Le réensauvagement de la ferme à Knepp
 9782330170196

Table of contents :
Domaine du possible
Le point de vue des éditeurs
Isabella Tree
Le réensauvagement de la ferme à Knepp
Sommaire
Chronologie
Carte du domaine de Knepp
INTRODUCTION
1. UN HOMME REMARQUABLE SOUS UN ARBRE REMARQUABLE
2. EN DÉCALAGE
3. L'EFFET SERENGETI
4. LE SECRET DES ANIMAUX BROUTEURS
5. UN MONDE DE PÂTURAGE BOISÉ
6. PONEYS SAUVAGES, COCHONS ET VACHES LONGHORN
7. ACCUEILLIR LE CHAOS
8. LE PÉRIL JAUNE
9. LES BELLES-DAMES ET LA TEMPÊTE PARFAITE
10. LE CHATOYANT
11. LE CHANT DU ROSSIGNOL
12. LES TOURTERELLES DES BOIS
13. RÉENSAUVAGER LA RIVIÈRE
14. LE RETOUR DU CASTOR
15. ÉLEVÉS AU PÂTURAGE
16. RÉENSAUVAGER LE SOL
17. LA VALEUR DE LA NATURE
ANNEXES
Comité consultatif de Knepp Wildland
Sources
Bibliographie
Remerciements
Knepp en images
Index
Crédits des citations
Catalogue du Domaine du possible

Citation preview

DOMAINE DU POSSIBLE La crise profonde que connaissent nos sociétés est patente. Dérèglement écologique, exclusion sociale, exploitation sans limites des ressources naturelles, recherche acharnée et déshumanisante du profit, creusement des inégalités sont au cœur des problématiques contemporaines. Or, partout dans le monde, des hommes et des femmes s’organisent autour d’initiatives originales et innovantes, en vue d’apporter des perspectives nouvelles pour l’avenir. Des solutions existent, des propositions inédites voient le jour aux quatre coins de la planète, souvent à une petite échelle, mais toujours dans le but d’initier un véritable mouvement de transformation des sociétés.

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURS En 2001, constatant que leur domaine de Knepp, dans le Sud-Est de l’Angleterre, cultivé de façon intensive depuis la Seconde Guerre mondiale, est dans une impasse financière et environnementale, Isabella Tree et son mari décident de faire un grand saut dans l’inconnu  : restaurer la faune, la flore et les différents écosystèmes de leur domaine en laissant les processus écologiques naturels prendre les commandes. Ils mettent peu à peu les terres en jachère et y réintroduisent des herbivores rustiques, capables de vivre en libre parcours sans aide humaine. Ils laissent aussi se reconstituer les haies, les bosquets et les zones humides. Contre toute attente, les résultats ne tardent pas à se manifester : en moins de vingt ans, oiseaux, papillons, insectes sont revenus s’installer en nombre et se reproduire à Knepp, la biodiversité animale et végétale s’est épanouie, les sols ont repris vie. Le domaine est désormais considéré comme un exemple de restauration et de régénération de la nature, une source d’inspiration pour tous les milieux naturels abîmés par les activités humaines, à quelque échelle que ce soit. Cet ouvrage raconte le réensauvagement de Knepp au fil des années. C’est un récit prenant, superbement écrit. Isabella Tree y décrit l’émerveillement suscité par le retour d’espèces depuis longtemps disparues de la région, sans occulter les doutes, les difficultés et les critiques auxquels elle et son mari se sont heurtés. Son récit dénonce en creux l’agriculture intensive et les dégâts qu’elle occasionne à l’environnement, et montre que le réensauvagement ne profite pas seulement aux milieux naturels, mais aussi aux sociétés humaines.

ISABELLA TREE Isabella Tree, née en 1964, est journaliste, notamment au Sunday Times, à l’Evening Standard, à l’Observer, au National Geographic… Elle a publié plusieurs récits de voyage, une biographie de l’ornithologue John Gould et, en 2021, un livre pour enfants, When We Went Wild. Elle est aussi très impliquée dans la défense de l’environnement.

Titre original : Wilding. The Return of Nature to a British Farm © Isabella Tree, 2018 Carte : © Martin Lubikowski / ML Design Collection créée par Cyril Dion en 2011. © Actes Sud, 2022, pour la version française ISBN 978-2-330-17019-6 www.actes-sud.fr Photographie de couverture : © Charlie Burrell / Knepp Wildland Foundation

ISABELLA TREE

LE RÉENSAUVAGEMENT DE LA FERME À KNEPP Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Amanda Prat-Giral

DOMAINE DU POSSIBLE ACTES SUD

À Charlie et à nos enfants, Nancy et Ned.

Sommaire Domaine du possible Le point de vue des éditeurs Isabella Tree Le réensauvagement de la ferme à Knepp Chronologie Carte du domaine de Knepp INTRODUCTION 1. UN HOMME REMARQUABLE SOUS UN ARBRE REMARQUABLE 2. EN DÉCALAGE 3. L'EFFET SERENGETI 4. LE SECRET DES ANIMAUX BROUTEURS 5. UN MONDE DE PÂTURAGE BOISÉ 6. PONEYS SAUVAGES, COCHONS ET VACHES LONGHORN 7. ACCUEILLIR LE CHAOS 8. LE PÉRIL JAUNE 9. LES BELLES-DAMES ET LA TEMPÊTE PARFAITE 10. LE CHATOYANT 11. LE CHANT DU ROSSIGNOL 12. LES TOURTERELLES DES BOIS 13. RÉENSAUVAGER LA RIVIÈRE 14. LE RETOUR DU CASTOR 15. ÉLEVÉS AU PÂTURAGE 16. RÉENSAUVAGER LE SOL 17. LA VALEUR DE LA NATURE

ANNEXES Comité consultatif de Knepp Wildland Sources Bibliographie Remerciements Knepp en images Index Crédits des citations Catalogue du Domaine du possible

Qu’arriverait-il au monde, s’il se voyait ravir L’humide et le sauvage ? Qu’ils nous soient donc laissés, Oh ! qu’ils nous soient laissés, le sauvage et l’humide, Que vivent encor longtemps herbes folles et lieux sauvages ! GERARD MANLEY HOPKINS, “Inversnaid”, 18811.

Chasse la nature à coups de fourche, elle reviendra toujours au pas de course. HORACE, Épîtres, I, X, 24, 20 av. J.-C.  (cité par Jeeves s’adressant à Wooster dans “The Love That Purifies”, Very Good, Jeeves, 1929).

Le vacher qui débarrasse son pacage des loups […] n’a pas appris à penser comme une montagne. D’où les déserts de poussière et les fleuves qui entraînent l’avenir dans la mer. ALDO LEOPOLD, Almanach d’un comté des sables, 19492.

CHRONOLOGIE XIIe siècle

Guillaume de Briouze (1144-1211), seigneur du rape de Bramber (sousdivision du Sussex), fait construire la motte castrale et le donjon qu’on appelle aujourd’hui l’ancien château de Knepp.   1206-1215 Le roi Jean sans Terre se rend à plusieurs occasions sur le domaine de Knepp pour y chasser le daim et le sanglier.   1573-1752 Le domaine est la propriété de la famille Caryll, des maîtres de forges du Sussex.   1787 Sir Charles Raymond acquiert le domaine de Knepp et en fait don à sa fille Sophia et à son gendre, William Burrell.   1809-1812 Sir Charles Merrik Burrell charge John Nash de dessiner les plans d’un nouveau château, flanqué d’un parc conçu dans le style de Humphry Repton.   1939-1945 Le château de Knepp, réquisitionné par le War Oªce (bureau de la Guerre), devient le siège de l’infanterie et des divisions blindées canadiennes pendant la Seconde Guerre mondiale.  

1941-1943 Grande opération de débroussaillage et de labour des pâturages permanents du domaine, notamment le parc Repton, dans le cadre de la campagne des Jardins de la victoire menée durant la Seconde Guerre mondiale.   1947 Le gouvernement de Clement Attlee adopte une loi sur l’agriculture, l’Agriculture Act, qui garantit des prix fixes à perpétuité pour les produits agricoles au Royaume-Uni.   1973 Le Royaume-Uni devient membre de la Communauté économique européenne (CEE) et rejoint le système des subventions agricoles de la Politique agricole commune (PAC).   1987 Charlie Burrell, époux de l’autrice du présent livre, hérite du domaine de Knepp qui appartenait à ses grands-parents. L’exploitation n’est déjà plus rentable.   1987-1999 L’intensification de l’exploitation, notamment par la fusion des laiteries, l’amélioration de l’infrastructure et la diversification (production de crème glacée, de yaourt et de lait de brebis), ne permet pas d’obtenir les bénéfices escomptés.   2000 Vente des troupeaux laitiers et des machines agricoles  ; terres arables mises sous bail.   2001

Restauration du parc Repton, à l’aide des financements obtenus auprès du programme agroenvironnemental Countryside Stewardship.   2002 Février  : introduction de daims issus de Petworth House dans le parc Repton restauré. Décembre  : Charlie envoie au département de l’Environnement, de l’Alimentation et des A¤aires rurales une “lettre d’intention aux fins d’établir une zone sauvage riche de biodiversité dans le Low Weald du Sussex”.   2003 Première visite de scientifiques de l’agence gouvernementale English Nature, visant à examiner la question du réensauvagement sur le domaine de Knepp. Juin : introduction de 20 vaches de race Old English Longhorn dans le parc. Réforme de la PAC visant à découpler les aides, ce qui permet aux agriculteurs d’interrompre la production sur une partie des terres tout en continuant de recevoir des subventions. Knepp sort ainsi de l’agriculture conventionnelle. Août : les agriculteurs et propriétaires terriens des environs sont invités à Knepp à l’occasion d’une “Journée au bois”, dans le but de les inciter à soutenir le projet de réensauvagement, voire à y participer. Novembre : introduction de 6 juments Exmoor dans le parc Repton.   2003-2006 Le secteur sud du domaine de Knepp est progressivement laissé en jachère, des prés les moins fertiles d’abord aux plus productifs.   2004

Countryside Stewardship finance l’extension de la restauration du parc pour y inclure le secteur central et le secteur nord  ; des clôtures sont posées pour délimiter les deux secteurs. Juillet : 23 vaches Old English Longhorn sont introduites dans le secteur nord. Décembre : introduction de 2 truies Tamworth et de 8 porcelets dans le secteur central.   2005 Juillet : Duncan, un jeune étalon Exmoor, est introduit dans le secteur central.   2006 Janvier  : un “plan de gestion globale en vue d’un projet de pâture naturaliste sur le domaine du château de Knepp” est élaboré à l’intention de l’organisme public Natural England. Mai : réunion inaugurale du comité consultatif de Knepp Wildland.   2008 Le projet de restauration de 2,5  kilomètres des berges du fleuve Adur sur le domaine de Knepp obtient l’aval de l’agence gouvernementale pour l’environnement après huit ans de consultations et d’études de faisabilité. Février  : des scientifiques de Natural England indiquent qu’il est peu probable que le projet de Knepp bénéficie de subventions dans un avenir proche. Juin  : Andrew Wood, fondateur du dispositif agroenvironnemental Higher Level Stewardship, se rend à Knepp.   2009

Knepp reçoit un avis de Higher Level Stewardship annonçant l’octroi d’un financement pour l’ensemble du domaine à compter du 1er janvier 2010, qui permet de clôturer tout le secteur sud pour y placer des animaux en parcours libre. Mars : une clôture d’une quinzaine de kilomètres est érigée autour du secteur sud. Premiers grands corbeaux nichant à Knepp. Mai  : une migration massive de 11  millions de papillons belles-dames venus d’Afrique arrive en Grande-Bretagne  ; ils sont des dizaines de milliers à se rendre à Knepp, attirés par la floraison des chardons des champs. 53 vaches Longhorn sont introduites dans le secteur sud. Août : 23 poneys Exmoor sont introduits dans le secteur sud. Septembre : 20 porcs Tamworth sont introduits dans le secteur sud. Des mares sont créées le long des lits majeurs d’aºuents de l’Adur, sur 3 kilomètres. Une enquête de suivi quinquennale portant notamment sur les animaux sauvages révèle d’étonnants résultats à ce sujet  : on voit se reproduire des alouettes des champs, des alouettes lulus, des bécassines sourdes, des grands corbeaux, des grives mauvis, des grives litornes et des sizerins cabarets ; on y observe 13 des 18 espèces de chauves-souris du pays et 60  espèces d’invertébrés à protéger, notamment un papillon rare, le grand mars changeant.   2010 Février : 42 daims sont introduits dans le secteur sud. Juillet : création du Comité consultatif pour le castor en Angleterre, dont la présidence est assurée par Charlie. Présentation au gouvernement de l’étude de Sir John Lawton intitulée Making Space for Nature, dans laquelle il appelle à instaurer davantage de zones de nature en Grande-Bretagne, qui soient aussi plus vastes, mieux protégées et mieux reliées entre elles.  

2012 Une enquête de l’Imperial College London recense 34  territoires de rossignol philomèle à Knepp (il n’y en avait aucun en 2002), ce qui en fait l’un des sites les plus importants au Royaume-Uni pour cette espèce aviaire en danger critique.   2013 Avril  : des cerfs élaphes sont introduits dans le secteur central et le secteur sud. Édition du rapport State of Nature qui suit le déclin cataclysmique constant des espèces britanniques. En l’espace d’un week-end de recensement, 400 espèces sont identifiées dans 3 transects du domaine de Knepp, notamment 13 espèces d’oiseaux figurant sur la Liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et  19 sur la Liste “amber” du Royaume-Uni, ainsi que plusieurs espèces de papillons et de végétaux extrêmement rares. Des études de l’Imperial College London répertorient 19  espèces de lombrics à Knepp, indiquant une nette amélioration de la structure et des fonctions des sols par rapport aux exploitations avoisinantes.   2014 Inauguration du camping et des safaris de Knepp Wildland. Été  : 11  tourterelles des bois mâles recensées  ; premières observations de hiboux des marais et de hiboux moyens-ducs. On trouve désormais à Knepp les 5 espèces de hiboux présentes au Royaume-Uni.   2015 Charlie prend la présidence de Rewilding Britain.

Mars : des castors sont oªciellement relâchés dans le fleuve Otter, dans le comté de Devon  : il s’agit de la première réintroduction d’un mammifère jusque-là éteint en Angleterre. Juillet  : Knepp abrite désormais la plus grande population de grands mars changeants reproducteurs du Royaume-Uni. Knepp reçoit le prix “PEA (People. Environment. Achievement) Award for Nature”, ainsi que le prix “Innovative and Novel Project Award”, dans le cadre de l’UK River Prize, pour son projet de restauration de l’Adur.   2015-2016 Dave Goulson (Sussex University) recense 62  espèces d’abeilles et  30  espèces de guêpes à Knepp, y compris 7  espèces d’abeilles  et 4 espèces de guêpes protégées sur le territoire national.   2017 16 tourterelles des bois mâles recensées ; des faucons pèlerins nichent dans un pin sylvestre  ; une pie-grièche écorcheur s’installe plusieurs semaines à Knepp. Knepp obtient le prix “Anders Wall Environment Award” pour sa contribution à la création d’un “milieu rural bénéfique” dans l’Union européenne.   2018 Janvier  : le domaine de Knepp est cité dans le plan pour l’environnement sur vingt-cinq ans du département de l’Environnement, de l’Alimentation et des A¤aires rurales comme exemple remarquable de “restauration à l’échelle des paysages pour la régénération de la nature”.

Les fleurs paraissent sur la terre, le temps de chanter est arrivé, et la voix de la tourterelle se fait entendre dans nos campagnes. Cantique des cantiques, II, verset 12.

Sur le domaine de Knepp, dans le West Sussex, tout est immobile en cette journée de juin. L’été est bel et bien arrivé. C’est un moment que nous attendions, sans oser véritablement l’espérer. Mais le voilà, s’élevant d’un fourré qui était naguère une haie –  ce roucoulement reconnaissable entre tous  : apaisant, engageant, teinté d’une douce mélancolie. Nous dépassons à pas furtifs un fourré de jeunes chênes et d’aulnes, d’où jaillissent des tourbillons de prunelliers, d’aubépines, d’églantiers et de ronces. À notre excitation se mêlent le soulagement et, bien qu’aucun de nous ne veuille tenter le sort en le formulant ainsi, une pointe de triomphe. Nos tourterelles des bois sont de retour. Aux oreilles de Charlie, mon époux, ces tendres babillages évoquent le bush africain et la ferme de ses parents qu’il explorait, enfant. C’est le point de départ des tourterelles  : les muscles minuscules qui leur permettent de voler ont été sollicités sur près de 5  000  kilomètres, depuis les confins de l’Afrique de l’Ouest, du Mali, du Niger et du Sénégal. Elles ont survolé ensuite les fabuleux paysages du désert du Sahara, des montagnes de l’Atlas et du golfe de Cadix, avant de traverser la Méditerranée, de remonter la péninsule Ibérique et la France, et de survoler la Manche. Elles voyagent avant tout à la faveur de l’obscurité, parcourant entre  500  et 700  kilomètres chaque nuit à une vitesse qui peut atteindre 60 kilomètres-heure, gagnant l’Angleterre en mai ou au début du mois de juin. À l’image de leur compagnon de migration d’Afrique, le rossignol philomèle, elles ont la réputation d’être timides.

Comme le coucou gris et le rossignol, qui habituellement les devancent, les tourterelles des bois viennent se reproduire et élever leurs petits loin des prédateurs et des concurrents africains, et tirent parti des longues journées de l’été européen pour se nourrir. Pour la plupart des gens qui, comme nous, sont nés dans les années 1960 et ont été élevés dans la campagne anglaise, le chant des tourterelles des bois est le son de l’été. Leur roucoulement avenant est logé à jamais dans les profondeurs de mon subconscient. Mais je me rends bien compte que les jeunes générations ne connaissent pas cette nostalgie. Dans les années 1960, on estimait à 250 000 le nombre de tourterelles des bois en Grande-Bretagne. Aujourd’hui, on en dénombre moins de  5  000. À cette allure, il pourrait bien rester moins de 50  couples d’ici à 2050, et les tourterelles des bois, en tant qu’espèce nicheuse, seraient alors à deux doigts de l’extinction dans le pays. De nos jours, lorsqu’on entonne The Twelve Days of Christmas, ce chant de Noël qui célèbre entre autres les tourterelles des bois, peu nombreux sont les choristes à avoir déjà entendu cet oiseau, sans même parler de l’avoir vu. L’origine de son nom, issu du charmant turtur latin (qui renvoie non pas à la tortue, malgré la proximité phonique, mais au roucoulement séducteur de ces oiseaux), nous échappe. Le symbolisme des tourterelles, allégories de la tendresse et de la dévotion conjugale lorsqu’elles sont représentées en couple, hérauts des amours disparues chez Chaucer, Shakespeare et Spencer lorsqu’elles vocalisent leurs chants mélancoliques, s’enfonce peu à peu dans le royaume des phénix et des licornes. Tandis que le territoire de l’espèce se resserre dans le coin sud-est de l’Angleterre, le Sussex devient l’un des derniers refuges de la tourterelle des bois. On n’évalue cependant qu’à 200  couples, tout au plus, leur nombre dans notre comté. Il ne fait aucun doute que les obstacles qui se dressent sur leur itinéraire migratoire en sont en partie responsables  :

sécheresses régulières, changement d’a¤ectation des terres, disparition des perchoirs, désertification et essor de la chasse en Afrique –  sans compter qu’il leur faut aussi traverser les pelotons de chasseurs méditerranéens. La seule île de Malte fauche 100 000 tourterelles des bois par saison. Elles sont 800  000  environ à être abattues chaque année en Espagne. Et pourtant, ces diªcultés, quoique considérables, ne suªsent pas à expliquer l’e¤ondrement quasi total de la population en GrandeBretagne. En France, où les chasseurs continuent de tirer sur les oiseaux qui rentrent en Afrique après la période de reproduction, le nombre de tourterelles des bois a diminué de  40  % depuis  1989. La baisse est certes importante, mais ce n’est rien par rapport à ce que nous vivons en Grande-Bretagne où, du moins depuis quelques années, nous avons fait le choix de ne pas les abattre. Dans toute l’Europe, le nombre de tourterelles des bois a décliné d’un tiers ces seize dernières années, et il en reste aujourd’hui moins de 6 millions de couples, ce qui s’est traduit en 2015 par un changement de statut dans la Liste rouge mondiale des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), de “préoccupation mineure” à “vulnérable”, point de départ d’une inquiétante pente savonneuse. Mais si on la compare à la courbe du déclin européen, la trajectoire de la population britannique est pratiquement une descente à  pic. Le sort de la tourterelle en Grande-Bretagne est intimement lié à la transformation quasi complète de nos campagnes, une  transition qui s’est opérée en à peine un demi-siècle. L’évolution de l’a¤ectation des terres et plus particulièrement l’agriculture intensive ont altéré notre paysage au point qu’il serait méconnaissable pour nos  arrière-grandsparents. Ces changements ont pris place à  toutes les échelles dans le paysage  : les champs couvrent aujourd’hui des vallées et des collines entières, tandis que les fleurs et herbes natives ont quasiment disparu

des terres agricoles. Les engrais et les pesticides chimiques ont éradiqué des plantes communes comme la fumeterre et le mouron des champs, dont les graines microscopiques, très énergétiques, sont des aliments de prédilection pour les tourterelles des bois. Dans le même temps, l’élimination à grande échelle des friches et des broussailles, le labour des prairies naturelles ainsi que l’assèchement et la pollution des cours d’eau et des étangs naturels ont anéanti leur habitat. Cette même révolution agricole a eu lieu sur le continent, mais il semble qu’il reste en Europe suªsamment de friches (qui plus est, suªsamment vastes) pour ralentir le déclin des tourterelles des bois. Dans les plaines anglaises, cependant, les minuscules fragments de nature qui demeurent, laissés là par hasard ou à dessein, sont autant d’oasis dans un désert, déconnectées des processus naturels, des interactions et des dynamiques qui animent le monde du vivant. Nous avons perdu davantage de forêts anciennes – des dizaines de milliers – dans les quarante ans qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale qu’au cours des quatre siècles qui l’ont précédée. Entre le début de la guerre et les années  1990, 120  000  kilomètres de haies ont disparu. En Angleterre, jusqu’à 90 % des zones humides ont été éliminées depuis la révolution industrielle. Depuis 1800, 80 % des landes dans les plaines britanniques se sont évaporées, dont un quart dans les cinquante dernières années. Quant aux prairies naturelles, 97  %  ont disparu depuis la guerre. Ce processus inexorable d’unification et de simplification a réduit le paysage à un immense patchwork de ray-grass, de colza et de céréales, dans la trame duquel quelques forêts mal gérées et ce qu’il reste de haies sont le dernier refuge de nombreuses espèces de fleurs des champs, d’insectes et d’oiseaux chanteurs. Sous-financées et mises au dernier rang des priorités, les mesures de protection n’ont pas su tenir tête à l’intensification et au développement de l’agriculture. Paradoxalement, l’Angleterre, qui s’enorgueillit de sa

longue tradition de recensement  de la faune et de la flore sauvages et dont les organisations de protection de la nature ont plus de membres que leurs homologues européennes, est aussi l’un des pays où les réserves naturelles sont les plus rares. Au regard des 2,75  millions d’hectares de la France, les 94 400 hectares que l’Angleterre consacre à la sauvegarde de la nature (soit moins de 1 % de son territoire terrestre) sont peu de chose. Un pays comme l’Estonie protège 258 000 hectares. Nos  minuscules sites d’intérêt scientifique particulier (Sites of Special Scientific Interest ou SSSI), zones spéciales de conservation (ZSC) et zones de protection spéciale (ZPS, désignées par la législation européenne) sont dégradés, laissés à l’abandon, voire complètement oubliés. Souvent, on néglige leur rôle au profit d’autres priorités plus importantes comme les routes et les projets de construction immobilière. Les dix parcs nationaux d’Angleterre comprennent de vastes étendues réservées à l’élevage intensif de moutons ou gérées comme habitat des lagopèdes. À contre-courant du modèle des parcs nationaux états-uniens, sacro-saintes zones sauvages où la nature occupe une place prépondérante, nos parcs sont considérés avant tout comme des paysages “culturels”, réservés aux loisirs humains. Les répercussions de la transformation de nos campagnes ne se sont pas limitées aux tourterelles des bois. En 1966, selon la Royal Society for the Protection of Birds (RSPB), le Royaume-Uni comptait 40  millions d’oiseaux de plus qu’aujourd’hui. Nos ciels se sont vidés. En 1970, nous avions 20  millions de couples de ce qu’on appelle des “oiseaux des champs”  : cailles des blés, vanneaux huppés, perdrix grises, bruants proyers, linottes mélodieuses, bruants jaunes, alouettes des champs, moineaux friquets et tourterelles des bois – pour la plupart des oiseaux chanteurs, qui nourrissent leurs petits d’insectes et nichent dans des bosquets ou des haies. En 1990, nous en avions perdu la moitié. En 2010, les chi¤res avaient de nouveau été divisés par deux. Se représenter

l’ampleur de ces pertes n’est pas chose aisée, mais mettre ces statistiques dans un nouveau cadre, un nouveau contexte, peut être utile. Au cours des quarante dernières années, par exemple, 5  millions de personnes sont venues grossir les rangs de la population britannique. Pour chaque nouveau résident du Royaume-Uni, nous avons perdu 3 couples de ces oiseaux des champs, qui ont aujourd’hui un statut de conservation prioritaire. Mais que signifient ces données pour nous, en tant que nation ? Fautil que nous nous préoccupions de la disparition de ces oiseaux, aussi charmants soient-ils  ? Il va sans dire que Charlie et moi serions terriblement tristes si nous ou nos enfants n’entendions plus jamais le chant d’un rossignol ou d’une tourterelle sur le sol anglais. Mais leur disparition représente quelque chose de bien plus important. Silhouettes familières, visibles dans nos ciels et nos paysages, les oiseaux sont, très concrètement, nos canaris de la mine  : des victimes signalant des pertes bien plus grandes, et bien moins visibles. Avant elles, et dans leurs pas, se trouvent toutes les autres espèces, y compris des formes de vie bien moins séduisantes –  insectes, plantes, champignons, lichens, bactéries – qui subissent le même sort. Comme l’expliquait le biologiste états-unien Edward O. Wilson il y a trente ans à peine, la diversité du vivant est tributaire d’un réseau complexe de ressources naturelles et de relations interspécifiques. En général, plus un écosystème compte d’espèces, plus il est productif et résilient. C’est là le miracle de la vie. Plus la diversité est riche, plus la masse d’êtres vivants que l’écosystème est capable d’entretenir croît. Réduisez la biodiversité, et la biomasse risque de diminuer exponentiellement  ; et c’est alors que les espèces les plus vulnérables disparaissent. Dans son livre The Song of the Dodo, publié en 1996, David Quammen compare un écosystème à un tapis persan. Coupez-le en petits carrés, et vous

obtiendrez non pas des mini-tapis, mais un tas de rebuts inutiles dont les bords s’eªlochent. Le déclin des populations et les extinctions sont les symptômes d’un e¤ondrement de l’écosystème. Le rapport révolutionnaire intitulé State of Nature (L’État de la nature), paru en  2013 et établi par des scientifiques issus de vingt-cinq organisations britanniques de défense de la nature, met au jour l’histoire inquiétante de la faune et de la flore sauvages au Royaume-Uni au cours du dernier demi-siècle. Les populations des espèces les plus en danger en Grande-Bretagne ont diminué de plus de moitié depuis les années 1970  ; aujourd’hui, sur notre territoire, une espèce sur dix est menacée d’extinction. L’abondance du vivant dans son ensemble s’est spectaculairement appauvrie. Avec la disparition de plus de la moitié de leur population depuis 1970, les insectes et d’autres invertébrés sont les premiers concernés. Le nombre de papillons de nuit a diminué de 88 %, celui des carabes de 72 % et celui des papillons de 76 %. Les abeilles et d’autres pollinisateurs traversent une crise. Notre flore, elle aussi, se porte mal. Les plantes à graines considérées comme des mauvaises herbes (dont se nourrissent les tourterelles des bois et d’innombrables autres oiseaux) ont décliné à raison de 1 % par an au cours du XXe siècle, depuis qu’on a commencé à en tenir le compte dans les années  1940. D’après le rapport de 2012 intitulé Our Vanishing Flora (La Disparition de notre flore), une espèce végétale s’éteint tous les deux ans dans seize des comtés britanniques. Et on ne parle là que des espèces qui peuvent être recensées et surveillées. Bon nombre d’autres insectes, plantes aquatiques, lichens, mousses et champignons ne sont même pas répertoriés. En 2016, une nouvelle édition du rapport State of Nature, rédigée par des scientifiques de cinquante organisations de protection de la nature, a fait état de découvertes encourageantes. Certaines espèces comme les chauves-souris, notamment le grand rhinolophe, ont vu leurs e¤ectifs

augmenter récemment, grâce à des mesures de protection d’ordre juridique  ; la création de nouvelles roselières a permis au butor de se refaire une santé, passant de 11 mâles chanteurs en 1997 à 156 en 2015. Certaines espèces disparues à l’échelon local, comme le bourdon souterrain et l’azuré du serpolet, ont été réintroduites avec succès. Les milans royaux ont élargi leur territoire après plusieurs introductions fructueuses, et les loutres sont de retour dans bon nombre de cours d’eau. Mais le rapport rappelle sobrement le contexte historique plus ancien  : “Bien qu’on puisse se réjouir de la recrudescence de ces espèces, résument les auteurs, gardons bien à l’esprit que ces nouveaux chi¤res restent bien en deçà des niveaux antérieurs.” D’importantes pertes continuent d’être déplorées sur tous les fronts. Entre  2002 et  2013, plus de la moitié de nos espèces ont vu leur population s’amoindrir. Nous ne pouvons pas simplement en rejeter la faute sur les échecs des années 1970. Ces dernières années, certaines des espèces “communes” que le public a¤ectionne particulièrement, comme les hérissons, les campagnols terrestres et les loirs gris, se sont raréfiées. Le gouvernement lui-même, dans une évaluation publiée en août  2016, constate que, sur les 200  espèces dites “prioritaires”, 150  continuent de décliner dans tout le pays, et nous risquons à tout instant de perdre de 10 à 15 % de l’ensemble de nos espèces. Il est tentant de supposer que cette détérioration s’observe aussi dans le reste du monde, mais ce n’est pas le cas. En s’appuyant sur l’indice d’intégrité de la biodiversité (biodiversity intactness index, un nouveau système qui mesure l’état de la biodiversité d’un pays donné), l’édition  2016 du rapport State of Nature a révélé que le Royaume-Uni perd bien plus de biodiversité sur le long terme que la moyenne mondiale. Classés 189e  sur 218, nous figurons parmi les pays où la nature s’est le plus appauvrie au monde.

À la lumière de ce contexte de perte à la limite de l’inconcevable, l’apparition de tourterelles des bois à Knepp tient du miracle. Notre domaine, 1 400 hectares de terres auparavant consacrées à l’agriculture et à l’élevage intensifs, à 70  kilomètres à peine du centre de Londres, s’inscrit à contre-courant de la tendance. Les tourterelles sont présentes aujourd’hui parce que nous avons décidé de mettre nos terres au service d’une expérience de réensauvagement innovante, la première en son genre en Grande-Bretagne. Leur arrivée nous a pris, nous et toutes les personnes mobilisées dans ce projet, complètement au dépourvu. Nous nous sommes mis à entendre des tourterelles des bois, qu’on avait jusque-là aperçues uniquement seules ou à deux, à peine un ou deux ans après le début du projet : 3 en 2005, 4 en 2008, 7 en 2013, et en  2014 nous avons estimé à  11 le nombre de mâles chanteurs. Au cours de l’été 2017, nous en avons compté  16. Ici et là, au fil des dernières années, nous en avons rencontré à ciel ouvert, perchées sur des fils téléphoniques ou posées sur une piste poussiéreuse, leur poitrine rosissant dans les lumières du crépuscule. Les zébrures de leur nuque, évocation de l’Afrique, nous rappellent qu’elles survolaient sans doute des éléphants quelques semaines avant d’arriver. Leur colonisation de Knepp est l’un des quelques répits dans un cheminement autrement inexorable vers l’extinction à l’échelle nationale ; peut-être même la seule lueur d’espoir pour les tourterelles sur le sol britannique. Mais les tourterelles des bois ne sont pas les seules à s’être frayé un chemin jusqu’à nous. D’autres espèces aviaires en danger en GrandeBretagne (des migrateurs comme les rossignols philomèles, les coucous gris, les gobemouches gris, les grives litornes et les faucons hobereaux, mais aussi des sédentaires  : alouettes des champs et alouettes lulus, vanneaux huppés, moineaux domestiques, pics épeichettes, bruants jaunes et bécasses des bois) ont été aperçues ici en grand nombre depuis

le début du projet, et certaines ont même entrepris de se reproduire à Knepp. C’est aussi le cas des grands corbeaux, des milans royaux et des éperviers d’Europe, qui trônent au sommet de la chaîne alimentaire. De nouvelles espèces arrivent au gré des saisons. En 2015, nous avons eu l’immense joie d’observer un grand nombre de hiboux moyens-ducs, tandis qu’en 2016, nous avons eu notre premier couple reproducteur de faucons pèlerins. On constate une hausse spectaculaire du nombre d’individus chez les oiseaux communs, et des visiteurs occasionnels comme les balbuzards pêcheurs, les chevaliers culs-blancs et les aigrettes garzettes viennent eux aussi grossir les rangs. Les espèces aviaires ne sont pas les seules concernées. D’autres animaux rares, qui bénéficient oªciellement de plans d’action pour la biodiversité au Royaume-Uni, sont aussi de retour  : murins de Bechstein et barbastelles d’Europe, loirs gris, orvets fragiles, couleuvres à collier, ainsi que des papillons comme le grand mars changeant, la thècle du bouleau et la thècle de l’orme. La cadence à laquelle se succèdent ces arrivées a étonné les observateurs, nous les premiers, surtout eu égard au piètre état de notre domaine avant nos premiers pas hésitants dans ce que nous appelons aujourd’hui “le réensauvagement”, commencé en 2001. La clé du succès de Knepp, comme sont en train de le découvrir les écologues, est l’accent placé sur les “processus écologiques autonomes”. Réensauvager, c’est restaurer en laissant faire, en permettant à la nature de prendre les commandes. À l’inverse, les pratiques conventionnelles de conservation en Grande-Bretagne ont tendance à s’axer sur des cibles, sur une maîtrise de l’environnement, et consistent à faire tout ce qui est humainement possible pour préserver le statu quo, parfois dans le but de conserver l’apparence globale d’un paysage ou, plus souvent, pour faire de la microgestion d’un habitat donné au profit (se dit-on) de plusieurs espèces choisies, voire d’une seule et unique espèce

privilégiée. Dans notre monde pauvre en nature, cette stratégie a joué un rôle considérable. Sans elle, des espèces et des habitats rares auraient tout simplement disparu de la surface de la Terre. Ces réserves naturelles sont nos arches de Noé –  nos banques de semences et répertoires d’espèces naturels. Mais elles sont aussi de plus en plus vulnérables. La biodiversité continue de s’étioler dans ces oasis coûteuses et microgérées, menaçant parfois même les espèces qu’elles ont pour mission de protéger. Des mesures draconiennes doivent être prises, et ce rapidement si nous voulons mettre un terme à ce déclin, et peut-être même inverser la tendance. Knepp présente une autre démarche, un système dynamique et productif qui se maintient lui-même, sans compter qu’il est bien moins coûteux à gérer. Une telle approche peut fonctionner parallèlement à des pratiques classiques. Elle est susceptible d’être mise en place dans une zone qui, sur le papier du moins, n’a pas d’importance sur le plan de la conservation de la nature. Elle peut jouer le rôle de tampon autour de zones protégées, voire de passerelles et de passages entre ces zones, favorisant la migration, l’adaptation et la survie des espèces dans le contexte du changement climatique, de la dégradation de leurs habitats et de la pollution. Permettre aux processus naturels d’avoir lieu, ne pas fixer d’objectifs à atteindre et ne pas laisser une espèce donnée ou des chi¤res dicter le plan est une véritable remise en question des raisonnements habituels. Les scientifiques, qui aiment mettre leurs hypothèses à l’essai, recourir à des modèles informatiques, cocher des cases et définir des cibles, sont les premiers déboussolés. Le réensauvagement – donner à la nature la place et la possibilité de s’exprimer – est dans une large mesure un acte de foi. Il s’agit de renoncer à toutes les préconceptions, et de se contenter de croiser les bras et d’observer ce qu’il se passe. Réensauvager Knepp est une véritable aventure, et les résultats

inattendus qu’elle produit sont en train de faire évoluer ce que nous pensions connaître des comportements et des habitats de certaines de nos espèces natives  ; autrement dit, cette expérience change la science de l’écologie elle-même. Elle nous apprend aussi quelque chose de nousmêmes, et de l’orgueil démesuré qui nous a menés dans l’impasse où nous sommes. Lorsque nous avons entrepris de réensauvager le domaine, il y a dixsept ans, nous ignorions tout de la science de la conservation et des controverses qui agitent ce milieu. Charlie et moi nous étions lancés dans le projet par goût, avec notre passion d’amateurs de flore et de faune sauvages, et parce que rester agriculteurs nous aurait mis sur la paille. Nous ignorions l’influence qu’aurait ce projet et les multiples facettes qu’il prendrait, suscitant l’intérêt des décideurs politiques, d’autres agriculteurs, de propriétaires terriens, d’organismes de protection de la nature et d’ONG de gestion du territoire, britanniques comme étrangères. Nous ignorions que Knepp finirait par devenir un point de convergence des problèmes les plus pressants de notre temps : changement climatique, régénération des sols, qualité des aliments et sécurité alimentaire, pollinisation des cultures, captage du carbone, ressources hydriques et purification de l’eau, atténuation des inondations, bien-être animal et santé humaine. Mais ce qui a lieu ici semble aussi toucher une corde plus sensible, quelque chose de plus viscéral. En 2013, George Monbiot a publié dans son essai Feral, véritable source d’inspiration, un plaidoyer en faveur d’une Grande-Bretagne plus sauvage. La réponse des lecteurs a été extraordinaire. Il s’est fait l’écho, semble-t-il, d’un besoin que beaucoup ressentaient sans avoir mis des mots dessus : l’idée que quelque chose nous fait défaut, une forme de connexion plus épanouissante à la

nature, dans toute sa complexité grandiose et sans entraves ; l’idée que, à l’aune de notre passé superbement sauvage, nous vivons aujourd’hui dans un désert. En 2015, dans le sillage de cette e¤usion publique et de ce désir de changement, l’association Rewilding Britain a vu le jour. Charlie, mon mari, l’a présidée après avoir été membre de son conseil d’administration. L’association ne manque pas d’ambition  : elle s’est fixé l’objectif de favoriser d’ici à 2030 le retour de processus écologiques naturels et d’espèces clés dans 300 000 hectares de terres essentielles (soit l’équivalent de l’ensemble des terrains de golf sur le sol britannique, ou encore la taille d’un grand comté) et trois zones marines, qui jouent un rôle déterminant dans la régénération de nos ressources halieutiques et de la vie marine. Dans un siècle, elle espère avoir étendu l’initiative à au moins un million d’hectares, soit 4,5 % des terres de Grande-Bretagne et 30 % des eaux territoriales. Elle prévoit au moins une grande zone réensauvagée qui ferait le lien entre la terre et la mer, s’étendant du sommet des montagnes aux eaux côtières. Elle ne se donne pas pour mission de réensauvager l’ensemble du pays –  nous aurons, naturellement, toujours besoin de cultiver des terres de qualité pour produire de la nourriture, et de nombreuses parties du territoire resteront réservées aux habitations et aux industries  – mais de permettre à certaines zones des îles Britanniques de retourner à la nature et à certains animaux disparus, comme le lynx ou le castor, la lotte, le hibou grand-duc et le pélican frisé, et, dans les régions les plus reculées, l’élan et le loup, de revenir faire leur vie ici. Notre expérience à Knepp n’est qu’un petit pas sur cette voie vers un pays plus sauvage et plus riche, mais elle montre que le réensauvagement peut porter ses fruits, qu’il est bénéfique à plus d’un égard pour la terre, qu’il est susceptible d’engendrer une activité économique et de créer des emplois, et qu’il peut être profitable pour la

nature autant que pour nous –  et que tout cela peut survenir à une vitesse ahurissante. Et le plus excitant dans tout cela, c’est peut-être que si ce phénomène peut se produire ici, sur notre bout de terre appauvri, dans cette région surdéveloppée et densément peuplée qu’est le Sud-Est de l’Angleterre, alors il peut se produire n’importe où. Il suªt de bien vouloir lui donner une chance.

Un chêne de quatre cents ans [est] à lui seul un écosystème entier de créatures qu’on ne saurait retrouver dans dix mille chênes de deux cents ans. OLIVER RACKHAM, Woodlands, 2006.

Ted Green s’immobilise sous la canopée du vieux chêne. D’une main usée par les éléments, il caresse son écorce ridée. “Tu es un régal pour les yeux”, déclare-t-il. Comme pour lui répondre, le feuillage se met à bruisser au-dessus de nos têtes et une poignée de glands pleut. Tendant à Charlie une extrémité du mètre ruban destiné à mesurer le “diamètre à hauteur de poitrine”, Ted encercle le tronc avant d’annoncer le résultat avec ravissement  : 7  mètres. Cette circonférence indique que l’arbre a environ cinq cent cinquante ans. Il est probablement sorti de terre à l’époque de la guerre des Deux-Roses, soit près de trois siècles avant l’arrivée des Burrell, la famille de mon mari, à Knepp. Il aurait germé alors que le domaine, qui s’appelait à l’époque “Knap”, était un parc à daims de 400 hectares, propriété des ducs de Norfolk, les glands servant d’aliments (ou de “panage”) pour les sangliers et les cervidés. Jeune arbre d’un siècle à peine, il a sans doute accueilli les Caryll, une famille de maîtres de forges catholiques, qui resteraient les propriétaires de Knepp pendant plus de cent soixante-dix ans. Au milieu du XVIIe siècle, il aurait été témoin de la Première révolution anglaise, de l’assaut de Knepp par les troupes parlementaires et des ripostes des forces royalistes. Il a vécu et respiré ce que nous ne connaissons qu’à travers les livres d’histoire. Aussi loin qu’on s’en souvienne, on a toujours désigné cet arbre, qui déploie son feuillage au-dessus de l’allée qui mène au château du XIXe  siècle, comme le Chêne de Knepp. Il devait avoir trois cent

cinquante ans lorsque l’ancêtre de Charlie, Sir Charles Merrik Burrell, troisième baronnet, a chargé un architecte prometteur du nom de John Nash de lui construire une maison de maître à côté de l’arbre. Les Burrell arrivèrent dans le Sussex au XVe siècle. D’abord fermiers et pasteurs de Cuckfield, ils devinrent maîtres de forges à partir du XVIIe siècle. Knepp est une propriété familiale depuis l’union de William Burrell, avocat et historien du Sussex, à une héritière et sa cousine issue de germain, Sophia Raymond, dont le père (Sir Charles Raymond) avait acheté Knepp en 1787, peu après l’extinction de la dynastie des Caryll. Sir Charles donna le domaine, qui s’étendait alors sur 650 hectares, à sa fille, et la baronnie Raymond à son gendre. Ce fut leur fils, Sir Charles Merrik Burrell, troisième baronnet, qui établit véritablement la famille à Knepp. Le nouveau château, dessiné par Nash dans son style néogothique “pittoresque”, serait surmonté de créneaux et de tourelles et doté de portes en chêne clouées, et se dresserait sur un site “surélevé et splendide”, à moins de 100 mètres du grand chêne, surplombant le vieil étang du moulin de plus de 30 hectares, alors le plus vaste plan d’eau au sud de la Tamise. Comme tous les Burrell qui ont depuis vécu ici, notre destin semble scellé, d’une manière ou d’une autre, au sort de cet arbre. Chevaux et calèches, poneys et carrioles, charrues à vapeur, hommes partant au front dans les deux guerres mondiales, la première Bentley, la Land Rover Series I du grand-père de Charlie, la première moissonneusebatteuse  : tous ont défilé sous ses branches. Il a été témoin de processions nuptiales, de cortèges funèbres, d’étranges coups du sort familiaux. Lorsque notre fils est venu au monde, à l’automne 1996 (une année d’abondance pour le chêne), nous avons fait germer l’un de ses glands dans un pot avant de planter la jeune pousse dans la terre en espérant la voir grandir, à un jet de pierre de son parent. Nous nous sommes demandé combien de temps encore survivrait le vieil arbre. Au

début du XXe siècle, il avait commencé à se fendre en deux et, pendant la Seconde Guerre mondiale, les régiments canadiens postés au château avaient resserré les deux moitiés en les ceinturant de chenilles de tank. À la fin des années 1990, ses gigantesques branches étendues semblaient de nouveau menacer de le déchirer. C’est alors que nous avons eu vent d’un homme qui saurait quoi faire. Ted recule de quelques pas pour évaluer la structure en fourche qui nous surplombe. Il fronce les sourcils en observant l’amputation d’une branche inférieure, coupée à la tronçonneuse. Avec l’âge, il arrive qu’un arbre abaisse certaines de ses branches vers le sol pour se stabiliser, explique-t-il, comme un vieil homme utiliserait une canne. Pour notre œil moderne, cette tendance à l’autoconsolidation est une faiblesse, et la canne (la branche tombante) est généralement retirée. “Nous avons une image figée de ce à quoi doit ressembler un arbre, déplore Ted. Comme sur les dessins d’enfant : un tronc droit surmonté d’un pompon. Nous ne voulons rien voir d’autre. Nous nions à l’arbre sa capacité à vieillir, à prendre du caractère, à être lui-même. Ce serait comme me retirer ma carte de transport et me payer un lifting pour que j’aie toujours l’air d’avoir cinquante ans.” D’après un dicton, le chêne, arbre d’une exceptionnelle longévité, grandit pendant trois siècles, se repose les trois siècles suivants et passe les trois derniers à décliner avec grâce. Mais ce milieu de vie “immobile” est trompeur, indique Ted. L’arbre peut avoir atteint sa masse optimale mais il continue d’ajuster sa position, d’équilibrer son poids, en réponse à son environnement et à la croissance de la végétation alentour, mais à un rythme que les êtres humains ne peuvent qu’entrevoir. Trop lourd à son sommet, incapable de trouver l’équilibre, le Chêne de Knepp lutte pour ne pas s’écrouler –  peut-être une allégorie du domaine au XXe siècle.

Ted, lui, reste optimiste. “Il suªrait de rafraîchir sa coupe, progressivement, au fil des prochaines années. Si nous parvenons à réduire sa couronne de 10  %, d’un mètre ou deux seulement, cela suªrait à réduire l’action du vent d’environ 70 %, ce qui lui éviterait de se fendre en deux. Vous voyez, il a déjà commencé à abaisser cette branche, là-bas. Avec le temps, si vous la laissez atteindre le sol, il aura beaucoup plus de soutien.” Il lève la tête pour contempler la couronne, le regard pensif  : “Cette vieille âme pourrait bien vivre encore quatre siècles.” Il y a une dizaine d’années, Ted Green, qui avait alors plus de soixante ans, est devenu le gardien des chênes royaux du Grand Parc de Windsor. Rien ne prédisposait cet éminent spécialiste des arbres du pays, récemment décoré de la prestigieuse médaille d’or de la Royal Forestry Society, à rencontrer un tel succès. Son père, capturé pendant la guerre, fut tué lorsqu’un sous-marin états-unien torpilla un navire japonais non identifié qui transportait des prisonniers de guerre. Cette disparition marqua profondément Ted, enfant unique, qui vivait alors avec sa mère dans le Berkshire, à l’orée des grands parcs de Silwood, Sunninghill et Windsor. Il s’ensauvagea, explorant librement forêts et prairies. Lorsque Ted et sa mère furent expulsés de chez eux, ils trouvèrent refuge dans une cabane d’un camp militaire abandonné, à Silwood. Le lierre et le chèvrefeuille couraient sur les parois intérieures, et sa mère dormait recouverte d’une toile cirée en cas de pluie. Armé de son lance-pierres, Ted se mit à braconner le lapin et le faisan sur les domaines de la Couronne. “J’étais un enfant à problèmes, raconte-t-il d’une voix où perce l’accent du Berkshire. J’étais toujours par monts et par vaux, tout seul  : c’est comme ça que je déchi¤rais le monde. La nature m’a appris des choses : l’observation et la patience. C’est ce qui m’a sauvé.”

Ted est arrivé dans le monde universitaire par la petite porte, grâce à un scientifique qu’il avait rencontré alors qu’il observait des oiseaux. Recruté comme technicien en phytopathologie sur la nouvelle station de l’Imperial College London dans le parc de Silwood, il a fini par y être nommé professeur honoraire, devenant la deuxième personne à bénéficier de ce titre dans l’histoire de l’université. Ses étudiants, immanquablement, l’adoraient. Dans les années 1980, après trentequatre années de recherche et d’enseignement de la botanique et de la biologie, il a quitté l’Imperial College pour devenir consultant en conservation auprès des domaines de la Couronne à Windsor. La boucle de sa vie, semble-t-il, est bouclée. Alors que nous empruntons l’allée qui nous ramène vers la maison, Ted se fige. “Par contre, ces vieux arbres, là-bas, dit-il, c’est pour eux qu’il faut s’inquiéter.” Son regard est posé sur les chênes épars, autrefois pièces maîtresses du parc à daims du XIXe  siècle. Ils font aujourd’hui figure de phares dans une mer houleuse de parcelles agricoles, surplombant une vague chatoyante de ray-grass d’Italie. Déceler la maladie dans un arbre n’est pas une science exacte, explique Ted, c’est un savoir qui relève davantage de l’intuition, comme avoir le sentiment qu’un ami proche ne va pas bien. Un chêne en bonne santé a l’aspect d’un brocoli géant, doté d’une couronne dense et ronde, débordante de vie. Ces arbres, plantés il y a deux siècles, voire un peu plus, sentinelles du parc modelé dans le style de Humphry Repton pour la maison de maître à créneaux dessinée par Nash, s’étirent dans la longueur, se divisent en fourches et perdent leur toison de feuilles. Alors qu’ils n’ont que la moitié de l’âge du Chêne de Knepp, ils semblent chi¤onnés en comparaison, à l’image de vétérans usés par la guerre. “C’est le labour qui leur est fatal, indique Ted, et tout ce qui va avec.”

Comme la plupart de leurs voisins qui sont aussi propriétaires fonciers, les Burrell ont répondu avec une ardeur toute patriotique à l’appel du gouvernement de cultiver des “Jardins de la victoire” pendant la Seconde Guerre mondiale. Isolés, leurs filières d’approvisionnement torpillées par des sous-marins allemands dans l’Atlantique, les cinquante millions de Britanniques risquaient la famine. En sa qualité de président du comité exécutif de l’agriculture de guerre (“War Ag”) du West Sussex, l’arrière-grand-père de Charlie, Sir Merrik Burrell, alors âgé de soixante-deux ans, avait été chargé d’inciter le comté, jusque-là dominé par les prairies permanentes consacrées au pâturage et composé de fermes de subsistance entourées de petits prés, à se lancer dans la production laitière et les grandes cultures intensives. Parfois, admit Sir Merrik à la Royal Agricultural Society (qu’il avait présidée peu de temps auparavant), il avait dû “mettre un peu de pression” sur les fermiers réticents à cultiver leurs pâtures. Il avait donné l’exemple, entreprenant de labourer les zones de son domaine considérées, des décennies durant, comme sacro-saintes ou bien trop coûteuses et problématiques à cultiver. Deux énormes tracteurs, équipés de chaînes, furent envoyés sur des centaines d’hectares de buissons, broyant sur leur passage ajoncs, aubépines, saules cendrés et églantiers, aplatissant les fourmilières. Il fut plus aisé de labourer les anciennes prairies irriguées, qu’on appelle laggs dans la région, et les 140 hectares autour de la maison, sur lesquels s’étendait le parc Repton. Il fallait aussi fournir du bois pour l’e¤ort de guerre, et à cette fin le gouvernement mit en place une politique de la carotte et du bâton : une récompense de 60  livres sterling pour chaque chêne adulte abattu ou déraciné, et un quota que devait remplir chaque propriétaire terrien. Sir Merrik abattit les vieux arbres le long de l’ancienne voie de transhumance de Greenstreet et les grands chênes de Big Cockshalls, et

opéra une coupe claire dans le bosquet de Jockey Copse. Heureusement, il épargna les chênes du parc tout autour du château, bien qu’à son grand désespoir il lui fallût se séparer des planches d’orme qu’il faisait sécher avec soin pour en faire les cercueils des membres de la famille. La guerre transforma du tout au tout le West Sussex, tout comme le reste de la Grande-Bretagne. À Knepp, des vagues de blé se mirent à onduler à perte de vue sur les collines des South Downs, ces terres réservées au pâturage depuis l’âge du bronze, prairies de primevères et d’orchidées qui avaient été considérées comme intouchables même pendant la Première Guerre mondiale, durant laquelle elles avaient fourni le foin nécessaire au transport militaire. Autour des villages voisins de Dial Post, Shipley et West Grinstead, les bois furent décimés et des milliers d’hectares creusés et asséchés. À Knepp et dans les fermes alentour, les paysans trop âgés pour partir au front reçurent l’aide d’une armée de Land Girls, une unité nationale composée de 80  000  femmes volontaires et conscrites, placées sous les ordres de Trudie Denman, féministe d’avant-garde et arrière-grand-mère de Charlie. Les Land Girls labouraient jusqu’à cent heures par semaine, équipant les tracteurs de lampes pour pouvoir travailler de jour comme de nuit. Pendant la guerre, sous leur action, la superficie agricole destinée à produire du fourrage pour le bétail fit plus que doubler, tandis que celle dévolue aux céréales fut multipliée par plus de trois. Les Jardins de la victoire réalisèrent ce qui, aux yeux de bon nombre de personnes, était impossible. Dans les années précédant immédiatement la guerre, la Grande-Bretagne importait près des trois quarts de ses aliments. La hausse de la production céréalière à l’étranger, notamment en Russie et en Amérique, et le transport bon marché permis par les bateaux à vapeur avaient conduit à l’e¤ondrement des prix. Par conséquent, la superficie des terres arables en Grande-Bretagne avait connu un étiolement inédit –  un e¤et de ce

que nous appellerions aujourd’hui la mondialisation. À la fin de la guerre, désormais subventionnée par le gouvernement, elle avait doublé pour atteindre 16 millions d’hectares, battant cette fois-ci des records en tout juste cinq ans. 25  000  kilomètres carrés supplémentaires avaient été labourés, doublant la production de blé britannique. Sir Merrik avait-il espéré que le parc reprendrait un jour sa forme originelle  ? Sans doute y avait-il renoncé avant de mourir, en 1957. Après la guerre, la Grande-Bretagne était au bord de la banqueroute. Comme il n’y avait presque rien à exporter et peu de devises étrangères disponibles pour payer les importations, que la famine sévissait dans la majeure partie du continent européen, qu’il fallait aussi nourrir les populations des protectorats et que la Grande-Bretagne ne pouvait plus compter sur l’aide de ses alliés, les denrées alimentaires dans le pays s’étaient faites plus rares que pendant la guerre. Le rationnement alimentaire continua jusqu’en 1954, soit neuf années complètes après la fin des hostilités. La mentalité de la nation en sortit radicalement transformée. Le souvenir de ces privations, qui se sont étalées jusque dans les années 1950, s’est inscrit dans l’inconscient national. Se nourrir est devenu une question d’honneur tout autant que de sécurité. Plus jamais, déclara le gouvernement, le spectre de la famine ne planerait sur la Grande-Bretagne. Soutenu par des subventions, le pays se maintiendrait à son pic de production. Les jachères en vinrent à être considérées comme du gâchis. Comme le raconte la tante de Charlie, Penelope Greenwood, qui a dépassé les quatre-vingts ans, “nous avons tous été élevés dans l’idée que nous irions au paradis si nous faisions pousser deux brins d’herbe là où il n’en poussait qu’un auparavant”. Le moindre centimètre carré du domaine de Knepp serait désormais consacré à l’agriculture intensive.

Ted fend le ray-grass à grandes enjambées, droit vers l’un des vieux chênes du parc, des mottes d’argile accrochées à ses bottes de marche. Nous le suivons jusqu’au petit cercle de gazon non labouré autour du tronc. “C’est ça, le problème, aªrme-t-il, s’appuyant sur l’arbre, les yeux baissés vers les tou¤es d’herbe à nos pieds. On ne pense jamais à ce qu’il se passe sous la surface. L’arbre que nous voyons n’est que le sommet de l’iceberg.” Les racines d’un chêne s’étendent bien au-delà de l’aplomb de la ramure, nous explique-t-il, à une distance qui peut atteindre deux fois et demie le rayon de la couronne. Récemment, à Windsor, il a trouvé des racines de l’un des chênes vétérans du parc à plus de 40  mètres du tronc. Étant donné que l’oxygène disponible dans le sol se trouve plutôt près de la surface, la majorité des racines d’un arbre se déploient à moins de 30  centimètres de profondeur, et sont donc vulnérables au labour et au compactage. Nos vaches laitières, qui pèsent chacune une demi-tonne et viennent se rassembler dans son ombre par les chaudes journées d’été –  une idylle pastorale, pensions-nous jusqu’alors  –, ne faisaient qu’aggraver la situation. Le labour répété, le passage des lourdes moissonneuses-batteuses, des herses rotatives et des semoirs sous les chênes et dans le pré étaient autant d’o¤ensives contre leurs racines. Ces racines ne sont que le commencement. Le système vital d’un arbre s’étend au-delà encore, dans un univers sombre et invisible que les microbiologistes et les mycologues commencent à peine à saisir : celui des champignons mycorhiziens, de fins filaments qui s’attachent aux racines pour créer un vaste réseau souterrain, profond et complexe. Les mycorhizes, du grec mykès et rhiza (littéralement “champignonracine”), résultent d’une relation symbiotique avec les plantes. Ces champignons filamenteux partent des racines des végétaux pour apporter à leur hôte de l’eau et des nutriments essentiels. Les plantes, en

retour, leur fournissent les glucides dont ils ont besoin pour croître. D’un diamètre égal à un centième de millimètre (dix fois plus petits que la racine la plus fine), ces filaments fongiques ou “hyphes” sont invisibles à l’œil nu. Un seul d’entre eux peut faire des centaines, voire des milliers de fois la longueur d’une racine d’arbre. Il arrive que les partenariats mycorhiziens soient extrêmement spécifiques, nous précise Ted, et qu’ils ne s’établissent qu’avec une plante ou une espèce donnée. Ils peuvent aussi être généralistes et variés, créant de vastes structures communautaires qu’on appelle “réseaux mycéliens communs”. Ces réseaux sont capables de s’étendre à l’infini –  on pense qu’ils peuvent parcourir l’intégralité d’un continent. Les mycorhizes, qui figurent parmi les facteurs les plus importants de la vie sur Terre, sont apparues il y a cinq cents millions d’années, lorsque des plantes primitives sont sorties des océans pour aller explorer les surfaces émergées. Afin de coloniser les terres, les plantes ont dû trouver une stratégie pour obtenir des minéraux nutritifs, notamment les plus rares comme le phosphate, un nutriment essentiel qu’on trouve facilement dans l’eau mais qui n’est présent dans les sols qu’à de très faibles concentrations. La capacité d’une plante à étendre ses racines pour explorer son environnement en quête de nutriments est limitée  ; les mycorhizes lui permettent d’accroître cette aptitude de façon exponentielle. Dans chaque écosystème de chaque continent, 90 à 95 % des végétaux terrestres bénéficient de relations mycorhiziennes. Une jacinthe des bois, par exemple, peut être colonisée à elle seule par onze espèces de champignons mycorhiziens, parfois même plus, la plupart d’entre eux n’ayant encore jamais été étudiés par les scientifiques. Sans eux, la jacinthe, avec ses racines courtes et trapues, qui poussent généralement dans des sols où la concentration de phosphate est d’une part pour dix millions, mourrait. Il en va de même pour les arbres. D’après une étude menée en Amérique du Nord, un seul arbre peut

bénéficier de l’action de plus d’une centaine d’espèces de champignons mycorhiziens. À l’aide d’un arsenal de substances biochimiques propres aux champignons, les mycorhizes peuvent même miner la roche, en extraire des minéraux et les insérer dans le cycle alimentaire des végétaux. Les mycorhizes ont une autre fonction essentielle  : elles agissent comme un système d’alerte précoce. Les signaux chimiques transmis par les mycorhizes lorsqu’une plante est attaquée stimulent une réaction de défense chez les autres végétaux alentour, les incitant à produire davantage d’enzymes protectrices. En jouant le rôle de réseau de communication (y compris entre plantes de di¤érentes espèces), les mycorhizes alertent les plantes et les arbres de la présence de pathogènes, et de la prédation de certains insectes ou herbivores. Elles sont même capables de stimuler chez un arbre la production, dans ses tissus, de substances chimiques susceptibles d’attirer les prédateurs du nuisible qui l’attaque. Elles peuvent aussi indiquer aux arbres lesquels de leurs congénères sou¤rants ou de leurs rejetons vulnérables ont besoin de soins intensifs, et ainsi leur envoyer une bonne dose d’éléments nutritifs, à l’instar d’une injection par intraveineuse. Comme l’a découvert la spécialiste en écologie forestière canadienne Suzanne Simard à la fin des années  1990, et comme le décrit Peter Wohlleben dans son ouvrage remarquable La Vie secrète des arbres (2017), ce système souterrain de signaux moléculaires révèle un monde dans lequel les arbres sont des créatures sensibles et sociales, qui nous ressemblent bien plus que nous ne l’imaginions. Ces délicates mycorhizes sont, inévitablement, détruites par les socs de la charrue. Elles sont aussi extrêmement vulnérables aux produits chimiques agricoles, engrais comme pesticides. À de faibles concentrations, le phosphate est un nutriment que les mycorhizes font circuler pour favoriser la vie, mais lorsqu’on en asperge les sols en

grandes quantités sous la forme d’engrais artificiel, il devient un polluant, qui submerge les systèmes biologiques naturels et entrave la germination et la viabilité des spores des champignons mycorhiziens. Nitrates, insecticides, herbicides et, bien entendu, fongicides réduisent la colonisation mycorhizienne des racines et inhibent l’élongation des hyphes, les filaments fongiques. Même les bouses du bétail, généralement chargées d’agents vermifuges (avermectines) et, souvent, d’antibiotiques, peuvent s’infiltrer dans le sol et détruire les mycorhizes. “Ce qu’on observe chez ces arbres est probablement un e¤et de ce qui se passe dans le sol, poursuit Ted. Ils ont été coupés de leurs alliés. Ils sont maintenant isolés.” Au début du XXe  siècle, un chimiste prussien, Fritz Haber, pionnier des engrais chimiques modernes, inventa une technique visant à extraire l’azote de l’air pour le transformer en nitrates absorbables par les végétaux, de façon à stimuler leur croissance. Ce procédé ne peut se faire que sous une chaleur et une pression intenses, et c’est pourquoi la production de nitrates de synthèse requiert d’énormes ressources de carburant –  dans notre monde actuel, il s’agit généralement de gaz. Il peut aussi servir à produire les matériaux bruts nécessaires à la fabrication d’explosifs, et c’est ainsi qu’avant de devenir monnaie courante dans l’agriculture, il révolutionna la fabrication de munitions pendant la Seconde Guerre mondiale. Après la guerre, les industriels entreprirent naturellement et sans diªculté de fabriquer des engrais agricoles au lieu de munitions. Les tanks devinrent des tracteurs, les gaz empoisonnés des pesticides et des herbicides. Aux États-Unis où, loin des conflits qui avaient eu lieu sur le sol européen, dix immenses usines à obus sortirent indemnes de la guerre, la production de nitrates explosa  : le pays se fit le champion

incontesté de l’engrais de synthèse, et il avait donc tout intérêt à favoriser l’essor de la production agricole en Grande-Bretagne et dans le reste de l’Europe. En Grande-Bretagne, pour certains, l’agriculture intensive n’était pourtant pas la voie à suivre. Un groupe de scientifiques de renom, mené par Sir George Stapledon, directeur de la station de recherche sur les prairies située à Drayton, dans la commune de Stratford-upon-Avon, avait recommandé le retour à une production alimentaire fondée sur les herbages, ressources les plus abondantes et les plus fiables du pays. La ruée vers les grandes cultures dans les premières années du conflit avait gravement nui à la fertilité des sols et, vers la fin de la guerre, les comités exécutifs War Ags avaient exhorté les fermiers à pratiquer une rotation des cultures, c’est-à-dire à alterner leur production avec des végétaux qui fixent l’azote dans le sol, comme le trèfle, le sainfoin et la luzerne, et avec des pâtures à court terme pour le bétail, qui favorisent la régénération du sol. Selon Stapledon, ce système de rotation ne préservait pas simplement la fertilité des sols : il permettait aux fermiers de rester autonomes en évitant le recours aux engrais chimiques et aux importations de produits d’alimentation animale. Comme ce système fonctionnait avec peu de frais fixes, ils n’avaient pas besoin d’emprunter de l’argent et d’accumuler des dettes. Dans les périodes de récession agricole, l’agriculture mixte renforçait la résilience et la stabilité des exploitations. C’était là, selon lui, le parfait outil permettant d’assurer la sécurité alimentaire. D’autres agriculteurs réputés, comme George Henderson, auteur du livre à succès The Farming Ladder (1943), militèrent aussi en faveur d’un retour au système traditionnel de culture mixte. Son exploitation dans les Cotswolds avait brillamment résisté à la dépression agricole des années 1930 et jouissait au début de la guerre des meilleurs rendements par hectare du pays. Le département de l’Agriculture en avait fait une

ferme modèle, a¤rétant des autocars jusqu’aux Cotswolds pour inspirer d’autres agriculteurs. Henderson était fermement convaincu qu’il fallait préserver la fertilité naturelle des sols. “Si toute la Grande-Bretagne pratiquait ainsi l’agriculture, avait-il écrit, notre pays pourrait aisément nourrir cent millions de personnes.” Henderson s’opposait résolument au maintien des subventions agricoles après la guerre. Elles seraient désastreuses pour l’économie sur le long terme, avait-il alerté, car elles priveraient les fermiers de leur motivation, de leur instinct et de leur autonomie, et créeraient une culture de la dépendance, au sein de laquelle les bureaucrates auraient la main sur ce que feraient les fermiers de leurs propres terres. Cependant, le syndicat des agriculteurs, la National Farmers’ Union, n’était pas de cet avis et se battit pour conserver les subventions. En 1947, le gouvernement de Clement Attlee promulgua l’Agriculture Act, une loi établie par John Raeburn, l’économiste spécialisé en agriculture à l’origine des Jardins de la victoire, qui garantissait à perpétuité des prix fixes pour les produits agricoles. Lorsque les grands-parents de Charlie prirent le domaine de Knepp en main, les subventions commençaient déjà à peser sur les choix faits par les agriculteurs. À la fin des années 1960, la tendance était aux grandes exploitations spécialisées, la plupart consacrées uniquement aux grandes cultures, supprimant tout bonnement l’herbage de la rotation. Une fois éliminés les avantages apportés par l’herbage, le trèfle et les déjections animales en matière de fertilité, il fallut introduire les engrais de synthèse et les pulvérisations chimiques pour obtenir une production correcte, et ce furent les généreuses subventions publiques qui donnèrent aux agriculteurs les moyens de couvrir ces frais supplémentaires. L’idée de pouvoir fertiliser artificiellement le sol semblait alors tenir du miracle, et avec les améliorations techniques, les machines toujours plus grosses et plus eªcaces et la mise au point de

nouvelles variétés de cultures, l’ère de l’agriculture industrialisée –  à laquelle on a donné le nom trompeur de “révolution verte” – tournait à plein régime. Dans cette nouvelle configuration, les arbres n’avaient pas leur place. Un arbre solitaire au milieu d’un champ posait désormais problème, puisqu’il gênait la trajectoire des machines agricoles et occupait quelques précieux mètres de terre arable. De nombreux agriculteurs, et ce fut aussi le cas à Knepp, coupèrent les branches inférieures pour labourer jusqu’au tronc, quand ils ne les déracinaient pas, tout simplement. On commença à voir les arbres, en particulier les plus vieux, comme une source potentielle de maladies et de nuisibles, et donc comme une menace pour les cultures. Afin de rendre le travail le plus eªcace possible et de faire de la place pour des machines plus imposantes, au rayon de braquage plus important, les champs furent agrandis. Entre  1946 et  1963, on supprima les haies à raison de 5 000 kilomètres par an. En 1972, d’après un rapport de la Countryside Commission, le taux d’élimination avait augmenté jusqu’à atteindre 16  000  kilomètres annuels. Ces haies comptaient aussi des milliers d’arbres, la plupart des chênes, qui, au fil des siècles, avaient grandi audessus des arbustes et avaient servi de fourrage, de bois de chau¤age ou de construction et d’abri. Aux yeux de Ted, la disparition de ces chênes anciens de plein champ en Grande-Bretagne est une catastrophe passée inaperçue. Autrefois, les druides du pays pratiquaient leur culte dans des chênaies, et nos premiers rois se paraient de couronnes en feuilles de chêne. Pour Ted, nul arbre n’est plus intimement lié à notre culture. Les noces se célébraient sous son feuillage, car le chêne est symbole de force et de longévité  ; les mariés mettaient dans leurs poches des glands pour se porter chance et, à Noël, couvraient de gui et de houx les bûches de chêne. Les grands moments de l’histoire britannique gravitent autour de

ces arbres, omniprésents dans le paysage. Le roi Jean sans Terre tint des pourparlers sous des arbres emblématiques, comme le chêne qu’on nomme King John Oak à Woodend Park, dans le comté de Devon, ou le Parliament Oak dans la forêt de Sherwood, dans le Nottinghamshire, qui sont toujours là, près d’un millénaire après les faits. En 1558, la reine Élisabeth Ire apprit qu’elle s’apprêtait à monter sur le trône alors qu’elle se trouvait sous un grand chêne dans le parc de la maison de campagne familiale, Hatfield House. “Son” arbre devint un lieu de pèlerinage ; le tronc creux, étayé et entouré d’une barrière, figurait sur des cartes postales édouardiennes. Lorsque le vieil arbre a fini par mourir, la reine Élisabeth (l’actuelle) a planté un jeune arbre pour le remplacer. En 1651, après avoir perdu la bataille de Worcester, le roi Charles II échappa aux Têtes-Rondes1 qui le poursuivaient en se cachant dans un chêne de Boscobel House avant de s’exiler –  un exploit immortalisé dans bon nombre des pubs du pays : rares sont les Britanniques qui n’ont jamais descendu une pinte dans un pub appelé Royal Oak (“chêne royal”). Pour commémorer le retour du roi à Londres après son exil (le 29 mai 1660), le 29 mai devint un jour férié qui aujourd’hui encore donne lieu à des célébrations dans certaines régions du pays, sous le nom d’Oak Apple Day. Pour le petit peuple, le chêne était une source à la fois d’aliments et de moyens de subsistance : les glands servaient à nourrir les cochons et à confectionner du pain, l’écorce à tanner le cuir, les rameaux coupés à produire du fourrage pour les bêtes en hiver et à alimenter les feux dans les maisons, la sciure à fumer la viande et le poisson, les galles à fabriquer de l’encre, et le bois à produire du charbon et ainsi à fondre du fer, notamment ici, dans le Weald, où les fonderies abondaient jusqu’à la fin du XVIe  siècle. Le chêne pédonculé, l’essence qu’on trouve en Angleterre, est l’un des bois les plus durs et les plus durables du monde.

De ce fait, il était prisé par-dessus tout comme bois d’œuvre : planchers, poutres de soutènement dans les maisons et les granges, et, plus important encore pour une nation insulaire, construction navale. “Vous voyez cette branche, là-bas, dit Ted, mimant avec son bras une branche qui forme un coude vers le ciel. Si on la divisait en deux, on pourrait en faire les deux membrures jumelles d’une coque de bateau. Et le plus beau dans tout ça, c’est qu’on n’avait pas besoin d’abattre l’arbre tout entier : il suªsait de prélever les branches adaptées à l’usage qu’on voulait en faire.” Le nom latin du chêne, Quercus robur, renvoie à sa robustesse et, jusqu’au milieu du XIXe siècle, les constructeurs navals utilisaient presque uniquement du chêne, les “murs en bois de la vieille Angleterre” transportant des marins de par le monde, au service de l’expansion de l’Empire britannique. Le chêne a été maintes fois honoré : huit navires de guerre de Sa Majesté ont été baptisés Royal Oak au fil des siècles, la marche de la Royal Navy (la marine royale) s’intitule Hearts of Oak, et l’arbre figure même dans une phrase du chant patriotique Rule, Britannia. Mais au-delà de ses liens avec l’Histoire, c’est avant tout au nom de la biodiversité d’aujourd’hui que Ted déplore la disparition des chênes. “On ne voit jamais de telles couronnes en forêt”, déclare-t-il en observant non loin de là cinq ou six arbres bien espacés,  qui nous séparent du lac. “Les chênes ont besoin de lumière et de place.” Déployant ses branches à l’horizontale, dans toutes les directions, pour profiter au mieux du soleil, un chêne anglais qui a poussé dans un espace ouvert couvrira six fois plus de surface avec son feuillage qu’un arbre des bois. “La couronne tout entière peut servir de cachette et de refuge pour les animaux sauvages”, ajoute-t-il. Un chêne abrite davantage de formes de vie que tout autre arbre natif, parmi lesquelles plus de 300  espèces et sous-espèces de lichens  et un  nombre spectaculaire d’invertébrés, tout en fournissant des aliments pour les

oiseaux comme les grimpereaux, les sittelles torchepots, les gobemouches noirs, les pics épeiches et épeichettes, et di¤érentes espèces de mésanges qui nichent dans les trous et les crevasses de l’arbre, ou dans les branches étendues. Des chauves-souris viennent se reposer dans d’anciens nids de pics, sous son écorce branlante et dans les plus petites craquelures. Ses glands – il en produira des millions au cours de sa vie – nourrissent les blaireaux et les daims à l’approche de l’hiver, mais aussi les geais des chênes, les freux, les pigeons ramiers, les faisans, les canards, les écureuils et les souris, qui à leur tour serviront de repas aux oiseaux de proie  : hiboux et chouettes, faucons crécerelles, buses variables et éperviers, qui nichent aussi parfois dans l’arbre. Ses feuilles souples (un chêne adulte en produit 700 000 chaque année) se décomposent rapidement à l’automne pour former au sol un riche terreau de feuilles, où vit un nombre incalculable de champignons, dont de nombreux lactaires colorés, bolets, russules sanguines et tru¤es. Mais c’est en prenant de l’âge, lorsqu’il commence à se rétracter et à se creuser, que le chêne prend toute sa mesure d’écosystème. Tandis que le duramen pourrit, la lente émanation de nutriments donne au tronc une nouvelle jeunesse. Les déjections des chauves-souris et des oiseaux nichant dans le tronc creux fournissent de l’engrais supplémentaire. Le guano de chauve-souris contient en e¤et autant de phosphate et d’azote que celui des oiseaux marins. Les branches tombées apportent aux racines un surplus de nutriments. Garants de ce processus de recyclage, d’autres champignons interviennent alors, cette fois-ci des espèces visibles, qui croissent audessus du sol, par exemple le polypore soufré (chicken of the woods en anglais, littéralement “poulet des bois”) et la fistuline hépatique (qu’on surnomme “foie de bœuf” ou “langue de bœuf”), tous deux comestibles. Les champignons, généralement considérés (à tort) comme des signes

avant-coureurs de la fin prochaine des arbres, sont plus souvent des décomposeurs de bois mort que des parasites, explique Ted. Plutôt que de causer la mort d’un arbre, ils le délestent de son fardeau inutile de tissus morts, en les désagrégeant et en créant ainsi un nouveau réservoir de nutriments dans lequel les racines peuvent puiser. Ce faisant, ils transforment l’arbre en un cylindre creux, modelant une structure plus solide et plus légère qui peut supporter les vents violents des ouragans, comme en témoignent les chênes anciens creux du Grand Parc de Windsor, qui ont réchappé à la tempête de 1987, par opposition à des arbres solides mais plus jeunes qui ont été mis à terre. C’est la force et la résilience du chêne creux qui inspirèrent au XVIIIe siècle l’ingénieur civil John Smeaton, architecte du phare moderne. “Ça alors !” s’exclame Ted, qui peine à modérer son enthousiasme. Il nous mène vers un chêne situé en bordure du lac et indique une excroissance ligneuse, de la forme d’un pied de chameau, qui sort du tronc. Noir sur le dessus, orange brique en dessous, Phellinus robustus est l’une des espèces de polypores les plus rares d’Europe et vit sur des chênes vétérans. “Pour autant qu’on sache, ce champignon est présent sur moins de vingt arbres dans tout le Royaume-Uni. Sa rareté s’explique par le fait qu’il ne reste plus assez d’arbres hôtes qu’il pourrait coloniser.” Ted, tel un limier lancé sur une piste, se met à chercher à la base des vieux arbres et dans leurs branchages quelque trésor biologique. Après Phellinus robustus, il trouve dans l’herbe, au pied d’un arbre, Podoscypha multizonata, un champignon en forme de cervelle qui apprécie particulièrement les racines des vieux chênes  ; en hauteur, sur une branche, il repère Ganoderma resinaceum, un polypore qui ressemble à un gros pancake  ; puis Buglossoporus quercinus, un autre polypore, tiramisu fongique –  tous des champignons rares, pas uniquement en Grande-Bretagne mais dans l’Europe tout entière.

“Comme ces champignons ne s’associent qu’à des arbres vétérans, ce sont des indicateurs importants de continuité biologique, nous informe Ted. Ils nous racontent que ces vieux chênes sont présents dans le paysage depuis des siècles, voire des millénaires. Les spores se sont certainement transmises de génération en génération de chênes anciens. Une fois qu’un de ces arbres meurt, s’il n’y a pas d’autres chênes vétérans aux alentours, le champignon meurt avec lui.” Grâce à Ted, nos arbres prennent une dimension nouvelle, au-delà de leur âge. Nous avons sous les yeux les descendants de champignons qui pourraient être apparus sur des chênes du parc à daims normand de 400 hectares, tel qu’il existait à l’époque du premier château de Knepp –   le pavillon de chasse du XIIe  siècle, qui n’est aujourd’hui guère plus qu’une tour en ruine. Assis sur une motte herbeuse qui surplombe l’Adur, l’ancien château de Knepp, vieux de neuf cents ans, fait face à son successeur construit sur les plans de Nash, un kilomètre plus loin, de l’autre côté du lac. Le pavillon de chasse fortifié appelé “Cnappe” appartenait à l’origine à Jean sans Terre, qui y séjourna plusieurs fois pour chasser le daim et le sanglier dans un parc dominé par ses grands chênes chargés de glands. Pendant la première guerre des Barons2, Jean sans Terre utilisa un “cœur de chêne de Cnapp” pour construire les be¤rois qui protégeraient le château de Douvres des attaques du prince Louis de France. Son fils, Henri III, visita Knepp après qu’il fut rendu à ses propriétaires originaux, la famille de Briouze, et fit don à l’archevêque de Canterbury de quinze daines capturées dans le parc. Édouard  II y séjourna au début du XIVe  siècle, et le roi Richard  II soixante ans plus tard. Au cours du XVIe siècle, le parc à daims tomba en ruine et le château finit par être détruit par les troupes parlementaires, soucieuses d’empêcher les régiments de cavalerie royalistes d’en faire un siège militaire pendant la Première révolution anglaise. En 1729, le château fut démantelé pour construire la route reliant Horsham à

Steyning, qui est aujourd’hui l’A24, une large deux fois deux voies rugissante. Mais la tour, sentinelle solitaire sur sa butte, au cœur du domaine, qui semble touchée par les rayons du soleil même dans les journées les plus ternes, est un mémento du domaine de chasse royal –  un décor quasi mythique, qui a vu surgir des générations de chênes à Knepp et qui a servi de pépinière pour le remodelage du parc selon le style de Repton au XIXe siècle. “Nous voici en compagnie de ces arbres fabuleux, flambeaux de continuité, qui survivent contre toute attente, et c’est à peine si nous enregistrons leur présence. Chacun de ces chênes aurait droit à sa plaque si nous étions en Allemagne ou aux Pays-Bas”, ajoute Ted. C’est peut-être parce que la Grande-Bretagne, aussi dépourvue de chênes anciens qu’elle soit, en a encore bien davantage que la plupart des pays d’Europe. Au fil des siècles, au gré des guerres qui ont fait rage sur le continent, les armées des envahisseurs et les paysans déplacés pillèrent les arbres pour se loger et se chau¤er. Les vieux chênes creux étaient les plus faciles à abattre, et les plus faciles à brûler. La noblesse, adepte des combats d’animaux et de la chasse, accorda un temps sa protection aux chênes, sources des glands qui permettraient à leurs cerfs et à leurs sangliers de passer l’hiver. Mais les dispositions du Code napoléonien relatives à l’héritage sonnèrent le glas des domaines aristocratiques en France et dans bien d’autres pays européens. À l’orée du XIXe  siècle, la plupart des parcs à daims traditionnels du continent avaient été disloqués, privant les vieux chênes de leurs dernières défenses. En Angleterre, les chênes anciens doivent leur survie à des siècles de paix, de primogéniture et de continuation des parcs à daims médiévaux dont la noblesse était friande, toiles de fond de leurs demeures seigneuriales. Selon une étude récente menée par le Woodland Trust, il existe en Angleterre 118 chênes dont la circonférence dépasse 9 mètres,

ce qui indique qu’ils ont au moins neuf cents ans (la plupart situés dans les espaces verts de domaines aristocratiques), contre 97  arbres de cet âge dans tout le reste de l’Europe occidentale. Certains des chênes de Windsor, nous dit Ted, pourraient bien avoir été déjà présents au Xe siècle, au moment de l’avènement du royaume d’Angleterre. À partir de cette journée de l’année 1999, jour de la visite de Ted, la vue de ces chênes, jour après jour, se mit à provoquer en Charlie et moi un malaise grandissant. Ils n’étaient plus nos fidèles compagnons, des arbres qui nous survivraient et qui survivraient à nos arrière-petitsenfants, mais des réfugiés assiégés, étendant leurs branches squelettiques comme autant de signaux de détresse. Les implications de ce que nous avait expliqué Ted étaient à la fois profondes et choquantes. Ces chênes, qui auraient dû être dans la fleur de l’âge, étaient sou¤rants, à l’agonie peut-être, et nous en étions responsables. L’agriculture intensive avait fait des ravages, pas uniquement sur les arbres mais dans le sol où plongeaient leurs racines. La terre de ce parc, qui, cinquante ans plus tôt, servait uniquement de pâturage et devait bruisser de conversations végétales au gré des messages que les mycorhizes faisaient circuler d’un arbre à l’autre comme sur un circuit imprimé, était désormais, selon toute probabilité, aussi muette qu’une tombe.

Tant que nous ne comprenons pas ce qu’est la terre, nous sommes en décalage avec tout ce que nous touchons. WENDELL BERRY, The Art of the Commonplace. Agrarian Essays, 2002.

La nature et moi, ça fait trois. WOODY ALLEN, Clown Prince of American Humor, 1976.

À bien y penser, la visite de Ted au domaine de Knepp en 1999 a été une véritable prise de conscience. Elle a marqué le début d’une nouvelle façon de voir les choses  ; une étincelle qui a servi de déclenchement, entraînant une réaction en chaîne radicale qui se poursuit aujourd’hui. La décision que nous avons prise de protéger les chênes du parc allait être le point de départ d’un vaste bouleversement qui surviendrait en l’espace de quelques années. Et comme avec tous les moments charnières, il fallait qu’il arrive au bon moment. Si Ted était venu dix ans plus tôt, ses avertissements seraient tombés dans l’oreille de deux sourds. Nous aurions écouté ce passionné d’arbres, spécialiste de son domaine, avec intérêt, peut-être même avec regret, et aurions poursuivi notre route sans y réfléchir à deux fois. Nous aurions été trop absorbés par les diªcultés perpétuelles que posait l’amélioration de notre exploitation afin d’en faire une a¤aire rentable (nous étions alors criblés de dettes) pour nous préoccuper de la “nature”. En 1999, cependant, nous avions atteint un point de bascule. Au tournant du XXIe siècle, nous étions sur le point de rendre nos tabliers : notre exploitation agricole et notre activité laitière étaient en crise. Confrontés à l’inconfortable vérité,

à savoir que tous les e¤orts déployés dans les quinze années précédentes n’avaient servi à rien, nous cherchions désespérément à nous sortir du régime d’agriculture intensive suivi jusqu’alors. Depuis plus d’un demi-siècle, Knepp était lancé sur la voie de l’intensification, à l’image d’autres exploitations un peu partout dans le pays. Charlie avait hérité du domaine à la mort de sa grand-mère en 1987, dont la disparition était imputée (par celles et ceux qui la connurent intimement) à deux coups durs : la tempête qui avait abattu les arbres sur plusieurs hectares à Knepp, et le Lundi noir, krach boursier qui avait achevé de la mettre à terre. Alors âgé d’une vingtaine d’années, tout droit sorti de l’Agricultural College de Cirencester et héritier de ce qu’on avait appelé “la révolution verte”, Charlie était convaincu qu’il pourrait rentabiliser une exploitation qui, malgré de lourdes subventions, était déjà un puits sans fond. Il avait attribué cet échec à l’énergie chancelante de ses grands-parents et à leur réticence à se moderniser. Travailler en partenariat avec eux pendant deux ans a été, pour ce fringant jeune homme, source de frustration. Au cours de leurs réunions hebdomadaires, au siège du domaine, les questions qu’il posait à propos du rendement et des marges bénéficiaires avaient été balayées comme des a¤aires de mauvais aloi. Les comptes de l’exploitation n’avaient de comptes que le nom, les recettes étant présentées chaque mois sans aucune des charges associées, ni les salaires de l’intendant et des employés du domaine, ni le coût des machines, ni les logements de fonction, ni la maintenance des bâtiments, ni les factures vétérinaires, sans parler de tout le reste. Ils insistaient pour parler plutôt des foires agricoles, des lignées de bétail et des dispositions à prendre en vue de la chasse au renard. Dès que Charlie a pris la main, peu après notre rencontre, il a entrepris de faire ce que chaque agriculteur moderne est censé faire  : rationaliser, intensifier, diversifier et, si possible, répartir les coûts fixes

sur une surface plus vaste. La Grande-Bretagne, qui avait rejoint le marché commun en 1974, était désormais liée au dispositif de subventions européen, tout à fait conforme à la politique britannique d’après-guerre. Après le conflit, la France, prête à tout pour protéger son “or vert” (ainsi que de Gaulle désignait les exploitations agricoles du pays), avait persuadé les autres pays d’Europe occidentale de souscrire eux aussi à un système d’intervention gouvernementale fondé sur la production industrialisée, les garanties de prix et le protectionnisme. L’eªcacité technique toujours plus importante mena à de nouvelles augmentations de la production, au-delà même de ce qui avait été envisagé, et à la fin des années  1970 l’o¤re agricole européenne surpassait la demande, au point que des montagnes de céréales et de beurre et des lacs de lait et de vin s’accumulaient dans de gigantesques silos céréaliers et des entrepôts réfrigérés d’un bout à l’autre du vieux continent. Au début des années 1980, l’excédent de beurre du marché commun européen avait atteint à lui seul un million de tonnes. En raison de la surabondance de céréales, la grande question que se posait la nouvelle vague de producteurs céréaliers européens était de trouver un moyen d’empêcher la chute des prix. Depuis des dizaines d’années, on utilisait les céréales pour engraisser les bovins à viande ; désormais, on encourageait les éleveurs à les nourrir de céréales les douze mois de l’année. Cette incitation ne concernait pas seulement les bovins à viande mais également les brebis et les vaches à lait, elles aussi entraînées dans les rouages de l’élevage industriel. L’expression “zéro pâturage” fit alors son entrée dans le vocabulaire courant. Les petits agriculteurs, notamment ceux qui cultivaient des terres marginales comme celles qu’on trouve à Knepp, avaient de plus en plus de mal à concurrencer les nouvelles fermes, vastes exploitations industrialisées. En 1989, il ne restait plus que 392  exploitations disposant d’un troupeau de vaches laitières dans le Sussex, contre 1 900

au milieu des années 1960, et le nombre de vaches avait été divisé par deux. Seuls les petits éleveurs qui avaient la présence d’esprit d’améliorer leurs lignées, de moderniser leurs salles de traite et d’aller de l’avant pouvaient espérer survivre. Alors que le Sussex comptait un peu plus de 7 250 exploitations en 1965, il en restait moins de 4 500 à la fin des années  1980. Bien plus étendues, elles étaient avant tout tournées vers l’agriculture. Au moment où nous avons pris les rênes de Knepp, les cinq fermiers du domaine étaient prêts à jeter l’éponge. Récupérer leurs parcelles, fusionner les laiteries et investir dans des machines et des bâtiments plus grands et plus eªcaces nous permettrait, espérions-nous, d’accroître suªsamment la production pour rendre l’exploitation mère rentable. La vente du troupeau de vaches Red Poll de sa grand-mère, une race ancienne, qui illustrait alors selon lui l’amateurisme de ses grandsparents, a été pour Charlie une étape déterminante. Suivant la tendance nationale, il a acheté des holsteins (ou frisonnes), des vaches modernes sélectionnées pour la production laitière et capables de produire 8 500 litres de lait par an (contre 6 500 pour une vache Red Poll), et a entrepris de moderniser toute l’infrastructure. Il a adapté les trois laiteries restantes pour qu’elles puissent accueillir des animaux de plus grande taille et traiter des volumes de lait plus importants, agrandi les fosses à lisier, fait construire des silos-couloirs et des enclos pour l’hivernage, amélioré les routes et les pistes, et installé des systèmes d’alimentation centralisés automatiques et des ordinateurs destinés à contrôler la production laitière dans chacune des trois nouvelles salles de traite. Deux hommes ont été embauchés uniquement pour nourrir les vaches, tous les jours, toute l’année durant. Dans le but de maîtriser l’envolée de la production laitière, l’Europe avait introduit en  1984 des quotas laitiers, limitant la quantité de lait que chaque exploitation était en mesure de vendre. Il nous a fallu

acheter des quotas supplémentaires pour couvrir la production, qui excédait les quotas européens à raison de 1,5 million de litres annuels. À 0,16 livre sterling le litre, nous devions donc débourser 240 000 livres par an. L’intensification de l’exploitation impliquait aussi d’autres coûts. En récupérant les fermes sous bail, nous faisions certes des économies d’échelle, par exemple en n’employant qu’un seul gestionnaire et en utilisant les mêmes machines sur toutes les terres. Mais le fonds de roulement nécessaire pour cultiver 900 hectares supplémentaires était considérable (davantage de semences, davantage de pulvérisations, davantage d’engrais, davantage de gazole). À elles seules, nos cultures d’ensilage (à croissance rapide, jusqu’à trois récoltes annuelles) exigeaient des quantités colossales d’engrais, dont le prix augmentait chaque année en même temps, comme nous le savons aujourd’hui, que le coût environnemental toujours plus élevé qu’engendrent les émissions de carbone des combustibles fossiles. On administrait aux champs de blé et d’orge des quantités astronomiques de produits chimiques (dont l’épandage était moins ciblé qu’il ne l’est aujourd’hui). Outre les doses régulières d’engrais de synthèse, il fallait pulvériser sur les plantes deux fongicides au moment de la levée, ainsi qu’une hormone régulatrice de croissance pour les empêcher d’atteindre une hauteur trop importante, car le vent pourrait alors casser les tiges étiolées et fragiles. En grandissant, elles avaient besoin d’un autre cocktail de fongicides et d’hormones de croissance, suivi d’un troisième à l’étape la plus rapide de la croissance des tiges, et d’une dernière dose à l’apparition des grains. S’ajoutaient à cela les faucheuses et les ensileuses hautement spécialisées qu’il fallait louer deux ou trois fois par an pour chaque coupe d’ensilage. Mais par-dessus tout, c’est l’argile du Sussex qui ne nous a laissé aucun répit. La mauvaise qualité des sols du Low Weald, 320  mètres d’argile dense sur un lit de calcaire, est notoire. Les habitants de la

région savent bien que la terre qu’ils ont sous les pieds a la consistance d’un ciment dur comme de la pierre l’été, tandis qu’elle forme un porridge gluant et impénétrable le reste de l’année. Tout comme les Inuits disposent, dit-on, de tout un lexique lié à la neige, le vieux dialecte du Sussex a plus de trente mots pour désigner la boue. Un chemin boueux dans un pré après une forte pluie est un clodgy ; gawm désigne une boue collante et nauséabonde ; gubber de la boue noire, constituée de matière organique en décomposition  ; ike de la bouillasse  ; pug l’argile jaune collante du Weald ; le slab est le type d’argile le plus épais qui soit  ; un slough est un trou boueux  ; slurry s’utilise pour la boue diluée, dont la saturation en eau est telle que celle-ci ne peut s’en échapper ; smeery pour la boue de surface, collante et humide ; le verbe stoach s’emploie quand on piétine le sol jusqu’à ce qu’il devienne de la boue, comme le bétail ; le stodge est une boue dense, qui a la consistance d’une bouillie  ; le stug, de la boue gorgée d’eau  ; et le swank est un marécage. Jusqu’à la construction de routes goudronnées, on évitait toute cette boue en voyageant jusqu’à la côte par bateau, sur les rivières et les canaux, et on se rapprochait autant que possible de Londres par la mer. Il n’existait presque aucun axe routier est-ouest dans le comté avant la fin du XVIIIe  siècle, et les pistes sur lesquelles on pouvait conduire les bêtes jusqu’aux marchés de la capitale n’étaient empruntables qu’au cœur de l’été. Des récits immortalisent l’atrocité des chemins du Sussex, comme celui qui raconte qu’un voyageur, longeant une artère marécageuse, aperçut un chapeau posé sur la surface boueuse. Se penchant pour le ramasser, il trouva dessous la tête d’un habitant du coin, enfoncé jusqu’aux sourcils. L’homme, enfin sorti de son piège grâce au voyageur, le remercia et lui demanda de l’aider à sortir aussi le cheval qu’il montait lorsqu’il s’était enfoncé. “Mais il doit être mort sous

toute cette boue, s’étonna alors le voyageur. — Oh non, il est bel et bien vivant, répondit l’homme. Je l’ai entendu grignoter quelque chose. Sans doute la charrette de foin engloutie la semaine dernière.” La capacité des habitants du Sussex à survivre dans ces conditions désastreuses a donné naissance à des théories extravagantes. Le célèbre docteur John Burton, qui parcourut le Sussex au milieu du XVIIIe siècle, se demanda si la longueur des membres des bœufs, des porcs et des femmes de la région n’était pas due à “la diªculté de sortir ses pieds de la boue à chaque pas, par la force de la cheville, ce qui étirerait les muscles et allongerait les jambes”. Aujourd’hui encore, les agriculteurs dont les terres sont classées aux grades 3 et 4, indépendamment de la longueur de leurs jambes, regardent avec une envie non dissimulée les plaines glaiseuses de grade 1 autour de Chichester. L’argile du Sussex ralentissait nos machines et nous empêchait de concurrencer les exploitations jouissant de meilleurs sols. Alors même que, fait étonnant, il était possible jusqu’en  1997 de supprimer sans autorisation les haies présentes sur les exploitations britanniques, agrandir les champs n’était pas envisageable pour nous. Le maillage des fossés et des drains souterrains hérité de l’époque victorienne, sans lequel l’agriculture sur nos terrains devenait impossible, était tracé selon les contours de nos petites parcelles. Le coût de l’installation d’un tout nouveau système de drainage industriel rendait le projet infaisable. Cela étant, l’entretien du système en place était lui aussi coûteux. Chaque année, le nettoyage de l’ensemble des drains et des fossés, ne serait-ce que pour qu’ils remplissent leur fonction première, demandait trois mois de travail à temps plein. La dimension réduite des champs restreignait nécessairement la taille de nos machines agricoles. Les moissonneuses-batteuses, les cultivateurs rotatifs, les herses et les pulvérisateurs devaient pouvoir tourner agilement dans les coins et passer nos portails  : l’eªcacité

permise par les machines colossales utilisées dans la région d’East Anglia était hors de notre portée. En période de pluie, l’argile mettait toutes nos activités à l’arrêt. Les semaines suivant la récolte de septembre se résumaient à une course e¤rénée pour semer les cultures hivernales, nettoyer tous les fossés et tailler les haies avant l’arrivée des précipitations, qui transformaient le domaine en terrain impraticable. Nous avions rarement la possibilité de semer des cultures de printemps  : à cette période de l’année, neuf fois sur dix, les tracteurs n’étaient pas en mesure de se rendre sur les parcelles. Malgré tout, nous avions connu de réelles avancées. Alors que nous produisions en moyenne 62 quintaux de blé par hectare en 1987, nous étions montés à 68  quintaux en 1990. Nous avions parcouru un long chemin depuis les années 1940, lorsque Sir Merrik considérait que la production était bonne du moment qu’un chapeau jeté dans un champ ne touchait pas le sol. De temps à autre, lorsque le soleil, le vent et la pluie étaient de notre côté, lorsque nous avions semé, pulvérisé et récolté au bon moment, lorsque, par miracle, les étoiles s’alignaient, il est arrivé qu’un champ ou deux atteignent 74  quintaux, le rendement qu’obtenaient généralement nos voisins sur les terres glaiseuses de Chichester. En 1996, lorsque plusieurs champs produisirent plus de 85 quintaux, et l’un près de 100, il nous a semblé avoir trouvé la clé. Sur une photo que j’ai prise à l’époque, on voit Charlie et notre fille, alors âgée d’un an, jubilant dans des montagnes de blé soigneusement stockées dans nos silos à céréales, les bras plongés jusqu’à l’épaule dans les gros grains poudreux. La production de nos troupeaux laitiers, elle, était sensationnelle ; nous figurions régulièrement au rang des élevages de vaches laitières les plus rentables de Grande-Bretagne d’après l’entreprise d’alimentation animale British Oil & Cake Mills, et l’un de nos troupeaux, sous la houlette d’un éleveur extraordinairement

compétent venu des Cornouailles, arrivait en tête du classement national. Il paraissait évident que nous avions atteint la performance optimale sur ce type de sol. Nous avions également pris garde à diversifier notre activité. En 1990, on trouvait les crèmes glacées Castle Dairy Luxury Ice-Cream de Charlie, fabriquées dans une usine ultramoderne installée dans l’une de nos vieilles granges typiques du Sussex, en bonne place dans les magasins de luxe Fortnum  &  Mason et Harrods Food de tout le Sud-Est de l’Angleterre, ainsi que dans les cinémas londoniens du West End, et nous étions sur le point d’étendre la distribution au reste du pays. Le lait écrémé, surplus des crèmes glacées, servait à produire le yaourt à faible teneur en matières grasses de la marque, disponible en plusieurs saveurs exotiques. Nous nous étions même essayés à la traite des brebis, produisant du fromage et des flans à l’ancienne. Quand avons-nous pris conscience que l’exploitation était vouée à l’échec  ? Aujourd’hui, près de vingt ans plus tard, il est diªcile de mettre le doigt dessus. La plupart du temps, nous n’avions qu’une préoccupation en tête  : nous améliorer, espérant toujours que l’année suivante l’exploitation serait plus rentable, à tel point que l’échec était impensable. La hausse des rendements nous inspirait invariablement une bou¤ée d’optimisme et nous gardions les yeux rivés sur l’avenir, sans nous appesantir sur les coûts ou la concurrence. Cette détermination agissait comme des œillères. La complexité d’une exploitation mixte – production laitière (vaches et brebis), viande bovine et rotation de neuf grandes cultures  – nous empêchait de percevoir clairement la rentabilité de chaque secteur au mois et à l’année, dressant un écran de fumée qui cachait le gou¤re béant des dépenses (investissements sans fin de capitaux dans les machines et les infrastructures agricoles : la nouvelle moissonneuse-batteuse qu’il fallait acheter, les nouvelles améliorations à apporter aux bâtiments, la mise en

conformité avec les nouvelles réglementations infinies du département de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation et de l’UE, et les charges salariales toujours plus élevées). S’ajoutait à cela le taux follement fluctuant du green pound (la “livre verte”, taux de change utilisé jusqu’en  1999 pour calculer la valeur du soutien financier au sein de la Politique agricole commune de l’UE), qui fichait régulièrement en l’air tous nos calculs. Le pronostic de notre activité de production de crèmes glacées a été plus net. En 1991, le coup de massue publicitaire asséné au RoyaumeUni par Häagen-Dazs, une marque de Grand Met, l’entreprise aux 15 milliards de dollars de capitaux (le Dark Vador des conglomérats de l’alimentaire), nous a obligés à rendre les sabres lasers. Forte d’une campagne de communication dotée de la somme rondelette de 35  millions de dollars, la marque avait adopté une stratégie agressive, installant sans frais, dans des milliers de points de vente, des congélateurs vitrés remplis uniquement de glaces Häagen-Dazs (une pratique devenue illégale depuis), ce qui nous a chassés, nous et la plupart des fabricants britanniques, hors de la galaxie des crèmes glacées. Mais Häagen-Dazs n’était pas le seul coupable. Même si Dark Vador n’était pas venu envahir notre orbite, ce secteur d’activité ne nous aurait sans doute pas sauvés. Les marges étaient bien plus faibles que les prévisions données par nos conseillers. Même le bilan financier de Häagen-Dazs a mis plus de dix ans à passer au vert. Au bout du compte, c’est bien l’activité agricole qui nous a menés à notre perte. Au fil de quinze ans d’activité, notre trésorerie n’avait été excédentaire que deux fois. Au fur et à mesure de l’expansion du marché mondial, les agriculteurs de toute l’Europe se retrouvèrent en concurrence avec les céréales bon marché d’Asie, de Russie, d’Australie et des Amériques. Nous étions aussi très inquiets des formidables

fluctuations de la valeur des quotas laitiers, dont nous étions tributaires puisque nous produisions désormais 3,2  millions de litres. Il suªsait que le litre baisse d’un penny pour que nous perdions une fortune, sans compter que, lorsque le prix s’e¤ondrait, la valeur de nos vaches chutait elle aussi, alors que le coût de fonctionnement des laiteries et des bâtiments agricoles, lui, restait le même. L’avenir à long terme de la production issue de nos terres labourées nous inquiétait également. L’époque des colossales et illogiques subventions agricoles de l’UE (qui représentaient, tenez-vous bien, 57  % du budget total de l’Union) ne pourrait pas s’éterniser. Tôt ou tard, forcément, elles seraient diminuées puis supprimées et, sans elles, nous ne pourrions pas assumer les pertes et irions droit vers la banqueroute, comme la grande majorité des agriculteurs du pays travaillant sur des terres marginales. Au cours de longues réunions exténuantes avec nos intendants, Charlie a commencé à réfléchir à notre stratégie à long terme. Nous étions de plus en plus conscients que le domaine était une bombe à retardement. La détonation fatale a retenti en 1999, quelques mois avant la visite de Ted, lorsque l’intendant de l’exploitation a proposé la fusion de deux de nos laiteries. Son plan était tout à fait logique (il s’agissait d’une autre façon de rationaliser notre activité et d’éliminer des redondances), mais il nous en coûterait la coquette somme de 1  million de livres. Nos dettes s’élevaient déjà à 1,5  million. Cette proposition a jeté une lumière crue sur notre situation : nous n’avions pas les moyens de continuer à apporter des “améliorations”. Et sans améliorations, notre productivité ne ferait que stagner. Nous étions pris au piège. L’exploitation n’était pas viable et les chi¤res nous le hurlaient à la figure. C’est dans ce contexte qu’a eu lieu la visite de Ted, venu donner ses conseils sur le Chêne de Knepp. Nous étions, pour la première fois depuis que nous avions pris le domaine en main, ouverts à d’autres

possibilités. Voir les arbres du parc d’un œil neuf nous apportait une solution pour les 140 hectares qui entouraient le château, au minimum. En 1991, la Communauté européenne, de plus en plus préoccupée par l’impact de l’agriculture sur l’environnement dans toute l’Europe, avait mis en place un programme agroenvironnemental. C’était une stratégie quelque peu retorse qui, pour la première fois, créait au sein d’une même administration deux forces adverses en matière de financement européen : d’un côté, des mesures incitant à passer au tout-intensif ; de l’autre, des mesures destinées à lutter contre les e¤ets de l’agriculture intensive. Sous la houlette de ce programme agroenvironnemental, le gouvernement britannique avait mis sur pied le Countryside Stewardship Scheme, administré par le département de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation dans le but d’“améliorer la valeur environnementale des terres arables dans toute l’Angleterre”. À  l’époque de la visite de Ted, un appel à projets de restauration de parcs était en cours. C’était le moment parfait. Notre projet de restauration du parc Repton avait reçu des financements et démarrerait au printemps suivant. La seule alternative pour le reste du domaine, à nos yeux, consistait à supprimer tous nos coûts fixes, à renoncer à l’activité laitière, à vendre tout le matériel et l’équipement agricoles, et à mettre les terres arables sous bail. Le seul problème, c’est qu’aucun des deux gros exploitants agricoles du pays n’était intéressé par nos parcelles. Finalement, c’est l’oncle de Charlie, Mark Burrell, qui exploitait déjà en fermage plusieurs terrains à la frontière nord de notre domaine, qui est venu à notre secours. Il était dans la même posture que nous et avait intérêt à répartir ses coûts sur une zone plus vaste : il a accepté de prendre à sa charge toutes nos terres arables.

La décision d’abandonner nous-mêmes la pratique de l’agriculture a été un moment diªcile. Le 1er février 2000, Charlie a convoqué notre intendant, John Maidment, dans son bureau où, sous les photos en noir et blanc des vaches primées et de soixante ans de certificats de prix obtenus lors de foires, il lui a annoncé la nouvelle. Tout conscient qu’il était de la situation dans laquelle se trouvait l’exploitation, John en a eu le cœur brisé. Après tout ce dur labeur, malgré les rendements agricoles honorables et une production laitière exceptionnelle, il n’arrivait pas à envisager qu’il n’y ait pas, quelque part, une autre solution. Les employés agricoles, eux, ont été sidérés par l’annonce. À ceux qui ont eu la patience d’écouter, ou qui n’arrivaient pas à y croire, Charlie a montré et expliqué les comptes. L’air abattu, ils ont quitté le bureau, secouant la tête, essayant d’assimiler cette information. Onze hommes ont perdu leur emploi au cours de cette terrible journée. Dans les six mois qui ont suivi, Charlie et John se sont e¤orcés de maintenir le moral des troupes au beau fixe, le temps de démanteler l’exploitation. Nos trois troupeaux laitiers ont été dispersés, une quarantaine de vaches à la fois, embarquées directement après la première traite pour arriver à destination, à l’autre bout du pays, à temps pour la traite du soir. Pour la première fois de son histoire, Knepp se retrouvait sans bétail. La pluie et le vent qui se sont abattus sur le Sussex à la mi-septembre, provoquant la première des grandes inondations le long de la côte sud, n’ont pas eu la courtoisie de s’interrompre le jeudi 29, jour de la vente de nos machines et début de l’automne le plus morose au Royaume-Uni depuis 1766, année au cours de laquelle on commença à tenir des registres météorologiques. L’argile sous nos pieds semblait vouloir aspirer le monde entier. Les agriculteurs des environs sont venus en masse, certains pour profiter du matériel à prix cassé tandis que d’autres, taiseux, se demandaient peut-être quelle leçon tirer de notre

naufrage. Le long de la route qu’on appelle West Drive, à la vue de tous, défilaient les investissements ratés, l’énergie gâchée et les ambitions disparues du domaine de Knepp. Au rang d’honneur figurait notre John Deere Hill Master, une moissonneuse-batteuse haut de gamme achetée d’occasion en 1998 pour 80  000  livres et qui avait, durant les belles journées de juillet et d’août, brassé du blé, des haricots, des pois, de l’orge, de l’avoine, du colza et des graines de lin tandis que Bob Lack, le conducteur, juché dans la cabine à 2,50 mètres de hauteur, écoutait des leçons de thaï dans son casque audio. À ses côtés, un régiment de tracteurs Massey Ferguson et John Deere, puis la herse, les herses à disques, les herses rotatives et les semoirs à maïs ; les sous-soleuses et notre brave draineuse ; le matériel d’analyse du sol et les humidimètres ; les épandeurs de semences et d’engrais, et les cuves de pulvérisation ; les vis et les séchoirs à grains ; les courroies transporteuses et des litres de produits chimiques. On avait aussi apporté les machines destinées à l’ensilage et au fanage : les faucheuses, les andaineurs, les ramasseuses-presses et les chargeurs de bottes ; les remorques à céréales et les remorques d’ensilage, les remorques autochargeuses à balles rondes ; l’impressionnant télescopique Manitou et la désileuse. Puis les taille-haies, le matériel destiné aux clôtures électriques, les portillons des enclos à bétail, tous les petits outils, des marteaux et masses aux enfonce-pieux, en passant par les bêches et les pelles à grains. Le matériel consacré à l’élevage laitier trop encombrant pour être déplacé, comme les salles de traite électroniques et informatisées, les cuves à lait, les trémies d’alimentation, les logettes, le système d’évacuation du lisier et les tapis en caoutchouc où s’allongeaient les vaches, a été vendu directement aux laiteries. Mais les mélangeuses Keenan, les épandeurs de fumier, les remorques et racleurs à lisier, les cages de contention et les parcs à moutons, les

râteliers, auges et abreuvoirs, la pompe à lisier Hippo, le groupe électrogène de secours, les camionnettes, un quad et une cabaneroulotte sont venus occuper le dernier stand sur West Drive, et avec eux toute la panoplie intimiste de la reproduction – les réservoirs à sperme et les pistolets d’insémination artificielle, les tétines en caoutchouc et les seaux d’allaitement pour veaux, les pinces de marquage auriculaire, les couteaux de parage et les pédiluves. Sous la pluie annonciatrice du rude hiver qui attendait les agriculteurs, l’ambiance était lugubre. Mais la décision de Charlie s’est vite retrouvée justifiée : moins d’un an après la fermeture des laiteries, le prix de vente du lait a dégringolé, passant de 26  pence par litre (un bon prix, auquel nous avions vendu nos stocks) à presque rien. Si nous nous étions entêtés, la valeur de nos vaches aurait elle aussi plongé. Charlie avait bien vu. Et la vente de notre lait, de nos vaches et de tout notre équipement nous avait permis de rembourser nos dettes. Cette décision nous a aussi épargné les conséquences désastreuses de l’épidémie de fièvre aphteuse survenue entre février  2001 et janvier 2002, paralysant le secteur britannique de la viande et du lait, et entraînant l’abattage de 10 millions d’ovins et de bovins – une crise qui a coûté 8  milliards de livres au contribuable. Nous avions échappé de justesse à la catastrophe. Nous étions libres.

Un trait commun de la nature fait du monde entier une seule famille. WILLIAM SHAKESPEARE, Troïlus et Cressida, vers 16031.

L’été 2002 a été une révélation. Chaque matin, nous nous éveillions bercés dans une mer de prairies ondulantes. De nos fenêtres, toute trace de l’agriculture industrielle avait disparu. Plus de sol éventré, plus de machines, plus de grandes cultures en rangs serrés, plus de clôtures. Remettre le parc en pâturage permanent n’a pas seulement permis aux chênes de survivre : nous retrouvions nous aussi une nouvelle vigueur. Il semblait que la terre, libérée de son cycle de dur labeur, en soupirait de soulagement. Son apaisement nous gagnait. C’était un sentiment bien di¤érent du soulagement ressenti lorsque nous avions renoncé à cultiver nous-mêmes le reste du domaine. Certes, mettre notre exploitation sous bail nous avait libérés dans une large mesure de l’angoisse et des responsabilités mais, même si nos vaches n’étaient plus dans les champs, ni le paysage ni notre conception de Knepp n’ont été transformés. Avec le fermage, nous exigions toujours la même chose de notre terre, mais sans nous investir directement. Témoins silencieux des sempiternelles diªcultés sisyphéennes, nous étions prisonniers du même pacte frustrant avec l’argile. Une fois ces travaux agricoles hors de vue de la maison, notre sentiment de sérénité s’est accentué. Quelque chose de plus doux, de plus harmonieux, a semblé prendre forme. Pour la première fois, comme nous le montrait le projet de restauration du parc, nous entreprenions quelque chose avec la terre, plutôt que contre elle.

La di¤érence la plus évidente s’est matérialisée dans notre environnement sonore : le bas vrombissement enveloppant des insectes –  quelque chose qui nous avait manqué sans que nous en ayons conscience. Nous nous sommes enfoncés jusqu’aux genoux dans les marguerites, lotiers corniculés, œillets des prés, centaurées noires, trèfles violets, gaillets vrais, crételles des prés, flouves odorantes, faisant jaillir des nuages de papillons –  argus bleus, myrtils, tristans, demideuils, hespéries de la houque et hespéries du dactyle  – ainsi que des criquets, des syrphidés et toutes sortes de bourdons. Encore peu au fait des réactions explosives de la nature, nous avions le sentiment que ces volètements, ces papillonnements, ces sautillements et ces bourdonnements étaient sortis de nulle part, comme les abeilles de Virgile s’échappant des entrailles d’un bœuf sacrifié. Mais la vérité était peut-être plus miraculeuse encore. D’une manière ou d’une autre, la nature nous avait trouvés, repérant de très loin notre petite parcelle de terre, dès lors que ces quelques hectares étaient redevenus accueillants. La plupart des insectes voyagent sans peine, souvent aidés par les vents ou la dispersion passive, grâce aux oiseaux ou aux animaux  ; la plupart sont des opportunistes, poussés par l’instinct d’avancer et de se reproduire quand bien même les contraintes se multiplient. Un demideuil ou un grand nacré, par exemple, peut parcourir avec détermination de longues distances à la recherche d’un nouveau territoire. Pour la plupart d’entre eux, l’aventure se terminera lorsqu’ils mourront de faim, se feront attraper par un prédateur ou connaîtront une mort accidentelle. Mais si par miracle une femelle parvient à trouver un habitat où pousse la plante qu’elle cherche, elle pourra pondre en l’espace de quelques jours des centaines d’œufs qui deviendront des papillons (pourvu que les conditions météorologiques soient favorables). D’autres coloniseront le parc de Knepp, qui aura

trouvé une nouvelle jeunesse, depuis les herbes folles des terres marginales avoisinantes, les anciens parterres autour du château en ruine ou les pieds des haies restées intactes, voire les bords de l’A24. La génération d’invertébrés qui nous a trouvés cet été-là a sans doute aussi bénéficié du fait que, l’habitat étant tout récent, les prédateurs habituels (chauves-souris, oiseaux et reptiles) y étaient particulièrement peu nombreux. Résultat : un paradis à échelle d’insectes. Préparer le parc à cette nouvelle vie a été un processus déconcertant. Première surprise  : trouver une source de semences d’herbes et de fleurs des champs natives s’est révélé incroyablement ardu. Il reste dans tout le Sussex, alors que j’écris ces lignes en  2016, moins de 350 hectares de prairies naturelles. Depuis les années 1930, 97 % de ces prairies (3  millions d’hectares) ont disparu au  Royaume-Uni, au profit notamment des grandes cultures à croissance rapide et des forêts. Dans les plaines, les lowlands, il n’en reste que 10  000  hectares  ; dans les uplands, les terres à environ 300 mètres au-dessus du niveau de la mer, le constat est plus pitoyable encore, avec 900  hectares de prairies fleuries. Dans le cadre de l’initiative Weald Meadows, on avait découvert à 25  kilomètres au nord-est de Knepp une minuscule parcelle non cultivée d’à peine un demi-hectare, vestige d’une pâture, d’où on avait prélevé des graines. Clairière perdue au milieu d’hectares de cultures, ce lopin de flore native, trouvé sur des terres appartenant au cousin de Charlie, avait certainement survécu car on y chassait le faisan. Comme la plupart des prairies du Royaume-Uni, il devait son existence non pas à un projet de conservation spécifique, ni à une décision altruiste éclairée, mais à un hasard du destin. À Knepp, il nous restait deux ou trois parcelles étriquées où poussaient des fleurs sauvages, notamment un herbage qui n’avait jamais été labouré car il se trouvait dans l’arboretum datant du début du XIXe siècle, le jardin d’agrément aménagé non loin du château. En septembre, la succise des prés le transforme en une mer

bleu-mauve. Mais aucune de ces parcelles survivantes ne comportait suªsamment de diversité pour nous apporter le spectre intégral des semences natives. Afin de permettre à la poussière d’or botanique achetée auprès de l’initiative Weald Meadows de s’établir, il nous fallait d’abord stériliser le sol de sorte à éradiquer les concurrents indésirables. Au Royaume-Uni, une grande partie des sols sur lesquels notre flore a évolué est naturellement pauvre  ; nous devions donc remettre la terre dans son état originel “non amélioré”. À cette fin, il fallait réduire les niveaux de nitrates et de phosphates qui avaient été ajoutés des décennies durant pour stimuler la croissance de nos grandes cultures. Le processus paraissait contre-intuitif  : on nous proposait d’intensifier une maladie pour parvenir à la soigner. Conscients qu’il s’agissait là d’une transition entre deux systèmes de valeurs opposés, nous nous sommes attelés à la tâche comme le feraient des agriculteurs mais, pour la première fois, nous raisonnions en spécialistes de la conservation. C’est ainsi qu’au printemps 2001, après avoir reçu notre subvention pour la restauration du parc, nous avons labouré et brassé le sol jusqu’à obtenir une terre meuble. Trois semaines plus tard, nous avons pulvérisé du glyphosate, un herbicide, sur les premières pousses ; puis retourné la terre en surface et épandu de l’herbicide de nouveau à la miaoût. En septembre, nous avons saupoudré la parcelle de notre précieux mélange fourni par Weald Meadows. L’été suivant, nous avons fauché les nouvelles pousses pour l’ensilage préfané (une sorte d’ensilage après fanage partiel, qui permet aux graines de tomber de leur tige pour germer de nouveau)  ; puis nous avons opéré une deuxième coupe sur les zones où les plantes avaient bien repoussé et, partout ailleurs, seule la partie supérieure des plantes a été coupée. Nous avons répété l’opération la troisième année.

L’azote disparaît rapidement du sol, soit parce qu’il est utilisé par les végétaux, soit parce qu’il s’évapore ou qu’il est lessivé, raison pour laquelle les terres arables sur lesquelles on plante des cultures qui ne sont pas capables de le fixer ont toujours soif d’azote. Les phosphates, eux, peuvent rester dans le sol vingt à trente ans. Faucher en adoptant une stratégie agressive et évacuer les végétaux de ces parcelles est la façon la plus eªcace de réduire la teneur en phosphates artificiels. Selon nos estimations, la troisième année, nous avons réussi à rétablir l’équilibre du sol en faveur de nos fleurs à feuilles larges et graminées natives. Elles étaient désormais en mesure de concurrencer les semences résiduelles des graminées commerciales. À elle seule, la baisse radicale d’engrais synthétiques a été bénéfique aux chênes du parc et, au fil des années qui ont suivi, nous avons vu leur couronne se régénérer progressivement. Mais il était trop tard pour sauver l’un d’eux, un vieil arbre imposant situé en bordure du lac. Au pied d’une pente où il était particulièrement exposé aux écoulements de produits chimiques, il a rendu l’âme alors même qu’un tapis de fleurs sauvages surgissait de terre autour de son tronc. Par le passé, nous aurions sorti la tronçonneuse sans y penser à deux fois. Dans la ligne de mire depuis la maison, c’était une tache dans le paysage ; pour un œil d’agriculteur, la matérialisation de l’inutilité et du laisser-aller. Ted, qui nous rendait désormais régulièrement visite en tant que conseiller et ami, nous a incités à porter sur ce chêne un autre regard. Il nous a montré les arbres morts dans les paysages des tableaux du XVIIIe siècle. Au début du romantisme, nous a-t-il raconté, la reine Charlotte, femme de George  III, avait fait planter des arbres morts dans le parc de Kew pour marquer le passage du temps et donner une impression de continuité. Même Humphry Repton appréciait les arbres en déclin dans

ses paysages  : “L’homme de science et de goût […] découvrira les beautés dans un arbre que d’autres condamneraient pour son déclin”, écrivit-il. Les Victoriens, nous a appris Ted, ont beaucoup de comptes à rendre. C’est d’eux que nous tirons notre rigide obsession pour l’ordre. C’est à partir du moment où tout a dû filer droit que tout est allé de travers. Les arbres morts et mourants s’inscrivent dans le processus de recyclage de la nature puisqu’ils stimulent la biodiversité, mais ils sont aujourd’hui les grands absents de nos paysages. Nous sommes devenus aussi intolérants aux processus naturels du déclin et du pourrissement, aªrme Ted, que nous le sommes à notre vieillissement et à notre mort. Nous avons alors fait le vœu de laisser l’arbre mourant à lui-même. Ça a été là notre première leçon de non-intervention : laisser la nature prendre les rênes. Nous avons observé le chêne à l’agonie, d’abord avec un certain malaise, puis avec fascination et enfin avec un sentiment proche de la tendresse. Une nouvelle esthétique prenait forme sous nos yeux. L’arbre a acquis une certaine beauté  ; une sorte de grandeur sculpturale, métaphysique. La mort est devenue une autre facette du vivant. À mesure que les coléoptères et d’autres invertébrés xylophages (qui se nourrissent de bois) colonisaient l’arbre, un autre univers a pris vie. Les pics épeiches n’ont pas hésité une seule seconde avant de tailler, de charcuter et de percer le tronc, à la recherche de larves juteuses. L’été, prenant la pose pendant un laps de temps interminable, un héron cendré se juchait sur une branche inférieure, immobile, le corps tourné vers l’eau. Peu après qu’une colonie de campagnols agrestes a élu domicile dans des terriers de lapin au milieu des racines, nous avons aperçu un gros renard roux qui cherchait son repas en faisant le tour du tronc. L’hiver, ses empreintes inscrivaient sur la neige poudreuse qui s’était déposée sur la glace une trajectoire rectiligne entre l’arbre et le sous-bois de l’autre côté du lac. Le nichoir pour chouette e¤raie qui avait

été cloué à l’arbre des années auparavant et qui n’avait jamais trouvé preneur était désormais habité par un couple d’éperviers d’Europe. En été, un épervier survolant le château semait la panique chez les hirondelles de fenêtre, qui se mettaient à piailler et à décrire des cercles autour des tourelles. Pendant quelque temps, les éperviers ont fondu en piqué sur leurs proies en train de s’alimenter sur la mangeoire située à côté de la cuisine. Nous sursautions, dérangés alors que nous étions à table par les rapaces en quête de nourriture  : une mésange bleue était projetée contre les vitres tandis que le rapace, agrippant sa proie hébétée, l’emportait loin des dalles de pierre. Conséquence de ce nouvel état d’esprit, nous avons laissé au sol les branches tombées des autres arbres du parc, car c’est ainsi que démarre un autre processus naturel de fertilisation de l’arbre. Tandis que sa couronne se rétracte, sous l’e¤et de l’âge ou du stress, ses branches extérieures meurent et finissent par tomber, fournissant aux racines un surplus d’énergie. Si on ôte ces branches, comme nous le faisions auparavant, on prive l’arbre vieillissant d’une importante source de nutriments. “Quand on y pense, c’est tout de même ingénieux, s’est amusé Ted. Imaginez si on pouvait manger notre propre bras pour allonger notre durée de vie !” Certains arbres, comme les pins sylvestres et les cèdres du Liban devant la maison, perdaient régulièrement des branches en cas de grands vents ou de grosse chute de neige : un mécanisme qui permet de fournir des aliments au système racinaire dans une situation de stress. Dans la nature, nous a rappelé Ted, le gaspillage n’existe pas. Et pourtant, nous interrompons ce cycle en enlevant les branches tombées comme on ramasse les habits jonchant le sol d’une chambre d’enfant, avec diligence et désapprobation. La  chute des feuilles, une fois l’automne arrivé, assure elle aussi la lente libération de nutriments tout au long de l’hiver. “Si on laisse les vers et d’autres invertébrés emmener

les feuilles tombées sous terre pour les grignoter, elles disparaissent à la vitesse de l’éclair”, a expliqué Ted. J’ai pensé aux accès d’exaspération automnaux que nous éprouvions à l’époque où il fallait utiliser dans le jardin un onéreux souºeur à feuilles à essence, et je me suis promis, dorénavant, de recevoir avec gratitude cet engrais gratuit, don de la nature. Le parc ne pouvait pas être un parc digne de ce nom sans animaux brouteurs. Afin de reproduire le paysage “à la Repton” (soit de vastes herbages ponctués de vergers et de vieux arbres solitaires), nous avions besoin d’herbivores qui paîtraient et empêcheraient ainsi l’apparition de ronces et de broussailles. On nous a suggéré d’introduire des daims, brouteurs traditionnels des parcs anglais, en nous précisant que les grands cerfs élaphes, aussi spectaculaires qu’ils soient, qui peuplent sans faire d’histoires des parcs comme Richmond, Woburn et Badminton, ont la réputation d’être agressifs dans la période de rut et pourraient menacer les promeneurs empruntant nos sentiers. Nous aurions pu choisir le mouton (le parc avait abrité des moutons de Jacob dans les années 1900), mais ce choix aurait impliqué de reprendre une activité agricole. Les daims, animaux sauvages, sauraient se débrouiller sans notre aide. Les 140  hectares à restaurer correspondaient aux délimitations du parc à daims du XIXe  siècle sur les anciennes cartes du domaine, à quelques détails près  : nous avons lissé des irrégularités dans la démarcation de façon à réduire le coût de la clôture anticervidés moderne, haute de 1,80  mètre. Partout où c’était possible, elle a été dissimulée derrière des haies vives ou des bosquets déjà présents dans le paysage. Conformément aux principes de Humphry Repton, nous avons isolé plusieurs petites zones de forêt dans le parc (Spring Wood, Rookery, Merrik Wood et Charlwood), pour éviter que les daims ne créent des lignes d’abroutissement. Repton avait dans l’idée que des

bosquets bien visibles donnent au paysage un aspect de mosaïque et guident l’œil dans le panorama, dessinant en creux les espaces ouverts. Fin 2001, nous avons supprimé tous les portails et les clôtures internes, retiré des kilomètres de barbelés, installé les nouveaux passages canadiens sur les routes au niveau du périmètre du parc et rénové le haha (ou saut-de-loup) autour de la pelouse située à l’arrière de la maison. Après deux ans de vide, Knepp était prêt à accueillir à nouveau des animaux et nous n’avions que 25 kilomètres à parcourir pour en trouver. Les daims de Petworth House, le domaine voisin, sont réputés dans le monde entier. Leur lignée remonte à cinq siècles au moins ; Henri VIII en aurait chassé sur le domaine. Fort de ses 900 daims, Petworth abrite la plus grande harde de Grande-Bretagne. Une paire de leurs bois (palmés, larges et plats, contrairement aux extrémités pointues de la ramure des cerfs élaphes) pèse entre  3,5  et 4  kilogrammes et peut atteindre une envergure de près d’un mètre. L’e¤ort qu’ils doivent fournir pour porter leur lourde tête leur donne une allure imposante et majestueuse  : un port parfaitement adapté à leur habitat au passé aristocratique. Les daims, dont le charmant nom latin est Dama dama, ne sont pas considérés comme natifs du Royaume-Uni, à la di¤érence des cerfs élaphes et des chevreuils, même s’ils étaient présents lors de la dernière période interglaciaire, il y a 130 000 à 115 000 ans. D’autres animaux exotiques échappés (cerfs sikas, muntjacs de Reeves et hydropotes ou cerfs d’eau) ont colonisé les campagnes britanniques au XIXe et au début du

XXe  siècle,

mais les daims étaient là bien plus tôt. On a longtemps

pensé que ce sont les Normands qui les auraient introduits sur nos îles, mais une récente découverte de 10 000 ossements dans les remises de la villa romaine de Fishbourne, sur la côte sud, à une quarantaine de kilomètres de Knepp, a révélé que des daims vivaient déjà dans le Sud de l’Angleterre, et sans doute sur d’autres sites romains en Grande-

Bretagne, au

Ier  siècle

de notre ère. Certains de ces os appartenaient à

des sujets âgés, ce qui tend à montrer que ces animaux n’étaient pas tant élevés pour leur viande ou comme gibier de chasse mais qu’ils étaient des symboles de prestige, comme c’est le cas dans les parcs à daims actuels. Ils étaient conservés avec d’autres espèces exotiques dans des enclos qu’on appelait des vivaria, prototypes des parcs safaris de notre époque – témoins, pour l’œil romain, du contrôle civilisé de l’être humain sur la nature. Les daims étaient parfois dressés, pour le plus grand bonheur de l’assistance, à se regrouper au son d’un cor avant d’être nourris. D’après des analyses génétiques, ces daims (venus de l’Ouest du bassin méditerranéen) se seraient éteints en Grande-Bretagne après la chute de l’Empire romain. Les cervidés apportés par les Normands au XIe  siècle venaient des côtes orientales de la Méditerranée. Le parc à daims de Knepp, plus de 400  hectares de pâturages boisés ouverts autour de l’ancien château, ceints d’une palissade en bois (une barrière faite de piquets en chêne fendu, enfoncés dans le sol et cloués sur une rampe), devait être l’un des premiers, établi alors que les Normands se prenaient de passion pour la chasse. Dans le parc, on chassait les daims à cheval avec des chiens : un loisir de nobles. La venaison était un plat de fête qui servait à honorer les invités, et elle constituait un présent inestimable. Le château lui-même, qui tient davantage du pavillon de chasse que de la forteresse, a été construit par Guillaume de Briouze, puissant partisan normand de Guillaume le Conquérant et baron du rape de Bramber, l’une des sous-divisions du comté, entre les rapes d’Arundel et de Lewes. Même s’il disposait d’un véritable château fort situé plus bas sur le fleuve, près des côtes, “Cnappe” était un lieu bien protégé, érigé sur une motte surplombant l’Adur et entouré de douves

profondes, sans doute remplies d’eau. Il est bien possible que le château ait été construit comme lieu de repli en cas d’invasion du château de Bramber ou de rébellion. Les hypothèses sur l’origine du nom sont aussi variées que ses orthographes : peut-être vient-il du saxon cneop, qui désigne le sommet d’une colline  ; ou de knappen, “tenir bon”, “rester fidèle”  ; de knappe, “valet” ou “chevalier”  ; ou encore du français nappe, un terme utilisé dans la chasse à courre pour désigner la peau d’un cerf. Les contes et les visions romantiques enveloppent les ruines comme la brume du lac. On dit que le fantôme d’un cerf blanc, symbole de la royauté, héraut des quêtes, fouille du pied la motte, déterrant les secrets du passé. Selon la légende, un anneau d’or de l’époque médiévale, exhumé au XVIIIe siècle, gravé d’une daine allongée sous un chêne et, à l’intérieur, des mots “Joye sans Fyn”, apporte la prospérité à son propriétaire. Les plaisirs de la chasse et l’abondant gibier ont sans nul doute fait la réputation de “Knappe” au XIIIe siècle, lorsque Jean sans Terre confisqua le domaine à l’un des descendants de Guillaume de Briouze pour en faire sa propre forêt royale. Le roi voyageait à cheval, parcourant des distances que les chemins de fer du Sud  de la Grande-Bretagne couvrent encore diªcilement aujourd’hui.  On  a pu prendre connaissance de son emploi du temps pour une semaine d’avril 1206, lors de laquelle il se trouva à Canterbury le lundi,  à Douvres et à Romney les mardi et mercredi, à Battle le jeudi, à Malling le vendredi, à Knepp le samedi, à Arundel le dimanche et à Southampton le lendemain. Il conservait en permanence 220 lévriers à Knepp et vint y chasser au moins quatre fois, en 1208, 1209, 1211 et 1215. Une année, à la période de Noël, sa reine Isabella, elle-même passionnée de chasse, séjourna onze jours dans le pavillon. En l’absence du roi, les daims étaient une réserve de présents. Le souverain écrivit de nombreuses lettres à son garde forestier stationné à “Knappe” en le chargeant

d’envoyer de la venaison à certains nobles et à plusieurs cours royales, ou de distraire des invités de marque : “Nous vous envoyons Michael de Puning, et vous lui permettrez de prendre à sa guise tous les daims gras qu’il attrapera dans le parc à Cnapp [sic] ; ainsi que ceux tués par flèche et par ses chiens.” Et le parc ne servait pas uniquement pour la chasse aux daims  : “Nous vous envoyons Wido le chasseur et ses comparses, qui chasseront dans notre forêt à Cnappe avec nos chiens à sangliers, pour qu’ils collectent chaque jour trois ou quatre de ces bêtes.” L’engouement pour les parcs à daims se poursuivit tout au long du XIIIe siècle, alors que s’intensifiait la culture aristocratique de la chasse et de la consommation de gibier. Dans les années 1300, il y avait plus de 3  000  parcs abritant des daims en Angleterre. Au XIVe  siècle, ils couvraient 2  % du paysage anglais. C’est cette lignée normande de daims qui a colonisé nos campagnes, s’échappant des parcs lorsqu’ils commencèrent à tomber en désuétude au XVe siècle. Le parc de Knepp, lui aussi, fut démantelé au cours du

XVIe 

siècle, les daims furent

simplement relâchés dans la nature. Aujourd’hui, 128 000 daims vivent en liberté au Royaume-Uni. Malgré tout, nous avons tenu à faire venir des daims de Petworth. Outre leur taille et leur lignée prodigieuses, ils sont habitués aux promeneurs et à leurs chiens, aux véhicules sur les chemins, aux délimitations d’un domaine et aux espaces ouverts sans couvert. Ils déambulent à la vue de tous dans le parc conçu par le célèbre paysagiste Capability Brown, et nous espérions qu’ils seraient ainsi à leur aise une fois transportés dans notre parc restauré. Les y emmener, cependant, n’a pas été de tout repos. Par une glaciale matinée de février, vêtus de tenues de camouflage à l’instar de membres des forces spéciales aériennes et menés par Dave Whitby, gardien-chef de Petworth, nous étions une vingtaine à rassembler deux cents bêtes frappées de terreur. Comme les daims étaient trop nombreux pour être endormis, nous

n’avons pas eu d’autre choix que de les attraper bien conscients, alors qu’ils se débattaient comme des diables. Une fois les animaux pris dans nos filets, nous nous sommes jetés dessus pour les immobiliser, avant de glisser des cônes en plastique sur leur tête pour les calmer et d’empaqueter les corps gesticulants, repliant soigneusement les membres sous eux. Les ramures des mâles ont été sciées (étant donné que le bois mature est constitué d’os mort, cette étape n’est pas plus douloureuse pour eux que ne l’est la taille de nos ongles), puis ils ont été embarqués, tous ensemble, à l’arrière d’un camion. Il leur a fallu des mois entiers pour se remettre du traumatisme de cette infâme capture, mais dès l’été ils s’étaient calmés et flânaient nonchalamment dans le parc, à l’image des hardes d’impalas dans la plaine du Serengeti. Les freux et les choucas des tours, prompts à adopter les us et coutumes des aigrettes africaines cohabitant avec le bétail, se posaient sur leur dos, picorant les parasites. Fin juin et début juillet, notre première génération de faons a vu le jour. Nous les rencontrions par hasard, cachés dans les hautes herbes, alors qu’ils n’avaient qu’un ou deux jours, à quelques pas de leur mère qui broutait avec le reste de la harde. À cet âge vulnérable, jusqu’à ce qu’ils prennent assez de force pour rejoindre les adultes, ils n’ont que peu d’odeur, de façon à ne pas se faire repérer des prédateurs. D’instinct, un faon se fige à l’approche d’une menace, jusqu’à ce que sa mère revienne le nourrir. Il peut s’écouler plusieurs heures entre deux visites maternelles. Nous nous sommes mis à faire attention où nous posions les pieds, de peur de trébucher sur un faon. Leur robe caramel est le camouflage idéal dans les herbes estivales. Souvent, la première chose qu’on aperçoit est une paire d’yeux noirs grands ouverts. Le daim est bien moins timide la nuit et bientôt, en ouvrant la porte d’entrée, nous nous sommes mis à trouver un groupe de quarante animaux, voire plus, errant sur le rond d’herbe devant la statue

représentant un chien, gardien du château guère soucieux d’accomplir son devoir. À six mètres de la maison, les daims levaient à peine la tête. Aujourd’hui, quinze ans plus tard, il y a toujours quelque chose de magique à se tenir là, dans la nuit immobile, à écouter leurs doux mugissements de réconfort et le son mat de leurs mastications. En moins d’un an, les daims étaient capables de reconnaître l’équipe de Knepp et tous les promeneurs réguliers accompagnés de chiens dignes de confiance, et de jour, en été, ils s’éloignaient moins, une vingtaine de mètres pour les mâles et une soixantaine pour les daines. Dès lors qu’ils apercevaient un nouveau chien, cependant, ils prenaient la fuite, bondissant sur leurs quatre membres, faisant montre avec superbe de leur force et de leur agilité. Notre capacité à les distinguer, elle aussi, s’est améliorée tandis que nous apprenions à reconnaître les quatre grandes teintes : la robe fauve “commune”, mouchetée de blanc en été et plus sombre et moins tachetée en hiver  ; la robe “ménil”, plutôt blonde, avec des taches distinctives y compris durant l’hiver ; les cas de mélanisme, caractérisés par une robe très sombre, presque noire, sans taches  ; et enfin, plus rares, les animaux atteints de leucisme  : des individus blancs, sans aucune marque, dont on ne perçoit nettement que les yeux et le nez. Alors que les hardes estivales nous ont bercés d’images de veld africain, l’automne a apporté son lot de drames. En octobre a eu lieu le premier rut, et les brumes venues du lac charriaient avec elles l’odeur nauséabonde de la testostérone. Des râles profonds, gutturaux –  sons primaux et troublants  – transperçaient l’air humide, tandis que les éructations rauques qui se faisaient entendre nuit et jour étaient pour les daines un signe bien plus sûr des capacités physiques des mâles que la taille de leur corps ou de leur ramure.

Dans le jardin d’agrément, des tou¤es de poils et des branches déchiquetées par les bois des mâles pris de frénésie gisaient sur le tapis de feuilles en décomposition. Lorsque nous parcourions les bois, une bou¤ée de phéromones se frayait soudain un chemin jusqu’à nos narines – il faut s’imaginer ouvrir la porte d’un vestiaire après un match de rugby, d’après les souvenirs olfactifs de Charlie. Les daims laissent ces signaux en frottant leurs glandes faciales sur les arbres pour marquer leur territoire. Dotés de sept glandes odoriférantes (sur le front, sous les yeux, dans le nez, les sabots, le prépuce ainsi qu’à l’intérieur et à l’extérieur des membres postérieurs), les daims, mou¤ettes saisonnières, communiquent entre eux et avec les individus d’autres espèces grâce à la complexité brute des parfums. Au moment du rut, ces émanations de phéromones atteignent leur intensité maximale, et même leurs glandes salivaires se mettent à sécréter une odeur nauséabonde. À l’arrivée de l’hiver, les daims se sont préparés au combat, prenant de grands airs et trottant à deux, épaule contre épaule, chorégraphie rituelle appelée “marche parallèle”. Se jaugeant, ils paradaient l’un à côté de l’autre d’un pas rigide puis, d’un coup, se retournaient pour se foncer dessus, les ramures enchevêtrées, les muscles tendus, dans un combat qui durait quelques minutes, jusqu’à ce que l’un d’eux s’éloigne en bondissant, fatigué ou intimidé. Les mâles les plus imposants ont choisi une aire de parade à l’extrémité la plus éloignée du jardin d’agrément, un site qu’ils utilisent toujours aujourd’hui. Grattant le sol de leurs sabots, s’arrosant et arrosant le sol d’urine, c’est là leur arène de gladiateurs, le champ de bataille qui déterminera qui remportera le harem  ; une question, parfois, de vie ou de mort. L’abdomen noirci, tachés d’urine, assoi¤és de violence et fous de désir, ils brament comme des bêtes primitives, leur puanteur montant aux cieux. Ce ne sont plus les animaux que nous

avons connus tout au long de l’été, les vieux compères qui broutaient paisiblement en solitaire, les petits jeunes qui flânaient en groupe. La vie devient une histoire de conquête –  l’appel du sexe, la pulsion désespérée de la transmission des gènes. Chacun pour soi, et les daines seront bien gardées. Pendant ce temps-là, les femelles, mâchonnant l’herbe au pied des chênes, entreprennent judicieusement de stocker des calories en vue de l’hiver. Les mâles, eux, seront à moitié a¤amés et épuisés à l’arrivée du froid. Les plus faibles mourront. La nature choisit ainsi les bouches inutiles à éliminer. Au début, avant de nous habituer à ce cycle de la vie, il nous était diªcile de voir les daims à la fin du rut, ces grandes brutes mises à genoux, certains si fatigués qu’ils devaient poser leurs bois par terre en tordant le cou, d’autres peinant à se tenir sur des membres flageolants tels des soûlards après une rixe. Les plus résilients reprenaient du poil de la bête, bien entendu, mais parfois, au cours de l’hiver, nous tombions sur un mâle qui avait manifestement succombé, les yeux déjà picorés par les corneilles et les pies avant même que son cadavre ait complètement refroidi, les rouges-gorges lacérant la peau à petits coups de bec pour arriver à la couche de graisse. L’introduction de daims dans le parc y a injecté une nouvelle énergie. Nous étions en train de retrouver un paysage plus ancien, quelque chose qui semblait plus vivant. La terre était sur la voie de la guérison. Il y avait, bien sûr, le parc Repton du XIXe siècle, dans lequel paissaient les moutons de Jacob et les vaches Red Poll  ; mais, plus enthousiasmant encore, le Cnappe médiéval reprenait vie, cette époque plus vague, plus brumeuse, peuplée de rois et de donjons, de douves et de palissades ; un monde habité de hardes de daims et de sangliers à chasser, de destriers et de pièges à gibier, de chiens courants et de lévriers, de voies et d’empreintes, de busards et de cors de chasse  ; une connexion vers quelque chose de plus sauvage, de plus instinctif et de plus viscéral, vers

une époque où la nature était plus riche, plus profonde, omniprésente. Et peut-être vers des temps plus lointains encore, vers les parcs des Romains, vers une vision de l’Arcadie dans laquelle des animaux sauvages installés dans des enclos figuraient le monde sauvage non domestiqué, au-delà des frontières de la civilisation. Le parc à daims nous a projetés dans les paysages vivants du passé, nous permettant de trancher le nœud gordien de l’agriculture du XXe  siècle. Mais ce n’était là que le début. Un séjour en Hollande était sur le point d’ouvrir davantage nos horizons. Une nouvelle façon de penser notre terre et les animaux qui l’avaient gouvernée avant l’apparition de l’agriculture allait nous être proposée. Cette expérience allait transformer du tout au tout nos décisions sur la gestion du reste du domaine de Knepp.

Une hirondelle ne fait pas le printemps, dit-on. Mais un vol d’hirondelles fendant l’obscurité d’un dégel de mars, c’est le printemps même. ALDO LEOPOLD, Almanach d’un comté des sables, 19491.

L’ouvrage de Frans Vera Metaforen voor de Wildernis a été traduit en anglais sous le titre Forest History and Grazing Ecology en 2000, année à laquelle nous avons cessé de cultiver nos terres. Il a suscité des débats houleux dans le milieu de l’écologie et de la protection de l’environnement, dans toute l’Europe mais peut-être plus encore en Grande-Bretagne. L’onde de choc s’est propagée jusqu’à nous, alors que nous nous intéressions, presque par hasard, au monde de la conservation. Ted Green et sa collègue Jill Butler, du Woodland Trust, étaient en e¤ervescence. Ils nous ont exhortés à nous rendre aux PaysBas pour voir le projet de Vera, la réserve de l’Oostvaardersplassen. Ses théories, nous disaient-ils, ont ouvert en grand les perspectives d’accueillir des animaux brouteurs dans nos paysages. Ce qui se passait là-bas pouvait changer la façon dont nous envisagions le parc à Knepp. Notre vision de la nature pouvait en sortir transformée. C’est ainsi que, par une fraîche journée de mai, nous nous sommes retrouvés en compagnie de l’écologue néerlandais, un homme grand et avenant, doté d’une barbe grisonnante, à une demi-heure de route d’Amsterdam, au milieu de l’une des réserves naturelles les plus extraordinaires et les plus controversées du monde, qui s’étale sur 6  000  hectares. L’Oostvaardersplassen se situe sur le polder appelé Flevoland-Sud, soit 43  000  hectares de terres gagnées sur l’IJssel, un immense lac d’eau douce qui faisait auparavant partie du Zuiderzee, la baie néerlandaise récupérée après des travaux menés tout au long du

XXe 

siècle. La scène qui se déroulait sous nos yeux était presque incompréhensible. Dans un paysage plat et herbeux, aussi ras que la réserve du Masai Mara au Kenya, déambulaient des hardes d’herbivores  : des poneys Konik trapus, à la silhouette primitive, de la taille d’un zèbre, membres et tête noirs et robe gris souris, flanqués de poulains  ; des aurochs de Heck à la robe sombre, dotés des cornes acérées et courbes des bœufs ; et de grands troupeaux de cerfs élaphes. Grâce à des jumelles, nous avons aperçu, sur une motte de terre, un tourbillon de renardeaux duveteux qui s’ébattaient gaiement tandis qu’un de leurs parents, aªchant un air d’impertinence, rentrait dans la tanière, une oie dans la gueule. Alors que nous approchions d’une étendue d’eau à ciel ouvert, des oies cendrées ont déboulé sur les rives avec leurs oisillons, minuscule troupeau de gnous. Chaque année, 30 000 oies cendrées, près de la moitié de toute la population du NordOuest de l’Europe, viennent ici durant la mue. Charlie et moi n’avions jamais vu autant de biomasse de ce côté-ci du delta botswanais de l’Okavango. Diªcile d’imaginer que, il y a quelques dizaines d’années, ces terres grouillantes de vie étaient sous l’eau. En 1989, soit tout juste vingt et un ans après avoir été drainées, elles ont reçu le statut de site Ramsar, zone humide d’importance internationale pour la nature. Le froid mordant charriait la cacophonie des oiseaux, qui rivalisaient de chants. Depuis les roseaux, les butors étoilés faisaient entendre leur voix presque subsonique, semblable au son sourd que l’on obtient en souºant dans une bouteille, jouant la ligne de basse dans la symphonie bavarde des rousserolles e¤arvattes, des rémiz pendulines et des panures à moustaches, entrecoupée du brekekekex-koax-koax familier des grenouilles rieuses. Des vanneaux huppés, lançant leur court cri perçant, survolaient les bassins comme autant de mouchoirs noir et blanc se pliant et se dépliant dans les airs. Des spatules blanches pataugeaient

dans les hauts-fonds, les plumes de la crête ébouri¤ées par le vent, plongeant dans l’eau çà et là leur bec en forme de spatule. Les hérons cendrés observaient la scène d’un regard d’acier depuis les rives. Les grandes aigrettes et les aigrettes garzettes, qui s’accouplent désormais ici après avoir disparu des Pays-Bas pendant près d’un siècle, parcouraient le ciel d’un vol pesant. Loin au-dessus de nos têtes, plus haut que les alouettes des champs qui lançaient des trilles, trois pygargues à queue blanche aux ailes immenses se faisaient houspiller par un busard des roseaux. Il n’y a que trois espèces de pygargues plus grandes dans le monde et, jusque dans les années 1980, le pygargue à queue blanche était éteint en Europe occidentale. Ceux-ci avaient construit leur nid, un immense objet tou¤u semblable au nid de l’ombrette africaine, dans les branches d’un saule mort. Ces habitués des côtes déchiquetées et des îles retirées au milieu de nulle part avaient entrepris de se reproduire au-dessous du niveau de la mer, dans l’une des zones les plus densément peuplées d’Europe. Tout le monde avait été surpris de leur arrivée – excepté peut-être Frans Vera. “Lorsque j’ai dit, en 1980, que j’espérais attirer des pygargues à queue blanche à l’Oostvaardersplassen, on m’a traité de fou, s’est-il amusé. Pour commencer, on m’a dit qu’ils ne nicheraient jamais aussi près de grandes populations humaines, et jamais dans d’autres arbres que des chênes, des hêtres ou des pins géants – et surtout pas dans des saules. Mais si on dit tout ça, c’est tout simplement parce que personne ne les a jamais observés choisir d’autres arbres. L’occasion ne s’était pas présentée. C’est ainsi que, dans nos têtes, on a imaginé que l’habitat du pygargue à queue blanche se limitait à des montagnes reculées couvertes de chênes et de pins. Et si nous voulions protéger cette espèce, c’est ce qu’il fallait mettre à sa disposition.

“Mais c’est le serpent qui se mord la queue. Nous nous sommes laissé enfermer dans nos propres observations. Nous oublions que, dans un monde entièrement transformé par l’être humain, ce que nous voyons n’est pas nécessairement l’environnement que privilégient les animaux sauvages, mais le paysage désolé et vidé avec lequel ils sont forcés de composer  : ce qu’ils ont à disposition, ce n’est pas nécessairement ce qu’ils privilégieraient s’ils avaient le choix. Aujourd’hui, il se peut que les espèces survivent à l’extrême limite de leur aire de répartition, s’e¤orçant désespérément de vivre dans des conditions qui ne leur conviennent pas véritablement. Si on décloisonne notre imaginaire, qu’on permet aux processus naturels de prendre toute leur place, qu’on donne aux espèces une large palette de possibilités dans laquelle s’exprimer, on obtient quelque chose de bien di¤érent. C’est ce que nous essayons de faire ici à l’Oostvaardersplassen. Intervention minimale. Laisser la nature se révéler. Et il en résulte un environnement dont nous ne savions jusque-là strictement rien.” Voix douce et raisonnement méticuleux, Frans Vera n’en fait pas moins preuve d’une fervente détermination. Il a quelque chose à dire, et il estime que sa voix doit être entendue. La clé de l’extraordinaire dynamisme de l’Oostvaardersplassen, selon lui, ce sont les brouteurs. “Assez tôt, en créant la réserve, nous avons pris conscience de quelque chose d’important, a-t-il poursuivi. Il y a un processus fondamental que nous n’avons pas pris en compte dans la nature, quelque chose qui n’a pas souvent l’occasion de s’exprimer lorsque des êtres humains sont aux manettes  : l’influence des animaux. Les animaux sont les moteurs de la création des habitats, l’impulsion de la biodiversité. Sans eux, on obtient des habitats appauvris, statiques et monotones, dans lesquels les populations dépérissent. C’est la raison pour laquelle beaucoup de nos programmes de conservation échouent.”

Le doute a été semé par une intruse complètement inattendue : “C’est une oie cendrée qui nous a montré la voie. Personne n’imaginait que cette espèce serait la clé de voûte de notre architecture. Les oies ont résolu un problème que nous pensions insurmontable.” À l’origine, le polder du Flevoland-Sud devait servir de terres agricoles, a expliqué Frans, et la zone la plus humide et la plus basse (qui est aujourd’hui l’Oostvaardersplassen) devait être consacrée au développement industriel. Lorsque la crise du pétrole et la récession économique de 1973 ont mis les plans industriels en veille, la nature a saisi sa chance. Un grand lac peu profond est resté dans la partie la plus basse du polder. Très vite, la végétation marécageuse a pris possession des abords du plan d’eau et un nombre surprenant d’oiseaux typiques des zones humides, dont de nombreuses espèces rares, sont venus investir la zone. En 1978, le biologiste Ernst Poorter a publié un article sur les animaux sauvages présents sur le polder dans la revue Journal of the International Council for Bird Preservation (qui serait plus tard rebaptisée BirdLife International). Frans Vera, Fred Baerselman et d’autres écologues sont tombés sur l’article et, enthousiasmés par ces nouvelles, se sont mis à militer en faveur de la protection de la zone. En 1986, l’Oostvaardersplassen est oªciellement devenu une réserve naturelle. La gestion de la réserve n’a pas été sans diªculté, cependant. Ce type d’étangs superficiels et de marais tend naturellement à se refermer en se couvrant de roseaux (ce que nous observions nous-mêmes avec le lac de Knepp, dont la surface rétrécissait comme peau de chagrin), s’envasant jusqu’à être colonisé par des saules et finir par disparaître. Dans la plupart des réserves constituées de zones humides, on consacre un temps et une énergie démesurés à prévenir ce phénomène en tondant et en coupant les roseaux. Mais la zone de roseaux de

l’Oostvaardersplassen était tout simplement trop vaste pour qu’on les coupe à la main selon les méthodes classiques, et la faible portance du sol interdisait l’utilisation de machines pesantes. “Comme nous ne pouvions pas gérer correctement cette zone humide, nous avons supposé qu’elle serait rapidement remplacée par des bois, nous a confié Frans. Nous ne pouvions rien faire d’autre qu’observer ce qui allait se passer.” C’est alors que quelque chose de tout à fait remarquable s’est produit. Les oies cendrées ont découvert le marais. Elles sont venues par milliers de toute l’Europe, attirées par la vaste étendue disponible et son inaccessibilité, ce qui en faisait un sanctuaire idéal pour les quatre à six semaines que dure leur mue d’été, pendant la repousse de leurs pennes (elles sont alors des proies faciles). Au cours de ces quelques semaines de séjour dans l’Oostvaardersplassen, elles ont consommé des quantités colossales de plantes des marais ainsi que leurs rhizomes et, par conséquent, le marécage et son réseau d’étangs ne se sont pas refermés. “Nous avons découvert quelque chose  : grâce au broutage des oies, cette zone ne s’est pas couverte d’arbres. Nous avons été surpris de voir que les oies menaient le processus de succession écologique, et pas l’inverse. Mais plus encore, leur broutage enrichissait la biodiversité. Elles transformaient les immenses roselières en habitats complexes, constitués de roseaux et d’étangs peu profonds, qui attiraient plus d’espèces que les autres réserves de zones humides dans le reste des Pays-Bas, soigneusement gérées par l’être humain. “Nous étions donc en présence d’un autre problème. Il fallait nous assurer que les oies cendrées continueraient à utiliser les marais. Nous nous sommes rendu compte qu’il fallait créer des prairies (leur habitat traditionnel) à côté, pour qu’elles aient un lieu où se rassembler avant et après la mue, où elles pourraient reconstituer leurs réserves de graisse. Mais comment  ? Serait-il possible d’introduire des brouteurs dans les

zones sèches du polder, où il n’y avait rien que des lits de roseaux et des jeunes saules, et de voir si, d’eux-mêmes, ces animaux créeraient des prairies ? Le broutage pourrait-il empêcher la succession des arbres sur des terres sèches, comme l’avaient fait les oies dans le marécage ? Et si nous laissions faire des brouteurs, comme nous l’avions fait avec les oies, seraient-ils eux aussi capables de créer quelque chose d’encore plus intéressant et utile en matière de biodiversité  ? Pourrions-nous, concrètement, gérer cette zone pour protéger la nature, sans de coûteuses interventions humaines mais tout simplement en tirant parti des processus naturels, en utilisant les animaux brouteurs comme moteurs ?” Cette idée –  que les brouteurs pourraient empêcher la succession écologique spontanée des forêts et ainsi faire naître des habitats plus complexes et plus riches sur le plan de la biodiversité  – relevait de l’hérésie. Jusqu’alors, seule une forme de processus naturel avait été reconnue par la plupart des écologues comme force motrice première de la nature  : la succession écologique. Comme le sait n’importe quel agriculteur européen, si on cesse de cultiver une parcelle, elle se recouvre de broussailles et, au bout d’un moment, de grands arbres. C’est ce qu’on appelle le “climax”, soit l’état vers lequel la nature est censée tendre en tout temps. Avant que l’être humain n’influence le paysage (dit la théorie dominante), les terres qui bénéficiaient d’un climat, d’un sol et d’une hydrologie propices à la croissance des arbres étaient couvertes de forêts à couvert fermé (ou “forêts fermées”). Dans les zones tempérées européennes, seuls le sommet des montagnes, les pentes très raides et certaines tourbières bombées auraient été dénués de couvert forestier. Cette hypothèse, qu’on appelle dans les milieux scientifiques “la théorie de la forêt fermée”, a irrigué la culture populaire et est devenue une sorte de point d’ancrage mythologique de notre lointain passé. En Grande-Bretagne, dit-on, avant que les êtres humains

ne se mettent à enfoncer des cognées de pierre dans les arbres, un écureuil pouvait aller de l’extrême Sud à l’extrême Nord du RoyaumeUni de cime en cime sans jamais poser la patte par terre. Les zones de forêt fermée sont devenues synonymes de nature, et les êtres humains leurs démolisseurs  : c’est nous qui avons ouvert la forêt vierge et c’est nous qui, obligeant depuis le paysage à se plier à nos besoins en matière d’agriculture et d’habitation, empêchons les arbres de reprendre le dessus. “Mais cette théorie de la forêt fermée passe complètement sous silence une autre force de la nature, analyse Frans, une force qui œuvre à l’encontre de la succession écologique : la perturbation animale.” Le problème, d’après lui, c’est que nous n’avons pas tenu compte de la mégafaune qui aurait peuplé nos paysages avant notre arrivée  : de grands mammifères herbivores comme les aurochs (des bovidés sauvages), les tarpans (les premiers chevaux sauvages européens), les bisons d’Europe, les élans (qu’on appelle “orignaux” au Canada), les castors et les sangliers omnivores. Tous, d’après les archives fossiles, recolonisèrent les plaines d’Europe centrale et occidentale, accompagnés du cerf élaphe et du chevreuil, environ deux millénaires après la fin de la dernière période glaciaire, il y a près de 12 000 ans. Les arbres, eux (si l’on en croit les grains de pollen fossiles), n’apparurent qu’il y a 9 000 à 1 500 ans. Ainsi, le chêne, le tilleul, le frêne, l’orme, l’érable champêtre et le charme, les grandes essences qui, supposait-on, formaient la forêt fermée primaire de feuillus en Europe, arrivèrent au plus tôt trois millénaires après les grands herbivores. On obtient là un tableau bien di¤érent de celui qui a émergé dans notre mythologie, une image à contre-courant des idées reçues selon lesquelles les forêts fermées sont l’habitat naturel de ces animaux. Cette hypothèse suggère aussi (autre

hérésie) que les grands herbivores jouèrent un rôle dans l’apparition d’arbres dans nos paysages (ou, en tout cas, qu’ils ne l’empêchèrent pas). Tous ces grands animaux, ainsi que leurs prédateurs, le loup gris, l’ours, le glouton et le lynx, furent profondément a¤ectés par la présence d’êtres humains toujours plus nombreux, qui transformaient les friches en champs et abattaient des arbres dans les bois, souvent réduits à l’état de taillis. Inévitablement, les prédateurs eurent maille à partir avec les bergers : au XIIIe  siècle, ils firent l’objet de féroces persécutions tandis que le nombre de moutons augmentait du fait de l’essor du secteur de la laine en Europe. Les herbivores sauvages, qu’on chassait déjà pour leur viande, furent progressivement considérés comme des rivaux sur les aires de pâturage dont nous avions besoin pour nourrir les populations d’animaux d’élevage domestiqués, toujours plus nombreux. L’aurochs fut chassé jusqu’à l’extinction : le dernier individu est mort en Pologne en 1627. Les tarpans sauvages (ou des espèces férales apparentées) survécurent en Prusse-Orientale et en Pologne jusqu’au XVIIIe  ou au XIXe siècle.

Le dernier d’entre eux serait mort au zoo de Moscou en 1887. Le castor, qui avait des millions de congénères dans toute l’Europe, faillit disparaître sous l’e¤et de la chasse  : en 1900, il ne restait que 1  200  individus dans huit populations reliques. Les élans furent exterminés en Europe occidentale et ne survivent aujourd’hui qu’en petits groupes dans des zones reculées du Nord-Est du continent, en Lettonie, Estonie et Russie. Les trois sous-espèces de bison européen furent décimées dans la nature : Bison bonasus hungarorum, le bison des Balkans, disparut au milieu du XIXe  siècle, le dernier Bison bonasus bonasus sauvage fut abattu dans la forêt de Białowieża, à la frontière entre la Pologne et le Bélarus, en 1921, et le dernier Bison bonasus caucasicus fut tué, comme il se devait peut-être, dans le Nord-Ouest du

Caucase en 1927. Les bisons d’Europe en vie aujourd’hui sont les descendants d’une dizaine d’individus conservés en captivité dans di¤érents zoos du continent. Dans les îles Britanniques, où les animaux sauvages n’avaient nulle part où s’enfuir, les extinctions se produisirent bien plus tôt. Le dernier castor du territoire fut probablement tué dans le Yorkshire au XVIIIe  siècle  ; le dernier loup, dans les Highlands écossaises au siècle précédent. Le dernier sanglier véritablement sauvage fut abattu sur ordre d’Henri III dans la forêt de Dean en 1260. On pense que le lynx a disparu dès le IXe  siècle, il y a si longtemps que la plupart des Britanniques ignorent qu’il a été un animal natif des îles. L’aurochs fut sans doute exterminé à l’âge du bronze, en même temps que l’ours brun et l’élan  ; quant aux derniers chevaux sauvages de Grande-Bretagne, d’après les fossiles les plus récents, ils auraient vécu il y a quelque 9 300 ans. À la fin du XIXe siècle, alors que la protection de la nature commençait à éveiller l’intérêt, la majeure partie du continent européen avait changé en profondeur, portant la marque de la gestion humaine, et seule survivait une poignée des brouteurs d’herbes et de feuilles dans ce qu’il restait de leur aire d’origine. Ces animaux, notamment les cerfs élaphes et les chevreuils, n’étaient tolérés qu’en très petit nombre, et uniquement dans des lieux spécifiques, notamment des parcs, en raison des dégâts qu’ils étaient capables d’infliger aux cultures et aux plantations forestières. Ils n’avaient donc que peu d’incidence sur la succession des arbres, même sur les parcelles en friche. Les herbivores sauvages restants n’étaient tout simplement pas assez nombreux ni assez variés pour qu’on observe les interactions qu’ils pouvaient avoir avec la succession écologique naturelle et les façons dont ils pouvaient l’influencer. En l’absence de ces animaux, on a ainsi considéré que la forêt fermée était l’état naturel des paysages européens. Cette hypothèse

a mené à une autre supposition, elle aussi fausse : si le climax végétal était la voie spontanément empruntée par la nature, alors tous les grands herbivores natifs d’Europe, y compris les aurochs et les tarpans (espèces depuis éteintes), avaient donc dû habiter les forêts. Cependant, il était clair que, dans un paysage dominé par l’agriculture, le nombre important de brouteurs domestiqués (notamment, et c’est là tout le paradoxe, les bovins et les chevaux qui descendent de ces aurochs et de ces tarpans) a e¤ectivement empêché la régénération des arbres. Par conséquent, a-t-on raisonné, la forêt fermée originelle avait pu exister uniquement parce que ces herbivores européens étaient très peu nombreux. Ce raisonnement circulaire reste très répandu dans les milieux forestiers et écologues, et fait naître chez Frans une immense frustration. “Le problème, soupire-t-il, c’est qu’on travaille toujours à partir d’un référentiel erroné.” La théorie des communautés végétales climaciques, proposée par le botaniste américain Frederic Clements dans l’ouvrage Plant Succession paru en 1916, puis reprise par le botaniste anglais Arthur Tansley, auteur entre autres de The British Islands and Their Vegetation (1939), constitue une autre barrière psychologique de taille pour les spécialistes de la conservation chargés de concevoir des stratégies en matière de gestion de la nature. On peut facilement prouver que la forêt fermée est pauvre en espèces, comparée à des habitats gérés comme les prairies, les pâturages, les landes et les terres agricoles traditionnelles. “Adhérer à la théorie de la forêt fermée, explique Frans, c’est aªrmer qu’en Europe, avant de se lancer dans les pratiques destructives de l’agriculture industrielle moderne, l’être humain a amélioré la biodiversité grâce aux pratiques conventionnelles d’agriculture et de foresterie comme la fenaison, l’émondage et le recépage, qui seraient capables de proposer un éventail d’habitats bien plus large que la forêt fermée pour les animaux sauvages.” C’est l’idée qui domine chez les

écologues comme Heinz Ellenberg qui, dans son livre Vegetation Mitteleuropas mit den Alpen (1963), indique que “l’Europe centrale aurait été un paysage forestier monotone si le genre humain n’avait pas créé la mosaïque colorée de prés, de landes, de champs de foin et de pâtures que nous connaissons aujourd’hui”. “Aucun écologue qui se respecte ne veut revenir à une forêt sombre, terne, pauvre en biodiversité en Europe, poursuit Frans. Ce raisonnement implique une immense responsabilité et une charge de travail colossale. Si l’être humain est le moteur de la biodiversité, alors il doit continuer à gérer la nature de façon intensive et à grands frais. Nous ne pouvons tout simplement pas croire que la nature est capable de s’en charger toute seule. Pourtant, d’où vient la biodiversité, si ce n’est de la nature  ? Nous oublions qu’elle est là depuis bien plus longtemps que nous.” Où donc vivaient toutes ces espèces qui semblent si heureuses dans nos prés, nos pâtures, nos taillis et nos terres communales, avant que nous arrivions avec nos bœufs et nos fourches, nos serpes, nos charrettes à foin et nos fléaux  ? Les écosystèmes du continent africain apportent une réponse à cette question. C’est dans le berceau de l’humanité que, jusqu’aux annihilations coloniales des deux derniers siècles environ, notre action a eu le moins d’e¤et sur la flore et la faune indigènes. Évoluant aux côtés de l’être humain, les animaux africains ont pu mettre au point des stratégies de défense. Partout ailleurs dans le monde, cependant, l’arrivée de l’homme (qui avait alors déjà atteint un certain stade de développement, transportait des armes et se multipliait rapidement) a eu un e¤et transformateur et souvent catastrophique sur les animaux sauvages, et notamment sur la mégafaune. Les écologues comme Frans aux Pays-Bas et d’autres en Allemagne se sont inspirés d’études portant sur la savane africaine, en particulier de l’ouvrage de Michael Norton-Griªths et Anthony Sinclair, Serengeti. Dynamics of an

Ecosystem, publié en 1979, l’un des premiers à montrer que l’action des herbivores brouteurs favorise l’apparition de nombreuses espèces végétales et animales. “L’Afrique o¤re un paradigme utile, explique Frans. Elle montre le rôle déterminant joué par les grands groupes d’animaux brouteurs naturellement présents dans un écosystème, la façon dont ils créent et maintiennent des prairies riches en biodiversité. Pourquoi, alors, cela ne pourrait-il pas se produire en Europe  ? Pourquoi supposer que les brouteurs peuvent avoir une influence dynamique et bénéfique là-bas, mais pas ici ?” Et c’est ainsi que débuta l’expérience consistant à lâcher des brouteurs en libre parcours dans l’Oostvaardersplassen. Comme en Afrique, les animaux seraient livrés à eux-mêmes, vivant naturellement en hardes, sans alimentation complémentaire ni aucune autre intervention. Il faudrait introduire des races anciennes, robustes, au fort instinct de survie, capables de se débrouiller une fois l’hiver venu – en somme, des bêtes qui ressemblent davantage à leurs ancêtres qu’aux animaux modernes, fruits d’une radicale sélection génétique. Concrètement, ils joueraient le rôle de la mégafaune disparue d’Europe. L’aurochs, une espèce éteinte, dont les individus mesuraient jusqu’à 3  mètres des naseaux à la queue, serait représenté par les aurochs de Heck, une race conçue au début du XXe  siècle par les frères Heinz et Lutz Heck, désireux de sauver l’aurochs en le distinguant du bison, l’autre grand bovin de l’Europe à l’Holocène. L’entreprise menée par les deux frères pour retrouver les caractéristiques de l’aurochs par la sélection génétique gagna en notoriété lorsqu’elle fut ensuite portée aux nues par les nazis, qui y voyaient un symbole de leur idéologie raciste. Bien que la méthode des frères Heck reste controversée, leur expérience fut une réussite dans le sens où elle contribua à faire reconnaître l’aurochs comme ancêtre des bovins modernes. Les bovins ainsi obtenus portent

les gènes de plus de huit races anciennes, y compris celle des Highlands en Écosse, des white parks britanniques et des taureaux de combat espagnols. Quoique plus petits de 20 à 30  centimètres que les immenses aurochs et plus légers d’une centaine de kilos (un taureau de Heck pèse environ 600  kilogrammes), ce sont tout de même des animaux qui en imposent. Les koniks, une race de poneys trapus à la robe louvet ornée d’une raie de mulet, issue du powiat de Biłgoraj en Pologne, ont été choisis pour l’expérience de l’Oostvaardersplassen en raison de leur robustesse et de leur ressemblance phénotypique supposée avec le tarpan, une espèce éteinte. Eux aussi avaient fait l’objet d’une sélection génétique visant à remonter le temps, démarrée par un comte polonais en 1936. Les chevreuils étaient déjà naturellement présents dans l’Oostvaardersplassen en petit nombre, et des cerfs élaphes sont venus grossir leurs rangs. “Nous voulions introduire le type de variation de broutage qu’on trouve en Afrique et qui, sans doute, avait cours en Europe autrefois. Bien entendu, il s’agit là d’une représentation imparfaite de tous les animaux qui étaient probablement présents à l’origine, mais il y a un grand nombre d’avantages à réunir de telles espèces. Ces ongulés n’ont pas les mêmes habitudes alimentaires  : leur bouche, leur système digestif, leur comportement et leurs préférences varient d’une espèce à l’autre. Par exemple, les chevreuils mangent des brindilles, des broussailles et de jeunes arbres. Les bovins et les chevaux, en revanche, sont en premier lieu des brouteurs d’herbe, quoiqu’il leur arrive aussi de manger des feuilles. Les cerfs élaphes mangent de l’herbe pendant la saison de végétation et préfèrent se nourrir de feuilles et d’écorce en hiver, lorsque l’herbe devient coriace. Ils peuvent même consommer l’écorce du sureau noir, pourtant toxique, car leur estomac est capable de neutraliser le cyanure, ce que ne peuvent pas faire les bovins et les chevaux.

“Les ancêtres de ces animaux avaient certainement les mêmes stratégies alimentaires, ou des stratégies très similaires. Sans doute avaient-ils la même flore intestinale et répandaient-ils les mêmes semences  : les vaches, par exemple, peuvent transporter jusqu’à 230  espèces végétales dans leurs intestins, poils et sabots. Notre hypothèse est que ces di¤érentes espèces, qui auraient existé en même temps par le passé, allaient créer et maintenir, sous l’e¤et conjugué de leur broutage dans l’Oostvaardersplassen, des prairies ouvertes, à la complexité florale plus importante.” Étant donné qu’ils ont été introduits tardivement depuis le MoyenOrient, les chèvres et les moutons (descendants des mouflons sauvages de Mésopotamie) ne font pas partie de la gamme d’herbivores associée aux écosystèmes postglaciaires d’Europe occidentale, et n’ont pas été retenus dans le cadre du projet. Au début, le nombre d’herbivores introduits était très faible  : 32  aurochs de Heck en 1983, 20  poneys Konik en 1984, 37 cerfs élaphes, venus d’Écosse et d’ailleurs, en 1992. L’idée était de laisser les populations croître naturellement. Là aussi, le continent africain a servi de boussole. “En Afrique, le paysage est peuplé de vastes hardes d’ongulés qui paissent ensemble. Il y a bien sûr des prédateurs, mais la densité de la population elle-même n’est pas régulée par la prédation.” La taille des hardes dépend en premier lieu de la quantité de nourriture disponible. En période d’abondance, si les précipitations ont été bonnes et que la végétation a bien poussé, les populations explosent. En revanche, dans les périodes où la nourriture se fait rare (dans le cas de l’Afrique, il s’agit notamment des saisons sèches et des épisodes de sécheresse), elles diminuent. Les femelles sous-nourries n’ovulent pas ou bien, si leur santé est un peu meilleure, elles ovulent mais ne conçoivent pas. Si la gestation prend, il arrive que le fœtus soit avorté ou absorbé. Mais si la gestation progresse, la mère fera du fœtus sa priorité,

au point parfois de sou¤rir de pré-éclampsie et d’en mourir. Les animaux plus âgés (notamment les mâles) s’a¤aiblissent et meurent. Le déclin des herbivores réduit la pression de broutage sur la végétation, ce qui conduit, si les conditions sont réunies, à un retour de la croissance des végétaux, après quoi les populations animales remontent. “C’est un cycle de fluctuations naturel, indique Frans. Bien que les conditions climatiques dans les zones tempérées européennes ne soient pas aussi diªciles qu’en Afrique, je ne vois pas pourquoi ce processus n’aurait pas fonctionné ici aussi à une certaine époque. Nos longs hivers ont un e¤et semblable à la saison sèche africaine ; un hiver rude, c’est comme une sécheresse. Les variations saisonnières et les cycles plus longs de pressions sur la végétation sont, de fait, la manière qu’a la nature de contrôler les populations animales.” Les animaux introduits dans l’Oostvaardersplassen se sont en e¤et multipliés, prouvant que ces terres peuvent nourrir bien plus de bêtes que ce que l’on croyait possible. Aujourd’hui, les troupeaux comprennent environ 800  poneys et 160  bovins qui paissent sur les 2 400 hectares du polder sec, et 2 000 cerfs élaphes trouvent de quoi se nourrir dans les zones sèches et marécageuses, contraignant les chevreuils à se déplacer. Pendant ce temps, globalement, la biodiversité s’est accrue et la réserve, dans laquelle des animaux paissent à l’année, compte aujourd’hui un nombre d’espèces plus important que les pâturages agricoles saisonniers. Les animaux ne paissent pas avec la même intensité partout dans la réserve, explique Frans. Les zones peu ou pas broutées durant les saisons de végétation au printemps et en été produisent des graminées et des plantes à fleurs, bénéfiques pour les souris et pour les oiseaux qui s’en nourrissent, comme les busards des roseaux et les buses variables. Les zones de pâture abritent pendant un temps les oies. Durant l’hiver, les parcelles que les animaux n’ont que peu touchées pendant la saison

de végétation sont dévorées et piétinées, ce qui donne à de nombreuses espèces végétales l’occasion d’y germer. Au printemps apparaît une profusion de graminées et de phorbes. Dans l’ensemble, la mort des animaux durant l’hiver réduit la pression de broutage pour le printemps suivant  : la fluctuation du nombre d’animaux permet la croissance spontanée de végétation épineuse, et parfois de saules, formant un autre habitat pour les petits mammifères et les oiseaux chanteurs, qui sont la proie des hiboux, des autours des palombes et des éperviers d’Europe vivant dans les saules des zones marécageuses. “Ce que nous avons montré dans l’Oostvaardersplassen, c’est qu’un assemblage d’herbivores autorisés à s’exprimer librement, sans intervention humaine, donne lieu à une variété bien plus grande d’espèces animales et végétales que ce que l’on peut trouver dans les prairies rases caractéristiques des pâturages agricoles saisonniers.” Campagnols terrestres, lapins, lièvres, hermines, belettes, putois, renards, couleuvres à collier, crapauds, coléoptères, bousiers, silphidés et papillons : tous se sont frayé un chemin jusqu’à la réserve et y vivent désormais en grand nombre. En outre, on y trouve 250 espèces aviaires, une diversité impressionnante. Le taux de mortalité annuel a cependant été source de controverses. Il est courant de voir des bovins, des chevaux et des cerfs a¤amés et à l’agonie à la fin de l’hiver, et c’est une chose à laquelle les Européens de nos temps modernes ne sont pas préparés sur le plan émotionnel. Frans a reçu des menaces de mort de la part de chasseurs, d’agriculteurs et d’amoureux des animaux. Le lien qui associe les aurochs de Heck aux nazis a suscité des comparaisons cruelles, à grand renfort de caricatures représentant Frans en Josef Mengele de l’écologie, menant des expériences dans un camp de concentration zoologique. Mais Frans reste droit dans ses bottes.

“Là encore, notre perception de la nature est orientée par les conventions de l’intervention humaine. L’image de référence que nous avons du bien-être des animaux d’élevage est ici appliquée à des animaux qui vivent à l’état sauvage, explique-t-il. Les animaux présents dans l’Oostvaardersplassen évoluent en liberté dans un environnement naturel : ils ne sont pas entassés dans un hangar, ni bousculés chaque jour par des êtres humains  ; ils se reproduisent naturellement et non par insémination artificielle  ; ils vivent selon une structure de harde naturelle qui permet aux petits de rester avec leur mère  ; ils peuvent paître et brouter ce qu’il leur est naturel de manger, et non des aliments concoctés artificiellement pour eux par l’industrie de l’élevage. Et pourtant, rien de tout cela ne semble avoir une quelconque importance. On se fixe uniquement sur leur mort, et non sur la qualité de leur vie. “De nombreuses personnes croient notamment que ces morts sont trop nombreuses et qu’elles ne sont pas naturelles parce qu’il y a une clôture autour de la réserve qui empêche les animaux de migrer à la recherche de nourriture, mais ces morts cycliques surviennent aussi dans les populations migratrices d’Afrique. Et dans les endroits où la migration est impossible, comme dans le cratère du Ngorongoro en Tanzanie, où la densité de prédateurs est la plus élevée de toute l’Afrique, la dynamique est la même. La famine est le facteur déterminant. C’est un processus fondamental de la nature.” Toutefois, l’indignation générale a imposé l’adoption d’un compromis sur les principes de non-intervention de l’Oostvaardersplassen, et aujourd’hui, les animaux jugés en grande sou¤rance sont abattus humainement. D’après les législations néerlandaise et européenne, on ne peut pas laisser se décomposer les cadavres de bovins et d’équidés, y compris lorsqu’il s’agit d’animaux dédomestiqués  : ils sont donc récupérés et incinérés. Mais ceux des cerfs élaphes et des chevreuils, qui entrent dans la catégorie des animaux sauvages, peuvent être

abandonnés sur place et fournissent ainsi de la nourriture aux renards, aux rats, aux corbeaux et aux oiseaux de proie, notamment aux pygargues à queue blanche. Au bout d’un moment, le moindre bout de chair, de fourrure, de tendon et d’os disparaît, digéré par tous les insectes, silphidés, bactéries et champignons qui ont colonisé la réserve depuis le début du projet. Ensemble, ces organismes décomposeurs remplissent leur fonction d’enrichissement du sol par l’apport de nutriments issus de ces carcasses, comme le phosphore, le potassium, le calcium, le magnésium et l’azote. Charlie et moi avons contemplé ce paysage, miracle de création sans cesse renouvelé, et quelque chose a fait tilt. Si le pâturage naturel pouvait être à l’origine d’une réponse si productive sur un simple bout de terre gagné sur la mer (une ardoise vierge, pour ainsi dire, sans aucune biodiversité terrestre préexistante), alors ce phénomène pourrait se produire n’importe où, peut-être même sur des terres appauvries et polluées par des décennies d’agriculture intensive. En inversant, concrètement, les déclins catastrophiques que nous connaissions, l’Oostvaardersplassen pouvait fournir un modèle à suivre pour l’Europe. Charlie a l’Afrique gravée en lui. Il a passé les premières années de sa vie en Rhodésie où, dans les années précédant l’indépendance, son père Raymond cultivait le tabac et le coton. L’Afrique n’a cessé de se rappeler à lui et nous avons voyagé ensemble, à l’occasion de safaris dans des réserves naturelles au Kenya, en Tanzanie, en Namibie, au Botswana et en Afrique du Sud. Il lui est tout naturel de voir de grands troupeaux d’animaux à cette échelle, et ce paysage apparemment sans limites est pour lui une seconde nature. Aller à la rencontre d’un tel écosystème dans les plaines agricoles européennes, caractérisées par une forte densité de population et un haut niveau d’intervention, nous a ouvert les yeux. Deux expériences complètement di¤érentes, deux mondes que tout séparait étaient ici réunis. Le sauvage s’était infiltré dans un lieu

qui, jusque-là, nous semblait logiquement inaccessible pour lui. Charlie cogitait à toute vapeur. Qu’arriverait-il, se demanda-t-il à voix haute sur le chemin du retour, si nous donnions carte blanche à ce type de processus naturels à Knepp ? Pourrions-nous étendre la restauration du parc Repton aux terres agricoles environnantes, mais en en faisant quelque chose de bien plus sauvage, capable de s’autogérer ? Pourrionsnous avoir recours à des animaux brouteurs qui créeraient des habitats et régénéreraient les processus naturels dans l’ensemble du domaine ? Ce projet de conservation autonome pourrait-il être la réponse que nous attendions ?

La conservation devrait se fonder sur l’observation pratique, non sur de la théorie précaire. OLIVER RACKHAM, Woodlands, 2006.

La lettre d’intention envoyée par Charlie en 2002 à English Nature, l’organe consultatif du gouvernement chargé de la nature et financé par le département de l’Environnement, de l’Alimentation et des A¤aires rurales, était franche et optimiste. Il y déclarait notre souhait d’établir une “zone sauvage riche de biodiversité dans le Low Weald du Sussex”. Ce que nous envisagions, expliquait-il dans la lettre, était une “expérience de gestion de la terre” fondée sur l’association de plusieurs espèces d’animaux brouteurs en semi-liberté afin de créer, au bénéfice de la flore et de la faune sauvages, des possibilités semblables à celles que nous avions pu observer dans l’Oostvaardersplassen. Nous demandions des financements destinés à l’érection d’une clôture autour des 1  400  hectares du domaine, à l’élimination des 320  kilomètres de barrières internes (en ne laissant que celles qui entouraient la maison et les bâtiments), à l’installation de passages canadiens sur les petites routes publiques qui traversent Knepp et à la construction d’un écoduc sous la forme d’un pont terrestre au-dessus de l’A272, afin que les animaux puissent parcourir tout le domaine. Nous admettions volontiers dans cette lettre les diªcultés qui pourraient se présenter  : marquage auriculaire compliqué sur les bêtes sauvages, possibilités de conflits entre promeneurs de chiens et animaux en semi-liberté, éventuelle prolifération des herbes sauvages, et probables protestations concernant les cadavres en décomposition. Nous espérions toutefois que rien de tout cela ne serait insurmontable.

À lui seul, notre choix d’animaux avait de quoi donner des sueurs froides au comité d’English Nature  : les cerfs élaphes, les daims, les aurochs de Heck et les poneys Exmoor étaient déjà relativement problématiques, mais la sainte trinité –  sangliers, castors et bisons d’Europe – également évoquée dans la lettre était à la limite du tabou. Nous ne manquions pas d’ambition. Nous avions beaucoup d’espoir pour le sanglier. La présence d’un grand nécrophage était un processus qui faisait particulièrement défaut à l’Oostvaardersplassen. Certes, les renards et les oiseaux déchiquètent les carcasses dans les plaines du Flevoland mais même là-bas, il n’y a pas de sanglier, équivalent européen de la hyène africaine briseuse d’os. Le sanglier a une autre fonction écologique essentielle  : son comportement fouisseur (il retourne la terre à la manière d’un motoculteur) expose le sol nu qui peut ainsi être colonisé par des invertébrés et des graines de plantes et de buissons à fleurs. Le gouvernement néerlandais n’a pas consenti à cette introduction dans l’Oostvaardersplassen au motif que les sangliers pourraient s’échapper de la réserve et devenir des vecteurs de maladies dans les élevages porcins intensifs du pays. Paradoxalement, de nombreux spécialistes estiment que la menace se joue dans l’autre sens : les porcs issus de ces élevages, foyers de cultures virales, transmettraient leurs maladies à leurs cousins sauvages. Frans espère encore que le sanglier trouvera seul son chemin jusqu’à l’Oostvaardersplassen, car il s’en trouve à seulement 25  kilomètres de là. Comme il n’y a pas d’élevages porcins dans notre voisinage, nous espérions que l’introduction des sangliers à Knepp susciterait moins de controverses qu’aux Pays-Bas. Si l’espèce s’est éteinte en Angleterre il y a moins de trois siècles, tout récemment des bêtes échappées ou relâchées des élevages de sangliers ont formé de nouvelles populations vivant à l’état sauvage. Une partie d’entre elles, ayant élu domicile dans l’East Sussex, fournissent au Festival du

sanglier de Rye, qui se tient chaque année en octobre, des burgers de sanglier, du sanglier bourguignon et d’autres mets de choix. Des sangliers ont été aperçus à moins de 2 kilomètres de Knepp, de l’autre côté de  l’A24, une route particulièrement empruntée qui semble avoir limité leur expansion vers l’ouest jusqu’à aujourd’hui. Nous étions convaincus qu’il était fondamental de laisser les cadavres sur place plutôt que de les récupérer pour les incinérer, même s’il faudrait pour cela, du fait des législations britanniques en matière de sécurité sanitaire, similaires à celles du reste de l’Europe, obtenir une dispense. L’absence de carcasses dans le paysage est en e¤et un autre aspect des processus naturels que nous avons perdu et qui a entraîné l’e¤ondrement des populations de toute la communauté d’insectes nécrophages, comme les histeridés et les calliphoridés (mouches vertes et bleues), ainsi que des champignons et des bactéries. En GrandeBretagne, on surnomme la mouche Centrophlebomyia furcata “dead donkey fly” (“mouche de l’âne mort”), un nom qui lui vient de la dernière fois qu’on l’a aperçue dans le pays. Comme elle avait pour habitude de pondre ses œufs dans des cadavres en décomposition avancée, elle a complètement disparu du territoire lorsqu’on a cessé d’abandonner les carcasses. Même si, il faut bien le dire, il n’y a guère que les entomologistes pour déplorer la disparition de ces bestioles, le fait est que laisser les animaux morts se décomposer sur place permet de conserver dans le sol les nutriments comme le phosphore et le calcium, des éléments qui sont entre autres essentiels aux oiseaux pour produire leurs œufs. Les castors, en revanche, n’étaient pas près de se faire accepter en Grande-Bretagne en 2002, alors qu’ils gagnent du terrain en Europe –   on en a d’ores et déjà repéré dans l’Oostvaardersplassen et il est probable qu’ils se reproduisent bientôt dans la réserve. De plus en plus de données recueillies en Europe mettent au jour les incidences

bénéfiques de ces animaux sur l’environnement, aussi espérions-nous que les pouvoirs publics britanniques reconnaîtraient les avantages à tirer du retour de cette espèce clé en Angleterre. Knepp, avec ses lacs, ses étangs, ses fossés et ses nombreuses zones marécageuses, serait selon nous un point de départ idéal. Les bisons sont d’autres animaux brouteurs qui font leur grand retour en Europe après avoir quasiment disparu  ; pour Frans et d’autres écologues européens, il s’agit là aussi d’une espèce clé. La présence des bisons en Grande-Bretagne après la dernière période glaciaire fait encore débat. On n’y a pas encore découvert d’os de bison, mais les preuves fossiles, on le sait, sont diªciles à dénicher. Par exemple, on n’a jamais trouvé d’os fossiles de loup aux Pays-Bas, alors que l’espèce y était répandue il y a quelques siècles à peine. Le dernier loup abattu a été tué dans le Sud des Pays-Bas en 1845, et c’est en 1897 qu’on y a vu un loup pour la dernière fois. Les preuves fossiles sont si rares que, lorsqu’on en trouve, elles bousculent toutes les théories qui avaient cours jusqu’alors. Ainsi, la découverte fortuite d’os de mammouth en 2009 à Condover, dans le Shropshire, a conduit à avancer de 7 000 ans la présence des mammouths dans le pays, ce qui signifierait qu’ils étaient là il y a seulement 14 000 ans. Aussi inconfortable que soit cette réalité pour les scientifiques, notamment pour les paléoécologues qui préféreraient avoir a¤aire à des certitudes et à des traces tangibles, l’absence de preuves n’est pas une preuve d’absence. En outre, on a récemment découvert dans le Doggerland, sous la mer du Nord, des os de bison datant du début de l’Holocène (l’ère actuelle, qui a commencé il y a environ 11 700 ans, après la dernière période glaciaire), ainsi que des ossements d’autres animaux de l’Holocène comme des aurochs, des sangliers, des élans, des castors, des chevreuils et des loutres. Le Doggerland était le pont terrestre qui reliait la Grande-Bretagne au reste de l’Europe jusqu’à ce que l’élévation des mers nous sépare, il y a

8  200  ans. Il serait tout à fait incongru que, alors que nous étions encore physiquement rattachés au continent, les animaux se soient bien sagement arrêtés à Calais. Sur un aspect en particulier, cependant, nous savions que notre ambition se heurterait à davantage d’obstacles qu’à l’Oostvaardersplassen. À Knepp, domaine privé dont la superficie est égale à un quart de la réserve néerlandaise, cerné de maisons et de jardins habités, nous ne pourrions pas laisser des animaux mourir de faim. À nos yeux, il était essentiel que, dans le cadre de l’expérience, des hardes de brouteurs interagissent avec leur environnement aussi naturellement que possible, avec un minimum d’intervention humaine et sans alimentation complémentaire, mais l’idée de voir des animaux mourir depuis nos fenêtres était inconcevable, et puis les autorités ne l’auraient pas permis. La Société pour la prévention de la cruauté envers les animaux a son siège à Southwater, un village voisin. La taille et la localisation de Knepp, ainsi que notre sensibilité, imposaient leurs propres limites. Notre proposition était donc que, une fois les animaux très nombreux, nous en abattrions un certain nombre, autant que nécessaire pour que les autres restent en bonne santé et bien nourris tout au long de l’hiver. En cas de maladie ou si, par exemple, une mise bas se passait mal, nous apporterions à l’animal une assistance vétérinaire. En vendant la viande des bovins, des cervidés et des sangliers ainsi prélevés, nous espérions couvrir les frais d’abattage. Les poneys seraient parqués une fois par an et les animaux en surplus vendus. La lettre de Charlie expliquait également que nous comptions mener l’expérience sur vingt-cinq ans, après quoi le projet serait évalué avant de décider s’il convenait de poursuivre le réensauvagement ou s’il valait mieux trouver une autre forme de gestion des terres. Nous n’étions pas certains de l’issue du projet et avions besoin de pouvoir, au besoin,

revenir en arrière. En tant que propriétaires privés se posait aussi pour nous la question du financement. Si English Nature –  ou tout autre organisme – décidait de nous octroyer des fonds puis cessait par la suite de soutenir le projet, et qu’il n’y avait pas d’autre source de financement disponible pour l’initiative de conservation au bout des vingt-cinq ans, il était hors de question que la génération suivante se retrouve piégée dans un projet qui serait devenu un fardeau financier. Nous souhaitions que nos enfants et nos petits-enfants soient libres de décider de ce qu’ils voudraient faire de la terre en fonction de l’évolution du contexte au cours de leur vie, y compris en revenant à l’agriculture si, pour une raison que nous peinions pour l’heure à imaginer, il était de nouveau envisageable de cultiver quoi que ce soit sur nos parcelles d’argile. L’année suivante, le spécialiste en chef des forêts d’English Nature est venu nous rendre visite à Knepp pour mener son enquête. Keith Kirby, timide universitaire arborant une longue barbe eªlée à la Darwin, avait ressenti, comme la plupart des écologues britanniques, les remous provoqués par la publication du livre de Vera. Prudent mais intrigué, il était curieux de mettre à l’essai les théories du scientifique néerlandais sur le sol britannique. Il nous fit cependant clairement comprendre que son département n’était pas en mesure de financer notre projet. Et, selon lui, il était peu probable que les autorités d’English Nature aient la volonté de se lancer dans une initiative aussi radicale que celle que nous proposions. Il parla de modélisation informatique, de cibles, de gardefous, de paramètres à établir pour le nombre d’animaux et le couvert végétal, et d’une kyrielle de recherches supplémentaires à mener. Le fait qu’English Nature ne nous ait pas directement ri au nez était pour nous une forme d’encouragement, mais l’austérité de la réponse était frustrante et nous avions le sentiment que cette frilosité n’avait pas lieu d’être. La seule façon de comprendre les incidences des brouteurs en libre parcours dans un paysage, c’était de les y mettre. L’objectif d’un

projet axé sur l’expérience était de laisser la nature prendre le volant, et il fallait pour cela mettre de côté les idées préconçues et supprimer autant d’obstacles que possible. Les cibles et les paramètres n’avaient rien à faire là. L’expérience devait être ouverte, sans objectif autre qu’une ambition globale de restauration des processus naturels et d’enrichissement de la biodiversité. Nous n’avions tout simplement aucun moyen de savoir ce qui se passerait car il y avait trop de variables et rien de semblable n’avait été autorisé au Royaume-Uni par le passé. Bâtir un modèle informatique pour définir les résultats que produirait une parcelle autonome revenait pour nous à prévoir les réalisations de toute la vie d’un enfant encore à naître. Cette première visite de Keith n’a cependant pas été la dernière et elle a permis de nouer un dialogue avec les agents des autorités publiques, qui allait se poursuivre sur le même ton pendant les cinq années suivantes. Nous ne cessions d’espérer qu’English Nature s’engagerait à nous soutenir, mais chaque fois un accès d’indécision politique et de nombrilisme scientifique freinait notre élan. Sans financement, nous n’avions tout simplement pas les moyens de clôturer nos 1 400 hectares, condition indispensable au lancement de notre projet de pâture naturaliste. Chez English Nature, les doutes étaient décuplés par les remaniements, évolutions stratégiques et restructurations qui sont le propre de n’importe quel organisme gouvernemental. En 2006, par exemple, l’agence a été rebaptisée Natural England et a absorbé la Countryside Agency et le Rural Development Service. Mais au cœur des tergiversations de Natural England, on trouvait la controverse qui continuait de faire rage autour des théories de Vera et de la nature des “forêts sauvages”  : la Grande-Bretagne se composait-elle, au PréNéolithique, dans la palynozone atlantique, il y a environ 7 000 ans, de forêts fermées ? Ou s’agissait-il d’un paysage plus ouvert, mosaïque de prairies, de friches broussailleuses, de bosquets et d’arbres solitaires, où

paissaient un grand nombre d’herbivores  ? Il était tout simplement fondamental de tirer au clair le passé écologique de la Grande-Bretagne pour déterminer les stratégies de conservation à adopter à l’avenir et orienter les réponses apportées par Natural England à des projets comme les nôtres. Pour Vera et ses partisans, la théorie de la forêt fermée a une faille évidente  : notre vieil ami le chêne. Omniprésent dans un paysage ouvert, ses branches étirées vers le ciel en salutation au soleil, le chêne est la preuve matérielle que l’Europe tempérée n’a pas pu être entièrement couverte de forêts fermées. Nous savons déjà que les chênes étaient pléthoriques dans notre paysage, grâce aux grains de pollen fossiles et autres restes trouvés dans nos anciennes plaines inondables. Comme l’indique Oliver Rackham, “les rondins et les souches d’arbre préservés dans la tourbe, qu’on appelle chênes de tourbière, sont un complément utile au pollen fossile. Ils ne sont qu’une fraction non représentative de tous les arbres qui ont existé pendant la Préhistoire ; ils poussaient dans des lieux inhabituels et mouraient violemment, de façon là aussi inhabituelle, à la suite d’une élévation soudaine des nappes phréatiques. […] Cependant, les arbres de tourbière ne doivent pas être négligés. Ils nous racontent, mieux que toute autre preuve, ce qui poussait où et la structure de certains types de forêts sauvages, outre leur composition”. Les nombreuses associations de la faune et de la flore avec le chêne sont en elles-mêmes la preuve d’une riche écologie commencée il y a bien longtemps. Les arbres traditionnellement rares ou très espacés les uns des autres n’ont pas souvent l’occasion de nouer autant de liens. L’association particulière du chêne et du geai, l’oiseau dont il dépend pour la dispersion et la germination de ses glands, a dû évoluer au fil de millénaires. Ce n’est

donc pas un arbre qui a proliféré à notre époque moderne, et son omniprésence dans nos paysages anciens est une remise en cause flagrante de la théorie de la forêt fermée. Tout comme le noisetier et le bouleau, les deux espèces de chêne des plaines d’Europe, le sessile (Quercus petraea) et le pédonculé (Quercus robur), dont le Chêne de Knepp est un représentant, ont besoin de beaucoup de lumière directe, du moins dans la première phase de croissance. Contrairement aux hêtres, charmes, frênes, tilleuls, érables sycomores, sapins blancs, érables champêtres, aulnes, ormes des montagnes, ormes champêtres, et à d’autres espèces d’arbres natives d’Europe centrale et occidentale, les chênes ne peuvent pas se régénérer dans un contexte de forêt fermée. Pour les spécialistes des arbres et des forêts comme Ted Green, c’est une évidence. Pourtant, ce fait a été mis de côté par la plupart des partisans de la théorie de la forêt fermée et continue de l’être encore aujourd’hui. Parmi eux, ceux qui savent bien que le chêne a besoin de lumière aªrment qu’il peut germer et croître jusqu’à la phase de maturité dans les clairières ouvertes créées au moment où un grand arbre ou un petit bosquet sont abattus par une tempête ou s’a¤aissent avec l’âge. Vera s’inscrit en faux contre cette aªrmation. Il fait remarquer que, dans les réserves forestières d’Europe centrale et occidentale (y compris dans la forêt primaire de Białowieża, en Pologne), il n’y a plus de nouveaux chênes viables, même dans les clairières. Ces arbres sont en train, progressivement, de disparaître. S’il y en a dans ces réserves, c’est parce qu’ils ont été plantés par les exploitants forestiers et volontairement préservés de toute concurrence, auquel cas ils ont tous le même âge, avec un tronc qui s’étire en hauteur (utile pour le bois d’œuvre), dépourvu de grandes branches latérales et de petite couronne à leur sommet  ; ou parce que ce sont des chênes anciens, dont les branches latérales se sont confortablement étirées à ciel ouvert, puis qui ont été

entourés, au fil du temps, d’autres arbres supportant bien l’ombre. Selon Vera, ces chênes anciens aux branches ouvertes indiquent clairement que la forêt était autrefois un pâturage boisé, un écosystème survenu naturellement du fait de la présence continue d’ongulés brouteurs. Ces chênes de plein air pourraient bien, à l’origine, avoir été des arbres solitaires, nés d’un gland planté par un geai ou par un mulot sylvestre près d’un buisson épineux, ou bien avoir poussé au milieu d’un bosquet de chênes provenant de plusieurs glands apportés par des geais en marge d’un fourré épineux. Celui-ci aurait fait oªce de pépinière pour les jeunes pousses, les protégeant des brouteurs sans toutefois les priver de lumière. Après la disparition des brouteurs de ce paysage de pâturage boisé, la succession écologique n’aurait plus eu aucune limite  : nécessairement, les espèces tolérantes à l’ombre auraient gagné du terrain, formant les forêts fermées qui sont aujourd’hui des “réserves forestières”, terres sacrées pour les spécialistes de la conservation, protégées par la législation. Les chênes les plus hauts mettront peut-être des siècles à mourir, à mesure que les arbres environnants prennent de la hauteur et, les dépassant, leur volent la lumière. Mais ils mourront, assurément. C’est un phénomène que nous avons nous-mêmes constaté en Roumanie, plusieurs années après le début du projet. Nous avons visité presque par hasard la réserve naturelle de Breite, près de Sighişoara, au cours d’un voyage entrepris avec des amis pour observer des prairies naturelles dans les Carpates. Cette rare parcelle de pâturage boisé ancien, parsemée de chênes –  magnifiques vétérans noueux de six ou sept siècles  –, avait été abandonnée lors du déclin des méthodes d’élevage traditionnelles des moutons, il y a cinquante ans. En l’absence de brouteurs, une armée de charmes et de hêtres avait fait irruption en grande pompe. Les chênes entourés de ces ombrageux pionniers étaient

en train de perdre leur couronne et leurs branches : lente noyade dans une mer végétative. Quelques-uns, submergés, étaient déjà tombés au sol. S’il arrive que les jeunes plants issus de ces vieux chênes, s’accrochant à leur cercueil crépusculaire, prennent racine (parfois même en grand nombre) dans les clairières disponibles, ils déclinent inévitablement au bout de quelques années, concurrencés par les jeunes arbres tolérants à l’ombre. La même chose se produit en Grande-Bretagne. Dans la réserve naturelle du Mens (une zone de non-intervention, qu’on dit être l’une des dernières parcelles de forêt fermée naturelle en plaine du pays) non loin de chez nous, dans le Sussex, les écologues travaillant sur le site s’attendaient à voir surgir de nombreux chênes après la tempête de 1987, d’une vigueur inédite depuis trois siècles, qui avait abattu de nombreux arbres. Encore aujourd’hui, ils ont du mal à croire que la succession de chênes n’ait pas lieu. Le feu provoqué par la foudre est un autre phénomène couramment cité par les partisans de la théorie de la forêt fermée pour expliquer que la forêt se soit ouverte et que les jeunes chênes aient pu se régénérer dans l’Europe préhistorique. Mais cet argument ne tient pas, lui non plus, du moins dans des climats tempérés. On comprend mal comment le feu a pu acquérir une telle crédibilité en tant qu’agent perturbateur dans notre territoire de pluie et de brouillard. Quiconque a déjà essayé de faire un feu en utilisant uniquement les matériaux disponibles dans une forêt britannique connaît leur réticence à s’embraser, même au cœur de l’été. Les feux de joie de la nuit de Guy Fawkes1 seraient des pétards mouillés s’ils n’étaient pas arrosés de litres de pétrole. Contrairement aux pays arides du Sud de l’Europe, peuplés de pinèdes sèches, la Grande-Bretagne ne dispose pas d’essence forestière facilement inflammable, à l’exception peut-être du pin sylvestre, et il est rare que les éclairs donnent lieu à l’intervention des pompiers. Les

orages électriques, lorsqu’il y en a, s’accompagnent presque toujours de pluie. Durant la Seconde Guerre mondiale, Herbert Edlin, forestier de renom, observa que même pendant la bataille d’Angleterre, qui eut lieu au cours d’un long été aride, aucune bombe explosive, pourtant capable de brûler du béton, ne parvint à mettre le feu aux forêts. Dans le bois de Carpenters Wood, qui appartient au site forestier de Bisham Woods, dans le Berkshire, le cratère formé par le crash d’un avion chargé d’explosifs en 1944 est toujours visible, marqué par une plaque commémorative célébrant les pilotes qui y ont perdu la vie. L’explosion fut entendue à des dizaines de kilomètres à la ronde. Pourtant, les arbres environnants, y compris les hêtres, à une centaine de mètres à peine du site de l’accident, ne s’embrasèrent pas. Même pendant la grande sécheresse de 1976, alors que brûler le chaume était à la mode, aucun feu ne se déclencha en forêt. Oliver Rackham, spécialiste incontesté des forêts britanniques, est catégorique sur ce point : hormis les pins, les essences natives du pays ne produisent pas d’étincelles. “Les forêts de feuillus brûlent comme de l’amiante humide”, conclut-il. Étant donné qu’au titre de la théorie de la forêt fermée, par définition, les brouteurs ne sont pas perçus comme d’importants perturbateurs, quelles sont les raisons qui expliquent qu’avant l’humanité, les forêts aient pu s’ouvrir suªsamment pour permettre aux chênes de proliférer  ? Sécheresses, inondations ou tempêtes prolongées  ? Maladies ? Les phénomènes météorologiques extrêmes sont par nature extrêmement rares, et souvent très localisés. Les flambées d’agents pathogènes, plus rares encore, ne surviennent généralement qu’une fois tous les quelques siècles, si ce n’est tous les quelques millénaires. Comme la thyllose parasitaire de l’orme ou la chalarose du frêne, elles ne concernent souvent qu’une espèce à la fois. Les phénomènes extrêmes ne suªsent pas à eux seuls à expliquer l’évolution et la survie du chêne dans notre paysage, et encore moins son omniprésence.

Pourquoi l’argument de la forêt fermée a-t-il fait autant d’adeptes dans la communauté scientifique  ? Pourquoi est-il si diªcile de faire évoluer les positions sur cette question ? La raison est peut-être en partie psychologique. L’idée d’un territoire couvert d’une forêt sombre et imposante a énormément d’attrait pour l’imagination. Elle est l’éto¤e des contes allemands importés par le monde anglophone au XIXe siècle : Hansel et Gretel, Le Petit Chaperon rouge et Blanche-Neige, contes de fées venus des obscures forêts de conifères d’Europe de l’Est. En Scandinavie, les forêts primaires étaient habitées par des trolls et d’autres créatures mythiques, e¤rayantes et enchanteresses, qui étaient, inévitablement, très dangereuses pour les êtres humains. Le monde interdit peuplé de monstres tels qu’on les trouve chez Maurice Sendak est ancré dans notre inconscient collectif. Avec ses connotations freudiennes de pouvoir et de pénétration, d’homme primitif armé de sa hache, de chasse aux bêtes e¤royables à la gueule baveuse, de trouées de lumière dans les ténèbres, d’ouverture de la terre à coups de bêche, de graines plantées dans le sol vierge, il s’agit là d’une histoire profondément anthropocentrée, dont les racines se sont enfoncées loin dans notre psyché. “À l’origine, la surface de la Terre était couverte de forêts, à l’exception des zones immergées, avait aªrmé Thomas Pownal à la Society of Antiquaries of London, en 1770. Les premiers êtres humains étaient des hommes des bois, qui se nourrissaient de fruits, de poisson et du gibier de la forêt.” Le milieu scientifique a emboîté le pas à cette théorie pratiquement sans la contester. La Grande-Bretagne de l’Holocène était, selon l’archéologue Cyril Fox en 1943, “une vaste forêt humide de chênes, de frênes, d’épineux et de ronces, vierge dans une large mesure. Cette forêt était, en un sens, intacte”.

Dans le monde moderne, l’idée d’une forêt primaire omniprésente, verdoyante, infinie, insondable et luxuriante est devenue, pour celles et ceux qui aspirent au réenchantement ou qui sont nostalgiques d’une forme de nature plus riche et plus profonde, l’antithèse des paysages appauvris, pollués et fragmentés que la modernité a semés sur son passage. Cette vision continue d’être défendue par le milieu scientifique, et il semblerait que la persistance de ce mythe soit dans une large mesure attribuable aux palynologues (les experts en pollen), qui ont fait entrer la théorie de la forêt fermée dans le XIXe siècle. Les pollens fossiles ont fait oªce de preuve pour les partisans de la végétation climacique du début du XXe siècle, comme Arthur Tansley et Charles Moss, et c’est à partir de cette preuve que les Européens des Temps modernes ont bâti l’image du passé. Le géologue suédois Ernst Jakob Lennart von Post créa en 1916 le tout premier diagramme pollinique. En observant des grains de pollen d’arbre préservés dans des strates de tourbières et les sédiments de lacs, il aªrma qu’il était possible d’identifier le type de forêts présent dans les plaines d’Europe occidentale et centrale depuis la fin de la dernière période glaciaire jusqu’à l’âge moderne. Les essences d’arbres comme le chêne, l’orme, le tilleul, le hêtre, le noisetier et le charme, tous de grands émetteurs de pollen, sont très présentes dans les pollens fossiles, tandis que la quantité de pollen d’espèces autres, comme les graminées, les fleurs et la plupart des arbustes, est extrêmement faible. C’est ainsi que les scientifiques du début du XXe  siècle furent convaincus qu’ils avaient sous les yeux un vestige des forêts fermées. Par la suite, les phytogéographes et les chercheurs en science forestière ont repris le flambeau sans remettre en cause cette hypothèse, ne contestant que quelques éléments plus pointus sur la composition de la forêt primaire et la chronologie précise de l’apparition des di¤érentes espèces dans le paysage de l’après-période glaciaire.

Les angles morts, cependant, sont légion en palynologie. Dans le paysage de pâturage boisé préhistorique que dépeint Vera, dont l’écologie est déterminée par les hardes de brouteurs primaires, figure une “végétation formée de liserés herbacés et de manteaux arbustifs”, composée d’essences de lumière broussailleuses comme le prunellier, l’aubépine, l’églantier, le troène commun, le cornouiller sanguin, le pommier sauvage, le poirier commun, le merisier et le sorbier des oiseleurs. C’est le type de paysages qu’on trouve encore dans les pâturages naturalistes de Roumanie, dans l’Ouest du Jura en France, à Borkener Paradies en Allemagne, dans le Karst slovaque et dans la New Forest en Angleterre. Mais toutes ces espèces sont pollinisées par les insectes et ne libèrent que peu de pollen dans l’atmosphère, voire pas du tout. Ce pollen a tendance à être collant et granuleux, car il est fait pour s’accrocher à certains insectes, et non poussiéreux et léger, comme le sont les pollens qui se dispersent en tournoyant dans les airs. Du point de vue de la palynologie, ces plantes sont quasi invisibles. L’absence de ces espèces dans le spectre pollinique ne prouve pas qu’elles n’étaient pas là. D’ailleurs, puisqu’elles existent de nos jours, c’est bien qu’elles ont existé par le passé. Se pose alors la question suivante : comment ontelles survécu jusqu’à l’époque moderne si notre monde était à l’origine une forêt fermée ? Le noisetier, un autre arbuste buissonnant typique du pâturage boisé ouvert, produit e¤ectivement du pollen en abondance, qui est ensuite dispersé par le vent. S’il peut survivre dans une forêt fermée, il a cependant besoin de lumière directe pour fleurir correctement et produire de grandes quantités de pollen. Entre 20 et 40 % du volume total de pollen trouvé dans les grandes tourbières, les lacs et les bassins collecteurs d’Europe centrale et occidentale proviennent de noisetiers. Or, et il y a de quoi s’étonner, les premiers palynologues passaient sans cesse sous silence le pollen de noisetier dans leurs diagrammes, au

prétexte que, comme il s’agit d’un arbuste, il représente forcément le sous-étage d’une forêt fermée. De ce fait, il ne concurrence pas les arbres plus hauts et par conséquent, à leurs yeux, sa présence n’était qu’une distraction, brouillant l’identification des essences arborescentes. Lennart von Post, le père de la palynologie, donna le ton dès 1916 : “Je n’ai pas inclus le pollen de noisetier dans la somme [des pollens des arbres forestiers]. La raison en est que le noisetier apparaît avant tout dans la strate arbustive de la forêt mixte de chênes, et ne forme qu’exceptionnellement une communauté distincte, capable de faire concurrence à d’autres types de forêts.” Comme l’expliquait en 1934 le botaniste et palynologue britannique Harry Godwin dans un article sur l’analyse du pollen de noisetier, paru dans le New Phytologist, “dès le début des recherches analytiques sur le pollen, il a été d’usage de compter, dans tous les échantillons à l’exception des plus diªciles, un minimum de 150  grains de pollen. Le pollen de type Corylus-Myrica [noisetier et piment royal] n’est pas comptabilisé dans ce total”. Bien qu’il ne soit plus exclu des diagrammes polliniques modernes, il reste exclusivement vu comme du pollen d’arbre, dans la droite ligne des considérations de Lennart von Post. Personne ne semble vouloir considérer les hauts pourcentages de pollen de noisetier comme la marque d’un paysage plus ouvert. Cette pratique anormale, de l’avis de Vera, équivaut à fermer les yeux en s’enfonçant les doigts dans les oreilles. Comme le chêne, le pollen de noisetier est un indicateur fondamental non pas d’une forêt fermée, mais d’un manteau arbustif dans un paysage ouvert de pâturage boisé. L’un des arguments les plus fréquemment cités par les palynologues comme preuve qu’il y avait peu, voire pas, de prairies ouvertes dans le paysage préhistorique est le faible taux de pollen de graminées dans les archives fossiles. Mais il y a une explication évidente à cela. Un grand nombre de brouteurs pourraient avoir mangé ces végétaux avant leur

floraison, comme ils le font dans le Serengeti où, d’après Tony Sinclair, les graminées ne fleurissent que sporadiquement lorsque, pour une raison ou une autre, les e¤ets du broutage se font temporairement moins sentir. Mais il y a aussi des facteurs physiques qui pourraient avoir joué sur la quantité de pollen de graminées tombée dans les bassins collecteurs des lacs et des tourbières. Les liserés herbacés et les manteaux arbustifs (les broussailles denses et épineuses typiques du pâturage boisé) font oªce de brise-vent. Ils sont composés de ces espèces que, durant des siècles, nous avons utilisées comme haies vives dans nos paysages, tant comme barrière impénétrable faisant obstacle aux animaux que comme protection contre le vent et la neige. Dans la structure complexe du pâturage boisé, où les prairies ouvertes sont parsemées de bosquets et d’arbres solitaires, et bordées et entrecoupées de massifs broussailleux, le vent est dévié et coupé dans son élan, ce qui rend moins eªcace sa capacité de dispersion, en particulier pour le pollen qui se trouve près du sol. Ce sont là des poches d’immobilité, même durant les jours les plus venteux. Ces barrières sont particulièrement eªcaces à partir du milieu de l’été, lorsque les arbres et les arbustes sont en feuilles, c’est-à-dire justement la période à laquelle fleurissent les graminées et les herbacées. Les faibles niveaux de pollen issu de ces végétaux dans les sédiments pourraient tout simplement s’expliquer à la fois par le broutage des animaux et par le piégeage du pollen dans cette végétation de lisière dense, basse et épineuse. Bien au-dessus du sol, dépassant de ces pépinières de ronces et fleurissant avant que les autres arbres et arbustes soient en feuilles, les buissons de noisetiers ont une meilleure chance de dispersion. Dans les espaces dégagés, leur pollen est entraîné par les courants ascendants et

parcourt de grandes distances  – sans doute la raison pour laquelle le noisetier est aussi bien représenté dans les bassins de collecte des pluies de pollen à l’échelle régionale. Enfin, soutient Vera, les palynologues ont tort de prétendre que la forte proportion de pollen d’arbres qu’on trouve dans les sédiments indique nécessairement une forte proportion d’arbres. Les essences tolérantes à l’ombre, comme le tilleul (qui est pollinisé par le vent autant que par les insectes), produisent bien plus de pollen lorsqu’elles poussent en solitaire que lorsqu’elles croissent dans une forêt fermée. Sous la lumière du soleil, avec de la place pour s’étendre, elles développent, à l’image du chêne, une couronne de grande envergure qui s’ouvre bien plus bas sur le tronc et se couvre de fleurs. Dominant les broussailles et les herbages, leur pollen est transporté sans peine par les courants aériens sur de longues distances. Par conséquent, conclut Vera, dans un pâturage boisé d’une région donnée, un petit nombre d’arbres pourrait émettre dans l’atmosphère une quantité de pollen égale, voire supérieure, à celle produite par une forêt fermée de la même région. En outre, fait-il remarquer, “le spectre moderne des parcs naturels où paissent de grands herbivores révèle des similitudes frappantes, sur le plan de la diversité des espèces et de la représentation relative, avec le spectre pollinique des temps préhistoriques, qui est pourtant interprété comme étant celui d’une forêt fermée”. Et Vera n’est pas le seul à voir le paysage primaire européen plus ouvert et varié. D’autres scientifiques, au Royaume-Uni, sont récemment arrivés à la même conclusion sans pour autant avoir choisi le même point de départ. Ainsi, Keith Alexander, spécialiste indépendant des coléoptères xylophages, lutte avec les paléoentomologistes qui voient dans la présence de xylophages subfossiles (ou partiellement fossilisés) une preuve de l’existence de la forêt fermée. Mettant dans le même panier toutes les espèces de

coléoptères associées à la catégorie “bois et arbres”, y compris un certain nombre de coléoptères qui n’ont rien à voir avec les arbres, le paléoécologue Chris Sandom et ses collègues de la University of Sussex allèguent que leur présence indique “principalement des terres boisées fermées ou éventuellement semi-fermées” au début de l’Holocène. Alexander, lui, explique que ces coléoptères indiquent précisément l’inverse. Les espèces xylophages comme Dryophthorus corticalis et l’un des coléoptères les plus courants au début de l’Holocène, Prostomis mandibularis, sont très spécifiques et on ne les trouve que dans de très gros troncs, contenant un grand volume de duramen en décomposition. Dans une forêt fermée, ce type d’arbres n’existe pas. Les coléoptères trouvés dans les strates de tourbe qui contenaient aussi le pollen de chêne et de noisetier témoignent ainsi de la présence d’arbres ayant poussé dans des espaces dégagés, conclut Alexander. D’ailleurs, cette hypothèse est corroborée par le système d’information sur les espèces d’invertébrés et leurs habitats (Invertebrate Species and habitats Information System ou ISIS), qui propose une nouvelle analyse des combinaisons d’habitats de la faune invertébrée moderne, mise au point par Natural England. Le système ISIS est capable de former des groupes à partir de listes d’espèces en fonction de leurs “types d’assemblage écologique”, soit des communautés de di¤érentes espèces occupant la même zone géographique. Alexander a saisi dans le système les données recueillies par Chris Sandom et correspondant à di¤érentes périodes paléoécologiques, afin d’en tirer un panorama objectif. En ce qui concerne le début de l’Holocène, les données montrent que 28  % des coléoptères subfossiles étaient des espèces de prairies et de broussailles, 13  % des espèces arboricoles, et 47 % des espèces se nourrissant de bois en décomposition. À la fin de l’Holocène, ces pourcentages s’élevaient respectivement à  44, 11  et  34. La composition montre de très faibles niveaux d’espèces tolérantes à

l’ombre, ce qui signifie que, si les arbres sont certes bien représentés, il devait y avoir peu d’ombre. Les archives fossiles de la dernière période de l’Holocène indiquent par conséquent que le paysage de prairies et de broussailles s’était ouvert davantage, et qu’on y trouvait une mosaïque végétale typique d’un début de succession écologique : le type d’espèces pionnières qui colonisent le sol nu et qu’on trouve naturellement à un moment où les êtres humains accaparaient la terre et développaient l’agriculture. En ce qui concerne à la fois le début et la fin de l’Holocène, l’omniprésence de pâturage boisé ouvert concorde avec les données ; ce n’est pas le cas de la forêt fermée. Une image similaire ressort des preuves fossiles d’escargots de pelouse calcaire. À la fin des années 1990, alors que Vera terminait sa thèse de doctorat, l’archéologue environnemental et conchyliologue Mike Allen, chargé de cours à Oxford University et chercheur invité à Bournemouth University, contesta une croyance répandue dans le milieu de l’archéologie, selon laquelle, durant la Préhistoire, les pelouses calcaires des environs de Stonehenge, Avebury, Dorchester et Cranborne Chase, dans le Wessex, étaient couvertes de forêts datant de l’ère postglaciaire. Les archives des escargots subfossiles, s’aperçut Allen, pointaient plutôt vers un paysage de prairies ouvertes où auraient poussé des arbres fruitiers bien espacés et des broussailles. C’est son travail qui a inspiré les beaux panneaux illustrant l’évolution du paysage calcaire dans le nouveau musée de Stonehenge. Des hardes d’animaux brouteurs d’herbes et de feuilles maintinrent ces savanes ouvertes, fournissant ainsi un habitat pour les escargots  ; et c’est ce paysage dégagé, capable d’abriter une biomasse animale colossale, qui attira les premières populations humaines dans la région. Le lichénologue Francis Rose, qui a été chargé de cours à King’s College London, a retourné la théorie de la forêt fermée dans tous les sens, des années 1970 jusqu’à sa mort en 2006. Pendant trente ans, il

s’est consacré en premier lieu à l’étude des lichens épiphytes des forêts, notamment ceux de la New Forest. Il a remarqué que très peu d’espèces de lichens, ou même de mousses et d’hépatiques, vivent dans des bouquets d’arbres denses. Presque toutes ont besoin de lumière, et on les trouve sur des arbres qui poussent dans des espaces dégagés, le long des chemins ou en lisière de clairière. Il a aussi observé des espèces de mousses et de plantes alpines arctiques qui avaient survécu sur des vaines pâtures au Danemark, dans un habitat caractéristique de la dernière période glaciaire, ou ère devensienne (c’est-à-dire avant que les arbres ne reviennent dans nos paysages, en raison de l’adoucissement des températures). Le fait que sur cette vaine pâture broutaient encore des chevaux a convaincu Rose du rôle essentiel joué par les herbivores, qui empêchent le couvert forestier de se former. Dans le Norfolk, d’autres habitats typiques de l’ère devensienne étaient en train de s’e¤acer, avait-il remarqué, du fait de la disparition du pâturage traditionnel, entraînant avec eux des petites plantes des marais, comme le carex des glaces et la grassette, ainsi que d’autres espèces d’orchidées et de bryophytes subarctiques. Après avoir lu le livre “majeur” de Vera en 2000, il lui a écrit avec enthousiasme : “Vous y retracez avec une très grande maîtrise tous les points qui ont amené tant d’autres et moimême à douter de l’hypothèse «  classique  », à savoir que les forêts tempérées étaient à la Préhistoire une canopée fermée et très dense.” L’une des sources de confusion les plus durables dans ce débat sur le pâturage boisé ouvert/fermé vient de la définition quelque peu floue du terme “forêt”. C’est un mot dont, selon Oliver Rackham, “on a abusé au fil du temps” et son utilisation à tort et à travers aujourd’hui continue d’obscurcir notre perception des paysages anciens. “Pour les habitants du Moyen Âge, explique-t-il, une forêt était le lieu où on trouvait des cerfs et non des arbres. Si une forêt était boisée, alors elle intégrait les pratiques traditionnelles du pâturage boisé.” Et cette tradition

médiévale, un paysage composé de “communs”, d’arbres, d’arbustes et de prairies sauvages dans des espaces dégagés, où paissaient les animaux domestiques, est d’après Vera l’analogie moderne qui se rapproche le plus de la nature sauvage originelle d’Europe. Le terme latin médiéval forestis (dont dérivent “forêt” en français, forest en anglais et Forst en allemand) apparaît au VIIe siècle comme concept juridique dans les actes notariés de donation des rois mérovingiens et francs. Il désignait des terrains ni habités ni cultivés et vient probablement du latin foris ou foras, soit des zones “hors” du domaine habité civilisé et des champs labourés. Il s’appliquait à la nature en général et à la faune et à la flore sauvages en particulier. Au titre du ius forestis, tous ces éléments “sauvages”, non domestiqués, appartenaient au roi. La terre qui n’était ni labourée ni fauchée n’était à personne, et le roi avait des prérogatives sur tous ces terrains sans propriétaire, sur lesquels il pouvait chasser le sanglier, le cerf, le chevreuil, le tarpan, l’aurochs et le bison. Il détenait aussi le droit de bannum (pouvoir d’ordonner et de punir) et pouvait octroyer des droits de chasse à ses favoris au sein de sa cour, tout comme il lui arrivait d’autoriser le petit peuple à chercher de la nourriture, faire paître les bêtes, installer des ruches et récupérer du bois d’œuvre ou de chau¤age sur ces terres. Il nommait des forestarii, sorte de gardes forestiers, pour réglementer ces droits et permissions, punir les personnes qui en abusaient et faire payer ces privilèges sous la forme d’une part de la récolte et/ou de corvées. Cette forestis était tout sauf de la forêt fermée. Tous les animaux sauvages indigènes qui y étaient chassés (à l’exception, peut-être, du chevreuil), à des degrés divers, ont besoin de pâture pour se nourrir et d’arbustes dont ils peuvent manger les feuilles ou qu’ils utilisent pour se

cacher. La chasse à cheval, passe-temps royal, est inimaginable dans une forêt selon son acception moderne, soit une masse dense d’arbres serrés. Au fil du temps, tandis que les populations de gros animaux sauvages étaient chassées jusqu’à l’extinction, elles furent remplacées par les troupeaux d’animaux domestiques. Les rois accordèrent au petit peuple des droits de panage, leur permettant (moyennant une redevance) de lâcher leurs porcs domestiqués dans la forêt à l’automne, où ils s’engraissaient en mangeant des glands et des fruits tombés. C’était un paysage ponctué d’essences de lumière, poiriers, pommiers et merisiers, et de représentants du roi de la forêt, le chêne. Le mot “acre”, qui vient d’aecer, “gland” en anglo-saxon, désignait à l’origine une chênaie. On disait en anglais d’une personne ayant obtenu le droit d’engraisser ses porcs avec des glands qu’elle était un ackerman, dont l’équivalent en allemand est Ackerbürger. Des droits de pâturage en forêt pour le bétail étaient aussi accordés en grand nombre, du moins en nombre qui semble très important aujourd’hui, même compte tenu du fait que les animaux étaient bien plus petits que nos races modernes. En 1664, dans la forêt royale de Fontainebleau, 6  367  porcs et 10  381  vaches furent mis à paître sur les 14  000  hectares, une zone dans laquelle vivaient aussi de grandes populations de cervidés destinées à la chasse royale. Si les roturiers obtenaient la permission de récupérer du bois de chau¤e et du fourrage ligneux dans la forêt, des réglementations étaient régulièrement publiées afin de limiter l’extraction des buissons épineux, dont dépendait la régénération des arbres. Le terme aujourd’hui archaïque wald désignait à l’origine les feuilles d’un arbre qui pouvaient servir de fourrage aux animaux. On l’utilisa plus tard en rapport aux terres non cultivées où poussaient ces arbres et il devint synonyme du mot forest. Au Royaume-Uni, on retrouve cette racine dans des toponymes tels que “Southwold” et “Cotswolds”, ainsi

que dans le “Weald” du Sussex. Au Moyen Âge, on ne distinguait pas le “bois” de la “pâture”. Le wald était l’un et l’autre, et plus encore : c’était un système caractérisé par une mosaïque d’arbustes, de bosquets, de buissons épineux, de grands arbres solitaires et de prairies ; un milieu prisé car naturellement riche en ressources et source vitale de nourriture pour le bétail. Un arbre, qu’on désignait sous le nom de wood (utilisé aujourd’hui pour parler du bois), était vu comme une partie intégrante de l’ensemble végétal dans lequel il poussait. Sur le plan conceptuel, ses feuilles et ses rameaux étaient pareils à la prairie, puisqu’ils servaient eux aussi de fourrage. En Grande-Bretagne au XVIIIe  siècle, l’évolution de la demande de bois, qui devait désormais servir de bois d’œuvre, mena pour la première fois au développement artificiel de maillages continus d’arbres adultes. Au fil du temps, les concepts de “boisement” ou “forêt” et de “pâture” se sont distingués, mais ce n’est qu’au XIXe  siècle qu’ils sont devenus incompatibles. L’Allemand Heinrich von Cotta, fondateur de l’Académie royale forestière de Saxe, promut le concept de la foresterie moderne, et ces pratiques firent des émules partout en Europe. Dans les plantations artificielles, les buissons épineux n’étaient rien d’autre qu’une entrave  ; cependant, après leur suppression, rien ne protégeait plus les jeunes arbres et les animaux brouteurs firent des ravages. Il fallait désormais à tout prix empêcher le bétail et les ongulés sauvages comme le chevreuil d’accéder aux plantations, à l’aide de fossés et de palissades. Bientôt, le rôle des buissons épineux dans la régénération des arbres fut complètement oublié. Sans eux, les arbres, comme le voulait la foresterie moderne, ne furent plus capables de se régénérer naturellement en présence de brouteurs. Une fois ces animaux et les buissons d’épines éliminés, la “régénération naturelle” fut redéfinie, devenant tout simplement “la germination des graines tombant d’arbres adultes”. La “forêt” était devenue un lieu où poussaient des arbres et la

“pâture”, une prairie sans arbres. La dynamique du bois et de la pâture se perdit. On ne vit plus le pâturage boisé que comme une forêt fermée dégradée, un paysage qui s’était ouvert sous la hache manipulée par l’être humain et qui était resté ouvert sous l’e¤et des animaux brouteurs. Aujourd’hui, lorsque les textes antiques et médiévaux parlent d’une “forêt”, le lecteur ou la lectrice moderne imagine une forêt fermée, ce qui n’est ni plus ni moins qu’un anachronisme. D’après Oliver Rackham, “les historiens de la foresterie moderne se laissent souvent piéger et supposent qu’elle est la descendante du système forestier médiéval, mais ces deux entités n’ont guère en commun que leur nom”. Étant donné ces informations, dont la plupart relèvent tout simplement du bon sens pour quiconque s’y connaît un peu en arbres, on comprend mal pourquoi d’autres scientifiques ont accueilli la “théorie de Vera” avec une telle indignation. Mais le milieu universitaire est un monde étrange, parfois contre-productif, souvent apathique. Alors qu’on pourrait s’attendre à ce qu’il soit ouvert et friand de nouvelles perspectives, il lui arrive d’être curieusement conservateur et résistant aux idées radicales. Il tend à privilégier des théories qui apparaissent de façon organique, sur le terreau des théories qui ont été établies auparavant. Les articles, revus par un comité de lecture, ont le devoir de citer les publications précédemment parues sur le sujet, que ce soit pour aller dans le même sens ou pour s’inscrire en faux contre leur contenu, et il est déconseillé de rejeter purement et simplement ce qui s’est dit auparavant. Une théorie aussi radicale que celle de Vera a bien du mal à trouver sa place dans ce milieu. En redéfinissant les piliers mêmes sur lesquels se sont bâtis pendant près d’un siècle des travaux de recherche et des carrières entières, les travaux de Vera, décrits par certains écologues britanniques comme une “remise en question de la pensée conventionnelle” et une tentative de “démolition d’hypothèses scientifiques fondamentales”, ont e¤ectivement coupé l’herbe sous le

pied des tenants de l’ordre établi et ont mis à mal les hypothèses de la palynologie en particulier. Il était évident qu’il faudrait du temps aux universitaires pour recalibrer leur pensée et reconnaître leurs erreurs, et encore plus pour accepter un paradigme complètement di¤érent. Comme le dit le vieux dicton  : “Enterrement après enterrement, la science avance.” Quelques mois après avoir visité Knepp en 2003, Keith Kirby mit en route ce qu’il espérait être un débat rigoureux, destiné à tirer les choses au clair. L’idée de réensauvager et de créer des “zones quasi naturelles” suscitait un certain intérêt auprès des services publics britanniques, expliquait-il, mais il faudrait établir un large consensus scientifique avant qu’English Nature puisse contacter les hauts fonctionnaires du département de l’Environnement, de l’Alimentation et des A¤aires rurales pour obtenir un soutien en faveur de notre projet. Désireux de parvenir à une forme d’accord, il invita des scientifiques et des spécialistes de la conservation à participer à une discussion en ligne sur le pâturage naturel et commanda une “étude des données à l’appui de l’hypothèse de Vera dans le contexte britannique”. Dans un document d’information sur le projet de recherche, intitulé “Fresh Woods and Pastures New” en référence à un vers du poète John Milton, il décrivit ainsi l’objet du projet : Récemment, un écologue néerlandais du nom de Frans Vera a remis en cause l’idée qu’on se faisait de la forêt naturelle : il suggère que les bois sauvages qui couvraient auparavant une vaste portion de l’Europe occidentale, Grande-Bretagne incluse, étaient en fait plutôt ouverts, semblables en réalité aux pâturages boisés. Il ne fait guère de doute que le rôle des grands animaux comme les bœufs sauvages (aujourd’hui éteints) dans la constitution des forêts a été sous-estimé, mais la théorie selon laquelle la majorité du territoire britannique était constituée de grands espaces dégagés reste discutable. Indépendamment de l’apparence que revêtaient les paysages anciens, les travaux de Vera et de ses collègues ont montré que de riches paysages mixtes peuvent désormais être créés et entretenus à grande échelle en faisant appel à des bovins et à d’autres grands herbivores en parcours libre. La réserve de 5 000 hectares [sic] d’Oostvaardersplassen en est aujourd’hui la preuve.

Une telle démarche pourrait-elle être appliquée au contexte et aux conditions britanniques ? C’est ce que nous chercherons à déterminer.

Il nous paraissait surprenant que nos scientifiques estiment les conditions écologiques de la Grande-Bretagne foncièrement di¤érentes de celles qu’on trouve en Europe, étant donné que nous partageons une même histoire au fil des millénaires et que nous ne sommes séparés du continent que depuis 8  200  ans, c’est-à-dire hier à l’échelle de l’évolution. Nous avions aussi le sentiment que, au-delà de la controverse scientifique, les Britanniques faisaient montre d’une prudence excessive. Aux Pays-Bas, où la pression démographique est bien plus forte et où il reste moins de terres où lancer ce genre d’initiatives, on voulait bien donner sa chance au réensauvagement. Mais notre projet, malgré son échelle bien plus réduite, était tombé dans les sables mouvants des études de faisabilité, des définitions ésotériques et des craintes sanitaires et sécuritaires. Pour les autorités britanniques, l’idée de laisser faire la terre, de permettre à la nature de faire son œuvre, allait se révéler bien plus problématique que nous ne l’avions imaginé. L’attitude nationale à l’égard de la nature semble avoir été définie par notre insularité, par un rétrécissement de notre champ de vision. Si, en tant que propriétaires privés, rien ne nous empêchait de poursuivre notre projet de réensauvagement sans aide extérieure, nous avions besoin de l’appui financier du gouvernement, ou d’un autre organisme, principalement pour couvrir les frais de l’érection des clôtures à cervidés autour du domaine. Dans un courrier électronique envoyé le 24  novembre 2004, Keith indiqua clairement la position d’English Nature  : “À l’heure actuelle, le conseil qui nous a été donné par nos spécialistes des politiques agricoles est qu’il ne serait pas pertinent de soutenir de grandes idées novatrices sans disposer a) d’une base scientifique solide étayant la proposition et b)  de preuves que les

problèmes pratiques qui pourraient se poser ont été e¤ectivement pris en compte.” En somme, il était “peu probable qu’English Nature devienne un bailleur de fonds important de dispositifs de gestion sur le terrain”. Dans l’intervalle, cependant, et à notre grand soulagement, les plans auxquels nous destinions Knepp avaient fait parler d’eux. En 2004, le programme agroenvironnemental public Countryside Stewardship, qui avait déjà financé la restauration du parc Repton, nous a octroyé des fonds supplémentaires. Le domaine était désormais divisé en trois zones distinctes, séparées par des routes. Dans un accès de folle originalité, nous parlons de “secteur nord”, “secteur central”, “secteur sud”. Le secteur nord couvre les terres au nord de l’A272  ; le secteur central comprend le château, le parc Repton, le vieux château et l’Adur  ; le secteur sud correspond aux terres restantes, au sud de Swallows Lane. La zone à l’ouest du secteur central, mosaïque de petites parcelles fragmentées que traversent des chemins tout autour du village de Shipley, reste à l’extérieur de la surface clôturée mais, du moins conceptuellement, fait partie du projet. Le nouvel accord passé avec le Countryside Stewardship nous a permis d’intégrer tout le secteur central (soit 280 hectares) et le secteur nord dans la restauration du parc. Notre voisin et cousin de Charlie, Anthony Burrell, a ajouté à ce secteur 75 hectares de ses propres terres, ce qui donne au secteur nord une surface de 235  hectares. Nous pouvions désormais déplacer la clôture jusqu’au périmètre extérieur du secteur central, y intégrant l’ancienne exploitation appelée Swallows Farm, et ériger une clôture le long du périmètre du secteur nord, soit sur 7 kilomètres, tout en supprimant près de 20 kilomètres de clôtures internes. Renonçant au coûteux mélange de fleurs sauvages que nous avions utilisé dans le cadre de la restauration du parc Repton, nous

avons semé, dans les zones du secteur central qui n’étaient pas déjà des pâtures, un mélange standard de graminées natives fourni par le Countryside Stewardship. Pour l’heure, ces deux zones en restauration (le secteur central et le secteur nord) allaient devoir rester séparées. Il avait été déterminé que l’écoduc dont nous rêvions au-dessus de l’A272, qui aurait permis la traversée des animaux, était trop coûteux pour attirer d’éventuels investisseurs. Les Pays-Bas ont été parmi les premiers à expérimenter ces passages fauniques  : 62  écoducs y ont été construits depuis  1988. L’un des tout premiers a été le pont de Terlet près d’Arnhem, sur lequel on avait planté des arbres et qui, en l’espace de six ans, avait été emprunté par trois espèces de cervidés, des sangliers, des renards, des blaireaux, des mulots, des musaraignes et des campagnols. Un autre écoduc, celui de Groene Woud, près d’Eindhoven, comporte une série de petits bassins dotés de rampes d’accès pour les amphibiens. En Suède, ce type de ponts est fréquemment utilisé pour réduire les accidents de la route dus à la présence d’élans et de chevreuils. L’impact de ces routes très empruntées sur les animaux sauvages, victimes non seulement d’accidents mais aussi des e¤ets bien plus insidieux de l’isolement physique et génétique, est presque entièrement passé sous silence en Grande-Bretagne, encore aujourd’hui. Nous n’avons que deux passages fauniques importants au Royaume-Uni  : l’un au-dessus de  l’A21, à Scotney Castle dans le Kent, dans une zone de beauté naturelle remarquable (“Area of Outstanding Natural Beauty”) du High Weald  ; l’autre au-dessus des cinq voies de la  M11, construit pour compenser la fragmentation du Mile End Park à Londres. Il reste encore un long chemin à parcourir avant que ces écoducs soient perçus comme un outil de conservation utile et nécessaire en Grande-Bretagne.

L’expansion du parc à daims nous a été inspirée par les frontières de Knepp telles qu’elles apparaissent sur la “carte de Crow” de 1754. Cette carte commandée par John Wicker, qui avait acheté le domaine à la famille Caryll (les propriétaires de Knepp depuis près de deux siècles), est accrochée au mur dans le hall du château. La délimitation de la propriété, qui s’étend sur deux feuilles de vélin ondulées, trace la forme d’un chien assis, dans une position de supplique. Le lac, un “L” maladroit, parcourt le milieu du domaine, comme un tube digestif. Les frontières ont un tracé étrange, incorporant une excroissance bulbeuse au nord de ce qui est aujourd’hui l’A272 (la tête et les pattes du chien), ce qui laisse penser que le domaine avait été agrandi pour y intégrer une partie du parc à daims originel, autour de l’ancien château. Le programme Countryside Stewardship est convenu d’inclure cette zone parce qu’elle entrait dans le périmètre du parc selon ces anciennes délimitations. Nous étions enthousiastes à l’idée de venir recoloniser le paysage dessiné par Humphry Repton, mais nous étions aussi conscients de notre chance extraordinaire. Nous avions sollicité le département de l’Environnement, de l’Alimentation et des A¤aires rurales à un moment où il disposait de fonds européens considérables destinés à la conversion des terres agricoles et où il s’attachait à élargir des projets déjà financés par le Countryside Stewardship. Peu de temps après, le projet a bénéficié d’un autre coup de pouce inattendu, sous les auspices de l’Union européenne, là encore, qui nous a permis de mettre un terme aux activités agricoles dans le secteur sud. En juin  2003, les ministres de l’Agriculture de l’UE ont annoncé une réforme radicale de la Politique agricole commune, consistant à découpler les aides des volumes produits, qui entrerait en application en mai  2005. Jusqu’alors, le système de subventions faisait des grandes cultures les parcelles les plus lucratives, et c’est ainsi que les agriculteurs comme nous avaient été incités, des dizaines d’années

durant, à en semer sur des terres qui n’étaient pas adaptées. Motivés par les aides, nous nous étions tous spécialisés dans des cultures dont le cours baissait à l’échelle mondiale, du fait de la surproduction. L’un des objectifs de cette réforme de l’UE consistait à donner aux agriculteurs de terres marginales la possibilité de réfléchir à d’autres options, soit en cultivant d’autres espèces plus adaptées à leurs terres, soit en adoptant des formes di¤érentes de gestion des terres. Étonnamment, peu d’agriculteurs britanniques ont tiré parti de cette évolution politique. Ils s’en sont tenus, obstinément, à ce qu’ils connaissaient. Mais pour nous, la réforme a changé la donne. Nous avions désormais la possibilité d’arrêter entièrement l’agriculture intensive et de mettre toutes nos terres en jachère, tout en restant éligibles au “régime de paiement unique par exploitation”, comme l’appelait désormais l’UE. Le versement se fonderait sur une moyenne des subventions reçues au cours des trois dernières années d’exploitation agricole. La seule condition était que les terres devaient rester des parcelles cultivables, mais même avec l’élagage, l’entretien des fossés et la taille des haies que cela supposait, nous pourrions recevoir plus de 80 % de nos aides. Il n’y avait pas à hésiter. En 2003, cultiver nos terres, même en passant par un fermier, nous coûtait de l’argent. Certes, l’oncle de Charlie prenait en charge les coûts de la main-d’œuvre et des machines, mais nous devions encore payer l’essence, les engrais, les produits agrochimiques et les semences (dont les prix continuaient d’augmenter) ainsi que les frais liés à l’a¤ermage. Pendant ce temps, le cours des grandes cultures connaissait une chute vertigineuse. En 2004, le prix du blé est passé audessous de 68  livres par tonne, contre 125  livres (un record) en 1994, année à laquelle la Rural Payments Agency a commencé à tenir des comptes. Il n’a pas été diªcile de convaincre l’oncle de Charlie de renoncer à cultiver les terres de Knepp. Il n’en dégageait presque jamais de bénéfices et aurait été contraint de renégocier notre accord s’il avait

continué. Quelques années plus tard, il abandonnerait lui aussi le fermage pour se concentrer sur l’élevage de bovins à viande. Les subventions qui, depuis des décennies, avaient orienté les décisions de gestion vers l’agriculture intensive à Knepp étaient désormais découplées de la production agricole. Nous pouvions permettre à la terre de retrouver sa vraie nature, libérant nos sols du joug de la charrue. Soudain, nous pouvions embarquer dans ce projet de pâture naturaliste à notre rythme.

Nous les traitons avec condescendance pour leur incomplétude, pour leur tragique destin d’avoir pris forme tellement loin au-dessous de nous. Et en ceci nous nous trompons, et nous nous trompons grandement. Car l’homme n’est pas la mesure de l’animal. Dans un monde plus vieux et plus complet que le nôtre, ils évoluent finis et complets, dotés d’extensions des sens que nous avons perdues ou jamais atteintes, vivant par des voix que nous n’entendrons jamais. HENRY BESTON, La Maison au bout du monde, 19281.

Que d’autres agriculteurs et d’autres propriétaires dans la même situation que nous, sur le même type de terre, ne veuillent pas nous emboîter le pas était pour nous impensable. Qui ne voudrait pas renoncer à l’agriculture, empocher les subventions de conversion des terres arables et saisir la chance de restaurer ses sols, et par là même retrouver une partie de la flore et de la faune sauvages disparues de nos paysages ? Encouragé par l’initiative de son cousin qui avait bien voulu ajouter 75  hectares au secteur nord, Charlie a dessiné une carte qui démontrait le potentiel évident d’extension du projet  : un bloc rectangulaire de plus de 4 000 hectares autour de Knepp, délimité par les grands axes routiers. Le 6  août 2003, nous avons convié les agriculteurs et autres propriétaires des environs, soit cinquante personnes, à une présentation suivie d’un dîner dans la cabane du parc. Nous avions évité d’utiliser le terme controversé de “réensauvagement”, préférant l’appellation “Journée au bois”. Hans Kampf, conseiller en politique environnementale auprès du gouvernement néerlandais, est venu en voiture depuis la Hollande pour présenter les résultats obtenus à l’Oostvaardersplassen et expliquer les théories de Vera sur les brouteurs et les processus naturels  ; Ted Green a montré des images

d’écosystèmes de pâturage boisé en Espagne, au Portugal, en Roumanie et dans la New Forest de Grande-Bretagne ; tandis que Tony Whitbread, PDG du Sussex Wildlife Trust, a parlé du potentiel biologique colossal découlant de la création d’un espace de ce type dans le Sussex. Nous savions que l’idée était provocatrice, mais nous espérions allumer ne serait-ce qu’une lueur d’intérêt dans les yeux de notre auditoire, ce qui, avec le temps, pourrait susciter l’adhésion au projet, voire même le désir d’en faire partie. Nous étions complètement à côté de la plaque. Les images montrées par Hans –  duels d’étalons Konik, avalanches d’oies cendrées et randonneurs néerlandais contournant des carcasses grouillant d’asticots  – se sont heurtées à un mur de silence. Lorsque Charlie s’est levé pour expliquer comment il envisageait l’évolution de Knepp dans les années à venir, les prés bien ordonnés du Sussex et les haies manucurées métamorphosés en buissons rampants et marais indomptés, des murmures de désapprobation ont parcouru la salle et plusieurs membres de l’assistance ont secoué la tête. Le problème n’était pas seulement que nos voisins (y compris certains autres membres de la famille) pensaient que cette idée ne leur convenait pas ; au fil des discussions qui ont suivi les présentations, il est apparu qu’il y avait quelque chose de plus viscéral dans ce rejet. Notre proposition était tout simplement un a¤ront aux e¤orts de tout agriculteur qui se respecte, un gâchis proprement immoral de terres, rien de moins qu’une attaque à l’encontre de l’identité britannique ellemême. En rentrant chez eux à la fin de cette journée d’août  2003, guère convaincus, si ce n’est carrément horrifiés, peut-être nos voisins ont-ils croisé le troupeau de longhorns que nous avions introduit dans le parc deux mois plus tôt. Tout bien réfléchi, nous avions décidé de ne pas prendre d’aurochs de Heck. Après les avoir vus en action dans l’Oostvaardersplassen, nous avions eu l’impression qu’ils tenaient trop

du taureau de combat espagnol pour ne pas e¤rayer les villageois de Shipley. Il était essentiel d’assurer la sécurité des passants, notamment ceux qui promenaient leur chien. Il nous fallait donc une race traditionnelle, qui avait encore suªsamment de gènes de ses ancêtres sauvages pour survivre toute l’année à l’extérieur tout en ayant été sélectionnée pour sa docilité, de façon à faciliter la gestion des bêtes. Le cœur serré, Charlie s’est rendu compte que le troupeau de red polls de sa grand-mère, qu’elle chérissait tant et qui avait été vendu seize ans plus tôt, aurait été parfait. C’est un entrepreneur de la région, spécialisé dans l’enlèvement des gravats, qui nous a parlé le premier des longhorns. Il en avait un troupeau à Gatwick et pouvait en céder quelques-unes. Les quatorze vaches et génisses à la robe brun et blanc, avec leur typique longue raie blanche sur le dos, ont tout de suite fait impression dans le parc. Leurs cornes théâtrales, parfois levées en direction du ciel comme celles des longhorns texanes (même si elles ne sont pas de la même famille), parfois recourbées vers le bas, de chaque côté de leur tête, et plus rarement pointant chacune dans une direction di¤érente, ce qui leur donne l’air perplexe, évoquent les aurochs à plus d’un titre. Les longhorns descendent des bœufs utilisés comme bêtes de somme dans le Nord de l’Angleterre aux XVIe  et XVIIe  siècles. On appréciait leur longévité, leur facilité de vêlage, la haute teneur en matières grasses de leur lait ainsi que leurs cornes, matière transparente dont on faisait des boutons, des couverts, des lampes et des coupes –  le verre du pauvre. Elles furent sélectionnées pour produire davantage de viande pendant la révolution industrielle, afin de répondre à la demande de populations urbaines en plein essor, mais, comme la plupart des races traditionnelles, elles ne firent bientôt plus le poids face aux bovins spécialisés à cornes courtes ou sans cornes, comme les frisonnes et les

holsteins laitières, et face aux charolaises, herefords et angus, élevées pour la viande car elles grandissent très vite. Les longhorns furent toutefois sauvées de l’oubli en 1980 par le Rare Breeds Survival Trust. À l’instar des daims, les vaches ont mis du temps à se sentir à l’aise. Elles ont passé les premières semaines à tracer le périmètre en longeant la clôture, testant les frontières de leur territoire. Ce n’est qu’ensuite que, sans cesse en mouvement, elles ont entrepris de parcourir l’intérieur, sortant de l’abri pour aller explorer le lac et les mares. Alors que cette liberté était pour elles toute nouvelle, elles ont adopté des comportements qui nous ont surpris, nous qui n’avions vu des vaches évoluer que dans le contexte limitant de l’élevage. Elles se sont enfoncées dans les bois, se sont frottées aux troncs et aux branches basses, ont levé la tête au-dessus de la ligne d’abroutissement des daims pour arracher de leur longue langue visqueuse des feuilles et des bourgeons, foulé du pied les lisières des mares et des cours d’eau, et pataugé dans les marécages. Elles ont paru aimer le saule au bord du lac et, lorsque les mouches et les moucherons devenaient pénibles, elles frottaient leurs cornes contre les branches, arrachant feuilles et écorce, couvrant leur tête de sève pour éloigner les insectes. C’était une vision bien di¤érente de nos troupeaux de frisonnes et de holsteins séparées par groupes d’âge, à la durée de vie limitée, des bêtes sous-stimulées et tête baissée dans des prés sans relief. D’après les normes modernes, notre élevage laitier était tout à fait correct, mais il nous est apparu alors que nous avions perdu la capacité de voir l’animal dans son intégralité. À nos yeux, les vaches étaient devenues, pour l’essentiel, uniformes et fonctionnelles – la triste issue de la relation longue et étroite entre notre espèce et les bovins. Mais peut-être est-ce justement en réduisant leur caractère, en restreignant leur comportement naturel, que nous sommes devenus capables de les placer dans les systèmes impersonnels dictés par l’élevage intensif.

La plupart des longhorns étaient en gestation à leur arrivée à Knepp, et les premiers veaux sont nés quelques semaines plus tard. Comme avec les daims, nous nous sommes retrouvés face à des nouveau-nés allongés dans un fossé ou au pied d’une haie, mais l’expérience était bien plus déconcertante. Nous avons eu du mal à ne pas intervenir, particulièrement durant le vêlage. Nous devions faire consciemment l’e¤ort de ne pas interférer sans raison, de nous fier à l’expertise innée des bovins. Un peu avant la mise bas, la vache quitte le troupeau pour trouver un endroit adapté. Dans certains cas, elle reste fidèle à ce lieu jusqu’à la fin de sa vie. Si elle change d’endroit, nous mettons parfois des heures, si ce n’est des jours, à trouver le veau pour lui apposer une étiquette d’identification –  une obligation légale, pour nous comme pour n’importe quel éleveur. Peu après la naissance, la vache cherchera souvent un tapis d’orties à brouter, sans doute pour refaire le plein de fer. Après avoir allaité son petit, la jeune mère rejoint le troupeau et fera parfois des kilomètres entre ses congénères et son veau jusqu’à ce qu’il soit assez fort pour la suivre, en général au bout de deux ou trois jours. La présentation du veau au reste du troupeau est un grand moment. Les vaches l’entourent et meuglent doucement, reniflant une à une ce nouvel arrivant, imprimant son odeur, son être, sur le collectif. Tant que les veaux sont jeunes, une ou deux vaches expérimentées les surveillent tandis que le reste du troupeau se déplace pour se nourrir. Le troupeau a mis environ deux ans à adopter des habitudes de déplacement. Nous avons pu prévoir les sites où les vaches s’abriteraient en cas de pluie, se rafraîchiraient en été ou se mettraient en quête des premières pousses de printemps ou des jeunes orties tendres poussant dans les ronces. Une structure multigénérationnelle, dont un nombre toujours plus important de jeunes taureaux, était en train de se mettre en place, et les femelles dominantes jouaient les gros bras. Le troupeau

s’était aussi choisi une che¤e, une vache plus âgée qui prend les décisions pour le troupeau. Cette éminente matriarche a une autorité galvanisante. Il arrive que le troupeau se prélasse au soleil, ou qu’il se terre sur une litière de feuilles tièdes dans les bois, lorsqu’elle se met soudain à s’éloigner en beuglant  : il est temps de trouver ailleurs une herbe plus verte. Le troupeau se lève alors comme un seul homme et la rejoint d’un pas pesant, répondant par des mugissements obéissants à ses beuglements directifs, tandis qu’elle l’encourage parfois à se mettre au trot. Voir le troupeau s’ébranler dans le jardin d’agrément, répondant à l’appel d’une mystérieuse mission, me rappelle la marche des éléphants dans Le Livre de la jungle, même s’il aurait fallu que le chef du groupe chez Kipling, le colonel Hathi, soit une éléphante vétérane. La plupart des animaux grégaires, comme les éléphants et les daims, ont à leur tête une matriarche qui assure l’équilibre du groupe et qui remet les jeunes mâles, y compris les plus turbulents, à leur place. Presque tous les accidents impliquant des bovins et des passants qui surviennent sur les exploitations sont dus à des groupes de jeunes animaux, tous du même âge et généralement du même sexe, placés ensemble dans un champ et agités à la simple vue d’un chien. Privés de la dynamique naturelle du troupeau, les bouvillons ou les génisses ne sont guère que des adolescents désœuvrés sans supervision parentale. Après les premiers temps, il est apparu que nous n’avions pas à nous inquiéter de nos longhorns en liberté sur les sentiers. Malgré leur apparence intimidante (un grand nombre de personnes pensent que la présence de cornes sur un bovin indique qu’il s’agit d’un mâle, ce qui est complètement faux), elles lèvent à peine un sourcil en voyant passer des promeneurs et des chiens. Ce n’est que si on se place malencontreusement entre une mère et son petit que leur regard se durcit, leur tête s’abaisse. Des siècles de domestication et d’élimination

des gènes d’agression au fil de la sélection ont réduit les risques posés par leurs cornes grandiloquentes, mais au bout du compte on ne peut rien contre l’instinct maternel. Quand on permet à un troupeau de s’agrandir naturellement,  les veaux sont allaités jusqu’à atteindre pratiquement la taille de leur mère. Dans la nature, une vache se mettra à éloigner le rejeton de ses mamelles lorsqu’elle n’a plus rien à donner, ou à l’inverse lorsque ses pis se gorgent de lait avant une nouvelle mise bas. Mais même après l’arrivée d’un autre petit, les liens familiaux restent forts : des relations complexes que nous n’avions, là encore, pas l’habitude d’observer. Je me rappelle les nuits terribles, alors que nous habitions dans une maison du domaine à l’époque où les grands-parents de Charlie étaient encore en vie, à écouter les meuglements des veaux qu’on venait de séparer de leur mère, dans l’étable voisine. Ils avaient pu bénéficier du colostrum maternel (la crème jaune, riche en anticorps, qui sort du pis les premiers jours suivant la naissance) mais à l’âge de trois jours, ils étaient séparés et placés dans des abris où une machine les nourrissait automatiquement de poudre de lait à intervalles réguliers. Les mâles partaient à l’abattoir entre dix-huit et vingt semaines pour être transformés en viande blanche, ou entre vingt-deux et trente-cinq semaines pour de la viande rosée  ; un groupe de génisses choisies restait à Knepp pour grossir par la suite le troupeau laitier, les autres étaient vendues au marché. Dans l’étable où étaient restées les mères, les vaches appelaient leur petit, parfois des jours durant, alors même qu’on les remettait sur la chaîne de production de lait destiné à la consommation humaine. Une vache laitière ne connaît pas de répit. À cinq ou six ans, alors qu’elle a déjà vêlé trois ou quatre fois et produit en moyenne 22 litres de lait chaque jour de l’année (nous avions une vache qui, au cours du pic de lactation, pouvait donner 75 litres par jour), elle est envoyée chez l’équarrisseur, car elle n’est bonne à rien d’autre qu’à

être transformée en nourriture pour chiens et en tourtes à la viande. Sa santé en paie le prix fort, ce qui n’est guère surprenant quand on sait que, dans la nature, la quantité de lait qu’elle produit pour son veau s’élève à  3  ou 4  litres quotidiens. L’un des fléaux qui touchent particulièrement les vaches laitières de nos élevages modernes est la mammite, une inflammation douloureuse du pis, causée par des infections bactériennes. Au Royaume-Uni, dans un troupeau de 100 têtes, il peut y avoir jusqu’à 70 cas de mammites tous les ans. Dans notre système naturaliste, cependant, notamment au moment où nous nous employions à agrandir le troupeau, nous pouvions laisser vivre toutes les vaches, y compris les plus âgées, stériles, ne les abattant que lorsque cette intervention restait la seule chose humaine à faire. La plus âgée a vécu vingt et un ans, un bel âge pour un bovin. Début mars, avant l’arrivée des herbes printanières, l’homme qui nous avait vendu les longhorns est venu nous rendre visite, curieux de savoir comment ses animaux avaient survécu aux intempéries sans intervention humaine. Les vaches avaient perdu un peu de poids (rien de surprenant durant l’hiver) mais, comme elles s’étaient bien nourries de brindilles et de végétation, elles étaient robustes et en bonne santé, et les veaux nés en été étaient en pleine forme. Il a eu du mal à croire que nous ne les avions pas nourries. Nous n’avions pas eu à appeler le vétérinaire et toutes les naissances s’étaient bien passées, à l’exception d’un accident : un veau né en bordure de la rivière s’y était noyé après une chute. Nos statistiques en matière de vêlage et de santé étaient bien meilleures que celles de la plupart des élevages bovins conventionnels. Les ponettes Exmoor sont arrivées dans le parc quelques mois après les longhorns, en novembre  2003. Les six pouliches avaient été capturées sur leurs terres natales de l’Exmoor pour être vendues au cours du rassemblement qui a lieu tous les ans en automne et, pour la deuxième fois de leur vie, avaient été embarquées dans un véhicule.

Tandis qu’elles s’élançaient en ruant hors de la remorque, ivres de liberté retrouvée, force était de constater que nous avions a¤aire là à des animaux bien plus sauvages que les longhorns. Joep Van de Vlasakker, un autre Néerlandais, spécialiste des chevaux sauvages et de l’écopâturage, nous avait spécifiquement conseillé cette race. Selon lui, les poneys Exmoor figurent parmi les chevaux les plus anciens d’Europe et sont génétiquement plus proches du tarpan que le konik. Ce dernier avait été choisi pour l’Oostvaardersplassen en 1984 principalement parce qu’on le pensait héritier direct du tarpan. Que ces faits soient avérés (ce dont Joep doute) ou non, il estime que, sur les plans génétique et écologique, il n’est pas déraisonnable d’avoir recours à plus d’une seule race dans les projets d’écopâturage pour remplacer les chevaux sauvages éteints : les huçuls dans les Carpates, par exemple, les Δords norvégiens ou les gotlands suédois dans le Nord de l’Europe, les koniks dans les plaines de l’Europe orientale, et les exmoors en Europe occidentale. Que l’exmoor soit un aborigène équin ne fait guère de doute. Des fossiles datant d’environ 50  000  ans avant notre ère ont été trouvés dans la région de l’Exmoor. Des sculptures romaines découvertes dans le Somerset représentent des poneys dont le phénotype est semblable à celui des exmoors, et le Domesday Book, grand inventaire de l’Angleterre terminé en 1086, indique la présence de poneys dans cette région. En revanche, il y a débat sur la pureté génétique des exmoors depuis la période glaciaire. Les preuves ADN ne sont pas concluantes et on parle aussi d’étalons domestiqués qui, au fil des siècles, se seraient échappés dans les landes et se seraient reproduits avec des juments sauvages – on évoque notamment Katerfelto, un étalon arabe qui aurait rejoint les rives à la nage après le naufrage de l’Invincible Armada. Contrairement aux koniks, cependant, les exmoors en liberté n’ont fait

l’objet que de très peu de sélection génétique délibérée, à l’exception de la capture de quelques étalons dans le but de redonner, par hybridation, un peu de vigueur au stock domestiqué. Ce qui est évident, c’est que les caractéristiques des exmoors restent dominantes, même en cas de croisement. Avec sa carrure puissante, ses jambes trapues et ses petites oreilles, sa robe bai foncé et ses traces de pangaré plus claires autour des yeux, sur le nez, les flancs et le ventre, l’exmoor est la copie conforme des chevaux peints il y a 17 300 ans sur les murs de la grotte paléolithique de Lascaux en Dordogne, tandis que ses os et son squelette ressemblent aux archives fossiles des équidés primitifs, comme le cheval sauvage d’Alaska. Bien qu’il soit résistant et parfaitement adapté à son environnement diªcile, c’est un miracle que l’exmoor ait survécu jusqu’à aujourd’hui. Pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque l’Exmoor devint un camp d’entraînement militaire, les soldats prenaient les poneys pour cibles. D’autres étaient volés par les habitants du coin pour être mangés. À la fin de la guerre, on en dénombra moins de 50. Malgré les programmes de conservation de la race mis en place depuis, l’exmoor reste sur la liste des espèces en danger du Rare Breeds Survival Trust, car il reste moins de 500 individus en semi-liberté dans l’Exmoor et à peine plus de 3 000 ailleurs au Royaume-Uni et dans une poignée d’autres pays. Dans le monde, d’après l’Equus Survival Trust, on juge la race en situation “critique”. Knepp veille aujourd’hui sur un animal plus rare encore que le tigre. L’écrivaine et poétesse états-unienne Alice Walker disait des chevaux qu’ils embellissent un paysage. Elle pensait aux mustangs et aux appaloosas sauvages des canyons et des prairies rocailleuses d’Amérique plutôt qu’aux quarter-horses parqués dans des enclos du Kentucky. Les exmoors ont apporté à Knepp l’émotion suscitée par les grands espaces, créant un lien atavique avec le paysage de notre passé. Avec leurs yeux

proéminents typiques de la race, elles semblent regarder le monde depuis un bout de banquise. Elles ont évolué pour s’adapter aux conditions les plus diªciles, comme en témoignent leur poitrail profond, leur cœur de bonne dimension et leurs larges poumons, leur dos ample, leurs jambes solides et leurs sabots durs. Leur grande tête est munie de petits naseaux pour respirer l’air glacial, tandis que leurs mâchoires solides, agrémentées de longues dents profondément enracinées, sont capables de broyer les fibres les plus résistantes ; leur crinière épaisse, leur long toupet et leur queue en éventail les protègent de l’eau. En hiver, elles se dotent d’une épaisse toison laineuse et isolante sous un manteau extérieur de poils huileux et imperméables. Leurs paupières comportent un repli charnu qui empêche la pluie et l’eau de troubler leur vision et qui, peut-être, les protégeait des gri¤es des prédateurs errant sur les landes. Elles ont un tempérament aªrmé, méfiant et curieux, et éprouvent, elles ne s’en cachent pas, un profond mépris à l’égard de l’être humain. Au tout début, leur distance de fuite était presque deux fois plus importante que celle des longhorns. L’une de nos préoccupations, à l’origine, était qu’après les paysages sauvages des landes, nos plaines argileuses soient trop molles pour eux, nos herbes trop riches. Nous craignions les fourbures, une maladie qui touche tous les ongulés et en premier lieu les chevaux, qui y sont particulièrement vulnérables du fait de leur estomac unique, car la fourbure est causée par un régime riche en glucides. Si on donne trop de céréales ou de trèfle à un cheval, il peut accumuler des sucres, de l’amidon et des fructosanes, qui fermentent dans le circuit digestif et tuent les bactéries bénéfiques. L’acidité augmente et la paroi intestinale devient plus perméable, ce qui conduit à une accumulation de toxines dans le sang, causant une inflammation du corps tout entier, et particulièrement dans les pieds où les tissus qui enflent n’ont pas la place de s’étendre sans provoquer une blessure structurelle. C’est le

cauchemar de tout amoureux des chevaux et c’est aussi, paradoxalement, ce qui arrive le plus souvent quand ils sont “trop bien” nourris. Dans les cas les plus graves, la maladie doit être traitée de manière agressive et il est même parfois nécessaire d’euthanasier l’animal. L’année suivante, durant la poussée printanière des nouvelles herbes, Mark, le responsable de nos étables chargé de veiller sur les exmoors, a repéré des signes de fourbure chez l’une des pouliches. Déployant d’impressionnantes compétences d’éthologue, il est parvenu à l’attraper et à la placer dans l’ancien paddock près de la maison où, quatre semaines durant (à la surprise de ses sœurs qui venaient frotter leur nez contre elle de l’autre côté de la barrière), elle n’a rien eu d’autre à manger que de petites quantités de foin. Petit à petit, les symptômes ont disparu et elle a été remise en liberté, broutant désormais les herbes estivales, plus rustiques. La maladie avait été prise à temps. Au printemps suivant, le troupeau a fait l’objet d’une surveillance angoissée et, lorsque l’une des ponettes a montré des signes d’inflammation, Mark a décidé, par précaution, de toutes les capturer et de les nourrir de rations strictement choisies dans le paddock pendant dix jours, avant de les relâcher de nouveau. Nous craignions que cette situation se reproduise tous les ans, mais l’année suivante aucune n’a présenté de symptômes. Au fur et à mesure que l’azote artificiel disparaissait de nos sols, les taux de sucres et de fructosanes présents dans les graminées avaient eux aussi baissé, tant et si bien que les ponettes pouvaient enfin les métaboliser. Une fois que nous avons été certains que les exmoors se plairaient à Knepp, il était temps de bâtir un troupeau. C’est alors qu’est arrivé Duncan, en juillet  2005  : ce jeune exmoor pure race, beau spécimen semi-domestiqué, avait été capturé dans les landes à l’âge d’un an et avait été dressé à être mené à la longe pour pouvoir servir d’étalon.

Même s’il n’avait jamais été monté, il avait l’habitude d’être manipulé, lavé, brossé et travaillé au sol dans un manège. Son arrivée à Knepp n’a pas été son heure de gloire. Les ponettes paissaient tranquillement devant la maison, leur longue ombre projetée au sol dans le crépuscule, lorsque Duncan a fait son entrée. Alors qu’il s’approchait des six juments pour les saluer, elles se sont détournées de lui comme un seul homme et, s’ébrouant d’indignation, lui ont décoché des coups de pied à grand renfort de ruades. Laissant échapper un hennissement de surprise, il est venu se cacher derrière nous tandis que la bande de dures à cuire, prête à en découdre, frappait le sol de ses sabots. Nous avions choisi un jeune cheval semi-domestiqué en pensant qu’il ferait un étalon plus facile à manier. Désormais, nous craignions qu’il ne soit pas assez endurci pour accomplir sa mission. Mark restait optimiste. “Laissons-les faire”, a-t-il conseillé, et nous nous sommes éloignés, abandonnant Duncan à son sort. E¤ectivement, le matin suivant, Duncan, encore un peu traumatisé et penaud, se trouvait au milieu des ponettes. Contemplant le troupeau broutant devant le lac, nous avons applaudi le courageux petit étalon lorsqu’il s’est mis en tête de les monter. Onze mois plus tard (la durée moyenne de gestation d’une ponette exmoor), il était encore presque impossible de dire si les juments étaient pleines, du fait de leur panse naturellement arrondie. Nous commencions à désespérer lorsque, par une glaciale journée pluvieuse d’octobre, le premier poulain est né dans un champ, à quelques mètres de l’allée principale. Plus que les faons ou même les veaux, ce petit poulain qui tentait de se mettre debout sur ses jambes flageolantes pour retomber immédiatement, protégé de la pluie par sa mère, a marqué pour nous un tournant en donnant vie au projet de réensauvagement. En décembre un autre poulain a vu le jour, puis une pouliche en avril, gonflant la population mondiale d’exmoors en liberté.

Cependant, tandis que Duncan s’enhardissait, son tempérament est devenu problématique. La curiosité naturelle des exmoors, conjuguée à sa familiarité excessive avec les êtres humains, l’a mené à faire montre d’un mépris e¤ronté à l’égard de toute limite. Il marquait son territoire en laissant un tas de crottin à l’emplacement exact où notre comptable avait pour habitude de se garer, s’arrogeant le titre de roi du château (semblait-il). Tous les jours, Mark pelletait la pile de crottin enduite d’urine pleine de phéromones, pour trouver le lendemain le début d’une autre borne de fumier territoriale au même endroit. Un jour, Duncan a déboulé dans le hall d’entrée du bureau et a failli provoquer une crise cardiaque chez l’assistante de Charlie lorsqu’il a passé sa tête par la fenêtre de la réception. Mais c’est le comportement de Duncan à l’égard des cavaliers dans le parc qui nous a causé le plus de souci. Si les juments sauvages et leurs petits étaient curieux, ils restaient généralement à bonne distance des êtres humains et de leurs chevaux. Duncan, lui, s’élançait vers eux avec un air de défi. Il déboulait au galop sur le terrain de polo devant la maison, traversant l’assemblée pour aller enquêter sur ses étranges cousins pourchassant une balle. La période se transformait généralement en jeu consistant à chasser Duncan du terrain. Sa semidomestication se révélait être un frein pour notre projet, et il a fini par être envoyé en juillet  2007 chez Paul, un ami de Mark, lui-même propriétaire d’un petit troupeau domestiqué. Un an plus tard, nous avons reçu une photo de Duncan, paradant au trot, plus fringant que jamais, un enfant sur le dos, tout droit sorti d’un dessin de Norman Thelwell. Finie, sa période de flou entre vie sauvage et domesticité. La domination des juments sur le parc a été remise en cause, en décembre 2004, par l’arrivée de nos deux truies Tamworth et de leurs huit porcelets. La loi sur les animaux sauvages dangereux, qui interdisait la remise en liberté de sangliers dans le paysage britannique, nous avait

obligés à adapter notre plan d’origine. Promulguée en 1976 pour empêcher que soient relâchés des animaux dangereux et exotiques comme des pumas, des boas constrictors, des reptiles venimeux, des araignées et des scorpions (très à la mode à la fin des années 1960 et au début de la décennie suivante), cette loi avait été amendée en 1984 pour inclure le sanglier, quand bien même il s’agit d’une espèce native autrefois répandue en Grande-Bretagne. Cette contradiction a mené à une curieuse anomalie quant au statut du sanglier au Royaume-Uni. Le nombre d’élevages a augmenté depuis les années 1970, sous l’e¤et d’une demande croissante de viande forte en goût. En captivité, ils sont soumis à la loi sur les animaux sauvages dangereux et il faut un permis pour en faire l’élevage. Cependant, s’ils s’échappent dans la campagne, ils deviennent un simple animal sauvage comme le chevreuil, le blaireau ou le renard, sans obligation de notification. Étant donné qu’ils peuvent peser jusqu’à 130  kilos à l’âge adulte, sauter à une hauteur de 1,80  mètre et atteindre une vitesse de 50  kilomètres-heure, il n’est pas rare qu’ils s’échappent. Il arrive de temps en temps que les éleveurs les trouvent trop diªciles à gérer, ou que le coût d’entretien de la clôture soit une charge trop lourde. Personne ne sait exactement combien de sangliers se sont enfuis des élevages et parcourent le territoire, mais dans la seule forêt de Dean il y en aurait 1 500. Il ne nous restait plus qu’à espérer qu’un individu sauvage errant dans la région arrive tout seul à Knepp. Si un sanglier voulait absolument entrer dans le domaine, nous avait-on dit (et le fumet de nos truies serait certainement une puissante motivation), une clôture à chevreuils ne serait pas un obstacle pour lui. En attendant, les tamworths seraient ses représentants, fouissant et retournant le sol de Knepp comme le faisaient leurs ancêtres sauvages à l’époque de Jean sans Terre.

Nous avions choisi des porcs Tamworth car, comme les exmoors, c’est une race ancienne réputée pour sa robustesse et sa proximité génétique avec son aïeul. Leurs longues pattes et leur tru¤e, leur dos étroit, leurs longues soies et leur capacité pour le moins surprenante à sprinter aussi vite qu’un cheval sur de courtes distances sont typiques des sangliers d’Europe. La race a oªciellement été créée au début du XIXe siècle dans le domaine de Robert Peel, alors Premier ministre, à Tamworth, dans le Sta¤ordshire, mais elle a perdu en popularité avec l’émergence des races modernes à la croissance rapide et aux portées nombreuses, conçues spécifiquement pour l’élevage intensif. D’après le Rare Breeds Survival Trust, le Royaume-Uni compte moins de 300  truies Tamworth reproductrices. À l’apparition des tamworths, les ponettes ont réagi comme si nous avions introduit une famille de grizzlis. Il leur a suª de jeter un regard sur ces larges truies rousses à la peau rugueuse pour déguerpir au grand galop. Les chevaux domestiqués, eux aussi, en avaient peur –  une réaction sans doute provoquée, imaginions-nous, par un souvenir atavique de sangliers se nourrissant de poulains nouveau-nés. Comme la hyène, le sanglier est omnivore. Lorsqu’il consomme de la viande, il s’agit généralement de carcasses (ses dents sont faites pour broyer plutôt que pour tuer) mais c’est un opportuniste, et un poulain sans défense aurait sans doute été un mets de choix pour un sanglier a¤amé, il y a 1 000 ans. Les juments ont fini par se rendre compte que les truies ne constituaient pas une réelle menace. Elles se sont détendues en leur présence et il arrivait même qu’elles paissent dans la même zone, mais si un porcelet était assez idiot pour s’aventurer au milieu du troupeau, elles n’hésitaient pas à le réduire en bouillie, événement dont, à mon grand désespoir, j’ai été témoin un matin que je montrais quelques-uns des adorables petits porcelets à ma filleule de quatre ans.

Nous avons un faible pour les cochons, c’est bien connu. Ce sont des créatures intelligentes, curieuses, impérieuses, myopes, sociables, gourmandes, ronchonnes, gauches, miroirs de nous-mêmes. De Piggy la cochonne à Porcinet, ces points communs nous ont maintes fois amusés. Mais il se pourrait bien que le lien qui nous unit ait un ancrage biologique bien réel  : des études génétiques récentes ont mis en évidence un rapport étroit entre l’évolution des porcs et celle des primates. Sommes-nous réellement les descendants d’un aïeul commun aux cochons et aux chimpanzés  ? Il faudra encore enquêter en profondeur sur le génome humain pour le déterminer, mais nous sommes sans doute bien plus proches des porcs que ce que nous pensions. C’est probablement la raison pour laquelle nous pardonnons à nos tamworths toutes leurs bêtises. À peine sorties de la zone d’acclimatation dans leur abri, elles se sont employées à détruire les bordures manucurées par Charlie le long des allées, avec l’élan irrépressible d’un petit tracteur. Puis, au coude à coude, elles ont éventré la pelouse longeant les sentiers pédestres, suivant au millimètre les itinéraires tracés sur le plan du service cartographique de l’État, traversant les champs en diagonale. Nous nous sommes aperçus que, mues par la propulsion inflexible de missiles lancés au ralenti, elles se dirigeaient droit vers les portions du parc qui n’avaient jamais été labourées, des fragments de terre riches en invertébrés, en rhizomes et en flore. Au cours des premiers jours de leur remise en liberté, elles avaient dessiné une carte précise de ce que l’agriculture moderne avait fait subir à nos sols. Le cercle de pelouse décoratif devant la maison, parcelle de gazon en parfait état, a exercé lui aussi le pouvoir d’un aimant, et Charlie a dû monter sur son vélo, armé de son fouet à bétail, pour bien leur faire comprendre que cette zone-là leur était défendue. Diªcile de trouver un moyen eªcace de faire faire demi-tour à une bête de 230 kilos poussée

par l’appétit, et l’autre option (un seau de noisettes de terre, mets prisé par les cochons) n’aurait fait que les encourager à revenir. Les deux truies, surnommées “Big Mama” et “Sweet Face” par nos enfants, ont fini par comprendre, cependant, et ont transmis le message à leurs petits. Sur ce point-là du moins, nous avions trouvé un terrain d’entente. Comme l’écrivit Winston Churchill, “les chiens vous regardent tous avec vénération. Les chats vous toisent tous avec dédain. Il n’y a que les cochons qui vous considèrent comme leurs égaux”. Nous avions rencontré nos égales. Leur ingéniosité avait souvent raison de nous, toutefois, lorsque nous organisions des manifestations publiques dans le parc. Les truies pouvaient repérer un chapiteau en train d’être monté à plus d’un kilomètre de distance. Alors que nous avions installé une clôture électrique le long du périmètre de notre foire aux artisans estivale, nous n’avions pas pensé à le faire sur les rives de l’étang et c’est ainsi qu’une année, au milieu de la nuit, les cochons ont traversé le plan d’eau à la nage, sont entrés par e¤raction dans le stand de confiserie et ont éventré deux sacs de crème glacée en poudre dont ils se sont goinfrés. Au tournoi de polo, qui se tient tous les ans sur le pré devant le lac, ils se fondaient dans la foule des spectateurs en smoking et en robe de gala, réclamant des canapés ou volant la vedette aux joueurs en s’a¤alant sur le flanc pour o¤rir leur ventre aux grattouilles. Lorsque le téléphone a sonné le lendemain d’un grand mariage indien qui avait eu lieu sous une tente dans le parc, et qu’on nous a annoncé que les truies avaient dévoré deux plateaux de beignets à l’oignon, nous étions préparés au pire : une demande de remboursement, voire un procès. Mais la mère de la mariée, au contraire, a été la gentillesse même. La visite des cochons avait été un énième plaisir de la journée. Elle s’inquiétait cependant de ce que les épices pouvaient leur donner mal au ventre. Pourrions-nous leur donner un peu d’aspirine ?

Ces grignotages opportunistes étaient cependant une réelle source de préoccupation, et pas simplement parce que les tamworths pouvaient sou¤rir d’indigestion ou nous faire perdre notre label bio, tout récemment obtenu. Comme avec Duncan, nous craignions que les tamworths soient un peu trop proches des êtres humains pour être laissées en liberté dans un projet de réensauvagement. Des promeneurs s’étaient mis à leur apporter des quignons de pain et Big Mama et Sweet Face (ainsi que leurs rejetons qui ne cessaient de grandir) avaient pris l’habitude de leur foncer dessus pour fourrer le nez dans leurs poches. Elles ne pensaient pas à mal, mais elles pouvaient très facilement renverser les personnes âgées ou infirmes, ou les enfants. Et un chien au caractère protecteur pourrait bien ne pas laisser passer cette bousculade. Nous avons installé des panneaux sur tous les sentiers pour demander aux passants de ne pas nourrir les animaux. Avec le temps et les nouvelles générations nées en liberté, nous espérions que les porcs finiraient par devenir plus sauvages et qu’ils prendraient d’eux-mêmes la fuite. Une fois que les truies ont eu dévasté les bordures des allées, elles sont parties explorer d’autres territoires. Nous avons d’abord été consternés face à cette aptitude à la destruction, particulièrement lorsqu’il avait plu  : nos dix tamworths étaient capables de transformer plusieurs hectares en champ de bataille de la Somme en l’espace de quelques heures. Mais la capacité de la terre à se régénérer était tout aussi étonnante, et pendant la période de végétation il ne fallait que quelques jours pour qu’un tapis de plantes apparaisse là où des tranchées avaient été creusées. Des invertébrés, notamment des abeilles solitaires, colonisaient le sol retourné. Certaines d’entre elles, désormais rares au Royaume-Uni, ont besoin de vastes parcelles de terre ouverte dans laquelle creuser et, à défaut de sillons creusés par des sangliers, se tournent vers des exploitations agricoles, où les machines et les bêtes

ont le même e¤et sur la terre. L’été, des troglodytes mignons, des accenteurs mouchets et des rouges-gorges s’engou¤rent dans le sillage des porcs, picorant des insectes dans les fossés. Des fourmis se sont mises à utiliser les mottes de terre retournées par les porcs pour démarrer leur fourmilière. Certaines ont grandi de 30  centimètres en huit ans  : les colonies prospèrent dans des microclimats et des sols aérés et chau¤és par le soleil. Les fourmilières, à leur tour, attirent des grives draines et des traquets motteux, mais surtout des pics-verts qui se nourrissent, particulièrement en hiver, de fourmis trouvées dans les prairies (jusqu’à 80 % de leur alimentation). Diªcile de rater un pic-vert en plein vol  : c’est un éclair jaune-vert vif qui fend l’air à grand renfort de caquètements, un cri qu’on appelle yaºe, nom dialectal qu’on donne à cet oiseau dans le Sussex. En revanche, il n’est pas si facile de le repérer une fois qu’il s’est posé. Parfaitement camouflé dans l’herbe, il plonge le bec dans les fourmilières, s’aventure ainsi dans les galeries et récupère les fourmis avec sa langue visqueuse de 10  centimètres. Au repos, cette langue immense s’enroule à l’arrière du crâne et remonte jusqu’à l’avant, entre les deux yeux et jusqu’à la narine droite. Les adultes récupèrent des fourmis pour leurs petits, en quantité astronomique. D’après les estimations d’une étude menée en Roumanie, 7  oisillons de pics-verts ont consommé 1,5 million de fourmis et de chrysalides avant de quitter le nid. Les fientes d’un pic-vert ressemblent à de la cendre de cigarette au-dessus d’une fourmilière. Si on les observe de plus près, on peut y voir un tas de petits visages tristes de fourmis qui semblent se demander ce qui leur est arrivé. Le sol des fourmilières gorgé de soleil est aussi un site où viennent se prélasser le papillon cuivré commun et le lézard vivipare, et où le criquet duettiste, qu’on trouve partout, a la place de pondre ses œufs. Très rarement, le sort se retourne contre les fourmis : les porcs détruisent les

fourmilières à la recherche de coléoptères, puis les fourmis s’a¤airent pour réparer les dégradations. Dans une fourmilière, la composition du sol est di¤érente de la terre acide de la prairie environnante, et c’est la raison pour laquelle di¤érentes espèces de champignons, de lichens, de mousses, d’herbes et d’autres plantes à fleurs comme le serpolet le colonisent et contribuent à en renforcer la surface. Soudain, comme par miracle, grâce à l’association inattendue des fourmis et des porcs, nous nous sommes mis à voir des sols légers et complexes naître de notre argile pesante du Sussex. Les porcs avaient aussi des e¤ets sur la végétation. Ils ont un penchant pour les plantes que d’autres animaux brouteurs ne peuvent pas trouver ou digérer, comme les racines rétives et souterraines de l’oseille et des cirses communs. Contrairement à d’autres ongulés, ils peuvent aussi manger la fougère aigle et ses rhizomes, neutralisant les toxines et les substances cancérigènes dans leur intestin. Même s’ils ne sont pas capables, malgré tout, de s’attaquer au rhododendron pontique toxique lorsqu’il a atteint la maturité, ils ont été des alliés eªcaces dans les programmes de conservation cherchant à éradiquer cette plante envahissante, car ils limitent son expansion en en mangeant les jeunes pousses. Dès le début, il nous a semblé évident que la présence des cochons ouvrait des possibilités à d’autres espèces. Mais le broutage, la destruction et le piétinement des autres animaux brouteurs avaient eux aussi des e¤ets. Lorsque la branche basse d’un arbre devenait un grattoir pour les vaches, par exemple, le compactage de l’argile par leurs sabots au pied de l’arbre créait des réceptacles qui se remplissaient d’eau. Pour une fois, nous étions heureux de voir de petites mares dans la propriété. Nous avons ainsi appris que ces “étangs éphémères” d’eau potable (qui font parfois à peine la taille d’une grande flaque, et qui sont si peu profonds qu’ils peuvent s’évaporer) constituent un habitat important,

toujours plus rare au Royaume-Uni, pour des plantes comme la renoncule aquatique, le callitriche des étangs et les characées, de même que pour toute une série d’escargots spécialisés et de coléoptères aquatiques, ainsi que pour le vaporeux chirocéphale diaphane, espèce en danger. Tous les brouteurs passaient au moins un peu de temps à fouiller les périphéries du lac et d’autres étangs dans le parc, et en broutant et en foulant au pied le sol, ils remettaient en cause la suprématie de la massette à feuilles larges, donnant ainsi leur chance à d’autres plantes aquatiques. Mais c’est le simple fait de ne pas asperger la terre de fongicides et de pesticides, comme c’était le cas depuis les années  1960, qui a produit l’évolution la plus importante. Tandis que les populations d’insectes explosaient, des pipistrelles communes sont apparues autour de la maison la nuit, tandis que des murins de Daubenton rasaient la surface du lac en quête de moucherons et de moustiques. Et, selon les chiroptérologues du coin (les spécialistes des chauves-souris), de rares barbastelles communes arrivaient depuis la réserve forestière de Mens, à quelque 25  kilomètres de là, pour se nourrir des microlépidoptères et des petits coléoptères sur nos prairies irriguées. Un dîner aux chandelles dans le jardin équivalait désormais à une invitation pour une flopée de papillons de nuit que nous étions bien incapables d’identifier, à l’exception du sphinx colibri, espèce omniprésente au nom révélateur. Une fois l’automne arrivé, nous pouvons à présent cueillir des champignons au milieu du parc et, chaque année, une éruption de lépiotes élevées borde l’orée de Spring Wood en formant des ronds de sorcières. À présent que nos brouteurs ne prenaient plus d’avermectines (les puissants vermifuges et parasiticides qu’on administre habituellement à la plupart des chevaux domestiques et à tout le bétail des exploitations non biologiques), les bouses et le crottin, creusés de galeries de

bousiers, s’étaient mis à ressembler à ce que l’on trouve en Afrique. Pour Charlie, cette découverte, qui lui rappelait ses fixations sur les insectes de son enfance passée en Afrique et en Australie, a viré à l’obsession. Il s’allongeait à côté d’une pile de crottin tout frais d’un des exmoors et chronométrait le temps que mettaient les bousiers à arriver (le record ? Trois minutes). Attirés par l’odeur et volant droit vers leur cible, comme des hélicoptères de combat, ces insectes replient leurs ailes et foncent droit dans le fumier. Si une croûte a déjà eu le temps de se former, ils rebondissent à la surface et doivent alors revenir en trottinant vers le tas d’excréments, s’enfonçant tête la première dans cette matière nourrissante. Il n’a fallu qu’un rien de temps avant que le comptoir de la cuisine se couvre de fioles de verre contenant toutes les espèces qu’avait pu trouver Charlie, qui les envoyait ensuite à Paul Buckland, un professeur de Bournemouth University, chargé de les identifier. Après un été passé à fouiller de la matière fécale, jubilant, il avait recensé 23 espèces de bousiers dans une seule bouse. Il existe environ 60  espèces de bousiers natives du Royaume-Uni, avons-nous appris. Contrairement à leurs cousins africains, connus pour former des boules de bouse qui peuvent faire jusqu’à cinquante fois leur poids et qu’ils font rouler sur de longues distances, parfois en utilisant la Voie lactée comme point de repère, la plupart de nos bousiers sont des fouisseurs : ils enfoncent la bouse dans le sol jusqu’à des cavités qui peuvent être à 60 centimètres de profondeur, soit à côté, soit directement sous le tas de fumier. Les déjections deviennent ainsi une source de nourriture pour les larves des bousiers, qui peuvent grandir dans le nid, loin des prédateurs. Les bousiers sont présents sur Terre depuis 30 millions d’années. On en trouve sur tous les continents, à l’exception de l’Antarctique, et ils se spécialisent dans toutes les formes d’excréments qui existent, même si la plupart ont une prédilection pour les restes végétaux que contient le

fumier des herbivores. Administrer au bétail et à nos animaux de compagnie des parasiticides, qui passent ensuite dans leurs déjections et tuent tout insecte cherchant à s’en nourrir, y compris les bousiers, est l’un des problèmes les plus graves qui se posent pour nos sols. Le fouissage des bousiers, qui mangent et digèrent en faisant leur tunnel, ajoute de la matière organique, renforce la fertilité des sols, leur aération et leur structure, et améliore la filtration de l’eau de pluie et la qualité des écoulements d’eau souterraine. Paradoxalement, en mangeant les parasites qui se trouvent dans la matière fécale et en consommant rapidement le fumier lui-même, les bousiers contribuent aussi à freiner la transmission de parasites et limitent ainsi la nécessité de recourir à des vermifuges chimiques dans les élevages. Ce n’est que maintenant, alors que plusieurs de nos espèces de bousiers sont au bord de l’extinction, que les agriculteurs commencent à apprécier leur contribution à leur juste valeur. Selon les estimations, les bousiers permettraient au secteur de l’élevage britannique d’économiser 367  millions de livres par an simplement en favorisant la croissance d’herbages en bonne santé. Sans compter qu’ils font partie de la chaîne alimentaire  : pour la première fois, nous avons observé des chevêches d’Athéna (qui consomment principalement ces petits insectes) nicher à Knepp, se perchant avec leurs petits sur les corsets de protection placés autour de la nouvelle génération de chênes plantés dans le parc. D’autres oiseaux insectivores revenaient eux aussi, notamment une espèce dont le chant était naguère connu de tous les habitants des campagnes. L’alouette des champs est le sujet du morceau de musique classique moderne préféré des Britanniques, “The Lark Ascending”. Pourtant, cet oiseau bien-aimé a perdu 75 % de ses représentants entre 1972 et 1996, et le déclin se poursuit. Aujourd’hui, il est plus probable d’avoir entendu “The Lark Ascending” dans une salle de concert que le chant d’une alouette en chair et en plumes à la campagne. Foulant du

pied les tou¤es d’herbes recouvrant un grand champ auparavant cultivé près de Tumbledown Lagg, au-dessus de la plaine inondable de l’Adur, et traversant Town Field, le “pré de la ville”, ainsi nommé en souvenir de l’ancienne cité médiévale prospère (aujourd’hui entièrement disparue) dans l’enceinte de l’ancien château de Knepp, nous entendions de nouveau les alouettes, qui montaient en flèche en lançant leurs trilles urgents. Les sons du passé envahissaient de nouveau le ciel lui-même.

La question n’est pas ce que l’on regarde, mais ce que l’on voit. HENRY DAVID THOREAU, I to Myself, août 1851.

Malheur à ceux qui ajoutent maison à maison, et qui joignent champ à champ, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’espace, et qu’ils habitent seuls au milieu du pays ! Ésaïe, V, verset 8.

L’étendue du projet de réensauvagement du secteur central dépendait dans une large mesure de ce que l’on considérait être la délimitation du parc du XIXe  siècle autour de la maison. Au titre de la subvention que nous avions reçue du Countryside Stewardship, nous devions nous assurer de respecter la charte des parcs de Humphry Repton, à savoir un paysage de vastes herbages vallonnés. Il fallait pour cela veiller à la présence constante d’un grand nombre de brouteurs empêchant l’apparition de toute broussaille disgracieuse. Nous étions certes heureux de constater que le nombre d’insectes, d’oiseaux, de chauvessouris, de reptiles et de champignons augmentait et d’avoir pu donner un peu de répit à nos chênes anciens, mais sur le plan du réensauvagement, le paysage lui-même nous paraissait toujours contraint, limité par un idéal humain artificiel. Dans le secteur nord, qui se trouvait hors des délimitations du parc Repton et qui avait sans doute fait partie autrefois du parc à daims médiéval de l’ancien château de Knepp, plus sauvage, nous avions davantage de liberté pour nous livrer à des expérimentations. En 2004, Frans Vera est venu séjourner sur le domaine et nous a conseillé de ne placer dans cette zone qu’un petit troupeau de longhorns, pour commencer, le temps de laisser la végétation repousser. En cinq ans,

espérait-il, nous commencerions à voir les haies déborder, des broussailles épineuses apparaître et des espèces pionnières envahir la zone. Nous pourrions alors envisager d’introduire également des cervidés, des poneys et des cochons, ou bien attendre encore un peu. Il s’agissait en quelque sorte d’évaluer les joueurs avant de les laisser entrer dans l’arène. Le Countryside Stewardship s’est laissé convaincre par notre argument selon lequel cette stratégie, consistant à créer les conditions propices à une compétition plus équitable entre la succession végétale et les perturbations humaines, pourrait, au bout du compte, permettre de créer quelque chose de plus dynamique et de plus intéressant, sur le plan biologique, que le paysage statique et “fini” d’un parc à daims du XIXe  siècle, et c’est ainsi que nous avons obtenu une dérogation pour permettre aux broussailles d’émerger dans cette zone. Nous avons lâché notre deuxième troupeau de 23  longhorns dans les 235  hectares du secteur, et il ne nous restait qu’à observer la suite des événements. Le secteur sud, quant à lui, a une histoire bien di¤érente. Même si on estime qu’il faisait autrefois partie du parc à daims du XIIe siècle, il ne figure pas sur la carte de Crow de 1754 (la seule preuve que nous possédons du passé médiéval du domaine), et nous n’avions donc pas pu l’inclure dans le projet de restauration proposé au Countryside Stewardship. Depuis le début, nous ne parvenions pas à convaincre les services publics de nous soutenir dans une expérience de pâture naturaliste menée à l’échelle du domaine : malgré plusieurs visites, des discussions encourageantes et une promesse de financement d’une enquête de référence sur la faune et la flore sauvages à Knepp, English Nature n’en finissait pas d’hésiter à appuyer publiquement le projet. En janvier 2005, Keith Kirby nous a écrit : “Nous nous sommes entretenus avec divers interlocuteurs du Rural Development Service et de la Countryside Agency sur les projets de « réensauvagement » ; certaines

personnes sont enthousiastes, d’autres moins.” Évoquant la “nouvelle agence intégrée consacrée aux services ruraux” qui serait créée en 2007, il ajoutait  : “En amont de cette intégration, nous sommes en train de parler des questions que nous souhaitons faire avancer concrètement, en collaboration, d’ici à la constitution de la nouvelle agence. […] J’espère que le réensauvagement en fera partie.” Mais il paraissait évident que rien n’allait se produire dans l’immédiat et, sans financement, nous n’avions pas les 100  000  livres nécessaires à la pose d’une clôture autour du secteur sud, ni les 50 000 livres que coûterait la suppression des buses, des portails à bétail, des barrières, des portillons, des barrages et des ponts. Dès 2001, nous avions laissé en jachère les champs les moins productifs du secteur sud et avions progressé par paliers au cours des cinq années suivantes. Comme il n’était pas prévu d’introduire rapidement des herbivores dans cette zone, nous avons décidé de ne pas passer par l’étape coûteuse du réensemencement au moyen d’un mélange d’espèces natives, comme nous l’avions fait dans le secteur central et le secteur nord, et les champs ont simplement été laissés tels quels après la dernière récolte de maïs, de blé, d’orge ou de toute autre culture alors en cours. En 2006, les 450 hectares n’étaient plus du tout cultivés, et nous continuions à réclamer auprès des autorités compétentes les moyens financiers qui nous permettraient d’appliquer une stratégie de pâture de conservation. Paradoxalement, ce hiatus contraint a été l’une des meilleures choses qui soient arrivées du point de vue du réensauvagement. La libération progressive des terrains, mise en œuvre au petit bonheur la chance, conjuguée à l’absence de réensemencement et à la non-introduction immédiate de brouteurs actifs, a permis aux processus naturels de

redémarrer au quart de tour, créant des possibilités bien plus excitantes pour la faune et la flore que tout ce que nous entreprenions ailleurs à Knepp. En quelques années à peine, un paysage complètement di¤érent a pris possession de la majeure partie du secteur. Les prés les plus humides, tassés par des années d’agriculture, désormais privés de labour et ainsi d’oxygène, ont été les plus longs à évoluer. Quinze ans plus tard, certains sont restés pratiquement les mêmes et nous supposons que, si les invertébrés du sol ne sont toujours pas capables de les coloniser et de les aérer, ces parcelles détrempées finiront par devenir des étangs permanents –  un autre type d’habitat. Mais dans toutes les autres zones, à des degrés divers, les broussailles épineuses se sont emparées du territoire. Comme il n’y avait pas d’herbage épais pour les empêcher de s’étendre, des fourrés d’aubépines, de prunelliers, d’églantiers et de ronces émergeaient dans les champs qui, à peine deux ou trois ans auparavant, étaient couverts de maïs et d’orge. Des kilomètres de haies, qu’on devait naguère tailler sévèrement chaque automne avant que le sol soit trop détrempé pour utiliser l’épareuse (débroussaillage qui privait les oiseaux d’une ressource vitale, les baies d’hiver), sortaient en tourbillon de l’humus accueillant comme autant de douairières s’échappant de leur corset. Chaque champ réagissait di¤éremment, en fonction de l’utilisation qui en avait été faite au fil des ans, des dernières cultures, des di¤érences subtiles dans le type de sol et des conditions météorologiques de l’année à laquelle il avait été mis en jachère. Si l’année avait été particulièrement faste pour les semences de certains arbres ou arbustes, les résultats di¤éraient en conséquence – autant de facteurs qui ont favorisé de multiples assemblages de végétation, colonisant les parcelles à des rythmes di¤érents. Des communautés de flore complexes émergeaient à proximité les unes des autres : l’e¤et était

sidérant. En été, lorsque nous parcourions le secteur à vélo ou à bord de notre petit véhicule tout-terrain, nous devions prendre garde à bien fermer la bouche et à nous équiper de lunettes pour traverser les nuées d’insectes. Les “tempêtes de papillons de nuit”, pour reprendre l’expression du journaliste spécialiste de l’environnement Mike McCarthy parlant des étés qu’il avait connus avant l’épandage de pesticides à gogo, revenaient en force. Des oiseaux chantaient, même en hiver. Des volées de grives litornes, de pipits farlouses et de grives mauvis, visiteurs hivernaux que nous n’avions que rarement vus auparavant, venaient déguster les baies et les invertébrés, et des bouvreuils pivoines (une espèce qui a perdu 35 % de sa population entre 1995 et 2010, et qui continue de décliner à toute allure dans tout le SudEst de l’Angleterre) venaient se nourrir de bourgeons, de mûres et de graines. En mars, les alouettes des champs sont arrivées par dizaines, et en été les bruants jaunes –  l’un de nos oiseaux des champs dont les populations dégringolent le plus rapidement (nous avons perdu 60  % d’entre eux dans le pays depuis 1960)  – ont fait entendre leur chant caractéristique, une répétition de brefs siºements suivie d’une note plus longue et grave. Mais l’événement le plus important au titre de la théorie de Vera, alors que les broussailles gagnaient du terrain, a été l’apparition par milliers de jeunes chênes dans tout le secteur sud. Certains venaient sûrement de réserves de glands, le butin de mulots devenus la proie d’une chouette e¤raie ou d’une buse variable –  des oiseaux qui arrivaient eux aussi en grand nombre. Mais le disperseur de glands le plus important est le geai des chênes. Il est le membre le plus spectaculaire et le plus coloré de la famille des corvidés : rose poudré, il a une gorge blanche et une rayure noire en guise de moustache, et des ailes noir et blanc frappées de bleu. Pilleur de nids, parfois consommateur d’œufs d’autres oiseaux, voire de leurs oisillons, il fut

persécuté tout au long du XIXe siècle (et certains braconniers continuent aujourd’hui de l’attraper). Comme la plupart des corvidés, il est capable de se nourrir d’un peu de tout  : invertébrés, graines, fruits et parfois petits mammifères font partie de son alimentation. Mais il a une autre particularité  : il enterre très souvent des glands. Les autres corvidés le font aussi, mais aucun n’a le savoir-faire du geai des chênes, ce qui fait de lui l’agent le plus important de la création de pâturages boisés naturels. Étonnamment, les chênes pédonculés et les chênes sessiles, laissés à leur propre sort, ont énormément de mal à se reproduire. Un chêne peut atteindre sa vingtième année avant de faire ses premiers glands, et la plupart des dizaines de milliers de glands qui tombent au sol chaque automne sont mangés par des animaux ou finissent tout simplement par pourrir. Comme elles ont besoin de lumière, les jeunes pousses qui parviennent à germer sous la canopée de leur parent sont vouées à l’échec. D’une manière ou d’une autre, il faut que le gland soit enterré ailleurs afin qu’il ne soit pas mangé et puisse germer. Pour se perpétuer, le chêne est donc dépendant d’autres espèces, ce qui a donné lieu à une relation symbiotique remarquable avec le geai. Un geai des chênes peut planter plus de 7 500 glands en l’espace de quatre semaines, ce en quoi il est fidèle à son nom vernaculaire et à son nom savant, Garrulus glandarius, “le cueilleur de glands bavard”. Il est particulièrement tatillon et choisit des glands mûrs qui ne sont pas trop petits et n’ont pas été colonisés par des parasites, c’est-à-dire ceux qui ont une haute valeur énergétique et qui sont aussi le plus susceptibles de germer (d’où la symbiose). Après en avoir ramassé jusqu’à six à la fois, le plus grand ou le plus long visible dans son bec et le reste dans une poche de stockage au fond de son gosier, le geai parcourt entre 50  mètres et plusieurs kilomètres. Il cherche des zones ouvertes où le chêne peut germer, puis enterre les glands au pied des buissons épineux

comme l’aubépine qui, s’élevant verticalement, sert de repère au geai, lequel pourra retrouver plus tard sa cache. Il stocke séparément chaque gland, les espaçant de 45 à 90 centimètres, et les enfonce profondément sous terre, où ils courent moins de risques d’être trouvés par les mulots et les écureuils, et où, du même coup, ils ont plus de chances de prendre racine. Les geais des chênes piochent dans ces réserves de glands riches en féculents tout au long de l’année. D’avril à août cependant, étant donné qu’ils ont de nombreuses autres sources d’aliments à disposition, ils le font beaucoup moins – et c’est alors que les surplus de glands germent. La tige de la pousse apparaît généralement en mai, et en juin la première couronne de feuilles s’est dépliée. Cette chronologie est essentielle. En juin, les geais se mettent en quête des jeunes plants pour nourrir leurs petits. Ils ne s’intéressent pas tant au plant lui-même qu’à ses cotylédons, soit les premières feuilles grasses qui contiennent les réserves alimentaires de la graine, dont la plupart des végétaux ont besoin au cours des premières étapes de la croissance. Dans le cas du chêne, cependant, les cotylédons ne sont pas si importants. Immédiatement après la germination, un jeune chêne qui pousse en bénéficiant d’une bonne exposition à la lumière du jour met en place un système racinaire complexe au long pivot, d’où il tire son énergie. Les scientifiques ont montré récemment, en ôtant les cotylédons pendant les premières phases de la croissance d’un jeune chêne, que les réserves d’énergie qu’ils contiennent ne sont pas essentielles. Le jeune plant est tout à fait capable de survivre sans eux. Les cotylédons d’un chêne restent dans le sol ; lorsqu’un geai trouve un jeune plant, il attrape la tige avec son bec et tire, de manière à soulever les cotylédons et ce qu’il reste du gland hors de terre et ainsi à les récupérer pour en nourrir ses petits. Comme la racine pivotante du chêne est solide, dans la majorité des cas cette extraction n’est pas

synonyme de mort et l’arrachage des cotylédons n’entrave pas la croissance. Les cotylédons sont en quelque sorte la récompense accordée au geai pour son soigneux travail de maïeuticien. On trouvait alors de jeunes chênes plantés par les geais dans tout le secteur sud. En 2009, Charlie, Ted et un groupe de bénévoles en ont compté  1  600 dans un seul champ. Sur certains, on pouvait même observer une cicatrice à l’endroit où le geai les avait soulevés avec son bec pour récupérer les cotylédons. Beaucoup poussaient à côté d’un petit buisson d’aubépines, de prunelliers et de ronces, et il était facile d’imaginer que ces broussailles pleines d’épines, au bout d’un à deux ans à peine, envelopperaient le chêne – un fouillis de barbelés naturels protégeant le jeune arbre dégingandé au fur et à mesure de sa croissance. Pour le moment, étant donné qu’il n’y avait là que quelques chevreuils et une minuscule population de lapins (alors qu’ils étaient des milliers dans les herbages du secteur central et du secteur nord), l’impact des brouteurs sur les broussailles était très faible. Sous nos yeux se développait le type de végétation qui, dans des écosystèmes fonctionnant normalement, ne surgit que lorsqu’une population de brouteurs est décimée par un phénomène extrême ou une épidémie, par exemple les pestes et les maladies qui s’abattirent sur les cervidés dans les forêts royales de l’Angleterre médiévale, ou plus récemment l’épidémie de myxomatose qui a anéanti les populations de lapins dans les années 1950, menant à la régénération du genévrier et de l’aubépine dans le Sud de l’Angleterre ; ou encore l’agent pathogène qui a fauché plus de 200  000  antilopes saïgas (88  % de la population) dans les steppes d’Asie centrale en 2014. L’éruption de broussailles qui s’ensuit produit un grand nombre de lisières où s’épanouissent les fleurs des champs et les invertébrés, notamment ceux dont les cycles de vie complexes nécessitent au moins deux habitats voisins en fonction des

di¤érentes phases de croissance. Les invertébrés attirent d’autres invertébrés et de petits mammifères, amphibiens et reptiles, qui à leur tour attirent des oiseaux et d’autres prédateurs. Comme nous étions sur le point de le découvrir, la broussaille émergente est l’un des habitats naturels les plus riches de la planète. Les agriculteurs et les propriétaires terriens de notre époque moderne ne sont cependant pas bien disposés à l’égard des broussailles, jugées improductives. Par conséquent, elles ont été quasiment éradiquées en Grande-Bretagne. Presque partout, on voit les zones de broussailles comme de simples friches. Ça n’a pas toujours été le cas  : au Moyen Âge, les di¤érentes espèces de broussailles étaient très prisées et n’avaient rien d’indigne. Les tiges rigides du prunellier servaient de bâton de marche et ses fruits, les prunelles, étaient utilisés pour concocter des remèdes et aromatiser le vin et le gin. Les arbrisseaux comme le sureau noir produisent des baies comestibles, qui pouvaient aussi servir de teinture végétale. Les branches d’aubépine font aussi de bons bâtons de marche et des poignées d’outil, et étaient utilisées pour construire des barrières  ; l’aubépine produit des cenelles, qu’on peut mettre en conserve ou cuisiner en sauce. Le noisetier était transformé en barrières, en charpentes pour les toits de chaume, en paniers, en meubles ou en charbon ; le saule était lui aussi transformé en charbon et en paniers, mais également en battes de cricket et en remèdes. Le charbon issu de l’aulne et du cornouiller sanguin servait de poudre à canon. Le genêt (broom) faisait un excellent balai, ce qui explique que la plante ait donné son nom au balai en anglais. Le genévrier était utilisé pour fumer la viande et fabriquer des crayons, ses baies pour distiller l’huile et aromatiser le gibier et le gin. Du fusain d’Europe on faisait des brochettes, des cure-dents et des paniers. L’orme des montagnes se transformait en arcs, en meubles et en plancher pour les aires de battage. Le bouleau fournissait des bobines pour le coton, du bois de

chau¤age, des balais et du chaume  ; son écorce permettait d’imperméabiliser et de tanner. Le vin de bouleau (de la sève fermentée) était utilisé comme médicament et les feuilles des jeunes arbres comme diurétique. Les baies de l’églantier, les cynorhodons, dont on sait aujourd’hui qu’elles ont une teneur en vitamine C exceptionnellement élevée, servaient à faire des sirops, des sauces et des gelées. Les ajoncs (qu’on appelle furze dans le Sussex) nourrissaient les animaux et alimentaient les fours de cuisine et les fours à poterie. On laissait généralement les broussailles épineuses former une sorte de zone tampon autour des bois pour éviter que les brouteurs ne s’y aventurent. La carte de la Grande-Bretagne regorge de toponymes qui renvoient à ces végétaux  : Thorndon, Thornden, Thornbury (de thorn, “épines”), Haslemere, Hazeldon (de hazel, “noisetier”), Spindleton (de spindle, “fusain”), Hathern, Hatherdene (de hawthorn, “aubépine”), Brambleton (de bramble, “ronce”), ou encore Barnham Broom, Broomhill, Broompark (de broom, “genêt”). Les noms des champs de Knepp rappellent eux aussi cette époque à laquelle les broussailles étaient un atout : Benton’s Gorse (gorse signifie “ajonc”), Broomers Corner, Broom Field (de broom), High Reeds, Cooper Reeds (reed signifie “roseau”), Faggot Stack Plat (du mot “fagot”), Bramble Field (“champ de ronces”), Rushett’s, Rushall Field (de rush, “jonc”), Little Thornhill, Great Thornhill (de thorn), Stub Mead (de stub, “souche”), Barcover Furzefield, Swallows Furzefield, Coates’ Furzefield, Greenstreet Furzefield, Constable’s Furze, Pollardshill Furze, Old Furze Field, Furzefield Plat, Great Furzefield et tout un tas de Little Furzefields (du mot dialectal furze, “ajonc”). Plus important encore, à l’époque des pâturages communs, les broussailles étaient prisées car elles formaient des pépinières propices à la régénération des arbres. En 1613, l’écrivain Arthur Standish, spécialiste de l’agriculture, rappelle à ses lecteurs “un vieux dicton

forestier  : le buisson d’épines est la mère du chêne”. Les fourrés épineux, aªrme-t-il dans la droite ligne de Vera, sont “les mères et les nourrices des arbres” et “sans eux, il n’y aurait pas de bois sur nos terres”. Afin d’aider la régénération naturelle, on chargeait les gardes forestiers du XVIIe  siècle de “jeter des glands et des samares de frêne dans les fourrés épars et broussailleux  ; qui (comme l’a montré l’expérience) croîtront à la perfection, abrités par les buissons, fournissant en temps voulu des réserves de bois”. Les ronces et le houx revêtaient une importance telle pour la régénération des arbres qu’une ordonnance établie dans la New Forest en  1768 imposait à quiconque était jugé coupable de les avoir abîmés trois mois de travaux forcés, outre un nombre déterminé de coups de fouet administrés chaque mois. Pourtant, de nos jours, même les spécialistes de la conservation peinent à défendre les broussailles. Le problème réside en partie dans leur caractère éphémère. Par définition, les zones de broussailles sont des habitats en évolution. En l’absence d’animaux brouteurs, c’est une végétation qui se transforme petit à petit en une forêt fermée. Les herbages, les prairies irriguées, les marécages, les bois, les collines, la lande et même la bruyère peuvent être délimités. Ce sont des systèmes qui s’entretiennent, et que nous pouvons plus facilement cerner et gérer. Mais les terrains broussailleux sont mouvants. Plus on coupe les broussailles, plus elles prennent de la vigueur. Définir ce type de terrains est diªcile  ; les cartographier relève de l’impossible. Où commencent-ils ? Dans les franges, ces espaces de prairies, de terre nue et de marécages, ou bien au niveau des fougères, des roseaux et des ronciers, ou encore là où émergent les broussailles elles-mêmes ? Où se terminent-ils  ? Là où les jeunes arbres sont plus hauts que les broussailles, ou lorsque le terrain devient le sous-étage d’une forêt

fermée  ? Pour notre esprit moderne, la notion de broussailles, végétation sans cesse en évolution, en devenir vers autre chose, est quelque chose de pénible à cerner. Les spécialistes de la conservation, déterminés à conserver un paysage dans un état statique au bénéfice d’une espèce cible, voient depuis des dizaines d’années les broussailles envahissantes comme des ennemies. D’importantes sommes ont été dépensées en vue de leur éradication, et l’arrachage des fourrés est une activité classique qu’on confie aux bénévoles des projets de conservation. Omniprésentes dans les marges, les broussailles ont été bannies, exilées dans le no man’s land des bordures de voies ferrées, des piles de scories, des terrils, des gravières, des docks et des carrières ou des mines abandonnées. Paradoxalement, ce sont ces lieux qu’on évite, envahis par les mauvaises herbes et laissés sans protection, qui forment aujourd’hui des habitats remarquables, des bastions pour certaines espèces au bord de l’extinction dans les campagnes au sens large, comme le bruant zizi, la pie-grièche écorcheur, le rougequeue noir, la mésange boréale, le crapaud calamite, le triton crêté et la très rare araignée de l’espèce Nothophantes horridus, ainsi que d’autres espèces qui périclitent rapidement  : linotte mélodieuse, pouillot fitis, bouvreuil pivoine et fauvette pitchou. 15 % de tous les insectes rares dans le pays se trouvent dans des friches industrielles, dont certaines sont aujourd’hui classées comme sites d’intérêt scientifique particulier. Les groupes de protection de la nature comme Buglife se retrouvent dans la position incongrue de demander la préservation de ces zones post-industrielles en faveur de la faune et de la flore sauvages, tandis que nos “zones vertes”, censées être protégées de l’expansion industrielle et urbaine, n’ont parfois presque aucune valeur sur le plan de la conservation. Drôle de retournement de situation.

Autre paradoxe, la tolérance zéro à l’égard des broussailles épineuses prive les initiatives de conservation de leurs alliées les plus eªcaces lorsqu’il s’agit de planter des arbres. On consacre chaque année des fortunes à l’achat de jeunes arbres à racines nues, cultivés en pépinière, pour planter ou restaurer des terres boisées. S’occuper de ces jeunes plants est bien plus complexe que ce que l’on pense. Ils sont vulnérables et peuvent facilement sécher et mourir avant d’avoir été transplantés (ou même après). Ils ne sont pas aussi bien connectés au sol que les jeunes arbres qui ont poussé naturellement, et n’ont pas formé les bonnes associations fongiques. Ils peuvent être contusionnés, abîmés, et sont vulnérables aux infections. Ils doivent être protégés individuellement, généralement par des cylindres en polypropylène (matériau dont la production émet beaucoup de CO2) qui sont attachés à des baguettes de bois traitées à l’aide de languettes en plastique  : non seulement il faut une main-d’œuvre colossale, mais c’est un autre fardeau financier et environnemental. Même si la zone à planter est ceinte d’une clôture, cette protection n’est guère eªcace contre le vent, les inondations et les perturbations causées par les lapins, les campagnols et les blaireaux, et la haute teneur en humidité à l’intérieur du cylindre peut faire pourrir ou moisir le jeune plant et favoriser la survenue d’insectes ravageurs. Si on n’y prête pas suªsamment attention, les tubes peuvent égratigner la tige étiolée du jeune arbre et lui infliger des dégâts. Que les arbres survivent ou non, il faut tout de même s’atteler à la tâche fastidieuse qui consiste à retirer ensuite les protections du site, sans compter que les mettre au rebut ou les recycler produit aussi des émissions de CO2. La plupart de ces protections sont censées se dégrader progressivement par l’exposition au soleil, mais dans les faits, cette décomposition n’arrive que rarement. Si les arbres ont bien grandi, les protections ne sont pas assez exposées ; s’ils meurent, les cylindres tombent au sol et finissent

recouverts de tou¤es d’herbes. Mais même s’ils commencent e¤ectivement à se décomposer, les abandonner sur place suppose de laisser des résidus de plastique polluants dans la terre. Comme on commençait à le voir à Knepp, les broussailles épineuses sont bien plus eªcaces que les dispositifs artificiels pour ce qui est de fournir une protection et un environnement propice à la croissance des jeunes plants. Des employés du Woodland Trust et d’autres organismes de protection des arbres se sont émerveillés de la vitesse de régénération observée à Knepp, ainsi que de la diversité d’espèces qui s’y établissent spontanément, dont l’alisier torminal et le pommier sauvage. Cependant, aussi tentés que soient ces organismes d’attendre et de permettre aux ronces et aux prunelliers de faire leur boulot à leur place, et ce sans rien débourser, leur modèle de collecte de fonds n’encourage pas cette démarche. Les associations sont en e¤et tributaires de subventions financières versées pour la plantation d’arbres. Les phénomènes naturels, chaotiques, variables et marqués par une forte concurrence, n’ont pas leur place dans un système de financement qui réclame des estimations précises des coûts, des cibles prédéterminées et des résultats prévisibles. Ces organisations dépendent aussi de dons publics pour l’achat des arbres, et de bénévoles qui les plantent et s’en occupent. Dans les récits présentés aux donateurs, la partie où on creuse un trou pour y planter un arbre est cruciale. Si elles proposaient de simplement laisser faire la nature, une bonne portion de leur financement s’évanouirait. Jusqu’à récemment, un facteur important empêchait la disparition des broussailles : la pratique du recépage, qui consiste à couper un arbre (typiquement des chênes, des noisetiers, des frênes, des saules, des érables champêtres et des châtaigniers) à la base du tronc, de sorte que des jeunes pousses croissent à partir de la souche. D’après les recherches archéologiques, cette pratique avait déjà cours au début du

Néolithique. Certaines des traces de recépage les plus anciennes ont été trouvées dans les Somerset Levels où, il y a 4  000  ans, nos ancêtres construisirent des sentiers en bois complexes sur une terre marécageuse. Ces sentiers étaient faits de planches de chêne, arrimées à l’aide de perches de frêne, de tilleul, d’orme, de chêne et d’aulne de taille égale, et de baguettes plus petites en bois de noisetier et de houx. Le recépage, comme le découvrirent les premiers habitants des îles Britanniques, permet de mettre à disposition du bois qui pousse vite, facile d’accès, malléable et polyvalent, tout en prolongeant la vie de l’arbre. On estime que l’un des tilleuls à petites feuilles régulièrement recépé encore aujourd’hui dans l’arboretum de Westonbirt, dans le Gloucestershire, est vieux de plusieurs millénaires. De fait, la pratique du recépage imite l’impact de la mégafaune d’animaux brouteurs qu’il y avait en Grande-Bretagne, qui se nourrissaient de branchages. Le fait que tant de nos arbres et de nos arbustes réagissent si bien lorsqu’ils sont ainsi mutilés montre qu’ils ont coévolué avec un grand nombre de ces animaux. Lors de la dernière période interglaciaire, les brouteurs étaient en e¤et particulièrement abondants. Outre les aurochs, les chevaux, les cerfs, les bisons, les élans, les sangliers et les castors qui recolonisèrent la Grande-Bretagne au fur et à mesure que la glace fondait au début de l’Holocène, on trouvait aussi, au Pléistocène moyen et supérieur (il y a 781  000 à 50  000  ans), des éléphants à défenses droites, des hippopotames, des rhinocéros de Merck et des rhinocéros à nez étroit. Ils mangeaient les feuilles d’arbres que nous connaissons bien, comme le noisetier et le tilleul, le charme et le prunellier, ainsi que l’églantier, la ronce et l’aubépine, attiraient vers eux les branches de chêne et d’orme, et piétinaient le houx et le buis. Les épines agressives de l’aubépine, qui semblent excessives même pour la peau d’un aurochs, ont certainement fait hésiter les rhinocéros.

De l’époque romaine au

XVIIIe  siècle,

l’industrie sidérurgique qui a

marqué le Sussex dépendait du recépage. Loin de déboiser les forêts, comme on le croit souvent, les maîtres de forges, qui avaient besoin d’un approvisionnement constant et accessible de charbon et de bois de chau¤age, en prenaient soin. Taillées à intervalles réguliers (tous les quatre ans environ pour le bouleau, jusqu’à tous les cinquante ans pour le chêne), nos forêts de feuillus anciennes les plus prisées ont sans doute été recépées plus de soixante-dix fois au fil de leur histoire. Notre comté, qui reste pour cette raison l’un des plus boisés du pays, a inscrit cette pratique dans ses toponymes  : Underwood (“sous-bois”), Nutbourne (“ruisseau de noisetiers”), Maplehurst (maple signifie “érable” et hurst est un mot anglo-saxon désignant un bois sur une colline), Lyndhurst (“bois de tilleul”) et Kilnwood (“bois du four”). Plusieurs sites de notre domaine témoignent eux aussi de cette histoire, comme Lindfield Copse (“bosquet de tilleuls”), Pollardshill (“colline des arbres étêtés”), Alder Copse (“bosquet d’aulnes”), Shoots (“jeunes pousses”), Spring Wood (“bois de printemps”), Wickwood (“bois d’osier”), Coppice Plat (“parcelle de recépage”) et Coppice Field (“pré de recépage”). Cette pratique a créé un cycle de buissons qui se régénèrent sans fin, au bénéfice d’un grand nombre de lépidoptères et d’espèces d’invertébrés, ainsi que de ce qu’on appelle les “oiseaux des bois”. Ces espaces restaient cependant un milieu contraint, où l’être humain intervenait lourdement et où les espèces épineuses comme la ronce n’étaient pas tolérées. Même le chèvrefeuille des bois (plante hôte du papillon petit sylvain et matière première des nids des loirs gris) était, jusqu’à bien après la Seconde Guerre mondiale, considéré comme une mauvaise herbe et arraché. Le taillis mixte était naturellement le plus riche sur le plan de la biodiversité, mais il se limitait généralement à une ou deux des espèces parmi les plus commerciales – dans notre coin du Sussex, le noisetier.

L’essor de l’industrie du charbon au

XIXe siècle

marqua la disparition

progressive du recépage en Grande-Bretagne. En France, où le charbon n’est produit que tout au nord, il existe encore un secteur prospère de production de bois de chau¤age fondé sur cette pratique. Mais l’invention du plastique et des techniques modernes de production de masse sonnèrent le glas du traitement en taillis en Grande-Bretagne. Presque tous les besoins pour lesquels les taillis et les broussailles avaient été utilisés par le passé étaient soudainement satisfaits par le plastique bon marché et, dans la seconde moitié du XXe siècle, 90 % des taillis traditionnels au Royaume-Uni disparurent. Les anciens taillis comme Spring Wood, à Knepp, sont ainsi devenus des bosquets d’arbres matures ou ont été coupés pour laisser place à des exploitations agricoles subventionnées ou à des habitations. Les populations de rossignols philomèles, de mésanges nonnettes, de fauvettes des jardins et de pouillots fitis, de grands colliers argentés, de tabacs d’Espagne, de piérides du lotier et de grands mars changeants se sont e¤ondrées, ainsi que les anémones et jacinthes des bois, les lierres terrestres, les œillets des prés, les lamiers jaunes, les reines-des-prés, les violettes odorantes, les euphorbes, les mélampyres des prés et les bugles rampantes –  des fleurs qui s’épanouissent dans le milieu ensoleillé et ouvert créé après une coupe ou le taillis d’une section de bois. Parce qu’on les supposait inutiles, les broussailles ont été diabolisées au XXe  siècle. Autrefois, les lisières échevelées étaient tolérées, voire encouragées. Aujourd’hui, armés d’outils motorisés, nous sommes devenus une nation obsédée par l’ordre et par les limites. Les systèmes de tailles progressives, qui imitent les cycles naturels en dents de scie, ont été remplacés par un paysage qui apparaît, le temps d’une vie humaine du moins, immuable. Le patchwork de champs sagement bordés de haies, ponctués d’arbres matures et de petits bosquets, encadré par des collines nues et des cours d’eau paresseux, est devenu

l’archétype des terres vertes et paisibles d’Angleterre. Il est gravé dans notre inconscient, symbole de stabilité, de prospérité, de maîtrise. Ancrée dans cette idylle se trouve notre notion de l’humanité, régente de la nature sauvage, soumettant la nature à sa volonté. Notre région du Sud-Est est, selon l’auteur de The Kent  &  Sussex Weald (2003), “d’une beauté par nous construite”. Elle est “l’un des meilleurs exemples que l’on ait, et l’un des plus anciens, du travail acharné de générations d’agriculteurs qui ont dégagé et cultivé de vastes étendues de nature sauvage”. Ceci explique sans doute que nos voisins, qui avaient eu sous les yeux, toute leur vie durant, ce qu’ils considéraient comme la manifestation du paysage anglais idéal, l’image d’Épinal de l’opiniâtre labeur agricole, aient été scandalisés par l’invasion des broussailles à Knepp. Un échantillon représentatif de villageois locaux, interrogés anonymement, ont vidé allègrement leur sac, mécontents notamment de la situation dans le secteur sud. Ce n’était pas qu’ils étaient contre la conservation en tant que concept, expliquaient-ils à l’étudiante qui, dans le cadre de son master, a conduit l’entretien sur la réception de notre projet de réensauvagement. La plupart d’entre eux se disaient amoureux de la campagne, passionnés de flore et de faune. “J’adore la nature, j’adore la campagne, j’adore aller voir les papillons de jour et de nuit et les hérissons, disait l’une. Je ne dis pas que je ne veux plus rien de tout ça.” Mais, simplement, le Sussex n’était pas le lieu approprié pour laisser faire la nature sans rien contrôler. “Je ne crois pas à ce projet, pas dans le Sud-Est de l’Angleterre”, a ajouté un autre. “C’est en train de devenir le chaos […] un sacré chaos, à vrai dire, a dit quelqu’un d’autre. Ce n’est même pas un chaos naturel, on ne voit pas où ça va. […] Je veux dire, j’ai voyagé dans le monde entier et il y a la jungle, il y a di¤érents paysages, mais là, c’est complètement di¤érent car on n’a pas l’impression que ça devrait être là.” D’autres, écrivant au conseil

municipal de Shipley, ont aªrmé “on se croirait à l’étranger” ou “ça a l’air complètement abandonné, comme si plus personne n’en prenait soin”. Certains ont dit avoir l’impression que ces terres étaient à vendre, ou que le cultivateur était mort. La restauration du parc autour du château, en revanche, a été bien accueillie. “Quand on voit les chevreuils traverser le paysage, et les vaches, c’est charmant.” Pour la plupart de nos voisins, le parc à daims correspondait à un idéal romantique. À l’image d’un paysage agricole, il était ordonné et ino¤ensif. Il était “plus normal, plus vivable”. En revanche, abandonner la terre à la nature, “laisser faire” était paresseux, irresponsable, et même immoral. C’était barbare, un “retour en arrière”. Pour certains, c’était “du vandalisme pur et simple”. Les habitants de notre région n’ont cessé d’exprimer leur désarroi devant cette “perte” de terres agricoles. L’apparence désordonnée du lieu renvoyait à la productivité disparue. “Beaucoup de mes amis agriculteurs n’arrivent pas à croire qu’il [Charlie] ait toutes ces centaines d’hectares et qu’il en fasse ça […] c’est de la bonne terre tout simplement gâchée.” “Ce n’est pas comme si ces terres étaient inutiles. Elles ne sont pas inutiles. Et pourtant il n’en fait rien.” Aux yeux d’un grand nombre de personnes, Charlie défaisait ce qu’avaient fait ses ancêtres. “Shipley se nourrit de l’éclat du passé. […] Ce domaine, cultivé par cette grande famille, a été un modèle jusqu’à tout récemment. C’étaient les joyaux de la couronne de la famille Burrell.” Dans une lettre envoyée au journal local The County Times, un autre observateur mécontent précise : “Lorsqu’il était cultivé, d’abord par Sir Merrik puis par Sir Walter et Lady Burrell, [Knepp] était un domaine admiré et employait des personnes fières de la haute qualité de l’agriculture et du soin qui y est généralement apporté.  […] À notre époque, alors qu’on nous demande de produire le plus d’aliments

possible, pour éviter les importations et contribuer à nourrir les pays où sévit la famine, il a transformé un domaine qui fonctionnait tout à fait bien en un terrain vague. […] Il faut y mettre un terme.” Afin d’évaluer la montée de l’opposition à Knepp, le conseil municipal de Shipley a sondé l’opinion des habitants au sujet, entre autres, des “avantages ou inconvénients de l’apport d’un financement public au projet”. Là encore, les plaintes se déclinaient sur ce même thème  : “L’argent serait mieux utilisé à former le personnel du château de Knepp aux méthodes d’agriculture traditionnelle, pour comprendre comment utiliser la terre de façon productive et faire sa part dans le contexte d’une pénurie mondiale de nourriture”  ; “la production alimentaire devrait être une priorité dans le Sud-Est densément peuplé de l’Angleterre, et de façon générale je pense que nous devrions nous consacrer à nourrir le monde” ; “ils ont arrêté de consacrer ces terres à la production agricole, augmentant ainsi la nécessité d’importer des aliments”  ; “le réensauvagement d’une partie du Sud-Est de l’Angleterre, qui est une terre agricole avant tout, composée d’une mosaïque ancienne de prés et d’habitations datant de la période anglosaxonne, est un mauvais usage de l’argent du contribuable”. L’un des commentaires résumait bien le consensus  : “Il est diªcile de comprendre que le Weald du Sussex, une région réputée pour son agriculture mixte productive, soit abandonné aux mauvaises herbes. L’argent public utilisé pour encourager les propriétaires à ne pas cultiver leur terre […] paraît déraisonnable alors qu’en cette période de pression démographique, on nous demande de produire davantage de nourriture.” Cet argument est au cœur de l’hostilité que suscite le réensauvagement. Et pourtant, cette croyance, aussi sincère et ardente qu’elle soit, se fonde sur une vision trompeuse, promulguée dans une large mesure par l’industrie agroalimentaire. La peur de la famine, des

pénuries alimentaires ou du moins de la hausse du prix des denrées de base va à l’encontre des chi¤res établis notamment par les Nations unies. Jusqu’à ce que ce problème soit bien compris du public, le fait de consacrer des terres à des projets de conservation comme le nôtre, quels que soient les avantages plus larges à en tirer, continuera certainement de se heurter à des vagues d’opposition. La culture de chaque pouce de nos terres pour assurer notre survie, obsession inscrite en nous depuis la Seconde Guerre mondiale, ainsi que les images éprouvantes des famines qui frappent les régions en guerre ou instables politiquement dans le monde entier, renforcent quotidiennement l’idée que nous manquons de nourriture. Avec une population mondiale qui devrait passer de 7 à 10 milliards d’ici à 2050, le message que martèlent les producteurs et les revendeurs alimentaires, le secteur agroalimentaire et les syndicats d’agriculteurs est clair : il faut augmenter la production mondiale de nourriture de 70 à 100 %. Mais ce message ne tient pas compte de l’expérience des agriculteurs comme Charlie et moi, éjectés du secteur par le marché mondial, c’est-àdire par les prix trop faibles des denrées de base lourdement subventionnées et produites en trop grandes quantités. C’est le revers de la médaille, que le secteur alimentaire fait tout pour cacher afin de protéger ses intérêts. La réalité largement méconnue est que nous produisons d’ores et déjà dans le monde suªsamment de nourriture pour alimenter 10  milliards de personnes. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’un tiers de cette production, soit 1,3  milliard de tonnes de produits par an, est tout simplement perdu. C’est un fait perturbant, presque incompréhensible, et qu’on a tendance à laisser de côté. Comment du simple “gaspillage” pourrait-il représenter autant  ? C’est pourtant l’un des plus grands scandales de notre époque.

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les pays industrialisés gaspillent chaque année  670  millions de tonnes de nourriture. Par “gaspillage”, la FAO entend que des aliments tout à fait consommables sont inutilement jetés. Plus précisément, 20  % des oléagineux, de la viande et des produits laitiers, 30 % des céréales et 35 % du poisson produits pour la consommation humaine, ainsi que 40 à 50 % des plantes racines, des fruits et des légumes n’arrivent jamais jusqu’à nos assiettes. Un tiers des fruits et des légumes sont mis au rebut parce qu’ils ne correspondent pas aux normes esthétiques. Les chaînes de supermarchés figurent au rang des grands coupables, favorisant la perfection des formes (carottes plus droites, pommes sans taches) et dilapidant des montagnes de produits frais et cuisinés après leur livraison. Alors que la chaîne de supermarchés Tesco s’était publiquement engagée à lutter contre le gaspillage, elle a reconnu avoir jeté 50  000  tonnes de produits alimentaires de ses magasins britanniques au cours de l’exercice fiscal 2015-2016. Dans les restaurants du monde développé, on met tous les jours des aliments à la poubelle  : commandes trop importantes auprès des fournisseurs, quantités excessives servies aux clients, qui ne seront pas capables de finir leur assiette, et mise au rebut de tout ce qui reste à la fin d’une journée. La crise de la vache folle en 1996 et l’épidémie de fièvre aphteuse en 2001 ont mis fin à la tradition pourtant pluriséculaire qui consistait à donner ces restes aux cochons. Aujourd’hui, tout part à la décharge, et il faut donc produire davantage pour transformer les porcs en lard. Presque toute la production mondiale de soja (97 %) est utilisée pour nourrir les animaux, et les importations européennes de tourteaux de soja ont augmenté de près de 3 millions de tonnes en deux ans, après l’interdiction de nourrir les cochons de restes alimentaires, entrée en vigueur en 2003.

La débauche se poursuit dans les foyers où nous, consommateurs, avons tendance à trop acheter, tentés par les o¤res promotionnelles du type “deux pour le prix d’un” et les points fidélité. Nous ne stockons pas les aliments comme il faut et interprétons à la lettre les consignes du type “meilleur avant le…”, alors qu’elles n’indiquent que la date jusqu’à laquelle les denrées conservent leurs qualités optimales. Et nous avons oublié comment cuisiner les restes. La nourriture est aujourd’hui si bon marché que nous sommes plutôt incités à jeter les restes dont nous ne savons que faire, ce qui aurait été impensable pendant la Seconde Guerre mondiale. De  1940 à  1954, année à laquelle le rationnement a pris fin, le gaspillage de nourriture était un acte criminel. Pourtant, aujourd’hui, dans les pays riches, les consommateurs jettent à eux seuls 222 millions de tonnes de nourriture chaque année, soit pratiquement la production alimentaire nette de toute l’Afrique subsaharienne. Au Royaume-Uni, 7  des 15  millions de tonnes d’aliments et de boissons gâchées en 2013 ont été mises à la poubelle par les ménages. Ce niveau de gaspillage coûte au Royaume-Uni environ 12,5  milliards de livres, émet quelque 20  millions de tonnes de CO2 et utilise environ 5  400  millions de mètres cubes d’eau annuels –  deux fois et demie toute l’eau qui transite chaque année par la Tamise. Et tout cela compte non tenu de la transition vers une alimentation plus carnée, qui demande bien plus de céréales que si nous mangions nous-mêmes ces céréales, et de la quantité excessive de nourriture que nous consommons (bien plus de calories que de besoin, d’après les professionnels de santé, aux prises avec une épidémie d’obésité et sa cohorte de diabètes, de cancers et de cardiopathies). Aujourd’hui, les États-Uniens moyens mangent (en parallèle avec les Britanniques) au moins 20 % de calories de plus qu’en 1970, notamment sous la forme de malbou¤e transformée, et les Britanniques ne sont pas loin derrière.

Dans les pays en développement, les aliments sont souvent perdus au niveau des premiers maillons de la chaîne alimentaire plutôt qu’à la fin. La mauvaise qualité des infrastructures (absence de réfrigération, de transport, de stockage, de communication et d’usines de transformation) débouche sur 630  millions de tonnes de pertes, pratiquement la même quantité que dans le monde développé. Mais dans ce cas, cependant, le gaspillage de nourriture mène à la famine plutôt qu’à l’obésité. En Afrique subsaharienne, de  10  à 20  % des céréales produites (qui équivalent à 4  milliards de dollars US et permettraient de nourrir 48  millions de personnes pendant un an) ne résistent pas aux moisissures, aux insectes et aux rongeurs. En Inde, d’après les estimations, de 35 à 40 % des fruits et légumes sont gâchés avant même d’atteindre les étals des marchés. Malgré tout, le gaspillage est un problème que le secteur agroalimentaire rechigne à régler, de peur de se fermer des débouchés économiques. En e¤et, il cherche plutôt à encourager la consommation, s’assurant ainsi de nouveaux marchés pour écouler ses produits. Tout comme les producteurs céréaliers avaient défendu l’agriculture intensive dans les années 1960 et 1970, donnant à leurs bêtes des céréales issues des surplus de production après la révolution verte, le secteur agroalimentaire s’est mis à lorgner du côté de l’industrie automobile. Avant, nous consommions de la nourriture. Aujourd’hui, souvent, nous la brûlons. La voiture est la vache de demain. Déjà, 40 % du maïs cultivé aux États-Unis (qui occupe une surface comparable à la superficie de l’Iowa ou de l’Alabama) est utilisé comme combustible pour les voitures, tandis que dans l’Union européenne la consommation de biogazole (soit de l’huile de colza produite dans l’UE ou de l’huile de palme en provenance d’Indonésie et de Malaisie) a augmenté de 34 % entre 2010 et 2014. En  2013, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a estimé que, si nous poursuivions sur cette voie,

14  %  du maïs et des autres céréales secondaires produits dans le monde, 16 % des huiles végétales et 34 % du sucre de canne seraient utilisés comme combustible en 2021. Au Royaume-Uni, le syndicat national des agriculteurs fait pression sur le gouvernement afin d’éliminer le plafond de 2 % imposé sur le volume de cultures produites sur le territoire pour devenir du biocarburant (principalement du blé, des betteraves à sucre et du colza), et de passer à 7 %, le niveau autorisé par l’UE. Ce n’est certes pas une position qu’il défendrait si, en tant que nation, nous étions e¤ectivement menacés de pénurie alimentaire. Le plafond imposé par le gouvernement, là encore, n’a rien à voir avec la crainte d’éventuelles disettes. Il fait suite aux préconisations des climatologues, notamment ceux de la Fédération européenne pour le transport et l’environnement, qui indiquent que le biogazole, produit principalement à partir d’huile végétale et porté en étendard comme de l’“énergie verte” par ses fabricants, a en réalité des e¤ets à  80  %  plus dévastateurs pour le climat que les carburants fossiles. Ce qu’on ne dit pas, c’est que le monde produit actuellement assez de nourriture pour nourrir 3  milliards de personnes de plus que la population planétaire actuelle. Ces progrès sont dus dans une large mesure aux avancées remarquables qu’a connues la technologie agricole  : de nouvelles variétés végétales, un ensemencement et un épandage d’engrais de précision grâce aux systèmes GPS et des machines agricoles de haute technologie ont contribué à augmenter sensiblement les rendements. Les récoltes céréalières mondiales ont connu une hausse de 20 % ces dix dernières années. Au Royaume-Uni, en 2015, les rendements de blé ont augmenté de 6 %. Dans tout le pays, la récolte moyenne de blé s’élève aujourd’hui à 90  quintaux par hectare ; par comparaison, nous produisions en moyenne à Knepp, dans les années 1990, 68 quintaux par hectare. Cette abondance surprendrait

nos ancêtres. Aujourd’hui en Angleterre, une graine de céréale plantée produit de  60 à 70  grains, alors qu’elle n’en produisait que  4  au XIVe siècle. Des récoltes exceptionnelles mènent inévitablement à des baisses de prix, ce qui conduit droit dans le mur les agriculteurs des terres marginales comme les nôtres (où les coûts de production sont plus élevés et où il est plus diªcile de faire des gains de productivité). En réalité, il faut réserver moins de terres à la production alimentaire. Si les rendements ont continué d’augmenter d’année en année, la surface consacrée au blé et à l’orge a diminué de 25  % en Grande-Bretagne depuis les années 1980. Alors même que la population du RoyaumeUni a grossi de près de 20 millions d’individus depuis 1939, la dernière fois que la superficie consacrée à l’agriculture était aussi réduite (6 millions d’hectares), c’était avant la Seconde Guerre mondiale. Et les terres arables ne sont pas les seules à disparaître. En 2014, il y avait 5,8  millions d’hectares de pâturages permanents au Royaume-Uni, contre 7,4  millions à la fin des années 1920, et nous n’avons aujourd’hui plus que 22  000  hectares de vergers productifs, contre 113 000 hectares en 1951. Knepp est victime du processus mondial de hausses spectaculaires de la productivité agricole et du délaissement des terres marginales qui en a résulté. Selon les estimations de Rewilding Europe, il y aura d’ici à 2030 30 millions d’hectares de terres agricoles abandonnés en Europe. Déjà, une grande partie du Nord de la Scandinavie est en jachère. Ce qu’il adviendra de toutes ces terres est une question que doivent se poser la plupart des gouvernements européens, Grande-Bretagne comprise. Pour la nature, c’est une chance qui ne s’était encore jamais présentée au cours de notre histoire moderne –  pourvu que nous arrivions à surmonter nos préjugés les plus tenaces sur l’aspect que devraient avoir nos paysages.

Jacobée, humble fleur aux feuilles en haillons, J’aime à te voir surgir et joncher le sol d’or À l’heure où l’été noue ses bouquets vermillon ; Mouchetant d’éparses beautés le nu décor […]. JOHN CLARE, “The Ragwort” [“La jacobée”], Poems of the Middle Period, vol. IV, 1832.

Au fil des premières années, les craintes de la plupart de nos voisins se sont apaisées. Personne n’a été éventré par un daim en rut. Les juments Exmoor, une fois Duncan retiré du troupeau, n’ont plus embêté les cavaliers sur les pistes. Nous n’avons plus été contactés par la femme qui insistait pour que les enfants soient escortés sur les sentiers de peur qu’ils se fassent attaquer par des animaux en semi-liberté. Les longhorns et leurs veaux (naguère “de potentielles catastrophes”) étaient même bien accueillis par certains voisins, ravis de voir ces somptueux animaux de retour dans une région où l’élevage laitier périclitait. Nous étions attentifs à tout ce qui pouvait devenir un sujet de tension. Sur les sentiers pédestres et les voies vertes, nous nous e¤orcions autant que possible d’aplanir les surfaces remuées par les cochons ou endommagées par le passage des animaux après la pluie. Les propriétaires voisins nous avaient dit que sur leurs terres, là aussi, les promeneurs se plaignaient de plus en plus de la boue, du terrain inégal et de l’éventualité de se fouler la cheville, ce qui à mes yeux illustrait l’urbanisation des attitudes à l’égard de la campagne. Mais il est une chose en particulier pour laquelle on ne nous faisait pas de concession – et c’est encore le cas aujourd’hui. Le scandale a pris une telle ampleur qu’il a menacé de faire capoter tout le projet. Pour beaucoup, l’aspect le plus choquant du projet de Knepp, illustration de notre négligence, qui aux yeux de nos voisins va de la “grosse déception”

à la “catastrophe absolue”, est l’apparition de mauvaises herbes “nuisibles”. “Sir Charles a transformé un domaine agricole tout à fait bien entretenu en un terrain vague envahi de chardons, de rumex et de séneçons jacobées”, a ainsi écrit un voisin dans un courrier des lecteurs au County Times. Parmi ces trois espèces délinquantes, la pire semblait être (et semble toujours être), de loin, le séneçon jacobée, aussi appelé “jacobée commune”. Le lecteur du County Times en a conçu un tel courroux qu’il s’est fait poète : Au château de Knepp, la jacobée honnie, Véritable fléau, et la faute à qui ? Mer de jaune, honte à eux, Ce poison a pris possession des lieux. Pour les “oiseaux nichant au sol”, on la laisse pousser, Mais où sont-ils ? On ne les entend ni ne les voit jamais. La voilà qui envahit la terre d’à côté. Stop à cette pollution ! C’est notre seul souhait. “Conservation”, nous opposent-ils – prétexte prosélyte. Mon œil – rien d’autre que de la négligence et de l’inconduite. Le County Times se fait écho de notre indignation, Adressons-nous aussi au ministère, exigeons des sanctions ! Cette année, plus que jamais, les plaintes ont plu, Mais au château de Knepp ont-elles été entendues ? Monsieur Burrell, faites quelque chose, je vous en prie, Ou l’an prochain nous passerons à l’acte, c’est promis. Le séneçon jacobée (Senecio jacobaea) est une espèce indigène du continent eurasiatique. En Europe, on le trouve un peu partout, de la Scandinavie à la Méditerranée, et il abonde naturellement en GrandeBretagne et en Irlande. D’un mètre de haut environ, il produit des grappes denses et plates de petites fleurs jaune vif à partir du mois de

juin, et on le trouve souvent sur les terrains en friche, les bords de route et les pâtures, où il lui suªt d’un bout de terre mis à nu par un lapin pour germer. Entre le fouissage des cochons et les lourds sabots des herbivores, sans parler des milliers de terriers de lapins, il a toutes les chances de s’épanouir sur nos terres post-agricoles. Mais en 2008, la vague a été remarquablement puissante. Comme il s’agit d’une plante bisannuelle qui répond vigoureusement au stress, elle est particulièrement abondante deux ans après un été de sécheresse, comme celui de 2006. La sécheresse notable du mois d’avril  2007 a d’autant plus facilité sa germination et nous avons été pris de court par l’invasion des séneçons jacobées qui, “champ après champ, ondulaient dans la brise”, pour reprendre les termes employés par un autre lecteur du County Times. L’indignation morale qui naît de la présence du séneçon jacobée en Grande-Bretagne est similaire à celle que suscitent des espèces envahissantes exogènes, comme la renouée du Japon. Or, cette hostilité à l’égard d’un végétal qui fait partie de notre environnement depuis la dernière période glaciaire est un phénomène récent plutôt étrange. Il y a deux cents ans à peine, le poète John Clare vantait ses “fleurs luisantes […] gorgées de soleil”. Sur l’île de Man, dont il est l’emblème, on l’appelle cushag. Pourtant, dans le reste de la Grande-Bretagne, le séneçon jacobée est un fléau à expurger. Ses fleurs jaune canari sont autant de chi¤ons agités devant d’irascibles taureaux. Les passions sont tellement exacerbées qu’une récente tentative menée conjointement par le département de l’Agriculture et la coalition Wildlife and Countryside Link (qui rassemble 46 organismes de protection de la nature), et visant à encourager une approche plus raisonnable de ce végétal, n’a pas réussi à émousser la propagande antiséneçon.

On l’accuse de tuer le bétail, et c’est sans doute le grief qui a le plus de poids. Il s’agit en e¤et d’une plante vénéneuse  : elle contient des alcaloïdes de type pyrrolizidine, des toxines qui, si elles sont consommées en grande quantité par des mammifères, peuvent entraîner une insuªsance hépatique et la mort. Mais les brouteurs cohabitent avec ce végétal depuis des dizaines de milliers d’années. Nos longhorns, exmoors, tamworths, chevreuils, daims puis cerfs paissent sans problème au milieu des séneçons jacobées. Ils savent l’éviter. La plante elle-même les décourage, avec son goût amer et une odeur si nauséabonde qu’elle est mentionnée dans l’histoire britannique : après la bataille de Culloden en 1746, alors que les Anglais victorieux avaient, dit-on, rebaptisé la fleur “sweet William” en l’honneur du général William de Cumberland, les Écossais vaincus, eux, contre-attaquèrent en surnommant le séneçon jacobée “stinking Willy”, “Willy puant”. Dans le Shropshire et le Cheshire, on l’appelle “mare’s fart”, “pet de jument”. Le problème de sa toxicité se pose non pas dans la nature mais dans les prés et les paddocks victimes de surpâturage, où les animaux n’ont rien d’autre à manger, ou lorsque le séneçon se retrouve dans l’ensilage ou le foin et que les animaux ne sont alors plus capables de le détecter et donc de l’éviter. Même alors, l’animal doit en avoir mangé une quantité faramineuse pour qu’il lui soit réellement néfaste (entre  5 et 25  %  de son poids pour les chevaux et les bovins, et entre 125 et 400 % pour les chèvres). La source de la vague la plus récente d’hystérie autour du séneçon jacobée est imputable à la British Equestrian Veterinary Association et à la British Horse Society. En 2002, les deux organisations ont publié les résultats d’une enquête indiquant que, parmi les 600  000  chevaux environ que compte la population équine britannique, jusqu’à 6  500  meurent tous les ans de l’ingestion de jacobée. Il y avait là un décalage étonnant avec la moyenne annuelle de 10  décès liés à cette

plante, estimation du département de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation publiée en 1990. La déclaration de l’association vétérinaire, comme on l’a découvert plus tard, se fondait sur une mauvaise interprétation des chi¤res : 4 % des membres de l’association avaient répondu à l’enquête, indiquant avoir observé, en moyenne, trois cas “potentiels” (notez bien, non pas “confirmés”) d’intoxication au séneçon jacobée (non pas “de mort due au séneçon jacobée”) cette année-là. L’association avait ensuite tout simplement multiplié cette moyenne par le nombre de ses membres (1 945), obtenant ainsi un total de 6  553  cas pour l’année. Personne à l’association ne semble avoir envisagé la cause la plus probable de l’absence de réponse de la part de la majorité des vétérinaires, à savoir qu’ils n’avaient constaté aucun cas d’intoxication. Malgré les failles de leur raisonnement et la suppression ultérieure de ces informations erronées de leur site web, le mythe créé par l’association avait échappé à leur contrôle, particulièrement dans le milieu équestre. Comme l’avait professé Mark Twain, un mensonge peut faire le tour de la Terre le temps que la vérité mette ses chaussures. Mais il faut bien dire que l’antagonisme tout britannique à l’égard de l’“humble fleur” de John Clare a des racines opiniâtres – aussi diªciles à déterrer, semble-t-il, que les racines du séneçon elles-mêmes. Le sol dans lequel a germé ce préjugé a été labouré par la loi sur les mauvaises herbes (Weeds Act) de 1959, qui faisait du séneçon jacobée et de quatre autres végétaux (le rumex à feuilles obtuses, le rumex crépu, le chardon des champs et le cirse commun) des espèces “nuisibles”. La loi visait tout particulièrement les intérêts agricoles. Ce sont en e¤et des mauvaises herbes qui, si elles ne sont pas maîtrisées, peuvent considérablement nuire à la production agricole en entraînant une diminution des rendements et par conséquent une perte de revenus. Le chardon des champs, par exemple, émet des phéromones qui inhibent

la germination de la plupart des céréales. Dans le cas du séneçon jacobée, le problème est qu’il faut l’éradiquer des prés et des paddocks pour qu’il ne se retrouve pas dans le fourrage donné aux animaux. Mais le mot “nuisible” a quelque chose de provocateur, un drapeau pirate agité par toutes sortes d’alarmistes qui mettent en garde contre des plantes “pernicieuses”. On croit souvent à tort que le séneçon jacobée est vénéneux au toucher, alors que ses toxines (qui n’apparaissent naturellement que dans 3  % de toutes les plantes en fleurs) ne peuvent pas être absorbées par la peau. Respirer du pollen de séneçon, dit-on, peut causer une insuªsance rénale, mais c’est en réalité physiquement impossible. Le miel des abeilles qui se nourrissent de cette fleur, d’après un gros titre récent du Daily Mail, serait du poison pour les humains, alors même que le département ministériel compétent décrivait ce risque comme étant à la fois “hautement improbable” et “négligeable”. Les abeilles consomment régulièrement du nectar et du pollen d’autres fleurs toxiques, comme la digitale pourpre et la jonquille, et personne n’accuse ces végétaux d’empoisonner le miel. Les opposants du séneçon jacobée, pointant du doigt l’o¤ensive qu’il mène sur les terres voisines, se disent dans leur bon droit. Les propriétaires et les conseils municipaux, insistent-ils, sont légalement tenus de l’éradiquer partout où il apparaît. Mais ce n’est absolument pas le cas. Et il n’y a pas non plus à “notifier” aucune des cinq espèces végétales qu’on retrouve dans le Weeds Act – ce concept de notification n’existe même pas dans la législation britannique. La loi sur le contrôle du séneçon jacobée de  2003 (Ragwort Control Act), qui venait amender le Weeds Act, n’a pas aidé à clarifier la situation et à dissiper les craintes, malgré la publication d’un code de conduite sous la pression de la coalition Wildlife and Countryside Link, qui indique clairement que “le séneçon jacobée et d’autres espèces de

séneçons sont natifs des îles Britanniques et sont par conséquent inhérents à notre flore et à notre faune, de même que les invertébrés et les autres animaux sauvages qui s’en nourrissent. Le présent code ne propose pas l’éradication du séneçon jacobée mais promeut une approche stratégique de contrôle de sa propagation lorsqu’elle représente une menace pour la santé et le bien-être des brouteurs, et pour la production de fourrage ou autres aliments destinés à la consommation animale”. Les directives du gouvernement elles-mêmes sur le séneçon jacobée et d’autres végétaux “nuisibles” restent quelque peu contradictoires et subversives. “Avoir ces espèces sur sa propriété ne constitue pas un délit, indique un livret de conseils sur la gestion de la terre publié en 2014, mais il faut […] empêcher la propagation de végétaux nocifs qui se trouvent sur votre terrain vers les propriétés adjacentes.” Tout en indiquant qu’ils n’interviendront que si ces mauvaises herbes menacent les terres consacrées à l’élevage ou à l’agriculture, les pouvoirs publics encouragent dans le même temps les personnes à “déposer une réclamation à propos des plantes nocives” sur les terres voisines et fournissent même un formulaire à cet e¤et. Je crains qu’il soit désormais trop tard. Très peu d’habitants des campagnes sont aujourd’hui capables d’accepter la place du séneçon jacobée dans la nature, sans parler de le célébrer comme le faisait John Clare. Personne ne le voit comme une magnifique explosion de soleil et, ce qui est sans doute plus grave, personne ne tient compte de sa contribution écologique. On dit certes aimer la nature, mais cet amour n’est pas inconditionnel. Nous sommes devenus une nation de jardiniers, qui s’intéressent aux fleurs exotiques plus qu’aux espèces indigènes. Plantlife, l’organisation environnementale qui se donne pour mission de protéger notre végétation sauvage, compte 10 500 membres. La Royal Horticultural Society en dénombre 434  000. Même le prince

Charles, défenseur des prairies fleuries, mécène de Plantlife, a appelé Natural England en 2015 à changer sa position par rapport au séneçon jacobée et à “prendre des mesures proactives en la matière”. Pourtant, le fait même que le séneçon jacobée ne soit pas brouté, et qu’il ne reste plus que lui lorsque les autres fleurs ont été grignotées (ce qui le rend d’autant plus visiblement omniprésent aux yeux de ses détracteurs), devrait être célébré. Le séneçon jacobée est l’un des hôtes les plus accueillants pour nos insectes. 7  espèces de coléoptères, 12  espèces de mouches, 1 macrolépidoptère –  la goutte-de-sang ou carmin, aux chenilles reconnaissables à leur maillot à rayures noires et jaunes  – et 7  espèces de microlépidoptères se nourrissent exclusivement de séneçon jacobée. Sa fleur est une source majeure de nectar pour au moins 30  espèces d’abeilles solitaires, 18  de guêpes solitaires et 50  d’insectes parasites. En tout, 177  espèces d’insectes utilisent le séneçon jacobée comme source de nectar ou de pollen. Alors que la plupart des fleurs sont mortes, il reste présent jusqu’à la fin de l’été, source vitale de nectar. Nous en avons à Knepp parfois jusqu’en novembre. Même une fois le jour tombé, ses éclats jaune lumineux attirent jusqu’à 40 espèces di¤érentes de papillons de nuit. L’e¤et de ce coup de pouce sur la vie des insectes est colossal. Natural England qualifie le nombre de prédateurs et de parasites qui dépendent des invertébrés se nourrissant de séneçon jacobée d’“incalculable”, tandis que l’attrait qu’il exerce sur les insectes de la famille des silphidés en fait un acteur de premier plan dans le cycle de décomposition. Malgré tous ces avantages, la propagande antiséneçon jacobée a, ces dernières années, entraîné la création de programmes d’éradication partout où la plante apparaît, y compris en bordure de routes et dans les prairies naturelles, ainsi que, ce qui est terrible, dans les zones consacrées à des projets de conservation, classées “sites d’intérêt scientifique particulier”. Les herbicides à large spectre, agents de

destruction privilégiés dans ces cas de figure, causent inévitablement des dégâts collatéraux. Mais même lorsqu’il est arraché à la main, son éradication peut être nuisible pour d’autres végétaux. On le confond souvent avec d’autres plantes natives aux fleurs jaunes (comme le séneçon à feuilles de roquette, le séneçon aquatique, la tanaisie commune, le millepertuis perforé et l’épervière). Les mauvaises herbes, comme le dit le proverbe, sont simplement des plantes qui poussent au mauvais endroit, sauf qu’aujourd’hui, il semblerait qu’il n’y ait plus de “bon endroit” pour le séneçon jacobée. Pour remettre le séneçon jacobée en perspective, rappelons qu’il n’est qu’une des très nombreuses plantes qui peuvent être fatales aux chevaux et au bétail. Dans le Sud de l’Angleterre, les espèces communes capables de tuer des brouteurs comprennent la digitale pourpre, le gouet tacheté, le lierre grimpant, le tamier commun, la bryone dioïque, la fougère aigle, le fusain d’Europe et l’if commun. En mars, dans le secteur nord, les bois sont tapissés de narcisses trompettes natifs, un tableau rare depuis qu’ils ont été déterrés partout ailleurs dans le pays par les collectionneurs de végétaux des XIXe et XXe siècles. Le narcisse (sauvage et domestiqué) est l’une des plantes les plus toxiques qui existent. Il y a quelques années, il a manqué de tuer un pasteur du coin, qui en avait mangé une poignée pour animer son sermon de Pâques et qui a dû être emmené à l’hôpital de toute urgence pour subir un lavage d’estomac. Pourtant, il ne vient à l’idée de personne de le dénigrer. La réputation négative du séneçon jacobée vient peut-être en partie de sa méthode de reproduction. Étant donné que ce n’est pas un bulbe, comme le narcisse, on le croit prodigue et imprévisible. Le nombre de graines qu’il peut produire est très variable, mais la plupart des sources fiables parlent de 30 000 graines par plant. On croit à tort que celles-ci peuvent parcourir de très longues distances portées par le vent. Pour

bon nombre d’habitants du coin, l’explosion de séneçon jacobée autour de Shipley durant l’été 2008 était due à la dissémination de graines issues de Knepp. Voici un exemple parmi tant d’autres d’une lettre envoyée à Charlie, en l’occurrence par le propriétaire d’une écurie locale, le 8  septembre 2008, alors que le séneçon jacobée était en fleurs : Monsieur, Revoilà la saison des mauvaises herbes et je me permets de vous féliciter pour cette production exceptionnelle. Il semblerait que tout le monde fasse de son mieux pour éliminer le séneçon jacobée, le chardon et le rumex, pendant que vous et votre équipe restez les mains dans les poches. Je suis sûr que dans le cadre du Countryside Stewardship, vous avez le droit de faire ce que vous voulez mais je vous prie de bien vouloir penser aux personnes et aux terres qui vous entourent et jusqu’où parviennent ces graines. Des amis sont venus me rendre visite ce week-end depuis Cambridge, où ils exploitent un vaste terrain, et ils ont été abasourdis par la négligence qui caractérise vos terres à cet égard. Je me doute que cette lettre n’aura que peu ou pas d’e¤et, mais je ne manquerai pas de m’informer auprès du département de l’Environnement des raisons qui justifient la négligence dont vous faites preuve. Là encore, les préjugés et la peur mènent la vie dure à la science. Il était pratiquement impossible, d’après les directives du gouvernement lui-même, que le séneçon jacobée de Knepp colonise toute la campagne environnante. Des études ont montré que 60 % des graines tombent à la base de la plante et que ce sont ces graines-là, plutôt que celles portées par le vent, qui finissent généralement par germer. Les graines éoliennes, plus légères, ont moins de chances d’être fertiles. On estime que, pour une plante produisant 30 000 graines viables, 18 000 d’entre

elles atterrissent au pied de la plante, 11  700  à 4,50  mètres de la tige,  etc., le nombre de graines décroissant proportionnellement à la distance, et que moins de 2 graines en moyenne parviennent à parcourir plus de 36  mètres. En application du code de conduite publié par le département de l’Environnement, de l’Alimentation et des A¤aires rurales, nous avions créé une zone tampon de 50 mètres de large dans l’enceinte du domaine, régulièrement fauchée, pour empêcher le développement des sources de semences, et en signe de conciliation envers nos voisins, nous avons décidé d’arracher nous-mêmes à la main 50 mètres supplémentaires. Dans les zones particulièrement sensibles, à l’endroit par exemple où notre propriété jouxte un élevage de lamas, nous avons donc éliminé les séneçons jacobées sur 100 mètres – deux fois la surface recommandée par le département. Il était (et il est toujours) hautement peu probable que les graines de séneçon jacobée, viables ou non, débordent de nos frontières. En e¤et, selon Mick Crawley, professeur émérite de phytoécologie à l’Imperial College London, dont le projet de recherche sur le séneçon jacobée, démarré en 1981, est toujours en cours, “les études ont montré que la plante vient plus souvent des graines stockées dans le sol que des graines produites l’année précédente”. La semence peut survivre au moins dix ans dans le sol, et il suªt que celui-ci soit un peu perturbé, simplement égratigné par un lapin, pour que la graine germe et forme une rosette. “Le séneçon jacobée s’implante généralement sur des microsites, et il y a d’ordinaire largement assez de graines dans la banque de semences du sol pour remplir tous les microsites disponibles.” Dans le parc Repton, où les opinions sur l’aspect que devrait prendre un paysage culturel sont encore plus tranchées et l’apparition du séneçon jacobée dans le gazon soigneusement tondu encore plus visible, nous avons dû adopter une approche plus radicale. Nous ne pouvions tout simplement pas risquer de compromettre tout le projet à cause du

tollé provoqué par une seule espèce. Encore aujourd’hui, dans tout le domaine, si le séneçon jacobée connaît une saison florissante, nous dépensons environ 10 000 livres à arracher une fleur native qui apporte d’innombrables avantages à la flore et à la faune, et qui n’est nuisible ni pour nous, ni pour nos voisins, ni pour nos animaux. Nous avons fait de notre mieux pour expliquer tout ceci à celles et ceux qui nous ont écrit, mais nos arguments destinés à apaiser leurs angoisses sont le plus souvent tombés dans l’oreille de sourds. Quelque chose de plus fondamental étayait ces doléances. J’ai eu le sentiment que les réactions épidermiques face au séneçon jacobée, tout comme les craintes au sujet des animaux en semi-liberté, d’autres plantes nuisibles, de l’irrégularité du terrain, voire de l’absence de production alimentaire, étaient symptomatiques d’un sentiment de malaise plus général. Ce qui semblait le plus irriter nos voisins dans ce nouveau mode de gestion (ou d’absence de gestion) à Knepp était plus nébuleux, et c’est peut-être aussi ce qui les troublait. C’était une question d’esthétique, il s’agissait de ce que les gens veulent bien voir ou de ce qu’ils sont disposés à supporter. Nous étions, d’après une grande partie de nos détracteurs, en train de détruire le charme caractéristique de notre campagne –  un paysage qu’ils voyaient comme étant beau, équilibré et harmonieux : des qualités qui font partie intégrante de notre existence. “Pour moi, a écrit en toute honnêteté un habitant en 2007, vos terres anciennement agricoles font aujourd’hui mal aux yeux.” Le sentiment esthétique est profondément subjectif, et il n’est pas simple de le reconnaître et de l’analyser clairement. Il s’ancre en nous dès notre naissance. Il nous lie à une vision particulière du paysage, quelque chose que nous nous mettons à qualifier de “naturel” ou du moins d’ino¤ensif. Ce que nous voyons enfants, particulièrement lorsque nous grandissons, devient ce que nous voulons continuer de voir, et ce que nous voulons que nos enfants voient à leur tour. La

nostalgie, et le sentiment de sécurité que cette émotion apporte, nous lient au familier. Nous sommes aussi persuadés, quand nous assimilons cette esthétique, que ce que nous voyons a toujours été là. Nous pensons que la campagne qui nous entoure, ou quelque chose de très similaire, est multiséculaire et que les animaux sauvages qui y vivent, même s’ils ont un peu changé au fil du temps, sont au moins une représentation juste de la faune qu’on y trouvait il y a des siècles. Mais pour les profanes, et souvent même pour les professionnels de la protection de la nature, les processus écologiques du passé sont diªciles à appréhender. Nous sommes aveuglés par l’immédiateté du présent. Nous regardons le paysage et voyons ce qui est là, non ce qu’il y manque. Et si nous sommes capables de saisir une certaine forme de perte et d’évolution écologiques, nous avons tendance à nous limiter à nos souvenirs d’enfance, à la rigueur aux souvenirs de nos parents ou de nos grandsparents : “il y avait des centaines de vanneaux huppés à mon époque”, “on voyait partout des alouettes des champs et des grives musiciennes”, “les prés du coin se transformaient en mers de coquelicots et de bleuets”, “quand j’étais gosse, le cabillaud c’était le poisson du pauvre”. Nous sommes aveugles au fait qu’à l’époque des grands-parents de nos grands-parents, les prairies naturelles de chaque commune devaient être riches de nombreuses espèces tandis que les taillis fourmillaient de papillons. Ils devaient entendre des râles des genêts et des butors étoilés, voir des nuages de tourterelles des bois, des milliers de vanneaux huppés et des centaines d’alouettes des champs. Il y a seulement quatre générations, les cours d’eau pullulaient de lottes de rivière (espèce aujourd’hui éteinte en Grande-Bretagne) et d’anguilles, et dans la chaleur des nuits d’été où brillaient des vers luisants, des chauves-souris et des papillons de nuit voletaient de-ci de-là. Leurs grands-parents, eux, voyaient des engoulevents d’Europe pondre à même les chemins poussiéreux et chasser les papillons de nuit qui se cognaient sur les

lampadaires en ville, et pouvaient observer des gobemouches dans chaque verger, des pipits farlouses un peu partout, des salins aux cimes des montagnes. Ils apercevaient des bancs de morues géantes et de thons migrateurs dans les eaux britanniques. L’eau aujourd’hui trouble de la mer du Nord était alors claire comme de l’eau de roche, filtrée par des huîtrières de la taille du pays de Galles. Quant à leurs grandsparents, vivant à l’époque du dernier castor de Grande-Bretagne, ils ont certainement connu les grandes outardes, et observé depuis la rive les bancs immenses de harengs migrateurs, qui pouvaient faire jusqu’à 8  kilomètres de long et 5  kilomètres de large, gibier de choix pour les dauphins, les cachalots et parfois les grands requins blancs. Nul besoin de remonter très loin dans les livres d’histoire ni même dans les récits contemporains pour trouver des scènes entièrement di¤érentes des nôtres et cependant tout à fait normales. Pourtant, nous vivons dans le déni de ces pertes catastrophiques. Ces attentes toujours diminuées et l’acceptation de la dégradation des écosystèmes naturels sont un phénomène connu sous le nom de “syndrome de décalage du référentiel”, un terme inventé en 1995 par le biologiste des ressources marines Daniel Pauly, qui avait remarqué que les spécialistes chargés d’évaluer les stocks halieutiques en baisse choisissaient comme référentiel l’état de ces stocks au début de leur carrière, plutôt que les populations marines dans leur état d’origine, alors qu’il y a des siècles, certaines zones devaient grouiller de poissons. Le point de référence des scientifiques quant aux niveaux “naturels” est inévitablement défini par rapport aux niveaux d’il y a quelques décennies. Chaque génération, s’est aperçu Pauly, redéfinit ce qui est “naturel”. Chaque fois que ce référentiel s’amenuise, on le considère comme étant la nouvelle normalité. On observe quelque chose de semblable avec le British Trust for Ornithology, qui a établi 1970 comme année de référence pour le suivi des populations aviaires

britanniques. Bien sûr, il faut bien, à un moment donné, définir un référentiel, et les déclins méticuleusement examinés depuis ont d’ailleurs été catastrophiques, mais la date ainsi choisie favorise une sorte d’amnésie pré-référentiel. Nous oublions qu’avant, il y avait plus. Beaucoup, beaucoup plus. Des preuves de ce décalage du référentiel ont été mises au jour lors de nos premières visites de Knepp en tracteur à remorque au début des années 2000, lorsque nous avons commencé à emmener dans le domaine des groupes multigénérationnels de membres d’organisations comme la National Farmers’ Union et la Country Landowners’ Association. Nous avions l’habitude des réactions de personnes de notre génération, âgées de quarante à soixante ans environ. Les enfants de la révolution verte étaient généralement atterrés par notre projet. Les jeunes dans la vingtaine, eux, étaient souvent plus réceptifs. Pour eux, l’idée de la sécurité alimentaire nationale et les Jardins de la victoire étaient des angoisses du passé. Ils avaient grandi à une époque d’abondance, l’ère de la mondialisation, des habits et des aliments bon marché, des rayonnages de supermarchés remplis de tomates espagnoles en plein hiver, d’asperges du Pérou, d’agneau de NouvelleZélande, de crevettes géantes tigrées de Thaïlande et de bœuf d’Argentine. Mais ils n’avaient jamais entendu de tourterelles des bois, et seulement rarement un coucou gris. La plupart n’avaient jamais vu de hérisson vivant. Leur normalité, c’était le vide des cieux britanniques, l’absence d’oiseaux et de papillons. Néanmoins, ils avaient aussi été sensibilisés, du moins à l’école, aux questions environnementales. Knepp était quelque chose de nouveau et nous observions leur ravissement confus tandis qu’ils parcouraient des étendues grouillant d’insectes, ramassaient des couleuvres à collier et des orvets, et élevaient la voix pour se faire entendre au-dessus des chants d’oiseaux en stéréo.

Mais pour nous, la véritable surprise est venue des plus âgés. Les plus de quatre-vingts ans se souvenaient de la dépression agricole de l’entredeux-guerres, alors que les terres marginales avaient été abandonnées un peu partout dans le pays –  soit l’époque de l’arrière-grand-père de Charlie, quand Knepp avait presque entièrement été laissé en friche. À leurs yeux, il n’y avait rien de choquant dans ces amas d’églantiers et d’aubépines, dans ces halliers de noisetiers et de saules, ni même dans ces parterres de séneçons jacobées. Le paysage leur rappelait leurs escapades d’enfance, dans un paysage riche d’insectes et d’oiseaux, l’époque où chaque champ était un terrain de jeux pour les perdrix grises. Il n’y avait rien de menaçant ni d’atterrant dans ce qu’ils avaient sous les yeux, bien au contraire. Pour certains, c’était tout simplement merveilleux. “Tu ne sais pas de quoi tu parles, a dit un vieil homme en rabrouant son fils, encore bébé durant la guerre, qui prétendait que tout ceci était artificiel. C’était exactement à ça que ressemblait le paysage avant !”

Nous entendons rarement la musique intérieure, mais cela ne nous empêche pas de danser. DJALÂL AD-DÎN RÛMÎ, XIIIe siècle.

À présent que le projet était bien engagé, nous avions besoin de conseils sur la capacité de nos terres à accueillir nos hardes en semiliberté toujours plus nombreuses, ainsi que sur la législation britannique, notamment en matière de retour à la nature des terres et de dérogations  ; il nous fallait aussi faire campagne pour obtenir le financement nécessaire à la pose de clôtures dans le secteur sud  ; et, bien sûr, nous devions nous améliorer en communication. Nous avons réuni un petit groupe de spécialistes de la conservation aux compétences variées, des gens suªsamment curieux de ce qu’il se passait à Knepp pour nous consacrer un peu de leur temps. Le 10  mai 2006 a eu lieu notre première réunion du comité consultatif du projet Knepp Wildland. Le programme de la journée, visant à “établir une zone de nature sauvage riche en biodiversité dans le Low Weald du Sussex”, a commencé par un safari matinal. Tandis que nous parcourions les terres du secteur sud qui se couvraient de broussailles en réfléchissant à diverses problématiques (y compris notre exubérant séneçon jacobée), il est devenu évident que les spécialistes ainsi réunis étaient capables de bien plus que de simples conseils. Des gens comme Tony Whitbread (à la tête du Sussex Wildlife Trust), Theresa Greenaway (du Biodiversity Record Centre du Sussex), Jonathan Spencer (de la Forestry Commission), Matthew Oates (du National Trust), Jim Swanson (du Grazing Animals Project), Emma Goldberg (de Natural England), Paul Buckland (professeur d’archéologie environnementale à Bournemouth University), Hans Kampf (conseiller

stratégique en matière d’écosystèmes auprès du gouvernement néerlandais) et Joep Van de Vlasakker (de la Large Herbivore Foundation) formeraient un groupe d’experts idéal pour nous aider à porter le projet. De nouvelles perspectives s’ouvraient à nous. Soudain, nous contemplions notre habitat en évolution par le prisme de professionnels, qui voyaient Knepp comme quelque chose de plus vaste, s’inscrivant dans le champ plus large des “paysages vivants” et de la “connectivité” (des termes nouveaux pour nous), et qui évaluaient les répercussions que pourrait avoir le projet, pas uniquement à des fins de conservation dans la région mais aussi dans d’autres parties du pays. Ce groupe était le noyau de ce qui deviendrait le comité consultatif de Knepp Wildland. Dans les années suivantes s’y ajouteraient une vingtaine de naturalistes éminents, séduits par le déroulement du projet à Knepp, y compris notre vieil ami Ted Green et, bien entendu, Frans Vera. Nous devions parfois nous pincer tellement nous avions du mal à croire que toutes ces sommités se trouvent ensemble à nos côtés. Leur participation a été cruciale à plus d’un titre  : ils ont donné de la crédibilité à Knepp et ont remonté en flèche le moral des troupes. L’ambiance était électrique. Nous étions en présence d’une clique de naturalistes on ne peut plus sérieux, enthousiasmés par notre projet. Un membre du comité a décrit nos réunions, qui se déroulaient autour de la table de la salle à manger augmentée de toutes ses rallonges et se poursuivaient tard dans la soirée, avec un verre de whisky, devant la cheminée de la bibliothèque, comme un croisement entre la série documentaire d’histoire naturelle de la BBC Life on Earth et le film Les Copains d’abord. Des débats sur les définitions et les valeurs, les processus plutôt que les cibles, le suivi et les référentiels, les degrés d’intervention à mettre en œuvre, les coûts et bénéfices, et les nouveaux concepts comme le “capital naturel” et les “services écosystémiques”

continuaient souvent jusqu’au petit matin. Nous avions le sentiment de reprendre tout à zéro, nous débarrassant des vieilles habitudes et des idées préconçues pour redéfinir les règles. Les discussions n’étaient pas toujours harmonieuses. Un conseiller a comparé l’e¤ort fourni pour parvenir à un consensus sur un sujet donné à la tentative de faire entrer plusieurs grenouilles dans un même seau. Ces spécialistes, inévitablement, approchaient l’expérience depuis leur domaine d’expertise et, souvent, le souhait qu’ils avaient d’arriver à un résultat spécifique l’emportait. Pour filer la métaphore, toutes ces grenouilles, chacune venue de son étang, avaient leur propre conception de ce qu’était une grenouille et de l’aspect que devait avoir un étang. Plus d’une fois, il a fallu rappeler aux membres du comité le principe primordial de non-intervention et la nécessité d’accepter les incertitudes et de penser hors des paramètres d’une discipline scientifique donnée –  dans le fond, il s’agissait de prendre de la distance avec les exigences de leur profession. Le contingent néerlandais s’est révélé essentiel sur ce point. Ces spécialistes avaient plusieurs décennies d’expérience de l’expérimentation ouverte, et savaient se montrer très convaincants sur ce sujet. Déjà, grâce à l’influence de l’Oostvaardersplassen, d’autres projets de pâtures de conservation voyaient le jour aux Pays-Bas et ailleurs en Europe, avec les processus naturels comme principe directeur. L’idée de rendre la gestion de la nature à la nature elle-même faisait des émules à l’échelle européenne. L’une des premières discussions du comité consultatif s’est axée sur la définition du “réensauvagement” (rewilding) lui-même, et sur sa pertinence pour décrire ce qui était en train de se passer à Knepp. Le mot est aujourd’hui courant, et plus nuancé. Mais il y a une dizaine d’années à peine, il faisait les gros titres des journaux britanniques, par exemple pour parler d’un propriétaire foncier écossais qui avait annoncé son intention de relâcher une meute de loups sur son domaine. Chez

nous, cependant, il n’était pas question d’introduire de grands prédateurs. Le territoire d’une meute couvre 5 000 à 30 000 hectares et les loups peuvent parcourir 80 kilomètres en une journée. Le terrain de chasse du lynx (un candidat plus vraisemblable pour la réintroduction en Grande-Bretagne, étant donné qu’il s’agit d’un animal solitaire, qui vit isolé dans la forêt et se nourrit presque exclusivement de chevreuils) peut aller de 2 000 à 45 000 hectares. Cependant, l’association étroite entre le réensauvagement et les réintroductions de prédateurs commençait déjà à alimenter des rumeurs faisant de Knepp une sorte de Jurassik Park. Charlie et moi avions passé beaucoup de temps à tergiverser sur l’emploi du terme, tantôt avec le sentiment que nous devrions prendre le taureau par les cornes et assumer son utilisation, tantôt craignant que parler de réensauvagement ne fasse qu’accroître la quantité de lettres que nous enverraient les mécontents. Ce fameux mot déclenche aussi dans le milieu de la conservation un certain malaise. Beaucoup de scientifiques le considèrent comme provocant et nébuleux, source de “confusion et d’opinions contradictoires”. “Praticiens, militants et journalistes emploient souvent avec trop peu de rigueur la terminologie du réensauvagement”, a écrit un groupe de scientifiques dans un article intitulé “Le réensauvagement, nouvelle boîte de Pandore de la conservation”, publié en  2016 dans la revue Current Biology. Beaucoup estiment que “ré-”, ce petit préfixe têtu, indique une ambition tout à fait naïve de remonter dans le temps. Les “réensauvageurs”, aªrment-ils, sont des idéalistes qui appellent à l’impossible : le retour à un état de nature qui, du fait de la disparition d’espèces et d’habitats au fil des siècles, des changements irréversibles subis par les sols et le climat, et des incalculables fardeaux imposés par l’“Anthropocène”, ne peut plus exister. Nous savions que notre démarche n’avait pas ce but. Dans le Sussex, notre paysage est tellement influencé par l’être humain, tellement altéré par son histoire et par les

conditions qui prédominent aujourd’hui, que nous ne pouvions qu’espérer créer quelque chose pour l’avenir avec les ingrédients dont nous disposions. Pourrions-nous, peut-être, simplement parler d’“ensauvagement”  ? Mais pouvions-nous réellement décrire ce que nous étions en train de faire sur une parcelle relativement petite de terre sortie de l’agriculture, prise en sandwich entre Horsham et Worthing, des agglomérations en expansion, sous le couloir aérien de l’aéroport de Gatwick, parcourue de routes et dépourvue de superprédateurs, comme quelque chose de véritablement “sauvage” ? Le verbe rewild, “réensauvager”, a été inventé dans les années  1980 par l’écologiste états-unien Dave Foreman, l’un des fondateurs du groupe Earth First!, qui a contribué à établir le Wildlands Project (rebaptisé depuis “Wildlands Network”) et le Rewilding Institute aux États-Unis. Il est apparu imprimé pour la première fois en 1990 dans la revue Newsweek, dans un article intitulé “Essayons de récupérer notre planète”. Il a ensuite été repris par des compatriotes biologistes, Michael Soulé et Reed Noss, qui en ont peaufiné la définition à l’occasion d’un article paru dans Wild Earth en 1998  : il s’agissait pour eux d’un ensemble de mesures de conservation fondées sur les “3 C” : “centres, couloirs et carnivores”. Ils mettaient en avant l’importance des réseaux écologiques, la création de liens entre des foyers de biodiversité et des lopins de nature isolés, pour que les processus naturels puissent de nouveau fonctionner à grande échelle. Ils défendaient aussi le rôle des superprédateurs dans le système, quelque chose dont avait déjà parlé, un demi-siècle plus tôt, le père de la conservation moderne et sans doute premier “réensauvageur”, l’écrivain et écologiste états-unien Aldo Leopold. Le parc national de Yellowstone est devenu un modèle à suivre dans le mouvement de réensauvagement aux États-Unis depuis qu’on a

constaté que la réintroduction de loups en 1995 a mené à un essor incroyable de la biodiversité – un phénomène qu’on connaît aujourd’hui sous le terme de “cascade trophique des superprédateurs”. Le concept de réensauvagement en Amérique se joue à des échelles gigantesques et porte généralement sur des zones sauvages existantes. Le couloir ou corridor écologique le plus ambitieux, l’Initiative de conservation Yukon-Yellowstone (Y2Y) établie en 1997 au profit d’animaux qui parcourent de longues distances comme les loups et les grizzlis, fait 3 200 kilomètres de long, entre 500 et 800 kilomètres de large et s’étale sur 1  300  000  kilomètres carrés  ; il traverse toute la chaîne des Rocheuses, 5 États états-uniens, 2 provinces et 2 territoires canadiens, et les réserves ou terres traditionnelles de plus de 30  gouvernements autochtones –  soit plus de cinq fois la surface du Royaume-Uni. On peut donc bien comprendre qu’il soit diªcile d’envisager de telles possibilités dans une Europe densément peuplée, lourdement industrialisée et historiquement fragmentée. Toutefois, ces dernières décennies, des perspectives de réensauvagement à l’américaine de notre côté de l’Atlantique ont émergé. Les phénomènes qui nous avaient incités à tourner la page à Knepp (concurrence accrue du fait de la mondialisation et e¤ondrement des prix des produits agricoles de base) ont précipité un abandon à grande échelle de l’agriculture sur les terres marginales partout en Europe. De vastes zones agricoles dans les Alpes et les Pyrénées, au Portugal, dans le Centre de l’Espagne, en Sardaigne et en ex-Allemagne de l’Est, dans les États baltes et les Carpates, dans le Nord de la Grèce, en Pologne, dans le Nord de la Suède et de la Finlande, ainsi que dans les Balkans, sont en train d’être délaissées, si ce n’est pas déjà fait. Le processus s’accélère avec l’arrivée des nouvelles générations, qui ont d’autres ambitions et qui s’installent en ville pour échapper aux épreuves d’un quotidien dans l’agriculture de subsistance

et à la solitude de la vie nomade ou pastorale. Partout en Europe, les villages reculés se vident, et il n’y reste plus qu’une poignée de villageois, souvent les plus âgés. On estime qu’en 2020, quatre citoyens européens sur cinq vivront dans une zone urbaine1. D’après Rewilding Europe, d’ici à 2030, plus de 30 millions d’hectares de terres agricoles auront été abandonnés, soit 5  millions d’hectares de plus que la superficie totale de la Grande-Bretagne. Déjà, on voit en Europe les e¤ets de ce retour inédit de la friche sur les populations d’oiseaux de proie, les espèces comme la loutre, le castor, l’élan et le sanglier et, notamment, les grands prédateurs, en plein essor. Selon une étude menée en 2013 par la Zoological Society de Londres et Birdlife International, des ours bruns, des loups, des gloutons et des lynx sont présents dans près d’un tiers de l’Europe continentale, la plupart en dehors de réserves naturelles oªcielles. Les ours bruns (Ursus arctos) sont les plus nombreux. L’Europe en dénombre désormais 17 000, alors qu’il n’y a que 1 800 grizzlis (Ursus arctos horribilis, la sous-espèce d’ours qui compte le plus d’individus) aux États-Unis, un pays qui fait deux fois la taille de l’Europe. On trouve désormais des ours dans 22  pays européens. Les loups sont environ 12 000 (il y en a presque deux fois moins aux États-Unis) et les lynx, au nombre de 9 000, parcourent aujourd’hui 23 pays d’Europe. La population de 1 250 gloutons (le membre terrestre le plus grand de la famille des mustélidés, qu’on appelle “carcajou” au Canada) se limite encore aux zones septentrionales de la Scandinavie et de la Finlande. Mais on espère qu’eux aussi reviendront un peu plus au sud. La résurgence des prédateurs, bien évidemment, est loin de faire l’unanimité. Si la tolérance des Européens à l’égard des animaux sauvages a progressé depuis le début du mouvement écologiste dans les années  1970, certains groupes de population restent encore très remontés contre ces animaux. C’est le cas notamment des bergers, de

certains éleveurs de rennes et des chasseurs. Mais leur indignation trahit peut-être aussi leur propre position d’assiégés. Il est plus facile pour les bergers de mettre le déclin de la rentabilité de leur élevage sur le dos du loup (dont les attaques sont presque toujours exagérées) que sur l’arrivée de l’agneau néo-zélandais à prix cassé. Les ministères de l’Agriculture, eux aussi, préfèrent montrer du doigt le nombre toujours plus élevé de prédateurs plutôt que de reconnaître le malaise fondamental qui a¤ecte tout le secteur agricole européen et qui les laisse impuissants. La présence de prédateurs en Europe suscite des débats houleux et, bien qu’ils soient persécutés ici et là, leur aire de répartition et leurs nombres ne font que croître. Une étude conduite par cinquante éminents biologistes spécialistes des carnivores européens met l’accent sur le rôle fondamental des mesures juridiques de protection prises par l’Union européenne, notamment la “directive habitats”, qui protège plus de 1 000 espèces animales et végétales ainsi que 200 types d’habitats –  quelque chose qui inquiète beaucoup les spécialistes de la conservation du Royaume-Uni, en pleine réflexion sur les e¤ets du Brexit quant aux espèces sauvages. Dans les pays qui ne font pas partie de l’Union comme la Norvège et la Suisse, et qui ne sont donc pas tenus de suivre cette directive, les populations animales mettent plus de temps à grossir que partout ailleurs en Europe. En Allemagne, en revanche, où on peut se retrouver condamné à payer une amende de 15  000  euros en cas d’abattage d’un loup, le nombre de meutes est passé de 1 en 2000 à 45 en 2015. En surface, ce processus de désa¤ection des terres et de résurgence des prédateurs en Europe peut donner l’impression que le réensauvagement survient de lui-même, que nous pouvons simplement cesser de faire des pieds et des mains et laisser faire. Mais pour ce qui est des systèmes hydrologiques, des types de sols et des communautés

de plantes, d’animaux et d’invertébrés, l’interférence humaine a, au fil du temps, transformé le décor, établissant un équilibre di¤érent. C’est ce qu’on appelle la “transition catastrophique”. Laissée à elle-même, la terre pourrait mettre des dizaines de milliers d’années, si ce n’est des millions, à rétablir des écosystèmes dynamiques et riches en biodiversité. La question est de savoir si la réintroduction d’éléments absents peut accélérer le processus, et si oui, lesquels. Ainsi, on fait grand cas de la réintroduction du loup dans le parc national de Yellowstone, qui aurait, dit-on, modifié le cours d’une rivière, mais ce phénomène n’aurait pas pu avoir lieu sans le retour à un écosystème fonctionnant presque parfaitement, aussi peuplé d’herbivores sauvages : le loup a retrouvé sa niche écologique, et l’e¤et domino sur la flore et la faune sauvages a donc été radical. En Europe, il n’existe quasiment pas de vastes écosystèmes naturels comme celui de Yellowstone, véritable repaire du sauvage. Si le nombre de prédateurs est en augmentation sur le continent, ils ne peuvent à eux seuls transformer les forêts fermées. Les grands herbivores, comme l’explique Vera, jouent un rôle plus essentiel dans la création d’un habitat. Bien utilisés, ils peuvent résoudre les problèmes inhérents à la transition catastrophique. Il a été montré que la réintroduction de brouteurs (qui représentent la mégafaune disparue) et d’autres espèces essentielles comme le castor permettait de rétablir la biodiversité et que, par conséquent, elle pouvait élargir la notion de réensauvagement et l’échelle à laquelle il s’applique. Le bison en est un bon exemple. Un jour venteux de novembre 2015, alors que nous nous trouvions sur une crête de sable de la côte néerlandaise en compagnie de nos amis spécialistes en arbres Ted Green et Jill Butler ainsi que de Frans Vera en personne, à quelques kilomètres de la ville de Haarlem et à une demi-heure de route de l’aéroport d’Amsterdam, Charlie et moi avons pu observer un petit miracle. Nous étions alors au milieu de la réserve naturelle du

Kraansvlak qui, avec ses 330  hectares, fait moins du quart de la superficie de Knepp. Derrière nous, au-delà de la clôture, on entendait le roulement métallique d’un train de banlieue  ; devant, surplombant les vagues couleur ardoise de la mer du Nord, se détachaient la ville balnéaire de Zandvoort et ses casinos, flanqués de dunes surmontées de tours d’habitation  ; et entre les deux, à moins de 60  mètres de là, paissant sur le terrain vallonné à côté d’un bosquet de pins noirs, se trouvait une harde de vingt-deux bisons et leurs petits. Silhouette bossue, tête laineuse, cornes noires en croissant de lune et poitrail colossal s’étirant en une croupe étroite  : on les aurait dits tout droit sortis des livres de contes, des westerns et des dessins ocre sur les murs de grottes. Tandis qu’ils descendaient la pente d’un pas lourd, arrachant des tou¤es d’herbes, la brise marine agitait leur queue et leur barbe presque rousse, et nous avons eu l’impression que des spectres du passé revenaient à la vie. Les bisons étaient là pour un objectif précis  : jouer le rôle de “tronçonneuses sur pattes”. La disparition des lapins avait mené à l’invasion des étendues de fleurs sauvages, si réputées, par des herbes rêches et avait permis aux sycomores, aux peupliers blancs et aux arbustes de s’introduire dans ce fragile paysage dunaire. Une transition écologique majeure était en train de se produire. Les deux principales espèces végétales qui avaient pris possession des lieux, la calamagrostide commune (Calamagrostis epigejos) et l’oyat des sables (Ammophila arenaria), étaient trop coriaces, même pour les vaches Highland. Inquiet de la détérioration de l’écosystème des dunes et des répercussions préjudiciables sur la nappe phréatique, PWN, le fournisseur d’eau néerlandais à qui appartient la réserve, a noué un partenariat avec la Fondation ARK et, en 2007, la première harde de bisons en semi-liberté aux Pays-Bas a été introduite dans cette zone.

Les résultats n’ont pas manqué de surprendre. Non seulement les bisons ont e¤ectivement combattu l’intrusion des arbres, comme espéré, écorçant les sycomores et les peupliers blancs en anneaux, créant des cimetières de fusains mâchonnés et piétinant, écrasant et arrachant les herbes les plus coriaces qui étou¤aient la végétation, mais ils ont aussi fait naître un écosystème bien plus dynamique que le précédent, qui reposait sur le broutage des lapins. Sous un banc herbeux où les plumes d’un pigeon indiquaient qu’un autour des palombes avait récemment trouvé de quoi déjeuner, l’écologue de la Fondation ARK, Leo Linnartz, nous a montré un patchwork de lichens, de mousses et de violettes qui colonisaient un fossé sablonneux, un peu comme le bunker d’un parcours de golf. “Voilà ce que nous n’avions pas anticipé”, a-t-il expliqué. Les bisons créent des bauges, piétinant le sol de leurs sabots antérieurs et dégageant les mottes d’herbe à l’aide de leurs cornes, creusant les bancs de sable pour ensuite se rouler dans la terre (ou, dans ce cas, dans le sable) ainsi découverte afin de se débarrasser des démangeaisons, des vieux poils et des parasites. Afin d’éviter la réinfestation par les parasites, ils ne cessent de creuser de nouvelles bauges, obligeant les dunes qui étaient devenues statiques, couvertes d’un lourd tapis d’herbes, à évoluer et à se déplacer sans cesse, ce qui a déstabilisé le paysage. La vie surgit dans leur sillage. Des guêpes de la famille des Bembicinae, des abeilles des sables et des cicindèles colonisent ces bains de sable, et les pistes tracées par les bisons entre les bunkers deviennent des autoroutes pour les lézards des souches et les petits mammifères. Des oiseaux, parmi lesquels des alouettes lulus et des pies-grièches écorcheurs, se gavent des insectes qui apparaissent, tandis que les daims recherchent des champignons dans les racines des végétaux déracinés par les excavations des bisons, et dispersent ensuite les spores dans leurs déjections. Comme tous les herbivores, les bisons font oªce de

vecteurs puisqu’ils transportent des graines dans leurs intestins, leurs sabots et leurs poils (les graines d’environ la moitié des espèces végétales des Pays-Bas et d’Europe centrale sont dotées de petits crochets qui leur permettent de s’accrocher aux toisons) et transfèrent des minéraux et des éléments nutritifs d’une zone à l’autre dans leurs bouses, leur urine et leurs os. Dans les dépressions créées par leurs sabots au cours des hivers humides, des graines de gaillet vrai, de polygale commun, de cynoglosse oªcinale, de carline commune et de thym basilic se mettent à germer. Résultat de la réintroduction de cette seule espèce de grand brouteur, une mosaïque d’habitats voit le jour. À partir d’un paysage de graminées sèches et de bouquets monotones de sycomores et de peupliers est apparu un système complexe de vallons dunaires humides, parsemés de halliers épineux, de bosquets de pins et de bois de feuillus, de plaines sablonneuses et de prairies fleuries. La visite de l’Oostvaardersplassen nous a montré qu’un ensemble d’herbivores peut créer à partir de rien un écosystème très varié sur le plan biologique. La réserve du Kraansvlak va même un peu plus loin : elle prouve que la présence d’une seule espèce d’herbivore est capable d’altérer et de nuancer le taux d’évolution d’un paysage en stimulant toute une gamme de processus naturels auparavant absents, dans un habitat extrêmement sensible qui fait moins d’un centième de la taille de l’Oostvaardersplassen. Une connexion avec des zones de nature plus vastes ouvrirait très certainement d’autres perspectives en faveur de la biodiversité (et des plans sont examinés, visant à connecter le Kraansvlak à une réserve naturelle voisine de 2 000 hectares au moyen d’écoducs) ; et un petit troupeau de poneys Konik introduit en 2009 a favorisé encore davantage la complexité écologique et amélioré la pâture au profit des bisons.

Sur un pâturage, la relation entre équins et bovins est une nouvelle révélation qui pourrait être très avantageuse à la fois dans le cadre de projets de conservation et dans le contexte de l’élevage classique. Des études menées par Princeton University au Kenya en 2012 ont montré que, lorsque les bovins paissaient avec des ânes (un animal facile à peser et à étudier, qui jouait là le rôle du zèbre), leur poids augmentait de 60  % de plus que lorsqu’ils étaient seuls. Les ânes (qui digèrent par fermentation dans l’intestin postérieur) mangeaient la partie supérieure de l’herbe, plus coriace, que les vaches (des ruminants) digéraient mal. De la même manière, dans la nature, les chercheurs ont observé de loin que le broutage des zèbres permettait aux gnous d’accéder aux herbes plus tendres et feuillues. Cette dynamique, qu’on appelle “facilitation”, a aussi été observée dans le Dartmoor, où les poneys Dartmoor sauvages facilitent le broutage du bétail en parcours libre. Les “pelouses” créées par les poneys sur les landes sont aussi un habitat vital pour une espèce de lépidoptère rare, le damier de la succise, dont le déclin en Angleterre est catastrophique : il aurait perdu 66 % de ses colonies entre 1990 et 2000. Que di¤érents herbivores, occupant autrefois le même paysage, développent des techniques de pâturage complémentaires n’est peutêtre pas si surprenant. On imagine facilement, dans les somptueux paysages d’un passé lointain, des troupeaux d’aurochs et de bisons emboîtant le pas aux hardes de tarpans. Les résultats de cette version européenne du réensauvagement ne laissent pas de place au doute : si on introduit le bon nombre d’animaux brouteurs de la bonne espèce, même dans une zone relativement petite et isolée, les avantages sur la biodiversité peuvent être exponentiels. Les brouteurs peuvent imprimer l’élan initial dont ont besoin les processus naturels, comme un avion lançant un planeur dans les airs.

Il n’est malheureusement pas envisageable d’introduire des bisons à Knepp – une autre de nos ambitions que nous avons dû mettre de côté pour le moment. Nous nous inquiétons là encore du bien-être des promeneurs et de leurs chiens. La réserve du Kraansvlak, avec ses clôtures électriques toutes simples, montre bien que ces animaux n’ont rien de dangereux. Mais les bisons ne sont pas à l’aise avec les chiens ou les loups, quand ils en voient. Chaque année, 4 000 touristes traversent la réserve du Kraansvlak et, lors de notre visite, la femme de Leo était partie avec leur nouveau-né dans un porte-bébé, l’esprit tranquille, à la recherche des bisons. Les chiens, eux, ne sont toutefois pas autorisés. Les décideurs et les spécialistes de la conservation des Pays-Bas sont plus courageux que les Britanniques. Exclure les chiens de Knepp, même si cette interdiction nous aurait permis d’avoir des bisons en semi-liberté, aurait très certainement provoqué un tollé. Même sans bisons, cependant, il était évident que nos herbivores avaient des répercussions notables sur la biodiversité. Restait une question (théorique sans doute, mais qu’il nous fallait bien résoudre) : pouvions-nous, ou devions-nous, suivre l’exemple européen et appeler ce qu’il se passait à Knepp du “réensauvagement”  ? Un membre du comité, chargé de trouver une autre formulation pour notre projet, a proposé  : “zone d’intervention minimale, axée sur les processus naturels à long terme”, une définition pointilleuse qui n’a pourtant pas manqué d’agiter les grenouilles dans leur seau. Les membres du comité ont débattu à n’en plus finir du sens à donner à “long terme” ; de qui était censé déterminer ce qu’était une “intervention minimale” ; et, bien sûr, de ce que signifiait “naturel” et “axé sur les processus”. Même le mot “zone” a déclenché sa propre polémique  : quelle superficie devait couvrir un projet pour que des processus naturels se manifestent ? On ne parlait certes pas ici des jardins des particuliers, ou si ? Quelle que soit la description que nous faisions de Knepp, il paraissait évident

qu’elle lancerait des débats animés et qu’on nous demanderait de la préciser. Peut-être que le mot “réensauvagement”, par nature, était un concept mouvant et imprévisible. C’est ainsi qu’il a été déterminé qu’il s’agissait d’un raccourci bien pratique, et tant pis pour les conséquences. Mais “peut-être, pour l’instant, juste par sécurité, a marmonné Charlie un soir d’hiver, l’air résigné, appelons notre projet tout simplement «  Knepp Wildland  » et laissons de côté le « ré- »ensauvagement”. Keith Kirby n’avait pas pu assister à notre première réunion du comité consultatif, mais il avait envoyé Emma Goldberg pour représenter Natural England. Un an plus tard, Jim Seymour, responsable de programmes pour Natural England dans le Sud-Est, est venu la rejoindre au sein de notre comité consultatif. Leur présence prouvait que les services publics continuaient de s’intéresser à Knepp –  il aurait certainement été exagéré de parler de confiance, et nous étions frustrés de ne pas réussir à obtenir davantage de financements. En février 2008, Keith a écrit à Charlie : “Je ne suis pas en mesure de vous notifier que nous « adoptons » ou non le projet de Knepp comme site de démonstration potentiel dans les six à douze prochains mois. Je me rends bien compte que cette nouvelle sera décevante pour vous et que vous devrez vous réorganiser en conséquence […].” Nous nous doutions que Keith ne serait guère encouragé par l’indignation que continuait de provoquer notre prolifération de mauvaises herbes, en particulier, en 2007, l’invasion spectaculaire de chardons des champs. Native de toute l’Europe et du Nord de l’Asie, parfois appelée en anglais cursed thistle (“chardon maudit”) ou lettuce from hell thistle (“chardon-laitue de l’enfer”), c’est une espèce pionnière classique. Elle se plaît dans les pâturages, les champs cultivés et les zones où le sol a été retourné, où la concurrence est rare et où la complexité végétale est trop faible pour contenir son expansion. Lorsque

les conditions sont réunies (températures modérées, eau souterraine en abondance et ensoleillement limité : en d’autres termes, un été typique du Sussex), sa propagation est époustouflante. En germant, elle développe une longue racine pivot et, bien que ses semences soient dispersées par le vent, elle se reproduit également par clonage à l’aide de ses racines latérales, de sorte que le tapis tout entier de fleurs roses duveteuses qu’on voit s’agiter au loin peut être né d’un même plant. Et l’arracher, comme le sait tout jardinier, n’est pas forcément la solution. Ses racines sont cassantes et elle peut repartir de plus belle à partir d’un minuscule fragment. En 2008, la progression des fourrés de chardons, hauts de près de 1  mètre, était stupéfiante, et en 2009 ils avaient couvert plusieurs hectares du parc Repton, le long des routes ouest et nord, ainsi que plusieurs bandes du secteur nord, au-delà des bâtiments de Poundtail Farm. C’était la première fois que nous étions confrontés à un phénomène d’une telle ampleur, qui remettait en question notre éthique de réensauvagement. Nous étions assiégés. Nous savions ce qu’allaient dire les voisins et la menace que cette invasion décomplexée des chardons constituait dans le cadre du financement que nous accordait le Countryside Stewardship pour le parc Repton. Moins de dix ans auparavant, avant le début du projet, nous aurions pris le problème à bras-le-corps en sortant les décolleteuses-arracheuses et les pesticides. Il nous a fallu tout notre courage pour maîtriser notre angoisse et ne rien faire. Tandis que nous nous rongions les sangs face à cet épineux dilemme, de l’autre côté de la Manche, une autre invasion se dirigeait droit sur nous. À une vitesse pouvant atteindre 50 kilomètres-heure, 11 millions de papillons belles-dames, qu’on appelle aussi “vanesses des chardons”, avaient mis le cap sur une terre jusque-là inconnue d’eux. La belledame, un migrateur réputé pour parcourir de longues distances, est l’un

de nos visiteurs estivaux. Chaque année, un million environ de ces papillons parviennent jusqu’à nos îles. Mais une fois tous les dix ans, lorsqu’une explosion démographique dans les franges désertiques d’Afrique du Nord et d’Arabie (en l’occurrence, en 2008, dans les montagnes de l’Atlas, au Maroc) se conjugue aux conditions météorologiques parfaites pour se lancer dans un vol transatlantique, ils sont des millions de plus à entreprendre le voyage et beaucoup arrivent jusqu’en Grande-Bretagne. Cette matinée du dimanche 24 mai 2009 a été marquée par un ciel bien dégagé, les précipitations de la veille ayant laissé place à une crête de haute pression. À notre réveil, les papillons filaient devant nos fenêtres à un rythme rapide, un toutes les minutes. Dans le parc, des dizaines de milliers de belles-dames, miasme frissonnant, étaient venues se poser sur les chardons des champs. Alors que nous approchions, les chiens se sont précipités dans les fourrés épineux en bondissant à la recherche de lapins, faisant voltiger dans les airs des nuages d’ailes orangé et brun comme autant de feuilles d’automne. On les appelait déjà “bella donna”, “belle femme”, avant de les rebaptiser brièvement et plus prosaïquement “papillon des chardons” au XVIIIe  siècle. Ces lépidoptères, qui se nourrissent de toute une gamme de fleurs, privilégient les chardons pour pondre leurs œufs. Les fleurs fournissent en e¤et du nectar pour les adultes, tandis que les feuilles permettent de nourrir les chenilles. Me tenir là, debout, au milieu de ce blizzard de papillons, les yeux fermés, en ce jour extraordinaire, a été pour moi une expérience hors du commun. Le son que produit un unique papillon est imperceptible, mais des dizaines de milliers d’entre eux font entendre leur respiration collective, semblable au fracas d’une cascade entendu de loin ou au roulement annonçant l’orage. On a l’impression que le susurrement frémissant de leurs mouvements d’ailes, battant sur une longueur

d’onde surnaturelle, pourrait réduire le monde à l’état d’atomes. Si le battement d’ailes d’un seul papillon peut déclencher une tempête de l’autre côté de la planète, on est en droit de se demander ce que des dizaines de milliers d’entre eux risquent de provoquer dans un jardin. Nous avons parcouru le parc une demi-heure durant ce matin-là, ouvrant devant nous des rideaux de papillons. Pendant des jours, tous les habitants des environs, de Brighton à Worthing, sur les Downs et dans le Weald, ont causé belles-dames. Les gens se prenaient de passion pour les papillons et venaient voir les sites où ils étaient les plus nombreux, notamment Knepp. Le 28 mai, sur une réserve de protection des papillons près de Laughton, dans l’East Sussex, Neil Hulme, membre de notre comité consultatif, a dénombré dans les nuées de papillons le passage de 1  590  individus par heure, parfois jusqu’à  42  par minute  : “Ils fonçaient sur moi comme des missiles.” Dans toute l’Europe, cette année, 60 000 observations de belles-dames ont été notifiées, dont  10  000 dans le seul Sud de l’Angleterre. Cet exercice de sciences citoyennes a permis de résoudre l’un des mystères les plus tenaces au sujet du cycle de reproduction de ce lépidoptère. Jusqu’à cette année d’abondance, on pensait que la migration était un aller simple pour ces papillons : on en avait vu peu repartir de GrandeBretagne. On adhérait dans une large mesure à “l’hypothèse du joueur de flûte” : les papillons arrivaient au Royaume-Uni par miracle, espérant coloniser le territoire, mais étaient tués en masse à l’arrivée de l’hiver. En 2009, cependant, ils étaient si nombreux qu’on a pu commencer à observer la nouvelle génération, quoique bien moins abondante qu’à l’arrivée sur le territoire, repartir en direction du sud. Cet automne-là, les radars d’imagerie verticale à haute définition basés dans la station expérimentale de Rothamsted à Harpenden, dans le Hertfordshire, ont confirmé ce que les observateurs constataient sur le terrain. Une fois en l’air, les belles-dames montent dans le ciel à la recherche de vents arrière

favorables. Les radars peuvent détecter des insectes volants à 1,2  kilomètre du sol, dans quinze bandes de hauteur di¤érentes mesurant chacune 45  mètres d’épaisseur. Les “signatures” radar des di¤érentes espèces peuvent être repérées ou contrôlées à l’aide de filets suspendus sous des ballons gonflés à l’hélium. Il s’agissait d’un projet de recherche pionnier, ce qui explique que la trajectoire retour de la migration soit passée jusque-là inaperçue. La plupart des papillons de retour vers le sud volent à haute altitude, hors de notre vue, souvent à plus de 500 mètres au-dessus du sol. On a commencé à mieux comprendre le phénomène. Ce que nous voyions à Knepp et ce que les observateurs constataient dans tout le pays faisait donc partie de la plus longue migration de papillons de la Terre : un aller-retour qui, dans les meilleures années, peut faire 15 000 kilomètres, des étendues arides de l’Afrique au cercle arctique, soit près de deux fois la distance parcourue par les fameux papillons monarques d’Amérique du Nord. La belle-dame est le seul lépidoptère qu’on ait jamais vu en Islande. Il faut parfois jusqu’à six générations successives pour accomplir le voyage dans son intégralité, tandis que d’autres odyssées moins spectaculaires ne durent que quatre cycles de reproduction. L’une des raisons qui expliquent que la belle-dame ait été si diªcile à tracer est que, contrairement au papillon monarque, la reproduction n’est pas synchronisée à la migration. Autrement dit, certains individus peuvent décider de s’arrêter pour se reproduire et pondre à n’importe quelle étape du voyage, tandis que les autres poursuivent leur route. Lorsqu’il fait vraiment chaud, le cycle de vie tout entier peut ne durer qu’un mois, et les nouveaux individus reprennent alors immédiatement la route vers le nord. Les di¤érentes couvées se superposent et il arrive qu’au milieu et à la fin de l’été, de jeunes papillons en pleine forme voyagent aux côtés de compagnons plus âgés, qui volent depuis un bon moment. Certains individus iront bien plus

loin que les autres au cours de cette migration vers le nord. Échelonner ainsi leur parcours annuel permet de répartir les risques sur l’ensemble de l’espèce. Mais il reste encore bien des mystères à dévoiler. Comment une petite bête de moins de 1 gramme, d’une envergure d’environ 6 centimètres et dotée d’un cerveau de la taille d’une tête d’épingle parvient-elle à trouver son chemin jusqu’à un territoire où elle n’a jamais mis les pattes, et où ni ses parents ni même ses grands-parents ne sont allés ? D’après des études récentes, les belles-dames pourraient bien s’orienter à l’aide d’une boussole solaire située dans l’extrémité de leurs antennes. Nous voyions là pour la première fois, de façon spectaculaire, le cardiographe de la nature qui suit les explosions démographiques et les chutes de population, le phénomène de l’essor et du déclin. Cet été-là, des chenilles noires hérissées d’épines ont envahi les chardons, tissant leurs toiles soyeuses comme autant de petites tentes, qui se sont vite remplies d’excréments et de nervures de feuilles non comestibles. La zone tout entière a pris l’aspect d’un campement militaire désorganisé. À l’automne, une fois que les chenilles ont eu dévoré leurs feuilles, se sont nymphosées et sont reparties, nos champs de chardons étaient en lambeaux, leurs tiges drapées de soie sale, leurs extrémités fleuries oscillant au-dessus de squelettes de tiges – des mets faciles d’accès pour les poneys. L’année suivante, nos  24  hectares de chardons avaient entièrement disparu. Les dégâts causés par les chenilles avaient certainement a¤aibli l’immunité de la plante, ouvrant la porte à un agent pathogène quelconque (virus, parasite, rouille ou autre champignon) qui avait dû se propager dans la colonie clonale comme une traînée de poudre. Tôt ou tard, semble-t-il, une tempête parfaite de conditions météorologiques, de pathogènes et de prédation survient pour éliminer les chardons. Leur méthode de reproduction par clonage (leur caractéristique la plus nuisible, aux yeux de la plupart des gens) est

aussi leur plus grande faiblesse. Cette leçon nous a depuis évité bien des angoisses inutiles. Aujourd’hui, lorsque les observateurs regardent nos champs de séneçons jacobées ou, plus récemment, nos hectares de pulicaires dysentériques pionnières en secouant la tête, nous leur o¤rons un sourire a¤able et passons outre à leurs inquiétudes. Même les raz-de-marée de végétaux nuisibles ne durent pas pour toujours. Nous avions été aux premières loges pour assister aux plus somptueux spectacles de la nature, simplement parce que nous avions décidé de ne pas intervenir et de laisser le glyphosate au placard. Mais même sans les belles-dames, ces trois années de chardons avaient été une bénédiction. Ce tapis épineux avait protégé d’autres lépidoptères et leurs compagnons invertébrés (notamment une explosion de criquets) des becs acérés des oiseaux, réunissant les conditions parfaites pour l’essor du lézard vivipare. Des femelles gravides aux rayures sombres détalaient entre les tiges des chardons, le long des pistes tracées par les mulots, chassant des insectes à l’approche de la naissance de leur frétillante progéniture. Bien que les exmoors et les porcs aient un faible pour les chardons, ils hésitent à se plonger dans les fourrés denses et préfèrent en grignoter les franges. Ainsi protégées des sabots de nos herbivores, les fourmilières se sont multipliées. Les fourmis ont pu construire en paix de nouvelles mottes (qui courent davantage le risque d’être piétinées et renversées au tout début de l’édification, lorsque la terre est encore meuble). Niché sur son ciré, Charlie les a observées pendant des heures tandis que, mandibule après mandibule, les ouvrières coupaient les tiges de chardons et d’herbes pour renforcer la structure de leur nouvelle maison. À la disparition des chardons à l’automne, les fourmilières avaient gagné en hauteur et s’étaient stabilisées, surmontées d’une couche de mousses et d’herbes vivantes semblable à une croûte de fromage. Aujourd’hui, quand on se rend dans

la zone post-apocalyptique du parc, on peut voir où s’est produite l’invasion de chardons des champs en observant la densité des fourmilières.

Et trempé dans les ciels aux plus riches teintures Où la lumière joue en mille bigarrures, Où chaque rayon lance une couleur fugace Qui disparaît soudain quand l’aile se déplace. ALEXANDER POPE, Le Rapt de la boucle, chant II, 17141.

En

2009, huit ans après le début de notre transition vers le

réensauvagement, nous pouvions nous enorgueillir de beaux résultats. Les grives mauvis, les grives litornes et les sizerins cabarets étaient de retour à Knepp pour la première fois depuis des décennies. Ces espèces sont toutes sur la Liste rouge du Royaume-Uni, c’est-à-dire qu’il s’agit d’oiseaux dont la conservation est considérée comme prioritaire. Le nombre d’alouettes des champs (autre espèce sur la Liste rouge) dans un seul transect du secteur sud était passé de  2  en 2005 à  11, et des ornithologues amateurs venaient observer les alouettes lulus qui, dans les broussailles, faisaient entendre leurs “doux trilles”, pour reprendre l’expression de Robert Burns. En hiver, des canards chipeaux barbotaient dans le lac, des bécassines sourdes, des bécassines des marais et des bécasses des bois venaient chercher leur pitance dans nos laggs, et au printemps, un couple de grands corbeaux est venu nicher dans l’immense cèdre du Liban devant notre fenêtre, comme Ted l’avait prédit. C’était la première fois en plus d’un siècle qu’on voyait des grands corbeaux sur le domaine. Pléthore de “rrâââk” et de “crroook” nous réveillent désormais lors des fraîches matinées de février, ricochant sur les murs de briques. Alors que je suis encore engourdie de sommeil, ces sons m’évoquent l’Angleterre médiévale, du temps de Jean sans Terre et du vieux château, avant l’époque où les gardes-chasses se mirent à abattre les grands corbeaux, quand ils étaient encore les

oiseaux des mythes et des augures, les charognards se nourrissant des cadavres sur les potences et les champs de bataille, mais aussi les précieux nettoyeurs des rues de la capitale. Puisque les corbeaux de la Tour de Londres protègent la Couronne et la nation, leur arrivée à Knepp était assurément de bon augure. Les oiseaux résidents de Knepp avaient commencé à changer leurs habitudes, s’adaptant à l’aºux de nouvelles espèces. On voyait moins de corneilles et de freux, peut-être houspillés par les grands corbeaux, oiseaux territoriaux. Même si la population n’avait pas beaucoup évolué, les hérons cendrés du lac avaient, pour la première fois en trente-cinq ans d’observation par Alf et Iris Simpson, nos voisins ornithologues amateurs, déserté leurs nids de cime pour aller s’installer à quelques mètres au-dessus de l’eau, sans doute pour protéger leurs œufs et leurs oisillons des buses qui décrivaient de grands cercles dans les airs. Frank Greenaway (ou “Batman”, comme on le surnommait), le mari de Theresa, notre archiviste des espèces au comité consultatif, a passé l’été à recenser le nombre toujours plus important de chauves-souris et, par les chaudes nuits de juillet, nous nous rendions sur les bords du lac ou des laggs pour le regarder faire. Alors qu’il activait un détecteur envoyant des fréquences soniques à la manière d’un message en morse surexcité, les chauves-souris se dirigeaient vers nous en rasant la surface de l’eau, attirées dans ce piège en forme de harpe invisible tendue de fins fils de nylon, dégringolant sans se blesser dans le sac de collecte en toile à la base du piège. Cette harpe-filet est un instrument ingénieux, moins nocif que les filets japonais qui parfois s’enroulent autour des ailes membraneuses et des doigts minuscules des prisonnières. Dans la main gantée de Frank, on voyait apparaître le visage chi¤onné d’un murin à moustaches ou d’une pipistrelle pesant moins qu’une pièce de monnaie, où se mêlaient surprise et indignation. Faire face à une chauve-souris est une expérience étonnante. Ce n’est pas comme

regarder un oiseau de près, avec ses gènes de dinosaure, son regard froid, son bec et ses plumes – un animal ovipare, gri¤u, indéchi¤rable. Une chauve-souris est un mammifère à sang chaud, aux yeux luisants, aux narines frémissantes, à la bouche grimaçante qui révèle de petites dents pointues et au corps couvert de fourrure sur lequel on voit, dans le cas d’une femelle allaitante, des mamelles minuscules et des tétons microscopiques. Quelque part, dans l’obscurité, aplati contre une planche ou dans la cavité d’un arbre, caché sous un toit, un bébé attend d’être nourri. Cette créature volante de la nuit est assurément des nôtres, ce qui la rend diablement attachante. 13 des 18 espèces de chauves-souris qu’on trouve au Royaume-Uni ont été recensées sur le domaine cet été-là  ; 2  d’entre elles sont rares non seulement en Grande-Bretagne mais dans toute l’Europe. Le murin de Bechstein, une espèce qui vit dans les arbres et qu’on associe aux forêts de vieux feuillus, est si rare qu’on n’en sait pas grand-chose. Il a un long museau rose, un pelage brun-roux et de grandes oreilles, et se nourrit d’araignées et d’insectes diurnes habitant dans les arbres. Les barbastelles communes, qui ont un petit nez en trompette comme les carlins et des oreilles larges et rondes qui se rejoignent au sommet du crâne (ce qui permet de les distinguer facilement), nichent derrière l’écorce lâche des vieux arbres et peuvent vivre jusqu’à vingt-trois ans. Leur pelage noir ourlé de blanc est légèrement gras au toucher  : elles sont ainsi protégées de la pluie lorsqu’elles parcourent, la nuit, de longues distances dans la campagne. En 2009, nos 1  400  hectares d’anciennes terres cultivées pouvaient se targuer d’accueillir 15  espèces figurant dans les “priorités du plan d’action en faveur de la biodiversité au Royaume-Uni” (4 chauves-souris et 11  oiseaux) ainsi que 60  espèces d’invertébrés à protéger. 76  nouvelles espèces de papillons de nuit ont été ajoutées à nos recensements en 2009, soit  276  au total. Les visiteurs occasionnels

étaient eux aussi de plus en plus nombreux : des aigrettes garzettes, un butor étoilé rasant Brookhouse Scrapes, des fuligules milouins sur le lac et un chevalier cul-blanc barbotant dans les mares le long de l’Adur. Des espèces non natives (notamment des animaux exotiques échappés et leurs descendants) se frayaient elles aussi un chemin jusqu’à Knepp. Certaines, comme l’oie à tête barrée (le “hamsa” de la mythologie indienne, et l’un des oiseaux qui volent le plus haut –  on l’aurait aperçu au-dessus de l’Everest), ne sont restées avec nous que quelques jours, petites nouvelles dans la cour de récré, longeant d’un pas mal assuré les volées d’oies cendrées et de bernaches du Canada. D’autres, et notamment un couple d’ouettes d’Égypte aux couleurs extravagantes, ont élu domicile sur nos arbres. Ces ouettes sauvages ont été les premières de leur espèce à se reproduire dans le comté ; brayant comme des ânes tout l’hiver durant, hésitant entre les tourelles du château et les cèdres, elles parcourent les airs en battant des ailes à grand bruit et aujourd’hui, chaque printemps, leur vingtaine de petits se joignent au ra¤ut. Nous étions fermement décidés à ne pas intervenir et à simplement observer ce qui arrivait à Knepp. C’est ainsi que les espèces exotiques sont venues remettre en question nos idées préconçues sur ce qui avait droit de cité dans notre paysage. En Grande-Bretagne, les opinions sur ce sujet sont terriblement subjectives : nous fulminons à l’encontre des espèces “étrangères, envahissantes”, comme la balsamine de l’Himalaya et le rhododendron pontique, tout en fermant les yeux sur le faisan, la truite arc-en-ciel, le perce-neige et le châtaignier. La fritillaire pintade est une espèce caractéristique des “prairies naturelles médiévales” protégées par le statut de sites d’intérêt scientifique particulier. Elle n’est pourtant pas plus native que la nivéole d’été, fleur emblématique du Berkshire.

Parfois, tout se résume à une question de rareté. Les lapins, introduits par les Normands, sont désormais 37,5 millions au Royaume-Uni, ce qui en fait pour beaucoup un nuisible. Les lièvres, sans doute introduits par les Romains voilà deux millénaires, ont gagné notre a¤ection et bénéficient aujourd’hui d’un plan d’action en faveur de la biodiversité rien que pour eux. D’autres fois, c’est une question de timing. Les espèces arrivées récemment, comme le loir gris, échappé de la collection de Lord Rothschild à Tring, dans le Hertfordshire, en 1902, et aujourd’hui vu comme une menace, pourraient bien dans cinquante ans être perçues comme des créatures adorables et dignes de protection, à l’instar de la chevêche d’Athéna, introduite en Grande-Bretagne en 1842. L’écrevisse de Californie, arrivée chez nous en 1976, est décriée car elle fait concurrence à notre écrevisse à pieds blancs native, alors qu’il y avait déjà cinq autres espèces d’écrevisses non natives dans nos cours d’eau lorsqu’elle est arrivée et que notre espèce “native”, comme l’ont montré depuis des analyses génétiques, a très probablement été introduite depuis le continent dans les années  1500. Et parfois, c’est simplement une question d’esthétique et d’agacement. Les mauvaises herbes qu’on trouve dans les champs de céréales en Grande-Bretagne sont les premières espèces introduites par l’être humain. Pourquoi voulons-nous bien des bleuets des champs, des chrysanthèmes des moissons dorés, des coquelicots vermillon et des nielles des blés aux jolis pétales roses (quoique toxiques), tout en traitant la folle-avoine, pourtant là depuis l’âge du bronze, comme une étrangère indésirable ? Alors que nous entourons joyeusement nos maisons de platebandes exotiques, la campagne, elle, est considérée comme un lieu à part. Si une plante s’échappe d’un parc, d’un jardin ou d’un arboretum, elle devient soudain une intruse. Sous nos fenêtres, l’exotique est en territoire neutre, comme un migrant sans papiers qui campe dans un

aéroport. Notre propre rôle dans ces introductions est quelque chose de confus, qui vient compliquer le phénomène. D’ordinaire, c’est l’intervention humaine qui fait d’une plante une espèce exogène. Il est intéressant d’observer la façon dont, en minimisant ou en passant outre à notre rôle comme vecteurs d’autres espèces – que ce soit délibéré ou non  –, nous nous excluons du règne animal, sauf dans quelques cas  : les introductions dues aux sociétés prétechnologiques et préeuropéennes (quels qu’aient été leur niveau d’évolution et leurs intentions) sont généralement considérées comme légitimes. Même les communautés tribales qui survivent encore aujourd’hui sont exemptes de blâme, alors qu’il leur arrive aussi de parcourir de longues distances et de faire des échanges commerciaux. Mais si quiconque touché par la modernité (c’est-à-dire assimilable aux personnes qui décident des catégories “natif” et “non natif”) introduit une nouvelle espèce, l’introduction sera considérée comme illégitime. Un autre point peu clair : l’ampleur des perturbations de ces végétaux et animaux introduits sur le statu quo écologique. Les tabloïdes se délectent des gros titres parlant d’invasions, d’attaques et d’espèces exotiques à l’assaut du monde. Mais les scientifiques ne cessent de dire que les incidences des espèces exogènes sont largement exagérées et qu’il s’agit dans une large mesure d’une question de perception. Selon plusieurs études, même la balsamine de l’Himalaya, avec ses grandes fleurs bien visibles, n’a en fait que des e¤ets négligeables sur la diversité et la composition de la végétation des berges, et elle serait même bénéfique pour les pollinisateurs natifs. On suppose souvent qu’une nouvelle espèce prendra forcément la place d’une autre. Mais les écosystèmes, même insulaires, ne fonctionnent pas nécessairement ainsi. L’espace n’est peut-être pas déjà “plein”, la niche qu’elle occupera est peut-être nouvelle. Ces arrivées peuvent tout simplement enrichir la diversité. Le tableau est ainsi

parfois brouillé par d’autres processus évolutifs de l’écosystème. Les espèces exotiques sont-elles responsables des instabilités créées par la pollution, le changement climatique et la dégradation des habitats, ou se contentent-elles d’en tirer parti ? Lorsqu’une volée de perruches à collier a fendu l’air en jacassant au-dessus de nos têtes dans le secteur sud, quelques années après le début du projet, nous nous sommes e¤orcés de garder l’esprit ouvert. En l’occurrence, elles ont fini par disparaître après quelques semaines, peut-être mises en fuite par notre population toujours plus importante de rapaces. Si ces fugitives multicolores sont allées s’établir dans Richmond Park et les jardins botaniques de Kew à Londres justement, c’est sans doute parce qu’il y a là-bas moins d’espèces susceptibles de les embêter. D’autres espèces exotiques ont mieux réussi leur coup et, étant donné que le nombre global d’oiseaux et d’autres espèces à Knepp continue d’augmenter tous les ans, nous n’avons pas de raison de nous en inquiéter. Qui donc peut décider que les canards mandarins qui, depuis quelques années, nichent dans les chênes au bord du lac, sont indésirables ou pas assez britanniques  ? Tout comme les daims, les lapins, les lièvres et même les rhododendrons pontiques, ils étaient présents pendant la dernière période interglaciaire, il y a plus de 100  000  ans. On pourrait très bien dire qu’il s’agit là de l’argument ultime pour décider du statut natif d’une espèce. Nous avons décidé de nous inspirer de l’ouvrage de l’écologue Ken Thompson, Where Do Camels Belong?, publié en 2014  : “Cessons d’imaginer que nous sommes capables de remonter le temps et de retrouver un âge d’or pur, préhumain, si tant est que cette pureté soit définissable, nous enjoint-il. Nous devrions plutôt nous e¤orcer de tirer le meilleur de notre monde tel qu’il est, c’est-à-dire envahi.”

Malgré tout, un spécimen exogène nous a séduits à tel point qu’il est parvenu à nous faire abandonner temporairement notre principe de non-intervention. Percy le Paon est sorti de nulle part pour s’installer chez nous d’un air de propriétaire et nous le logeons  à Knepp depuis plusieurs années. Ses cris mélancoliques et ses roues frissonnantes, qu’il donnait en spectacle depuis le toit de l’ancien box de l’étalon, ont fini par nous attendrir et, en dépit du bon sens, nous nous sommes procuré deux paonnes pour lui tenir compagnie. Elles ont survécu jusqu’à la ponte de leurs œufs. L’une s’est fait attraper par un renard presque tout de suite après le début de la couvaison, dans un fourré d’orties du verger. L’autre, plus sagement cachée dans la haie d’ifs de notre jardin, s’est fait manger quelques jours à peine avant l’éclosion des œufs. Pour arriver jusqu’à elle, le renard a dû sauter le ha-ha de près de 2  mètres de haut. Nous avons renouvelé notre serment de ne pas nous mêler des a¤aires de la nature, aussi artificielle qu’elle paraisse, et ces derniers temps Percy semble avoir trouvé lui-même ses consolations, alternant préliminaires aguicheurs avec le cabriolet BMW bleu électrique garé devant Stable Yard (l’alarme antivol le rend dingue) et e¤raction dans le poulailler pour s’unir charnellement à nos poules blanches du Sussex, de nature accommodante. C’est là la fin de nos problèmes, espérons-nous, quoique les poules ne cessent de vouloir couver, ce qui est embêtant. Nous ne savons pas quel âge a Percy, mais j’ai lu avec des sentiments mitigés qu’un paon domestiqué (si tant est que ce soit son cas) peut vivre une cinquantaine d’années. Ce sont surtout les rencontres surprises avec des espèces plus communes, cependant, qui caractérisent la diversité et l’abondance de la vie venue à notre rencontre : une immense et grosse couleuvre à collier de plus d’un mètre, traversant ventre à terre notre haie d’ifs à la recherche d’œufs d’oiseaux  ; des vers luisants femelles (en réalité, des coléoptères bioluminescents) agitant leur torche à la recherche de

partenaires à côté du court de tennis ; un jaillissement spectaculaire de champignons à l’aspect de vomi de chien jaune et mousseux, un myxomycète plasmodial qui s’est déversé un été sur les graminées du parc, phénomène inédit qu’on n’a plus jamais observé  ; des faucons crécerelles nichant dans le chêne devant la porte d’entrée  ; des grimpereaux et des gobemouches dans la glycine  ; des blaireautins jouant dans l’allée. Mon cabinet d’écriture, une ancienne réserve à pommes construite à l’extrémité du jardin clos, qui surplombe un paddock à l’abandon et dont les fenêtres sont couvertes de buddléias, est devenu un repaire à oiseaux. Je garde désormais à portée de main des jumelles et des guides ornithologiques, sapant de bon cœur mes velléités d’éloignement de toute distraction. En 2008, un couple de chevêches d’Athéna, nichant dans le box de l’étalon, a appris à ses petits à voler depuis le mur du jardin. J’ai observé l’un d’eux attraper une toute petite couleuvre à collier et engager un combat au sol, clairement mis en diªculté par rapport aux proies habituelles, nettement moins résistantes, que sont les vers de terre. De temps à autre, le cri d’un lapin m’avertit de l’attaque d’une hermine et j’assiste au duel de David contre Goliath, le petit prédateur bien arrimé sur sa proie, et il est rare que le lapin parvienne à se dégager et à prendre la fuite. Dans un trou du lambris, la présence d’un nid de mésange bleue est trahie par les tou¤es de laine bleue qui s’en échappent, récupérées sur la couverture de mon chien. À côté, dans l’abri en bois, des hirondelles me tiennent compagnie en juin et en juillet, babillant avec leurs petits. Je les regarde plonger sur le paddock en quête d’insectes, fendant les airs avec les hirondelles de fenêtre et les martinets noirs. Il m’arrive de compter en une seule journée de juillet dix espèces de papillons, sans bouger de mon bureau.

Parfois, c’est leur nombre qui me coupe le souºe. Nous allions souvent voir les murmurations d’étourneaux sansonnets sur la jetée de Brighton ou dans les Somerset Levels. Ces dernières années, elles se forment au-dessus de nos têtes en mars, dessinant des rouleaux aériens qui vont et viennent jusqu’à ce que l’obscurité les engloutisse dans le bosquet de bambous derrière North Lodge, dans le parc, comme un génie disparaîtrait dans sa lampe. Une année, en octobre, une nuée d’oies à bec court, comptant des milliers d’individus, a décrit des cercles au-dessus du lac à grand renfort de jacassements, envoyant des éclaireuses sonder l’eau avant de s’y poser toutes ensemble juste avant la tombée de la nuit. Elles migraient vers le sud, fuyant les glaces et la chute des températures du Groenland pour se diriger peut-être vers la Hollande ou l’Ouest du Danemark. Leurs clameurs et leurs battements d’ailes se sont fait entendre toute la nuit. Au petit matin, elles étaient parties, ne laissant derrière elles que le fantôme de leur présence, comme une armée évacuée. Alors même que ces apparitions devenaient coutumières, nous nous inquiétions pour l’avenir. Le financement décennal accordé par le Countryside Stewardship pour le secteur central et le secteur nord touchait à sa fin, et nous ne parvenions toujours pas à obtenir des fonds pour le secteur sud. L’alternative, revenir à l’agriculture (en admettant que nous trouvions quelqu’un disposé à cultiver nos terres), nous semblait inconcevable, même si Jason Emrich, notre intendant, poussé à la prudence, continuait d’envisager toutes les solutions possibles. Nous placions beaucoup d’espoir dans le Higher Level Stewardship, le dispositif plus ciblé du programme environnemental du département de l’Environnement, de l’Alimentation et des A¤aires rurales, lancé en 2006. Visant à financer des projets agrienvironnementaux plus actifs et plus contraignants dans le cadre d’un accord décennal, versant des subventions par hectare plus importantes que celles du Countryside

Stewardship, ce dispositif nous permettrait aussi, espérions-nous, de financer la pose de la clôture autour du secteur sud, étape cruciale. On nous a cependant appris que Knepp ne se situait pas dans une de leurs zones cibles de gestion des habitats, et que nous ne pouvions donc pas, à notre grand dam, nous porter candidats. Il a fallu qu’Andrew Wood, le directeur exécutif de Natural England chargé des sciences, des preuves et du conseil, sur lequel Jason avait adroitement mis la main lors d’une conférence de gestionnaires fonciers, vienne nous rendre visite pour changer la donne. Andrew a passé une matinée avec Charlie, en juin  2008, à crapahuter dans les zones humides et les fourrés d’épineux du secteur sud, et a déclaré en conclusion qu’il s’agissait “exactement du type de projet pour lequel le Higher Level Stewardship a été créé”. Il était bien placé pour le savoir, puisqu’il avait lui-même conçu le dispositif. Les zones cibles, nous a-t-il expliqué, n’étaient que de grandes orientations visant à tirer le meilleur parti possible des lieux qui bénéficiaient déjà de programmes environnementaux. Cette indication n’avait pas vocation à pénaliser des initiatives comme la nôtre. L’existence du projet de Knepp Wildland a ainsi permis de faire figurer le bassin hydrographique de l’Adur, dans le West Sussex, dans les zones cibles du dispositif. La réticence dont avait fait montre Natural England n’était qu’un exemple typique de la charrue bureaucratique mise avant les bœufs. Le lendemain de la visite d’Andrew, notre gestionnaire régional chez Natural England nous a appelés en proposant une dotation d’investissement permettant de clôturer le secteur sud et nous a donné le feu vert pour demander un financement portant sur l’ensemble du domaine auprès du Higher Level Stewardship. Ce dispositif, d’une durée de dix ans, commencerait le 1er janvier 2010.

Charlie était survolté. En mars 2009, les 15 kilomètres du périmètre étaient clôturés et, à la fin du mois de mai, 53  longhorns, venues en camion d’un élevage à la frontière écossaise, près du mur d’Hadrien, ont été lâchées dans le secteur sud. 23 poneys Exmoor les ont rejointes à la fin d’août, suivis en septembre de 20  tamworths, puis en février de l’année suivante de 42  daims, capturés dans le secteur central. À ce moment-là, les jeunes chênes plantés là par les geais et quelques frênes, alisiers et bouleaux émergeaient de leurs nids d’épines. Des fourrés d’églantiers, de ronces, d’aubépines et de saules cendrés ont fourni aux nouveaux arrivants un bu¤et à volonté, agrémenté de jeunes pousses tendres laissées sans protection dans les espaces ouverts. La bataille entre succession végétale et perturbation animale pouvait commencer. Rapidement, nous nous sommes mis à emprunter les pistes animales pour traverser le secteur sud, un peu comme nous longerions les pistes des éléphants et des buºes dans la brousse africaine. Le paysage de ce secteur était très di¤érent de ce qu’on pouvait trouver dans le parc ou dans le secteur nord. Ici, il y a une densité et une complexité qui fourmillent de vie. Les oiseaux et les insectes créent un mur de sons. Les branches brisées, les déjections, les empreintes des sabots, les postes de grattage et les bauges sont autant de signes de la présence de grands animaux, engloutis dans la végétation. C’est un sentiment si étrange pour nous Britanniques, habitués à voir toutes nos bêtes dans des prés ouverts, que, pour trouver un point de comparaison, il est diªcile de ne pas le chercher à l’étranger. Les visiteurs ne cessent de nous dire, en voyant ce décor pour la première fois, qu’ils s’attendent à voir au prochain virage des hardes de zèbres ou de gnous, ou à tomber sur un léopard perché sur un arbre en levant les yeux. En juillet  2009, quelques mois après l’introduction des longhorns dans le secteur sud, Matthew Oates, spécialiste national de la nature auprès du National Trust et membre de notre comité consultatif, s’est

retrouvé plongé dans les profondeurs de l’un des bosquets de saules hybrides, qui faisaient à présent 2  à 3  mètres, entre les longues branches. Armé d’une loupe, une plume de geai coincée dans son bandana violet porte-bonheur, il nous a adressé un sourire ravi : il avait fait une découverte importante. On peut dire de Matthew qu’il est passionné de papillons, mais cette passion frise la démence. Après cinquante ans passés à pourchasser des lépidoptères, il s’est fait connaître par ses études sur le grand collier argenté, le damier de la succise et le moyen nacré, ainsi que sur la lucine, une espèce en voie de raréfaction. Mais il existe un papillon qui, pour lui, éclipse toutes ces petites merveilles ailées. Et en 2009, dans le secteur sud, au milieu des amaryllis, des tristans, des myrtils, des demi-deuils, des hespéries de la houque et des hespéries du dactyle, des argus bleus et des petites tortues, il l’avait trouvé. Plus particulièrement, il était tombé sur un site de reproduction. Le grand mars changeant, espèce rare et insaisissable, deuxième plus grand de nos papillons natifs et très certainement le plus spectaculaire (on l’appelle aussi “le chatoyant”), est généralement observé en petit nombre à l’extrémité nord-ouest du domaine, vers Marlpost Wood, DogBarking Wood et Madgeland Wood, des parcelles d’anciens bosquets coincées entre les faubourgs en expansion de Southwater, le grand village le plus proche. C’est là-bas qu’enfant, Matthew les avait aperçus pour la première fois, lorsqu’il s’échappait du pensionnat de Christ’s Hospital et faisait l’école buissonnière au début des années 1970. Cette rencontre a marqué le début d’une obsession durable, qui l’a mené dans d’autres “lieux sacrés” pour le grand mars changeant  : la forêt d’Alice Holt, à la frontière entre le Hampshire et le Surrey ; la New Forest dans le Hampshire ; Savernake Forest dans le Wiltshire ; Bookham Common près de Leatherhead dans le Surrey  ; Bernwood Forest, au nord-est

d’Oxford ; et dans la Mecque du grand mars changeant, Fermyn Woods, qui faisait autrefois partie de Rockingham Forest, non loin de Brigstock dans le Northamptonshire. Le magnétisme du chatoyant est tel que ces sites sont, de la fin juin à la mi-juillet, assaillis de centaines de passionnés, équipés de téléobjectifs et de toute une panoplie d’ingrédients incongrus destinés à attirer les insectes. Le grand mars changeant a des goûts décadents. C’est l’un des deux seuls papillons britanniques qui ne vont pas se poser sur les fleurs pour se nourrir de nectar. Il se comporte comme un papillon des tropiques, buvant le miellat des pucerons sur les feuilles des arbres ou descendant au sol pour absorber les jus nauséabonds de la chair en décomposition, des fruits pourris et des excréments. L’expérience du “déjeuner sur l’herbe du grand mars changeant”, conduite un été par Matthew sur un torchon de lin, au cœur de Fermyn Woods, a permis de démontrer que le papillon préférait le poisson d’eaux vaseuses mariné et la pâte de crevettes thaïlandaise aux bananes pourries, au fromage puant Stinking Bishop, au crottin de cheval frais, aux raisins écrasés, à un pain de savon humide et aux Pimm’s.  Mais le secret bien gardé de ces aficionados du chatoyant est le belacan, un condiment malaisien putride à base de krill fermenté, qu’on peut facilement étaler sur des poteaux, voire sur soi, si l’on est prêt à tout pour rencontrer de près ce spécimen. Et c’est donc avec un enthousiasme presque irrépressible que Matthew nous annonça ce jour-là qu’il avait aperçu un couple de grands mars changeants à Knepp où, de mémoire d’homme, on n’en avait jamais vu, et qu’il les avait vus voler à faible hauteur dans nos broussailles de jeunes saules. On pensait jusqu’alors que le grand mars changeant était une espèce vivant exclusivement en milieu forestier, et même que sa présence indiquait l’existence de forêts anciennes. Certes, il lui arrive de venir se nourrir dans une flaque d’eau stagnante ou sur une carcasse putride dans une clairière, et la femelle pond parfois ses

œufs sur des buissons de saules (dont se nourrissent ses chenilles), mais les forêts fermées anciennes étaient considérées comme son habitat de prédilection. Comme il était tard dans la saison et que le temps était humide, les grands mars changeants se sont dérobés à notre vue. Mais Matthew nous a montré les œufs, de petits dômes verts à base violette, posés sur la face supérieure de feuilles de saules plongées dans l’ombre. Comment diable avait-il bien pu les repérer, voilà qui reste pour moi un mystère. Matthew semble doué d’une sorte de sixième sens lorsqu’il s’agit de papillons, et il observe des feuillages marbrés depuis des décennies. La femelle, “Miss Chatoyante” selon Matthew, se montre diªcile lorsqu’il s’agit de choisir un site pour pondre. Elle choisit des feuilles vertes, d’une certaine épaisseur, veloutées au toucher et plutôt mates que brillantes –  des “feuilles à peau de pomme”, d’après l’écrivain et artiste naturaliste passionné de grands mars changeants Denys Watkins-Pitchford, qui écrit sous le nom de plume de “BB”. Matthew a procédé au test du pincement entre son pouce et son index. Ce sont, suppose-t-on, les feuilles les plus savoureuses pour les jeunes chenilles. On n’en trouve pas sur tous les saules. La taxonomie de cet arbre est quelque peu embrouillée  : le terme “saule” renvoie à deux espèces étroitement liées, le saule marsault (ou saule des chèvres) et le saule gris (ou cendré), qui souvent s’hybrident. Les types de feuilles que produisent ces saules hybrides sont multiples et aléatoires. La forme de feuille recherchée par la chatoyante pour y pondre des œufs ne se trouve que sur un tout petit nombre d’arbres. Fin juillet, les chenilles éclosent toutes vêtues de vert, la même teinte foncée que le feuillage. Pas bêtes, elles veillent à ce que leur propre feuille ne tombe pas trop tôt en l’attachant à la tige à l’aide d’un fil de soie. Début novembre, la chenille se baigne dans des gouttes de pluie, afin d’acquérir une teinte brune, puis elle hiberne dans les fourches formées par les brindilles de son

arbre hôte, sous la forme d’un petit renflement, en s’arrimant à l’écorce au moyen d’écheveaux de soie, ce qui lui permet de survivre aux intempéries hivernales. D’après Matthew, les bosquets de saules, toujours plus nombreux à Knepp et présentant une vaste gamme de feuilles, pouvaient bien intéresser le grand mars changeant. Le saule, comme la broussaille, n’est que rarement toléré sur les propriétés de nos jours. Au moment de la floraison, au début du printemps, ses chatons sont une source cruciale de nectar, mais nous avons tout oublié de son importance. Alors qu’il servait à fabriquer des barrières et à faire de la vannerie, le saule est aujourd’hui confiné au marché de niche des foires d’artisanat. Sur le plan commercial, il n’a plus de valeur, et à Knepp il n’en restait plus que quelques-uns éparpillés çà et là, abandonnés à leur dégénérescence dans les laggs, les haies et le long des chemins empruntés par les troupeaux. L’“invasion” de jeunes saules sur nos anciens sites de culture était d’ailleurs un autre motif de mécontentement chez les agriculteurs et les propriétaires fonciers du voisinage. Pour nos animaux, il s’agit pourtant d’une source importante de nourriture en été et au début du printemps, avant que surgissent les graminées. On peut se demander si le saule jouait un rôle similaire du temps des systèmes de pâturages boisés. Le saule a lui aussi besoin que des conditions particulières soient réunies pour germer. La semence n’est viable que quelques semaines au mois de mai. Tous les deux ou trois ans environ, un manteau de boules duveteuses apparaît sur l’arbre avant d’être emporté par le vent comme une tempête de neige. Mais les graines doivent trouver un sol humide et nu pour germer  : le saule est une espèce colonisatrice pionnière de l’argile. Dans la plus grande partie du secteur sud, il n’y a pas du tout de saules. Les zones où ils se sont établis devaient donc disposer d’un sol humide et nu pendant une fenêtre de temps cruciale, qui ne dure que deux semaines lors d’une année semencière donnée. En cessant

progressivement de cultiver nos champs et en les laissant exposés après la dernière récolte plutôt que de les couvrir d’herbes, nous avions par hasard créé les conditions parfaites, les aléas qui permettent aux graines du saule de prospérer. Après 2009, les étés ont été humides dans le West Sussex, ce qui n’est pas idéal pour les papillons, et Matthew est parti les pourchasser ailleurs. Charlie et moi, ne sachant pas où ni comment les trouver, n’en avons vu aucun. Ce n’est qu’à l’été 2013 que nous nous sommes aperçus qu’ils étaient bel et bien présents, et prêts à jaillir en force. Le 20 juillet, Matthew Oates est venu à Knepp avec Neil Hulme pour voir où étaient les grands mars changeants. Également membre de notre comité consultatif et conseiller en conservation auprès de la branche du Sussex de Butterfly Conservation, Neil revendique l’exploit contreintuitif d’avoir observé 66 des 59 espèces de lépidoptères qu’on trouve régulièrement au Royaume-Uni –  le surplus comprend des espèces vagabondes, rares et exotiques comme la vanesse du saule, le petit nacré, le morio et un hybride entre l’azuré bleu céleste et l’argus bleu nacré, licorne du lépidoptériste. Le grand mars changeant était déjà de sortie dans d’autres sites du pays, et les chi¤res de ce mois de juillet étaient bons. Neil et Matthew espéraient bien en voir une douzaine à Knepp, peut-être même une vingtaine. La réalité dépassa leurs attentes puisqu’en cinq heures, dans une petite zone et par un temps nuageux, ils en ont compté 84  : une véritable explosion. Pour leur plus grand plaisir, les papillons n’étaient pas seulement nombreux mais “carrément agressifs”. Observer les grands mars changeants avec Matthew et Neil n’est pas vraiment ce qu’on attend de ce type d’activité, un passe-temps délicat et quelque peu mollasson. Non  : c’est un sport tapageur, qui fait monter l’adrénaline du spectateur. Les papillons eux-mêmes semblent vouloir épater la galerie. Des mâles pugnaces foncent comme des fusées depuis

les couronnes des chênes, revendiquant leur territoire, voletant de-ci delà en battant vaillamment des ailes, tournoyant sur eux-mêmes, remontant en flèche à 3  mètres de haut. Ce sont les commandos spéciaux des papillons, musclés, intrépides et équipés d’armes chimiques. “Prenez la testostérone, explique Matthew, multipliez-la par πr2 et doublez le résultat. À côté, les jeunes garçons en pensionnat, c’est de la gnognotte. Ils ont passé dix mois sous la forme de chenilles en attendant ce moment. Ils sont devenus des pupes, ils sont matures et ils crèvent d’envie de forniquer. Ce sont les gros lourds de la boîte de nuit le samedi soir. Ce sont les marins arrivés au port au terme de neuf mois en mer.” Vu d’en bas, rasant la silhouette d’un arbre, plaqué contre le ciel, le grand mars changeant paraît noir –  comme un papillon de la forêt tropicale. Si on n’y prête pas attention, on pourrait le confondre avec un oiseau. La parade a lieu dans les airs. Les mâles attaquent tout ce qui les approche, défendant à la fois leur territoire et le droit de choisir les femelles. Un pinson des arbres imprudent se fait pourchasser. Les mésanges bleues lancent des cris d’alerte  : c’est un retournement de situation pour elles, étant donné que d’octobre à avril, lorsque les larves de grand mars hivernaient, elles étaient le principal prédateur de ce papillon. On a vu des grands mars changeants attaquer des brindilles et même des briques lancées en l’air. De temps en temps, deux voire trois mâles s’a¤rontent dans les airs – “ils se bousculent un peu”, dit Neil ; “ils se mettent sur la tronche”, reformule Matthew. Tout comme lors des duels des cervidés, l’animal le plus faible finit par être intimidé par son concurrent. Si les grands mars changeants privilégient souvent un arbre pour leurs parades, l’abattage d’un chêne maître n’entraîne pas nécessairement le déclin de la colonie, comme on le pensait jusqu’alors. À Knepp, les papillons ont le choix entre un grand nombre de chênes et

on les trouve autour des branches des vétérans vieux de quatre siècles qui ont émergé d’anciennes haies, à proximité des géants en bordure des bois ou le long des voies vertes (toujours à quelques mètres des bosquets de saules), délimitant des territoires qui figurent sur la carte du grand mars changeant tracée par Matthew sous les noms d’“Institut des délinquants récidivistes” et de “Violence aveugle”, non loin de l’“îlot des Bons Coups”. Ce n’est que lorsqu’un mâle fend les airs à la recherche de femelles dans les saules que sa livrée violette devient visible, en fonction de l’angle des rayons du soleil sur les écailles de ses ailes. Ou lorsqu’il s’installe sur un chêne, ailes ouvertes, au niveau d’une coulée de sève, suçant le sang sucré qui suinte après qu’une branche a été arrachée ou après que la foudre s’est abattue. La prédilection de ces lépidoptères pour la sève du chêne pourrait expliquer la violence des grands mars changeants du Sussex, plus impressionnante qu’ailleurs. Étant donné qu’il reste encore beaucoup de chênes vétérans dans le comté, ils se nourrissent principalement de sève. Ils sont en quelque sorte saouls : la sève leur montant à la tête, ils volent selon des trajectoires mal assurées et se prennent parfois des branches en pleine figure. Il arrive qu’un mâle descende au sol pour se nourrir d’excréments de renard ou récupérer des minéraux dans les gravats d’un chemin, mais à Knepp, ils ne le font que depuis 2016 (allez savoir pourquoi). La femelle, vêtue d’un habit brun et blanc plus modeste, n’a pas l’éclat violacé de son partenaire et, bien qu’elle soit capable de pourchasser elle aussi des oiseaux, après l’accouplement (une union de leurs extrémités postérieures qui dure, tenez-vous bien, trois heures et demie), elle se tapit dans la pénombre des saules, évitant les chênes maîtres et les attentions d’autres mâles en soif de coït, et pond ses œufs sur des feuilles soigneusement choisies.

Nous avons constaté une autre augmentation enthousiasmante de la population en 2014, mais c’est la journée du 11 juillet 2015 qui a été à marquer d’une pierre blanche  : Matthew et Neil en ont compté 126, puis, le 21 juin 2017, 148, un vrai record. Ce décompte a fait de Knepp la plus grande colonie reproductrice de grands mars changeants au Royaume-Uni, détrônant Fermyn Woods – “de zéro  à gogo”, selon les mots de Matthew, en moins de dix ans. Grâce aux observations de Neil et de Matthew, qui avaient repéré des papillons saccageant tout sur leur passage autour d’arbres poussant dans des espaces ouverts et de buissons de saules à Knepp, le grand mars changeant ne peut plus être décrit comme une espèce forestière. On retrouve ici la magie du réensauvagement. Comme on l’avait observé avec les pygargues à queue blanche nichant dans les saules sous le niveau de la mer dans l’Oostvaardersplassen, la conservation axée sur les processus telle que nous la pratiquons permet à la nature de mettre au jour les limites de nos connaissances et la plasticité des espèces. Nous supposons que nous savons ce qui est bien pour une espèce, mais nous oublions que notre paysage a tellement changé, qu’il s’est tant appauvri que nous observons des espèces non pas dans leur habitat privilégié, mais aux confins de leur aire de répartition. Les naturalistes estimaient que les grands mars changeants étaient des papillons des forêts uniquement parce que, à une époque où peu de régions disposaient encore de bosquets de saules, c’est dans les forêts qu’on en avait trouvé. À présent, grâce à la colonisation spontanée de Knepp par le grand mars changeant, nous en savons un peu plus sur les stratégies à adopter pour atténuer, si tel est notre souhait, le déclin de cet insecte rare. Nous en savons plus sur son cycle de vie, ses préférences et l’étroite niche de types de saules et de situations qu’il privilégie pour se reproduire, mais il nous reste encore

beaucoup à apprendre. Et nous pouvons imaginer avec délice que, par le passé, ces grands mars changeants, présents en grand nombre dans chaque comté où on trouvait des saules, enchantaient l’été anglais. Mais l’histoire du grand mars changeant à Knepp nous a réservé une autre surprise, qui pourrait bien être essentielle à son installation sur le long terme. 2014 a été une autre année d’abondance pour les semences de saule, et des blizzards de graines duveteuses se sont abattus en mai sur le domaine. Les zones où des graines ont pu germer et où de jeunes plants de saules commencent désormais à surgir étaient des petites parcelles de terre humide exposée par le fouissage des porcs. Les cochons (et sans doute, par le passé, les sangliers) donnent ainsi une chance à la succession des saules. L’expansion de l’empire du chatoyant à Knepp pourrait bien dépendre, du moins en partie, des trous obligeamment creusés par nos tamworths. Pour Charlie et moi, il était évident que, si nous avions cherché à créer un habitat parfait pour les grands mars changeants, nous n’aurions jamais abouti aux résultats obtenus spontanément grâce au réensauvagement. Ce phénomène est un exemple de ce que nous nous sommes mis à appeler les “propriétés émergentes” : une propriété qu’a un système complexe, mais que les composants individuels du système n’ont pas, tout comme les cellules du cœur incapables de pomper le sang à moins de créer un agrégat sophistiqué qui le peut –  un organe complexe. À Knepp, des composants jusque-là absents ou en veille étaient en train de s’assembler, ce qui débouchait sur des résultats extraordinaires et inespérés. De fait, 2 plus 2 égalent 5, voire plus ; et ce constat a donné lieu à une acceptation de notre rôle de maïeuticiens de ce système et à une forme d’humilité. Il pourrait bien y avoir d’autres facteurs qui interviennent dans l’installation réussie des grands mars changeants à Knepp, sur lesquels nous n’aurions pas encore mis le doigt et que nous n’identifierons peut-être jamais (un penchant pour certains

types de déjections animales, certains minéraux ou certaines sèves, des températures idéales, un taux d’humidité ou tout autre petit rouage dans la machine, ou une combinaison fortuite de plusieurs de ces éléments). Ce qui semble impératif, c’est de prendre garde à ne pas tomber dans le piège de supposer, comme l’ont souvent fait les spécialistes de la conservation par le passé, qu’une certaine combinaison de caractéristiques (quelques arbres hauts et de nombreux saules) est tout ce dont a besoin le grand mars changeant. Ce raisonnement reviendrait à dire qu’une seule cellule cardiaque est en mesure de pomper du sang, une hypothèse qu’on appelle le “sophisme de division”. Le grand mars changeant, dont le cycle de vie complexe de près d’un an comprend de nombreuses étapes pour lesquelles il faut que di¤érentes conditions soient réunies, bat des ailes au rythme d’un orchestre symphonique au grand complet qui le fait advenir.

Immortel rossignol, tu n’es pas un être pour la mort ! Les générations avides n’ont pas foulé ton souvenir ; La voix que j’entends dans la nuit fugace Fut entendue de tout temps par l’empereur et le rustre […]. JOHN KEATS, “Ode à un rossignol”, Les Odes, 18191.

Par une nuit immobile de la fin d’avril, alors que les silhouettes des chênes et les haies échevelées du secteur sud se détachent contre un ciel scintillant, l’e¤usion d’un rossignol philomèle o¤rant ses mélodies a quelque chose de troublant. Ce son évoque un lieu à la fois magique et distant, déconcertant. Les pensées palpitent. Dans les airs planent la nostalgie et les remords, peut-être même les doutes. Les formes qui autour de nous se dessinent, le sol lui-même, tout paraît instable, ébranlé par la sommation que cet oiseau de 20  grammes lance dans l’énormité de l’espace. Le chant d’un rossignol philomèle n’est pas de tout repos. Sa soudaineté chavire l’oreille – des phrases sont jetées, les unes après les autres  : des trilles ouvragés, riches et liquides tout d’abord, avant de devenir moqueurs, gutturaux et discordants  ; c’est maintenant une douce supplique composée de longues notes flûtées, lugubres ; puis une dégringolade de gloussements et des siºements aspirés ; soudain, plus rien  – un hiatus, un suspens taquin, avant que cascades et crescendos surgissent à nouveau. L’esprit s’e¤orce d’anticiper, mais il n’y a pas de logique, du moins humaine  ; ni motifs ni répétitions. Un rossignol dispose d’un répertoire d’environ 180  “ri¤s” ou phrases mélodiques, piochés dans le catalogue de l’espèce qui en compte 250. Il les séquence di¤éremment chaque fois qu’il chante. C’est l’étalage d’une maîtrise étonnante, déchirante dans son énergie et son volume – ces vibrations

tendues sortent de minuscules cordes vocales qui fonctionnent comme des tuyaux d’orgue, propulsant cette musique des tropiques dans la nuit de l’été anglais. Et les performances peuvent se transformer en véritables marathons. Si une aria classique dure une trentaine de minutes, on a déjà enregistré un rossignol philomèle chanter en continu pendant vingt-trois heures et trente minutes. Comme ses camarades africaines de migration, les tourterelles des bois, les rossignols philomèles se sont fait une place de choix dans la culture britannique, et nous les avons faits nôtres. On retrouve le rossignol chez Shakespeare, John Milton, Matthew Arnold, Samuel Taylor Coleridge, Alfred Tennyson, Percy Shelley, John Keats, John Clare, T. S. Eliot, nos plus grands poètes venant enrichir un répertoire entamé avec Ésope, Aristophane et Pline, les poètes perses et tous les ménestrels et troubadours dont l’imagination, au fil des siècles, a été par lui séduite, provoquée et habitée. Mais bien peu de Britanniques connaissent aujourd’hui le malaise exquis suscité par le chant du rossignol philomèle. À l’instar de la tourterelle des bois, c’est aujourd’hui presque un miracle d’en entendre un. Entre 1967 et 2007, nous avons perdu 91  % de nos rossignols. Autrement dit, sur les dix oiseaux que j’entendais chanter enfant, il n’en reste qu’un. Cet e¤ondrement n’aurait pas dû se produire. L’Angleterre, il est vrai, a toujours été à l’extrémité nord de l’aire du rossignol philomèle. La fertilité de cet oiseau des climats chauds se limite aux zones où, en juillet, il fait entre 17 et 30 °C – soit, d’ordinaire, jamais au nord du Yorkshire, et rarement au-delà de 180  mètres d’altitude. Mais du fait du changement climatique, les ornithologues s’étaient attendus à ce que cette répartition évolue. Ils avaient prévu qu’aujourd’hui, nous entendrions des rossignols philomèles aux frontières écossaises et au pays de Galles. C’est l’inverse qui s’est produit  : son territoire s’est

rétréci, se ratatinant jusqu’à se confiner au Sud-Est. Le Kent, le Sussex et le Su¤olk sont désormais les derniers bastions de sa communion avec l’Angleterre. Le souvenir de leur omniprésence passée donne à réfléchir. Il y a un ou deux siècles à peine, les rossignols philomèles jouaient la sérénade aux Londoniens. Les terres sur lesquelles se trouve aujourd’hui le palais royal étaient, lorsque le duc de Buckingham s’en porta acquéreur en 1703, “un pan de nature sauvage peuplé de merles et de rossignols”. L’oiseau qu’entendit Keats dans un accès de fièvre à l’été 1819 chantait près de sa maison, dans le parc de Hampstead Heath. Tandis que les bruyères et les communs autour de Londres se contractaient ou faisaient l’objet d’un vigoureux nettoyage, les Victoriens, aspirant à entendre son chant comme l’empereur du conte de Hans Christian Andersen, partaient en pèlerinage à la campagne et en ramenaient parfois en cage pour leurs boudoirs et leurs salons. Dans les années  1830, un gardechasse du Middlesex pouvait attraper 180  rossignols dans la saison, et on le payait 18  shillings la douzaine à Londres –  activité complémentaire des plus lucratives. Comme l’écrivait en 1886 Richard Je¤eries, un naturaliste du Surrey, “une paire de voyous débarquaient de la ville et faisaient taire tout un bosquet”. Le rossignol philomèle supportait mal la captivité et la majorité d’entre eux se tuaient en se jetant contre les barres de leurs prisons. “La mortalité était terrible, décrit Je¤eries. 70 % de ces petites créatures qui, la semaine précédente, chantaient à gorge déployée dans les plaines du Surrey se retrouvaient dans les caniveaux du carrefour de Seven Dials ou du quartier de Whitechapel.” Heureusement, la demande d’oiseaux en cage dégringola au e XX   siècle et il restait encore des rossignols chantants dans les campagnes durant la Seconde Guerre mondiale. La voix d’un rossignol philomèle peut atteindre 95  décibels, bien au-delà des niveaux à partir

desquels les ouvriers de l’industrie sont tenus de porter des protections auditives. Sur le plan purement technique, on peut classer son chant dans les pollutions sonores. Une nuit de mai 1942, un ingénieur du son de la BBC fit accidentellement ce qui devint par la suite un enregistrement célèbre  : dans un jardin du Surrey, un rossignol fait entendre un chant d’amour languissant tandis qu’arrive le vrombissement des machines de guerre – des bombardiers Wellington et Lancaster en route pour aller bombarder Cologne. La di¤usion en direct fut abruptement interrompue lorsque la BBC s’aperçut qu’elle était sans doute en train d’informer les Allemands du raid imminent. Au moment où éclata la Seconde Guerre mondiale, la possibilité d’entendre un rossignol philomèle dans la capitale n’était rien de plus qu’une douce illusion, en dépit de ce qu’allèguent les romances de l’époque. Il y a quelque chose, dans le chant d’un rossignol, qui semble tendre vers le sublime, comme s’il s’apprêtait à alléger le monde des sou¤rances infligées par la réalité. That certain night, the night we met, There was magic abroad in the air. There were angels dining at the Ritz And a nightingale sang in Berkeley Square.   “Ce soir-là, celui de notre rencontre, Il y avait de la magie dans l’air. Des anges dînaient au Ritz Et un rossignol chantait à Berkeley Square.” Ces paroles de la chanson “A Nightingale Sang in Berkeley Square”, qui date de 1939 et qui fut chantée par Vera Lynn, Glenn Miller, Frank Sinatra, Nat King Cole et toute une série d’autres artistes au fil du temps (notamment, ce qui a de quoi surprendre, Rod Stewart et Manhattan

Transfer), se sont dissociées de la réalité, comme si ce vœu pieux pouvait faire d’un songe un fait  : oui, les rossignols chantaient leurs sérénades aux amoureux de Londres pendant le Blitz. Pourtant, Berkeley Square n’est pas et n’a jamais été (ou du moins pas depuis le XVIIe siècle) un habitat du rossignol philomèle. Le British Trust for Ornithology le décrit comme une espèce forestière – un grand timide vivant reclus dans les halliers au cœur du dense sous-étage des bois. Son déclin est lié, là encore, à celui des taillis. La prolifération des rossignols philomèles à Knepp, sur les terres ouvertes, auparavant cultivées, a donc été un coup de tonnerre pour les ornithologues, à l’instar de l’apparition du grand mars changeant chez nous pour les lépidoptéristes. Knepp n’est que le deuxième lieu en Angleterre (après Lodge Hill à Medway, dans le Kent, propriété du département de la Défense, où la construction de 5 000 habitations a, pour le moment, été suspendue) où l’on constate une augmentation du nombre de rossignols philomèles. Leur colonisation rapide de Knepp a remis en question ce que nous pensions connaître de cet oiseau et, comme avec le grand mars changeant, a abouti à des interrogations plus générales sur les dysfonctionnements des projets de conservation. En 1999, une enquête nationale sur le rossignol philomèle, menée par le British Trust for Ornithology, avait repéré à Knepp neuf territoires. Pourtant, d’après nos souvenirs, Charlie et moi ne les avions entendus qu’une fois dans les années 1990. Sur le mur du barrage du lac, à minuit, nous avions écouté trois rossignols chanter de concert, deux depuis la héronnière d’un côté et un depuis le repaire des freux. Peut-être avaient-ils été chassés par le prélèvement de bois réalisé cette année-là dans les taillis d’Arundel, l’une des quelques grandes zones de taillis qu’il reste dans le comté. Notre sentiment de délice alors que se faisait entendre ce chant pur et pénétrant, amplifié par la surface de l’eau sous une pleine lune de mai, se mêlait de tristesse, car nous étions

conscients que ces petits oiseaux avaient traversé deux continents à tired’aile pour trouver leur habitat en ruine. Les terres cultivées de Knepp ne faisaient pas le poids à l’époque. Nous étions descendus sur les rives la nuit suivante en espérant les entendre de nouveau, mais ils étaient repartis. En 2001, première année du projet, les rossignols philomèles semblaient avoir entièrement disparu du domaine, comme partout ailleurs dans le pays : entre 1995 et 2008, nous avions perdu 53 % de leur population. Les causes les plus probables de cette crise étaient les mêmes que d’habitude  : moins de ressources alimentaires disponibles du fait de l’épandage généralisé de pesticides et de l’administration de vermifuges au bétail, développement immobilier sur les aires de nidification habituelles, disparition des taillis, évolution des territoires d’hivernage en Afrique, et trajectoire migratoire modifiée par le changement climatique. Nous avons donc été très surpris lorsque, sept ou huit ans plus tard, les rossignols philomèles se sont fait de nouveau entendre à Knepp – et en grand nombre cette fois. Dans le secteur sud, nous entendions trois, quatre, parfois cinq rossignols se faire concurrence. Pour célébrer leur arrivée à la fin du mois d’avril, nous avons organisé des “dîners aux rossignols” avec des groupes d’amis que nous emmenions dehors pour écouter leurs chants. Pour la plupart de nos invités, c’était une première. Contrairement à la convention poétique, seul le mâle chante. Il fait des vocalises nuit et jour pour séduire les femelles, mais c’est la nuit que l’oreille humaine perçoit ses arias, dépêtrées du ra¤ut des chœurs d’oiseaux diurnes, jaillir avec clarté et conviction. Les spécialistes ont commencé à s’intéresser à la question et en 2012, année où le British Trust for Ornithology a conduit une autre enquête nationale, le département de biologie d’Imperial College London était suªsamment intrigué pour envoyer sur le terrain l’une de ses

étudiantes de master, Olivia Hicks, sous les auspices de son tuteur, Alex Lord. Olivia est restée à Knepp deux semaines en mai, vivant à l’heure du rossignol, montant se coucher alors que nous nous levions pour prendre le petit-déjeuner. Sa mission consistait à repérer des territoires de rossignol philomèle et le type d’habitat qu’ils avaient choisi à Knepp, puis à déterminer si les mâles avaient trouvé une partenaire, ce qui donnerait une indication du taux de reproduction. À cette fin, elle est revenue passer quelques nuits d’insomnie la dernière semaine de mai et la première de juin. Les rossignols philomèles sont réputés pour leur habileté à se cacher. Petit oiseau brun (little brown job ou “LBJ”, comme disent les ornithos), il se fond aisément dans le décor. Les nids sont encore plus diªciles à trouver. Mais leur chant trahit évidemment leur présence, et comme ils sont profondément territoriaux et qu’ils ne quittent que rarement leur site de nidification, ils sont relativement faciles à dénombrer. Le rossignol philomèle mâle arrive en Angleterre en mission de reconnaissance dans la première quinzaine d’avril, après avoir quitté son territoire d’hivernage de la zone équatoriale du Sénégal, de GuinéeBissau et de Gambie, pour prendre possession d’un site où il pourra faire son nid. Tous les rossignols philomèles ne quittent pas l’Afrique pour se reproduire, mais des millions se lancent dans l’odyssée de la migration, parcourant 5  000  kilomètres pour élever leurs petits en Europe, où les prédateurs sont beaucoup plus rares (en Afrique, même certains insectes mangent les oisillons) et où la concurrence intraspécifique pour trouver un territoire et de la nourriture est moins intense. La femelle suit avec une semaine de décalage environ, volant de nuit pour échapper aux prédateurs ailés. Dans la vaste nuit d’un noir d’encre, elle entend les notes des mâles qui chantent en contrebas. Elle descend en rejoindre un, attirée, selon de récentes études, par la virtuosité de sa performance –  volume et complexité sont autant de

signes de force physique et de maturité : signes d’un bon futur père. À la lumière du jour, elle inspectera son choix de site de reproduction. S’il ne lui convient pas, elle partira à la recherche d’un partenaire plus sagace. La construction du nid est une tâche qui lui est entièrement dévolue. Le mâle, pendant ce temps, continue de chanter. Après l’accouplement, cependant, le chant devient territorial et ne se fait entendre qu’en journée. Il n’a plus la profondeur et l’urgence de ses précédentes sérénades. Dès que les oisillons sortent de leur coquille (environ treize jours après la ponte), le père contribue lui aussi à les nourrir et cesse presque complètement de chanter. C’est un moment essentiel pour déterminer le taux de reproduction. En juin, les seuls rossignols chanteurs sont les célibataires – les cœurs à prendre, ceux qui n’ont pas réussi à fonder un foyer mais qui espèrent encore vainement attirer une retardataire. Les conclusions d’Olivia ont été étonnantes. Elle a trouvé 34 territoires de rossignol philomèle à Knepp. Alors qu’il n’y avait aucun rossignol au début de l’expérience, on y trouvait neuf ans plus tard entre  0,5 et 0,9  % de la population du Royaume-Uni. Sur ces 34 territoires, 27 étaient occupés par des couples, soit 79 % de réussite, un taux largement supérieur à la moyenne européenne qui se situe à  50  %. Deux de nos voisins ont permis à Olivia d’enquêter sur leur terrain (une zone de 1 040 hectares en agriculture intensive) pour avoir un point de comparaison. Là, elle a trouvé 9  territoires (soit bien plus que lors de l’enquête du British Trust for Ornithology de 1999) mais seuls 2  d’entre eux (18  %) hébergeaient un couple. Ses résultats ont montré non seulement que Knepp était devenu un site de reproduction important pour les rossignols philomèles, mais que des mâles, peut-être plus jeunes ou arrivés tardivement, s’installaient non loin de là une fois les meilleurs territoires de Knepp occupés.

Au cœur des jupons bou¤ants d’une haie débraillée, un nid de rossignol philomèle –  un entrelacs de brindilles et de mousses, agrémenté de quelques plumes et de feuilles de chêne séchées, à 30  centimètres à peine du sol  – nous indique ce qu’ils viennent chercher à Knepp. La majorité des oiseaux (86  %) avaient choisi de nicher dans des haies envahies par les mauvaises herbes, s’enfonçant de 7  à 15  mètres dans les profondeurs des fourrés composés à 60  % de prunelliers couverts d’épines jusqu’au sol (ce qui bloque l’accès aux cervidés ou aux lapins), flanqués de ronces, d’orties et de hautes herbes. La structure caverneuse, en forme de cathédrale, de l’intérieur des halliers o¤re un havre de paix aux parents et à leurs petits, qui peuvent picorer des insectes dans la litière feuillue. Ainsi donc, le rossignol philomèle n’est pas un oiseau des bois, nous apprend Knepp, puisque les arbres ne semblent pas du tout les intéresser. Mais quel est le sens de tout ceci  ? Le comportement des rossignols est-il en train d’évoluer ? Notre domaine serait-il plus proche de leur habitat idéal véritable ? Ou n’est-ce qu’une forme améliorée des pacages classiques ? Cette information est-elle vraiment nouvelle dans le milieu scientifique  ? Sur les rayonnages de la bibliothèque de Knepp, dans les pages illustrées géantes de l’ouvrage The Birds of Great Britain, écrit par mon vieil ami et sujet de mon tout premier livre, l’ornithologue victorien John Gould, le nid du rossignol philomèle est décrit très simplement comme “généralement placé sur une rive, et parfois dans un arbuste ou un buisson”. Dans nos volumes écornés de Birds of Sussex, publiés en 1938, soit près d’un siècle plus tard, l’ornithologue John Walpole-Bond, fils d’un pasteur de Horsham, indique qu’on trouve leurs “repaires de reproduction privilégiés […] dans les forêts, particulièrement les lisières ; les boqueteaux ; les halliers ; les taillis ; les terres communales et les friches en général, y compris les sols de graviers […] ; et dans certaines sortes de haies, notamment les doubles

haies”. Leurs nids, précise-t-il, sont “d’ordinaire dans les prunelliers, les ronces, les tas de débris, et même dans des murs couverts de lierre”. Autrement dit, les rossignols étaient partout. Pourtant, ces observations soigneusement consignées par des naturalistes de terrain pointilleux il y a à peine un siècle ne sont que rarement consultées par les scientifiques d’aujourd’hui. Dans les articles universitaires, on met l’accent sur les études contemporaines. Un autre exemple du syndrome de décalage du référentiel. Le rossignol philomèle, tout comme le grand mars changeant, a été étiqueté comme espèce forestière aujourd’hui parce que c’est dans les forêts que nous l’apercevons. Nous l’y étudions, nous déduisons toutes nos informations de son comportement dans ce milieu-là. Le taillis est devenu, à nos yeux, le territoire parfait pour un rossignol parce qu’à défaut de fourrés épineux dans un espace ouvert, de rives densément végétalisées et de doubles haies garnies d’insectes, c’est tout ce que nous avons à lui o¤rir. Mais où les rossignols nichaient-ils avant que l’être humain ne crée ces taillis  ? La question a-t-elle même été posée  ? Nos référentiels sont ancrés dans un paysage marqué par l’activité humaine. Nous parlons d’oiseaux “des bois”, “des marais”, “des landes”, “de bruyère” et même “des champs”. Mais leur véritable cadre de vie, avant que nous ne nous mettions à morceler le paysage et à assigner des catégories biogéographiques et des habitats aux espèces, est sans doute bien plus complexe et polymorphe, puisqu’ils habitent les marges et les lisières en perpétuelle évolution, où les habitats se rencontrent et se confondent. Au Royaume-Uni, les hypothèses que nous formulons sont aussi influencées par notre insularité. Sur le continent européen, là où les rossignols philomèles sont encore nombreux, il est évident qu’ils privilégient les types d’habitats décrits par Gould et Walpole-Bond. Je les ai entendus chanter dans la broussaille des salins camarguais  ; j’ai même vu des spécimens audacieux dans les arbustes le long de vergers

bulgares. Un article scientifique allemand de 1973 les décrit catégoriquement comme des oiseaux qui dédaignent les forêts fermées. Pourtant, allez savoir pourquoi, en Grande-Bretagne nous considérons nos îles comme une exception à la règle, comme si les préférences des espèces changeaient au milieu de la Manche. Si nous avions eu l’intention d’attirer des rossignols à Knepp, nous aurions certainement été encouragés par les spécialistes britanniques à créer des taillis, et aurions probablement été déçus du résultat. L’année suivante, une autre étudiante d’Imperial College London, Izzy Donovan, a poursuivi les travaux d’Olivia sur les rossignols philomèles à Knepp. Elle a ajouté à l’étude 6 espèces d’oiseaux dont la situation est préoccupante à l’échelle européenne : 2 d’entre elles (le picvert et la fauvette grisette) sur Liste orange, et les 4  autres (le coucou gris, la linotte mélodieuse, la grive musicienne et le bruant jaune) sur Liste rouge. Calculant la densité de chaque espèce sur 10 hectares, elle a comparé les chi¤res obtenus à Knepp avec ceux figurant dans l’Atlas of European Breeding Birds, ainsi qu’avec les densités observées chez un exploitant voisin en agriculture intensive. Les résultats, là encore, étaient époustouflants. Knepp obtenait d’aussi bons résultats, si ce n’est meilleurs, que ce qu’on considère comme étant de “bons habitats” ailleurs en Europe : Densité dans de bons habitats

Estimations de la densité à Knepp

Estimations (témoins) dans une exploitation voisine

5,5-9,2

8

1,3-2,2

Bruant jaune

4,7

4,5-7,5

3,6-6,1

Grive musicienne

15

3,5-5,8

0

Pic-vert

0,3

3,8-6,38

1-1,6

Fauvette grisette

10

8,5-14,2

2,6-4,4

Espèce Linotte mélodieuse

b

Coucou gris Rossignol philomèle

0,3

3,5

0 observé

2

7-11

1,3-2,2

La seule anomalie, qui reste inexpliquée, est la grive musicienne. Aujourd’hui, on en trouve beaucoup plus, selon notre enquête de 2016. Les découvertes ainsi réalisées sur l’habitat du rossignol philomèle nous ont tant enthousiasmés que, le 1er mai 2014, nous avons organisé un “atelier rossignol” à Knepp. Y ont assisté plusieurs des gros bonnets de Natural England, ainsi que des représentants du National Trust, des Wildlife Trusts, de la Country Landowners’ Association, de la National Farmers’ Union, du British Trust for Ornithology, de la Royal Society for the Protection of Birds et un certain nombre de voisins intéressés par le sujet. Nous espérions que Natural England –  dont la réponse avait jusque-là été très positive  – tiendrait compte de ces nouvelles informations dans son dispositif de financement, de sorte à encourager les agriculteurs et les propriétaires fonciers situés dans les zones où des populations de rossignols philomèles survivaient tant bien que mal à laisser les haies déborder sur 7  mètres ou plus, fournissant ainsi des habitats supplémentaires. À nos yeux, il s’agissait là d’une étape relativement simple, qui pouvait mettre un terme au déclin de l’un de nos plus jolis oiseaux et être bénéfique à toute une série d’espèces “parapluies”, dont l’étendue du territoire est suªsamment vaste pour que les protections dont elles jouissent bénéficient également à d’autres espèces. Mais la réalité, dans le milieu de la conservation, n’est jamais aussi simple. Peu après la réunion, l’un des propriétaires, qui avait plusieurs rossignols philomèles sur son terrain dans le Su¤olk (l’un des sites les plus au nord où on peut encore en trouver), a demandé une subvention pour “embroussailler” ses haies. Le bureau local de Natural England la lui a refusée, alléguant que l’absence de rossignols philomèles dans un

rayon de 8  kilomètres rendrait ce financement inutile. Malgré des premiers signes encourageants, l’initiative visant à créer des haies au profit du rossignol n’a pas rencontré le succès escompté chez Natural England. L’enthousiasme éprouvé par nos interlocuteurs à l’égard de ce projet a fini par retomber. Malheureusement, sans ces incitations financières et quelques lignes directrices, la plupart des propriétaires fonciers, même ceux qui souhaiteraient en faire davantage en faveur de la protection des espèces, n’ont que rarement le temps, la motivation ou les ressources à consacrer à des mesures de conservation, même lorsqu’elles sont aussi simples et gratifiantes que celle-ci.

Moi, tourterelle vieillie, je vais me reposer sur quelque rameau flétri, et là pleurer mon compagnon, que jamais je ne retrouverai qu’en mourant moi-même. WILLIAM SHAKESPEARE, Le Conte d’hiver, vers 16091.

Un

événement plus enthousiasmant encore que l’arrivée des

rossignols philomèles a été celle d’une espèce au bord de l’extinction : la tourterelle des bois. D’après les estimations, il reste moins de 5 000 couples dans toute la Grande-Bretagne, dont 200 dans le Sussex. Knepp est sans doute le seul site du pays dans lequel leur nombre a augmenté récemment. Alors qu’il n’y en avait aucun du temps où nous pratiquions l’agriculture intensive, nous avons compté en 2017 seize mâles chanteurs. Il est toutefois bien plus malaisé de déterminer le nombre de tourterelles des bois que celui de rossignols. Les mâles s’approprient de vastes territoires, et on ne les trouve donc que rarement au même endroit. Leur roucoulement suave est souvent trop grave pour l’ouïe des personnes d’un certain âge, et il est donc plus diªcile pour les naturalistes relativement âgés de les repérer. Les tourterelles des bois émettent en e¤et un son qui se situe à l’extrémité du spectre des sérénades cacophoniques du rossignol philomèle, ce qui, dans le monde des oiseaux, se rapproche le plus d’une berceuse. “Les roucoulements de la tourterelle, écrit l’ornithologue victorien John Gould, consolent l’esprit en faisant naître des pensées apaisantes et agréables qu’on ne peut décrire aisément.” Pour Reginald Bosworth-Smith, professeur de lettres classiques à la prestigieuse Harrow School et auteur de Bird Life & Bird Law (1905), la “roucoulade sourde” de la tourterelle des bois est “l’un des sons les plus apaisants du monde naturel”. Elle met du baume au cœur.

À l’époque de Gould, il était courant de voir des tourterelles des bois. Elles arrivaient l’été par paires et migraient à l’automne avec “plusieurs nichées, formant des nuées de grande ampleur”. Walpole-Bond indiquait encore dans les années 1930 qu’elles arrivaient dans le Weald du Sussex “en petits groupes et en nuées qui peuvent compter plusieurs centaines d’oiseaux”, venant s’alimenter de vesces dans les champs de céréales tout au long de la saison de la reproduction, et il précisait que les jeunes partaient “à tire-d’ailes” vers l’Afrique en juillet, suivis en septembre de la seconde couvée. Il observa la cour des mâles, leur “vol de parade” qui consiste à battre des ailes derrière le dos, s’élevant et descendant sur un axe, avec un temps de suspension, ou simplement planant d’un arbre à un autre en contrebas. Les nids étaient si nombreux qu’ils n’étaient pas tous dissimulés dans le couvert impénétrable, et il n’était “absolument pas rare” pour Walpole-Bond de pouvoir approcher sans la déranger une tourterelle en train de couver ses œufs dans un espace plus ouvert  : “Dans certains lieux particulièrement privilégiés, j’ai fréquemment trouvé 6  à 10  nids parfaitement accessibles, tandis qu’un ami vivant à Millais, près de Horsham, en a découvert  17 –  et ce, en l’espace d’une heure seulement !” La cape d’invisibilité qu’enfile aujourd’hui la tourterelle des bois est sans nul doute une conséquence de son déclin radical au cours des dernières décennies. Privée de la sécurité du nombre, elle s’est plus que jamais isolée. Entre 2005 et 2010, soit en cinq ans seulement, nous avons perdu 60  % des tourterelles au Royaume-Uni, et la chute libre n’est pas près de s’arrêter. Les organisations de protection des oiseaux comme la Royal Society for the Protection of Birds (RSPB) font tout pour comprendre les raisons de la dégringolade, dans l’espoir de trouver un moyen d’inverser la tendance.

Les chasseurs qui les abattent le long de leur itinéraire de migration sont en partie responsables. On a estimé en 2007 que jusqu’à 3 millions de tourterelles sont ainsi tuées en Europe tous les ans. Même si l’UE a interdit l’abattage au printemps, la culture de la chasse à la tourterelle des bois est profondément ancrée dans certains pays méditerranéens, où on massacre ces oiseaux sur leurs itinéraires aller et retour. Une année, en septembre, un ami en Grèce nous a servi un repas spécial à base de tourterelles, qu’il avait lui-même tirées, et a été consterné par notre manque d’enthousiasme face à son plat. Même si les petits oiseaux rôtis au thym qui trônaient dans notre assiette étaient certainement arrivés d’Europe centrale en direction du sud, il nous était impossible de ne pas penser en les voyant à nos tourterelles qui, quelques semaines plus tôt, roucoulaient à Knepp. Les terribles sécheresses du Sahel sont un autre facteur susceptible d’expliquer leur déclin. Les tourterelles des bois, qui résistent remarquablement bien à la chaleur, ont été aperçues en Afrique, directement exposées au soleil, à des températures avoisinant les 45 °C. Mais elles ne peuvent pas survivre bien longtemps sans eau. La disparition des arbres autour des oasis ainsi que des bosquets dans les paysages agricoles les prive peut-être aussi d’aires de repos durant la migration. La concurrence avec les tourterelles turques –  une espèce qui, elle, est en plein essor – a également été citée. Autre explication : le parasite protozoaire Trichomonas gallinae, parasite des oiseaux cosmopolite, un agent pathogène ancien qui aurait a¤ecté les dinosaures, semble s’attaquer tout particulièrement aux tourterelles. Depuis 2011, sur les 106  tourterelles testées dans la région d’East Anglia, 96  % étaient positives à la présence du parasite, dont 8 présentant des symptômes mortels.

D’après les tendances observées depuis 1980, les populations de tourterelles des bois ont diminué, parfois drastiquement, dans pratiquement toute l’Europe. Mais ce n’est rien par rapport à leur disparition rapide et presque totale du Royaume-Uni. Dans ce pays, les spécialistes de la protection des oiseaux sont en proie au désarroi. Comment expliquer ce phénomène ? Est-ce un problème particulier lié à notre habitat, le manque de nourriture, la hausse de la concurrence ou des parasites, ou une combinaison de plusieurs de ces facteurs, si ce n’est tous ? On tombe sur pléthore de données contradictoires. D’après des suivis télémétriques récents réalisés par la RSPB, dans l’East Anglia les tourterelles des bois parcourent de grandes distances (jusqu’à 10  kilomètres) à la recherche de nourriture, ce qui a mené les observateurs à supposer que leur aire d’alimentation est naturellement étendue. Un autre rapport de la même organisation, publié en 2017, indique toutefois que, afin qu’elles puissent élever leurs oisillons correctement, la source de nourriture doit se trouver dans un rayon de 127 mètres autour du nid : “Dans notre zone d’étude se trouvaient des habitats riches en semences, notamment des pâtures semi-naturelles, des carrières, des friches et des pâturages où se trouvent peu de brouteurs –  notamment des chevaux, parfois des alpagas  – qui permettent aux fleurs et aux graminées sauvages de fleurir et de monter en graine. Malgré tout, les oiseaux privilégiaient la recherche de nourriture dans un périmètre rapproché de leur nid et passaient environ la moitié du temps dans un rayon de 20 mètres.” Il semble y avoir des avis divergents sur leur alimentation, peut-être parce qu’en Grande-Bretagne, de nos jours, il est plus rare que jamais de voir des tourterelles des bois en train de se nourrir. La RSPB les décrit comme des “granivores exclusifs”, soit des oiseaux qui ne consomment que des graines. Cependant, la plupart des végétaux à graines qui constituent, pense-t-on, leur principale source de nourriture dans la

nature (si tant est qu’elles arrivent à en trouver), en particulier la fumeterre oªcinale, la renouée des oiseaux et la fétuque rouge, ne commencent à mûrir au Royaume-Uni qu’en juillet  : les tourterelles auraient donc du mal à se nourrir à leur arrivée en mai. Après une longue migration, elles doivent rapidement accumuler des calories si elles veulent être en état d’assurer la reproduction. Lorsqu’elles sont en forme, les tourterelles des bois peuvent élever deux ou trois nichées en une saison. Au Royaume-Uni, aujourd’hui, on s’estime chanceux si elles en ont une. Qu’est-ce qui a donc changé depuis les années 1960, lorsqu’on estimait à  125  000 le nombre de couples reproducteurs dans le pays, capables d’avoir deux ou trois nichées par saison ? Le recours généralisé aux herbicides chimiques un peu partout sur le territoire depuis les années 1970 (pas seulement sur les terres agricoles, mais sur chaque parcelle gérée par l’être humain) a certainement joué un rôle considérable dans la disponibilité des semences d’adventices issues des terres arables. L’évolution des pratiques agricoles a aussi sûrement changé la donne. Tandis que ces semences diminuaient, les tourterelles se sont mises à consommer des céréales, venant se nourrir notamment des restes qui parsèment les environs des silos et des cours de ferme, où elles peuvent trouver des grains épars, écrasés par des roues ou des bottes. Les progrès techniques (moissonneuses-batteuses plus grandes, déchets moins abondants, cours de ferme plus propres) les privent de ces opportunités. Le déclin de cet oiseau “des champs” est donc communément attribué à l’industrialisation de l’agriculture et en particulier à la disparition des pratiques agricoles traditionnelles, plus respectueuses de la nature. Mais, là encore, la réalité n’est pas si simple. Nous nous plaçons une nouvelle fois dans la posture de dieux. La plupart des ornithologues prennent comme référentiel les souvenirs qui peuvent être racontés, soit

la situation qui prévalait dans les années 1960. Beaucoup estiment que cette époque, apogée de l’agriculture avant l’épandage généralisé d’herbicides chimiques et la bien mal nommée révolution verte, était l’âge d’or de la tourterelle des bois. D’autres remontent aux années  1930, soit le début de la lente agonie de l’agriculture traditionnelle. Personne ne semble vouloir remonter plus loin pour réfléchir à ce que les tourterelles des bois pouvaient bien manger avant de se retrouver dans ce paysage cultivé. Des graines de “mauvaises herbes” devaient bien exister avant la culture des champs, et ce sont elles qui auraient incité ces migrantes à venir sur nos rivages en premier lieu, il y a peut-être des milliers d’années. Autre angle mort de la recherche  : de quoi se nourrissent-elles aujourd’hui, lorsqu’elles se trouvent dans une nature plus sauvage ? D’aucuns prétendent que la tourterelle des bois a évolué parallèlement à l’agriculture ; qu’en tant qu’espèce, elle a pu étendre sa migration à la Grande-Bretagne uniquement parce que des grandes cultures y étaient disponibles et que le labour fournissait aux mauvaises herbes davantage de possibilités de croître. Autrement dit, peut-être que, par le passé, les tourterelles n’ont jamais été très nombreuses. Mais là encore, cette hypothèse revient à envisager la tourterelle dans un contexte isolé. C’est oublier que cet oiseau est un voyageur intrépide et cosmopolite. Il habite six mois de l’année en Afrique subsaharienne sur un territoire naturel – en tout cas plus naturel. Une fois par an, il passe d’une alimentation naturelle aux sources de nourriture disponibles dans l’Europe agraire, puis il retrouve son régime africain. Lorsqu’on observe à la jumelle la tourterelle des bois dans les savanes et les halliers du Sahel, on ne se dit certainement pas qu’il s’agit d’un “oiseau des champs”.

On pourrait aussi penser qu’en Europe, les tourterelles se rabattent sur les céréales en désespoir de cause, parce qu’il ne reste plus de graines de “mauvaises herbes”, éliminées par les pesticides. Les longs trajets e¤ectués par les oiseaux en quête de nourriture, suivis par télémétrie dans l’East Anglia, ne sont peut-être pas représentatifs de leur comportement habituel mais révèlent simplement la pénurie d’aliments dans les paysages agricoles du comté. Les céréales seraient un dernier recours, car une tourterelle des bois a un métabolisme bien plus délicat que celui d’un pigeon. Posez la question de l’alimentation à la plupart des aficionados des tourterelles  : ils vous parleront des dangers d’une alimentation à base de blé et de maïs. Les céréales entières sont indigestes et les bords tranchants des grains craquelés peuvent entraîner des déchirures dans la gorge et le jabot, et provoquer des ulcères. Les grains risquent aussi d’absorber l’humidité des intestins et de favoriser l’apparition de champignons. Étant donné que les tourterelles ont du mal à métaboliser les gros grains de blé, d’orge et de colza, la population en liberté se remplit peut-être la panse, sans toutefois améliorer son état physique –  un autre facteur qui pourrait bien contribuer au nombre toujours plus réduit de couvées, et expliquer pourquoi les tourterelles sont si nombreuses à être a¤ectées par des maladies, par exemple celle transmise par Trichomonas gallinae. Nul besoin d’aller très loin pour trouver un profil plus complexe de cet oiseau. Un simple coup d’œil à la bibliothèque, sans remonter plus loin que l’époque victorienne, nous amène à découvrir la description d’une alimentation bien plus variée que ce qu’imaginent aujourd’hui les spécialistes britanniques. Ainsi, selon Gould, la tourterelle se nourrit principalement “des graines de vesces et de plantes sauvages, de jeunes pousses tendres et de petits escargots”. L’organisation Birdlife International, après avoir observé les tourterelles d’Europe et d’Asie à

notre époque contemporaine, leur attribue également des goûts diversifiés – “graines et fruits des mauvaises herbes et céréales, mais aussi baies, champignons et invertébrés”. Leur habitat, tout comme leur alimentation, est plus étendu chez Gould. La tourterelle des bois habitait à son époque “les forêts, les sapinières et les haies denses et hautes entre les terrains cultivés” et son aire de répartition était en expansion (sans doute du fait d’une hausse des températures), puisqu’elle s’aventurait jusqu’aux frontières écossaises. Un siècle plus tard, dans les années 1930, Walpole-Bond les voyait nicher “dans de hautes haies vives en désordre ou dans ces roncières qu’on trouve si souvent dans les bois” du West Sussex, ainsi que dans des conifères, des aulnes, des bouleaux, des chênes verts et des noisetiers, parfois dans des poiriers et des pommiers de verger, à deux reprises dans des ajoncs. David Armitage Bannerman, auteur de Birds of the British Isles (1953-1963), part dans des envolées lyriques lorsqu’il parle de sa première rencontre avec un groupe de tourterelles des bois “dans une basse terre en friche, lande sablonneuse mouchetée de broussailles et de buissons épineux”. Il semblerait que, tout comme avec le rossignol, au fur et à mesure que son territoire s’étrécissait, notre compréhension de son aire de répartition et de ses habitudes véritables s’appauvrissait d’autant. Le 10  mai 2012, la RSPB et Natural England ont lancé l’Opération tourterelles, “un projet visant à lutter contre le déclin de l’un des oiseaux des champs [sic] les plus aimés d’Angleterre”, et en janvier 2015 ils nous ont approchés avec une idée permettant de donner à la tourterelle des bois une longueur d’avance. Selon eux, la vallée de l’Adur, bassin hydrographique de la région, est l’un des derniers bastions de l’espèce, et ils avaient conçu un dispositif qui permettrait aux oiseaux de se nourrir à leur arrivée, fin avril et début mai, pour les aider à se mettre dans des conditions propices à la reproduction. La proposition consistait

à répandre un mélange spécial de blé, de colza, de millet et de graines à canaris sur certains sites dont, proposaient-ils, Knepp. Ces semences seraient dispersées sur les chemins agricoles, les friches et les sols nus, des lieux où la tourterelle des bois aime venir se nourrir, sans doute en raison de ses courtes pattes ou parce qu’il lui est ainsi plus facile de repérer un prédateur. À nos yeux, l’idée illustrait à la perfection les grands défauts des projets de conservation conventionnels. Bien que cette initiative parte d’une bonne intention (en désespoir de cause, on applique des mesures d’urgence), elle n’était pas viable à long terme, se fondait sur le paradigme agraire et sur des référentiels appauvris, était axée sur la “sagesse primordiale de l’être humain” et ne s’inscrivait donc pas dans des principes de durabilité. Le choix du mélange de graines (des semences agricoles) semblait particulièrement malavisé compte tenu du déclin toujours plus important de la population de tourterelles des bois habitant les champs cultivés. Le descriptif du projet lui-même, tout en recommandant que le mélange se compose d’au moins 75 % de blé et de colza, admet qu’“il est fort probable que le blé contienne peu des vitamines et des antioxydants dont une tourterelle des bois a besoin pour être en bonne santé”. L’alimentation indigène de cette espèce est à peine prise en compte, si ce n’est pour recommander 25  % de millet commun, de millet blanc et de graines à canaris dans le mélange, soit des espèces qui ne sont traditionnellement pas cultivées au Royaume-Uni. Même si les tourterelles des bois sont attirées par ces éparpillements aléatoires de graines (si tant est qu’elles ne soient pas d’abord mangées par d’autres oiseaux, des rats et d’autres petits mammifères), leur fournir une source de nourriture artificielle qui n’est pas naturellement disponible à cette époque de l’année risque de les éloigner d’aliments plus bénéfiques pour elles à l’approche de la reproduction. Est-ce qu’elles ne cherchent

pas plutôt, en arrivant, les jeunes pousses et les cotylédons amylacés qu’elles consomment habituellement, voire même, comme l’a suggéré un éminent ornithologue lorsque je lui ai posé la question, les bourgeons à haute teneur en calories d’arbustes comme l’aubépine, l’un des sites de nidification de prédilection des tourterelles (et qui fournit également au printemps de la nourriture à bon nombre d’autres oiseaux se préparant à la reproduction)  ? Étant donné qu’on ne sait pas ce qu’elles recherchent, leur apporter des compléments en fonction de ce qu’elles devraient, selon nous, consommer (parce que ces aliments correspondent à notre paradigme agricole et qu’ils sont disponibles chez les semenciers commerciaux) pourrait leur faire plus de mal que de bien. Et en admettant que ce dispositif fonctionne, alors quoi ? Ce type de conservation ciblée, à cette échelle, a un coût important et n’est clairement pas viable sur le long terme. Combien de fois, dans quelles quantités, sur quelle superficie faudrait-il disperser des graines pour que cette action ait de véritables e¤ets sur le taux de reproduction des tourterelles des bois, sans parler de mettre un terme à leur déclin  ? Quand arrêterait-on de les nourrir  ? Qui serait considéré comme responsable de leur déclin, une fois qu’on aurait arrêté ? En dépit des mérites de la proposition “Opération tourterelles”, tous les membres de notre comité consultatif étaient d’accord sur un point : elle n’était pas conforme à notre projet. Malgré le contexte de perte cataclysmique, le nombre de tourterelles des bois à Knepp (sans doute la densité la plus importante en Angleterre actuellement) montre qu’elles ont ici trouvé quelque chose qui leur convient. Nous observons parfois des oisillons, ce qui indique qu’elles parviennent à se reproduire. Nous ne savons pas encore ce qu’elles mangent, si leur alimentation évolue au fil de la saison, si l’habitat est quelque chose d’important pour elles. Peut-être apprécient-elles nos haies et fourrés imposants et tou¤us, qui

poussent dans des zones dégagées, pour y faire leurs nids  ? Ou nos herbages ras pâturés pour s’y nourrir  ? Ou bien nos nombreuses sources d’eau ? Une combinaison de ces trois éléments, ou encore autre chose  ? Ce que nous savons, c’est que, quoi qu’elles cherchent, elles l’ont trouvé à Knepp. Nous supposons que nos porcs y sont pour quelque chose. Leur fouissage pourrait bien produire, dans le bon habitat, les conditions propices à la germination des espèces annuelles et bisannuelles qu’apprécie en été la tourterelle des bois. Il fournit même peut-être tôt dans la saison cette source vitale de graines, en veille dans le sol depuis l’automne, dont elle a tant besoin en arrivant. Ou quelque autre provision, comme de petits escargots. Les perturbations du sol causées par nos cochons remplissent le même oªce que le labour à l’époque où les herbicides n’existaient pas encore ; et, là encore, elles mettent en évidence le rôle écologique que devaient jouer les sangliers en liberté dans nos paysages avant l’agriculture. Le comportement des tourterelles des bois à Knepp pourrait, de l’avis de notre comité consultatif, indiquer en creux les raisons de leur déclin ailleurs. Adhérer à l’Opération tourterelles n’aurait fait que compromettre les leçons qu’il nous reste encore à tirer. Notre refus a été reçu avec courtoisie et compréhension, et, dans un geste de conciliation, la RSPB a indiqué qu’elle envisagerait de conserver une zone tampon autour du domaine pour minimiser les e¤ets de l’initiative sur nos populations. En revanche, et c’est bien dommage, notre proposition de financement d’un programme de suivi et de recensement à Knepp ne l’a pas intéressée. Compte tenu des nombreuses autres mesures de dernier recours qui sont envisagées et de la situation qui empire rapidement pour la tourterelle, diªcile de ne pas voir là une autre opportunité gâchée. En attendant, nous nous reposons sur un groupe de bénévoles locaux peu nombreux mais engagés, menés par Penny Green, notre écologue, qui se retrouvent à des heures

matinales invraisemblables tout au long de la période de reproduction pour établir une cartographie des tourterelles des bois, dans l’espoir de les surprendre en train de s’alimenter, voire même de réussir à repérer un nid. Nous sommes bien conscients que Knepp peut fournir des informations utiles pour protéger la tourterelle des bois, mais nous sommes tout aussi lucides sur les dangers que représente l’obsession de la conservation d’une seule espèce. Les pratiques de conservation en Grande-Bretagne au XXIe siècle ont visiblement échoué sur un point : en s’axant sur une espèce, elles ont négligé les écosystèmes dans leur ensemble. Ce changement de paradigme est parfois diªcile à accepter pour les spécialistes qui visitent Knepp. L’apparition d’une espèce charismatique dans le domaine aura toujours pour nous moins d’importance que la continuation des processus naturels autonomes sur nos terres. Si nous n’avions pas rendu possible la mise en place d’un écosystème dynamique, nous n’aurions jamais vu de tourterelles. Un autre déboire qui touche les projets de conservation, et dont nous sommes de plus en plus conscients, est l’isolement. Presque chaque site naturel de Grande-Bretagne est, de fait, une île. Les îles nous révèlent beaucoup de choses sur l’évolution et sur les e¤ondrements écologiques. En général, plus l’île est petite et reculée, moins il y a d’espèces et plus l’écosystème est vulnérable. Le changement climatique, les sécheresses et d’autres phénomènes extrêmes peuvent décimer les espèces qui n’ont pas la possibilité de fuir. L’introduction d’une seule espèce peut détruire l’écosystème tout entier si celui-ci est isolé. Des rats ou des chèvres arrivant sur un aºeurement rocheux au milieu de l’océan causent immédiatement d’importants dégâts  ; en revanche, s’ils arrivent sur un continent, les e¤ets ne sont pas si graves. En outre, les petites populations isolées favorisent la consanguinité. Les variations d’un petit réservoir génétique peuvent diminuer tandis que

les individus se reproduisent entre eux, mettant à mal la capacité d’adaptation face au changement et augmentant le risque d’extinction pour la population entière. En Grande-Bretagne, la plupart de nos aires naturelles protégées sont minuscules et isolées. Sur les 4  100  sites d’intérêt scientifique particulier d’Angleterre, généralement conçus pour préserver une petite parcelle d’habitat précieux (comme les landes pâturées du Devon), une espèce en danger (le butor étoilé, par exemple) ou encore une caractéristique géologique unique, la majorité font moins de 100 hectares. D’autres réserves naturelles, comme les 2 000 sites gérés par les Wildlife Trusts, sont plus petites encore, avec une superficie moyenne de 29 hectares. Tout comme les morceaux de tapis découpés dont parle David Quammen, ils risquent d’autant plus de s’eªlocher. Bien entendu, certaines espèces peuvent arriver sur des îles et les quitter comme bon leur semble. Les oiseaux, certains papillons et d’autres insectes comme les abeilles et les guêpes sont capables de parcourir des distances considérables lorsqu’un habitat ne leur convient plus, ou lorsque l’instinct de la colonisation les pousse à partir. De nombreux types de semences, de pollens et de spores fongiques sont transportés par le vent sur de longues distances. Pour employer la terminologie scientifique, on dit qu’ils ont un “indice de dissémination” (permeability index) élevé. Les petits mammifères ont plus de chances d’aller d’une zone naturelle à une autre en empruntant un chemin terrestre plutôt que par la mer, mais traverser des paysages inhospitaliers zébrés d’axes routiers, sans nourriture ni protection, n’est pas sans danger. D’autres espèces, dont l’indice de dissémination est plus bas encore, peuvent se retrouver coincées sur une île sur le point d’être submergée. Les lichens et les coléoptères xylophages qui vivent sur des chênes anciens doivent trouver d’autres vieux arbres dans les cent mètres à la ronde. Or, de nos jours, il n’en existe plus. Le taupin

violacé, qui doit son nom à sa carapace violette luisante et qui, s’il tombe sur le dos, bondit en l’air en émettant un cliquètement sonore, est un coléoptère que l’on ne trouve, sur des hêtres et des frênes anciens, que dans une poignée d’endroits en Europe et seulement sur trois sites en Grande-Bretagne  : Windsor Great Park, Bredon Hill dans le Worcestershire et Dixton Wood dans le Gloucestershire (trois lieux classés “sites d’intérêt scientifique particulier”). En dernier recours, on a entrepris de traîner des arbres creux tombés jusqu’à leurs arbres hôtes, afin de les encourager à étendre leur territoire. Bien qu’ils aient un indice de dissémination plus élevé, l’avenir à long terme des champignons rares Phellinus robustus et Podoscypha multizonata sur nos chênes anciens à Knepp dépendra de la capacité des spores à trouver à proximité une autre génération d’arbres vétérans à coloniser. Ne disposer que de poches isolées riches de vie (autrement dit, mettre tous ses œufs dans le même panier) est risqué. Les hauts lieux de biodiversité peuvent devenir des “siphons” pour les espèces, y compris pour celles qui peuvent facilement se déplacer. Étant donné l’absence de superprédateurs comme le loup, le lynx et l’ours qui contrôleraient les populations, on trouve en Grande-Bretagne un nombre relativement élevé de prédateurs polyvalents de taille moyenne comme les renards et les blaireaux, des généralistes capables de traverser sans peine les paysages humains. Au Royaume-Uni vivent environ  240  000 renards et, d’après les estimations, 400  000  blaireaux (protégés par la loi depuis  1973). Mais le prédateur qu’on oublie souvent, alors qu’il est certainement celui qui a le plus d’impact sur l’environnement et dont la croissance démographique est proportionnelle à la nôtre, est le chat domestique. Selon la Mammal Society, les 10,3  millions de chats britanniques attrapent 275  millions de proies par an, dont 69  % de petits mammifères et 24 % d’oiseaux. Plus un habitat est réduit et isolé, plus les animaux qui y vivent sont visibles et moins ils ont de chances

d’échapper aux prédateurs. Un pré peut constituer un habitat idéal pour des vanneaux huppés à la recherche d’un territoire où élever leurs petits, un bosquet attirer les bécasses des bois et les loirs gris, tout en étant dans le même temps un aimant à chats, blaireaux et renards. Nos habitats isolés pourraient bien attirer des espèces en danger et les y piéger, précipitant un peu plus leur déclin. Un autre facteur est l’“e¤et lisière”, soit les incidences qu’un milieu environnant hostile peut avoir sur un habitat isolé. Dans un bosquet au milieu d’un champ de céréales, le microclimat du cœur du bois est souvent très di¤érent de celui de ses bordures, exposées au vent, à la chaleur extrême et au gel. Du fait des frontières abruptes et linéaires de notre paysage moderne (dépourvu de larges franges broussailleuses qui atténueraient la transition entre les poches de nature sauvage et les espaces agricoles), les produits chimiques pulvérisés se retrouvent facilement dans ce type d’habitat isolé, dont la taille s’en trouve réduite d’autant. Plus une aire d’habitat est vaste, moins ses bordures sont importantes relativement à l’ensemble, ce qui préserve davantage le site. Les habitats isolés sont aussi un problème pour les espèces qui ont besoin de di¤érents milieux selon les phases de leur cycle de vie, ainsi que pour celles qui ne peuvent pas survivre dans un seul habitat (comme certaines espèces de papillons, de bourdons et d’amphibiens et mollusques d’eau douce). Ces espèces multihabitats sont un phénomène que les scientifiques commencent tout juste à cerner dans le cadre des projets de conservation à grande échelle. Dans le cas où, au sein d’un système d’habitats connectés, une parcelle d’habitat vital est détruite ou endommagée, il se peut que des populations entières déclinent ou s’éteignent, même si les parcelles restantes sont en bon état. Des colonies liées par des échanges d’individus (des “métapopulations”) sont aussi vulnérables en cas de détérioration de

leur chaîne d’habitats. Si les colonies n’ont plus accès les unes aux autres, si les liens de la chaîne de migration sont brisés, la population dans son ensemble perd sa capacité à se régénérer. La nécessité impérieuse de relier des poches de nature et de reconstruire la résilience des écosystèmes s’est imposée aux spécialistes britanniques de la conservation il y a une petite trentaine d’années ; elle est d’ailleurs l’un des principes fondamentaux de la directive habitats adoptée par l’UE en 1992, que le Royaume-Uni est tenu d’appliquer2. En 1996, le Sussex Wildlife Trust a publié un document intitulé A Vision for the Wildlife of Sussex pour défendre l’établissement d’espaces naturels beaucoup plus vastes, et en 2006 la fédération britannique des Wildlife Trusts a introduit le concept de “paysages vivants”, consistant à relier des sites isolés riches en faune et en flore à l’aide de “couloirs” (vallées fluviales, chemins verts et haies) et à créer des “tremplins” comme des bosquets dans les prairies ouvertes, ce qui fournirait aux oiseaux des aires de repos et ainsi leur permettrait de survoler des zones transformées par l’activité humaine. Outre la restauration du dynamisme écologique, la connectivité, disaient les auteurs du document, améliorerait les chances de survie de l’espèce dans le contexte du changement climatique. Tandis que les températures augmenteraient, ses membres pourraient ainsi se déplacer vers le nord ou même, dans certains cas, monter en altitude. Cet élan en faveur de la connectivité a été souligné dans un rapport qui a fait grand bruit, Making Space for Nature, publié sous l’autorité de l’éminent et sympathique biologiste Sir John Lawton – membre depuis peu de notre comité consultatif. Améliorer l’état de la nature au sens large en Angleterre et relier entre eux les sites de biodiversité animale et végétale qui existent, pouvait-on lire dans ce rapport remis à la secrétaire d’État à l’Environnement, à l’Alimentation et aux A¤aires rurales en 2010, ne servirait pas seulement à régénérer la biodiversité et à rendre le

système plus résilient, mais apporterait des avantages fondamentaux pour l’économie  : atténuation des inondations, purification de l’eau et de l’air, séquestration de carbone, remise en état des sols, pollinisation des cultures ou encore amélioration de notre santé physique et mentale. Du rapport est né un livre blanc sur l’environnement intitulé The Natural Choice, publié en 2011 et qui fait encore aujourd’hui partie des politiques publiques. Certaines des 24 recommandations de Lawton ont été mises en application, du moins en partie. Sur 76 sites candidats, une bonne dizaine de “zones d’amélioration de la nature” (Birmingham et le Black Country, Dark Peak, Dearne Valley, Greater Thames Marshes, Humberhead Levels, Marlborough Downs, les Meres and Mosses of the Marches, Morecambe Bay Limestones and Wetlands, Nene Valley, Northern Devon, les South Downs Way Ahead et Wild Purbeck) ont été établies, comme il l’avait suggéré, dans les trois ans suivant la publication du rapport, sous les auspices notamment des Wildlife Trusts. Le gouvernement a depuis mis à l’essai un système de rémunération des services écosystémiques et de compensation des pertes dues aux mesures favorables à la biodiversité, et recense des zones de gestion naturelle des inondations. Dans les coulisses du pouvoir et les salles de réunion des ONG, le mantra de Lawton en faveur de ces zones naturelles (“plus nombreuses, plus grandes, en meilleur état, connectées”) fournit les grands principes de cette évolution. Mais, dans l’ensemble, les ambitions exprimées dans ce rapport ne se concrétisent pas. La plupart des recommandations de Lawton concernant la création d’habitats, la planification en faveur de la nature à l’échelle des autorités locales, les mesures financières incitatives à l’intention des propriétaires fonciers, la simplification des dispositifs du programme environnemental, la protection et le suivi accrus des sites de biodiversité locaux et des forêts anciennes, l’amélioration écologique des parcs nationaux et des zones de beauté naturelle remarquable, la

restauration à grande échelle des systèmes fluviaux et la réduction de leurs surplus de nutriments, semblent avoir disparu dans ce trou noir que sont les couloirs de la haute fonction publique. Bien que des fonds aient été mis de côté au bénéfice de “zones d’amélioration de la nature”, il s’est révélé diªcile d’obtenir ces financements. Dans les six ans qui ont suivi la publication du rapport, quatre secrétaires d’État se sont succédé, fragmentant les ambitions et empêchant toute continuité stratégique. Un certain nombre de politiques environnementales sont aujourd’hui en vigueur, les engagements sont formulés, les consciences s’éveillent, mais le manque de volonté politique, les financements insuªsants et l’absence d’intégration des politiques entre les di¤érents secteurs du gouvernement et les décideurs continuent d’en saborder la mise en œuvre. Pour la nature, la bataille est perdue d’avance : elle est peu défendue face à la pression croissante et cumulative des lobbies de l’agriculture intensive, des pêches, de la foresterie et du développement urbain, qui ont plus de poids dans la balance politique. Un matin du début de l’été, à 4 heures, j’ai tiré du lit notre fille Nancy pour qu’elle m’accompagne dans le cadre d’une enquête de Penny, notre écologue, sur les tourterelles des bois. Le ciel o¤rait un spectacle d’immobilité, la clarté magnifiait le craillement de chaque choucas, le roucoulement de chaque tourterelle turque ou pigeon ramier, isolant les appels taquins des mésanges bleues, les cris insistants des pouillots véloces et le “cronk” possessif lancé occasionnellement par un grand corbeau. Chacune armée de son bloc-notes, Nancy et moi nous sommes séparées pour couvrir une zone à l’extrémité du secteur sud. Bientôt, nos feuilles étaient raturées des initiales des choucas, freux, corneilles noires, geais des chênes, pies, buses variables, grands corbeaux, tourterelles turques, pigeons ramiers, sauvages ou colombins et faisans, avec des flèches indiquant leur direction –  un bataillon de prédateurs, de concurrents et de vecteurs de maladies qui, d’après l’initiative

“Opération tourterelles”, pourrait avoir des incidences préjudiciables sur le nombre de tourterelles des bois. Dans l’embouteillage aviaire de l’aube, cet exercice semblait vain. À l’exception de la tourterelle turque (qui a commencé à coloniser le Royaume-Uni en 1955), toutes ces espèces, aujourd’hui omniprésentes à Knepp, étaient sans doute aussi là à l’heure de gloire de la tourterelle des bois. Si elles avaient des e¤ets néfastes sur les tourterelles aujourd’hui, c’était probablement parce que celles-ci s’étaient faites rares. Pointer du doigt ces espèces périphériques revenait à accuser les simples spectateurs d’une scène de crime. Au bout d’une heure d’errance, un roucoulement profond surgi d’un bosquet de saules nous a pris toutes les deux par surprise. Nous frayant un chemin dans les halliers, nous avons atteint un boqueteau de jeunes frênes, rejetons d’un arbre de cinquante ans qui présentait les premiers signes de dépérissement dus à la chalarose, une maladie fongique apparue dans le pays en 2012. La branche morte de l’arbre fournissait à la tourterelle des bois un perchoir territorial idéal. Après quelques roucoulements, elle s’est envolée au-dessus du boqueteau jusqu’à la branche tordue d’un chêne à moitié mort, qui se tenait tout seul audessus d’une haie, marque d’une ancienne délimitation. Nous l’avons observée à la jumelle, à 50 mètres de là, comme posée sur un carrefour temporel, fil rouge démarrant dans les premiers livres de la Bible et arrivant jusqu’à nous à Knepp après avoir traversé les contes de Chaucer et les sonnets de Shakespeare. Les arrière-grandsparents de Nancy avaient très certainement entendu ce chant tous les étés. Ses arrière-arrière-grands-parents avaient sans doute vu des nuées de tourterelles des bois sans même s’y attarder. Dans les murmures qui parlent de cette perte, j’entends le récit des épreuves traversées au cours d’un long voyage, au-dessus des déserts, entre les balles des chasseurs, jusqu’à une terre promise rétrécie comme peau de chagrin. La douce

mélancolie de son appel semble nous supplier de changer d’attitude  : lamentation au nom du sauvage, complainte d’un amour non partagé, chant du cygne.

L’homme ne peut pas vivre des seuls marais  ; donc il doit à toute force les supprimer. Le progrès ne tolère pas que les terres cultivées et les marais, la vie domestique et la vie sauvage subsistent côte à côte dans une tolérance et une harmonie mutuelles. ALDO LEOPOLD, Almanach d’un comté des sables, 19491.

L’automne 2000, année du début du projet, a été l’un des plus humides depuis les premiers registres, qui datent de 1766. Les nuages qui s’étaient invités le jour de la vente de notre matériel agricole fin septembre ont amorcé une chaîne d’orages convectifs qui se sont attardés sur le Sud-Est de l’Angleterre début octobre. Ils entraînaient dans leur sillage des jours entiers de pluie qui ont culminé la nuit du 11  octobre avec un déluge apocalyptique. La ville de Plumpton, dans l’East Sussex, à moins de 30  kilomètres au sud-est de Knepp, a été durement touchée  : 156,4  millimètres de pluie sont tombés en quarante-huit heures. Étant donné que le printemps avait été humide et que les nappes phréatiques étaient déjà bien remplies après trois années pluvieuses, l’eau n’a pas trouvé d’échappatoire. Les douze grands cours d’eau du Sussex et du Kent, y compris l’Ouse, la Cuckmere, l’Arun et notre fleuve, l’Adur, sont sortis de leur lit. Les fossés ont débordé, les canalisations ont explosé, les routes se sont faites rivière, et les rues et les allées sont devenues des aºuents du torrent qui se formait. En aval, les villes côtières ont été inondées. À Lewes, le niveau de l’eau est passé de quelques centimètres à plus de 1,80 mètre en moins d’une demi-heure. Les automobilistes pris dans les embouteillages sont grimpés sur le toit de leur voiture. Des fûts, une fois sortis en flottant de la brasserie Harvey’s désormais en ruine, ont descendu les rues en

dansant, cognant les murs et les portes, parodie incongrue de la tradition de la course de barils de la nuit de Guy Fawkes. Les services d’urgence étaient dépassés, et des militaires et des bénévoles ont été mobilisés pour consolider les protections autour de Lewes, Tunbridge Wells, Maidstone, Shoreham, Littlehampton, Newhaven et Medmerry, près de Chichester. On évacuait à l’aide de canots de sauvetage les habitants, qui passaient par les fenêtres du rez-de-chaussée et parfois même de l’étage. À Uckfield, vingt employés de nuit bloqués dans un supermarché ont ainsi été sauvés, tandis qu’une commerçante, emportée par l’inondation dans la grand-rue, a été mise en sécurité par l’intervention d’un hélicoptère. L’Adur, tout comme l’Ouse et l’Arun, est rapidement sorti de son lit. À Knepp, la portion canalisée du fleuve, de 2,5 kilomètres de long, qui démarre à Capps Bridge (près du vieux château de Knepp) avant de passer sous l’A24, a enflé jusqu’à devenir un lac de 60  hectares entre Shipley et Pound Farm. Des vagues ont déferlé dans la plaine inondable et, s’écrasant en tourbillon contre les talus du vieux château, ont fini par recréer les douves du XIIe  siècle. Le torrent a surmonté les barrages et s’est élancé dans la buse sous la chaussée. À Tenchford, la route s’est ouverte et à Floodgates, l’eau s’est mise à lécher les bords de l’A24. Dans un moment de folie, encouragés sans doute par l’apparition d’un rayon de soleil entre deux averses, nous sommes montés à bord d’une petite barque sur le lac pour aller constater les dégâts. Des campagnols et des loirs abandonnés à leur sort s’accrochaient à la végétation tandis que l’eau continuait de monter. Nous étions trop occupés à négocier les tourbillons et les courants pour leur venir en aide. Nous sommes rapidement sortis de l’eau en enjambant une clôture de barbelés submergée, à côté de l’A24, avant de hisser la barque sur la chaussée du vieux château, soulagés de ne pas avoir chaviré.

À l’arrivée du mois de novembre, les orages venant d’Europe occidentale continuaient de tonner, déversant leur colère sur le Shropshire, le Worcestershire et le Yorkshire. Le débit de pointe de la Tamise, de la Trent, de la Severn, de la Wharfe et du Dee était à son plus haut niveau depuis cinquante ans. Dans le Yorkshire, l’Ouse est montée de 5,5  mètres, son niveau le plus élevé depuis le XVIIe  siècle. 65  000  sacs de sable défendaient la ville de York, à deux doigts d’être submergée. Il a plu sans discontinuer pendant trois mois. Entre septembre et novembre, il est tombé en moyenne 503  millimètres en Angleterre et au pays de Galles, surpassant de 50 millimètres le record précédent. Le montant des déclarations de sinistres liés aux intempéries pour l’automne  2000 s’est élevé à 1  milliard de livres. Au total, dans 700 villages, hameaux et villes de Grande-Bretagne, 10 000 foyers ont été inondés. Tandis que les agriculteurs de tout le comté disaient adieu à leurs récoltes d’hiver (le coût de l’assurance en cas de perte de récoltes est prohibitif pour la plupart des exploitants), s’inquiétaient des dépenses à engager pour acheter davantage de fourrage aux animaux privés de pâture d’automne et, pire encore, pleuraient leurs moutons et leurs vaches emportés par les flots, nous ne pouvions que nous féliciter d’avoir renoncé à l’agriculture. Les autorités ont déclaré qu’il s’agissait là d’un événement comme on voit tous les deux cents ans. L’Environment Agency, cependant, avec un étonnant sens de l’à-propos, avait publié le 10 septembre 2000 un rapport indiquant que le changement climatique faisait de la Grande-Bretagne un pays particulièrement vulnérable aux inondations. Le risque qu’il représentait, tant pour les vies humaines que pour les propriétés matérielles, serait décuplé au cours du siècle à venir. Le  Sud-Est de l’Angleterre, précisait l’agence dans son rapport, serait très certainement victime d’un plus grand nombre d’orages intenses soudains. L’inondation des zones à basse altitude surviendrait

sans doute plus souvent, en raison de l’élévation du niveau de la mer, entre  15 et 50  centimètres dans le siècle à venir selon les estimations, tandis que les glaciers arctiques continuaient de fondre. La fréquence de hautes marées dangereuses augmenterait elle aussi, d’une par siècle à une par décennie, menaçant même d’énormes ouvrages anticrues comme la barrière de la Tamise. Dans le sillage des intempéries, des députés locaux, des maires de la région et des sinistrés ont appelé à financer le renforcement des protections contre les inondations. Ils proposaient l’installation de digues le long des berges et l’élévation des digues existantes au moyen de grosses roches, afin que les cours d’eau ne dévient plus de leur lit. Les rivières devaient être draguées, exhortaient-ils, des murs de retenue bâtis et les derniers méandres redressés, afin que les eaux des crues soient évacuées plus rapidement jusqu’à la mer. Il fallait surélever les axes routiers majeurs, installer de nouveaux collecteurs d’eaux pluviales et enterrer les générateurs électriques de secours, hors de portée de l’eau. Certes, tout ceci serait coûteux mais, ajoutait le rapport, ce n’était rien si l’on mettait de l’autre côté de la balance les vies humaines, les commerces, les infrastructures et les biens matériels. La frustration et l’indignation étaient universelles, on avait le sentiment d’avoir perdu la bataille faute de renforts. L’eau avait gagné – cette fois-ci. Mais la guerre n’était pas terminée. La maîtrise des flux d’eau est une lutte que les êtres humains mènent contre le monde depuis qu’ils ont commencé à drainer la terre pour les cultures et à asservir les cours d’eau pour irriguer les champs. En Grande-Bretagne, les Romains se lancèrent à corps perdu dans cette entreprise, traçant dans les Fens, autrefois des marais, une longue voie navigable baptisée Car Dyke et des fossés dans le Romney Marsh, entre autres. Ce furent toutefois les Victoriens qui révolutionnèrent la gestion de l’eau.

Les canaux du

XVIIIe 

siècle (près de 8  000  kilomètres) permirent

l’essor de voies navigables qui allaient servir d’artères commerciales dans le pays, jusqu’à être éclipsées par le chemin de fer dans les années 1840 et 1850. Au milieu du XIXe siècle, ces canaux parcouraient la Grande-Bretagne, reliant les ports et les rivières navigables aux sites industriels situés dans les terres. Dans le West Sussex, même de petits cours d’eau comme l’Adur furent adaptés pour pouvoir transporter vers l’amont des barges chargées de charbon, de sable, de gravier et de sel, et du bois d’œuvre, des céréales et des produits frais vers l’aval. En 1807, grâce à la loi sur la navigation de l’Adur, les pouvoirs publics et les propriétaires locaux purent “nettoyer, a¤ouiller, élargir, approfondir et redresser le courant dudit fleuve […] de sorte à faciliter la navigation pour les bateaux, les barges, les péniches ou les vaisseaux dont le tirant d’eau est de 3 pieds [90 centimètres]”. Les travaux dépassèrent toutes les attentes et, au bout de trois ans, des barges au tirant d’eau de 1,20 mètre pouvaient emprunter le canal ainsi amélioré. Des quais furent creusés aux deux extrémités, et on en ajouta un troisième en 1811 pour l’importation de la chaux, de la craie et du charbon. Quinze ans après la fin des travaux, le canal de l’Adur fut prolongé jusqu’à West Grinstead grâce à l’élargissement et au dragage du cours d’eau superficiel au nord de Bines Bridge. Un nouveau prolongement vit le jour au titre d’une loi promulguée en 1825, qui autorisait l’élargissement et le redressement de la portion entre Bines Bridge et Bay Bridge, sur la route qui relie Horsham à Worthing – cinq années de travaux. Deux écluses de brique furent construites, suªsamment grandes pour laisser passer des bâtiments de plus de 20 mètres, l’une près de l’église de West Grinstead, où sont enterrés les premiers Burrell, et l’autre à proximité de Lock Farm, dans le village de

Partridge Green. Un autre quai fut créé à Bay Bridge, tout près du vieux château de Knepp, ainsi qu’un bassin dans lequel les barges pouvaient faire demi-tour avant de faire le chemin dans l’autre sens. Rendre l’Adur navigable, même pour des bâtiments à faible tirant d’eau, n’était pas chose aisée. Au XIXe siècle, le fleuve n’était que l’ombre de lui-même. Il y a longtemps, du temps d’Édouard le Confesseur, c’était un cours d’eau à marées puissantes, qui transportait de grands vaisseaux vers l’intérieur des terres, jusqu’à Steyning, à une dizaine de kilomètres au sud de Knepp. On pense que le nom “Adur” provient du mot celte dwyr, qui signifie “eaux vives”. Les barges remontaient le fleuve jusqu’à Shipley, emmenant le fer et le bois vers la côte. Dans l’église de Shipley, bâtie par les Templiers, où les Burrell des générations modernes sont enterrés, une bitte d’amarrage en terre de fer rappelle que des pèlerins et des moines-soldats embarquaient là pour partir en croisade. Au début du XIIIe siècle, Jean sans Terre fit descendre le long du fleuve, sur une vingtaine de kilomètres, de grands chênes prélevés dans la forêt de Knepp pour renforcer ses défenses à Douvres. Au cours des XIVe et XVe siècles, cependant, l’érosion provoquée par la dérive littorale déplaça l’embouchure de l’Adur vers l’est, l’éloignant du mouvement des marées et du vent dominant, ce qui créa un cordon de galets empêchant la marée de s’y engou¤rer. De l’eau salée arrivait encore jusqu’au vieux château de Knepp dans les années  1530, mais dans une bien moindre mesure. L’assèchement des marais salés grâce à la construction de berges tout autour et à l’installation de drains à sens unique accentua le processus d’envasement de l’estuaire, et le vieux port de Bramber dut être déplacé 6  kilomètres plus en aval, sur la côte, à Shoreham. Privé de la puissance des marées, le débit de l’Adur se limitait désormais aux écoulements d’eau douce qui parvenaient jusqu’à son lit. Il y a peu de sources naturelles autour de Knepp, et la plupart des

ruisseaux et des rivières sont presque entièrement alimentés par les ruissellements d’eau de pluie. Pour rendre l’Adur de nouveau navigable, les Victoriens durent “nettoyer, élargir et approfondir les collecteurs, les fossés, les ruisseaux, les tranchées et les lieux de passage de l’eau allant jusqu’audit fleuve ou dans sa direction, et altérer et changer le cours d’icelui en installant de nouvelles canalisations, tranchées ou voies, là où elles peuvent permettre de réaliser un drainage eªcace dans les bassins et les plaines de la région”. Partout dans le pays, on s’employait à réaliser ces grands travaux. Pour les Victoriens, l’assèchement des terres était une solution idéale : le processus permettait de transformer des rivières et canaux superficiels et lents en moyens de transport tout en dégageant des terres cultivables. Étant donné que la population britannique avait doublé en cinquante ans à peine, passant de 9  millions à l’époque des premiers recensements en 1801 à 18 millions en 1851, il fallait produire davantage de nourriture : la course aux terrains arables était lancée. Les travaux de canalisation de notre portion de l’Adur en amont, à l’ouest du vieux château, s’inscrivaient dans une entreprise nationale colossale, stimulée par les prêts à court terme sans intérêt accordés par le gouvernement aux propriétaires fonciers afin d’assurer la productivité des terres agricoles. Sir Charles Merrik Burrell, premier occupant du nouveau château de Knepp construit par Nash, fut l’un des plus fervents défenseurs de l’assèchement des terres. Le 16 mai 1845, il comparut devant un comité spécial de la Chambre des lords afin de présenter des preuves du mérite de la charrue draineuse de Pearson, une invention qui était en train de révolutionner son domaine. Au fil des douze ans d’utilisation de la charrue, aªrma Sir Charles, le rendement de blé de la ferme principale était passé de 12  sacs par hectare à  18  ou 19  sacs, allant dans certains cas jusqu’à 22. Il pouvait désormais cultiver “des carottes fourragères

blanches à collet vert et de très bons rutabagas. […] C’est une zone où, lorsque j’ai commencé à cultiver la terre en 1803 et 1804, personne n’avait jamais essayé de semer des navets ou rutabagas, hormis dans des potagers, pour une consommation personnelle”. Ses observations portent à croire que le sol devait être bien di¤érent de celui d’aujourd’hui, la matière organique bien plus riche. S’il avait disposé d’une boule de cristal, il aurait vu qu’après cent cinquante ans de labour, planter des légumes deviendrait de nouveau impossible. À l’époque toutefois, la fertilité n’attendait que d’être mise à profit, et l’obstacle majeur était le drainage. La charrue miracle était l’œuvre de John Pearson, un agriculteur qui exploitait 40  hectares d’argile détrempée du Weald dans le Kent. Ses terres ressemblaient visiblement à celles qu’on trouve à Knepp, “très humides et dures”, dépourvues de sources d’eau et pourtant continuellement mouillées, car “l’eau de pluie et la neige fondue restent à la surface du sol, compte tenu de la capacité de rétention de l’argile au-dessous, qui les empêche de s’écouler”. Sans drainage artificiel, les cultures poussaient tard dans l’été, une fois que l’eau de surface s’était évaporée sous l’action du soleil, et même alors, elles étaient maigres. Le blé ne pouvait se cultiver que deux fois tous les sept ans environ, la terre restant en jachère entre deux récoltes. Le drainage, si tant est qu’on arrive à s’atteler à la tâche, était fait “à la main, à l’aide de branchages ou de buissons, et à grands frais”  : on creusait des tranchées et on les remplissait de gravier, de brindilles et de branches. L’invention de Pearson, tirée par six chevaux de trait (Sir Charles recommandait d’en utiliser huit), permettait de creuser des sillons à 60 centimètres de profondeur de façon bien plus eªcace que les fossés ouverts à la main pour drainer l’eau de surface, et empêchait la couche arable et le fumier de s’enfoncer dans le sol. En drainant le sol argileux, non seulement on pouvait planter de nouvelles cultures, mais on

asséchait aussi les pâtures, éradiquant ainsi le piétin chez les animaux d’élevage et réduisant les dépenses liées au fourrage d’hiver, puisque les bêtes pouvaient être mises au pré plus tôt au printemps et y rester plusieurs semaines supplémentaires à l’automne. La charrue draineuse eut aussi des incidences importantes sur le bien-être humain. “La santé de mes fermiers et des habitants du domaine, ainsi que celle de leurs familles, s’est grandement améliorée, indiqua Sir Charles au comité spécial, car les fortes fièvres, qui étaient communes, surviennent moins souvent, de même que les fièvres plus bénignes.” Les propriétaires fonciers, proposa-t-il, devaient encourager leurs métayers à utiliser cette charrue et à installer des drains et des émissaires en tuiles dans leurs terres. Lui-même fabriquait des tuyaux en terre cuite (les drains cylindriques en terre cuite furent inventés en 1810) dans la briqueterie au cœur de son domaine, qu’il o¤rait ensuite aux métayers souhaitant drainer leurs parcelles. Une loi promulguée en 1826 avait déjà exonéré de taxes “les briques et les tuiles fabriquées pour le drainage des terres humides et marécageuses, pourvu qu’elles portent lisiblement la mention DRAIN, apposée pendant la fabrication”. On pouvait employer un grand nombre de personnes pour poser ces tuyaux, ajouta-t-il, ce qui fut pour lui “une vraie incitation, car les pauvres peuvent ainsi ne pas dépendre de l’aide de la paroisse. J’ai parfois utilisé deux charrues en même temps et, au vu du travail considérable qu’il est possible d’abattre avec une seule charrue de Pearson au cours d’une matinée, on peut avoir ensuite besoin de onze personnes pour remplir les fossés avant la nuit”. Sur le plan commercial, l’e¤et de l’assèchement des terres sur la campagne fut incommensurable. Sur l’argile du Kent et du Sussex, on pouvait désormais créer des axes routiers qui allaient, pour la première fois de l’histoire, être accessibles toute l’année. Entre 1847 et 1890, treize lois relatives à l’amélioration et au drainage des terres furent

adoptées et près de 16  millions de livres (1,44  milliard selon le cours actuel) furent dépensées pour améliorer les terres en Grande-Bretagne. Dans les archives de la famille Burrell, les accords de prêt et les échéanciers de remboursement témoignent de l’application enthousiaste de ces innovations à Knepp, notamment au moyen de la canalisation de notre portion de l’Adur. En novembre 1875, le fils de Sir Charles, Percy Burrell, reprit le flambeau de son père et contracta trois prêts au titre de la loi sur le drainage, deux en application de la loi sur l’amélioration des terres, et six en vertu des lois sur le drainage général des terres. L’année suivante, il emprunta la somme de 1  529  livres, 14 shillings et 2 pence pour drainer et creuser les terres du domaine et y construire des routes. Le total de ses dettes s’élevait à 8 000 livres, soit la moitié de ce que son père avait payé pour faire construire le château. De nouveaux emprunts, destinés principalement à l’approfondissement des travaux de drainage, furent contractés par son fils et héritier, Sir Walter, en 1877, 1879, 1880, 1883 et 1884. Dans la seconde moitié du XIXe  siècle, une autre charrue fit parler d’elle. John Fowler, un jeune ingénieur agricole issu d’une famille quaker du Wiltshire, ému par ce qu’il avait vu de la Grande Famine irlandaise, s’employa à trouver des façons de réduire le coût de la production alimentaire. En 1851, il présenta à l’Exposition universelle sa nouvelle charrue-taupe ou taupeuse – une machine à cabestan tirée par des chevaux, capable de creuser des galeries de drainage un mètre plus profondes que la charrue de Pearson, sans toutefois former de larges tranchées chaotiques. En 1851, alors que la révolution industrielle métamorphosait les campagnes, il substitua au système de treuil un moteur à vapeur alimenté au charbon. Entre 1840 et 1890, près de 5  millions d’hectares de terres furent asséchés en Grande-Bretagne, la plupart pour être ensuite cultivés.

Avant de vendre le matériel en 2000, nous utilisions une taupeuse fonctionnant sur le même principe, entraînée par un tracteur, dès lors que nos champs commençaient à s’engorger. La “taupe”, un boulet en forme d’obus, est montée sur un étançon en acier suspendu à un châssis. Une fois la taupeuse en marche, le châssis est abaissé à quelques centimètres du sol  : l’étançon qui y est accroché s’enfonce dans le sol et l’ouvre. Sous l’étançon, le boulet, en traversant l’argile, l’étale et compacte les bords du tunnel pour former une galerie lisse et creuse, une sorte de canalisation sans infrastructure. Nos voisins utilisent encore tous les dix à vingt ans une charrue-taupe pour entretenir l’entrelacs de conduits entre les fossés et au-dessus des principaux tuyaux de drainage. Bon nombre d’agriculteurs britanniques d’aujourd’hui se contentent de restaurer, parfois d’améliorer, les systèmes de drainage mis en place par les Victoriens. Les canaux, eux, ne sont plus utilisés comme systèmes de transport commercial, mais ils sont toujours entretenus, de sorte à évacuer l’eau drainée grâce au réseau complexe de fossés et de canalisations souterraines. Empruntant canaux et rivières, elle s’écoule ainsi jusqu’à la mer. Lorsque les tuyaux de drainage de l’époque victorienne se brisent ou s’envasent, ils sont simplement remplacés par des tuyaux en plastique, plus durables. Chaque année, on nettoie et refaçonne à l’aide de petites pelleteuses les mêmes fossés autour des périmètres des champs ; on déblaie régulièrement les drains victoriens. Il y a cinquante ans à peine, durant l’hiver, Judy, la grand-mère de Charlie, passait ses week-ends dans les fossés à déboucher les canalisations, armée d’une bêche, comme la plupart de ses voisins agriculteurs. Encore aujourd’hui, certains le font à la main. Il suªt qu’un conducteur de pelleteuse vise mal pour déplacer le conduit directeur, changer l’angle d’écoulement et endommager un système qui fonctionne depuis des siècles.

L’obsession victorienne à l’égard de l’évacuation immédiate de l’excédent d’eau est inscrite dans notre ADN, et lorsque les précipitations sont abondantes, que l’eau submerge d’un coup les tuyaux et les rivières, provoquant des inondations, notre instinct nous souºe que nous devons avant tout renforcer ce qui existe déjà. Nous avons besoin, pensons-nous, d’évacuer l’eau encore plus vite. Nous estimons que la preste disparition de l’eau dans la mer garantira la sécurité de nos foyers, de nos fermes, de nos propriétés, de nos bêtes et de nos terres. Il y a pourtant une autre façon de composer avec l’eau. Notre première tentative de défection, à Charlie et à moi, face à ce principe de drainage à tout prix précédait largement tout projet de réensauvagement. Sur nos plaines inondables, le drainage n’avait jamais assez bien fonctionné pour envisager d’y planter des grandes cultures. Le sol restait détrempé et prompt à s’engorger d’eau en surface, quel que soit le nombre de drains installés. L’été, nous pouvions faire paître notre bétail sur les laggs, mais il y avait toujours un risque de douve du foie, ce parasite nocif, transmis par les escargots d’eau douce. La pose d’une clôture posait aussi problème. Les prairies d’irrigation en bordure des cours d’eau étaient inévitablement longues et étroites, et le périmètre à clôturer était donc beaucoup plus important que dans le cas d’un pré carré conventionnel. Dans les années 1990, à l’apogée de notre production végétale et laitière, nous avions 105  hectares de laggs qu’il était trop coûteux de fermer. Lorsque la clôture qui entourait un lagg de 3  hectares, près de la laiterie de Brookhouse, s’était détériorée, nous avions décidé d’éliminer les drains et de créer des mares au profit des oiseaux d’eau. Dès l’apparition d’un plan d’eau étaient arrivés des sarcelles d’hiver, des canards colverts, des canards siºeurs et des poules d’eau, puis, après l’invasion de plantes comme les massettes à feuilles larges et les joncs en lisière de ces mares, nous y avions aperçu des

rousserolles e¤arvattes et des mésanges à longue queue. Un ornithologue de passage nous avait signalé la présence de roitelets huppés, une espèce qu’on associe plutôt aux bois de conifères. Les roitelets ont été notre premier indice, à l’époque ignoré, que les espèces ne restent pas toujours dans les habitats que leur attribuent les guides modernes. La satisfaction immense que nous avait procurée la recréation de ces plans d’eau sur notre terrain nous avait incités à lancer une entreprise de carpiculture –  autre tentative de diversification. Il y avait déjà des carassins communs natifs dans le lac de Knepp, et des carpes communes, à la croissance plus rapide, avaient été rapportées du continent européen dans les années 1930 pour être vendues aux étangs où se pratiquait la pêche récréative. Élargir notre entreprise de carpiculture serait, espérions-nous, une solution pour quelques-uns de nos laggs problématiques. Nous avions obtenu un permis de construire pour remettre en état le mur du barrage de  Hammer Pond à Shipley, tombé en ruine après l’e¤ondrement  de l’industrie sidérurgique, et entrepris de recréer l’ancien étang de 2  hectares derrière le barrage à l’aide d’une pelleteuse. Détruire les canalisations victoriennes nous a d’abord paru, de façon troublante, être un acte de vandalisme. Il s’agissait là des artères qui, selon ce qu’on nous avait appris, permettaient au sang de nos champs de circuler. Mais voir ce petit lac, décrit pour la dernière fois en 1849, refaire surface a été extrêmement gratifiant. Il nous a semblé que c’était ce que l’argile demandait et, petit à petit, dix-huit étangs et lacs ont été restaurés. Tous n’étaient pas des réservoirs à poissons ; certains avaient été remis en état simplement pour le plaisir : anciens points d’eau dans les fossés aux coins de prés, mares le long de l’allée verte, qui servaient certainement à rafraîchir le bétail lors du lent voyage jusqu’au marché, ou encore le bassin délicieusement nommé Honeypools (“bassin de

miel”) et l’élégant Spring Wood Pond, dans le parc. L’entreprise de carpiculture s’est avérée un ajout fructueux à la diversification du domaine, mais la réapparition de l’eau et de toute la faune qu’elle attirait a également donné lieu à d’autres bienfaits. Pourtant, ce n’est que lorsque le projet de réensauvagement a été bien entamé que nous nous sommes penchés de plus près sur le cours d’eau qui traverse le domaine. Une conversation avec Hans Kampf, l’un des premiers membres de notre comité consultatif, l’été suivant les inondations de 2000, alors que nous cheminions le long de la portion canalisée de l’Adur, nous a amenés à réfléchir au cycle de l’eau, de l’étape où les gouttes de pluie tombent sur notre sol à sa progression dans nos canalisations et nos fossés, jusqu’à rejoindre le fleuve et enfin la mer. Hans est un homme aux multiples talents. Fils d’un contrôleur aérien, il a grandi sur un polder, à 3  kilomètres de l’aéroport d’Amsterdam. Après une enfance passée à ramasser les champignons dans les bois à l’automne près de l’aéroport et à fouiller un étang du coin pour recueillir des daphnies à mettre dans l’aquarium de son instituteur, il a éprouvé un profond désir de “donner plus de liberté à la nature”, selon ses propres mots. Lorsqu’il est devenu membre de notre comité, il occupait le poste de conseiller en matière de politiques auprès du ministère néerlandais de l’Agriculture, de la Nature et de la Qualité des aliments, et était sur le point de devenir directeur de la Large Herbivore Foundation, une association de protection de la mégafaune en danger en Eurasie. Son expérience des processus naturels de l’Oostvaardersplassen et de l’établissement de réseaux écologiques transfrontaliers à l’échelle de l’Europe lui donne une capacité rare, celle de lier le “macro” et le “micro”. Mais surtout, il est comme Frans Vera quelqu’un qui pense et qui agit, et il fait montre d’un optimisme à toute épreuve. “Ce qui est impossible aujourd’hui pourrait être possible

demain, et, sinon, la semaine prochaine”, aªrme-t-il gaiement. Il a aussi, comme beaucoup d’écologues néerlandais, une excellente compréhension du comportement de l’eau. Avec ses 17,7  millions d’habitants entassés sur moins de 42 000 kilomètres carrés (soit un sixième de la superficie du RoyaumeUni), les Pays-Bas sont le pays le plus densément peuplé d’Europe. Étant donné que la moitié du pays se trouve au niveau de la mer ou audessous, c’est aussi l’un des pays les plus vulnérables aux inondations dans le monde. Depuis que, il y a un millénaire, les fermiers construisirent les premières digues, les habitants s’emploient à repousser l’eau. Le pays tout entier est un système complexe de digues, de barrages et d’écluses, de fossés d’écoulement, de canaux et de stations de pompage. Les ingénieurs des eaux néerlandais sont parmi les meilleurs au monde et on s’arrache leur expertise d’un bout à l’autre de la planète. Dans les années  1620, les Anglais firent venir un ingénieur néerlandais, Cornelius Vermuyden, pour assécher les Fens d’East Anglia afin de pouvoir les cultiver. À l’heure actuelle cependant, les Néerlandais défendent pour leurs systèmes fluviaux des idées qui vont à l’encontre des siècles d’acquis. Les inondations catastrophiques qu’ont connues les Pays-Bas en 1993 et 1995, au cours desquelles 200 000 personnes ont été évacuées et des centaines d’animaux de ferme ont péri, ont mis au jour la faiblesse structurelle du système de digues en place. L’augmentation du volume des précipitations, due au changement climatique, a suralimenté les quatre grands fleuves du pays et appliqué une pression inédite sur les ouvrages anticrues. Pour les Néerlandais, la menace ne vient plus uniquement de la mer  : étant donné que, d’après les prévisions, la fréquence des épisodes sévères de précipitations augmentera, les ingénieurs du pays sont en train de se rendre compte qu’il sera impossible de construire des digues suªsamment grandes et stables

pour contenir ces inondations cataclysmiques. Il faut adopter une autre approche. Au lieu de canaliser l’eau pour l’évacuer hors des terres aussi rapidement que possible, les Néerlandais ont décidé d’inverser le processus et s’e¤orcent désormais de la retenir plus longtemps dans les terres. Tout comme les Allemands et les Chinois, les Néerlandais cèdent aux cours d’eau des terres qu’ils avaient gagnées à grand-peine sur la mer (les polders)  : ils retracent des méandres dans les plaines inondables et restaurent les anciens marais et zones humides. Les maisons construites sur ce type de plaines sont détruites, leurs habitants relogés plus haut. Aux Pays-Bas, on a cessé de faire barrage. Il y a encore beaucoup à faire, mais le projet “Donner sa place à l’eau” a réduit le risque d’inondation extrême dans le pays d’une par siècle à une tous les 1 250 ans. Alors que nous observions notre minuscule canal (7,50 mètres à son point le plus large), ses berges si escarpées qu’il faut donner un coup de main aux chiens de retour de leur séance de barbotage, les méandres fantômes de l’Adur serpentant dans la plaine inondable que nous longions semblaient esquisser une alternative. Devant nous, les ruines du vieux château sur son tertre verdoyant faisaient renaître des images de l’époque où le fleuve qui s’écoulait en contrebas montait et descendait à son propre rythme. Remplissons le canal, proposa Hans, et rendons son eau à la plaine inondable. Non seulement cette mesure permettrait d’ouvrir des possibilités énormes pour les oiseaux, la flore et les invertébrés des zones humides, mais elle réduirait aussi les inondations en aval. Les laggs absorberaient l’excès d’eau comme des éponges, retenant les crues au moment de fortes précipitations puis libérant l’eau petit à petit et en toute sécurité, tout en la stockant pour les saisons plus sèches. La végétation marécageuse agirait comme un filtre, purifiant l’abondant déversement de nitrates en provenance des

exploitations d’agriculture intensive environnantes. La suppression des barrages encouragerait également la migration de salmonidés qui remontent depuis la mer. Nous avons reçu une réponse enthousiaste de l’Environment Agency. Le canal avait été entretenu jusqu’à ce jour à grands frais avec de l’argent public, sans vraiment d’objectif. Personne dans ce service public n’a été capable de retrouver les motivations qui avaient conduit à la construction de cinq barrages à l’entretien coûteux sur notre portion de l’Adur, en dehors de l’argument guère convaincant selon lequel les bassins plus profonds ainsi formés facilitaient la pêche aux poissons communs. Le processus décisionnel dans l’administration est cependant si laborieux qu’il a fallu neuf ans de démarches bureaucratiques et d’études de faisabilité alambiquées pour mettre le projet en route. En septembre 2011, nous avons enfin pu observer Reg, le conducteur de la pelleteuse, laisser ses premières empreintes sur la plaine inondable. L’idée était de créer un lit plus naturel, superficiel, aux berges moins abruptes, de sorte que le fleuve déborde plus facilement en cas de grosses précipitations, comme c’était le cas par le passé. Mais naturaliser quoi que ce soit n’est pas facile, particulièrement lorsque la tâche est confiée à un conducteur de pelleteuse employé par l’Environment Agency, qui a passé sa carrière à faire exactement l’inverse. L’adjectif “naturel” ne faisait pas partie du vocabulaire de Reg. Charlie, au comble de l’exaspération, avait beau essayer de lui inculquer quelques notions sur ce concept, il lui a été impossible de convaincre Reg d’utiliser sa pelleteuse Hymac pour créer un canal inégal et superficiel. Il a construit (ce qui lui a pris deux ans et a coûté une somme monstre au contribuable) un autre canal, sinueux et encaissé. Après qu’il a eu terminé, sans nul doute très satisfait de son œuvre, nous avons fait venir à nos frais une autre pelleteuse pour adoucir certaines de ses berges, en espérant que nos brouteurs, une fois qu’ils

auraient la possibilité d’accéder à l’eau, poursuivraient le travail en piétinant les bords et en formant des flaques. Une équipe de bénévoles de l’Ouse and Adur Rivers Trust a installé des barrages flottants, constitués d’arbres tombés, afin de dynamiser le flux et de permettre à la vase de se déposer dans le canal. La création de mares peu profondes un peu partout dans la plaine inondable dévoile une nouvelle facette de ce paysage humide en évolution, mais plusieurs parcelles restées sèches trahissent les sites où les vieux drains ont su échapper à la pelleteuse. Les résultats sont étonnants. L’année suivant la fin du chantier, nous avons observé des chevaliers culs-blancs sur les berges boueuses et une aigrette garzette rôdant autour des mares. Les colverts sont bientôt venus nicher dans les roseaux, tandis que les mandarins décollaient de leurs nids dans les arbres pour aller se nourrir dans le lac. Les vanneaux huppés n’ont pas tardé, eux aussi, à arriver (en 2016, Penny, notre écologue, est parvenue à baguer deux jeunes) et les mares superficielles, colonisées par de petits poissons et des amphibiens, sont désormais la chasse gardée de hérons cendrés – il nous est arrivé d’en compter seize en même temps. En 2012, l’Environment Agency a supprimé le plus grand des barrages et en a mis en service trois autres (dont le barrage autorégulé de Shipley), permettant aux poissons de les traverser pour la première fois depuis leur construction. Dès 2013, un grand nombre de truites ont migré en amont du fleuve. Une bénévole en a observé six bondissant au-dessus du déversoir au niveau du barrage de Hammer, leur corps frétillant à contre-courant, en l’espace d’une demi-heure. Les données de la jauge de débit installée à Bay Bridge, là où l’Adur quitte le domaine de Knepp, n’ont pas encore été analysées par l’Environment Agency. Empiriquement, en tout cas, il semble que la renaturalisation de notre tronçon du fleuve ait bel et bien un e¤et sur le débit de l’eau autour de nous et sous nos pieds. Les cottages situés sur le domaine à Tenchford et Knepp Mill, notoirement sujets aux

inondations, n’ont pas été touchés par les crues depuis le début du projet. Même après de gros orages, la partie de l’A281 qui se situe en aval, à Henfield, souvent fermée en raison des inondations, est restée empruntable. Ce projet ne couvre cependant que 2,4  kilomètres d’un petit fleuve, soit une portion modeste. Les 25 kilomètres de l’Adur qui nous séparent de la mer prennent la forme d’un conduit canalisé monotone, aux berges nues, pratiquement vides de vie. Lorsque, un printemps, Charlie et les enfants ont parcouru dans des canots gonflables la portion entre l’A24 et Shoreham-by-Sea, ils n’ont vu que trois colverts, quelques cygnes et une alouette des champs. Pour évaluer à sa juste mesure le potentiel de renaturalisation du fleuve, Charlie et moi nous sommes rendus plus au nord, dans le Lake District, pour visiter Wild Ennerdale, un projet de réensauvagement commencé en 2003, soit peu ou prou en même temps que Knepp. Né d’un partenariat entre Natural England et trois organismes propriétaires (la Forestry Commission, le National Trust et United Utilities, l’entreprise de traitement des eaux dans le Nord-Ouest de l’Angleterre), il a pour objectif “de permettre l’évolution de la vallée d’Ennerdale comme espace sauvage au profit des habitants, en s’appuyant davantage sur les processus naturels pour façonner son paysage et son écologie”. Depuis les années 1920, les plantations de conifères, notamment les épicéas de Sitka, essence non native, avaient jeté sur la vallée de 44 kilomètres carrés “un sombre linceul d’arbres”, pour reprendre les termes de l’auteur et grand randonneur Alfred Wainwright. Les pistes forestières ont creusé la terre et, comme sur une grande partie des hautes terres de Grande-Bretagne, les moutons ont rasé le reste des terrains. S’il pouvait voir Ennerdale aujourd’hui du haut des vallons qui surplombent de quelques dizaines de mètres les anciennes plantations, Wainwright aurait bien du mal à reconnaître le site. Bien entendu, la

haute falaise continue de projeter son ombre sur la vallée, et le sommet des collines de Great Gable, Haystacks, Pillar et Kirk Fell, à 900 mètres d’altitude, déverse sur Ennerdale de la neige fondue et de l’eau de pluie ; 12  kilomètres plus loin en aval, au pied de la vallée, la réserve d’Ennerdale Water, un lac glaciaire de 4 kilomètres de long entouré de champs cultivés, a la placidité de l’immuabilité. Entre les deux, cependant, la vallée se débarrasse progressivement du joug de l’action humaine. La politique de gestion adoptée est aujourd’hui la moins interventionniste dont sont capables les partenaires du projet. Les chemins forestiers ont été délaissés, et les barrières, les ponts ainsi que le gué en béton ont été supprimés, permettant à l’omble chevalier et à d’autres poissons de remonter jusqu’à leurs anciennes frayères. Les plantations de mélèzes d’Europe (qui ne sont plus exploitées), ravagées par les tempêtes de 2005 et gravement touchées par une épidémie de rouille en 2013-2014, ont été abandonnées à leur sort, ce qui a permis à de vastes zones de se régénérer avec l’apparition d’espèces natives comme le noisetier, le tremble d’Europe, le frêne, le bouleau et le pin sylvestre, pour le plus grand bonheur de l’écureuil roux. Le nombre de moutons a été radicalement réduit  : le fond de la vallée et les bois, autrefois livrés au pâturage intensif, abritent désormais un petit troupeau de vaches Galloway, une race ancienne. Leur piétinement des herbages permet à la végétation de se régénérer davantage. À flanc de coteau, la surface plane autrefois rasée par les moutons s’est transformée en un luxuriant chaos. Des fourrés de houx, de jeunes bouleaux et de sorbiers des oiseleurs au dôme brouté parsèment un sol bombé couvert de sphaignes et de bryophytes, de callunes communes, de fougères, de champignons et de lichens – des éclaboussures rouge vif et jaune moutarde sur un fond broussailleux composé de nuances de vert. Des fientes violet foncé de grives et des déjections de lagopèdes sur les rochers indiquent que nous ne sommes pas les seuls à nous

empi¤rer de myrtilles. Ici et là, des grappes de genévrier évoquent le sens originel d’“Ennerdale” en norrois  : la vallée des genévriers. En traversant ce tapis moelleux, on a le sentiment d’être monté sur des ressorts. La résurgence de la végétation naturelle sur les coteaux de la vallée retient le sol et absorbe l’eau de pluie, réduisant radicalement les déversements dans la Liza, la rivière d’Ennerdale. Elle-même a considérablement ralenti son débit. Tandis que nous descendons les collines en la longeant, la Liza fait penser à une rivière qu’on trouverait en Alaska ou dans l’Himalaya. Profonde de quelques centimètres seulement, elle suit un parcours dicté par les graviers et les rochers épars, entre des îles éphémères de bouleaux, d’épicéas, de callunes et d’herbes. Les bancs de gravier se déplacent et se métamorphosent, attendant que la crue suivante les démolisse avant de les réassembler di¤éremment. Sans ponts ni revêtements, sans tuyaux, sans canalisations, sans contraintes, la rivière mâchonne librement les surfaces qui l’entourent, s’approprie ici un bout de forêt, crée là de nouvelles berges et se réinvente à chaque grosse intempérie. Les arbres tombés et les débris de bois créent des obstacles et des diversions, absorbant et neutralisant l’énergie de l’eau  : le monstre est ainsi apprivoisé. Les crues destructrices qui ont dévalé les collines dans le Lake District en 2009 ont été l’occasion de comparer les répercussions dans l’Ennerdale réensauvagée et ailleurs dans le district. Les  18  et 19 novembre, des précipitations cataclysmiques se sont abattues sur les sommets (Thirlmere, à 8  kilomètres, a reçu le volume record  : 405  millimètres en trente-huit heures). Étant donné que les coteaux avaient été rasés et compactés par les nombreux moutons placés là au fil des siècles, il n’y avait rien pour faire obstacle à l’eau, qui s’est engou¤rée dans les ruisseaux et les rivières, dont la plupart étaient

devenus des canaux de drainage étroits débordants d’énergie. En quelques heures, la pression de la crue avait fait déborder les canaux et emportait avec elle les ponts et les bâtiments, dégringolant en cascade dans les rues et sur les routes. De la terre et des graviers, détachés des coteaux instables et érodés de la vallée, ont été précipités dans le torrent et ont écumé les vallées, libérant un tsunami de bétonnière sur les villes et les villages en aval. En revanche, à Ennerdale, où la terre meuble et absorbante agit comme une éponge, la crue s’est dissipée rapidement et la Liza était toujours claire et franchissable le lendemain. Lorsque des crues terrifiantes ont de nouveau frappé le comté de Cumbria en 2015, pendant la tempête Desmond, alors que des villes comme Appleby, Penrith, Carlisle, Keswick, Kendal, Cockermouth et Workington étaient là encore touchées, aucun des villages situés sous Ennerdale, Ennerdale Bridge et Egremont compris, n’a été inondé. À Pickering, dans les Yorkshire Dales, un projet communautaire fondé sur les mêmes principes de gestion naturaliste des crues s’est révélé tout aussi eªcace. Coincé au pied d’une gorge escarpée par laquelle s’évacue l’eau des landes de North York Moors, le village de Pickering a été inondé à quatre reprises entre 1999 et 2007, et les dégâts matériels de la dernière crue se sont élevés à 7 millions de livres. La solution, d’après les autorités locales, était de construire un mur de béton (une sorte de mur de Berlin), pour la coquette somme de 20  millions de livres, au beau milieu du charmant centre ancien du village, pour s’assurer que la rivière reste dans son lit. Naturellement, l’idée ne séduisait guère les habitants, qui ont donc cherché par euxmêmes comment ralentir le débit de l’eau dévalant les collines et ont convaincu l’Environment Agency, la Forestry Commission et le département de l’Environnement, de l’Alimentation et des A¤aires rurales de les aider. Dans les ruisseaux au-dessus de la ville, le personnel de la Forestry Commission a construit 167  barrages perméables en

troncs d’arbres et en branchages (qui laissent passer le flux normal de l’eau mais ralentissent les plus gros débits) et ajouté dans les canalisations et les ravines moins importantes 187  ouvrages moins imposants, faits de balles de callunes. Ailleurs, hors de la zone appartenant à la Commission, 29 hectares de forêts ont été plantés en amont et, à l’issue d’une épopée bureaucratique, une digue a été érigée à proximité du bassin hydrographique, capable de stocker 120  000  mètres cubes d’eau de crue, puis de les libérer progressivement au moyen d’une buse. Trois mois après son inauguration, la journée fatidique du 26 décembre 2015, il a plu vingt-quatre heures durant. Le président de l’association locale Pickering and District Civic Society s’est rendu sur la digue pour vérifier le niveau de l’eau et, voyant que tout se passait bien, est rentré chez lui, a allumé son poste de télévision et vu les dégâts causés par les eaux dans tout le Nord de l’Angleterre. Seul Pickering a été épargné. Le coût total de la solution mise en œuvre s’élevait à 2 millions de livres environ, soit un dixième du coût du mur de béton proposé par les autorités locales (un mur qui, selon la plupart des habitants, n’aurait de toute façon pas fait le poids face aux inondations). Pendant ce temps, au pays de Galles, des études menées à Pontbren, dans les Brecon Beacons, ont prouvé que, en se contentant de supprimer les moutons du paysage et en plantant des arbres, le taux d’infiltration de l’eau dans le sol est soixante-sept fois supérieur à celui mesuré sur les pâtures où paissent en permanence des moutons, et dont le sol est compacté par leurs petits sabots fendus. En moyenne, les inondations coûtent à l’économie britannique 1,1  milliard de livres annuelles. Les crues de 2015, à elles seules, ont provoqué 5  milliards de livres de sinistres. Au Royaume-Uni, le risque d’inondation concerne une maison sur six. Les données sont incontestables, tant au Royaume-Uni qu’ailleurs  : la naturalisation des

cours d’eau et le réensauvagement des zones autour des bassins hydrographiques préviennent les crues  ; ce sont par ailleurs des processus beaucoup moins coûteux, plus sûrs et plus résilients que la conception et la construction d’ouvrages anticrues. Ils apportent aussi d’autres bienfaits économiques importants  : purification de l’eau, remise en état des sols, résistance à la sécheresse, biodiversité… Pourtant, au Royaume-Uni, nous restons terriblement à la traîne sur ces sujets. Alors que des pays capables d’examiner la situation sur le plus long terme comme les Pays-Bas, l’Allemagne et la Chine octroient de grosses sommes et des terres à la renaturalisation de leurs cours d’eau et de leurs zones humides, nous continuons à consacrer la majorité de l’argent public destiné à la protection contre les inondations à des systèmes conventionnels d’ingénierie lourde déployés à grande échelle. Dans l’intervalle, les projets de renaturalisation des cours d’eau sont tributaires des financements obtenus auprès des pouvoirs publics locaux, des subventions du National Lottery Community Fund et des dons d’entreprises privées. La Sussex Flow Initiative, un partenariat entre le Woodland Trust, le Sussex Wildlife Trust et l’Environment Agency, commencé en 2014 pour promouvoir la gestion naturelle des crues dans le bassin versant de l’Ouse, reçoit des financements du Lewes District Council et de la Banque royale du Canada, mais l’Environment Agency et d’autres agences gouvernementales n’y investissent pas un penny. À l’heure où j’écris ces lignes, en 2017, soit seize ans après notre première demande de financement dans le cadre de notre projet, il n’existe que trop peu de mesures de la part des pouvoirs publics pour inciter les propriétaires fonciers et les agriculteurs à stocker l’eau dans leurs étangs ou plaines inondables. Pire encore, de nombreuses mesures encore en vigueur ont des e¤ets dissuasifs en matière de renaturalisation  ; ainsi, les plans d’eau sont inéligibles aux subventions agricoles. Alors qu’on peut recevoir des fonds pour planter

des arbres sur les hautes terres et le long des cours d’eau, presque rien n’est fait pour informer les agriculteurs et les propriétaires des mesures de renaturalisation et encourager leur application, et il n’existe toujours pas de subventions destinées à la régénération naturelle. La renaturalisation d’une toute petite portion de l’Adur à Knepp reste, malheureusement, l’un des plus importants projets de restauration d’un cours d’eau sur une propriété privée dans tout le Royaume-Uni.

J’imagine que les castors font d’instinct ce que l’humanité doit apprendre. ERIC COLLIER, La Rivière des castors, 19591.

Depuis les berges de notre portion “renaturalisée” de l’Adur, les pieds dans la boue fraîchement retournée, Derek Gow observait la pelleteuse Hymac de dix tonnes détruire les méandres trop sophistiqués du fleuve et l’équipe de bénévoles créer des obstacles dans le cours d’eau en y traînant des branchages. Sur son visage se lisait une profonde perplexité, mais il était trop diplomate pour doucher nos e¤orts. Nous pataugions déjà suªsamment. Pourtant, à ses yeux, la scène était tout simplement burlesque. Il savait qu’il existait un moyen beaucoup plus simple et plus eªcace pour atteindre le même objectif, une solution qui non seulement apporterait au système davantage de complexité, de naturalisme et de performance, mais qui ne coûterait pratiquement rien. Il manquait dans notre paysage une autre espèce clé. Les castors, beavers en anglais, étaient autrefois répandus en GrandeBretagne. Là encore, la toponymie fourmille de traces de leur présence, de Beverley et Bewerley dans le Yorkshire à Beverston dans le Gloucestershire et au ruisseau appelé Beverley Brook qui parcourt Richmond Park jusqu’à la Tamise. Chassés bien avant le Moyen Âge, ils faillirent disparaître au XVIe siècle, car ils étaient prisés pour leur pelage dense et soyeux et pour leur castoréum, sécrétion produite par les glandes proches de la peau qu’on utilisait pour fabriquer des parfums. Le castoréum était aussi un ingrédient médicinal : sa concentration en acide salicylique (dont est issue l’aspirine), due à l’ingestion d’écorce et de feuilles de saule, en fait un anti-inflammatoire et un analgésique eªcaces. Les castors étaient aussi mangés par les catholiques qui les

voyaient comme des poissons, ce qui en faisait un mets autorisé lors des jours saints et du carême. Ils étaient par ailleurs généralement considérés comme des nuisibles puisqu’ils interféraient avec les systèmes de drainage. Il semblerait que quelques castors aient survécu dans des zones reculées jusqu’au XVIIIe siècle. La dernière trace connue est à chercher du côté de Bolton Percy, dans le Yorkshire : en 1789, un marguillier donna une récompense de 2 pence en échange d’une “tête de castor”. Derek, écologue et spécialiste de la réintroduction, a consacré une grande partie de sa vie à ramener en Grande-Bretagne cet animal disparu, mais son travail de conservation portait à l’origine sur les campagnols terrestres. “C’est le campagnol qui m’a mené au castor”, explique-t-il. Le lien entre ces deux espèces est, d’après Derek, un exemple des relations interspécifiques complexes que notre environnement moderne a perdues. Les campagnols terrestres fascinent Derek depuis que, enfant alors en vacances dans son Écosse natale, il fut ému aux larmes par un combat entre deux mâles dans le ruisseau où il était en train de pêcher des épinoches. Galvanisé par une enquête menée en 1992, qui mettait au jour le déclin de 95 % de la population d’une espèce naguère commune dans tous nos cours d’eau, Derek s’est consacré à rétablir des colonies viables en Grande-Bretagne. “Ce n’est pas souvent qu’on appelle « espèce clé » ce type de tout petit mammifère à fourrure, mais dans le cas du campagnol terrestre, c’est tout à fait mérité.” Les réseaux de terriers profonds et complexes que creusent les campagnols dans les berges des rivières sont autant d’habitats pour les couleuvres à collier, les amphibiens et d’autres petits mammifères, et ils fertilisent le sol et stimulent di¤érentes communautés de végétaux et d’invertébrés. Même l’e¤ondrement des berges dû à un excès de tunnels ouvre des possibilités : les hirondelles de rivage et les martins-pêcheurs

d’Europe viennent nicher dans les fossés. Étant donné qu’un mâle adulte pèse en moyenne 330  grammes (contre 30  grammes pour un campagnol agreste mâle), la disparition des campagnols terrestres est une grosse perte pour les espèces prédatrices comme les hérons cendrés, les buses variables, les hiboux et les chouettes, les faucons crécerelles ou les renards. Le déclin rapide de l’espèce (de 1,2 million au début des années 2000 au Royaume-Uni à environ 300  000 aujourd’hui) a des e¤ets incalculables sur notre écologie, estime Derek. Les campagnols terrestres ont subi de plein fouet les conséquences de la remise en liberté de visons d’Amérique (certains échappés, d’autres libérés par des militants des droits des animaux) issus d’élevages britanniques d’animaux à fourrure entre les années 1950 et 2000, date à laquelle ces élevages ont été interdits. Leurs mécanismes de défense naturels, qui consistent soit à sauter dans l’eau depuis la berge en produisant un “plouf” étonnamment sonore (dont les canoéistes et les pêcheurs d’il y a une ou deux générations se souviennent avec tendresse), soit à plonger puis à refaire surface en ne laissant aºeurer que leurs oreilles, leur museau et leurs yeux, sont plus ou moins eªcaces face aux prédateurs natifs, mais ils ne servent pas à grandchose face à une espèce non native notoirement meurtrière comme le vison, qui en outre se reproduit à toute vitesse. Lorsque le vison est arrivé pour la première fois dans le lac de Knepp, dans les années 1980, les campagnols terrestres ont été les premiers à disparaître. Ont suivi les canetons, les poussins des poules d’eau et les oisons. Bien lointains étaient les jours où le grand-père de Charlie l’emmenait dans la barque pour percer les œufs de bernache du Canada, espèce nuisible pour les cultures. Soudain, on n’a plus trouvé aucun œuf d’oiseau d’eau. À défaut de stratégie à l’échelle nationale (ce qui est toujours le cas aujourd’hui) permettant de gérer les populations de visons à l’état sauvage, ce sont les propriétaires fonciers et les communautés locales

qui doivent s’en occuper. Tout au long des années  1990, on a vu des meutes de chiens de “chasse au vison”, une joyeuse bande de bâtards enthousiastes, s’élancer dans les cours d’eau à la recherche de proies, aboyant avec énergie. C’étaient des jours de fête pour tous les participants, mais leur eªcacité était douteuse. Il nous est arrivé une fois d’observer un vison se glisser sans se faire remarquer dans la mêlée glapissante qui éclaboussait tout le périmètre. On obtenait de meilleurs résultats avec des pièges  : un hiver, à Knepp, nous en avons attrapé 35 en l’espace d’un mois. Une fois encore, on peut se demander si ce redoutable tueur venu d’ailleurs est la principale cause du déclin des campagnols terrestres. En e¤et, si des loutres, des putois et des martres avaient été encore présents dans notre écosystème, le vison l’aurait-il si aisément colonisé  ? Les loutres, en particulier, tuent les rejetons des visons, et parfois même des adultes. Là où, en Grande-Bretagne, les loutres sont présentes, il est évident que les populations de visons sont faibles. Peut-être, comme tant d’autres “envahisseurs”, le vison s’est-il tout simplement engou¤ré par une porte grande ouverte. Selon Derek, la perte d’habitats est la principale menace pour la survie des campagnols terrestres, une espèce qui fonctionne elle aussi par “métapopulations” et a besoin de plusieurs sites interconnectés, à la manière des maillons d’une chaîne. Les colonies étendent leur territoire en été pour aller se reproduire avec les membres des colonies voisines, puis se contractent de nouveau en hiver. Dans les années 1990, la disparition de zones humides partout en Grande-Bretagne avait mené à l’isolement et à la fragmentation de ces colonies et les maillons s’étaient défaits. Les campagnols terrestres doivent désormais parcourir de vastes paysages hostiles pour s’accoupler, et les chances qu’ils parviennent à se reproduire ne font que s’amenuiser. Derek s’est mis à élever des campagnols en captivité (10 000 à ce jour) dans son élevage du Devon,

pour les lâcher ensuite dans les zones humides restaurées où les populations de visons sont désormais sous contrôle. Pour l’heure, il est parvenu à établir des colonies sur 25 sites au Royaume-Uni, d’Aberfoyle en Écosse au fleuve Meon dans le Hampshire, mais aussi dans l’Arun, non loin de Knepp. C’est alors qu’il travaillait à ce projet qu’il s’est mis à réfléchir aux liens qu’entretiennent les campagnols terrestres avec d’autres espèces majeures : “J’étais en train de construire des barrages et de bâtir des ponts dans ces zones humides, afin de créer des habitats favorables aux campagnols terrestres, lorsque je me suis dit qu’il devait bien y avoir, avant l’être humain, une autre façon d’arriver à ce résultat, commente Derek. La réponse m’a sauté aux yeux : c’est le castor.” Des observations approfondies l’ont mis sur la piste d’une autre relation plus subtile entre ces deux espèces : “Les campagnols terrestres sauvent leurs petits des crues. Ils les transportent jusqu’à des nids secondaires, qui ont été construits précisément dans ce but. Leur empressement à procéder ainsi dès le moindre signe d’élévation du niveau de l’eau m’a fait penser qu’ils avaient l’habitude de vivre dans des systèmes aquatiques très dynamiques. Cette capacité d’anticipation n’est pas réservée aux seules grosses précipitations. Les castors peuvent construire un barrage en quelques heures, ce qui signifie que, en l’espace d’une nuit, une petite voie d’eau peut devenir un bassin  : le campagnol terrestre a évolué de sorte à réagir immédiatement, et fréquemment, aux travaux d’ingénierie du castor.” Il est aujourd’hui presque impossible d’imaginer à quel point le paysage britannique a été façonné par le castor. Tout au long de notre histoire, le sort de cette espèce, lié à celui de l’être humain, a connu des hauts et des bas. On a trouvé des traces qui indiquent que dès le Mésolithique (de 10000 à 8000 avant notre ère), en Grande-Bretagne, l’être humain avait entrepris de drainer des terres. Depuis, la domination du castor sur nos zones humides a été soumise à une

pression croissante. Au temps des Romains, alors que les terres agricoles s’étendaient, que les marécages étaient asséchés et les animaux sauvages chassés pour leur viande ou leur fourrure, le nombre de castors dégringola. Les populations remontèrent à l’époque des Saxons et étaient toujours bien présentes dans le paysage du XIe  siècle, sous domination normande. Mais dès le XIIe siècle, l’intervention des castors sur le paysage n’eut plus le même e¤et. Aux XVIe et XVIIe siècles, lorsque l’Angleterre se mit à faire venir des ingénieurs néerlandais pour assécher ses marais, les castors de toute l’Europe furent persécutés jusqu’à presque s’éteindre. Malgré sa rareté, William Harrison, chanoine de Windsor et contributeur de la loi pour la conservation des céréales (Act for the Preservation of Grain, qu’on appelle aussi “Tudor Vermin Acts”) qui faisait de certaines espèces (des rats aux moineaux) les ennemis publics numéro  un, décrivit le castor avec force vitupérations en 1577 : “un rat monstrueux […] qui a une telle force dans les dents qu’il est capable de faire un trou dans une planche épaisse, ou de ronger une grosse bûche en une nuit”. On peut toutefois avoir un aperçu de l’immense potentiel créatif du castor en imaginant le paysage nord-américain du temps de la colonisation européenne. Le castor du Canada est une espèce distincte, pourvue de 40  chromosomes, alors que notre castor eurasiatique en a 48. Les deux espèces ne peuvent pas se croiser, même en captivité. On pense que les deux branches ont évolué séparément il y a 7,5  millions d’années, lorsque les castors ont traversé le détroit de Béring pour s’installer en Amérique du Nord. Cependant, sur le plan de l’aspect physique, du comportement et des incidences sur l’environnement, il est pratiquement impossible de distinguer le castor américain de son cousin européen.

Pendant des millénaires, les populations autochtones d’Amérique ont cohabité paisiblement avec les castors. Avant l’arrivée des trappeurs européens d’animaux à fourrure dans les années 1600, on estime qu’il y avait au moins 60  millions de castors en Amérique du Nord, de la toundra arctique aux déserts du Nord du Mexique, de l’Atlantique au Pacifique ; ils avaient construit des barrages tous les cent mètres sur la plupart des petites rivières. La majorité des écologues parlent même de centaines de millions d’individus. Dans les États les plus à l’ouest, qui sont plus secs, les barrages des castors stabilisaient les niveaux d’eau, empêchaient l’érosion des lits et fournissaient des systèmes vitaux de réservoirs d’eau. Dans les États montagneux, ils procuraient une protection contre les crues en construisant des réservoirs qui retenaient l’eau issue de la fonte des glaciers au printemps. Les populations autochtones d’Amérique voyaient en eux le “centre sacré” de la Terre. “Si l’on considère qu’il y avait en Grande-Bretagne, avant l’apogée de l’agriculture humaine, la même densité de castors, alors on peut imaginer que toutes nos vallées disposaient de systèmes complexes de bassins et de canaux. Le paysage devait alors être complètement di¤érent. Et l’e¤et de l’intervention du castor sur la faune dans nos zones humides était tout simplement colossal, analyse Derek. Les castors peuvent littéralement donner vie au paysage.” Il rêve du jour où l’on verra de nouveau les castors nager dans les cours d’eau anglais. Nous nous demandions si Knepp serait un site judicieux de réintroduction du castor. Charlie en avait déjà parlé en  2000 dans sa lettre d’intention adressée au département de l’Environnement mais, tout comme le bison et le sanglier, rêves irréalisables, le castor avait dû être mis de côté. Alors qu’il observait, de l’autre côté de Mill Pond, les berges en train de s’envaser rapidement et les bordures du lac en forme de L se couvrir de broussailles et d’herbes

folles, le regard de Derek s’est illuminé. “Ils tailleraient ce bosquet de saules en deux temps trois mouvements et ouvriraient de nouveau le lac, a-t-il aªrmé. Ils se plairaient beaucoup ici.” Les projets de réintroduction du castor au Royaume-Uni font depuis quelque temps l’objet de controverses. Les pêcheurs, en particulier, s’y opposent, car ils sont convaincus que sa présence aura des e¤ets préjudiciables sur les stocks de poissons. Il faut dire qu’un grand nombre de personnes, le confondant peut-être avec la loutre, pensent que le castor est piscivore. Même C. S. Lewis décrit M. et Mme Castor, dans le royaume de Narnia, attablés devant une assiette de truites et de pommes de terre. En réalité, leurs fameuses dents proéminentes sont parfaitement inadaptées à la pêche. Sécateurs auto-a¤ûtés, ces quenottes orange vif (du fait du fer qu’elles contiennent pour les renforcer) sont conçues pour tailler le bois, l’écorce et les espèces ligneuses. Les pêcheurs qui veulent bien admettre que les castors sont végétariens insistent tout de même sur le fait que leurs barrages font obstacle à la migration des saumons et des truites. Les responsables de la gestion des terres craignent qu’ils abîment les arbres, les cours d’eau, les fossés et les cultures. Et puis, il y a partout cette angoisse toute britannique de la perte de contrôle. Qui sait ce qui pourrait arriver ? Nous avons vécu sans castor trop longtemps, dit-on, pour qu’il soit judicieux de le réintroduire aujourd’hui. En réalité, le castor est déjà de retour. Des introductions, accidentelles et délibérées, se sont déjà produites. Selon Derek, le catalyseur a été la ratification par le Royaume-Uni, en 1982, de la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe. En vertu de cette convention, les pays signataires doivent envisager la réintroduction d’espèces natives éteintes, notamment des espèces clés, partout où c’est possible. Dès les années 1990, des réintroductions en Europe avaient montré que le retour des castors à l’état sauvage était

facile et bénéfique. En Écosse, Dick Balharry, président du John Muir Trust et du National Trust for Scotland, a soumis l’idée à l’organisme public Scottish National Heritage qui s’y est vigoureusement opposé, citant entre autres inquiétudes les problèmes de quarantaine. Malgré tout, des petits zoos et parcs indépendants en Écosse et en Angleterre ont entrepris, avec l’aide de Derek, d’importer des castors depuis la Pologne, afin de montrer que la quarantaine n’avait rien d’insurmontable. L’idée était aussi de sensibiliser le public britannique à la réintroduction imminente des castors dans le pays. Ces petits actes étaient, dit Derek, “des bougies allumées dans l’obscurité”. C’est en 2001 qu’on a véritablement commencé à parler des castors vivant en liberté. Hugh Chalmers, du Borders Forest Trust, a appelé Derek depuis son canoë alors qu’il était au milieu du fleuve Tay. “Tu n’aurais pas perdu un castor ? lui a-t-il demandé. Parce qu’il y en a un qui vient de me passer sous le nez.” Plusieurs années plus tôt, supposet-on, des castors s’étaient échappés de la réserve animalière d’Auchingarrich, dans le Sud des Highlands écossaises, après qu’une des soigneuses, qui s’était électrocutée sur une clôture, avait coupé le courant. Mais les castors, bien connus pour être des rois de l’évasion, ont bien pu venir d’ailleurs, par exemple de deux terrains clôturés non loin de là, sur des domaines privés, les deux bénéficiant de cours d’eau se jetant dans le Tay. Il y a aussi bien sûr la possibilité que des militants en faveur du castor, frustrés, aient pris les choses en main (des “black ops”, comme on les appelle dans le milieu anglophone de la conservation). Quelle qu’ait été leur provenance, il existait en 2001 une population prospère, sans aucune marque d’identification, qui vivait dans le bassin hydrographique du Tay, le plus grand de GrandeBretagne, proche du site où l’on a trouvé les plus anciens barrages et huttes de castor (vieux de 1 500 à 8 000 ans, selon la datation carbone), dans les bois submergés du loch Tay. La bonne fortune des castors

échappés des propriétés privées a incité le gouvernement écossais à agir. En mai 2009, le zoo d’Édimbourg et le Scottish Wildlife Trust ont reçu l’autorisation de mettre en liberté quelques castors sur des terres appartenant à la Forestry Commission à Knapdale, dans la région de l’Argyll. Ces seize castors venus de Norvège, qui ont donné naissance à au moins quatorze petits dans les quatre premières années de leur mise en liberté, ont créé 13 045 mètres carrés de nouvel habitat d’eau douce, soit l’équivalent d’environ dix bassins olympiques, et construit de nombreux barrages et huttes, dont les plus grands font la taille d’un garage pour deux voitures. On estime aujourd’hui que plusieurs centaines de castors vivent en liberté dans les cours d’eau écossais, bien que personne ne connaisse leur nombre exact ni précisément l’étendue de leur territoire. Les touristes commençaient déjà à aºuer, ravis de voir des castors dans leur habitat naturel. Mais l’incertitude concernant leur statut d’immigrants (la question de savoir si les pouvoirs publics écossais allaient les autoriser à rester là ou les déporter) alimentait le ressentiment des habitants du coin. En l’absence de compensation des terres agricoles inondées, certains agriculteurs avaient déjà abattu plusieurs castors dans le Tay et les environs. En 2009, lorsque nous avons fait sa connaissance, peu après le début du projet pilote de Knapdale, Derek cherchait un site propice à la réintroduction du castor en Angleterre. En y regardant de plus près, il s’est avéré que l’Adur, perméable en amont et trop construit entre Knepp et la mer, n’était pas idéal. Un bassin plus naturel et autosuªsant, disposant d’un accès public et bénéficiant de la participation de divers gestionnaires, permettrait d’évaluer les réactions et serait ainsi plus utile. Pendant que Derek poursuivait ses recherches, il a proposé de mettre sur pied une organisation qui servirait de

plateforme de discussion sur la question du castor en Angleterre en réunissant toutes les parties intéressées, afin d’éviter la polarisation qui semblait se produire en Écosse. En juillet  2010, le Comité consultatif pour le castor en Angleterre a été créé. J’avais milité en faveur d’un nom plus engageant comme “Nice Beaver”, le “gentil castor”, mais ma proposition n’a pas été retenue. Charlie présidait le Comité, tandis que Derek Gow et Róisín CampbellPalmer, la gestionnaire des projets de conservation au zoo d’Édimbourg et une des gestionnaires du projet pilote écossais, y siégeaient. Dans les années qui ont suivi, des représentants de la National Farmers’ Union, de la Country Landowners’ Association, du Farming and Wildlife Advisory Group, du Wildlife and Wetlands Trust, des Wildlife Trusts, de la Royal Society for the Protection of Birds (RSPB), de l’Environment Agency, du National Trust, des Amis de la Terre et de la Forestry Commission se sont retrouvés à Knepp pour analyser les espoirs et les craintes que suscitait l’idée de la présence du castor dans les eaux anglaises. Depuis longtemps, et bien que cela paraisse peut-être contreintuitif, la Forestry Commission s’intéressait aux castors en leur qualité d’ingénieurs forestiers  ; elle est généralement (quoique prudemment) favorable à leur présence, ses seules grandes préoccupations étant les incidences possibles sur les infrastructures coûteuses comme les buses et les routes. Selon la Commission, les avantages compenseraient largement les diªcultés, pourvu qu’on adopte une attitude purement rationnelle dans la gestion des castors, à savoir qu’ils seraient déplacés ou abattus au besoin. Bien que le projet pilote écossais soit étayé par des preuves scientifiques, il est rapidement apparu que rien d’autre que des données anglaises ne pourrait convaincre les acteurs anglais. Le département de l’Environnement, de l’Alimentation et des A¤aires rurales se montrait cependant réticent à l’idée d’autoriser une mise en liberté de castors

dans un cours d’eau du territoire. C’est ainsi qu’en 2011, le Devon Wildlife Trust, pour lequel Derek était consultant, a monté un projet pour observer les e¤ets de la présence de castors dans un enclos de 2,8 hectares situé sur des terres agricoles de l’Ouest du Devon. Un panneau sur la porte du garage aªchait les mots “Opération intrépide”. Mais lorsque Charlie et moi nous sommes rendus sur le site du Devon, en octobre 2014, le lieu était encore gardé secret. Toutes les précautions avaient été prises pour éviter que les castors ne s’échappent. Sorte de Guantanamo pour rongeurs, l’enclos était ceint de barrières en acier de 1,25  mètre, renforcées par trois fils électriques, et on avait enfoncé, jusqu’à 90  centimètres de profondeur, des doubles grilles soudées. L’opération avait coûté 35 000 livres. Entre les jeunes arbres tombés à terre et les souches grignotées, le réseau complexe de canaux et, ici et là, des fondrières, il était diªcile de croire que cette zone était naguère une forêt secondaire détrempée le long d’un ruisseau canalisé long de 200 mètres et à faible débit. En un peu moins de trois ans, deux adultes et leurs trois petits avaient créé un entrelacs de canaux, de taillis de saules et de bassins (1  000  mètres carrés de plans d’eau), le tout géré à l’aide d’une douzaine de barrages. Au cœur de ce territoire, ils avaient bâti leur hutte, un tas de boue, de brindilles et de mousses, dans laquelle, au moment de notre visite, en pleine journée, ces petits animaux nocturnes étaient terrés, attendant la nuit pour reprendre les travaux. Les e¤ets de leur présence sur la faune et la flore sont tout à fait étonnants. L’été, l’air de ce petit royaume du castor est chargé de papillons, de syrphes, de demoiselles et de libellules. Les berges se couvrent de menthe aquatique, de mourons délicats et d’orchidées. Dans le tapis de mousses et d’épiphytes, une petite hépatique océanique, Colura calyptrifolia, est apparue. Des canards pataugent dans les bassins, et des mésanges nonnettes et boréales, des gobemouches gris, des

locustelles tachetées, des pics épeiches, des grimpereaux et des sizerins cabarets font la chasse aux insectes. Des hérons cendrés et des martinspêcheurs se régalent de poissons. Des bécasses des bois passent ici l’hiver, se nourrissant de lombrics, de coléoptères, d’araignées, de larves de mouche et de petits escargots. Le nombre d’espèces d’invertébrés aquatiques a connu une hausse spectaculaire, de  14 en  2011 à 42 en 2012, de même que les coléoptères (de 8 espèces en 2011 à 26 en 2015). Cinq espèces de chauves-souris, y compris des barbastelles et des murins de Natterer, espèces rares, ont été recensées sur le site. Des lézards vivipares chassent dans le bois mort du sous-étage. Les amphibiens prolifèrent. Au cours de la première année (2011), 10 amas de frai avaient été comptés. En 2014, il y en avait 370, et 580 en 2016. Il y en avait même qui dégoulinait des arbres, sans doute des restes de repas de hérons qui avaient attrapé des grenouilles gravides. Pour le Devon Wildlife Trust, le résultat le plus enthousiasmant a été la réapparition de la haute végétation de marécages, comme la molinie bleue et le jonc à tépales aigus, flore typique des landes pâturées, un habitat de l’Ouest de la Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord qui a perdu 90 % de sa surface au cours des cent dernières années des suites du drainage, de la culture, du surpâturage, des feux et du déboisement, ce qui en fait un habitat menacé de disparition. Il ne reste que 3 500 hectares de ces landes dans le Devon. Cela étant, les répercussions de la présence des castors sur l’eau sont sans nul doute le meilleur argument en leur faveur. Le suivi rigoureux du débit sur tout le site, mené par les hydrologues de la  University of Exeter, a montré que, lorsque des eºuents boueux arrivent dans l’enclos depuis l’exploitation voisine, le système de filtration créé par les castors réduit considérablement les niveaux de pollution de l’eau ressortant du site. Les nitrates et phosphates, qui parviennent dans l’enclos sous la forme de ruissellements de produits issus des terres agricoles

environnantes, disparaissent presque entièrement dans l’eau. L’érosion des sols est elle aussi contenue. Pendant les intempéries, l’eau de surface quittant le site contient trois fois moins de sédiments que l’eau qui y entre. Cette zone de moins de 3 hectares, alimentée en amont par un tout petit ruisseau qui autrefois ne retenait sans doute que quelques centaines de litres d’eau, en contient désormais un million. La douzaine de barrages poreux qui ont été construits régulent l’écoulement, réduisent les pointes de crue et augmentent le débit de base ; la courbe des volumes d’eau qui quittent le site, autrefois de véritables montagnes russes, forme aujourd’hui des ondulations régulières de moindre ampleur. Le niveau de la nappe phréatique a augmenté de 10  centimètres en moyenne. C’est précisément la stratégie que les habitants de Pickering et du Stroud Sustainable Drainage Projet (une initiative qui couvre les 275 kilomètres carrés du bassin hydrographique de la rivière Frome, dans le Somerset) ont mise en œuvre, à la main, pour se protéger des crues. Les travaux menés par la University of Exeter sur ce tout petit site du Devon figurent parmi les plus détaillés jamais conduits sur l’hydrologie des barrages de castor et ils nous permettront certainement de mieux comprendre les aptitudes de cet animal, ingénieur ultime de la lutte contre les inondations. Mais en ce qui concerne les arguments en faveur de la réintroduction des castors dans les écosystèmes, ce n’est que la cerise sur le gâteau. Nous disposons d’ores et déjà d’abondantes données sur leur présence en Europe et en Amérique, sur une échelle bien plus importante. Dans les années 1930, en Amérique du Nord, après trois siècles de braconnage et d’abattage, seuls 100  000  castors survivaient dans des régions reculées du Canada. Entre 1853 et 1877, la Compagnie de la Baie d’Hudson avait à elle seule envoyé 3  millions de peaux de castor en Angleterre. Les castors sont aujourd’hui de  6  à 12  millions sur le

continent  ; il y en a  70  000  dans le seul État du Massachusetts. La réapparition de cette espèce a donné lieu à la publication de centaines d’articles scientifiques. À la University of Rhode Island, les scientifiques ont montré que les bassins créés par les castors font oªce de puits d’azote : jusqu’à 45 % de l’azote contenu dans l’eau est assimilé par des bactéries et des plantes aquatiques qui prolifèrent dans les bassins et stocké dans les sédiments. Leurs résultats ont été vérifiés indépendamment par la Soil Science Association of America. À la Colorado State University, les études se sont axées sur la séquestration de carbone dans les barrages des castors. Le processus de rétention du carbone dans les sédiments des bassins, indiquent les pédologues, pourrait faire beaucoup dans la lutte contre le changement climatique. À la Wildlife Conservation Society du Montana, les chercheurs ont montré que les barrages des castors mènent à l’élévation du niveau des eaux souterraines, augmentent les réserves d’eau et ainsi réduisent considérablement le coût du pompage des eaux souterraines pour l’agriculture, tout en améliorant l’habitat au profit des oiseaux chanteurs, des chevreuils, des wapitis et, surtout, des poissons. Dans le Wyoming, les cours d’eau habités par des castors abritent un nombre d’oiseaux d’eau soixante-quinze fois supérieur à celui des ruisseaux et rivières sans castors, et la biomasse totale de toutes les créatures vivant dans l’eau pourrait être de deux à cinq fois plus importante dans les bassins des castors que dans les portions des cours d’eau dépourvues de barrages. D’autres études démontrent que la création de nouveaux sols passe notamment par l’envasement des étangs de castors, abandonnés lorsque la végétation se met à manquer. En Europe, des programmes de réintroduction mis en œuvre sur 161  sites de 24  pays européens, notamment la France, l’Allemagne, la Suisse, la Roumanie et les Pays-Bas, ont fait grimper le nombre de castors à 1,2 million. En 1900, ils n’étaient que 1 200, répartis en huit

populations reliques. Aujourd’hui, on trouve des castors dans les systèmes fluviaux de presque tous les pays d’Europe. Les études scientifiques sur les castors européens en liberté font écho aux résultats constatés aux États-Unis. Mais, plus important sans doute pour mes concitoyens récalcitrants, l’Europe continentale, densément peuplée, montre bien qu’il est possible de coexister avec les castors. Peu de paysages dans le monde font l’objet d’une gestion plus intensive que la province allemande de Bavière. Aussi loin que porte le regard, les plaines du Danube sont cultivées au centimètre près. Les champs arables sont vastes et dépourvus de haies  ; les bordures des routes sont des bandes manucurées, sans végétation. L’élevage de vaches, de porcs et de moutons se fait généralement derrière des portes closes, même l’été. Dans les hautes terres, le secteur forestier produit chaque année 4,85 millions de mètres cubes de bois de construction, et représente près de 3  000  emplois permanents dans l’administration et  2  300 dans l’exploitation forestière à proprement parler. Pourtant, dans cette zone bien plus réduite que l’Écosse, les êtres humains cohabitent avec 18 000 castors. Gerhard Schwab est l’homologue allemand de Derek Gow. Homme montagne à la barbe hirsute et aux longs cheveux gris cascadant jusqu’à la taille, il nous présente “l’aéroport des castors”, une parcelle boisée à quelques minutes à peine du hall d’arrivée de l’aéroport de Munich. Nous visitons de nombreux sites lors de ces trois journées bien chargées, du plus élevé de Bavière, dans le lac Großer Arber à 1 456 mètres d’altitude, aux plus bas : carrières, Danube et parcs publics dans des banlieues urbaines. Mais le site le plus surprenant que nous ayons vu lors de ce séjour est sans doute le club de pêche. Des hommes d’âge moyen, équipés de gourdes et de sandwiches, lancent leur ligne dans l’espoir d’attraper des sandres et des truites arc-en-ciel, sans même un regard vers le banc de bûches et de branchages de l’autre côté de

l’étang. Certes, plusieurs des saules les plus décoratifs ont dû être grillagés pour préserver des zones d’ombre au profit des pêcheurs et réguler la température de l’eau. Les truites ne tolèrent pas les températures élevées, contrairement aux carpes, aux brochets et aux silures, et sou¤riraient d’être exposées au soleil direct. Mais cette gêne est un prix que les pêcheurs bavarois sont tout à fait prêts à payer pour faire de la place au castor. “Les pêcheurs faisaient partie des opposants les plus véhéments lorsque les castors sont revenus en Bavière dans les années  1960, explique Gerhard, mais l’expérience de la cohabitation les a fait changer d’avis.” Les réserves de poissons dans les étangs de castors, où les barrages et les huttes fournissent aux invertébrés et aux microorganismes des habitats mais aussi, dans le cas du menu fretin, une protection contre les plus gros poissons, les martins-pêcheurs et les hérons cendrés, ont été multipliées dans certains cas par huit. Partout ailleurs, les barrages ne font pas obstacle aux migrations, ce qui ne devrait sans doute pas nous surprendre puisque salmonidés et castors coexistent depuis des dizaines de millions d’années. Afin de conserver son permis de pêche en Bavière, il faut e¤ectuer sept à quinze jours de service volontaire dans un club, et les pêcheurs passent désormais une partie de ces journées à grillager les arbres et à combler de briques les trous et les ruisselets créés par les castors, pour pouvoir marcher le long des berges et planter leur parasol. “Une véritable symbiose”, sourit Gerhard. Les agriculteurs bavarois, eux aussi, apprennent à vivre avec les castors, grâce à un dispositif ingénieux, simple et peu coûteux, mis à l’essai pour la première fois aux États-Unis, qui consiste à réguler le niveau de l’eau des étangs de castors et à laisser les buses ouvertes là où les champs arables sont menacés.

“Neuf fois sur dix, les castors ne posent aucun problème, assure Gerhard. Et lorsque c’est le cas, il y a généralement des solutions très simples.” Un principe a beaucoup fait pour que les agriculteurs bavarois acceptent la présence de cet animal : dans le cas d’un problème qui ne trouverait pas de solution, il reste possible de capturer ou d’abattre un castor. “Cette garantie, à elle seule, a permis de susciter une plus grande adhésion au projet, explique Gerhard. Il est vital que les agriculteurs et les propriétaires fonciers sachent que la loi ne va pas imposer une obligation de protection du castor et contraindre les gens à les accueillir sur leurs terrains, quelles que soient les conséquences.” Notre petite ONG, le Comité consultatif pour le castor en Angleterre, s’e¤orçait de montrer aux Britanniques que dans le reste de l’Europe, au Canada et aux États-Unis, les pêcheurs et les agriculteurs vivaient en bonne entente avec les castors, lorsque les événements ont pris une tournure spectaculairement bénéfique. Une famille de castors en liberté a été découverte dans le fleuve Otter, dans le Devon. Une courte vidéo granuleuse, en noir et blanc, tournée une nuit de février 2014 par Tom Buckley, un chercheur en sciences de l’environnement à la retraite, montre trois castors gambadant dans l’eau, se toilettant les uns les autres et grignotant des troncs d’arbres. Sans surprise, la vidéo a fait un tabac. De nombreux habitants des environs savaient que des castors vivaient là depuis près de dix ans mais s’étaient tus, craignant d’attirer les médias et surtout de susciter une réaction improductive de la part des pouvoirs publics. Ils avaient eu raison de s’inquiéter. Peu après cette découverte, le département de l’Environnement, de l’Alimentation et des A¤aires rurales a annoncé son intention de capturer la colonie pour la mettre en captivité, au motif qu’il s’agissait d’une espèce envahissante, possible vecteur de maladies dangereuses pour l’être humain.

Comment ces castors étaient-ils arrivés là  ? Mystère. On a supposé qu’ils s’étaient échappés d’une réserve naturelle voisine, mais il est peutêtre plus probable que des militants de la cause animale, des beaver bombers ou “poseurs de castors”, selon la presse, en étaient responsables. Quoi qu’il en soit, le Devon Wildlife Trust et les habitants de la ville voisine d’Ottery St Mary (y compris l’agriculteur à qui appartenaient les terres sur lesquelles les castors avaient été filmés) se sont mobilisés pour faire faire machine arrière au gouvernement, à grand renfort de pétitions et d’aªches “Sauvons nos castors” placardées dans les vitrines des commerces. Dix mille personnes ont écrit au secrétaire d’État pour demander que, si les castors capturés et testés étaient négatifs aux maladies, ils soient ensuite immédiatement relâchés dans l’Otter. L’essor de la mobilisation en faveur des castors, non seulement dans le Devon mais dans tout le pays, a encouragé les Amis de la Terre à remettre en cause la légitimité de la position du gouvernement. La Grande-Bretagne, ont-ils allégué, figure dans l’aire de répartition naturelle du castor d’Europe, et les supprimer reviendrait  à enfreindre les lois européennes relatives aux espèces protégées. Tandis que les critiques fusaient, le Devon Wildlife Trust a organisé un certain nombre de réunions publiques pour essayer de parvenir à un consensus et ainsi faire eªcacement pression pour la remise en liberté des castors après les tests. D’après Derek, le travail de fond mené par notre Comité consultatif dans les cinq années précédentes avait joué un rôle essentiel au cours de ces réunions qui décideraient du sort des castors du Devon. “Il y a dix ans, nous n’aurions jamais vu des écologistes s’asseoir à la même table que des groupes de pression anticastors comme la National Farmers’ Union. Mais nous nous connaissions tous pour nous être rencontrés à Knepp. Nous nous sommes bien entendus et il y avait une relation de confiance entre nous. Nous défendions chacun nos positions, mais les agriculteurs étaient

prêts à accepter un test oªciel de remise en liberté. Le département de l’Environnement n’a alors pas eu d’autre choix que de se ranger à notre avis.” Le 23  mars 2015, en amont de l’Otter, alors que les silhouettes des arbres s’épaississaient dans la nuit tombante, plongeant un peu plus le bois dans l’obscurité, l’équipe de la série documentaire de la BBC Springwatch tuait le temps en filmant des plans d’ambiance. Le sentiment d’attente qui régnait dans la petite bande d’observateurs réunis (des employés et des donateurs du Devon Wildlife Trust, le jeune couple d’agriculteurs propriétaires du terrain, et Charlie et moi) était presque insupportable. Nous faisions les cent pas sur les plages de galets, évitant çà et là les arbres à terre (témoignages des années de dur labeur des castors), les yeux rivés sur nos montres, inquiets des pépins qui pourraient survenir au dernier moment. Le Devon Wildlife Trust nous avait appelés moins de vingt-quatre heures auparavant. Ils venaient d’avoir les résultats des tests e¤ectués par Róisín et ses collègues du zoo d’Édimbourg à la ferme de Derek sur les castors qui avaient été capturés. Désormais équipés d’un certificat de santé et d’une étiquette d’identification auriculaire bien visible, ils étaient prêts à être relâchés. Les pouvoirs publics avaient fini par capituler et convenir d’une mise en liberté provisoire dans l’Otter. La position courageuse du Devon Wildlife Trust et le travail mené dans le cadre de l’“Opération intrépide” avaient porté leurs fruits. C’était un gros engagement pour une si petite organisation. Les démarches e¤ectuées en vue de l’obtention d’un permis, minutieusement détaillées, avaient déjà été laborieuses, mais l’association avait aussi fourni des ressources financières et organisationnelles, et s’était engagée à gérer toutes les conditions complexes du permis. En partenariat avec Clinton Devon Estates, le cabinet Derek Gow Consultancy et la  University of Exeter, le Devon Wildlife Trust mènerait ce projet pilote sur une période de cinq ans,

pour un coût de 500 000 livres, et mesurerait les incidences des castors sur l’environnement, l’économie, la population humaine et la vie sauvage des environs. À la fin de ces cinq années, en 2020, le gouvernement devra se prononcer sur l’avenir du castor en Angleterre et, en supposant que les castors se comportent ici comme ils le font ailleurs dans le monde, se mettra à délivrer d’autres permis de mise en liberté2. En attendant, le 24  novembre 2016, le gouvernement écossais a fini par donner aux castors d’Écosse venus du continent européen l’autorisation de rester, ce qui devrait d’autant plus encourager l’Angleterre à lui emboîter le pas. Le vrombissement d’un moteur perce enfin l’immobilité et le pick-up de Derek Gow s’arrête le long de la rivière. Trois cages de transport sont soulevées de la plateforme arrière et posées au sol avec douceur, les trappes grillagées tournées vers la rivière. Tendus par l’imminence de l’événement, sur la berge opposée, tous les objectifs braqués sur les cages, nous fixons la scène. Nous sommes témoins de l’histoire en train de se faire  : la toute première mise en liberté autorisée par le gouvernement d’un mammifère éteint en Grande-Bretagne. Derek soulève les rabats un à un et trois ombres filent ventre à terre jusqu’à l’eau avant de s’éloigner à grands coups de pattes. Les autres seront mis en liberté dans la soirée du lendemain. Deux des castors fendent l’eau et s’éloignent en quelques secondes mais le plus grand, une femelle pleine, après un tour d’honneur, sort devant nous sur une étendue de sable pour faire sa toilette. Le petit animal, de la taille d’un épagneul replet, s’assoit sur son postérieur, moustaches évaluant les airs et, en prenant appui sur sa queue plate écaillée, se met à lisser ses longs poils luisants à l’aide d’une de ses pattes arrière. Peut-être que notre rêve d’avoir des castors à Knepp n’est pas si lointain. Je les imagine très bien dans le bosquet de saules du lac de Knepp, ou fendant l’eau de Hammer Pond, faisant leurs petites

a¤aires de castor avec une cohorte d’industrieux petits, les plus jeunes se glissant subrepticement sur la queue de leur mère pour se laisser porter. Nous pourrions abandonner nos barrages de béton et nos cales bricolées, et les plaines inondables seraient ponctuées d’obstacles faits de branchages que nous n’aurions pas construits nous-mêmes, nos mares maladroites et artificielles remplacées par une cascade de bassins, Spring Wood transformé en taillis. Et avec ce système aquatique raªné surgirait tout un habitat riche de vie, un royaume aquatique tel que Knepp n’en a plus connu depuis le début du Moyen Âge, un lieu de complexité végétale dans lequel même un campagnol terrestre aurait une vraie chance de déjouer les tactiques du vison.

Nous devons trouver une meilleure façon de parler du fait que nous mangeons des animaux. Il faut chercher un moyen de mettre la viande au centre du débat public, de la même façon qu’elle se retrouve bien souvent au centre de nos assiettes. JONATHAN SAFRAN FOER, Faut-il manger les animaux ?, 20111.

Avec le choix de nos longhorns, la chance nous avait souri, et je ne parle pas ici seulement de leur docilité. La raie blanche caractéristique qui parcourt leur épine dorsale nous permettait de les repérer plus facilement sur nos terres de plus en plus broussailleuses et elles survivaient très bien aux hivers. Robustes et résilientes, elles n’utilisaient que rarement les étables vides que nous avions mises à leur disposition, préférant s’abriter dans un bois ou un boqueteau de saules en attendant que passent les orages ou les vagues de froid. Il est aussi intéressant, d’un point de vue économique, de souligner que les longhorns produisent une viande exceptionnelle. Dans sa série documentaire In Search of Perfection, di¤usée en 2013, le chef Heston Blumenthal, chargé de cuisiner le steak le plus savoureux au monde, choisit la viande de longhorn parmi toutes les autres, y compris l’angus et le bœuf de Kobé. En 2010, avec nos trois troupeaux qui comprenaient désormais 283 têtes (69 vaches, 9 taureaux, 36 génisses gestantes ou en passe de l’être, et d’autres jeunes entre six et vingt mois), il nous semblait avoir atteint la densité maximale de bétail pour le projet et il nous fallait donc en abattre quelques-unes. C’est alors que s’est présenté à nous un produit dérivé du réensauvagement, susceptible de nous apporter des revenus importants : de fait, nous produisions de la viande de longhorn biologique de qualité supérieure, sans avoir à payer ni fourrages ni

infrastructures, et presque sans frais vétérinaires. Une petite boucherie familiale spécialisée dans le label “conservation grade2” nous a contactés pour louer l’un de nos bâtiments désa¤ectés, et c’est ainsi que nous avons trouvé le partenaire idéal. Nous disposons d’une salle de découpe et d’une cave de maturation où notre viande est entreposée cinq semaines, une pratique presque oubliée à l’ère du fast-food. Nous avons des listes d’attente pour les meilleurs morceaux et fournissons des restaurants, des pubs et une boucherie haut de gamme de notre région. Plus que la saveur et la tendreté de notre viande, ou même le fait qu’elle soit bio, le principal argument de vente est que nos animaux sont “élevés au pâturage”. C’est une distinction qui, pour l’heure, n’est pas prise en compte par les pouvoirs publics au Royaume-Uni et le secteur agroalimentaire, alors qu’elle présente des avantages sur le long terme pour la santé humaine et animale. Dans les années  1990, des scientifiques états-uniens ont comparé les graisses produites par le bétail mis au pré et celles des bêtes nourries aux céréales dans les élevages intensifs. Les résultats, qui concordaient avec les inquiétudes liées au bien-être animal, ont été le point de départ du mouvement en faveur des animaux “élevés à l’herbe” aux États-Unis. Aujourd’hui, dans la plupart des supermarchés du pays, certaines parties du comptoir à viande et des rayons des produits laitiers sont consacrées à des produits issus d’animaux  100  %  nourris à l’herbe. Comme de coutume, les Britanniques étaient sceptiques face à ces recherches menées à l’étranger mais, en 2009, une étude indépendante réalisée au RoyaumeUni par le Conseil de la recherche économique et sociale est venue corroborer les conclusions venues des États-Unis. L’analyse chimique de la viande issue d’animaux élevés au pâturage montre des niveaux bien plus élevés de vitamines  A et  E, et généralement le double de bêtacarotène (précurseur de la vitamine A) et de sélénium, tous de puissants antioxydants. On y trouve aussi des

niveaux plus élevés d’acides gras sains, notamment les DHA, des oméga-3 à chaîne longue, qui diminuent le risque de cardiopathie et jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement et le développement du cerveau. Le cerveau humain est composé pour moitié de graisse, et les oméga-3 représentent un quart de cette graisse. Étant donné que le corps ne peut pas produire ses propres oméga-3, il doit les extraire de la nourriture que nous consommons. Le problème, c’est que peu d’aliments en contiennent. Les poissons gras comme le thon, le maquereau et le saumon sont riches en DHA, mais les réserves halieutiques du monde entier dégringolent, et le saumon d’élevage, même lorsqu’il est bio, est généralement nourri d’un mélange de poissons sauvages provenant de sources non viables. Ce type d’élevage est aussi très polluant, car il concentre de grandes quantités d’excréments et de restes alimentaires qui modifient la biologie marine, sans compter qu’il est un facteur de propagation de maladies chez les poissons sauvages. Les fabricants de compléments à base d’oméga-3 se tournent de plus en plus vers le krill, les petits crustacés qu’on trouve dans tous les océans du monde, et les militants écologistes font aujourd’hui pression pour protéger cette ressource vitale, fondement de la chaîne alimentaire marine. La viande issue d’animaux élevés au pâturage, à l’inverse, est produite selon des pratiques durables et contient des quantités d’oméga-3 proportionnelles aux oméga-6, d’autres acides gras. D’après des études récentes, notre alimentation contient beaucoup trop d’oméga-6, qu’on trouve surtout dans les huiles végétales. Pour être en bonne santé, disent les nutritionnistes, il est essentiel que la part d’oméga-6 consommée ne soit pas plus de six fois supérieure à celle d’oméga-3. Le bœuf élevé au pâturage contient au maximum quatre fois plus d’oméga-6 que d’oméga-3, alors que le bœuf nourri au grain apporte six à treize fois plus d’oméga-6 que d’oméga-3.

Mais l’aspect le plus important est sans doute le niveau bien plus élevé, chez les animaux élevés au pâturage, d’acides linoléiques conjugués (ACL), des acides gras dont les effets bénéfiques sur le système immunitaire et inflammatoire, ainsi que sur la masse osseuse, ont été prouvés. Figurant au rang des produits anticancers naturels les plus puissants, les ACL réduisent aussi la masse graisseuse et le risque d’infarctus. En outre, la viande de bœuf élevé à l’herbe contient de plus grandes quantités d’acide vaccénique que la viande de bœuf conventionnelle, qui est aussi transformé en ACL par nos bactéries intestinales. La quantité totale d’ACL consommée en mangeant de la viande issue d’animaux élevés intégralement au pâturage s’en trouve ainsi d’autant plus augmentée. À l’inverse, les méthodes modernes d’élevage intensif du bétail au grain freinent le développement de graisses saines, de vitamines et d’autres composants importants chez l’animal. Les céréales contiennent très peu d’oméga-3 comparées au pâturage naturel. Même le simple fait d’engraisser les bêtes au grain juste avant l’abattage peut annuler les avantages d’une vie passée au pré. Il y a à cela une explication logique : ces animaux qui ont évolué pour manger de l’herbe ont du mal à métaboliser les céréales, qu’elles soient ou non bio. Les “fourrages à haute performance”, comme l’orge, le blé, le soja, le colza ou les mélasses enrichies de protéines et de vitamines données aux animaux dans les élevages intensifs, leur font certes prendre du poids, mais ils mènent aussi à tout un tas de problèmes de santé en a¤aiblissant leur immunité naturelle. Le taux d’a¤ections et de maladies augmente et il faut donc administrer régulièrement des antibiotiques et des avermectines ou faire intervenir le vétérinaire à grands frais. Les êtres humains, eux aussi, ont du mal à métaboliser les graisses qu’on trouve chez les animaux nourris au grain. Il est aujourd’hui clair que la consommation de ces graisses peut avoir des e¤ets extrêmement

préjudiciables sur la santé, et les données prouvant qu’elle a un lien avec l’obésité, les maladies cardiovasculaires, le diabète, l’asthme, les maladies auto-immunes et les cancers, ainsi qu’avec la dépression, le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité et la maladie d’Alzheimer, s’accumulent. Ces résultats ont des implications colossales. Nous ne devrions pas diminuer notre consommation de graisse animale, comme le prétendent avec insistance presque tous les conseils médicaux récents. Nous devrions plutôt faire attention aux types de graisse animale que nous consommons. Et ce n’est pas valable uniquement pour la viande : aux États-Unis, le lait des vaches élevées à l’herbe contient, selon les études, cinq fois plus d’ACL et 30  % d’oméga-3 de plus que le lait produit dans les élevages intensifs. Lorsque des enfants ont arrêté de consommer du lait pasteurisé commercial pour boire à la place du lait cru issu de vaches élevées au pâturage, l’asthme et les allergies ont considérablement diminué. Les consommateurs qui se considèrent comme intolérants au lactose ne sont pas forcément allergiques au lait en général, mais à celui qui est produit par les vaches nourries au grain. Notons que plus le pâturage est riche de fleurs sauvages, d’herbes et de graminées, plus le lait contiendra d’acides gras sains. Au Royaume-Uni, le terme “élevé à l’herbe”, grass-fed, est utilisé par les producteurs de viande dont les animaux ont peut-être e¤ectivement accès à un pré, mais qui sont aussi parfois nourris ou engraissés au grain, aux fourrages cultivés ou aux produits dérivés de la production alimentaire. Selon le département de l’Environnement, de l’Alimentation et des A¤aires rurales, il suªt que l’alimentation du bétail soit composée à 51  % d’herbe pour que la viande soit vendue comme issue d’animaux “élevés à l’herbe”, et rien n’indique que ce label fasse l’objet d’un quelconque contrôle ou de sanctions. C’est ainsi que le mouvement britannique émergent en faveur d’une alimentation

naturelle pour les ruminants d’élevage a adopté le terme pasture-fed, “élevé au pâturage”. L’accréditation “Pasture for Life”, accordée par la Pasture Fed Livestock Association fondée en 2011, garantit que les animaux ont été nourris exclusivement à l’herbe. Le pâturage doit en outre être géré de façon à réduire autant que possible l’épandage d’herbicides et d’engrais (voire l’éviter entièrement) afin de préserver les herbes naturelles, la complexité végétale et les minéraux disponibles dont peuvent s’alimenter les herbivores. En e¤et, les céréales ne sont pas nécessairement les seuls éléments qui causent des indigestions chez les animaux. Une alimentation riche composée uniquement d’herbes cultivées peut aussi leur être néfaste, comme nous l’ont montré un jour nos propres vaches. Charlie surveillait de près notre deuxième troupeau de longhorns mis en liberté dans le secteur nord, curieux du comportement qu’elles adopteraient. Nous avions semé, dans la quasi-totalité des 235 hectares bénéficiant du projet du Countryside Stewardship élargi, le mélange standard de huit espèces d’herbes natives, à l’exception d’un champ unique planté de ray-grass utilisé pour la production d’ensilage, dans lequel nous envisagions de semer des herbes natives une fois qu’il ne contiendrait plus d’engrais artificiels. À l’instar du troupeau du secteur central, les vaches ont d’abord fait le tour du périmètre avant d’explorer le cœur de leur nouveau territoire. Charlie mangeait un sandwich au pied d’un chêne lorsqu’il les a vues découvrir ce champ de savoureux ray-grass émeraude. Poussant des mugissements ravis, elles se sont plongées dans les herbes comme des enfants lâchés dans une chocolaterie. Mais vingt minutes plus tard, elles ont quitté le pré en meuglant plaintivement et se sont dirigées vers les herbes les plus coriaces qu’elles ont pu trouver. Pendant plusieurs semaines, elles se sont nourries de tou¤es filandreuses trouvées dans les plaines inondables, jusqu’à ce que leur estomac se remette du traumatisme,

puis elles ont évité comme la peste ce champ de ray-grass tout l’été durant. Elles n’y sont retournées que lorsque les herbes natives l’ont eu colonisé. Cet épisode nous a clairement montré que l’alimentation trop riche et trop sucrée que nous imposons aux bêtes dans les systèmes d’élevage intensif (qui de plus ne sortent pratiquement pas à l’extérieur) a les mêmes e¤ets que si nous nous gavions tous les jours de l’année du foie gras et de la bûche de Noël. Plus qu’à l’indigestion, les monocultures de ray-grass fertilisées à l’engrais de synthèse contribuent, semble-t-il, à la production de méthane chez les ruminants. Dans les systèmes de pâturage plus riches en biodiversité, les émissions de méthane, l’un des plus puissants gaz à e¤et de serre, sont moins importantes, notamment grâce à la présence d’acide fumarique. Ce composant, selon des scientifiques du Rowett Institute à Aberdeen, permet d’accélérer la croissance tout en réduisant de 70  % les émissions de méthane lorsqu’on en ajoute dans l’alimentation des agneaux. Il est très présent dans de nombreux végétaux et herbes des prés et des haies, en particulier l’angélique des bois, la fumeterre oªcinale, la capselle bourse-à-pasteur et le lotier corniculé. Au Royaume-Uni, pour l’heure, il est diªcile de faire entendre les études scientifiques qui montrent que les graisses issues d’animaux élevés au pâturage sont bonnes pour notre santé (une évidence pour nos grands-parents et arrière-grands-parents, grands consommateurs de lard, de crème et de beurre) et que les alternatives plus “saines” comme la margarine et les huiles végétales ne le sont pas. La disparition progressive des systèmes fondés sur le pâturage, qui a commencé après la Seconde Guerre mondiale du fait de l’intensification de l’agriculture (et à laquelle s’étaient fermement opposés, à l’époque, de nombreux agriculteurs et spécialistes de la conservation), nous a lancés sur la voie de la production céréalière. Les petits producteurs de viande et de

produits laitiers qui s’e¤orçaient de laisser leurs races bovines et ovines rustiques dans des pâtures riches en herbes (et qui, si les bêtes étaient rentrées pour l’hiver, les nourrissaient de foin et plus récemment d’ensilage) ont été systématiquement supplantés par les grands producteurs de céréales destinées à devenir des produits alimentaires transformés ou du fourrage pour animaux. Bien qu’une grande partie de nos terres en Grande-Bretagne constituent des pâtures idéales (et que notre alimentation se compose historiquement de légumes, de viandes et de fruits), elles sont aujourd’hui cultivées, irriguées et arrosées d’engrais de synthèse afin de produire des céréales, dont la moitié serviront à nourrir le bétail. Alors que, de nos jours, tant de terres dans le monde sont consacrées aux grandes cultures (un tiers de toutes les céréales produites sur la planète sont destinées à l’alimentation du bétail), on nous encourage aussi à consommer plus de viande que jamais : au Royaume-Uni, nous mangeons environ 1  million de tonnes de bœuf par an. Pourtant, nourrir les bêtes de céréales est coûteux, émet de grandes quantités de carbone et manque d’eªcacité  : il  faut entre  7  et 8  kilogrammes de céréales pour produire 1 kilo de viande de bœuf. Ces quinze dernières années, 5,5 millions d’hectares de pâtures ont été labourés en Europe, ce qui a libéré l’équivalent du double des émissions annuelles de gaz à e¤et de serre du Royaume-Uni, et tout ceci principalement pour nourrir le bétail. L’industrie agroalimentaire étend sa production de viande de bœuf élevé au grain tandis que les consommateurs des pays en développement se mettent à manger davantage de viande. C’est un véritable problème, tant sur le plan de la santé que sur celui de l’environnement. Une gamme de solutions a été proposée, de la viande artificielle fabriquée dans des laboratoires de pointe au véganisme universel. Mais la réponse pourrait être beaucoup plus simple. Plutôt

que de remodeler l’avenir, nous pourrions puiser dans la sagesse accumulée tout au long de notre histoire  : manger moins de viande et revenir aux méthodes traditionnelles d’élevage. Pour un système d’élevage durable d’animaux en bonne santé, Charlie et moi, après avoir observé nos animaux dans un milieu plus sauvage, ajouterions à l’importance du pâturage riche en herbes les avantages d’un broutage diversifié. Au début, nous craignions qu’avec l’invasion des broussailles et des végétaux pionniers comme la pulicaire dans le secteur sud, il ne reste plus assez d’herbes pour le bétail. Mais l’expérience nous a montré que la harde du secteur sud se porte souvent mieux que les troupeaux du secteur central et du secteur nord. Il semblerait que la consommation de brindilles, d’écorces et de feuilles donne aux vaches, aux cervidés et aux poneys des nutriments et des minéraux qu’une alimentation à base d’herbe ne peut, à elle seule, leur apporter. Pour les éleveurs des temps passés, cette aªrmation tient de l’évidence. Récupérer du “fourrage arboré” pour les animaux en procédant à un émondage, c’est-à-dire en coupant sur les arbres vivants les branches poussant hors de portée des bêtes, est une pratique qui existait des milliers d’années avant la fenaison et qui était autrefois répandue en Grande-Bretagne. Ce système d’agriculture durable à deux vitesses a toujours cours dans certaines parties d’Europe et dans les régions d’agriculture de subsistance d’Afrique et d’Asie où, en coupant les branchages feuillus qui seront stockés pour servir de fourrage durant l’hiver ou la saison sèche, on prolonge la durée de vie de l’arbre et on s’assure de pouvoir nourrir les animaux en cas de sécheresse ou de mauvaises récoltes. Tout comme les herbes dans les prés, les feuilles de bon nombre d’arbres et d’arbustes ont des vertus médicinales. Les haies qui séparaient les champs, composées d’une grande variété d’essences et

d’espèces arbustives, permettaient, il n’y a encore pas si longtemps, de fournir au bétail une source supplémentaire d’éléments nutritifs et de remèdes. En janvier 2010 puis en décembre 2011, il a neigé suªsamment pour que, pour la première fois, nous ayons besoin de sortir des balles de foin bio issues de champs autour du village, hors de notre domaine. Si les poneys et les cervidés peuvent survivre même en cas de couverture neigeuse prolongée dans le parc, les longhorns ont oublié comment creuser la neige de leurs sabots pour trouver de l’herbe et, dans le secteur central et le secteur nord, les cervidés ayant mangé tout ce qui était à leur portée, elles n’avaient plus beaucoup de végétation à disposition. Par la suite, il nous est arrivé à quelques autres reprises seulement de fournir un supplément d’aliments, après des mois de précipitations, par exemple au printemps 2013, car le sol se retrouve alors dans un état lamentable et la nouvelle végétation tarde à apparaître. Inévitablement, l’état de santé de tous les herbivores se dégrade en hiver, mais des études montrent qu’un cycle de perte et de gain de poids pourrait en réalité leur être bénéfique. Ayant évolué au fil des millénaires avec le défilé des saisons, le métabolisme des brouteurs n’est peut-être pas adapté à un apport calorique élevé tout au long de l’année. Il suªt de voir l’état de santé général des animaux à la fin de l’hiver et la rapidité avec laquelle ils reprennent du poids dès les premières poussées printanières et l’apparition du nouveau feuillage. Quand bien même les animaux étaient très faciles à gérer, notre projet de pâturage naturaliste s’est heurté à la rigidité des réglementations de l’élevage moderne britannique. Comme nous avions permis aux taureaux de rester dans la harde, il était impossible d’identifier le géniteur des veaux, et la pureté de nos longhorns n’est plus certifiée. Par ailleurs, d’après les règles du pedigree, il faut que les taureaux atteignent 310 kilogrammes en trois cents jours, une prise de

poids qui n’est possible qu’en les nourrissant intensivement au grain. Chez nous, on parle plutôt de “croissance lente”, un terme important tant sur le plan du goût que du point de vue du bien-être animal. Bien que le pâturage naturaliste, dans une large mesure, nécessite peu d’entretien, certaines actions demandent beaucoup plus de temps que dans un système intensif. Par exemple, l’identification par étiquetage auriculaire est une obligation dont seuls les bovins blancs de Chillingham, dans le Northumberland (une harde à l’état sauvage dont les origines remontent au Moyen Âge) sont exempts. Pendant les huit années qu’il a fallu à nos vaches du secteur central pour retrouver leur rythme naturel et synchroniser leur cycle de naissance au printemps, essayer de trouver les veaux pour les identifier quelques jours après la mise bas s’est révélé être un jeu de cache-cache particulièrement frustrant. Même lorsque nous savions que telle ou telle vache aimait mettre bas dans un endroit donné, le calendrier aléatoire des vêlages éparpillés tout au long de l’année signifiait que nous ne savions jamais exactement quand aurait lieu la naissance. L’application des réglementations relatives au bétail domestiqué nous a obligés à enfreindre notre éthique de non-intervention. Si nous laissions la harde se débrouiller, des génisses d’à peine six ou sept mois étaient montées par des taureaux. Il y avait un risque qu’une génisse se retrouve pleine d’un veau trop grand, et son immaturité pouvait donner lieu à des problèmes au moment du vêlage. Il est impossible de déterminer l’ampleur de ce risque. En huit ans, nous avons eu deux problèmes de ce type dans un troupeau de cinquante têtes, ce qui est comparativement très peu, mais nous nous demandions plus généralement s’il était moral de permettre ce genre de choses. En mai 2007, nous avons invité un groupe de vétérinaires du département de l’Environnement, de la Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals, de Natural England et d’autres spécialistes de projets de

pâturage similaires à venir voir le système naturaliste en place. Le problème des génisses et des taureaux est la seule diªculté potentielle qu’ils ont signalée, et nous avons donc décidé d’appliquer leurs recommandations. Aujourd’hui, les taureaux sont séparés de la harde et vivent leur vie sur 160  hectares de pâture bio, géographiquement séparés de Knepp par le village, jusqu’au début de la saison de reproduction. Lorsque les taureaux reviennent dans le troupeau en juin ou juillet, nous sortons les jeunes génisses, et nous procédons à un nouvel échange en septembre. Déstructurer ainsi la harde a toutefois eu des conséquences inévitables sur les liens entre les bêtes. Lorsque les génisses sont retirées du troupeau, entre leurs six et leurs douze mois environ, bien qu’elles se nourrissent presque exclusivement d’herbe, il arrive qu’elles tètent encore leur mère. À leur retour, dix semaines plus tard, mères et filles ne semblent malheureusement plus se reconnaître. Rassembler des animaux en semi-liberté pour les tester à la tuberculose tous les quatre ans, les vacciner contre les maladies du bétail les plus courantes comme le charbon symptomatique, et gérer leur santé de façon générale, est également compliqué, et les diªcultés s’accentuent avec l’expansion des broussailles et des zones humides. Une visite à la Tour du Valat en Camargue, dans le Sud de la France, au cœur d’un projet de conservation des zones humides démarré par Luc Ho¤mann, cofondateur du Word Wildlife Fund (WWF), nous a amenés à découvrir le merveilleux petit cheval de Camargue. Race ancienne sélectionnée pour trier les taureaux sur le terrain diªcile des zones marécageuses de l’estuaire du Rhône, le camargue ne craint ni l’eau ni les fourrés épais et sait instinctivement comment se comporter face au bétail. Habitué à côtoyer des sangliers, il n’a pas non plus peur des cochons.

Le bétail réagit parfaitement aux manœuvres de rassemblement des camargues. Malheureusement, et malgré le surnom de “cow-boys” que nous leur donnons, ni Pat Toe, notre éleveur, ni Craig Line, son fidèle assistant, ne savent monter à cheval. D’ordinaire, Charlie, son assistante Yasmin Newman et notre fils Ned chevauchent nos trois camargues au moment des grands rassemblements, mais les activités quotidiennes de gestion du bétail étaient menées à bord de véhicules tout-terrain et de quads. Les rassemblements ainsi opérés se transformaient souvent en course-poursuite e¤rénée, qui paniquait le bétail et produisait chez les responsables du troupeau un niveau d’adrénaline excessif, jusqu’à ce que la sagesse de Bud Williams révolutionne notre façon de faire. Bud, éleveur bovin dans un ranch de l’Oregon, décédé en 2012 à quatre-vingts ans, prônait une méthode de déplacement du bétail à mille lieues des cavalcades poussiéreuses ponctuées de “yiiiha” qu’on voit dans les westerns. Sensible à la mentalité grégaire du troupeau, Bud était capable de rassembler à pied tout type d’animaux (bovins, moutons, cochons, mais aussi rennes, élans et bisons), sur n’importe quel type de terrain. Il faisait paître son propre bétail selon un système de rotation, sans clôtures. Les vidéos de Bud Williams, des heures et des heures de manœuvres filmées d’une main tremblante par sa femme Eunice, sans aucun montage mais ponctuées d’intrigants bruits de fond, sont captivantes, du moins pour celles et ceux qui ont déjà essayé de conduire un troupeau de bovins. En utilisant les bons angles d’approche, en restant toujours bien en vue (jamais directement derrière), Bud ébranle le troupeau en douceur, à la bonne allure (ni trop vite, ni trop lentement) pour l’amener là où il le souhaite. Les individus éloignés du troupeau sont aspirés dans le mouvement comme des gouttes de mercure. “Ils ne

savent ni où ils vont ni pourquoi, explique Bud, qui ne fait jamais dans le lyrisme, mais ils ne veulent pas être à la traîne” : il tire ainsi parti de l’instinct atavique de la migration, inscrit dans leur ADN. Cet instinct, les nomades et les éleveurs pastoraux l’ont aussi. Observer les éleveurs roumains mener leurs vaches et leurs buºes domestiques dans les pâturages boisés de Transylvanie, c’est assister à la sempiternelle victoire de la tortue sur le lièvre. L’éleveur australien bien informé qui nous a conseillé les vidéos de Bud Williams est atterré par la culture machiste qui prévaut dans la gestion du bétail de la plupart des élevages modernes, où l’on tient les bêtes par la menace et glorifie les montées d’adrénaline  : “Ces méthodes montrent bien que les personnes en charge du bétail ne comprennent plus leurs animaux. À mon avis, plus un ouvrier s’égosille et fait claquer son fouet, plus il a peur.” Le temps et l’énergie gâchés dans les systèmes d’élevage modernes à cause de cette approche frénétique, sans parler du stress imposé aux animaux, nous ont d’autant plus sauté aux yeux après la visite à Knepp, en 2011, de Temple Grandin, l’une des interprètes des animaux les plus connues au monde. Temple, gravement autiste, est née dans le Massachusetts en 1947. Incapable de parler avant l’âge de trois ans et demi et intolérante à tout contact physique, elle est douée d’intuitions tout à fait étonnantes, qui auraient bien pu passer inaperçues sans la ferme volonté de sa mère  : contre l’avis des médecins qui voulaient l’interner, elle insista pour que sa fille suive une scolarité classique. Temple eut très tôt une révélation lorsque, observant les animaux entrer dans une cage de contention à la ferme de sa tante, elle remarqua que ce dispositif, conçu pour immobiliser la vache au moment du marquage, de l’écornage ou des soins vétérinaires en appliquant une certaine pression sur son corps et en maintenant étroitement en place son cou et sa tête, avait un e¤et calmant. Elle mit au point sa propre “machine à

câlins”, un appareil dans lequel elle se glissait dans les moments de stress ou de panique insurmontables, actionnant un levier qui pressait le châssis contre elle. Pour Temple, il s’agissait là d’un substitut sûr des câlins humains. Ses aªnités avec les animaux se manifestent le plus souvent dans ses angoisses. Comme elle se sent facilement menacée par son environnement, qu’elle réagit mal à la lumière et aux éclairs lumineux, et qu’elle est hypersensible au bruit, au toucher et aux changements visuels, elle comprend instinctivement ce qui les surprend et les e¤raie. Les dispositifs conçus par Temple ont révolutionné plus de la moitié des parcs de tri et des systèmes d’abattage sur l’ensemble du territoire étatsunien, transformant un processus stressant et dangereux en une pratique eªcace, humaine et au bout du compte plus rentable. Temple avait exprimé le souhait de se rendre à Knepp à l’issue d’une tournée de conférences données au Royaume-Uni. Elle nous a salués d’une poignée de main crispée, rituel social qu’elle a appris à endurer, sans nous regarder dans les yeux, en se présentant : “Temple Grandin, Temple Grandin. Enchantée, enchantée.” À l’école, on l’avait surnommée “le Magnétophone”, du fait de son habitude de tout répéter. Les mots, dit-elle, sont ma deuxième langue. Comme les animaux, elle pense avant tout en images. Elle portait une chemise de cow-boy avec des longhorns texanes sur le revers, une cravate texane et une énorme boucle de ceinture en laiton, ornée d’une tête de longhorn en relief. Je gardais un œil sur l’heure, car son accompagnant m’avait dit que Temple voulait absolument être à l’aéroport de Gatwick à 19  heures précisément, pour ne pas manquer son vol de retour vers les États-Unis. Je n’avais jamais vu une personne aussi angoissée par la logistique des transports. Son vol ne décollait que le lendemain.

Lorsque nous emmenons Temple et son accompagnant faire un tour dans le domaine, il n’est pas facile de savoir ce qu’elle en pense. Elle a une nouvelle obsession, une théorie qu’elle est en train de développer sur les épis concentriques qu’on trouve sur le front des vaches. Plus ils sont hauts, aªrme-t-elle, plus l’animal est agressif ou caractériel. Cette idée n’est pas aussi excentrique qu’il y paraît, puisque l’implantation des poils chez le fœtus a lieu en même temps que se développe le cerveau. Des études pédiatriques ont révélé un phénomène similaire chez les enfants  : les raies qui se forment naturellement sur le crâne semblent correspondre à la structure sous-jacente du cerveau. Chez les vaches, le sens de ces épis pourrait aussi révéler si l’animal est gaucher ou droitier, ce qui indiquerait non seulement de quel côté il préfère se tourner mais aussi quel hémisphère cérébral domine : si c’est le gauche, l’animal peut privilégier les interactions sociales et la recherche de nourriture ; si c’est le droit, il sera plus prompt à détecter les dangers et à appliquer un comportement d’évitement. Temple a testé sa théorie sur des milliers de bêtes et se réjouit de la mettre à l’essai sur nos longhorns. Alors que nous nous enfonçons dans le troupeau qui paît paisiblement sous le soleil estival, nous constatons que les épis semblent e¤ectivement se trouver plutôt entre les yeux ou plus bas, chez toutes les vaches… Sauf une, une matriarche à la robe gris sombre, aux longues cornes dressées vers le ciel, qui se lève d’un air méfiant en nous voyant arriver. La Vieille Peau est connue pour être toujours de mauvais poil et prête à charger quiconque s’approche de son veau. Nous la tolérons car elle est une très bonne mère. Sa détermination est telle que nous ne pouvons que l’admirer. Mais notre projet de réensauvagement à l’Anthropocène est sillonné de sentiers empruntés par les promeneurs et leurs chiens. Son tourbillon de poils sur le front, semblable à un bindi indien placé un peu au-dessus des yeux, confirme ce que nous savions déjà. Il faut la retirer du troupeau, conseille Temple, et, pour veiller à ce que ses gènes

surprotecteurs ne continuent pas d’être transmis, il faut aussi retirer sa progéniture. La suggestion de Temple est éminemment pratique, ce qui ne l’empêche pas d’être aussi consciente des dangers de la sélection sur la base d’un unique trait de caractère chez les individus d’une même race, même quand ce trait est la docilité. Qui sait quelles autres caractéristiques importantes, utiles et nécessaires, pourraient être éliminées dans le même temps  ? Dans les systèmes intensifs, la reproduction sélective manipule les gènes à toute allure, sans considération aucune à l’égard des pertes à long terme pour la race ou des conséquences physiques qui s’ensuivent. C’est la première cause de sou¤rance, de problèmes de santé et de troubles neurologiques chez les animaux d’élevage modernes. Une fois que nous avons finalement réussi à arracher Temple à l’observation des épis concentriques sur les fronts des vaches, nous l’emmenons voir le parc de tri du bétail que nous avons créé à partir des conseils qu’elle prodigue dans le manuel Livestock Handling and Transport. Elle décèle un problème au premier coup d’œil. L’entrée est placée, comme elle le suggère, selon un angle encourageant de 30 degrés. Mais dans notre cas, dit-elle, il n’est pas nécessaire de mettre des planches le long du couloir –  de toute façon, la plupart des longhorns sont assez grandes pour voir par-dessus la barrière. Le grand mur de la grange, d’un côté du couloir, suªt à limiter les distractions. Si nous laissons le couloir exposé, ajoute-t-elle, les animaux seront rassurés car ils verront le reste du troupeau, déjà engagé, en train de revenir vers eux après le virage. Ils supposeront qu’ils sont tous en train de retourner à leur point de départ. Nous donnons congé à Temple après de nouvelles poignées de main maladroites, puis elle se précipite vers la voiture avec un soulagement flagrant, sans se rendre compte de l’e¤et qu’auront ses observations sommaires. Ses petits ajustements nous font gagner une demi-heure. La di¤érence par rapport à la configuration

initiale est stupéfiante. Avant le système de Temple, il fallait cinq personnes et une journée entière de stress pour faire passer tout le troupeau entre nos mains. Aujourd’hui, deux ou trois personnes peuvent faire circuler cent longhorns détendues en moins de deux heures, sans risquer d’y perdre un membre. Pendant ce temps, d’autres animaux prospèrent à Knepp. Tomber sur une litière de porcelets roux endormis au soleil ou trottinant avec détermination derrière une immense tamworth qui les encourage de ses grognements rauques ne manque jamais de nous attendrir. Les truies sont des mères étourdies, peut-être parce qu’elles ont quatre à six rejetons par portée. Elles ne semblent pas s’émouvoir d’en perdre un –   c’est aux porcelets de suivre le rythme  –, mais elles élèvent les petits ensemble et il n’est pas rare qu’elles nourrissent les petits des autres. Elles se sont parfaitement adaptées au réensauvagement. Un jour, en longeant un étang, Charlie et moi avons été surpris par un nuage de bulles éclatant à la surface. S’ébrouant comme un hippopotame, l’une des vieilles truies a émergé, avec dans la gueule un énorme anodonte des étangs, sorte de moule d’eau douce. Nageant énergiquement jusqu’au bord, elle l’a ouvert d’un coup de patte expert et en a dégagé la chair avec ses dents. Sa compagne, émergeant à ses côtés, ne s’est pas montrée aussi délicate : elle a avalé tout l’anodonte, coquille comprise. Comment les truies ont-elles découvert ces bivalves au fond de la vase de nos étangs, c’est un mystère, mais ils sont désormais un mets de choix de leur répertoire gastronomique. Les cochons sont capables de retenir leur souºe sous l’eau pendant une vingtaine de secondes  ; peut-être revisitent-ils une phase aquatique de leur évolution. Nous avions espéré vendre notre porc bio “sauvage”, mais il est vite apparu que, si les tamworths sont essentiels pour retourner les sols, le projet ne peut pas se permettre d’avoir un trop grand nombre de ces charrues de labour en maraude en même temps – six adultes plutôt que

soixante. Ce fut une déception, car le résultat de nos premières expériences de confection de jambon pata negra séché à l’air libre, salé puis accroché dans une cage grillagée à l’épreuve des mouches sous le chêne du jardin tout l’été durant, remportait toujours haut la main les dégustations à l’aveugle organisées dans notre cuisine avec du pata negra espagnol. Le gras délicieux produit par les cochons ayant festoyé de glands du Sussex fond sur la lame. Les rôtis et les côtes de porc ont une riche saveur de noisettes, qui n’a rien à voir avec le goût fade du porc de supermarché. Aujourd’hui, nous produisons des saucisses et du bacon de tamworth pour notre consommation personnelle et pour les clients de la boutique de notre camping. Nous n’hésitons pas à utiliser le lard de cochon et la graisse de bœuf comme graisse de cuisson – source toute disponible d’oméga-3, 6 et 9, et alternative moins coûteuse et plus durable aux huiles de poisson. Nos exmoors, eux aussi, sont très à l’aise. Dès lors qu’ils avaient commencé à se reproduire, nous avions eu moins d’inquiétudes quant aux possibilités d’obésité et de fourbure. Il y avait soudain de l’action dans le troupeau  : combats entre juments pour remporter le rôle de matriarche, poulains jouant à la bagarre, inquiétude de l’étalon principal voyant arriver des rivaux potentiels. Stress naturel et interactions, les deux ingrédients d’une harde dynamique. Un certain niveau d’hormones de stress chez les animaux stimule le système immunitaire. C’est aussi vrai des êtres humains : des études récentes ont montré que de brefs accès de stress peuvent freiner la progression de la maladie d’Alzheimer en inondant les cellules du cerveau de stimulants chimiques, et qu’ils peuvent aussi prévenir le cancer du sein en empêchant la production d’œstrogènes. Chez les humains comme chez les animaux, des problèmes physiques surviennent lorsque les niveaux d’hormones de stress dans le corps sont soit constamment très faibles, soit élevés en continu.

Cependant, en 2010, le troupeau comptait plus de trente exmoors, ce qui selon nous était le maximum pour ne pas nuire au projet. Comme dans tous les autres programmes de conservation avec des chevaux sauvages, nous nous sommes retrouvés face au problème du surplus d’animaux. Étant donné qu’il n’y a pas de demande pour des exmoors non débourrés et à moitié sauvages, un poney vivant vaut 25 livres, soit à peu près le prix que coûte l’édition du passeport qui permet de le vendre. Comme avec les poneys de la New Forest et du Dartmoor, les carcasses finissent généralement au zoo ou chez les chasseurs qui les donnent à leurs chiens, ou bien elles sont envoyées en France. Pour nous, c’était un vrai gâchis, auquel venaient s’ajouter nos inquiétudes quant aux longs temps de transport et aux abattoirs inconnus. Pour maintenir nos populations à un niveau durable, la seule autre option, nous semblait-il, était la castration. La castration est une expérience stressante, tant pour l’animal que pour les personnes qui s’en occupent, et elle est aussi coûteuse (environ 200  livres pour endormir et opérer chaque étalon) mais, au moins, l’animal n’y passe qu’une seule fois. Le vétérinaire a ouvert des yeux ronds quand il s’est rendu compte qu’il fallait aux étalons le double de tranquillisant que dans le cas d’un cheval domestiqué classique, et moitié moins d’antidote. Les étalons semblent aussi s’être remis de cette mauvaise expérience plus rapidement que les aides-vétérinaires qui, blancs comme des linges, les avaient maintenus à terre, mais nous l’avons fait à contrecœur. Nous n’avons plus la joie de voir des poulains avec leur mère, mais ce qui nous a fendu d’autant plus le cœur a été de voir la harde perdre son dynamisme, les niveaux de stress tombés à zéro, l’étincelle de l’interaction naturelle et de la sagesse acquise éteinte – un animal mutilé de sa part de sauvage.

Mais il y a en réalité une autre solution. En 2015, Charlotte Faulkner, une passionnée de chevaux qui vit sur une ferme près de Tavistock, dans le Devon, s’est lancée dans une entreprise audacieuse qui pourrait sauver les hardes à moitié sauvages sur le long terme. Depuis des années, elle gère la Dartmoor Hill Pony Association et essaie de trouver des solutions pour protéger les poneys sauvages du Dartmoor, en recueillant les animaux abandonnés et en plaçant les poulains non désirés. Il y a soixante ans, les poneys étaient des milliers à paître sur les landes. Dans les années 1930, au moment de l’essor de l’industrie du granit et du charbon, ils furent utilisés comme bêtes de trait dans les mines, ainsi que pour les loisirs équestres. Aujourd’hui, il n’en reste que  800, et 400  poulains sont abattus chaque année par les agriculteurs. En tant que race, le dartmoor est en crise  ; or, sans brouteurs, les landes risquent de se faire envahir par des herbes coriaces et, tout comme dans le Kraansvlak, de subir une perte d’habitats importants et de biodiversité. Faisant fi de sa propre sensibilité, Charlotte a envisagé la seule solution viable : manger les poneys. “S’il y avait un autre moyen, croyezmoi, je n’en serais pas arrivée là.” Elle avoue avoir bu deux pintes de cidre avant d’oser la première bouchée, mais son initiative a porté ses fruits. Un marché d’amateurs enthousiasmés par les saucisses et les rôtis de poneys dans les restaurants, les pubs et les marchés de producteurs du Dartmoor a fourni aux éleveurs une nouvelle source de revenus et donné à la harde en liberté une nouvelle chance. Les critiques des passionnés de chevaux ont parfois été très agressives, cependant. Il arrive de temps en temps à Charlotte de rappeler les personnes qui viennent de l’insulter pour les inviter à venir voir la ferme et comprendre sa logique. “Personne n’accepte jamais mon invitation”, soupire-t-elle.

Le tabou de la viande de cheval au Royaume-Uni est diªcile à expliquer. On mange du cheval dans de nombreux pays d’Europe, en Amérique du Sud et en Asie. Les huit pays les plus friands de viande chevaline (parmi lesquels la Chine, le Mexique, l’Italie et l’Argentine) consomment environ 4,7  millions de chevaux par an. En GrandeBretagne, comme dans le reste de l’Europe, on servait du cheval durant tout le Moyen Âge, en dépit d’une interdiction papale en  732 (la consommation de viande chevaline étant alors associée aux cultes païens germaniques) et de tabous stricts dans les communautés roms et juives. En France, c’est à la Révolution, lorsque les étables et écuries des aristocrates furent ouvertes au peuple a¤amé, qu’on se mit à en manger davantage. Lors des campagnes napoléoniennes, l’armée dut se résoudre à se nourrir de ses montures, et la populace n’hésita pas à manger des poneys lors du siège de Paris (1870-1871). De nos jours, les boucheries chevalines s’annoncent fièrement à l’aide d’enseignes ornées de chevaux lancés en plein galop ou d’une tête de cheval. De l’autre côté de la Manche, on ne fait pas dans le sentiment  : 100  000  chevaux vivants sont transportés dans toute l’Union européenne, voire importés, pour être consommés. Mais le public britannique est peut-être moins sensible qu’on ne le pense. En 2007, un sondage mené auprès des lecteurs du magazine Time Out a révélé que 82 % des répondants soutenaient le célèbre chef Gordon Ramsay dans sa décision de mettre la viande de cheval au menu de ses restaurants. La mode de la gastronomie zéro déchet est peut-être en train de changer nos goûts et nos susceptibilités. Lorsqu’une série de scandales alimentaires a révélé en  2013 que du bœuf et d’autres produits en vente dans les supermarchés britanniques avaient été contaminés à la viande de cheval, les consommateurs ont semblé se préoccuper davantage du fait qu’on les avait trompés et qu’ils s’étaient retrouvés à manger des aliments impossibles à tracer, sans doute issus

d’animaux malades et agonisants traités avec des produits chimiques dangereux, que de l’idée qu’ils avaient mangé du cheval. Dans les semaines qui ont suivi le tourbillon médiatique, la twittosphère a rivalisé de jeux de mots – “Lasagnegate”, “Findus n’est pas à cheval sur la traçabilité”, “Des lasagnes à base de mascarponey”, “L’opinion publique rue dans les brancards”, “Secteur du bœuf français  : ça crin”, “Une a¤aire qui sent le fumier”, “Chassez le scandale, il revient au galop”, “Les consommateurs montent sur leurs grands chevaux”, ou encore “Les produits surgelés, nouveau cheval de bataille”. Malgré tout, les restaurants britanniques servant de la viande chevaline étaient pleins. Cette débâcle tombait pour nous à point nommé. Elle a brisé un tabou de taille, a exposé le paradoxe de la “bonne” viande chevaline qui partait à la poubelle et de la “mauvaise” qui finissait dans des burgers et des lasagnes louches, et a montré que le public britannique pourrait sans doute se laisser convaincre de consommer de la viande de cheval britannique de première qualité, traçable et labellisée, et qu’un jour, nous pourrions de nouveau avoir un troupeau reproducteur à Knepp. En 2013, des cerfs élaphes ont été introduits dans le parc et dans le secteur sud où, d’après le comité consultatif, la végétation était suªsamment robuste pour supporter les assauts d’un autre grand brouteur. Nous avions désormais la confiance nécessaire pour ne pas prêter attention aux pessimistes. Les cerfs ne représentaient pas plus de danger que n’importe quel autre animal du projet. Comme toujours, c’est un manque de familiarité avec l’animal qui semble faire naître la peur, mais nous commencions à apprécier le processus inverse : rien ne dissipe plus vite ces craintes que l’expérience de première main. Comme l’avait dit Hans Kampf, “on réfléchit en agissant”. Les cerfs nous ont surpris sur un point, toutefois. Une fois sortis du camion, ils se sont plongés directement dans le plan d’eau le plus proche. Même aujourd’hui, alors qu’ils se sont faits à la vie à Knepp, ils

passent de longs moments dans les lacs et les étangs, enfoncés dans l’eau jusqu’à la croupe. C’est un tableau assez étrange quand on a eu l’habitude de les voir sur les coteaux escarpés d’Écosse, mais les observations faites à Knepp et ailleurs dans les basses terres semblent confirmer qu’ils sont (ou étaient) une espèce riveraine, qui a dû prendre de l’altitude à mesure que nous venions occuper son habitat. Dans tout le continent eurasiatique, les cerfs ont encore aujourd’hui un rôle fondamental dans la gestion des roselières et des marécages, tout comme les sambars en Asie du Sud-Est, les cerfs du père David en Chine et les guibs d’eau en Afrique centrale. La prospérité remarquable du cerf élaphe dans les basses terres donne du poids à cette théorie. Les mâles de Knepp sont deux fois plus lourds que ceux d’Écosse, leurs bois jusqu’à trois fois plus pesants. Le déboisement et le surpâturage chronique dans les Highlands, conjugués aux populations artificiellement denses, parfois nourries de compléments durant l’hiver, restreignent la croissance des cerfs en Écosse et, comme on ne connaît rien d’autre, on pense dans les Highlands que ces nombres et ces tailles sont tout ce qu’il y a de plus normal. Les Norvégiens, eux, voient les choses di¤éremment, à plus d’un égard. En Norvège, Duncan Halley, un Écossais qui travaille pour l’Institut norvégien de recherche sur la nature depuis une vingtaine d’années, a été notre guide dans un paysage qui était constitué jusqu’au milieu du XIXe siècle de collines nues, rasées par les moutons, ponctuées ici et là d’un arbre battu par les vents, et dont les seules broussailles se trouvaient dans des fossés et des ravines inaccessibles. À la même latitude que l’Écosse, avec la même géologie volcanique ou métamorphique, des sols acides et tourbeux, des changements de températures saisonniers similaires et, dans certains cas, des précipitations encore plus importantes et des vents plus forts, ce coin du

Sud-Ouest de la Norvège était auparavant un proche cousin de nos Highlands. Dans les années  1850 cependant, une crise agricole donna lieu à une émigration de masse des fermiers vers les États-Unis et à l’abandon généralisé des terres. Il n’y avait pas ici de culture aristocratique de la chasse à courre (il s’agissait plutôt de toutes petites propriétés) et la plupart des animaux avaient été abattus. Une fois les moutons éliminés, il ne restait presque plus de brouteurs dans la région. Des évolutions sociales et économiques à partir des années 1950 parachevèrent l’exode rural, et il ne resta bientôt que peu de gens dans les campagnes. De ce fait, la végétation a repris possession des lieux à un rythme qui a étonné les scientifiques, les historiens et les spécialistes des forêts. Dans les Highlands écossaises, on estime généralement que les arbres ne font pas partie du paysage. Les panoramas peints par Edwin Landseer sont imprimés sur nos rétines. Les forêts calédoniennes ont disparu il y a si longtemps, pense-t-on, qu’elles n’ont plus aucun lien avec le présent, et même s’il y a eu, par le passé, des semences forestières dans ces sols, elles ont été perdues, ou bien les sols ont tant changé que la succession n’est plus possible. Il est admis qu’aucun arbre n’aurait pu y pousser au-delà de 650 mètres d’altitude. La Norvège prouve le contraire. Après un siècle ou plus sans brouteurs, le couvert forestier s’étend désormais absolument partout entre le niveau de la mer et 1 200 mètres d’altitude. Les arbres poussent sur les coteaux ouverts, sur des escarpements et même sur des éboulis rocheux, sur des falaises balayées par le vent et sur le littoral plongé dans les embruns – la succession végétale à son apogée. Quelle que soit l’origine des semences de tous ces arbres, elles n’ont manifestement eu aucun problème à apparaître. Nous avons traversé des forêts de bouleaux, de pins sylvestres, de sorbiers des oiseleurs et de trembles d’Europe, dont le sol était couvert d’un tapis spongieux de mousses et de

lichens, et où les arbres poussaient sur des roches de granite. Sur des fourmilières de la taille d’un humain, des reliefs de repas trahissaient la présence d’un grand tétras. Plus haut, proche de la limite arborée, où des plaques de neige survivent jusqu’en juin entre les petits saules, les bouleaux tortueux et les genévriers, notre arrivée a dérangé des gorgebleues à miroir, des pinsons du Nord, des rougequeues à front blanc, des traquets motteux, des grives litornes, mais aussi des lagopèdes. La bruyère forme ici le sous-étage, un cadre bien di¤érent des landes ouvertes où vivent les lagopèdes en Grande-Bretagne. Ils  cherchent probablement des bourgeons de saule, une source de protéines plus importante que les bruyères. On pensait qu’il s’agissait d’une espèce distincte des lagopèdes britanniques (les Norvégiens les appelaient “lagopèdes des saules”) mais ils sont aujourd’hui considérés comme une sous-espèce. Si les lagopèdes norvégiens se comportent di¤éremment, c’est tout simplement parce que leur cadre de vie ne présente pas les mêmes possibilités. Ce qui s’est produit en Norvège révèle la façon dont un écosystème peut opérer une transition, d’une extrémité du spectre à l’autre  : d’un paysage dominé par les brouteurs, à tel point que la succession végétale n’était plus possible, à un paysage duquel les brouteurs ont été exclus suªsamment longtemps pour qu’il se transforme en une forêt fermée. L’Écosse et la Norvège, autrefois identiques, n’ont désormais plus rien en commun. Et dans chacun de ces pays, on pense que le paysage est naturel. La Norvège a beau nous enthousiasmer en dévoilant ce que pourrait être la végétation en Écosse, il s’y pose aussi des problèmes, propres à cette extrémité du spectre. Tandis que les arbres envahissent les dernières parcelles de sol à l’air libre et que les lisières broussailleuses se transforment elles aussi en forêt fermée, le potentiel de dynamisme s’amenuise. Actuellement, les niveaux de perturbation animale en

Norvège ne sont pas suªsants pour mettre un terme à la progression des arbres, ouvrir de nouvelles zones, stimuler la complexité et rectifier les déséquilibres provoqués par la succession végétale sans entraves. C’est un paysage auquel manquent les bisons et les sangliers. Certains perturbateurs sont revenus. Les castors se dirigent vers le nord depuis la Suède, et les cerfs élaphes et les chevreuils ont colonisé les nouvelles forêts. En Norvège, 500 000 personnes, soit 9,5 % de la population, sont titulaires d’un permis de chasse. La culture de la chasse en Norvège est toutefois très di¤érente de celle de l’Écosse. Les techniques et les diªcultés inhérentes à la traque des cerfs les distinguent  : l’une se pratique dans une forêt dense, l’autre dans des étendues dégagées. En Norvège, c’est le poids des cerfs qui dicte le nombre de bêtes abattues. Lorsque les animaux tués sont moins lourds, ce qui indique que la concurrence à laquelle ils se livrent pour se nourrir est excessive, le nombre de permis d’abattage augmente jusqu’au retour à un poids optimal au sein de la population de cerfs. La carcasse habillée d’un mâle de deux ans et demi doit peser au moins 80  kilos (environ 20  kilos de plus que la carcasse d’un mâle écossais du même âge, pareillement habillée). Dans certains domaines écossais, soucieux de rétablir la végétation naturelle, on a réduit le nombre de cerfs et on s’est aperçu que, de ce fait, le poids des animaux augmentait proportionnellement. Mais de façon générale, dans les Highlands, la pratique est la même depuis l’époque victorienne, et le nombre de cerfs écossais est maintenu à un niveau élevé qui empêche presque entièrement les arbres et la végétation de se développer. Le système norvégien, lui, fait face à une transition catastrophique vers un paysage de forêt fermée. Puisqu’on a choisi le poids optimal comme critère de maintien des populations de cerfs, le rythme naturel de croissance et de décroissance des populations atteint un plateau et, avec des nombres aussi bas, l’impact des animaux sur la forêt devient

négligeable. Ce qui, en premier lieu, fait défaut tant dans le système norvégien que dans le paysage écossais, c’est une lutte égale entre succession végétale et perturbation animale, dans laquelle les dynamiques naturelles et les fluctuations de population se produiraient librement, stimulant et stabilisant la biodiversité sur le plus long terme. Au Royaume-Uni, il existe une curieuse division Nord-Sud à ce sujet, qui dans les deux cas a pour résultat des populations de cervidés en nombre excessif. Si, dans les Highlands, le nombre de cerfs élaphes est maintenu à un niveau artificiellement élevé pour la chasse, ailleurs dans le pays, où les populations d’autres espèces de cervidés explosent, nous sommes réticents à limiter leur nombre. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la masse de chevreuils en Grande-Bretagne était négligeable mais, depuis les années 1960, les populations de chevreuils natifs et d’animaux exotiques échappés se sont multipliées. On estime que la population de cervidés britanniques est aujourd’hui à son niveau le plus haut depuis mille ans, avec quelque 1,5  million de cerfs élaphes, chevreuils, daims, sikas, muntjacs de Reeves et hydropotes battant nos campagnes. Comme il reste peu d’habitats naturels, leurs incidences sur nos précieux îlots de nature sont considérables  : ces animaux contribuent certainement au déclin d’oiseaux nichant au sol comme la bécasse des bois et le rossignol philomèle, qui ont besoin d’un couvert dense et qui sont facilement perturbés. Contrairement au reste de l’Europe, il apparaît que les Britanniques (en dehors des domaines de chasse) ne s’intéressent plus à la chasse de subsistance  : cette source toute prête de protéines saines, issues d’animaux élevés en liberté, passe donc à la trappe. À défaut de pratiques d’abattage eªcaces et de prédateurs, les cervidés colonisent les campagnes comme il leur plaît et empêchent la végétation de repousser. C’est un paysage qui appelle le lynx, prédateur naturel du chevreuil.

Les grands prédateurs sont un aspect du réensauvagement dont l’absence à Knepp est criante. Nos 1  400  hectares sont, pour nos brouteurs, l’antithèse d’un paysage dangereux. C’est la sociabilité, plutôt que l’instinct de survie, qui lie les membres des hardes. Ils errent sans crainte, broutent à volonté, occupent le territoire selon leur bon plaisir, et seule existe la menace d’un renard qui vient parfois emporter un porcelet ou un faon. Qui sait l’impact qui fait défaut ici, les propriétés qui pourraient émerger si nous pouvions ajouter cette pièce du puzzle, si Knepp pouvait être relié à un paysage de nouveau véritablement vivant, riche de prédateurs ?

De cette poignée de terre dépend notre survie. Fertilisons-la et elle produira notre nourriture, notre combustible et notre refuge, et nous entourera de beauté. Abusons-la, et elle s’e¤ondrera et mourra, entraînant avec elle l’humanité. ATHARVA-VÉDA, texte sanscrit sacré, vers 1200 avant notre ère.

Une nation qui détruit ses sols s’autodétruit. FRANKLIN D. ROOSEVELT, président des États-Unis, Lettre à tous les gouverneurs des États relativement à une loi uniforme sur la conservation des sols, 1937.

Au début du projet, nous étions fascinés, comme la plupart des personnes qui se rendent à Knepp pour la première fois, par les grands mammifères, dont la présence physique et la déambulation pesante et sans contrainte dans le décor sont une source d’émerveillement. Puis il y a eu les oiseaux, augures de renaissance – colonies d’oies et nuées de canards déboulant en automne, rapaces lançant des cris sauvages, toujours plus nombreux, s’élevant dans les ascendances thermiques, oiseaux chanteurs se pressant dans les fourrés, et quelques invités surprises  : un busard cendré (le rapace le plus rare qui se reproduise en Grande-Bretagne), un couple de grands pygargues à queue blanche, une guifette noire, des cigognes blanches en migration et même une cigogne noire en 2016, l’un des oiseaux les plus rares de toute l’Europe occidentale. En 2014, nous avons observé nos premiers hiboux moyens-ducs et hiboux des marais. Nous pouvions nous targuer d’avoir sur le domaine les cinq espèces de hiboux et de chouettes britanniques, ainsi que deux couples reproducteurs de pics épeichettes et des faucons pèlerins nichant dans un chêne (l’un des rares couples

reproducteurs du Royaume-Uni). À l’été 2017, des engoulevents d’Europe, un oiseau “des landes” dit-on, sont venus ajouter leurs roucoulements à la symphonie nocturne des rossignols philomèles et, durant plusieurs semaines cet été-là, une pie-grièche écorcheur, ainsi nommée car elle empale les insectes sur des épines, s’est constitué un territoire dans un buisson de ronces. Les pies-grièches écorcheurs étaient autrefois très répandues en Grande-Bretagne, mais l’espèce faillit s’éteindre à la fin des années 1980. Seuls quatre couples se seraient reproduits en Angleterre depuis. Cet oiseau est si rare que la Royal Society for the Protection of Birds nous a conseillé de monter la garde autour du site pour le protéger des collectionneurs d’œufs et des photographes animaliers trop zélés. À une distance raisonnable, à travers des jumelles, nous avons pu voir le petit mâle attraper adroitement un anax empereur et l’empaler sur une épine de ronce. Nous attendons son retour l’année prochaine et espérons que les ornithologues amateurs, s’ils le découvrent, le laisseront en paix et qu’un jour, une femelle se joindra à lui. Petit à petit, cependant, notre attention s’est portée sur d’autres créatures  : des petits prédateurs comme les hermines, les belettes, les putois, eux aussi de plus en plus nombreux, ainsi que les crossopes aquatiques se faufilant de ruisseaux en étangs. Ne vous laissez pas attendrir par leur petite bouille : leur morsure venimeuse est capable de paralyser des grenouilles. D’autres petits mammifères sont arrivés, comme le rat des moissons, minuscule Micromys minutus roux qui pèse moins de 10  grammes –  le plus petit rongeur d’Europe, une espèce prioritaire au titre du plan d’action en faveur de la biodiversité au Royaume-Uni. Les enquêtes montraient que notre population de rats des moissons était en train d’exploser. En février 2016, Penny Green et quatre bénévoles ont compté 59 nids principaux et 29 nids secondaires après cinq heures passées dans les roselières autour de Mill Pond et de

Hammer Pond. Étonnamment habiles, ces petits rats tressent leurs nids, qui font la taille d’une balle de cricket, sur les tiges ondulantes des roseaux vivants. Si on les regarde de près, on peut voir que l’intérieur est tapissé de duvet de chardon ou d’herbes tendres, finement mâchonnées. Le secteur sud se révélait le plus productif pour les petits mammifères, car la végétation en plein essor leur fournissait des aliments et des sites de nidification, ainsi que des cachettes pour se protéger des prédateurs. Une cartographie aérienne, réalisée par un cabinet de conseil environnemental indépendant, a révélé que le couvert forestier et broussailleux était passé de 10 % en 2001, avant le début du projet, à 35  % en 2012, puis 42  % en 2016. Cependant, l’appellation assez vague de “couvert forestier et broussailleux” est trompeuse. La végétation du secteur sud est bien plus complexe que cela. Au sein de ces structures végétales, parfois au cœur des bois et sous les buissons, des brouteurs viennent encore paître. Pour nous, il s’agit là du principe du pâturage boisé en action. En 2016 et 2017, nous avons commencé à voir que la repousse des broussailles et des arbres se stabilisait  ; la complexité du milieu freinait elle-même les espèces pionnières. Par rapport au secteur sud, les pâtures réensemencées du secteur central et du secteur nord ont relativement peu changé. Une enquête sur les petits mammifères, réalisée à l’été 2016, a montré les e¤ets spectaculaires de la structure végétale diversifiée sur le secteur sud. 40  pièges Longworth appâtés avec de la nourriture pour gerbille, des nymphes de mouche à viande, du foin et des petits morceaux de pomme et de carotte ont été mis en place dans chacun des trois secteurs durant sept jours. Lors des 5 contrôles e¤ectués au cours de l’enquête, entre 17 et 32 des 40 pièges du secteur sud contenaient ici un mulot sylvestre, là un mulot à collier, ou bien un campagnol roussâtre ou un campagnol agreste, ou encore une musaraigne carrelet. Pendant ce temps-là, on ne trouvait que deux à cinq animaux pris au piège dans les autres secteurs.

Les hérissons, qu’on appelle dans le vieux Sussex prickleback urchins, “oursins à dos épineux”, étaient naguère abondants à Knepp. Lorsque nous avons emménagé ici, au milieu des années 1980, notre labrador en ramenait à la maison, prenant garde à ne pas se faire mal et à ne pas blesser l’animal. Ils avaient toutefois complètement disparu au cours des dernières années d’exploitation agricole. En 2016, enfin, nous avons vu des empreintes de hérisson dans nos tunnels de contrôle de la population, mais il nous reste encore à rencontrer leur propriétaire. On observe très souvent des orvets et des couleuvres à collier ces jours-ci, parfois en amas de dix individus ou plus, soit en train de se prélasser au soleil, soit sous les petits refuges que nous leur avons préparés, sous des plaques de tôle ondulée dispersées çà et là dans le domaine pour nous aider à les recenser. On trouve pléthore de crapauds communs, de grenouilles rousses et de tritons ponctués et palmés. Alors que le rare triton crêté avait été aperçu une seule fois au milieu d’un étang en 1987, nous avons aujourd’hui deux colonies en pleine forme dans des plans d’eau où ils n’avaient jamais été vus auparavant. Les botanistes nous ont signalé la présence de plantes rares comme l’ophioglosse commun, la véronique à écus, l’hottonie des marais et la berle dressée, une espèce qu’on trouve de moins en moins dans le Sussex. 89  bryophytes (mousses, anthocérotes et hépatiques) ont été répertoriées, notamment plusieurs espèces rares, ce qui suggère que Knepp pourrait être l’un des sites les plus riches du comté. De plus en plus d’entomologistes venaient nous rendre visite, ce qui nous a conduits à descendre un peu plus le long de la chaîne alimentaire, vers les invertébrés et la liste d’insectes rares qui ne faisait que s’allonger. Une fois qu’on a cessé d’utiliser des pesticides et des avermectines et d’enlever le bois mort au sol, on a constaté une hausse du nombre de coléoptères notables : le bousier Geotrupes mutator, vu à Knepp pour la première fois dans le Sussex en cinquante ans (sur trois

sites di¤érents) ; le rare taupin gradé brun Calambus bipustulatus, dont les larves vivent dans les souches tendres des vieux chênes en voie de décomposition ; et Korynetes caeruleus, le coléoptère bleu électrique qui se nourrit des larves d’insectes xylophages. Le monde des invertébrés est un univers ensorcelant d’aranéides et d’araignées crabes, de cicadelles,  de téléphores moines, de gendarmes, de faucheuses, de grillons champêtres et de créatures étranges comme l’anthribe longicorne (Platystomos albinus), qui a l’apparence d’une fiente d’oiseau, et Trematocephalus cristatus, une araignée parée de rouge et de bleu-noir, et qui a un trou au milieu de la tête. Les éphémères et les libellules s’amassent eux aussi dans les fourrés denses qui bordent les lacs et les étangs, revitalisés par  l’eau propre. Deux espèces de demoiselles, le caloptéryx éclatant et le caloptéryx vierge, particulièrement sensibles à la pollution, volètent par centaines au-dessus des ruisseaux et à la surface de l’Adur. Des espèces plus rares comme la libellule fauve, une libellule aux yeux bleus qu’on ne trouve que dans six zones en Grande-Bretagne, sont apparues de nulle part. Nous en avons compté 18 ici en l’espace d’une seule journée. On observait aussi une hausse soudaine du nombre et des sortes de papillons. Le premier recensement réalisé dans le secteur nord et le secteur central en  2005 nous avait permis de comptabiliser 13  espèces di¤érentes ; en 2014, nous en avions 23. Depuis que des recensements sont menés dans le secteur sud, la liste des espèces de lépidoptères trouvées à Knepp est montée à  34. Certaines sont arrivées il y a peu, comme le demi-deuil (recensé pour la première fois en 2005), le fadet commun (une autre espèce dont on suppose souvent, à tort, qu’elle vit dans les landes), le grand nacré (observé pour la première fois ici en 2015) et la mégère ou satyre (la première observation date de 2017). Et certaines, comme les piérides du navet, les hespéries du dactyle et, bien sûr, les grands mars changeants, sont en plein essor. En 2015, Neil

Hulme a dénombré 790  hespéries de la houque, une hausse spectaculaire par rapport aux 62 individus comptés l’année précédente –   déjà une bonne année pour les papillons. En 2017, les thècles du bouleau (qu’on trouve surtout, contrairement à ce qu’indique leur nom, sur les prunelliers) étaient extrêmement nombreuses, ce qui fait aujourd’hui de Knepp le site où se trouve la plus grande population de ces lépidoptères au Royaume-Uni. Les thècles du chêne sont elles aussi en pleine forme : au cours d’une seule journée, en juin 2017, nous en avons compté 500. Ce joli papillon aux reflets bleu-mauve, qui fait moins de la moitié de la taille d’un grand mars changeant et qu’on ne voit habituellement que de loin, palpitation ailée voletant autour de la canopée d’un chêne et se nourrissant de miellat, ravit les visiteurs à Knepp en descendant régulièrement au niveau du sol. En 2016, le nombre d’espèces de papillons de nuit avait atteint 441, y compris certaines qui déclinent rapidement au niveau national, comme l’ennomos du frêne, le double oméga, la goutte-de-sang (qui se nourrit exclusivement de séneçon jacobée) et l’hépiale du houblon. Durant les nuits d’été, les hépiales du houblon mâles, pâles fantômes, paradent devant les femelles jaunes sagement posées sur l’herbe en voltigeant à la surface de Hammer Pond. En 2017, nous avons eu la bonne surprise de trouver la très rare nonagrie de la canne, sur la Liste rouge de l’UICN, dont les larves se nourrissent de l’intérieur des tiges des joncs des tonneliers, des iris des marais et des massettes à feuilles larges. Les noms des papillons de  nuit évoquent souvent un univers magique  : la porcelaine, la crête-de-coq, l’hydrocampe du nénuphar, l’ennomos du tilleul, l’inégale, dont les chenilles se nourrissent de champignons autour des arbres en décomposition, ou le c-noir, mon préféré, ainsi nommé  car la  marque noire sur ses ailes antérieures ressemble à la lettre c.

Les pollinisateurs sont un autre aspect du projet qui intéresse autant les spécialistes de la conservation que les agriculteurs. En étudiant neuf zones du secteur sud pendant plusieurs jours entre 2015 et 2016, Dave Goulson, professeur de biologie à la University of Sussex et auteur de A Sting in the Tail et de Bee Quest (dans lequel il a consacré un chapitre à Knepp), a recensé 62  espèces d’abeilles et 30  espèces de guêpes, y compris 7  espèces d’abeilles et  4  de guêpes protégées à l’échelle nationale. C’était un décompte exceptionnel au vu du contexte, estimaitil, étant donné que l’exploitation intensive de la terre n’avait cessé qu’une dizaine d’années auparavant. Les colonisateurs de certaines des espèces les plus rares avaient sans doute parcouru des kilomètres avant d’arriver là. Trouvant à Knepp un habitat adapté, ces espèces ont rapidement proliféré. Plusieurs, comme Melitta tricincta, sont inféodées à certaines fleurs qu’on trouve aujourd’hui à Knepp. D’autres, comme Lasioglossum puncticolle, ont besoin de fentes de dessiccation dans le sol pour y faire leur nid – une ressource que notre sol argileux fournit en abondance en été. Une abeille “solitaire” peu commune, Melitta europaea, aime se nicher dans des sols détrempés, voire partiellement inondés. Elle ne visite que les lysimaques communes pour récupérer du pollen, mais aussi pour les huiles florales grâce auxquelles elle imperméabilise son nid. Et puis il y a Sphecodes scabricollis, une abeille extrêmement rare dans toute l’Europe. La minuscule femelle de cette espèce, qui ne mesure que 6  millimètres mais qu’on reconnaît à la bande rouge vif ceignant son abdomen noir, entre dans les nids d’autres abeilles (particulièrement Lasioglossum zonulus) et tue la progéniture de l’hôte avant d’y pondre ses propres œufs. D’autres espèces trouvées dans notre paysage argileux ont été des surprises. L’une, Crabro scutellatus, est habituellement associée aux landes humides ; une autre,

Gorytes laticinctus, une espèce de guêpe très rare, aux sols légers. Même les guêpes et les abeilles “spécialisées” peuvent remettre en cause les classifications pointilleuses établies par la science. La multitude d’insectes amassés dans les plantes, les uns patinant sur la surface des plans d’eau grâce à la tension superficielle, les autres se carapatant dans les sous-bois ou rampant entre plusieurs couches de bois mort en décomposition, forme un univers que la plupart d’entre nous négligent dans un paysage, alors qu’il est visible à l’œil nu. Il existe toutefois un autre monde d’invertébrés auquel nous n’avons pas accès sans équipement, et dont nous sommes encore moins conscients, alors qu’il est essentiel aux processus naturels : le sol lui-même. Assez rapidement, nous avions vu des bousiers creuser des tunnels dans les bouses de vaches et récupérer des nutriments dans des chambres souterraines pour leurs larves, ainsi que des fourmis construisant leur fourmilière, mais ce sont les traces de l’action des lombrics sous nos pieds qui ont véritablement confirmé que notre terre inerte, post-agricole, retrouvait sa fertilité. Plusieurs années après le début du projet, nous avions commencé à observer des turricules, minuscules pyramides d’excréments de lombrics, semblables à de petits vermicelles entortillés, apparaître à la surface du sol. Dans quelquesunes des zones les plus humides du secteur sud, la terre reste trop compacte et anaérobie après des décennies d’agriculture pour que ces pionniers furtifs parviennent à la traverser, mais presque partout ailleurs les lombrics ont gagné du terrain. Des étudiants en master de l’Imperial College London venus observer le sol en 2013, prenant comme référence les fermes voisines où la qualité du sol est similaire et où on applique les mêmes méthodes d’agriculture qu’à Knepp à l’époque où le domaine était exploité, ont constaté une nette augmentation du nombre et de la diversité des trois catégories de lombrics dans les trois secteurs  : les épigés (des vers de surface qu’on

trouve dans les litières de feuilles et les troncs en décomposition), les endogés (ceux qui vivent dans le sol, où ils creusent des galeries horizontales, ne s’aventurant que rarement à la surface) et les anéciques (des vers creusant de profondes galeries verticales et qui laissent des turricules à la surface). En tout, nous avons à ce jour trouvé 19 espèces de lombrics –  une diversité qui, selon les scientifiques du sol, est extraordinairement élevée. Les lombrics luttent pour leur survie dans les systèmes d’agriculture intensive. Les épigés, privés de compost de surface, sont presque entièrement absents des champs cultivés  ; tandis que, d’année en année, le labour et le retournement de la terre tuent les anéciques et exposent les endogés à la prédation. Le simple fait de perturber le sol, au moyen d’une bêche ou d’un râteau dans le jardin ou d’un versoir, d’un butoir ou d’un chisel dans les champs, décompose la matière organique dont se nourrissent les lombrics. Le compactage du sol provoqué par les machines agricoles est aussi un problème. L’application d’engrais de synthèse et de pesticides est encore plus nuisible, puisqu’elle élimine de nombreux types de bactéries bénéfiques, des champignons mycorhiziens, des protozoaires, des nématodes et d’autres organismes vivant dans le sol, lombrics compris. Les engrais à haute teneur en azote sont prisés sur les parcours de golf, non seulement parce qu’ils permettent de faire émerger ces greens d’un vert lumineux, mais parce qu’il s’agit du moyen le plus sûr d’éliminer ces lombrics gênants, dont les turricules peuvent constituer un obstacle pour les joueurs. Au fil des ans, l’agriculture moderne a réduit le sol à ce qu’Elaine Ingham, l’une des plus éminentes microbiologistes au monde, qualifie de “fange”, un milieu stérile dans lequel les plantes luttent pour pousser sans engrais artificiel. C’est un cycle infini de destruction et de dépendance chimique. En l’absence d’organismes dans le sol et d’une structure qui permette de les retenir, l’eau et les nutriments ne restent

pas, le sol se compacte et devient vulnérable à l’érosion. Depuis un avion, il n’est pas rare de voir les ruissellements de boue qui s’écoulent comme des taches d’encre dans la mer depuis l’embouchure des fleuves, partout sur la planète. Selon un rapport publié en 2015 par la FAO sur l’état des ressources en sols dans le monde, un tiers des terres sont modérément à très dégradées du fait de l’érosion, de la salinisation, du compactage, de l’acidification et de la pollution chimique, et entre 25 et 40  milliards de tonnes de couche arable disparaissent chaque année sous l’e¤et de l’érosion. D’après les estimations, la dégradation des terres se chiffre à 10 600 milliards de dollars annuels, soit 17 % du PIB mondial. Il en coûte au Royaume-Uni entre 900 millions et 1,4 milliard de livres par an, dont la moitié est due à la perte de matière organique, plus d’un tiers au compactage et environ  13  % à l’érosion. En Angleterre, on juge qu’au cours d’un seul orage, 2  000  tonnes de couche arable se déversent dans le fleuve Wye. Ces tonnes de terre, qui se retrouveront dans la mer, sont parties pour toujours. L’appauvrissement de cette couche superficielle est si grave au Royaume-Uni qu’en 2014, le journal Farmers’ Weekly a annoncé qu’il ne nous restait plus dans le pays que de quoi faire une centaine de récoltes. L’humble lombric a beau ne pas avoir l’éto¤e d’un héros, il pourrait être la solution à cette crise. Tout au long de l’histoire, des civilisations anciennes ont vu les vers de terre comme les garants de la santé des sols. Quatre siècles avant notre ère, Aristote les décrivait déjà comme “les intestins de la terre”. Cléopâtre, reine d’Égypte au Ier siècle avant J.C., reconnut la contribution des lombrics à l’agriculture de la vallée du Nil, les déclara sacrés, et leur faire du mal devint passible de la peine capitale. À la fin du XIXe  siècle, Charles Darwin, qui consacra le plus clair de ses dernières années aux lombrics, les qualifia d’ingénieurs des écosystèmes : “On peut douter qu’il y ait beaucoup d’autres animaux qui aient joué un rôle aussi important dans l’histoire du monde que ces

créatures d’une organisation inférieure.” À la suite d’expériences menées dans son jardin de Down House, dans le Kent, il aªrma que leur rôle en tant que digesteurs de la matière végétale était fondamental à la création de nos sols, à leur fertilité et à leur friabilité. “[T]oute la terre végétale dans la totalité du pays est passée de nombreuses fois, et repassera encore de nombreuses fois, à travers les canaux intestinaux des vers.” D’après ses calculs, un hectare de terre peut contenir plus de 20 000 lombrics qui, en un an, déplacent 8 tonnes de sol. Les estimations de Darwin, aussi improbables qu’elles aient semblé à l’époque, sont modestes par rapport aux résultats obtenus dans certaines parties du globe au XXe  siècle. Les scientifiques ont compté 272 000 lombrics par hectare de couche arable dans les forêts tropicales de Malaisie et, tenez-vous bien, près de 3 250 000 vers par hectare dans un pâturage néo-zélandais. Dans un hectare de la vallée du Nil, les lombrics peuvent produire plus de 400 tonnes de turricules par an, un phénomène qui explique en partie l’étonnante fertilité des terres agricoles d’Égypte. À partir des années 1950, cependant, les défenseurs de l’agriculture industrielle dans le monde étaient convaincus qu’ils pouvaient se passer des lombrics et de tout autre organisme naturellement présent dans le sol. Ce n’est qu’aujourd’hui que la couche arable s’amenuise, que la fertilité décroît et que le coût des intrants augmente que les analystes du sol se mettent à repenser l’approche de l’agriculture moderne et à envisager les vers de terre et leurs compagnons comme un moyen d’améliorer nos sols et d’instaurer un système agricole plus durable. Depuis Darwin, les lombrics ont été terriblement négligés par la science. Tout jardinier sait parfaitement qu’en faisant oªce de charrues de labour ou de cultivateurs sous la surface, ils aèrent le sol. Leurs galeries deviennent des voies tubulaires facilitant la circulation et le stockage de l’eau, ce qui améliore le drainage et la rétention d’humidité

dans le sol. Elles permettent aussi aux racines des végétaux de s’enfoncer plus profondément. La seule présence de ces galeries protège les sols des crues et de l’érosion. Mais ce n’est que dans les dernières décennies que les spécialistes des lombrics ont commencé à comprendre un peu mieux leur biologie et les miracles qu’ils sont capables d’accomplir. En circulant dans le sol, les vers de terre sécrètent du fluide cœlomique, un mucus qui les aide à se déplacer, à digérer, à respirer, à s’hydrater et à éliminer les toxines. Ce mucus riche en glycoprotéines tapisse les parois de leurs galeries et favorise la croissance de bactéries et de champignons. Les intestins des lombrics sont eux aussi peuplés de bactéries  : on en trouve jusqu’à cinquante espèces chez le ver de terre commun, aussi appelé ver de rosée (Lumbricus terrestris). Les bactéries et d’autres microbes du sol facilitent la croissance végétale. Ils minéralisent les nutriments dans le sol en décomposant la matière organique soluble et insoluble sous forme inorganique que les plantes peuvent utiliser. Certains transforment les composés organiques comme les acides aminés en ammonium et en nitrates, c’est-à-dire les formes sous lesquelles se présente l’azote exploitable par les plantes pour produire des protéines, tandis que d’autres fixent l’azote dans les racines des plantes. D’autres encore décomposent le carbone, le soufre, l’hydrogène et d’autres éléments sous des formes assimilables par les végétaux, tout en stabilisant ces nutriments et en les stockant dans le sol à plus long terme. Les microbes des sols, eux, produisent des enzymes capables de catalyser la minéralisation du phosphore, un autre nutriment crucial à la croissance des plantes. Di¤érents microbes s’activent en fonction des températures et des niveaux d’humidité, ce qui améliore la résilience des sols et des plantes face aux conditions qui changent d’heure en heure, de jour en jour et d’année en année. On trouve un très grand nombre d’espèces di¤érentes dans les sols sains, et

ce en quantité astronomique. Une seule poignée de terre peut contenir des milliards de bactéries, des millions de nématodes et de protozoaires microscopiques, des milliers d’acariens, de collemboles et d’enchytréides, des centaines d’espèces de champignons et d’algues, ainsi que des petites araignées, fourmis, termites, coléoptères, centipèdes et millipèdes –  toute la gamme d’organismes vivants qui forme ce que les scientifiques appellent le “réseau trophique du sol”. Dans cette poignée de terre, il y a plus d’organismes que le nombre total d’êtres humains qui ont jamais vécu sur cette planète. Tous les organismes du sol ne sont pas bénéfiques. Certains propagent des agents pathogènes qui peuvent tuer une plante ou mener à son flétrissement. Dans certaines conditions, particulièrement dans un sol anaérobie et détrempé (où il n’y a généralement pas de lombrics), des bactéries dénitrifiantes peuvent métaboliser les composés azotés et libérer de l’azote dans l’air. De nombreuses maladies humaines proviennent de champignons, de virus, de protozoaires et notamment de bactéries qui passent une partie de leur cycle de vie dans le sol. Les lombrics, cependant, semblent influencer le type de bactéries qui dominent dans un sol donné. Toutes les bactéries ne sont pas capables de survivre à un passage dans l’intestin d’un ver de terre. Celles qui sont nuisibles aux lombrics sont généralement tuées, tandis que les bactéries bénéfiques se reproduisent rapidement, ce qui signifie que les bonnes bactéries sont plus nombreuses en sortant du ver qu’en y entrant. Ce phénomène peut changer la nature même du sol. Des études sur l’utilisation de lombrics dans des stations d’épuration ont montré qu’ils sont capables d’éradiquer des bactéries nuisibles comme Escherichia coli et les salmonelles, transformant les eaux usées en une matière organique riche en nutriments, qu’on peut épandre sur les terres agricoles en toute sécurité.

Selon les espèces, les vers de terre abritent di¤érentes bactéries, et les agronomes estiment qu’il pourra être un jour possible de choisir les bactéries qu’on souhaite avoir dans le sol (celles qui seront bénéfiques pour un type de culture donné) en y plaçant certains types de lombrics. Les études à ce sujet ne font que commencer, mais d’autres chercheurs ont voulu quantifier les avantages fondamentaux des lombrics pour l’agriculture. Selon un rapport publié en  2014 par le groupe sur la biologie des sols de l’université de Wageningen, aux Pays-Bas (composé de scientifiques états-uniens et brésiliens, notamment), la présence de lombrics permet une augmentation de 25  % de la production en moyenne et une hausse de 23 % de la biomasse de surface. Les turricules à eux seuls constituent une sorte de super-engrais, un compost qui contient jusqu’à cinq fois plus d’azote, sept fois plus de phosphate soluble, trois fois plus de magnésium, près de deux fois plus de calcium et onze fois plus de potassium que la couche arable environnante. Elaine Ingham, reine du lombricompost, que nous avons rencontrée lors d’une journée de janvier particulièrement venteuse à l’Oxford Real Farming Conference de 2015, à l’occasion de laquelle elle était venue donner des conseils aux producteurs de pommes de terre de Jersey en grande diªculté, défend l’utilisation du “lombrithé” (la dilution dans l’eau de la production des lombrics) pour restaurer la vie microbienne dans les sols appauvris. Elle ne comprend pas que l’agriculture conventionnelle continue de défendre le recours à des engrais de synthèse coûteux au détriment du potentiel naturel du sol, et que seuls trois éléments de base (azote, phosphore et potassium) soient considérés comme nécessaires à la croissance végétale. Les engrais artificiels ne sont pas uniquement coûteux (un puits sans fond pour les agriculteurs les plus pauvres de la planète), ils sont aussi extrêmement ineªcaces. En agriculture conventionnelle, on gâche une grande partie des plus de 150 millions de tonnes d’engrais de synthèse

(presque exclusivement composés d’azote, de phosphore et de potassium) utilisés chaque année. Souvent ils sont appliqués au mauvais moment, c’est-à-dire à des phases où les plantes n’absorbent pas de nutriments, ou bien ils sont épandus en trop grande quantité par rapport aux besoins des végétaux. Mais c’est aussi une simple question de biologie. Une grande partie du phosphore des engrais chimiques est adsorbée par les minéraux du sol et, sans microorganismes pour le convertir, n’est plus disponible pour les végétaux. Si le sol n’est pas un milieu biologique sain, jusqu’à la moitié de l’azote injecté ne reste pas : il s’écoule dans les cours d’eau puis dans la mer, où il provoque des proliférations d’algues qui absorbent l’oxygène et étou¤ent les autres formes de vie. Chaque printemps, dans le golfe du Mexique, une superficie d’environ 16 800 kilomètres carrés devient une “zone morte” anoxique sous l’e¤et du ruissellement d’engrais charrié par le Mississippi. Dans le monde, il existe plus de 400 de ces zones mortes dans les eaux littorales, notamment de vastes zones de la mer Noire qui ne se remettront probablement jamais des proliférations catastrophiques (les “marées rouges”) provoquées par les décharges agricoles colossales des années 1970. L’azote s’échappe aussi du sol sous forme gazeuse. Dans les sols gorgés d’eau ou saturés, certaines bactéries transforment l’engrais nitrique en oxyde nitreux, un gaz à e¤et de serre presque trois cents fois plus puissant que le dioxyde de carbone. L’azote s’évapore du sol avec la formation de gaz ammoniac, produit par la volatilisation de l’urée, un engrais prisé par de nombreux agriculteurs. Le prix de ces pratiques pour le monde est astronomique, des e¤ets préjudiciables à nos poumons jusqu’à l’appauvrissement de la couche d’ozone en passant par les zones mortes le long des côtes, la pollution de l’eau potable et la dégradation des sols. D’après le rapport European Nitrogen Assessment

publié en 2011, la pollution due aux composés à base d’azote coûte à l’Union européenne entre 70 et 320 milliards d’euros par an. À l’échelle planétaire, la facture pourrait s’élever à 1 000 milliards d’euros. Outre les dégâts environnementaux qu’ils provoquent, les engrais de synthèse ne fournissent qu’une gamme limitée de nutriments aux cultures. Ils peuvent certes leur apporter des macronutriments tels l’azote et le phosphore, mais pas des micronutriments comme le magnésium, le calcium, le zinc, le soufre et le sélénium, qui sont aussi assimilés par les plantes. Dans les systèmes de production intensive, les récoltes successives privent le sol de ces micronutriments, et les rendements finissent immanquablement par diminuer. Ingham rappelle la panoplie de nutriments d’un sol sain que les microorganismes mettent à disposition des végétaux, qui sont tous probablement importants, d’une manière ou d’une autre, pour la santé humaine. “Plus nous avançons dans nos recherches, explique-t-elle, plus nous nous apercevons que tout compte. La liste des éléments que nous mesurons pour évaluer la santé d’un sol continuera certainement de s’allonger jusqu’à inclure la totalité du tableau périodique des éléments. L’yttrium existe forcément pour une raison sur cette planète. Il ne nous en faut pas beaucoup, mais forcément un peu.” Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, alors que les fabriques de munitions se transformaient en usines agrochimiques, des scientifiques s’inquiétèrent de la diminution de la valeur nutritionnelle des aliments produits à l’aide d’engrais artificiels. Ce phénomène est l’un des angles morts les plus tenaces de l’agriculture moderne. Dans le cadre d’une étude cruciale en 2004, des chercheurs du département de chimie et de biochimie de la University of Texas ont analysé les données nutritionnelles du département états-unien de l’Agriculture recueillies en 1950 et en 1999 pour 43 fruits et légumes di¤érents. Le résultat est sans appel  : on peut constater ces cinquante dernières années une

“dégradation indubitable” de la quantité de protéines, de calcium, de phosphore, de fer, de riboflavine (vitamine  B2) et de vitamine C.  Une étude similaire en Grande-Bretagne, sur la base de données recueillies entre 1930 et 1980, a conclu que, pour 20 légumes, la teneur moyenne en calcium avait baissé de 19  %, celle en fer de 22  % et celle en potassium de 14  %. À l’occasion d’une autre étude analysant les données de The Composition of Foods, un manuel de référence publié à intervalles réguliers par les biochimistes employés par le gouvernement, on s’est aperçu qu’au cours de la période 1940-1991, les pommes de terre avaient perdu 47  % de leur teneur en cuivre, 45  % de leur fer et 35  % de leur calcium, et ces baisses étaient pires encore pour les carottes. Dans le brocoli, considéré comme un super-aliment riche en micronutriments et en antioxydants, la quantité de cuivre a diminué de  80  %, et il ne reste qu’un quart de la quantité de calcium qu’on y trouvait en 1940. Même constat pour les tomates  : il aurait fallu en manger au moins 10 en 1991 pour obtenir la même quantité de cuivre qu’une seule tomate de  1940. Une autre étude encore a calculé que nous devons manger 8 oranges d’aujourd’hui pour obtenir une dose de vitamine A équivalente à celle que nos grands-parents tiraient d’un seul de ces agrumes. Les niveaux d’autres nutriments, qui n’ont pas été mesurés dans la première moitié du XXe siècle, comme le magnésium, le zinc et les vitamines  B6 et  E, ont sans doute aussi nettement diminué. À eux seuls, sans l’aide des bactéries, des champignons mycorhiziens et de tous les autres microbes et animaux naturellement présents dans le sol (lombrics, protozoaires, nématodes, acariens, collemboles,  etc.), les végétaux sont moins capables d’absorber ces nutriments essentiels et les e¤ets sur la santé humaine ne commencent à être étudiés que maintenant. Les chi¤res du gouvernement états-unien laissent penser qu’il existe une corrélation entre la baisse du niveau de magnésium

dans les aliments comme les épinards, les choux, les tomates et les laitues consommés aux États-Unis et l’augmentation des maladies dues à des carences comme l’asthme, des cardiopathies, des a¤ections qui touchent les bronches et des malformations osseuses. Pendant ce temps, les résidus de pesticides, les concentrations d’azote liées au risque accru de certains cancers et les métaux lourds toxiques comme le cadmium, que l’on retrouve dans notre alimentation, ont certainement des e¤ets néfastes sur notre santé. Le bétail nourri de végétaux cultivés dans des systèmes intensifs est pareillement touché. L’inoculation du sol avec du lombricompost riche en bactéries et en champignons, une pratique d’abord appliquée par les jardiniers, est désormais mise en œuvre à grande échelle aux États-Unis, au Canada, en Italie, au Japon, en Malaisie et aux Philippines. Dans les systèmes en agriculture biologique, les rendements ont grimpé en flèche tandis que les cultures assimilaient davantage de nutriments. Cette pratique pourrait aussi être utile dans la lutte contre les organismes nuisibles. Il semblerait notamment que les insectes suceurs de sève n’apprécient pas les plantes qui ont poussé dans du lombricompost. Des études sont actuellement en cours pour déterminer s’il serait possible de dissuader Homalodisca vitripennis, une espèce de cicadelle qui a propagé le phylloxéra dans les vignobles californiens, d’attaquer les vignes sur lesquelles on a épandu du lombricompost. Plus étonnant peut-être que le rôle du lombric dans le cycle des nutriments des végétaux, des chercheurs de l’Oxford University ont récemment découvert que ces vers de terre et leurs cohortes de bactéries sont capables d’éliminer les polluants toxiques du sol. En 2000, le Royaume-Uni s’est engagé à éliminer progressivement l’utilisation du polychlorobiphényle (PCB), un produit chimique dangereux répandu dans les peintures, les teintures, les plastiques et les équipements électriques. Les PCB s’accumulent dans les tissus graisseux des

animaux et des êtres humains, a¤ectent le système nerveux et les fonctions cérébrales, et provoquent des défauts génétiques et des cancers. Éliminer les PCB des sols présente d’immenses problèmes logistiques. L’approche classique consiste à creuser pour prélever la terre contaminée, puis à la stocker dans d’immenses conteneurs avant de la transporter à la décharge ou de l’incinérer. Le fait que les lombrics soient capables de métaboliser des toxines comme les PCB, ainsi que le DDT et d’autres composés organochlorés comme la dieldrine (utilisée à l’origine comme insecticide et interdite au Royaume-Uni depuis 1989), o¤re une solution simple et peu coûteuse à la détoxification de nos sols. Les lombrics sont désormais utilisés dans la remise en état de mines à ciel ouvert et de sites industriels, à la fois parce qu’ils créent de la terre et parce qu’ils éliminent la pollution. Ce sont bel et bien des ingénieurs d’écosystèmes. C’est avec tous ces éléments en tête que nous nous sommes réjouis du retour des lombrics à Knepp. Ces créatures mystérieuses, sourdes et aveugles, dépourvues de colonne vertébrale et privées de dents, sont une autre espèce clé, peut-être même la plus importante : celle qui suscitera des transformations au niveau microscopique susceptibles de modifier entièrement la vie au-dessus du sol. Des trois grandes catégories de lombrics, ce sont les anéciques (ceux qui creusent des galeries verticales et qu’a étudiés Darwin) qui semblaient produire les résultats les plus surprenants à Knepp. Les scientifiques avaient prévu au début du projet qu’ils progresseraient peu ou prou d’un mètre chaque année dans nos sols post-agricoles dégradés. À ce rythme, il allait leur falloir plus d’un siècle pour parcourir 100 mètres depuis les anciennes haies, si tant est qu’ils aient survécu. Pourtant, à peine plus d’une décennie plus tard, nous trouvons des turricules au milieu de nos anciens champs, soit à bien plus de 50 mètres des haies.

Nous tenons absolument à faire réaliser une analyse et un suivi des sols en bonne et due forme à Knepp, car les implications découlant de ce constat sont sans doute énormes. Si les sols peuvent être restaurés à moindre coût en quelques dizaines d’années de réensauvagement, les avantages pour l’agriculture seraient gigantesques. Un ancien conseiller de Natural England, Gwil Wren, a proposé de créer un “Knepp de poche” sur un vaste terrain. Des parcelles dégradées seraient réensauvagées à tour de rôle pendant, disons, vingt à cinquante ans, voire plus (jusqu’à ce que le sol soit remis en état et que des broussailles soient apparues, formant des habitats pour les oiseaux et d’autres animaux), puis on les exploiterait de nouveau pour la production agricole. Le terrain à réensauvager devrait être suªsamment vaste (par exemple autour d’un bassin hydrographique) pour qu’on puisse y sélectionner des parcelles qui, progressivement, deviendraient des tremplins ou des couloirs naturels permettant de reconnecter le paysage. Tandis qu’on reprendrait l’agriculture sur une parcelle réensauvagée, une autre à proximité serait mise “en réensauvagement” ; et il faudrait toujours s’assurer que la même surface de terrain soit consacrée au réensauvagement, de sorte à atteindre un équilibre avec la surface agricole. Autrement dit, il s’agirait de revisiter le système traditionnel de rotation des cultures, au titre duquel on laissait certains champs en jachère, mais sur une surface bien plus étendue et sur une échelle de temps plus longue. Avec nos machines modernes, il est très facile de remettre des terres embroussaillées en état d’être cultivées. En 2011, afin de préparer un projet pilote de plantation de biomasse avec la Forestry Commission, un immense gyrobroyeur a transformé 15  hectares de broussailles à Knepp (une parcelle agricole distincte, abandonnée en même temps que le reste du domaine) en une terre meuble, parfaitement adaptée à l’agriculture, en l’espace de quelques heures. Étant donné qu’il amalgame le broyat uniquement à la surface de la

couche supérieure du sol, le processus a aussi une incidence minimale sur les populations de lombrics existantes et leurs compagnons invisibles, comme le montrent les nombreuses bécasses des bois et bécassines venues se nourrir des invertébrés du sol au milieu des eucalyptus plantés. La science commence tout juste à comprendre l’univers des organismes du sol, les services qu’ils rendent, leurs façons d’interagir et l’e¤et qu’ils ont sur la vie végétale au-dessus d’eux. Pendant des décennies, la recherche en biologie du sol (“l’un des composants les plus négligés du système mondial”, selon l’écologiste Tony Juniper) a été terriblement sous-financée, mise de côté au profit de champs moins complexes des sciences naturelles, de projets qui font rêver comme la technologie spatiale ou de recherches sur les systèmes artificiels financés par l’agro-industrie. Ce n’est qu’aujourd’hui que des techniques scientifiques entrent en jeu qui permettent l’observation de microbes du sol (la “matière noire” microbienne) dans leur environnement naturel plutôt que dans le milieu limitant du laboratoire. 99  % des microbes n’apparaissent pas en laboratoire. En 2015, on pouvait lire dans la revue Nature le compte rendu de la découverte, pour la première fois depuis trente ans, d’un nouvel antibiotique dans le sol, la teixobactine, capable de tuer Mycobacterium tuberculosis, Clostridium diªcile et Staphylococcus aureus, résistants à la méticilline. La plupart des antibiotiques viennent de microbes du sol, et on espère aujourd’hui que de nombreux autres, encore inconnus des scientifiques, finiront par être ainsi découverts. Enfin, la situation semble évoluer. Plusieurs des objectifs du Programme de développement durable des Nations unies à l’horizon  2030 sont liés aux sols, et le rapport du Groupe technique intergouvernemental de l’ONU sur les sols indique les évolutions que connaissent ces derniers et les conséquences de ces transformations sur

l’humanité. D’après un rapport publié par l’Economics of Land Degradation Initiative en septembre  2015, si on se mettait à gérer durablement les sols dans le monde entier, les créations d’emplois et l’amélioration des rendements qui en découleraient engendreraient 75 600 milliards de dollars chaque année dans le monde. Au RoyaumeUni, de grands programmes de financement comme le Soil Security Programme du Conseil pour la recherche sur les milieux naturels et le programme SARISA (Soil and Rhizosphere Interactions for Sustainable Agri-ecosystems), du Conseil pour la recherche en biotechnologie et sciences biologiques, s’intéressent aujourd’hui à la biologie du sol et aux stratégies à appliquer pour intégrer ces nouvelles connaissances dans les pratiques agricoles. Pour Ted Green, la preuve la plus enthousiasmante de la régénération des sols à Knepp est l’éruption de fructifications de champignons. En l’accompagnant le long de Hammer Pond, dans le secteur sud, nous avons découvert le rare Boletus mendax, un champignon mycorhizien associé aux vieux chênes, qui, selon lui, pourrait avoir attendu sous la forme de mycélium dans les racines des arbres des dizaines d’années durant, jusqu’à ce que les bonnes conditions dans le sol et à sa surface lui permettent de pousser. Dans un bosquet de saules d’une dizaine d’années, nous avons eu la surprise de voir un demi-cercle de lactaires et un bouquet d’amanites tue-mouches, le champignon hallucinogène rouge qui illustre souvent les contes de fées. Ted les appelle ses “recycleurs”, agents de décomposition. Ils libèrent en e¤et des enzymes capables de décomposer certaines des substances naturelles les plus durables : la lignine et la cellulose fibreuses des végétaux, les coquilles dures des insectes, les os d’animaux et même des fragments rocheux. La présence d’orchidées était un autre élément encourageant : orchis négligés, orchis mâles et orchis de Fuchs, ainsi que les bien plus rares néotties nids d’oiseau et platanthères à fleurs verdâtres. Ce sont des

plantes qui dépendent d’une relation exclusive et symbiotique avec les champignons mycorhiziens. Les semences d’orchidées ne disposent pas des éléments nutritifs qui leur permettraient de germer, ce qui leur donne l’avantage d’être minuscules (elles ne pèsent que quelques millionièmes de gramme) et ainsi de pouvoir parcourir de longues distances emportées par le vent. La germination dépend entièrement des mycorhizes qui colonisent les graines et leur apportent de la nourriture. L’apparition d’orchidées est la preuve visible que des champignons mycorhiziens souterrains, des “cueilleurs” selon Ted, construisent leurs réseaux sous nos pieds. Comme les bactéries du sol, les mycorhizes libèrent dans le sol des éléments essentiels : phosphore, cuivre, calcium, magnésium, zinc et fer, les mettant à disposition des végétaux sous une forme qu’ils sont en mesure d’assimiler. Mais les mycorhizes apportent aussi un argument de poids à l’intérêt du réensauvagement des sols  : celui de la séquestration du carbone. L’un des ingrédients secrets, comme l’explique Graham Harvey dans son ouvrage The Carbon Fields (2008), est une substance extraordinaire appelée “glomaline”. Au vu de la nature révolutionnaire de cette substance, il est surprenant que la glomaline, découverte en 1996 par la scientifique spécialiste des sols Sara Wright, de l’agence états-unienne Agricultural Research Service, reste si peu étudiée. Glycoprotéine collante, elle est produite par les champignons mycorhiziens à partir du carbone extrait des racines des végétaux. Ses protéines gluantes enrobent les filaments ou hyphes des mycorhizes et les protègent de la décomposition et des attaques microbiennes. Jouant le rôle de canaux souterrains microscopiques, les hyphes étendent la portée des racines d’une plante jusqu’à des zones du sol que les racines elles-mêmes ne sont pas capables d’exploiter. La glomaline renforce les hyphes, colmate les brèches pour éviter toute fuite et assure le transport d’eau et de nutriments distants jusqu’à la plante.

La glomaline a aussi de profonds e¤ets sur le sol. Tandis que les plantes poussent, les hyphes fongiques descendent le long des racines, établissant de nouveaux réseaux près de leurs extrémités. Plus haut, les hyphes mortes se débarrassent de leur glomaline protectrice, qui retombe dans le sol et s’attache à des particules de sable, de vase, d’argile et de matière organique, formant des amas de sol ou “agrégats”, ce qui permet à l’eau, à l’air et aux nutriments de se glisser dans les interstices. Protégés par leur couche solide et cireuse de glomaline, les agrégats sont ce qui donne au sol sa structure : le type de terre meuble et friable qu’un agriculteur ou un jardinier malaxe entre ses doigts avec satisfaction. La glomaline est extraordinairement durable. Des études ont montré qu’elle peut rester intacte dans le sol plus de quarante ans. Sa nature coriace est sans doute la raison pour laquelle elle a si longtemps échappé aux scientifiques. Dans son laboratoire de Beltsville, dans le Maryland, Sara Wright s’est aperçue qu’elle ne pouvait séparer la glomaline du sol qu’en la plongeant dans une solution de citrate et en la soumettant à une chaleur intense pendant plus d’une heure. La glomaline est composée de sous-unités de protéines et de glucides, qui contiennent du carbone, lequel constitue de  20 à  40  %  de la molécule – une part considérable au regard des 8 % que contient l’acide humique, l’élément qu’on croyait auparavant être le principal support de stockage du carbone du sol. Aidés par la glomaline et ses facultés de “superglue”, les agrégats protègent le carbone organique de la décomposition due aux microbes du sol. Plus il y a de mycorhizes dans le sol, plus les agrégats produits sont stables, et plus ils pourront stocker de grandes quantités de carbone. Étonnamment, les sols de la planète contiennent davantage de carbone sous forme de matière organique que toute la végétation du monde, y compris les forêts tropicales. 82  % du

carbone de la biosphère terrestre –  c’est-à-dire la partie de la surface émergée de la Terre, y compris l’atmosphère dans laquelle la vie existe – se trouve dans le sol. Les champignons mycorhiziens ont cette capacité remarquable de répondre à la hausse des niveaux de  CO2 dans l’atmosphère en augmentant la production de glomaline. Au cours d’une expérience qui a duré trois ans, des scientifiques de la  University of California ont utilisé des chambres d’essais extérieures pour contrôler les niveaux de  CO2 sur de petites parcelles de pâtures naturelles. Ils ont constaté que, lorsque le gaz atteint une concentration de 670 parties par million (le niveau que nous devrions atteindre d’ici à la fin de ce siècle), non seulement la longueur des hyphes fongiques triplait, mais elles produisaient cinq fois plus de glomaline que celles qui étaient exposées à des niveaux de CO2 équivalents à ceux d’aujourd’hui. Améliorer la structure de nos sols et transformer les terres agricoles peu productives en pâturages permanents nous fournirait une arme essentielle dans la lutte contre la hausse des niveaux de CO2. D’après la Royal Society, les exploitations agricoles du monde, si elles étaient mieux gérées, pourraient séquestrer jusqu’à 10  milliards de tonnes de dioxyde de carbone par an, soit plus que l’accumulation annuelle dans l’atmosphère. L’entreprise Carbon Farmers of America, qui vend des “puits de carbone” aux agriculteurs désireux de lutter contre le changement climatique, est bien de cet avis. Selon ses estimations, il suªrait d’augmenter de 1,6 % le volume de matière organique des sols cultivés de la planète pour régler le problème du changement climatique. Allan Savory, écologue zimbabwéen qui défend une gestion globale des terres, va plus loin encore en proposant notamment un système de pâturage naturel en rotation, qui aurait la capacité de transformer des zones désertiques fragiles en pâturages productifs (un système qu’on appelle mob grazing ou “pâturage de masse”). Il estime

qu’en régénérant les 5 milliards d’hectares de pâturages dégradés de la planète pour en faire des écosystèmes en bon état, 10  gigatonnes ou plus de surplus de carbone atmosphérique pourraient être stockées dans le puits terrestre chaque année. Cela, aªrme-t-il, réduirait les concentrations de gaz à e¤et de serre au niveau préindustriel en l’espace de vingt ou trente ans. Récemment, après les discussions de la conférence sur le changement climatique à Paris en 2015, la France a lancé l’initiative “4 pour 1 000”. Son objectif est moins ambitieux, mais le raisonnement est le même  : la quantité de carbone présente dans l’atmosphère augmente de 4,3  milliards de tonnes chaque année. Les sols de la planète contiennent 1 500 milliards de tonnes de carbone sous la forme de matière organique. Augmenter la quantité de carbone stockée dans les sols de  0,4  %  par an seulement (en remettant en état les terres agricoles dégradées et en en prenant soin) mettrait un terme à l’augmentation annuelle de quantité de  CO2 dans l’atmosphère. Ce serait là un grand pas vers la réalisation de l’objectif de l’Accord de Paris, soit limiter le réchau¤ement climatique à une hausse de 1,5-2 °C, sans compter qu’en renforçant la fertilité et la stabilité des sols, on garantirait la sécurité alimentaire dans le monde. Le potentiel des projets de réensauvagement comme Knepp en matière de séquestration de carbone intéresse de plus en plus les pouvoirs publics britanniques, qui se sont engagés à atteindre une cible ambitieuse  : réduire, d’ici à 2030, les émissions de  CO2 de  57  % par rapport au niveau de 1990. En 2012, des chercheurs de Bournemouth University et du Centre for Ecology and Hydrology ont établi un rapport à la demande du département de l’Environnement, de l’Alimentation et des A¤aires rurales après avoir examiné des projets de restauration à grande échelle comme Ennerdale, le Great Fen, le bassin de Frome, Pumlumon au pays de Galles et Knepp. Ils ont quantifié huit “services

écosystémiques” essentiels rendus par ces projets (séquestration du carbone, loisirs, esthétique, protection anticrues, production alimentaire, énergie/combustible, matières premières/fibres et eau potable). Les notes allaient de  0 (aucun intérêt) à  5 (extrêmement important). Au titre de l’ancien système d’exploitation agricole intensive, Knepp obtenait  1 pour la séquestration du carbone, 3  pour les loisirs, 5  pour l’esthétique, 1  pour la protection anticrues, 5  pour la production alimentaire, 2  pour l’énergie/le combustible, 3  pour les matières premières et 2 pour l’eau potable. Aujourd’hui, la plupart de ces notes ont sensiblement augmenté  : 5  pour la séquestration du carbone, les loisirs (avant même le lancement de notre entreprise d’écotourisme) et l’énergie/le combustible, 4 pour la protection anti-crues et les matières premières. La production alimentaire reste à 5, et c’est aussi le cas, étonnamment, de l’esthétique. La note relative à l’eau potable (qui porte sur les réserves destinées à la consommation humaine) reste à 2, car nous n’avons pas de réservoirs. Nous pouvons cependant prouver que le réensauvagement a amélioré la qualité de l’eau, ce qui est crucial sur le plan écologique. L’eau qui arrive à Knepp provient en grande partie des exploitations et des zones construites adjacentes  : elle est donc très polluée. Testés en 2016, nos plans d’eau ont obtenu la meilleure note possible en matière de pureté, ce qui indique que le domaine fournit désormais un système de filtration et de purification de l’eau eªcace. L’écart le plus important dans l’évaluation du département de l’Environnement concerne le carbone –  d’après les estimations, une augmentation de 51 % due à “la capacité accrue de stockage du carbone des pâturages et des forêts de feuillus neutres sous l’e¤et du réensauvagement”. Dans cinquante ans, estimait le rapport, Knepp Wildland aura stocké l’équivalent de 14  millions de livres de carbone supplémentaires.

Les plus grandes préoccupations de notre époque –  changement climatique, ressources naturelles, production alimentaire, contrôle et conservation de l’eau, santé humaine – sont toutes liées à l’état de nos sols. Enfin, nous commençons à réévaluer le support essentiel de la biologie terrestre, cette peau fine et vivante. Nous commençons à mesurer sa capacité à faire bon nombre des choses que, dans notre arrogance, nous pensions pouvoir accomplir nous-mêmes. En revenant à la terre, nous commençons, après des siècles d’exploitation et de démesure technologique, à vouloir comprendre comment notre espèce peut survivre en ce monde, pas uniquement pendant encore quelques décennies mais à l’horizon des millénaires à venir, comment nous pouvons allier notre intelligence créatrice et notre savoir-faire à des systèmes qui ont bénéficié, contrairement à nous, de millions d’années de recherche-développement. Peut-être n’y a-t-il pas à s’étonner que le mot latin pour “sol”, humus, ait aussi donné “humain” et “humilité”1. C’est dans le sol que se trouvent nos racines. Pour Charlie et moi, la boucle est bouclée. C’est une conversation sur les champignons mycorhiziens qui avait lancé notre réflexion. Aujourd’hui, près de vingt ans plus tard, le réensauvagement nous a appris à estimer le sol sous nos pieds à sa juste et inestimable valeur. Il est le fondement invisible de tout ce que nous voyons apparaître sous nos yeux ; il est le grand recycleur, le connecteur, la clé de toute vie.

Nul homme n’est une île, un tout en soi. Chaque homme est partie du continent, partie du large. JOHN DONNE, Méditation XVII, Méditations en temps de crise, 16241.

Nous avons grandi en pensant que nous étions [les] propriétaires et [les] dominateurs [de la Terre], autorisés à l’exploiter. La violence qu’il y a dans le cœur humain […] se manifeste aussi à travers les symptômes de maladie que nous observons dans le sol, dans l’eau, dans l’air et dans les êtres vivants. […] Nous oublions que nous-mêmes, nous sommes poussière […] son air nous donne le souºe et son eau nous vivifie. Lettre encyclique Laudato si’ du saint-père François sur la sauvegarde de la maison commune, 2015.

Petit à petit, dix ans après le début du projet de réensauvagement, les critiques du voisinage ont fini par se tarir, les habitants s’habituant progressivement à Knepp et à sa végétation de plus en plus complexe, bien établie. Les sensibilités esthétiques, comme le suggérait le rapport du département de l’Environnement sur les services écosystémiques, commencent à changer et même l’aspect échevelé du secteur sud ne paraît plus si insultant. En 2009, nous avons ajouté à nos 25 kilomètres de chemins publics plus de 6 kilomètres de sentiers de promenade afin de mieux relier les di¤érents itinéraires, et nous avons créé 7,5 kilomètres de pistes au profit des cavaliers membres de l’association Toll Rides O¤-road Trust. Aujourd’hui, beaucoup des visiteurs qui traversent les zones réensauvagées nous disent qu’ils les trouvent tout aussi agréables que le parc Repton ou les anciens champs cultivés.

Nous en sommes ravis, mais nous avons le sentiment que Knepp n’est toujours pas assez sauvage. Il y a encore tant de choses que nous pourrions et devrions faire. Nous espérons y voir un jour des sangliers et des castors  ; qui sait, peut-être des bisons et des élans. Nous aimerions pouvoir laisser les carcasses sur site, car elles fourniraient une source de nourriture aux nécrophages jusque-là négligés et permettraient de rendre au sol ses minéraux. Nous préférerions abattre nos vaches et nos cochons sur place, pour leur épargner le stress du transport jusqu’à l’abattoir, et être en mesure de produire de la délicieuse charcuterie issue de notre harde d’exmoors reproducteurs. Nous n’avons pas perdu l’espoir de faire construire des écoducs reliant les trois grands secteurs du projet, ni de voir des agriculteurs voisins se joindre à l’aventure. Nous rêvons de safaris qui emmèneraient les visiteurs de Knepp jusqu’à la mer en traversant des terres réensauvagées, connectant les habitats, passant de l’argile à la craie puis au galet ; nous rêvons que nos longhorns soient capables de se nourrir de fourrés de saules un jour, puis d’algues sur les plages de Shoreham la semaine suivante. Et nous voudrions réintroduire des espèces qui ne reviendront sans doute pas d’elles-mêmes. Nous verrons peut-être un jour des balbuzards pêcheurs se servir dans le lac, et des cigognes blanches nicher sur les tourelles du château et sur la tour carrée de l’église de Shipley. Ce n’est que le début. La prospérité animale et végétale due au projet a sans nul doute largement contribué à faire changer d’avis le voisinage. Aux yeux des naturalistes, les réussites à Knepp sont innombrables, mais c’est la réapparition d’espèces particulièrement rares et charismatiques comme le rossignol philomèle, le grand mars changeant et la tourterelle des bois qui a attiré l’attention des médias et persuadé le public au sens large que notre folie n’était pas sans méthode.

Certains comportements, quoique enthousiastes, ne sont pas les bienvenus. Pour certains, le réensauvagement signifie que tout est permis. Les propriétaires de chiens, grisés par ce paysage sans contraintes, autorisent souvent leurs animaux à sortir des sentiers et à tout saccager, à pourchasser nos troupeaux et à faire peur aux oiseaux aquatiques ou à ceux qui nichent au sol. Nous sommes sans cesse surpris de constater à quel point cette attitude est courante, même chez des personnes que nous connaissons bien et qui ne voient pas le problème. Pour elles, il n’y a pas de rapport entre leur animal de compagnie “qui se défoule” et les répercussions sur les animaux sauvages. Dans un milieu appauvri par la pollution, la fragmentation et le changement climatique, des chiens non maîtrisés sont un énième fardeau, de même que la prédation de nos chats domestiques en liberté, qui exercent une pression inutile sur la faune sauvage. Les plus gros animaux sont parfois aussi des cibles. Lorsque l’une de nos truies les plus âgées a voulu protéger ses petits des actes de harcèlement répété de deux chiens, elle a foncé sur les maîtres qui ont cru leur vie en danger. Afin de désamorcer le conflit qui menaçait de dégénérer et de protéger les intérêts à long terme du projet, nous avons décidé de ne pas contester les allégations des promeneurs, alors même que des témoins présents à plusieurs autres occasions allaient dans notre sens. La truie a été emmenée à l’abattoir. Un jour, nous sommes tombés sur un père et son fils à cheval en train de jouer aux cow-boys, pourchassant les longhorns au grand galop dans le secteur sud pendant que leurs chiens mordaient les jarrets des veaux. La chasse illégale, parfois pratiquée sur le domaine, nous plonge dans le désarroi. Il nous est arrivé de trouver des collets dans le secteur sud, des daims blessés par des tirs à la carabine de calibre 22, souvent abandonnés à l’agonie, et l’abattoir local nous a signalé que plusieurs de nos tamworths avaient des projectiles de carabine à air comprimé sous la peau. Si personne n’a

essayé de voler nos bêtes, nous avons dû nous occuper une année de six moutons qui avaient été abandonnés, la peau sur les os, dans le secteur sud. Le manque d’empathie et la mauvaise connaissance de la nature semblent être au fondement de la plupart de ces comportements, et c’est là une nouvelle di¤érence entre l’époque de nos grands-parents et arrière-grands-parents et la nôtre. Combien d’arbres, de fleurs, d’oiseaux et d’insectes une personne peut-elle identifier aujourd’hui en moyenne, sans même parler de connaître les saisons de reproduction des oiseaux nichant au sol ou de savoir ramasser un orvet sans lui faire de mal  ? Dans l’édition 2007 de l’Oxford Junior Dictionary destiné aux enfants de sept ans, les mots “amande”, “baie” et “crocus” ont été abandonnés au profit d’“analogique”, “bilan” et “célébrité”. L’édition 2012 a poursuivi cette entreprise de sabotage de la nature dans les jeunes esprits, remplaçant “bouton-d’or”, “gland” et “marron” par “blog”, “goût” et “messagerie”. Au lieu de “bourgeon”, “chou-fleur”, “châtaigne” et “trèfle”, il y a désormais “bande passante”, “copier-coller” et “trépied”. Alouette, bœuf, héron, hareng, homard, huître, martin-pêcheur, léopard, loutre, moule, panthère, pie, triton et vairon ont tous été supprimés. Les modifications apportées à l’Oxford Junior Dictionary sont un reflet de l’évolution des perceptions et activités des enfants au fil des dernières décennies. Depuis les années 1950, 80 % de la population britannique vit en milieu urbain mais, il y a une génération à peine, 40  % des enfants jouaient encore régulièrement dans des zones de nature. Cette part n’est que de 10  % aujourd’hui, et 40  % ne sont jamais allés s’amuser dans la nature. Lorsque j’étais enfant, il était normal de parcourir des kilomètres à vélo pour aller retrouver des amis. Nous passions nos week-ends à farfouiller les friches et les gravières, à construire des barrages dans les cours d’eau et des cabanes dans la forêt,

à faire des feux de camp, à nager dans les rivières et les étangs – le tout sans supervision. Les enfants d’aujourd’hui, même s’ils vivent à la campagne, sont presque toujours sous surveillance, protégés des périls de l’aventure et de l’indépendance. La peur est entrée dans nos vies, alors que rien ne prouve que le monde soit plus dangereux de nos jours pour les enfants qu’il ne l’était il y a cinquante ans. En 1971, 80 % des enfants de huit et neuf ans rentraient seuls chez eux. En 1990, ils n’étaient plus que 9 %, et cette part a encore diminué aujourd’hui. Cette “extinction de l’expérience” dans l’enfance a des répercussions directes sur les attitudes à l’égard de l’environnement plus tard dans la vie. Les études montrent que les enfants qui ont passé du temps dans des espaces verts entre sept et douze ans considèrent la nature comme un endroit magique. À l’âge adulte, ce sont les plus susceptibles de s’indigner du manque de protection de la nature, tandis que ceux qui n’ont pas vécu ces expériences ont tendance à voir la nature comme un espace hostile et inutile, et sont indi¤érents aux pertes que subit le monde naturel. En expurgeant la nature de la vie des enfants, nous privons l’environnement de ses futurs protecteurs. Ce bannissement a aussi des e¤ets dévastateurs et coûteux sur l’ensemble de la société. Sur le seul plan de la santé, la nature fournit un service que nous n’avons pas les moyens d’ignorer. Il a été prouvé que nous sommes en meilleure santé, en meilleure forme physique et plus à l’aise en société, et que les enfants réussissent mieux à l’école et sont plus adaptés, si nous avons accès à des bouts de campagne, à des parcs ou à des jardins. Selon l’organisme de santé Public Health England, la mauvaise qualité de l’air dans les  zones urbaines est responsable de 29 000 décès prématurés chaque année au Royaume-Uni. D’après un récent rapport publié dans la revue médicale The Lancet, la pollution sonore et atmosphérique des routes encombrées pourrait avoir une influence sur la maladie d’Alzheimer. Prendre le grand air, ce qui a

longtemps été considéré comme vivifiant, n’a pas pour seul intérêt d’éviter la pollution. Les toxicologues se rendent compte que, dans la nature, l’air est chargé de microbes hébergés par les plantes, des champignons et des bactéries qui sont bénéfiques pour la santé et stimulent le système immunitaire. Le simple fait de voir la nature de loin aurait des e¤ets thérapeutiques. Les professionnels de santé se sont aperçus que les patients des hôpitaux avaient besoin de moins d’antidouleurs après une chirurgie et qu’ils récupéraient beaucoup plus vite s’ils voyaient des éléments de nature depuis leur lit. En 2007, Natural England et la Royal Society for the Protection of Birds ont synthétisé des études menées au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Europe dans un rapport intitulé Natural Thinking, qui met en avant les e¤ets de la nature sur la santé mentale. 1 Britannique sur 6 sou¤re de dépression, d’angoisse, de stress, de phobies, de pensées suicidaires, de troubles obsessionnels compulsifs ou de crises de panique –  qui le mènent parfois à la mort. Ces sou¤rances coûtent 12,5  milliards de livres au National Health Service (la sécurité sociale britannique) et 23,1 milliards de livres à l’économie en pertes de production, tandis que, sur le plan humain, la dégradation de la qualité de vie et les décès prématurés représentent 41,8  milliards de livres. Des études montrent que passer du temps dans la nature allège les symptômes de tous ces problèmes. Les relevés de la tension artérielle, du pouls et des niveaux de cortisol chez de jeunes adultes montrent une diminution de la colère et une amélioration de l’humeur à la suite d’une promenade dans une réserve naturelle, tandis que c’est l’inverse qui se produit après un parcours dans un environnement urbain. Chez les jeunes, le manque d’autodiscipline, les comportements impulsifs, l’agressivité, l’hyperactivité et l’inattention s’atténuent lorsqu’ils prennent la clé des champs. Des études menées sur les enfants harcelés, punis, réfugiés ou

dans une situation familiale diªcile ont toutes montré qu’il leur est bénéfique d’être proches de la nature, tant pour leurs niveaux de stress que pour leur estime d’eux-mêmes. Il n’est sans doute guère surprenant que tant de naturalistes et de journalistes spécialisés en environnement qui viennent nous rendre visite aient découvert la nature alors qu’ils traversaient des moments diªciles ou troublés dans leur jeunesse, ou après des moments de crise à l’âge adulte. Nombre d’entre eux – comme Matthew Oates, Ted Green, Dave Goulson, Peter Marren, Mike McCarthy, George Monbiot, Patrick Barkham, Chris Packham et Simon Barnes  – ont écrit de très beaux textes sur l’aptitude qu’a la nature de restaurer un sentiment de connexion et d’équilibrer l’esprit, et pour ceux d’entre nous qui ont accès à ces services de santé naturels, c’est un remède que nous nous prescrivons spontanément dans les moments de stress. Fin juillet 2010, à peine une semaine avant le décès de ma mère et très a¤ectée par la situation, j’ai quitté son chevet dans le Dorset pour venir passer un ou deux jours à la maison. En quête de distraction, Charlie m’a emmenée à Spring Wood, au milieu du parc, où un spectacle extraordinaire avait commencé. Dans les rayons de lumière qui transperçaient le feuillage des chênes vieux de cent quarante ans, des dizaines de tabacs d’Espagne, ce papillon orangé qui vit dans nos forêts, se faisaient la cour en voletant dans tous les sens. Membre le plus grand de la tribu des Argynnini ou “nacrés”, qu’on trouvait autrefois jusqu’en Écosse et en si grand nombre qu’on pouvait en compter quarante dans un seul fourré de ronces, le tabac d’Espagne avait jusqu’à récemment cessé de coloniser la moitié nord de l’Angleterre. Comme pour le petit sylvain et le grand collier argenté, l’e¤ondrement de la population était lié à la fin du recépage. Heureusement, la situation s’est améliorée pour cette espèce et on la voit de nouveau se diriger vers le nord, au départ de l’East Anglia qu’elle

a depuis peu recolonisée. Elle est aussi réapparue à Knepp. Spring Wood, un bosquet qui n’avait pas été recépé depuis des générations, a été pendant une bonne partie du XXe siècle une plantation de chênes à couvert fermé mais, au début de la restauration du parc, nous avions procédé à une coupe sombre, conformément à l’ethos de Humphry Repton. Les papillons disposaient désormais de tout ce dont ils avaient besoin  : des chênes bien espacés, dont l’écorce striée de crevasses profondes leur fournissait des sites de ponte, et, dans l’ombre mouchetée protégée par des ronces, un tapis de violettes, dont se nourrissent leurs chenilles. D’une riche couleur orange ponctuée de noir, leurs ailes agitées de mouvements vifs laissaient entrevoir ici et là leur revers vert et nacré, qui donne son nom vernaculaire à la tribu. La femelle vole droit et toujours à peu près à la même hauteur, le lent sémaphore de ses battements d’ailes et le fumet émis à l’extrémité de son abdomen exerçant un irrésistible attrait. Le mâle s’approche en e¤ectuant sous elle et devant elle des loopings serrés et ralentit pour qu’elle traverse la pluie de substances sexuelles odoriférantes sécrétées par ses androconies. À ce moment-là, rien n’aurait pu me soulager davantage que ces jeux de lumière saupoudrés de papillons. Pour le biologiste de Harvard Edward O.  Wilson, la connexion de l’être humain avec la nature (qu’il appelle “biophilie”, le “plaisir riche et naturel que nous éprouvons lorsque nous sommes entourés d’organismes vivants”) est ancrée dans notre évolution. Nous avons été des chasseurs-cueilleurs durant 99  %  de notre histoire génétique, intimement liés au monde naturel. Pendant un million d’années, notre survie a dépendu de notre capacité à lire la météo, les étoiles et les espèces qui nous entouraient, à parcourir notre environnement, à faire preuve d’empathie et de coopération. Le besoin de connexion au paysage et à d’autres formes de vie (qu’on le considère comme esthétique,

émotionnel, intellectuel, cognitif ou même spirituel) est dans nos gènes. Tranchez ce lien et nous flottons sans attaches au sein d’un monde dans lequel nous avons perdu notre perception la plus essentielle de nousmêmes. Stephen et Rachel Kaplan ont réfléchi en profondeur aux implications psychologiques de cette dislocation. Leur projet de recherche, commencé dans les années 1980, s’axe sur le fardeau qu’impose à notre cerveau la vie hors du monde naturel. La vie moderne, fourmillant de stimulations, de formes de communication et d’information multiples que nous devons rapidement traiter et sélectionner, exige du cortex frontal droit (la partie du cerveau qui semble être touchée chez les enfants sou¤rant du trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité) ce qu’ils appellent de l’“attention dirigée”. Ce type d’attention est fatigant et il faut faire un e¤ort énorme pour repousser les distractions, ce qui entraîne des symptômes tels que l’impatience, des diªcultés à anticiper, de l’indécision et de l’irritabilité. L’environnement naturel, en revanche, retient notre attention de façon indirecte, fournissant ce que les Kaplan appellent une “fascination douce”, une absorption générale qui ne demande que peu ou pas d’e¤ort et ouvre des espaces de réflexion et de récupération mentale. Leurs études ont montré que même des loisirs qui semblent peu actifs, comme écouter de la musique ou regarder la télé, ne sont pas aussi eªcaces que la nature pour faire le vide et retrouver la force de l’attention directe. Il y a ici aussi une explication évolutionniste : se concentrer sur un seul objet ou une seule activité trop profondément ou trop longtemps aurait rendu les premiers êtres humains vulnérables aux attaques. Il faut bien moins d’énergie cérébrale pour pratiquer l’“attention indirecte” plus générale que requièrent des activités comme chercher de la nourriture, s’occuper d’animaux et fabriquer des objets, occupations qui permettent à l’esprit

de rester vigilant à la présence d’éventuels dangers –  un état d’éveil détendu qui ressemble à ce que les bouddhistes appellent “méditation en mouvement” ou “pleine conscience”. D’autres études menées par Roger Ulrich, pionnier de la conception d’établissements de santé fondée sur les données de la recherche, indiquent que nos réactions face à la nature, et notamment le calme et l’apaisement que nous ressentons à la vue de certains paysages et éléments naturels, se situent dans une partie de notre cerveau bien plus profonde et ancienne : le système limbique, où se logent nos réflexes de survie. D’après lui, l’évolution aurait privilégié les premiers humains dont la réaction physiologique face à certains éléments naturels leur permettait de se remettre rapidement de situations stressantes et énergivores, où il fallait choisir de fuir ou de rester pour se battre, et les encourageait à rester dans des zones sans danger et abondantes en nourriture. L’environnement qui, selon Ulrich, donne ce sentiment de calme et de sécurité se compose de plantes feuillues et de verdure, d’eau immobile ou qui se meut avec lenteur, d’espace dégagé, d’arbres solitaires et de faune non menaçante –  des caractéristiques qui produisent les meilleurs résultats pour se remettre des épreuves de la vie moderne. C’est le paysage associé à l’hypothèse de biophilie d’Edward O. Wilson et celui que les Kaplan ont eux aussi défini comme le plus agréable. Les biologistes évolutionnistes Gordon Orians et Judi Heerwagen aªrment qu’il s’agit pour notre esprit du fantôme de la savane, qui nous renvoie à notre passé de chasseurs-cueilleurs en Afrique. C’est l’environnement que nous imitons inconsciemment dans nos parcs et jardins urbains  ; que nous chérissons dans les toiles de maîtres, l’Arcadie que nous idéalisons ; que Humphry Repton, suivant à son insu les lignes tracées dans son ADN, recréa pour ses clients. Mais c’est aussi le paysage qui prend forme sans aucune intervention

humaine dans le secteur sud de Knepp. C’est un pâturage boisé ouvert, la scène qui accueillit les premiers humains lorsqu’ils arrivèrent en Europe, un continent où évoluaient des hardes immenses de brouteurs, comme en Afrique  ; l’écosystème que nous avons maintenu avec les “forêts” de chasse royales et les “friches” marginales des pâturages communs jusqu’à la fin du Moyen Âge, non seulement parce qu’il nous donnait les ressources les plus riches, mais aussi parce que nous nous y sentions instinctivement chez nous. Ces dernières années, tandis que le réensauvagement gagnait du terrain, cet écosystème s’est aussi attiré les foudres des défenseurs des “paysages culturels”, qui voient dans cette nature sans entraves une force susceptible d’oblitérer notre passé historique. Mais il faut bien comprendre de quel type de paysage et de quel type de culture on parle ici. Les caractéristiques naturelles présentées comme notre héritage britannique inaliénable remontent pratiquement toutes à l’époque victorienne  : ce sont celles qu’on voit dans les tableaux d’Edwin Landseer représentant des cerfs dans les Highlands, les petites fermes aux murs de pierre datant de l’essor de l’industrie de la laine, les haies et les prés du mouvement des enclosures, les landes peuplées de grouses, les rivières canalisées, et même les plantations forestières matures. Mais il est un autre paysage culturel que nous n’avons pas le droit d’évoquer, celui qui s’est e¤acé sous la pression de la révolution industrielle et dont la perte était pleurée par les poètes comme John Clare et Gerard Manley Hopkins au moment même de sa disparition. Si on choisit le pâturage boisé médiéval (notre vraie “forêt”) comme référentiel, le réensauvagement n’est pas un acte de vandalisme, au contraire. Il nous rend une campagne plus riche, plus profonde, qui nous a accompagnés des millénaires durant.

Et c’est cette nature plus profonde qui est la clé de notre avenir, non seulement sur le plan de la santé mentale et psychologique, mais aussi pour les services qu’elle rend, essentiels à notre prospérité et à notre survie sur le long terme –  protection des bassins hydrographiques, décontamination de l’eau et de l’air, atténuation des crues, remise en état des sols, instauration d’un milieu favorable aux insectes pollinisateurs, protection de la diversité biologique et séquestration du carbone. Tandis que le Royaume-Uni divorce des règlements européens et réexamine le coût des subventions agricoles, il lui faut faire des choix importants. L’un d’eux concerne la portée de la protection environnementale. Par le passé, les politiques britanniques ont largement péché sur ce sujet. Il a fallu que soient appliquées les législations de l’UE pour que les rivières, les plages et les eaux de baignade du pays, surnommé “l’homme sale de l’Europe”, soient enfin nettoyées. L’Union a changé notre approche du traitement des eaux usées et du déversement de nitrates. C’est la directive-cadre de l’UE sur la qualité de l’air qui a permis de réduire nos émissions de dioxyde de soufre et d’oxyde nitreux et qui, en 2015, a mené à l’imposition de sanctions financières au gouvernement, car les normes de pollution de l’air à Londres et dans d’autres grandes villes n’étaient toujours pas respectées. En  2017, l’organisation environnementale ClientEarth a poursuivi le gouvernement britannique en justice pour la troisième fois car la situation ne s’était toujours pas améliorée. Ce sont Natura 2000 et la directive habitats européenne qui ont obligé le gouvernement à protéger certaines zones sauvages et encouragé la réintroduction du castor. À l’exception notable des lois sur le changement climatique, le Royaume-Uni n’a jamais été moteur des politiques environnementales en Europe. Alors que l’Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède et la Finlande (pionniers européens sur le plan de l’écologie) n’ont cessé d’encourager l’adoption de normes plus rigoureuses et ont favorisé la

croissance d’entreprises plus respectueuses de l’environnement, le Royaume-Uni s’est e¤orcé de noyer la directive de l’UE relative à l’eªcacité énergétique, a levé les restrictions sur les importations de pétrole à fortes émissions de carbone, issu de sables bitumineux, et a essayé des années durant de bloquer l’interdiction des pesticides dangereux pour les abeilles pollinisatrices. Récemment, le secrétaire d’État à l’Environnement Michael Gove a enfin déclaré, à la grande joie des écologistes, que le gouvernement du Royaume-Uni appuierait la décision de l’UE de renforcer l’interdiction des néonicotinoïdes, extrêmement néfastes pour les abeilles, tout en réaªrmant qu’il s’opposait à l’interdiction du glyphosate proposée par l’UE en 2017. Quitter l’Union européenne présente cependant l’avantage de libérer le Royaume-Uni des subventions agricoles octroyées au titre de la Politique agricole commune et des mesures perverses qui incitaient à la destruction de l’environnement. C’est l’occasion de repenser ensemble, en tant que partenaires, nos pratiques agricoles et nos pratiques de conservation, comme les deux faces d’une même pièce de monnaie. Pour le moment, dans le débat post-Brexit, l’agriculture et la protection de l’environnement ont été opposées l’une à l’autre, comme s’il fallait absolument que l’une l’emporte dans la lutte pour les ressources. Mais comme l’ont montré di¤érents projets, à  l’image de Knepp Wildland, il n’y a pas lieu de choisir entre agriculture et conservation. Rendre à la nature des zones qui ne sont pas productives sur le plan agricole est une initiative extrêmement bénéfique à l’agriculture. En mettant un terme à la dégradation des terres et en cherchant à inverser le processus, le réensauvagement fournit des services vitaux, nécessaires à la viabilité de l’agriculture et de la production alimentaire sur le long terme. Non seulement il est facile d’obtenir la mosaïque complexe d’habitats créés par la présence de hardes de brouteurs en liberté, que nous avons vue émerger sur les

terres post-agricoles de Knepp, mais c’est aussi bien moins coûteux que les pratiques de conservation classiques. Le réensauvagement apporte également toute une palette d’éléments dont nous avons besoin et qui sont absents de nos paysages  : biodiversité, adaptation au changement climatique, résilience face aux phénomènes météorologiques extrêmes, et ressources naturelles. Et on peut continuer de produire sur ces terres de la nourriture de haute qualité, comme la viande issue d’animaux élevés au pâturage. En dépit de ces importants avantages pour tous, on ne peut pas s’attendre à ce que les agriculteurs ou les propriétaires fonciers rendent la terre à la nature par pur altruisme. Il faut que cette transition ait du sens, financièrement parlant. Comme nous l’a dit un voisin agriculteur, on ne peut pas faire dans le vert quand on est dans le rouge. Pourtant, à nos yeux, être dans le rouge devrait (ou pourrait) inciter les propriétaires à se lancer. Nous sommes sans cesse surpris de voir le peu de personnes de notre entourage qui sont prêtes à sauter le pas, alors qu’elles sont dans la même situation que nous avant le lancement du projet, à cultiver des terres marginales en voyant les dettes s’accumuler. Certainement, le fait qu’il est diªcile de trouver le temps d’y réfléchir y est pour beaucoup, car quand on est pris à la gorge, on n’a simplement pas le luxe de dégager du temps pour envisager de se lancer dans de nouvelles initiatives. Il y a aussi la peur de l’inconnu : les dangers qu’on rattache à la notion d’une “nature sauvage”, l’attachement à la tradition (aux campagnes plaisantes à l’œil avec leur paysage bien rangé), et l’idée que le réensauvagement revient à abandonner ses terres. La perte de contrôle e¤raie également, notamment en ce qui concerne les accès publics, l’usage récréatif du terrain et le contrôle des populations de certaines espèces comme le castor, qui peuvent entrer en conflit avec les intérêts financiers des propriétaires.

Cette peur liée à l’intrusion des bureaucrates dans les décisions relatives à la gestion de terres privées est largement sous-estimée par les décideurs et les écologistes, alors qu’elle a souvent plus de poids que l’intérêt qu’un propriétaire ou un agriculteur peut avoir pour la protection de la nature. Selon un rapport de Natural England encore non publié à l’heure où j’écris ces lignes, le taux de disparition des prairies naturelles (les 3  % de prairies qui restaient après la Seconde Guerre mondiale) a doublé après que l’UE a annoncé son plan de protection de ce type de milieu en 2014. En e¤et, comme il n’y a pas de compensation correcte prévue et que des lopins de terre allaient échapper à leur contrôle à perpétuité, de nombreux agriculteurs ont réagi en labourant leurs prairies avant l’application de règles plus strictes. La loi de 2000 sur la campagne et les droits de passage, qui a fait de certaines zones de montagne, de landes, de bruyères et de downs des “territoires ouverts”, a elle aussi eu des e¤ets préjudiciables. L’un de nos voisins a labouré l’une des dernières landes en plaine du Sussex, un autre une parcelle des South Downs, afin d’éviter que ces terres n’entrent dans la définition légale et ne les contraignent ainsi à se plier aux obligations complexes liées au droit de passage et à supporter le fardeau financier qui en résulte. Charlie et moi avons eu la chance que les pouvoirs publics aient fini par appuyer notre projet sous la forme d’une expérience ouverte. Jusqu’à présent, les fonctionnaires nous ont imposé peu de restrictions, mais l’une de nos craintes les plus tenaces est que le domaine soit un jour classé comme site d’intérêt scientifique particulier, devenant alors une zone protégée dans laquelle nous serions tenus par la loi de continuer à fournir un habitat pour une espèce spécifique, comme les rossignols philomèles ou les tourterelles des bois. Nous serions alors victimes de notre propre succès. Il serait extrêmement diªcile de garantir la présence d’un certain nombre de rossignols sur nos terres étant donné

que, comme nous le savons désormais, ils privilégient un milieu végétal en transition. Stopper la croissance de nos fourrés en train d’émerger, nous e¤orcer de les conserver tels quels, entraînerait l’intervention de machines, sans doute à nos frais. Nous ne sommes pas non plus responsables de facteurs qui a¤ectent les espèces migratrices comme les rossignols philomèles ou les tourterelles des bois qui arrivent d’Afrique. Pire encore, imposer des cibles de conservation spécifiques à Knepp reviendrait à entraver le dynamisme qui a, jusqu’à aujourd’hui, abouti à des résultats aussi enthousiasmants et inattendus, et compromettrait les possibilités d’émergence d’autres espèces dans le projet. Outre l’interférence des pouvoirs publics chargés de la conservation et le fardeau bureaucratique, les agriculteurs ont d’autres bonnes raisons de ne pas abandonner l’exploitation de leurs terres. En laissant les broussailles ou les bois envahir des terres arables, on réduit de moitié leur valeur. En ce qui nous concerne, nous nous inscrivons dans une tradition familiale où on ne voit pas la terre comme un actif aliénable mais, de fait, nous ne pouvons pas prédire l’avenir : la situation pourrait évoluer en profondeur, les générations suivantes voir les choses d’un autre œil. Concrètement, le domaine que nous transmettrons à nos enfants a perdu la moitié de sa valeur à cause du projet de réensauvagement. Plusieurs avantages fiscaux sont aussi en jeu  : au Royaume-Uni, les terres agricoles sont exemptées des impôts sur la fortune au titre de l’abattement sur les propriétés agricoles, le gazole agricole est exempté des redevances applicables au pétrole et les agriculteurs bénéficient d’un abattement de 100 % sur les taux d’intérêt. Aucun autre secteur ne reçoit ce traitement de faveur. Mais il y a, comme nous l’avons découvert, des points positifs pour ceux qui sont prêts à se sortir de ce piège absurde. À Knepp, dans le Sud-Est prospère de l’Angleterre, nous avons pu tirer parti de nos bâtiments de ferme. Auparavant, leur entretien nous coûtait de l’argent.

Nous les avons transformés  : ils servent aujourd’hui d’espaces de stockage et de bureaux, ou encore de locaux pour des tâches industrielles légères. Les diverses entreprises qui les louent emploient 198 personnes, créent de l’emploi et revitalisent la campagne. Il a bien sûr d’abord fallu engager des dépenses pour la réa¤ectation des bâtiments, mais sur le long terme, parallèlement à notre entreprise touristique en développement, à la boutique de produits fermiers et à la production de notre viande bio, cette transformation fournira une nouvelle source de revenus qui, espérons-nous, garantira la viabilité du projet, indépendamment du flux de subventions. Le tourisme est sans nul doute l’un des grands atouts à tirer du réensauvagement. Étant donné l’urbanisation du pays, nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à rechercher la nature dans leur temps libre. On estime la valeur du tourisme rural en Angleterre à 14 milliards de livres par an. Au pays de Galles, où les “activités de plein air” génèrent 1,9  milliard de livres chaque année, le simple fait pour les touristes d’aller marcher dans la nature rapporte 500 millions de livres à l’économie, soit 100  millions de plus que les revenus agricoles subventionnés. Le concept des “microaventures” est devenu tendance, et l’observation d’animaux en liberté est très prisée. En Écosse, l’écotourisme génère à lui seul plus de 1  milliard de livres et emploie 7  000  personnes. Tous les ans, environ 245  000  curieux partent en excursion pour observer les baleines ou les dauphins. Il suªt d’une espèce charismatique pour changer la donne. Les premiers balbuzards pêcheurs à s’être reproduits de nouveau en Grande-Bretagne, en 1959, avaient élu domicile à proximité du loch Garten, dans le Speyside  ; le site a accueilli à ce jour plus de 2  millions de personnes, jusqu’à 90 000 en un seul été. C’est le nid d’oiseaux le plus observé de l’histoire et du monde. Les premiers balbuzards pêcheurs venus nicher dans le Lake District en  2001, en pleine crise de fièvre aphteuse, ont

apporté à l’économie de Cumbria 1 million de livres, une somme dont le comté avait bien besoin cette année-là, et leur contribution financière se maintient d’année en année. 290  000  personnes visitent tous les ans les neuf sites d’observation de balbuzards pêcheurs du Royaume-Uni, notamment dans la réserve naturelle de Rutland Water, apportant 3,5 millions de livres à l’économie locale. Les pygargues à queue blanche, éteints en Grande-Bretagne depuis les années 1910, ont colonisé l’île de Mull grâce à des programmes de réintroduction mis en œuvre en Écosse en 1985 et rapportent aujourd’hui à l’économie de l’île 5 millions de livres tous les ans, en plus d’avoir permis la création de 110 emplois à plein temps. Si nous nous décidons un jour au Royaume-Uni à réintroduire des prédateurs comme le lynx et le loup, les bienfaits sur le plan du tourisme pourraient être plus importants encore. En Finlande, le nombre de passionnés d’animaux sauvages a augmenté de 90  % entre 2005 et 2008, lorsque l’ours brun et le glouton ont été réintroduits. Déjà, le retour autrefois controversé du castor en Écosse attire les foules et remplit les hôtels, les restaurants et les pubs de la région, et le même cas de figure est en train de se produire dans le Devon. Le jeune couple propriétaire de l’exploitation où coule la source de l’Otter, où nous avions observé la mise en liberté des castors, complète ses revenus agricoles en louant des logements aux touristes venus observer ces rongeurs. À Knepp, en 2017, quatrième année de fonctionnement de notre nouvelle entreprise touristique, nous avons emmené 1 300 touristes en safari, accueilli 2 500 personnes sur notre camping et fait visiter le domaine à 800  personnes, groupes d’intérêt, ONG et particuliers, mais aussi fonctionnaires et employés de ministères. Toutes les terres réensauvagées ne donneront pas forcément lieu à l’arrivée d’une espèce charismatique qui séduira les touristes, et il est dans la nature des habitats réensauvagés d’évoluer, conduisant les

espèces à se déplacer. Encourager les exploitants et les propriétaires à rendre la terre à la nature doit se fonder sur des pratiques qui permettent de valoriser cette transition et de tenir compte des services publics qu’apportent ces processus naturels dynamiques et autonomes. Il faut pour cela modifier la façon dont nous mesurons des aspects comme la productivité, la prospérité, la durabilité, les profits et les pertes –  issus de modèles économiques qui se sont formés à une époque où l’abondance de la nature semblait infinie. La rémunération des services écosystémiques, la comptabilisation du capital naturel, la mise en place d’activités économiques favorables à la biodiversité et les dispositifs de compensation des atteintes à la biodiversité sont autant de stratégies examinées en vue de mesurer la valeur de la nature selon des termes financiers concrets, ce qui permettrait d’établir des analyses coûtsbénéfices pour la protection des atouts naturels comme le sol, l’eau, l’air, les arbres, la végétation, la biodiversité et les vues revigorantes. Mais c’est un sujet controversé. Certains aªrment que donner une valeur économique à la nature (quelque chose qui, pour la plupart d’entre nous, est au-delà du monde économique, qui touche l’essence même de l’humanité, qui existait avant que nous apparaissions sur cette planète) est non seulement immoral, mais logistiquement impossible. Des spécialistes de la conservation bien intentionnés martèlent que la monétarisation de la nature ne peut que nuire à ce que nous voudrions protéger en l’insérant dans le cycle de la marchandisation, dans les errances et les intérêts propres des marchés financiers, dans une bataille d’établissement arbitraire des prix et des compensations qui remplacent la nature par un fantôme appauvri d’elle-même. Comment mettre un prix sur la beauté ou l’air pur, sur un sentiment d’harmonie et de bienêtre  ? Ces choses devraient-elles être commercialisables  ? Achèteriezvous, vendriez-vous la santé de vos enfants ou de vos parents ?

Le problème est qu’invoquer des arguments moraux pour protéger la nature pour elle-même, parce qu’elle est belle et importante et que nous n’avons pas le droit de la détruire (ce que font les militants écologistes depuis plus d’un demi-siècle), ne fonctionne pas, on le voit. Lorsque la valeur de la nature est estimée à zéro, lorsqu’elle est invisible dans le système économique dans lequel nous vivons, elle est inévitablement négligée. Notre histoire à Knepp illustre l’érosion inexorable de la nature en Grande-Bretagne ces soixante-dix dernières années. Pourtant, Charlie et moi n’avions pas l’intention de lui nuire. Nous n’avions simplement aucune raison de penser à la nature, aucun moyen de l’identifier, de reconnaître ses délimitations, de comprendre l’étendue de ses e¤ets, les bienfaits qu’elle apporte. Nous n’avions pas conscience de ce que nous avions sous les yeux, de ce que nous pouvions avoir en changeant nos façons de faire. Nous étions un exemple classique et terrible de ces personnes qui ne voient pas d’inconvénient à la pratique de la conservation, du moment qu’elles n’ont pas à l’appliquer sur leurs propriétés. Comme la plupart des agriculteurs, nous nous considérions comme des intendants de la terre pendant que, au fond de nous-mêmes, nous avions le sentiment que la nature n’avait rien à faire dans l’agriculture. La nature, c’était ce qui se produisait ailleurs, loin de l’économie intransigeante de l’agriculture. Nous parcourions la planète pour voir des animaux sauvages. Nous militions pour mettre un terme à la destruction des forêts tropicales et à la construction des barrages. Nos œillères nous empêchaient de voir les dégâts que nous provoquions chez nous. Si l’agriculture intensive était devenue rentable, nous aurions certainement continué. À l’avenir, il faudra rendre à César ce qui appartient à César. Nous pouvons calculer ce qu’il nous en coûtera si nous ignorons la nature sans pour autant cacher le fait que sa valeur est au bout du compte inestimable ; sans atténuer le sentiment de mystère et d’enchantement

qu’elle suscite. Nous pouvons admettre qu’il sera sans doute impossible de connaître tous les bienfaits qu’elle apporte à cette planète, tout en reconnaissant ceux que nous avons sous les yeux. Déjà, les services hospitaliers et médicaux estiment que l’amélioration de la qualité de l’air et l’accès à des espaces verts réduisent la facture des soins de santé. Les conseils municipaux et les compagnies d’assurances calculent les économies qui pourraient être réalisées par la renaturalisation des cours d’eau et la remise en état des bassins hydrographiques et des plaines inondables, qui réduisent les dégâts des inondations. Les fournisseurs d’eau savent que la renaturalisation leur permettra d’économiser sur les coûts de filtrage de la vase, des pesticides et des engrais chimiques. D’après les estimations du comité Natural Capital, la plantation de 250  000  hectares de forêts proches des centres urbains de GrandeBretagne générerait un bénéfice net de près de 550 millions de livres en activités de loisir et en séquestration de carbone. À présent que la Grande-Bretagne a pu repenser ces éléments, nous devons envisager de supprimer entièrement les subventions agricoles (et les aides accordées au secteur des pêches), ce que les ministres de l’Environnement ont exhorté l’UE à faire en 2007, à l’occasion de l’initiative Economics of Ecosystems and Biodiversity. Nous devrions très certainement remettre en question l’existence d’un dispositif de paiement de base qui récompense les propriétaires fonciers uniquement parce qu’ils sont propriétaires. Le Royaume-Uni, s’il avait la force de ses convictions, pourrait montrer la voie de la réforme agricole. Il pourrait faire payer aux agriculteurs la pollution produite, comme c’est le cas dans les autres secteurs, et rémunérer les services environnementaux fournis pour le bien commun. Il faudrait notamment cesser de se concentrer sur des résultats ciblés spécifiques pour se focaliser plutôt sur les processus écologiques plus larges, c’est-à-dire s’intéresser au fonctionnement de la terre. Au lieu de

mesurer un seul service (jusque-là, la production alimentaire), le bon fonctionnement d’un terrain serait déterminé par la multiplicité des services fournis. Ainsi, un système qui produit beaucoup de nourriture mais dans lequel la gestion de l’eau est mauvaise n’aurait pas un bon score, tandis qu’un système qui obtiendrait de bons résultats sur le plan du stockage de l’eau, de l’atténuation des inondations, de la faune et de la flore sauvages, de la séquestration de carbone, du cycle des nutriments, de la pollinisation et de la réduction de la pollution recevrait un maximum d’aides. Les biologistes s’inquiètent toutefois du fait qu’en récompensant les services écosystémiques purement bénéfiques à l’être humain, la biodiversité en sou¤re. Quelle doctrine économique mettrait les perspectives à long terme d’une daphnie ou d’une fourmi au-dessus du reste  ? Dans le réseau complexe de l’écosystème, la créature la plus humble peut avoir des incidences exponentielles. Souvent, nous ne sommes pas capables de dire d’une espèce qu’elle est clé avant qu’elle ne disparaisse. De plus en plus d’études montrent toutefois qu’un système capable de rendre des services écosystémiques variés est aussi plus complexe et plus divers sur le plan biologique. D’ailleurs, la biodiversité elle-même peut être un moyen de mesurer les services ainsi fournis. Si l’on pensait de façon globale, que l’on recréait des systèmes dotés de processus naturels plutôt que de fixer des cibles à atteindre, que l’on mesurait la fonction autant que le résultat, notre relation à la terre dans son ensemble évoluerait. Tout en célébrant les progrès de l’ère technologique qui nous ont permis de produire davantage de nourriture sur moins de terres, cette transition nous encouragerait aussi à remédier aux échecs de la science “virile” –  la mentalité selon laquelle les

nouvelles technologies sont la réponse à tous nos problèmes et le retour à des pratiques plus anciennes des dispositifs traditionnels, ainsi que la place plus importante accordée à la nature, sont un retour en arrière. Tandis que nous traversons les halliers de prunelliers en tendant l’oreille dans l’espoir d’entendre des tourterelles des bois, nous avons le cœur serré, Charlie et moi. La joie d’entendre un oiseau chanter ici et maintenant est contrebalancée par son anachronisme, par le symbole de perte qu’il représente. La tourterelle des bois nous rappelle que Knepp est une île, un morceau de tapis découpé qui ne suªra pas à lui seul à sauver une espèce en voie d’extinction. Même si nous parvenions à restaurer demain, dans toute l’Angleterre, la riche tapisserie des étés à trois couvées pour les tourterelles, il est certainement trop tard pour ce charmant oiseau dans notre pays. Les populations sont probablement passées au-dessous de la masse critique nécessaire à la survie à long terme de l’espèce. Ses roucoulements nous évoquent les décalages de référentiel, le pouls toujours plus faible des paysages élisabéthains, en train de disparaître. Nos pas nous semblent lourds. Le réensauvagement de Knepp a changé notre perception du monde, et le tableau dépeint est déprimant à plus d’un égard. Aujourd’hui, lorsque nous allons marcher avec des amis ailleurs dans la campagne (ces promenades que nous aimions tant faire par le passé, sans aucune arrière-pensée), nous remarquons avant tout le silence et l’immobilité. Tandis que le paysage défile par les fenêtres d’un train ou d’une voiture, nous sommes désormais douloureusement conscients de ce qu’il y manque. Comparée à Knepp, la Grande-Bretagne nous paraît dans une large mesure déserte. Il en naît un sentiment de tristesse, un sentiment de perte et de frustration que le grand écologue états-unien Aldo Leopold a parfaitement exprimé il y a près d’un siècle  : “L’une des conséquences d’une éducation écologique est que l’on vit seul dans un monde blessé.”

Pourtant, la douceur de ce chant qui nous touche au cœur est aussi un signe de réparation, de rémission et de renaissance : la nature retisse patiemment ses bords eªlochés. Lorsque la voix de la tourterelle des bois se sera tue chez nous, d’ici à quelques étés (qui sait ?), dans le pays qu’elle laissera derrière elle resteront l’espoir, les signes que le monde est en train de changer. Lorsqu’elle retournera pour la dernière fois en Afrique, elle survolera un continent européen recolonisé par les castors, les loups, les gloutons, les chacals et les ours  : elle sèmera dans son sillage des éveils écologiques, une soif de nature et l’espérance d’un monde plus sauvage.

COMITÉ CONSULTATIF DE KNEPP WILDLAND Keith Alexander, écologue indépendant et spécialiste des coléoptères xylophages. Martin Boers, cabinet vétérinaire Livestock Partnership. Paul Buckland, professeur d’archéologie environnementale, Bournemouth University. Jill Butler, conseillère en conservation, Woodland Trust. Mick Crawley, professeur émérite de phytoécologie, Imperial College London. Alastair Driver, ancien responsable de la conservation au niveau national, Environment Agency. Jason Emrich, gestionnaire, Knepp Castle Estate, et directeur régional, Savills. Alison Field, directrice de région Londres et Sud-Est, Forestry Commission. Rob Fuller, ancien directeur scientifique, British Trust for Ornithology. Emma Goldberg, spécialiste des forêts, Natural England. Paul Goriup, directeur de Fieldfare International Ecological Development PLC et président de NatureBureau Ltd. Penny Green, écologue, Knepp Wildland, et ancienne responsable, Sussex Biodiversity Record Centre. Ted Green, membre fondateur de l’Ancient Tree Forum et ancien consultant d’English Nature pour la conservation auprès du domaine de la Couronne à Windsor. Theresa Greenaway, ancienne responsable, Sussex Biodiversity Record Centre.

Matthew Heard, responsable scientifique principal, Natural Environment Research Council. Kristo¤er Hewitt, conseiller principal, zone de biodiversité Sussex & Kent, Natural England. Neil Hulme, conseiller indépendant en conservation et ancien président, Butterfly Conservation (branche du Sussex). Hans Kampf, conseiller stratégique principal en matière d’écosystèmes auprès du gouvernement néerlandais. Jason Lavender, codirecteur, High Weald Area of Outstanding Natural Beauty. John Lawton, ancien président de Making Space for Nature et président du Yorkshire Wildlife Trust. Alex Lord, responsable de projets, Permian Global Research Ltd. Pascale Nicolet, directrice des politiques et de la mise en œuvre, Freshwater Habitats Trust. Matthew Oates, spécialiste de la nature au niveau national, National Trust. Jim Seymour, responsable des programmes régionaux de gestion des terres dans le Sud-Est, Natural England. Julian Smith, membre du conseil d’administration, Knepp Castle Estate. Ken Smith, ancien responsable de la recherche aquatique, Royal Society for the Protection of Birds. Jonathan Spencer, responsable de la planification et de l’environnement, Forestry Commission. Jim Swanson, Grazing Animals Project. Joep Van de Vlasakker, Large Herbivore Foundation. Frans Vera, écologue néerlandais et auteur de Metaforen voor de Wildernis. Tony Whitbread, PDG, Sussex Wildlife Trust.

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REMERCIEMENTS Le projet de réensauvagement de Knepp doit énormément aux deux personnes qui l’ont soutenu dès le début. La première, c’est Julian Smith, le cousin de Charlie, membre du conseil d’administration du domaine, qui nous a accompagnés la première fois que nous avons visité l’Oostvaardersplassen et qui a tout de suite vu le potentiel d’un projet de pâturage naturaliste sur notre argile du Sussex. Il a aidé Charlie à rédiger sa première “lettre d’intention” aux pouvoirs publics et n’a jamais cessé de nous encourager. La deuxième personne que je tiens à remercier est notre intendant, Jason Emrich, qui est arrivé à Knepp deux semaines à peine après la vente de nos machines agricoles en 2000. Nous étions déjà au beau milieu du projet de restauration du parc Repton, et il était alors prévu que le reste du domaine serait mis en fermage. Des intendants plus conventionnels auraient poussé des cris d’orfraie lorsque l’idée du réensauvagement a commencé à être évoquée un ou deux ans plus tard, et auraient trouvé mille et une raisons de ne pas se lancer là-dedans. Mais Jason est doué à la fois d’un esprit pratique et d’une imagination débordante. Sa capacité à raisonner hors des sentiers battus a relancé le projet plus d’une fois, à des moments où nous pensions que tout était fichu. Il fait également preuve d’un étonnant savoir-faire dans le remplissage de formulaires qui semblent n’avoir aucun lien avec notre situation. Mais, surtout, c’est un entrepreneur, qui pense que ce n’est pas parce que quelque chose n’a jamais été fait que ça ne vaut pas le coup d’essayer. Nous sommes incroyablement chanceux d’avoir trouvé en lui un allié naturel, et, sans son intelligence, notre projet ne serait jamais allé aussi loin.

Un autre homme qui s’est retrouvé embrigadé presque accidentellement dans le réensauvagement est notre éleveur, Pat Toe, à l’origine un spécialiste des arbres. Le fait qu’il n’ait aucune connaissance en matière d’agriculture a très certainement joué en notre faveur, car il s’est lancé dans l’aventure des vaches et des cochons en liberté sans idées préconçues et peut-être sans tout à fait comprendre dans quoi il s’engageait. Sa patience avec nos animaux très indépendants, surtout dans le cas assez épineux du secteur sud, n’a d’égale que son ingéniosité et son infaillible sens de l’humour. Craig Line, dont le poste à Knepp s’est lui aussi ensauvagé, est le fidèle compagnon de Pat et nous lui sommes extrêmement reconnaissants d’avoir été à la hauteur de la tâche de reproduction des animaux et d’avoir construit notre miraculeux parc de tri du bétail à la Temple Grandin. Nous devons aussi beaucoup à notre vétérinaire, Maarten Boers, qui veille au bien-être de notre bétail pour le moins atypique. Sans le travail déployé par Pat, Craig et Maarten, ainsi que celui du très pragmatique et expérimenté Andy Meadows, responsable de la harde de longhorns dans le secteur nord, nous n’aurions pas été capables de prouver qu’un système de pâture naturaliste comme le nôtre n’est pas seulement faisable, mais aussi rentable. Nous tenons aussi à remercier Chris Cook, qui nous a confié ses longhorns au début du projet  ; Mark Bateman, qui a supervisé l’introduction de nos exmoors  ; Dan Readfern pour le travail qu’il a accompli concernant le gibier sur le domaine  ; Jeremy Curling, qui a retiré 112  kilomètres de barrières internes et construit les clôtures périmétriques et les ponts  ; et le très regretté Bob Lack, notre contremaître sur l’exploitation. D’autres membres de l’équipe de Knepp sont essentiels au projet, dont la portée et l’envergure ne cessent d’évoluer. Nous sommes extrêmement reconnaissants à Julie Alexander, Kirsty Haydon, Maureen

Line, Anne McGrath, Yasmin Newman et Elizabeth Nightingale, qui ont bien voulu se laisser “guider par les processus” et se sont investies sans compter ; à Paul et Amy Nightingale, les premiers gérants de nos safaris et de notre camping (aujourd’hui à la tête d’une entreprise de menuiserie et d’une écurie, toujours sur le domaine), qui ont lancé avec succès Knepp Wildland Safaris  ; ainsi qu’à Rachel Knott et Ryan Greaves, les actuels responsables, qui ont repris le flambeau avec brio et fait prospérer l’entreprise. L’intégrité du projet repose en grande partie sur les épaules de Penny Green, notre écologue, que nous avons débauchée du Sussex Wildlife Trust. Nous espérons qu’ils nous ont pardonné, car c’est une vraie perle. Debout en même temps que l’alouette des champs, et souvent encore éveillée à l’heure des papillons de nuit et des rossignols, elle est responsable de nos programmes de recensement et de suivi, mobilisant des armées d’experts et de bénévoles avec humour et enthousiasme, et synthétisant toutes les données recueillies de main de maître. Comme elle a également lancé le volet “safaris” de notre entreprise touristique, elle est aussi à la tête d’une équipe de sept guides qui viennent lui prêter main-forte (Tom Forward, Lucy Groves, Laurie Jackson, Rina Quinlan, Darren Rolfe, Mike Russell et Sophie Trice), à laquelle se joint parfois le grand Chris Corrigan, directeur régional de la Royal Society for the Protection of Birds. Toutes ces personnes sont des écologues d’envergure et de merveilleux ambassadeurs du projet. Penny s’appuie sur les travaux de Theresa Greenaway, l’une des premières personnes à siéger dans notre comité consultatif, qui a orchestré notre première enquête de référence, le suivi annuel, puis l’enquête de référence menée cinq ans plus tard. Disposer d’un système de suivi aussi bien conçu dès les premières étapes a assis notre crédibilité et continue d’alimenter le programme d’enquêtes en cours.

Nous incitons quiconque souhaite se lancer dans ce type de projets à mettre en place avant toute chose une étude de référence réalisée dans les règles de l’art. J’ai parlé dans le présent livre de l’inspiration insuºée par Ted Green et Frans Vera, mais je n’ai malheureusement pas eu assez de place pour remercier le reste des membres de notre comité consultatif (dont les noms sont donnés ici) de leurs inestimables contributions. Leurs orientations, leur enthousiasme et leur expertise, qu’ils ont donnés sans compter alors que tous mènent des vies très occupées, nous ont ancrés dès les premières étapes et nous ont aidés à garder le projet sur les rails. Nous leur sommes à toutes et à tous éternellement reconnaissants. Il y a cependant une personne que je souhaite distinguer pour le soutien qu’elle a apporté à plusieurs moments cruciaux. Jim Seymour, chez Natural England, a pris notre défense plus d’une fois face aux employés du département de l’Environnement, lorsque des problèmes comme l’invasion de séneçons jacobées menaçaient de faire capoter le projet. Je voudrais remercier tout spécialement les lecteurs des premières versions du présent livre, qui ont formulé en marge bon nombre d’observations éclairantes et souvent amusantes  : Mick Crawley, Paul Goriup, Peter Marren, Lisbet Rausing, Jonathan Spencer et Tony Whitbread. Mes chaleureux remerciements à Keith Alexander, Richard Bardgett, Harry Bowell, Peter Burgess, Jill Butler, Alastair Driver, Mark Elliott, David Gollins, Derek Gow, Ted Green, Neil Hulme, Hans Kampf, John Lawton, Leo Linnartz, John Malley, John Meadley, Tony Morris, Matthew Oates, Pat Toe, Joep Van der Vlasakker et Frans Vera, qui ont commenté les chapitres relevant de leurs compétences  ; et à Penelope Greenwood et Mark Burrell, qui m’ont raconté leurs souvenirs de la vie à Knepp pendant et après la guerre. Beaucoup d’autres personnes (trop nombreuses pour être énumérées ici) ont eu la gentillesse de répondre à

mes questions et je tiens à toutes les remercier d’avoir pris le temps de répondre de manière aussi détaillée. Les éventuelles erreurs qui restent sont miennes, ou découlent d’une mauvaise interprétation ou d’ajouts de ma part. Pour l’inspiration globale et le soutien moral qu’il m’a apportés, je voudrais remercier aussi notre Rewilding Group, comme nous l’avons appelé : un groupe disparate d’amis intéressés par l’écologie, qui, depuis près d’une décennie, s’aventure chaque année dans une zone en réensauvagement di¤érente en Europe. De la Camargue à la zone d’exclusion de Tchernobyl, ces voyages nous ont énormément encouragés et stimulés, et nous avons toujours passé ensemble d’excellents moments. On ne vit pas “seul dans un monde blessé”, comme l’écrivait Aldo Leopold en parlant d’éducation écologique, si on a la chance de vivre ce type d’expériences avec des personnes qui partagent le même état d’esprit et qui sont des agents du changement. Un grand merci à mon agent David Godwin et à sa femme, Heather Godwin ; à mon éditeur, Ravi Mirchandani, à ma correctrice Ansa Khan Khattak, au préparateur de copie Nicholas Blake et à mon publiciste, Paul Martinovic. Enfin, je tiens à remercier par-dessus tout Charlie Burrell, mon époux, à l’origine du projet dont je rends compte ici. Je mesure la chance que j’ai d’être continuellement surprise par cet homme, après trente-cinq ans de vie commune, et de m’être embarquée avec lui dans ce qui est sans nul doute la plus belle aventure de notre vie.

KNEPP EN IMAGES Le site Knepp Wildland propose une vidéo de quinze  minutes, Knepp Rewilded, et, à la page Rewilding Knepp Videos, de nombreuses vidéos plus courtes où l’on découvre le domaine et ses habitants :

https://knepp.co.uk/rewildingkneppvideo

INDEX “3 C” (centres, couloirs et carnivores) 1   abeilles 1, 2, 3, 4 abeilles, espèces 1 Lasioglossum puncticolle 1 Lasioglossum zonulus 1 Melitta europaea 1 Melitta tricincta 1 Sphecodes scabricollis 1 Voir aussi abeilles des sables, abeilles solitaires, bourdons abeilles des sables 1 abeilles solitaires 1, 2 Aberfoyle, Écosse 1 Académie royale forestière de Saxe 1 accenteur mouchet (Prunella modularis) 1 accréditation Pasture for Life 1, 2 acide fumarique 1 acides gras 1, 2, 3, 4 acides linoléiques conjugués (ACL) 1, 2, 3, 4, 5 Adur (fleuve/vallée) canal 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18 crues 1, 2 et Higher Stewardship Scheme 1 Opération tourterelles 1 origine du nom 1 potentiel pour les castors 1 renaturalisation 1, 2, 3, 4, 5, 6

Afrique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 Agricultural Research Service (agence états-unienne) 1 agriculture 1 affectation des terres 1 à Knepp 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14 avantages fiscaux 1 consommation de céréales 1, 2, 3, 4, 5 et crues 1, 2 imposition 1 industrielle 1 Voir intensive intensive 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 mixte 1, 2 politiques et subventions 1, 2, 3, 4 production céréalière 1, 2, 3, 4, 5 rendements agricoles et lombrics 1, 2, 3, 4 rotation des cultures 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 Seconde Guerre mondiale 1, 2, 3, 4, 5, 6 Voir aussi engrais de synthèse, production alimentaire Agriculture Act (1947) 1 aigrette garzette (Egretta garzetta) 1, 2, 3, 4 ajonc (Ulex europaeus) 1, 2, 3 Alexander, Keith 1, 2, 3, 4 algues 1 Alice Holt, forêt d’ 1 alisier torminal (Sorbus torminalis) 1, 2 Allemagne 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 Allemagne de l’Est 1 Allen, Mike 1, 2 alouette des champs (Alauda arvensis) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10

alouette lulu (Lullula arborea) 1, 2, 3 Alpes 1 amanite tue-mouches (Amanita muscaria) 1 amaryllis (Pyronia tithonus) 1 Amérique du Sud 1, 2 Amis de la Terre 1 amphibiens 1, 2 Voir aussi crapaud calamite, crapaud commun, lézard vivipare, triton crêté, triton ponctué anéciques 1, 2, 3, 4, 5, 6 Voir lombrics anémone des bois (Anemone nemorosa) 1, 2 angélique des bois (Angelica sylvestris) 1 anguille 1 angus 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 Voir bovins, races animaux brouteurs 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27 contrôle naturel des populations 1, 2 différences alimentaires entre les espèces 1 disponibilité alimentaire et taille des hardes 1 et taillis 1 et transition catastrophique 1, 2 mortalité annuelle 1, 2, 3 prévention de la succession végétale (ou écologique) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 rôle à Knepp 1, 2, 3, 4, 5 saison de pâturage 1, 2, 3 Voir aussi Oostvaardersplassen et aux noms des différentes espèces animaux d’élevage

droits de panage 1, 2 qualité de vie 1, 2, 3, 4, 5 risques de maladies 1, 2, 3 animaux nécrophages 1, 2, 3, 4, 5 animaux sauvages 1 et premières “forêts” 1 qualité de vie 1 risques de maladies 1, 2 Voir aussi aux noms des différentes espèces anodonte des étangs (Anodonta cygnea) 1, 2 anthribe longicorne (Platystomos albinus) 1, 2 Anthropocène 1, 2 antibiotiques 1, 2 effets sur le sol 1 utilisation dans l’élevage intensif 1 Appleby (Cumbria) 1 araignées 1, 2, 3 voir aussi araignées de mer, Nothophantes horridus, 1 Voir aussi Trematocephalus cristatus araignées crabes 1 aranéides 1 arbres 1 bois mort 1, 2, 3, 4, 5 et agriculture industrielle 1 fourrage arboré 1, 2, 3, 4 maladies 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 présence ancienne 1, 2, 3, 4 protection naturelle des jeunes arbres 1, 2, 3 régénération 1, 2, 3, 4, 5, 6 rôle de la décomposition 1, 2, 3

Voir aussi aux noms des différentes espèces arbres de tourbière 1, 2 arbres et arbustes ayant besoin de lumière 1, 2, 3 voir aussi ajonc, aubépine, bouleau, chêne, chêne sessile, églantier, genêt, genévrier commun, merisier, noisetier, peuplier tremble, pin sylvestre, poirier commun, pommier sauvage, 1 Voir aussi prunellier, ronces, saule, sorbier des oiseleurs, troène commun arbres tolérant l’ombre 1, 2, 3, 4 argus bleu 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces Arun (fleuve) 1, 2 Asie 1, 2 associations, financement pour la plantation d’arbres 1 Atlas (Maroc) 1 Atlas of European Breeding Birds 1 aubépine (Crataegus monogyna) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15 aulne glutineux (Alnus glutinosa) 1, 2, 3, 4 aurochs (Bos primigenius) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15 aurochs de Heck 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 Voir bovins, races autour des palombes (Accipiter gentilis) 1 avermectines 1, 2, 3, 4 azote 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 azuré du serpolet 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces   bactéries décomposition des carcasses 1, 2, 3

disparition 1 et sol 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17 Baerselman, Fred 1 balbuzard pêcheur (Pandion haliaetus) 1, 2, 3, 4 baleines 1 Balharry, Dick 1 Balkans 1 balsamine de l’Himalaya (Impatiens glandulifera) 1, 2 Bannerman, David Armitage 1 Banque royale du Canada 1 barbastelle commune (Barbastella barbastellus) 1, 2, 3, 4 Barkham, Patrick 1 Barnes, Simon 1 barrages 1 suppression 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 Bateman, Mark (éleveur) 1, 2, 3 bâtiments de ferme comme source de revenus 1 bauges des bisons 1, 2 Bavière (Allemagne) 1, 2, 3, 4, 5 BB 1 Voir Watkins-Pitchford, Denys bécasse des bois (Scolopax rusticola) 1, 2, 3, 4, 5 bécassine des marais (Sorex araneus) 1 bécassine sourde (Lymnocryptes minimus) 1 Bee Quest (Goulson) 1 belette (Mustela nivalis) 1, 2, 3 belle-dame 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces bénévoles, indispensables aux projets de conservation 1

berle dressée (Berula erecta) 1 bernache du Canada (Branta canadensis) 1 Bernwood Forest (Oxfordshire) 1 bétail abattage 1, 2, 3, 4, 5, 6 accumulation de produits chimiques dans les tissus gras 1 alimentation complémentaire 1 castration 1, 2, 3 densités 1 fourrage arboré 1, 2 marquage 1, 2, 3, 4 morts dues aux inondations 1 production de méthane 1 réglementations 1 systèmes de gestion du bétail 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 biocarburants 1 biodiversité animaux brouteurs comme moteurs 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15 avantages pour l’économie 1, 2, 3 compensation 1, 2, 3 et gestion de la nature 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 indice d’intégrité de la biodiversité 1 plan d’action en faveur de la biodiversité au Royaume-Uni 1, 2, 3, 4 pollens fossiles 1, 2, 3, 4, 5 rôle 1, 2 Biophilie (Wilson) 1, 2 biote du sol (et microbes) acariens 1, 2 bactéries 1

Voir ce nom centipèdes et millipèdes 1 collemboles 1, 2 enchytréides 1 lombrics 1 Voir ce nom nématodes 1, 2, 3 protozoaires 1, 2, 3, 4 rôle 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15 Bird Life & Bird Law (Bosworth-Smith) 1 Birdlife International 1 Birds of Great Britain, The (Gould) 1 Birds of Sussex (Walpole-Bond) 1 Birds of the British Isles (Bannerman) 1 Bisham Woods (Berkshire) 1 bison d’Europe (Bison bonasus) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28 blaireau européen (Meles meles) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 bleuet des champs (Centaurea cyanus) 1, 2 bois/arbres morts 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 bolets 1 Boletus mendax 1 Bookham Common, Leatherhead (Surrey) 1 Borders Forest Trust 1 Borkener Paradies (Allemagne) 1 Bosworth-Smith, Reginald 1 boue 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 bouleau 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 bourdons 1, 2 bourdon souterrain (Bombus subterraneus) 1

Bournemouth University 1, 2 bousiers 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14 bouvreuil pivoine (Pyrrhula pyrrhula) 1, 2 bovins 1, 2, 3, 4, 5, 6 abattage 1 attitudes des voisins 1, 2, 3, 4, 5 comportement naturel 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 élimination des carcasses 1, 2, 3 en semi-liberté à Knepp 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13 harde de Chillingham 1, 2, 3 industrie de la viande 1, 2, 3, 4, 5, 6 marquage auriculaire 1 moteurs de biodiversité 1 nourris au grain 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Oostvaardersplassen 1, 2, 3, 4 passages canadiens 1 pâturages communaux 1 pertes annuelles 1 perturbation 1 production laitière à Knepp 1, 2, 3, 4, 5, 6 régime et comportement alimentaire 1, 2, 3, 4, 5, 6 réglementations 1, 2, 3 relations entre équins et bovins dans un pâturage 1, 2 secteur laitier 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 systèmes de gestion 1, 2, 3, 4 tempérament et épis concentriques 1, 2, 3, 4, 5 vente de viande, Knepp Wild Range 1, 2, 3, 4 Voir aussi viande d’animaux élevés au pâturage bovins, races angus 1, 2

aurochs de Heck 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 charolaise 1 frisonne 1, 2, 3 galloway 1 hereford 1 highland 1, 2 old English longhorn 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32 red poll 1, 2, 3, 4, 5 taureau de combat espagnol 1, 2 white park 1 braconnage 1, 2 Bramber (Sussex) 1 branches/feuilles tombées, rôle 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 Bredon Hill (Worcestershire) 1 Brexit conséquences potentielles 1, 2 British Equestrian Veterinary Association 1 British Horse Society 1 British Islands and Their Vegetation, The (Tansley) 1 British Trust for Ornithology 1, 2, 3, 4, 5 brochet 1 Brookhouse Scrapes 1 broussailles 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13 à Knepp 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 déclin 1, 2 et animaux brouteurs 1, 2, 3 et cibles de conservation spécifiques 1 et tourterelles 1 Norvège 1

remise en culture 1, 2 théorie de Vera 1, 2, 3, 4, 5 valeur 1, 2, 3, 4, 5 Voir aussi broussailles épineuses broussailles épineuses 1 à Knepp 1 comme brise-vent 1, 2, 3 comme protection des forêts 1 comme protection des jeunes arbres 1, 2 dans le Kraansvlak 1 et abandon des terres 1 et animaux brouteurs 1, 2, 3 et chênes 1, 2, 3 et rossignols philomèles 1, 2, 3 intolérance du voisinage 1, 2 réglementation en matière de protection 1 théorie de Vera 1, 2, 3, 4, 5 valeur 1, 2 Voir aussi broussailles, pâturages boisés brouteurs 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Voir animaux brouteurs bruant jaune (Emberiza citrinella) 1, 2, 3, 4, 5 bruant proyer (Emberiza calandra) 1 bruant zizi (Emberiza cirlus) 1 bryone dioïque (Bryonia dioica) 1 bryophytes 1 Buckland, Paul 1, 2 Buckley, Tom 1 bugle rampante (Ajuga reptans) 1 Buglife 1

Buglossoporus quercinus 1 buis (Buxus sempervirens) 1 buissons 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17 Voir aussi aux noms des différentes espèces Burrell, Anthony 1 Burrell, Charles Merrik 1, 2, 3 Burrell, Charlie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67 Burrell, Mark 1 Burrell, Merrik 1, 2, 3, 4 Burrell, Nancy 1, 2, 3 Burrell, Ned 1 Burrell, Percy 1, 2 Burrell, Raymond 1 Burrell, Walter 1, 2, 3, 4 Burrell, William 1 Burton, John 1 busard cendré (Circus pygargus) 1 busard des roseaux (Circus aeruginosus) 1, 2 buse variable (Buteo buteo) 1, 2, 3, 4, 5, 6 Butler, Jill 1, 2 butor étoilé (Botaurus stellaris) 1, 2, 3, 4 Butterfly Conservation 1, 2   c-noir 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces cachalot (Physeter macrocephalus) 1 caille des blés (Coturnix coturnix) 1

calamagrostide commune (Calamagrostis epigejos) 1 calcium 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 calliphoridés 1, 2 callitriche des étangs (Callitriche stagnalis) 1 callune commune (Calluna vulgaris) 1, 2, 3, 4 caloptéryx éclatant (Calopteryx splendens) 1 caloptéryx vierge (Calopteryx virgo) 1 Camargue 1 Voir aussi chevaux/poneys, races campagnol agreste (Microtus agrestis) 1, 2, 3 campagnol roussâtre (Myodes glareolus) 1 campagnols 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 campagnol terrestre (Arvicola amphibius) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19 Campbell-Palmer, Róisín 1, 2 Canada 1, 2, 3 canard chipeau (Anas strepera) 1 canard colvert (Anas platyrhynchos) 1, 2, 3 canard mandarin (Aix galericulata) 1 canards 1, 2, 3, 4 Voir aussi canard mandarin, fuligule milouin canard siffleur (Anas penelope) 1 canaux 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12 canaux de drainage 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 capital naturel 1, 2 Capps Bridge, Shipley 1 capselle bourse-à-pasteur (Capsella bursa-pastoris) 1 carabes 1, 2 carassin commun (Carassius carassius) 1 Carbon Farmers of America 1

Carbon Fields, The (Harvey) 1 Car Dyke (Fens) 1 carex des glaces (Carex glacialis) 1 carline commune (Carlina vulgaris) 1 Carlisle (Cumbria) 1 Carpates 1, 2, 3 carpe commune (Cyprinus carpio carpio) 1 carpiculture à Knepp 1, 2, 3 carte de Crow (du domaine de Knepp) 1, 2 Caryll (famille) 1, 2, 3 cascade trophique des superprédateurs 1, 2 Castle Dairy (marque de crèmes glacées) 1 castor d’Europe (Castor fiber) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 castor du Canada (Castor canadensis) 1, 2, 3, 4, 5 castoréum 1, 2 castors 1 attitudes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50 croissance de la population 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14 Devon Wildlife Trust 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15 et tourisme 1, 2, 3 plans futurs 1 présence ancienne 1, 2 projet pilote de Knapdale 1, 2, 3, 4, 5 Rewilding Britain 1 rôle 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57,

58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85 Springwatch (BBC) 1, 2 Voir aussi aux noms des différentes espèces cèdre du Liban (Cedrus libani) 1, 2 centaurée noire (Centaurea nigra) 1 centipèdes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Voir biote du sol Centre for Ecology and Hydrology 1 Centrophlebomyia furcata 1 cerf du père David 1 cerf élaphe (Cervus elaphus) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20 cerf sika (Cervus nippon) 1, 2 cervidés 1 à Knepp 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27 alimentation complémentaire 1, 2 attitude des voisins 1, 2, 3 chasse et gestion des populations 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17 écorçage des arbres 1 Écosse 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 maladies 1 mortalité annuelle 1 moteurs de biodiversité 1, 2, 3 Norvège 1, 2, 3, 4 perturbation 1, 2 régime et comportement alimentaires 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 Voir aussi aux noms des différentes espèces

chacal (Canis aureus) 1 chalarose 1, 2 champignons déclin des populations 1, 2, 3 et chênes 1 et fourmilières 1, 2, 3, 4, 5 paysages dunaires 1 voir aussi amanite tue-mouches, bolet, fistuline hépatique, lactaire, mycorhize, 1 Voir aussi polypore soufré, russule sanguine, truffe champignons mycorhiziens 1 Voir mycorhizes changement climatique et biodiversité 1, 2, 3, 4 et risques d’inondations 1, 2 et rossignols philomèles 1 et séquestration du carbone 1 Voir ce nom législation britannique 1 characées 1 chardon des champs (Cirsium arvense) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13 Charles II 1 Charles, prince 1 Charlwood 1 charme (Carpinus betulus) 1, 2, 3, 4, 5 charognards 1 Voir animaux nécrophages charolaise 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 Voir bovins, races charrues 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

charrue draineuse de Pearson 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 Voir aussi charrue-taupe charrue-taupe 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 châtaignier commun (Castanea sativa) 1, 2 chat domestique (Felis catus) 1, 2, 3, 4 château de Knepp (par Nash, 1809) 1, 2, 3, 4 Voir aussi vieux château de Knepp chauves-souris 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12 voir aussi barbastelle, grand rhinolophe, murin de Bechstein, murin de Daubenton, 1 Voir aussi murin à moustaches, pipistrelle commune chemins publics et droits de passage 1, 2, 3, 4 chêne (Quercus robur) 1, 2, 3, 4, 5 Chêne de Knepp 1, 2, 3, 4, 5, 6 chênes à Knepp 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 anciens 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13 contraintes de croissance 1, 2, 3, 4, 5, 6 de tourbière 1 et biodiversité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 et champignons 1, 2, 3, 4, 5 et forêts fermées 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 et geais des chênes 1, 2, 3, 4, 5 et lépidoptères 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 présence ancienne 1, 2, 3 processus de vieillissement 1, 2, 3, 4, 5, 6 recépage 1, 2 systèmes racinaires 1, 2, 3 chêne sessile (Quercus petraea) 1, 2 chevalier cul-blanc (Tringa ochropus) 1, 2, 3

chevaux/poneys à Knepp 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 alimentation complémentaire 1 attitudes à l’égard de la viande chevaline 1, 2, 3, 4, 5, 6 castration 1, 2, 3, 4, 5 écopâturage 1 et bétail 1 fourbure 1, 2, 3 Kraansvlak 1 mortalité annuelle 1, 2 Oostvaardersplassen 1 période interglaciaire 1 plantes vénéneuses 1 Voir aussi séneçon jacobée production de viande 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16 régime alimentaire 1 sauvages 1, 2, 3, 4, 5 vente 1 chevaux/poneys, races camargue 1, 2, 3 dartmoor 1, 2, 3 exmoor 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 fjord norvégien 1, 2 gotland suédois 1 huçul 1 konik 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 new forest 1 tarpan 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 chevaux sauvages 1, 2, 3, 4, 5

chevêche d’Athéna (Athene noctua) 1, 2, 3 chèvre domestique (Capra aegagrus hircus) 1, 2, 3 chèvrefeuille des bois (Lonicera periclymenum) 1 chevreuil (Capreolus capreolus) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18 chiens et promeneurs 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 Chine 1, 2, 3 chirocéphale diaphane (Chirocephalus diaphanus) 1 choucas (Coloeus monedula) 1, 2, 3 chouette effraie (Tyto alba) 1 chrysanthème des moissons (Glebionis segetum) 1 Churchill, Winston 1 cicadelles 1, 2 cicindèles 1 cigogne blanche (Ciconia ciconia) 1, 2 cigogne noire (Ciconia nigra) 1 cirse commun (Cirsium vulgare) 1, 2 Clare, John 1, 2, 3 Clements, Frederic 1 Clinton Devon Estates 1 clôture du périmètre de Knepp 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 clôtures à cervidés 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 Cnappe/Cnapp 1, 2, 3 Voir vieux château de Knepp Cockermouth (Cumbria) 1 coléoptères 1 croissance des populations 1, 2, 3, 4 dans le sol 1 et bois mort 1, 2, 3, 4 présence ancienne 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

Voir aussi bousiers, carabes, cicindèles, histeridés, silphidés, taupin violacé coléoptères aquatiques dans les étangs éphémères 1 Colorado State University 1 Colura calyptrifolia 1 colza 1 Comité consultatif pour le castor en Angleterre 1, 2, 3, 4 commerce du bois 1, 2, 3 communautés végétales, transition catastrophique 1 communication 1 Composition of Foods, The 1 conifères 1 connectivité des paysages 1, 2, 3, 4 Voir aussi corridors écologiques Conseil de la recherche économique et sociale 1 Conseil pour la recherche en biotechnologie et sciences biologiques 1 conservation ciblée, effets 1 conservation de la nature effets préjudiciables de certains projets 1 histoire 1 mesures qui découragent les agriculteurs 1, 2 consommation de céréales 1, 2 contes de fées et forêts 1, 2 coquelicots (Papaver rhoeas) 1, 2 corbeaux 1, 2, 3, 4, 5 Voir aussi aux noms des différentes espèces corneille noire (Corvus corone) 1, 2 cornouiller sanguin (Cornus sanguinea) 1, 2 corridors écologiques 1, 2, 3 Cotta, Heinrich von 1

coucou gris (Cuculus canorus) 1, 2, 3, 4, 5 couleuvre à collier (Natrix natrix) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 Country Landowners’ Association 1, 2, 3 Countryside Stewardship 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13 County Times, The (journal) 1, 2 Crabro scutellatus 1 crapaud calamite (Epidalea calamita) 1 crapaud commun (Bufo bufo) 1, 2 Crawley, Mick 1 crèmes glacées 1, 2, 3, 4 crête-de-coq 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Voir papillons de nuit, espèces crételle des prés (Cynosurus cristatus) 1, 2 criquet duettiste (Chorthippus brunneus) 1, 2, 3 crossope aquatique (Neomys fodiens) 1 Cuckmere (rivière) 1 cuivré commun 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces cultures de blé 1, 2 à Knepp 1 comme biocarburant 1 prix 1 rendements 1 cultures fixatrices d’azote 1, 2 Cumbria 1 cynoglosse officinale (Cynoglossum officinale) 1   daim (Dama dama) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24

damier de la succise 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces Danemark 1 Danube, fleuve 1, 2 daphnie 1 Dartmoor 1, 2 dartmoor (poney) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Voir chevaux/poneys, races Dartmoor Hill Pony Association 1 Darwin, Charles 1, 2, 3, 4 dauphins 1, 2 découplement des aides, incidences 1, 2 dégradation des terres 1, 2, 3, 4, 5 demi-deuil 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces demoiselles 1, 2 Denman, Lady 1 densité démographique, effets de l’isolement des espèces 1, 2, 3 densité des animaux d’élevage 1 département de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation (Royaume-Uni) 1 département de l’Environnement, de l’Alimentation et des Affaires rurales (DEFRA, Royaume-Uni) bétail nourri à l’herbe 1 Countryside Stewardship 1 Voir ce nom Environmental Stewardship 1 Voir programme environnemental

et castors 1, 2, 3, 4, 5 et réensauvagement à Knepp 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 et séneçon jacobée 1, 2, 3 gestion naturaliste des crues 1, 2 Higher Level Stewardship 1, 2 Making Space for Nature 1, 2 services écosystémiques 1, 2 zones d’amélioration de la nature 1 Voir ce nom Derek Gow Consultancy (cabinet de conseil) 1 Devon 1, 2 Devon Wildlife Trust 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 Dial Post 1 digitale pourpre (Digitalis purpurea) 1, 2 directive habitats (UE) 1, 2, 3, 4 diversification à Knepp 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 Dixton Wood (Gloucestershire) 1 Dog-Barking Wood 1 Doggerland 1, 2 Donovan, Isobel (Izzy) 1 double oméga 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Voir papillons de nuit, espèces drainage des terres 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24 assèchement des marais 1 droits de passage 1 Duncan (étalon exmoor) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10   eau 1 comme service écosystémique 1, 2, 3

compréhension 1, 2, 3 gestion 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19 niveaux de pollution 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 purification 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12 qualité à Knepp 1, 2, 3 risques de crues et changement climatique 1 stockage 1, 2, 3, 4 transition catastrophique 1, 2 Voir aussi inondations et crues et étangs éphémères écoducs 1, 2, 3, 4, 5 écologie du pâturage 1, 2 Economics of Ecosystems and Biodiversity (initiative) 1 Economics of Land Degradation (initiative) 1 écopâturage 1, 2 Écosse 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21 écotourisme 1, 2 écrevisse à pieds blancs (Austropotamobius pallipes) 1 écrevisse de Californie (Pacifastacus leniusculus) 1 écrevisses 1 écureuil roux (Sciurus vulgaris) 1, 2, 3 Edlin, Herbert 1 Édouard II 1 éducation et nature 1 effet lisière et habitats isolés 1, 2 églantier (Rosa canina) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 Égypte 1, 2 élan (Alces alces) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 éléphant à défenses droites (Palaeoloxodon antiquus) 1 élevage laitier à Knepp 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

alimentation au grain 1, 2 fièvre aphteuse 1 incidences des quotas laitiers 1, 2, 3 mammite 1, 2 séparation des mères et des veaux 1 élevage naturaliste 1 Voir aussi pâturage naturaliste Élisabeth Ire 1 Ellenberg, Heinz 1 émondage 1, 2, 3 empathie et nature 1, 2, 3, 4, 5 Emrich, Jason 1, 2 enchytréides 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Voir biote du sol énergie/combustible, comme service écosystémique 1 enfants, accès à la nature 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 English Nature, demande de financement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14 Voir aussi Natural England engoulevent d’Europe (Caprimulgus europaeus) 1, 2 engrais 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 Voir engrais de synthèse engrais agricoles 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 Voir engrais de synthèse engrais chimiques 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 Voir engrais de synthèse engrais de synthèse 1 accumulation toxique dans le sol 1, 2 à Knepp 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 dépendance 1, 2, 3, 4

effets sur la biodiversité 1, 2, 3, 4, 5 et mycorhizes 1, 2 et santé humaine 1, 2, 3 inefficacité 1, 2 invention 1, 2 pollution 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 viande de bovins élevés au pâturage 1, 2, 3 Voir aussi aux noms des différents engrais Ennerdale Water (Lake District) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 ennomos du frêne 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Voir papillons de nuit, espèces ennomos du tilleul 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Voir papillons de nuit, espèces ensilage 1, 2 Environment Agency 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 épervier d’Europe (Accipiter gentilis) 1, 2, 3, 4 épervière (Hieracium) 1 éphémères 1 épicéa de Sitka (Picea sitchensis) 1 épiphytes 1 équidés 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16 Voir chevaux/poneys Equus Survival Trust 1 érable champêtre (Acer campestre) 1, 2, 3 érable sycomore (Acer pseudoplatanus) 1, 2, 3, 4 ère devensienne 1, 2, 3 érosion dérive littorale 1 des lits des rivières 1 des sols 1, 2, 3, 4

gestion naturelle 1, 2 escargots 1, 2, 3, 4, 5 Escherichia coli 1 Espagne 1, 2 espèces en danger 1, 2 espèces envahissantes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 espèces exogènes 1, 2, 3, 4, 5 espèces exotiques 1, 2, 3, 4, 5, 6 espèces nuisibles 1, 2, 3, 4, 5, 6 espèces prioritaires 1 Voir biodiversité, plan d’action en faveur de la biodiversité au Royaume-Uni espèces rares 1 esthétique, comme service écosystémique 1 Estonie 1 étangs éphémères 1 état des ressources en sols dans le monde (rapport de la FAO) 1 États baltes 1 États-Unis 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16 étourneau sansonnet (Sturnus vulgaris) 1 euphorbe 1 Europe 1 fourrage arboré 1 programmes de réintroduction du castor 1, 2 projets de réensauvagement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 Voir aussi aux noms des différents pays European Nitrogen Assessment 1   fadet commun 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29

Voir lépidoptères, espèces faisan (Phasianus colchicus) 1, 2, 3, 4 FAO 1 Voir Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture Farming and Wildlife Advisory Group 1 Farming Ladder, The (Henderson) 1 faucheuses 1 faucon crécerelle (Falco tinnunculus) 1, 2, 3 faucon hobereau (Falco subbuteo) 1 faucon pèlerin (Falco peregrinus) 1, 2 Faulkner, Charlotte 1, 2, 3 fauvette des jardins (Sylvia borin) 1 fauvette grisette (Sylvia communis) 1, 2 fauvette pitchou (Sylvia undata) 1 fenaison et biodiversité 1 Fens (East Anglia) 1 Feral (Monbiot) 1 fermage à Knepp 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17 Fermyn Woods, Brigstock (Northamptonshire) 1, 2, 3 fétuque rouge (Festuca rubra) 1 feux de forêt, comme processus naturel 1 fièvre aphteuse 1, 2 Finlande 1, 2, 3, 4 fistuline hépatique (Fistulina hepatica) 1 fjord norvégien 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Voir chevaux/poneys, races fleuves et rivières 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 voir aussi inondations et crues, renaturalisation 1 Voir aussi et aux noms des différents fleuves et rivières

Floodgates 1 flore 1, 2 Voir végétaux flouve odorante (Anthoxanthum odoratum) 1 foires d’artisanat 1, 2, 3, 4 folle-avoine (Avena fatua) 1 Fondation ARK 1, 2 fongicides 1, 2, 3, 4 Foreman, Dave 1 Forestry Commission 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 forêt définition et origine du terme 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 et animaux brouteurs 1, 2 et contes de fées 1, 2, 3 régénération 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 forêt ancienne 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 forêt fermée (théorie) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35 forêts de conifères 1, 2, 3, 4 Voir aussi aux noms des différentes essences forêts de feuillus 1, 2, 3 Voir aussi aux noms des différentes essences forêts primaires 1, 2, 3, 4, 5, 6 fougère aigle (Pteridium aquilinum) 1, 2, 3 fougères 1 fourmis 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 fourrage arboré 1, 2 Fowler, John 1 Fox, Cyril 1 France 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

frêne (Fraxinus excelsior) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 freux (Corvus frugilegus) 1, 2, 3, 4 frisonne 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 Voir bovins, races fritillaire pintade (Fritillaria meleagris) 1 Frome (rivière) 1, 2 fuligule milouin (Aythya marila) 1 fumeterre officinale (Fumaria officinalis) 1, 2, 3 fusain d’Europe (Euonymus europaeus) 1, 2, 3   gaillet vrai (Galium verum) 1, 2 galloway 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 Voir bovins, races Ganoderma resinaceum 1 Garten (loch, Speyside) 1 gaspillage alimentaire 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12 geai des chênes (Garrulus glandarius) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19 gendarmes (Pyrrhocoris apterus) 1 genêt 1 genévrier commun (Juniperus communis) 1, 2, 3, 4 Geotrupes mutator 1 glomaline 1, 2, 3, 4, 5, 6 glouton (Gulo gulo) 1, 2, 3, 4, 5 glycine 1 glyphosate 1, 2 gobemouche gris (Muscicapa striata) 1, 2, 3 gobemouche noir (Ficedula hypoleuca) 1 Godwin, Harry 1 Goldberg, Emma 1, 2 golfe du Mexique 1

gorgebleue à miroir (Luscinia svecica) 1 Gorytes laticinctus 1 gotland suédois 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Voir chevaux/poneys, races gouet tacheté (Arum maculatum) 1 Gould, John 1, 2, 3, 4, 5 Goulson, Dave 1, 2 goutte-de-sang 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Voir papillons de nuit, espèces Gove, Michael 1 Gow, Derek 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16 graines 1, 2 Voir semences graisses, attitudes à leur égard 1 grand collier argenté 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces grand corbeau (Corvus corax) 1, 2, 3, 4, 5, 6 grande aigrette (Ardea alba) 1 grande ortie (Urtica dioica) 1, 2, 3, 4 grande outarde (Otis tarda) 1 Grandin, Temple 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16 grand mars changeant 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces grand nacré 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces grand requin blanc (Carcharodon carcharias) 1 grand rhinolophe (Rhinolophus ferrumequinum) 1

grands herbivores 1 et transition catastrophique 1, 2, 3, 4 impact de l’homme sur les populations 1, 2, 3 présence ancienne 1, 2 Voir aussi animaux brouteurs, Oostvaardersplassen grands prédateurs 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 Voir aussi chacal, glouton, grizzly, loup, lynx, ours brun grand tétras (Tetrao urogallus) 1 grassette (Pinguicula sp.) 1 Grazing Animals Project 1 Great Fen 1 Grèce 1, 2 Greenaway, Frank 1, 2 Greenaway, Theresa 1, 2 Green, Edward (Ted) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50 Green, Penny 1, 2, 3, 4 Greenstreet 1 Greenwood, Penelope 1 grenouille rieuse (Pelophylax ridibundus) 1 grenouille rousse (Rana temporaria) 1, 2 grenouilles 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 Voir aussi grenouille rieuse, grenouille rousse grillons champêtres 1 grimpereau (Certhia familiaris) 1, 2, 3 grive draine (Turdus viscivorus) 1 grive litorne (Turdus pilaris) 1, 2, 3, 4 grive mauvis (Turdus iliacus) 1, 2 grive musicienne (Turdus philomelos) 1, 2, 3, 4

Großer Arber (lac, Allemagne) 1 groupe sur la biologie des sols (université de Wageningen) 1 Groupe technique intergouvernemental de l’ONU sur les sols 1 guêpes 1, 2 Bembicinae 1 Voir aussi Crabro scutellatus guêpes solitaires 1 guib d’eau (Tragelaphus spekii) 1 guifette noire (Chlidonias niger) 1   Haber, Fritz 1 haies 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 Halley, Duncan 1 Hammer, barrage de 1 Hammer Pond 1, 2, 3, 4 hareng (Clupea harengus) 1 Harvey, Graham 1 Heck, Lutz 1, 2 Heerwagen, Judi 1 Henderson, George 1, 2, 3 Henfield 1 Henri III 1 hépatiques 1, 2 hépiale du houblon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces herbes natives 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28 herbicides 1, 2, 3, 4, 5, 6 hereford 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11

Voir bovins, races hérisson (Erinaceus europaeus) 1, 2, 3, 4 hermine (Mustela erminea) 1, 2, 3 héron cendré (Ardea cinerea) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 hespérie de la houque 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces hespérie du dactyle 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces hêtre (Fagus sylvatica) 1, 2, 3, 4, 5, 6 hibou des marais (Asio flammeus) 1 hibou grand-duc (Bubo bubo) 1 hibou moyen-duc (Asio otus) 1, 2 hiboux et chouettes 1, 2, 3, 4 Voir aussi chevêche d’Athéna, chouette effraie, hibou des marais, hibou grand-duc, hibou moyen-duc Hicks, Olivia 1, 2, 3, 4, 5 Higher Level Stewardship (HLS) 1, 2, 3 highland 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 Voir bovins, races highlands écossaises 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 hirondelle de fenêtre (Delichon urbica) 1, 2, 3 hirondelle de rivage (Riparia riparia) 1 histeridés 1 Hoffmann, Luc 1 Holocène 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18 holstein 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 Voir bovins, races Homalodisca vitripennis 1

hormones de croissance 1, 2 hottonie des marais (Hottonia palustris) 1 houx (Ilex aquifolium) 1, 2, 3, 4, 5 huçul 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Voir chevaux/poneys, races Hulme, Neil 1, 2, 3, 4, 5 hydrocampe du nénuphar 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Voir papillons de nuit, espèces hydropote (Hydropotes inermis) 1, 2   if commun (Taxus baccata) 1, 2, 3 Imperial College London 1, 2, 3, 4, 5 indice de dissémination 1, 2, 3 inégale 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Voir papillons de nuit, espèces Ingham, Elaine 1, 2, 3 initiative “4 pour 1 000” 1 Initiative de conservation Yukon-Yellowstone (Y2Y) 1 inondations et crues coûts pour l’économie britannique 1, 2 défenses 1, 2, 3, 4, 5, 6 digues 1 et biodiversité 1, 2 gestion naturelle 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16 Pays-Bas 1, 2 Royaume-Uni 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18 insectes déclin des populations britanniques 1, 2, 3, 4 et chauves-souris 1, 2 et séneçon 1, 2, 3, 4

méthodes de voyage 1 migration 1, 2, 3, 4, 5 paysages dunaires 1 son 1, 2, 3 voir aussi abeilles, biote du sol, cicadelles, criquets, demoiselles, éphémères, faucheuses, gendarmes, grillons, guêpes, 1 Voir aussi invertébrés aquatiques, libellules, mouches, papillons de nuit, téléphores moines, termites insectes nécrophages 1 insectes parasites 1 insectes xylophages 1, 2, 3, 4 Dryophthorus corticalis 1 Prostomis mandibularis 1 Institut norvégien de recherche sur la nature 1 invertébrés 1 à Knepp 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 déclin des populations 1 et chênes 1 et recépage 1 Voir aussi à insectes et aux noms des différentes espèces xylophages 1, 2 invertébrés aquatiques 1 Voir aussi chirocéphale diaphane et krill iris des marais (Iris pseudacorus) 1 Islande 1 isolement des espèces 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 isolement des habitats 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12 Italie 1, 2   jachère 1, 2, 3 jacinthe (Hyacinthoides non-scripta) 1, 2, 3

jardin d’agrément de Knepp 1, 2, 3, 4 Jardins de la victoire 1, 2, 3 Jean sans Terre (roi d’Angleterre) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 Jefferies, Richard 1, 2 jeunes arbres comme source de nourriture 1 protection par les buissons épineux 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 Jockey Copse 1 John Muir Trust 1 jonc à tépales aigus (Juncus acutiflorus) 1 jonc des tonneliers (Schoenoplectus lacustris) 1 jonquilles 1 Journée au bois 1 Juniper, Tony 1 Jura (France) 1   Kampf, Hans 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 Kaplan, Rachel 1, 2 Kaplan, Stephen 1, 2 Kendal (Cumbria) 1 Kent & Sussex Weald, The (2003) 1 Keswick (Cumbria) 1 King John Oak, Woodend Park (Devon) 1 Kirby, Keith 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 Kirk Fell (Lake District) 1 Knapdale (Argyll) 1, 2 “Knepp de poche” 1 Knepp Wildland (projet) avenir 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14 comité consultatif 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 notation des services écosystémiques 1, 2, 3

Knepp Wildland Safaris (entreprise de camping et de safaris) 1, 2, 3 konik 1 Voir sous chevaux/poneys, races Korynetes caeruleus 1 Kraansvlak (Pays-Bas) 1, 2, 3, 4, 5 krill 1   labour 1, 2 action des sangliers et des porcs 1, 2, 3, 4, 5 effets sur les arbres 1, 2, 3, 4, 5, 6 effets sur le sol 1 Jardins de la victoire 1 origine de l’agriculture 1 prairies anciennes et pâturages 1, 2, 3 lac de Knepp 1 Voir Mill Pond Lack, Bob 1 lacs 1, 2 à Knepp 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 lactaires (Lactarius) 1, 2 laggs 1, 2, 3, 4, 5, 6 Voir prairies irriguées lagopède d’Écosse (Lagopus lagopus scotica) 1, 2, 3, 4, 5 lagopède des saules (Lagopus lagopus) 1, 2, 3, 4 Lake District 1, 2, 3, 4 lamier jaune (Lamium galeobdolon) 1 Lancet, The (revue) 1 landes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 landes des plaines britanniques, déclin 1 Land Girls 1, 2 lapin de garenne (Oryctolagus cuniculus) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11

Large Herbivore Foundation 1, 2 Lasioglossum puncticolle 1, 2, 3, 4, 5 Voir abeilles, espèces Lasioglossum zonulus 1, 2, 3, 4, 5 Voir abeilles, espèces Lawton, John 1, 2, 3, 4, 5 Lennart von Post, Ernst Jakob 1, 2, 3 Leopold, Aldo 1, 2 lépidoptères à Knepp 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35 impact de l’habitat sur les populations britanniques 1, 2, 3, 4 migration et voyage 1, 2, 3, 4, 5, 6 Oostvaardersplassen 1 reproduction 1, 2, 3, 4 lépidoptères, espèces argus bleu (Polyommatus icarus) 1, 2 azuré du serpolet (Maculinea arion) 1 belle-dame (Vanessa cardui) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 c-noir (Xestia c-nigrum) 1 cuivré commun (Lycaena phlaeas) 1 damier de la succise (Euphydryas aurinia) 1, 2, 3, 4 demi-deuil (Melanargia galathea) 1, 2, 3, 4 fadet commun (Coenonympha pamphilus) 1 grand collier argenté (Boloria euphrosyne) 1, 2, 3, 4, 5 grand mars changeant (Apatura iris) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31 grand nacré (Argynnis aglaja) 1, 2 hépiale du houblon (Hepialus humuli) 1, 2 hespérie de la houque (Thymelicus sylvestris) 1, 2, 3

hespérie du dactyle (Thymelicus lineola) 1, 2, 3 lucine (Hamearis lucina) 1, 2, 3 mégère (Lasiommata megera) 1 morio (Nymphalis antiopa) 1 moyen nacré (Fabriciana adippe) 1, 2, 3 myrtil (Maniola jurtina) 1, 2 petite tortue (Aglais urticae) 1 petit nacré (Issoria lathonia) 1 petit sylvain (Limenitis camilla) 1, 2 piéride du lotier (Leptidea sinapis) 1 piéride du navet (Pieris napi) 1 thècle de l’orme (Satyrium w-album) 1 thècle du bouleau (Thecla betulae) 1, 2 thècle du chêne (Neozephyrus quercus) 1, 2 tristan (Aphantopus hyperantus) 1, 2 vanesse du saule (Nymphalis xanthomelas) 1 lépiote élevée (Macrolepiota procera) 1 Lewes District Council 1 Lewes (Sussex) 1, 2 lézard des souches (Lacerta agilis) 1 lézards 1 Voir lézard vivipare, lézard des souches, orvet fragile lézard vivipare (Zootoca vivipara) 1, 2, 3 libellules 1 libellule fauve (Libellula fulva) 1, 2, 3 lichens à Ennerdale 1 à Knepp 1 et chênes 1 et théorie de la forêt fermée 1

Kraansvlak 1 Norvège 1 perte d’habitat 1, 2, 3 lierre grimpant (Hedera helix) 1 lierre terrestre (Glechoma hederacea) 1 lièvre (Lepus europaeus) 1, 2, 3 Line, Craig 1 Linnartz, Leo 1 linotte mélodieuse (Linaria cannabina) 1, 2, 3, 4 Littlehampton (Kent) 1 Livestock Handling and Transport (Grandin) 1 Living Landscapes 1, 2, 3, 4, 5, 6 livre blanc sur l’environnement, The Natural Choice (2011) 1 Liza (rivière) 1, 2, 3 locustelle tachetée (Locustella naevia) 1 loir gris (Glis glis) 1, 2, 3, 4, 5 loisirs, comme service écosystémique 1, 2, 3 lois relatives à l’amélioration et au drainage des terres 1, 2, 3, 4 loi sur la campagne et les droits de passage (2000) 1 loi sur la navigation de l’Adur 1 loi sur le contrôle du séneçon jacobée (2003) 1 loi sur les animaux sauvages dangereux 1, 2, 3 loi sur les mauvaises herbes (Weeds Act) (1959) 1 lombric commun (Lumbricus terrestris) 1 lombricompost 1, 2, 3, 4 lombrics 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38 anéciques 1, 2, 3, 4 détoxification du sol 1 endogés 1, 2, 3

épigés 1, 2, 3 fluide cœlomique 1, 2 rendements agricoles 1 longhorn 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 Voir bovins, races Lord, Alex 1 lotier corniculé (Lotus corniculatus) 1, 2 lotte de rivière (Lota lota) 1, 2 loup commun (Canis lupus) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19 loutre (Lutra lutra) 1, 2, 3, 4, 5, 6 lucine 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces lynx (Lynx lynx) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 lysimaque commune (Lysimachia vulgaris) 1   machines agricoles 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14 macrolépidoptères 1 Madgeland Wood 1 magnésium 1, 2, 3, 4, 5, 6 Maidment, John 1, 2, 3 Maidstone (Kent) 1 Making Space for Nature. A Review of England’s Wildlife Sites and Ecological Network 1, 2 maladie d’Alzheimer 1, 2, 3 Malaisie 1, 2 Malte 1 Mammal Society 1 mammouth laineux (Mammuthus primigenius) 1, 2 manteau arbustif 1, 2, 3

maquereau 1 marais 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12 marché commun 1 Voir Union européenne (UE) marécage 1 Voir marais marguerite (Leucanthemum vulgare) 1 Marlborough Downs 1 Marlpost Wood 1 Maroc 1 Marren, Peter 1 martinet noir (Apus apus) 1 martin-pêcheur (Alcedo atthis) 1, 2, 3, 4 martre des pins (Martes martes) 1 massette à feuilles larges (Typha latifolia) 1, 2, 3 matières premières/fibres, comme service écosystémique 1 McCarthy, Mike 1 méditation en mouvement 1 Medmerry (West Sussex) 1 mégafaune 1, 2, 3, 4, 5, 6 mégère 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces mélampyre des prés (Melampyrum pratense) 1 mélèze d’Europe (Larix decidua) 1 Melitta europaea 1, 2, 3, 4, 5 Voir abeilles, espèces Melitta tricincta 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 Mens (réserve forestière, Sussex) 1, 2 mentalité grégaire du troupeau et systèmes de gestion 1, 2

menthe aquatique (Mentha aquatica) 1 Meon (fleuve) 1 merisier (Prunus avium) 1, 2 Merrik Wood, Knepp 1 mésange à longue queue (Aegithalos caudatus) 1 mésange bleue (Cyanistes caeruleus) 1, 2, 3, 4 mésange boréale (Poecile montanus) 1, 2 mésange nonnette (Poecile palustris) 1, 2 Metaforen voor de Wildernis (Vera) 1, 2 métapopulations et chaînes d’habitats 1, 2, 3 Mexique 1 microlépidoptères 1 milan royal (Milvus milvus) 1, 2 millepertuis perforé (Hypericum perforatum) 1 millipèdes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Voir biote du sol Mill Pond 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 Mississippi (fleuve) 1 mob grazing 1 Voir pâturage de masse moineau domestique (Passer domesticus) 1 moineau friquet (Passer montanus) 1 molinie bleue (Molinia caerulea) 1 mollusques, cycle de vie et habitat 1 Monbiot, George 1, 2 morio 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces morue 1 Moss, Charles 1

moucherons 1 mouches 1 mouron délicat (Anagallis tenella) 1 mouron des champs (Anagallis arvensis) 1 mousses à Knepp 1, 2 déclin 1 et castors 1, 2 et théorie de la forêt fermée 1, 2 Kraansvlak 1 Norvège 1 moustiques 1 moutons à Knepp 1, 2, 3, 4 alimentation à base de grains 1 comme cause de compactage du sol 1, 2 comme motif de rejet des grands prédateurs 1, 2 déclin des populations en Norvège 1, 2 effets en tant que brouteurs 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 élevage 1, 2, 3, 4 fièvre aphteuse 1 mentalité grégaire 1 moutons de Jacob 1, 2 non natifs d’Europe occidentale 1 moyen nacré 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces Mull, île de 1 mulot à collier (Apodemus flavicollis) 1 mulot sylvestre (Apodemus sylvaticus) 1, 2

muntjac de Reeves (Muntiacus reevesi) 1, 2 murin à moustaches (Myotis mystacinus) 1 murin de Bechstein (Myotis bechsteinii) 1, 2 murin de Daubenton (Myotis daubentonii) 1 murin de Natterer (Myotis nattereri) 1 musaraigne carrelet (Sorex araneus) 1, 2 mycorhizes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21 myrtil 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces   Nash, John 1, 2 National Farmers’ Union (syndicat des agriculteurs) 1, 2, 3, 4, 5, 6 National Health Service (sécurité sociale britannique) 1 National Trust 1, 2, 3, 4, 5 National Trust pour l’Écosse 1 Nations unies 1, 2, 3 Natura 2000 (UE) 1 Natural Capital Committee 1 Natural England et projet Knepp Wildland 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 et rossignols philomèles à Knepp 1, 2, 3, 4 et séneçon jacobée 1 Natural Thinking 1, 2 Opération tourterelles 1 rapport sur la disparition des prairies 1 système d’information sur les espèces d’invertébrés et leurs habitats 1 Wild Ennerdale 1

Natural Environment Research Council 1 nature, accessibilité et effets sur la santé 1, 2, 3, 4, 5, 6 néottie nid d’oiseau (Neottia nidus-avis) 1 New Forest (Hampshire) 1, 2, 3, 4 new forest, poney 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Voir chevaux/poneys, races Newhaven (East Sussex) 1 nielle des blés (Agrostemma githago) 1 nitrates 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 niveaux de pollution au Royaume-Uni 1, 2, 3 et castors 1 nivéole d’été (Leucojum aestivum) 1 noisetier 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22 nonagrie de la canne 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Voir papillons de nuit, espèces North Devon 1 Norton-Griffiths, Michael 1 Norvège 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12 Noss, Reed 1 Nothophantes horridus 1 Nouvelle-Zélande 1 nutrition 1 déclin de la valeur nutritionnelle des aliments 1, 2, 3, 4, 5 Voir aussi acides gras, acides linoléiques conjugés, oméga, viande d’animaux élevés au pâturage   Oates, Matthew 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18 objectifs de développement durable (Nations unies) 1 œillet des prés (Lychnis flos-cuculi) 1, 2

oies 1, 2, 3 comme espèce clé 1, 2, 3 Voir aussi bernache du Canada, oie à bec court, oie à tête barrée, oie cendrée, ouette d’Égypte oie à bec court (Anser brachyrhynchus) 1 oie à tête barrée (Anser indicus) 1 oie cendrée (Anser anser) 1, 2, 3, 4, 5, 6 oiseaux 1 à Knepp 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 et chênes 1 impact des habitations humaines sur les populations britanniques 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 isolement des espèces 1, 2 Oostvaardersplassen 1 Voir aussi aux noms des différentes espèces oiseaux chanteurs 1, 2, 3, 4, 5 Voir aussi aux noms des différentes espèces oiseaux de proie 1 Voir rapaces Old English Longhorn 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 Voir bovins, races omble chevalier (Salvelinus alpinus) 1 oméga 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15 Oostvaardersplassen 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25 Opération tourterelles 1, 2, 3, 4, 5, 6 ophioglosse commun (Ophioglossum vulgatum) 1 orchidées 1, 2, 3, 4 Voir aussi néottie nid d’oiseau, orchis de Fuchs, orchis mâle, orchis négligé, platanthère à fleurs verdâtres

orchis de Fuchs (Dactylorhiza fuchsii) 1 orchis mâle (Orchis mascula) 1 orchis négligé (Dactylorhiza praetermissa) 1 Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) 1 Orians, Gordon 1 orignal 1 Voir élan orme champêtre (Ulmus minor) 1 orme des montagnes (Ulmus glabra) 1, 2 ormes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 orties 1, 2, 3, 4 orvet fragile (Anguis fragilis) 1, 2, 3 oseille à feuilles obtuses (Rumex obtusifolius) 1 oseille crépue (Rumex crispus) 1 Otter (fleuve) 1, 2, 3, 4, 5 Ottery St Mary 1 ouette d’Égypte (Alopochen aegyptiaca) 1, 2 ours 1, 2, 3, 4, 5 Voir aussi grizzli, ours brun ours brun (Ursus arctos) 1, 2, 3, 4, 5 Our Vanishing Flora (rapport de 2012) 1 Ouse and Adur River Trust 1 Ouse (rivière) 1, 2, 3, 4 Oxford University 1 oyat des sables (Ammophila arenaria) 1   Packham, Chris 1 palynologie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 panage 1, 2

panure à moustaches (Panurus biarmicus) 1 paon bleu (Pavo cristatus) 1 papillons 1, 2, 3, 4, 5 Voir lépidoptères papillons de nuit 1 à Knepp 1, 2, 3, 4, 5, 6 déclin des populations britanniques 1 et séneçon 1, 2, 3, 4 Voir aussi macrolépidoptères papillons de nuit, espèces crête-de-coq (Ptilodon capucina) 1 double oméga (Diloba caeruleocephala) 1 ennomos du frêne (Ennomos fuscantaria) 1 ennomos du tilleul (Ennomos alniaria) 1 goutte-de-sang (Tyria jacobaeae) 1 hydrocampe du nénuphar (Nymphula nitidulata) 1 inégale (Parascotia fuliginaria) 1 nonagrie de la canne (Globia algae) 1 sphinx colibri (Macroglossum stellatarum) 1 parasites, lutte naturelle 1, 2 parasiticides 1, 2, 3 Voir aussi avermectines parc de Knepp 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 Voir parc Repton parc Repton chênes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 daims 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16 drainage 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18 espèces nuisibles 1, 2, 3 financement du Countryside Stewardship Scheme 1, 2

prairies naturelles 1, 2 Seconde Guerre mondiale 1, 2, 3, 4, 5, 6 zone de restauration 1, 2, 3, 4, 5, 6 parcs à daims 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24 parcs nationaux, États-Unis 1, 2 parcs nationaux, Royaume-Uni 1, 2 Parliament Oak, forêt de Sherwood 1 passages fauniques 1 Voir écoducs pâturage boisé à Knepp 1, 2, 3 à l’époque médiévale 1, 2, 3, 4, 5, 6 à l’Holocène 1, 2 débat d’English Nature 1 effets sur la dispersion du pollen 1, 2 en Roumanie 1, 2, 3 et broussailles épineuses 1, 2 et chênes 1, 2 et geais 1 et insectes xylophages 1, 2 et noisetiers 1, 2 théorie de Vera 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 pâturage de facilitation entre équins et bovins 1 pâturage de masse 1 pâturage naturaliste 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 pâturages permanents réduction des niveaux de CO2 1 surface au Royaume-Uni 1 pâtures

biodiversité 1 riches en herbes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Pauly, Daniel 1 paysages dunaires 1, 2, 3 paysages vivants 1, 2, 3, 4, 5, 6 Pays-Bas 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 PCB 1 Voir polychlorobiphényle Pearson, John 1, 2 pélican frisé (Pelecanus crispus) 1 Penrith (Cumbria) 1 perce-neige (Galanthus nivalis) 1 Percy le Paon 1, 2, 3 perdrix grise (Perdix perdix) 1, 2 perruche à collier (Psittacula krameri) 1 pesticides 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 petite tortue 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces petit nacré 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces petits mammifères habitat 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 prédateurs 1, 2, 3 voir aussi campagnol agreste, campagnol roussâtre, campagnol terrestre, crossope aquatique, 1 Voir aussi écureuil roux, mulot à collier, mulot sylvestre, musaraigne carrelet, rat des moissons, rats petits prédateurs 1, 2, 3

Voir aussi belette, crossope aquatique, hermine, putois petit sylvain 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces Petworth House, daims 1, 2 peuplier blanc (Populus alba) 1, 2 peuplier tremble (Populus tremula) 1, 2 phalène ponctuée 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Voir papillons de nuit, espèces Phellinus robustus 1, 2, 3 phénomènes météorologiques extrêmes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Philippines 1 phosphate 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 phosphore 1, 2, 3, 4, 5, 6 pic épeiche (Dendrocopos major) 1, 2, 3 pic épeichette (Dryobates minor) 1, 2, 3 Pickering (Yorkshire Dales) 1, 2, 3, 4, 5 pic-vert (Picus viridis) 1, 2, 3, 4, 5 pièges 1 pie-grièche écorcheur (Lanius collurio) 1, 2, 3, 4 piéride du lotier 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces piéride du navet 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces pigeon colombin (Columba oenas) 1 pigeon ramier (Columba palumbus) 1, 2, 3 piment royal (Myrica gale) 1 pin noir (Pinus nigra) 1

pins 1, 2 pinson des arbres (Fringilla coelebs) 1 pinson du Nord (Fringilla montifringilla) 1 pin sylvestre (Pinus sylvestris) 1, 2, 3, 4 pipistrelle commune (Pipistrellus pipistrellus) 1, 2 pipit farlouse (Anthus pratensis) 1, 2 plan d’action en faveur de la biodiversité au Royaume-Uni 1, 2, 3, 4 plan de protection des prairies (UE) 1 plans d’eau, niveaux de pollution 1 plantation de biomasse à Knepp 1 plantes 1, 2 Voir végétaux plantes à graines déclin 1 Plantlife 1, 2 Plant Succession (Clements) 1 platanthère à fleurs verdâtres (Platanthera chlorantha) 1 Pléistocène 1 Plumpton (East Sussex) 1 Podoscypha multizonata 1, 2 poirier commun (Pyrus communis) 1, 2 poissons 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 Voir aussi aux noms des différentes espèces polders 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 Politique agricole commune (UE) 1, 2, 3 découplement des aides agricoles 1, 2 Higher Level Stewardship 1, 2 subventions agricoles 1, 2, 3, 4, 5, 6 Voir aussi programme environnemental Stewardship)

(Environmental

pollen 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33 des arbres 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 pollinisateurs 1, 2, 3, 4, 5 Voir aussi aux noms des différentes espèces pollinisation des cultures 1, 2, 3 Pologne 1 polychlorobiphényle (PCB) 1, 2, 3, 4 polygale commun (Polygala vulgaris) 1 polypore soufré (Laetiporus sulphureus) 1, 2 pommier 1 Voir pommier sauvage pommier sauvage (Malus sylvestris) 1, 2, 3 Pondtail Farm 1 poneys 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16 Voir chevaux/poneys Pontbren (Brecon Beacons) 1 Poorter, Ernst 1 porcelaine (Pheosia tremula) 1 porcs 1 abattage 1 à Knepp 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 alimentation 1, 2 et fouissage 1, 2 et saules 1, 2 et visiteurs 1, 2, 3 production de viande 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 Voir aussi sanglier, tamworth Portugal 1 potassium 1, 2, 3, 4

pouillot fitis (Phylloscopus trochilus) 1, 2 pouillot véloce (Phylloscopus collybita) 1 poule d’eau (Gallinula chloropus) 1, 2 Pound Farm 1 Pownall, Thomas 1 prairies 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24 déclin 1, 2, 3 défense des prairies 1 effets préjudiciables du plan de protection des prairies 1, 2 et biodiversité 1 provenance des semences natives 1 régénération 1, 2 secteur nord à Knepp 1 prairies irriguées (laggs) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 à Knepp 1, 2, 3, 4 comme moyen d’atténuer les inondations 1 et cerfs élaphes 1, 2 prairies ouvertes, existence dans la préhistoire 1, 2 Seconde Guerre mondiale 1 prédateurs 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21 Voir aussi grands prédateurs et petits prédateurs primevères 1 production alimentaire 1 comme combustible 1 consommation de grains 1, 2 et réensauvagement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 Seconde Guerre mondiale 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 Voir aussi agriculture, nutrition, viande d’animaux élevés au pâturage

production céréalière 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13 production de combustible, comme service écosystémique 1 production de méthane 1, 2, 3 produits chimiques dans le sol 1 composés organochlorés (dieldrine) 1 dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT) 1 polychlorobiphényle 1 Voir ce nom programme environnemental (Environmental Stewardship) 1, 2 projet “Donner sa place à l’eau” 1 projets de restauration de parcs 1 propriétés émergentes 1, 2, 3 propriétés médicinales des végétaux 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 Prostomis mandibularis 1 protection de l’environnement au Royaume-Uni à l’avenir 1, 2 prunellier (Prunus spinosa) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 Public Health England 1 pulicaire dysentérique (Pulicaria dysenterica) 1, 2 Pumlumon (pays de Galles) 1 putois (Mustela putorius) 1, 2, 3 PWN (fournisseur d’eau néerlandais) 1 pygargue à queue blanche (Haliaeetus albicilla) 1, 2, 3, 4, 5, 6 Pyrénées 1   qualité de l’air 1, 2, 3, 4, 5 Quammen, David 1 quotas laitiers, répercussions 1, 2, 3   Rackham, Oliver 1, 2, 3, 4 radars d’imagerie verticale 1 Raeburn, John 1

râle des genêts (Crex crex) 1 rapaces 1, 2 voir aussi autour des palombes, buse variable, épervier d’Europe, faucon crécerelle, 1 Voir aussi faucon pèlerin, hiboux et chouettes, milan royal, pygargue à queue blanche Rare Breeds Survival Trust 1, 2, 3 rat des moissons (Micromys minutus) 1, 2, 3, 4, 5 rats 1 ray-grass d’Italie (Lolium multiflorum) 1, 2, 3, 4, 5, 6 Raymond, Charles 1 Raymond, Sophia 1 recépage 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 red poll 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 Voir bovins, races réensauvagement attitudes envers 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12 aux États-Unis 1, 2, 3 comme programme de restauration des sols 1, 2, 3, 4, 5 coûts 1, 2, 3, 4, 5 définitions 1, 2, 3, 4, 5, 6 économie 1 effet sur la biodiversité 1, 2 effet sur le paysage 1, 2, 3, 4 en Europe 1 et services écosystémiques 1, 2, 3, 4, 5 réponse des pouvoirs publics britanniques 1, 2, 3, 4 tourisme 1, 2 Reg (conducteur de pelleteuse) 1, 2, 3, 4, 5 régime de paiement unique par exploitation 1

Voir subventions agricoles, paiement de base reine-des-prés (Filipendula ulmaria) 1 relation entre équins et bovins sur un pâturage 1 Voir aussi bovins remèdes à base de végétaux 1 Voir propriétés médicinales des végétaux rémiz penduline (Remiz pendulinus) 1 renard (Vulpes vulpes) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 renne (Rangifer tarandus) 1 renoncule aquatique (Ranunculus aquatilis) 1 renouée des oiseaux 1 renouée du Japon 1 reptiles 1 Voir aussi couleuvre à collier Repton, Humphry 1, 2, 3 réserve naturelle de Breite (Roumanie) 1 réserves naturelles au Royaume-Uni 1 restauration des terres 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 révolution industrielle 1, 2, 3, 4, 5 Rewilding Britain 1 Rewilding Europe 1 Rewilding Institute (États-Unis) 1 rhinocéros à nez étroit (Stephanorhinus hemitoechus) 1 rhinocéros de Merck (Stephanorhinus kirchbergensis) 1 rhododendron pontique (Rhododendron ponticum) 1, 2, 3 Richard II 1 roitelet huppé (Regulus regulus) 1, 2 Romney Marsh 1 ronces 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16 Rookery 1

roselières 1, 2, 3 rossignol philomèle (Luscinia megarhynchos) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42 Rothamsted Research, Harpenden 1 rouge-gorge familier (Erithacus rubecula) 1, 2 rougequeue à front blanc (Phoenicurus phoenicurus) 1 rougequeue noir (Phoenicurus ochruros) 1 Roumanie 1, 2, 3, 4 rousserolle effarvatte (Acrocephalus scirpaceus) 1, 2 routes, incidences sur les animaux sauvages 1, 2 Royal Society 1 Royal Society for the Protection of Birds (RSPB) déclin des populations aviaires en Grande-Bretagne 1, 2, 3 et castors 1 et Knepp Wildland 1, 2 et pie-grièche écorcheur 1, 2, 3 et tourterelle des bois 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 Natural Thinking 1 russules sanguines (Russula sp.) 1 Rutland Water 1   sable 1, 2, 3 safaris 1 Sahel (Afrique) 1, 2 sainfoin (Onobrychis viciifolia) 1 salmonelles 1 salmonidés 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 sambar 1 Sandom, Chris 1, 2

sandre (Sander lucioperca) 1 sanglier (Sus scrofa) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35 santé humaine 1 accessibilité de la nature 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 accumulation des produits chimiques dans les tissus gras 1 déclin de la valeur nutritionnelle des aliments 1, 2, 3, 4 et consommation de viande d’animaux nourris au grain 1 et santé du sol 1, 2, 3 maladies et bactéries du sol 1 santé mentale 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 santé physique 1 Voir aussi nutrition sapin blanc (Abies alba) 1 sarcelle d’hiver (Anas crecca) 1 SARISA 1 Voir Soil and Rhizosphere Interactions for Sustainable Agriecosystems saule cendré (Salix cinerea subsp. oleifolia) 1, 2 saule des chèvres 1 Voir saule marsault saule marsault (Salix caprea) 1, 2 saules (Salix spp.) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22 Voir aussi aux noms des différentes espèces Savernake Forest (Wiltshire) 1 Savory, Allan 1 Scandinavie 1, 2 Schwab, Gerhard 1, 2, 3, 4, 5 Scottish National Heritage 1

Scottish Wildlife Trust 1 sécheresse, effets 1, 2, 3, 4 résistance de la terre à la sécheresse 1 Seconde Guerre mondiale 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 secteur central biodiversité 1, 2, 3 et brouteurs 1, 2, 3 financement 1, 2 localisation et étendue 1, 2, 3, 4, 5 secteur nord biodiversité 1, 2, 3 et brouteurs 1, 2, 3, 4, 5 financement 1, 2 invasion de chardons des champs 1 localisation et étendue 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 narcisses sauvages 1, 2 secteur sud attitudes des voisins et des visiteurs 1, 2, 3, 4 biodiversité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26 champignons 1 et brouteurs 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 financement 1, 2, 3, 4 lépidoptères 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 localisation et étendue 1, 2, 3, 4 oiseaux 1, 2 progression 1, 2 semences source de semences d’herbes et de fleurs des champs natives 1 transport 1

séneçon à feuilles de roquette (Jacobaea erucifolia) 1 séneçon aquatique (Jacobaea aquatica) 1 séneçon jacobée (Senecio jacobaea) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41 sensibilisation à l’écologie et âge 1, 2 séquestration du carbone à Knepp 1 en tant que service écosystémique 1, 2, 3, 4 et biodiversité 1 et étangs de castors 1, 2 et mycorhizes 1, 2, 3, 4 planter des forêts 1 rapport Making Space for Nature 1 Serengeti 1, 2 Serengeti. Dynamics of an Ecosystem (Norton-Griffiths/Sinclair) 1 serpolet (Thymus serpyllum) 1 services écosystémiques 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Severn (rivière) 1 Seymour, Jim 1 Shipley (village) conseil municipal 1, 2 conséquences de la Seconde Guerre mondiale 1 et le projet de Knepp 1 et rôle du fleuve 1, 2, 3, 4, 5 et séneçon jacobée 1 localisation 1 silphidés 1, 2, 3 silure 1 Silwood Park, Imperial College 1, 2

Simard, Suzanne 1 Simpson, Alf et Iris 1 Sinclair, Anthony 1, 2 sites d’intérêt scientifique particulier (SSSI) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 sittelle torchepot (Sitta europaea) 1 sizerin cabaret (Carduelis flammea) 1, 2 Slovaquie 1 Smeaton, John 1 Soil and Rhizosphere Interactions for Sustainable Agri-ecosystems (SARISA) 1 Soil Food Web 1 Soil Science Association of America 1 sol argileux comme habitat 1 conséquences 1, 2, 3, 4 drainage des terres 1, 2, 3, 4, 5, 6 et brouteurs 1, 2 Sussex Weald 1, 2, 3 sols à Knepp 1, 2, 3, 4 appauvrissement de la couche arable 1 compactage 1 déversements de sol 1 érosion 1 Voir ce nom et glomaline 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 et lombrics 1, 2, 3, 4, 5 et séquestration du carbone 1, 2, 3, 4, 5 gestion naturelle 1, 2, 3 objectifs de développement durable (ONU) 1

rôle du biote du sol 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 stérilisation 1 transition catastrophique 1 valeur de la restauration 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 Somerset 1, 2 Song of the Dodo, The (Quammen) 1 sorbier des oiseleurs (Sorbus aucuparia) 1, 2, 3 Soulé, Michael 1 souris 1, 2, 3 Voir aussi loir gris, mulot à collier, mulot sylvestre, rat des moissons South Downs 1, 2 Southwater 1 spatule blanche (Platalea leucorodia) 1 Spencer, Jonathan 1 sphaigne (mousse) 1 Sphecodes scabricollis 1, 2, 3, 4, 5 Voir abeilles, espèces sphinx colibri 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Voir papillons de nuit, espèces Springwatch (émission de la BBC) 1 Spring Wood 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 SSSI 1 Voir sites d’intérêt scientifique particulier Standish, Arthur 1 Stapledon, George 1, 2 State of Nature (rapports) 1, 2, 3 stations d’épuration et lombrics 1, 2 Steyning 1 Sting in the Tail, A (Goulson) 1 Stonehenge 1, 2

Stroud Sustainable Drainage Project 1 subventions agricoles effets 1, 2, 3, 4, 5, 6 paiement de base 1, 2, 3 subventions destinées à la pêche 1, 2, 3 subventions destinées aux forêts 1 succession végétale (ou écologique) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14 succise des prés (Succisa pratensis) 1 Suède 1, 2, 3 Suisse 1, 2 sureau noir (Sambucus nigra) 1, 2 surpâturage 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 surproduction 1, 2, 3 Sussex Biodiversity Record Centre 1 Sussex Flow Initiative 1 Sussex University 1 Sussex Weald agriculture 1, 2 fonderies 1 origines du nom 1 prairies naturelles 1, 2, 3 sol argileux 1, 2, 3, 4, 5 Sussex Wildlife Trust 1, 2, 3, 4 Swallows Farm 1, 2 Swanson, Jim 1 syndrome de décalage du référentiel 1, 2, 3 syrphidés 1, 2 système d’information sur les espèces d’invertébrés et leurs habitats 1 systèmes de pâturage 1, 2, 3  

tabac d’Espagne (Argynnis paphia) 1, 2, 3 taillis 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 tamier commun (Tamus communis) 1 Tamise (fleuve) 1 tamworth (porc) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18 tanaisie commune (Tanacetum vulgare) 1 Tansley, Arthur 1, 2 tarpan (Equus ferus ferus) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Voir chevaux/poneys, races taupeuse 1 Voir charrue-taupe taupin gradé (Calambus bipustulatus) 1, 2 taupin violacé (Limoniscus violaceus) 1 taureau de combat espagnol 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 Voir bovins, races Tayside 1, 2, 3, 4, 5 téléphores moines 1 tempêtes, comme processus naturel 1 Templiers 1 Tenchford 1, 2 termites 1 terres agricoles abandon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 agrandissement des champs 1, 2 biodiversité 1 déclin des populations aviaires 1, 2 terres boisées, déclin 1, 2 thècle de l’orme 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces

thècle du bouleau 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces thècle du chêne 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces théorie de Vera 1, 2, 3, 4, 5 Thompson, Ken 1 thon 1, 2 thym basilic (Clinopodium acinos) 1 tilleul 1, 2, 3, 4, 5, 6 tilleul à petites feuilles (Tilia cordata) 1 tirs à la carabine 1, 2 Toe, Patrick 1 Toll Rides Off-road Trust (TROT) 1 toponymie, origine des noms 1, 2, 3, 4 Tour du Valat (Camargue) 1, 2, 3, 4, 5 tourisme 1, 2, 3 tourisme rural 1 tourterelle des bois (Streptopelia turtur) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85 tourterelle turque (Streptopelia decaocto) 1, 2, 3, 4 Town Field 1 transition catastrophique 1, 2 traquet motteux (Oenanthe oenanthe) 1, 2 trèfle 1, 2, 3 trèfle violet (Trifolium pratense) 1

Trematocephalus cristatus 1 Trent (rivière) 1 Trichomonas gallinae (parasite aviaire) 1, 2, 3 tristan 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 Voir lépidoptères, espèces triton crêté (Triturus cristatus) 1, 2 triton palmé (Lissotriton helveticus) 1 triton ponctué (Lissotriton vulgaris) 1, 2 tritons 1, 2, 3, 4 Voir aussi triton crêté, triton ponctué, triton palmé troène commun (Ligustrum vulgare) 1 troglodyte mignon (Troglodytes troglodytes) 1 trouble du déficit de l’attention 1, 2 truffes 1 truite arc-en-ciel (Oncorhynchus mykiss) 1, 2, 3 truite commune (Salmo trutta) 1 truites, migration 1, 2 tuberculose 1 Tudor Vermin Acts 1 Tumbledown Lagg 1 Tunbridge Wells (Kent) 1 turricules, valeur 1, 2, 3   Uckfield (Sussex) 1 UE 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 Voir Union européenne UICN 1 Voir Union internationale pour la conservation de la nature Ulrich, Roger 1, 2

Union européenne 1 conséquences 1, 2, 3 directive habitats 1, 2, 3, 4 incidences des subventions 1, 2, 3, 4, 5 législation affectant la protection de l’environnement au RoyaumeUni 1, 2 marché commun 1, 2 Natura 2000 1 perspectives potentielles du Brexit 1, 2, 3 plan de protection des prairies 1 Politique agricole commune (PAC) 1, 2, 3, 4, 5, 6 programme agrienvironnemental 1 réformes de la gestion des terres 1, 2, 3, 4 Voir aussi aux noms des différents pays Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) 1 United Utilities 1 University of California 1 University of Exeter 1, 2, 3 University of Rhode Island 1 University of Texas 1   vaccination du bétail 1 vache folle 1 vaches 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23 Voir bovins valeurs de la terre 1 Van der Vlasakker, Joep 1, 2, 3 vanesse du saule 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29

Voir lépidoptères, espèces vanneau huppé (Vanellus vanellus) 1, 2, 3, 4, 5, 6 végétation climacique (théorie) 1, 2, 3, 4 végétation de lisière 1, 2, 3, 4, 5 Vegetation Mitteleuropas mit den Alpen (Ellenberg) 1 végétaux 1, 2, 3, 4 alpins-arctiques 1 aquatiques 1, 2, 3 Voir aussi aux noms des différentes espèces végétaux nuisibles 1, 2, 3, 4, 5 Voir aussi chardon des champs, cirse commun, oseille à feuilles obtuses, oseille crépue, séneçon jacobée vente de viande à Knepp 1, 2 Vera, Frans 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35 ver luisant (Lampyris noctiluca) 1, 2 Vermuyden, Cornelius 1 véronique à écus (Veronica scutellata) 1 vers de terre 1, 2, 3, 4, 5, 6 Voir lombrics viande d’animaux élevés au pâturage 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 bœuf 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17 cheval 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15 définition 1, 2, 3 et production de méthane 1, 2, 3 nutrition 1, 2, 3, 4, 5 porc 1, 2 viande d’animaux nourris à l’herbe 1, 2, 3, 4 viande d’animaux nourris au grain 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 Vie secrète des arbres, La (Wohllenben) 1

vieux château de Knepp (XIIe siècle) 1 localisation et origine 1, 2, 3, 4 parc à daims 1, 2, 3 plans d’eau à proximité 1, 2, 3, 4, 5, 6 Voir aussi château de Knepp violette odorante (Viola odorata) 1, 2, 3 virus, rôle du biote et des microbes du sol 1 Vision for the Wildlife of Sussex, A (1996) 1 vison d’Amérique (Neovison vison) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 vocabulaire de la nature (dans les dictionnaires) 1 voisins, attitudes à l’égard du projet 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8   Wainwright, Alfred 1 Walker, Alice 1 Walpole-Bond, John 1, 2, 3, 4 wapiti (Cervus canadensis) 1 Watkins-Pitchford, Denys (BB) 1 Weald Meadows Initiative 1, 2, 3 West Grinstead 1, 2, 3 Westonbirt Arboretum (Gloucestershire) 1 Wharfe (rivière) 1 Whitbread, Tony 1, 2 Whitby, Dave 1 white park 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 Voir bovins, races Wicker, John 1 Wild Ennerdale 1, 2, 3, 4, 5, 6 Wildlands Network (États-Unis) 1 Wildlife and Countryside Link 1, 2 Wildlife and Wetlands Trust 1

Wildlife Conservation Society 1 Wildlife Trusts atelier sur les rossignols philomèles 1 Devon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 dimension des sites 1 paysages vivants 1 Sussex 1, 2, 3, 4 zones d’amélioration de la nature 1 Voir ce nom Wild Purbeck 1 Williams, Bud 1, 2, 3, 4, 5, 6 Williams, Eunice 1 Wilson, Edward O. 1, 2, 3 Windsor Great Park 1 Wohlleben, Peter 1 Wood, Andrew 1, 2 Woodend Park (Devon) 1 Woodland Trust 1, 2, 3 Worcestershire 1 Workington (Cumbria) 1 World Wildlife Fund (WWF) 1 Wren, Gill 1 Wright, Sara 1 Wye (fleuve) 1   Y2Y 1 Voir Initiative de conservation Yukon-Yellowstone Yasmin (assistante de Charlie) 1 Yellowstone (parc national) 1, 2   zéro pâturage, effets des politiques du marché commun 1

zones d’amélioration de la nature 1, 2, 3 zones de protection spéciale (ZPS) 1 zones humides 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Voir aussi castors, Oostvaardersplassen zones spéciales de conservation (ZSC) 1 zoo d’Édimbourg 1, 2, 3 Zoological Society de Londres 1

CRÉDITS DES CITATIONS 1  : Gerard Manley Hopkins, Grandeur de Dieu et autres poèmes, 18761889, trad. Jean Mambrino, © Arfuyen, 2005. 2, 3, 4  : Aldo Leopold, Almanach d’un comté des sables, trad. Anna Gibson, © Flammarion, 2017. 5 : Henry Beston, La Maison au bout du monde, trad. Marguerite Faguer et Germaine Klenowski, © Corti, “Biophilia”, 2022. 6  : Alexander Pope, Le Rapt de la boucle, trad. Pierre Vinclair, ©  Les Belles Lettres, 2022. 7 : John Keats, Les Odes, trad. Alain Suied, © Arfuyen, 2009. 8  : Eric Collier, La Rivière des castors, trad. Michèle Causse et Maurice Muller-Strauss, © Flammarion, 1961. 9  : Jonathan Safran Foer, Faut-il manger les animaux  ?, trad.  Gilles Berton et Raymond Clarinard, © Éditions de l’Olivier, 2011. 10  : John Donne, Méditations en temps de crise, trad. Franck Lemonde, © Payot et Rivages, 2001.

CATALOGUE DU DOMAINE DU POSSIBLE ÉDUCATION Pourquoi j’ai créé une école où les enfants font ce qu’ils veulent, Ramïn Farhangi, 2018. Guide du cerveau pour parents éclairés, Stéphanie Brillant, 2019. Les Yeux dans les yeux, Sherry Turkle, 2020. Dessine-moi un avenir, Rodrigo Arenas, Édouard Gaudot et Nathalie Laville, 2020. ALIMENTATION Ensemble pour mieux se nourrir, Frédéric Denhez et Alexis Jenni, 2021. À la recherche du blé vivant, Roland Feuillas et Jean-Philippe de Tonnac, 2021. AGRICULTURE ET PÊCHE Pour une révolution dans la mer, Didier Gascuel, 2019. L’agroécologie peut vous sauver, Marc Dufumier et Olivier Le Naire, 2019. Qui nourrit réellement l’humanité ?, Vandana Shiva, 2020. Une agriculture qui répare la planète, Vandana Shiva, André Leu et Jacques Caplat, 2021. Vers la sobriété heureuse, Pierre Rabhi, 2021. La Ferme du rail, Clara et Philippe Simay, 2022. ÉCONOMIE, MANAGEMENT ET POLITIQUE À mon allure, William Kriegel, 2018. La Voie des paysans, Frans Van Der Ho¤ Boersma, 2019. Écolonomie 2 : la transformation créatrice, Emmanuel Druon, 2020. Libérer son entreprise, Pierre-Yves Antras, 2021. Reconstruire sur les ruines du capitalisme, George Monbiot, 2021. Demain, une Europe agroécologique, Xavier Poux, Pierre-Marie Aubert, 2021. ÉNERGIE Dieselgate, Karima Delli, avec Xavier Maurel, 2019. INITIATIVES DE LA SOCIÉTÉ CIVILE Le Cercle vertueux, Nicolas Hulot et Vandana Shiva, entretiens avec Lionel Astruc, 2018. Petit Manuel de résistance contemporaine, Cyril Dion, 2018. Co¤ret manifeste et Plaidoyer pour la Terre, Pierre Rabhi et Sabah Rahmani, 2019.

Paroles des peuples racines, Sabah Rahmani, 2019. Les Médias, le monde et nous, Anne-Sophie Novel, 2019. François Sarano, réconcilier les hommes avec la vie sauvage, Coralie Schaub, 2020. Imaginer le monde de demain, Gilles Vanderpooten, 2020. Vers un numérique responsable, Vincent Courboulay, 2021. L’Avenir de Terre-Patrie, collectif sous la direction d’Alfredo Pena-Vega, 2021. Passage délicat, Pierre Leroy, 2021. Animal, Cyril Dion, 2021. Pour une politique culturelle renouvelée, Bernard Latarjet et Jean-François Marguerin, 2022. 2030 Glorieuses, Julien Vidal, 2022. Algocratie, Arthur Grimonpont, 2022. Ville stationnaire, Philippe Bihouix, Clemence De Selva, Sophie Jeantet, 2022. ÉCOLOGIE ET BIODIVERSITÉ Drawdown. Comment inverser le cours du réchau¤ement planétaire, Paul Hawken, 2018. Renaissance écologique, Julien Dossier, 2019. Marseille ville sauvage, Baptiste Lanaspeze, 2020. Raviver les braises du vivant, Baptiste Morizot, 2020. Océan plastique, Nelly Pons, 2020. MÉDECINE, NAISSANCE ET PRÉPARATION À L’ACCOUCHEMENT Bougez, faites confiance à votre dos !, Marc Picard, 2018. Artemisia. Une plante pour éradiquer le paludisme, Lucile Cornet-Vernet, avec Laurence Couquiaud, 2018. L’Incroyable Pouvoir du souºe, Stéphanie Brillant, 2021. Revivre, 12 étapes pour sortir de l’addiction, Philippe Cavaroz et Michel Henry, 2022. L’Incroyable Pouvoir de l’amour, Stéphanie Brillant, 2022.

Écoutez les auteurs Domaine du Possible dans une série de podcasts dédiés.

Ouvrage réalisé par le Studio Actes Sud

Notes 1. Grandeur de Dieu et autres poèmes, 1876-1889, trad. Jean Mambrino, Arfuyen, 2005. 2. Trad. Anna Gibson, Flammarion, 2017.

Notes 1. Surnom donné à l’époque de la Première révolution anglaise aux partisans du Parlement et en particulier aux puritains, qui portaient les cheveux courts, contrairement aux partisans des Stuart, surnommés “les Cavaliers”, qui les portaient longs. (N.d.T.) 2. Guerre civile (1215-1217) née du refus, par le roi Jean sans Terre, d’appliquer la Magna Carta que les barons, las des exigences financières de leur souverain, essaient de lui imposer. Une partie des barons se rebellent contre Jean sans Terre, qui mourra avant la fin du conflit. (N.d.T.)

Notes 1. Trad. François Guizot, Didier, 1862.

Notes 1. Trad. Anna Gibson, Flammarion, 2017.

Notes 1. Aussi appelée Bonfire Night, “Nuit des feux de joie”, la nuit de Guy Fawkes est une fête très populaire qui célèbre chaque année l’anniversaire de l’échec de la Conspiration des poudres le 5 novembre 1605, sous le règne de Jacques Ier : Guy Fawkes, qui souhaitait la restauration d’un monarque catholique sur le trône, est arrêté dans les cryptes du palais de Westminster avec 36 barils de poudre à canon qu’il comptait faire sauter. (N.d.T.)

Notes 1. Trad. Marguerite Faguer et Germaine Klenowski, Corti, “Biophilia”, 2022.

Notes 1. D’après les statistiques de la Banque mondiale, 75 % de la population européenne vivait en ville en 2020, soit trois personnes sur quatre. (N.d.T.)

Notes 1. Trad. Pierre Vinclair, Les Belles Lettres, 2022.

Notes 1. Trad. Alain Suied, Arfuyen, 2009.

Notes 1. Trad. François Guizot, Didier, 1863. 2. Ce n’est plus le cas depuis le Brexit. (N.d.T.)

Notes 1. Trad. Anna Gibson, Flammarion, 2017.

Notes 1. Trad. Michèle Causse et Maurice Muller-Strauss, Flammarion, 1961. 2. Après examen d’un rapport produit à l’issue des cinq années du projet, les pouvoirs publics ont reconnu les incidences positives de la présence des castors dans le Devon et réfléchissent désormais à la mise en place d’une stratégie nationale. (N.d.T.)

Notes 1. Trad. Gilles Berton et Raymond Clarinard, Éditions de l’Olivier, 2011. 2. Viande issue d’élevages répondant à certaines normes en matière de santé et de bien-être des animaux. (N.d.T.)

Notes 1. Bien que cette étymologie soit souvent rapportée, elle n’est pas attestée. (N.d.T.)

Notes 1. Trad. Franck Lemonde, Payot et Rivages, 2001.