est pas en contradiction avec cet usage, elle est impliquée par ‘Jui. Le discours vide, c’est la parole donnée a qui ne peut la prendre, A celui qui ne peut étre écouté : ou il ne dira pas ce qu’il faut dire, parce qu’il sera intégré 4 ceux qui savent parler, ou s’il le dit, parce qu’il s’est retrouvé le sujet accidentel de l’inversion grotesque (de 1a le réle du hasard dans la dramaturgie de Hugo), non seulement il ne sera pas entendu, non seulement sa parole retombera impuissante, mais 4 l’intérieur méme de cette parole, se fera entendre ce qui la nie et la détruit. A la puissance de la parole s’oppose la force des choses, cette dramaturgie de l’objet, ce systéme solide que nous allons voir se dessiner et qui contredit par la rigidité de ses structures l’efficace du langage. Non seulement la parole n’a pas été donnée au peuple par le systeme parlementaire de la monarchie de Juillet, mais toute parole parlementaire se heurte a un univers solide dont les lois
544
LE ROI ET LE BOUFFON
la mettent en péril. Nous touchons la a ce qu’on pourrait appeler une symbolique du drame, une lecture de J’écriture dramatique ou, 4 l’impuissance du sujet a rencontrer la réponse de J’autre se superpose Vimpuissance de la parole 4 devenir objet dans le monde. La doublure dramaturgique de la parole par la régie, ce fait capital, peut se lire, sans trop de médiations, comme la négation de la parole parlementaire.
DU MELODRAME
UNE
POETIQUE
AU DRAME
DU DRAME:
LUCRECE
BORGIA
Quand en 1832 sitot le point final mis au Roi s’amuse, Hugo rédige Lucréce Borgia, personne ne s’y trompe, ce drame en prose ne peut étre destiné qu’a concurrencer le mélodrame sur son propre terrain, ‘celui des théatres de boulevard. On a vu comment cette intention a été claire pour tous et les enthousiasmes
et les réserves
qu’elle a pu
susciter +. | Lueréce Borgia correspond au code du mélodrame. Paradoxale‘ment, au contraire du code tragique assoupli par une longue histoire et par de vigoureuses et récentes mises en question, le code du mélo‘drame, récent et épargné par la critique parce qu’infra-littéraire, est @une extraordinaire rigidité. Tout d’abord, un bon mélo recéle une typologie non pas seulement des actants mais des personnages, tout a fait fixe et dotée de fonctions précises : il y a le pére noble qui en
‘général a subi des malheurs ronné
au
dernier
et qui se retrouve réhabilité ou recou-
acte, la pure
jeune fille, toujours a la limite du viol ou de la torture (quelquefois torturée, jamais violée, intacte au ‘dénouement), parfois doublée d’un personnage maternel-ombre, comme elle vertueuse et malheureuse — le redresseur de torts chevaleresque, jeune et beau, et dont le sort est d’épouser A la fin la pure jeune fille aprés avoir tué le traitre — le traitre dont la méchanceté est totale et sans excuse, sinon sans explications : il a persécuté le vieillard (et la mére), souvent privé le héros de son héritage, et il convoite la pure jeune fille ; le suspens est di au fait qu’il passe pour ce qu'il n’est pas et joue les protecteurs quand il est en réalité le bourreau — enfin, il y a le niais, valet qui fait rire par ses balourdises et se manifeste comme l’allié objectif du redresseur de torts. Il s’agit la d’un
code
actantiei,
simple
et rigide,
délimitant
un
Mmodéle d’action dramaturgique d’une parfaite monotonie : le sujet (le hhéros) conquiert l’objet-femme en réhabilitant le passé; il détruit Yopposant et récompense l’adjuvant. Il n’est pas trés difficile de montrer que la typologie des personnages hugoliens, non seulement dans Lucréce
Borgia,
comme
nous
le verrons,
mais
dans
tous
les drames
hhugoliens, inverse le code du mélodrame: ainsi la pure jeune fille ." le drame de Hugo n’est jamais pure (a l’exception de Dona ie,
.
1. Voir ire partie, chap. Le double
projet de 1832, p. 88-89. 35
546
LE ROI
ET LE BOUFFON
Sol dont ’enthousiasme 4 se laisser enlever est grand) et il n’est pas possible de dire qu’elle a subi des sévices : elle est toujours extrémement
consentante
; Catarina,
platonique. On sait ce qu’est le personnage Lucréce
maternel
a tout
il ressemble
a Guanhumara,
;
il est vrai, ne se livre qu’a un adultére sauf
de
chez Hugo:
4 la mére
victime,
faible et malheureuse. Le jeune homme pur, redresseur de torts, s’il ne deyient pas toujours parricide comme Gennaro, n’en a pas moins le traitre
n’est
jamais trés loin du héros ; Ruy Blas a signé le pacte satanique
avec
« bricoles
quelques Don
Salluste,
Gilbert
sur
»
avec
la conscience ; en Marie
Tudor,
fait,
Hernani
s’est
trahi
lui-
méme, Rodolfo et la Tisbe écoutent Homodei. La complicité du héros — avec le mal est toujours présente dans la dramaturgie hugolienne, ~ dont elle est un des traits dominants. Or la compromission, si elle diminue « l’impact » dramatique, éloigne le drame du mélodrame. — On sait déja le réle capital du grotesque, et comment, tragique ou parodique, le bouffon grotesque est le contraire du niais du mélo-
© —
drame : l'un est véhicule du dénouement heureux, l’autre est, comme le dit Jean Gaudon, « ministre de la mort » : Don César est Pinverse
strict du niais de mélo. Quant 4 la réhabilitation du passé, tache principale du héros mélodramatique, elle est, elle aussi, strictement — -inversée dans la dramaturgie hugolienne ot Je retour du passé est représenté comme l’entrée de la mort. Pas d’ceuvre dramatique (& part — les Burgraves) ou la venue du vieillard et le rappel du passé, sous une forme ou l’autre, parfois un détour de Vécriture?, ne signifient la de mort : le passé est justement ce qui n’est pas récupérable ; rien moins mélodramatique que ce pessimisme interdisant la réconciliation. Pas d’étiquette moins exacte que celle de mélo 4 propos du drame tous, hugolien. Quant au dénouement, quand il n’est pas tragique pour les il est tragique pour quelqu’un (Angelo, Marie Tudor, et méme t— Burgraves) ; inutile de dire, vu Yinversion des actants, que adjuvan puni. étre peut ne Vopposant que é récompens plus étre ne peut pas dum La signification idéologiqae du canevas mélodramatique
mystéGuilbert de Pixérécourt ou d’un Loaisel de Tréogate mest pas
lle, 7 rieuse, c’est Ie triomphe du bien grace a Pénergie individue ce don providen divine la de soins aux et héros du ence Yintellig le coup de intervention toujours bénéfique apporte, au dernier acte, piéces « ree pouce favorable. Pixérécourt se vante d’avoir écrit ses moraux >. des idées religieuses et providentielles, et des sentiments
de Il y a mis « des sentiments délicats, de la probité, du ceeur... punition la et vertu la de se récompen juste sensibilité, et Ia un habile crime? ». C’est Nodier qui voit dans le mélodrame « les faits* puissant auxiliaire 4 la providence en la démontrant par Guilbert
de Pixérécourt
montre,
avec
un
candide
cynisme,
la” du et >.—
comment
& le moraliser : le mélodrame est nourriture pour le peuple, destiné * de bea besoin plus le a en qui nation «Il offre a la classe de la et de fidéli modéles, des actes d’héroisme, des traits de bravoure e sera toujo On Vinstruit par 14 A devenir meilleur... Le mélodram
un moyen
@insiruction
pour le peuple parce
quwau moins
ce gel
les rois ses prédécesseurs 2. Dans un passage de Marie Tudor, la reine évoque ‘ bourreau. or cette séquence est celle de V’entrée sur scéne du 3. Derniéres réflexions sur le Mélodrame (1847). 10. page (1841), urt 4. Préface au Thédtre choisi de Pixéréco ; 5. Entendez : ie peuple.
s .
DU
MELODRAME
AU
DRAME
547
est a sa portée ®. » Avec moins de naiveté, Nodier, montre dans le mélodrame, Je contrepoint nécessaire au matérialisme de la société (bourgeoise) contemporaine a un moment ow la religion n’est. plus guére efficace pour ramener au conformisme moral un_ peuple déchristianisé.
« J’ai vu, dit Nodier,
dans l’absence
aux instructions de la chaire muette, et portées attrayante qui ne manquait jamais son effet, des profitables
dans
l’Ame
des
spectateurs
(...) La
du culte, suppléer
sous une forme lecons graves et
chaire
était
vide,
la
tribune ne retentissait que de paroles inquiétantes, la théorie des intéréts matériels avait remplacé dans les esprits l’idée de toute autre destination (...) ou les hommes devaient-ils aller puiser des enseignements propres a les diriger dans les anxiétés toujours renaissantes de la vie si ce n’est au mélodrame‘? » Optimisme moralisateur, exaltation de la vertu bourgeoise et des bons sentiments qui obtiennent ici bas leur recompense, le mélodrame a la double fonction de justifier Ja providence et d’exorciser le mali. Le mal et les structures
du mélodrame.
Si le mélodrame se caractérise dans le systeme des actants et la structure de l’action, par une rigidité entrainant une signification idéologique elle-méme simple et rigide, ’imagination du dramaturge se déploie, -mélodrame
elle, dans le champ sadique du malheur. La variable du réside essentiellement dans la richesse des combinaisons
sadiques qui permettent rer, de faire
chanter
au traitre de séduire,
ses
victimes.
De
de tromper,
la, la nécessité
de tortu-
d’une
grande
mobilité, d’une grande richesse dans le lieu dramatique : toutes les variations sont permises autour du théme du lieu de torture, chateaux effrayants, prisons; couvents inquié¢tants, rivages déserts. A coté de ces
variations
sur
le mal
dont
le traitre
est le sujet,
il y a des
variations sur un autre theme obligé : la catastrophe naturelle, orage, incendie,
tremblement
de
terre,
tempéte,
raz-de-marée ; le mal
da
_ aux égarements de la nature se combine avec le mal dt a la perversité des hommes. Dans cette constellation, le mal historique et le mal social n’ont pas leur place. Le réle du mélodrame est justement d’exorciser le ma! historique en donnant au peuple les émotions de la eruauté sans renvoyer le malheur 4 des causes historico-sociales, uniquement 4 des causes naturelles ou morales. Une véritable catharsis exorcise la terreur et renvoie au dénouement heureux qui est en méme temps
défense
de la société:
Dans
La Forét
dit Morgan conclut la piéce en s’écriant: Jai vengé la société®!
périlleuse,
le faux
ban-
« Vous ne me devez rien ;
»
Politique du mélo.
On saisit que dans cette perspective, il est extrémement facile au mélodrame traditionnel de porter la mythologie politique de la bou6. Le Mélodrame
in : Paris
ou
le Livre
des
101, t. 6, p. 319-352,
Paris,
1832.
7. Nodier, ibid. 8. A quoi le héros Colisan répond par des formules qui sont une sorte de résumé des structures du mélo : « Cet exploit est digne de votre courage. Venez, chére Camille, et vous,
mes
dignes amis, sortons
ces au ciel d’avoir puni le crime et sauvé
de cet horrible
l’innocence.
périlleuse ou les Brigands dela Calabre, 17 mai 1797.
lieu et allons
rendre
» Loaisel-Trégoate,
gra-
La Forét
548
LE ROI ET LE BOUFFON
geoisie libérale: la haine du « tyran », le mépris de l’aristocrate (trés souvent, le traitre est un ci-devant ou un prétre), la haine des prétres, des moines
et des couvents, tout ce qui pouvait satisfaire une
trés superficielle démagogie libérale. mélodrame décadent se charge de ce oublier que le traitre du mélodrame hypocrite, se permet d’étre le révolté sociale.
Aprés 1830 en particulier, le potentiel. Mais il ne faut pas est aussi celui qui, sincére ou et de mettre en péril la paix
Lucréce Borgia et le mélodrame.
Une
maxime
brechtienne
: Ne pas partir
des bonnes vieilles choses, vaises choses nouvelles.
mais
des
mau-
W. Bensamin, Essais sur B. Brecht, p. 149.
Indiscutablement, il y a chez Hugo volonté de rapprocher son drame du mélodrame, par un certain nombre de procédé conscients, volontaires : l’usage de la prose en particulier, qui éloigne l’ceuvre du
drame poétique pour le rapprocher du public populaire, non sans difficultés pour Hugo dans ses rapports avec les jeunes romantiques, incapables de concevoir que, sur ce point capital, leur modéle se déjugeat. Ensuite il y a dans la typologie des personnages une volonté de ne pas s’éloigner excessivement de celle du mélodrame : on peut sans trop d’effort identifier Gennaro avec le redresseur de torts qui purge la terre d’un monstre ; pas de gracioso a la vérité, pas de niais, allié du héros,
mais
en
revanche
un
ami
fidéle,
Maffio ; les difficultés
com-
mencent avec le personnage du traitre : est-ce Alphonse d’Este, figure paternelle, non dénué d’une sorte de noblesse quand il s’en prend au clan Borgia dans son ensemble, mais fauteur de mort pour le héros Gennaro, et assez cruel pour emprunter aux Borgia leur arme favorite, le poison ? Est-ce Lucréce elle-méme, dans sa sombre majesté de vengeresse : « Vous étes chez moi » ? Mais le duc de Ferrare unit les virtualités opposées du pére malheureux et bafoué et du traitre-bourreau®;
Lucréce
est a la fois la pitoyable
victime
malheureuse,
tortu-
rée par les traitres, et l’effroyable bourreau qui fait couler le sang avec volupté, a la fois mére crucifiée et débauchée cynique. L’essentiel du mouvement dramatique est donc conditionné par cette distance qui Véloigne du code mélodramatique, par ce statut de mélo inversé. La pure jeune fille indispensable au mélo, dont les malheurs demandent a étre vengés et punis brille ici par son absence : ce n’est pas qu’elle se soit pas nommée, et d’un nom typique de la jeune premiére hugolienne: blancheur et soleil, elle est la « petite flamme >, Fiametta ; mais si Gennaro porte son écharpe en la croyant aux couleurs de Fiametta,
il est vite détrompé, il porte celles de Lucréce ; et du méme coup, envolée la Fiametta ! Il n’en sera plus question de toute la piéce ; elle est relayée par Lucréce, la mére mortelle, et par la Negroni, la fille « noire » la fille-poison. Les éléments de l’action, dits par abus de langage « mélodramatiques ® » sont aussi présents, mais retournés ; et d’abord ce poison tant 9. Cf. déja Ruy
Gomez.
10. Il n’existe de mélodrame
qu’en qualité de code constitué.
DU
MELODRAME
AU
DRAME
549
moqué : le contre-poison, outil mélodramatique de dénouement optimiste, est ici inversé, puisqu’il est élément de la confrontation mortelle de la mére et du fils ; plus étonnant encore est Vusage de la reconnaissance — croix de ma mére, les fameuses lettres : dans la premiére confrontation
de la mére
et du fils, elles sont élément
de non-recon-
naissance, élément d’un contact et d’un rapport amoureux
qui exclut
la filialité ; A la derniére scéne, elles sont moyen de la reconnaissance (dans les premiéres versions du dénovement), mais d’une reconnais-
sance funeste : elles sont « mauvaise cuirasse », trempées du sang de la mére assassinée par le fils. C’est le theme méme de la « reconnaisSance » qui est ici inversé: au lieu d’étre le bonheur de la mére retrouvant son fils et du fils retrouvant sa mére, ce sont les retrouvailles de V’horreur, dans Je parricide irrécupérable : il y a une étrange confusion encore présente, par exemple dans les commentaires de J. Massin, quand on qualifie de mélodramatiques l’horreur ou la cruauté,
qui sont justement
non-mélodramatiques
dans
la mesure
ou
elles ne sont pas récupérées, la caractéristique du mélodrame étant justement de désamorcer Vhorreur en la rendant finalement optimiste
et inoffensive. Les membra disjecta du mélodrame ne sont pas le mélodrame,
Lucréce et le code tragique.
C’est dans cette perspective que prend son sens cette introduc tion ,du tragique a laquelle les critiques ont été relativement sensibles : il existe dans Lucréce un aspect de tragédie familiale, un aspect Borgia ou Atrides™, une concentration des personnages formant une constellation familiale, et mettant l’accent sur une sorte de fatalité endogamique et tragique, sur des rapports strictement limités : le Fils, la Mére, le Beau-Pére
(succédané
du
pére),
un
triangle
cedipien,
semblable,
mutatis mutandis, 4 celui de Phédre, et le quiproquo, la confusion finale ne sont pas moins sensibles dans l’exemple de Lucréce que dans
celui de Phédre. Au code tragique appartiennent également la prééminence accordée aux grands et le réle joué par les malheurs des aristocr ates : cet aspect des choses est trés curieux, parce qu’il inverse les données politiques habituelles au mélodrame de la Restauration et surtout d’aprés 1830, c’est-a-dire les attaques contre aristocrates, rois et prétres. Ces attaques ne sont pas absentes, nous l’avons vu, de Lucréce Borgia, mais elles sont marginales, et sans virulence, Hugo ne profite nullement des < horreurs Borgia » pour accabler le pouvoir absolu ou la papauté ; seul trait un peu piquant : V’allusion aux rois qui ne ne tiennent pas leurs serments ”. En revanche, le portrait du « monstre aristocratique » est présenté de maniére 4 exciter non tant la réprobation que la pitié: « Ayez pitié des méchants, Gennaro , vous ne Savez pas ce qu'il y a dans leur cceur. » Le pathétique de la piéce est
orienté
entiérement
en
faveur
des grands,
qu’il s’agisse
de Lucréce
elle-méme ou de ses aristocratiques victimes, enfants des grandes familles de |’Italie. Il y a dans le drame comme un hautain refus de la 11. « Les
déja signalée,
12. Lucréce
dire au peuple
Borgia
sont
les Atrides
1e partie, chap. Lucréce Borgia,
du
Moyen
Borgia.
Ul, I, 4, « Le serment
» (0.C. IV, 693).
Age
d’un
», écrit
Hugo
roi est sacré —
dans
une
note
Cela est bon
a
LE ROI ET LE BOUFFON
550
giques*, et cette popularité obtenue 4 Yaide des attaques démago code tragique qui interdu xal parado respect un 4 pond corres réserve les grands ou les rois, et dit les attaques politiques trop vives contre sphéres » : le choix hautes « aux enant qui réclame des héros appart marquent un rapprosociologique et la réserve idéologico-politique de la fable correspond au chement avec le code tragique. Le schéma que propre : les malpathéti son a et e tragédi la de schéma classique terreur. la et pitié heurs des grands excitent la une piéce comme On pourrait déterminer tout ce qui, dans : la simplicité de laction, sa Lucréce Borgia, reléve du code tragique relative
spatio-temporel
ques
autour
et tels
heures,
l’ « ouverture
aprés
concentration,
» vénitienne,
le centrage
du palais Borgia et dans Vintervalle
détails
imprévus
de la dramaturgie,
de quelcomme
le
« classique >,
dramaturgie recours aux confidents, tous aspects d’une terme. du banal plus le sens au Le sujet Gennaro.
pas au code traLa présence du sujet monstrueux ne contrevient Phédre ou surque euse monstru plus pas n’est Borgia gique : Lucréce e ou Atrée, ou Clytemnestre.
Au contraire,
c’est la distanc
-tout Médée, ne reviendrons pas sur _ par rapport au mélo qui s’établit ainsi. Nous eux, c’est-a-dire Yimportance dans Lucréce Borgia du sujet monstru si le traidouble.
Centrer
autour
du monstre,
c’est retourner
le mélo,
personnage - le schéma tre et le héros coincident a l’intérieur du meme plus parler d’une lutte vidu mélodrame s’effondre quand on ne peut Nesle, mélo torieuse
du Héros
contre
le Méchant: dans
La
de
Tour
« romantisé >, Buridan pourtant déja adultéré et si l’on peut dire mal, la traitresse Mardu e l’héroin contre euse victori engage une lutte guerite de Bourgogne *. de Gennaro-sujet, Certes, il est possible de lire la piece & partir et de Videntité Moi du quéte : quéte en y voyant le héros sujet d’une (la Mere 15), Cette quéte perdue qui coincide avec la quéte de l’Autre aboutit a une réussite tragique : 4 la recherche
1° le héros a
menacé
2° le héros
de son identité (I, I, 1)
tenté (I, I, 2) vant (I, I, 3) repousse Ja tentation avec Vaide de l’adju échappe ainsi 4 un danger a) exposé A un danger b d’un danger b (I, Il, 1, 2)
objet d’une ger a) repousse
deuxieme
tentative
et contre-attaque
de séduction
(provocation)
(Tedd
(danouet)
(I, I, 4) menacé a la fois du danger a et du danger b
ee
la Porte 13. Hugo y avait un certain mérite ; nt en ces spécialisée dans les drames ou figuraie prétres. les ates, aristocr les rois, 44. La Tour de Nesle est déja loin du mélo e féminin ridan (mal et bien), et par le caracter ? 15. Quéte de amour hétérosexuel
Saint-Martin était, nous Pavons vu, années trente les attaques contre les
.
La réversibilité de toute action de Lucréce Borgia interdit 4 la rigueur de parler d’adjuvant et d’opposant: Gubetta adjuvant de la mauvaise Lucréce refuse d’aider la bonne Lucréce * ; le duc Alphonse, adjuvant de la vengance contre loutrage, est en méme temps l’epposani qui veut priver Lucréce de Gennaro. Les opposanis a Lucreéce, ceux qui linjurient et la démasquent, sont en méme temps les amis et les alliés de ce qu’elle aime. La belle clarté actantielle du mélo se trouve ici totalement niée. Inutile de monirer, c’est ’évidence, qu'il n’y a pas de destinateur métaphysique ; toute providence est violemment absente du drame : le dénouement primitif le montrait avec encore plus de clarié; la — scéne d’amour entre la mére et le fils, tout antant que le « cainisme > de Gennaro, excluait toute vue rassurante sur la divine providence. Le ciel étant vide, positivité et négativité s'annulent et le mélo devient
la tragédie de la déceplion.
‘
La féte.
rare™
Le titre primitif de Ia piéce était, on le sait, le Souper a Fer; toute la piéce est rythmée par deux féfes, le carnaval masqué
A Venise A l’acte I, I, et la féte chez la Negroni, cadre du dénouement ; & sa derniére apparition, mortelle, Lucréce s’écrie : « Sur mon ame,
yous m’avez donné un bal 4 Venise, je vous rends un souper 4 Ferrare. Féte pour féte, Messeigneurs=! > La constellation de la féte s’épanouit ici. Nous avons vu son réle dans ensemble de la dramaturgie hugolienne=: liée a espace A et rarement féte « ouverte >, elle est en général (et c’est le cas ici) liée au palais clos, lieu A typique, lieu du luxe, de la fermeture et de la mort, 4 la fois plaisir et
ew
18. Le mot adjuvant est employé ici avee des guillemets ; il suppose une lecture qui ferait de Gennaro Je sujet de Faction ; or nous savons combien cette lecture est aléaiocire. 19. V. Ul, 1, 2. « Gubetia (..) Ma fei, elle n’a pas eu de confiance en moi cetie fois, ii ne faut pas qu’elle s*imagine que je vais la servir dans cette occasion ; elle se tirera de Pintrigue avec le co elle pourra. > 20. Voir ire partie, Lucréce Borgia, p. 239-240.
21. L.B., TH, 2, 0.C. TV, 720. 22 Voir Ile partie, p. 438-440.
ep a ey o r C © a,
DU MELODRAME
piése.
55S
AU DRAME
constelToute une série de sémes s’unissent pour former cette
de la danse tion, le masque ou le déguisement, la musique, le plaisir des
liberté -plaisante ‘ou de la nourriture, le contact amoureux, la coquetterie, mais échanges sans contrainte, la beauté des femmes, leur
rire, toujours aussi le mystére ef la présence obscure du danger ; le intéresy est toujours ambivalent. La féte dont il serait bien tsent, ne, hugolien Pceuvre de le Pensemb dans ance import de montrer s. Tout isme ef roman compris, peut se lire dans plusieurs contexte structural dont Wabord, comme nous Vavons vu, elle est un ensemble lire comme le se peut elle ensuite, ; précis est rgique dramatu Je réle enne au
reffet,
Ia reprise un
éément sociologique de la vie quotidi
nce qui siecle - elle renvoie 4 un référent, celui dune expérie étaient une appartient 4 Hugo ef 4 tout som public - les bals masqués e dans les predes. distractions les plus intenses de la société francais le mieres
années
de Ja monarchie
de Juillet. La féte masquée,
dont
mais tous cadre était em général un theatre, — pas seulement Opéra, ation de clasles thédtres — était le liew privilégié de Ia « collabor le suffrage Ses > 5 certes, Ja révolution de Juillet n’avait pas donné déguisesous allant, en consoler se pouvait peuple le mais | universel, du masque, tout ment, coudoyer les grands et les riches“. A Ja faveur de Végale monde voyait, fouchait tout le monde. Image mystificatrice lle ne universe | Wité des hommes - de Pégalité de la Raison bourgeoise | subsistait plus que cette hypostase dérisoire. printemps La folie des bals masqués avait été pire que jamais au - le choléra se mélaif aux masques
em une
alliance
bien proche
| 1832 il serait absurde | du climat du dernier acte de Lucréce Borgia. Certes, structure stable, une est qui ce 4 nelle occasion cause une | de donner dans sa poéaussi mais Hugo, de rgie dramatu la ‘non seulement dans e pas été fique*, mais peuttre cette rencontre historique n’at-ell sans effet sur la sen| sans incidence sur Vécoute de Lucréce Borgia, ni mort ne pouvait sibilité du public. La liaison de la saturnale et de la vécue*t Vavaien qui tions que frapper des imagina peut s’artiEnfin, il est inutile de montrer comment cette lecture Vintroduction euler sur la précédenie — la féte peut étre Iue comme l populaire s’y du Carnaval dans Vespace aristocratique. Le carnava provisoire des ion Vinvers joyeuse, féte la @étre se; am liew ¥ I dérisoire ou féte la devient il enne™, de Ja vie quotidi i ; opposant les plaisirs des heureux de ce monde 4 la mort F lesque se mue : > les menace - om voit par quel biais la féte carnava connaissance, vieille notre ons retrouv nous et , em festin de Baltasar et Festins. Noces de celui llier, Saint-Va de s discour Je Commandeur du x
>
sa femme de cham23. Voir dans Ia Louison de Musset, le duc « dragué » par e. bre, au hal de POpéra, et mystifié & Lucréce Borgigre commentai vrai Magnus, 2% Voir p-466, n. 41 lefragment curteusement
e association
masques est venue danser autour de Péchafaud
encore
i: Camus, une troupe de rit au mez > (0-C- I¥, 490)_ fumant. Faites done des exemples ! le mardi-gras.IV,vous s soirée ehez la .. 1274)
de Fontaney (0.C. 95. Cf. duns le journal s... Les fossoyeurs sautant « Nous avons ri prodigieusement d@aneedotes. cholérique1832). et dansant sur les corps pour les tasser... » (28 avril la féte officielle, le carnaval de Popposé A « : 18 p. Rabelais, o6 Cf. Bakhtine, @une sorte @affranchissemeni pravisoire
556
LE ROI ET LE BOUFFON
La scéne premiére de Vacte III. cette
Tous les éléments de la constellation de la féte se retrouvent dans scéne-clef, ouvrant la péripétie du premier dénouement ou
Lucréce Borgia, par une inversion significative, joue, elle, ’héroine du Mal, le réle de l’envoyé de Dieu, le Commandeur.
L’acte III porte le titre d’Ivres-Morts, signant ainsi Pambiguité du carnaval mortel, dont nous retrouverons les sémes épars dans tout le cours de la scéne. Mais ce qui nous importe ici, et ce que nous allons essayer de montrer, c’est la structure particuliére de la scéne et de sa combinaison de microséquences. ce qui apparait ici, dés la lecture
« naive >, c’est
1° l’éparpillement des séquences et des protagonistes, une poétique de la dispersion dramatique ; 2° le caractére métaphorique de tous les éléments du langage ou de la régie ; 3° la reprise métonymique de Vensemble des éléments” du drame. L’analyse que nous allons tenter ici doit beaucoup aux recherches de Roland Barthes® sur la structuration du récit, sans que nous nous tenions strictement 4 sa méthode : nous analysons ici un texte non romanesque, mais dramatique *. I. —
Le texte de la régie.
Il comporte une série de sémes déterminant la constellation féte : a) objets signifiants : la table (superbement servie) — 4 quoi s’ajoutent tous les éléments sémiques du luxe : salle magnifiques, palais, pages, brocart d’or. ' b) actions des participants : manger, boire, rire, flirt (avec leurs voisines) (les actions du festin carnavalesque).
c) les femmes, jeunes, jolies, parées (connotation du plaisir amou-
reux). Il indigque d’autre part les participants 4 la féie : les femmes (non nommées,
inconnues)
seigneurs indiqués par Lucréce) : opposition cession des indications quée, qui ne coincide
+
Gubetta
(adjuvant
de Lucréce),
—
les cing
leurs noms + Gennaro (groupe des opposants 4 entre les deux groupes est indiquée par la sucde personnages. Une autre opposition est indipas avec un sous-groupe, mais manifeste un
autre clivage : Tous/Gennaro (= dans le carnaval/hors (sémes : manger, boire, rire/étre pensif et silencieur).
du carnaval)
Donc le texte de la régie, extrémement riche, indique, non seulement le décor et le moment,
mais une sifuatien
(féte) festin d’amour
et des rapports, au moins connotés *. 27. Nous employons
4 dessein le mot d’élément, le plus large de tous.
28. R. Barthes, Communications, n° 8. Introduction &@ Vanalyse structurale des récits. S/Z, Seuil, 1970. . . “ 29. Done un double texte. celui de la régie (mise en scéne), celui du dialogue.
30. Ajoutons-y les indices par les pages noirs.
< noirs » du danger
: le nom de la Negroni,
repris
DU MELODRAME AU DRAME Il. —
$57
Les séquences.
: La division des séquences a ici Vavantage de n’étre nullement ‘arbitraire : il y a changement de partenaires de séquence 4 séquence, Cest-a-dire que la division peut se faire non sur le plan sémantique, mais en fonction des signifiants-personnages. On voit déja Vimportance de cette atomisation des séquences.
4 séquence. Elle a pour personnages les cing seigneurs, dont la nature d’actant collectif est ainsi soulignée, chacun parlant 4 son tour, 4 l’excep‘tion de Maffio, dont l’importance est indiquée par le fait qu’il a deux \répliques, dont la plus longue de la séquence. La séquence est close ‘par la réponse de Gubetta (opposition Seigneurs/Gubetta). Séquence: noyau (féte, buvons) (noyau de toute la séquence moyenne) fonction conative (malgré l’apparence expressive : exclamatif), mais
la régie
connote
l’acte
de boire
(son
verre
ad la main):
« Vive le vin de Xérés! ». — Opposition-liaison boire/conter
(Yopposition renvoie 4 une séquence passé). |.) La micro-séquence : récit de Jeppo, est une séquence indicielle a) métonymique,
renvoyant
opposition
au passé
(indice-récit)
passé/présent Venise/Ferrare lugubre/gai
(opposition immédiatement inversée; signe probable de Vlinversion | de toutes les oppositions, d’ou il suit :passé = présent, Venise = Fer‘Tare, gai = lugubre) ; | b) métaphorique, Vhistoire du mariage de don Siliceo étant méta-
phorique de toute une histoire de conjonction « ruineuse™ ». Le texte de régie marque la coupure entre la séquence 1 et la séquence 2. Il ‘indique une opposition de lieu table/devant du thédtre, une opposifon d@action : manger/causer (reprenant l’opposition de la séquence _précédente boire/conter). Le sujet de V’action de manger est Gubetta (opposition avec Vindication de régie précédente : un verre a la main, |dou opposition Gubetta-manger/les autres-boire ; cette derniére opposition contient un indice-récit, développé plus loin). Le mot orgie est le rappel direct de la séquence de mutilation ; le choix io pee tee que marque le caractére textuel des indications de régie ; le verbe
|
continue connote le statisme
de toute la séquence
moyenne.
Séquence 2. Flirt entre la Negroni et Maffio. Sujet : la Negroni, destinataire : Maffio ; objet :Gennaro. Le caractére d’objet de Gennaro est indiqué au niveau de la régie par le geste de la Negroni dans sa direction.
Indices : tristesse de Gennaro ; superstition (prédiction du bohé31. Ce « mariage » renvoie au titre du poéme ayn et Festins (Chants du Crépuscule, IV) ; voir p.
de Lucréce
Borgia,
Noces
558
LE ROI ET LE BOUFFON
mien). Rappel métonymique du passé: la prédiction de mort (I, 1). Indice récit : la mort prochaine — Constellation carnavalesque : opposition mort/rire
(en méme
temps,
indice-récit : annonce
de
la mort
carnavalesque) ; opposition soir/matin (passage du carnaval a sa fin) ;
opposition baiser/fuite. Métaphore : le triangle la Negroni-Maffio-Gennaro, répété a la derniére scéne par le triangle Lucréce-GennaroMaffio : opposition amour/amitié = indice-récit du choix final de Vamitié (impossibilité du passage de la relation « homosexuelle » a la relation hétérosexuelle — opposition singulier/belle). Enchainement : la Negroni. Séquence
3.
Triangle Gubetta-Jeppo-Maffio = interrogation de Gubetta et Jeppo : destinataire : Maffio (méme position que dans la séquence précédente).Objet du discours : la Negroni. Indices : le mensonge de la parole (déja dans la séquence précédente : Votre bohémien ne savait ce
qwil
disait),
ici
opposition
out/non
(inversible) ; vérité
de
la
parole: diable/Borgia. Rappel métonymique: « Le palais Negroni touche au palais Borgia » ; « Une orgie parfaite. » Constellation carnavalesque : désir (égratiqner le cacur), souper (3 fois) (opposition souper/peur
=
grotesque
+ terreur) —
(veuve/
opposition mort/rire
gaité). Fonction conative finale de la séquence Borgia/buvons : rappel du noyau : Buvons ! Dérision de la parole : j’étais fou. Richesse et complexité du rappel métonymique, repris sur le plan phonique par des rapports complexes : Orgie
—
Borgia
(diable)
—
Belverana,
buvons
—
peur,
souper, princesse, pourquoi, parce que, palais. Tout un ensemble a la fois sémique et phonique de l’angoisse s’établit dans cette séquence, Séquence 4.
par
Suite de la précédente (avec le méme triangle), elle s’en distingue la nature du dialogue; c’est un aparté : objet du discours :
Gubetta. L’intervention de Gubetta parle aussi de lui. Reprise. de la métonymie Borgia — Belverana — diable. Indices: vin/eau (vin = poison) — parole de lerreur : j’étais fou repris par je suis fou — parole du mensonge : vivre quatre-vingt-dix ans (antiphrase) — le nom (fantaisie Gil-Basilio = Gil Blas — groupes phoniques fr/fl = signature de Hugo — Belverana = signature biographique de Hugo + présence d’Eugéne *). La qualité d’espagnol — parole dérisoire : quelle litanie. Constellation carnavalesque : souper, vin/eau, excés grotesque (de noms)
—
le masque
(du
nom)
—
le mariage
—
rire.
(Constellation
grotesque, restreinte, submergée par l’angoisse et le mensonge *.)
. $2. Le jeune espagnol avec lequel s’était battu Eugéne au Collége des’ Nobles et qui Pavait profondément blessé s’appelait le comte de Belverana. 33. Les séquences 3 et 4 sont liées : Pobjet du discours en est « enpemi >» (constellation Negroni-Gubetta = Borgia). .
DU
MELODRAME
AU
DRAME
559
Séquence 5. Séquence non plus indicielle, mais catalytique“: le départ des femmes. Elle s’ouvre sur une articulation en aparté. Rappel du noyau buvons : Godtez de ce vin. Laissez-nous boire. Sujet : Gubetta ; destinataire : Oloferno. Objet : provocation. Opposition vin/poésie. Reprise de Vopposition latente depuis le début de la scéne entre boire et conter
(parler, fabuler,
écrire des vers). Toute
la séquence
poésie inutile, chassée par le vin et le couteau. Oppositions embrasser, manger. Ailes, oiseau/faisan, oison. Dans le lexique de cette séquence, la constellation
parle la
chanter/
carnaval/mort
est prédominante : godtez-vin (répété *) — ivre — festin — repas — embrasse une belle femme — manger — enivrer — sotiler — faisan vin (répété) — volailles — faisan. Et en regard : mordre — jeter des pierres — insulter (répété) — clouer les oreilles — couper en quatre — découper — couteauw. Une particularité curieuse : le nom d’Oloferno Vitellozzo : certes, il est rappel métonymique de la scene de démasquage de Lucréce (ov les seigneurs disent leurs noms) ; mais il est aussi rappel d’un élément du code culturel : Holopherne et par la ouvre au-dela de la comparaison grotesque Oloferno-Oison (hommeyolaille) sur une symbolique menacante : Holopherne, c’est Vhomme qu’une femme a proprement découpé (aprés un banquet et une séance d@amour) : toute la suite métonymique-métaphorique : ailes (je voudrais avoir deux ailes) — clouer les oreilles — couper en quatre — _ éventrer — découper d’aussi grosses volailles, conduit Oloferno a la décapitation a laquelle il est promis par son nom et dont il veut se faire le sujet (c’est lui qui parle de couper). Le couteau d’Oloferno peut étre lu comme l’annonce du couteau de Gennaro dans le flanc de Lucréce,
c’est-a-dire
comme
indice.
Notons dans cette séquence l’apparition de la dérision du sacré par lV’introduction du pape et de la bénédiction dans la série paradigmatique de Vinsulte : Oloferno / chiens / pape / passanis /— dire
le sonnet / mordre
Séquence
/ bénir / jeter des pierres.
6.
Le rapport métonymique avec la précédente est immédiatement visible : couteau-épée. Toute la séquence 6, marquée par le silence @Oloferno, hors de combat, et la parole subite de Gennaro (échange Oloferno/Gennaro), est articulée en micro-séquences (informantes *) :
a) disparition des épées; b) fermeture des portes ; c) Gubetta jette son vin par-dessus son épaule et il est vu. Ces
microséquences
(4 la fois
informantes
et indicielles)
sont
articulées par deux reprises du noyau buvons (Verse moi 4 boire, Maffio, et le Buvons, messeigneurs de Gubetta). Ascanio-Apostolo appa34. Catalyse
d’um
noyau
non
formulé
(il faut
mourir),
qui
sera
dénoté
plus
tard, et qui est annoncé par ses éléments catalytiques. 35, Le nom des vins est significatif : Lacryma-Christi emporte des comnotations 2% la fois de luxe et d@’angoisse ; Chypre connote Vénus et le vin de Syracuse implique le rapprochement avec la scéne de H, I, 5, et le poison Borgia. ' B6. €e ne sont pas des catalyses, dans la mesure ot elles n’impliqutent pas d’action et ne sont que des signes ; elles sont plus qu’indicielles car elles sont des signes pour les actants.
560
LE ROI ET LE BOUFFON
raissent ici comme relais du monde extérieur (cf. répliques de la premiére séquence). La séquence se centre autour des deux microdialogues GennaroMaffio ; Gennaro intervient pour approuver Gubetta : le sens (approbatif ou ironique) est indécidable, comme le silence de Gennaro & la question de Maffio: « Est-ce que tu songes A Lucréce Borgia ? Gennaro! tu as décidément quelque amourette avec elle! Ne dis pas non *, » Le réle de Gennaro est de formuler le noyau Buvons ! apres avoir parlé l’ambiguité des signes dramaturgiques de toute la scéne : « Bonne précaution en effet. » Autrement dit, c’est la parole du héros (sujet-objet de l’action) qui reprend a son compte, en l’acceptant, la situation-piége. Notons A ce propos que le noyau Bavons ! ne revét qu’ici son ambivalence mortelle (vin-poison) : la présence des
femmes était garante de l’innocuité du banquet. Or c’est 4 l’instant de la disparition dont
des femmes
la signification
que Gennaro
est devenue
mortelle.
parle et il parle l’action En
bref, quand
le héros
ouvre enfin la bouche, c’est pour parler sa mort ; la fonction conative signe ici la volonté de mort de Gennaro, volonté connotée également par la formulation « Je n’abandonne pas plus mes amis 4 table qu’au feu >, ot l'association paradigmatique de la table et du feu marque la mort *, de méme que le verbe abandonner (connotation de danger), et l’extraordinaire négation signant la passivité du héros. Le second microdialogue n’est guére moins chargé de sens: le. souhait de Maffio peut étre entendu comme inversé (santé/mort), et quant au veeu (retrouver la mére), son ambiguité colore la fonction
conative d’ironie tragique : il se lit A la fois comme retour en arriére (reprise directe d’un élément passé du récit), comme élément d’une projection du récit sur le futur, comme élément renvoyant au code herméneutique (mystére de la naissance de Gennaro), comme renvoyant au référent psychologique du désir de la mére chez le héros. La réponse de Gennaro fait intervenir Dieu comme sujet transcendental d’un accomplissement. L’ironie de la situation obscurément percue par le spectateur (connotations : danger) nie le réle du sujet transcendental ou plutét inverse : Dieu entend et accepte, mais renverse le voeu en mal et en mort. Notons qu’ici une microséquence 4 la fois régie et langage s’inssére dans le noyau buvons / : c’est un page noir qui sert & boire, répétant la séquence ot Lucréce Borgia sert 4 boire & Gennaro le vin empoisonné ; la similitude des situations est soulignée par la présence des deux flacons ; la formule de régie est trés explicite, il y a deur flacons, le page est noir (la répétition de la couleur dans le texte de régie est redondante), enfin tous les verres sont remplis. La microséquence du page est inutile, si ce n’est pour projeter sur l’axe scé37. Une de Gennaro «
Celle-ci
analyse psychologique pour Lueréce (amour m’obséde,
m’investit,
marquerait ici laffirmation implicite de l'amour qui se lit sans effort, par exemple, I, Il, 3°:
m’assiége
»).
Amour
incestueux
et mortel,
qui
se
convertit immédiatement en désir de mort, A deux niveaux, celui de la honte et celui du retour au sein maternel (retrouver la mére). Tout se passe comme si, A un niveau infra-conscient, le moi de Gennaro savait déjA Videntité de la mére et la proximité de la mort ; la parole dit ce que la « conscience » ne peut savoir. 88. La réplique de Gennaro est significative de Pambiguité carnavalesque : elle eut étre entendue comme la formule codée du comportement de homme de guerre 5 e banquet étant assimilé A une mélée au coude A coude avec des compagnons ; mais le silence et la sobriété précédentes de Gennaro (élément situationnel) renforcent la lecture danger.
DU
MELODRAME
AU DRAME
561
nique le paradigme de Lucréce empoisonneuse. Les deux flacons et le vin de Syracuse sont la métonymie de ’empoisonnement Borgia, 4 | quoi s’ajoute l’élément métaphorique de la couleur sinistre ®. Quant aux trois micro-séquences danger (armes disparues, portes |fermées, vin non bu par Maffio), elles sont parlées en cheeur alterné par les cing seigneurs (ou ce qu’il en reste, Oloferno étant « out »), Yun indiquant le signe du danger, l’autre trouvant une explication contredisant la connotation danger : la premiére est parlée par Ascanio-Apostolo, la seconde et la troisiéme par Jeppo-Maffio, dont le /réle se renverse d’une séquence 4a l’autre, l’un inquiet quand I|’autre
-est rassurant. séquence,
Le séme
inversé
par
peur le seme
est présent ivresse
dans
dans
la deuxiéme
la troisiéme.
Les
microsémes
constitutifs du noyau (boire-ivresse) sont présents dans les trois microséquences qu’ils colorent d’incertitude, incertitude dénotée 4 la _derniére réplique de la séquence : c’est possible. Séquence
7.
:
Cette séquence naval et de la mort;
longue marque elle marque
l’association
(simultanée)
aussi la transformation
du car-
de la scéne
en opéra, par l’introduction de la musique (vocale). Donc dans la régie, la musique se joint au matériel visuel. Et non seulement elle est présente au niveau de la régie, mais elle informe la structure / contrapuntique de toute la séquence. Cette séquence d’une forte unité, contrairement a l’atomisation de la séquence précédente, a Gubetta pour sujet. Le grotesque terrible devient le sujet locuteur, mais passe de la parole a la chanson, souJignant l’élément grotesque, en méme temps que Ia chanson lui épargne de jouer son rdéle dans l’action: le chant le dégage de la situation, en fait un pur spectateur ; remarquons qu’il ne commente aucun des événements qui brisent la cléture du banquet. II s’assimile sur ce point aux Fous de Cromwell, qui s’affirment par la chanson simples spectateurs“ de l’action dramatique. La chanson
est annoncée par un discours
de Gubetta, discours
ou
il s’affirme non-poéte et non-auteur (de la chanson) : « Ce n’est pas moi qui ait fait cette chanson. » Négation qui dégage sa responsabilité. D’autant que la fonction du discours des seigneurs, fonction conative, est de réclamer la chanson (ou sa suite), en s’adressant 4 Gubetta destinataire ; jusqu’au moment ow ils récupérent (par la premiére personne du pluriel : continuons) et revendiquent la chanson pour eux-mémes *. Or si l’on remarque la fonction de la chanson (fonction conative), elle est de réclamer de Saint-Pierre l’entrée du paradis
(c’est-a-dire la mort). Tout se passe donc comme si les seigneurs réclamaient leur propre mort. Ainsi le deuxiéme noyau de la scéne : chantez rejoint le premier noyau: Buvons! Or le Buvons! des seigneurs
est aussi ambivalent : ce quwils réclament
de boire,
c’est leur
mort. 39. Métaphore et méfonymie sont partout présentes dans ce texte conjointement. Voir infra. p. 586-588. 40. La fonction de spectateur est liée au peuple ; c’est un lien de plus entre le peuple et la chanson (cf. J. Seebacher, Préf. aux Ch. des Rues et des Bois, GarnierFlammarion, p. 32). 41. Remarquons qu’ils reprennent en cheur les refrains, tous — sauf Gennaro.
36
LE ROI ET LE BOUFFON
562
Le discours d’annonce de Gubetta se caractérise par la constitution d’un systéme phonique axé sur les consonnes b et p (pr) ; propablement l’insistance répétitive du b renvoie-t-elle 4 la décapitation Borgia : le b (toujours 4 Vinitiale) marque le retour des Borgia, la présence Borgia“. Quant au p, surtout présent en liaison avec un r subséquent (pére, Pierre, portier, paradis, pour), il renvoie sans doute évoqué
(crane)
a ce pére mort
sans
la moindre
raison
Gubetta.
par
Est-il aventureux de voir dans cette présence-absence du Pere, reprise par le Gloria Domino du refrain de la chanson, le signe du silence de Dieu, de la mort de Dieu, marquée par invocation dérisoire au pére mort. Toute la séquence s’établit dans le carnaval de mort : elle reprend tous les themes essentiels du banquet carnavalesque : l’exaltation de la boisson et de la nourriture, la dérision religieuse qui fait du banquet carnavalesque une sorte de Cene inverse “, ot la parodie joue un role capital “, l’importance de la cérémonie sur le seuil (de la le role joué par le mot porte). En méme temps se fixe une double forme de dialogue : 1° le dialogue entre la chanson 4 boire et le plain-chant des moines, dialogue qu’il ne faudrait pas supposer fondé sur pur contraste _ musical (joyeux — lugubre), qui anime la régie et le texte, mais aussi deux sur une similitude, suggérée par la présence du latin dans les chants, et dans la puissance égale (une voix pleine et forte — une voix éclatante **) ; 2° le dialogue interne entre l’imagination grotesque du paradis Le au buveur, et les connotations sinistres de Ventrée dans la mort.
dialogisme s’établit au niveau primitif du double sens, le grotesque parlant 4 la fois sa double fonction de rire et de mort. La
chanson
parle
tous
ces
themes,
par
son
vocabulaire
(porte,
ce des entre ; buveur, ventre, tonneau ; Domino), surtout par Vinsistan s (buveur, reprises; non seulement le refrain, mais les répétition
la répéchanter/chantre ; porte, repris 4 la rime par apporte, avec de ces tition phonique qui porte au deuxiéme couplet) ; la plupart reprécouplet chaque si comme couplet, a couplet de font se reprises ce l’insistan signe triplée rime la enfin répété; sentait un systeme n de la répétitive. L’imagination grotesque se marque par Vinventio de demande a Saint-Pierre (imagination soulignée par le métalangage ja derniére phrase d’annonce) — par la métaphore homme-tonneau enfin par et plus encore par la métaphore filée du dernier couplet — ation le fantastique du personnage de Saint-Pierre et de la transform grotesque finale (en poissons). trés Le dialogue entre la chanson et le choeur des moines s’établit { : nt simpleme 42. Présence
déja
visible
revanche de la décapitation. 43, C’est particulierement
dans
net
le noyau
ici
Buvons,
: le banquet
comme
de la
si la beuverie
Negroni
et Gubetta. trahison avee ces deux Judas que sont la princesse chez op. cit., chap. Le Banquet Rabelais, 44. Cf. Bukhtine,
est
était
banquet
la
de
Rabelais, note de la Céene » Vexistence du « banquet parodique » et particuliérement « parodie qu’il Remarquons 294). (p. » saerées (p. 296), il y voit « um jeu avec ies choses enfers ». signale le « lien du manger avec la mort et les 202. p. , Dostoievski ement 45. Cf. Bakhtine, passim, mais particulitr de baryton ou de 46. Ce détail n’est pas sans importance, il suggére une voix ténor léger), basse, conforme au personnage de Gubetta (qu’on imagine difficilement chant. leur et moines les avee étroit plus rapport un et par 14 méme
DU
MELODRAME
AU
DRAME
563
1° les moines parlent la méme langue (latine) que Gubetta“ 2° ils répondent directement a Vinvocation du nom de
_ (Domino), par Ja formule d’avertissement
: sanctum
; Dieu
et terribile nomen
_ejus ; autrement dit, les moines parlent une réponse de Dieu; mais en méme temps, leur rapport 4 Gubetta se fait non seulement par la _similitude du langage, mais par la constatation troublante que Gubetta _he parait pas s’étonner de leur présence, comme s’ils faisaient partie _de ensemble musical dont il a donné le signal. Hugo biffe une réplique ott Gubetta se moquait des moines ; il ne peut se moquer de ce qui fait partie du méme ensemble dramaturgique que lui, de ce qui a la méme fonction que lui, c’est-a-dire d’étre Vadjuvant-Borgia. La formule qui suit (Nisi...%) nie expressément la présence de Dieu dans le palais Negroni, la présence de Dieu dans cette fable satanique. Les répons qui suivent dénotent la mort, ou plus exactement le passage de la sensation A la non-sensation, la fin du banquet. Le dialogue entre les moines et la chanson est relayé par un élément de la régie, les rires de tous les assistants, autrement dit le grotesque est représenté au niveau de la parole, par Gubetia, au /miveau
du rire, par les seigneurs.
Une microséquence catalytique coupe le dialogue : le fantastique | s’établit par un changement. C’est-a-dire que le theme du changement, présent au niveau syntaxique par le passage du présent au futur (oculos
habent
et non
videbunt),
s’établit
au
niveau
de la régie par
Vaffaiblissement des lampes, inexplicable , et corollaire de Vaugmentation de volume des voix et des rires ; ces deux indices de change|ment figurent, comme il est de régle dans la dramaturgie hugolienne, a Ja fois dans le texte de régie et dans le dialogue. Le changement est Tepris parodiquement dans le dernier couplet de la chanson : change nous en poissons !Le changement mortel est parodié en changement ' grotesque , Dans la derniére partie de la séquence (aprés la microséquence catalytique), la dérision s’installe dans les paroles des seigneurs, par le noyau buvons. qui déplie ici ses deux composantes, et la liaison boire/mort
apparait
au
niveau
dénotatif
: « Buvons
4 la santé
de
celui qu’on va enterrer. » La dérision s’accompagne d’une reprise accentuée du groupe phonique p-r, groupe dont la présence a été permanente tout au long de la séquence : procession, priéres, plusieurs,
Pierre, parlez, paradis.
' Dans toute la séquence, un fait capital: l’abolition du sujet je qui n’est jamais employé; le tu est présent deux fois par Vimpératif, et le nous se retrouve a4 plusieurs reprises. Le Je individuel des seigneurs s’abolit dans le sort commun du groupe et Gubetta ne parle 47. Remarquons que ce dialogue est dénoté par Jeppo avec la plus grande clarté : il appelle & écouter la voix de l’autre, et tout en s’affirmant carnaval grotesque par le juron (Corbacque = corps de Bacchus), il oppose chanter a boire et chanter vépres, tout en connotant l’identité fondamentale des deux voix par le mot écho. ‘ 48. C’est cette méme citation qu’un jour Mgr Bienvenu renverra 4 un curé trop prudent en lui touchant 1’ ole (Miserables, I, I, chap. vu). iy 49. Le fantastique est indiqué par le comme (n’ayant plus d’huile) du texte de
le:
j em 0. Notons les sonorités scatologiques du premier vers : « mer de Cocagne Cette étrange invention de la métamorphose en poisson, non seulement rappelle ». la Mere, mais indique la chute dans le vaste sein maternel. Le mot Espagne est une
Signature ironique de Gubetta, faux
espagnol.
564
LE ROL
ET LE BOUFFON
des pas son propre moi, gommé par sa fonction d’instrument fatal le mer transfor de est stique caractéri sa Borgia ; quant 4 la chanson, se retrouvant Je en buveur impersonnel ; la premiére personne ne qu’au dernier vers, fondue dans le nous du groupe soumis au changement fatal.
Séquence 7 (version pour la scéne).
de Hugo nous indique lui-méme, et dés la premiére édition Nous scéne. la pour! écrite pas n’est 7 e séquenc Lucréce ™, que cette nt < poétinous étonnerons moins de son caractére particuli¢reme la dérision que », et surtout de la violence destructrice qu’y revét texte aprés la son censuré avait Hugo que savons Nous e. grotesqu doute 4 l’inspremiére représentation du Roi s’amuse ™, Cette fois (sans modifications du tigation d’Harel) Hugo se censure tout seul™, Les qu’elles nous contexte sont extraordinairement intéressantes “, parce de Vopinion se et Hugo de divorce le que e certitud la dans firment sa poétique : défaire Hugo voyons y nous ; e grotesqu fait au niveau du autres qu’il aux c’est boire, a chanson 1° Si Gubetta réclame la du méme coup le -Ja demande, et c’est Maffio qui la chante (changeant , et gommant la registre vocal et le rapport aux cantiques des moines) ue en mort. Il grotesq du ement renvers le et s fonction similitude des méme qu’entre de , chanson la et ue grotesq se fait un divorce entre le Du méme coup le grotesque et sa fonction d’annonciateur de la mort. Yopposition de se trouve effacée, au moins pour cette sequence, chanson est la la ; nous) du et vous (du rs seigneu Gubetta et des s’efface. Gubetta de réle chanson des seigneurs. Le de Saint-Pierre 9° La chanson que Hugo substitue 4 la chanson le lieu commun de la est d’une remarquable pauvreté : elle reprend sa structure énumeépoésie bachique, par son destinataire (amis), par de l’amour et décent fait & tout niveau un a rative, par l’association , amour ventres les dans non et du bon vin (le vin est dans les verres, par le refrain qui est dans les yeux). La chanson n’est chanson que et de boire (foneest une strophe raccourcie, simple conseil d’aimer que préciséNotons boire). a n chanso toute de tion conative obligée si l’on peut mais, boire, a n chanso une ment la précédente n’était pas refus de la parole, dire, & avoir bu, conseil qui s’accompagne d’un (uniquement dans le au niveau dénotatif. La mort n’est présente la vie bréve Popposition de refrain) qu’é ce seul niveau dénotatif ; et d’un lieu culturel, d’un et des plaisirs présents est le renouvellement
P carpe diem horatien. est bien présente, L’opposition de la joie de vivre et de la mort y née, ce qui lui simulta non aussi et , dénotée ment simple , mais réduite
ee Reatere NCES see ieee texte conseillé pour toute repré51, Le texte figure dans l’éd. originale comme sentation, 0.C., IV, 731-734. " 128-131. e; In, 1° 52, Voir chap. Roi s'amuse, Victor Hugo, f° 62) Harel aurait dit au aison 53. Selon le V.H.R. (brouillon, baechique (sic) : fait a tout Falstaff, Ja A odte : « Votre chanson est une chanson ventre il me semble qu’il
un si gros omine | Au buveur joyeux chantre Qui porte que puissent chanter des seigneurs ; vaudrait mieux des couplets élégants et galants mais dans un salon élégant et taverne, une dans pas dit se ne cette chanson trouva Vobservation fort juste et chansplendide. » Le V.H.R. ajoute : « L’auteur aroles »... pour la scéne. gea ses coup, il ne figure pas sur le 64, Ge texte est tras évidennmment refait aprés
manuscrit
de la piéce (il a da étre donné
par
Hugo au théatre).
DU
MELODRAME
AU
DRAME
565
éte son caractére typiquement grotesque, puisqu’il n’y a pas présence dialectique de la mort et de la vie en un méme temps et en un méme, lieu. Le texte s’en tient 4 un ton purement lyrique, d’un lyrisme codé, semé de stéréotypes: la folle nuit, la nappe rougie, les dames peu séveres,
et, pire encore,
le stéréotype
de la douce
Italie
(doux
ciel,
joie et folie), lyrisme qui autorise la réapparition non seulement du ' nous, mais du je, et l’affirmation subjectiviste du plaisir. Le carnaval est réduit 4 son aplatissement subjectif et non-dialectique. 3° Le corollaire en est la disparition,
non seulement
des rires, en
presque totalité, mais surtout de leur crescendo. Il n’y a plus d’indication d’un changement, du passage d’un état 4 un autre. De méme Vaspect fantastique est affaibli par la suppression du texte de régie sur les lampes. Le theme de la porte disparait du texte. 4° Tout rapport de texte entre la chanson et les citations bibliques se trouve aboli, en particulier la récupération du nom de Dieu dans le chant des moines, Toute parodie religieuse est absente, si ce nest la présence méme des moines, et le rapprochement dans le temps de la chanson a boire et de l’hymne funébre “. 5° Le niveau phonique est singuli¢érement appauvri : le systeme p-r a disparu de Ja tirade d’annonce de Gubetta comme de la chanson ™: ce qui subsiste dans le dialogue devient donc non signifiant. S’il était besoin encore de démontrer que la signification (méme idéologique) d’un texte s’inscrit 4 tous les niveaux de I’écriture, les corrections que Hugo a faites ici, pour étre entendu en administreraient Ja preuve: la carnavalisation se trouve réduite par des corrections qui touchent
4 tous
les détails
du texte ; corrections
toutes
conver-
- gentes. C’est la carnayalisation grotesque qui risque de mettre V’audition en péril, en s’inscrivant a tous les niveaux de Vécriture, y compris au niveau phonique. Hugo se livre, par nécessité d’auteur dramatique bourgeois, 4 une destruction de la fonction poétique du texte, et du méme coup de sa cohérence idéologique. Ne pouvonsnous dire qu’un tel exemple, exceptionnel a divers égards, nous permet d’entrevoir en quel lieu on risque de rencontrer ce qu’on est convenu d’appeler la valeur esthétique d’un texte ? Séquence
8.
Si cette séquence finale catalytique est étroitement li¢e 4 la précédente par la présence des moines (présence visuelle et non plus simplement auditive), il y a une coupure profonde liée non seulement au coup de théatre de la régie, mais a la disparition de la parole de Gubetta ™, Le premier texte est un texte de régie, tres remarquable par sa richesse et les curieux détails dont la fonction ne saurait étre que poétique, puisqu’ils ne peuvent correspondre A aucune mise en scéne concrete : la porte s’ouvre silencieusement, on ne voit que les yeux
des
55. Em revanche, Hugo tente de compenser ce qu’il a été obligé de réduire par additions : celle du mot orgie dans la chanson, un couplet de plus dans la
_méme chanson, un répons de plus, trés intéressant, dénotant la mort, l’absence de ' Dieu et la piteenee de Venfer, 56. D’ou isolement et perte de signification de V’allusion au « ecrAne du pére >». 57. Qui ne retrouve sa langue qu’é la scéne suivante, pour se parler en tant qu’instrument impersonnel de Lueréce ; il répond il sufflt & un ordre de Lueréce.
566
LE ROI
ET LE BOUFFON
des pénitents. Le début est Vouverture de la porte : le carnaval s’abolit dans sa fonction de jeu sur le seuil ; le systeme phonique p/r se retrouve
dans
son
rapport
avec la porte. Cette ouverture
libere le
monde inverse: espace identique 4 celui du festin carnavalesque, mais de sens opposé : c’est salle pour salle, aux parures de lune correspond la tenture noire de |’autre ; la table de Pune renvoie 4 la croix d’argent de l'autre, et au masque carnavalesque correspondent les cagoules des moines ®. Le séme statue renvoie 4 la statue du Commandeur, par un rap-
port métonymique simple. On ne s’étonnera pas de trouver dans ce contexte le flambeau de la mort. La cagoule signe la dépersonnalisation totale de la puissance vengeresse, en laquelle ne subsiste que Veil (qui regardait Cain). La cagoule se retrouve dans le dialogue, et le jeu de scéne de Jeppo, soulevant la cagoule d’un moine. L’inversion
du masque
carnavalesque
en
cagoule
lugubre,
mort, est déniée par le geste carnavalesque gneur
s’efforce
de se maintenir
dans
du grotesque
le carnaval,
dans
la féte aristo-
cratique par les gestes du carnaval,
le rire et le démasquage,
ment
cette opération,
dit d’inverser
l’inversion.
Pour
en
du démasquage : le Seile locuteur
autrejette
dans la balance des objets d’échange (signant ainsi le sens de cette inversion d’éléments homologues) : cheval/pourceau™; et pour finir son nom
méme, c’est-a-dire son étre : Liveretto/Borgia,
réintroduisant
ici le référent Borgia. A ce point du texte, le je ne peut manquer de réapparaitre, comme il reparait dans Vangoisse de la mort individuelle. Or ce que découvre le démasquage, en lieu et place de la féminité sensuelie, c’est, dénotée au niveau de la’ régie, une téte de mort : « le visage livide d’un moine. » Mort contagieuse, Maffio constate : « Mon sang se fige dans mes veines. » La mort est dénotée par les répons latins : le De Profundis, et cette annonce biblique du meurtre (sans sujet, remarquons-le capita in terra multorum. »
: Dieu
ou
Lucréce ?) « Conquassabit
Cette révélation de la mort conduit 4 l’articulation des deux scénes, c’est-a-dire au noyau nouveau : nous/vous sommes/étes dans la mort, noyau a fonction référentielle définissant une situation de mort, et identifiant la mort a Lucréce Borgia par le paradigme (Chez le démon / chez moi — Lucréce Borgia!) qui accompagne Vapparition scénique de Lucréce : la scéne du banquet carnavalesque se termine par l’apparition du Commandeur. Commandeur inverse, puisque d’origine satanique et non
divine, et dont la fonction
n’est nulle-
ment de venger l’offense faite 4 Dieu, mais l’offense faite 4 Lucréce. La scéne du Commandeur se jouera deux fois, puisque la réapparition 58.
A P
«
or
sinistre
»
de
la salle
du
festin,
correspond
Vargent
des
croix,
lumiére lunaire et mortelle. La référence biographique (les pénitents de Burgos, V.H.R., 21) peut étre comprise comme indiquant le rapport au scripteur de toute la fable de Lucréce Borgia ; mais la traduction biographique est, si elle est seule, pauyre et aléatoire. Cependant, il faudrait ajouter au texte du V.H.R. le brouillon du méme (B.N. Nafr., 23806, fo 18) : ce n’est pas une procession de pénitents dont se souvient le petit garcon, mais deux : Pune accompagne un condamné, l’autre une femme morte, et ce sont ces derniers qui sont vétus de blanc et noir. Il y a eu probablement un doublet J d@angoisse dans le souvenir, et au niveau de Pécriture fusion des deux séries. 59. Dénoté d’ailleurs uniquement dans la régie, ce qui est exceptionnel, mais
redoublé, par une compensation probable. Voir supra A/B — le Flambeau, maturgie de Vobjet (infra, p. 590). dans la qui se retrouve association pourceau/Borgia 60. Curieuse @Ombre : « le pore Borgia » (Guvres poétiques, Pléiade, II, p. $19).
et DraBouche
DU de
Gennaro
aux
yeux
MELODRAME de
Lucréce
AU
DRAME
remplit
567
4 nouveau
ce
réle,
ici
inversé. Une ironie macabre signe la transformation du commandeur providentiel en commandeur satanique : il n’est plus la marionnette qui vient enlever Faust ou Don Juan, aux lazzi des spectateurs, il est cette force sombre, qui, par la mort et la destruction, restitue aux amants de l’inceste leur paradis de fumée. Mais la scene du Commandeur se joue deux fois, quant au commandeur noir, Lucréce, s’oppose soudain
le chevalier
projette
4 Vinfini
blanc, son
fils, Gennaro-Cain “. Un jeu de miroirs
V’inachévement
carnavalesque.
Les
deux
comman-
deurs s’annulent 4 la minute ot dans l’universelle destruction s’ouvre le duo d’amour des monstres, effacant 4 son tour la damnation: « Je dirai 4 Dieu (...) que tu es un bon
fils ®!
» Comment
donc ! le meil-
leur possible, celui qui accepte de devenir Cain pour rejoindre dans le mal ce qu’il aime. Hugo désespérant d’étre entendu, coupe la grande scéne d’amour finale, se disant apparemment
que, de tout cela, rideau
tombé, le spectateur penserait ce qu’il voudrait, ce qu’il pourrait. De Vassomption possible qui voit « les monstres s’azurer ®» par |’amour, a cette chute brutale (« Gennaro ! je suis ta mére! ») il y a tout l’intervalle, la faille historique, ou Hugo, prenant ses ciseaux, jette aussi
son espoir d’étre Shakespeare. La dispersion dramaturgique. La scene
1 de l’acte III, que
nous
venons
de commenter
est une
scéne paradoxale dans Ja mesure ot: son inutilité dramaturgique est — apparemment — flagrante : du point de vue de I’action, l’acte III pourrait sans difficulté commencer au moment ou le festin s’achéve et ou apparait Lucréce Borgia, ange exterminateur. Elle ne fait pas avan-
cer l’action puisque le fait de l’empoisonnement qu’elle contient n’est nullement visible au niveau de l’action et ne saurait l’étre : son probleme est de rendre visible l’invisible, de récéler le clandestin, de dire
tout sans rien dire. L’analyse de cette scéne met en lumiére un certain nombre de particularités dramaturgiques : et la premiére, la plus visible qui est a tous les niveaux d’analyse l’atomisation de la structure : 1° multiplicité des séquences relativement autonomes, et dont Particulation est extrémement visible ; présence de micro-séquences A Vintérieur des séquences ; 2° pulvérisation des acitants : les actants de méme fonction étant divisés : les cing seigneurs sont de fonction identique dans la scéne, ils sont l’objet (qui joue ailleurs le réle d’opposant) et Gennaro dont le statut dramaturgique est différent dans le reste de la piéce est ici confondu avec Vobjet pulvérisé ; le sujet (qui joue ailleurs le rdle d@adjuvant) est divisé en deux, Gubetta et la Negroni. Autrement dit, le sujet et objet sont des sujets et objets de remplacement. La conséquence la plus importante en est la place vide du sujet, parfaitement perceptible dans le discours et surtout dans limpersonnalité de la chanson de Gubetta. Le destinateur en revanche est parfaitement 61. V. supra, p. 505-506. 62. Premier dénowement ; 4¢ version, p. 168-171. 63. Bouche d’Ombre (Cont. V, XXVI, derniére page).
568
LE ROI ET LE BOUFFON
visible, c’est a la fois Dieu Borgia,
strictement
(la Providence
bafouée)
et c’est Lucréce
confondus;
3° la succession des séquences se fait de telle facon que le sujet de chacune * est différent de celui des autres : il s’établit entre tous les personnages une sorte de contrepoint, of chacun des personnages parle tous les autres : chaque personnage est celui qui voit et parle tous les autres devant tous les autres, y compris lui-méme et sa propre action ; la parole est ici commentaire du spectacle et de la féte. On se retrouve donc dans une variété du théatre dans le théatre qui est la féte ou plus exactement la cérémonie. Le destinataire est double, non seulement le public, mais les autres participants. Le théatre s’abolit en cérémonie. La Féte et V’'espace-temps carnavalesque.
Toute la grande séquence qui constitue la scéne est le lieu @un renversement carnavalesque : le carnaval s’établit et se détruit ; dans une double inversion, Vunivers traditionnel est mimé par les structures carnavalesques, et celles-ci portent en elles-mémes leur propre destruction. 1) Tous les éléments du banquet carnayalesque sont présents dans cette scéne : a) le corps (le manger, le boire) ; b) le bouffon
leur valeur
et le rire, avec
étant celui qui parle la dérision, mort, et le rire n’est pas destiné
ambivalente,
le bouffon
mais ici la dérision ouvre sur la a la participation par les specta-
teurs ; le titre est un rire de la régie, un rire vu et non vécu. Le role du bouffon est de chanter la dérision, comme les fous de Cromwell ;
c) le masque. qui avant d’adopter dans la derniére séquence la forme de la cagoule, masque de Vhorreur, revét l’apparence du camouflage du nom : Gubetta (dont le vrai nom posséde Vinitiale du gueux-grotesque) apparait ici sous le masque d’un nom espagnol, extreémement compliqué, et aristocratique : par le camouflage, le bouffon se fait ’égal des grands seigneurs qu’il mystifie. Le masque est aussi celui du nom Borgia figurant non l’absence, mais la négation, Le masque n’est pas seulement le masque de dérision ; il est la cagoule de la téte de mort ® et se trouve en prise directe sur une mise en question du sujet. Le masque qui moque l’identité, finit par nier létre; d) la folie et sa variété
mineure,
Vivresse ; le moi
est
mis
en
question dans sa conscience par l’inversion de la logique et de la pensée : a la folie est lié ’aveuglement des participants, ainsi la folie grotesque, cessant d’étre un instrument critique, devient un des véhicules de la mort ; e) la parole religieuse
inversée, et le banquet présenté comme retournement parodique de la Céne, mime annonciateur du Commandeur noir. 64. Nous butons ici une fois de plus sur la polysémie inévitable du mot sujet : il peut y avoir une fonction-sujet de tel personnage dans la scéne et ce personnage peut ne pas avoir la fonction-sujet dans telle ou telle séquence ou
micro-séquence.
,
65. Bakhtine, Rabelais, op. cit., p. 49, remarque que « dans le romantisme, le masque perd presque entiérement son aspect régénérateur et rénovateur, il prend une nuance lugubre. Il dissimule souvent un vide épouvantable, « rien ».
-
DU
MELODRAME
AU
DRAME
569
2) Ces éléments carnavalesques ne sont pas présentés comme isolés, ils figurent dans le cadre spatio-temporel du Carnaval : a) le temps carnavalesque ; toute cette scéne est mise en abyme de Pensemble de l’action, reprise négatrice du temps écoulé; toute sorte d’indications marginales, comme celle du mariage disproportionné indiquent un jeu avec le temps; enfin la mort connotée marque une fin du temps, une mise de la féte hors du temps, dans ce qui est déja de la mort : de la dans les répons latins le jeu avec les futurs et les négations ; ’avenir est nié comme
le passé ; en ce sens, le temps
carnavalesque est incomplet : le changement qui est en lui, loin de s’ouvrir sur une renaissance, s’abolit définitivement en non-temps ; b) espace
: le lieu est celui
de la salle de banquet,
ou s’abolis-
sent Jes contraintes, ou le désir, l’appétit, Pagressivité se donnent libre cours *; mais il est aussi lieu double, prolongé par ce qui est son
envers (son écho), la salle funéraire ot reposent les cercueils ; clos. et ouvert, clos sur la vie, ouvert sur la non-vie, contrairement a
Vespace carnavalesque de place publique”, il est un carnaval de Vespace A, projection du carnaval populaire dans l’espace aristocratique essentiellement clos ; il passe du fermé qui est espace de Vintégration sociale, A ce plus fermé encore qui est le tombeau. Il est espace du seuil *, de la porte, et nous avons vu l’importance du séme de la porte (et du portier Saint-Pierre), le lieu ot se fait un changement, une mutation : mutation ici vers la mort.
3) L’espace carnavalesque est espace de la dérision ; il n’a pas été difficile de voir comment se fait la dérision. _
—
de l’action, dans
—
de la parole devenue jouet inutile par la présence de la double
la mesure
entente, et le retournement
ou !’action
se nie elle-méme,
sur elle de la parole vraie,
— de la hiérarchie sociale, de l’aristocratie qui coudoie sous son masque le plébéien Gubetta ; du pape méme. — de la religion, non seulement par la parodie, mais par ]’inver-
sion du role de Dieu, — des rapports humains,
de la fraternité
(les fréres
des.
sont
fréres morts), de l’amour, qualifié d’égratignure du cceur. 4) Le carnaval suppose les deux voix, celle du tragique et celle de la dérision, non pas dialoguant, mais situées dans chaque réplique, autrement
dit,
le
carnaval
dans
Lucréce
espace de la dérision, il est l’association
Borgia
n’est
pas
le
seul
du carnaval et du tragique.
La fonction poétique.
Notre premiére constatation d’ensemble sur la scéne portait sur son inutilité dramatique. Nous avons pu voir quelle recele un seul noyau principal : le buvons ! dont Vambivalence carnavalesque oriente l'ensemble de la séquence ; les séquences et, microséquences. catalytiques ne sont autre chose que des préparations dramaturgiques 4 la révélation
du sens
ambivalent
(boire/mort)
de
ce
noyau.
Mais
toute la scéne s’organise en séquences indicielles, orientées tantdt vers. 66. Bakhtine, Rabelais, op. cit., p. 282 sqq. 67. Ibid., passim et part. p. 12, 13, 25, et place publique, 68. Ibid. voir plus haut, p. 526, note 45.
tout
le chap.
Le
vocabulaire
de
570
LE ROI
ET LE BOUFFON
le passé, tant6t vers l’avenir. Les informants sont peu nombreux et les fonctions de l’ensemble du texte se réduisent 4 la seule fonction conative de l’impératif buvons / indéfiniment répété ; le message est on ne peut plus pauvre, d’autant plus pauvre qu’a la vérité il est inutile, n’étant que le redoublement par la parole de la régie (banquet). Or nous avons pu voir comment la richesse des séquences indicielles compensait la pauvreté du noyau. Si nous reprenons l’analyse de Jakobson, nous nous apercevons que le texte étant une mise en abyme de tout le reste de la piéce, sa fonction est orientée vers le message en lui-méme et ses structures internes, qu’elle est donc fonction poétique. La grande séquence que nous venons d’analyser correspond exactement a la définition que donne Jakobson du message poétique, elle est projection sur le syntagme de l’ensemble paradigmatique de la situation-Borgia. 1) La Mise en Abyme : les indices-récit de la grande séquence sont :
a) reprise des séquences capitales des actes précédents : — — — — —
annonce de Ja mort commune Maffio-Gennaro quéte de la mére (id.), danger Borgia (id., I, If, 1) — poison (ibid.), féte : vin, musique, masque (I, I, 1), inceste (ibid.),
—
amour de/pour Lucréce
(I, I, 1),
(I, I, 4),
— identité des ennemis de Lucréce (I, I, 5); b) annonce des séquences du dénouement (HT, 2 et 3):
— — — —
mort commune Maffio-Gennaro, quéte de la mére, danger Borgia-poison, inceste,
—
couteau
(Oloferno).
:
:
Un simple coup d’ceil permet de voir que les: séquences sont pratiquement identiques en avant et en arriére, autour de l’articulation féte (carnaval) qui fait basculer le tout vers la mort. 2) Le paradigme Borgia : tout se passe comme si se construisait un vaste énoncé paradigmatique : Borgia = amour incestueux/mort violente (poison-couteau)/orgie. Cet énoncé se projette sur le syntagme de la grande séquence, A l’aide de toute une série de relais métonymiques que nous avons vus au passage : a) des actions : boire (vin/poison) ; chanter; b) des objets : coupes, flacons, vins ; couteau ; cagoules que) ;
(=
mas-
;
ce) des personnages : Gubetta, la Negroni, le page noir, relais a fonctions diverses de Lucréce Borgia. Mais si la métonymie l’emporte (comme dans toute ceuvre dramatique), le relai métaphorique
n’est pas absent, et la distinction
des
deux axes (métaphore-métonymie) tend a s’effacer. Ainsi le fambeau, dont on peut penser qu’il est aussi métonymique, est avant tout ici métaphore de la mort. Ainsi la mer, métaphore « classique » de la mere ; les relais au niveau du langage sont eux plus métaphoriques que métonymiques : ainsi les contes de Jeppo. 3) Le double registre : la scéne est le lieu du texte double, parole et régie, et dans cet exemple, comme dans l’ensemble de la drama-
DU
MELODRAME
AU DRAME
571
turgie de Hugo, il y a redondance entre les deux. Cette redondance signe Vinutilité ou plus exactement l’insuffisance de la parole, mais est écriture,
ce n’est pas tout : le texte
de régie aussi
valents : boire, c’est boire
le vin et la mort;
ou
plus exac-
tement inscription du texte poétique dans le monde (le monde 4 part, mais concret, du théatre). Ce que nous lisons ici, c’est la poétisation du théatre. 4) L’ambivalence : la structure poétique de la scéne ne met cependant pas en péril impact dramatique ; en effet, tout le paradigme qui se projette sur la séquence est composé d’éléments sémiques ambila femme
est désir et
mort, la lampe est lumiére et signe de mort. Le paradigme Borgia se compose d’un systéme de signes, dont la lecture peut étre double, plaisir/mort (destruction), liberté des instincts/prison de la vengeance. Or cette double perception est génératrice de suspens; tout un code herméneutique préside au déchiffrement de l’énigme. Et du méme coup l’ambivalence apparait ce qu’elle est, un agén, une lutte sur le plan dramatique entre la vie et la mort: les jeux de mots, la parole 4 double entente signent la présence d’une lutte 4 mort entre les protagonistes du drame. Pour ce déchiffrement, tous les éléments (régie et langage) sont signifiants : il faut établir une lecture sémiologique du texte dramatique. C’est cet agén trés lisible qui assura le succés de la scéne et son efficacité dramatique. On voit comment ce texte est une des réussites de la dramaturgie hugolienne : le non-récit n’abolit pas le thédtre. Lecture
et lectures.
Ainsi cette scéne apparait-elle comme un exemple extréme. Elle marque le point ot le théatre, par la carnavalisation, se confond avec la, cérémonie, est représentation d’une cérémonie. Elle est la projection d’une situation sur l’axe diachronique, et sa fonction principale est poétique. La. poésie-texte est garante de l’inversion du code culturel instituant un espace autre, ot le carnaval
peut faire naitre la dérision, La
lecture de l’idéologie est étroitement liée a la lecture du texte selon sa fonction poétique. Au niveau idéologique peut-étre est-il légitime de faire une lecture symbolique © du texte, et d’y voir la société tuant la vieille aristocratie en proie A Vofium (mais tuant en méme temps son propre s’installant
au coeur de la vie aris-
tocratique pour la détruire en la corrompant.
Quant 4 la signification
avenir), le carnaval de la dérision extrémement
ambigué
du
carnaval,
non
seulement
dans
cette
scéne,
mais dans l’ensemble de Lucréce Borgia, peut-étre est-il vain de reprocher 4 Hugo de n’avoir pas retourné en vie le carnaval mortel. Certes,
le carnaval
romantique
est mort
et destruction,
sans
espoir
de résurrection ; mais ot est l’espoir de renaissance — autre que mythique — dans la monarchie de Juillet? Le carnaval populaire n’existe pas : il ne se retrouve, transposé dans |’espace aristocratique, que comme ferment de mort : le grotesque Gubetta est le couteau du pouvoir, et en tant que tel dérisoire et mortel, il est un Triboulet n’ayant pas ébauché sa folle tentative de régicide. Si le carnaval est 69. Voir plus loin, p. 593,
572
LE ROI] ET LE BOUFFON
le moment de la liberté heureuse, il ne saurait y avoir de liberté heureuse dans le monde qui est le référent historique de Hugo, pas plus que
dans
celui
de
Lucréce
Borgia.
Bien
plus,
la piéce
touche
au
moment ot le tyran signe sa propre destruction carnavalesque (détréné par le masque), détruit par ce qui sort de lui comme il le détruit. Le passé et l’avenir s’engloutissent dans la méme catastrophe mutuelle ”, On voit a quel point nous
sommes
loin du mélodrame
; la poéti-
sation du_thédtre embarque avec elle Vidéologie optimiste du mélo. L’écriture est ici facteur de déplacement idéologique. Mais en méme temps, elle permet de dépasser le niveau de la distorsion par rapport a un code culturel : la lecture du théAtre de Hugo n’est pas justiciable de Ja seule poétique de l’écart. Drame
hugolien et poétique de Vécart.
On peut lire le drame poétiques
traditionnelles
de Hugo
comme
: si la division
en
écart par rapport deux
espaces
A/B
aux de
Vespace scénique est caractéristique du drame romantique tout entier,
Vécriture propre 4 Hugo fait jouer a cette division un role particulier. Le systéme A/B ne fonctionne
pas identiquement
chez Dumas, Musset
Hugo ; on peut donc dire qu'il y a un écart hugolien. De méme la rhétorique du Roi s’amuse et la poétique de Lucréce Borgia sont écart par rapport au code classique de la tragédie et par rapport au code du mélodrame. Non seulement cette lecture de l’écart nous apparait légitime et féconde, mais elle est indispensable (et inévitable dans la mesure ot on la retrouve sans le vouloir) : elle permet de comprendre le projet de Hugo, l’intentionnalité de son message, les conditions de sa réception ou de sa non-réception. Mais on s’apercoit vite que l’écart se dérobe™, risquant de nous faire inventer pour le ressaisir une sorte de robot moyen™. Toute poétique de l’écart trahit son objectivité prétendue : liée a l’ensemble je-message-destinataire, elle ne peut se maintenir intacte, si le destinataire change, lui qui seul peut percevoir
l’écart.
Si le texte
est lu en
fonction
toujours un écart autre que celui en fonction Surtout dans le domaine
d’un
duquel
écart, c’est
il a été écrit.
de théatre, l’écart devient vite illisible pour
nous ; nous ne percevons plus l’écart de Shakespeare par rapport a ses contemporains ; on peut s’en tenir 4 la notion d’écart pour rendre compte des rapports de telle ceuvre avec tel public, l’écart se com70. A
la
fin, lorsque
disparaissent
les
personnages-relais,
deux actants principaux, Gennaro et Lucréce, et Gennaro non-existant, signalant sa présence & la derniére scéne faut un
sixiéme », se définissant
ainsi
comme
restent
en
secéne
les
se dénote lui-méme comme par la formule : « Il en
indéfini (non
marqué), comme
manque
et comme mort (ce qui manque en effet sur la scéne, c’est son cercueil) : le sujet s’abolit au niveau du langage. De méme Lueréee, refusant d’accéder A lexistence en se nommant, signe sa propre mort. La piéce s’achéve dans la destruction mutuelle et volontaire des deux sujets virtuels du drame. : 71. C’est apport positif de Pour la poétique d’H. Meschonnic que d’avoir théorisé les contradictions de toute poétique de Vécart. 72. Méme la notion trés féconde inventée par France Vernier (v. in Littérature, I, son remarquable article sur les contes de Voltaire), celle de disfonctionnement, de fonctionnement « double » ne pallie pas complétement cet inconvénient.’ On ne peut saisir de point-origine, de systéme de référence, C’est notre difficulté aussi;
aucun texte concret pris comme
dominante
caractére
n’est
exempt
de
non-monolithique
exemple de ce qui correspond
distorsions
; enfin,
de Vidéologie
nous
dominante.
courons
le mieux A Vidéologie
le risque
d’oublier
le
DU
MELODRAME
AU DRAME
573
prenant par rapport au code dominant qui est celui de tel public précis; toute poétique de l’écart est nécessairement une poétique historique. On connait les incidences idéologiques de toute lecture de ’écart: par rapport 4 ce qui est de Vidéologie dominante, l’écriture du poéte se présente comme écriture du génie, qui ne parle pas la langue de tous ; autrement dit, toute poétique de l’écart suppose la notion de poéte-précurseur percevant des rapports idéologiques nouveaux ou celle de poéte-génie se libérant de Vidéologie dominante. Dans les deux négativite.
Qu’avons-nous un
code
l’écriture
cas,
vu?
se retrouve,
au
est définie
comme
distance,
rapport,
Que ce qui est volonté d’écart par rapport a niveau
de l’écriture,
pris dans
un
systéme
total, dans une poétique qui est celle de Hugo ; ce qui au départ est analysé par nous comme distorsion d’un code ne prend son sens que par rapport 4 l’écriture poétique concrete. C’est ce que nous voudrions avoir montré. Le systeme romantique A/B et sa transformation par Hugo est résorbé dans le systeme d’ensemble du drame hugolien, systeme solide et méme rigide, que les contemporains nomment entétement. Lucréce Borgia ne dit pas seulement le non-mélodrame, elle dit aussi la poétique propre au théatre de Hugo et la poétique propre a tel texte précis. Il n’y a pas opposition entre la distorsion ‘par rapport au code et Vunité de l’écriture poétique, il y a deux lectures successives d’un processus unique : d’abord l’analyse du
projet de subversion du code, ensuite l’analyse des niveaux de l’écriture et des rapports entre ces niveaux. Parfois, nous avons la chance de rencontrer un exemple privilégié, une contre-épreuve : comme celui de la double séquence 7 de la scéne du Banquet dans Lucréce ou apparait la déconstruction de l’écriture 4 tous les niveaux, pour assurer la réception.
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UNE SYMBOLIQUE
DE L’HISTOIRE
UNE SYMBOLIQUE
Le saut symbolique
DE L’HISTOIRE
ou le langage indirect.
Au point of nous sommes parvenus dans ce voyage a lintérieur du thédtre de Hugo, il nous a été possible de déméler un certain nombre
de significations
stables, tant au niveau
de la structure
d’en-
semble des piéces, qu’A celui des grandes unités, des actants, des micro-structures et du langage. Ces diverses instances recouvrent un champ idéologique qui est fondamentalement le méme; ce qu’on découvre a l’aide de ces diverses analyses est concourant. Mais si le grotesque ou l’usage du discours vide conduisent 4 une mise en question du je, qui est destructive de l’individualisme bourgeois, si les structures
d’ensemble
analyses,
qui
sont
contredisent
déduction
l’idéologie bourgeoise
4 partir
restent générales. Or, non seulement
d’un systeme
libérale,
nos
sémiologique,
il est possible, mais il est néces-
saire, d’aller plus loin; non seulement il y a une parole du théatre de Hugo, inscrite dans l’écriture méme du texte et de ses divers niveaux, mais on peut considérer chacune des fables dont se compose le théatre de Hugo comme un tout métaphorique, comme une immense métaphore par rapport au référent historico-politique. Ce saut est difficile a justifier théoriquement, dans la mesure ot nos méthodes d’approche restent artisanales, mais il n’est pas possible d’esquiver le probléme : ce théatre a été écrit et a été lu aussi comme un « texte a clefs », comme une facon symbolique d’écrire ou de récrire Vhistoire de son temps. Nous tenons pour capitale la symbolique de Vhistoire inscrite dans la dramaturgie hugolienne, si tout thédtre est quelque chose qui renvoie 4 un référent, 4 une vie humaine « extérieure », que cet élément référentiel soit l’histoire abstraite, ou la société selon Brecht,
ou la peste d’Artaud. Sans aller jusqu’a considérer comme P. Arnold que l’espace dramaturgique est « homothétique 4 l’univers! », on ne peut éviter de penser le drame et déja de le percevoir en fonction d’un référent ; sa fonction méme de théatre exclut de le tenir pour un pur miroir de l’intériorité. Hugo, pris dans le théatre a V’italienne, qui fait du microcosme de la scéne image d’un morceau du monde 4. P. Arnold, l’Avenir du thédtre, lante, est inadéquate, dans la mesure
Paris, Savel, 1947, p. 155. La formule, brilou le mot homothétique supposant un rap-
port proportionnel, ne rend pas compte des rapports complexes qui unissent le texte au référeni, et ot l’on ne peut identifier sans un abus de langage le référent a Punivers — sauf volonté affirmée de « théatre cosmique >».
37
578
LE
ROI
ET
LE
BOUFFON
isolé par les murs et la rampe*, ne peut échapper a la symbolisation ; si tout théAtre est déjA impensable sans le renvoi au référent — ne serait-ce que parce que la représentation est représentation dans le monde * — il est évident que le thédtre du x1x° siécle est plus qu’un autre
Enfin
du monde.
explicite
miroir
du drame
méme
la matiére
romantique, qui est histoire, nous contraint 4 une lecture symbolisante, toute représentation des événements passés ou présents* de référent
A un
renvoyer
de
contente
non
humaine,
Vhistoire
précis,
réclame d’étre interprétée en fonction d’un référent actuel — ou qui peut étre renvoyé A J’actualité, Autrement dit la vocation du théatre romantique est d’étre lu symboliquement. Evidences qu’il serait peutétre inutile de rappeler si sur ce point le drame hugolien ne posait un probleme : — la lecture historico-politique de ce drame n’apparait nullement claire, ’impact directement politique des piéces reste singuliérement faible ou marginal ; toute référence 4 l’actualité est absente non seulement au niveau de la dénotation, mais 4 celui dune symbolique superficielle. Hugo n’a pas voulu dune lecture politique immédiate de ses drames. D’autre part si l’on parle de lecture symbolique, il en est une, plus immédiate et visible que la lecture historicopolitique, c’est celle qui voit dans les personnages hugoliens l’émergence des conflits psychanalytiques de l’auteur °. Double donc, et indirecte : telle nous apparait la démarche symbolique du théatre hugolien. La préface de Ruy Blas.
La démarche effort par
affirmée
une
symbolisante, non seulement peut se retrouver sans
lecture
par Hugo
les personnages
méme
dans
superficielle,
la préface
mais
elle est expressément
de Ruy Blas, puisqu’il
de la piece des incarnations
voit dans
des différentes
couches
2. Nous avons vu (ire partie, chap. Ruy Blas) comment Hugo se_battait pour le maintien de la vampe, inscription de la coupure dramaturgique dans Pespace +} ; coneret de la représentation.
3, Toute
la premiére
partie
travail
de notre
est. analyse
des
de conditions
production du texte dramatique et de son inscription dans lespace coneret de la seene. i serait sur ce point intéressant de méditer sur le contenu sémique de ce quelque chose. est représenté, parce qu’il mot de représentation, qui suppose que
a déja été présenté
non
comme
le renvoi au
son
sur
la scdne
reflet, mais
du
comme
monde,
référent ; b) la subjectivité
senter concrétement
(de présenter
que done
sa représentation.
le théAtre
Contenu
double
sémique
de la représentation ; ¢) Vaete
le monde,
triple
> @
de repré-
4 nouveau).
4. Nous verrons p!us loin comment et pourquoi Hugo refuse la représentation des événements présents, et comment Je référent passé lui est indispensable. En tout cas, Pimportance du référent historique pour le drame romantique explique importance décisive du texte shakespearien, systéme de référence pour toute dramaturgie yomantique dans la mesure of est pergu comme « répertoire d@analogies > historico-politiques, 5. Nous
nous
garderons,
ici comme
dans
le reste
de notre
travail,
de rechercher
dans Pouvre hugolienne les éléments d’une lecture biographique de Hugo, si éclairante qu’elle puisse étre, Pour brillants et décisifs que soient les travaux de Maurom et surtout de Baudouin (nous ne dirons jamais assez tout ce que nous leur devons), ils nous paraissent toujours partir du sujet pour revenir au sujet, ou en d’autres termes partir d’un vécu individuel pour aboutir A un vécu individuel, en tenant Poeuvre pour un moyen de la recherche, au mieux pour un latus comme dirait
Diderot. Quelque amour qu’ils aient pour Vouvre littéraire, le texte finit toujours pour eux par étre un pont pour aller de Vhomme A Vhomme. Le texte littéraire est ‘pour Mauron, par exemple, et sa méthode en fait foi, analogue au matériau du psychanalyste, réves et associations lbres. Déeryptage légilime, souvent admirable, et qui, & la limite et mené a son terme, établirait peut-étre entre le texte et le lecteur une relation privilégiée. Mais ce n’est nullement notre propos, méme si la fascination du Je-Hugo nous entraine parfois hors de notre voie. Nous ren-
UNE sociales
SYMBOLIQUE
DE
L’HISTOIRE
(Ruy Blas, ce serait le peuple‘),
et, dans
579 la situation
méme,
une situation caractéristique d’un certain type de processus historiques’, Notons que Hugo présente cette démarche symbolisante avec une certaine hésitation (simple clause de style ? c’est peu probable, Hugo n’étant pas sujet a la fausse modestie). « Ainsi si l’auteur avait réussi & exécuter cette partie de sa pensée, ce qu'il est loin’de supposer, dans le drame qu’on va lire, la premiére moitié de la noblesse espagnole a cette époque se résumerait en don Salluste, et la seconde moitié en don César *. » Le, lecteur ne manquera pas de remarquer usage du conditionnel, et la référence expresse 4 une polysémie du texte (« cette partie de sa pensée »). Il tient done la symbolique a la fois comme une lecture parmi d’autres et comme une lecture spécialement orientée par « le point de vue de la philosophie de Vhistoire® ». Mais c’est en méme temps une lecture sujette a caution, comme si Hugo lui-méme, malgré la précision de sa description historico-sociale dans la préface, ne l’envisageait pas sans une marge
d’incertitude. Toute l’analyse historique de la préface se fait apparemment dans une projection rétrospective : le tableau porte sur I’Espagne du xvui® siecle ; mais la généralisation n’en est pas absente: ce n’est pas la seule monarchie espagnole qui est en question, c’est
le déclin et l’écroulement de toute monarchie ”. Autrement
dit, toute
lecture symbolique suppose une généralisation anachronique. Bien plus elle n’a de sens, elle ne peut étre entendue qu’a la lumiére du présent historique ; autrement dit, elle suppose une symbolisation double : 1° les éléments de l’écriture et de la régie symbolisent avec un référent historico-social ; 2° les éléments passés symbolisent avec ceux du présent. De ce fait le texte risque d’étre peu lisible, dans la mesure
ot il nous
faut faire un effort de reconstitution
double,
celle
du passé de l’énoncé, ajoutée a celle de l’époque oti se meut le sujet de V’énonciation. L’Espagne de Ruy Blas est pour nous lecteurs du xx® siécle, celle du xvu° siécle lue par un Hugo contemporain de la monarchie
de
Juillet.
Le
référent
historico-social
est double,
triple
méme dans notre lecture, puisqu’il 's’y ajoute notre propre lecture, renvoyant A notre propre expérience historique ; ainsi le peuple de Ruy Blas ne peut plus étre lu par nous autrement que dans l’insatisfaction, la théorisation marxiste et l’expérience des révolutions du xrx® siécle nous interdisant de renvoyer le mot peuple a Vindétermination bourgeoise. S’établit 4 partir des éléments du texte un vaste systeme analogique dont la légitimité et ’incertitude sont inscrites au départ dans la réflexion théorique de Hugo. Hugo ne nie pas qu’il parle Vhistoire de verrions volontiers a la formule de Derrida (note finale de la Scéne de l’Ecriture, in VEcriture et la Différence, p, 340) : « Malgré quelques tentatives de Freud et de certains de ces successeurs, une psychanalyse de Ja littérature respectueuse de Voriginahté du signifiant littéraire n’a pas encore commencé et ce n’est sans doute pas un hasard. On n’a fait jusqu’ici que Vanalyse des signifiés littéraires, e’est-A-dire non Jittéraires, » 6. Préf. de Ruy Blas, O.C., V, 673. 7. Ibid.,
671
: « Au
moment
ot
une
monarchie
ménes peuvent étre observés.., » 8. Ibid., 672. 9. (bid., 673 (souligné par nous). 10. Nous avons montré comment Hugo gomme
va
s’écrouler,
plusieurs
phéno-
: les particularités
historiques.
Voir
a partie, Ruy Blas, p. 329 et pour plus de détails, Ruy Blas, éd. crit., op. cil., p. 47-
580
LE ROI ET LE BOUFFON
son temps par l’analogie. n’a trouvé meilleur champ. d’application, Le Vieillard hugo-
lien est A la fois le passé historique dans le présent mort et vivant —
mais aussi ces instances du Pére
(du Pére
mort
de la psyché individuelle que sont le retour
et vivant),
et du
méme
coup
le retour
du
refoulé : Ruy Gomez, Saint-Vallier, Nangis, Barberousse, :autant de figures paternelles qui sont en méme temps, dans toute la profondeur et ambivalence du terme, des revenants. A quoi l’on pourrait ajouter ces revenants (qui ne sont pas des vieillards) et qui se nomment César de Bazan et le comte Jean, Tous fonctionnellement figures de la mort. La signification du passé est ambivalente, psychologiquement et 33. Cf. Lévi-Strauss,
Anthropologie
structurale, p. 252. Le mythe a pour but de
« fournir un modéle logique pour résoudre une contradiction >». 84. Ms. 13396, fe 213, texte enc.dré par deux tragments concernant
en particulier : « Au théatre la foule veut devenir 35. Cf. Lacan, Herits Il, p. 187 : le Pere qui
Mort, pour le névrosé mort.
»
: « Le Pére
ot le théatre,
faisceau. >» 0.C., IV, 902, représente la Loi, c’est le Pere
souhaité du névrosé
est clairement
(...) le Pore
w2
UNE SYMBOLIQUE
idéologiquement : il « valeurs », et des « pas sans importance méme temps ceux a
DU RECIT
595
est retour mortel mais aussi présence des grands ancétres » qui les incarnent; il n’est que les vieillards porteurs de mort soient en qui est dévolu le réle de parler les valeurs
morales, Vhospitalité, dans la bouche de Ruy Gomez, ’honneur familial dans celle de Saint-Vallier, les grandes lois de la féodalité chez
le marquis Bazan
de Nangis. Et il ne nous
défendre
l’honnéteté
étonnera
pas de voir César
de
« vraie » (ami d’un voleur, mais incapable
de trahison) et le comte Jean se faire le porte-parole de la liberté contre la tyrannie de Mazarin. I] est donc le lieu d’une contradiction idéologique, puisqu’il est valorisé et dénigré, bien et mal a la fois. La fonction du pére et de la mére est touchée de la méme ambiguité ; Triboulet et Lucréce sont 4 la fois sujet du mal et du plus grand amour pour l’enfant : ils l’adorent et le détruisent, le sauvent et le perdent. Ne peut-on voir dans ces figures du passé Yimage de ce qui est de la « vieille société », qui est la mére du monde moderne en méme temps qu’elle l’empéche de vivre. Il est clair que si l’on faisait de ces figures l'image de la vieille société
féodale,
de
Vancien
régime,
aucune
acceptable ; il n’est pas possible lution,
avec
sa
noblesse
et son
de
ces
fables
n’aurait
d’y voir la société caractére
de
sens
d’avant la révo-
destructeur.
Sans
cela
on
ne comprendrait pas son caractére de retour offensif et mortel. Bien plus justement, il s’agit de la société présente, ou immédiatement
antérieure,
dont
la
récurrence
compromet
le
présent
et
Pavenir.
Autrement dit, si on faisait une traduction immédiatement politique et allégorique, on y verrait l'image de 1815 et du retour des émigrés, avec
leur
caractére
compromettant
pour
la
société
présente,
mais,
bien au-dela, il faut faire de ce retour du passé une lecture idéologique, infiniment plus claire : c’est dans toute société, c’est-a-dire dans la société actuelle (celle o4 vit Hugo), que les structures du passé com-
prometient
l’avenir,
sans
solution
visible
autre que
la mort.
Le schéme de la décapitation-castration ®. « Je ne suis rien, j’ai Ja téte tranchée. Mais un homme ne vautil pas un homme et Je décapité le croyant ? » E. Jabés, cité par Derrida, L’Ecriture
et la Différence, p. 112.
Ce qui manque 4 la statue Manque 4 l’homme en son tombeau. Dans la nuit la voix s’est tue,
L’ombre éteignit le flambeau. Le Rhin (0.C. VI, 321).
Dans
un épisode
du Rhin
Hugo raconte comment décapité,
distingue
(1842, lettre 20 —- De Lorch a Bingen),
il trouve sur son chemin
ce qui s’y trouve
la stéle de l’homme
inscrit, s’émeut
des X neuf fois
répétés (« cette lettre X qui barre l’entrée de tous les problémes et qui désigne l’Inconnu de Vindividualité, 36. Rappelons (chap.
Elaboration
les symboJes
»), qui signent l’inconnu, Veffacement du nom et la décapitation : « Sa téte a été retranchée de la
Vanalyse
de Freud,
du
p. 327, Alean,
réve,
de la décapitation.
devenu
classique
1926)
ow
depuis
il assimile
la Science
des Réves
a la castration
tous
596
LE ROI
statue, son
nom
la décapitation,
de la légende
ET LE BOUFFON
». Ce long épisode unit le théme
celui de l’inscription,
celui
de Vinnommé
de
(l’inconnu
sine nomine). Est-il abusif d’y voir une image de l’écriture dramatique et de la récupération du sujet mort (passé): « Je me rappelais que cette facon de voiler tout en la signalant, la tombe et la mémoire de Vhomme décapité, est propre A toutes les époques et A tous les peuples. » Le lien méme avec la castration est souligné : une des jeunes filles rencontrées déclare a propos de la statue: « Tiens ! elle n’a pas de téte, c’est un homme. » Et pour que nous n’ayons aucun doute sur le sens viril du mot homme, Hugo remarque que lautre jeune fille reprend avec « une ombre de reproche » : « C’est un chevalier », et fait un commentaire sur le cant et la pudibonderie des femmes *. Ce texte est typique de la liaison que fait Hugo entre le theme du retour du passé et celui de la décapitation. La tragédie, quand
elle dit la mort,
ne dit pas nécessairement
la
mort par décision de justice, la punition sociale d’un coupable ; la mort judiciaire n’occupe guere la tragédie classique. En revanche, la décapitation obséde les contemporains de Hugo : mort du souverain sur l’échafaud ou mort de l’opposant puni par la décapitation apres un jugement ou un semblant de jugement. Ainsi les multiples pieces ayant pour objet la mort de Charles I ou celle de Louis XVI* ; Hugo réve d’ajouter sa pierre a cet édifice : en fait il n’écrit que Cromwell, et renvoie l’heure de son
drame,
non a la mort du roi, mais 4 |’intro-
nisation ou A la non-intronisation du successeur. Il ne racontera pas Vhistoire d’un roi décapité, pour s’en plaindre ou pour s’en réjouir : tout se passe comme si le clivage politique se faisait autour de la justification ou de la condamnation du meurtre politique. Hugo refuse la formulation directe de la décapitation du souvetrop rain comme il refuse toute signification politique d’une actualité n’ocexplicite. Il s’agit d’éviter que le sens immédiatement politique ue ,; que culte, comme il edit été immanquable, la signification idéologiq littérainon critéres de fonction en applaudi ou refusé soit drame le contenu explires, c’est-a-dire qui engagent une lecture au niveau du Si, pour cite, compromettant la lecture idéologique au second niveau. et non justifier notre méthode, qui cherche l’idéologie dans l’écriture Vaveu de sur appuyer nous voulions nous explicite, contenu le dans Hugo en auteur, il ne serait pas trés difficile de lire les préfaces de selon nous fonction d’une telle démarche de retrait. Il serait erroné qui serait d’y lire un refus de lengagement, mais le refus de ce écriture-lecture réductrice. Ou lisons-nous la décapitation-castration dans les fables hugode la lienne ? Dans le récit certes, mais dans ce cas, il s’agit toujours quoi a Saverny, de et Didier de exécution : victime d’une décapitation lui-méme se superpose dans la fable la décapitation prévue d’Hernani ier — appelé a cette mort*® — décapitation manquée de Saint-Vall Catadécapitation réussie de Fabiano — projet de décapitation de : autre. un par relayé disparait, théme le quoi, rina. Aprés pase aE 37. 0.C., VI, 320. 38. Voir
ire partie, p. 37.
39. Hernani,
IV, 4, O.C., II, 1012-1013.
UNE
SYMBOLIQUE
DU
RECIT
§97
Aprés 1830, la décapitation parait le plus souvent refoulée, dans le passé ou dans le projet; et il faut voir les hésitations de Hugo devant la victime de la seule décapitation qui aboutisse : Gilbert ou Fabiano ? On peut la lire dans les « défauts » de l’écriture, dans les obsessions de |’avant-texte (brouillons du Roi s’amuse ”), dans le retour inlassable
au vocabulaire
de la décapitation
coupée, décapité) (discours
(échafaud,
bourreau,
téte
de Saint-Vallier),
Ce schéme prégnant explique, au niveau de |’écriture comme 4 celui de la régie, la présence d’un personnage choquant, mais indispensable, celui du bourreau ; il figure dans la célébre énumération de Hernani: « Roi, bourreaux et valets “ », comme il figure, muet et ter' rible, a la fin du second acte de Marie Tudor ; il est indiqué non seu-
lement comme jié indissolublement a la royauté, mais comme le destinataire de toute action du souverain : tout ce que touche le roi étant présenté comme donné a la mort sous la forme de son représentant le plus qualifié, le bourreau. On s’explique les rapprochements si fréquents dans la presse entre ces deux personnages qui sont actants de fonction
différente,
le bourreau
Darlington de Dumas.
de Marie
Ce dernier
Tudor
et celui
du Richard
est le pere du héros, et sa profes-
sion de bourreau interdit a son fils tout avenir : la fable est bien plus parlante et bien plus claire que celle de Hugo, mais ces fables soutiennent entre elles un singulier rapport. Le bourreau, c’est la Terreur, et sa présence aux cotés du roi identifie la terreur oppressive a la terreur révolutionnaire
ou
plus
exactement
substitue
celle-ci
a celle-la.
La
vraie nature du bourreau, c’est d’étre l’exécuteur des hautes oeuvres de la tyrannie. Mais pour Hugo la tyrannie appelle la Révolution, l’histoire se retourne, et le bourreau est fait pour indiquer par sa seule présence le rapport de réversibilité entre l’oppression et la Révolution. L’idée-clef du poéme des Contemplations, Ecrit en 1846 est déja inscrite dans cette confrontation. On voit 4 quel point il est difficile Winterpréter le symbolisme politique des pi¢ces de Hugo, mais aussi comment les furieuses préventions de l’ensemble de la ‘presse contre Hugo apparaissent explicables, Enfin, la péripétie de Lucréce Borgia, c’est Vinscription de la décapitation dans le nom de Borgia (B -ORGIA) ; et par ce biais, il nous est possible de voir comment la décapitation matérielle (la décollation) se mue en son substitut, la castration, sous sa forme réduite dabsence de descendance *, Dans le théatre de Hugo, la décapitation-castration ne se contente pas d’étre un théme, c’est un scheme, autrement dit, elle marque une étape dans un récit dont elle est part déterminante ; ou bien elle est le juste retour d’un crime, ou bien elle est le point de départ d’un talion, que subit l’auteur de la décapitation-castration ; elle est donc un jalon dans un processus qui est celui de la justice (ou de la 40, Ire partie, chap, Roi Marion
on conseille & Hugo
s’amuse, d’enlever
p. 118, quelques
Pour
la deuxiéme
représentation
de
« tétes »,
41. Hernani, IV, 4, 0.C,, Ill, 1013, 42, Lidentification décapitation-castration se lit, nous Vavons vu, dans cours de Saint-Vallier, comme dans le premier monologue de Triboulet
le disqui le
montre jouant « comme un chien » sur le lit d’ « une reine, une femme jolie », ‘ou dans la suite qui le voit « castré » par la séduction et la mort de sa fille, Dans le cas de Lucréce Borgia, comme dans celu: du Roi s’amuse, la castration est une ee aerenany une mutilation de soi-méme, par les lois d’une fatalité incompré-
hensible.
598
LE ROL ET LE BOUFFON
non-justice) ; elle a pour fonction de rétablir un équilibre qu’elle a rompu‘ou qu’elle pourrait restaurer : remarquons que sa fonction de rétablissement de la justice est toujours niée, méme dans le cas de Lucréce Borgia; Vauteur de la décapitation-castration, par cet acte, ou bien commet le crime qui ouvre le drame, ou bien tente de restaurer le droit ;dans les deux cas, il creuse une faille ot il s’engloutit ou risque de s’engloutir. La décapitation manquée de Saint Vallier appelle la mort manquée de Francois I*; Fabiani, pourvoyeur du bourreau, finit par tendre son cou 4 ce méme bourreau; Gennaro décapite son propre nom, signe avant-coureur de sa propre mortBorgia. La signification morale est absente: il n’y a pas de justice immanente ; seulement une loi-force incompréhensible. Objection a toute interprétation socio-politique du schéme: le theme hante Hugo depuis le début de sa carriére littéraire, depuis le fragment Saint-Jean Baptiste de 1825, depuis les admirables analyses du Condamné, en passant par les projets de 1830; il se fixe au théatre avec Marion, prolongée par Hernani, il se lit en filigrane dans Noces et Festins *, il s’occulte apparemment dans le Roi s’amuse ou il est cependant dramatiquement actif (tout en se fixant sur la composante castration), il se transpose en écriture dans Lucréce Borgia, avec insistance, la. aussi, sur la composante castration, il se libére dans Marie Tudor, ot il est poussé jusqu’a sa fin logique, la décollation dun homme; aprés quoi (visible scéniquement, mais dramatiquement inactif), il se retrouve dans Angelo, mais s’occulte définitivement
si Pon peut dire dans Ruy Blas“ et dans les Jumeauz, ot il se transpose en destruction de Ja personne, ouvrant sur un schéma nouveau. Le fait que ce schéma singuliérement présent dans l’ceuvre de Hugo, y posséde une histoire « individuelle » si l’on peut dire, ne signifie pas qu'il ne puisse étre tenu pour un des éléments centraux du symbolisme socio-politique de Hugo ; au contraire, tout symbolisme suppose une
polysémie
du signifiant,
qui lui donne
son
« impact
» possible.
S’il fait du schéme de la décapitation un symbole clef c’est justement quil est chargé de sens pour lui, qu’il peut étre l’objet de lectures piurielles. Si nous voulions lire le thédtre de Hugo en fonction du JeHugo, peut-étre verrions-nous 14 un des lieux privilégiés ot passe le rapport 4 l’Autre. La décapitation-castration est toujours écrite en fonction d’un Je qui la vit (seule exception, Fabiani, et l’on sait pourquoi), elle est signe et inscription du manque radical, du Je qui se voit comme mort*. En cela optant politiquement pour la position de victime. :
Le Roi s’amuse. La fable du Roi s’amuse est Vhistoire d’un régicide avorté, laissant toute chose en l’état, aprés la disparition de la Fille, image de Vavenir : fable semblable a celle de Lorenzaccio qui lui doit tant qu’il 43 0.C.,
« Sais-tu quels pensers agitent une téte qui va tomber ? », Fragment
Il. Voir 1re partie, p. 32, ‘ 44, Voir 1re partie, chap. Projets ‘de 1830, p. 37. 45. Chants du Crépuscule, 1V, 0.C., 1V, 405-407. Voir 46. Il serait intéressant de voir comment se fait dans
dramat.,
\ ‘ p. 442-443. notre analyse, Ruy Blas, la néantisation
du sujet Ruy Blas et sa castration. Voir p. 608 sqq. analyse du Bon Appétit. 47. Inutile de dire que nous retrouvons ici la « décapitation » du nom et sa transformation en G (grotesque-peuple).
Hugo
UNE
SYMBOLIQUE
DU
RECIT
599
en parait parfois le développement et le commentaire. Fable exemplaire illustrant l’inutilité et quasiment l’impossibilité du meurtre politique,
de l’attentat
individuel.
Triboulet,
dont
on
ne
peut
pas
dire
(nous touchons du doigt Varticulation politique/idéologie) qu'il soit Vincarnation du peuple dans la mesure ow il est lié 4 l’ordre ‘des privilégiés, instrument
de A, espace
de Vintégration,
—
Triboulet
donc
tente de se retourner contre son maitre pour le tuer : mais il ne le tue pas lui-méme : il ne peut pas frapper en personne, il est obligé d’avoir recours 4 homme de la pégre, du lumpen prolétariat, Saltabadil. En ce sens, il est naturel que sa révolte avorte : elle ne peut réussir parce quil est un homme seul, qui fait son petit régicide tout seul, et nous avons vu comment les réflexions historiques de Triboulet ne traduisaient que l’hypertrophie monstrueuse d’un moi-bulle de savon, détruit dans Ja mesure ou il s’affirme, pure vox clamantis in deserto. Révolte stérile et solitaire et non révolution, pas méme émeute: le peuple n’est que spectateur de son drame, et son seul rapport a l’autre est un rapport d’exhibition devant la pitié; sa révolte est pathétique, non active ; le meurtre
n’est
pas
comme
celui
du
duc
Alexandre,
une
revanche du moi, il n’est fait que par personne interposée et en cela inefficace ; s’il ne peut fuer le roi, c’est parce qu il le fait tuer (il le dit expressément). Le tyran renait de ses cendres parce que son adversaire incapable de se saisir, lui, de la violence, est contraint de la déléguer 4 ce qui est le substitut naturel de cette violence, une populace faite pour et par le crime. A ce moment se pose la question de savoir qui est Triboulet et ce qu’il représente sociologiquement. I] se dit homme du peuple mais en méme temps sa fille Blanche est définie comme une délicieuse bourgeoise, et l’on se retrouve dans des ambiguités qui apparaissent aussi dans Notre-Dame de Paris. On pourrait en ce cas donner la réponse simple et simpliste: Hugo, en bon représentant de Vidéologie bourgeoise, identifie peuple et bourgeoisie en opposition 4 l’aristocratie, soutien de la royauté. Vue que l’on ne peut rejeter totalement dans la
mesure ot elle correspond 4 la volonté hugolienne de faire un public un (peuple + élite intellectuelle bourgeoise), mais dont nous avons déja vu le caractére sommaire : toute la structure de la piece, toute son écriture démentent cette interprétation. Si Triboulet est le nonaristocrate, il n’est pas le bourgeois et il est le hors-la-loi, le bouffon.
Nous nous trouvons en face d’une contradiction idéologique qui fait de Triboulet un étre double, 4 la fois valet des privilégiés et hors de Yordre social. Triboulet représente A la fois Je pire visage de Vintégration sociale et le peuple opprimé. En ce sens doublement impuissant. La lecon historico-politique de Ja fable serait la suivante : il est impossible 4 qui participe aux priviléges de s’y opposer valablement ; si le héros s’y risque, c’est pour lui non seulement un suicide personnel, c’est un suicide pour l’avenir : l’infanticide de Triboulet est dans la logique de son inefficacité historique. Enfin l’action du héros reste stérile dans la mesure ot elle se cantonne dans une violence déléguée, refusant de l’assumer pour
elle-méme.
Si nous voulions aller un peu plus loin et retrouver la cohérence de la fable (4 travers les contradictions idéologiques), nous ferions de Triboulet la figure de Villusion bourgeoise libérale, de 1’intellectuel
600
LE ROI ET LE BOUFFON
qui se prend pour le « peuple » et dont l’attitude, profondément bouffonne, consiste & attaquer en parole une noblesse impuissante et dégénérée, et A s’en remettre
au couteau populaire
(4 l’émeute)
du soin de
régler les problémes politiques. Aprés quoi elle est tout étonnée de voir sa fille ’Avenir, sa fille-Liberté, violée et tuée par le pouvoir. La parole masturbatoire de la bourgeoisie libérale se gonfle de son triomphe de 1830, étale son vain discours parlementaire, quand sa fille Liberté agonise dans le sac fatal, ou devrait mourir la vieille royauté, tandis que le peuple, muet, contemple, passif et pitoyable. Si nous extrapolons, l’extrapolation de la presse bourgeoise libérale parait étre allée dans le méme sens que nous. C’est dans cette perspective aussi que nous pouvons donner un sens au role décisif de Saint-Vallier : la décapitation-castration de la vieille aristocratie — outrage qui demande le talion — donne 4 la bourgeoisie libérale la mission de sauver les « valeurs morales » et de venger le mal et la violence. On sait, on voit qu’elle n’en est pas capable : ’oppression politique et sociale reste entiére. La décapitationcastration retombe sur Triboulet. Le Roi est mort (n’est pas mort) ! Vive le Roi! Le revoila, chantant Ja chanson de la plume au vent. On a remplacé Charles X par Louis-Philippe, mais c’est toujours la méme royauté : « vous étes tous batards ! » (et cocus). Discours politique a un niveau second. Lucréce Borgia. Le drame apparait comme tournant le dos volontairement 4 toute implication politique ou idéologique évidente*. Drame de la fatalité individuelle ou familiale, il peut étre entendu comme Je drame de la maternité ou de la filialité, comme drame du rapport 4 l’Autre avorté ou perverti. Mais une telle lecture suppose pour étre compléte sa lecture complémentaire. Et en ce sens, Lucréce ne peut-elle étre lue comme le drame du moi moderne (du moi du siécle) dans son conflit avec un passé dont il est originaire, qu’il ne veut pas reconnaitre,
parce qu’il est un passé de crimes, mais qui colle a lui, spectre qui se couche
a son cété, qui est son spectre a lui, qui lui a donné
son
étre
et son nom“, qui 4 la fois l’a fait et 4 présent l’empéche de vivre, a la lettre veut sa mort, mais qu’il ne saurait tuer sans s’assassiner soiméme ? Héritage mortellement vécu ; « Je suis un Borgia, moi >, mais qui ne saurait en aucun cas étre récusé, puisqu’il est ’étre méme. Est-ce forcer les choses que de voir dans le drame Lucréce Borgia une figure de la Révolution ? La décapitation du nom Borgia est un régicide, nous n’en doutons pas: cette signification est dénotée par les récriminations de Lucréce (contre la populace). Ce qui est vécu ici, avant Ruy Blas, c’est Vidylle illusoire et mortelle du peuple et de la royauté criminelle, cette royauté qui ne saurait ni changer ni s’amender — accouplement aussi prometteur de sang que celui, célé48. A part quelques allusions plus ou moins déplaisantes au peu de valeur de la parole royale. Lucréce, 1. Il, 3, O.C., IV, 683. Souvenir de Louis XVI ou allusion a ce que tout le monde sait déja de la duplicité de Louis-Philippe 2? Les princes réagissent. I] est amusant de songer que e’est aussi l’anticipation d’un theme des Chdtiments... et de la Légende des siécles. 49. Cf. Richard Darlington, ou le héros, fils du bourreau sans le savoir, voit son existence ruinée par cette filiation « décapitatrice ».
UNE
SYMBOLIQUE
DU
RECIT
601
bre, de la renarde et du coq brechtiens. Mais peut-étre faut-il pour la comprendre, raffiner l’analyse: ce n’est plus la royauté qui est en question, c’est la société meurtriére, dont la premiére tache est la mise au rancart de la vieille aristocratie : Lucréce est « un ducat d’or A l’effigie de Satan » ; et en ce sens Gennaro est, non pas figure du peuple, mais — chose plus juste — de l’intellectuel, celui qui écrif, ’homme de la pureté, de l’idéalisme, 4 la recherche de la « mére idéale * ** », de la société idéale, quand il est l’enfant de cette vieille société, tou-
jours la méme, qui n’a pas changé, 4 la fois séductrice et meurtriére, et que le jeune intellectuel bourgeois ne peut réver de détruire qu’en se détruisant lui-méme ; plus que tout autre, le Je de Gennaro se sent proche de son frére « ultra », laissé sur le sable par la Société. Dans cette perspective le sens des lettres expédiées a la destinatrice idéale, mais qui se révélent inutiles (« mauvaise cuirasse ») devient d’une clarté aveuglante. Si Lucréce Borgia renvoie 4 une idée générale de la Révolution, la révolution de Juillet y apparait aussi en filigrane : n’est-elle pas inscrite dans cette mutation souhaitée du Pouvoir, ce pouvoir qui veut se faire charitable et libéral, mais que sa logique interne conduit 4 « se défendre » ? Et peut-on voir autre chose que l’écrivain de 1830 dans ce Gennaro qui stigmatise publiquement la vieille société, sans se douter qu’elle l’a fait et qu’il est emporté comme les autres dans le mal social. La fatalité est donc ici autant historique qu’individuelle : elle est cette société qui ne change que pour redevenir aussi sanglante, inéluctable, oppressive : elle devient poison occulte au lieu d’étre poignard, elle appelle la violence destructrice et régénératrice. Le schéma de Quatrevingt-Treize semble déja obscurément gravé dans Lucréce Borgia : appel désespéré au salut de l’enfant ne permet pas de faire Véconomie de Ja mort violente. Si le peuple reste « populace >, ou peuple-spectateur, on ne sait pas — et l’intellectuel moins que tout autre — comment l’histoire peut avancer autrement que par le recours désespéré 4 la mort. Les barricades du 6 juin 1832 n’inscrivent-elles pas déja dans Lucréce Borgia, par le biais du symbole, l’apocalypse de Ja rue de la Chanvrerie ? Le travail génétique de histoire dans le drame n’est pas aisé a déchiffrer. Les symboles, pris dans le pluriel du texte, ne laissent pas d’étre obscurs. C’est ici que se poserait avec le plus d’acuité le probléme que nous éludons, celui de la conscience du créateur : comment se fait, et qui fait ce travail de histoire dans le texte ? Hugo, en tout cas, se refuse 4 une « allégorisation » du drame qui apparait bien plus claire dans le Lorenzaccio de Musset. Les piéces suivantes de Hugo, Marie Tudor et Ruy Blas, tournées Pune vers le passé immédiat (le passé-présent), l’autre vers l’avenir, marquent cependant la volonté délibérée de dire l’histoire. La lecture des symboles historico-politiques y est infiniment plus claire. Ce qui 49 bis. Sur le symbolisme politique de la mére v. le texte décisif des Misérables (Ill, IV, 5) : & la chanson de Combeferre « J’aime mieux ma meére », « Marius, pensif et cil au plafond répéta presque machinalement : ma mére ?... En ce moment, iJ sentit sur son épaule la main d’Enjolras. — Citoyen, lui dit Enjolras, ma mére, c’est la république. » Le rapprochement va peut-étre plus loin qu’il ne semble. : la barricade de la rue de la Chanvrerie, Hugo vient de la voir,
quand
il écrit Lucréce
Borgia.
602
LE
est frappant, dans
ROI
ET LE BOUFFON
c’est la convergence
le discours,
la similitude
des
deux
piéces,
de leurs traits
leur continuité
essentiels.
Celui-ci
en
particulier : existence de personnages censés représenter le peuple éloigne, surtout dans Marie Tudor, le grotesque, présence indirecte du peuple, au niveau des structures et de l’écriture. Nous nous étonnerons. peu de ce paradoxe que le grotesque joue un réle moins grand a mesure que la signification politique directe devient plus claire ; Marie Tudor étant a la fois la piece la plus « politique » de Hugo, et celle ot le grotesque tient le moins de place. Marie
Tudor,
miroir de la Révolution
de Juillet.
Ce n’est pas sans dessein que nous reprenons ici la formule célébre par laquelle Lénine caractérisait Tolstoi, « miroir de la révolution russe ». De méme que la formule de Lénine représente une objectivation par rapport 4 fout jugement final sur la subjectivité de l’écrivain, de méme nous ne pouvons chercher dans quelle mesure Hugo a
voulu consciemment donner une image de ce que fut la retombée, le jugement distancié, par rapport aux enthousiasmes de 1830. Tout ce que nous pouvons essayer de monirer, c’est comment Marie Tudor dit en clair ce qui n’est qu’inscrit dans le texte des deux piéces précédentes : ’échec des illusions, Phistoire barrée, le triomphe de la mort.
Tout d’abord, c’est la premiére piéce o Hugo accepte de donner des classes sociales une image sinon compléte (elle. ne saurait l’étre), du moins aussi peu mythologique que possible, celle ou la comparaison historique joue par rapport 4 un référent non seulement politique, mais social. Les luttes proprement politiques sont renvoyées au second plan. Hugo revient ici au « nibilisme » qui était le sien du temps de Cromwell. Toute la grande tirade de Joshua est le commentaire de cette idée-clef : les conflits proprement politiques sont le yétement
d’autres conflits,
et leur couleur
est celle du néant;
ainsi
se justifie importance, inexplicable autrement, du role de Joshua, inutile sur Je plan strictement dramatique. Sont renvoyés dos 4 dos les dewx partis qui se sont impitoyablement exterminés : « Du diable, dit Joshua, si je sais maintenant pour qui et pour quoi je me battais *. » La royauté n’est pas présentée comme pouvoir arbitral, mais comme tyrannie sanglante et partisane, incapable de résoudre les querelies politiques. Le pouvoir est violent, répressif et sauvage; ses raisons sont sans rapport non seulement avec une justice idéale, mais avec les réalités de l’affrontement politique. Ainsi Phistoire apparait avec son visage de hasard: « Quand une femme regne, le caprice régne *. » Mais la royauté est femme et femme mourante : elle ne peut plus se faire le sujet de Vhistoire. On voit ici clairement comment fonctionne la symbolisation, 4 l'aide d’un personnage-clef et de sa fonction politique. Et du méme coup Vhistoire est réduite 4 de basses histoires de favoris et 4 d’aveugles massacres de privilégiés. A proprement parler, V’histoire n’a plus de sens, elle est en panne et la question se pose de savoir qui prendra le relais de la royauté pour lui redonner son mouvement. 50. Marie Tudor, I, 2, 0.€., IV, 778. 51, Id., 1, 1, ibid., 776.
UNE
SYMBOLIQUE
DU
RECIT
603
Ainsi se trouve posé le probléme des classes sociales : quel groupe peut prendre la suite de la royauté moribonde ? L’aristocratie apparait comme une collectivité faible, attachée 4 la royauté sans pouvoir lui rester fidéle, mise en péril par le caprice d’une reine imprudente et désertée
de son
énergie, et méme
de ses
antiques
vertus
féodales ;
elle se garde de soutenir aveuglément la royauté, prise qu’elle est dans ses contradictions : menacée par le pouvoir royal, elle ne peut subsister que par lui. Sa mollesse dans le conflit, et surtout sa dépendance par rapport 4 un Simon Renard, indiquent assez nettement sa situation de décadence. Pour la premiére fois la bourgeoisie apparait, avec son statut de bourgeoisie, nullement confondue avec la fournée des oppresseurs et des privilégiés féodaux — avec son roéle aussi, et quel réle, — celui de meneur du jeu. Toute la fable tourne autour de Vintrigue de Simon Renard au nom significatif, quoique historique ; c’est a Ini, ne l’oublions pas, que revient le dernier mot, dénotant avec la plus grande clarté sa vocation et sa volonté de reléve, au détriment de ja royauté : « Qui a osé 2... — Simon Renard. — Moi. J’ai sauvé la reine et l’Angleterre. » La bourgeoisie apparait comme la classe qui manceuvre a ses fins toutes les autres classes sociales, et a laquelle la royauté obéit en définitive, non sans protester, mais sans avoir apparemment les moyens d’une opposition efficace. Enfin, la substitution de l’intérét et de Vargent aux motivations politiques apparait non seulement grace au
personnage
de Simon
Renard,
mais par
la scéne
du Juif, ot trés
clairement le sort de la couronne d’Angleterre est suspendu aux intéréts d’opérations commerciales et financiéres. Quant au peuple, il apparait sous deux formes, celle d’un personnage et celle d’une masse anonyme ; le personnage, !’ouvrier Gilbert (ouvrier d’ « élite », il est ciseleur), se montre
a la fois comme
valorisé dans son caractére de détenteur de toutes les valeurs morajes et comme caractérisé par sa haine des privilégiés ; il participe a la lutte des classes ; il s’éprouve comme opprimé, doublement : on lui vole sa vie privée, et on fait peser sur lui la responsabilité du meurtre
du Juif ; enfin, il est indiqué comme
le salarié, ’!homme
qui
recoitde l’argent, un argent qui assure A peine sa subsistance. A la fois montré et idéalisé, il est pris en compte, proprement mécanisé a la fois par la bourgeoisie et par la royauté, dont il devient l’otage et Vinstrument ; la mort est pour lui Ja rancon
contre
l’ennemi
de
comme
autonome,
classe.
mais
Autrement
encore
attendue de la vengeance
dit, il n’apparait
comme
nullement
le jouet des autres, et ne trou-
vant son étre que dans l’amour et le sacrifice d’amour. Le peuple surgit dans la piéce sous une autre forme, indirecte, celle des cris et des flambeaux par lesquels la « populace » de Londres réclame la mort du favori: il est ’émeute anonyme, violence aveugie, poussant des cris de mort, non pour la défense directe de ses _ propres intéréts, mais pour la mort du plus représentatif de ses oppresseurs. Brutalité inconsciente *, représentée par cette image de mort que sont les flambeaux
illuminant
la ville pour l’exécution
du favor,
il n’est pourtant jamais dévalorisé, mais si Pon peut dire glorifié par 52. « Je vais ouvrier
comme
lui crier
eux,
et que
qu’on
le trompe
ce n’est pas
(le peuple),
Fabiani
et que
c’est
Gilbert,
» (III, II, 2, 0.C., IV, 849).
un
604
LE ROI
ET LE BOUFFON
les cris de haine que pousse A son encontre la reine criminelle *. Mais lA encore son action, pas plus que celle de Gilbert, n’est indiquée comme autonome ; la révolte populaire est « parachutée », attisée par Simon
Renard, pour faire pression
sur la Reine.
On voit comment la fable peut étre le miroir de la révolution de Juillet : y est montré comment la bourgeoisie, avec l’appui d’un certain nombre de membres de la vieille aristocratie effrayée par les erreurs de la monarchie, suscite ]’émeute populaire avant de la confisquer A son profit *. La révolte est arrétée par la bourgeoisie qui la désarme 4 l’aide de capitulations calculées, la force populaire se dispersant dans de vaines manifestations de fureur (tel le sac de l’Archevéché lors du procés des ministres de Charles X). Il est impossible
que les spectateurs ne pensent pas a cette révolution populaire confisquée, 4 ces menaces de mort, bien inefficaces : ce qu’on risque surtout de servir au peuple, c’est la téte de l’un des siens. I] n’est pas jusqu’au changement de dynastie qui ne soit indiqué dans Marie Tudor, grace aux allusions 4 Vattente d’Elisabeth, prétendant au tréne. Le grand vainqueur, dans la piéce comme dans Vhistoire, c’est le bourgeois. Loin d’étre, comme le voudrait J. Massin, un « serviteur
efficace d’une cause juste et populaire », Simon Renard apparait le triomphateur cynique, celui qui a attisé ’émeute pour asseoir sa domination *. Quant au peuple, quelle lecon tirer de son aventure ? Que Valliance avec la royauté, comme avec l’opposition, ne lui profitera jamais, qu’il se retrouvera toujours bafoué, frustré ou tué par des forces dont la violence populaire n’est pas encore maitresse. Ainsi, malgré la survie aléatoire de Gilbert, ce qui est montré ici, c’est l’apparition des grandes forces historiques, supérieures au vouloir des individus, surtout royaux, et le triomphe de la classe bourgeoise. Triomphe présenté de facon mythologique, puisque n’est mis en lumiére que de facon marginale le moyen économique de la conquéte du pouvoir, relayé ici par le simple pouvoir de l’intrigue. Ce n’est pas une analyse, c’est une vue symbolique. Les contemporains ne s’y sont pas trompés : ils ont vu que Hugo dans cette histoire d’une révolution manquée, non seulement chantait le thréne funébre de la royauté — de toute royauté — mais montrait le triomphe cynique de la bourgeoisie, la défaite du peuple, a peine rachetée par sa victoire « sentimentale ». L’allusion 4 la répression des. émeutes populaires contre la royauté, ce triomphe du néant qu’est la victoire de quelques intéréts particuliers (celui de Simon Renard, entre autres), autant d’éléments qui n’ont pas échappé. Cette vue politique et sociale ne peut que mécontenter tout le monde : les ultras et les gouvernementaux, par la perspective pessimiste sur l’avenir de la royauté, les libéraux par l’avertissement qu’il donne au peuple, la vue cynique du triomphe de la bourgeoisie, la justification de la violence populaire (jusque dans la volonté de mort), idée fort contraire 4 la mythologie libérale du peuple « sage » et « civilisé* >. 53. « Oh!
le peuple ! (...). Ville monstrueuse
le sang et qui tient la torche
au bourreau
»
qui trempe
sa robe
(ibid., 846).
54, V. Ill, I, 4 (0.C., IV, 827-828).
Essayons 55. V. Il, I, 4 (0.C., IV, 828) : « S. Renanp. — REINE. — (...) Cet homme est capable d’émouvoir quelque sédition.
56. On ne s’étonnera pas de voir Hugo dans
refuser de plaider
des
pour
la vie des ministres,
eriminels ; 4 propos
de
V’abolition
de
la seconde préface
tandis
qu’il réclame
la peine
de
mort,
du »
de féte dans ‘
peuple.
La
au Dernier Jour
la vie du dernier
il dit
+: « Si on
.
UNE SYMBOLIQUE
DU
RECIT
605
Au reste, on ne peut dire que l’ambiguité idéologique soit abolie dans Marie Tudor. On peut supposer sans grand risque d’erreur, que le salut de Gilbert est une concession 4 Vidéologie libérale. La mort du héros populaire efit fait scandale, un scandale allant bien au-dela des mouchoirs trempés, des larmes versées par les Ames sensibles, quoique l’attendrissement aussi soit idéologique. La survie de l’homme du peuple nourrit l’espérance dans une issue heureuse, une perspective de progrés. On sait que Hugo ne s’y est résolu qu’a la derniére seconde,
écrivant
tout
d’abord
la mort
de
Gilbert,
conforme
4 la
logique idéologique de la piece”. Mais les choses ne sont pas simples: la mort de Fabiani, avant d’étre l’exécution d’un privilégié scandaleux, est la punition d’un roi déguisé, d’un roi de carnaval que son démasquage entraine jusqu’a la mort. En ce sens, la dépossession de Fabiani annonce celle de Ruy Blas. Ensuite l’ambiguité sur le sort de Gilbert subsiste 4 la fin de la piéce. Rien ne dit qu’il soit sauvé, et J. Massin a sur ce point raison: « Gilbert survivant demeure condamné a mort *® >. Ruy Blas et le mythe de Cain. Ruy Blas offre sans doute la plus riche combinaison de schémas. Plus que toute autre piece, celle-ci est une parabole historique combinant un mythe,
celui de Cain, et une
histoire, celle de la décadence
de la royauté et de son relais possible, non par le peuple, mais par Yhomme du peuple. Ruy Blas est une parabole de la Révolution. 1° L’Homme du peuple au pouvoir. ll y avait présence du peuple dans Marie
Tudor
(Vouvrier
Gilbert)
mais
non
rdéle politique
de
Vhomme du peuple ; Hugo franchit dans sa nouvelle piéce® un pas de plus : ’homme du peuple passe de la fonction d’objet ou d’adjuvant 4 celle de sujet de histoire. Mais il ne peut le faire qu’a la faveur du masque. Le passage du héros de l’espace B a l’espace A se fait par le déguisement, par la contrebande. Ruy Blas ne se fait pas sujet de Vhistoire, on le fait tel, Salluste d’abord par l’imposture, la Reine ensuite, par l’intrigue. Et s’il passe en position de sujet, ce n’est pas en tant qu’homme du peuple, c’est en tant que faux privilégié. Ainsi se trouve-t-il revétu
d’une
double
identité, et si l'on peut dire, d’une
double fiche sociale, dont son éducation est déja le signe (orphelin + élevé dans un collége). Or ce passage par la contrebande est la condition de son réle historique : de méme que les valeurs B ne peuvent vivre que si elles se retrouvent en A, de méme l’Homme du Peupie ne passe de l’état de zéro a l’état du chiffre, comme le dit Balzac, que avait proposée, cette souhaitable abolition, non 4 propos de quatre ministres, tombés des Tuileries 4 Yincennes, mais a propos du premier voleur ‘de grand chemin venu, a propos d’un de ces misérables que vous regardez a peine (...) oh ! alors votre séance efit été vraiment digne. grande, sainte, majestueuse, vénérable. » Tout Wee abe) apparait comme un commentaire avant la lettre de Marie Tudor (0.C., 1V,
57. Voir
ire partie, chap. Marie
Tudor,
p. 204.
58. Note, 0.C. [V, 847. J. Massin parle avec beaucoup de pertinence de « l’ambiguité que sa conscience (celle de Hugo) conserve jusqu’a la fin devant le mystére du double ». [1 a parfaitement raison, A ceci prés que le mot de conscience parait ici inadéquat. Cette explication n’est nullement exclusive de la lecture idéologique : on peut parler ici de surdétermination. Nous mémes, qui avons déja rencontré le double, allons le retrouver a propos de Ruy Blas.
59. Voir plus haut, p. 456-457.
606
LE ROI ET LE BOUFFON
par cette insertion
dont le signe est Je changement
peut étre efficace que dans
le cadre
de l’espace
de nom.
Il ne
de Ja puissance,
de
Vordre social. Ce n’est donc pas en tant que peuple qu’il s’introduit dans l’histoire, mais en tant que transfuge. Le grotesque populaire est donc en Ja personne de Ruy Blas camouflé, jusqu’A sa réapparition finale au dénouement. Quant au grotesque visible, dont Hugo sent bien la présence indispensable 4 tout drame du peuple, il est renvoyé au non-peuple, a ce camouflé inverse qu’est V’aristocrate tombé dans le peupie, au rang du prolétariat dégradé par le vol et la mendicité. 2° Cain et le Mal historique. Entrer dans V’histoire, c’est entrer dans le mal et le malheur ; insertion dans Vespace de Ja puissance correspond a4 linsertion dans Ja mort. L’histoire est présentée chez Hugo comme un espace dans leque] on pénétre, non comme un champ couvrant toute Pactivité humaine ; histoire n’est pas une totalité, elle est un espace limité dont ne font pas partie ceux qui se trouvent dans Vombre ™, Mais par une inversion trés naturelle, ’espace de la lumiére historique est en méme temps lieu du mal. En un sens on n’y pénétre que par la violence et l’usurpation. Non que nous puissions identifier totalement lV’espace historique avec l’espace A, mais ils forment deux ensembles dont les surfaces se recouvrent pour une trés grande part. Le mal historique apparait dans le théatre de Hugo comme relativement indépendant des époques précises : ainsi d’autres époques peuvent étre la figure de l’époque contemporaine, a condition que les homologies fondamentales soient apparentes : la situation de « décadence » qui est celle de la France de Louis-Philippe peut étre figurée par, la situation
de l’Espagne
a la fin du xvu® siécle *, non
seulement
parce gue la royauté fait dans les deux cas assez piteuse figure, ni méme, raison plus grave, parce que dans les deux cas on cherche qui peut prendre le relais de cette royauté exsangue *, mais parce que les
rapports de Viadividu, et particwié¢rement de Vindividu-homme du peuple et de V’histoire, se trouvent étre les mémes. L’-homme du peuple, propulsé dans Vhistoire, est pris dans le mal et la mort comme une mouche dans une toile d’araignée. Or il est un mythe par lequel Hugo désigne l’articulation du mal historique et du mal individuel, c’est-a-dire cette fatalité qui fait de Vhomme un coupable et/ou une victime “. C’est le mythe de Cain, Ih permet 4 Hugo de tenir le mal de la conscience individuelle, le mal « moral », issu des « passions », comme l’envers du mal historique, celui qui promeut les hommes dans le mal social, Vinjustice et la violence ; fatalité individuelle, fatalité historique étant comme lenvers et ’endroit de la méme
trame, Cain et Abel sont autant victimes de la
division du travail qui fait de l’un un pasteur, de ’autre un laboureur, que de la jalousie fraternelle. 60. Sil nous est permis de nous eiler, « en fait, il utilise un nom qui n’est pas le sien, mais qui a déja servi, un vieux nom fatigué et dédoré, un nom en pleine décadence, et dont le légitime propriétaire s’est débarrassé ; c’est une guenille qu7il ramasse dans un fossé » (R.B., éd. crit., p. 81). 1. Cf. Breeht, POpéra de Quatr’ Sous, 62. Voir ire partie, chap. Ruy Blas, p. 484-485 et R.B., éd. erit., p. 47-50. 63. Si Pidéologie de Hugo élait si proche de Vidéologie hourgeoise (libérale ou non) on he voit pas pourquoi il irait chercher qui peut prendre le relais histori~ que de la tet ehacun sait bien que c’est la bourgeoisie (argent + meérile), Cf. Balzac. le Médecin de Campugne, passim. 64, Voir chap. Jumeaux, p. 523
UNE SYMBOLIQUE DU RECIT
607
Fable exemplaire, puisqu’elle suppose en-deca du fratricide, de la violence du criminel, une injustice préalable, un crime inexplicable, la préférence injuste du Pére divin pour l’un des freres — image de la fatalité porteuse de mort, de Vinjustice radicale de Vhistoire
humaine.
Or dans la fable, la victime (Cain, veux-je dire ®), celui con-
tre qui a joué l’élection divine, ne peut qu’agir pour rétablir Péquilibre rompu par le Tout-Puissant, et restaurer la justice par la violence. Ainsi est-il conduit au fratricide, qui est — nous le savons depuis Freud — un parricide déguisé. Toute racine biographique évacuée ®, le mythe cainique apporte a Hugo la possibilité de figurer la violence absolue, celle qui fait tuer le frére par le frére, avec cette réserve que la violence premiere, c’est celle de l’injustice primordiale, celle du Pére, de la Loi (sociale). Ainsi
la réponse de curence, dans par la survie que Ruy Blas faute directe
la violence est-elle inévitable, sinon légitime. En l’ocRuy Blas, le fratricide est occulté par Vignorance (et possible de César de Bazan); il n’en reste pas moins a « liquidé » son « frére », s’est substitué a lui , par la du Pére ; par ia méme, il est acculé a Pétape d’aprés,
celle du meurtre
du Pére.
Dés
le schéma
de base,
cainique,
se trou-
vent inscrits le rachat et ja justification de la violence révolutionnaire. Le mythe cainique est présent dans tout le théatre de Hugo, presque toujours caché, mais actif : la mort arrive quasiment toujours par Je truchement du frére ou de !’ami fraternellement aimé: Didier et
Saverny, Gennaro et Maflio, Ruy Blas et Don César” >, avant qu’apparaisse le meurtre évident du frére : fratricide involontaire de Louis XIV, cause
de la mort-vivante
de son jumeau,
fratricide
volon-
taire, A la fois individuel et historico-politique dans les Burgraves. Or qu’est ce mythe, non seulement dans la pensée de Hugo, mais dans la lecture que peut en faire son temps, sinon la révolte contre
YOrdre et la Loi, révoite conduisant au meurtre de VAutre, de celui qui est Autrui, le frére. Toute violence révolutionnaire est, en ce sens,
cainique ®, Sur ce point la position de Ruy Blas est particuliére : au départ, il n’est pas fait Cain par le Pére ; il serait Cain par la position humili€e et par V’envie qui le posséde ® >is, mais soudain il est fait privi65. Tel le Satan
de la Fin
de Satan
le Jumeau
crie
:
Jamais pour déployer mes ailes dans les cieux, Jamais, pour m’envoler fier, dans l’azur splendide, Je ne pourrai te rompre, affreuse chysalide | Et Vapaisement quand apparait 66. Nous
O rage ! du Jumeau devant le chant d’Alix préfigure le sommeil lange Liberté : « Son approche endort tout dans mon Ame fatale. »
avons
suflisamment
vu
(ire partie,
chap.
Ruy
Blas,
p, 382), importance de cet aspect autobiographique, pour que sés a n’en pas tenir compte ici. La biographie rend compte de non de son usage, 67. Il n’est pas impossible de retrouver ici un autre récit substitution de Jacob A Esai. 67 bis Voir supra, p. 492. 68. Cf. Mis. V, 1. 8. Sur la barricade, Combeferre parlant rie qu’ajuste Enjolras : « ll pourrait étre ton frdre. Il Vest, supra, p. 506. 68 bis. « Et puis je suis de ceux Qui passent tout un jour, pensifs et paresseux, Deyant
quelque
A regarder
palais
entrer
regorgeant
et sortir
des
de
richesses,
duchesses.
» O.C.
de
Satan
p. 822 et Jumeaux,
nous soyons autoril’existence du théme, biblique,
celui
de
la
de Vofficier d’artilledit Enjolras, » Voir
V, 688
(I, 3).
608
LE
ROI
ET
LE
BOUFFON
légié par opposition 4 Don César, il devient Abel. Ou plutét il est appelé A en jouer Je réle en se faisant le complice d’une injustice plus grande,
a la fois Abel, le privilégié, et Cain, le fratricide.
Il n’a
donc pas cesssé d’étre Cain, et toute la piéce est histoire de la récupération, de la revendication du réle de Cain, jusqu’a la violence et au meurtre.
3° L’illusion du réle historique et la Parole du Peuple. Ruy Blas, par une fantaisie. par un caprice de la Puissance, s’est retrouvé du et de J’autorité. Il a franchi la barriére invisible, celle
cété de ordre
du Nom, et se trouve a son tour, revétu de la puissance. Il peut Vexercer, puisqu’il est caché derriére le nom et le titre qui permettent de s’en servir. Et tout l’acte IJ] montre Homme du Peuple ayant accédé au pouvoir, et tenté d’en user. La question qui se pose n’est pas « comment agir? », ni méme « quoi faire? >, mais . Ainsi pouvons-nous expliquer le paradoxe du drame historique qui nie le discours historique, et son corollaire, l’impossibilité pour Hugo d@écrire un drame historique contemporain : il n’écrira pas le Repaire de la Guérilla. Le drame historique ne peut se comprendre que comme le signifiant de la mort de Uhistoire. Un drame historique contemporain correspondrait a V’illusion bourgeoise d’un avenir de la société bourgeoise, avenir de progrés immédiatement inscrit dans sa continuité : en ce cas, le passé ne peut étre qu’antérieur a la révolution, image de la préparation d’une révolution ultérieure. Ainsi s’explique le goat hugolien pour le xvi et surtout pour le xvu® siécles : dans la mesure ot le drame ne peut étre que l’image de ce qui est de l’histoire dans la société contemporaine, Hugo ne peut se reporter qu’a ce qui s’écrit dans une certaine proportion au présent; le Moyen Age est trop loin d’une perspective, le xvii" siécle inscrirait dans le:drame une situation pré-révolutionnaire dont il sait trés bien qu’eile est hors de question a instant ou il parle: seule, Vépoque de I’ « Ancien Régime » (et surtout le xvi" siécle) peut indiquer la présence d’une situation révolutionnaire, mais en la rejetant dans un futur qui n’est pas un futur proche : « Faits qui se reproduisent A deux cents ans dans Vhistoire ® ». La position classique de — Hugo est aussi loin d’un progressisme libéral qui, affirmant Vavenement sans secousse
du futur, nie Je recours
4 la violence
révolution-
naire, que d’un conservatisme qui éternise les structures. La société quil vit est résolument inapte a porter l’avenir de Vhistoire et le JePeuple ne peut étre aflirmé qu’en prospective, sujet d’une histoire future. Ainsi cette Histoire qui a propulsé le Je-Hugo dans la vie mais ’a irrémédiablement fissuré, ne peut se penser que dans la mort, Et peut-étre faut-il la robuste santé psychique de l’écrivain Hugo pour qu'il ait pu accepter de penser et de dire Vhistoire comme lieu de mort— et qu’il ait pensée comme tel, sans exclure l'avenir, mais sous 84, Lacan,
Ecrits
I, Points,
1970, p. 202.
7 85. Ibid., p. 203. eette $6. Au cas ou Von croirait A une extrapolation arbitraire de notre part,centrée note de Hugo viendrait nous justifier, donnant une liste de ces reprises, caractére le sur doute de plus n’avons nous mais de Cromwell/Napoléon,
autour général de la remarque quand nous voyons Hugo ajouter : « en (Ms, 24791, fo 151, cote 115/278, date ineertaine, avant l’exil).
citer
d’autres
>
—
UNE
SYMBOLIQUE
DU
RECIT
617
la condition de la violence. La fameuse phrase de la préface de Ruy Blas, « le peuple qui a l’avenir et n’a pas le présent », ne peut se concevoir que dans sa liaison avec l’épée sanglante dans le flanc de Salluste, avec le Satan futur dont le sommeil ouvre la prise de la Bastille. C’est Cain qui écrit histoire, et, pour l’instant, il ne l’écrit que dans la mort. Ainsi comprenons-nous pourquoi le discours historique est subverti par la mise a plat de la fable dans Lucréce Borgia, par exemple, ou par l’absence du Je qui fait histoire dans le Roi s’amuse, Marie Tudor ou Ruy Blas.
L’histoire ne peut ni se parler ni s’écrire, il n’y a pas de discours ni de récit ot elle puisse s’investir sans parler sa propre mort. Corollaire ; le peuple n’a pas écrit histoire, ni pour soi, ni pour les autres, contrairement a ce qu’affirme la thése bourgeoise libérale 4 la Michelet ; et les moyens ne sont nullement mis en place pour qu’il l’écrive. Il faut donc propulser sur Dieu le sujet de l’histoire : le discours historique devrait étre discours de Dieu. Mais toute l’écriture des drames hugoliens a déjA proclamé la fonction négative de la divine pro-
vidence en tant que parlant l’histoire. Si Dieu est, Dieu est ailleurs. Il faut done donc projeter dans le futur la résurrection de Vhistoire, attendre le moment ot le peuple se fera sujet de l’histoire, justifiant enfin le discours poétique du Je-écrivant. iin attendant, ce qui peut s’inscrire, c’est le manque, la décapitation-castration, la violence du Je-Caliban qui, n’ayant pas droit a la Parole libératrice, ne parle encore que par contrebande. Les Jumeauz et le silence de Hugo.
C’est aussi la mort de l’histoire en méme temps que la mort du thédtre de Hugo qui se lit dans la fable bloquée des Jumeaux. De Vinachévenient de Voouvre, nous avons donné trois explications qui n’ent font qu'une : les trois lectures indiquent la méme démarche @arrét, 1) Au niveau de la « structure » dynamique, le texte se signale par son caractére statique : nul ne sort de son espace, nul n’y rentre, La « rentrée » du comte Jean, son retour d’exil est une fausse rentrée. Entre
le début et la fin, rien n’a changé
dans
la situation
et les rap-
ports des personnages. 2) Les Jumeaux marquent du point de vue du sujet grotesque une sorte de retrait par rapport 4 Ruy Blas: il n’y a pas de grotesquepeuple. Malgré son déguisement, le sujet-Jean est un aristocrate « marginal », un revenant comme César de Bazan, et pas plus que lui il ne peut étre un libérateur. Le grotesque est ici un camouflage, non une assomption. La situation triangulaire de Jean de Créqui — Alix — le Jumeau préfigure le triangle Jean Valjean-Cosette-Marius, mais l’avance radicale du roman se lie au changement de lieu du sujet. 3) La fable symbolique ne permet pas la Conversion-Révolution ; Vhistoire en reste 4 la non-récupération, au tragique pur ; le jumeau
frustré ne peut étre sauvé, et le serait-il que rien ne serait changé A ce monde : il est une victime au sein d’un immense univers de priviléges, Sil prenait la place de son jumeau royal, s’il faisait la politique de la Reine au lieu de servir celle du ministre, la société changerait son cheval borgne contre un ayeugle. Il n’y a pas de lien autre que celui
618
LE ROI ET LE BOUFFON
du vol (d’identité) entre ’histoire du prisonnier malheureux et la féte grotesque du 1° acte.
Les trois schémas symboliques trouvent leur place dans le texte des Jumeaux, mais c’est une place « réduite », la décapitation-castration est relayée par une sorte de mort lente, d’étouffement ; le retour offensif du passé se noie dans la confusion du personnage qui en est 4 la fois le sujet et la victime, le Comte Jean : le jeu de glaces se fait, si l’on peut dire, a l’envers : c’est le passé qui répéte et tache de sauver le présent. Enfin, la violence n’est plus ici qu’un enlévement,
et ce
n’est pas le grotesque qui en est le sujet (tout juste un auxiliaire et un figurant, en la personne de Tagus). Le theme de Cain est gommé non seulement par l’ignorance de |’ « assassin » fraternel (c’était déja le cas dans Ruy Blas) mais par le consentement final de la victime, et le caractére marginal du personnage de Louis XIV, A la faveur de cette réduction la fable historique devient 4 proprement parler illisible: elle ne parle plus qu’une négativité absolue, elle ne dit plus que ce qui
est, non ja vioience mais la néantisation pure : chute de Mazarin dans la maladie et la mort, compromettant du méme coup son ceuvre politique ; échec d’Anne d’Autriche privée de son autre enfant et mal aimée par le roi, échec du comte Jean, échec d’Alix, échec du Jumeau
qui retourne a sa prison. Personne toire étend son ombre définitive. Si le Je du scripteur
montre
ne meurt,
mais
ici, timidement,
la mort de Vhissa
présence™,
la
sanction est rapide ; la mort s’abolit comme violence, mais se confirme en dégradation. La complicité du Je avec le pouvoir lui interdit la violence
mortelle
et salvatrice.
A un
autre niveau,
la transposition
symbolique permettrait de lire l’inutilité du changement de la personne royale, et cette permanence de la violence sociale, ce régne de Vinjustice qui justifie les révolutions. Une absence-présence gouverne et domine tout le texte, c’est la Bastille, ’ombre
immense
de la Prison-
Symbole. Mais a proprement parler, ce symbole ne pourrait étre lu clairement par le spectateur: la fable demeure a la fois personnelle et opaque. Ce sont les conditions mémes du théatre qui sont mises en question. Plus que jamais se lit ’inadéquation de la Parole : parole masquée par le jeu, quand c’est le comte Jean qui parle par la bouche de Guillot-Gorju, parole occultée par la mort quand Hugo pose la plume au milieu du monologue de Mazarin mourant. Ce monologue interrompt l’écriture du théatre de Hugo. Les Burgraves, comme I’a bien montré M. Albouy ®, ressortissent 4 une autre période, 4 une autre esthétique, nous ajouterions 4 une autre vue de Phistoire ou se récupére une vision impériale et providentialiste, une image mythologique de l’avance historique, que démentira tragiquement l’expérience politique 4 quoi le 2 décembre met un point final.
87. Voire 88. Voir
ire partie, chap. Jumeaux, P. Albouy,
La création
p. 565.
mythologique
chez
Victor
Hugo,
p. 182-183.
CONCLUSION
LE THEATRE
EN QUESTION
« Si le théatre n’a pour objet que d’étre le commentaire, méme « dialectique », de cette reconnaissance-méconnaissance immuable de soi — le spectateur connait d@avance la musique : c’est la sienne. Si le théatre au contraire a pour objet d’ébranler cette figure intangible, de mettre en mouvement l’immobile, cette immuable sphére du monde mythique de la conscience illusoire, alors la piéce est bien le devenir, la production d’une nouvelle conscience dans le spectateur. » Notes
ALTHUSSER, Pour Marz. sur un thédétre matérialiste,
Maspéro,
1965, p. 151.
Sil existe un auteur dramatique qui ait voulu « créer son public >, modifier le spectateur, ébranler la vue qu’il avait du théatre et du monde, c’est bien Hugo’. Il a refusé la tragédie, « ses conditions et sa dialectique tout entiéres réfléchies dans la conscience spéculaire d’un personnage central? >, la tragédie et ensemble d’un théatre demeuré classique par cette réflexion « de son sens total dans une conscience * >. I] refuse les trois tendances du théatre de l’époque, la comédie-drame
bourgeoise,
lieu
des
illusions
unificatrices
de
la
conscience bourgeoise. le drame romantique a la Dumas, ow se déploient les mystifications de Vidéologie libérale, le drame_historique, illustrant les progrés du Tiers-Etat dans sa lutte contre l’aris_tocratie et les turpitudes des Grands, forme dérivée du mélodrame. Mais il ne se peut qu'il ne soit pris dans ces formes qui sont celles de son temps et du public qui lui est, si ’on peut dire, « livré >. Aussi le théatre de Hugo, principalement dans les années oti il 1. On sait comment _
deur
: Hugo
e’est
un
leit-motiv
ne veut pas plier devant
. A pean op. cit., p. 144, . Ibid.
de la critique
le public, mais
e’est de faire un public, il le proclame
que
Vaccusation
de rai-
le plier A lui. Sa tache avouée,
(voir ire partie, p. 88).
620
LE ROI
ET LE BOUFFON
prend conscience de cette lutte désespérée pour et contre un public, est-il le lieu des contradictions, installé dans un paradoxe qui n’a pas fini de nous égarer. Paradoxe d’un théatre historique qui met en péril le discours de Vhistoire ; d’un drame du héros romantique qui détruit le moi de V’individualisme bourgeois et le réduit a l’épaisseur d’un masque ; d’un théatre du discours qui est thédtre de la parole vaine et de Vobjet signifiant ; d’un théAtre de l’idéologie libérale qui se retourne contre elle pour la vider de l’intérieur ; d’un théatre célébre et ignoré, joué et vefusé. A ces paradoxes nous en ajouterions volontiers un autre : ce théAtre, qui apparait 4 premiére vue typique de I’ « identification >, est en méme temps un théatre de la distance, un thédtre épique, au sens brechtien du terme. Hugo dramaturge aujourd’hui. Rien d’étonnant que Hugo ait voulu écrire pour le théatre puis ait renoncé. C’est une tentation trop grande que celle de faire repasser V’écriture en parole, méme quand cette parole ne peut parler que Vinnommable,
l’inacceptable*.
Mais
4 un moment
la tension
éclate, la
patience échappe, la fatigue s’installe — de part et d’autre. Le théatre de Hugo n’était pas « de son temps ». Non seulement il se débat, comme un géant enchainé, contre les conditions matérielles qui sont faites 4 son drame, mais il tente d’imposer, vaille que vaille, les instances d’un théAtre nouveau : la conversion (le changement des personnages — du fait de la mort, par exemple), la non-cohérence psychologique, Vinterpénétration des personnages, la présence des objets, la symbolique des étres et des choses, et par-dessus tout peut-étre la violence. Mais pour faire ce qu’il veut, il accepte totalement les conditions du théAtre de son temps, théAtre 4 grands acteurs, 4 mise en scéne. Qu’on n’imagine pas la des concessions du style « marchandage » : si tu me Jaisses jouer ce que je veux, j’accepterai pour le reste les régles du jeu! C’est une autre démarche ; Hugo ne marchande pas: il s’agit non de se réduire, mais d’obtenir ce qu’on veut en faisant sauter le verrou, en allant au-deld de ce qui est requis, par une sorte de surenchére, de politique du pire. De la la difficulté a présent non seulement A interpréter Hugo, mais plus encore a le jouer;
comme
si l’on
ne
savait
comment le situer par rapport notre temps.
s’il est en
aux
avance
grands
ou
courants
retard,
ni
du théatre
en
de
Un thédtre épique. On ne peut faire de rapprochements rieur, et dont les conditions
sont autres.
avec un théatre bien postéMais
devant
le divorce
qui
s’installe entre Hugo et le théatre de son temps, le théatre de I’ « iden4. tl y a une
différence
radicale,
on
le sait, entre
Vécriture
romanesque
par
exemple (ou poétique) et Vécriture dramatique qui s’inserit dans le monde, et Vinfléchit nécessairement, parce qu’elle est une pratique matérielle. Les critiques du temps, naivement, refusaient A Hugo, au thédtre, ce qu’ils voulaient bien accorder
au texte destiné a étre lu :; on veut bien vous
lire, on ne veut pas vous
voir.
LE THEATRE
EN QUESTION
621
tification », force nous est de nous demander quel est le sens de cette rupture, et dans quelle direction peut aller la libération de Hugo, si elle va, a parler grossiérement, vers l’onirique ou vers le didactique. Or ce qui est remarquable, c’est qu’elle va dans les deux sens 4 la fois. Les rapports entre la dramaturgie de Hugo et un « théatre épique » au sens brechtien du mot sont évidents. Tout d’abord, Hugo lui-méme fait la théorie de la valeur didactique du théatre ; nous en avons vu trop d’exemples pour y revenir; ce que contiennent les drames, selon lui, c’est toujours
« une pensée sérieuse
», une réflexion
« consciencieuse » ; le théatre doit dire quelque chose qui « fasse réfléchir® ». Confirmation : les critiques insistent sur le caractére drame
du
voulu,
artificiel,
autres
entre
hugolien;
exemples
une
phrase de J. Janin A propos de Lucréce Borgia: « Si elle n’arrive pas toujours aux émotions du cceur, elle émeut toujours la curiosité®. » On connait la définition lapidaire que donne W. Benjamin du théAtre épique: « L’art du théatre épique, au contraire consiste a provoquer |’étonnement au lieu de Videntification’. » Le lecteur a pu voir au passage tous les procédés hugoliens de distance (la célébre Verfremdung brechtienne), de non-identification. Ainsi l’ « invraisemblable » psychologique ; le public est révolté non seulement par le comportement de Lucréce Borgia, mais par celui de Triboulet ou de Ruy Blas; il est impossible au spectateur de se dire devant la scéne du mouchoir entre Ruy Blas et don Salluste : je suis comme cet homme-ld, puisque justement je ne suis pas comme cet
homme-la ; il est le monstre, « lieu des contradictions qui constituent notre société’ ». Contradiction figurée par toutes les oppositions entre le gestus et la situation, la condition, la parole, dont nous avons
chez
Hugo d’innombrables exemples®. L’homme est aussi lieu des métamorphoses : pour Hugo comme pour le théatre épique, « ni "homme ni le monde ne sont des entités mais des réalités éminemment changeables™ », méme si le changement est encore affecté chez lui du signe de la négativité. De la également la dramaturgie par 4a-coups, ces ruptures dans l’action que l’on a tant reprochées 4 Hugo, et qui se présentent soit sous la forme de discours, soit sous celle de ces entr’actes chargés de l’épaisseur de la durée ou de la réflexion sur Ja mort: « La fonction principale (du texte), dit W. Benjamin commentant Brecht, consiste dans certains cas 4 interrompre I’action au lieu de V’illustrer et de la faire progresser™. Le théatre épique progresse par a-coups”. » C’est briser la continuité affective pour contraindre le spectateur a s’interroger sur le sens méme du drame. Arréter l’action, c’est aussi dans le théAtre épique moderne se servir 5. Mais
Vaffectivité
faut aussi émouvoir 6. Jules
Janin,
est aussi
requise,
surtout
la foule et les femmes. Critique
Dramatique,
dans
la Préface
p. 115.
7. 8. 9. quant
W. Benjamin, Essais sur Brecht, trad. P. Laveau, Ibid, p. 28. Sur ce point, on peut tout citer, la yulgarité de devant les jeunes gens mourants, celle de Marie
scéne
de
Ruy
W. Benjamin,
Blas
et de
don
Salluste
(le mouchoir
op. cit., p. 37 : « Dialectiques
et le
Maspéro,
Ruy
Blas : il
1969, p. 29.
Lueréce Borgia se démasTudor devant sa cour, la «
sont en premier
salut
de
l’Espagne
lieu les rapports
vants : celui du geste avec la situation et vice-versa (...) » etc. 10. Bernard Dort, Thédtre Public, Seuil, 1959, p. 154. 11. W. Benjamin, op. cit., p. 10.
12, Ibid., p. 52, -
de
C’est le plaisir brechtien.
le Drame,
»).
sui-
622
LE ROI ET LE BOUFFON
de tableaux ou de projections qui sont impossibles au dramaturge romantique ; mais Hugo, lui, a la ressource du décor signifiant, du tableau historique (la scéne entre les conseillers dans Ruy Blas). C’est dans le méme contexte de « dramaturgie non-aristotélicienne » que l’on peut reconnaitre des caractéristiques comme la ré-écriture des mémes
éléments
(les lettres
de Lucréce
Borgia,
la figure absente-
présente du Roi de Ruy Blas ou du cardinal de Marion), et enfin Vabsence de la péripétie (ou son déplacement, sa réduction, sa dispersion). Mais Ja contradiction subsiste ; il ne peut y avoir de vrai théatre didactique « lorsque, dit Brecht, ’homme est regardé comme quelque chose de mécanique, d’utilisable 4 merci, de livré pieds et poings liés * ». Sans doute Hugo ne peut-il atteindre a cette plénitude du dramaturge qui ne se contente pas d’affirmer J’identité du destin individuel
et du destin
collectif, mais
qui montre
comment
s’articule,
se définit et se refait dialectiquement le sort particulier des hommes dans sa relation 4 l’histoire. Et comment montrer ce que devient Vhomme, quand V’homme n’est pas? Le théatre de Hugo est 4 la limite, didactisme du néant. Il est clair que la marche au théatre épique est chez Hugo inachevée, juste assez indiquée pour briser le théatre, pas assez pour le reconstruire. C’est dans Je méme contexte de destruction qu’il faut comprendre le rapport que nous pouvons établir entre le drame hugolien et les theses du théatre de la cruauté. Artaud, qui aimait les grands mélodrames de l’époque romantique, ne pouvait que refuser un théatre comme celui de Hugo ot domine l’écriture poétique, et sa lutte contre le texte se situe diamétralement 4 l’opposé de la tentative hugolienne. Mais les rapports entre eux sont plus grands qu’on ne pense par le refus hugolien de tout thédtre psychologique, par Villogisme du dis-
cours, par la destruction
de Vindividu
et Vinconfort
brutal
qu’elle
entraine, par la violence concréte, contagieuse qui imprégne ces textes (viol,
inceste,
décapitation,
célébration
de
sanglants
sacrifices).
Le
besoin de Hugo de créer physiquement, par son travail de metteur en scéne, un théatre total, ne peut que le rapprocher de ce théatre du geste, du mouvement vécu ; et si ce théatre parait privilégier la parole, nous savons ce qu’est cette Parole Folle et son auto-destruction ».
La encore nous percevons que c’est aujourd’hui seulement peutétre que, instruits par la mort du théatre naturaliste-bourgeois, nous pouvons
lire le théatre de Hugo. Certes, Hugo
il est vaincu dans une dans le domaine
reste 4 mi-céte ; certes,
lutte qu’il n’avait pas les moyens
du théatre
concret
comme
dans
de mener ;
celui de l’idéologie
qui le sous-tend, nous nous trouvons en face d’une sorte de point aveugle ot les progres, le retournement de la situation existante se trouvent sans assise solide, acculés 4 la défaite. 13. Ibid.,
p. 10
: « Le théatre
épique_ a moins
pour
tache
de développer
des
actions que de représenter des états de choses. » 14, Brecht, Ecrits sur le thédtre. Du thédtre culinaire. 15, Cependant Derrida tient pour opposé au théatre de la cruauté « tout théatre privilégiant la parole ou plutét le verbe, tout théatre de mots, méme si ce privilége devient celui d’une parole se détruisant elle-méme ». (L’Ecriture et lu Différence, la Cléture de la Représentation, 8 358.) Et la phrase de Derrida, qui frappe de la méme exclusion « tout théatre idéologique, tout théAtre de culture, tout théatre de communication
(...) donnant
nous rend sensible si on la renvoie interprétation possible.
a lire
le sens
A Hugo,
d’un
Pambiguité
discours
a des
auditeurs
du texte hugolien
»,
et de son
LE THEATRE
EN QUESTION
623
De la les limites de l’ceuvre. Il n’y a peut-étre pas de grand théadtre sans public, et sans ce plein accord avec l’histoire qui fait les Shakespeare. Chose impossible en pleine ére bourgeoise. Et le theatre de Hugo en est la sublime démonstration : l’espérance Jibérale et ’espérance de « devenir Shakespeare » sont la méme espérance. Le texte en montre de facon grandiose le néant. Jl dit la faille, il dit le manque ; mais, ce faisant, il écrit peut-étre sa propre ouverture et celle de l’avenir. Le projet hugolien et sa destruction.
Peut-étre pouvons-nous avoir a présent une idée un peu plus claire de ce qui se passe quand Hugo écrit a partir de 1832 un nouveau théatre, un théatre pour tous, — et quand il cesse de lécrire. Indiscutablement, ce projet est un projet libéral, le relais d’un progrés du « peuple » qui, encore barbare, peut se civiliser — par l’art en particulier, — pour parvenir a l’ewislence. Que Hugo adhére de tout son vouloir conscient a Vidéologie libérale, qu’il se veuille libéral, nous avons vu qu’on ne peut guere en douter. I] se construit une pensée politique et sociale libérale et il pense certainement que son thédtre est une part de ce vouloir politique, de cette action dans le monde qu’est la parole-spectacle. Mais, si déja Ja poésie lyrique, véhicule « direct » des « pensées » de Vauteur
trahit
au détour
de l’écriture
trouve qu’au théatre la démarche
méme
les intentions
de Hugo,
qui constitue
il se
pour Hugo
le
theatre moderne libéral, Valtére et le détruit. Théatre du oui/non de Vintégration, comme tout drame romantique, il transforme la démar-
che d’intégration en processus mortel. La subversion des formes tras ditionnelles devient par son mouvement méme subversion de lidéologie qui les soutient. L’écriture des drames est écriture du NON. En effet, ce que fait Hugo,
délibérément
—
et nous
avons
essayé
de le montrer —, c’est de casser les codes « anciens » du théatre (tragédie et mélodrame) codes qui d’étre deux figurent la division radicale du public et de la société. Casser les codes périmés — ceux’ de la société ancienne, c’est pour lui, en méme temps et inséparablement, construire un public un et renvoyer ainsi 4 une société qui a vocation d’unilé; il passera d’un théatre d’ « ancien régime » au théatre de la démocratie“; mais cette démarche est en fait tout autre : cette subversion des codes « périmés » n’est pas un coup de balai donné a4 des survivances, mais subversion de ce qui est actuellement vivant, de ce qui correspond a l’idéologie dominante ; il se figure —
ou veut se figurer —
qu’il s’en prend a J’antique
perruque
de Louis XIV et de Boiieau, et ce quwil estoque, ce qu’il. s’efforce sans relache de tuer et de retuer, c’est cette hyure a mille tétes, l’idéologie
dominante.
Ainsi la premiére fonction de l’écriture dramatique
dans
16. Ce qu’il veut, c’est retourner le théAtre traditionnel, non-libéral, ancien (tragédie + mélodrame), celui qui signe la division sociale, pour faire fonctionner, par une écriiure nouvelle, une idéologie nouvelle, Vidéologie bourgeoise libérale, celle de ’bomme & la conguéte du bonneur individuel grace a Ja liberté et a Végalité. De 1A les erreurs et les confusions sur la pensée hugolienne, sur Vidéologie du texte, erreurs et conlusions soigneusement entreienues par la constitution dés avant la mort du poéte d’un mythe troisiéme-république, celui du poéte grand-pére-pro-
gressiste,
révant
Dieu
et le Peuple.
624
LE ROI
ET LE BOUFFON
la mesure ot elle est subversion des codes dramatiques contemporains, est de subvertir du méme coup l’ensemble du théatre. Le texte dramatique de Hugo rature la parole théatrale de ses contemporains. Dans
la mesure
ou Hugo,
trés
volontairement,
inscrit
dans
son
théAtre Vidéologie bourgeoise libérale, variante « mythologique » de Vidéologie dominante, destinée au camouflage petit-bourgeois, cette inscription a des conséquences paradoxales ; l’écriture hugolienne pousse en fait 4 leurs extremes conséquences, celles qui sont toujours occultées, les présupposés libéraux. Mettre au premier plan |’Individualité romantique, le Je de la Parole toute-puissante ? Il le fait. Faire participer le Peuple 4 l’Egalité (au moins l’égalité de la parole), le plus immortel des immortels principes de 89? N’est-ce pas son propos ? Exalter la vertu et ses infortunes ? Voici Blanche, Gennaro, Catarina,
la Reine,
Alix de Ponthieu,
le Jumeau.
J’en passe ! Inutile
de reprocher aux commentateurs de Hugo leurs incertitudes. Mais voila! Toutes ces belles intentions explicites sont gachées par cette caractéristique de l’écriture hugolienne, qui est le passage a la limite. A partir du moment ot l’on pousse a bout les présupposés de l’idéologie bourgeoise libérale, elle montre vite les dents, et l’on se rend compte que la démarche esthétique de Hugo et les refus esthétiques qu’on lui oppose sont démarches et refus idéologiques. Ce retournement idéologique pose un probléme : Hugo, certes, n’a ni les bases, ni Jes possibilités d’un renversement théorique de Vidéologie dominante. Il ne la conteste en fait qu’en faisant passer ses mythes au crible de V’écriture ’. De la la fonction de l’écriture des drames : elle est un passage a la limite, et en tant que telle, elle indique le divorce entre l’idéologie « officielle » et ’idéologie réelle, entre Vidéologie et ses faux-semblants. ; ‘ C’est ’écriture du théatre qui fait voler en éclats le confortable compromis libéral, si la prison du Masque est en méme temps celle ou
lon
enferme
scandaleusement
le Voleur,
s’il
n’est
—
outrance
supréme — qu’une seule bastille pour l’un et pour lautre. De ces splendides carnavals de Venise, de ces fétes somptueuses, surgissent les rares flambeaux du réve; Jes grandes architectures nocturnes recouvrent la cave sans fenétre oi Ruy Blas assassine Salluste. Le théatre de Hugo comme plus tard le roman, c’est aller au-deld, jusqu’au moment ot le trop se retourne et montre sa trame. Le grand baroque conduit au dépouillement le plus total, et le « fourmillement » des Misérables 4 la tombe sans nom ou dort Jean Valjean. Le logos bourgeois, dans le gonflement monstrueux de son écriture dramatique, éclate soudain, et la question se pose enfin, la question cruciale : qui parle ? Hugo indique dans l’écriture méme des drames que le probléme premier n’est pas la lutte politique, mais la volatilisation du moi sous les contraintes de la société et de histoire. La pratique théAtrale rencontre ici sa limite, ce renversement, qui n’est pas constitution véritable de rapports nouveaux, mais place vide d’une idéologie absente, — ce point aveugie, ce creux qui figure a la fois la faille de Vhistoire, histoire en panne sur laquelle se ferme en 1839 la dramaturgie de Hugo, et la faille intérieure qui lézarde ce 17. « Pléiade,
Texte
: Dieu;
II, p. 677.
contre-sens
: Royauté.
»
Cont.
V.
3
: Ecrit
en
1846;
LE THEATRE
EN
QUESTION
625
grand bourgeois intégré, le vicomte Hugo. Ce qui est irréparablement compromis, entrainant avec soi l’ensemble de l’idéologie libérale qui bascule
dans
le néant,
c’est le mythe
de l’individu
autonome,
l’auto-
cratie de la Personne. Le Je du dramaturge et l’occultation du sujet. Ecrire pour Je théatre dans la perspective qui est celle de Hugo aux environs de 1832, c’est élargir le Moi individuel aux dimensions de Vuniversel. Pour Hugo particuliérement, c’est restaurer l’unité d’un moi déchiré par les contradictions de la biographie comme par celles, homothétiques, de Vhistoire. La dramaturgie de Hugo est donc au départ une dramaturgie du sujet. Qu’est-ce a dire ? Le cogito du dramaturge : je parle donc je suis doit étre immédiatement corrigé : je parle (moi) (= je me parle) donc je suis. Mais je suis quoi?
Je suis un autre
(un autre qui parle). La réflexivité du
sujet-écrivant abolit le moi dans le temps méme qu’elle le parle, et le cogito se corrige encore: quand je parle, quelqu’un parle. Question clef pour le théatre de Hugo : Qui parle ? Un bouffon ou un roi? Le roi n’a plus la parole; le bouffon ne I’a pas encore. Résultat : qui parle ? Personne, c’est Personne qui parle, Ovrc. Si Jes contemporains ont reproché A Hugo de faire un thédatre poétique,
ils n’avaient
pas tous
les torts:
c’est bien
cette
voix
selon
Valéry Qui se connait quand elle sonne N’étre. plus la voix de personne Tant que des ondes et des bois. Qui est responsable ? Qui parle sans pouvoir parler? Qui a fait le mal? Qui donc? O%::;, ce coupable. Qui d’autre ? Hugo cyclope : Ulysse et Polyphéme a la fois, Roi et Bouffon, Héros et Grotesque. Qui parle ? la Persona, le Masque, le Manque. Si ce qui parle n’est ni le Roi, ni le Bouffon,
c’est la faille entre les deux, le trou a combler,
4 la faveur de cette écriture théAtrale qui est double, dans le monde et dans le texte. Le discours
de l’Ane.
Si ce qui parle c’est le Manque (et nous avons essayé de le montrer, tout au long de ces pages), on comprend pourquoi c’est le peuple qui parle. A proprement parler le peuple n’est pas. Entre les deux acceptions du peuple (peuple = prolétariat et peuple = nation audessus des classes), existe une faille linguistique. I] y a deux facons de la combler: renvoyer A plus tard la parole « réaliste » — au moment ou « le peuple » sera-capable-de-parler. Ou le faire parler tout de suite, sans attendre, poussant 4 son extrémité le présupposé
libéral de ’avénement pacifique du peuple. C’est la solution de Hugo. Son théaire est Ja parole du Je Grotesque. Hugo trouve ainsi le moyen de se détacher du Je lyrique, de trouver la distance par rapport a Pintériorité du sujet sublime ou par rapport a Vintimité du moi. Le Je grotesque a vocation de parler l’innommable, et par 1a, ce qu’il a 4 dire, postule un Je universel. Mais Hugo n’ignore pas que ce postulat est mis en péril par V’inaptitude (historique) du peuple 4 se 40
626
LE ROI ET LE BOUFFON
constituer non seulement en communauté, mais en collection de Je capables de se revendiquer en tant que sujets-qui-parlent. De 1a la nécessité pour le poéte de faire parler le Je le plus inapte théoriquea Ja parole —
ment
et dans
cette mesure
@identifier
(identification
seconde) le je-écrivant 4 ce sujet monstrueux, grotesque. En cela, profondément, plus profondément qu'un autre, expres-
sion de Pidéologie libérale. Mais la détruisant en méme temps. Ainsi la parole du Je grotesque, relais indispensable entre la parole du Je individuel, intime, et celle du Je universel postulé, apparaissant comme
parole artificielle (insertion arbitraire de Ia parole du poéte),
ou comme invraisemblable (miracle de la parole dans une bouche muette), ne rencontre que le refus. Refus du public bourgeois de 1830 pour qui peu importe ce que dit cette parole : le grave c’est qu'elle soit. Inde ira. Mais aussi réticences de tout un public devant un langage volontairement, délibérément irréaliste. La parole du grotesquepeuple finit — nous Pavons assez vu — par n’étre plus la parole de personne. A ce point bute non seulement Pindividualisme libéral — - mais la dramaturgie de Hugo. La destruction.
« Nous tuons qui nous aime >, (Rodolfo a ‘ la Tisbe).
La mise en question du sujet a un corollaire, qui est la destruction simultanée du Je et de l’Autre, cette néantisation mutuelle dont nous avons analysé tant d’exemples. Ce qui est subverti, c’est le rapport & l’Autre, cet Autre qui ne peut étre touché, étre aimé que dans la destruction et la mort. Sur ce point Je scandale du théatre de Hugo n’est pas amorti, Et c'est ce qu'on nomme le mélodrame chez Hugo. Non sans raison. Hugo pousse 4 bout la logique de la pensée bourgeoise, qui fait de lautre un objet de consommation — que lon dévore, que l'on détruit — que l'on ne saurait penser que mort. :Logique sadienne. Nous ne savons ou ni quand Hugo a rencontré la pensée de Sade, quoiqu’il nous paraisse vraisemblable que cette rencontre a eu lieu tot ®. Peut-étre n’a-t-il pas eu besoin de lire Sade pour le renelle. contrer, comme logique de Vidéologie dominante occultée par revenla de légitimité la proclamant Hugo, de cruauié le Inacceptab
dication du monstre et l’anéantissement mutuel du bourreau et de la 19. Peut-étre méme
dés le cabinet de lecture Royol.
« Ne nous y trompons
pas,
Sade est pardit J. Janin dans un article de la Revue de Paris, 1834, le marquis de eaché tout, il est dans toutes les bibliothéques, sur certain rayon mystérieux etdu Mar2uvres aux introd. découvre toujours » (Art. cité per J.-J. Pauvert,
qu’on article décisif quis de Sade, Club fr. du Livre, 1961 et par Cl. Duchet dans son de Sade eran @?Aix-en-Provence, Le Marquis de Sade, A, Colin, 1968) : Pimage
Pépoque romantique). sadiens 5 Il ne serait pas difficile de trouver dans Hugo des thémes typiquement contre la non seulement les arguments contre la peine de mort, et les attaques Ies accents « superstition », mais plus encore Fapologie du vol dont on entend sion du plaisir, ex @humour noir dans les Jameauz et la dialectique mortelle : légitime et nécessaire de l’étre, mais telle qu’elle suppose la consommation
tion de Autre, hugolien de la de vivre, elle Figure inverse fantaisie, mais
et que seuls les puissants en peuvent jouir pleinement. Le théme féte recdle cette ambiguité proprement sadienne : image de la joie >. est massacre des faibles, banquet mortel, « bouquet d’agonies Ia du grotesque dans espace aristocratique, elle n’appartient pas & & la mort.
LE THEATRE
EN
QUESTION
627
victime. Hugo poursuit la quéte du moi jusqu’a ce point o4 traversant Vindividualisme libéral elle vient buter sur cette logique de mort qui est la logique de Sade — et qui pénétrera les Misérables, ou Yuniverselle dévoration de Dieu. Peut-étre le théatre est-il du méme coup compromis, dans la mesure ou l’on ne peut parler a l’autre dans le drame hugolien, que s’il est sourd ou mort, — que dans le dialogue impossible.
Traverser la profondeur. Le dedans de l’homme est dehors. Utilité du Beau, O.C., XII, 369. Déguisements,
travestissements,
dominos
(...) Tous ces gens-la viennent ici s’appliquer sur la face le vrai visage sincére qui ne trompe pas et qui dit : je suis en carton. Demain
ils montreront
dire leur masque.
leur
figure,
c’est-a-
Mille francs... ; U.C., XIII, 340.
Le discours du Moi majestueux a ce silence, 4 ce noir d’ou peuvent ciel, un autre soleil. Un jour Hugo nier qui traverse toute la terre par une autre lumiére, une
conduit a ce bégaiement du Rien, surgir une autre terre, un autre écrira Vhistoire du Titan prisonson centre pour déboucher vers
autre surface, fenétre ouverte
sur l’infini™. La
recherche du profond, du moi qui est sous la surface visible est une démarche typique du x1x° siécle romantique. Il y a un Lorenzo caché sous le Lorenzaccio visible, un Julien Sorel vrai que révéle la parole intérieure ; il y a lor caché de amour du pére Goriot et la folle sensualité mourante du Lys dans la Vallée. Il y a, il devrait y avoir une Lucréce Borgia révélée sous la criminelle. Mais la démarche hugolienne qui s’affirme comme recherche de la profondeur (« Je suis honnéte au fond » crie Ruy Blas a la Reine) — traverse cette profondeur pour trouver « au fond » ce qui est une surface autre, un masque : c’est du personnage de ministre que Ruy Blas tient sa vraie profondeur, de son masque. Triboulet, histrion, Lucréce, Marie Tudor, metteuses en scéne, Salluste, metteur en scéne, Tisbe, cabotine, Fabiani, Ruy Blas imposteurs et comédiens, le comte Jean, baladin, autant d’acteurs traquant,
tels Hamlet, 4 l’aide de la théatralisation, la « profondeur » du vrai. Quéte vaine. L’intériorité se renverse, et c’est le masque
et la théatra-
lisation qui représentent contre la profondeur mensongére la véracité du moi. Le lieu du Moi n’est pas situé ailleurs que dans l’apparence carnavalesque. Pas de « profondeur » cachée, mais un dire-vrai étale, offert 4 tous les yeux, exhibitionniste, celui du moi qui ne peut étre récupéré qu’accepté dans la provocation de sa monstruosité. Le moi dramatique chez Hugo réside dans cette acceptation, dans le fait qu’il n’existe que dans ce qu’il montre, c’est-a-dire le monstre, 20. C’est aprés étude
de
J.P.
avoir écrit ces
Richard,
Etudes
sur
lignes que
nous
le Romantisme,
avons Seuil,
trouvé, 1971,
dans p.
l’admirable
199,
le
méme
renvoi au méme poéme. Nous n’avons rien changé a notre texte, nous félicitant d’une rencontre significative.
628
LE ROI
ET LE BOUFFON
la provocation la plus pure, celle qui, inversant l’intériorité et ’extériorité, cause le pire scandale puisqu’elle fait de la surface la seule vérité, puisque, ce faisant, elle met en péril lillusion bourgeoise de la vertu et de la belle Ame qui seraient cachées au fond du personnage bourgeois, puisqu’elle proclame : ce que tu parais c’est ce que tu es — d’autant plus vrai que tu es plus monstrueux, plus inacceptable. L’intériorité de Triboulet, homme privé, est corrodée, mangée aux mites ; s’il peut étre aimé, c’est en tant que bouffon qu’il doit Pétre, dans son masque et dans son étre de bouffon. Le vrai des personnages hugoliens est dans cette terrible surface : noms, armes, costumes, masques et déguisements, par lesquels ils sont sous le regard de I’autre, surface qui est contact avec l’Autre. Le masque Hernani dévore la « vérité » Jean d’Aragon. L’intériorité de l’individualisme romantique a été traversée de part en part, jusqu’a la négation, jusqu’au vide final, jusqu’a cet appel tragique, insatisfait : aimez-moi dans ce que je suis, moi qui ne suis pas”. Le refus. Théatre inacceptable et, comme tel, refusé. La quéte hugolienne des profondeurs du moi conduit au masque et au vide. Insupportable conclusion. Il faut bien dire alors que le thédtre de Hugo manque de psychologie, que ses personnages sont des silhouettes, des mannequins, faute d’accepter qu’ils soient l’image d’un manque radical. Insupportable négation de la hiérarchie des Ames : il n’y a pas d’4mes hautes et « bien situées » qui éduqueraient les autres en les élevant jusqu’a elles. L’écriture de Hugo n’est pas paternaliste : « le sublime est en bas” » ; tout moi posséde vocation de moi grotesque, monstrueux. Il y a pire: tout moi a vocation a l’anonymat, 4 étre ce on, ce quelqu’un tout semblable 4 un autre. Insolente dérision du libéralisme humaniste, d’autant plus insolente qu’elle est innocente, qu’elle est la logique méme de lidéologie, retournant contre elle-méme ses propres postulats. Quant a l’affirmation de la providence, cette affirmation d’un ordre du monde dont notre vie individuelle serait le reflet, cette philosophie cousinienne du moi et de Dieu, elle aussi s’est abolie : le Grand Destinateur s’est éclipsé dans le théatre de Hugo. Et les contemporains stigmatisent ce « matérialisme » du théatre de Hugo, le role du hasard, le « mélodrame » arrangé. ; Tout se passe donc comme si dans le théatre de Hugo, le logos bourgeois était mis en question non seulement par son propre usage, mais si lon peut dire par son propre abus. Les grands discours de la dramaturgie hugolienne sont déja la Parole Folle, et les contemporains se sont vus dans ce miroir déformant. Ils ne l’ont pas supporté, pas plus qu’ils n’ont supporté — corollaire — cette négation implicite du substrat solide du moi. Ils ne pouvaient accepter qu’on remette en cause leur moi individuelet leur Ame immortelle. Et, ce qu’il y a d’étrange, c’est que Hugo non plus ne l’a pas accepté. 21. Tel est le sens de l’aveu de J. Valjean A Marius, 22. Cont. Les Malheureuz, Pléiade Il, p. 716.
ou du cri final de Lucréce.
|
LE THEATRE
EN
QUESTION
629
Il a vécu V’échec du thédtre comme un échec radical. I n’a pas recu la réponse qu'il attendait. Et il lui est impossible de se faire illusion : ce public un qu’il tentait de créer, est un mythe. Non seulement l’Autre demeure divisé, mais il ne consent pas a l’entendre. En vain transposera-t-il les problémes du théatre dans le registre épicomythique, en vain tentera-t-il les solutions imaginaires des Burgraves, son audience n’en est pas meilleure. L’unité du moi-Hugo ne se trouvera pas dans cette écoute qu’il révait encore en 1837 : « Quand le peuple écoute ma pensée *. » Rétrospectivement Hugo voit son théatre comme une immense pratique magique, une imitation de résurrection des morts, la mimésis tragique d’une démarche salvatrice : J’ai réhabilité le bouffon, V’histrion, Tous les damnés humains, Triboulet, Marion,
Le laquais, le forcat et la prostituée ; Et j’ai collé ma bouche 4 toute Ame tuée, Comme
font les enfants, anges aux cheveux d’or,
Sur la mouche
qui meurt, pour qu’elle vole encor *.
Singuliére autocritique renvoyant A la dénégation que incapable d’assurer la résurrection du moi.
l’écriture
dramati-
Le moi de Vinfini. Oui le coup frappé sur un homme
Dans homme
il y a I’abime.
sonne
creux.
Sonder la fissure sociale.
Préface philosophique (O.C. XII, 357). Il est clair que Hugo ne peut pas accepter que I’on discute « les droits de Ame ». S’il se tait au théatre, c’est aussi parce qu’il refuse d@entendre ce qu’il y dit. Paradoxe peut-étre, mais qui s’ouvre sur les perspectives de l’écriture hugolienne. Nous suivons tout a fait J. Seebacher quand il dit : « Le probléme est celui de l’ordre véritable (Gt) la légitimité du moi comme de l’humanité, D’ou le recours a la grande
puissance ontologique,
a la confusion
de la nature et de Dieu, du moi
et de /Ame*. » La fracture du moi, fracture non ressoudée par l’écriture dramatique renvoie au principe d’unité qu’est le sujet transcendental, le Je qui a écrit le monde : « Existence de Dieu — II y a quelque chose, donc il y a quelqu’un. » Un Quelqu’un qui justifie la création — et aussi la création littéraire. La formule des Misérables « le moi de l’infini » n’est pas accidentelle : elle renvoie la suture du moi a Pempyrée de l’invérifiable, de cette immanence-transcendance admirablement analysée par M. Gohin ™, Mais le moi fracturé garde A l’inté‘Tieur
méme
de linfini,
la trace
de sa fracture:
I’ « immanence
»
divine recouvre aussi l’autre .«< immanence >, VPimmanence noire: « Des morceaux d’ombre sortent de ce bloc, l’Immanence ”, > M. Gohin
qui cite ce texte ajoute : « Une présence
innommable
semble occul-
ter (Dieu) : ce n’est plus le moi, c’est le on de l’infini. » 23. V. I XXIX. A Eugéne, vicomte H., Pléiade I, p. 1001. 24, Cont. V, Ill, Ecrit en 1846, Pléiade, 11, p.679:
:
;
25. Présentation de Philosophie, Commencement d’un Livre, 0.C. XII, 6. 26, Immanent et Immanence, Archives des Lettres modernes, 1968. 27. (Travailleurs de la mer) cité par ‘Y. Gohin, op. cit., p: 39, I, IV; 2.
LE ROI ET LE BOUFFON
630
terrible de VanonyLe on : Hugo ne sort jamais de ce probleme par n’étre jamais que le nt finisse moi le comme Dieu moi. du. mat Il a une bien autre porQuelqu’un : « On ne vient pas de homo (...). C’est 14 On®. >» Tout. , L’unité unus. de tée métaphysique : Il vient
La Réponse de l’Autre. Toute réponse. W.
la création SHAKESPEARE,
Notes,
et
demande
est par
O.C., XII, 357.
e donc au relais par d’auLa mise en question du théatre appell Burgraves et la mort de la des e l’éche Aprés ture. d’écri s tres forme e joué s’arréte. fille, le théatre traditionnel, le théAtr
e le progrés d’une ceuvre Tentons d’échapper au danger de déduir au théatre, aprés cette Hugo de e silenc le dans sa démarche. Aprés renonciation, en un sens tout est relais.
grotesque-sublime persiste : Au-dela du théatre joué, la division nt de l’écriture du moi. e-poi le carnaval de Maglia s’inscrit en contr Et dans le méme temps . taches les gent parta se me Grotesque et subli dialogisme. Le roman du égié privil outil le roman s’affirme comme de restauration de tique drama ne remplace le théatre dans sa besog la démarche ions, mplat Conte des Punité. Et peut-étre faut-il Yascése moi, pour que les — du tion) apora (d’év n uctio destr de de conquéte et : Miséres s’achévent en Misérables. ce n’estétre de Hugo, peut Aussi l’accomplissement du theatre her, mais d’abord dans le roman, pas en lui-méme quik faut le cherc ites | aboutit
les Misérables ®, ott la traversée
a ces
figures parfa
~ le mariage de Cosette et de Marius, que sont M. Madeleine A Montreuil, nnement-découron- | couro du ion, truct t-des semen figures de Vaccomplis : dans
nement.
La caractéristique dun
du roman
hugolien
destin individuel, Vachévement la
est d’exclure
la fermeture ©
© du romanesque ,; le sujet s’évade
méme
du moi
de Vinfini,
la question
au-de ouverte qui fit du théatre joué éternellement posée, la porte toujours : . un théatre de l’inachevé e, et théatr peut retourner au C’est aprés le roman que Hugo econcré tions condi des e compt enfin reconstruire, au-dela et sans tenir le ent taném simul ue presq et fois tes de la scene de son temps, a la ses drames, Torquede » ue sadiq « plus le ant, puiss plus dernier et le sque en liberté, la fable de la mada, et la grande comédie du grote on-voleur équilibre et domine bouff le ot détronisation réussie, celle de
et se dissout, rappelant,
du moi trouve enfin son assise cette fois le roi, ou Maglia, détaché ien, Mangerontle point final peut-étre du théatre hugol
sujet du texte, encore ils ?, tandis que le G du grotesque signe francs de récompense.
ie Se 28. Reliquat
XII, 355.
le Glapieu de Mill
W. Shakespeare, O.C. Travailleurs de la Mer dans les romans ultérieurs, Les écriture de la parole. 29. Et éloignés @une VYHomme qui Rit, quoique plus
et
surtou'
LE THEATRE
La Ménippée-Maglia —
EN QUESTION
631
ou le Roi et le Bouffon.
Hugo ne peut échapper au théatre parce qu’il ne peut échapper a cette mise en question du moi qui est le grotesque. Le carnaval maintient sa pression. Le grotesque hugolien pousse en contrepoint des textes
achevés,
ce
cri
sans
cesse
repris,
ce
dialogue
sans
dialogue
quest l’anti-thédtre hugolien. Ce n’est pas par hasard si c’est vers 1839 d’abord, puis aprés 1845, enfin aprés 1873, que fleurissent les fragments dramatiques, mille éclats d’un miroir brisé, alphabet d’une écriture du moi perpétuellement en projet. Les textes dialogués sont les derniers quasiment qui tombent de sa plume ™, Ils parlent le sujet dans son rapport impossible 4 l’autre : A travers ce théatre pulvérisé,
monnaie dune création dramatique impossible, court le fil d’or du rapport a l’autre : Etre Aimé, crie le moi, qu’il se nomme Maglia ou le Roi d’aprés Vexil, dépossédé du cceur : .» Dieu sans amour serait seul Et le ciel étoilé ne serait qu’un linceul *,
Dieu méme est le mendiant d’amour. L’appel a la restauration de Yunité ne peut se faire que par le bas, le grotesque, et les mémes vers sont parlés par le Maglia de 1838 et par le Roi de mars 1874, indiquant une permanence étrange : le Je (devenu le On) se tourne vers le Gueux et c’est de lui qu’il réclame l'amour qui donne V’étre : Qu’on soit aimé d’un gueux,
d’un voleur, d’une fille,
D’un forgat jaune et vert sur l’épaule imprimé, Qu’on soit aimé d’un chien, pourvu qu’on soit aimé ®, On comprend pourquoi dans les fragments dramatiques la tension entre grotesque et sublime s’efface, le grotesque seul triomphe, sans partage, Le carnaval immense se déploie aux limites du monde; le diable et Dieu, le désir et la destruction inversent leurs roles, le voleur
pétomane
équilibre
le tonnerre.
toute contrainte y compris
Le carnaval
grotesque
celle de la continuité
se libére
de
de Pécriture, y com-
pris celle de l'individualité du personnage. La gaité libre, ailleurs partout réduite et surtout dans le théatre joué, image inverse de la mort, ouvre ici l’espérance, dessine l’avenir.
30, Voir O.C. XV-XVI 31, Ibid,, p, 297, 32, Ibid,, p. 299.
(2), p. 300-302, Au Luxembourg
(1874-1876).
+
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APPENDICE
LE ROI S’AMUSE ACTE
V
Sc&n_E I TRIBOULET,
seul.
Il s’avance lentement du fond, enveloppé d’un manteau. L’orage a diminué de violence. La pluie a cessé. Il n’y a plus que quelques éclairs et par moments un tonnerre lointain. Triboulet est plongé dans une profonde réverie, avec une joie sombre dans les yeuz. Je vais donc me venger ! — Enfin ! la chose est faite. — Voici bientét un mois que j’attends, que je guette, Resté bouffon, cachant mon
trouble intérieur,
Pleurant des pleurs de sang sous mon masque rieur. Examinant une porte basse dans la devanture de la maison. Cette porte... — Oh! tenir et toucher sa vengeance ! C’est bien par la qu’ils vont me l’apporter, je pense. Il n’est pas Vheure encor. Je reviens cependant. Oui, je regarderai la porte en attendant. Oui, c’est toujours cela. —
Il tonne. Quel temps ! nuit de mystere ! Une tempéte au ciel! un meurtre sur la terre ! Que je suis grand ici! ma colére de feu Va de pair cette nuit avec celle de Dieu. Quel roi je tue ! — Un roi dont vingt autres dépendent, Des mains de qui la paix ou la guerre s’épandent ! Il porte maintenant le poids du monde entier. Quand il n’y sera plus, comme tout va plier ! Quand j’aurai retiré ce pivot, la secousse Sera forte et terrible, et ma main qui la pousse Ebranlera longtemps toute l’Europe en pleurs,
634
LE
ROI
ET
LE
BOUFFON
Contrainte de chercher son équilibre ailleurs | — Songer que si demain Dieu disait 4 la terre : — O terre, quel volcan vient d’ouvrir son cratere ? Qui donc émeut ainsi le chrétien, l’ottoman, Clément-Sept, Doria, Charles-Quint, Soliman ?
Quel César, quel Jésus, quel guerrier, quel apotre, Jette les nations ainsi l’une sur l’autre ? Quel bras te fait irembler,
terre, comme
il lui plait ?
La terre avec terreur répondrait : Triboulet | — Oh ! jouis, vil bouffon,
La vengeance
dans ta fierté profonde.
d’un fou fait osciller le monde !
ScEneE III
TRIBOULET seul, l'oeil fixé sur le sac.
Il est 14 ! —
Mort ! —
Pourtant je voudrais bien le voir Tdtant
C’est égal, c’est bien lui. —
Je le sens sous
le sac.
ce voile.
Voici ses éperons qui traversent la toile. — C’est bien lui ! Se redressant et mettantle pied sur le sac. Maintenant, monde, regarde-moi. Ceci, c’est un bouffon, et ceci, c’est un roi ! —
Et quel roi ! le premier de tous ! le roi supréme ! Le voila sous mes pieds, je le tiens. C’est lui-méme. La Seine pour sépulcre, et ce sac pour linceul. Qui donc a fait cela? Croisant les bras. Hé bien ! oui, c’est moi seul. —
Non, je ne reviens pas d’avoir eu la victoire, Et les peuples demain refuseront d’y croire. Que dira l’avenir ? quel long étonnement Parmi les nations d’un tel événement! — Sort, qui nous mets ici, comme tu nous en Otes ! Une
des majestés humaines
Quoi, Francois Rival
les plus hautes,
de Valois, ce prince au coeur de feu,
de Charles-Quint,
un
roi de France,
un
dieu,
— A l’éternité prés — un gagneur de batailles Dont le pas ébranlait les bases des murailles, Il tonne de temps en temps. L’homme
de Marignan,
lui qui, toute
une
nuit,
Poussa des bataillons l’un sur Vautre 4 grand bruit, Et qui, quand le jour vint, les mains de sang trempées,
N’avait plus qu’un troncon de trois grandes épées, Ce roi! de l’univers par sa gloire étoilé, Dieu ! comme il se sera brusquement en allé ! Emporté tout 4 coup, dans toute sa puissance, Avec son nom, son bruit, et sa cour qui l’encense, Emporté, comme on fait d’un enfant mal venu,
Une nuit qu’il tonnait, par quelqu’un
d’inconnu!
APPENDICE
635
Quoi ! cette cour, ce siécle et ce régne, fumée !
Ce roi qui se levait dans une aube enflammée, Eteint, évanoui, dissipé dans les airs ! Apparu, disparu, — comme un de ces éclairs ! Et peut-étre demain des crieurs inutiles, Montrant des tonnes d’or, s’en iront par les villes, Et crieront au passant, de surprise éperdu : — A qui retrouvera Francois premier perdu ! — Crest merveilleux ! Aprés un silence. Ma fille,
6 ma
pauvre
affligée.
Le voila donc puni, te voila donc vengée ! Oh! que j’avais besoin de son sang! Un peu d’or, Et je lai! Se penchant avec
rage sur le cadavre.
Scélérat !|peux-tu m’entendre encor ? Ma fille, qui vaut plus que ne vaut ta couronne, Ma fille, qui n’avait fait de mal a personne, Tu me !’as enviée et prise ! tu me I’as Rendue avec la honte, — et le malheur, hélas ! Eh bien ! dis, m’entends-tu ? maintenant, c’est étrange,
Oui, c’est Parce que Tu tétais La colére
moi qui suis 14 qui ris et qui me venge ! je feignais d’avoir tout oublié, endormi ! — Tu croyais donc, pitié ! d’un pére aisément édentée ! —
Oh ! non, dans cette lutte entre nous
suscitée,
Lutte du faible au fort, le faible est le vainqueur. Lui qui léchait tes pieds, il te ronge le coeur ! Je le tiens. Se penchant de plus en plus vers le sac. M’entends-tu ? c’est moi, roi gentilhomme, Moi, ce fou, ce bouffon, moi, cette moitié d’homme,
Cet animal douteux A qui tu disais : Chien ! Il frappe le cadavre. C’est que, quand la vengeance est en nous, vois-tu bien, Dans le cceur le plus mort il n’est plus rien qui dorme, Le plus chétif grandit, le plus vil se transforme L’esclave tire alors sa haine du fourreau,
Et le chat devient tigre, et le bouffon bourreau. Se relevant a demi. Oh! que je voudrais bien qu’il pit m’entendre encore, Sans pouvoir remuer ! — Se penchant de nouveau. M’entends-tu ? je t’abhorre ! Va voir au fond du fleuve, ot tes jours sont finis,
Si quelque courant d’eau remonte a Saint-Denis !
A Veau Francois premier !
Se relevant.
636
LE ROI ET LE BOUFFON
LUCRECE BORGIA ACTE
III
Scene 1, séquences 7 et 8 GUBETTA
Une chanson
4 boire, messieurs ! Je vais vous chanter une
chan-
son a boire qui vaudra mieux que le sonnet du marquis Oloferno. Je jure par le bon vieux crane de mon pére que ce n’est pas moi qui ai fait cette chanson, attendu que je ne suis pas poéte et que je n’ai pas Vesprit assez galant pour faire se becqueter deux rimes au bout d’une idée. Voici ma chanson. Elle est adressée 4 monsieur saint-Pierre, célébre portier du paradis, et elle a pour sujet cette pensée délicate que le cie] du bon Dieu appartient aux buveurs.
JEPPO, bas, a Maffio. Il est plus qu’ivre, il est ivrogne. TOUS, excepté Gennaro. La chanson
! la chanson
!
GUBETTA,
chantant.
Saint Pierre, ouvre ta porte Au buveur qui t’apporte Une voix pleine et forte Pour chanter : Domino ! TOUS,
en cheeur,
excepté Gennaro.
Gloria Domino ! GUBETTA
Au buveur, joyeux chantre, Qui porte un si gros ventre Qu’on
doute, lorsqu’il entre,
S’il est homme
ou tonneau.
TOUS EN CH@UR Gloria Domino |
Ils choquent leurs verres en riant aux éclats. Tout a coup on entend des voix éloignées qui chantent sur un ton lugubre. voix au-dehors.
Sanctum
et terribile nomen
ejus. Initium sapientie timor Domini.
APPENDICE
637
JEPPO, riant de plus belle.
Ecoutez, messieurs ! Corbacque! boire, l’écho chante vépres.
pendant
que
nous
chantons
a
TOUS Ecoutons.,
voix au-dehors,
Nisi Dominus
custodierit
un peu plus rapprochées.
civitatem,
frustra vigilat qui custodit eam. Tous éclatent de rire.
JEPPO Du plain-chant tout pur.
MAFFIO Quelque procession qui passe. GENNARO
A minuit ! c’est un peu tard. JEPPO
Bah ! continuez, monsieur de Belverana.
vorx au dehors, qui se rapprochent de plus en plus. Oculos habent, et non videbunt. Aures habent, et non audient.
Nares
habent,
et non
odoborabunt.
Tous rient de plus en plus fort. JEPPO
Sont-ils braillards,
ces moines
! MAFFIO
Regarde donc, Gennaro, Les lampes s’éteignent ici. Nous voici tout 4 Vheure dans V’obscurité. Les lampes pdlissent en effet, comme n’ayant plus d’huile. voix au dehors, plus pres. Manus habent, et non
palpabunt.
Pedes habent,
et non
ambulabunt.
Non clamabunt in gutture suo. GENNARO
Il me semble que les voix se rapprochent. JEPPO
La procession me fait l’effet d’étre en ce moment sous nos fenétres.
638
LE ROI ET LE BOUFFON
MAFFIO Ce sont les priéres des morts.
ASCANIO C’est quelque enterrement. JEPPO Buvons & Ia santé de celui qu’on va enterrer.
GUBETTA Savez-vous s’il n’y en a pas plusieurs ?
JEPPO Eh bien ! 4 la santé de tous! APOSTOLO, a Gubeiia. Bravo ! — Pierre.
et continuons
de
notre
cdté
notre
invocation
4 saint
GUBETTA
Parlez donc plus poliment. On dit : A monsieur saint Pierre, honorable huissier et guichetier patenté du paradis. il chante. ; Si les saints ont des trognes, Ton cie! est aux ivrognes Qui n’ont d'autres besognes Que de boire aux chansons ! TOUS Que de boire aux chansons!
GUBETTA Si la mer de Cocagne Qui baigne ta. campagne Est faite en vin d’Espagne,
Change-nous en poissons ! TOUS, en choquant
leurs verres avec des éclais de rire.
Change-nous en poissons !
La grande porte du ford s’ouvre silencieusement dans toute sa largeur.
On voit au dehors une vaste salle tapissée en noir, éclairée de quelques flambeaux, avec une grande croix d'argnt au fond. Un longue file de
APPENDICE
639
pénitents blancs et noirs dont on ne voit que les yeux par les trous de leurs cagoules, croix en téte et torche en main, entre par la grande porte en chantant
d’un accent sinistre et d’une
voix haute ;
De profundis clamavi ad te, Domine ! Puis ils viennent se ranger en silence des deux cétés de la salle, et y restent immobiles comme des statues, pendant que les jeunes gentilshommes les regardent avec stupeur. MAFFIO
Quw’est-ce que cela veut dire ? JEPPO, s’efforgant de rire.
C’est une plaisanterie. Je gage mon cheval contre un pourceau, et mon nom de Liveretto contre le nom de Borgia, que ce sont nos charmantes comtesses qui se sont déguisées de cette fagon pour nous éprouver, et que si nous levons une de ces cagoules au hasard, nous trouverons dessous la figure fraiche et malicieuse d’une jolie femme. — Voyez plutét. Il va soulever en riant un des capuchons, et il reste pétrifié en voyant dessous
le visage livide d’un moine
qui demeure
immobile,
la torche
a la main et les yeux baissés. Il laisse tomber le capuchon et recule. — Ceci commence 4a devenir étrange !
MAFFIO Je ne sais pourquoi mon sang se fige dans mes veines. LES PENITENTS,
chantant
d’une voix éclatante.
Conquassabit capita in terra multorum ! JEPPO
Quel piéege affreux! Nos épées! nous sommes chez le démon ici.
nos
épées!
Ah
ca!
messieurs,
ScéneE II LES
MEMES,
DONA
LUGREZIA.
DONA LUCREZIA, paraissant tout & coup, vélue de noir, au seuil de la porte. Vous étes chez moi !
TOUS, excepté Gennaro qui observe tout dans un coin du thédtre ou dona Lucrezia ne le voit pas. Lucréce Borgia !
LE ROI ET LE BOUFFON
640
ACTE
III
ScENE 1, séquence 7
Variante pour la scéne.
GUBETTA
Une chanson
a boire, messieurs ! i] nous faut une
qui vaille mieux que qui vous en chanterai que je ne sais pas de je n’ai point V’esprit au bout d’une idée. humeur, vous devez chantez-nous-la,
chanson
A boire
le sonnet du marquis Oloferno. C n’est pas moi une, je jure par le bon vieux crane de mon pere chansons, attendu que je ne suis pas poéte eft que assez galant pour faire se becqueter deux rimes Mais vous, seigneur Maffio, qui étes de belle savoir quelque chanson de table. Que diable!
amusons-nous
!
MAFFIO Je veux bien, emplissez les verres.
Il chante.
MAFFIO
Amis, vive l’orgie ! J’aime la folle nuit Et la nappe rougie Et les chants et le bruit,
Les dames peu sévéres, Les cavaliers joyeux, Le vin dans tous les verres,
L’amour
dans tous les yeux!
La tombe est noire, Les ans sont courts, Il faut, sans croire Aux sots discours, Trés souvent boire,
Aimer
toujours ! TOUS
EN
La tombre
CH@UR
est noire, etc.
Ils choquent leurs verres en riant aux éclats. Tout a coup on entend des voix éloignées qui chantent au dehors sur un ton lugubre. VOIX
Sanctum
et terribile nomen
AU
DEHORS
ejus. Initium
sapientie
timor Domini.
APPENDICE
641
TOUS
ies] APOSTOLOS Bravo ! Et continuons
de notre cété notre chanson
TOUS
4 boire.
EN CHEUR
Les ans sont courts, Il faut sans croire Aux sots discours, Trés souvent boire, Aimer toujours ! VOIX
AU
DEHORS
Non mortui laudabunt te, Domine, infernum.
neque
omnes
qui descendunt
in
MAFFIO
Dans la douce Italie,
Qu’éclaire un si doux ciel, Tout est joie et folie, Dans la douce Italie, Tout est nectar et miel. Ayons donc 4 nos fétes Les fleurs et les beautés, La rose sur nos tétes,
La femme 4 nos cétés !
TOUS La tombe est noire, etc.
La grande porte du fond s’ouvre.
41
MANUSCRITS Bibliothéque 13.359 —
Nationale.
—
Nouvelles
acquisitions
Orientales.
13.360 —
Chants du Crépuscule.
13.361 —
Voix intérieures.
13.363 —
Contemplations.
13.367 13.368 13.369 13.370
— — — —
Cromwell. Marion de Lorme. Marion de Lorme, ms. de la censure. Le Roi s’amuse.
13.371 13.372 13.373 13.374
— — — —
Lucréce Borgia. Angelo. Ruy Blas. Burgraves.
13.378 13.385 13.387 13.389
— — — —
Notre-Dame de Paris. Marie Tudor. Le Rhin. Feuilles d’Automne.
13.390 — 13.391 —
Les Rayons et les Ombres. En voyage. France, Belgique, etc.
13.393 —
Odes et Ballades.
13.395 —
Amy Robsart.
13.396 — 13.397. —
Les Jumeauz. Océan, prose —
13.398 —
Litt. et phil. mélées.
13.401
—
francaises
Océan,
vers —
Tas de pierres —
Philosophie.
Trad., citations, etc.
13.402 — 13.403 —
Corr. relative a4 Ruy Blas. Hernani, copie, corr. et doc. le concernant.
13.404 — 13.405 —
Corr. relative a Notre-Dame Corr. sur le Roi s’amuse.
13.406 — 13.418 — 13.419 —
Corr. sur Angelo. Océan, prose — Tas de pierres — Science — Voyage. Océan, vers — Tas de pierres — Artistes, poétes, grands hommes. Océan, prose — Tas de pierres — Moi. Océan, prose — Tas de pierres — Politique. Océan, prose — Tas de pierres — Amour. Océan, prose — Tas de pierres — Ceci et cela. Océan, prose — Tas de pierres — Critique. Feuilles paginées. Océan, prose — Tas de pierres — L’amour, la femme. Thédtres — plans, projets, ébauches. Océan, vers — Tas de pierres — Philosophie. Océan, vers — Tas de pierres — Politique.
13.420 13.421 13.423 13.423 13.424 13.425 13.426 13.427 13.429 13.430
— — — — — — — — — —
de Paris.
646
LE ROI
13.443 13.444 13.448 24.752 24.753
— — — — —
ET LE BOUFFON
Carnet (janvier 1833 — janvier 1836). Carnet (1836-1840). Album, 1855. Thédtre en liberté. Reliquat du Thédtre en liberté.
24.756 —
Le Rhin, reliquat et notes.
24.772 —
24.773 24.774 24.781 24.785 24.786
— — — — —
Toute la Lyre. Les Années funestes. Derniére Gerbe. Toute la Lyre (reliquat). Documents sur Marion de Lorme. Océan, prose.
24.787
—
Océan,
vers
(1825-1851).
24.790 — 24.792 —
Océan, prose. Océan, prose —
24.793
—
Océan,
24.794 24.795 24.797 24.798 23.805
— — —— —
Traités et documents divers. Océan, vers — Tas de pierres — Critiques, épitres. Océan, vers — Tas de pierres — Fragments et idées éparses. Océan, vers et prose — Tas de pierres — Plans et projets. Adéle Hugo : Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie (une autre partie de ce manuscrit est 4 la Maison de Victor
vers —
Tas de pierres — Tas de pierres —
le temps présent.
Moi.
Hugo).
Libliothéque Nationale. —
Fonds
Rothschild, Lettres de Hugo, A, XIX.
Bibliothéque Nationale. —
Lettres de Juliette Drouet, Nafr.
Maison
de Victor-Hugo : Correspondance. Journal d’Adéle Victor-Hugo (manuscrit classé par M. Journet). Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, Adéle Hugo (fragments
manuscrits).
i
Bibliothéque du Théatre Francais: Dossier Victor-Hugo (nombreuses lettres manuscrites). Dossier Hernani (contenant le manuscrit de la piéce). Dossier le Roi s’amuse (contenant entre autres piéces importantes,
le
manuscrit du souffleur avec les corrections de Hugo pour la seconde représentation, et les pieces du procés de 1832). Dossier Angelo (contenant outre de nombreuses lettres, le manuscrit du souffleur avec des corrections trés importantes de la main de Hugo). Dossiers
des acteurs : Mlle Mars, Marie
Dorval, Bocage.
Bibliotheque Lovenjoul (Institut de France, Chantilly) : Outre de trés nombreuses lettres (de Hugo ou de ses correspondants) éparses dans un grand nombre de dossiers, nous pouvons signaler ici : Le recueil D 723. Le Journal de Charles Didier (E 940). Les Carnets de Sainte-Beuve. Deux recueils d’articles de presse concernant Hugo, 0 6935 et 0 6937.
BIBLIOGRAPHIE Bibliothéque
de l’Arsenal
647
(Fonds Rondel)
:
Outre de trés nombreux recueils d’articles de presse (souvent peu utilisables, vu l’absence de la date et de la provenance) (en particulier
27.728, 27.778, 27.798, 27.791, 27.818, 27.820, 27.821, 27.840), des articles documentaires provenant de revues.
Lettres d’Anténor Joly 4 Frédérick-Lemaitre — Journal thédtral de Joanny. Archives
Nationales. Procés-verbaux — Inv. 1126 ;
Théatre Francais —
Ms. 540.
table alphabétique
sur fiches,
F?1 1078 (2 et 3).
Odéon — F?! 1099. Renaissance — F?1 1119 — 1. Opéra — F?! 1069 — 1 et et 2. Procés-verbaux de censure — Théatre Francais — F21 966 Procés-verbaux de censure — Porte Saint-Martin — 721 975. Manuscrits pour la censure — F1* 673 — 597 et 1261. Extraits des rapports de la Préfecture de Police f 73 886. Police des thédtres — F*! 953. Censure (lois et textes) F?21 1330.
CGEUVRES (Euvres
complétes
de
Victor
Hugo,
Ollendorf,
puis
Albin
Michel,
45 vol., gr. in-8° (1901-1953). Edition dite « de lV’Imprimerie Nationale ». (I.N.) Cuvres completes, J.-J. Pauvert, 4 vol., in-4° (1961-1964).
Guvres completes, éd. chronologique, Club Francais du Livre, 18 vol. in-8° (1967-1971) (O.C.). Guvres poétiques, préf. de G. Picon, Ed. ét. et annotée par P. ALBouy, t. 1, Avant
Vewil (1802-1851).
Gallimard,
(1964) T. 2, Aprés Vexil (1852-1856).
Bibl. de la Pléiade,
s.d.
Les Orientales, éd. critique par E. BARINEAU, 2 vol., Didier (1952-1954).
Chatiments, nouv.
éd. publ. d’aprés les mss et les éd. originales avec
des variantes, une introduction, des notices et des notes par J. ViaNnEy, 3 vol., Hachette, Les Grands Ecrivains de la France,
1922. Boite aux lettres, éd. critique par René Journer et Guy Rogert, Flammarion, Cahiers Victor Hugo, 1965. Les Contemplations, nouv. éd. publ. d’aprés les mms et les éd. originales avec des variantes, une introduction, des notices et des notes par Joseph ViANEy, 3 vol., Hachette, Les Grands Ecrivains de la France, 1922.
Les Contemplations,
texte établi et présenté par J. SEEBACHER, 2 vol.,
A. Colin, Bibliothéque
de Cluny, s.d. (1964).
:
Les Contemplations, texte ét. avec intr., chronologies des Contemplations et de Victor Hugo, bibl., notes et variantes par Léon CELDieu
LIER, Garnier Fréres, Classiques
(VOcéan Rosert,
Dieu
d’en
haut),
Garnier, 1969.
critique
par
René
JourNeT
et Guy
éd. critique par René
Journer
et Guy
Nizet, 1960.
(le Seuil du gouffre), ROBERT,
éd.
Nizet,
1961.
648
LE ROI ET LE BOUFFON
La Légende des siécles, nouv. éd. publ. d’aprés les mss et les éd. originales avec des variantes, une introduction, des notices et des notes par Paul BERRET, 6 vol., Hachette, 1921-1927. La Légende des siécles, la Fin de Satan, texte ét. et ann. par Jacques TrucHet,
Gallimard, Bibliothéque
de la Pléiade, s.d. (1950).
La Légende des siécles (fragments), éd. crit. par Francoise LAMBERT, Flammarion, Cahiers Victor Hugo, 1970. crit. par Pierre ALBouy, Flammarion, pier
Cahiers Victor Hugo,
* =
Notre-Dame de Paris, Francois Guyarp,
int., notes et choix Garnier, 1959.
de variantes
par
Marius-
Claude Gueux, éd. crit., par Paul Savey-Casarp, Presses Universitaires de France, 1956. Les Misérables, texte prés. avec les variantes des Miséres, une int. et des notes par Marius-Francois Guyarp, 2 vol., Garnier, 1966. Quatrevingt-treize, présenté par Jean Boupovt, Garnier, 1957. = =
Chateau du diable, publ. par Jean Montarcis, Nouvelle Revue Francaise, 1 mars 1939. avec une introd. par Anne éd. Garnier-Flammarion, Cromwell, Ubersfeld, 1968. L’Enfer sur terre, publ. par Herbert Kocu, in Forschungen und Forst-
Le
schritte, Berlin, Oktober
1959.
Le Roi s’amuse, (ms), éd. crit. par Francoise Lampert, Les Belles Lettres, Annales littéraires de Université
Mangeront-ils ?, éd. crit. par René JOURNET rion, Cahiers Victor Hugo, n° 8, 1970. Ruy Blas, éd. crit. par Anne
UBERSFELD,
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INDEX NOMS Abbadie (Jacques), Abrantés (duchesse 298. Adam, 302. Aguado, 123. Albouy (Pierre),
191. d’),
PROPRES Baudouin
123,
214,
217,
(Charles),
385, 386, 426,
20,
37,
382,383,
472, 497, 505.
Bayard (J.F.), 122, 207 (la Ardente). Barthes (Roland), 518, 556.
12,
13,
14,
324,
356,
611, 618. Alméras (Charles), 147, 154. Althusser (Louis), 619. Allévy (M.A.), 45, 47. Amelot de la Houssaye (Nicolas), 266. Anais (Mlle Pauline Aubert), 120, 124,
Beaude
(J.P.), 222,
Beaudoin
Chambre
230.
(Louise-Atala
Beauchéne),
92, 108, 311, 334. Beaumarchais, 29 (Eugénie), 31 (Barbier de Séville, Mariage de Figaro), 93,
148,
316
(id.), 406
153
(Mariage
de
Ancelot (Fr.), 267. Ancelot (Virginie), 317, 341. Andreini da Pistoia, 256. Andrieux (F.G.), 123, 149. Apollinaire, 479.
Beauvallet, 124, 273, 283. Beauverd (Jacques), 12, 260. Beauvoir (Roger de), 338, 339. Becket (Samuel), 473. Belverana (comte de), 163. Benjamin (Walter), 548, 621.
Apponyi
Benveniste
125.
(comte
Apulée,
464.
Aragon.
(Louis),
d’),
124.
Béquet
Aragon (Alphonse d’), 161. Aragon (Rodrigue d’), 165. Argens (marquis d’), 154. Arioste, 464.
Argout (comte d’), Aristote, 74, 341.
122,
139, 140,
153.
Arnay (G. d’), 374. Arnold (P.), 577. Arnould (Auguste), 48, 353. Arnoux (Alex.), 366. Artand (Antonin), 63, 577, 622. Arvers, 122. Asseline, 123. Aubineau (Léon), 174.
Autriche
(Marie-Anne
Ayala,
Juan
4d’),
318,
327,
d’), 318.
33.
Bakhtine (Mikhail), 257, 461-473, 498, 503, 514, 515, 526, 555, 562, 568, 569. Balayé (Simone), 99. ; Balzac (Honoré de), 21, 36, 55, 104, 108 (le Pére Goriot), 122, 143, 174 (Illusions perdues), 279, 286, 338,
343,
390, 475,
589, 605,
608
(Maison
Nucingen), 615 (Colonel Chabert), 627 (Pére Goriot, Lys dans la Yallée). Barbey d’Aurevilly, 340, 341, 343, 345, 455. Barrére (Jean-Bertrand), 79, 389, 445.
Barrot -(Odilon), 152, 154.
111,
137, 138,
124,
178.
63, 83, 120,
123,
127, 137, 213, 215, 217, 248, 314. Bertin (Louise), 120, 139, 191, 200, 201, 214, 215, 258, 281, 314. Bible, 12, 244, 485, 607. Biré (Edmond), 17, 51, 64, 156, 164, 178, 181, 213, 214. 359. Bocage (Paul), 47, 59, 60, 61, 120, 122, 199, 209-212, 216, 221, 298, 309, 311, 379, 455, 457.
328. (Don
519.
131,
Biscarrat (Jules), 122. Blane (Edouard), 48. Blanchard (Marc), 190-193,
Aulnoye (Mme d’), 164, 318, 327. Autriche (Anne d’), 351, 352, 353, 360, 362, 365. Autriche
(Emile),
(Etienne),
Béranger (P.J.), 241. Berlioz (Hector), 175. Bertin (pére, famille),
592.
Figaro),
(id.).
145,
151,
Boileau (Nicolas), 149, 240, 623. Bonaparte, 38, 39. Bonnerot (J.), 60. Bonnier (Henri), 259, 263. Bonjour (Casimir), 50. Borel (Petrus), 121, 122. Borgia (Alexandre, pape), 158, 165. Borgia (César), 159, 161, 165. Borgia (Lucréce), 160, 161, 165, 180,
181. Boulanger
124,
(Louis),
63,
118,
120,
cienne),
225,
265,
278,
nonne sanglante), Brantéme, 95, 160.
287,
298.
Brézé Brecht
122,
172, 274, 334, 374.
Bossuet (Bénigne), 240, 471, 531. Bourgeois (Anicet), 46, 57 (La cienne), 122, 173, 196, 210 (La
(duc
215,
de), 361.
(Bertolt),
606, 621, 622. Briffault (Eugéne), 341, 347.
285
VéniVéni-
(La
g
474,
122,
537,
133,
548,
577,
135,
340,
668
LE ROI ET LE BOUFFON
Brigode (baron Romain de), 147. Brocard (Mlle), 122. Bryas (comte Ch. M. de), 147.
Buloz, Butor Bussy Byron
Dartois (A. et A.), 50. Daru (Pierre), 266. Daubray (Cécile), 254. Decamps (Gabriel), 123. Delacroix (Eugéne), 122. Delangle (Me), 291, 292. Delavigne (Casimir), 36, 37, 46, 48, 122, 149, 254, 266 (Marino Faliero), 271, 282 (Don Juan d’Autriche), 287 (id.), 290, 291 (les Enfants d’Edouard,
122, 154, 155, 238, 379. (Michel), 359, 394, (comte de), 361. (lord), 226, 231, 233, 265.
Calderon, 278, 366-368. Callot (Jacques), 339, 463. Capo de Feuillide, 122, 204, Carlier (Théodore), 71.
Caillot Carlson
(Antoine),
110.
(Marvin),
325.
Don Juan), 392, 510.
240,
241,
Chaix d’Est-Ange, 145, 153; 154: Chahine (Samia), 531. (John),
148,
151,
152,
Chambreuil (Mile A.), 27. Chantpie (affaire), 151. Ier (d’Angleterre), 195, 596. Charles II (d’Espagne), 318, 328, 329. Charles X, 37, 51, 64, 149, 600. Charlet (Toussaint-Nicolas), 122. Chasles (Philaréte), 95, 238, 258. Chateaubriand (René de), 265, 463. Chatillon (Auguste de), 122. Chaudes-Aigues, 340, 341, 345, (duc
de),
(Ch.
M.),
122,
216,
219,
278.
311.
Choiseul (duc de), 287, 304. Ciceri, 45, 47, 121, 122, 308. Colbert (J.B.), 250, 251. Colletet (Fr.), 251. Collins (Anthony), 193. Comines,
35,
160.
Constant (Benjamin), 389. Cordellier-Delanoue, 36, 38, 122, 172. Corneille (Pierre), 62, 153 (le Cid), 240, 271, 325 (le Cid, Don Sanche d@’Aragon), 339, 345, 399 (Horace), 400 (le Cid), 497 (Nicoméde), 512 (Don Sanche d’Aragon). Cossé-Brissac, 155. Coste, 122. Couét (Jules), 51, 52. Courtenay (lord), 192. Cousin (Victor), 27, 122, 389. Cranmer
(Thomas),
192.
Créqui (famille de), 360. Créguy (marquise de), 360. Cromwell (Oliver), 38, 39, 341; 616. Crosnier, 50, 51, 55, 60, 62, 176, 307, 310. Custine (Astolphe de), 222. : Cyrano de Bergerac, 103, 247, 339, 345. Dante, 244, Darmaing (J.-J.),
622. 122,
302-305,
(prince),
174.
204.
Deschamps (Antoni), 121, 172, Deschamps (Emile), 95, 121, 172. Descotes (Maurice), 45, 46, 47, 59, 61, 119,
211,
298,
311.
Desmousseaux, 118, 119, 120, 291. Desnoyers (Louis), 218. Devéria (Achille), 63, 122, Diderot (Denis), 230, 317 (Jacques
le
Fataliste).
Didier (Charles), 83. Dieterlé, 121. Dinaux, 46, 215. Dino-Talleyrand (duc
et duchesse
621. Dorval (Marie), 47, 59, 61, 64, 77, 122, 199, 200, 211, 254, 267, 268, 273, 275, 283, 284, 286, 298, 309, 312, 314, 379. Dorval (Gabrielle), 314. Dostoievski, 461, 463, 472. Drouet (Juliette), 174, 187, 189, 200, 208-212, 214, 216, 219, 220, 240, 254, 259, 261-263, 277, 311, 330-334, 336-338, 353, 371, 372, 378, 379. Du Bos (Maurice), 100, 105. Du Bos (abbé), 352.
de),
119, 272, 311,
199,
221, 314, 373,
Ducange (Victor), 352. Duchet (Claude), 79, 463. Ducros (H.), 374. Dullin (Charles), 211. Dumanoir (Philippe), 369. Dumas (Alexandre), 25, 46, 49, 57, 59,
62, 64, 78, 93, 122, 126, 161, 189, 196, 208, 210-215, 217, 222, 225, 231, 232, 238, 240, 267, 272, 273, 294, 297-299, 309-311, 392, 413, 451, 452, 572,
Don
278.
174, 177, 220, 221, 254, 265, 301-306, 455, 509,
588.
Angéle, 210, 222, 240, 297. Antony, 47, 48, 64, 120, 232, 392, 451, 455-457. Caligula, 302. Christine, 196, 197, 199, 226, 240. 306. Henri
224.
294,
123, 124. Dort (Bernard),
361.
Chénier (M.J.), 121 (Charles IX), Chéri (l’acteur), 60, 62, 333. Chevalley (Sylvie), 53. Chilly
Dennery (Adolphe), 369. Derrida (Jacques), 452, 578, 595, Desbordes-Valmore (Marceline),
118,
193.
Charles
Chaulnes
390,
201,
461.
Chamberlayne
311,
Demidoff
Carrel (Armand), 141, 178, 245. Casanova de Seingalt, 266. Cellier (Léon), 358. Cervantés,
222.
Juan
III
de
Marafia,
et sa
Cour,
222,
213;
225,
213, 225, vik 297, 298,
25, 51,
121,
669 Kean, 392, 450, 455, 456. Napoléon Bonaparte, 78. Richard
Darlington,
189,
215,
240,
392, 450, 597, 600. Teresa, 174, 177, 189, 264, 308. 582,
584.
Dumas (Alexandre, fils), 232. Dumoulin (Constitutionnel), 63, Dupaty (E.M.), 302.
Dupeuty
Dupin
(Ch.
D.),
122,
147.
jeune, 48.
Durmont (Bernard), 145, 146. Dusseigneur, 122, 125, Duval (Alexandre), 48, 122, 227,
517. Duval (Léon),
290,
145, 148, 290.
Elisabeth Ire (d’Angleterre), 192, 196. Empecinado (1’), 91. Empis (Adolphe), 290. Enghien (duc d’), 39. Epagny (d’), 50. Epictéte, 464. Erasme, 464. Eschyle, 60, 160. Etienne (Charles), 48, 122, 149, 290. Euripide, 61. Expilly (abbé), 361. Fénelon, 241. Faure (régisseur),
288. Fages (J.B.), 471, 585. Ferrare (Renée de), 160,
Ferrier (Ida), 189, 208, 299, 309, 311. Fétis (F.J.), 48, 175. Feydeau (E.), 138. Fieschi (attentat de), Firmin, 62, 283. Flandrin, 122. Flourens, 378.
:
219,
220.
240,
(Félix),
161,
162,
(Struensee),
Gandie (due
Gasparin,
de), 161,
583,
213, 215,
49,
50,
51,
52,
(d’),
48.
(Henri), 336, 542. VIII, 190, 195.
Horace, 243. Houssaye (Arséne), 266. Hozier (d’), 266. Hugi (Hermann), 108.
Hugo (Abel), 122. Hugo (Adéle I), 64, 92, 118, 188, 215, 238, 263, 270, 281, 314, 333, 334, 373, 375, 378, 379, 383, 476. Hugo
Raconté,
52, 62, 77, 91, 96, 173, 174-177, 188, 221, 253, 254, 268, 305, 317, 323, 333, Hugo
(Adéle
II)
97, 207, 276, 334,
7, 22,
120, 210, 272, 335,
(Journal),
31,
51,
125, 126, 213-216, 297-301, 564, 566.
Hugo (Eugéne), 22, 163, 164, 314, 321-324, 383, 476, 558.
317,
276,
Hugo Hugo
Hugo
103, 121, 122, 124, dit),
193.
255,
165, 166.
Chevalier
54,
318,
174, 177, 220, 222, 246, 247, 280, 336. Gavarni (Sulpice Gay (Mme), 63. -
(Francois),
77, 122, 124, 172, 174-178, 187, 189, 191, 196, 203, 205-212, 215, 221, 225, 254, 273, 274, 286, 287, 309, 392.
317,
287, 302, 304.
(Théophile),
165.
323.
610.
Gaudon (Jean), 12, 59, 206, 207, 272, 361, 463. Gaudon (Sheila), 12, 155, 207, 321, 392; Gautier
62, 188, 217, 298,
Victor
122. 318
161,
Herrera y Tordesillas (Antonio), Hoffmann, 226. Homére, 244, 251, 319, 625.
aes rae 101, 430, 479, 595.
Gaillardet
187,
Guizot (Francois), 31, 73, 79-85, 246, 298, 299, 300, 304, 305, 306, 389. Guttinguer (Ulrich), 122, 138, 314, 338.
Heine Henri
Foucher (Paul), 124, 126, 341. Fouinet (Ernest), 370. Fouquet (le surintendant), 351. Fourtoul (Hippolyte), 122. Francois ler, 95, 340.
Gabriel,
Guénard, 353. Guichardin (Francois), 160, Guilhem de Castro, 33. Guiraud (Alexandre), 255.
Haubersaert
154.
Fontan (L.M.), 50, 147, 302. Fontaney (Antoine), 17, 41, 62, 63, 118, 122, 172, 187, 213, 258, 314, 373, 55.) | Foucher (Pierre), 371.
Freud
175,
Giraudoux (Jean), 199. Girardin (Emile de), 123, 307, 339. Girardin (Delphine Gay, de), 122, Gisquet (le préfet), 122. Gleisz, 321. Gobert, 59, 60. Godwin (William), 192. Goethe, 213, 215, 298, 466 (Faust). Gordon (Alexandre), 161. Gohin (Yves), 12, 39, 477, 496, 629. Gosselin (Ch.), 22, 41. Got (Edmond), 156. Goubaux (Prosper), 122, Granier (de Cassagnac), 122, 210, 212215, 277, 279, 314, 339, 590. Grant (E.M.), 320. Greimas (A.J.), 399, 400, 401, 406, 407. Griffet de la Baume (Henri), 192. Grisar (Albert), 337.
Harel
210,
173,
189, 196, 199, 206, 209, 211, 212, 216, 217, 220, 285, 311, 374.
Tour de Nesle, 161, 162, 163, 180, 196, 199, 213, 221, 240, 265, 278, 455,
509, 549,
Genét (Jean), 473. Georgel (Pierre), 106. Georges (Mlle), 88, 171,
122.
(Charles),
114,
(Frangois-Victor), 19. (Léopold), 19, 91, 97.
Hugo (Léopoldine), 630. Hugo Hugo
384,
317.
314,
(Martine), 92. (Sophie Trébuchet),
371, 383, 19,
97,
384, 315,
670
LE ROI ET LE BOUFFON
Ingres (Dominique), 122. Tonesco (Eugéne), 537. Jabés (Edmond), 595. Jakobson (Roman), 408,
518, 570, 584. Janin (Jules), 66, 68, 71, 178, 219, 220, 240, 281, 330, 340, 343-346, 455, 621, 626. Jars
Jay
(A.G.),
48.
(Antoine),
122, 149.
Jésus-Christ, 356. Joanne (guide), 361. Joanny, 51, 119, 124, 273. Johannot (Alfred et Tony),
122.
Joly (Anténor), 60, 140, 177, 209, 299, 300, 301, 304-312, 315, 330, 333-339, 379. Journet
256,
(René),
257,
Jouslin
12,
78,
384, 466,
de la Salle,
87,
88,
483, 515,
190,
535.
119, 139, 211,
253,
254, 267, 268, 270, 272-275, 282, 283, 284, 286, 291, 293, 301, 305. Jouy
(Victor
Etienne,
dit
de),
48, 122,
149. Jouvet
(Louis),
Juvénal,
199.
464.
Kimber Kiouny
(M.), 193. (Véléphant),
287, 298.
Kotzebue, 84, 215. Kristeva (Julia), 461,
472,
473.
Lemaitre (Frédérick), 46, 47, 59, 91, 120, 173, 174, 175, 199, 200, 209, 211, 221, 286, 287, 298, 310-312, 330, 333, 334, 336, 337, 338, 370, 379, 539. Lemercier (Népomucéne), 50, 122, 302. Lénine, 602. Leoni (Carlo), 279. Lerme (due de), 279. Lesguillon (J.P.F.), 339. Lessing, 98, 99, 215. Lesur (Annuaire), 50, 177, 392. Leuillot (Bernard), 477, 478, 479. Levaillant (Jean), 478. Lévi-Strauss (Claude), 406, 594. Ligier (Pierre), 24, 124, 125, 126, 145, 254. Liszt (Franz), 122. Loaisel de ‘Tréogate (Joseph-Marie), 164, 546, 547. Lockroy (Joseph Simon dit), 59, 62, 122, 173, 212, 216, 217, 219. baron Loeve-Veimars (F. Adolphe, de),
Louis
Lacan
(Jacques),
618, La Calprenéde Lacroix Lacroix Lacroix
471,
585,
587,
(G. de), 225.
(Albert), 361, 470. (Jules), 104, 204. (Paul, dit le Bibliophile
cob), 63, 95, 100, 351, 353.
102,
104-110,
Ladmirault (général L.), 155. Ladvocat (Charles), 122, 215, 250. La Fayette (général G. de), 124. Laferriére (Adolphe), 273. Laffitte (Jacques), 248. Lafon, 225. Laforét (la Gazette), 63. La Fontaine, 28, 240. Lahorie (Victor), 19, 384. Lamartine (Alphonse de), 63, 68,
229, La
241, 270, 277,
Martiniére
954,
339, 346,
Ja-
325,
95,
99, 100,
71, de). 104,
Lamennais (Félicité de), 65. Laporte (Pierre de), 359, 360, 361. La Thorilliére (Francois Lenoir de),
250. La Tour-Maubourg (Septime de), 255. Latouche (Henri de), 122, 325. Laurentie (F.), 232. Laverdant (Paul), 172. La Vieuville de Vignecourt, 361. La Vrillére (Louis Phélypeaux, mar-
148.
357.
51, 124,
(marquis (marquis
Lucain,
243, 244, 246.
Lucien
(de
Lucréce,
144, 193, 248,
de), 327, de), 249.
Samosate),
328.
464.
243. 135.
Macé de Challe (pseudonyme d’Escamps), 479. Magnin (Charles), 122, 139. Maintenon (Mme de), 248-253, Maistre (Joseph de), 228.
108, 111-117.
quis de), 250. Lebrun (Pierre-Antoine),
XVII,
Luther, 138, 356. Lyonnet (Henri), 104,
494.
(Antoine-Auguste
(Francoise),
179.
Louis-Philippe, 600. Louville Louvois
361. Lambert
122,
Longueville (duchesse de), 361. Lope de Vega, 213, 215, 178. Louis XI, 23, 35, 36, 355, 356. Louis XII, 95. Louis XIII, 21, 68, 69, 248, 351, 359. Louis XIV, 244, 247, 248-253, 351-353, 359, 360, 362, 363, 465, 471, 592, 623. Louis XVI, 23, 329, 355, 356, 365, 596, 600.
d’Henri ie 365.
Mallet (général), 19.” Mann (Thomas), 27. Mancini (Marie), 362. Mancini (Olympe), 362.
Mare-Auréle, 464, Marchangy (Louis-Antoine 432. , Marie Tudor, 190, 192, 195, Marivaux, 316. Marrast (Armand), 227.
de),
163,
226,
339.
Mars (Mlle Anne Francoise Bouttet, dite), 48, 53, 62, 63,:91, 118, 120, 122-125, 254, 268, 272, 273, 275, 278, 283, 285, 290. Martin (Pierre), 165, 477, 478. ., Marx (Karl), 48, 53, 389. Massin (Jean), 12, 19, 20, 60, 143, 171,
194, 201, 245, 389, 489, 526, 604, 605. Masson (Léon), 122.
671
INDEX Maurel (Pierre), 12. Maurice (Charles), 47, 49, 63, 65, 119, 122, 125, 173, 254, 267, 274, 284, 285, 286, 297. Maurois (André), 63. Mauron (Charles), 20, 315, 356, 404, 472, 476, 578. Maynard (Louis de), 122, 222, 245, 314. Mazarin (cardinal de), 36, 355, 359362, 364. Mazéres (Edouard), 290. Médicis (Marie de), 361. Mélesville (Honoré Joseph Duveyrier), 207. Menessier-Nodier (Marie), 65, 73. Mercier (Louis-Sébastien), 36, 96, 225, 230, 451. Mérimée (Prosper), 60, 91, 153, 154, 241, 451. Merle
(Jeam-Frangois),
122,
127,
132,
Michaud (Biographie), 33, 191, 359, 364, Michelet (Jules), 136, 247, 541. Milton, 180. Mirabeau (Honoré-Gabriel
829,
356,
22,
31,
243,
306, 310 339, 371,
237.
de, reine
d’Es-
Nisard
(Désiré), 122, 239, 240, 241, 243,
244, 247, 258. Nitard (Cardinal),
327,
211, 259, 546, 547. Nodier (Charles), 20, 65, Noél (Louis), 321. Nunez de Castro, 328.
(agréé (duc
d’),
la Comédie
123,
Fran-
343.
118.
(duchesse
Orléans
74,
289.
(Just),
Orléans
de
73,
de,
Héléme
150, 313,
de
Mec-
379.
(Ferdinand-Philippe,
duc
d’),
150, 297, 298, 300, 313, 314, 379. de),
241,
Orléans
(duc d’, le Régent),
Orléans XIV),
(Philippe 254.
Orléans
Orsini
(attentat
Otway
(Thomas),
335,
466,
505,
342.
220,
245.
Monrose (Louis), 118, 122. Monselet (Charles), 126. Montalembert (Charles, comte Montalivet (Jean-Pierre, comte
de), 65. de), 5L,
111, 145, 153, 501. Montesquieu, 151.
de
144.
d’, frére
(Philippe-Egalité),
Paillard
Femmes Savantes, 148, 242. Misanthrope, 53, 294. Précieuses Ridicules, 316, 317, Tartuffe, 48, 153. Fourberies de Scapin, 530. Mongrédien (Georges), 353, 352. Monnay (Edouard, ou Monnais),
242,
(Marie-Anne
klembourg),
246.
164,
63,
124. 159, 193,
pagne), 328. Ney (maréchal), 193. Nicolas (Anne), 12, 244, 520.
Olivarés
Amphitryon, 339, 592. Cocu imaginaire, 251.
Juan,
Neubourg
Olivier
252,
Moliére, 31, 48, 53, 82, 136, 137, 148, 164, 233, 239, 240, 250, 254, 298, 315, 365, 466, 505. Dom 592.
(Alfred),
caise),
608.
(Raphaél),
Nettement
Nouguier
180, 226, 228, 311, 341, Méry (Joseph), 304, 336. Meyerbeer (Giacomo), 175, 310. Meschonnic (Henri), 517, 572. Meurice (Paul), 215, 370, 374, 380.
Molho
Nanteuil (Célestin), 121, 122, Napoléon I[er, 38, 78, 92, 93, 307, 390, 531, 618. Napoléon I, 307. Nemours (duc de), 341. Néron, 249. Nerval (Gérard de), 122, 124, (Léo Burckard), 338 (id.),
de
Louis
38.
d’), 161, 215.
Villeneuve,
290,
291,
292.
Palianti (Louis), 584. Parent (Yvette), 84, 86, 447, Panckoucke, 123, Pavie (Victor), 53, 55, 62, 64, 118, 172, 221, 253, 297, 313, 338. Péladan (Joséphin, dit le Sar), 156. Pélissier (Olympe), 174. Pérémé (Armand), 339. Pérez (Antonio), 193, Périer (Casimir), 124, 159. Perrier (Antoine Périer dit), 124, 125. Peytard (Jean), Phan Thi Tam,
Philippe Philippe Philippe
12. 586.
II, 34, 190, 192, 193, 195. IV, 318, V (d’Anjou), 254, 328.
Montmorency (famille de), 359, 360. Montrésor (Claude Bourdeille de), 359. Moreri (Dictionnaire), 160,162.
Piccini
Morin
Pichois Pichot (Amédée), 122, 183, 227. Pierre le Cruel, 33. Pillet (Léon), 63. Piroué (Georges), 475, Pixérécourt (Guilbert de), 46, 49, 164,
(prof au
Motteville
365, 366. Mozart (W.A.), Muret
Conservatoire),
(Frangoise
306.
de), 360, 362, 363,
31, 164, 316.
(Théodore),
149.
Musset (A. de), 93, 122, 176, 232, 242, 263, 345, 452, 475, 572. André del Sarto, 264. Lorenzaceio, 265, 451, 452, 475, 484, 531, 598, 601, 608, 627. Louison, 555.
233, 476,
(Alexandre),
47,
175.
Pichot (A.), 122. Pichette (Henri),
389. (Claude), 95.
325, 352, 546. Planche (Gustave), 65, 66, 68, 122, 181, 183, 184, 219, 226, 230, 239, 242, 247, 255, 279-342, 347, 494. 494, Planchon (A.), 580.
672
LE ROI
Platon, 464. Poirson (Charles
Gaspard,
tre-Poirson), 309. Pompigny (Maurin
Pons
de),
ET LE BOUFFON
dit de Les-
325.
(Gaspard de), 122, 276, 314.
Ponthieu (famille de), 360. Pradier (Claire), 379. Pradon (Nicolas), 250, 251, 275. Propp (V.), 399, 406. Quinet
(Edgar),
Rabbe
(Alphonse),
Rabelais 467,
33.
(Francois),
473,
Rabou Racine
27.
514,
102, 463, 464, 466,
515.
(Charles), 122, 230, 231, 233. (Jean), 40, 54, 66, 73, 213, 241,
247, 276,
345, 582.
Athalie, 276. Andromaque, 399, 400. Bérénice, 580, Britannicus, 40, 365, 583.
Sénéque, Serres,
Phédre, 242, 251, 400, 494, 549. Rachel (Elisa-Félix), 125, 242, 271, 345. Rayneval (Alphonse Gérard de), 255.
Régnier Rémusat
(Mathurin),
345.
(Charles de), 238, 304, 305.
Renduel (Eugéne), 41, 89, 122, 191. Retz (Cardinal de), 360, 361, 364. Richard (Jean-Pierre), 627. Richelieu (Cardinal de), 21, 68, 69, 153. Richelieu (Maréchal-duc), 353. Rivet (Gustave), 60. Rizzio (David), 34. Robelin,
118.
’ Robert (Guy), 12, 13, 78, 87, 88, 253, 256, 257, 315, 466, 483, 515, 535. Robespierre (Maximilien de), 138, 476, 477.
Roger (Baron de), 338. Rolle (Hippolyte), 70, 72, 122, 133-137,
141, 156, 164, 179, 182, 221, 226, 228,
230, 247, 345. Roqueplan (Nestor), Rosa
(Guy),
63.
12, 19, 20, 78, 93, 11, 194,
252, 256, 483. Rossini (G.), 337. Rotschild, 248. Rousset (Jean), 589. Royer (Alphonse), 338. Royer-Collard, 389. Rubens (P.P.), 184.
Sade (D.A.F. de), 479, 626. Saint-Amant (Mare Antoine Girard de), 246, 247. Sainte-Aulaire (Louis, Saint-Evre, 313.
Marquis
de), 52.
Saint-Firmin, 211, 333, 336, 337. Saint Merri (Cloitre), 140. Saint-Romain
(A.L.),
Salazar y Castro, 26. Samson (Joseph-Isidore), 118, 125, 290. Sand (George), 104, 265, 266, 281. Sauval, 105, 251, 251. Sauvo, 122. Savey-Casard (Paul), 258. Say (Jean-Baptiste), 389. Scarron (Paul), 103, 248-253, 255, 345, 361, 362, 365, 465. Schiller, 213, 215, 325. Seott (Walter), 95, 195 (Kenilworth), 213, 226, 233, 298. Scribe (Eugéne), 46, 122, 124, 181, 226 (le Clere de la Bazoche), 240, 241 (Bertrand et Raton), 267, 289, 291, 294, 303-315, 311, 390, 452, 616. Séchan (Charles), 47, 121. Seebacher (Jacques), 12, 20, 25, 83, 101, 477, 561. Ségur (comtesse Philippe de), 321.
46.
Saint-Simon (duc de), 249, 255. Sainte-Beuve (Augustin de), 20, 27, 60, 61, 62, 65, 71, 83, 92, 118, 120, 122, 124, 141, 172, 215, 239, 242, 245, 246, 247, 252, 253, 286, 298, 314, 338, 378, 383, 476, 542.
22, 116, 219, 258, 478,
239, 258, 464. 60.
Sévigné (Marquise de), 361. Sforza (Jean), 166. i Shakespeare, 48, 74, 79, 82, 84, 93, 134, 135, 215, 224, 226, 233, 238, 239, 241, 244, 263, 280, 298, 341, 473, 564, 567, 572, 578, 623. Hamlet, 48, 164, 177, 627. Macbeth, 325, 399. Othello, 263, 264, 276. Mesure pour Mesure, 264, 280. Richard III, 84. Roi Lear, 470. Roméo et Juliette, 263, 275. Simon (Gustave), 238, 283. Sismondi (Sismonde de), 160, 161, 162.
Smithson
(Harriet),
263.
;
Socrate, 464. Sophocle, 346. Souchon (Paul),
330, 331, 332. Soulavie (abbé), 252, 253, 353. Soulié (Frédéric), 50, 110, 196, 225 (Clotilde).
197,
Soumet (Alexandre), 122. Souriau (Etienne), 399. Spitzer (Leo), 322. Stace, 239, 246. Staél (Germaine de), 98, 99. Starobinski (Jean), 322. Stuart (Marie), 34. Sue (Eugéne), 122.
Tallemant (de Réaux), 360. Taylor (Baron), 45, 49, 51, 53, 55, 118,
120, 139, 254, 170, 291. Térence, 73. Terrier (Thomas), 304, Tesni¢re, 401, Thiers (Adolphe), 82. Tiersot (J.), 175.
305.
Titeri (le bey de), 123. Thouret (Anthony), 127. Tolstoi (Léon), 602. Tomasi (Tomaso), 164, 165, 166. Trébuchet (Adolphe), 122. Ursins
(Princesse
des),
254.
673
INDEX Vacquerie (Auguste), 171, 314, 371, 374, Vacquerie (Charles), 371, 384, Valenzuela (Fernando de), 318. Valéry (Antoine Cl. Pasquinit), 266. Valéry (Paul), 625. Valter (Jehan), 121, 123, 125, 126. Varon, 464. Vayrac (abbé de), 164, 327, 328. Vedel, 253, 275, 284, 286, 294. Vermandois (duc de), 351. Vernant (J.P.), 320. Vernier (France), 572. Véron (Louis-Désiré), 122, Versailles, 248, Veuillot (Louis), 389. Viau (Théophile de), 247, Vidocq (Francois), 143, Viennet (Jean-Guillaume), 123, 302,-338,
339, Viennot (Jean-Louis), 63, 122. Vigny (Alfred de), 63, 64, 72, 95, 122,
211, 263, 267, 268, 353, 354, Chatterton,
199,
242,
268,
274,
L’Ane,
86, 611, 625. Robsart,
17,
24, 29, 30,
31,
195,
196, 197, 201,. 278, 293. Angelo, 28, 29, 58, 120, 150, 164, 195, 196, 216, 253, 254, 255, 260-281, 292, 293, 294, 299, 313, 391, 402, 404, 405, 417, 418, 425, 431, 433, 434, 436-440, 442-450,
194, 258, 317, 428, 453,
456, 480, 481, 483,
489, 490, 492, 493,
494, 496, 502, 505, 540-542, 591, 593, 624, 626, 627. Préface, 258, 264, 411. L’Année Terrible, 48. Burgraves, 12, 37, 150, 250,
379, 407, 437, 450, 536,
382, 410, 438, 456, 594,
385, 386, 421-423, 439, 442, 478, 489, 628.
403, 424, 443, 490,
404, 426, 445, 504,
546, 583,
260,
369,
405, 431, 447, 505,
406, 432, 449, 506,
But de cette publication, 89. Carnets, 18, 48, 361. Chansons des Rues et des Bois,
102,
466, 467. Chants du Crépuscule, 114, 246, 254, 258, 263, 269, 297, 426, 440, 442, 443, 506, 522, 598, 557. Charles
ler, 37.
Chatiments,
143, 454, 557, 587, 598.
Claude Gueuz, 258. Contemplations, 20, 24, 25, 29, 82, 101,
138, 162, 249, 250, 258, 361, 384, 454, 474, 481, 597, 624, 628, 629. Cromwell, 21, 26, 31, 32, 79, 86, 92, 94, 157, 190, 435, 463, 469, 470, 471, 499, 505, 602.
More de Venise, 118, Prison (la), 253, 254.
121,
Quitte
268.
Villars
pour
la Peur,
(Marquis
Villemain
de),
266.
327.
(Frangois), 31, 122, 338, 339.
Villeneuve Virbluneau
(F. de), 308, 309, 310, (Scalion de), 246.
Virgile, 243, Vitet (Ludovic), 48, 122. Volnys (Léontine), 283, 287,
339.
288.
Voltaire, 12, 54, 164, (Sémiramis, Mérope), 193 (Candide, l’Essai sur les Maurs), 226 (Adélaide Duguesclin),
248,
251,
263
(Zaire),
351,
352,
353.
Wailly (Gustave de), 290, Wailly (Léon de), 316. Weiss (Charles), 259.
275,
HUGO : CGEUVRES,
Amy
285, 451, 452, 583, 584, Cing-Mars, 61. Journal d’un poéte, 354. Maréchale d’Ancre, 100,
260, 321, 358, 487, 542, 566, 33, 35, 36, 38, 325, 326, 365, 473, 484, 498,
TITRES,
PROJETS
Préface, 17, 28, 35, 39, 40, 79, 81, 95, 100, 103, 214, 244, 247, 248, 325, 326, 365, 462-473, 503, 510, 582. Dernier
Jour
d’un
Condamné,
20,
70,
113, 149, 165, 195, 472, 555, 598, 604, 605. Derniére Gerbe, 21. Deux Trouvailles de Gallus, Dieu, 627.
30.
Enfance de Pierre le Cruel, 107. Esmeralda, 258, 294, 313, 433, Feuilles d’Automne, 19, 99, 190, 265, 266, 355, 442. Paginées, 19, 20, 21, 23, 78, 83, 85, 87, 92, 99, 111, 112, 158, 249, 250, 255, 257, 315, 321, 355, 356, 360, 430, 456, 479, 495, 501, 598. Fin de Satan, 34, 447, 607. Maglia, 112, 255-258, 316, 319, 334, 369, 370, 384, 385, 535, 630, 631. Forét Mouillée, 256. Feuilles
Fragments
dramatiques,
103,
159,
256,
261, 263, 368, 369, 378, 382, 384, 385, 401, 427, 430, 447, 466, 479, 500, 501, _ 555, 598, 631. Han d’Islande, 134. Hernani, 11, 21, 24, 25, 26, 27, 30, 31, 32, 34, 36, 37, 45, 47, 51, 56, 64, 65, 87, 118-121, 169, 172, 190, 194, 213, 216, 230, 342, 260, 261, 276, 283, 284, 286, 292, 293, 294, 299, 325, 327, 355, 401-405, 405, 407, 409, 410, 420-421, 424, 426, 427, 429, 431, 432, 435-438, 441, 444, 446, 449, 450, 453, 455, 475478, 480, 481, 484, 488, 491, 496, 497, 499, 500, 506, 509, 510, 527, 536-540, 546, 548, 594-598, 628.
43
LE ROI
674 qui
Homme
ET LE BOUFFON
543, 630.
rit, 114, 517,
Jumeaux, 22, 23, 24, 35, 36, 39, 103, 104, 113, 155, 165, 169, 199, 200, 248, 253, 255, 256, 315, 351-386, 391, 403, 404, 405, 423-424, 425, 426, 427, 431, 432, 433, 435, 437, 438, 439, 445-450, 453, 475, 476, 477, 479, 483, 487, 488, 489, 491-497, 503-506, 537-542, 587, 594, 595, 598, 606, 607, 617-618, 624, 627. Légende des Siécles, 29, 30, 35,375 0875 600. et
Littérature
Mélées,
Philosophie
81,
82, 85, 87, 95, 191, 248, 250, 258, 327, 474. Louis XI, 35. Lucréce Borgia, 30, 34, 40, 47, 48, 58, 88, 109, 111, 150, 156, 157-184, 190, 194, 195, 196, 198, 204, 206, 207, 208, 221, 230, 237, 238, 254, 256, 258, 263, 265, 276, 280, 293, 305, 323, 385, 386, 391, 402, 403, 405, 409, 410, 412, 413, 416, 417, 424-427, 430, 431, 432, 435, 437-440, 443, 444, 446, 449, 450, 453, 475-483, 486, 488, 491, 492, 493, 496, 497, 501, 503, 505, 506, 522, 537-540, 543, 545-573, 582, 583, 587, 588, 593, 595, 597, 598, 600-602, 607, 617, 621, 624, 627, 628. Préface, 81, 89, 109. Madame
Louis
Marie.
169, 260, 334, 410, 436, 456 505, 598,
Tudor,
176, 276, 339, 420, 441, 480, 536, 601,
31,
384, 316, 630, 256, 505,
32,
187-233, 280, 286, 359, 382, 424, 427, 444, 446, 483, 484, 542, 546, 602-605,
Préface, 81. Marion de Lorme,
103,
35,
XIV,
267, 315, 327, 365, Maglia, 112, 255-258, 370, 384, 385, 535, Mangeront-ils ?, 102, 447, 489, 490, 504,
17,
90,
150,
240, 242, 309, 325, 391, 402, 430, 433, 450, 453, 488-494, 594, 596, 627.
258, 326, 403, 435, 455, 502, 597,
77,
47,
237, 293, 390, 419, 449, 486, 580, 617,
247-255,
465. 319, 334, 369, 631. 381, 445, 446, 542, 630.
18,
26,
28, Sas
32, 47, 51, 52, 53, 55, 56, 59-74, 77, 88, 120, 132, 133, 150, 158, 169, 173, 176, 180, 206, 242, 261, 272, 286, 291, 292-294, 299, 333, 382, 401, 402, 404, 405, 409, 415-416, 419, 423, 425, 426, 427, 432-438, 443, 444, 448, 449, 450, 453, 455, 456, 480, 481, 484, 485, 488, 491-495, 497, 499, 500, 505, 509, 5i1; 536-540, 543, 585, 594, 595, 596, 598, 607, 616, 622. Préface, 51, 77, 78, 143, 453. Mariposa I, 27, 28, 31-33, 34, 36, 113, 195, 261. Mariposa Il, 27, 28-31, 37, 91, 92, 98, 101, 103, 113, 164, 194, 195, 196, 261, 316, 317, 401, 478, 514. Masque de Fer, 36, 39. Mille frances de récompense,
381,
390,
445, 446, 449, 453, 490, 542, 626; 630.
Mirabeau, 241, 246. Miséres, 41, 630.
Misérables, 41, 47, 55, 106, 108, 112, 151, 256, 257, 266, 368, 430, 446, 447, 456, 477, 478, 479, 513, 601, 607, 617, 624, 627, 630. Mort de Charles-Quint, 36, 37. Mort du Duc d@’Enghien, 39. Mort de Louis XVI, 37, 38, 114, 122. Néron, 39, 40. Notre-Dame de Paris, 17, 19, 25, 27,
28, 30, 32, 35, 36, 66, 78, 84-88, 98, 100, 101, 102, 105, 118, 134, 200, 317, 325, 355, 359, 472, 477, 479, 490, 494, 495, 496, 542, 599, 624, 628. Odes et Ballades, 32, 39, 66, 240, 479, 598. Orientales, 20, 28, 34, 37, 66, 137, 249 (Préface). Pierre le Cruel, 53. Philippe I, 33, 34, 37, Préface Philosophique, Promontorium Somnii, Quatrevingt-Treize, 92, Rayons
96, 137, 478, 617,
315, 240,
190. 629. 466, 467. 93, 94, 600. 23, 24, 256, 331,
et les Ombres,
356, 357, 358, 359, 371, 382, 384, 442.
Repaire
de
(Juana),
la Guérilla
90-95,
111, 255, 315. Rhin, 371, 382, 466, 595, 596. Roi s’amuse, 24, 28, 30, 34, 55, 58, 61, 62, 88, 90, 95-138, 154-156, 169, 178, 180, 191, 195, 198, 201, 202, 237, 239, 253, 259, 272,-291, 293, 316, 317, 325, 371, 377, 386, 391, 399, 401, 404, 405, 409, 415, 416, 419, 425-430, 433, 434, 436, 438, 489, 440, 445-450, 453, 455, 456, 475, 480-484, 486, 489-493, 496, 501, 505, 509-544, 553, 555, 556, 564, 571, 580, 592-598, 599-600, 617, 621, 624, 627, 628. Préface, 141, 142-144. Procés du Roi d’amuse, 139-154. Ruy Bilas, 29, 37, 48, 90, 97, 102, 104, 115, 121, 150, 164, 189, 190, 191, 193, 4 195, 216, 226, 253-255, 258, 260, 261, 276, 277, 294, 302, 310, 371-347, 359, | 360, 368-371, 379, 380, 382, 391, 399, © 402, 404, 405, 409, 410, 418-419, 425-— 429, 431, 432, 434, 434-440, 442-450, 453, 455, 475, 476, 480, 482-496, 502, | 503, 5U5, 506, 527, 531, 536-543, 546, 578, 579, 580, 584, 585, 588, 590, 591, 593, 594, 598, 601, 605-616, 617, 622, 624, 628. Préface, 578-579, 324, 325, 326. Saint
tragédie,
Jean-Baptiste,
32, 38.
Tas de Pierres, 20, 245, 249, 335, 476. Thédtre en Liberté, 257, 390, 445, 542, 594. Torquemada, 92, 630. Travailleurs de la Mer, 629, 630. Utilité du Beau, 83, 626. Verso de la Page, 247, 249, 356.
Voix
Intérieures,
443,
629.
244,
264, 378,
257,
315,
321,
442,
William Shakespeare, 81, 102, 194, 243, 479,
630.
—
)
TABLE DES MATIERES PREMIERE
PARTIE
_ Introduction
|
|
A) PSE OUEY AU
PURATHE
Cute rner Sab ayy) MONE: Bl
lies
ay osja! Le moi fracturé. — La faille de Vhistoire. — La blessure du moi et le drame personnel. — Fatalité indivi duelle, fatalité historique. — Une pause : roman ou drame ? — Notre-Dame de Paris.
B) La couRTISANE
ET LE ROI DECAPITE : PHOSEDS Pele ote serci ateeche-
La Mariposa, personnage.
—
Sabina Muchental.
La Mariposa (Histoire de Don Pantaleon de Pierre le Cruel, — Philippe II. — Louis XI. — Charles Je, — Justification mort du duc d’Enghien). — Le masque tragédie romaine. — Projets abandonnés.
Il. —
HUGO
—
26
Gennaro.
Sa). — L’enfance La mort du roi : de Bonaparte (la de fer. — Néron,
ET LE THEATRE : 1830-1831
A) HuGO ET Les THEATRES DANS L’ETE 1830 .................... Les thédtres et leur public : ThéAtre Franca is ; Odéon ; Porte Saint-Martin. — L’irritante question de la subvention. — Décadence des subventionnés. — La censure . B) Manion DE LORME ET LE CHOIX D’UNE SOENE.|3 :si0))Aualseancvoerers Adieur a la Comédie. — Avoir un thédtre : reprendre les Fran¢gais ? — Le projet de Dumas et de Hugo, son échec. — La Porte Saint-Martin, tractations et traité : Hugo se lie a ce théatre. C) UNE &PREUVE : MARION
17
DE LORME A LAS SCONE thee ewe eae... Marion jouée : mise en scéne et distribution. — Didier pardonne : Hugo écrit un nouveau dénouement. — La représentation : public, interprétation, recettes. — La presse ;— les critiques se réservent : incertitudes, partag e non politi-
45
51
59
676
LE
ROI
ET
LE
BOUFFON
que de l’opinion. — Passions et passion. — Marion et Vhistoire : hésitations de la presse. — Le rire et la mort : le grotesque. — On oppose 4 Hugo le grand siécle. — Hugo n’est pas fait pour le théatre ; — Varticle de Nodier. — On voit naitre les grandes accusations encore peu assurées d’elles-mémes.
Ill. — L’ANNEE 1832 A) LE DOUBLE
PROJET
DE 1832.
: La Préface de Marion. — Guizot et VEloge de Shakespeare une poétique paternaliste : le théatre et le peuple ;— civiliser le peuple ;— peuple et nation : une confusion générale. — « Le peuple que le thédtre civilise » : la thése de Hugo, ses rapports avec celle de Guizot; changement de lieu du peuple ;—contre un théatre politique ;— défense et illustration d’une idéologie ; — celle de Guizot ? quelque différences a la base. —
« Le peuple ou tout va >, le peuple
destinataire ; qu’est-ce que le peuple pour Hugo ? Comment : faire exister le peuple ? Les solutions ; — le double projet et investir le théatre par le moyen des deux grandes scénes par une sorte de travail croisé. B) JUANA OU LE REPAIRE
DE LA GUERELDA
Un drame moderne. —
léon : histoire irréconciliable ;—
C) LE ROI S’AMUSE
.:.
Pace Rah
Sie
ER re rc
La Tor Quemada. — Adieux a Napo-
pas de drame
eees Ara reeesst ses -....
un.
itwe em ae aie it nN
— Genése : richesse des renseignements génétiques. IJ. — Le drame sa Maripo la Encore — a. Corcov et e Jocriss nts : paternel : Lessing, Emilia Galotti. — Premiers fragme et QuasiCorcova (printemps 1830). — Notre-Dame de Paris ., modo. — Rabelais et Triboulet : le Tiers Livre. — Scarron Fou ; — un __ Les Deux Fous de P. Lacroix ; Le Roi et le ; — transnnel passio aspect et n tratio concen — seul bouffon
de Hugo. — formation de la structure en miroir. — Lectures — La décaL’avant-texte. — La révélation. — Maguelonne. écrit
tation : brouillon de la tirade de Saint-Vallier.
— Hugo
e Francais. — le Roi s’amuse. — Le Roi s’amuse au Thédtr : distribution, va s’en Bocage pleure, Le contrat. — Ligier La
costumes. Le grand Coésre et le bey de Titeri.
décors censure de représentation. Le manuscrit de thédtre : l’autoe et la s’amus Roi le n: Caliba — re. premie la Hugo aprés anbiensé les — ; ation réprob la dans e presse. — La critiqu le National ces. — Le grotesque: le bouffon ; Rolle dans
e : Caliban ; la double nature ; le grodu laid analyse le rél trivalité ; Hugo et la matiére toute pure Ja : ire tesque popula : achare == que Hugo renonc au thédtre |!— Une provocation
D)
provocateur. nement général ; le drame de Hugo est tenu pour E ....... aCe UNE BATAILLE PERDUE : LE PROCES DU ROI S’AMUS
;Hugo intente La piéce interdite : suspension, interdiction
TABLE
DES
677
MATIERES
un procés 4 la Comédie, pour lutter indirectement contre la censure ; la presse libérale obligée de le soutenir. — La pudeur des gendarmes : la Préface du Roi s’amuse. — Le procés ; un avocat libéral. — La these de Hugo ; il veut Odilon Barrot pour avocat. — L’audience ; plaidoirie d’Odilon Bar-
rot. — La plaidoirie de Hugo: la liberté accuse. — La réponse de Chaix d’Est-Ange, avocat du ministére, présentant Ja défense de la censure préventive et soutenant la légalité de Vinterdiction. j : le tribunal se déclare incompétent. — Fortune du Roi s’amuse: cinquante ans apres. Pp UACHECH
DORGUR:
ts
itcn s Bole tate cect
Sadtetealit esAad cee
a dianes
157
GENESE : Ma vie est en deux parts : Avant-texte et brouillons. — La peste Borgia : Sources historiques :Comines ;— Brantome ; — Sismondi ; — Guichardin ; — Alexandre Gordon (la Vie du Pape Alexandre VI). — La Tour de Nesle : Lucréce
Borgia, réécriture. — La Gaule poétique de Marchangy, fausse source ? — Portrait d’un monstre: la Vie de César Borgia, de Tomasi. — Le duo d’amour et son effacement : Pécriture de Lucréce ; rapidité relative : les tranches quotidiennes du 8 au 2( juillet. — Ajouts et modifications : le probléme capital du dénouement et les additions ultérieures. MORURTOMBHE
Lucréce
Mek
aux
‘Martin. —
em tue ylik ME aeRA,
Boulevards;
a
MUD
tractations
tO
ade ce
avec
Nee TAI
la Porte
173
Saint-
Le traité. — Monstres sacrés : Georges et Frédé-
rick, — Mise en scéne : distribution, décors, Hugo metteur en
scéne. —
Une revanche : triomphe de Lucréce.
MBG CUE TRAN CANCE
IAS,sa: « LaltSlath takalesofbleavava Mae chRMM, » chevron CMU alle’ d Succés : la presse le constate ;Hugo a) est devenu classique; b) a écrit un mélo, — Critiques modérées :Hugo s’est assoupli (mais ce n’est pas encore suffisant), — L’action dramatitique : en général éloges. — Le monstre : réticences devant le monstre Lucréce ; violence et immoralité.
—
Mélodrame :
Lucréce est un mélo pour la Porte Saint-Martin. — Gustave Planche et Vidéologie libérale ; la poétique de Hugo est une poétique matérielle ; elle occupe la vue, non 1’Ame. IV. — UN POINT
D’ABOUTISSEMENT
: MARIE
TUDOR
GENESE : Un con/flit. — Un texte de commande; — Ja querelle avec
Harel : un duel manqué ;— Hugo promet une piéce. — Origine de Marie Tudor : une documentation déja ancienne que Hugo rafraichit. — La reine et le favori :documentation historique : une longue liste empruntée au catalogue de la Bibliotheque
Royale ; —
Vouvrage
de
base:
Griffet,
Nou-
veaux éclaircissements sur UV'histoire de Marie ; — Le Livre, d@Antonio Perez, met l’accent sur la chute du favori. — Date de ces lectures ; vers 1829 (la Mariposa II ?) ; liens avec le projet Philippe I]. — Amy Robsart ; — Christine. — Hugo récrit Hugo : Marie
Tudor,
réécriture
de textes
antérieurs;
179
678
LE ROI
ET LE BOUFFON
politisation par rapport aux drames antérieurs. — diens : Marie Tudor est-elle écrite pour Juliette ?
Comé-
HuGO ECRID MARIE {DUD OR iiss syoicer tio te eee) ehhh -gieyeyejam sige sre Les deux versions du 1 acte: entrée en scéne de Vhistoire. — Décapitation du double : les deux dénouements. — Madame Pochet et les corps sans téte : quelques aménagements pour la scene.
200
DINE: BATATEDE: TNTBRNET
205
oS. oe giv tie nce ere ents are ple angentele s/sPate)cues obi
Le nerf de la guerre : le traité et ses modifications. Hugo veut des reprises de ses piéces, il veut aussi des décors somptueux ; marchandages ; un nouveau contrat. — Bocage contre Hugo : — Distribution : le cas Chilly ; les intrigues BocageHarel-Dumas ; attaques contre Juliette; le drame Bocage. — Le pavé de Vours: article de Granier de Cassagnac et les attaques contre Dumas ; — la défense de Hugo ; — brouille, — Le bourreau : derniéres hésitations. — Hugo metteur en
scéne : la distribution définitive ; les notes de répétition. — En un combat douteux: la représentation ; pas de listes la jeunesse
d’invités ; —
incertaine ; — monde
romantique ; une
bataille a4 Vissue
l’interprétation : 4 part Mlle Georges, tout le
assez faible, Juliette désastreuse.
DRAME BOURGEOIS CONTRE MARIE TUDOR .......---++eseereenss L’accueil ;Hugo organise la contre-offensive 4 l’aide de la petite presse littéraire :Europe Littéraire et Vert-Vert. — Violence des réactions : Hugo intéresse, mais il n’est pas un homme de théatre. Viol du public. — Plagiat. — Mélodrame. — La trivialité. — Hugo révolutionnaire ? Oui pour ’Echo de la Jeune Francé, non pour la Tribune. — Hugo et Vart matérialiste. — Hugo et le drame bourgeois.
Vv. — A) Le ROI ET LE BOUFFON
VERS. UN COMPROMIS : DE MADAME LOUIS XIV a MaGuia......
1) 1834 — L’assaut de campagne de l’Echo de sion de désorganisation simultanées de la Revue Paris
; —
Planche
222
la critique. — Hugo décadent. — La la Jeune France : Hugo et sa « mis». — Le National. — Les campagnes des Deux Mondes et de la Revue de
et Nisard;
—
VYintervention
de
Jules
Janin. — G. Planche et la beauté classique. — Lettre a M. Victor Hugo. — D’un poéte nommé Lucain. — Nisard et les Poétes latins de la Décadence : classicisme et décadence ; Racine et Hugo. — L’ami fidéle : Sainte-Beuve et la rupture avec Hugo ; — l’Europe Littéraire. — D’un poéte nommé Saint-Amant : la réponse de Gautier dans la France Littéraire. : une 2) Madame Louis XIV. — La perruque de Louis XIV du réponse a la glorification de l’age classique ; le grotesque sa xvi? siecle; Vancien régime oppressif. — Scarron et : le veuve : brindilles et fragments. — Madame Louis XIV projet et son échec.
237
9
TABLE
DES.
679
MATIERES
3) Maglia. — De Tafalta et quelques autres. — Maglia et son nom. — La paraphrase de Maglia. — Une crise. B) ANGELO, Genése
eees erste ceeee TYRAN DE PADOUE ......--.-0-ecee : Sabina Muchental ou Vhomme entre deux femmes.
260
— Juliette écrit. — Shakespeare et Musset : modéles littéraires : Voltaire (Zaire) ; — Shakespeare (Roméo et Juliette, Othello, Mesure pour Mesure)
; —
Musset
(André del Sarto) ;
— Dumas (Teresa, La Vénitienne). — L’Italie et la documentation historique : Amelot et Daru. — Mars et Dorval :
retour a la Comédie. —
La présence de Dorval.
Soca st oisste a pss aroe Ae Beh welelle aia ee weteie atl EX DRAME DENATURED Le travail régulier de l’écriture ;— un drame resserré et classique ;— le travail aux répétitions ;— la suppression du bouge d’Homodei : un compromis.
269
VLA “PIREH JOWHE NM. J ievasiets . clack vie sheholele w SbtEeR craniihnyya 6a sghie telsIS% Un bon contrat. — Répétitions : conflit avec Mlle Mars. — Comment on fait un succés : la représentation ; applaudissements, réussite financiére. — Le compromis : le texte et
271
ses concessions ; provocations
réduites.
ANGEL OWES TAL PRESSE liste ote a tetalaisieies anisicls sie eels wlelaiecs sachs, as La critique se répéte : attaques du Courrier des Théatres.
—
277
Les reproches habituels, cette fois plus modérés : mono-
tonie et manque
langage ; — de Paris,
que. —
Gautier
Pourquoi
C) LE CONFLIT
d’originalité,
amour
du décor, trivialité du
les défenseurs de Hugo : Granier dans la Revue
AVEC
dans
le Monde
dramatique
: le fantasti-
Janin n’a pas fait d’article favorable. LA COMEDIE
FRANGAISE
......-++-+++++0-%
282
PREMIERS) DEMELES J).5.)0 0055s c see dee eet sw ccc ccs ceases rcces Angelo et Don Juan d’Autriche. — Jouslin arréte les représentations d’Angelo ; — Hugo réclame les reprises d’Hernant et de Marion. — La gestion de Védel. — Censure littéraire. — Quel théAtre peut accueillir Hugo ?
282
TA CHESE. £ ONE icr, AINE oP OPED Aettnels etn cele Sie Sal. lorewala Soke Situation de Ja Comédie ; — Vincident Volnys ; — automne 1837: un échange de lettres entre Hugo et Védel; — la
287
rupture.
PAE PIO CMAP IEEE, Tereh 2 SISTA ee; Ab Mcnedevaas herelate teaterajedstoMera's Gbsienal alols Premiéres passes d’armes : les arguments de la Comédie; Vimprovisation du poéte. — Une éclatante victoire : le jugement donne raison au poéte sur tous les points. Le probléme des recettes > Hugo a fait faire des bénéfices a la -Comédie ;—- Hugo démasque la « censure littéraire ». — Le jugement
en
appel confirme
toutes
les theses
de Hugo.
— Les lendemains : fureur d’une partie de la presse; le Moniteur des Thédtres souligne le conflit du poéte avec le public. — Védel a Canossa.
290
680
LE
VI. — THEATRE
A) LE
DE
ROI
ET
LE THEATRE LA
RENAISSANCE
LE
BOUFFON
DE LA RENAISSANCE ..-----+-ereeeseeerserrree
Réconciliation avec Dumas. — Un second thédtre francais ? Les promesses du duc d’Orléans; tractations : Hugo et Guizot ; difficultés. — Vers le premier privilege : drame romantique ou drame bourgeois? — Anténor Joly, futur directeur, fait jouer opinion. — Lettre au ministre de dun réclamant Youverture Hugo, Delavigne et Dumas second thédtre francais, avec subvention. — Appétits et concurrence. — La Comédie Francaise se défend. — Le droit a la musique? L’Opéra-Comique le conteste. — 4 novembre 1836: signature du privilége. Réaction de la presse. — Le second privilege : la réouverture de ’'Odéon remet en cause le premier privilége. Pétition des auteurs et compositeurs, le 22 juillet 1837. — Joly obtient le droit a la musique. — Le second privilége, septembre 1837 ; restrictions. — Une naissance difficile : le probleme du local ;— conflit avec ’Opéra-Comique ;— Joly n’obtient ni le titre de Théatre Royal, ni la subvention. — Manceuvres d’arriereLe Théatre de la Renaissance : \a salle ; la troupe.
garde. —
B) «Ruy Bias >, DRAME DE LA SYNTHESE
2++7* +00 -....+-+---
én 1838. — Le silence du poéte - difficultés publiques, “Hugo difficultés privées ; — mort d’Eugéne. Genése
—
: Le Jocrisse
le valet déguisé. —
: maitre
le canevas
et valet ; —
L’homme
—
les amis.
la vie personnelle,
découronné
Victor Hugo Raconté ; le Journal d’Adéle. —
La
632;
: le texte du
Fusion décalée
: de deux schémas. — La double mort de César de Bazan fraDon César ; — le mort-vivant et la double mort ; figure ternelle :— le schéma complexe. — Ruy Blas, un rébus : le * biographique. — Drame total et tragédie grotesque
déchainement antérieurs. — tion énorme,
de Vintertextualité; — reprise des textes Une tragédie de Vhistoire : une documenta-
ancienne, en couches
successives ; —
la docu-
mentation de base ; d’Aulnoy, Vayrac, Louville. — De 'usage des documents : Yamalgame ; — ne pas particulariser Vhistoire.
UNE
netes serr ence renee ECRITURE FACILE .....-2-sc-erenesees ns du Un faux départ ;— une rédaction aisée ; les brouillo IV* acte.
« Ruy
BLAS
» JOUE
Distribution
. 22.
difficultés pour Don
scene : les stalles ; —
scene. —
cee en ete rncee errs enters baenii2e
: Frédérick
et Juliette ; le role
César de Bazan. —
de la Reine;
Hugo metieur en
la rampe ; un vrai travail de mise en
La représentation.
i
cece cece ccc ee ce eeen es ereses SANS APPEL 2. - - 0e Les Les doctes ne veulent pas voir. — Contradictions. — ultras ne sont pas contents. — La reine et le laquais : accu-
Un JUGEMENT
TABLE
DES
681
MATIERES
; les libéraux sations politiques : offense a la majesté royale — Le groHugo. de s atique démocr hies dénoncent les sympat personne ; — le tesque : trivialité et mise en question de la e. — Solitude vulgaire et le laid ; — Hugo poéte de la matiér et folie.
Vil. —
LES JUMEAUX
351
ata aa CEPR TTLE © Cl ond: ie eae Oc) PPO RUM ;— inconnu prisonnier un : fer de Le mythe du Masque — L’exVoltaire et la légende ; les Mémoires de Richelieu. et ses rapports ploitation littéraire ; — la Prison de Vigny fatal, avec le texte de Hugo. — Yindividu et Vhistoire;
La constellation de 1830 : le Gain: — la Révolution; —
‘Le
constel« creux dépressif » de 1830 ; — reprise de la méme Détails — 1839. mps printe du poémes les 1839: en lation Mémoires de historiques : Laporte, Mme de Motteville ;les ; Mme de ieu Ponth de nom le — ; y la marquise de Créqu
et leurs et les noms des frondeurs. — Les lieux La Mazari— es. logiqu chrono ns dictio contra ; émes probl : Madame Relais des Jumeaux de Scarron. — nade : Hugo nicus Britan ; siécle Louis XIV et le dix-septiéme la Vie est un veut-il écrire une antitragédie ? — Calderon, Songe, modéle probable des Jumeauc. errs ener p>, ee OP bt eee Un RELAIS: « RUY UP Ruy Blas et entre : -texte L’avant — autre. d’un Les habits les. brindil res les Jumeaux. — Dernié Sévigné
368
371
c sce ae cecee seer ees LE DRAME INTERROMPU 2.5225 2c coe hecti — L’inachévement Un délai. — Hésitations dans Vécriture.
; la lecon du du IlIt acte : témoignages contradictoires itution posreconst une : x Jumeau des fin La — manuscrit. ruption : Linter — ants. subsist s sible a aide des caneva itudes : la quesmaladie ; les théatres ; la censure; incert
: panique tion de Académie. — Ou se dissout le drame réduction et ment éclate re, Vhistoi devant nages des person se de l’analy Seule . perdue ité l’ident ; des éléments du drame concluants. Yécriture peut nous apporter des éléments plus rce rerers ece eerere see cers L’OUVERTURE DES JUMEAUX ..---.-se ue et la pulLa transparence autobiographique. — Le grotesq es. vérisation du thédtre. — L’ouverture sur les Burgrav
+srereersr? Ace EcCRITURE ET PRATIQUE DU THEATRE ..-------+++ scéne. la de nt tisseme d’inves n hugolie 1) Le projet urgique de 2) Hugo ne s’insére pas dans la pratique dramat ses contemporains
: il refuse
la tragédie,
drame bourgeois et contemporain ;
le mélodrame,
le
382
389
682
LE
3) Un
mode
ROI
particulier
ET
LE
BOUFFON
de rédaction
(du schéma
4 Vécri-
ture) ;
4) Le drame modifié par la pratique de la scéne ; 5) La réception : les critiques opposent 4 Hugo un contrediscours idéologique ; 6) L’histoire de cette lutte s’éclaire aA la lumiére d’une analyse de l’écriture des drames.
DEUXIEME
I. —
PARTIE
STRUCTURES : LES
GRANDES
UNITES
A) LE} MODELE AGTANTIEL. 1 yc. cbmc bins tas aie ates aces eee Syntaxe du drame hugolien — schémas des piéces — quelques conséquences — incertitudes sur Jes actants. — Le cas particulier des Burgraves. — Limites. B) DEUX
ESPACES
DRAMATURGIQUES
: LA DIVISION
A/B
..........
407
Origine de la division A/B — dédoublement — A/non A — Une détermination sans ambiguité. — Ouverture et fermeture : A fermé, B ouvert — une ouverture 4 sens unique. — Lisibiliié immédiate du systéme A/B — Vexemple de la premiére scene de Marion de Lorme. — Lucréce Borgia. — Le mouvement dramatique : analyse des piéces. Schémas simples : Marion de Lorme — le Roi s’amuse — Lucréce Borgia — Angelo — Ruy Blas. Schémas complexes : Marie Tudor, Hernani (changement de sens), le cas particulier des Burgraves ; les Jumeaux, schéma inerte. INVENTAINE.
DE
T ESPACE
As!
. lec
one
os
Le
Personnages A par nature, A par situation. — de A : le Roi, Je Ministre, les Seigneurs
tif —
Lexique
(redoublement
eee
424
a) Les maitres
(personnage
collec-
du langage par les éléments
de la régie) : Or, Ja Clé, le Blason. —
b) Instruments
de A :
le sbire, le bourreau, le bouffon — Lexique : léchafaud, la hache. — c) Otages de A : la Femme, mouche et araignée. — d) Lieu A : le Palais-Prison, — Féte et fermeture — Lexique : la Féte nocturne et le Flambeau. — Mots-clefs dans le théatre et dans la poésie lyrique : ’exemple de Noces et Festins. INVENTAIRE
"DE TKESPACK
BD . . to os
ah ee estore
tds cee
ee
443
Le héros B : le héros non-A et la conquéte de l’espace B. — Le truand et sa position particuliére : le « loup libre ». — Le lieu B : espace ouvert ou fissuré ; la réduction du lieu B. QyeLe
systems
A/B
oii snsid cnis « DS ER OO eee aatoiaeee
ee Dee
Généralités. — Lois du systéme dans la dramaturgie hugolienne : raideur et caractére littéraire du systéme ; — problémes posés ; — les lois, leur caractére logique. — Conséquences dramaturgiques.
448
TABLE
DES
MATIERES
683
HUGO ET LE DRAME ROMANTIQUE ..... 2.2 cece eee eee ee esa Le systéme A/B et ses implications tdéologiques —- asymétrique, non-diachronique. — Le « contenu » de A: A a la fois Yordre, le luxe et le mal, oppression. — L’espace B: confusion des sémes ; B et Vidéologie de progres ; refus de Vintégration, négation du « progrés » ; la migration de la valeur : la valeur B en B reste inerte. — Il est nécessaire d’approfondir les semes de B. — Le bouffon n’est bouffon que s’il est chez le roi. Ii. —
LE DRAME
CARNAVALESQUE
A) Done: FHEORIE DU GROTESQUE (2.3 5 2 5.b ick ces 2k} eee es Mikhail Bakhtine et la notion de Carnaval ; carnaval populaire, carnaval litiéraire, écriture « dialogique ». — La Préface de Cromwell : la diachronie hugolienne du grotesque (et son parallélisme avec celle qu’établit Bakhtine). — Polysémie du grotesque : le rire, le fantastique, Phorreur, la mort ; — la polysémie, racine du grotesque.— Dramaturgie du Carnaval
: liberté
de Vart
450
et inversion
des
461
codes ; —
cassure du discours tragique ; — cassure du discours historique ; — inversion de Taction, mise en question des actants ;—
mise
en
question
du
Je de
Vécrivain;
—
le
paradoxe du thédire : peut-il y avoir écriture dialogique 4 la scéne ? — L’affirmation du sublime et la prédominance du grotesque : le sublime et P’unité perdue.
B) Le DRAME CABNAVALESOQUE ©2200 5200i 00. dos Jb So oe ee. Les actanis. — Le Je de l’écrivain — ne se dit dans le théatre de Hugo, ni directement, ni indirectement. — Le Je hugolien ef son nom: la présence indirecte du rom: Jean. — Le sujet : le sujet dowble, au départ polarisé ; le double nom du sujet, indice de sa double nature ; —
le sujet monstrueur
et sa quéte ; — faiblesse du sujet ; — faiblesse et fracture du sujet, au niveau de histoire ; — dégradation du sujet historique du fait de son appartenance 4 un clan ; — l’exemple des Jumeaux, combinant toutes les formes d’affaiblissement du sujet. —
Une dramaiurgie
du sujet volatilisé : le dévoile-
ment progressif du sujet, l’action liée 4 une crise du sujet, le désasire final. — Le grotesque et le sujet: le rdle du bourreau. — L’Objet et son rapport avec le sujet : la réversibilité possible — le rapport sujet-objet défini en fonction de la division intérieure du sujet ; — échec du rapport et solitude du sujet. — Adjuvant et opposant: ambivalence de leurs roles ; adjuvant
destructeur
et le traitre-adjuvant
;—
éva-
poration du traitre. — Le Destinateur : le Grand Destinateur et Pironie de la Providence, disposant l’action pour le mal ; — la priére inverse ; — pas d’intercesseur ; le creux de la
fonction-destinateur et la place vide du personnage du pére. — L’Action : Intronisation-Détronisation — Analyse de l’action des drames hugoliens en fonction de ce double mouvement. — Chute du puissant. — Carnaval : la double image de
475
. 684
LE ROI
ET
LE
BOUFFON
VYinversion de Ja puissance. — Cromwell, premier exemple — Marion de Lorme et Hernani en retrait par rapport a ce mouvement dramatique ; — les fables de la décapitation ; — Je Roi s’amuse ou la détronsation manquée ; — Lucréce Borgia et la parodie de la décapitation ; présence du Carnavalmort ; — Marie Tudor et la détronisation du favori. — Angelo, ou la détronisation « parlée »: le grotesque en retrait. — Ruy Blas ou le Roi de Carnaval : carnavalisation
de l’action ; —
Les Jumeaux ou Vescamotage du processus ; — les Burgraves ou le passage du processus au sérieux. — Inachévement du processus carnavalesque. — Le Carnaval et le Commandeur.
Ili. —
L7ECRITURE
A) UNE RHETORIQUE : LE ROI S’AMUSE
DES DRAMES
........00000eeceeeveuus
1) Le code tragique et son inversion .........000000cececcvees Hugo accepte le code tragique : — la tirade et l’alexandrin ; ' — importance de la tragédie historique en vers ; — les discours.
—
les grandes
unités,
et leur
coincidence
avec
509 510
les
actes. — Le personnage tragique et son inversion : constellations paradoxales — division intérieure du sujet — parole abusive — distorsion de la psychologie tragique. — Les trois unités et le jeu qu’elles autorisent : le jeu avec la durée; « duplicité » et fissuration du lieu ; le lieu-cour des Miracles. L’inversion
de
Uaction,
le processus
carnavalesque,
et le
déplacement du tragique. — Le paradoxe du grotesque: absence de comique ou de parodie : la contestation du tra- | gique est contestation sérieuse. — Les scénes a micro-séquences; émiettement du dialogue et des personnages (acte I); — les scénes contrapunctiques. 2) Les Discours dans le Roi s’amuse ou la Parole inutile ...... De quelques définitions. — Le Discours et les actants. — Importance texte.
du destinataire-spectateur.
Les! QiSCoursy foils sisteale so Un chee eh a) Le discours de Saint-Vallier. — b) Le let, Acte V, scéne 1 ; — le moi grotesque second monologue de Triboulet, Acte V, remarques pour conclure : exemples de sion.
—
Discours
518 '
et con-
Ee ee discours de Tribouet l’histoire. — c) Le scéne 3. — Quelques discours de la déri-
520
3) Décentrement du discours ou la dramaturgie de la vaine parole 535 Discours redoublé par la régie — Discours sans destinataire; — la question du public ; —le discours-bouteille 4 la mer ;— Qui parle ? le discours du mort, le discours du masque. — Comment Hugo brouille la communication. — Vacuité du contenu sémantique du discours. — Inadéquation du discours au contexte. — Dialogisme: la voix de l’Autre. — Contexte et superposition. — Le comédien et le pluriel du texte. — Discours et poétique dramatique. — Raminagrobis
TABLE
DES
MATIERES
685
et la souris ou le procés avorté. — Le qui-perd-gagne du procés. —
Ou
Vaccusé
court
au-devant.
de la sentence,
ot
le
plaidoyer se mue en accusation et l’accusation en vaine provocation. — La rhétorique de la souris devant le juge Raminagrobis. — Caliban parle : Vhomme du peuple parle l’histoire, sans avoir le droit ni le moyen
de le faire ; —
ineffica-
cité de la parole non étayée sur la puissance ;— nommer Vautre. — La parole parlementaire : mise en péril du pouvoir de la parole ; — la force des choses. B) DV
MELODRAMECAU
(DRAMES4)5
5. C8
S8, aE.
Sci.
Sade ool ae
Une poétique du Drame: Lucréce Borgia .........0...000070s 1) Mélodrame et tragédie. — Structure, code actantiel, signification idéologique. — Présence du mal; la vertu bourgeoise dans le camp sadique du malheur ; — évacuation du mal social. — Politique du mélo. — Lucréce Borgia et le mélodrame : des actants de mélodrame ? Ficelles mélodramatiques. — leur inversion : poison et reconnaissance. Eclatement du mélodrame. — Lucréce et le code tragique :
545
545
tragédie familiale, tragédie des Grands — concentration tragique. 2) La double structure: le sujet Gennaro et sa quéte ; — échec et structure itérative. — Lucréce, sujet monstrueuz; —
destruction
du
schéma
mélodramatique ; —
Lucréce,
drame non-manichéen. — Les actants : Gennaro, objet divisé ;
—
les adjuvants-opposants. — Absence du destinateur. 3) La féte : le Souper a Ferrare (Acte III, sc. 1) — la féte : lectures possibles — le référent sociologique ; introduction du Carnaval dans Vespace aristocratique. — Scéne premiére de l’acte III: 8 séquences; le cas particulier de la séquence 7 et de sa réécriture pour la scéne. — La dispersion dramaturgique dans cette scéne. — La féte et l’espace-temps carnavalesque ; — éléments carnavalesques et espace-temps du carnaval, espace de la dérision ; — les deux voix, tragique et dérision. — La fonction poétique : mise en abyme ; — le paradigme Borgia ; — le double registre ; ’ambivalence.
— et poétique de l’écart.
IV. —
UNE
Lecture
et lectures : drame
SYMBOLIQUE
hugolien
DE L’HISTOIRE
RINE SYMBOLIQUE DE T’HISTOURE, {50 s/iseieed sa oa00 « ob aplbiae's Coes 6 Préliminaires : le saut symbolique ou le langage indirect. — La Préface de Ruy Blas ; la symbolisation propre a Hugo et les méthodes pour la lire ; difficultés.
577
A) UNE DRAMATURGIE DE L’OBJET : REGIE ET SYMBOLE ........... Qu’est-ce que l’objet au thédtre ? une classification possible. — 1) L’objet historiquement daté et son fonctionnement sur Paxe métonymique ; l’objet relai du passé ; — l’objet et la lisibilité des signes qui le constituent. — 2) Les objetsclefs et la métaphorisation : leur petit nombre ; — le double
582
686
LE ROI
registre
; —
une
ET LE BOUFFON
combinatoire
; —
métaphorisation.
3) Retour a la métonymie : le double fonctionnement
—
de l’ob-
jet et le double registre ; — individu et société ; — la tension historique. B):--UNEUSYMBOLIQUE DD \BEGIT cis, crysahshim Ge sale ae ceknenieaisina aMNS Triangulation métaphorique de la fable ; — mythes et récits : les trois grands schémas. — 1) Le retour offensif du passé :
592
sa signification et son renvoi 4 V’histoire. — 2) La décapitation-castration : le texte du Rhin ; l’ancienneté du schéma ;
son histoire chez Hugo et son rapport au moi; — Le Roi s’amuse ; Lucréce Borgia ; Marie Tudor, miroir de la révo-
lution de juillet. — 3) Ruy Blas et le Mythe de Cain: a) Yhomme du peuple au pouvoir ; b) Cain et le mal historique ; c) V’illusion
du roéle historique ; d) la mort
toire. — Analyse du Bon Appétit, Jumeauzx et le silence de Hugo.
Messieurs.
de Vhis-
—
4) Les
CONCLUSION LE DHEATRE. EN\ QUESTION iii suse lease ote|wsurale duieraree etl p oem neers Hugo dramaturge aujourd’hui, -— Un théatre épique ; dramaturgie de la distance, dramaturgie de la violence. — Le projet hugolien et sa destruction. — Le Je du dramaturge et Yoccultation du sujet. — Le discours de l’Ane. — Sade et la destruction. — Traverser la profondeur. — Le refus. — Le moi de I’Infini. — La réponse de l’autre. — La MénippéeMaglia ou le Roi et le Bouffon. APPENDICE : Le BCKE: TR BIBLTOGRAPHYE:
Roi Sea 0 Cae
s’amuse,
acte
eRe ee Toe
Pee
V, 1 et 3, Lucréce eee tec be OR Pee eee
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619
Borgia,
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0 199 TRENT UNIVERSI
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1974
gen ie Anne et le bouffon nae
UTLAS * : ettude
le geeeatre de Hugo de 1830 =a 1633
899734
L’IMAGINATION ALBOUY : La création mythologique chez Victor Hugo. BACHELARD.: L’Eau et les Réves. (Essai sur-U Imagination
BACHELARD
de la Matiére).
: L’Air et les Songes.
(Essai sur
Imagination
du Mouvement).
BACHELARD : La Terre et les Réveries de la Volonté. (Essai sur UImagination des Forces).
BACHELARD
; La Terre et les Réveries du Repos.
(Essai sur les Images de UIntimité).
BELCIKOWSKI : La Poétique des Liaisons dangereuses. CAILLOIS : Images, images... CasTex : Anthologie du Conte fantastique frang¢ais. CasTEx : Le Conte fantastique en France. CHAMBERS : G. de Nerval et la poétique du voyage. Duranp : Le Décor mythique de La Chartreuse de Parme. Gans : Mussel et le « drame tragique ». GuioMAR : Inconscient et imaginaire dans Le Grand Meaulnes. GuiomMAR : Le Masque et le Fantasme,' l’Imagination de la Matiére sonore dans la pensée musicale de Berlioz. KELLER : Piranése et les romantiques frangais.; Ler Ga :L’Imaginaire chez Senancour. LEVAILLANT.: La Crise mystique de Victor Hugo. MANSUY : Etudes sur l’Imagination de la vie. MAURON: L‘Inconscient dans loauvne et la vie de Mawrow. : a
et phores obsédantes au oi
personnél.. MENDEESON : ‘Le verre et les bj ets de verre dans l’uni-vers'imaginaire de Marcel Proust. eS anes dans la littérature frangaise.
bee 2,
hagination ‘poétique dans
Daas Gas
Vouvre
a iar? 5
POULET : 2 Tens deans de mythologie romantique. RBNAUD-VERNET * “ Récits des peuples sauvages.
RicuTER +Choix de réves.
*
RIcHTER : La Loge invisible.
Tuzet : Le Cosmos et I’Imagination.
ET
L’IMAGINAIRE
de