Le Registre d'Inquisition de Jacques Fournier (Evéque de Pamiers): 1318 - 1325
 3110290359, 9783110290356

Table of contents :
Préface: La domus à Montaillou et en Haute-Ariège
Introduction
Règles de traduction
Bibliographie sommaire
LE REGISTRE D’INQUISITION
1 Aude, épouse de Guillaume Fauré, de Merviel
2 Pierre Sabatier de Varilhes
3 Raymond de Sainte-Foy, diacre vaudois
4 Agnès, veuve d’Etienne Francou, du diocèse de Vienne
5 Jean de Vienne
6 Huguette, femme de Jean de Vienne
7 Bérenger Escoulan de Foix
8 Arnaud Gélis, alias Bouteiller, du Mas-Saint-Antonin
9 Mengarde de Pomiès de Pamiers
10 Raimonde, fille de Guillaume Fauré, de Saint-Bauzeil, de Pamiers
11 Navarre, veuve de Pons Bru, de Pamiers
12 Arnaud de Monesple
13 Guillemette, veuve de Pierre Battegay, de Pamiers
14 Jacqueline den Carot d’Ax
15 Arnaud de Savinhan de Tarascon
16 Pierre Magre de Rabat
17 Baruch, juif baptisé
18 Guillaume Autast, bayle d’Ornolac
19 Guillemette, veuve de Bernard Benet, d’Ornolac
20 Béatrice de Planissoles
21 Barthélemy Amilhac, prêtre
22 Grazide, veuve de Pierre Lizier, de Montaillou
23 Alazaïs Azéma de Montaillou
24 Fabrissa den Riba de Montaillou
25 Guillemette Clergue de Montaillou
26 Raimonde den Arsen de Montaillou
27 Brune Pourcel de Montaillou
28 Raimond Vaissière d’Ax
29 Bernard Franque de Goulier
30 Arnaud Cogul, de Lordat
31 Bernard Benet, de Montaillou
32 Alazaïs, épouse d’Arnaud Faure, de Montaillou
33 Alamande Guilabert, de Montaillou
34 Arnaud Faure, de Montaillou
35 Guillaume Authié, de Montaillou
36 Guillaume Fort, de Montaillou
37 Guillaume Guilabert, de Montaillou
38 Raimonde Testanière, de Montaillou
39 Guillemette Benet, de Montaillou
40 Raimonde Guilhou, de Vernaux
41 Bernard Clergue, de Montaillou
42 Alazaïs, épouse den Vernaus, de Vernaux
43 Mengarde Buscail, de Prades
44 Raimonde Buscail, de Prades
45 Mengarde Savinhan, de Prades
46 Raimonde, épouse de Bernard des Pujols, d’Aston
47 Guillaume Escaunier, d’Ax
48 Sibille Peyre, d’Arques
49 Arnaud Teisseyre, de Lordat
50 Jean Joufre, de Tignac
51 Raimond Delaire, alias Bour, de Tignac
52 Guillaume Agasse, lépreux, de Pamiers
53 Pierre Lafont, de Vaychis
54 Arnaud Teisseyre, de Celles
55 Jean Rocas, de la Salvetat
56 Bernard d’Ourteau, de Rabat
57 Raimond de Laburat, de Quié
58 Alazaïs Bourret, de Caussou
59 Guillemette Bec, de Caussou
60 Aycret Bourret, de Caussou
61 Pierre Vital, de Foix
62 Raimond Sicre l’aîné, d’Ascou
63 Bernarde Durrieu, d’Ax
64 Bernard Gombert, d’Ax
65 Arnaud Sicre, d’Ax
66 Guillaume Maurs, de Montaillou
67 Bernard Laufre, de Tignac
68 Guillaume Bailie, de Montaillou
69 Enquête de l’Inquisition d’Aragon
70 Jean Maury, de Montaillou
71 Pierre Maury, de Montaillou
72 Amiel de Rieux
73 Arnaud de Verniolle, de Pamiers
74 Arnaud de Bédeilhac l’aîné, de Bédeilhac
75 Raimonde Belot, de Montaillou
76 Jean Pellicier, de Montaillou
77 Guillemette Arzelier, de Montaillou
78 Raimonde Marty, de Montaillou
79 Gauia Clergue, de Montaillou
80 Bernard Marty, de Junac
81 Rixende Cortil, d’Ascou
82 Arnaud Authié, d’Ax
83 Bertrand de Taïx
84 Pierre Guilhem l’aîné, d’Unac
85 Guillaume Travier, de Verdun
86 Pierre den Hugol, de Quié
87 Pierre Peyre, de Quié
88 Jacques Tartier, de Quié
89 Raimond Peyre, de Quié
90 Pierre Fournier, de Surla
91 Guillaume Gautier, de Tarascon
92 Pierre Lombard, de Tarascon
93 Pierre de Laurac, de Quié
94 Guillaume Delaire, de Quié
95 Pierre Aces, d’Esplas de Sérou
Index des noms de personnes
Index des noms de lieux
Index des matières

Citation preview

LE REGISTRE D'INQUISITION DE JACQUES FOURNIER

ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES CENTRE DE RECHERCHES HISTORIQUES

Civilisations et Sociétés 43

MOUTON · EDITEUR PARIS · LA HAYE · NEW YORK

LE REGISTRE D'INQUISITION DE JACQUES FOURNIER (Evêque de Pamiers)

I318 -

I325

Traduit et annoté par

JEAN DUVERNOY Préface de

EMMANUEL LE ROY LADURIE Professeur au Collège de France

TOME I

MOUTON · EDITEUR PARIS · LA HAYE · NEW YORK

Frontispice: Jaques Founder Photo: Alinari-Viollet

ISBN: Mouton, Paris:

2-7193-0899-4 2-7193-0907-9 Mouton, La Haye: 90-279-7782-8 90-279-7792-5 E.H.E.S.S. : 2-7132-0078-4

(éd. brochée - 3 tomes) (éd. reliée - 3 tomes) (éd. brochée - 3 tomes) (éd. reliée - 3 tomes) (éd. brochée - 3 tomes)

2-7132-0079-2 (éd. reliée - 3 tomes) © 1978, Mouton Editeur, & École des Hautes Études en Sciences Sociales Couverture de H. Salden Imprimé en Hollande

SOMMAIRE DU TOME PREMIER

Préface: La domus à Montaillou et en Haute-Ariège, par Emmanuel Le Roy Ladurie Introduction, par Jean Duvernoy Règles de traduction Bibliographie sommaire

vil χ 23 26

LE REGISTRE D ' i N Q U I S m O N

ι Aude, épouse de Guillaume Fauré, de Merviel 2 Pierre Sabatier de Varilhes 3 Raymond de Sainte-Foy, diacre vaudois 4 Agnès, veuve d'Etienne Francou, du diocèse de Vienne 5 Jean de Vienne 6 Huguette, femme de Jean de Vienne 7 Bérenger Escoulan de Foix 8 Arnaud Gélis, alias Bouteiller, du Mas-Saint-Antonin 9 Mengarde de Pomiès de Pamiers 10 Raimonde, fille de Guillaume Fauré, de Saint-Bauzeil, de Pamiers . . . 11 Navarre, veuve de Pons Bru, de Pamiers 12 Arnaud de Monesple 13 Guillemette, veuve de Pierre Battegay, de Pamiers 14 Jacqueline den Carot d'Ax 15 Arnaud de Savinhan de Tarascón 16 Pierre Magre de Rabat 17 Baruch, juif baptisé 18 Guillaume Autast, bayle d'Ornolac 19 Guillemette, veuve de Bernard Benet, d'Ornolac

31 49 55 123 128 140 151 158 172 178 182 185 188 191 199 219 222 235 254

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20 21 22 23 24 25 26 27 28 29

Sommaire

Béatrice de Planissoles Barthélémy Amilhac, prêtre Grazide, veuve de Pierre Lizier, de Montaillou Alazaïs Azéma de Montaillou Fabrissa den Riba de Montaillou Guillemette Clergue de Montaillou Raimonde den Arsen de Montaillou Brune Pourcel de Montaillou Raimond Vaissière d'Ax Bernard Franque de Goulier

260 291 299 304 318 324 338 344 354 380

PRÉFACE

LA DOMUS À MONTAILLOU ET EN HAUTE-ARIÈGE par EMMANUEL L E R O Y LADURIE

Le mieux, pour qui veut comprendre la sociologie paysanne et montagnarde des dossiers Fournier, c'est d'aller au plus simple, à la prise en considération du grain fin, de la cellule de base qui, reproduite à quelques dizaines d'exemplaires, bâtit par exemple le village de Montaillou. Cette cellule de base n'est autre, bien sûr, que la famille paysanne, incarnée dans la pérennité d'une maison, ostai dans le dialecte local, hospicium ou domus dans les dossiers de l'Inquisition. Des textes littéralement innombrables disent sans fard le rôle capital - affectif, économique, lignager - qu'occupe la maison dans les soucis de l'habitant moyen du pays d'Alion. Il n'est pas de plus beau dialogue, à ce sujet, que celui qui, à l'occasion d'un fait divers inquisitorial, oppose Gausia Clergue à Pierre Azéma, de Montaillou : Gausia, femme de Bernard Clergue, veut confesser à l'évêque Fournier certains faits d'hérésie dont elle fut témoin, voire complice... Pierre Azéma, en réponse, la met en garde: «Espèce de sotte et de vaniteuse! Si tu avoues toutes ces choses, tu perdras tous tes biens et tu éteindras le feu de ta maison. Tes enfants, la rage au cœur, s'en iront mendier les aumônes... N e réveille pas le lièvre qui dort, car il te blessera les mains avec ses pieds. Mais prends un chemin éloigné afin de ne pas réveiller le lièvre. » Et Pierre Azéma conclut, toujours à l'intention de Gausia Clergue qui appartient elle-même à une maison Clergue mineure de Montaillou, apparentée à la grande maison des Clergue: «Mais je vois encore une meilleure voie pour que votre maison tienne debout. Parce que moi, aussi longtemps que vivra le seigneur évêque (Jacques Fournier), Je serai de sa maison; et j e pourrai faire beaucoup de bien; et j e pourrai donner ma fille comme épouse à un de vos fils: ainsi notre maison sera bien arrivée, c'est-à-dire aisée, en bon état. Si cependant tu avoues avoir trempé dans l'hérésie, toi, ta maison et tes fils vous serez détruits. » «Ces paroles, ajoute Gausia Clergue en guise de commentaire à l'intention de Jacques Fournier, furent échangées sans témoins entre Pierre Azéma et moi-même. Et a cause de celaje renonçai à avouer quoi que ce soit (à l'Inquisition) ». Tout est dans ce texte, qui pose comme valeur suprême la prospérité des maisons éventuellement alliées par le mariage, et dont les intérêts bien compris exigent que soit observée la loi du silence.

vin

Emmanuel Le Roy Ladurie

Concept essentiel, la maison organise dans sa mouvance diverses données, annexes ou centrales, soit le feu de cuisine, les biens et les terres, les enfants, les alliances conjugales. U n sens dérivé du m o t maison apparaît aussi: celui de parentèle; quand Pierre Azéma déclare: «je suis de la maison de l'évêque», il ne veut pas dire, bien sûr, en simple paysan de Montaillou qu'il est, qu'il fait résidence au palais épiscopal de Pamiers..., mais il s'affirme simplement, comme parent plus ou moins proche, comme «petit parent » du prélat Foumier. Rien ne montre mieux l'importance de la domus comme concept unificateur de la vie sociale, familiale et culturelle du village, que le rôle de pierre angulaire qu'elle a joué, à Montaillou et en Haute-Ariège, dans la construction ou reconstruction du catharisme. « Unjour, raconte Mengarde Buscali, de Prades d'Alion (village adjacent à Montaillou), je rencontrai mon beau-frère Guillaume Buscati sur le chemin que j'avais pris pour me rendre à l'église de ma paroisse. - Où vas-tu ? me demanda Guillaume. - Je vais à l'église. - Oh bien! rétorque Guillaume, te voila vraiment bonne «ecclésiastique»! Autant vaudrait pour toi que tu pries Dieu dans ta propre maison, que de le prier ainsi à l'église. Je lui répondis que l'église était un lieu plus convenable pour prier Dieu que ne l'est la maison. Alors il murmura simplement, à mon intention : - Non es de la fe (Tu n'es pas de la foi). » Aucune hésitation n'est possible sur l'interprétation de ce texte: pour Guillaume Buscali, sympathisant zélé des idées cathares (n'a-t-il pas voulu, un jour, que sa belle-sœur alors allaitante fasse la grève du sein, afin de laisser mourir en endura un bébé hérétiqué!), la foi albigeoise, c'est ce qui se vit et se pratique à la maison, par opposition au dogme romain, qui fait son séjour dans le sanctuaire paroissial. Cette idée, du reste, est générale: quand l'hérésie s'est installée dans une domus, déclare un témoin à Jacques Fournier, elle s'y incruste pendant quatre générations. Aude Fauré, de Merviel, névrosée qui perd la foi dans l'Eucharistie pendant ses règles, confie ses doutes à sa voisine Mersende. Celle-ci horrifiée met en garde la dame incrédule contre les conséquences néfastes que peut avoir un tel scepticisme pour la maison qu'elle habite et pour le village où elle réside: « Traîtresse que vous êtes, dit Mersende à Aude, ce village (locus) et cet ostai (hospicium) ont toujours été purs de tout mal et de toute iregia (hérésie). Prenez garde que vous ne nous apportiez le mal en provenance d'un autre village (locus) et que vous ne fassiez ainsi maudire notre village. » Pour Mersende, les voies de l'hérésie sont donc d'une parfaite clarté; pour qu'un village pourrisse, il suffit de la faute d'une seule maison. La répression inquisitoriale, par réversion logique, est d'abord considérée par ses victimes comme une agression contre la domus hérétique, avant même d'être envisagée comme une atteinte à la liberté ou à la vie de tel ou tel individu: «ces deux traîtres ontfait arriver malheur à notre maison et à monfrère le curé! » déclare Bernard Clergue, en évoquant l'arrestation du recteur de Montaillou à la suite des démarches de deux dénonciateurs. La conversion à l'hérésie, elle aussi, se fait par blocs successifs, maison après

Préface

IX

maison, et non pas nécessairement par personne. Pierre Authié, l'admirable missionnaire cathare du Sabartès, croit que la conversion à sa foi s'opère ménage par ménage, maisonnée par maisonnée, bien davantage que de conscience à conscience individuelle : «Dieu a voulu queje vienne dans votre maison, dit-il à la famille rassemblée de Raymond Peyre, pour queje puisse sauver les âmes des gens de cette maison. » Pour Pierre Authié les maisons sont des paquets d'âmes, qui se rallient en bloc à telle ou telle foi. Pierre Maury, de Montaillou, cite en effet le cas d'une domus d'Arqués qui s'est convertie «comme un seul h o m m e » : «Je crois, raconte-t-il, que Gaillarde, sœur de Guillaume Escaunier et femme de Michel Leth, et Esclarmonde, l'autre soeur de Guillaume, laquelle pouvait alors avoir douze ans, étaient croyantes des hérétiques; il en allait de même à m o n avis, pour Arnaud frère de Guillaume. Ces personnes s'étaient converties tout d'un bloc, toute la maisonnée à lafois (simul, in una domo), en compagnie de Gaillarde, la mère, de Guillaume Escaunier, et de Marquise, sa soeur. » A Montaillou même, l'action missionnaire des Authié s'appuie sur la structure cellulaire de certaines maisons croyantes: «DM temps où j'habitais à Montaillou et à Prades d'Alion, raconte Béatrice de Planissoles, le bruit courait parmi les croyants de l'hérésie que les hérétiques (et notamment les Authié) fréquentaient les maisons desfrères Raymond et Bernard Belot qui a cette époque demeuraient ensemble, ainsi que la maison d'Alazaïs Riba, la sœur de Prades Tavernier l'hétérique, et la maison de Guillaume Benet, frère d'Arnaud Benet d'Ax (lui-même beau-père de Guillaume Authié!) : tous les gens de ces diverses maisons étaient de Montaillou. » Béatrice, fine mouche, a bien compris, en l'occurrence, l'un des secrets du succès de l'hérésie à Montaillou : localisme, fraternalisme, «maisonnalisme» ou domiciliation sont à la base des progrès de l'hérésie qui passe, en saut de puce, de domus en domus, et de groupe domestique en groupe domestique. U n e fois l'hérésie implantée, la domus a constitué pour elle un merveilleux conservatoire dans la mesure où, molécule solidement barricadée sur elle-même, elle sait limiter au maximum les contacts dangereux, en direction des maisons non hérétiques. Ce secret de la foi nouvelle est préservé du mieux qui peut se faire quand on le dit sous la porte de la domus, ou, mieux, quand il est renfermé dans la touffeur moite des quatre murs de l'ostai : à Montaillou même, Alazaïs Azéma ne parle hérésie que dans sa propre maison avec son fils Raymond; elle en parle aussi avec les m e m bres de la maison - frérèche des Belot (en l'occurrence avec les trois frères Belot, Raymond, Bernard et Guillaume, et avec leur mère Guillemette) ; avec les membres aussi, de la maison Benet, alliée de la précédente: soit avec Guillaume Benet, son fils Raymond, et Guillemette la femme de Guillaume (on notera la préséance régulière des hommes, vieux ou jeunes, sur les femmes, mêmes vieilles, dans ces énumérations d'Alazaïs Azéma). De même Raymond Lizier, qui finira au Mur pour hérésie, «avait une grande familiarité avec Guillemette Belot et avec Raymond, Bernard et Arnaud Belot; ellefréquentait leur maison, et elle parlait beaucoup en secret avec eux ». O n pourrait multiplier presque à l'infini pour Montaillou et les autres villages ces citations relatives à une sociabilité spécifique des maisons, conquérante et secrète d'un même mouvement.

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Emmanuel Le Roy Ladurie

Le réseau à la fois communicant et cloisonné des maisons a joué, c'est indubitable, un rôle de support logistique pour la clandestinité cathare. Mais ce rôle, fautil le souligner, découlait d'une sociabilité préalable et spécifique des domus, qu'il utilisait sans l'avoir créée. A preuve, certaines domus, du fait même qu'elles sont non cathares, servent à leur tour d'exécutoire structuré à la sociabilité des quelques catholiques qu'on rencontre à Montaillou: Jean Pélicier par exemple, berger et ouvrier agricole du village, affirme qu'à tout le moins dans sa jeunesse, il n'était pas hérétique: «je fréquentais, ajoute-t-il, pour étayer ses protestations d'orthodoxie, quatre maisons de Montaillou, dont aucune n'était hérétique. » A Montaillou, l'organisme proprement collectif, autrement dit l'assemblée des chefs de famille, n'était sans doute pas inexistant; mais cette assemblée, si tant est qu'elle ait réellement fonctionné, paraît avoir mené une vie quelque peu fantomatique, paralysée qu'elle était peut-être par la scission du village en factions religieuses et en clans antagonistes. Quant aux confréries, associations de pénitents et autres ingrédients de la sociabilité méridionale, elles étaient absentes ou de l'époque en général, ou des collectivités montagnardes en particulier. Dans ces conditions, Montaillou m'apparaît au premier chef comme un archipel de domus, qui sont connotées les unes de façon positive, les autres de manière négative, par rapport aux courants hétérodoxes. Les paysans et les bergers de Montaillou sont parfaitement conscients de cette situation: pour Guillaume Belot, cultivateur, et pour les frères Pierre et Guillaume Maury, bergers, qui procèdent sur ce point pendant une promenade commune à un recensement informel de leur village, celui-ci se divise en un certain nombre de maisons croyantes et non croyantes - la croyance en question étant bien entendu l'hérésie. Parmi les maisons que les deux Guillaume (Belot et Maury) qualifient expressément de «croyantes», figurent la maison Maurs, la maison Guilabert, la maison Benet, la maison de Bernard Riba, celle de Raymond Riba, les maisons Maury, Ferrié, Baille, Marty, Belot. Les dix maisons «croyantes» correspondent, pour la plupart d'entre elles, à des ménages nucléaires, formés chacun d'un couple de parents et des enfants de ceux-ci ; l'une des dix domus hérétiques s'écarte cependant de ce «modèle » nucléaire, puisqu'elle contient une veuve (Guillemette Belot) et ses quatre grands fils, célibataires encore à cette époque. Les dix maisons croyantes sont peuplées, en tout, de trente-quatre personnes hérétiques; ce total doit cependant être considéré comme incomplet: pour plusieurs ménages ainsi énumérés dans le cadre de telle ou telle maison croyante, Belot et les Maury mentionnent en effet simplement les noms du mari et de la femme, et omettent de donner les noms des enfants, ceux-ci étant probablement considérés par nos trois témoins comme quantité négligeable. Que la domus-fait qui va de soi-ne s'avère pas toujours co-extensive aux opinions d'un chacun, c'est ce que prouve la suite du dénombrement BelotMaury : les trois hommes signalent en effet, à Montailloi} toujours, un certain n o m bre d'hérétiques «haut-le-pied »; ces «isolés » ne se rattachent pas à une domus qu'on pourrait, comme telle, considérer comme «croyante». Les hérétiques ainsi situés

Préface

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hors maison sont au nombre de neuf: parmi eux il y a deux couples mariés (les Vital et les Fort) qui, probablement, vivent dans des maisons appartenant à autrui; deux femmes mariées (qui divergent d'opinion, peut-être, avec leur mari); enfin une bâtarde ; et deux fils de famille mentionnés isolément. D'autres maisons de Montaillou ne sont pas considérées comme «croyantes»; mais elles pratiquent tout d'un bloc à l'égard du catharisme une attitude de neutralité bienveillante: telle est par exemple la domus des Lizier, dont on n'a rien à craindre, disent Maury et Belot, depuis l'assassinat d'Arnaud Lizier (lequel était probablement anticathare) ; il est de fait qu'après la disparition dudit Arnaud, cette maison Lizier était tombée dans la mouvance des Clergue et même dans le sérail personnel du curé : Pierre Clergue avait fait de Grazide Lizier sa concubine. Le catholicisme, à Montaillou, marche lui aussi «par maisons»: Jean Pélicier, domestique agricole et berger, signale l'existence au village de cinq maisons non hérétiques. Soit la maison Pélicier elle-même, probablement «non nucléaire » puisque comptant cinq frères dont quelques-uns au moins ont atteint l'âge d'homme ; la maison de na Carminagua (littéralement «Madame» Carminagua), la mère des frères Azéma, qui de fait ont parfois manifesté plus que des réticences pour l'hérésie ; et encore la maison de Julien Pélicier, celle de Pierre Ferrié (qui plus tard, d'après Maury et Belot, basculera vers les sympathies albigeoises) ; celle enfin d'une femme appelée Longua, mère de Gausia Clergue, elle-même alliée aux Clergue, mais point hérétique comme eux. Donc au total, et au niveau des maisons recensées, une dizaine de domus hérétiques, quatre domus catholiques, quelques maisons qui changent de camp (par exemple celle des Clergue) ; et aussi quelques maisons mixtes, neutres ou divisées contre ellesmêmes. La liste est incomplète, puisque Montaillou, vers 1300-1310, comptait probablement plus de deux cents habitants, soit au bas mot une quarantaine de maisons. Mais sur ces quarante maisons, la plupart, à un moment ou à un autre, avaient eu des faiblesses en faveur de l'hérésie, puisque au total, d'après deux témoins fort bien renseignés, Guillaume Mathéi et Pons Riba, il y avait seulement à Montaillou deux maisons « qui n'étaient pas touchées par l'hérésie ». Quant à Guillaume Authié, le missionnaire cathare qui lui aussi raffole de Montaillou, du curé Clergue et de la maison des Clergue («Non, je n'ai rien à craindre du curé Clergue ni de la maison des Clergue... Ah ! Si tous les curés du monde pouvaient être comme celui de Montaillou ! », déclare-t-il assez drôlement la main sur le cœur), il confirme d'une autre manière l'idée formulée par Mathéi et par Riba à propos des «deux seules maisons anticathares », puisqu'il s'écrie: «A Montaillou, il n'y a que deux hommes dont nous devons nous garder. » Deux maisons anticathares, disent Riba et Mathéi, c'est-à-dire deux personnages anticathares, un par maison, comme le déclare de son côté Guillaume Authié. Tous nos montagnards soulignent donc en chœur avec une force convaincante la prégnance mystico-religieuse de la domus, comme matrice probable des opinions d'un chacun: et réciproquement, «comme un porc ladre contamine toute la porcherie», l'individu atteint de déviation dogmatique a vite fait d'en infecter toute sa domus.

XII

Emmanuel Le Roy

Ladurie

T o u s les témoins pourraient s'approprier la f o r m u l e latine, q u e j e bâtis p o u r la circonstance: cujus domus, ejus religio (Dis-moi quelle est ta maison, j e te dirai quelle est ta foi). Il y a des bavures, certes, mais qui confirment la régularité d u p h é n o m è n e . Il faudra qu'interviennent les grands coups de répression inquisitoriale à partir de 1308, p o u r que craque enfin le réseau uni des domus cathares de Montaillou, et p o u r q u e le village devienne un tragique panier de crabes, o ù chacun travaille à la perte de son voisin, en c r o y a n t ainsi, bien à tort, éviter la sienne propre. Mais quel qu'ait p u être ce dénouement dramatique, il est certain que p o u r les gens de Montaillou, la maison (l'ostai) occupait une position stratégique dans la possession des biens de ce m o n d e . Ecoutons à ce propos Jacques A u t h i é quand il d é v e l o p p e et adapte à l'intention des frustes bergers d ' A r q u é s et de M o n t a i l l o u qui constituent son auditoire le m y t h e cathare de la chute : « Satan, dit-il, entra au R o y a u m e du Père, et donna à entendre a u x Esprits de ce r o y a u m e que lui, le diable, possédait un paradis bien meilleur e n c o r e . . . 'Esprits, j e v o u s emmènerai dans m o n m o n d e , ajouta Satan, et j e v o u s donnerai des bœufs, des vaches, des richesses, une épouse c o m m e c o m pagne, et v o u s aurez v o s propres ostaux, et v o u s aurez des e n f a n t s . . . et v o u s v o u s réjouirez plus p o u r un enfant, quand v o u s en aurez un, que p o u r tout le repos dont v o u s jouissez ici au Paradis'. » L'ostai vient donc après la v a c h e et la f e m m e , mais avant l'enfant, dans la hiérarchie des biens essentiels. D ' u n point de v u e j u r i d i c o - m a g i q u e , faut-il dire ethnographique, l'ostai ariégeois, tout c o m m e la casa andorrane, représente beaucoup plus que la s o m m e des individus périssables qui c o m p o s e n t la maisonnée correspondante. La maison pyrénéenne c o m m e l'a montré G . Platon 1 est une personne morale, indivisible en biens et détentrice d ' u n certain n o m b r e de droits qui s'expriment par la propriété d'une terre et par des usages sur les forêts et sur les c o m m u n s pâturages de m o n t a g n e , solanes o u soulanes de la paroisse. L'ostai o u casa est donc une entité qui «continue la personne de son maître défunt», et qui est réputée «véritable maîtresse de tous les biens qui constituent le patrimoine ». A Montaillou, la maison a son astre, sa bonne fortune, «à laquelle les décédés participent encore ». O n sauvegarde cet astre et cette fortune en conservant dans la maison des fragments d'ongles et de c h e v e u x du c h e f de famille décédé, peut-être parce q u ' o n considère que c h e v e u x et ongles, dans la mesure o ù ils continuent à pousser après la m o r t , sont les porteurs d'une énergie vitale particulièrement intense. Grâce à l'usage de ce rite, la maison «se pénètre de certaines qualités magiques de la personne », et se m o n t r e capable de rétrocéder ensuite cellesci à d'autres personnes du lignage. «Quand Pons Clergue, le père du curé, de Montaillou, mourut, raconte Alazaïs A z é m a , Mengarde Clergue son épouse me demanda, ainsi qu'à Brune Pourcel, de couper sur le cadavre des mèches de cheveux qu'il avait autour du front, ainsi que desfragments de tous ses ongles des mains et des pieds ; et cela pour que la maison du

ι . G. PLATON, «DU droit de la famille dans ses rapports avec le régime des biens en droit andorran», Bulletin des Sciences économiques et sociales du Comité des Travaux historiques et scientifiques, 1902.

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défunt restefortunée ; on ferma donc la porte de la maison des Clergue dans laquelle gisait le corps mort, nous coupâmes les cheveux et les ongles à celui-ci ; et nous les donnâmes à Guillemette, la servante de la maison, qui les donna a son tour à Mengarde Clergue. Cette 'abscision' des cheveux et des onglesfut réalisée après qu'on eut répandu de l'eau sur le visage du mort (car à Montaillou on ne lave pas le cadavre entier). » A l'origine de ces pratiques étranges s'inscrit une simple paysanne de Montaillou, Brune Vital, qui a respectueusement recommandé à Mengarde Clergue, la femme du notable Pons, de respecter cet usage folklorique: «Madame (Domina), avait dit Brune à Mengarde,/ai entendu dire que si on prélève sur un cadavre des mèches de cheveux et desfragments d'ongles des mains et des pieds, ce cadavre n'emporte pas avec lui l'astre ou bonnefortune de la maison. » Une autre femme de Montaillou, Fabrisse Riba, donne à propos du même épisode quelques précisions supplémentaires : «A l'occasion du décès de Pons Clergue, père du curé, beaucoup de gens du pays d'Alion vinrent à la maison du curé, fils de Pons. Le corps fut posé dans cette 'maison dans la maison qui s'appelle la foganha (la cuisine) ; il n'était pas encore enveloppé d'un suaire; le curé fit alors sortir de la maison tout le monde, à l'exception d'Alazats Azéma et de Brune Pourcel, la bâtarde de Prades Tavernier; cesfemmes restèrent seules avec le mort et le curé; lesfemmes et le curé enlevèrent les mèches de cheveux et lesfragments d'ongles du cadavre ...Le

bruit a couru plus tard que le

curé en a fait de même, par la suite, avec le cadavre de sa mère. » On notera à partir de ces deux récits les précautions extraordinaires qui sont prises par les héritiers pour que le mort n'emporte point avec lui la fortune de la domus : on expulse les nombreux visiteurs, venus aux condoléances ; on ferme la porte ; on se barricade dans la cuisine, qui est la maison dans la maison·, on ne lave pas le corps de crainte de lui faire perdre, avec l'eau du lavage, quelques particularités précieuses attachées à sa peau et sa crasse. Ces précautions ne se peuvent comparer qu'avec celles qu'a mentionnées Pierre Bourdieu, à propos de la maison kabyle: là aussi on prend toutes les mesures possibles pour que le mort au moment de son lavage puis de son départ vers la tombe, n'emporte pas avec lui la baraka de la maison. 2 Sans aller si loin, et pour en rester à l'aire «ibérique » des civilisations pyrénéennes, il est certain que les Basques eux aussi établissent un lien direct et durable entre les morts et la maison: «les morts au lieu d'appartenir à leurs descendants continuent d'appartenir à la maison et se séparent de leurs descendants quand ceux-ci quittent leur maison », écrit Colas dans son ouvrage sur La tombe basque.3 Cet auteur indique aussi que la maison conserve la possession ou propriété des tombes familiales dans le cimetière. Les habitants de Montaillou eux aussi ont le sentiment de ce lien très fort qui subsiste entre le mort et sa domus, le mot domus étant ici entendu au double et indissoluble sens de domicile et de famille : Alazaïs Fauré de Montaillou rencontre un jour, sur le replat du château de Montaillou, alors qu'elle porte un sac vide sur la tête, Bernard Benet, lui aussi de Montaillou. Ledit Bernard se prépare à dénoncer à 2. 3.

P.BOURDIEU, Esquisse d'une théorie de la pratique, L . COLAS, La tombe basque,

Bayonne, 1923.

Genève,

1972.

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l'inquisiteur de Carcassonne l'hérétication, jadis intervenue avant décès, de feu Guillaume Guilabert, le ci-devant frère d'Alazaïs. Celle-ci, épouvantée, s'affirme du coup prête à n'importe quoi pour protéger la mémoire de son frère: «je dis à Bernard Benet, raconte-t-elle, queje lui donnerais une demi-douzaine de moutons, ou une douzaine de moutons, ou quoi que ce soit d'autre qu'il voudrait, pour éviter cette dénonciation, qui aboutirait à créer dommage et malédiction pour monfrère mort et pour sa domus. » L'usage de parcelles du corps humain, en vue de préserver simultanément la continuité du lignage et celle de la maison, se rattache évidemment à d'autres pratiques magiques du même ordre, qui sont en usage dans le folklore occitan. Béatrice de Planissoles conserve le premier sang menstruel de sa fille comme philtre d'amour pour ensorceler un futur gendre ; et les cordons ombilicaux de ses petits-fils, comme talismans pour gagner ses procès à elle. Dans les deux cas, ces fragments corporels, évidemment doués d'une particulière vertu de fécondité, tout comme les ongles et les cheveux de Pons Clergue, importent au maintien de la prospérité lignagère (amour du gendre pour la fille) et de la prospérité propriétaire (gagner les procès). A une époque toute récente encore, les jeunes filles languedociennes, du reste, mettaient une goutte de leur sang ou une raclure de leur ongle dans un gâteau ou dans un breuvage, afin de se faire aimer d'un garçon. A un niveau de généralité plus vaste, les ongles et les cheveux prélevés sur le corps d'un chef de famille de Montaillou, entretiennent avec la domus dans laquelle on les conservera plus tard, une relation analogue au rapport qui unit la relique d'un saint avec le sanctuaire qui la contient: «là où est une parcelle de son corps, le saint est toujours présent. » Et les conceptions qu'a si brillamment développées Kantorowicz à propos du corps durable des rois, indissolublement lié à la continuité de la maison royale, s'appliquent à merveille au cadavre du chef de famille de Montaillou, dont quelques parcelles suffisent à entretenir la permanence charnelle du lignage, et le maintien du feu sacré de la domus : Pons Clergue est mort, Vive les Clergue ! C o m m e quoi les deux théories, la royale et la paysanne, l'aristocratique et la roturière, ont dû germer à une époque que nous ignorons sur un même tréfonds de mentalité magique et primitive. U n dernier point enfin à ce propos: on notera que le curé Pierre Clergue, d'après le témoignage de Fabrisse Riba, a conservé des mèches de cheveux et des rognures d'ongles en provenance de son père, puis de sa mère. (Il poussera du reste son affection pour celle-ci jusqu'à la faire enterrer sous l'autel de la Vierge à l'église de Montaillou.) Le souci de la domus n'est donc pas spécifiquement «patri-local » ou «matri-local », mais au contraire tout à fait ambivalent. Certes, les citoyens de Montaillou ou d'ailleurs parlent en termes émus de l'ostai paternel ou de la domus paternelle: «il vaudrait mieux, déclare le curé Clergue (en pensant expressément à la maison de son propre père), que le frère épouse sa sœur, plutôt que de recevoir une épouse étrangère, et semblablement que la sœur épouse sonfrère, plutôt que de quitter, nantie d'un gros capital de dot, en vue du mariage avec un époux étranger, la maison paternelle : avec un tel système

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en effet, la maison paternelle est pratiquement détruite. » La maison paternelle c'est aussi celle où la fille de Montaillou mariée à l'extérieur, puis atteinte d'une maladie incurable, revient mourir: «Esclarmonde,fille de Bernard Clergue (le fils d'Arnaud et de Gausia Clergue) était mariée à un homme de Cornus : elle tomba dans une maladie mortelle ; on la rapporta dans la maison de son père, où elle resta grabataire trois ans avant de mourir. A l'article de sa mort, l'autre Bernard Clergue - lefrère du curé - conduisit dans cette maison l'hérétique qui hérétiqua Esclarmonde. » La maison paternelle, c'est la cellule éventuellement infectée qu'on soupçonne d'avoir inoculé l'hérésie à la pauvre fille qui avait quitté celle-ci pour se marier ailleurs : « le témoin sait-il si l'ostai paternel de la femme Fauré, à Lafage, a étéjadis déshonoré par l'hérésie? » demande Jacques Fournier à un dénonciateur éventuel. Et pourtant l'ostai maternel, dont on sait l'importance qu'il revêt au Pays basque, peut également, dans la montagne ariégeoise, du fait des hasards de la transmission des héritages, jouer un rôle affectif et factuel qui s'avère considérable: c'est pour récupérer son ostai maternel, confisqué par les autorités fuxéennes du fait des comportements hérétiques de sa mère, elle-même brûlée, qu'Arnaud Sicre se lance dans une prodigieuse carrière de mouchard. L'ostai maternel crée du reste, quand il existe comme tel, des structures matriarcales : le fils qui en hérite pour y résider a tendance à prendre le n o m de sa mère attaché à la maison mise en cause, plutôt que celui de son père. Et le gendre qui vient co-résider avec sajeune femme dans la maison de celle-ci prendra souvent le n o m de son épouse ; et non pas elle, le sien. Qu'elle soit venue de mère ou - plus souvent - de père, la maison de Montaillou, comme toute domus pyrénéenne qui se respecte, est pourvue d'un chef: cap de casa en zone andorrane, dominus domus dans le latin des scribes qui s'intéressent à la Haute-Ariège. Ce dominus domus a juridiction sur ses enfants mais aussi éventuellement sur sa mère; Alazaïs Azéma le souligne nettement à propos de son fils Raymond : «Monfils Raymond portait autrefois des victuailles aux bons hommes (aux parfaits) dans une besace ou dans un cabas : il ne me demandait aucune permission pour cela, parce qu'il était le maître de ma maison (dominus domus). » Alazaïs Azéma ne s'estime pas, du reste, brimée par son fils: puisqu'elle aime bien les bons hommes. Mais il arrive aussi que le chef de la maison tyrannise sa mère, dans la roture comme dans la noblesse : «Je suis ruinée, j'ai vendu mes biens et mis mes dépendants en gage, je vis humblement et misérablement dans la maison de mon fils; etje n'ose pas bouger », dit Stéphanie de Châteauverdun, en se jetant au cou de son vieil ami, l'hérétique Raymond Peyre, l'éleveur. L'oppression du chef de maison peut aussi peser fortement à la fois sur l'épouse et sur le vieux père du chef d'hôtel : Pons Riba de Montaillou, maître autoritaire de son ostai, a expulsé de celui-ci sa femme, Fabrisse, parce que, dit-il, c'est le diable qui la lui a envoyée : depuis qu'elle est à la maison, impossible d'y recevoir des parfaits ! Quant à Bernard Riba, le vieux père de Pons, il n'en mène pas large dans sa maison où lui-même réside, mais que dorénavant gouverne son fils : un jour, sa fille, Guillemette, l'épouse de l'autre Pierre Clergue (à ne pas confondre avec le curé Pierre

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Clergue) vient lui emprunter une mule pour aller chercher du blé, dont elle manque, à Tarascón. Bernard Riba ne peut que répondre à Guillemette: «Je n'ose rien faire sans la volonté de mon fils. Reviens demain. Il te prêtera la mule. » Quant à Alazai's Riba, femme de Bernard et mère de Pons, elle est également terrorisée par le petit chef qu'est devenu son fils, véritable tyran domestique. La soumission admirative au chef de maison, dès lors que celui-ci a une personnalité suffisamment puissante, attractive et diabolique, peut atteindre les proportions d'un véritable culte de la personnalité, fait d'admiration et d'adoration. O n apprend à Bernard Clergue, alors en prison, la mort de son frère le curé, lequel était devenu, dès avant le décès du vieux Pons Clergue, le chef incontesté de sa maison fraternelle. Bernard s'effondre, devant quatre témoins, en gémissant: «Mort est mon Dieu. Mort est mon gouverneur. Les traîtres Pierre Azéma et Pierre de Gaillac ont tué mon Dieu ! » Pierre Clergue avait donc été, par son frère et subordonné, divinisé déjà de son vivant! Remarquons tout de même qu'en dépit de cette incontestable prépotence mâle, les maîtresses de maison de Montaillou, dès lors que leur ostai a quelque importance, ont droit au titre de Madame (Domina) : Alazaïs Azéma, simple paysanne de M o n taillou, est appelée Madame par une vendeuse de fromages de Luzenac ; il est vrai que cette commerçante espère, de cette façon, lui vendre sa marchandise: «Madame, voulez-vous m'acheter desfromages? » Et Mengarde Clergue, femme de riche paysan et de quasi-notable, est elle aussi qualifiée de Madame par les petites bonnes femmes de son village. Pour en revenir aux chefs de famille successifs d'une maison donnée, dirigeants périssables d'une entité si possible immortelle, ils sont investis pour chacun d'entre eux du droit de désigner leur successeur, en désavantageant les autres descendants ou ayants droit. Les traditions occitano-romaines du préciput, et de la faculté d'avantager, jouent ici à plein. Sur ce point, le pouvoir des pères de famille ou chefs de maison ariégois est incontestable, et il se situe à l'opposé des traditions égalitaires de la coutume normande ou angevine dont on connaît l'insistance féroce et partageuse quant à la division équitable du patrimoine entre tous les frères et même entre frères et sœurs (cas de l'Anjou). En Haute-Ariège, la prépondérance des hautes volontés du père, porteur des décisions du lignage et de l'injustice successorale, est éclatante: «Il y avait à Tarascón deux frères appelés de Niaux, et l'un d'eux était ami des hérétiques. Il eut deux fils, et l'un de ces fils était sympathisant de l'hérésie. Son père lui laissa une grande partie de ses biens et le donna en mariage à la fille de Bertrand Mercier, parce que la mère de celle-ci était hérétique. » Basées sur la liberté testamentaire du chef de famille, laquelle préserve dans les meilleures conditions possibles la domus contre le morcellement, les coutumes ariégeoises ou andorranes n'en sont pas moins confrontées à l'irritant problème des enfants surnuméraires, non destinés à succéder au chef de famille dans le cadre de la domus, et qui sont simplement porteurs, à leur départ de la maison familiale, d'une dot ou d'une «légitime». La dot est éminemment personnelle, détachée de la domus de la ci-devant jeune fille, à l'occa-

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χνπ

sion du mariage de celle-ci. Elle ne disparaît nullement dans la masse des biens indivis du nouveau ménage, qu'elle est destinée à subventionner; en cas de prédécès du mari, elle demeure la propriété de la veuve, et non des héritiers de l'un ou de l'autre. «Le curé Pierre Clergue, raconte Béatrice de Planissoles après son premier veuvage, me fit parvenir grâce a un messager, un acte relatif à mon premier mariage, acte qui contenait l'assignation de ma dot :favaisjadis

mis en dépôt cet acte chez le curé. Et moije ne me souciais

nullement qu'il me le restitue, puisque j'avais déjà donné quittance aux héritiers de mon premier mari. » Tel quel, le problème de la dot est en tout cas l'un de ceux qui tarabustent le plus Pierre Clergue, personnage qui s'avère hautement conscient du caractère désirable et souhaitable de l'indivision de la domus; tellement conscient en fait qu'il en devient, comme on l'a vu, partisan théorique de l'inceste: «Regarde, déclare le curé à sa belle maîtresse, dans un moment d'abandon affectueux et de fermentation idéologique, nous sommes quatre frères. (Moi, je suis prêtre, et je ne veux pas d'épouse.) Si mes frères Guillaume et Bernard avaient épousé nos sœurs Esclarmonde et Guillemette, notre maison n'aurait pas été ruinée, à cause du capital (averium) qu'ont emporté lesdites sœurs en dot; mais notre ostai serait resté intact de toute manière, et avec une seule femme qu'on aurait amenée dans notre maison pour notre frère Raimond, nous aurions eu assez de femmes (sic) et notre ostai serait plus riche qu'il n'est maintenant. » Cette étrange justification de l'inceste (et aussi, implicitement, du célibat ecclésiastique) découle, bien sûr, de la peur qu'éprouve toute domus consciente et organisée à l'idée de perdre ses «adhérences détachables », parmi lesquelles figurent naturellement les dots emportées par les filles, mais aussi la part fraternelle oufratrisia due au fils qui, n'étant pas l'aîné ou pour autre motif, ne devient pas chef de maison, et donc se trouve déshérité de l'essentiel, sauf de cettefratrisia qui lui est versée par la domus ou par le chef de domus à titre de dédommagement : «J'ai perdu ma partfraternelle (fratrisia) que j'avais à Montaillou, et j'ai eu peur (à cause de l'Inquisition) de retourner au village pour la récupérer », déclare Pierre Maury, en Catalogne, dans une conversation avec Arnaud Sicre. Georges Platon, qui a réalisé une étude folklorico-juridique du droit andorran aux 18 e et 19 e siècles, a décrit quelques-unes des conséquences à l'époque moderne de cette primauté de la domus ou casa : il appert de cette analyse que dans la succession ab intestat, la consanguinité l'emporte sur l'affinité (on peut rapprocher cela du fait que Béatrice n'a aucune part à l'héritage de feu son mari, qui peut-être avait néanmoins fait un testament; en coutume parisienne et surtout wallonne, elle aurait bénéficié au contraire de la communauté des biens) ; le juriste d'Andorre mentionne aussi, parmi les effets de la prégnance de la domus, l'autorité du chef de famille sur la succession «légitime » qui échoit normalement aux enfants exclus de la succession domiciliaire, et la reconnaissance officielle de la majesté du premier lit, sorte de droit d'aînesse qui contribue à empêcher l'émiettement des terres de la domus, les second et troisième lits étant réduits à jouer les utilités successorales. Nous ignorons si ces dispositions andorranes d'époque tardive s'appliquaient à la maison ariégeoise du temps deJacques Fournier. La primauté de la domus était en tout

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cas hautement caractéristique de la liberté occitane et montagnarde. Au Mas-d'Azil, et sans doute aussi dans beaucoup de bastides, pendant ce 13 e siècle au cours duquel subsistaient encore dans les pays de langue d'oc quelques vestiges de servage, les colons devenaient libres automatiquement dès lors qu'ils avaient construit leur maison. Si prestigieuse et si centrale qu'elle soit dans la culture de la Haute-Ariège, la domus s'y distingue beaucoup plus par les investissements affectifs qu'elle provoque que par sa valeur réelle sur le marché : une maison de village ou de bourgade vaut 40 livres tournois, soit seulement deux fois le salaire d'une équipe de tueurs à gages, et presque vingt fois moins que les sommes que Bernard Clergue dépense pour faire libérer son frère le curé des griffes de l'Inquisition. La domus vaut tout, au gré des sentiments des hommes du lignage qui la détient; mais à la vente, elle ne réalise pas d'impressionnantes performances. Les dots et les parts fraternelles qui s'en détachent, si faibles qu'elles soient et en dépit des compensations dotales réalisées en sens inverse, risquent toujours de la mettre dans la gêne, voire de la ruiner tout à fait. D'autre part, l'Inquisition, qui a fort bien compris les structures ethnographiques du pays d'Alion, casse, détruit, brûle, ou rase les maisons des hérétiques. Qu'une commère à la langue trop longue ait aperçu par la fissure d'une porte Pierre Authié en train d'hérétiquer un malade dans une maison, et voilà la domus paternelle ou maternelle, à Prades d'Alion, en passe d'être démolie par l'Inquisition. A Montaillou même règne autant que possible la loi du silence : «si tu ne veux pas qu'on t'abatte les murs de ta maison,ferme ta bouche », disent d'un seul élan aux femmes trop bavardes Raymond Roché et la vieille Guillemette Belot. Au mieux, si la maison d'un hérétique convaincu n'est pas réduite en cendres, elle est quand même confisquée par les autorités du comté de Foix dorénavant asservies aux quatre volontés de l'Inquisiton. Cette maison, fragile et friable en dépit de sa pérennité conceptuelle, il convient maintenant de la décrire. La partie centrale, essentielle, de la domus, c'est la cuisine ou foganha, aux solives bardées de jambons; les voisins y compris une brave femme comme Alazaïs Azéma, toute simplette en dépit de son titre de Madame, viennent y emprunter du feu, de ce feu précieux qu'on couvre le soir afin d'éviter un accident qui réduirait en cendres l'ostai. Sur le feu veille la ménagère oufocaría, la «femme au foyer », comme on surnomme les concubines des curés dans le diocèse de Pallars. L'homme pourtant ne laisse pas aux femmes la charge entière d'entretenir les feux: c'est lui qui s'occupe de casser les bûchettes, frangere teza, pour le foyer. Une batterie de cuisine à base de marmites en terre (olla), poêles (patella), chaudrons (payrola), cruches de terre ou dournes, écuelles éventuellement décorées, entoure l'âtre. Batterie toujours insuffisante, surtout quant aux instruments de métal, et qui se complète aisément selon la méthode classique à Montaillou, des emprunts chez la voisine. Une table à manger, des bancs pour le repas et la veillée sont posés à proximité de l'âtre : autour de ces meubles s'organise souvent mais non toujours une assez rigoureuse ségrégation des sexes et des âges, comme il en existait encore, voici peu de

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temps, dans le Bas-Languedoc et en Corse. Le berger Jean Maury, fils d'un paysan de Montaillou, raconte à ce propos le repas du soir dans lafoganha paternelle, quelque peu distingué, certes, puisque y était convié le parfait Philippe d'Alayrac: «c'était l'hiver, Montaillou était couvert d'une épaisse couche de neige. Mon père Raymond Maury, monfrère Guillaume, l'hérétique Philippe d'Alayrac, et Guillaume Belot (venu en voisin) dînèrent à table. Moi-même, mes autres frères, ma mère et mes sœurs nous mangeâmes assis auprès du feu. » La cuisine, c'est bien comme le disent expressément les textes, la maison dans la maison, la domus dans l'ostai, où l'on mange, où l'on meurt, où l'on hérétique, où l'on se dit les secrets de la foi et les potins du village: «En ce temps-là, raconte Raymonde Arsen, la servante de la maison Belot, Bernard Clergue (le bayle, frère du curé) venait dans la maison de Raymond Belot, et il parlait avec sa belle-mère Guillemette Belot dans la maison appelée cuisine (in domo vocata la foganha) et ils me renvoyaient momentanément (pour queje n'entende pas leur conversation). » La maison la plus intime appeléefoganha s'emboîte donc dans la maison plus vaste appelée ostai comme une poupée russe dans une autre. On peut coucher dans la cuisine. Mais on couche aussi, et davantage, à plusieurs lits, dans des chambres qui environnent la cuisine, ou qui se situent au premier étage (solier). La maison de Montaillou, bien au large dans son vaste terroir de montagne, semble être un peu plus vaste que son homologue du pays bourguignon, si exiguë, fouillée par Pesez et Piponnier. Il serait, semble-t-il, assez facile de restituer par des excavations ad hoc le plan des maisons médiévales de Montaillou dont les restes se voient encore au pied du château. En attendant une telle recherche, quelques textes éclairent pour nous la disposition des pièces. La maison de Pierre Michel à Prades d'Alion, village voisin de Montaillou, et en tout point analogue à cette dernière quant au mode de vie, nous est décrite par sa fille Raymonde: «dans la cave de notre maison, il y avait deux lits, un dans lequel couchaient mon père et ma mère, et l'autre pour l'hérétique de passage. La cave jouxtait la cuisine avec laquelle elle communiquait par une porte. A l'étage au-dessus de la cave, personne ne couchait. Moi et mesfrères nous couchions dans une chambre qui était de l'autre côté de la cuisine, la cuisine se trouvant ainsi entre la chambre des enfants et la cave où couchaient les parents. La cave, à l'extérieur, donnait, par une porte, sur l'aire à battre. » C'est dans une cave de ce genre (cellarium ou sotulum) pourvue à la fois de tonneaux et de lits que Béatrice de Planissoles, qui résidait alors chez son second époux Othon de Lagleize, fit l'amour pour la dernière fois avec le curé Clergue de Montaillou, venu chez elle sous une identité d'emprunt, tandis que sa servante Sibille Teisseyre, de Montaillou elle aussi, et donc payse et complice de sa maîtresse, faisait le guet à la porte de cette cave où Béatrice, entre deux barriques, mêlait son corps à celui du prêtre (ipsa cum dicto sacerdote commiscebatur). Beaucoup de textes confirment ainsi l'existence, à côté de la cuisine, d'une cave, et aussi de chambres fermant à clef, pourvues de lits et de bancs, et dont chacune est prévue pour une ou plusieurs personnes qui font lit commun ou séparé. Dans la maison des Maury, simples paysans, le frère aîné Guillaume Maury a sa chambre. Et

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semblablement la vieille Guillemette Belot, chez les Belot. De même le curé Clergue fait chambre à part dans sa grande maison familiale, elle-même suffisamment vaste pour contenir aussi une antichambre au premier étage. Ces chambres ont des fenêtres, fermées par des volets de bois. O n jette un caillou contre le volet, la nuit, pour attirer discrètement l'attention des résidents. Des personnages plus importants et plus intellectuels, tels que notaires et médecins - mais il n'en existe point à Montaillou - possèdent en outre un bureau (scriptorium) dans leur maison. D'une façon générale, le fait d'avoir un solier (premier étage au-dessus de la cuisine, lequel communique avec le rez-de-chaussée par une échelle) est un signe extérieur de richesse; et par conséquent la construction d'un solier comme celui qu'édifie chez lui le cordonnier Arnaud Vital est un indice de promotion sociale, ou du moins signifie la volonté - peut-être fallacieuse en l'occurrence - d'ascension et d'ostentation sociales. Seuls les Clergue, les Vital (pas si riches que ça du reste) et les Belot possèdent dans Montaillou, à notre connaissance, une maison avec solier. Il est vrai que la foganha, cœur de la domus, est en maçonnerie, tandis que le solier et même les dépendances du rez-de-chaussée sont construites «à la légère » en bois et en torchis. Cuisine, solier, chambres, cave, ne sont pas seuls en cause. Une partie de la maison même, chez les exploitants de Montaillou, est réservée aux animaux : « il y a dix-huit ans, raconte Alazaïs Azéma, je venais de sortir mes porcs de ma maison, quand je rencontrai, sur la place du château (de Montaillou), Raymond Benet qui s'appuyait sur son bâton. Il me dit: 'Entre chez moi'. Je lui répondis: 'Non, car j'ai laissé ouverte la porte de ma maison'. » D'après ce texte, hommes et porcs font donc maison commune et peut-être même, porte commune. Semblablement, Pons Riba, le fils de Bernard Riba, enferme sa mule ou son âne dans sa maison. Guillemette Benet, le soir venu, clôt ses bœufs chez elle, après qu'on les a ramenés du labourage. Guillaume Bélibaste envisage de nourrir un agneau dans sa maison, in domo sua. Chaque matin, Jean Pélicier, petit berger de Montaillou, fait sortir ses brebis de la maison. Des hommes, même malades, couchent avec les bêtes. «Guillaume Belot, raconte Bernard Benet, amena Guillaume Authié l'hérétique au lieu où était couché m o n père ; c'était dans la partie de la maison où couchait le bétail. » La maison possède aussi des dépendances variées; une cour la jouxte: on y prend le soleil. Cette cour est généralement décorée d'un tas de fumier sur lequel grimpe telle servante curieuse; elle veut espionner ce que ses patrons et les parfaits se racontent les uns aux autres, dans le solier. La cour se prolonge par l'aire à battre le grain. Les plus grosses fermes, comme celle des Marty à Junac, et quelques autres, ont cour et jardin, boal (étable à bœufs), colombier, porcherie près du jardin, granges pour les pailles de l'autre côté de la cour ou près d'une fontaine, bergerie ou cortal à moutons attenante à la domus. Côté rue, il y a souvent tout comme aujourd'hui, un banc ou une table en plein air, à côté de la porte de la maison, pour se chauffer au soleil ou pour causer avec les voisins. Les problèmes de fermeture de la

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maison sont loin d'être toujours résolus : quand le logis n'a qu'un rez-de-chaussée (ce qui est souvent le cas), on peut soulever avec la tête le rebord du toit de bardeaux, pour regarder indiscrètement ce qui se passe dans la cuisine. Le toit-terrasse est en effet plat ; il peut servir aussi de dépôt pour les gerbes de blé, ou de tribune à harangues pour les commères: il ne prendra dans les Pyrénées catalanes son inflexion actuelle qu'à partir du 16 e siècle. Pour pénétrer dans la maison, il suffit parfois d'écarter une planche ou une latte. Les cloisons sont si minces qu'on entend tout d'une pièce à l'autre, y compris les conversations hérétiques d'une dame avec son amant. Entre deux maisons contiguës de Montaillou, un trou éventuellement permet de passer de l'une à l'autre: «Guillemette doit bien s'y connaître en fait d'hérétiques, révèle Raymonde Testanière en veine de dénonciations, puisque au temps où les gens de Montaillou furent raflés par l'Inquisition de Carcassonne, il y avait un trou entre la maison de Bernard Riba (où les hérétiques avaient leur oratoire), et la maison de Guillaume Benet. Par ce trou, lesdits hérétiques passaient d'une maison à l'autre. » Le village de Montaillou était, du reste, à ce point de vue, une véritable termitière, puisqu'un autre passage direct, ou posticium, avait été pratiqué, qui permettait aux parfaits de passer de la maison de Bernard Riba, déjà mentionnée, à celle de R a y mond Belot. Au-delà de ces apparences matérielles, pas toujours flatteuses, c'est la charge d'hommes ou la charge d'âmes de l'ostai qui m'intéresse ici, au premier chef: la démographie de la domus déborde souvent, de diverses façons, le cadre strict de la famille nucléaire, autrement dit du couple parental et des enfants. Ce débordement s'opère, d'abord, du fait même de la présence des domestiques au foyer : Jean Pélicier, berger originaire de Montaillou, a fait divers stages, chez l'un ou chez l'autre, hors de son village, pour se former ou pour se confirmer dans sa profession. Puis il revient dans son pays ; mais au lieu de résider dans sa maison natale, il habite pendant trois ans, à titre de berger, dans la maison de Bernard et de Guillemette Maurs, mariés. O n ignore ce qu'il recevait en salaire. Habite aussi dans cette domus des Maurs - outre Jean Pélicier - son frère Bernard, qui, lui, n'est pas berger, mais valet de labour (laborator vel arator). On trouve encore au foyer de Bernard Maurs ses deux enfants, et enfin sa propre mère, Guillemette Maurs la vieille, certainement veuve. A u total, on est donc en présence d'une famille non strictement nucléaire: un couple, deux enfants, une ascendante, et deux serviteurs. La structure mixte de famille et de voisinage ne s'arrête pas là: jouxtant la maison de Bernard Maurs, se trouve celle de son frère Pierre Maurs, maison catharisante elle aussi, et en guerre déclarée avec le recteur Clergue (la femme de Pierre, Mengarde Maurs, aura un jour la langue coupée pour avoir médit de son curé). Ces deux maisons Maurs, à la fois fraternelles et voisines, forment une unité de fréquentation et de sociabilité: «A l'époque où j'habitais chez Bernard Maurs, dit Jean Pélicier, Je fréquentais beaucoup la maison de Pierre Maurs. » La domus peut aussi s'élargir, en dehors même du couple, des enfants et des autres descendants, ascendants ou collatéraux, à une servante. Exemplaire, de ce point de

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vue, est la biographie de Raymonde Arsen, qui sera condamnée en 1324 au port des doubles croix jaunes et à un pèlerinage, à cause de ses fréquentations hérétiques. Originaire de Prades d'Alion (près de Montaillou), cette petite Raymonde sort d'une famille pauvre mais non misérable; Raymonde est en effet la sœur d'Arnaud Vital, savetier de Montaillou et gardien des récoltes (messier) dans le même village. Raymonde, en sa prime jeunesse, vers 1306, a été placée comme servante, en ville, dans la maison de Bonet de la Coste à Pamiers. C'est chez Bonet qu'elle a rencontré un j o u r Raymond Belot (de Montaillou), son cousin germain, qui venait au marché urbain pour y vendre une charge de blé de montagne qu'il avait récolté sur ses terres. Raymond suggère donc à Raymonde de venir chez lui afin de s'y embaucher comme servante. La maison Belot considérée comme très riche comprend Raymond lui-même, son frère Guillaume, sa sœur Raymonde, son autre frère Bernard, sur le point de se marier à Guillemette, née Benet (cette Guillemette est la fille de Guillaume Benet, dont la maison est située à quelques mètres de celle des Belot: mie fois de plus, les liens de voisinage et de famille se renforcent mutuellement). A u foyer des Belot, vit également la mère de Raymond, nommée Guillemette, veuve. Il y aura donc au total dans cette maison un couple marié, ses enfants, les grands frères et sœur (célibataires) du mari, la vieille mère veuve, et une servante. Plus quelques autres encore, dont j e parlerai par la suite. Raymonde Arsen, au cas de qui j e m'intéresse particulièrement, explique dans ces conditions à Jacques Fournier pourquoi les Belot l'ont embauchée comme servante : «Raymond et ses frères, dit-elle, voulaient donner en mariage leur sœur Raymonde à Bernard Clergue,frère du curé. » Allier les frères Belot aux frères Clergue, grâce au don d'une sœur tirée comme une flèche, des uns vers les autres, c'est souder, jusqu'alors distinctes, deux des plus influentes phratries de Montaillou. C'est compléter l'axe Belot-Benet déjà mentionné (mais qui ne sera concrétisé dans un mariage que peu après l'embauche de Raymonde Arsen), par une triple alliance, Benet-Belot-Clergue. C'est juxtaposer aux vieux liens de l'amitié ceux plus solides encore que noue le mariage. Mengarde Clergue (mère de Bernard) et Guillemette Belot, mère de Raymonde, étaient en effet deux vieilles amies, bien avant que leurs enfants s'épousassent. Enfin, une fois de plus, comme dans le cas du «binôme» Belot-Benet, les noces découlent du voisinage : la maison Belot n'est séparée de la maison Clergue que par la largeur de la rue du village. En dépit de ces prémisses favorables et de cette combinaison du voisinage, du mariage, du parrainage et de l'amitié, la triple alliance des Belot, des Benet et des Clergue (qui était aussi une quadruple alliance... avec l'hérésie, puisque les Benet étaient alliés aux Authié), résistera mal aux coups de boutoir de l'Inquisition. Elle témoignait quand même, au village, sur une certaine philosophie du mariage. Donc, chez les Belot, on embauche une servante (Raymonde Arsen) pour compenser le départ d'une sœur (Raymonde Belot) : les fonctions de celle-ci dans la domus fraternelle devaient avant ce départ, ressembler fort à celles d'une bonne à tout faire. Pour reprendre le vocabulaire d'A. Chayanov, disons que l'embauche de

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Raymonde Arsen se situe à un point bien particulier du cycle familial (départ d'une sœur) ; alors que l'embauche d'un valet-laboureur et d'un berger (Jean Pélicier) dans la maison des Maurs s'insérait, elle, à un autre point caractéristique du cycle familial (au moment où les enfants d'un couple de jeunes agriculteurs, lequel co-réside avec la mère du mari, sont encore trop jeunes pour servir de main-d'œuvre à l'exploitation). La proposition d'embauche, formulée par Raymond Belot pour Raymonde Arsen, au domicile appaméen de Bonet de la Coste, se situe donc à l'intersection de plusieurs stratégies: stratégies de famille, d'alliance, d'entreprise. A cette proposition, Raymonde Arsen, la petite servante, répond de manière évasive: «Je ne peux pas accepter cette offre pour le moment, dit-elle à Raymond, car j'ai fait affaire et contrat avec mon maître Bonet jusqu'à la Saint-Jean-Baptiste prochaine (24 juin) (et l'on est à Pâques...);

j'aviserai donc au moment de la Saint-Jean, pour savoir sije vais ou ne vais pas

chez vous.» C e petit dialogue, d'époque pascale, illustre la modernité du lien contractuel en Haute-Ariège: pays où le servage est nul, et la dépendance peu contraignante. Fin juin, Raymonde Arsen se décide: elle donne congé à son maître Bonet; etelles'enva chercher sa fille (naturelle?), prénommée Alazaïs, qu'elle avait mise en nourrice à Saint-Victor. Puis, baluchon sur l'épaule et bébé dans les bras, elle monte vers les montagnes qui coiffent Pamiers en direction du sud. Arrivée à Prades (près de Montaillou), elle confie sa fille à une autre nourrice appelée elle aussi Alazaïs, qui emmènera l'enfant, pour en prendre soin, au village d'Aston (Ariège). Raymonde Arsen redescend ensuite vers le territoire de l'actuel département de l'Aude pour y faire les moissons dans le val d'Arqués. Puis elle revient à Prades d'Alion, terroir d'altitude où la récolte du grain, par nécessité climatique, est plus tardive. Raymonde Arsen a donc vécu pendant un court été, hors maison, une vie de fille-mère itinérante, moissonneuse et marginale ; elle ne quitte cette existence gyrovague que pour se fixer derechef comme servante dans la maison «de Raymond Belot et de ses frères», maison d'où Raymonde Belot vient de partir, comme prévu, avant les moissons, afin d'épouser Bernard Clergue. Dans cette famille des Belot, où elle reste un an (durée canonique d'un contrat d'embauche), Raymonde Arsen est reléguée hors de la «maison» au sens strict du terme : son «lit », qu'elle prépare le soir, est placé dans les pailles de la petite grange au fond de la cour, cette grangette (borda) lui servant de chambrette, des plus rustiques. Le travail diurne de Raymonde consiste, notamment, à s'occuper du pain dans le four de la maison, et à faire la lessive (abluere vestes). Il est vrai que Guillemette Belot, la vieille mère, se charge d'une partie de ces besognes ménagères: elle cuit de ses propres mains le pain délicat des parfaits de passage; ainsi agit-elle en l'honneur de Guillaume Authié (fidèle habitué de la maison Belot), qui fait de longs séjours au solier de cette domus, vêtu de bleu obscur et de vert sombre. La présence de Guillaume Authié dans l'ostai des Belot nous vaut même, à l'occasion d'un mariage, une véritable «photo de famille », sur laquelle Raymonde Arsen,

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en tant que membre à part entière du groupe domestique, est partie prenante. Cette réunion de famille prend place à l'occasion du mariage entre Bernard Belot et Guillemette Benet, mariage qui achève de surdéterminer, c o m m e on l'a v u , tout un réseau de relations antérieures: puisque Guillaume Benet, père de la promise, et v o i sin des Belot, était par ailleurs et depuis fort longtemps parrain de Guillaume Belot, frère du marié. A u m o m e n t de «l'instantané» de la fête de famille, organisée à l'occasion du mariage, Guillaume Authié est descendu de son solier-perchoir jusque dans la cuisine où tous se sont regroupés. Les frères Belot se sont assis sur un banc. Les femmes de la domus, ségrégées, se sont posées sur un autre petit banc, plus bas. Quant à notre Raymonde Arsen, elle se tient un peu en retrait, près du feu, ayant dans les bras le bébé de la jeune Alazaïs, une autre sœur de R a y m o n d Belot, mariée ailleurs, mais présente ce jour-là pour la cérémonie. Par la suite, R a y m o n d e Arsen quittera la maison des Belot et elle se mariera avec Prades den Arsen (dont elle prendra le n o m de famille sous lequel nous la connaissons) : bouclant la boucle et faisant désormais retour par le biais de cette union à son village natal, R a y m o n d e Arsen s'installera à Prades d'Alion, dans la maison de son mari. O n notera que le fait qu'elle ait engendré dans ime phase antérieure de sa vie un bébé naturel ne la gênera nullement pour se marier. R a y m o n d e Arsen partie, nous n'en sommes pas quittes encore avec la maison des Belot. C h e z eux, on trouve la trace en effet d'une autre servante, qui fait également fonction de concubine, Raymonde Testanière, dite Vuissane, de Montaillou, restée trois ans, vers 13 04-13 07, dans la maison des Belot. Maîtresse de son patron Bernard Belot, elle a eu de lui au moins deux enfants dont un fils prénommé Bernard: il ne semble pas que cette liaison, officialisée par la co-résidence, ait choqué qui que ce soit - mère, frère, sœur, ou commère - dans la domus ou dans le village. ( O n doit reconnaître, à ce propos, que Bernard Belot, l'amant de Vuissane, était par ailleurs fort entreprenant: n'avait-il pas tenté de violer l'épouse de son concitoyen Guillaume Authié ? D ' o ù incarcération du grossier personnage, qui ne sort de prison qu'au prix de 20 livres d'amende, versées aux gens du comté de Foix ; d'où, surtout, froid compréhensible, sinon durable, entre Bernard Belot et Guillaume Authié.) Q u o i qu'il en soit, R a y m o n d e Testanière, dite Vuissane, n'a pas eu beaucoup de chance avec son amant, logeur et patron, Bernard Belot. Elle lui avait donné des enfants, elle s'était littéralement crevée au travail pour les gens de sa maison, dans l'espoir d'être épousée par cet h o m m e . Mais Bernard ne voulait se marier qu'avec une hérétique du village, telle que la fille Benet, en laquelle il pourrait avoir confiance. Et Vuissane, malheureusement pour elle, ne catharisait point en ce temps-là... Décidément vaste et populeuse, la maison des Belot a logé aussi, à un certain moment, Arnaud Vital, frère de la servante R a y m o n d e Arsen (déjà mentionnée), et savetier de Montaillou. Hérétique et vêtu à cette occasion d'une «surtunique » de couleur bleue, Arnaud avait coutume de guider les parfaits dans la montagne. Il occupait chez les Belot moyennant un loyer ou quelques services une chambre ou tout simplement un lit qu'il partageait a v e c j e ne sais qui. Son ouvroir de cordonnier

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était situé dans une autre maison de la paroisse. Arnaud, comme beaucoup de savetiers, était un D o n j u a n de village. Il fut l'amant d'Alazaïs Fauré, qui l'aimait et qu'il instruisit dans l'hérésie ; Alazaïs entreprit ensuite de convertir à leur tour son père et son frère. Dans la maison des Belot, où il était, comme on l'a vu, pensionnaire, Arnaud Vital fit un j o u r à Vuissane Testanière, autre co-résidente, «le coup de la poule »: il lui donna une poule à tuer (acte qui du point de vue catharo-métempsychotique, constituait un crime). Vuissane essaya donc de tordre le cou à cette poule, mais s'avéra incapable de l'occire. Ayant ainsi établi son prestige, Arnaud, en pleine maison des Belot, entreprit de violer Vuissane. Elle fit aisément échec à cette entreprise, en lui objectant le caractère incestueux qu'allait prendre de ce fait leur relation : «N'avez-vous pas honte, dit-elle à Arnaud. Vous oubliez queje suis la maîtresse de votre cousin germain (et logeur) Bernard Belot, dontfai des enfants. » Vaincu par cette dialectique, Arnaud renonça à sa tentative de viol. Il continuera par la suite à vivre sous le toit des Belot, il y épousera même une autre servante de la domus, appelée Raymonde. Mariage malheureux: Arnaud, dans la bonne tradition des maris pyrénéens, restera étrangement silencieux avec sa jeune femme; toujours actif, il découchera des nuits entières, pour aller retrouver de nouvelles maîtresses comme Raymonde Riba et Alazaïs Gavela... D u moins ce mariage marquera-t-il la fin de la co-résidence d'Arnaud avec les Belot. Deux mois après les noces, le nouveau couple des Vital quittera la maison Belot et ira s'établir dans sa propre domus. L'une des règles non écrites de l'ostai de Montaillou, c'est en effet qu'il peut contenir toutes sortes d'adultes. Mais n'y vit dans le long terme qu'un couple marié seulement. En dépit de cette unique restriction, l'ostai des Belot, c'est bien la maison du bon Dieu: parfaits, servantes et pensionnaires y coudoient la famille du cru; les uns forniquent, voire violent; les autres hérétiquent à qui mieux mieux, de la grange à la cuisine et de la cave au grenier. Cette domus riche et complexe n'a décidément pas grand-chose à voir avec l'intimité douillette et nucléaire d'un couple petit-bourgeois de notre temps. La maison des Belot, à l'image des autres domus importantes de Montaillou, parmi lesquelles celle des Maury, se distingue aussi par un sens généreux de l'hospitalité ; hospitalité qui implique du reste des devoirs dans les deux sens. Il est malséant, on l'a vu, de profiter du passage d'un invité pour violer l'épouse qui l'escorte. Mais inversement, proférer des menaces sous le toit de qui vous a reçu dans sa maison, c'est se conduire en goujat : « Tu oses me menacer sous mon propre toit ! » s'écrie Guillemette Maury à l'adresse de son petit cousin (de Montaillou) Jean Maury, qui, reçu par elle, avait menacé après quelques disputes, de la faire incarcérer. Guillemette cherchera du reste (en vain) à se venger de cette impolitesse en empoisonnant son cousin au sel de mercure. Quelques servantes nous ont aidé à pénétrer dans l'intimité de la maison des Belot. Mais il existe aussi à Montaillou d'autres servantes, connues de nos textes; et par exemple dans la maison des Clergue: Brune Pourcel est une bâtarde, qui fut engendrée par Prades Tavernier, tisserand hérétique, devenu parfait; il ne se gênait pas de temps à autre pour se faire adorer, selon le rite cathare, par sa fille naturelle. Après

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son temps de service dans la maison des Clergue, dont elle rapporte quelques croustillants détails pour l'Inquisition, Brune Pourcel habite, ex-servante et pauvre bâtarde, dans sa propre maison fort indigente. Elle passe son temps à mendier, à chiner, à voler ou à emprunter le foin, le bois, les raves et le tamis à bluter la farine. Brune Pourcel est encombrée de superstitions : elle prélève les cheveux et les ongles des cadavres; elle craint les chouettes et les oiseaux de nuit, qui sont des diables qui viennent par-dessus sa maison pour emporter l'âme de na Roqua (Madame Roché) récemment décédée. Mais il est équitable de reconnaître que ces superstitions ne caractérisent pas son état de servante-bâtarde et qu'elle les professe en c o m m u n avec beaucoup d'autres habitants du village. Autre bâtarde encore, au statut de servante, Mengarde, la fille naturelle de Bernard Clergue. Au domicile de son père, chez qui elle réside, elle est chargée de la cuisson du pain, et elle lave au ruisseau les chemises de linge fin des parfaits, d'un linge plus fin que celui que portent les simples paysans de Montaillou. Ces considérations sur la domus et sur les rapports qui s'y nouent entre patrons et servantes ou entre patrons et serviteurs, sont l'occasion pour nous, au passage, de quelques réflexions sur la sociologie du vieux Montaillou. Il semble que la vraie différenciation sociale en ce village ne sépare pas tellement les maîtres des domus de leurs domestiques (mâles ou femelles). Car ceux-ci sont bien souvent les petits cousins, voire les bâtards de ceux-là. U n e certaine différenciation, qui, du reste, n'est pas génératrice de grosses tensions, passerait plutôt entre domus riches (relativement riches) et domus pauvres (entre domus pourvues de bœufs d'attelage et domus qui n'en possèdent pas). Surtout le vrai clivage est celui qui s'intercale entre les hommes des maisons et chefs de famille d'une part, et les bergers d'autre part: les bergers sont en effet de jeunes hommes ou de moins jeunes adultes que leur situation de cadets, de proscrits ou de vrais pauvres empêche d'accéder au mariage et à la possession d'une maison. Les bergers, qui du reste parviennent éventuellement à s'enrichir comme tels, représentent par rapport aux hommes des maisons le groupe inférieur et extérieur. Encore cette différence, pour importante qu'elle soit, n'estelle nullement vécue sur le mode de la lutte de classes. Je ne vois rien en tout cas qui équivaut parmi les citoyens de Montaillou aux différences profondes qui sépareront dans la France septentrionale de la grande culture les laboureurs des manouvriers. Il n'y a pas non plus de séparations d'ordre juridique bien nettes à l'intérieur des groupes paysans qui peuplent le réseau des domus. Le servage, à Montaillou et en Sabartès, n'existe pas et les paysans ignorent parmi leurs effectifs la séparation des libres et des non-libres. Ils ne perçoivent de différences entre eux que sociales, socioprofessionnelles, ou «vitales»: paysan/artisan; patron/servante; chef de maison/ domestique agricole; éleveur/berger; légitime/bâtard. Quant au clivage roturier/ noble, il n'est guère pertinent, du moins à Montaillou, puisque la noblesse n'est représentée en ce village qu'épisodiquement, voire individuellement. U n dernier point est relatif à la structure de la domus en tant que groupe domesti-

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que: o n peut se demander quel est dans ce village l'arrangement familial qui prédomine. Famille élargie, ou famille nucléaire (le «noyau» n'étant autre que le couple lui-même, éventuellement p o u r v u de jeunes enfants). Les indications déjà données orientent la réponse qu'on peut faire à cette question : il existe à Montaillou des n o y a u x tronqués (veuves qui vivent seules, ou avec un enfant) ; des couples «nucléaires » avec enfants ; des couples chargés de plusieurs enfants et d'un ascendant (grand-père veuf, ou grand-mère veuve); des phratries parfois flanquées d'une vieille mère et dans lesquelles un seul des frères co-résidents est marié, les autres frères et sœurs, même adultes, demeurant célibataires pendant le temps, qui de ce fait est limité, où ils vivent en co-résidence ; en revanche, j e n'ai pas rencontré à M o n taillou de co-résidence entre deux couples mariés; celle-ci, c o m m e on sait, peut théoriquement s'accommoder de deux variantes: le premier cas, qui serait celui de la frérèche classique (famille élargie horizontalement), rassemblerait deux couples auxquels appartiendraient respectivement deux frères ou deux sœurs, ou deux frère et sœur. Le second cas juxtaposerait dans la co-résidence un couple d'ascendants (père et mère), un couple de deux descendants (le fils et son épouse, par exemple), et enfin les enfants de ce jeune couple. Je n'ai rien trouvé de semblable au pays d'Alion, bien que des phénomènes de ce genre aient pu plausiblement se produire chez les Clergue, chez les Belot ou chez les Maurs. Etait-ce la faute de la m o r talité qui brisait trop tôt le lit des vieux adultes ? Etait-ce la faute de la mentalité qui déconseillait à deux frères, une fois mariés tous les deux, de continuer leur c o résidencePJe l'ignore. Mais j e constate que la famille montalionaise avec ses phratries de jeunes célibataires, ses ascendants veufs incrustés au foyer, ses domestiques et ses pensionnaires, va nettement au-delà du simple modèle nucléaire. En revanche, elle ne s'élève pas jusqu'à l'élargissement suprême; et jusqu'au niveau complexe des grandes frérèches telles qu'on les rencontrera un peu plus tard dans la Cévenne ou dans la Toscane du 15 e siècle. Peut-être faudra-t-il la dépopulation de l'après-peste (13 46-1460) pour que la domus désormais pourvue de terres à suffisance, et de pacages à satiété, tolère plus coutumièrement sur son territoire la présence de deux jeunes couples, désormais mis au large par la conjoncture agraire, et qui sont d'autre part précieux fournisseurs de main-d'œuvre gratuite, en temps de hausse des salaires et de manque d ' h o m m e s . . . La domus enfin ne se conçoit pas sans les réseaux généalogiques qui la prolongent vers le passé (genus, lignage) ou qui la rattachent aux domus apparentées (1consanguinitas, parentela). A Jean Maurs de Montaillou, qui laisse entendre implicitement qu'un lignage est ou tout b o n ou tout mauvais - ou tout cathare ou tout mouchard - , R a y m o n d Issaura de Larnat répond philosophiquement, s'agissant du lignage BailleSicre, producteur d'un mouchard de haute volée: «Dans tout lignage (omni genere), il y ade braves gens et de mauvaises gens. » Plus présente ou plus pesante que le genuslignage s'affirme la parentèle ou consanguinité, faite des cousins et parents de toute espèce qui habitent d'autres domus, dans le village même, ou dans des villages proches ou lointains. Vient le j o u r par exemple où le berger Pierre M a u r y de Montaillou

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kidnappe sa sœur Guillemette avec le consentement de celle-ci parce qu'elle est battue comme plâtre par son mari, qui de plus a le tort de n'être point hérétique. L'enlèvement réussi, Pierre Maury se pose tout aussitôt la question angoissante: «Et si quelques-uns de la parentèle du mari nous suivaient pour rattrapper Guillemette, que ferions-nous? » Domus et parentèle entraînent toutes deux avec elles des cortèges de solidarité. Solidarités de voisinage d'abord qui peuvent du reste jouer au détriment de l'un des voisins, contre lequel se sont coalisés tous les autres: «Quatre de mes voisins, dont une femme et un curé, ont fait un complot contre moi pour me faire perdre mes biens et pour me dénoncer à l'Inquisition comme hérétique», déclare Arnaud Savinhan, plâtrier de Tarascón. La solidarité de famille cependant m'apparaît plus importante encore que ces structures «vicinales » dont elle est du reste inséparable. Des menaces de dénonciation pèsent-elles contre les missionnaires cathares Pierre et Guillaume Authié, auxquels Pierre Casai reproche le vol d'une vache ? Alors tout le clan des Belot et des Benet alliés entre eux et alliés aux Authié par le mariage prend feu et flamme et menace de mort ces mouchards et mouchardes possibles, parmi lesquels figure Alazaïs Azéma de Montaillou: « Gare à toi. Si tu dénonces, tu es morte ! » dit Guillaume Benet à Alazaïs. Et Raymond Belot est plus catégorique encore: « Un de ces jours, crie-t-il à cette femme, on trouvera ta tête séparée de ton corps. » Typique de ces solidarités familiales est la vendetta de Guillaume Maurs, fils d'une domus de Montaillou que nous avons déjà rencontrée et que l'Inquisition voue à la ruine. Guillaume, son père et son frère ont été arrêtés par l'Inquisiton le 8 septembre 1308 avec le «tout Montaillou», à la suite de dénonciations dont le curé Clergue, renversant la vapeur et reniant ses amitiés cathares, s'est rendu complice. Guillaume est ensuite libéré de la prison où séjournent deux membres de sa famille; près de Montaillou, il tombe un jour nez à nez avec le curé, et profite de l'occasion pour lui reprocher véhémentement sa conduite. Pierre Clergue, qui comprend fort bien la solidarité familiale, lui répond sur le même ton: «Je vousferai tous pourrir au Mur de Carcassonne, tous les Maurs, toi, ton père, tonfrère, et tous ceux de ta domus. » Pierre Clergue, du reste, tiendra parole au-delà même de ses propres mots puisqu'il fera, ni plus ni moins, couper la langue pour «faux témoignage » à Mengarde Maurs, mère de Guillaume; et puisque'en compagnie des autres frères Clergue, il tâchera de faire arrêter Guillaume de toutes les façons, par monts et par vaux. Il mènera contre le clan tout entier des Maurs une véritable vendetta, elle aussi familiale. La fin du dialogue précité se présente symétriquement - mais avec moins d'efficacité - comme une déclaration de vendetta de la part de Guillaume Maurs : «Je me vengerai, crie-t-il au curé, garde-toi de moi et de tous mes partisans. » Et ils se séparent sur ces mots, cependant que Guillaume va chercher du renfort dans sa parentèle. En 1309, Guillaume Maurs se réfugie en effet à Ax-les-Thermes. Son frère Raymond Maurs, et Jean Benet, d'une autre domus lésée par les Clergue (quoique alliée conjugalement à ceux-ci), se joignent à lui: tous trois jurent mutuellement sur

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le pain et sur le vin de se venger, de tuer le curé, et de mettre leur maigre avoir en commun afin de ne manquer de rien dans leur entreprise. Il s'agit là d'un véritable pacte d'affrèrement (serment sur le pain et le vin, mise en commun des avoirs). D e 1309 à 1 3 1 7 , les conjurés font en effet par eux-mêmes, ou par vicaires soudoyés, plusieurs tentatives d'assassinat contre Pierre Clergue. Tandis que Guillaume Maurs, berger proscrit, erre de montagne en montagne et de troupeau en troupeau. Guillaume, personnellement, n'est pas hérétique; il tient même les hérétiques pour des diables. Mais il est soucieux de se venger, au point que les prêtres qui le confessent refusent de lui donner la communion à cause de la haine qu'il détient dans son cœur contre Pierre Clergue. Il porte la vengeance peinte sur sa figure. L'oublierait-il que ses amis et camarades bergers se chargeraient de la lui rappeler. U n jour que Guillaume se dispute avec Pierre Maury et les siens, celui-ci qui ne mâche pas ses mots, lui rappelle sa vocation spécifique de vendettiste: « Combats contre le curé de Montaillou et non pas contre nous, dit Pierre à Guillaume, car lui te donnera de l'ail et du verjus (autrement dit, du fil à retordre). » Il faudra le découragement de l'un des partenaires (Pierre Maurs) - moins tenace qu'un vendettiste corse - et le manque d'opportunités valables, pour qu'échoue la dernière tentative d'assassinat contre Pierre Clergue. Ce n'était pas faute d'avoir essayé: à l'occasion de cette ultime tentative, Guillaume Maurs avait en effet recruté deux tueurs à gages catalans, qu'il avait fait tout exprès venir de Gérone, moyennant la somme de 500 sous, tout compris, en cas de succès... La vendetta Maurs est un exemple extrême. Mais la solidarité familiale joue aussi, dans des cas plus prosaïques. Exemple: un parent par alliance intercède auprès des autorités du comté de Foix, et fait jouer des réseaux d'amis en faveur d'un de ses parents, accusé de viol; Right or wrong, my family. Pierre Maury, pour acheter cent moutons qu'il n'envisage pas de payer sur-le-champ, propose de fournir son frère Jean comme caution et comme garantie. La domus, assistée ou non de sa parentèle, sait donc rassembler toutes ses forces pour combattre telle personne, telle cause ou telle autre domus-, mais elle peut connaître aussi des conflits internes et des tensions intestines. Celles-ci spécialement graves quand la barrière de l'hérésie sépare la mère du fils ou la mère de la

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Arnaud Baille-Sicre, par exemple, ne bénit point la mémoire de sa mère, puisque c'est à cause de l'hérésie de Sibille Baille que l'ostai maternel a été confisqué par l'Inquisition. Quant à la sœur (hérétique) de Guillemette Maury, Emersende, elle enverrait volontiers au diable sa fille Jeanne Befayt, bonne catholique; Emersende va même jusqu'à prendre part à un complot au terme duquel des amis dévoués tueraient sa fille Jeanne, en la jetant dans l'abîme du haut du pont escarpé de la Mala Molher. Mais il faut bien souligner que ces deux cas de dissociation de la domus sont le résultat de la désintégration familiale qu'a entraînée l'exode des hérétiques en Catalogne. En Haute-Ariège même, avant le grand départ vers le sud, Jeanne Befayt marchait droit; elle catharisait de conserve avec père et mère, en fille soumise qu'elle était encore. A Montaillou même, l'Inquisition peut réussir, tant bien que mal, à

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dresser une domus contre une autre domus, m ê m e alliée à la précédente par le mariage : Jacques Fournier parvient par exemple à brouiller entre eux le clan Clergue et le clan Benet. Mais les puissances de Carcassonne et de Pamiers ne réussissent pas la fission suprême, celle qui ferait batailler les uns contre les autres les membres d'une m ê m e domus. Les milieux villageois du pays d'Alion étaient, familialement, trop intégrés p o u r qu'une telle entreprise pût réussir. L'éclatement de la domus montalionaise n'était qu'une hypothèse d'école invraisemblable que Pierre Clergue s'amusait simplement à développer pour le plaisir, et p o u r l'édification de sa belle amie: «Au commencement du monde, disait le curé dans une de ses conversations au coin du feu avec Béatrice de Planissoles, les frères connaissaient charnellement leurs sœurs, mais quand beaucoup defieres avaient une ou deux jolies sœurs, chaquefrère voulait Γ avoir ou les avoir. D'où beaucoup de meurtres. Voila pourquoi, concluait sentencieusement le JeanJacques Rousseau de Montaillou, en donnant ainsi sa propre version du contrat primitif, on avait dû interdire l'acte sexuel entrefrère et sœur. » Pierre Clergue pouvait en effet dormir sur ses deux oreilles : les domus de Montaillou étaient peut-être menacées d'anéantissement du fait des entreprises de l'évêque Fournier. Elles ne risquaient pas de se dissocier ni de se disloquer de l'intérieur, en dépit des graves épreuves que leur infligeait l'Inquisition; en dépit aussi de l'hypothèse saugrenue relative à l'inceste primitif, qu'avait formulée le curé. En fin de compte, la domus ariégoise de Montaillou, au niveau des réalités matérielles et des représentations collectives, est-elle justiciable d'analyses c o m m e celles q u ' o n t données les médiévistes à propos de l'odal scandinave? O u Vernant et B o u r dieu à propos des maisons grecques, kabyles, béarnaises... ? Je serais tenté de le croire. Certes l'odal scandinave est par trop éloigné de notre aire culturelle ibéro-pyrénéenne. Et le concept m ê m e de l'odal, qui unit simplement le lignage et la terre familiale, fait fi de la notion de « maison » qui pour moi reste centrale à Montaillou. Je n'insisterai donc pas davantage sur les brillantes théories qu'a développées àpropos de l'odal le médiéviste soviétique Gurevic. En revanche, les analyses qu'a proposées Bourdieu quant à la maison kabyle m e paraissent pertinentes, à titre comparatif, pour une confrontation entre données maghrébines et données pyrénéennes. Il n'est pas absurde de postuler une certaine unité archaïque des civilisations agraires et montagnardes de la Méditerranée occidentale. La maison kabyle, c o m m e la maison ariégeoise de jadis, transcende le destin particulier des individus qui la composent. Elle a sa baraka que risque d'emporter avec lui le cadavre du chef de famille. Elle se situe de façon décisive à l'intersection des rôles masculins et féminins dans le lignage et dans le village. Autant de raisons qui militent pour une étude comparée des représentations de la domus, dans les cultures paysannes à tréfonds archaïque, qui fleurissent aux deux versants de la Méditerranée occidentale. D e telles recherches comparatives ne sont pas du ressort de cette préface, qui se veut avant tout monographie villageoise. Elles n'en sont pas moins légitimes.

INTRODUCTION

Le Registre d'Inquisition de Jacques Fournier est conservé dans un livre de parchemin de 325 folios qui porte le numéro Vatican. Latin. 4030 de la Bibliothèque Vaticane. C'est la copie, sur deux colonnes, dans une écriture régulière de « librairie », des procédures d'Inquisition auxquelles a procédé Jacques Fournier, évêque de Pamiers (Ariège), entre 1318 et 1325. Il s'agit d'une copie authentique, par des notaires ou des clercs assermentés, de documents judiciaires originaux. Elle a été exécutée à la demande de Jacques Fournier, autour de 1326, lorsqu'il avait quitté le siège de Pamiers pour celui de Mirepoix. 1 JACQUES FOURNIER.

Il avait accédé au siège de Pamiers le 19 mars 1317. Il est né à

Saverdun (Ariège), vers 1280, d'un père nommé Guillaume, probablement bourgeois de Saverdun et tirant son nom du domaine de Fournié sur le territoire voisin de Cante. Son oncle maternel, Arnaud Novel, cistercien, le fit entrer dans l'Ordre et l'envoya étudier la théologie à Paris. N o m m é cardinal en 1311, il obtint de Jean X X I I l'autorisation de désigner son successeur comme abbé de Fontfroide, et il fit élire son neveu, qui était alors « bachelier ». Jacques Fournier termina sa maîtrise à Paris et jouit de son abbaye jusqu'au 19 mars 1317, date à laquelle il fut nommé évêque de Pamiers. Son registre d'Inquisition constitue l'essentiel des renseignements que nous possédons sur son épiscopat. Ses «Vies» nous disent d'ailleurs, d'un côté, qu'il dota son Église d'immeubles et de subsides, et, d'autre part, qu'il extirpa une hérésie qui pullulait du fait de l'inertie de ses prédécesseurs.2

1. V o i r à c e sujet n o t r e édition latine, Introduction, p . 8 - 1 7 et les références a u x études antérieures de C H . MOUNIER et J . - M . VIDAL. 2. BALUZE, Vitœ Paparum Avinionensium,

Paris, éd. M o l k t , 1914, t. I, p. 195-209. Sur

l'ensemble de l'activité de Jacques Fournier, v o i r la bibliographie exhaustive de V . FERRAS, Documents d'Aude,

bibliographiques concernant le rayonnement médiéval de l'ordre de Cîteaux

Sorèze, s.d. (1971), p . 89-102.

en pays

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Duvemoy

Il f u t transféré le 3 mars 1326 à M i r e p o i x o ù il passa moins de d e u x ans, car il f u t n o m m é cardinal prêtre d u titre de Sainte-Prisque (qui avait été celui de son oncle) le 18 décembre 1327. L e 26 décembre 1334, il était élu pape après un b r e f conclave de seize jours, et prenait le n o m de B e n o î t XII. Il donna aussitôt les marques d ' u n caractère p e u c o m m u n , révoquant les c o m m e n des, r e n v o y a n t dans leurs bénéfices les prélats qui encombraient la C u r i e , cherchant par l'envoi d'ambassades auprès de Louis de B a v i è r e à faire la paix et à ramener le Saint-Siège en Italie, réformant les ordres monastiques. Inaccessible au népotisme, il ne n o m m a q u ' u n seul m e m b r e de sa famille, son n e v e u Jean, m o i n e de B o u l b o n n e , à l'archevêché d'Arles. Mais s'il économisait en ramenant la C u r i e à une relative austérité et à des effectifs raisonnables, il savait e m p l o y e r l'argent à des fins utiles: il fit construire le premier palais des papes d ' A v i g n o n à partir de j u i n 1336, fortifier de véritables remparts l'abbaye de B o u l b o n n e . En 13 3 7, il fit refaire le toit de SaintPierre de R o m e . E n édictant la décrétale Benedictus Dominus en j anvier 13 3 6 sur la vision béatifique, dans laquelle il condamnait une opinion i m p r u d e m m e n t émise avant sa m o r t par Jean X X I I , il se montrait théologien scrupuleux et minutieux, traits qui se retrouvent dans divers autres écrits qui datent de son pontificat. Il m o u r u t le 25 avril 1342 et f u t enterré à N o t r e - D a m e - d e s - D o m s . Il avait, en fait, été un excellent administrateur, mais il avait échoué dans les trois tâches que lui avait laissées son prédécesseur: ramener le Saint-Siège à R o m e en faisant la paix avec l ' e m p e r e u r ; mettre un terme au schisme des franciscains «spirituels »; empêcher les rois de France et d ' A n g l e t e r r e de se j e t e r dans la guerre de C e n t ans. D u moins connut-il, contre les «patarins» de Bosnie, un relatif succès par une petite croisade, et surtout l'installation des franciscains. 3 JACQUES FOURNIER INQUISITEUR.

Sa droiture et son sens théologique avaient d û

être remarqués de b o n n e heure, car il avait été, de concert avec l'abbé de SaintPapoul, chargé par C l é m e n t V dès 1306 de décider du sort des prisonniers de l'Inquisition d ' A l b i . Il ne paraît pas avoir jamais j o u é ce rôle. V e r s la mi-juillet 1318, il f u t averti par le curé de M e r v i e l (Ariège), q u e la f e m m e d ' u n p i e u x notable du lieu avait perdu la f o i en la présence réelle. Il instruisit son cas avec un l u x e tout particulier, consulta une f o u l e d ' h o m m e s «religieux et distingués », et p r o n o n ç a une sentence modérée, ce que, c o m m e évêque, il p o u v a i t faire seul, sans le secours de l'inquisiteur dominicain. Il était chargé, l'année suivante (16 juillet 1319) par Jean X X I I d ' u n e mission infiniment plus délicate. Il s'agissait, de concert avec l ' é v ê q u e de Saint-Papoul et l'archevêque de T o u l o u s e (et au besoin sans ce dernier) de j u g e r , m ê m e p o u r les 3. En 1340, battu par le comte de Croatie et menacé par le roi de Hongrie, le roi de Bosnie Etienne Kotromanitch s'engageait à restaurer le catholicisme (lettre de Benoît XII de 1340: THEINER, Monumenta Hungariœ, t. I, p. 633, citée par O . D . MANDIC, Bogomihka crkva Bosanskih krstjana, Chicago, 1962, p. 31).

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peines les plus graves et sans appel, le célèbre franciscain Bernard Délicieux, lecteur des Frères Mineurs de Carcassonne, accusé au premier chef de résistance à l'Inquisition dominicaine de Carcassonne, et, accessoirement, de meurtre sur la personne de Benoît X I et de Joachimisme. Les deux évêques écartèrent l'accusation de meurtre par sorcellerie, au risque de déplaire à Jean X X I I dont on ne sait trop s'il y croyait ou s'il en faisait un moyen de gouvernement. Ils condamnèrent le malheureux au «Mur strict » (aux fers, au pain et à l'eau), et à la dégradation de son état monastique, mais allégèrent immédiatement la peine en raison de l'âge du condamné et de l'état de ses mains. Ils résistèrent avec dignité à l'appel et aux pressions de Philippe le Bel, qui voulait maintenant la perte d'un homme qu'il avait tant encouragé dans le passé.4 Il avait, à la même époque, fait arrêter trois personnes de son diocèse: un prêtre nommé Pierre Azéma, un carme, Pierre Record, et une femme, Gaillarde en Cuq, suspects de sorcellerie. Le pape, probablement consulté par lui, lui prescrivit de les juger (28 juillet 1319), mais il semble qu'il n'en ait rien fait. 5 Dans le courant du même été, il avait fait arrêter à Pamiers quatre vaudois, et les avait fait conduire à la Curie, sans doute parce qu'ils étaient Dauphinois et Provençaux. Par lettres du 26 août 1319, Jean X X I I délivrait à Bernard Barrau, chapelain et messager de l'évêque, un sauf-conduit pour ramener les prisonniers à Pamiers en vue de leur jugement.® Dès le 10 décembre 1318, la question de compétence que posait la bulle Multorum querela, de 1312, en vertu de laquelle évêque et inquisiteur devaient procéder conjointement, avait été résolue. L'inquisiteur de Carcassonne, Jean de Beaune, qui venait de succéder à Geoffroy d'Ablis, mort en 1316, avait donné commission à un dominicain de Pamiers, Gaillard de Pomiès, pour assisterJacques Fournier. L'évêque et le substitut de l'inquisiteur pouvaient condamner aux pénitences mineures, jusqu'au port des croix inclus. A partir de la condamnation au «Mur», l'évêque devait se réunir à l'inquisiteur. En ce qui concerne l'instruction du procès du moins, il n'y avait pas grande innovation, car l'inquisiteur de Carcassonne, comme on peut le constater par le Registre de Geoffroy d'Ablis, s'en remettait à ses lieutenants, et n'apparaissait que pour une espèce de récapitulation du procès, préalable à la sentence. Les principes juridiques étaient saufs, mais Jacques Fournier devait se révéler un tout autre juge que ceux qui l'avaient précédé depuis la création de l'Inquisition par Grégoire I X en 1233. C'est par le procès du plus notable des vaudois, un diacre du nom de Raimond de Sainte-Foy, de la Côte-Saint-André (Isère), que s'ouvrit vraiment la carrière d'inquisiteur de Jacques Fournier. Les deux premiers inculpés, le diacre et sa nour4. Bulle Etsi cunctorum, éd. J.-M. VIDAL, Bifilaire de l'Inquisition française au XIVe siècle et jusqu'à lafin du grand schisme, Paris, 1913, p. 48-51; DMITRIEWSKI, «Frère Bernard Délicieux», Archivum Franciscanum Historicum, X V I I I - X I X , Quaracchi, 1925. j . J . - M . VIDAL, Bullaire, p. 53.

6. Ibid., p. 55.

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rice, ne firent aucune difficulté à avouer, se firent aussi respectueux que possible de l'Eglise et de l'opinion d'autrui, mais, sans pourtant montrer de fanatisme, acceptèrent le bûcher avec une parfaite sérénité. Jacques Fournier, dit-on, en pleura, et si leur mort fut édifiante, ce ne fut pas dans le sens que l'on attendait. Les renseignements pris sur la sorcière, Gaillarde Cuq, amenèrent l'évêque à convoquer une noble veuve de Dalou (Ariège), de fâcheuse réputation, Béatrice de Lagleize, fille d'un hobereau du Sabartès, Philippe de Planissoles. Ses révélations furent ahurissantes : le recteur de Montaillou, Pierre Clergue, dont le frère, Bernard, était bayle, gouvernait en fait le pays d'Alion par la collaboration impérieuse qu'il apportait à l'Inquisition de Carcassonne. Or ce personnage, d'une paillardise éhontée, se doublait d'un albigeois militant. Les renseignements fournis semblaient d'ailleurs indiquer que l'hérésie restait latente, sinon avouée. Béatrice avait épousé en troisièmes noces, selon l'étrange mode du lieu, un prêtre besogneux du diocèse d'Urgel, qui n'avait rien ignoré de ses compromissions passées, mais avait gardé le silence. L'action de Jacques Fournier fut immédiate et persévérante. A sa première et cruelle expérience il emprunta, semble-t-il, le goût de la précision théologique, la patience d'entendre les adversaires de sa foi développer le récit de leur formation spirituelle et l'aboutissement de leurs convictions. A la seconde, il fut redevable de son exigence minutieuse des détails, de son mépris des distinctions sociales et des recommandations politiques, de sa sévérité pour les prêtres défaillants, et enfin d'un manque de confiance dans l'Inquisition de Carcassonne qui faillit tourner au conflit, car, après le 12 août 1324, l'évêque et l'inquisiteur cessent de se réunir pour rendre les sentences, et la discordance entre la procédure instruite par Jacques Fournier et la conviction des dominicains fut si grave, qu'il fallut attendre jusqu'en 1329 pour que soit réglé le sort des huit derniers inculpés. Il est normal qu'un homme qui, jeune encore, puis dans une circonstance particulièrement délicate, avait été chargé par le Saint-Siège de juger en appel des décisions de l'Inquisition, ait fait, évidemment, preuve d'autorité et d'indépendance, mais aussi qu'il ait tenu, par une application minutieuse, à être irréprochable. Mais il fit preuve d'une curiosité qui trahit son intelligence, et, dès les premiers procès, d'une compétence certaine. A cette maîtrise intellectuelle, il associa sans compter les moyens matériels, envoyant un émissaire jusqu'au royaume de Valence pour arrêter un petit groupe de fugitifs, au nombre desquels le dernier parfait cathare connu, construisant ou du moins aménageant un «Mur» aux Allemans, demandant à ses notaires des rédactions très développées, et par conséquent onéreuses, consacrant enfin à ses audiences, comme on peut le constater par la chronologie des pièces de procédure, le plus clair de son temps et jusqu'à ses séjours d'été dans les prieurés du Sabartès. Le diocèse de Pamiers, créé en 1296 aux dépens de l'immense diocèse de Toulouse, a été démembré à son tour par la création des diocèses de Saint-Papoul, Mirepoix, et Rieux (1318). Il se limite aux deux arrondisLE MILIEU GÉOGRAPHIQUE.

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sements actuels de Foix et de Pamiers, et est limité à l'ouest par le diocèse de Couserans (bassin du Salat, arrondissement actuel de Saint-Girons). Le haut bassin de l'Ariège et de ses affluents (Oriège, Aston, Vicdessos) communique avec la Cerdagne par le port de Puymorens, avec l'Andorre et le comté d'Urgel par le col d'Envalira, avec le comté de Pallars en passant en Couserans par le port de Saleix, avec les pays de l'Aude par les ports de Pailhères, de Chioula, de Marmare et des Sept-Frères. Au débouché vers l'aval, après Tarascón, l'Ariège s'enfonce dans un défilé très escarpé. Le pays ainsi délimité est le Sabartès. La vallée de l'Ariège, qui n'offre, entre Tarascón et Bouan, que des falaises à pic percées de grottes, ne permet la culture que dans quelques bassins: Tarascón, Les Cabanes-Châteauverdun, Ax-Savignac. Les terrasses hautes sont plus cultivées, et les villages s'y égrènent parallèlement à la vallée. La ressource essentielle est constituée par les pâturages de montagne. La laine est la principale ressource, avec le fer des mines de la rive droite du Vicdessos. Le Sabartès a largement de quoi payer le vin et le complément de blé qu'il fait monter de la plaine. L'Ariège traverse ensuite la chaîne calcaire du Plantaurel, de peuplement moins dense et de vie plus effacée, dont Foix constitue le centre essentiel. Immédiatement en aval, la rivière débouche par le Pas de Labarre dans la plaine, qui va en s'élargissant vers le nord, et compte de véritables villes : Varilhes, Pamiers, Mazères, Saverdun, qui jalonnent la route de Toulouse. A ce milieu naturel, le comté de Foix ajoute deux appendices qui intéressent les bassins de l'Hers et de l'Aude: le pays d'Alion, beau plateau entouré de pâturages et de forêts, aux sources de l'Hers ; le Donnezan, sur la rive droite de l'Aude supérieure, dont les villages occupent des terrasses suspendues au-dessus des ravins. LE MILIEU POLITIQUE. Les actes les plus anciens qui soient parvenus pour les pays de l'Ariège sont au bénéfice d'abbayes: Saint-Volusien, origine de Foix, Saint-Antonin, origine de Pamiers. Mais dès le début du Ι I E siècle, une branche des comtes de Carcassonne prend le titre de comtes de Foix et crée un petit Etat pyrénéen d'allégeance incertaine. La terre est hérissée de châteaux réputés imprenables: Foix et Montgrenier (Montgaillard) sur leur rocher, Roquefixade, les châteaux du défilé de l'Ariège: Garrabet, Carolgasc, Castelpendant, Tarascón; les châteaux du Sabartès: Miramont, Châteauverdun, Montréal, Miglos sur la rive gauche, Arnave, Lordat, le plus grand, sur la rive droite, A x , Mérens, sans compter les grottes fortifiées d'Ornolac et de Bouan. Le pays d'Alion et le Donnezan, qui seront acquis par mariage au cours du 13 e siècle, ont Montaillou, Quérigut, Usson. L'effort de conquête se fait à l'intérieur aux dépens du patrimoine ecclésiastique, réel ou prétendu, par paréage (Pamiers en fait depuis i m , Foix en 1168, l'Andorre en 1278); à l'extérieur par mariage (vicomté de Castelbon dans le diocèse d'Urgel, pays d'Alion et Donnezan, en attendant le Béarn et la Navarre), et surtout par usurpation pacifique de territoires que les comtes de Toulouse et les vicomtes de Carcassonne se disputent. A l'époque de la Croisade, un petit Etat tampon s'est créé, du pays d'Olmes (Montségur,

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Lavelanet) à la Montagne Noire, en passant par la terre de Mirepoix, le pays de Fanjeaux et la terre de Saint-Félix, où les droits du comte de Foix sont prépondérants. II reçoit l'hommage des coseigneurs de Mirepoix en 1149, est coseigneur lui-même à Fanjeaux, et hérite en 1216, pour un temps, du dernier seigneur de Saint-Félix. Ce n'est qu'après le traité de 1229 que Raimond VII de Toulouse est dans une situation assez forte pour se faire prêter hommage pour la partie aval du Pas de Labarre. Mirepoix et le pays d'Olmes sont passés entre les mains des Lévis à la suite de la Croisade, et le comte n'a plus que de petites seigneuries en Lauragais. La Croisade a du moins eu pour effet de rendre au comte le domaine utile sur la mosaïque de fiefs que formait le haut pays. Les Arvigna, les Arnave, les Rabat, les Lordat, les Châteauverdun ont été condamnés par l'Inquisition et ont vu leurs terres confisquées par le comte. Si les Châteauverdun se maintiennent, c'est comme grands officiers du comté : ils sont sénéchaux de Foix de père en fils ; mais Miramont (Rabat) a été rasé sur l'ordre de l'Inquisition, et à Lordat, Montréal, Ax, Tarascón, et naturellement Montaillou, il n'y a que des châtelains du comte. La noblesse de Sabartès, si l'on en excepte les Châteauverdun, ne compte que des damoiseaux. La mort de saint Louis, puis celle d'Alphonse de Poitiers, en faisant de Philippe III un roi de France et un comte direct de Toulouse, avaient fait sortir le comté de Foix de son cadre local. Le nouveau roi s'était assuré l'héritage de Jeanne de Toulouse par une arrivée en force; mais un conflit assez artificiel à propos d'un fait de guerre privée en Armagnac ouvrit la crise avec le comte de Foix, et Philippe le Hardi décida de couper court à toute velléité de résistance en menant une armée en direction de Foix. Il était en position de force, mais il s'approchait dangereusement des Pyrénées. Son beau-père, le roi Jacques d'Aragon, vint à sa rencontre dans la plaine de Pamiers, avec le vicomte de Béarn, beau-père de Roger-Bernard III de Foix (1272). Le comte de Foix se soumit, et partit même pour la prison, mais le roi d'Aragon éleva immédiatement des prétentions à la suzeraineté sur le haut pays de Foix, et le roi de Francejugea prudent de rendre au comte son petit Etat. En 1273, la situation de Roger-Bernard III sortait intacte de l'incident, et en 1284, au cours de la campagne de Catalogne, le roi lui rendit le paréage de Pamiers. Une des conditions de la capitulation de Roger-Bernard en 1272 avait été que le roi d'Aragon aurait la garde des châteaux situés en Sabartès : Montréal, Lordat, A x et Mérens. Elle fut confiée par le roi à deux alliés traditionnels du comte, GuillaumeRaimond de Josa et Raimond-Foulque de Cardone. Or trois notaires, les frères Pierre et Guillaume Authié, d'Ax, et leur beau-frère Guillaume de Rodés, de Tarascón, firent auprès des habitants une enquête destinée à prouver que de temps immémorial ces châteaux avaient été du ressort de la couronne d'Aragon. La menace était trop précise pour ne pas être comprise du roi de France. Bien loin de tenir rigueur aux Authié de la part prise dans cette manœuvre, Roger-Bernard devait leur confier la rédaction de traités de grande importance: l'acquisition des droits de justice en Andorre, en 1275, et en 1284 le traité passé entre le comte de Foix, le comte de Paillars et le vicomte de Cardone. Bien que morts depuis une dizaine

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d'années, les Authié ne devaient pas manquer de tenir, et pour cause, une place essentielle dans les enquêtes de Jacques Fournier. 7 A l'époque du Registre, ces temps sont certes révolus. Philippe le Hardi est mort sur la terre catalane où il croyait mener une nouvelle croisade. Philippe le Bel a eu trop à redouter du côté de la Flandre et de la Guyenne pour ne pas favoriser Gaston I er (comte de 1302 à 1 3 1 5 ) ; héritier de sa mère Marguerite de Béarn, il s'est assuré, outre le Béarn et la Bigorre, les terres de Moncade en Catalogne, qui sont venues s'ajouter, de l'autre côté des Pyrénées, à la vicomté de Castelbon. Gaston II a succédé à son père à l'âge de sept ans, sous la tutelle de sa mère Jeanne d'Artois, qui est, sinon folle, du moins extravagante, et la comtesse douairière Marguerite continue à veiller sur le comté. La cour ne se tient plus à Foix ou à Tarascón, mais à Mazères, qui de plus en plus cédera le pas à Morlaas et à Orthez en Béarn. LE SENTIMENT NATIONAL. La mort de Roger-Bernard, en 1302, marque en effet un tournant dans le destin du pays de Foix. En donnant à son fils un prénom de la famille de Béarn, en renonçant à ce «Roger » qui suit les comtes depuis le 1 I E siècle, il a donné à sa dynastie une orientation nouvelle, et un essor qui lui vaudra bientôt le royaume de Navarre et un j o u r . . . la couronne de France. Le pays de Foix se trouvera réduit au rang flatteur mais illusoire d'Etat héréditaire. O n en verra une dernière fois la marque lorsque la reine Marguerite de Navarre portera le titre de dame de Montaillou et de Prades, et résidera d'ailleurs en pays d'Alion. Mais les ouailles de Jacques Fournier, se sentant déjà quelque peu abandonnées, regrettent qu'il n'y ait plus «un bon comte à Foix ». Pas plus à cette époque que par le passé, toutefois, le comte de Foix n'a considéré sa terre comme un fief de la Couronne. S'il rend sans difficulté au roi l'hommage requis, il s'est toujours opposé à ce que le roi exerce dans le comté une souveraineté directe : il revendique le droit de réprimer les faux-monnayeurs, de brûler les hérétiques (ceci à propos de Jacques Authié, fils de Pierre), ou interdit au roi de lever des subsides, d'appeler des hommes d'armes, ou de taxer les juifs. Les habitants du diocèse parlent l'occitan, koinè qui va du Rhône au Quercy; ils comprennent et se font comprendre sans difficultés en Catalogne, naturellement, mais aussi en Aragon, et dans les pays de langue gasconne limitrophes (Couserans, Volvestre, Comminges). Le Sabartès, et même le pays d'Alion, ont de petites particularités dialectales ou phonétiques qui permettent à leurs habitants de se reconnaître. Il sont d'autant plus enclins à éprouver un sentiment national indépendant, que, Languedociens, ils considèrent encore les Français comme des envahisseurs. Même si les craintes de Philippe le Hardi, en 1 2 7 1 , n'étaient pas fondées, la cruelle répression 7. Cf. J . DUVERNOY, «La noblesse du comté de Foix au début du XIV e siècle», Actes de la Fédération... Languedoc-Pyrénées-Gascogne, XVIe congrès, Foix, ig6o, Auch, 1961.

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par Philippe le Bel des aspirations des bourgeois de Carcassonne et de Limoux, et les étranges propositions faites par Bernard Saisset au comte de Foix de libérer le Midi, ne sont pas oubliées. Jacques Fournier recueillera à ce sujet les propos que son prédécesseur se laissait tenir par la noblesse de Pamiers. Ce sentiment est respectueux des frontières juridiques qui se dégagent, si mal d'ailleurs, de l'histoire. Il est limité aux terres situées en amont du Pas de Labarre. Pour les habitants du pays d'Alion, du Donnezan, ou du Capcir, la question serait encore plus simple, car ce sont des terres que le comte est censé tenir du roi de Majorque. Mais rien dans les documents ne permet de supposer qu'ils en aient conscience. L'EGLISE. A cette indépendance et à ce particularisme se heurtent l'unité de l'Eglise et le soin qu'elle a eu de reprendre en mains des terres peu sûres en multipliant les évêchés. Il y a désormais à Pamiers une Cour épiscopale, un officiai, et, pour tout dire, un second Glaive, beaucoup plus présents qu'à l'époque des évêques de Toulouse. Bernard Saisset, le premier évêque, fut entièrement occupé à se soustraire aux poursuites de Philippe le Bel. Le suivant, Pelfort de Rabastens, se consacra aux finances épiscopales, qu'il eut beaucoup de mal à partager avec les anciens religieux de Saint-Antonin, devenus chanoines. Mais lorsqu'il fut avéré que le roi de France ne retirerait pas au comte de Foix le paréage de Pamiers, l'évêque entra en paréage direct avec le roi pour les terres possédées en propre, autrefois, par l'Abbaye, au nord-est de Pamiers (1308). Un château commun y fut construit, aux Allemans. Un des premiers soins de Jacques Fournier fut d'y adjoindre un Mur (prison) d'Inquisition, ce en quoi les habitants virent une menace de domination indue. Les revenus directs de l'Eglise étant, comme à Toulouse avant la Croisade, presque entièrement accaparés par le chapitre et les abbayes, parfois étrangères au diocèse (Saint-Sernin de Toulouse, Lagrasse), l'évêque ne pouvait compter que sur les dîmes. Déjà sous Philippe le Bel, le prédécesseur de Jacques Fournier avait essayé de les percevoir intégralement, voire de les augmenter. Le roi, en 1307, avait embrassé les intérêts des habitants, jusqu'à un arbitrage rendu par l'inquisiteur de Carcassonne, Geoffroy d'Ablis (1311). 8 Jacques Fournier n'admit pas semblable composition; il entendit frapper les animaux (carnalages) et les produits du jardin, et asseoir la dîme sur le huitième des revenus; il considéra, d'autre part, que le refus de dîmes encourrait excommunication, et il maintint cette position malgré les recours judiciaires exercés par les «universités », les communautés du pays. Le fait de rester excommunié pendant un an volontairement étant, selon le droit canon, équivalent de l'hérésie, et le fait de contester le bien-fondé des dîmes une erreur contre la doctrine de l'Eglise, Jacques Fournier, se faisant juge et partie, instruisit le procès d'Inquisition des récalcitrants. Il ne restait plus aux plaideurs qu'à mettre fin au litige en acquiesçant. 8. Cf. J. DUVERNOY, Le Registre ..., éd. latine, III, p. 337, n. 509.

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L'INQUISITION. O n ne sait si c'est le désir de dominer les missions dont il avait été chargé par le pape, ou le respect scrupuleux des ordonnances de Philippe le Bel et de la bulle Multorum querela qui conduisirent Jacques Fournier à assumer effectivement les fonctions d'inquisiteur dans son diocèse. Il est certain qu'il prit plaisir à y exercer sa sagacité, voire, dans les affaires du vaudois et d'un rabbin, sa science théologique. Il fut aidé par les circonstances: Jean de Beaune venait de succéder à Geoffroy d'Ablis, mort en 1 3 1 6 , comme inquisiteur de Carcassonne, et il était dans les habitudes du Tribunal que les aveux fussent recueillis par des adjoints, l'inquisiteur en titre n'apparaissant que pour une réitération authentique et le prononcé de la sentence. Jean de Beaune désigna un dominicain âgé et éminent (il allait être prieur) de Pamiers, Gaillard de Pomiès, pour assister l'évêque dans les premiers aveux. Mais celui-ci, qui possédait son Mur, faisait instrumenter ses notaires, et qui déployait, dans un rayon d'action plus étroit, davantage d'activité et de soin que le tribunal de Carcassonne, fit œuvre indépendante et magistrale. Les registres de copies que Jacques Fournier emporta avec lui en quittant Mirepoix, et dont le manuscrit du Vatican est un exemplaire, fournissaient des narrations, des discussions, des précisions de lieu ou d'identité que l'on ne rencontre pas dans les livres des dominicains, beaucoup plus sommaires. Le livre de copies d'auditions de Geoffroy d'Ablis, ouvert en 1308 (ms Latin 4269 de la Bibliothèque nationale de Paris), en fournit la preuve. Mais il nous donne aussi des renseignements très précieux sur des personnes ou des localités que l'on retrouve dans le Registre de Jacques Fournier. L'Inquisition, au début du 14 e siècle, est une institution parachevée par plus d'un demi-siècle de pratique. Son «style» (règles de procédure), plusieurs fois codifié, vient encore de faire l'objet d'un manuel de l'inquisiteur de Toulouse Bernard Gui (Practica Inquisitionis). Conversion «spontanée » à la suite d'une campagne de prédication, suivie de pénitences imposées de façon discrétionnaire, à l'origine, elle est devenue maintenant un véritable procès pénal, qui ne conserve, de la fonction pénitentielle, qu'une certaine terminologie, et les peines les plus vénielles (pèlerinages). Dès la première comparution, volontaire ou sur citation, un écrit est dressé par notaire, après prestation de serment, et devant témoins. L'interrogatoire comporte un certain nombre de questions-types, dans un ordre immuable, surtout pour les prévenus de catharisme. L'instruction se clôt par des actes juridiques de caractère substantiel: a) ratification après lecture en langue vulgaire des aveux, devant l'inquisiteur en titre; b) réserve d'additions ou de compléments de déposition en cas de souvenirs retrouvés, ce qui évite de tomber involontairement dans le pagure et le recel de faits reprehensibles; c) abjuration de toute hérésie, demande d'absolution de l'excommunication, demande de pénitence accompagnée de l'engagement de la personne et des biens de l'accusé. C e procès à proprement parler «inquisitorial » terminé, la phase dejugement s'ouvre

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par la consultation, par l'évêque et l'inquisiteur réunis, d'experts, pris parmi les dignitaires religieux, les juristes locaux, et des laïcs notables, nobles ou consuls. La sentence est rendue en public au v u de l'avis donné, dans une cérémonie qui porte le n o m de Sermon, suivie immédiatement, en règle générale, de l'exécution (bûcher, pilori pour les faux témoins, dégradation éventuelle des clercs ordonnés, envoi au Mur). Pour chaque condamné, l'énoncé de la peine est précédé de la faute qui la motive, plus ou moins résumée. Procès et sentences sont archivés de manière distincte, dans un «Livre de l'Inquisition », et dans un «Livre des sentences ». Bien que le pouvoir des juges soit arbitraire, une jurisprudence s'est formée, s'ajoutant à la doctrine dégagée dans les manuels, parfois assez malaisément, n o t a m ment en ce qui concerne la complicité d'hérésie (fautoría) ou la relapse. Les habitués du tribunal critiqueront Jacques Fournier, qui envoie au M u r des gens qui n'ont pas «vu» d'hérétiques (parfaits cathares). O n lui reproche avant tout de sortir de la routine de l'Inquisition de Carcassonne, dont tous les rouages étaient si bien connus que l'on pouvait s'en tirer à assez bon compte avec des aveux réduits, l'attitude devant le j u g e comptant plus que la culpabilité. Dans deux affaires retentissantes, l'affaire Clergue et l'affaire T r o n , Jacques Fournier établit la preuve de son mauvais fonctionnement. Dans la première, les milieux de Carcassonne avaient pris pour collaborateurs deux frères notables de Montaillou, le curé et le bayle, aussi coupables que leurs victimes. Dans la seconde, un complot de faux témoignage monté par des praticiens concurrents avait maintenu au M u r c o m m e suspect un notaire de Tarascón innocent. Le faux témoignage, la délation calomnieuse et intéressée, sont devenus le vice profond de l'institution, et v o n t amener sa rapide décadence, alors qu'elle a atteint son apogée juridique et politique. L'inquisiteur de Carcassonne donne un statut aux juifs de Pamiers, arbitre les dîmes du diocèse, fait arrêter tous les adultes de Montaillou en 1308 ; celui de Toulouse fait arrêter en 1310 tous les immigrants bourguignons de Gascogne, vaudois. Mais les lourdes procédures menées dans les dernières années du siècle par l'évêque d ' A l b i Bernard de Castanet et l'inquisiteur de Carcassonne Jean Galand ont suscité de graves soupçons, voire des troubles, et donné lieu à des enquêtes royales et pontificales. C'est à l'époque où elle offre le m a x i m u m de garanties procédurales que l'Inquisition paraît entachée d'imposture et d'erreur, et l'est parfois, c o m m e dans l'affaire des Templiers, et, plus tard, dans celles de Jeanne d ' A r c ou de Gilles de Rais. Son maintien en Languedoc sous sa f o r m e générale et politique, mise en fiches d'une population conquise ou vaincue, par ailleurs, n'a plus de sens en un siècle o ù le Languedoc donne des légistes au roi de France et des papes à la chrétienté. LE CATHARISME. Le Registre de Jacques Fournier étant une des meilleures sources que nous possédions sur le catharisme, il est inutile de s'arrêter ici à sa doctrine et à sa liturgie.

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O n l'a souvent présenté comme une doctrine orientale étrangère au christianisme, héritière du manichéisme, qui n'a pu prendre racine en Languedoc et en Italie qu'à la faveur de la frivolité méridionale et de l'ignorance théologique. Il y a là une grave erreur d'interprétation. Le catharisme est, d'une part, essentiellement chrétien; il ne connaît pas d'autre rédempteur que le Christ, pas d'autre révélation que celle de la Bible, pas d'autres personnes divines que la Trinité. Si son «idéalisme » l'a conduit, comme le gnosticisme, le marcionisme, le manichéisme, et nombre d'autres mouvements, à la négation du monde sensible et à la métempsychose, tout cela est présupposé dans le platonisme et a fortement sinon totalement influencé la pensée d'Origène. Les rites se conservent mieux que les dogmes; or les rites cathares ont toujours frappé par leur caractère chrétien, archaïque, mais non frelaté. Se sentant et se voulant chrétiens, les cathares ne pouvaient présenter leur mouvement que comme un mouvement de réforme. Or, en vitupérant le désordre de l'Eglise, en exigeant le retour aux temps apostoliques, la connaissance du Nouveau Testament, la foi dans le baptême, en se pliant à la continence sexuelle et à l'abstinence de la nourriture carnée, ils se confondaient, aux ι Ie et 12e siècles, avec les penseurs distingués, les papes réformateurs, les fondateurs ou les rénovateurs d'ordres monastiques. Embrassant l'état clérical, et conservant comme un arcane les conséquences dernières de leur système: mauvais «dieu» des livres historiques, baptême d'adultes par imposition des mains, métempsychose, il leur était aisé de gagner les clercs distingués (confesseur de la reine, chanoines d'Orléans en 1022) comme les foules superstitieuses (miracles de la tombe du parfait Armand Pungiluppo en Lombardie au 13e siècle). Pendant un demi-siècle de réforme grégorienne, les chroniqueurs se taisent sur la répression de ceux qui critiquent le baptême d'enfants et le mariage, et prônent le retour aux temps apostoliques. A la même époque, les papes sont accusés de «manichéisme» par le clergé conservateur parce qu'ils veulent contraindre les prêtres au célibat; la confusion est entière. Il ne faut donc pas s'étonner de la très large diffusion du catharisme. Si l'on ne veut pas remonter aux pauliciens, sur lesquels nos sources restent ambiguës, on constate son apparition dans le monde byzantin, en Bulgarie, à la fin du 10e siècle, où il prend son nom de bogomilisme. Il est à Orléans, à Toulouse, en Aquitaine, à Arras, à Châlons, en Champagne, en Italie du Nord, dans la première moitié du 1 Ie siècle. Bérenger de Tours, à la fin du siècle, pourrait bien avoir subi son influence, s'il n'en a pas été l'adepte. A u 12 e siècle, il connaîtra son extension la plus grande: Asie Mineure, Constantinople, Bulgarie, Bosnie, Italie, Rhénanie (où il prend le nom de catharisme), Champagne, Flandre, Centre de la France, ensemble des pays de langue d'oc avec pour centres Albi, Agen, Toulouse et Carcassonne, Galice enfin. Le 13 e siècle est pour le catharisme celui du deuil, mais aussi de la manifestation au grand jour. D'énormes bûchers s'allument en Languedoc sous l'impulsion de la Croisade: Minerve, Lavaur, Roquefort, les Cassés et pour finir Montségur, ainsi que dans le Nord de la France et en Champagne, où à Montaimé, en 1239, on brûle 183 «bougres » (bulgares). En Allemagne, les chroniqueurs estiment le nombre des

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victimes incalculable. A partir de 1233, l'Inquisition fonctionne systématiquement dans tous les pays atteints d'Occident, non sans risques: les inquisiteurs Conrad de Marburg (1233), Guillaume-Arnaud et ses compagnons dans le Toulousain (1241), Pierre de Vérone en Italie (1252), sont assassinés. Mais dans le Centre de la France, en Languedoc, en Espagne, le catharisme a commencé à produire des travaux d'exégèse ou de controverse dès la fin du 12 e siècle. Les vaudois ont répondu, par la parole publique dans des colloques souvent organisés par les notables du lieu, par d'autres ouvrages. Vers 1240, lorsque le dominicain Moneta de Crémone écrit la Somme contre les cathares et les vaudois, le catharisme est une doctrine intégralement connue et avouée, que les victimes de Jacques Fournier professeront sans adultération. C'est une erreur de voir dans le catharisme une doctrine vague et mystérieuse à laquelle on est en droit de suppléer par l'invention ou le sentiment personnel, comme c'en est une de voir dans la religion des cathares du 14 e siècle un «néo-catharisme » décadent. O n distingue dans le catharisme deux familles de pensée, qui se sont parfois traduites par deux Eglises séparées, voire concurrentes: le dualisme mitigé et le dualisme absolu. Dans le premier, le créateur des choses sensibles, le «diable», est ime créature de Dieu qui n'a fait que mettre en forme une matière préexistante; l'âme des hommes descend par filiation de l'âme incorporée de force par le diable dans le corps du premier homme (traducianisme) ; l'Ancien Testament est entièrement à rejeter. Dans le second, les choses sensibles, et le principe qui leur a donné naissance ne sont pas la créature de Dieu; ils ne sont qu'un néant; les âmes des hommes sont toutes tombées du ciel simultanément, à la sollicitation du mauvais principe, qui les a enfermées dans des corps où elles sont condamnées à passer par métempsychose jusqu'à leur salut (origénisme) ; les Livres historiques de l'Ancien Testament sont vrais, en ce qu'ils narrent l'histoire du mauvais principe ; les Livres sapientiaux et prophétiques sont bons. Le premier système, dualisme mitigé, paraît avoir été celui des Bulgares au 10 e siècle ; il semble au contraire que l'Occident, au 12 e siècle, ne connaisse que le second, alors partagé par les bogomiles de Dragovitie, région située à l'ouest immédiat de Salonique. En 1 1 6 7 (date vraisemblable), un dignitaire de Constantinople, Nicétas, de l'école de Dragovitie, tient un concile à Saint-Félix de Lauragais avec les dignitaires occidentaux. Y figurent un évêque de France et un évêque d'Albi. On y crée des évêques d'Agen, de Toulouse, de Carcassonne, et de Lombardie. A la fin du siècle s'opère un schisme en Lombardie, et des tenants de l'école de Bulgarie y créent une Eglise dont le siège est à Concorrezzo près de Milan. Mais le Languedoc semble être resté constamment fidèle à l'école de Dragovitie, que les cathares occidentaux considèrent d'ailleurs comme la plus ancienne. D e 1 1 7 2 à 1209, début de la Croisade, le catharisme fait des progrès considérables dans le Midi, particulièrement dans la zone politiquement incertaine du Lauragais dans laquelle s'infiltre le comte de Foix. Celui-ci a une sœur et une femme «parfaites». U n concile se tient en 1206 à Mirepoix et groupe environ 600 parfaits. La Croisade fait perdre à l'Eglise cathare un millier de

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parfaits, sur les bûchers collectifs, mais elle engendre, du côté méridional, la confusion entre résistance à l'agression française et résistance à l'Eglise officielle. Après la reconquête, les progrès sont suffisants pour justifier la création d'un évêché cathare supplémentaire, celui du Razès (vallée moyenne de l'Aude) (1226). A Pâques 1229, à l'annonce du traité de paix, les parfaits, qui en mainte localité avaient de nouveau pignon sur rue, prennent le maquis, se cachant d'abord chez des sympathisants de la noblesse rurale, puis, après les débuts de l'Inquisition, dans les bois. Des places de sûreté leur sont laissées, plus par complaisance que par ignorance, par les comtes: Dourne en pays de Sault, Montségur sur le territoire de Mirepoix, Miramont près de Rabat. Un bref espoir de revanche marque la réouverture des hostilités par Trencavel en 1240 et par Raimond VII en 1241. Partis de Montségur, les chevaliers cathares massacrent les inquisiteurs à Avignonnet, reprennent Lavelanet. Mais, le 16 mars 1244, un dernier bûcher s'allume pour 200 parfaits et croyants du château, au terme d'une dernière «croisade ». La vigueur de l'Inquisition, qui interroge 5 500 personnes en Lauragais et inquiète l'essentiel de la noblesse du pays de Foix, contraint la hiérarchie cathare, évêques en tête, de nombreux parfaits, et tous les laïcs de marque, chevaliers ou bourgeois, à émigrer en Italie. Jusqu'en 1250 en effet, la lutte que se livrent le pape et l'empereur Frédéric II assure paradoxalement aux «patarins » une quasi-impunité. Le catharisme est trop ancré dans la bourgeoisie locale pour que l'un ou l'autre des partis veuille s'apercevoir de sa présence. Allié de la Ligue lombarde, Grégoire I X a été qualifié par Frédéric II de «pape des patarins », et bien que ce dernier ait promulgué les premières peines civiles contre l'hérésie, gibelin est, en Italie, presque synonyme d'hérétique. Une génération de cathares languedociens vivra ainsi presque au grand jour dans l'Italie du Nord, s'enrichissant dans le commerce, groupée autour de ses évêques, distincts de la hiérarchie italienne. Dans nombre de cas, le trésor de l'Eglise et la fortune des particuliers a suivi. Vers 1273, peut-être pour venir au-devant du mouvement de libération que Philippe le hardi saura prévenir, les parfaits reviennent, retrouvent les familles de tradition croyante, pénètrent à nouveau le Toulousain, le Quercy, les terres de Carcassonne et de Foix, le Rouergue. Coïncidence, là encore, avec le contexte politique, l'Inquisition reprend en même temps que s'appesantit la domination française. Les dominicains, depuis vingt ans écartés au profit d'une inquisition épiscopale moins active, rouvrent leurs grandes enquêtes et leurs gros livres. L'un d'entre eux est envoyé en 1273 au château de Varilhes pour enquêter sur les terres de Foix. Que ce soit la conséquence du mécontentement entraîné par la conquête, car les populations avaient perdu l'habitude de payer la dîme et ignoraient la taille, ou le simple perfectionnement de la machine inquisitoriale, les Registres nous fournissent désormais beaucoup plus de petites gens, parmi les prévenus, qu'à l'époque de Montségur. La prédication cathare s'est d'ailleurs adaptée à ce changement. Elle se faisait, en Quercy, avant la Croisade, en laissant au domicile de notables le Nouveau Testament, pour que les gens pussent se

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rendre compte par eux-mêmes du bien-fondé de la doctrine. On jugera par les dépositions recueillies par Jacques Fournier du caractère très populaire, au contraire, de la propagande au 14 e siècle. En même temps, la noblesse méridionale restait entièrement acquise, mais à la vérité son poids politique et économique avait beaucoup décliné devant ime classe qui apparaissait de plus en plus comme une noblesse de robe. C'est justement à cette dernière qu'appartenait Pierre Authié, notaire d'Ax-lesThermes, investi de la confiance de Roger-Bernard III. Sa famille, de tradition cathare, avait compté des parfaits au milieu du 13 e siècle. Vers 1296, il part pour la Lombardie, déjà âgé, avec son frère Guillaume. Ils y sont initiés, et reviennent, devenus parfaits, en 1300. En deux ou trois ans, Pierre Authié opère un réveil extraordinaire du catharisme, de Montclar du Quercy, sur le Tarn, à Carol, sur le versant catalan du Puymorens. Il crée à son tour une douzaine de parfaits (parmi lesquels son fils Jacques), opère de très nombreuses conversions et assure à l'Eglise cathare un trésor considérable. L'Eglise de Γ Agenais, à la même époque, connaît également une grande extension, sous la conduite d'un certain Raimond de Castelnau que nous retrouverons dans le Registre. S'il faut en croire une déposante, Pierre Authié aurait connu le succès au point de «consoler » (donner l'imposition des mains) le comte de Foix lui-même sur son lit de mort. A cette offensive l'Eglise officielle put opposer deux hommes de valeur, l'un théologien, Geoffroy d'Ablis, l'autre théoricien de l'Inquisition et historien, Bernard Gui. Le premier procéda à des arrestations massives en Sabartès, à Limoux, et surtout à Montaillou (1308). Le second parvint à capturer Pierre Authié et à le faire brûler à Toulouse en 1 3 i l . La répression, dès lors, devenait mécanique. Bien peu de croyants résistèrent jusqu'au bûcher, ou parvinrent à s'enfuir. L'aveu, le plus souvent schématique, et l'abjuration, conduisaient au Mur, en principe perpétuel, en fait limité à trois ans, et commué en port de croix de feutre jaunes. Cette peine était à son tour remise au Sermon suivant. A ce régime moins cruel que les peines nominales du Canon, les populations se sont résignées, et le catharisme n'est plus un péril lorsque Jacques Fournier monte sur le siège de Pamiers. Les habitants de Montaillou, ou les fugitifs en Espagne, qu'il poursuit, sont des survivants de l'époque des Authié. Il est probable qu'à Mirepoix, où son prédécesseur avait également construit un Mur, il fut tenté de rouvrir quelques procès de Geoffroy d'Ablis; mais le catharisme, dans le Midi, avait vécu. Il devait subsister encore trois quarts de siècle en Italie, et, en Bosnie, jusqu'à l'arrivée des Turcs au milieu du 15 e siècle. LE VALDÉISME. Selon la tradition, un riche bourgeois lyonnais nommé Valdès se convertit aux environs de 1170 à la vie apostolique, se sépara de sa femme, mena ses filles à l'abbaye de Fontevrault, se fit traduire en langue vulgaire le Nouveau Testament, ime petite «Somme » de sentences tirées des Pères de l'Eglise, et commença à prêcher, invitant la foule à suivre son exemple et recueillant de nombreuses adhé-

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sions. Lui-même, ou des disciples, se présentèrent au concile de Latran de 1179 pour solliciter la reconnaissance officielle de leur nouvelle «religion». Après un examen peu charitable, ils furent renvoyés devant leur archevêque, et en 1180, Valdès aurait souscrit, devant ce prélat, le légat Henri de Marcy, et le cistercien Geoffroy d'Auxerre, un engagement portant sur la catholicité de sa foi et la règle qu'il se proposait d'observer. Ces Frères, qui prenaient le nom de «Pauvres d'Esprit », et dont le succès fut immédiat, se heurtèrent à l'hostilité, puis à la condamnation de l'Eglise, et furent excommuniés au concile de Vérone (1184), sous le nom de «Pauvres de Lyon ». En fait, ce nouvel ordre religieux, dont le but avoué était d'exercer, par des laïcs et auprès des laïcs, une prédication que l'Eglise officielle négligeait, avait immédiatement été pénétré par des mouvements plus radicaux et plus anciens. Les Humiliés, fondés en 1139, et que l'Eglise n'avait pas condamnés j usque-là, étaient des communautés d'artisans du textile à caractère religieux qui avaient réussi dans la région de Brescia-Milan. L'Italieavait été secouée de 1139 à 1155 par le vigoureux mouvement d'Arnaud de Brescia, qui ne visait rien moins qu'à établir un pouvoir politique de pieux laïcs par l'éviction d'une Eglise dont les membres menaient une vie condamnable. En 1143, dans la région de Cologne, un groupe luttait déjà par la controverse contre les cathares. Ses membres niaient l'autorité du pape et de la hiérarchie ecclésiastique, n'accordaient aucune valeur à l'eucharistie consacrée par de mauvais prêtres, jugeaient seul valable le baptême donné à des adultes, et cela par tout bon chrétien, condamnaient les secondes noces, les suffrages pour les morts et le dogme du purgatoire. Ces tendances, et en particulier l'anabaptisme, se retrouvent en Languedoc et en Lombardie dans les dernières années du 12e siècle. Le mouvement «lyonnais », néanmoins, résistait à cette pénétration étrangère de deux manières: d'une part, de 1206 à 1210, des groupes de disciples languedociens, sous la direction, l'un de Bernard Prim, et l'autre de Durand de Huesca, obtiennent d'Innocent III la confirmation d'ordres en tout point identiques à celui que Valdès aurait dessiné en 1180, avec, cette fois, le droit explicite de se livrer à la prédication ; d'autre part, ceux que l'on appelle désormais Pauvres de Lyon résistent sur le terrain dogmatique, en continuant à admettre la validité des sacrements consacrés par les prêtres catholiques, et en n'usurpant ces sacrements que dans la mesure où la persécution les retranche de la communion de l'Eglise. Mais sur trois points de dogme, où ils jugent que l'Eglise a modifié l'enseignement évangélique, ils restent intransigeants : il ne faut pas jurer, il ne faut rien posséder, et il n'y a pas de purgatoire. Le Languedoc fut gagné au valdéisme de très bonne heure. U n registre de pénitences de l'Inquisition de Toulouse (1241) décrit dans le Quercy (de Gourdon à Montauban) une communauté très active, possédant cimetières, hôpitaux et écoles, ce qui dénote une période antérieure à la Croisade. Les vaudois qui se convertissent et fondent des ordres religieux éphémères sont originaires du Rouergue et de la Narbonnaise. Avant la Croisade également, l'Aragon a été atteint, et un colloque contradictoire a eu lieu à Narbonne. Toulouse paraît avoir eu de bonne heure un noyau

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organisé, ainsi que les terres du comte de Foix, dont une sœur aurait été vaudoise. U n autre colloque eut lieu à Pamiers, entraînant le retour à l'Eglise de Durand de Huesca et la conversion de l'arbitre, Arnaud de Crampagna (1208). La Croisade vaut au valdéisme ses premiers martyrs, à Morlhon (Aveyron) en 1214. Néanmoins, à part une exhumation à Toulouse, quelques mentions rétrospectives dans les enquêtes du milieu du siècle, il fait peu parler de lui au 13e siècle. Le dur noyau cathare du Toulousain lui est resté rebelle. Mais à partir de 1273, parallèlement au grand retour des cathares de Lombardie, les vaudois du sillon rhodanien affluent vers le Languedoc, sous la forme d'ailleurs d'immigration agricole, trait qui leur sera familier jusqu'à la veille de la Réforme (Calabre, Lubéron). Une première colonie est frappée par l'Inquisition à Pech-Rodil, enRouergue, en 1273. Une seconde colonie, formée de Jurassiens, s'est implantée dans l'Astarac vers 1275. L'Inquisition de Besançon viendra l'y poursuivre, sans résultat, en 1284. En 1299, une autre colonie d'immigrants est frappée à Alzone dans le diocèse de Rodez. En 1311, Bernard Gui, l'inquisiteur de Toulouse, fait arrêter tous les Franc-comtois de Gascogne et les condamne par des sermons de 1316, 1319 et 1322. Bien qu'originaires de Savoie et de Viennois, les quatre vaudois jugés par Jacques Fournier appartiennent à la même Eglise.9 Théoriquement bannis du royaume depuis saint Louis, dont l'édit avait été repris par ses successeurs, les juifs conservent en Languedoc des communautés, notamment, ainsi que nous l'apprend le Registre, à Grenade, à Toulouse et à Pamiers. Philippe le Bel s'était efforcé de faire appliquer l'édit en 1306 à Pamiers, mais les juifs, dotés de statuts par l'inquisiteur temporaire de Pamiers Arnaud Dejean en 1299, s'y étaient maintenus. L E S JUIFS.

L'affaire des Pastoureaux paraît avoir bénéficié de la complaisance de la Couronne, car il n'y eut guère d'efforts sérieux pour endiguer cette bande pillarde et meurtrière avant que, dans son grand détour, elle ne vienne menacer les Etats pontificaux d'Avignon. Le témoignage du rabbin Baruch est d'un intérêt considérable, tant par l'exposé de faits vécus par une victime, que par l'analyse du comportement respectif des officiers royaux, des capitouls de Toulouse, et de l'évêque-inquisiteur. 10 L E S LÉPREUX.

Devenus très nombreux à la suite des échanges avec le monde médi-

terranéen qu'avaient entraînés les Croisades, puis le commerce avec les Barbaresques, les lépreux vivaient dans un cadre calqué sur celui de l'ordre de l'Hôpital, dans 9. Sur les hérésies médiévales en L a n g u e d o c , objet d ' u n e très importante littérature, v o i r H . GRUNDMANN, Bibliographie zur Ketzergeschichte

des Mittelalters (1900-1906),

R o m e , 1967;

J. DUVERNOY, «La c o n t r i b u t i o n des o u v r a g e s critiques récents à l'histoire de l'hérésie méridionale», Bulletin

de la Société des Sciences,

Lettres et Arts de l'Ariège,

Foix,

1968,

p. 231-247. 10. V o i r J . - M . VIDAL, « L ' é m e u t e des Pastoureaux en 1320», Annales de Saint-Louis Français, R o m e C u g g i a n i , 1899, t. III.

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des commanderies et des préceptories, et relevaient de l'Eglise. Philippe le Long, en 1321, crut pouvoir, par des accusations susceptibles d'entraîner l'opinion, mettre la main sur leur immense patrimoine comme Philippe le Bel l'avait fait pour les Templiers. Le procès du commandeur de Pamiers est la réplique de ceux qui eurent lieu dans toute la France, avec cette différence toutefois que, là encore, le Registre donne le contexte vécu de la sinistre affaire : l'accusation préfabriquée, partie de Poitiers, les exécutions sommaires, l'intervention deJacques Fournier au profit du commandeur, couronnée de succès, mais au prix du respect apparent de l'imposture. 11 L'anticléricalisme a, certes, une origine politique. Il est la séquelle de l'époque où le Languedoc était en guerre «contre l'Eglise et le roi». Il a une origine économique, dans la mesure où dîmes, cierges pascaux et autres offrandes grèvent la bourse des villageois. L'anticléricalisme idéologique ne fait guère que reproduire, en totalité ou par bribes, les attaques des cathares ou des vaudois. Mais un des traits les plus singuliers, compte tenu de l'époque, est une attitude d'indifférence, de lassitude, voire d'irrespect, pour la religion. Dans le privé, on n'hésite pas à nier, au besoin avec des plaisanteries ordurières, l'Eucharistie, la divinité du Christ, la création du monde, la résurrection de la chair, la spiritualité de l'âme. C'est jusqu'à la précellence de la religion et de son défenseur l'inquisiteur qui est attaquée, par l'irrévérence et le défi. Ni le maçon qui prouve l'éternité du monde par un proverbe grivois, ni la concubine du curé qui déclare qu'il n'y a pas de péché lorsque l'acte de chair fait plaisir aux partenaires ne songent à faire de la théologie ou de la casuistique: ils bravent leur évêque, assurés qu'ils sont de ne plus pouvoir échapper au Mur. L E S INCRÉDULES.

Ces esprits forts restent évidemment des gens du 14e siècle. Les montagnards croient qu'après la mort les âmes sont traînées par les diables dans les rochers et les précipices. Ils prélèvent des poils sur le cadavre du père de famille, pour que la «fortune » de la maison ne parte pas avec lui. Ils ont à leur disposition, pour retrouver les objets volés, «l'art de saint Georges», aussi bien que Notre-Dame de Montgauzy. O n consulte un devin sarrasin en Aragon. Mais ces faits, somme toute rares, ne sont guère pris au sérieux, pas plus d'ailleurs que les visions du bedeau de Pamiers, qui voit les morts et les fait parler.12 L A SUPERSTITION.

A X , Tarascón, possèdent des écoles que nous qualifierions de «primaires », d'où sortent les artisans. Les fils de famille, d'abord confiés à un curé, vont ensuite à l'Université : Toulouse, ou Pamiers, qui ne va que jusqu'à la «Grammaire». Un laïc d'Ax lit un livre de propagande cathare. Surtout, le nombre des L'INSTRUCTION.

11.

Ibid., t. IV, 1900: «La poursuite des lépreux en 1321».

12. C e dernier épisode a été étudié parJ.-M. VIDAL SOUS le titre abusif de: «Une secte de spirites à Pamiers en 1320», ibid., t. III, 1899.

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notaires ou des avocats est tel que la diffusion de la pensée par l'écrit est chose normale. O n ne s'avancera pas trop en pensant qu'à cet égard le pays de Foix est parmi les plus favorisés de l'époque. LA CONDITION DES PERSONNES.

Le «style» de l'Inquisition n'a pas à faire de distinc-

tions selon le rang du prévenu. Dans cette matière essentiellement spirituelle, il ne peut être fait acception de personnes. Mais, même en tenant compte de cette unificacation, on ne peut manquer d'être frappé par la quasi-inexistence de préjugés féodaux. La dame de Châteauverdun parle, certes, de ses «hommes», mais elle n'a pas hésité à faire une fugue en Catalogne avec un tisserand. Elle y a emmené sa fille, qui pour subvenir à leurs besoins travaillait la soie. La dame de Luzenac vend ses fromages, et sa servante espagnole est en quelque sorte de la famille, car elle est la concubine de son fils aîné. Dans la généralité des dépositions, les exploitants agricoles se présentent comme propriétaires et contractent entre eux: vente d'herbe sur pied, élevage «partiaire ». Le louage de services a lieu dans un marché libre : l'engagement est à terme; le berger, la moissonneuse ou le dépiqueur vont s'embaucher où bon leur semble. Il n'est pas déconsidéré: le même terme (se conducere) s'applique au berger qui entre dans une exploitation et au prêtre qui devient desservant d'une paroisse dont le curé ne réside pas. Si, par ouï-dire d'ailleurs, il est question d'énormes fortunes (le trésor cathare de l'Agenais, celui des Authié, les tentatives de corruption de Bernard Clergue), l'impression dominante est celle de solides maisons bourgeoises ou villageoises, vivant en relative autarcie, mais où le numéraire est rare. La pauvreté n'atteint guère les hommes. Les garçons des familles nombreuses vont garder les brebis l'été à la «montagne» communale, l'hiver dans les collines du Razès ou de Catalogne. Ayant le droit de posséder leurs propres bêtes, ils parviennent rapidement à l'aisance. La Catalogne voisine accueille d'ailleurs la main-d'œuvre: piocheurs de vignes, cordonniers, bûcherons. Si l'on prend femme, on peut devenir bourgeois dans une ville de poblacion. Le «gueux » qu'a tant connu le Moyen A g e est inconnu en Sabartès. S'il est probable qu'il existe à Pamiers, il n'en est guère fait mention. Il est frappant de constater que les condamnés, qui ont passé au Mur d'onéreuses années (car il faut payer pour améliorer l'ordinaire), et ont v u tous leurs biens confisqués par le comte, vers 1308-1310, se retrouvent devant Jacques Founder, dix ans après, dans une situation sociale apparemment inchangée. LE RÉGIME SUCCESSORAL ET MATRIMONIAL.

La «maison», terme qui unit la notion

de famille à celle de patrimoine héréditaire, est certes une entité puissante. Elle a à sa tête un chef de maison, le père, ou après sa mort, le fils désigné ou la fille héritière (dont le mari devra prendre le nom de la famille). Mais les cadets ne sont pas réduits au rang de clients. Ils prennent leur part (fratrisia) et ont les moyens de se séparer. Des héritiers peuvent sortir de l'indivision, ce qui est un autre signe d'aisance. L'égalité qui préside au partage, en dotant les filles, fait du mariage une opération

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patrimoniale importante, négociée par les parents de très bonne heure, surtout chez les nobles. L'amour, qui y a peu de part, prend sa revanche en généralisant les relations hors-mariage. L e clergé rural est notoirement concubinaire. Dans le diocèse d'Urgel, les prêtres peuvent m ê m e contracter un mariage civil, dont le contrat ne difiere en rien de ce que postule un mariage régulier. Le divorce s'opère sous forme de procès en nullité devant l'Officiai, ce qui ne coûte que quelques f a u x témoignages. Les femmes parlent sans honte, devant l'évêque, de leurs relations coupables, qu'elles justifient par le sentiment. Les hommes, que ce soit le curé de Montaillou, paillard effréné, ou le défroqué de Pamiers, qui débauche les étudiants, invoquent les besoins de la nature. Il n'est pas jusqu'au parfait cathare qui ne v i v e en concubinage. L'HABITAT.

Pamiers est une « cité » possédant son ensemble épiscopal, son château,

sa ville et ses barris (bourgs). Mais la géographie et l'histoire ont donné à cet ensemble classique ime physionomie singulière. La cathédrale, le cloître, le chapitre, et, à l'origine l'évêché, sont au Mas-Saint-Antonin, au sommet de la côte qui, à l'origine, dominait un méandre de l'Ariège. Le château est sur sa butte, dominant la rivière. Mais pour ne pas laisser le comte seul maître des lieux, l'évêque, à l'intérieur de la première enceinte, possède aussi une crête fortifiée : un nouvel évêché garni de tours, dû vraisemblablement à Jacques Fournier. Dans l'enceinte également, l'église du Mercadal, qui deviendra plus tard la cathédrale. La ville basse est protégée par une seconde enceinte, bordée par le lac laissé par l'Ariège et les fossés qu'il alimente, d'un côté, et à l'ouest, par l'Ariège. A u nord, hors des murs, Lestang avec sa léproserie, et l'église de Saint-Jean-Martyr avec son cimetière. Dans la ville basse, l'église N o t r e D a m e du C a m p , et quatre couvents de Mendiants. Vers le Mas s'étend le barri des Piconières, prolongé par le faubourg de Loumet. 1 3 Foix, qui possède un château sur son rocher, une abbaye, Saint-Volusien, surplombant l'Ariège, et une ville née autour de cette dernière, fait encore figure de «cité», mais à une échelle, géographique et économique, beaucoup plus réduite. 1 4 Tarascón rivalise avec la capitale du comté. Le château, qui s'élève à pic sur la falaise creusée par l'Ariège, englobe la vieille ville dans sa petite enceinte. Mais, vers la montagne, un plateau reçoit le quartier de la Place et le champ de foire, sur lesquels veille l'église Saint-Michel. Au-delà du pont, la tête de pont, «Cap de pont », actuellement Sainte-Quitterie, s'étend en direction de Quié, blotti sous sa tour, et de la vénérable église de N o t r e - D a m e de Sabart, sur la rive droite du Vicdessos. A x appelle Ville-Vieille le quartier exposé au midi, sur la rive droite de la Lauze, groupé autour de l'église Saint-Vincent et de son enclos. Sur la rive gauche, entre 13. Sur Pamiers, voir J . OURGAUD, Notice historique sur la ville et le pays de Pamiers ..., Pamiers, 186$; P H . WOLFF, «Notes sur les origines de la vie urbaine dans l'ancien comté de Foix», Actes de la Fédération ... Languedoc-Pyrénées-Gascogne, op. cit., p. 103-121. 1 4 . P H . WOLFF, loc. cit., η.

13.

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Lauze et Ariège, l'agglomération se tasse entre les thermes (hôpital et bassin) et la pointe du confluent. Sur la rive gauche de l'Ariège, le quartier d'En Castel sert de promenade aux notables. Le château domine le tout, à pic, sur son rocher qui verrouille la vallée vers le port de Puymorens. Montaillou a son château construit à l'ouest d'un plateau rocheux dont les parois ne dominent que de quelques mètres le cône qui le porte. Sur les bords est et sud du cône, les maisons forment rempart, et leur étage accède de plain-pied au «plan du château ». Au-dessous de cette demi-couronne, une rue en pente descend à l'église de Notre-Dame de Carnesses, au pèlerinage renommé. Si les maisons disposées autour du plan du château, à en juger par les fonds de cabanes encore visibles, étaient assez serrées pour avoir un aspect urbain, les autres possédaient unjardin enclos, «cortile », des bâtiments agricoles, étable et grange (boale, palherium), et une maison rendue complexe par la dénivellation. Selon l'orientation, le «soutoul », le rez-de-chaussée (sotulum), devient une cave ou un cellier (ceïlarium). L'étage en colombages, le « solier » (solerium) devient un rez-de-chaussée, et possède un banc, au niveau du plan du château. La pièce essentielle est la foganha, la pièce du foyer, dont l'âtre est assez grand et assez avancé, sans être central, pour qu'on puisse s'asseoir derrière le feu. Sur la foganha donnent les chambres, mais, l'hiver, on installe le lit des malades près du feu. Dans la maison des notables, on habite le solier, où l'on peut faire du feu. Chez les Clergue, à Montaillou, les chambres du solier donnent sur une grande salle (aula). Dans les villes, l'arcade de la fenêtre du rez-de-chaussée, sur la rue, retombe sur une grande pièce d'appui de pierre, le banc, ou table, qui sert de siège aux oisifs, de devanture aux artisans ou aux notaires pour leur «ouvroir» (operatorium), et enfin d'étal loué au bourgeois propriétaire de la maison par les bouchers ou les poissonniers, qui paient de plus un droit de place au comte ou à l'évêque. Dans les villes encore, les quartiers neufs ont été construits à peu de frais : un alignement de façades sur la rue, mais les refends entre les maisons ne sont que de planches mal jointes, ce qui prête à bien des indiscrétions. En montagne, on trouve même des constructions si frustes que l'on peut soulever un coin de toiture pour regarder à l'intérieur. Dans les riches bâtiments, l'avancée du toit repose sur des arcs de maçonnerie ou des poutrages à plusieurs étages, pour former des galeries (porticus), comme à l'évêché de Pamiers. En montagne, les toits sont d'«escaune » {scarnò), bardeau de petites planchettes fendues à la hache et fixées par des chevilles. Le mobilier n'est guère varié: table, bancs, lits, coffres (archa) et, chez les notaires, coffret-écritoire (scrinium) et pupitre (scriptorium). LE COSTUME.

Les hommes portent sur le corps des chausses (caligœ) et une chemise

(camisia) ; sur la chemise, une tunique, puis une surtunique (supertunicale) et enfin un manteau, ou un balandran (manteau à capuchon). Sur la tête, selon la saison ou le rang social, bonnet (cucufa) et chapeau de feutre (pileum feltri) ou simplement

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capuchon (caputium). La saison ou le métier peuvent justifier, outre les chausses, des caleçons (Jemoralia). Les femmes, outre la tunique, sur la chemise, portent des robes (gonella), des garnaches (robes longues ouvertes sur les côtés), des mantes, des capes, et quand la décence les y oblige, le voile-capulet (savena). La soie a fait son apparition à Pamiers, en commençant par les manches, non sans choquer les conservateurs. On fait des pelisses d'agneau noir, mais les personnes distinguées ont des fourrures d'écureuil et des gants de peau (cirothecae). LA VIE ET LA MORT.

L'intérêt du Registre pour la connaissance de la vie quotidienne

de l'époque est considérable. Il a d'ailleurs été mis à profit. 1 5 Si l'on cherche à dégager une impression d'ensemble, on serait volontiers amené à constater, chez ces gens de toute classe et de tout âge, mais exposés aux mêmes cruelles tracasseries, une certaine capacité de résistance, faite de santé mentale et physique. Rares sont ceux dont le régime du «Mur très strict » a eu raison, physiquement du moins. De tous les déposants, un seul est incohérent. Les itinéraires des parfaits et de leurs guides, les courses des bergers de transhumance sont autant de performances auxquelles on a parfois peine à croire. La j ournée de marche (dieta) paraît avoir été pour Pierre Maury d'une cinquantaine de kilomètres, et, après l'arrestation de Bélibaste, il fait deux étapes semblables en une journée. Mais l'Inquisition n'est pas seule à faire courir des risques. On garde le souvenir de femmes dévorées par les loups. Le feu est un péril constant pour les enfants en bas âge, comme parfois les crues de l'Ariège. La phtisie atteint des jeunes gens de M o n taillou. Rabat, frappé par l'épidémie, est décimé, comme par un avant-goût de la peste noire qui atteindra la génération suivante... Il n'importe, la race restera bien vivante, et, de nos jours, les Clergue, les Baille, Maury, Marty, Denjean, Gouzy, etc. qui peuplent encore le Sabartès sont là pour l'attester.

15. R. NELLI, La Vie quotidienne des cathares du Languedoc au XIIIe siècle, Paris, 1969; J . DUVERNOY, «La nourriture en Languedoc à l'époque cathare», Actes de la Fédération historique du Languedoc méditerranéen ..., XLI, Carcassonne, 1970.

Jean Duvernoy

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CHRONOLOGIE

1270

Mort de saint Louis, avènement de Philippe le Hardi.

1272

Campagne de Philippe le Hardi contre Roger-Bernard III de Foix.

1273

Enquête de Pierre Authié, notaire d ' A x , sur la mouvance du Sabartès.

1276

Mort de Jacques le Conquérant. Partage du royaume entre Pierre III, roi d'Aragon et Jacques I er , roi de Majorque.

1282

Vêpres siciliennes. Pierre III d'Aragon roi de Sicile.

1285

Croisade de Philippe le Hardi contre Γ Aragon et sa mort à Perpignan. Mort

1291

Mort d'Alphonse III, avènement de Jacques II d'Aragon et de Frédéric son

de Pierre III, avènement de Jacques en Sicile et d'Alphonse III en Aragon. frère en Sicile. Mort de Gaston VII de Béarn et avènement en Béarn de Marguerite, femme de Roger-Bernard III de Foix. 1295

Avènement de Boniface VIII, pape. Bernard Saisset premier évêque de Pamiers.

1300

Retour de Lombardie enLanguedoc de Pierre Authié, devenu parfait cathare.

1302

Benoît XI, pape. M o r t de Roger-Bernard III, auquel succède Gaston I er .

1303

Geoffroy d'Ablis inquisiteur de Carcassonne.

1305

Clément V , pape. Arrestation à Carcassonne des parfaits Jacques Authié et Prades Tavernier, suivie de leur évasion.

1309

Arrestation des parfaits Pierre Authié et Amiel de Perles.

1311

Mort de Jacques I er , avènement de Sanche au royaume de Majorque. Pierre Authié brûlé à Toulouse.

1312

Pelfort de Rabastens évêque de Pamiers.

1314

Jean X X I I , pape. Avènement de Louis X le Hutin.

1315

Mort de Gaston I er de Foix, avènement de Gaston II.

1316

Avènement de Philippe V le Long. Mort de l'inquisiteur Geoffroy d'Ablis.

1317

Jacques Fournier évêque de Pamiers.

1318

Jean de Beaune inquisiteur de Carcassonne. Sentence d'Aude Fauré.

1320

Sentences de Pamiers (i e r mai). Troubles des Pastoureaux.

1321

Sentences de Pamiers (8 mars). Persécution des lépreux. Sentences de Pamiers (2 août). Bélibaste arrêté en Catalogne et brûlé à Villerouge-Termenès.

1322

Avènement de Charles IV le Bel. Sentences de Pamiers (5 juillet).

1323

Sentences de Pamiers (19 juin 1323).

1324

Avènement de Jacques II d'Aragon. Jean Duprat inquisiteur de Carcassonne. Sentences de Pamiers (12 août 1324).

13 26

Jacques Fournier évêque de Mirepoix. Dominique Grima évêque de Pamiers.

1327

Jacques Fournier cardinal.

Henri Chamayou inquisiteur de Carcassonne. 13 29

Sentences de Pamiers (janvier 13 29).

RÈGLES DE TRADUCTION

LE TEXTE.

Le texte de l'édition de 1965 a été revu, à l'occasion de la traduction, sur

le manuscrit, ce qui a d'ailleurs amené à publier un copieux fascicule d'errata (Toulouse, Privat, 1972). La traduction est intégrale. Certaines formules de style, toutefois, qui se retrouvent dans la plupart des dépositions, font l'objet d'un renvoi. ORDRE DES DÉPOSITIONS.

L'ordre des dépositions, dans le manuscrit, suit le cadre

chronologique des sentences et n'est pas toujours respecté. Il a paru indispensable à une vue d'ensemble des faits de regrouper les procédures connexes (vaudois, espirites », réfugiés en Aragon, etc.), tout en respectant au maximum la succession chronologique des procédures. STYLE. Le style des notaires de Pamiers présente, avec le style actuel de notre Police judiciaire, une étonnante parenté. C'est pour le souligner, comme aussi pour alléger la traduction, que la déposition proprement dite a été mise au style direct. La partie procédurale (de nos jours imprimée avec des blancs, telle la formule de comparution) a au contraire été laissée au style indirect et imprimée en italiques. Les mots ou les phrases laissées par les notaires en occitan dans le texte ont été maintenus. Des mots rares, ou inexistants, comme «solier » ou «surtunique » ont été employés, faute de véritable équivalent actuel. O n a maintenu également «en» et «na», qui, suivis du prénom ou du patronyme, signifient soit, «Monsieur X . . . », «Madame X . . . » , soit plus simplement le vocatif, ainsi que «den» qui désigne la famille d'appartenance : «Jacoba den Carot » = «Jacqueline de chez les Carot ». Les noms de lieu sont, dans leur grande majorité, des noms de communes et de lieux-dits actuels de l'Ariège. Les patronymes sont empruntés, pour leur équivalent actuel, à l'Annuaire des exploitants agricoles de l'Ariège, et aux annuaires téléphoniques de la région. Ils sont maintenus lorsque dans le texte ils sont donnés en langue vulgaire. Il ne s'agit évidemment que d'une approximation. C'est ainsi qu' « Auterii » est actuellement représenté à A x par « Authié » et à Orlu par « Authier ».

Regles de traduction

24

NOTES. On trouvera en note le renvoi au texte latin et les renseignements relatifs à la sentence des déposants, qui figuraient à la table de l'édition latine. Ils se trouvent heureusement enrichis par la découverte récente de deux feuillets des Sentences du 8 mars 1 3 2 1 , conservés maintenant aux Archives départementales de l'Ariège. Les références bibliques ont été placées dans le texte avec les citations.

Afin de conserver au texte proprement dit le relief qu'il mérite, les formules de procédure ont parfois été renvoyées en notes, et, pour certains éléments stéréotypés, font l'objet d'un renvoi. Il s'agit des formules A, C, T, R J et J J suivantes, qui ne présentent d'une déposition à l'autre que des variantes insignifiantes: ABRÉVIATIONS.

FORMULE A :

«Moi, X , comparaissant judiciairement par-devant vous, Révérend Père en Christ monseigneur Jacques, par la grâce de Dieu évêque de Pamiers, j'abjure entièrement toute hérésie s'élevant contre la foi de notre Seigneur Jésus-Christ et de la Sainte Eglise romaine, et toute croyance des hérétiques, d'une quelconque secte condamnée par l'Eglise romaine, et spécialement de la secte pour laquelle je tenais, et toute complicité, recel, défense et fréquentation de ces hérétiques, sous la peine qui est due en droit aux relaps dans l'hérésie abjurée judiciairement; Item je jure et promets de poursuivre selon mon pouvoir les hérétiques d'une quelconque secte condamnée par l'Eglise romaine, et spécialement de la secte pour laquelle je tenais, et les croyants, fauteurs, receleurs et défenseurs de ces hérétiques, ainsi que ceux queje saurais ou croirais être en fuite pour fait d'hérésie, et n'importe lequel d'entre eux, de les faire arrêter et remettre, selon mon pouvoir, à mondit seigneur évêque ou aux inquisiteurs de la déviation hérétique toutes les fois et à quelque endroit que je connaîtrai l'existence des susdits ou de l'un d'eux ; Item jejure et promets de tenir, garder et défendre la foi catholique que la Sainte Eglise romaine prêche et observe; Item je jure et promets d'obéir et déférer aux ordres de l'Eglise, de monseigneur l'évêque et des inquisiteurs, et de venir au jour et aux jours fixés devant eux ou leurs remplaçants, toutes les fois et en quelque endroit que j'en reçoive l'ordre ou la réquisition de leur part, par messager ou par lettre ou autrement, de ne jamais m'enfuir ni m'absenter sciemment et dans un esprit de contumace, et de recevoir et accomplir selon mon pouvoir la peine et la pénitence qu'ils auront jugé bon de m'imposer. Et à cet effet j'engage ma personne et tous mes biens. »

Regles de traduction

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FORMULE C

: «Et il conclut dans la présente cause, demandant sentence sur ces faits, et suppliant qu'on agisse à son égard avec miséricorde. Et mondit seigneur évêque conclut avec lui. »

FORMULE Τ

: « Interrogé si c'est par haine, amour, crainte, à la prière, poussé par une somme d'argent ou autrement suborné qu'il a déposé cela, il répondit que non, mais parce que c'est la vérité. »

FORMULE

RJ: «Et moi, Rainaudjabbaud, clerc de Toulouse, juré en matière d'Inquisition, ai, sur l'ordre de monseigneur l'évêque, fidèlement corrigé lesdites confessions sur l'original. »

FORMULE JJ:

«Moi, Jean Jabbaud, clerc de Toulouse, l'ai fidèlement transcrit et corrigé sur l'original. »

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

SUH LE DOCUMENT

Beiträge zur Sektengeschichte Jes Mittelalters, Munich, 1890. Documents pour servir à l'histoire de l'Inquisition dans le Languedoc, Paris, 1900. DUVERNOY, J . , Le Registre d'Inquisition de Jacques Fournier, évêque de Pamiers (1318-1325), Toulouse, 1965; Corrections, Toulouse, 1972 (texte). , Inquisition à Pamiers, interrogatoires de Jacques Fournier, évêque de Pamiers (1318-1325), Toulouse, 1966 (trad, partielle). MOLINIEK, C., Etudes sur quelques manusaits des bibliothèques d'Italie concernant l'Inquisition et les croyances des hérétiques du XIIe au XIIIe siècle, Paris, 1897. V I D A L , J . - M . , Le Tribunal d'Inquisition de Pamiers, Toulouse, 1906. , «L'émeute des Pastoureaux en 1320», Annales de Saint-Louis des Français, Rome, 1900, t. IV. , «La poursuite des lépreux en 1321», ibid. , «Une secte de spirites à Pamiers en 1320», ibid., 1899, t. III. DÖLLINGER, I . VON, DOUAIS, Ο . ,

SOURCES ANNEXES

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Bibliographie sommaire

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CHEVALIER,

L E R O Y LADURIE, NELLI,

Le Haut Pays de Foix

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St-Victor Rieux

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